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Version finale

33rd Legislature, 1st Session
(December 16, 1985 au March 8, 1988)

Tuesday, November 24, 1987 - Vol. 29 N° 79

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Examen des orientations, des activités et de la gestion de la Commission des droits de la personne


Journal des débats

 

(Neuf heures quarante et une minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Cette séance de la commission des institutions est maintenant ouverte. Je rappellerais notre mandat, qui est de procéder à des consultations particulières et de tenir des auditions publiques dans le cadre du mandat d'examen des orientations, des activités et de la gestion de la Commission des droits de la personne.

Ce mandat, bien sûr, s'exerce en vertu de l'article 294 de notre règlement. Cet article est issu de la réforme parlementaire et, à cette étape-ci, j'en ferais lecture. Donc, l'article 294, sous le chapitre Surveillance des organismes publics, se lit ainsi: "Chaque commission examine annuellement les orientations, les activités et la gestion d'au moins un organisme public soumis à son pouvoir de surveillance. "Le choix des organismes se fait conformément à l'article 149. À défaut d'accord..."

C'est le 17 juin 1986 - donc, cela fait plus d'un an - que cette commission a choisi d'examiner, cette année, la Commission des droits de la personne. Si le délai peut paraître long, en vérité, il s'explique aisément par le fait que tes membres de cette commission ont choisi de s'outiller, de s'informer et d'approfondir le sujet avant de tenir des auditions publiques, de sorte que celles-ci puissent être les plus productives et les plus fructueuses possible.

C'est de cette façon que, le 24 septembre 1986, cette commission a entendu le président de la Commission des droits de la personne. En janvier 1987, cette commission a déterminé les sujets particuliers qui retiendront l'attention des membres de la commission. La Commission des droits de la personne, en somme, si on examine l'ensemble de la commission, c'est un sujet fort vaste, qui pourrait nous entraîner dans toute une série de débats. Nous avons choisi de "focusser" sur certains aspects particuliers du fonctionnement de la Commission des droits de la personne, à savoir: sa structure et son fonctionnement, y compris le règlement des litiges; le mandat, si on veut, le volet informatif, le volet éducatif de la Commission des droits de la personne; également, la présence régionale de la Commission des droits de la personne. Dans le cadre de ce mandat, nous avons également confié à certaines personnes le soin de nous assister. Me Bédard, qui n'est plus avec nous, avait reçu le mandat de préparer un document de base sur certains de ces volets. C'est en juin 1987, que le mandat avait été confié à la recherchiste Me Bédard de préparer un projet de questionnaire qui a été soumis à différents organismes et qui portait sur les sujets retenus pour l'examen de la Commission des droits de la personne. Au mois de juin 1987 et au mois d'août 1987 cette commission a procédé au choix des organismes invités pour les auditions publiques. À l'automne 1987, nous avons également retenu les services de deux personnes que je voudrais présenter aux membres de cette commission et également pour le bénéfice des personnes qui sont présentes. Nous avons retenu les services de Me Suzanne Langevin que je voudrais vous présenter et également remercier pour le travail de soutien qu'elle a apporté aux membres de la commission. Également la commission a retenu les services d'un expert-conseil, Me William J. Atkinson, que je vous présente. Ces deux personnes nous soutiendront tout au long de notre mandat qui ne se terminera pas bien sûr avec les consultations particulières que nous amorçons aujourd'hui et que nous allons terminer jeudi, mais qui se poursuivra également par la formulation de recommandations, le cas échéant, à l'Assemblée nationale.

Donc, sans plus tarder je voudrais tout de même vous faire part de notre ordre du jour. D'abord, la Ligue des droits et libertés; ensuite, ce sera Action-Travail des femmes. Nous reprendrons nos travaux cet après-midi à 15 heures en entendant le Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement sexuel au travail de la région de Montréal inc.; à 16 heures, l'Association du Québec pour l'intégration sociale; à 17 heures, le Centre de recherche-action sur les relations raciales; dans la soirée, l'Office des droits des détenus et également, pour terminer notre journée, l'Association pour les droits de la communauté gaie du Québec.

Vous avez reçu, vous les membres de cette commission, l'horaire modifié de nos travaux de la semaine. Vous connaissez donc nos horaires pour mercredi et jeudi de cette semaine. Il y a eu entente entre chacun des groupes pour certaines déclarations préliminaires. Je laisserai maintenant la parole à M. le député de Marquette.

Remarques préliminaires M. Claude Dauphin

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. C'est avec beaucoup d'intérêt et d'enthousiasme que j'entreprends aujourd'hui avec mes collègues de la commission des institutions l'étude des orientations, des activités et de la gestion de la Commission des droits de la personne.

Dans l'exercice de son mandat de surveillance, la commission des institutions aura l'occasion d'entendre et d'apprécier les commentaires d'une douzaine de groupes et organismes. J'aimerais ici les remercier de nous avoir fait connaître le fruit de leur réflexion dans les

excellents mémoires qui nous ont été récemment adressés et de nous offrir encore leur collaboration lors des prochaines journées d'audition.

J'aimerais aussi remercier la Commission des droits de la personne qui s'est livrée le plus naturellement à cet examen et avec laquelle nous avions déjà amorcé un franc dialogue l'année dernière à l'occasion des travaux parlementaires. Ce mandat de surveillance que s'est donné la commission des institutions revêt, à mes yeux, une grande importance car je crois qu'après dix années d'existence il est à propos que l'on s'arrête et que l'on fasse le point pour, éventuellement, réévaluer le mandat et le rôle de la Commission des droits de la personne dans notre société,

Cette démarche permet aussi de s'interroger sur l'état des droits au Québec et de profiter de l'expérience vécue par les groupes que nous avons invités. Au cours de cet exercice, nous aborderons quatre volets, soit les communications, l'éducation aux droits de la personne, la présence régionale de la Commission des droits de la personne ainsi que sa performance dans le règlement des litiges.

On sait que la première fonction attribuée à la commission par la Charte des droits et libertés de la personne est celle de promouvoir, par toutes mesures appropriées, les principes qu'elle énonce. À ce chapitre, certains groupes déplorent, dans leur mémoire, le fait que la commission ne semble pas atteindre des populations assez vastes. Les moyens matériels utilisés par la commission dans la promotion des droits devraient, d'après eux, se moderniser pour mieux rejoindre et sensibiliser les clientèles. Par ailleurs, le corollaire d'une plus grande sensibilisation devient inévitablement l'exercice de leurs droits par un plus grand nombre de citoyens avec, comme conséquence, la nécessité de donner une meilleure visibilité à la commission et, surtout, de la rendre plus accessible.

La régionalisation des services de la commission apparaît comme une façon de mieux combler ses besoins. Depuis près de deux ans, la commission assure un service régional par le biais de quatre bureaux situés en Abitibl-Témiscamingue, sur la Côte-Nord, en Estrie et dans l'Outaouais.

La présence régionale de la commission semble, de façon générale, être appréciée par les groupes, car elle permet une évaluation constante des besoins des régions. C'est sans doute au chapitre du règlement des litiges que les groupes nous ont fait connaître dans leurs mémoires une certaine déception à l'égard de la performance de la commission et ce, à plusieurs niveaux.

En premier lieu, la question des délais a souvent été soulevée. Entre le moment où une plainte est portée et celui où la commission formule ses recommandations s'écoule une période plus ou moins longue qui démotive les plaignants et les décourage de continuer leurs démarches. Ces délais minent ta crédibilité de la commission, car plusieurs groupes les considèrent comme un déni de justice pour les personnes victimes de discrimination. Dans le processus de règlement du litige, la commission fait enquête et formule ses recommandations. Ce processus a donc la valeur d'une tâche éducative puisqu'il ne vise pas à condamner, mais à amener les parties à régler leurs différends.

Cependant, deux aspects de cette procédure ont suscité de sérieuses interrogations chez les groupes, soit la survenance de situations possibles de conflits d'intérêts et la performance de la commission devant les tribunaux de droit commun. En effet, certains s'inquiètent du rôle de l'enquêteur-médiateur. D'autres mettent en doute le double mandat confié à la commission en matière d'accès à l'égalité, soit celui, d'une part, de faire enquête dans les entreprises qui ont des pratiques discriminatoires et, d'autre part, d'agir à titre de consultante dans l'élaboration et l'implantation de programmes d'accès à l'égalité dans ces mêmes entreprises.

Enfin, certains déplorent le fait que les décisions de la commission ne soient pas exécutoires et vont même jusqu'à proposer la création d'un tribunal administratif des droits de la personne indépendant de la Commission des droits de la personne.

Voilà, M. le Président, en substance, les divers aspects traités de manière très constructive par les groupes qui nous ont soumis leurs mémoires. J'aimerais souligner, à nouveau, le sérieux avec lequel tant la commission que les organismes que nous avons invités se sont livrés à cet exercice.

La commission joue un rôle important dans la vie de notre société. Elle assume le leadership dans l'élimination de la discrimination et dans le développement d'un climat social serein Aussi, en tant que membres de la commission des institutions, il nous fait plaisir de participer à ce débat qui s'annonce des plus fructueux Merci, M. le Président.

Le Président

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Marquette. À mon tour d'ajouter très brièvement quelques commentaires. D'abord, comme je le mentionnais tantôt, ce travail des parlementaires qui consiste à surveiller un organisme s'inscrit, bien sûr, à l'intérieur de la réforme parlementaire de 1984, mais s'inscrit aussi dans une démarche très précise. Ce n'est pas simplement pour le plaisir du travail que les membres de la commission, depuis un an, se sont préparés et se préparent toujours à étudier la Commission des droits de la personne. C'est un choix qui a été fait par les parlementaires, qui sont les représentants du pouvoir législatif, si l'on veut, et qui désirent exercer un certain contrôle sur le pouvoir exécutif

L'an dernier, cette commission, que l'avais également l'honneur de présider, avait choisi

l'Office de la protection du consommateur comme organisme à étudier. Je dois signaler que les recommandations Issues de nos travaux ont été, non pas en totalité, malheureusement mais en bonne partie, suivies par les représentants du gouvernement. Nous n'en attendons pas moins cette année en ce qui concerne la Commission des droits de la personne.

Bien sûr, la commission représente un sujet plus vaste, plus complexe, dirais-je, mais comme l'a bien souligné le député de Marquette, après dix années de fonctionnement, il est temps de se pencher avec le plus grand sérieux sur la Commission des droits de la personne qui, inutile de le mentionner, joue un rôle clé dans l'application de la Charte des droits et libertés. À titre d'exemple, je lirai tout simplement l'article 66 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qui dit: "La commission doit promouvoir, par toutes mesures appropriées, les principes contenus dans la présente charte, exercer les pouvoirs et exécuter les devoirs prescrits par la présente charte." Ces pouvoirs et devoirs sont extrêmement nombreux. Que l'on pense, par exemple, à titre d'illustration, à tout le dossier des programmes d'accès à l'égalité. Ce sont des dossiers d'avenir qui font partie de la perspective immédiate du futur collectif au Québec en termes de droits de la personne. Uniquement à titre d'illustration, on peut imaginer la somme d'énergie et de réflexion que nécessite le dossier d'application des programmes d'accès à l'égalité.

Je dois signaler, à l'instar de mon collègue, après avoir parcouru les mémoires présentés par les différents organismes, que j'ai été non pas surpris mais vraiment impressionné par la qualité de la réflexion des organismes qui ont bien voulu se prêter à cet exercice de surveillance et de contrôle avec nous. Les mémoires, bien sûr, reflètent des opinions subjectives à partir du vécu des différents organismes, mais tous les mémoires ont été bâtis dans le sens d'une critique constructive de la Commission des droits de la personne. Cette approche se marie d'autant plus avec le travail que nous faisons ici à la commission, qui n'est d'aucune façon un travail de destruction mais bien plutôt un travail de construction positive pour les années à venir.

En ce sens, je me dois de souligner la collaboration de la Commission des droits de la personne à cet égard. Je pense que tout le personnel et la direction de la Commission des droits de la personne a fort bien saisi le sens de notre démarche.

Il est presque 10 heures et, comme cette commission est généralement ponctuelle, je termine là mes remarques préliminaires en rappelant aux organismes les règles du jeu que nous nous sommes fixées pour l'audition. La durée totale de chacune des auditions est de 60 minutes. Une période d'environ 15 minutes est réservée pour la présentation du mémoire qui nous est déjà parvenu, dont on a déjà pris connaissance en tant que membres de la commis- sion. Une période de 45 minutes est réservée pour des échanges avec les membres de la commission. Pourquoi cette proportion de trois contre un? Parce que, encore une fois, les membres de la commission sont déjà sensibilisés non seulement à l'ensemble de la problématique mais également au contenu du mémoire des organismes qui viennent devant nous, d'où l'utilité de mettre l'accent plutôt sur la période d'échanges, cette période où nous pouvons confronter certaines opinions d'un côté ou de l'autre de cette table comme en face de nous.

Ceci étant dit, je voudrais souhaiter la plus cordiale des bienvenues aux représentants de la Ligue des droits et libertés. Je dois vous dire qu'après en avoir discuté un peu avec notre secrétaire, Me Lucie Giguère, que je voudrais également remercier au nom des membres de la commission... C'est elle qui a vu, par exemple, au contact avec l'ensemble des organismes. C'est elle qui a vu à l'élaboration des ordres du jour. Donc, ce n'est pas un hasard si la Ligue des droits et libertés est le premier organisme que nous entendons dans le cadre de cette consultation particulière.

La Ligue des droits et libertés est un organisme non gouvernemental qui regroupe des citoyens et citoyennes du Québec qui sont engagés, on le sait, dans la défense des droits et défense des droits et libertés depuis 1963, sauf erreur; cela fait déjà presque 25 ans. J'espère qu'il y aura lieu, à un moment donné, de souligner le 25e anniversaire de la Ligue des droits et libertés. Je me souviens fort bien, jeune avocat, d'avoir non seulement collaboré, mais également d'avoir fait appel aux services de la Ligue des droits et libertés durant une période un peu noire que nous avons vécue au Québec, autour des années soixante-dix. (10 heures)

La Ligue des droits et libertés, je tiens à le souligner, a joué un rôle important dans l'avènement de la Charte des droits et libertés. Vous savez, les dirigeants politiques, bien sûr, ont des orientations, des réflexions, des pensées, mais les groupes de pression servent très souvent à accélérer certaines démarches, à accélérer certains travaux. Pour ma part, je crois que le travail réalisé par la Ligue des droits et libertés a permis, au Québec, de se doter de cette charte et peut-être de se la donner avant que le déroulement des choses ne l'y amène. Peut-être aurait-on dû attendre quelques années de plus, peut-être n'aurait-on pas la même charte non plus, n'eût été le rôle important de la Ligue des droits et libertés dans l'avènement de la Charte québécoise des droits et libertés. En parcourant votre mémoire, je n'ai été d'aucune façon surpris d'apprendre que la Ligue des droits et libertés a collaboré à plusieurs moments de son histoire avec la Commission des droits de la personne elle-même sur plusieurs dossiers, notamment le plus récent - il y en a peut-être d'autres - celui du taxi à Montréal.

Je demanderais donc au porte-parole de là Ligue des droits et libertés de bien vouloir s'identifier pour le bénéfice des membres de la commission et également pour te bénéfice du Journal des débats, qui transcrira l'ensemble de nos propos.

Auditions Ligue des droits et libertés

Mme Lamoureux (Jocelyne): M. le Président, chers membres de la commission, il nous fait plaisir, à la Ligue des droits et libertés, de participer à vos travaux. Je vous présente mes collègues. D'abord. André Paradis, directeur général de la Ligue des droits et libertés, Me Marc Plamondon, conseiller de la ligue depuis de nombreuses années dans plusieurs dossiers, moi-même, Jocelyne Lamoureux, Je suis membre du conseil d'administration de la ligue et je remplace le président de la ligue, Gérald McKenzie, qui est retenu dans le Grand-Nord par son travail et qui regrette beaucoup de ne pouvoir être ici aujourd'hui.

Pour reprendre un peu ce que Me Filion disait, il y a des fondements historiques importants aux liens qui unissent la Ligue des droits et libertés et la Commission des droits de la personne. Effectivement, dès 1972 - cela fait pas mal longtemps - la Ligue des droits de l'homme de l'époque, qui était le nom de la Ligue des droits et libertés, lançait une vaste opération de sensibilisation et de consultation populaire sur la nécessité d'une charte québécoise des droits. Au printemps 1973, il y avait eu diffusion de 200 000 copies d'un dossier qui avait paru dans La Presse et dans Le Devoir, et un encart dans Le Soleil, justement sur une proposition de charte. Tout cela pour rappeler que, si la charte a vu le jour et, évidemment, si la commission aussi a vu le jour, c'est à la suite d'interrogations, de préoccupations, de pressions de groupes dans le mouvement des droits et libertés dont la Ligue des droits de l'homme de l'époque était un agent catalyseur.

Si on vient ici, aujourd'hui, c'est parce que l'on pense que la Commission des droits de la personne est un organisme extrêmement important dans notre société. C'est souvent le premier recours des victimes de discrimination. Quelquefois, c'est le seul, surtout pour les victimes isolées, et c'est en général celui qui se devrait d'être le plus accessible. C'est aussi à la commission que revient le rôle de porte-parole de la charte devant les tribunaux. Son action sert à déterminer les balises du droit à l'égalité au Québec et, en ce sens, c'est un organisme qui nous est très cher. Si on participe, aujourd'hui, à la commission parlementaire, c'est dans un esprit, un peu comme vous l'avez souligné, de critique positive. Ce n'est pas dans un esprit de critique négative ou simplement pour faire valoir nos revendications face à la commission, mais c'est vraiment dans le but d'améliorer le fonctionnement. Depuis 1981, on s'est présenté à plusieurs reprises devant des commissions parlementaires, soit au moment où on discutait de la charte, au moment où on faisait des recommandations sur ta commission, toujours pour obtenir des ressources accrues qui seraient nécessaires à l'exercice des pouvoirs, à l'accélération du processus de traitement des plaintes, à l'exercice de son rôle d'éducation et d'information, à sa présence dans les régions, face aux problèmes auxquels on faisait face dans ses méthodes d'enquête. Donc, ce n'est pas la première fois qu'on se présente pour discuter de la commission et, la plupart du temps, on le fait dans un esprit de critique positive et c'est dans cet esprit qu'on est venus, aujourd'hui.

Très brièvement, je vais présenter, pour amorcer la discussion, les principales conclusions de notre rapport, simplement pour faire un peu de rafraîchissement des esprits. Nous n'avions pas, quand on a fait ce mémoire, l'intention de faire l'évaluation et le bilan complet de l'ensemble des activités, des structures ou du fonctionnement de la commission. Plus modestement, comme vous le voyez dans notre mémoire, on s'est basé sur notre expérience, sur la connaissance très précise et concrète qu'on avait de la commission, pour identifier un certain nombre d'acquis et, surtout, parce que je pense que c'est notre rôle, souligner un certain nombre de problèmes et difficultés qui nous apparaissent importants, sinon majeurs, face à la commission Je rappelle très brièvement ces problèmes pour aller directement dans le sujet et mes collègues compléteront avec un certain nombre d'illustrations.

Tout d'abord, le problème qui concerne le mandat et les procédures d'enquête de la commission. Des mesures ont été prises depuis le temps, c'est sûr, notamment la mise en application de nouvelles règles de procédure en 1986, mais les problèmes qu'on identifie dans notre mémoire persistent toujours et c'est pour cela qu'on a souligné le manque de transparence de la commission, le fait que son fonctionnement, même après dix ans, ne soit pas encore systématiquement régularisé. On a souvent Insisté dans nos revendications pour expliquer que la rigueur et l'équité dans le fonctionnement de cette commission ne signifient pas pour nous qu'il devrait y avoir un manque de souplesse. On a toujours exigé, et on continue de le faire, un peu plus de formalisme afin que les règles du jeu soient connues de toutes les parties. Il nous apparaît essentiel qu'il y ait un peu plus d'équité procédurale

Deuxièmement, on a parlé dans notre mémoire du pauvre bilan de l'application de la charte par les tribunaux. C'est évident que cela n'est pas uniquement imputable à la Commission des droits de la personne. Plusieurs facteurs sont en cause et Me Plamondon en expliquera certains tantôt, notamment l'impact de l'entrée en vigueur

de la charte canadienne qui elle a un statut constitutionnel. Pour nous cela n excuse pas la CDP de son manque de stratégie judiciaire, ni son manque de vigueur et d audace dans les recours devant les tribunaux, faisant en sorte que les balises du droit à légalité au Québec ne progressent pas comme elles le devraient. Les critères de preuve de discrimination les interprétations restrictives de la charte, la portée limitative de I'article 10 les interprétations restrictives et les problèmes avec des notions absolument essentielles, comme celle du handicap, ou celle de la condition sociale l'application de principes civilistes systématiquement, la primauté très grande de la liberté contractuelle et du droit de gérance ne se règlent pas, évidemment uniquement par une intervention de la commis sion.

Mais s'il y avait là-dessus une intervention énergique de la commission, sûrement que les choses avanceraient. Donc on estime que dans le domaine judiciaire la commission n'a pas vraiment pris ses responsabilités D'ailleurs il y a plusieurs revues, comme le Canadian Human Rights Reporter, qui soulignent que, de janvier 1987 à septembre 1987, il n'y a pas de causes qui sont rapportées provenant de la commission. Pour se renseigner, on a téléphoné à la commission. Ils nous ont dit que, depuis, il y avait deux causes qui ont finalement pu procéder. Cependant, c'est un bilan extrêmement maigre et de toutes les commissions canadiennes de toutes les commissions provinciales, dans ce domaine la Commission des droits de la personne est assez peu représentative des progrès qui sont faits ailleurs.

C'est surtout en raison des pouvoirs et des moyens considérables dont la commission dispose surtout si on les compare à ceux des organismes comme la Ligue des droits et libertés par exemple que la commission doit jouer et peut jouer - on est certain - un rôle majeur dans la promotion des droits et libertés. II ny a pas de doute. Nous voulons un renforcement de la commission et ce manque de rigueur et de détermination dans les questions judiciaires on le voit aussi malheureusement dans les pro grammes d'éducation qui d'après nous ne sont pas assez développés On vous donne l'exemple dans notre premier mémoire de la promesse qui avait été faite, de l'engagement qui avait été pris de la part de la commission de tenir une large campagne d'éducation-information sur la question du racisme dans I'industrie du taxi et, justement, toute cette espèce d'énorme effort qui avait été fait par la commission sur certains points de vue dans ce dossier va d'après nous se terminer un peu en queue de poisson s il n y a pas de resserrement qui est fait

Ces problèmes et ces lacunes qu'on a soulevés dans notre mémoire minent de façon importante la crédibilité de la commission une crédibilité qui selon son président est extrême ment importante parce que cest un peu une crédibilité qui dépend de son efficacité. Alors la désaffection des groupes comme les nôtres face aux recours à la Commission des droits de la personne risque de se maintenir ou de s'accen tuer s'il ny a pas un resserrement. Plusieurs groupes vous n'êtes pas sans le savoir souhaite raient que la commission soit plus audacieuse et malheureusement hésitent de plus en plus à recommander la commission comme le seul recours aux victimes de discrimination.

Pour revenir à la question de I'importance de cette commission pour nous une commission crédible, vigoureuse a un rôle important à jouer dans la société québécoise particulièrement - Me Filion en a souligné l'importance - dans les programmes d'accès à légalité mais aussi il y a des dossiers extrêmement pertinents et importants de promotion des droits et libertés qui vont nécessiter une intervention très rigoureuse de la commission, comme celui du racisme de I accès à I égalité et d autres événements qui se sont produits dans la conjoncture récemment celui de la violence policière.

Je termine en disant qu'on est prêts comme groupe de base, comme organisme non gouver nemental à jouer notre rôle de mobilisation des citoyens et des citoyennes de rôle critique aussi face à certaines institutions. On est prêts et c'est ce quon fait à coeur de jour par notre travail volontaire par notre implication bénévole par notre implication systématique sur les dossiers. On le fait mais en même temps on estime quon doit être appuyés et aussi reconnus par les institutions.

On a souligné dans notre mémoire à quelques reprises que les liens de la commission avec les groupes de base devraient se raffermir et que des moyens de collaboration plus systématiques devraient être mis en oeuvre. Surtout on aimerait bien que la commission occasionnellement reconnaisse le rôle qu on peut jouer dans la défense et la promotion des droits et libertés ce qui n est pas toujours le cas. Ce n est pas le cas fréquemment dans des dossiers conjoints qu on a avec la commission.

Tout cela pour dire que ce n est pas une situation catastrophique. Par contre il y a suffisamment de problèmes avec cette commission des droits pour qu on s aligne vers des redressements extrêmement urgents et importants. Merci.

Le Président (M Filion): Je vous remercie Mme Lamoureux. Me Plamondon.

M. Plamondon (Marc): Nous voulons sou mettre à la commission le fait suivant: c est à dire placer notre réflexion dans la perspective de I'histoire judiciaire de la charte depuis son adoption de réfléchir sur le fonctionnement I'organisation de la commission dans une espèce de bilan |urisprudentiel concernant la charte québécoise. II faut quand même reconnaître d'abord, le statut quasi constitutionnel de la charte québécoise étant donné I'article 52 qui

donne une primauté à la charte à l'égard de l'ensemble des lois.

Depuis dix ans, il n'y a pas eu une seule décision de la Cour suprême concernant la charte québécoise; il y a eu quelques décisions mineures de la Cour d'appel et aucune décision de fond concernant l'application ou la portée de la charte québécoise, contradictoirement aux grandes décisions majeures qui ont changé, en quelque sorte, les fondements juridiques du Canada depuis l'adoption de la charte constitutionnelle, soit depuis 1982. Il y a eu, au total, 26 jugements de ta Cour suprême. Qu'on pense à Hunter contre Southam sur les fouilles, les perquisitions abusives, Therens sur la question du droit à l'avocat, Bindher et O'Malley sur la liberté de religion, qui concernait également des chartes provinciales, sur la liberté religieuse, l'obligation de l'employeur d'accommoder; pensons à Bonnie Robichaud, par exempte, sur la responsabilité de l'employeur en matière de discrimination au travail.

Donc, toute une série de décisions majeures de la Cour suprême qui ne concernent, en aucune manière, ta charte québécoise, qui est pourtant, selon plusieurs juristes, une des plus belles, des plus rigoureuses et des plus généreuses chartes des droits et libertés. En ce sens-là, on considère que c'est l'indice d'un problème majeur qui, comme Mme Lamoureux l'a signalé, ne relève pas strictement ou exclusivement de la commission. Des modifications des pouvoirs et des attributions, et des modifications quant au fonctionnement et à {'organisation de la commission pourraient contribuer au redressement que Mme Lamoureux a invoqué. (10 h 15)

Certes, on peut renvoyer, de manière principale, les obstacles rencontrés de la charte dans son application judiciaire à une interprétation, par exemple, très restrictive des motifs de discrimination, à un entêtement des tribunaux à définir de manière très restrictive ces mêmes motifs, au bénéfice, comme te disait Mme Lamoureux, de la liberté contractuelle ou des principes de responsabilité civile délictuelle en matière de droit civil. De telle manière, à la limite, on peut dire que les tribunaux québécois ont une attitude de vouloir échapper à l'objet même de la charte.

On a vu également un entêtement jusqu'à une décision de la Cour d'appel, à la fin de 1981, de vouloir exiger une preuve d'intention de la part des plaignants en matière de discrimination. L'ensemble des cours, que ce soit la Cour provinciale ou la Cour supérieure, exigeaient une preuve d'intention, recherchaient une définition de ta discrimination dans les dictionnaires, dans les encyclopédies alors qu'elle se trouvait à l'article 10 de la charte. Il a fallu que la Cour d'appel, par le juge Turgeon, rappelle effectivement aux tribunaux inférieurs que la définition de la discrimination était dans la charte et qu'elle n'exigeait pas une preuve d'intention. Cela n'a évidemment pas nécessairement eu pour effet de corriger ce réflexe civiliste de vouloir échapper en quelque sorte à une loi générale garantissant l'exercice des droits et libertés,

Ce bilan plutôt négatif nous suggère donc de donner un coup de barre. Et, en ce sens, un des coups de barre possibles, bien sûr, c'est d'améliorer le fonctionnement et la productivité de la Commission des droits de la personne. On signale dans notre mémoire, bien sûr, son renforcement quant à son contentieux et à son courage judiciaire. On signale entre autres le fait qu'il n'y a que trois avocates attachées de façon permanente à la Commission des droits de la personne même s'il y a ouverture à des contrats extérieurs. On pense qu'un contentieux renforcé et plus courageux par une meilleure évaluation des dossiers et un meilleur calibrage des stratégies judiciaires permettrait précisément de corriger ce que nous venons d'évoquer. On pense aussi qu'une meilleure stratégie permettrait davantage de soutenir l'intervention des plaignants devant les tribunaux. Ce qui aurait aussi pour effet, compte tenu du peu de succès, sur le plan judiciaire de la commission, de relever aussi son niveau de crédibilité dans le milieu judiciaire devant les tribunaux et également devant les groupes qui interviennent sur les droits et libertés et qui s'éloignent, en quelque sorte, de la procédure actuelle de la commission, étant donné le peu de résultats obtenus.

Concernant les réceptions et les contrôles sur les plaintes, signalons que les trois quarts des plaintes déposées à la Commission des droits de la personne sont rejetées. Est-ce qu'il y a une évaluation adéquate de ces procédures? On a effectivement amélioré le système de réception des plaintes, mais est-ce qu'il y a un service qui évalue ce haut taux de refus et qui revient en quelque sorte sur les refus pour évaluer si ces refus ne sont absolument pas justifiés? De même, il n'y a pas actuellement de procédure d'appel à la suite du refus de la réception d'une plainte. Dès ta réception d'une plainte, peut-être faudrait-il, au premier chef, informer adéquatement le plaignant sur l'ensemble de ses droits et de ses recours et des procédures qui l'attendent à la Commission des droits de la personne, surtout si elles sont appelées à se transformer et à se modifier.

Le problème le plus substantiel posé dans notre mémoire, et probablement dans tous les mémoires, porte sur les procédures d'enquête et de médiation. La recommandation la plus majeure que nous avons, probablement comme d'autres intervenants, est celle de modifier le processus d'enquête et de médiation et, en particulier, de distinguer les procédures d'enquête des procédures de médiation, de créer un service distinct de médiation. Actuellement, l'enquêteuse de la commission, lorsque la plainte a été reçue, peut se substituer à tout moment, changer de chapeau et devenir une médiatrice à la demande de l'une ou l'autre des parties. Alors, on se transforme, à ce moment, en comité de médiation et, si la

médiation bloque, ne parvient pas à un compromis, on retourne dans un processus d'enquête avec la même personne qui a entendu des preuves, qui, peut-être, ne seront pas soumises lors de l'enquête. Comment pourra-t-elte oublier, en quelque sorte, les preuves ou les arguments qui lui ont été soumis en médiation dans un processus d'enquête qui va suivre par la suite et qui peut ensuite se retrouver suspendu pour une nouvelle séance de médiation? On pense que cette situation est, à proprement parler, aberrante et qu'il est central que les enquêteurs gagnent en indépendance et qu'un service de médiation distinct soit organisé.

Concernant les processus de médiation, il ne faudrait pas comprendre ces services de médiation comme des services de compromission. Une évaluation récente indique que les règlements... Évidemment, dans les règlements des litiges, les personnes mises en cause ne reconnaissent pas qu'elles ont discriminé. On achète la paix comme dans la vieille tradition du droit civil. On achète ta paix entre les parties et on met fin au litige. On ne reconnaît absolument pas la discrimination. Non seulement c'est cela, mais, sur le plan financier des dommages et Intérêts, discriminer coûte environ 200 $ au Québec, en moyenne. Cela ne coûte pas cher, la discrimination au Québec, quel que soit la matière ou te motif de discrimination. On peut dire, sans risquer d'offusquer la commission, qu'une telle situation est un encouragement à la discrimination et, en quelque sorte, on échappe à l'objet de la charte et à l'intention du législateur, qui avait pour principe, en 1976, d'encourager le droit à l'égalité.

Vous avez déjà soumis la question des délais trop longs. Dans la mesure où les délais se raccourcissent, dans la mesure où les plaignants font de moins en moins appel à la commission - c'est une question centrale - passer par la commission ne devrait plus être un obstacle, mais un moyen plus rapide et un support privilégié pour des personnes qui se croient discriminées et qui ont droit constitutionnellement ou quasi constitutionnellement à l'égalité dans notre société.

Le Président (M. Filion): Merci, Me Plamondon, Mme Lamoureux. M. Paradis, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Paradis (André): Non, je vais me contenter d'intervenir en réponse à des questions éventuellement.

Le Président (M. Filion): D'accord. Je vous remercie. J'inviterais maintenant M. le député de Marquette à amorcer les échanges avec nos invités.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. Tout d'abord, j'aimerais remercier M. Paradis, Mme

Lamoureux et Me Plamondon, de la Ligue des droits et libertés, pour leur présentation. Vous avez dit, Mme Lamoureux, au tout début, et Me Plamondon a renchéri sur l'aspect judiciaire, que la commission n'est pas équipée ou n'a peut-être pas le désir ou la volonté de soumettre des cas particuliers devant les tribunaux. Plusieurs intervenants, tout comme vous d'ailleurs, ont suggéré plus de dents, c'est-à-dire que la commission a actuellement un pouvoir de recommandation ou peut s'adresser aux tribunaux, mais la commission comme telle n'a pas de pouvoir exécutoire ou n'a pas de pouvoir coer-citif. J'aimerais que vous indiquiez aux membres de la commission ce que la ligue souhaiterait concrètement comme pouvoirs additionnels qui seraient attribués à la Commission des droits de la personne pour, justement, en arriver à des solutions plus concrètes des cas de discrimination que nous vivons actuellement au Québec.

Mme Lamoureux: Je pourrais commencer et Me Plamondon poursuivra. Très rapidement, la question du pouvoir exécutoire de la commission est souvent mise de l'avant. Je voudrais tout de suite dire qu'à la Ligue des droits et libertés nous n'avons pas de position arrêtée là-dessus parce que c'est quelque chose de très complexe et où il faudrait avoir un débat vraiment plus en profondeur.

On se dit que, pour le moment, ce n'est pas la solution. En termes de pouvoir, c'est surtout plus d'audace qu'on voudrait pour la commission que plus de pouvoirs pour le moment C'est-à-dire qu'à l'intérieur même du cadre qu'elle possède actuellement il est possible de faire beaucoup plus et beaucoup mieux, ne serait-ce que de voir systématiquement à quel point il y a des modifications qui sont nécessaires à la charte. Cette charte a été tellement belle que, maintenant, il faut vraiment bouger des montagnes pour pouvoir y toucher. Or, cette charte pose des problèmes actuellement qu'on a soulevés dans notre mémoire. Donc, si la commission jouait son rôle d'organisme administratif qui a à administrer une charte et si elle voyait des problèmes à administrer cette charte et faisait des interventions publiques auprès de l'Assemblée nationale pour qu'il y ait des modifications, déjà cela ferait avancer les dossiers.

Donc, ce n'est pas, à notre avis, de donner systématiquement plus de pouvoirs exécutoires à la commission elle-même comme cadre, mais qu'elle s'acquitte de ses fonctions de surveillance de façon plus précise.

M. Plamondon: On a réfléchi à quelques reprises sur la création d'un tribunal administratif des droits de la personne au Québec. On sait que la plupart des provinces ont effectivement des "Boards", des tribunaux administratifs, parallèlement aux commissions, qui ont des mandats similaires à celui de la Commission des droits de la personne. Les rencontres que nous avons eues avec un certain nombre de représen-

tants des groupes similaires au nôtre dans les provinces anglaises nous indiquent, en fait, qu'on nous envie beaucoup d'avoir maintenu un accès aux tribunaux de droit commun en matière de discrimination. On commence à s'interroger précisément dans ces provinces sur une justice à rabais concernant les droits fondamentaux, les droits et libertés, les droits à l'égalité dans les procédures d'un tribunal administratif, c'est-à-dire que c'est un risque important de créer un tribunal administratif qui aurait pour mandat de recevoir toutes les causes en matière de discrimination et de droit à l'égalité. On pourrait évoquer ici quelques problèmes qui peuvent être soulevés.

On a indiqué tout à l'heure que la tradition civiliste, qui marque à ta fois tous les avocats québécois et les juges, de surcroît, a posé beaucoup de problèmes. Il n'est pas dit qu'un tribunal administratif serait apparemment susceptible d'avoir plus de sensibilité aux questions des droits à l'égalité ou des droits fondamentaux si les règles de nomination des juges ne sont pas modifiées. Si, par exemple, les juges des tribunaux administratifs ne sont pas plus sensibles... On n'a pas plus de garantie qu'un juge d'un tribunal administratif sera plus sensible qu'un juge de la Cour supérieure ou de la Cour provinciale en matière de droits civils ou de droits et libertés.

On dit souvent que les tribunaux administratifs ont des procédures simplifiées et, en ce sens, donnent plus d'ouverture à l'égard des justiciables. On dit aussi, des mêmes tribunaux, lorsque les procédures sont simplifiées, que c'est une justice à rabais où les règles de procédure sont incertaines, inéquitables. On dit également que c'est une accessibilité plus grande à la justice, mais, en même temps, est-ce que ce n'est pas réduire la portée des droits et libertés que de renvoyer la question du droit à l'égalité à des tribunaux administratifs dits inférieurs?

On dit aussi qu'un tribunal administratif, d'un certain point de vue, cela peut augmenter la productivité des tribunaux, c'est-à-dire qu'il entend un plus grand nombre de causes, qu'il devient, en quelque sorte, plus habilité ou plus professionnel dans la production des décisions concernant un certain nombre de domaines. On peut penser à celui du travail. Est-ce que ce serait vrai de le dire en matière de droits et libertés si, par ailleurs, compte tenu du système actuel, on perd également des droits d'appel? On sait qu'à moins d'un excès de juridiction le tribunal administratif va connaître de manière exclusive les plaintes en matière de discrimination et de droits à l'égalité et. donc, c'est la perte de droits d'appel. Habituellement, lorsqu'on crée une instance administrative, le tribunal administratif connaît d'une manière exclusive les matières auxquelles on lu! a attribué juridiction et, donc, c'est la perte de droits d'appel, soit à la Cour d'appel, soit à la Cour suprême, en sauf en matière de perte de juridiction.

Donc, je ne pense pas qu'on doit voir la solution d'un tribunal administratif comme une solution miracle aux problèmes soulevés dans nos mémoires comme dans d'autres mémoires, c'est-à-dire de voir là comme une solution magique aux problèmes à la fois d'une application plus rigoureuse de la charte, d'un approfondissement des sensibilités judiciaires et de la population à l'égard des droits.

Je pense que ce choix-là doit être fait avec beaucoup de prudence, surtout quand on se fait dire, après plus de dix ans d'existence - en Saskatchewan, depuis 30 ans - des tribunaux administratifs, qu'ils sont loin de garantir l'accès à l'égalité.

Le Président (M. Filion): Merci beaucoup. (10 h 30)

M. Dauphin: Autrement dit, si nous faisons l'envie des provinces anglophones, des autres provinces canadiennes, vous seriez d'avis qu'effectivement nous devrions conserver ce que nous avons actuellement, mais tout en étant plus vigoureux avec ce que nous avons. J'aurais une sous-question. Dans les provinces canadiennes, dans les "Boards" comme vous les appelez, comme sanction à la discrimination, est-ce une amende de 200 $ également là-bas? À votre connaissance, quels sont les sanctions ou jugements ou ordonnances qui peuvent être imposés à l'égard des discriminations?

M. Plamondon: On sait que c'est largement supérieur, mais ce ne sont certainement pas les pénalités que l'on peut retrouver aux États-Unis en matière de violation constitutionnelle des droits. On sait que c'est déjà de beaucoup supérieur à ce qui se paie au Québec en matière de discrimination. Cependant, je n'ai pas d'étude sous la main là-dessus. Il y a une commissaire avec qui j'ai eu des discussions à la Commission des droits de la personne, qui me disait, dans un cas qu'ils avaient réglé: Ton client recevrait 800 $ au Canada anglais; ici, ce serait un montant de 200 $; aux États-Unis, ce seraient 500 000 S.

Effectivement, il n'y a pas encore le même décalage. Il y a un décalage important entre le Canada et les États-Unis, mais il y a un décalage supplémentaire entre le Canada anglais et le Québec. On pense que le montant de 200 $ n'est pas une incitation à cesser la discrimination, quel que soit le motif.

M. Dauphin: M. le Président, je crois que vous avez une question sur le même sujet.

Le Président (M. Filion): C'est sur le même sujet. Me Plamondon. Je pense qu'au chapitre des pénalités, ensemble, vous avez bien circonscrit le problème. Quand on se retrouve au palais de justice de Montréal, à la salle 3.12, il demeure qu'entre deux causes de braconnage, une conduite

sans permis de conduire et une cause de discrimination de 200 $, en quelques mots, lorsqu'on observe l'ensemble de nos tribunaux de droit commun, il ne faudrait pas se surprendre que les pénalités demeurent à un niveau relativement bas par rapport à ce qui se fait au chapitre d'un tribunal administratif spécialisé.

Mais là n'est pas mon propos. Dans I'hypo thèse d'un tribunal administratif, vous avez souligné tout le problème de la justice à rabais, des règles de procédure, des règles de preuve de tout le secteur de la problématique de l'indépendance et de l'impartialité des juges. Je ne sais pas, Me Plamondon, si vous avez eu l'occasion de feuilleter récemment le rapport de la commission Ouellette, qui a fait le tour du jardin de la justice administrative au Québec. Bien sûr, ce n'est qu'un rapport. II reste à voir ce qu'en diront les dirigeants politiques. Mais je dois vous dire qu'en interrogeant le ministre de la Justice, la semaine dernière ou il y a une dizaine de jours, il m'a confirmé qu'un projet de loi serait déposé au printemps sur le regroupement des tribunaux administratifs et toute la problématique de la justice administrative.

Advenant le cas où une bonne partie des recommandations du rapport Ouellette devaient trouver leur consécration dans un texte de projet de loi, est-ce que ces modifications pourraient changer un petit peu les réserves de prudence que vous dicte votre expérience ce matin? En quelques mots, dans un cadre nouveau ou la justice administrative, les tribunaux administratifs seraient cadrés de façon nouvelle, est-ce que vous pourriez modifier un petit peu ce que vous nous dites ce matin en ce qui concerne vos réserves qui sont, encore une fois en bonne partie bien fondées concernant cette justice à rabais, qu'on ne voudrait pas voir appliquer dans un secteur aussi fondamental que les droits et libertés de la personne?

M. Plamondon: Je suis tenté de vous dire que j'aimerais peut être changer de rôle et vous dire qu'en bon politicien, je n'aimerais pas répondre à une question hypothétique. Peut être serait-il préférable d'attendre et de voir C'est ce que nous disons L'évaluation que l'on a de la situation à ce jour nous indique que le choix de s'engager dans la création d'un nouveau tribunal administratif en matière de droit à l'égalité serait peut-être un peu rapide. Sans médire sur le rapport Ouellette, on pense que ce n'est peut être pas la création d'un tribunal qui va, de manière substantielle, changer la situation pour l'heure, compte tenu des problèmes qu'on a d'abord à régler pour voir si cela ne serait pas susceptible de changer la situation actuelle. Peut être que les solutions qui sont mises de l'avant aujourd'hui seraient suffisantes et préserveraient en quelque sorte tous les recours des citoyens devant les tribunaux de droit commun et permettraient à ceux-ci d'être aussi efficaces qu'un tribunal administratif sur le plan judiciaire

Pourquoi créer une instance de plus quand finalement, on pourrait améliorer celle qui existe déjà?

Le Président (M. Filion): M le député de Chapleau M. le député de Beauharnois.

M. Kehoe: Dans votre mémoire vous avez parlé des délais avant que les causes soient entendues. Pour régler le problème que prévoyez vous? Est ce que c'est une question de nommer d'autres commissaires, plus d enquêteurs plus de personnel ou si c'est le tribunal, un "Board", comme vous dites? Qu'est ce que vous prônez concrètement pour régler le problème?

M. Plamondon: Je pense qu'il y a plusieurs raisons qui engendrent les délais. Les délais de préenquête d abord, de réception de la plainte d évaluation de la plainte pour voir si elle est recevable. Selon les matières que le fonctionnaire reçoit, il a le choix entre six questionnaires à envoyer à la personne. Tout cela se fait par courrier. Les questionnaires sont longs et complexes. Dans beaucoup de cas, si les gens prennent trois mois pour répondre à un questionnaire que la commission leur envoie. Ensuite, ce questionnaire est évalué et copie est envoyée au mis en cause qui lui même va prendre quelques mois pour répondre à un autre questionnaire sur la même question. Déjà - imaginez - il y a quelques mois de passes juste pour savoir si la plainte est recevable.

M Kehoe: Donc, la nomination de nouveaux commissaires ne réglerait pas grand chose. Vous dites que c'est la procédure de préenquête qui est très lourde actuellement pour connaître le bien fondé de la question soumise. C'est là le problème initial, cela commence là.

