(Dix
heures deux minutes)
Le
Président (M. Hardy) : Oui,
bonjour, tout le monde. Prenez place, s'il vous plaît. Ayant
constaté le quorum, je déclare la
séance de la Commission des
institutions ouverte. Je demande à
toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie
de leurs téléphones cellulaires.
La
commission est réunie afin de poursuivre les consultations
particulières et les auditions publiques sur le projet de loi n° 59, la loi
édictant la loi concernant la prévention et la lutte contre les discours
haineux et les discours insistant à la violence et apportant diverses
modifications législatives... renforcer la protection des personnes.
Mme la secrétaire, y
a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Tremblay (Chauveau)
remplace M. Ouellette (Chomedey); M. Hardy (Saint-François) remplace M. Ouimet (Fabre); Mme Boulet (Laviolette)
remplace M. Tanguay (LaFontaine); et M. Laframboise (Blainville)
remplace M. Martel (Nicolet-Bécancour).
Auditions (suite)
Le
Président (M. Hardy) : Merci. Alors, sans plus tarder, je souhaite la
bienvenue aux représentants de la Chaire de recherche sur l'homophobie, GRIS-Québec et le Conseil québécois LGBT.
Comme il s'agit d'une audition commune, vous avez 20 minutes pour faire
votre exposé. En commençant, je vous invite à vous présenter.
Chaire
de recherche sur l'homophobie, Conseil québécois
LGBT et Groupe régional d'intervention
sociale de Québec (GRIS-Québec)
Mme Chamberland (Line) : Bonjour. M. le Président, Mme la ministre,
membres de la commission. D'abord, nous
vous remercions de nous avoir invités à être consultés sur le projet de loi
n° 59. Moi, je m'appelle Line Chamberland. Je suis titulaire de la
Chaire de recherche sur l'homophobie de l'Université du Québec à Montréal, qui
associe des partenaires universitaires,
gouvernementaux et communautaires qui souhaitent contribuer à la reconnaissance
des minorités sexuelles en
approfondissant les connaissances à leur sujet et en mobilisant ces
connaissances dans l'élaboration et l'implantation de programmes de
lutte contre l'homophobie.
Mme Greenbaum (Mona) : Bonjour. Merci de nous avoir invitées. Je
m'appelle Mona Greenbaum. Je suis ici aujourd'hui
comme représentante de deux organismes communautaires pour la communauté LGBT,
le Conseil québécois LGBT, dont je suis administratrice, et la Coalition
des familles LGBT, dont je vous parlerai tantôt.
D'abord,
pour le Conseil québécois LGBT, le conseil vise à avancer vers l'égalité
sociale, faire tomber les préjugés et
oeuvrer pour une meilleure intégration des personnes lesbiennes, gaies,
bisexuelles et trans au Québec. Il entend consolider les avancés en matière d'égalité juridique et les
faire se traduire concrètement dans l'égalité sociale. Il joue un rôle de
premier plan et s'associe aux multiples organismes défendant les personnes
LGBT.
Mme
Lagabrielle (Jeanne) : Bonjour,
Jeanne Lagabrielle. Je suis chargée de projet au GRIS-Québec. Le GRIS-Québec,
en plus des services adaptés aux besoins des
jeunes LGBT et de leurs proches, réalise des activités de sensibilisation et de
démystification de l'homosexualité et de la
bisexualité et réalise des outils pour aider les professionnels qui oeuvrent
auprès des jeunes à inclure la
diversité sexuelle et de genre dans leur pratique et leur milieu. Quant au
GRIS-Montréal, qui est également
cosignataire du mémoire, en plus de ces mêmes activités de démystification de
l'homosexualité et de la bisexualité, il effectue des travaux de
recherche reliés à ces démystifications.
Mme Greenbaum (Mona) : Et puis je mets mon autre chapeau pour la
Coalition des familles LGBT dont je suis directrice générale. Donc, la coalition est un organisme qui représente
les familles avec parents et futurs parents lesbiennes, gais, bisexuels et trans. La coalition a pour
mission de favoriser la visibilité des familles et d'améliorer les
connaissances du public quant à la
diversité sexuelle. Depuis 2007, pour lutter contre la discrimination envers
les minorités sexuelles, nous avons
formé plus de 12 000 professionnels principalement en milieu scolaire,
d'où notre grand intérêt dans ce projet de loi.
Mme
Chamberland (Line) : A également signé le mémoire, l'Association pour
la diversité sexuelle et de genre LGBT+,
Baie-des-Chaleurs, localisée à Bonaventure, en Gaspésie, qui est, entre autres,
vouée à la démystification des orientations
sexuelles, à la défense des droits et des intérêts de la communauté LGBT, avec
un souci particulier d'inclure tous les groupes d'âge, d'inclure les
communautés autochtones, francophones et anglophones de la région.
Tout d'abord, nous nous réjouissons
que le gouvernement du Québec souhaite prévenir et lutter contre les discours
haineux et les discours incitant à la
violence. Cependant, concernant les discours qui visent spécifiquement les
personnes LGBT, il nous semble nécessaire d'insister sur l'efficacité plus
grande d'une approche préventive plutôt que répressive. Alors, notre mémoire suit grosso modo le plan
suivant : nous rappelons d'abord l'évolution du terme homophobie qui a
inspiré notre réflexion sur la loi
n° 59, le projet de loi; ensuite nous montrons la persistance des crimes
haineux sur la base de l'orientation
sexuelle; et nous faisons état de notre souhait de voir ajoutée l'identité de
genre dans les motifs de discrimination
de la Charte des droits et libertés de la personne; pour enfin évoquer les
moyens les plus efficaces selon nous
de lutter contre l'homophobie et la transphobie dans la société en général et
dans le secteur de l'éducation en particulier.
Le
terme «homophobie» a été créé au début des années 1970 et il signifiait à
l'origine une profonde aversion ou une
haine envers l'homosexualité. Le suffixe «phobie» faisait référence
littéralement à une forme de pathologie, soit le déclenchement de réactions irrationnelles de crainte et de peur en
présence d'un homosexuel, réactions qui s'extériorisent par la violence. Depuis, l'usage de ce terme a
considérablement évolué. Notamment, il se décline en gaiphobie, lesbophobie,
biphobie, transphobie ou LGBTphobie pour
s'appliquer à un ensemble de groupes de personnes dont l'orientation sexuelle
ou l'identité de genre diffèrent des normes culturelles relatives à la
sexualité et au genre.
D'autre
part, l'acception du terme s'est élargie. L'homophobie englobe toute attitude
négative ou méprisante, de même que
tout comportement exprimant un rejet ou une hostilité envers une personne
homosexuelle ou perçue comme telle. L'homophobie inclut donc la
dévalorisation de l'homosexualité à travers des insultes, des railleries, des
propos dénigrants ou toute autre manière de
discréditer cette orientation sexuelle et les personnes qui lui sont associées.
C'est d'ailleurs la définition qui a été retenue dans la Politique
québécoise de lutte contre l'homophobie et le Plan d'action gouvernemental de lutte contre l'homophobie où on
parle d'attitudes négatives pouvant mener au rejet et à la discrimination
directe ou indirecte envers les personnes
gaies, lesbiennes, bisexuelles, transsexuelles, transgenres ou dont l'apparence
ou le comportement ne se conforment pas aux stéréotypes de la masculinité et de
la féminité.
Ici,
je m'excuse, j'ai fait une erreur de copier-coller dans la définition de
«transphobie», qui est la même, mais à l'égard des personnes
transsexuelles, transgenres. Donc, je pourrai renvoyer une version corrigée.
• (10 h 10) •
Mme Greenbaum (Mona) : C'est donc dire que les manifestations de
l'homophobie recouvrent un large spectre de paroles et de gestes qui peuvent varier en fréquence ou en intensité
ainsi qu'en gravité, y compris des propos et des crimes haineux pouvant aller jusqu'au meurtre. Divers termes ont été
proposés pour décrire et analyser les manifestations les plus courantes
de l'homophobie ou pour établir les nuances entre l'expression des attitudes
homonégatives et les comportements
homophobes violents comme le «gay bashing». D'autres concepts, comme celui d'hétérosexisme, se sont ajoutés pour rendre compte des processus
législatifs, institutionnels et culturels d'infériorisation et d'exclusion
des minorités sexuelles.
Nous
ne souhaitons pas proposer ici une discussion conceptuelle ou sémantique, mais plutôt
affirmer la nécessité de ne pas assimiler ou réduire l'homophobie à ses
manifestations les plus haineuses, bien que celles-ci existent, comme nous en ferons état plus loin. Il importe de nous
prémunir contre des glissements de sens favorisés par la polysémie du terme «homophobie», des glissements qui
viendraient justifier l'introduction de limites à l'exercice de la liberté
d'expression au nom de la lutte contre l'homophobie.
Par
ailleurs, nous ne voyons pas l'intérêt d'amalgamer l'éventail des
manifestations de l'homophobie sous l'épithète de «haineux», qui ne correspond qu'à ses manifestations extrêmes. La
notion de discours haineux nous a fait penser à des discours qui ont un caractère public et qui sont,
d'une certaine façon, organisés. Ces discours sont pensés d'avance. Bien qu'il n'y ait pas nécessité d'une intention de la
part de l'auteur d'inciter à la haine ou à la discrimination, il faut qu'objectivement les propos soient susceptibles
d'exposer une communauté ou une personne qui représente cette communauté
à la détestation et à la diffamation.
Selon notre analyse,
la plus large part de l'homophobie que l'on observe au Québec ne tombe pas dans
cette définition. Un amalgame qui
confondrait les actes homophobes avec les discours haineux risque même
d'accentuer la tendance à nier le caractère
homophobe de tels gestes, de tels propos puisque, dira-t-on, ils ne relèvent
pas du registre de la haine. Ainsi,
l'homophobie au quotidien, celle qui s'exprime le plus souvent par des
insultes, des moqueries, des commentaires
dévalorisants, des mises à l'écart, cette homophobie pourrait s'en trouver
banalisée. Il en va de même pour la lesbophobie, la biphobie et la
transphobie.
Cette
précaution relativement à la définition de l'homophobie et de ses déclinaisons
nous apparaît nécessaire, car le projet de loi n° 59 ne propose pas de
définition de discours haineux, tout en employant spécifiquement cette
expression, en plus de celle de
discours incitant à la violence. Certes, des jurisprudences existent, et la
mise en application de la loi exigera
forcément l'établissement de balises à cet effet. Nous ne sommes pas engagés
dans cette voie, et notre propos ici ne relève pas d'un cadre juridique.
Notre démarche de réflexion sur le projet de loi n° 59 s'est plutôt
centrée sur l'interrogation suivante :
Est-ce que le projet de loi nous permettrait de lutter plus efficacement contre
les manifestations de l'homophobie et
de la transphobie telles que nous les observons à travers nos recherches et nos
interventions sur le terrain, au quotidien? Notre réponse est négative.
D'une
part, il existe déjà des protections contre la propagande haineuse et les
crimes haineux ou l'incitation à la violence.
D'autre part, nous considérons que la lutte contre l'homophobie et la
transphobie dans la société en général et dans les divers milieux de vie passe essentiellement par la
sensibilisation, la démystification des stéréotypes, la déconstruction des préjugés, par l'acquisition de compétences
adéquates pour les intervenants sociaux, en un mot, par l'éducation et le
dialogue autour de la différence. Au niveau
des institutions, dans le secteur de l'éducation, du travail, de la santé et
des services sociaux entre autres,
cette lutte requiert également des interventions proactives et concertées,
engageant les divers acteurs concernés,
afin de mettre fin à la trop grande tolérance envers des gestes et des propos
homophobes ou transphobes et de favoriser l'inclusion positive de la
diversité sexuelle et de genre.
Mme Chamberland (Line) :
Les crimes haineux sur la base de l'orientation sexuelle. Nous ne nions pas
l'existence de propos incitant à la
haine et à la violence envers les minorités sexuelles. Le Code criminel
canadien prévoit déjà des infractions
de propagande haineuse et de crime haineux, et nous disposons de statistiques
fournies annuellement par le Centre
canadien de la statistique juridique en ce qui concerne les crimes haineux au
Canada. Les plus récentes datent de 2013
et elles indiquent que — si je les mets en ordre — 51 % de ces crimes étaient motivés par
la haine d'une race ou d'une origine
ethnique, 28 % par la haine d'une religion et 16 % par la haine d'une
orientation sexuelle. Ce rang est stable d'une année à l'autre.
Les
crimes motivés par la haine d'une orientation sexuelle présentent la
caractéristique d'être plus souvent de nature violente. C'est le cas de 66 % d'entre eux en 2013, un pourcentage
qui est supérieur à celui des crimes motivés par la haine d'une race, d'une origine ethnique ou d'une
religion. Les manifestations de violence les plus courantes sont les voies de
fait, les menaces, le harcèlement
criminel. Les victimes sont majoritairement des hommes, à 81 %. Cependant,
il faut ajouter que nous ne disposons
pas de données probantes sur les lesbiennes. Elles sont beaucoup moins
présentes dans les lieux publics et
dans la rue, surtout la nuit. Leur comportement les y confond souvent avec
toutes les femmes de leur groupe d'âge,
donc sans qu'on puisse forcément les identifier comme lesbiennes, et elles
tendent à subir l'oppression dans le cadre familial privé.
Ces
données sont basées sur les déclarations des services de police, donc elles
sont à interpréter avec prudence. Elles
peuvent fluctuer selon divers facteurs, notamment la formation des corps
policiers, le lancement d'une campagne de
sensibilisation au crime motivé par la haine. Par exemple, Thunder Bay a mérité
le premier rang de toutes les villes en 2013 parce qu'ils avaient fait préalablement une campagne de
sensibilisation et de dénonciation des crimes motivés par la haine. Alors, il y a eu beaucoup plus de
déclarations, ce qui fait que, dans les villes, ils se retrouvent très hauts,
mais c'est un peu malheureux, parce que c'est autant l'effet de la
campagne de sensibilisation. Voilà.
Mme Greenbaum
(Mona) : Le projet de loi n° 59 se réfère à la liste des motifs
de discrimination inscrits à l'article 10
de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Cette liste
inclut nommément l'orientation sexuelle, mais non l'identité et l'expression de genre. Certes, on peut considérer
que la charte interdit la discrimination envers les personnes trans en
s'appuyant sur des jurisprudences qui favorisent l'interprétation large des
motifs état civil et sexe. Toutefois, il y a
lieu de s'interroger sérieusement sur l'étendue de cette protection à
l'ensemble des situations potentiellement discriminatoires et à l'ensemble des personnes trans, qu'elles
s'identifient comme transsexuelles, transgenres ou présentent une
identité en dehors des catégories binaires de genre.
Cependant,
nous voulons surtout souligner ici que cette protection en cas de recours
juridique ne remplace pas la puissance
du message symbolique que constituerait l'ajout de l'identité et l'expression
de genre aux motifs prohibés de discrimination énumérés dans la charte.
Outre
ses effets juridiques, la charte a une portée symbolique et éducative
considérable. Prenons l'exemple de la Commission ontarienne des droits
de la personne qui, après l'introduction des motifs de «gender identity and
gender expression» dans le code des droits
de la personne en 2014, a produit une brochure éducative et des documents sur
des politiques de la commission à cet égard.
Mme Chamberland
(Line) : J'ai apporté un exemplaire que je pourrai déposer... quelques
exemplaires.
Mme Greenbaum (Mona) : L'omission d'une protection explicite des
personnes trans dans la charte québécoise est à
déplorer dans le cadre d'une réflexion sur le projet de loi n° 59,
car les personnes trans constituent un groupe particulièrement ciblé par les
crimes violents. Selon les données de l'enquête ontarienne Trans PULSE, 26 % des participants ont déjà été battus ou frappés en raison de leur
identité ou de leur expression de genre. Selon une récente étude canadienne auprès des jeunes trans de 14 à
25 ans, près de deux participants sur trois ont déclaré avoir subi des
moqueries dans le milieu scolaire, et
un participant sur trois a déclaré avoir été physiquement menacé ou blessé au
cours de la dernière année.
Mme
Lagabrielle (Jeanne) : Quant au volet de la prévention, l'éducation et
la sensibilisation doivent, selon nous, rester au centre de la lutte
contre l'homophobie et la transphobie telle qu'elle se manifeste principalement
dans notre société. Nous privilégions en
effet des modes d'intervention basés sur le dialogue, sur la rencontre, sur le
débat d'idées plutôt que sur
l'interdit et la répression. Il faut, selon nous, éviter le plus possible les
logiques punitives qui risquent de mener à la censure, à l'autocensure
ou encore qui confortent un sentiment de victimisation qui cristallise et
durcit les oppositions. En ce sens
d'ailleurs, nous comprenons mal la nécessité de rendre publique une liste de
personnes ayant fait l'objet d'une
décision du Tribunal des droits de la personne. L'étiquetage public des
personnes jugées coupables de tenir ou de diffuser un discours haineux ou
incitant à la violence ne risque-t-il pas de les cantonner dans leur
radicalisme et de les inciter à trouver refuge dans des groupes
marginaux?
Entendons-nous,
il ne s'agit pas ici d'accepter ou de refuser de sanctionner des propos ou des
comportements qui incitent à la
violence ou qui dérogent aux normes légales actuelles, mais nous misons d'abord
sur la prévention et, à long terme,
sur le changement des normes et de valeurs dans la société tout entière,
c'est-à-dire sur l'ouverture du plus grand nombre envers la diversité sexuelle et de genre. Nous avons d'ailleurs
déjà fait un bon bout du chemin à cet égard depuis les années 70. La politique et le Plan d'action gouvernemental de
lutte contre l'homophobie interpellent déjà un grand nombre d'acteurs
sociaux et identifient des voies d'action qui méritent globalement d'être
poursuivies et soutenues.
• (10 h 20) •
Nous sommes
les premiers à déplorer les propos haineux de certains, certaines artistes ou
autres personnalités publiques. Le projet de loi n° 59 semble favoriser ici la voie de l'injonction.
Aux interventions légales ou répressives, nous préférons les réactions telles que des
pétitions, des campagnes de dénonciation dans les médias sociaux. Autrement dit, nous voulons une société qui nous protège, et
cela passe par la sensibilisation du plus grand nombre aux réalités LGBT
et aux effets dévastateurs de tels propos. La désapprobation des propos
homophobes doit donc d'abord être sociale.
Par ailleurs, le projet de loi n° 59 confie à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
un rôle de prévention et d'éducation en matière de lutte contre les discours haineux
incitant à la violence. Permettez-nous ici
de nous interroger, cela en toute bonne foi envers la commission. Celle-ci
a-t-elle la capacité en ressources humaines et financières quant à son réseau de partenaires à travers la société
québécoise, etc., pour assumer un tel rôle? Si tel devenait le cas, la
contribution de la commission serait évidemment infiniment précieuse à
l'intérieur de la collaboration avec plusieurs
organismes et institutions dont les missions et les modes d'intervention sont
complémentaires en matière de lutte contre l'homophobie et la
transphobie.
Enfin, nous n'aimerions pas que les mécanismes
mis en place par le projet de loi n° 59 puissent se retourner contre nous. Par exemple, lorsque nous dénonçons
le discours homophobe de certains représentants de certaines confessions
religieuses, nos propos pourraient-ils être
réinterprétés comme des discours haineux envers la religion ou envers telle ou
telle confession religieuse? La loi n° 59 pourrait-elle être invoquée pour
limiter notre propre liberté d'expression?
Concernant la
lutte contre l'homophobie et la transphobie spécifiquement dans le secteur de
l'éducation, le projet de loi
n° 59 introduit le concept de sécurité physique et morale des étudiants et
élèves et prévoit une sanction financière lorsque sont tolérés des comportements pouvant raisonnablement faire
craindre pour cette sécurité. Il est vrai que, d'après nos recherches et nos interventions dans le
secteur de l'éducation, les nombreuses manifestations de l'homophobie et de
la transphobie en milieu scolaire et
collégial mettent en péril cette sécurité physique et morale des jeunes qui
fréquentent ces établissements. Il
est vrai que la passivité de nombreux adultes du milieu scolaire face aux
injures, aux mots blessants, aux
moqueries ajoute au sentiment d'insécurité des jeunes LGBT et des autres jeunes
ciblés. L'inaction du personnel et des administrations scolaires est en
ce sens inacceptable.
Mais est-ce
que le projet de loi ajoute un bon moyen pour lutter contre l'homophobie et la
transphobie dans le secteur de
l'éducation? De notre point de vue, cette lutte requiert plutôt une
transformation de la culture scolaire dans son ensemble, ce qui fait appel à une panoplie de moyens : éducation et
démystification des préjugés, curriculum inclusif, soutien aux jeunes
victimes, formation des enseignants et enseignantes et des autres catégories de
personnel scolaire, mesures de dénonciation
et de sanction de l'intimidation. Or, le Québec s'est déjà doté d'un cadre
législatif à cet égard, la loi n° 56 visant à prévenir et à
combattre l'intimidation et la violence à l'école, et dispose de politiques
contre l'intimidation et contre l'homophobie et la transphobie.
Mme Chamberland (Line) : En
conclusion, nous nous sommes demandé en quoi le projet de loi n° 59 nous fournirait des outils permettant de renforcer
notre lutte contre les manifestations de l'homophobie et de la transphobie
telles que nous les observons et les
confrontons dans nos recherches et nos interventions. Nous n'avons guère trouvé
de réponse autre que celle de s'appuyer sur les législations et les politiques
existantes, quitte à évaluer et renforcer ces...
Le Président (M. Hardy) : ...mais je
vous laisse conclure.
Mme
Chamberland (Line) :
D'accord. Il nous semble important aussi d'avoir une vision à long terme. Or, nous
avons déjà une politique
de lutte qui propose des grandes orientations qu'il est important
de maintenir, et il est important
aussi d'avoir une constance dans les efforts
déployés jusqu'à maintenant par les
acteurs sociaux qui sont engagés dans cette lutte.
Nous
apprécions les efforts gouvernementaux pour la proposition des groupes
minoritaires et pour la création d'une société inclusive à tous égards.
Le leadership gouvernemental, notamment le message symbolique que peut donner
le gouvernement, a une importance capitale,
notamment pour la reconnaissance des personnes LBGT, mais, selon nous, le
leadership gouvernemental doit s'exercer
d'abord dans la création, le renforcement, la diffusion des outils éducatifs.
Merci.
Le Président (M. Hardy) : Merci,
mesdames, pour votre exposé. Maintenant, nous allons débuter la période
d'échange. Mme la ministre, à vous la parole pour une période de
35 minutes.
Mme Vallée :
Merci, M. le Président. Alors, bon matin. Merci beaucoup de votre participation
à nos travaux et à nos échanges.
Dans un
premier temps, je pense qu'il est important peut-être de vous rassurer et de
rassurer aussi ceux et celles qui
nous interpellent quant à leur crainte que le projet de loi pourrait
éventuellement se retourner contre eux s'ils devaient ou elles devaient critiquer des gens qui tiennent des propos
haineux. L'objectif du projet
de loi, là, ce n'est pas de censurer
le discours dissident ou le discours
dénonciateur. L'objectif du projet
de loi, ça vise vraiment
le discours haineux, le discours qui incite à la violence.
Donc, à
partir du moment où on dénonce un groupe qui tient, par exemple, des propos homophobes, transphobes, il n'y a rien de haineux.
C'est à partir... C'est toute cette notion de haine qui a été notamment
définie par la Cour suprême. On a
de la jurisprudence. Je comprends de vos interventions... Il y a peut-être
un flou, et puis on a certains commentaires qui nous ont été formulés à ce que... Et
c'est la beauté de l'exercice parlementaire auquel on se livre aujourd'hui,
c'est de pouvoir améliorer et bonifier le projet de loi. Mais, chose certaine,
le projet de loi n'a vraiment pas comme objectif de venir bâillonner la dissidence, même la
dissidence parfois qui fait mal à entendre, parce que c'est certain... Et
là-dessus je suis tout à fait d'accord avec vous, au-delà du projet de loi, il
y a toujours un travail d'éducation et un travail
de sensibilisation qui est nécessaire dans notre société pour contrer
l'homophobie, pour contrer la transphobie puis pour
contrer aussi toute forme de discrimination à l'égard des personnes handicapées
et à l'égard des minorités ethniques. Alors,
on doit... on a un travail, comme société, de sensibilisation, et puis ça,
c'est notre travail comme parlementaires, c'est votre travail comme organisme de sensibilisation,
ce sont vos travaux dans le cadre de la chaire de recherche.
Alors, ça, on
s'entend, je suis d'accord avec vous, je vous rejoins : oui, on doit
continuer de pousser, de sensibiliser et d'informer parce que, bien
souvent, c'est une méconnaissance de certains enjeux qui amènent les gens à
porter des jugements sévères et à se
prononcer de façon blessante. Et le but du projet de loi, ce n'est pas
non plus d'empêcher les discours
blessants. C'est un projet de loi qui vise un discours extrême, qui vise à accorder
des... à permettre des sanctions civiles, de nature civile, qui ne vont
pas exiger toutes les exigences requises notamment par les sanctions de nature criminelle. Donc, il s'agit là d'un recours civil
visant bien spécifiquement des discours qui vont inciter quelqu'un
à la haine puis à la violence envers
un tiers. Donc, ce sont des propos qui vont être tellement forts dans leur
teneur qu'ils vont amener quelqu'un
à porter une haine virulente envers un groupe. Donc, c'est vraiment...
Oui, c'est une mesure qui est forte,
mais c'est une mesure qui vise des comportements tout à fait inacceptables. Je
ne dis pas que les comportements et
les propos blessants sont acceptables. Ça, on a d'autres outils et on continue
de faire notre travail. Notamment, vous l'avez
mentionné, dans notre politique de lutte à l'homophobie, on a un travail... Et
vous avez très bien... Puis je
vous remercie encore
une fois de porter devant l'Assemblée les préoccupations et la réalité de notre communauté
trans qui vit une discrimination terrible.
• (10 h 30) •
Alors, je comprends que, pour vous, c'est un
enjeu qui fait partie de vos préoccupations quotidiennes et vous souhaitez encore
une fois profiter de la tribune pour
nous sensibiliser. Je vous remercie. Puis je
pense qu'au cours de la dernière année on a eu beaucoup
d'interventions, beaucoup de travail qui a été fait ici, en commission parlementaire, mais aussi
dans l'espace médiatique, qui a permis de sensibiliser le grand public aussi à
la réalité de la communauté trans et de ceux et celles qui, au quotidien, vivent avec le regard de l'autre et
vivent avec les moqueries, les commentaires désobligeants,
la violence, et c'est une préoccupation que nous avons. Mais je veux aussi... Il était important
pour moi de vous rassurer, parce que ce projet de loi là n'est pas là
pour venir bâillonner, pour venir censurer quelqu'un qui va s'insurger contre, par exemple, la tenue de
propos inacceptables. Ce n'est pas ça, le but, parce que, lorsqu'on
s'insurge, on ne fait pas un appel à
la violence, on ne fait pas un appel à la haine, on s'insurge. On dit haut et
fort que tel propos est inacceptable, et ça, c'est important qu'on
puisse continuer de le dire.
C'est important
que vos groupes puissent continuer de faire le travail que vous faites sur le
terrain pour dénoncer ceux qui tiennent des propos inacceptables, qui
tiennent un propos qui va porter atteinte à l'intégrité sans pour autant constituer... Ce que vous faites en dénonçant
n'est pas une attaque, n'est pas un propos haineux et incitant à la violence.
Alors, il faut vraiment
faire la part des choses. Parce que j'écoutais ce matin les différents commentateurs,
différents groupes qui se sont questionnés sur la portée du projet de
loi n° 59, et c'est important de faire la part des choses.
Puis je
comprends que, dans l'environnement, on peut... Puis c'est tout à fait légitime de se questionner : Est-ce que ce projet
de loi là va nous empêcher de monter
aux barricades contre quelqu'un qui tiendrait des propos inacceptables? Ce n'est pas
du tout, du tout, du tout notre
intention. Notre intention, c'est de donner des outils pour qu'on puisse mettre
un terme à des propos haineux de façon... de
nature civile, donc permettre des
ordonnances de protection, des ordonnances de sauvegarde pour empêcher qu'un discours continue d'être diffusé, et
avoir également des sanctions civiles. Pourquoi? Parce que, bien souvent, le doute raisonnable au niveau criminel va
permettre à quelqu'un de se faufiler entre les procédures. Permettre de
sanctionner au niveau civil des propos qui sont allés au-delà de ce qui est
inacceptable.
La liberté
d'expression, elle existe, et on doit la protéger, mais elle ne permet pas de
tenir des propos violents, des propos qui incitent à la haine à l'égard
d'un groupe. C'est trop loin et c'est poussé à son extrême. Alors, il s'agit simplement de baliser. Et le but, ce n'est pas
d'établir une censure. Parce que j'ai senti dans votre mémoire cette préoccupation-là. Vous voulez vous assurer de la
sauvegarde de la liberté d'expression. Croyez-nous, c'est un droit qui nous est cher, puis c'est d'ailleurs pour ça que
la commission des droits de la personne et de la jeunesse aurait le mandat,
parce que c'est l'organisme qui est le chien
de garde de nos droits. Donc, pour moi, c'était important de vous réitérer
le tout.
Évidemment,
sur la question des modifications que vous souhaitez, vous êtes... La Fondation
Émergence nous a fait part également
hier de sa préoccupation quant à des modifications qui pouvaient être apportées
à la charte à l'article 10. On est
dans un autre... On n'est pas dans le radicalisme, peut-être, ou dans
l'intégrisme comme tel, on est vraiment dans l'acceptation, et puis je
comprends que, pour vous, le projet de loi est une... vous le voyez comme une
ouverture qui permettrait d'apporter des
modifications peut-être pour donner une meilleure protection pour les
communautés. Alors, j'aimerais ça
vous entendre davantage sur cette demande qui est formulée quant à l'identité
de genre. Est-ce qu'il faudrait aller jusque là où l'Ontario est allé?
