(Neuf heures trente-deux minutes)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! Ayant constaté le quorum, je
déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande
à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de
leurs téléphones cellulaires.
La commission
est réunie afin de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de
neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et
les hommes et encadrant les demandes d'accommodement.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Lessard
(Lotbinière-Frontenac) est remplacé par Mme Vien (Bellechasse); M. Ouimet (Fabre), par Mme Weil
(Notre-Dame-de-Grâce); et M. Duchesneau (Saint-Jérôme), par Mme Roy
(Montarville).
Organisation des
travaux
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la secrétaire. Mais, avant de poursuivre la commission, j'aimerais prendre quand
même une petite minute avant de
commencer pour… prendre un instant afin d'offrir toutes nos condoléances
aux familles qui ont été éprouvées à L'Isle-Verte, la nouvelle tragédie encore
ce matin, et d'offrir aussi nos pensées à ceux
et celles qui ont encore des personnes chères qui n'ont pas été retrouvées et ceux
qui ont été hospitalisés, bien
sûr. Je voulais prendre quelques instants pour souligner à matin… et, au nom
des membres de la commission, bien entendu, offrir toutes nos condoléances.
Alors, sur
ce, j'aurais aussi un autre petit message publicitaire d'autre ordre ce matin.
À ce stade-ci, là, j'aimerais intervenir
comme président de la commission afin de faire une mise au point, vu la teneur de
certains propos. Parce qu'on a
encore 200 quelques groupes, individus à
entendre, je pense qu'il est opportun, là… La commission
se déroule très bien à date,
les propos au niveau… ça va quand même assez bien, mais on a entendu des choses
qui… Donc, l'article 35 du règlement interdit de se servir d'un langage violent,
injurieux ou blessant, et je m'adresse à l'ensemble des membres
de la commission et les personnes qui viennent ici, les individus, les groupes,
présenter des mémoires.
Donc, je sais que le débat sur ce projet de loi
peut être très émotif, et les opinions, très diverses, mais je vous demande de respecter l'opinion de chacun autour de
la table. Nous sommes en consultation
publique pour entendre les commentaires sur ce projet de loi, et il y a
moyen d'exprimer votre point de vue de façon qui soit respectueuse et qui soit conforme avec le décorum que nous devons
maintenir ici, à l'Assemblée nationale. Par conséquent, je vous mets en garde que je ne tolérerai aucun propos blessant,
insultant ou injurieux. Je demande la collaboration de tout le monde
pour arriver à cette fin. Donc, je pense,
c'était important à ce moment-ci de faire cette petite mise au point. En vous
mentionnant, bien sûr, qu'il n'y a pas eu de débordements, là, mais, avant
qu'on aille un petit peu trop loin, je pense qu'il faut faire attention aux
propos, aux mots. Vous avez le droit à votre opinion, et, dans les échanges
avec les parlementaires, je pense qu'on peut le faire de façon respectueuse.
Auditions (suite)
Alors, sur
ce, ce matin, nous entendrons M. Richard Rousseau, les Citoyens contre
l'abattage rituel d'animaux au Québec
et MM. Charles Castonguay et Bernard Taylor. Mais nous recevons en premier ce matin M. Richard
Rousseau. Je vous mentionne que vous disposez
de 10 minutes pour présenter votre mémoire, suivi d'un échange avec les parlementaires.
Alors, la parole est à vous, M. Rousseau.
M. Richard Rousseau
M. Rousseau (Richard) : Merci. Alors,
bonjour à tous les membres de cette commission parlementaire. Premièrement, je remercie grandement le gouvernement
du Québec de m'avoir invité à participer
à cette commission. C'est un grand honneur pour moi et un grand plaisir.
Je me présente, Richard Rousseau, chercheur scientifique de carrière, physicien plus précisément, présentement à la
retraite. Je présente mon mémoire à titre personnel, mais en collaboration
avec l'Association humaniste du Québec
et M. Normand Rousseau, auteur de plusieurs livres, dont LaBible
immorale. Pendant cette présentation de 10 minutes, je vais brièvement — très,
très brièvement — expliquer
la problématique, proposer une solution et comment appliquer cette solution.
La
problématique. Étant athée, je fais partie du groupe de personnes sans
religion, des non-croyants, qui est le deuxième
groupe en importance au Québec après celui des chrétiens, mais bien avant celui
des musulmans et des Juifs réunis. Les non-croyants ne sont donc pas une minorité négligeable. Ils
ne peuvent pas et ne doivent pas être ignorés. En outre, depuis de nombreuses années, le Québec a
accueilli sur son territoire un grand nombre d'immigrants de culture
chrétienne, musulmane, juive. Dans un Québec laïque, nous souhaitons la
bienvenue, je le répète, nous souhaitons la bienvenue
à tous ces immigrants croyants en leur disant qu'ils sont libres de pratiquer
la religion de leur choix. Cependant, cette liberté s'accompagne du
respect de toute autre personne qui ne pratique pas la même religion ou qui
n'en pratique aucune.
L'immigrant qui
arrive au Québec avec la Bible, le Coran ou le Talmud à la main ne pourra pas
imposer ses croyances religieuses aux
autres, mais, par contre, il est libre de pratiquer ses rituels religieux
à sa guise, toujours dans le respect des autres, sans espérer de privilèges ou
d'accommodements pour motif religieux. En contrepartie, les immigrants qui
arrivent au Québec n'y perdent pas au change, loin de là. Le Québec leur offre
une qualité de vie dans la dignité, l'égalité
entre les personnes, les opportunités d'emploi, un service de santé de qualité
gratuit, l'un des meilleurs services d'éducation au monde, etc., y
compris la liberté de pratiquer la religion de leur choix. Nous devons
apprendre, nous devons apprendre à tous vivre ensemble, croyants et
non-croyants, sinon c'est l'anarchie. Nous devons apprendre à cohabiter ensemble
paisiblement, en harmonie, sans confrontation et sans violence. Comment? En
vivant dans une démocratie laïque.
La
solution. Si nous voulons, en tant que peuple multiculturel, évoluer vers la
modernité, vers une civilisation évoluée
sans confrontation, l'État doit nécessairement être laïque, et je pense
qu'il ne peut y avoir de réelle démocratie sans laïcité. Comment définir cette laïcité? Faute de temps, je vais être très, très, très bref, je vais définir la… essentiellement par deux choses, deux points : neutralité,
neutralité de l'État face aux religions en n'en favorisant, en toute
impartialité, aucune, aucune, aucune,
y compris la religion catholique; liberté de chaque citoyen
à pratiquer la religion de son choix ou de n'en pratiquer aucune. L'État
respecte aussi la liberté de conscience de chacun en n'imposant aucune
idéologie.
Très, très
brièvement — on
pourrait élaborer davantage lors de la période de questions — la
mise en… Parlons maintenant de la mise en application de la laïcité.
Pour que la transition vers la laïcité se fasse tout en douceur, sans heurts, sans remous, dans le respect des droits et
libertés individuels, j'aimerais vous parler du comment appliquer la
neutralité de l'État, j'aimerais vous parler du comment respecter dans la vie
de tous les jours la liberté de religion et de conscience de chacun, mais le débat politique
actuel porte davantage sur le port des signes religieux dans la fonction publique et les accommodements raisonnables, deux modalités d'application
que je trouve très secondaires. Quoi qu'il en soit, puisque ce sont elles qui retiennent l'attention des manchettes, je vais
me limiter à vous parler uniquement pendant ce 10 minutes de ces deux
sujets.
• (9 h 40) •
À propos du port des
signes religieux, voici mon opinion. La laïcité de l'État ne peut exister sans
qu'elle soit incarnée concrètement dans ses institutions. Un État laïque doit
éradiquer totalement de l'espace étatique toute représentation physique — y
compris les crucifix — rituelle
et vestimentaire de signes religieux. Il est nécessaire que les fonctionnaires provinciaux et municipaux soient astreints au
devoir de neutralité d'apparence, neutralité d'apparence. Tu peux avoir
des convictions, mais le devoir d'un citoyen de l'État… pas de l'État, mais un
fonctionnaire de l'État, devoir de
neutralité d'apparence. Le message de neutralité envoyé par l'État doit être
clair à tous. Le port de signes religieux ostentatoires dans la fonction
publique est complètement interdit, point à la ligne. C'est simple, c'est
clair.
Certains croyants affirment que l'interdiction du
port de signes religieux ostentatoires dans la fonction publique — et seulement sur les heures de
travail, de 9 heures à 5 heures — brime leur liberté de
religion. C'est complètement faux, archifaux pour les trois raisons suivantes.
Le texte officiel de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948
proposé par l'ONU — l'ONU,
ce n'est pas n'importe quoi, là — à l'article 18… L'article 18
déclare : «Toute personne a droit à la
liberté [...] de manifester sa religion — manifester sa religion — [...]tant en public qu'en privé par l'enseignement, les pratiques, le culte et
l'accomplissement des rites.» Les signes religieux n'entrent dans aucune de
ces catégories. L'article de l'ONU déclare
donc — je le
répète — que
«toute personne a droit [...] de manifester sa religion [...] par l'enseignement, les pratiques, le culte et
l'accomplissement des rites», et non pas en portant des signes religieux
que des individus s'imposent par pur caprice personnel.
Aucune
religion n'impose le port de signes religieux sous peine d'excommunication, de
péché grave, de perte du salut ou de
damnation éternelle. On ne trouvera ni dans le catéchisme catholique, ni dans
la Bible, ni dans le Talmud, ni dans le
Coran, ni dans les hadiths, aucune obligation de porter des signes religieux.
La majorité des croyants ne portent pas de signes religieux, en fait. La majorité des chrétiens n'en portent pas.
Aucun prêtre n'en porte. La majorité des Juifs, même en Israël, ne portent pas de signes. La majorité des
musulmanes en pays d'immigration ne portent pas le voile, la majorité,
et même dans certains pays musulmans. Exemple, la Tunisie et la Turquie.
Quant aux personnes
qui sont prêtes à perdre — excusez,
sinon, je vais commencer à bégayer — leur emploi plutôt que de renoncer à leurs signes religieux,
c'est tout simplement de l'intégrisme religieux. Ces employés de l'État,
hommes ou femmes, utilisent la vitrine
gouvernementale pour faire la promotion de leurs convictions religieuses, ce
n'est pas la place. Le gouvernement les paie
pour offrir un service à la population, pas pour faire du prosélytisme
religieux. Ce fanatisme religieux ne doit pas être toléré, il faut le dénoncer.
Des personnes qui renoncent à leur emploi pour une conviction strictement personnelle et de leur religion s'excluent
elles-mêmes et elles doivent en subir les conséquences. À tous ceux qui
s'opposent à la charte, je leur dis, à tous ceux qui s'opposent à la charte, je
leur dis, puis je pense que je vais le répéter une troisième fois…
Le
Président (M. Ferland) : Monsieur, faites… Je vous ai avisés tout à l'heure, faites attention aux propos, le ton aussi parce
que, des fois, ça peut être agressant. Mais je vous fais le rappel du message
que j'ai fait dès le début. Alors, j'ai dit que je n'aurais plus tellement de
tolérance pour… Alors, je vous demande d'être prudent sur les propos dont vous
faites…
M.
Rousseau (Richard) : Vous trouvez que je suis allé trop loin?
Le
Président (M. Ferland) : Bien, faites un peu attention, s'il
vous plaît. Alors, continuez, il vous reste une minute environ pour
conclure votre mémoire.
M. Rousseau (Richard) : À tous ceux qui s'opposent à la charte, je leur
dis : Nous ne devons pas faire reculer la laïcité de tout un peuple sous prétexte que certains croyants — en très petit nombre, en fait — refusent ouvertement de s'intégrer en
s'accrochant à leurs signes religieux.
À
propos des accommodements. Un
accommodement social est une série de mesures ou privilèges consentis
par sollicitude à une personne ou à un
groupe de personnes étant désavantagé par rapport au reste de ses concitoyens.
Or, les groupes religieux ne se
qualifient pas selon ce critère, puisqu'ils
ne sont désavantagés d'aucune façon. Par conséquent, ils ne devraient
bénéficier d'aucun accommodement en raison de leur religion, qu'il soit
vestimentaire, rituel ou autre.
Autre
argument. Dans un État laïque, tout accommodement, même ceux dits
raisonnables doivent être rejetés. Certains
immigrants, en arrivant au Québec, restent attachés par une sorte de cordon
ombilical à leur pays d'origine. Ils veulent
importer au Québec un certain nombre de valeurs dans lesquelles les Québécois
d'origine ne se reconnaissent pas, qu'ils considèrent comme non
souhaitables…
Le Président (M.
Ferland) : Malheureusement, M. Rousseau, le 10 minutes étant
terminé... Mais vous allez pouvoir continuer avec les échanges des différents
groupes parlementaires, bien entendu, sur votre mémoire. Alors, maintenant, je
cède la parole au ministre.
M. Drainville : Oui. Merci, M. le Président. Merci, M. Rousseau.
Oui, je pense que ce qui nous a fait sursauter un petit peu,
c'est quand vous avez dit : Les personnes qui veulent garder leurs signes
religieux pendant les heures de travail font preuve d'un fanatisme religieux. Là, je pense qu'on a trouvé que
c'était peut-être allé un peu trop loin parce qu'on peut concevoir qu'une personne
souhaite garder son signe religieux pendant les heures de travail et qu'elle le
fait par conviction profonde, là, ce n'est
pas nécessairement parce qu'elle souhaite véhiculer un message intégriste, là.
Je pense qu'il faut faire la part des choses.
Puis
il y a un débat, il y a un débat sur le sens à donner aux signes religieux. On
l'a entendu, il y a beaucoup de personnes
qui sont venues nous dire, depuis l'endroit d'où vous nous parlez, qui sont
venues nous dire que, bon, notamment, le
voile, dans leur esprit, c'est associé à un courant politique, à un mouvement
politique. Ces personnes nous l'ont dit, il y en a plusieurs qui nous
l'ont dit. Alors, on peut débattre de ça. Mais, de là à dire : On conclut
le débat et on affirme sans ne laisser
aucune place à la discussion que ceux et celles qui le font le font par
fanatisme religieux, là, si vous me permettez,
là, je pense que ça va trop loin. Vous avez droit à votre opinion, puis c'est
pour ça que vous êtes ici, d'ailleurs, c'est pour l'exprimer, votre
opinion. Mais je vous dis juste qu'il faut toujours se mettre à la place des
personnes qui portent un signe religieux.
Il
y en a, vous savez — puis
moi, je le dis depuis le début du débat — lorsqu'elles devront renoncer à leurs
signes religieux si jamais la loi est votée…
moi, je suis convaincu qu'il y a des personnes qui vont vivre un déchirement.
Ça, je l'admets, moi. Ce que je leur dis, je
dis : Écoutez, c'est un choix de société que nous faisons. On le fait pour
des principes qui sont importants.
Vous devez réaliser que, quand vous portez un signe religieux, vous envoyez un
message religieux également, et les
personnes qui sont en contact avec vous, les citoyens qui vous demandent un
service, les parents qui vous confient leurs enfants, l'enfant lui-même
voient dans ce message religieux ou peuvent voir dans ce message religieux toutes sortes de choses, et donc la liberté de
conscience de ces personnes-là, elle n'est pas moins importante que
votre liberté que vous demandez de pouvoir continuer à porter votre signe
religieux.
Vous savez, vous vous
réclamez de l'humanisme, qui est une très belle philosophie que j'aime beaucoup
personnellement parce qu'elle repose
justement sur... elle repose sur la valeur humaine de l'individu, de la
personne. Et donc je pense que, dans
cet état d'esprit là où on se dit : Il faut respecter chaque être humain
dans les choix qu'il fait… je pense
que c'est important, à ce moment-là, même si on n'est pas d'accord avec le
choix de quelqu'un… je pense qu'il faut toujours quand même se mettre à
sa place et essayer de comprendre les raisons pour lesquelles telle ou telle
personne a décidé de porter un signe.
Encore une fois, je
n'exclus pas de ce débat-là la dimension plus politique, la dimension plus
sociologique, la dimension... les conditions
qui ont mené, par exemple, au fait que le voile est de plus en plus présent. Je
n'exclus pas ça du tout, du tout du débat, comme je n'exclus pas du tout
du débat toute la question de l'intégrisme. Moi, je pense que la question de l'intégrisme, il ne faut pas avoir
peur de l'aborder. Oui, c'est un courant qui est présent. Qui est très
minoritaire, mais qui est présent, puis il
faut s'en occuper, et il faut voir quels gestes on peut poser pour
affaiblir ce courant-là parce qu'on ne souhaite pas que le courant intégriste
prenne racine dans notre société
• (9 h 50) •
Je
ne pense pas qu'on souhaite ça, et c'est pour ça… Vous me l'avez entendu dire, j'en suis convaincu, puis
ce n'est pas une déclaration qui a fait l'unanimité, loin s'en faut, mais moi,
je suis absolument convaincu et, je vous le dis,
je suis très sincère quand je dis qu'à
mon avis cette charte-là va nous
aider à lutter contre l'intrégrisme. Ce n'est pas la première raison
pour laquelle elle a été mise de l'avant. La première raison pour laquelle on
met de l'avant cette charte-là, c'est pour
affirmer la laïcité, c'est pour réaliser la laïcité de l'État ici, au Québec.
Et cette laïcité-là, elle se décline de
toutes sortes de façons, par la mise en place de règles sur les
accommodements, elle se décline également par l'affirmation
d'un certain nombre de valeurs qui nous sont absolument
chères et qui sont fondamentales pour la nation québécoise, c'est-à-dire l'égalité hommes-femmes… On ne veut plus que ce soit remis en question,
ça, par des demandes d'accommodement.
Puis on affirme aussi que
la neutralité religieuse, c'est important, puis ça doit passer par l'apparence.
C'est important que ça passe par l'apparence. Il faut qu'elle
soit visible, cette neutralité-là, ça ne peut pas être juste une
neutralité qui se vit dans les institutions. À un moment donné, il faut que ça se vive également
dans les personnes. C'est comme je le dis
tout le temps, l'État, pour nos citoyens, ce n'est pas un
concept abstrait. L'État, c'est l'enseignante,
c'est l'éducateur en garderie, parce qu'il y en a, c'est les infirmiers,
les infirmières, les médecins, les policiers, fonctionnaires. C'est ça, l'État.
Alors, si l'État est neutre, il faut que ça paraisse. Bien, ça devrait
paraître, justement, dans l'abstraction que tu t'imposes de porter tes signes religieux, comme on s'impose déjà
l'obligation de ne pas afficher nos convictions politiques au nom de la
neutralité politique.
Je veux vous entendre sur un certain nombre de
choses. D'abord, vous avez une longue, longue expérience comme scientifique à la Commission géologique du
Canada, vous avez un doctorat en physique. Ce n'est pas rien, ça, un
doctorat en physique. De l'Université Laval, hein, c'est ça?
M. Rousseau (Richard) : Exact.
M.
Drainville : Bon.
Donc, vous avez côtoyé des universitaires, vous êtes passé par l'université,
c'est le moindre que l'on puisse
dire. Quand on sort avec un doctorat, c'est qu'on y a passé plusieurs années.
Qu'est-ce que vous pensez de l'argument — et on va l'entendre aujourd'hui même,
là — qui veut
que la neutralité religieuse ne doit pas s'appliquer aux professeurs et aux institutions de haut savoir,
aux institutions collégiales et universitaires? Et donc non seulement il
ne faudrait pas que le projet de loi
s'applique aux universités puis aux cégeps, diront-ils, mais il ne faut surtout
pas brimer, disent ces personnes, il
ne faut surtout pas brimer la liberté académique des professeurs en les
obligeant à renoncer au port, en
fait, de signes religieux quand ils sont en présence des élèves dans les
classes. Comment vous réagissez à cet argument-là?
M.
Rousseau (Richard) : Cher
monsieur, je suis content de votre question parce qu'un professeur… s'il y a
une personne qui doit être absolument
neutre, c'est bien les professeurs parce que les professeurs ont le rôle majeur
d'éduquer. Ça peut être des enfants, ça peut être de jeunes adultes, mais leur
rôle majeur, c'est de les éduquer. Et Dieu sait que, lorsqu'on est jeune, on
n'a pas toujours les capacités intellectuelles de comprendre des concepts aussi
abstraits. Moi, j'ai baigné dans une
éducation excessivement religieuse, et on m'avait convaincu, par 992 questions
et réponses du petit catéchisme, que la religion catholique était
l'idéal dans ce monde. Puis là je l'acceptais parce que j'étais trop jeune, incapable de faire nuance, de comprendre tout ce
que le professeur m'enseignait. On m'a forcé à apprendre par coeur une multitude de mots. Alors, lorsque je suis devenu
adulte, j'ai commencé à réfléchir, et mon opinion a totalement changé. Alors, un professeur… J'aurais aimé que, moi, mes
professeurs, quand j'étais jeune, qu'ils soient neutres, qu'ils soient
très, très, très neutres.
En fait, ce
que je souhaiterais, c'est que tous les cours de religion soient supprimés des
écoles publiques et privées, tous les cours de religion, y compris le
cours de culture et d'éthique religieuse, soient supprimés tant au primaire
qu'au secondaire. Pourquoi? Parce que je prétends que les jeunes d'aujourd'hui
n'ont pas… Lorsqu'on est jeune, on n'a pas
la maturité nécessaire pour comprendre tous ces symboles abstraits. Et c'est de
cette façon-là que les religions se perpétuent,
en enseignant à de jeunes enfants qui ne comprennent rien des concepts très
abstraits. J'avais un autre point…
M. Drainville : …ils ne
comprennent rien, ils n'ont pas le sens critique pour…
M. Rousseau (Richard) : Et voilà. On
remplace ça, par contre — et
c'est ça, merci de me le… c'est ça que je voulais prononcer — par un esprit critique. On donne des cours sur un
esprit critique, comment développer son esprit critique, comment… tout
simplement, donner des cours de
logique, des cours de philosophie. S'il y a certaines personnes qui tiennent absolument à leur religion, on
peut donner des cours d'histoire, mais des cours d'histoire purement
factuels. On décrit des faits, surtout les nombreux meurtres que les religions
ont commis pendant toute l'histoire de l'humanité.
Alors, moi, pour ce qui est de ma réponse à
votre question, c'est que tout professeur, surtout les professeurs, à cause de
la clientèle à qui ils s'adressent, doivent être absolument et absolument neutres.
M.
Drainville : Mais certains font une différence entre un enfant
de niveau primaire et secondaire et un jeune adulte qui fréquente le cégep ou même l'université. Ils vont vous
dire : Écoutez, quand tu arrives au cégep, tu es capable
de faire la part des choses…
M.
Rousseau (Richard) : Après 18
ans, il n'y a pas de problème. Après 18 ans, là je calcule que les
individus sont assez matures pour être capables de faire la part des choses.
M. Drainville : O.K. Donc…
C'est parce qu'après 18 ans tu es rendu…
M. Rousseau (Richard) : Du primaire au
secondaire.
M. Drainville : …tu es rendu
à l'université, là. Après 18 ans, tu es rendu à l'université.
M. Rousseau (Richard) : Tu ne rentres pas
au cégep à 18 ans?
M. Drainville : Bien, tu…
M.
Rousseau (Richard) : C'est les deux premières années d'université.
M. Drainville :
Cégep, je vous dirais, c'est 17, 18 en général, là. Mais après 18… Chose
certaine, en général, là, quand tu es
rendu à l'université, c'est que tu as passé 18 ans, là. Donc, est-ce que les
professeurs d'université devraient être neutres sur le plan religieux, y
compris dans leur apparence?
M. Rousseau (Richard) : Absolument. Absolument. Je suis très catégorique sur ça. Moi, être
professeur… pas professeur, mais être responsable dans une université
ou… le gouvernement devrait l'exiger.
M. Drainville :
O.K. Vous dites : L'implantation de la laïcité devra se faire dans la
douceur et dans le respect des individus.
Bien d'accord avec vous. Vous êtes conscient du fait que c'est pour ça qu'on a
prévu une année de transition entre
le moment où la loi est votée puis le moment où la mise en oeuvre est faite de
la… L'encadrement sur les signes religieux,
on se donne une année pour convaincre les gens de renoncer à leurs signes
religieux s'ils en portent. Dans certains réseaux, santé, universités, justement, ils pourront obtenir un quatre
ans de plus s'ils demandent après avoir consulté leur communauté universitaire, la communauté
universitaire, par exemple. Puis, une fois que la mise en oeuvre est
entamée, on se donne une période de
dialogue, de conciliation pour, justement, encore une fois, convaincre la
personne, lui expliquer le contexte, lui dire que c'est un choix que
nous faisons et on lui demande, donc, de respecter la loi, et qu'on tient à elle, qu'on veut la garder, parce que, de façon
générale, les personnes sont compétentes puis sont appréciées. Est-ce
que ce processus-là, tel que je vous le décris, vous semble respecter votre
souhait que la laïcité se fasse dans la douceur et dans le respect des
individus?
M. Rousseau (Richard) : Absolument. Absolument. Et la transition entre l'état actuel et la
laïcité complète doit se faire sans heurts, sans confrontation. On doit prendre
le temps, justement, parce que les gens sont convaincus,
hein, les gens sont très convaincus. On doit prendre le temps d'expliquer très
clairement, et je pense qu'un bon dialogue est toujours propice à la
compréhension puis pour éviter des confrontations.
M. Drainville :
Vous faisiez référence à l'éducation très, très catholique que vous aviez
reçue. Je ne sais pas si vous avez entendu le témoignage de Guy Rocher
plus tôt cette semaine qui faisait une démonstration éloquente du fait que le projet de loi n° 60, il s'inscrit, dans
son esprit, dans le prolongement de la laïcisation tranquille que le Québec a
connue au cours des 50 dernières années.
Lui, pour lui, c'est très clair, là, que ce qu'on fait avec le projet de loi
n° 60, c'est continuer un processus qu'on a entamé avec la création
d'un système public d'éducation, avec la déconfessionnalisation des commissions scolaires également dans les années
90, avec le fait que ce système public d'éducation a amené, notamment dans les cégeps, qui, dans bien des cas, remplaçaient
les collèges classiques, même dans la même bâtisse, hein… On prenait un collège classique, puis il devenait un cégep
public. Et, dans bien des cas, il y a des religieux qui enseignaient dans
le collège classique et qui portaient un
signe religieux qui ont décidé de rester comme enseignants dans les nouveaux
cégeps et qui ont progressivement accepté de remplacer leur tenue religieuse
par une tenue laïque.
Et
donc lui disait, écoutez, ce qu'on a fait comme Québécois, comme société
québécoise dans les années 60, c'est d'accepter
la diversité des croyances. Parce qu'il y avait, dans les années 60, de plus en
plus de Québécois qui renonçaient à la
religion catholique, qui devenaient agnostiques, qui devenaient athées. Il y a,
évidemment, eu beaucoup d'immigration également dans l'après-guerre, ça
venait contribuer à cette espèce de bouillonnement intellectuel, et tout ça.
Alors, il dit : À partir du moment où on fait ce choix-là comme société
dans les années 60, bien, il faut continuer, il faut le poursuivre, il faut le
compléter, et le projet de loi n° 60 fait précisément cela.
Vous
qui avez connu cette période de notre histoire où l'éducation catholique ou la
religion catholique était très, très, très omniprésente, est-ce que vous
faites un lien, vous aussi, un peu comme M. Rocher le fait…
• (10 heures) •
M. Rousseau
(Richard) : Absolument.
M. Drainville :
…entre cette époque des années 60, où le gouvernement de Jean Lesage,
extraordinaire gouvernement réformateur, a
décidé de créer le réseau public d'éducation… D'ailleurs, je ne sais pas si
vous le saviez, mais le projet de loi qui a créé le ministère de
l'Éducation, c'était le projet de loi 60, et là on est encore avec un projet de
loi n° 60. Je trouvais ça extraordinaire quand j'ai appris ça, je…
M. Rousseau
(Richard) : Ça, c'est une réponse pour…
M. Drainville :
Bon, enfin, c'est un… Il y a des rendez-vous comme ça, des rendez-vous de
l'histoire qui sont parfois…
M. Rousseau
(Richard) : La laïcité, c'est une évolution vers la modernité. C'est aller
vers une civilisation évoluée. Moi, je vais vous donner un exemple que j'ai
vécu. Dans les années 50, j'ai subi l'oppression de l'Église catholique. Tout était religieux mur à mur. Les
écoles, les hôpitaux, partout où est-ce que tu allais, c'était religieux.
On t'imposait… on te forçait à aller à la
confesse, on te forçait à dire le chapelet à la télévision, à la radio,
partout. J'ai eu trois enfants,
trois. Évidemment, ma première réaction a été, hein, ils ne subiront pas ce que
moi, j'ai enduré parce que j'étais tellement en désaccord avec tout ce
qu'on m'apprenait. Et mes enfants ont fait partie de cette évolution-là, j'ai pu
les exclure des cours de religion. Ils n'ont jamais été baptisés, en passant.
Parce que moi, je trouve très, très, très important qu'on donne à un enfant,
oui, des principes de vie, d'humanisme, apprendre à vivre dans une famille…
M.
Drainville : Une éducation morale.
M. Rousseau (Richard) : …une éducation morale, exactement, mais, par contre, je ne veux rien
leur imposer sur le plan religieux. Moi, je calcule que c'est à
18 ans… À 18 ans, ils feront leur choix. S'ils veulent suivre des cours de
religion, s'ils veulent essayer de
comprendre ce qu'une religion enseigne, surtout après avoir acquis assez de
maturité pour comprendre ce qu'on leur
enseigne, alors… C'est ça que moi, je leur ai enseigné, c'est ça que j'ai vécu,
et je peux vous dire que mes enfants,
maintenant, sont, ce que je pense, très équilibrés, très heureux, et eux
n'auront pas de problème si jamais… si la loi est votée interdisant le
signe de port religieux.
Alors,
je trouve ça sain, sain, je trouve ça très sain, cette évolution que vous
faites, cette évolution de laïcité. Et c'est
vrai que c'est une continuité, ça a été un bon début… La Révolution tranquille,
telle que proposée par Jean Lesage, j'en
ai profité, j'ai été le premier à en profiter en ayant accès à l'université. Je
venais d'une famille excessivement pauvre. Jean Lesage, il a ouvert les portes. J'étais tellement content, je désirais y
aller. Sans lui, ça aurait été plus difficile. Je serais allé pareil, voyons! Je le voulais trop. C'était pour
moi essentiel. Mais ce que Jean Lesage a fait, c'est fantastique, ça,
moi, j'en ai profité énormément, puis le
peuple québécois aussi en a profité. Parce qu'imaginez, on manquait
d'ingénieurs, on manquait de tout, de tout,
il n'y avait que des prêtres et des notaires, pratiquement, dans le temps de
Duplessis. Alors, là, enfin, enfin,
enfin, des ingénieurs, des scientifiques, des mathématiciens, des professeurs.
On permettait aux femmes de s'instruire.
Quand j'ai fait mon cours, moi, il y avait très peu de femmes. Maintenant, on
voit des femmes ingénieures, je trouve ça fantastique. Une évolution
formidable.
Alors,
ça a été, oui, la Révolution tranquille… ça a été, comme début de société,
extraordinaire, et la laïcité, bien, c'est
vrai, ça le continue, ça le continue. Mais c'est un pas, c'est un trop petit
pas. Ce que vous proposez, c'est un tout petit pas. Moi, j'irais
beaucoup plus loin, comme l'interdiction de l'enseignement des religions tant
au privé qu'au public, primaire et
secondaire. Parce que tout, tout, tout, l'intégrisme, l'intégrisme
religieux, ça commence là, ça commence par l'enseignement. C'est
l'enseignement qu'on fait à des jeunes, ça commence là. Alors, il faut le
supprimer si on veut lutter contre l'intégrisme. Il faut supprimer ça.
Le Président (M.
Ferland) : 30 secondes environ, M. le ministre.
M. Drainville : Mais vous êtes conscient, M. Rousseau, vous êtes
conscient que le projet de loi ne vise pas à faire le procès des
religions, là. On s'entend bien, là, hein…
M. Rousseau
(Richard) : Non, non. Mais, par contre, si vous voulez établir une…
M. Drainville : …ça vise à assurer la liberté de religion et de
conscience, le droit de croire et de ne pas croire à tout le monde
également. On ne dit pas : Les athées sont plus importants que les autres,
là, hein, on s'entend? Tout le monde est égal, c'est l'égalité citoyenne.
Tu fais le choix que tu veux, et l'État doit te respecter dans ses décisions, dans
ses choix, dans ses politiques, mais également dans ses comportements visibles…
Le Président (M.
Ferland) : …M. le ministre, malheureusement, je dois…
M. Drainville :
…de la part de ses agents de l'État. Voilà.
Le
Président (M. Ferland) : …me diriger vers le parti de l'opposition
officielle, et je reconnais, je crois,
le député de LaFontaine. Allez-y, la parole est à vous.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. Bon matin, M. Rousseau. Merci d'avoir…
M. Rousseau
(Richard) : Bien, bon matin, toi aussi. Ça me fait plaisir de te parler
enfin.
M.
Tanguay : Ah, super!
Je vous sens enthousiaste, mais d'une voix libérante. Je vais vous donner
l'occasion de m'expliquer une chose. Puis j'avais une série de questions, mais
je vous écoutais attentivement, M. Rousseau, puis corrigez-moi si j'ai tort, là, mais… Puis le terme que je veux utiliser,
je ne veux pas qu'il vous choque, puis je
pense qu'on est ici pour se
comprendre puis se parler parce que je veux savoir d'où vous venez en termes de position, qui vous a poussé à rédiger le mémoire et à nous dire qu'il
faut, entre autres, éradiquer — qui est un mot fort, et vous ne l'utilisez
pas en vain parce que vous connaissez très bien
les mots, leur signification — éradiquer
toute référence religieuse en termes
de signes, suppression également de l'enseignement catholique. Vous avez dit
que vous aviez fait un point d'honneur de ne
pas baptiser vos enfants. Moi, je veux savoir d'où vous venez en termes de réaction, et je sens… Puis, encore une fois, corrigez-moi si j'ai tort, mais je sens beaucoup
d'aigreur, peut-être d'amertume par rapport à la religion et
votre expérience, qui était dans le contexte de la religion catholique. Est-ce
que je me trompe en utilisant ces mots-là?
M. Rousseau
(Richard) : Non.
M. Tanguay :
Pourquoi?
M. Rousseau (Richard) : Tu ne te trompes
pas du tout. C'est parce qu'on m'a imposé, on m'a imposé des pensées que je
trouvais très farfelues, très arbitraires, très invraisemblables,
invraisemblables. Exemple, un bon Dieu. Je ne voyais que
de la méchanceté, que de la violence alentour de moi, un bon Dieu. S'il était
si bon que ça, pourquoi qu'on devait vivre tant de violence, tant de haine
alentour? Il suffisait de regarder un peu alentour de soi. Dans les années 50, c'était la guerre de Corée, c'était la
guerre froide. Il y avait tellement de haine et de méchanceté. C'était le
début du communisme, il y avait beaucoup, beaucoup, beaucoup de haine.
Et moi, je
vivais dans une famille où il y avait beaucoup d'amour, beaucoup d'amour. Mon père, ma mère…
On était sept enfants, il y avait
un ciment dans notre famille extraordinaire. On sortait de la maison, de la
haine, de la violence. Les religions
arrivaient là-dessus. Puis on avait une liberté de pensée
extraordinaire, on pouvait faire ce qu'on voulait, lire ce qu'on voulait, et là on arrive dans un milieu
religieux où ils nous imposent des dogmes. Savez-vous c'est quoi, des dogmes? M.
le député, vous le savez c'est quoi,
des dogmes, hein? Des vérités absolues non contestables. Et ça,
regardez, là, ça choquait, ça choquait mon
esprit critique énormément, énormément. Alors, j'ai embarqué dans le jeu, j'ai
essayé de jouer le jeu. Et, en essayant de jouer le jeu, j'étais trop jeune
pour réfléchir, j'étais trop jeune pour comprendre des idées très abstraites,
aussi abstraites que tel que proposé par la religion.
Et, quand
j'ai commencé à être capable de réfléchir, vers l'âge de 15 ans — entre
15 et 20, en fait — là
je me suis posé beaucoup de questions : Sur quoi reposent toutes ces croyances?
J'en suis venu vite à la conclusion que
ça repose sur — voyons,
le mot m'échappe — la non… ignorance, l'ignorance, les peurs, peur de la mort, peur de la souffrance.
Mais ce n'est pas des critères. Puis, ensuite de ça, moi, je suis physicien,
j'ai étudié l'infiniment grand, l'univers,
l'infiniment petit, l'atome. J'ai vu une beauté dans tout ça, là,
extraordinaire, mais je n'ai vu rien de divin, rien de divin, je ne l'ai jamais découvert. Alors, il y
avait comme un mensonge, on me mentait. On me mentait au plus profond de
moi-même, alors c'est ça que je n'acceptais pas.
• (10 h 10) •
M. Tanguay :
M. Rousseau, parce que c'est important, parce que c'est le socle de votre
raisonnement qui aboutit, entre autres, sur la table de la commission
aujourd'hui à travers votre mémoire…
M. Rousseau (Richard) : Et voilà,
oui.
M. Tanguay :
…reconnaissez-vous, à tout le moins, quelque valeur que ce soit à une foi, peu
importe la religion, aux croyances religieuses? Accordez-vous quelque
valeur que ce soit?
M. Rousseau (Richard) : Aucune.
Aucune.
M. Tanguay : Aucune place à
la nuance?
M.
Rousseau (Richard) : Aucune.
Aucune parce que toutes les valeurs un tant soit peu bonnes sont des
valeurs humaines. Moi, je les ai apprises dans ma famille, de mes parents. Je
n'avais pas besoin de religion pour m'enseigner la démocratie, la liberté, l'égalité hommes-femmes. En passant, les
religions, toutes les religions, systématiquement, sont contre l'égalité
hommes-femmes. Je vais-tu aller supporter un organisme qui lutte contre ça?
Jamais vous ne verrez de femme prêtre, imam
ou rabbin, ils sont contre la liberté de ça. Ils sont contre à peu près tout.
Ils sont contre l'avortement. Ils
sont contre les mariages homosexuels. Comment voulez-vous qu'on soit d'accord
avec des organismes de la sorte qui ont refusé, à un moment donné,
d'évoluer, d'évoluer vers une société moderne où on peut vivre en paix tous
ensemble?
M. Tanguay : M. Rousseau, je
pense que c'est important parce qu'on pourrait très facilement, vous et moi, parce qu'on ne partage pas du tout, mais là pas du
tout les mêmes conceptions… Puis c'est sain, puis je vous respecte, bien
évidemment…
M. Rousseau (Richard) : Moi aussi.
M. Tanguay :
…dans votre schème de pensées, et on aurait pu très facilement, vous et moi,
là, se crêper le chignon, puis se
chicaner sur des affirmations telles : Éradiquer tout signe religieux,
suppression de l'enseignement notamment catholique, que la majorité ne
porte pas de signes, et ceux qui portent des signes, c'est du fanatisme, de
l'intégrisme. Mais je pense que, pour moi,
pour ne pas que l'exercice, ce matin, soit vain et soit basé sur une chicane,
et que l'on fasse les frais d'une
couverture médiatique, je pense que c'est important de comprendre d'où vous
venez, de comprendre réellement ce
qui assoit votre conception. Puis, quand vous le dites de façon aussi claire
que ça — puis
vous avez le droit de le penser, même si je ne partage pas — on en
vient à voir la logique de votre raisonnement et…
Parce que,
vous savez, même le projet de loi n° 60 ne vient pas éradiquer les
accommodements raisonnables. Et je comprends d'où vous venez pour en
arriver à dire : Le projet de loi n° 60, c'est un pas dans la bonne
direction, il fait une interdiction de tous
les signes. Mais vous voulez que ce pas dans cette direction-là soit le
premier — le ministre
parlait d'une laïcité tranquille, je ne
pense pas qu'il vous suive là-dedans — le premier qui ferait en sorte que… Entre
autres, l'article 15 du projet de loi n° 60, lui, n'éradique les
accommodements raisonnables dans le domaine religieux. Il y a l'interdiction
complète des signes, mais l'article 15 fait en sorte — puis
c'est ce qu'on souhaite tous — d'avoir des balises : égalité hommes-femmes, de contraintes excessives, etc.
Mais, vous, je comprends que, vous, dans le fond, c'est table rase de
tout ce qui est référence religieuse dans la sphère publique?
M. Rousseau
(Richard) : Tout en respectant, tout en respectant les individus. Les
individus vont continuer à avoir la liberté. Je le dis à un moment donné, on
leur souhaite la bienvenue, ils vont avoir la liberté de pratiquer tous leurs rituels religieux.
Mais, du moment qu'on fait partie… Dans un premier pas, du moment qu'on est
fonctionnaire de l'État, et là on
affiche notre neutralité, une neutralité d'apparence… M. Couillard
disait : Neutralité de l'État ne veut pas dire neutralité des
individus. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas ça qu'il faut dire. Il joue sur les
mots, ce n'est pas ça que le projet de loi
propose. Le projet de loi propose une seule chose… On n'empêche pas les gens,
dans leur tête, de continuer à penser
ce qu'ils veulent penser pendant les heures de travail, on leur demande une
neutralité d'apparence. Moi, je vois une grosse distinction, j'espère
que vous la voyez.
M.
Tanguay : Je la vois, la distinction que vous faites, mais je
n'y adhère pas, dans la mesure où porter un signe n'est pas, de facto, faire du prosélytisme. Porter
un signe ne veut pas dire que... Et je reprends les mots de l'abbé
Gravel, je le cite : Si on enlève tous
les symboles religieux, c'est comme si on interdisait aux gens de manifester
leur foi. Manifester sa foi ne veut pas dire qu'on n'assure pas la
neutralité de l'État. Moi, je porte ma croix et je n'impose pas ma religion à personne. Et Raymond Gravel, dans la conception
que nous avons, de l'opposition officielle, aurait droit de travailler
au gouvernement et de porter sa croix, et
nous ne ferions pas cet amalgame ou ce lien que, parce qu'il a une croix, il
fait du prosélytisme, il veut imposer sa religion. Et ça, c'est notre
société, je veux dire, libre et démocratique.
Vous
parliez que vous aviez — et ce qui est tout à votre honneur et à l'honneur de votre
famille — des
débats ouverts, sains et respectueux
indépendamment de ce qui pourrait être imposé, par ailleurs, par des religions,
et c'est ce que l'on veut dans une
société libre et démocratique en se respectant, tout le monde, et en n'essayant
pas — puis je
reprends vos mots — d'éradiquer
ou de supprimer ce qui fait la différence.
Et, vous savez, nos
chartes... On nous accuse d'être inutilement légalistes, mais nos chartes ont
un sens parce qu'elles découlent, puis je
pense que ma collègue pourra vous parler… Vous avez parlé de l'ONU, elles
découlent du respect et du bien vivre
ensemble, et nos chartes nous disent : Bien, on ne peut pas discriminer,
basé sur la couleur, le sexe, la
grossesse ou la croyance religieuse. Et c'est là où nos conceptions… Puis on ne
se convaincra pas l'un l'autre, mais ça fait partie, je pense, du débat. Et j'aimerais, M. Rousseau, donner le
temps à ma collègue, à mes autres collègues, de vous poser des
questions. Portez-vous bien, M. Rousseau.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, la députée de Notre-Dame-de-Grâce, allez.
Mme
Weil : Bonjour, M. Rousseau. Merci beaucoup de votre présence.
Une petite question — parce
que je veux permettre à mes collègues aussi de poser une question — à la
fin, vous dites : Donc, le noyau du problème, c'est ça, il y a beaucoup de
gens qui viennent ici du mouvement, j'appellerais, laïque québécois. Puis on
les entend, c'est sûr, depuis... Ils sont
venus lorsque j'avais le projet de loi n° 94, c'est une vision de la
société, on le comprend bien. Et il y a la société et le droit qui existent actuellement, et moi, je voudrais,
honnêtement, vous dire que la notion de laïcité qu'on vit depuis la Révolution tranquille, ce n'est pas...
D'ailleurs, je vous dirais que c'est dans le sens d'une laïcité ouverte.
Et j'ai eu l'occasion de citer Jean-Pierre
Proulx, et, si vous regardez toutes les politiques du gouvernement et tous les
ministères, c'est toujours ce respect de la
diversité, mais qui s'exprime par une diversité religieuse et la neutralité qui
fait la distinction entre le port de signes religieux et le
prosélytisme.