M. Plamondon: Cela commence effectivement là. Le deuxième problème qui est soulevé et qui je vous l'ai signalé est majeur, c'est la con fusion des rôles et des mandats à I'intérieur des processus d'enquête c'est-à dire qu'une façon de retarder une cause dans une enquête de la commission, c'est de demander trois fois la médiation et de s'engager dans des processus de discussion pour voir s'il n'y a pas moyen de régler à l'amiable. Je voudrais d'ailleurs signaler au président que les 200 $ en question ce n'est pas devant les tribunaux que cela se passe mais dans les processus de médiation on règle finale ment autour de 200 $ en moyenne. Donc le fait que dans un processus d'enquête on puisse à tout moment, à la demande de I'une ou I'autre des parties se transformer en instance de médiation ralentit considérablement la sanction de la question en litige En ce sens, cela n'aide pas à raccourcir les délais.

M. Kehoe: La procédure pour formuler les plaintes que vous avez décrite, sort de répondre

à des questions très complexes, très longues cela prend beaucoup de temps, ainsi de suite. Est-ce que vous prévoyez beaucoup de difficultés à reformuler cette procédure? Est-ce une chose très difficile ou si, a votre avis, c'est une chose qui peut se faire assez facilement?

M. Plamondon: Nous, on pense qu un organisme peut effectivement modifier et faire une préenquête moins administrative et plus inquisitive. Par exemple, quand on dit que les deux tiers des plaintes sont rejetés, on se demande si ce n'est pas aussi la procédure écrite, complexe qui rebute en quelque sorte les plaignants et qui ne leur donne pas un moyen facile d'expliquer ce qu'ils ont vécu et de faire sanctionner rapidement si la plainte est recevable ou non. Nous pensons nous sans introduire des dimensions quasi policières au processus de préenquête, qu'il pourrait y avoir une préenquête de type plus inquisitif, c'est-à-dire qu'on a au départ un préjugé favorable au plaignant et on se rend rapidement chez le mis en cause pour connaître sa version au même titre qu'un policier pourrait le faire. II reçoit une plainte, va voir le plaignant, prend quelques, notes et ensuite va voir le mis en cause pour voir si, effectivement, la plainte apparaît, prima facie, fondée.

M. Kehoe: nécessairement plus d un critère II ny a pas assez de personnel actuellement C'est là le problème, au fond.

M. Paradis (André): C'est possible que cela prenne plus d'enquêteurs, mais il est difficile d'évaluer ce besoin à I'heure actuelle compte tenu des problèmes au niveau de la procédure d'enquête. Si on règle les problèmes au niveau de la procédure d enquête, cela va peut être permettre de voir un peu mieux si effectivement il y a un besoin supplémentaire d'enquêteurs s'il y a un besoin de plus d enquêteurs pour s oc cuper du traitement des plaintes.

M. Kehoe: Une dernière question à ce sujet. Connaissez-vous la procédure dans les autres provinces? Est-elle similaire? Est-elle différente? Est-ce mieux organisé? Est-ce mieux structuré ou est-ce plus simple? Qu'est-ce qui se passe en Ontario spécifiquement, par exemple?

M. Plamondon: À ma connaissance, en Ontario, il y a une préenquête de type inquisitoire, c est à-dire...

M. Kehoe: Par des enquêteurs de la commission

M. Plamondon: C'est cela. Ainsi on sait mieux, on sait très rapidement s'il s'agit par exemple, d'une plainte frivole ou de quelqu'un qui cherche à nuire ce qui serait un abus de droit dans ce sens là il y a une préenquête plus Inquisitoire. À la limite, on pourrait faire également une enquête inquisitoire. Ce n est pas le choix qu'on a fait mais la préenquête elle pourrait être plus rigoureuse plus systématique et beaucoup plus rapide.

M. Kehoe: Est-ce que vous dites que, dans I'ensemble, actuellement, le fardeau de prouver le bien fondé de ses allégations revient au plaignant.

M. Plamondon: Tout à fait.

M. Kehoe: Et il le fait toujours par écrit.

M. Plamondon: Oui.

M. Kehoe: C'est très lourd, I'aspect administratif pour déposer une plainte actuellement.

M. Plamondon: Bien, nous le croyons aussi. C'est la même chose pour les plaignants, les citoyens qui sont violés dans leurs droits, ils n'ont pas à remplir un long formulaire de trois pages pour savoir s'ils veulent faire une plainte pour vol ou pour d'autres motifs. La police se rend sur les lieux et fait un rapport. Actuellement, ce sont des procédures extrêmement complexes pour le citoyen ordinaire.

Le President (M. Filion): Pour I'information des membres de la commission et du député de Chapleau tel quon l'avait demandé à l'une de nos dernières réunions, nos experts en soutien nous ont produit des études comparatives avec la commission canadienne des droits la commission ontarienne des droits et également la commission des droits et libertés de la Saskatchewan Si une copie ne vous a pas été distribuée je suis convaincu qu on pourrait vous en remettre des copies additionnelles.

Je vais maintenant reconnaître M le député de Beauharnois.

M. Marcil: Dans la même ligne de pensée que mon collègue de Chapleau. Vous semblez, je ne dirais pas mettre en doute I impartialité des enquêteurs comme tels, mais vous parlez du manque d'uniformité des procédures ce qui fait en sorte que les deux tiers des plaintes sont rejetés automatiquement. Aussi je trouve surprenant quon parle également du choix des plaintes quon retient pour enquête ou pour procéder à une enquête. Vous avancez quasiment que cest fait de façon très arbitraire et qu'il n y a aucune procédure préétablie à I'avance et aucun critère nécessairement uniforme sur lequel on peut évaluer chacune des plaintes J'aimerais que vous développiez davantage cet aspect cette dimension.

M. Plamondon: Notre intention et notre propos, ce n est pas de mettre en cause I hon nêteté des enquêteurs. Les enquêteurs sont placés dans des conflits de rôles. Le problème

est surtout là. C'est comme si un juge de la Cour supérieure descendait de son tribunal, allait rencontrer les parties dans le bureau à côté pour négocier un règlement hors cour, revenait s'asseoir par la suite après avoir entendu la preuve en dehors du tribunal, sans la présence de toutes les parties, même peut-être sans la présence des parties elles-mêmes avec les avocats, et revenait siéger parce qu'il n'y a pas eu d'entente. On place les enquêteurs exactement dans une situation de conflit d'intérêts. C'est cela qui est problématique. Ce n'est pas l'intégrité, ni la compétence actuelle des enquêteurs qui sont en place à la commission, mais les conflits de rôles dans lesquels on les place, ce à quoi il faut mettre fin. (10 h 45)

Deuxièmement, le problème de l'aboutissement du résultat de l'enquête est peut-être en question. À la suite de l'enquête, il y a un rapport qui est fait à l'ensemble des commissaires réunis en instance, qui ont le privilège de recevoir le bilan en quelque sorte de l'enquêteur à la suite de son enquête et ses conclusions de retenir ou non la plainte comme étant fondée. Il se trouve que du point de vue judiciaire ou quasi Judiciaire, même sur le plan de l'équité administrative, il n'est pas évident que cette façon de fonctionner est tout à fait correcte, parce que les commissaires n'ont entendu aucun témoin, n'ont pas entendu la preuve. Ce que leur rapporte l'enquêteur est du oui-dire de la manière la plus rigoureuse, la plus absolue. Ils se prononcent, en quelque sorte, sur la base des recommandations de l'enquêteur, sur la recevabilité finale de la plainte, si elle est fondée ou non. On se demande sous cet aspect-là aussi s'il n'y a pas des problèmes clés dans la mesure où aucun des commissaires n'a participé à l'enquête et ils ont à se prononcer pour savoir si elle est fondée.

Je comprends qu'habituellement on va suivre l'avis de l'enquêteur, mais encore là il y a quelque chose qui ne convient pas. II y a des personnes qui jouent le mauvais rôle à un moment donné. En plus de cela, quels sont les critères qui conduisent en quelque sorte les commissaires à retenir ou à ne pas retenir les plaintes? En ce sens, on ignore aussi les règles de procédure des commissaires réunis en instance pour juger au fond et finalement s'ils retiendront la cause du plaignant ou non, d'autant que j'ai vu dans un certain nombre de dossiers que les commissaires peuvent conclure que la plainte est fondée et recommander une médiation. Une autre étape de médiation va suivre au lieu de s'engager dans des procédures judiciaires finalement.

Il y a à la fois des éléments obscurs en ce qui concerne les commissaires et des conflits de rôles, sinon des conflits d'équité. En conséquence, je ne pense pas qu'on peut renvoyer à des problèmes d'honnêteté ou d'intégrité des personnels toute une série de confusions quant à des rôles qu'ils peuvent exercer dans la procé- dure.

Le Président (M. Filion): Cela va, M le député de Beauharnois? M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: Oui. À la page 6, il est écrit: "Les rapports entre la commission et la ligue sont donc nombreux et à divers niveaux et ce, pratiquement depuis la création de la commission. Ces rapports ont toujours été marqués, pour ce qui est de la ligue, à la fois par une réelle volonté de collaboration et une nécessaire vigilance, un recul critique. Cette double attitude nous apparaît essentielle pour qu'un organisme gouvernemental comme la commission remplisse le rôle qui est le sien et contribue positivement à la défense et à la promotion des droits et libertés". Par contre, vous dites que, de façon générale, les organismes n'ont pas - et c'est plus loin - senti de véritables efforts de concertation et de collaboration de la part de la commission envers eux, même si ça figurait parmi le mandat pour l'année 1986-1987. Vous suggérez une rencontre annuelle entre la commission et les organismes voués à la défense des droits et libertés comme la vôtre.

Comment la commission - c'est la question que je vous pose - fait-elle pour ne pas sentir le besoin d'avoir effectivement une rencontre avec les ONG, c'est-à-dire les organismes non gouvernementaux, dont on reconnaît l'importance à tous les autres niveaux, que ce soit dans le domaine de la santé, de l'habitation, de la consommation?

M. Paradis (André): Je suppose que c'est une question à laquelle M Lachapelle et les autres représentants de la commission pourront répondre jeudi, je crois, mais c'est un fait. Il y a beaucoup de liens ad hoc entre les organismes comme la Ligue des droits et libertés et d'autres organismes volontaires de défense des droits et la commission. C'est souvent les organismes qui provoquent ces liens dans le sens qu'on contacte la commission on veut leur proposer d'intervenir, on veut les presser d'intervenir, on veut leur demander des informations, on veut leur proposer des collaborations. Mais, on ne sent pas vraiment... L'attitude est toujours correcte, les rapports individuels, je dirais, que ce soient des commissaires ou des employés de la commission, ou des cadres de la commission, l'attitude est toujours correcte et ça va, mais on ne sent pas vraiment au niveau de la direction de la commission, si on peut dire, une ouverture réelle aux groupes. Cela vient peut-être du fait que le deuxième aspect de notre rôle, qui est non seulement d'appuyer l'action d'un organisme comme la commission, mais de la critiquer, n'est pas toujours bien reçu. Je pense qu'il a des groupes - il y en a qui vont pouvoir en témoigner cette semaine - qui se sentent un peu bloqués à la commission parce que, dans le passé,

parfois, ils ont proféré des critiques importantes de certains aspects du fonctionnement de la commission.

Or, on pense qu'il y a d'abord un problème d'attitude. Je pense que la commission pourrait, comme cela a été souligné, reconnaître davantage la contribution des organismes quand il y a des dossiers communs. Je ne dis pas cela simplement pour la Ligue des droits et libertés, j'ai entendu des représentants d'autres organismes faire les mêmes commentaires à différentes reprises. Alors, un changement d'attitude d'abord et puis, peut-être, pour faire pendant à ce changement d'attitude, un mécanisme. Nous suggérons, éventuellement, une rencontre annuelle avec des représentants d'organismes. Cela pourrait se tenir, en alternance, à Montréal et, à d'autres moments dans les régions. Ce serait important que la commission puisse nous saisir plus directement du bilan de son travail, de ses perspectives pour l'année qui vient et qu'on puisse commenter et, finalement, développer une relation un petit peu plus systématique, un peu plus organisée avec la commission. Cela nous permettrait, je pense, de connaître les commissaires. Très souvent - c'est une critique que l'on fait dans notre rapport - on apprend la nomination d'un nouveau commissaire; cela tombe un petit peu des nues. J'avoue que j'ai été tout à fait surpris par la nomination de la nouvelle présidente de la commission; je n'avais jamais entendu parler de cette dame auparavant. On n'a jamais l'occasion de rencontrer l'ensemble des commissaires, ne serait-ce qu'une fois. C'est pourtant nos répondants, si on veut, du côté institutionnel, du côté paragouvernemental.

Alors, il y a sûrement une nécessité de revoir cela. La commission, en 1986, s'était fixé comme une des priorités, la septième, je crois, de raffermir ses liens avec les groupes. C'était l'année du dixième anniversaire de la charte. Or, il n'y a eu aucune initiative, de quelque sorte que ce soit, qui a été prise pour associer les groupes - la Ligue des droits et libertés, entre autres, qui a joué un rôle important dans l'avènement de la charte - ne serait-ce que d'une façon ou d'une autre, avec la célébration du dixième anniversaire de ta charte. Je pense qu'il y a là un problème d'attitude et de mécanisme; le problème est sûrement d'abord un problème d'attitude.

Mme Lamoureux: Je pourrais peut-être rajouter, très...

Le Président (M. Fillon): Oui, Mme Lamoureux.

Mme Lamoureux: Excusez-moi. Je pourrais peut-être rajouter, très brièvement, que ce n'est pas un problème qui est propre à la commission. Je pense que l'interface entre les systèmes publics quels qu'ils soient et la mouvance communautaire ou la mouvance des mouvements qui travaillent dans différents domaines est toujours très problématique au Québec. Elle l'est dans le domaine de la santé et des services sociaux et dans le domaine de l'éducation. C'est toujours très difficile, donc ce n'est pas un problème propre à la commission. SI on voulait bien reconnaître, un jour, que tout ce qui est issu des initiatives des citoyens fait partie justement de cette citoyenneté démocratique qu'on doit encourager et avec laquelle on doit travailler, à ce moment-là, peut-être qu'effectivement iI y aurait moins de rapports de forces, finalement, et il y aurait plus de collaboration et de partenariat vraiment équitable.

À ce moment-là, c'est surtout... C'est difficile parce qu'on n'a pas les mêmes ressources, on n'a pas le même prestige extérieur, disons, et on se trouve à être dans un rapport de forces. Par contre, on a une très grande expertise du terrain aussi, une très longue habitude de la lutte pour les droits et libertés Alors, c'est un peu notre expertise qu'on aimerait voir reconnue et soulignée occasionnellement.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme Lamoureux. M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: Je veux vous dire, Mme Lamoureux, que le prestige ne vient pas du titre mais des actions. À ce niveau-là, vous êtes bien positionné. Vous êtes sur Champlain, près d'Ontario; dans le dossier des assistés sociaux, je pense que vous avez atteint votre prestige. Je vous en félicite et surtout je vous en remercie.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Saint-Jacques. Je vais reconnaître maintenant M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Thuringer: Vous avez mentionné que ce n'est pas juste une question de pouvoirs, que, si la commission exécute son mandat un peu plus rigoureusement, il ne sera pas nécessaire d'apporter tellement de changements. Est-ce que vous avez des suggestions plus concrètes sur le type d'intervention? En augmentant les pénalités, qui sont en moyenne de 200 $, c'est une éducation négative, si on peut dire. Avez-vous des suggestions concrètes sur l'éducation positive comme, par exemple, dans les commissions scolaires ou des choses comme cela?

M. Paradis (André): Sur le rôle d'éducation de la commission, en particulier vis-à-vis du milieu scolaire, il y a eu des initiatives très intéressantes et très positives qui ont été prises par la commission. Par exemple, on considère que le colloque sur l'éducation aux droits fondamentaux au secondaire qui s'est tenu il y a quelques années a été vraiment un précédent. Cela a réuni énormément d'intervenants du milieu scolaire et des organismes de défense des droits Cela a

sûrement eu un effet stimulateur dans les milieux d'enseignement. Par ailleurs, on pense que la Commission des droits de la personne pourrait faire plus. C'est évident. Elle peut être davantage sur le terrain. C'est une critique qu'on entend même au sein de la Commission des droits de la personne.

Les autres secteurs ou les autres divisions de la commission vont souvent faire le commentaire qu'il y a du beau travail qui s'est fait en éducation, par exemple la conception de guides. Il y a une deuxième version de leur guide pour les professeurs, le guide pour l'éducation aux droits, qui est en voie d'être complétée actuellement. Selon ce que nous en connaissons, c'est du très bon travail, mais il faudrait que cela ait une présence sur le terrain qui soit plus grande. Par exemple, la Commission des droits de la personne reçoit beaucoup de plaintes qui ont trait à la situation dans les milieux de travail. Peut-être que la fonction d'éducation de la Commission des droits de la personne devrait se jouer aussi davantage dans ces milieux. Il y a quelqu'un qui s'occupe beaucoup des droits humains qui, dans une conférence, disait, il y a quelques années, que, dans les milieux de travail, c'est souvent le Moyen Âge qui continue à exister en matière de respect des droits et libertés. Ce n'est pas accidentel si la Commission des droits de la personne reçoit un si grand nombre de plaintes de la part de travailleurs ou d'employés, de gens qui sont dans les milieux de travail. Le pendant de cela serait peut-être le travail d'éducation.

C'est sûr que ta portée du travail d'éducation de la Commission des droits de la personne ne sera grande et effective que si elle reçoit l'appui des autres corps publics. Je pense au ministère de l'Éducation qui a un rôle déterminant à ce moment, c'est-à-dire dans l'établissement du curriculum. Il y a d'autres organismes, comme les commissions scolaires. C'est un fait connu, par exemple, que la Commission des droits de la personne ne peut pas entrer à la Commission des écoles catholiques de Montréal. Ce n'est pas reçu, l'éducation aux droits, de la façon dont la commission le reçoit. N'est pas non plus nécessairement acquise la collaboration du ministre de l'Éducation. Je ne suis pas au fait des dernières négociations, mais ce n'est pas nécessairement acquis. Et pourtant ce serait essentiel en ce qui concerne l'éducation, par exemple, dans les milieux scolaires. Alors, il y a des initiatives intéressantes. Le travail devrait se faire davantage sur le terrain, mais cela va prendre l'appui des autres corps publics, parce que sans cela la commission ne pourra pénétrer ces milieux.

La portée du travail éducatif de la commission sera beaucoup plus grande aussi si elle se fait autour de dossiers d'actualité parmi ceux sur lesquels la commission intervient. C'est une grande déception que nous avons et plusieurs organismes aussi. L'enquête publique sur le racisme dans le taxi à Montréal, c'était comme une première. Ce type d'enquête ne s'était jamais fait. La tenue de l'enquête elle-même avait une valeur éducative. Elle a fait ressortir qu'un phénomène de racisme s'était développé dans l'industrie du taxi et que c'était quelque chose d'inacceptable. On a mis cela en lumière. Cela a été très positif, mais il fallait continuer ce travail. La Commission des droits de la personne avait promis une grande campagne d'information et d'éducation sur le racisme dans l'industrie du taxi. Finalement, cela s'est réduit à peu de chose. Il y a eu la distribution de 5000 dépliants sur le nouveau règlement du transport par taxi Le travail d'éducation s'est arrêté là. Je dois dire que nous avons détaillé dans notre mémoire assez longuement la question de l'intervention de la commission sur le racisme dans l'industrie du taxi. Cela nous semblait que cela illustrait assez bien à la fois les points forts et les points faibles de la Commission des droits de la personne. Les points forts, c'est qu'elle a un pouvoir d'enquête et qu'elle l'a utilisé. Par ce simple fait, cela commence à sensibiliser la propulation. Elle a agi pour faire sanctionner les actes racistes par les tribunaux. Cela aussi montre que l'on ne peut pas impunément se livrer à des actes racistes. Mais il aurait fallu poursuivre avec vigueur et détermination et je pense que cela, on ne l'a pas fait. (11 heures)

Ces jours-ci, il est beaucoup question de racisme. Je pense que le cabinet doit se pencher aujourd'hui sur la question du type d'enquête à tenir. Il a été soulevé que peut-être la Commission des droits de la personne fera enquête Je dois vous dire que j'ai un "mixed feeling" au sujet de l'intervention de la commission là-dedans, si on se fie au précédent de l'industrie du taxi, c'est-à-dire que, pour l'industrie du taxi, on a retrouvé les problèmes typiques de la commission: des délais très longs, l'enquête a duré deux ans. On a eu les mêmes problèmes de confusion au niveau du rôle de la commission: enquêteur, médiateur, et, finalement, ce sont les mêmes personnes qui changent de chapeau. On fait des promesses de grandes campagnes d'éducation et celles-ci n'ont pas lieu. On a eu une critique plutôt mitigée des corps publics là-dedans. C'est seulement sous la pression des organismes non gouvernementaux que la commission a critiqué, a mis le doigt un peu plus sur des problèmes qui existaient à la commission de transport de la communauté urbaine. Celle-ci avait continué à accorder un contrat à la Co-op de l'Est qui avait été trouvée coupable d'actes de racisme. Par la suite, elle a même donné un contrat à une autre compagnie de taxi qui, elle, avait dit que l'un des problèmes pour lesquels elle ne pouvait pas entrer en compétition avec la Co-op de l'Est, c'est qu'elle avait trop de chauffeurs noirs. Alors, on avait partagé le contrat entre les deux, on avait comme cautionné le racisme dans une deuxième compagnie.

Cela allait même plus loin que cela. Lors de

l'enquête sur le taxi, lors des auditions, il y avait eu de très nombreux témoignages sur les manifestations de racisme par ta police à l'endroit des chauffeurs de taxi. Dans le rapport final de la commission, pratiquement tous ces témoignages avaient été gommés, c'est-à-dire avaient été en grande partie atténués, presque effacés. Plus que cela, dans ses recommandations pour solutionner le problème du racisme dans le taxi, la commission avait proposé que la police joue un rôle important et même crucial. Quand nous avons vu cela, cela nous a tout à fait effarés. D'une part, des témoignages nombreux au moment des auditions montrent qu'il y a manifestation importante de racisme par la police; la commission gomme cela dans son rapport. Elle va même, d'autre part, proposer un rôle très important pour la police dans la solution de ce problème de racisme. Vous comprendrez que, quand on parle d'une enquête publique de la commission sur le racisme dans les corps poli-ciers au Québec, on a un certain nombre de réserves.

M. Plamondon: Pour terminer, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Je crois comprendre qu'il y a d'autres inscriptions autour de la table. Y a-t-il consentement pour que nous débordions légèrement l'enveloppe de temps qui était prévue? Cela va. Me Plamondon, vous vouliez ajouter quelque chose aux remarques de M. Paradis.

M. Plamondon: Au bénéfice du député de Notre-Dame-de-Grâce, il y a peut-être une solution concrète concernant le processus de médiation. Si on établissait au départ que la médiation doit être demandée par les deux parties, cela ne pourrait pas être utilisé pour retarder les délais, parce que cela suppose que les deux parties sont consentantes, Cela suppose aussi que le médiateur ou la médiatrice n'est pas la même personne que celle qui fait l'enquête, comme cela suppose qu'il y a certains paramètres dans les directives de la commission pour dire qu'en bas d'un certain seuil on ne peut pas favoriser un règlement. Il y a des paramètres qui sont indiqués au médiateur pour dire qu'en bas d'un certain seuil la discrimination ne se règle pas.

D'autre part, en fin de compte, il faudrait également indiquer, quitte à faire un règlement en bonne et due forme, qu'un règlement à la suite d'une médiation doit se faire sur la base de la reconnaissance de la discrimination, non pas d'acheter la paix ou d'acheter la discrimination. Il faut que le mis en cause, pour pouvoir régler avant la fin de l'enquête dans un processus de médiation, le reconnaisse, exactement comme on le fait en matière de mesures volontaires pour les jeunes contrevenants, à qui on dit que, pour échapper au processus de judiciarisation, il faut d'abord qu'ils se reconnaissent coupables de l'acte dont ils sont accusés. Après cela, ils peuvent faire des travaux communautaires, faire des réparations, aller réparer la vitre du dépanneur ou quoi que ce soit, mais il faut qu'ils reconnaissent leur acte criminel. Pourquoi ne ferait-on pas la même chose en matière de droits et libertés? Pour régler hors cour en matière de droits et libertés, il faut dire qu'on a fait la discrimination et qu'on s'en excuse. Peut-être qu'à ce moment-là les 200 $ pourraient être légitimés, parce qu'en fait on s'est d'abord reconnu coupable en matière de discrimination.

Le Président (M. Filion): Je vais maintenant reconnaître, M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Oui, c'est justement ce point-là que |e voulais soulever, M. le Président, ayant moi-même eu l'occasion de faire appel aux services de la Commission des droits de la personne, il y a maintenant plusieurs années. Elle avait reconnu que la Communauté urbaine de Québec avait usé de discrimination à mon égard en m'empêchant de participer et de fonder une association de cadres supérieurs. Cela avait suivi son cours, l'enquête, etc., et cela avait fait un certain bruit à ce moment-là. Je m'étais retrouvé dans une situation en ce qui concerne la médiation où j'étais - je m'imagine ce que cela peut être pour d'autres personnes ayant moi-même un certain nombre de moyens, étant avocat, ayant une certaine expérience, étant normalement capable de me défendre - coincé, parce que je faisais face à la Communauté urbaine de Québec, qui est une immense machine, et que j'avais été démis de mes fonctions. Je n'avais donc plus de salaire. J'avais une famille, j'avais une maison, j'avais des obligations et c'était devenu un affrontement dans lequel je me voyais à longue échéance nécessairement perdant, étant donné que c'était rendu au point où, pour pouvoir faire exécuter la décision de la Commission des droits de la personne, il fallait procéder par injonction Les tribunaux entraient en ligne de compte et, là, on se retrouvait avec des possibilités d'appel, On m'avait laissé entendre à cette époque-là de ne pas me faire d'illusions, que cela se rendrait aussi loin que cela le devrait.

Dans les circonstances, j'ai été pratiquement coincé, devant accepter - enfin, j'ai été obligé d'accepter - un règlement. Dans les circonstances, je l'ai accepté les yeux ouverts, mais les yeux ouverts et en même temps les bras tordus. Se faire tordre un bras, cela n'empêche pas de s'ouvrir les yeux. On nous tord toujours le bras qui ne nous empêche pas de signer l'entente, évidemment!

Des voix: Ha! Ha!

M. Doyon: Après, il y a eu des articles dans les journaux, dans lesquels on a soulevé un peu le semblant d'illégalité, car je semblais avoir renoncé à mon droit qui était fondamental,

c'est-à-dire de m'associer avec - d'autres collègues et de fonder une association pour défendre des objectifs qui étalent légitimes. Mais j'étais coincé là-dedans et je me demande si vous avez réfléchi à cela. L'article qui avait paru dans Le Devoir disait que c'était un peu de la nature d'une entente qui allait contre l'ordre public. Je pense qu'on pourrait argumenter et je me demande comment les tribunaux réagiraient si quelqu'un allait plaider après coup que l'entente qu'il a signée est non valable - parce que, moi, j'avais renoncé à tous les recours qui m'étaient offerts à ce moment-là - dans ce sens qu'elle est contre l'ordre public, parce qu'elle va à rencontre d'une loi qui est une loi fondamentale, c'est-à-dire la Charte des droits et libertés de la personne. La signature de cette entente pourrait être non valide et laisserait la porte ouverte à d'autres procédures judiciaires.

Je me demande si vous avez déjà regardé ce côté-là des choses, parce que, moi, je suis encore dans les limbes à ce sujet-là. Ayant eu l'occasion de vivre des événements qui ont été difficiles, je compare ma situation avec celles - comme je le disais - d'autres personnes qui sont peut-être plus démunies que je ne l'étais, et je me dis: On fait quoi dans une situation comme cela? Je ne sais pas si vous avez des solutions ou si vous avez envisagé ces questions.

M. Plamondon: Bien, c'est que vous soulevez tout le problème du consentement à la signature d'un contrat. Si vous êtes en bonne santé mentale lors de la signature de votre contrat, même si vous avez le bras tordu, vous y trouvez également des intérêts pécuniaires. C'est ce que les juges de la Cour supérieure sont susceptibles de nous dire.

Vous avez finalement renoncé à un droit. On peut toujours renoncer à nos droits, y compris nos droits constitutionnels. Cela, ce n'est pas contre l'ordre public de renoncer à son droit. Dans l'affaire des visites à domicile en matière d'aide sociale, le juge conclut qu'effectivement, si elles sont faites avec le consentement, ce ne sont pas des fouilles ou des perquisitions.

Autrement dit, vous pouvez renoncer à un droit constitutionnel et le laisser fouiller votre domicile. Si votre consentement est valide, vous soulevez le problème du consentement.

J'aurais trouvé Intéressant, cependant, si vous aviez fait le test vous-même, étant avocat, de voir si votre entente hors cour faite un bras dans le dos était valide sur le plan quasi constitutionnel.

M. Doyon: Enfin, la question reste...

M. Plamondon: C'est une très belle question juridique, en tout cas.

M. Doyon: Oui. La question reste non résolue et demeure intéressante, cependant.

M. Plamondon: Mais peut-être que, selon l'hypothèse soulevée tout à l'heure, si, au moins sur le fond, la communauté urbaine avait reconnu avoir fait de la discrimination, l'humiliation serait considérablement moins grande. En fait, elle s'en tire... Évidemment, ce ne sont pas les administrateurs qui paient de leur poche, ce sont tous les citoyens qui paient pour régler hors cour et favoriser des administrateurs qui ont violé des droits, mais qui ne reconnaîtront jamais ce fait-là.

Effectivement, si la médiation ne pouvait se conclure qu'à la condition que le mis en cause reconnaisse avoir discriminé, les règlements se feraient peut-être différemment.

M. Doyon: Oui. parce que, très souvent, l'organisme ou la personne mise en cause ne reconnaît même pas la juridiction de la commission. Alors, on est loin de l'acceptation de la décision, c'est-à-dire de la décision qui les blâmerait pour discrimination. Très souvent, la juridiction ou la compétence de la commission est même remise en cause en disant que cela ne les regarde pas, que c'est de la régie interne et on trouve encore toutes sortes de raisons. Il y en a au moins 50 000 qu'on peut invoquer, évidemment. Mais on n'invoque jamais les raisons qui font que la base de la décision qui a causé la discrimination est précisément la discrimination. On invoque plutôt toutes sortes d'autres arguments, comme on peut l'avoir fait dans mon cas. En tout cas, cela m'éclaire. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Filion): Peut-être en terminant, parce que, comme vous le voyez, le temps est réduit. Étant donné la qualité et l'aspect quantitatif de votre mémoire, nous n'avons pas traité ensemble - j'aurais aimé le faire personnellement - de la présence régionale des bureaux de la Commission des droits de la personne, sauf que j'ai bien lu vos commentaires à ce sujet. J'ai également noté dans l'intervention de M. Paradis une référence au problème de la nomination des commissaires. Soyez assuré que nous ne sommes pas sourds à vos remarques, même si nous n'en traitons pas ici aujourd'hui; également, en ce qui concerne le volet éducatif et informatif de la Commission des droits de la personne. En terminant, j'aurais quand même une question pour Me Plamondon.

Dans le but de bien saisir le mémoire, vous dites que la commission a un rôle de promotion que lui donne la Charte des droits et libertés de la personne du Québec elle-même. La commission a également un rôle d'enquête. On ne peut pas y échapper. Elle a un rôle de médiation, comme vous le souligniez à juste titre, qui intervient à différents moments. Mais elle a aussi un rôle - permettez-moi l'expression entre guillemets, car je ne suis pas un spécialiste du

droit administratif - d"adjudication", en ce qu'elle décide s'il y a eu ou non violation d'un des droits reconnus par la charte. Ce rôle déclaratoire, si l'on veut, entraîne des recommandations qui, si elles ne sont pas suivies, peuvent déboucher dans des procédures judi-cfaires. Vous avez noté le conflit entre le rôle d'enquête et le rôle de médiation surtout. J'ai noté tes suggestions contenues dans votre mémoire en ce qui concerne les délais, la nature même de l'enquête, etc. Mais je ne retrouve pas - en tout cas, je vous demande de m'éclairer - à l'intérieur de votre mémoire de solution à cette confusion des rôles, surtout à partir du moment où l'on écarte, avec toutes les réserves que vous aviez mises autant dans votre document que lorsque vous l'avez fait verbalement ce matin, la création d'un tribunal spécialisé.

Je reviens sur cet aspect non pas pour réduire les autres parties de votre document et de vos interventions, mais uniquement pour l'information des membres de la commission. J'apprécierais si, en quelques minutes, vous pouviez m'éclairer sur ce problème.

M. Plamondon: J'aimerais dire qu'il y a deux moments où il y a une adjudication de la part de la commission.

Le Président (M. Filion): SI c'est recevable.

M. Plamondon: La première est d'abord de savoir si la plainte est recevable.

Le Président (M. Filion): D'accord. (11 h 15)

M. Plamondon: Évidemment, si elle ne la juge pas recevable, c'est le cas de plus des deux tiers, il y a déjà un problème. La deuxième est, bien sûr, au moment de la réception de la recommandation de l'enquêteur au niveau des commissaires et de la recommandation qui pourrait s'ensuivre. Au contraire, il me semble, en tout cas, qu'il y a un certain nombre de solutions concrètes qui sont suggérées. Si on écarte provisoirement, au bénéfice d'améliorer le fonctionnement de la commission, de voir si cela serait opportun de créer un tribunal spécialisé, il y a une recommandation très claire de séparer les rôles d'enquêteur et de médiateur. Cela nous apparaît central et même capital. Si, déjà à cette étape-là, on réglait cette dimension en séparant et en établissant des critères, des règles de procédure quant à la médiation, entre autres, celles que j'ai déjà signalées et sur lesquelles je ne reviendrai pas, si on réglait les conflits de rôles et les conflits d'intérêts qui sont susceptibles d'apparaître et qui apparaissent effectivement dans le processus d'enquête, ce serait déjà énorme. Qu'on améliore de façon radicale le service de réception des plaintes, qu'on allège et qu'on facilite la réception des plaintes de la part des plaignants, et non pas qu'on crée des obstacles à la réception; déjà, on améliorerait de 50 % les résultats susceptibles d'être évalués à une autre période, en tout cas Déjà, ces deux éléments de solution ajoutés à la création d'un certain nombre de bureaux régionaux pour que l'égalité régionale soit établie et à la nomination des commissaires, cela représente un certain nombre de solutions qui peuvent apporter des changements profonds, quitte à réévaluer, peut-être pas dans dix ans, mais dans cinq ans, la portée des solutions que vous aurez proposées.

Le Président (M. Filion): C'est bien. A cette étape-ci de nos travaux, je voudrais encore une fois remercier nos invités - on l'a ressenti, je pense, du côté de nos invités - de la qualité de la réflexion qu'ils ont réussi à coucher sur papier en ce qui concerne notre mandat. Nul doute que leur participation à nos travaux sera un élément très important de notre propre réflexion qui viendra par la suite et, ultimement, de nos propres recommandations. Donc, au nom de tous les membres de cette commission, Je voudrais vous remercier une dernière fois de vous être déplacés.

Mme Lamoureux: Nous voulons aussi vous remercier de votre accueil chaleureux.

Le Président (M. Filion): C'est notre travail, madame.

Mme Lamoureux: C'est du bon travail. Merci.

Le Président (M. Filion): Merci.

Donc, sans plus tarder, je voudrais inviter les représentants du groupe Action-travail des femmes à bien vouloir prendre place à la table des invités. Je reconnais Mme Elizabeth Novak - c'est bien cela? - permanente...

Action-Travail des femmes

Mme Novak (Elizabeth): D'Action-travail des femmes.

Le Président (M. Filion): ...d'Action-Travail des femmes.

Mme Novak: Est-ce que j'ai besoin de m'occuper du micro? Ah! Il s'allume automatiquement.

Le Président (M. Filion): Tout se fait automatiquement. Le monsieur que vous voyez derrière le pupitre contrôle les microphones. Alors, soyez bien à l'aise. Une période de 15 ou 20 minutes vous est réservée, si vous désirez l'utiliser, pour nous faire part des grandes lignes du mémoire qui nous a été remis et dont les membres de cette commission ont déjà pris connaissance, à la suite de quoi il y a une période de questions et réponses avec les membres.

Mme Novak: D'accord. Alors, je vais juste prendre un verre d'eau, si vous permettez.

Le Président (M. Filion): Je vous en prie.

Mme Novak: Bon. Je vais commencer par présenter brièvement notre organisme et les liens que nous avons eus et que nous continuons d'avoir avec la Commission des droits de la personne, ce qui, en fait, sous-tend nos commentaires dans le mémoire.

Notre organisme compte actuellement plus de 700 membres et existe depuis 1976 dans le but d'aider les femmes à la recherche d'un emploi et de favoriser leur accès à l'égalité dans le domaine du travail.

Nous avons examiné les besoins des femmes, ce qui nous a portées à mettre l'accent sur les emplois non traditionnels et les emplois non traditionnels non spécialisés qui offrent des salaires décents et une sécurité d'emploi.

Cette orientation nous a menées à constater que certains employeurs appliquaient des critères d'embauche discriminatoires qui avaient pour effet d'exclure les femmes des emplois traditionnellement réservés aux hommes. Autrement dit, ils exerçaient de la discrimination systémique. Pour contrer ces pratiques illégales, on a dû entreprendre des poursuites judiciaires contre des employeurs pour que les femmes puissent obtenir le respect de leur droit à l'égalité face au travail qui était reconnu dans la loi.

Vous êtes peut-être au courant qu'en 1979 Action-Travail des femmes a déposé la célèbre plainte de discrimination systémique contre le CN. Cela a abouti, en 1984, à l'imposition d'un programme d'accès à l'égalité qui a été aussi entériné par une décision de la Cour suprême dernièrement, en juin 1987, qui maintient la décision de la commission. Aussi, en même temps que cette plainte suivait son cours, on a dû déposer un certain nombre de plaintes auprès de la Commission des droits de la personne du Québec, parce que c'était contre des entreprises sous juridiction provinciale.

De plus, notre organisme est intervenu à plusieurs reprises auprès des commissions parlementaires pour réclamer des amendements à la Charte des droits et libertés de la personne permettant l'imposition de programmes d'accès à l'égalité efficaces. Des modifications ont été apportées à la charte au cours des cinq ou six dernières années, il reste, cependant, que la commision demeure l'organisme chargé de l'application de cette loi, d'où l'importance pour nous d'examiner et de vous faire part de notre expérience avec la commission, parce que c'est elle qui a le mandat d'appliquer cette loi.

On vous remercie de nous avoir donné l'occasion de présenter notre mémoire. On profite de cette occasion pour attirer votre attention sur les nombreuses interventions que nous avons faites directement auprès de la commission et aussi dans les médias, au cours des dernières années, et également pour vous éclairer sur les situations conflictuelles dans lesquelles la commission se trouve actuellement à cause de la charte elle-même.

Je vais commencer par les situations conflictuelles. Comme l'a dit la Ligue des droits et libertés, le rôle d'enquêteur et de médiateur a un effet conflictuel. Vous savez que la loi confie l'application de la Charte des droits et libertés de la personne à la commission. Une des fonctions de la commission, c'est de réaliser les mandats qui sont précisés dans la loi, notamment celui de recevoir des plaintes de discrimination et de faire enquête. Dans le cadre de l'enquête, la loi précise que la commission doit tenter une médiation entre les parties, soit la partie plaignante et la partie mise en cause. Cependant, la loi ne fait aucune distinction entre l'étape de la médiation et celle de l'enquête proprement dite. De plus, la loi ne prévoit pas de mécanisme pour distinguer une étape de l'autre.

Dans les faits, la commission intègre le processus de médiation à celui de l'enquête et assigne un ou deux enquêteurs qui ont chacun le double rôle d'enquêteur médiateur pour traiter chaque plainte de discrimination. Cette façon de procéder crée une ambiguïté au niveau du cheminement de la plainte, au niveau du rôle de l'enquêteur ou de l'enquêtrice dans le dossier et aussi place l'enquêteur dans une situation conflictuelle face aux parties. Finalement, elle retarde indûment une plainte et c'est une des causes, aussi, qui fait que les enquêtes traînent. On voulait juste souligner ici que, dernièrement, c'est-à-dire le 7 octobre 1987, Action-Travail des femmes a déposé une plainte de discrimination systémique contre la STCUM à Montréal, qui avait adopté comme critère d'embauche le fait de posséder une expérience sur véhicule commercial. Tout le long de la plainte, la correspondance entre Action-Travail des femmes, la Commission des droits de la personne, la commission, Action-Travail des femmes et la STCUM, on nous dit, on nous rappelle qu'il est possible de régler cette plainte en tout temps. Ils nous disent cela. C'est comme une formule type qu'on retrouve dans chaque lettre.

Sauf que ce qui arrive, c'est que, dans les faits, les audiences viennent de commencer et on n'a jamais obtenu de liste d'ancienneté encore. C'est ça qu'on demandait, on voulait connaître les statuts des chauffeurs embauchés pour alimenter le dossier pour l'enquête. On voulait avoir les listes d'embauche. À l'heure actuelle, rien n'a été fait à ce moment-ci. C'est-à-dire que la raison pour laquelle je soulève cet exemple, c'est que la commission a peur d'agir comme enquêteur et d'exiger des documents, d'exiger de les obtenir pour qu'on puisse les consulter en fonction des auditions. En même temps, elle veut être très polie. Elle agit comme médiateur. On peut régler. C'est juste, en tout cas à titre d'exemple concret, notre expérience par rapport à l'intégration de ce double rôle. Le

but de la médiation est très distinct de celui de l'enquête. L'un vise à amener les parties à régler leurs différends et à conclure une entente, tandis que l'autre a pour objectif de cueillir des éléments de preuve pour établir le bien-fondé d'une plainte.

Alors, afin d'assurer un traitement efficace et rapide des plaintes de discrimination par la Commission des droits de la personne, Action-Travail des femmes recommande que la Charte des droits et libertés de la personne soit modifiée de façon à séparer clairement la procédure d'enquête de celle de la médiation et à libérer l'enquêteur du rôle de médiateur. Je vais vous donner un exemple: dans la loi canadienne sur les droits de la personne, à l'article 37.2, on dit dans fa loi même que, pour une plainte fondée, les fonctions d'enquêteur et de conciliateur sont incompatibles. La loi canadienne reconnaît que l'intégration de ces deux rôles est incompatible. Je voulais juste vous le souligner comme référence.

Il y a aussi une autre situation conflictuelle. C'est le service de consultant auprès des entreprises désireuses de mettre sur pied volontairement un programme d'accès à l'égalité. C'est un nouveau service que la commission donne. Depuis le 1er septembre 1986, date d'entrée en vigueur des règlements sur les programmes d'accès à l'égalité, la Commission des droits de la personne peut traiter des plaintes de discrimination systémique pouvant mener à l'Imposition par les tribunaux des programmes d'accès à l'égalité dans les entreprises trouvées coupables de discrimination. La Commission des droits de la personne a donc un rôle important à jouer pour l'avancement de l'accès à l'égalité pour les femmes, quelle que soit leur origine ethnique, qui subissent depuis longtemps la discrimination sur le plan du travail.

On est venu ici - ce n'est pas la première fois qu'Action-Travail des femmes se présente en commission parlementaire - en octobre 1985 au moment où on discutait de l'adoption des règlements sur les programmes d'accès à l'égalité en vertu de la charte. Et, dans le mémoire, on a clairement démontré que l'imposition par les tribunaux des programmes d'accès à l'égalité aux États-Unis a incité les employeurs à mettre sur pied des programmes d'accès à l'égalité efficaces, de façon volontaire. Donc, il a fallu le poids d'une décision, d'une ordonnance judiciaire. (11 h 30)

Cependant, la commission a établi, dernièrement, un service de consultation pour les entreprises intéressées à mettre sur pied volontairement des programmes d'accès à l'égalité. Ce nouveau service, prévu par l'article 86.2, deuxième paragraphe de la charte, crée une situation de conflit d'intérêts pour la commission par rapport à son service d'enquête. En effet, les conséquences négatives de ce conflit d'intérêts commencent déjà à se manifester pour ce qui est du traitement des plaintes de discrimination. À titre d'exemple, plusieurs femmes qui ont postulé. en 1985 et 1986, pour l'emploi de chauffeur d'autobus à la Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal, la STCUM, et qui ont été refusées à cause du critère d'embauche discriminatoire exigeant une expérience sur un véhicule commercial, se sont adressées à - la Commission des droits de la personne avant de faire appel à Action-Travail des femmes.