Est-ce qu'on doit s'inspirer... Parce que l'Ontario parle d'expression de genre
et d'identité de genre. Dans notre Code civil,
on utilise beaucoup le terme «identité sexuelle». Donc, est-ce qu'il y aurait
lieu de revoir non seulement les motifs de
discrimination, mais aussi la terminologie qui est utilisée dans l'ensemble du
corpus législatif au Québec?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Chamberland.
Mme
Chamberland (Line) : Oui. Et
moi-même, j'ai changé d'idée sur la question d'inclure ou pas l'identité
de genre dans les motifs de discrimination
interdits par la charte parce que j'étais sensible à l'argument de la commission,
qui est de dire : Le motif sexe ou le
motif état civil ont été interprétés par des jurisprudences et donc suffisent à
protéger les personnes trans. Sauf
que qui est au courant qu'en 1982 il y a eu un jugement sur l'état civil et que
la cause a été gagnée, qu'en 1998 il
y a eu une jurisprudence d'un trans qui s'était fait renvoyer d'un centre
jeunesse ou d'un groupe jeunesse parce qu'il entamait une transition? À
peu près personne, à moins d'être assez spécialisé dans le domaine.
Alors, en termes de protection juridique, si
quelqu'un suit une démarche, porte plainte — mais encore faut-il qu'il sache qu'il est protégé, sa plainte est
accueillie, il y a toute la démarche — peut-être qu'il sera protégé. Mais, en termes éducatifs — parce qu'à mon avis la charte a aussi cette
mission éducative, ce message de dire que, dans notre société, une discrimination sur cette base-là n'est pas
acceptée — eh bien,
là, on passe à côté parce qu'il n'y a à peu près personne qui est au courant de ces jurisprudences. Donc, à
mon avis, le fait d'introduire l'identité de genre — et je reviendrai sur l'expression — envoie un message collectif plus inclusif en
disant : La discrimination vers les personnes trans est interdite.
Il y a vraiment une tendance actuellement, là,
dans les différentes provinces... Je dirais, l'Ontario est une des provinces qui a été le plus loin, mais aussi le
Nouveau-Brunswick a adopté... Le Nouveau-Brunswick, Île-du-Prince-Édouard,
Terre-Neuve ont ajouté le motif. Donc, il y
a vraiment une tendance à cet effet. Tantôt, on va ajouter «identité et
expression de genre», tantôt, on va
ajouter «identité de genre», tantôt, on va ajouter le minimum. Par exemple, en
Alberta, c'est «gender», puis on dit
que c'est interprété de telle façon. Ça, c'est comme le minimum. Moi, ce que je
trouve intéressant, c'est le travail qu'on fait, et c'est pour ça que je
l'ai amené, c'est-à-dire, la commission publie un document pour expliquer qu'est-ce que l'identité, bon, sexuelle, là, mais
l'identité et expression sexuelle, à qui ça peut s'appliquer, quand est-ce
qu'il y a discrimination, et cet outil-là peut être utilisé ensuite par des
groupes comme nous pour faire de l'éducation.
Bon, la
question de «gender identity» traduite par «identité sexuelle», c'est un gros
problème de traduction auquel je suis
souvent confrontée dans les recherches. C'est que le vocabulaire évolue, et, de
plus en plus, il y a une distinction entre
le sexe biologique et le genre comme identification subjective au fait d'être
un homme, une femme ou un rejet des catégories trop rigidement définies
ou des personnes qui sont plus androgynes. Donc, à ce moment-là, on va parler davantage de genre. Identité sexuelle, dans
certains cas, ça référait plus aussi à l'orientation sexuelle au sens d'une
personne qui affirme son identité par
rapport à la sexualité, donc il y a une certaine confusion, à ce moment-là, que
ça introduit. Donc, c'est plus
spécifique et plus clair, à mon sens, de parler d'identité de genre pour
désigner l'identification subjective d'une personne comme homme ou comme
femme, ou entre les deux, ou toutes les variantes qui sont de plus en plus nombreuses. Et même chose pour l'expression de
genre. Puis je pense qu'en français le terme de genre était moins... Il avait historiquement une signification différente,
c'est-à-dire que le terme de genre ne référait pas à la construction de la
masculinité et de la féminité, alors qu'en
anglais ça fait longtemps que ça réfère à ça. C'est pour ça que les traducteurs,
souvent, ne voulaient pas traduire par «identité
de genre», parce qu'ils disaient que le genre en français, ce n'était pas
un concept qui existait. Mais, maintenant,
ça a fait son chemin petit à petit et ça existe. Voilà à peu près ce que
j'avais à dire là-dessus.
11414hr15415 Le
Président (M. Hardy) : Mme Greenbaum.
Mme
Greenbaum (Mona) : Oui.
Mais, en termes de l'expression «identité de genre» comme motif inclus dans
la charte, je suis très en accord avec ce
que Line a dit parce qu'en fait
M. et Mme Tout-le-monde ne vont pas comprendre qu'il y a eu une jurisprudence. Même le mot
«jurisprudence» n'a pas une grande résonnance, donc les gens ne savent pas
qu'ils sont protégés par la charte. Et puis,
de l'autre côté, ça peut avoir une mesure préventive parce que les gens vont
savoir clairement que ça, c'est un des groupes minoritaires qui sont protégés
par ça.
L'autre
aspect. J'ai lu récemment dans un article fait par une juriste que cette
jurisprudence ne va pas nécessairement couvrir
toutes les personnes trans dans toutes les différentes catégories. Donc, oui,
les personnes qui sont en train de faire un changement de sexe ou qui ont déjà fait un changement de sexe, qui
ont leurs papiers en ordre, et tout ça, oui, mais pas nécessairement les personnes qui ont une
identité plus floue, donc une identité qui n'est ni masculine, ni féminine,
qui peut être vue comme androgyne. Donc, ces personnes ne sont pas
nécessairement couvertes par la jurisprudence. Donc, je me demande qu'est-ce qui va être enlevé si on ajoute cette
catégorie des personnes qui sont tellement victimisées. Est-ce que ça va nous enlever quelque chose? Donc,
sinon, donc, je me demande pourquoi ne pas le mettre clairement.
• (10 h 40) •
Pour ce qu'il
s'agit de la violence, donc, je vous comprends très bien quand vous avez dit
que cette loi ne vise pas la violence
quotidienne, la violence régulière qu'on voit dans la société. Et puis, dans
nos formations, on a souvent cette question comme sur... Parce qu'en
général, dans l'histoire de tout le discours public sur l'intimidation en milieu
scolaire, plutôt, le focus était toujours sur le «bullying», la violence
physique. Donc, si un jeune est battu à l'écart ou vraiment ciblé, il ne peut pas aller à l'école parce qu'il va être battu
chaque jour, donc le focus doit être sur ça. Mais on sait de plus en plus que la violence,
l'intimidation que les jeunes vivent à l'école, c'est beaucoup plus subtil,
mais c'est une violence quotidienne,
et puis c'est les discours et les propos homophobes que les jeunes vivent tous
les jours qui sont utilisés par peut-être 80 % ou 90 % des
jeunes en milieu scolaire, donc les mots comme «fif», «tapette», tout ça, qui sont utilisés tous les jours, mais qui peuvent...
La recherche nous dit que ce type de discours répétitif est beaucoup plus
endommageant à un jeune, en termes des
effets à long terme, qu'une violence physique, qu'un jeune qui est battu une
fois, ou deux fois, ou cinq fois. Donc,
nous, on deale avec ce type de violence. C'est drôle à penser à ça, que la
violence verbale, psychologique peut
être plus blessante, mais on sait, on a des études qui démontrent ça, que les
impacts à long terme, les blessures
sont beaucoup plus graves... un jeune qui entend tous les jours des mots
homophobes et qui est toujours dévalorisé
dans qui il est. Donc, ça, c'est notre «concern» quand on pense à violence
parce qu'on s'est questionné sur la même chose : Est-ce que cette
loi, ce projet de loi va nous aider en termes de la violence?
Donc, quand
je pense à comme la violence dont vous faites description, c'est comme ce qu'on
voit des fois aux États-Unis, comme
avec Fred Phelps... Je ne sais pas si vous connaissez le nom, mais c'était un
prêtre, un religieux aux États-Unis,
qui était toujours devant des grandes places publiques avec des pancartes qui
disaient : Tuez les gais; les gais sont dans le péché, et tout ça, et puis, lui, c'est vraiment un discours
haineux qui incite à la violence. Mais ça, au Québec, je ne sais pas si on a ce type de violence. On a
une violence quotidienne qui est souvent banalisée, mais une violence qui...
un discours qui incite
à la violence comme ça, on a eu des difficultés à trouver des exemples de ça,
et puis, dans les rares cas qu'on
voit des choses comme ça au Québec, il y a souvent comme une réaction publique
ou... Comme par exemple, il y a des
chanteurs reggae qui sont venus, qui étaient invités de venir ici, qui avaient
des discours très homophobes, «kill the
batty man», c'est comme «tuez les gais», mais ces concerts étaient souvent
annulés parce qu'il y a eu une réaction sociale contre ce genre de
discours. Donc, ça marche. Donc, pour l'homophobie, je ne suis pas sûre.
Mme Lagabrielle (Jeanne) : Et, si je
peux ajouter...
Le Président (M. Hardy) : Mme
Lagabrielle.
Mme
Lagabrielle (Jeanne) : Oui. Si je peux ajouter quelque chose par
rapport à ça. Vous faites la distinction : Nous, on veut attaquer les discours qui incitent à la violence, mais,
comme le disait Mona, en fait, c'est tous les petits mots répétitifs qui, quand on les entend une fois,
pourraient paraître peu graves qui créent un environnement qui lui-même va inciter à la violence, en fait. Ce n'est pas
tout un discours organisé, mais, quand une personne, quand un groupe de personnes décident d'aller frapper quelqu'un qui
vient de faire sa sortie du placard, pourquoi ils décident d'aller frapper
cette personne-là? Parce que, depuis 15 ans,
il entend tous les jours, dans la cour de l'école, le mot «fif» pour dire que
quelque chose est négatif. Là, tout d'un
coup, dans son école, arrive quelque chose qui devient comme le parangon du
négatif, on va aller le frapper. Donc, ça a incité à la violence.
Mme
Greenbaum (Mona) : Et puis
frapper, ce n'est pas... Il y a beaucoup de jeunes qui n'étaient jamais frappés
et qui sont très victimes de violence homophobe. Donc, ce n'est pas comme
l'ultime...
Mme
Lagabrielle (Jeanne) : Tout à fait. Et puis, si vous me permettez, je
ne sais pas s'il reste du temps pour...
Mme Vallée : J'avais d'autres
questions pour vous.
Mme Lagabrielle (Jeanne) : Oui.
Excusez-moi.
Mme Vallée : Excusez-moi. En
fait, je comprends que... Parce que, Mme Greenbaum, vous avez mentionné
l'importante mobilisation sociale qui existe au Québec lorsqu'un dossier est
médiatisé, mais on a quand même des situations
parfois qui se produisent et qui sont peut-être loin de l'écran radar et qui
n'apportent pas une mobilisation aussi importante.
Mais
j'aimerais aussi vous entendre au-delà... On a parlé beaucoup des dispositions
qui visent le discours haineux. Je ne
sais pas si vous avez eu la chance aussi de vous arrêter sur les dispositions
du projet de loi visant la protection des personnes, notamment les mesures d'intervention prévues à la Loi de la
protection de la jeunesse sur la notion de contrôle excessif et la notion de violence basée sur
l'honneur, donc les crimes d'honneur. Je pense que, les crimes d'honneur, on en
a une idée en tête, mais ça peut aussi... Et je crois qu'on a certains jeunes de la
communauté LGBT qui parfois, même au
sein de leur propre famille, sont ostracisés. Alors, est-ce que
vous croyez que ces dispositions-là permettraient d'apporter une aide
supplémentaire aux jeunes? J'aimerais vous entendre sur la question.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Chamberland.
Mme
Chamberland (Line) : En effet,
on sait que, dans certaines communautés, et encore là il faut
être extrêmement prudents et ne pas généraliser, il peut y avoir
des familles où c'est très difficile. Maintenant, je
pense qu'il y a du travail qui se fait, notamment par des groupes
comme Arc-en-ciel d'Afrique ou Helem
à Montréal, des groupes qui sont composés de personnes LGBT qui sont issues de ces communautés et qui peuvent
entrer en dialogue avec les communautés parce qu'elles sont encore en rapport avec ces communautés. Et ces groupes-là
font un travail très important, à mon avis, et qui n'est pas facile, de sensibilisation des familles,
des parents dans ces communautés-là. Je pense que ça, c'est un travail à
poursuivre, je pense qu'il faut faire
extrêmement attention de ne pas induire des généralisations à propos des communautés
ethnoculturelles. Moi-même, je relisais des
entrevues, je ne nommerai personne, mais où on disait : Ah! dans ces
pays-là, les Musulmans, on tue les
gais. Oups! les musulmans tuent les gais, c'est à peu près ça, là, comme
discours. Alors, il faut être extrêmement prudents pour ne pas
cristalliser des jugements sur les communautés, qui sont des généralisations à partir de, bon, l'État islamique, puis là ça
devient les pays, puis là ça devient les immigrants de ces pays-là, puis là ça
devient les musulmans. Et ça, je vous
dirais, ça se pose concrètement, parce qu'on va avoir de nos membres, dans nos
communautés, qui vont parfois aussi émettre de tels jugements. Et il
faut, à mon avis, éviter toute cristallisation.
L'autre chose que je vous dirais, c'est qu'il y
a beaucoup de travail qui se fait dans les écoles, il y a un peu de travail dans les centres jeunesse et Mona pourrait
en parler, mais je pense qu'il devrait y en avoir encore plus au niveau des intervenants jeunesse pour justement peut-être
mieux décoder ces situations et voir comment on peut intervenir ou
comment on peut aider les parents qui sont aux prises avec de telles
situations.
Même chose
pour les jeunes dans la rue. On sait que, dans les centres jeunesse, il y a des
jeunes gais, ce n'est pas facile pour
eux. Très souvent, moi, j'ai parlé à des intervenants... Il n'y a pas de
recherche systématique, mais j'ai parlé à des intervenants, et ils vont nous
dire que ce n'est pas facile pour un jeune gai ou une jeune lesbienne en centre
jeunesse, que la plupart du temps, ils ne
sortiront pas parce qu'ils ont peur de trop de violence dans le centre lui-même.
Alors, oui, il y a certainement un travail à faire à ce niveau-là, auprès des
intervenants jeunesse, dans les centres jeunesse et dans la rue où on retrouve aussi des
gais et des lesbiennes, des trans qui ont fugué ou qui ont été mis à la porte.
Donc, à nouveau, je vous dirais, si vous demandez ce que je privilégierais
comme action, c'est ça.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
• (10 h 50) •
Mme Vallée :
Je comprends que votre trame de fond en général, vous misez et vous plaidez
énormément en faveur de l'éducation,
la sensibilisation, le travail en amont, qui est extrêmement important.
Évidemment, ici, on est plutôt dans les
mesures de protection lorsqu'on doit intervenir, lorsque le directeur de la
protection de la jeunesse doit intervenir parce qu'un enfant voit son
développement compromis.
Et on s'est
inspirés de recommandations, notamment provenant du Conseil du statut de la
femme, un rapport qu'ils avaient
fait, parce que le contrôle excessif et la notion aussi de crime d'honneur ou
de violence basée sur un concept, sur une
conception de l'honneur n'est pas présente que dans les communautés culturelles.
Et le rejet affectif n'est pas présent que dans les communautés
culturelles. Mais il est important de nommer certains types de comportements
qui peuvent compromettre le développement de
l'enfant dans un effort aussi d'éducation. Parce que, pour être en mesure
d'intervenir, pour être capables de
prévenir, il faut aussi être capables de nommer les choses et de nommer ce que
l'on souhaite éviter. Donc,
évidemment, en insérant certaines notions au texte de la Loi de la protection
de la jeunesse, ça va nous permettre également
de sensibiliser les éducateurs, les intervenants à certaines réalités. Donc, ça
fait partie, d'une certaine façon, d'un
travail d'éducation et de prévention, puis, à partir du moment où les textes
législatifs sont modifiés, bien, ceux et celles qui sont appelés à
travailler au quotidien avec ces textes législatifs là doivent être
sensibilisés et doivent revoir peut-être
leurs formes d'intervention auprès des jeunes
et auprès de certains groupes de jeunes qui arrivent, et qui cognent à
la porte, et qui sont pris en charge par la DPJ.
Donc, dans le fond, c'est une façon de
rejoindre, puis vous avez tout à fait raison, on doit continuer et on doit miser beaucoup sur le travail d'éducation, le travail en amont,
et puis, oui, les groupes communautaires auxquels vous faites référence font un travail extrêmement important. Je pense aussi au Bouclier d'Athéna, qui fait un travail
auprès des communautés culturelles.
Arc-en-ciel d'Afrique fait un travail incroyable aussi. Alors, ce sont des
organismes qui ont toutes leurs raisons d'être, et le projet de loi
n'exclut d'aucune façon le travail qui est fait par ces organismes-là.
Nous
avons aussi prévu au projet de loi des mesures de protection, c'est-à-dire les
ordonnances civiles de protection pour permettre
à quelqu'un qui se sentirait menacé d'une façon ou d'une autre d'obtenir une
ordonnance sans nécessairement passer
par le processus de plainte officielle à la police, sans devoir passer à
travers le processus judiciaire ou
criminel et pénal qui parfois va être lourd, et lourd de conséquences aussi,
souvent, dans les milieux familiaux. Et on s'est inspiré de ce qui existe ailleurs au Canada. Je ne sais pas si
vous avez eu aussi l'opportunité de vous pencher sur ces
dispositions-là.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Chamberland.
Mme
Chamberland (Line) : Non. On s'est d'abord penché sur les volets du
projet de loi qui concernaient les discours
haineux. Ça a été vraiment le centre de notre réflexion. C'est sûr que ce qui
me vient en tête... C'est vrai que, bon, par exemple, si on pense aux
jeunes femmes qui, dans leur famille, sont souvent... Je veux dire, le contrôle
de la sexualité des femmes s'exerce d'abord
par la famille et par les proches, alors, c'est sûr que le milieu familial peut
être un milieu extrêmement contrôlant
pour des jeunes filles. Maintenant, sur le mécanisme précis, honnêtement, ce
n'est pas une réflexion que nous avons faite.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée :
Moi, je tiens à vous remercier. J'ai fait pas mal le tour. Je ne sais pas si
j'ai des collègues qui ont des
interventions, mais, pour le moment, ça... On a fait pas mal le tour, mais je
tiens encore une fois à vous remercier de votre participation, votre participation aux travaux parlementaires,
parce que vos organismes sont présents de plus en plus ici, à
l'Assemblée, lors des consultations et vous amenez des enjeux de société
importants. Merci de votre présence.
Le Président (M. Hardy) : Merci.
Nous allons maintenant passer à la période d'échange avec l'opposition
officielle. Mme la députée de Taschereau, à vous la parole pour une période de
21 minutes.
Mme
Maltais : Merci,
M. le Président. 21 minutes pour fouiller ce mémoire que je trouve très
intéressant. Mme Chamberland, Mme Greenbaum,
Mme Lagabrielle, bonjour, bienvenue. Je suis très heureuse de vous accueillir,
de vous entendre.
Je vais
essayer de vous résumer ma compréhension de la trame de fond de votre mémoire.
L'histoire des luttes pour les droits au Québec nous a amenés à comprendre que
c'est par l'éducation et la sensibilisation que nous pouvons atteindre un but à long terme et non pas par la
coercition, qui nous ramène dans une période de conflit, alors que l'idée
n'est pas d'isoler des individus, mais bien de les emmener avec eux. Ce serait
un peu ma... Si j'avais à résumer votre mémoire en une phrase, je dirais ça.
Est-ce que je me trompe ou pas?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Chamberland.
Mme Chamberland (Line) : Je
rajouterais quand même que...
Mme
Maltais :
J'essaie vraiment de tirer la ligne de fond.
Mme
Chamberland (Line) : C'est la trame de fond du mémoire. C'est la trame
de fond du mémoire. Je rajouterais deux
choses. Une, quand même, de dire que, si on regarde historiquement les avancés,
je pense que les législations ont quand
même joué un rôle, parce que l'interdit de discrimination dans la charte, par
exemple, dès 1977, ça a un effet... Ce n'est
pas que toutes les personnes susceptibles d'être discriminées ou l'ayant été
ont porté plainte à la Commission des droits,
mais, on le sait, la personne peut dire : Tu n'as pas le droit de me
discriminer sur cette base-là. Quand la loi n° 84, en 2002, a reconnu les parents, quand l'union
civile, le mariage... Ce ne sont pas que les bénéficiaires directs de la loi ou des effets juridiques de la loi qui en
bénéficient, c'est toute la communauté, parce qu'il y a toujours un message là-dedans de dire : Ces personnes-là sont égales à
toutes les autres. Alors, dans ce sens-là, historiquement, ça a joué. Maintenant, c'étaient
des législations qui portaient
spécifiquement sur l'orientation sexuelle ou sur les droits des personnes
homosexuelles. Mais je veux juste dire ça parce qu'historiquement c'est
important.
Sur le
travail d'éducation, je vous dirais, notre préoccupation aussi, c'est de ne
pas... je dirais même, par exemple, dans
les écoles, de créer un climat d'ouverture et de discussion, et ça, on a eu des
échanges là-dessus. Moi, j'ai travaillé longtemps au cégep Maisonneuve. J'enseignais aux futurs policiers et
policières et je les initiais à la diversité... sauf la diversité
ethnoculturelle, qui était l'objet d'un autre cours, et une de mes plus grandes
préoccupations pédagogiques, c'était de
laisser les réticences et les oppositions s'exprimer en classe. Et c'était une
préoccupation pédagogique constante. Parce
que, sinon, là, les étudiants... Les futurs policiers sont assez brillants,
hein? C'est des étudiants... Moi, j'ai enseigné à Maisonneuve, et ça rentrait avec des dossiers de
85, A plus. Alors, ce qu'ils savent, c'est : Bon, c'est ça qu'il faut dire
à la prof, il faut le dire comme ça, il faut dire qu'on pense comme ça.
Puis ça, ils l'apprennent très vite, hein?
Alors, moi,
ce n'est pas à ce niveau-là que je voulais toucher, je voulais toucher à un
autre niveau, donc j'utilisais toutes
sortes de façons pédagogiques qui allaient du journal de bord à déclencher une
réaction plus émotive en invitant des
personnes, policiers gais. J'ai utilisé toutes sortes de stratégies pour
intervenir à un autre niveau, pour bousculer le niveau émotionnel, pour aussi que les réticences puissent s'exprimer pour que je puisse y répondre
ou que d'autres puissent y répondre. Et ce climat-là, il est important à
maintenir.
Donc, ça, ça
faisait partie de nos préoccupations, par exemple, dans les écoles, de
dire : Si un terme est censuré puis
que, bon, si on n'a pas le droit de le dire, on ne va pas le dire, mais on va
le dire en cachette, on va le dire dans les toilettes, on va le dire ailleurs, est-ce qu'on va vraiment avoir
avancé? Donc, ça, c'est vraiment une préoccupation qui est importante pour nous. On ne veut pas juste
interdire des discours et cultiver une atmosphère de rectitude politique mais
sans qu'il y ait des changements plus
profonds. Alors, dans ce sens-là, oui, la trame de l'éducation est centrale
dans notre mémoire.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
La charte des droits et des libertés du Québec, par exemple, dit : Il est
interdit de discriminer. C'est beaucoup
utilisé aussi dans un sens... Vous vous en servez dans un sens d'éducation.
Comme si on ajoutait, par exemple... Je
ne mettrais peut-être pas le mot «notamment», là, qui est difficile dans la
charte, mais, si on ajoutait «transsexualité»... «Sexe», «orientation sexuelle», «transsexualité»... Moi, je dis
«transsexualité» parce qu'on dit «hétérosexualité», on dit «homosexualité», le trans, entre-deux, ou la
transition m'apparaîtrait intéressant. Ce serait aussi dans un mode d'éducation,
et ça permettrait... Ça, ce serait le type
de choses qui nous permettrait d'ajouter à l'éducation, la sensibilisation et à
permettre aux gens de se défendre ensuite.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Chamberland.
Mme
Chamberland (Line) : Bien, tu vois, pour moi, la charte, elle est...
c'est-à-dire que, si on fait... la charte comme recours, c'est un recours, mais on sait... J'ai fait, il y a
longtemps, une étude sur le milieu de travail, les préjugés en milieu de travail, et ce qui en ressortait, c'est
que l'écart entre les personnes qui se percevaient discriminées au sens, là,
de la commission... On avait pris la
définition officielle. On leur a demandé : Est-ce que vous pensez avoir
déjà été discriminé? Si oui, est-ce
que vous avez entrepris des recours? Est-ce que vous vous êtes informé sur les
recours? Est-ce que vous les avez
entrepris? Et c'était comme un entonnoir parce que les conditions pour vraiment
prendre des recours dans le cas de l'orientation sexuelle, notamment, ça
veut dire faire son coming out de façon large; ce n'est pas tout le monde qui était prêt à faire ça. C'est entrer dans
une bataille qui peut s'avérer longue. Il faut avoir le soutien des proches.
Qu'est-ce qu'on a à gagner si un milieu de
travail est trop... Il y a plusieurs raisons, plus les délais à la commission,
mais c'est un ensemble de raisons. Je
ne veux pas non plus accabler la commission. C'est un ensemble de raisons qui
font que ce n'est pas une solution
pour tout le monde, un recours juridique. Il faut que ça soit là, c'est
important que ça soit là, mais ce
n'est pas immédiatement une solution, là. Et c'est pour ça que moi, je pense
que la charte peut être utilisée aussi de façon préventive et de façon
éducative, puis c'est son rôle.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
• (11 heures) •
Mme
Maltais :
Je veux vous dire, dans le Code criminel fédéral, il y a un article 319 qui
dit : «Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit
public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu'une telle
incitation est susceptible d'entraîner une
violation de paix, est coupable [de]...» Donc, il y a une couverture du
discours de haine à cet endroit-là.
«Quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation
privée, fomente
volontairement la haine contre un groupe identifiable est coupable [de]...»
Bon. Donc, il y a déjà une couverture dans le Code criminel fédéral du
discours haineux.
Oui,
maintenant, je sais que le... Je l'ai souvent dit, hein, à l'Assemblée
nationale, au salon bleu, en Chambre, quand
je critiquais l'approche du gouvernement, je disais, on décide d'utiliser la
coercition, alors que c'est l'éducation, la sensibilisation, qui, à mon sens,
est plus porteuse pour l'avenir du Québec puis pour les communautés qui vivent le genre de discussion. Je le crois encore
profondément. C'est pour ça qu'on examine attentivement actuellement la portée des articles
qui sont dans la loi, parce qu'on
veut protéger la liberté d'expression, mais on veut aussi plus aider que nuire.
Isoler des
gens sur une liste, les mettre sur une liste... Je sais que vous n'êtes
pas des juristes, là, mais les mettre sur une liste publique sur
Internet... Puis, si tu veux différencier les gens, il faut que tu mettes leur
adresse ou leur employeur, sinon comment fais-tu pour les
différencier? Il y a parfois 300 fois le nom de quelqu'un, le même nom au
Québec, 150 fois, on ne le sait pas, là. Alors, cette idée de
liste, est-ce que vous avez examiné ça?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Greenbaum.
Mme
Greenbaum (Mona) : En
fait — merci — on a discuté ça entre nous, et puis enfin,
même hier soir, j'ai réfléchi à cette
liste-là et puis j'ai pensé : Quel genre de personnes est-ce qu'on
aimerait avoir sur une liste? Comme si on peut comme imaginer comme les gens les plus détestables qui commettent
les crimes les plus horribles. Et puis j'ai fait une petite recherche Internet, et puis on voit que même les pédophiles,
les violeurs au Canada ne sont pas sur une liste. Leurs noms ne sont pas
sur une liste. Puis j'ai commencé comme... Même si ça peut être satisfaisant
comme... Je comprends, au niveau viscéral,
ça peut être satisfaisant d'avoir une liste, comme de faire une punition envers
les personnes qui sont les plus
horribles dans notre société. Mais, en même temps, on ne le fait pas au Canada,
et puis pourquoi? Moi, je crois
qu'une des raisons importantes derrière ça, c'est parce que ça fait comme une
punition envers ces personnes qui est
comme plus que ce qu'ils ont déjà comme subi avec les conséquences des lois.
Donc, une personne qui est comme sujet
d'un cas comme devant un tribunal — je ne sais pas le mot, un «trial» — va subir les conséquences. Cette personne
va aller en prison. Ça peut être même
médiatisé, mais d'avoir cette liste permanente sur un site Web... Et puis ces
listes sont toujours permanentes,
même si elles ne le sont pas supposément. Dès que quelque chose est sur
Internet, c'est perpétuel. Je trouve
que ça ne donne aucune chance à la personne de reconstruire, et puis aussi ça
peut mener même que cette personne devienne
lui-même la victime de violence. Et puis on a vu ça comme avec différents types
de... aux États-Unis, les pédophiles
qui étaient attaqués eux-mêmes. Donc, j'ai des grandes réticences. Je ne vois
pas la valeur d'avoir cette liste-là.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Chamberland.