Donc,
l'identité de la personne… Que la personne porte une croix n'a jamais été
interprété comme du prosélytisme. Donc,
à la fin, vous dites : On devrait faire ça en douceur. Sachant qu'il y a
ces deux visions sur cette question de neutralité, est-ce que le port
d'un signe religieux transmet une valeur religieuse, et la moitié de la population, bien, disent non, puis, bon, d'autres
qui disent oui, mais il n'y a pas de consensus, hein, alors... Et je vous
dirais qu'il y en a beaucoup qui sentent actuellement une rupture avec la
vision du Québec qu'on a toujours promue.
Seriez-vous d'accord
qu'on aille sur les éléments de consensus? Parce qu'il y a beaucoup d'éléments
qui font consensus : établir des
balises, creuser encore plus cette notion de neutralité, se donner plus de
temps. Parce que, là, les gens sont
ébranlés, beaucoup de gens, peut-être... Beaucoup de gens qui sont pour, je le
sais, mais beaucoup qui sont ébranlés parce
qu'ils n'ont pas vu venir cette affaire-là. Honnêtement, ils ne l'ont pas vu
venir. Moi, je connais des médecins, des infirmières… Il n'y en a pas beaucoup, hein, je pense qu'on exagère le
nombre, mais il y en a beaucoup... c'est-à-dire dans le sens qu'on est envahis par des femmes qui
portent le voile, il y en a beaucoup dans le réseau de la santé peut-être,
mais professionnelles, jamais. Ils diraient qu'ils font du prosélytisme, ça
fait partie de leur identité. Seriez-vous d'accord qu'on trouve une voie de
passage et qu'on aille sur les éléments de consensus sans rupture?
M. Rousseau (Richard) : Ah! moi, je souhaite... Une des raisons pourquoi que je suis venu ici…
Enfin, peut-être que mon message a été mal compris, mais c'était d'en
arriver à un consensus, d'en arriver à un consensus. À l'heure actuelle, à
l'heure actuelle, ce qui cause problème, hein, ce qui cause problème...
Monsieur... Le député...
Le Président (M.
Ferland) : …continuez, oui, oui.
M. Rousseau
(Richard) : C'est parce que je ne le voyais plus, je pensais qu'il...
Le Président (M.
Ferland) : Non, il n'est pas disparu de l'écran, c'est...
M. Rousseau
(Richard) : O.K. O.K. C'est bien, c'est bien.
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y, M. Rousseau.
M.
Rousseau (Richard) : Ce qui cause problème à l'heure actuelle, c'est cette
fameuse histoire que moi, je trouve tellement secondaire — c'est
très secondaire, c'est très secondaire — le port de signes religieux.
Bon, M. le député — c'est
de même qu'on doit dire? — et
Mme la députée...
Le Président (M.
Ferland) : Exactement, oui. Vous l'avez bien, oui, continuez.
• (10 h 20) •
M. Rousseau (Richard) : O.K. Bon, vous affirmez que le port de signes, ce n'est pas grave, ils
peuvent le faire, ça ne dérange pas personne. Si ça ne dérange pas
personne, pourquoi les supprimer? Bon, je résume peut-être
mal, là, ce que vous avez dit, mais
moi, je pense ceci. Supposons, supposons, hein — on va supposer — je serais arrivé avec, je ne sais pas, moi, un revolver sur la table, je l'aurais mis là. Supposons que ça
aurait été possible, un revolver. Supposons, je serais arrivé avec la burqa, hein, je me vêts de la burqa.
Supposons, je serais arrivé avec le tchador. Ce sont des signes. Le
revolver, c'est un signe de violence, ce
sont des signes… Tout symbole a une signification, une signification, les
croyants convaincus... Hein, je ne
les appellerai pas fanatiques, là, je retire mon mot, je le retire, M. le
Président, je le retire. «Convaincus», est-ce que c'est acceptable?
Le
Président (M. Ferland) : Oui, c'est bien. Continuez comme ça,
ça va bien. Si jamais vous débordez, je vais me faire un devoir de vous
ramener à l'ordre. Allez-y.
Une voix :
...
Le Président (M.
Ferland) : Comment?
M. Tanguay :
...ranger son revolver.
Le Président (M.
Ferland) : Mais il était virtuel.
M. Tanguay :
Rangez votre revolver, M. Rousseau.
Le Président (M.
Ferland) : J'ai compris ça, oui.
M. Rousseau (Richard) : Ah! là, non, bien… Non, mais c'est juste pour... J'utilise des exemples
frappants pour vous faire réaliser
une chose, c'est que tout symbole a une signification, tout symbole signifie
quelque chose en lui-même. Alors
donc, si la personne qui veut... Supposons qu'on vote la loi, on vote la loi,
et puis on lui demande d'enlever son signe...
son voile — parce
que c'est à ça qu'on fait allusion la plupart du temps — on lui demande, les gens, les
croyants modérés, je pense que les croyants
modérés vont dire oui immédiatement. Pourquoi? Parce qu'ils vont placer
au-dessus de leurs convictions
religieuses l'amour de leur travail. Je pense à un médecin. Je pense à une
infirmière. Je pense à un professeur. On aime notre travail, on met ça
au-dessus de nos convictions religieuses. Les convictions religieuses, on les
laisse au vestiaire, hein, on les laisse au vestiaire, on les reprend à 5
heures.
Le
Président (M. Ferland) : M. Rousseau, je dois aller du côté de
la députée de Montarville. Vous aurez l'occasion d'échanger avec.
Allez-y, Mme la députée.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Merci
beaucoup, M. Rousseau. C'est extrêmement intéressant, vous entendre, la passion que vous y mettez. Merci
pour votre mémoire, qui est bien articulé. On voit où vous vous en
allez. La laïcité de l'État, c'est une priorité, et j'en suis, je suis d'accord
avec vous.
Vous
avez dit autre chose qui m'a touchée. Vous avez dit — et vous parlez en tant que professeur aussi,
là, du milieu universitaire — vous avez dit : S'il y a
une personne qui doit être neutre, c'est le professeur.
M. Rousseau
(Richard) : Exact.
Mme
Roy
(Montarville) : Et ça, là, j'adhère complètement à
ce que vous dites là, mais j'aimerais qu'on aille un petit peu plus loin dans cette réflexion-là.
J'aimerais que vous nous parliez de votre expérience personnelle. Vous
dites dans votre mémoire, vous parlez de... Vous faites votre biographie, votre
C.V., vous dites : J'enseigne dans différentes universités. Parlons-en, de votre expérience de prof dans les
universités. Est-ce qu'au fil des années vous avez été témoin… avez-vous
vu plusieurs de vos collègues porter des signes religieux, ceux qu'on appelle
les ostentatoires, là, mais porter des signes religieux?
M. Rousseau
(Richard) : Je réfléchis, là, j'ai fréquenté l'université tellement
longtemps. Je n'en ai pas vu beaucoup, non,
parce qu'à l'époque où je suis allé... Je suis entré à l'université de 1963 à
1975, environ 12 ans, il y avait comme...
Peut-être, ce n'était pas une loi, mais il y avait comme un certain consensus,
c'est qu'on voulait... Parce qu'il y
avait beaucoup de gens, beaucoup de gens qui venaient de partout, partout, qui
venaient... Il y avait des Arabes, il y avait des Juifs, il y avait des
hindous. Les hindous sont très pratiquants, très croyants, la religion
hindouiste. Il y avait des bouddhistes. Il y
avait des catholiques, évidemment. Alors, il y avait beaucoup de monde, et, en
sciences… Je n'étais pas en sciences sociales, là, moi, là, hein, puis
je n'étais pas en théologie, là, hein, je n'étais pas en théologie, là, j'étais
en sciences, en sciences pures, je n'ai jamais vu, que je me rappelle, là, je
ne me rappelle pas...
J'ai
vu des professeurs hindous, par exemple, on voyait très bien que c'étaient des
hindous, on voyait très bien… Puis,
en dehors des cours, ils faisaient l'étalage de leurs convictions religieuses,
mais, pendant les cours, ce n'étaient que des scientifiques qui nous
enseignaient les sciences. Et ces gens-là, je les ai tellement aimés parce
qu'ils nous donnaient l'amour, l'amour. La
science, la physique, quand c'est bien enseigné, c'est merveilleux, c'est une
science extraordinaire. C'est une
science extraordinaire, on apprend l'origine de notre monde. On apprend
l'origine de l'être humain. On apprend l'origine de la vie, c'est
extraordinaire. Lorsqu'on comprend tout ça, on voit l'être humain, on voit
l'univers qui nous entoure dans une autre perspective.
Mme Roy
(Montarville) :
Donc, durant la période où vous avez enseigné… Jusqu'à quand avez-vous
enseigné? Ou enseignez-vous dans les universités? Parce que je croyais
comprendre de 1976 à 2012, là. C'est à la fin du paragraphe : J'enseigne
dans différentes universités. Vos récentes expériences d'enseignement remontent
à quand?
M. Rousseau (Richard) : J'ai enseigné beaucoup
à temps partiel la… Ma spécialité, c'est la physique des rayons X. Alors, j'ai approfondi ce domaine-là,
j'ai même fait des propositions de mathématiques. Donc, comme chercheur scientifique, moi, ça m'intéressait de faire
connaître mes trouvailles, hein? Alors donc, là, j'ai enseigné ça à temps
partiel ici, à Québec. Il y avait une institution, un organisme qui s'appelait…
qui est démantelé…
Mme Roy
(Montarville) : Comme j'ai très peu de temps… Je m'excuse,
je vous ai abrégé, dans la mesure… Les dernières années, c'était vers
quand?
M.
Rousseau (Richard) : O.K. Mais,
la dernière fois, c'était surtout… La dernière fois, ça a été 2012, O.K.,
2012, lors d'une conférence… Le Plan Nord, vous en avez entendu parler, le Plan
Nord?
Mme Roy
(Montarville) :
Un petit peu, oui.
M. Rousseau (Richard) : O.K. Alors, ma
spécialité permet de faire l'analyse des roches…
Le Président (M. Ferland) :
Alors…
M. Rousseau (Richard) : Et voilà.
Le Président (M. Ferland) :
…malheureusement, on va aller… on va demeurer au sud. Alors, M. le député de Blainville.
M. Ratthé : Merci, M. le
Président. M. Rousseau, bonjour. Vous allez bien?
M. Rousseau (Richard) : Moi, je vais très
bien. Puis vous?
M. Ratthé : Bien oui, je vais
bien. M. Rousseau…
M. Rousseau (Richard) : Je ne vous ai pas
trop estomaqué avec mes…
M. Ratthé : Non, pas du tout.
Moi aussi, je n'ai pas beaucoup de temps. Je veux vous parler du patrimoine
religieux. On sait que le… Je vais rapidement…
M. Rousseau (Richard) : Ah! merci. Merci.
Merci.
M. Ratthé :
Laissez-moi… puis je vais vous laisser répondre. Dans ma circonscription, j'ai
une belle localité qui s'appelle
Sainte-Anne-des-Plaines. Le coeur du village est magnifique, et, au coeur de
son village, se retrouve l'une des plus belles églises, parmi les cinq
plus belles de la région métropolitaine. Les concitoyens, croyants ou non, se
mobilisent actuellement, doivent ramasser
des centaines de milliers de dollars pour s'assurer qu'on va préserver ce
patrimoine religieux là. Le
gouvernement, ce faisant, parce que les citoyens y participent, qu'ils soient
croyants ou non — moi, je
peux dire que je suis convaincu qu'il
y a des gens qui ne pratiquent pas, mais qui veulent sauver ce qui est l'âme de
leur village — offre un programme de subvention. Et je lis
dans votre mémoire que… vous dites que «si les religions [...] doivent se
départir de leurs sites de culte, l'État ne
doit d'aucune [façon] venir à leur secours». Et le projet de loi dit : On
devrait préserver notre patrimoine. Pas juste catholique, là, M. le
ministre disait l'autre fois : Il y a des patrimoines… les Juifs sont ici depuis
des années. Et corrigez ma perception, mais j'ai l'impression que vous n'êtes
pas… Je ne parle pas de faire disparaître
les croix de chemin, mais vous ne semblez pas être en faveur que l'État injecte
des fonds dans la préservation d'églises, par exemple.
M. Rousseau (Richard) : Une église, c'est
une oeuvre d'art, c'est une oeuvre d'art. J'ai voyagé beaucoup. À chaque fois
que je vais en Europe, je vais voir les cathédrales.
M. Ratthé : Oui.
Expliquez-moi ce que vous voulez dire, à ce moment-là.
M.
Rousseau (Richard) : Alors donc, c'est une oeuvre d'art. O.K.? C'est une
oeuvre d'art, donc qu'on doit absolument… Ça
fait partie du décor, on doit les protéger le plus possible. Sauf qu'en
favorisant les églises catholiques on n'est
plus impartial, e n'est plus la laïcité, on favorise… Alors, moi, je suggère de
se libérer de… que le gouvernement… voyons…
M.
Ratthé : Vous dites que «l'État ne doit d'aucune manière
venir à leur secours», et puis vous ne spécifiez pas que c'est
catholique ou pas, là. Alors, moi, c'est pour ça que, là, je vous entends
verbalement, ce que vous me dites, mais ça semble… Et peut-être que
j'interprète mal, ça semble en contradiction avec ce que vous écrivez.
M. Rousseau (Richard) : Moi, ce que je dis, là — on va clarifier les choses — c'est que tout ce qui est religieux, l'État doit s'affranchir de ça. Alors, les
exemptions d'impôt, les exemptions de taxes foncières, l'État ne doit plus…
C'est le mot que je cherchais, l'État ne
doit plus subventionner ces bâtisses-là, ne doit pas pour des raisons
d'impartialité. Mais elle ne doit pas détruire les églises, elle doit
les récupérer. Si les gens ne sont plus capables, à cause que les… ils sont obligés de payer leurs taxes, ils sont obligés de
payer leurs réparations eux autres mêmes, ils ne sont plus capables de
la faire vivre, autrement dit, leur église,
parce que l'État a décrété que nous, on est impartial, on n'aide aucune,
aucune, aucune religion, alors là, à ce moment-là, si les gens ne sont
plus capables… bien là ils vont être obligés de l'abandonner. L'État peut en devenir possédeur puis en faire un
centre culturel, un bureau touristique, il peut en faire ce qu'il veut.
Il peut même le remettre aux citoyens parce que c'est les citoyens qui ont payé
cette église-là souvent par les aumônes puis par leur dîme. Mais surtout pas,
surtout pas la détruire, c'est une oeuvre d'art. Je suis en faveur…
• (10 h 30) •
M.
Ratthé : Vous ne parliez pas de destruction, mais c'est parce
que vous disiez : Bon, il ne devrait pas y avoir de financement…
M. Rousseau (Richard) : Pour des raisons d'impartialité, on ne subventionne plus aucune
institution religieuse, on ne
subventionne plus. D'accord? Mais, par contre, s'ils ont des problèmes, l'État les récupère et essaie de faire quelque
chose avec ça qui va continuer à donner à la bâtisse une seconde vie.
M.
Ratthé : Parce que,
dans bien des cas, ce sont les citoyens, à même leur dîme, à même leurs dons, qui ont
payé ces monuments-là, là.
M. Rousseau (Richard) : Oui, c'est ça. C'est ça, oui. Ça n'appartient même pas aux religieux, ça n'appartient même pas à l'État,
ça appartient à ceux qui l'ont payé, donc les citoyens.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, merci, M. le
député. Merci, M. Rousseau, pour le
temps que vous avez pris pour préparer votre mémoire et vous déplacer, bien
sûr, pour le présenter à notre commission.
Sur
ce, je vais suspendre quelques instants pour permettre aux membres du groupe
représentant les Citoyens contre l'abattage rituel d'animaux au Québec.
Alors, on suspend quelques instants.
(Suspension de la séance à
10 h 31)
(Reprise à 10 h 33)
Le Président (M.
Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Maintenant,
nous recevons les représentants, là, du groupe Citoyens contre l'abattage
rituel d'animaux au Québec, Mme Suzanne Bousquet et Mme Ginette Charbonneau. Alors, je ne sais pas qui
des deux, là, présente le mémoire, mais je vous informe que vous avez 10 minutes pour la présentation. Et vous avez
vu que je suis quand même assez… il
faut respecter le temps. Et
suivra un échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.
Citoyens contre l'abattage rituel d'animaux au Québec
Mme Bousquet
(Suzanne) : Mmes et MM. les députés, notre mémoire s'intitule Pour une
charte cohérente et conséquente. Présentation.
Mme Charbonneau
(Ginette)
: En plus de vouloir établir le cadre légal de
la neutralité et laïcité de l'État québécois, notamment à travers la tenue des employés de la fonction publique au travail, le projet de loi
n° 60 a le grand mérite de rouvrir le dossier des accommodements
raisonnables. Il est clair que la commission Bouchard-Taylor a laissé dans son sillage un malaise qui n'est pas prêt de
se dissiper. L'étiquette d'accommodement déraisonnable a été accolée aux
abattages rituels d'animaux par plusieurs citoyens en colère. Sous couvert de
la liberté de culte, des dérogations de nature religieuse permettent à des
individus d'égorger à froid des animaux en privé.
Dans
le Larousse, le mot «intégrisme» se définit comme suit : «Attitude
et disposition d'esprit de certains croyants qui, au nom d'un respect intransigeant de la tradition, se refusent à
toute évolution.» Les immolations rituelles d'animaux détonnent dans la société québécoise, qui les
associe avec raison à du fanatisme venu d'un autre âge. Jusqu'où
vont aller les accommodements en matière de droit à la liberté de
conscience et de religion? La liberté de culte donne-t-elle le droit de faire
n'importe quoi?
Le présent mémoire revisite
ces pratiques controversées à la lumière du débat qui se déroule présentement
au Québec. Nous le dédions aux hommes et aux femmes qui furent les artisans de la
Révolution tranquille par respect envers les luttes qu'ils ont
menées pour qu'émerge une société soustraite à l'emprise religieuse.
Ce mémoire ne
vise pas à stigmatiser ni à ostraciser quelque individu ou groupe que ce soit.
Sa raison d'être vise uniquement à
défendre des questions de principe liées à la laïcité. Nous avons la conviction que les rites
d'abattage rituel sont emblématiques
du carcan légaliste devenu l'apanage des nations ayant appliqué des politiques
de multiculturalisme. Un État
vraiment laïque doit avoir la liberté de traiter les problèmes éthiques et
moraux soulevés par certaines pratiques religieuses en fonction de leurs
conséquences.
Le Président (M. Ferland) :
Quelques secondes, juste savoir qui est Mme Charbonneau et Mme Bousquet.
Mme Charbonneau (Ginette) : Charbonneau.
Le Président (M. Ferland) :
Charbonneau. O.K. Allez-y.
Mme Charbonneau (Ginette) : …et
non pas en fonction…
Le Président (M. Ferland) :
Donc, c'est pour les noms en bas de l'écran.
Mme
Charbonneau (Ginette) : Excusez-moi. Et non pas en fonction des principes juridiques inflexibles.
Les sujets concernés ici sont des animaux, des multitudes de créatures
vivantes. Ce sont elles, à notre avis, qui encaissent le plus massivement notre
échec à préserver intacts les fondements laïques de notre société.
Citoyens
contre l'abattage rituel d'animaux au Québec est issu du courant de réprobation suite à
l'immolation rituelle de centaines d'agneaux
survenue en octobre dernier à Mont-Saint-Grégoire et dans d'autres localités
québécoises. Le lendemain, le ministre
de l'Agriculture, M. François Gendron, déclarait devant les caméras que ça ne se
passerait pas comme ça, qu'il
déclenchait une enquête pour savoir s'il
y avait eu cruauté. Rapportés pour la
deuxième année consécutive par le
réseau de nouvelles TVA, ces incidents à connotation religieuse ont provoqué
une soudaine prise de conscience à l'égard
des modes d'abattage rituel d'animaux casher et halal. Ceux-ci, rappelons-le,
prescrivent l'égorgement à froid des animaux, c'est-à-dire sans
insensibilisation, anesthésie ou étourdissement préalable.
Sur les
images captées en plein air sur une ferme de Mont-Saint-Grégoire, des pères de
famille musulmans, au terme d'une
lutte avec des bêtes terrorisées, tranchent la gorge de leurs agneaux sous les
yeux de leurs épouses voilées et de leurs jeunes enfants, et les agneaux
voient les couteaux et les autres agneaux se faire égorger en contradiction
avec les prescriptions coraniques qui
stipulent qu'un animal ne doit jamais être abattu sous les yeux d'un autre
animal ou d'un enfant. Il est troublant
que la tradition des sacrifices d'animaux ait été maintenue jusqu'à nos jours
massivement par l'islam. La fête sacrificielle d'Aïd el-Kebir est une
parodie au détriment des créatures concernées.
Puis que
faut-il penser de ces jeunes enfants conditionnés à croire que la mort violente
d'un agneau aux mains de leur père est source de grande réjouissance et
de piété? Comment vont-ils respecter la vie? Sous couvert de la liberté de culte, des dérogations de nature religieuse
permettent à des individus d'égorger à froid des animaux en privé. Si
les agneaux pouvaient parler, ils diraient qu'ils sont l'objet de
discrimination par rapport aux chiens et aux chats, qui sont protégés.
Alors : La religion dans le
garde-manger : aux sources des rites halal et casher.
• (10 h 40) •
Mme
Bousquet (Suzanne) : Ces modes
d'abattage dérivent de doctrines religieuses qui remontent à plusieurs siècles. Le Coran et la sunna édictent les
instructions relatives au mode d'abattage halal, et je cite : «Vous sont
interdits la bête qui veut mordre, le sang,
la chair de porc, ce sur quoi on a évoqué un autre nom que celui de Dieu, la
bête étouffée, la bête assommée ou
morte d'une chute ou morte d'un coup de corne et celle qu'une bête féroce a
dévorée, sauf celle que vous égorgez avant qu'elle soit morte.» Le
Coran, table 3, verset 3.
Selon
l'islam, il faut pratiquer l'égorgement de l'animal à vif, sans
insensibilisation, ne pas consommer le sang, qui peut porter des maladies, et donc séparer rapidement la viande du sang
pour ne pas qu'elle devienne harâm, c'est-à-dire
illicite. En tranchant la gorge de la bête, l'abatteur musulman doit prononcer
les paroles sacrées au nom de Dieu le plus grand.
Le passage du Coran indiquant que l'animal doit
être vivant au moment d'être abattu sert encore aujourd'hui de feu vert à
l'égorgement à froid de milliards d'animaux. Ce passage signifiait peut-être, tout
simplement, de ne pas consommer la chair d'un animal trouvé déjà mort. Le mot
«conscient» n'apparaît nulle part dans le Coran. Or, un animal qu'on
insensibilise pour lui épargner des souffrances inutiles est encore vivant, de
toute évidence.
Le rite
d'abattage casher observé par les Juifs orthodoxes s'inspire de l'Ancien
Testament, désigné dans le judaïsme sous
le nom de Torah et dont les textes datent de plus de 2 000 ans. Il s'agit de l'épisode de La
Genèse consacré au déluge et à
Noé. On y lit que Noé avait construit un grand vaisseau pour sauver sa famille
et des couples de chaque espèce animale. Après le reflux des eaux, Dieu et Noé ont conclu une entente. Dieu
s'engage à ne plus détruire le monde tout en dictant ses conditions à la nouvelle humanité. Et je
cite : «Tout ce qui se meut et possède la vie vous servira de nourriture;
je vous donne tout cela au même titre que la verdure des plantes.
Seulement, vous ne mangerez pas la chair avec son âme, c'est-à-dire avec le
sang.»
Les
commentateurs de la Torah ont extrapolé que l'animal devait être saigné en
pleine conscience, qu'il soit béni par
un rabbin rémunéré pour cette certification, pendu par une patte avant d'avoir
la gorge tranchée selon une manière bien précise, en aval du larynx, en amont de la
bifurcation de la trachée, en gardant les cervicales où loge la moelle
épinière intacte, que seul l'avant est jugé
comestible jusqu'à la huitième côte. Et, puisque consommer du sang est jugé
interdit, que les principaux vaisseaux
sanguins soient retirés de la carcasse et que la viande soit trempée dans l'eau,
égouttée, salée, pour absorber le sang par osmose, puis rincée à grande
eau.
La loi juive
stipule que l'abattage casher doit se faire dans le respect des animaux et sans
cruauté. Les instances juives affirment que les techniques utilisées
visent à assurer à l'animal une mort rapide…
Le Président (M. Ferland) :
Une minute pour conclure, Mme Bousquet.
Mme Bousquet (Suzanne) : …et sans
souffrance.
Mme Charbonneau (Ginette) :Le
point de vue de la science. La non-consommation…
Mme Bousquet (Suzanne) : C'est moi qui…
Mme Charbonneau (Ginette) :
Ah! d'accord. Bien, vas-y.
Mme
Bousquet (Suzanne) : La
non-consommation de sang pour des raisons hygiéniques et l'aspect
indolore pour l'animal sont les fondements
des rituels casher et halal. Mais il y a un hic, au plan scientifique, des
viandes exemptes de sang, ça n'existe
pas. De plus, les prescriptions rituelles de ne pas faire souffrir l'animal ne
peuvent être suivies en raison de la
nature même de ces procédés. La chair d'un animal saigné ne peut jamais être
libérée de toute trace de sang, qui, comme
on le sait, est formé de globules rouges et blancs, de plaquettes, de protéines
et différentes substances en suspension dans le plasma. Il y a deux types de protéines : l'hémoglobine et
la myoglobine. L'hémoglobine est le pigment protéique des globules rouges du sang, qui donne la couleur
rouge, rosée des viandes. Hydrosoluble, elle coagule très facilement
sous l'action des plaquettes.
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, c'est tout le temps
qui était… Le 10 minutes étant terminé, on va aller à la période
d'échange avec les groupes de parlementaires. Alors, M. le ministre, la parole
est à vous.
M.
Drainville : Merci,
M. le Président. Merci, mesdames. D'abord, je veux juste apporter, je dirais…
ou faire quelques commentaires, là,
sur votre présentation. Alors, je constate, là, si on veut résumer, que vous
avez essentiellement deux préoccupations majeures, c'est-à-dire le
bien-être de l'animal lors de l'abattage rituel et également toute la question
de l'étiquetage.
Mme Bousquet (Suzanne) : Non. Non.
M. Drainville : Non?
Mme
Bousquet (Suzanne) : Pas du tout,
c'est que… Vous voyez, M. Drainville, c'est que le type de mémoire que
nous présentons…
Le Président (M. Ferland) :
...les parlementaires par leur titre, s'il vous plaît, et non par leur nom.
Allez-y.
Mme Bousquet (Suzanne) : Oui. M. le
ministre, c'est que le type de mémoire que nous présentons est très technique
et scientifique. C'est qu'en fait ce n'est pas nous qui prétendons que ce sont
des procédés qui sont sans douleur pour l'animal, ce sont les communautés
confessionnelles concernées qui l'affirment.
M. Drainville : Oui.
Attendez, là, je ne veux pas rentrer tout de suite dans l'argumentaire, là, je
vous disais : Il me semble qu'il y a deux thèmes principaux à votre
présentation, deux grandes préoccupations ou deux grandes inquiétudes. Il y a la question du bien-être de
l'animal et il y a la question de l'étiquetage. En tout cas, moi, à la
lecture de votre mémoire, c'est ce que j'ai
constaté. Mais laissez-moi juste terminer, s'il vous plaît, parce que vous
aurez le temps, après ça, d'apporter
toutes les précisions que vous souhaitez apporter. Mais c'est important,
pour moi, de faire, je pense,
une certaine mise au point.
Pour ce qui
est de l'abattage, il y a des règles qui sont en place. Je ne vous demande
pas, là… Je ne veux pas faire un
débat tout de suite sur la nature des règles. Je sais que vous
souhaitez le faire, mais permettez-moi juste de faire cette mise au point. Il y a des règles, d'abord,
qui sont en place sur l'abattage religieux, et ça doit se faire selon certaines
lois, selon certaines règles. D'ailleurs,
ces lois et ces règles sont à la fois du domaine fédéral et du domaine québécois. Pour ce qui est du respect de
ces règles-là, le MAPAQ compte sur des inspecteurs. Il y a des inspecteurs qui
travaillent pour le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation. Je pense que c'est important de noter que, lors de la dernière fête de l'Aïd, en octobre dernier, le
ministre de l'Agriculture, M. Gendron, a demandé à ce que les
inspecteurs soient particulièrement attentifs à l'égard du respect de ces
règles, donc, qui existent tant au niveau québécois qu'au niveau fédéral.
Je pense que
c'est important aussi pour les gens qui nous écoutent de préciser que l'Aïd,
qui est la fête religieuse, là, au cours de laquelle a lieu l'abattage
rituel des agneaux, c'est une fête religieuse qui est très importante pour les musulmans. Je pense que
c'est nécessaire de le préciser. Vous utilisez le mot «immolation» dans votre
mémoire. À ma connaissance, il n'y a
pas eu d'immolation, c'est-à-dire qu'on n'a pas brûlé les carcasses. Je pense
aussi que c'est important de dire que
cette fête de l'Aïd… Et là je ne pense pas que les musulmans pratiquants qui
nous écoutent m'en voudront de faire
cette comparaison-là… Et toute comparaison est toujours un peu boiteuse, mais
je pense qu'à des fins de vulgarisation… je pense que c'est important parfois de faire une comparaison. Moi, avec
les discussions que j'ai puis avec le savoir, somme toute, correct que
j'ai sur cette question-là, je pense qu'on peut comparer la fête de l'Aïd à la
fête de Noël pour les catholiques. Et donc
c'est une fête qui est très importante pour les musulmans, et donc je pense
qu'il faut situer ça, là… il faut toujours essayer de
mettre les choses en contexte correctement.
Moi, je comprends très bien vos préoccupations
sur la question de la souffrance des animaux. Il n'y a pas personne, je
pense, autour de cette table qui
souhaite que les animaux souffrent de quelque façon que ce soit. Et donc je pense
que la question que vous soulevez sur cet important
enjeu, comment est-ce qu'on peut, dans
le fond, réduire le plus possible la souffrance de l'animal au moment de sa mise à mort, je pense que c'est
une question qui est tout à fait légitime.
Sur la
question de l'étiquetage des aliments, vous savez que c'est une responsabilité
qui relève du gouvernement canadien.
Notre gouvernement est intervenu auprès d'Ottawa. M. Gendron, notre ministre de
l'Agriculture, est intervenu auprès d'Ottawa pour réitérer la volonté
qui avait été exprimée sous le gouvernement précédent. Même le premier ministre M. Charest a dit à un moment donné :
Moi, je souhaiterais que ça soit étiqueté, je souhaiterais que la viande
halal soit étiquetée. Et je pense que c'est
une position également qui a été reprise par la Coalition avenir Québec à un
moment donné si je ne m'abuse. Donc, sur le
principe de l'étiquetage, tout le monde est d'accord, mais il faut que le
gouvernement fédéral accepte de le faire. On
ne peut pas le faire à sa place. Et, comme je vous dis, nous, on est intervenus
pour signifier, donc, aux autorités
fédérales que ça serait une bonne idée s'il y avait un étiquetage de la viande
halal et de la viande casher.
Actuellement, il y a un règlement sur la viande
casher, sur l'étiquetage de la viande casher, mais il n'y a pas d'obligation d'étiqueter les produits casher.
Mais, si tu étiquettes ton produit casher, tu dois suivre une réglementation fédérale
qui est prévue. Et il y a un projet de règlement, si je ne m'abuse, il y a
un projet de règlement également
pour les viandes halal, les produits alimentaires halal. Là, ce n'est pas clair
encore si le projet a été mis…
• (10 h 50) •
Une voix : …
M.
Drainville : Le projet
de règlement, il a été publié, mais est-ce qu'il est en oeuvre? On ne le sait pas encore. Mais, en tout cas, donc, il y a, au
niveau fédéral, une procédure à
suivre, mais il n'y a pas d'obligation d'étiqueter. Et, si je comprends
bien — ce
sera ma première question — vous,
vous souhaiteriez qu'il y ait un étiquetage obligatoire des produits halal et
casher. Est-ce que je me trompe?
Mme
Bousquet (Suzanne) : Ce
n'est pas notre propos, M. le ministre, c'est que… Permettez-moi une
question : Quelle version avez-vous de
notre mémoire? Quelle version avez-vous? Parce que nous, nous avons envoyé à la
secrétaire de la commission une autre version… Le mémoire que nous avons envoyé
est en date du 23 janvier 2014.
Une voix : …
Mme
Bousquet (Suzanne) : Ah!
vous n'avez pas la… Parce qu'on a procédé à des corrections de dernière
minute.
Le Président (M. Ferland) :
Excusez, nous allons vérifier s'ils ont la bonne version.
Mme
Bousquet (Suzanne) : Oui,
c'est parce que la question de M. le ministre n'a aucun rapport, on ne parle
du tout de l'étiquetage dans la bonne version.
Mme Charbonneau (Ginette) :
…laquelle on ne parle pas d'étiquetage…
Le
Président (M. Ferland) : Juste pour faire un commentaire
là-dessus, c'est que, lorsque nous recevons une version corrigée des
mémoires des groupes ou individus, nous, à la commission, on le signale sur le
site du greffier, et les parlementaires vont le chercher. Mais on va vérifier
si, effectivement, c'est la bonne version qu'ils avaient.
M. Drainville : On ne va pas
s'enfarger dans les fleurs du tapis, là, est-ce que, même si… On va revenir, bien entendu, aux propos que vous souhaitez nous
transmettre, là, mais, sur la question de l'étiquetage, c'est quand
même… ça fait partie du débat public, est-ce que, pour vous, ce serait
souhaitable que ce soit étiqueté ou pas? Je peux quand même vous poser la
question.
Mme Bousquet (Suzanne) : Pour nous,
ce n'est pas la question qui nous préoccupe.
M. Drainville : Bon. O.K.
Mme Bousquet (Suzanne) : Et, M. le ministre, pour que notre intervention
soit vraiment efficace, nous croyons que
cette version du mémoire répondrait à toutes les questions. Parce que nous
sommes un groupe de citoyens qui avons voulu
aller au fond de la question, d'aller au fond des choses. Et j'ai commencé la
lecture de ce mémoire, mais nous ne sommes pas encore rentrés dans le vif du sujet,
qui est un argumentaire scientifique basé sur des principes de
microbiologie, d'immunobiologie où on démontre que, finalement, des viandes
casher et halal, au plan scientifique, ça n'existe pas, et nous croyons fermement que peut-être que la façon la plus efficace
d'exprimer notre point de vue devant vous tous, commissaires réunis, ce serait de procéder à la lecture complète du
mémoire pour que vous puissiez vraiment saisir notre position. Alors, M.
le Président, je demande la permission, s'il vous plaît, que nous puissions
continuer la lecture…
Le Président (M.
Ferland) : Je ne peux pas vous l'accorder. Parce que, là, nous
sommes sur le temps des parlementaires, alors il appartient aux parlementaires
de vous accorder ce temps-là et…
Mme Bousquet
(Suzanne) : M. le ministre, nous permettriez-vous…
M. Drainville :
Je vais vous permettre de le faire.
Mme Bousquet
(Suzanne) : Merci, M. le ministre.
M. Drainville :
O.K. Mais là vous êtes consciente du fait… Il reste combien de temps?
Le Président (M.
Ferland) : Il reste 10 minutes pour…
Mme Bousquet
(Suzanne) : Merci, M. le ministre.
M. Drainville :
Alors, il reste 10 minutes. Après ça, ça ne relève plus de moi, O.K.?
Mme Bousquet
(Suzanne) : D'accord. Merci, M. le ministre. Je continue, donc.
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y.
Mme Bousquet (Suzanne) : Merci. Artères et veines forment des
ramifications jusqu'aux vaisseaux microscopiques à parois très fines. Les capillaires sont présents
dans chaque millimètre carré de chair. Aussitôt que la gorge de l'animal
est tranchée, les cellules des tissus abîmés
envoient instantanément des signaux chimiques pour demander aux
lymphocytes de venir à la rescousse et enclencher le processus de
cicatrisation. Les capillaires efférents de la plaie se contractent, les artérioles entrantes se dilatent pour accroître
l'apport sanguin. Du même coup, la perméabilité des capillaires augmente
pour permettre aux globules blancs, fluides et autres cellules d'atteindre la
blessure.
Le problème, c'est
que certains globules blancs migrent hors des capillaires vers les tissus, et, une
fois qu'ils y sont, peu importe,
l'observance stricte du rituel, le type d'entaille, l'ampleur de la saignée, le
traitement de la viande par trempage
aqueux ou vinaigré, salage, rinçage, lessivage ou déshydratation, il est
techniquement impossible de les déloger. L'élément sanguin se trouve au coeur même des fibres. Donc, selon les
processus de l'hématologie, de la
microbiologie et de l'immunologie moderne, aucune viande n'est casher ou halal
au sens strict du rituel traditionnel.
Maintenant,
l'affirmation : Les méthodes d'abattage casher et halal sont sans douleur
et garantes d'une mort rapide. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit
de trancher avec rapidité la gorge d'un animal éveillé tout en laissant les vertèbres cervicales intactes. Le sectionnement
rapide des artères carotides initiant un manque d'apport sanguin au
cerveau est présenté comme la façon
d'empêcher la douleur d'être captée par le cerveau. Certes, la pénurie
d'oxygène au cerveau finit par rendre la bête inconsciente, mais après
une agonie douloureuse de deux à 14 minutes, car la moelle épinière est gardée
intacte lors de l'abattage.
Plusieurs
articles de chercheurs colligés par l'organisme Compassion in World Farming
indiquent qu'après l'incision de la
gorge de gros caillots peuvent se former aux extrémités des artères carotides
sectionnées et causer une occlusion dans la blessure. Nick Cohen a écrit
dans le journal New Stateman : «Ces occlusions ralentissent
l'écoulement du sang des carotides et
retardent la chute de pression sanguine nécessaire à la désactivation
du cortex sensitif. Chez les veaux étudiés, 62,5 % présentaient de
telles occlusions. Même si l'abatteur est des plus compétents et que le coup de
couteau est d'une précision chirurgicale, le sang qui continue à affluer
au cerveau via les artères vertébrales fait en sorte que l'animal ressent
pleinement la douleur.»
Le 19 septembre 2010, Simon McGee et Martin
Delgado, journalistes du quotidien britannique Daily Mail, expliquent, je cite : «This
is because the carotid arteries can contract after the cut has been made,
effectively sealing the severed ends and maintaining blood pressure in
the brain.»
En
2007, la Fédération des vétérinaires d'Europe a déclaré: «L'abattage des
animaux sans étourdissement préalable est
inacceptable en toutes circonstances.» Chez les animaux, la perception de la
douleur passe par le tronc cérébral, qui
assure le lien entre la moelle épinière et le cerveau. Le cortex sensitif
reçoit les messages de douleur captés par les nocicepteurs cutanés et musculaires. Ce message passe d'abord par la
moelle épinière avant d'être relayé à l'acéphale. Cela signifie que l'animal ressent des douleurs
lors de la pénétration de la lame ainsi que des douleurs liées à sa
blessure béante durant la période précédant sa mort cérébrale, qui peut prendre
plusieurs minutes.
Une
reconnaissance tacite de ces faits existe en Europe depuis des années. Dans son
rapport d'expertise Douleurs animales, publié en France en 2009, l'Institut national de
la recherche agronomique a suggéré que l'égorgement soit aussitôt suivi
d'une insensibilisation.
Il n'est pas certain que cette pratique soit sans danger pour la
santé, puisque celle-ci accentue le risque d'infection
bactérienne du type E. coli, naturellement présente dans l'estomac des bovins
et des ovins, d'autant plus qu'il existe un corpus impressionnant d'avis
d'experts qui dénoncent les risques sanitaires accrus liés aux abattages
rituels.
La réglementation européenne recommande de laisser
intactes la trachée et l'oesophage lorsqu'on égorge les bêtes, puis de
ligaturer l'oesophage et le rectum avant de séparer la viande des viscères. Les
risques d'infection des viandes seraient
augmentés par la généralisation dans les abattoirs des modes d'égorgement
rituels halal et casher. Lors de ces abattages
rituels, l'impossibilité matérielle de ligaturer l'oesophage des animaux
entraîne un épanchement de matières stercoraires en provenance de
l'estomac qui s'écoulent à travers la section béante de l'oesophage.
La
souffrance et le stress infligés provoquent une production massive de toxines
nocives pour l'homme qui se transmettent
par la viande. Les germes de l'intestin passent dans le sang. Conséquence
physiologique due au stress intense des
animaux égorgés à vif : la concentration du sang dans les organes
essentiels. Il s'agit d'un processus naturel de survie qui entraîne
vraisemblablement une saignée moins abondante.
• (11 heures) •
Les
arguments évoqués dans la présente section,
qu'ils soient de l'ordre de la microbiologie, de l'immunologie, de l'hématologie ou de la neurophysiologie, prouvent
hors de tout doute raisonnable que nous avons le devoir d'interdire la pratique des abattages rituels au Québec.
Nous devons avoir le courage de laisser les évidences scientifiques l'emporter sur les
raisonnements spécieux des groupes
communautaires concernés. La
préservation du caractère de laïcité et de neutralité de l'État québécois l'exige. Reflétant une vision essentiellement machiste, les modes d'abattage casher et halal appartiennent à un
monde révolu marqué par la superstition et l'inégalité entre les sexes. Que
vaudra une charte de valeurs se voulant
consensuelle, inclusive et égalitaire si nous laissons cours à ces archaïsmes
inacceptables? L'interdiction du port
d'un signe religieux ostentatoire aux heures de travail dans la fonction publique ne peut pas asseoir à elle seule le caractère laïque de l'État québécois. Pour que la charte des valeurs soit cohérente et
conséquente, il faut élargir la portée du projet de loi n° 60 afin de nous réapproprier pleinement la
distinction religion-État héritée de la Révolution tranquille.
Posons-nous
ces deux questions fondamentales : Quelles sont les valeurs
qui ne concernent pas la religion? Qui, de la laïcité ou de la religion, est la mieux placée pour faire avancer la société québécoise? Continuer à fermer les yeux sur la pratique injustifiée des rites halal et casher revient à banaliser la
cruauté. Des dérogations de nature religieuse permettent à des communautés confessionnelles d'ignorer les
conditions de confort minimales accordées aux bêtes d'élevage en fin de
vie. Un État vraiment laïque ne peut tolérer qu'elles soient bafouées au nom
des croyances religieuses de quelque communauté que ce soit.
Nous sommes
d'avis que les animaux d'élevage au Québec possèdent déjà amplement leur lot de
souffrances sans qu'on leur inflige des souffrances additionnelles
inutiles. Les modes d'abattage halal et casher sont universellement reconnus comme étant les pires du point de vue de l'animal. La masse critique de témoignages, d'études scientifiques
indépendantes et de documents filmés montrant le martyre de ces bêtes égorgées
ne peut plus être ignorée.
Le projet de loi n° 60, centré sur la laïcité et la neutralité de l'État,
nous permet d'aborder une facette spécifique du traitement des animaux
liée aux accommodements raisonnables. Le projet de loi n° 60 vise à
établir les conditions entourant les
demandes d'accommodement. Le chapitre V, article 15, quatrième alinéa,
stipule que l'accommodement demandé ne compromet pas la séparation des
religions et de l'État ainsi que la neutralité religieuse et le caractère
laïque de celui-ci.
Attendu que
les rites d'abattage rituels contreviennent au quatrième alinéa de l'article
15 du chapitre V du projet de loi n° 60, que les modes d'abattage rituels sont des
dérogations à des lois provinciales et fédérales basées sur la religion,
que l'égorgement à froid prescrit par les rites casher, halal ou prôné par
toute autre religion…
Le
Président (M. Ferland) : Mme Bousquet, parce que le temps du ministre est écoulé, je dois
aller du côté du parti de l'opposition, alors le député de
LaFontaine. Juste rappeler aux gens qui nous écoutent et ceux qui vont suivre
de prendre note que vous avez 10 minutes
pour présenter votre mémoire. Là, le ministre a accepté de prendre de son
temps pour vous permettre de poursuivre, mais c'est important si on veut avoir
des échanges, là… Alors, M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. J'aimerais donc vous remercier, Mmes Bousquet
et Charbonneau. C'est bien cela?