Le service d'accueil de la commission a refusé de prendre leur plainte sous prétexte que la STCUM mettait sur pied un programme d'accès à l'égalité volontairement, en collaboration avec la commission. Nous avons téléphoné nous-mêmes. Action-Travail des femmes, à la commission pour vérifier. On nous a référées au service d'accueil. Au service d'accueil, on nous a dit: Écoutez, demander une expérience sur véhicule commercial n'est pas discriminatoire parce que c'est un critère qu'on exige autant des hommes et des femmes. Donc, déjà, ces gens n'ont pas compris l'effet discriminatoire, le fait d'exclusion de ce critère. En plus de cela, le service d'accueil nous a dit: Mais, de toute façon, cela ne se peut pas que la société de transport discrimine parce qu'elle est en train de mettre sur pied un programme d'accès à l'égalité en collaboration avec nous. Alors, ce sont aux femmes et à nous qu'on a dit... Finalement, on a dû s'adresser à la Direction du service des enquêtes pour que le service d'accueil, qui reçoit les plaintes, soit informé sur ce qu'est la discrimination systémique et pour qu'aucune plainte ne soit refusée sous prétexte que l'entreprise collabore avec la commission pour l'implantation d'un programme d'accès à l'égalité.

C'est vrai qu'on a réussi à faire supprimer ce critère avec des pressions publiques, mais, éventuellement, on a quand même dû déposer une plainte à la Commission des droits de la personne du Québec. On s'est dirigées directement auprès de la direction de la commission pour être bien certaines que notre plainte serait retenue. À l'heure actuelle, l'enquête est en cours.

Le conflit d'intérêts de la Commission des droits de la personne devient encore plus évident lorsqu'elle tente de rassurer le public, entre autres les employeurs, en affirmant qu'elle a l'intention de maintenir sa nouvelle fonction de consultant distincte de sa fonction d'enquêteur. Selon la responsable du service de consultation de la Commission des droits de la personne, Mme Louise Caron-Hardy, jamais, souligne-t-elle avec énergie, les dossiers traités par nos conseillers ne servent de dossiers d'enquête à la commission. On comprend pourquoi ils disent cela. C'est un article qui a paru dans la Gazette des femmes, en mai-juin 1987. Ce que veut dire une telle déclaration, c'est que, lorsque la commission pénètre dans une entreprise pour l'aider à mettre sur pied un programme d'accès à l'égalité volontairement, il y a une collaboration assez étroite avec l'entreprise. Si elle constate qu'il y a effectivement des pratiques discriminatoires à

l'intérieur de cette boîte ou de cette compagnie - peut-être que les employés ne sont pas au courant que c'est une discrimination systémique - le service des enquêtes de la Commission des droits de la personne ne pourrait pas intervenir pour redresser la situation particulièrement auprès des personnes lésées dans leurs droits. Nous, nous trouvons cela tout à fait Inacceptable et les rôles d'enquêteur et de consultant tout à fait Incompatibles.

En conséquence, la Commission des droits de la personne devient donc de moins en moins capable d'agir de façon efficace, voire d'Intervenir, dans certains cas, pour enquêter sur des dossiers de discrimination. Conséquemment, les femmes, entre autres, qui subissent de la discrimination se verront de plus en plus obligées d'entreprendre une action judiciaire directement devant les tribunaux bien qu'une telle action soit très coûteuse.

Action-travail des femmes a tenté de démontrer l'Importance de maintenir distinct le recours juridique prévu par la Charte des droits et libertés de la personne. D'autres mesures visent plutôt à augmenter les possibilités d'emplois pour les femmes et les minorités visibles dont la moitié sont des femmes, par exemple, les programmes d'accès à l'égalité volontaires ou l'obligation contractuelle. On vous souligne te dossier d'obligation contractuelle, aujourd'hui, parce que c'est un dossier qui est présentement à l'étude et qu'on a l'intention de confier une part des responsabilités et du contrôle de l'obligation contractuelle à la Commission des droits de la personne. La Commission des droits de la personne, qui a déjà un mandat de nature juridique pour veiller à l'application de la loi antidiscriminatoire québécoise, ne peut, en même temps, agir comme consultant auprès des entreprises sans se trouver en conflit d'intérêts.

C'est pourquoi Action-Travail des femmes recommande que le législateur supprime l'alinéa 2 de l'article 86.2 de la Charte des droits et libertés de la personne afin que la commission puisse consacrer toutes ses ressources à son mandat d'enquête. On sait fort bien que les employeurs ont les moyens de se payer des services de consultants au besoin alors que les personnes discriminées ne les ont pas. Bien évidemment, nous demandons également qu'aucun mandat supplémentaire ne soit confié à la Commission des droits de la personne tel le contrôle ou la surveillance de l'obligation contractuelle.

Bref, c'est que la commission déjà est éparpillée, elle est en situation de conflit d'intérêts. On trouverait cela dangereux de lui donner plus de responsabilités et plus de pouvoirs à ce stade.

Le Président (M. Filion): Madame, est-ce que je pourrais me permettre? Je vous suis bien dans votre mémoire. Je pourrais peut-être vous conseiller, en ce qui concerne la partie qui vient, de synthétiser pour nous permettre plus de temps pour échanger avec vous.

Mme Novak: Je peux aller très vite. Cela fait dix ans que je travaille avec la commission.

Le Président (M. Filion): D'accord.

Mme Novak: C'est le côté de la situation conflictuelle en ce qui concerne les problèmes de fonctionnement qui, selon nous, découle aussi du fait des conflits dans lesquels elle se trouve ou dans laquelle la met la charte. On va regarder notre expérience par rapport au fonctionnement. Dernièrement, les articles qui touchent les programmes d'accès à l'égalité ont été mis en vigueur. La Commission des droits de la personne a dû, par l'un de ses mandats, définir un peu ce qu'est un programme d'accès à l'égalité conforme à la charte et qui est prévu dans l'article 86.1 de la Charte des droits et libertés. Ce que nous vouions vous souligner, aujourd'hui, c'est que la Commission des droits de la personne a émis des directives et insiste pour que ses directives soient suivies à la lettre par les entreprises qui veulent mettre sur pied des programmes d'accès à l'égalité volontairement. Ces directives ont à peu près quatre ou cinq pages, mais on [oint à ces directives un document d'environ six pouces d'épaisseur qu'on donne ou qu'on prévoit donner aux entreprises pour leur expliquer comment mettre sur pied un programme d'accès à l'égalité, On leur dit qu'il faut faire des analyses d'effectifs, des recherches, le bassin, etc., de façon très précise sur l'ensemble du fonctionnement de leur entreprise, ce qui paraît à tout employeur comme un processus très lourd qui peut durer d'un à trois ans et même plus, parfois. Les dix entreprises qui mettent sur pied volontairement des programmes d'accès à l'égalité, qui ont reçu une subvention du Secrétariat à la Condition féminine de 50 000 $ dans ce but, ont signé une entente et cette entente prévoit au moins un à deux ans de recherches préliminaires avant l'implantation d'un programme d'accès à l'égalité. On dit, dans l'entente, qu'on veut que le programme d'accès à l'égalité soit conforme à la charte.

Nous soulevons cette question parce qu'il nous semble qu'un programme d'accès à l'égalité peut être implanté par secteurs d'entreprise, c'est-à-dire par étapes et par secteurs à l'intérieur de l'entreprise. Ce qui permettrait de corriger rapidement la discrimination systémique flagrante sans bouleverser tout le système d'emploi de l'entreprise.

À titre d'exemple, on voulait vous dire qu'il a fallu qu'Action-Travail des femmes mette beaucoup de pression sur la municipalité, la ville de Montréal, pour qu'elle accélère son processus d'analyse en vue d'implanter un programme d'accès à l'égalité. Finalement, on a gagné notre point selon lequel il était possible d'accélérer ce

processus d'analyse et d'implanter un programme d'accès à l'égalité par étapes et par secteurs. Nous voulons que la commission précise cette possibilité dans les lignes directrices, qu'elle réduise son gros volume et aussi qu'elle permette à l'employeur de voir que ce n'est pas si compliqué que cela d'implanter un programme d'accès à l'égalité. On a l'impression que la commission a tendance à vouloir alourdir tout ce processus pour que les entreprises soient obligées de la consulter alors que l'article de la charte, qui prévoit que les entreprises devraient consulter la commission, ne sont pas en vigueur. Elle s'organise pour que, dans les faits, dans l'application, cet article s'applique.

Aussi, pour ce qui est du respect des règles de Justice naturelles, Action-Travail des femmes est Intervenu auprès de la commission il y a environ cinq ans, et nous avons formé une coalition qu'on appelait la Coalition des droits de la personne, qui regroupait plusieurs organismes: la Ligue des droits et libertés, le Groupe d'aide et d'information contre le harcèlement sexuel et plusieurs organismes qui avaient fait affaire avec fa commission au chapitre du service des enquêtes. Nos expériences démontraient que la commission ne respectait pas, pour ses enquêtes, les principes de justice naturelle et on a revendiqué qu'elle adopte des règles de procédure pour faire en sorte qu'elle respecte l'article 23 de la Charte des droits et libertés, qui touche toute la question de respect des règles de justice naturelle.

On constate, aujourd'hui, que les règles de procédure Interne sont toujours en dérogation de l'article 23 de la Charte des droits et libertés. Je vais résumer. Les règles de procédure donnent une latitude discrétionnaire à l'enquêteur pour décider qui peut être aux audiences, si les auditions vont être publiques ou s'il va y avoir une enquête Inquisitoire derrière porte close, qui peut assister aux visites des lieux de travail faites par la commission. (11 h 45)

Dernièrement, Action-Travail des femmes avait demandé, dans un cas de discrimination, de visiter les lieux de travail des plaignantes parce que c'était un cas où le fonctionnement de l'entreprise, les règles... En tout cas, il y avait de la discrimination, mais l'employeur utilisait le fonctionnement de l'entreprise pour justifier sa discrimination et on voulait voir exactement ce qui se passait sur la ligne de production.

Alors, la commission a demandé au mis en cause le droit de visiter l'entreprise. Le mis en cause a dit: Oui, je vous donne la permission, mais je ne veux pas que la partie plaignante, soit Action-Travail des femmes, assiste à cette visite d'usine. L'enquêtrice a décidé tout de même de faire l'enquête d'usine et de nous exclure.

Naturellement, on a riposté contre cet agissement en invoquant qu'un principe de justice naturelle a été violé et on nous a répondu en citant une jurisprudence, soit celle de l'Association des infirmières noires du Québec versus Jean-Claude Charbonneau et la Commission des droits de la personne. Il y avait eu un bref d'évocation dans lequel... On dit que tel double mandat... Dans cette cause-là, on accusait l'enquêteur d'avoir violé... d'avoir été biaisé dans la façon qu'il a mené l'enquête. Dans cette décision-là, on dit que te double mandat ou, plutôt, tel mandat à double volet, c'est-à-dire enquêteur et médiateur, oblige celui qui est Investi à entreprendre des démarches qui échappent aux règles plus strictes exigées en matière de débats judiciaires et quasi judiciaires.

Autrement dit, cette jurisprudence que la commission nous envoie vient nous réitérer que le double rôle d'enquêteur et de médiateur permet à la commission de violer les principes de justice naturelle - elle nous répond à cela - et justifie également le fait que notre exclusion était dans le cadre d'une préenquête. Cela ne faisait pas partie de l'enquête proprement dite. C'est la réponse qu'on nous a donnée.

Un autre problème, c'est le fait que les enquêteurs et les enquêtrices ne sont pas formés suffisamment pour traiter des plaintes de discrimination, tant directe que systémique. Action-Travail des femmes a déposé, cette année, cinq plaintes de discrimination systémique jusqu'à maintenant. Nous sommes l'organisme expert au Québec en matière de discrimination systémique. Nous sommes obligées de diriger la commission étape par étape, de lui dire comment l'enquête sera menée. On a d'abord les grands questionnaires qu'on nous envoie quand on dépose une plainte. On ne se sert plus de ces questionnaires. On va directement au but. On cite clairement en quoi les pratiques d'un employeur sont discriminatoires. On invoque la jurisprudence qui met le fardeau de la preuve sur l'employeur pour qu'il démontre que ses exigences discriminatoires sont nécessaires pour faire le travail. On précise les documents à obtenir.

Comme je l'ai mentionné au début, on n'a même pas encore obtenu les documents de la STCUM que nous avons demandés à la commission, au chapitre des listes d'ancienneté et des statuts des employés embauchés comme chauffeurs d'autobus. Ces documents font partie de tous les documents d'enquête nécessaires pour établir une preuve ou pour bâtir une cause. On est déjà au mois d'avril et on n'a encore rien obtenu. Non seulement devons-nous lui dire de quels documents nous avons besoin, mais on doit aussi lui pousser dans le dos pour les obtenir.

Finalement, on a dû faire enlever un enquêteur qui a été assigné à l'un de nos dossiers qui comportait autant la discrimination directe que systémique. L'enquêteur en question n'était pas habilité à traiter de l'aspect systémique du dossier. Il voulait faire uniquement une plainte sur l'aspect de la discrimination directe ou individuelle, ce qui est plus flagrant II voulait confier l'aspect systémique à un autre

enquêteur pour en faire une deuxième enquête. Il nous parlait comme si c'était quelque chose qu'il nous fallait accepter. C'est ainsi. Nous avons fortement contesté le fait que l'enquêteur prévoyait deux enquêtes pour une même plainte. Finalement, nous voulions avoir un enquêteur compétent capable de traiter des deux aspects de la plainte simultanément. La plupart des plaintes de discrimination systémique comportent les deux aspects de discrimination à l'intérieur même de la plainte systémique et directe.

Nous vous demandons, aujourd'hui, de vous assurer que la commission donne une formation adéquate à tous ses enquêteurs et enquêtrices. C'est tout pour le moment.

En résumé, on constate, comme je l'ai dit tout à l'heure, qu'il y a un éparpillement à la commission. Elle a une surcharge de mandats. II y a un éparpillement des énergies. La charte les met dans des situations de conflits d'intérêts. Nous, on voit que le mandat prioritaire de la commission, c'est le service des enquêtes et que tous ses autres mandats - information, service des contentieux - doivent alimenter la priorité, c'est-à-dire le service des enquêtes. C'est son rôle principal et on n'accepterait pas que ce rôle sott encore élargi. C'est tout.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Novak.

J'inviterais maintenant M le député de Sainte-Marie à prendre la parole.

M. Laporte: Premièrement, je tiens à remercier Action-Travail des femmes pour le mémoire présenté et, surtout, pour la présentation faite par Mme Novak. À la lecture du document, je pense qu'on peut constater le travail que vous avez effectué depuis 1976. Et surtout, la décision que vous avez prise de diriger votre orientation et l'ensemble de vos énergies plus particulièrement contre la discrimination systémique fait que vous cheminez plus facilement à l'intérieur des dossiers.

On a pu aussi dans ce document avoir une bonne idée de ce qu'est l'organisme et des propositions, à la fois d'ordre général et très particulier, dont votre organisme nous fait part ce matin. Au début de votre texte, vous dites qu'il y a 700 membres qui font partie de votre organisme. J'aimerais, pour le bénéfice des membres de la commission, savoir si ce sont des membres corporatifs ou individuels et s'il existe - un peu comme vous l'indiquiez tantôt en disant que vous étiez l'organisme spécialiste de ces questions au Québec - une forme de représentation régionale à l'intérieur de cela.

Mme Novak: Les 700 membres, ce sont des femmes qui viennent à nos séances d'information, attirées par la publicité et aussi par d'autres personnes militantes qui appuient nos actions. Ce sont tous des membres individuels dont la majorité sont des usagères, des femmes à la recherche d'un emploi.

M. Laporte: II ressort principalement de votre document, ce que je pourrais appeler personnellement, trois axes d'intervention de la commission. Le premier, une sensibilisation plus poussée avec le programme d'accès à l'égalité, le second, qui se trouve être un rôle d'enquêteur et l'autre, un rôle de médiateur. Vous sembliez privilégier, par une des propositions que vous énoncez dans votre document, la fonction d'enquêteur. J'aimerais vous demander: Est-ce que ce serait au détriment des deux autres axes? Est-ce que le fait de privilégier cette forme - ce qu'on pourrait appeler la judiciansation de la commission - ferait en sorte que cela amènerait la commission à se départir ou à se délester des deux autres fonctions que je viens d'énumérer?

Mme Novak: Je vais essayer de voir si j'ai bien compris la question. Vous voulez que je précise pourquoi nous voulons distinguer, que le rôle d'enquêteur et de médiateur soit séparé. Vous voyez cette distinction comme une judiciarisation du processus. Est-ce que c'est cela?

M. Laporte: C'est cela. II est ressorti trois axes le programme d'accès à l'égalité et les rôles de la commission que vous faites ressortir dans votre document les enquêtes et la mediation. Vous énumérez, entre autres, à la page 12, cette forme que vous préconisez, cette forme de judiciarisatlon des fonctions de la commission Je veux voir avec vous, justement. Un programme d'accès à l'égalité, qui est de la responsabilité de la commission, m'apparaît aussi fortement important, important quant à la mentalité et au redressement, comme vous l'avez souligné a plusieurs reprises de l'action du CN, de la STCUM et d autres, à savoir, à tout le moins à plus long terme, que cela redresse une situation qui était défaillante au début.

Mme Novak: Parfois, on s'apitoie sur le sort des enquêteurs à la commission. C'est peut être une caricature que je fais maintenant, mais le double rôle d'enquêteur et de médiateur les place parfois dans une situation de conflit d'intérêts en cours d'enquête. On a vécu l'expérience dans la cause du CN, avec la Commission canadienne des droits de la personne. À la suite du dépôt d'une plainte, une personne a été nommée qui avait strictement pour mandat de faire l'enquête du dossier, d'aller cueillir les éléments de preuve, et c'est tout, de faire un rapport là dessus et de formuler des recommandations. Ensuite, ce dossier est transféré, c'est-à-dire qu'il y a une recommandation, et la prochaine étape, c'est celle de la médiation qui n'est pas faite par la même personne Quand c'est fait par la même personne, surtout en cours de route comme l'a présenté la ligue, cela crée toute une ambiguïté, cela crée toute une incertitude. À un moment donné, l'enquêteur apparaît comme il le

devrait, neutre, en essayant de concilier et, à un autre moment, il apparaît comme l'enquêteur et il est l'ennemi. Il remplit les deux rôles de broche à foin, finalement. C'est pour donner à l'enquêteur un mandat clair, pour qu'il puisse travailler et aller à fond sans être poigné par ce double rôle, pour qu'il puisse mener son enquête. C'est pour ça qu'on veut qu'une séparation soit faite. C'est simplement, pour nous, une démarche logique qui semble beaucoup plus efficace que celle qu'on a à l'heure actuelle.

M. La porte: Est-ce que vous auriez un peu, dans cette optique... Au chapitre de votre Intégration, vous collaborez beaucoup, vous apportez beaucoup d'éléments, pourrais-je dire, à la Commission des droits de la personne; vous semblez fonctionner avec cette commission. J'aimerais essayer de regarder avec vous comment vous pouvez percevoir, sous forme de suggestion, l'intégration du travail que vous faites actuellement en fonction, peut-être, de nouvelles directions qu'on pourrait donner à la Commission des droits de la personne. Vous indiquiez tantôt que vous aviez développé une expertise sur la discrimination systémique. Comment pourriez-vous percevoir votre rôle, votre action par rapport à un mandat qui serait plus orienté - c'est un exemple que je donne, une hypothèse - vers des enquêtes par la Commission des droits de la personne? Comment verriez-vous votre intégration, le type de relations de votre organisme avec la Commission des droits de la personne? (12 heures)

Mme Novak: Disons que nous voyons que la commission a un rôle très important à jouer pour l'évolution de l'accès à l'égalité dans la société québécoise pour traiter les plaintes de discrimination, entre autres, les plaintes de discrimination systémique. C'est elle qui a le pouvoir de faire enquête sur ces plaintes et de les acheminer contre les entreprises pour obtenir l'imposition d'un programme d'accès à l'égalité contre un employeur trouvé coupable. La commission est une force pour nous, elle Joue un rôle très important qui a un impact, comme on a vu avec la cause du CN, sur les autres entreprises qui, à la suite de décisions rendues par les tribunaux et de l'imposition d'un programme d'accès à l'égalité, commencent à implanter volontairement des programmes d'accès à l'égalité qui ont de l'allure.

Notre collaboration consiste à surveiller le marché du travail, nous voulons que les femmes aient accès à plus d'emplois sur le marché du travail et qu'elles ne soient pas confrontées à l'obstacle de la discrimination. Nous fournissons les plaintes sur la discrimination à la commission et nous voulons qu'elle soit efficace. Notre rôle, c'est de lui fournir les dossiers, de bien les monter, de laisser l'enquête poursuivre son cours, d'y participer et d'y amener notre expertise en cours de route aussi, c'est sûr.

Le Président (M. Filion): M. le député de Sainte-Marie.

M. Laporte: Si on essayait de percevoir - parce que j'essaie toujours de regarder aussi l'élément d'efficacité - le rôle de médiation et de le concevoir dans un rôle de conciliation. On parle souvent de trois étapes en droit du travailla conciliation, la médiation et l'enquête aussi, c'est à peu près du même genre que cela. À ce moment-là, la commission pourrait-elle être moins prise à partie dans son rôle de conciliation, cela ne l'empêchant pas de tenir son rôle d'enquêteur?

Mme Novak: Si une autre personne ou la médiation faisait partie d'une autre étape, je présume que cela fonctionnerait comme à la commission canadienne aussi, c'est-à-dire que le médiateur ou la médiatrice consulte les deux parties pour arriver à une entente et qu'Action-Travail des femmes ferait partie d'une des parties, puisque la charte nous permet de déposer une plainte au nom d'Individus à la commission. Nous serions partie intégrale comme la partie mise en cause et nous participerions à la médiation au même titre que l'autre partie pour arriver à une entente satisfaisante, Comme, par exemple, pour la STCUM, dans le dossier qui est en cours actuellement, les femmes demandent des arrérages de salaire à partir de la date où elles auraient dû être embauchées si ce n'était du critère discriminatoire, elles demandent aussi l'implantation d'un programme d'accès à l'égalité et une rétroactivité d'ancienneté et d'autres dommages. Pour régler leurs plaintes, il va falloir négocier. Il est sûr que nous travaillons en collaboration avec les plaignantes pour qu'elles obtiennent au maximum ce qu'elles demandent.

M. Laporte: Vous avez dit et souligné aussi dans votre document - un peu comme vous venez de le mentionner que votre travail de collaboration avec la commission se veut "désalimenté" la majorité du temps. D'un autre côté, vous avez souligné - et je comprends difficilement comment cela peut parvenir à cet élément - la dualité ou à tout le moins l'espèce de conflit qui existe entre la commission et le non-respect, ne serait-ce que par la commission, de la charte sur ne serait-ce que l'entente ou l'audition des parties prenantes aux auditions. Vous avez soumis cela dans votre document: pour ce qui est de la visite de l'entreprise, à titre d'exemple, vous n'avez pas pu être l'une des parties invitées à regarder ou à suivre la commission dans ces démêlés. On en arrive peut-être à cet élément que je soulignais au début, comment voyez-vous votre travail de collaboration? J'imagine que votre suggestion vient du fait que, à partir de votre expertise, à partir des éléments dont vous faites le suivi dans le dossier et dont vous alimentez la commission, la commission pourrait

utiliser des organismes comme vous et comme d'autres pour en faire une partie intégrante de tout le processus, que ce soit d enquête ou autres, à la commission. C'est ce que j ai bien saisi quand vous avez énuméré cela.

Mme Novak: La seule façon dont je pense pouvoir répondre à votre préoccupation cest qu Action-Travail des femmes était un des groupes initiateurs de la Coalition des droits de la personne, c'est-à-dire que cest un regroupement de groupes qui s'est adressé à la direction de la commission pour lui expliquer et lui faire état des problèmes qu'on voit dans le domaine de la pratique comme telle, dans le domaine du service des enquêtes et lui faire des recommandations très concrètes.

C'est de cette façon-là qu'on collabore, c'est-à-dire que je pense que notre responsabilité en tant qu'organisme, cest de faire part à la commission des problèmes qu'on rencontre, qu'on constate et de lui demander de faire des changements ou, sinon, d'utiliser les mécanismes qui existent dans notre société pour que cela change. Une de ces mécanismes, cest le fait quon vienne. Ici aujourd'hui vous présenter notre mémoire.

En ce qui concerne la collaboration, on n'a pas I'énergie, les ressources ou le temps de se promener main dans la main avec la commission dans les dossiers. Nous, on voit son rôle principal comme un rôle d'enquêteur dans les dossiers de discrimination et on met tout l'accent là-dessus. C'est ce qui fait avancer les dossiers et la situation des femmes. C'est ce qui fait que les femmes ont de plus en plus d emplois sur le marché du travail. On constate également par I'expérience américaine, que c'est cette voie qui fait en sorte que cela débouche ailleurs et on met l'accent là-dessus.

M Laporte: Une dernière question. M le Président.

Le Président (M. Filion): Oui, M le député de Sainte-Marie.

Mme Novak: Est ce que j 'ai répondu?

M. Laporte: Oui. Mais, à partir du moment ou on accentuerait le travail de la commission sur les enquêtes, qui aurait la responsabilités des programmes d'accessibilité à l'emploi? Est-ce que vous voulez une autre...

Mme Novak: Vous voulez savoir quel département s occupe du service des enquêtes en ce qui concerne les programmes d'accès à I égalité? C'est cela que vous demandez?

M. Laporte: Non cela répond à mon inter rogation. Autrement dit le rôle principal, comme vous le soulignez, de la Commission des droits de la personne pour vous, c est son rôle d en- quêteur.

Mme Novak: Cest cela. Et tous les autres services le contentieux le centre de documenta tion, I'information et la sensibilisation tout cela cest pour renforcer et agir pour alimenter son rôle principal qui est d'enquêter dans les dossiers ou de promouvoir l'égalité On pourrait le voir d une autre façon.

M. Laporte: Je vous remercie

Le Président (M. Filion): J'ai bien noté votre plaidoyer Mme Novak, en faveur de ce que j'appellerais un partenariat d'occasion entre Action-Travail des femmes et la Commission des droits de la personne, à savoir que pour vous Action-Travail des femmes a développé une expertise, notamment, dans le secteur des programmes d accès à l'égalité et de la discrimination systémique ou par systèmes et vous croyez pouvoir ainsi si l'on veut nourrir les réflexions les actions et les orientations de la Commission des droits de la personne dans le respect des responsabilités de chacun des deux organismes qui ont une vocation et un rôle tout à fart différents.

Je voudrais revenir - sans négliger les autres parties de votre mémoire - sur les programmes d accès à I'égalité. Vous soulevez en particulier, deux choses. D'abord vous dites: La commission envoie des consultants auprès des entreprises qui en font la demande. On sait que les programmes d'accès à l'égalité datent de peut être 18 mois ou un an ou quelque chose de semblable Ils sont quand même assez récents au Québec à cause de I'entrée en vigueur des dispositions concernant les programmes d accès à I'égalité. Vous dites également dans votre mémoire. Cette présence de consultants auprès de corporations crée un certain type de conflit lorsque des plaintes peuvent être acheminées à la commission. Vous parlez de situations de conflits d'intérêts et vous dites que le service d enquête ne pourrait pas intervenir si le service de consultation découvre des pratiques d'emploi discriminatoires envers les femmes dans une entreprise. Quand vous dites cela est ce que cest une expérience concrète que vous avez vécue?

Mme Novak: C'est ce qu'affirme la commission elle même dans tous ses documents. Comme je vous l'ai dit elle dit partout que le service de consultation et le service d enquête sont distincts. J'ai ici, comme je vous l'ai dit dans La Gazette des femmes - si vous voulez je peux vous en donner un exemplaire - une entrevue avec la personne responsable du secteur des programmes d'accès à l'égalité. On lui demande: Comment fonctionnez-vous? Elle répond: Comment fait-on pour changer des habitudes vieilles comme le monde? II y a des spécialistes pour cela des entreprises privées de consultation

ou encore la Commission des droits de la personne, où Louise Caron-Hardy dirige un service de 18 personnes. Autrement dit, ils se substituent tout de suite aux compagnies privées de consultants. Je continue: Ils mettent 17 personnes de leurs ressources pour faire ce travail. Comprenez-vous ce que je dis au sujet des ressources? Mais nos services sont gratuits. Nous avons 17 dossiers actifs dont 4 ou 5 entreprises du secteur privé. Nous conseillons également nos collègues de la commission qui effectuent des enquêtes à la suite d'une plainte de discrimination. Cela irait. Mais, jamais, souligne-t-elle avec énergie, les dossiers traités par nos conseillers ne servent de dossiers d'enquête à la commission.

J'ai même une lettre du président de la Commission des droits de la personne qui nous confirme le fait que le service de consultation n'interférerait pas avec le service d'enquête. Je cite M. Lachapelle: "Je vous réitère que la direction des enquêtes est tout à fait indépendante des programmes d'accès à l'égalité et qu'elle a mission d'enquêter même si un programme d'accès à l'égalité est en cours." Cela, c'est à la suite de nos pressions lorsqu'on est allé directement à la direction pour insister pour qu'elle accepte notre plainte même si elle était en train de consulter un employeur. Donc, II dit qu'il est faux de prétendre qu'on est en conflit d'intérêts. Toutefois... Je ne sais pas si c'est dans cette lettre-ci...

Le Président (M. Filion): Ce que vous alliez ajouter, peut-être, c'est: Toutefois, la matière recueillie par le service...

Mme Novak: Ah!

Le Président (M. Filion): ...de consultation ne sera pas transmise au service des enquêtes. C'est cela?

Mme Novak: Pardon?

Le Président (M. Filion): Toutefois, les matières ou informations recueillies par te service de consultation ne seraient pas transmises au service des enquêtes.

Mme Novak: Cela, c'est sûr et c'est dans une autre lettre...

Le Président (M. Filion): C'est dans une autre lettre...

Mme Novak: ...datée du 22 juin.

Le Président (M. Filion): ...que vous cherchiez...

Mme Novak: Oui.

Le Président (M. Filion): Bon. Je pense qu'on peut arrêter là. À la page 7 de votre mémoire, si je vous lis bien, vous dites le contraire: "Autrement dit, si la commission constate au niveau de son service de consultation qu'une entreprise a des pratiques ou politiques d'emploi discriminatoires envers les femmes, le service d'enquête ne pourra pas intervenir. Ainsi, la commission nierait aux femmes discriminées le droit à une compensation monétaire pour l'injustice subie de la part de cet employeur."

Si je comprends bien, vous voudriez que le service de consultation qui est délégué en vertu de la loi, en vertu de la charte, auprès d'une entreprise, puisse transmettre des éléments d'enquête au service des enquêtes pour qu'une enquête et qu'un redressement aient lieu. (12 h 15)

Mme Novak: Non.

Le Président (M. Filion): Non?

Mme Novak: Ce qu'on veut, c'est que ce service soit supprimé complètement et que toutes les ressources affectées à ce service, qui est tout à fait Inutile, soient données au service des enquêtes. C'est ce qu'on veut.

Le Président (M. Filion): D'accord. À ce moment, rapidement, êtes-vous consciente des problèmes éprouvés par les entreprises désireuses de mettre sur pied un programme d'accès à l'égalité dans un contexte où, il faut quand même, je pense, l'avouer, les ressources ne sont pas légion au Québec? La commission elle-même a pris un certain nombre de mois pour arriver à bâtir ce service de consultation qui est prêté, dans un cadre presque gracieux et préventif, si l'on veut, à des entreprises qui ont l'objectif, qui ont la volonté, mais qui n'ont pas la connaissance que, par exemple, vous, vous avez ou que la commission a pu développer au fil des années. Je pense que c'était peut-être un peu cela, le problème.

Mme Novak: Comment pourrais-je répondre à cela? D'une part, l'expertise pour l'implantation d'un programme d'accès à l'égalité, cela s'acquiert. Toutes les firmes de consultants privées, il y en a déjà qui existent à l'heure actuelle, ont déjà cette expertise; d'accord? La commission peut émettre des informations, des documents, une assistance à titre d'information, mais pas à titre de consultation. Là, ce genre de collaboration de consultant pour les entreprises privées la met en situation de conflit d'intérêts par rapport à son rôle d'enquêteur dans les mêmes entreprises. D'accord?

Le Président (M. Filion): D'où votre recommandation de supprimer le deuxième paragraphe de l'article 86 2...

Mme Novak: Absolument.

Le Président (M. Filion): La commission ne devrait pas fournir son assistance pour l'implantation de programmes d'accès à l'égalité.

Mme Novak: Non.

Le Président (M. Filion): Je pense que je saisis bien la portée de votre mémoire. Simplement une dernière question, toujours sur les programmes d'accès à l'égalité. J'ai été frappé par votre argumentation, à savoir qu'un programme d'accès à l'égalité devrait pouvoir s'implanter par secteurs de l'entreprise, notamment, pour corriger les injustices les plus criantes, etc. Est-ce votre expérience - c'est ce que je dois comprendre - qu'actuellement ce n'est pas le cas et que les directives - parce que vous le mentionnez dans votre mémoire - publiques devraient être plus claires pour permettre l'implantation d'un programme de redressement ou d'un programme d'accès à l'égalité dans un secteur? Est-ce votre expérience qu'actuellement plusieurs entreprises ne corrigent pas certaines situations à l'intérieur d'une partie de leur entreprise parce que, justement, elles vivent sous l'impression que l'ensemble doit être corrigé d'un seul coup?

Mme Novak: Oui, c'est assurément notre expérience. C'est notre expérience avec, entre autres, les entreprises qui ont obtenu une subvention de 50 000 $ du gouvernement pour implanter volontairement un programme d'accès à l'égalité, qui ont signé un protocole d'entente qui les engage pour deux ans à faire des analyses d'effectifs en vue d'implanter un programme d'accès à l'égalité. Entre-temps, ces entreprises ont des pratiques de discrimination. Une, entre autres, contre laquelle on a déposé une plainte, c'est Gaz métropolitain qui a des pratiques de discrimination flagrantes pour certains postes, les postes de préposés aux services. Mais elle ne touche à rien sous prétexte qu'elle est en train d'implanter un programme d'accès à l'égalité. Elle continue de discriminer. D'accord? Elle émet la crainte que, si votre programme d'accès à l'égalité n'est pas conforme à la charte, vous allez être accusé de discrimination à rebours. Donc, les employeurs préfèrent continuer de discriminer maintenant que de réparer tout de suite les choses qui sont évidentes.

On a eu aussi une expérience avec la ville de Montréal, la municipalité, où, en mars 1987, on annonce l'Implantation d'un programme d'accès à l'égalité dans les municipalités. Mais il faut d'abord faire une analyse des effectifs et une étude et on prévoit l'implantation d'un programme dans un an. Entre-temps, on sait que, dans quelques mois, ces gens vont embaucher 300 à 500 personnes pour des postes temporaires d'auxiliaires cols bleus à 14 $ l'heure et qu'ils demandent d'écrire et lire en français, de parler et de compter. Les critères d'embauche sont discriminatoires, mais ils ne veulent toucher à rien parce qu'ils sont en train de regarder la possibilité d'implanter un programme d'accès à l'égalité. Alors, ce sont les directives de la commission qui donnent cette impression, qu'il faut faire une analyse détaillée de tout son système d'embauche. Finalement, on a dû faire pression - je vous assure qu'on a mobilisé toute la ville de Montréal, que toutes les femmes ont mobilisé les femmes de leurs quartiers - pour qu'ils accélèrent leurs analyses pour un poste en particulier. C'est notre expérience.

Le Président (M. Filion): Voilà une observation que, quant à moi, j'ignorais, mais qui, je pense, est très à propos. Il y a sûrement là matière à préoccupation. En deux mots, on voudrait construire Paris ou Rome - je ne me souviens pas du proverbe - en une seule journée, alors que, pendant ce temps-là, on est en train d'oublier ou de fermer les yeux sur une partie de la réalité et...

Mme Novak: ...nos besoins.

Le Président (M. Filion): ...surtout, dans le cas que vous mentionnez, s'il y a de l'embauche qui se fait... Effectivement, je suis au courant, pour d'autres raisons, qu'il y a une embauche importante qui va se faire à la ville de Montréal dans les semaines et les mois qui viennent.

Là-dessus, Mme Novak, c'est le temps que nous vous avions réservé, et même un peu plus, pour discuter avec vous. Je voudrais, encore une fois, vous remercier de vous être déplacée, d'avoir pris la peine de nous sensibiliser à cette expérience concrète que vous avez vécue dans ce secteur qui est un peu abstrait et, parfois, difficile à saisir pour beaucoup de personnes. Nul doute que l'expérience que vous nous avez livrée ce matin sera très utile pour les membres de cette commission. Je vous remercie.

Nos travaux sont suspendus jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 22)

(Reprise à 15 h 25)

Le Président (M. Filion): Cette séance de la commission des institutions nous permettra de poursuivre, en vertu de l'article 294 de notre règlement, notre mandat de surveillance de la Commission des droits de la personne. Je prends note que les représentantes du Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement sexuel au travail de la région de Montréal inc., ont déjà pris place à la table des invités. Je leur souhaite la plus cordiale des bienvenues.

J'aimerais attirer l'attention des membres qui sont présents - en fait, ce n'est pas à eux que ma remarque s'adresse, mais plutôt aux absents - étant donné que nous sommes en auditions, en consultations particulières, et que

nous avons des invités. Celui qui vous parle n'a peut-être pas fa meilleure des réputations en fait de ponctualité, mais, lorsqu'il s'agit de consultations particulières impliquant des invités, je me fais un devoir d'être présent au moment fixé pour la reprise de nos travaux. Peut-être pourrions-nous tous ensemble aviser nos collègues absents. En ce qui concerne le député de Saint-Jacques, je tiens à vous signaler qu'il est en train de prendre la parole de l'autre côté, au salon bleu, sur un projet de loi. C'est ce qui explique son absence temporaire. Donc, je demanderais aux représentantes du groupe d'aide de bien vouloir s'identifier.

Mme Saint-Martin (Isabelle): Bonjour, je m'appelle Isabelle Saint-Martin. Je suis responsable du service de l'information pour le Groupe d'aide et d'Information sur le harcèlement sexuel au travail.

Mme Montigny (Odette): Mon nom est

Odette Montigny. Je travaille au service des plaintes du Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement sexuel au travail.

Le Président (M. Filion): Bienvenue, Mmes Saint-Martin et Montigny. Sans plus tarder, je vous invite donc à présenter le sommaire de votre mémoire. Votre mémoire a déjà été remis aux membres de cette commission qui en ont pris connaissance.

Groupe d'aide et d'information

sur le harcèlement sexuel au travail

de la région de Montréal inc.

Mme Saint-Martin: J'aimerais vous remercier de l'occasion que vous nous offrez aujourd'hui de faire une analyse critique du fonctionnement de la Commission des droits de la personne. Nous allons commencer par une brève introduction de notre organisme. Nous travaillons à la problématique du harcèlement sexuel au travail depuis 1980. Nous avons commencé comme comité d'action à Au bas de l'échelle, qui est un organisme qui défend le droit des non-syndiqués. À cause de l'importance que prenait la problématique, nous nous sommes séparées et sommes Incorporées depuis 1983 comme organisme sans but lucratif et organisme de charité. J'aimerais vous faire noter que nous sommes le seul organisme au Québec qui travaille uniquement à ta problématique du harcèlement sexuel au travail et que nous offrons nos services sur appel un peu partout dans la province, malgré le fait que la plupart de nos services sont concentrés dans la région de Montréal. Nous offrons deux services, un service de plaintes qui offre de l'appui moral et de l'aide technique aux femmes qui sont victimes de harcèlement sexuel au travail et un service d'Information qui donne des sessions d'information et de formation dans un but de prévention.

Depuis 1981, nous avons piloté environ 50 dossiers à la Commission des droits de la personne du Québec, ce qui représente environ 30 % de nos dossiers. Des 50 dossiers que nous avons menés, aucune recommandation ne nous a paru satisfaisante. Nous avons collaboré une fois avec la Commission des droits de la personne en tant que membres du comité de planification du séminaire sur le harcèlement racial qui a été parrainé par le Centre de recherche-action sur les relations raciales qui va présenter son mémoire plus tard aujourd'hui.

Comme vous l'avez vu dans notre mémoire, nous avons présenté 24 recommandations, Évidemment, on n'aura pas le temps, aujourd'hui, de s'étendre sur chacune; donc, on va essayer de limiter nos commentaires aux recommandations les plus importantes afin que vous puissiez nous adresser des questions plus tard. Peut-être que Mme Montigny pourra répondre aux questions ayant trait au service des plaintes et, moi-même, à celles ayant trait au service de l'information.

Aux questions 6 et 7, vous nous avez demandé de nous prononcer sur le mandat d'Information de la commission. Selon nous, la Commission des droits de la personne ne nous envoie pas assez d'information ni sur ses services, ni sur son fonctionnement. Nous croyons que, pour bien remplir son mandat d'information, la commission devrait rendre accessibles et diffuser davantage de renseignements sur son fonctionnement, sur le travail effectué et sur ses recommandations. C'est ainsi que nous recommandons que les rapports d'enquête, les recommandations des commissaires et les règlements à l'amiable soient accessibles au public. Ainsi, une personne qui dépose une plainte à la commission et qui consulte ces documents pourrait évaluer ses chances d'avoir gain de cause, pourrait se préparer une défense pleine et entière, aurait moins besoin d'avocats et d'avocates et pourrait davantage quantifier les dommages qu'elle a subis

De plus, nous recommandons que le public ait accès aux directives internes de la commission, notamment lorsque celles-ci portent sur des questions de politiques d'Interprétation de la charte, par exemple les critères de recevabilité d'une plainte, l'évaluation de certaines preuves, etc. Ainsi, les gens qui se sentent lésés par ces politiques auraient quelque chose de tangible auquel ils pourraient se rattacher. Ces politiques d'interprétation de la charte se doivent d'être claires, précises et accessibles au public.

Quant au mandat d'éducation, nous ne croyons pas que la commission exerce pleinement ce rôle. Selon nous, le rôle d'éducation de la commission est primordial et nous souhaiterions voir celle-ci exercer son rôle de promotion des droits plus activement, plus visiblement et plus largement qu'elle ne le fait présentement.

Entre autres, nous recommandons que la commission fasse du travail sur le terrain en se rendant dans divers milieux de travail pour

sensibiliser les travailleurs et tes travailleuses. Selon le rapport annuel de la Commission des droits de la personne de 1986, plus de 70 % des plaintes de discrimination émanent du domaine du travail. C'est donc important que la commission concentre ses efforts non seulement pour expliquer aux employeurs leurs responsabilités, mais aussi et surtout pour expliquer aux employés leurs droits.

Finalement, lorsque la commission fait des interventions auprès de la population, elle devrait présenter de façon claire et précise tes divers rôles qu'elle joue. Premièrement, celui de défenderesse des droits lorsqu'elle exerce son mandat d'éducation, de recherche, de consultation auprès du gouvernement ou lorsqu'elle porte un dossier devant les cours de droit commun. Deuxièmement, celui de juge lorsqu'elle remplit son mandat de recevoir, d'enquêter et de se prononcer sur le bien-fondé des plaintes. Cette nuance, très importante selon nous, n'est pas du tout claire, ni dans les interventions de la commission, ni dans la tête de la population en général.

Vous nous avez demandé de nous prononcer, aux questions nos 15 et 16, sur la partialité de la commission. Il aurait été facile de supposer que la commission démontrerait une certaine clémence, une certaine ouverture d'esprit, voire même un certain parti pris à l'égard des femmes à être ou à avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail.

Tel n'est pas le cas. L'article 10 in fine de la charte énonce, en effet, qu'il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit."

Vu cet énoncé clair, nous ne pouvons que nous Interroger sur les raisons qui poussent la commission à rechercher l'intention discriminatoire. En effet, dans certaines recommandations, la commission a fait appel à toutes sortes d'arguments pour refuser d'admettre le harcèlement sexuel. Ainsi, dans un dossier, le mis en cause n'a, semble-t-il, pas commis de harcèlement sexuel puisqu'il avouait être en amour avec la plaignante. Dans un autre dossier d'enquête, des propos offensants à connotation sexuelle sont excusés parce que prononcés sous le coup de la colère. Le port de chandails sur lesquels étaient apposées des photos pornographiques est aussi excusé, parce que les mis-en-cause ne paradaient pas directement autour de la plaignante.

Ces exemples sont de belles démonstrations de la recherche d'intention discriminatoire. En agissant de la sorte, la commission ne fait, au fond, que prendre directement parti pour les mis-en-cause. C'est ainsi que nous recommandons que la commission cesse de rechercher l'intention discriminatoire et se contente de constater les effets de ta discrimination. De plus, nous recommandons que la commission révise sa façon d'administrer la preuve en lui donnant un cadre plus souple et plus innovateur.

Nous considérons, par ailleurs, que la

Commission des droits de la personne du Québec est un organisme mal structuré ce qui explique, en partie, son problème de partialité. Les enquêteurs de la commission se voient confier, comme vous l'avez entendu ce matin, plusieurs tâches différentes: premièrement, celle d'enquêteurs; deuxièmement, celle de médiateurs ou de médiatrices; troisièmement, celle d'être responsables de l'administration de la preuve lors des auditions. Si une personne préside des auditions après avoir agi comme enquêtrice, on peut s'interroger beaucoup sur cette façon de procéder, dans la même mesure où l'on pourrait s'interroger sur le fait qu'un policier qui a enquêté sur un crime porte ensuite le chapeau de juge, au procès.