Mme
Chamberland (Line) : Et, si on veut, je ne sais pas... Parce que le
problème s'est posé, là. Nous, on n'est pas en train d'élaborer un plan
de lutte contre la radicalisation, et tout ça, mais, si le problème de
communication de l'information se pose entre
des institutions, qu'on règle ce problème-là. Est-ce qu'on a besoin d'une liste
publique pour le régler? Est-ce qu'il
y a une autre façon de procéder pour que certaines informations soient
transmises? Parce que, par exemple,
c'est des informations publiques, mais, bon, c'est long des fois de fouiller
dans les jugements des tribunaux. Est-ce
qu'il y a tout simplement une autre façon de transmettre cette information si
on veut obtenir de... si on veut que les services policiers, commissions
ou des institutions communiquent mieux?
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Moi, je peux vous dire... Ça deviendrait une espèce de liste de la honte, et
j'ai l'impression que ce n'est pas en
isolant un individu et en le mettant sur une liste de la honte qu'on va réussir
à le ramener à des sentiments raisonnables
envers le groupe qui a pu l'amener sur cette liste-là. Il y a comme un effet,
moi, je trouve, pervers là-dedans. La réhabilitation est difficile quand
tu es ostracisé. Ça va être assez difficile.
Bon. Un autre
sujet qui m'intéresse beaucoup : la sécurité morale. Je sais que vous avez
regardé surtout la partie, dans le
projet de loi, des propos haineux, O.K., qui est, comme je le disais, déjà
couverte par le Code criminel canadien. Là, on va nous envoyer au civil. Tout le monde dit... Je ne dis pas
«tout le monde», mais on commence à entendre qu'il faudrait définir
«propos haineux», là, parce que c'est un peu large, là. Qui trop embrasse mal
étreint.
Dans les
autres articles, 24 à 27, on dit que la ministre peut enquêter quand la
sécurité morale ou physique des jeunes
est sous... pourrait être en danger suite à une dénonciation. Je comprends qu'on veut protéger peut-être
des enfants, comme les enfants de la
secte Lev Tahor. Ça, je sais qu'on est inquiet, mais, de ce côté-là, même la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a dit cet été dans un mémoire
que les fonctionnaires n'avaient pas à s'empêcher d'intervenir; ils avaient déjà les
règles du jeu. Il y a une espèce de pudeur qui est entrée, là, par rapport à des habitudes culturelles
ou des religions. Puis c'est toujours du phénomène religieux dont on est en train de
parler, d'ailleurs, mais qu'on
ne nomme pas. Alors là, dans ce cas-là, même
la CDPDJ dit : Bon, de ce côté-là, on est couvert, il y a déjà ce qu'il
faut. Mais à quoi on ouvre le jeu? Sécurité morale. Hier, on nous
disait : Bien, par exemple, on pourrait s'imaginer qu'une école ou une direction pourrait dire :
Écoutez, moi, je ne veux pas avoir d'enquête sur la sécurité morale, alors un
professeur gai, je n'en veux pas,
parce que ça affecte la sécurité morale de mes jeunes... ou physique, même.
Avez-vous examiné ça? Parce que ça a
été soulevé hier par les juristes Me Grey et Me Latour. Puis moi, j'avoue que
c'est aussi quelque chose qui m'a fait sourciller quand j'ai lu la loi.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Chamberland.
Mme
Chamberland (Line) : Oui. Dans nos discussions, il y avait un
anglophone qui nous a dit que «morale», c'était traduit par «emotional». Donc, on s'est dit : La sécurité
physique et émotionnelle, si on pouvait le traduire ainsi, est déjà menacée par l'intimidation et le
harcèlement homophobe et sous d'autres motifs, donc on se disait :
Qu'est-ce que... À nouveau, on s'est
posé la question : Qu'est-ce que ça va rajouter de plus? Parce qu'on s'est
dotés, au Québec, d'un plan de lutte
contre la violence à l'école, d'une loi contre l'intimidation. Et en sachant
que... Notamment, ce que j'en ai
compris, à tout le moins, c'est que la question de l'enquête, c'est toujours
délicat, parce qu'aucune institution ne veut avoir l'air de livrer son... déclarer, O.K., que, oui, il y a beaucoup
d'homophobie dans l'école, parce que chaque institution, chaque école,
chaque établissement va protéger sa propre image.
Et une des
raisons pour lesquelles les écoles, malgré le plan de lutte contre
l'intimidation, ne réalisaient pas leur propre enquête locale et ne livraient cette enquête, et que ça traînait,
ça traînait... Puis on a fait un cadre législatif pour obliger les écoles à le faire. Mais ça, c'est déjà
fait. Donc, on a déjà, sur le plan de l'intimidation, un cadre législatif, des
plans de lutte, des outils qui peuvent être
utiles. Donc, à nouveau, nous l'avons pris à nouveau du point de vue de la
lutte contre l'homophobie et la transphobie en se disant : Bien, on
a déjà des outils législatifs, utilisons ça.
Qu'est-ce
qu'on veut faire de plus? Peut-être qu'on veut agir sur une autre chose, mais,
comme je vous dis, nous, on l'a pris
toujours en se demandant : Est-ce que ça nous aiderait? Est-ce que ça nous
avance? Est-ce que ça nous fournit des outils supplémentaires pour la
lutte contre l'homophobie et la transphobie? Et on se dit plutôt : Non.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : J'ajoute à ça, parce que je vous écoute
attentivement... On vient de me rappeler... Mon superrecherchiste vient de me rappeler que c'est l'année dernière
qu'on a eu... que le ministre de l'Éducation a demandé une enquête sur
la fouille à nu d'une jeune dans une école. Donc, le pouvoir d'intervention
existe.
Alors, qui on
veut viser? Je pense que ce qu'on essaie de comprendre, là, bien comme il faut,
c'est : Quelles sont les
intentions derrière ce projet de loi? Une loi, on se demande toujours :
Qu'est-ce qu'on veut baliser? Qui on veut protéger? Qu'est-ce qu'on veut interdire? Dans ce cas-là, on
va avoir besoin, je pense, d'être rassurés, d'autant que j'ai noté, mais
je veux bien comprendre — ce n'est pas vous qui pouvez me
répondre — une
différence dans l'intervention de la ministre aujourd'hui avec vous versus le dernier groupe qui est venu hier, AMAL,
les Arabes et musulmans pour la laïcité. Et ils disaient, mais c'est une impression que j'ai... Quand ils se disaient,
eux, qu'ils étaient contents d'avoir une loi parce qu'ils recevaient des insultes sur Internet, des mots
terribles, il n'y a pas eu de réplique de la part de la ministre. Ce matin,
elle nous dit : Non, non, non,
ce sont les mots extrêmes. Alors, je veux comprendre : S'il n'y a pas eu
de réplique hier mais il y en a eu
aujourd'hui, est-ce qu'on est en train de mieux baliser? Parce que ça va être
important qu'on le comprenne, parce
qu'à mesure qu'on a des auditions il faut qu'on comprenne bien, quand les gens
interviennent, s'ils sont, oui ou non...
si ce qu'ils disent va être inclus ou pas dans le projet de loi. Moi, je suis
contente d'être rassurée, quand vous avez posé des questions, de voir que ce
seraient des discours extrêmes. Il va falloir le baliser. C'est un commentaire,
mais c'est parce qu'au fil des rencontres on voit ce qui se passe.
Alors, sur la
lutte... sur le scolaire, vous dites que la loi n° 56 vous donne à peu
près tous les outils nécessaires pour intervenir?
• (11 h 10) •
Le Président (M. Hardy) : Mme
Chamberland.
Mme Chamberland (Line) : Pour ce qui
est de l'intimidation sous divers motifs, notamment l'orientation sexuelle et l'identité sexuelle, je crois,
le libellé, mais qui est interprété par
rapport à la transsexualité, la loi n° 56
existe. Cela dit, c'est vrai que,
quand les adultes ne font rien, les jeunes sont totalement désemparés, et plusieurs
jeunes qu'on... Dans les recherches,
là — là, c'est un résultat de recherche — les jeunes vont nous dire que ce qui les
blesse, c'est le propos d'un autre
jeune, mais c'est aussi la passivité des adultes qui laissent faire, qui ne les
protègent pas. Donc, c'est important de
protéger les jeunes, c'est important d'agir. Mais la question qu'on se posait,
c'est : Cette façon-là d'agir, c'est-à-dire si on va enquêter sur un établissement avec une menace de sanctions,
est-ce qu'on ferait ça, par exemple, par rapport à l'intimidation? Si oui, on se dit : Bien non,
pourquoi ne pas utiliser ce qu'on a? Puis qu'est-ce que ça va donner, étant
donné que des fois les menaces de sanctions
aux établissements... Si on a une raison sérieuse, peut-être. Mais, en même
temps, il faut faire attention, puisque ça va aussi amener des établissements à dissimuler,
hein? Sanctions égalent... Mais, comme
je vous dis, nous, on l'a toujours pris dans une perspective, on n'a pas voulu
déborder non plus de notre champ d'expertise.
Alors, on veut être prudents là-dessus, le réaffirmer, là, on n'a pas voulu déborder de
notre champ d'expertise, comme on n'a pas voulu s'embarquer dans la
définition juridique de «discours haineux». On sait qu'il y a...
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Oui, O.K. C'est parce
qu'il me reste très peu de temps,
alors je suis vraiment... J'ai 21 minutes seulement pour jaser
avec vous. Un petit ajout : moi, dans mon champ d'expertise, je vais me
permettre de dire à ce moment-ci qu'il y
a eu 1 million de dollars de coupés dans la lutte à l'intimidation, et que c'est dommage, et que
je pense que ce serait plus rapidement utile que cette loi. Mais enfin,
ça, c'est une chose dans ce cas-là, dans ce cas-ci.
Une dernière
chose. Mettons, vous, vos organisations disent que tel groupe religieux ou autre fait
preuve d'homophobie, et puis vous y
allez, vous faites une charge; un de vos militants, un de vos membres de conseil d'administration fait une charge.
Vous vous faites dénoncer devant la CDPDJ. Ça peut être quel type? Qu'est-ce
que ça fait, une petite organisation comme vous qui se ramasse devant un
tribunal, même civil?
Le Président (M.
Hardy) : Mme Lagabrielle, je vous demande une réponse courte. Il vous
reste 1 min 30 s.
Mme
Lagabrielle (Jeanne) : O.K.
Donc, on a bien compris aussi avec l'intervention de Mme Vallée que ce n'était
pas l'intention de la loi d'empêcher de
dénoncer des propos, mais on craint qu'il peut y avoir une grande distance
entre l'intention de la loi et la
façon dont la loi est utilisée, et, si des groupes religieux décident effectivement de porter plainte, même si finalement
l'accusation fait long feu, il se trouve que nos ressources ont été mobilisées
pour réagir face à cette plainte. Or,
nos ressources sont déjà assez limitées par rapport à l'ampleur du
travail qu'on a à faire. Et puis il y
a une question aussi de réputation qui arrive : quand on va taper le nom
de notre organisme sur Internet, on va voir qu'il y a une plainte
pour incitation à la violence qui a été portée, ce qui n'est pas extraordinaire.
Et, si vous
me permettez juste un exemple dans un pays que je connais bien, la France, il y a
des associations qui utilisent des lois prévues pour
protéger les groupes les plus vulnérables pour ça, pour censurer. Comme il y a
eu des groupes de lutte contre le sida qui
ont été accusés par une association qui se dit association contre le racisme et pour
la défense de l'identité
française et chrétienne, qui, donc, ont été accusés d'injure raciale parce qu'ils avaient critiqué la position du
Vatican par rapport au préservatif, et ils ont gagné, et ils ont
gagné. Et ils ont porté beaucoup d'accusations qu'ils ont perdues, mais qui ont quand même
mobilisé les associations, et parfois ils gagnent avec de très bons
avocats, donc, qui aussi visent... qui détournent effectivement l'esprit
de la loi, mais parfois, concrètement, c'est ça qui peut arriver.
Le Président (M. Hardy) : Merci
beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période d'échange avec le deuxième
groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville, à vous la parole pour une
période de 14 minutes.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Mesdames, merci. Merci d'être là. Merci pour
votre mémoire.
D'entrée de jeu, là, si je vous entends bien, tout comme les gens de la Fondation
Émergence, vous nous dites : Dans la fameuse charte québécoise des
droits et libertés de la personne, de grâce, incluez un motif de discrimination
supplémentaire, qui est l'identité
de genre. C'est ce que vous nous dites, là, il faudrait l'ajouter à «sexe» et
«orientation sexuelle», qui sont deux choses différentes. Ça, on vous
entend, on l'a bien compris.
Par ailleurs,
si on revient strictement au projet
de loi n° 59, vous nous dites,
dans vos conclusions à la page 16, et là
je vais faire une petite citation : «...nous nous sommes demandé — en
haut de la page 16 — en
quoi une telle loi nous fournirait
des outils permettant de renforcer notre lutte contre les manifestations de l'homophobie et de la transphobie telles que nous les observons et les confrontons dans nos recherches et
nos interventions. Nous n'avons guère trouvé de réponse...» En d'autres mots, cette loi, eh bien, ne vous aidera pas à
lutter contre l'homophobie. C'est ce que je comprends. Oui, je peux vous
entendre?
Mme Greenbaum (Mona) : Non, ça ne
nous aidera pas.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait. Même, vous allez plus loin dans votre explication. Vous avez parlé de
violence physique, de violence
psychologique, qui pouvaient avoir des répercussions beaucoup
plus graves que le simple coup de poing
et qui étaient des formes de violence qui, selon vous, ne rentrent pas dans la
description de la haine, parce qu'ici on se préoccupe des discours qui incitent à la haine et à la violence.
Donc, pour vous, parler de la haine est insuffisant, compte tenu de ces possibilités de violence
qui sont tout autre et qui ne rentrent pas nécessairement dans la haine.
Et plus loin,
pire, dans votre mémoire à la page 14... Là, je pense que tous les intervenants
autour de la table ont réagi à ça
puis je veux vous entendre parler là-dessus plus amplement. À la page 14, en
bas de page, vous nous dites : «...nous
n'aimerions pas que les mécanismes mis en place par le projet de loi n° 59 puissent se
retourner contre nous.» On en a fait
grandement état, le fait que, si vous dénonciez, par exemple, des gens, des
groupements, des groupements religieux
pour des paroles haineuses prononcées à l'égard de la communauté, vous auriez
peur que ça se retourne contre vous
et que là on vous accuse à votre tour de tenir des propos haineux envers la
religion ou une confession religieuse.
Alors là, je
vais aller un petit peu plus loin sur cette question-là parce que je veux
savoir... Comme ce sont des concepts
qui existent déjà, l'incitation... dans le Code criminel, comme en faisait foi
ma collègue, et nous tous ici autour de
la table le savons, puisque nul n'est censé ignorer la loi... Tout ce qui est
des atteintes, l'incitation à la haine, l'incitation à la violence, les propos haineux, tout ça est
déjà réglementé par le Code criminel. Alors, ma question, dans le
pratico-pratique, dans la réalité de
tous les jours, avec les gens, les personnes que vous côtoyez, vos groupes, vos
organisations : Est-il déjà arrivé
ou arrive-t-il que vos organisations, vos gens portent plainte en vertu des
lois qui existent déjà et que ça se retourne contre eux? Est-ce que c'est un phénomène qui existe, puisqu'on parle
d'une notion qui existe déjà? Donc, avez-vous du background là-dessus? Se serait-il déjà passé des choses où il y aurait
eu représailles à l'endroit des gens qui auraient porté plainte?
Mme Chamberland (Line) : ...
Le Président (M. Hardy) : Mme
Chamberland.
Mme
Chamberland (Line) : Oui, merci. Sur la question... Je m'excuse, je
commence à répondre directement. Sur
la question des crimes haineux, le problème qui a été porté à notre attention,
c'est plutôt celui de la sous-déclaration, parce que les personnes qui vont être victimes, par exemple, d'une
attaque dans le village gai peuvent être hésitantes avant d'aller voir
le poste de police pour faire une déclaration. Il faut dire aussi que ce ne
sont pas toujours des gais ou des lesbiennes; il y a des étudiants qui peuvent être victimes d'une attaque
parce qu'ils sont perçus comme gais parce qu'ils habitent le quartier puis qu'ils circulent le soir. Donc, le problème en
est davantage un, à ma connaissance, de sous-déclaration, parce qu'ils ont peur d'être mal accueillis ou
parce que, là, ils ne savent pas comment expliquer qu'ils ne sont pas gais
mais qu'ils ont quand même reçu un coup de
poing sur la gueule parce qu'ils ont été perçus... ou qu'ils se disent :
Ça ne vaut pas la peine.
Donc,
moi, je dirais que c'est plutôt ça, le problème. Puis je dirais que c'est la
même chose dans les écoles aussi; même
les jeunes victimes d'intimidation physique hésitent à le déclarer parce qu'ils
ne veulent pas passer pour «stool», ils
ont peur de représailles. Est-ce que leur crainte est avérée? Ça reste à voir.
Et donc la loi et la plupart des programmes... À ma connaissance, les écoles sont invitées à implanter des programmes
où les jeunes peuvent dénoncer sans s'identifier justement pour assurer leur
protection. Et ils s'inquiétaient aussi à savoir si l'école réagirait et ferait
quelque chose. Donc, c'étaient les principaux freins à la dénonciation.
Alors
là, avec le travail qui se fait actuellement, je pense que la situation devrait
s'améliorer justement parce qu'on a mis
en place des mécanismes de plainte dans le cadre de la loi, là. Les écoles doivent
mettre en place des mécanismes de
plainte. Ici, je dirais, je ne sais pas si tous les corps policiers... Bon,
c'est sûr, quand on rencontre les représentants officiels des corps policiers à
Montréal... Mais là il faudrait voir si c'est à travers la province. Quelle
formation, quel genre d'accueil font-ils aux personnes qui viennent
porter plainte? Il faudrait voir.
• (11 h 20) •
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, alors, on va poursuivre dans cette veine-là. Donc, si je comprends bien...
Ma question était à savoir si ces organismes
religieux, groupements ou personnes qui auraient propagé des propos haineux
ou incité à la violence, parce que c'est ce
dont il est question et... Donc, ma question était de savoir si ces organismes
vous auraient déjà ou auraient déjà
fait des représailles — c'est ce que vous craignez — à vos organismes ou aux personnes que
vous défendez. La réponse, à votre connaissance, c'est non?
Mme Chamberland
(Line) : À ma connaissance, non. C'est sûr que...
Le Président (M.
Hardy) : Mme Chamberland.
Mme
Chamberland (Line) : Pardon. Excusez-moi. Ça peut arriver. Je ne dis
pas que ça ne peut pas arriver un jour.
Mais il n'y a pas d'organismes, par exemple, qui sont la cible directe de gens
qui s'attaqueraient à eux actuellement, dans la conjoncture actuelle, au Québec. C'est différent, par exemple,
de la France, où il y a beaucoup plus de propos publics homophobes. Il y a plus de propos, je dirais, haineux
et très, très agressifs, là, comportant une grande part d'agressivité,
non pas seulement de dévaluation ou de dénigrement, mais d'agressivité, là...
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, violence.
Mme
Chamberland (Line) : ...porteurs de haine et de violence. Quand on
regarde... J'ai oublié de l'apporter, mais
les rapports de SOS Homophobie, en France, qui est un organisme qui, depuis une
quinzaine d'années, enregistre les manifestations
de l'homophobie et publie un rapport annuel... Et on s'aperçoit que, sur le
registre, la part des discours et des
propos, là, agressifs et haineux est importante, que ce soit dans les médias,
que ce soit sur Internet, que ce soit dans les interpellations ou les attaques aux groupes... que ce qu'on connaît
actuellement au Québec, qui... Faut-il dire aussi : On a fait un
bout de chemin. Il y a quand même eu beaucoup d'avancées sur le plan des droits
des personnes LGBT.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait. Oui, vous vouliez rajouter quelque chose? Oui, allez-y.
Le Président (M.
Hardy) : Mme Lagabrielle.
Mme
Lagabrielle (Jeanne) : ...d'autocensure qui pourrait être due à une
mauvaise perception. Si je prends des exemples non pas sur l'incitation
à la haine, mais, par exemple, dans les interventions dans les écoles, il y a
parfois quelques enseignants ou quelques
directions qui sont très frileux d'intervenir ou de prévenir contre
l'homophobie, en se disant :
Sinon, on va recevoir des plaintes de parents de telle ou telle religion. C'est
souvent dû à de très, très mauvaises perceptions,
puisque, comme le disait Line, il y a, dans toutes les religions, des gens qui
sont aussi tout à fait ouverts à cette
sensibilisation-là. Mais cette peur de plaintes va empêcher d'agir, c'est ça,
va les rendre frileux. Donc, est-ce qu'aussi une telle loi peut rentre frileuse des personnes, même si, finalement,
il n'y aurait pas de plainte, mais un phénomène d'autocensure, de peur
de plaintes?
Mme
Roy
(Montarville) : Alors, vous me devancez parce que
vous parlez du propos qui est à la page 15, lorsque vous nous dites... Lorsqu'on est dans la lutte
contre l'homophobie et la transphobie dans le secteur de l'éducation, vous
nous dites — premier
paragraphe, vers la fin : «La passivité des adultes du milieu scolaire
face aux injures, aux mots blessants, aux
moqueries par les pairs ajoute au sentiment d'insécurité des jeunes LGBT et des
autres jeunes ciblés, elle intensifie
les effets néfastes de l'homophobie. L'inaction du personnel et des
administrations scolaires est inacceptable.»
J'ai trouvé
que cette phrase-là était grosse, comme si les administrations scolaires, le
personnel ne réagissait pas. Vous
m'avez... Là, en répondant, vous m'avez fourni une piste de réponse. C'est
qu'ils ont peur d'agir? C'est ce que vous nous dites?
Mme Lagabrielle (Jeanne) : Alors, je ne parle pas de l'ensemble des écoles. Donc, je parle de...
Il y a des adultes qui réagissent, il y a des actions qui sont faites.
Mais ce qu'on remarque dans les recherches, c'est que, par rapport à l'homophobie et à la transphobie, il y a soit un
phénomène de banalisation... C'est-à-dire, on ne réagit pas à des «fifs»
dans les couloirs parce que ça arrive
tellement souvent que c'est banal. On ne va pas réagir à ça. Et il y a aussi un
gros problème de formation du
personnel scolaire, qui, donc, soit n'est pas sensibilisé à reconnaître les
formes d'homophobie et de transphobie
soit n'est pas formé à intervenir par rapport... ou à prévenir ces
manifestations de l'homophobie et de la transphobie.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci pour la réponse. Par ailleurs...
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée.
Mme Roy
(Montarville) : Oui, je reviens à l'arrière, lorsque je vous
demandais tout à l'heure : Est-ce qu'il y a des représailles qui ont été faites à l'endroit de vos organismes ou des
personnes que vous défendez, que vous représentez? Vous me dites, à
votre connaissance, non. Cependant, serait-il possible — j'émets
une hypothèse ici — qu'au
lieu de prendre les articles du Code
criminel qui, eux, s'attaquent aux discours haineux, l'incitation à la haine,
l'incitation à la violence, les
personnes victimes de cette violence préfèrent passer par des articles plus
simples qui sont, par exemple, des
accusations portées... des accusations de voies de fait causant des lésions,
voies de fait simples, que les gens prennent, si vous voulez, la voie peut-être judiciaire la plus habituelle, la plus
commune au lieu de parler de discours haineux, etc.?
Mme Greenbaum (Mona) : Je pense que
vous mettez le doigt...
Le Président (M. Hardy) : Mme
Greenbaum.
Mme Greenbaum (Mona) : Pardon. On
oublie toujours de vous attendre. Excusez.
Le Président (M. Hardy) : C'est pour
les fins de l'enregistrement que je suis obligé de dire votre nom.
Mme Greenbaum (Mona) : O.K.
Le Président (M. Hardy) : Merci.
Mme
Greenbaum (Mona) : Donc,
mais je crois que vous mettez le doigt sur quelque chose important. Aussi,
c'est le fait que le type d'homophobie qu'on
subit comme communauté n'est pas... On n'a pas comme l'habitude de penser
que c'est des discours haineux ou des crimes
haineux, ce n'est pas la première façon à penser les choses. Oui, il y a une
grande dévalorisation, il y a des préjugés,
il y a des stéréotypes, il y a un dénigrement, mais «discours haineux» a
vraiment une autre connotation pour
nous autres. Et puis je crois que les gens n'ont pas la tendance de penser...
C'est sûr que, des fois, on lance des
plaintes à la Commission des droits de la personne sur les choses qui sont
discriminatoires ou via les tribunaux
habituels, mais «discours haineux», ce n'est pas quelque chose que j'aurai
comme en 2015 au Québec, ce n'est pas la chose qui, je pense, nous touche
beaucoup. Et puis je comprends quand Mme la ministre dit que, oui, notre
focus est sur la sensibilisation,
l'éducation, et puis que ces lois-là peuvent être vraiment ciblées à des cas
extrêmes, et tout ça, mais nous, dans
notre travail de formation, vraiment, l'échange et le dialogue principal, c'est
vraiment la fondation de ce que nous
faisons. Et puis, même si l'intention derrière ce projet de loi n'est pas du
tout... l'intention n'est pas de toucher
ces intervenants qui travaillent avec nous, dans nos formations, mais je pense
que, quand même, il y aura cette grande crainte qui va persister parce
que les gens ne vont pas comprendre les nuances dans cette loi-là, ils vont
juste comprendre que ce n'est pas acceptable
de parler de certains sujets. Et puis, avec ça, ça va rendre notre travail très
difficile parce que c'est seulement en ayant ce dialogue-là qu'on va
réussir à faire avancer les mentalités.
Mme Roy
(Montarville) : Donc, si je comprends ce que vous dites,
c'est que le p.l. n° 59 — et vous pourrez me répondre
également — va
compliquer les choses plutôt que vous aider.
Mme
Greenbaum (Mona) : J'ai peur
que, même si les intentions sont excellentes derrière ça, et puis on comprend
ça, mais les gens de la société québécoise
ne vont pas comprendre les nuances dans ça, et puis, donc, une peur ou une
crainte va s'installer qui va nous empêcher de faire notre travail.
Mme Roy
(Montarville) :
Vous vouliez ajouter quelque chose?
Mme
Chamberland (Line) : En
fait, je voulais ajouter que, sur la question de la déclaration des crimes, à
savoir : Est-ce que le crime
peut être qualifié de crime haineux?, là, ça dépend beaucoup, je pense, du
travail fait par les corps policiers,
c'est-à-dire qu'il faut qu'ils aient cette question en tête et peut-être
ailleurs que dans le Village pour questionner la personne et établir
s'il s'agit d'un crime haineux ou pas. Donc, ça, c'est une disposition qui
existe déjà dans le Code criminel. Mais,
comme je vous disais tantôt, les statistiques sur les crimes haineux sont
difficiles à interpréter parce que
plusieurs facteurs interviennent dans le fait de les déclarer, de les
catégoriser comme crimes haineux dans les rapports de police pour que ce soit ensuite compilé. Mais
ça, c'est un mécanisme qui existe déjà, ce n'est pas un nouveau mécanisme.
Mme
Roy
(Montarville) : Je vous remercie beaucoup pour vos
réponses. Et, M. le Président, j'aimerais passer la parole à mon
collègue de Blainville. Il me reste du temps?
Le Président (M. Hardy) :
Malheureusement, le temps est écoulé. Ça va vite. Merci de votre contribution.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci.
Le Président (M. Hardy) : Nous allons
suspendre nos travaux quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 11 h 29)
(Reprise à 11
h 53)
Le
Président (M. Hardy) :
Alors, la commission reprend ses travaux. Mais, avant de commencer, est-ce qu'il y a consentement afin de
poursuivre les travaux au-delà de l'heure prévue?
Des voix : ...
Le
Président (M. Hardy) : Consentement? Parfait. Maintenant, je souhaite la bienvenue aux représentants de la Table ronde du Mois de
l'histoire des Noirs... à prendre place à la table des témoins. Je vous
demanderais de vous présenter, et vous avez 10 minutes pour faire
votre présentation.
Table ronde du Mois de
l'histoire des Noirs
M. Farkas
(Michael Pierre) : Oui,
merci. J'imagine que c'est M. le commissaire? C'est comme ça qu'on vous...
hein?
Le Président (M. Hardy) : Le
président.
M. Farkas
(Michael Pierre) : M. le Président. Alors, Michael Farkas, président de la Table ronde du Mois de
l'histoire des Noirs.
M. Mandeng (Samuel Erve) : M. Samuel
Mandeng, secrétaire général de la table ronde.
M. Farkas
(Michael Pierre) : Alors,
bien, d'abord, nos excuses pour ce léger retard. Sortir de Montréal,
c'est... Je suis sûr que vous
connaissez la chose, parfois il y a des imprévus avec toutes les constructions, etc.,
mais on est là quand même ce
matin. On est très heureux que vous ayez accepté de nous entendre sur le projet de loi C-59 sur les questions des discours haineux et des crimes à
caractère, aussi, haineux.
