(Neuf heures trente-huit minutes)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance
de la Commission des institutions ouverte.
Je demande à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir
éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission
est réunie afin de tenir les auditions publiques dans le cadre de la
consultation générale sur le projet de
loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité
religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes
et encadrant les demandes d'accommodement
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président : M. Lessard (Lotbinière-Frontenac) est remplacé par Mme Vallée (Gatineau); Mme de Santis (Bourassa-Sauvé), par
Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce); et M. Duchesneau (Saint-Jérôme), par Mme Roy (Montarville).
Auditions (suite)
Le Président (M. Ferland) :
Merci, Mme la secrétaire. Ce matin, nous entendrons les personnes et groupes
suivants, soit : M. Bill Clennett, la société nationale des Québécoises et
des Québécois de Chaudière-Appalaches, et Mmes Line Chaloux, Marie Michèle
Dimanche et Madeleine Vézina Saiga.
Alors,
j'invite donc M. Clennett à nous présenter son mémoire, en vous mentionnant
que vous avez 10 minutes pour le présenter suivies d'une période
d'échange avec les parlementaires. La parole est à vous, M. Clennett.
M. Bill Clennett
M. Clennett
(Bill) : M. le Président, M. le ministre, Mmes,
MM. les députés, bonjour, «salam»,
merci pour cette opportunité de présenter mon mémoire rappelant des
Évangiles de Luc et de Matthieu.
En guise de
présentation, je suis montréalais d'origine, né à l'Hôpital St. Mary. Mes
parents m'ont fait baptiser à l'église
Saint Raphael the Archangel. J'ai passé mon enfance dans le quartier
Notre-Dame-de-Grâce. J'ai commencé l'école à St. Monica Elementary School. Adolescent, j'ai fréquenté John XXIII
High School dans le West Island. Jeune adulte, j'ai déménagé à Hull. Mes enfants ont fréquenté l'école
Saint-Rédempteur, entourée par les rues Saint-Florent, Saint-Étienne et
Saint-Henri.
• (9 h 40) •
Le contenu de ce mémoire porte essentiellement sur l'interdiction du port de signes religieux par les employés
de l'État annoncé à l'article 5 du projet de loi n° 60. Selon le document d'orientation,
les signes religieux des minorités, contrairement
aux signes religieux de la majorité, sont ostentatoires et leur simple présence
pose un problème de prosélytisme
passif. Malgré son titre, le projet de loi n° 60 affirme que
l'omniprésence à travers le Québec d'emblèmes et de toponymes de la religion majoritaire ne peut être remise en question,
car il s'agit d'une question identitaire. Essentiellement, ça veut dire
que le gouvernement n'aperçoit pas la poutre dans l'oeil de la majorité, mais
voit trop bien la paille dans l'oeil des minorités.
Selon le
répertoire de la Commission de toponymie, il y a un total de 255 signes religieux
de la majorité, répartis à travers
les différentes régions du Québec, qui sont utilisés pour désigner des
montagnes, des vallées, des îles et autres éléments de topographie. Pour les entités hydrographiques, la Commission
de toponymie a dénombré un total de 905 noms religieux chrétiens dans son répertoire. Ces signes religieux de la
majorité incluent les toponymes choisis pour désigner 354 lacs. Il y a notamment un lac Saint-Arnaud,
deux lacs Saint-Armand, quatre lacs Saint-Antoine, six lacs Saint-Amant,
sept lacs Saint-Amour et 16 lacs Sainte-Anne.
La Commission
de toponymie permet également d'identifier 964 signes religieux de la majorité
qui sont utilisés pour identifier des lieux habités du Québec. En
premier lieu, il y a 338 municipalités qui sont désignées par un nom religieux chrétien. 17 de ces municipalités
portent le nom Notre-Dame. Parmi celles-ci, il y a Notre-Dame-de-Bon-Secours,
Notre-Dame-de-la-Merci, Notre-Dame-de-la-Salette,
Notre-Dame-de-Lorette, Notre-Dame-de-Lourdes, Notre-Dame-du-Laus, Notre-Dame-des-Neiges. Le répertoire de la
Commission de toponymie inclut également 86 villages, 47 villes, 19
centres de villégiature, 13 municipalités de canton ou de village, 13 quartiers
et 10 arrondissements qui sont désignés par un nom religieux chrétien.
Les noms religieux chrétiens sont utilisés à
travers le Québec pour identifier les voies de communication. L'exemple de la
ville de Montréal illustre l'ampleur de l'utilisation des signes religieux pour
désigner les adresses de personnes, d'entreprises
et d'institutions. Le répertoire historique des toponymes montréalais permet
d'identifier 252 voies de communication dans la grande métropole qui portent un nom religieux
chrétien. Il y a notamment 131 rues, 15 avenues, 12 boulevards, 12
places et sept chemins baptisés ainsi. De plus, Montréal compte trois squares
qui sont désignés par un signe religieux de la majorité, soit le
Square-Sainte-Elisabeth, le Square-Saint-Louis et le square Saint-Patrick.
Dans le
réseau public, il y a 922 établissements scolaires qui sont identifiés par un
signe religieux de la majorité. La
plupart sont des écoles primaires, qui sont au nombre de 810 avec un nom
religieux chrétien. Il y a également 59 écoles secondaires, 33 établissements d'éducation des adultes et neuf cégeps
avec un toponyme chrétien. Parmi les établissements scolaires désignés
par un signe religieux de la majorité, il y a l'école Notre-Dame-de-la-Joie sur
la rue Saint-Joseph à Saint-Barnabé-Nord, l'école La Providence sur la rue du
Couvent à Saint-Tite, l'école Saint-Vincent sur l'avenue Saint-Paul à
Saint-Césaire.
Il y a aussi un total de 231 instances et
installations publiques de santé et services sociaux au Québec qui sont désignées par un signe religieux de la majorité.
Parmi celles-ci, il y a notamment 83 centres d'hébergement, 81 CLSC
et 27 hôpitaux.
Afin de vérifier la réaction des minorités religieuses face
à cette omniprésence de signes religieux de la majorité, un échantillon d'organismes visés par le projet de loi n° 60 a été interpellé en vertu de la Loi sur l'accès
à l'information. Le but de la démarche était de vérifier si les membres
des religions minoritaires ont déjà porté plainte concernant la présence de signes religieux de la majorité. Neuf commissions scolaires, cinq établissements de santé et 25 municipalités ont
répondu à des demandes d'accès à l'information réclamant copie de toutes les
plaintes reçues depuis cinq ans concernant un ou des noms à caractère religieux
d'une école, d'un établissement de santé, d'une rue ou d'une municipalité.
Tous ces organismes ont répondu qu'ils n'avaient pas reçu
une telle plainte. Par exemple, le greffier de la ville de Rouyn-Noranda,
Daniel Samson, a répondu à partir de ses 36 années d'expérience. Comme
plusieurs municipalités du Québec, il existe
plusieurs noms de rue à connaissance religieuse sur notre territoire. Depuis
mon entrée en fonction en 1977, je n'ai souvenir d'aucune plainte à cet
égard. Dans sa réponse, Mme Denise Veilleux, Me Denise Veilleux, responsable de l'accès à l'information dans la
ville de Thetford Mines, a affirmé : «Après avoir consulté tous les
directeurs de nos services municipaux, au
total de neuf, je peux vous informer que nous n'avons jamais reçu une
quelconque plainte concernant le caractère religieux d'une ou des rues
de notre municipalité.»
Les personnes issues
de tradition religieuse minoritaire vont dans les écoles désignées par un nom
religieux chrétien. Elles habitent dans les
quartiers, dans les villes, dans les régions désignées par un nom religieux
chrétien. Elles travaillent dans des établissements publics et
parapublics qui portent un nom religieux chrétien. Elles fréquentent des écoles avec un nom religieux chrétien et,
lorsqu'elles sont malades, elles se font soigner dans des hôpitaux avec un
nom religieux chrétien. Le Québec qui les
entoure porte les signes religieux de la majorité chrétienne et elles ne s'en
plaignent pas. Elles s'accommodent de ces
signes qui projettent à tous égards, tant vis-à-vis de la population en général
que des membres du personnel des établissements publics, une image de la
religion majoritaire.
Le Président (M.
Ferland) : Il vous reste environ une minute, M. Clennett, pour
conclure. Allez-y.
M. Clennett (Bill) : J'arrive. Elles n'en font pas de cas et c'est bien ainsi, car cette
grande apparence de signes religieux
de la majorité ne compromet pas la neutralité de l'État, et c'est la même chose
pour le port de signes religieux des
minorités dans les emplois gouvernementaux. Alors, c'est le mémoire que j'ai à
présenter à la commission. Et là je vais attendre vos questions. Merci
beaucoup.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci, M. Clennett, pour votre présentation.
Maintenant, nous allons à la période d'échange. Alors, M. le ministre, la
parole est à vous.
M. Drainville :
Merci, M. le Président. Salutations. Salutations aux collègues. Merci, M.
Clennett, pour votre mémoire. Vous êtes venu de Hull, c'est ça, ce
matin?
M. Clennett
(Bill) : Oui, hier.
M. Drainville :
Hier. Bien, on est très contents de vous accueillir. Je veux juste d'abord, là,
préciser un certain nombre de choses sur la question du patrimoine. Je
veux juste que les gens qui nous écoutent soient conscients du fait, là, que,
dans le projet de loi, à l'article 1 et à l'article 41, nous protégeons le
patrimoine québécois. Nous faisons référence
au caractère… aux symboles emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel
du Québec. En d'autres mots, les noms
des municipalités qui commencent par saint ou par sainte, les croix du chemin,
la croix du Mont-Royal, la croix du
drapeau, tous ces signes patrimoniaux, tous ces symboles de notre histoire sont
protégés par la charte. Je pense que c'est important de le souligner.
Maintenant, vous avez beaucoup fait référence donc à cette
présence, dans le paysage, dans l'environnement social de toutes ces références à notre héritage
culturel, à notre héritage religieux. Vous ne pensez pas que c'est possible
d'avoir une politique sur la laïcité qui respecte le patrimoine religieux?
• (9 h 50) •
M. Clennett (Bill) : Je pense tout à
fait, M. le ministre… D'ailleurs,
dans le mémoire que je viens de présenter, je n'ai aucune, mais aucune objection par
rapport à la présence de signes
religieux de la majorité et pas juste pour une question patrimoine. Moi,
je pense que ces signes-là constituent une façon de faire un affichage qui
témoigne de la religion de la majorité.
L'argument que vous avez présenté dans le document d'orientation, qui a été publié au mois de septembre… avait deux arguments,
d'après ce que j'ai compris, pour justifier l'interdiction du port de signes
religieux. Le premier argument était cette notion de
prosélytisme passif qui me semble tellement contradictoire, je ne l'aborderai
pas, mais l'autre argument était une préoccupation de l'apparence de
neutralité.
Et vous dites bien dans le document
qu'on ne remet pas en question les capacités, les qualités, le professionnalisme
des personnes qui portent le signe
religieux, mais, de par le port de ces signes religieux, ça remet en question l'apparence de neutralité qu'on s'attend de l'État. Moi, ce que
je dis, c'est que, si on est vraiment préoccupés par l'apparence de neutralité religieuse, il y en a tellement
qui nous entourent, là, qui est tellement plus grand que le port de quelques
signes religieux par quelques employés, qu'il y a là une
contradiction. Mais je ne dis pas pour autant qu'il faut éliminer les ports
de signes religieux, moi, je pense qu'on peut bien vivre avec la ville
qui conserve son nom de Saint-Jérôme avec l'école Saint-Rédempteur et que des gens qui travaillent, qui portent une kippa, ou un
hidjab, ou un turban, dans un cas comme dans l'autre, ça ne crée pas un problème
de neutralité.
M. Drainville :
On va revenir sur la question des signes, mais je veux juste vous dire qu'on a
fait sortir les chiffres de la Commission
de toponymie, là, sur les noms des lieux, donc les noms des villages, les noms
des lacs, les noms des montagnes. Et,
si on regarde la répartition des toponymes qui sont officialisés, selon la
langue de dénomination, là, il y aurait 72 % des toponymes qui
seraient d'origine française, il y en aurait 10 % qui seraient d'origine
autochtone, 12 % d'origine anglaise et
6 % d'une autre origine. Alors, il est faux de laisser croire que la
toponymie n'est que française… ou, enfin, d'origine française ou
catholique. Je vous donne…
M. Clennett
(Bill) : Je pense que vous êtes en train de…
M. Drainville :
Attendez un petit peu, M. Clennett, je veux juste terminer, là. Je vous donne
les exemples, par exemple, de la
toponymie québécoise qui nous vient des Amérindiens ou des Inuits :
Kémogami, Yamaska, Coaticook, Rimouski,
Matane, Natashquan, Chibougamau, Kuujjuaq, Témicasming, tout ça, c'est un
héritage des nations autochtones. Il y
a évidemment plusieurs cas, vous en avez donné des exemples, de noms, par
exemple, qui sont tirés de notre héritage catholique.
Si
on regarde du côté des Britanniques, les Britanniques, une fois qu'ils se sont
installés ici, ils ont marqué aussi, bien
entendu, et c'est tout à fait normal, et moi, je trouve ça formidable, qu'ils
aient laissé leurs empreintes également sur le territoire avec des noms comme Buckingham, comme Inverness, comme Kildare,
la référence également à la famille royale
ou à des politiciens ou personnages britanniques comme lac Victoria, rivière
George, Nelson. Alors, tout ça est protégé par le projet de loi, M.
Clennett, tout ça, ce n'est pas juste l'héritage catholique qui est protégé;
l'héritage britannique est protégé, l'héritage de nos nations autochtones est
protégé également. Ça, je pense que c'est important de le dire.
Maintenant,
vous voulez parler de signes religieux, je comprends que c'est le coeur de
votre présentation. Je ne sais pas si
vous avez suivi un petit peu les travaux de notre commission, mais on a eu
plusieurs témoins qui nous ont donné des
exemples de situation où le port de signe religieux ostentatoire par des
employés de l'État pourrait poser problème. Je vous donne l'exemple, par exemple, de Michelle Blanc, qui s'est demandé
comment un jeune homosexuel, qui est rejeté de sa famille pour des raisons religieuses, se sentirait s'il demandait à
un professionnel de la santé qui porte un signe religieux de la même communauté qui l'a rejeté… Comment est-ce qu'il se sentirait
comme client, comme citoyen qui a besoin d'aide, qui a besoin d'un
support psychologique, par exemple, ou qui a besoin qu'on l'aide en matière de
santé?
Il y a une personne
de confession musulmane qui nous a dit se sentir mal à l'aise lorsqu'elle se
retrouve en présence d'un professionnel de
la santé qui porte un signe religieux en raison de la crainte d'être jugée par
la personne qui porte le signe religieux en question. On nous a parlé
d'un enfant dans un CPE qui ne voulait pas que sa mère aille le chercher parce
que l'enfant ne voulait pas que les éducatrices voient que sa mère ne portait
pas de voile.
On
a eu également la sexologue Jocelyne Robert, qui nous a dit à quel point ça
pouvait affecter le développement d'un
enfant en bas âge que de voir qu'une femme, par exemple, soit obligée de
couvrir ses cheveux ou couvrir une partie de son corps. Elle a plaidé, moi, je trouve, très éloquemment pour
démontrer que, dans les yeux d'un enfant, de voir que les femmes doivent
se couvrir parce qu'elles sont femmes, alors que les hommes ne sont pas
nécessairement assujettis aux mêmes restrictions, ça pouvait effectivement
affecter le modèle, la conception de la femme que cet enfant-là va développer
au fil du temps.
Alors,
je respecte tout à fait votre point de vue, M. Clennett, mais je pense qu'il
est pas mal clair que le port de signes religieux a un impact dans le
regard de celui ou de celle qui voit ce signe-là et en particulier chez les enfants.
Vous ne pensez pas?
M. Clennett (Bill) : Je vais d'abord commencer avec votre intervention concernant des
toponymes non chrétiens. Moi, dans
mon mémoire, j'ai juste voulu souligner ce qui existe en matière de toponymes
chrétiens. Je n'ai pas dit pour ou contre
toute l'existence de tout autre toponyme. Alors, je ne voudrais pas que vous
ayez compris, à travers ma présentation, que je considérais que le
Québec ne faisait valoir que l'histoire, le passage de la population
francophone de souche.
Pour
ce qui est de l'argument que vous mettez de l'avant concernant l'impact des
signes religieux, et les exemples que
vous avez donnés, ça portait surtout sur la communauté musulmane. Et, dans
l'argumentaire qui était amené tantôt, ici, en commission, que... sur la
place publique et qui sous-tend certaines de vos affirmations, il y a cette
notion qu'il y a une religion où il y a
peut-être un problème, où, peut-être, les femmes dans cette religion portent un
signe qui laisse à désirer, qui ne
sont pas considérées égales, c'est un symbole de soumission, et que dans cette
religion-là il y a une attitude qui n'est pas très gentille envers
certains groupes, dont les homosexuels, qui est l'exemple que vous avez donné.
Moi, je ne
pense pas que, dans la société québécoise, qu'il y a un groupe qui a le
monopole de la vertu. Moi, je pense qu'au Québec... Bien, vous me
permettez de vous répondre, M. le ministre?
M. Drainville : Oui, bien sûr, mais je ne veux pas
vous laisser aller sur cette idée, parce que vous dites que c'est une communauté en particulier qui est ciblée, là,
ce n'est pas ça du tout, là. C'est l'ensemble des personnes qui portent
un signe religieux qui sont concernées par le projet de loi n° 60.
Et,
vous savez, de façon générale, les religions, quelque religion que ce soit, il
n'y en a pas une qui a été vraiment plus
tendre envers les homosexuels qu'une autre religion. Et, de façon générale, les
religions n'ont pas particulièrement été tendres envers les femmes non plus. Alors, je veux juste qu'on se
comprenne bien, là, moi, je ne pense pas qu'il y a une religion plutôt
qu'une autre qui doit se sentir concernée ou visée par ce projet de loi.
Vous
savez, dans les années 60, c'étaient les religieux et les religieuses qui
portaient des signes religieux. Et puis on a décidé, à un moment donné, comme société, qu'il fallait que les
enseignants dans le système public, que les infirmières dans le système de santé aient des tenues laïques.
C'est un choix de société qu'on a fait. Il y a eu, bien sûr, Vatican II
à travers ça et tout ça, mais il y avait un très large consensus au Québec
qu'il fallait que les personnes qui portaient un signe religieux catholique le laissent de côté quand ils travaillaient,
par exemple, dans un cégep nouvellement créé dans les années 60. M. Guy
Rocher a été très, très, très éloquent là-dessus.
Alors, je ne veux pas
que vous partiez avec cette idée qu'il y a seulement une communauté qui est concernée
par l'interdiction de porter des signes religieux, là. Toutes les communautés
sont concernées.
• (10 heures) •
M. Clennett (Bill) : Mais je voudrais bien comprendre le ministre, ce que vous voulez dire
dans l'exemple que vous m'avez donné
où il y a une personne musulmane homosexuelle qui rencontre une personne qui
porte un signe religieux. Quel est le problème avec ça à ce moment-là et
en quoi ça pose un problème? Moi, je ne peux que considérer qu'il s'agit là
d'un jugement contre l'ensemble de la religion.
M. Drainville :
M. Clennett…
M. Clennett
(Bill) : Mais vous dites que ce n'est pas le cas.
M. Drainville :
M. Clennett, une jeune fille qui vient subir un avortement et qui se retrouve
devant une croix catholique ne sera pas nécessairement très à l'aise. Ça, je
peux vous dire ça.
M. Clennett
(Bill) : Et que cette personne aille à l'école du très
Saint-Rédempteur, où allaient mes enfants, où il y a une croix à l'extérieur,
vous ne pensez pas que ça pourrait avoir un tel problème, que c'est non pas
juste une personne à qui elle a à faire
face, mais un ensemble, une institution au complet qui porte la croix qui l'avait
opprimée?
M. Drainville :
Non.
M. Clennett
(Bill) : Bien, c'est votre opinion.
M. Drainville : Bien
sûr et je respecte la vôtre. On a une
discussion, on a un débat qui ressemble, à certains égards, au débat que nous avons au sein de la société québécoise
et c'est la raison pour laquelle votre témoignage est important puis
c'est la raison pour laquelle cette commission-là, elle est importante.
Laissez-moi vous
poser la question. Vous, est-ce que vous êtes d'accord avec l'interdiction de
port de signes religieux pour les policiers, les juges, les agents de
détention? Êtes-vous d'accord avec ça?
M. Clennett
(Bill) : Non, je ne vois pas de problème pour moi personnellement.
Mais, si vous me permettez, M. le ministre…
M. Drainville :
Donc, vous n'êtes pas d'accord avec la…
M. Clennett (Bill) : Si vous me permettez, M. le
ministre, il y a la question, dans votre volonté de mettre de l'avant un état laïque… Il y a beaucoup de divisions au
sein de la société québécoise et, sans, pour le moment, dire qu'une…
raison, a tort, l'autre a raison, si on
regarde la finalité de votre projet, qui est de promouvoir la laïcité de
l'État, et derrière ça, je pense
qu'il y a un vaste consensus… Puis il y a une chose que moi, j'ai constatée,
qu'il y a un accord, autant chez des gens qui sont procharte que contre
la charte, c'est qu'il y a un sujet sur lequel on pourrait peut-être travailler
et élaborer un consensus, et là je parle des subventions dans les écoles
privées. Et je mentionne ça, parce qu'il y a un rapport, notamment, du Comité
des affaires religieuses, que le gouvernement n'a pas jugé opportun de publier
sur le site du ministère de l'Éducation,
mais qui fournit de l'information fascinante et très pertinente pour la
commission, ici, où on explore le
fait religieux au Québec. Et ce qu'on constate, c'est que présentement le
Québec est en diminution sur le plan démographique
et les écoles privées, de façon extraordinaire, augmentent leur part de
l'ensemble des élèves. Et ce rapport-là fait le tour un peu de la
situation là où le gouvernement finance le prosélytisme. Parce que, dans la
majorité de ces écoles-là… Il s'agit des
écoles chrétiennes, mais ça peut être d'autres religions aussi, et sont des
écoles confessionnelles. Le rapport a divisé la confessionnalité entre
trois groupes : un groupe qui est de confession de nom, un groupe qui a
des activités volontaires au niveau pastoral
et des écoles qui ont des activités obligatoires à l'intérieur du curriculum,
qui sont des activités confessionnelles.
Et le gouvernement du Québec finance ces écoles-là et il y a beaucoup de gens
qui sont venus ici, qui ont jugé que, peut-être, il ne faut pas faire
ça.
Et je vous ai entendu dire que, bien là, on veut
développer une société où on a certaines valeurs en commun. Si on avait un espace commun, un système scolaire
où tout le monde se trouvait, je pense qu'on pourrait faire des avancées
sur le plan de la laïcité, parce qu'à ce moment-là les
écoles qui font de l'enseignement religieux, l'État ne sera pas partenaire à ça. Et moi, je voudrais, je pense que
c'est possible que je puisse déposer ce rapport-là. Moi, je pense que ça
serait intéressant que des gens qui nous
écoutent, des gens qui suivent la commission, qu'ils puissent prendre
connaissance de ce rapport-là, qui fait état de la situation dans les écoles,
si vous me permettez.
Une voix : …
M. Drainville : Consentement?
Oui, bien sûr. Absolument.
M. Clennett (Bill) : Merci beaucoup.
209 685 Le
Président (M. Ferland) : Allez-y.
M.
Drainville : Alors
donc, je vous ai bien compris, là? Pas de restriction en matière de port de
signes religieux, même pas pour les policiers, les agents de détention,
les juges. Bon, vous, vous êtes un ancien candidat de Québec solidaire. Vous savez que Québec solidaire propose
une restriction en ces matières. Québec solidaire est d'accord pour
qu'il n'y ait pas de port de signe religieux pour les juges, les policiers, les
agents de détention et les procureurs, vous êtes au courant de ça?
M.
Clennett (Bill) : Je pense que vous avez la confirmation que je ne suis pas
venu ici pour faire valoir l'opinion de Québec solidaire. C'est un
mémoire individuel et ce n'est pas une façon indirecte de faire valoir un point de vue partisan, c'est un point
de vue personnel. Et je ne suis pas
la seule personne, et il y
a des groupes qui sont également
d'avis que ce n'est pas la fin du monde qu'un policier, un juge, porte
un signe religieux.
M.
Drainville : Très
bien. Sur la question
du visage à découvert, est-ce que vous êtes d'accord avec ça? Est-ce que vous êtes d'accord avec l'idée que quelqu'un
qui donne un service public doive le faire à visage découvert et que les
personnes qui reçoivent ce service-là, par exemple un étudiant ou une étudiante, doive également être à visage
découvert? Donc, ça voudrait dire, par exemple, que la le niqab ou la burqa seraient interdites dans les salles de
classe, par exemple. Est-ce
que vous êtes d'accord avec ça?
M. Clennett (Bill) : Oui. Le gouvernement
a… pas le gouvernement ici, mais le gouvernement précédent avait proposé, je
crois, un projet de loi n° 94 ou…
M. Drainville : Voilà.
M.
Clennett (Bill) : …en tout cas, là-dessus, et le projet
de loi n'a pas été adopté.
Moi, j'ai compris que l'histoire de
légiférer et de regarder la question de services publics à visage couvert, découvert,
obtenir un service à visage découvert est une question que… je pense que
ça dépasse le cadre de la question de la laïcité, c'est plus large que ça.
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, le temps qui était imparti au ministre
est terminé. Alors, on va aller du côté du parti de l'opposition
officielle avec le député de LaFontaine, je crois.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Clennett, pour avoir pris le temps de
rédiger le mémoire et de venir nous en faire
la présentation et de répondre à nos questions. De l'opposition,
je veux poser des questions, et deux de mes collègues minimalement
veulent en poser. Alors, je vais, avec les 14 min 30 s que nous
avons, aller rapidement sur des questions.
Mais je pense
qu'il y aura lieu, pour le ministre, de préciser sa pensée lorsqu'il dit qu'une
femme qui veut subir un avortement ne devrait pas rencontrer de personne
avec une croix, et que lui, il a un malaise, et il veut éliminer ce malaise-là
en interdisant quiconque de porter une croix dans ce contexte-là. Alors, il
aura l'occasion, M. Clennett, d'étayer sa
pensée là-dessus, surtout lorsqu'on considère qu'on a fait 21 demandes d'accès
à l'information des organismes et
ministères, et rien n'est venu étayer, confirmer sa prétention et son désir
d'éliminer ce malaise-là en retirant ou en forçant de retirer le port
des signes religieux. Il aura l'occasion, donc, dans cet exemple-là avec la
croix, d'étayer sa pensée.
M. Clennett, perte d'emplois. Vous dites dans
votre mémoire : 17,27 % des emplois au Québec, donc un emploi sur six, sont liés, donc, à des minorités
qui pourraient évidemment faire face à cette interdiction. Et votre mémoire… Cette commission-là est presque
exclusivement sur cette interdiction qui divise la population. J'aimerais
vous entendre sur vous, vos idées, quant à l'impact dû à cette interdiction-là,
en termes de perte d'emploi potentielle.
• (10 h 10) •
M. Clennett (Bill) : Il y a
peut-être deux choses dans la question que vous avez posée. Il y a la question
de perte d'emploi et il y a la question de
l'accès à l'emploi. Parce qu'il y a, au Québec, un problème malheureux
d'égalité en emploi. Un des rôles de la Commission des droits de la personne,
c'est d'ailleurs de surveiller toute la problématique de l'égalité en emploi. Puis le secteur public, les employeurs ont une
responsabilité d'avoir un plan en matière d'égalité à l'emploi. Et
étrangement, pour moi, l'article, je pense, c'est 92 de la Charte des droits et
libertés, donne une certaine exemption à la
fonction publique. C'est-à-dire que la charte… la Commission des droits de la
personne n'a pas d'autorité de… peut
faire des enquêtes auprès de la fonction publique, on peut le faire dans le
parapublic, pour voir quel est l'état de la situation
au niveau de l'égalité en emploi. Je pense que vous ouvrez sur une question
importante. D'abord, toute la question de l'intégration des personnes de d'autres
communautés, ça passe par l'emploi, et il y a déjà une sous-représentation de ces personnes visées par le
projet de loi, et, moi, ma crainte, c'est que ça pourrait s'aggraver. Ça
pourrait s'aggraver. Donc, il y a la question des gens qui sont en emploi pas
suffisamment, ils peuvent perdre leurs emplois. Et il y a des gens qui ne
pourront pas entrer à cause de ça.
Et
j'ajouterais que le calcul que j'ai fait, c'était avec les données que j'ai pu
trouver qui étaient disponibles, mais ça
n'incluait pas tout le monde qui était visé par le projet de loi. Ça excluait
notamment les travailleuses et travailleurs en garderie parce que je
n'avais pas accès à des chiffres précis.
L'article 10
porte… et on ne sait pas trop l'interprétation donnée, où des gens qui contractent
avec l'État et jusqu'où ça commence, où est-ce que ça finit, et là on
est peut-être dans le domaine de la réglementation, qui ne sera pas discuté
ici.
J'ajouterais
aussi qu'il y a l'article 37 du projet de loi, qui parle des organismes, des établissements
et des fonctions à caractère public,
et on ne sait pas trop ce que ça veut dire. Mais mon interprétation, ma lecture
de l'article 37, c'est qu'on peut
faire encore de l'extension de cet interdit auprès de qui : des
organismes, des établissements, des fonctions. C'est quoi, une fonction
à caractère public? Alors, on peut aller très loin.
Alors, oui,
effectivement, on a plus qu'un emploi sur six qui va être touché par ça, c'est
des emplois… de bons emplois. Et, lorsqu'on a une population éduquée qui
arrive ici ou qui sont ici depuis longtemps, qui s'insèrent dans la société... Ils ont été jugés professionnels de par
leurs compétences, et là, à cause de leur port de leurs signes
religieux, on veut les écarter alors qu'ils
sont déjà sous-représentés dans les emplois. Moi, je trouve qu'il y a un très
sérieux problème.
M. Tanguay :
Et vous avez tout à fait raison, M. Clennett. Vous avez une bonne mémoire,
c'est bien l'article 92 de la charte qui justement demande à notre
commission des droits d'être un peu le chien de garde et de faire en sorte qu'il
y ait des politiques d'intégration. Et, on le sait clairement, c'est ce sur
quoi porte cette commission, c'est cette interdiction
des signes religieux, qui fait face à un très large consensus : les
Québécois ne veulent pas qu'une personne, une femme notamment, perde son emploi à cause d'un signe religieux, et, en
ce sens-là, vous faites référence à l'article 37.
Premier élément, le projet de loi dit qu'il y
aura perte d'emploi parce que toute mesure disciplinaire, si vous n'enlevez pas votre signe, vous perdez votre
emploi. C'est 600 000 Québécoises, Québécois demain matin. Vous le
notez bien également, c'est potentiellement
au bon plaisir du gouvernement, tous les contractants avec le gouvernement et
tous les subventionnés. Et, au bon plaisir du gouvernement, imposer cette
interdiction à des établissements à caractère public, l'article 37, donc, on
élargit cela.
Puis, j'aimerais vous poser une question. Vous
avez dit, et je pense que c'est important, le 14 janvier 2014, dans un
média : «On lance un message à la société voulant que les signes religieux
des minorités ne soient pas les bienvenus.»
Alors, un employeur qui n'est pas visé — on vient de voir qu'il y en a un gros groupe
qui serait déjà visé — par ça pourrait aussi bien dire :
Moi, je fais affaire avec le gouvernement, où ça semble être des nouvelles
règles du jeu; peut-être que, chez moi, je vais faire la même chose.
Donc,
j'aimerais vous entendre là-dessus, sur le potentiel non seulement d'avoir une
discrimination à l'emploi et à l'embauche
publique, parapublique, et tous ceux qui font affaire avec l'État… mais
également le gouvernement donne le ton
dans le privé, et la discrimination à l'embauche pourrait également être vécue
là. J'aimerais vous entendre là-dessus.
M.
Clennett (Bill) : Oui. Déjà,
les syndicats qui négociaient avec les employeurs, on pouvait, avec un
secteur, le secteur privé ou le secteur
public, essayer de faire avancer l'ensemble de la valeur du travail, améliorer
les conditions de travail, mais ça va dans les deux sens. Et, des fois,
les gouvernements ont utilisé leur pouvoir de négocier avec leurs employés pour abaisser la valeur du travail. Et,
dans ce cas-ci, et de la même manière, l'État, ce n'est pas le petit
dépanneur du coin, c'est le gouvernement, c'est l'État qui gouverne notre vie,
c'est beaucoup d'importance sur le plan du poids politique, de l'influence
qu'il peut exercer dans la société. Puis l'État étant aussi un contractant avec
beaucoup de personnes, des gens qui
dépendent pour des subventions, qu'on s'en sert de l'article
ou pas lance un message. Et moi, je pense qu'il y
a beaucoup d'employeurs qui
pourraient se dire : Bien là, aïe, si le gouvernement ne veut pas ces
signes-là, bien là est-ce que ça va être correct chez moi?
Et ça va plus loin que ça. Parce que je
comprends que le projet de loi ne porte pas sur la place publique. Je comprends ça. Mais déjà, au moment qu'on parle,
les personnes, notamment de la population maghrébine, ne marchent pas avec le même confort sur la place publique déjà, aujourd'hui, pendant qu'on parle du projet de loi.
Et, si on adopte ça, on décide comme société que le port d'un hidjab, ce
n'est pas le bienvenu, bien là la place de ces personnes-là, de ces femmes-là,
le confort de marcher dans les rues de Montréal, dans les rues de Gatineau,
Trois-Rivières, ça risque de diminuer, là,
peut-être, on va marcher en groupe, on va faire attention. Et je sais qu'il y a
eu quelques incidents isolés, je reconnais, malheureux. Mais, juste pour
ces personnes-là, le confort, là, ne sera pas là. Et moi, je ne pense pas que c'est la meilleure façon d'élaborer une politique
interculturelle, une politique d'intégration. Je pense, c'est plutôt le
contraire. Quand des gens issus d'une communauté peuvent voir les leurs dans
les emplois du gouvernement, que ça soit même une police, là, là, je pense
qu'on peut avoir le confort qu'on vit dans une société où tout le monde est
représenté.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce, environ quatre minutes et
quelques secondes.
Mme
Weil : Merci, M. le Président. Merci, M. Clennett. Je trouve
que votre mémoire est vraiment excellent. Vous touchez à beaucoup d'enjeux et c'est très bien expliqué. J'aimerais revenir
sur cette question, sur l'effet d'entraînement — c'est comme ça
que vous le dites, l'effet d'entraînement — et les dommages collatéraux
et directs et collatéraux dans la société,
et le lier au fait qu'il n'y a pas d'étude, actuellement, il n'y a pas d'étude
pour justifier… beaucoup, beaucoup ont décrié
le fait qu'il n'y a pas d'étude d'impact ni d'étude pour expliquer le pourquoi
de cette interdiction. Si vous pourriez continuer à expliquer, donc,
comment vous voyez ça, et de lier le fait de l'effet d'entraînement et
l'absence d'étude.
M. Clennett (Bill) : Mais je dirais qu'adopter une loi est très autoritaire. Ce n'est pas
qu'on ne doit pas faire des choses, mais une loi, c'est des doit. Alors,
c'est une façon autoritaire pour promouvoir quelque chose et ça peut être bénéfique de… société, mais, dans ce cas-ci, je ne
pense pas. Je pense que tout le monde voit que le but, c'est d'interdire et la loi est claire que des gens
auront à faire un choix très difficile. Donc, c'est autoritaire en ce sens-là,
c'est le gagne-pain de quelqu'un. En matière
de relations de travail, le congédiement, c'est la peine capitale. Ce n'est pas
banal du tout, là, c'est le gagne-pain du monde.
Et
peut-être… pas peut-être, certainement, à la place d'avoir lancé un document d'orientation
comme un pavé dans la mare et de laisser des gens se chicaner sur la
place publique comme on a fait jusqu'à temps qu'on a eu le dépôt du projet de loi, peut-être un document où on aura
fait un état de la situation, où on aura déposé des situations, et là les
gens auraient pu ensemble discuter, faire le
constat de cet état de la situation, de ces études-là, et là on peut revenir,
après ça, dans un deuxième temps, avec un projet de loi. Moi, j'ai
mentionné tantôt qu'en matière de laïcité il y a peut-être toute une autre
avenue à explorer avant les interdits comme ça où on peut promouvoir un État
laïc, vraiment, à travers le système scolaire et le financement public.
Une
des sous-catégories de ce débat, c'est la question de l'égalité des femmes. Ça,
c'est un autre débat, c'est une autre
discussion. Et peut-être, effectivement, il y a des enjeux par rapport à
certains intégrismes et la situation
de la femme. Et, peut-être, dans le
monde séculaire, il y a d'autres problèmes ou il y a d'autres symboles de
soumission de la femme et, là, au niveau de la tenue vestimentaire, la
publicité, la façon qu'on met des exigences pour la femme au niveau de l'esthétique qu'on ne met jamais pour les garçons,
je pense qu'il y aura… peut-être, oui, on aurait pu
aborder ça si c'était ça, l'objectif.
Mais là on a dit que l'objectif, c'est la laïcité de l'État,
la neutralité de l'État, mais on n'a pas eu aucun état de la situation,
aucune donnée probante à partir de laquelle on peut dire : Ah bien, là,
oui, peut-être, là, on doit le reconnaître. Alors, faute
d'étude, on doit constater qu'on a peut-être une solution à un problème qui
n'existe pas.
• (10 h 20) •
Le Président (M.
Ferland) : Alors, il reste à peine 10 secondes.
Une voix :
…
Le Président (M.
Ferland) : Bien là, il reste 10 secondes. Allez-y.
Mme Vallée :
M. le Président, je voulais simplement saluer un résident de l'Outaouais.
J'aurais eu plusieurs questions pour lui, mais il a effleuré la situation
d'égalité homme-femme parce que ça va au-delà de la question du port de signes
religieux…
Le Président (M.
Ferland) : Malheureusement, je dois aller du côté de la députée
de Montarville. Mme la députée, la parole est à vous.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Clennett, merci pour votre mémoire.
J'irais jusqu'à dire que c'est un
travail de moine que vous avez fait de tout colliger ça. C'est assez
impressionnant, tous les noms que vous énumérez. Enfin, ça a dû vous
prendre des heures et des heures.
Cela
dit, vous dites en conclusion de votre mémoire que le gouvernement — et c'est une recommandation que vous
faites au gouvernement actuel — renonce à son intention d'interdire le
port de signes religieux dans les emplois gouvernementaux et autres fonctions
visées par le projet de loi n° 60. Et vous nous dites : «Cette prise
de position n'est pas une caution des autres sections du projet de loi
n° 60.» Alors, j'aimerais vous entendre un petit peu sur les autres sections du projet de loi n° 60, plus
particulièrement sur l'encadrement des accommodements religieux.
Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Clennett
(Bill) : Bien, moi, je ne suis pas vraiment spécialiste. J'ai abordé
un sujet qui m'interpellait et je figurais
que je pouvais faire le tour de ça avec une contribution individuelle. Mais je
ne voulais pas laisser sous-entendre que, pour moi, l'autre partie du
projet de loi, ça ne posait pas de problème et qu'il y avait la moindre
caution. Sans avoir abordé en profondeur
l'autre partie du projet, je suis un petit peu, personnellement, préoccupé par
un certain consensus au sein des élus à l'effet que, bien là, on peut
tout régler ça si on met de côté la question des signes religieux, et on va s'entendre sur le reste, le reste ne pose pas de
problème. Moi, je ne suis pas là. Je pense que la question des accommodements
est issue des résultats de la charte qu'on a
mise en place pour assurer l'égalité des personnes. Et, oui, on a eu des
situations malheureuses où il y a eu des…
pas des vrais accommodements, ça n'a jamais été étampé par la commission des
droits de la personne. Et, avec un peu des avis des médias, on a dit :
Bien là, on a un sérieux problème, et ça a été exploité politiquement. Et là on
arrive avec un projet de loi qui va jouer dans une tradition juridique qui… je
ne pense pas que ça pose un problème.
Et, avec les
changements qu'il y a, qui sont proposés au niveau des accommodements, moi, de
ce que je comprends, c'est qu'on ne veut
plus intervenir au niveau des situations particulières, qu'une personne qui subit
un préjudice à cause qu'elle soit femme,
handicapée, à cause de sa religion, et là on voit, pour cette personne précise,
est-ce qu'on peut l'accommoder. On arrive avec des propositions générales, des
filtres qui risquent de déjouer la tradition qu'on a. Il y a un potentiel même
de hiérarchiser les droits de la personne qui nous amèneraient vraiment
ailleurs par rapport à l'histoire qu'on a
eue où des droits sont tous interreliés et on ne doit pas mettre un droit
au-dessus des autres. Et ça ne veut pas dire que le droit des femmes
sera banalisé pour autant, parce que c'est un peu ça qu'on laisse
sous-entendre, et là on dit qu'il y a une impossibilité d'accommoder la liberté
de conscience puis l'égalité…
Le Président (M.
Ferland) : M. Clennett, on va aller... M. Clennett, le temps
est écoulé pour la députée de... M. le député de Blainville.
M.
Ratthé : Merci, M. le
Président. M. Clennett, bonjour, merci de vous êtes déplacé de l'Outaouais, c'est ce que je comprends.
M.
Clennett, je vais profiter de votre présence pour vous ramener... poser une question
en... ce que vous dites dans votre mémoire
à la page 5. Je vais vous citer. Vous nous dites : «Puisque
le port d'une croix chrétienne ou d'une double croix chrétienne de
grande dimension n'est ni une obligation ni une pratique courante des membres
de ces traditions religieuses, c'est donc
que les membres de ces traditions religieuses ne sont pas visés par cette
interdiction. Par contre, pour
des femmes musulmanes, des hommes juifs et
sikhs, le port d'un signe religieux est tantôt une obligation, tantôt une
pratique courante.»
Alors,
vous semblez nous dire... en fait, ce que j'en comprends, c'est que, chez les
chrétiens, le port de la croix ne l'est
pas, obligatoire. Et vous nous donnez quelques exemples où vous dites : Bien, dans
d'autres religions — les
sikhs les hommes juifs, les musulmanes — le signe religieux est tantôt
une obligation.
Vous
portez actuellement la kippa, je voulais donc profiter de votre
expérience, à savoir... Parce que la majorité des gens qui sont venus nous voir nous ont dit qu'il n'y avait pratiquement pas, sinon aucune religion qui obligeait le port de
signes religieux. Vous pourriez me partager,
peut-être, votre expérience ou votre connaissance par rapport, justement, au port de la kippa. Est-ce
que c'est une obligation?
M. Clennett (Bill) : D'abord, moi, je suis athée. Je porte la kippa aujourd'hui en solidarité avec les personnes visées par ce projet de loi qui
risquent de perdre leur emploi.
Pour
répondre à votre question, j'ai écouté des personnes qui sont arrivées avec
leurs expertises à géométrie variable et moi, j'ai tenté de mesurer les
propos que j'avais. Et ce que j'avais dit, essentiellement, c'est qu'il peut y
avoir des personnes où c'est une question
religieuse, mais ça peut aussi être culturel. Je ne voulais pas dire que
c'était nécessairement une obligation.
Et
je pense que l'histoire de l'humanité est une histoire pas fixe, cristallisée,
mais de métissage, et où une situation, à un moment donné, ça évolue
dans le temps. Et, peut-être, pour
une génération d'un groupe particulier, le port d'un signe religieux
peut avoir une signification différente que pour des gens d'une autre
génération.
Et je dirais aussi
que, si le gouvernement donne suite à ça vraiment, ce qui risque de se passer,
c'est qu'on va politiser des signes
religieux. Et là ce ne sera plus des signes religieux seulement, ça va être des
signes politiques, et des gens vont les porter pour se défendre
contre une perte au niveau de leurs droits. Et ça, c'est une autre éventualité.
Pour
ce qui est des signes religieux de la majorité, des croix, il peut y avoir
certaines personnes qui se promènent avec
une croix vraiment visible, à grande dimension. Mais, moi, dans mon expérience
de vie, je ne rencontre pas beaucoup de
ça dans la rue, sur la place publique. Et c'est ça qui m'a amené à dire que le
projet de loi vise des signes religieux des minorités et protège des
signes religieux de la majorité, que ça soit des croix à petite dimension ou
que ça soit toute la toponymie du Québec qui... C'est correct, ça décrit notre
passage ici.
Et
je suis d'accord avec le ministre, la toponymie, qui reconnaît aussi le passage
des autochtones en Outaouais; on a une population algonquine qui est
reconnue chez nous, là, à travers de la toponymie régionale.
Document déposé
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci. Le temps étant écoulé... Merci, M.
Clennett, pour le temps que vous avez
pris pour préparer votre mémoire et surtout de vous être déplacé pour venir le
présenter. Et le document que vous
avez déposé tout à l'heure, dès que les copies vont être disponibles, va être
distribué aux membres de la commission.
Alors,
sur ce, je vais suspendre quelques instants afin de permettre aux représentants
de la société nationale des Québécoises et des Québécois de
Chaudière-Appalaches de prendre place.
(Suspension de la séance à
10 h 29)
(Reprise à 10 h 31)
Le Président (M.
Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Alors, maintenant,
nous recevons les représentants de la société nationale des Québécoises et des Québécois
de Chaudière-Appalaches, M. Pierre-Paul Sénécal, président, et M.
André Gaulin, qui est membre. Alors, j'imagine, M. Sénécal…
Société nationale des Québécois
et des
Québécoises de Chaudière-Appalaches
M. Sénéchal
(Pierre-Paul) : Oui, M. le Président…
Le Président (M.
Ferland) : …en vous mentionnant que vous avez 10 minutes, là,
pour présenter votre mémoire, et, après, suivra une période d'échange avec les parlementaires.
La parole est à vous.
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : Merci,
M. le Président. Permettez que je
replace le h à mon nom, c'est Sénéchal et non Sénécal.
Le Président (M.
Ferland) : C'est bien, surtout que c'est... Allez-y.
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : M. le Président, MM. les députés, Mmes les députées, merci de
nous recevoir ce matin afin qu'on
puisse donner notre point de vue. Peut-être un mot sur notre organisme, la société
nationale des Québécois Chaudière-Appalaches est une des 18 sociétés
affiliées au mouvement national des Québécois. Sa mission, comme pour toutes les autres : la défense et la
promotion de l'identité du Québec au niveau de la langue, de la culture,
l'histoire, patrimoine historique. Et, en même temps, on est mandatés
annuellement par le gouvernement du Québec pour coordonner l'ensemble des
activités de la fête nationale sur notre territoire.
Peut-être
un petit mot de présentation, même si on n'a pas besoin de… M. André Gaulin,
qui est à ma gauche, que plusieurs
connaissent. Il a été membre de l'Assemblée nationale de 1994 à 1998, docteur
en lettres, coprésident fondateur du
Mouvement Québec français en 1970, prix Georges-Émile-Lapalme en 2003 et membre
de notre société et président pendant trois années.
Quant à moi, je suis
président depuis aussi trois ans de cette société. J'ai fait carrière
principalement dans la fonction publique du Québec, donc dans le service
public. J'ai été donc amené à me familiariser avec l'ensemble des réseaux qui couvrent le territoire, au niveau de
la santé, de l'éducation, de l'emploi, relations avec les citoyens. Et
j'ai donc développé une certaine sensibilité
aux principes qui doivent définir la mission des agents publics, ce dont on va
parler ce matin. Et j'ai donc, moi, personnellement, dû exercer un devoir de
réserve sur le plan de l'opinion pendant plus de 30 années et je suis resté
vivant de ça.
En introduction,
peut-être définir pourquoi on est ici ce matin, bien sûr pour faire connaître
un point de vue régional, mais aussi pour
réagir d'une certaine façon à une espèce d'attitude de condescendance avec
laquelle on traite souvent de façon
assez gratuite les supporteurs de cette charte et que l'on retrouve
principalement en région, une condescendance qu'on retrouve
principalement dans des cercles médiatiques, intellectuels, tendance de la
métropole, dans des chroniques radio, TV,
journaux. Et c'est un phénomène assez généralisé, là, depuis que le
gouvernement a lancé son projet. Même
certains ex-politiciens ne se sont pas gênés pour entrer dans la danse. Cette
charte serait, selon plusieurs, le
reflet de préjugés entretenus par des gens des régions qui ne seraient pas
encore entrés dans la belle modernité multiculturelle
de la métropole, une espèce de sursaut identitaire qui daterait de plusieurs
années, un vieux sursaut d'un milieu rural un peu canadien-français.
