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(Dix heures neuf minutes)
Le Président (M. Filion): Je souhaite la bienvenue aux
membres de cette commission. L'horaire pour cette journée de lundi est
le suivant: à dix heures, M. Roger Lemelin, écrivain, qui a
déjà pris place à la table des invités. Suivront
les représentants de la Société Saint-Jean-8aptiste de
Montréal et, à midi, M. Daniel Latouche, professeur à
l'Institut national de la recherche scientifique. Cet après-midi, nos
travaux reprendront à 15 heures avec les représentants de la
Fédération des groupes ethniques du Québec et de 16
è 18 heures auront lieu les représentations des membres de cette
commission.
Bienvenue à M. Lemelin, à qui je rappelle
brièvement le partage des 60 minutes qui lui sont allouées: 20
minutes seront consacrées à son exposé et, par la suite,
une quarantaine de minutes seront partagées à parts égales
entre les deux formations politiques pour qu'elles discutent avec lui. M.
Lemelin m'a remis un texte que je considère comme déposé
et qui a été distribué aux membres de cette
commission.
M. Lemelin, je vous cède la parole pour votre exposé.
M. Roger Lemelin
M. Lemelin (Roger): M. le Président, M. le ministre, M. le
chef de l'Opposition, mesdames, messieurs. Je suis ici comme écrivain,
donc à titre individuel et à cause des années turbulentes
de 1971 à 1981 où j'ai, à titre d'éditeur du
journal La Presse, combattu pour un Québec français fort dans le
Canada. J'ai combattu pour le respect des droits des minorités,
particulièrement ceux de la minorité anglaise de Montréal.
J'ai aussi, par mes éditoriaux et mes conférences à
travers le Canada, prêché la tolérance, attaqué
l'étroitesse d'esprit, tous les fanatismes, sources de malheurs et de
guerre. J'ai souligné la priorité de la liberté
individuelle sur les notions de race, de religion et de langue. J'ai
clamé bien haut qu'on ne peut forcer par une loi ou par un
règlement un citoyen à pratiquer une religion ou à
apprendre une langue qui ne l'intéresse pas. Je suis un écrivain
français du Canada, mon coeur est tout entier au Québec, ma
culture est française et, sans elle, je n'aurais pas beaucoup
d'intérêt à continuer de vivre.
Voilà mes couleurs.
J'avais préparé un tout autre discours, mais après
avoir suivi les travaux de cette commission toute la semaine dernière,
je l'ai jeté au panier et j'en ai rédigé un autre que
voici. D'abord, tout de suite je veux dire ma reconnaissance à M.
Bourassa qui a institué cette commission parlementaire. Cela a
été une décision couraqeuse, car cet exercice eût pu
déqénérer en foire aux amertumes. Au contraire, ce fut une
expérience remarquable, empreinte de pondération et de bonne foi.
Ces discours, ces prises de position (bien sûr, quelques-unes sentaient
l'opportunisme de certains hommes publics qui ont profité de cette
tribune pour mousser leurs intérêts et leurs idées) dans
l'ensemble nous ont instruits et fait réfléchir sur notre
Québec français et à la place qui nous échoit dans
la Fédération canadienne.
Permettez-moi de vous exposer brièvement les réactions que
j'ai ressenties progressivement au cours des audiences de la semaine
dernière et qui m'ont amené à la conclusion que je vous
livrerai tout à l'heure. Souventefois au cours de cette semaine j'ai
évoqué la mémoire d'un ami très cher que nous avons
perdu trop tôt, il y a dix ans cette année, Jean-Charles
Bonenfant, dont la dernière boutade intelligente avait été
lorsqu'on lui avait proposé le Sénat. Il avait refusé, me
disait-il, parce que quand le temps était humide il ne pouvait pas
parler anglais. Il disait aussi: Quand je parle en anqlais avec les gens du
reste du pays, je me sens comme un joueur d'échecs qui joue contre un
joueur qui a toujours les blancs. Il a le train.
Jean-Charles Bonenfant, professeur de droit constitutionnel, humaniste,
eût su faire planer dans cette enceinte un souffle savant mais
chaleureux. Il eût été heureux et fier de constater avec
quelle élégance, avec quelle fermeté polie, patiente,
celui de ses élèves dont il me prédisait le très
brillant avenir, Gil Rémillard, a défendu son dossier complexe
presque seul contre tous. Chapeau! M. Rémillard. Il eût
été aussi fier, lui l'ami de Daniel Johnson, de voir son fils,
Pierre Marc, conduire son argumentation de chef de l'Opposition avec autant
d'intelligence, de finesse dans l'élocution tout en étalant de
redoutables talents de bretteur. À les écouter, on se mettait
à rêver qu'à l'Assemblée nationale on en arriverait
un jour à s'exprimer avec cette distinction-là.
Puisqu'on a tellement parlé ici de constitution, je repense
à Jean-Charles Bonenfant, à qui il m'arrivait de demander
conseil. Un jour, je lui ai demandé de me fournir un exemplaire de la
constitution canadienne. Alors là, il s'est mis à rire puis
à me rappeler que, depuis le texte de 1867, la constitution avait subi
tellement d'amendements et de sous-amendements qu'il serait fastidieux de les
énumérer tous. Il disait de la constitution canadienne qu'il ne
fallait pas en faire une question de vie ou de mort, que c'était une
sorte de vêtement juridique, élastique, qui épouse les
formes de toutes les nécessités qui surviennent dans un Canada en
constante évolution. Mais cette quasi-indifférence pour la
constitution, il la réservait aux non-initiés de mon acabit. Que
M. Duplessis, dont il fut le secrétaire, engage avec lui la conversation
sur le sujet, ils devenaient tous les deux intarissables et passionnés;
que, au cours d'une soirée ou autour d'une table, arrive un autre expert
en matières constitutionnelles, ou deux autres, je pense à Me
Louis-Philippe Pigeon, à Me Roger Thibodeau, au professeur Jacques-Yvan
Morin, une discussion passionnée s'engageait, farcie d'alinéas,
d'articles, de mais, de cependant, de numéros où nous, tous les
profanes qui les écoutions, nous sentions de pauvres petits Canadiens
errants, non instruits et bannis des conversations sérieuses.
J'ai éprouvé la même sensation cette semaine quand
l'honorable Gil Rémillard, Pierre Marc Johnson, M. Beaudoin, M. Lefebvre
et quelques autres experts se sont mis à jouer au ping-pong avec les
articles de la constitution en manifestant une délectation
évidente. À ce moment, la stature intellectuelle que je suis
porté à m'accorder diminuait d'un bon pied. Sommes-nous si
démunis que cela, nous les étranqers à ce club
sélect, fermé, dont les membres laissent tomber sur nous un
regard tout mouillé de pitié?
Heureusement, dans ces moments pénibles, j'ai recours au sens
commun pour me remonter le moral. J'ai été frappé par les
deux familles de vocabulaires utilisé par les participants. Pour les
uns, dont M. Rémillard, l'expression société distincte est
un chef-d'oeuvre de clarté qui inonde de joie le coeur des
constitutionnalistes avertis, tandis que pour les autres cette expression voile
un piège fatal pour la langue française. Ce fut un dialogue de
sourds entre juristes et rhéteurs. Pour les premiers, les juges de la
Cour suprême sont les véritables maîtres du Canada; pour les
autres, c'est l'élu politique.
Mais l'impression la plus violente qui m'est restée de ces
débats, c'est que les discours ont tourné autour du
problème du français à l'ouest de la rue Saint-Laurent
à Montréal, comme si le Québec se bornait à ce
secteur. Pour l'avoir vécu si longtemps, et je commençais
à l'oublier, j'ai retrouvé intact, tenace, le syndrome du
soupçon, de la peur de l'anglais qui érode la pensée d'un
grand nombre d'artistes et d'intellectuels de Montréal. Ah! je l'ai
noté souvent, vous savez, ce virus de la peur de l'anqlais, si puissant
qu'il obnubile ses victimes qui, à un certain moment, refusent toute
discussion rationnelle pour se réfugier dans une colère obtuse.
Quand un si grand nombre de qens intelligents réagissent de cette
façon, c'est qu'il y a à cela de profondes raisons historiques
que je n'ai pas le temps de traiter ici. Mais laissez-moi vous dire que les
accords du lac Meech n'ont rien à voir avec la survivance du
français à Montréal, pas plus qu'ils vont bloquer le
sommet francophone qui se tiendra a Québec cette année. Le vrai
drame qui nous menace est la baisse de la natalité au Québec
à un niveau inacceptable et qui annonce la mort lente de notre
société traditionnelle si la situation ne se corrige pas. Il y en
a un autre, aussi grave, la détérioration du français
enseigné, écrit et parlé au Québec. C'est le
même problème pour l'anglais dans le reste du Canada et dans le
monde. Je vous assure qu'à la Bourse de Paris la culture
québécoise a la cote bien basse quand on la compare à
celle des actions de Cascades.
Les sondages récents indiquent que la population canadienne est
majoritairement favorable aux accords du lac Meech. Il serait fastidieux que je
vous énumère, que j'attaque toutes les clauses. Pour
l'immigration, c'est très bien. Pour la nomination des juqes à la
Cour suprême, c'est encore très bien. Pour la rentrée par
la qrande porte dans la famille constitutionnelle canadienne après le
massacre de 1981, c'est très bien. Pour le pouvoir de dépenser,
faisons confiance aux gouvernements, ils s'en sortiront fort bien. Quant
à la réforme du Sénat, quel beau voeu pieux, et ça
n'est pas demain la veille. En somme, j'applaudis très fort aux accords
du lac Meech, c'est formidable! Mais je garde mes deux petits doigts
pliés, car l'article sur le caractère distinct du Québec
me chicote sérieusement maintenant. Il semble que la politique l'emporte
sur le jurisme au Québec. On peut dire maintenant, aujourd'hui, le 25
mai, que de 80 % à 85 % de notre population est insatisfaite de cet
article tel que formulé.
Il est facile au Québec, en utilisant une habile
démagogie, d'entraîner derrière soi une population si
vulnérable à l'émotion quand il s'agit de culture et de
langue. Devant la réaction populaire à cet article, M. Bourassa
ne peut retourner à Ottawa sans un texte remanié dudit
article.
Pourquoi cette réaction populaire a-t-elle pris une telle
proportion? Pourquoi les organismes et les orateurs ont-ils tourné
autour de l'expression "société distincte" en
la reniflant avec suspicion, surtout les nationalistes? C'est qu'ils ont
déjà été drôlement roulés,
floués par une expression du même genre:
souveraineté-association. Sous cette bannière, les
péquistes et la population en général ont vécu dans
l'ambiguïté pendant des années. Et, ambiguïté
souveraine, la question à deux volets du référendum, une
vulgaire entourloupette où l'intelligence moyenne des gens s'est
révoltée contre le peu d'estime dans laquelle on l'a tenue. Et le
référendum a été perdu. Dans l'expression
"société distincte", les nationalistes et la population en
général flairent, à tort sans doute, le même genre
de tactique. On sent que le gouvernement, pour réussir les accords du
lac Meech, n'a peut-être pas osé prononcer les mots "langue
française" de peur de réveiller les morts. Mais, en même
temps, il sombrait dans une nouvelle ambiguïté, de nos jours
inacceptable au Québec. En dépit des savantes explications des
experts favorables à la sécheresse de l'expression, on n'est plus
au temps où un ministre libéral fédéral pouvait,
sans se faire huer, parler du Québec comme d'une région
linguistique.