Notre intérêt pour le Bill C-59 vient du fait
que, comme tout groupe minoritaire, nous sommes sérieusement concernés par les crimes ou par, même,
les discours qui se font, qui se sont passés au cours même des
siècles passés ici, au Québec,
et ailleurs dans le monde. Alors, c'est pour ça qu'on est
heureux de pouvoir présenter pendant quelques instants notre point de vue sur ce projet
de loi. Pendant toutes ces années, on
parle, depuis que le Québec est reconnu comme une province... et, durant toutes ces années, nous
avons écouté souvent la haine provenant des paroles ou des adjectifs négatifs
et abaissants qui étaient attitrés envers
les Noirs, alors, sans compter les pertes de vies encourues dues à la
stigmatisation qui était collée
carrément à notre peau, si je peux ainsi dire, nous rangeant à un rang
inférieur que les autres êtres humains. Alors, dans ce contexte-là, nous sommes privilégiés, malgré nous,
d'avoir développé une expertise sur comment contreréagir en contrôlant nos pulsions à l'égard des mots ou
des gestes violents qui ont marqué des milliers de Noirs au cours de leur vie.
L'intimidation
et la violence dans les écoles sont des sujets qui nous préoccupent tous. Et
nous savons, encore une fois...
Nous sommes souvent... Nous avons maints... beaucoup d'exemples sur comment plusieurs
jeunes des communautés noires ont souffert et souffrent parfois encore aujourd'hui par les injures et les sarcasmes auxquels on réfère auprès d'eux — et j'inclus les professeurs et même des autorités
scolaires, commissions scolaires, et tout ça — comment on
les traite parfois encore aujourd'hui, comment on peut défaire... On peut faire beaucoup
de tort à un jeune étudiant ou une
jeune étudiante si on use de certains propos envers eux qui peuvent carrément,
là, abaisser leur estime de soi, si je peux dire.
Certaines situations
aussi avec les autorités policières, qui ont maintes fois porté des
comportements vraiment questionnables
et créés des allusions grossières à l'endroit des Noirs lorsqu'ils
sont mis en détention, puis ça au courant, là... on parle de plusieurs décennies,
tout en violant nos droits sous
prétexte qu'on est de la pourriture criminelle. C'est souvent arrivé qu'on use réellement de discours extrêmement haineux vis-à-vis ces personnes-là qui sont retenues, qui sont arrêtées. Les choses se sont améliorées, mais
il y a encore des fois où est-ce que, vraiment, ça prend... que ça pourrait être de nature, réellement, à ce que ça tombe
dans du discours haineux basé sur la couleur de leur peau ou sur la provenance... de leur origine et puis même sur
leur religion, ce qui atteint à notre intégrité et ce qui fait en sorte que le
sujet se sent souvent rétrogradé et puis il
sent même qu'on veut l'éliminer. Alors, dans ce sens-là, c'est assez lourd de
conséquences, quand ça dévie, quand ça prend
réellement une tournure de mots, de mots de part et d'autre, là. On s'entend, des fois, même, la
personne qui est victime, elle aussi s'y met et invective la police. Alors,
moi, je crois qu'il faut être très, très vigilant sur... Il faut
protéger les gens dans ces temps-là avec cette loi si elle devient loi, la
C-59.
Il est important
que le projet de loi reflète la réalité, soit transparent, correct et
inclusif. C'est pour ça qu'on voulait absolument faire partie de cette
consultation. On sait que les communautés culturelles, les Premières Nations,
les anglophones et les Noirs en particulier
sont, comme je viens de vous expliquer depuis quelques instants, particulièrement aussi touchés par une loi qui serait... par une loi C-59. En nous
incluant dans cette démarche, vous saurez que nous sommes les plus à risque de faire les frais sur le propos
de la haine, en paroles ou en gestes, tout en étant Québécois
au même titre que tous les autres Québécois.
Alors, c'est pour ça qu'on est heureux que vous ayez accepté de nous considérer
pour nous entendre.
• (12 heures) •
L'égalité entre les gens indépendamment de leur
couleur, religion ou langue est protégée par la charte des valeurs québécoises. Et ce nouveau projet de loi, qui nous aurait semblé tout à fait approprié il y a
100 ans, au temps où les esprits
n'avaient pas encore trop évolué... Il aurait touché tellement de gens en
position d'autorité que ça aurait été une loi impensable et impossible à
gérer tellement le racisme et les préjugés — de l'époque, on
s'entend — et
le discours haineux étaient le mode d'usage
normal. Aujourd'hui, faisons très attention qui l'on vise, car cette loi
pourrait très facilement interpeller
entre autres le secteur privé et les médias, entre autres, qui usent de langage
très subtil pour parfois passer des
messages extrêmement questionnants en usant de discours qui peuvent à
l'occasion fomenter la haine entre les gens
en encourageant... ou en ratissant large avec des énoncés erronés pour plaire
ou véhiculer des faux dires sur ceux que l'on veut abaisser ou
contrôler.
Pour la
communauté noire, les valeurs fondamentales sur lesquelles le Québec est bâti
restent des incontournables pour
l'avancement de notre reconnaissance en territoire québécois. Égalité,
diversité, inclusion sont des atouts qu'il faut mettre de l'avant dans tous les secteurs, et tous les paliers
institutionnels, communautaires et privés doivent faire avancer cette
cause pour le bien commun des prochaines générations.
Mais c'est aussi
dans la vie actuelle que les choses se gâtent parfois rapidement, où, à l'heure
des médias sociaux, on peut proférer...
et détruire une personne en un temps record. Il faut voir que beaucoup
d'éducation et de sensibilisation demeurent
à travailler pour que tous les individus de notre société diverse avancent et
progressent sans heurter les autres en
soi en les supplantant souvent avec des fausses rumeurs, je le redis, et qui
causent des dommages pour des générations à venir.
Dans la rue
aussi, le commun des mortels doit apprendre à se comporter de façon à respecter
l'autre, et je sais que cela devrait
se faire de façon naturelle, mais parfois ce n'est pas toujours le cas. C'est
pour cela que ce projet de loi doit être
réfléchi en profondeur avant d'être mis en place, pour tenir tout le monde
responsable et sur le même pied d'égalité, autant les femmes que les hommes, le couple, les adolescents, les
enfants, que tout le monde soit protégé et encouragé à respecter les
valeurs positives qui émaneraient d'une loi C-59.
Ce projet de loi est important et mérite d'être
considéré s'il arrive à préciser qui sera affecté, qui l'on vise, comment sera appliquée la loi dans sa fonction
réelle, active et mesurable et dans un laps de combien de temps les mesures
auront été coordonnées avec la Commission
des droits de la personne pour redresser les situations, qui doivent être
traitées rapidement parfois, entre
plusieurs acteurs à qui l'on demandera de briser un silence pour protéger les
gens qu'on croit être victimes de crimes ou de discours haineux.
Ce projet doit aussi garantir que la vie privée
des gens enquêtés et des gens concernés de près ou de loin soit respectée et protégée, spécialement s'il s'agit de
faits graves pouvant conduire à des fins tragiques s'ils ne sont pas traités
avec intelligence concertée, discrétion et
efficacité par les intervenants concernés, et parfois on sait qu'ils peuvent
être nombreux, les intervenants.
Et c'est
là-dessus que la table ronde vous remercie de nous avoir alloué ce moment ce
matin pour partager nos préoccupations et nos constats sur ce projet de
loi C-59, qui, j'espère, vous seront recevables. Merci.
Le Président (M. Hardy) : Merci, M.
Farkas. Nous allons maintenant débuter la période d'échange. Mme la ministre,
vous avez la parole pour une période de 25 minutes.
Mme Vallée :
Alors, M. Farkas, M. Mandeng, merci beaucoup de votre présentation. Merci de
votre présence. Soyez rassurés, on se
doutait bien que la circulation ou les travaux routiers avaient peut-être
contribué à ce léger retard, et puis on tenait à vous accorder et à vous
allouer tout le temps pour faire votre présentation.
Je comprends
que vous nous... Dans le fond, votre message, c'est de bien cibler la portée du
projet de loi. Je vous entendais parler
de discours haineux et de crimes haineux. Je veux simplement peut-être revenir
puis vous remettre un petit peu... On a fait quelques précisions tout à
l'heure, on en fait tout au long du processus. Ici, il ne s'agit pas de
dispositions criminelles. Donc, tout ce qui touche les crimes et l'aspect
criminel, c'est vraiment... ça demeure de la juridiction et de la portée du
Code criminel, et ce projet-là ne vise pas à éviter de s'adresser aux autorités
policières lorsqu'il y a un crime qui est commis.
Par contre,
ce projet-là vise à sanctionner au niveau civil le discours qui, de par sa
nature, va inciter à la haine, va inciter à la violence, un discours qui
est haineux, donc qui... Et vous avez donné quelques explications. Lorsqu'on utilise des termes qui sont tellement forts qu'ils
vont inciter une tierce personne à la haine, un peu suivant la jurisprudence
qui s'est développée, notamment
suite à l'affaire Whatcott, donc, ce sont ces propos-là qui sont visés par le projet de loi, par les premières dispositions du projet de loi sur le discours
haineux.
Les autres
dispositions du projet de loi visent à protéger les personnes vulnérables, et
donc, lorsque vous nous questionnez :
Qui est visé par le projet de loi?, toute personne, peu importe son origine ethnique,
peu importe son statut, est protégée. Une personne qui a besoin de recourir par exemple aux dispositions qui portent sur les ordonnances civiles de protection peut s'il ou elle se sent
menacé se prévaloir des dispositions qui sont prévues au projet de loi. Une personne qui considère
que tout enfant va être touché par les dispositions qui visent la Loi sur la
protection de la jeunesse... Donc, on
ne vise pas une personne ou on n'exclut personne de la portée de la loi, en ce
sens qu'une personne qui a besoin d'utiliser ces dispositions-là les aura, et ces dispositions-là seront publiques.
Donc, il n'y a pas d'exclusion au projet
de loi. C'est un projet de loi
qui s'applique à la société en général.
Évidemment,
pour ce qui est du discours haineux, la particularité, c'est qu'au lieu de
s'adresser à la commission des droits
de la personne et de la jeunesse pour un individu on pourra s'adresser et
utiliser ces dispositions-là pour un discours
qui vise un groupe d'individus, ce qui n'est pas prévu actuellement. Et c'est ça, la grande distinction. Donc, plutôt que de viser Mme X, M. Y, on visera le
groupe. Si les propos haineux visent le groupe, le groupe culturel, les
féministes, les femmes, ce sera le
groupe qui est visé. Alors, le projet
de loi prévoit cette distinction-là.
Alors, je ne le sais pas, si je réponds
à votre préoccupation, parce que vous avez dans votre questionnement : Qui
est affecté? Qui on vise? Je ne sais pas
si ces explications répondent à votre préoccupation, mais je tenais à vous
rassurer : il n'y a pas d'exclusion. Au contraire, c'est un projet
qui vise à éviter l'exclusion, la stigmatisation, d'une certaine façon.
Le Président (M. Hardy) : Alors, M.
Farkas.
M. Farkas
(Michael Pierre) : Oui.
Alors, bien, vous parlez... Alors, c'est spécifiquement pour les
groupes et non pas pour les individus que...
Mme Vallée : Les individus sont déjà protégés par les
interventions de la commission des droits de la personne et de la jeunesse. On étend la protection aux
groupes. On étend la protection aussi au discours qui est haineux, qui a une
portée haineuse, tel qu'on l'a défini notamment
par la Cour suprême. Alors, c'est un discours qui incite à la haine, qui
appelle à un sentiment profond de haine. On ne vient pas, puis comme je l'expliquais
un petit peu plus tôt ce matin, censurer ou
empêcher que la dissidence s'exprime dans notre société, parce que la liberté
d'expression, elle est là, elle est
présente. Et c'est un projet de loi qui s'inscrit aussi dans une action globale, c'est-à-dire qu'il y a toujours la place et il n'exclut pas toute la place
que l'éducation, la sensibilisation, doit prendre également. La Commission des
droits de la personne a aussi un mandat de sensibilisation et d'éducation.
M. Farkas
(Michael Pierre) : Oui, mais
pour un groupe religieux, par exemple, qui prônerait certains... que ce
soit l'avortement ou qu'il soit... disons qu'ils sont contre l'avortement puis
qu'ils parlent à leurs fidèles de façon très favorable
à ne pas avorter puis que les gens qui veulent avorter finalement
sont... tu sais, qu'il y a un discours haineux envers eux, est-ce que — je
prends cet exemple-là, entre autres — ce
groupe religieux là pourrait être porté comme au banc des accusés?
• (12 h 10) •
Mme Vallée : Le discours... Actuellement, là, il ne faut
pas parler de banc d'accusés, parce
que ce n'est pas un processus
criminel.
Une voix : ...
Mme Vallée : Non, mais c'est important de faire la
distinction parce que même un
petit peu plus tôt ce matin notre
collègue de Taschereau parlait de... faisait référence au Code criminel, questionnait des groupes quant à... Est-ce que
notre Code criminel en soi, les dispositions du Code criminel suffisent? Bien, le Code
criminel, un dossier criminel est
porté avec une obligation, une portée qui est différente d'un dossier qui est
porté au civil. C'est-à-dire que la preuve au criminel, elle est hors de tout doute raisonnable, et évidemment
les dossiers de nature civile, bien, la preuve, c'est au niveau
de la balance des probabilités. Alors, on a tout un processus qui
est différent au niveau de la preuve, de l'intention, le fait d'avoir
livré le discours, et tout. Alors, il y a une distinction.
Là, ce que le
projet de loi prévoit, c'est de donner des mécanismes de nature civile pour sanctionner
civilement un discours qui incite à
la haine. Alors, ce n'est pas un discours qui, par exemple, pourrait
dire : Nous ne sommes pas d'accord
avec une situation x ou y. Ce n'est pas l'objectif. Parce que la dissidence,
exprimer la dissidence, c'est un exercice qui est sain dans une démocratie. L'objectif du projet de loi n'est pas
de sanctionner la dissidence. Et, je comprends, il y a eu certaines interventions, des groupes nous
disant : Bien, on est préoccupés. Est-ce que, par exemple, si nous, on
dénonce une situation, on pourrait
faire l'objet d'une plainte? Bien, dénoncer dans la sphère publique une
situation, c'est une chose; avoir des
propos haineux à l'égard d'un groupe ou d'une personne, des propos qui sont
tellement forts qu'ils vont inciter à ce
que des gestes criminels, des actes criminels soient portés à l'égard d'une
tierce personne, des gestes haineux soient portés à l'égard d'une tierce personne, ça en est une autre. Et c'est
vraiment important de faire la distinction. Oui, c'est un projet... c'est une mesure qui est importante,
c'est une mesure, évidemment, qui sera aussi contrôlée par la commission
des droits de la personne et de la jeunesse.
Ça non plus, il ne faut pas l'oublier. La commission des droits de la personne
et de la jeunesse a la possibilité de faire
enquête sur la foi de la dénonciation avant d'amener le dossier devant le
Tribunal des droits de la personne.
Alors, la
commission sera investie d'un pouvoir d'enquête, d'analyse de la plainte et
pourra dire : La plainte, elle est
fondée ou elle ne l'est pas. Il s'agit d'un exercice de liberté d'expression
qui, par exemple, pourrait être l'expression d'une distance. Et donc ce n'est pas touché par le projet de loi, mais
c'est la commission qui aura le pouvoir de statuer sur cette question-là, puisque la commission, elle
est le chien de garde de nos droits et libertés au Québec. Donc, c'est ce qui est prévu. Il faut
faire attention d'éviter d'utiliser le terme «être mis au banc des accusés»
parce que ce n'est pas un processus
de nature criminel ou pénal. C'est un processus de nature civil, mais qui vise
tout de même à sanctionner un discours qui n'est pas acceptable, et qui
malgré tout existe, et qu'on retrouve parfois dans la sphère publique.
M. Farkas (Michael
Pierre) : Entre autres, justement...
Le Président (M.
Hardy) : M. Farkas.
M. Farkas (Michael Pierre) : Excusez-moi, M. le Président. Entre autres,
justement, toute la question des médias sociaux et le Web... Parfois, tu as des gens aussi qui prennent le micro
puis qui ont un auditoire, et tout ça, dans la sphère publique, comme vous le dites, et, tu sais, je ne
sais pas si la... comment on dit, dissonnance, comme vous avez dit, ou c'est
carrément d'étaler un discours haineux. Et qui sera le chien de garde? Vous
avez dit : La commission est le chien de garde, mais ma question, ça se veut un peu : Qui va vérifier?
Qui va être comme la police pour, entre autres, les médias sociaux, qui
font énormément de dommage, qu'il y a des discours haineux même entre les jeunes,
hein, à l'heure de l'Instagram puis de tout
ce qu'on veut et même au niveau de certains chroniqueurs et autres dans les
médias qui peuvent aussi propager un discours haineux. Tu sais, je me
demande qui va servir de policier ici, qui va dire : Ça, c'est de la dissonance, c'est correct. Puis l'autre qui va
dire : Non, ça, il est tombé, il vient de tomber. Où, la ligne qui va
faire : Ah! tu viens de tomber dans le discours haineux?
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : C'est exactement
ce que propose le projet de
loi : de permettre à la Commission des droits de la personne, sur la foi d'une plainte qui sera logée
à la commission, d'analyser puis de faire la distinction, de départir, de
déterminer s'il s'agit ou non d'un cas de
discours haineux, d'un cas d'un discours qui incite à la violence. La
commission aura ce pouvoir-là de
déterminer s'il y a lieu d'intervenir ou pas et si elle juge à propos de
soumettre le tout... Je ne sais pas si vous avez... Avez-vous eu la chance...
Avez-vous lu le projet de loi?
M. Farkas (Michael
Pierre) : Oui, tout à fait.
Mme Vallée :
Oui. Donc, alors, vous avez vu que, dans le projet de loi, le processus, les
pouvoirs... Il y a des pouvoirs additionnels qui sont accordés à la commission
pour se pencher sur les questions, alors ce sera vraiment... Évidemment, c'est une analyse cas par cas des dossiers qui
sera faite en fonction des critères qui ont déjà été établis. La jurisprudence s'est quand même... a été quand même...
Les tribunaux ont été appelés à se prononcer, à déterminer, à définir ce
qui constitue un discours haineux. Alors, il y a quand même des assises, de la
jurisprudence qui va permettre à la commission
de déterminer s'il s'agit ou non... et de soumettre le tout au tribunal, parce
qu'ultimement, ultimement, si le dossier
a une apparence de fondement, bien c'est le Tribunal des droits de la personne
qui sera appelé à trancher. Donc, c'est
quand même... On n'instaure pas une police, là, du discours, ce n'est pas ça du
tout, pour faire suite à votre question. Mais, par contre, un individu pourra porter à l'attention de la
commission un discours en particulier qui... Par la suite, la commission
fera une analyse de ce discours-là. C'est ce qui est prévu.
Est-ce
que vous avez, au-delà de la question du discours haineux qui est prévu au
projet de loi, analysé et regardé les
autres dispositions du projet de loi qui visent à protéger les personnes
vulnérables? Avez-vous des commentaires à l'égard de ces
dispositions-là?
Le Président (M.
Hardy) : M. Farkas.
M. Farkas (Michael Pierre) : Oui. Pour les écoles, entre autres, je trouve ça
très... Parce que, souvent, l'information peut arriver comme quoi il y a certains enfants qui sont sujets de
devoir faire des choses ou d'être entraînés dans des vagues, là, vraiment... qui doivent être protégés. À ce
moment-là, je pense qu'il y a quand même quelque chose dans cette loi-là
qui peut un peu les aider si les — comment est-ce qu'on dit ça? — bouches se délient, si les gens parlent,
parce que c'est toujours une question... la loi du silence, alors, à ce
moment-là, c'est de le savoir avant même que ça soit trop tard.
Alors,
je trouve qu'il y a des dispositions dans la loi qui peuvent un peu aider, mais
il faut que tout le monde... On
s'entend qu'il faut que les gens travaillent ensemble, de concert, autant les
travailleurs sociaux que les professeurs, que même la personne qui est victime doit s'ouvrir à quelqu'un pour
pouvoir faire partir... pour qu'on puisse la protéger. Alors, des fois, on a vu des exemples où est-ce
qu'on n'a pas pu, tu sais, arrêter l'hémorragie avant. Alors, le mécanisme,
un peu, le comment est-ce que ça va se
travailler dans la population puis avec tout le monde, c'est un peu de ça que
j'ai hâte de voir si réellement les
gens vont bien comprendre comment ils peuvent utiliser cette loi comme vous
venez de me l'expliquer, ce matin, à moi.
Alors, c'est un peu
ça, mes préoccupations, puis on sait que pour la communauté noire, la
communauté noire anglophone, souvent, on
sait qu'il y a des problèmes encore, tu sais, à l'effet que tes parents se
sentent réellement que... on tombe
dans le racisme. C'est sûr qu'on parle parfois de racisme, mais qu'il y a un
traitement injuste et que certains propos viennent vraiment gâcher l'estime de soi, de leurs jeunes, de leurs
enfants. Alors, je me demandais, même si... Est-ce que la loi C-59 peut interpeller certaines commissions
scolaires ou certaines autorités scolaires pour protéger ces enfants-là aussi? Alors,
on parle de la famille. Je sais qu'il
y a quelque chose pour la famille,
mais je crois qu'il faut faire en
sorte... Finalement, si vous dites que tout le monde est un peu responsable, puis c'est ce que moi aussi, je dis, il va
falloir que tout le monde la prenne au sérieux, cette loi, si tel est le
cas.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
• (12 h 20) •
Mme Vallée : En fait, M.
Farkas, c'est le but. Les lois en général, les lois qui sont adoptées par l'Assemblée
nationale, les lois en général, doivent être prises au sérieux. C'est quand même
quelque chose. Ce n'est pas banal d'adopter un projet de
loi.
D'ailleurs,
c'est le projet de loi n° 59, il n'y a pas de C devant le projet de loi ici. C'est les projets de loi au fédéral
qui portent le C, mais ici, c'est
tout simplement... Nous, on appelle ça, dans notre jargon, le p.l., donc, le
projet de loi n° 59, qui...
Mais
évidemment, lorsqu'on dépose un projet de loi, lorsqu'on souhaite doter notre
société de mesures législatives supplémentaires, bien, c'est justement,
c'est sérieux, et il y a une raison derrière ça. L'objectif, c'est, on
l'espère, de sensibiliser. Derrière le
processus aussi, législatif, auquel on travaille pour les prochains jours et
prochaines semaines, il y a un
travail aussi d'éducation. Ce qu'on fait aujourd'hui, les échanges que nous
avons avec vous, les échanges que nous avons
avec les autres groupes, les échanges, les questions qui sont soulevées
permettent aux gens qui vont suivre nos travaux de se familiariser avec le projet de loi. Par la suite, on aura une
étude détaillée, article par article, où là les parlementaires auront la
chance et auront l'opportunité de se questionner sur la portée de chacune des
dispositions du projet de loi et peut-être
d'apporter des suggestions, des bonifications. Et, ça aussi, ce travail-là
permet aux citoyens de se familiariser avec les dispositions du projet
de loi.
C'est un
projet de loi évidemment qui s'inscrit, puis je l'ai mentionné hier, dans un
grand plan gouvernemental aussi de lutte à l'intégrisme, de lutte au
radicalisme. Le projet de loi s'inscrit dans tout ça.
Mais je tiens
à vous remercier d'avoir participé à nos travaux. Je tiens à vous remercier
d'avoir soulevé aussi vos questionnements
parce que vous avez porté devant nous des questionnements qui sont légitimes et
des questionnements qui vont nous
permettre d'avancer et de faire progresser l'étude de ce projet de loi là.
Merci de votre participation puis votre présence à l'Assemblée nationale
aujourd'hui.
Le
Président (M. Hardy) : Merci, Mme la ministre. Nous allons maintenant
passer à la période d'échange avec l'opposition officielle. Mme la
députée de Taschereau, à vous la parole pour une période de 15 minutes.
Mme
Maltais : Merci, M. le
Président. M. Farkas, M. Mandeng, ça fait plaisir de vous entendre aujourd'hui.
Merci d'avoir vaincu tous les
obstacles pour venir vous présenter ici, en commission parlementaire, à
l'Assemblée nationale.
C'est
malheureux. On va essayer de prendre le temps de bien entendre ce que... les
craintes que vous exprimez ce matin
parce que je pense que vous soulevez certaines craintes qui sont très
légitimes, je crois, et auxquelles on n'a pas encore tout à fait les réponses. Peut-être qu'on y arrivera au fil des
auditions, peut-être au fil de l'étude article par article, on va voir.
Tout à
l'heure, il y avait des gens d'une autre communauté qui a vécu de l'ostracisme
qui étaient ici, la communauté LGBT, les lesbiennes, gais et
transgenres, qui sont venus nous dire : Historiquement, dans la lutte pour
l'obtention de nos droits, on a fonctionné par l'éducation, la sensibilisation.
La coercition, déjà couverte par le Code criminel
sur les crimes haineux, c'est une chose, mais, quand on vise à long terme, quand
on veut vraiment... il faut changer les
mentalités et non pas seulement d'une personne, mais d'une société au grand
complet. Est-ce que vous vous situez un peu dans cette veine-là?
Le Président (M. Hardy) : M. Farkas.
M. Farkas
(Michael Pierre) : Oui, tout
à fait. Oui. Dans la veine que ça va prendre du temps pour changer les
mentalités?
Mme
Maltais : Les
mentalités plus... et qu'on doit travailler sur l'éducation et la
sensibilisation.
M. Farkas
(Michael Pierre) : Je crois
que je l'ai... Tout à l'heure, j'ai nommé ces deux points. Tout à fait. Alors,
je vous rejoins à 100 %.
Mme
Maltais :
Donc, on a ici une loi qui travaille plus sur la coercition. D'ailleurs, si
j'ai fait un reproche dans le passé
puis on va sûrement en reparler, mais je le fais respectueusement au
gouvernement, c'est que les gros efforts sont sur la coercition et non pas
sur l'éducation et la sensibilisation. Bon, je cherche à savoir
ce qu'on vise dans cette loi, c'est difficile.
Alors, je suis passée par... Je vous écoutais puis j'ai dit : Tiens, on va
aller regarder ce qu'on ne vise pas, ça va aider peut-être à se démêler, parce qu'il va falloir, à un moment donné, j'ai l'impression, restreindre l'application de la loi si on
est d'accord avec la loi.
Vous nous
avez dit : La communauté noire a vécu des pertes de vies, même de la
stigmatisation. Ça vous inquiète. Est-ce que vous comprenez bien
que les crimes haineux sont déjà couverts et les crimes contre la personne sont déjà
couverts par le Code criminel, donc ne sont pas visés par cette loi-là.
Est-ce que vous auriez aimé que ça vise ça ou si
c'est satisfaisant, ce qu'il y a déjà dans le Code criminel?
Le Président (M. Hardy) : M. Farkas.
M. Farkas
(Michael Pierre) : Bien, je crois
que c'est suffisant, ce qu'il y a dans le Code criminel. Ça, c'est pour ça que je
pense que la réflexion du
projet 59 doit se faire, parce
que justement il y a
des choses déjà qui nous protègent. Bon, vous parlez de coercition, comme quoi ça... finalement,
cette loi-là, on la veut pour décourager, finalement, les gens à
user de discours haineux. C'est ce que je comprends.
Mme
Maltais :
Oui.
M. Farkas (Michael Pierre) : O.K. Alors, c'est sûr qu'il y en a qui peuvent
s'interroger sur pourquoi un projet
de loi aussi laborieux, élaboré si on est déjà protégé d'un côté par le
Code criminel et par la charte des droits. On parle d'intégrisme, et c'est là que certains groupes
comme... Certains groupes minoritaires au Québec, réellement, se sentent
interpellés par cette loi-là en
disant : Est-ce qu'elle va venir
nous aider réellement, cette loi-là, ou plutôt est-ce qu'on ne va pas se retrouver peut-être à devoir défendre des
positions... finalement, c'est ça, à défendre des positions qui pourraient
aller à l'encontre des valeurs québécoises. Alors, c'est comme si...
Je pense que, dans la
communauté noire, il n'y a pas cette crainte-là, autant que peut-être dans
d'autres communautés, que cette loi-là ne
fasse pas son travail de façon positive. Je ne crois pas que, dans la
communauté noire, on soit alarmés par
ce projet de loi. Alors, est-ce qu'on va pouvoir s'en servir? Est-ce que ça va
venir? Est-ce qu'on va pouvoir dénoncer des choses à l'aide de ce projet
de loi? C'est un peu ça aussi que je suis venu vérifier ce matin.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : O.K., qu'on essaie, nous aussi, de comprendre. On
essaie tous de comprendre comment on va pouvoir l'utiliser, quelle sera l'efficacité des outils... parce que
moi, personnellement, et du côté de mon parti, ce qu'on s'attendait, c'était une loi qui visait la
préoccupation des Québécois et des Québécoises, qui est le recrutement, par
exemple, de jeunes dans les réseaux
terroristes islamistes. On sait que ça ne sera pas ça. Ça ne servira pas à ça.
Alors, cherchons ce à quoi ça sert si ça ne sert pas la préoccupation
majeure des Québécois et des Québécoises.
Bon,
les propos insultants, ça ne le vise pas non plus. Ça, c'est clair, la ministre
a été claire tout à l'heure, on ne vise
pas les propos insultants. Vous disiez tout à l'heure que des gens de la
communauté ont vécu beaucoup de souffrance à cause des injures, des sarcasmes. Est-ce que vous comprenez bien que
les propos insultants ne sont pas visés par cette loi?
M. Farkas (Michael
Pierre) : ...comprendre.
Mme
Maltais :
Ah! O.K.
M. Farkas (Michael
Pierre) : Je ne l'avais pas compris avant. Là, je viens de le
comprendre.