Merci pour le temps que vous avez pris pour rédiger le mémoire et le mémoire
amendé de janvier et le temps que vous avez pris pour venir nous en faire
la présentation.
Le commentaire général, je pense, qu'il est
important de faire ici, c'est qu'il y a un nécessaire équilibre dans le
respect, d'une part, d'une fête qui est Aïd al-Adha, qui est la fête du
sacrifice, qui est basée sur des croyances religieuses, d'une part, donc la
possibilité, évidemment, que cette fête puisse avoir lieu et, d'autre part, le
respect de règles, de règles canadiennes, entre autres sur le règlement sur
l'inspection des viandes, quant aux abus, aux cruautés également, règles du MAPAQ, du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries
et de l'Alimentation du Québec
sur la protection des animaux, également les permis nécessaires. On a vu
dans le passé que, dans le cadre de cette fête, il y avait eu quelques écarts,
et le ministère, tous gouvernements confondus, doit et veille à ce que les
règles, donc, de salubrité, non-cruauté envers les animaux… que les gens qui
permettent et qui organisent aient les permis nécessaires afin que les normes soient respectées. Alors, nous avons
entendu votre point de vue à ce
niveau-là, et je vous en remercie.
Et, M. le Président, je vais laisser, donc, la parole à la deuxième opposition.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, M. le député. Excusez, je proposais une tournée de café, alors
je n'ai pas… Vous n'avez pas de questions?
M.
Tanguay : …la deuxième opposition.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, Mme la députée de Montarville. Excusez-moi.
Mme
Roy
(Montarville) : Mille mercis, M. le Président. Merci, mesdames. Merci pour votre mémoire,
mémoire qui est très technique, qui est très scientifique. J'ai peu de temps,
j'ai 4 min 30 s environ, pourriez-vous… Je vous laisse le temps de nous dire ce que vous demandez précisément en fonction de… On a le projet de loi n° 60 devant nous, qu'est-ce que vous demandez?
Quelles seraient les recommandations — en quatre minutes, là — que
vous voulez voir apparaître et sur lesquelles vous voudriez que le gouvernement
se penche?
Mme Bousquet (Suzanne) : Merci beaucoup. Tout d'abord, nous recommandons que soient ajoutés au
libellé du projet de loi n° 60 les
énoncés suivants : «La religion ne doit pas l'emporter sur le bien-être
des animaux.» Et : «L'abattage rituel d'animaux est interdit au
Québec, quel que soit le cadre dans lequel il s'inscrit, public ou privé.»
Que
la Loi sur les produits alimentaires du MAPAQ soit amendée afin de retirer de
l'article 6.4.2.2. la dérogation religieuse de l'article 77 du Règlement
de 1990 sur l'inspection des viandes du fédéral;
Que
le gouvernement du Québec hausse le montant de ses amendes en vertu de la Loi
contre la cruauté envers les animaux afin de les rendre égales à celles
de l'Ontario;
Que
le Québec intègre les mots «souffrance» et «cruauté» dans la terminologie de
Loi sur les produits alimentaires du MAPAQ;
Que
la Loi sur la protection des consommateurs soit amendée afin d'y intégrer les
énoncés ci-après : «Les différents coûts liés aux certifications de nature religieuse de produits
alimentaires québécois ne doivent pas être inclus dans le prix de vente
au détail desdits produits. Tous les frais associés aux certifications de
nature religieuse doivent être assumés par les groupes confessionnels concernés
qui les réclament.»
Suivant
l'adoption du projet de loi n° 60, nous recommandons que le gouvernement
du Québec conclue une entente avec
Ottawa concernant les abattoirs sous juridiction fédérale situés et opérant en
territoire québécois afin que ces derniers se conforment aux articles 79
et 80 du Règlement de 1990 sur l'inspection des viandes.
Nous
recommandons que soit prohibée au Québec toute importation et vente de viande
provenant d'animaux ayant été abattus sans insensibilisation préalable.
Nous
recommandons que soit amendé le Code civil du Québec afin de reconnaître les
animaux comme des êtres vivants doués de sensibilité. Alors, Mme la
députée, ce sont nos recommandations.
Mme Roy
(Montarville) :
En terminant, brièvement, quand vous nous parliez de cet abattage cruel, est-ce
qu'on a une idée, au Québec, de combien
d'animaux seraient abattus pour des raisons religieuses et que ça ne serait
pas fait dans les règles de l'art, il y aurait cruauté? Est-ce qu'on a une
idée? Avez-vous ce chiffre?
Mme Bousquet
(Suzanne) : Les chiffres ne sont pas faciles à obtenir, mais certains
journalistes ont dit que ça serait 8 %.
Les chiffres du MAPAQ disent que c'est 20 % des bovins. Donc, les
statistiques sont plus faciles à obtenir en ce qui concerne d'autres pays. Pour le Québec, c'est un peu
difficile, mais les dérogations à ces… Ces modes d'abattage là, l'observance même de ces rituels-là, de par
leur essence même, ne peuvent pas être exempts de cruauté à cause que les modes casher et halal ont
ceci en commun qu'ils visent la préservation des vertèbres cervicales qui abritent la moelle épinière. Alors, dès lors
que vous les préservez, c'est impossible que ce ne soit pas… Non
seulement c'est impossible que ça soit indolore, mais, en plus, c'est
extrêmement source de souffrances pour l'animal.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, j'ai compris.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci. Maintenant, je reconnais le député de
Blainville. M. le député.
• (11 h 10) •
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. Mesdames, bonjour. Je crois, si j'ai bien compris, que
ce soit dans la version révisée ou pas, il y a quand même la recommandation que
les coûts qui sont liés à la certification de nature religieuse soient plutôt
défrayés, je vais dire, par les communautés ou, du moins, les gens. Peut-être
nous l'indiquer verbalement parce que
les gens, effectivement, ne peuvent pas tous lire votre mémoire. Mais ça
représente quand même une
grosse proportion des aliments au Québec qui sont casher ou qui ont cette
certification-là, et il y a des coûts associés à ça, c'est un peu ce que vous
nous dites, là. Vous avez certains chiffres, peut-être, à nous donner?
Mme Bousquet
(Suzanne) : 75 % des produits alimentaires vendus au Québec portent un
sceau de nature religieuse. Maintenant,
parmi ça, il peut y avoir des produits importés, mais il y a aussi des produits
locaux. Il y a beaucoup d'entrepreneurs québécois qui paient pour
obtenir la certification casher, et d'autres, halal, mais ce sont eux qui paient à ces communautés confessionnelles
concernées les coûts de ces certifications-là, alors que, nous, notre
position, c'est que ça devrait être plutôt l'inverse, que ça devrait être les
communautés confessionnelles qui les réclament, qui réclament ces certifications, qui devraient les défrayer. Pour nous, on
trouve que c'est brimer les droits de
la majorité des consommateurs qui n'appartiennent pas à ces confessions. Nous
considérons que ce n'est pas à eux de payer le coût de ces
certifications.
M. Ratthé : Est-ce qu'indirectement ou
directement on présume que les coûts qui sont chargés par les communautés,
soit les rabbins, les imams, se reflètent
dans le coût sur la tablette, si on peut dire, là? C'est ce que vous nous
dites, là?
Mme
Bousquet (Suzanne) : Effectivement.
M.
Ratthé : Alors, vous dites que, dans le cadre, grosso modo,
d'une société laïque, nous n'aurions pas à… en tout cas, la majorité de la population n'aurait pas à défrayer des coûts
qui sont reliés à une pratique religieuse. C'est un peu ce que vous nous
dites.
Mme Bousquet
(Suzanne) : Exact. Dans un État vraiment laïque, un État vraiment séculier
et laïque, s'il l'est vraiment.
M.
Ratthé : Bien, avec
les autres recommandations que vous avez lues tout à l'heure, moi, c'est un peu comme ça, ça
m'intéressait du même point de vue que la députée de Montarville, c'est connaître davantage vos recommandations.
Moi, pour moi, ça
fait le tour. Je vous remercie quand même d'être venues nous sensibiliser à quelque
chose que peu de personnes, jusqu'à maintenant, ont fait dans le cadre de cette commission parlementaire.
Merci, mesdames. M. le Président, c'est complet.
Le Président (M.
Ferland) : Oui, allez-y. Vous avez terminé?
M. Ratthé :
Oui.
Le
Président (M. Ferland) : O.K. Merci, M.
le député. Merci, Mme Bousquet, Mme
Charbonneau, pour le temps que vous avez pris pour préparer votre
mémoire et de, bien entendu, venir nous le présenter.
Sur
ce, je vais suspendre quelques instants pour permettre aux deux prochains
intervenants, M. Charles Castonguay et M. Bernard Taylor, de prendre
place. Alors, on suspend quelques moments.
(Suspension de la séance à
11 h 13)
(Reprise à 11 h 22)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Nous recevons maintenant
M. Charles Castonguay et M. Bernard Taylor. En vous mentionnant que vous
avez 10 minutes pour présenter votre mémoire, suivies d'un échange, bien
entendu, avec les groupes parlementaires. Alors, la parole est à vous.
MM. Charles Castonguay et Bernard Taylor
M. Castonguay (Charles) : Merci, M. le Président. Nous aimerions nous tenir, dans notre
présentation, dans notre échange avec vous, à la question du statut du
français, qui est touché par les articles 40 et 41 du projet de loi qui envisagent d'inscrire la primauté du français comme
valeur fondamentale de la nation québécoise dans le préambule de la
Charte des droits et libertés de la personne.
Le Président (M.
Ferland) : Juste 10 secondes. Pour les noms en bas de l'écran,
qui est M. Taylor et monsieur... O.K. Et voilà.
M. Castonguay (Charles) : Le projet de loi n° 60 propose d'inscrire dans le préambule de la
Charte des droits et libertés de la personne la primauté du français
comme valeur fondamentale de la nation québécoise. Au nom du bien commun, pour
favoriser la cohésion et la justice sociale, il serait préférable d'y inscrire
comme valeur fondamentale le français, langue commune.
C'est
au sortir de la Révolution tranquille que faire du français notre langue
commune émerge comme consensus au sein
de la société québécoise. Mise sur pied en 1968 pour enquêter sur la situation
du français, la commission Gendron, après
quatre années de travaux, recommande — et je cite — «de faire du français la langue commune des
Québécois, une langue que tous connaissent
[...] de telle sorte qu'elle puisse servir naturellement sur le territoire du
Québec de moyen de communication entre Québécois de toute langue et de
toute origine».
La
commission Gendron fonde cette recommandation sur deux faits qui s'opposent.
D'une part, les francophones, pour s'épanouir à Montréal et gravir les
plus hauts échelons, doivent parler l'anglais. D'autre part — et je
cite — «il
y aura toujours au Québec une masse
unilingue francophone, aussi bien dans la région métropolitaine qu'en
province».
40 ans plus tard, ce
souci de justice sociale demeure tout aussi pertinent. Au dernier recensement,
plus de la moitié des Québécois, dont près
de 4 millions de francophones et plus d'un quart de million d'allophones,
ont déclaré pouvoir soutenir une conversation en français, mais pas en
anglais. À l'inverse, seulement 4,7 % des Québécois ont déclaré pouvoir parler l'anglais, mais non le
français. Le français demeure, à l'évidence, la langue la mieux en
mesure d'assurer la cohésion et la justice
sociale dans le Québec d'aujourd'hui. Un an après la commission Gendron,
le gouvernement de Robert Bourassa fait un
grand pas vers le français, langue publique commune, il proclame le
français langue officielle du Québec. Et,
trois ans plus tard, le gouvernement de René Lévesque renforce ce choix avec la
Charte de la langue française.
Dans son livre blanc qui annonce la charte en
mars 1977, Camille Laurin présente le principe du français, langue commune comme garant de la cohésion
sociale. Je cite : «Autant la pluralité des moyens d'expression est
utile et féconde sur
un même territoire, autant il est nécessaire qu'au préalable un réseau de
signes communs rassemble les hommes. Sans quoi ne sauraient subsister la
cohésion et le consensus indispensables au développement d'un peuple.»
Laurin
adresse expressément aux Québécois de langue anglaise cet appel à un nouveau
vivre-ensemble issu de la Révolution
tranquille. Je cite de nouveau : «L'anglais [...] aura toujours une place
importante au Québec[...]. Cependant [...] il sera normal que les
Québécois, quelle que soit leur origine[...], puissent s'exprimer en français,
participer de plein droit à une société
française, admettre que le français est ici la langue commune à tous.» Fin de
la citation. Ça n'exclut pas, évidemment,
que les anglophones parlent l'anglais entre eux, en public comme en privé, ou
que les Italiens de Montréal parlent entre eux l'italien, et ainsi de
suite.
Le Président (M. Ferland) :
Et vous avez terminé le mémoire? O.K. Allez-y, M. Castonguay. C'est ça?
M. Taylor (Bernard) : M. Taylor.
Le Président (M. Ferland) :
O.K. Allez-y, M. Taylor, oui. Il reste environ cinq minutes.
M. Taylor
(Bernard) : Merci, M. le
Président. Le français, langue publique commune est ainsi la valeur
fondatrice de la Charte de la langue
française, une valeur fondamentale qui participe à former l'identité québécoise
contemporaine. Après l'estompement de son
caractère confessionnel, c'est avant tout par son caractère français que la
société québécoise se distingue
maintenant en Amérique, et le français, langue commune est le principe le plus
à même d'assurer ce caractère.
Après son retour au pouvoir, Robert Bourassa y
adhère pleinement. En s'adressant notamment aux nouveaux arrivants dans son
énoncé de politique en matière d'immigration en 1990, le second gouvernement
Bourassa réitère l'invitation de Camille Laurin à faire une société en
français. Et je cite : «Depuis le début de la Révolution tranquille, l'action en matière linguistique des gouvernements
qui se sont succédé au Québec se fonde sur le principe suivant :
faire du français la langue commune de la
vie publique grâce à laquelle les Québécois de toutes origines pourront
communiquer entre eux et participer au développement de la société québécoise.»
En somme,
qu'il soit péquiste ou libéral, le gouvernement du Québec n'a jamais dévié
depuis 1977 du français, langue
commune comme valeur fondamentale du peuple québécois. La raison est simple, le
français, langue commune du Québec a des chances de faire contrepoids à
l'anglais, langue commune du Canada, de l'Amérique du Nord et de la
mondialisation. Pas un français qui se détiendrait d'une quelconque primauté
sur l'anglais.
Il y a
quelques mois, le projet de loi n° 14 voulait inscrire le français, langue
commune comme valeur fondamentale dans
le préambule de la Charte des droits et libertés de la personne. Comment se
fait-il que le projet de loi n° 60 propose maintenant d'y inscrire une valeur au rabais, la primauté du français,
comme valeur fondamentale de la nation québécoise? Cela compromettrait le caractère français du
Québec. Primauté et prédominance sont synonymes. Consacrer cela comme
valeur fondamentale, comme valeur quasi constitutionnelle reviendrait à
introduire un bilinguisme ingérable comme trame linguistique de la société
québécoise.
Quand la
prédominance d'une langue sur une autre fomente inévitablement la discorde
entre tenants de celle qui domine et
tenants de celle qui se trouve dominée, il s'agit, de par sa nature, d'un
principe qui divise, qui attise la tension entre groupes linguistiques, un bien mauvais point de départ pour qui
veut faire société. Au contraire, une langue mise en commun rassemble, elle instaure un sain
nationalisme civique, elle inclut, apaise les tensions, invite au partage,
égalise les chances des uns et des autres, favorise le vivre-ensemble, elle
nourrit le bien commun. Au sortir de la Révolution tranquille, le Québec ne s'est pas trompé. Au nom de la cohésion et de
la justice sociale, il a choisi le français, langue commune comme valeur fondamentale pour la nation
québécoise. Il n'y a aucune raison de s'en égarer aujourd'hui. Voilà, M.
le Président. Merci beaucoup. C'est le résumé de notre soumission.
• (11 h 30) •
Le
Président (M. Ferland) :
Merci beaucoup, M. Taylor, M. Castonguay. Alors, M. le ministre, la parole est
à vous.
M.
Drainville : Merci,
M. le Président. Merci, messieurs, pour votre présentation. Je veux juste
préciser, d'entrée de jeu, là, que
l'esprit qui vous anime et l'esprit qui nous anime est le même. C'est-à-dire
que, lorsque nous avons proposé, donc,
cette formulation à l'article 40 et 41 du projet de loi n° 60, donc la
formulation «la primauté du français», ce que nous souhaitions faire et
ce que nous voulions faire à ce moment-là, c'était bel et bien d'affirmer le
statut du français comme langue officielle
au Québec, là, comme valeur fondamentale au Québec. D'ailleurs, j'attire votre
attention sur le fait que le projet de loi n° 14 de ma collègue la
ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles parlait de
l'importance d'une langue commune. Et rappelez-vous qu'au moment où on dépose
le projet de loi n° 60 le statut du projet
de loi n° 14 n'est pas encore réglé à ce moment-là, il va se régler par la
suite. Donc, c'est parce que les discussions avec les autres formations politiques ne sont pas fructueuses
qu'éventuellement le projet de loi n° 14 est mis de côté. Donc, il
faut voir le projet de loi n° 60 un peu dans le contexte où il y a déjà un
projet de loi qui est encore en discussion à ce moment-là, le projet de loi
n° 14, qui, lui, fait référence au français, langue commune.
Cela
étant dit, je tiens à vous dire que nous, là — et je l'ai dit dès le départ — on est ouverts aux améliorations, là,
du projet de loi. S'il y a une meilleure
formulation pour exprimer l'idée que le français doit être une valeur
fondamentale, doit être la langue
officielle, on est tout à fait ouverts à le considérer, là. Et c'est pour ça
que votre mémoire, il est important, parce que vous nous suggérez une
autre façon de voir les choses, une autre formulation. Et je me répète, là,
mais je vous dis que nous sommes tout à fait
disposés à chercher et à trouver une formulation qui serait encore plus précise
et qui refléterait encore mieux l'idée que
nous souhaitons rendre à travers ce projet de loi. Et l'idée que nous voulons
rendre, c'est celle qui vous anime, c'est la même idée. En d'autres mots, il
n'est pas du tout question pour nous d'installer par l'appellation
«primauté du français» une sorte de bilinguisme implicite ou quoi que ce soit,
là. Ça n'a jamais été notre intention, jamais dans 100 ans. Et donc, s'il faut
préciser, si… Comme je le dis depuis le départ, s'il y a moyen d'améliorer et de bonifier le projet de loi, bien,
on le fera en temps et lieu, lorsqu'il y aura des discussions là-dessus,
au terme des consultations.
Par ailleurs, il faut
quand même vous donner l'occasion de préciser votre pensée, là. Quand vous
dites que le terme «primauté du français» va entériner un bilinguisme «made in
Canada» — ce
sont vos propos — comme
trame linguistique de la société québécoise,
je pense que ça mérite quand même
quelques explications de votre part. J'aimerais que vous nous expliquiez un peu la logique qui sous-tend une telle affirmation
parce qu'à ma… Enfin, il n'y a
personne autour de cette table — à moins que je ne me trompe, là — il
n'y a aucun parti politique au Québec qui propose quelque bilinguisme officiel que ce soit au Québec, là. En
tout cas, certainement pas au niveau institutionnel. Ça, ce serait une
grosse nouvelle. Si j'apprenais
qu'effectivement il y a un parti politique présent à l'Assemblée nationale qui
propose le bilinguisme officiel pour le Québec, ça, ce serait une très,
très, très grosse nouvelle. À ma connaissance, il n'y a pas personne qui propose ça encore, là. Et on ne le souhaite pas,
bien entendu. Au niveau individuel, bilinguisme, trilinguisme, toutes
les langues du monde, c'est un
enrichissement extraordinaire, mais on est tous conscients qu'au Québec il faut
continuer à affirmer le français comme langue officielle et comme langue
commune, là, oui.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, M. Castonguay ou monsieur... Allez-y.
M. Castonguay (Charles) : Le bilinguisme «made in Canada», c'est un genre
de pointe, là, pour souligner que c'est
la Cour suprême qui a fait entrer le concept de prédominance du français dans
la Charte de la langue française avec son jugement de 1988 qui était contre l'affichage en français seulement, qui
faisait partie de la charte jusqu'alors. Il s'agissait d'un bilinguisme,
donc, à prédominance française, ce qui veut dire essentiellement une société où
il y a deux langues communes, l'anglais et le français. C'est clair, on ne
parle pas de l'espagnol, on ne parle pas du mandarin, on parle des deux langues
qui sont en compétition au sein de la société québécoise et qui créent
énormément de dissension et de discorde.
Alors,
l'affichage, quand vous regardez le paysage linguistique dans la région
métropolitaine de Montréal, et au centre,
et même dans d'autres régions du Québec, ça n'envoie pas le même message que ça
envoyait déjà lors de l'adoption de
la loi 101 ou de la Charte de la langue française. Ça n'envoie pas le message
qu'ici ça se passe en français, qu'ici, pour vraiment fonctionner, il
faut connaître le français, etc. C'est ainsi que René Lévesque, qui avait des
réticences envers l'adoption de la loi
101 — vous
vous en rappellerez peut-être — a expliqué pourquoi il s'est rallié à cette
façon de voir les choses. C'était une
façon d'envoyer un signal clair à tous, par le paysage linguistique, qu'ici
c'est une société qui fonctionne nécessairement en français. Et le
français n'a aucune chance de tenir son bout face à l'anglais, langue commune
du Canada dans son ensemble, ou de
l'Amérique du Nord, ou même langue commune internationale, devenue une
langue commune internationale aujourd'hui,
s'il n'y a pas un domaine d'activité public où le français est absolument
indispensable, et sa maîtrise nécessaire pour le fonctionnement d'un membre de
la société.
La commission
Gendron, le gouvernement Bourassa avec sa loi 22, Camille Laurin et René
Lévesque avec leur loi 101 cherchaient à
faire du français la langue incontournable dans le monde du travail. Tout un
défi réussi jusqu'à un certain degré,
mais même pas encore aujourd'hui au sein des entreprises visées au premier chef
par les dispositions de la Charte de
la langue française concernant la langue de travail dans les entreprises. Je
parle des entreprises de 100 employés et plus. On sait qu'au sein de ces
entreprises la francisation de la langue de travail n'est pas encore chose
faite. On sait que la langue commune plus
souvent utilisée entre francophones et anglophones au sein de ces entreprises
est plus souvent l'anglais que le français.
C'est une recherche de l'Office québécois de la langue française sur laquelle
je me fonde pour affirmer cela, recherche conduite dans les années 2000.
M. Drainville :
Oui. Dans quelles entreprises, dites-vous?
• (11 h 40) •
M. Castonguay (Charles)
: De 100 employés ou plus.
M. Drainville :
Dans la région de Montréal?
M. Castonguay
(Charles) : Non, dans l'ensemble du Québec. Alors, ça doit être encore
plus vrai dans la région de Montréal. Si on
est d'accord pour ce qui est de l'esprit, si on est d'accord pour ce qui est
des idées, il faudrait qu'on soit
d'accord pour ce qui est des mots, pour ce qui est des lettres de la loi parce
que c'est absolument de premier ordre,
d'importance de premier ordre. Si on inscrit «primauté», les juristes vont
ouvrir leur dictionnaire, et leur Petit Robert va leur dire : Prédominance, prépondérance, toutes
sortes de synonymes. C'est la même chose, c'est la prédominance d'une
langue sur une autre. Et c'est donc une forme de bilinguisme institutionnalisé
à même le préambule de la Charte des droits et
libertés de la personne, qui est une loi quasi constitutionnelle, comme vous le
savez bien. Ce n'est pas une mince affaire.
Et la Cour suprême,
si, éventuellement et ultimement, elle est appelée à prendre une décision
concernant un litige entre une minorité qui s'affirme comme étant brimée par
une majorité qui est trop coercitive, ou ainsi de suite… La Cour suprême, comme vous le savez, depuis le jugement
Bastarache vers la fin des années 80, si ma mémoire est bonne, va
interpréter le mot «primauté» et «prédominance» de façon à favoriser la
position de la minorité de langue officielle
canadienne, c'est-à-dire de la minorité de langue anglaise au Québec. On l'a vu
dans des circonstances passées, on l'a vu avec la question de
l'abolition des écoles passerelles, alors je n'ai pas besoin de vous faire un
dessin.
Alors, c'est
là le danger, et c'est la véritable raison pour laquelle nous sommes ici,
devant vous, aujourd'hui, c'est un recul, un principe au rabais, la prédominance,
qui nous amène sur une pente archiglissante, et nous savons déjà dans quel sens cette
pente est orientée. La jurisprudence en matière de droits linguistiques
pratiquée par la Cour suprême du
pays, du Canada, est ainsi faite maintenant à partir du jugement Bastarache,
que cette cour va continuer sur son élan et porter des jugements qui vont toujours être généreux et favorables à la
position soit des minorités de langue française à l'extérieur du Québec, dont il n'est pas question
ici… mais de celles de langue anglaise au Québec, et ça, c'est vraiment
nos oignons. Alors, voilà pourquoi on est
ici et pourquoi on cherche à vous faire sentir l'importance des mots, et on
s'explique très mal pourquoi on en est rendus là.
M. Taylor
(Bernard) : Si je peux, M.
le Président, pour souligner, donc, l'importance de l'expression
«français, langue commune», n'est-ce pas, c'est quelque chose qui a été exprimé
par le rapport Gendron, qui est le fruit de cinq ans de travail vers la
fin de la Révolution tranquille et qui a été bien accueilli par, je dirais, le
gouvernement du Parti libéral, le
gouvernement du Parti québécois dans les années 70 et par la suite. Et cela
continue à être, je crois, bien accueilli. J'ai fait des recherches
dernièrement, et puis je vois que le leader de l'opposition, la première
opposition officielle, en cite au moins cinq
ou six fois depuis un an dans des discours, il parle de français, langue
commune. Et, du parti du
gouvernement, on trouve la même expression dans le projet de loi n° 14,
bien sûr, qui a été cité tout à l'heure. Alors, c'est quelque chose… il
y a un fil conducteur, là, qui ne change pas.
Et, comme
vient d'expliquer mon collègue M. Castonguay, ces mots sont très importants. On
parle de la Charte des droits et
libertés, et il faut être très, très sûr sur le langage qu'on va inscrire
là-dedans. Bien sûr, apprendre plusieurs langues ici est important autant que
possible, comme vous avez dit, M. Drainville, mais de décrire la situation au Québec avec de tels mots, prépondérance… n'est-ce
pas, ce n'est pas une description sociale touristique, n'est-ce pas? Ici, on
parle de la charte, hein, et donc il faut
absolument utiliser des mots qui veulent dire ce que ça veut dire. Et la langue
commune décrit un choix de société, un projet de créer un pays où on est tous
égaux, on a tous les meilleures, les mêmes chances, on essaie de travailler en
commun. Et ce qui unit un peuple, un pays, c'est la culture, c'est la langue,
et c'est tellement important que ça soit bien posé aujourd'hui. Voilà.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, M. le ministre.
M.
Drainville : Oui. Merci pour ces précisions. Je veux juste, si
vous me permettez… Je ne me fais pas d'illusions, peut-être que ça ne
vous rassurera pas, mais vous aurez noté, tout de même, que cette idée, donc,
d'affirmer le statut du français
ne faisait pas partie des orientations originales. Quand nous avons déposé la charte au
mois de septembre, les grandes orientations de la charte, il n'était pas
question du français à ce moment-là, et donc c'est un ajout que nous avons fait au projet de loi. Peut-être
qu'on n'a pas choisi tout à fait les bons mots. Encore une fois, je vous incite à
garder à l'esprit que les mots que vous
souhaitez étaient inscrits dans le projet
de loi n° 14, et à ce moment-là… Et d'ailleurs, lors du point de presse, je pense, lorsque j'ai
déposé le projet de loi n° 60, j'ai… Si je ne l'ai pas fait au point de
presse, je l'ai fait dans les heures ou les
jours qui ont suivi, j'ai bien précisé que, dépendamment du sort que subirait le projet de loi n° 14, ça pourrait
nous amener à faire des ajustements à la formulation dont il était question
dans le projet de loi n° 60. Donc, j'ai situé les mots que nous utilisions
dans le projet de loi n° 60 en me référant au libellé du projet de loi
n° 14.
Une voix :
M.
Drainville : Oui,
oui, je l'ai fait, M. Castonguay. Vous ne l'avez peut-être pas entendu, mais je
peux vous… Si vous me permettez, M.
Castonguay, je vous ferai suivre la trace écrite qu'a laissée cette
affirmation. Faites-moi confiance là-dessus si vous me permettez.
Et donc ce
que je tiens à vous redire et à vous réitérer, c'est que l'intention, notre
intention comme gouvernement et mon
intention comme ministre responsable du projet de loi, ce n'est pas de diminuer
l'importance du français au Québec ou de
diminuer sa reconnaissance légale de quelque façon que ce soit. Au contraire,
c'est d'en renforcer le statut en affirmant son statut de valeur fondamentale dans la charte. Et d'ailleurs on le
fait dans le préambule de la Charte des droits et libertés en considérant que l'égalité, le français, la
séparation, la neutralité, la laïcité constituent des valeurs fondamentales
de la nation québécoise. C'est de ça dont il est question à l'article 40, puis
on rajoute le nécessaire respect du français à l'article 41 quand on amende l'article 9.1 de la charte, ce qui
s'appelle dans le jargon, en général, la clause justificative, là. Donc, je veux juste… Encore une fois, j'ai très
bien entendu votre message, mais je veux juste… je pense, par les
arguments que je vous donne, ça devrait,
j'espère, vous convaincre que notre intention, c'était de renforcer le statut
du français, et certainement pas de le diminuer. D'ailleurs, là-dessus,
les gouvernements du Parti québécois ont une feuille de route assez exemplaire.
M. Castonguay (Charles) : Oui,
j'aimerais…
Le Président (M. Ferland) :
Oui, M. Castonguay, oui.
M. Castonguay
(Charles) : J'aimerais faire un commentaire. On n'est pas ici pour
faire confiance aux uns ou aux autres. On a,
dans notre mémoire, essentiellement constaté une incohérence profonde au sein
du Parti québécois, le parti au
pouvoir, sur le statut du français. Si, M. le ministre, vous affirmez que vous
êtes sur la même longueur d'onde que les amendements que Mme De Courcy
voulait apporter à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, j'en suis fort aise. Je dois cependant,
objectivement, constater que vous n'avez pas du tout utilisé les mêmes
principes de base pour
exprimer le statut du français que Mme De Courcy a utilisés dans ses
propositions d'amendement au préambule de
la même Charte des droits et libertés de la personne. Je ne peux faire
autrement que de me poser des questions et j'espère que l'ensemble des Québécois vont se poser les
mêmes questions quant au sérieux de l'engagement du gouvernement actuel
jusqu'à nouvel ordre, jusqu'à preuve du contraire.
• (11 h 50) •
J'ai entendu, de la
part de ministres de votre gouvernement, des choses assez... Bon, revenons au
congrès du Parti québécois de 2011, ce n'est
pas très loin derrière nous. Vous savez peut-être comme moi, comme M. Taylor,
comme des membres du Parti québécois — j'en suis membre — que, jusqu'au congrès de 2005 inclusivement,
c'est l'idéal du français, langue
commune qui guidait les propositions qui faisaient partie du programme du Parti
québécois à la sortie des différents congrès, jusqu'en 2005
inclusivement. C'est là concrètement à deux, ou trois, ou quatre endroits dans
le projet de pays qu'on appelait le programme de 2005.
Pour
le congrès de 2011, il y a eu une proposition, un document de travail qui a été
distribué à l'ensemble des membres de
ce parti où il n'y avait aucune mention du français, langue commune, mais où il
y avait trois ou quatre endroits où on
parlait de français, langue prédominante. Nulle part dans ce document important
qui a lancé les débats en vue du plus récent congrès du Parti québécois
trouvait-on le concept qui était à l'origine de la Charte de la langue
française et qui remontait même, comme M.
Taylor, mon collègue, l'a signalé, à la commission Gendron. À la sortie de la
Révolution tranquille, ça avait fait
consensus après quatre ans de recherche et d'analyse de la part des
commissaires de la commission Gendron, et c'est dans ce sens-là, et dans
ce sens-là seulement, qu'il fallait aller, c'était la voie à suivre pour
assurer le maintien du caractère français du Québec.
Alors,
voilà un document assez important, quand même, qui a lancé les discussions au
congrès de 2011. Au congrès de 2011, je n'ai entendu personne prendre la
parole à la défense du français, langue prédominante. Plusieurs se sont exprimés, en atelier et en plénière, en faveur du
français, langue commune. Est venu se greffer à cela le français, langue
officielle, ce qui n'est pas en
contradiction du tout, mais aucunement langue prédominante. Et voilà que, dans
un projet de loi de la plus haute importance, on revoit le même
glissement, la même invitation au relâchement, le même principe au rabais. Alors, il y a lieu de s'inquiéter en
tant que citoyens qui partageons l'objectif du français, langue commune.
Je parle de M. Taylor et moi, et d'autres sans doute très nombreux. Je suis sûr
que, si on refaisait le débat qu'on a fait il y
a 40 ans au sein de la société québécoise sur comment faire, quel statut est
approprié pour la langue française, on arriverait au même consensus
très, très largement. Alors, quelle est cette dissension et quel est ce pouvoir
occulte qui anime le Parti québécois dans sa politique...
Le
Président (M. Ferland) : Alors, le temps des… Je dois,
malheureusement, vous arrêter pour céder la parole au porte-parole de
l'opposition officielle, le député de LaFontaine, j'imagine? C'est ça, oui.
M.
Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Bon matin, M.
Castonguay et M. Taylor. On a eu l'occasion, entre autres, M.
Castonguay, je me rappelle, en commission parlementaire, justement, sur le
projet de loi n° 14… Parce que je suis
également porte-parole de l'opposition officielle en matière de Charte de la
langue française, et on s'était vus, et on avait eu l'occasion d'avoir de bons échanges dans le projet de loi
n° 14, et, évidemment, on peut voir… Et je pense que vous envoyez un signal clair, peu importent les
formations politiques, peu importent, je vous dirais, les finalités ou
les subtilités dans les finalités… Là, où il
n'y a pas de subtilités, c'est le désir commun que l'épanouissement du français
soit une réalité. Et, dans le contexte du débat sur le projet de loi
n° 14, on avait eu l'occasion, pendant 12 journées — 87 mémoires, je me rappelle, je les
ai faits — 87
heures, de débattre des moyens, par quels moyens pouvons-nous faire en sorte
que ce consensus, cette quasi-unanimité quant à l'objectif de l'épanouissement
du français soit une réalité.
Et, à l'intérieur de
cette commission, nous avons eu l'occasion sur les moyens… Et là c'était un
débat sur les moyens. Nous voulions, du Parti libéral, accentuer la promotion
et la qualité du français enseigné aux écoles, l'école primaire et secondaire. On reprenait des conclusions du rapport Larose
de 2002, si ma mémoire est exacte, en ce qui a trait à la formation des maîtres, également un plan d'action pour
l'amélioration du français à l'enseignement primaire et secondaire qui avait été adopté en 2008 et qui
était un plan quinquennal, plan d'action quant à l'enseignement du
français, et l'on proposait que l'on en fasse, donc, un bilan.
Également, au niveau
de l'usage du français au travail, avoir des stratégies un peu à l'image de la
stratégie commune 2008-2013, stratégie
commune quant à Montréal pour que tous les acteurs puissent faire en sorte que,
par les moyens, l'épanouissement du
français soit une réalité. Également, faciliter la francisation des nouveaux
arrivants, avoir les ressources, avoir les réseaux, faire en sorte que
la qualité du français enseigné, là aussi, soit au rendez-vous, mais également que l'offre puisse répondre, entre
autres, à des domaines très, très atypiques.
Et
également quatrième volet, la promotion de la qualité du français à l'ère
numérique, ça, c'est un élément qui n'est pas discuté, mais nos enfants,
de jeunes enfants qui ont accès à ce que l'on appelle des iPad, à défaut des
tablettes intelligentes, à défaut d'un terme
plus exact, comment faire en sorte qu'il y ait des logiciels, des outils non
seulement au niveau du travail, mais au niveau de l'enseignement, mais
au niveau des périodes de loisirs qui soient offerts, traduits et faits en
français.
Donc,
le débat sur le choix des mots quant à la modification de la Charte des droits
et libertés de la personne est important,
et vous venez de le souligner. Et vous lancez le message au gouvernement — et on vous a bien entendu — que l'utilisation du mot «primauté», bien, pourrait avoir
l'effet tout à fait inverse. Alors, ça, je pense que c'est important de reconnaître l'importance des mots, leur
signification et ce que l'on veut atteindre comme objectif, mais
également — et ça a été essentiellement ça, le débat
sur le projet de loi n° 14 — sur tous les moyens.
Je vous ai brossé un tableau rapide des moyens
par lesquels on fait en sorte… ou que l'on doit faire en sorte, au Québec,
d'avoir un plan de match, et, malheureusement, je dois vous avouer, M.
Castonguay, que moi, comme porte-parole de l'opposition officielle en matière de Charte de la
langue française, je n'ai pas l'impression qu'on a un plan de match pour
l'épanouissement du français. Honnêtement, là, on peut, évidemment, débattre
quant au choix des mots, débattre quant à la
modification de la Charte des droits et libertés, mais... ces volets-là, au
niveau de l'enseignement, qualité de
l'enseignement, usage du français au travail, francisation des nouveaux
arrivants, qualité du français en matière d'art numérique, j'ai nettement
l'impression qu'il n'y a pas de vision globale, de plan de match, et je pense
qu'il serait réellement temps de s'y atteler.
Et c'est dans le contexte du projet de loi n° 14 où l'on disait — on a fait le débat, M.
Castonguay — que
ce n'était pas la bonne approche, et que ça prenait une approche proactive.
Alors, je
pense que votre message est important, l'importance du choix des mots.
J'aimerais vous laisser peut-être commenter sur mon intervention, mais
j'étais particulièrement intéressé par votre mémoire et votre présentation, et
j'aimerais vous laisser, à M. Taylor et à vous, M. Castonguay, le loisir de
commenter.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, allez-y, M. Taylor, oui.
• (12 heures) •
M. Taylor
(Bernard) : Merci beaucoup. J'aimerais commencer en revenant à la définition, au concept de
langue commune. Et c'est très bien expliqué dans le rapport de la commission
Gendron, et très simplement, l'idée de faire en
sorte d'amener que, vraiment,
la plus grande majorité, la plupart, sinon tous les Québécois,
toutes les Québécoises ont une langue commune, le français,
pour toutes les raisons que nous avons expliquées dans notre mémoire.
Alors, c'est
un concept très simple. Ça ne veut pas dire que la communauté anglophone ne va
pas… Ça ne va pas affecter, si vous voulez, la langue anglaise ou d'autres langues qui sont parlées au Québec,
mais ça veut créer une langue commune pour unir le peuple. Et je pense
qu'on est d'accord avec ce que vous dites sur les moyens et les résultats des politiques d'enseignement du français au Québec depuis des décennies, n'est-ce pas? Je pense, dans notre région
de l'Outaouais, à une déclaration assez
récente du président d'une association anglophone, l'Association des West
Quebeckers de l'Outaouais, qui, lui, lors d'une déclaration qui voulait décrire la situation de sa communauté, se plaignait du sort des
jeunes de sa communauté, dont plusieurs,
trop devaient — et j'emprunte ses mots — s'exiler parce qu'ils ne trouvaient
pas d'emploi, ils ne maîtrisaient pas assez le français pour trouver des
emplois. Et je trouve ça grave, n'est-ce pas, quelle que soit la partie du
pays, que quelqu'un... que l'école anglaise, pour ces personnes, ait des ratés,
que la communauté anglaise ne mette pas
assez d'importance sur l'importance d'apprendre le français pour participer à la société.
Tout ça, c'est compris dans le
concept de langue commune, n'est-ce
pas? Il faut faire des efforts
supplémentaires avec nos deux systèmes d'école, avec l'enseignement aux nouveaux
arrivants, comme vous avez dit, pour qu'on avance vers cet idéal de
langue commune où tout le monde puisse le parler.
Donc, ce qu'on propose, n'est-ce pas, n'est pas
contre ou pour une communauté ici, c'est pour toute la société. Et c'est très
important, je crois, de comprendre ça, et donc, comme on a dit, les mots
utilisés comportent des principes très importants. Donc, voilà. J'arrête là.
M. Castonguay (Charles) : Je peux...
Le Président (M. Ferland) :
Alors, allez-y, M. Castonguay, oui.
M. Castonguay (Charles) : Oui. Enfin, le
plan de match, il est là, c'est le français, langue commune qui doit gouverner,
inspirer tous les aspects de notre politique linguistique. On ne le retrouvait
pas dans le projet de loi n° 14. Si vous voulez revenir à cette discussion-là, ce n'était pas adéquat, ce n'était pas suffisamment explicite. C'est vrai que j'ai fait une intervention en ce sens
à l'époque avec mes amis au SPQ libre, que vous avez rencontrés hier, je crois.
Une voix : ...
M. Castonguay (Charles) : Et, même dans
les amendements que voulait apporter Mme De Courcy au préambule de la Charte de
la langue française et au préambule de la Charte des droits et libertés, on
trouvait que ces amendements aux préambules
n'étaient pas assez clairs. On affirmait qu'il serait bon pour une société
d'avoir une langue commune, ça
favorise le vivre-ensemble, la
cohésion, l'harmonie entre les gens
de langues différentes. Et c'est ça, la langue commune, c'est quelque
chose qui est mis en commun pour les communications entre gens de langues
différentes, comme un dénominateur commun, on dirait. Et ce n'était pas assez
explicite. Des généralités du type : Une langue commune favorise... Oui,
on est d'accord, une langue commune favorise... Il faut dire explicitement que
cette langue commune est le français, et ce n'était pas adéquat. Alors, même
là, dans le projet de Mme De Courcy, ça n'avait pas la clarté et la simplicité qu'exige l'affirmation de cette valeur
commune du peuple québécois qu'est notre attachement à ce caractère
français, à ce français, langue commune qui est seul apte à garantir un avenir
pour le français sur le territoire québécois.
Alors, c'est
la seule chose que je voulais ajouter. Les modalités que vous avez mentionnées
dans votre intervention, c'est des pas dans la bonne direction, mais
c'est la direction elle-même qui est trop obscure, et y inclus maintenant avec
le projet de loi n° 60, pour nous satisfaire.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y, M. le député de LaFontaine, oui.
M. Tanguay : Merci. J'aimerais, tout simplement, remercier MM.
Castonguay et Taylor pour votre intervention. Merci beaucoup. Et je
pense qu'on va en reparler. Merci beaucoup.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci. Maintenant, je reconnais la députée de
Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. M. Castonguay, M. Taylor, merci. Merci pour votre mémoire. Je
comprends clairement
la distinction que vous faites entre primauté du français et français, langue
commune, et c'est l'objet même de votre mémoire de ce matin. Ça, ça va.
Maintenant,
sur un point un peu plus personnel peut-être, le projet de loi que nous avons devant nous s'appelle Charte affirmant les valeurs de laïcité et neutralité religieuse de l'État
ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les
demandes d'accommodement. Moi, je dois vous avouer, messieurs, que, lorsque
j'ai eu ça et j'ai eu ça entre les
mains — c'est le
titre, mais c'est aussi l'objet de la loi — j'ai été surprise. J'ai été surprise de voir
apparaître aux articles 40 et 41 la fameuse
notion de primauté du français. Alors, je me suis dit : Pourtant, on a ici
une loi dont l'objet est la laïcité de l'État, et le titre nous en dit
plus long là-dessus. J'aimerais savoir, vous, comme comment vous avez réagi
quand vous avez vu apparaître cette notion du français à l'intérieur de cette
charte.
Le Président (M. Ferland) :
M. Castonguay, allez-y.
M. Castonguay (Claude) :
Personnellement? Vous nous invitez à être plus personnels?
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, oui, oui.
M.