Moi aussi, je suis très insatisfait de l'ambiguïté de
cette définition. Je suis d'accord à mille pour cent avec ceux
qui en demandent la modification, non par peur, non par espoir qu'un jour on
ait le séparatisme, mais par fierté. Je suis fier d'être un
Québécois canadien de culture française et je veux qu'on
le clame bien haut dans la constitution. Je suis choqué qu'on semble
avoir peur de la promulguer de l'Atlantique au Pacifique, On n'a pas besoin
d'avoir peur quand on est 6 000 000 de Québécois de culture et de
langue françaises, société dynamique et vivante! Puisque
M. Bourassa semble ouvert maintenant à une nouvelle formulation de la
clause b) de l'article 1, je suggère celle-ci, qui me semble claire
comme le jour: "La reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada
une société distincte, de culture et de langue
françaises." Je répète: "La reconnaissance que le
Québec forme au sein du Canada une société distincte, de
culture et de langue françaises."
Si vous remarquez bien, je place le mot "langue" après le mot
"culture". Pour plusieurs, une langue, c'est un outil de communication ou une
connaissance élitiste de gens qui ne sont pas nécessairement
français, mais qui en pratiquent la langue assez couramment; on leur
applique le vocable francophone, mot utilisé depuis peu d'années.
Mais, pour nous, la langue française, c'est l'expression sonore,
articulée de notre moi, de notre âme profonde. Si je place au
premier chef le mot "culture", c'est qu'il représente l'ensemble de
notre univers culturel que nous voulons indélogeable et intouchable.
C'est l'homme politique français Edouard Herriot qui disait: "La
culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié".
Si MM. Bourassa et Rémillard acceptent de défendre ce
point de vue ou l'équivalent, ils auront tout le Québec
derrière eux, et certainement M. Mulroney, le plus français de
nos Irlandais. Avec une définition aussi claire, nous aurons moins
besoin de faire appel à la Cour suprême. Nous pourrons nous mettre
au travail dans un Canada où les plus irréductibles de nos
nationalistes pourront peut-être commencer à se sentir à
l'aise. Nous avons tous un travail énorme sur la planche. Toute
l'énergie que nous avons consacrée à nos problèmes
politiques, nous pourrons la jeter dans nos autres batailles économiques
et culturelles. Cet article de la constitution n'est pas, bien sûr, une
panacée, mais quand les immigrants choisiront d'immigrer au
Québec, ils sauront au moins avant de partir qu'ils auront à
s'intéqrer dans une société française. Nos jeunes
hommes d'affaires ont prouvé depuis quelques années que leur
extraordinaire dynamisme pouvait transformer le Québec en milieu de vie
enviable parce que d'abord prospère. Et aux artistes, aux
écrivains, je dis: C'est dans les temps de prospérité
économique et de paix sociale que se créent les plus belles
oeuvres.
L'énergie, la foi que l'artiste consacre à des mouvements
politiques que d'autres manipulent avec un certain cynisme, sont une perte
sèche pour son art et altèrent sa fraîcheur
créatrice.
Avant de vous quitter, j'ai une demande expresse à formuler
auprès du mouvement Alliance Québec de Montréal, qui
défend les intérêts des anglophones de cette ville. Quand
j'ai dit que le débat semblait concerner exclusivement les
problèmes du français à l'ouest de la rue Saint-Laurent,
je pensais aussi à vous qui n'avez à peu près pas de
problèmes. Les problèmes des anglais de Montréal ne
concernent pas le reste du Québec, sauf quand vos droits de
minorité sont menacés. Ils ne le sont pas. Je me suis
déjà battu pour vous quand c'était très dangereux
et presque seul, j'en ai même eu des menaces de mort à
l'époque. Mais aujourd'hui, je vous demande de nous appuyer à
l'échelle canadienne. Vous avez le privilège de vivre dans une
qrande ville canadienne dont le charme, la culture française font vos
délices. Protégez-la, cette culture, cette ville, aidez-la
à devenir encore plus française, encouragez même tous vos
membres à enfin apprendre le français. Connaître et parler
le français, c'est un don du ciel.
Mesdames et messieurs, je suis heureux du cadeau que vous m'avez fait en
me laissant vous livrer ce message avant de disparaître lentement d'une
scène publique occupée par des hommes plus jeunes. Comme
Québécois et comme Canadien, j'espère que mon pays
permettra à mes enfants et à mes
petits-enfants de s'épanouir dans la langue et la culture
françaises, tout comme leur grand-père, qui a couru toute sa vie
après la rigueur, la clarté et l'excellence. En parlant de
clarté, permettez-mot, si je repense à l'expression
"société distincte", de citer ce mot de Montesquieu que m'a
enseigné Jean-Charles Bonenfant et c'est à peu près ceci:
Une bonne loi est rédigée de façon si claire et si nette
qu'elle peut être appliquée par te plus humble ou le plus
célèbre des magistrats.
Bonne chance, bon courage, MM. Bourassa et Rémillard. Merci.
Le Président (M. Filion): Merci, M. Lemelin. Je laisse
donc la parole à M. le ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes en lui signalant, ainsi qu'aux
autres membres, qu'il reste une enveloppe de 20 minutes pour chacun des
groupes. M. le ministre. (10 h 30)
M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Lemelin,
je voudrais vous remercier très sincèrement d'avoir
accepté de venir témoigner devant nous ce matin, devant cette
commission qui étudie les ententes du lac Meech. Vous êtes un
Québécois éminent, un écrivain dont on peut
être très fiers, comme Québécois, comme Canadiens.
Vous nous avez livré un message, ce matin, franc, direct, très
sincère.
Vous vous référez à quelqu'un qui m'a
été très cher, comme vous le savez, Jean-Charles
Bonenfant, avec qui j'ai travaillé pendant plus de sept ans; j'aurais
bien aimé qu'il puisse encore être avec nous pour nous donner ses
sages conseils. Vous vous référez à la mémoire de
Jean-Charles Bonenfant. Vous vous référez au constitutionnaliste
et à l'humaniste et vous avez donc raison. Et M. Bonenfant nous disait
souvent: Notre seule vraie protection à nous, les
Québécois, c'est notre excellence. Donnons-nous des outils
d'excellence. Sa perspicacité juridique qui, il faut le dire aussi, est
associée à un sentiment humain extrêmement
intéressant, faisait que M. Bonenfant occupait tant par son savoir que
par son aspect humain, une place que, je pense, peu d'autres
constitutionnalistes pourront occuper dans cette société. Je
voudrais me joindre à vous pour lui rendre cet hommage posthume ce matin
en cette dernière journée de la commission parlementaire.
M. Lemelin, vous nous dites que l'entente du lac Meech, c'est
très bien. Vous applaudissez à cette entente du lac Meech. Vous
nous dites: L'immigration, c'est très bien. Vous soulignez dans votre
texte qu'un des problèmes, vous dites même que le problème
auquel nous avons à faire face -c'est de grande actualité avec
les nouvelles statistiques qui viennent de sortir - c'est le problème du
taux de natalité, qui est de 1,4 %, alors qu'on sait qu'il faut au moins
2,1 % ou 2,2 % à un État comme le nôtre pour simplement
maintenir sa population. Nous sommes à 1,4 %.
C'est un problème et il faut mettre en place une politique
familiale, bien sûr, mais aussi, il faut penser à l'immigration.
L'entente du lac Meech, comme vous le soulignez très bien dans votre
mémoire, donne au Québec des pouvoirs tout à fait
opportuns concernant la possibilité de sélectionner ses
immigrants et la possibilité aussi d'intégrer ces immigrants
à la société québécoise et de leur donner le
goût de demeurer avec nous.
Vous nous parlez de la formule d'amendement. Vous dites: Très
bien, oui, je crois qu'on a récupéré les droits
historiques du Québec. Vous nous parlez de la Cour suprême
où on pourra faire en sorte que les trois juges qui viennent du
Québec, sur les neuf juqes de la Cour suprême, soient choisis par
le gouvernement fédéral, mais à partir d'une liste de
juges fournie par le Québec.
En ce qui concerne le pouvoir de dépenser, vous nous dites: Cela
ira; les gouvernements pourront composer les uns avec les autres, et vous avez
bien raison parce que, d'une part, il faut comprendre que le pouvoir de
dépenser se situe dans un contexte politique qu'il ne faut pas nier, et
vous le soulevez à juste titre dans votre mémoire.
Finalement, vous vous attachez à un élément que
vous avez particulièrement à coeur. Vous l'avez eu comme
éditeur de La Presse, dans vos éditoriaux, dans vos
conférences, comme écrivain. En haut de la pente douce est
un roman qui peut faire réfléchir bien des politiciens à
bien des égards. Vous soulevez le problème de la langue. Je peux
vous dire que c'est une préoccupation que nous avons de ce
côté-ci. Pour nous, la préoccupation que nous avons, c'est
de ne pas limiter, de ne pas prendre le risque de limiter
l'interprétation que les tribunaux pourraient donner de cette
société distincte. Pour nous, cette société
distincte, elle est fondamentalement, essentiellement fondée sur une
lanque, sur une culture française que nous aimons, que nous
chérissons, que nous avons en nous et que nous voulons protéqer
par cette société distincte. Mais il ne faut pas faire l'erreur
de limiter sa portée pour que, à l'avenir, dans les années
à venir - on ne sait pas, peut-être que ces textes ne seront pas
retouchés avant des années et des années -elle puisse
faire en sorte que les tribunaux puissent l'adapter à l'évolution
de la conjoncture sociale, politique, économique du Québec. Mais
soyez assuré que je prends très bonne note de votre remarque.
Est-ce que vous n'avez pas cette peur, M. Lemelin, qu'on limite la
portée de cette société distincte?
M. Lemelin: Je l'ai dit assez fort: moi, je n'ai pas peur
d'être Canadien français, Je n'ai pas peur des anglais. Je pense
qu'on a notre place dans ce pays et que, dès le moment où une
majorité de la population interprète les mots
"société distincte" comme ambigus et inquiétants, le
politique doit écouter cette population. Qu'on mette - je l'ai dit tout
à l'heure - "société distincte" dans la clause, bien
sûr... Colorer cette société de sa langue et de la culture
ne diminue en rien les limites comprises dans le mot "distincte" et qui,
à mon avis, ne sont pas innombrables. Nous vivons dans une
société nord-américaine, nos institutions
économiques, politiques sont en général de
démocratie nord-américaine. Il est évident qu'il y a la
place du Code civil français qui règne encore dans nos tribunaux,
mais cela est une distinction. Autrement, nous sommes des Américains qui
formons un groupe de 6 000 000 de personnes dont la vraie culture est le
français. Autrement, nous nous distinguons peu des autres. Je pense
qu'il ne faut pas avoir peur de dire qui nous sommes et de demander au reste du
pays qu'on reconnaisse le privilège à des gens, à un
groupe culturel qui a participé, qui a même plus que
participé à la fondation de ce Canada en repoussant, dans une
période de sacrifices, les invasions américaines au nom d'un pays
conquis par des Anglo-Saxons. Moi, je pense qu'on doit au moins nous rendre cet
hommage et cette justice d'accepter que dans la constitution on dise qu'il y a
une société distincte au Québec dont la culture est
française, dont la langue est française. Je ne pense pas que cela
enlève quoi que ce soit à qui que ce soit parce que la culture
française et la langue française sont des éléments
qui font que le Canada, dans tous les pays du monde, a son visage particulier
à lui. Sans culture française, sans langue française, ce
pays serait une terne copie carbone du monde américain ou un écho
lointain d'une monarchie britannique. Cette personnalité que nous avons
et qui fait qu'une constitution extrêmement complexe est en train de
s'élaborer, où les deux cultures fondatrices sont
mentionnées, mon Dieu! je ne vois rien là de dangereux, au
contraire.