Mme
Maltais : Oui, parce que ça se fie sur l'arrêt Whatcott, qui
veut qu'il y ait une différence entre le sarcasme, l'injure, l'insulte et l'incitation à la haine, le
propos haineux qui fait : non seulement vous êtes injuriés, mais ça va
tellement loin, c'est tellement
extrêmement que ça provoque de la haine envers, par exemple, une race, une
orientation sexuelle, un sexe ou une
religion. Donc, il y a un pas supplémentaire qui va être franchi, qu'on a de la
misère à établir ici, là, mais ça ne vise pas les propos insultants.
M. Farkas (Michael
Pierre) : O.K.
Mme
Maltais :
O.K.? Vous pensiez que ça visait les propos insultants?
Le Président (M.
Hardy) : M. Farkas.
M. Farkas (Michael
Pierre) : Oui, je le croyais. Certains passages de mon discours ce
matin, c'est envers ça qu'on... Souvent,
c'est ça qui blesse et c'est souvent ça qui peut détruire l'estime de soi et
même, bon, une personne. Alors, je croyais, oui.
Mme
Maltais :
O.K.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
• (12 h 30) •
Mme
Maltais : Enfin, merci. Peut-être que la ministre pourra
rectifier, mais elle a été bien claire ce matin que c'étaient les propos
extrêmes incitant à la haine, exactement ce que l'arrêt Whatcott...
Vous
avez parlé des autorités policières en détention. On s'entend que la victime de
propos insultants dans une cellule
fermée avec un policier ne s'en ira pas à la CDPDJ, là. C'est quand même assez difficile pour les gens qui se font
tabasser, si jamais ça arrive en prison, d'essayer de se défendre, surtout si
les propos insultants ne sont pas en plus là.
Vous
dites : La loi ratisse très large, il faut réfléchir en profondeur. Je
sais que vous avez été... on vous a demandé de réagir rapidement. D'ailleurs, la loi a été déposée début juin,
c'étaient les vacances, puis la commission
parlementaire se tient à la mi-août, là, c'est un peu serré, là. Mais
est-ce que vous avez eu le temps de réfléchir à ce qui devrait peut-être...
comment on pourrait contourner les difficultés qu'on commence à énoncer puis en
arriver à... Qu'est-ce qui pourrait être amélioré dans la loi qui ferait
qu'on saurait finalement de quoi on parle enfin, qui on vise?
Le Président (M. Hardy) : M. Farkas.
M. Farkas (Michael Pierre) : Je ne pense pas que j'ai, à ce stade-ci, toutes
les réponses. C'est pour ça que je vous ai demandé qu'est-ce qu'on
visait. Moi-même, ce matin, je suis arrivé un peu avec le même questionnement.
Mme
Maltais :
O.K.
M. Farkas (Michael Pierre) : Peut-être, avec un peu plus de temps, tu sais, je pourrais
arriver avec une meilleure réponse,
mais, pour l'instant, là-dessus, je n'aurais que des brèves... Tu sais, j'ai peut-être
quelques idées, mais rien de...
Mme
Maltais : On aura peut-être
le temps d'ici l'étude article par
article d'avoir des compléments d'information. Si jamais vous écrivez, par exemple, à la présidence de la commission,
à l'Assemblée nationale, bien, ça va nous être transmis. Si jamais vous avez
d'autres réflexions, ça va être intéressant.
Surtout que la ministre
vient de nous préciser, puis moi, je trouve ça quelque chose d'important... C'est
que, comme ce n'est pas dans le Code
criminel, c'est quelque chose qu'on ajoute à la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse,
on n'aura pas les garanties procédurales qu'il y a au Code criminel. Quand
tu es poursuivi au Code criminel, il
faut qu'on prouve hors de tout doute raisonnable que tu es coupable. Quand tu
vas à la CDPDJ, c'est l'équilibre des
forces, c'est un peu la balance entre les arguments pour et contre, c'est une évaluation. Et, surtout, c'est que, quand on est à la CDPDJ, c'est la personne
qui porte plainte qui est victime. C'est une victime. Donc, il faut que tu te
défendes d'avance devant une victime anonyme.
C'est compliqué. Ça peut être compliqué, c'est pour ça qu'on avance, je vous dirais, à petits pas là-dedans. Mais je
voulais quand même vous faire savoir qu'on venait de soulever ça, je dois
le soulever en commission parlementaire.
Avez-vous
peur de l'autocensure? Il y a des groupes qui nous ont parlé de ça. Ça veut
dire que les gens en viennent à ce
que les propos haineux qui pourraient se retrouver devant la commission des
droits de la personne et de la jeunesse soient tellement mal ciblés que les gens n'osent plus répliquer. Ça a
été une des interventions, types d'interventions qui sont arrivées ici.
Le Président (M.
Hardy) : M. Farkas.
Mme
Maltais :
M. Mandeng.
Le Président (M.
Hardy) : M. Mandeng.
M.
Mandeng (Samuel Erve) : Oui,
merci pour l'opportunité. Vous avez posé la question à savoir si on avait
des craintes. Si, nous avons des
craintes, c'est la raison pour laquelle les propos faits par le président nous ont bien sûr démontré que nous voulons savoir à quel niveau va la loi
afin de savoir si, aussi, nous pouvons être protégés, parce qu'on avait aussi
un autre point qui pouvait aussi faire
l'objet d'une petite proposition. Ce point est dû aux différents problèmes que
nous rencontrons dans notre
communauté, et ce point est lequel? Parce que, lorsque vous parlez... on parle
du discours haineux, le discours est comme un message qui est présenté
devant un parterre de personnes live ou véhiculé dans des canaux audiovisuels.
Et généralement il dure un certain nombre de minutes, plus de cinq à 10
minutes, qui va au-delà.
Et
notre question était de savoir : Les propos haineux aujourd'hui avec la
montée de la technologie... beaucoup plus
vers les messages, c'est-à-dire que quelqu'un peut dessiner sur son t-shirt un
message, et ça atteint précisément une cible. Quelqu'un peut dire, en deux
minutes ou en une minute, un message sur Facebook ou sur YouTube, et
ça atteint directement une cible.
Alors, nous voulons aussi proposer qu'on regarde un tout petit peu à ce niveau.
Peut-être, le «discours» serait un
peu plus large, peut-être. Mais le «message», si on dit, par exemple, «message
haineux», ça devrait beaucoup plus
circonscrit et attaquer toutes les différentes formes de diffusion de messages
haineux. Nous notons que — je vais chuter — les messages haineux aujourd'hui, ou les
discours, ou les formes de haine aujourd'hui sont beaucoup plus au non-verbal. On peut vous mettre une pression
naturelle et vous sortez de votre zone de confort. Et, parfois aussi, on sait...
Mais c'est juste pour dire que nous essayons
de regarder vers l'avance, regarder un peu en avant, parce qu'aujourd'hui
les gens mutent dans leur esprit et
aujourd'hui les pressions sont beaucoup plus non verbales. Mais le message, ils
ont toujours un message à véhiculer,
qui est le non-verbal, qui est peut-être des signes ou des gestes, ou peut-être
des messages vocaux. Donc, notre
proposition plus claire était de savoir : Oui, il est important que,
peut-être, le «discours» est plus large, mais le «message» serait
beaucoup plus précis à ce niveau. Je vous remercie.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Donc, vous changeriez le mot «discours» pour le
mot «message». O.K. C'est à examiner, parce que là il faut voir... Déjà, «discours haineux» a été peut-être un peu...
définit un peu la différence dans l'arrêt Whatcott récemment, mais n'est pas spécifié normalement. Il
y a aussi l'affaire de la sécurité morale qui n'est pas définie, mais
ça, c'est un autre thème.
Donc,
vous, quand vous parlez de non-verbal, est-ce que vous voulez dire sur d'autres
modes, par exemple, sur Internet, que l'oralité?
Le Président (M.
Hardy) : M. Mandeng.
M. Mandeng
(Samuel Erve) : Lorsqu'on parle de non-verbal, ça peut être physique.
Je peux manifester une haine sans
parler, tout simplement soit en vous regardant peut-être de manière plus
profonde ou soit en posant des actes qui vous amènent à ne pas rester au même endroit. Il y a
des messages qui... Quand je parle de non-verbal, c'est des messages qui
vous amènent beaucoup plus à mettre l'autre personne mal à l'aise. Et ces
messages répétés... On a l'habitude de dire qu'une
action répétée peut créer en l'autre des habitudes, et c'est ces habitudes de
créer dans sa tête une fonction de vie. Une fonction de vie, c'est ça qui amène généralement la haine. La haine
n'est pas quelque chose qui naît tout de suite. Ça explose. C'est quelque chose qui a été accumulé pendant des moments,
des moments, des moments et puis, un jour, la personne n'en peut plus,
ou le groupe n'en peut plus, et puis ils explosent. Ils ont vécu ça de manière
indirecte, ou peut-être de manière directe,
mais il faut un déclencheur. Et le jour où il y a quelqu'un qui déclenche et
dit : Oui, moi aussi, j'avais vécu ça, moi, si j'avais eu ça... et
boum! Il y a explosion.
Donc,
vraiment, notre gouvernement, notre conseil est, à ce niveau, qu'on regarde,
qu'on aille plus profondément au
niveau du message, parce que le discours, c'est un peu comme M. le président de
l'Assemblée nationale, ou Pierre... M.
Farkas vient faire un discours devant les gens. Les gens ne vont peut-être pas
beaucoup plus évoluer de ce niveau-là. Ils évoluent beaucoup plus vers
des messages. C'était juste une interpellation à cet égard.
Mme
Maltais : ...
Le Président (M. Hardy) : Merci
beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période d'échange avec le deuxième
groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville, à vous la parole pour une
période de 10 minutes.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci,
messieurs. Merci d'être là malgré le trafic montréalais qu'on connaît
tous.
Le groupe
juste avant vous, vous les avez ratés, mais ils disaient quelque chose de très
intéressant, puis ça concerne tous
les crimes haineux au Canada, puis j'aimerais les citer. C'était la Chaire de
recherche sur l'homophobie, le Conseil québécois
LGBT et GRIS-Québec, mais ils sont arrivés, ces gens-là, avec des statistiques.
J'aimerais vous en faire la lecture pour que vous puissiez commenter,
parce que ça rejoint vos préoccupations.
À la page 10
de leur mémoire, on nous dit : «Le Centre canadien de la statistique
juridique fournit annuellement des
données concernant les crimes haineux au Canada, lesquels se basent sur les
déclarations des services de police.» Alors, les plus récentes statistiques datent de 2013, donc c'est hier, et
indiquent que 16 % des crimes haineux étaient motivés par la haine d'une orientation sexuelle, tandis
que 51 % des crimes haineux étaient motivés par la haine d'une race ou
d'une origine ethnique, et finalement 28 %, par la haine d'une religion.
Alors,
51 % étaient motivés par la haine d'une race ou une origine ethnique.
C'est énorme, c'est la moitié des crimes haineux pour lesquels des plaintes ont été portées aux services de
police canadiens, donc, la moitié. La question, je vous la pose, et je vous la pose de façon personnelle,
et je vous la pose au nom de l'organisme que vous représentez : Est-ce
que cette triste statistique, donc la moitié
des crimes haineux dont les plaintes sont portées à la police, a eu tendance à
s'accentuer ou à diminuer au fil des ans?
Est-ce que vous pouvez vous exprimer là-dessus? Est-ce que vous considérez
que c'est toujours la même chose ou il y a
des fluctuations et des variations dans le nombre de crimes haineux qui
touchent la race ou l'origine ethnique? Allez-y.
• (12 h 40) •
Le Président (M. Hardy) : M. Farkas.
M. Farkas
(Michael Pierre) : Bien, je
crois que les statistiques que vous nous donnez semblent... je ne suis pas
surpris par ça et que, vu qu'il y a plus de
minorités, il y a plus d'immigration qui rentre au Canada, alors c'est ce qui
fait aussi augmenter, puis il y a comme un vivre-ensemble qui n'est
comme pas encore compris de part et d'autre. Bien, vous avez vu qu'il y a plus d'immigrants, il y a plus de gens qui vont
subir les affres de discours ou de messages haineux envers eux. Alors, moi, je ne suis pas surpris du
tout, c'est pour ça, même, qu'on tenait à être ici ce matin. Nous autres,
ce n'est pas nécessairement... Oui, on a
parfois des gens qui ont une orientation sexuelle aussi... qui sont noirs et
qui ont une orientation sexuelle
autre que d'être hétéro, alors qui sont doublement touchés. Vous savez qu'il y
a 50 % de femmes... 50 %, je veux dire, de la communauté noire
est comportée de femmes aussi qui, elles, sont souvent sujettes à être
outrancées, vu leur couleur et parce
qu'elles sont femmes. «What
we call in English a double whammy. You know what I mean?» Ça fait que, dans ce
sens-là, je ne suis pas du tout surpris par les statistiques que vous donnez.
C'est pour ça qu'on tenait à être là
ce matin pour vous dire que... On voulait juste faire partie des consultations
pour que vous sachiez que la communauté noire et la Table ronde du Mois de l'histoire des Noirs, on est
conscients qu'il reste encore beaucoup... que beaucoup de plaintes sont formulées. On l'entend. Moi, je suis
aussi directeur d'une maison de jeunes, alors j'entends beaucoup de
choses, je ne suis pas du tout surpris.
Est-ce que ça
fluctue? Oui, ça fluctue. Est-ce que c'est parfois? Moi, je vous dirais, de
façon personnelle — je vais
changer de chapeau — moi, je
trouve que, peut-être parce que j'ai des problèmes un peu avec eux, c'est sûr,
mais les services sociaux... l'agence
de la santé, je veux dire, est très rétrograde comparé aux services de police.
J'ai parlé du service de police, oui,
que parfois ils ont un discours puis des messages... au courant, tu sais, des
dizaines d'années, mais ils ont énormément
évolué, en tout cas à Montréal, puis même je crois que l'ensemble des corps
policiers québécois a énormément évolué
d'où est-ce qu'ils étaient, tu sais, à une époque où est-ce que, bon... tandis
que je te dirais que les services sociaux, il y a de la place pour amélioration. On parle de comment ils traitent,
tu sais... Bon, c'est sûr que, quand tu rentres dans la santé puis que tu parles des autochtones, tu
parles des Inuits, tu parles des communautés noires aussi, c'est... et on ne
vit pas toujours longtemps. Et, quand
les enfants sont placés, déplacés, on a vu, bon, certains cas que... Même la
loi est venue de là...
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, ça me touche beaucoup, ce que vous me dites là.
M. Farkas (Michael Pierre) : Bien,
je pensais à la famille Shafia, là, en parlant des agences de santé.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui.
M. Farkas
(Michael Pierre) : Mais moi,
je trouve que réellement... Moi, c'est avec Batshaw que je deale, puis
je trouve qu'il faut qu'ils embrayent, eux autres, il faut qu'ils embrayent,
parce qu'ils ont des traits réellement parfois discriminatoires et autres qui
pourraient, tu sais... Ils n'ont pas avancé autant que la police. Puis ça, moi,
je travaille beaucoup avec les... Bien, un,
je suis personnellement impliqué parce que j'ai une situation avec un enfant
comme ça avec les services sociaux
depuis belle lurette, mais je travaille beaucoup avec la police, puis je peux
dire qu'il y a eu beaucoup d'efforts de mis avec la police, parce qu'on
partait de loin.
Mme Roy
(Montarville) :
J'aimerais ajouter, M. le Président, de un, je suis très surprise d'entendre
ça. C'est réconfortant pour ce qui est de
nos policiers. Chapeau à nos policiers qui ont évolué, justement, dans cette
lutte, une lutte à la discrimination,
lutte au racisme! Cependant, je suis très surprise d'entendre que c'est au
niveau des services sociaux que ça
bloque. J'aurais cru que ces gens-là, étant sensibilisés par tout ce qui est
social, communautaire... Alors, vous nous dites qu'il y a du travail à
faire à cet égard-là. Probablement...
M. Farkas (Michael Pierre) : C'est
mon opinion.
Mme Roy
(Montarville) : Oui, oui, mais c'est très intéressant,
cependant, parce que c'est le milieu qui vient nous parler, donc c'est à
prendre en note et en considération, peut-être également au niveau de
l'éducation à faire.
M. Farkas (Michael Pierre) : ...
Mme Roy
(Montarville) : Tout à fait, tout à fait, me dites-vous. Si
vous me permettez, M. le Président, je vais céder cette fois-ci le micro...
m'assurer qu'il me reste du temps pour céder le micro à mon collègue de
Blainville.
Le Président (M. Hardy) : M. le
député de Blainville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci.
M.
Laframboise : Oui. Merci
beaucoup, M. le Président. Dans votre présentation, bon, vous avez questionné,
bon, qui l'on vise, et tout ça. Puis ça, je
pense que vous avez eu des réponses. Par contre, vous avez mentionné, concernant la Commission des droits de la personne, les délais et le temps. Est-ce que
présentement vous vivez, votre communauté, des problèmes de délai par
rapport à des plaintes ou des choses comme ça, là? C'est-u une situation que
vous pouvez constater comme communauté?
M. Farkas
(Michael Pierre) : Ça peut
arriver que, dans le temps, les choses s'enlisent, là, de façon administrative
ou autre, autant...
M.
Laframboise : Est-ce que
vous avez à défendre des dossiers ou de vos membres auprès de la commission qui
ont déposé des plaintes puis qui croient que ça n'avance pas suffisamment? Non?
M. Farkas
(Michael Pierre) : Non, non.
Je ne crois pas que c'est... C'est souvent quand les gens ne connaissent
pas tous les services comme... Vous
connaissez sûrement M. Fo Niemi, du CRARR. Il roule... Tu sais, quand tu amènes
quelque chose à cette ressource-là,
d'habitude, ça bouge pas mal. La Commission des droits aussi, je pense que les
gens prennent assez ça au sérieux de
faire avancer ça. C'est quand la personne qui est interpellée, qui veut
formuler une plainte ne connaît
peut-être pas les services que je viens de vous mentionner et essaie de
s'attaquer directement à l'autorité, là, souvent, ça va s'enliser, et puis là les gens vont plutôt être... vont
se cacher ou quelque chose. Mais, s'ils passent d'habitude, comme je l'ai mentionné, par des organismes bien,
bien, bien mandatés et nantis pour faire le travail, eux autres, d'habitude,
ils vont, s'ils ne sont pas débordés, pouvoir aller de l'avant.
M.
Laframboise : Parfait. Puis,
par rapport à ce nouveau projet de loi là, ce que vous dites, c'est qu'il
faudrait prévoir en tout cas le personnel nécessaire pour être capable.
M. Farkas (Michael Pierre) : Tout à
fait.
M. Laframboise : Pour ne pas
justement qu'il y ait enlisement ou congestion à certains moments. Parfait.
Le Président (M. Hardy) : M. le
député de Blainville.
M. Laframboise : C'est terminé?
Le Président (M.
Hardy) : Non, il vous reste 1 min 45 s.
M.
Laframboise :
1 min 45 s, pour vous dire que, d'abord, égalité, diversité,
inclusion... Évidemment vous avez compris
que le projet de loi, puis ça, j'ai retenu... parce que, bon, vous avez
mentionné peut-être que «discours» on devrait plutôt avoir «message». Évidemment, nous, on veut faire un effort. En
tout cas, c'est le but de la commission. Le projet de loi a été déposé par Mme la ministre, on va
essayer de le faire évoluer. Je voudrais que vous me reveniez sur le «message»
par rapport au «discours». Évidemment, nous,
dans un souci de lutte à l'intégrisme puis à la radicalisation, on parle de
«discours»; vous, vous semblez nous
dire : Bien, il faudrait peut-être avoir un terme beaucoup plus large qui
serait «message», là. C'est ce que vous nous dites?
Le Président (M. Hardy) : M.
Mandeng.
M. Mandeng
(Samuel Erve) : Justement, dans la loi, il y a une partie qui prévoit
une sanction lorsqu'un individu a
posé un acte haineux qui va de 2 000 $ à... dans la loi, et,
lorsqu'on parle de messages, aujourd'hui, les jeunes communiquent par des signes, les messages non verbaux.
C'est-à-dire que, si, je prends un exemple, une star canadienne a peut-être
cette volonté de pouvoir véhiculer un message, il n'a qu'à porter un tee-shirt,
et, sur le tee-shirt, s'il met le message qu'il veut atteindre, les gens vont le suivre parce qu'il est
important de savoir que les gens sont impactés par ce qu'ils voient et par
ce qu'ils entendent. On n'a pas besoin que
ce soit très long, mais, si la personne qui porte le message est une valeur, ça
atteint la cible.
Le Président (M. Hardy) : Merci de
votre contribution.
La commission
suspend ses travaux jusqu'à 14 heures, mais je vous avise que le premier
groupe en audition cet après-midi fera son audition en anglais et qu'il
y aura de la traduction simultanée. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 49)
(Reprise à 14 h 6)
Le
Président (M. Hardy) :
Prenez place, s'il vous plaît! La Commission
des institutions reprend ses travaux.
Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la
sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
Je vous
rappelle que la commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur le projet de loi
n° 59, Loi édictant la Loi concernant la prévention et la
lutte contre les discours haineux et les discours insistant à la violence et apportant diverses modifications
législatives... renforcer la protection des personnes.
Nous
entendrons cet après-midi comme premier groupe l'Association canadienne des
libertés civiles. L'audition se déroulera en anglais, et nous avons un
service de traduction simultanée.
Ainsi, je souhaite la bienvenue à l'Association
canadienne des libertés civiles. Je vous demanderais de vous présenter et je
vous rappelle que vous avez 10 minutes pour faire votre présentation.
Association canadienne
des libertés civiles
Mme Zwibel (Cara Faith) : OK.
Le Président (M. Hardy) : That's OK.
Mme Zwibel (Cara Faith) : Bonjour,
M. le Président et membres distingués de la commission. Je m'appelle Cara Zwibel et je suis directrice d'un programme
des libertés fondamentales à l'Association canadienne des libertés civiles,
en anglais : the CCLA. Je suis ici avec ma collègue, Laura Crestohl, qui
est une stagiaire avec l'association.
Je tiens à
remercier la commission d'avoir invité l'association à faire partie de ce
processus de consultation et de nous fournir l'opportunité de partager
nos points de vue sur le projet de loi n° 59.
And now I will switch to English
because my French skills are much more conversational than legal. The CCLA is an organization with a very long
history of advocacy on issues of freedom of expression, equality and the right
to be free from discrimination.
We
are opposed to many aspects of Bill 59 based on a number of concerns which I'm
going to address briefly and which are set out in
greater detail in our written submissions, which I believe have been
circulated.
The
primary focus of my comments will be on the policy choice that is reflected in
this bill, namely the attempt to deal with hate speech through the Human Rights Tribunal process. I
will also briefly touch on the ramifications for individuals and for
institutions with which they are affiliated if they are found to have
contravened the new proposed prohibition on hate speech.
As
we've noted in our brief, the CCLA has significant constitutional concerns
about hate speech laws generally and we have raised these concerns in courts
throughout Canada on several occasions. Although the Supreme Court of Canada recently upheld a hate speech provision in
the Saskatchewan Human Rights Code, we believe that the concept of hate speech remains inherently vague and
subjective, and, when we think about a law that aims to regulate expression,
aims to regulate what people say, rules that
are vague and subjective do not provide meaningful guidance to individuals. They are rules that may
chill legitimate expression and they are rules that are open to abuse by those
charged with enforcement.
• (14 h 10) •
From
the constitutional perspective, we also know that the Whatcott case from the
Supreme Court of Canada decided in 2013
doesn't necessarily immunize the law that would be enacted by this bill from
constitutional scrutiny, and we say that for a few reasons. The first is
that there are a number of concerns that were raised before the court in the Whatcott case, that the court either didn't
addressed or didn't address in our view sufficiently, and that could be raised
again in a future challenge.
Another concern is that the groups
that are protected by the Québec Charter of Human Rights and Freedoms is much broader than what many of
the other provincial statutes protect in their human rights codes and, from a
discrimination perspective, that's a
very positive thing. From the perspective of limiting expression, that could be
problematic and, I think, would also make this bill open to challenge.
And finally the listing procedure in
this bill, the listing procedure that's contemplated under section 17.3° and the ramifications of that
listing which I'll discuss briefly might also make this bill subject to...
vulnerable to a constitutional challenge.
From the perspective of the
effectiveness and the efficiency of a law like this to deal with the real
problem of hate speech,
and I don't want to suggest that it's not a problem, my point is that this is
not the best way to approach it. I think there is a few examples that might be useful to consider. One, one of
the potential consequences of a bill like this is that you may have
groups that come to the commission and then come to tribunal ultimately with concerns about things
that have been circulated on line, flyers that have been circulated to homes,
things that say extremely offensive and disturbing
things about protected groups. And the way in which our courts have defined
hate speech is quite extreme, so it really has to rise to a very high
level to meet that threshold and be considered hate speech.
And, if you could imagine being a
group, a marginalized and vulnerable group, that goes to the commission and goes to the tribunal for protection against hate
speech and is told that, as offensive and as demeaning as the speech at issue
is, it doesn't quite rise to the level of
hate speech, I think that undermines what the commission is there to do. La Commission des droits de la personne is there to protect
people form discrimination and to turn it around in a way that requires it to
adjudicate issues of hate speech in a
sufficiently narrow way so that they don't infringe on freedom of expression, I
think it undermines the goal of the
commission and can make vulnerable groups that rely on the commission for some protection
much more reluctant to approach it.
We've
touched on this affair within the brief, but the concern about the ground of political convictions as a protected ground of discrimination when applied to the hate speech context is
another area of significant concern. There are a number of things that people might say about
political parties,
about ideologies, both domestic and foreign, that are
quite harsh, and, in our brief, we give the example of some of the recent
statements about the ISIS group. These are actually statements that on plain
reading of this law might be considered hate speech. Now, I'm sure that it's
not the intention to protect a group like that from that kind of discourse. But
I think you do need to think carefully about the ramifications of a law like this and how it might apply. And I should
say that, even if we assume that the tribunal that is charged with ultimately adjudicating hate speech
concerns always gets it right, so only applies it to the groups that we intended to protect and only applies it in the
narrow cases that our Supreme Court of Canada has said constitute hate speech,
the process of investigation and the process
of adjudication of a hate speech complaint take a long time. During that time,
well, the jury is still out, so to speak,
about whether something constitute hate speech, we are chilling expression, we
are sending a message to people that
it's not quite clear what they can say and what they can't say. There is cost
associated with that and with the
time that it takes. And what we also tend to do through this process is elevate
the groups that are engaged in hate
speech and provide them with a greater platform from which to spew there
hateful expression, and that's something that we think is counterproductive.
Finally, very briefly, I just want to
talk about the listing procedure that is set out in section 17.3° of the proposed act. To be clear, we don't disagree
that decisions of the tribunal should be public, that the names of individuals
who have been found to contravene
legislation by the tribunal should be on the public record. We believe in open
courts and think that it's an
important aspect. But this bare listing of individuals as hate speakers is
problematic for a number of perspective, and it seems designed to shame people, which, given the context that we
are speaking, might be appropriate but is often much more effective when
done by members of the public then when mandated by the Government.
The other thing that I think the
listing procedure is really designed to facilitate is the cascading
consequences that come
and that are listed in part II of the Bill, which effect the educational
institutions, for example, that individuals on the list might be affiliated with. Those provisions that effectively
punish institutions for actions of students or individuals affiliated are, in our view, the worst kind of
guilt by association. And, from a policy perspective, if I understand that some
aspects of this Bill are aimed at the
concerns around the radicalisation of youth, removing the educational
institution and that support system
from individuals who may be on that path is, in our view, extremely
counterproductive. Education may, in fact, be the best antidote to some
of these concerns.
So,
those are, very briefly, the things that I wanted to begin by saying. And, once
again, I want to thank the committee. I know
that you have a lot of groups that did want to address you, so thank you for
making the time to speak with me, and I am happy to answer questions.
Le
Président (M. Hardy) :
Merci, Mme Zwibel. Nous allons maintenant débuter la période d'échange. Mme la ministre, vous avez la parole pour
une période de 25 minutes.
Mme
Vallée : Merci, M. le Président. Alors, thank you for your presence today. Thank
you for submitting your brief.
Vous
allez me permettre, un peu comme vous l'avez fait, de m'adresser à vous en
français, puisque, pour moi aussi, c'est plus simple de m'exprimer... Surtout dans un contexte avec
des termes aussi particuliers et un contexte aussi particulier que celui-ci, le choix des mots est
important. Et donc je vais bénéficier des services que nous avons ici pour
vous permettre de comprendre le but de mes
interventions. Alors, mesdames, d'abord, je comprends que vous êtes une organisation
basée à Toronto. C'est bien ça?
Mme Zwibel (Cara
Faith) : Yes.
• (14 h 20) •
Mme Vallée :
Et j'ai devant moi... En fait, vous étiez l'une des parties dans le dossier
Whatcott. Donc, votre organisation faisait partie des différents intervenants
au dossier Whatcott. Et, dans le fond, ce que vous nous plaidez aujourd'hui, c'est exactement ce qui a été — ou à quelques nuances près — plaidé par votre organisation dans l'affaire
Whatcott. Alors, devant nous, vous nous
indiquez en gros les préoccupations de votre organisme, qui prône grandement la liberté d'expression, qui est, pour vous, votre
cheval de bataille, si je peux utiliser ce terme-là. Et les arguments que
vous nous avez soumis dans votre mémoire
sont les mêmes arguments, à quelques nuances près, que ceux soumis dans
Whatcott.
La
Cour suprême nous a quand même, même si vous jugez... Et c'est là-dessus
que je souhaite vous entendre, parce
que, nonobstant les représentations
que vous avez faites et que vous avez formulées devant la Cour suprême, la Cour
suprême a quand même balisé... est quand même
venue baliser les discours haineux. Je comprends que la distinction entre
les dispositions qui faisaient l'objet d'une
analyse dans l'affaire Whatcott... étaient beaucoup plus larges que les dispositions que nous avons devant nous.