Le
message que l'on veut porter aujourd'hui, c'est qu'il faut arrêter de prendre les gens des
régions pour des gens qui sont moins
avancés au plan des idées que les gens de la métropole. Ça fait longtemps
que le Web est rentré dans les rangs,
dans les campagnes, et ça fait longtemps que la Révolution tranquille a aussi passé par
les campagnes et les régions.
Ma
thèse de maîtrise, il y a très longtemps, portait sur les institutions privées au Québec
et le système qu'on s'est donné. Et
ce qui en ressort effectivement, et de
façon assez claire, c'est que les
milieux de résistance les plus forts contre la réforme scolaire et la
requête la plus importante pour instituer un régime d'institutions scolaires
privées au Québec, ça venait de Montréal, ça ne venait pas des régions.
N'oublions
pas non plus que ce n'est pas en région qu'on note un repli identitaire et
religieux par les temps qui courent mais dans la métropole. Montréal,
pour ceux qui ne le sauraient pas, se classe au deuxième rang des villes les plus ferventes sur le plan religieux, même avant
Toronto. On y trouve, à Montréal, deux fois plus d'organismes religieux par
tranche de 100 000 habitants que dans le reste du Québec. Donc, les gens
des régions ne sont peut-être pas ceux qu'on pense.
Les principes sur
lesquels on a fondé notre présentation sont au nombre de quatre. Le
premier : d'abord, la définition de la
citoyenneté au XXIe siècle. On reprend une définition rédigée par Mme Dominique
Schnapper, qui est une spécialiste en
matière de citoyenneté. Je vais la citer parce qu'elle est importante :
«Dans la société démocratique moderne, le
lien entre les hommes n'est plus religieux ou dynastique, il est politique.
Vivre ensemble, ce n'est plus partager la même religion ou être, ensemble, sujets du même monarque ou être soumis à la
même autorité, c'est être des citoyens de la même organisation politique.» Et l'organisation
politique dont on parle ici, c'est l'État, c'est la nation. Donc, ce n'est plus
basé sur un état de choses biologiques, mais un ensemble de valeurs que les
sociétés se donnent au fil des ans et pendant plus de 400 ans. C'est un peu la
base sur laquelle s'est fondé le Québec.
Donc, cette
construction d'identité, elle débute très tôt, elle débute aujourd'hui pour
tout le monde, pour ceux qui sont nés ici et pour ceux qui y arrivent. Ça
commence d'abord à la maternelle, à l'école primaire, secondaire. Et il y a d'autres éléments qui doivent prendre le
relais : les médias, les rapports sociaux, les associations auxquelles on
fait partie. Donc, il y a plusieurs éléments
qui façonnent une société, des valeurs communes, et la… Il faut dire aussi que
le service public est un élément très important à considérer.
Deuxième principe ou
deuxième fondement, c'est le refus de construire un Québec où métropole et
régions ne vivraient pas dans un même univers ou sur la même planète. Il y a 18
régions au Québec; donc, on a un défi assez complexe, là,
un très vaste territoire. Imaginez, la région du Nord-du-Québec, c'est
72 % du territoire avec 2 % de population, alors que la région de
Montréal, c'est 50 %, presque 50 % de population sur 500 000
milles carrés.
Donc,
notre souci, nous, c'est comment on va relier ces 8 millions d'habitants
autour d'une vision et de valeurs communes
et comment éviter de faire justement deux Québec dans un et de construire des
ghettos sur le plan linguistique et religieux.
Donc, sur ce plan-là, les réseaux du
service public, dans cette recherche d'unité, peuvent revêtir une grande
importance pour éviter que Montréal se
dénationalise du reste du Québec et se forge une identité, là, toujours au
niveau du service public, qui serait en référence avec tous les héritages
culturels de la planète.
Troisième
principe : nécessité de faire du service public un outil privilégié
d'intégration. Comme vous le voyez, on reste
très collés à cette question du service public. On a dans notre mémoire une
phrase qu'on a soulignée qui nous apparaît importante, c'est qu'en
démocratie le citoyen est le seul détenteur de la souveraineté institutionnelle
de l'État. Le service aux citoyens constitue donc la finalité première de
l'action administrative de l'État. D'aucune façon le droit du citoyen ne
devrait être subrogé à celui du personnel qui assure le service. Donc, en vertu
d'un principe énoncé comme celui-là…
• (10 h 40) •
Le Président (M.
Ferland) : Une minute pour conclure, monsieur…
M. Sénéchal
(Pierre-Paul) : Déjà? Mon Dieu…
Le Président (M.
Ferland) : Oui. Ça passe vite, malheureusement.
M. Sénéchal
(Pierre-Paul) : …que ça…
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y.
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : Mon Dieu! Je vais passer peut-être… Je n'aurai
pas le temps de reprendre chacune des
recommandations. J'imagine que, dans les questions, on pourra les reprendre. Il
y a une proposition, un fondement sur lequel
on insiste de façon particulière, c'est celui du droit inaliénable du Québec
d'emprunter la voie qui est la sienne. Donc, vous le verrez, on est
favorables au recours à la clause nonobstant pour éviter qu'un débat comme
celui-là ne se fasse à répétition. Et cette
clause dérogatoire, c'est le grand traumatisme. On a peur de ça au Québec comme
ce n'est pas possible. Et je pense qu'on pourra en discuter de façon
plus approfondie tout à l'heure, mais la plupart des pays européens fonctionnent un peu sur la base du projet de loi
qui est déposé aujourd'hui. Et je dirais que la grande partie du
continent nord-américain…
Le Président (M.
Ferland) : Excusez-moi, monsieur, je dois vous arrêter.
M. Sénéchal
(Pierre-Paul) : Déjà!
Le Président (M.
Ferland) : Mais on aura la période d'échange pour le reste du
temps. Vous aurez sûrement l'occasion de poursuivre vos commentaires. Alors, je
cède la parole à M. le ministre.
M. Drainville :
Merci, M. le Président. Merci pour votre mémoire. Bienvenue parmi nous. J'ai
beaucoup aimé, effectivement, la citation avec laquelle vous débutez
votre mémoire, quand vous dites… alors vous citez Dominique Schnapper, Qu'est-ce que la citoyenneté?.
Alors, je la cite ou je le cite : «Dans la société démocratique moderne,
le lien entre les hommes n'est plus
religieux ou dynastique, il est politique. Vivre ensemble, ce n'est plus
partager la même religion ou être,
ensemble, sujets du même monarque ou être soumis à la même autorité, c'est être
[…] citoyens de la même organisation
politique.» Et j'aimerais que vous nous expliquiez en quoi la laïcité, et, plus
largement, le projet de loi n° 60, vont nous permettre, justement,
d'assurer le développement d'une citoyenneté qui est inclusive, qui rassemble
tous les Québécois, toutes les Québécoises,
peu importe l'origine, peu importe la religion. Comment ce projet-là, dans le
fond, nous permet de construire une société qui va être davantage en harmonie
avec elle-même, dans laquelle il va y avoir plus
de cohésion sociale. Alors, je ne sais pas, peut-être que monsieur… l'ancien
député de Taschereau, d'ailleurs, je pense que c'est important que nous le soulignons, Mme la Présidente, l'ancien
député de Taschereau de 1994 à 1998, M. Gaulin, alors je ne sais pas si,
peut-être, M. Gaulin peut prendre ce bout-là si ça lui tente, là.
La Présidente (Mme
Beaudoin) : M. Gaulin.
M. Gaulin (André) : Oui. Bien, la laïcité assure l'égalité de tout le monde. On est tous des citoyens du même État. On est tous égalitaires,
indépendamment des différences religieuses, des différences sociologiques, des
différences d'âge, etc. Alors, je pense
que la laïcité est inclusive aussi. On la présente souvent
comme… on dit : Laïcité ouverte. La laïcité, dès qu'on dit qu'elle
est ouverte, elle s'en va vers les accommodements. Alors que, si on applique tout simplement ce qu'est la laïcité, on a l'égalité de tous les citoyens
et citoyennes. Ils
ont les mêmes chances, les mêmes avantages, les mêmes droits et les
mêmes services. Je ne sais pas si le président veut compléter.
La Présidente (Mme
Beaudoin) : M. Sénéchal.
M.
Sénéchal (Pierre-Paul) :
Oui, en fait, l'essence même de ce projet
de loi est mal circonscrite dans
l'opinion publique. On n'arrête pas de le répéter et, M. le ministre, vous
n'arrêtez pas de le répéter, on ne vise en aucun temps atteindre l'exercice de l'expression religieuse dans la population,
dans la vie civile. On se restreint à… au lieu de prestations du service
civil… Et, en ce qui concerne, je le disais tout à l'heure, en ce qui concerne
le droit de réserve des fonctionnaires, au niveau
du service public, le droit de réserve de l'opinion, ça s'est fait sans heurt.
Il n'y a personne qui… je n'ai jamais entendu, en 30 ans, de causes ou
de requêtes qui iraient à l'encontre d'un principe comme celui-là.
C'est sûr
que, lorsqu'on parle d'expression religieuse, c'est beaucoup
plus sensible, là, mais c'est quelque
chose qu'on va apprivoiser avec le temps.
Nous n'arrêtons pas de le répéter : Le public qui est visé ici, c'est
celui qui donne le service. Et, pour
moi, qui ai oeuvré dans le service public pendant 30 ans, c'est quelque
chose de fondamental. Je n'ai jamais envisagé
qu'on puisse fonctionner autrement. Notre ancien sous-ministre au ministère de
l'Emploi, M. Jean Pronovost, celui
qui était président de la commission Pronovost — du même nom, donc — lors des rencontres annuelles de briefing
du ministère, ne cesse de rappeler que le mot «fonctionnaire», lorsqu'on le
traduit en anglais, c'est «civil servant». Ça veut
dire quoi, ça? Un «civil servant», c'est une personne qui est au service du
public qu'elle dessert. Il est payé par le citoyen pour rendre le service, alors que l'usager paie pour avoir son
service. Et ces gens-là ne sont pas sous un même rapport, ils ne sont pas sur le même niveau. Celui qui paie pour avoir
le service a le droit d'avoir le service aujourd'hui, dans un état moderne, là, un service qui est
neutre et qui est sans aucune apparence de dirigisme au niveau
des idées, des opinions comme au niveau des influences religieuses.
M. Drainville : Une des idées
que vous portez, défendez dans ce mémoire, c'est l'idée que le… alors, là, je vous
cite : «[Le] monde rural québécois se sent un peu exclu de ce débat sur
l'expression religieuse dans les services publics…»
Et vous recommandez, par conséquent, et je cite, «que les élus de l'Assemblée nationale portent une attention spéciale au point de vue des régions et de
leurs contributions à l'édification d'un Québec moderne, démocratique
et égalitaire».
Moi, je dois
vous dire que je suis totalement d'accord avec vous. Je m'inscris en faux, et je
le fais régulièrement, contre cette idée que ce serait un débat qui
opposerait la métropole, ou la région de Montréal, au reste du Québec. C'est totalement faux. D'ailleurs, si on regarde les chiffres, ce
n'est absolument pas le cas. Et je donne toujours l'exemple, je dis toujours : Quand vient le temps de débattre de redevances
en matière de ressources naturelles, est-ce que les gens de la région de Montréal
se sentent moins concernés parce qu'il s'agit des ressources des régions
ressources? Bien sûr que non. Ils
participent à ce débat-là, c'est un débat collectif, c'est un débat important
et ce n'est pas parce que les ressources sortent du Grand Nord ou sortent de la Côte-Nord ou nous arrivent d'une
région minière ou forestière que les gens de la grande région de Montréal se sentent moins interpellés, moins concernés.
Et je pense que dans le débat sur la charte, quand vient le temps de
définir les valeurs qui nous rassemblent, quand vient le temps de décider de la
fondation commune sur laquelle on veut bâtir
le Québec pour maintenant et pour l'avenir, je pense que ça concerne tous les
Québécois et ça ne concerne certainement pas moins les Québécois des
régions.
Alors, je
pense que c'est un point important que vous apportez là-dessus, et ça nous
donne l'occasion de réitérer que ce débat-là sur les valeurs québécoises,
il concerne l'ensemble de notre population, peu importe d'où elle vient et peu
importe où elle habite.
Maintenant, vous faites une référence également,
dans votre mémoire, à la loi 101, aux circonstances qui ont mené à la loi 101. Puis, moi, effectivement, c'est
un exemple que je donne assez souvent : je dis que la loi 101, elle a
été porteuse d'harmonie, elle a été porteuse de cohésion. Au départ, elle a
divisé, c'est vrai. Et je citais ce matin, devant mes ex-confrères et consoeurs journalistes, certaines des déclarations
du milieu des affaires dans les années 70 : ils étaient totalement
contre la loi 101, ils disaient que ça allait être la catastrophe économique.
Ce n'est pas ça qui est arrivé, puis, aujourd'hui, pas mal tout le monde
s'entend pour dire que c'était une très bonne loi, une loi très nécessaire.
Mais
expliquez-nous pourquoi, dans votre esprit, on peut faire ce parallèle entre
les circonstances qui ont mené à la loi 101 et les circonstances que
nous vivons présentement par rapport à la charte.
• (10 h 50) •
M.
Sénéchal (Pierre-Paul) : En
fait, on aborde brièvement ce point-là un peu par analogie, là, dans notre
mémoire. Mais ce que je voulais souligner,
pour avoir vécu à Montréal, comme
étudiant, à cette époque-là, c'est que, sur le plan linguistique, on n'a pas venu venir le problème
exactement comme celui de l'expression religieuse dans le service
public. Lorsque les premiers affrontements
sont arrivés à Saint-Léonard, deux ans auparavant, on n'aurait jamais pensé que
les gens s'agiteraient dans les rues comme ils se sont agités. Et, si, au début
de la Révolution tranquille ou dans le cadre de la réforme du ministère de l'Éducation en 1963‑1964, on avait déjà
introduit ce qu'on a introduit sur le plan linguistique, là, dans le domaine de l'éducation, probablement qu'on
n'aurait pas eu ces affrontements-là. Et c'est la raison pour laquelle
je faisais le parallèle.
Ceux qui
disent qu'il est trop tôt pour intervenir, parce qu'on ne connaît pas la situation, nous, on dit : Il n'est
pas trop tôt, il est déjà trop tard. Parce
que, lorsqu'on parle, comme on l'a fait tout à l'heure dans l'exposé précédent,
qu'on craint des mises à pied, on ne connaît
pas le nombre... Mais, si on craint des mises à pied et on craint des
soubresauts, c'est parce qu'on est déjà trop tard. Donc, procédons.
En ce qui concerne… Autre parallèle avec la loi
101, ça va me ramener un peu sur la question que je voulais soulever tout à
l'heure, la peur de la réaction outrancière de l'extérieur. Là, j'entendais,
cette semaine, le chef du Parti libéral, M.
Couillard, qui disait : Bon, c'est le temps qu'on arrête de penser à
l'Europe, le Québec, ce n'est pas un pays européen, on est en Amérique du Nord. Et un ex-premier ministre du
Québec, M. Bouchard, qui va dans le même sens, qui nous dit : Il faut faire attention quand on
en enlève des droits; qu'est-ce que les gens vont penser de nous? On a donc
peur de ça, au Québec, là, de la réaction de
l'extérieur. On a eu ce problème-là avec la loi 101 et on s'en est sorti et on
va s'en sortir encore plus facilement
avec cette question-là, même si, éventuellement, on allait en recours avec la
clause nonobstant.
J'ai
relevé dans une… Je ne sais pas si vous avez eu connaissance ou vous avez
consulté l'étude de M. José Woehrling sur la
place de la religion dans l'école publique. C'est un dossier que vous
connaissez sûrement de part et d'autre de la Chambre. Et il y a un
passage très important. C'est une étude fondamentale, ça a été fait en 2002,
mais il y a un passage très important sur ce
qui se passe aux États-Unis. Je ne sais pas si vous avez noté que ce qu'il
relève, lui, c'est que, dans 40 États
américains, on a voté des lois qui sont à peu près semblables au projet de loi
n° 60, qui restreignent du côté
des enseignants le port des signes religieux pour permettre à peu près
uniquement les bijoux. Et ça, ça a été écrit en 2002, et moi, je n'ai jamais entendu de réaction à l'effet qu'on avait
enlevé des droits fondamentaux à une partie importante des Américains. Et je me demande pourquoi
l'inverse serait vrai, pourquoi on lèverait le drapeau du côté américain
parce que le Québec voterait une loi
semblable à ce qui s'est voté du côté américain. Et je ne pense pas qu'il y a
eu beaucoup de poursuites, là, sur la question des droits acquis dans
ces États.
M. Gaulin
(André) : Si vous permettez, M. le Président, je voudrais dire que,
pour avoir été au Mouvement Québec français,
on croyait à l'époque souvent que c'est une question, le français, qui ne
concernait que la métropole, alors qu'on
sait fort bien que ça concernait tout le Québec. La métropole est un lieu de
rupture si on ne fait pas attention. Si Montréal tombait au plan linguistique — et on
voit, là, l'Université de Montréal commencer à enseigner en anglais, ce
qui est assez scandaleux — si
Montréal tombe, le Québec va suivre. C'est la même chose pour la laïcité.
Notre
mémoire dit : «La politique [est aussi] l'art d'anticiper les phénomènes
qui risquent demain de bouleverser une société.» Regardez, par exemple,
la Tunisie de Bourguiba. Bourguiba, qui enlève le voile, qui enlève les signes religieux, qui enlève la polygamie en 1956. Et
aujourd'hui, bien, c'est peut-être le seul pays qui résiste dans le sens
de la laïcité. On voit qu'il y a un
mouvement, là, religieux des Frères musulmans, en particulier, qui menace la
Turquie, qui est un pays laïque, en principe, l'Égypte, qui est un pays
laïque, en particulier, en principe.
C'est
la même chose au Québec. On dit : Il n'y en a pas, de problème. Ce n'est
pas ça, ce n'est pas qu'il y ait des problèmes,
c'est parce qu'on n'en veut pas, justement, des problèmes, qu'il faut voir...
C'est le rôle des gens en politique de prévoir l'avenir.
M. Drainville :
Dans votre mémoire, vous dites que l'interdiction du port des signes religieux
ostentatoires ne devrait certainement
pas être limitée, là, aux seules figures d'autorité. Donc, pour vous, c'est
clair qu'à partir du moment où tu
travailles dans le service public, dans une institution publique, tu dois
incarner la neutralité religieuse, et donc ça doit se refléter dans ton
apparence. Tu ne dois pas transmettre de message religieux quand tu es sur les
heures de travail. Ça, pour vous, c'est...
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : C'est très clair dans notre esprit. D'ailleurs, on
a fait... vous avez remarqué, on a ajouté — j'espère que vous l'avez eue — une annexe au mémoire que nous avions déposé
en décembre, une annexe qui ajoute
des recommandations et qui... une concerne la signification ou le langage des
symboles. Est-ce que vous l'avez eue?
M. Drainville :
On est en train de la chercher. Allez-y, continuez.
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : Bon. On a amené une réflexion supplémentaire
en ce qui concerne le langage de symboles,
parce que j'ai eu à travailler, dans le cadre de mes fonctions, au symbole de
l'État, et chaque symbole a un rôle particulier de message et de
communication.
Je
donne l'exemple, entre autres, du drapeau, que ce soit le drapeau du Québec ou
le drapeau du Canada, c'est la même
chose. Lorsqu'il est arboré par un organisme public, il indique une
juridiction, un territoire. Mais, aussitôt que, soit le drapeau du Québec ou le drapeau du Canada,
aussitôt qu'il est arboré par un individu, c'est bien sûr qu'il ne lance
pas un message de propriété. Qu'est-ce qu'il
lance? Un message de fierté, un message d'identité ou d'identification à une
idée, un parti. Et ça cherche quoi? Ça cherche à influencer celui qui le voit.
Et
on parle de droit de réserve sur les signes, il faut que ce soit autant la
réalité que l'apparence. À partir du moment où vous affichez un signe, inévitablement, vous lancez un message à
celui qui le voit. La meilleure preuve, c'est qu'aussitôt que les
personnes qui sont porteuses de signes sortent de leurs fonctions et entrent
dans leurs terres, à leur domicile, qu'est-ce
qu'ils font? Bien, ils l'enlèvent. Elles nous indiquent, ces personnes-là,
elles-mêmes, que ces signes-là n'ont une importance que lorsqu'il y a un public pour les regarder. Aussitôt qu'il
n'y a plus de public, ils les enlèvent. S'il n'y avait pas de public pour regarder les drapeaux sur les
terrains des individus, il n'y en aurait pas, de drapeau; c'est parce
qu'il y a un public pour les regarder. Donc, en soi, ça signifie qu'ils portent
un message important en vue d'influencer les autres. Et ça, ça vaut pour la
maternelle jusqu'à l'université.
• (11 heures) •
M. Drainville :
Vous savez, il y a... enfin, on a reçu déjà plusieurs témoins à cette
commission. Il y a notamment M.
Michel Seymour, qui est un universitaire reconnu, qui est venu nous dire que
les signes religieux peuvent agir comme marqueurs communautaires. Alors, je vais le citer. Il dit : «Pour
certains, la foi religieuse est essentiellement une affaire qui relève de leur liberté de conscience et qui se vit
dans la sphère privée, mais, pour
d'autres personnes, l'identité religieuse est intimement liée à une appartenance communautaire et elle se vit en
groupe. Pour ceux-là, le port de signes ostentatoires devient un
marqueur identitaire important, car, en même temps qu'il sert à exprimer la foi
religieuse, il indique une appartenance
communautaire, l'appartenance à une communauté de religion. Ceux qui vivent
l'expérience religieuse dans l'intimité
de leur conscience n'ont pas besoin de signe extérieur pour l'exprimer, mais
ceux qui vivent leur expérience en communauté ont besoin d'un signe
extérieur pour manifester cette appartenance communautaire.»
Comme vous savez,
nous, on dit : Toutes les croyances religieuses doivent être respectées,
et c'est pour ça que ça prend la neutralité
religieuse. Pour ce qui est de l'espace public, on ne va pas là. Alors là, je
sais que je vais manquer de temps. Mais, dans les réflexions que vous nous livrerez dans les
prochaines minutes, j'aimerais bien vous entendre, si vous avez une
chance, là, sur cette vision qui renvoie l'individu davantage à une
appartenance communautaire qu'à son appartenance citoyenne.
M. Sénéchal
(Pierre-Paul) : Est-ce que j'ai encore…
Le Président (M.
Ferland) : Oui, allez-y.
M. Sénéchal
(Pierre-Paul) : On a encore le temps?
Le Président (M.
Ferland) : Oui, oui, oui.
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : Donc, c'est bien sûr que les lois… la Loi de la
fonction publique, bien sûr, j'en parlais tout à l'heure, impose le droit de réserve sur le plan de l'opinion politique.
Il y a du communautaire aussi dans l'opinion politique, et jamais qu'on oserait la communiquer. Mais j'en reviens
toujours à la même définition : le citoyen est le seul détenteur de
la souveraineté de l'État et il est en droit d'avoir un service qui est
absolument neutre. Et je ne vois pas, contrairement
à M. Seymour, sur quel droit ou sur quelle clause dans nos chartes
internationales une personne pourrait vouloir imposer son rattachement à
un regroupement communautaire lorsqu'il rend un service à un citoyen, à une
entreprise ou à un organisme. J'ai beaucoup de difficultés avec ça.
Le Président (M.
Ferland) : Il reste deux minutes à peu près, M. le ministre.
Oui, allez-y.
M. Drainville :
O.K. Bien, écoutez, j'avais été mal informé.
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : Mais, excusez, est-ce que… Je voulais
vérifier : Est-ce que vous avez bien eu l'annexe, la partie… Vous
l'aviez eue?
M. Drainville :
Oui, oui, on l'a eue. Bien sûr, bien sûr, on l'a eue. Très bien.
Le Président (M.
Ferland) : Oui, oui, oui.
M. Drainville :
Oui, oui, oui, absolument. Bien, écoutez, peut-être, en terminant, nous parler
un petit peu de comment le débat se vit
autour de vous, dans vos familles respectives peut-être, dans vos amis. Moi, ce
que je sens, c'est que le débat est
très actif, il y a beaucoup… il y a un immense bouillonnement qui est vécu par
le Québec et un peu partout actuellement,
et moi, je trouve ça très sain. D'ailleurs, les deux commentaires que j'entends
le plus souvent des citoyens, là, quand je me promène, là, que ce soit
dans mon comté à Longueuil ou ailleurs, les gens nous disent : Lâchez pas.
Et il y a beaucoup de gens aussi qui nous
approchent et nous disent : Bien, je ne suis pas nécessairement pour tout
ce que vous proposez, mais merci de
nous permettre de faire ce débat-là. Merci d'avoir eu le courage de le lancer.
Ça, je trouve ça très sain en démocratie.
Vous, qu'est-ce que
vous entendez autour de vous? Comment vous vivez ça?
M. Gaulin (André) : Bien, je pense que les gens trouvent ça tout à fait normal qu'on ait ce
débat sur la laïcité, et ils ne
veulent surtout pas que ce débat-là soit identifié comme un débat réactionnaire,
un débat de fermeture. Et, comme le disait
le chef de l'opposition, un débat qui est, et je le cite, «largement basé sur
l'humiliation, la peur, le retrait — on est des assiégés, le monde entier
nous en veut, on a peur des autres». Ça, c'est le genre de discours qu'on peut
tenir et qui est antiélectoral si jamais
c'est un discours électoral qu'on voulait faire. Les Québécois ne veulent pas
passer pour des dupes, ils font un
débat et ils veulent être eux-mêmes et ils veulent se distinguer. Il y a une société
distincte, et ils ne sont pas comme les autres. On n'a pas notre
«résidence secondaire dans tous les Hilton de la Terre», comme dit le texte de Starmania.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, ceci termine le temps qui était
imparti au ministre. Alors, je vais du côté de l'opposition officielle,
le député LaFontaine, je crois. Allez-y.
M.
Tanguay : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, merci
beaucoup, messieurs, d'avoir pris le temps de rédiger avec votre groupe également ce mémoire et, aujourd'hui, de venir
nous en faire la présentation et de répondre à nos questions. Alors,
merci beaucoup pour votre participation.
J'aimerais
revenir rapidement — parce
que je sais que ma collègue va vouloir poser des questions — sur le débat de la loi 101. Je pense que, force est de constater… Et, à toutes les
fois que le ministre compare le débat de la loi 101 avec cette charte qui est devant nous, ce projet de loi
n° 60, il ne faut surtout pas oublier les étapes qui ont été
franchies : dépôt, première étape d'un livre blanc, le livre blanc
qui proposait certaines mesures en matière de francisation, deuxième dépôt, du projet de loi 1, qui est la deuxième étape, projet de loi 1, donc, tout s'est fait en 1977, projet de loi 1, et qui
a suivi, en juin 1977, par des consultations générales. Et, en juillet 1977, troisième étape, dépôt du projet de loi 101. Et il y a eu des modifications, il y a eu réellement des changements. On dit que, lors du dépôt du projet de loi 101, par rapport au projet de loi 1, il y avait
34 éléments différents, 60 amendements. Il y
avait réellement eu un coup de barre
là-dessus. Par la suite, 26 août 1977, quatrième
étape, l'adoption du projet de loi 101. Et, par la suite, autre étape, il y a
eu évidemment les ajustements avec les tribunaux et des modifications à la loi
101.
À la fin de toutes ces étapes
successives, évidemment, lorsque l'on dit aujourd'hui : Bien, la loi 101, la Charte de la langue française, aujourd'hui, recueille un appui extrêmement élevé, mais force est de constater que celles et ceux qui avaient des griefs et des récriminations à faire
valoir à l'époque ont eu le temps de le faire durant ces étapes
successives. Et je vous donne un exemple qui
est tiré du livre de Jean-Claude Picard, de 2003, biographie de Camille Laurin,
je vous donne un seul exemple qui est très révélateur et qui,
ironiquement, s'applique beaucoup à notre situation actuelle, et qui concernait, à l'époque, projet de loi 1 de la Charte de la langue
française, l'article 172. L'article 172 venait faire…avait comme objectif de mettre sur un pied d'égalité la
Charte de la langue française et notre Charte des droits et libertés de
la personne. Et, à l'époque, il y avait eu
un vif débat, donc début 1977, avant même évidemment qu'on se rende à la
charte actuelle de la langue française, sur l'article 172 : Est-ce que la
Charte de la langue française aura préséance ou sera au même niveau et pourra invalider des lois comme le ferait notre Charte
des droits et libertés? Et, à l'époque, le président de la Commission des droits de la personne,
Maurice Champagne, avait soulevé le point et avait débattu très vigoureusement
et vivement cet élément, cet article 172 du
projet de loi 1. Et, à la page 293 de la biographie de Jean-Claude Picard
sur Camille Laurin, il dit qu'aux yeux de
Camille Laurin, «les dispositions en matière de langue [du] travail visent
davantage la promotion des francophones que
la restriction des droits des anglophones, et il ne souhaite pas du tout partir
en guerre contre la Commission des droits […] de la personne.
«En
fait, l'article 172 sera complètement rayé de la version finale de la loi.»
Plus bas, on peut lire : «Les acteurs de l'époque s'entendront
toutefois pour dire que Camille Laurin n'a accepté de retirer cet article qu'in
extremis — cet
article qu'in extremis — et
à la demande expresse de René Lévesque, qui s'est montré sensible aux arguments
de Maurice Champagne et a exigé que l'on expurge du projet de loi [l'article
172].»
Alors,
on était entre deux étapes, projet de loi 1, projet de loi 101, un
article 172 qui mettait la Charte de la langue française en conflit avec la Charte des droits et libertés, le président
de la Commission des droits de la personne, Maurice Champagne à
l'époque, avait vivement protesté, et René Lévesque avait imposé à son
ministre, Camille Laurin, de retirer cet
article-là. Alors, quand on dit que le débat a été vigoureux quant à
l'adoption, dans le cadre du livre blanc, le projet de loi 1, le projet de loi 101, adoption et ajustement
par les tribunaux, il est très clair que ça a été très vif et ça serait encore très vif parce que ce n'est pas du tout la
même Charte de la langue française que l'on a aujourd'hui et qui fait en
sorte que le français — on a atteint nos objectifs — peut s'épanouir. Et ce qui est ironique,
c'est qu'en ce sens-là, aujourd'hui, on a encore la Commission des droits de la personne qui est venue très
clairement dire que le projet de loi n° 60 vient faire perdre des
droits aux Québécoises et Québécois.
Et
j'ai une question pour vous. Et est-ce que le ministre d'aujourd'hui se verra
imposer par la première ministre d'aujourd'hui…
Comme l'a fait Lévesque, il a imposé à Camille Laurin le retrait de l'article
172 du projet de loi 1 parce que ça
allait à l'encontre de la charte québécoise des droits… Lévesque a dit à
Laurin : On va écouter notre président de la Commission des droits de la personne, on retire
ça. J'ai hâte de voir, moi, si la première ministre va demander à
l'actuel ministre d'écouter la Commission des droits de la personne et de
retirer cela.
Chose
certaine, lorsque l'on compare, donc — et je conclus là-dessus — tout ce qui a entouré l'adoption — et
il y a beaucoup de documents disponibles aujourd'hui — de la
Charte de la langue française avec la charte du Parti québécois quant à la laïcité, ce n'est pas du tout la même chose. Et ce
qui est malheureux, je dois vous dire, c'est que le ministre a, d'entrée de jeu, dit que, sur l'interdiction
des signes, il ne bougera pas là-dessus. Alors, nous passerons 270
heures sur un élément dont la Commission des droits de la personne a dit que
c'était illégal et qu'il ne bougera pas sur ça.
On
parlait des droits et libertés. J'ai une question à vous poser par rapport à votre mémoire. Vous dites, dans votre mémoire, et je vous paraphrase… et vous avez même mis
cette section-là en gras, en caractères gras, à la page 5. Vous dites donc que l'on ne peut pas discriminer dans le
service que l'État et l'on ne doit pas discriminer dans le service que
l'État rend aux citoyens.
Le service que le citoyen reçoit ne doit pas faire l'objet de
discrimination basée notamment sur les convictions religieuses, le sexe,
le handicap, l'origine ethnique, etc., il y en a d'autres.
Ma
question à vous : Si l'on ne peut pas — il
est important, nous en sommes tous — discriminer
lorsque l'État rend son service, n'y
voyez-vous pas également une importance de souligner que l'on ne peut pas
discriminer à l'embauche, lorsque
l'on emploie les gens, entre autres, sur les mêmes motifs, discriminer... basé sur le sexe,
handicap, origine ethnique ou
conviction religieuse? Et c'est précisément ce que vient nous dire la Commission
des droits de la personne, on se rappelle de ce qu'elle avait dit à
l'époque sur le projet de loi 1 et 101, qu'il y a une discrimination à
l'embauche. Pouvez-vous m'aider à réconcilier ces deux situations?
• (11 h 10) •
M. Sénéchal
(Pierre-Paul) : Votre question est très, très longue, je ne sais plus
laquelle prendre, là, je vais quand même commencer par les présupposés.
Vous faites le
parallèle entre la loi 101 et le projet de loi n° 60 en termes de démarche
et de processus de consultation. À mon avis, il s'agit de deux réalités quand
même différentes en termes d'importance. Le projet de loi sur la charte de la langue véhiculait un enjeu
encore plus important, d'après moi, que celui-ci, c'était la question du
libre choix de l'enseignement, et ça avait
mobilisé l'opinion publique de façon extraordinaire. Devant ce parlement, un
certain mois de mars, je pense, il y avait 90 000
personnes qui venaient manifester contre le «bill» 69 de l'Union
nationale… 63, excusez, de l'Union nationale, qui donnait le libre choix à tout
le monde, et ce libre choix là, selon les démographes, touchait directement
l'avenir de la langue française au Québec.
Il
faut ramener ce projet de loi n° 60 dans des justes proportions, là. On
n'est pas en train de discuter de la fin du monde et de la fin du Québec, là. La présence du crucifix à l'Assemblée
nationale, là, ça ne demande pas des consultations qui vont durer des
mois. Je vous dirais même, pour répondre à ce que M. le ministre me posait
comme question et auxquelles je n'ai pas pu
répondre par manque de temps, comment les gens voient ça autour de nous. Mais,
mon Dieu, le débat sur le crucifix, là,
dans les régions, là, n'essayez pas de faire du millage avec ça, c'est déjà
classé, là. Il n'y a plus personne qui parle de ça, il n'y a pas d'enjeu
émotif autour de ça.
Je
pense que… moi, je le sens, dans mon entourage et l'entourage des membres chez
nous, c'est quelque chose… le débat est clos, tu sais, pratiquement,
arrêtons de vouloir faire du millage avec une affaire comme celle-là.
M. Tanguay : …dites-vous que
le débat est clos par rapport au crucifix dans les régions?
M.
Sénéchal (Pierre-Paul) : Parce que
je pense que, par rapport à d'autres priorités auxquelles on a à faire
face comme société, il n'y en a plus. Même M. Woehrling, que je citais tantôt,
dans son rapport, en 2002, nous disait… la question des crucifix dans les écoles, il nous
disait : Il n'y a plus de débat là-dessus. Ils sont classés et
doivent être classés comme des objets ou des reliques patrimoniales. Et
il fait même mention au crucifix de l'Assemblée nationale. Selon M. Woehrling, ce n'est qu'un objet symbolique qui
n'a pratiquement plus d'importance. Donc, arrêtons-nous plutôt aux choses qui ont de l'importance. Et je ne pense pas que le débat sur ce projet de loi là doit nécessiter autant de
consultations approfondies.
M. Tanguay : …selon vous, que
ça ne nécessite pas autant de consultations?
M.
Sénéchal (Pierre-Paul) :
Bien, parce que l'enjeu n'est pas le même, on touchait dans la langue
d'enseignement de l'ensemble des Québécois,
alors que ce projet de loi là ne touche que le personnel, les agents de l'État.
C'est beaucoup plus restreint, ça n'a pas la même portée.
L'autre
partie de la question que vous nous posez concerne le rapport ou le mémoire de la Commission
des droits de la personne, qui
prétend, je dis bien «prétend», qu'au-delà des signes religieux que vont porter
ou que pourraient porter les agents
de l'État, il faut d'abord considérer la capacité de ces personnes-là, qui
portent des signes, de donner un service de qualité et qui sera exempt
de toute connotation religieuse.
Nous, c'est
sûr qu'on s'inscrit en faux parce
que, on le dit dans notre mémoire,
les signes religieux sont comme les drapeaux,
ils ne servent qu'à communiquer des messages. Et je ne pense pas qu'imposer une
règle, comme vous le dites, soit une
discrimination, parce que toute personne, tout Québécois,
né ici ou né de l'immigration, aura toujours le droit de faire application dans le
service public. Je ne vois, à aucun endroit, une restriction à l'embauche ou
une restriction en droit envers quelque groupe que ce soit dans ce projet de
loi là.
M. Tanguay : …M. Sénéchal, dans la mesure où une personne a
une croyance, une conviction, comme Raymond Gravel, l'ancien député du bloc, qui dit : Moi, je porte ma croix,
et je n'impose pas ma religion à personne… Pour Raymond Gravel, c'est important de porter sa croix.
Puis, lui, demain matin, il ne se ferait pas embaucher par le ministre
parce que Raymond Gravel, lui, ne veut pas se départir de sa
croix. C'est important pour lui, c'est sa conviction religieuse.
Bien, la position, et c'est la question
que je vous pose, mais je vous la pose par une affirmation… Moi, je considère
que, si on dit à l'abbé Gravel : Non, ta conviction religieuse, tu
mets, de 9 heures à 5 heures, ta croix au vestiaire — lui,
c'est une conviction religieuse — ou sinon on ne t'embauche pas, c'est là
où je vois donc une discrimination à l'embauche basée sur une conviction
religieuse, ce qui est interdit par nos chartes.
Et la charte québécoise,
là, le droit à l'égalité de ne pas discriminer sur le sexe, la grossesse,
l'égalité des femmes, la croyance religieuse, c'est le fondement, c'est
un des piliers de la société québécoise, vous ne trouvez pas?
M.
Sénéchal (Pierre-Paul) :
Non. Moi, je pense que… Vous prenez l'exemple de l'abbé Gravel avec sa
croix, là, s'il y a une discrimination, c'est parce que M. Gravel…
M. Tanguay : Le veut.
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : …décide
de se discriminer lui-même.
M. Tanguay : Comment ça, il
décide ça?
M.
Sénéchal (Pierre-Paul) :
Bien, si un type comme M. Gravel décide, hors de tout doute, qu'il doit porter
sa croix pour travailler alors qu'il y a
une prescription qui va à l'encontre, il se discrimine lui-même
s'il veut absolument la conserver.
M. Tanguay : Et en quoi on peut plus facilement discriminer
sur la croyance religieuse versus la grossesse? Si une femme décide de
tomber enceinte, c'est sa décision. Au même titre que l'on ne peut pas
discriminer basé sur la grossesse, on ne peut pas discriminer basé sur la
croyance religieuse. En quoi c'est différent, ces deux cas d'espèce?
M.
Sénéchal (Pierre-Paul) : Mon
Dieu, M. le député, je
pense que c'est plus facile de… D'ailleurs,
M. l'abbé Gravel doit enlever sa croix lorsqu'il déjeune le matin, lorsqu'il
se couche le soir, lorsqu'il écoute la télévision. C'est quelque chose de relativement
facile à enlever. On ne pourrait pas dire la même chose pour une femme qui est
en situation de grossesse, là, je pense.
M. Tanguay : Êtes-vous d'accord avec moi, M.
Sénéchal, si j'essaie de résumer, parce
que, dans les deux cas, ça reste un choix de la personne, que parce que
c'est plus facile de discriminer basé sur la religion, on est plus permis
de le faire? Est-ce que c'est ça que vous dites?
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : Regardez, je ne voudrais pas qu'on fasse du
droit, parce que je ne suis pas un avocat. Vous en êtes un. Je ne suis pas un grand
spécialiste, mais j'ai regardé quand
même la charte, la Charte des Nations unies là-dessus. Et les chartes des
droits des pays, autant celle du Canada que du Québec, sont influencées par ce
pacte des Nations unies. Et j'ai beau relire l'article
sur la liberté religieuse, il y a des limitations dans l'exercice d'un droit,
même y compris le droit de l'expression
religieuse. Et le pacte des Nations
unies identifie déjà
qu'il peut y avoir limitation. Sans vouloir
faire un travail d'avocat, à partir
du moment où l'expression religieuse vient en opposition avec d'autres
droits des citoyens, ces droits des citoyens doivent être pris en considération
également. Le droit à l'expression religieuse n'est pas un droit absolu à 100 %, contrairement à ce que plusieurs
énoncent, et contrairement à ce que la Commission des droits de la
personne a énoncé.
Le
Président (M. Ferland) : Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce,
pour environ… Ah! Gatineau, excusez. Deux minutes à peu près, Mme la
députée.
• (11 h 20) •
Mme
Vallée : Merci. Merci. Alors, M. Sénéchal, M. Gaulin, merci de
votre présence. Je vous écoutais parler des régions et je vous dirais
que je ne partage pas tout à fait votre opinion. Moi, dans la région chez nous,
en Outaouais, l'immigration et l'intégration des immigrants se fait bien puis
elle est nécessaire. Elle est nécessaire, on a besoin des cerveaux, on a besoin des gens qui viennent
combler, entre autres, notre manque d'effectifs dans le milieu de la
santé, dans le domaine de la santé. Que
quelqu'un porte un signe religieux, c'est vraiment secondaire quand on pense
aux besoins de la population d'avoir accès à des services de santé.
Je
vous écoutais tout à l'heure et vous avez fait une déclaration pour laquelle je
vous demanderais de préciser. Parce
que vous avez dit, tout à l'heure, et corrigez-moi, vous me corrigerez si je me
trompe : Si on craint des mises à pied, c'est qu'il est déjà trop tard. Et je me demandais en quoi il pouvait
être trop tard. Qu'est-ce qui est trop tard? Qu'est-ce qui fait… Qu'est-ce vous dites par là? Parce que,
honnêtement, moi, s'il y a des gens issus de l'immigration à l'intérieur
de la fonction publique, je ne pense pas qu'il soit trop tard. Je pense que
c'est une bonne chose, je pense qu'ils répondent à un besoin et je pense que c'est une preuve ultime d'intégration dans leur
société d'accueil. Alors, j'aimerais vous entendre sur cette
question-là.
M. Gaulin
(André) : Bien, je pense qu'on veut dire…
Le Président (M.
Ferland) : …10 secondes.
M. Gaulin (André) : …s'il y avait eu des règles d'établies auparavant, on n'aurait pas à
constater des infractions.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, malheureusement, c'était, M. Gaulin… Je dois aller du côté de la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Merci, messieurs, merci pour votre mémoire. Il y a des
choses très intéressantes à l'intérieur de ce mémoire, mais, comme j'ai très
peu de temps, je vais tout de suite aller à vos
recommandations et aborder un point que vous n'avez pas abordé lors des
discussions avec le gouvernement et la première opposition.
Dans
vos recommandations, à la page 6,
vous nous parlez de l'article 38 du projet
de loi n° 60 et vous faites
des recommandations et vous nous
dites : Il y a «un bémol [qui] concerne les élus de l'Assemblée nationale», à l'article 38. «Les élus ne sont pas constitutifs de l'État, ils ne font qu'office de
médiation entre l'État et le citoyen.» Alors, pourriez-vous élaborer
votre pensée, je vous prie?
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : Peut-être qu'on… Oui, pardon. Je pense qu'on veut être
logiques, hein? Ce sur quoi se fondent
notre pensée, notre mémoire, c'est que, je le répète, le citoyen est détenteur
de la souveraineté de l'État, donc, c'est lui qui a les droits. Et, pour être concordants avec cet énoncé qui
supporte l'ensemble de notre présentation, si on dit que le citoyen est
détenteur, chacun, chaque citoyen est détenteur de la démocratie,
si, dans un milieu donné, les citoyens décident de voter et d'envoyer à l'Assemblée nationale comme un de leurs représentants une personne qui
affiche un signe religieux, au nom de
la démocratie, on ne peut pas l'empêcher, là. C'est sûr qu'un parti politique peut toujours dire : On va se donner comme règle de
ne pas accepter de candidats qui s'afficheront de façon trop ostentatoire.
Mais, en droit, on ne peut pas refuser… l'Assemblée nationale ne peut pas refuser à une personne indépendante,
de quelque parti, d'être élue par des citoyens qui décideraient de
l'envoyer, quelle que soit sa religion.
Mme
Roy
(Montarville) : Alors, là, je suis ravie de lire ça. C'est ce que je croyais comprendre
et vous confirmez votre appréhension
avec l'article 38. Et je veux juste terminer en vous disant que je suis tout à fait d'accord avec vous à cet égard, et c'est d'ailleurs la position
du deuxième groupe d'opposition à cet effet, que, si un candidat arbore un
signe religieux et est élu, le député n'est
pas un employé de l'État; il est un mandataire, il a un mandat. Alors, je suis
ravie de voir qu'on comprend la même chose à cet égard-là.
Oui? Vous vouliez
rajouter quelque chose?
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : Oui. Effectivement, vous confirmez ce que j'essaie de démontrer,
c'est que l'agent du service public est constitutif des institutions et
constitutif de l'État. Une institution, ce n'est pas juste une bâtisse, là.
C'est le personnel qui gère les programmes qui sont activés à l'intérieur.
Mme Roy
(Montarville) :
Et d'où il faut absolument faire la distinction : Qui sont, justement, les
employés de l'État? C'est bien important. Je vous remercie infiniment pour
votre réponse. Merci, messieurs.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, Mme la… Est-ce que vous avez d'autres questions? Oui?
Mme Roy
(Montarville) :
C'est beau, c'est très clair. Merci.
Le Président (M. Ferland) :
Ah! merci beaucoup. Je vais du côté du député de Blainville.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. M. Sénéchal, M. Gaulin, bienvenue. Je vais nous ramener
à la page 5 de votre mémoire, et j'ai
trouvé intéressant, dans le quatrième paragraphe… En fait, vous nous parlez du
principe de la neutralité qui «doit
s'inscrire formellement dans l'activité quotidienne du service public», hein? Vous
dites que, bon, l'apparence d'impartialité
est aussi importante que l'impartialité de l'État. Et, à la fin de votre
paragraphe, en gras, vous indiquez : «Aller à contresens de ce
principe conduit inévitablement à favoriser une attitude largement décriée, qui
est celle du "repli identitaire".» Je trouvais ça intéressant
parce que la majorité des gens qui sont venus ici, jusqu'à date, qui sont
contre le principe de la laïcité,
disent… en fait, appliquent ce principe-là à l'inverse, en disant : Ceux
qui sont pour la charte, c'est du repli, et vous, vous nous dites l'inverse. Alors, je voulais peut-être vous
entendre un peu plus parce qu'on n'a pas l'occasion souvent d'entendre
ce côté de la médaille là, là. Vous reprenez en fait un argument qui est
souvent repris par les adversaires.
M.
Sénéchal (Pierre-Paul) : Ah
bien! Et je n'ai jamais compris comment les adversaires pouvaient accuser
ceux qui supportent la charte de repli
identitaire, parce que, comme je le mentionnais au début de l'exposé, le repli
identitaire est religieux. On le voit où?
Actuellement, on le voit surtout dans la grande région de Montréal. On ne le
voit plus en région. Et où le voit-on
dans le service public? C'est dans cette manifestation de vouloir conserver, je
dirais, des attributs ou des pièces ostentatoires qui relèvent souvent,
je dirais, du folklore historique dans la prestation du service public, et, en
faisant ça, bien, on se situe dans le repli identitaire.