Je pense que si nous devons aux Anglo-Saxons de nous avoir
enseigné certaines lois économiques, certaines façons de
ne pas toujours penser seulement à la littérature, par contre,
ils nous doivent aussi le charme un peu féminin d'une culture qui
embellit leur vie. Voilà!
Le Président (M. Filion): Je vous remercie.
Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Lemelin, de votre présence.
L'écrivain que vous êtes et qui a connu les succès qu'on
connaît, sans compter l'homme d'affaires, l'éditeur, ne pouvait
qu'apporter une contribution d'intérêt à cette
Assemblée. Mais précisément parce que vous êtes
écrivain, je vais vous parler d'un mot que vous avez utilisé au
tout début de votre texte. Â la fin de la première paqe et
au début de la seconde, vous dites: "Au contraire, ce fut une
expérience remarquable, empreinte de pondération et de bonne foi.
Ces discours, ces prises de position (quelques-unes sentaient l'opportunisme de
certains hommes publics qui ont profité de cette tribune pour mousser
leurs intérêts et leurs idées) - on va laisser à
ceux qui se sentent visés de se sentir visés - dans l'ensemble
nous ont instruits et fait réfléchir sur notre Québec
français et à la place qui nous échoit dans la
Fédération canadienne." Je regardais dans le Petit Robert
pour m'assurer que je reconnaissais bien la définition du mot
"échoir". À ne pas confondre avec le mot "échouer",
n'est-ce pas?
M. Lemelin: ..."échoir".
M. Johnson (Anjou): C'est bien "échoir" et non pas
"échouer". Concernant le mot "échoir", on dit: "Être
dévolu par l'effet du sort ou du hasard." Il me semble que la place du
Québec mérite plus que juste l'effet du sort ou du hasard, que la
place du Québec devrait résulter d'un choix plutôt que
d'une échéance créée par des conditions
extérieures.
Si je me permets d'insister là-dessus, vous aurez compris que
c'est une occasion pour moi de partir de votre texte - mais je sais qu'un
écrivain choisit ses mots - pour vous dire qu'en dépit des vertus
que vous trouvez à cette entente, en dépit des critiques que vous
pouvez faire du passé et en dépit des propos que vous tenez quant
à l'avenir, effectivement c'est quelque chose qui nous échoit et
qui ne semble pas traduire une vision, une force, une envergure auxquelles on
s'attendrait. Vous savez, je suis convaincu que les Québécois
aiment les choses d'envergure. J'en suis convaincu. Mais c'est tellement mince,
ce qu'il y a là, et pourtant on sait que cela comporte des dangers
réels, le danger le plus important étant de soumettre la
volonté du Québec essentiellement à
l'interprétation des tribunaux. L'élève de Jean-Charles
Bonenfant qui est en face de nous disait dans un cours en novembre 1984
à l'Université Laval, j'ai mis la main sur certaines de ses notes
de cours de l'époque: L'interprétation de toute constitution doit
être une tâche éminemment politique. M. Rémillard
ajoutait en novembre 1984, dans ce cours en droit constitutionnel à
Laval: C'est encore plus vrai dans une fédération qui a
été basée initialement sur
un compromis qui répondait à une philosophie politique et
non è une dialectique juridique.
Peut-être que le professeur de droit constitutionnel a
changé d'idée en faisant de la politique, comme il est le propre
des êtres humains normaux de changer d'idée; il n'y a que les
animaux qui ne changent pas d'idée, c'est bien connu. Mais je trouve
qu'il y a une sagesse là-dedans que je retrouve peut-être moins
dans certains autres écrits ou certains discours du ministre.
Quand vous évoquez un amendement, M. Lemelin, à la
question de la société distincte où il faut mettre le mot
"culture" et le mot "françaises", de toute évidence votre
préoccupation, c'est celle de dire: Le choix d'être politique au
Canada quant à ce caractère, à cette âme que vous
évoquiez dans votre document, comme dans de nombreux éditoriaux
è l'époque où vous étiez à La Presse,
doit être là. Cependant, il faut être conscient aussi que
vous devez vous livrer aux mêmes acrobaties, être un peu matamore,
comme tous les gens qui sont venus devant nous. Nous faisons face à des
amendements inconnus, à un texte inexistant en ce moment. C'est un
contrat. Mais vous dites: II est clair qu'il faut dire que le Québec est
de culture et de langue françaises. C'est un peu comme si cela allait de
soi.
Je prétends qu'il faut faire plus que juste le dire et demander
aux juges de nous expliquer par la suite quelle est sa conséquence. Je
prétends qu'il faut se donner des moyens pour que le Québec soit
de culture et de langue françaises. Et je ne suis pas de ceux qui ont
peur de l'anglais; vous le savez. Mais je suis conscient aussi que le
Québec ne saurait relever le défi de l'excellence dans sa culture
pour que le Québec se développe, s'enrichisse, croisse en
français, ne se contente pas de survivre, le Québec ne saurait
réussir sans des moyens. (10 h 45)
Permettez-moi de vous dire qu'une des raisons pour lesquelles cette
entente manque d'envergure, c'est précisément une des raisons que
vous avez évoquées. C'est un sujet qui me préoccupe depuis
de nombreuses années, sur lequel j'ai eu l'occasion d'écrire
quelques textes que je vois maintenant cités par les gens du Parti
libéral, ce qui ne manque pas d'intérêt: le problème
de la dénatalité au Québec. Comment voulez-vous que l'on
réponde à cette dimension fondamentale de notre
développement comme peuple, non pas de notre survie, bien que ce soit
cela qui est en cause, comme le dit Henripin, mais même de notre
développement, si nous n'avons pas les instruments pour y arriver?
Quand je regarde le pouvoir de dépenser de l'État
fédéral et que je me rends compte que le régime des
allocations familiales au Canada est essentiellement celui du
fédéral... Le Québec en a un et c'est un des instruments,
vaque, bien incomplet, mais néanmoins important. Mais parce que le
fédéral a un pouvoir illimité de taxer et, en pratique, de
dépenser, c'est lui qui a entre les mains un des instruments importants
pour répondre à la question de la dénatalité. C'est
la même chose pour les garderies. On sait que l'ensemble des politiciens
canadiens se sont engagés, à la dernière élection
fédérale, à l'instauration d'un régime de garderies
pancanadien, alors que le Québec en offre un déjà depuis
un certain temps et que le ministre aura beau dire que les limitations qu'il
devait imposer au pouvoir de dépenser font que le Québec pourra
continuer à avoir son régime de garderies.
Est-ce que la qarde en milieu familial qu'on pourrait favoriser, par
exemple, en milieu rural chez nous sera retenue comme un critère ou
est-ce que le fédéral n'aura pas plutôt tendance à
dire: Les objectifs nationaux, c'est un régime de garderies publiques,
étatiques, comme c'est le cas dans la santé? Tout cela, pour moi,
met en évidence les moyens. Je trouve que dans cette entente on se
contente de la dialectique juridique et non pas du compromis politique. C'est
cela, M. Lemelin, que je vous laisse commenter.
M. Lemelin: D'abord, vous avez fait des études
supérieures en Angleterre. Vous parlez un anglais remarquable...
M. Johnson (Anjou): C'est Daniel qui a fait cela, ce n'est pas
moi.
M. Lemelin: Mais vous vous êtes vus souvent et vous avez
appris beaucoup de Daniel alors, je suppose. Je vous ferais remarquer que par
l'importance qui vous est échue comme chef de l'Opposition - quand
j'emploie le mot "échu" en ce sens, je pensais que cela vous
grandissait, que c'était un héritage que vous receviez
peut-être de façon lointaine de M. Duplessis et de quelqu'un qu'il
a bien connu, et même de René Lévesque - enfin, puisque
vous êtes le dépositaire de cet héritage qui vous
échoit, je reconnais bien dans votre façon de penser et dans
votre dialectique le sentiment profond qui vous a fait adhérer à
l'indépendantisme il y a plusieurs années.
J'avais cru que vous aviez choisi d'évoluer doucement vers un
fédéralisme où la place du Québec aurait une place
encore plus grande qu'auparavant, et je me rends compte que, devant la nuance
que j'apporte à l'alinéa b), sur la société
distincte, cela vous semble bien maigre. Comme je vous l'ai dit, je ne demande
pas cela parce que j'ai peur, c'est parce que je suis choqué. Je crois
que les mots "société distincte" sont très forts, mais,
puisque cela peut faire plaisir à
tant de monde, disons "de culture et de langue françaises".
Vous dites que ce que je demande pour les accords du lac Meech, c'est
bien maigre. Rappelez-vous qu'en 1981 on n'était même plus dans la
constitution, d'après ce que je me rappelle, et on recommence. C'est
long, l'histoire, c'est long, une culture, c'est long, le développement
d'un pays, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Quand je propose
l'unité canadienne, la fraternité entre les anglais et les
français, quand je dis: Mettons-nous tous ensemble à
défendre et à faire fleurir une culture, si voua trouvez cela
mince, je ne sais pas ce que vous trouvez épais.
Je veux bien vous souligner cela, pendant qu'on y est. Je sais que,
comme homme politique, vous avez à gagner des points au cours d'une
discussion. Moi, je ne veux pas gagner de points, je ne veux pas être
élu, je ne veux entrer dans aucun parti, je vous parle comme un enfant
du Québec qui aime son pays, qui le dit franchement et qui n'a peur de
rien, parce qu'il n'a rien à perdre. Il a tout à gagner s'il
défend ce qu'il est. Je vous demande, M. Johnson, de penser à
cette espérance que l'on met dans les accords du lac Meech, parce
qu'après cela il y en aura sans doute d'autres. Comme le disait
Jean-Charles Bonenfant: La constitution, c'est un vêtement
élastique qui s'adapte à tous nos besoins.
Je ne voudrais pas partir d'ici avec l'impression que cela vous ennuie
que les accords du lac Meech fonctionnent, parce que c'est un pas en avant,
c'est un autre cadenas qui est posé sur les espérances de ceux
qui veulent que le Québec devienne indépendant.
M. Johnson (Anjou): M. Lemelin, ce n'est pas ce que vous proposez
que je trouve mince, c'est l'endroit où on le met. L'endroit où
on le met, c'est dans ce qu'on appelle une clause d'interprétation. Une
clause d'interprétation, ce que cela veut dire, en pratique, c'est que
le pouvoir politique et démocratique, que ce soit celui du Québec
ou celui du Canada anglais, qui refuse de mettre les choses là où
elles devraient l'être.
Si on disait, par exemple, que l'Assemblée nationale du
Québec a tous les pouvoirs qui sont dévolus au fait que nous
formons une société distincte au chapitre de notre culture et de
notre lanque, c'est une autre paire de manches; mais ce n'est pas ce qu'on dit.
On dit que le Québec est une société distincte, de culture
et de langue françaises, si je prends votre amendement, celui de M. Dion
ou d'autres, et on va laisser à la Cour suprême, pendant quinze
ans, le soin de nous dire quelle en est la portée. C'est de cette
espèce d'absence de courage dont je ne me satisfais pas.
Je ne peux pas me satisfaire d'une absence de courage chez les hommes
politiques au Canada anglais ou au Québec devant le fond des choses. Une
fois le Canada anglais prêt à reconnaître qu'à partir
du lac Meech, dès qu'il y a eu unanimité des premiers ministres
des provinces et de celui du gouvernement fédéral, le
Québec forme une société distincte, je considère
que c'est un acquis pour la société québécoise.