Afin d'assurer un maximum de crédibilité aux enquêtes de la commission et afin que justice ou apparence de justice soit rendue, il est urgent de départager tes différents rôles joués par les enquêteurs. C'est ainsi que nous recommandons que ta commission confie à trois personnes distinctes ces trois tâches, séparant ainsi les fonctions de médiatrice, d'enquêtrice et de présidente d'auditions. C'est pourquoi nous recommandons la mise sur pied d'un service de médiation spécialisé qui ne ferait que de la médiation. Nous recommandons aussi qu'une tierce personne, nommée à l'extérieur de la commission, soit responsable de l'administration de la preuve, c'est-à-dire préside les auditions. Cet article est, d'ailleurs, déjà prévu dans la charte et pourrait être facilement applicable.

Deuxièmement, au sujet de la structure, ce sont les commissaires qui font les recommandations sans qu'ils ou elles aient Jamais rencontré les témoins. Nous estimons que ce procédé est contraire aux règles de la justice naturelle. Pour ces raisons, nous recommandons que les parties doivent avoir, minimalement, le loisir de faire des représentations, tant en personne que par écrit, auprès des commissaires.

Finalement, nous trouvons fort regrettable qu'il n'y ait pas de mécanisme d'appel à la commission. Même dans les cas où de graves erreurs de droit sont commises, il n'y a pas d'appel interne possible. C'est pourquoi nous recommandons que les commissaires limitent leurs recommandations aux appels qui leur seraient soumis, tout en entendant les parties avant de se prononcer. Ainsi, la personne choisie à l'extérieur de la commission, c'est-à-dire le juge des faits, rendrait donc la recommandation suivant les auditions tandis que les commissaires entendraient les appels. Les appels porteraient sur les recommandations à la suite des auditions, mais ils porteraient aussi sur la recevabilité, un autre problème de filtration dont vous avez entendu parler ce matin.

En ce qui a trait aux pouvoirs de la commission, nous considérons qu'effectivement la commission est un organisme qui a beaucoup de pouvoirs. Cependant, nous croyons qu'elle exerce mal certains d'entre eux, diminuant, de ce fait,

la portée de la charte.

Permettez-nous de commenter deux des pouvoirs. Premièrement, le pouvoir de coopérer avec les autres groupes de promotion des droits de la personne, c'est-à-dire l'article 67f) de la charte. Nous ne pouvons que le commenter en nous basant sur notre expérience personnelle de la problématique du harcèlement sexuel au travail. Selon nous, la collaboration est quelque peu restreinte. Nous croyons que c'est à cause des critiques répétées que nous avons émises sur le fonctionnement de la commission. Nous regrettons cet état de fait et continuons à être ouvertes à la collaboration avec la commission comme nous t'avons fait tors du séminaire sur le harcèlement racial en milieu de travail.

Si on peut se le permettre, j'aimerais vous donner trois exemples de manque de collaboration de la part de la commission. Premièrement, comme vous êtes au courant, les organismes voués à la défense des droits peuvent déposer une plainte de harcèlement ou de discrimination en leur propre nom, remplaçant ainsi la femme qui est victime de discrimination ou qui est victime de harcèlement. C'est un pouvoir donné en vertu de l'article 70 de la charte. C'est un pouvoir dont nous nous servons assez régulièrement, comme je t'ai déjà dit.

Cet été, un nouveau débat nous a opposées à la commission dans la mesure où une enquê-trice a refusé qu'on représente le groupe, c'est-à-dire qu'une de nos travailleuses représente le groupe et qu'elle représente une plaignante dans un dossier de harcèlement sexuel. Elle disait que c'était un rôle qui était limité aux avocats et avocates. Selon nous, c'est une mauvaise Interprétation de la charte. L'article 70 donne le droit aux organismes de déposer des plaintes. SI la commission interprétait l'article 67f) de façon libérale, nous devrions avoir le droit de continuer de faire des représentations pour défendre la collectivité et les individus qui sont victimes de harcèlement.

Un deuxième exemple au sujet de la coopération: la semaine dernière, il y avait une conférence pancanadienne pour les intervenants et intervenantes en matière de harcèlement sexuel au travail dans les milieux universitaires et cégépiens. C'est une conférence qui a été organisée par le Comité de la condition féminine de l'Université Concordia et dont nous-mêmes, le YWCA et l'Université Concordia, étions les marraines.

À notre arrivée à la conférence, on aperçoit sur la table de documentation la dernière prise de position de la Commission des droits de la personne dans le dossier du harcèlement. On savait que la commission était en train de préparer cette prise de position. Cela faisait deux mois que nous avions demandé au secrétaire de la commission de nous faire parvenir la décision. Une fois qu'elle fût prise, il ne nous a pas avisées. C'était une prise de position du 9 octobre, je pense. Et puis, on ne savait même pas que ce document existait. Nous sommes le seul groupe au Québec qui travaille sur le harcèlement sexuel au travail. Je trouve qu'il aurait été naturel qu'il nous envoie cela de son propre chef et qu'on n'apprenne pas, de façon détournée, l'existence d'un document comme celui-là.

Troisième exempte: une anecdote. On reçoit au bureau la publication de la Commission des droits de la personne, qui s'appelle Le forum des droits et libertés. Le numéro de septembre invite le public à se prononcer sur le harcèlement sexuel au travail. Et, quand on téléphone pour dire: Vous voulez une consultation publique, mais pourquoi ne pas nous avoir consultées? on nous dit: Bien, la consultation est déjà finie. C'est déjà parti chez l'imprimeur. Nous avons décidé de consulter les comités de condition féminine dans les syndicats. Et puis, on ne peut pas consulter tout le monde. On trouve que ce n'est pas vraiment une bonne excuse Les syndicats représentent les travailleurs et les travailleuses qui sont touchés par le harcèlement sexuel mais, nous sommes la seule voix au Québec qui représente les non-syndiqués. On trouve que, si la commission prenait son devoir de coopération au sérieux, c'est elle qui devrait venir nous chercher et aller chercher tous les autres organismes, comme nous-mêmes.

Finalement, un dernier mot au sujet de l'éducation. En ce qui a trait à la problématique du harcèlement sexuel au travail, nous recommandons que le travail d'éducation commence à l'intérieur même de la commission. Nous vous donnons un exemple. Lors d'une allocution devant les membres des comités locaux de la condition féminine de la FNEEQ (la Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec) réunis à la fin de mai 1987 et où j'étais présente, un représentant du service d'Information de la commission a tenu des propos très équivoques. Il qualifia le harcèlement sexuel au travail de "matière alambiquée", puisque plusieurs femmes pouvaient se servir d'une plainte de harcèlement sexuel pour faire du chantage ou pour porter atteinte, à tort ou à raison, à la réputation d'un homme. Il affirma que les enquêteurs n'étaient pas très à l'aise avec ce sujet car ce n'était pas la même chose que les autres plaintes. De plus, il affirma que le problème avec les plaintes de harcèlement sexuel était tout à fait particulier, ne s'appliquant pas aux plaintes de harcèlement racial, ni aux plaintes de harcèlement ou de discrimination fondées sur d'autres motifs.

C'est avec stupéfaction et indignation que les femmes présentes accueillirent ces propos sexistes venant de la bouche d'un agent d'information de la commission même. Ces propos discriminatoires sont fondés sur des stéréotypes: les femmes sont vengeresses, jalouses, provocatrices, conspiratrices et portent sans cesse de fausses accusations De plus, ce problème de désinformation n'est pas unique. Nous croyons que, malheureusement, cette attitude traduit trop

bien un des courants de pensée à la commission. Nous n'avons qu'à songer à certains enquêteurs qui recherchent sort l'intention, soit la provocation de la plaignante; à certains agents ou agentes de recevabilité qui tentent de minimiser l'Importance du harcèlement sexuel subi ou, encore, à certaines recommandations des commissaires qui excusent les actes discriminatoires dès mis-en-cause.

C'est ainsi que nous recommandons que la commission poursuive et approfondisse sa réflexion sur ta problématique du harcèlement sexuel au travail et qu'elle entreprenne un programme d'éducation auprès de ses propres employés. Des attitudes discriminatoires ne devraient pas avoir place à la Commission des droits de la personne du Québec. Certains droits fondamentaux sont clairement protégés par la charte; y porter atteinte de quelque façon que ce soit est illicite. Il n'y a pas de forme de discrimination qui est plus ou moins légitime qu'une autre. (15 h 45)

Finalement, nous signalons que la définition opérationnelle du harcèlement sexuel de la commission est trop restrictive. Nous recommandons donc que la commission se dote d'une définition large et exhaustive afin que toutes les personnes qui lui demandent d'enquêter sachent ce qui est considéré comme constituant du harcèlement sexuel. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): C'est moi qui vous remercie. M. le député de Chapleau.

M. Kehoe: Merci, M. le Président. Je tiens à remercier les représentantes du Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement sexuel au travail de la région de Montréal inc., pour le mémoire qu'elles ont présenté. Le sérieux de votre mémoire, avec ses 24 recommandations, dénote que vous avez consacré beaucoup de temps à étudier le problème et à faire des recommandations. Je trouve que l'analyse et les recommandations que vous avez faites, à partir de la page 12, concernant le cheminement d'un dossier et les points faibles de la loi actuellement, les six points que vous avez soulevés, sont très à propos. Je pense que les membres de la commission devraient certainement considérer la position que vous avez prise sur chacun de ces dossiers.

Prenons comme exemple, au numéro 5, la crédibilité des témoins sans les avoir jamais rencontrés." Juste à cela, je ne vois pas comment les commissaires pourraient vraiment rendre un jugement ou un verdict quelconque sans auparavant avoir entendu ou vu comment les témoins se comportent devant eux. Au numéro 6, vous trouvez "regrettable qu'il n'y ait pas de mécanisme d'appel" et, finalement, vous venez conclure à une restructuration complète, à la page 15 de votre mémoire où il y a 3 points majeurs que vous recommandez, impliquant un changement assez radical.

Premièrement, vous parlez de "retenir les services des enquêteurs ou enquêtrices uniquement à des fins d'enquête proprement dite." Une deuxième personne sera choisie par la suite à l'extérieur du personnel régulier de la commission "pour procéder aux auditions et administrer la preuve recueillie par une autre personne qu'elle-même." Finalement, vous dites que les commissaires devraient siéger seulement et uniquement pour les fins d'appel. Dans l'ensemble de ces trois recommandations, c'est un changement assez radical de la structure actuelle. Pour chacune des recommandations que vous faites, est-ce que cela prend un nouveau personnel? Que ce soit pour le n°1, le n°2, quand vous parlez de retenir les services d'enquêteurs et d'enquêtrices ou d'une deuxième personne, que faites-vous avec le personnel actuel?

Mme Saint-Martin: Nous n'avons rien contre les personnes qui sont à la Commission des droits de la personne, sauf que l'analyse de certaines est discriminatoire. En majorité, ces gens sont de bonne volonté, mais ils sont malheureusement pris dans une structure qui fait qu'on est insatisfaites des résultats qu'on obtient à la commission. Il n'est pas question de renouveler le personnel au complet. Les enquêteurs, enquêtrices qui sont là peuvent continuer leur tâche principale qui est d'enquêter. Mettre sur pied un service de médiation qui serait séparé de celui-là, ce serait une nouvelle addition de personnel et mettre quelqu'un de l'extérieur en charge de la présidence des auditions, cela, c'est aussi quelqu'un de l'extérieur, mais on ne veut pas complètement changer le personnel. Ce n'est pas un problème de personnel, c'est un problème de structure.

M. Kehoe: Quand vous parlez de personnel de l'extérieur, est-ce que vous voulez parler de personnes qui ne sont pas dans le régime actuel?

Mme Saint-Martin: Oui.

M. Kehoe: Ce seraient de nouvelles personnes qui seraient engagées?

Mme Saint-Martin: Oui.

M. Kehoe: En ce qui concerne la recommandation que les commissaires siègent seulement pour entendre des appels, ce serait un changement radical avec ce qui existe actuellement. Non seulement il n'y a pas d'appels actuellement, mais ce serait la seule fonction des commissaires qui sont là. Après que les enquêteurs auront fait une enquête, après qu'ils auront rendu un jugement ou une décision quelconque, vous dites que les commissaires devront être saisis du dossier.

Mme Saint-Martin: Oui.

M. Kehoe: Et changer maintenant les fonctions qu'ils occupent, ce serait une question d'information, d'éducation. Ce qu'ils font actuellement serait changé complètement. Leur rôle actuel serait complètement changé.

Mme Saint-Martin: C'est parce que, présentement, c'est eux et elles qui font des recommandations, sauf que c'est sur l'étude d'un dossier qui vient des enquêteurs et des enquêtri-ces. C'est fait, si on ose le dire, un peu comme une ligne de production. Ils ne rencontrent personne. Ils décident sur plusieurs dossiers à la même réunion. En fait, on pense que ce qu'ils font, c'est qu'ils entérinent les décisions prises par les enquêteurs et enquêtrices sans jamais avoir vu les parties.

Mme Montigny: Est-ce que je peux ajouter quelque chose? Je pense qu'il n'est pas question, dans notre recommandation, de changer complètement le rôle des commissaires et de les garder strictement à des fins d'appel. Je pense que toutes les autres tâches accomplies par les commissaires - je pense, entre autres, à l'adoption de politiques - ce sont des tâches, dans l'éducation et l'information, qui pourraient, évidemment, être laissées aux commissaires. Là où on change la tâche des commissaires, c'est uniquement dans le traitement des plaintes. On fait part d'une constatation qu'on trouve à tout le moins aberrante du fait que les commissaires ont à juger de la crédibilité de témoins qu'ils n'ont jamais rencontrés. On dit qu'une façon de résoudre ce problème, c'est de nommer à la commission un juge des faits. Une autre constatation aberrante ou, à tout le moins, décevante, c'est qu'il n'y a pas d'appel à la commission. Et une façon de trouver un processus d'appel à la commission sans, justement, tout chambarder, c'est de donner ce pouvoir aux commissaires.

M. Kehoe: Si je comprends bien ce que vous prônez, c'est qu'il y ait des enquêteurs qui fassent uniquement des enquêtes, les autres présenteront les résultats de leurs Investigations à une deuxième personne et cette personne rendra une décision quelconque. À la suite de cette décision, c'est seulement à ce stade que les commissaires seront saisis du dossier, soit après que les deux autres étapes auront été complétées.

Mme Saint-Martin: Oui.

M. Kehoe: Les autres réviseront, s'il y a lieu, les décisions prises par la deuxième personne dont vous parlez dans votre mémoire.

Mme Montigny: Si je peux ajouter ceci, il y a quelque chose d'un petit peu décevant à la commission concernant les enquêtes. C'est que, dans la charte, les enquêteurs et enquêtrices de la commission ont les pouvoirs des commissaires- enquêteurs. Cependant, dans les dossiers que nous avons pilotés, les enquêtes de la commission se résument généralement à un échange préliminaire d'information entre les parties. On se dit qu'étant donné que les enquêteurs ont des pouvoirs plus grands il serait, ma foi, fort intéressant qu'ils les exercent étant donné que, dans les causes de harcèlement sexuel au travail, la preuve est extrêmement difficile à aller chercher. C'est souvent difficile de prouver le harcèlement sexuel au travail à moins d'avoir les outils pour aller chercher les éléments de preuve. Alors, il serait intéressant que les enquêteurs et enquêtrices de la commission aient ces pouvoirs. Mais, étant donné qu'à ce moment-là ces personnes recueillent la preuve, elles sont partiales et ne peuvent donc plus être juges des faits. C'est pour cela qu'on recommande la nomination d'une personne de l'extérieur pour s'occuper de l'administration de la preuve lors des auditions.

M. Kehoe: Quand vous faîtes ces recommandations, est-ce que ce serait seulement dans le domaine du harcèlement sexuel ou si c'est une fonction complète de la commission?

Mme Saint-Martin: Nous parlons seulement du harcèlement sexuel parce que c'est notre expérience. Mais je pense qu'il faut faire des changements majeurs à la Commission des droits de la personne. On ne peut pas changer cela juste pour un motif de discrimination Je pense qu'il faut le changer pour tous les motifs de discrimination

M. Kehoe: D'accord.

Le Président (M. Filion): Merci, M le député de Chapleau. Peut-être quelques questions à mon tour.

D'abord, effectivement, je voudrais, à l'instar du député de Chapleau, vous féliciter pour le travail que vous nous présentez. Il y a là énormément d'énergie, ne serait-ce qu'à bien formuler et à bien cerner l'ensemble des recommandations. Il y en a quand même 30...

Mme Saint-Martin: 24.

Le Président (M. Filion): Environ 30. Il s'agit d'un travail à partir de l'expérience que vous avez vécue avec la Commission des droits de la personne, On va, peut-être, être tentés, autour de cette table, de dire: Pour beaucoup d'organismes - vous êtes juste notre troisième - il y a certaines tendances qui semblent vouloir se dessiner, en ce qui concerne la confusion des rôles, etc. - vous m'en avez glissé un mot tantôt - également, en ce qui concerne la collaboration, ce que j'appelais ce matin, le partenariat occasionnel entre la Commission des droits de la personne et les organismes qui, comme le vôtre, oeuvrent dans des

secteurs particuliers des droits et libertés.

Je voudrais poser quelques questions sur ce que j'appellerais la circulation de l'information. Au début de votre mémoire, vous faites allusion au fait qu'il est difficile d'obtenir les données pertinentes pour vous permettre de conseiller adéquatement une personne qui viendrait vous consulter; difficile également de prendre connaissance des directives internes de la commission qui pourraient vous éclairer. Écoutez, pour ma part, cela ne fait même pas deux ans que je m'intéresse beaucoup à ce dossier de la Commission des droits de la personne. Il y a deux outils privilégiés. Un m'apparaît être le rapport annuel de fa commission. Vous en faites mention. Vous dites que ce rapport devrait être, en somme, plus détaillé ou standardisé. J'aimerais que vous explicitiez votre pensée là-dessus, étant donné que, en ce qui concerne les rapports annuels - nous en recevons beaucoup, ici, à l'Assemblée nationale - celui de la Commission des droits de la personne ne m'apparaît ni pire ni meilleur que les autres. Il m'apparaît, grosso modo, en tout cas, répondre aux normes générales des rapports annuels qui sont soumis aux parlementaires. Mais, peut-être, est-ce insuffisant.

Également, il y a le bulletin - vous l'avez mentionné - Le forum des droits et libertés. On pourra me corriger, mais, je pense que les décisions de la comission sont publiées dans...

Une voix: Une nouvelle publication.

Le Président (M. Filion): Pardon? Une nouvelle publication, toute récente, où l'on peut consulter un recueil des décisions de la Commission des droits de la personne. En ce qui concerne les directives internes, j'apprécierais que vous puissiez expliciter votre pensée là-dessus. En deux mots, en ce qui concerne la circulation de l'information proprement dite, j'apprécierais que vous puissiez me fournir un peu plus de détails sur votre expérience concrète.

Mme Saint-Martin: Sien. Je vais commencer avec le rapport annuel, comme vous le dites. On aurait dû vous apporter des rapports annuels d'autres Commissions des droits de la personne, dans le Canada. Je pense que vous verriez qu'il y a des différences sensibles entre la qualité et les détails donnés. Un autre problème, c'est que, chaque année, il semble que les tableaux changent un peu. Alors, pour nous, qui essayons de voir des tendances, c'est très difficile.

Par exemple - si je me souviens bien, c'est le rapport annuel de 1986 - dans le tableau qui dénombre les recommandations et dans quelle direction elles ont été jugées, il n'y a même pas une classification qui dit: Plaintes acceptées. C'est mis dans les autres ou c'est mis... Si tu veux savoir combien de personnes ont gagné des dossiers à la Commission des droits de la per- sonne, tu ne peux pas le savoir en regardant le rapport annuel. Et, chaque année, les classifications changent. Pour nous, c'est une des seules sources d'information qu'on a, étant donné que tout le reste n'est pas accessible. Les directives internes ne sont pas accessibles. Des recher-chistes, qui sont allés à la commission, se font dire que toute l'information publique se retrouve dans les rapports annuels. C'est juste de cela que vous avez besoin.

Mais, pour nous, ce n'est pas suffisant. On a besoin de plus de détails. On aimerait, entre autres, savoir comment le budget de la commission fonctionne afin de savoir comment leurs priorités sont reflétées dans le budget. Je ne me souviens plus de la question sur le forum. J'ai juste écrit... (16 heures)

Le Président (M. Filion): Non, mais le forum, évidemment, met le "focus" sur certains sujets selon les priorités données à la commission. On fait le tour de certains sujets. Je suis d'accord avec vous, ce n'est quand même pas un vaste réservoir d'information.

Mme Saint-Martin: Non, mais...

Le Président (M. Filion): C'est, quand même, assez limité.

Mme Saint-Martin: Oui. C'est, quand même, une base. Vu que rien d'autre ne nous garde à jour sur ce qui se passe, cela demeure une publication très utile, je pense.

Le Président (M. Filion): II y avait les directives internes.

Mme Saint-Martin: Oui, des directives internes, justement. J'ai fait mention de la prise de position de la commission, des commissaires, sur le harcèlement. Cette prise de position nous avait été promise et elle ne nous a pas été envoyée. Même si on ne nous l'avait pas promise, il me semble que la commission devrait faire connaître ses prises de position importantes sur de telles matières et pas seulement à nous. La prise de position touchait aussi le harcèlement racial et différents genres de harcèlement en milieu de travail. Il me semble que la commission devrait, de son propre chef, faire circuler de l'information qui, pour nous, est très importante. Quand vous déposez une plainte à la commission, l'autre problème, c'est que des décisions de la commission ne sont pas accessibles. Oui, maintenant, il y en a quelques-unes qui seront publiées dans le recueil de jurisprudence, mais ce n'est pas suffisant. Nous aimerions essayer de dégager des tendances sur tous les dossiers de harcèlement sexuel qu'elle a jugés. Nous avons de l'expérience dans le domaine. Imaginez une personne qui dépose une plainte de son propre chef et qui se rend là. Tout ce qu'elle se fait dire, c'est: Oui, votre plainte est recevable ou

non, elle n'est pas recevable. Une fois que la plainte est recevable, II n'y a rien pour l'aider à définir le problème, à mettre des paroles sur les problèmes qu'elle a vécus, à avoir des barèmes pour savoir comment déterminer les dommages qu'elle a subis. On pense que tous les règlements à l'amiable, toutes les recommandations de la commission et toutes les prises de position qui expliquent les critères de recevabilité devraient être accessibles au public.

Je peux vous donner quelques exemples des problèmes de recevabilité en matière de harcèlement sexuel au travail. Une femme s'est présentée au bureau dernièrement, qui avait été virée de bord par la commission disant: II n'y a pas matière à une plainte de harcèlement sexuel au travail parce que le harcèlement a eu lieu pendant que tu étais allée dîner avec ton patron; alors, ce n'est pas du harcèlement sexuel. C'est un critère complètement arbitraire et faux, comme le démontre toute la jurisprudence. Cette personne serait retournée chez elle et elle aurait tout laissé tomber si elle n'avait pas téléphoné à Gazette Probe. Gazette Probe nous a téléphoné et on lui a dit: Reviens, on va déposer une plainte et la plainte a été acceptée.

Il y a le cas qui m'a été raconté, la semaine dernière, d'une femme qui disait que la fille de son ami, une jeune femme de dix-sept ans, qui avait un emploi d'été temporaire, a eu des relations avec son patron. Elle y a été contrainte parce qu'elle pensait perdre son emploi si elle ne le faisait pas. Après avoir couché avec lui, il l'a mise à pied. Elle est allée à ta Commission des droits de la personne, à Québec, pour déposer une plainte. On lui a dit que ce n'était pas du harcèlement sexuel vu qu'elle avait couché avec lui. C'est tout à fait faux; en termes de jurisprudence, il y a ce qu'on appelle le consentement vicié. Elle était sous la contrainte, forcée de faire cela.

Il y a plein d'exemples semblables qu'on peut vous donner. Au stade de la recevabilité, parce que les décisions ne sont pas accessibles... Quelqu'un comme elle aurait facilement pu examiner d'autres décisions et dire: Écoutez, vous ne pouvez pas me le refuser, vous avez déjà enquêté sur un problème exactement pareil au mien.

Le Président (M. Filion): Dans le cas que vous venez de nous relater, est-ce que votre organisme, à ce moment-là, a eu l'occasion d'intervenir dans le dossier? Est-ce que la commission...

Mme Saint-Martin: J'ai rencontré la femme qui m'a raconté l'histoire, la semaine dernière.

Le Président (M. Filion): C'est tout récent.

Mme Saint-Martin: Oui. Je lui ai dit de contacter la jeune fille. Qu'elle vienne nous voir, on va déposer une plainte et elle sera acceptée. Ils vont enquêter.

Le Président (M. Filion): Je dois partager votre avis, très rapidement. En matière de harcèlement, c'est difficile d'imaginer plus. Et le plus devrait comprendre le moins, il me semble.

Mme Saint-Martin: II y a plein de critères comme ceux-là sur la recevabilité d'une plainte II est clair que les agents et les agentes de recevabilité ont des politiques internes sur ce qu'est une vraie plainte, sur ce qu'est une plainte de discrimination et sur les critères qui font qu'on rejette la discrimination basée sur la condition sociale. On sait que, systématiquement, la commission refuse d'enquêter sur certains genres de dossiers. Si ces politiques étaient publiques, on pourrait, au moins, avoir quelque chose de tangible à quoi se référer et qu'on pourrait contester.

Le Président (M. Filion): Bref, il y a un problème d'attitude qu'il n'est pas facile de cerner, mais que laissent entrevoir certains passages de votre mémoire. Il y a aussi un problème de définitions que vous soulevez bien Vous recommandez plutôt l'adoption de la définition canadienne, si on veut - passez-moi l'expression - du harcèlement sexuel.

Mme Saint-Martin: Si je peux juste spécifier, ce n'est pas qu'on recommande l'adoption de la même définition que la Commission canadienne des droits de la personne. Nous la citons comme un exemple de définition qui énumère beaucoup plus les différentes manifestations de harcèlement sexuel. Une personne à la maison, qui a des problèmes, peut lire cela et peut se situer. Si une définition est trop large, les femmes ont beaucoup de mal à voir sur quel comportement la commission va enquêter et quel comportement elle n'enquêtera pas.

Le Président (M. Filion): Je vous le soumets: Ce n'est pas une matière qui est différente; là-dessus, on se rejoint facilement. Peut-être que ma formation d'avocat prime, mais, quand il s'agit de la preuve, si je prends la définition employée par la Commission des droits de la personne, qui avait, d'ailleurs, fait l'objet d'une étude, on définit, entre autres - ce que je dis n'est pas limitatif - le harcèlement sexuel comme étant "des commentaires à connotation sexuelle, des contacts ou des regards répétés et non désirés qu'une femme considère comme offensants". Je me demande pourquoi on dit "une femme"; on devrait dire une personne dans la définition de la Commission des droits de la personne. Le harcèlement sexuel, sauf erreur, fonctionne des deux côtés.

Mme Saint-Martin: Oui.

Le Président (M. Filion): Je me souviens même d'avoir pris connaissance d'un cas; je pense que c'était aux États-Unis, peut-être que c'était plus près de chez nous. Bref, on dit "qu'une femme considère comme offensants et qui l'incommodent dans son travail".

Dans la définition de la Commission canadienne des droits de la personne, on dit: Les invitations ou des requêtes importunes, qu'elles soient implicites ou explicites, ou de l'intimidation, des regards concupiscents ou d'autres gestes, etc. Vous allez, quand même, admettre que la preuve de ces éléments n'est pas facile. Je ne veux pas dire qu'elle est impossible, je dis qu'elle n'est pas facile. Et je vous rejoins vraiment profondément quand vous dites: Au moins, on aimerait voir les tendances dégagées depuis dix ans à la Commission des droits de la personne et voir dans quelle direction on s'achemine, quelle orientation prend ta commission. SI je vous comprends bien, c'est un des griefs que vous formulez de ne pas savoir dans quelle direction on va dans une matière où les preuves ne sont pas toujours faciles. Elles peuvent l'être dans certains cas, mais elles peuvent ne pas l'être, à cause de différentes circonstances. Est-ce que je vous rejoins bien en disant que vous aimeriez avoir plus de "input" de la commission pour pouvoir dégager ces tendances, pour pouvoir travailler dans le sens des tendances qui auront été dégagées par la jurisprudence de la commission?

Mme Montmigny: C'est tout à fait cela. D'ailleurs, il y a deux ans, des étudiantes avaient été embauchées par le groupe dans le cadre d'un projet d'été et avaient demandé d'avoir accès à toutes les recommandations de ta Commission des droits de la personne, aux rapports d'enquêtrices et aux règlements hors cour pour essayer de voir quel genre d'éléments de preuve étaient retenus par la commission. Cela, évidemment, dans le but d'aider les femmes qui se présenteront à nous dans l'avenir à se préparer une défense pleine et entière et à aller recueillir tous les éléments. C'est la première des choses. Oui, nous aimerions avoir plus de "input" pour reprendre vos termes.

Deuxièmement, c'est aussi dans cette optique qu'on demande que les enquêteurs de la commission fassent véritablement des enquêtes sur le terrain et aident les femmes aux prises avec des problèmes de harcèlement sexuel à aller recueillir des éléments de preuve. Je pense au fait similaire: avec certains outils, ne serait-ce que la liste des anciennes employées, il est possible, quand on en a les moyens, de rappeler les anciennes travailleuses et de voir si elles n'auraient pas vécu, elles aussi, une situation s'apparentant à du harcèlement sexuel. Mais, pour faire ce genre d'enquête, on a besoin d'outils. Je pense que les enquêteurs de la commission pourraient facilement monter ce genre de dossiers.

Mme Saint-Martin: Si je peux rajouter quelque chose, quand vous dites que la preuve peut être difficile à faire dans un cas de harcèlement sexuel, c'est surtout parce que, la plupart du temps, il n'y a pas de témoin. Alors, tout repose sur la crédibilité des témoins, ce qui rend encore plus loufoque le fait que les commissaires vont faire une recommandation sans avoir rencontré les témoins. Quand on sait que, très souvent, dans les causes de harcèlement, tout repose sur la crédibilité des témoins, cela ne se peut pas qu'ils n'aient jamais rencontré les témoins. Comme vous le dites, il n'y a pas une forme de harcèlement ou de discrimination plus licite qu'une autre; elles sont toutes illicites. Ce n'est pas parce que la preuve est plus difficile à faire qu'on ne devrait pas porter autant d'attention à un dossier qu'à un autre.

Si je peux me permettre de le dire, nous avons parfois l'impression que la commission a très peur de se faire poursuivre pour diffamation ou libelle de la part des harceleurs; alors elle essaie vraiment de faire très attention, elle exige quasiment un niveau de preuve hors de tout doute raisonnable, ce qui est un niveau de preuve criminelle, comme vous le savez, et toutes les formes de discrimination sont censées être adjugées sur une prépondérance de preuve. Sur prépondérance de preuve, nous croyons quand même que la commission devrait être là pour défendre les intérêts des femmes et elle pourrait les défendre si elle avait uniquement le rôle d'enquêtrice Elle ne peut pas défendre ces femmes si, ensuite, elle est juge des faits.

Le Président (M. Filion): En ce qui concerne la confusion des rôles que vous venez tout juste d'évoquer - je pense que vous étiez ici, en tout cas, pour une partie ce matin - je crois qu'on peut d'ores et déjà prédire que c'est une tendance lourde qui se dégage de nos consultations Je vais laisser la parole à M le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. Évidemment, à mon tour, j'aimerais vous remercier non seulement pour la préparation de votre mémoire, mais pour votre présentation. Comme nous l'avons dit ce matin, effectivement, le but de tout cet exercice, en respectant une des dispositions de notre règlement et en entendant des groupes concernés, c'est d'en faire une critique positive. À la lecture de votre mémoire, vous en faites une critique que j'appelle positive.

Concernant - vous n'êtes pas le seul groupe, d'ailleurs; la plupart des groupes, je pense, l'ont mentionné dans leur mémoire - le manque de coopération ou de collaboration de la Commission des droits de la personne relativement aux organismes, comme le vôtre, reliés à la défense des droits et libertés de la personne, est-ce qu'à votre connaissance c'est depuis le début de l'existence de la commission qu'il n'y a aucune coopération ou si c'est de tendance plus

récente? À votre connaissance, est-ce que, dans le passé, votre organisme ou un autre ont eu de bonnes expériences? A partir de ce qu'on peut lire comme membres de la commission, il n'y en a jamais eu, finalement, de coopération ou de collaboration. Je ne sais pas si vous pouvez nous éclairer là-dessus. (16 h 15)

Mme Saint-Martin: En effet, il n'y a jamais eu beaucoup de coopération entre la commission et tes organismes dits voués à la défense des droits, peut-être parce que les groupes ne se sont pas gênés pour critiquer la commission. Mme Novak, d'Action-Travail des femmes, a fait référence à la Coalition des droits de la personne, qui a été mise sur pied en 1981 ou en 1982, si je me souviens bien. À ce moment-là, on s'est retrouvés plusieurs groupes ensemble et on a dénoncé la lenteur des procédures, les délais énormes qu'il y avait à la commission, ce qui donnait à peu près, en moyenne, trois ans pour un dossier. Je pense que ceci a un peu cristallisé la position des groupes et aussi ta position de la commission. Elle a pris vraiment un recul et c'est nous qui devons courir après pour avoir des bribes d'information plutôt que ce soit elle qui entreprenne vraiment son mandat de coopération.

M. Dauphin: Vous disiez, au tout début de votre présentation, que, depuis 1981, vous avez transmis ou ouvert 50 dossiers et que seulement deux dossiers se sont rendus jusqu'au bout.

Mme Saint-Martin: J'ai dit cela, j'essaie seulement de trouver...Oui, page 7.

M. Dauphin: Au tout début, oui.

Mme Saint-Martin: C'est cela, il n'y en a que deux qui ont été jugés fondés et sont présentement renvoyés pour médiation et, alors, on ne peut pas dire, dans ces deux cas, si on est satisfaites du règlement.

M. Dauphin: Mais les 48 autres ont été jugés non recevables ou...

Mme Saint-Martin: Pour un certain nombre...

M. Dauphin: Un désistement.

Mme Saint-Martin: ... il y a eu des désistements, iI y en a quelques-uns qui se sont réglés à l'amiable; quinze ont été jugés non fondés, c'est quand même, je pense, la grande tendance.

M. Dauphin: D'accord.

Mme Saint-Martin: Et j'ajouterais non seulement les dossiers que le groupe d'aide pilote, mais aussi les dossiers de harcèlement sexuel en général, à la commission, sont très mal reçus.

M. Dauphin: D'accord, merci.

Le Président (M. Filion): Toujours dans le même sommaire statistique de la page 7 de votre mémoire, grosso modo, un a été refusé à cause de l'absence de juridiction; dans 22 cas, it y a eu ou un règlement hors cour ou un désistement; dans 15 cas, cela a été jugé non fondé; 5 cas sont toujours en instance; 2 ont été jugés fondés. Dans les deux cas qui ont été jugés fondés, donc, il y a eu des recommandations et ces recommandations ont été respectées, ont été suivies?

Mme Montigny: Dans les deux cas où les dossiers ont été jugés fondés, ces dossiers ont été transmis au service de médiation pour médiation.

Le Président (M. Filion): D'accord.

Mme Saint-Martin: Et, alors, ils sont encore pendants comme tels.

Le Président (M. Filion): Dernière question peut-être, à moins que quelqu'un d'autre ne veuille intervenir. C'est un peu dans le même esprit. Nulle part, dans votre mémoire, on ne retrouve de doléances en ce qui concerne le caractère non exécutoire des recommandations de la commission dans des cas où une violation à l'un des droits reconnus par la charte aurait été constatée. Est-ce que je dois comprendre, de votre silence là-dessus, que votre organisme se déclare un peu satisfait, finalement, de la situation actuelle en ce qui concerne le caractère non exécutoire des recommandations de la commission?

Mme Saint-Martin: Je ne peux pas dire qu'on est satisfaites, mais je peux dire qu'on ne veut pas que ses décisions deviennent exécutoires dans la mesure où je trouve que les preuves qu'elle a faites à ce jour font qu'elle ne mérite pas, malheureusement,.. C'est un grand mot. Pour nous ce ne serait pas un pas en avant que cela devienne un tribunal. Il y a, quand même, eu deux décisions importantes des tribunaux civils dans des causes de harcèlement sexuel. Dans un dossier, il y a eu un règlement de 3000 $, des dommages alloués de 3000 $, dans un autre, de 5000 $. C'est, quand même, beaucoup comparé à toutes les autres décisions qu'on connaît à la Commission des droits de la personne et on pense qu'il y a plus de chances qu'il y ait des innovations et des décisions positives qui viennent des tribunaux civils qu'il n'y en a de la Commission des droits de la personne.

Le Président (M. Filion): Le jugement du juge Mailhot, si ma mémoire est bonne, qui

remonte déjà à cinq ou six ans, avait déclenché une prise de conscience.

Mme Saint-Martin: Oui.

Le Président (M. Filion): Alors, espérons-le, cela avait déclenché une prise de conscience. Donc, votre jugement est sévère sur la commission. Les tribunaux civils, les tribunaux ordinaires semblent, selon ce que vous nous dites, beaucoup plus aptes à effectuer des redressements de situations.

Mme Saint-Martin: Mais on ne veux, quand même, pas complètement dénigrer la commission. On pense qu'elle fait un travail qui est important en recherche, en éducation, en information et on pense que ce volet-là de la commission doit rester très important. D'ailleurs, je pense qu'elle ne pourrait pas vraiment garder ce rôle si elle devenait un tribunal. Pour nous, le groupe, c'est aussi important d'apporter de l'aide aux femmes qui ont des problèmes de harcèlement sexuel que de faire de l'éducation. On met autant d'énergie dans un domaine que dans l'autre, parce que je pense que c'est plus avec la promotion des droits et avec l'éducation qu'on va faire changer les mentalités. Je pense que la commission doit vraiment concentrer beaucoup d'efforts dans ce domaine-là.

Le Président (M. Filion): Mme Montigny et Mme Saint-Martin, je voudrais vous remercier encore une fois de vous être déplacées. On l'oublie, mais les organismes comme les vôtres ne sont pas très choyés financièrement et il y a des dépenses qu! sont rattachées à leurs déplacements. Alors donc, encore une fois, nos remerciements.

Mme Saint-Martin: Merci.

Le Président (M. Filion): Sans ajournement, j'inviterais les représentantes de l'Association du Québec pour l'intégration sociale à bien vouloir prendre place à la table des invités.

Association du Québec pour l'intégration sociale

Le Président (M. Filion): Bonjour, mesdames. Pour le bénéfice des membres de la commission mais aussi pour le Journal des débats, qui ne sait pas, quand vous parlez, qui vous êtes, je vous demanderais de bien vouloir vous identifier d'abord.

Mme Gérard (Madeleine): Mon nom est Madeleine Gérard. Je suis présidente de l'Association du Québec pour l'intégration sociale.

Mme Gilbert (Françoise): Françoise Gilbert, directrice générale de l'Association du Québec pour l'intégration sociale et de l'Institut québécois de la déficience mentale.

Mme Robitaille-Rousseau {Monique): Monique Robitaille-Rousseau, parent et membre du conseil d'administration de l'association.

Le Président (M. Filion): D'accord. Mme Gérard, Mme Gilbert et Mme Robitaille-Rousseau, bienvenue. Encore une fois, je pense que vous connaissez un peu les cadres de notre intervention comme parlementaires dans ce dossier fort important de la Commission des droits de la personne. Or, votre mémoire - c'est le mémoire 12M, pour le bénéfice des membres de la commission - fait déjà partie de nos dossiers. Je vous Inviterais à bien en présenter un sommaire, à la suite de quoi nous pourrons discuter ensemble.

Mme Gérard: L'Association du Québec pour l'Intégration sociale existe depuis maintenant 36 ans, et pendant cette période, a changé quatre fois de nom, au fur et à mesure de l'évolution des mentalités et des perceptions. Ce qu'elle n'a pas changé, c'est son intérêt pour les personnes vivant avec une déficience intellectuelle et son rôle d'agent de changement afin d'assurer à ces personnes le plein respect de leurs droits incluant le droit de vivre dans la communauté, d'accéder à des services comme n'importe quel autre citoyen et de jouer dans la collectivité québécoise les rôles sociaux valorisés et valorisants.

L'association du Québec a cru bon de se faire entendre devant cette commission sur les orientations, les activités et la gestion de la Commission des droits de la personne du Québec, car cet organisme revêt une importance particulière pour les personnes ayant une déficience intellectuelle, souvent victimes d'une "culture de la tolérance" cautionnant les atteintes à leurs droits.

Nos contacts réguliers avec la Commission des droits de la personne nous ont permis de constater certaines lacunes qui entravent son efficacité et, en participant à cette réflexion, nous souhaitons contribuer à une réorganisation structurelle et fonctionnelle qui donnerait à la Commission des droits de la personne la possibilité d'être véritablement un organisme de premier plan dans la sauvegarde de nos droits fondamentaux.

Considérant que le questionnaire fourni par le secrétariat des commissions était destiné à faciliter les travaux de cette commission, nous avons tenté d'en suivre le tracé dans la rédaction de notre mémoire, ce qui explique l'apparence parfois décousue de ce texte. Par ailleurs, nous n'avons pas eu le temps d'effectuer une analyse en profondeur de tous les aspects de la Commission des droits de la personne. Nous vous livrons donc, en toute simplicité, les réflexions de l'expérience.

Mme Gilbert: Je vais continuer en vous présentant le mémoire. Si je me fie aux personnes qui nous ont précédés, je pense qu'on ne sera pas les premiers à arriver sans trop de fleurs face à la Commission des droits de la personne, mais nous espérons que cette démarche sera considérée comme positive.

Nous avons fait appel, en tant qu'association, à plusieurs reprises à la Commission des droits de la personne du Québec au cours des trois dernières années, particulièrement dans des dossiers qui sont reliés aux centres institutionnels en déficience intellectuelle et à l'intégration scolaire. Si on considère la personne qui présente une déficience intellectuelle, je pense qu'on peut dire, hors de tout doute, que c'est une personne qui aura peut-être plus que toute autre à faire face, tout au long de sa vie, à des situations de discrimination ou d'exploitation. En partant du simple droit à la vie, si on considère que très souvent nous nous trouvons devant des décisions de non-traitement pour des bébés nés avec une déficience évidente, comme le syndrome de Down ou d'autres syndromes, le droit à un milieu de vie naturel, le droit d'évoluer dans sa famille naturelle, le droit d'aller à la garderie avec les autres enfants, le droit d'aller en milieu scolaire avec les autres enfants, le droit d'avoir un travail valable, rémunéré, valorisant, comme le droit aussi d'avoir un hébergement dans la communauté et d'évoluer tant dans les loisirs que, pour autre chose dans un milieu communautaire. Ces personnes seraient donc les plus susceptibles de recourir à la Commission des droits de la personne lorsqu'elles pensent avoir été fésées dans leurs droits. Dans la réalité que nous vivons, ces recours sont peu fréquents et nous essaierons de démontrer graduellement pourquoi, à l'intérieur de ce mémoire.

Depuis les trois dernières années, en tant qu'organisme, nous avons déposé une seule plainte officielle à la Commission des droits de la personne, ce qui est très peu. Il s'agissait à l'époque - je pense que certains d'entre vous s'en souviennent - d'un jeune homme qui avait été trouvé dans un état comateux au Centre hospitalier de Rivière-des-Prairies. Il avait été battu presque à mort. À la suite de notre intervention, la commission a décidé de se pencher sur ce dossier. Mais ce chiffre-là n'est pas significatif du fait que régulièrement nous informons la commission de certaines situations et que la commission, occasionnellement, use de son pouvoir d'enquête et démarre les dossiers de sa propre Initiative.

Si nous considérons d'autres cas, comme celui de Julie Legault, dans le dossier de l'intégration scolaire, nous avons soutenu les parents qui ont eux-mêmes fait la démarche devant la Commission des droits de la personne, et d'autres parents ont suivi l'exemple des Legault avec notre soutien pour demander le concours de la CDP.

Nous avons aussi demandé une aide à la rédaction d'une demande d'enquête, ce qui n'est pas une demande d'enquête. Dans le cas des centres institutionnels, et plus particulièrement des centres privés à but lucratif, la commission nous a refusé l'aide à fa rédaction des enquêtes parce qu'avant même que cette demande d'enquête ne soit officiellement rédigée, la commission avait déjà pris position en alléguant que ce type d'enquête n'était pas dans son mandat. Il aurait peut-être fallu attendre de rédiger officiellement la demande, de voir son contenu avant de décider de sa recevabilité. Le Comité des bénéficiaires du Pavillon Saint-Théophile, qui est un centre privé à but lucratif, a redemandé enquête à la commission et l'enquête est actuellement en cours, mais nous avions demandé ce type d'enquête il y a déjà deux ans.

Enfin, actuellement, nous essayons de sensibiliser la commission à la discrimination systémique dont sont victimes les élèves ayant une déficience intellectuelle dans le milieu scolaire, ce qui n'est pas habituellement le genre d'actions qu'entreprend la CDP.