Castonguay (Claude) :
Bernard fera autant, mais j'ai été surpris de le voir. Et, d'un autre côté, je
n'étais pas surpris de le voir parce que M. Drainville nous avait
annoncé au mois de mai que sa charte porterait sur les valeurs fondamentales de
la nation québécoise. Alors, si le français ne fait pas partie de ces valeurs
fondamentales, ça serait très surprenant
aussi. Alors, j'ai été surpris de le voir, vu le titre que vous avez lu, Mme la
députée, mais pas surpris non plus
parce que c'est dans la logique des choses qu'on aborde cette question et qu'on
décide du statut du français parmi ces valeurs communes qui devaient
être abordées. On n'en avait pas parlé de façon non officielle ou officieuse,
et c'est arrivé, pouf! comme ça dans le
projet de loi. C'est la première fois que la question du statut du français a
été véhiculée, si vous voulez, en public, en tout cas par le
gouvernement, à ce que je sache.
Le Président (M. Ferland) :
M. Taylor, oui, allez-y.
M. Taylor
(Bernard) : Oui. Je dirais la
même chose, mais j'aimerais ajouter que certaines personnes peuvent questionner
l'apparence de cela dans le projet de loi, pourquoi est-ce qu'on parle de la
langue, n'est-ce pas? On parle d'autres
choses, laïcité, etc. Je suis très heureux que le gouvernement ait décidé
d'inclure une référence au français, que nous considérons faisant partie
des valeurs québécoises. Donc, que cela soit introduit dans ce projet de loi
est une très bonne chose. Mais, évidemment,
notre point de vue… En venant ici, en réagissant au projet de loi, nous ne
sommes pas venus pour parler des
autres aspects de ce projet de loi, mais nous avons réagi promptement à cette
question, le libellé de cette idée,
de ce principe, que nous espérons, va rester, n'est-ce pas, le principe dans le
projet de loi, mais tout en espérant que le libellé va être corrigé
comme nous avons proposé, et ce qui va respecter, je crois, ce principe qui a
été retenu depuis des décennies au Québec.
Mme Roy
(Montarville) :
Si je résume bien, si je comprends bien, pour qu'il y ait cette pertinence de
cette valeur, encore faut-il qu'il y ait une modification à l'article pour
qu'on en change le libellé pour mettre «français, langue commune»?
M. Taylor (Bernard) : Voilà.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci infiniment, monsieur.
Le Président (M. Ferland) :
Merci, Mme la députée. Maintenant, je cède la parole au député de Blainville.
• (12 h 10) •
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. M. Taylor, M. Castonguay, merci d'être là. Je pense que
vos propos sont fort pertinents ce
matin, puisque la suite logique de ce que nous faisons… Ou, du moins, la
procédure va faire en sorte qu'on va étudier
par la suite, comme vous le savez, chaque article. Et on dit souvent paragraphe
par paragraphe, ligne par ligne, et mot
par mot, et c'est là que toute l'importance de votre intervention aujourd'hui a
son sens, et je vous dirais même d'emblée que j'en suis, je comprends
très bien ce que vous venez nous dire parce que… En fait, si on retrouve
l'aspect de la langue française comme valeur
dans ce projet de loi, c'est qu'il va venir modifier surtout la charte
québécoise, et c'est dans ce contexte-là qu'on le retrouve. Alors, pour
moi, c'est très clair, et, comme je vous dis, j'en suis.
Je sais que votre mémoire portait exclusivement
là-dessus, et c'était très bien documenté, il y a… Malheureusement, je
ne me souviens plus qui est l'autre groupe, mais il y a un autre groupe qui est
venu nous dire, entre autres, qu'en fait
cette charte de la laïcité était une suite logique à la Charte de la langue
française, si on peut dire, qu'à une époque c'est au nom des intérêts
supérieurs du Québec que la Charte de la langue française a été instaurée et qu'aujourd'hui
c'est toujours au nom des intérêts supérieurs du Québec qu'une charte de la
laïcité doit être instaurée. Et j'ai été frappé par... à l'avant-dernier
paragraphe où vous dites, justement : La langue, elle inclut, elle apaise
les tensions, invite au partage, égalise les chances des uns et des autres,
favorise le vivre-ensemble. Je sais que ce n'est pas inclus, mais j'avais le goût de vous demander : Est-ce que vous pensez qu'une
charte de la laïcité pourrait avoir les mêmes effets sur la nation québécoise?
Le Président (M.
Ferland) : Alors, M. Castonguay ou M. Taylor?
M. Castonguay (Claude) : On ne s'est pas préparés, M. le député, pour aborder d'autres aspects de ce projet de loi que le statut du français. Je voudrais juste dire
qu'à l'époque du débat sur le projet
de loi qui est devenu la Charte
de la langue française, dans le premier projet de loi, la première ébauche, qui
s'appelait la loi 1, il était question dans un article de modifier... Je n'en suis pas sûr. Camille Laurin, selon son
biographe, M. Picard, qui a écrit un livre récemment, qui a publié un livre récemment sur l'action
politique de la personne de Camille Laurin, la personne publique,
politique, nous rapporte que Camille Laurin envisageait de modifier la charte à
ce moment-là, en 1977, la Charte des droits et libertés de la personne, de manière à ce qu'on ne puisse pas l'utiliser
pour affaiblir une disposition quelconque de la Charte de la langue française. C'est d'ailleurs pourquoi
il a appelé la loi 101 la Charte de la langue française, il voulait que
ça ait un statut quasi constitutionnel, pied d'égalité avec la Charte des
droits et libertés de la personne et qu'on ne puisse pas invoquer cette charte
de libertés et de droits de la personne pour affaiblir la Charte de la langue
française.
Les
juristes l'ont convaincu que ce n'était pas nécessaire d'apporter cette
modification à la Charte des droits et libertés de la personne, et il,
malheureusement, ne l'a pas fait. Je dis malheureusement parce que la Cour
suprême du Canada a employé, justement, la
Charte des droits et libertés de la personne du Québec aussi bien que la charte
des droits de la personne, là,
imposée par le gouvernement Trudeau pour renverser la disposition de la Charte
de la langue française visant
l'affichage en français seulement. Et c'était quelque chose de très tangible,
cet affichage en français seulement, c'était
l'affirmation du français, langue commune par excellence, et efficace, et
réalisable aussitôt que la loi était adoptée. On a le plan de match, il reste à voir la stratégie pour y
arriver. Il y a de l'aide aux entreprises. On donne des conseils sur
comment franciser votre raison sociale,
comment... ainsi de suite, et respecter l'affichage en français seulement. Il y
avait peut-être même des fonds disponibles pour aider les entreprises
pour... parce que ça coûte quelque chose, hein, de changer de façon de
fonctionner. Beaucoup plus facile que modifier leur langue de travail…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, M. Castonguay, malheureusement,
je dois mettre fin aux échanges, le temps étant terminé. Alors, je vous
remercie pour la présentation de votre mémoire et j'informe les parlementaires
que la salle sera sécurisée sur l'heure du dîner.
Et, sur ce, la
commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures. Bon dîner à tous.
(Suspension de la séance à
12 h 14)
(Reprise à 14 h 2)
Le
Président (M. Ferland) : O.K. À l'ordre! À l'ordre, s'il
vous plaît! La commission reprend donc ses travaux. Cet après-midi, nous entendrons les porte-parole
de l'Université Concordia ainsi que M. Denis Forcier, le Service d'aide
et de liaison pour immigrants La Maisonnée et le Rassemblement des chrétiens du
Moyen-Orient. Maintenant, nous allons
entendre les représentants de l'Université Concordia, Dr Benoit-Antoine Bacon
et M. Roger Côté. Alors, je vous mentionne
que vous disposez de 10 minutes. Je l'ai mentionné un peu ce matin, essayez de
respecter… ou d'avoir une pratique avant, mais 10 minutes pour présenter
votre mémoire, suivi d'un échange avec les groupes parlementaires. Alors, la parole est à vous. Peut-être de vous
renommer pour qu'on sache qui est qui, là, pour les fins de l'enregistrement.
Université Concordia
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Bonjour. Benoit-Antoine Bacon, vice-recteur
exécutif aux affaires académiques à l'Université Concordia.
M. Côté
(Roger) : Bonjour. Roger Côté, vice-recteur aux services à
l'université.
Le Président (M.
Ferland) : Merci. Je ne sais pas qui prend la parole, mais elle
est à vous.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Merci. M. le Président, M. le ministre, mesdames
et messieurs les députés membres de
la commission, bonjour. Donc, je m'appelle Benoit-Antoine Bacon. Je suis depuis
six mois vice-recteur exécutif aux affaires académiques à l'Université
Concordia. Je suis aussi un diplômé de l'université. Je suis accompagné de mon collègue
Roger Côté, vice-recteur aux ressources humaines et aux services. Donc, nous
sommes très, très heureux de pouvoir vous présenter la position officielle de
Concordia sur le projet de loi n° 60. Nous remercions le ministre, le
président de nous avoir invités à présenter aujourd'hui…
Nous pensons que
l'expertise de Concordia concernant les questions liées à la gestion de la
diversité pourrait apporter une importante
contribution au débat sur la charte. En effet, notre longue expérience en
matière de diversité nous a toujours
permis, à Concordia, de vivre ensemble en respectant les valeurs et croyances
de chacun. Nous sommes aussi très, très fiers de pouvoir participer
pleinement à la vie publique du Québec.
Donc, la communauté
de Concordia, c'est énorme, il faut le rappeler. Elle est composée de
46 000 étudiants issus d'environ 150 pays, plus de 7 000 employés,
dont 1 500 professeurs à temps plein et à temps partiel et plus de 180 000 diplômés,
dont la majorité réside au Québec. Donc, nous sommes un joueur clé du réseau
universitaire québécois et pour
l'ensemble de la société québécoise. En 2011, un rapport de la firme Secor
confirmait d'ailleurs l'impact de Concordia sur l'économie de Montréal
et du Québec. En effet, notre apport représente 1,3 milliard de dollars par année, soit près de trois fois notre budget
de fonctionnement.
Donc,
je commence par vous résumer le processus qui a mené au dépôt de notre mémoire.
Nous avons beaucoup parlé de la
charte à Concordia au cours de l'automne dernier. Dès la présentation initiale
du projet de charte des valeurs de laïcité en septembre, de nombreux
membres de notre communauté nous ont fait part très, très rapidement de leurs
inquiétudes. Tout d'abord, nous avons encouragé la communauté de Concordia à
participer respectueusement à la consultation
publique menée par le gouvernement. Nous avons aussi invité directement les membres
de notre communauté à nous
transmettre leurs opinions sur le sujet et nous avons reçu plus de
200 messages courriel. 98 % des messages que nous avons reçus rejettent la charte, principalement,
majoritairement, en fait presque exclusivement en raison de
l'interdiction du port de signes religieux
dits ostentatoires. Un certain nombre de nos associations étudiantes, de départements académiques,
de syndicats ont aussi manifesté leur opposition de manière officielle au
projet de loi ou à certains de ses éléments.
Donc,
afin de prendre une position officielle qui reflète vraiment les valeurs et les
idéaux de notre communauté, nous avons procédé à une période de
consultation auprès du conseil d'administration et de notre sénat, donc de
notre assemblée universitaire, les deux organismes décisionnels au sein de
notre université. Et la position que nous vous présenterons aujourd'hui est le fruit d'une vaste consultation à
Concordia, consultation calme, et sereine, et respectueuse qui a été entérinée par notre sénat et notre conseil
d'administration. Donc, par ailleurs, cette même position que nous
présentons aujourd'hui a reçu l'appui de 11 syndicats et associations
représentant des étudiants, des professeurs, des employés, donc la position
officielle de l'Université Concordia.
Tout d'abord, il
importe de rappeler que l'Université Concordia souscrit pleinement à la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne, chérit la diversité de sa
communauté et tient résolument à l'inclusion de tous les membres de la société dans la vie publique. Pour
ces raisons, la communauté de l'Université Concordia souhaite affirmer son désaccord avec certains des éléments clés de
la charte des valeurs de laïcité proposée. Dès lors, elle conseille
vivement et respectueusement au gouvernement du Québec d'apporter des
importantes modifications à ce projet de loi avant de le présenter pour
adoption.
Il est tout à fait
vrai que certains aspects du projet de loi, notamment l'affirmation des
principes de laïcité de l'État et d'égalité
des hommes et des femmes, suscitent un appui des plus fermes de la part du
conseil d'administration et du sénat
de Concordia. Nous ne pouvons toutefois cautionner d'autres éléments clés du
projet, par exemple les mesures interdisant aux employés de l'université
de porter des signes religieux ainsi que la supervision ministérielle de nos politiques
en matière d'accommodements religieux. L'interdiction du port de signes
religieux ostentatoires aurait une incidence
sur nos quelque 7 000 employés à temps plein et à temps partiel.
Entre 2 000 et 2 500 de ces employés étudient également à l'université et dépendent de leur
emploi d'assistant de recherche ou d'assistant d'enseignement pour payer
leurs études.
Nous
nous opposons donc au projet de loi n° 60 dans sa forme actuelle pour
trois raisons : l'aspect particulier de notre histoire et de notre identité actuelle; les effets prévus de la
charte sur le recrutement et la rétention de nos étudiants et
professeurs; et, finalement, le principe démocratique et universel de
l'autonomie des universités.
• (14 h 10) •
Donc,
premièrement, de nos 46 000 étudiants — d'abord, il faut le rappeler — 75 % sont Québécois.
L'Université Concordia et ses établissements
fondateurs, le collège Loyola et le
Sir George Williams University, ont servi le Québec depuis plus d'un siècle. Parmi nos valeurs unificatrices figurent la liberté de pensée,
la liberté d'expression, la liberté de conscience. Aujourd'hui, notre
communauté universitaire compte un grand nombre de nationalités, de cultures,
de confessions. Elle reflète la nature de plus en plus diverse de la société
québécoise. Originaires de plus de 150 pays, nos
6 300 étudiants étrangers représentent environ 14 % de notre
effectif. Un très grand nombre de ceux qui ne parlent pas déjà
parfaitement français prennent soin de l'apprendre, et nous nous assurons de
les aider dans cette démarche. Cette grande diversité caractérise également
notre corps professoral et notre personnel. Nous enseignons, étudions et
travaillons ensemble en harmonie. Notre diversité est une grande force, elle
représente l'avenir de Concordia.
Le
port de signes religieux ne cause aucun problème pour notre institution. Au
cours des dernières années, nous n'avons
reçu aucune plainte à cet effet. Nous avons toujours réussi à gérer
adéquatement cette diversité et cette richesse. Nous sommes fiers de
cette histoire, de notre identité actuelle, qui est pour nous le gage de notre
essor. Nous croyons que le projet de loi n° 60 met cet essor en péril.
Deuxièmement — et
c'est un élément clé — en
ce qui a trait au recrutement et à la rétention, donc, comme toutes les
universités, nous déployons de grands efforts pour attirer des personnes de
talent, des cerveaux, autant nos étudiants que nos professeurs. Heureusement
pour nous, pour Montréal et pour le Québec, dans une enquête récente, Montréal
se classait parmi les 10 meilleures villes de la planète pour la qualité du
milieu intellectuel créé par ses universités de haut calibre. À notre avis,
l'adoption du projet de loi n° 60…
Le Président (M.
Ferland) : M. Bacon, pour conclure. Il reste une minute, à peu
près.
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : …dans sa forme actuelle, rendra plus difficile le
recrutement et la rétention d'étudiants,
d'employés et de professeurs. Nous craignons que les répercussions négatives de
l'actuel projet de loi n° 60 touchent
non seulement les personnes qui, conformément à leurs croyances religieuses,
affichent leur foi au quotidien, mais également celles qui, pour des
motifs intellectuels et moraux, s'objecteraient aux restrictions imposées.
Finalement et rapidement, l'autonomie
des universités. D'un point de vue historique, les universités
occidentales étaient à l'origine des organes
de l'Église. Mais, au fil du temps, cette association a été remplacée par la
notion moderne d'autonomie
intrinsèque des établissements d'enseignement supérieur par rapport à l'Église
et à l'État. Les universités et leurs employés ne font pas partie de la
fonction publique. C'est, en effet, sur cette autonomie que repose leur liberté
d'enseigner, de faire de la recherche et de critiquer l'État.
Donc,
en conclusion, pour ces trois raisons, l'Université Concordia demande
respectueusement au gouvernement d'apporter d'importantes modifications
au projet de loi n° 60. Nous serions heureux de répondre à vos questions.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, M. Bacon, M.
Côté. Alors, maintenant, la parole est au ministre pour la période
d'échange.
M. Drainville :
Merci beaucoup pour votre mémoire et votre présentation. On va aller tout de
suite dans le vif du sujet. Il y a plusieurs thèmes, évidemment, qui sont
abordés dans votre mémoire, on va essayer d'en couvrir le plus possible.
Parlons
de la liberté académique des professeurs et des institutions universitaires de
façon générale. C'est quand même un des éléments importants de votre
mémoire. Je ne sais pas si vous avez entendu M. Guy Rocher, qui a témoigné cette semaine, sociologue de renom, un
bonhomme qui a contribué d'une façon exceptionnelle à, je dirais, la société québécoise, qui était notamment un des
signataires du rapport Parent. Il nous a dit qu'il était en complet
désaccord avec les recteurs qui affirment que la liberté académique est remise
en cause par l'interdiction des signes religieux ostentatoires aux professeurs d'université. Il nous a dit — et je cite son mémoire, là : «Que
le professeur d'université se prononce sur des enjeux publics en tant
que citoyen, c'est autre chose. Il le fait sur la place publique, mais il ne
doit absolument pas utiliser sa salle de cours
pour étaler et promouvoir ses convictions religieuses et politiques de
quelque manière que ce soit. Et cela ne s'applique pas qu'au discours; le port
de signes ostentatoires est aussi un langage qui témoigne de convictions
personnelles.»
Alors, je lui ai posé
la question à l'effet que certaines institutions souhaitaient donc être
exemptées du champ d'application de la loi — certaines
institutions universitaires — et
M. Rocher m'a alors répondu : «C'est très grave, cette position. Pourquoi? Parce que je dirais que,
depuis toujours, il y a dans l'université un consensus pratique, une pratique consensuelle
qu'aucun professeur n'affiche devant les étudiants ses convictions politiques,
qu'aucun professeur n'affiche ses convictions religieuses. Il y a peut-être des
exceptions, c'est très vrai, il est possible, c'est bien possible, il y en a,
mais c'est un consensus à peu
près général. Attention! Vous mettez
fin à ce consensus maintenant, ce qui veut dire que vous me donnez, moi, comme prof, vous me donnez à moi autant qu'aux
autres le droit d'afficher mes convictions religieuses dans la salle de
cours.»
Alors,
j'aimerais savoir ce que vous pensez, donc, de cette affirmation de M. Rocher,
pour qui le fait de permettre le port
de signes religieux par les employés des universités, par les
professeurs amènerait un retour en arrière, un grave retour en arrière à
la suite d'un consensus qui, à son avis, existe actuellement dans le monde
universitaire.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, M. Bacon ou M. Côté. Allez-y.
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : Oui. Donc, je n'avais pas pris connaissance de tous les
propos de M. Rocher. Rapidement, je peux peut-être commencer par vous rappeler
que, chez nous, à l'Université Concordia, et ce, depuis toujours, on a des gens
qui portent des signes religieux dits ostentatoires, et on n'a jamais eu de
problèmes avec ça, il n'y a pas eu de
plaintes d'étudiants ni de griefs au cours de cette période. Vous parlez d'un
retour en arrière si on permet les signes ostentatoires...
M. Drainville :
Je cite M. Rocher, là.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : M. Rocher parle d'un retour en arrière en
permettant les signes ostentatoires. Ce n'est pas un retour en arrière,
c'est la situation actuelle. Puis, chez nous, ça se déroule très, très bien.
M. Drainville :
Mais, sur le principe, est-ce que vous êtes... Excusez-moi, je n'aurais pas dû
vous interrompre, mais j'aimerais…
Terminez votre réponse telle que vous l'aviez conçue, là, mais il ne faut pas
perdre de vue le principe. En d'autres mots, ce n'est pas parce que la
pratique est installée qu'elle est nécessairement souhaitable. Alors, je veux également que vous abordiez ce principe à l'effet
qu'un professeur puisse afficher ouvertement à sa classe, à ses étudiants
ses convictions religieuses. Mais je referme ma parenthèse et je vous laisse
continuer. Excusez-moi.
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : M. le ministre, on a tous une origine, on a tous des
convictions, on a tous des opinions personnelles qui sont perceptibles soit par
notre apparence ou soit très, très rapidement par notre discours. Les signes
religieux dits ostentatoires ne sont qu'un des multiples indices qui affichent
ses origines ou ses opinions. D'autres
peuvent être le nom que porte la personne, leur accent, la couleur de leur
peau, la manière dont ils choisissent de s'habiller, ce qui est inscrit sur leur gaminet, etc. On ne peut pas
dissocier l'enseignement de la personne qui le donne.
M. Drainville :
Alors, si vous me permettez, vous dites : On ne peut pas dissocier l'enseignement
de la personne qui le donne. Selon Martine
Desjardins, qui est une autre des personnes qui ont témoigné cette semaine,
non seulement on peut le faire, mais on doit le faire, on doit séparer, justement,
le contenu du cours des opinions personnelles de la personne qui donne
le cours.
Alors, je vous la cite.
Donc, Martine Desjardins, bon, vous la connaissez, ancienne présidente de la
FEUQ, ancienne chargée de cours, chercheure en éducation, et elle, elle ne voit
pas comment la liberté académique, qui est la
liberté... Dans son esprit, c'est la liberté de choisir l'école de pensée à
laquelle on adhère, les recherches qu'on souhaite mener. Le contenu du cours qu'on souhaite donner a
un lien avec la liberté d'afficher ses convictions religieuses. Elle ne voit pas du tout en quoi il y a
un lien entre le contenu du cours et la liberté de la personne, donc,
d'afficher ses convictions religieuses
ou politiques. Or la
religion». Je la cite : «Le
problème avec le signe religieux, c'est que les étudiants, en fait, ne
peuvent pas le critiquer…»
Ils peuvent critiquer le courant de
pensée auquel adhère le prof, ils peuvent critiquer le fait qu'il ait une orientation plus libérale, plus conservatrice, plus marxiste, peu importe, mais la
conviction religieuse, le signe religieux affiché par le professeur ne peut pas être critiqué parce qu'il fait partie de l'individu. Et donc il ne peut pas appartenir à
la liberté académique parce qu'il ne peut pas faire l'objet, justement, de la critique. J'aimerais ça que vous
m'expliquiez un peu comment vous, vous voyez ça quand vous entendez cet
argument-là.
• (14 h 20) •
Le Président (M. Ferland) :
M. Bacon, allez-y.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : C'est un
exemple très pointu, puis je ne suis pas sûr d'avoir suivi tout votre argumentaire. De un, la proportion des cours universitaires qui touchent directement à des questions de religion demeure très, très
faible. Il y a des grands pans de la connaissance en génie, en affaires, en science qui ne touchent pas du tout à des questions de religion. Puis peut-être que j'ai mal compris, mais j'avais l'impression
qu'à l'inverse il y avait une exemption... Je ne suis pas très préparé à la question
spécifique de Mme Desjardins, mais il me semble qu'au contraire il y avait
une exemption prévue pour le port des signes
religieux pour les facultés qui touchaient directement les questions de
religion. Alors, j'ai l'impression que je comprends votre argumentaire à l'envers.
M. Drainville : Non, non,
vous avez très bien compris. Effectivement, on fait une exception pour les
facultés de théologie. Parce que c'est la
matière religieuse qui est en cause, on trouvait que de... À partir du moment
où c'est la religion elle-même qui
fait l'objet du cours, bien, on se disait : Écoutez, dans la mesure où, souvent... en tout cas, fréquemment, il y a des professeurs qui enseignent dans ces
facultés qui sont ouvertement... — comment dire? — qui
adhèrent ouvertement à une conviction religieuse, à une religion, bon, on se
disait : Là, on ne va pas aller jusqu'à demander,
par exemple, à un clerc catholique de ne pas afficher ouvertement sa foi
catholique alors qu'il enseigne un cours sur le catholicisme dans une faculté de théologie. Vous pourriez
reprendre le même exemple pour quelqu'un qui adhère à la confession
judaïque ou islamique. Donc, c'est la distinction que nous avons faite.
Mais, pour le reste du corpus qui est enseigné
dans une institution universitaire, le principe, nous, sur lequel s'appuie le projet, c'est de dire : Bien, tu
dois faire la part des choses entre la matière que tu enseignes et ta
conviction à toi. Et c'est la vision à laquelle on adhère, c'est la conception
que nous avons donc inscrite dans ce projet de loi, le projet de loi
n° 60.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Donc, encore
une fois, je pense que ça vaut la peine de le rappeler, la grande majorité des cours du cursus universitaire ne touchent pas à des questions de religion, ce sont des cours en
génie, en science, en art, du milieu
des affaires. Il y a quelques cours qui vont y toucher, la Faculté de
théologie est un bon exemple. Puis, si je suis votre raisonnement, pour
moi c'est pareil. Quelqu'un de conviction catholique qui enseigne la théologie,
ou quelqu'un d'origine juive qui donne un cours sur Israël, ou quelqu'un
qui a la peau foncée qui donne un cours sur Haïti, pour moi c'est
pareil. On ne peut pas dire : Il y a certains signes dits ostentatoires
qui ne sont pas permis; d'autres signes,
bien, ceux-là, on les tolère. Les teeshirts de Che Guevara continuent d'être
permis. Ça n'empêche pas les gens de parler de
révolution ou de communisme, puis ça n'empêche pas les étudiants de le
critiquer. L'université, c'est la pluralité des points de vue.
M.
Drainville : Sur la question de la rétention, vous
dites : Le projet de loi n° 60 pourrait rendre plus difficile le recrutement et la rétention des élèves et des
professeurs. Je dois vous dire que c'est un argument qui a été mis de
l'avant au moment du débat autour de la loi 101, et, en fait, on a retrouvé un article
du Montreal Star dans lequel... Bon, ce n'était pas Concordia. Je ne sais pas, d'ailleurs... En 1976-1977, est-ce que
c'était encore le Loyola College ou est-ce
que...
M. Bacon (Benoit-Antoine) : C'était
Concordia depuis 1974. Merci.
M. Drainville : Alors, on a
une déclaration, donc, d'un dirigeant de McGill qui disait, donc, au moment de l'adoption
de la loi 101 qu'il prévoyait, justement, une difficulté, un obstacle, en fait, qu'il pensait que la loi
101 allait rendre plus difficile le recrutement pour McGill à
l'extérieur du Québec, et moi, je vous soumets bien humblement que la loi 101 n'a pas nui à la réputation internationale
de McGill. Moi, je pense que McGill, c'est une grande, grande université
de classe internationale et je… En tout cas, si on regarde le statut de McGill aujourd'hui,
là, je ne vois pas en quoi la loi 101 a nui au statut international, à la
renommée internationale de McGill et je vous soumets bien humblement que, si ça
a été le cas pour McGill, il y a de bonnes probabilités que ça ait été le cas
pour Concordia également.
Concordia est une université qui est reconnue,
qui est respectée, et donc, quand j'entends cet argument-là, l'argument de la rétention, je suis un petit peu
sceptique, si vous me le permettez, en tout respect, parce que,
justement, on a entendu la même chose quand
est venu le temps d'adopter la loi 101, puis je regarde aujourd'hui le statut
de nos universités québécoises, et en
particulier nos universités anglophones comme Concordia et McGill, et je vois
dans ces institutions des institutions
exceptionnelles, et je ne pense pas que la loi 101 a nui à ces institutions-là.
Alors, disons que je mets un bémol sur cette appréciation ou sur cet
argument-là que vous soumettez à l'effet que la charte va vous nuire, va nuire
à votre capacité de recruter et de retenir vos éléments, alors que vos
étudiants, vos profs… alors que ça n'a pas été le cas dans le cas de la loi
101.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Alors, je
vous remercie d'abord, M. le ministre, pour vos bons mots par rapport à
l'excellence de notre institution, c'est très apprécié. Je vais laisser McGill
parler pour eux, je vais me concentrer sur nous, la situation qu'on vit à
l'université Concordia. Nous, notre mission, c'est l'éducation, c'est la
formation, c'est la recherche. Puis ce sont des missions difficiles, et ce sont
des missions qui s'effectuent dans un marché mondial très compétitif. C'est
très important pour nous d'être en mesure d'attirer les meilleurs, les
cerveaux, autant au niveau des professeurs qu'au niveau des étudiants. Toute
mesure qui rend ça plus difficile, on se doit d'être en désaccord.
Je vous donne quelques exemples. Si j'ai un
brillant physicien qui porte la kippa, qui, mal à l'aise avec le projet de loi
dont on discute aujourd'hui, décide de partir pour une autre juridiction, nos
étudiants y perdent, l'université y perd et le Québec y perd également. Si j'ai
une brillante historienne qui, bien qu'elle ne porte pas de signe ostentatoire,
pour des raisons intellectuelles ou morales, s'oppose à ce projet et décide de
quitter pour une autre juridiction, c'est aussi une perte pour le Québec. Au
niveau du recrutement et de la rétention des étudiants à la maîtrise et au
doctorat particulièrement, nous avons près de 6 000 étudiants
étrangers, et déjà on observe… on observe en janvier une légère diminution
déjà du nombre d'applications pour l'an prochain. C'est très difficile d'attirer
les meilleurs étudiants.
M. Drainville : Vous pensez
que c'est lié à la charte?
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Tout ce que
je vous dis, c'est qu'on observe déjà une légère diminution…
M. Drainville : …on n'observe
pas de demandes d'immigration pour le Québec… de demandes de certificat de
sélection, là, les derniers chiffres démontrent une constance.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Je vais
terminer. Si on n'est pas capables d'attirer les meilleurs étudiants,
particulièrement aux cycles supérieurs, c'est, encore une fois, une perte pour
le Québec. Donc, je veux rappeler ici — j'en profite — que
c'est une compétition globale, mondiale. Il y a des chercheurs québécois qui
quittent pour l'étranger, puis je ne les blâme pas. C'est parfait, ils font
rayonner le Québec à leur façon, puis je les félicite pour leur succès, mais
ça, c'est une perte qu'on doit compenser en attirant, à l'inverse, d'excellents
chercheurs d'une origine autre que le Québec. C'est la même chose pour les
étudiants. Si on ne le fait pas, il y a perte nette de compétitivité entre le
Québec et les autres juridictions. Donc, tout élément qui menace ça, on doit
être en désaccord.
• (14 h 30) •
M.
Drainville : Très
bien. Il me reste seulement quelques minutes, ça passe vraiment vite. Concordia
s'est dotée, en 2011, d'une politique
pour la gestion des demandes d'accommodement, Policy for Students on the
Accommodation of Religious
Observances, mais, dans cette politique-là, vous ne faites référence seulement
qu'aux règles à suivre pour les demandes de congé pour motifs religieux.
En tout cas, sur votre site Internet, c'est tout ce qu'on a trouvé. Je voulais savoir, est-ce que vous avez des règles pour gérer
des demandes d'accommodement telles que celle qui est survenue à York, où vous avez un étudiant qui dit : Moi,
je refuse d'être dans la même classe que des femmes? Comment vous
géreriez ça si vous étiez confrontés à un cas comme celui-là?
Par ailleurs,
je voulais vous demander... Vous savez que la règle du visage à découvert est
un des éléments clés du projet de loi
n° 60. Ça voudra dire notamment... Alors, on dit : Visage à découvert
non seulement pour les agents de l'État, mais également pour les usagers
qui font affaire avec l'État, donc qui reçoivent un service. Ça va vouloir dire
notamment que les étudiants et les
étudiantes qui sont dans un cours ou qui passent un examen doivent le faire à
visage découvert. Est-ce que vous avez à Concordia des cas de personnes qui
assistent aux cours et qui passent des examens avec le visage couvert?
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Il y a trois
ou quatre questions dans votre énoncé. Je vais commencer puis, après, je
vais...
M. Drainville : Je dirais en
résumé : Visage couvert, oui ou non? Et, le cas de York, comment vous...
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : Je vais
commencer par York. Compte tenu de la nature publique de la commission, je ne suis pas confortable de commenter sur les
décisions d'une autre institution. Mais ça va sans dire que pour nous, à
Concordia, l'égalité des hommes et des femmes, c'est non négociable. Voilà. En
ce qui a trait des politiques, je pense que je vais te laisser y aller, Roger.
M. Côté (Roger) : Vous faites
exactement état, là, d'une politique qu'on a mise en place en 2011, mais il y a
aussi des pratiques que nous avons à l'université,
des pratiques qui sont établies de longue date, et qui nous ont bien
servis, et qui nous ont permis d'adresser
avec succès des accommodements qui ont été demandés au fil des années. Alors,
c'est un ensemble de… La politique à
laquelle vous faites référence, c'est une politique qui traite des questions
d'évaluation des étudiants, que ça soit en cours ou en
examen, les examens finaux. Alors, oui, il y a un cadre de travail qui nous permet de gérer les accommodements qui peuvent
être exigés, et ça se fait localement, si vous voulez, à l'intérieur des
départements académiques ou des départements
de services à l'université pour s'assurer que l'étudiant puisse combler
les attentes, les exigences académiques sans
créer de contraintes non plus pour les gens qui offrent le cours, les
professeurs qui offrent le cours. Alors, il
y a des arrangements qui se font à la demande des étudiants. C'est des
arrangements qui sont gérés localement entre le professeur et
l'étudiant. Et, suite à ce cadre de fonctionnement là, qui fonctionne très
bien, nous n'avons pas de plaintes
d'étudiants ou de professeurs disant qu'ils ne sont pas capables de trouver de
terrain d'entente.
En ce qui a
trait à… Bon, vous avez parlé d'examens… Les examens, effectivement, si des
étudiantes ou étudiants se
présentent, et ils sont demi-voilés, ce qui est possible parce qu'il n'y a pas
de restriction qui nous empêche de faire ça ici, à l'université, puis on
reconnaît l'autonomie, les choix que les étudiants font en ce sens, et c'est
important de le reconnaître et de l'appuyer,
mais il y a aussi des exigences académiques… Alors, pour valider
l'identification des étudiants qui
s'en vont à l'examen, bien, il y a un protocole qui fonctionne très bien depuis
plusieurs années, qui est assez simple, d'aller valider l'identité de
cette personne-là afin de s'assurer que c'est bien elle ou lui qui va écrire un
examen final, par exemple.
M. Drainville : Mais est-ce à
dire que la personne pourrait, par exemple, montrer son visage pour établir son
identité, mais qu'elle pourrait, par la suite, faire l'examen ou passer le
cours avec le visage couvert?
M. Côté (Roger) : Oui, on reconnaît
l'autonomie, la liberté de confession, de choix, et c'est dans ce sens-là qu'on applique cette pratique-là. Alors, oui, une
fois que l'identité est validée de l'individu, qu'on peut s'assurer que
cette personne est bien la personne qui doit inscrire cet examen-là, c'est
permis d'écrire son examen, certainement, là...
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Je veux
préciser, M. le ministre, que...
M.
Drainville : Je veux
juste, un instant… Vous dites : C'est permis de passer l'examen avec, par
exemple, le port du niqab?
M. Côté
(Roger) : Une fois que l'identité de l'individu a été confirmée, avec
les protocoles que nous avons en place depuis plusieurs années, qui
fonctionnent très bien, la réponse est oui.
M. Drainville : C'est parce
que, si vous permettez, moi, il y a effectivement... on a eu des cas qui nous
ont été rapportés de Concordia,
effectivement. Il y a des personnes qui ont témoigné, des personnes qu'on a
rencontrées qui nous ont dit,
effectivement, qu'il y avait des étudiantes qui passaient des examens ou qui
assistaient à des cours à Concordia avec le niqab. Donc, vous me
confirmez que c'est le cas.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Oui. Chaque
semestre, il y a une poignée... c'est un très, très petit nombre, mais il y a un petit nombre d'étudiantes qui
viennent à visage partiellement couvert. Nous, notre mission, M. le
ministre, c'est l'éducation. À ce point-ci, on n'est pas confortables à refuser
l'éducation à quelqu'un qui en a la capacité.
M. Drainville : Je veux juste
terminer parce qu'il me reste seulement deux minutes...
Le Président (M. Ferland) :
Il reste une minute...
M. Drainville : Une minute,
en fait. C'est sur la diversité parce que c'est probablement le coeur, je
dirais, le principe ou la valeur centrale de votre mémoire. Je veux juste vous
rappeler que nous, on est très hésitants à accepter l'argument à l'effet que la charte va à l'encontre du principe de la
diversité et on s'appuie notamment sur une recherche de la Commission
des droits de la personne qui
démontre que les Québécois qui sont nés à l'étranger ne sont pas, de
manière générale, plus pratiquants que la moyenne.
Et l'autre chose que je tiens à vous dire, c'est
qu'il ne faudrait pas non plus laisser s'installer l'idée que les Québécois de première génération, les
néo-Québécois issus de l'immigration sont tous contre la charte. Je comprends
que c'est une clientèle importante de Concordia, puis c'est une de vos grandes
forces d'ailleurs, vous réussissez à aller chercher beaucoup d'étudiants qui
proviennent de toutes sortes de communautés, donc, c'est la clientèle, je
dirais, des Québécois qui proviennent…
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, M. le ministre, le
temps est écoulé pour ce premier bloc. Je dois aller du côté de
l'opposition officielle en reconnaissant la députée de Notre-Dame-de-Grâce, je
crois.
Mme Weil : Merci, M. le
Président. Bonjour, M. Bacon, M. Côté. Premièrement, je voudrais vous saluer. Évidemment,
le campus de Loyola est au coeur de mon comté de Notre-Dame-de-Grâce, j'ai une
grande fierté pour Concordia. Je connais
Concordia depuis toujours, une grande fierté pour Concordia. C'est un modèle de
vivre-ensemble, d'attraction
d'étudiants de partout. Alors, je voudrais que vous puissiez vraiment expliquer
comment vous vivez cette diversité culturelle et religieuse et parler
précisément de cette question de neutralité de l'institution, d'une part, mais la permission d'avoir… Parce que, d'après ce que
j'ai compris, ce que vous avez dit, la diversité des personnes, oui, des
étudiants, des profs, qui portent — des assistants, des chercheurs — la kippa, ou le voile, ou d'autres signes
religieux… Comment
vous… D'une part, la neutralité parce que ce qu'on entend des tenants de
l'interdiction et ce qu'on entend du ministre,
qui répète, et répète, et répète que le port des signes religieux transmet des
valeurs, et donc l'institution est en train de se montrer pas neutre,
donc le contraire de neutre, est en train de faire du prosélytisme, que
l'individu fait du prosélytisme… C'est répété, répété.
Moi,
évidemment, nous, nous, du côté libéral, et tous les juristes, la Commission
des droits de la personne, etc., ça
n'a jamais été le principe. Le modèle québécois n'a jamais confirmé ça. Alors,
j'aimerais que vous expliquiez comment vous vivez cette diversité et
cette question de neutralité et de port de signes religieux.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : D'abord, merci, encore une fois, pour vos bons
mots envers notre institution, c'est très
apprécié. Je ne peux qu'être d'accord, c'est vraiment un milieu de vie exceptionnel,
on est privilégiés d'y travailler. Je
rappelle — ça vaut
la peine parce qu'on a l'impression que, quand on entend certaines personnes
parler de Concordia, que c'est un
endroit où il y a peu de Québécois — ce n'est pas vrai, 75 % de notre communauté
sont Québécois. Nous sommes aussi
très fiers, très, très fiers que 46 % de nos étudiants sont des étudiants
universitaires de première génération. Donc,
il y a tout un aspect d'accessibilité, on permet à des gens dont le cheminement
universitaire n'était pas évident au départ
d'améliorer leurs conditions de vie, de devenir des employés plus compétitifs
sur le marché du travail, aussi des meilleurs citoyens. Donc, chez nous,
nous sommes une université anglophone, mais c'est 50 % d'anglophones,
25 % de francophones et 25 % d'allophones, et nous vivons tous
ensemble très, très bien.
Je
rappelle que nous sommes une institution — et nous en sommes très fiers, nous
l'affirmons — laïque,
tout à fait laïque, et, en aucun cas,
il n'est question de prosélytisme chez nous. Je me permets une anecdote parce
que j'étais étudiant de Concordia il y a assez longtemps. Mon cours de
biologie de base était offert par le père Drummond, qui était un biologiste de renom et un homme merveilleux qui enseignait avec
une tenue vestimentaire qui mettait d'avant le fait que c'était un homme religieux. Il ne nous a
jamais parlé de ça pendant ses cours. Ce dont il nous parlait, c'est du
coeur, du foie, du cerveau, de comment le
corps humain fonctionnait, et jamais, jamais, jamais il ne se serait permis de
parler de ses croyances profondes et personnelles, puis c'est la même
chose pour nos professeurs encore aujourd'hui. Est-ce que tu peux rajouter,
Roger?
• (14 h 40) •
M. Côté
(Roger) : Oui. Ça me fait plaisir de rajouter un peu. Je pense qu'un
des éléments de réussite, de l'harmonie qui
existe à l'université, c'est le respect, et le respect des individus
entre nous, de reconnaître nos différences, mais de reconnaître que
c'est une force qui vient combler, qui vient appuyer la démarche éducative des
gens qui sont à l'université. Alors, les
étudiants viennent chez nous pour poursuivre des objectifs académiques, se
développer eux-mêmes, et cette différence
qui existe à l'université vient enrichir cette démarche de développement, cette
démarche d'éducation là.
Alors,
le respect qu'on a entre nous est très important. Un élément de ce respect-là,
c'est le respect identitaire, de reconnaître nos différences et de voir
ces différences-là comme des éléments d'enrichissement. Pas seulement que pour l'individu qui a cette différence, mais pour
celui qui est plutôt du groupe majoritaire, qui apprend de cet autre
individu, qui échange avec cet autre individu là. Et ça, c'est une démarche
éducative très puissante, très forte qui fait que nos étudiants, les gens qui graduent de l'Université Concordia sont enrichis
de leur passage chez nous par cette dimension-là. Et, si cette dimension identitaire n'était pas là
ou respectée, ça viendrait amoindrir l'expérience, la valeur de
l'expérience à l'université.
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : Je trouve que le processus que nous avons suivi en
créant notre mémoire reflète bien cette manière du vivre-ensemble dans le
respect et sereinement. Nous avons invité notre communauté à nous transmettre leurs mémoires. Nous en avons
reçu plus de 200, ils étaient tous bien écrits et respectueux. Et,
lorsque nous avons écrit la version finale
du mémoire, le processus de consultation n'a donné lieu qu'à des scènes de
bonne entente et de respect tout à fait sereines.
Votre question est
sur la diversité. Je me permets de citer un des mémoires. Je suis ici comme
représentant de la communauté, alors je les
représente directement : «En tant qu'étudiant et diplômé de
Concordia — je ne
parle pas en mon nom personnel, c'est
quelqu'un qui a soumis le mémoire — j'ai eu le plaisir et l'honneur de
travailler avec des étudiants et des
professeurs de toute confessionnalité. J'ai compris que nos divergences sont
bien moindres que nos ressemblances et que
plus nous sommes unis, plus nous sommes forts.» Donc, témoignage après
témoignage sur la beauté et la richesse de notre diversité, et c'est une de nos valeurs fondamentales, ça fait
partie de notre succès. Puis, à mon sens, ça représente bien la société
de demain, puis c'est une richesse pour le Québec.
Mme
Weil : Merci. Sur la question de compétitivité, donc, vous,
vous cherchez à attirer des étudiants de partout dans le monde, et, dans
un contexte de forte compétitivité, McGill m'a donné des chiffres où ils
sentent — pas
à cause du débat, là, depuis un certain
temps — Montréal
a de la misère... bien, de la misère... c'est plus difficile, que le contexte de compétitivité — donc, ça a commencé déjà — entre les universités au Canada… que les
autres universités au Canada sont très, très proactives pour attirer…
Donc, vous, vous avez cette crainte d'attraction, que ce débat puisse, au
niveau de l'attraction et rétention… Je l'ai entendu. Quand je suis allée pour
le débat, là, il n'y a pas si longtemps, cet automne, j'ai entendu des étudiants
étrangers me le dire. Ils m'ont dit carrément qu'ils ne voulaient plus rester. Ce débat les avait mis à l'envers et de penser
qu'on s'en allait vers ça. C'est des anecdotes pour l'instant. Donc,
vous, en réponse à cette question, vous avez la crainte, mais vous n'avez pas
encore de preuves. C'est une crainte que vous avez. C'est ça?
M.