D'aller le confiner dans un texte qui va nous dire que les juges de la Cour
suprême, pendant quinze ans, nous diront quel en est le sens, je trouve
que ce n'est pas très fort. J'aimerais mieux voir clairement dans les
textes constitutionnels la portée réelle de cette reconnaissance
de la société distincte de culture et de langue françaises
avec les responsabilités qui sont dévolues en conséquence
à l'Assemblée nationale. Ce sont cette absence de courage comme
cette absence de texte qui, personnellement, m'irritent passablement depuis
quelque temps. M. le ministre.
M. Rémillard: Voulez-vous demander à M. Lemelin
s'il veut commenter vos propos, M. le chef de l'Opposition?
M. Lemelin: Très brièvement, comme le disait
souventefois M. Rémillard au cours de ces assemblées, il avait
peur qu'en donnant trop d'explications à "société
distincte" on en limite les pouvoirs, on en limite l'étendue.
Ce que M. Johnson demande, moi qui croyais qu'il serait très
heureux de l'ajout que je réclamais, c'est qu'on en arrive à
poser tellement de conditions au reste du pays à travers la nouvelle
constitution qu'il puisse sauvegarder le programme du PQ qui est
fondamentalement basé sur une souveraineté ou une
indépendance du Québec. Je suis un fédéraliste qui
croit que l'avenir du Québec est au sein de la
confédération. Je respecte son option, mais on ne peut pas parler
le même langage si on se lance dans cette direction.
M. Rémillard: Oui, M. Lemelin, vous avez parfaitement
raison, dans votre dernière remarque, de dire qu'évidemment
l'entente du lac Meech ne peut pas satisfaire les indépendantistes.
L'entente du lac Meech n'est pas faite pour faire l'indépendance du
Québec, elle est là pour faire du Québec une
société fière d'elle-même, de sa distinction, de sa
langue, de sa culture et de tout ce qui fait qu'elle est distincte, et
fière d'être un partenaire majeur de cette
fédération. Dans ce pays, nous croyons au Canada. C'est dans ce
contexte qu'il faut bien comprendre que le Québec est une province dont
la langue officielle est le français.
Vous le dites très bien dans votre mémoire, M. Lemelin. Je
l'ai relevé avec beaucoup de plaisir parce que vous avez très
bien compris qu'il faut insister sur ce point. L'entente du lac Meech ne
met pas en cause la compétence du Québec de
légiférer sur sa langue, mais, bien au contraire, elle lui donne
une assise juridique encore plus forte parce que le Québec a la
compétence de légiférer sur sa langue, de par la
constitution canadienne. Parce que nous acceptons de vivre dans une
fédération, nous acceptons les deux seules limites que peut
comprendre cette exclusivité du Québec de légiférer
sur sa langue: C'est l'article 133 de la constitution de 1867, que les
Pères de la confédération ont mis dans notre constitution
qui a créé ce pays et qui fait en sorte qu'un anglophone peut
parler anglais dans ce lieu-ci, à l'Assemblée nationale, qu'un
francophone peut parler français au Parlement du Canada, qu'un
anglophone peut s'adresser au tribunal ici au Québec dans sa langue.
Est-ce qu'on peut être contre cela, dans la mesure où on accepte
ce pays? Et l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.
C'est l'article qui permet ce qu'on appelle la clause Canada. Lorsque des
parents ont eu leur instruction au primaire dans une province anglaise du
Canada, ils peuvent inscrire leur enfant à l'école anglaise au
Québec. Même René Lévesque était en faveur de
la clause Canada. Est-ce que l'on peut être contre cela? Et ce sont les
deux seules limites que nous avons parce que le Québec a
compétence sur sa langue. Le Québec est une province dont la
langue officielle est le français.
L'entente du lac Meech... Vous nous parlez de société
distincte, M. Lemelin, mais il faut bien comprendre qu'il faut relier
"société distincte" à ce dernier paragraphe qui nous dit -
et ce, pour la première fois dans notre histoire constitutionnelle, dans
notre histoire dans la Fédération canadienne - pour la
première fois que le gouvernement du Québec, l'Assemblée
nationale du Québec aura le rôle - c'est textuellement ce qui est
prévu dans l'entente du lac Meech - de protéger et de promouvoir
la spécificité québécoise. Donc, si vous reliez
cela à cette caractéristique fondamentale qui est la langue et la
culture - j'ai pris bonne note de votre intervention à ce sujet, vous
reliez ces deux éléments - vous ne croyez pas qu'on a là
une assise de plus, juridiquement et aussi politiquement, pour confirmer la
langue française comme langue officielle du Québec?
M. Lemelin: Vous me posez la question?
M. Rémillard: Je vous pose la question. (11 heures)
M. Lemelin: Encore une fois, je vous dis que la science des
constitutionnalistes a des raisons que la raison n'a pas, voyez-vous? Quand
vous me parlez de toutes ces entourloupettes savantes, juridiques où,
sans le dire, ma culture et ma langue françaises sont
protégées, j'ai comme l'impression qu'on n'ose pas dire qui nous
sommes et cela me choque. Que ce soit donc une fois pour toutes dans la
constitution pour qu'on passe à autre chose. C'est vraiment humiliant.
Quand même, quand vous êtes 6 000 000 de personnes, que vous
êtes ici depuis 300 ans, que vous avez participé à
créer ce pays, que vous l'avez défendu, bien, on a droit à
cette petite phrase, je crois, dans le texte constitutionnel.
M. Rémillard: J'en prends bonne note.
Le Président (M. Filion): M- le député de
Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Merci, M. le Président. Les propos du
ministre m'obligent à réagir parce qu'il répète
inlassablement depuis le début des travaux de cette commission que
l'Assemblée nationale conserve son pouvoir de légiférer en
matière linguistique, pouvoir plein et entier et que la seule limite
à ce pouvoir, c'est l'article 133 qui permet, dit-il, à un
député de parler en anglais à l'Assemblée
nationale. D'abord, c'est plus que cela. Il faudrait le dire aussi. L'article
133, ce n'est pas uniquement cela. L'article 133, ce sont les lois dans les
deux lanques, les lois de l'Assemblée nationale dans les deux langues,
la législation déléguée dans les deux lanques,
devant les tribunaux également. Même ce qui nous arrive
présentement est un cas assez flagrant où le jugement d'un
tribunal est en anglais seulement. L'article 133 permet cela; le justiciable ne
peut même pas obtenir un jugement en français. Cela est en vertu
de l'article 133. C'est plus que de permettre à un député
de parler en anglais à l'Assemblée nationale, l'article 133,
d'abord.
Deuxièmement, l'article 23, c'est une réserve importante.
C'est très important parce que cela limite le pouvoir qui était
exclusif jusqu'en 1982 en matière d'éducation. C'est dans la
langue d'enseignement, donc, dans la matière d'éducation. Vous
dites que même M. Lévesque acceptait la clause Canada. Moi aussi,
j'accepte la clause Canada. Le chef du Parti québécois accepte
aussi la clause Canada, mais la clause Canada dans la charte du français
et non pas dans la constitution canadienne. C'est très différent.
Cela veut dire que cela relève de l'Assemblée nationale, à
ce moment, de l'inscrire dans la loi 101. C'est très différent du
fait de se la faire imposer par un acte constitutionnel auquel on n'a pas
participé en matière de négociation et de conclusion.
Mais il y a bien d'autres choses aussi. Il y a l'article 2 de la charte
canadienne qui porte sur la liberté d'expression. Si je me
souviens bien, le jugement de la Cour d'appel sur la langue d'affichage
s'appuie sur l'article 2 de la charte canadienne, la liberté
d'expression. Ce n'est pas une réserve en matière linguistique,
cela, ce n'est pas une limite en matière linguistique? L'article 6, la
liberté d'établissement. Qu'est-ce qui vous dit que ce ne sera
pas invoqué devant les tribunaux pour limiter encore une fois et
continuer le démantèlement de la loi 101? L'article 15 sur
l'égalité et l'article 27 sur le multiculturalisme, pourquoi ce
ne serait pas invoqué également pour continuer le
démantèlement de la loi 101? L'article 93 qui empêche
d'établir ici des commissions scolaires sur une base linguistique, cela
a été reconnu inconstitutionnel. Depuis 1982, c'est plein de
limites majeures en matière linguistique. L'entente du lac Meech, je
regrette de le dire au ministre et en même temps je le dis à notre
invité également, M. Lemelin, ne corrige en rien cette situation
qui résulte de la Loi constitutionnelle de 1982 sur le plan
linguistique. Qu'il arrête de nous répéter inlassablement,
comme un perroquet, son discours qui ne correspond pas aux faits ni aux droits
en matière linguistique.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le
député de Lac-Saint-Jean.
M. Lemelin: Je pense que cela devient de l'épicerie
technique entre hommes politiques. Je profite de l'occasion pour vous remercier
encore une fois et pour vous dire à quel point j'ai été
impressionné par la présence et par les arguments qu'on m'a
servis ici. Je suis de plus en plus convaincu des idées que j'ai
avancées dans mon texte.
M. Rémillard: M. Lemelin, moi aussi, je voudrais vous
remercier de vous être déplacé. Vous avez pris du temps.
Vous êtes venu ici témoigner. Je vous remercie de votre
témoignage franc, très sincère. J'ai pris très
bonne note de votre remarque reliée à cette langue
française qui vous est chère, comme elle nous est chère
aussi.
J'entendais tout à l'heure l'Opposition nous dire: Nous sommes
d'accord avec la clause Canada. Bon, voilà un premier point. Il reste
cet article 133, dont on nous dit: Mais cela veut dire aussi la traduction des
lois de l'Assemblée nationale en français et en anglais. Nous
sommes parfaitement d'accord. Ce qui serait intéressant, M. Lemelin - je
sais que vous serez d'accord avec moi - c'est que l'article 133 puisse aussi
s'imposer à l'Ontario. Si l'Ontario décidait de se lier à
l'article 133, cela voudrait dire qu'il y aurait un bilinguisme institutionnel
pour ces quelque 700 000 francophones ontariens qui ont déjà,
grâce à un gouvernement libéral en place en Ontario,
beaucoup de mesures qui leur permettent de vivre en français dans bien
des éléments de leur vie, tant sur le plan judiciaire que sur le
plan social. Mais avec l'article 133, ce serait là une
possibilité extrêmement intéressante pour ces
Franco-Ontariens. Donc, nous l'acceptons.
Alors, pourquoi vient-on nous dire ensuite qu'on n'a pas la
compétence sur la langue? Mais on a une pleine compétence sur la
langue. Qu'est-ce qu'on nous dit? On nous dit: Mais il y a la Charte canadienne
des droits et libertés, la liberté d'information. Mais on oublie
continuellement de nous dire... C'est à ce niveau-là qu'il faut
quand même mettre de côté toute partisanerie,
démagoqie ou quoi que ce soit; il faut regarder les choses telles
qu'elles existent. Quand on parle de la Charte canadienne des droits et
libertés en fonction de la lanque, il faut se rendre compte que le
gouvernement a toujours cette possibilité d'utiliser ce qu'on appelle
cette clause "nonobstant". Nous avons refusé de l'utiliser
systématiquement pour tous les projets de loi. Or, nous avons dit: Nous
utiliserons cette clause "nonobstant" qui permet de légiférer
à l'encontre de certains droits individuels, à certains
égards, pour certaines fins, lorsque l'intérêt de la
collectivité doit l'emporter sur les intérêts individuels.
Il se peut que dans une société, on se retrouve dans une telle
situation en ce qui reqarde la langue.