Si on parle de programmes de promotion et de défense des droits et libertés de la personne, nous n'avons pas collaboré avec la commission à ce type de programmes, mais nous avons régulièrement sensibilisé la commission à toutes les situations existantes; entre autres, dans le dossier du Centre hospitalier de Rivière-des-Prairies, nos procureurs ont travaillé un peu en commun et nous avons inclus, à l'intérieur d'une très grosse recherche sur les droits, le mémoire de la Commission des droits de la personne. il est très rare que l'on reçoive des documents d'information sur les services et le fonctionnement de la commission La question qu'il faut maintenant se poser, par nos contacts fréquents, est-ce qu'on ne nous considère pas comme suffisamment Informés et suffisamment pressants? Est-ce qu'on n'est pas un peu les cornacs de la commission qui piquent l'animal pour avancer? (16 h 30)

Ce que nous voudrions savoir, c'est si la commission a déjà déposé une interprétation de son mandat pour approbation par le ministre responsable C'est quelque chose qui se fait régulièrement dans le cadre de nouvelles lois. Les responsables chargés d'appliquer ces lois établissent une interprétation de la loi et demandent finalement aux instances: Est-ce que j'ai bien compris? Est-ce que mon mandat est clair? Est-ce que c'est bien cela? Ce que l'on considère et ce que l'on remarque, c'est que la commission aura généralement une interprétation beaucoup trop restrictive de son mandat.

Quant au rôle d'éducation aux droits de la CDP, ce rôle est incontestable. Elle devrait diffuser beaucoup plus largement les conclusions de ses enquêtes, prendre position fermement et publiquement contre certaines pratiques discriminatoires et passer régulièrement dans les

médias un ou deux exemples d'actions ou d'attitudes contraires à la charte. Cependant, et ceci est notre avis en tant qu'organisme de promotion et de défense des droits, ce n'est pas souhaitable que la CDP récupère ce rôle et l'étatise. Il ne faut pas constituer un frein au dynamisme naturel des communautés. La commission, à cet égard, devrait s'imposer le rôle de soutenir les organismes du milieu dans toutes leurs actions de promotion et de défense des droits, ce soutien pouvant être sous forme de conseils ou de services.

En région - notre association est en fait une fédération qui regroupe 50 associations dans tout le Québec, donc, nos membres sont corporatifs - je dirais que, dans la majeure partie de nos associations locales, que ce soit à Gaspé, à Rimouski ou au Témiscamingue, les gens ignorent la Commission des droits de la personne. Ils en ont entendu parler, mais ils ignorent comment et quand y faire appel. Nous nous donnons ce devoir d'informer nos membres quant à l'existence et aux possibilités de la commission.

Aucune des causes que nous suivons n'a été portée devant les tribunaux. Dans notre seule demande officielle dont je vous parlais tout à l'heure, nous n'avons eu aucun rapport d'enquête. Les médias s'en sont emparé. Le Curateur public a décidé de faire une enquête maison. Les résultats de cette enquête, c'est qu'il n'y avait pas évidence que le jeune homme en question pouvait avoir été attaqué par un employé. La conclusion disait que, presque hors de tout doute, c'était un autre bénéficiaire qui l'aurait attaqué. À la suite de cela, la commission n'a plus eu accès au dossier, pas plus que nous. On s'est vu retirer le droit à toute information concernant le jeune homme en question. Deux ans après les événements, nous ignorons ce qu'il est devenu et où il est. Nous n'avons absolument aucun mandat ni aucune autorisation pour aller voir ce dossier.

De notre côté, on considère comme inacceptable qu'un organisme comme la Curatelle publique, qui a été créée pour la protection des adultes vulnérables parmi les plus vulnérables, ne collabore pas avec la commission lorsque cette dernière s'attache à essayer de faire la preuve qu'une discrimination ou une exploitation a été commise à l'égard d'une de ces personnes extrêmement vulnérables. C'est un des sérieux problèmes de fonctionnement et de structure de la commission.

Si l'on revient au dossier de Julie Legault, le délai avant recommandation a été d'une année scolaire. Une année scolaire, pour un enfant, c'est un prix très lourd à payer, si l'on considère surtout que la perte d'une année scolaire, dans certains dossiers, est motif à poursuite devant les tribunaux. Ce dossier s'est réglé par médiation après enquête. On a été bien heureux que le dossier se règle par médiation parce qu'il aurait suffi à la commission scolaire de reprendre le processus de classement de l'enfant et tous les efforts, tant les nôtres que ceux des parents et de la commission, auraient été parfaitement inutiles. C'est pourquoi, devant une prise de position aussi faible, de plus en plus, les parents passent par-dessus la CDP pour s'adresser directement aux tribunaux supérieurs.

Dans le dossier du Centre hospitalier de Rivière-des-Prairies, la commission a produit un mémoire que nous avons Jugé excellent. Pour une fois, nous avons vu des recommandations solides, sérieuses, un mémoire étayé, des conclusions claires, exprimées fermement. Ces conclusions ont été reprises par l'enquête Shadley. Et, bien sûr, la tutelle n'a pas été accordée au centre hospitalier. Tous les organismes qui avaient déposé un mémoire, qui avaient participé à l'enquête ont fait connaître leurs réactions. La commission n'a rien dit. Le "chien de garde" de la charte n'a même pas grondé.

Par la suite, comme je vous le disais tout à l'heure, la commission a refusé d'enquêter dans d'autres milieux d'hébergement, alléguant que cela ne faisait pas partie de son mandat. Nous ne mettons cependant pas en cause l'impartialité de la commission. Ceci n'est pas l'objet de notre présentation d'aujourd'hui. Mais ce que nous déplorons, c'est que cette impartialité ne soit pas avant-gardiste. La CDP évolue dans un contexte socio-culturel, dans un système, et juge d'une discrimination possible en fonction des systèmes établis. Et nous croyons, dans le cas des personnes ayant des déficiences intellectuelles, qu'il faudrait aller beaucoup plus loin. Il faudrait approfondir et faire preuve de beaucoup de vigilance et d'esprit d'interprétation, pour reconnaître à quel moment c'est le système lui-même qui devient discriminatoire et ne plus juger de la discrimination d'une personne en fonction d'un système qui discrimine systématiquement un groupe d'individus.

Si l'on considère que la Charte des droits et libertés de la personne est une loi première où s'enchâsse l'ensemble de nos droits fondamentaux, nous devons malheureusement constater que l'organisme chargé de la faire respecter est l'un des plus faibles que l'on connaisse. Si l'on considère les tribunaux mineurs - on en a donné quelques exemples: le Tribunal d'expropriation, le Bureau de révision de l'évaluation locative, la Régie du logement, la Commission des normes du travail et beaucoup d'autres - ils interviennent dans des délais relativement courts et sont décisionnels. Lorsqu'il s'agit de défendre des droits fondamentaux, qui ont une importance vitale pour les personnes handicapées, les délais sont très longs, pour aboutir, en bout de ligne, à une simple recommandation assujettie à la bonne volonté de la partie incriminée. Si la recommandation n'est pas suivie, il faut obligatoirement aller devant les tribunaux supérieurs et, quant à cette décision d'aller ou non devant les tribunaux supérieurs, c'est comme pour les décisions d'enquête. Ces interventions sont sélectives et entraînent d'autres délais.

La Commission des droits de la personne n'a aucun pouvoir de coercition et ses recommandations ne sont pas exécutoires. Nous croyons que la commission a été conçue comme un tribunal administratif qui serait plus souple, plus rapide, plus près des personnes et des problèmes, qu'un tribunal supérieur. Ceci ne se concrétise pas dans les faits. La Commission des droits de la personnes est un organisme lent et lourd, embourbé dans ses propres structures, qui a une conception restrictive de son mandat.

Quant à être plus proche du peuple et de ses problèmes, cela ne nous paraît pas non plus évident. Les nominations au conseil d'administration de la commission sont politiques et aucune des personnes en place n'est connue dans le milieu des organismes de promotion et de défense des droits pour avoir fait des actions dans ce sens. Nous ne disons pas: Elles ne l'ont pas fait. Nous ne disons pas: Elles sont incompétentes. Pas du tout. Nous ne les connaissons pas, c'est tout.

Nous devons cependant, ici, inscrire une parenthèse, qui est la différence entre les décideurs et les exécuteurs. Si nous ne connaissons pas les premiers, nous avons pu cependant apprécier à maintes reprises le dévouement et la compétence de certains enquêteurs et d'autres membres du personnel. Ces personnes nous paraissent accessibles et disponibles, prêtes à nous apporter leur aide en tout temps. Et, lorsqu'on dit cela, on parle à titre d'organisme. Il est évident que si l'Association du Québec pour l'intégration sociale fait appel à la commission, dans un délai relativement court, nous sommes recontactés. Cela ne semble pas aussi évident pour les parents isolés, les gens de la base, qui, eux, semblent avoir plus de difficultés à entrer en contact avec la commission. Mais, de ce côté-là, certaines pratiques nous semblent encore, pour le moins, manquer de logique. Ainsi, par notre travail dans le milieu des personnes handicapées, nous connaissons la complexité et l'aspect multiforme de certains dossiers. Il faut parfois des mois, voire des années, pour s'imprégner de toutes les composantes d'une problématique. Or, ce qui se passe, c'est que lorsqu'un enquêteur semble tout à fait à l'aise à l'intérieur d'un dossier particulier qui demande des années d'études et d'analyses, si l'on revient avec un dossier qui est semblable ou qui s'inscrit dans la même problématique, on a toutes les chances de voir un autre enquêteur travailler à ce dossier et on recommence à zéro: on refait toute l'étude et toute l'analyse. Cela ne veut pas dire que les enquêteurs de la commission doivent être surspécialisés. Au contraire, il est très sain que ces personnes puissent "naviguer" tout à fait à leur aise parmi les articles de la charte. Mais, dans des dossiers particulièrement problématiques et à composantes multiples, il serait parfois préférable de ne pas recommencer à zéro avec une personne nouvelle.

Par ailleurs, nous avons cru remarquer que ce n'est pas la personne qui entend la cause qui écrit la recommandation. C'est comme si un juge, après audience, demandait à un autre juge de prendre position et d'écrire son verdict à partir des éléments qu'il aurait retenus. Que cette personne prenne conseil auprès d'autres personnes, c'est une sage décision, nous le faisons nous-mêmes avant de nous prononcer sur bien des choses. Mais, dans une audience, l'esprit des témoignages est aussi important que les paroles et la personne qui a entendu la cause peut s'être imprégnée de cet esprit alors que personne d'autre ne peut l'avoir fait. Elle seule est donc apte à rédiger les recommandations qui s'imposent.

Enfin, pour clore le chapitre des intervenants directs, nous devons souligner que ces personnes nous paraissent surchargées. Nous nous sommes posé la question suivante- Combien y a-t-il d'enquêteurs à la CDP? Nous n'avons pas la réponse. Par expérience, nous situons leur nombre entre 16 et 18. Nous sommes très loin de beaucoup d'autres petits organismes comme le Bureau de révision de l'évaluation locative du Québec qui a 38 procureurs à temps plein et qui traite des milliers de dossiers par année Est-ce qu'il est plus important que les citoyens paient leurs taxes et que les municipalités reçoivent leur dû que de s'assurer que chaque citoyen ait le même respect de ses droits?

Revenons maintenant à ce tribunal administratif qu'est la commission et à sa position soi-disant plus proche des vrais problèmes des personnes discriminées et/ou exploitées. Dans le cas des personnes ayant une déficience Intellectuelle - nous les connaissons, nous travaillons avec elles depuis assez longtemps - la très grande majorité des adultes bénéficie de l'aide sociale. S'il s'agit d'un enfant, l'un ou l'autre des parents, très généralement la mère encore, ne travaille pas afin d'assurer une permanence auprès de l'enfant handicapé. Donc, règle générale, les personnes, comme les familles, sont sans moyen. C'est à elles que revient la charge de payer un avocat pour les représenter devant la commission, mais elles n'en ont tout simplement pas les moyens. On demande donc aux enquêteurs d'entendre la cause en toute impartialité, tout en assurant la défense de la partie requérante. Ce sont deux rôles tout à fait contradictoires et avec lesquels il leur est bien difficile de composer.

Lorsqu'une personne se fait agresser, dans la rue ou ailleurs, et qu'elle porte plainte, un avocat de la couronne fait valoir ses droits et exige réparation. Nous, de l'Association du Québec pour l'Intégration sociale, considérons que la discrimination constitue une agression d'une rare violence. Si l'on parle en termes d'agression physique, ces agressions peuvent être temporaires, elles peuvent être sanctionnées par les tribunaux, on peut en obtenir réparation et on peut s'en remettre. Ce n'est pas qu'on cautionne les agressions physiques, mais, quand il

s'agit de discrimination, surtout lorsque cette discrimination fait partie d'un système assez subtil, cette discrimination, cette violence poursuit une personne toute sa vie et menace son bien-être physique, matériel et moral pratiquement chaque jour de sa vie. Nous savons combien ces personnes sont susceptibles de faire face à cette forme de discrimination, mais trop souvent, elles ne sont pas au courant de leurs droits, elles sont tout à fait impuissantes à les faire valoir par elles-mêmes et dans l'impossibilité totale de payer un avocat pour les représenter. Comment, dans une telle situation, pourraient-elles faire appel à la Commission des droits de ta personne et que fait la commission pour permettre à ces personnes extrêmement démunies de se prévaloir de la charte au même titre que tout autre citoyen? Si l'on demande aux enquêteurs de jouer à la fois le rôle de juge et d'avocat, la commission va se retrouver avec un sérieux problème d'image et de crédibilité, et c'est déjà arrivé.

Un autre point faible de la commission est son impuissance à imposer des mesures temporaires. Dans le dossier de l'intégration scolaire, par exemple, une ou deux années scolaires sont un tribut beaucoup trop lourd pour un enfant. Pendant que les adultes discutent et essaient de trouver une solution, l'enfant perd des années irrécupérables. La Commission des droits de la personne ne dispose d'aucun département pour traiter les urgences. Un comité devrait pouvoir se pencher sur les premiers paramètres d'un dossier et disposer du pouvoir d'imposer ce qui paraît, à première vue, la solution la moins discriminante jusqu'aux recommandations de l'enquête ou au jugement final, s'il y a recours devant les tribunaux supérieurs. (16 h 45)

Dans la cause des personnes ayant des déficiences intellectuelles, le "temps approche" éducatif est un facteur clé dans le développement et l'adaption. Des coupures importantes dans ce duo peuvent signifier des gains en comportements adaptatifs, irrémédiablement compromis.

Cette carence de pouvoir de la commission, qui est assortie régulièrement de trop de compromis dans les recommandations et la médiation, permet - et c'est un danger que nous considérons comme extrême - une consolidation des forces contraires. La contre-argumentation prend beaucoup de vigueur. Les recommandations de la commission n'ont pas force de loi, on le sait, on les ignore. La commission n'impressionne plus et elle est assez faible pour qu'on ait envie de lui tenir tête.

Une simple corporation professionnelle a le pouvoir d'obtenir une radiation temporaire d'un de ses membres avant jugement et la grande gardienne de nos droits fondamentaux n'a aucun pouvoir d'imposer quoi que ce soit à qui que ce soit avant jugement par les tribunaux supérieurs. Mieux encore - et c'est un exemple vécu - le Tribunal du travail peut ordonner le réengage- ment d'un employé congédié pour atteinte grave aux droits des bénéficiaires d'une institution, même après constat de cette atteinte, et la commission est impuissante. Un employé, dans un centre institutionnel, est reconnu coupable d'avoir, par trois fois, agressé violemment trois bénéficiaires différents. L'administration de l'établissement congédie l'employé en question, le Tribunal du travail reprend le dossier, ordonne la réintégration de l'employé parce que le chômage dans la région est un fléau. La commission ne peut rien faire. Elle ne bouge pas. Il y aurait peut-être lieu de remettre sérieusement en question nos priorités sociales.

Ce qu'on a voulu faire en vous présentant cela, ce n'est pas "une diatribe contre la Commission des droits de la personne, même si cela en a l'apparence. Cette faiblesse est loin d'être imputable strictement à son modèle organisationnel. Son mandat même comporte de sérieuses lacunes. Ainsi, l'article 69 de la charte limite le champ d'intervention de la commission aux articles 10 à 19 et au premier alinéa de l'article 48. Or, si certains de ces articles apportent une précision particulière sur certains types de discrimination - on pense en particulier à l'hébergement, au travail, etc. - ils laissent dans l'ombre de nombreuses autres pratiques discriminatoires allant à l'encontre des droits reconnus dans l'ensemble de la charte. Nul autre organisme n'étant mandaté en complémentarité de la Commission des droits de la personne, il faut alors se référer, pour l'appel, à l'article 10, très général et susceptible d'être interprété de façon subjective. De ce fait, il existe de toute évidence des problèmes de perception interne à la commission quant à ses rôle et mandat.

Ces articles visent également "toute personne" aux prises avec une situation qu'elle croit être discriminatoire. Cela ne semble pas, à première vue, donner droit de regard à la commission dans des dossiers où il y a présomption de discrimination systémique. Cela aussi laisse une place énorme à l'interprétation subjective.

Enfin, certains mots employés dans la charte peuvent refléter un éventail encore plus large d'interprétations. Ainsi, le mot "avis" contenu à l'article 11. Qu'est-ce qu'un "avis"? Pour l'ensemble des gens - et, c'est l'interprétation générale de la commission - cela semble aller dans le sens d'une affiche, affiche qui serait apposée dans un endroit public, sur une maison ou autre. Mais si un journaliste ou un conférencier donne son avis, cela devient de la libre expression, et cette liberté est également garantie par la charte. Où finit la liberté d'expression et où commence l'incitation à la discrimination? Comme nous vous l'avons dit tout à l'heure, la discrimination est une forme grave de violence. Or, nos lois prévoient que la liberté d'expression peut être limitée dans les cas d'incitation à la violence. Pourquoi la liberté d'expression ne serait-elle pas limitée de la

même façon, dans des cas d'incitation à la discrimination? Quand on voit un article comme celui qui mentionnait "des fous lâchés lousses dans les rues" - ce n'est qu'un extrait, iI y en avait beaucoup d'autres semblables - est-ce qu'on peut dire qu'il s'agit de l'avis d'un journaliste ou d'un article, ou d'un réquisitoire portant discrimination? Nous sommes conscients des frontières mouvantes d'une telle définition. Il n'est pas facile de mettre une ligne droite. Du moins, quand il y a évidence de ce type de discrimination et de réquisitoire, la commission devrait intervenir. Elle est d'ailleurs intervenue dans ce dossier, mais, au bout du compte, c'est le Conseil de presse du Québec qui a porté le blâme sur le journaliste.

La Commission des droits de la personne du Québec est-elle un tribunal? Si oui, c'est un tribunal de compromis. Elle fonctionne actuellement comme un tribunal, avec représentation des parties par des avocats et parfois des semaines d'audiences. Il faudrait alors qu'elle dispose, pour le moins, de pouvoirs similaires à ceux de la commission fédérale. Mais, si des raisons sérieuses amènent à croire qu'elle doit conserver un rôle de médiation et de recommandations, il faudra à tout prix qu'elle dynamise son processus d'intervention.

La Commission des droits de la personne est pour nous un organisme de toute première importance. Pour les personnes handicapées, elle devrait être le recours par excellence pour faire valoir leurs droits. Cependant, ces personnes y font rarement appel et préfèrent s'adresser à l'Office des personnes handicapées du Québec. Il y a donc vraiment lieu de repenser la définition de son mandat, de ses structures et de son fonctionnement afin qu'elle puisse agir avec rapidité et efficacité lorsque sont bafoués les droits fondamentaux garantis par la charte.

Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier pour cet exposé. Mme la députée de Groulx.

Mme Bleau: Bonjour, mesdames. Je vous remercie infiniment pour votre mémoire. Vous avez à défendre des citoyens spécialement désarmés, et la société, je crois, doit vous en être reconnaissante.

Comme les autres organismes, vous regrettez le double rôle de juge et d'avocat que remplissent les enquêteurs. Comment pourrait-on faire des changements de ce côté-là? Qu'est-ce qu'on pourrait apporter?

Mme Gilbert: Je pense que ce n'est pas à nous à entrer en profondeur dans ce type de réflexion. Je crois que la première réflexion qu'on devrait faire est la suivante: Est-ce que la commission est un tribunal? C'est la question que nous posons à la fin de notre mémoire. À ce moment-là, ou elle agit comme un tribunal et, alors, on fournit à la personne, comme en Cour supérieure, dans les cas d'atteinte à une personne, le moyen d'assumer sa défense, ou c'est un organisme de recommandation, d'évaluation d'un dossier, un organisme de soutien. Pourquoi pas un organisme de soutien à un groupe, à un individu devant d'autres organismes, d'autres tribunaux qui, eux, seront décisionnels? Il faudrait creuser, approfondir la question du rôle, mais avant tout délimiter si c'est un tribunal ou si ce n'en est pas un. Elle agit comme un tribunal, elle n'a pas les pouvoirs d'un tribunal. Elle a un pouvoir de recommandation. C'est très long avant d'obtenir cette recommandation et on va devant les tribunaux, on revient.

Mme Bleau: En page 10, vous écrivez que l'aide juridique joue peu ou pas de rôle dans ce domaine. Est-ce que vous pourriez expliquer un peu mieux?

Mme Gilbert: Selon le mandat de l'aide juridique... Finalement, cela aussi prêle à interprétation, mais il y aura peut-être une autre commission parlementaire sur les services de l'aide juridique. C'est qu'une personne qui est lésée dans ses droits, mais des droits plus matériels, plus évidents, peut appeler l'aide juridique pour la soutenir dans un dossier, mais non pas pour poursuivre. S'il y a lieu pour une personne de croire qu'elle est victime d'une discrimination, il faut qu'elle procède. Ce n'est pas la partie adverse qui va partir le dossier de la discrimination. À ce moment-là, dans le cadre des enquêtes de la Commission des droits de la personne, l'aide juridique joue très peu. Sa présence n'est pas du tout évidente, mais le type de dossier qui est présenté à l'aide juridique donne aussi lieu à de l'interprétation.

Mme Bleau: Est-ce que vous, comme groupement, pouvez faire appel à l'aide juridique pour vous faire aider dans certains dossiers?

Mme Gilbert: Nous l'avons déjà fait, mais nous sommes soumis, tout comme un individu, finalement, à démontrer que nous avons été lésés d'une quelconque façon et que nous assurons une défense. Nous ne pouvons pas aller... D'ailleurs, on a un ensemble précis. Dans le dossier de l'intégration scolaire, on est allé demander à l'aide juridique d'essayer de voir, de faire un bilan général de ce qui se passe au Québec, de soutenir des parents qui avaient fait appel à nous et qui étaient complètement démunis. Nous avons eu un refus de l'aide juridique dans ce dossier-là parce que nous n'avons pas démontré que nous, nous avions été attaqués, en quelque sorte, que nous avions besoin d'un type de défense. Cela, c'est une interprétation. Dans un autre dossier, nous n'étions pas plus attaqués et nous avons obtenu l'appui de l'aide juridique. La définition des types de causes accessibles a l'aide juridique est floue, aussi.

Mme Bleau: Quand on parle de l'intégration scolaire et que vous nous dites qu'il y a de la discrimination systémique dont sont victimes des élèves ayant une déficience intellectuelle, quelle est cette discrimination qu'on retrouve dans les écoles? Est-ce de la part des professeurs, de la part des autres élèves ou des parents d'élèves? Ou retrouve-t-on cette discrimination?

Mme Gilbert: Je pense qu'on retrouve la même discrimination - comment dirais je - qui se retrouve traditionnellement dans la société, je veux parler des préjugés qu'on a toujours eu face à ces personnes, la notion de "pas capables" qui est rattachée aux handicaps et qui fait qu'on les exclut dès quon est au courant du diagnostic. Alors, un enfant a besoin, pour apprendre, de n'être pas exclu parce que le premier mécanisme c'est d'apprendre par imitation et cela joue très fort. Pourtant, c'est lui qu'on exclut le premier.

Mme Bleau: À ce moment-là, I'intégration qu'on veut faire de cette classe d'enfants, à votre idée croyez-vous que c'est encore bon? Est-ce toujours bon quon intègre les enfants, avec quelque déficience que ce soit, au reste des enfants? Est-ce que ce programme peut avoir des résultats, à la longue?

Mme Robitaille-Rousseau: Je pense que cela va de soi et c'est en train de faire ses preuves actuellement, il s'agit de voir comment les jeunes handicapés intellectuels au Québec ont pu bénéficier des services de stimulation précoce. On se rend compte que, depuis la naissance de l'enfant, cela fonctionne dans tous les milieux, qu'on parle de la garderie qu on parle des loisirs, qu'on parle de la famille, d'abord, et c'est lorsque vous arrivez au milieu scolaire que les parents voient réduites à néant leurs années d investissement. Si on commence à exclure un enfant des bancs de l'école, considérant le nombre d'années de scolarité qu'il y a dans une vie, |e ne vois pas comment on va en arriver à reconnaître pleinement les droits à ces citoyens et comment ils pourront être intégrés socialement à l'âge adulte quand on va les avoir exclus, qu'on va avoir pratique la discrimination à leur égard depuis les bancs de l'école.

Mme Bleau: Dans des cas vraiment pathétiques, est-ce que la Commission des droits de la personne peut vous donner un coup de main? SI vous lui présentez un dossier pour un enfant qui...

Mme Gilbert. On l'a fait dans le cas précis de Julie Legault. Pour vous dire comment cela fonctionne, Julie avait été classée dans une classe spéciale sur un faciès mongolien. La psychologue qui a fait lévaluation - une évaluation qui comportait douze pages, s'il vous plaît - a reconnu devant la commission qu'elle avait aperçu I'enfant lors de sa rencontre avec un autre enfant, lors de I'observation d un autre enfant qui était dans la même classe. Après cinq minutes de croisement à l'intérieur de la classe de Julie, elle a pondu un rapport de douze pages qui précisait les caractéristiques d'un enfant mongolien, tel que la société le perçoit encore sans tenir compte du fait que Julie savait lire et écrire. On a jugé I'enfant sur son faciès et sur son syndrome de Down, et c'est encore ce qui se passe trop souvent. On a encore ici d'ailleurs, quelque chose quon vient de recevoir que je peux vous montrer comme preuve telle ment c'est aberrant. Un enfant, dont les parents ont refusé de l'entrer à l'école spéciale en septembre, qui est à la maison avec des services éducatifs à domicile parce que les parents refusaient la ségrégation, vient de recevoir un bulletin scolaire signé par tous ses professeurs avec des rendements, des résultats satisfaisants insatisfaisants et autres. L'enfant n'a pas mis les pieds a I école depuis le mois de septembre il a un bulletin. C'est ce que sont les enfants ayant une déficience intellectuelle.

Mme Robitaille-Rousseau: Je pense qu'une des grandes difficultés pour les parents d'enfants handicapés intellectuels, cest que, chaque fois qu'ils font appel à la commission des droits les parents sentent qu'ils doivent commencer par se battre avec la commission pour quon accueille leur demande. Comme parents, on a souvent l'impression que la commission est très mal à l'aise face à nos jeunes enfants qui sont handicapés, comme si ce n'était pas possible qu on reconnaisse une discrimination. C'est une discrimination qui est généralisée, très souvent. C'est comme si cela allait de soi, cela fait partie de la tolérance de la société et ce ne peut pas être remis en question. (17 heures)

On a dé|à entendu quelqu'un de la commission soulever comme exemple. On lui avait demandé une clarification et il avait dit oui a l'exemple qu'on lui apportait. Si dans une institution nous logions une plainte disant que les personnes étaient maltraitées cette personne nous a répondu que, si elles étaient toutes maltraitées, ce n'était pas discriminatoire. La bêtise serait d'en battre seulement un sur la "gang". Cela serait un traitement discriminatoire par rapport au milieu institutionnel. II y a beaucoup d'agissements qui sont devenus des tolérances ce qui serait aberrant devient tolerable On ne fait plus de... C'est un peu pour cela que les parents doivent se battre. C'est comme si pour cet enfant là, on pouvait tout se permettre au nom de sa protection et de son bien. On l'exclut toujours pour son bien. Ce n'est jamais pour lui causer du tort mais dans la réalité, par exemple, c'est ce que cela lui fait.

Mme Bleau: Dans vos recommandations quand vous dites que la Commission des droits de

la personne devrait disposer de pouvoirs similaires à ceux de la commission fédérale, quels sont spécifiquement ces pouvoirs que vous aimeriez voir adoptés?

Mme Gilbert: On aimerait bien tous les connaître par coeur, mais, après consultations avant de produire un mémoire comme celui-là, on s'est demandé: Que font-ils au fédéral? Les informations que l'on a sont que ta commission fédérale a effectivement des pouvoirs que la commission du Québec n'a pas. Maintenant, quels sont-ils dans le détail? On ne peut pas vous le dire maintenant, mais la personne qui nous a parlé nous a dit qu'il n'y avait même pas de comparaison possible. La commission fédérale, elle, a de nombreux pouvoirs qui ne sont pas ceux de la commission du Québec. On a l'intention d'aller plus loin, mais on n'en a pas eu le temps parce qu'avant de produire le mémoire on a eu un très court délai.

Mme Bleau: Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Filion): Pour l'information des députés autour de la table et pour celle de nos invités, je me répète par rapport à ce que |'al dit ce matin, mais une étude comparative a été faite du processus de cheminement des plaintes à la Commission ontarienne des droits de la personne, à la Commission canadienne des droits de la personne et, également, à la Commission des droits de la personne de la province de la Saskatchewan. Ce document-là a pu être égaré. Si c'est le cas, des copies additionnelles peuvent vous être transmises. Encore une fois, il est bien clair que la commission canadienne fonctionne sur une base différente de celle de la commission québécoise des droits, notamment à cause de l'existence d'un tribunal, etc.

D'abord, une question à Mme Robitaille-Rousseau quant au dernier exemple que vous donniez. Évidemment, Je pense qu'à la base on se comprend très bien. Vous parlez de discrimination systémique à l'égard de la clientèle que vous protégez le plus, c'est-à-dire les déficients. C'est un problème qui peut prendre une envergure toute particulière et tout à fait spécifique. Mais, dans l'exemple que vous venez tout juste de nous donner - je voudrais seulement être sûr de ne pas avoir raté des mots - vous avez dit: Bon, c'est un ensemble d'enfants ou de personnes qui pourraient être victimes de discrimination à cause de leur déficience, et on vous a répondu... Vous avez dit: On m'a répondu, ou quelque chose comme cela. Bien, c'est comme cela pour tout le monde, et, s'il y avait un cas particulier qui était différent des autres, nous interviendrions. Le "on" faisait référence à qui exactement? Est-ce que c'est à la Commission des droits de la personne? Non?

Mme Robitaille-Rousseau: Quand je vous ai donné l'exemple, à savoir si on en battait seulement un...

Le Président (M. Filion): C'est cela.

Mme Robitaille-Rousseau: ...par rapport au fait qu'ils soient tous battus? C'est dans le cadre de notre demande pour la rédaction d'une demande d'enquête par rapport au milieu institutionnel. On nous a dit...

Le Président (M. Filion): Le "on" étant qui, là?

Mme Robitaille-Rousseau: Le "on", c'étaient des membres du conseil d'administration de la commission des droits qu'on a rencontrés.

Le Président (M. Filion): De la Commission...

Mme Robitaille-Rousseau: De la Commission des droits de la personne. Quand on leur a fait clarifier la réponse qu'ils venaient de nous faire, on l'a imagée comme ceci, en disant: Si on a bien compris, vous nous dites que, si on les bat tous dans une Institution, il n'y a pas de problème, ils ont tous le même traitement. Il n'y a personne qui a un traitement discriminatoire par rapport à l'autre mais, si ]e n'en bats qu'un et que les autres ne sont pas battus, là, je suis discriminatoire envers celui-là. La personne nous a dit: Oui, c'est vrai.

Le Président (M. Filion): D'où tout le sens du plaidoyer qui est contenu dans votre mémoire. Cela m'a frappé. À la première page, vous dites, lorsque vous parlez des personnes ayant une déficience intellectuelle: "souvent victimes d'une "culture de la tolérance" cautionnant les atteintes à leurs droits". Également, un peu plus loin dans votre mémoire, on parle de discrimination systémique. Quand on pense aux Institutions scolaires, le problème que vous soulevez n'est sûrement pas facile, chose certaine. Est-ce qu'il y a eu des discussions entre vous et la Commission des droits de la personne sur ce sujet spécifique de la discrimination systémique dans les institutions scolaires, en particulier pour les personnes atteintes de déficience?

Mme Robitaille-Rousseau: II y a eu depuis très longtemps de nombreuses démarches auprès de la commission. Bien sûr, dans la vision actuelle de son mandat, la commission n'a accepté de se pencher que sur des cas particuliers, du cas par cas, qu'après environ deux ans d'aiguillonnage presque constant et surtout devant des faits de plus en plus évidents. Plus ça va, plus il y a de parents qui demandent ce même droit pour leurs enfants et bâtissent des dossiers. On avait auparavant des preuves plutôt légères parce que les parents ne s'étaient pas donné pour mandat d'aller recueillir des données leur permettant d'étayer leurs dossiers. De plus

en plus, les parents, appuyés, d'ailleurs, par des professionnels et même des gens du réseau de l'éducation, se bâtissent des dossiers sérieux, solides, et arrivent avec des preuves flagrantes, évidentes de discrimination, comme dans le cas de Julie Legault. Mais des exemples comme celui-là, il y en a bien d'autres. On n'est pas pour vous donner tous les exemples ici. On a un énorme dossier chez nous.

Avec l'aide de l'Office des personnes handicapées du Québec, nous avons organisé une rencontre entre les deux présidents, celui de l'Office des personnes handicapées du Québec et celui de la Commission des droits de la personne. Cela a abouti à une réflexion de la commission. On a rencontré ensuite un membre de la commission pour lui parler de chacun des dossiers, suivant nos connaissances et aussi de l'ensemble des dossiers. La commission se penche, actuellement sur le dossier, mais jusqu'à quand va-t-elle se pencher là-dessus? Jusqu'à temps de tomber dans le précipice? On ne le sait pas. Cela fait longtemps et on attend avec beaucoup d'espoir que la commission bouge dans le dossier.

Le Président (M. Filion): D'accord. Votre intervention arrive fort à propos. Je tiens à signaler - ce n'est pas pour faire des blâmes à qui que ce soit, ce sont des choix - que les membres de cette commission avaient Invité l'Office des personnes handicapées, on s'en souviendra, à venir témoigner devant elle, mais, pour des raisons qui appartiennent à l'office et que nous ne jugerons d'aucune façon, l'office a décliné notre offre. Je pense, à ce moment-ci, que l'argumentation développée dans votre mémoire est d'autant plus précieuse pour nous.

Vous soulevez la question des délais, avec plusieurs exemples très fracassants, si j'ose dire. Vous mentionnez notamment que, s'il y a une chicane entre un propriétaire et un locataire, ils peuvent aller devant la Régie du logement et, pour 5 $, espérer avoir une décision à l'intérieur d'un délai de quelques mois. Je pourrais aussi mentionner l'Office de la protection du consommateur. Si j'achète une marchandise à 1,25 $ et qu'elle a été annoncée à 1,10 $, pour tes 0,15 $ de remboursement, cela peut aller très rapidement: si j'ai l'annonce, on peut même régler cela à la caisse ou ce sera une question de jours pour que l'office intervienne. Vous mentionnez, évidemment, à partir de certaines comparaisons, le fait que les délais de résolution et de traitement des dossiers sont nettement trop étendus, compte tenu de l'importance de l'attente qui, dans certains cas - et vous le soulevez avec raison - peut être permanente même, c'est-à-dire qu'elle peut s'étendre sur toute une vie. Dans le cas du système d'éducation, cela peut représenter un retard d'une ou deux années sur le plan scolaire.

Maintenant, je suis convaincu que vous réalisez aussi que les délais s'expliquent en partie par le fait que la matière est plus com- plexe, plus délicate, plus abstraite, même, dans certains cas. Vous posez certaines questions dans votre mémoire: Où finit la liberté d'expression et où commence l'incitation à la discrimination? C'est plus difficile à régler que 5 $ de loyer, bien que la réponse soit d'une importance capitale pour les gens concernés. Vous ramenez aussi ce problème des délais à la question des effectifs. Là-dessus, je vous suis énormément Vous faites référence au Bureau de révision de l'évaluation locative où on réussit à traiter rapidement des milliers de cas. Est-ce que vous avez eu à constater les conséquences de ce manque d'effectifs à la Commission des droits de la personne dans des dossiers concrets?

Mme Gilbert: Oui, dans le dernier dossier jusqu'à ce jour, celui de l'intégration scolaire Cela fait deux ans que nous avons commencé les démarches. Cela fait à peu près trois mois, au maximum - je n'ai pas les données exactes - qu'on a eu un "OK" de la commission, non pas pour mener une enquête, mais pour se pencher sur ce dossier. Cela a pris encore plusieurs semaines avant qu'on puisse rencontrer une personne pour expliquer les dossiers, les déposer. Cela fait déjà plusieurs semaines que cela est fait et on attend encore. On est toujours obligé de relancer. Lorsqu'on a un dossier devant la commission, on relance, on relance, on relance les gens parce que ce n'est pas eux qui prennent le téléphone et qui nous appellent pour nous dire: Votre dossier est rendu à tel ou tel stade. Les enquêteurs eux-mêmes nous ont souligné à plusieurs reprises qu'ils étaient complètement débordés. Je pense que, lorsqu'on est aussi proche qu'on l'est de la commission, on se rend compte que ce n'est pas une excuse qu'ils se donnent, ils sont effectivement débordés.

Le Président (M. Filion): D'accord. Une dernière question en ce qui me concerne dans la même veine que Mme la députée de Groulx. En ce qui concerne les pouvoirs de coercition, vous posez la question, je crois, à la fin de votre mémoire: Est-ce que la commission est un tribunal ou pas? Qu'on s'enligne, qu'on nous le dise, qu'on le sache. J'aimerais cela avoir votre opinion.

Mme Gilbert: Justement, on n'en a pas On s'est posé nous aussi la question. On avoue que, dans certaines situations, on aimerait bien que la commission soit décisionnelle. Dans d'autres cas, cela semble moins évident. Avant d'adopter une prise de position qui n'aura pas été plus approfondie par l'analyse de certains cas très particuliers, ce qui serait mieux, je ne pense pas qu'actuellement on puisse prendre fermement position, à savoir: Est-ce que la commission doit ou ne doit pas être un tribunal? Ce qu'on sait, c'est qu'elle ne peut pas être assise entre deux chaises. Elle ne peut pas être à cheval sur la

clôture ou ce que vous voudrez. Si elle agit comme un tribunal, qu'elle agisse comme un tribunal, et, si elle n'est pas un tribunal, qu'elle n'agisse pas comme un tribunal. C'est très clair pour nous. Le reste de la question? Il va falloir qu'on s'attelle à l'approfondir encore davantage. Ce n'est peut-être pas évident que c'est la meilleure chose de lui donner les pouvoirs d'un tribunal, mais II va falloir qu'on l'étudié encore.

Le Président (M. Filion): Cela va. Je vous remercie. M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Une ou deux petites questions.

Premièrement, je veux vous remercier de votre participation à nos travaux. Vous parlez dans votre mémoire du peu d'information qui vous parvient de la Commission des droits de la personne. Je présume que vous souhaiteriez - bien qu'on l'ait abordé un peu tantôt, en parlant d'un nouveau document qui s'appelle Forum, je crois - comme cela existe au ministère du Revenu, qu'il y ait des bulletins qui puissent vous parvenir mensuellement sur l'interprétation de la charte ou sur des décisions jurisprudentielles, si minimes soient-elles, quant à l'interprétation de tel ou tel article en matière de discrimination.

Vous faites état de la présence régionale. On n'a pas eu l'occasion de l'aborder encore aujourd'hui, mais, effectivement, de la discrimination, cela peut exister, non seulement à Montréal et à Québec, mais également dans toutes les régions du Québec, y inclus les quatre projets pilotes existant actuellement.

Le pouvoir coercitif, on vient de l'aborder. Vous parlez aussi des commissaires nommés politiquement. On sait qu'ils sont nommés aux deux tiers des membres de l'Assemblée nationale. En ce qui nous concerne, au Québec, actuellement, les deux tiers des membres de l'Assemblée nationale, cela ne peut être que le parti ministériel, point, étant donné qu'il y a 21 députés de l'Opposition... 19, la semaine prochaine. Au Nouveau-Brunswick, évidemment, lorsqu'on parle des deux tiers des membres de l'Assemblée législative, on parle d'un parti. De toute façon, je serais porté à être entièrement d'accord, non seulement avec votre groupe, mais avec tous les groupes, que la politique devrait faire un effort certain, pour s'assurer que les personnes nommées soient très, très bien, non seulement informées, mais compétentes dans les domaines relevant de ces matières. Moi, en tout cas, comme adjoint au ministre de la Justice, j'en prends bonne note pour l'avenir. Je ne dis pas que les personnes actuellement ne sont pas compétentes, bien au contraire, sauf qu'on a peut-être tendance, bien souvent, à se diriger strictement vers des docteurs dans le domaine de l'enseignement; ce n'est peut-être pas exclusif à ces personnes-là d'avoir une expertise dans le domaine. Alors, c'est un peu un son de cloche que j'aimerais avoir de vous plutôt qu'une question. J'aimerais avoir un souffle, à savoir si vous êtes d'accord avec ce que je viens d'énumérer.

Mme Gilbert: II y avait beaucoup de choses dans votre énumération. En règle générale, je pense que.. Est-ce que vous avez des commentaires particuliers? Cela va? Alors, règle générale, oui. En ce qui concerne les nominations au conseil d'administration, je pense qu'on n'est pas très exigeants. Mais, si l'on regarde la façon dont s'est faite la nomination du président-directeur général de l'OPHQ l'année dernière, je pense qu'on a tenu compte des avis et des groupes de promotion, de la confédération des organismes de personnes handicapées. Je pense que les groupes du milieu ont peut-être à être un peu consultés. Je ne dis pas qu'ils soient décisionnels et qu'eux mettent en place les gens... Il faudrait s'assurer que les personnes qui travaillent à des dossiers aussi imponants, aussi fondamentaux fassent la preuve qu'elles ont une connaissance de ces dossiers-là et une implication au pian des droits, quels qu'ils soient.

Le Président (M. Filion): D'accord. Alors, donc, il nous reste à vous remercier d'avoir pris le temps de réfléchir, d'en avoir discuté entre vous, peut-être avec vos membres, d'avoir préparé ce mémoire, de nous l'avoir acheminé et de vous être déplacés, aujourd'hui, pour vous livrer à cet exercice tout à fait démocratique de consultation. Je dois vous dire que, quant à moi - et je suis convaincu que c'est partagé par les autres membres de cette commission - votre mémoire m'a ouvert les yeux sur une dimension toute particulière, qui est celle de la discrimination qui peut exister à l'égard d'une clientèle déficiente intellectuellement. Je ne veux pas dire par là que je n'étais pas conscient de son existence, mais peut-être que je serai encore plus conscient des possibilités de discrimination érigées en système dans notre société. Et ça, c'est évidemment tout le but de la charte, c'est tout le but de l'évolution que nous avons comme au Québec. Je pense que c'est un domaine, en ce qui concerne l'avenir, que c'est un problème sur lequel on devra se pencher. Et je suis convaincu, quant à moi, que votre organisme continuera à le faire et à faire valoir le point de vue de ces personnes. Donc, merci encore une fois.

Mme Gilbert: Merci à vous tous. Bonsoir.

Le Président (M. Filion): On va suspendre les travaux deux minutes pour laisser le temps è nos prochains invités, les représentants du Centre de recherche-action sur les relations raciales, que j'ai vus arriver tantôt parmi nous, de prendre place à la table des invités, à l'avant, et, dans deux minutes, nous recommencerons nos travaux.

(Suspension de la séance à 17 h 20)

(Reprise à 17 h 26)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

J'inviterais donc les représentants du Centre de recherche-action sur les relations raciales à bien vouloir s'identifier. Je leur rappelle que leur mémoire vous a déjà été distribué sous la cote 6M.

Centre de recherche-action sur tes relations raciales

M. Dortelus (Daniel): Bonsoir. Mon nom est Daniel Dortelus. Je suis le secrétaire du CRARR. Je suis accompagné de M. Fo Niemi, à ma droite, directeur général du CRARR, et, à ma gauche, de M. Jonas Mas, animateur communautaire au CRARR.

Le Président (M. Filion): C'est bien. Je pense que vous connaissez un peu nos règles du jeu. Une quinzaine de minutes vous sont réservées pour la présentation sommaire de votre mémoire. Par la suite, une période d'échanges de vues d'environ 45 minutes aura lieu avec les parlementaires.

M. Dortelus: Merci. M. le Président, Mmes et MM. les députés membres de la commission, c'est avec un grand plaisir et beaucoup d'espoir que nous, du CRARR, avons soumis notre mémoire concernant les orientations, les activités et la gestion de la Commission des droits de la personne. Nous sommes heureux de pouvoir venir vous faire la présentation de ce mémoire afin de clarifier certains points, au besoin, et de répondre à vos questions.