On parlait, dans le dossier de la Saskatchewan, de propos qui non seulement exposaient des
personnes à la haine mais aussi les
ridiculisaient, les rabaissent ou portent autrement atteinte à leur dignité.
Alors, c'était très large, les dispositions de la Saskatchewan Human Rights Code, mais ici nous avons
justement... nous nous sommes inspirés...
Puis je tiens à vous rassurer, parce
que les dispositions s'inspirent de
ce que la Cour suprême nous a enseigné dans Whatcott.
Alors, il est
question de propos haineux. On ne parle pas de propos qui peuvent être
choquants. Les propos choquants ne sont pas
plus acceptables, mais on comprend que, dans une société libre et démocratique,
la dissidence doit avoir sa place. Et
ce n'est pas le droit à la dissidence qui fait l'objet de la disposition
actuellement, mais bien des propos qui
sont de nature haineuse et qui tendent... qui incitent à la haine. Et c'est là
toute la distinction, je crois, avec les dispositions qui étaient sous étude à l'époque du dossier Whatcott.
C'est que nous avons justement pris soin de considérer les paramètres que la Cour suprême a édictés afin
d'éviter justement de venir sanctionner des propos qui, aux yeux de
bien des gens, ne sont pas acceptables, mais ne sont pas de nature à inciter à
la haine
Donc,
je comprends que ça puisse être délicat, là, mais on s'est quand même
inspirés justement des dispositions de
Whatcott. Là, certains groupes nous ont dit qu'il serait peut-être
opportun de définir davantage «propos haineux». Alors, on a quand
même plusieurs suggestions qui ont
été apportées autour de cette table. Et non seulement on s'est inspirés de
Whatcott, mais on a aussi confié à notre commission des droits de la personne
et de la jeunesse le soin d'évaluer le dossier
qui lui serait remis. C'est-à-dire que la commission des droits de la personne
et de la jeunesse est, au Québec, le chien
de garde de nos droits et libertés. Et donc la raison pour laquelle l'analyse
du dossier est faite par la commission des
droits de la personne et de la jeunesse, c'est pour s'assurer que justement on
va considérer les éléments, les enseignements
notamment de la Cour suprême et de la jurisprudence en matière de propos
haineux et qu'on ne viendra pas
porter atteinte à un autre droit et liberté qui est cher aux Québécois et aux
Québécoises, qui est la liberté d'expression.
Alors,
je ne le sais pas, si ça vous rassure, parce que, bon, je comprends... Bon, on
s'est quand même inspirés... Je peux
comprendre qu'à titre de partie dans un dossier vous ne soyez pas pleinement
satisfaits d'une décision de la Cour suprême,
mais c'est quand même le plus haut tribunal du pays qui s'est exprimé et qui a
inspiré notre législation. Et j'ose espérer que les explications puis
les échanges qu'on a vont vous permettre de vous rassurer un petit peu.
Le Président (M.
Hardy) : Mme Zwibel.
Mme Zwibel (Cara Faith) : I definitely recognized that this
legislation is drafted in light of Whatcott, but I think there is a few things to understand about Whatcott. And, you're right,
we are not satisfied with the Supreme Court's decision, but the concerns about this bill extend beyond the
concerns that were raised in the Whatcott case for some of the reasons that I mentioned. The first thing I want to say
about the Whatcott case is that, even though that provision in the Human
Rights Code was broader and included things
like «ridicule», it hadn't been interpreted to me in that for quite some time.
So,
the tribunal that was charged with adjudicating complaints under that provision
and other tribunals in the country with
similar legislation had in light of the Supreme Court's earlier decision in the
Tailor case already confined hate speech as something quite narrow. And
so Saskatchewan wasn't... They wanted adjudicating complains about belittling or ridiculing. They were confined to
the fairly narrow type of speech that the Supreme Court defines as «hate
speech». So, that was something that
the Supreme Court, you know, clarified and affirmed in Whatcott, but it wasn't
really a change.
The
other concern is that even if, you know, Whatcott... and we certainly accept
Whatcott as the Supreme Court's statement on
the law, and that's the state of the law in Canada on hate speech, and that provision has been upheld as constitutional, and the court
has said that provinces can limit hate speech, when they do so, in a reasonable way. And the Saskatchewan code was deemed by the Court to be reasonable.
The concern with this bill is
that there may be some things that take it out of the realm on reasonableness.
One of them, that I mentioned, is the number of groups to which this applies
and how hate speech legislation may be applied to the ground of discrimination of
political convictions, for example. So, I appreciate that we're talking about
the most extreme type of speech and
that we're not just trying to capture, you know, debate, or commentary, or
things that are just offensive, but
the concern is that these things are quite subjective and, if you look at the
Whatcott case, I mean, from the time that that case began in the
Saskatchewan Human Rights Tribunal, all the way to when it went up to the Supreme Court of Canada, the definition of what
constituted hate speech really didn't change. The Supreme Court really
didn't change the definition in that case. They affirmed it. They took out one
word that had typically been used. The Supreme
Court in Taylor had talked about «detestation», «calumny» and «vilification» and
the Supreme Court in Whatcott said :
«Detestation» and «vilification» will do, we don't need that extra word,
«calumny». I don't think that really changed anything, but despite the fact that every tribunal and court that looked
at that case was working with the same definition of «hate speech», they came to different results.
So, the Saskatchewan Human Rights Tribunal found that all the flyers that Mr. Whatcott had distributed violated the
code. The Court of Queen's Bench, which was the next court to look at that, this case, agreed. The court of appeal found
that none of the flyers violated the code, and again were using the same
definition here. And then the Supreme Court
of Canada found that two of the four of the flyers were hate speech and two
of the flyers were not.
So,
when you look at that, you know, it's one of the concerns that we have where
the court says : This concern about vagueness and about subjectivity isn't
really well founded. If you look at the case law, it seems quite clear that it
is. But even if it's not, some of the
other consequences in this bill, so the broader number of grounds of
discrimination, on the one hand, and,
then, the listing and the ramifications of listing... If we are talking about
an individual who perhaps has engaged
in what is on anyone and everyone's definition hate speech, or perhaps has been
zealous and made a stupid mistake in some sort of online forum or
discussion, and we're talking about effectively saying that an educational institution that allows that person to attend
might loose its subsidy, might loose its license to operate as a school, we are
imposing some very drastic consequences on
individuals, and I think there that is a consequence that a court looking at
this would consider as part of the constitutional
analysis, even if the definition of «hate speech» itself is perfectly fine.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
• (14 h 30) •
Mme Vallée :
Je comprends que les dispositions prévues au projet de loi, surtout concernant
le milieu scolaire, sont des
dispositions qui sont importantes et qui ne sont pas sans conséquence. Par
contre, vous avez ici autour de la table des parlementaires et des groupes parlementaires qui ont, pendant des
mois, si vous avez suivi l'actualité québécoise au cours de la dernière année, demandé que des gestes
et des actions soient posés par notre gouvernement pour mettre un terme à une certaine forme de radicalisation qui
se profile. Et c'est d'ailleurs pourquoi notre gouvernement a déposé un plan, un grand plan, et cette disposition
législative là, le projet de loi n° 59, s'inscrit dans ce grand plan
d'action contre la radicalisation au
Québec. Et donc ce n'est pas une décision qui a été prise à la légère. Au
contraire, je pense qu'elle est la
source notamment d'un travail qui s'est fait à la suite de réflexions, qui
s'est fait à la suite de différentes interventions dans la société.
Maintenant,
évidemment, pour revenir un petit peu à votre argument lorsque vous nous disiez
que, dans l'affaire Whatcott, les tribunaux avaient à leur façon, tout
au long du dossier, interprété de différentes façons les pamphlets de M. Whatcott, bien, évidemment, c'est un petit peu ça, la beauté de notre système judiciaire au Canada, c'est-à-dire que nous avons accès à des
tribunaux... les tribunaux d'appel existent. Mais, ultimement,
la Cour suprême a analysé le tout et a établi une jurisprudence, et, bien que je
comprends que vous ne soyez pas satisfaites avec cette décision, il n'en
demeure pas moins qu'il s'agit d'une décision de notre Cour
suprême, puis je vous dis bien
humblement que, comme Procureure
générale, comme ministre de la Justice, je me dois d'être guidée par les
enseignements de la Cour suprême. Mais je comprends.
Et, si le dossier s'est rendu à la Cour
suprême, c'est justement
parce qu'il y a eu tout au long du dossier des interprétations différentes. Et nous allons
tenter, et le travail parlementaire va nous permettre aussi, au besoin, de peaufiner,
de bonifier le projet de loi, si besoin est. Et, à cet effet, est-ce que votre organisation aurait une définition qui pourrait, outre la définition et outre les enseignements de la Cour suprême, nous éclairer? Est-ce que vous auriez une suggestion à nous présenter
quant à une définition qui pourrait être à l'avantage de tous et qui pourrait
amener à bonifier le projet de loi?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Zwibel.
Mme Zwibel (Cara Faith) : So, I think, maybe to answer the
second part of your question first, you know, part of the bill does speak about speech that incites
violence, and, in our view, I mean, whether it's the best policy to incorporate
that into something that the commission or
the tribunal looks at is, I think, open to debate. But, certainly, the idea
of... the concept of speech that
incites violence is something that is, in our view, much clearer and much more
tangible than the idea of hate
speech. I mean, hate is an emotion and it is inherently subjective. But I take
your point that, you know, as Minister,
you need to be guided by the Supreme Court of Canada and I fully accept that the Supreme Court of Canada has adopted that particular definition.
I
guess my point was that the definition was really just affirmed, and so the
fact that different courts looked at the same pamphlets and came to different
determinations shows us that, even being guided by the Supreme Court of Canada
definition, we're going to have people who
don't quite know where that line is and, indeed, we're going to have tribunals
and judges who don't necessarily know where that line is, and that can result
in a chill on free expression.
To
address the point about educational institutions and the concern around
radicalization, I appreciate that this is a problem and that it's a complex one. The concern
for me is where the idea comes from, that removing educational support,
removing education... Because I think most people would agree that hatred stems
from ignorance, and we rely on our educational institutions to try and deal with
those problems. And it's not only that there might be a consequence once the
tribunal has made the determination, it's
that, based on the severe consequences for educational institutions, who are seen as condoning an individual simply by having them
attend the institution... And, if I'm wrong about my interpretation of that,
tell me. But, as I read the bill, it seems to suggest that, just by virtue of
having a student, for example, who might be under investigation for something like hate speech, that institution may very well be at risk, and so we may really be putting these people who are...
who seem to be radicalized in a position of isolation where they may be much
more likely to head further in that
path instead of the opposite direction. I'm not an expert on this issue of
radicalization, but these are
questions, I think, that need to be answered. I'm sure there will be other
witnesses that you'll hear from who will be better able to address that
concern.
Strictly from a common sense
perspective, I think that removing education is a concern. And, from a legal
perspective, I think that the guilt by association of educational institutions is
also a concern.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : En fait, je pense qu'il y a deux choses qu'il
est important de clarifier. Dans un premier temps, le
travail, l'analyse, le pouvoir d'enquête qui
est conféré à la commission des
droits de la personne et de la jeunesse, ce n'est pas un pouvoir d'enquête publique. Et donc la
commission des droits de la personne et de la jeunesse aura la possibilité de ne
pas se saisir d'un dossier qui lui est présenté si elle considère qu'il n'y a pas matière à intervention à la lumière des enseignements, notamment, de la Cour
suprême et de la jurisprudence. C'est
pour ça justement que nous lui avons confié ce rôle-là de chien de
garde : pour éviter une prolifération des demandes devant les tribunaux.
Alors, le premier rempart, c'est
l'analyse qui est faite par la commission, qui est composée de juristes et de
constitutionnalistes qui ont justement
cette expertise fine que d'analyser à la
lumière des droits et libertés, à la lumière des enseignements de la Cour suprême. Alors, dans un premier temps, il ne s'agit pas d'une enquête
publique. Ça, c'est important.
Et, par la suite, c'est le Tribunal des droits
de la personne. Alors, ce n'est pas un tribunal... C'est un tribunal spécialisé, qui, encore une fois, détient cette
expertise, qui sera saisi du dossier. Alors, ça, c'est dans un premier temps.
Dans un autre
temps, le pouvoir ultime que détient le ministre de retirer un permis,
par exemple, il fait suite à une gradation de sanctions. C'est-à-dire que, si la maison d'enseignement ou si l'établissement d'enseignement
tolère qu'un discours qui est proscrit par le projet de loi continue
d'être tenu à l'intérieur de ses murs, c'est à ce moment-là que le ministre peut
sévir, mais la première... Il y a toujours une gradation dans les sanctions, c'est-à-dire que le ministre a un pouvoir
discrétionnaire de dire : Nous demandons que ce type de discours là cesse.
Et, si l'établissement d'enseignement
souscrit à cette demande-là, il n'y a
pas de conséquence. Les conséquences sont pour un établissement qui va tolérer le maintien d'un discours au sein de ses murs.
Alors, vraiment, on a tenté d'éviter un pouvoir discrétionnaire qui serait
arbitraire. Et ça fait suite évidemment à une intervention de la Commission des
droits de la personne.
Alors,
j'espère que ça vous rassure un petit peu. Et on ne légifère pas — à bon titre, on me fait signe — sur le permis, on légifère vraiment
sur ce qui se passe à l'intérieur des murs de l'établissement scolaire.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Zwibel.
• (14 h 40)
•
Mme
Zwibel (Cara Faith) : I mean, that is helpful. That is helpful. I
still have concerns about... I mean, if we take an example of an individual who may be
radicalising, and who engages in this kind of speech, and who goes through
the process of a complain to the commission,
which is ultimately referred to the tribunal, which is ultimately adjudicated
as being a contravention, the idea that this
individual... And I understand that, in the act, condoning that kind of
behavior, it seems to me, is achieved
really just by not disciplining or removing a student who may have their name
on that list. So, I'm looking at
section 24, for example, that amends the General and Vocational Colleges Act,
and it says that the person whose
name is on the list kept by the commission is considered to exhibit behavior
that could reasonably pose a threat for
the physical or emotional safety of the students, and that's by virtue of being
on the list, regardless of the nature of the speech. I know it's up to
the commission to maintain that list, and I think it's up to the tribunal to decide for how long
the person's name would be on that list, but that still creates some very
significant consequences. It's not clear when those consequences might end, if they end when the name comes off the
list. But if we're talking about someone who's radicalized or who's
becoming radicalized, isolating them, removing the opportunity for further
education, even for a short period of time, might be counterproductive.
Le
Président (M. Hardy) : Nous
aurions peut-être une dernière question, Mme Zwibel. Je passerais la parole au député de
La Prairie.
M.
Merlini : Merci beaucoup, M. le Président. Mme Zwibel, dans votre
rapport, à la toute fin, dans les conclusions et recommandations, vous écrivez que l'interdiction — ou la prohibition, si vous préférez — sur les discours qui incitent à la violence n'est pas un problème, n'est pas
problématique. Est-ce qu'un discours qui incite à la violence... n'est-il pas
haineux dans sa nature même?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Zwibel, vous avez une minute.
Mme Zwibel (Cara Faith) : So, I'm not sure I understand the
question. À hate speech or... A speech that incites violence might be considered a subset of hate
speech, and that narrow subset, I think, sets out a clearer definition and a
more tangible line
that can help people understand what they can and can't say, and that can help
tribunals and courts decide, you
know, what crosses the line and what doesn't. The broader idea of hate
speech — so, a hate speech that does not talk about violence, but that vilifies a particular group — is something that is, in our view, more subjective, and it's
that subjectivity that doesn't give people guidance.
We
had a debate very recently in Toronto, as well as, I understand, in Montréal
about an individual who came from the United States to give a talk. He's a self-proclaimed pick-up
artist who has some very nasty views about women. And there is a real question about whether what he
says is hate speech, whether it's just really offensive and chauvinistic.
Some people say it is speech that incites violence.
Le
Président (M. Hardy) : Merci beaucoup, madame. Nous allons maintenant passer à la période
d'échange avec l'opposition officielle. Mme la députée de Taschereau, à
vous la parole pour une période de 15 minutes.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Mme Zwibel, Mme Crestohl, bienvenue. Merci de venir
nous présenter votre vision de cette
loi. C'est toujours intéressant d'entendre la vision de gens qui vivent sous
d'autres codes — parce
que nous, nous avons le Code civil du Québec — et qui sont interpellés par
les droits des citoyens et des citoyennes.
Il y a trois
thèmes, on a 15 minutes. Il y a trois choses dont je voudrais parler : de
la constitutionnalité de cette loi, de
la liste et, après, je vous citerais quelques exemples de propos qui ont été
tenus au Québec pour essayer de comprendre jusqu'à quel... comment vous
percevez que ces propos pourraient être considérés comme haineux.
La
première : la constitutionnalité. On sait qu'hier notre propre ministre
ici a dit que les avis juridiques semblent conformes aux libertés. Donc, elle a laissé un doute, que vous
entretenez vous-même, en disant... D'après la traduction, ça nous disait que la cause Whatcott ne donne pas
l'immunité à la loi n° 59 par rapport à sa constitutionnalité.
Pourriez-vous me creuser cette opinion que vous avez donnée rapidement?
Mme Zwibel (Cara Faith) : One of the reasons I say that Whatcott
may not fully immunize this bill from constitutional scrutiny is the listing, as I mentioned. So, in the
Whatcott case and in other human rights tribunal cases
that have been dealt with by courts in other jurisdictions, usually, the
consequences for breaching those hate speech provisions
are monetary, so there might be a penalty, a fine, or there is basically an
order that the individual has to stop saying
what they are saying, has to remove content from their website, for example.
The consequences, here, of listing, and that might flow from the listing, I say that those consequences include not
just actions that might be taken by the Government against the educational institutions
but actions that might be taken by the educational institutions against the individual. So, if we have
an individual who's been kicked out of school because of this negative finding,
who may in fact, as the results of
that, have a very difficult time finding another educational institution to go
to, that is a very significant consequence and it's a different
consequence than the consequences that other courts have looked at.
The other reason that I think
Whatcott is not necessarily exactly applicable or doesn't totally immunize this
bill from review is the broader range of groups that are protected, and, like I
said, in the context of discrimination in employment
or in accommodation, for other groups, that would seem to be a very positive
thing. But when we're talking about
speech that vilifies individuals for their political convictions... And I give
some examples in the brief and they're not
my own original examples. There is another academic commentator who noted that,
you know, saying... vilifying Nazis would
be vilification and hate speech on basis of political convictions. Speaking
about ISIS, speaking about, you know, extreme fringe political parties,
maybe political parties that advocate violence, those are things that, if the
speech itself rises to the level of hate
speech, and some people would say that when applied to groups like the Ku Klux
Klan, or Nazis, or terrorists groups
those types of expression are quite appropriate, if we talk about legislation
that could curb that expression, I think the courts might view that
differently.
So,
I think those are two aspects of the bill that could change the constitutional
analysis. It would obviously be up for courts to decide and it would certainly depend
on the context in which a case went to a court, but those are, I think,
different pieces of this bill that might distinguish it from the Whatcott case.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Est-ce
que, d'après votre expérience, votre connaissance des expériences canadiennes,
il y a quelques jurisprudences autour de
l'établissement de listes comme ça pour d'autres personnes, par exemple des
violeurs? On a parlé beaucoup de possibilités de listes pour des
pédophiles. Est-ce qu'il y a une jurisprudence autour de cet établissement de listes, leur impact, leurs
conséquences sur les personnes, les groupes? Parce que je disais aussi, ce
qu'on n'a pas abordé beaucoup, c'est qu'une association peut être
poursuivie, une organisation peut être poursuivie. Cette association, le temps de la poursuite, pourrait, à
cause des propos, congédier ses administrateurs mais être quand même sur
la liste, puisque c'est l'association. Tu sais, il y a des choses à... Il faut
examiner tout ça.
Est-ce que,
dans la jurisprudence, il y a des exemples où un tel genre, type de liste
aurait été validée ou invalidée?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Zwibel.
Mme Zwibel (Cara Faith) : There aren't examples that are, I
think, immediately analogous or applicable to this kind of situation but there is a listing that
happens in other contexts. So, if you think of it, in a national security
context, we have for example the No
Fly List where an individual... If you have not had experience with this, you
might think : Well, certainly
anyone who has, you know, a terrorism conviction, it might be appropriate for
them to be on a list like that. But I have to say we have spoken to many individuals who get on
those lists for reasons that are not at all transparent to them. They have no idea how they've got on the
list. Sometimes, there are issues of mistaken identity and that's another
consequence here. We're talking about a
list, a bare list that exists on the Web site of the commission. I imagine
there are many individuals in the
province that have the same name. It won't always be obvious which person that
refers to on the list. So, I mean that No Fly List... Other examples...
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
• (14 h 50) •
Mme
Maltais : Madame, à ce moment-là, on s'entend que, quand quelqu'un est sur une liste d'interdiction de vol,
ils ne connaissent pas le dénonciateur ou
pourquoi, mais il y a une institution policière qui a fait enquête, en
général la GRC, ce n'est pas un
tribunal des droits de la personne qui juge d'après la loi du doute
raisonnable. La loi québécoise
pour la justice, c'est : il faut
prouver hors de tout doute raisonnable. Donc, on n'est pas là-dedans,
dans ce système-là. Hier... on en parlait même ce matin.
Le Président (M.
Hardy) : Mme Zwibel.
Mme Zwibel (Cara Faith) : Yes, and that is why I say : I do
not think there are situations that I can think of that
are directly analogous to this, although to...
I should say that to be on the No Fly List, you do not necessarily have to have
been convicted of anything beyond a
reasonable doubt. And so the standards that law enforcement might apply to
decide to put someone on a list like
that may not be to that standard of reasonable doubt, it might be much lower.
So, there are still concerns with that list, but obviously that list is
not why we are here today.
But those kinds of procedures that...
And, like I said, I mean, I do not take issue with making this process open. It should not be that if someone...
if you do, in fact, decide to pass this bill and an individual is found to have
contravened the hate speech provision,
the decision that found him to have contravened that provision should be
publicly available like I assume most
other decisions of the commission or of the tribunal are. But this list and the
consequences that flow from it, I think, go above and beyond.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci.
Vous avez bien expliqué, je pense, pourquoi vous dites que les conséquences de la liste,
c'est une vulnérabilité constitutionnelle pour ce projet de loi, le projet de
loi n° 59.
Maintenant,
vous avez dit... Je voulais vous parler d'exemples aussi. J'aimerais ça vous
faire une citation. Vous me dites si
vous pensez que ce type de propos pourraient être considérés comme des propos
envers un groupe haineux et donc être susceptibles d'une poursuite. Je vais
vous faire des vraies citations. Exemple : «Le djihadisme, le terrorisme
radical islamique, c'est un ennemi mortel pour la démocratie. Il faut le
combattre avec des armes qui correspondent à l'intensité de la menace.»
Le Président (M.
Hardy) : Mme Zwibel.
Mme Zwibel (Cara Faith) : So, it has been a while since I have
looked through the... In some of the court cases that deal with hate speech, in addition to the
kind of language and definition that the Supreme Court used in Whatcott,
there are also certain hallmarks, what they
call «hallmarks of hatred», that courts and tribunals have identified. And that
has been a while since I have looked at
those hallmarks. I certainly think that statement could be construed as hate
speech. I mean, one of the big points
that I am trying to make is that reasonable people can disagree about that, and
so as a way to guide people in their behavior and their expression, the
hate speech definition is problematic.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Si je
vous disais que quelqu'un a déjà
dit : Je hais les souverainistes, est-ce que vous pensez que, comme souverainiste, je pourrais mettre
immédiatement ces propos à la CDPDJ en disant : Voici une incitation à la
haine? «Je hais les souverainistes», c'est une expression qu'on a déjà
entendue au Québec.
Le Président (M.
Hardy) : Mme Zwibel.
Mme Zwibel (Cara Faith) : I think, on the definition that the
court has used for hate speech, that statement on its
own probably would not be hate speech by the courts because the courts have
really talked about it as being quite extreme.
But again one of the concerns is that, to the average person, of course, that
sounds a lot like hate speech or what you
might consider hateful expression. And so it is this disconnect between the
average person's understanding of what is hateful and what is offensive
and what the courts have said. And it does create that situation where you may
have groups who say : I am the subject
of a lot of hateful discourse out there. My group is subject to this kind of
speech. And you go to the commission
and you go to the tribunal for a remedy, and the tribunal says : We know
people say they hate you, but that is
not hate speech under the law. I think that does undermine what the commission
is intended to do and what the tribunal is intended to do.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : C'est intéressant, les deux dernières citations sont du premier ministre actuel,
Philippe Couillard, autant celle
contre le groupe islamiste que celle contre les souverainistes. Alors, vous
voyez comment on peut... Toute cette
aventure est très, très, très délicate, très, très, très délicate, et
les discours haineux contre les souverainistes... Puis je ne parle pas de la citation du premier ministre, qui était dans un contexte de campagne
électorale et qu'à l'époque...
Je
pense qu'il avait dit que c'étaient
des propos inappropriés, mais nous, on a subi des conséquences de discours
haineux, régulièrement et récemment, même avec des actes violents.
Donc, moi, je suis tout à fait des groupes qui comprennent à quel point
il faut faire très attention aux discours haineux, il faut les surveiller, mais
maintenant la façon dont on va cibler, la
façon dont on va faire préciser qu'est-ce
qu'un propos haineux va être extrêmement importante, si on se rend jusque-là. Vous dites vous-même : Une même
définition, différents résultats. Moi, je pense qu'aussi, quand va arriver
l'appropriation par la CDPDJ, il va falloir beaucoup, beaucoup, beaucoup de
prudence pour la CDPDJ.
Bon, enfin,
on est dans le monde de la liberté d'expression. Voilà à peu près les questions
que je vais vous poser. Je vous remercie beaucoup de votre témoignage.
Le
Président (M. Hardy) : Merci. Nous allons maintenant passer la parole
au deuxième groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville, à vous
la parole pour une période de 10 minutes.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour,
mesdames. Merci de votre présentation. Je
vais vous répondre également... Je vais vous questionner en français, compte
tenu de la technicalité, effectivement, quoique je vais comprendre vos
réponses sans problème, mais je vais m'exprimer en français.
Vous avez
dit — j'ai
pris des notes : Ce projet de loi là peut faire l'objet de certains abus
par ceux qui l'appliquent, et on
comprend aussi du projet de loi que ceux qui l'appliquent seront les gens de la
commission des droits et libertés de la personne et le tribunal des droits et libertés de la personne. Alors,
moi, j'aimerais que vous élaboriez. Lorsque vous dites «peut faire
l'objet de certains abus», qu'est-ce que vous entendez par «abus»?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Zwibel.
• (15 heures) •
Mme
Zwibel (Cara Faith) : I guess what I'm trying to say is that there are...
I think I appreciate... I mean, there isn't a lot in the bill about the underlying
purpose or the underlying object, but I think it's relatively clear that there
are vulnerable groups that this bill
is intended to protect. And when I say «open to abuse», I mean that this bill
may not be used to protect those
vulnerable groups, but may in fact instead be used to silence groups that are
unpopular, groups that are dissenting
from the mainstream. And I don't necessarily mean that it's the tribunal itself
or the commission itself that will be abusing it, I mean that the
breadth of the law and the vagueness of the language and the subjectivity of
«hate speech» means that individuals, for
example, because it will be up to individuals to potentially bring complaints
to the commission, may use that
process to silence those who oppose them or to silence groups that they
disagree with or that they find unpopular.
And even if the commission
guards very carefully against abuse, that process of investigation, the process
of referral can result in a chill on
expression, and this is one of the things. And if you haven't looked at Prof.
Moon's report on the similar
provision in the Canadian Human Rights Act, which was done a few years ago now,
but which is a very careful and
thorough look at how a human rights commission or a human rights tribunal's
adjudication of hate speech can
affect freedom of expression, it provides some very good examples of how, even
if the system works as it's supposed to, and the commission does
excellent screening of complaints, and the tribunal, ultimately, you know, only
finds a contravention in the cases where
there's real merit to that finding, the process of adjudication is problematic
and it can result in chilling
expression, it can result in a lot of delay, it can take a lot of time for
these complaints to be investigated and
adjudicated. And, so, that's what I mean when I say that this law may not work
as it's intended to. A lot of the concerns around laws that seek to regulate speech, that seek to deal with
expression specifically
are open to such a wide area of interpretations that we
often catch types of expression that we don't intend to.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci. J'ai une autre question. Vous avez dit que l'effet sur les gens qui
tiendront des discours haineux, que
l'effet de la tenue d'une liste — on en a parlé, de cette fameuse liste — eh bien, cet effet dissuasif ou punitif, si je peux dire, est plus efficace
lorsqu'il vient de la pression publique que lorsqu'il a été mandaté par
gouvernements ou tribunaux. Est-ce que vous avez des exemples de ça?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Zwibel.
Mme Zwibel (Cara Faith) : I have some very unscientific
examples, I suppose. So, I mean, we've heard a whole
number of stories where racist speech, where sexist speech, on social media for
example, is the subject of very quick response
and very quick shaming and denouncing by the broader community. And this
happens with celebrities and it happens
with average individuals, where people will say something that might be
intended as a joke or that might be, you know, a serious statement but that has derogatory connotations and, you
know, right away, people start to counter that speech or start to call
out and shame individuals.