En ce qui regarde, par exemple, la langue d'affichage, ce qui est devant
la Cour suprême actuellement - je ne veux pas parler du fond de cette
cause qui est devant la Cour suprême - si une décision de la Cour
suprême nous disait, par exemple, que l'affichage unilingue
français va à l'encontre de la Charte des droits et
libertés, la liberté d'expression, et si le gouvernement - je
fais l'hypothèse, comprenez-moi bien - décidait qu'il veut
maintenir l'unilinguisrne dans l'affichage, il n'aurait qu'à prendre la
clause "nonobstant", faire une loi après le jugement de la Cour
suprême et dire que cette loi, cette disposition de telle loi, va
s'appliquer nonobstant la Charte canadienne des droits et libertés.
Qu'on vienne nous dire que c'est le Code civil qui est en danger, mais c'est la
même chose. La clause "nonobstant" est là pour que le politique,
qui est le gouvernement, prenne ses responsabilités. Le gouvernement les
prendra, ses responsabilités.
Cependant, ce que nous allons avoir, M. Lemelin, par cette entente dont
vous avez souligné le mérite - avec les réserves que vous
avez apportées, et j'en ai pris bonne note - on aura pour la
première fois ce rôle du gouvernement du Québec, de
l'Assemblée nationale du Québec, de protéger, et non
seulement de protéger, M. Lemelin, mais de promouvoir la langue, la
culture française, tout ce qui fait que nous sommes distincts par nos
institutions, notre façon d'être, notre façon de vivre.
C'est dans ce cadre-là que nous considérons que cette
entente, avec des bonifications qu'on pourra lui apporter, est vraiment une
entente historique. Je tiens donc encore à vous remercier très
sincèrement de votre témoignage.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. Oui?
M. Lemelin: ...qui n'a aucun rapport avec le débat
d'aujourd'hui. Les artistes sont des gens qui communiquent notre culture au
public. Ils ont des problèmes. Pourquoi le gouvernement en poste
tarde-t-il tant è leur accorder leur statut professionnel? C'est juste
cela que je voulais ajouter.
Le Président (M. Filion): M. Lemelin, au nom de tous les
membres de cette commission, je voudrais vous remercier de vos propos ici ce
matin.
Sans plus tarder, je voudrais inviter les représentantes de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, que je vois
à l'arrière de la salle, à bien vouloir s'avancer et
à prendre place immédiatement à la table des
invités, afin que nous puissions poursuivre nos travaux sans devoir
suspendre cette séance.
Au bénéfice des membres de la commission, je rappellerai
que, cet après-midi à 15 heures, après la
Fédération des groupes ethniques du Québec, la
période de 16 heures à 18 heures sera consacrée aux
représentations des membres de cette commission avant la fermeture de
nos travaux, le tout selon l'ordre que nous avons reçu de
l'Assemblée nationale. Je veux rappeler que le temps de cet
après-midi sera partagé de la façon suivante: à 16
heures, 30 minutes à l'Opposition; à 16 h 30, 30 minutes au
groupe ministériel; à 17 heures, 30 minutes à l'Opposition
et, à 17 h 30, 30 minutes au groupe ministériel. Il s'agit de
périodes de 60 minutes chacune partagées en deux segments de 30
minutes pour chacune des formations politiques.
Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal
Je voudrais donc souhaiter la bienvenue à la représentante
de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, Mme Nicole
Boudreau, présidente générale de cet organisme. Bienvenue,
Mme Boudreau. Du même souffle, je voudrais accepter le dépôt
du mémoire que Mme Boudreau a eu la gentillesse de me remettre
tantôt et qui est, je crois, en train de vous être
distribué.
Mme Boudreau, je pense que vous connaissez les règles de cette
commission: environ 20 minutes pour votre exposé et 40 minutes pour
échanger des propos avec les membres de cette commission. À vous
la parole, Mme Boudreau.
Mme Boudreau (Nicole): Je vous remercie, M. le Président.
Mesdames, messieurs les députés. Vous en conviendrez, pour un
organisme invité à déposer un mémoire à la
fin des travaux d'une commission parlementaire, il est malaisé
d'invoquer des arquments nouveaux qui pourraient soutenir sa position, surtout
quand celle-ci semble partagée par bon nombre des intervenants qui l'ont
précédé. Voila l'avantage, je pense, d'une commission
parlementaire télévisée.
Comme c'est effectivement le cas, pourquoi donc la Société
Saint-Jean-Raptiste de Montréal a-t-elle tenu malgré tout
à faire entendre sa voix dans ce dossier qu'elle estime vital, vous ne
vous en étonnerez pas, pour l'avenir du Québec? Pour des raisons
historiques d'abord. La Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal est une société populaire. On dit d'elle que
c'est la plus ancienne société nationale en Amérique du
Nord. C'est donc dire que, depuis sa fondation en .1834, avant 1867 donc, avant
même la mise en oeuvre du système fédératif, elle a
été le témoin privilégié, sinon très
étroitement lié et associé à l'élaboration
du système politique canadien. Elle a même fait entendre une voix
discordante sur cette élaboration à plusieurs reprises. Ses
archives le démontrent clairement. Elle a été de toutes
les luttes, de tous les combats menés pour la défense des droits
des Canadiens français et, plus spécifiquement au Québec,
de ceux des Québécoises et Québécois. De là
notre étonnement et notre déception de constater que, dans un
premier temps, cette commission n'avait pas juqé bon de nous entendre.
Cette inéléqance ayant été réparée,
je tiens à vous en remercier non seulement au nom des membres que je
représente, mais également et surtout au nom de ceux et celles
qui, à la Société Saint-Jean-Baptiste, nous ont
précédés et de qui je ne crains pas de dire qu'ils ont
largement contribué à bâtir le Québec d'aujourd'hui,
notamment, vous en conviendrez également, le Québec
français.
La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal est une
société non partisane, même si deux de ses anciens
présidents ont été premiers ministres du Québec,
les premiers ministres Chauveau et Ouimet, et que son premier président
a éqalement été maire de Montréal, en l'occurrence
M. Jacques Viger.
Étant non partisane, la Société Saint-Jean-Baptiste
de Montréal déplore donc vivement le fait, et cette situation est
certainement à l'origine de l'imbroglio et du gâchis actuels, que
le sentiment nationaliste ou autonomiste, d'appartenance, quoi! qui est un
sentiment normal, légitime et évident chez tous les peuples de la
terre, ait, au Québec, tellement dévié de son propre sens
qu'il se
soit vu attribuer un sens péjoratif, restrictif, chauvin et
isolationniste. (11 h 15)
Vous savez, dans certaines écoles primaires, pour
développer l'esprit et le sentiment d'appartenance des jeunes
élèves, on a imaginé une méthode d'apprentissage
que nous estimons particulièrement judicieuse et intéressante.
Cette méthode consiste à faire prendre conscience à
l'enfant qu'il appartient d'abord à un noyau familial, ensuite à
un milieu de vie, ensuite à un quartier, ensuite à une ville,
ensuite à une région et, finalement, à un pays. Un
Abitibien est d'abord Abitibien avant d'être Québécois.
C'est mon cas et j'en suis fière. C'est ainsi que l'on développe
l'esprit d'appartenance d'un enfant. C'est ainsi qu'il apprend à
s'imprégner de son identité propre et à apprivoiser la
société à laquelle il appartient et à laquelle il
apportera sa contribution en tant que citoyen.
En ce qui a trait maintenant à la société
distincte: le concept d'appartenance est plus inspirant pour nous que celui de
société distincte car, sur celui de société
distincte, que pourrions-nous dire de plus intelligent, d'inédit et de
pertinent que ce qui a déjà été dit ici? Tout au
plus pourrions-nous reprendre les arguments invoqués par d'autres que
nous, tout aussi profanes en droit constitutionnel, ou encore par
d'éminents constitutionnalistes, dont M. Léon Oion, qui vous
suppliait, vous vous en souviendrez, et à juste titre d'ailleurs, de
bien vouloir définir votre concept, ce que, en toute justice, nous
devons le reconnaître, vous vous êtes appliqués à
tenter d'éclaircir, mais sans succès, à notre avis.
Que pourrions-nous dire ce matin, en ce dernier jour de commission
parlementaire, qui n'ait été dit, sinon qu'indépendamment
des circonstances diverses qui pourraient en limiter la portée
auprès des juges, la formule même de société
distincte est assise sur l'ambiguïté du refus traditionnel du
Canada anglais de nous reconnaître pour ce que nous sommes,
c'est-à-dire un peuple? On sait fort bien que cette expression
"société distincte" vient de la commission Laurendeau-Dunton qui
l'a employée spécialement dans le but de ne pas heurter les
susceptibilités anglo-canadiennes qui se hérissaient dès
qu'étaient employés à notre endroit les mots "peuple" et
"nation".
Cette diplomatie de langnge pouvait à la rigueur, à notre
avis, être mise de l'avant dans un rapport de commission. Par ailleurs,
elle serait tout à fait catastrophique, inacceptable et
déplacée dans un texte constitutionnel. II est également
clair pour nous que, si cette désignation diminutive de notre
identité collective constitue le plus qui soit acceptable pour le Canada
anglais, son interprétation par la Cour suprême ne pourra aller
que dans le sens d'en atténuer la signification et la portée. Et,
que voulez-vous! à ce chapitre, pour quiconque a des
prédispositions à la mémoire, il faut bien admettre que
les vicissitudes passées sont symptomatiques ou même garantes du
portrait que pourrait avoir l'avenir.
Ces considérations étant établies, notre
mémoire n'élaborera pas sur les autres points de l'entente de
principe du lac Meech. J'espère qu'aucun membre de cette commission ne
nous accusera de ne pas les avoir étudiés pour autant, même
si le temps nous ayant été imparti pour le faire justifierait
à lui seul cette lacune. Toutefois, notre raison est tout autre. Tant
d'autres sont venus en débattre avec des arguments d'une étoffe,
d'une pertinence et d'une justesse telles, que, s'ils ne vous ont pas
ébranlés, s'ils ne vous ont pas convaincus de renoncer à
ce projet insensé, nous devrons conclure que cette commission
parlementaire n'était, somme toute, qu'un simulacre de
démocratie, que nous n'y avons que parlé pour parler ou, encore,
ce qui est pire, parlé pour ne rien dire, pour finalement aboutir
à un dialogue de sourds pour lequel les distingués membres de
cette commission, pas plus que les gens qui ont accepté d'y
défiler, n'avaient de temps en ce mois de mai qui s'annonçait
tranquille et beau avant ce fatidique 30 avril et où nous pensions tous,
à l'instar de nos concitoyens et concitoyennes, paisiblement planter nos
choux, carottes et radis ou encore jouir du soleil printanier. Hélas, ce
que certains qualifient de pas de géant ou de recul inqualifiable, selon
le cas, et que nous qualifions, nous, de coup de théâtre - on n'en
est pas à un qualificatif près dans ce dossier - ne nous en
laisse guère le loisir. Nous permettrez-vous, M. le ministre, de vous
souligner deux ou trois petites choses en dehors du fond de la question qui
semblent clocher dans ce dossier?
II ne faut pas oublier, et je pense que le présent gouvernement
aurait tort de le faire, que l'entente de principe survenue au lac Meech se
situe dans un contexte post-référendaire. Sept ans à
peine, sept ans dans la vie d'un peuple, c'est tout neuf, cela vient d'arriver,
c'était hier. Donc, un contexte postréférendaire où
ce n'est pas uniquement l'élément indépendantiste
québécois qui est affaibli, mais bien l'ensemble, le
Québec tout entier. Vous vous rappellerez sans doute le jeu de mots
savant utilisé lors du référendum de 1980 où un non
voulait dire un oui. Ce "n...oui" attendait toujours qu'on lui livre la
marchandise pour laquelle, il me semble, il avait payé le gros prix.