Bacon (Benoit-Antoine) : On le
voit, il y a... C'est un marché global très, très compétitif. Que l'on parle
du Canada ou que l'on parle d'autres régions
du monde, attirer les meilleurs professeurs, les meilleurs étudiants, c'est
de plus en plus difficile. C'est de plus en
plus difficile, il y a plusieurs raisons pour ça. Parfois, ce sont les
conditions de travail ou le niveau de compensation qui rend difficile à
compétitionner, par exemple, avec les États-Unis. Puis, quand on met des règles supplémentaires qui rendent difficile...
Par exemple, pensez à nos étudiants en génie, ou en finance, ou en
sciences qui viennent d'ailleurs ou qui,
peut-être, portent ou ont des amis qui portent des signes religieux dits
ostentatoires, ils se sentent
inquiets, ils se sentent menacés. Lorsqu'on les contacte pour aller ailleurs,
bien, ils sont plus réceptifs à des offres, certainement. On le voit
déjà.
Mme Weil : Merci beaucoup. Je
cède la parole...
Le Président (M. Ferland) :
Alors, Mme la députée de Bourassa-Sauvé, il reste 10 minutes, environ.
Mme de Santis :
Oh, mon Dieu! Merci beaucoup, M. le Président.
Le Président (M. Ferland) :
Ah oui! Il y a amplement de temps, allez-y.
Mme de Santis :
Alors, merci. Merci beaucoup. Moi aussi, je suis très fière de Concordia. Même
si j'ai fait mes études à McGill, j'ai décidé que je préférais siéger le
conseil d'administration à Concordia au lieu que McGill parce que Concordia représente quelque chose que moi, je
tiens énormément à coeur, c'est d'inclure ceux et celles qui sont exclus
par d'autres. Ça fait partie de l'histoire
de Concordia, et je trouve que c'est très important, le répéter. C'est très
important d'aussi rappeler à tout le monde pourquoi, en 1974, on a choisi le
nom Concordia. Quand Sir George Williams et le collège Loyola se sont unis, il
fallait choisir un nom. On a choisi Concordia, et vous savez pourquoi? C'est
parce que l'armoirie de Montréal dit :
Le salut par la concorde. Et c'est pour mettre l'emphase sur le fait que les
peuples fondateurs de Montréal ont travaillé ensemble pour créer une
merveilleuse ville et… Exactement, n'est-ce pas?
Maintenant,
si je viens à mes questions, aux États-Unis on ne peut pas légiférer pour
établir une religion et on ne peut
pas empêcher l'exercice d'une religion. Mais on peut porter la kippa, le voile,
on peut porter des signes religieux. Je crois qu'il y a tout un débat de
l'indépendance des universités et… «academic freedom» qui se fait partout. Et,
si on regarde Harvard, UCLA, on va avoir des
professeurs qui portent des signes religieux, et des étudiants. Il ne semble
pas y avoir un problème à Harvard, ou UCLA, ou toutes ces universités qui sont
bien connues à travers le monde, et on voudrait être comme ces universités.
Vous dites qu'il n'y a pas de problème à Concordia. Est-ce que vous comprenez l'argument qu'on a essayé de faire, qui a été fait
à travers des mots de, par exemple, Mme Desjardins? Est-ce que le fait
qu'on porte un signe religieux affecte cet «academic freedom» qu'on retrouve
aux universités?
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : C'est
peut-être notre message premier et fondamental aujourd'hui.
L'université, c'est un lieu d'idées, c'est un lieu d'innovation, de création,
puis les gens qui font la création et l'innovation sont les bienvenus, quelle
que soit leur origine. Que ce soit Harvard ou Concordia, on est en compétition
pour les meilleurs cerveaux, les meilleurs
chercheurs, les meilleurs étudiants, quelle que soit leur origine, quelle que
soit la manière dont ils choisissent
de se vêtir, tout à fait. C'est important pour Concordia, pour Montréal, pour
le Québec d'attirer les meilleurs pour continuer de développer la
connaissance, oui.
Mme de Santis :
Maintenant…
Une voix : …
Mme de Santis :
Il ne faut pas me parler dans l'oreille, je… Mais il y a une compétition pour
les étudiants qui viennent de l'extérieur.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Bien sûr.
Mme de Santis :
O.K. Une fois qu'on a un visa d'étudiant, on peut travailler sur le campus.
Maintenant, ce projet de loi dirait que n'importe qui qui travaillerait
dans une université, ces étudiants qui sont des chargés de cours ou qui font de
la recherche, ne pourraient plus travailler s'ils portent leur kippa ou leur
voile?
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Oui. Ça met
leur emploi en péril, oui.
Mme de Santis :
Et comment vous voyez ça? Est-ce que c'est une autre raison que, peut-être, les
jeunes étudiants ne choisiraient pas une université au Québec?
M. Côté (Roger) : Il ne faudrait pas
demander aux gens de divorcer de leur identité identitaire pour faire un choix d'établissement. Les étudiants chez nous
sont des personnes entières et oeuvrent comme personnes entières, tout comme les professeurs et les employés
administratifs. Alors, je pense que c'est important de respecter cette
dimension-là.
Ça
fait 33 ans que je travaille à l'Université Concordia, ça fait un petit bout de
temps que je suis à l'Université Concordia,
et je peux vous dire que c'est impressionnant, l'harmonie qui y règne et la
cohabitation qui règne dans cette communauté-là.
Oui, on peut avoir des opinions différentes sur plein de sujets, mais ils ont
toujours trouvé moyen de travailler
ensemble, de vivre ensemble et d'être ensemble en harmonie. Et ça, c'est une
richesse extraordinaire. Alors, de mettre
des contraintes à la façon de vivre, d'être, pour moi, vient atténuer, si vous
voulez, l'optimisation de cette expérience éducative là. Alors, c'est
sur quoi il faut faire extrêmement attention.
• (14 h 50) •
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : Vous avez commencé en parlant d'exclusion. Je me permets
de vous lire un ou deux témoignages très, très
courts. «J'ai quitté mon pays précisément pour fuir la discrimination, en pensant pouvoir vivre
librement ailleurs, sans être inquiétée.
Je n'ai qu'une question : Mon foulard fait-il du mal? Et, si tel est le
cas, en quoi?»
Un
autre : «J'étudie à Concordia et, si j'avais entendu parler de la charte
avant de venir au Québec, je me serais installé
ailleurs. Plus une société est ouverte, plus elle est prospère. Ce projet de
charte est inutile. Pour améliorer la vie des gens, mieux vaut miser sur
l'économie que sur les questions de liberté et de religion.»
Et, finalement, un
dernier : «Si nous sommes appelés à cohabiter avec des immigrants et des
Canadiens de religions et de croyances
différentes, il nous faut pratiquer la tolérance et l'acceptation. Si nous
voulons que les femmes soient libres
et s'intègrent au milieu du travail, il ne faut ni les isoler, ni les rejeter,
ni les licencier. Si nous voulons bâtir une société dynamique et
innovante, il faut faire de nos différences un atout — et
c'est ce qu'on fait à Concordia — qui nous permet d'explorer diverses
manières d'être, d'agir et de partager.» Donc, on est inclusifs, là.
Mme de Santis :
Une autre question, maintenant. Je sais que les finances sont un peu précaires
pour les universités, mais pour tout
établissement d'éducation. Si ce projet de loi est adopté, il y a toutes sortes
de possibilités de recours judiciaire. Est-ce qu'il y a des sources
d'argent possibles pour entreprendre des recours judiciaires? Combien tout ça va coûter? Parce que, jusqu'à date, on ne
parle pas du tout du coût. Si on adopte cette loi, tout ce qui va venir
après, des coûts pour le gouvernement, les
coûts pour les citoyens, pour les institutions, on parle de millions, mais des
centaines de millions peut-être. Parce qu'étant
avocate je sais très bien combien coûtent les services légaux. Alors, est-ce
que vous avez une opinion là-dessus?
M. Côté
(Roger) : Je pense que le scénario est peut-être un peu hypothétique
pour le moment, on profite de l'occasion et
de l'invitation qu'on a reçue. On apprécie l'invitation qu'on a reçue de venir
se prononcer, partager notre point de vue, on espère recevoir l'écoute
du gouvernement, et je pense qu'on s'en tient à ça pour le moment, aujourd'hui.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Je peux quand même rajouter que, nos ressources
financières, on multiplie les efforts pour
qu'elles soient investies directement dans la qualité de l'enseignement, de la
recherche et de la vie des étudiants. C'est notre priorité numéro un.
Le Président (M.
Ferland) : Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce, il reste
environ deux minutes.
Mme
Weil : O.K.
Excellent. J'ai entendu votre recteur à la Chambre de commerce de Montréal,
son discours, il y a quelques mois, formidable — au
mois de novembre — sur
les universités, l'attraction, la compétitivité, la diversité, l'innovation. Et, je vous dis, votre discours
ressemble exactement au discours de la chambre de commerce, et tout le
milieu économique, pas juste de Montréal, ici, dans la ville de Québec, j'entends le même discours, toutes les grandes
métropoles très cosmopolites qui encouragent la diversité, c'est l'avenir. Mais
j'aimerais vous entendre, vous l'avez évoquée, cette diversité, diversité et
innovation. Juste, peut-être, dans la minute qu'il reste.
Le Président (M.
Ferland) : …environ une minute, M. Côté ou M. Bacon. Allez-y.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Oui. Bien, merci. Effectivement, on était très
fiers de notre recteur, le Dr Shepard, quand il s'est adressé à la
Chambre de commerce de Montréal. Il mettait sur le plancher des idées pour
relancer l'activité économique à Montréal et au Québec en misant sur
l'innovation, sur la diversité, sur des gens qui viennent ensemble, qui se regroupent, de toutes les
origines, de tous les champs de recherche aussi pour créer, pour innover
des choses nouvelles. C'est absolument
clé, et, à Concordia, ça fait partie de nos objectifs premiers. Nous avons
récemment mis sur pied un écosystème d'innovation,
qu'on appelle Disctrict 3, où des ingénieurs, des gens de commerce, des
artistes de toutes les nationalités se
regroupent et innovent, créent vers du développement de nouveaux produits, de
nouveaux services pour le développement économique de la province.
Mme Weil :
Certains portent des signes?
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : Oui, c'est possible.
Mme Weil :
Des signes religieux.
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : C'est possible. On ne tient pas un décompte, on ne le
remarque pas, en fait, mais il m'apparaît évident que c'est possible.
Mme Weil :
Merci beaucoup.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Merci à vous.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci beaucoup. Alors, maintenant, je cède la
parole à la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. M. Bacon, M. Côté, merci. Merci pour votre mémoire. D'entrée de jeu, je voudrais souligner que le
deuxième groupe d'opposition ne veut pas interdire le port de signes
religieux dans les universités. Nous voulons l'interdire au niveau primaire et
secondaire pour des raisons évidentes, on est en présence d'enfants d'âge mineur, influençables, captifs. Mais ici on
parle d'adultes, d'adultes qui font un choix, d'adultes éclairés et qui
sont capables de faire la part des choses, M. le ministre.
Et, cela dit, vous avez dit quelque chose dans
votre mémoire qui m'a beaucoup touchée quand vous avez dit : L'université,
c'est la pluralité des points de vue. Et c'est surtout là que ces jeunes
adultes, ces adultes même de tous âges — on va à l'université à tout âge — sont capables de faire la différence et ne
seront pas influencés par ce qu'ils voient parce qu'ils ont les
capacités, entre autres, de le faire.
Dans votre mémoire, à la page 3, vous nous
dites : «Les universités et leurs employés ne font pas partie de la fonction publique. C'est en effet sur cette autonomie que repose leur liberté
d'enseigner, de faire de la recherche et de critiquer l'État.» C'est un
argument que je souligne, que je souligne, que je conserve et que je partage
avec vous.
Maintenant,
vous avez des préoccupations à
l'égard des employés. Vous
dites : Chez nous — à la page 1 — ça
toucherait 7 000 employés si le projet
de charte était adopté tel quel. Dites-moi, à votre connaissance, sur les
7 000 employés, avez-vous une idée de la proportion des employés
qui portent des signes religieux? Je sais que, tout à l'heure, M. le ministre s'inquiétait beaucoup d'élèves lors
d'examens, mais la loi ne touche pas les élèves. Alors, les employés,
quel pourcentage portent des signes religieux? Avez-vous une idée?
M. Côté (Roger) : Bien, en fait...
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Tu y vas?
M. Côté (Roger) : O.K. En fait...
M. Bacon (Benoit-Antoine) : …ça va.
M. Côté (Roger) : Merci. Ce genre de
données là, on ne le collecte pas, on ne demande pas aux employés de l'université, à leur point d'embauche, ni aux étudiants d'ailleurs,
quel est leur affiliation religieuse ou d'autres perspectives. Alors, on n'a pas de chiffres. Mais vivre
l'expérience de Concordia, c'est évident qu'il y a une diversité très
grande. Mais on ne pourrait pas vous
chiffrer parce que la loi ne nous permet pas d'amasser cette information-là, et nous n'avons pas le souhait d'amasser cette information-là.
Alors, je ne pourrais pas vous dire.
Mme Roy
(Montarville) :
Mais il y en a, ça existe. Mais il y a des professeurs, il y a
des enseignants qui arborent des signes religieux, ce qu'on appellerait
ostentatoire selon le projet de loi. Oui.
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : Je suis très
intéressé par votre premier point, la différence entre l'éducation primaire et secondaire et ce
qu'on appelle l'éducation supérieure.
Mme Roy
(Montarville) :
Allez-y, élaborez.
M. Bacon (Benoit-Antoine) : Je pense que
vous avez tout à fait raison, que c'est deux choses. D'ailleurs, le gouvernement
actuel a entériné la différence par la création d'un nouveau ministère, là, le ministère
de l'Éducation supérieure, de la Science et de la Technologie, ce qui est une bonne décision. Donc, il n'y a pas de marché mondial
des étudiants et des professeurs au niveau primaire et secondaire, il y a un
marché mondial très compétitif au niveau des universités, où il faut continuer d'être capable de recruter
les meilleurs cerveaux, les étudiants, les professeurs. Associer l'éducation supérieure à la science et à la technologie, c'est une bonne
idée, c'est là que ça se passe, ces choses-là vont de pair. Il faut continuer à développer la science et la technologie parce que
ce sont des importants vecteurs de progrès social et économique, puis ça passe par l'éducation
supérieure. Il faut faire attention de toujours protéger notre capacité à
attirer les meilleurs. Ce n'est pas le cas au niveau de l'éducation primaire et
secondaire parce que c'est un marché local. Voilà.
Mme Roy
(Montarville) : Et, s'il y a un endroit, justement, où il
faut être critique, où on peut être critique, et même c'est plus que souhaité, c'est dans les universités. Et c'est là
qu'on est exposé aussi à la diversité, donc c'est la place pour poser
des questions, critiquer. Alors, comme je vous dis, moi, votre mémoire est
clair pour moi.
Juste une
dernière petite question. À ceux qui auraient comme argument : On paie
pour les étudiants étrangers, voulez-vous juste nous rappeler ou me
corriger si je me trompe, les étudiants étrangers paient-ils plus cher que les
étudiants québécois pour avoir accès à nos universités ici?
M. Côté (Roger) : Oui. Il y a un
schéma de trois niveaux de frais de scolarité : les résidents du Québec,
les Canadiens non résidents du Québec et les étudiants étrangers, et le
différentiel, le forfaitaire ne bénéficie pas les établissements localement. Alors, ce forfaitaire-là reste dans les
coffres de l'État en grande partie, et, essentiellement, c'est de trois
niveaux de scolarité.
Quand
on parle de recrutement, aussi on parle d'étudiants étrangers, on parle
d'étudiants d'ailleurs, mais aussi il faut
parler d'étudiants d'ici. Les étudiants qui sont de différentes dynamiques
culturelles ou héritages culturels sont ici à la fois, ils ne sont pas
tous à l'étranger.
Le Président (M. Ferland) :
…le temps est écoulé pour...
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, monsieur.
Le Président (M. Ferland) : …la
députée de Montarville, je dois aller vers la députée de Gouin.
• (15 heures) •
Mme David : Merci,
M. le Président. Messieurs, bonjour.
Écoutez, comme je suis d'accord — et
je pense que vous le savez — avec
beaucoup de vos propos et de vos positions, je vais vous
dire où j'accroche. Je vais le faire avec franchise et j'aimerais vous entendre là-dessus.
La liberté académique, oui, le respect du pluralisme, oui, d'apprendre des
différences, oui. Je suis aussi une
féministe qui a très à coeur l'égalité entre les hommes et les femmes et j'ai
un souci pédagogique de communication
entre un professeur et ses élèves, et ça, pour moi, ça s'applique quand même
aussi au niveau universitaire.
J'ai donc vraiment beaucoup
de difficultés avec la position que vous avez qui consiste à permettre que des
étudiantes… étudiants, je ne le sais pas, là, à moins qu'ils portent des
cagoules, mais étudiantes portent des niqabs ou des burqas dans une salle de
classe.
Je vais être vraiment profondément honnête, là — au
risque d'être critiquée, ce n'est pas grave, ce ne sera pas la première fois — si je
devais, un jour, enseigner dans votre prestigieuse université, j'aurais énormément
de difficultés à le faire dans une classe où il y aurait des étudiantes dont je
ne verrais pas le visage du début à la fin de la session. Et, pour moi, plus grave encore, votre position, si je la
comprends bien, pourrait théoriquement… je suppose que ça ne se pose
pas pour l'instant, mais, théoriquement, pourrait vous amener à permettre
qu'une enseignante portant le niqab ou la
burqa enseigne chez vous. Et là on pourrait se faire des longs épilogues
philosophiques féministes, là, mais, pour une raison bête et simple de communication et de pédagogie, ça me paraît
impensable. Donc, j'ai été franche avec vous. Je le fais respectueusement parce qu'en même temps
j'admire beaucoup votre travail, mais, vraiment, là-dessus, j'accroche,
puis je ne dois pas être la seule. Alors, j'aimerais ça, vous entendre.
M. Bacon
(Benoit-Antoine) : Oui, c'est une
question très, très importante, l'égalité des hommes et des femmes pour
nous. C'est non négociable, et une valeur fondamentale et de base. Comme vous
le savez sûrement, nous avons chez nous
l'Institut Simone-De Beauvoir, fondé en 1978, un des premiers instituts
canadiens, possiblement le premier qui se concentre sur la recherche,
l'enseignement et l'action sur la vie des femmes. Ils nous ont soumis un
mémoire, puis j'avais très hâte de lire leur position. Elle s'avère très
recherchée, nuancée et éclairante.
Et je me permets d'en lire quelques extraits à
la commission : «…nous vous exhortons — et c'est l'Institut Simone-De
Beauvoir comme groupe qui parle — de ne pas adopter le projet de loi
n° 60 pour les cinq raisons suivantes :
il affirme, à tort, que la laïcité se traduira par l'égalité entre les hommes
et les femmes, il fait équivaloir, à tort, le voile à l'oppression des femmes, il dicte — [outre] ce qui est déjà inscrit dans la
loi — ce que
les gens, en particulier les femmes,
peuvent et ne peuvent pas porter, il aura un impact dévastateur sur les femmes
déjà marginalisées et il aura des conséquences extrêmement néfastes sur
le milieu universitaire et en particulier l'Institut Simone-De Beauvoir, ses étudiantes et ses chercheures, ainsi que pour les
activités d'enseignement et de recherche qui sont au coeur de sa
mission.»
Sur la question
spécifique du voile, l'approche féministe, selon l'Institut Simone-De Beauvoir,
conteste les lois qui dictent aux femmes ce qu'elles peuvent et ne
peuvent pas porter.
Le Président (M. Ferland) :
Malheureusement, M. Bacon, le temps étant écoulé, c'est… Je vous remercie pour le temps que vous avez pris pour présenter et
préparer le mémoire et de vous déplacer pour venir nous le présenter.
Je vais
suspendre quelques instants pour permettre au prochain intervenant, M. Denis
Forcier, de prendre place.
(Suspension de la séance à 15 h 4)
(Reprise à 15 h 8)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Maintenant,
nous allons entendre M. Denis Forcier.
En vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour présenter votre mémoire,
ensuite suivi d'un échange avec les groupes parlementaires. Alors, la
parole est à vous, M. Forcier.
M. Denis Forcier
M. Forcier (Denis) : Alors, bonjour,
MM. et Mmes les parlementaires, M. le Président. J'espère qu'à défaut de
représenter une grande institution vous accepterez que je puisse représenter peut-être
la concorde, simplement. Alors, je suis un
simple citoyen. Je viens de Shefford. J'ai été enseignant, j'ai été directeur d'école, je suis
maintenant à la retraite. Vous avez deux documents devant vous que j'ai fait
parvenir à la commission. Ce que je vais faire, c'est une synthèse de ces deux
documents avec des commentaires. Alors, j'espère que je rentrerai dans le
10 minutes.
• (15 h 10) •
Alors,
j'ai intitulé mon mémoire Pour un modèle de laïcité plus audacieux et plus rassembleur. L'interdiction des signes religieux
recueille, selon le sondage de lundi du Journal de Montréal, 60 %
d'appui, et c'est 69 % chez les francophones.
C'était 51 % en septembre, et 58 % chez les francophones. Et rien
n'indique que la tendance va fléchir, et cela, en dépit des positions à la fois des anciens premiers ministres, de la CAQ, de Québec
solidaire qui proposent plus
ou moins une réduction du champ d'application de la laïcité, le Parti libéral
proposant même de la mettre quasi hors champ.
Les Québécois veulent une charte de la laïcité et un champ d'application le
plus large possible, englobant même les écoles confessionnelles subventionnées, ce que disait, je pense, M. Guy
Rocher il y a quelques jours. Si les Québécois se passionnent pour ce débat, c'est qu'ils veulent
que le résultat adopté fasse une différence et marque l'histoire. Alors,
moi, je souhaite que les partis d'opposition
se mettent au travail pour bonifier cette charte plutôt que de chercher à la
démolir, car ils ne vont pas réussir. S'il le faut, c'est l'électorat qui va
s'en mêler.
Je veux, cet
après-midi, apporter ma contribution pour tenter d'améliorer le modèle proposé,
car il suggère de faire apparaître la neutralité de l'État en faisant
disparaître les signes religieux ostentatoires, mais il se pourrait que, dans cette opération, disparaissent également des
personnes de leur milieu de travail. C'est un risque qu'il faut prévenir,
car les Québécois n'accepteront pas ces
conséquences. Je pense que maintenant, selon les sondages, c'est autour de
45 % qui n'accepteraient pas ces conséquences. Dire, comme on l'a
vu sur des affiches : «C'est mon voile ou le BS» est une forme de fanatisme aux yeux des Québécois.
Dire : «Eh bien, ce sera son choix», c'est cautionner ce fanatisme, ce
qui n'est guère mieux.
Le
Président (M. Ferland) : …aux termes. J'ai fait une remarque ce
matin à l'ensemble des parlementaires et des groupes ou des individus
qui viennent, aux termes ou aux propos utilisés, juste de faire attention.
Allez-y, continuez.
M. Forcier
(Denis) : Je suis ici cet
après-midi pour proposer un moyen de limiter ce genre de dérive.
D'ailleurs, à une certaine époque, ne
disions-nous pas qu'au Québec c'est la personne avant toute chose? Bon,
l'objectif visé par le modèle Drainville, là, est d'assurer la
discrétion religieuse dans l'espace laïque. C'est louable, mais les moyens pour
y arriver, en effet, sont fort discutables,
en particulier les articles 5 et 14 du projet de loi. J'attire donc votre
attention sur ces modalités d'application.
D'abord,
allons-y avec l'article 5, qui s'énonce ainsi : «Un membre du personnel
d'un organisme public ne doit pas porter,
dans l'exercice de ses fonctions, un objet, tel un couvre-chef, un vêtement, un
bijou ou une autre parure, marquant ostensiblement, par son caractère
démonstratif, une appartenance religieuse.»
C'est bien
ici que le bât blesse, en effet. Je vous soumets, en lien avec cet article 5,
un cas type hypothétique, mais, néanmoins,
vraisemblable. Voici une enseignante de quatrième secondaire en mathématiques
et sciences voilée depuis 10 ans,
aimée de ses élèves et qui ne parle jamais de religion, mais que la direction
prévient de son congédiement éventuel pour
refus, au terme d'un dialogue, de retirer son voile sur les heures de travail.
Je plains le directeur d'école qui serait pris avec un tel cas
d'application de la loi, surtout si cette enseignante était la seule femme
voilée parmi son personnel. Vous pouvez être
certains qu'il aurait sur le dos l'ensemble des enseignants, le syndicat, les
parents et, surtout, les élèves, qui,
en apprenant cela, s'exclameraient ainsi : C'est bien niaiseux, et iraient
peut-être jusqu'à débrayer. Et ils n'auraient pas tort, car, manifestement, il y aurait
disproportion évidente entre la faute, soit porter un signe religieux indiscret
parce que de taille soi-disant trop
grande, et le châtiment, qui est le congédiement. Ce n'est pas très bon pour le
climat de travail ni pour le
directeur. Et je pense que vous n'avez pas fini d'entendre parler de ces
difficultés d'application et même de refus d'application, en particulier
de la part de la commission scolaire English-Montréal.
Dans l'exemple
précédent, pour comprendre pourquoi ce dialogue avec l'enseignante a échoué, il
faut bien lire l'article 14 du projet
de loi : «Lors du premier manquement à la restriction relative au port
d'un signe religieux de la part d'un
membre du personnel d'un organisme public, l'imposition de toute mesure
disciplinaire par l'organisme est précédée d'un dialogue avec la
personne concernée afin de lui rappeler ses obligations et de l'inciter à se
conformer.»
À l'évidence,
le sens donné au mot «dialogue» dans cet énoncé est carrément inapproprié,
sinon abusif, car, dans les faits, il se transformera, au mieux, en une
subtile manipulation qui, parfois, peut réussir et, au pire, en coercition ou
carrément en une forme de chantage ressentie par la femme voilée comme une
injonction définitive du type : Tu te déshabilles ou je te congédie.
Est-ce que
cette approche ne risque pas de favoriser des formes d'intimidation dans les
relations de travail dans nos
institutions publiques? Pour un véritable dialogue qui doit être plutôt une
forme de partage et d'échange en vue d'un résultat mutuellement satisfaisant, cet article 14 doit être
complètement repensé et reformulé. Permettez que je propose la
formulation suivante : «Lors du premier manquement de la part d'un membre du
personnel d'un organisme public, l'imposition
de toute mesure disciplinaire par l'organisme est précédée par une rencontre
d'information avec la personne concernée
afin de lui expliquer les options possibles qui lui sont offertes pour
faciliter son adaptation à la charte de la laïcité. Ces options sont les
suivantes :
«1° modifier ou changer son signe d'appartenance
religieuse pour le rendre discret selon les normes prévues à la
politique de mise en oeuvre de l'organisme;
«2° abandonner tout signe d'appartenance
religieuse dans le cadre de son travail; et
«3° faire une
demande formelle afin d'obtenir de l'autorité compétente de l'organisme un
sauf-conduit valide pour cinq ans et renouvelable, au nom des valeurs
ancestrales québécoises.»
Pour rendre possible l'existence de ce
sauf-conduit, un alinéa devrait être ajouté à ce nouvel article 14 qui s'énoncerait ainsi : «À l'adoption de ce
projet de loi, le crucifix de l'Assemblée nationale sera désactivé de sa
fonction cultuelle pour ne représenter que
les trois valeurs ancestrales et communes du Québec, soit la liberté, la
fidélité et le partage.»
À
moins d'une décision contraire de retrait par l'organisme public, il en sera de
même pour tout objet religieux se trouvant
encore dans ces espaces maintenant laïques ou civiques. En conséquence, dans
ces lieux, aucune manifestation religieuse
ou prière ne sera de mise. De plus, toute personne membre du personnel d'un
organisme public pourrait, au nom de
ces valeurs, demander un sauf-conduit lui permettant de porter un signe
religieux autrement jugé ostentatoire. Ainsi, il sera convenu que, par
la demande et l'obtention de ce sauf-conduit, la réduction volontaire du sens
de ce signe sera équivalente à la réduction de sa taille.
Je doute que
quelqu'un ici puisse dire que la liberté, la fidélité et le partage ne seraient
pas les valeurs ancestrales du Québec.
Alors, pourquoi ne pas le reconnaître et en faire la promotion? La création de
ce sauf-conduit en serait l'occasion. Et
inscrire ces valeurs au-dessus du crucifix de l'Assemblée nationale marquerait
l'histoire, surtout que l'actuel projet manque de profondeur concernant
les valeurs québécoises qu'il prétend porter. L'égalité hommes-femmes, la
laïcité, la neutralité sont des valeurs du Québec moderne des 50 dernières
années. Le projet semble occulter le passé, comme si le Québec d'antan n'avait
pas de vraies valeurs, que celles-ci seraient apparues à la Révolution
tranquille. Je trouve cela réducteur,
aliénant et même insultant. De plus, en maintenant le crucifix par cette
opération de l'esprit laïque, pourrait-on dire, les députés se
montreraient cohérents avec leur position unanime du 22 mai 2008, soit de
maintenir le crucifix à l'Assemblée
nationale, ce que vient de proposer le chef du Parti libéral, Philippe
Couillard. Ce concept du sauf-conduit amène…
Le
Président (M. Ferland) : M. Forcier, je dois vous arrêter. Le
10 minutes étant écoulé, nous allons aller à la période d'échange.
Alors, je reconnais… M. le ministre, la parole est à vous.
M. Drainville : Très bien.
Merci beaucoup, M. Forcier. Vous êtes venu de Maniwaki, c'est ça?
M. Forcier (Denis) : De Shefford.
M. Drainville : Ah!
M. Forcier (Denis) : Parce que je
suis résident de Shefford maintenant, depuis sept ans…
M. Drainville : Vous avez
oeuvré très longtemps…
M. Forcier (Denis) : …mais j'ai vécu
pendant 35 ans à Maniwaki comme enseignant et directeur d'école.
M. Drainville : Voilà.
M. Forcier (Denis) : C'est pour ça
que mon exemple est un exemple de l'éducation.
• (15 h 20) •
M. Drainville : Bien sûr.
Bien sûr. Vous accordez une très grande importance, donc, à cette mécanique de dialogue. Comme vous le savez, nous, on propose
dans la loi… Puis j'ai bien compris que vous jugez que c'était insuffisant,
là, mais, juste pour que les gens qui nous
écoutent suivent la discussion que nous allons avoir dans un instant, donc,
nous, nous proposons dans la loi qu'il y ait
une période d'une année entre le moment où la loi est votée et la mise en
oeuvre de la restriction en matière de port
de signes religieux. Ça pourrait aller jusqu'à cinq ans, même, si une
université le demande ou encore une municipalité, etc.
Et on dit : Une fois que la règle
l'interdit, donc, de porter un signe religieux… va être mise en oeuvre, si une personne refuse de le retirer, bien, il y aura une période de dialogue, de conciliation
qui s'inspire un petit peu — pas mal même — de ce
qui s'est fait dans les institutions publiques françaises lorsqu'ils ont
décidé, donc, d'encadrer le port de signes religieux ostentatoires.
C'était pour les élèves. Nous, on ne va pas jusque-là, là. Donc, quand ils ont
voté cette loi-là en France, ils se sont
donné ce processus de conciliation, de dialogue, et ça a très bien fonctionné.
Moi, j'ai rencontré des représentants du Conseil constitutionnel de
France, c'est ça, et je leur demandais, justement, comment ça s'était passé, et ils me disaient que, dans plus de
90 % des élèves, ceux et, surtout, celles qui portaient un signe religieux
avaient accepté de le retirer. Dans certains
cas, au terme, justement, de cet échange, cette conciliation, cette période de
dialogue au cours de laquelle, donc, le
directeur d'école, par exemple… On verra, là, comment ça va s'opérationnaliser,
mais ça pourrait être, par exemple,
le directeur d'école ou quelqu'un de la commission scolaire qui rencontre
l'élève, rencontre les parents, puis
leur fait valoir qu'il y a un nouveau cadre législatif, il y a une nouvelle
loi, puis voici les règles qui s'appliquent.
Et donc, en
France, ça a très bien fonctionné. Lorsque ce projet de loi là a été proposé,
il y a eu toutes sortes de critiques
qui avaient été formulées à ce moment-là. On disait que ce serait l'exode, la
vaste majorité des étudiants et des étudiantes,
en particulier, qui étaient concernés quitteraient le secteur public pour les
écoles privées, et tout ça. Ça ne s'est pas du tout avéré. Dans plus de 90 % des cas, la transition s'est
très bien faite. Et il y a eu, effectivement, quelques cas de personnes qui ont quitté ou qui ont été obligées
de quitter, mais c'est vraiment un nombre très minime. Alors, voyant
cela, nous, on s'est dit : Bien, c'est vrai qu'il faut que la transition
se fasse le plus en douceur possible. Puis, nous — vous m'avez entendu le
dire, je suis certain — on
souhaite garder tout le monde. On ne veut pas perdre personne dans ce
processus-là parce que, de façon générale, les personnes qui travaillent dans
le service public, qui travaillent dans les institutions publiques sont des
personnes qui sont compétentes et qui sont très appréciées.
Alors, j'ai
bien compris que vous, vous souhaiteriez aller plus loin avec cette idée, donc,
d'un sauf-conduit. Est-ce que je peux vous demander… est-ce que vous
avez réfléchi à comment ça fonctionnerait, ce sauf-conduit? Parce que, dans le fond, ce que vous proposez, c'est une mécanique qui
permettrait à toute personne qui le demande de pouvoir garder son signe
religieux pour une période de cinq ans renouvelable. Dans le fond, c'est un peu
ça. C'est ça, hein? Il n'y aurait pas d'exception, là, les personnes qui le
demanderaient l'obtiendraient automatiquement. C'est ça?
M. Forcier
(Denis) : Je vais revenir
là-dessus, mais vous avez comme deux préoccupations ou deux questions
dans votre intervention. Le fait qu'en France
ça s'est, finalement, assez bien passé… Vous parlez de 2004 puis de
l'interdiction faite aux élèves, là, mais je
pense qu'en France ce n'est pas le même contexte qu'ici. Et on fait peut-être
erreur de comparer notre situation à celle de la France. Ici, il y a
quelque chose de très important, à mon avis, c'est que, depuis 2006, depuis l'histoire du kirpan et depuis l'histoire
de tous les accommodements qui s'en sont suivis, tout ça, accepté par
les tribunaux, accepté par la Commission des
droits de la personne, accepté par la Cour suprême, il y a un énorme
chemin de fait par rapport à un modèle de
laïcité qui n'est pas le modèle français. C'est un modèle qui est dans le sens
de l'accommodement, et il y a beaucoup de chemin de fait là-dessus.
Et, d'ailleurs,
les principaux opposants, vos opposants — on peut parler de M. Taylor, Charles
Taylor — ils
vont invoquer tout de suite cet aspect-là d'accommodements, cet aspect-là de
protection par la Cour suprême et, tout de suite,
ils vont dire : Votre projet de charte, quand il va être adopté, puisque
vous voulez interdire les signes religieux — et ça, c'est sacré du
point de vue de la Cour suprême — vous allez avoir un tollé de
protestation, vous allez avoir toutes sortes
de… Au niveau juridique, même le NPD est prêt à payer les gens pour qu'ils
contestent ça au niveau juridique. Autrement dit, ce que je veux dire…
M. Drainville : NPD, ils ne
l'ont pas trop répété ces derniers temps, ils ont baissé le ton un petit peu.
M. Forcier (Denis) : Ils ne l'ont
pas répété. Bien, ils ont compris politiquement, là, mais ils l'ont dit quand
même. Alors donc…
M. Drainville : Au début. Ils
l'ont dit au début, oui.
M. Forcier
(Denis) : Alors donc, ce que
je veux dire, c'est qu'il y a une opposition féroce à votre projet. Et
je pense que vous allez être le premier, comprenant votre sensibilité, dont personne ne doute au Québec,
vous allez être le premier à avoir de la peine si jamais ça aboutit
devant les tribunaux, si jamais il y a des congédiements parce que quelqu'un portait le voile et qu'il y tenait. Donc, le sens
de ma proposition, c'est de tenir compte de cet historique-là. Parce que,
dans le fond, on a un modèle, déjà, de
laïcité qui est un modèle à la canadienne ou à la britannique, qui s'est
implanté depuis 2006 et qui est très fort. Puis il y a de très, très
forts appuis, il y a même des gens qui se proposent d'être… de ne pas mettre ça… ne pas appliquer cette politique-là. La
commission scolaire English-Montréal dit : On va être, nous… on va
s'opposer à l'application, on va même faire de la désobéissance civile. Donc,
c'est très, très fort.
Alors, le
sens, moi, de mon intervention, c'est de dire : Pourquoi on n'aurait pas
un modèle un peu différent au Québec? Ici, au Québec, là, M. Couillard a
dit : On va garder le crucifix à l'Assemblée nationale. Mais pris comme ça, là, avec le modèle de la laïcité qu'on veut
mettre en place, si jamais on arrive à mettre ça en place, si vous arrivez
à le mettre en place, ça ne tient pas debout
d'avoir le crucifix à l'Assemblée nationale dans un modèle de laïcité à la
française. Donc, il faut
regarder ça avec plus de nuance, plus de délicatesse, puis essayer de voir si
on ne peut pas conjuguer des choses.
Oui, c'est vrai que… Moi, je pense que le crucifix devrait rester là, à l'Assemblée nationale. Vous-même, M. Drainville, vous l'avez dit à
la sortie du premier projet…
Le
Président (M. Ferland) : …monsieur, les parlementaires
par leur titre, et non par leur nom, s'il vous plaît.
M. Forcier (Denis) : Ah!
excusez-moi.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y.
M. Forcier (Denis) : M. le ministre,
je ne viens pas souvent à la commission parlementaire, alors…
Le Président (M. Ferland) :
C'est juste un rappel, ce n'est pas un reproche, monsieur.
M. Forcier (Denis) : D'accord.
Le Président (M. Ferland) : Même
nous, des fois, on s'y échappe. Allez-y.
M. Forcier (Denis) : O.K. Donc,
j'étais en train de dire quoi, moi? Vous m'avez fait perdre mon idée, là.
M. Leclair : Le ministre
était d'accord, même lui, au début, pour garder le crucifix, vous partiez là-dessus.
M. Forcier (Denis) : Ah! oui, oui, c'est ça. Alors donc, M. le ministre était d'accord pour garder le crucifix. Même que c'est ça qui a
fait réagir autant M. Taylor. Mais, après la sortie de M. Parizeau, là, tout à coup, il est comme disparu, le crucifix. Il n'est même pas dans le projet de loi présentement, et on a même entendu que, peut-être, il pourrait prendre le bord du musée —entre guillemets, le bord de la poubelle,
hein — en
quelque part, l'été prochain, ou quelque chose comme ça.
M.
Drainville : M. Forcier, wo! Time out! Parce que je vous ai
laissé aller, en tout respect, parce qu'on est là pour écouter, là, mais, bon,
il faut quand même rétablir les faits, là. Sur la question du crucifix, ce que
nous avons dit à la suite de la consultation
que nous avons faite auprès des citoyens… Il y a eu 26 000 personnes,
quand même, qui se sont exprimées. Ce que nous avons dit, c'est qu'une
fois que la charte sera votée nous sommes prêts, nous, du Parti québécois, avec
les représentants des autres partis, à nous asseoir autour d'une même table et
à discuter de l'idée de le déplacer. Pas de
le mettre aux poubelles, là, wo! de le déplacer du salon bleu, là où sont
votées les lois, à un autre endroit dans le Parlement — ça
pourrait être dans le couloir ici, juste ici, là — et donc on
l'exposerait, le crucifix, on lui rendrait… — comment dire? — on
rendrait justice à sa valeur patrimoniale. J'ai toujours dit qu'il avait une
valeur patrimoniale, je n'ai pas changé
d'idée là-dessus. Alors, il n'est pas question de faire disparaître le
crucifix, il est question de le
déplacer de l'endroit où sont votées les lois à un autre endroit au Parlement
où il serait accessible au public. Il y aurait une explication d'où il
était, puis ce pour quoi il avait été placé à l'Assemblée, ce pour quoi on l'a
déplacé, etc. Ça, c'est la première chose.
Sur
la question de la désobéissance civile, je vous ai laissé aller parce que
j'attendais la fin de votre réponse pour réagir. Mais, quand j'ai entendu la commission scolaire English-Montréal
faire cette déclaration-là, j'ai réagi le lendemain en disant que c'était une déclaration
irresponsable parce que, comme organisme public, on se doit de respecter les
lois. Et d'envisager ouvertement la désobéissance civile dans notre société,
moi, je ne suis pas d'accord avec ça.
Sur
le modèle de laïcité, c'est un modèle de laïcité à la québécoise que nous
proposons. Pour ce qui est de la période de conciliation et de dialogue, je vous ai dit que ça s'inspirait de ce
qui s'est passé en France pour cet aspect-là du projet de loi. Mais, de façon générale, je vous dirais que
le modèle de laïcité que nous proposons, c'est un modèle de laïcité à la
québécoise. Il y a des énormes différences
entre la France et le modèle que nous proposons. Notamment, on ne
propose pas, nous, que le port des signes religieux par les élèves soit
restreint de quelque façon que ce soit. La seule restriction
que nous faisons, c'est pour le visage à découvert. Et là je m'adresse en
particulier à la collègue de Montarville, pour laquelle j'ai le plus grand respect, je voulais juste m'assurer qu'on se
comprenne bien, le visage à découvert, il s'applique tout aussi bien aux
personnes qui donnent un service que celles qui reçoivent le service.
• (15 h 30) •
Mme Roy
(Montarville) :
C'était dans notre projet de loi, d'ailleurs.
M. Drainville : Donc, les élèves, les étudiantes, les étudiants
sont couverts par la règle du visage à découvert. Je referme cette
parenthèse-là et, donc, je termine là-dessus. Je voulais juste apporter quelques
petites précisions pour ne pas qu'on se laisse sur un malentendu.
Le Président (M.
Ferland) : M. Forcier, à vous, oui.
M. Forcier
(Denis) : Bien, je pense que c'est correct de dire que ce qu'on veut
comme modèle, c'est un modèle à la québécoise.
M. Drainville :
…la différence avec la France, c'est que nous, on ne va pas dans l'espace
public. Vous savez que les Français
interdisent le voile intégral dans l'espace public, nous, on ne va pas là du
tout également, là. C'est important de le dire.
M. Forcier
(Denis) : Mais, moi, mon propos, c'était de dire qu'il y a beaucoup
d'opposition à l'actuel projet de loi parce
qu'il y a déjà beaucoup
de chemin de fait du point de vue d'une laïcité à la canadienne. Et vous-même, dans le projet de loi, vous
reconnaissez tout ce chemin-là qui a été fait concernant les accommodements et
vous conservez l'idée qu'il y ait des accommodements religieux, sauf que vous
voulez mieux les baliser. Tous les partis sont d'accord avec vous. Puis d'ailleurs on a même entendu dire : Si on pouvait
scinder le projet de loi, puis régler la question des
accommodements, et tout ça, ça serait bien correct.
Mais on regardera un autre jour la question de l'interdiction des signes religieux.
Donc, toute cette idée-là d'accommodements, M. le ministre, vous l'acceptez,
tout le chemin qui a été fait, vous acceptez ce chemin-là. Les gens qui
s'opposent à l'actuel projet de loi…
M. Drainville : J'accepte l'idée qu'il y aura et qu'il
continuera d'y avoir des accommodements à l'avenir, c'est évident. Mais ce que je dis, c'est qu'avec les
règles que nous mettons en place il y
aura peu ou pas
d'accommodements déraisonnables à l'avenir. O.K.?
Donc, c'est l'une des raisons importantes, essentielles pour lesquelles on a déposé
cette charte-là, c'est que, justement, on
pense qu'il faut que la demande d'accommodement franchisse un
certain nombre d'étapes avant d'être accordée. Et on dit,
justement : Quand il y a une demande d'accommodement, à l'avenir il va
falloir, d'abord, qu'elle s'appuie sur une discrimination réelle,
il va falloir qu'elle respecte l'égalité entre les hommes et les femmes,
il va falloir qu'elle soit raisonnable en vertu d'un certain nombre de
critères, dont les coûts, par exemple, l'atteinte aux droits d'autrui, etc. Et,
si la demande d'accommodement est faite à un organisme public, il faut que ça
respecte le principe également de la
neutralité religieuse. Donc, on balise pas à peu près, si vous me
permettez de le dire. Mais, si, effectivement, la demande
d'accommodement passe tous ces tests-là, effectivement elle sera possible, bien
sûr.