There
was a situation in Toronto, and I can't actually say the words here in this
Chamber, but it involved a reporter who was outside of
a swirling event and some man came over and shouted something at her
microphone. It arguably wasn't
something directed at her but it's an offensive statement. Many people saw it
as an attack on her as a woman. That individual
was fired from his job, and the social outcry was significant. And we didn't
need a government's response to show
that individual that he had crossed the line, and I actually think that that
type of response is often more effective than a process that might be
seen by some as open to manipulation by politics.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Oui. You gave
a good example. Vous avez donné un
bon exemple. Cependant, a contrario, on
pourrait dire que ça devient un tribunal public et qu'il peut y avoir là aussi
des excès. Cela dit, j'ai une autre question.
On parlait
tout à l'heure de la définition de ce fameux «discours haineux», parce qu'ici
on est en matière civile, ce n'est
pas tout à fait la même chose qu'au criminel. Le criminel, on parle
d'incitation à la haine et non au discours... Là, ici, on parle des propos. Cependant, la définition de la haine,
selon nous, elle n'est pas si subjective que ça, parce que la jurisprudence en fait état, vous en avez parlé
longuement, de la jurisprudence. Et, puisque nous sommes en matière civile,
est-ce que vous seriez d'accord, vous croyez qu'il serait opportun de définir
plus largement ce qu'est le discours haineux
en se basant sur les motifs ou les critères élaborés par la jurisprudence?
Est-ce que ce serait plus acceptable si c'était dans la loi?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Zwibel.
Mme Zwibel (Cara Faith) : Let me just clarify. Are you asking if
I think that it would be helpful in the legislation to
outline, like the hallmarks?
I'm
not sure. I mean, I think that that's how the legislation would be applied,
regardless of whether it's worked into the actual bill or not. I think, even with
the hallmarks, there is still a lot of disagreement that can happen over
whether a particular type of expression meets the definition or not and,
you know, as you say, there are different... there is the Criminal code that deals with hate speech and then
the Human Rights statutes that deal with hate speech. And the definition,
really, for «hate speech» in both those
contexts is the same, but the Criminal code has a number of procedure or
protections which I've included in my
written brief, that, I think, are absent in the human rights context, and the
absence of some of those things can
be quite concerning : the absence of any defenses, the lower standard of proof, you know, the
screening function that the attorney general performs
in the criminal context. So, I mean, I don't know, I think, as far as public transparency... it might be that including the
types of hallmarks might be helpful for the public to understand what we
mean by hate speech and understand that just saying : I hate this group or
I hate that group wouldn't rise to the level. You
know, from a legal perspective, I don't know that it would affect the court's
analysis. But if the idea is to communicate with the public, that is something that might help. Again, I don't want
to suggest that we're in agreement with that approach, but I can
understand the goal behind incorporating something like that.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Montarville, je vous signale qu'il vous reste 35 secondes.
Mme Roy
(Montarville) : Well, I want to thank you for
your answers. Thank you.
Le
Président (M. Hardy) : Merci pour votre contribution. Nous allons
suspendre nos travaux quelques instants, et j'inviterais le représentant
de Point de bascule à prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 15 h 6)
(Reprise à 15 h 10)
Le
Président (M. Hardy) :
Alors, la commission reprend ses travaux, mais, avant de commencer,
est-ce qu'il y a consentement afin de poursuivre les travaux au-delà de
l'heure prévue?
Des voix : Consentement.
Le
Président (M. Hardy) : Consentement. Parfait. Nous attendons les copies papier, elles sont parties se faire
imprimer, et puis on va les recevoir dans quelques instants.
Une voix : ...
Le
Président (M. Hardy) : Et
voilà. Elles s'en viennent. Je souhaite la bienvenue à l'organisme Point de
bascule. Je vous demanderais de vous présenter. Vous avez
10 minutes pour votre présentation.
Point de bascule Canada
M. Lebuis
(Marc) : Merci beaucoup. Bon
après-midi, Mme la ministre. Bon après-midi, Mmes et MM. les députés. Je
m'appelle Marc Lebuis. Je suis directeur de Point de bascule. Point de bascule
gère un site Internet indépendant
et non partisan décrivant les méthodes, les moyens qu'utilisent les
organisations et les leaders islamistes pour appliquer leur programme au Canada. Une dizaine de personnes sont
impliquées, d'une façon ou d'une autre, dans ce que nous faisons. Nous
sommes tous impliqués dans Point de bascule de façon bénévole.
Point de
bascule a débuté ses activités à l'automne 2006, et le site Internet a été
inauguré au printemps 2007. En plus
de maintenir un site Internet, dans le passé, nous avons organisé des activités
publiques, avec des musulmans inquiets de la menace islamiste au Canada.
Selon nous,
le Canada ne fait pas seulement face à une menace terroriste violente, donc,
mais également à des efforts
insidieux, non violents qui visent à désorienter les agences gouvernementales,
les services de police, les médias, etc., sur les ambitions de conquête de l'islam radical au Canada et en
Occident en général. Il existe plusieurs formulations de ce plan de conquête. Au début des années 2000,
Jamal Badawi, un des principaux leaders de l'infrastructure des Frères musulmans au Canada, a déclaré qu'à l'étape
actuelle les musulmans devraient accepter de devenir juges et fonctionnaires
au Canada, malgré que le pays ne soit pas
régi par la charia, la loi islamique. Il a déclaré que ces juges et ces
fonctionnaires devraient tirer
avantage de leur position d'influence pour cesser d'appliquer les dispositions
légales actuelles, qui sont incompatibles avec la charia.
En 2004, dans
une interview au magazine Egypt Today, Tariq Ramadan est allé dans le
même sens quand il a incité les
islamistes opérant au Canada à utiliser le cadre légal canadien, qu'il a décrit
comme «un des plus ouverts dans le monde» pour introduire discrètement les principes de charia un à un. À
l'époque, M. Ramadan avait fortement enjoint ses partisans de ne pas
mentionner ouvertement qu'ils sont favorables à la charia. «Le terme
"charia" est mal vu dans l'esprit des Occidentaux», avait déclaré M. Ramadan. «Ce n'est pas nécessaire de
mettre l'accent là-dessus pour le moment. Ce n'est pas comme ça qu'on va
être perçus», avait-il ajouté.
Cette affirmation
que des lobbys islamistes appuyés de l'étranger cherchent à faire appliquer la
charia au Canada n'est rien de neuf.
C'était dans la présentation de la résolution contre les tribunaux islamiques,
adoptée à l'unanimité par l'Assemblée
nationale le 26 mai 2005. Aujourd'hui, en 2015, ce qui est à l'ordre du jour de
ceux qui veulent faire appliquer la
charia au Canada, c'est de faire interdire toute référence à des concepts
islamiques pour décrire la menace à laquelle le Canada fait face.
Ce qui nous a
incités à demander d'être entendus pour parler au projet de loi n° 59,
c'est précisément parce que, s'il
devait être adopté, ce projet de loi rendrait extrêmement risqué de parler des
ambitions des islamistes d'implanter la charia au Canada. En 2005, si les dispositions du projet de loi
n° 59 avaient été en vigueur, les personnes qui critiquaient publiquement l'introduction des tribunaux
islamiques en Ontario se seraient exposées à des poursuites pour discours
haineux.
Le 2 décembre
2014, à Radio-Canada, le président de la Commission des droits de la personne,
Jacques Frémont, a indiqué... a
expliqué les recommandations de la CDPDJ qui ont mené à l'actuel projet de loi
n° 59. Il a clairement indiqué qu'il
comptait utiliser les nouveaux pouvoirs qu'il demandait pour poursuivre ceux
qui critiquaient certaines idées, notamment
pour poursuivre, et je cite, «des gens qui écriraient contre la religion
islamique sur un site Internet ou sur une page Facebook». On ne
le dira jamais assez, le rôle de l'État est de protéger la liberté d'expression
des individus, c'est-à-dire la
liberté des individus de critiquer des idées et non pas de protéger des idées
contre la critique des individus.
Un second point troublant, très troublant par le
projet de la CDPDJ aujourd'hui incorporé dans le projet de loi n° 59, c'est que son président, M. Frémont le justifie en évoquant des
résolutions d'instances des Nations unies qui vont dans ce sens. Or, ce que M. Frémont n'a pas indiqué à Radio-Canada le 2 décembre, lorsqu'il a fait allusion à ces résolutions de l'ONU, c'est qu'elles émanent de l'Organisation de la coopération islamique, l'OCI,
qui établit une équivalence entre le
blasphème, la critique de l'islam, la diffamation des religions et le discours
haineux. C'est en invoquant ce genre
de disposition que l'Arabie Saoudite, un des principaux leaders de l'OCI, a
condamné Raif Badawi à la peine de
1 000 coups de fouet, qui lui a valu la sympathie et l'appui des Québécois.
Raif Badawi, rappelons-le, avait critiqué certaines facettes de l'islam
sur son blogue en Arabie Saoudite.
L'OCI est un
regroupement de 56 pays musulmans auxquels s'ajoute l'autorité palestinienne.
Il constitue le plus important bloc de pays participant au vote à l'ONU.
En 1990, insatisfaite de la Déclaration universelle des droits de l'homme,
que l'Arabie Saoudite n'a pas approuvée en 1948, l'OCI a adopté sa propre
déclaration du Caire sur les droits de
l'homme en Islam, qui affirme la primauté de la charia et qui est incompatible
avec la liberté d'expression. Les pays de
l'OCI proposent régulièrement aux Nations
unies et dans d'autres forums
internationaux de criminaliser la critique de l'islam.
En 1999, le
Pakistan a présenté à l'ONU la première résolution en ce sens. La première
version de cette résolution demandait
spécifiquement de condamner la diffamation de l'islam. Les
versions subséquentes ont référé à la diffamation des religions de façon plus générale. Aux Nations unies, autant sous les gouvernements libéraux que conservateurs, le Canada
a toujours voté contre les propositions de censure que l'OCI cherche à faire
adopter depuis 1999 et qui sont derrière les
résolutions de l'ONU qu'invoque M. Frémont en appui aux recommandations qui ont été intégrées au projet
de loi n° 59.
Une troisième
raison qui motive notre opposition au projet
de loi n° 59, c'est que la Commission des droits de la personne,
qui serait chargée d'appliquer les dispositions contre le discours haineux,
s'est donné un double mandat, dont les deux volets sont incompatibles
dans une société de droit, selon nous.
Dans un
discours qu'il a prononcé à l'Université
de Montréal le 25 mars 2015, le président de la CDPDJ, M. Frémont, a décrit le rôle activiste de la CDPDJ de la façon
suivante. Il a déclaré que le mandat de la CDPDJ est de «faire changer
les mentalités, d'induire le changement
social et de faire le droit». Quand M. Frémont a expliqué ce qu'il entendait
faire par faire le droit, il a indiqué que la CDPDJ devait initier des
poursuites sans avoir la certitude absolue de les gagner devant les tribunaux, que la CDPDJ
devait «prendre des risques» pour voir jusqu'où les juges sont prêts à
aller dans le sens des changements
que la CDPDJ veut amener dans la société. Dans une société de droit, le mandat
des organismes de
l'État n'est pas d'essayer de faire indirectement ce qu'ils n'ont pas le mandat
de faire directement. Comme l'ont affirmé Salman Rushdie dans une interview récente à L'Express et
également des groupes de musulmans anticharia au Canada dans une pleine page qu'ils ont fait paraître dans
le National Post le 30 juillet 2015, il faut «en finir avec ce
tabou de la prétendue islamophobie».
Rushdie a déclaré : «Pourquoi ne pourrait-on pas débattre de l'islam? Il
est possible de respecter des
individus, de les préserver de l'intolérance tout en affichant son scepticisme
envers leurs idées, voire en les critiquant farouchement.»
Une dernière
critique que j'aimerais énoncer à l'égard des poursuites pour discours haineux,
c'est que, contrairement aux
poursuites en diffamation, elles sont beaucoup plus floues, beaucoup plus
arbitraires et que les moyens de défense sont quasiment inexistants. La notion de discours haineux n'est pas
définie dans le projet de loi n° 59 et, même si elle l'était, ce serait problématique, car cette notion
de discours haineux est basée uniquement sur ce qu'éprouvent les personnes
qui sont visées par les propos litigieux ou
ce qu'elles pourraient éprouver si on prend en considération l'article 6 du
projet de loi n° 59 qui
permettrait à la CDPDJ d'initier des poursuites sans même avoir reçu de plainte
du public, contrairement à ce qui se
produit lors de poursuites en diffamation. L'intérêt public de soulever des
propos qui peuvent être perçus comme offensants n'est pas pris en
considération lors de poursuites pour discours haineux.
Dans un
article récent publié sur Point de bascule, nous avons souligné que le leader
d'une organisation invitée aux
consultations sur le projet de loi n° 59 avait justifié en 2003, dans La
Presse, que Salman Rushdie soit tué pour avoir offensé le prophète. Si on se faisait poursuivre pour diffamation, on
pourrait soulever l'intérêt public de mentionner ce fait, puisque
son organisation représente 70 institutions islamiques dans
la région de Montréal. Dans une poursuite pour discours haineux, ce moyen de défense est sans valeur puisqu'on
se concentre uniquement sur l'impression ressentie par la personne
visée par les propos litigieux.
En terminant, j'aimerais rappeler combien ce
serait un recul si le Québec, qui a probablement été la première juridiction en
Amérique du Nord à adopter une résolution anticharia en 2005 et qui a donné son
appui à Raif Badawi contre la censure et la
persécution dont il est l'objet en Arabie saoudite, devait céder aux pressions
et restreindre la liberté d'expression des Québécois, notamment quand il
désire décrire et combattre la menace islamiste.
Pour toutes
ces raisons, je vous enjoins de ne pas adopter le projet de loi n° 59. Je
vous remercie de l'attention
que vous m'avez accordée.
• (15 h 20) •
Le
Président (M. Hardy) :
Merci. Nous allons maintenant débuter la période d'échange. Mme la ministre, à vous la parole pour une période de 25 minutes.
Mme Vallée : Merci, M. le Président. Alors, M. Lebuis, merci
de votre présentation. Tout simplement faire une petite précision sur l'un des points que vous avez mentionnés quant aux
invitations du gouvernement pour les groupes. Je pense que vous faites partie... comme d'autres groupes font partie de
groupes qui ont manifesté un intérêt à venir en commission
parlementaire. Et la beauté du travail qui se fait ici, en commission
parlementaire, c'est de pouvoir permettre à
différents intervenants d'exprimer leur point de vue en faveur ou en défaveur
d'un projet de loi, en faveur ou en
défaveur d'une disposition. C'est un exemple, justement, de l'importance qui
est accordée à la liberté d'expression des citoyens du Québec.
Alors, je
veux simplement... Point de bascule, je crois, n'avait pas été invité
initialement. Vous avez soumis et vous
avez soulevé votre intérêt, et nous avons... Et, en fait, la commission, pas le
gouvernement, mais la Commission des institutions
vous a conviés aujourd'hui à venir devant nous, comme ça a été le cas d'autres
groupes qu'on a entendus. Le groupe
qui vous a précédé, c'était la même chose, c'est un groupe qui a manifesté son
intérêt à être entendu, puisqu'ils avaient certains trucs dont ils
voulaient s'entretenir avec nous. Alors, c'est important de le mentionner parce
que le travail qui se fait en commission
parlementaire, c'est justement un travail d'écoute, c'est un travail qui est
tout à fait à l'encontre de ce que
vous croyez être l'objectif, qui est de censure, parce que ce n'est pas du tout
l'objectif du projet de loi.
L'objectif
du projet de loi, c'est de porter... de venir restreindre, de
sanctionner le discours haineux. Et le discours haineux, ce n'est pas l'exercice de l'opinion dissidente, ce n'est pas
du tout l'objectif. Vous avez mentionné, la liberté d'expression, c'est un droit qui est cher, qui
nous est cher, et le discours haineux, il est assez bien encadré par l'affaire
Whatcott. Et c'est d'ailleurs l'affaire Whatcott, la décision de la Cour suprême, qui nous a
guidés dans la préparation des paramètres du projet de loi.
Donc,
l'affaire Whatcott allait quand même très loin, on en a discuté un petit peu, je ne sais pas si vous étiez arrivés tout à l'heure, mais il était question de discours haineux, mais aussi de discours qui
ridiculisait des groupes. Et la Cour
suprême a dit : Un discours qui est blessant, qui n'est pas agréable à
écouter, n'est pas nécessairement un discours haineux. Et c'est important
de faire la distinction.
Donc, dans la
sphère publique, dans nos discussions, ce n'est pas le discours qui va venir...
qui peut être blessant, c'est vraiment
le discours haineux suivant les paramètres de l'affaire Whatcott sur lequel nous
souhaitons intervenir. Donc, c'est un
discours qui amène à la haine. Et la Cour
suprême a déterminé que, dans une société
libre et démocratique, il y avait
des limites à la liberté d'expression. Et un
discours qui allait au-delà de ces limites-là, qui était haineux, ne pouvait
être toléré dans une société libre et démocratique. Donc, c'est vraiment...
c'est la décision de la Cour suprême qui nous a guidés, et nous avions évidemment la préoccupation... puis je veux vous rassurer,
ce n'était pas de porter atteinte à l'expression de la dissidence, pas du tout. Et je pense que vous... Et vous
le dites parce que vous, vous-même dans votre site Web, dans les
propos, vous vous exprimez librement puis, pour vous, évidemment, c'est cher, et vous souhaitez pouvoir continuer de vous
exprimer. Mais donc c'est ce qui nous a guidés.
Et également,
puis vous le voyez, parce qu'au-delà
des dispositions qui portent sur le discours haineux il y a aussi, à l'intérieur du projet de loi, toute une panoplie de dispositions pour encadrer les personnes un petit peu plus
vulnérables, on
veut venir sévir contre les mariages forcés. On veut permettre à la Direction
de la protection de la jeunesse d'intervenir lorsqu'il y a un contexte de contrôle excessif auprès des enfants, par
exemple, lorsqu'on tente d'invoquer
l'honneur pour expliquer une violence, pour expliquer un rejet affectif. Alors,
on veut permettre... On nomme ces éléments-là, et le projet de loi prévoit
des amendements à la Loi de la protection de la jeunesse justement pour
permettre de nommer et pour permettre de
sensibiliser les intervenants pour leur donner les moyens d'intervenir. On
vient également mettre en place des mesures civiles de protection pour
permettre, notamment dans des cas de violence conjugale, de protéger les couples, permettre de protéger les personnes
vulnérables, les femmes, les enfants, les aînés. Donc, ce projet de loi là,
c'est un projet de loi qui vise à
protéger notre société et à protéger contre un discours qui va au-delà de ce
qui est tolérable dans une société libre et démocratique.
Puis je veux vous rassurer, parce que vous
semblez prêter des intentions au gouvernement. Vous prêtez des intentions un petit peu à Me Frémont, mais je ne
parlerai pas pour Me Frémont, je vais parler pour moi, parce que c'est quand même moi qui porte ce dossier-là, ce projet
de loi n° 59 là, et c'est un projet de loi qui a été élaboré à l'aide des
juristes du ministère de la Justice, à l'aide
de nos équipes et qui vise à protéger les citoyens et les citoyennes du Québec,
qui s'inscrit aussi dans un grand plan gouvernemental de lutte contre la
radicalisation.
Donc,
j'espère qu'on vous rassure, parce que l'objectif, c'est vraiment la protection
des personnes vulnérables et de ceux
et celles... et vous dites : Bon, c'est pour protéger un groupe
particulièrement. C'est pour protéger l'ensemble des personnes qui peuvent faire l'objet de discrimination en vertu de ce
qui est prévu à l'article 10 de la charte. Alors, on parle aussi des personnes handicapées, on parle
des personnes de la communauté LGBT, on parle des femmes, on parle de la discrimination fondée sur le sexe, on parle de
la discrimination fondée sur l'origine ethnique. Donc, ce sont l'ensemble
de ces caractéristiques-là qui sont
protégées par les dispositions. Et, lorsque je vous dis que je porte ce
projet-là, je le porte parce que j'y
crois, et ça me blesse un petit peu de voir que votre perception n'était pas
tout à fait celle-là, puis je suis... j'ose espérer que nos échanges
vont nous permettre...
Je peux
comprendre, vous pouvez dire : Moi, je ne suis pas à l'aise avec un projet
de loi. Ça, c'est tout à fait louable, c'est
normal, et puis on ne peut pas tous être d'accord. Ça serait plate, notre
société serait vraiment plate si tout le monde s'entendait sur tout, parce que, justement, l'opinion contraire enrichit
le débat public. Mais, par contre, il y a une réelle volonté de bien intervenir, de mieux soutenir les
personnes vulnérables et de ne pas tolérer l'intolérable, tout simplement.
Et j'ose espérer que je vous convaincs un petit peu.
Le Président (M. Hardy) : M. Lebuis.
• (15 h 30) •
M. Lebuis
(Marc) : Merci, Mme la ministre. Le chemin de l'enfer est souvent pavé
par des bonnes intentions, et je vais
vous donner un exemple. J'ai testé la Commission des droits de la personne du
Canada en 2008. Le but que j'avais, c'était
pour être capable de démontrer si, oui ou non, la Commission des droits de la
personne serait objective et s'ils étaient capables de faire... de prendre des positions arbitraires. La «case»...
«The case»... excusez-moi, c'était de l'anglais, mais la cause que j'ai testée devant la Commission des
droits de la personne, c'était un imam qui a récemment fait les manchettes,
qui s'appelle l'imam al-Hayiti, parce que ce
serait lui qui aurait probablement contribué à «radiquer» le français Hauchard
qui a fait partie d'un rituel pour décapiter des têtes en Syrie, M. al-Hayiti
qui prêche toujours ici, à Montréal.
Quand j'ai
fait le «test case» de M. Hayiti, c'est parce que son livre était diffusé sur
Internet. Tous les groupes identifiables
faisaient partie... étaient identifiés dans son livre. Les Juifs étaient
là-dedans, les homosexuels, les femmes, on pourrait même rajouter les Canadiens français. Tous les groupes
identifiés ont fait partie des groupes qui étaient visés par son livre.
On parle de tuer les homosexuels, avec des descriptions extrêmement précises.
Ce n'était pas le Coran, c'était son propre
livre. Et pourquoi je dis ça? C'est parce que la commission a décidé de rejeter
la plainte, et il y a eu plusieurs
téléphones pour leur démontrer... Par exemple, il y avait un chapitre qui était
presque identique à ce qu'un groupe du
Ku Klux Klan avait écrit, par exemple entre autres sur comment on pouvait salir
la vie des jeunes musulmans si des «coufards»,
ou des non-musulmans, ou des gens qui ne suivent pas la doctrine comme il faut
peuvent influencer leurs jeunes à l'école.
Pourquoi je
vous donne tout ça? C'est parce que les commissions des droits de la personne,
partout au Canada, récemment, il y a
eu plein de débats sur le rôle des commissions des droits de la personne, entre
autres avec l'article 13, et des abus
ont été faits. Il y a quelqu'un qui a été amené en cour pour avoir cité un imam
en Norvège, et le fait de l'avoir cité
a fait en sorte que ça a été pertinent. Une des commissions des droits de la
personne a amené ça en cour pour être capable de qualifier ça comme étant inapproprié et haineux. Donc, il a fallu
qu'il se défende en cour, des millions de dollars pour aller se défendre
en cour, pour avoir cité quelqu'un d'autre.
Et pourquoi je vous dis ça? Parce que je
comprends bien que vous voulez me rassurer, mais le président de la Commission des droits de la personne, il y a un
vidéo, deux entrevues, il l'a dit clairement, ce qu'il comptait faire avec
son mandat, avec la Commission des droits de la personne. Ce n'est pas moi.
J'ai cité M. Frémont. C'est très, très préoccupant,
ce que M. Frémont a déclaré sur les ondes de Radio-Canada dans une conférence,
pas il y a 10 ans, il y a quelques
semaines, au mois de mai. Il a tout à fait l'intention de sévir, dans une
jurisprudence qui est complètement établie, contre des sites Web. Des sites Web, c'est censé être une jurisprudence
canadienne, fédérale, et lui, il est considéré comme étant un constitutionnaliste renommé au Canada. Il
a toutes les chances de pouvoir probablement trouver des failles dans le système pour être capable de créer de la
jurisprudence là aussi. Mais c'est extrêmement préoccupant, ce que le président
de la Commission des droits de la personne, de la CDPDJ, a déclaré.
Et, dans les clés USB que je vous ai données,
vous avez accès à la pleine conférence de son discours. J'ai fait entendre ça à des avocats renommés du Canada, et,
je peux vous dire une affaire, la mâchoire a tombé. On a eu de la misère à
croire qu'une personne en autorité, avec une
expertise aussi avancée, aurait pu prendre des positions aussi troublantes. Il y en a déjà, des lois, qui sont en place, la loi peut se
suivre, pourquoi qu'on va laisser à un fonctionnaire décider c'est quoi
qui va définir un crime haineux?
Dans les
années 60, les homosexuels, le progrès qu'ils ont eu, ça a beaucoup plus été
grâce à la liberté d'expression que
de tenter de sévir contre ceux qui parlaient contre les homosexuels. La vraie
limite, dans une démocratie libérale, à la liberté d'expression, c'est l'incitation à la violence. Et des
discours qui incitent à la violence, on en a, on en a vu, on en a
plusieurs, et souvent on ne sévit pas dessus.
Il y a eu un
cas récemment qui a été exposé par M. Gendron. Suite aux deux attentats
terroristes qu'on a vécus en octobre
2014, il y avait un jeune, très jeune, probablement innocent, qui ne réalisait
pas ce qu'il disait, qui a carrément invité
les gens à aller tuer des gens dans des mosquées. La cour, les tribunaux ont
sévi. Il a invité les gens, il n'a pas fait un discours haineux, il a
dit : Prenez les armes, rentrez, allez tuer des gens dans ces lieux-là. La
cour a agi et a sévi.
Il y a
d'autres discours qui sont arrivés. C'est des jeunes sur Twitter quand
il y a eu une manifestation anti-Israël à l'Université McGill. Quelqu'un a dit : Moi, je souhaiterais mettre
une bombe là-dedans si je pouvais. La police n'a rien fait, personne n'a
rien fait.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée :
Simplement pour revenir un petit peu... je pense qu'il est important de comprendre que les dispositions qui visent le discours haineux sont encadrées. La commission
est saisie d'une plainte par une victime, par un plaignant, mais ultimement,
si la commission considère que la plainte est fondée, elle la remet, elle la
soumet au Tribunal des droits de la personne.
Donc, ce n'est pas la commission qui détermine, qui va ultimement
se pencher sur la question, mais bien le Tribunal des droits de la personne.
Et notre système, notre indépendance judiciaire, c'est quand même la base de notre société démocratique. Et la commission
a aussi à se pencher sur la liberté d'expression, donc à jouer ce chien
de garde là.
Vous avez
fait état tout à l'heure de propos à l'égard de groupes, mais, c'est justement,
c'est ce qu'on souhaite inclure, c'est
de prévoir la protection de ces groupes-là aussi. Donc, les groupes qui peuvent
faire l'objet d'une discrimination en fonction de l'énumération prévue à l'article
10 de la charte seraient visés. Donc, actuellement, au moment où on se parle, ces groupes-là n'ont pas de protection. Et ce que l'on
prévoit... Et donc ça peut peut-être expliquer...
je ne voudrais pas entrer dans le
détail de vos dossiers, des dossiers qui sont pendants devant la commission ou
qui ont pu être retenus ou rejetés,
mais le projet de loi prévoit d'inclure la protection de ces groupes-là contre
le discours haineux. Et donc c'est un
pas de plus et, comme je vous mentionnais, ultimement, la décision, elle est
prise par le Tribunal de la personne qui est composé de juges de la Cour
du Québec.
Le Président (M. Hardy) : ...
M. Lebuis
(Marc) : Excusez, Mme la ministre, la commission des droits de la
personne du Canada et aussi la Commission
des droits de la personne, on ne sait même pas c'est qui qui sont les juges.
Moi, là, je ne savais même pas c'était qui qui était le juge qui a
traité ma cause. Ce n'était même pas transparent. Ça, ça fait... c'est
complètement à l'encontre même de toute la
tradition du Magna Carta, en fait, parce que, quand on se retrouvait devant le
roi, on avait le droit de savoir c'était
qui qui nous accusait. Alors, on ne sait même pas c'est qui qui a traité la...
et ils peuvent détruire des vies, et
souvent, quand ces plaintes-là arrivent à un autre niveau et sont challengées
au niveau des vraies cours, des vrais tribunaux, ils perdent
Je vais vous
donner un exemple. La Commission des droits de la personne du Québec vient de
perdre dans le cas de Latif contre
Bombardier. C'est vrai qu'il y a eu un tribunal, le Tribunal des droits de la
personne, qui est comme en symbiologie
avec la Commission des droits de la personne, a gagné, c'est un fait, mais,
après ça, quand ils sont allés à la Cour
supérieure du Québec, ils ont perdu. Après ça, ils sont allés à la Cour
suprême, ils ont aussi perdu. Et M. Frémont dans son discours, soit dit
en passant, a présenté ça pareil comme s'ils avaient gagné. Et ils ont accéléré
ce dossier-là pour être capables de
démontrer qu'il y avait de la jurisprudence à faire. Non seulement ça, il y a
même un cas dans le cas du tribunal de la Cour supérieure... Ils ont
même mentionné que le dossier qui avait été proposé justement par la commission
était, excusez-moi le terme anglais, botché, était mal fait. Il y avait des
données scientifiques, c'était mal présenté.