Vous prétendez, ainsi que vos collègues des provinces du Canada,
le faire maintenant avec les avantages inespérés que
recèle l'entente du lac Meech. Notre pusillanimité
postréférendaire serait-elle telle qu'elle illustrerait notre
manque de clairvoyance, de
cohérence, de jugement et de lucidité vis-à-vis de
ces prétentions? Quand également vous vous prétendez
investis d'un mandat clair de la population du Québec, nous tenons
à vous rappeler qu'il y a à peine sept ans, plus de 40 % des
Québécois se sentaient prêts à redéfinir leur
réalité politique et ce, d'une tout autre façon que celle
que vous nous proposez aujourd'hui, tandis que la moitié de la
population francophone donnait son aval au projet référendaire et
au oui référendaire. Sept ans dans la vie d'un peuple, je vous le
rappelle et je vous le répète, c'était hier. Si, pour
vous, le verdict était clair, pour nous, il recèle encore mille
ambiguïtés que l'histoire se chargera d'expliquer, mais qui ne
devraient pas être négligées pour autant.
Une lacune qui nous apparaît également évidente dans
le processus actuel et qui a été abondamment
dénoncée par la plupart de ceux et celles qui nous ont
précédés, c'est l'odeur antidémocratique qui se
dégage de toute l'opération. M. Rémillard, vous êtes
ministre. Ce que vous faites ici ce matin, c'est-à-dire recevoir les
doléances ou les encouragements de groupes ou d'individus opposés
ou favorables à l'accord de principe du lac Meech, fait partie de votre
travail. C'est normal pour vous. C'est le cas de le dire, au chapitre
constitutionnel, vous vous sentez aussi à l'aise qu'un petit poisson
dans l'eau. Mais avez-vous pensé aux centaines de milliers de citoyens
et citoyennes qui, avides d'information, syntonisent Radio-Québec et
écoutent vos délibérations?
Si je me permets de vous poser cette question c'est que, voyez-vous, moi
je n'y avais pas pensé jusqu'à ce que j'aie une conversation de
palier avec mes voisins qui, sachant que j'aurais la chance d'exprimer le point
de vue de mon organisme devant cette commission, m'ont demandé de vous
dire à quel point eux ne comprenaient pas grand-chose à ce
dossier constitutionnel et à quel point cette question, qui a pourtant
des incidences réelles dans leur vie quotidienne, leur semblait confuse,
ardue, inaccessible, inintéressante à la limite: du charabia,
quoil
Voyez-vous, M. Rémillard, mes voisins sont ce que l'on peut
appeler des gens intelligents et sensibles. Ils sont à l'image du peuple
québécois dont la lassitude en ce qui concerne la question
constitutionnelle n'a d'égal que l'inquiétude qui les gagne peu
à peu. Voyez-vous, M. Rémillard, mes voisins sont inquiets et,
depuis le début de cette commission, ce qu'ils ont entendu ne les a
guère rassurés. Ils sont, de plus, estomaqués de la
vitesse folle du TGV qui leur passe sous le nez, tellement vite en fait qu'ils
ne savent même pas s'ils ont le goût d'y monter. Je vous le
répète, ce sont des gens de bon sens; ce sont des gens de gros
bon sens même.
M. le ministre, pour nous, de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui sommes une
société populaire qui se préoccupe d'éducation
nationale, nous vous demandons avant toute chose, avant même une
consultation populaire, de vulgariser ee dossier savant et de renseigner les
qens, de leur dire ce que c'est une constitution et spécialement celle
que vous vous apprêtez à signer. À cet égard, nous
sommes tout à fait de l'avis de Mme Solanqe Chaput-Rolland qui, dans un
article paru dans le journal Le Devoir il y a quelques mois, soulignait
la complexité et l'inaccessibilité du texte de la constitution
canadienne. Un citoyen a certes le devoir de comprendre sa constitution; un
gouvernement a, par ailleurs, celui de la lui expliquer.
En terminant, nous reviendrons brièvement sur ce concept
d'appartenance. C'est celui qui nous tient à coeur. Il est manifeste que
plusieurs gammes de Québécois se sentent mal à l'aise face
à l'accord que vous souhaitez entériner début juin. Les
indépendantistes d'abord - et cela ne semble pas vous étonner -
qu'ils soient purs et durs ou pondérés et doux, et même les
fédéralistes autonomistes y voient aussi certains dangers. Mais,
voyez-vous, ce sont tous les Québécois, et vous les premiers, qui
devraient se sentir mal à l'aise face à cet accord. Il n'est pas
juste et équitable pour le Québec. Il est aliénant et
inacceptable. Les individus qui composent le Québec d'aujourd'hui et qui
ont toujours le sentiment d'appartenir à une collectivité,
à un peuple qui possède son coin de terre, sa lanque, sa culture
et son identité, se sentent mal à l'aise et menacés par ce
leurre historique. Les autres sont tout simplement inquiets.
La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pense
que le gouvernement que les Québécois et les
Québécoises ont élu, ces hommes et ces femmes, dont vous
êtes, de qui dépend leur destin et leur avenir serait mieux
avisé de travailler à développer ce sentiment
d'appartenance - un sentiment normal, je le répète - plutôt
qu'à tenter de l'étouffer par tous les moyens, et nous pensons
que l'accord du lac Meech en est un, notamment, évidemment, au chapitre
de la lanque, sans parler du pouvoir de dépenser. Il ne suffira pas, les
pressions aidant, d'insérer les mots "langue française" dans un
éventuel accord constitutionnel pour garantir le plein
épanouissement de la société distincte qui parle cette
langue. Il faudra la doter de tous les pouvoirs. Des pouvoirs essentiels,
réels et normaux. Nous ne ferons sur cette question que
répéter ce qui a déjà été dit.
C'est pourquoi, M. le ministre et MM. les membres de cette commission,
nous concluons en demandant au gouvernement de ne pas conclure une entente
précipitée et bâclée qui pourrait être
préjudiciable aux intérêts du Québec ainsi qu'aux
intérêts de tous les Québécois, quel que soit le
milieu
duquel ils proviennent. Nous le prions d'informer la population, de le
consulter, de tenir compte de ses avis, de ses réserves et de ses
inquiétudes. Cet exercice, même s'il eût été
souhaitable qu'il soit Préalable à la rencontre du lac Meech,
n'en demeurera pas moins essentiel pour la société
québécoise. Que l'on n'ait surtout pas, en Fin de compte, le
triste sentiment que le Québec est une vaste patinoire sur laquelle se
joue un match de la Ligue nationale d'improvisation, un match décisif
où l'une des deux équipes, la nôtre, en l'occurrence, est
éliminée une fois pour toutes. Ce qu'il ne faudrait pas, c'est
que, pour les temps à venir, ce qui distinguera à jamais le
Québec, ce soit sa disparition. Je vous remercie de m'avoir
écoutée.
Le Président (M. (Filion): Mme
Boudreau, présidente générale de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, je voudrais vous
remercier. Il reste, pour chaque groupe parlementaire, un peu plus de 20
minutes. Je laisse donc la parole à M. le ministre
délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes. (11
h 30)
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Mme Boudreau,
je voudrais vous remercier de venir témoigner devant nous au nom de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Votre
société a des racines profondes dans l'histoire du Québec.
Vous mentionnez à juste titre dans votre mémoire que deux anciens
présidents ont été premiers ministres du Québec, le
premier ministre Chauveau et le premier ministre Ouimet.
Vous soulignez aussi un élément qui me touche beaucoup,
celui de l'iinformation du public. Je suis particulièrement conscient,
Mme Boudreau, que nos débats sont quelquefois difficiles à
comprendre pour les gens qui nous écoutent. J'essaie de les rendre les
plus compréhensibles possible, mais vous comprendrez qu'il y a beaucoup
d'aspects techniques qui ne sont pas faciles. Vous avez raison de nous dire:
Faites un effort, essayez de clarifier cela pour qu'on puisse comprendre. Je
peux vous dire que je prends bonne note de votre message et que je vais faire
un effort pour essayer de vous faire comprendre, de rendre ces questions
techniques compréhensibles pour l'ensemble de la population et à
la portée de tous. Lorsque j'étais professeur, je donnais des
conférences, j'avais l'occasion de m'adresser aux
Québécois et aux Québécoises partout et j'essayais
de faire ce travail. Ce n'est pas facile, mais je prends bonne note de votre
remarque et je vais tenter de rendre nos explications les plus accessibles
possible à tous ces Québécois et Québécoises
qui nous écoutent, et je vous remercie de votre remarque.
Vous avez insisté surtout sur ce caractère distinct du
Québec, nous disant que, pour vous, il fallait parler de peuple. C'est
une question de savoir. "Société" et "peuple", je l'ai
déjà expliqué et je me permets d'y revenir très
brièvement. Le mot "peuple" est déjà utilisé dans
la constitution canadienne en ce qui regarde les autochtones; le mot "nation"
est utilisé dans des lois québécoises ou canadiennes en ce
qui regarde les autochtones ou à d'autres niveaux. Le mot
"société" a été utilisé -vous le mentionnez
dans votre mémoire - par la commission Laurendeau-Dunton sur le
bilinguisme et le biculturalisme en 1968, et par la commission Pepin-Robarts en
1979. C'est un terme qui, pour nous, signifie que nous sommes vraiment des
hommes et des femmes qui veulent vivre ensemble, partaqer un bien commun,
partager une culture, une langue qui sont notre fondement, mais aussi que nous
avons nos institutions, notre façon de vivre, notre façon
d'être qui nous sont spécifiques comme entité sociale,
politique et économique. C'est dans ce contexte que nous utilisons le
mot "société" qui, pour nous, traduit très bien la
réalité québécoise.
Je vois que vous n'avez pas parlé de ce nouveau rôle du
Québec, que le Québec aura maintenant de par cette entente du lac
Meech, ce rôle de protéger et de promouvoir la
spécificité québécoise. Par l'entente du lac Meech,
vou3 savez, ce pourquoi nous nous battons depuis des années et des
années, ce que les Pères de la confédération n'ont
pas réussi à faire mettre dans la constitution en 1867, ce
pourquoi "votre" société s'est battue pendant des années,
faire reconnaître le Québec comme distinct et donner au
qouvernement, à l'Assemblée nationale du Québec, ce
rôle non seulement de protéger, mais de promouvoir la langue
française, la culture française et tout ce qui fait que ce
Québec est distinct dans la fédération, tout en
étant fiers d'appartenir à ce Canada. Est-ce que vous ne voyez
pas là quand même un élément intéressant pour
l'avenir du Québec?
Mme Boudreau: J'espère que, quand vous me parlez d'un
nouveau rôle pour le Québec de protéger et de promouvoir la
culture, la lanque et l'entité québécoise française
en Amérique, ce n'est pas effectivement un nouveau rôle.
J'espère qu'il a toujours été antérieur à ce
que pourrait devenir cette entente historique que vous tentez de nous persuader
de siqner. Ce n'est pas, pour mot, un nouveau rôle. Il est du devoir d'un
gouvernement de protéger les intérêts d'une
collectivité et j'espère que c'était le devoir du
gouvernement du Québec et des membres de l'Assemblée nationale
avant même que ne surviennent ces discussions constitutionnnelles.
M. Rémillard: Je voudrais simplement dire que, pour la
première fois, ce sera dans
la constitution. C'est pour cela que je disais que c'était
nouveau.