M. Forcier
(Denis) : Bien, je suis d'accord avec vous. Dans ce sens-là…
M. Drainville :
Est-ce que vous êtes d'accord avec ces différents critères?
M. Forcier (Denis) : Absolument.
M.
Drainville : Oui? Ça, vous n'avez pas de problème avec ça?
M. Forcier (Denis) : Oui, oui. D'ailleurs, mon mémoire, là, il ne porte pas du tout sur la question
des accommodements.
M. Drainville :
Non, je le sais, mais je voulais quand même vous entendre là-dessus.
M. Forcier (Denis) : Oui. Oui, je suis tout à fait d'accord avec ça, je pense qu'il faut
tenir compte de l'histoire. On est
rendus là au Québec, puis on part de là, là. Sauf que les gens qui
s'opposent au projet, justement, veulent rester dans cette notion-là
d'accommodement et la pousser plus loin peut-être, même, si j'ai bien compris,
M. Couillard parlant des signes religieux pour les policiers ou les juges…
M. Drainville :
Les policiers et les agents de détention.
M. Forcier (Denis) : … — voilà — donc
il ne dit pas : On va interdire ça, ça va être un peu sous l'angle
des accommodements, tu sais.
M. Drainville :
Au cas par cas.
M. Forcier (Denis) : Au cas par cas. Donc, c'est très fort ce côté-là, l'idée d'avoir une
laïcité accommodante basée sur les accommodements. Autrement dit, une
fois que tu as accommodé un peu tout le monde, la laïcité, c'est un peu ce qui reste, tu sais. Alors, moi, je suis contre
cette vision-là. Je partage davantage la vision que vous avez. Sauf que
la question de congédier quelqu'un parce qu'il porte un signe religieux, moi,
j'ai une très grande sensibilité par rapport à
ça. Puis je trouve qu'actuellement ce qu'il
y a dans le projet crée cette possibilité-là, puis elle va être encouragée par tous vos opposants, d'ailleurs.
Et c'est dans ce sens-là que je voulais apporter cet après-midi quelque chose
de plus parce qu'on n'a pas besoin que, dans
un an ou deux, il n'y ait plus de signes religieux dans les écoles ou dans les
institutions publiques, là. Ça nous a pris
20 ou 30 ans à sortir tous les vêtements religieux des écoles, c'est un long
processus, ça, donc on peut y aller par étapes.
Ce que, moi, je
propose pourrait être une étape intéressante. Rien ne nous empêcherait, dans
cinq ans, dans 10 ans, de réviser cette
question-là de la laïcité. Mais je voudrais, un, qu'on tienne compte du fait
que… j'aimerais que les gens qui sont rencontrés dans votre période
d'une année, là — votre
article 14, là — ils
puissent véritablement avoir des choix. Ce
qu'il y a dans la loi, ce n'est pas un choix, là, c'est une mise en demeure.
Une mise en demeure douce, mais, en
bout de ligne, il faut qu'ils se conforment. Alors, moi, j'aimerais ça qu'ils
puissent réfléchir puis prendre une décision. Je n'ai pas eu le temps d'aller au bout de mon résumé de mémoire, là, mais,
si vous adoptiez ce que je propose, ça permettrait que ce dialogue-là
soit respectueux des personnes, qu'il leur donne véritablement une possibilité
de choix.
M. Drainville :
Vous revenez à votre idée de sauf-conduit, là. C'est bien ça?
M. Forcier
(Denis) : Oui.
M. Drainville :
Très bien. Je veux juste vous dire, parce que mon temps se termine, sur la
question de la contestation, vous dites : Ça va être contesté, ça va être
épouvantable, etc. Je veux juste vous rappeler quand même, M. Forcier, qu'il y a des personnes, de très
grands juristes, de très grands spécialistes de la chose juridique, de la
chose constitutionnelle qui ont dit que le
projet passait la rampe, là. Je vous rappelle notamment les déclarations de Me
Roger Tassé, qui est l'ancien sous-ministre
de la Justice à Ottawa. C'est lui qui tenait la plume au moment où la Charte
des droits et libertés a été rédigée. M. Tassé a donné une entrevue
entre Noël puis le jour de l'An dans laquelle il disait que l'interdiction du port de signes religieux
ostensibles pour le personnel de l'État constituait — et je le cite — une prohibition qui, en fin de compte, est assez minime, elle ne
défend pas la pratique de la religion musulmane et de toutes les autres religions. Et c'est un point de vue auquel adhère
l'ancienne juge de la Cour suprême du Canada Claire L'Heureux Dubé,
l'ancienne juge en chef de la Cour du Québec, Mme Huguette St-Louis, Henri
Brun, Guy Tremblay, Maurice Arbour qui sont des professeurs de renom également.
Alors,
juste pour vous dire qu'il faut faire attention avant de tirer des conclusions,
avant de dire : Ah! c'est telle vision des choses qui a
nécessairement raison. Il y a un point de vue qui s'exprime, il y en a un autre
également qui s'exprime, et il faut faire
attention pour ne pas non plus tirer de conclusions prématurées là-dessus.
Nous, on pense que le projet a des solides fondements juridiques et on
pense que ça passe. Alors, c'est…
Mais
je veux juste vous rassurer. Vous dites : Je n'ai pas eu le temps de finir
de… Je dois vous dire que vous vous en
tirez très bien, là. Moi, votre point de vue, il est clairement exprimé, puis
votre idée de sauf-conduit, c'est, effectivement, la première fois qu'on l'entend. C'est une idée
originale. Je pense que c'est à ça que ça sert, les consultations, c'est
de permettre à des citoyens comme vous de venir proposer leur vision des
choses. Et je veux juste vous dire que c'est très
apprécié que vous le fassiez, et vous aurez l'occasion, dans les réponses que vous
donnerez aux autres parlementaires, de préciser encore davantage votre
idée.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, sur ce, le temps imparti au ministre étant
écoulé… Effectivement, les consultations sont là pour ça, pour vous écouter,
vous entendre et considérer les propositions que vous faites. Alors, je
reconnais le député de LaFontaine, je crois. C'est ça?
M. Tanguay :
Oui.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y.
• (15 h 40) •
M. Tanguay : Merci beaucoup,
M. le Président. Merci, M. Forcier, pour avoir pris le temps de rédiger un mémoire et également une autre lettre qui
l'accompagne par la suite et de venir répondre à nos questions aujourd'hui.
Alors, merci, M. Forcier pour cette
contribution. Vous avez bien ciblé, je pense, l'importance de tabler sur ce qui
rassemble les Québécoises et les
Québécois, autrement dit, la neutralité des institutions de l'État, le fait
également d'avoir des balises aux accommodements pour qu'il y ait le
respect, entre autres, de la notion d'égalité hommes-femmes, également les
services de l'État reçus et donnés à visage découvert.
Alors, depuis le début de cette consultation-là,
je dirais même depuis six mois, depuis les premiers ballons politiques — par
la suite, il y a eu, évidemment, le document de consultation et le dépôt, le
7 novembre dernier, du projet de loi
n° 60 — il y a
un très, très large consensus auquel font notamment état Lucien Bouchard,
Jacques Parizeau, Gilles Duceppe
également. Bernard Landry y a fait écho à sa façon également, Gérard Bouchard,
Charles Taylor. Et, en ce sens-là, il
est important de constater… Et je pense que c'est le message que vous envoyez
de façon très claire de faire faire
un pas en avant au Québec sur ce qui fait consensus et sur une modalité qui est
réellement l'écueil sur lequel porte cette commission, en fin de compte.
Et, dans les faits, la commission porte et les 270 heures porteront sur
l'interdiction de la liste… l'interdiction de port de signes religieux
ostentatoires par les fonctionnaires. Et ça, demain matin, c'est 600 000 Québécoises et Québécois. Donc,
là-dessus, porte essentiellement et dans les faits la commission, et, malheureusement, vous avez fait écho de notre…
malheureusement, le gouvernement du Parti québécois ne veut pas scinder le projet, faire avancer le Québec et distinguer
cet élément, ce grave écueil qui est l'interdiction de port de signes
religieux ostentatoires par les fonctionnaires de l'État.
Vous avez
même vu également que l'on étendait cette interdiction-là, dans le cadre du
projet de loi n° 60, aux entreprises,
aux employés des entreprises et qui donneraient des contrats de services
notamment au gouvernement ainsi qu'aux entreprises subventionnées, ce qui vous
a amené, évidemment, à parler de l'article 14, qui est la mesure disciplinaire.
On a beau dire : On va discuter avec la personne, mais, ultimement, qui
dit mesure disciplinaire dit, ultimement, perte d'emploi. Soit que tu enlèves
le signe ou tu perds ton emploi. Alors, en ce sens-là, M. Forcier, vous avez fait écho de l'obligation syndicale de défendre
les employés, l'obligation, évidemment, de ne pas laisser passer ça, et j'aimerais vous entendre
là-dessus, quant à l'écueil que représenterait… dans l'application dans
les faits et au conflit que représenterait cette notion, évidemment, face à
l'obligation syndicale de défendre ses membres.
M. Forcier (Denis) : Est-ce que vous
pourriez répéter…
M. Tanguay : J'aimerais vous
entendre…
M. Forcier (Denis) : …concernant
l'obligation syndicale.
M. Tanguay : Oui, de défendre
ses membres. Autrement dit, il y a une obligation… Vous êtes au courant de
l'obligation syndicale?
M. Forcier (Denis) : Oui, oui,
d'accord.
M. Tanguay : Alors,
j'aimerais vous entendre là-dessus, plus particulièrement quant à votre
réflexion à cet aspect-là qui vous amène à apporter une modification dans
l'approche.
M. Forcier
(Denis) : O.K. Mais, avant
de commenter cette question de l'obligation syndicale, dont je n'ai pas
parlé dans ces termes-là, j'aimerais
commenter un peu votre début d'intervention où vous dites : Tout le monde
s'entend au Québec sur un certain
nombre de choses concernant la charte, bon, pourquoi on ne règle pas ça
maintenant, puis qu'on n'oublie pas
la question des interdictions. Bien, j'aimerais vous rappeler là-dessus que la
majorité des Québécois qu'on voit dans
les sondages, là, ce n'est pas par rapport à ce qu'on vient de dire, là, ce sur
quoi tout le monde s'entend, qu'ils en sont, eux autres, c'est sur la question des interdictions, et il y a une
majorité de Québécois qui est en faveur de ces interdictions-là, on le voit dans les sondages. Et même votre
clientèle à vous, c'est 40 % de
votre clientèle électorale qui est d'accord avec ça. La CAQ, c'est 60 % de leur clientèle électorale qui est
d'accord avec ça. Québec solidaire, c'est 40 %. Donc, je pense
qu'on ne peut pas faire fi de ça. Les Québécois ne veulent pas juste avoir une
moitié de charte, ils veulent avoir une charte qui soit significative puis qui marque l'histoire. Puis c'est pour ça
que, dans mon propos du début, je disais : Il faut que les partis d'opposition se mettent au travail pour
améliorer ce projet-là, et non pas chercher à le démolir ou à le ramener
à quelque chose qui a l'air de rien. Parce que c'est ça qu'on sent de la part
des partis d'opposition, alors je pense qu'il y a un travail à faire de ce
côté-là. C'est le message que je voulais apporter.
Et,
concernant votre intervention touchant l'obligation syndicale, ce que je dis…
bien, je ne l'ai pas dit, là, mais là je
vais le dire. Si jamais il arrive un cas dans le milieu de l'éducation, un peu
comme le cas que j'ai mentionné, c'est certain que le syndicat va défendre son membre, même si le syndicat se serait
prononcé pour la charte. La même chose pour les parents, même s'ils se sont prononcés pour la charte, ils vont défendre
une enseignante comme celle-là, puis ça, il faut le voir. C'est pour ça
que je disais à M. le ministre qu'on peut toujours espérer que tout va bien se
passer puis que les personnes en cause ou
visées vont dire : D'accord, je laisse mon voile de côté, je laisse ma
kippa de côté, j'ai compris, etc., ça ne se passera pas comme ça. Et ce que moi, je
voulais apporter cet après-midi, c'est des moyens supplémentaires pour
être prudent dans l'établissement de cette charte-là.
M. Tanguay :
Au niveau du débat, certains vont nous faire le reproche d'avoir parfois une
approche qui tient trop compte du
droit. Et le droit, l'aspect, évidemment, de la viabilité juridique du projet
de loi n° 60, et chose certaine, vous avez entendu, vous avez
constaté ce qu'a dit le Barreau par rapport au projet de loi n° 60. Et
également le droit n'est pas désincarné de
la réalité de tous les jours. Vous venez de parler d'une conséquence très nette
qui serait la perte d'emploi d'une
personne qui ne voudrait pas mettre de côté ou mettre au vestiaire sa croyance
religieuse, mais il y a également la Commission des droits de la
personne, comme vous le savez… Parce qu'ici on parle de toucher à des droits
qui sont protégés par notre charte
québécoise des droits et libertés, la Commission des droits de la personne, qui
est réellement sur le terrain et qui analyse, là, tous les cas qui lui
sont soumis… Et il y en a depuis sa formation, depuis plus de 35 ans, il y en a des centaines qui ont été soumis à son
analyse, et elle est là pour aider les décideurs à prendre la bonne
décision lorsqu'un accommodement lui est
demandé, et qui respectera l'égalité hommes-femmes, notamment. Bien, la
Commission des droits de la personne se
posait la question : Quels problèmes cette solution vise-t-elle à régler?
Et elle disait à la page 11 de son
commentaire d'octobre 2013 : «…les données d'enquêtes et du
service-conseil en accommodement raisonnable recueillies par la commission ne rapportent aucune situation dans
laquelle le port de signes religieux par un employé de l'État aurait
menacé le principe de neutralité religieuse.»
En ce
sens-là, j'aimerais vous entendre sur cet aspect, qui est non négligeable.
Autrement dit, ce n'est pas parce que, de
un, il y a très, très peu de cas ici que l'on viendrait justifier une mesure
qui, néanmoins, viendrait faire perdre des droits. Et j'aimerais vous entendre et le mettre peut-être
à la lumière de votre exemple que vous avez soulevé, l'exemple bien
tangible d'une enseignante dont le travail serait apprécié de tous, mais qui,
en bout de piste, devrait faire face à cela. Alors,
vous, comment vous réconciliez tout ça? Parce que j'essayais, évidemment, de
comprendre votre propos. Un peu plus tôt,
vous avez dit que cette interdiction-là faisait face à une opposition féroce.
Alors, comment réconcilier le tout, M. Forcier?
M. Forcier
(Denis) : Bien, c'est vrai
que cette interdiction-là fait face à une importante opposition. Et avec
raison aussi parce que l'idée de faire perdre son emploi à quelqu'un pour une question
de signe religieux, là, c'est comme ça ne se
peut pas, là, dans mon univers mental à moi puis dans l'univers mental de beaucoup
de personnes. C'est comme ça ne tient
pas debout qu'une personne puisse perdre son emploi pour une question
de signe religieux. Alors, c'est le sens de toutes mes interventions à
venir jusqu'ici, là. C'est pour ça que je dis : Il faut essayer d'avoir un
projet de loi qui permet aux gens de
réfléchir, qui permet aux gens de prendre des positions, qui permet aux gens de
comprendre c'est quoi, la laïcité, c'est quoi, les valeurs québécoises.
Parce qu'il y a aussi une question de valeurs québécoises là-dedans, là. Les
valeurs québécoises, comme je le disais tout à l'heure, ce
n'est pas juste l'égalité hommes-femmes, là, hein, puis la laïcité de l'État,
puis la neutralité, là, puis quelques autres
qu'on entend des fois, là, la citoyenneté puis la démocratie, là. Les gens en
ont un peu soupé d'entendre nos politiciens nous dire que c'est
uniquement ça, les valeurs québécoises. On vit ici depuis 400 ans et, avant
1960, on avait aussi des valeurs. Jamais on
n'en entend parler. C'est une occultation de l'histoire que je trouve
indécente. Moi, il me semble qu'on devrait profiter d'un projet comme
celui-ci sur la question de l'identité et des valeurs québécoises… Même qu'au
début on parlait tout le temps de la charte des valeurs québécoises…
Une voix : …
• (15 h 50) •
M. Forcier
(Denis) : Oui. Oui, c'est
vrai, mais ça revient toujours à peu près au même. Ce que je dis, c'est
que les valeurs québécoises débordent de beaucoup la neutralité, la laïcité et
l'égalité hommes-femmes, ce avec quoi tout le monde est d'accord.
Alors,
maintenant, de votre côté, je reviens un petit peu sur… Vous parliez tout à
l'heure des chartes de droits, et puis
le Barreau, et puis d'autres organismes se rabattent là-dessus pour être contre
la charte, la Charte des droits puis même nos chartes, incluant la Charte canadienne. Bien, moi, la Charte
canadienne, là, d'abord, je serais un petit peu gêné,
comme parlementaire, comme député québécois, alors que j'ai
refusé en 1982 la Constitution canadienne et le rapatriement de la Constitution, qui incluait cette charte-là… je
serais comme un petit peu gêné, moi, d'intervenir tout le temps avec ça, la Charte canadienne. Il me semble qu'il faut avoir de
la cohérence en quelque part.
Mais
parlons-en quand même, de la Charte canadienne, puisque
légalement on n'a pas le choix. Alors, M. Drainville disait : Si ça
serait devant les tribunaux, on a de bonnes chances que ça passe, M. Brun… Il a
cité d'autres constitutionnalistes. Peut-être
que ça peut passer, mais il y a quand
même un risque. Il ne faut pas oublier
que, dans la Charte canadienne, là, ce qui fonde le droit, c'est la suprématie
de Dieu. C'est ça dans la Charte canadienne. Ce qui fonde le droit, c'est la
suprématie de Dieu, et donc il y a un préjugé très favorable de la part des
juges de la Cour suprême — puis
on l'a vu dans le cas du niqab, on l'a vu dans le cas du kirpan — en
faveur de la liberté religieuse presque au max. L'exemple du kirpan est
intéressant. Les tribunaux canadiens en ont fait un élément religieux, tandis
que les tribunaux en Angleterre en ont fait un élément uniquement culturel. Ça
montre bien comment la Cour suprême du Canada, ou a des préjugés très
favorables à la question de la liberté de religion.
Et moi, c'est
là où j'en suis, je trouve que la liberté de religion, c'est quelque chose, depuis toutes les décisions des chartes, puis en particulier canadienne, qui prend énormément
de place. Puis je dis trop de place parce
que, dans le secteur public et parapublic, dans le cadre laïque, dans
le cadre civique, ça ne devrait pas être la liberté de religion qui prend
toute la place, mais ça devrait être plutôt
la liberté de conscience, cette possibilité-là de choisir de ce qui est bien de ce qui
est mal, cette liberté de conscience qui amène les citoyens à prendre les
meilleures décisions pour eux-mêmes et pour leur société,
et il faudrait qu'il y ait quelque chose qui marque ça dans le paysage, dans la
future charte, que dorénavant, dans l'espace
public laïque ou civique, la liberté de conscience est première. Il me semble
que ça, c'est quelque chose...
On tend souvent à confondre les deux.
Liberté de conscience et liberté de religion, on met ça ensemble. C'est
différent. La liberté de conscience, c'est ce qui vient en premier, et
puis elle devrait avoir une place d'honneur dans le cadre d'un État laïque,
comme la liberté de religion a une place d'honneur à l'église, à la mosquée, à
la synagogue. Il faudrait être capables,
comme parlementaires, comme députés, comme société,
il faudrait être capables de se dire ça à nous-mêmes : Dans
l'espace laïque, c'est d'abord la liberté de conscience.
On aura, par rapport aux gens qui tiennent beaucoup à la liberté religieuse et à l'exprimer par des
signes… on aura toute l'ouverture et la tolérance nécessaires. C'était pour ça, mon idée de sauf-conduit.
Il y a même une chose aussi qui est dans mes documents dont je n'ai pas
parlé, si on retenait mon idée de sauf-conduit et tout ce qui vient avec, c'est
l'idée qu'une fois par année on ait une
journée de la laïcité. Pourquoi? Dans cette journée-là, premièrement, c'est que tous les signes religieux, même le crucifix de l'Assemblée
nationale, qu'on garderait selon mon projet, seraient décrochés cette journée-là pour bien montrer ... et tous les
gens qui portent des signes religieux, même s'ils les portent parce
qu'ils ont demandé le sauf-conduit, tout le monde qui porte des signes
religieux, ce jour-là, serait invité — pas obligé, mais invité — à les laisser à la maison pour marquer que
les êtres humains sont tous égaux de par leur humanité d'origine et, en
même temps, pour montrer que les signes religieux ont une valeur en soi. Et,
aujourd'hui, on les laisse de côté, on démontrerait
notre liberté face aux signes religieux en les laissant de côté pour une
journée, et ça, ça serait de la musique aux oreilles des femmes dans le
monde...
Le
Président (M. Ferland) : M. Forcier, malheureusement, je dois vous arrêter parce qu'on doit aller du côté de la députée de Montarville.
M. Forcier (Denis) : Je me demandais
pourquoi vous m'aviez laissé aller.
Le Président (M. Ferland) :
Non, je vous ai arrêté au bon moment, vous étiez… Pour une première, c'est
bien, hein?
Mme Roy
(Montarville) :
On va poursuivre…
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y.
Mme Roy
(Montarville) :
On va poursuivre, M. Forcier, on va poursuivre. Je vous remercie, d'abord, pour
votre mémoire. J'ai pris des notes,
en tant qu'ex-journaliste, pendant que vous parliez. Vous avez dit quelque chose de très, très
beau, il fallait être prudent dans l'élaboration d'une charte, une charte de la
laïcité. Je suis tout
à fait d'accord avec vous. C'est d'ailleurs pour ça qu'on est ici, pour pas juste écouter,
mais entendre ce que les gens disent, c'est très important.
Vous parliez,
entre autres, de vos craintes face à l'application de l'article 14, la fameuse sanction. J'ai pris encore des notes, vous disiez : Je vois des
difficultés d'application. Difficultés d'application, j'en ai parlé dès le... il y a quelques mois déjà. Et vous nous disiez
aussi: Je crains une forme d'intimidation dans les relations de travail.
Naturellement, ce sera pour qui aura à appliquer, on ne le sait pas. Alors, je vous
suis là-dedans totalement. Et vous avez appelé votre mémoire
Pour un modèle de laïcité plus audacieux et plus rassembleur. Et
j'aime beaucoup le mot «rassembleur», on cherche à arriver à quelque chose qui rassemble. Très important
pour la société québécoise, il faut
s'élever au-dessus des
chicanes de partis politiques, vous avez raison.
Maintenant,
vous dites : Pour un modèle plus rassembleur. Alors, ma question
est la suivante : Qu'est-ce qui
divise, selon vous, actuellement dans le projet de loi n° 60?
M. Forcier (Denis) : Bien, moi, ce
qui est... Je pense que, d'abord, le fait qu'on soit divisés par rapport au projet de loi… On l'est, oui et non. C'est parce
que ça dépend des intervenants qu'on entend. Je reviens encore au
sondage, là, 60 % des Québécois et
68 % des francophones, d'ailleurs… 69 % des francophones sont
d'accord avec le projet de loi. Donc,
on n'est pas si divisés que ça peut-être dans les faits. Mais il y a apparence
de division suite au fait que toutes sortes de groupes interviennent. Comme le groupe qui a précédé, là, de
l'Université Concordia, c'est quand même un groupe important. Ça parle fort, ça parle de façon très
articulée et de façon très sensée. Et il en est de même pour toutes
sortes de groupes qui ont des intérêts à défendre par rapport à cette charte-là
puis qui ne veulent pas non plus changer... être obligés de faire un travail
supplémentaire le lendemain de cette charte-là, là, parce qu'il va falloir
l'administrer, là, cette loi-là, tu sais.
Donc, c'est
vrai que les gens parlent fort, puis on a l'impression qu'on peut être divisés.
Votre question, c'est : C'est quoi
qui divise? Bien, moi, ce qui divise, c'est qu'on dit, d'une part : On
voudrait avoir un État laïque et on voudrait que les signes religieux
prennent moins de place, et même pas de place du tout dans cet État laïque là.
Donc, si on restait là, ça a l'air d'avoir
bien de l'allure, on devrait, tout le monde, être d'accord. Il y a beaucoup de
Québécois qui sont d'accord avec ça
aussi parce qu'ils ont en mémoire que ça a pris du temps avant qu'on sorte tous
les signes religieux des écoles et les vêtements religieux, et on ne
veut pas retourner à ça, tu sais.
Mais,
aussitôt que ça, c'est dit, tout de suite on a l'opposition qui dit : Non,
non, non, vous allez faire perdre des jobs au monde, vous allez
congédier du monde. On a tout de suite mis l'accent là-dessus plutôt que de
mettre l'accent sur un dialogue. On a mis
l'accent sur l'idée que le gouvernement du Parti québécois, péquiste, menaçait
les gens, menaçait les gens, en particulier dans les minorités, menaçait
des gens parce qu'ils osent porter des signes religieux. C'est juste politique, cette
affaire-là, là, hein, cette espèce d'opposition là pour... Bien, au tout début,
M. Taylor disait : Ce projet de loi là, c'est poutinesque.
Mme
Roy
(Montarville) : Mais, dans les faits, ce n'est pas
une menace, c'est ce qui est écrit. La sanction ultime, ce sera une
perte d'emploi. Alors, c'est pour ça, là, qu'on est sur l'article 14, là.
M. Forcier
(Denis) : Oui, d'accord, mais M. le ministre, il n'en veut pas, de
congédiements, lui.
Mme Roy
(Montarville) :
Mais ce n'est pas ça qui est écrit.
M. Forcier
(Denis) : Mais ce n'est pas écrit qu'il va y avoir des congédiements.
Mme Roy
(Montarville) :
Bien, c'est écrit qu'il va y avoir la sanction.
M. Forcier
(Denis) : Mais ce n'est pas écrit qu'il va y avoir des congédiements.
Mme
Roy
(Montarville) : Mais vous savez qu'il y a une
gradation dans les sanctions, et la sanction ultime, c'est le
congédiement.
M. Forcier
(Denis) : Le mot «congédiement» n'est pas là-dedans.
Le Président (M.
Ferland) : ...
M. Forcier (Denis) : …c'est peut-être un peu naïf, là, mais le mot «congédiement» n'est pas
dans le projet de loi. Ce qu'il y a dans le projet de loi, c'est une
mesure pour amener les gens...
Le Président (M.
Ferland) : ...encore une fois, M. Forcier, je dois arrêter… je
dois aller...
M. Forcier
(Denis) : ...amener les gens à consentir à la laïcité...
Le Président (M.
Ferland) : M. Forcier, malheureusement, j'ai un travail ingrat,
hein? Alors, je reconnais la députée de Gouin pour la dernière partie.
• (16 heures) •
Mme
David : Oui. Bonjour, M. Forcier. Je veux assurer — ma
collègue vient de le faire — qu'il y a beaucoup de députés ici, là, qui ne sont pas là simplement pour démolir, comme si
c'était si simple et si agréable, un projet
de loi. La formation politique que je représente a dit dès le début des discussions — en
fait, depuis le mois d'août dernier — qu'on
était d'accord avec plusieurs
aspects du document d'orientation que
le gouvernement du Parti québécois proposait. Notre point de désaccord porte sur la question de
l'interdiction du port des signes religieux, mais, sur plein d'autres choses,
on est d'accord. Ça doit faire 300 fois que je le dis.
Mais
je veux revenir sur les valeurs québécoises. J'ai bien aimé ça, moi, quand vous
avez dit : Mais il n'y a pas que
la laïcité, il n'y a pas que l'égalité hommes-femmes. Moi, dans mon livre à
moi, la solidarité sociale, c'est une valeur franchement partagée par pas mal de Québécois, et M. Rocher, justement,
qu'on a cité aujourd'hui, est venu nous dire ça. Et lui, un peu dans l'optique de ce que vous nous dites à propos de
l'application de la loi sur le port des signes religieux… ce que M. Rocher nous a dit, c'est : Moi, je
suis pour la charte du gouvernement péquiste, mais je ne voudrais pas
qu'il y ait aucun congédiement à cause de cette charte. Donc, lui, ce qu'il
propose, c'est que les personnes déjà en poste le restent — évidemment,
il y a une invitation à laisser le signe, mais, si elles n'acceptent pas, elles
conservent leur emploi — et que la loi ne s'applique qu'à des
personnes nouvellement embauchées, et même ça, après une période de
transition parce qu'on a en ce moment dans nos cégeps et nos universités des
jeunes qui étudient, portent des signes religieux et veulent être médecins,
avocats, infirmières, enseignantes, etc. Donc, on voit que, même chez les gens
qui appuient la charte, il y en a plusieurs,
de toutes sortes de façons, là, qui appellent à des moyens, là, pour s'assurer
que personne ne soit congédié, au nom,
justement — M.
Rocher le disait — de la
justice sociale. Partagez-vous ce point de vue là?
M. Forcier (Denis) : Je partage son émotion, à M. Rocher, par rapport à ça. Maintenant,
quant à sa solution, de dire :
On va appliquer ça uniquement aux jeunes qui vont entrer dans le système, je
suis un peu mal à l'aise avec ça. Je trouve
que c'est injuste pour les jeunes. Tous ceux qui sont en place, là, ils n'ont
pas de bout de chemin ou ils n'ont pas de réflexion à faire, c'est juste les jeunes qui vont être concernés, ceux
qui vont entrer dans le système. Moi, je suis plutôt porté à être mal à
l'aise avec ça. Moi, je voudrais qu'on ait un… On a actuellement un débat, tout
le monde est concerné, beaucoup de gens
s'impliquent, même moi, comme citoyen, je viens ici aujourd'hui, mais faisons
en sorte que, s'il y a une loi
concernant la laïcité qui est votée, j'espère, à l'unanimité, on peut rêver…
faisons en sorte que toute la société soit immédiatement concernée par
ça. Moi, c'est le point de vue que j'ai. Mais je vois aussi qu'il y a des
difficultés, c'est pourquoi je proposais cette histoire-là de sauf-conduit.
Mme David :
M. Michel Gauthier, lui, est venu présenter aussi un mémoire à la même place
que vous et proposait pour tout le monde, donc personnes actuellement en place,
nouvelles personnes embauchées, une période de transition allant de cinq à 10
ans. Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Forcier
(Denis) : Une période de transition entre…
Mme David : Il disait, là, à
titre hypothétique, là, qui pourrait aller entre cinq et 10 ans.
M. Forcier (Denis) : Pour toutes les
personnes à qui…
Mme David : Tout le monde.
M. Forcier (Denis) : …qui seraient
visées actuellement par cette affaire-là, par cette interdiction-là.
Mme David : Oui.
M. Forcier (Denis) : Bien, je pose
la question : Pourquoi cinq ou 10 ans?
Mme David : C'était une
hypothèse qui était apportée, justement dans l'esprit de permettre la
réflexion, de permettre de prendre du temps,
de ne pas aller trop vite avec les gens parce qu'on parle — et vous en parlez vous-même dans
votre mémoire — parfois
de personnes qui sont en poste depuis 10 ou 15 ans, qui ont…
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, Mme la députée de
Gouin, c'est tout le temps… M. Forcier, je pense que vous avez dit au début que c'était votre première présence en
commission. Je veux vous dire que vous avez passé le test, ça a été très, très bien. Je vous
remercie beaucoup pour le temps que vous avez pris pour préparer votre
mémoire et votre déplacement ici, là, pour le présenter.
Alors, sur
ce, je vais suspendre quelques instants pour permettre aux représentants du
groupe Service d'aide et de liaison pour immigrants La Maisonnée de
prendre place.
(Suspension de la séance à 16 h 5)
(Reprise à 16 h 7)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend
ses travaux. Nous recevons maintenant les représentants du groupe Service d'aide et de liaison pour immigrants La
Maisonnée, soit MM. Guy Drudi, Hassan Hassani et Hameza Othman. Alors,
peut-être vous identifier pour savoir qui est qui. Alors, à vous la parole.
Service d'aide et de
liaison pour immigrants La Maisonnée
M. Drudi
(Guy) : Dans un premier temps, merci beaucoup de nous
recevoir, membres de la commission. Donc, mon nom est Guy Drudi, président du conseil d'administration du service
d'aide et de liaison La Maisonnée. J'ai, à ma gauche, M. Hassan Hassani, qui se trouve à être le directeur général de
La Maisonnée, et monsieur, à ma droite, Hameza Othman, qui se trouve à
être le responsable du service de première ligne de La Maisonnée.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, allez-y. En vous mentionnant, bien sûr, que vous avez 10 minutes pour
présenter votre mémoire avant de passer à la période des échanges. À vous la
parole.
M. Drudi
(Guy) : Très bien. Merci
beaucoup, M. le Président. Donc, La Maisonnée, qui va fêter cette année
ses 35 ans, qui a, effectivement… a eu 35 ans, donc, d'engagement interculturel
et d'enracinement au Québec, a pour mission
de faire de tout résident, ancien, nouveau ou de naissance, un citoyen à part
entière. Donc, ça, c'est un élément. Donc,
ça veut dire favoriser l'exercice de la citoyenneté, la participation civique
et le développement de réseaux sociaux. Mentionnons que La Maisonnée a
reçu le prix Artisan du Québec pour la fête nationale en 2011 et la Médaille de
la Paix du YMCA en 2008.
Nous, dans le
fond, ce qui est important, c'est qu'on souhaite garantir une mobilité sociale,
une participation civique à tous les
résidents. Et ce que je voulais dire, c'est que La Maisonnée offre des services
collectifs et individuels reliés à l'accueil et à l'établissement des
nouveaux résidents, telles l'employabilité et également l'insertion à l'emploi,
mais également aussi au niveau des services d'accueil.
Le point qui
est important, ce que le service d'aide et de liaison mise — et tantôt notre prédécesseur en
parlait — au
niveau de la valeur québécoise… mise sur la valeur de l'accueil pour favoriser
l'intégration des membres issus de l'immigration.
Et, pour nous, les personnes issues de l'immigration et leurs familles, bien,
ils ne sont pas différents des autres
groupes sociaux, dans le sens que, s'ils sont bien accueillis et intégrés et si
leur talent est utilisé, bien, à ce moment-là, ils vont avoir le désir de s'intégrer. Ils vont
contribuer également et ils l'ont déjà fait… Et on a, effectivement, cette
expérience-là, une expérience d'accueil, en 35 ans, de 400 000 personnes,
et des succès, et des éléments novateurs, donc, sur le développement de la
société. Autrement dit, le dynamisme de l'accueil est la donnée principale, et
non pas l'inverse.
• (16 h 10) •
Maintenant,
nous, on pense que le projet de loi n° 60, malheureusement, s'effectue à
l'intérieur d'un débat social qui, finalement, je dirais, risque de
provoquer une division parce que, finalement, il cible… Ce n'est pas un projet convivial, il cible, je
dirais, des citoyens juste au niveau de la discrimination, au niveau de
l'appartenance religieuse. En stigmatisant l'appartenance religieuse, il, finalement,
risque d'invalider la participation à la société d'accueil et d'accroître le sentiment de rejet des jeunes et de leurs parents
en limitant leur accès à l'emploi, aux organisations publiques et provoquer ainsi un choc
discriminatoire chez ces jeunes dont les conséquences seraient un repli
identitaire. Autrement dit, il accentue la polarité nous et eux.
Et
autre chose aussi, c'est qu'on pense que, dans sa facture, il ne comprend pas
que la religion et le comportement religieux
correspondent à des valeurs qui sont, effectivement, plus insérées dans
l'identité, dans la construction de l'identité et la représentation
identitaire de la personne. Et ce ne sont pas des comportements extrinsèques,
des comportements religieux, que l'on peut remiser quelques heures par jour,
mais des comportements intrinsèques qui font appel aux valeurs fondamentales
des personnes qui partagent ces croyances.
Au niveau de l'intégration, il y a deux obstacles — et j'y reviens — c'est-à-dire l'obstacle qui est le choc culturel… Les gens qui
arrivent ici ont davantage à apprendre comment ça fonctionne, les codes
culturels. Et ça, on appelle ça le
choc culturel, et on voit qu'au
niveau individuel ils ont à faire une adaptation personnelle sur, justement, le
fonctionnement. Et c'est pour ça
qu'on dit que l'intégration va se faire à partir de l'adaptation fonctionnelle,
l'adaptation sociale et éventuellement
l'adaptation culturelle. Et ça, nous, dans l'accompagnement, on est bien placés
pour voir quel effort que cela demande.
Mais il y a un autre
aspect que nous, on a remarqué, c'est que, malgré que les jeunes, surtout parce
que La Maisonnée s'intéresse aux jeunes de
seconde génération également… Lorsque les jeunes sont nés ici, ils ont ces
codes-là, ils les comprennent. Et malheureusement, dû à leur, je dirais,
appartenance culturelle, quelquefois, dû à leur différence, soit parce qu'ils sont nés à l'étranger ou qu'ils sont
différents physiquement, soit qu'ils parlent une langue maternelle différente, possèdent un accent différent, la
consonance du patronyme, la religion différente ou le fait de ne pas avoir d'ancêtres québécois, bien ils sont
considérés différenciés, c'est-à-dire distanciés, mis à l'écart et
infériorisés, jugés moins performants, ou compétents, ou inadéquats en raison
au groupe auquel ils appartiennent. C'est ce
qu'on appelle le choc discriminatoire. Et c'est un choc important parce qu'il
provoque des réactions émotives et quelquefois
physiques, dans le fond, sur le fait que les gens créent un malaise et ils ont
de la difficulté à trouver leur place.
Nous, on pense
également que ce n'est pas… lorsque les droits des minorités ne sont pas
respectés, bien c'est l'État qui doit
protéger ces droits, et c'est la valeur que l'on accorde à la Charte des droits
et libertés du Québec. Et un élément
important, c'est qu'on pense que le projet de loi n° 60, par la
stigmatisation de l'appartenance religieuse des personnes issues de
l'immigration, risque d'amplifier le choc discriminatoire.
Maintenant, dans
notre mémoire, nous avons fait une analyse plus de l'intérieur du projet de
loi, et le projet de loi, effectivement,
affirme l'égalité entre les hommes et les femmes, la primauté du français, la
neutralité religieuse et le caractère
laïc, ce avec quoi on est d'accord. Mais nous, on dit qu'il ne faut pas que ce
soit distinct des autres droits qui sont garantis par l'article 10 de la
Charte des droits et des libertés.
L'égalité
hommes-femmes, on est d'accord, on a même un projet d'intervention qui lutte
contre la discrimination auprès des
femmes qui dure depuis deux ans et qui a des résultats importants, sauf que ce
n'est pas en promulguant le projet de
loi n° 60 et la défense d'un port de signes religieux ostentatoires qu'on
va faire avancer la cause, c'est davantage en accordant plus de ressources humaines et financières pour faire le
respect du droit des femmes. Il faut toujours mentionner qu'en 2013, entre les hommes et les femmes,
l'écart salarial est de 30 % à l'avantage des hommes, tous emplois
confondus. Cependant, le projet de loi risque de marginaliser les femmes issues
de l'immigration, particulièrement en raison des stigmates associés à leur
religion ou origine ethnique, et elles qui doivent déjà surmonter des obstacles
importants, qui sont des obstacles discriminatoires sur le marché du travail,
une déqualification qui a été d'ailleurs démontrée par Mme Marie-Thérèse Chicha
dans son étude.
La neutralité religieuse, on est d'accord,
effectivement, mais les institutions doivent assurer davantage
l'accessibilité de leurs services. Et ça, ça se trouve être davantage
important pour pouvoir vraiment s'assurer qu'il y ait
une pénétration à l'intérieur des populations
qui sont nouvellement arrivées ou qui sont d'origine ethnique autre. On pense
que l'article 5, nous, va au-delà,
je dirais, de son intention, c'est-à-dire qu'il ne respecte… Premièrement, on
ne partage pas le point de vue de l'article 5 sur la restriction
relative du port de signes religieux parce qu'effectivement, pour nous, la
neutralité professionnelle n'est pas liée, justement…
Le Président (M.
Ferland) : Une minute pour conclure, environ, M. Drudi.
M. Drudi (Guy) :
…n'est pas liée, je dirais, au port de signes religieux, mais davantage
à une nomenclature de gestes professionnels
qui, finalement, sont inscrits à l'intérieur du Code des professions,
qui sont partagés par les gens qui sont
à l'intérieur de ces institutions. Ce qui m'apparaît le plus important — et
notre prédécesseur, d'ailleurs, en a parlé par rapport à l'article
14 — c'est
qu'il y a une confusion de genres qui existe actuellement, particulièrement à l'article
14 lorsqu'on parle de dialogue. Lors du
premier manquement à la restriction relative au port d'un signe religieux, il
doit avoir l'imposition de toute
mesure disciplinaire, un dialogue pour lui rappeler ses obligations et — le
terme — l'inciter
à se conformer. Nous, on pense qu'actuellement l'État fait de la
microgestion, et ça, ça n'est pas respectueux de la ligne de gestion des…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. Drudi. J'en profite pour vous souhaiter un bon 35eanniversaire avant de céder la parole à M. le ministre. La parole est à
vous.
M. Drainville : Merci
beaucoup. Merci, M. Drudi, pour votre
présentation. Merci, messieurs qui l'accompagnez. Évidemment, il y a beaucoup
de choses à dire sur votre mémoire, qui est très étoffé, qui est le fruit, d'ailleurs… Vous l'avez dit, ça fait une
trentaine d'années, hein, que vous travaillez…
M.
Drudi (Guy) : 35 ans.
M. Drainville : 35 ans. Et je dois vous dire, ce n'est pas pour
vous flatter, là, mais vous avez, effectivement, une excellente réputation, vous avez une très grande
crédibilité, vous faites du bon boulot. Ça, je pense que… En tout cas, les gens qui m'ont parlé de vous
n'avaient que du bien à dire du travail que vous faites, je le dis d'emblée.
Maintenant,
je veux vous dire… Vous craignez pour le message que nous envoyons à la
diversité, à cette dimension de plus
en plus forte, de plus en plus grande au sein de notre société
qu'on appelle la diversité, hein, tous ces Québécois, ces Québécoises qui
viennent d'un peu partout dans le monde ou qui sont issus de Québécois qui sont
arrivés il y a une, deux ou trois
générations. Je dois vous dire qu'il
y a beaucoup de ces Néo-Québécois, Néo-Québécoises qui sont venus
en commission depuis qu'on a commencé. On en a eu quand même plusieurs, M.
Haroun, M. Tinawi, Mme Kichou, M. Chikhi, Mme Fourati. Ce n'était pas juste des
Tremblay, des Trépanier puis des Drainville, là, qui sont venus, là, et M.
Haroun, M. Tinawi, Mme Kichou, M. Chikhi, Mme Fourati, ils sont tous venus
donner leur appui à la charte.
Je ne vous dis pas
qu'il n'y a pas des Néo-Québécois qui n'ont pas exprimé des points de vue
contraires, puis il y en aura sûrement qui
le feront dans les semaines qui viennent, mais il faut faire attention pour ne
pas dire que tous les Québécois issus
de l'immigration ou tous les Néo-Québécois sont opposés à la charte. Ce n'est
pas ça, moi, que je reçois comme
message. Et je dois vous dire, M. Drudi, encore une fois, en tout respect pour
votre point de vue, O.K., je dois vous dire
que le signal que nous avons de beaucoup, beaucoup de Néo-Québécois,
c'est : Enfin des règles, enfin des balises, enfin une précision sur le cadre d'intégration,
enfin un contrat social dont vous précisez le contour, qui, actuellement,
est trop flou à maints égards et mène à
toutes sortes d'égarements, à toutes sortes de demandes d'accommodement qui
n'ont pas d'allure dans certains cas, qui vont trop loin.
Prenons,
par exemple, le visage à découvert. Vous savez que, dans notre projet de loi,
on prévoit que les personnes qui
travaillent pour l'État doivent le faire à visage découvert, et les personnes
qui demandent un service doivent le faire également à visage découvert.
Êtes-vous d'accord avec ça, vous?
• (16 h 20) •
M. Drudi (Guy) :
Nous, en fait, oui, ça va très bien avec ça.