La raison
pourquoi je vous dis ça, c'est que ce que M. Frémont a clairement indiqué dans
sa présentation, c'est qu'il veut
forcer, il veut tester jusqu'où peuvent aller les tribunaux, il veut créer la
loi. Le rôle... Si M. Frémont ou ceux qui
font partie de la Commission des droits de la personne pensent que la
Commission des droits de la personne, c'est une institution qui sert à militer, bien, qu'ils quittent la Commission
des droits de la personne, qu'ils partent un blogue ou un parti politique ou qu'ils se joignent à un
parti politique et qu'ils essaient d'influencer et de faire comme vous, vous
faites présentement : de présenter des
lois et de les tester dans un débat. Ce n'est absolument pas ça que M.
Frémont... M. Frémont n'est pas en train de dire ce que vous, vous êtes
en train de présenter.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
• (15 h 40) •
Mme Vallée :
M. le Président, aujourd'hui, on est ici pour échanger sur les dispositions du
projet de loi n° 59 que j'ai
présenté à l'Assemblée nationale en juin dernier. Alors, c'est sur ces
dispositions-là que nous échangeons. C'est sur l'ensemble du projet de loi, sur la portée du projet de loi. Je ne
vous ai pas entendu sur les dispositions qui visent à protéger les personnes, qui sont des dispositions
tout aussi importantes que les dispositions qui portent sur le discours haineux puis qui s'inscrivent, comme je vous le disais, dans un
grand plan d'action gouvernemental. Je
pense que c'est important.
Je peux comprendre que vous ayez des différents points de vue, que vous ne
partagiez pas le point de vue du président
de la Commission des droits de la personne. C'est votre droit.
C'est votre droit de ne pas être en accord avec les propos qu'il peut tenir, mais la Commission des droits de la
personne jouit d'une très bonne, d'une excellente réputation, et, au-delà de son président, il y a
aussi tout un conseil, tout un groupe de juristes, d'individus qui sont de
grande renommée et qui sont reconnus par leurs pairs pour leur expertise
en la matière.
Pour
ce qui est du Tribunal des droits de la personne, je veux simplement
réitérer qu'il est composé de juges de la Cour du Québec, de notre institution ici, juridique, de notre système de
justice, qui jouissent d'une indépendance totale. Ce n'est pas une cour obscure, c'est notre Cour du
Québec. Alors, à l'intérieur de la Cour du Québec, certains juges sont désignés. Nous avons une présidente du tribunal,
qui est Mme la juge Ann-Marie Jones, et qui a une équipe composée de
juges désignés par la juge en chef de la Cour du Québec.
Alors,
il s'agit d'institutions sérieuses, d'institutions de notre État québécois, et
qui méritent, à mon humble avis, le respect. Je n'ai pas d'autre
commentaire, M. le Président.
Le
Président (M. Hardy) : Merci, Mme la ministre. Nous allons maintenant
passer à la période d'échange avec l'opposition officielle. Mme la
députée de Taschereau, à vous la parole pour une période de 15 minutes.
Mme
Maltais : 15 minutes? Merci, M. le Président. M Lebuis,
enchanté de vous rencontrer. Il me fait plaisir de vous recevoir ici, en
commission parlementaire, comme tous les autres groupes qui sont venus.
Vous
savez, M. Lebuis, j'aime votre mémoire pour une chose : il clarifie ce
qu'on essaie de clarifier depuis un bout.
Ce que le Québec attend du gouvernement, la principale question qu'on a eue
depuis des mois, c'est comment contrer le
phénomène de radicalisation des jeunes, entre autres vis-à-vis... via
l'intégrisme religieux. C'est ça, la question qu'on se pose puis à laquelle les Québécois veulent des
réponses. Or, moi, j'aime votre mémoire parce qu'il nous ramène à M. Frémont,
président de la CDPDJ. La ministre a
commencé ce matin en disant : J'ai présenté ce projet de loi — je cherche les mots, là, encore là — à la demande de la CDPDJ, proposition de la
CDPDJ. Donc, l'intention gouvernementale qu'on cherche depuis le début, la ministre, elle l'a clarifiée
ce matin, elle a dit : Je pars de la CDPDJ, c'est ce qu'ils m'ont demandé.
Or, si l'intention de la CDPDJ semble
claire, et je vais avoir des citations de M. Frémont moi aussi, est-ce que la
ministre est d'accord avec
l'intention du président de la CDPDJ? Parce que c'est ça, l'idée. Si
l'intention de M. Frémont est claire, puis
je vais l'exprimer et vous l'avez exprimée vous aussi, est-ce que la ministre
est d'accord avec l'intention du président de la CDPDJ? Il va falloir
clarifier ça.
Parce
que, là, voici son intention. Radio-Canada, 19 janvier 2015 — je vais donc aller en appui à votre mémoire — titre : Le président de la
Commission des droits de la personne a confirmé à Radio-Canada qu'il désire
s'en prendre — «s'en prendre» — à ceux qui critiquent des idées, à ceux
qui critiquent la religion islamique en particulier. Que ce soit
n'importe quelle autre religion, là, je m'en fouterais, là, c'est ça.
Interview.
Je vais citer les propos de l'intervieweur, Jacques Beauchamp : «Pour
qu'on comprenne mieux, encore mieux,
donnez-moi un exemple [des modifications que vous souhaitez voir apporter] avec
l'effet que ça aurait. Quelle différence ça ferait? En me donnant un ou
deux exemples.»
Jacques
Frémont, réponse : «Par exemple, je ne sais pas, sur un site Internet ou
sur une page Facebook...» Tiens, la vôtre, peut-être. «Tiens, la vôtre, peut-être» n'est pas une
citation. «...comme on a vu, comme on voit régulièrement, il y aurait des gens qui écriraient contre, je ne
sais pas, la religion islamique et contre les musulmans en disant des propos,
puis on en a vu certains, je n'ose même pas
le répéter tellement c'est outrageant. Alors, à ce moment-là, il y aurait moyen
que n'importe qui, membre du public,
[...]saisisse et face une plainte à la commission...» Voilà. «À ce moment-là,
si jamais la plainte est retenue, si ça correspond à tous les processus,
ce groupe pourrait être condamné, [...]traîné devant [les tribunaux] des droits
de la personne [...] et condamné pour les propos qui ont été tenus.»
L'intention est claire, c'est ça qu'il veut, M.
Frémont. Ce n'était pas ça, l'intention du Québec, c'était : Comment
est-ce qu'on peut contrer la radicalisation vis-à-vis l'intégrisme religieux? Puis là on a quelqu'un
qui nous dit : Non, non, non,
moi, ce que je veux, c'est : contre les propos islamophobes, il faut
que ça arrête, et je veux faire fermer des sites Internet.
Bon,
enfin, on aura la chance de l'entendre et de l'expliquer... qu'il s'explique.
Mais il va falloir que la ministre
nous explique si elle est d'accord...
qu'elle nous dise, à un moment donné, si elle est d'accord avec les propos de M.
Frémont. Peut-être qu'on aura la chance, en entendant M. Frémont,
là, qu'elle clarifie l'intention du projet
de loi. Parce que
moi, je crois qu'on a une intention, tous, de se prévenir
parfois contre les propos haineux, mais, contrairement à ce qu'a dit la ministre,
l'article 319 et les suivants du Code criminel ont quand même...
accordent une certaine protection. C'est dans un tribunal criminel, pas dans un tribunal civil, mais effectivement ce sont les mêmes... Vous me permettez d'avoir quelques commentaires, M. Lebuis. Mais effectivement ce sont des juges de la Cour
du Québec, mais ce n'est pas un processus judiciaire avec criminels, avec obligation d'éliminer tout doute
raisonnable. On est dans un autre processus, un processus civil. Donc, les mêmes juges, peut-être, mais pas
le même procédé, pas le même processus, pas le même fardeau de la preuve. Donc, on ne peut pas dire : C'est du
pareil au même, c'est le même juge. Tu mets les mêmes personnes, mais tu les
mets dans un autre processus. C'est pour ça qu'on a des questions à poser.
Alors,
M. Lebuis, pensez-vous que... Est-ce que vous avez déjà eu des menaces de
poursuite, Point de bascule, ou pensez-vous que vous pourriez être visé
par ce type de loi?
Le Président (M.
Hardy) : M. Lebuis.
M. Lebuis (Marc) : Quand on a
commencé Point de bascule, on savait dans quoi qu'on s'embarquait. Alors, évidemment, on a pris des mesures en conséquence.
Mais je vais vous répondre à travers la plume de Yves Boisvert, qui était journaliste à peu
près en 2007, un an après les incidents des caricatures de Mahomet. Il avait
écrit... Puis là je vais paraphraser,
donc, les termes restent à être plus précis, là, mais ma paraphrase devrait
être assez bonne. Il avait écrit que plusieurs
journalistes s'étaient rencontrés afin de décider si, oui ou non, ils étaient
pour publier les caricatures de Mahomet. Et il a avoué qu'ils avaient honte, ils avaient honte, parce qu'ils
avaient le droit de les publier, ils avaient honte parce qu'ils avaient peur. Ils avaient peur qu'un fou de
Dieu... Il n'a pas utilisé l'autre terme, mais il a utilisé qu'il avait
honte qu'un fou de Dieu vienne les
tuer. Alors, on n'a pas eu besoin de la Commission des droits de la personne,
hein? On avait juste l'élément de
peur, un petit acte de terrorisme : toute l'infrastructure médiatique
maintenant a des réserves sur quoi faire.
Maintenant,
quand on arrive avec la dynamique... parce qu'on ne parle pas d'individus qui
peuvent être offensés puis qui
peuvent se plaindre et porter des pancartes dans une rue comme quand il y a eu
des films, par exemple, sur le christianisme.
Là, on parle de gens qui font exactement ce qui est arrivé avec Charlie Hebdo,
on parle de gens qui tuent des
soldats qui s'en vont magasiner dans un centre d'achats, on parle de gens qui
rentrent dans des parlements pour tuer du
monde. Bien là, tout le monde commence à avoir une petite réserve parce que...
Et, comme M. Couillard, dans son discours
de présentation de la loi, a dit, qui était un renversement d'une position
précédente qu'il a prise, et là je paraphrase encore, mais il a dit que ceux qui critiquent en quelque sorte ou ceux
qui donnent de la critique à ceux qui se radicalisent, bien, ça justifie les actions de ces gens-là qui
sont radicalisés. Pour eux, ça devient la justification pour les actions qu'ils
vont prendre.
Donc, moi, on
m'a dit de ne pas dire cet exemple-là, là, mais il n'y a aucune différence, en
principe, entre dire une telle
affirmation puis de dire qu'une jeune femme qui a été violentée dans la rue
parce qu'elle portait une jupe trop courte,
c'est la faute de la femme. Le principe est le même. On essaie d'exposer par
exemple le problème de la radicalisation islamique. Parce qu'on essaie
de l'exposer, c'est la personne qui l'expose qui émet des propos haineux?
• (15 h 50) •
On arrive...
On a un article qui vient d'être publié cette semaine dans le New York
Times. On parle de l'esclavagisme par
l'État islamique des femmes yazidies. Je vous invite à le lire, c'est
extrêmement touchant, émouvant, ça brise le coeur. Mais ce qui est intéressant, c'est que la
journaliste... il y a toute une série de Twitter de gens qui ont dit que
c'était islamophobe, l'article du New
York Times. On ne peut même plus écrire pour décrire comment les gens qui
font les actes qu'ils font... les
mots qu'ils utilisent eux-mêmes. On a remplacé le mot «État islamique» par
DAECH parce que la première réaction que
certains représentants, par exemple de groupes islamiques au Québec ont eue, ce
n'est pas de condamner nécessairement les
actions, c'est de dire : On condamne les actions, mais il faut faire
attention à comment on va décrire les
actions, parce que ce
n'est pas l'islam. Le rôle de Point de bascule, par exemple, ce n'est pas de
définir c'est quoi, l'islam ou ce n'est pas l'islam. Nous, par contre, ce qu'on constate, c'est, que, quand il y a
un représentant de 70 mosquées qui déclare que la
charia déclare qu'on a le droit de tuer Salman Rushdie, quand il représente 70
mosquées puis qu'il était pour venir au Parlement
et pour dire qu'il va suivre les références de Youssef al-Qaradawi, qui endosse
les mutilations génitales, qui endosse de tuer les homosexuels, de les
décapiter, qui envoie des fatwas — ces livres-là sont écrits en français — et qu'il y a 70 mosquées qui sont influencées par des
gens qui croient à ces idéologues-là, vous ne pensez pas que c'est un
vrai problème qu'on a?
On se demande comment ça se fait que les gens
viennent à la violence. Radio-Canada, en septembre 2014, a déclaré trois séries de chiffres de jeunes, et
seulement en Syrie, qui avaient quitté le Canada pour se joindre ou endosser
l'État islamique : 500. Et, à 500,
l'animateur de Radio-Canada, de la CBC, avait même déclaré : Si le Canada
a radicalisé 500 personnes qui se
joignent vers l'État islamique — et souvenez-vous qu'ils doivent prendre
l'avion en plus — si c'est
500, le Canada tout seul a un nombre
disproportionné de jeunes, par rapport à tous les autres pays occidentaux, qui
se joignent à un groupe terroriste.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Si je comprends bien... Ou bien est-ce qu'à votre avis c'est un projet de loi
qui est aménageable pour essayer
qu'il cible les bonnes personnes ou si c'est un projet de loi qui est posé sur
les mauvaises bases, donc qu'il faudrait refaire?
M. Lebuis
(Marc) : Nous, on est contre ce projet de loi. La censure, ça n'a pas
sa place dans une société libérale, dans
le sens qu'il y en a, des limites. Elles ont toujours été là, ça fait des
années que ça dure, les Lumières les ont même définies. Les limites, c'est la coercition et l'usage de la violence
pour forcer chez d'autres individus notre propre façon de penser. Les gens doivent avoir un peu de
colonne vertébrale, ils peuvent se... Quand Don Cherry faisait des commentaires
sur les Canadiens français parce qu'ils
portaient des casques de hockey, bon, O.K., il faut avoir un peu d'étoffe, on
l'endure, on chiale, ça fait les
médias, puis on réplique. Mais c'étaient des propos qui étaient haineux. Et
puis est-ce que ça mène à la violence? Ça, c'est une autre question.
Mener à la violence, c'est l'incitation, l'usage des armes. Il y a plein de
cas.
Je vais vous donner un exemple, par exemple,
d'un Coran qui a été distribué partout à travers le Canada. Et pourquoi je parle du Coran? Ce n'est pas pour
parler du Coran. C'est un Coran qui est distribué par l'Arabie saoudite,
imprimé dans les presses du King Fahd print institute,
distribué gratuitement — cette version-là, je l'ai prise dans une université de Montréal — et c'est l'annotation qui est importante, et
j'ai la traduction ici, mais c'est l'annotation qui est importante. Donc, le gouvernement d'Arabie
saoudite, ils disent : Non seulement vous devez lire le Coran, mais voici
comment vous devez comprendre le djihad. Alors là, ils disent : Avant...
Woups! Je n'ai pas la bonne interprétation, excusez-moi.
Je l'ai ici : «Le djihad, le saint combat pour la cause d'Allah, avec des
effectifs complets et de l'armement, jouit
d'un statut de la plus haute importance dans l'islam.» Ça, ce n'est pas dans le
Coran, c'est les commentateurs de l'Arabie
saoudite qui rajoutent ça : «Il en constitue un des piliers. C'est par le
djihad que l'islam est établi, que la parole d'Allah est amenée à dominer et que sa religion
est propagée.» En fait, on parle... Et ils rajoutent... Il y a des parenthèses
qui disent : Le djihad avec des armes,
avec la pleine capacité de combat, et c'est obligatoire de faire le djihad. Ce
livre-là est distribué dans la
majorité des mosquées au Canada et au Québec. Et il y a d'autres livres. Si on
s'en va... Il y a plein de livres.
Et, moi,
quand j'ai testé la commission des droits de la personne canadienne en 2008, on
a émis nos intentions, un peu comme
M. Frémont, on a dit : L'objectif de faire la plainte, c'était pour tester
la commission des droits de la personne pour savoir si, oui ou non, ils étaient pour être objectifs et
impartiaux. Et là on a sorti les extraits du livre de l'imam al-Hayiti. Je tiens à vous souligner que l'imam al-Hayiti...
M. Hauchard, qui a fait les manchettes, le Français, dans un discours ou
dans un rituel juste avant les décapitations en Syrie, a publié les écrits de
M. al-Hayiti, un imam de Montréal. C'est Fabrice
de Pierrebourg qui a rapporté la nouvelle dans le journal La Presse,
que c'est à partir du moment qu'il a diffusé les écrits et les enseignements de l'imam al-Hayiti que M. Hauchard s'est
radicalisé. Et M. al-Hayiti a appelé à des incitations de violence, ce n'est pas de la haine : Tuez les
homosexuels, avec des descriptions précises. Personne n'a rien fait. On a dit qu'au nom de la religion on a le
droit de dire ce qu'on veut. Sauf que, dans le Canada anglais, il y a eu des
gens de la religion chrétienne qui ont été
muselés pour avoir dit des propos désobligeants, pas du tout de l'incitation,
puis on a amené des gens en cour pour
avoir cité des imams qui viennent de Norvège, qui disaient de détruire
l'Occident avec la force et l'usage de la violence.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau. Il vous reste 1 min 15 s.
Mme
Maltais :
Alors, ça va être bref. Je pense que ce qu'on va, suite à vos propos et aux
commentaires qu'on a faits, de la
part du président de la CDPDJ et de la ministre, c'est, si, comme il a dit
lui-même, il veut interdire la critique d'une religion — une
religion, c'est une idée — ou
si on vise des personnes, protéger les personnes, alors, c'est très différent.
Parce que critiquer une religion, c'est critiquer des idées, c'est bien écrit
dans l'arrêt Whatcott d'ailleurs, tandis
qu'un discours de haine doit viser un groupe de personnes. Alors, on va essayer
vraiment de... Mais le problème n'est
pas, peut-être... La ministre dit : Oui, mais dans la loi... Oui, mais il
y a l'intention. Alors, on va attendre l'échange que va sûrement avoir
la ministre avec le président de la CDPDJ.
Le
Président (M. Hardy) : Merci. Merci beaucoup. Nous allons maintenant
passer à la période d'échange avec le deuxième groupe d'opposition. Mme
la députée de Montarville, à vous la parole pour une période
de 10 minutes.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour
M. Lebuis. Merci d'être ici. C'est extrêmement intéressant de vous entendre. C'est un autre son de cloche.
Je vous écoute, puis ce que je comprends de ce que vous nous dites, c'est : Attention au projet de loi n° 59
parce que nous qui tentons d'être des sonneurs d'alarme ou d'éveiller certaines consciences à des réalités
avec lesquelles la majorité de la population n'est pas familière, c'est nous
qui pourraient se retrouver à être muselés. C'est un peu ça que vous nous
dites.
M. Lebuis (Marc) : Non. Ce n'est pas
du tout ça.
Mme Roy
(Montarville) :
Ce n'est pas du tout ça que vous nous...
M. Lebuis (Marc) : Ce que je suis en
train de dire, c'est qu'il faut absolument... Excusez, Mme la députée.
Mme Roy
(Montarville) :
Non, non, allez-y, allez-y.
M. Lebuis (Marc) : Ce qu'il faut
dire, nous... Moi, je crois à la liberté d'expression. Je crois fortement à la liberté d'expression. Et, soit dit en passant,
j'ai été l'objet d'attaques, mais, tant que les attaques sont sur papier, je
suis capable de me défendre ou de les laisser aller. Moi, ma réputation
a été ternie par des groupes. Je me suis fait traiter d'islamophobe. Pourtant, je travaille avec des musulmans pratiquants,
soit dit en passant, que j'ai invités... J'ai organisé au moins quatre conférences. J'ai été la première
organisation... Et une des premières initiatives qu'on a faites, c'est de
donner la parole à des musulmans qui
craignent la charia et qui craignent le problème de la légitimité qui a été
donnée à des groupes islamistes par
des gouvernements, par la police et par des groupes gouvernementaux. Il y a
même des gens, par exemple, de la GRC
qui ont déjà avoué qu'ils ne veulent même pas faire la distinction entre des
groupes qui radicalisent et ceux qui
embrassent, si vous voulez... c'est un terme anglais, mais ceux qui adhèrent à
nos valeurs fondamentales et aux principes de notre société.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Oui. Alors, je vous ai mal compris parce que
je croyais comprendre que vous vous inquiétiez
du fait que cette loi pourrait faire en sorte qu'on ne pourrait plus entendre
la voix de ceux qui critiquent, par exemple, l'islam.
M. Lebuis
(Marc) : C'est sûr... Excusez-moi. Mais c'est sûr que c'est ça qui
s'en vient. Je veux dire, M. Frémont l'a
dit à deux émissions de radio. Il ciblait spécifiquement ces gens-là. Et,
n'oubliez pas, c'est très important, le seul bloc de pays, parce qu'il s'est dit que c'était pour s'inspirer
de l'ONU, donc pas... non pas des lois canadiennes ni des lois des pays démocratiques, mais
les seuls groupes — et ça,
c'est le National Post qui vient de le publier — qui fait des pressions systématiques pour censurer la critique des
religions, c'est l'OCI, l'organisation de la conférence islamique aux Nations unies. Combien de pays qui sont membres de
l'organisation de la conférence islamique respectent au minimum, d'une
façon raisonnable, les droits de l'homme?
Le Président (M. Hardy) : Mme de
Montarville. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Moi, je n'ai pas la réponse, mais vous nous
écrivez qu'il y a près de 70 pays qui sont dans cette conférence.
• (16 heures) •
M. Lebuis
(Marc) : C'est un important bloc de pays à l'ONU, et souvent ils font
tellement de pressions qu'il arrive que,
souvent, il y a presque seulement qu'eu le Canada, les États-Unis et l'Europe
qui ont défendu la liberté
d'expression.
Mme Roy
(Montarville) : Je comprends que nous aurons, de toute
façon, le président de la Commission
des droits de la personne qui va venir. Vous émettez certaines réserves.
La question
que je vous pose est : Si... Il
y a le cas de M. Frémont dont vous
faites mention. Un cas hypothétique.
Allons-y de façon hypothétique, puisque nous respectons les institutions ici.
Et, dans l'éventualité où ce n'est plus M.
Frémont qui est à la tête de la Commission des droits de la personne, il y a
quand même 13 commissaires qui sont là, nommés par l'Assemblée
nationale. Et ce qu'on retrouve dans le projet de loi, est-ce que son
application, du fait que M. Frémont ne
serait plus là, l'application du projet de loi qui est là, ça vous inquiéterait
tout autant ou est-ce que vous pensez que l'objectif ne serait peut-être
pas nécessairement le même, puisque vous nous arrivez avec des citations où
monsieur dit : Je vais faire ci, je vais faire ça?
M. Lebuis (Marc) : ...citations de
M. Frémont. Ce n'est pas moi qui...
Le Président (M. Hardy) : M. Lebuis.
M. Lebuis
(Marc) : Excusez, Mme la députée. Oui, je resterais inquiet.
Premièrement, ce ne sont pas des vrais tribunaux.
Même dans le Canada anglais, on reconnaît, on n'appelle même pas ça des juges
des tribunaux des droits de la personne.
En Saskatchewan, on l'a retiré parce que ça ne tenait pas debout, il n'en avait
pas besoin. Les tribunaux étaient capables
de faire amplement le travail. Souvent, les causes, lorsqu'elles sont
amenées... Puis les gens, là, quand ils se font attaquer ou accuser par
les tribunaux des commissions des droits de la personne, très souvent ne
veulent même pas se défendre parce qu'il y a
des coûts qui sont rattachés à ça. N'oubliez pas, là : la personne
défenderesse assume complètement les
coûts et la personne qui va faire la plainte n'a aucun coût à assumer. C'est
absolument injuste. Et ça, c'est une partie. Et souvent, quand les gens
se défendent, ils gagnent contre les jugements qui ont été faits contre les
commissions des droits de la personne.
Deuxième
affaire, c'est : ce qu'on est en train de constater... Moi, ce que M.
Frémont représente, d'une certaine façon,
de par les propos qu'il a dit, c'est les préoccupations passées que les gens
ont exprimées à propos des commissions des
droits de la personne, M. Frémont, dans tous les propos qu'il a dit — et je vous invite, je vous l'ai donné, vous
avez accès à la vidéo de sa
conférence — toutes
les inquiétudes, dans le reste du Canada, des gens qui étaient inquiets à
propos des positions arbitraires et
surtout que les commissions des droits de la personne pouvaient avoir, elles
sont incarnées par les propos qui ont
été exprimés par M. Frémont. Si M. Frémont n'est plus en tête, probablement
qu'il va y avoir un autre président. Qu'est-ce que ce président-là...
Comment il va interpréter la loi?
M. Frémont, en plus, semble faire partie d'une
école de pensée que les lois sont fluides, sont progressives. C'est-à-dire que, quand la société va changer, des
lois peuvent être modifiées. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. Au Canada, il y a des lois strictes, il y en a. Il
l'a même exprimé quand il était au Maroc, dans une consultation, que des
lois, c'est relativiste. Il y a certaines relativités dans certains types de
loi.
Au Maroc,
juste récemment, soit dit en passant, ce n'est pas exactement un modèle à
suivre. Ils viennent de s'en aller
dans leur Parlement pour qu'on criminalise les gens qui vont quitter l'islam,
qui vont s'apostasier de l'islam, puis les criminaliser avec des peines
sévères.
Le
Président (M. Hardy) : Mme la députée de Montarville, je vous mets au
courant qu'il vous reste 3 min 25 s.
Mme Roy
(Montarville) : Merci. Alors, dans l'hypothèse où le projet
de loi n° 52 — il y
aura des modifications d'apportées — ne relèverait pas du Tribunal des droits de
la personne, mais relèverait d'un tribunal de droit commun — vous dites qu'on a déjà nos tribunaux, Cour du Québec, par exemple, parce que
ce n'est pas une juridiction exclusive de la Cour supérieure, là, mais Cour du Québec, par
exemple — est-ce
que vous auriez plus confiance dans l'application de la loi?
M. Lebuis
(Marc) : Moi, je ne crois pas que la commission devrait avoir le
mandat de faire la police de la parole, de gérer ce qu'on pense ou de venir définir d'une façon aléatoire
qu'est-ce qui va définir un discours haineux ou non, ou qu'est-ce qui va déterminer ce qu'on peut dire ou
non. Je vais vous dire, je vais vous partager ce qu'un des avocats avec
qui j'ai parlé m'a dit. Sa réaction, c'était : Ce que M. Frémont a dit,
c'est soviétique.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Comme le temps qui m'est imparti est relativement court, j'ai une autre
question. Alors, comment est-ce qu'on fait?
Nous sommes des législateurs ici. Vous avez le gouvernement, les oppositions
qui tentent de bonifier puis qui tentent de faire en sorte que,
justement, ce à quoi Point de bascule s'oppose, le fameux discours,
l'endoctrinement, le risque de la charia... Comment faire, comment fait-on de
façon législative pour empêcher ça?
M. Lebuis (Marc) : Mais laissons-les
parler. Excusez-moi, Mme la députée. Laissons-les parler. Quand, par exemple... Moi, je suis allé, quand il y a eu...
Là, c'est une organisation qui est devenue une organisation terroriste, là,
maintenant, elle est listée :
IRFAN-Canada. Je suis allé à une de leurs levées de fonds en 2009. Il y avait
600, 700 personnes dans la
salle. Mais c'est ça que je voulais voir. Je ne voulais pas empêcher ces
gens-là de parler. Je veux savoir : Qu'est-ce qu'ils disent? C'est quoi, les impacts? Où ça
mène? Il y a combien de personnes qui suivent ce discours-là? S'il y en a
qui veulent dire que ce n'est pas l'islam,
ce qu'ils disent, je suis bien prêt à le croire. Moi, ce n'est pas ça qui me
préoccupe. Combien sont-ils? Quelle
est leur capacité de mobiliser? À quel point c'est répandu? Et quel est
l'impact et quelles sont les
conséquences sur notre société? Laissons-les parler! Laissons-les
parler! On veut savoir combien il y a de personnes qui les suivent,
quelles sont les références des idéologues auxquelles ils se réfèrent, quel
genre d'enseignement qu'ils enseignent, qu'est-ce qu'ils disent dans une
langue, qu'est-ce qu'ils disent dans une autre langue.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, mais qu'est-ce qu'on fait pour les jeunes qui n'ont pas, par exemple,
votre capacité d'analyse et qui se font embarquer et qui vont passer aux actes?
M. Lebuis
(Marc) : Oui, mais on est... Excusez-moi, mais on a des
universités — parce
que là vous me posez une question,
puis je veux être capable de répondre — qui sont financées par le Qatar, qui sont
financées par l'Arabie saoudite,
reconnus par toutes les agences de renseignement du monde comme étant des
financiers du terrorisme international. Et là c'est des départements d'études islamiques qui sont financés au
complet, maintenant des départements juridiques et maintenant la médecine, et tout ça, mais de plus en plus. Pourquoi je
vous dis ça? C'est parce que les islamistes, ceux qui propagent des idées violentes et non
violentes, qui mènent ce qu'on appelle l'ambiance qui mène vers la
radicalisation ne sont pas challengés dans la société civique, ne sont
pas challengés dans nos universités. Et même la police fait des programmes de
rapprochement communautaire avec des groupes qui créent aussi l'ambiance.
Le Président (M. Hardy) : Je vous
remercie de votre participation.
La commission
ajourne ses travaux au mercredi 19 août à 10 h 30 afin de poursuivre les
consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi
n° 59. Merci à tous et bonne veillée.
(Fin de la séance à 16 h 7)