Mme Boudreau: Pour moi, c'est beaucoup plus qu'un râle - je
viens de le dire et je vais le répéter - c'est un devoir. C'est
un devoir de protéger sa collectivité. Quand je vous faisais
cette image populaire dans ce mémoire... C'est peut-être le
rôle de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal,
lors de cette commission, de parler non pas de l'article 133 et du paragraphe 2
de l'alinéa 4b, des termes qui sont incompris d'une grande
majorité de Québécois - il faut bien l'admettre - mais
c'est peut-être son rôle de parler avec des mots qui ne sont que
des mots, mais qui ont un sens. Les mots dont nous parlons, c'est du devoir
pour le gouvernement québécois - le gouvernement canadien,
jusqu'à maintenant - de protéger cette entité francophone
en Amérique, richesse naturelle insoupçonnée de plusieurs
puisque, jusqu'à maintenant, ceux et celles qui en étaient les
tenants ont eu toutes les difficultés à le faire. Alors, notre
organisme le voit davantage dans le sens d'un devoir. Mais, pour qu'un
gouvernement puisse faire son devoir, encore faut-il qu'il en ait les pouvoirs.
Il ne nous semble pas que, dans l'entente du lac Meech, vous ayez des pouvoirs
suffisants pour faire votre devoir.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre, M. le
chef de l'Opposition officielle? M. le député de
Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Merci, M. le Président. D'abord, vous avez
raison de dire que, sur un sujet de cette nature, il faut informer largement la
population parce que, je dirais qu'au premier abord les citoyens ne jugent pas
nécessairement que cela les concerne et qu'il faut, par
conséquent, un certain temps pour leur permettre de bien saisir les
enjeux en présence. Le temps, c'est important. Il faut avoir la
volonté d'informer et de vulgariser, comme vous le dites, mais le temps
compte beaucoup dans ce domaine parce qu'il faut compter avec le temps pour que
l'ensemble de la population prenne conscience des enjeux réels.
Je vous avoue que le sourire m'est venu lorsque j'ai entendu le ministre
dire: C'est très bien, je prends note de votre suggestion de bien
informer la population. Sauf que c'est tout à fait sans effet, parce
qu'il peut bien prendre note que c'est une bonne idée; mais, comme il
souhaite bâcler le tout en moins d'un mois, je vous avoue que c'est un
voeu pieux de la part du ministre. Je vous signale à ce sujet - je pense
qu'on l'a mentionné à quelques reprises prenons l'exemple du
nouveau régime forestier. Cela a pris deux ans avant de se doter d'un
nouveau régime forestier; deux ans, deux fois douze mois. On a
présenté un . livre blanc. Cela a donné lieu à une
large consultation. Il y a eu ensuite un avant-projet de loi qui a donné
lieu également à une large consultation, sans limite. Et puis il
y a eu un projet de loi qui a suivi toutes les étapes
législatives qu'on connaît. Deux ans! Vous me direz que c'est
important, les arbres, la forêt québécoise. Oui, c'est
vrai, mais les citoyens et les citoyennes du Québec, c'est important
aussi. Le peuple québécois est aussi important.
Comment voulez-vous juger sérieuse l'affirmation du ministre
alors qu'on juge que cela prend deux ans avant de se doter d'un nouveau
régime forestier et qu'on veut bâcler la question
constitutionnelle dans un délai d'un mois, d'une façon rapide,
précipitée? Là-dessus, je vous dis: Oui, c'est vrai, vous
avez raison, mais je suppose que, dans votre esprit, information,
vulgarisation, cela implique - c'est ma première question -qu'il faut y
mettre le temps.
Mme Boudreau: M. le député, la note que j'ai prise
concernant la bonne note que M. le ministre prenait de notre remarque,
justement, c'était dans le sens que cette consultation devait se faire
avant toute signature. Quand nous parlons d'une consultation populaire, nous ne
parlons pas nécessairement d'un référendum. Nous avons
considéré que cette consultation aurait dû se tenir avant
même que notre premier ministre et M. Rémillard se rendent au lac
Meech. Or, comme ce n'est pas le cas manifestement, nous estimons qu'elle
devrait à tout le moins avoir lieu avant que ne se siqne quoi que ce
soit. Une consultation populaire, soit! mais une consultation populaire qui
soit précédée - et je ne peux que répéter ce
que j'ai dit - de séances d'information et de vulgarisation d'un dossier
éminemment complexe, mais qui n'en a pas pour autant moins d'importance
dans le quotidien des citoyens et des citoyennes du Québec.
Alors, pour nous, une consultation préalable... Ce que nous vous
demandons au nom des citoyens et des citoyennes du Québec, c'est:
Donnez-nous du temps. Beaucoup de Québécois et de
Québécoises ont interprété le
référendum comme un non de3 Québécois à un
Québec indépendant et comme un oui à un
fédéralisme renouvelé. Dans ce cas, on a jugé que
les Québécois et les Québécoises étaient
atteints de gros bon sens. J'imagine que, si, dans une consultation populaire,
ils se prononçaient en défaveur de cette signature, on estimerait
encore qu'ils sont irrémédiablement atteints du gros bon
sens.
M. Brassard: Quand vous parlez de consultation populaire, vous la
situez avant -il faut bien se comprendre - la conférence
constitutionnelle portant sur l'entente du lac Meech et les textes juridiques
qu'on ne
connaît pas encore. Je ne sais pas s'ils vont être
prêts d'ailleurs pour la conférence, c'est à se le
demander. Les amendements inconnus à ces textes inconnus, c'est avant la
conférence constitutionnelle. Une fois la conférence
constitutionnelle passée, vous savez, à ce moment, que,
finalement, tout est réglé et que le reste n'est qu'une
formalité puisqu'on ne pourra pas toucher, amender ou modifier le
résultat de cette conférence constitutionnelle. Donc, cela aurait
pour effet de repousser dans le temps la conférence
constitutionnelle.
Mme Boudreau: Alors, je le répète, pour le cas
où je n'aurais pas été suffisamment claire, une
consultation populaire qui précède toute nouvelle discussion
constitutionnelle avec les autres provinces, donc, avant même le 2 juin,
c'est-à-dire un 2 juin à être reporté. Non seulement
une consultation populaire - on ne peut pa3 consulter les citoyens et les
citoyennes sur un dossier ambigu, évanescent, auquel ils ne comprennent
pas grand-chose - mais une consultation populaire précédée
de séances d'information et surtout de vulgarisation de ce dossier. On
est à l'ère du marketing. Il me semble que même un dossier
aussi ardu que le dossier constitutionnel... Si l'on peut dire aux citoyens:
Votre essence que vous mettez dans votre voiture... Pourrez-vous, oui ou non,
l'an prochain, vous achetez une maison? Sera-t-ii possible pour vous et vos
enfants de parler français dans dix ans? Il me semble que cela se
vulgarise un dossier comme cela. Ce que nous demandons au gouvernement, c'est
de vulgariser ce dossier pour que les citoyens et citoyennes sachent ce sur
quoi en consultation populaire ils se prononceront.
Est-ce que j'ai été suffisamment claire?
M. Brassard: Merci, madame.
Le Président (M. Filion): Oui, merci, madame. Je vais
reconnaîtra maintenant M. le député de Bourget.
M. Trudel: Merci, M. le Président. Mme Boudreau, tout en
étant d'accord avec vous sur l'aspect vulgarisation, je vous ferai
remarquer que, malheureusement, si on doit se reconnaître des torts,
nous, comme députés, je pense que c'est des deux
côtés de cette table qu'on doit se reconnaître ces torts.
Que voulez-vous, la constitution, c'est d'abord une notion juridique. Il a bien
fallu en débattre entre juristes. Moi, ce qui m'a frappé depuis
le début des travaux de cette commission, c'est la distance qui
sépare non pas les deux partis - cette distance était
évidente avant même que ne commencent les travaux de cette
commission - mais la distance qui sépare politicologues et sociologues
d'un côté, jusqu'à un certain point, et juristes de l'autre
côté, sur la question: Doit-on définir ou pas la
société distincte? Première remarque. (11 h 45)
Deuxième remarque, sur l'absence, dites-vous, de mandat. J'ai
relevé cela à la page 6 où vous dites qu'on se
prétend également investis d'un mandat clair de la population du
Québec. Je pense qu'on a raison de prétendre qu'on est investis
d'un mandat clair de la population, parce que, voyez-vous, dans le programme
politique du Parti libéral du Québec, à l'occasion de
l'élection de 1985, il était clairement stipulé cinq
conditions pour que le Québec puisse réintégrer le cadre
constitutionnel canadien. Non seulement ces conditions ont été
approuvées à l'intérieur d'un programme politique, donc,
par une population en 1985, mais ces conditions ont été
réitérées par le ministre au mont Gabriel, en mai 1986, on
s'en souvient. Elles ont fait, à mon avis, l'objet de plusieurs
débats à l'Assemblée nationale; souvent, sur des questions
incidentes, et notamment sur la question linguistique. Or, parler d'absence de
mandat, je pense que vous me permettrez, à tout le moins, de ne pas
être d'accord avec vous.
Ma question est plutôt simple. La réponse m'apparaît
peut-être plus compliquée. Vous écrivez à la page 8,
troisième paragraphe: "Mais, voyez-vous, ce sont tous les
Québécois, et vous les premiers, qui devraient se sentir mal
à l'aise face à cet accord. Il n'est pas juste et
équitable pour le Québec." J'aimerais que vous me donniez plus de
détails, parce que le reste du paragraphe ne m'éclaire pas
spécialement sur ce en quoi cet accord n'est pas juste et
équitable pour le Québec.
Mme Boudreau: Merci. Premièrement, M. le
député, une réflexion à votre réflexion
relativement à l'absence ou à la présence d'un mandat
clair de la population du Québec. Vous vous rappellerez également
que, dans le programme électoral du Parti libéral, il
était fortement question de la remise en question de l'article 58
relatif à l'affichage unilingue français. Or, dès le
moment où votre qouvernement a été élu, votre
premier ministre, sans doute légitimé de le faire,
prétendait qu'il avait un mandat clair de la population de toucher au
chapitre de l'affichage et l'amender, à la limite.
Or, voilà qu'après une période d'une année
de sensibilisation, je ne crois pas qu'il puisse encore prétendre que ce
mandat soit aussi clair relativement à l'affichaqe ou à tout ce
qui pourrait survenir à la loi 101. Je reviens donc à ce que vous
pourrez qualifier de mon dada. Il suffit d'informer la population et il suffit
de lui dire clairement quelles sont les incidences de changements, qu'ils aient
trait à l'affichage, qu'ils aient trait à l'enseignement de
l'anglais en
première année, qu'ils aient trait à quelque
dossier, dont le dossier constitutionnel, mes chers amis, voilà les
véritables incidences d'un changement à la loi sur l'affichaqe.
Êtes-vous toujours d'accord avec ces changements? Moi, je
prétends, et, je pense, à juste titre, que les opinions seront,
à tout le moins, diversifiées et que le gouvernement ne pourra
plus se prétendre investi d'un mandat aussi clair, et j'imagine que vous
en conviendrez avec moi, ce mandat sera-t-il un peu plus confus et un peu plus
ténu.
Relativement à une entente que nous qualifions d'injuste et de
non équitable, je pense que le chapitre linguistique en est une preuve
évidente. Pas un mot sur la langue dans les journaux de fin de semaine,
puisque, évidemment, c'est là que nous prenons l'essentiel de nos
informations. Dans les journaux de samedi, M. Bourassa pensait accoler à
la notion ou au concept de société distincte des mots qui
concerneraient la question linguistique. Ce matin, je crois voir que non, parce
que c'est encore tout aussi restrictif, notamment sur la question
linguistique.
Concernant le pouvoir de dépenser, eh bien, je ne rappellerai pas
ici les arguments invoqués par M. Jacques Proulx, président de
l'Union des producteurs agricoles. Je ne rappellerai pas les arguments
invoqués par d'éminents économistes, dont M. Jacques
Parizeau, pour ne pas le nommer. Je pense qu'à cet égard cette
entente est injuste et n'est pas équitable pour le Québec.