M. Ratthé : Et je comprends
votre réponse sur l'aspect historique… Mais, par contre, comme le ministre le mentionnait bien, ça ne touche pas qu'une seule
région, ça touche à l'ensemble de religions. Et je trouve très
intéressant, là, le parallèle que vous
faites avec les régions, Montréal, puis effectivement qu'on doit faire un seul,
hein, un seul… Et certains diront :
Bien, simplement, c'est parce que, dans les régions, c'est moins visible, c'est
parce que, dans les régions, ils sont moins concernés, alors qu'à
Montréal on est directement impliqués dans cette situation-là. Et on va souvent
entendre aussi que, dans les régions, les gens ont peut-être plus de craintes.
Évidemment, vous n'êtes pas de cet avis.
M. Sénéchal (Pierre-Paul) : Non.
M. Ratthé : Donc, je vous
remercie. Pour moi, en tout cas, c'est très clair, là, et surtout intéressant
de voir le parallèle que vous faites entre les régions et la région de
Montréal. Merci. Ça va, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : O.K. Merci, M. le député de
Blainville. Alors, merci à M. Sénéchal et M. Gaulin, que je rappelle…
Oui?
M. Gaulin
(André) : …déposer un
document qui est sur le crucifix à l'Assemblée nationale, l'histoire qui
fait dire que c'est Duplessis qui l'a déposé
alors que c'est autant le gouvernement Taschereau que le gouvernement de
Duplessis. Et c'est un article de l'historien Gaston Deschênes, qui fait le
bilan de ça et qui nous rappelle d'ailleurs qu'il y avait un crucifix dans cette Assemblée et que, s'il y en a
encore un à l'Assemblée nationale, c'est qu'on a oublié de l'enlever
quand le Conseil législatif est disparu. Alors, voilà, vous savez notre
position.
Document déposé
Le
Président (M. Ferland) : Alors, nous allons distribuer… faire
des copies pour l'ensemble des parlementaires. Peut-être en cinq
secondes, monsieur, rapidement.
M.
Sénéchal (Pierre-Paul) :
Juste un petit mot, un petit mot de la fin pour vous dire merci de nous avoir
entendus. Et, pour nous, ce projet de loi là est très important, et on fait
appel aux partis en présence, partis politiques bien sûr, de faire le… de
laisser tomber…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, je dois… Malheureusement, le
temps est écoulé, c'est... Évidemment, j'ai quand même un travail assez ingrat, hein, vous le savez. Alors, merci
encore, M. Sénéchal, M. Gaulin, qui, je le rappelle, ça a été mentionné
tout à l'heure, qui a été député de Taschereau de 1994 à 1998.
Et, sur ce,
je vais suspendre quelques instants afin de permettre à Mmes Line Chaloux,
Marie Michèle Dimanche et Madeleine
Vézina Saiga, qui sera accompagnée de Mme Anastasia Nikulina — j'espère que je les prononce bien, sans ça,
vous me corrigerez tout à l'heure — pour permettre de prendre place tout à
l'heure. Alors, je suspends quelques instants.
(Suspension de la séance à 11 h 30)
(Reprise à 11 h 33)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Alors, nous recevons Mme
Line Chaloux, Mme Marie Michèle Dimanche
et Mme Madeleine Vézina Saiga. Alors, je ne sais pas qui est qui. Je vous
demanderais peut-être de vous présenter, pour les fins de
l'enregistrement, pour mettre vos noms aux bons endroits. Alors, à vous
la parole, en vous mentionnant que vous avez 10 minutes qui seront suivies bien
sûr d'une période d'échange avec les parlementaires.
Mmes Line Chaloux,
Marie Michèle Dimanche
et Madeleine Vézina Saiga
Mme Chaloux (Line) : D'accord.
Alors, moi, je suis Line Chaloux.
Mme Vézina Saiga (Madeleine) : Moi,
je suis Madeleine Vézina Saiga.
Mme Dimanche (Marie Michèle) : Marie
Michèle Dimanche.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Alors, à vous la parole.
Mme Chaloux (Line) : Oui. Alors, eh
bien, nous, ce qu'on dépose aujourd'hui, c'est ce qu'on a déjà déposé, l'échange
est prévu, c'est… On propose que la charte, pour rapetisser son nom, puisse
porter le nom de la charte de Champlain, en
mémoire de Champlain, qui avait ce rêve de faire du Québec,
de la Nouvelle-France, un Québec
inclusif, un Québec où les éléments
fondamentaux permettaient de développer une société dont la diversité
serait la richesse. Et je pense qu'on a le privilège d'avoir hérité de cette société
ouverte et communautaire, où tous les acteurs savent se mobiliser, où la
culture est plus vivante que jamais et où notre patrimoine idéologique, bien,
se caractérise pour devenir notre référence identitaire, mais où le patrimoine
humain est le gage des nouvelles générations, qui pourront avoir cette opportunité de vivre dans une société
où la dignité humaine et la liberté sont les éléments fondamentaux. Et c'est un peu dans cette voie-là qu'on considère que ce qui est le plus important dans
la charte des valeurs, c'est de retrouver la dignité humaine et la liberté de conscience qui était le
coeur, un peu, du rêve de Champlain, de voir ce rapprochement-là entre
les communautés présentes sur le territoire.
Et je pense que, si on veut faire un pays, bien, ce pays-là doit inclure tous
ceux qui y vivent. Et, pour nous, ce
qui est important aussi, c'est qu'il y ait une suite à cette charte. Et ce
qu'on propose, c'est que cette suite-là
puisse être reprise dans les MRC, et qu'il y ait de l'éducation populaire qui
soit offerte, et qu'il y ait des programmes issus du ministère pour
pouvoir actualiser la charte.
Mme Vézina
Saiga (Madeleine) : Bonjour.
Moi, j'aimerais qu'on ait un moment de silence dirigé vers notre coeur. Il faut prendre conscience qu'on est privilégiés
d'être ici aujourd'hui. J'ai beaucoup de gratitude envers vous, les membres
de la commission, car l'unification des
peuples est présente. J'ai beaucoup d'espoir que notre pays soit un modèle
universel d'harmonie et de diversité. La
dignité humaine et la liberté de conscience sont des valeurs fondamentales à
partager. Malgré tous les traités qui ont été signés, on n'arrive pas
toujours à faire respecter nos droits. On coupe les arbres qui sont les poumons de notre terre, on exploite nos terres
sans planification pour les futures générations. Mais notre façon de
voir, ici, maintenant, a une influence pour les sept prochaines générations.
Tout est rond pour nous, rien n'est linéaire.
Notre vie, ce n'est pas juste une vie à la mode, c'est un mode de vie. On n'est pas juste des objets de
consommation, on est des créateurs. Un mode de vie collectif donne à chacun sa
valeur, sa dignité et son importance. La
paix et l'harmonie font partie de ce cercle sacré qui est la vie et tout dépend
de chacun. Nos valeurs fondamentales
sont le respect de l'eau, de l'air, du feu, de la terre, des plantes, et etc.,
car le changement est un ajustement perpétuel. Nous sommes les phares de
nos ambitions. Ensemble, nous devons évoluer et unifier nos valeurs. Grand-père William Commanda, porteur des
wampums, dirait : Élevons nos consciences dans la paix et dans l'amour,
partageons et unifions des traditions de nos ancêtres tout en respectant le
destin des prochaines générations. Visionnaires,
nous le sommes tous. Nos prophéties parlent des sept feux, les ceintures
wampums en témoignent. La vérité, c'est qu'on devra allumer le huitième
feu. Sommes-nous prêts à en parler et à agir ensemble? Merci. «Meegwetch».
• (11 h 40) •
Mme
Dimanche (Marie Michèle) :
Bonjour. Je me prénomme Marie Michèle Dimanche. Haïtienne d'origine, je vis au Québec depuis 43 ans bientôt. Et, si je
suis ici, c'est parce que je suis consciente de l'apport que je voudrais
apporter à ma société d'accueil. J'ai cette chance de venir d'un pays dont la
langue est le français, mais j'ai aussi en tête cette petite phrase et la… dans la sagesse de ma mère qui m'accompagne, en me
disant que c'est en voyageant… la première chose que j'aurai à faire, c'est d'écouter l'autre et de savoir me faire
découvrir tout en me faisant respecter. Ma mère était une philosophe,
d'une certaine manière, et, si je partage ma culture à travers le Québec comme
conteuse, et viendra bientôt le Mois de
l'histoire des Noirs, j'irai dans les écoles, c'est parce que je suis fière de
cette culture haïtienne que j'ai et de
la culture québécoise que j'ai apprise. Mais surtout ce qu'il y a, c'est que…
le plus beau mot que ma mère
m'avait dit, c'est que, quand on arrive quelque part et que tout le monde danse sur un pied, que je devrais apprendre à
danser sur un pied et non pas sur deux pieds, et pour prendre les valeurs
du pays d'où j'allais.
Et me voilà maintenant
face à l'histoire québécoise. J'ai bourlingué quelque part, quelque peu, au Québec,
et je sais que, depuis 1760, nous menons cette bataille-là. Et, pour
revenir à Champlain, n'oublions pas aussi que Champlain, quand il est arrivé, quand il a monté son fort, il
a demandé de l'aide. Il a d'abord demandé s'il pouvait ériger son fort, et
le soutien lui a été
apporté. Il est bien que l'idée de la charte puisse susciter autant de vives
réactions, j'en suis très fière parce qu'on ne fait pas d'omelette sans
casser des oeufs.
Et, pour
parler un peu de la laïcité, pour être brève, j'aimerais qu'on me dise vraiment
quel sens on donne au mot «laïcité».
Ce mot-là qui, depuis des siècles… Et, moi, ça m'a fait rebondir à mon histoire
générale, me ramenant jusqu'à Marc
Aurèle, qui, lui, se demandait, en tant que politicien, qu'est-ce qu'il voulait
apporter à sa nation et qu'est-ce que l'homme
allait faire de ce qu'il voulait apporter. Si on se met ensemble d'une façon
unitaire, si on s'unifie, et je pense que nous pourrons agir en posant des
gestes qui fassent que l'immigrant ou l'étranger, appelez comme on le veut, se
sente à l'aise ici, chez nous.
En conclusion, souvenons-nous de toutes ces
batailles menées jusqu'ici. Comme dans la chanson En un seul peuple rapaillé,
que j'ai trouvée cette semaine, on dit bien que
«Nous sommes pays que l'on se donne
Avec les mains, avec le coeur
Depuis des siècles, on le façonne
Dans le courage et la sueur.
«Nous sommes pays chargé d'espoirs
Où le canon est dérisoire
La liberté est à portée
[Par] des voix qui osent la réclamer.»
Combien nous
avons peiné, nous, pour sortir de la torpeur dont nous sommes, et surtout face
au catholicisme, et combien nous
avons souffert pour arriver où nous en sommes. Alors, je crois que, si nous
tentons de préserver nos droits, nous
arriverons vraiment à être fiers de ce Québec et nous arriverons… et moi, je
serai encore d'autant fière de dire que je suis Québécoise, parce qu'on me pose toujours la question : Tu
es-tu Haïtienne ou tu es Québécoise? Je suis entre les deux, j'ai deux drapeaux; celui de mon coeur, celui de
mon pays et celui qui est face à moi. Je vous remercie de m'entendre.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Merci, mesdames. Alors, nous allons maintenant à la période
d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.
M.
Drainville : Très
bien. Merci beaucoup, mesdames, pour votre témoignage empreint de… je dirais,
de sérénité, de dignité. Il y a quand même une certaine, je dirais,
sagesse dans ce que vous nous transmettez. J'aime beaucoup les premières lignes
de votre mémoire, quand vous dites : «L'équilibre social dans les
relations humaines existe dans la mesure où
les valeurs de chacun permettent à tous d'évoluer dans une sphère de respect et
de dignité.» Et vous avez raison de dire
que, dans ce débat en particulier, même si on a des désaccords, il faut quand
même se respecter les uns les autres. Puis
moi, je pense, ce n'est pas juste parce qu'il faut accepter qu'en démocratie on
ait des désaccords et que c'est normal d'avoir
des désaccords… Mais je pense aussi que l'esprit qui va marquer la discussion
puis l'éventuelle adoption de ce projet va… si cet esprit-là est un
esprit de respect pour l'autre, pour la position contraire, ça va faciliter de
beaucoup l'éventuelle mise en oeuvre du projet.
Si des gens
qui étaient contre la charte se sont sentis respectés, une fois que le verdict
démocratique sera tombé, une fois que
la loi aura été votée, je pense qu'ils vont être beaucoup plus enclins à
respecter cette loi-là, même s'ils n'étaient pas d'accord avec la loi à
l'origine.
Par ailleurs, vous mentionnez le fait que le
Québec est une terre qui accueille chaque année… Vous utilisez le chiffre de 45 000 nouveaux
Québécois, il y a des années, c'est plus près de 50 000. Et que tous, je
vous cite : «Tous participent activement au développement
économique, social et culturel de la nation.» Je suis absolument d'accord avec
vous. Je pense que c'est très important de le répéter. D'ailleurs, ma collègue,
Mme De Courcy, la ministre de l'Éducation…
excusez-moi, de l'Immigration et des Communautés culturelles, soulignait, dans
un texte qu'elle a publié ce matin,
que les demandes pour émigrer au Québec ont augmenté entre 2013 et 2012. Et
même, depuis que la charte a été déposée en septembre dernier, le nombre
de personnes qui souhaitent venir nous rejoindre a augmenté, y compris en
provenance du Maghreb; je pense que c'est important de le noter en passant.
J'aimerais
bien que vous nous éclairiez un petit peu sur le lien que vous faites entre Samuel
de Champlain et la question de la
laïcité. Je dois dire que… Je pense comprendre l'esprit du parallèle que vous
tracez, mais j'aimerais bien que vous
nous éclairiez un petit peu plus là-dessus. Et puis, par la suite, j'aurai
quelques questions à poser à Mme Dimanche, qui m'a beaucoup touchée
également par son témoignage.
Mme
Chaloux (Line) : Alors,
bien, je crois que, dans tout ce qu'on peut lire sur Champlain et dans la
littérature, aujourd'hui on arrive à
démontrer à quel point cet homme a eu une vision particulière du développement
de la Nouvelle-France,
comparativement à la colonisation des Anglais et des Espagnols. Il avait comme
objectif de favoriser l'émergence d'une
société, pour ne pas dire d'une civilisation, où le respect et l'égalité étaient
le fondement. Et, dans cet esprit-là, nous considérons que c'est bien, de faire des accommodements raisonnables
avec les nouveaux arrivants — j'ai donné ma vie presque pour m'occuper de l'intégration et de
l'accompagnement des nouveaux arrivants — mais je crois que ce serait bien important qu'on s'occupe aussi des
autochtones, qu'on ait la présence d'esprit de faire des accommodements
pour ce peuple qui est ici… selon les
dernières statistiques, là, plus de 35 000 ans de présence humaine en
Amérique avant l'arrivée des
colonisateurs. Et on a encore ici, au Québec, des jeunes qui ne sont pas
capables d'aller à l'école, qui n'ont pas accès à des soins de santé, des mères qui n'arrivent pas à
nourrir leurs enfants. Et c'est sur notre territoire, c'est au Québec
que ça se passe. Et je pense que, si on veut être égalitaires, bien il faut que
toutes les personnes qui vivent sur notre territoire puissent avoir accès aux
mêmes services.
Et Champlain avait comme référence à
la laïcité le fait que… Dans un premier temps, c'était une personne qui était protestante, qui est arrivée ici avec
l'ambition de créer une société laïque, où il n'y aurait pas de domination
religieuse. Malheureusement, l'histoire a
amené toutes sortes de changements, de modifications. On l'a forcé à se
convertir, on a forcé par la suite
les autochtones à se convertir aussi. On ne fera pas le procès de ce qui s'en
est suivi, mais il reste que le manque
de laïcité dans l'histoire du Québec a démontré à quel point on a creusé des
fossés entre les groupes qui constituent notre population ici. Alors, le lien qu'on fait avec Champlain, c'est
cette volonté-là de créer une société où il n'y aurait pas de domination religieuse, où l'État n'était
pas dominé par une volonté catholique. Ai-je répondu à votre question?
M. Drainville :
Très bien. Peut-être madame souhaiterait rajouter quelque chose là-dessus? Sur
la dynamique entre Champlain et les Premières Nations, je ne sais pas?
Parce que c'est quand même un élément important de votre mémoire, là.
Mme Vézina Saiga (Madeleine) : Bien, il y a eu énormément de collaboration avec
notre ami Champlain. Et, à cette
époque-là, lui, il était un visionnaire qui disait que, malgré tout, chaque
personne avait sa couleur et sa force pour bâtir un monde meilleur. Ce
n'était pas une question que les Amérindiens étaient différents.
• (11 h 50) •
M. Drainville :
Très bien. Juste au cas où les gens qui nous écoutent se poseraient la
question, je veux juste préciser que
le projet de loi n° 60 ne modifie en rien les relations de nation à nation
qui prévalent depuis déjà plusieurs décennies entre le gouvernement du Québec et les nations, les Premières Nations et
la nation inuite; je pense que c'est important de le dire. Dans le projet de loi que nous avons
déposé, il y a… Dans le fond, on s'assure que les institutions des
Premières Nations et les institutions de la
nation inuite ne soient pas visées par le projet de loi. Donc, il y a cette
reconnaissance, là, je dirais, du statut… la
confirmation du statut qui existe déjà depuis la fameuse déclaration du
gouvernement de M. Lévesque, en 1984, là, sur les relations de nation à
nation qui doivent exister sur notre territoire.
Dans
votre mémoire, vous dites que la laïcité, elle est importante pour assurer la
dignité humaine. Pourquoi cette laïcité est-elle importante pour assurer
la dignité humaine?
Mme Chaloux
(Line) : Bien, chaque personne a un apport dans notre société, a
quelque chose à apporter, qu'importe son
appartenance religieuse. Et je crois qu'on vit présentement une élévation de la
conscience, hein, au Québec, qui
permet d'être plus proches les uns des autres. On voit, là, les églises
catholiques qui ferment et on voit des églises protestantes qui émergent
un peu partout et je pense qu'il est très important qu'on réussisse à créer des
liens entre toutes ces personnes-là et qu'il
n'y ait pas de discrimination selon l'appartenance religieuse. Donc, la laïcité
permet de faire en sorte que les gens
ont la même possibilité de s'exprimer, de fréquenter les mêmes écoles, d'avoir
des emplois similaires, qu'importe
leur appartenance religieuse. Mais dans un contexte de service, bien, c'est
important que les gens sentent qu'ils
ne sont pas visés par une doctrine qui serait étatique. Donc, il faut
absolument que l'État soit laïc. Et on a entendu, hein, depuis le début de cette commission, toutes sortes
d'exemples de personnes qui ont pu sentir, maintenant de moins en moins par l'Église catholique, mais
dans plusieurs cas, ça peut être par des pressions issues de l'Islam ou
des intégristes qui sont ici…
Alors, il y a une
importance fondamentale dans la laïcité qui favorise, chez tous les citoyens,
une liberté de conscience. Il faut absolument
que chaque citoyen, qu'importe où il est, puisse agir en toute liberté et qu'il
ne se sente pas confronté à avoir à justifier sa foi. Et, dans ce même
ordre d'idées là, j'oserais dire : Dans une société laïque, on ne devrait pas avoir, à aucun moment, à justifier sa
position catholique, protestante, musulmane ou quoi que ce soit. Même, j'irais jusqu'à dire : J'ai de la difficulté
à comprendre comment c'est permis aux Témoins de Jéhovah d'embarquer sur
mon terrain privé, sur ma galerie, de venir
frapper à ma porte pour que j'aille argumenter sur ma religion. Mon
terrain, ma liberté de conscience ne
devraient pas permettre la possibilité de faire du prosélytisme sur le terrain
privé, pas juste dans l'espace
public, mais même dans notre vie privée, dans nos institutions, dans ma maison.
Le samedi matin, il faut que j'ouvre la porte, puis que je justifie à
quelqu'un. Bien, si on est une société laïque, on ne devrait pas avoir à faire
ça. Il n'y a pas juste l'espace public qui
doit être laïque, la propriété privée aussi devrait être laïque et devrait
avoir des normes, des respects qui font que je n'ai pas à me justifier.
M. Drainville :
Donc, si je vous comprends bien… Alors, d'abord, vous comprenez bien que pour
le projet de loi n° 60, on parle,
d'abord et avant tout, des institutions d'État, là. On parle des personnes qui
travaillent pour l'État.
Donc,
si je vous comprends bien, puis, là, j'aimerais ça que vous précisiez votre
pensée là-dessus, la laïcité, pour vous,
c'est une… bon, on a compris, c'est une condition d'égalité, c'est une
condition de respect de la liberté de conscience de tous et de toutes. Est-ce que ça veut dire, à ce moment-là, pour
vous, que, si tu travailles pour l'État, pendant tes heures de travail, tu dois garder pour toi tes convictions
religieuses et, donc, tu ne dois pas les afficher de quelque façon que ce
soit?
Mme Chaloux (Line) : Il ne faut pas les afficher puis il ne faut pas non plus essayer de les
imposer, hein? On a vu, on a entendu, là, dernièrement… puis moi-même,
je l'ai vu, là, avec la clientèle immigrante avec qui on travaille, des
personnes qui peuvent se retrouver dans des situations où soit l'infirmière,
soit le traitant est un musulman, et qui va essayer,
hein, de demander : Comment ça se fait que tu bois? Comment ça se fait que
tu ne portes pas le foulard? Comment ça
se fait… Et ça, c'est invraisemblable
dans un Québec où on a une liberté de conscience. On ne devrait
pas… qu'un fonctionnaire ou quelqu'un qui travaille pour l'État ait
l'opportunité de questionner un citoyen sur sa pratique.
M. Drainville : Ça fait quelques
fois que vous dites que vous travaillez avec les nouveaux arrivants. Est-ce que
je peux vous demander?
Mme
Chaloux (Line) : Oui. Moi,
je travaille au COFFRET, à Saint-Jérôme, qui est un organisme d'accueil
et d'établissement, là, des nouveaux arrivants dans la région des Laurentides.
M.
Drainville : O.K.
Puis l'anecdote que vous venez de raconter, là, les observations que vous avez
faites, ça, c'est dans le cadre de votre travail au sein de l'organisme?
Mme Chaloux (Line) : Bien, des
personnes… Moi, je n'avais jamais entendu ça de la part… sinon dans des histoires de grands-mères, où des femmes avaient
accouché, puis que les infirmières, c'étaient des religieuses, puis qui avaient dit aux femmes : Tu as voulu faire
ça, bien, tu vas souffrir pour. Puis, tu sais, c'était comme un discours
qu'on a eu il y a 50 ans, il y a 60 ans.
Mais qu'aujourd'hui, parce qu'il y a des infirmières d'origine islamique, elles
se retrouvent dans des situations où elles ont à intervenir avec des
gens, bien là, si elles ramènent ce sujet-là sur la table, c'est inacceptable,
inacceptable.
Et ce qu'on
entend beaucoup, c'est que la majorité des gens qui arrivent du Maghreb, ils
arrivent ici pour vivre la laïcité,
hein, pour quitter des États où… On a beau dire qu'en Tunisie c'est un exemple,
mais ils ont besoin de beaucoup de vigilance en Tunisie présentement,
là, hein, ce n'est pas… J'ai des amies, moi, à Tunis qui ont dû remettre le
voile dans certaines circonstances, là. Alors, il ne faut pas penser que tout
est attaché.
Ça fait que
moi, je pense qu'ici la vigilance est de faire en sorte qu'on ne se retrouve
pas dans des situations où des personnes
qui interviennent avec la population aient l'instinct de ramener la personne
qui est devant elles à suivre des doctrines religieuses. La neutralité
doit se retrouver partout et la laïcité doit être permanente dans les
garderies, dans les hôpitaux, dans les écoles, dans le palais de justice, dans
les prisons.
M.
Drainville :
L'exemple que vous avez donné tout à l'heure, là, si je vous ai bien entendu,
là, vous avez dit qu'il y avait des cas de dames…
Mme Chaloux (Line) : On l'a entendu
ici, on l'a entendu ici, une femme qui est venue témoigner qu'elle avait été questionnée, et l'infirmière ou
l'intervenante qui travaillait avec elle était voilée, et elle lui a dit :
Tu ne bois pas, en voulant dire : Tu ne peux pas boire. Et, nous,
ce qu'on a comme témoignage, c'est que les personnes, quand elles se retrouvent avec des gens du même groupe ethnique
ou de même groupe religieux qu'eux, ressentent cette pression-là.
M.
Drainville : Ce que
j'ai compris du témoignage de Mme Kichou, c'est qu'elle a interprété le port du
voile par une stagiaire, si je ne m'abuse,
comme étant une forme de jugement sur elle, sur elle-même, comme usagère, si on
peut dire, du système de santé…
Mme Chaloux (Line) : …
M.
Drainville : …elle
s'est sentie mal à l'aise parce qu'on lui posait la question sur sa
consommation d'alcool, la dame
disait : Je n'ai pas de problème d'alcool, là, mais je devais quand même
répondre à la question, et le fait que je me suis trouvée en présence de
quelqu'un qui portait un signe religieux, je me suis sentie jugée, donc je n'ai
pas répondu à la question. Je pense, c'était plus dans ce sens-là qu'allait son
témoignage.
Mme
Chaloux (Line) : Nous,
excusez-moi, on a vu… J'ai dû intervenir, moi, dans un hôpital, là, à Sainte-Agathe,
auprès d'infirmières qui avaient à travailler avec une clientèle juive, et il y
avait aussi ce regard-là un peu où des personnes,
que j'oserais dire catholiques non pratiquantes, voulaient imposer leur façon
de faire aux femmes juives, et il y a dû… on a fait des interventions,
on a travaillé ensemble pour en venir à considérer que leur rôle, c'était de
soigner la personne, ce n'était pas de changer la personne.
Si elles
veulent s'impliquer puis donner de la formation pour l'émancipation des femmes,
bien, il faut qu'elles le fassent en dehors de leur cadre de travail. Tu
sais, il y a une place pour chaque chose, mais, au niveau des services de
l'État, ce n'est pas là, ce n'est pas là qu'on doit ramener les gens à suivre
des doctrines religieuses.
• (12 heures) •
M.
Drainville : Mme Dimanche, vous avez dit tout à l'heure… Je ne pense pas me tromper, là. Si je me trompe, vous me
corrigerez. Mais je pense que…
Mme Dimanche (Marie Michèle) :
Voulez-vous juste… Je ne vous entends pas trop bien.
M.
Drainville : Oui. Ce que vous avez dit tout à l'heure, Mme Dimanche, je pense avoir bien cité. Je pense bien, bien, avoir bien compris ce que vous avez dit.
Vous dites : Il faut s'assurer que les immigrants se sentent à l'aise ici,
chez nous. Je pense que c'est à peu près les
mots que vous avez utilisés. Est-ce qu'à votre avis la charte de la laïcité va
aider à ce que les immigrants, ou je préfère toujours l'appellation nouveaux
arrivants, est-ce que vous pensez que la charte va permettre aux nouveaux
arrivants de se sentir à l'aise ici, chez nous?
Mme Dimanche (Marie Michèle) : Bien, je pense qu'en fait ça devrait l'être. Mais
sauf que l'acte que nous posons ici par rapport à la laïcité ou par
rapport à la charte, c'est quelque chose qui aurait dû être fait depuis très
longtemps. Bien avant que l'immigrant arrive, il faudrait qu'il y ait quelque
part qu'on lui dise : Voilà, c'est ça qu'on vit. Nous sommes ici. Nous
sommes au Québec. Le Québec, oui, il est enchâssé dans le Canada, mais nous
sommes un… Je regardais
Mme Payette l'autre jour. Moi aussi, malgré… Après 43 ans, j'aime à dire que
c'est mon pays. C'est comme si on me
dit : Bon, tu es née où? Bien, je suis née en Haïti. Ou bien je suis née à
Jérémie. Mais je vis ici, au Québec. J'ai embrassé cette manière de faire. Alors, pour moi, s'il y a des choses…
Si on m'avait dit : Ah, il y a telle chose, telle chose. On les
fait de telle manière. On ne s'exprime pas de telle manière. Je pense que, quand
on est bien informés, ça va. Mais, quand on
commence à mettre des balises, il faut que ces balises-là soient très, très
bien encadrées, bien encadrées.
M. Drainville :
Alors, je tiens à vous dire que, pour moi, vous êtes une Québécoise. Vous êtes
une Québécoise d'origine…
Mme Dimanche
(Marie Michèle) : Faites attention.
M. Drainville :
D'origine haïtienne hein?
Mme Dimanche
(Marie Michèle) : Oui, oui, oui. Bien sûr.
M. Drainville :
Ça va, ça?
Mme Dimanche
(Marie Michèle) : Bien sûr.
M. Drainville :
C'est bon. Alors, vous disiez aussi en parlant de votre mère, votre mère, qui
disait : Quand tu arrives dans une société où on danse sur un pied, il faut
danser sur un pied… Je pense que c'est grosso modo ce que vous disiez.
Mme Dimanche
(Marie Michèle) : Oui.
M. Drainville :
Oui.
Mme Dimanche
(Marie Michèle) : Bien, je… Oui.
M. Drainville :
Ce que vous dites, c'est que, quand on arrive dans une société comme la société
québécoise, par exemple, il faut…
Mme Dimanche (Marie Michèle) : …la société. Quand on arrive… Je vais chez
quelqu'un. La manière de faire de la personne, ses us et coutumes sont
les siens. J'ai mes us et coutumes, sauf que mes us et coutumes ne sont pas
pour autant ceux de celle avec qui j'ai une
conversation. Ma mère, moi et… M. Diouf parle toujours de son grand-père.
Moi, je vous parlerai de ma mère. Ma mère,
elle me disait toujours : Écoute, comme je vous dis, tu vas en quelque
part; on danse sur un pied et tu danses sur un pied. Et c'est comme… le
respect de l'autre est là aussi.
M. Drainville :
Le respect de la société d'accueil, vous voulez dire.
Mme Dimanche (Marie Michèle) : Pas juste de la société d'accueil. De la personne
avec qui je converse. Parce que, quand je converse, comme elle me le
dirait encore, à la manière les Mme de Scudéry : La conversation est très importante. La manière dont on converse et que je
converse avec vous maintenant, si vous me faites savoir d'où je viens,
si vous me le demandez, et je peux vous le dire, mais dites-moi d'où vous allez
avec la charte. Moi, je suis ici pour ça. Oui,
je suis ici pour vous dire que je suis et ce que j'attends. Je sais qu'on va me
poser des questions, mais j'aimerais sortir d'ici en me disant : Ouf, voilà! Je pense que vous avez répondu à
mes questions. Ou : Je pense que vous avez répondu à certaines de
mes attentes.
M. Drainville :
Bien, on veut la faire adopter. C'est là qu'on s'en va. Et malheureusement il
me reste très peu de temps de temps. Donc, je ne pourrai pas m'étendre
très longtemps.
Mme Dimanche
(Marie Michèle) : …adopter tout de suite, de sorte que je le sache,
d'où vous venez.
M. Drainville :
Vous voulez savoir d'où je viens?
Mme Dimanche (Marie Michèle) : Mais non. Non, je sais. Vous me dites… C'est un
jeu de mots. Vous me dites que vous
voulez l'adopter. Moi, je vous dis : J'aimerais bien vous adopter, sauf
que j'aimerais bien savoir d'où vous venez.
M. Drainville :
Oui. Bien, écoutez, c'est une longue histoire. C'est une longue histoire.
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, il reste à peu près
20 secondes pour l'expliquer, M. le ministre.
Mme Dimanche
(Marie Michèle) : …je m'excuse, mais ça sort de…
M. Drainville : Mais je viens
de l'Île-Dupas, un petit village sur le fleuve Saint-Laurent.
Mme Dimanche (Marie
Michèle) : Bien, vous n'êtes pas loin. Moi, je viens de
Port-au-Prince. Alors, on n'est pas loin.
M. Drainville : C'est
parfait. On vient tous les deux d'une île.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, malheureusement, les deux îles nous séparant de… Je dois aller du côté
du parti de l'opposition officielle. Alors, le député de LaFontaine.
M. Tanguay : Merci beaucoup,
M. le Président. Alors, merci beaucoup, mesdames, d'avoir pris le temps de
rédiger le mémoire, et de nous en faire la présentation, et de répondre aux questions
ou d'échanger, je dirais, avec nous aujourd'hui.
Mme Chaloux,
je crois que c'est vous qui oeuvrez, entre
autres, au sein de l'organisme le
COFFRET. Et j'ai un extrait ici de votre site Web : le COFFRET est
un «centre d'orientation et de formation pour favoriser les relations ethniques
traditionnelles». Je continue de lire dans votre... sur ce site Web, site
Internet : «Service communautaire d'immigration dans les Laurentides.» Et
vous êtes situé dans la ville de Saint-Jérôme.
Et, Mme
Chaloux, vous parliez d'un exemple dont vous avez été témoin à l'hôpital de
Sainte-Agathe. Pouvez-vous nous
raconter ce qui s'est passé à l'hôpital de Sainte-Agathe? Vous disiez, à ce
moment-là, qu'il y avait eu des services qui avaient été... et je vais vous laisser qualifier les services, là,
par rapport à des femmes juives, je crois. Pouvez-vous nous raconter...
nous donner plus de détails quant à ça?
Mme Chaloux (Line) : Alors, le
COFFRET, on travaille en partenariat avec beaucoup d'institutions dans les
Laurentides, autant au niveau de l'éducation, de la santé, de la justice. Et on
a été interpellés pour intervenir à l'école Sainte-Agathe
pour donner une formation aux intervenantes, aux infirmières qui avaient à
travailler... parce qu'il y a une communauté
juive assez importante à Saint-Jérôme... à Sainte-Agathe, excusez-moi. Et la
direction de l'hôpital considérait qu'il
y avait beaucoup de réactions chez les intervenantes quand elles avaient à
travailler avec les femmes juives. Et ces interventions-là venaient du
fait que les infirmières ou les intervenantes, quand elles avaient devant elles
une femme juive accompagnée de son mari et
que c'était le mari qui répondait toujours aux questions, alors les
infirmières, elles se sentaient pas
mal frustrées, et elles voulaient changer la situation. Elles voulaient
intervenir pour que la femme change de comportement.
Malheureusement,
ça créait beaucoup de... comment je pourrais dire, de retard dans le
traitement, parce que la femme venait
se faire traiter pour quelque chose, et, finalement, parce que la personne qui
travaillait là, elle, elle voulait intervenir sur un comportement, bien,
ça prenait beaucoup de temps. Et là elles s'apercevaient qu'à chaque fois qu'il
y avait des personnes juives qui venaient se
faire soigner, bien, ça prenait plus de temps que quand elles travaillaient
avec des Québécois.
Et là on a fait un travail ensemble pour
identifier, premièrement, le fait que les personnes peuvent avoir des
comportements différents et elles ont droit quand même aux mêmes services. Et
on a travaillé beaucoup aussi sur le mandat
des infirmières : c'était quoi, leur rôle, hein, dans l'hôpital. Leur
rôle, c'était de traiter le malade et ce n'était pas de traiter la famille, ce n'était pas de traiter
la culture de ces personnes-là. On pouvait trouver d'autres lieux pour
faire ces interventions-là. Ce n'était pas
nécessairement dans l'espace du bureau de l'urgence ou de l'infirmière de faire
ce traitement-là. Et on s'est aperçu que les infirmières avaient
beaucoup de préjugés face à ces femmes juives là.
Je me
rappelle, à un moment donné, une des femmes qui suivaient la formation, qui
nous dit : Hier, je suis allée au
restaurant, puis j'ai vu une femme, puis elle riait avec son mari. Comme si,
pour eux, ça ne se pouvait pas qu'elle soit heureuse, la femme, O.K.? Il
y avait comme un préjugé qui était très, très important, qui faisait qu'il
fallait qu'elle sauve cette femme-là qui était complètement envahie par
l'autorité de son mari.
Mais il y a
tout un contexte qu'on ignore, hein, pour lequel on n'est pas spécialistes,
puis moi la première. Je n'ai pas de
spécialisation dans la culture juive. Mais il reste que je comprends que le
rôle d'une infirmière, c'est de respecter le cadre dans lequel elle a à
traiter le malade.
Et c'est dans
ce contexte-là qu'on a travaillé avec ces femmes-là et qu'on a développé, je
dirais, une complicité entre elles
pour qu'elles comprennent puis qu'elles se supportent dans le rôle qu'elles ont
à jouer, et que, si elles veulent travailler
à une autre dimension, bien, qu'on peut essayer de trouver une autre dimension
pour intervenir, pour pouvoir changer des comportements sociaux.
M. Tanguay : Et vous parlez,
dans le cas ici, évidemment, d'une valeur fondamentale, qui est l'égalité hommes-femmes, l'importance, donc, que ça se
traduise également dans les comportements. Et c'est une valeur fondamentale.
Par rapport à
l'égalité hommes-femmes et l'importance
de la voir appliquée, que retrouvez-vous dans le projet de loi
n° 60 qui vous aide en ce sens-là, par rapport à la valeur d'égalité
hommes-femmes?
• (12 h 10) •
Mme
Chaloux (Line) : Bien, moi, je pense
que ça va venir enchâsser, là, l'ensemble des interventions qu'on a à faire pour… Même, j'oserais dire que, si
on revient au cas de cette situation-là, là, des juifs à l'hôpital,
bien, si on avait une législation qui prône l'égalité hommes-femmes, bien, c'est possible que
l'infirmière puisse dire : Excusez, monsieur, l'entretien, il va
être confidentiel avec votre femme, et c'est elle qui va répondre aux questions.
Si on n'a pas aucune balise sur laquelle on
peut asseoir notre stratégie d'intervention, bien là on s'en remet à la
culture de la personne qui est devant nous. Mais, si on se dote d'une stratégie
pour favoriser cette égalité, bien, à ce moment-là, on peut avoir des outils
qui nous permettent de faire cette… d'établir avec la personne une relation
égalitaire.
M.
Tanguay : Le point
que vous soulevez dans votre exemple est particulièrement intéressant. Parce que, de un, il y a l'aspect de l'égalité
hommes-femmes, une valeur fondamentale, et également ce sur quoi… Donc, égalité hommes-femmes, unanimité
de tous quant à l'importance de cette valeur, également, unanimité — il n'y a pas de débat, là — contre
le prosélytisme, faire en sorte que les
services de l'État ne soient pas l'occasion pour une personne de vouloir
imposer sa vision, sa croyance. Et en ce sens-là j'ai bien…
Et ce sur
quoi, donc, est fondé votre mémoire, c'est donc sur le respect de l'un et de
l'autre, encore une fois, respect de l'égalité hommes-femmes, non au
prosélytisme, une personne ne devrait pas utiliser son poste pour imposer ses
croyances à un citoyen ou à une citoyenne. Et en ce sens-là, dans votre mémoire,
il n'y a rien là-dedans qui…
Je n'ai pas
vu le terme «signes religieux» dans votre mémoire. On est réellement, comme
vous l'avez bien dit, ailleurs :
on est au niveau de faire respecter cela, de se donner des moyens pour que des
intervenants comme vous puissiez, de
un, apaiser une situation qui est conflictuelle et d'avoir, je dirais, les
outils, les codes, l'approche, tout ça basés sur le respect et qui nous met à des années-lumière d'une
catégorisation… détrompez-moi si j'ai tort, mais d'une catégorisation :
telle personne, parce qu'elle porte tel signe ou parce qu'elle a tel indice,
est nécessairement de cette façon-là. Votre approche est toute autre que de
catégoriser dans des petites cases.
Et en ce sens-là j'aimerais vous entendre
là-dessus, sur la nécessité de ne pas catégoriser les gens et de faire de liens
parfois simplistes par rapport à l'intervention que vous devez faire, qui est
plus complexe. J'aimerais vous entendre là-dessus.
Mme Chaloux (Line) : Bien, je vous
dirais que, premièrement, on ne s'est pas attardés sur les signes parce qu'il y
en a beaucoup qui l'ont fait puis on considère qu'il y a beaucoup
d'argumentaires là-dessus.
Mais je
pourrais vous dire que c'est très délicat. Présentement, là, on voit aussi
beaucoup de gens, hein, on le voit, des
jeunes, même, là, qui sont de plus en plus tatoués. Alors, est-ce qu'un jour
ils vont devoir se voiler pour ne pas qu'on voie leurs signes ostentatoires? Je ne le sais pas. Mais ça devient… Tu
sais, ça va être très difficile de mettre une ligne pour dire que des gens ne peuvent pas porter tel
signe ou tel autre. Mais, tu sais, quand elle a une croix de tatouée ici,
là, comment qu'elle va faire pour aller travailler? Je ne le sais pas. Mais, tu
sais, il y a un défi énorme parce qu'on voit de
plus en plus, surtout chez les jeunes et même chez les moins jeunes, mais cette
volonté d'exprimer, hein, sur sa peau qui
on est. Alors, ce n'est même plus juste des objets, là, ça devient le corps
lui-même, hein, qui devient le véhicule par lequel les personnes
expriment qui elles sont. Je ne vois pas comment on va pouvoir empêcher les
gens d'avoir des signes sur eux. Mais il reste qu'au niveau des fonctionnaires,
bien, il y a une certaine retenue qui est essentielle pour ne pas intimider la
personne qui vient chercher un service.
M. Tanguay : Et, dans vos
interventions, il y a une phrase importante dans votre mémoire, où vous dites :
«Tous participent activement au développement économique, social et culturel de
la nation.» Tous et toutes, aurions pu nous dire.
Il est important,
et je pense que vous le vivez également, d'avoir une égalité
des chances, et, quand on parle d'une intégration
réussie, bien, c'est de tendre la main par… versus l'autre, tendre la main à
l'autre et d'aider cette personne à s'intégrer
également et à être dans le coup, si vous me permettez l'expression. Et j'aimerais vous entendre sur
l'importance de l'intégration économique,
par exemple, pour une personne qui arrive au Québec et qui est capable de
décrocher un emploi, ce que ça
représente versus un processus qui est sur la bonne voie d'intégration versus
une personne qui se sent exclue
économiquement puis qui n'a pas d'emploi. Puis ça, c'est… et corrigez-moi si
j'ai tort, mais c'est fondamental en termes
de réussite d'intégration, d'être dans le coup. Moi, je participe à la société,
puis on m'accepte, puis… J'aimerais vous entendre là-dessus.
Mme
Chaloux (Line) : Je dirais
que cette inclusion-là, plus que de l'intégration, je dirais qu'il faut qu'on
l'ouvre aussi aux autochtones, hein, être inclus dans la société, là, ce n'est
pas juste le nouvel arrivant. C'est les Premières Nations aussi, qui ont besoin, eux aussi, d'être en emploi, d'avoir la
dignité de sentir qu'ils participent au développement de notre société. Et, en ce sens, on a, au Québec,
des lois extraordinaires. Je pense à la loi sur l'égalité à l'emploi, hein,
qui est un concept magistral, mais,
malheureusement, il n'y a aucune instance au Québec qui est responsable de faire
appliquer cette loi. Il y a eu la Commission
des droits de la personne, qui, lors de l'élaboration de cette politique-là,
avait fait des études pour démontrer quel était le nombre d'immigrants
présents dans les institutions au Québec, mais, par la suite, il n'y a pas de suivi qui est fait là-dessus,
alors que ça pourrait être un outil très intéressant pour favoriser
l'intégration des nouveaux arrivants et la participation des Premières Nations.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Maintenant, je crois que la parole est à la députée de
Notre-Dame-de-Grâce, en vous mentionnant qu'il reste à peu près cinq minutes.
Mme Weil :
Merci. Alors, mesdames Chaloux, Dimanche et Vézina Saiga, merci beaucoup de
votre présence. J'aimerais saluer aussi l'organisme le COFFRET, vraiment
un bijou, un bijou parmi les organismes. Évidemment, j'ai eu le plaisir, comme ministre de l'Immigration et des Communautés
culturelles, de constater le travail extraordinaire que vous faites.
On va aller sur cette question de liberté de
conscience parce que vous citez, dans votre mémoire, le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, et vous soulignez que le Canada adhère, et donc le Québec adhère,
la signature du Canada, en 1976, et vous
allez exactement sur les articles qui sont pertinents. Donc, vous dites que la
liberté de penser et de conscience inclut la liberté de manifester et que la
liberté de manifester ne peut être restreinte que pour des raisons de sécurité de l'ordre, et de
santé publique ou de morale, et les droits fondamentaux des autres. Est-ce
que je comprends… Parce que vous citez, pour une raison, vous citez donc ce
pacte qui est vraiment très pertinent. Est-ce
que vous êtes en train de dire… Parce que je vous ai entendue sur le prosélytisme.
Pour vous, manifester inclut le port d'un voile, par exemple, ou de la
kippa, ou…
Mme
Chaloux (Line) : Bien, je
vous dirais que le droit de manifester ne donne pas nécessairement le droit
de faire cette manifestation-là dans n'importe quelle condition. Moi, je vous
dirais que dans ma vie, là, ce qui m'a fait le plus peur, c'est des manifestations de zombies, hein? Ça m'est arrivé à
Paris, de me retrouver dans une manifestation de zombies, là, où on a eu une peur épouvantable de voir ces gens-là
circuler librement dans la ville. J'ai vu des bambins hurler tellement qu'ils avaient peur. Et je me dis :
Comment ça se fait qu'on peut se retrouver dans des situations? Et
dernièrement, à Montréal, là, ça a commencé aussi.
Alors, ce sont des groupes qui, pour manifester
leur adhésion à certaines idéologies, vont se retrouver dans la population, et on est confrontés à quelque chose
qu'on n'a pas choisi. On n'a pas choisi de se retrouver devant un
troupeau de zombies. C'est des choses qui
devraient être interdites. On ne devrait pas avoir le droit d'être masqués pour
manifester, ni d'être déguisés, ni de porter des signes qui ne sont pas dignes,
qui ne respectent pas la dignité humaine.
• (12 h 20) •
Mme Weil :
Vous avez parlé tantôt, en réponse à une question de mon collègue, sur
l'importance d'intégrer des personnes
issues des communautés culturelles, des minorités dans la fonction publique. Avez-vous des recommandations, des pistes
de réflexion sur comment intégrer, mieux intégrer?
Mme
Chaloux (Line) : Je pense
que Mme Dimanche en a parlé un peu tantôt. Je
crois que l'éducation doit se faire avant l'arrivée ici. Il faut que les personnes qui
choisissent d'immigrer ici soient conscientes avant d'arriver de ce qui peut se faire et de ce qui ne peut pas se
faire. Tant qu'on va aller faire de… Puis, on comprend bien, hein, que
c'est le Québec qui va inviter ces
gens-là à venir au Québec. C'est le Canada qui fait la promotion
du Canada. Donc, dans cette promotion-là, il faut
qu'on soit clairs, alors il faut qu'on soit capables de dire comment ça se vit
ici. On devrait être capables de dire que de
porter un voile constamment dans les rues, ce n'est pas quelque chose qui est acceptable si on décide que ce ne le sera pas. Mais le voile intégral, c'est quelque chose qui va à l'encontre, là, de la liberté de conscience, qui va à l'encontre de l'égalité hommes-femmes. Et, si
c'est la position qu'on doit prendre, bien, il faut que ça soit clair, que
les gens le sachent avant d'arriver, sinon,
les gens… Présentement, il y a des
gens du Maghreb qui immigrent au Québec parce qu'ils ont la liberté de
le porter.
Mme Weil :
J'aurais une question, mais il ne me reste pas beaucoup de temps. Le consensus sur l'interdiction de port
de signes religieux, il n'y a pas de consensus actuellement, c'est un sujet
divisif. Pensez-vous que ça serait utile de scinder, pour l'instant, le
projet de loi pour aller avec les éléments qui font consensus?
Mme
Chaloux (Line) : Bien, moi,
je pense qu'il y a des éléments comme… Mettons, juste le port d'un voile
pour une personne, ce n'est pas quelque
chose qui nous empêche de voir qui elle est. Mais, si la personne est
complètement voilée, même hors de la fonction publique, ça devrait être
interdit au Québec, comme dans certains pays d'Europe.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, Mme la députée. Maintenant, je vais du côté de la députée de
Montarville. La parole est à vous.
Mme Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Merci, mesdames.