Dans ce mémoire assez volumineux - il a une trentaine de pages - il y a plusieurs points saillants. La façon dont nous comptons procéder est la suivante. Le résumé portera surtout sur les points saillants du mémoire, entre autres, le rôle d'éducation de la commission, les règlements de litiges à la commission, le processus de nomination des commissaires, la représentativité et l'engagement des commissaires, les PAE - programmes d'accès à l'égalité - et la sous-représentativité des membres des minorités visibles au sein du personnel de la Commission des droits de la personne du Québec. Certains de ces points seront présentés par moi-même et d'autres par Fo Niemi. Tout de suite, je cède la parole à Fo, qui fera une introduction et qui parlera également du rôle d'éducation de la commission.

M. Niemi (Fo): Premièrement, j'aimerais préciser que le travail que nous faisons au CRARR est un travail de recherche et de sensibilisation du public sur les questions de relations raciales et des droits à l'égalité pour les minorités ethnoculturelles et visibles ainsi que pour les autochtones en milieu urbain. C'est sur cette question qu'on touche la discrimination basée sur la race, la couleur et l'origine ethnique ou nationale.

Nous avons, depuis 1983, collaboré très étroitement avec la Commission des droits de la personne dans des études assez importantes, par exemple, celle portant sur les relations entre la police et les minorités visibles à Montréal. Nous avons développé une politique de harcèlement racial en milieu de travail avec l'aide technique de la commission. Actuellement, nous réalisons une grande étude sur les droits et la communauté asiatique de Montréal, ce dont M. Jonas Mas pourra discuter plus tard.

En outre, nous avons aussi tenu plusieurs conférences sur les diverses questions de relations raciales et des droits de la personne, qu'elles soient basées sur la charte canadienne ou sur la charte québécoise. C'est avec ce genre de travail que nous avons pu constater qu'il y a quelques sérieuses lacunes qui devraient être corrigées immédiatement quant à l'éducation de la commission. Nous avons constaté le manque de ressources financières pour que la commission fasse un bon travail d'éducation, de "out-reach" et de sensibilisation, surtout des communautés protégées par la charte, mais qui ne connaissent pas encore la charte. Il y a aussi la question de certaines personnes responsables de l'éducation, mais qui manquent beaucoup d'information et d'expérience concrète dans le domaine. Il y a un peu trop de gens théoriques dans la botte. Pour cette raison, nous avons fait la recommandation que la CDPQ devrait avoir une politique, une orientation de dissémination d'informations plus efficace, plus adaptée à l'ère technologique de la société d'information que le Québec est devenu; aussi, la commission devrait avoir une augmentation des ressources pour faire un meilleur travail d'éducation et de sensibilisation.

Peut-être que la commission n'aurait pas tout le pouvoir ou toute la possibilité de faire le travail. L'un des rôles que le commission peut avoir, c'est d'encourager la création ou l'établissement de structures comme des agents multiplicateurs dans les Institutions publiques ou parapubliques qui veillent aussi aux questions des droits de la personne au sein de ces institutions. On parle de la pratique du faire-faire, page 7. C'est un moyen moins coûteux, beaucoup plus efficace pour promouvoir les droits de la personne.

L'autre point qu'on préconise, c'est que la commission devrait avoir la possibilité d'octroyer des contrats d'intervention, que ce soit de recherche ou d'éducation des organismes communautaires, dans, par exemple, les groupes de femmes, les minorités invisibles ou les personnes handicapées, les groupes gais, ainsi de suite, qui connaissent beaucoup mieux le milieu, leur milieu, et qui peuvent faire un travail beaucoup plus efficace. C'est un autre moyen de mieux encourager la compréhension de la charte, et le respect des droits de la personne dans ces milieux, au lieu de centraliser toutes les activités

au sein de la CDPQ.

Il y a aussi la question de la présence régionale de la CDPQ. Celle-ci souffre actuellement d'un grand problème de visibilité et de présence concrète dans beaucoup de domaines. Vous verrez que nous préconisons dans notre mémoire que, oui, on appuie le principe de décentralisation, d'avoir des bureaux partout dans la province de Québec, car la discrimination, la question des droits et libertés affecte tous les secteurs de la société québécoise. Par contre, on a une restriction, c'est que la pratique de décentralisation, à la page 9, n'affecte pas l'efficacité de la commission, compte tenu de ses ressources financières, humaines et techniques limitées.

Sur ce point, je passe la parole à mon collègue pour parler des questions de litiges, le traitement des plaintes.

M. Dortelus: Sur le règlement des litiges à la commission, il y a beaucoup à dire. Si vous remarquez, une bonne partie du mémoire porte sur ce point. Je vais essayer d'être bref en touchant tous les points essentiels. Le CRARR, comme a dit Fo Niemi, a fait une étude sur le harcèlement racial en milieu de travail. En octobre 1986, cette recherche a été rendue publique et a été suivie d'un séminaire où il y a avait beaucoup d'intervenants, que ce soit du milieu du travail, syndical et patronal. II y avait également beaucoup de groupes communautaires qui ont assisté à ce séminaire. Lors de ce séminaire, le CRARR s'est rendu compte - ou, du moins, cela a confirmé ce que beaucoup d'organismes avec qui le CRARR collabore pensent - qu'il y a de sérieux problèmes au plan du traitement des litiges à la commission.

Le CRARR a analysé le règlement des litiges à la commission et a constaté les choses suivantes. Le législateur a confié de grandes responsabilités à la commission. Aux articles 65 et suivants de la charte, on voit l'étendue de ces responsabilités-là. Je ne lirai pas les articles, je présume que tout le monde les connaît. Également, en matière d'enquête, le législateur a accordé à la commission des pouvoirs assez suffisants qu'on retrouve aux articles 73 et 80 de la charte. Par contre, quand on en vient au pouvoir décisionnel, le même législateur a doté la commission de bien peu de pouvoirs. Il n'y a pas de tribunal indépendant pour traiter les dossiers. Il a choisi de limiter le pouvoir de la commission à celui de faire des recommandations, ce qui laisse la victime, lorsque la plainte est fondée, à la merci de celui qui viole ses droits, parce que tout ce que la commission peut faire, c'est de faire des recommandations. L'expérience a démontré ce qui était à prévoir: dans les cas où il y a violation délibérée des droits par des individus, ils ne suivent pas les recommandations de la commission.

Il y a d'autres problèmes que nous avons constatés concernant le processus pour arriver à cette fameuse recommandation. Il y a d'abord la réception de la plainte. Déjà, sur ce plan, il y a des problèmes. Nous avons remarqué, selon l'agent de recevabilité que le plaignant rencontre, que sa plainte peut être bloquée dès l'étape de la recevabilité. Souvent, les gens qui vont devant la commission ne sont pas représentés. Souvent, il y a des recours qui sont bloqués dès ce stade de la recevabilité.

Plus loin, en ce qui concerne l'enquête, il y a également des problèmes. Le législateur a donné à la commission le pouvoir et même le devoir de faire de la conciliation, de la médiation et l'enquête. Malheureusement, à la commission, ce même rôle est joué par la même personne qui porte plusieurs chapeaux, ceux de médiateur, d'enquêteur et de conciliateur. Finalement, cela aboutit à un rapport, rapport qui est envoyé aux commissaires, commissaires qui n'ont jamais entendu les plaignants et qui se basent sur le fameux rapport pour émettre des recommandations. Tout ce processus prend environ deux ans. Deux ans plus tard, le plaignant se retrouve avec des recommandations à la merci de celui qui viole ses droits et, si les recommandations ne sont pas suivies, il faut recommencer à zéro devant un tribunal de droit commun, un tribunal civil.

Ce que nous avons remarqué, c'est qu'un tel processus ne garantit pas un traitement impartial. Un tel processus est inefficace. On s'est rendu compte que la majorité - cela, j'y reviendrai tantôt, lors de la période de questions - des plaignants abandonnent leur plainte en cours de route, soit sous forme de désistement, soit en acceptant un règlement à la baisse pour en finir avec ce labyrinthe ou pour sortir de ce processus, où, souvent, il ou elle devient l'accusé, car la preuve directe en matière de discrimination est très difficile à faire.

Des individus et des organismes n'ont plus confiance en la commission et les victimes ou les plaignants, étant découragés, ne s'adressent plus à la commission. Ceux qui enfreignent délibérément les droits garantis par la charte, ce sont eux qui ont beau jeu dans le système, car le mécanisme de traitement des plaintes décourage les victimes plutôt que de décourager les agresseurs des droits de la personne.

Par conséquent, afin d'assurer l'impartialité dans le traitement des plaintes déposées devant la Commission des droits de la personne, afin d'assurer l'accessibilité et l'efficacité dans le mécanisme de traitement des plaintes déposées devant la Commission des droits de la personne du Québec et, surtout, afin d'assurer la défense et le respect réel des droits et libertés garantis par la Charte des droits et libertés du Québec, qui ne doit plus être seulement un énoncé de principe, le CRARR a fait des recommandations. Entre autres, la première, c'est que soit créé un tribunal administratif genre "Board of Inquiry", qu'on retrouve dans toutes les autres provinces et qu'on retrouve également à la Commission

canadienne des droits de la personne. À cette recommandation. II y a d autres recommandations pour que les membres qui vont composer ce tribunal aient une certaine expertise en matière de droits et libertés et que le processus de sélection de ces membres ne soit pas celui qu'on retrouve maintenant pour les commissaires, car on risque de se retrouver avec pire que ce qu'on a.

Je reviendrai lors de la période de ques tions Je cède encore la place à mon ami Fo.

M. Niemi: Si on voulait remettre en question le fonctionnement de la CDPQ, il y a une question plus fondamentale. Ce sont les douze personnes qui déterminent l'orientation et la direction de la CDPQ et, nous, au CRARR, nous avons fréquemment remis en question non seulement le processus actuel de nomination des commissaires dont vous êtes responsables mais aussi le mérite et la compétence de plusieurs personnes. Par exemple, nous parlons du cas concret d'une personne un commissaire soi-disant professeur en droit, membre de la Commission des droits de la personne. Chaque fois qu'il y a une tribune libre et publique, il déclare son opposition publique et officielle aux pro grammes d'accès à l'égalité. C'est comme nommer une femme réactionnaire au Conseil du statut de la femme, pour dire: II faut que les femmes retournent dans la cuisine.

Nous avons aussi remarqué une surreprésentation

Une voix: Je m'excuse il y avait une question.

Le Président (M. Filion): Je n'avais pas compris la phrase, pourriez vous la répéter? Vous avez dit...

M. Niemi: Cela veut dire: C'est comme...

Le Président (M. Filion): Vous parliez d'un commissaire Je m'excuse, j'ai manqué le début de la phrase, peut-être à cause de l'acoustique.

M Niemi: C'est un commissaire qui est carrément et officiellement opposé aux programmes d accès à l'égalité et à titre de commissaire des droits de la personne responsable de la charte qui contient des dispositions sur les PAE c'est anormal.

Aussi, il y a une autre question de surreprésentation des personnes issues des milieux académiques et parfois juridiques qui ont ten dance à aborder les questions des droits et libertés de façon trop intellectuelle et théorique.

Finalement, nous avons aussi remarqué l'absence de commissaires qui, dans l'ensemble, reflètent la diversité culturelle et raciale de la société québécoise de 1987. Il n'y avait pas, par exemple dans le passé, de gens issus de certaines communautés comme les Italiens, les

Portuguais les Grecs et les Asiatiques Pour les Grecs cela a changé récemment heureusement Aussi il y a bien des gens soi disant d'origine ethnique mais qui n ont pas d enracinement dans les milieux multiculturels.

Nous portons un jugement assez critique sur le système actuel parce qu'on ne peut pas donner des messages mixtes à la population avec ce genre de personnes à la commission. Par exemple, avec le système actuel, nous avons des commissaires dont la position sur les PAE les programmes d'accès à I'égalité, est totalement inconnue, ce qui nous amène à demander si le défaut de promouvoir les programmes d'accès a l'égalité à la commission n'est pas dû à une absence de convictions de la part de ces commissaires.

Nous avons aussi une autre question. Comment ces personnes peuvent elles avoir la conscience tranquille quand elles savent que des victimes de discrimination, des personnes défavorisées des personnes soi-disant - surtout les femmes - pauvres et issues de tous les milieux ethniques ou culturels passent par un processus de traitement de plaintes qui prend jusqu'à deux et trois ans sans pour autant avoir une décision favorable? Cest pour cela que nous avons fait une recommandation d'avoir un système un peu plus progressiste plus transparent, de nommer des personnes et que ce système permette aux individus ou aux groupes qui seraient intéressés a la question d intervenir avant que leur confirmation ne soit faite par I Assemblée nationale.

II y a aussi la question des ressources. Nous avons fait la comparaison des ressources financières et des ressources humaines entre la CDPQ et l'Office de la langue française parce que ce sont deux organismes qui mettent en oeuvre les deux chartes les plus fondamentales au Québec. Et là quand on compare ces ressources il faut s interroger un peu sur I'intention ou I engage ment du gouvernement envers les droits de la personne autres que les droits linguistiques (17 h 45)

Finalement, il y a la question des pro grammes d'accès à l'égalité On constate que la division des programmes d'accès à l'égalité semble coincée avec I'élaboration des théories des principes des grands schemes et ne peut pas mettre en oeuvre ces programmes là. Je laisserais l'autre partie, l'autre faiblesse de la CDPQ à mon collègue.

M. Dortelus. Pour donner I exemple dun employeur qui pratique I'accès à légalité dans I'emploi la Commission des droits de la personne du Québec devrait elle-même assurer que ses 117 employés reflètent de façon raisonnable notre société multiculturelle et multiraciale. Le CRARR remarque qu il y a une sous représentation sérieuse des membres des diverses communautés au sein du personnel. Par exemple, la Commission des droits de la personne n a que trois Noirs - en venant, on m'a dit qu il en reste

deux - un Asiatique et aucun Indo-Pakistanais à son emploi. Il est impossible de savoir combien d'autochtones travaillent à la Commission des droits de la personne. Cette sous-représentation et l'absence d'une politique concertée en matière de relations raciales créent souvent des perceptions négatives au sein de plusieurs groupes envers la Commission des droits de la personne du Québec. Le CRARR a d'ailleurs souvent entendu des commentaires négatifs, en ce sens que la direction des PAE, programmes d'accès à l'égalité, en fonction depuis décembre 1985, n'a aucun membre d'une minorité visible parmi ses 18 membres.

Existe-t-il de la discrimination systémique dans le système de recrutement et d'embauche de la Commission des droits de la personne du Québec? Pour cela, le CRARR recommande que la Commission des droits de la personne révise, ou que le législateur la force a le faire si elle refuse de le faire, ses propres critères de recrutement, de sélection et d'embauche, et qu'elle prenne des mesures pour réaliser une représentation proportionnelle et raisonnable des minorités ethnoculturelles et visibles au sein même de sa structure.

M. Niemi: Finalement, pour conclure, même si notre mandat porte sur les relations raciales, la promotion des droits des minorités ethniques et visibles et des autochtones les mesures qu'on préconise, ici, je pense, touchent l'ensemble de la population québécoise. Ce qu'on voudrait vous dire aussi, c'est que la défense et la promotion des droits de la personne ne peuvent pas être faites toutes seules par un organisme qui s'appelle la Commission des droits de la personne, surtout quand l'organisme n'a pas assez de ressources financières pour le faire. Non seulement c'est tout l'ensemble de la population qui devrait être plus sensibilisé pour respecter les principes de la charte comme telle, mais les législateurs devraient aussi prendre des mesures concrètes de leadership pour s'engager concrètement, sans engager toute la population, dans la maintien d'une paix sociale, une paix interraciale, qu'on a vue récemment menacée à Montréal et qu'on a déjà vue menacée dans divers secteurs de la société québécoise. On n'a pas encore oublié l'affaire Restigouche, au sud de la province. C'est aussi dans le développement d'un climat socio-économique et politique où l'accès à l'égalité deviendra une norme de la société québécoise et où les programmes d'accès à l'égalité seront aussi normaux que les programmes sociaux que nous connaissons maintenant.

M. Dortelus: C'était tout pour la présentation, nous sommes maintenant prêts pour vos questions.

Le Président (M. Filion): Pour les échanges. M. le député de Beauharnois.

M. Marcil: À la lecture de votre mémoire, on s'aperçoit qu'en ce qui concerne l'information, l'éducation et le rôle qu'a à Jouer la Commission des droits de la personne vous constatez un manque de visibilité de la commission des droits, et les services vous paraissent difficilement accessibles. Vous appuyez aussi le principe d'augmenter la présence régionale, tout en évitant d'affecter l'efficacité de la commission. Vous dites que cette commission a très peu de pouvoirs et vous proposez un genre de tribunal administratif. Vous mettez également en évidence, comme plusieurs groupes qui vous ont précédés, le conflit de rôles entre l'enquêteur et le médiateur. Naturellement, vous remettez aussi en question tout le processus de nomination des commissaires, surtout en ce qui concerne le choix des gens et également en ce qui concerne la représentation: on ne voit pas tellement de gens des différentes communautés culturelles du Québec. On retrouve davantage, comme vous le dites... On l'avait déjà soulevé lors d'une commission parlementaire, où on se demandait s'il y avait autre chose que des juristes ou des gens de l'enseignement, mais surtout du monde de la justice, qui pourrait jouer un rôle quand même primordial.

Donc, si je résume, vos propositions et suggestions vont quand même assez loin et sont très précises. Si je comprends bien votre analyse objective de la situation, vous dites que la Commission des droits de la personne est une nécessité et qu'il faut continuer à ta rendre davantage efficace et lui donner les moyens de le faire, tout en maintenant aussi un certain degré d'impartialité. Le degré d'impartialité n'est pas dû à la bonne foi des commissaires ou au manque de bonne foi des commissaires, il est plus souvent dû aux mécanismes qu'ils ont. au personnel rattaché ou au rôle qui leur est dévolu.

Donc, pour présenter un peu deux façons d'aborder le problème, deux solutions: d'une part, la Commission des droits de la personne pourrait accentuer davantage son travail sur la diffusion, l'information des droits et libertés de la charte dans tout le Québec, dans les organismes. Parallèlement à cela, on pourrait mettre sur pied un tribunal administratif qui pourrait, justement, recevoir des plaintes, précédé naturellement d'un comité spécial qui aurait pour mandat de recevoir les plaintes, de les évaluer et, après enquête, de les référer au tribunal administratif, qui se rapprocherait pas mal de ce qui existe comme organisme pour ce qui est de la Commission canadienne des droits de la personne. Mais je pense que vous allez encore plus loin qu'eux.

Tout en n'étant ni contre ni pour, parce que les propositions sont quand même valables, ne trouvez-vous pas que c'est changer, non en termes de philosophie ni pour ce qui est des grands principes de la Charte des droits et libertés ou du rôle qui est dévolu à la commission, mais changer complètement l'action de la

Commission des droits de la personne ou sa façon d intervenir auprès de la population et sa façon de traiter toutes ces plaintes?

M. Niemi: II y a deux choses ici Je pense que dans la charte elle-même - je pense que ce n'est pas e forum approprié ici - certaines dispositions méritent un autre examen pour voir s'il y a lien à une amélioration. II y a des articles qui sont faibles ou des articles qui sont un peu flous. D'autre part, au niveau opérationnel et décisionnel de la haute direction de la CDPQ, iI y a bien sûr des choses à faire, à changer, parce jue c'est cela le problème.

Pour illustrer un peu le problème de ce qu'on appelle en anglais "being out of touch", le 5 décembre prochain, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, pour la première fois de sa vie, va tenir un colloque sur les médias face au pluralisme culturel comment tes médias d'Iniormation devraient couvrir les affaires portant sur les ethnies et tout cela. On parle essentielement, dans la perspective des droits de la personne, d'une part, de liberté de presse et de liberté de parole et, d'autre part, du droit à la non-discrimination de certains groupes. Je pense que c'est une occasion unique pour que la commission réalise son mandat et son rôle d'éducation. La commission a produit des documents. Récemment, elle a produit une prise de position sur un article dans L'Actualité. Je l'ai même mentionné à certains directeurs de service au sein de la CDPQ, finalement, quand jai vu le programme, iI n'y avait aucune trace de la CDPQ. Je trouve qu'on a peut-être manqué le bateau, mais c'est un moment très unique pour le faire.

II y a aussi la conférence sur l'éducation interculturelle. On parle des questions de racisme dans le système scolaire, dans l'école québécoise, et là il faut que nous, du CRARR, on aille à quelqu'un de la CDPQ pour dire. Est-ce que vous pouvez partage un panel parlant de la question des droits de la personne dans le milieu scolaire avec nous? Je pense que, pour des organismes comme nous, ce n'est pas notre rôle d'aller à la commission pour demander que la commission augmente sa visibilité et ses interventions. C'est à elle de faire cela, surtout à cause du fait qu'elle a beaucoup plus de ressources que nous.

M. Dortelus: Quant à la question de la bonne foi des commissaires, avec toute la bonne volonté qu'ils peuvent avoir aujourd'hui, il y a certaines choses qu'ils ne peuvent pas faire parce que la charte limite les pouvoirs de la commission, entre autres, le fameux pouvoir de recommandation qui est prévu à l'article 82. Même si des Commissaires prennent en pitié une petite dame. Cela fait deux ans que vous attendez, on veut ordonner quelque chose, ils ne peuvent pas parce que I'article 82 de la charte leur donne seulement le pouvoir de faire des recommandations.

Par contre, il y a certains aspects ou même avec les limites actuelles. Avec un peu de "fair play", je pense que les commissaires aujourd'hui, pourraient facilement, dans le cheminement d'une plainte, voir à ce que ce ne soit pas la même personne qui fasse la médiation et l'enquête. La charte prévoit que la commission a le pouvoir de faire tout cela, mais nulle part dans la charte on ne dit. C'est une seule et même personne qui peut le faire. Mais peut être est-ce pour des raisons économiques que la même personne fait l'enquête et est médiateur et conciliateur. Pour nous, avocats, parfois c est aberrant ce qu'on voit à la commission. On ne voit pas cela dans d'autres organismes qui décident de sujets parfois moins importants que ceux de la charte.

M. Niemi: Je peux peut être ajouter à cela qu'il faut être conscient du fait que si nous laissons à la commission le pouvoir de recommandation et qu'il faut que la commission aille en cour pour demander une décision ou quelque chose d'exécutoire notre système judiciaire demeure encore très insensible à la réalité multiculturelle du Québec. II y a des juges qui peut-être, dans leur vie personnelle, n'ont jamais eu l'occasion de faire face à quelqu'un d'une autre origine ethnique. On a remarqué aussi des attitudes assez conservatrices de juges qui imposent comme décision, parfois, dans les cas de brutalité policière, des pénalités de 500 $. Après deux, trois ans d'action juridique 500 $ c'est comme lancer de l'eau froide à la face de quelqu'un qui s est fait battre. À long terme ce sont ces gens qui font perdre confiance en notre système judiciaire, en la capacité du système judiciaire d'agir concrètement efficacement et rapidement pour que |ustice soit rendue. C'est cela l'enjeu C'est pour cette raison qu'il ne faut pas maintenir ces pouvoirs de recommandation parce que la CDPQ doit aller en cour. La cour, parfois c est la barrière.

Notre jurisprudence sur les droits de la personne, au Québec est, je dirais, assez sous développée. On emprunte des notions américaines on emprunte des notions britanniques mais |e pense que, si nous voulons une société vraiment distincte, il faut que, nous aussi nous commecions à développer notre propre jurisprudence québécoise en matière des droits et libertés de la personne. Et je pense que les tribunaux sont tres retardés sur cette question.

Le Président (M. Filion): M. Mas, je pense que vous vouliez ajouter quelque chose.

M Mas (Jonas): Oui Mes collègues ont beaucoup parlé des avenues juridiques que la Commission des droits de la personne peut améliorer .Mais j'aimerais ajouter quelque chose sur les activités éducatives et informatives de la Commission des droits de la personne. Je suis responsable d un projet, au CRARR, qui a pour

but de sensibiliser les communautés asiatiques de Montréal sur les questions des droits de la personne. Comme vous le voyez, les communautés asiatiques, qui regroupent plus de 80 000 Québécois d'origine asiatique, sont perçues comme bien intégrées et autosuffisantes. En tout cas, elles n'ont aucun problème dans la société d'accueil. Cela se reflète probablement dans le fait qu'il y a eu très peu de plaintes portées à la Commission des droits de la personne depuis dix ans que la commission a été créée. À ma connaissance, il y a à peu près deux ou trois cas qui ont été portés à son attention par les Québécois d'origine asiatique. {18 heures)

Selon une étude qu'on a effectuée l'année dernière - on a Interviewé quelques leaders dans la communauté asiatique - on est informé qu'au moins 43 % des membres de la communauté asiatique perçoivent les problèmes de discrimination comme courants ou très courants dans leur communauté. Seulement 20 % sont au courant de l'existence de la Commission des droits de la personne ou de ses fonctions. Comme je l'ai dit, je suis responsable d'un projet de sensibilisation et j'ai rencontré quelques communautés asiatiques pendant les deux derniers mois. C'est très souvent pour la première fois que les gens de la communauté asiatique sont en contact avec la Charte des droits et libertés ou même les fonctions de la Commission des droits de la personne. C'est nous, un organisme communautaire, qui prenons les responsabilités de la Commission des droits de la personne. À mon avis, c'est vraiment regrettable.

II y a une autre dimension dans te projet que j'aimerais souligner, c'est la réaction des communautés asiatiques, et les recommandations des membres de la communauté asiatique concernant le problème des droits de la personne. La plupart des membres de la communauté asiatique ne sont pas vraiment au courant des conceptions des droits de la personne et connaissent très peu la fonction de la Commission des droits de fa personne. Très souvent, ils n'ont même pas de contact avec la Commission des droits de la personne. Ce qui manque c'est l'Information et la sensibilisation auprès des gens.

Il y a deux recommandations qui sont, je pense, très pertinentes quand on parle de la Commission des droits de la personne. Premièrement, il n'y a aucun employé à la Commission des droits de la personne qui est d'origine asiatique. Apparemment, il y en a une ou deux personnes mais elles ne participent pas à des activités d'information auprès des communautés asiatiques. La première recommandation que les communautés asiatiques ont apportée, c'est d'améliorer ou même de commencer les activités d'information et de sensibilisation auprès des communautés asiatiques. La deuxième recommandation c'est qu'il faut établir des programmes d'accès à l'égalité auprès des membres de la communauté asiatique pour qu'on ait des employés d'origine asiatique qui travaillent au sein de la Commission des droits de la personne. Merci.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Mas. M. le député de Beauharnois.

M. Marcil: Toujours dans la même ligne de pensée - on parle toujours du tribunal administratif - on est sûr- que cette charte est fondamentale. C'est le fondement même de l'évolution d'une société, d'un peuple. On a élaboré les grands principes. Maintenant, on essaie de les appliquer. On n'a pas nécessairement les bons moyens, les bons outils. Après plusieurs années d'expérience, on s'aperçoit qu'il y a des lacunes majeures, quant à la réponse qu'on a à donner face aux plaignants, à l'évaluation de la plainte, à l'exécution d'une décision. La décision de la commission n'est pas exécutoire. C'est paradoxal. On veut faire en sorte que les droits et libertés des gens soient protégées, d'une part, et, d'autre part, lorsqu'on évalue, qu'on juge la plainte, même si on recommande quelque chose, la décision n'est pas exécutoire. Est-ce qu'on protège, est-ce qu'on respecte réellement la liberté des gens? Vour parlez d'un tribunal administratif. Il semble que ce soit une formule qui va être analysée sérieusement. J'ai l'impression qu'on remet en cause, un peu, tout notre système d'administration de la justice, au Québec Je vais loin, peut-être, quand je dis cela, mais on s'aperçoit que, dans les cours, on est surchargés. C'est ce qui fait que, souvent, on essaie de filtrer davantage tous les problèmes, à la base, en essayant d'utiliser peut-être davantage la médiation pour éviter d'aller à la cour puisque les cours sont de plus en plus surchargées.

On propose, ici, un tribunal administratif comme on l'a fait pour le Tribunal de la Jeunesse lorsque, à un moment donné, on a voulu circonscrire le problème de jeunesse. Bientôt, on va probablement parler d'un tribunal administratif, en ce qui concerne l'application de la loi 101. On va peut-être parler d'un tribunal, également, en ce qui concerne les personnes âgées. On en arrive, dirait-on, pas nécessairement à spécialiser, mais à proposer une autre façon d'administrer, si vous voulez, l'appareil judiciaire au Québec, dans le but de répondre de façon efficace et rapide à des plaintes et d'avoir un pouvoir exécutoire. Ce n'est pas méchant en sol. C'est discutable et cela va, sûrement, être discuté à notre commission, immédiatement après la période des audiences. Si je revenais maintenant au rôle de la Commission des droits de la personne, quel serait le rôle spécifique que vous lui donneriez si on appliquait votre proposition de créer un tribunal admnistratif précédé d'un comité pour recevoir les plaintes, les analyser, les évaluer? Ce serait quoi, le rôle spécifique que vous proposeriez pour la Commission des droits de la personne?

M. Dorielus: Le rôle qu'on proposerait, c'est son vrai rôle. C'est-à-dire d'être le chien de garde pour appliquer la Charte des droits et libertés Elle a ce rôle là, mais elle est placée également. Prenons, pour exemple, au stade de l'enquête, une expérience concrète. II n'y a pas si longtemps j'ai demandé à un enquêteur d'envoyer des subpoena. II m'a dit Je ne veux pas déplacer beaucoup de monde. II n'a pas vu que son rôle, c'était de voir au respect des droits de la charte et non pas de commencer à prendre le bord de l'autre partie.

Le vrai rôle de la commission et de toutes les commissions des droits de la personne, c'est de voir à la défense de la charte des droits. Dans les autres provinces, ce sont des 'Human Rights Statutes". Avec la création d'un tribunal indépendant, la commission ne sera plus placée dans des situations de conflits d'intérêts parce que son vrai visage et son vrai chapeau, elle l'aura défende les droits garantis par la charte. Le tribunal étant indépendant, sf le tribunal rend des décisions, la commission n'aura pas à se sentir mal, elle aura fait son travail qui était d'aller chercher la preuve il y a une violation des droits, quelque part, on amène le dossier devant le tribunal et le tribunal tranche.

Donc, à cet sujet là. Je ne crois pas que le rôle de la commission changerait. La commission serait, plutôt, placée dans une situation ou elle pourrait jour son vrai rôle, qui est de voir à la défense et à a promotion des droits garantis par la charte.

M. Niemi: Je pense aussi que la CDPQ a non seulement, le rôle de veiller à ce que les droits d'une personne ne soient pas violés, entre indivdus mais aussi entre le gouvernement et les citoyens et le; citoyennes. Je regrette qu'on ait eu une sorte de réaction. Je me souviens encore, lorsque Mme Francine Fournier était là et que I'ancien gouvernement s'apprêtait à adopter la loi 111, que la commission a carrément dit publiquement. Non, cela viole la charte, pour certaines raisons. Les législateurs ont, cependant, adepte une loi, une clause dérogatoire. Mais, au moins, la commission s'était prononcée. Récemment, il y a eu beaucoup d'autres instances où certaines politiques gouvernementales pouvaient violer certains droits et libertés de la personne. On a parlé du fameux cas des boubou-macoutes, par exemple.Est-ce que la commission va se prononcer là-dessus bientôt? Où en est on avec la plainte d une personne sur une question de droit à la vie privée? Ou en est on? Donc, la commission a un rôle non seulement entre les citoyens, mais aussi entre le gouvernement et les citoyens. C'est cela le rôle de chien de garde.

Le Président (M. Filion): Pour votre information, en ce qui concerne ceux que vous appelez boubou-macoutes et qui sont, en fait, des inspecteurs du ministère de la Santé et des

Services sociaux, la commission s'est penchée là-dessus et elle a émis un avis. Cela date déjà, de six ou neuf mois.

D'abord, je voudrais vous remercier pour votre mémoire. Je dois dire qu'il fait te tour du jardin comme la plupart des mémoires qui nous ont été envoyés. Le mémoire est extrêmement bien fait et, au chapitre des recommandations on sent le souci de cohérence juridique pour que le mécanisme suggéré fonctionne autant en hiver qu'en été, comme on dit parfois à la blague.

En ce qui concerne la création du tribunal je dois vous dire ceci c'est une des questions majeures sur laquelle on va devoir se pencher. Certains intervenants nous ont déjà fait part d'autres nous en font part dans les mémoires que nous étudierons dans les jours qui viennent, qu'ils ne sont pas très chauds à l'idée de la création d un tribunal administratif spécialise. Pour ces personnes et ces organismes là le recours aux tribunaux de droit commun, qui est tou|ours ouvert, constitue une sorte de garantie de protection tout à fait suffisante. Sans le savoir, un peu en réponse à cet argument là vous avez dit tantôt - et c'est aussi dans votre mémoire, je crois - qu'à votre avis les tribunaux de droit commun ne sont pas tellement sensibilisés à la question des droits et libertés et que, dans certains cas, il y avait, avec tout le respect que j'ai pour les juges et les magistrats comme une éducation à faire de la magistrature qui est appelée à décider. Les juges bien sûr restent des êtres humains qui ne peuvent pas tout connaître. Les droits et libertés datent de 1977 ici, au Québec. Ils ne peuvent pas être sensibles à tous les secteurs en même temps ce n'est pas possible. Ils ne sont pas parfaits. En ce sens là je rejoins une partie de votre argumentation mais, par contre il faut aussi comprendre que les tribunaux vont comme vont les causes qu'on leur présente. Plus il y aura de dossiers importants sur des violations à la Charte des droits et libertés, plus il y aura de magistrats qui seront sensibilisés. Ils en discutent entre eux, etc.

À part cet argument-là, du "manque de sensibilité, entre guillements, sous toute réserve de la magistrature, est ce qu il y a d autres arguments dans votre esprit, qui font en sorte que le recours au droit commun ne doit pas être privilégié et que vous vous en remettez quand même à la solution qui consisterait à créer un tribunal administratif doté, bien sûr, dun pouvoir coercitif?

M Dortelus: II y a beaucoup d'autres arguments

Le Président (M. Filion): II y a également la question du conflit des rôles que l'on re trouve, aujourd'hui, au sein de la Commission des droits de la personne un rôle de promotion un rôle d'enquête un rôle de médiation et un rôle d'adjudication en ce qui concerne la receva-

bilité et en ce qui concerne la déclaration de violation ou non À part ces deux éléments-là - le deuxième élément peut, peut-être, se résoudre, je ne sais pas, à l'intérieur d'une restructuration de la commission - mais est-ce qu'à part ces deux arguments-là il y d'autres arguments dans votre esprit qui militent en faveur de la création d'un tribunal? (18 h 15)

M. Dortelus: Oui, II y en a plusieurs. Les premiers auxquels je peux penser, ce sont l'efficacité, la rapidité et la souplesse. On sait, même devant la Cour provinciale, que les délais sont assez longs. Devant la Cour supérieure, c'est la même chose et aller encore encombrer les rôles ne serait pas la bonne chose. La deuxième, c'est une question de conjoncture. Si vous regardez pour tes neuf autres provinces et pour la commission fédérale, iI y a des "Board of inquiry" II n'y a aucune autre province où les droits et libertés sont laissés exclusivement sous la juridiction des tribunaux de droit commun. Je lisais récemment qu'il y a eu en Ontario une décision ou un juge, saisi de dossiers de violation de droits et libertés, a dit. C'est l'affaire des commissions des droits de la personne.

Et le même réflexe, on le voit maintenant 75 % des plaintes déposées à la commission, les dix dernières années, viennent du secteur du travail Or, dans le secteur du travail, dans le secteur syndiqué, il y a l'arbitrage. II y a certaines conventions qui contiennent des clauses antidiscriminatoires similaires à celles qu'on retrouve dans les chartes. En pratique, lorsqu'un grief est soumis, souvent, que ce soit pour l'agent syndical ou même pour l'arbitre, l'aspect discrimination c'est l'affaire des commissions. Compte tenu que nous sommes dans un domaine assez spécialisé, je ne crois pas que ce serait une bonne chose de regarder du côté des tribunaux de droit commun, peut-être du côté des tribunaux d'arbitrage. En matière de droit du travail, on pourrait penser à modifier certaines dispositions du Code du travail et bien sûr, dans la liste annotée des griefs voir à nommer des arbitres qui ont une certaine expertise en matière de droits et libertés. Sur ces dossiers - je I ai dit tantôt, 75 % des cas viennent du secteur du droit du travail - I'arbitre des griefs pourrait facilement se pencher. L'arbitre des griefs, même si c'est une personne, c'est un tribunal et il a le pouvoir de rendre des décisions exécutoires. Donc, pour répondre directement, et, il y a d'autres arguments, je ne crois pas que les tribunaux de droit commun soient les meilleurs tribunaux.

Je ne ferai pas de commentaires sur les juges parce que mon...

M. Niemi: Dans ce cas, je vais faire les commentaires sur les juges et sur la magistrature. Vous savez, pour les membres des groupes défavorisés et surtout pour les femmes, la plupart des juges sont des hommes d'une autre génération. Pour les minorités visibles la plupart des juges sont tous des Blancs. Surtout les autochtones ont déjà beaucoup I'expérience judiciaire ou I'expérience des préjugés raciaux dans le système judiciaire. Je peux vous dire que, lorsqu'on paraît devant un Juge, on sait que peut-être la justice va tenir compte de sa peau. Je pense que, si vous allez tenir des audiences publiques sur les réactions des groupes envers les juges, ici, au Québec, vous trouverez que certaines personnes ont des attitudes un peu bizarres sur les questions de race, de racisme ou même de sexisme. Bien sûr on a déjà parlé du système de nomination des commissaires. On a déjà, dans le passé, dans un autre forum, suggéré que le système de nomination des juges au Canada et au Québec soit éventuellement évalué. On a vu, par exemple, comment les juges sont nommés aux États-Unis. Il faut avoir certains mécanismes de contrôle pour savoir quels sont ces hommes et ces femmes qu'on met sur le banc quelles sont leurs attitudes et tout cela parce qu 'on ne le sait pas.

Les questions de droits de la personne ne sont pas seulement du ressort des juges ou des avocats. De plus en plus ces questions de droits de la personne ont une dimension économique et sociale. Donc, je ne pense pas qu il faut les laisser à une minorité de gens disons, à une sorte délite juridique et les laisser se nommer entre eux - ou, question de patronage. Tu veux être juge, bon, je te nomme juge et bang - comme ça, sans que les représentants élus que vous êtes aient une chance de savoir qui on a nommé.

Le Président (M. Fillon): Oui, je suis quand même obligé de vous arrêter là dessus. Vous savez qu'on a au Québec un mode de nomination tout à fait différent de celui qui existe au Canada. Deuxièmement, aux États-Unis, on va d'un extrême à l'autre, il y a des comités sénatoriaux qui doivent réviser les suggestions faites par le pouvoir exécutif et, en même temps on procède à I'élection et à la réélection de juges sur des bulletins de vote, de sorte que les juges cherchent à être populaires.

Le Québec a été un des premiers a innover à l'époque cela doit faire sept à huit ans avec un mode de sélection des juges par jurys qui font des recommandations. Le gouvernement garde le dernier mot, mais cest à partir des personnes recommandées par le jury. En fait je ne veux pas en faire un débat mais je voudrais peut-être, vous rappeler que là-dessus au Québec, on a fait un bout de chemin que plusieurs autres provinces ou plusieurs autres coins du monde nous envient

M. Niemi: Ce jury e.st composé de citoyens qui font des recommandations sur la nomination des juges?

Le Président (M. Filion): Oui, oui C'est

cela.

M. Niemi: Est ce que ce comité de citoyens reflète.

Le Président (M. Filion): Ce ne sont pas uniquement des citoyens, mais il y a un représentant des citoyens à ce comité-là.

M. Niemi; Ce sont tous des Blancs?

Le Président (M. Filion): Eh bien, là, écoutez, non, ce ne sont sûrement pas tous des Blancs ni des... II y a des personnes qui sont nommées et qui peuvent sûrement provenir des minorités, j'en suis convaincu. Mais quand même, disons, je ne voudrais pas commencer un débat avec vous, ce n'est pas du tout mon rôle. Je ne veux pas me faire le défenseur non plus des nominations gouvernementales. Je suis membre du parti de l'Opposition je sais que cela ne paraît pas, mais. Je voudrais revenir sur notre sujet directement. Vous avez mentionné quelque chose d'extrêmement important et qui est un peu à la base de votre jugement. Vous avez dit. II y a un nombre de désistements très élevé, il y a des règlements à la baisse et tout cela fait en sorte. Vous êtes assez lapidaire dans votre jugement, peu importe le texte même quand vous dites. II y a une perte de confiance chez les gens que mus connaissons à l'égard de la Commission des droits de la personne. J'ai été frappé, également, par quelques éléments statistiques que M. Mas nous a révélés tantôt et je me demande si j'ai bien compris le premier chiffre, je pense que c'était quelque chose comme 83 % des personnes interrogées dans votre enquête qui se disaient, en partie ou totalement ou à I'occasion, victimes de discrimination, mais que seulement 20 % connaissaient I'existence de la Commission des droits de la personne, est ce que je me trompe?

M. Mas: Oui. Ce ne sont pas 83 % ce sont 43 %.

Le Président (M. Filion): Ah, 43 %, bon.

M. Mas: qui perçoivent les problèmes de discrimination comme très courants dans leur communauté,mais c'est vrai qu'il y a seulement 20 % qui sont au courant de l'existence de la commission.

Le Président (M. Filion): 20 % de 43 % ou 20 % de 100 % du même 100 %?

M. Mas: Même 100 % de la somme totale

Le Président (M. Filion): C'est le même 100 % toujours, d'accord. Donc, la moitié des gens qui pouvaient ressentir cette discrimination connaissaient I'existence de la Commission des droits de la personne

M. Mas: C 'est exact

Le Président (M. Filion): C'est exact comme déduction. J'ai été frappé par cet élément statistique que je raccroche évidemment aux deux autres constatations le nombre de désistements et également, le nombre de règlements a la baisse. J'aimerais vous entendre expliquer votre perception de ce nombre élevés de désistements une perception qu on a pu constater dans d'autres mémoires également, ou de ce que vous appelez les règlements à la baisse.

M. Dortelus: Pour ce qui est des désistements, souvent ce qui arrive, cest que les gens se découragent au cours du processus qui dure comme on l'a mentionné tantôt environ deux ans et qui souvent, peut aller au-delà de deux ans. J'ai devant moi les statistiques de 1985 1983 en montant en 1985, plus de 31 % des dossiers étaient fermés à la suite d'un désistement en 1985, 31,7 % des dossiers étaient fermés a la suite d un règlement. Bien sûr quand on parle de règlement cela se peut que ce soit un bon règlement mais quand on sait la façon dont cela fonctionne. Souvent les gens acceptent une lettre d'excuse, comme règlement ils acceptent 100 $ comme règlement. On connaît la pratique à la commission le rôle de I'enquêteur n'est pas de prendre pour le plaignant ou de voir vraiment a ce que ses droits soient défendus mais de constater qu'il y a eu un règlement. Je pourrais faire référence à des déclarations qui pourraient peut être vous être utiles. Je vais citer I'ancien directeur des enquêtes à la commission pendant dix ans qui dit. On ne peut pas tenir des enquêteurs et des enquêtrices responsables du type de règlement intervenu. Si on regarde la charte il y a un article qui dit que quand il y a un règlement on constate qu'il y a un règlement. Cet article de la charte est interprété à la lettre. Tout ce que I' enquêteur fait-il constate. Moi, comme avocat si je négocie un règlement pour mon client si le règlement n'est pas satisfaisant, je vais lui recommander de ne pas I'accepter. À la commission, ce n'est pas comme ça que cela se passe. Dans certains cas j'ai été procureur et I'enquêteur est content quand il y a un règlement, il ferme le dossier. Souvent dans les cas ou j'ai personnellement agi c'était un règlement à la baisse. On ne peut pas parler de règlement. C'est une forme de désistement. Même s'il n'y a pas de règlement la personne veut en finir de toute façon avec la commission, cela ne donnera rien. On ne peut parler de règlement à proprement parler. C'est une forme de désistement c'est une question d'abandon de ses droits.

Le Président (M. Filion): À ce sujet là. M le député de Beauharnois.

M. Marcil: J'ai vu dans mon comté, M. le Président, un cas comme celui -là ou le plaignant

demandait une lettre d'excuses et une bouteille de champagne. Ce ne sont pas des farces. Je vais vous le montrer.

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il t'a bu avec vous?

M. Marcil: Il ne l'a sûrement pas bu avec mol. Une bouteille de champagne, il faut le faire.

Le Président (M. Filion): D'accord.

M. Dortelus: Il y a un excellent article dans Droits et libertés, le bulletin de la Commission des droits de la personne, de septembre 1986. L'ancien directeur - durant dix ans, de 1976 à 1986 - des enquêtes de la commission fait état de la façon dont cela se passe. Je vais vous lire un petit passage: "Le rôle de l'enquêteur-médiateur est souvent mal compris du public. On lui confie un mandat de médiation et non de négociation". Il ne négocie pas. Donc, si la personne accepte 100 $ et une lettre d'excuses, c'est son problème. Ce n'est pas le rôle de l'enquêteur. Ce n'est pas à lui de voir si ce règlement est acceptable.