M. Drainville :
O.K. Donc, quelqu'un qui porterait, par exemple, un niqab ou une burqa qui se
présenterait dans un hôpital ou dans
un service gouvernemental, vous seriez d'accord pour qu'on dise à cette
personne : Écoutez, là, on veut voir votre visage, on veut savoir qui vous êtes, on veut pouvoir vous
identifier, et ce, pendant la durée de la prestation. Donc, par exemple,
pendant un cours, pendant un examen dans une école, dans une université, vous
êtes d'accord pour que les personnes le fassent à visage découvert. Ça vous va,
ça?
M. Hassani (Hassan) : Non seulement on est d'accord, mais on le pratique, même. On reçoit
régulièrement des femmes qui portent
des niqabs, et on leur dit de ne pas porter le niqab pour poursuivre le cours
de français parce que nous savons que
c'est important que la personne soit connue et vue. Donc, on le pratique et on
est tout à fait d'accord avec ce que vous dites.
M. Drainville :
Mais, quand vous le demandez à ces personnes, quelle est la réaction que vous
recevez? Est-ce que c'en est une
d'incompréhension? Est-ce qu'il faut leur expliquer longuement : Vous
savez, ici, au Québec... Bien, moi, je ne pense pas de dire d'hérésie, là,
si je dis que, culturellement, les Québécois, de façon générale, ils souhaitent
voir le visage des personnes qu'ils côtoient
dans la société. De façon générale. On ne va pas jusque-là avec le projet de
loi, là, mais je ne pense pas dire de
folie si je dis que, culturellement, de voir quelqu'un qui se cache le visage,
ça nous heurte un peu, ça nous heurte.
M. Hassani
(Hassan) : Je comprends parfaitement que ça heurte, hein?
M. Drainville :
Est-ce qu'elles le comprennent bien? Est-ce qu'en général elles réagissent
positivement quand vous leur...
M. Hassani (Hassan) : Bien, vous avez des avis tout à fait... La plupart des personnes qui
viennent comme ça, en général c'est des personnes convaincues et qui,
finalement, retournent chez elles et refusent de suivre les cours de français. C'est le cas qu'on a eu pour deux
personnes. Donc, rarement sont les personnes qui disent : Oui. O.K. Peut-être
qu'elles accepteraient si on leur dit :
On veut voir ton visage pour l'inscription, mais autrement, pour le cours,
etc., elles voudraient garder... Mais
ça, c'est une telle minorité… Dans notre organisme, on reçoit environ
4 000, 7 000 personnes par année, 55 % sont des femmes.
Il y en a si peu qui viennent, y compris portant le foulard… Alors, le niqab,
je crois que c'est tellement rare que je pense que ce n'est même pas
intéressant d'en parler parce qu'il n'y en a pas beaucoup.
Une voix :
L'année dernière, on n'a reçu qu'une seule personne...
M. Drainville :
C'est intéressant, ce que vous venez de nous dire. Ça va prendre juste un petit
instant. Vous avez dit : Une très petite minorité porte le foulard,
également. C'est ce que je...
M. Hassani
(Hassan) : Oui. Qu'on peut apprécier autour de 15 % à 20 %, à peu
près, peut-être...
M. Drainville : Voilà. Alors, c'est le chiffre,
effectivement, que nous utilisons, nous, parce qu'il s'appuie sur un certain nombre de recherches universitaires.
Évidemment, c'est toujours un peu... il y a toujours une marge d'erreur
à utiliser ces recherches-là, mais vous qui
travaillez avec les personnes issues d'immigration, ça correspond à peu
près... On parle, bien entendu, là, de personnes qui proviennent du monde
arabo-musulman ou d'Afrique du Nord.
M. Hassani (Hassan)
: Tout à fait, oui.
M. Drainville :
15 % à 20 %...
M. Hassani
(Hassan) : À peu près, moi, je dirais.
M. Drainville :
...des personnes qui portent un voile.
M. Hassani
(Hassan) : Oui, oui, c'est dans ces moyennes-là, dans ces proportions-là.
M. Drainville :
Dans ces proportions. Intéressant, très bien. Merci beaucoup. Monsieur, vous
alliez dire?
M. Othman (Hameza)
: Non, je voulais dire tout simplement que, même si on reçoit peu de
personnes qui portent le hidjab, qu'on peut
appeler, ou la burqa — on n'a reçu qu'une seule personne l'année dernière qui portait le
voile intégral, si on peut appeler ça comme
ça — eh bien,
M. le ministre, elles ne sont pas nombreuses, mais il faut dire quelque chose, c'est qu'elles craignent, ces femmes-là,
une radicalisation, elles craignent une discrimination et elles craignent
aussi de ne pas pouvoir intégrer le marché
du travail. Déjà, au départ, on sait très bien qu'elles vivent une discrimination
par rapport à leur appartenance religieuse,
Et on sait très bien que la plupart de ces femmes-là ont trouvé un créneau, un
endroit pour s'intégrer dans le marché du
travail qui, généralement, vous le savez très bien, est les services de garde
en milieu familial, en général, ou
les CPE, et c'est les endroits qui ont été ouverts pour elles pour intégrer le
marché du travail. Donc, à ce
moment-là, si, dans ces endroits, on leur interdit… et on les radicalise, bien,
à ce moment-là, où est-ce qu'elles pourraient s'intégrer dans le marché
du travail?
M. Drainville :
Si vous me permettez, là, on est comme dans un dialogue, mais je ne hais pas
ça. O.K.? Je ne hais pas ça, je ne
hais pas ça. Alors, juste pour vous répondre, M. Othman, d'abord la restriction
en matière de port des signes religieux,
vous l'aurez noté, on la limite aux CPE et aux garderies privées
subventionnées. On a décidé de ne pas aller, justement, dans les
garderies en milieu familial, sauf pour le visage à découvert, notamment parce
qu'on trouvait que l'intrusion dans la vie
privée, dans la résidence de la dame
qui garde des enfants… on trouvait que ça allait trop loin. Ça, c'est la
première chose que je dois vous dire.
Mais,
sur la question, dites-vous, de ces personnes, donc, qui souhaitent
s'intégrer, qui travaillent, qui ont un bon boulot, et tout ça, et là on leur dit : Bien, vous risqueriez de le
perdre si jamais la loi est votée, etc., est-ce que vous croyez que c'est possible, par un dialogue avec ces
personnes, de leur montrer que oui, leurs convictions religieuses sont
très importantes, mais que le respect aussi
des convictions des parents… mais je vous dirais, encore plus important, la
fragilité ou la vulnérabilité d'un enfant
qui est exposé à un signe religieux, à une manifestation religieuse à longueur
de journée, pendant toute une année, bon, que ça peut avoir un impact également
sur l'enfant? Est-ce que vous croyez que… En d'autres
mots, je vais simplifier, au nom de l'amour des enfants, est-ce que vous croyez
qu'elles pourraient éventuellement, pour
certaines d'entre elles et, souhaitons, le plus grand nombre possible,
dire : Bien, écoute, je comprends maintenant pourquoi ils veulent voter cette loi-là et, donc,
je vais accepter, pendant les heures de travail, de renoncer à porter
mon voile, puisque c'est très souvent le cas?
Et
je dois vous dire, soit dit en passant — et
j'aimerais ça, vous entendre là-dessus — on a
quelques cas documentés de femmes qui le portent, le voile, et qui
acceptent de le retirer lorsqu'elles sont en présence des enfants. Est-ce que
vous avez vu ça aussi?
M. Othman (Hameza)
: Absolument.
M. Drainville :
Vous en avez vu, hein?
M. Othman (Hameza)
: Oui, oui. Elles acceptent de le retirer.
M. Drainville :
Elles acceptent de le retirer.
M. Othman (Hameza) : Il y en a qui acceptent de le retirer, je vais finir là-dessus. Il y en
a qui acceptent de le retirer, il y
en a qui acceptent aussi, comme vous le dites... qui accepteront aussi, par
respect pour les parents, pour les enfants,
de ne pas mettre de l'avant leurs convictions religieuses. Mais ce qui est
certain, il y a en a une minorité, quand même, qui garde cette
conviction-là, et qu'est-ce qu'on fait avec cette minorité-là? Est-ce qu'on
leur interdit de travailler, à ce moment-là? C'est cette problématique.
Mais
c'est vrai qu'ils sont ouverts. Il y a beaucoup de femmes qui sont ouvertes à travailler dans ce
sens-là. Ça, je suis tout à fait d'accord, M. Drainville.
M. Drainville : À accepter
pendant les heures de travail, dites-vous.
M.
Othman (Hameza) : Oui, absolument.
M. Drainville :
Voilà.
M. Drudi (Guy) :
Permettez-moi, M. le ministre, deux choses. La première chose, c'est que,
premièrement, l'article 14… Juste un élément au niveau du milieu de garde en
milieu familial. C'était une de nos remarques et commentaires à l'effet que ça allait trop loin, et, dans ce sens-là,
dans le milieu familial, on est heureux de savoir que vous avez retiré
votre intention de pouvoir faire cette obligation-là.
M. Drainville :
Ça n'a jamais été notre intention, en passant.
M. Drudi (Guy) :
O.K. Mais c'est parce que ça avait, mettons, comme une tendance qu'on aurait
pu interpréter à la lecture de votre projet de loi.
L'autre
chose, c'est que nous, on prône une laïcité ouverte, vous savez, une laïcité
ouverte qui est basée sur le dialogue,
qui est basée aussi sur l'accueil. Il faut que les gens se sentent accueillis.
Et, lorsqu'on intervient, on a ce qu'on appelle une vision globale de la situation de la personne. Et
ce dont on se rend compte actuellement, c'est que même les personnes qui ne
portent pas le voile risquent, avec le projet de loi, d'être stigmatisées en
raison d'une appartenance religieuse non
ostentatoire. Et ces dames-là, comme je vous le dis, et ces personnes-là,
indépendamment… Parce qu'on a ciblé beaucoup actuellement, là, autour
des femmes d'origine arabo-musulmane, mais il y a aussi des personnes qui
partagent des croyances et les signes ostentatoires peuvent être reliés à
d'autres groupes ethniques.
Ce
que je veux juste dire, c'est qu'ils risquent de subir un choc discriminatoire
en raison de leur appartenance religieuse.
Et ça, ça devient important, c'est-à-dire d'être considérés — et la Commission des droits de la personne
en a parlé, M. Pierre Bosset en a
parlé — d'être
considérés comme des citoyens de seconde zone en raison de leur
appartenance religieuse. Déjà, le travail
que l'on fait devient un travail imposant pour pouvoir, je dirais, combattre la
discrimination en milieu de travail. Il
s'agit maintenant de voir qu'on puisse vraiment s'assurer que le projet de loi
n'amplifie pas cet élément-là.
Et je reviens sur un
deuxième point, l'État fait de la microgestion dans les établissements,
c'est-à-dire qu'il intervient en mettant un cadre tellement sévère, dont on dit
strict, mais moi, en fait, je dirais tellement sévère dans... surtout à
l'article 14. Et notre prédécesseur en avait longuement parlé...
M. Drainville :
Article 14, c'est le dialogue, là.
• (16 h 30) •
M. Drudi (Guy) :
Mettons que le dialogue avec, je dirais, une menace assez importante, là, tu
sais, parce que, le dialogue, on pourrait dire que... Moi, j'ai été
gestionnaire toute ma vie, là, puis je dois dire sincèrement, la marge de manoeuvre
que vous faites aux gestionnaires dans l'article 14, elle est très mince, là. Je dois vous dire
aussi que l'issue est déjà … D'ailleurs, tantôt, on parlait de congédiement, là, mais, même à
ça, une mesure disciplinaire, c'est déjà
important dans l'esprit d'une personne, et ça limite la socialisation organisationnelle.
Moi,
je trouve que le projet de loi, dans l'intention d'accorder, je dirais, une
laïcité, une neutralité, le respect du droit des femmes et de l'égalité hommes-femmes… moi, je trouve, actuellement,
qu'il a un vice caché, qu'on va appeler ça, un effet pervers sur l'amplification du choc discriminatoire, et ça, c'est
un élément important qu'il faut regarder. Et, en plus, c'est que — puis je vais terminer là-dessus, c'est pour
laisser à mes collègues — il ouvre la porte à ce qu'on appelle un biais rationnel axé
sur un agir discriminatoire qu'on a déjà vu se faire dans la société.
M. Drainville :
Mais est-ce que je peux vous répondre, M. Drudi?
M. Drudi
(Guy) : Bien sûr.
M. Drainville :
Si vous saviez le nombre d'employeurs qu'on a rencontrés soit formellement,
soit informellement, également des chercheurs
qui travaillent dans ce domaine-là… D'ailleurs, on a des témoignages documentés
également, des documents tout à fait
officiels, là, qui démontrent qu'il y a beaucoup d'employeurs qui craignent
actuellement d'embaucher des
Néo-Québécois et Néo-Québécoises, et en particulier — puis il faut dire les choses
ouvertement — des
nouveaux Québécois d'origine magrébine ou nord-africaine parce qu'ils ont peur
de ne pas être capables de gérer un éventuel accommodement
qu'on pourrait leur demander, que ce soit pour un congé religieux, un lieu de
prière sur les lieux du travail. Et
ils ne s'en vantent pas, là, hein? Vous comprendrez qu'un employeur ne sortira
pas pour dire : Moi, quand je reçois des curriculum vitae qui
commencent par la lettre w, je les mets au panier parce que j'ai peur qu'on
vienne me demander toutes sortes d'accommodements. Alors, ils n'en parlent pas,
ils ne s'en vantent pas, mais ils nous le disent, ça.
Et
moi, je suis convaincu… Puis ça se peut que j'aie tort, là, mais je suis convaincu
qu'avec les balises qu'on met dans le
projet de loi qui vont s'appliquer à toutes les demandes d'accommodement à
l'avenir dans la société québécoise… je
suis convaincu qu'on va rassurer des employeurs et qu'on va permettre à des
Néo-Québécois, au moins, d'avoir une chance
d'être entendus, d'avoir, au moins, une entrevue ou, au moins, que leurs C.V.
soient lus puis qu'éventuellement ils aient un emploi pour lequel ils
sont éminemment compétents. On le sait, ça. Il y a beaucoup de Québécois
d'origine magrébine qui sont bardés de diplômes. Ils pourraient nous aider, ils
ont des talents extraordinaires, ils ne sont pas utilisés présentement. Et une des informations très claires qu'on a,
c'est qu'il y a des employeurs qui ne veulent pas leur donner leur chance parce qu'ils ont peur d'être
confrontés à des demandes d'accommodement, puis, ne sachant pas trop comment les gérer parce
que les règles ne sont pas claires, bien, ils ne leur donnent, tout simplement,
pas leur chance. On se dit : Si
on vote ces balises-là, on va le créer, ce cadre-là, on va rassurer des
employeurs et on va permettre à certains Néo-Québécois d'avoir, finalement, une chance d'être embauchés sur le marché
du travail. Est-ce que c'est une analyse avec laquelle vous êtes, au
moins, en partie d'accord?
M. Drudi (Guy) : Juste deux secondes.
Moi, si vous me permettez…
M. Drainville : M. Chikhi
notamment, un Québécois d'origine algérienne, nous a dit ça.
M. Drudi
(Guy) : Je peux vous dire qu'on a
fait des études, et elles ne vont pas nécessairement dans ce sens-là.
Mais je laisse M. Hassan Hassani…
M. Hassani
(Hassan) : Juste à titre
d'exemple. Je crois que ce que M. le ministre vient de dire est tout à fait
vrai, mais, à chaque fois qu'on a mis sur
pied des programmes qui nous permettent d'entrer en contact avec les
employeurs et de leur présenter de la
clientèle — et on en
a chez nous, dans notre organisme — on arrive à les placer malgré tout
parce qu'il est possible d'expliquer aussi à
l'employeur que les gens qu'ils ont en face d'eux, ce sont des gens qui sont
diplômés, qui sont capables de faire le
travail correctement et qu'ils peuvent, effectivement, accepter aussi la
culture de l'entreprise.
Et nous
aussi, avant que des personnes n'aillent chez les employeurs, on les prépare.
Pendant un mois, ils sont dans des
ateliers, on leur dit exactement comment que les choses se passent. On fait des
simulations d'entrevue, on leur parle des codes culturels québécois et ceux qui viennent de leur pays, pas
spécialement, d'ailleurs, d'Afrique du Nord, mais beaucoup d'Afrique du
Nord, et nous arrivons à placer en emploi des gens qui viennent d'Afrique du
Nord. Je pense que ces programmes-là ont plus d'efficacité…
Mais, les
accommodements, je pense que nous sommes d'accord aussi, hein? On en a parlé
ensemble, je pense que baliser les
accommodements, c'est aussi une nécessité. Mais aider aussi les organismes à
parler avec les employeurs donne des résultats, et nous en sommes
convaincus. Donc…
M. Drainville : Mais l'un
n'empêche pas l'autre, hein?
M. Hassani
(Hassan) : Ah! mais, pour les
balises, nous sommes tout à fait d'accord. C'est des signes distinctifs qui posent pour nous un problème parce que nous
considérons que déjà les femmes, actuellement, sont discriminées, déjà,
en termes d'emploi, les immigrants ont si
peu accès à l'emploi qu'en rajoutant encore une couche d'obstacles ça va
encore rendre plus difficile l'emploi pour ces gens-là. C'est ça, le problème.
Notre
préoccupation… L'organisme La Maisonnée est un organisme apolitique et il n'est
pas partisan, mais il est là pour
défendre un peu les gens qui viennent d'arriver et essayer de faire comprendre…
Parce que nous les connaissons, nous savons
que la plupart d'entre eux, ce n'est pas des gens qui viennent avec l'idée de
faire du prosélytisme, de faire quoi que ce soit, ils viennent chercher
une vie meilleure au Québec et ils ont parfaitement…
M. Drainville : Je suis tout
à fait d'accord avec vous.
M. Hassani
(Hassan) : Ah! tout à fait. Et
donc, quand ils viennent ici, la première chose qu'ils constatent ces derniers temps, c'est qu'on en parle beaucoup. Et
on a constaté aussi une chose ces deux derniers mois, et c'est ça, quand
M. Drudi parlait de choc discriminatoire, qui
est, en fait, le choc lié à l'appartenance, moi, je ne suis pas du tout personnellement concerné, mais le fait que je
porte le même nom que les autres, ah! bien, il y a quand même un regard,
une façon de me regarder qui est un peu
différente. Donc, on a constaté, ces deux derniers mois, qu'on a plus de
difficultés à placer des gens d'origine
maghrébine, ce qui n'était pas le cas il y a quelques mois. Est-ce que c'est
peut-être le débat actuel? Peut-être.
Peut-être pas aussi, hein, je ne sais pas. Mais on a cette inquiétude-là. C'est
pour ça que, là, ce que nous voulons dire, c'est qu'on a plus besoin de
soutien pour aider les gens à aller en emploi — et il est possible de les
placer en emploi — que
des obstacles qui viennent créer des difficultés pour eux.
M. Drainville : Pour vous, la
restriction en matière de signes religieux, vous dites…
M. Hassani
(Hassan) : Comme ça touche
essentiellement les femmes, et comme les femmes sont déjà discriminées… Comme l'a dit tout à l'heure M.
Othman, la plupart des femmes qui ont créé des garderies familiales, qui
travaillent dans les garderies, ce sont
généralement des ingénieures, ce sont des femmes qui n'ont pas pu trouver
d'emploi, qui ont dû aller faire quelque chose qu'elles sont capables de faire.
Donc…
M. Drainville : M. Hassani,
il me reste 10 secondes. Je veux juste vous soumettre un dernier argument qu'on
entend. Les gens vont dire :
Ultimement, par amour pour leur emploi et par respect pour leurs services
publics, elles vont respecter la loi,
elles vont accepter, pendant les heures de travail, de renoncer à afficher
leurs convictions religieuses parce qu'elles veulent garder, justement,
leur emploi. Elles aiment leur emploi, elles aiment les enfants dans certains
cas…
Le Président (M. Ferland) :
M. le ministre, malheureusement, je dois aller…
M. Drainville : Pensez à
cet-argument-là…
Le
Président (M. Ferland) : Merci beaucoup. C'est le temps… Je
reconnais la députée de Notre-Dame-de-Grâce, je crois. Allez-y.
Mme Weil :
Oui. Merci, M. le Président. Alors, M. Drudi, M. Hassani, M. Othman, je veux,
moi, à mon tour, vous féliciter,
féliciter pour tout le travail extraordinaire que vous faites. J'ai été
ministre de l'Immigration, j'ai pu apprécier le travail que vous faites. Évidemment, votre mémoire, tout ce que vous
dites, c'est exactement notre vision. Et, je dirais, la vision du Québec depuis la Révolution tranquille,
c'était d'encourager l'inclusion, de lutter contre la discrimination, de
promouvoir la tolérance. Et vous utilisez des mots comme «ce projet n'est pas
convivial; il stigmatise l'appartenance religieuse; un choc discriminatoire; il
accentue la polarité». Vous parlez de vice caché. Moi, je vous dirais, et c'est
le nous et le eux…
Moi, j'ai beaucoup d'appels de détresse.
Beaucoup. Hier, il y a une femme, d'ailleurs, qui est venue ici, une musulmane, qui était vraiment en détresse. Elle
n'était pas témoin, mais elle nous disait qu'elle ne pouvait pas croire
ce qu'elle entendait ici et que c'est
devenu, cette charte… Pour certains — et puis j'aimerais vous entendre
là-dessus — c'est une
lutte contre l'intégrisme, c'est beaucoup, beaucoup, beaucoup d'accent sur
l'islam en particulier et sur le voile. On entend beaucoup de gens qui vont là-dessus, donc. Et ensuite il y en a
beaucoup, c'est… Bon, ils pensent que, bon, leur proposition, c'est la laïcité. Ils veulent la laïcité pure, et c'est le
rejet de l'Église catholique, et donc c'est historique. Et on voit dans les sondages… C'est sûr que Montréal,
c'est un choc. Vous avez peut-être entendu Concordia, toutes les grandes
institutions qui sont au coeur du développement économique du Québec et social,
c'est un choc au sein de toutes ces organisations. Donc, ça, c'est vraiment
Montréal.
Et les
jeunes… Moi, ce que je remarque chez beaucoup de jeunes, beaucoup, beaucoup de
jeunes, c'est qu'ils ne comprennent
pas la vision derrière ça. La diversité religieuse ou autre, ils ont toujours
vécu avec ça, ils ont grandi avec ça. Donc,
je veux vous dire que votre vision, évidemment, concorde, moi, je vous dirais,
avec la vision du Québec qui est promue depuis des années, depuis des
années, tous partis confondus, et c'est ça… Moi, je sens que c'est ça, le choc,
actuellement. Ce n'est pas rassurant de dire : Mais, écoutez,
c'est du 9 à 5. Alors, vous faites le point du 9 à 5, c'est-à-dire vous… Vous le dites autrement, c'est-à-dire : Enlevez votre identité de 9 heures à 5 heures,
laissez votre identité chez vous, et
puis tout sera beau. Et c'est une chose que je ne peux qu'appeler simpliste.
J'aimerais vous entendre là-dessus, cette notion de : Écoutez, de 9 à 5,
ça ne fera pas de mal, respectez-nous, là, nous, et enlevez votre signe.
Et parlons du
kippa. Parlons du kippa, hein? Ce n'est pas un immigrant, là, on parle de Juifs
qui sont là, ici, depuis des
générations. Ah oui! il y a beaucoup de confusion avec l'immigration. Alors, allez-y,
je vous laisse aller sur ces thèmes.
• (16 h 40) •
M. Drudi
(Guy) : Juste un mot avant de
passer la parole à M. Othman, qui a fait, justement, une enquête maison là-dessus. Juste mentionner que, pour nous, le
port de signes religieux n'est pas un comportement extrinsèque. Ce n'est
pas un vêtement, ce n'est pas un caprice,
c'est une conviction. Et la liberté de conscience, dont notre prédécesseur
parlait, bien, ça fait partie, justement, de
supporter, justement, cette liberté de religion. Et, dans ce sens-là, le projet
de loi risque d'aller à l'encontre et de provoquer — je le
reviens — un
choc discriminatoire.
Mais je veux
laisser maintenant… sur les réactions sur le terrain et ce qu'on observe depuis
trois, quatre mois, je veux laisser M. Othman faire cette nomenclature.
M. Othman
(Hameza) : Très rapidement. Je
dois vous dire, nous, on a fait un petit sondage interne à La Maisonnée
pour voir quelles sont les problématiques qui ressortent le plus par rapport au
projet de loi n° 60, et quelles sont les problématiques
que vivent les personnes nouvellement arrivées surtout, et quelle est leur
perception de ça. Alors, la plupart du
temps, tout le monde s'accorde pour dire que ça vise plus les femmes, les
femmes qui portent un signe religieux. La plupart de nos intervenants
disaient que ça faisait ressortir ça. Les craintes, c'est qu'il y ait une
radicalisation de ces personnes-là, une mise à l'écart, comme un choc
discriminatoire, que ça ne concernerait que cette catégorie de la population. Une crainte aussi que la charte
n'apporte que des problèmes — excusez-moi, je peux appeler ça la charte
ou le projet de loi n° 60 — et accentue la discrimination qui existe
déjà envers cette catégorie de population, qui sont surtout des femmes
musulmanes voilées, disons-le comme ça. La majorité des femmes aussi, quand on
leur demande : Mais comment vous allez
réagir par rapport à ça?, bien, elles disent : Bien, écoutez, soit on va
quitter le domaine d'emploi ou on va déménager, on va partir ailleurs.
Donc, c'est les réactions qui ressortent le plus par rapport à cette
problématique.
Vous savez
que nous, on a déjà participé, on l'a dit, à plusieurs commissions ici déjà. Et
je pense à la commission Bouchard-Taylor, à la commission sur la
participation civique des personnes issues des minorités visibles, à des
commissions sur la discrimination et sur le profilage racial, mais on sent que
les gens sont profilés et sentent cette menace,
surtout sur les femmes issues de l'immigration, des femmes surtout musulmanes.
C'est ce qu'on ressort le plus.
M. Drudi (Guy) : Du profilage religieux
actuellement, à caractère religieux. Et ça, je trouve que ça devient, à mon sens, comme société, je dirais, un
cataclysme parce qu'on essaie de réparer les fissures engendrées…
Auparavant, c'étaient des fissures qui
étaient engendrées par les médias, l'accommodement raisonnable. Mais
actuellement, quand ça vient du
gouvernement, là, actuellement, ça reste. Et ça, pour nous, là, c'est
inadmissible dans ce sens-là, ce profilage à caractère religieux. On est
déjà intervenus, on est intervenus, et moi, personnellement, en faisant partie
de d'autres commissions, je suis intervenu sur le profilage à caractère
raciste, qu'on disait, non, ne pas exister à Montréal. Force est de constater que le service de police a adopté
une politique. On a déposé un avis et là, actuellement, on vous dépose
un mémoire qui constitue également un avis de faire bien attention que ça ne se
tourne pas comme étant un profilage à caractère
religieux et qui va, finalement, engendrer un choc discriminatoire et une
division, confirmer une division dans le nous et eux.
Mme
Weil : Oui. Vous connaissez le programme PRIIME?
M. Drudi (Guy) :
Bien sûr.
Mme Weil :
Est-ce que vous en avez profité? Bon, le programme PRIIME, pour ceux qui
écoutent, j'ai eu l'occasion d'en parler, c'est une subvention
salariale. Nous l'avons créé en 2005. Ce gouvernement, d'ailleurs,
a coupé le programme PRIIME dans le
dernier budget. Il reste encore, mais moins qu'avant. L'idée, c'est une subvention salariale, justement, pour
encourager les employeurs à engager des personnes. Le taux de rétention, une
réussite, 83 %. Donc, l'idée, c'est…
Une fois que l'employeur engage cette personne d'une minorité visible, et,
notamment, les Maghrébins et les Maghrébines sont bien identifiés dans
ce projet de loi… Le taux de rétention est élevé. Tout ça pour encourager,
justement, leur apport et l'intégration de ces minorités discriminées au sein
des entreprises.
En
vertu du projet de loi n° 60, les employeurs ne pourraient plus engager
des femmes qui portent le voile, ils ne pourraient plus bénéficier du
programme PRIIME. Ça, c'est vraiment un impact très concret alors que le
programme était ciblé. Alors, j'aimerais
vous entendre, si vous avez pensé à ça, justement, si vous connaissez ce
programme ou des entreprises qui auraient pu bénéficier du programme.
M. Drudi (Guy) :
La loi actuelle... le projet de loi n° 60 vient en contradiction avec la
loi, même, sur l'équité en emploi, qui a été promulguée en 2001, sur le fait
qu'il concède… et il est nécessaire autour d'avoir des mesures préférentielles comme ça. Écoutez, je veux dire, à
quelque part, d'un côté, on accommode et on essaie de faire en sorte que
la représentation de la main-d'oeuvre dans le secteur public... Et remarquez qu'actuellement la performance
du gouvernement et de la fonction
publique n'est pas exemplaire comparativement à d'autres milieux, même comparativement
à la ville de Montréal.
Donc, on est à peu près autour de 6,7 %, alors qu'à la ville de Montréal on voisine autour de 10 point
quelques pour cent. Et je le sais parce que
j'ai fait l'évaluation du programme d'accès à l'égalité en emploi de la ville de Montréal. Donc, juste pour vous
dire que les études, on les connaît, on les a travaillées puis on en a fait.
Donc, juste peut-être
mentionner là-dessus que oui, effectivement, quand M. Hassani disait que ça
cause des obstacles supplémentaires au
partage de la richesse et à l'équité
sociale, bien, voilà. C'est que nous, on veut alerter, nous sommes des sonneurs d'alerte actuellement. Mais,
d'un autre côté, sur le terrain, je peux vous dire qu'on travaille bien
fort pour, je dirais, empêcher un «backlash», je dirais, là, auprès des
familles et une crainte. Mais je vais laisser, pour le programme PRIIME, M.
Hassani peut-être poser...
M. Hassani (Hassan) : Oui. Ça rejoint un peu ce que j'avais dit tout à l'heure, à savoir qu'à
chaque fois que l'État a aidé les
organismes par divers moyens, par des programmes qu'on met en place, par le
programme PRIIME, qui est un programme
très intéressant, puisque c'est l'occasion de payer une partie du salaire
pendant une certaine période et qu'il permet
par la suite, d'ailleurs, la connaissance aussi bien de l'employeur que de
l'employé du cadre de travail, et généralement
ça se termine par un emploi… Je pense que ça a été un très bon moyen de... Et
ils nous ont demandé encore plus.
Parce que je pense que c'est ça qui permet, à mon avis, de placer des gens en
emploi. Et notre préoccupation ici, c'est essentiellement celle-là,
c'est parce que nous constatons qu'il y a beaucoup de gens, beaucoup de
personnes qui n'arrivent pas à trouver de
l'emploi, alors qu'ils ont parfois fait un diplôme localement, parfois ils ont
essayé de faire des stages, de faire
du bénévolat dans les entreprises, et, avec ça, c'est toujours
difficile. C'est pour ça que moi, je dis qu'on est dans une phase plus
pour aider les gens que pour essayer de trouver autre chose. Moi, c'est pour ça
que j'insiste… Maintenant, quant à la charte, quant à...
M. Drudi (Guy) :
Au projet.
M. Hassani
(Hassan) : ...au projet...
M. Drudi (Guy) :
Juste peut-être pour compléter, c'est que nous, dans le fond, on est allés même
au-delà du programme PRIIME, on a développé à partir d'un programme maison le
coaching professionnel. Et le coaching professionnel a un taux de rétention de 100 %. Mais jamais
les employeurs, malgré ce que M. le ministre nous a mentionné, jamais
les employeurs n'ont voulu, je dirais,
mettre une barrière à cause du caractère religieux ostentatoire qui était
présent dans... Et moi-même, à
l'intérieur des établissements, en faisant un net calcul, et très, très, très
large, on pense qu'on va toucher à peu près 500 personnes dans toute la
fonction publique. Forcément, parce qu'il y a juste un taux de 6,5 % de
présence à l'intérieur des 68 000
employés. Donc, je veux dire, on touche à peu près 4 000 personnes
divisées par deux, ça donne 2 000.
Voyez-vous, ça devient minime, et, à ce moment-là, on est au-delà du principe.
Au principe de neutralité et de laïcité, on est entièrement d'accord ouverte. Ouverte, ça veut dire qu'on
travaille… qu'on fait confiance à la ligne de gestion, on fait confiance
à la socialisation organisationnelle, on fait confiance à la société. Parce
que, n'oubliez pas une chose, l'hospitalité est la valeur fondamentale du
Québec.
• (16 h 50) •
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la députée de Bourassa-Sauvé.
Pour environ trois minutes, Mme la députée, qu'il reste.
Mme
de Santis : Merci beaucoup, M. le Président. Bravo
pour le travail sur le terrain! Vous avez un très beau mémoire et vous
faites ça très bien devant nous aussi.
Je
crois que la plupart des gens savent déjà que je suis immigrante. Je suis
arrivée à l'âge de quatre ans avec mes
parents. Je n'aime pas le mot «Néo-Québécois». Je suis là depuis très longtemps,
ça veut dire, je suis encore Néo-Québécoise.
Je ne crois pas ça, ce n'est pas un mot que j'aime beaucoup. Mais, si je parle
de ma propre famille, c'était très
important pour ma mère, mes tantes de trouver un emploi et s'intégrer à travers
le travail. Je viens du village, des gens qui n'étaient pas très, très éduqués. Et je me rappelle, c'est de cette
façon-là qu'on a rencontré Mme Jean et M. Jean qui venaient à tous nos partys et qui nous ont appris
à chanter Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut
mourir ou Pour vivre ensemble, il
faut savoir aimer, etc. C'est à travers les gens que mes parents ont
rencontrés au travail qu'on a commencé
à connaître la communauté d'accueil. Il faut, quand on est immigrant, faire un
effort pour s'intégrer. Mais, comme
vous dites, il faut que les gens qui nous reçoivent essaient de nous aider à
s'intégrer aussi. Ce que j'ai peur avec ce projet de loi et avec les
signes ostentatoires…
Une voix :
…l'interdiction…
Mme
de Santis : Oui, l'interdiction des signes
ostentatoires, on parle de la fonction publique, mais on parle de plus que 600 000 personnes. Mais, une fois
que le gouvernement va dire à tout le monde: On ne veut pas ça dans la
fonction publique, on ne veut pas ça pour 600 000
personnes et plus, je crains que… Déjà, il y a une peur dans le public
d'engager des gens qu'ils ne connaissent pas
et… Est-ce que ça ne va pas leur donner une raison additionnelle de dire :
Hum! Peut-être que ça va être… Pas
cette fois-ci. Ça compte… On parlait tout à l'heure du profilage religieux, il
y aura un profilage additionnel qui va jouer contre les femmes. Et pas
seulement les femmes, contre les personnes qui portent des signes religieux
pour être employées par les petites et moyennes entreprises. Oublions le
gouvernement.
M. Drudi (Guy) :
Je peux vous dire qu'à quelque part, puis je vais laisser la parole à M.
Othman… Bon, premièrement, pour le terme «Néo-Québécois», je ne l'avais
pas entendu depuis les années 70.
Mme de Santis :
Exactement.
M. Drudi (Guy) :
Ça, c'est numéro un. Numéro deux, l'autre chose aussi que je voulais peut-être
identifier, c'est qu'il est clair que
la perception va s'irradier autour du noyau familial et autour aussi des
deuxièmes générations. C'est ce que nous,
on… le risque qui est davantage couru par l'annonce du projet de loi
n° 60. M. Othman, sur la question de madame.
M. Othman (Hameza)
: Sur la question…
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, il ne reste plus de
temps, je dois aller à la députée de Montarville. Alors, Mme la députée.
Mme
Roy
(Montarville) : La députée de Montarville est
généreuse. S'il vous plaît, poursuivez, c'est terriblement intéressant.
Merci pour votre mémoire, mais poursuivez là-dessus.
M. Othman (Hameza) : Bien, merci. Merci, Mme la députée. J'aimerais juste rajouter une
chose. C'est notre crainte, madame. La crainte que vous venez de
formuler est tout à fait dans le sens de nos craintes à nous. Et on parle aussi de la deuxième génération, M. Guy Drudi en a
parlé. Tous les jeunes qui arrivent aujourd'hui sur le marché du
travail, et il y en a beaucoup… Comme Mme
David, Mme la députée David — excusez-moi — a dit tout à l'heure aussi, il y a beaucoup
de personnes qui vont arriver sur le marché du travail, des jeunes qui vont
arriver en emploi, des jeunes immigrants ici
de la première génération qui, oui, portent des signes… Mais est-ce qu'on va
les discriminer aussi, ces jeunes-là, d'intégrer le marché du travail?
Il y en a beaucoup qui portent des signes, surtout des filles. Et ça, c'est un problème. Alors donc, il faudrait aussi, je pense,
à mon avis, travailler avec les jeunes, leur permettre de connaître un
peu plus la société, de s'intégrer dans
cette société et de ne pas être mis à l'écart. On sait très bien que beaucoup
de jeunes sont déjà discriminés.
Mme
Roy
(Montarville) : Et je vais maintenant vous poser une
question. Qu'est-ce que vous dites — on entend toutes sortes d'opinions ici,
on est là pour ça — aux
gens qui disent… Et là je pense, pas plus tard qu'hier, aux gens du SPQ libre, qui sont venus nous dire : Il y
a juste deux raisons pour lesquelles
les femmes refusent d'enlever leur voile. Ce n'est pas compliqué, un, ou
bien elles subissent de l'intimidation au sein de la famille, elles ont peur,
ou deux, c'est de l'islamisme, de l'intégrisme, puis, si tu gardes ton voile au
lieu de travailler, bien, c'est de l'islamisme. Vous dites quoi à ces gens-là,
à ce discours-là? Parce que vous, vous travaillez avec les nouveaux arrivants.
M. Othman (Hameza) : Les femmes qui viennent ici et celles qu'on rencontre, nous, ce n'est
pas le message qu'elles nous donnent. C'est des femmes qui connaissent
leurs droits. C'est des femmes à qui on donne des séances d'information. On leur explique c'est quoi, leurs droits. On les aide, on les soutient.
C'est des femmes ouvertes envers la société,
c'est des femmes qui connaissent tous les tenants et aboutissants de leur
intégration dans la société. Si elles font ce choix-là, c'est un choix, généralement, qui leur est propre. Moi, je ne vois pas, moi, personnellement, qui travaille beaucoup avec
ces femmes-là, je ne vois pas de femmes qui sont obligées de porter le voile ou
des jeunes filles qui sont obligées de porter
le voile. Je n'ai pas vu encore, jusqu'à aujourd'hui, des personnes
comme ça. Qu'on me le dise où est-ce
qu'elles sont,
j'aimerais les voir, moi. J'aimerais leur parler, j'aimerais leur donner des
outils, j'aimerais les aider. J'aimerais leur donner aussi des outils
pour qu'elles puissent revendiquer leurs droits.
M. Drudi
(Guy) : Mme la députée, moi, je pense qu'il y
a, je dirais, un message d'éducation. Cette éducation-là doit se
faire dans les écoles et doit se faire aussi dans les organismes. Elle doit se
faire aussi dans les milieux, et les milieux, quelquefois, lorsqu'il y a
une synchronie entre le milieu qui… entre l'adulte… Et là, contrairement à ce
que l'étude de M. le ministre
mentionnait, lorsqu'il y a une
synchronie au niveau de l'éducation entre l'enfant et, je dirais,
l'adulte qui l'accompagne, il peut y avoir
une possibilité d'avancement et d'ouverture. Parce qu'il faut dire que la
société d'accueil dont on parle, on
ne parle pas simplement de la société canadienne-française. La communauté ou
les gens d'origine italienne font partie également de la société
d'accueil pour la personne d'origine ougandaise qui vient d'arriver. Donc,
c'est juste pour vous dire, dans le fond,
que c'est un milieu qui, finalement, se transforme… On va dire qu'il se
transforme, mais excepté qu'il se
transforme dans l'harmonie. Nous, on travaille depuis 35 ans là-dedans, et on
peut dire qu'on a des succès, et on a des études qui le corroborent.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie infiniment pour vos réponses. Merci, messieurs.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, maintenant, je me dirige du côté de la députée de Gouin. Alors, à vous
la parole.
Mme David :
Merci, M. le Président. Mais, d'abord, tout le monde comprendra que je ne suis
pas peu fière d'être la députée du
comté où est située La Maisonnée, cet organisme que je connais depuis plusieurs
années et qui, oui, oui, oui, fait un travail absolument remarquable.
Moi, je suis
un peu tannée de parler de signes religieux, alors je vais aller ailleurs. Dans
votre mémoire, en page 6, vous avez
des remarques très troublantes, en fait, je trouve, et qui devraient nous
amener à réfléchir, de quelque parti qu'on soit, sur le rapport des jeunes au religieux, sur le fait que des
mouvements religieux ou des lieux de culte sembleraient devenir… Pour un certain nombre de jeunes arrivés
au Québec récemment ou dont les familles sont arrivées relativement récemment, des jeunes des communautés minoritaires,
c'est devenu des lieux de rassemblement communautaires. C'est assez troublant de lire ça parce qu'on
souhaiterait davantage, j'imagine, tout le monde, que les jeunes se retrouvent
dans des centres communautaires plus
laïques. Mais, moi, la question que ça m'amène à me poser, c'est :
Pourquoi? Et peut-être, tant qu'on
n'aura pas de réponse à ce pourquoi du retour au religieux, ce pourquoi le fait
de s'amalgamer autour de l'islam, autour d'églises évangéliques…
Personne n'en parle ici, mais il y en a des tonnes ici, à Montréal, et
ailleurs.
Pourquoi des
communautés minoritaires ressentent-elles ce besoin de se retrouver? Est-ce que
ça se pourrait que le choc culturel,
le choc discriminatoire, dont vous parlez si intelligemment… que, finalement,
quelque chose qui s'appelle un petit
peu parfois, malheureusement, l'exclusion, voire le racisme… Ça existe, là, il
ne faut pas se voiler les yeux, justement. Est-ce que ça se pourrait que
parfois, par certaines attitudes, nous — nous étant tout le monde,
là — nous
créons, finalement, cette situation
malheureuse où des jeunes se sentent exclus et se regroupent autour
d'institutions religieuses? Ça, je trouve que c'est une question de fond
que, d'ailleurs, la charte ne réglera pas.
• (17 heures) •
M. Drudi (Guy) : Rapidement, je pourrais
dire que, d'une part, l'avis dont il est fait mention et qui
<12205parle, justement, de ce regroupement date de 1999. Donc,
juste pour dire qu'il s'agit d'une tendance qui est présente dans ce
qu'on va appeler le communautarisme. La
solidarité aussi. Il faut dire que les mouvements religieux… Nous, on a fait un
travail important avec les mouvements religieux, les pasteurs. D'ailleurs,
antérieurement, dans la Loi sur la protection de la jeunesse, une des plus grandes avancées que nous avons faites au niveau
de l'accessibilité des services de la Loi sur la protection de la
jeunesse, ça a été en faisant des liens avec les pasteurs, particulièrement à
Montréal-Nord. Donc, ce que je veux dire par là, c'est qu'on a travaillé à
l'accessibilité des services aux communautés culturelles, également à
l'ensemble de la population. Donc, ce que je veux dire, c'est que c'est une
première étape, une première étape dans l'adaptation sociale des communautés.
Mais, lorsqu'on cible… lorsqu'on fait— je vais utiliser — soit
du profilage à caractère raciste ou du profilage à caractère religieux, à ce
moment-là on assiste à un repli identitaire qui risque de limiter, de rendre plus
difficile la pénétration des milieux.
Et l'autre
chose aussi qu'il faut dire, c'est que, dans les médias et… on risque aussi
d'avoir un repli identitaire, malheureusement,
de la communauté majoritaire, et là ça devient encore un problème plus important.
Je vous mets en garde, La Maisonnée
vous met en garde sur les 35 ans et l'intervention auprès des 400 000
personnes. Donc, ça, je trouve, un élément, là, qui est important… Et
nous terminons notre mémoire en mentionnant, justement…
Le Président (M. Ferland) :
M. Drudi, malheureusement, nous aussi…
M. Drudi (Guy) : J'ai terminé.
Le
Président (M. Ferland) : …nous devons terminer. Mais je vous
remercie sincèrement pour le temps que vous avez pris pour préparer le
mémoire et venir nous le présenter.
Alors, je vais suspendre quelques instants pour
permettre aux représentants du groupe Rassemblement des chrétiens du
Moyen-Orient à prendre place, s'il vous plaît.