Merci à vous trois. Je dois dire que j'ai été particulièrement touchée du témoignage de madame. Vous êtes issue d'une…
enfin, des Premières Nations, si je comprends bien. Vous nous avez dit quelque chose, et je suis néophyte en la
matière… Vous parliez de feu et vous dites : Il faut allumer le
huitième feu. Qu'est-ce que cela signifie?
Mme Vézina
Saiga (Madeleine) : Bien,
c'est qu'après les prophéties que grand-père William nous a enseignées,
les sept prophéties qu'on est en train de vivre présentement — allez
lire, vous allez voir où on est rendus — le huitième feu va faire que
la paix mondiale va s'installer et que tous les échanges vont exister. Je sais
bien que c'est un grand rêve, mais il faut y croire. On doit toujours rêver
avant.
Mme Roy
(Montarville) : Bon. Maintenant, j'ai une question. Vous
nous avez proposé la charte de Champlain, et on peut lire, dans le mémoire que vous avez déposé, que cette charte
disait : «Nous proposons d'interdire toute forme de prosélytisme ou
d'intimidation sous peine de sanction grave allant de l'emprisonnement à
l'expulsion.» Alors, si on revient à la
charte qui nous intéresse, la sanction pour l'employé qui va refuser d'enlever
son signe religieux, vous en pensez quoi? Ça peut aller justement
jusqu'au congédiement. Vous en pensez quoi pour les travailleuses et les
travailleurs?
Mme Chaloux (Line) : Bien, je ne pense pas que ça devrait aller jusqu'à l'expulsion, ce
n'était pas le cas. Moi, je pensais plus… Ce qu'on voyait,
c'était : on peut se sentir intimidés quelquefois. Il y a présentement, au
Québec, là, des missionnaires qui viennent
de… ce sont des mormons qui sont au Québec comme missionnaires pour convertir
les gens. Mais comment ça qu'ils peuvent venir ici essayer de convertir?
Comment ça, on peut leur donner cette possibilité-là de s'en venir au Québec pour… Non, non, moi, je pense que, s'ils sont
ici pour faire du prosélytisme, il faut les expulser. Ce n'est pas vrai,
là, hein, on n'ouvre pas nos portes à l'immigration pour qu'ils viennent
convertir les gens ici, là. Il faut qu'ils viennent ici en ayant l'objectif de s'intégrer et de
respecter ce qui existe déjà. C'est dans cet esprit-là qu'on ne peut pas accepter qu'il y ait des gens de
l'extérieur qui s'en viennent ici. On le voit avec les mormons, mais on le
voit aussi, dans certains cas, avec des intégristes qui ont cet objectif-là
aussi.
Mme
Roy
(Montarville) : Croyez-vous que c'est ce que font
exactement les employés de l'État qui porteraient un signe religieux?
Mme Chaloux
(Line) : Personnellement, je crois que, quand je m'adresse à
quelqu'un, là, qui représente l'État, je ne
devrais pas voir, dans son costume ou dans son apparat, quelque chose qui
m'intimiderait, O.K.? Ça peut être discret, mais, quelque chose
d'intimidant, de provoquant, ce n'est pas acceptable.
Mme Roy
(Montarville) :
…infiniment. Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la députée. Maintenant, je cède la parole au député de Blainville.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. Mme Chaloux, Mme Dimanche, Mme Vézina Saiga, bienvenue.
Je vais m'adresser à vous, Mme
Vézina Saiga. On n'a pas souvent l'occasion d'entendre le point de vue des Premières Nations, des peuples autochtones. Ma première question,
question de curiosité : Comment est reçue, selon vous, ce que vous
entendez, cette charte-là? Est-ce que, par
exemple, des personnes des nations autochtones seraient obligées, par exemple,
d'abonner certains signes? Je voudrais avoir
un peu, là, l'état d'esprit dans lequel, là, vous recevez, les nations
autochtones, là, de ce que vous en connaissez, le projet de laïcité?
Est-ce que vous vous sentez concernés, est-ce que…
Mme Vézina Saiga
(Madeleine) : Il y a beaucoup de débats là-dessus aussi, mais
présentement c'est le mouvement de
conscience qui est important puis qu'on doit unifier justement au-delà des
apparences. C'est ça, le message qu'on
doit vivre. Parce que, sans ça, si on s'arrête tous avec les petites
différences, ça n'unit pas. Alors, en allant au-delà de là avec la
discrétion, la dignité et le respect, il y a moyen de s'entendre, c'est
évident.
M.
Ratthé : Est-ce que concrètement la charte aura des impacts,
par exemple, sur le port de signes qui seraient plus caractéristiques aux Premières Nations, qui vous
obligerait, par exemple, à vous départir ou à certaines personnes de se
départir… Est-ce que ça a un impact concret sur les Premières Nations?
Mme Vézina Saiga (Madeleine) : Bien, pour nous, c'est sûr, c'est important, là,
on a des objets sacrés qui nous aident, mais on les a toujours portés et
respectés, mais on peut être discrets, tout simplement.
M.
Ratthé : Donc, ce n'est pas obligé que ce soit ostentatoire,
là, si on reprend le terme, c'est ce que vous dites?
Mme Vézina Saiga
(Madeleine) : Pas vraiment, là.
M.
Ratthé : Je vais revenir également sur la section qui a été
soulignée par la députée de Notre-Dame-de-Grâce, là, qui est la section de liberté de conscience. On a
fait référence, au premier paragraphe, là, on parlait de liberté de
religion, je trouvais intéressant aussi — puis je vais terminer
là-dessus — au
point 3, vous dites : «La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules
restrictions prévues par la loi...» Donc, à quelque part, vous nous dites : Oui, on est en accord avec
certaines libertés, mais il y a des limites, il y a des limites à ce qu'on peut
faire, et l'État a ce droit-là, selon vous, de pouvoir restreindre certaines…
C'est ce que j'en comprends, en fait?
Mme Chaloux (Line) : Absolument. Et je pense qu'il n'est pas trop tard pour légiférer, mais
il est temps. On a vu, là, ce qui se
passe en Europe, en Australie, aux États-Unis, dans les pays où l'immigration
est importante. À un moment donné, il faut tirer une ligne pour
dire : Ça, c'est permis, puis ça, ça ne l'est pas. Parce que l'expansion…
On est un territoire, là, où on a beaucoup d'espace, on est un territoire qui
est recherché par beaucoup de personnes parce qu'il y a de la place pour se développer, il y a de la place pour les
100 prochaines années, pour qu'il y ait du monde qui vienne s'installer ici. Mais, s'il n'y a pas de normes
qui sont établies, bien, le développement, peut-être qu'il va se faire
n'importe comment. Il me semble que, si on
en venait à fermer des rues pour permettre la prière du vendredi à Montréal, ça
pourrait créer des frictions. Il y a des choses qui doivent être légiférées,
et…
Puis
il y a eu comme une évolution dans notre société, il y a eu une période au
Québec où l'État était catholique et qu'il
y avait des manifestations religieuses importantes qui étaient rattachées à
l'identité, qui étaient rattachées même parfois aux partis politiques,
hein? Si on voulait être dans la parade politique, il fallait être dans la
parade religieuse aussi. Il y avait des liens très étroits qui aujourd'hui
n'existent plus et qui, à mon sens, doivent demander une discrétion par rapport
au politique.
M. Ratthé :
…M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Il reste à peu près 15 secondes,
le temps de dire merci, peut-être. Mais, sinon, je vais suspendre. Sur
ce, je vous remercie beaucoup…
M. Ratthé : …liberté de
pensée, elle avait une liberté de conscience. Merci, mesdames.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci, M. le député de Blainville. Moi, je
vous remercie également pour votre présentation.
Et, sur ce, je vais suspendre pour l'heure du
midi, jusqu'à 14 heures. Oui, la salle sera sécurisée, donc vous pouvez
laisser vos documents ici, si vous le désirez.
(Suspension de la séance à 12 h 30)
(Reprise à 14 heures)
Le Président (M. Ferland) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La commission va reprendre ses travaux.
Cet
après-midi, nous entendrons les groupes suivants, c'est : Ensemble
pour le respect de la diversité, la Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles,
Mmes Isabelle Le Pain et Valérie Vennes, et le Conseil du patronat du Québec.
Maintenant, nous allons entendre les
représentants du groupe Ensemble pour le respect de la diversité. M. Marc Gold, Mme Marie-France Legault et
M. Miguel Simao «Andrade». Je ne sais pas si je le prononce comme il faut.
Ensemble pour le
respect de la diversité
M. Simao Andrade (Miguel) : Miguel
Simao Andrade.
Le
Président (M. Ferland) : Ah, O.K. Bon, c'est beaucoup mieux
quand c'est la vraie personne qui le prononce. Alors, je vais vous demander de vous représenter pour les fins de
l'enregistrement, c'est ça, pour marquer les noms au bon endroit, en vous rappelant que vous disposez de 10 minutes pour votre mémoire,
suivi d'un échange avec les parlementaires. Alors, la parole est,
j'imagine, à madame, hein?
Mme Legault (Marie-France) : Oui,
merci.
Le Président (M. Ferland) :
Et voilà.
Mme
Legault (Marie-France) :
Bonjour. Merci de nous recevoir aujourd'hui. Moi, je m'appelle Marie-France Legault,
je suis la directrice générale d'Ensemble pour le respect de la diversité. À ma
gauche, il y a M. Marc Gold. M. Marc Gold, il est médiateur,
professeur assistant à l'Université McGill, il est aussi le président de notre conseil
d'administration, alors... raison pour laquelle il est avec nous aujourd'hui.
Et enfin, M. Miguel Simao Andrade. M. Andrade, il est
animateur-recherchiste avec nous et il est avec nous depuis quatre ans. Donc,
depuis quatre ans, il enseigne
quotidiennement le respect de la diversité dans les nombreuses écoles
secondaires du Québec. Alors, je trouvais ça intéressant
d'amener M. Andrade avec nous aujourd'hui, parce qu'il apporte vraiment un
point de vue pratique, un point de vue du terrain.
Je vais
prendre un peu de temps pour présenter notre organisation. Alors, comme on dit,
Ensemble pour le respect de la diversité, bien, on est un organisme à but non lucratif.
Anciennement, on s'appelait La Fondation de la tolérance. L'organisme
existe depuis 1996, ça fait donc plusieurs années. Peut-être que quelques-uns
d'entre vous ont entendu parler de nous ou non.
Notre mission
est d'agir avec les jeunes pour bâtir une société plus inclusive. Nous sommes,
je crois bien, un leader québécois en
matière d'éducation à la différence. On rejoint chaque année plus de
27 000 jeunes dans les écoles primaires et secondaires puis
dans plusieurs régions du Québec, et un peu du Canada aussi, mais
principalement au Québec, et ce, dans toutes les régions, autant à Montréal,
Québec que partout ailleurs.
C'est à cause
de notre travail avec les jeunes du Québec qu'on tient aujourd'hui à exprimer
nos préoccupations sur le projet de
loi n° 60 tel qu'il s'applique aux écoles primaires et secondaires du
Québec, tant en ce qui concerne l'interdiction des signes religieux
ostentatoires qu'en ce qui concerne la détérioration du climat social et
intellectuel que le projet de loi n° 60
a précipitée dans le milieu scolaire, O.K.? Dans la mesure où l'expertise
d'Ensemble a trait au milieu de vie
que forment les écoles primaires et secondaires, on va limiter aujourd'hui nos
commentaires aux effets de l'interdiction
du port de signes religieux dans ces milieux. C'est notre expertise, alors
c'est ce qu'on amène à la commission aujourd'hui.
Notre
position : nous croyons que l'interdiction des signes religieux porte
atteinte aux droits et libertés fondamentaux et qu'elle n'est pas
justifiée, ni en droit ni du point de vue de la politique de l'éducation. Alors,
en conséquence, puis pour les raisons qu'on
va aborder dans notre présentation, Ensemble s'oppose au projet de loi
n° 60 tel qu'il s'applique aux écoles primaires et secondaires du
Québec en ce qui concerne l'interdiction des signes religieux ostentatoires.
Alors voilà, je vais laisser la parole à
M. Andrade.
M. Simao
Andrade (Miguel) : Voilà.
Avant de donner notre avis sur le projet de loi proprement dit, on
voudrait, dans un premier temps, exprimer notre vive inquiétude par rapport à
l'impact du débat sur la laïcité dans le milieu scolaire, ou comment le débat
est mené.
Comme organisation travaillant à aider les
jeunes, justement, à vivre ensemble dans une société de plus en plus
diversifiée, nous observons que le débat public, souvent centré autour de
notions à forte charge symbolique comme les valeurs, l'identité, a eu pour effet de rendre légitime un
discours qui tend, parfois, à séparer les Québécois entre nous et eux, accentuant les craintes identitaires
des uns et contribuant possiblement au ressentiment des autres. Ce sont
autant de germes de division et d'antagonisme que nous n'aimons guère voir.
En
identifiant ceux qui portent des symboles religieux comme un problème pour les
principes qui nous sont chers comme
l'égalité hommes-femmes, en leur demandant de choisir entre leur appartenance religieuse et leur participation
à la société québécoise, en présumant de
leur possible partialité, nous stigmatisons à la fois des personnes
compétentes, déjà bien intégrées dans leur milieu, tout en compromettant
l'intégration future des personnes issues des minorités religieuses, qui sont
d'ailleurs déjà sous-représentées au sein de la fonction publique et
parapublique.
Certains
partisans de la charte mentionnent certains effets bénéfiques de l'application
de cette charte, mais on voit rarement
d'études ou de faits qui viennent établir ces avantages. Mais surtout on prend
rarement ou jamais en considération les effets potentiellement négatifs
de l'application de cette charte, effets, par exemple, que sont le renforcement
des préjugés, l'augmentation des propos, des
attitudes et des comportements discriminatoires à l'égard des minorités
religieuses ainsi que la détérioration des
relations interculturelles. Or, ces effets négatifs, on les voit, on les observe.
Nos animateurs, qui travaillent
quotidiennement dans les écoles secondaires, constatent une telle augmentation
d'attitudes ou de propos intolérants
envers les minorités religieuses. Et c'est une hausse qui est assez similaire à
ce qu'on avait également observé lors
de la commission Bouchard-Taylor. Les témoignages de nos animateurs sur le
terrain concordent assez bien avec la perception qu'ont certains
éducateurs. Nous avons réalisé un sondage, en décembre dernier, avec la firme
Léger qui montre effectivement qu'une majorité d'éducateurs constatent un
renforcement des stéréotypes négatifs sur les minorités religieuses.
Enfin, on aimerait affirmer également que nous
pensons que le projet de loi va à l'encontre d'un des rôles fondamentaux de l'école, tel qu'énoncé dans la
politique d'éducation du gouvernement québécois lui-même, soit
l'apprentissage du vivre-ensemble dans une société démocratique et pluraliste.
Nous savons que l'école québécoise a depuis
longtemps rejeté l'approche assimilationniste au profit de l'interculturalisme.
Nous avons opté pour le modèle de l'éducation à la citoyenneté, qui est
basé sur la conciliation entre le partage de principes universels communs, mais
également qui est basé sur la reconnaissance du pluralisme.
Et, selon nous, la prise en compte réelle,
authentique de la diversité culturelle et religieuse ne se limite pas
uniquement aux programmes, au matériel scolaire, aux livres, mais doit
également inclure le respect authentique de la
diversité des individus eux-mêmes, élèves comme enseignants, qui sont les
interlocuteurs principaux de ce dialogue démocratique qu'ils mènent à l'école. Et, pour nous, l'uniformisation du
visage de l'école qui va résulter de l'interdiction des symboles religieux ne contribue pas,
justement, à la reconnaissance égalitaire et positive de la diversité
québécoise.
M. Gold
(Marc) : Merci. Dans le
temps qui me reste, je veux mettre l'accent sur l'essentiel. C'est clair, net
et clair, que l'interdiction des signes
ostentatoires porte atteinte au droit fondamental, comme a constaté le mémoire
du Barreau. On n'est pas ici pour faire la jurisprudence
constitutionnelle, même si on a une expertise là-dessus. On veut mettre l'accent sur les conséquences dans la vraie vie,
pour les vraies personnes, du projet de loi n° 60. Et on va mettre
l'accent, dans les minutes qui viennent et,
j'espère, dans les questions que vous allez nous poser… de préciser et
d'analyser sous la loupe les
arguments, l'argumentaire donné en justification pour le projet de loi. Ça
porte atteinte aux droits, net et clair, mais peut-être c'est justifié.
Mais, selon nous, et avec respect, les arguments ne tiennent pas la route.
L'argumentaire du gouvernement est d'abord fondé
sur la prémisse que l'État est responsable du système de l'éducation, que les enseignants sont payés par
l'État et, d'une façon ou de l'autre, ces derniers représentent en
quelque sorte l'État. Ce n'est pas vrai. Du
deuxième axe, du second axe, l'argumentaire veut, pour l'essentiel, que les
élèves ou leurs parents pourraient
craindre que les enseignants portant des signes religieux fassent la promotion
de leurs convictions religieuses plutôt que d'enseigner comme il faut,
de faire la job comme il faut, avec l'obligation de réserve, etc. Une
argumentation, quoi, de prosélytisme. Je le prononce mal, toujours…
Notre
position peut être résumée en les propositions suivantes, et je suis heureux de
les élaborer dans le temps qui nous reste après. Les enseignants ne sont
pas les représentants de l'État, pur et simple, point final. L'obligation de la
laïcité dont… nous croyons, c'est une
obligation de l'État, pas les individus qui travaillent pour l'État. Il faut
distinguer, comme font les juristes et les
philosophes, mais aussi sur le terrain, entre l'obligation de l'État
d'être neutre par rapport des
religions et le droit des individus de s'exprimer librement, nonobstant qu'ils
soient croyants ou non croyants.
Deux, porter un signe religieux n'a rien à...
• (14 h 10) •
Le Président (M. Ferland) :
...reste une minute pour conclure, monsieur...
M. Gold (Marc) : Combien?
Le Président (M. Ferland) :
Il vous reste une minute pour conclure.
M. Gold
(Marc) : … — une minute — n'a rien
à faire avec l'obligation et la capacité d'un enseignant de faire son travail avec l'intégrité, de respecter ses
obligations de réserve et ne pas imposer le point de vue personnel aux
étudiants.
Trois, il n'y a aucune preuve qui démontre ce
lien entre porter un signe ostentatoire et la promotion d'une idéologie
religieuse.
Pour ces raisons, le projet de loi n° 60 va
à l'encontre de nos traditions ici, au Québec, nos traditions de la laïcité,
d'ouverture, de respect pour les droits, ça va à l'encontre de notre patrimoine
intellectuel ici, au Québec, et finalement ça va à l'encontre de la mission des
écoles comme lieux d'intégration. Merci.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci beaucoup pour la présentation. Alors,
maintenant, nous allons à la période d'échange. M. le ministre, la parole est à
vous.
M.
Drainville : Merci
beaucoup, M. le Président. Merci pour votre mémoire et votre présentation. À la
page 5 de votre mémoire, vous écrivez : «L'obligation de neutralité
religieuse — ou
laïcité — qui
s'impose aux autorités et institutions publiques ne peut s'imposer aux
individus.» Moi, j'aimerais savoir... Mettons de côté pour le moment la question des signes religieux. Est-ce que vous
êtes d'accord pour dire que les personnes qui travaillent dans les
services publics ou qui travaillent au sein d'une institution publique doivent
respecter un devoir de réserve et de neutralité religieuse? Est-ce que vous êtes d'accord avec le principe de devoir de
réserve et de neutralité religieuse que prévoit la charte pour ce qu'on
a défini, là, ce qu'on a décrit comme les agents de l'État?
M. Gold
(Marc) : Oui, on est bien
d'accord avec ça, M. le ministre. Ce qu'on voulait dire — et ça faisait partie de notre présentation devant la commission
Bouchard-Taylor, comme vous le savez — c'est d'essayer de faire la
distinction qui est bien établie dans nos traditions et même notre
jurisprudence qu'il y a l'obligation de l'État de ne pas agir avec favoritisme
par rapport à une religion et l'autre et la liberté des individus de s'exprimer
et d'être croyants ou non-croyants, selon
leur propre identité personnelle, leur choix. C'est la distinction qu'on
voulait capter dans cette phrase qu'on a mise… On est hors de contexte… on a mise là-bas. Sûr et certain — et, pour nous, on met l'accent sur les
enseignants, parce que c'est notre
expertise — notre
point de départ, c'est qu'un enseignant doit exercer son obligation de
réserve, c'est-à-dire de ne pas imposer son
point de vue, soit religieux, soit politique, soit idéologique, sur la question
nationale, peu importe. Ça ne veut pas dire,
en même temps... Parce qu'il y a un grand débat au sein de la littérature pour
dire : Bon, le droit de réserve,
est-ce que c'est : il faut se cacher, ou est-ce qu'on peut partager pour
au moins donner les outils aux étudiants pour savoir d'où vient
l'enseignant? Alors, il y a différentes façons à appliquer cette obligation de
réserve, il y a beaucoup de façons à appliquer le principe de la laïcité,
y compris — on
n'est pas... on s'oppose, mais... — règles
d'application pour les signes ostentatoires. Il y a un principe d'obligation de
réserve et des façons de le mettre en application. Tout ce qu'on voulait
insister là-dessus, c'est que l'État, c'est une chose, et la liberté des
individus qui travaillent pour l'État, c'est d'autre chose.
M.
Drainville : O.K. Est-ce
que vous acceptez que quelqu'un
qui porte un signe religieux ostentatoire transmet un message religieux
à travers le signe qu'il ou qu'elle porte?
M. Gold (Marc) : Est-ce que je suis…
permettez de répondre avec une question?
M. Drainville : Bien sûr.
M. Gold
(Marc) : Mais qu'est-ce que ça veut dire, transmettre un message? Si ça veut dire que ça signifie
que la personne a la foi, est croyant et peut-être
pense qu'il ou elle a une obligation
de porter ce signe, parce qu'il y a plusieurs religions non chrétiennes
qu'il y a une obligation, ce n'est pas juste un choix, ce n'est pas une
question d'un bijou, c'est vraiment une
obligation. Alors, si c'est le message que, oui, je suis un croyant, et ça fait
partie de mon identité, bien sûr.
Mais je n'accepte pas une interprétation que ça veut dire que j'envoie un
message que je mets ma religion en dehors du droit de Québec ou Canada,
ou en dehors de mon obligation d'enseigner tel ou tel curriculum, soit
mathématique ou je ne sais pas quoi. Ce
n'est pas un message. Quelqu'un qui porte un hidjab ou une kippa ou je ne sais
pas, c'est juste une déclaration de son identité religieuse, par
exemple, pas plus que ça.
M. Drainville : Disons que,
pour les fins de la discussion, on accepte la prémisse, votre prémisse à
l'effet que dans certaines religions le port
du signe religieux est obligatoire. Puis vous savez qu'il y a un débat
là-dessus, M. Gold, il y a plusieurs personnes qui sont venues témoigner
en cette commission et qui ont dit le contraire. Mais je ne veux pas m'obstiner
là-dessus, parce que je pense qu'on va…
M. Gold (Marc) : Je pense que vous
avez raison d'accepter comme ça, prémisse, oui.
M. Drainville : Acceptons-le
comme prémisse pour la suite, O.K., de ma question.
M. Gold (Marc) : Volontiers.
M.
Drainville : Est-ce
que vous acceptez, à ce moment-là, que la personne donc qui porte ce signe et
qui serait donc obligée de le porter,
selon vos dires… Est-ce que vous acceptez qu'à travers le port de ce signe,
elle envoie un message qui peut remettre en question ou qui peut être
reçu par celui ou celle qui voit ce signe-là comme une remise en question de sa propre liberté de conscience? En d'autres
mots, il y a le droit de celui ou de celle qui porte le signe de le porter,
mais il y a le droit également de celui ou
de celle qui voit le signe de se faire respecter dans sa liberté de conscience.
Est-ce que vous acceptez, en d'autres
mots, que la personne qui voit le signe puisse se sentir brimée dans sa liberté
de conscience?
M. Gold (Marc) : Bien… en…
Une voix : …
M. Drainville :
Ah! Oui, oui! Sans problème.
M. Gold (Marc) : On peut répondre en
deux, O.K.? Miguel, commence, parce que…
M. Simao
Andrade (Miguel) : Oui.
Personnellement, je ne crois pas que la personne soit brimée dans sa
liberté de conscience. Chacun a sa liberté
de religion, liberté de croire ou de ne pas croire. On ne peut pas présumer
qu'une personne affichant une appartenance religieuse a telle ou telle
opinion. Il y a des gens qui portent des croix qui sont de gauche, de droite, fédéralistes, souverainistes, enfin,
tout un ensemble de valeurs peuvent être défendues par une personne
portant un symbole religieux. Donc, c'est un
lien qui, selon moi, ne s'applique pas, à moins qu'on pense que le symbole
religieux n'a qu'un sens et qu'une personne portant ce symbole a des valeurs
très définies. Il y aurait une espèce de déterminisme au niveau du
comportement, un déterminisme culturel et religieux, et… ce qui n'est pas le
cas, enfin, pour…
M. Gold (Marc) : Mais, moi,
peut-être…
M. Drainville : M. Gold, oui,
excusez-moi.
M. Gold
(Marc) : Bien, je veux
essayer de répondre directement à votre question. Il faut distinguer, à mon
avis, entre les droits fondamentaux des individus de s'exprimer et d'avoir des
croyances ou non, et le soi-disant droit des majorités face à l'expression de
ça. Ce n'est pas les droits de même ordre.
M.
Drainville :
Attention, M. Gold. Je m'excuse. Comme on n'a pas beaucoup de temps, je veux
vraiment qu'on… Je ne suis pas dans un rapport majorité-minorité. Moi,
je suis dans un rapport de personne à personne, là. Je suis…
M. Gold (Marc) : Oui, mais c'est ça.
M.
Drainville : …dans un
droit individuel, celui de la personne qui porte le signe, et l'autre droit
individuel de se voir respecté dans sa liberté de conscience. Est-ce
qu'à votre avis le droit de porter le signe est plus important que la liberté
de conscience de celui qui reçoit le message religieux?
M. Gold
(Marc) : Mais, M. le
ministre, avec beaucoup de respect, je vois… Il n'y a pas un lien. Quelqu'un
qui porte le signe, il n'y a pas un lien
entre le fait qu'on porte le signe et on transmette un message qui va à l'encontre
des droits des autres. Et, imaginons-nous… pour mettre dans un contexte
d'école… scolaire. Imaginons un prof avec la peau noire.
M. Drainville : Avec la peau
noire? Oui.
• (14 h 20) •
M. Gold (Marc) : Peau noire. Et un
parent ou un étudiant dit : Écoutez, là, je suis mal à l'aise devant cette
personne, je ne pense pas que je serais
traité d'une façon égale, je suis blanc, il est noir ou elle est noire, et j'ai
le droit, je suis mal à l'aise, ça
porte atteinte à mes droits d'être traité d'une façon égale, parce que…
Et ça, c'est le grand… pas bémol, je
cherche le mot… c'est la grande
erreur, avec respect, dans l'argumentaire, c'est qu'on présume que quelqu'un
qui a la peau noire ne sera pas
capable et n'a pas la volonté de traiter d'une façon égale son homologue de
peau blanche. Alors, pour nous, nous ne voyons aucune distinction entre
ces cas, un cas d'un enseignant qui porte soit une croix, kippa, hidjab, peu
importe.
M. Drainville : O.K.
M. Gold
(Marc) : Celui qui est mal à
l'aise, un parent, un élève, devant ça — brutalement, il faut le dire d'un
esprit de franchise — n'a
pas le droit de se plaindre, parce que, dans une société libre et démocratique,
il faut vivre avec ce type de malaise. Sinon,
toutes les minorités et nous tous serons des otages à des préjugés ou des
malaises des autres face à la diversité. Et ce n'est pas le Québec qu'on
veut bâtir ensemble.
M.
Drainville : Oui,
mais, M. Gold, en tout respect, la couleur de la peau, c'est un déterminisme,
ça, là. Une fois qu'on a telle ou
telle couleur de peau, c'est la nature qui nous a donné cette couleur de la
peau, et on n'y peut absolument rien. Quand on parle de porter un signe
religieux… Faisons le détour par le signe politique, tiens, hein? Faisons le détour
par le signe politique. On accepte en démocratie, actuellement, on accepte de
limiter l'expression de la liberté d'opinion
pour les personnes qui travaillent dans la fonction publique, parce qu'on
dit : En vertu de leur travail, ils, elles ont une responsabilité
de neutralité politique qui doit se traduire par une absence de signe politique
par respect pour la liberté d'opinion de tous les usagers de tous les citoyens
qui font affaire avec le service public ou avec la fonction publique. Moi, je
vous le dis tout de suite, là, je ne pense pas qu'on puisse dire que la liberté
d'expression est moins importante que la
liberté de religion, je n'accepterai pas ça, moi, jamais. Je pense que la
liberté d'opinion en démocratie, elle est aussi importante que la
liberté de religion.
Si on accepte d'encadrer l'expression de cette
liberté d'opinion en imposant aux fonctionnaires le devoir de réserve politique, le devoir de neutralité
politique, y compris dans l'expression manifeste de cette opinion politique,
en quoi est-ce déraisonnable de l'appliquer également à la liberté de religion?
En quoi est-ce déraisonnable de dire à quelqu'un :
Pendant tes heures de travail, tu te dois d'être neutre sur le plan religieux,
y compris dans l'expression extérieure, dans l'image que tu projettes de cette
conviction religieuse, donc, que tu devrais garder pour toi pendant les heures
de travail?
M. Gold
(Marc) : Mais, M. le
ministre, il y a une différence nette et claire entre l'expression d'un point
de vue politique et le fait qu'en portant un signe religieux on donne
expression à ton identité religieuse, sur lequel tu n'as pas le choix — il faut insister là-dessus — ça fait partie d'une identité, pas
choisie — pas
nécessairement choisie — sur laquelle on n'a pas le choix si on veut rester
fidèle à soi-même. C'est l'équivalent de la couleur de peau, pour ceux et
celles qui viennent de cette tradition
religieuse. Il faut souligner… Je ne suis ni rabbin ni expert dans ces
matières, mais je suis convaincu
qu'un peu de recherche va démontrer clairement qu'il y a des religions, surtout
le judaïsme, surtout l'islam, qui obligent
leurs croyants de s'exprimer d'une façon avec les signes. Ce n'est peut-être
pas le cas dans les autres religions.
Mais
malheureusement… et, j'imagine, ce n'est pas une conséquence attendue ou
souhaitée, mais il y a, dans le nom
de la laïcité, et dans le nom de la neutralité et de l'égalité… Le projet de
loi fait en sorte qu'il y a une discrimination, dans les faits, sur le terrain, dans la vraie vie, entre croyants et
non-croyants, entre chrétiens et non-chrétiens, entre hommes et femmes.
Parce que ce sont les femmes, surtout les femmes musulmanes, qui vont payer le
prix pour ça.
M.
Drainville : Écoutez, on a visiblement un désaccord, parce que
la prémisse de votre argumentaire est fondée sur le fait que le port du
signe est obligatoire. Moi, je pense qu'il y a un immense débat là-dessus,
d'autant plus qu'on entend assez souvent,
très souvent même, des personnes qui portent un signe nous dire qu'elles le
portent par choix. Elles ne le
portent pas parce qu'elles y sont obligées, elles le portent par choix, ce
qui pose, bien sûr, la question : Si vous le portez par choix, est-ce qu'à
ce moment-là vous ne pourriez pas accepter de le retirer pendant les heures de
travail si ça devient une responsabilité qui est liée au travail?
Mais mettons
de côté de débat-là, parce que je pense qu'on n'en arrivera visiblement pas à
un accord là-dessus. Mais je respecte votre point de vue, M. Gold.
M. Gold (Marc) : Et moi la tienne
aussi.
M.
Drainville : Je
respecte absolument votre point de vue. Je veux juste que vous sachiez qu'il y
a quand même eu plusieurs témoignages de personnes qui sont venues en
cette commission déjà, des personnes qui nous ont donné des exemples très concrets des conséquences que
pourrait avoir sur elles comme personnes de se retrouver face à, par
exemple, une infirmière qui porte un signe
religieux, face à une éducatrice, face à un fonctionnaire. Il y a eu des cas
très concrets. Je donne toujours les mêmes, mais il me semble qu'ils
sont non seulement vraisemblables, mais, dans la mesure où c'est la personne
elle-même qui en témoigne, je vois mal comment on pourrait remettre en question
sa bonne foi ou sa sincérité.
Mais, quand,
par exemple, quelqu'un nous dit : Moi, comme personne homosexuelle, j'ai
un profond malaise à accepter qu'un
agent de l'État, que ce soit une infirmière, un médecin, peu importe, me
transmette sa croyance religieuse lorsque
je suis en train de de lui demander un service à titre de citoyen, parce que,
très souvent, la religion, les religions portent sur moi, comme homosexuel, un regard dur, un regard de
condamnation. Et donc je ne veux pas comme citoyen, je n'accepte pas comme citoyen de me retrouver face à
ce message religieux parce que ce message religieux m'a jugé et m'a
condamné dans mon orientation sexuelle que je n'ai pas choisie, soit dit en
passant, dans bien des cas. Là-dessus aussi il y a un débat, mais c'est pas mal
consensuel maintenant là-dessus.
Bon. Alors,
on ne peut pas, à mon sens à moi en tout cas… Si vous nous demandez d'accepter
la prémisse que la personne qui porte
le signe n'a pas le choix que de le porter, je pense qu'il faut accepter aussi
la bonne foi et la croyance sincère,
si vous me permettez, de cette personne, de cette femme homosexuelle qui nous
dit : Moi, là, en tant que citoyenne, j'ai des droits et je
n'accepte pas d'une certaine façon d'être jugée par la religion qui est
incarnée.
M. Simao
Andrade (Miguel) : Alors, la
personne part d'une fausse prémisse. Je suis d'accord, c'est ce qu'elle ressent. Il y a là un malaise. Mais il faut faire
une distinction entre le dogme religieux… la religion catholique
également condamne l'homosexualité.
M. Drainville : Bien sûr.
M. Simao
Andrade (Miguel) : Il faut faire une distinction entre les dogmes et les
croyants. Alors, je connais des croyants catholiques qui sont d'accord
avec l'avortement, avec la contraception, avec l'homosexualité. Et pourtant ils se disent catholiques. Donc, il faut faire une
distinction entre ces deux choses-là. Donc, on présume de l'homophobie
d'une personne qui affiche sa foi. Nous, on donne des ateliers sur l'homophobie
à travers le Québec. Une des sources de l'homophobie est certainement le
discours religieux. Mais ce n'est pas la seule source.
M. Drainville : Mais ce n'est
pas…
M. Simao
Andrade (Miguel) : Et donc on ne peut pas présumer de l'homophobie.
D'ailleurs, l'homophobie, le racisme, le sexisme sont des formes
d'intolérance qu'il faut lutter, hein?
M. Drainville : Bien sûr.
M.
Simao Andrade (Miguel) : De
manière interreliée. Il y a des associations homophobes qui sont contre la charte et
qui défendent la liberté religieuse. Il y a des associations féministes qui
sont divisées sur cette question, qui sont d'accord avec l'égalité des femmes. On peut partir de la
même prémisse, celui de l'égalité des femmes et arriver à des
conclusions diamétralement opposées, puisque les gens n'ont pas la même
conception de la liberté et de comment l'atteindre.
Et donc notre vision, c'est de dire : Laissons de côté l'idéologie et nos
préjugés et discutons avec la personne ou présumons que cette infirmière ou cette enseignante, d'abord
et avant tout, est une personne compétente, intègre qui a pour mission d'appliquer les lois, les règlements,
qui sont laïcs. La laïcité, encore
une fois, faut-il le rappeler, c'est
l'État, c'est les lois, c'est les politiques, O.K.?
M. Drainville : Elle n'est
inscrite nulle part.
• (14 h 30) •
M. Simao
Andrade (Miguel) : L'État
doit être neutre. Et, quand on revient sur la question de l'obligation de
porter tel symbole ou tel autre, la question
n'est pas de savoir si telle église ou tel imam déclare que c'est une
obligation ou non. Il y a une séparation de l'Église et de l'État. L'État
n'a pas à s'immiscer dans les affaires internes des religions, puisque
l'État n'a ni la compétence ni le pouvoir de le faire.
Donc, ce que dit l'État, ici, au Québec, au Canada,
c'est que nous ne sommes pas autorisés à prouver ou à démontrer que c'est un véritable symbole religieux, que vous êtes
obligés ou non de le porter. L'État dit simplement : Vous, en tant qu'individu, croyez-vous, en toute bonne
foi, qu'il s'agit là d'une prescription religieuse? Si la personne dit
oui, on reconnaît que ça fait partie de sa liberté de religion, puisque qui est
le véritable Dieu, qui a véritablement raison? Il faut également respecter les
athées et les agnostiques...
M. Drainville : Eh bien oui,
bien oui, vous avez raison.
M. Simao Andrade (Miguel) : ...qu'on
oublie dans le débat. Et donc ça, c'est très important.
M. Drainville : Et l'une des
raisons...
M. Simao
Andrade (Miguel) : Si on
croit réellement à la séparation de l'Église et de l'État, à la neutralité
de l'État, il faut également concevoir les
deux finalités qui sont importantes : la liberté de religion et de
conscience et l'égalité morale entre
tous les citoyens, et donc ne pas se fier à la perception des uns et des autres
pour juger des questions de droit...
M. Drainville : Mais
monsieur...
M. Simao
Andrade (Miguel) : ...mais
se fier justement, de manière rationnelle et logique, O.K., sur la
tradition juridique québécoise. Il y a plusieurs modèles de la laïcité dans le
monde, ils sont toujours fondés sur ces quatre principes. Ils peuvent varier d'un
contexte national à un autre. Nous avons ici, au Québec, une longue histoire,
un patrimoine, une continuité. Il y a là, dans le projet de loi n° 60...
M. Drainville : Je m'excuse
de vous interrompre.
M. Simao Andrade (Miguel) : ...une
volonté de rompre avec cette continuité. Nous cherchons à maintenir le fil de
l'histoire.
M. Drainville :
M. Andrade, il nous reste deux minutes.
M. Simao Andrade (Miguel) : Désolé,
désolé.
M.
Drainville : Et, vous
allez voir, avec les gens d'en face, vous allez avoir beaucoup de temps pour
répondre. Vous allez voir.
Je veux juste
dire qu'il n'appartient pas au citoyen qui demande un service à l'État
d'établir la neutralité religieuse de
celui qui lui donne le service. L'État a des responsabilités face à ses
citoyens. Le représentant de l'État, pendant ses heures de travail, a
des obligations, et on pense que l'une de ses obligations, c'est celle d'être
neutre. Et on pense que la neutralité, elle doit paraître, elle doit
s'incarner. Là-dessus aussi, nous avons un désaccord.
Mais ce que je vous dis, c'est qu'à partir du
moment où tu acceptes de travailler pour tes concitoyens, tu dois accepter les responsabilités qui viennent avec. Et
je ne crois pas que le fardeau de la preuve de démontrer la neutralité complète de la personne appartienne au citoyen. Je
ne crois pas ça, moi. Je pense qu'à partir du moment où tu travailles
pour tes concitoyens et que tu es un représentant de l'État il y a des
obligations qui viennent avec cela. Et l'une de ces obligations, c'est
justement d'afficher ta plus stricte neutralité.
Ce n'est pas
à moi de présumer... de commencer à m'enquérir de tes préjugés, ou de ton
absence de préjugés, face à mon orientation sexuelle. Ce n'est pas à moi
d'établir ça. L'État doit être neutre et doit m'envoyer très clairement un
message de neutralité. Et je n'ai pas à commencer à me demander si la personne
qui me sert, dont je paie le salaire, est peut-être ou pas influencée par
certains des dogmes de la religion à laquelle elle adhère.
Maintenant, il me reste une minute. Je veux
aller sur le terrain de la neutralité un petit peu. Guy Rocher, qui est un
grand sociologue, un grand humaniste, est venu nous dire : Le projet de
loi n° 60 sur la charte, il s'inscrit dans le processus de laïcisation et de
déconfessionnalisation qui est en marche au Québec depuis 50 ans. Et, dans
une entrevue qu'il a donnée à Paul Journet… Paul Journet, le journaliste
de La Presse, lui demandait, lui posait la question, lui
disait : En permettant à une femme qui porte un signe religieux — enfin,
il parlait du hidjab très spécifiquement à ce moment-là — de travailler dans la fonction publique, est-ce
qu'on ne favorise pas l'intégration de cette femme à la société
québécoise? Réponse de Guy Rocher : «C'est un argument fautif et
dangereux, car on considère seulement les besoins d'une personne. Il faut
sortir de cet individualisme...»
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, M. le ministre, ces
22 min 40 s étant écoulées, je dois aller du côté de
l'opposition officielle.
M. Drainville : Est-ce que je
peux demander le consentement des gens d'en face pour terminer la question?
Le Président (M. Ferland) :
Bien, là, ça va être pris sur leur temps, si j'ai le consentement.
M.
Drainville : Non,
non, mais moi, je suis prêt, par consentement, à leur donner une minute de plus
si les gens de l'opposition sont d'accord.
Le Président (M. Ferland) :
Non, je ne peux pas donner plus de temps.
Une voix : Bien, on ne peut
pas leur donner une minute... plus de temps.
Mme Weil : Mais ça... C'est
une chaîne, là.
Le Président (M. Ferland) :
C'est parce que ça va découler, M. le ministre, sur les autres. Donc, je vais
être obligé de...
Mme Weil : Mais peut-être le
député de…
Le Président (M. Ferland) :
...réévaluer le temps, comme un GPS. Je ne peux malheureusement pas, M. le
ministre. Alors, la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Oui, merci, M. le
Président. Alors, je voudrais souhaiter la bienvenue, M. Gold,
Mme Legault et M. Andrade.
Félicitations pour votre mémoire, c'est vraiment un excellent mémoire, et vous
avez des éléments intéressants que j'aimerais faire ressortir qu'on n'a
pas eu le temps... notamment l'étude.
Dans un premier temps, juste pour les gens qui
nous écoutent — nous,
on vous connaît bien, vous avez une excellente
réputation — pourriez-vous
juste, très, très succinctement, parce qu'on voudrait vous entendre, juste
expliquer un peu votre pedigree, si vous
voulez, votre expertise et les prix que vous avez gagnés aussi, parce que vous
êtes renommé, hein, vous êtes reconnu
pour votre expertise en droits humains? Vous l'avez à la page 3, là. Hein,
c'est bien la page 3?
M. Gold
(Marc) : On est très gênés.
Écoutez, ça fait longtemps qu'on travaille dans le réseau scolaire,
partout au Québec, les écoles publiques,
privées, anglophones, francophones. Nous donnons des ateliers interactifs et
des programmes de plus longue durée. On met l'accent sur les
stéréotypes, discrimination et, de plus en plus, pour les plus jeunes, l'intimidation. Et, oui, on a été honorés avec
plusieurs prix, y compris un prix de la Commission des droits de la
personne, le YMCA et tout ça.
Mais, chose
plus importante, nous sommes une organisation non partisane qui rassemble des
bénévoles et des animateurs qui vraiment
représentent la diversité du Québec et nous sommes ici, et, moi, comme
bénévole, sommes ici pour faire la
promotion d'un Québec… on veut bâtir un Québec solidaire, inclusif dans… Et
parce qu'on se rend compte que vivre ensemble, c'est de plus en plus
difficile dans une société de plus en plus diverse et pluraliste. Merci pour...
Mme Weil :
Très bien. Merci. On aura peut-être le temps tantôt de revenir sur ces notions
de neutralité religieuse. Je veux vous rassurer que c'est très
rationnel, ce que vous dites, hein? Moi, j'ai eu ce dossier-là pendant
plusieurs années. Ce que je peux vous dire,
c'est que tout ce que j'ai eu, su et appris, même au sein de ce gouvernement du
Québec, c'est exactement ce que vous dites.
Et donc, ce modèle de laïcité ouverte, qui a été confirmé maintes fois… Je
voulais vous dire ça.
J'aimerais ça que vous nous parliez de l'étude
que vous avez faite, l'étude au sein des écoles, et de nous en parler… Donc, c'est ce que vous avez à la page 8
et 9, et ce qui vous inquiète par rapport… parce que vous avez
parlé de l'impact du projet de loi, et ce que je comprends, c'est l'impact qui
se fait déjà sentir et l'impact, si jamais la loi était adoptée, l'impact à
moyen, long terme.
Une voix : Oui, vas-y.
M. Gold (Marc) : Nous avons eu des
anecdotes de nos animateurs, animatrices. On était un peu serrés dans le temps et on ne voulait pas présenter juste des
anecdotes parce qu'on voulait avoir des données un peu plus précises. Donc, à la dernière minute, parce qu'il y avait un
échéancier un peu serré, on a organisé un sondage avec l'aide de Léger
& Léger, dirigé
vers les enseignants partout dans la province. Et nous avons reçu les données
préliminaires. On n'a pas les données plus analysées, juste compte tenu
du fait que tout est arrivé juste avant Noël. Ce que nous avons… ce que les données… nous dit que, parmi les enseignants, qui
se discutent entre eux les enjeux soulevés par le projet de loi, il y a
une augmentation des tensions pour ces questions identitaires et religieuses
avec un nombre important, croyant qu'en fait les
tensions montent au lieu de diminuer à cause de discours autour du projet, et
une majorité estime que les relations entre les communautés se sont dégradées au lieu de s'améliorer. C'est vrai que
c'est un «snapshot», si tu veux me permettre l'anglicisme, et on n'a pas vraiment analysé en profondeur les données.
On se rend compte que cette perception de quelque chose ne va pas très bien serait particulièrement
parmi les éducateurs, éducatrices plus jeunes — alors, l'avenir, si vous me
permettez — ainsi
que chez les femmes. Mais j'avoue que ce n'est pas un sondage complètement
analysé jusqu'à présent. On serait très
heureux de partager les résultats aussitôt qu'on a le temps de recevoir les
analyses plus détaillées.
Mme Weil : Mais ce que je retiens, c'est que
vous avez des signaux inquiétants, à tout le moins. C'est-à-dire que…
M. Gold
(Marc) : Ça confirme ce que
nos animateurs, animatrices, Miguel et ses collègues disent juste en
faisant le tour de la province. Il y a quelque chose qui ne va pas bien.
• (14 h 40) •
Mme Weil : Vous dites, dans
votre mémoire — c'est
quand même un message fort, là : «Ces résultats sont troublants parce
qu'ils suggèrent que le projet de loi 60 n'aide pas les Québécois à se
rapprocher. Au contraire, il contribue à la
division, le conflit et l'anxiété. C'est
triste et regrettable, mais cela s'explique par l'absence de toute
preuve réelle justifiant la nécessité et la pertinence de la loi.» J'aimerais
vous amener sur cette question-là, vous en parlez à la page 9. Donc, vous parlez d'une «campagne d'information très médiatisée et financée [pour] avoir sur les esprits de nos concitoyens», donc, une influence, puissance de
cette campagne. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez mis ça dans votre mémoire? Qu'est-ce
qui vous inquiète par rapport à cette campagne et la façon que le débat a été
mené?
M. Gold
(Marc) : Il faut faire le
lien entre les événements qui ont donné fruit à la commission Bouchard-Taylor, parce qu'il y a une ligne de continuité. C'était net et clair, et c'est dans le
rapport Bouchard-Taylor lui-même, que l'effet des médias sur les petits enjeux de bon voisinage... Parce que
les vitres givrées et la cabane à sucre, ce n'étaient pas des cas d'accommodement raisonnable, ce sont des questions
de bon... pour le bien ou le mal, d'efforts de bon voisinage. Mais
c'était devenu tellement médiatisé que la population a dit : Bon, il y a
un problème! Et il y a la commission.
Donc, selon nous — et pour revenir à
l'instant — quand
il y a un projet, qu'on met en avant un problème, problème de société, avec les dessins, avec les anecdotes, mais, avec
respect, aucune preuve, aucune étude qui démontre vraiment : Oui, vraiment, il y a un problème dans les écoles, il y a
un problème dans les hôpitaux. Au contraire, il n'y a aucune étude. Donc, quand il y a
un effort de créer un sens de danger ou d'urgence sans la démonstration qu'ils
existent en effet, et les médias — «Bless»
les médias! — font
leur travail, chaque jour il y a, et on rapporte les... Alors, il y a un
effet, surtout pour les jeunes et ceux et celles qui ne sont pas payés pour
suivre de près cet enjeu; ils lisent ou écoutent la radio : Bien oui, il y
a un problème, il y a un problème!