Je vous ferai remarquer qu'au fédéral, dans la loi canadienne sur les droits de la personne, quand II y a un règlement, il doit être soumis à l'approbation de la commission. Dans le contexte québécois, non. C'est la même chose en Ontario; le règlement doit être soumis à l'approbation de la commission. Dans un tel contexte, on peut parler de règlement parce qu'il y a un "check", quelque part. S'il y avait vraiment une violation flagrante, l'enquêteur serait très mal placé de conseiller à la victime d'accepter une bouteille de champagne. Il n'y a pas, ici, ce mécanisme d'approbation. Tout ce que l'enquêteur fait, c'est constater le règlement. C'est dans ce sens-là que l'explique que nous nous en tenons au... C'est la position de plusieurs organismes et de plusieurs personnes qui travaillent, également, avec les victimes et les plaignants. Ce ne sont pas des règlements; ce sont des abandons purs et simples.

Si vous voulez les statistiques pour 1983, dossiers fermés: 43,2 % étaient des désistements; règlements: 16.9 %; donc, au-delà de 60 % des dossiers sont fermés et c'est grave. Si l'intention était de décourager les gens, je pense qu'on a réussi. Mais, si l'intention est de voir à la protection des droits, je pense que cela presse et qu'il faut améliorer, pas tout chambarder, comme le député de Beauharnois l'a mentionné tantôt, et changer la perception à la direction. Non. Avec ce qu'on a, il faut essayer de perfectionner. La commission demeurera la même. Admettons que, demain matin, le législateur décide d'amender la charte et de créer un tribunal administratif. Souvent les gens perçoivent un tribunal comme une grosse bâtisse quelque part. Ce n'est pas cela. Disons qu'il y aura un processus de nomination comme celui des arbitres de griefs. Ces gens-là pourraient même siéger à la CAS et ils pourraient utiliser les locaux de la CAS. Je ne pense pas que les coûts seraient aussi énormes. C'est une question de volonté et de volonté politique.

Je regardais, pendant ma recherche pour la présentation de ce mémoire, ce qui s'est fait dans les autres provinces. Au Manitoba, on était pris à peu près dans le même dilemme. C'était semblable à ce qu'on voit aujourd'hui à la commission québécoise. Cela n'a pas pris de temps aux avocats pour "challenger" le système devant les tribunaux et, en 1970, en Saskatchewan et au Manitoba, les gouvernements ont opté pour des tribunaux administratifs indépendants, des "Boards of inquiry". En Ontario, le "Board of Inquiry" est composé de personnes nommées par le gouvernement. Quand une plainte doit être soumise au tribunal, on la réfère à ces personnes-là qui entendent la preuve et prennent une décision. Donc, ce n'est pas comme créer un tribunal comme le Tribunal de la jeunesse, qui est assez gros. Je pense que ce serait un petit tribunal du genre de celui d'un arbitre de griefs.

M. Marcil: Qui pourrait devenir gros aussi.

M. Dortelus: Oui, cela peut devenir gros On va commencer par petit d'abord...

M. Marcil: II y a une question de besoins également. En ouvrant, on permet de plus en plus aux gens de solliciter l'Intervention et c'est tout à fait normal.

M. Dortelus: Je me sens très mal à l'aise maintenant de conseiller à mes clients d'aller devant la commission. La plupart des groupes et organismes qui travaillent avec ces gens vont les référer à la commission en toute dernière place. C'est grave. On ne fait pas cela pour démolir la commission. II y a un problème.

Je vous réfère à un article qui est en annexe du mémoire où déjà, en 1983. beaucoup de groupes... L'article s'intitule: "À quoi sert la plus belle charte au monde si elle n'est pas appliquée?" Il fait état de groupes de femmes, de gais, de lesbiennes et d'organismes voués à la défense des droits et libertés de la personne qui avaient les mêmes remarques qu'on fait aujourd'hui. Ces remarques existaient et rien n'a changé. Là, le public a le choix de ne plus aller à la commission et nous, les avocats, n'avons qu'un choix, soit d'aller à la Cour supérieure le plus souvent possible et de se rendre en Cour suprême pour forcer les choses. Je ne pense pas que ce soit la voie idéale. Je pense qu'on peut arriver, surtout quand on a la plus belle charte... Il faut le dire, c'est vrai, la Charte des droits et libertés de la personne, pour ce qui est des droits qui sont garantis, est beaucoup plus libérale, beaucoup plus large que même la toi canadienne sur la commission des droits de la personne.

Par contre, au fédéral et même Ici au Québec, supposons qu'une personne travaille pour Air Canada ou le CN et ait un problème de discrimination couvert par la loi canadienne sur les droits de la personne. Cette personne a droit à un traitement de première classe. La Commission des droits de la personne prévoit. Un tribunal peut entendre sa cause et rendre une décision qui est exécutoire. Tout le processus qu'on a à Québec, médiation, conciliation, existe aussi.

Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier pour la clarté de votre mémoire. Vous savez, il y a beaucoup de sujets dont on n'a pas traité.- ici et qui faisaient partie de vos préoccupations, soit la présence régionale, les programmes d'accès à l'égalité et également, ce dont vous avez traité brièvement, la nomination des commissaires de la Commission des droits de la personne, ainsi que du personnel. Vous avez posé des questions concernant le caractère de représentativité du personnel. II y a d'autres sujets. Je voudrais simplement vous assurer que l'ensemble de vos préoccupations ne sont pas tombées dans l'oreille de personnes sourdes.

Bien sûr, lorsque notre travail d'audition sera terminé, les membres de cette commission devront décider des recommandations qui feront l'objet à leur tour d'une étude par les autorités gouvernementales. Or, comme vous le voyez, c'est un processus éminemment démocratique auquel vous vous êtes associés par des critiques extrêmement constructives. Je tiens à le souligner particulièrement.

Dans ce sens, on vous remercie de l'énergie et du temps que vous y avez mis J'en profite également, au nom de mes collègues sûrement, pour vous féliciter du travail que fait votre organisme, non seulement à cause de la période que nous traversons ici au Québec, mais dans l'ensemble. Je pense notamment à vos conférences qui visent à sensibiliser l'ensemble des membres de notre société à l'existence de tensions raciales possibles, surtout à la possibilité de les diminuer et, si possible, des les annihiler, ce qui va faire de notre société une société moins explosive que d'autres, particulièrement quand on regarde ce qui peut se passer, notamment dans certains pays européens. Le Québec est jeune et nous devons dès le début nous attaquer à extirper toute racine de racisme qui pourrait avoir tendance à pousser. En ce sens, merci de votre collaboration.

Les travaux de notre commission sont suspendus jusqu'à 20 heures. Merci.

(Suspension de ia séance à 18 h 35)

(Reprise à 20 h 7)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Cette séance de la commission des institutions est maintenant ouverte. Nous allons reprendre nos travaux ou nous les avions laissés. Nous allons poursuivre les consultations particulières en ce qui concerne l'examen des orientations, des activités et de la gestion de la Commission des droits de la personne. Au menu, ce soir, deux groupes l'Office des droits des détenus et l'Association pour les droits de la communauté gaie du Québec.

Je reconnais le coordonnateur de l'Office des droits des détenus, M Jean-Claude Bernheim, qui est avec nous

Office des droits des détenus

M. Bernheim (Jean-Claude): Bonjour.

Le Président (M. Filion): J'apprécierais qu'il nous présente la personne qui l'accompagne.

M. Bernheim: Me Jeanne Cadieux.

Le Président (M. Filion): Mme Cadieux, bonsoir. Je vous souhaite la bienvenue, ainsi qu'à M. Bernheim.

Je vous rappelle rapidement nos règles du jeu une période d'environ quinze minutes vous est allouée pour présenter le sommaire de votre mémoire, qui nous a déjà été remis sous la cote 7M. Une période d'échange de questions et réponses ou de commentaires avec les membres de cette commission suivra. Donc la parole est à vous.

M. Bernheim: Merci, M. le Président. Je ne vous transmettrai pas un résumé de notre commentaire, mais plutôt un aspect complémentaire à la 28e question, principalement. Dans le cadre de notre intervention devant cette commission parlementaire, il n'est pas de notre intention de revenir sur ce que d'autres groupes auraient pu exprimer au sujet des questions techniques ou administratives concernant le fonctionnement de la Commission des droits de la personne du Québec. Nous voulons profiter de l'occasion pour aborder des questions de fond qui, si elles étaient prises en considération, modifieraient considérablement tant la structure que le mandat de la commission.

En effet, pour l'Office des droits des détenus, il est temps de revoir en profondeur l'esprit et la lettre de la loi qui gouverne la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Nous ne reviendrons pas sur la demande relative au fait que la Charte des droits et libertés de la personne soit une loi fondamentale primant toutes les autres lois qui relèvent de la compétence du gouvernement du Québec. II est à noter que le refus d'accepter une telle revendication n'est pas une décision d'un parti politique, mais plutôt le résultat d un consensus douteux de la part de ceux qui nous gouvernent.

Malgré tout venons-en aux suggestions qui

nous préoccupent prioritairement. Pour l'Office des droits des détenus, il est évident que les pouvoirs actuels de la commission sont dérisoires sinon contraires à l'esprit du préambule de la charte et, notamment, du considérant suivant, citation. "Qu'il y a lieu d'affirmer solennellement dans une charte les libertés et droits fondamentaux de la personne afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation" fin de la citation.

En effet, la commission ne peut intervenir dans les cas de violation de droits et libertés que lorsque ceux-ci sont exercés de manière discriminatoire. Par conséquent, les abus de droit exercés de manière non discriminatoire sont hors de sa juridiction. L'effet d'une telle réalité est catastrophique puisque certains peuvent interpréter cette décision politique comme une caution de la part de l'État. Par conséquent, nous allons formuler des recommandations pour que la commission ait plus de pouvoir et un champ d intérêts le plus large possible.

Tout d'abord, nous allons examiner brièvement les pouvoirs d'un certain nombre d'organismes internationaux avant de préciser ce que nous souhaiterions voir accepter par les actuels détenteurs du pouvoir politique du Québec.

La Convention européenne des droits de l'homme. La Convention européenne des droits de l'homme a été mise sur pied afin d'assurer le respect des engagements pris pour les hautes parties contractantes, c'est-à-dire les pays signataires. À cette fin, l'article 25 stipule que la commission peut être saisie d'une requête adressée au Secrétariat général du Conseil de I'Europe par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par I'une des hautes parties contractantes des droits reconnus dans la convention. Ce recours individuel est subordonné aux conditions de recevabilité dont la principale est classique en matière de recours internationaux c'est I'épuisement des voies de recours interne. II faut également que I'État partie ait expressément accepté ce droit de recours individuel pour que la commission puisse en être saisie. Une fois saisie de la requête et que celle-ci est déclarée recevable, la commission a pour mandat d'établir les faits et s'il y a lieu, elle se met à la disposition des intéressés en vue de parvenir à un règlement amiable de I'affaire qui s'inspire du respect des droits de l'homme, tel que le reconnaît la convention à I'article 28. Au cas où aucune solution à l'amiable n'a pu être trouvée, la commission rédige un rapport dans lequel elle constate les faits et formule un avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de I'État Intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la convention. Le rapport est ensuite transmis au Comité des ministres ainsi qu'aux États intéressés. C'est là, malheureusement, que s'arrêtent les possibilités des victimes de violation de droits le relais politique entrant en jeu. S'iI y a eu violation de droits la Cour européenne des droits de I'homme peut être saisie. L'article 44 de la convention stipule que seules les hautes parties contractantes et la commission ont qualité pour se présenter devant la cour. Par contre la cour rend des arrêts motivés définitifs, obligatoires et contraignants

La Commission interaméricaine des droits de l'homme. La Commission interaméricaine des droits de I'homme a été créée par le Conseil de l'Organisation des États américains dont le Canada ne fait pas partie, soit dit en passant. Jusqu'en 1965, la commission n'avait finalement que des compétences académiques. Par la suite son mandat a été élargi considérablement ce qui démontre qu'il est possible de réviser les pouvoirs d'un organisme voué au respect des droits et libertés. Globalement, on peut dire que les pouvoirs sont les mêmes que ceux de la Commission européenne des droits de I'homme Toutefois, il n'existe pas de recours politique comme il en existe un dans le cadre du Conseil de l'Europe. Quant à la Cour interaméricaine des droits de I'homme elle peut être saisie a la fois par la commission ou par un État membre. Ses décisions sont aussi motivées, définitives, sans appel, obligatoires et contraignantes

La Commission africaine des droits de I'homme et des peuples. La Charte africaine des droits de I'homme et des peuples, dont la commission est issue, est à certains égards empreinte d'un plus grand libéralisme que les autres instruments internationaux puisque aucune restriction quant aux droits et libertés n'est prévue en période de guerre, de danger ou de crise. Par contre, là s arrête notre intérêt. En effet, les victimes de violation de droits et libertés n'ont pas le recours d'en saisir systématiquement la commission. Dès lors une telle procédure peut être engagée seulement si la majorité des membres de la commission en décide ainsi. De plus la commission ne peut aller au-delà d'une recommandation à la Conférence des chefs d'État et de gouvernement. Finalement il faut constater qu'il n'y a pas de cour africaine des droits et qu'aucune instance ne peut rendre de décision contraignante. (20 h 15)

La Commission des droits de I'homme de l'ONU. La Commission des droits de I'homme des Nations unies n'a pas de pouvoir contraignant. Par contre, elle enquête sur des allégations concernant des violations des droits et libertés et examine des communications relatives à ces violations. L' intérêt de citer cette instance réside dans le fait que malgré son absence de pouvoir contraignant elle a un pouvoir moral important. En effet, la désignation, ces dernières années de rapporteurs spéciaux et d experts pour faire enquête a permis de mettre la communauté internationale face à certaines violations des droits et libertés . Cette procédure sans être

entièrement satisfaisante, n'est pas à rejeter, au contraire.

Le Comité des droits de I'homme de l'ONU. Ce comité institué en application de I'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Canada a adhéré en 1976, a pour mandat de mettre en oeuvre les dispositions du pacte. Pour ce faire, le comité examine les rapports qui sont présentés par les États partie au pacte sur la façon dont ils appliquent les dispositions. II peut examiner les communications formulées par un État à l'encontre d'un autre, à condition que l'un et l'autre aient fait une déclaration reconnaissant la compétence du comité à cet effet. Finalement, en vertu des dispositions du Protocole facultatif, auquel le Canada a également adhéré, le comité est habilité à recevoir des recommandations émanant de particuliers et à les examiner ici encore, il est nécessaire que les recours internes soient épuisés pour qu'une telle communication soit jugée recevable. Même si le comité n'a pas de pouvoir contraignant, la publicisation de la procédure a un effet certain sur le comportement des États.

L'Organisation internationale du travail. À la différence des autres organisations intergouvernementales, l'OIT a une structure tripartite. Chaque pays membre est représenté à la Conférence internationale du travail, l'instance suprême de I'OIT, ainsi qu'aux autres instances de l'organisation par deux délégués du gouvernement, un délégué des employeurs et un délégué des travailleurs. Là réside l'élément original que nous voulons souligner.

D'autres exemples pourraient être présentés, mais cela ne nous parait pas nécessaire pour la démonstration que nous voulons formuler. En effet, nos propos veulent mettre en évidence I'ampleur des mandats octroyés à des organismes internationaux para-étatiques, comparativement à celui plus que restreint de la Commission des droits de la personne du Québec. En somme, bien conscients que ces organismes ne mettent pas un terme aux violations des droits et libertés, il suffit de prendre connaissance des informations que nous transmettent les médias pour constater la tragique réalité que vivent des centaines de milliers de personnes. Par contre, demeurer silencieux, muets ou indifférents est inacceptable. Aussi, nous ne demeurons ni silencieux, ni muets, ni indifférents.

Pour I'Office des droits des détenus, il est inconcevable qu'un organisme tel que la Commission des droits de la personne n'ait pas un mandat de veiller à ce que le gouvernement du Québec et ses agents de contrôle social respectent les droits et libertés de tous les citoyens sans exception. En effet, comment s attendre que les autres composantes de la société respectent les droits et libertés de chacun si ceux qui nous gouvernent et leurs agents peuvent les violer impunément? Le gouvernement les ministres et les députés qui le représentent ont l'obligation morale de respecter en toute occasion les droits et libertés de tous et chacun, de dénoncer fermement toute violation, y compris celles commises par certains de leurs fonctionnaires ou représentants incluant les agents de la paix, de réaffirmer, quand les circonstances les y obligent leur intime conviction que les droits et libertés sont sacrés et inviolables.

En 1982, quand des détenus étaient torturés au pénitencier Archambault et que tous et chacun en étaient informés, à aucun moment les autorités politiques du Québec ne sont intervenues pour réaffirmer que le gouvernement du Québec ne tolérerait pas de telles violations sur son territoire, comme le lui commande le partage des pouvoirs constitutionnels, lequel lui accorde la responsabilité de l'administration de la justice, c'est-à-dire de voir au respect du Code criminel sans discrimination. Pourtant, à l'époque, nous avions affaire à un gouvernement qui disait vouloir revendiquer plus de pouvoirs politiques. Récemment, un jeune homme de 17 ans était abattu par un policier de la CUM dans des circonstances pour le moins étranges. À celle occasion, aucun de nos élus, tant municipaux que provinciaux, n'a réaffirmé la primauté des droits et libertés en tout temps. Dans de telles circonstances, nous ne demandons pas que les pouvoirs législatifs et exécutifs se substituent au pouvoir judiciaire ou portent un jugement mais bien qu ils réaffirment que le respect des droits et libertés s Impose à tous et chacun. L'inertie des gouvernements est interprétée par les violeurs de droits et libertés comme une caution sinon un encouragement à poursuivre leurs exactions.

En conséquence, nous demandons que la Commission des droits de la personne du Québec soit mandatée pour recevoir les requêtes individuelles ou les requêtes émanant de groupes pour enquêter et agir dans tous les cas ou il y a violation par l'État de droits et libertés reconnus par les articles 1 à 48 de la Charte des droits et libertés de la personne et ce, quel que soit le représentant de I'État incluant les agents de la paix que les mêmes pouvoirs lui soient reconnus quel que soit I'auteur de la violation, et que ces pouvoirs, enfin soient du type de ceux de la Commission européenne des droits de I'homme ainsi que ceux de la Cour européenne des droits de lhomme.

Alors, voilà le message que nous voulions vous livrer.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie M Bernheim M le député de Notre Dame de-Grâce.

M Thuringer: M Bernheim et Me Cadieux merci d'avoir préparé votre mémoire si attentivement. II y a quelques questions qui me frappent. Vous avez parle du domaine de I'éducation et |e me demande si vous pouvez décrire largement le type d'éducation que vous envisagez et, deuxièmement, est ce que cette éducation doit

viser en particulier les détenus?

M. Bernheim: En ce qui concerne l'éducation, je pense qu'il y a un élément fondamental qu'il faut mettre de l'avant, c'est que l'éducation est prioriaire. Mais je pense aussi que cette éducation doit être d'abord le reflet du comportement de ceux qui ont de l'autorité, c'est-à-dire que l'éducation doit se faire d'abord par l'exempte, et Je pense que cet exemple doit d'abord venir de ceux qui ont les rênes du pouvoir entre tes mains. Après cela, il devrait y avoir des façons matérielles de transmettre l'Information et de faire savoir aux jeunes, d'abord, qu'une charte existe, que chacun a des droits, que chacun a des libertés, mais que, en conséquence de cela, il y a nécessité de respecter les autres. Je pense que cette éducation devrait être donnée dans les écoles sur une base systématique.

M. Thuringer: Mais dans les familles, par exemple, est-ce qu'il y a des moyens, là aussi, pour que...

M. Bernheim: Bien, je pense que, pour les familles, ou, si l'on veut, le public adulte, il faut procéder au moyen d'exemptes. II s'agit de prendre des situations types, des situations clés, vécues par les gens, qui démontrent que, dans telle circonstance, il y a eu violation de droits, qu'il y a eu des conséquences négatives et que la façon d'agir est de respecter les droits. Alors, il y a de multiples exemples qui se produisent dans notre société où il y a violation de droits. On pourrait partir de ces faits, par exemple, dans le domaine du travail, si les droits des travailleurs ne sont pas respectés, ou même, au contraire, si des gens respectent ces droits, eh bien, qu'on en fasse la promotion, qu'on se serve d'exemples tout à fait concrets pour que cela puisse être assimilé réellement. Mais il y a un préalable à cela, c'est que ceux qui donnent cet enseignement affichent le respect des droits et soient responsables de leurs actes.

En ce qui concerne les détenus en particulier, je pense que, dans un cadre institutionnel quelconque, il serait possible de leur donner les moyens de prendre contact avec la réalité des droits, de leur faire prendre conscience, au même titre que les autres citoyens, que chacun a des droits et qu'il faut respecter les droits des autres. Mais je pense que làa encore, si l'on veut que cette éducation porte fruit, il faut que ceux qui en ont la charge respectent leurs propres droits et, comme je l'ai dit au départ, la meilleure façon d'inculquer te respect des droits et libertés, c'est de le pratiquer par I exemple.

M. Thuringer: Dans votre mémoire, vous avez parlé aussi pas mal des délais. Quelles sont, selon vous, les causes de ces délais et comment les régler dans le processus de plaintes, et tout cela?

M. Bernheim: Les délais que la commission doit subir, je pense qu'ils sont inhérents au fonctionnement et inhérents aussi au mandat de la commission, compte tenu du peu de moyens qu'elle a. Je pense qu'une des causes qui font que les délais sont si longs, c'est que le nombre de violations est astronomique. Par conséquent, la commission est saisie d'une très grande quantité de plaintes et ne peut évidemment pas toutes les traiter avec la rapidité à laquelle on voudrait la voir agir, mais je pense que cela ne pourra jamais vraiment être résolu. Par contre, s'il y a des prises de position de la part du gouvernement, des responsables de l'État par rapport à certaines violations qui se produisent, cela aura pour résultat d'inciter les autres composantes sociales à mieux respecter les droits et libertés. Je pense que, si des prises de position de principe étaient réaffirmées plus fréquemment et st l'attitude de l'État était beaucoup plus concrète, ce serait très incitatif.

M. Thuringer: Vous avez insisté pas mal sur le fait que le mandat de la commission devait être plus large que de traiter seulement la discrimination. Vous n'avez pas peur que, si on donne un mandat trop large, cela retarde encore les choses et peut-être laisser les responsabilités à d'autres tribunaux?

M. Bernheim: Je ne pense pas que cela résolve la question des délais, c est sûr. Par contre, cela donnerait à la commission une autorité morale et, si cette autorité morale était respectée, je pense que cela aurait des résuttats très positifs. Mais, si la commission, lorsqu'elle rend un avis, n'est simplement que pénalisée parce quelle a fait son travail, comme cela a déjà été le cas, par exemple, quand le mandat de Mme Fournier n'a pas été renouvelé, je pense que cela donne l'effet contraire. Quand la commission fait son travail, même si le gouvernement n'est pas satisfait de la position ou de l'analyse de la commission, je pense que son premier devoir, malgré tout, est de s'y conformer, parce que cette commission, ou bien on lui donne le mandat de donner des avis, de se prononcer sur des situations potentielles ou réelles de violation de droits. Si le premier initiateur de la commission, c'est-à-dire le gouvernement et I'État, pénalise la commission, je pense que cela détruit une grande partie du travail qu'elle peut avoir fait antérieurement et que cela enlève de la crédibilité tant à la commission qu'au gouvernement.

Le Président (M. Filion): Cela va? Merci, M le député de Notre Dame-de-Grâce M le deuté de Beauharnois.

M. Marcil: Oui, dans la même ligne de pensée parce que. tantôt, vous parliez justement de délais. Vous n'êtes pas le seul organisme, je pense que tous les organismes qui vous ont

précédé ont parlé des délais qui étaient très longs en ce qui concerne les plaintes et l'exécution ou les décisions rendues par la commission. Par contre, il y a des organismes qui ont proposé une solution pour améliorer le fonctionnement ou augmenter l'efficacité, disons, de la Commission des droits de la personne. Ils nous ont proposé la mise sur pied d'un tribunal administratif qui aurait un peu la forme des tribunaux qu'on voit, avec lesquels on vit tous les jours, je ne dirais pas malheureusement, mais malheureusement pour ceux qui doivent y passer. Comment verriez-vous cette possibilité, cette option ou cette solution proposée par d'autres organismes où il y aurait peut-être des nominations de juges, pas nécessairement de commissaires, mais d'un contentieux, et ainsi de suite?

M. Bernheim: Cela va un peu dans le sens que l'on propose, puisqu'on fait une proposition...

M. Marcil: Vous ne semblez pas vouloir le dire ouvertement. (20 h 30)

M. Bernheim: Ce n'est pas qu'on ne veut pas le dire ouvertement. Ce qu'on veut, c'est faire prendre conscience, et c'est dans ce sens qu'on veut aller, que ce n'est pas un tribunal comme il en existe maintenant, mais un tribunal ayant un pouvoir moral et prenant des décisions contraignantes, et que ces décisions ne s'appliquent pas seulement aux personnes impliquées, mais à l'État, quand l'État est concerné. C'est pour cela qu'on fait une proposition, afin que la commission ou l'organisme qui le remplacerait sous un autre nom ait des pouvoirs similaires à ceux de la Cour européenne des droits de l'homme. Cette cour prend des décisions qui sont contraignantes pour les États. Ce que le gouvernement du Québec doit maintenant accepter, c'est de mettre sur pied une structure - appelons-la tribunal ou cour - dont les décisions seraient contraignantes pour le gouvernement et qu'il s'engagerait à respecter. Ce serait un des moyens qui pourraient régler un certain nombre de problèmes et, surtout, qui auraient une connotation importante pour l'éducation. Si l'État est mis en cause - l'État, n'étant pas Dieu, peut commettre des erreurs - et que, pour une raison ou pour une autre, il reconnaît avoir commis une erreur, il prendrait énormément de crédibilité auprès des citoyens et se situerait sur le plan humain. Tout le monde sait que les erreurs sont humaines, mais refuser d'admettre en avoir commis est une attitude inacceptable.

M. Marcil: Dans le cas des plaintes qui sont traitées par cette commission, le problème soulevé par les intervenants qui vous ont précédé, c'est que les gens, ou la personne, ou l'organisme peuvent reconnaître une erreur, mais cela n'oblige pas à la correction de l'erreur. Le fait que la Commission des droits de la personne reconnaisse que tel organisme ou tel employeur a commis une erreur n'est pas une décision exécutoire.

M. Bernheim: On propose qu'elle le soit, qu'elle soit contraignante, c'est-à-dire que la décision soit appliquée et que ta partie intéressée ayant commis cette violation soit contrainte d'appliquer la décision de la commission.

M. Marcil: Pas seulement de la reconnaître, mais de l'appliquer.

M. Bernheim: De l'appliquer, oui. Dans notre vision des choses, les violations de droits ne sont pas seulement commises par des individus ou des organismes, mais aussi par l'État. Peu importe l'origine de la violation, la décision prise serait contraignante à tous les niveaux. C'est un nouvel aspect. Je ne pense pas que le gouvernement du Québec soit dans une situation de ce type où il soit tenu de respecter une décision prise par l'un de ses tribunaux. Si le gouvernement l'acceptait, ce serait une nouvelle ouverture, ce serait aussi une nouvelle affirmation de l'Importance des droits et libertés.

M. Marcil: Étant donné que vous faites partie d'un organisme qui a une fonction assez précise, je vais poser une question sans préjuger, très objective. Pensez-vous que les détenus doivent avoir les mêmes droits que l'ensemble des gens qui composent la société?

M. Bernheim: Absolument. M. Marcil: Pour quelle raison?

M. Bernheim: Pour quelle raison? Je vais vous donner un exemple. Jusqu'à présent - et cela peut encore durer - les détenus sont le public ou la cible idéale pour inciter à des violations de droits de la part de l'État. Par exemple, la violation du courrier. Tout le monde s'est toujours entendu pour dire que le courrier des détenus devait être censuré. Au début c'était pour des raisons administratives, parce qu'on ne voulait pas que soit dévoilé ce qui se passait dans les institutions carcérales, mais aussi sous prétexte qu'il pouvait y avoir des plans d'évasion, des crimes qui pouvaient être planifiés dans ces écrits. Le résultat a été que l'État fédéral, par l'intermédiaire de la GRC, a violé, pendant 40 ans les droits des citoyens canadiens. Après cela, l'État a tout simplement promulgué une loi qui légalisait cette violation qui s'est faite pendant 40 ans. Pour l'écoute électronique, c'est la même chose. Tout le monde s'entend pour dire que, si les détenus téléphonent, tout le monde doit écouter parce qu'ils pourraient planifier des évasions ou d'autres crimes. Cela a permis à l'État de mettre au point des techniques d'écoute électronique, avec le résultat qu'on peut maintenant écouter n'importe quel citoyen. On donne ainsi de plus en plus de pouvoirs à l'État,

sous prétexte qu'une catégorie de citoyens ne doit pas bénéficier des mêmes droits que tes autres. Je pense qu'un principe qu'une société doit absolument avoir, c'est que tous tes citoyens, sans exception, aient les mêmes droits. Il est évident que, dans certaines circonstances, il y a des gens qui ne peuvent pas exercer tous leurs droits, mais il appartient à l'État de faire la preuve de la nécessité de restreindre ces droits.

Un autre exemple: le droit de vote. On a réclamé le droit de vote à partir de 1972. Cela a pris des années avant que ce droit soit enfin reconnu. Mais, en 1972, qu'est-ce que l'État répondait? D'abord, l'État ne respectait pas sa propre loi électorale, puisqu'il reconnaissait le droit de vote aux gens qui n'avaient pas été condamnés pour un délit punissable de deux ans et plus et que les prévenus avaient le droit de vote, puisqu'ils sont présumés innocents. L'État refusait de respecter sa propre toi. Finalement, l'État a accepté que les détenus aient le droit de vote. Les détenus, au Québec, votent. On peut constater qu'il n'y a pas eu de révolutions, qu'il n'y a pas eu d'émeutes, qu'il n'y a eu absolument aucun problème de quelque ordre que ce soit. Et, maintenant, on permet à ces gens d'exercer te droit de tout citoyen, celui de participer au processus démocratique.

Je pense que c'est un exemple clair démontrant qu'on niait à des gens un droit fondamental qui peut maintenant être exercé, qui est exercé, et cela ne fait que profiter à la société. Maintenant, ces gens ont une raison de s'intéresser à la politique, ils peuvent participer au processus politique et démocratique. Je pense qu'on leur donne aussi l'occasion de prendre contact avec la vie en général, avec tes problèmes de notre société. Cela amène ces gens à réfléchir, comme tous les gens qui vont voter réfléchissent au candidat pour lequel ils vont voter. Je pense que ce principe devrait être appliqué pour tous les droits. Si, parfois, il y a des circonstances qui font qu'un droit ne peut pas être exercé c'est à l'État à démontrer la nécessité de suspendre l'exercice de ce droit. Tous les gens ont des droits, mais ils peuvent, à un moment donné, être limités dans l'exercice d'un droit parce qu'ils ont fait un certain choix ou parce qu'ils se trouvent dans certaines circonstances.

Le Président (M. Filion): Cela va, M. le député de Beauharnois? M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: Je pense que vous avez bien répondu, M. le Président. Quand mon collègue, le député de Beauharnois, vous a demandé si les détenus avaient droit à certains droits - permettez-moi ce pléonasme - j'allais répondre, mais vous l'avez fait de façon éloquente. Effectivement, les détenus, au Québec, ont droit de vote. Je suis heureux d'appartenir au parti politique qui, lorsqu'il formait le gouvernement, a rétabli ce droit pour les détenus.

Dans votre présentation, vous parlez d'éducation, d'une certaine éducation que doit faire la commission. Je voudrais présenter un point de vue un peu plus large, sans vouloir faire le procès de l'école, puisque c'est une tentation qu'on a quotidiennement. Mais l'école est le reflet ta société. Prenez l'exemple de nos voisins américains. El n'y a pas une école, pas une petite classe, pas un élève qui n'a pas lu le texte de la constitution américaine, qui est une charte fondamentale et qui va même très loin en parlant du "droit au bonheur" dans un de ses articles. Je trouve cela merveilleux comme écriture. Est-ce que vous évaluez qu'au Québec, sur ce plan, malheureusement, il y a de très profondes lacunes?

M. Bernheim: Oui, effectivement. Sauf au secondaire V, il n'y a pas possibilité pour les étudiants d'apprendre la notion des droits et libertés et, par le fait même, de les défendre et de les revendiquer. Je pense que cela devrait commencer beaucoup plus tôt. Dès le primaire, la notion de droits et libertés devrait être expliquée, démontrée, analysée, et jusqu'à la fin des études, y avoir un approfondissement progressif de cette question. Je pense que c'est fondamental parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne sont pas vraiment conscients de leurs droits Ils ne sont pas conscients de la possibilité qu'ils ont d'obtenir le respect de ces droits. Et cela, je pense qu'il faut que ce soit montré, enseigné, inculqué. Cela permettrait aux gens d'être plus respectueux envers les autres parce que, lorsqu'on est conscient de ses propres droits, on prend conscience de l'existence de ceux qui nous entourent et de la limite dans l'exercice de chacun de ces droits. Je pense que cela ne pourrait être que favorable à la société en général.

M. Boulerice: Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Cela va. Est-ce qu'il y a d'autres Interventions? M. le député de Marquette.

M. Dauphin: SI vous me le permettez, M. le Président, je me souviens, dans les années 1981 ou 1982 sous le gouvernement antérieur, alors qu'on commençait à peine à parler de programmes d'accès à l'égalité, que vous étiez venus en commission parlementaire et aviez revendiqué pour les détenus le droit à l'évasion et que ce soit inclus dans la Charte des droits et libertés de la personne. Est-ce que vous maintenez toujours la même position?

M. Bernheim: Effectivement, ce qu'on avait proposé à cette époque, on le maintient. II faut rappeler que cette revendication n'est pas inventée de toute pièce, c'est un droit déjà reconnu par le droit français depuis des siècles.

Le Code pénal français ne pénalise pas l'évasion. Ce que le Code pénal français pénalise, c'est le bris de prison ou la violence contre un individu. Mais si un détenu a pu être plus astucieux que ses gardiens et qu'il a réussi à s'évader, it n'est pas pénalisé pour cela. Je pense que pénaliser quelqu'un qui est plus intelligent ou plus astucieux que son gardien est profondément inhumain et tout à fait contradictoire avec le discours de la réhabilitation parce que, tant qu'un détenu veut s'évader de la prison, on peut penser que cette personne veut vivre en société. Le jour où une personne ne veut plus s'évader, je pense que l'État fait la preuve que son système est tout à fait boiteux parce qu'il a réussi à contrôler une personne et à lui faire croire que l'endroit où il peut vivre, c'est dans une prison. Alors, je pense que l'évasion est tout simplement la preuve qu'une personne est encore suffisamment autonome et désireuse de vivre en société pour prendre un certain nombre de moyens afin de quitter ce milieu qu'elle ne peut pas supporter et qui est tout à fait incompatible avec la nature humaine. Je pense que cela demeure.

M. Dauphin: Cela ne s'apparente pas, évidemment, au droit à la mutinerie.

M. Bernheim: Non, pas du tout. Je pense que c'est très différent, quoique la constitution française, la Déclaration de l'homme et du citoyen, reconnaît le droit à la révolte si le peuple est soumis à des extrémismes de la part de l'État. On pourrait prendre une position comparable relativement à la prison quand des gens sont entre les mains de personnes qui abusent de leurs pouvoirs d'une façon absolument inacceptable. Je pense que personne ne s'Indignera du fait que certains prisonniers politiques, par exemple, se révoltent dans un pays où il y a une dictature. Je pense que, s'il y avait une révolte des prisonniers politiques au Chili et qu'un certain nombre d'entre eux pouvaient s'évader, plusieurs personnes en seraient très contentes. Au Chili, c'est de la dictature, mais dans nos prisons, on a un système totalitaire. On n'a pas une société totalitaire, mais on a une institution totalitaire parce que les détenteurs du pouvoir dans ces institutions n'ont de compte à rendre à personne. Il suffit de se rappeler qu'en 1982, quand des détenus ont été torturés à Archambault, personne n'a jamais subi de sanctions pour cela. Aucun gouvernement, aucun politicien, aucun détenteur du pouvoir politique ne s'est insurgé contre cette situation. (20 h 45)

Pour moi, c'est absolument catastrophique ce genre de choses parce que c'est une caution de l'État et, tant que l'État acceptera que des droits fondamentaux des citoyens soient brimés par ses agents de la paix, je pense que les conséquences seront dramatiques, très dramatiques. L'État n'a pas su, par exemple, réagir aux événements de Rock Forest pour différentes raisons, mais tout citoyen raisonnable ne peut accepter que des gens soient tués de cette façon-là sans qu'il y ait de réaction de l'État. On peut penser que l'affaire Griffin est une conséquence indirecte de cette absence de réaction de la part de l'État. Les policiers ont des pouvoirs qui sont extravagants. Ils en usent et en abusent constamment, au vu et au su de tout le monde, mais personne ne réagit. On va prétendre que la Commission de police n'a pas de pouvoir pour agir. Mais pourquoi la Commission de police n'a-t-elle pas de pouvoir? C'est parce que vous qui avez le pouvoir politique ne lui donnez pas cette possibilité d'agir. Vous êtes finalement les responsables de cette situation. Je pense que c'est une chaîne. Il faut briser cette chaîne à un moment donné pour éviter des abus.

Le Président (M. Filion): Des intervenants? Bon, alors je vous dirai, juste un mot sur le droit à l'évasion, M. Bernheim. Je comprends que dans certains cas il y ait des droits qui soient soulevés. Dans certains cas, on peut se trouver devant une situation où, moralement, on enfreint une loi dans un contexte abusif. Vous y avez fait allusion à la fin de votre réponse à mon collègue par exemple, lorsqu'il y a des tortionnaires, etc. C'est une situation qu'on peut comprendre, mais autrement - et j'exprime ici une opinion tout à fait personnelle - si un individu se retrouve en prison, c'est que l'autorité judiciaire a décidé de le priver de sa liberté, et lui conférer le droit à l'évasion, qui est le droit - vous me corrigerez si je me trompe - de recouvrer cette liberté qu'une des composantes de notre système démocratique a décidé de lui suspendre temporairement, ça m'apparaît un petit peu contradictoire. Je ne sais pas si vous voulez réagir là-dessus avant que je passe à des questions sur le fond de votre mémoire et sur le fond de notre mandat.

M. Bernheim: Effectivement, je pense que c'est contradictoire dans le sens que la loi stipule un certain nombre de choses. Je pense qu'il faut prendre pour acquis, d'abord, qu'une loi n'est pas nécessairement bonne parce qu'elle existe; ça, c'est un point. Une personne est maintenue en détention après une ordonnance judiciaire, c'est vrai, mais il n'y a rien qui empêcherait l'existence d'une loi qui fasse que l'évasion sans bris, sans violence ne soit pas pénalisée, comme c'est le cas en France. C'est encore une position de principe. Je pense que, en ce qui a trait aux droits et libertés, il faut d'abord adopter des principes de base et, ensuite, élaborer une structure, mais jusqu'à présent les principes n'ont pas été fréquemment présentés. On adopte un certain nombre de mesures légales et on constate les conséquences que cela entraîne. SI, parfois, ça ne va pas très bien, on s'ajuste. On n'est pas parti de principes de base

et c'est par ça, je pense, qu'il faut commencer, que vous preniez des positions de principe et qu'ensuite vous construisiez une structure qui permette l'application de ces principes, et non pas l'inverse, soit de construire et de constater les conséquences. Je pense que c'est fondamental.

Le Président (M. Filion): Écoutez - je parle uniquement en mon nom personnel - je dois vous dire qu'en tant que parlementaires nous sommes confrontés quotidiennement aux droits de l'individu qui s'arrêtent cependant là où commencent les droits d'un autre individu ou les droits de l'ensemble de la collectivité. Alors, ce sujet-là n'est pas théorique. En tout cas, en tant que parlementaires, lorsque vient le temps d'étudier des projets de loi - je pense bien que c'est la même chose pour mes collègues également - nous sommes confrontés sur une base quotidienne à ce type de débat qui n'est pas du tout théorique. Par exemple, prenons le droit, j'allais dire à la liberté des individus, qui a été restreint par une décision judiciaire, qui est une des composantes de notre système démocratique. Dans ce cas-là, le droit à l'évasion se heurte aux droits de l'ensemble de ta collectivité qui est représentée par la décision judiciaire et il peut être contesté à l'intérieur du système judiciaire. Écoutez, je ne voudrais pas compléter la période sur ce débat, ce ne sont que quelques réflexions parce que je relève quand même certains éléments très intéressants de votre mémoire sur lesquels j'apprécierais avoir un peu plus d'éclaircissements.

D'abord, en ce qui concerne la possibilité pour la commission de se pencher sur d'autres cas que les cas de discrimination, c'est-à-dire les cas qut pourraient concerner d'autres droits et libertés. À partir de votre expérience concrète ou à partir de vos réflexions, j'aimerais que vous explicitiez sur le mandat, que vous jugez trop restrictif, de la commission, qui est défini, évidemment, dans la charte et qui se limite aux cas de discrimination en vertu des articles 60 et quelque de la charte.

M. Bernheim: Oui. Le fait d'avoir un mandat qui permette d'intervenir seulement dans les cas de discrimination, c'est déjà là une prise de position qui fait qu'on ne met pas de l'avant tes droits et libertés mais certaines violations dans certaines circonstances.

Alors, si quelqu'un, par exemple, ne discrimine personne mais brime les droits de tout le monde, la commission ne peut pas intervenir. Par contre, si une catégorie de citoyens est discriminée, là, elle peut intervenir, et c'est ce qui est aberrant, parce qu'une commission, il me semble, doit pouvoir intervenir dans tous tes cas de violation, que ce soit pour des motifs racistes, discriminatoires ou autres. Le motif pour lequel une personne viole des droits ne doit pas être l'élément décisif de l'intérêt ou de l'absence de l'Intérêt. Je pense que c'est une position de principe de base qui devrait être adoptée. Quelle que soit la violation commise par quiconque, elle devrait être du mandat de la commission. Cela serait une réaffirmation de la part de l'État et un moyen d'éducation clair, très clair, qui aiderait les gens à comprendre ce que veulent dire droits et libertés et qui les inciterait à respecter ces droits et libertés.

Le Président (M. Filion): Mais ces droits et libertés sont évoqués et invoqués devant toutes les instances, devant les tribunaux, etc. Lorsqu'il y a des violations, par exemple, cela peut faire l'objet de poursuites civiles, d'éléments de poursuites civiles, criminelles ou administratives, la charte étant, comme vous le dites vous-mêmes à la page 3 de votre mémoire, une loi qui a préséance sur les autres lois; elle fait partie, si l'on veut, du lot quotidien de l'ensemble des tribunaux de droit commun et non seulement de la juridiction de la Commission des droits de la personne. Je ne sais pas si vous me saisissez?

M. Bernheim: Oui, oui, très bien.

Le Président (M. Filion): Est-ce que votre position aurait pour but de soustraire cette juridiction de l'ensemble des tribunaux qui appliquent la charte et de n'en faire que l'apanage de la Commission des droits de la personne? Je crois que cela n'aurait pas beaucoup de... Ce serait difficile d'application, là.

M. Bernheim: Non, je ne pense pas qu'il faille soustraire la charte des autres tribunaux; le mandat de la commission n'est pas de porter un jugement judiciaire. Mais, là, vous portez un jugement sur des faits, ce qui est très différent, et les conséquences ne sont pas celles d'un casier judiciaire ou quelque chose du genre. Alors, il faut voir que les poursuites au civil sont d'abord des poursuites qui coûtent cher et ce n'est pas tout le monde qui a les moyens d'entamer de telles poursuites. Ensuite, pour ce qui est des poursuites au criminel, là encore, je peux vous donner un exemple qui m'apparaît scandaleux, qui montre que c'est loin d'être la panacée à tous les maux. Vous avez sûrement entendu parler des évasions qui se sont produites à Parthenais où, dans deux cas, il y a des gens qui sont morts en descendant le long d'un câble. Dans le premier cas. le policier-enquêteur a reçu l'ordre d'un supérieur non identifiable pour l'instant de ne pas aller voir les autres prévenus qui étaient là lors de l'incident. Alors, après cela, ce policier a fait un rapport amputé d'une grande partie des témoignages qui auraient pu être rendus, ce qui fait que ce dossier-là, à un moment donné, a été classé et fermé. Il a fallu que nous fassions une enquête pour démontrer qu'il y avait des témoins et que ceux-ci étaient prêts à témoigner pour que finalement il y ait une enquête sur les événements en question. On a un cas très précis où il y a eu une interven-

tion policière, peut-être politique, indiquant qu'un policier n'avait pas fait son travail et cela, c'est la réalité, c'est le policier lui-même qui la avoué. Cela prouve que ce n'est pas encore suffisant .Je pense qu'une commission n'est pas là pour rendre des jugements contre des gens, mais pour établir un certain nombre de faits et constater s'il y a eu des violations ou pas, et, s'il y a eu violation, elle doit veiller a ce qu'il y ait réparation et dénonciation de cette violation. C'est ce mandat-là que la commission doit avoir, un mandat de réparation, un mandat moral pour démontrer qu'il y a une volonté de respect des droits et libertés. C'est sûr qu'il y aura toujours des gens qui vont tenter d'abuser de leur pouvoir, qui vont violer des droits et libertés, mais il faut qu'il y ait un mécanisme moral puissant, avec une grande crédibilité qui puisse intervenir. Les tribunaux judiciaires peuvent être saisis de toutes sortes de causes et les gens peuvent invoquer la charte quand c'est nécessaire, mais cela m apparaît deux champs différents, tout à fait différents.