(Suspension de la séance à 17 h 2)
(Reprise
à 17 h 7)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Nous recevons maintenant
les représentants du groupe Rassemblement des chrétiens du Moyen-Orient,
et je vais vous demander peut-être de vous présenter
et les personnes qui vous accompagnent en vous mentionnant également
que vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire avant les échanges
avec les groupes parlementaires. Alors, présentez-vous, s'il vous plaît, pour
les...
Rassemblement des chrétiens du Moyen-Orient (RCMO)
M. Ayas (Raouf) :
Merci, M. le Président. Je suis Raouf Ayas, président du Rassemblement des
chrétiens du Moyen-Orient.
Mme Elkouri (Amal)
: Je suis Amal Elkouri. Je suis professeure et membre du conseil
d'administration du Rassemblement des chrétiens du Moyen-Orient.
M. Zariffa (Kamal) : Je suis Kamal Zarrifa, Dr Kamal Zariffa, pédopsychiatre et membre du
conseil exécutif des Chrétiens du Moyen-Orient.
Le Président (M.
Ferland) : Merci. Madame.
Mme Ayas (Claudie) : Bonjour. Je suis Claudie Ayas, présidente d'Entraide Bois-de-Boulogne, société
d'aide aux immigrants du Moyen-Orient et aussi membre du conseil du
rassemblement.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci beaucoup. Alors, on est rendus à
l'étape de la présentation du mémoire. Allez-y.
• (17 h 10) •
M. Ayas (Raouf) : Le Québec, le Canada est un pays où il fait bon vivre, toujours en
recherche pour donner à ses citoyens
plus d'équité et de droits. L'harmonie et la cohésion dans la société sont
garantes d'une citoyenneté responsable et d'un meilleur avenir. Le Rassemblement des chrétiens du Moyen-Orient
réfléchit avec plus de 150 000
citoyens venus de ce Moyen-Orient
déchiré par la persécution et par la guerre et exprime la fierté de leurs
racines et leur recherche commune avec les Québécois pour un monde
meilleur.
L'égalité
hommes-femmes, la justice sociale sont des concepts humains, mais surtout
chrétiens. Ils demeurent valables
pour l'humanité entière et jusqu'à nos jours. Cependant, certaines anomalies de
parcours ou abus nous incitent à les écrire dans un jargon juridique
comme ce projet de loi afin de les adapter à une société sécularisée.
Je vais commencer par
la conclusion. Nous ne voyons aucune nécessité de modifier la Charte des droits
et libertés du Québec. Nous pensons que nous
pouvons atteindre ce résultat avec les leviers dont nous disposons déjà.
Quel besoin avons-nous de légiférer avec le
risque de poursuites judiciaires qu'on voit se profiler à l'horizon? Car il est
de notre ressort actuellement de
recruter des immigrants selon des critères de sélection qui sont conformes aux besoins du Québec.
Il est de notre
ressort d'informer l'immigrant potentiel des conditions de sélection; de mener
des campagnes publiques d'information pour avertir la population du droit et
des devoirs du citoyen : homme, femme, enfant; de signaler les abus parentaux à la DPJ plutôt que de les tabletter;
informer le public des plaintes et des anomalies dans nos écoles, nos prisons afin de sensibiliser la population.
Il ne faut pas attendre qu'une secte comme Lev Tahor, en novembre 2013,
quitte la province dans la nuit pour échapper à la justice.
Il est de notre
ressort actuellement de vérifier le financement occulte ou pas occulte des
écoles et des lieux de culte qui pourraient
encourager l'intégrisme religieux. Nous pouvons refuser le pluralisme
juridique, l'État étant obligé de protéger les femmes contre la
violation de leurs droits au nom de la religion. Toute application d'un code
étranger de la famille est inacceptable, car
le droit à la différence ne doit pas aboutir à une différence de droits. Il est
de notre ressort actuellement d'interdire le foulard islamique aux mineures
dans l'espace public, interdire le niqab et la burqa à tout âge.
Les
politiciens cherchent à mettre la religion à sa place, mais on les voit souvent
assister à la messe en période électorale. Les guerres sauvages et
meurtrières pour sauver les droits de l'homme et installer la démocratie se
servent abondamment de religion, et les exemples récents en Syrie, Égypte,
Lybie, Irak l'illustrent avec éloquence. Vouloir légiférer, réglementer dans ce
chapitre est louable, mais sans une garantie de succès.
La neutralité
religieuse de l'État s'inscrit dans une logique empruntée depuis plus de 100
ans, avant même la Révolution tranquille. On
a commencé par abolir les cours de religion, ensuite les commissions scolaires
religieuses. On a forcé l'établissement
du cours d'éthique et culture religieuse. Pourtant, l'école et le droit des
parents à élever leurs enfants n'ont
pas été le souci du gouvernement du Québec. La commission Bouchard-Taylor a
vanté l'interculturalisme comparativement au multiculturalisme afin
d'obtenir la convergence vers la société du Québec.
Quel est le but que
nous poursuivons avec ce projet de charte? Est-ce que, vraiment, nous voulons
freiner l'islamisation? Est-ce que nous cherchons à favoriser une
déchristianisation? Le Rassemblement des chrétiens du Moyen-Orient reconnaît l'égalité hommes-femmes comme naturelle, la
primauté du français au Québec comme nécessaire, la séparation des
religions et de l'État comme un fait accompli de longue date. L'encadrement des
accommodements religieux est logique et bienvenu. La dispensation et la
réception des services de l'État devraient se faire à visage découvert, cela va
se soi.
Mais que veut dire la neutralité religieuse de
l'État? Que veut dire le caractère laïque de l'État? Il ne semble pas tout à
fait clair ce que ce nouveau projet de loi ajouterait à cet égard, car l'État
du Québec est déjà laïque depuis plus de 100 ans. Il
n'est pas clair si l'adoption de la nouvelle loi signifie que nous confions au
ministre responsable de son application le
droit de changer, ou baliser, ou annuler le financement des écoles religieuses
ou des écoles privées. Pourtant, les parents sont les premiers
éducateurs de leurs enfants. Ils ont droit à leurs argents, ils ont droit à ce
que l'on finance leurs écoles
confessionnelles privées et qu'on accepte la formule de l'école-maison. Menacer
d'annuler les exemptions fiscales aux
institutions religieuses est-il prévu, est-il juste? Cela signifie-t-il qu'un
médecin ne peut refuser de faire
avorter une patiente qui le demande,
allant ainsi contre sa conscience? Avec la nouvelle loi, cela signifie-t-il
qu'un officier du culte religieux ou un
officier séculier serait obligé de procéder contre sa conscience à des mariages
entre gens du même sexe ou avec un deuxième partenaire si la bigamie
devenait légale un jour? Allons-nous forcer un médecin à achever la vie d'un malade avec une dose létale de
médicaments parce qu'un comité vient
de décider que l'heure de la mort douce avait sonné? Est-ce que ceci
sera subordonné à la liberté de conscience ou bien la neutralité de l'État
obligera ce médecin à mettre sa conscience de côté pour être un bon citoyen?
Avec un peu d'exagération, serons-nous forcés à
nous cacher pour pratiquer notre foi? Sera-t-il interdit au Québec de marcher
dans la rue en procession ou de sonner les cloches à l'église le dimanche? La laïcité
fermée nous interdira-t-elle de pratiquer la
charité chrétienne? Et qu'arrivera-t-il des organismes religieux bénévoles qui
ont un permis pour un reçu de
bienfaisance? Pourquoi maintenir les aumôniers dans les prisons ou dans
les hôpitaux? Pourquoi les croix sur les murs, les croix de
chemin ou sur les bâtiments?
Le Président (M. Ferland) :
Environ une minute pour conclure, monsieur. Allez-y.
M. Ayas (Raouf) : Une minute. Toute la société
est responsable des crimes d'honneur qui arrivent dans la société.
L'usage du foulard islamique ne peut être interdit pour toutes les femmes. Il
est légitime à une femme adulte et convaincue
de porter le foulard islamique. Par
contre, il n'y a
pas de raison de le forcer chez les mineures et il n'y a pas de raison pour que la famille force une femme adulte
et convaincue, la convaincre de force. Nous ne voulons pas que ce soit
forcé sur une femme. Est-ce qu'il y a
un avantage pécunier à porter le foulard? Est-ce qu'il y a un financement
illicite, occulte dans les écoles et les
temples? Nous ne voulons pas que l'on favorise le milieu où sortira
l'intégrisme religieux et nous voulons faire un travail de prévention.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, malheureusement, le temps étant écoulé, nous allons à la période
d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.
M.
Drainville : Merci, M.
le Président. Merci beaucoup pour votre mémoire et votre présentation. Évidemment, il y a
plusieurs questions qui découlent de ce mémoire, de cette présentation que vous
venez de nous faire. Je pense que la
question s'impose, là, quand vous dites qu'il faut interdire le foulard
islamique aux mineures dans l'espace public, donc vous voulez dire toutes les jeunes filles de moins
de 18 ans ne devraient pas avoir le droit de porter le foulard islamique
dans quelque endroit public que ce soit? Que
ce soit, donc, dans une école, dans la rue, au centre d'achats, à l'épicerie,
au cinéma, interdiction de porter le foulard islamique pour les moins de
18 ans? C'est bien ça?
M. Ayas
(Raouf) : Non. Nous avons dit
pour les mineures. Mais, si la femme peut se marier à 16 ans, on n'a pas
vraiment précisé à quel âge elle devenait
adulte ou majeure. Mais vous avez peut-être un point. Nous, le but,
l'intention derrière ça, c'était de ne pas forcer une fille qui a huit ans ou
qui a 12 ans de porter un foulard alors qu'elle n'est pas convaincue. Nous ne
voulons pas qu'il y ait une coercition, une obligation à ce qu'elle le porte si
elle n'en est pas convaincue personnellement, si ce n'est pas un objet de
conviction et de foi personnelle.
M.
Drainville : On va
revenir sur cette question-là, O.K. la question de la coercition, parce que ça
pose un certain nombre
d'interrogations, là, notamment comment on établit qu'il y a eu coercition, qui
détermine ça. Bon. Mais n'allons pas dans cette direction-là parce que
je veux quand même couvrir d'autres aspects, là. Est-ce qu'il y a une raison
pour laquelle vous ne mentionnez que le foulard islamique? Pourquoi limiter ça
au seul foulard islamique?
M. Ayas (Raouf) : Vous parlez chez la
jeune fille?
M. Drainville : Oui, oui,
oui.
• (17 h 20) •
M. Ayas (Raouf) : Parce que nous, on
n'est pas pour la burqa puis le niqab à tout âge.
M. Drainville : Et le
tchador, qu'est-ce que vous en pensez?
M. Ayas
(Raouf) : Bien, le tchador, ce
n'est pas... Tant que le visage est découvert, nous... Moi, je ne trouve
pas que c'est beau, le tchador, mais, en tous les cas, on est prêts à le
prendre.
M.
Drainville : O.K. Bien, écoutez, vous êtes en bonne compagnie. Je
n'élabore pas davantage, je veux que la semaine se termine bien.
Alors...
Là,
vous dites dans votre mémoire : «De
plus, le bruit court que beaucoup
de familles voilent leurs femmes à cause d'un revenu pécuniaire. Si cela s'avérait exact, il serait primordial de
vérifier la source de ce financement et le but non avoué de propager une
tradition soi-disant religieuse dans un but caché de ghettoïser un groupe de
citoyens avec l'intention future de s'en servir à des fins politiques.» Ça,
c'est lourd de sens. Précisez, s'il
vous plaît, parce que,
là, vous comprenez, là, vous nous amenez ailleurs, là. Financement, vous
parlez de qui, là?
M. Ayas (Raouf) :
J'ai bien dit que le bruit court. Il y a des rumeurs, mais il y a des rumeurs
persistantes. Puis il y a des signes...
M. Drainville :
Précisez la nature de ces rumeurs, s'il vous plaît, pour qu'on sache de quoi
vous parlez, là.
M. Ayas (Raouf) :
La recrudescence du phénomène du voile fait que certaines gens se demandent
comment, subitement, arrivés au Canada, il y a plus de monde qui veulent le porter qu'ils ne le portaient dans leur pays
d'origine. Est-ce qu'il n'y aurait pas un avantage financier qui les
pousse à le faire? Moi, je n'embarque pas dans ça personnellement. Moi, je pense que celle qui porte le voile, elle
est convaincue de ce qu'elle fait. Mais, par contre, il y a
une proportion de femmes qui sont
obligées par leur mari ou par leur père de porter le voile. C'est ça
que je n'aime pas, c'est l'obligation induite par la famille contre le
gré de la femme.
Maintenant, que
certaines... Il y a certains indices. Comment ça se fait que des communautés
qui n'étaient pas là il y a
30 ans ont maintenant des dizaines d'écoles, des dizaines de temples
partout à travers la province? S'il y
a un financement qui est officiel ou un financement occulte, j'aimerais le
savoir. Nous, notre communauté...
M. Drainville :
Mais on parle du financement de qui, là?
M. Ayas (Raouf) :
Notre communauté, nous sommes au Québec depuis 130 ans. On a eu de la difficulté
à construire deux églises en 130 ans.
Comment ça se fait que des gens qui viennent de l'extérieur, eux, ils sont
capables d'avoir une église, une école, tout
ça? Il y a quelque
chose qui n'est pas normal, il y a quelque chose qui... On doit se poser une
question. Ce n'est pas à nous de faire l'investigation, c'est au gouvernement à faire l'étude. S'il y a un financement occulte qui vient de l'Arabie saoudite, ou qui vient de l'Iran, ou qui
vient d'autres pays, ou d'autres sources, ou d'autres organismes de
l'extérieur, s'il est occulte, eh bien, on se pose des questions. Mais, s'il
est officiel et légitime, c'est sûr qu'on va l'accepter.
M. Drainville :
Oui. Les deux temples dont vous parlez que vous avez réussi à faire construire,
ce sont...
M. Ayas (Raouf) :
Deux églises.
M. Drainville :
Deux églises, dis-je, oui. Ce sont deux églises de quelle confession?
M. Ayas (Raouf) : Bien, les églises orientales, les églises... Moi, de ma communauté,
nous sommes de l'Église grecque melkite catholique. Alors, nous sommes
au Québec depuis 1880, et je vous dis qu'on en a arraché pour les construire,
des hypothèques qui durent 30, 40 ans.
M. Drainville :
Est-ce que j'ai bien... M. Zariffa, hein, c'est bien ça, oui?
M. Ayas (Raouf) :
M. Ayas.
M. Drainville : Oui, et M. Zariffa. Je vous ai vus réagir… Quand
j'ai posé la question du financement occulte, j'ai cru sentir une
réaction de votre part. Est-ce que j'ai bien interprété votre non-verbal?
M. Zariffa (Kamal) : C'est-à-dire je pense que ce que le Dr Ayas veut dire, il me
semble, c'est important de voir au niveau politique, là, le fait de
payer à des gens pour un prosélytisme ici…
M. Drainville :
Donc, vous, vous avez l'air à y croire pas mal, à cette hypothèse-là.
M. Zariffa
(Kamal) : Bien, c'est-à-dire il y a des évidences…
M. Drainville :
On donnerait des sous…
M. Zariffa
(Kamal) : Il y a une évidence…
M. Drainville :
On donnerait des sous… Comment vous dites?
M. Zariffa
(Kamal) : Il y a une évidence et des évidences. Mais il est certain
que, quand je suis arrivé ici, il y a 49 ans, il
y avait juste, par exemple, une petite mosquée à Saint-Laurent et, maintenant, il y en
a 140 dans la périphérie de Montréal.
Alors, ça ne peut pas venir du ciel ni de gens qui immigrent ici pour se
trouver un mieux-être. Enfin…
M. Ayas
(Raouf) : Nous, on a parlé de rumeurs, mais c'est au gouvernement,
lui, de faire son travail.
M.
Drainville : Pour revenir à la… vous avez déclaré, il y a un instant,
M. Ayas, vous avez dit : Il y a des femmes qui sont obligées de le porter, le voile, et moi, je n'aime pas ça. Là,
je paraphrase, là, mais c'est à peu
près ce que vous avez dit. Sur quoi vous vous appuyez pour tenir un
propos aussi catégorique, là? Est-ce
que c'est votre expérience personnelle? Est-ce que ce sont des
témoignages? Parce que, vous savez, il y a un débat, hein, il y a un immense débat,
hein, autour du port des signes religieux, et la part qui appartient à la
volonté individuelle, et la part qui
appartiendrait à une pression communautaire, une pression familiale, une
pression religieuse. Alors, vous, vous êtes
très catégorique, vous dites : Bien, moi, je sais qu'il y a des femmes qui
portent le voile parce qu'elles sont obligées de le porter, puis je vous
pose la question : Comment en êtes-vous aussi sûr?
M. Ayas
(Raouf) : Bien, écoutez,
dans les journées de canicule, elles le portent. Moi, j'ai beaucoup
d'admiration pour ces femmes-là, mais je trouve que c'est illogique de faire
quelque chose qui… C'est une contrainte, mais elles la font, elles ont une raison. Est-ce que c'est de la pudeur pure et
simple? Est-ce que c'est une nostalgie des anciens pays? Est-ce que c'est une coquetterie? Je ne peux pas
vous le dire. Mais c'est sûr que le gouvernement qui fait ces études,
lui, il sait quelles sont les différentes raisons qui motivent les gens.
M.
Drainville : Bon.
Revenons à ce sujet que nous avons d'abord abordé, que nous avons accepté de
mettre de côté, là. Pour les jeunes filles mineures, là, vous, vous
dites : Il ne devrait pas y avoir de foulard islamique pour les jeunes filles, les mineures, dans l'espace public,
là, dans l'espace public. Et là vous avez dit : Écoutez, certaines le
portent parce qu'elles sont obligées, vous
avez parlé de coercition, et, encore une fois, je vous pose la question :
Qu'est-ce qui vous rend si sûr qu'il
y a de jeunes filles qui portent le foulard islamique parce qu'elles se sentent
obligées ou parce qu'elles sont obligées de le porter?
M. Ayas
(Raouf) : Bien, c'est parce
que ce n'est pas un comportement naturel d'un enfant. À l'âge de huit
ans, on n'a pas envie de mettre quelque
chose sur la tête. À l'âge de 12 ans, la même chose, ils veulent tous être
comme les autres enfants. Comment ça
se fait qu'ils raisonnent comme ça? C'est un questionnement. Mais, par contre,
même dans les journaux — oui, tu veux? — dans
les journaux, on parlait d'un imam qui enseignait aux filles qui ont sept, huit
ans qu'elles doivent porter le voile toute leur vie pour être conséquentes avec
leur religion. C'était dans le journal.
M.
Drainville : Oui,
oui. D'ailleurs, nous, hier, il y a quelqu'un qui est venu témoigner, là, qui
nous a laissé des documents sur la
cérémonie du takleef — je pense, c'est comme ça qu'on le prononce :
t-a-k-l-e-e-f — le
serment du voile. Et on voit,
effectivement, ça se passe à Montréal, au Centre communautaire musulman de
Montréal, et là on voit un imam qui
fait prêter serment à de jeunes musulmanes. Et, d'après le serment, elles
s'engagent, à ce moment-là, à le porter pour le reste de leur vie, là.
C'est ça, c'est de ça dont il est question. Est-ce que c'est ce à quoi vous
faisiez référence?
M. Ayas
(Raouf) : Peut-être pas
cette histoire-là exactement, mais quelque chose de similaire. Ce n'est
pas… Si c'est…
M.
Drainville : Et, pour
vous, ça, c'est — comment
dire? — une
pratique qui n'a pas sa place, à votre avis, de demander à une jeune fille, à une mineure de prêter un serment pour le
port du voile pendant le reste de sa vie? Ça vous semble exagéré?
• (17 h 30) •
M. Ayas (Raouf) : Je pense que les
parents ont le droit d'influencer leurs enfants, les parents ont le droit d'éduquer
leurs enfants, mais les parents n'ont pas le droit de forcer des enfants contre
nature et de… Je trouve que c'est exagéré,
et ça ne respecte pas nécessairement les besoins
de l'enfant. Je pense que la société doit protéger les enfants dans ce
sens.
M. Drainville : Mais vous
comprenez la difficulté pour une société de mettre en place un interdit comme
celui-là, là. Vous comprenez ce que ça voudrait dire, là, c'est…
M. Ayas (Raouf) : Je pense que, si vous
avez des études, vous n'avez pas peur de foncer en avant. C'est l'obligation
qu'a l'État de protéger les femmes et les enfants, comme les parents ont
l'obligation de protéger leurs enfants aussi.
M.
Drainville : J'ai
bien compris que, sur la neutralité religieuse puis l'interdiction de porter
des signes religieux pour les agents
de l'État… Si j'ai bien compris, vous n'êtes pas tout à fait convaincu, hein,
de cette mesure-là ou est-ce que vous l'appuyez? Pour les agents de
l'État, je dis bien, hein?
M. Ayas (Raouf) : Moi, je pense que porter
une kippa, ou porter un voile islamique, ou porter une croix, ça n'influence pas le jugement du fonctionnaire qui
travaille. Moi, je fais confiance au fonctionnaire. Maintenant, s'il
fait mal son travail, il y a un tribunal
administratif qui va s'occuper de ça. Mais, au départ, on ne peut pas le juger
de façon abusive.
M. Drainville :
M. Ayas, si vous me permettez, là, on a retrouvé le mémoire que vous aviez
déposé au moment du projet de loi
n° 94, et je vais le citer, O.K.? Vous disiez, je vous cite, là :
«Quel mal y a-t-il à proclamer clairement qu'au sein de la fonction
publique du Québec aucun signe ostentatoire politique ou religieux n'est
toléré? C'est simple, honnête
et clair. Une telle proclamation, qui nécessite un certain courage dans l'immédiat,
est porteuse d'harmonie. Elle éviterait pour l'avenir de possibles
thèses xénophobes antimusulmanes.» C'est ce que vous déclariez il y a quelques années de ça, il n'y a pas si longtemps que ça.
Là, je ne dis pas ça pour vous embêter, là. O.K.? Est-ce que je dois
conclure que votre position a changé ou est-ce que c'est toujours votre
position?
M. Ayas (Raouf) : Moi, je parle au nom du rassemblement. Je pense que la position de tout
le monde a changé. Les gens évoluent, le débat qu'il y a eu il y a trois
ans n'était pas coulé nécessairement dans le ciment…
M. Drainville :
Mais, il y a trois ans, votre regroupement et vous-même, vous étiez en faveur
de l'interdiction de port de signes religieux dans la fonction publique
et, trois ans plus tard, vous n'êtes plus en faveur. C'est bien ça?
M. Ayas (Raouf) : Nous sommes sensibles à la position des musulmans, qui sont
actuellement coincés et qui sont actuellement
injustement pointés du doigt, malgré que, dans le Moyen-Orient, nous avons subi
ce que les intégristes ont fait subir
à nos populations, que ce soit en Irak, ou en Syrie, ou en Égypte, la
persécution religieuse. Mais nous nous devons de considérer que ce n'est pas tous les musulmans qui sont des intégristes
et nous devons faire confiance aux gens. Le voile islamique chez une
femme adulte et convaincue, on ne peut pas aller contre sa liberté de
s'habiller ou sa liberté de croire à sa religion.
M. Drainville :
O.K. Je veux juste vous dire, M. Ayas, bien entendu, que je respecte votre
point de vue. Puis vous dites :
Mon point de vue a changé. On a le droit de changer d'avis dans la vie, alors
ce n'est pas moi qui vais vous faire des reproches là-dessus. Mais je veux juste vous dire que je vous soumets
respectueusement que le fait de demander à tous nos enseignants et enseignantes et à toutes nos
éducatrices de s'abstenir de manifester leurs convictions religieuses et
d'accepter que, pendant les heures de
travail, elles gardent pour elles leurs convictions, y compris dans leur
apparence, donc elles se gardent de
porter un signe religieux, ça pourrait, dans certains cas, dans le cas de
certaines jeunes filles qui viennent de familles musulmanes… ça pourrait
être l'occasion pour ces jeunes filles de voir un modèle de femmes qui ne
portent pas le voile.
Et,
si votre inquiétude, c'est les jeunes filles qui portent le voile, qui sont
plus ou moins obligées de le
porter — et
c'est clairement votre inquiétude — ce
que je vous dis, c'est que la neutralité religieuse, y compris en matière de port de signes religieux, pourrait permettre à certaines
de ces jeunes filles pour lesquelles vous vous inquiétez de voir un
autre modèle de femme que celui auquel elles
sont habituées. Et ce modèle de femme, dans ce cas-ci ce serait le modèle
d'une éducatrice ou d'une enseignante qui, pendant qu'elle enseigne à cet
enfant-là ne porte pas de signe religieux, ne porte pas de voile. Et ça
pourrait être, dans certains cas, un...
M. Ayas (Raouf) : Ça pourrait être dans certains cas, mais c'est minoritaire. Ce n'est
pas la majorité des cas, ce n'est pas une règle générale, et je pense...
M. Drainville :
Mais, si votre inquiétude, si votre... C'est parce que moi, je me dis...
Écoutez, d'arriver puis de dire : On va
interdire le port du voile, là, pour toutes les mineures, moi, je ne peux pas
concevoir qu'on puisse aller là, là, je
vous le dis. Mais ce que je vous dis, c'est que, si vous voulez montrer à
certaines de ces jeunes filles un autre modèle que celui de la femme qui
porte le voile, bien, une des façons d'y arriver, ça pourrait être d'accepter
qu'effectivement, quand tu travailles pour
l'État et, donc, quand tu es enseignante et éducatrice, tu ne portes pas le
voile, tu ne portes pas de signe religieux de façon générale. Et, si
vous vous inquiétez pour ces jeunes filles qui sont obligées de porter le
voile, bien, elles pourraient être
finalement, dans ce cas-ci, si la loi était votée, en présence, être en
présence d'un autre modèle féminin
qui n'est pas voilé. Et donc je vous dis que ça pourrait aller dans le sens de
ce que vous souhaitez, c'est-à-dire de montrer à ces jeunes filles qu'il
y a d'autres modèles que celui de la femme voilée, de la jeune fille voilée.
C'est tout ce que je vous soumets bien respectueusement.
Et je sais que mon
temps, je pense, est écoulé, hein, M. le Président?
Le Président (M.
Ferland) : Non, il reste 10 secondes, le temps de...
M. Drainville :
Il me reste 10 secondes. Bien, écoutez...
Le Président (M.
Ferland) : Ou presque, dans le fond.
M. Drainville :
Madame, est-ce que vous souhaitez rajouter quelque chose? Mais là vous allez
vous faire couper assez rapidement. Peut-être que...
Le Président (M.
Ferland) : Mais là je suis obligé de couper immédiatement,
alors...
M. Drainville :
Vous pourrez le dire peut-être en réponse à une des questions des gens d'en
face.
Le
Président (M. Ferland) : Et voilà. Merci, M. le ministre.
Alors, je vais du côté de l'opposition officielle avec la députée de
Notre-Dame-de-Grâce.
Mme
Weil : Merci, M. le Président. M. Ayas, Mme Ayas, Mme Elkouri
et M. Zariffa, merci de venir ici. Moi, de la manière que je vois ça — puis j'aimerais aller sur certains
éléments — vous
êtes pour une laïcité ouverte. Moi, je vais revoir votre mémoire, mais,
évidemment, je ne me souviens pas... Je sais que vous étiez pour l'interdiction
du visage couvert. Ça, je me souviens bien. Mais, en tout cas, je pense que, de
toute façon...
Une voix : …
Mme Weil : Oui, mais c'est
important pour moi de le voir parce que c'étaient des questions...
Une voix : …
Mme Weil :
L'interdiction… c'est-à-dire pour une interdiction pour ce voile-là si je
comprends bien, mais vous êtes pour
une laïcité ouverte. Là, vous vous posez des questions sur c'est quoi, cette
fixation sur la religion, hein, vous parlez de... un peu ce genre de
règlement de comptes. Je pense, c'est le mot que vous utilisez. Mais, par
ailleurs, vous êtes inquiets par rapport à
des actions qui révèlent l'intégrisme, hein, c'est bien... Dans la liste que
vous... les moyens, on verra c'est quoi, les moyens.
Alors, vous,
vous demandez que le gouvernement fasse des études pour aller voir et que...
Vous ne pouvez pas nous dire exactement les solutions, mais vous avez
une préoccupation par cette jeune fille qui porte le voile. Je pense que tout le monde a cette préoccupation. On a eu
d'autres personnes qui nous ont mentionné ça. Gérard Bouchard, par
exemple, parle de ça. Évidemment, il y a le
modèle d'interculturalisme, jusqu'où on peut aller pour essayer de vraiment
intégrer, mais intégrer dans son sens le plus complet.
Donc, d'une
part, une laïcité ouverte qui permet, comme vous dites... Moi, les milliers de
conversations que j'ai depuis quatre
ans sur ce sujet partout au Québec, on dirait que tout le monde dit : Ça
prend des limites. Le voile, je n'ai pas de problème avec ça, tout le monde dit la même chose. Pas de problème
avec la kippa, moi, on me le disait tout le temps. Puis, même encore, le
voile, pas de problème avec ça. Mais ce qui inquiète... mais il faut tracer une
ligne, et là, la burqa, bon, le tchador, on dirait
que tout le monde, c'est le gros bon sens, hein, c'est le gros bon sens, et
l'image que ça reflète, les gens ne
sont pas à l'aise avec ça. Les gens sont pour tracer des lignes pour les
accommodements, hein, c'est-à-dire
qu'est-ce qui est raisonnable, ce qui n'est pas. Et je sens dans ce que vous
dites que vous êtes exactement là où sont beaucoup de gens. Beaucoup,
beaucoup des conversations, et, je vous dis, c'est des milliers de
conversations…
J'aimerais
vous entendre sur ce modèle de laïcité ouverte, et que le signe — je pense que vous l'avez dit — porter
un voile ou porter la kippa, porter la
croix, ce n'est pas du prosélytisme. Juste expliquer votre vision de cet élément-là, quand vous recevez les services d'un fonctionnaire, d'un médecin, d'un professionnel
de la santé, vous n'y voyez pas un geste de transmission de valeurs
religieuses.
• (17 h 40) •
M. Ayas
(Raouf) : Écoutez, moi, je ne
trouve pas ça logique que vous me disiez : J'accepte que tu portes
une croix de deux pouces, mais ne porte pas
une qui a quatre pouces. Je ne trouve pas ça logique. Ou on accepte ou on
n'accepte pas. On est venus à, finalement, accepter qu'il y a un droit à la
liberté de s'habiller, qu'il y a un droit à la liberté de religion, et nous devons traiter les citoyens du
Québec comme des gens adultes et responsables. Par contre, si jamais il
y a des pratiques qui favorisent l'éclosion de l'intégrisme dans notre société,
il faut que nous, on se protège, il faut qu'on protège notre avenir. Actuellement, nous avons laissé des Canadiens
aller en Syrie faire la guerre contre les gens là-bas, puis ce n'était
pas notre guerre, et ce sont des illuminés qui sont allés tuer les gens là-bas,
alors qu'on aurait dû les repérer avant le temps et ne pas favoriser l'éclosion
de ces cellules intégristes.
Mme Weil :
Vous avez, tantôt, parlé de certaines pratiques ou certaines actions que le
gouvernement pourrait mener.
Notamment, vous parlez d'immigration. Beaucoup de gens ont parlé d'immigration
pour s'assurer d'une certaine conformité
entre les valeurs des personnes qui sont sélectionnées par le Québec, et je
vous dirais que le Québec, quand même,
fait beaucoup de travail dans ce sens-là, dans son immigration économique. Il y
a des sessions aussi — comment
dire? — de partage de valeurs où on explique comment
les choses fonctionnent, et, en tant que ministre de l'Immigration, j'ai
participé à ces sessions. Mais je suis d'accord avec vous qu'on peut aller plus
loin, on peut aller plus loin sur ces questions-là.
Vous parlez
des abus parentaux, de la DPJ. Je ne sais pas si vous êtes au courant des
mesures que M. Couillard a annoncées, une série d'orientations, parce
qu'on va exactement dans le même sens que ce que vous proposez, exactement dans le même sens. Cette question de l'enfant qui
porte le voile, moi, je n'ai pas la réponse exacte, mais je comprends la préoccupation et je pense que
ça mérite des discussions. Et je pense que vous dites : C'est le
rôle du gouvernement de regarder ces
choses-là, de s'assurer que l'enfant est libre de ses choix. Et c'est vrai en
toute matière, on protège les enfants de toutes sortes de façons, pas
juste en matière religieuse et pratiques religieuses, mais de toutes sortes de
façons.
Mais
peut-être vous entendre sur ça, cette responsabilité gouvernementale et d'avoir
des études, des recherches, comment
vous voyez que le gouvernement pourrait aller plus loin pour contrer tout ce
que voyez comme des pratiques inquiétantes.
M. Ayas (Raouf) :
Vous savez, quand on a lancé le programme de la Société des alcools La
vitesse tue, puis il ne faut pas trop
boire, puis tout ça, tout ça, ça rentre dans les cerveaux du monde, puis ça les
influence. On peut arriver à des
résultats importants en informant le public puis en créant une atmosphère qui
va vers la liberté, vers la participation citoyenne, vers l'égalité, vers la justice. Alors,
moi, je crois beaucoup dans les campagnes d'information. Si nous avons identifié certains problèmes, on peut très bien,
de cette façon-là, dire à des adolescents : N'acceptez pas un abus de
votre coach, ou bien de votre professeur, ou
de votre parent, ou de votre voisin, ou de votre oncle, puis si on a des problèmes, la DPJ, elle existe depuis des
années et des années, mais on n'en parle pas, des problèmes, des
dizaines de problèmes que la DPJ répertorie. Pourtant, c'est une source
intarissable pour essayer de corriger la société.
Nous
voulons corriger la société. Alors, c'est de là que nous pouvons puiser aux abus qui surviennent et
essayer de les corriger. Si la DPJ avait,
dans le procès Shafia… Si, dans la famille Shafia, on avait pu aider ces
adolescentes-là, on ne serait pas arrivé au crime odieux, mais
malheureux que les parents ont dû infliger à leurs filles. Moi, je comprends l'attitude des parents. Ils veulent faire mieux,
ils veulent donner le meilleur à leurs enfants, mais, des fois, ils ne se
prennent pas de la bonne façon. Chacun a un bagage culturel différent, puis,
malheureusement, la société a des exigences qui sont trop difficiles.
Le Président (M.
Leclair) : Nous reconnaissons maintenant la députée de
Bourassa-Sauvé.
Mme
de Santis : Merci beaucoup, M. le Président. Merci
pour votre présentation et votre présence ici aujourd'hui. J'aimerais retourner à cette affaire de foulard et
de mineures. Si je comprends, vous voulez que la personne, à un moment
donné, décide pour elle-même si elle va porter le foulard ou pas porter le
foulard. Est-ce que votre opinion serait la même pour la kippa, pour le turban
et pour les autres signes religieux, pour la croix, pour…
M. Ayas (Raouf) :
Oui, madame.
Mme de Santis :
Alors, vous dites que tout enfant ne devrait porter aucun signe religieux.
M. Ayas (Raouf) :
Bien, écoutez, je ne sais pas…
Mme Elkouri (Amal) : C'est que, quand on dit ici d'interdire le foulard islamique aux
mineures dans l'espace public,
l'espace public de l'État dans un sens, c'est-à-dire dans les écoles, par
exemple, publiques, en se disant : L'école est un levier important dans le long processus de
l'intégration, est-ce que le… on peut se demander si le port des
symboles religieux favorise vraiment une réelle intégration des enfants qui les
portent. Et paraît-il qu'il y a… Souvent, ça dépend
de l'âge de l'enfant, mais, pour les jeunes du niveau primaire, selon les
observations rapportées, les fillettes portant le voile refusent de se mêler aux jeux des autres enfants, refusent de
s'asseoir à côté des garçons. Donc, on pourrait peut-être dire que le port de ces symboles religieux chez
les enfants érige une barrière autant physique que psychologique entre
eux puis leurs amis de classe. C'est dans ce sens-là. Et ça, c'est l'État
seulement qui peut aller dans ce sens. Et peut-être qu'après, une fois adulte,
bien sûr, chaque personne est libre de choisir la façon d'exprimer sa foi ou…
Mme
de Santis : Merci beaucoup. Je vois que les
recommandations que vous faites, les sept recommandations, ne se retrouveraient pas dans une charte des valeurs
ou dans un projet de loi n° 60, mais c'est plutôt des actions que
vous voyez qu'un gouvernement s'engage.
Maintenant,
j'aimerais qu'on regarde le projet de loi n° 60. Il y a là quelque chose
que moi, je ne comprends pas, et j'aimerais
connaître votre opinion. D'après l'article 12 du projet de loi, si je suis
pharmacien ou je suis médecin, je peux décider
que je ne vais pas fournir des services professionnels en raison de mes
convictions personnelles. Donc, je peux, à cause de mes convictions profondes, décider de ne pas rendre des
services qui sont médicaux ou de pharmacie, mais je ne peux pas porter
la kippa ou le voile. Je trouve que ce n'est pas logique, je demande à vous
votre opinion.
• (17 h 50) •
M. Ayas (Raouf) : Je vous dirai que cet article de loi est écrit d'une façon très
alambiquée. Vous, vous l'avez compris,
mais il faut le lire à peu près 13 fois pour le comprendre. Moi, je pense que
ce projet de loi n'est pas fait pour écoeurer
les musulmans. Moi, je pense qu'il est fait pour avoir un contrôle plus grand
aux mains de l'État. Il donne une latitude
au ministre de décider puis il nous donne une carte blanche, dans l'avenir, de
décider quoi faire et comment faire.
Puis
je pense que c'est un danger d'adopter ce projet de charte là, il y a trop de choses qui ne sont pas
explicitées, comme la neutralité de l'État,
comme l'État laïque. Vous savez, c'est des beaux termes, c'est des belles
affaires, là, mais, après ça, quand
vous donnez ça à quelqu'un, s'il
l'utilise mal parce que lui, il est contre la religion, parce que lui, il
est anti-catholique, parce que lui… il peut
abuser. Vous savez, on peut se retrouver avec des surprises, puis moi, je
pense que ce projet de loi peut amener à une dérive qui va nuire aux intérêts
des Québécois.
Mme
de Santis : Hier, on a parlé du droit international
et on a parlé d'une cause en Suisse, Dahlab c. la Suisse. C'est une cause de 2001 où il y avait un prof qui
portait un hidjab ou un voile, et la plus haute cour, chambre de cour en
Europe a décidé qu'on pouvait exiger que ce
prof ne pouvait pas porter le hidjab. Et j'aimerais aussi porter à
l'attention de tout le monde que cette même cour, même cour, en 2012, dans la
cause de Lautsi c. Italia, a décidé qu'on pouvait garder les croix dans toutes les classes d'école à travers l'Italie.
Alors, quand on parle de ce qui se passe à l'international, c'est aussi intéressant de voir que ce n'est pas
aussi blanc ou noir qu'on laisse croire, qu'il y a beaucoup de gris.
Quelle est votre opinion là-dessus?
M. Ayas (Raouf) : Écoutez, moi, je travaille dans des hôpitaux et je pense que, quand le
malade regarde le mur, là, puis il voit devant lui l'horloge, puis, de
l'autre côté du mur, il regarde la croix, je pense que c'est bon pour le patient.
Je pense que ça lui donne de l'espoir, ça l'apaise, ça lui fait quelque chose.
Nous sommes ici dans un pays à majorité chrétienne, même si le pays est sécularisé, même si
les 85 % de chrétiens du Québec
ne s'affichent pas comme pratiquants. Mais je pense qu'il faut tenir compte de
leur héritage chrétien, du patrimoine
chrétien, de leur façon de penser chrétienne, puis il ne faut pas escamoter ça
puis le mettre sous le tapis.
Alors,
ça ne m'étonne pas du tout qu'en Italie ils veuillent remettre les croix. Je
suis au courant de ce jugement-là. Je
trouve tout à fait normal, que ce soit en Italie ou en Espagne… Puis, vous le
disiez tantôt, les gens qui nous ont précédés, qu'il y a un retour vers le religieux. C'est un besoin dans l'esprit
humain. Le religieux, le sens du religieux, du sacré, c'est un besoin
physiologique, c'est un besoin naturel. Il va revenir au Québec, puis il va
revenir puissant, puis…
Mme
de Santis : Pour que je ne laisse pas une
impression qui est fausse, je ne dis pas que je souhaite que, dans toutes les classes, il y a un crucifix. Ce que je
voulais dire, c'est que les jugements de la même cour viennent à des
décisions qui ne sont pas toujours logiques. C'était mon point, et alors je
voulais que tout le monde comprenne ça.
M. Ayas (Raouf) : J'ai bien compris, mais nos droits s'entrechoquent, madame. Les droits
collectifs, puis les droits personnels, puis les droits d'une communauté
ou d'une autre s'entrechoquent, c'est normal.
Mme
de Santis : On oublie très souvent qu'on vit dans
l'Amérique du Nord et qu'aux États-Unis… Oui, on cite très souvent
Thomas Jefferson et ce qui se passe aux États-Unis, mais, aux États-Unis, on ne
peut pas légiférer pour établir une religion
et on ne peut pas empêcher l'exercice d'une religion. C'est de cette façon-là
qu'ils expriment la laïcité de leur
État, et ce n'est pas en décrétant, en disant que les personnes qui
représentent l'État ne doivent pas porter des signes religieux. Est-ce
que c'est ça, votre point de vue?
M. Ayas (Raouf) : Ce projet de loi, il donne au ministre le pouvoir d'être contre la
religion, puis c'est pour ça que ce n'est pas bon.
Mme
de Santis : Vous parlez des articles 33, 34, 35,
36, 37. Parce qu'on ne donne pas seulement des pouvoirs et fonctions au
ministre, on donne aussi des pouvoirs au gouvernement, des pouvoirs qui peuvent
être exercés par règlement sans retourner à l'Assemblée nationale. C'est à ça
que vous faites référence?
M. Ayas (Raouf) :
...
Le
Président (M. Ferland) : …on va aller du côté de la députée de Montarville, le temps étant écoulé. Mme la députée.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Mesdames, messieurs, merci. Merci pour votre mémoire. J'aimerais vous poser une question
à l'égard de la sanction, le fameux article 14 dans le projet de loi. J'aimerais savoir ce que
vous pensez de ça, la finalité de cette sanction lorsqu'un — ou une,
plus souvent qu'autrement — employé refusera de retirer un symbole religieux. Vous en
pensez quoi, de cet article-là?
M. Ayas (Raouf) : Bien, moi, je pense que ça va arriver, ça, c'est sûr. Et ça va arriver
très vite parce qu'il y a des lobbies politiques derrière ça, puis il y
a des gens qui veulent prouver quelque chose, puis il y a de l'argent occulte,
peut-être, qui va leur payer leurs avocats.
Mme
Roy
(Montarville) : Mais l'article en question, le fait
qu'on sanctionne un employé ou une employée qui refuse de se soumettre à
la loi, vous en pensez quoi? J'imagine que ce n'est pas quelque chose que vous
approuvez.
M. Ayas (Raouf) : Bien, vous savez, une fois qu'on adopte une loi, il faut qu'on
l'applique. Mais on ne l'a pas encore adoptée. Mais moi, je trouve que
c'est difficile à… sanctionner… Moi, je trouve que, dans ce projet de loi, on y va trop vite, on va mettre l'employé trop vite
dehors. Juste bavarder avec un employé, ce n'est pas suffisant C'est
comme quand ils disent que le fonctionnaire
va tenir compte du patrimoine religieux. Ça, ce n'est pas assez, ça laisse une
latitude de... On a besoin de plus que ça. Moi, je trouve qu'il y a une lacune
dans cet article-là.
Mme Roy
(Montarville) :
De l'imprécision, on manque de détails?
M. Ayas (Raouf) :
Oui.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie infiniment. Merci pour votre témoignage.
M. Ayas (Raouf) :
Bienvenue.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la députée. Alors,
ceci met fin à la période d'échange. Je vous remercie à mon tour pour
votre présentation.
Et, sur ce, je lève
maintenant la séance, et la commission ajourne ses travaux au vendredi
24 janvier, à 9 h 30, où elle poursuivra un autre mandat. Sur
ce, bonne fin de soirée.
(Fin de la séance à 17 h 57)