M. Simao Andrade (Miguel) : Il y a vraiment
un grand décalage entre la réalité observée par les faits et la perception
qu'ont les gens à travers leur regard, leur lecture des médias. Si on pose la
question aux jeunes à travers la province :
Il y a combien de pourcentage de musulmans?, ils vous diront, et ils me l'ont
dit : 30 %, 40 %. La
réalité est toute autre : 3 % de musulmans, une minorité est
pratiquante. L'étude du sociologue Paul Eid, dans le cadre de Bouchard-Taylor, a conclu qu'au niveau de la
pratique et des croyances religieuses les musulmans du Québec
se retrouvent parmi les moins pratiquants, tout juste après les Québécois
catholiques, moins pratiquants que les orthodoxes, que les Juifs, que les
chrétiens protestants.
Nous savons que, dans les faits, la vaste
majorité des accommodements raisonnables sont demandés pour des causes liées
aux handicaps, à la grossesse et que, dans les cas de demande d'accommodement
pour motif religieux, la majorité sont le
fait de chrétiens protestants. Bien
sûr que les demandes des Juifs et des
musulmans sont un peu en surreprésentation par rapport à leur poids
démographique, mais c'est tout à fait normal, puisqu'ils sont victimes d'une discrimination indirecte, qui... comme vous
le savez, c'est le fait d'appliquer une règle neutre, universelle à tous
pareillement et qui a pour l'effet
pernicieux, évidemment, d'exclure ceux qui ne peuvent se conformer à
ladite règle. Donc, c'est tout à fait normal qu'on retrouve un peu
plus de demandes de la part des
minorités religieuses qui ne peuvent pas travailler le samedi, hein?
Notre État
laïque, notre société, elle est basée en même temps sur une
tradition catholique qui fait qu'évidemment nous avons des congés le samedi et le dimanche, le monde est ainsi fait.
Les lois que nous adoptons reflètent les valeurs du groupe dominant; ce n'est pas intentionnel. Et c'est pour ça que
l'accommodement raisonnable a été élaboré : dans un souci, hein, de respecter le droit à l'égalité. Il
faut parfois faire un traitement différent pour respecter le droit à
l'égalité. Et les accommodements... Je suis
très content de voir qu'on reconnaisse la validité des accommodements
raisonnables, que les balises sont
là. Au Québec, les balises sont connues, hein : il y a
la notion de raisonnabilité, de contrainte excessive; si ça coûte trop
cher, si ça nuit au bon fonctionnement de l'institution, si ça viole un autre
droit, l'accommodement ne sera pas consenti.
Demandez à la commission scolaire de Montréal, demandez aux institutions qui font face à
ces demandes-là, c'est somme toute assez bien géré. Lorsqu'il y a des
cas qui se rendent en Cour suprême, oui, il y a matière à débat, et des fois il y a des cas limites, peut-être.
Mais on n'est pas là face à une
crise, de même qu'on n'est pas face à une crise lorsqu'on parle de
laïcité. Moi, je suis tout à fait d'accord de faire un débat nuancé sur la
question spécifique du port des symboles religieux dans l'État. Est-ce que les
représentants de l'État ou les employés doivent eux-mêmes être neutres? C'est un débat
qui peut se faire. On pourrait interdire… Mais faisons ce débat sur des bases
logiques, rationnelles et évitons de
parler de valeurs, de, ici, il faut respecter l'égalité. Oui, bien sûr qu'il
faut respecter l'égalité hommes-femmes, il y a un fort consensus là-dessus. Il y a un fort consensus sur plusieurs
principes au Québec, des principes qui sont partagés par les nouveaux
arrivants également. Donc, voilà.
Mme Weil :
Dans un sondage… Il y a deux éléments du sondage qui ont été relevés, bien intéressants.
La majorité des Québécois, sentant la
tension et sentant qu'il n'y a pas de consensus, souhaiteraient avoir l'opinion
des tribunaux avant d'aller de
l'avant pour qu'ils aillent de l'avant en toute connaissance de cause. Et,
deuxièmement, la majorité des Québécois sont inquiets de ce que vous appelez une conséquence draconienne, là, le
congédiement. Ils ne veulent pas que les gens soient congédiés pour leurs convictions religieuses. Est-ce que vous
pourriez… Puis vous, vous parlez justement de cette prohibition
draconienne. Partagez votre point de vue sur les conséquences sur l'emploi.
M. Gold
(Marc) : Mais, en fait, il
n'y a pas grand-chose à ajouter. La conséquence pour celui ou celle qui,
pour les raisons personnelles est en bonne foi, se sent obligé d'exprimer leurs
croyances sur leur foi, c'est que soit qu'il mette à côté un aspect de son identité personnelle, ou bien qu'il risque en
bout de ligne, après ce processus de communication avec les gens, d'être mis à la porte et nonobstant
sa compétence, son impartialité, sa capacité de faire son job avec
intégrité, avec l'obligation de réserve
appropriée à la position. Le mot «draconienne» n'est pas trop fort pour dire
que perdre son job à cause d'un point de vue religieux qui ne nie pas la
capacité ni l'obligation de faire le travail avec l'obligation… J'avoue que je
n'ai jamais pensé que, dans mon Québec, ce serait vraiment une vraie
possibilité. Je pensais qu'on a laissé ça dans notre passé.
M. Simao
Andrade (Miguel) : Donc, on
sait qu'il y a une sous-représentation des minorités ethniques, en tout
cas, au sein de la fonction publique. La
Commission des droits de la personne, en 2012, a réalisé une vaste étude
essayant de démontrer l'existence de
la discrimination sur le marché du travail, non pas en fonction de la religion,
mais en fonction du nom, du patronyme, qui démontre que, si vous avez un
nom à consonance francophone à Montréal, vous avez 60 % plus de chances d'être appelé en entrevue que si
vous avez un nom à consonance étrangère. Cette discrimination directe dans l'emploi explique le taux de chômage,
explique l'exclusion, la marginalisation. Voilà de véritables problèmes.
Et, si on souhaite que l'école, que les hôpitaux reflètent la diversité
québécoise, il faut lever les obstacles potentiels plutôt que d'en rajouter.
Je me souviens
très bien des politiques d'éducation québécoise fin du XXe siècle, lorsque,
justement, on s'intéressait à cette
question de la place de la religion dans l'optique d'une
déconfessionnalisation, dans l'optique de la création d'une école qui valorise la citoyenneté, qui valorise le
pluralisme. Mais un des objectifs, une des recommandations qui revenait souvent, c'était justement essayer
d'améliorer la représentativité des minorités au sein du personnel
scolaire. C'était un moyen parmi tant d'autres, justement, d'éliminer les
obstacles et de valoriser la diversité.
Nous sommes très préoccupés par le problème de
la discrimination. C'est au coeur des ateliers que nous donnons aux jeunes. Et tout ce qui a potentiellement comme conséquence
d'ajouter au problème, pour nous, c'est vraiment délicat. C'est problématique parce que le Québec a besoin d'immigrants.
En tout cas, c'est un choix qu'on a fait, et il faut tout faire pour que toutes les minorités,
ethniques ou religieuses, puissent être réellement reconnues à leur juste
valeur.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, je crois que le député de Fabre avait des questions. Il reste trois
minutes exactement.
• (14 h 50) •
M.
Ouimet
(Fabre) : Merci, M. le Président. Alors, rapidement, merci, à
mon tour, pour votre regard informé et éclairé.
J'avoue que je ne connaissais pas Ensemble pour le respect de la diversité,
mais je suis impressionné par ce que je lis et ce que j'entends.
Je veux revenir sur la question, et c'est en lien
avec la dernière réponse que vous avez donnée, c'est cette idée…on a
parlé de la transmission du message par le port d'un signe religieux et cette
idée que ça transmettrait un message. Et j'aimerais vous entendre sur l'importance
de la transmission du message de la diversité en lien avec la mission de l'éducation.
J'avais cru comprendre que, dans notre système d'éducation, M. le Président, même
des ministres du gouvernement du Parti
québécois avaient reconnu l'importance de ce message de diversité au sein du système d'éducation. Et, puisque vous êtes des spécialistes
intervenant auprès des jeunes dans le système d'éducation, j'aurais aimé vous
entendre sur l'importance de ce message de la diversité.
M. Simao
Andrade (Miguel) : En
réalité, la mission à l'école québécoise, vous le savez tous, l'instruction, la
qualification et la socialisation, peu importent les convictions personnelles
religieuses de l'enseignant, l'enseignant a pour mandat non seulement de
transmettre des connaissances, des faits dans toutes les disciplines, mais également
de favoriser la transmission des valeurs dites communes.
Alors, un
enseignant qui porte le hidjab, ou peu importe, doit, dans son enseignement, lutter contre toute forme d'intolérance, lutter pour le respect
de l'égalité, lutter contre le sexisme, l'homophobie, le racisme, puisqu'au Québec
nous privilégions la liberté, l'égalité, l'ouverture à l'autre. Ce sont des
choses qui vont ensemble. On n'a pas à choisir entre la démocratie, le pluralisme; tout ça va ensemble, il n'y a
pas de hiérarchie des droits. Lorsqu'on demande justement de choisir entre le
travail, la liberté de religion, nous ne sommes plus dans une démocratie
dite libérale. Il faut concilier tout ça, et c'est l'oeuvre de l'enseignant de dialoguer, pas d'imposer son point de vue, mais de réfléchir avec les jeunes. Qu'est-ce que la diversité?
Comment vivre ensemble? Comment aller au-delà des préjugés et s'appuyer sur des
faits, sur des… Voilà.
M.
Gold (Marc) : Et on peut
ajouter une chose. Un étudiant ou une étudiante qui vient d'une minorité
religieuse ou ailleurs peut se voir dans l'image de l'enseignant qui aussi est
différente, diverse. Ça fait en sorte que les enseignants peuvent avoir un avenir comme enseignant ou dans
le service public. C'est primordial pour l'intégration des citoyens
et citoyennes qui se voient dans les écoles.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, le temps étant écoulé, je vais aller du côté de la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Merci, madame, messieurs. Merci pour votre mémoire. J'aimerais vous amener tout de suite à la page 15, au… un, deux… troisième paragraphe, ou le dernier, si
vous préférez. Vous dites : «Tout d'abord, même s'ils sont payés par l'État, les enseignants n'exercent pas de pouvoirs
coercitifs au nom de celui-ci, comme
le feraient, par exemple, les policiers.» Ça m'amène à ma question : Est-ce à dire que votre position, à l'égard du projet de loi n° 60 et à l'égard d'une personne qui
exerce des pouvoirs coercitifs, serait différente que celle que vous
préconisez pour les enseignants? Parce qu'ici vous ajoutez la notion de pouvoir
coercitif.
M. Gold
(Marc) : C'est une bonne question, et notre conseil n'a pas pris une position par rapport à… les juges
et les policiers; on l'a mis ici juste pour
faire la distinction. Et, si ma mémoire est bonne, même si
la commission Bouchard-Taylor a recommandé qu'en ce qui concerne les
juges, et tout ça, l'interdiction doit s'appliquer, si ma mémoire est
bonne, l'ancien conseil de La Fondation tolérance n'était pas d'accord avec ça.
Cela étant dit, je comprends beaucoup, beaucoup,
beaucoup plus facilement l'argumentation en justification pour ça que pour les
enseignants, mais, strictement dit, on n'a pas pris une position là-dessus, on
met l'accent sur le réseau scolaire.
Mme Roy
(Montarville) :
Alors, poursuivons sur le réseau scolaire. Vous poursuivez, dans le même paragraphe, en nous disant que «le type d'autorité qu'ils exercent sur leurs élèves — les
enseignants — se
rapproche beaucoup plus d'une forme d'autorité parentale déléguée que
d'une autorité contraignante». Alors, si je suis votre logique, si l'enseignant
a justement cette autorité parentale déléguée, donc l'enseignant représente le
parent de chaque enfant, n'est-il pas plus convenu
de dire qu'il devrait justement avoir une image neutre pour représenter tous
ces parents, tous ces différents visages et ne pas afficher un signe
religieux qui ne serait pas nécessairement la religion de son parent?
M. Gold
(Marc) : C'est peut-être
une formulation qui n'est pas peut-être
élégante ou peut-être pas juste. Ce qu'on voulait faire, c'est... L'école, c'est un lieu de rencontre, un lieu de
négociation — si je
peux prendre l'expression de Marie Mc Andrew,
une membre de notre conseil, une grande experte là-dessus — un lieu de négociation entre l'État et la
famille. Et ce n'est pas l'État, ça, c'est
certain, c'est vraiment une extension... Mais ce n'est pas la famille non plus.
Alors, c'est un lieu où... de
discussion, de négociation, mais… Je parle d'une façon métaphorique. Mais
l'école reflète la société, et la société est diverse. Et la société et
les composantes de la société, y compris les étudiants, y compris les
enseignants, viennent de partout avec une diversité de points de vue.
Donc, selon
nous, c'est plus simple pour les jeunes d'être exposés à cette diversité sans
que ça soit caché. Parce qu'on peut
facilement enlever tel ou tel truc, mais on reste la même personne. On a le
droit de réserve, l'obligation ou pas, peu importe le signe qu'on porte
ou non. Donc, on a confiance en nos enseignantes et enseignants et en nos
jeunes de faire la distinction entre l'expression... et leurs vêtements, et
leurs devoirs de faire le travail comme il faut.
Mme Roy
(Montarville) : Avec tout le respect que j'ai pour vous, je
pense que les plus vieux sont capables de le faire, mais peut-être pas les tout-petits. Cela dit, je vous amène à la page 13,
et je vous cite, à la page 13 : «Pourquoi un enseignant portant un turban exprimant une
appartenance religieuse devrait-il être traité plus sévèrement que celui
qui porterait un chandail où apparaîtrait, subtilement, mais ostensiblement, un
message d'appartenance à une mouvance politique quelconque, par exemple un
"carré rouge"?» Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Gold
(Marc) : Mais, dans les
faits, et sur le terrain, vous ne serez pas surprise pour voir que les
enseignants partout expriment facilement leurs points de vue sur plusieurs
sujets. Et, à notre avis, ce n'est pas nécessairement mauvais. La question...
Le
Président (M. Ferland) : Le temps est écoulé, je dois aller du
côté du député de Blainville pour la dernière partie des échanges.
M. Ratthé : Merci, M. le
Président. On va continuer quand même dans la même veine, madame, monsieur. Vous dites, toujours à la page 15, qu'une
«simple exposition des élèves à des signes religieux ostentatoires risque de
les influencer»... Donc, c'est une version.
Et vous dites, finalement, que vous estimez que, fondamentalement, c'est
erroné.
Je vous
dirais, et je veux plus entendre votre opinion, je ne porte pas de jugement de
valeur, que, depuis le début de cette
commission, il y a eu des professeurs universitaires émérites, des professeurs
de l'école primaire, des professeurs d'école secondaire, des
sociologues, des gens en psychologie de l'enfance qui nous ont parlé de
modélisation, de questionnements, que l'enfant, en très bas âge, n'est pas en
mesure de faire ces différences. Alors, vous êtes un peu à contre-courant si
j'allais dire.
Alors,
je voudrais davantage comprendre, parce que vous parlez d'autorité, que le
professeur représente l'autorité parentale.
L'enfant qui est chez lui, qui regarde son parent, puis qui arrive à l'école et
qui a une image différente, ça va nécessairement
susciter des questionnements, nécessairement envoyer un message. Et ce qu'on
nous a dit, c'est que ça pouvait
effectivement imprégner en lui, inconsciemment, si on peut dire, parce qu'il
est trop jeune, un message dont... bien,
en fait, on pourrait atteindre sa liberté de conscience. Alors, vous êtes un
peu à contre-courant de ça. Je voudrais vous entendre un peu plus.
M. Simao Andrade
(Miguel) : On n'est pas à contre-courant. C'est tout à fait évident
que, lorsque les gens sont socialisés, ils
s'imprègnent, consciemment ou inconsciemment, de tout un ensemble de valeurs.
Pensons à l'éducation genrée, hein,
comment les stéréotypes sexuels sont enseignés, renforcés par les modèles
familiaux, par ce qu'on voit dans les pubs,
à la télé. On apprend à être un gars et à être une fille. Et ça conditionne les
gens, et ça les cantonne parfois dans des rôles prédéterminés.
Comment régler ça?
Justement par l'exposition à cette réalité et par la déconstruction des
stéréotypes, par l'enseignement, par le
dialogue. On ne peut pas cacher la réalité. C'est tout à fait évident qu'on est
influencés par le monde qui nous entoure, c'est une vérité de
La Palice.
Pourquoi interdire la
religion alors qu'on permet tout à fait l'expression visible de la couleur de
la peau, du handicap, des femmes... Vous me
direz : C'est de l'ordre du biologique. Mais tout est de l'ordre du social
également. Tout fait partie de la culture. On n'est pas simplement des
animaux, on est des êtres de culture, on est des êtres socialisés, on est
capables de se faire une idée. Et les gens vont...
Moi — je finirai comme ça — je suis fils de parents portugais, fils de
la loi 101, fier d'être Québécois. Ils m'ont amené à l'église tous les
dimanches; je suis devenu athée. C'est possible de changer. J'étais exposé
depuis l'âge de quatre ans à la messe le dimanche, à la catéchèse après la
messe. Et, pourtant, je suis athée. Et ma fille de quatre ans me pose plein de questions sur Jésus. Et je lui
réponds. Je l'enseigne, comme font les enseignants en éthique et culture
religieuse. Je lui enseigne, bon, les
histoires, hein, les mythes, qui sont très importants, qui font partie de notre
culture occidentale. Donc, voilà. Ce serait ma réponse à votre question.
• (15 heures) •
M. Ratthé :
J'ai un peu de temps encore?
Le Président (M.
Ferland) : Il reste une minute et quelques secondes.
M. Ratthé :
Je suis aussi un peu curieux par le sondage. Je trouvais ça quand même
intéressant que vous ayez fait conduire un
sondage par la firme Léger. Et je n'en suis pas sur le nombre, là. Je veux
mentionner que ça a été fait auprès
de 79 personnes. Le nombre pour moi n'a pas d'importance dans le sens qu'il
semble que ce soit effectivement un sondage auprès de personnes qui sont
impliquées dans les milieux. Donc, la qualité versus la quantité, là. J'étais surtout intéressé de savoir, par curiosité, si
vous êtes capables de nous le dire, au
niveau de l'échantillonnage, au niveau de la répartition du sondage : Est-ce que ça s'est fait principalement dans la région métropolitaine, un peu partout au Québec? Est-ce
que vous avez une idée du pourcentage d'échantillonnage qui a été fait?
M. Gold (Marc) : Je peux dire, parce que je n'ai pas le… On a sondé les… partout au Québec parce qu'on travaille partout au Québec. Je
pense que les répondants, parce que tout le monde n'a pas répondu, reflètent
plus ou moins le bassin de personnes. Mais
on peut facilement fournir ces données à la commission si vous voulez. Je n'ai pas les données. Mais, je pense, ce n'était pas
uniquement Montréal. Ça, c'est sûr et certain.
M.
Ratthé : …c'est justement…
Ce matin, là, on s'est dit : Bien, ce n'est pas juste une question
de Montréal, là. C'est les régions,
c'est Montréal, c'est tout. Puis c'est important. Alors, si, par
hasard, vous pouviez nous fournir l'information, ce serait intéressant.
Le Président (M.
Ferland) : Ceci met malheureusement fin aux échanges. Alors,
messieurs, madame, je vous remercie pour votre mémoire, de vous être déplacés
pour le présenter. Alors, sur ce, je vais suspendre quelques instants.
Une voix :
…
Le Président (M.
Ferland) : Oui.
M.
Ouimet
(Fabre) : …vient de poser une question intéressante sur la possibilité
de produire…
Le Président (M.
Ferland) : Mais je ne peux pas déborder, M. le député.
M.
Ouimet
(Fabre) : Mais est-ce que c'est possible de donner suite à
l'offre?
Le
Président (M. Ferland) : Non, je ne peux pas parce qu'il y a un autre groupe qui vient. Alors, malheureusement,
c'est mon rôle ingrat. Mais peut-être après la classe vous pouvez rester pour
échanger.
Alors, je vais
suspendre quelques instants pour permettre aux représentants de la Table des
regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles de prendre
place.
(Suspension de la séance à 15 h 3)
(Reprise à 15 h 5)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses
travaux. Nous recevons maintenant les représentantes de la Table des
regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles. Je vais
vous demander de vous présenter ainsi que
votre titre, en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour la
présentation du mémoire, suivi d'un échange avec les parlementaires. Alors, la
parole est à une de vous deux, en vous nommant s'il vous plaît, avec vos
titres.
Table des regroupements
provinciaux d'organismes
communautaires et bénévoles (TRPOCB)
Mme
Roberge (Mercédez) :
Bonjour. Mercédez Roberge, je suis coordonnatrice de la Table des
regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles. Kim De
Baene, qui m'accompagne, ma collègue, va faire la présentation, et on va
répondre à vos questions ensemble par la suite.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, allez-y.
Mme De
Baene (Kim) : Alors, bonjour.
D'abord, vous dire la mission de la table. La table est formée de 39
regroupements nationaux qui sont actifs à la grandeur du Québec. Donc, tous ces
regroupements-là, ça rejoint à peu près 3 000 organismes communautaires dans toutes
les régions du Québec. C'est des cuisines collectives, c'est des centres
d'action bénévole, c'est des regroupements des maisons de jeunes, bref, ce sont
des organismes qui ont des actions
innovatrices, des pratiques originales, une vision globale et qui atteignent
tous les milieux. La table est un lieu de mobilisation, de concertation
et de réflexion.
Donc, en fait, on est ici aujourd'hui pour vous
amener trois éléments en lien avec le projet de loi n° 60. Le premier élément, c'est de s'opposer aux articles
10 et 37 qui font partie du projet de loi. Le deuxième élément est de
vous rappeler la définition du mouvement communautaire. Et le troisième
élément, c'est de rappeler que, pour la table, la charte québécoise des droits et libertés de la personne est un document
quasi constitutionnel et fort important. Donc, voilà.
Premier élément. En fait, la table tient à
s'opposer vigoureusement à ce que tout organisme communautaire soit assujetti au projet de loi n° 60.
Actuellement, il y a deux articles problématiques. L'article 10, qui dit
que, «lorsque les circonstances le
justifient, notamment en raison de la durée du contrat ou de l'entente, de sa
nature ou des lieux de son exécution, un organisme public peut exiger de
toute personne ou société avec laquelle il conclut un contrat de service ou une entente de subvention de respecter un ou
plusieurs des devoirs et obligations prévus» dans cette charte. Bref,
ici, il y a plusieurs circonstances qui pourraient mener un organisme
communautaire à être assujetti. On peut penser aux organismes communautaires qui reçoivent des subventions récurrentes de
la part de l'État pour leur mission, on peut penser à des conventions, on peut penser à des ententes
de service, on peut penser aussi à la fameuse Loi sur l'assurance
autonomie qui s'en vient, qui pourrait
amener les organismes communautaires à être prestataires de services, à la
certification, aussi, aux lieux d'exécution des activités des organismes
communautaires.
Donc,
l'article 37, quant à lui, est très, très, trop ouvert, où est-ce que le
gouvernement peut assujettir un organisme à une ou des choses faisant
partie de la charte.
Donc, les articles 10 et 37 visent directement
les principes d'autonomie des organismes communautaires.
Donc, il faut rappeler que les organismes
communautaires ont une distance face à l'État. C'est des ressources
alternatives à l'État, ils ne font pas partie de l'État. Donc, le gouvernement
du Québec a clairement signifié que son projet
de loi était lié aux valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État.
Les organismes communautaires n'ont donc pas à se conformer à une telle charte. On tient aussi à rappeler que la
mission des organismes communautaires, ils le font dans l'obligation aussi de respecter les lois
québécoises et aussi la Charte québécoise des droits et libertés de la
personne.
Le gouvernement
du Québec s'est engagé à respecter l'autonomie des groupes à travers une
politique que l'on nomme L'action
communautaire : une contribution essentielle à l'exercice de la
citoyenneté et au développement social du Québec. Il y a
plusieurs… il y a huit critères en fait qui définissent les organismes
communautaires à travers cette politique-là.
Et ce qui est clair, c'est que les travailleuses et les travailleurs des
organismes sont redevables à leurs membres, aux conseils d'administration.
Les employeurs, c'est eux, ce n'est pas l'État.
On tient
aussi à dire que, parmi les membres, il y a aussi des membres qui sont issus de
diverses communautés, incluant
religieuses. Donc, en respect avec la loi et la charte québécoise des droits et
libertés, il est clair que les organismes vont en concordance avec ces particularités-là qui les définissent à
travers leurs membres. Le projet de loi pourrait donc mener à modifier
la mission même des organismes communautaires.
Bref, c'est
clair que les critères d'action communautaire illustrent l'indépendance des
organismes et que le projet de loi
n° 60 va à l'encontre de la politique de reconnaissance et de soutien de
l'action communautaire autonome. Bref, la charte est aussi inapplicable
dans le milieu communautaire et briserait le lien de confiance qu'on crée avec
les gens.
• (15 h 10) •
Donc,
premièrement, les articles 10 et 37 prennent… amènent des décisions très
arbitraires du gouvernement. On se
questionne, à savoir : C'est qui, finalement, qui va être assujetti?
Est-ce que c'est les 3 000 groupes communautaires? Quels seront les motifs? Ça va être quels
critères? Quelle typologie? Quelles régions? Est-ce que c'est un public
cible, finalement, qui va amener l'assujettissement? Qui va prendre les
décisions et qui va s'assurer de la mise en oeuvre des dispositions? Sinon, on croit même que les organismes pourraient
être menés à modifier l'organisation de leurs activités ou même les
critères d'embauche.
On
peut juste penser à des organismes communautaires qui animent au sein des
écoles des ateliers d'animation sur la
sensibilisation et même sur la non-discrimination. Ou, sinon, pensons à la
participation active des membres eux-mêmes, comment ils pourraient se sentir là-dedans, dans un lieu où est-ce
qu'ils vont chercher sécurité et où ils vont participer à des activités de groupe. On croit que le lien de
confiance pourrait être grandement fragilisé. Pensons à une femme
voilée, ayant le voile intégral, qui doive
se présenter dans une maison d'hébergement pour femmes victimes de violence
conjugale et qui ne pourrait pas être reçue pour ces critères-là.
On veut aussi
vous rappeler que le mouvement communautaire autonome, en fait, est contre la
discrimination et l'exclusion. On
croit que, depuis le début des débats, il y a beaucoup de choses qui se
passent, et c'est souvent houleux. La sécurité des gens est vraiment
compromise. Au sein des organismes, on doit gérer avec des situations très
difficiles, où est-ce que s'entremêlent
précarité, exclusion, stigmatisation et violence. Il y a actuellement du
dénigrement verbal, du mépris, des
comportements violents. Les 3 000 groupes qui oeuvrent en santé et
services sociaux travaillent souvent avec des personnes stigmatisées et vulnérables; ce que la table craint, c'est
une aggravation de la situation et que ça nuise aux efforts des groupes pour améliorer la qualité du
tissu social contre l'exclusion et pour promouvoir l'égalité. Donc, la
table veut rappeler qu'il est important que
la discussion se fasse dans le respect de toutes et de tous et que les groupes
communautaires sont ouverts à toutes et à
tous. Ils accueillent des personnes de toutes origines, religions,
orientations sexuelles, idéologies
politiques, de tous revenus, et cette diversité-là, elle est enrichissante
lorsqu'on peut garantir qu'elle se vit dans le respect mutuel.
Bref, le
troisième élément qu'on veut amener, c'est que la charte québécoise des droits
et libertés de la personne est un document fondamental au Québec. Depuis
1975, le Québec a une charte, donc la charte québécoise des droits et libertés de la personne. Cette charte-là s'est
inspirée de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de deux
pactes, les pactes des droits économiques,
sociaux et culturels ainsi que le pacte au niveau des droits civils et
politiques. Tous ces documents-là
mettent de l'avant l'interdépendance et l'interrelation des droits. Ils
permettent le respect et un équilibre des droits, surtout sans
hiérarchisation des droits et pour protéger les minorités. La charte québécoise
est un texte législatif des plus importants
au Québec : il faut la promouvoir, il faut assurer son respect. Il faut
surtout s'en inspirer. La table s'inquiète de l'ouverture de cette
charte québécoise et des possibles ajouts dans son contenu. Ces changements pourraient avoir des conséquences importantes
qu'il faut prendre le temps de bien évaluer. Nous considérons que le
contexte actuel ne permet pas de faire cette évaluation.
Bref, pour
rappeler nos recommandations, nous recommandons d'abord que l'on conserve la
charte québécoise des droits et
libertés de la personne telle qu'elle est aujourd'hui. Nous souhaitons que le
débat et ses suites se fassent dans des conditions respectueuses de
toutes et de tous, ne menant pas à davantage d'exclusion ni à de la
discrimination. Et finalement nous recommandons que le projet de loi n° 60
n'assujettisse pas les organismes communautaires. Voilà.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci beaucoup. Merci pour votre présentation. Maintenant, nous allons à
la période d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.
M.
Drainville : Merci,
M. le Président. Merci beaucoup, mesdames, pour votre présentation. D'abord,
votre appel au respect, il est
important. Je ne cesse de dire qu'il faut faire cette discussion-là dans le
respect des uns et des autres, même si on n'est pas d'accord. Alors,
vous avez bien raison d'insister.
Je saisis
cette occasion pour porter à l'attention des membres de cette commission et des
gens qui nous écoutent la sortie de
la semaine dernière de femmes qui se sont prononcées en faveur de la laïcité et
qui ont fait l'objet d'intimidation. Djemila
Benhabib en faisait partie, mais il y avait également Mme Abitbol, qui
participait à cette sortie, Mme Michèle Sirois également. Et je dois
vous dire qu'il y a des personnes qui sont venues ici, en commission,
se prononcer pour la charte et qui
ont fait l'objet d'intimidation très sérieuse depuis qu'elles sont venues
devant cette commission. Alors, l'intimidation, elle n'est pas acceptable que l'on soit dans le
camp de ceux et celles qui sont contre la charte, elle n'est pas davantage
acceptable lorsqu'on se trouve dans le camp de ceux et celles qui sont pour la
charte. Je pense que c'est important de le rappeler.
Maintenant,
sur l'article 10, vous avez raison de demander des précisions, parce que vous n'êtes pas les premières à
nous interpeller là-dessus. Alors, si vous me permettez, je vais répondre le
mieux possible à vos inquiétudes, à vos interrogations.
Dans le fond, ce qu'il dit, l'article 10, il dit qu'«un organisme public
[pourrait] exiger», dans certains cas… et je vais revenir donc aux conditions très précises pour lesquelles
l'article 10 s'applique, mais un organisme public, ça pourrait être un ministère, un hôpital, une école, peu
importe… pourrait exiger, dans certaines conditions, donc, le respect
d'un certain nombre d'obligations : devoir de neutralité et de réserve sur
le plan religieux, l'obligation d'avoir le visage à découvert ou encore l'obligation de rester neutre sur le plan religieux
et donc de ne pas porter de signe religieux. Et cette obligation-là donc
pourrait s'appliquer à une personne ou à une société avec laquelle l'organisme
en question a une entente de subvention ou un contrat de service.
Et là on
ajoute, dans cet article 10 : «[Si] les circonstances le justifient…» Et
là on précise, alors : «Lorsque les circonstances le justifient, notamment en raison de la durée du contrat
ou de l'entente, de sa nature ou des lieux de son exécution...» Donc, on module, on qualifie les
circonstances en vertu desquelles donc cet article 10 pourrait
s'appliquer.
Donc, le premier message que je veux vous
transmettre, c'est que cet article 10, il doit être compris, je vous dirais, comme étant un article qui s'applique dans
des conditions bien particulières. Alors, l'objectif n'est pas de faire
en sorte que, dès qu'une entreprise privée
ou un organisme communautaire donne un… enfin, j'allais dire «donne un
service», ce n'est pas tout à fait ça, mais il ne faut pas penser, dès qu'une
entreprise, par exemple, fournit un service à l'État ou dès qu'un organisme
fournit un service à l'État, que cet organisme-là ou que cette entreprise-là va
être assujettie automatiquement à l'article 10.
On
parle vraiment de situations où les personnes qui exercent des activités et des
fonctions en relation avec l'État se trouvent
dans une position où elles agissent comme représentants ou représentantes de
l'État ou pourraient être perçus comme étant des représentants ou des représentantes
de l'État. Et là je vous donne tout de suite des exemples. Une infirmière qui travaille dans un centre
hospitalier avec ses collègues, mais qui est en fait l'employée d'une agence
privée d'infirmières, alors, théoriquement,
ce n'est pas une employée de l'État… en fait, plus que théoriquement : ce
n'est pas une employée de l'État.
Elle n'a pas de lien d'emploi avec l'État, mais elle effectue un travail qui
est celui d'un employé de l'État.
• (15 h 20) •
Autre
exemple, c'est un témoignage d'ailleurs qui nous a été transmis ici, dans cette
commission. Alors, on a eu quelqu'un
qui est venu nous voir et qui nous a fait état d'une expérience qu'elle avait
vécue dans un centre de recherche d'emploi
qui est financé par le ministère de l'Immigration et des Communautés
culturelles et par Emploi-Québec, le
Centre de recherche d'emploi de l'Est. Et
cette personne, donc, qui témoignait à
ce moment-là, nous a décrit des
attitudes que la personne chargée de
la formation destinée aux immigrants avait, donc, des attitudes qu'elle
affichait, et, à son avis, selon l'avis
de la personne, donc, qui est venue témoigner, ces attitudes-là posaient un
réel problème sur le plan de la neutralité religieuse de l'État. Enfin, elle nous a raconté que, dans cette
formation, donc, cette personne-là transmettait ou posait des questions ou encore transmettait des informations
qui, à son avis, donc, de l'avis de la citoyenne, allaient bien au-delà
du strict mandat de formation, qui était celui, donc, de cette personne-là. Et,
quand elle nous a raconté cette histoire-là, cette
anecdote-là, elle nous a dit : C'est une fonctionnaire qui était là, là,
puis qui nous donnait cette formation. Or, quand on s'est informés, on s'est bien rendu compte que ce
n'était pas le cas. Mais, dans la perception, donc, de cette citoyenne,
c'était un fonctionnaire qui donnait la formation.
Puis là je
pourrais vous donner d'autres exemples. Je pourrais vous donner l'exemple d'une
firme informatique dont les services sont retenus par un ministère. Ils
envoient des techniciens sur les étages — ça arrive couramment. Ils sont là parfois pour une période assez longue.
Et, effectivement, pour les collègues de ces personnes, dans les
faits, pendant un certain nombre… pendant une période de temps, ils deviennent
quasiment des confrères ou des consoeurs de
travail. Puis je pourrais vous parler également de cette obligation, donc, du visage à découvert,
par exemple, qui pourrait s'appliquer à des préposés à
l'entretien, qui ont un contrat à très long terme au sein d'un bureau
gouvernemental.
Donc, je fais
une très longue description parce que l'essentiel de votre mémoire porte sur l'article
10. Donc, je pense que c'est ma responsabilité de vous donner le plus de précisions possible sur l'intention que nous
avions, les domaines d'application qui sont prévus ou, en tout cas,
qu'on avait à l'esprit. Je dois vous dire, et je l'ai déjà dit, il n'y a pas de
nouvelles là-dedans, que, si on peut améliorer le projet de loi, on va le
faire. Et c'est pour ça que cette consultation parlementaire, elle est
importante, parce qu'avec des
interventions comme la vôtre ça nous amène à se questionner, ça nous amène à ce qu'on se pose la question : Est-ce
qu'il y a moyen de resserrer la formulation? Est-ce qu'il y a moyen,
peut-être, de préciser le langage de
certains articles du projet de loi? Alors, bien évidemment, il faut constamment
s'interroger. Puis vous, bien, vous nous
posez une question, vous nous dites : Écoutez… Bon. Vous avez une
inquiétude, puis on la reçoit. Puis,
moi, ce que je vous dis, c'est que je vous explique, je pense, avec clarté, là,
avec des exemples bien précis ce que nous avions en tête. Maintenant, si
on peut resserrer, on le refera.
Mais je
voulais quand même vous demander : À partir des exemples que je vous ai
donnés, est-ce que, d'abord, c'est
plus clair, ce que nous visions avec l'article 10? Est-ce que vous voyez la
pertinence, dans le fond, de demander à des personnes qui font affaire
avec l'État et qui pourraient être perçues comme des représentants ou des
représentantes de l'État d'être assujetties, selon certaines conditions, aux
mêmes conditions de neutralité religieuse qu'un employé régulier ou qu'une
employée régulière de l'État?
Le Président (M. Ferland) : À
vous la parole.
Mme
Roberge (Mercédez) : Bien,
en fait, premièrement, vos intentions, que ce soit clair que c'est dans les
cas où des personnes sont perçues comme
représentant l'État, ce n'est pas inscrit dans le projet de loi. Alors, vous
comprendrez pourquoi nous nous inquiétons à
la lecture des libellés actuels de l'article 10 et de l'article 37. On nous
parle beaucoup du 10, mais il y a aussi le 37, qui est une ouverture à
des décisions qu'il y ait une ouverture à de l'arbitraire. Et, dans le milieu communautaire, on va vous parler que de ce
qui vient du milieu communautaire. On ne vous parlera pas au nom des
entreprises privées, qui se défendront elles-mêmes. Mais, dans le mouvement
communautaire, il est important que non
seulement la distance face à l'État soit claire, mais aussi l'apparence de
distance face à l'État. Et même d'inscrire que c'est dans le cas où quelqu'un aurait un risque d'être perçu comme
représentant l'État, ça ne répondra pas à nos inquiétudes. Par exemple,
lorsqu'on pense à ce qui pourrait arriver avec l'application, si c'était
appliqué, du projet d'assurance autonomie,
où, là, les groupes communautaires vont être prestataires officiellement
inscrits en tant que prestataires de services.
Alors, il y a de fortes chances que, dans l'esprit de la population, dans
l'esprit de la personne qui ouvre la porte de sa maison à une aide qui
lui est envoyée, il n'y ait pas de distinction qui soit faite et qu'il y ait de
la confusion.
La meilleure
manière d'exclure clairement le milieu communautaire, c'est de l'indiquer comme
tel. Et c'est ce qu'on attend comme modification. On veut que ce soit
clair, que ce soit inscrit, parce que, présentement, la manière d'en parler… Le «notamment» de l'article 10 est
quand même assez ouvert, merci. C'est normal dans un projet de loi, vous
allez me dire, mais on le lit pour ce qu'il veut dire, nous. Alors, notamment
la durée, notamment la durée d'une entente,
la nature d'une entente, le lieu, c'est plus… Ça peut vouloir dire énormément
d'organismes qui craignent d'être assujettis à un ou plusieurs articles,
de manière variable en plus, mais, en plus, que la population qui va cogner à
leur porte croit qu'ils devraient être assujettis ou croit qu'ils le sont.
Alors,
le message est à clarifier vraiment, et pour que les gens qui vont dans les
groupes communautaires continuent de savoir que, dans cet espace-là, ils
ne sont pas dans un bureau de l'État. Les liens qu'ils ont, les relations
qu'ils ont, le soutien
qu'ils ont est un soutien différent, à la couleur du mouvement communautaire,
bien entendu, dont nous sommes fiers, mais c'est une couleur différente
de celle qui ferait la fierté, évidemment, de la fonction publique aussi.
Alors,
pour nous, c'est très, très important que ce soit clair. Et, pour l'instant, ce
que vous nous donnez comme explication ne clarifie pas, à mon avis.
• (15 h 30) •
M. Drainville :
Bien, tout ce que je veux vous dire, j'essaie le mieux possible de vous
rassurer sur nos intentions. Je
comprends que je ne vous soumets pas un texte, là, que vous espéreriez,
peut-être. Peut-être que vous souhaiteriez que je vous dise : Voici
la nouvelle mouture. Je ne suis pas en mesure de commencer à discuter de
libellé, là. On arrivera à ça éventuellement
lorsque le projet de loi sera dans l'étude article par article. Mais ce que je
veux vous dire… je vois bien que je
ne suis pas tout à fait efficace, là, mais ce que je veux vous dire, c'est que
notre intention, ce n'est certainement pas d'assujettir l'ensemble des organismes communautaires de quelque façon
que ce soit, de les assimiler à des organismes d'État ou à des organismes publics, là. On sait à quel point vous tenez à
votre autonomie. Puis un organisme communautaire,
ce n'est pas un organisme public. On en est tout à fait conscients. Et ce que
je veux vous dire, c'est qu'on est très ouverts à améliorer le projet et
à trouver le libellé qui va nous permettre, donc, de vous rassurer. O.K.?
Maintenant, il me
reste seulement quelques minutes. Je veux quand même aller sur un autre aspect
de votre mémoire. Vous dites que vous êtes
contre les modifications proposées à la Charte des droits et libertés de la
personne. Moi, ça m'a un petit peu étonné
quand j'ai lu ça, parce que je me suis dit : De dire qu'on est contre
certaines modifications, on peut en
discuter. Mais de dire, par exemple, qu'on est contre toute modification, par
exemple celle qui vise de faire de l'égalité
hommes-femmes un critère déterminant dans la gestion des demandes
d'accommodement, ça, il me semble que c'est
une très bonne chose, d'inscrire ça dans la Charte des droits. Il n'y a pas
vraiment beaucoup de débats autour de ça.
Donc,
est-ce que vous êtes contre la modification de la Charte de droits pour faire
de l'égalité hommes-femmes un critère
déterminant dans la gestion des demandes d'accommodement? Est-ce que vous êtes
contre la modification de la charte
pour y inscrire les principes de neutralité religieuse de l'État, de séparation
des religions, et de l'État, et de laïcité? Est-ce que vous êtes contre
toute modification de la Charte des droits qui va nous permettre de
mieux baliser les demandes d'accommodement
en y inscrivant, donc, ce que j'ai appelé les différents tests? Parce que
la façon dont votre mémoire est écrit, vous n'ouvrez pas beaucoup la
porte à des modifications de la charte qui nous permettraient d'affirmer
l'égalité hommes-femmes, qui nous
permettraient de baliser les demandes d'accommodement et qui nous permettraient
d'inscrire les grands principes la laïcité.
Mme De Baene (Kim) : En fait, ça ne serait pas la première fois que la charte québécoise des droits et libertés de
la personne serait modifiée. Elle a été modifiée
dans le passé, mais, dans les cas… ça a été fait à l'unanimité des députés à l'Assemblée
nationale et ça n'a surtout pas été fait dans une situation où est-ce que le
débat au Québec est houleux et où est-ce que la situation met vraiment la
sécurité des personnes en cause.
Donc,
maintenant, pour ce qui de l'égalité hommes-femmes, ça fait déjà partie de la
charte québécoise des droits et libertés de la personne à l'article 10. Donc, par
défaut, si on inscrit d'autres articles, ils vont en lien avec cet article-là.
Donc, en soi, c'est inscrit. Pour ce qui est
de la neutralité de l'État, en assurant la liberté de conscience et la
liberté de religion, on assure, d'une certaine façon, la neutralité de l'État.
M. Drainville :
Comme il me reste très peu de temps, je veux quand même que ce soit clair.
Le Président (M.
Ferland) : 2 min 30 s à peu près.
M. Drainville :
Est-ce que vous êtes en train de nous dire que la Table des regroupements
provinciaux d'organismes communautaires et
bénévoles se prononce formellement contre le renforcement de l'égalité hommes-femmes
dans la Charte des droits et libertés, contre
l'inscription des principes de laïcité et contre les balises en matière d'accommodement?
Mme Roberge (Mercédez) : Écoutez, la question, ce n'est pas d'être… Ce
qu'on a précisé, c'est qu'on ne voulait pas que la charte soit modifiée dans le contexte actuel, pour les
raisons actuelles. Si la charte doit être modifiée, que le débat se fasse correctement, uniquement sur la Charte
des droits et libertés, uniquement pour la bonifier, elle, et pour
qu'elle soit cohérente, et pour que l'ensemble des lois qui sont faites au
Québec ensuite puissent être en respect de la Charte des droits et libertés. On
ne s'est pas prononcés sur les modifications présentées à la charte, on
dit : Si elles devaient être modifiées, il faut le faire autrement que
maintenant, de ne pas l'amalgamer avec les propositions de charte de laïcité.
Le Président (M.
Ferland) : Il reste environ une minute, M. le ministre.
M. Drainville :
Et cette position-là, c'est la position de… Vous avez consulté les membres de
votre regroupement pour en arriver à
ça? Moi, j'ai beaucoup d'organismes communautaires, moi, dans mon comté, et,
dans les discussions informelles que
j'ai eues avec ces organismes-là, ils ne sont pas d'accord avec tout ce qu'il y
a dans la charte, mais, de façon générale, sur l'égalité hommes-femmes,
les balises en matière d'accommodement et les principes de neutralité, de séparation
et de laïcité, ils sont pas mal pour. Alors là, je ne sais pas… Est-ce que
c'est le fruit d'une consultation ou c'est le fruit d'une décision de…
Mme Roberge (Mercédez) : Je
m'excuse, mais c'est justement parce que c'est le fruit d'une consultation des
membres que notre mémoire ne porte pas sur tous les articles du projet de loi;
il porte sur les articles sur lesquels il y a un consensus des membres. Et les membres ne
se sont pas prononcés sur chacune des modifications proposées à la Charte des droits et libertés, mais sur
l'importance qu'a la Charte des droits et libertés. Et, étant donné son
importance, si elle doit être modifiée, pour quelque modification que ce soit,
ce doit être fait d'une manière distincte, d'une manière correcte, respectueuse
et respectueuse du statut qu'a la Charte des droits et libertés.
Le
Président (M. Ferland) : Le temps est écoulé pour la partie
ministérielle. Je vais aller du côté de l'opposition officielle avec le
député de LaFontaine, je crois.
M. Tanguay :
Oui, merci beaucoup, M. le Président. Alors, merci beaucoup, mesdames, d'avoir
pris le temps de consulter vos membres, les organismes avec lesquels
vous oeuvrez à toutes les semaines, à tous les jours, d'être ici présentes
aujourd'hui pour répondre à nos questions. On a seulement 16 minutes. Et je
sais que ma collègue, entre autres, de Gatineau aura des questions. Je vais
essayer de garder mes questions courtes.
Mais, si vous
me permettez juste une parenthèse, vous avez bien vu, puis je vais essayer de
le reformuler différemment, l'écueil
où il y a… Dans la charte, quatre éléments sur cinq font consensus; demain
matin, on fait avancer le Québec. Là où il y a division du Québec, c'est l'interdiction des signes religieux à
l'État — public,
parapublic — et aux
organismes; les articles 10 et 37 auxquels
vous faites référence. Dans l'état
actuel des choses, la charte
québécoise des droits et libertés protège l'égalité hommes-femmes et, évidemment,
la neutralité religieuse de l'État — et, déjà, j'ai eu l'occasion d'en faire la démonstration — considérées, dans les décisions qui sont
rendues, par la modification du test de raisonnabilité. Je ne veux pas être trop technique, là, mais, pour
que l'interdit des signes religieux passe le test de la charte
québécoise… À l'heure actuelle, il ne le passe pas. Qu'est-ce qu'on fait si on
est au gouvernement? On va changer le test. Article 9.1, c'est le test de
raisonnabilité. Alors, vous l'avez très bien vu quand on indique le caractère
laïque et les implications que cela fait.
On aimerait
bien, nous également, avoir accès aux opinions juridiques du ministère de la
Justice, qui existent, qui ne sont
pas publiques, qui ne sont pas rendues publiques. On a eu le Barreau du Québec,
très forte voix par rapport au fait que cette loi, en vertu de la
rédaction actuelle de la charte québécoise, est illégale quant à l'interdit de
port de signes religieux. La Commission des
droits de la personne, qui est née en 1975, le même jour qu'est née la charte
québécoise, nous le dit également, que
l'interdiction est illégale. Le gouvernement a des opinions juridiques, ne les
rend pas publiques. Ce n'est sûrement
pas pour se faire dire, contrairement au Barreau et à la Commission des droits
de la personne, que c'est légal.