Le Président (M. Filion): D'accord. Une dernière question. À la page 3 de votre mémoire, vous rappeliez que l'office a demandé que la Charte des droits et libertés de la personne soit une loi fondamentale qui ait une préséance sur toutes les autres lois, et vous profitez de votre mémoire pour réitérer votre demande. Est ce que |e dois comprendre, de cette demande-là que vous vous prononcez contre I'utilisation des clauses dérogatoires?

M. Bernheim: Certainement.

Le Président (M. Filion): C'est cela.

M. Bernheim: C est cela.

Le Président (M. Filion): Parce que vous savez que maintenant la charte a effectivement préséance sur toute loi, sauf, évidemment, dans la mesure ou il est prévu expressément le contraire et, dans ce cas-ci, je comprends votre demande contre l'utilisation des clauses nonobstant ou clauses dérogatoires.

M. Bernheim: Exactement.

Le Président (M. Filion): Donc, il me reste à vous remercier, M Bernheim et Me Cadieux, de vous être livrés à cet exercice empreint de démocratie. D'ailleurs, c'est tellement vrai que vous savez que notre commission fait un rapport à l'Assemblée nationale et que celle-ci, ultime-ment peut décider de modifier la charte des droits pour certaines des attributions de la Commission des droits de la personne, mais, généralement cette modification là se fait par proiet de loi déposé par le gouvernement. Donc, il y a des instances entre nous et I'adoption d'un pro|et de loi qui modifiera la charte. Générale- ment je tiens à le souligner, la charte a toujours été modifiée avec le consentement unanime de tous les membres de l'Assemblée nationale. Souhaitons qu'il en sera ainsi. Vous aurez remarqué que le travail qui se fait ici est "apartisan", c'est-à-dire qu'il se fait dans un esprit de collaboration à peu près totale entre les membres des deux formations politiques. Merci de vous être déplacés, merci de votre mémoire.

M. Bernheim: Merci . Au revoir.

Le Président (M. Filion): On peut ajourner deux minutes pour permettre à nos invités de bien vouloir prendre place l'Association pour les droits de la communauté gale du Québec. Donc, deux minutes.

(Suspension de la séance à 21 heures)

(Reprise à 21 h 6)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Je voudrais souhaiter la bienvenue aux représentants de l'Association pour les droits de la communauté gaie du Quebec qui existe, sauf erreur, depuis 1976 et demander aux repre sentants de bien vouloir s identifier non seulement pour les membres de la commission mais également pour le Journal des débats qui, comme vous le savez transcrit nos propos.

M. Sigouin (Jacques): Jacques Sigouin président de I'association.

M. Gérard (Louis): Louis Gérard trésorier.

Le Président (M. Filion): D'accord Je pense que vous connaissez nos règles du jeu une quinzaine de minutes pour la présentation de votre mémoire et, par la suite, nous discuterons avec vous. À vous la parole.

Association pour les droits de la communauté gaie du Quebec

M. Sigouin: Par la présente j'aimerais remercier la commission de nous avoir invités a présenter un mémoire et à faire la lecture de ce mémoire. On fait des recommandations dans notre mémoire et on aimerait surtout que ces recommandations soient étudiées en espérant un résultat. L'association a mandaté Louis Gérard pour faire la présentation du mémoire.

M. Gérard: Je tiens à m'excuser auprès des membres de la commission de ne pas avoir été capable de leur remettre notre mémoire avant. On est très peu nombreux et on a été pris dans le temps pour rédiger ce mémoire.

En réfléchissant sur le rôle de la commission face à la communauté gaie ou homosexuelle, on en est venu à la conclusion qu'il n'existe aucun lien entre la commission et cette communauté. Il n'existe aucun contact entre celle-ci et les divers organismes communautaires et politiques gais. Il nous semble aussi que la communauté gaie est peu au courant du fait que l'orientation sexuelle est considérée comme un motif de non-discrimination dans la charte. Et on doute aussi qu'elle soit consciente de l'existence de la charte même.

Pour revenir à la question des relations entre la Commission des droits de la personne et nos organismes, on pourrait citer notre organisme qui est, en fait, l'organisme politique de la communauté. Nous ne recevons, de la commission, que le bulletin. On ne reçoit pas les rapports annuels; on ne reçoit aucun document. On n'est au courant de rien de ce qui se passe à la Commission des droits de la personne.

J'ai examiné le nombre de plaintes formulées en fonction de l'orientation sexuelle depuis l'ajout de ceci à la charte. C'est entre 1 % et 4 % du total des plaintes; c'est très peu. La majorité de ces plaintes est dans la catégorie des plaintes reliées à l'emploi. J'ai aussi regardé le contenu du bulletin et des autres documents publiés par la commission. Dans le bulletin, on retrouve trois articles sur les questions d'orientation sexuelle et une douzaine de mentions de dossiers à l'étude. C'est très peu, compte tenu du nombre de bulletins qui ont été publiés depuis la création de ta commission. Dans les autres documents qu'on a pu vérifier, on ne parle à peu près jamais de l'orientation sexuelle comme motif de non-discrimination, ce qui nous donne l'impression que la Commission des droits de la personne agit comme si la question de l'orientation sexuelle n'existait pas dans la charte; pour nous, c'est inacceptable.

Il existe de nombreux problèmes et on aimerait bien que la commission commence à se pencher sur les questions d'orientation sexuelle. Donc, nous aimerions faire les recommandations suivantes. Premièrement, nous aimerions que, éventuellement, un représentant de la communauté soit nommé au sein de la commission afin d'assurer que les intérêts de notre communauté soient respectés, au même titre que les autres minorités.

Deuxièmement, nous aimerions que la commission se penche, étudie, fasse des recherches sur l'ensemble des lois et des réglementations qui, souvent, sont discriminatoires face à l'orientation sexuelle. Je pense aux questions d'assistance sociale, aux pensions, aux rentes, aux régimes de retraite, aux assurances, à la réglementation du travail et ainsi de suite.

Souvent, on retrouve dans des définitions, par exemple, le mot "couple", comme étant un homme et une femme, et cela entraîne souvent comme résultat qu'on ne peut bénéficier des avantages qui, normalement, seraient offerts aux autres personnes. Nous croyons aussi que la commission devrait sensibiliser le législateur face à une réalité vécue par une importante partie de la population. On a l'impression souvent que les lois sont orientées en fonction de l'image traditionnelle de la famille, la famille nucléaire, homme, femme, enfants La réalité est autre et, dans l'élaboration de la législation, il faudrait en tenir compte. Nous croyons que la commission aurait un rôle à jouer, celui de sensibiliser le législateur à cela.

Je note, particulièrement, toute la question de l'accès aux services de santé et aux services sociaux. Nous n'avons aucun service social, aucun service gouvernemental de santé qui vise spécifiquement la communauté. C'est très difficile de sensibiliser les responsables - je pense ici au ministère de la Santé, aux CLSC - aux différents besoins de notre communauté. À titre d'exemple, nous avions, il y a quelques années - maintenant, nous n'avons plus les ressources financières pour le faire - nos propres travailleurs sociaux, sur une base bénévole, qui s'occupaient de notre communauté. On n'a jamais réussi à avoir des services des CLSC, par exemple, ou des autres services gouvernementaux, de cette façon-là. Donc, nous croyons que la commission devrait s'impliquer à encourager le développement de ces services-là.

Nous croyons aussi que la commission devrait jouer un rôle d'éducation, en particulier, pour les policiers. À Montréal, est venue de la base, autant de certains responsables de postes de police locaux, des autorités municipales et des groupes communautaires gais, l'idée de lancer un programme pour améliorer les relations entre la communauté gaie et les policiers. Nous aimerions voir une implication de la commission là-dedans et nous aimerions que cela débouche sur une espèce de programme pilote qui serait ensuite applicable à l'ensemble des corps policiers au Québec. Nous avons de nombreux problèmes avec les policiers. Nous avons des cas flagrants de discrimination. Nous avons aussi des problèmes de perception de la part des membres de notre communauté face à la police qui sont injustifiés, qui, souvent, hésitent à utiliser les services puisqu'ils ont peur de n'être pas servis adéquatement. Il y a tout un travail d'éducation à faire et nous aimerions que la commission se penche aussi sur ce genre de choses.

Quatrièmement, nous aimerions que la commission s'engage aussi à mieux informer la population gaie et la population en général de l'existence de l'orientation sexuelle comme motif de non-discrimination. Donc, on parle ici d'une tâche d'information sur une question spécifique, l'orientation sexuelle.

Et, en dernier lieu, nous recommandons tout simplement que la Commission des droits de la personne soit plus présente au sein de nos organismes pour que s'établissent de meilleurs liens entre la communauté gaie et la commission. (21 h 15)

Nous croyons aussi qu'il serait bon d'élaborer une espèce de table de concertation entre la commission et l'ensemble des organismes minoritaires, des groupes minoritaires et ce, dans le but de promouvoir la Charte des droits et libertés de la personne. En somme, c'est ce sur quoi nous avons pu réfléchir quant au rôle de la commission face à notre communauté.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Gérard, M. Sigouin.

M. le député de Sainte-Marie.

M. Laporte: M. le Président, premièrement, j'aimerais vous remercier. Même si, comme vous l'avez indiqué au début, les membres n'ont pas reçu le mémoire, à tout le moins, je pense que ce qui est important, c'est que vous puissiez venir nous faire part de vos réactions, de vos commentaires et aussi de vos recommandations face au mandat que s'est donné la commission soit la surveillance de la Commission des droits de la personne. De l'ensemble - j'ai pu faire une étude brièvement, en tout cas, des principales recommandations - il ressort un peu une perception - et, sur cela, j'aimerais peut-être que vous me corrigiez - que vous avez de la Commission des droits de fa personne.

La première question qui me vient à l'esprit. Est-ce que vous avez déjà eu des contacts ou, à tout le moins, est-ce que vous avez déjà acheminé des dossiers à la Commission des droits de la personne? À partir de la, quel a été le cheminement, pas seulement vos impressions, que cela a pu suivre? Pouvez vous me donner un peu un aperçu à ce sujet ?

M. Sigouin: Oui, monsieur on a déjà acheminé des dossiers à la Commission des droits de la personne, des cas de discrimination au travail et ces choses-là .Ce sont des gens qui venaient nous voir pour nous demander de I'aide afin d'apporter leur dossier à la commission. On leur donnait les informations adéquates, ou aller et à qui s'adresser. Ils portaient plainte à la commission. Entre le moment où ils portaient plainte et le moment ou I'enquête était terminée, le délai d'attente était très long. Les gens qui déposaient la plainte, à un moment donné, se tannaient. Tout simplement, lorsqu'arrivait le temps de comparaître, les gens étaient trop occupés, ils avaient un autre emploi il y avait autre chose. Le délai était trop long pour l'attente. Les gens ont besoin d'un revenu et ils n'attendaient pas. Alors, dans la majorité des plaintes qui ont été déposées, les gens ont laissé tomber en cours de route à cause des délais très longs.

M. Laporte: Cela m'indique effectivement que vous avez déjà fait affaire avec la commission et que vous avez eu une réception à la commission concernant les plaintes. Ce que vous m indiquez actuellement. II y a un groupe qui, ce matin, nous a fait part un peu des mêmes arguments que vous ne serait-ce que quant aux délais. D'ailleurs, dans une de vos premières recommandations, vous indiquiez qu'il serait intéressant d'inclure un membre ou d'avoir une représentation d'un de vos membres à I'intérieur de la commission, comme, d'ailleurs plusieurs autres groupes nous I'ont mentionné, pour avoir la retransmission ou, à tout le moins, l'image ou la sensibilité de s'occuper des cas un peu plus particuliers.

Vous faisiez part que vous aviez fait affaire avec la commission, mais aussi que la commission vous donnait peu ou approximativement pas d'informations sur ce qui se produisait. Est-ce que vous aviez formulé diverses demandes à la commission qui allaient un peu dans ce sens ne serait-ce que le rapport annuel ou, en tout cas d'autres types d'informations en termes d'échanges que vous avez pu avoir avec la commission? Je veux essayer de percevoir le genre de relations vous avez pu avoir, les échanges et les accueils que vous avez pu recevoir à la commission.

M. Gérard: On n'a pas eu beaucoup de demandes de faites à la commission. On a trouve cela un peu difficile d'accès. Pour citer tout simplement l'exemple de la redaction de ce mémoire-ci pour ma recherche j'ai été obligé de me rabattre sur les bibliothèques universitaires puisque le centre de documentation de la commission est ouvert de 9 heures à 16 heures et quand on travaille, on ne peut pas y avoir accès. Donc, c est un problème comme cela qu on a eu. Quant aux demandes on na jamais fait de demandes comme telles à la commission.

M. Sigouin: Oui. M. le Président, il y a déjà eu des demandes de faites auprès de la commission, tout ce qu'ils nous envoient, c'est le bulletin mensuel ou trimensuel et le rapport annuel. Lorsque je suis allé chercher de I'information pour faire le document de travail qu'on vient de déposer, tout ce qu'on m'a donné comme documentation a été le rapport annuel de 1987. La personne que j'ai rencontrée m'a tout simplement répondu que présentement ils sont à refaire le système informatique, qu'ils ont beaucoup de données qui ne sont pas rentrées dans I'informatique et qu'ils n'ont carrément pas le temps de chercher dans toutes les archives parce que ce n'est pas rentré dans I'informatique. C'est pour cela qu' ils ne pouvaient pas nous donner plus de documentation pour conclure notre mémoire.

M. Laporte: Dans les commentaires que vous nous avez livrés, vous nous indiquez que de 1 % à 4 % des plaintes étaient traitées à la Commission des droits de la personne. En conséquence ma première réaction c'est de dire qu'au nombre des plaintes qui sont produites à la commission peut être que la commission ne peut que dire

Cela concerne une partie des demandes que nous avons, mais c'est une très forte minorité ou un très faible pourcentage; c'est peut-être là le motif pour lequel on s'en occupe un peu moins. Pouvez-vous attribuer cela soit à la méconnaissance des différents recours, comme vous avez pu le mentionner à certains moments, ou, si on peut s'exprimer ainsi, est-ce parce que l'objet ou les demandes ne sont peut-être moins élevées de votre communauté par rapport à d'autres minorités?

M. Gérard: II y a peut-être une crainte des membres de notre communauté à formuler des plaintes de ce genre. C'est peut-être un facteur important. J'ai noté que la plupart des plaintes qui ont été formulées étaient des questions d'emploi. Donc, j'ai plutôt l'impression que les gens hésitent à recourir aux services de la commission tout simplement par crainte d'avoir à discuter de l'orientation sexuelle.

M. Laporte: Pour les fins de la discussion, j'aimerais obtenir vos commentaires. Vous soulignez à un certain moment dans votre document que des services divers doivent être pris en considération, que ce soit des services de santé, des services spécialisés et adaptés par rapport aux besoins particuliers dans les CLSC, dans les ministères ou autrement. Vous soulignez aussi d'une autre façon que plusieurs lois font en sorte que cela devient discriminatoire pour votre communauté. Plus particulièrement en ce qui concerne les divers services qui pourraient être plus spécialisés ou autre chose, j'essaierais, comme Je le disais, sans préjuger du fond de la question, de renverser un peu la question et de dire: Ne croyez-vous pas que cela pourrait devenir discriminatoire un peu peut-être comme on pourrait l'exprimer à certains moments: où les droits des uns se terminent, commencent ceux des autres ou d'une collectivité en général? À partir de cela, je pense que c'est une gymnastique qu'on se doit de faire et j'aimerais peut-être vous entendre là-dessus, je l'apprécierais.

M. Gérard: Oui, le problème se pose principalement à Montréal. Nous avons des secteurs de la ville où nous avons une forte concentration de gais, mais nous n'avons aucun service adapté à leurs besoins. Dans des secteurs où nous avons une forte concentration de tels groupes ethniques, nous notons qu'ils ont des services gouvernementaux adaptés. Nous disons que nous devrions en avoir.

En ce qui a trait à la sensibilisation des professionnels, je crois qu'il y a un travail à faire aussi. Nous avons été mis au courant de cas de jeunes référés par des psychologues à toutes sortes de traitements aberrants. Je crois qu'il y aurait lieu d'éduquer aussi les professionnels face à cela. Il y a un besoin de répondre à ce type de problème, qui n'existe pas présentement.

M. Laporte: Est-ce que je peux...

Le Président (M. Filion): Certainement.

M. Laporte: Toujours un peu dans la projection d'échanges, pour ce qui est des conversations, vous soulignez des problèmes que vous avez, j'imagine, avec les différents corps policiers...

M. Gérard: Oui.

M. Laporte: ...principalement, j'Imagine, en ce qui concerne la communauté urbaine. Selon les informations, à tout le moins que je possède, c'est que n'y aurait-il pas actuellement la mise sur pied d'un comité qui s'occupe de regarder cette situation?

M. Gérard: Oui. Je le mentionne brièvement, c'est un comité qui est venu de la base de la communauté même. Ce que nous voulons recommander, c'est que cela soit examiné par la commission et que cela serve de projet pilote pour éduquer les autres corps policiers parce que c'est, quand même, un travail qui se fait des deux côtés, autant l'éducation des policiers que l'éducation des membres de notre communauté face aux policiers.

M. Laporte: Une dernière question pour l'instant. Quand je fais des réunions dans mon comté avec les différents groupes, par rapport à une problématique ou à une situation, je leur donne toujours la possibilité de s'évader. Donc, si vous étiez la Commission des droits de ta personne ou si vous faisiez partie de la Commission des droits de la personne, quelle serait pour vous la première chose que vous feriez à l'intérieur de cette commission ou, à tout le moins, la première intervention directe que vous feriez à la commission?

M. Gérard: À la commission? Ce serait examiner toute la question législative.

M. Laporte: Pardon?

M. Gérard: Toute la question législative qui discrimine les couples gais.

M. Laporte: Et en ce qui concerne les plaintes?

M. Gérard: En ce qui concerne les plaintes, sensibiliser la population à l'existence de l'orientation sexuelle comme motif de non-discrimination.

M. Laporte: Si je saisis bien, vous voyez le rôle de la commission comme étant un rôle de communication, de publicité - c'est un bien grand mot - plutôt un rôle de sensibilisation, de voir à un changement de mentalités.

M. Gérard: Oui, à ce stade-ci, dans la perception des besoins de la communauté gaie, oui.

M. Laporte: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci. M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: Oui M. Sigouin, M. Gérard, je suis très heureux que vous ayez accepté de participer à cette commission. Je n'ai pas à vous cacher que j'ai spontanément suggéré le nom de votre organisme. Je pense que vous n'avez pas à vous excuser du mémoire comme tel. Je pense qu'au contraire vous nous ouvrez une porte Je pense que l'Assemblée nationale devra probablement un jour regarder cela de très près puisque nous tenons souvent des commissions parlementaires et que, puisqu'il faut se rattacher au plus grand nombre, à la population, nous invitons les organismes sans but lucratif, donc sans grandes ressources humaines, sans grandes ressources financières, qui souvent ne peuvent, justement, participer aux commissions parlementaires puisqu'ils n'ont pas ces ressources-là. II faudrait peut-être qu'un jour l'Assemblée nationale se penche sur cela et se dise: Dans quelle mesure la commission parlementaire est-elle démocratique? Les moyens des uns étant souvent disproportionnés par rapport aux autres, certains ne sont-ils pas privés d'un droit de parole et dans quelle mesure la commission est-elle bien éclairée sur une réalité?

Vous servez peut-être à ce moment-ci d'exemple et cela, il faut le noter. J'aurais d'autres commentaires avant de vous poser quelques questions. Je vois, à la lecture de votre mémoire, que vous parlez d'assurer leur pleine participation à la société québécoise. Cela exclut donc l'idée de ghetto ou de cercle fermé que malheureusement on accole trop souvent à la communauté gaie. La communauté gaie fait partie de ce qu'on appelle les minorités invisibles par rapport aux minorités visibles, sauf que cette discrimination est plus insidieuse et aussi vicieuse que l'autre puisqu'elle s exerce de façon douce et souvent a les intonations du "oui, moi cela ne me dérange pas, mais... " Je pense que, de toute façon, on se comprend en employant ces mots-là. (21 h 30)

Vous notez - et mon collègue en a fait mention tantôt - aucun contact formel avec la commission, ne recevant que le bulletin. Je vous avoue que cela me préoccupe énormément. Vous avez noté environ trois ou quatre articles écrits sur le sujet. Là aussi, cela m'apparaît un peu particulier.

Vous avez, par contre, fait mention de recommandations. C'est là que le "oui, mais", quelquefois peut s'exercer. Mon collègue, juriste de formation - je n'ai, malheureusement, pas cette qualité - s'est fait délibérément l'avocat du diable tantôt. C'est un rôle qu'il empruntait, je sais que ce n'est pas sa nature. II disait. Oui mais par rapport aux autres? À cela je répondrai qu'on fournit des services de santé au Québec dans la langue portugaise pour des Québécois de cette origine et que même cette Assemblée nationale a voté une loi, la loi 142 ou, pour des raisons humanitaires, on permettait à nos compatriotes - je prends cet exemple en particulier, cela pourrait être un autre - de langue portugaise, qui recevaient des services en langue portugaise dans les CLSC francophones, de pouvoir recevoir ces services en anglais dans des CLSC anglophones "Oui, mais".

D'autre part, on sait très bien qu'il existe, dans les milieux très urbanisés, à Québec, la capitale, ou à Montréal, la métropole, des cliniques qu'on ne nommera pas puisqu'il ne s'agit pas de faire de publicité. Dans ces cliniques, comme tout le système de santé au Québec, cela se fait en fonction de présentation de la carte-soleil, donc c'est I'État, en définitive, qui dispense les services. II les dispense de façon indirecte. II n'y a aucune raison qu'un CLSC, qu'un ministère qu'un DSC, qu'un organisme gouvernemental, quun organisme du para ou du péripublic ne puisse pas distribuer des services spécialisés, adaptés à des besoins très précis d'une population qui les réclame. Je dirai oui, je ne sombrerai pas dans le "oui, mais" ce n'est pas mon attitude. Vous avez parlé de plaintes qui étaient reçues La question que j'aimerais vous poser, soit à M Sigouin ou à vous, M le trésorier. Est-ce qu'il y a eu des plaintes touchant le logement? Est-ce que vous avez eu des plaintes spécifiques quant à la police pour des refus d'intervention?

M. Gérard: Non. II y a eu quelques plaintes. J'ai noté dans les rapports annuels quelques plaintes pour les questions de logement. La majorité des plaintes étaient pour des questions d'emploi. Pour ce qui est de la police, je ne pense pas qu'on ait eu des plaintes formelles. On reçoit beaucoup de commentaires de personnes qui se sont fait accoster par la police, demander des noms, des choses comme cela. Les gens n'étaient pas en arrestation. C'est seulement plus récemment qu'on a eu des commentaires, mais on n'a jamais eu de plaintes acheminées à la Commission des droits de la personne face à l'agissement des corps policiers.

M. Boulerice: Est-ce que votre organisme a déjà été plaignant auprès de tribunaux ou non, d individus ou de groupes?

M. Gérard: Oui Nous avons un cas qui a fait jurisprudence. L'association avait demandé de louer une salle à la commission des écoles catholiques. Cela avait été refusé. C'est allé en cour. C'était la première fois qu'on avait un jugement favorable dans un cas de discrimination face à l'orientation sexuelle. C'est le seul cas

qu'on a référé aux tribunaux. On a eu aussi un autre cas qui est toujours en cour, d'arrestation massive dans un bar en 1984. Le procès est toujours en cours et on a eu quelques développements de jurisprudence intéressants. Ce sont les deux seuls cas où nous avons été impliqués.

M. Boulerice: D'accord. Je vais revenir tantôt.

Le Président (M. Filion): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Thuringer: Justement, M. le Président, sur la question de l'éducation, de la formation, il me semble que vous visez les polices et les autres personnes qui vous touchent directement, mais en ce qui a trait aux écoles et organismes familiaux, est-ce qu'il y a des mesures que la commission ou votre organisme même peut entreprendre pour accélérer cela?

M. Gérard: Oui, il y a certainement un travail d'éducation à faire face aux écoles, aux groupes de parents, ainsi de suite. La raison pour laquelle on ne l'a pas inclus, c'est que tout simplement pour nous, c'est peut-être un peu moins urgent. Mais certainement nous croyons que la commission devrait s'impliquer dans une tâche d'éducation générale face à l'orientation sexuelle.

M. Thuringer: Avez vous fait des démarches auprès des organismes familiaux ou dans la politique de la famille? Qu'est-ce que vous avez fait dans cette démarche?

M. Sigouin: Oui, monsieur. On a déjà fait une approche auprès des CLSC qui, eux, rencontrent souvent des groupes de femmes, des mères de famille. On a déjà fait des approches pour aborder le sujet Maintenant, le dossier est encore en train de se travailler. C'est un dossier qui est très long parce qu'il y a beaucoup de discrimination qui se fait indirectement. Les gens ont comme peur qu'on s'implique et c'est cette peur-là qu'il faut enlever. C'est à force de travailler et de travailler qu'on va la faire disparaître. II y a des dossiers qui sont amorcés sur cela. Mais il y a toujours une crainte et tant que la crainte va exister, ce sera très dur d'entrer dans ces milieux-là.

M. La porte: Simplement en complément.

Le Président (M. Filion): M le député de Beauharnois.

M. Marcil: Je voudrais savoir, dans votre organisation, combien avez-vous de membres?

M. Gérard: 150 environ, présentement.

M. Marcil: 150 Je suis surpris de voir que c'est une communauté - indépendamment de l'association - quand même qui est assez importante au Québec, surtout dans la région de Montréal parce que, comme vous le disiez à un moment donné, il y a des endroits et des quartiers où on retrouve en plus grand nombre justement les gais Je demeure quand même surpris de voir que vous ayez si peu de plaintes et que vous, en tant qu'association, vous ayez si peu recours à la Commission des droits de la personne. Je suis réellement surpris.

M. Gérard: Je crois que, pour ce qui est du nombre de nos membres, c'est un problème que plusieurs associations vivent présentement. II y a une espèce de désengagement politique. Aussi, dans notre cas, nous sommes rendus à un point où nous n'avons plus à demander un droit général dans la charte. C'est fait. Cela fait dix ans que c'est fait. On est rendus à des raffinements dans la loi des choses qui sont assez subtiles et cest difficile de faire passer ie message.

M. Marcil: Je comprends, mais souvent on va être porté. Dans l'exercice qu'on fait depuis ce matin et qu'on va continuer jusqu'à jeudi on rencontre plusieurs groupes et organismes qui viennent nous faire part de leurs préoccupations des problèmes qu'ils rencontrent. Ils nous proposent des solutions, des amendements possibles à la charte, des modifications à la Commission des droits de la personne, toujours dans le but d'améliorer, si vous voulez le service à la population .Je comprends quand vous partez de raffiner davantage la loi mais pour réellement apporter des modifications majeures ou si mineures soient elles, il faut vivre d ex périences. Comme il n'y a pas tellement d'utilisateurs, il y a probablement. On va poser la question, à un moment donné aux membres de la commission, jeudi. Plusieurs individus font peut-être des plaintes à la commission sans nécessairement passer par I'association. C'est quand même un milieu que je connais assez bien avec le nombre de gais qu'on a chez nous. Je suis réellement surpris du peu de plaintes faites. Comment pourrais je dire? Je ne veux pas employer le terme. Est-ce que c'est un manque d'information auprès des membres ou si c'est une mauvaise perception de la réception des membres de la commission? Je ne pense pas parce que, quand même la charte et les droits sont là. Les droits et libertés, cela appartient à tout le monde cest pour tous les membres de notre société.

M Sigouin: Pour répondre à votre question on rencontre beaucoup de gais et on discute souvent des différents droits qu'on a. Souvent, les gens me disent: J'ai vécu tel problème |e suis allé voir un médecin et il ma dit que jétais malade. Pour la personne, cela crée un froid. Elle a toujours peur de se faire dire qu elle est

malade. C'est pour cela qu'à un moment donné les gens ont beaucoup de réticences à faire des plaintes.

C'est comme faire une plainte à la police. II y a beaucoup de harcèlement de la part des corps policiers .Les gens sont rendus à un point tel qu'ils vont se faire tabasser et qu'ils n'iront carrément pas voir la police. II s'en vont chez eux et ils nettoient leur petit bobo, c 'est tout.

M. Marcil: Je ne pars pas nécessairement du raisonnement que vous faites, mais, du moins, de ce que vous me donnez comme message. S'il y avait des modifications à l'organisme comme tel. Je reviens toujours à cette proposition, qui apparaît dans plusieurs mémoires, de créer un tribunal administratif qui aurait des pouvoirs exécutoires, au fond. Est-ce que cela pourrait sécuriser davantage les plaignants? Au moment ou l'on se parle, si vous travaillez dans une commission scolaire et que, demain matin on décide de vous mettre à la porte, si vous n'êtes pas syndiqué, c'est plus facile. Si vous êtes un cadre et qu'on décide, pour toutes sortes de raisons, de vous congédier, si vous avez recours à la Commission des droits de la personne et que cette dernière, après enquête, réprimande la commission scolaire pour ce geste, même si elle lui recommande de vous réintégrer à votre poste, celle-ci peut toujours faire de la recommandation de la commission et dire. Bonjour merci, vous vous en allez chez vous. Donc, le fait d avoir, à un moment donné, un tribunal administratif qui, par un jugement, pourrait exiger que l'employeur reprenne la personne congédiée qui a subi un tort ou, du moins, pourrait imposer une amende ou une compensation financière sur plusieurs années, le fait que vous ayez la possibilité d'avoir un jugement clair, net, précis et exécutoire qui pourrait permettre non seulement à la communauté gaie mais à l'ensemble des organismes qui composent notre société d'utiliser davantage la commission, de faire de plus en plus de plaintes, pas nécessairement dans le but de combler les heures de travail des membres de la commission, mais de l'utiliser à bonnes fins, pensez-vous que cela pourrait être une solution?

M Gérard: Je crois que, pour ce qui est de la formule d'un tribunal administratif, oui. Dans notre cas, ce qui m'inquiète, c'est toute la question de la preuve qui peut être parfois plus difficile à établir que dans d'autres cas puisqu'on est une minorité invisible.

M. Marcil: C'est toujours difficile M. Gérard: Toujours, oui.

M. Marcil: sur le plan de la discrimination de faire la preuve.

M. Gérard: Oui.

M. Marcil: Que ce soit pour l'association des gais ou pour tout autre association, cest toujours difficile de le faire.

M. Gérard: Oui, mais je me demande si, dans notre cas ce ne serait pas un peu plus difficile. C'est une question que je me pose, mais je ne peux pas vous donner de réponse. (21 h 45)

Le Président (M. Filion): Cela va. M. le député de Beauharnois? Avec la permission de mes collègues j'ai à mon tour quelques ques tions. Finalement, en ce qui concerne la Commission des droits de la personne elle même je crois comprendre de vos propos et de votre mémoire que vous avez noté un manque d'ntérêt de la commission à diffuser l'orientation sexuelle comme motif de non-discrimination. Je ne crois pas me tromper en disant que cela constitue quand même l'un de vos principaux griefs a I'égard de la commission. Et sauf erreur, l'orientation sexuelle a été incluse dans la charte non pas lors de son adoption en 1977, mais dans l'année subséquente, c'est-à-dire en 1978.

Rapidement je passe à vos recommandations. Comme beaucoup d organismes, vous suggérez qu'un membre de votre communauté fasse partie des commissaires de la Commission des droits de la personne. Le gouvernement, quel qu il soit - je n en fais pas partie - a toujours ce problème de choisir des individus pour siéger à des postes de direction. Est-ce que le gouvernement va devoir prendre un individu de la communauté asiatique, un autre de la communauté gaie un handicapé, etc? Ce qui est d'ailleurs un sujet de préoccupations. Je pense que le gouvernement doit chercher à obtenir le maximum de compétence et de représentativité à I'intérieur de nominations qu'il faut voir globalement. Autrement, on n'en sortirait pas. Je vais vous dire franchement, il n'y aurait pas suffisamment de 50 postes au sein de la Commission des droits de la personne.

Mais je comprends quand même votre point de vue, qui pourrait répondre en partie aux préoccupations de mes collègues les députés de Beauharnois et de Saint Jacques que je partage à savoir qu'il y a cette espèce de réserve qui existe à I'intérieur de votre communauté pour faire valoir vos droits. Réserve parfois, qui peut être. Non, je n'irai pas au poste de police parce que cest justement la que j'ai eu mon problème. Et, dans certains cas. Non je n'irai pas à la Commission des droits de la personne. Parce qu' il y a une réserve qui à mon avis découle beaucoup plus d'un problème de société que d'un problème de droits de la personne qui découle de I'état de maturation d'une société en général. Si on était en Californie les gens ont fait des drôles de pas de géants là bas et je suis convaincu dans certains pays européens également. Tout cela dépend un peu, de I'évolution d'une société.

Par contre |e dois vous dire que je suis

extrêmement sensible à la deuxième recommandation que vous faites, à savoir d'entreprendre une série de recherches et d'études des lois et de la réglementation québécoises en vue d'éliminer toute référence discriminatoire. Je dois vous souligner, également, l'intérêt du député de Saint-Jacques pour cette question-là, qui s'est déjà manifesté lors d'une commission parlementaire à laquelle j'ai eu l'honneur de participer. Ce que vous soulevez, à mon avis... Et je sais que la Commission des droits de la personne nous entend et nous lira par la suite. Je me demande s'il n'y aurait pas lieu que la Commission des droits de la personne, carrément, fasse un avis sur cette question-là. On pense à la discrimination qui peut, peut-être, exister et c'est à la Commission des droits de la personne de nous éclairer. Ce n'est pas un problème facile, mais il peut exister dans certaines lois fiscales, dites-vous, dans certaines lois de réglementation du travail, des formes d'assistance sociale. On voit également, immédiatement, toutes les conséquences que cela peut avoir sur ces systèmes-là que la société s'est donnés.

Là-dessus, le problème est majeur et vous recommandez à la Commission des droits de la personne - en somme, c'est le sens de votre suggestion - d'entreprendre une recherche et des études là-dessus. Peut-être que cela a déjà été fait. Je ne sais pas. Je ne me souviens pas exactement du mécanisme par lequel la commission décide de donner un avis, mais, chose certaine, voilà une matière drôlement concrète pour les gens de votre communauté comme pour l'ensemble de notre société.

Bon, troisième recommandation: s'impliquer dans l'éducation des policiers quant à la non-discrimination face à l'orientation sexuelle. Il y a un travail là-dessus qui a été - vous le soulignez - entrepris en 1984, avez-vous dit. Je me souviens, en tout cas, du brouhaha que cela avait créé. C'est quand même curieux que cette recommandation arrive le jour où le ministre de la Justice a décidé d'instituer une enquête en ce qui concerne les relations entre les policiers et les différentes communautés culturelles. Peut-être que ce sera une étape ultérieure, mais je pense que le projet pilote dont vous parlez à la page 4 ou 5 de votre mémoire est quand même un pas en avant dans ce secteur-là.

Enfin, vous revenez, comme quatrième volet, sur te grief principal, peut-être, qui est l'information de la population gaie et de la population en général de l'existence de l'orientation sexuelle comme motif de non-discrimination au Québec, ce qui m'amène à une question. Est-ce que vous croyez que l'existence de l'orientation sexuelle comme motif de non-discrimination est bien connue des membres de votre communauté au Québec? Je crois que vous n'avez pas fait d'enquête là-dessus, mais est-ce qu'on peut avoir votre perception?

M. Gérard: Je crois qu'ils le savent peut- être par le fait même que c'est au Québec que cela s'est fait fa première fois et que cela a été assez publicise, mais je ne crois pas qu'ils soient vraiment au courant qu'il y a des recours pour des cas de discrimination. C'est peut-être là qu'il faudrait travailler le plus.

Le Président {M. Filion): Est-ce que, par exemple, les membres de votre communauté connaissent l'existence de la Commission des droits de la personne?

M. Sigouin: Oui, M. le Président. Les membres de notre communauté connaissent l'existence de la commission. Par contre, cela fait quatre ans que je suis militant à l'association et j'ai rencontré divers cas. Les gens connaissent la non-discrimination de l'orientation sexuelle, par contre, les gens se posent la question: Jusqu'où peut s'étendre cette non-discrimination? Qu'est-ce que cette discrimination touche exactement dans ma vie? Est-ce mon logement, ceci, cela? Ont-ils juridiction sur ceci, sur cela? Ce sont des questions que les gens se posent souvent et même, tous les jours: ils vont s'acheter n'importe quoi, ils vont louer un logement, ils vont souper au restaurant avec un ami, ils vont faire un achat en conjoint, un achat de maison, n'importe quoi C'est dans ce sens-là qu'ils se posent beaucoup de questions. Comme je l'expliquais tantôt, les gens ont une certaine peur d'aller à la commission. Mais les gens connaissent son existence.

Le Président (M. Filion): Votre cinquième recommandation est une suggestion en ce sens que la Commission des droits de la personne soit plus présente au sein des organismes communautaires gais du Québec. On me remet à l'instant un dépliant qui a été préparé par la Commission des droits de la personne: Des droits en toute égalité, quelle que soit votre orientation sexuelle. Je ne sais pas si vous l'aviez déjà vu. Vous ne l'avez jamais vu?

M. Gérard: Jamais.

Le Président (M. Filion): Je vais vous remettre mon exemplaire.

Des voix: Ha! ha! ha!

Le Président (M. Filion): Je suis convaincu qu'il en existe d'autres exemplaires à la Commission des droits de la personne pour l'information de vos membres en général. Peut-être qu'à l'occasion d'un envoi postal il y aurait possibilité, avec la commission, de faire en sorte que... Évidemment, quand je posais la question au sujet des membres de votre communauté, je ne voulais pas nécessairement dire les membres de votre association, parce que je partage un petit peu la surprise du député de Beauharnois. J'aurais cru que les gais en général ont tendance

à se regrouper. Vous avez vous-mêmes défini votre organisme comme le seul organisme politique au Québec. Je souhaite ardemment que l'ensemble des gais puisse peut-être prendre conscience de la nécessité d'un regroupement, ne serait-ce que pour assurer une meilleure diffusion des problèmes vécus par des gens de votre communauté. Là, on s'aperçoit que le problème n'existe pas seulement à un endroit, qu'il existe également à de multiples exemplaires et cela crée une solidarité qui peut faire en sorte que les choses vont changer.

Donc, je vous remets ce dépliant de la Commission des droits de la personne, qui en a fait plusieurs. Parfois, comme vous le dites, il faut quand même le savoir. Je vous remets la copie et je suis convaincu qu'en vous adressant à ta Commission des droits de la personne il y a possibilité d'obtenir d'autres exemplaires.

M. le député de Beauharnois.

M. Marcil: Tout ce que je voulais ajouter, M. le Président, c'est qu'il y a de la ségrégation dans toute société, beaucoup plus dans certaines par rapport à d'autres. On se le disait tantôt, au Canada, au Québec, on est quand même une société où, je pense, l'individu, l'être humain peut évoluer dans le plus grand respect de soi et des autres. Je pense qu'on a à peu près tous les mécanismes nécessaires, il reste à les améliorer et, surtout, à les appliquer. C'est bien plus cela. Je pense qu'on a à peu près tout ce qu'il faut. Il y a quand même de la ségrégation au Québec aussi. Ce n'est pas parce qu'on est très évolué sur ce point que... Au contraire, la ségrégation devient de plus en plus raffinée et il faut trouver les moyens, aussi, d'éduquer et d'informer les gens, de les éduquer dès leur jeune âge par le biais des mécanismes que nous avons, dans le but d'enrayer cela de notre pensée. Par contre, il ne faut pas non plus que cela devienne une psychose qui nous harcèle tous les jours parce que souvent...

Je connais aussi des gens qui, à un moment donné, posent des problèmes. Ce n'est pas à cause de leur état comme tel. Ils peuvent poser des problèmes et, souvent, ils se renferment derrière cette fameuse peur qu'on va les réprimander et ainsi de suite.

On a soulevé un point cet après-midi. C'est sûr qu'on a présentement un cas au Québec: la mort d'un Noir. Il est certain que, dans le contexte actuel, cela pose un problème grave, cela pose un problème moral aussi, sauf qu'un policier va tuer un Bianc, et cela arrive à tous les jours, et, pour nous, c'est un fait divers. Mais quand un policier tue un Noir, cela devient un problème de ségrégation. C'est peut-être vrai aussi. Je ne veux pas juger. C'est pour cela qu'il faut être présent continuellement dans des commissions comme celle que nous tenons présentement. C'est la raison pour laquelle les organismes doivent aussi s'annoncer; déposer des mémoires et intervenir. Tout en voulant amélio- rer notre commission comme telle pour donner le meilleur service possible à la population, cela amène aussi la population à s'informer et à s'éduquer davantage, à commencer par nous, les parlementaires.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Beauharnois.

M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: Oui. De toute façon, on est tous minoritaires un jour ou l'autre, sur un sujet ou l'autre ou dans une condition ou l'autre. Quand je vous dis cela, j'ai en tête cette chanson de Ferré où il crie: Nous sommes tous des Juifs allemands. Il y a toujours une tentation totalitaire quelque part.

Je ne partage pas tout à fait le point de vue de mon collègue de Beauharnois, sans toutefois lui prêter d'intention. Je le sais ouvert Effectivement, il y a un incident extrêmement malheureux qui s'est produit au Québec récemment. Par contre, je ne sais pas combien de fois par soir, dans différents quartiers, dans différentes villes du monde et, notamment, probablement dans les nôtres, puisque ce sont celles qui nous concernent en premier lieu, il y a un gai qui se fait tabasser, il y a un gai qui se fait assassiner lui aussi, mais psychologiquement. C'est quelquefois une mort beaucoup plus atroce que la mort physique puisqu'elle est très longue à vivre, si je puis employer cette expression.

Donc, je pense que rien de ce que vous êtes venus nous dire ce soir n'est perdu. Effectivement, vous l'avez souligné tantôt, il y a déjà, dans la charte, le grand principe d'orientation qui a été adopté en 1978. Je pense que mon prédécesseur, le député de Saint-Jacques, M Charron, y avait travaillé très activement puisque c'était un engagement de ma formation politique t'autre pas à faire, par contre, et vous en avez tracé les lignes très exactes ici, je pense qu'il faut le faire.

Je vais conclure là-dessus, M. le Président, parce que je sais que le temps passe. Récemment, dans une conférence à Paris, je traçais un portrait entre les politiques québécoises et les politiques françaises, les comportements québécois et les comportements français. Je leur disais: Ce n'est sans doute pas le paradis terrestre chez nous, sauf qu'effectivement on a quand même certains acquis et on a peut-être certains endroits de centre-ville où on peut vivre ensemble dans la tolérance, la différence, sauf que cela ne doit pas être un sentiment de confort. Il ne faut pas sombrer dans le confort et l'indifférence, qui est un terme qu'on a déjà employé et qui existe encore, pour une population - et je le répète - qui veut sa pleine participation et qui le dit bien à la fin de son texte, également, comme des citoyens à part entière, qui veut obtenir des choses qui, à mon point de vue, sont justifiées et justifiables. À ce moment-là, je voudrais vous assurer, M. le

président et M. le trésorier, de ma collaboration la plus soutenue. Je vous remercie de votre participation

Le Président (M. Filion): Donc, au nom de tous les membres de la commission, je voudrais vous remercier. En ce qui concerne votre mémoire, vous savez, soyez bien à l'aise. Il y a des groupes drôlement plus structurés que le vôtre qui ne nous ont pas encore remis leur mémoire. Alors, sentez-vous bien à l'aise. Merci à vous.

Avant d'ajourner nos travaux, je voudrais vous rappeler que, demain, nous avons un ordre du jour qui commence à 9 h 30 avec le Comité provincial des malades; ensuite, te Conseil du patronat à 10 h 30; à 11 h 30, le Service d'aide aux Néo-Québécois immigrants; à 16 heures, le Congrès des avocats et juristes noirs du Québec et, à 17 heures, l'Association des infirmières noires du Québec.

C'est un rendez-vous pour demain, 9 h 30. Nos travaux sont donc ajournés. À demain,

(Fin de la séance à 22 h 2)

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