Alors, on prend pour acquis que les gens qui
sont des experts ont vu le fait que le test de raisonnabilité, en vertu de la charte québécoise, tel qu'il est
rédigé aujourd'hui, ça ne passe pas le test. Qu'est-ce qu'on fait? On va
changer le test. C'est ce que vous nous
dites, c'est ce que vous dites au ministre. Alors, quand le ministre vient vous
dire : Ah! Êtes-vous contre
l'égalité hommes-femmes? Êtes-vous contre ci, êtes-vous… Ce n'est pas ça, le
point. Le point, c'est qu'on vient ici entrer une discrimination, on
vient faire naître une discrimination basée sur la liberté de religion, ce qui
est interdit en vertu de l'article 10.
J'aimerais
vous entendre… Écoutez, j'ai pris note de ce… «Je vois bien que je ne suis pas
efficace.» Fin de la citation. C'est le ministre qui a essayé, en six,
sept minutes, de nous expliquer en quoi il n'y avait pas d'arbitraire à deux niveaux, de un, quant à l'impératif de
l'article 5 de signes ostensibles, c'est quoi, un signe ostensible, premier
niveau d'arbitraire. Deuxième niveau
d'arbitraire, au niveau de… lorsque les circonstances le justifient, article
10. Et article 37, vous faites la même lecture que nous, et je veux vous
entendre quant à l'impact que ça aurait.
À l'article 37, on dit : Tout organisme à
caractère public. Bien, moi, je trouve que la table des regroupements provinciaux… 3 000 groupes communautaires, et
je vous cite, «abordent la santé et les services sociaux sous
différentes perspectives — femmes, jeunes, hébergement, famille,
personnes handicapées, communautés ethnoculturelles, sécurité alimentaire, santé mentale, violence,
périnatalité, toxicomanie». Pour moi, là, je vous l'annonce tout de
suite : Vous êtes un organisme à
caractère public. Une chance que vous existez. Et ce n'est pas les
explications, de son aveu même, inefficaces de six, sept minutes du
ministre qui peut nous rassurer là-dessus.
En ce
sens-là, j'aimerais savoir… Donc, question à vous poser : Quel serait
l'impact, demain matin, de cet interdit sur vos 3 000 organismes?
Autrement dit, un signe ostentatoire, il n'y en a plus un dans vos organismes.
Comment géreriez-vous ça, vous, au jour le jour?
• (15 h 40) •
Mme Roberge (Mercédez) : En fait, ce
n'est pas tant nous, mais les membres, les groupes communautaires eux-mêmes. Parce que la table des regroupements
regroupe des regroupements, mais c'est leurs membres, qui sont dans
toutes les régions, qui sont en contact avec la population. Alors, comment ça
se… quel effet ça aurait? Eh bien, un organisme
qui est créé par… Les organismes communautaires sont créés par, pour et avec.
On répète ça tout le temps : par la
communauté, avec elle et pour elle, ce qui veut dire qu'un organisme est créé
pour être accueillant pour la communauté, pour être à l'image, pour
qu'il y ait une relation de confiance, un sentiment d'appartenance.
Si un
organisme communautaire, ne serait-ce qu'un seul, devait restreindre… ne pas
embaucher de femmes ou d'hommes qui portent un signe religieux, quel
qu'il soit, alors que la communauté est formée, entre autres — ou particulièrement, ça peut être aussi
particulièrement — de cette
communauté-là, il n'y a plus de lien. Pourquoi? La personne ouvre la
porte du groupe et ne se reconnaît plus, elle ne se sent plus invitée. Et ça,
c'est la base du mouvement communautaire,
d'être… lorsque l'accueil… que, dès qu'il y a contact, il y a une confiance, et
c'est cette confiance-là qui donne de l' «enpowerment», c'est cette
confiance-là qui fait que des gens vont chercher de l'aide et en obtiennent. Ils
l'obtiennent de la manière dont ils veulent,
selon leurs choix, parce qu'ils peuvent choisir un groupe versus un autre,
selon son style, selon sa couleur. Alors,
pour un groupe communautaire qui devrait se montrer moins ouvert qu'il ne l'est
dans la réalité, ça serait catastrophique pour lui et pour la communauté qui
l'a créé.
La Présidente (Mme
Champagne) : Mme De Baene.
Mme De
Baene (Kim) : Oui. Bien,
pour ajouter, en fait, c'est aussi... ça crée un flou après ça. La table,
depuis ses débuts, se bat pour l'autonomie
des organismes communautaires. Et c'est cette autonomie-là qui assure leur
force aussi. Si on est amalgamés à ce
qui fonctionne auprès des fonctionnaires de l'État, aux groupes communautaires, bien, tranquillement pas
vite, on érode cette autonomie-là et tout ce que ça amène. La force de ces
groupes-là, après ça, qui est érodée aussi…
M. Tanguay : J'aimerais vous
entendre sur l'importance de se voir reconnaître par ce qui nous définit fondamentalement comme individu. Et, tantôt... Je
mets de côté l'intégrisme religieux, le prosélytisme et toutes mesures
qui vont contre l'égalité hommes-femmes.
Mais j'aimerais vous entendre, à travers ce que vous vivez et via les contacts
que vous avez avec les organismes
communautaires, de l'importance pour une personne de se voir reconnaître
également, et appréciée et respectée pour ce
qu'elle est dans une société qui se dit accueillante, et qui, là, du jour au
lendemain, dirait : Oui, c'est
bien de vous recevoir, mais ne prétendez pas pouvoir, avec un signe
religieux — peu
importe que ce soit une croix, kippa, turban — obtenir
des emplois au gouvernement ou à des organismes communautaires. Quelle sorte de
message paradoxal et non accueillant on enverrait, à ce moment-là?
La Présidente (Mme Champagne) :
Mme Roberge.
Mme
Roberge (Mercédez) : Ce qui
nous questionne aussi, ce qui nous inquiète aussi, c'est comment les gens
qui vont vers les groupes communautaires
vont vivre dans la société. On ne se préoccupe pas uniquement de ce qui se
passe entre quatre murs d'un groupe communautaire, mais le groupe communautaire
fait partie d'une société.
J'ai fait une
petite recherche rapide pour aller chercher des noms d'organismes
communautaires qui travaillent spécifiquement avec des communautés
ethnoculturelles. Ce ne sont pas les seuls qui en reçoivent, mais ceux qui en font, je dirais, une spécialité, bien, j'en ai
cinq pages, d'organismes communautaires très variés, qui sont : des
centres de femmes, des centres de référence
qui interpellent les femmes sud-asiatiques, la communauté italienne, la
communauté musulmane. Toutes les communautés y sont, tous leurs besoins y
sont : logement, emploi, famille.
Le seul fait
de leur existence nous dit que les gens ont besoin de se donner des lieux
d'appartenance, ont besoin de se réunir et de s'entraider. Parce que,
quand quelqu'un va dans un groupe communautaire, ce n'est pas seulement pour recevoir, c'est pour l'entraide qu'il y a,
c'est pour les échanges. Et, évidemment, nous, on en regroupe 3 000,
les groupes communautaires, mais il y en a plus que ça au Québec, il y en a
même 4 000 qui sont considérés comme des organismes
d'action communautaire autonome. Les 3 000 dont on vous parle, nous, c'est
ceux qui sont associés à la santé et aux services sociaux, qui sont
déjà... dont il y a déjà un domaine très vaste. Mais, en plus des groupes que
nous, on représente, il y a aussi énormément d'organismes de défense des
droits.
Alors, que
les différentes communautés religieuses, culturelles, les femmes, les jeunes,
les hommes, les moins jeunes… par
groupe, on a, je dirais, un réflexe, presque, au Québec, en tout cas, de
dire : Bon, on a besoin de quelque chose, mettons-nous entre nous,
créons-le, n'attendons pas que ça soit inventé, que ça arrive par magie. Ce
dont on a besoin, créons-le comme on le veut. C'est ça, la création par, pour
et avec les gens de la communauté.
Alors, que
les groupes qui ont une si grande variété d'organismes existent... Et là
j'ai juste fait ma recherche en passant par des regroupements qui
rejoignent particulièrement des groupes dont la spécialité est de travailler
avec les personnes de diverses communautés, qu'elles soient immigrantes de
longue date ou de fraîche date, qu'elles soient réfugiées, peu importe leur
statut. Et ça a montré la très grande variété, donc le très grand besoin qui
doit être protégé à tout prix.
La Présidente (Mme Champagne) :
Alors, Mme la députée... Merci, Mme Roberge. Mme la députée de Gatineau, il
vous reste un peu plus de cinq minutes.
Mme Vallée :
Merci. Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour. Je suis heureuse de vous
retrouver encore une fois en commission parlementaire.
Ce que je
retiens de votre message, dans le fond, c'est que l'expression de la différence
chez les travailleurs des organismes
communautaires que vous représentez peut faire toute la différence dans
l'intégration sociale et dans la lutte à l'exclusion sociale. Donc, à
quelque part, cette différence-là qu'on tente d'une façon un peu maladroite de
chasser de la réalité, pour vous, c'est un
outil qui va permettre d'aller rejoindre les gens dans leur solitude, dans leur
propre drame, et va permettre de
créer ce trait d'union là, et de venir en aide à bien des gens. Parce que
3 000 organismes sur le territoire, c'est des gens, c'est le quotidien des gens, c'est la vraie vie, et c'est
assez exceptionnel. J'aimerais vous entendre davantage sur ça parce que je sais… on connaît vos membres, on
travaille avec vous dans différents dossiers. J'aimerais vous entendre
davantage sur cette expression de différence là qu'on peut retrouver au sein
des organismes que vous représentez.
La Présidente (Mme Champagne) :
Alors, Mme Roberge.
Mme
Roberge (Mercédez) : Oui.
C'est clair pour nous que pour combattre l'exclusion, que pour
sensibiliser à la… pour mettre fin aux
discriminations, pour sensibiliser aux questions difficiles, ça ne peut pas se
faire en camouflant quoi que ce soit. On ne peut pas parler d'un
problème, ou d'une situation, ou d'une tension dans une communauté si on a des
éléments qui nous empêchent de le faire.
Et,
pour aller parler de la diversité, on est toujours en train, dans le fond,
quand on parle… quand les groupes communautaires
font des présentations, vont vers les gens ou que les gens vont vers eux… Parce
qu'il y a aussi beaucoup de groupes qui vont vers les jeunes dans le
milieu scolaire. Et c'est pour ça aussi qu'on s'inquiète également là-dedans,
aujourd'hui. Ils vont parler pas seulement d'un dossier… Nos dossiers sont
toujours connectés. On ne parle jamais uniquement
de la pauvreté, mais on va parler de la santé et de la pauvreté. On ne parlera
pas juste du travail, mais on va parler
du travail comme étant un déterminant de la santé. On va parler de la
discrimination, mais on n'ira pas pour parler juste d'une seule discrimination, on va parler de tout, on va donner des
exemples sur toute discrimination parce qu'aucune ne serait justifiable.
Donc, ce que les
groupes font, c'est de nommer les... Et on ne peut pas régler, on ne peut pas
sensibiliser en camouflant, en modifiant notre manière d'être, notre manière
ouverte d'être. Et c'est là que les gens qui travaillent pour le communautaire ne peuvent… sont là pour une
cause, sont là pour un enjeu de société. Leur rôle est de voir la
société dans l'ensemble, alors ils ne
peuvent pas regarder un seul élément tout petit, et c'est pour ça qu'ils
doivent être aussi… avoir des préoccupations globales. Et c'est pour ça
que, pour nous, ce n'est pas que les groupes qui accueillent, par exemple, des gens de la diversité ethnoculturelle
auxquels on pense. On pense à tous les groupes, à toutes les femmes et à
tous les hommes qui peuvent aller dans un
centre, un centre communautaire, par exemple, justement, et qui vont
vouloir, peu importe leur état, peu importe
leur conviction religieuse, ils vont vouloir avoir un accueil respectueux,
ouvert à leur diversité, et, l'ouverture à la diversité, pour nous, ne
passe pas par le camouflage.
La Présidente (Mme
Champagne) : Mme la députée de Gatineau, un petit peu plus de
une minute.
Mme
Vallée : Alors, je comprends que, pour vous, c'est impératif
que le libellé des articles 10 et 37 soit très clair, en fait,
idéalement, qu'il n'y ait pas cette discrétion-là d'accorder au gouvernement de
venir imposer aux organismes communautaires
une ligne de conduite, une façon d'agir, une façon d'interagir. Pour vous, il
est important finalement de mettre de
côté ces deux impératifs-là pour vos membres. On s'est vues sur la question de
l'assurance autonomie… d'autant plus que le gouvernement cherche à
solliciter l'apport des organismes communautaires pour la prestation de
services à domicile, donc il ne faudrait pas
voir là un outil. Vous allez offrir des… Nous allons requérir vos services,
mais vous allez faire… vous allez
vous comporter, ou vos employés, ou votre personnel va devoir se comporter
selon une ligne qui ne correspond pas nécessairement à votre mission.
Mme Roberge
(Mercédez) : Tout à fait. Et, pour…
La Présidente (Mme
Champagne) : …secondes, Mme Roberge.
• (15 h 50) •
Mme Roberge (Mercédez) : Bien, pour le bénéfice des modifications futures, la question du lieu telle
qu'elle est inscrite dans l'article 10 n'est pas une bonne piste non plus.
Alors, si j'avais plus le temps d'en parler…
La Présidente (Mme
Champagne) : Vous pourrez continuer probablement avec le
deuxième groupe de l'opposition officielle. Alors, je donne la parole à Mme la
députée de Montarville pour un gros quatre minutes.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente.
Et, oui, on va poursuivre parce que je partage vos inquiétudes. Merci,
d'abord, mesdames, pour le mémoire. Vous dites que les organismes
communautaires ne font pas partie de l'État.
Je partage totalement votre point de vue. Vous n'êtes pas des employés de
l'État, vous ne faites pas partie de l'État.
Vous craignez l'application de l'article 10 — ma collègue en a parlé — et de l'article 37. 10, le ministre a
essayé de nous expliquer la portée, une portée qui sera beaucoup plus grande
que les quelques exemples qu'il nous a donnés.
Maintenant,
j'aimerais, pour le bénéfice des téléspectateurs à la maison qui n'ont pas le
loisir d'avoir le projet de loi en main, parler de l'article 37,
l'article 37, dont vous faisiez mention il y a quelques instants, et c'est
très, très clair. Il est écrit, et là, je
vais vous faire la lecture : «Le gouvernement peut assujettir un organisme
[…] à l'application d'une ou de plusieurs des dispositions de la
présente charte. Il peut également fixer des conditions […] des modalités.» On
va un petit peu plus loin : «L'annexe
III énumère les organismes, établissements ou fonctions ainsi assujettis, les
dispositions applicables et, le cas échéant, les conditions ou les modalités.»
Et là on parle de l'annexe III. Et là, quand on va voir l'annexe III, qu'est-ce qu'on trouve? Bien, l'annexe III, qui nous dit
quels sont les organismes assujettis… Il n'y a rien. Il n'y a rien, pourquoi? Parce que c'est le pouvoir
du gouvernement de décider quels seront les organismes qui seront assujettis.
Alors, je comprends
votre crainte. On ne sait pas exactement où le gouvernement s'en va. On n'a pas
les règlements, on n'a pas l'étendue de
l'application. Alors, moi, ce que j'aimerais savoir de votre part, c'est :
Si on enlevait carrément les termes «organisme» de l'article 10 et de
l'article 37, est-ce que ça vous conforterait pour une charte de la laïcité?
La Présidente (Mme
Champagne) : Mme De Baene? Mme Roberge? Alors, Mme De Baene.
Mme De Baene (Kim) : Bien, en fait, c'est sûr que nous, on s'est déplacées ici, notre mandat
était clair, c'était concernant les
articles 10 et 37. Donc, c'est clair que, si on retire les articles 10 et 37…
Maintenant, il y a consultation à avoir
sur d'autres éléments du projet de loi n° 60. Et, si ça ne fait pas partie
de notre mémoire aujourd'hui, c'est justement parce qu'on parle de fin décembre, on parle de 3 000 groupes, on
parle de centaines de milliers de personnes à consulter sur,
actuellement, une information ou des informations qui circulent. Donc, c'est
quelque chose que, pour le moment, on ne peut pas du tout, du tout se
positionner face au projet de loi n° 60 si on retire les éléments
«organisme».
Mais,
d'autre part, il y a quand même des éléments en lien avec la charte québécoise
qui sont problématiques. Donc, c'est
sûr qu'encore une fois on l'avait dit : Les modifications à une charte
québécoise, de la manière que c'est fait actuellement, on ne croit pas que c'est une bonne idée. On croit qu'il
doit y avoir débat autour de ça, un débat dans le respect et qui peut
amener finalement, si c'est le cas, à des modifications, mais que ça soit fait
autrement.
Mme Roy
(Montarville) : Allez-vous
consulter — parce
qu'on parle ici de plus de 3 000 organismes communautaires que vous représentez — ces différents organismes par le biais de
sondages, par le biais de courriels, par le biais… parce que, jusqu'à présent, autant d'organismes, autant de
personnes, autant de positions différentes. C'est somme toute divisible,
cette charte, pour le moment. Comment allez-vous procéder?
Mme
Roberge (Mercédez) : En
fait, ce n'est pas la table en général qui consulte toute la population, bien
sûr, ni toutes les personnes qui vont dans chacun des 3 000 groupes, mais
la table réunit des regroupements qui ont à faire des consultations auprès de leurs propres membres, et la table réunit
les positions de ces membres, donc, par le fait… par voie de… par plusieurs consultations interposées.
On ne peut pas vous dire maintenant de quelle manière on va pouvoir procéder évidemment parce que, pour l'instant, on
n'a pas de… on ne sait pas qu'est-ce qui adviendra du projet de loi
actuel ni non plus quelles étapes il pourrait y avoir par la suite. Nous allons
cependant tout le temps rester à l'affût…
Le
Président (M. Ferland) : Le temps est écoulé pour la députée de
Montarville. Je vais aller du côté du député de Blainville.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. Mesdames, bon après-midi. Je vais revenir un petit peu
sur ce que le ministre vous
mentionnait tout à l'heure et sur le fait que, quand le ministre nous
disait : Bien, écoutez, ça pourrait s'appliquer, par exemple, à quelqu'un
qui est perçu comme un représentant d'État… Est-ce que, pour vous, ça serait un
compromis acceptable que ce soit inscrit
dans les articles? Ou ce n'est pas acceptable du tout, là, de dire : Bien,
si, par exemple, un organisme
communautaire ou une personne qui relève d'un organisme communautaire allait
intervenir dans un CHSLD, donc qui est assujetti, et, si cette
personne-là est perçue comme un représentant d'État, est-ce que, pour vous,
c'est acceptable ou pas, comme compromis?
Mme De
Baene (Kim) : Non. En fait, premièrement, les 3 000 organismes
sont des organismes communautaires autonomes.
M. Ratthé : Je comprends ça.
Mme De
Baene (Kim) : Actuellement, ce qui est mis en place, peu importe ce qu'on en pense, on veut faire
ça pour les fonctionnaires de l'État, soit.
On vient ici pour vous dire que les organismes
communautaires sont autonomes
et qu'ils ne doivent pas être assujettis à ça.
D'autre part,
si on prend l'exemple du projet de
loi n° 67 sur l'assurance autonomie, c'est un réel problème, parce que là on aurait concrètement des prestataires de
services communautaires qui se pointeraient pour offrir des services et
qui seraient perçus clairement comme étant de l'État, même s'ils ne le sont
clairement pas non plus. Et la force de leurs activités
et de leurs services, c'est justement d'être autonomes et d'être des organismes
communautaires, là. Donc, non.
M. Ratthé :
O.K. Donc, oui, c'est un bon exemple intéressant, effectivement. Question plus
de curiorisité, parce que je voudrais
peut-être profiter de votre expertise, vous avez mis l'emphase, avec raison,
sur le fait qu'il y a plusieurs, voire
même des milliers d'organismes, qui se spécialisent dans les groupes,
dépendamment de leur diversité culturelle. Est-ce que c'est possible de penser — puis c'est une question, vraiment par
curiosité — qu'il y
a des gens qui ne vont pas vers des
organismes parce qu'il y a un malaise, par exemple, dans toutes les régions? Je
ne suis pas sûr que, dans toutes les régions,
il y a des organismes qui répondent à toutes les différentes diversités
culturelles. Est-ce c'est possible de penser qu'il y a des gens qui n'iraient pas vers des organismes communautaires
parce qu'il y a un malaise, par exemple, je dirais, parce que c'est
associé à l'Église catholique, souvent au niveau, par exemple, des paniers
alimentaires ou d'autres… Est-ce que, selon vous, en permettant une laïcité on
couvrirait encore plus large que ce qu'on couvre actuellement?
Mme
Roberge (Mercédez) : Non, le
projet de loi, s'il ne touche pas le mouvement communautaire,
ne changera pas la situation
actuelle; les gens choisissent les organismes selon toutes sortes de
considérations, de proximité, de réponses à des besoins particuliers.
Donc, ce n'est pas le projet de loi qui va changer la manière dont… s'il ne
touche pas le communautaire, bien entendu,
qui va changer la manière dont les gens vont faire ce choix-là. Pour compléter
l'idée de : Est-ce qu'il y a
un risque d'avoir l'air d'être représentant de l'État… Ça peut avoir passé par
un chemin inattendu. Il y a
des organismes communautaires dont les bureaux ou dont les activités se
tiennent dans des édifices publics, et là c'est pour ça que je parlais du
milieu tout à l'heure, qui n'était pas une solution parce que lorsqu'un…
J'ai fait une recherche très, très rapide, avant
de venir, et ne serait-ce que trois regroupements m'ont donné 10 exemples, 10 — et c'est
vite, là — 10
exemples de groupes communautaires dont les bureaux, dont les activités
se tiennent… ça va dans une école, avec ou sans cours, donc dans un édifice,
beaucoup dans des édifices municipaux, il y
a un danger d'être assimilé à, il y a dans des écoles primaires énormément,
même dans un CHSLD, dans des édifices gouvernementaux,
ils ne sont pas du gouvernement, mais c'est la même porte d'entrée qui mène,
donc peut-être apparence de, si, dans l'opinion publique, il y a la
confusion que l'on craint. Alors, cette dizaine-là, très rapide…
Le Président (M.
Ferland) : Et malheureusement, Mme Roberge, ceci met fin aux
échanges…
M. Ratthé : Merci, c'est très
clair.
Le Président (M. Ferland) :
…avec les parlementaires. Je vous remercie de votre mémoire, la préparation et de vous être déplacées pour nous le présenter.
Je vais suspendre quelques instants afin de permettre à Mmes Isabelle Le
Pain et Valérie Vennes de prendre place.
Alors, on suspend quelques instants.
(Suspension de la séance à 15 h 59)
(Reprise à 16 heures)
Le Président (M. Ferland) :
Alors, la commission va reprendre ses travaux. Nous recevons maintenant Mmes Isabelle Le Pain et Valérie Vennes. Alors, en
vous mentionnant que vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire,
suivi d'un échange avec les parlementaires. Alors, je vais vous demander de
présenter, qui est qui, pour avoir les noms au bon endroit sur l'écran, ici.
Alors, allez-y.
Mmes Isabelle Le Pain
et Valérie Vennes
Mme Vennes
(Valérie) : Alors, bonjour, M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés. Alors, je suis
Valérie Vennes; Mme Isabelle Le Pain.
Alors, je débute tout de suite avec mon résumé.
Nous vous remercions de nous entendre aujourd'hui. Alors, nous avons travaillé respectivement
10 et 11 ans au sein de la direction de la protection de la jeunesse. Nous
avons occupé des postes au sein des équipes
de l'urgence sociale, de l'évaluation des signalements, de la réception et du
traitement des situations signalées ainsi
que dans les suivis thérapeutiques des enfants et des familles. Nous sommes
spécialisées plus spécifiquement sur les
problématiques des troubles de l'attachement et des abus physiques sur les
enfants. Nous avons été intervenantes, consultantes et conseillères
cliniques à l'intérieur de l'organisme.
Nous sommes
ici pour soumettre à votre attention des informations qui n'ont pas encore fait
l'objet de réflexion ou de discussions dans le présent débat. Parce que
nous ne sommes plus liées à la protection de la jeunesse et que notre
neutralité face à nos anciens clients n'est actuellement plus nécessaire,
puisque nous n'avons plus à nous référer à la hiérarchie,
au service des communications internes, puisque nous pratiquons à présent dans
un CLSC et enseignons le travail social, nous somme ici aujourd'hui afin
de poursuivre notre contribution quant à la protection des enfants, un sujet
qui nous tiendra toujours à coeur.
Alors, les
intervenants de la DPJ sont responsables d'intervenir dans les situations
exceptionnelles qui mettent en péril la sécurité et le développement des
enfants. Toutes les interventions doivent respecter la Loi de la protection de
la jeunesse. Et cette loi, elle, est encadrée et directement influencée par la
Charte des droits et libertés de la personne.
La DPJ,
cependant, a un pouvoir limité quant à ses actions. Dès qu'un parent ne
reconnaît pas ses comportements abusifs, dès qu'un parent n'est pas en
accord avec une mesure de protection proposée, telle que le placement d'un enfant, dès qu'un parent conteste le résultat des
évaluations biopsychosociales de l'enfant et de la famille, la situation
est automatiquement renvoyée devant le Tribunal de la jeunesse. Dès lors, ce
sont les nombreux avocats qui prennent la relève
du dossier. Donc, il y a l'avocat de la DPJ, le ou les avocats des parents, le
ou les avocats des enfants. Actuellement, vous êtes en mesure de constater les différentes positions et
interprétations, les limites du droit religieux par les avocats et
différents acteurs.
Cette situation est identique lors d'un procès
qui tente de déterminer si nous pouvons et devons protéger un enfant face à des
comportements abusifs lorsque les droits religieux sont invoqués. La Charte des
droits et libertés de la personne
actuellement ne répond pas à l'importante question qui revient dans tous les
dossiers où l'on invoque les droits religieux. Au Québec, en 2014,
qu'est-ce qui prime, les droits religieux ou les lois? Est-ce qu'au nom d'une
pratique religieuse nous devons faire
abstraction des études scientifiques et sociales nécessaires pour bien protéger
tous les enfants au Québec? Est-ce
que les croyances religieuses immunisent contre les répercussions des gestes
d'abus sur les enfants?
Pour nous, la
réponse, elle est non. Et nous vous demandons de prendre en considération
qu'actuellement vous donnez un mandat de protection aux intervenants à
travers une loi d'exception et que, d'un côté, directement en lien avec la Charte des droits et libertés, vous
permettez que l'issue d'un procès et que les suivis de dossiers soient
différents d'un enfant à l'autre, non pas à
cause des gestes reprochés, mais bien de ce droit aux pratiques religieuses, ce
même droit qui est largement étiré à
toutes les sauces. Ainsi, les corrections physiques des uns sont sanctionnées
tandis qu'elles peuvent être relativisées
pour les autres. Pourtant, dans l'une ou l'autre de ces situations, on retrouve
les mêmes comportements abusifs envers les enfants.
D'autres situations peuvent également donner
lieu à une application différente de la loi. Nous pensons à des enfants qui jeûnent durant les heures scolaires;
des enfants que nous discriminons volontairement de par les vêtements qu'on leur impose; des enfants qui ne reçoivent
pas l'instruction scolaire imposée par le ministère; des enfants éduqués
selon leur genre et socialisés en
conséquence; des enfants à qui l'on refuse certains soins médicaux; d'autres à
qui nous imposons des interventions médicales sur leurs parties
génitales. Tous ces enfants ont la caractéristique de vivre parmi la société
québécoise. Ils sont en mesure de se comparer et de constater leurs
différences. Collectivement, nous avons le devoir de comprendre qu'il est reconnu que la profondeur
des traumatismes est directement liée à la réponse de protection dans l'environnement immédiat et de la société. Le
poids de la dénonciation d'un geste d'abus est lourdement traumatique
pour un enfant. Dans la mesure où un enfant
dénonce une première fois, si la réponse de l'entourage et de la collectivité
n'est pas adéquate et qu'il n'est pas
protégé à l'intérieur d'un délai raisonnable, non seulement nous aggravons les
traumatismes, mais en plus il risque
fortement de se taire la fois suivante. En vieillissant, que retiendra-t-il de
la société québécoise, de son désir
d'inclusion, de ses droits égaux entre tous et de sa non-discrimination si la
Loi de la protection de la jeunesse, en finalité, est appliquée
différemment pour lui en raison d'une défense basée sur le droit religieux?
Le fait de baliser les demandes d'accommodement,
de légiférer sur la laïcité peut faire une différence auprès de la protection de l'enfance. En se donnant un
cadre collectif commun, en priorisant les lois sur les droits religieux,
vous facilitez le travail des intervenants dans l'application de la loi et vous
favorisez le fait qu'on puisse se concentrer sur l'évaluation des comportements signalés et l'accompagnement vers la
résolution des éléments de compromission chez l'enfant, tout ça au lieu de dériver dans le relativisme culturel ou
d'octroyer des droits particuliers au nom de la religion.
Alors, concernant la pertinence du retrait des
signes ostentatoires, nous vous rappelons que les éducateurs en garderie, les enseignants et le personnel scolaire
sont des guides, des exemples à suivre pour ce qu'ils disent et pour ce
qu'ils représentent. Ce sont à eux que les enfants
se confient, qu'ils s'ouvrent en toute confiance. Les concepts selon
lesquels les enfants sont des êtres
vulnérables et influençables sont également reconnus et documentés. Ils
apprennent, entre autres, par modélisation.
Ils se définissent dans leurs rôles sociaux à partir du regard qu'ils portent
sur les adultes, et particulièrement ceux
de leur entourage immédiat. Ces adultes ont donc un rôle d'éducateurs au sens
large et cette éducation se doit d'être neutre, mais aussi de démontrer
cette neutralité quant à l'affichage des croyances tant politiques,
idéologiques que religieuses.
Alors, le voile, bien au-delà de la personne qui
le porte, érige des barrières entre l'adulte et l'enfant, entre l'enseignante
et le père, entre l'enseignante et la mère, l'enseignante et ses collègues. Le
voile est en contradiction avec les efforts partagés pour retirer
l'interférence de la religion catholique à l'intérieur des écoles.
L'enseignante ou l'éducatrice a la
responsabilité d'être consciente de ses propres valeurs et de l'image qu'elle
projette, puisqu'elle est en interrelation
avec l'enfant, sa famille et les collègues. Elle représente un mandat et ses
fonctions requièrent que l'enfant soit au centre de ses préoccupations.
Alors,
lorsqu'un signe ostentatoire met en péril la fluidité des relations entourant
l'enfant, c'est l'enfant qui assume en
dernier lieu les conséquences. En d'autres termes, les enfants n'ont pas à être
pris dans les conflits de loyauté qui ne les concernent nullement. Dans
cette optique, il devient difficile d'être confortable avec l'idée qu'un choix
individuel lié au port de signes ostentatoires dans un milieu laïque prévaut
sur les droits de 25 enfants et de leurs familles.
Alors,
n'oublions pas également que tous ces étudiants qui sont confrontés entre les
valeurs culturelles et religieuses d'un
côté et les valeurs de la société d'accueil de l'autre. L'école devient un
filet de protection sociale. Pour ces enfants, il devient encore plus
important d'afficher une neutralité et d'empêcher que les signes ostentatoires
interfèrent dans le sentiment de sécurité, de confiance et d'ouverture du
milieu scolaire face à leur détresse, particulièrement puisqu'ils sont au fait
de la représentation et des significations de ces signes et symboles. Il est
inadéquat de prendre le risque que ces
signes ostentatoires laissent croire en une vigie culturelle et religieuse, et
ce, malgré toutes les bonnes intentions des personnes qui les portent.
Actuellement,
dans le débat, l'importance de protéger les droits des minorités, dont celui
des femmes portant le voile, est
souvent invoquée. Dans ce même élan, nous oublions de considérer qu'en fait les
personnes les plus vulnérables auprès
de notre société sont les enfants. Contrairement aux adultes, ils ne possèdent ni
la capacité physique, intellectuelle et affective pour prendre part à ce débat. Leur silence ne doit donc pas
être interprété comme étant une preuve de l'inexistence d'une problématique liée au présent débat. Il est
plutôt un rappel de notre devoir collectif d'assurer les conditions
favorisant au maximum la sécurité et le développement de tous les enfants, sans
exception.
Alors, quant à vous, distingués ministres
et députés, nous vous demandons de corriger les lacunes d'ordre légal
dans la présente Charte des droits et
libertés de la personne qui influent directement sur la sécurité et le développement des enfants. Nous vous
demandons d'adopter rapidement le projet de loi n° 60 et de faire une
place plus importante aux enfants dans ce même projet de loi. Merci.
• (16 h 10) •
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci beaucoup. Alors, nous allons à la période d'échange. Alors, M. le
ministre, la parole est à vous.
M.
Drainville : Merci,
M. le Président. Merci beaucoup pour votre mémoire. Je pense qu'il faut citer un passage de
votre mémoire à la page 13. Et, par la suite, je vais vous demander de nous
donner des exemples concrets à partir de l'expérience
que vous avez vécue, là. Puis je trouve ça très intéressant que vous notiez dès
le départ votre expérience au sein des
centres de… des centres jeunesse, hein? Direction de la protection de la
jeunesse, là. Alors, vous dites : «De nombreuses problématiques
sociales sont rencontrées dans les écoles, telles que l'homosexualité, l'intimidation,
les grossesses, les abus physiques et sexuels, la violence psychologique, les problèmes
relationnels, etc. Il existe également toute la problématique entourant le choc
des cultures entre les générations, entre la culture d'origine versus la culture
des pairs. Principalement les adolescentes et adolescents immigrants sont visés
par cette problématique. Pour ces étudiants confrontés entre les valeurs
culturelles et les valeurs de l'État, l'école devient un filet de protection
sociale. Pour ces enfants, il en devient
encore plus important d'afficher une neutralité et empêcher que les signes
ostentatoires religieux interfèrent dans le sentiment de sécurité, de
confiance et d'ouverture du milieu scolaire face à leur détresse.»
Et là c'est
le bout à mon sens qui est très important. «Particulièrement puisqu'ils sont au
fait, puisque ces enfants sont au
fait de la représentation et de la signification de ces signes religieux
ostentatoires, il serait impertinent que ces signes ostentatoires
laissent croire en une vigie culturelle — ce sont vos mots — et
ce, malgré toutes les bonnes intentions des personnes qui les portent.»
J'aimerais ça que vous nous expliquiez concrètement ce que vous voulez entendre
par cette «vigie culturelle».
Mme Le Pain (Isabelle) : En fait, on
a aussi expliqué comment fonctionnaient les symboles, comment une image pouvait
être aussi plus puissante que des mots. Dans la littérature, il y a des études
à ce sujet-là. Je pense qu'il y a beaucoup
de gens qui sont venus aussi vous en parler. C'est un fait. On parle de
l'influence aussi des adultes sur les enfants,
particulièrement quand ils ont un lien d'attachement. C'est aussi un fait. On
peut se documenter là-dessus. Les enfants
aiment leurs parents. C'est un fait. Peu importe ce qu'ils vivent. Même dans
les cas d'agression sexuelle, c'est rarement… ce n'est pas une évidence
qu'ils n'aiment pas ce parent-là malgré tout.
Donc, les enfants qui arrivent ici, qui sont
issus de communautés culturelles, qui sont souvent pris dans des contradictions
entre ce qu'on va dire à la maison et comment ça va se faire à l'école ou
comment on va voir les amis, comment on va pouvoir se comparer avec les autres,
il y a un écart. Et souvent ces conflits-là vont se retrouver à la maison. Dans les organismes communautaires, il y a
plein d'intervenants qui travaillent à ce sujet-là. Et ça va faire des crises importantes. Il y a des situations qu'on a
vues, peut-être un peu comme l'affaire Shafia, par exemple, où tu as une
adolescente qui veut vivre sa vie à sa façon. Tu as une résistance par rapport
au milieu, par rapport aux valeurs. Et là on a des troubles de comportement et
des situations conflictuelles qui explosent.
Ces
enfants-là, ils sont à l'école la majorité du temps jusqu'à 16 ans. Pour eux,
c'est important que ce soit neutre, qu'ils aient cette impression qu'ils
puissent parler de ces écarts-là sans craindre d'être jugés ou qu'à la limite
ces informations-là soient retransmises dans la communauté. Parce que, quand on
a peur, il y a plein d'hypothèses qui nous
viennent aussi en tête. Quand on est vulnérables, ce n'est pas toujours
rationnel. En intervention, pour nous, le moindre mal, c'est toujours d'éviter et de retirer tout ce
qui pourrait ne pas mettre confortable la personne en face de nous. Parce
que c'est à propos d'elle et non pas de nous. Donc, si je peux prendre un autre
exemple, quand il y a des agressions sexuelles
puis qu'il y a une trousse médico-légale dans les hôpitaux,
puis… bon, il y a des policiers, il y a des
intervenants, il y a des infirmières, on va faire attention de mettre
des femmes. Ce n'est pas écrit nulle
part, mais c'est à propos de
la personne et on va mettre en place tous les moyens nécessaires pour qu'elle soit confortable. Voilà. Est-ce que
ça répond à votre question?
M.
Drainville : Oui.
Mais est-ce qu'il y a un exemple concret que vous pourriez nous donner, là, que
vous pourriez aller puiser dans votre expérience, que ce soit vous ou
votre consoeur, qui illustre ce que vous nous avez raconté?
Mme Vennes (Valérie) : En lien avec
la vigie culturelle?
M. Drainville : Oui, voilà.
Mme Vennes (Valérie) : Par exemple,
une adolescente qui pourrait vivre une situation difficile à la maison quant à
des fréquentations avec un ami, ça ne serait pas permis par le père, par
exemple, ou la mère. Elle aurait un petit
copain, elle voudrait en parler à l'école, elle a des questions
peut-être en lien avec la sexualité, et elle a une
infirmière qui porte le voile à l'école.
Cette infirmière peut être très bien intentionnée, extrêmement professionnelle.
Peut-être. Du moins, il
y a des jeunes filles qui peuvent
avoir cette réticence à aller s'ouvrir, en plus si cette personne est de la
même origine culturelle qu'elle — c'est souvent des petits milieux — c'est difficile. Donc, ça amène une barrière
supplémentaire à l'adolescente pour pouvoir être ouverte, se confier, poser des
questions, ce qui est tout à fait normal.
M. Drainville : …
Mme Vennes
(Valérie) : Oui. Quand on
parle de vigie culturelle, et religieuse, là, du moins, dans notre présentation, c'est en lien avec ça. Souvent, les
jeunes vont identifier… même s'ils ne sont pas du même pays d'origine… par exemple, les femmes qui portent le voile, s'il
y a une problématique en lien avec ça à la maison, puis il y en a
plusieurs dans la cour d'école, bien, c'est malaisant, tu sais, il peut y avoir
un petit malaise. C'est comme ça qu'on parle de vigie culturelle, là.
Mme Le
Pain (Isabelle) : Et, au
même titre, un enfant qui est issu de l'immigration, qui a vécu de la
persécution, qui se retrouve à l'école et
qui retrouve ces signes-là, c'est aussi quelque chose qu'on doit considérer,
parce qu'on parle souvent des gens
qui portent le voile, mais il ne faut pas oublier que c'est une minorité dans
une minorité, ce n'est pas tous les
musulmans, toutes les femmes musulmanes. Et ils ont en fait des familles, ces
enfants-là, et ils ont des discussions, et ils font des choix, ils ont une histoire. Donc, même pour ces enfants-là,
qui, par exemple, ont fui un pays, c'est des discussions ouvertes à la
maison où on fait le choix qu'on ne porte pas le voile parce qu'il y a eu des
décès dans… des meurtres, des ci… On ne connaît pas l'histoire des gens, on ne
peut pas savoir ce que ça représente pour les gens.
Donc, même
pour ces enfants-là, ce n'est pas lié au mandat du professeur de porter un
voile, ça ne la rend pas plus compétente. Alors, comme c'est à propos
des enfants, dans le doute, vaut mieux s'abstenir parce que, dans le cas de situations qu'on vous parle, ce sont des
situations qui mettent en péril la sécurité et le développement des enfants. Et
de prendre ce risque-là inutilement, de perdre un, deux, trois enfants, que des
enfants aient des comportements sexuels à risque
parce qu'ils préfèrent ne pas poser de questions, par exemple, pour nous, quand
on regarde les enfants versus des adultes,
c'est sûr que nous, on fait le choix du point de vue des enfants, ce sont les
plus vulnérables, c'est pour eux qu'on crée la société de demain, puis il ne faut pas
l'oublier. Donc, dans le doute, et parce que nous, c'est plus qu'un doute,
on a une certitude que ça peut venir faire
toute la différence, eh bien on est ici pour vous présenter ça parce qu'on sait
que ça n'a pas été beaucoup discuté.
M.
Drainville : Dans
votre mémoire, vous dites — et je vous cite — à la page 4 : «N'oublions pas que
plusieurs femmes directement concernées par la situation nous ont
personnellement mentionné souhaiter l'application de la loi. Elles sont actuellement silencieuses au niveau du
débat public, leur silence étant souvent lié à la pression culturelle et
au désir de maintenir de bonnes relations avec leur communauté d'origine.»
• (16 h 20) •
Mme Vennes
(Valérie) : Et elles n'en
parleront pas plus demain ou après-demain sur la place publique. Il y a
des femmes — il
y a eu la conférence de presse, la semaine dernière, vous l'avez mentionné tout
à l'heure — qui
se font intimider, hein, qui reçoivent des
menaces, et c'est à prendre très au sérieux. Et ces femmes qui nous ont confié
être en accord et disant : Oui, si c'est adopté, mon voile, je vais
l'enlever de 8 h 30 à 4 h 30. Et, oui, c'est l'affichage de
ma foi — c'est selon certaines croyances personnelles — mais, en regardant avec mon mari, en regardant le
budget — et on a plusieurs enfants — c'est
un revenu supplémentaire. J'aime mon emploi, je suis compétente, je suis
professionnelle et je suis en mesure de
faire ce choix-là également. C'est un choix qu'elles font de dire : Je
vais l'enlever de 8 h 30 à 4 h 30. Mais elles ne
viendront pas le dire sur la place publique. Elles se font questionner, elles
se font dire de ne pas parler pour ne pas se faire identifier ou jeter la
honte, un peu, sur la communauté, bon, et on respecte le choix.
M. Drainville : Là, vous nous
parlez de personnes avec qui vous travaillez ou des personnes que vous...
Mme Vennes (Valérie) : Des personnes
que je connais personnellement, oui.
M. Drainville : Parce que,
là, il y a deux choses dans votre réponse. Vous dites vers la fin de votre
réponse : Écoutez, c'est un revenu
supplémentaire, tout ça, donc je vais vouloir garder mon emploi. Mais, dans le
début de la réponse, ce que je
comprenais, c'était qu'elles souhaitaient l'adoption de cette charte-là,
parce que ça correspondait à ce qu'elles souhaitent
pour elles-mêmes, là.
Mme Le
Pain (Isabelle) : Mais ça
donne une zone... Parce qu'il faut bien comprendre, hein, que, tu sais,
souvent, on a tendance à dire : C'est
les hommes qui font pression. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne exactement.
Ce sont les femmes, souvent, qui font
pression sur les femmes. Quand on parle d'excision, ce sont souvent les femmes
qui excisent les filles. Donc, déjà là, si on pense à ça, il y a une
pression qui est culturelle, il y a une pression qui peut être familiale, il y a
une pression qui est sociale. Quand on donne une zone où là ce n'est
plus : je fais le choix ou non de le porter, c'est : je suis
obligée de ne plus le porter, on vient de dégager un espace où c'est la fin de
la discussion et de la pression en lien avec ça.
Et ça, ça
vous a été rapporté, si vous lisez un peu les études... Parce que
je le sais, là, que, quand ça vient d'ailleurs, ça vient d'ailleurs, ou, quand ça vient d'avant, ça vient d'avant
puis ça ne compte pas. Pourtant, les études, en fait, c'est toujours
ça, hein, on regarde ce qui s'est passé puis on regarde un peu partout ailleurs
pour avancer, c'est comme ça dans les recherches médicales, les études
médicales, les recherches sociales. Mais il n'empêche que vous les avez aussi,
ces informations-là, dans les pays où ça s'est passé et où il y a des gens qui
sont venus dire : Pouvez-vous nous laisser cet espace-là, s'il vous plaît?
On ne peut pas y aller, on n'ira pas le dire.
Et c'est sûr
que nous autres, de par notre implication dans le mouvement des Janette,
d'avoir regardé aussi avant nous... Parce que c'était notre crainte,
même pour nous, de venir ici aujourd'hui. C'est avec très grande fierté qu'on est avec Mme Bertrand, mais je regarde le travail
que Michelle Blanc, elle a fait, Rakia Fourati, Djemila Benhabib, et on les voit, tout ce qui est dit, tout ce qui est
filmé, tout ce qui est... À la limite, des fois, ça dépasse l'entendement, on
le voit sur la page des Janette, puis c'est quotidien. Et elles vivent
une situation qui, selon moi, est intolérable. Donc, même pour nous autres,
avant de venir ici, on se disait : Bon. Ça va-tu être nous autres, les
prochaines?
M. Drainville : Ça va-tu être
nous autres, les prochaines quoi?
Mme Le
Pain (Isabelle) : De
recevoir des e-mails, de recevoir des appels, de se voir mal citées dans les
journaux, d'avoir des montages sur YouTube. Et on en a tellement vu,
c'est tellement la réalité que les gens, ils sont conscients de ça. Donc, déjà, tu ne veux pas te mettre à dos
ta communauté, mais en plus devenir la risée de la société.
Bien, ce n'est pas tout le monde qui a envie. Nous, on y a repensé à
deux fois, mettons.
M. Drainville : Pourquoi vous
avez décidé de venir?
Mme Le Pain (Isabelle) : Parce que
la sécurité des enfants nous tient à coeur. Parce que, même si on n'est plus à la direction de la protection de la jeunesse, on peut quitter cet endroit-là, mais il ne nous quitte jamais.
Nous avons fait ce travail-là avec
passion, nous avons été... Et, tu sais, on était payées 35 heures-semaine, mais
tu en travailles beaucoup plus, tu
sais, tu es toujours en train de réfléchir. On a poussé nos études là-dessus.
On a continué en fait à être en contact aussi avec la direction de la
protection de la jeunesse. Donc, à un moment donné, tu te dis : O.K.,
peut-être que je peux apporter
des nouvelles informations. Donc, est-ce que la peur de l'intimidation va
prendre le dessus sur apporter peut-être des informations, ou en bout de ligne
on ne va pas oublier ces enfants-là? C'est ce qu'on a choisi, on est ici.
M. Drainville :
Et on vous est très reconnaissants. Il me reste seulement cinq minutes. Je sais
que vous voulez rajouter quelque chose, mais je veux vous poser la question sur
la citation suivante de la page 11 : «Comme la loi — là,
on est plus sur la question des accommodements — prévoit
de tenir compte de la culture d'origine, il est facile de glisser dans le "relativisme
culturel" — que vous
mettez entre guillemets — sur des comportements ayant fait l'objet d'un signalement. Ainsi, les corrections physiques de
la part des uns sont sanctionnées tandis qu'elles peuvent être
relativisées pour les autres. Pourtant, dans
l'une et l'autre de ces situations, l'on retrouve les mêmes comportements
abusifs envers les enfants.»
Mme Le Pain (Isabelle) : Je trouve
que, des fois, la vie fait bien les choses. Il y a une situation qui se passe
actuellement qui est Lev Tahor parce que Lev Tahor…
M. Drainville : Lev Tahor…
Mme Le Pain (Isabelle) : Je ne dois sûrement
pas le prononcer correctement.
M. Drainville : Oui, oui,
oui, ça va.
Mme Le
Pain (Isabelle) : Tout le monde me comprend? Je crois que, de souvenir, c'est la première fois qu'on lève un interdit de
publication sur ce que la DPJ savait, sur certains témoignages parce que
d'habitude vous n'avez pas accès à ces informations-là. Je tiens à vous faire remarquer qu'ils ont vu beaucoup
plus que qu'est-ce que les journalistes, les médias avaient rapporté. Après coup, ils ont été en mesure de l'identifier. Donc, ce n'est pas un manque de
connaissances qui fait que c'est difficile
de travailler dans es situations-là parce qu'ils sont… Tu sais un meurtre,
c'est un meurtre, la violence, c'est de la violence, de l'abus sexuel, c'est de
l'abus sexuel. Ça, ils sont spécialisés là-dedans. Mais, quand on arrive avec des situations où on va invoquer la religion
comme ça va être le cas ici, on tombe dans des journées d'auditions qui sont interminables. Juste pour le placement de
deux enfants, on a parlé de 25 journées d'auditions. Pourtant, tout le monde commence à être à même de
constater que c'étaient des situations extrêmes pour ces enfants-là. Il
faut que vous compreniez bien que, là, sur 25 jours d'auditions, ça va être
probablement échelonné sur un an. Quand on parle d'un enfant de trois ans, un
an, c'est le tiers de sa vie. Le temps est relatif pour un enfant. Et il faut
aussi comprendre qu'un dossier qui est extrêmement contesté souvent une ou deux
journées, c'est pas mal réglé. Là, on parle de 25 jours sur une mesure
intérimaire, ça veut dire qu'on n'est même pas sur à long terme.
Vous pensez qu'il va être question de quoi
pendant 25 jours? De la négligence, de l'abus physique? C'est documenté. Ce n'est pas ça qui va se passer. C'est
qu'on va aller chercher des spécialistes, on va y aller selon : ce
n'est pas pareil, ce n'est pas la même
chose, et là ça va dériver à un autre niveau, mais… Puis c'est permis parce
que, dans la charte actuellement,
cette espèce de presque priorité du droit religieux donne le droit à avoir une
défense en ce sens-là. Donc, d'un
côté, vous avez des intervenants à qui vous dites : Appliquez la loi,
protégez les enfants, puis, de l'autre côté, vous les envoyez un peu au front devant des organisations qui sont
souvent hyper structurées. Et d'ailleurs je me suis rendu compte qu'ils avaient aussi… Je ne sais pas si je
pourrais vous déposer ça. Mais, sur le The Muslim News.ca — Québec, Lev Tahor, furieux contre Philippe Couillard… font
un appel national et international à regrouper en fait toutes les
religions, et je cite : «Ce type
d'alliance permettrait d'atteindre des objectifs au niveau mondial.» Avant
d'ajouter : «Tout système juridique où qu'il se trouve réfléchirait
deux fois avant de poursuivre une affaire s'il sait qu'il existe un risque d'un
tollé général et un appui international.» L'intervenant, la DPJ, là, il fait
face à tout ça. Ça fait que, quand on dit : Vas-y, individuellement, vous
allez gérer ça; bien, c'est face à tout ça. Et toutes les personnes qui
commencent à parler puis qui identifient des choses, il y en a beaucoup qu'on
connaît qui maintenant font face aussi à des procès.
Donc, il faut
arrêter de penser que la faille qu'on vous identifie sur le terrain, elle n'est
pas vue de l'autre côté. Et c'est facile dans ce temps-là, et ça coûte
de l'argent, et ça prend du temps, et on dérive facilement. Et, pendant ce temps-là, on oublie qu'on parle d'enfants dont la
sécurité et le développement sont compromis. Ça, c'est le choc de la
réalité. Il y a les principes, il y a les grands idéaux, heureusement ça nous
fait avancer dans la société, et il y a ça.
M.
Drainville : Alors,
dites-moi — il me
reste deux minutes, donc deux minutes pour la réponse — en quoi la charte pour vous est une
réponse à ce problème-là.
• (16 h 30) •
Mme Le Pain (Isabelle) : Parce que
ça va répondre à plusieurs niveaux, en fait. Vous allez renforcir un mandat de
protection parce que vous allez collectivement… on va décider collectivement
que les enfants, ils sont prioritaires, que
tous les enfants, peu importe l'origine,
peu importe la religion, ils ont droit à cette sécurité et ils ont droit
à ce qu'on favorise leur développement, parce qu'on a des connaissances scientifiques, on a des connaissances à plusieurs niveaux, et ça s'applique à
tous les enfants.
L'autre
chose, c'est qu'oubliez jamais que, quand vous prenez un enfant qui a été assez
maltraité et que vous fermez la porte, bien, en bout de ligne, vous
venez de faire quelqu'un qui va se sentir marginalisé. Et, en bout de ligne, si
vous allez regarder comment ça fonctionne, le recrutement de gangs de rue puis
tout ce genre de choses là, vous allez être
capables de faire des liens. Et il y
a des études là-dessus
aussi. Donc, comment ça peut venir aider? Bien, à la base, ce sont des situations extrêmes, avec des
comportements extrêmes, et, si on ne répond pas à ça, vous laissez des portes
grandes ouvertes, selon nous. Voilà.
M. Drainville : Valérie?
Mme Vennes
(Valérie) : De pouvoir inscrire la neutralité de l'État, la laïcité
dans la charte des droits de la personne… Parce que
souvent, dans ce genre de situation là où on fait du relativisme, on s'étend,
on s'étale, et on demande à ce que le
religieux prenne beaucoup de place dans le traitement, bien ce serait de
mettre des verrous, hein, de verrouiller en disant : Écoutez, oui,
on entend. On peut tenir compte des différences, mais un abus demeure un abus,
et il va être évalué comme tel. Là, ça dérive énormément, ça dérive beaucoup.
C'est comme si on n'avait pas une certaine base pour nous, hein?
Mme Le Pain (Isabelle) : Oui. C'est-à-dire,
on s'en va tous dans le même sens.
Le Président (M. Ferland) :
30 secondes, M. le ministre, environ.
M.
Drainville : Merci infiniment d'avoir eu le courage de venir
nous livrer ce témoignage-là. Je
pense que… Moi, je l'apprécie énormément. On n'est pas
obligés de tous être d'accord avec ce que vous dites, mais je pense
qu'on devrait tous être d'accord avec le fait que vous avez joué votre
rôle de citoyennes d'une façon exemplaire aujourd'hui, et je vous en remercie.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le ministre. Alors, sur ce, je vais du côté de
l'opposition officielle et je
cède la parole au député de LaFontaine, j'imagine. Allez-y.
M. Tanguay : Merci
beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, mesdames, d'avoir été présentes aujourd'hui pour répondre également à nos questions
et d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire dont vous nous faites la
présentation aujourd'hui. Vous abordez des sujets liés à la protection de
l'enfant, des aspects liés à la protection de l'enfant. Vous soulignez l'importance du rôle de la Direction de
la protection de la jeunesse pour laquelle vous avez oeuvré directement
ou indirectement. Et vous avez été en contact donc avec des enfants
qui ont fait face à différents types d'abus. Et, en ce sens-là, il est très clair que c'est une préoccupation qui touche tout le monde, une préoccupation évidemment qui fait en sorte que l'on veut que les cas d'abus contre les enfants,
envers les enfants, soient démasqués et soient… évidemment, que l'on
vienne en aide aux enfants qui font l'objet de tels abus. Vous parliez évidemment
d'abus sexuels et autres. Et c'est important donc de faire en sorte que…
Et vous avez beaucoup
parlé — et
vous avez nuancé votre propos — d'un
symbole en particulier, qui était le voile. Vous dites, à la page 6 de
votre mémoire : «Dans le contexte actuel, il faut reconnaître que peu
importe la définition individuelle de la symbolique du voile, il est un signe
distinctif faisant référence à une pratique religieuse. Le voile islamique est un sujet de discussion à travers le
monde et chacun y voit dans son interprétation de son opinion et de sa
représentation. Les contenus de ces discours ne sont pas des éléments à
retenir, selon nous.»
Et vous
parlez un peu plus loin, à
l'intérieur de votre mémoire… et vous
avez fait… vous dites : «Le voile est un symbole. Il fait référence à un sentiment d'appartenance à des schèmes
de valeur particuliers.» Alors, beaucoup,
beaucoup d'attention de votre mémoire, de votre intervention est liée au voile.
Et je pense que vous reconnaissez évidemment qu'il y a un débat. Tous ne s'entendent
pas par rapport à la symbolique. Je pense, c'est important.
Et, en ce
sens-là, comment pourriez… basé sur votre expérience, nous indiquer la façon
dont un tel débat devrait être, dans le cas actuel, être mené par
rapport à cette symbolique du voile que vous avez identifiée? Et je laisserai
ma collègue un peu plus tard revenir au niveau des impératifs par rapport à la
protection de la jeunesse, mais j'aimerais vous entendre là-dessus, parler
d'études et…
Mme Le Pain (Isabelle) : Bien, en
fait, la façon… Vous voulez savoir, selon nous, quelle serait la meilleure façon de débattre
de ce sujet-là? Je vous dirais que, pour l'instant, c'est un moment qui est
somme toute assez propice parce qu'on n'est pas en situation d'urgence
et de crise. Quand on parle d'une situation de crise ou d'urgence dans la littérature, dans les études, on fait référence à
des événements comme le… Lac-Mégantic par exemple, là où il n'y pas beaucoup de rationnel, qu'il y a beaucoup d'émotif
et où on s'attend qu'il y ait une réponse très rapide, drastique. Donc,
si ça avait été fait en période de crise, je
ne pense pas que ça serait 69 % des francophones et 60 % des gens qui
seraient en accord et confortables avec le
fait de retirer ce droit. Ce serait beaucoup plus élevé. Donc, déjà ça, je
trouve responsable que ce soit maintenant.
C'est sûr que
dans toute situation où on demande un changement, l'être humain n'aime pas
changer, personne n'aime changer. Ça
fait lever un paquet de peurs, et, pour arriver à faire ce changement-là, il
faut aller vers les désirs, puis il faut dédramatiser, puis il faut
parler. Ça, c'est une chose. L'autre chose… Est-ce que vous aviez une autre
question?
M. Tanguay : Oui, il y aura
d'autres questions. Mais allez, continuez.
Mme Le Pain (Isabelle) : O.K. Est-ce
que ça répond à votre question? Tu veux-tu rajouter quelque chose?
Mme Vennes (Valérie) : Non.
M. Tanguay : Est-ce que, dans
l'approche et dans l'analyse que vous avez effectuée et que vous nous livrez aujourd'hui, vous mettez sur le même pied
d'urgence ou d'importance le voile islamique chez la femme versus par
exemple la croix catholique d'un
fonctionnaire qui travaillerait sur un étage x à l'intérieur d'un édifice
étatique? Est-ce que vous mettez ça sur le même pied d'égalité?
Mme Vennes
(Valérie) : Un symbole étant… Excuse-moi. Un symbole étant un symbole,
ça représente une religion, un dogme. Un
symbole demeure un symbole. On ne veut pas donner plus d'importance ou moins
d'importance à un qu'à l'autre. Nous sommes
des femmes, nous avons décidé de nous attarder plus particulièrement au port du
voile. On aurait pu prendre la kippa ou le
turban sikh, bon, ou d'autres symboles. C'est celui qui a le plus attiré notre
attention en tant que femmes pour la
symbolique que, nous, elle nous amène. Mais nous sommes conscientes que cette
symbolique-là est différente pour
bien des gens. Nous ne jugeons pas les opinions des autres, mais nous avons la
nôtre en lien avec cette symbolique.
M. Tanguay :
Et là-dessus, ce sur quoi dans certains milieux, évidemment, il y a un débat
quant à la symbolique du voile
islamique, vous devez reconnaître également qu'il est très symptomatique que
vous ayez choisi, vous, en tant que femmes, comme vous venez de le dire,
ce symbole, à l'exclusion des autres, la croix, la kippa par exemple.
Mme Le
Pain (Isabelle) : En fait,
c'est juste parce qu'on s'est intéressées à l'élément qui était beaucoup
invoqué, parce qu'on parle beaucoup de ces femmes, et on va tout de suite invoquer
la perte d'emploi. C'est l'élément qui est extrêmement
émotif dans le débat. Et nous, peut-être parce qu'on travaille depuis longtemps
à faire du travail social, de façon
générale, quand on a un sentiment d'être pris, je dirais, en otage, où c'est
comme tellement blanc ou noir, on s'est assises puis on a réfléchi à la question pour voir : Qu'est-ce qui
me rend si mal à l'aise avec cette équation-là? Donc, on a pris ça parce qu'on a pris le temps de vous
présenter les services qui étaient accessibles pour ces femmes-là. Parce
que ce n'est pas : On vous oblige, puis, après ça, la porte. Il y a
beaucoup d'étapes.
C'est sûr
qu'en étant en travail social, la première des choses qu'on va vous dire,
c'est : Croire en l'autodétermination, l'«empowerment». De façon
générale, on ne peut jamais soustraire une personne de son histoire, de son
évolution, des difficultés. C'est beaucoup
lié à l'identité. Il y a beaucoup d'autres difficultés similaires liées à
l'identité que tous les êtres humains vont vivre; la mort du conjoint,
la séparation, la découverte d'une orientation sexuelle différente, ce sont
toutes des problématiques liées à l'identité.
• (16 h 40) •
Donc, le rôle
de l'État, c'est de s'assurer que les opportunités sont là pour que les
personnes puissent arriver à prendre leurs décisions. Et c'est ce qu'on
a regardé. Est-ce qu'il y avait des choses qui étaient disponibles pour
elles, avant de tout de suite partir en peur
en disant : Ah! Mon Dieu, elles vont prendre la porte, c'est sûr? Déjà,
d'abord, on s'est rendu compte que ce
n'était pas si évident que ça que ce serait la majorité des gens qui
partiraient. Et, dans la mesure où… Bon, il faut rappeler que tous les
organismes gouvernementaux offrent des programmes d'aide aux employés, qu'on
n'a pas beaucoup parlé. Ce sont des services qui sont offerts aux employés. Et
l'employeur n'a pas le nom de l'employé qui fait cette demande-là. Donc, c'est
chez des psychologues, des travailleurs sociaux, par exemple. Et les objectifs
sont en lien directement avec la demande de la personne. Donc, ce n'est
pas d'abandonner sa croyance, c'est comment
je peux trouver une façon d'être confortable avec l'ajustement que je vais
avoir à faire. Donc, on a pris cette situation-là parce que le tout
blanc, tout noir nous rendait inconfortables dans la logique qui était avancée.
Et on
trouvait important de dire qu'il y avait des... Tu sais, souvent, on dit : On n'a
pas fait d'étude pour savoir ce que
ça va donner chez ces femmes-là. Et j'aurais envie de vous dire : On n'a
pas peut-être pas fait d'étude, mais on a plein de femmes qui sont dans des résidences de personnes âgées qui sont souvent seules, à qui on pourrait peut-être prendre le temps d'aller jaser parce qu'elles l'ont vécu dans
un moment où il n'y avait même pas de services. Et, grâce à elles,
ces services-là ont été créés. Donc, il y a déjà quelque chose qui existe. On
voulait le rappeler.
Et, dans le
cas où on craint que ça soit quelqu'un qui est forcé à porter le voile, c'est de
rappeler qu'on ne lui a pas interdit les services : la police, les
avocats, l'aide juridique, les organismes communautaires... Il y a plein de
services qui sont offerts. Donc, nous,
l'équation de c'est tout blanc ou tout noir nous rendait inconfortables. Bon, déjà,
c'était : il faut faire un choix, c'est un moindre mal. Donc, on vous
parle des enfants, puis, pour nous, ils passent en premier.
Mais, quand
on regardait pour la femme adulte, on se disait : Est-ce qu'elle a des
opportunités? Puis est-ce que c'est à
moi de juger si elle décide de partir? Parce que, pour ses convictions
religieuses, finalement, ça ne convient pas. Mais je n'ai pas à juger de
cette décision-là, moi. À la limite, on disait : Mais on lève notre
chapeau à des forces de conviction comme ça, parce que ce n'est pas tout le
monde qui ferait ça.
Mais, de
victimiser les gens… Je vous dirais que «victimiser», c'est un terme, dans ma
profession — il faut
faire attention, là, j'ai peur d'être mal
citée dans les journaux demain — qui est dans la littérature, c'est de tenter
de sauver les gens, de les
soustraire... À court terme, ça nous fait du bien, puis ça nous fait sentir
mieux. Mais, à moyen et à long terme, c'est
rarement efficace. Et, en plus, je tiens à vous dire que, si on décide de
soustraire, en fait, cette équation-là, quand vous regardez les données,
il n'y a rien qui dit que ça ne va pas revenir dans quatre ou cinq ans. Et on
tient à vous rappeler qu'elles vivent
actuellement une situation qui est pénible, difficile. Et, si vous n'êtes pas
en mesure de garantir que ça ne va pas revenir, sachez que, la fois
suivante, le traumatisme va être beaucoup plus profond.
Et on l'a
considéré, ça aussi, de regarder, dans le fond, qu'est-ce que les gens ont à
dire. Puis ce n'est pas parce que les gens manquent de connaissance,
hein, je peux avoir des réactions par rapport à un signe ostentatoire parce que
j'ai une histoire avec l'Église, je connais quelqu'un qui a une histoire avec
les religions... J'ai peut-être une famille de
militaires, parce que les militaires, on nous a dit qu'on les envoyait dans ces
pays-là pour sauver la femme et les enfants, puis, en même temps, ils
ont mis leur vie en péril — parce
qu'on nous a vendu ça comme ça — puis là, après ça, ils... c'est correct
ici.
Il y a plein
de raisons qui font en sorte que ça se peut que j'aie un malaise, que je trouve
que ça fait pitié, que ça me mette en
colère, que je trouve que c'est à la limite baveux, peu importe. Si on ne juge
pas les croyances religieuses des autres, je ne crois pas que... des
autres ou des uns... On est mal placés pour juger, dans le fond. Pourquoi?
69 % vous
disent... probablement pas avec les bons mots, avec les bons diplômes, mais ils
vous disent quelque chose. Donc, c'est tout ça qu'on a...
Le
Président (M. Ferland) : La députée de Gatineau aussi qui avait
des questions, madame, il va falloir que je lui cède la parole puis...
Il reste environ six minutes.
Mme Vallée : Merci, M. le
Président. Alors, mesdames, bonjour. Je suis très sensible à l'argument que
vous soulevez du besoin, de la nécessité de
mieux protéger nos enfants. Comme vous, j'ai oeuvré pendant 12 ans à la
protection de la jeunesse, à représenter des
enfants des parents qui traversaient ce système-là et à travailler avec des
intervenantes comme vous.
Maintenant, je me suis posé la question, lorsque
j'ai pris connaissance du projet de loi n° 60… je l'ai lu et je l'ai regardé, parce que ce projet de loi là était
déposé peu de temps après un document fort intéressant dont on a très
peu parlé, qui est l'avis du Conseil du
statut de la femme sur toute la question des crimes d'honneur. Et c'est un avis
qui est très fouillé, très détaillé
et qui nous amène des recommandations fort intéressantes. J'ai pris
connaissance du projet de loi n° 60 et je ne vois pas quel article
donne plus de pouvoir et plus de moyens aux intervenants du DPJ pour venir
clairement mettre un frein à cette violence tout à fait inacceptable que sont
les crimes basés sur l'honneur. Parce que c'est de ça dont il est question dans votre témoignage. C'est ça que je retiens de
votre témoignage, c'est que, pour vous, on ne peut pas, d'aucune façon,
tolérer cette violence-là, qui est basée sur l'honneur. Est-ce que c'est
vraiment la charte, le projet de loi
n° 60, la charte du PQ qui va nous permettre de venir contrer ça? D'aucune
façon. Je ne vois pas… Il n'y a aucun article, dans ce projet de loi là, qui donne plus de pouvoir aux intervenants du
DPJ pour venir mettre un frein à ces crimes-là.
Et pourtant
le Conseil du statut de la femme nous apporte des recommandations qui sont plus
pratico-pratiques sur le terrain.
Donnons plus de pouvoir… Bon, élaborons une politique de lutte nationale, une
politique de lutte contre les violences
basées sur l'honneur. Ça, c'est une des recommandations, une politique
nationale. Ce sont de grands énoncés. Mais,
surtout, elles viennent dire : Regardons nos outils, regardons les lois,
regardons le Code civil, regardons la Loi sur la protection de la jeunesse et trouvons, à l'intérieur de ces lois-là,
des mécanismes pour sensibiliser davantage la population, donnons des
outils à nos travailleurs.
Est-ce que vous ne croyez pas que ce serait
davantage… Parce que, si on regarde, par exemple, la Loi sur la protection de la jeunesse, on a les articles… 38,
avec les différents cas de compromission. Est-ce qu'il n'y a pas lieu de
venir travailler là-dedans, de nommer spécifiquement les violences basées sur
l'honneur? Vous parliez des mutilations génitales, qui sont tout à fait
intolérables, qui sont d'ailleurs criminelles. Est-ce que ce ne serait pas plus
productif de travailler à donner des outils
concrets aux intervenants plutôt que d'avoir une interdiction… Moi, je ne vois
pas en quoi interdire le port du
voile va venir donner des outils pour venir aider les intervenants, les
travailleurs sociaux à sortir un enfant ou à accompagner un enfant qui
est victime de violence sur l'honneur. Je ne vois pas en quoi, et…
Mme Le
Pain (Isabelle) : Je peux
peut-être mieux l'expliquer parce que je vais revenir, encore une fois…
Les intervenants sont formés. Il y a
toujours une place à amélioration, ça, c'est clair. La Loi de la protection de
la jeunesse a toujours place à être
modifiée. Mais, si je peux me permettre une image, vous avez beau imaginer, là,
que vous mettez un intervenant, là,
qui doit monter un château de cartes, comme il doit monter un dossier pour
aller devant le tribunal. Alors, vous
avez beau lui donner les meilleures cartes, la meilleure formation, lui donner
le titre de champion, si les fenêtres sont ouvertes autour, puis qu'il
vente, le château va s'écrouler.
La charte,
c'est ça. On vous demande de fermer les fenêtres, et, par la suite, ça va être
plus facile que les gens, qui vont utiliser déjà des outils… Parce que
ce n'est pas vrai que ça n'existe pas, ces formations-là. Puis c'est souvent, hein… C'est facile de dire : C'est
l'incompétence des intervenants, c'est parce qu'ils ne savaient pas.
Honnêtement, là, un crime d'honneur… qu'on l'appelle «crime d'honneur»,
si c'est pour sensibiliser la population…
Une voix : …au concept
d'honneur.
Mme Le
Pain (Isabelle) : …au
concept d'honneur, c'est une très bonne chose. Les intervenantes, là, ils
appellent ça un meurtre. Puis eux autres,
ils le savent. Donc, on peut changer les définitions, si vous voulez, mais est-ce
que ça va les rendre plus efficaces?
Probablement, puis j'imagine que, quand ce sera le temps de parler de la Loi de
la protection de la jeunesse, oui. Mais ici, pour la charte, on vous
demande de fermer les fenêtres, simplement.
Le Président (M. Ferland) :
Une minute, à peu près, même pas.
Mme Vallée : C'est parce que
le rapport du Conseil du statut de la femme a ce mérite de se baser sur des statistiques, des chiffres, des études. Ce n'est
pas sur des sondages maison, là, c'est vraiment… c'est des trucs
concrets. Ils ont fait leurs devoirs et ils
arrivent avec des recommandations très claires, et d'aucune façon leurs
recommandations en viennent à venir créer une hiérarchisation des droits et à
venir modifier la Charte des droits et libertés.
Mme Le Pain (Isabelle) : Mais sauf
qu'ils vont venir se présenter en faveur, je pense.
Mme Vallée :
Mais je ne… Non, c'est parce que… La différence, c'est que vous apportez… Pour
sensibiliser les parlementaires, vous
apportez la question des enfants. Vous tentez de nous sensibiliser avec la
question des enfants, sauf que le projet de loi n° 60 ne les
protège pas.
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, Mme la députée, le
temps étant écoulé, je dois aller du côté de la députée de Montarville. À vous
la parole.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, M. le Président. Mesdames, merci, merci pour votre mémoire. D'entrée de jeu, je vous dis, là, que oui, il est tout à fait important
de protéger les enfants des abus, c'est indéniable, il n'y a pas à
sortir de là.
Maintenant,
vous nous avez dit, d'entrée de jeu, également, que vous avez travaillé 10 et 11 ans à la DPJ,
donc vous cumulez 21 ans d'expérience, et
c'est à ces femmes d'expérience que j'aimerais parler. J'aimerais vous poser
une question très précise. De votre longue expérience que vous avez
cumulée, est-ce que, de mémoire, vous avez des cas où, si la charte de la laïcité avait existé, on
aurait pu protéger des enfants d'abus? Parce
que tout à l'heure… Et on a parlé
de crimes d'honneur, vous avez parlé
de la famille Shafia; malheureusement, il y
avait eu signalement de fait à la
DPJ, la DPJ n'a pas pu les aider. Les
enfants Shafia ne portaient pas le voile, ce n'était pas une problématique avec des symboles religieux ostentatoires.
C'est un père fou. On s'entend, c'est d'une grande tristesse, d'une grande
tristesse. Et la charte n'y aurait rien changé. C'est un crime, carrément, plusieurs crimes. Alors, cela
dit, de votre expérience, avez-vous en mémoire des cas où, si la charte
avait existé, on aurait pu protéger des enfants d'abus?
• (16 h 50) •
Mme Le Pain (Isabelle) : Bien sûr.
Et c'est parce que ça change complètement la dynamique. En
fait, la charte, elle est en haut.
Donc, si on met des trucs très clairs, ça réoriente, ça passe à travers les
directeurs, les cadres. Ça va…
les chefs de service, les conseillers
professionnels cliniques, les chercheurs. Ça vient donner une tout autre
dynamique. Parce que, vous savez, ces dossiers-là, le mot qui revient
souvent, quand on l'a, c'est «touchy». C'est «touchy». Tout le monde le sait qu'à partir du moment où
c'est «touchy», là, il y a beaucoup de discussion qui va avoir lieu. Parce que,
bon, c'est sûr que ça va donner une dynamique qui est différente parce
que c'est une défense qui est différente, qui va venir… On ne sait pas ce que ça va donner comme résultat.
Donc, juste auprès d'un enfant, là, c'est difficile de lui dire comment
ça va fonctionner. On ne fera pas de promesse qu'on ne peut pas tenir.
Mme Roy
(Montarville) :
Alors, je vais reposer ma question.
Mme Le Pain
(Isabelle) : Oui. Est-ce qu'on en a… Bien sûr.
Mme
Roy
(Montarville) : Dans votre pratique, avez-vous des
cas où vous êtes dit : Mon Dieu! S'il y avait une charte de la
laïcité pour interdire que des employés de l'État portent des signes religieux,
cet enfant-là n'aurait pas subi d'abus?
Mme Le Pain (Isabelle) : Par rapport aux signes religieux, on vous parle
que ce sont des lieux de prévention. Ce sont les yeux. On a besoin des
professeurs, on a besoin de toute la population pour être vigilants pour la
sécurité et le développement des enfants. Ce
sont des endroits où les enfants sont présents une bonne portion de leur vie,
en fait, puis de leurs journées. Ce
sont des lieux où les enfants parlent. Alors, pour qu'un système de protection
soit efficace, il faut aussi que, dans les milieux de prévention puis de
filet de sécurité, on mette tout ce qui est possible en place pour que ça
fonctionne. Alors, la réponse, c'est oui, selon nous.
Mme
Roy
(Montarville) : Selon vous. Et, si je poursuis sur
la lancée de ma collègue : Où, dans le projet de loi, voyez-vous
qu'il y a un article qui protège l'intégrité de l'enfant?
Mme Le Pain
(Isabelle) : Bien, c'est pour ça qu'on vous demande de l'ajouter, de
faire une petite place plus importante aux enfants.
Mme Roy
(Montarville) :
Donc, il n'y en a pas.
Mme Le Pain
(Isabelle) : On vous en a parlé.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait.
Mme Le Pain (Isabelle) : On vous demande de l'ajouter parce que c'est vrai
qu'on parle des hommes, des femmes, mais
il y a les enfants aussi. Puis on vous rappelle que ce sont les êtres les plus
vulnérables et que nous avons le devoir de les protéger. Donc, de faire
une petite place, ce serait intéressant et intelligent.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci.
Mme Le Pain
(Isabelle) : Merci.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci, Mme la députée. Maintenant, la parole
est au député de Blainville pour le dernier bloc de cet échange. Allez-y, M. le
député.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. Mesdames, bonne fin d'après-midi. Vous savez, l'intérêt
de faire cette commission, en tout cas pour
moi, c'est qu'on a l'occasion d'entendre différentes versions, différents
points de vue qui sont, la plupart du temps, très bien étayés, qui font un sujet de
recherche ou d'expertise, comme vous nous apportez. Et un peu plus tôt, au cours de l'après-midi, je ne sais
pas si vous avez eu l'occasion d'entendre, on a eu des groupes qui sont
venus exposer des idées un peu différentes. Entre autres, le groupe Ensemble,
qui est venu nous dire que la simple exposition
à des enfants à des signes religieux ostentatoires, qui prétend que ça risque
de les influencer, c'est en fait un argument
fondamentalement erroné. Parce que les gens sont venus nous dire : Ce
n'est pas parce qu'on… Ils défendent un peu la théorie inverse de ce que vous dites dans le sens qu'au contraire
ça va les ouvrir à la diversité, ça n'aura pas d'influence vraiment sur
eux, si on est capables de… Alors, il y avait cet argumentaire.
Je voudrais
vous entendre parce qu'à un moment donné il va falloir qu'on se fasse une tête
sur tout ça. Et puis, juste, juste avant vous, il y avait un groupe qui
nous disait : Bien, il ne faudrait pas modifier la Charte des droits et
liberté de la personne tout de suite,
surtout pas dans un contexte de laïcité, alors que vous nous dites un petit peu
aussi l'inverse. Alors, peut-être, comment on se retrouve dans tout ça,
si on…
Mme Vennes
(Valérie) : Bien, en lien
avec le milieu scolaire, oui, c'est bien qu'il y ait de la diversité. Il y en a de plus en plus. Le Québec
en a besoin, on apprend de cette diversité-là à connaître de nouveaux horizons.
On accueille des gens de partout, et c'est très bien comme ça.
En milieu scolaire, on s'attend, du moins, de
nombreux parents, et même élèves un petit peu plus, s'attendent à avoir une
certaine neutralité, hein, un enseignant qui est devant eux et qui a une
matière à transmettre, un savoir à transmettre
à des enfants de diverses origines, qui ont divers cultes à la maison. Et c'est
important, du moins pour moi, pour
nous, d'avoir un enseignant qui est neutre, qui apprend... les élèves
apprennent de lui, mais ce n'est pas du tout en lien avec le voile ou
avec quelconque autre signe ostentatoire, ça n'a pas sa raison d'être, du tout,
du tout en milieu scolaire. Du tout.
Mme Le
Pain (Isabelle) : Puis, la
diversité, ce n'est pas juste la diversité religieuse, c'est la diversité
sexuelle, c'est la diversité dans les choix
de carrières, c'est la diversité dans les pays d'origine, d'où on vient, dans
la couleur de la peau, dans des
opinions, dans des modes de vie différents, dans des problématiques différentes, dans le fait d'aller dans des universités
différentes, des savoirs qui sont différents. Là, c'est comme si le mot
«diversité», on l'avait approprié et associé
tout de suite à «religieux», alors que c'est plus que ça. Donc,
oui, ouvrir à la diversité, on est tout
à fait d'accord avec ça, mais cessons de dire que, quand on parle de
diversité, c'est nécessairement religieux, ce qui n'a rien à voir.
Vous savez,
30 % des enfants ne vivent plus dans des familles traditionnelles, là. Ça,
c'est aussi de la diversité. Des familles monoparentales, des familles
homosexuelles, des familles recomposées, c'est la diversité. Ça aussi, c'est
important. Donc, juste aller pointu sur la religion, on passe à côté d'autres
choses, en fait.
M. Ratthé :
Vous avez mentionné… je pense, que vous avez bien établi qu'il faut faire plus
de place à l'enfant dans cette charte-là.
Mme Le Pain (Isabelle) : Tout à
fait.
M. Ratthé :
Est-ce qu'il y a d'autres points que vous pensez qu'on devrait améliorer,
clarifier? Parce que vous avez parlé de clarifier d'autres points ou
d'améliorer. Est-ce qu'il y a autre chose à laquelle on devait penser?
Mme Le
Pain (Isabelle) : En fait,
bien, peut-être, à un moment donné, si jamais on a l'occasion… Parce
qu'on parle beaucoup de charte qui divise,
charte qui divise puis on vous rappelle que, pour diviser, ça en prend deux
pour tirer sur la corde, là, donc,
chacun ses responsabilités. Mais, à partir du moment où on s'en va tous dans le
même sens, on espère que… Tu sais, le
fait d'associer ça au racisme ou à la peur des religions, à un moment donné,
nous, on n'est pas là pour ça, nous. On est en train de vous dire :
On peut-u traiter les humains parce qu'ils sont humains? Et de commencer aussi
à envoyer ce message-là… Parce que c'est
vrai que ça fait peur, puis c'est vrai que c'est mal compris, puis c'est vrai
que c'est facile de dire que c'est parce
qu'on a peur de la différence. Mais moi, je pense qu'il y a beaucoup plus de
gens qui sont venus vous dire :
Non, justement, c'est pour tous les humains, c'est pour tous les citoyens, que
c'est pour les hommes, les femmes, les enfants. Peu importe en quoi tu
crois…
Le Président (M. Ferland) : Malheureusement,
je dois arrêter les échanges parce que le temps est écoulé. Je vous remercie pour votre mémoire, de vous être
déplacées pour venir nous le présenter. Alors, je vais suspendre
quelques instants pour permettre aux représentants du Conseil du patronat du
Québec à prendre place.
Alors, on suspend quelques instants.
(Suspension de la séance à 16 h 58)
(Reprise à 17 h
1)
Le Président (M. Ferland) :
Alors, la commission reprend ses travaux. Nous recevons maintenant les représentants du Conseil du patronat du
Québec, M. Yves-Thomas Dorval,
président, et M. Guy-François Lamy, qui est directeur des affaires publiques. Alors, j'imagine, M. Dorval, je vous
cède la parole pour un 10 minutes pour présenter votre mémoire, suivi
d'un échange avec les parlementaires. La parole est à vous.
Conseil du patronat du Québec
(CPQ)
M. Dorval (Yves-Thomas) : Oui. Merci,
M. le Président. Me Guy-François Lamy
est le directeur des affaires juridiques.
Le
Président (M. Ferland) : J'avais oublié le mot «maître», excusez. Je suis habitué, on est
entourés de maîtres assez souvent. Mais, aujourd'hui, il n'y en a pas
beaucoup, quand même.
Une voix :
Mais quelques-uns, oui, oui.
Des voix :
…
Le Président (M.
Ferland) : Oh! Oh! il y en a plusieurs! Allez-y. Alors, deux
erreurs. Allez-y.
M. Dorval (Yves-Thomas) : Alors, M. le Président, tout d'abord, je voudrais
souligner le fait que le Conseil du patronat
est une confédération patronale, donc regroupe des associations patronales et
également des employeurs du secteur corporatif.
Nous avons fait un recensement au cours de l'été, et le Conseil du patronat, à
travers son membership associatif et
corporatif, représente plus de 75 000 employeurs au Québec, tant dans les
secteurs privé que parapublic et péripublic.
D'entrée de jeu, nous
tenons à souligner que le Conseil du patronat partage sans compromission les
valeurs fondamentales de la société
québécoise que sont la laïcité et la neutralité religieuse de l'État ainsi que
l'égalité entre les hommes et les femmes. Il n'y a pas de compromis
là-dessus, c'est très clair.
Si nous intervenons
aujourd'hui, c'est que le projet de loi touche directement trois des cinq
priorités que nos membres ont confiées au Conseil du patronat du Québec, les
membres, qui, je le répète, sont des employeurs. En l'occurrence, première priorité — et ça, c'est vrai à la grandeur du Québec
pour tous les employeurs : avoir accès à une main-d'oeuvre
disponible et de qualité; deuxième priorité, que ça touche également, le projet
de loi, c'est être exposé à une réglementation qui se doit d'être intelligente;
et, troisièmement, bénéficier des meilleures conditions pour une économie
durable.
Alors,
le Conseil du patronat a mené au cours des derniers mois plusieurs consultations
auprès de ses membres, entre autres une auprès d'un échantillon
représentatif de 100 employeurs québécois, et en leur demandant notamment de nous transmettre des commentaires spécifiques.
Vous retrouvez d'ailleurs en annexe la majorité de... le résumé de ces commentaires-là. À la lumière des informations
recueillies lors des consultations, le conseil recommande aux parlementaires
de retirer le projet de loi de l'ordre du jour législatif, et ce, pour
plusieurs raisons que nous allons expliquer.
Premièrement,
mentionnons que le fait d'avoir le principe d'une réglementation intelligente,
ça doit reposer sur l'analyse d'une
problématique qu'on veut résoudre, qu'on veut trouver des solutions. Or,
98 % — c'est
presque la totalité, M. le Président,
98 %, ce n'est pas la totalité — des employeurs consultés par le Conseil du
patronat disent ne pas faire face à
des demandes d'accommodement pour des questions religieuses, ou, lorsqu'ils
font face, les balises de la jurisprudence et des lois actuelles sont tout à fait, je dirais... permettent aux
employeurs de régler les demandes au cas par cas lorsqu'il y a notamment
la notion de contrainte excessive. De plus, 97 % des commentaires
recueillis sont négatifs à l'égard du projet
de charte. La plupart de ces employeurs considèrent notamment — je le disais tout à l'heure — que le cadre juridique et
réglementaire existant est amplement suffisant. En outre, depuis le dépôt du
projet de loi, il n'y a pas eu d'étude fournissant des données objectives
probantes au regard de l'ampleur de la problématique qui a été rendue publique
et il n'y a pas eu non plus d'analyse
d'impact, parce qu'encore là le principe de règlement intelligent veut qu'il y
ait une analyse d'impact économique, environnemental et sociétal, et il
n'y en a pas eue, à notre connaissance, au niveau économique à ce sujet-là. Par
contre, le débat… Ce qui est plus clair aujourd'hui, c'est que le débat, lui,
qui en résulte crée une division claire au sein de la société québécoise
sur ce sujet-là.
Soulignons que les
employeurs interrogés craignent que le projet de loi entraîne un impact négatif
sur les trois priorités que j'ai mentionnées
tout à l'heure, mais particulièrement au chapitre de l'attraction et de la
rétention des travailleurs qualifiés
tant au Québec qu'à l'étranger, et alourdissement du fardeau réglementaire et
administratif pour les employeurs. Alors, si malgré tout le gouvernement
choisissait d'aller de l'avant avec le projet, le Conseil du patronat estime
que plusieurs amendements importants devraient y être apportés notamment en ce
qui concerne les articles 5, 10, 13 et le
chapitre VI. Ces dispositions devraient même être carrément retirées. Mais
l'organisme craint en effet qu'elles entraînent des difficultés
d'application et des risques potentiels pour les employeurs particulièrement au
chapitre de l'attractivité et de la gestion des ressources humaines de même que
des relations de travail et des litiges potentiels qui en résulteraient.
Alors,
le Conseil du patronat déplore également que le projet de loi, qui souhaite
viser essentiellement les employés de
l'État, touche également les employeurs du secteur privé. Plusieurs d'entre eux
ont adopté des politiques de diversité en matière d'embauche et de ressources humaines, et le projet de loi, s'il
venait à être adopté tel quel, irait à l'encontre de telles politiques.
Vous savez, la majorité des grands employeurs qui doivent faire affaire à
l'échelle planétaire ou même à l'échelle
canadienne… la majorité des grands employeurs au Québec ont mis en place des
politiques en matière de gestion des
ressources humaines dont une dimension importante est l'ouverture à la
diversité et le respect des individus. Et ça a conduit les politiques que… les entreprises, pardon, à avoir des
directives d'application, des façons de fonctionner qui fassent en sorte
que ce soit cohérent avec cet objectif-là. Il est fort probable que, dans
plusieurs cas — et
certains employeurs nous ont qu'ils ont fait l'exercice — ça
contrevient le projet de loi lorsqu'ils sont sur base contractuelle avec
l'État, potentiellement, même si ce n'est pas tout à fait défini dans le projet
de loi. Mais, si on est un employeur dans le secteur public, ça contreviendrait
avec ce genre de politique.
Si enfin les parlementaires souhaitent
discuter malgré tout du port des signes religieux ostentatoires, le
Conseil du patronat est d'avis qu'ils
devront parvenir à une définition claire, pratique et juridiquement solide du
caractère excessif que sous-tend la
notion d'ostentation. Et, là-dessus, ce n'est pas compliqué, nous sommes allés
voir la définition d'ostentation, et
on y retrouve les expressions suivantes : mise en valeur excessive,
étalage excessif. Alors, si on discute… les parlementaires décidaient
qu'ils allaient continuer à discuter du projet de loi, bien, il faudrait
peut-être discuter de qu'est-ce qui est
excessif et qu'est-ce qui ne l'est pas. Peut-être… et je pose des questions, je
ne suis pas le spécialiste en sociologie,
mais peut-être qu'un vêtement qui cacherait le visage ou la majorité du corps
d'une personne pourrait être jugé excessif
par bon nombre de Québécois et de Québécoises. Peut-être qu'un bijou ou une
parure à caractère religieux ou encore un couvre-chef qui dissimulerait
la totalité ou une partie de la chevelure pourrait ne pas être considéré comme excessif. J'ai apporté ici une kippa. Est-ce que
c'est excessif que quelqu'un porte une kippa sur la tête? Ça fait des
dizaines, voire quasiment des siècles que
des gens d'origine juive… de confession juive portent la kippa au Québec. La
question, elle est légitime : Est-ce que c'est excessif? Les débats
juridiques concernant les accommodements raisonnables parlent justement des contraintes excessives. Là, ce n'est
plus : Est-ce que le port du kippa est excessif?, mais : Est-ce que
la loi est une contrainte excessive
pour le port du kippa? C'est un exemple. On aurait pu prendre le turban, le
hidjab, on aurait pu prendre une croix pour signifier parce qu'on a des
croyances religieuses qui sont reliées à ça.
En
conclusion, il est plutôt surprenant de constater que nous avons ici investi
des efforts et des deniers publics considérables dans la communication
entourant le dépôt d'un projet de loi, et que les parlementaires vont consacrer
peut-être 200 heures en commission parlementaire
pour en étudier les différents aspects. En l'absence de données
objectives probantes, sauf les consultations
dont on nous fait part présentement ici, en l'absence de données objectives, je
disais, et c'est particulièrement vrai dans le contexte où d'autres enjeux très
étayés, on l'a vu au cours des dernières semaines, au niveau des problématiques
de performances économiques au Québec, devraient mériter notre attention.
Cela
dit, petite anecdote. Nous avons eu, au Conseil du patronat, des discussions au
cours des dernières années avec le gouvernement sur une volonté de mettre en place certaines réglementations qui
faisaient suite à un avis de la Commission des droits de la personne. Nous étions en désaccord. Le gouvernement
nous a dit : Vous savez, un avis de la Commission des droits de la personne, c'est important. Je ne
sais pas si la Commission des droits de la personne a fait un avis
particulièrement important sur la question ici, mais, chose certaine, si le
gouvernement, d'un côté, croit que c'est important dans un dossier qui touche
les gestions des ressources humaines, dans celui-là, ça devrait être également
très important. Cela dit, je vais laisser aux parlementaires le soin d'en
discuter.
Pour
nous, c'est clair qu'on a un sujet qui divise les Québécois, qu'il y a des
priorités importantes, qu'on croit, suite aux consultations que nous
avons menées auprès des membres, auprès des employeurs du Québec, qu'il y a des
problématiques importantes en termes
d'application, en termes de risques potentiels de litiges et, en particulier,
qui met un obstacle additionnel. Ce n'est pas le chaos, ce n'est pas la
fin, mais un obstacle additionnel dans les problématiques de recrutement et de
rétention d'une main-d'oeuvre spécialisée.
• (17 h 10) •
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, M. Dorval, Me
Lamy. Alors, maintenant, on va à la période d'échange, et la parole est
à vous, M. le ministre.
M. Drainville :
Merci, M. le Président. Merci, messieurs. D'abord, M. Dorval, ce qui m'embête
un peu avec votre prise de position,
c'est qu'il n'y a pas grand-chose de positif à dire sur le projet de loi
n° 60 quand on vous écoute. Moi, je me serais attendu, par exemple, à ce que le Conseil du patronat
dise : Bien, écoutez, la laïcité n'étant pas inscrite nulle part
dans nos textes de loi, c'est une bonne idée de l'inscrire. Le Conseil du
patronat aurait pu dire aussi : Bien, l'égalité hommes-femmes, c'est une valeur pas mal fondamentale au Québec. Elle est
déjà protégée en partie dans la charte, mais le fait que vous décidiez de faire de l'égalité hommes-femmes un critère
prépondérant ou déterminant, c'est une bonne idée. Le fait, par exemple, que l'on reprenne les
critères de contraintes excessives et qu'on les codifie dans la charte, dans
la mesure où ces critères-là sont déjà
appliqués dans bien des cas, puis que vous les mettiez dans la charte des
droits, ça va clarifier l'application
des règles qui vont s'appliquer dorénavant en matière d'accommodements, c'est
une bonne idée aussi.
Mais,
malheureusement, je lis votre prise de position, et c'est... à part, là, le
commentaire sur le fait que vous ne faites
pas de compromis, là, sur la laïcité, la neutralité puis l'égalité, là, mais,
je veux dire, pour le reste, c'est essentiellement un portrait très,
très noir que vous tracez et très négatif que vous tracez de ce projet de loi
là.
Vous
parlez notamment des risques pour l'image du Québec et son climat d'affaires.
Je me suis fait sortir toutes les
annonces d'investissements depuis que la charte a été déposée, en septembre,
là. Alors : Danone, 40 millions, 500 emplois; Kruger, 300 millions, 150 emplois; Lockheed
Martin, 31 millions, 220 emplois; Marmen; Technicolor Canada;
Aerolia; Ubisoft; Warner Bros.; Neptune Technologies; Bridgestone; Pratt &
Whitney; RER Hydro; Sural; Aliments O Sol Mio; Aldo, 400 millions...
c'est-à-dire 363 millions, 400 emplois.
La
première ministre qui revient d'un voyage à Davos et à Londres avec un
investissement de FerroAtlantica, 375 millions,
qui va créer 300 jobs. Ubisoft, qui s'installe à Québec, 30 millions, 100
emplois. Les studios d'effets spéciaux Cinésite, 6,7 millions, 200
jobs encore. White Star Capital, qui va venir ouvrir un bureau…
La
charte ne doit pas être si pire que ça s'il y a autant d'investisseurs qui
viennent encore créer des emplois puis annoncer toutes sortes de projets
dans tous les domaines.
Puis, par
ailleurs, M. Dorval, encore cette
semaine, j'avais des discussions avec des entrepreneurs et des employeurs, et non pas les moindres, O.K.? Je
veux juste qu'on soit clairs là-dessus. Je ne veux pas les identifier parce que c'est des discussions privées que j'ai eues, mais,
autour de la table, il y avait une dizaine d'entrepreneurs, employeurs et il y en
avait un bon nombre, dans ce
groupe-là, qui étaient très favorables à la charte et qui y voyaient un gain
notamment pour le climat social, qui
disaient : Ça va clarifier les règles en matière d'accommodement. Puis je ne retrouve ça
nulle part dans votre discours.
Qui parle pour les
entrepreneurs et les employeurs qui sont pour la charte? Ils vivent au Québec,
eux autres aussi, là. Ils ne peuvent pas
être à 97 % ou 98 % contre la charte, M. Dorval. Le chiffre est
tellement stalinien que tu te dis :
Bien, voyons! Ou, à tout le moins, il doit y en avoir, dans ce groupe-là, qui
trouvent qu'il y a des bonnes choses dans ce projet-là. Je vous ai donné des exemples. Mais pourquoi on ne retrouve
pas ça dans la position du Conseil du patronat? Pourquoi on ne retrouve pas, je dirais, une certaine nuance, un
équilibre des points de vue? Pourquoi est-ce que c'est négatif quasiment
de bord en bord? Je ne comprends pas.
Et je vous
estime beaucoup, je vous l'ai déjà dit, et je le répète devant tout le
monde : Je vous estime beaucoup. Et le Conseil du patronat est un organisme très important pour le Québec,
pour le développement économique du Québec. Vous avez une voix qui est
importante, qui est influente. Vous représentez des grosses entreprises. Vous
incarnez des intérêts forts. Il me semble…
Tu sais, vous
parlez de la diversité dans votre mémoire. Elle est où, la diversité, dans
votre mémoire? Elle est où, la diversité,
dans votre prise de position? Et parce que justement vous représentez cette
voix qui est tellement importante, il me
semble, vous avez une responsabilité supplémentaire de vous assurer justement
que le point de vue que vous allez déposer, défendre, ça ne peut pas être à 97 % : On passe la gratte, on
est contre, puis on n'a rien de bon à dire, là. Ça ne peut pas être ça, M. Dorval. Ça ne peut pas. Bien, en tout
cas, moi, j'ai un problème avec ça, je vous le dis bien, bien sincèrement.
Je trouve que ça manque de nuance.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, j'imagine que…
Des voix : …
M. Drainville : Alors,
j'avoue, alors…
Le Président (M. Ferland) :
…j'imagine que c'est une question.
M.
Drainville : Mes
collègues d'en face, je ne leur demande pas d'être d'accord avec ce que je
viens de dire, je suis sûr qu'ils vont avoir toutes sortes de choses
très positives à dire sur votre prise de position.
Mais
prenons-les dans l'ordre, là. Pourquoi est-ce que vous n'arrivez pas avec une
position un peu plus nuancée où vous mettez davantage l'accent sur des
choses qui sont à peu près consensuelles au Québec, primo? Secundo, les
employeurs, là, qui sont pour la charte, où est-ce qu'ils sont dans votre
mémoire? Juste partons avec ces deux-là.
Le Président (M. Ferland) :
M. Dorval, allez-y, la parole est à vous.
M. Dorval (Yves-Thomas) : Bon.
Alors, je vous remercie pour vos bons mots sur la crédibilité que vous me
donnez, ça me fait plaisir. Puis, surtout, ça doit faire plaisir aux membres de
savoir que le Conseil du patronat a une crédibilité.
La première
question que vous avez mentionnée, c'est les questions fondamentales. Vous êtes
contre, vous êtes pour le projet de loi. Je ne veux pas… On ne fera pas
de cachette, là, il y a 80 % du mémoire sur lequel on n'a pas d'objection… pardon, du projet de loi qu'on n'a
pas d'objection de principe, pour la simple raison que, ce qui est dit
là-dedans, personne ne va être contre la
vertu. La seule différence qu'il y a, c'est que, selon les commentaires reçus,
les lois, le cadre réglementaire, la pratique, la jurisprudence
actuellement le dit déjà. Alors, ce serait une loi qui mettrait dans un papier des principes, des guides, des balises qui
existent déjà. On n'est pas contre ça. On n'est pas contre ça, mais ça
n'a pas de valeur ajoutée. Ce n'est pas à
nous à justifier le désir d'avoir une charte, c'est au gouvernement, par un
principe de bonne réglementation, à dire : Nous avons une analyse,
des faits objectifs, des données probantes qui disent : Il y a des
problèmes qu'il faut régler. On n'en a pas eu.
Et, nous, ce que je vous dis, je ne vous dis pas que
98 % des gens nous ont dit qu'ils sont contre tous les éléments de la charte. Ce que je dis, c'est que 98 % des
personnes, des employeurs consultés disent : Il n'y en a pas, de problème. Et le 97 %
que nous avons rajouté, c'est dire : Ils ont émis des commentaires négatifs à l'égard de la charte. Est-ce que les gens
nous ont émis des commentaires négatifs sur tous les éléments de la charte?
Non, 80 % de la charte, il n'y a pas de problème, c'est la vertu, et pour laquelle on dit
d'emblée, d'entrée de jeu, dans notre prise de position ici aujourd'hui :
On est d'accord avec la laïcité, la neutralité religieuse ainsi que la… pardon?
• (17 h 20) •
Une voix : …
M. Dorval (Yves-Thomas) : Oui — ainsi
que l'égalité hommes-femmes, aucun problème de ce côté-là.
Cela dit, vous dites : On n'a pas nuance.
Je regrette, j'aurais voulu en avoir davantage, de nuance. Mais,
malheureusement, la majorité des employeurs consultés nous ont dit :
Écoutez, si on n'a pas de donnée probante qui nous
dit : Il y a un besoin, il y a une nécessité, pourquoi on aurait une
nouvelle réglementation qui va venir toucher la gestion des ressources humaines? On comprend que c'est
majoritairement dans l'État, mais il y a un article 10 avec lequel les
gens sont totalement contre. Un article 5 qui apparaît comme étant pratiquement
un suicide de litige, c'est-à-dire qu'on va avoir
un litige, c'est certain, à un moment donné ou l'autre, et d'autres points
comme, par exemple, le chapitre VI, où, quand on regarde… les balises ou
les principes d'application qui vont devenir difficiles.
Moi, je ne
suis pas là, ici, pour parler idéologie ou parler théorie. Je vous dis juste et
je vous explique juste que les gestionnaires de ressources humaines chez
ces employeurs-là voient des problématiques.
Qui plus est, dans le secteur privé — puis je vais terminer là-dessus — il y a une crainte véridique que,
même si l'article 10 les touche
actuellement, qu'un jour ou l'autre, ça va venir les toucher. Parce que
quelqu'un qui dit : Si l'État le fait, pourquoi le secteur privé ne
le ferait pas? Je vais être servi dans un établissement public, ils n'ont pas
le droit. Pourquoi vous autres, vous n'avez pas le droit? La pression va venir
telle que ça va venir à l'encontre.
Quant
au développement économique, M. le ministre, je suis heureux pour le Québec.
Vous savez, on est, au Conseil du
patronat, très heureux quand il y a des bonnes nouvelles pour le développement
économique. Alors, on est très
heureux. Ce que vous n'avez pas, par contre, c'est le résultat, actuellement…
le Québec est le 10e parmi les provinces et les territoires en termes de performance économique, et vous n'avez pas
non plus tous les investissements qui ne viennent pas au Québec pour différentes raisons. Ça ne sera
pas la seule, et ce n'est pas la raison principale, j'en conviens avec
vous. Ce ne sera pas le chaos économique demain. Mais, pour un employeur qui a
des ressources humaines compétentes…
Puis
je vais vous donner un exemple très précis. Mon collègue ici est directeur des
affaires juridiques chez nous. Imaginons
que mon collègue, au lieu d'être Guy-François Lamy, il s'appelle Joseph
Goldberg, et, lui, dans ses croyances religieuses,
il porte la kippa. Savez-vous que 95 % du travail de mon collègue ici,
c'est de faire de la formation en santé, sécurité du travail, relations… et droit du travail auprès de personnel
qui travaille dans le secteur public, et que nous sommes à contrat avec le secteur public pour faire cette
formation-là? Alors, mon ami, mon ami Joseph Goldberg, ici, qui porte la
kippa, peut-être que demain il ne pourra
plus le faire. Moi, je n'ai pas 46 000 directeurs des affaires juridiques,
j'en ai un. Et il se trouve que mon
collègue ici, à côté, est une personne… il est parmi les plus qualifiés au
Québec en matière de droit relié à la santé sécurité du travail et que
je le paie à un niveau très acceptable. Il pourrait s'en aller demain pour un employeur ailleurs, et mon ami Joseph Goldberg a
probablement un permis de pratique de droit aussi en Ontario puis même dans l'État de New York, et peut-être que, si je
l'écoeure trop, mon ami va dire : Je vais aller travailler ailleurs, puis
moi, je n'aurai plus le meilleur directeur des affaires juridiques en santé,
sécurité au travail.
M. Drainville :
O.K. M. Dorval, sur la question des accommodements, hein, des règles devant
régir les demandes d'accommodement — parce qu'il me reste six
minutes, là — le
vice-président de la Commission des droits de la personne, Marc-André Dowd, a
déclaré, il y a quelques années de ça… Il reconnaît que des cas
d'accommodements déraisonnables qui ont
défrayé la manchette ont eu un impact chez les donneurs d'ouvrage. Certains ont
maintenant la perception que le recrutement d'immigrants est susceptible
de leur causer beaucoup d'ennuis, et là je cite : «Oui, les employeurs nous l'ont dit, c'est une barrière à
l'emploi. Les gens se disent qu'ils vont se retrouver avec des accommodements
à gérer.» Bon. Ça, c'est quelqu'un de la Commission des droits de la qui a
parlé avec des employeurs.
Devant la commission Bouchard-Taylor, le Regroupement des
gestionnaires en ressources humaines de Laval — vous parliez
des ressources humaines tout à
l'heure — a
expliqué que des employeurs craignent d'embaucher des membres de certaines communautés de peur d'avoir à faire face
à des demandes d'accommodement. Je cite : «Je ne dis pas que c'est
la majorité, mais, moi, en tant que directeur des ressources humaines dans
quelques organisations, on m'a souvent fait savoir de ne pas engager telle
communauté, non pas par racisme, mais surtout pour ne pas avoir de problème
avec les accommodements raisonnables, par exemple de ne pas avoir des lieux de
prière.»
Autre
citation, l'avocat André Baril, associé chez McCarthy Tétrault, qui déclare, je
cite : «Pour les organisations, les accommodements raisonnables
sont une patate chaude dont elles ne savent que faire. Cela vient de l'absence
de critères précis pour bien définir ce
qu'ils sont. Ces critères se développent au fil des décisions des tribunaux, ça
se fait donc beaucoup au cas par cas.» Bon.
C'est trois
commentaires publics, ça, là, là. Mais il y a beaucoup d'autres commentaires
d'entrepreneurs et d'employeurs qui nous
sont confiés privément, et des gens qui nous disent : Arrivez avec vos
balises, parce qu'actuellement ce
n'est pas clair. Et un certain nombre de ces personnes-là nous disent : Ce
n'est tellement pas clair, les règles, qu'on hésite à donner une chance à certaines candidatures qui
nous sont soumises, notamment des Québécois d'origine maghrébine, parce qu'on a peur de se retrouver avec des
demandes d'accommodement, puis on a peur de ne pas être capables de les
gérer. Alors, malheureusement, on leur fait passer leur tour.
Moi,
je trouve ça déplorable, parce que vous avez des Québécois d'origine
nord-africaine, mais aussi d'ailleurs dans
le monde, qui arrivent au Québec, qui sont formés, qui ont une superbe
expertise, et actuellement, malheureusement, dans certains cas du moins,
ils n'ont pas leur chance, notamment parce que tu as des employeurs qui disent
que les règles en matière d'accommodement ne sont pas claires.
On
les clarifie dans le projet de loi n° 60. Vous ne pensez pas que c'est une
bonne idée, ça? Vous êtes absolument convaincus,
vous là, là, que de codifier dans une loi les balises existantes, notamment en
matière de contrainte excessive, vous êtes convaincus que ce n'est pas
une bonne idée, alors qu'on a des personnes qui nous disent que ce serait non
seulement une excellente idée, mais que ça pourrait leur permettre... ça les
encouragerait, ça les sécuriserait, ça les encouragerait à embaucher davantage
de néo-Québécois et ça les sécuriserait?
La Présidente (Mme
Champagne) : M. Dorval.
M. Dorval
(Yves-Thomas) : Mme la Présidente. J'ai juste deux courtes réponses,
mais je vais laisser mon collègue répondre
sur l'aspect plus précis au niveau juridique. C'est évident que les gens et les
gestionnaires des ressources humaines
font partie de la population, ne possèdent pas la science infuse de tout
connaître le cadre et la jurisprudence, etc. Il peut y avoir des
gestionnaires qui ne connaissent pas qu'il y a des outils actuels dans les lois
existantes, dans la jurisprudence. Et c'est
pour ça qu'il y a des spécialistes juridiques, dont mon collègue ici, qui
répondra à votre question. C'est la première chose.
La deuxième, je vous ferai remarquer que,
lorsqu'on dit que, si vous voulez aller de l'avant avec le projet de loi, les
articles qu'on mentionne comme étant les articles qui font majoritairement
problème... pas majoritairement, majeure, de façon
majeure, problème, ce ne sont pas les articles qui touchent ce que vous venez
de nous mentionner, parce que, je vous le dis, ce que vous mettez là-dedans, la
jurisprudence l'a déjà défini. Mais je vais laisser mon collègue terminer.
La Présidente (Mme Champagne) :
M. Lamy.
M. Lamy
(Guy-François) : Merci, Mme
la Présidente. Le point de vue qu'on entend de la part des employeurs lorsqu'on discute avec eux — puis je peux aussi vous parler de de ma vie
avant le Conseil du patronat, alors que j'étais en cabinet, et j'ai même été procureur au sein d'une
société d'État aussi — c'est qu'il a fallu du temps pour assimiler la notion de contrainte excessive, pour savoir jusqu'où ça
s'arrête, mon obligation d'accommodement, moi, en tant qu'employeur. Et
qu'au fil du temps, au fil du développement de la jurisprudence, cette notion-là
a fini par être assimilée. Et c'est là où les employeurs nous disent
aujourd'hui... notre 97 % qui nous disent qu'ils n'ont pas de problème
avec les demandes d'accommodement, ce qu'ils nous disent, c'est qu'ils ont fini
par l'assimiler.
Ce que vous
présentez est vrai, il y a des employeurs... il y en a peut-être encore
aujourd'hui pour qui c'est plus complexe
et problématique. Mais, les employeurs, ce qu'ils nous disent, c'est : On
a fini par comprendre ce que vous nous disiez.
Puis, de fait, moi, j'ai observé aussi qu'avec les clients que j'avais avant de
travailler au Conseil du patronat, à un moment donné, on m'appelait
moins sur les questions d'accommodement, parce qu'on les assimilait.
Un autre point important aussi : la notion
d'accommodement raisonnable, elle ne touche pas seulement les accommodements religieux au sens de la charte,
elle touche tous les autres droits à l'égalité qui sont protégés. Et je
peux vous dire que le quotidien d'un avocat de droit du travail qui touche à
des questions d'accommodement, c'est des accommodements fondés sur le handicap
dans le cadre du travail et non sur la religion.
• (17 h 30) •
M.
Drainville : Mais le
fait de codifier, dans la charte, les
règles qui vont régir les demandes d'accommodement, c'est une bonne
idée, oui ou non, pour le Conseil du patronat?
M. Lamy (Guy-François) : Ce que…
C'est ce que…
La Présidente (Mme Champagne) :
Allez-y, M. Lamy.
M. Lamy
(Guy-François) : Merci, Mme la Présidente. Je suis de ce que M. Dorval vient de vous dire. On
considère qu'il n'y a pas de problème, on considère que ce n'est pas nécessaire et que ce n'est pas utile, mais, comme on vous dit, on n'est pas contre la vertu, et ça ne
fait pas partie des dispositions qui nous posent fondamentalement
problème dans ce projet de loi là.
La Présidente (Mme Champagne) :
M. Dorval? Non?
M. Dorval
(Yves-Thomas) : Simplement
à dire, écoutez, Mme la
Présidente, si le gouvernement a une étude qui démontre le besoin, de façon claire, évidente,
etc., je veux dire, c'est le principe même à la base de la réglementation intelligente. Et, à ce moment-là, on n'a aucun
problème, il y aura eu une démonstration qu'il y a des faits. S'il y a
une analyse économique, une analyse d'impact économique, social, etc., qui est
faite, bien, on travaillera à ce moment-là avec
ces données-là. Mais, pour le moment, nous n'en avons pas eu. Ce que j'entends,
c'est beaucoup des anecdotes, des perceptions. Et nous
aussi, on en reçoit, des anecdotes et des perceptions. Je ne suis pas à l'aise
lorsque je ne reçois que des anecdotes, alors, on fait des consultations.
On n'en a
fait pas une, pas deux, on a fait trois consultations auprès de nos membres,
et, à chaque fois, la réponse arrivait.
Les gens ne sont pas tous intransigeants, Mme la Présidente. Les gens,
là, ils sont intelligents, ils sont pragmatiques. Ils vont vivre avec une réglementation, en autant
que la réglementation ne leur occasionne pas des problèmes d'administration, des risques de litiges, des coûts additionnels. C'est ça, le problème.
Et, au-delà de ça, si on a vraiment une problématique qu'on est capables
de régler avec ça, qui est évidente, qui est documentée, qui est basée sur des
données probantes, alors faisons-le. Mais je n'en ai pas vu.
M.
Drainville : M. Dorval, il me reste 30 secondes. Ce qui est
documenté, c'est, notamment… ce que le Conseil du patronat avait dit
sur la Charte de la langue française il y a 40 ans, je trouve ça
fascinant : La charte de la langue augmentera
le chômage, selon le Conseil du
patronat. Un document désastreux pour l'économie, selon Conseil du
patronat. Écoutez, ça n'a pas été le
désastre, la loi 101, pour l'économie québécoise. L'immigration est à la hausse
actuellement au Québec, par rapport à
l'année dernière. Depuis que la charte a été rendue publique, le nombre de
demandes pour immigrer au Québec est
à la hausse. Et, finalement, je veux juste terminer là-dessus, je suis
sincèrement convaincu qu'il y a un aspect préventif à cette charte-là et qu'on est en train de créer les
conditions pour une plus grande cohésion sociale et une plus grande paix
sociale au Québec pour les années à venir et je pense que c'est un critère très
important pour les milieux d'affaires, notamment pour les investisseurs.
La
Présidente (Mme Champagne) : Alors, merci, M. le ministre.
Alors, c'est terminé pour la partie ministérielle. Alors, je vais passer
la parole au porte-parole de l'opposition officielle, M. le député de
LaFontaine.
M. Tanguay : Merci.
La
Présidente (Mme Champagne) : Alors, vous avez un gros 17 min 30
s.
M.
Tanguay : Oui, 17… Je tiens aux 30 secondes. Merci beaucoup, M.
Dorval, M. Lamy. Je vais essayer d'être le plus efficace possible.
J'aimerais d'abord
vous donner l'opportunité, parce que le ministre vient de nous renvoyer sur le
terrain de la comparaison qui ne tient pas
du tout la route, puis on pourrait passer, là, deux heures… Puis, à toutes les
fois que le ministre en parle, je lui
réitère que l'adoption de la Charte de la langue française n'est aucunement
comparable à l'adoption du projet de
loi n° 60, de la charte du PQ. Pourquoi? Parce qu'il y a eu, au niveau de
la Charte de la langue française, dépôt d'un livre blanc, qui était
différent du projet de loi 1, qui lui-même a été très différencié avec le
projet de loi 101. Et la loi 101, telle
qu'adoptée, était différente. Il y avait une évolution, des modifications
fondamentales. Et, par la suite, il y a eu un réajustement des tribunaux
pour faire en sorte qu'aujourd'hui, et vous en êtes, la Charte de la langue
française d'aujourd'hui, qui vise à l'épanouissement du français, n'est
aucunement pas le texte qui était le livre blanc, projet de loi 1, projet de loi 101, projet de loi 101 tel
qu'adopté versus le texte que l'on a aujourd'hui. Et, ce qui est formidable,
vous avez dit qu'on n'a pas d'étude puis on
n'a pas d'avis juridique, ils ne sont pas publics. On a accès à tous les
débats qu'il y a eu à l'interne. Je me
rappelle, entre autres, d'avoir lu, sur les commentaires d'un Claude Morin, qui
était ministre, et qui soulevait, à l'intérieur des discussions du
cabinet des ministres, et René Levesque lui portait l'oreille, qu'il y avait des impacts majeurs au niveau économique sur ces
différents textes, qui ne sont aucunement ceux que l'on voit
aujourd'hui, celui de la Charte de la langue française.
Alors, c'est
excessivement dangereux pour le ministre de comparer l'adoption de la Charte de
la langue française avec le projet de loi n° 60, surtout lorsque l'on sait
que ce qui fait division, c'est l'interdiction des signes, et que, là-dessus, on n'est pas à la veille de 200
heures, on est à la veille de 270
heures, qui vont porter sur cet élément-là, l'interdiction des signes.
Mais
j'aimerais vous entendre sur l'accusation que vous a faite le ministre
ce matin d'orchestrer une campagne de peur comme sur la Charte de la
langue française. Qu'avez-vous à dire là-dessus?
La Présidente (Mme
Champagne) : Alors, M. Dorval.
M. Dorval (Yves-Thomas) : Alors, Mme
la Présidente, écoutez,
j'aimerais d'abord qu'on lise très correctement le mémoire que nous avons déposé, le communiqué de presse que nous avons émis, les propos que je tiens publiquement présentement : je n'ai vu nulle part de déclaration à l'effet qu'on s'en allait dans le désastre. On
n'a pas fait de campagne de peur, on
n'a pas fait de campagne, je dirais, de chasse aux sorcières ou quoi que ce
soit. Tout ce qu'on essaie de faire, c'est d'expliquer : Voici ce que les gestionnaires de ressources humaines, les employeurs nous ont dit, de
façon pragmatique, avec quoi ils vivent. Et j'ai retourné… parce que
j'ai entendu tout à l'heure les titres d'articles de presse, mais moi, je suis allé voir le communiqué de presse qui a été émis à l'époque puis le mémoire qu'on a déposé à l'époque
juste sur cette question-là, parce que là on nous accuse d'aller faire
des choses qu'on avait faites dans le temps.
Alors,
je reviens ici… le communiqué de
presse de notre présentation ici, en
Chambre, le 6 juin 1977. Ça, c'était le
14e anniversaire de naissance du ministre actuel, soit dit en passant. Pas sûr qu'à 14 ans,
le jour de son anniversaire, il écoutait ce que le Conseil du patronat
disait dans son mémoire, mais ce n'est pas grave, on l'a ici. Et qu'est-ce
qu'on disait, dans notre mémoire et dans nos
prises de position? «Le Conseil du
patronat de Québec
est d'accord avec l'idée générale d'une action
concertée entre l'État, les entreprises, les citoyens en vue de promouvoir
l'usage du français du Québec et de parvenir à en faire la langue principale
dans les activités économiques. C'est
pourquoi les moyens proposés pour assurer une évolution linguistique
désirable doivent tenir compte des conditions de la vie et du développement
économique du Québec intégré à l'économie nord-américaine.» C'est ce qu'on
disait.
«Cependant,
dans le choix des moyens pour atteindre ces objectifs, le CPQ croit que la
promotion du français ne peut être considérée comme un absolu et que
d'autres objectifs sociaux, les libertés démocratiques fondamentales, le progrès économique, le respect des minorités
doivent fixer les limites de l'intervention directe de l'État dans la vie
des citoyens.» Mon Dieu, j'enlèverais les mots «Charte de la langue française»,
puis je mettrais «charte concernant la laïcité»,
et c'est exactement la même chose. C'est très modéré comme propos, c'est
extrêmement modéré. Alors, on ne fait pas, vraiment pas actuellement une
campagne de dénigrement.
Par
contre, quand je vois en Ontario une campagne de promotion qui vise les
employés du secteur de la santé du Québec pour leur dire : Écoutez,
nous autres, on est prêts à vous avoir chez nous, j'y vois une menace, une
menace probante. Le fait est qu'il y en a
une, campagne de publicité. Ce n'est pas moi qui la fais, ce n'est pas moi qui
l'invente.
Cela dit, le ministre
a raison, nous ne sommes pas contre les énoncés dans 80 % du projet de
loi. Nous avons dit ici qu'il y a des
articles particuliers qui font problème, et que, pour le reste, s'il y avait
une nécessité démontrée, on le fera.
Au niveau de la Charte de la langue française, à tout le moins, on avait des
données démographiques qui démontraient un déclin des parlants français
au Québec et qu'il y avait nécessité d'avoir des interventions au niveau linguistique.
Maintenant, est-ce
qu'actuellement la charte est raisonnable en tout point au niveau de la langue
française? Il y a pas mal d'améliorations qu'on devrait y apporter pour réduire
le fardeau réglementaire et en faire une charte qui soit plus ouverte à la
diversité. Merci.
M. Tanguay : Et dire, M. Dorval, que le ministre ce matin vous
accusait d'orchestrer une campagne de peur et tout à l'heure vous a accusé de manquer de nuance. Alors,
je pense qu'en termes de nuance vous venez de nous en donner une leçon.
Autre
nuance importante, qui n'en est pas une, mais qui est une réalité, ce qui fait
écueil, c'est cette interdiction de port de signes religieux. Et ce qui
fait très large consensus, c'est de mettre des balises pour que les accommodements
soient, à terme, raisonnables.
Deux
choses différentes qu'on peut résumer de la façon suivante : un interdit
n'est pas une balise dans l'analyse d'un accommodement. Un interdit,
c'est une interdiction. Et même l'article 18 vous interdit de déposer une
demande d'accommodement portant sur les signes. Alors, il ne faut pas mêler
interdit et balise, c'est deux choses tout à fait différentes. Et on passera
270 heures sur cette division sur les interdits.
J'aimerais
vous entendre… Évidemment, on pourrait parler longuement des 350 000
Québécoises et Québécois chômeurs
aujourd'hui au Québec, des 100 000 emplois créés en 2013 au Canada,
2 000 au Québec. Mais j'aimerais vous entendre également sur le rôle… On parlait des grands employeurs et des
employeurs également qui ont des politiques de ressources humaines, vous
en avez parlé, qui fait en sorte qu'il y a une ouverture, une diversité et
qu'en ce sens là les employeurs, eux
également, ne prêtent pas flanc et n'accepteraient pas qu'un employé fasse du
prosélytisme dans le cadre de ses
fonctions. Autrement dit, l'employeur, la grande société qui emploie une
personne qui porte un signe religieux, qui l'accueille parce qu'elle est compétente, et qu'elle mérite pleinement
son salaire, et qui participe à la société,
paie des taxes, l'employeur n'endurerait pas et ne permettrait pas que
cet employé-là, directement ou indirectement, tente de faire de nouveaux adeptes pour sa religion. Ça serait
antinomique de son emploi. Alors, comment vous, vous le vivez au jour le
jour, avec le fait que les grands employeurs
acceptent des employés avec des signes religieux, ont un impératif de
faire en sorte que cet employé-là, malgré son signe religieux, évidemment ne
fera pas de prosélytisme, ne voudra pas faire de nouveaux adeptes, et que l'État, lui, renonce? L'État ne voudra pas faire en
sorte de permettre ce port de signes religieux parce que, pour la
perception du Parti québécois, il y a une adéquation. Alors, comment les
grandes entreprises sont capables, dans un monde compétitif, de réussir là où
abandonne le ministre?
• (17 h 40) •
La Présidente (Mme Champagne) :
M. Dorval.
M. Dorval
(Yves-Thomas) : M. le Président… Mme la Présidente, pardon, je vous dirais… Écoutez,
la gestion des ressources humaines, c'est complexe. Les questions de politique interne, d'ouverture à la diversité et du respect
d'autrui sont fondamentales dans les organisations performantes, particulièrement
les organisations qui ont des opérations aussi
à l'extérieur. Vous savez, si vous avez un comportement dans
une organisation x dans un pays puis vous avez un comportement, dans la même organisation, différent dans un autre pays, vous risquez un jour ou l'autre d'être
soit poursuivi, soit critiqué, avoir
des campagnes de lobbys, et ainsi de
suite, contre vous, des campagnes
contre la commercialisation de vos
produits et ainsi de suite. Alors, les entreprises se sont aperçu… Et
c'est intéressant parce
que le Conference Board a publié une étude qui démontre que les organisations les plus performantes, les plus performantes, sont celles qui
utilisent la diversité comme étant un facteur d'amélioration, et de réussite,
et de succès.
Cela dit, je
suis certain que le gouvernement… Et je vous le dis parce que nous, on n'est pas
en politique. Je suis certain
que le gouvernement ne vise pas à créer des problèmes pour les
employeurs, je suis certain de ça. Mais ce qu'on lui dit, c'est que l'analyse qui est faite par une
grande majorité des employeurs, si ce n'était pas 98 %, si c'était 75 %, c'est quand même suffisant comme signal pour dire au
gouvernement : Écoutez, la réglementation, elle est nuisible, elle
n'est pas aidante. La partie accommodements
raisonnables, on est capables de vivre avec ça, mais on l'a déjà à travers la
jurisprudence. Mais les parties sur
certains articles, ça, on a des problèmes majeurs avec ça. Et je vous ai
expliqué : On ne peut pas faire la proposition de notre côté, mais
je suis certain qu'entre parlementaires on pourrait certainement atténuer la
portée de certains éléments. Je vous ai parlé tantôt, la définition
d'ostentatoire, la définition d'excessif, je pense que c'est facile d'arriver à des accommodements, hein, sur les
questions : Qu'est-ce qui est excessif? Qu'est-ce qui ne l'est pas?
Mais, malgré cela, comme les employeurs
actuellement sont aux prises avec la gestion des ressources humaines et prônent
le respect d'autrui, le respect de la
diversité comme étant une valeur fondamentale et également un facteur de
réussite, bien, c'est difficile de prôner à ce moment-là une
réglementation qui ne vise pas cet objectif-là.
M. Tanguay : …parce
que je veux laisser le temps à ma collègue
de vous poser quelques questions. Vous venez de faire très clairement la démonstration que diversité… vous avez fait
référence… diversité, chez les grandes entreprises et chez les entreprises qui la mettent en pratique… ont des performances
extraordinaires parce
qu'elles tirent profit de
cette diversité-là qui est une force. Nous sommes en compétition avec ce qui se
passe partout en Amérique du Nord, aux États-Unis, au Canada, bien évidemment, puisque c'est notre pays, et nous serions, demain
matin, la seule législation du
genre à interdire — public,
parapublic, les contractants de l'État, les subventionnés — le port
de signes religieux. Alors, on vient
d'établir que diversité égale performance et force économique. Ne devrait-on
pas, à titre de gouvernement, plutôt que d'interdire, de faire en sorte
d'éduquer, d'informer, de bonifier, dans le respect de l'égalité hommes-femmes,
dans le respect évidemment de ce qui est
fondamental au Québec… mais de favoriser cette diversité-là et faire en sorte
que le gouvernement, qui, dans bien
des cas, donne le ton pour les entreprises privées, donne le bon ton pour que
l'on puisse, en bout de piste, être performants? Qu'en pensez-vous?
La Présidente (Mme Champagne) :
M. Dorval.
M. Dorval
(Yves-Thomas) : Merci, Mme
la Présidente. Écoutez, c'est clair
qu'on doit travailler tous ensemble, on le disait en 1977 sur la Charte
de la langue française. Soit dit en
passant, on vous invite : le 24 février, on tient un colloque pour faire la promotion des meilleures pratiques
de l'utilisation du français en entreprise. Comme quoi, vous
voyez, le Conseil du patronat n'est pas en campagne de peur et de désastre. Pourquoi?
On disait à ce moment-là : C'est important de travailler ensemble à la promotion, à la sensibilisation, aux meilleures pratiques. C'est ce qu'on fait. Dans les
meilleures entreprises, actuellement, on fait la formation, de la promotion, de la sensibilisation aux meilleures pratiques de gestion de ressources humaines qui
est inclusive et non pas exclusive.
La Présidente (Mme Champagne) : Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce, pour environ quatre minutes.
Mme Weil : Oui. Merci,
Mme la Présidente. M. Dorval, Me
Lamy. Évidemment, on va entendre... la Fédération des chambres de commerce va venir, mais ils se
sont déjà exprimés, ils ont exprimé exactement ce que vous dites, toutes les chambres de commerce de tout le Québec.
La Chambre de commerce de Montréal s'est exprimée : très, très
inquiète par rapport à l'impact de cette charte. Donc, ce n'est pas
juste vous, c'est toutes les voix, les universités qui se prononcent et les grandes institutions : les hôpitaux, le Jewish, le MUHC,
toutes ces grandes institutions. Siègent à leur conseil d'administration des
gens d'affaires, et leur inquiétude... Et tout le monde, tout le monde, tout le monde à Montréal en parle. Alors, moi, je peux juste vous confirmer que c'est exactement
les conversations. Peut-être qu'ils ont une petite réserve lorsqu'ils
parlent au ministre, qui représente le gouvernement. Avec moi, pas de réserve
et une grande inquiétude par rapport à une perte de talents. On a des chirurgiens cardiaques — je donne souvent l'exemple, mais c'est juste
un exemple — qui
portent la kippa... qui est au Jewish, qui dit : Moi, là, si ce projet de
loi devient loi, je quitte. Il y a We don't care what's on your
head — We care what's inside your head. Tout le monde
dit que cette pub-là a été tellement efficace! Il y a des reportages à Global, CTV, pas nécessairement à
Radio-Canada qui confirment justement le nombre de demandes qu'ils ont
eues du Québec suite à cette pub. Ça, j'ai vu le reportage. Et donc, cette
crainte, on la sent.
Moi,
j'aimerais vous entendre parler justement de ce risque de perte de cerveaux; il
y a l'attraction... ça, c'est
un problème, mais ce risque de perte de
cerveaux pour l'économie et, je vous dirais, plus que l'économie,
le développement du Québec, que ce soit social, économique, c'est le développement
du Québec.
La Présidente (Mme Champagne) :
En quelques minutes, M. Dorval.
M. Dorval (Yves-Thomas) : Oui. Mme
la Présidente, le ministre m'a invité tout à l'heure à une certaine modération,
nous a invités à une certaine modération, et je vais en faire preuve ici. Vous
savez, ça, ce n'est pas la catastrophe totale, là, on ne verra pas tout le
monde partir du jour au lendemain. Ce n'est pas ça, et jamais qu'on a dit une
telle chose.
Mais, aujourd'hui, on vit dans un contexte où, au Québec, la première priorité,
je le répète, c'est d'attirer de la main-d'oeuvre de qualité et de la
retenir. C'est la première priorité. Pourquoi? Parce
qu'on a un vieillissement
démographique et que... Pas dans tous les
emplois; on a un taux de chômage quand
même encore élevé. Mais, dans plusieurs
secteurs, il y a une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée, et cette pénurie de main-d'oeuvre qualifiée fait en sorte que des employeurs
sont désespérés pour trouver de la main-d'oeuvre et la retenir. Et c'est vrai
aussi dans le secteur public, c'est vrai aussi dans le secteur de la santé, c'est vrai aussi dans le domaine... comme
l'ingénierie, etc., dans le domaine informatique. Vous savez, on est proches des organisations publiques, on siège aussi sur des organisations du secteur
public, et, dans les rapports qu'on nous fait régulièrement, la
problématique pour des organisations de l'État : d'avoir une relève
lorsque les gens partent à la retraite. On a de la misère à attirer, on a de la
misère à les retenir. Alors, c'est une réalité.
Alors, le projet de loi ne viendra pas recréer un chaos incommensurable, mais c'est un élément
additionnel qui apporte une contrainte additionnelle. On ne devrait pas
arriver avec une contrainte additionnelle, on devrait arriver avec des
solutions par rapport à cette problématique-là. Voilà.
Mme Weil : J'ai une petite question sur l'effet
d'entraînement, parce qu'il y a un organisme qui a cette crainte, la
surreprésentation des minorités religieuses et autres dans les entreprises, que
le fait que le gouvernement lance le signal de cette interdiction aurait un
effet d'entraînement dans le secteur privé par rapport à l'exclusion.
M. Dorval
(Yves-Thomas) : Ah! ça, c'est
clair, pour les raisons où, évidemment, les gens disent : Si ça s'applique à minou, pourquoi ça ne s'applique pas à pitou? Et la pression va
être énorme aussi sur les entreprises privées, c'est clair, nonobstant
l'article 10, où là il va y avoir une pression de façon
très claire, il va y en avoir de l'additionnelle également.
Vous savez, il y a sûrement moyen d'arriver à
des réglementations qui finissent par procurer des bons résultats. Ce qu'on
vous dit, ce qu'on vous implore du secteur économique, du secteur des
employeurs, c'est : Aidez-nous avec des réglementations qui vont nous
aider à solutionner le problème le plus important, qui est celui d'attirer de
la main-d'oeuvre et de la conserver. Ne nous créez pas davantage
d'inconvénients. Le ministre dit : Il y en a qui ont vu des problèmes dans
la situation actuelle. Ils veulent avoir des balises. Peut-être que ces gens-là
ne sont pas au courant qu'il en existe, des balises, comme mon collègue a dit
tout à l'heure, qui se sont bâties avec le temps, et c'est pour ça qu'on doit
faire de la promotion, c'est pour ça qu'on doit faire de la sensibilisation.
• (17 h 50) •
La
Présidente (Mme Champagne) : Merci, merci, M. Dorval. Alors, ça
met fin à l'échange avec l'opposition officielle. Nous allons passer à
la deuxième opposition avec la députée de Montarville pour
4 min 20 s.
Mme Roy
(Montarville) : Merci, Mme la Présidente. M. Dorval, Me
Lamy, merci. Merci pour votre mémoire. Moi,
je vais vous dire tout de suite, d'entrée de jeu, que l'article 10, tout comme
vous, me dérange, me dérange énormément. Je croyais comprendre, au début
des déclarations du ministre, en septembre, que c'était une loi qui voulait
faire en sorte qu'on légifère sur la laïcité de l'État, les employés de l'État,
ce à quoi je souscris en partie. Mais, quand on lit bien l'article 10, comme vous le faites et comme d'autres l'ont fait
avant vous, on comprend très bien que l'article 10 nous dit que ça va aussi toucher le secteur privé,
qu'il y a des employés du secteur privé qui devront se soumettre à la
charte. Même le ministre, tout à l'heure, nous l'a dit en nous parlant d'une
infirmière : Ce n'est pas une employée de l'État. Et je vous cite, là, vous parliez d'une infirmière : Ce n'est pas
une employée de l'État, mais l'article 10 pourrait s'appliquer.
Cela dit, revenons à l'article 10.
Tout comme vous, ça me dérange énormément de voir le secteur privé ainsi
touché. Vous parlez également de l'article
13, qui, lui, va fixer les conditions de travail des employés du secteur privé.
Pour le bénéfice des téléspectateurs,
l'article 13 dit : «Les dispositions des articles 3 à 6 [de la charte]
sont réputées faire partie intégrante des conditions de travail des
personnes à qui elles s'appliquent.
«Une stipulation
contraire à l'une de ces dispositions est sans effet.»
Alors,
vous en parlez dans votre mémoire. Pouvez-vous me dire pourquoi il y aura une
difficulté d'appliquer ça? En d'autres
mots, pourquoi est-ce que ce ne sera pas applicable au secteur privé, compte
tenu des lois avec lesquelles vous faites déjà affaire dans le milieu du
travail?
La Présidente (Mme
Champagne) : Alors, Me Lamy.
M. Lamy (Guy-François) : Merci, Mme la Présidente. Le problème avec la
disposition de l'article 13, c'est qu'il intègre les dispositions de la
charte aux conventions collectives. Il fait en sorte que la charte a une
suprématie, dans le fond, sur les
dispositions actuelles des conventions collectives. Une disposition qui est
particulièrement centrale dans à peu
près toutes les conventions collectives, c'est celle relative à l'ancienneté.
L'entreprise du secteur privé qui a un contrat avec un organisme public qui doit maintenant changer une affectation
parce que son employé porte un signe religieux — il ne peut pas prendre le contrat avec le secteur
public, il doit l'envoyer dans une autre situation — peut potentiellement contrevenir à
cette règle d'ancienneté dans la convention collective, où quelqu'un pourrait
dire : Ah! mais là je peux contrevenir peut-être à la règle de
l'ancienneté parce qu'on vient me dire ici que ce qui est dans le projet de loi
est supérieur, a préséance sur la convention collective ici. On n'aura pas
moins de problèmes pour autant.
Et
un point — et c'est
inscrit dans notre mémoire aussi — qu'on soulève et qui nous préoccupe, c'est
qu'en matière d'accommodement, d'obligation d'accommodement, la
jurisprudence a aussi développé un principe à l'effet que le salarié, le syndicat et l'employeur doivent tous
les trois collaborer à trouver la solution. On n'a pas le miroir dans
cette situation de non-accommodement. On n'a pas le miroir de cette
obligation-là dans le projet de loi, ce qui nous laisse penser, ce qui nous laisse entendre évidemment que les problèmes seront
entiers pour l'employeur uniquement parce qu'on ne voit pas cette obligation-là pour les autres parties visées ou
impliquées dans la recherche de solutions, parce qu'il va falloir trouver une solution dans une situation
comme celle-là. Et on ne le voit pas ici. Alors, c'est là où on observe
ce problème-là et qu'on trouve que cette disposition-là, finalement, elle pose
problème, elle est en quelque sorte incomplète, là.
La Présidente (Mme
Champagne) : Une minute, Mme la députée.
Mme Roy
(Montarville) :
Pardon, elle est en quelque sorte?
M. Lamy
(Guy-François) : En quelque sorte, elle est incomplète.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci à vous.
La Présidente (Mme
Champagne) : Alors, il reste une minute, Mme la députée.
Mme Roy
(Montarville) :
Ah! il me reste une minute?
La Présidente (Mme
Champagne) : Oui.
Mme
Roy
(Montarville) : Parfait. Mon dieu, je suis ravie,
alors poursuivons sur l'article 13. Je mettais en garde le ministre sur
l'applicabilité de cette loi. Il faut qu'elle soit applicable, cette charte de
la laïcité.
Poursuivons.
Dans quelle mesure est-ce que… parce que vous avez sondé les coeurs de certains
de vos membres, dans quelle mesure ce
sera difficile à appliquer dans le concret, dans le quotidien? Avez-vous un
exemple d'une entreprise, par exemple?
La Présidente (Mme
Champagne) : 30 secondes, Me Lamy.
M. Lamy
(Guy-François) : Merci. Écoutez, je viens essentiellement de vous
donner un exemple dans ma réponse précédente, hein? Vous savez, l'attribution
de poste, l'affectation de poste, c'est probablement le principal exemple, en fait. Je me résumerais, encore une
fois, en vous disant que c'est une question de rentrer entre
l'obligation de collaboration ici, à la recherche de solutions, et le respect
des règles qui sont déjà prévues dans la convention collective. Et ça,
ce n'est pas juste un exemple, mais c'est un exemple qui peut se matérialiser
dans à peu près tous les contextes syndiqués.
La
Présidente (Mme Champagne) : Merci beaucoup. Alors, on va passer maintenant
au député de Blainville pour
4 min 20 s également.
M.
Ratthé : Merci, Mme la Présidente. Me Lamy, M. Dorval, merci d'être là, ce n'est toujours
pas facile d'être les derniers d'une journée, mais, vous voyez, on est quand
même assez éveillés encore.
M. Dorval, tantôt, vous avez mentionné qu'effectivement
il n'y avait pas d'analyse d'impact économique qui a été faite sur le sujet ou,
j'allais dire, sur le lien entre la nécessité d'avoir la laïcité... Je
comprends très bien votre point de vue sur l'article 10, là, votre préoccupation principale. On
entend aussi, on l'a encore entendu tout à l'heure, là, on fait référence à des pertes d'emploi, du
ralentissement de développement économique, on parle de diversité, que ça
égale la performance. Est-ce qu'il existe
des exemples qui pourraient démontrer qu'il y a un lien entre la laïcité d'un
État et le ralentissement économique,
les pertes d'emploi, la non-performance? Est-ce qu'il y a des États qui
existent actuellement, je pense peut-être à la France, ça pourrait être
un endroit où il a été démontré qu'en mettant en place, à la fonction publique,
là — je
comprends bien votre point de vue au niveau privé, là — que
ça a eu des conséquences… qu'il y a vraiment
un lien? Parce qu'au-delà du discours électoraliste, là, on peut peut-être
regretter le fait qu'on parle plus sur la place publique de la laïcité que de l'économie, que de… Mais est-ce
qu'il y a un lien réel entre les deux? Est-ce que c'est démontré, qu'il
y a un lien réel entre les deux?
M. Dorval (Yves-Thomas) : En fait,
le fardeau de la preuve revient au gouvernement, quand il fait la démonstration et l'analyse, ce n'est pas à nous à
faire le fardeau de la preuve, là. Ce qu'on vient vous dire, c'est que
nous, on a reçu des commentaires de gens qui
gèrent des ressources humaines, des employeurs qui vous disent : Nous, on
en voit, des problèmes, puis il y a
des employeurs du secteur public, puis des employeurs du secteur privé. Alors,
je vous dis juste ce que les
employeurs nous disent. Maintenant, est-ce que… si vous prenez l'exemple de la
France, chaque domaine… on le faisait en 1977, on le fait encore. Il
faut toujours regarder ça dans un contexte dans lequel on est. On est dans un
contexte nord-américain. Le contexte
français est très différent, avec un passé colonialiste, à proximité de
l'Afrique du Nord, ce n'est pas la même chose, ici.
Et, si on
considère qu'il n'y a pas d'impact, bien, qu'on en fasse la démonstration. Ce
n'est pas à nous à le faire. Nous, ce
que je vous dis, c'est que les commentaires reçus et les analyses des
organisations qui font des analyses sur les performances
d'organisations… le Conference Board a fait une étude très claire qui démontre
que les entreprises qui utilisent la diversité sont plus performantes. Si on
réduit la diversité, on peut conclure, a contrario, qu'elles vont être moins performantes. Si on a un problème d'avoir
accès à une main-d'oeuvre de qualité disponible à cause d'un contexte
démographique…La France n'a pas ce problème-là… même un taux de chômage pas mal
plus élevé que le nôtre actuellement. Nous,
là, dans certains secteurs, on est à la recherche désespérée de main-d'oeuvre
qualifiée, alors c'est sûr qu'il ne
faut pas nuire à ce moment-là. Si on peut faire quelque chose, il faut les
aider, il ne faut pas leur nuire. Est-ce qu'il y a des études qui
démontrent de façon spécifique? Moi, je n'en ai pas consulté. Je vous dis juste
qu'il y a des études qui ont été faites et
que j'ai consultées sur la performance, ça, c'est clair. Mais est-ce que c'est
moins performant? On peut juste conclure que l'inverse devrait vrai.
Et les commentaires des employeurs, vous savez,
là, si une vaste majorité… puis même si ce n'était pas 98 %, si 75 % des employeurs vous disent : J'ai un
problème avec ça, bien, si je suis un gouvernement, je vais les écouter,
je vais les écouter parce que c'est eux autres qui vivent avec ça après. On
peut faire une loi, puis un règlement, puis dire :
Maintenant, organisez-vous avec, mettez des politiques, des orientations, puis
réglez les problèmes, les litiges. Puis, en plus de ça, si vous ne réglez pas avec un bon dialogue, c'est parce
que vous êtes incompétents. On l'a vu, ça, dans la Charte de la langue française, quand il arrive à
un moment donné un problème d'interprétation, puis qu'on dit : On
n'a pas fait preuve de jugement. Bien, on travaille avec les outils qu'on a.
Pourquoi…
Ce que les
employeurs vous disent : Écoutez, c'est un risque. Les litiges dans le
domaine des relations de travail, c'est
un fait, c'est un fait qu'il y en a des tonnes, des tonnes qui s'en vont
jusqu'en Cour suprême. C'est une réalité. Et je vous dirais que la
Charte des droits et libertés, c'est quand même un outil fortement utilisé en
litige, hein? Et, dans le domaine des droits individuels, de respect des choses
comme le sexe, la religion, etc., c'est utilisé. Alors, c'est un risque. Est-ce
qu'on veut courir le risque? Peut-être qu'on veut courir le risque. Nous, ce
qu'on vous dit, c'est que les employeurs disent : S'il vous plaît,
exposez-nous pas à plus de risques, s'il vous plaît, on en a assez.
M. Ratthé : …point de vue, à
savoir…
La Présidente (Mme Champagne) :
Alors, monsieur…
M. Ratthé : C'est tout?
La
Présidente (Mme Champagne) : M. le député de Blainville, il ne
vous reste aucune seconde, c'est triste, hein? Alors, ayant fini nos
travaux, je remercie M. Dorval et Me Lamy.
Alors, je
lève la séance et la commission ajourne ses travaux à demain, vendredi le
31 janvier, à 9 h 30, où elle poursuivra un autre mandat.
(Fin de la séance à 18 heures)