Il y a des images qui frappent tes gens et ce sont toujours les
journalistes qui écrivent le plus simplement, je pense, qui sont les
meilleurs journalistes. Une journaliste, Mme Lysiane Gagnon, écrivait
dans un article, au lendemain de l'accord de principe survenu au lac Meech: Le
Québec se retrouvera maintenant, à certains égards, sur le
même pied que l'Île-du-Prince-Édouard dont la population
équivaut à celle de Trois-Rivières.
Croyez-moi, monsieur, c'est un argument massue chez la population
québécoise. Que voulez-vous? Comme le vieux précepte:
Charité bien ordonnée commence par soi-même, est toujours
valable dans notre société nord-américaine du XXe
siècle, croyez bien, monsieur, que ce sont des arguments qui ont
été invoqués, qui se sont répercutés, qui
ont été discutés et qui font que beaucoup de
Québécois se sentent lésés par le présent
accord que vous leur soumettez.
Le Président (M. Filion): Cela va, M. le
député de Bourget?
Avec la permission des membres de cette commission, Mme Boudreau, je
voudrais d'abord vous féliciter pour la qualité de votre
mémoire. Je dois vous dire que je suis très sensible à
l'importance que vous attachez au fait de faire de ce débat
constitutionnel le plus vaste débat possible au sein de la population
québécoise. Cette dimension de vulgarisation m'apparaît,
quant à moi, d'autant plus importante que ce débat
constitutionnel concerne, on le sait, l'avenir collectif du Québec.
Je voudrais revenir à la fin de votre mémoire où
vous soulignez à juste titre que le débat en ce qui concerne la
clause sur la reconnaissance du caractère distinct ne se limite pas
à définir ou non la société distincte. Je pense
qu'il s'agit là d'un minidébat, mais qui fait partie d'un
débat beaucoup plus vaste et beaucoup plus fondamental, que vous relevez
à juste titre et qui est le suivant: si nous sommes une
société distincte, nous devons avoir les pouvoirs
nécessaires pour mettre en valeur cette distinction, pour affirmer ce
caractère spécifique. À la page 9 de votre mémoire
toujours, vous ajoutez: "II faudra la doter de pouvoirs - il s'agit de la
société québécoise. De pouvoirs essentiels,
réels et normaux. Nous ne ferons sur cette question que
répéter ce qui a déjà été dit". On
sait déjà que les conditions posées, que le
résultat du lac Meech est inférieur aux revendications
historiques et traditionnelles du Québec en matière
constitutionnelle. J'apprécierais, quant à moi, si vous le
désirez, que vous puissiez expliciter ces pouvoirs que vous dites
essentiels, réels et normaux qui permettront au Québec de se
développer, de mettre en valeur et d'affirmer ce caractère
distinct.
Mme Boudreau: En août 1977, l'Assemblée nationale se
dotait d'un pouvoir qui lui semblait réel, normal, évident, d'un
pouvoir qui lui semblait essentiel, non seulement pour assurer le
développement de la collectivité française, francophone
d'Amérique, mais également pour assurer sa survie, pour
défendre ses intérêts en tant que collectivité
parlant français, sûrement, mais aussi une société
de parlants français d'Amérique qui vit sa francité, et
cela s'exprime de toutes les façons. Or, il a été
nettement démontré, malheureusement, dans le cas de la loi 101,
que des chapitres entiers de cette loi, qui étaient essentiels au
devenir linguistique du Québec, ont été invalidés
par la Cour suprême, des chapitres qui concernaient la
législation, la justice, l'enseignement. Y a-t-il des chapitres plus
importants pour le plein épanouissement d'une collectivité?
II nous apparaît essentiel pour cette Assemblée nationale,
pour nos représentants et représentantes, les
députés - c'est ce qu'ils sont d'abord et avant tout, les
représentants et représentantes du peuple, souvent, dans des
quartiers essentiellement francophones - alors, il nous apparaît
important et essentiel d'avoir les pleins
pouvoirs relativement à la survie linguistique du Québec
et que cette Assemblée nationale puisse déterminer quelles sont
les bases inhérentes à cette survie.
Je suis un peu mal à l'aise que ma première comparution en
commission parlementaire en tant que présidente d'un organisme aussi
prestigieux et dont je suis aussi fière, que la Société
Saint-Jean-Baptiste comparaisse sur le dossier constitutionnel parce que
j'avoue que, comme bien des Québécois, ce n'est pas le dossier
que je connais le mieux. J'aurais préféré que ma
première comparution porte sur le dossier linguistique parce que ce
dossier-là, la Société Saint-Jean-Baptiste le
connaît bien, elle y a bâti une expertise et, comme je le disais au
début du mémoire, elle a certainement fait en sorte que ce
Québec-ci soit toujours un Québec français.
Or, sur la situation ou sur la dimension linguistique du Québec,
une loi devra également tenir compte, et l'accord du lac Meech en fait
mention, de l'immigration. Elle devra également tenir compte de la
politique familiale. Il ne faudra pas que les parlants français
d'Amérique soient uniquement une élite petite bourgeoise qui
s'encense entre elle et qui continue de parler un bon français, et le
français. Il faudra que ce soit le peuple qui puisse le parler au
travail, partout.
Relativement à l'immigration, si vous me permettez un petit
aparté, il n'y a aucune question qui m'ait été
posée sur cela, mais, comme je la relie très directement à
la question linguistique, je vous dirai ceci: La Société
Saint-Jean-Baptiste est une société populaire. On fait chez nous
de l'éducation nationale, et à tous égards, pas uniquement
relativement à la langue, mais relativement à tous les points qui
touchent la société québécoise. Nous avons donc,
dans cette optique, identifié un problème pour la survie et le
développement du français, et, ce problème, c'est
l'immigration qui, il faut bien le dire, n'a pas joué jusqu'à
maintenant en notre faveur. Nous avons donc décidé de mettre sur
pied - et je suis désolée que la ministre responsable, Mme Robic,
ne soit pas là ce matin - un programme relativement à l'accueil
des nouveaux réfugiés. Je puis vous dire ceci: Même si ces
175 personnes que nous accueillons chez nous, qui sont des
Latino-Américains ou qui sont des Kurdes, que l'on dit une
communauté très difficilement intégrable, même si
ces gens-là que nous accueillons chez nous ont la meilleure
volonté du monde, même si on leur dit et qu'on leur
répète que la langue officielle ici, c'est toujours le
français, quand ces gens-là passent les murs de la maison
Ludger-Duvernay pour travailler, pour vivre, ils doivent parler anglais, ils
doivent, à la limite, vivre en anglais.
Les pouvoirs linguistiques, ça s'assortit de pouvoirs en
immigration et ça s'assortit également d'une politique saine que
nous appelons la politique de la population parce que nous croyons qu'elle doit
s'intégrer à la politique familiale et à la politique de
l'immigration. À notre avis, plein pouvoir du côté du
linguistique, ce ne sera jamais trop ici en Amérique du Nord où
nous représentons, il faudra bien s'en rendre compte un jour, 2 % de la
population. Je cite à cet effet l'écrivain Yves Beauchemin -
j'aime bien les images populaires: "Un carré de sucre à
côté d'un qallon de café."
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme
Boudreau.
J'aimerais maintenant reconnaître M. le député de
Montmorency.
M. Séguin: Mme Boudreau, on sait que par les années
passées la présidence de la Société
Saint-Jean-Baptiste a fait connaître, par certaines déclarations,
certaines opinions que je ne voudrais pas classer de "politiques", mais
certaines opinions. Par exemple, pour favoriser l'indépendance du
Québec. Il suffit de consulter certaines coupures de presse où la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, sous la
présidence -vous n'étiez pas là, mais je pense qu'on
parlait au nom de l'organisme - disait que tôt ou tard le Québec
sera un pays dans le sens qu'il ne sera plus membre de la
Fédération canadienne. Je vois une coupure de presse du Devoir
qui disait: "Selon le président de la Société
Saint-Jean-Baptiste, ministres et députés péquistes qui ne
sont pas indépendantistes doivent abandonner le parti." Et le reste, et
le reste. Je ne veux pas discuter, à savoir si la Société
Saint-Jean-Baptiste émettait effectivement une opinion ou favorisait
l'indépendance du Québec, mais je pense que, même dans
votre texte, vous prenez position dans ce sens-là. Si j'ai tort de le
dire, corrigez-moi si ce n'est pas exact de le présenter sous ce
volet-là. Mais si c'est ça et si, par ailleurs, comme vous le
dites - vous l'avez dit tantôt - il vous semblait que les
Québécois avaient du gros bon sens et que, s'ils continuaient
dans ce gros bon sens-là, ils seraient peut-être atteints
définitivement de gros bon sens, un peu comme si c'était une
espèce de maladie du gros bon sens que de vouloir rester dans la
Fédération canadienne, je me demande si, d'après vous, il
existe actuellement une formule qui, pour la Société
Saint-Jean-Baptiste, vous semblerait acceptable. Si on oublie le lac Meech,
vous semble-t-tl apparaître actuellement une formule pour que les
Québécois restent dans la Fédération canadienne,
compte tenu de vos déclarations antérieures comme
Société Saint-Jean-Baptiste?
(12 heures)
Mme Boudreau: M. le député, je pense
que nous avons étudié les coupures de presse qui faisaient
état de l'entente de principe du lac Meech avec toute
l'objectivité possible. Dans un deuxième temps, je vous dirai de
mettre de nouvelles conditions sur la table, et nous ferons toujours preuve
d'objectivité et nous les étudierons au mérite.
Autre chose. Je le répète, la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal est une société non
partisane, mais, ainsi que la fédération à laquelle elle
appartient, c'est-à-dire le Mouvement national des
Québécois, elle s'est prononcée en 1969 pour
l'indépendance du Québec.
Alors, contrairement à une opinion qui a été
émise dans un journal il y a deux ou trois semaines, les
indépendantistes, que je sache - l'expression est forte et je l'emploie
sciemment - ne sont pas tous des aqités du bocal, comme cet article le
disait. Ils peuvent encore penser, ils peuvent encore contribuer à
l'essor de la collectivité québécoise et c'est en ce sens
que nous avons déposé notre mémoire ici aujourd'hui.
M. Séguin: Si vous me permettez d'ajouter, si c'est exact
que la Société Saint-Jean-Baptiste prend une position claire
-remarquez que cette clarté vous honore dans votre position parce que
c'est franc et direct - mais ne trouvez-vous pas difficile en même temps
pour la Société Saint-Jean-Baptiste d'évaluer un accord
qui se voudrait plus favorable, évidemment, à intégrer la
Fédération canadienne qu'à vouloir en sortir? Je vous
demandais tantôt quel genre de formule vous semblerait acceptable pour
que les Québécois, finalement, adhèrent pleinement
à la Fédération canadienne. Voyez-vous une façon?
Si on oublie l'accord du lac Meech qui ne vous semble pas satisfaisant,
qu'est-ce qui vous semblerait satisfaisant pour que, nous, les
Québécois, demain matin, on signe un accord avec le
fédéral? Voyez-vous une possibilité ou si vous n'en voyez
pas?
Mme Boudreau: Tout d'abord, M. le député, à
la première question que vous m'avez posée, si on ne trouvait pas
un peu difficile d'évaluepr un rapport qui traite de l'entrée du
Québec dans la Fédération canadienne, je vous poserai
celle-ci: Trouveriez-vous difficile, vous, d'étudier, avec toute
l'objectivité dont vous êtes, j'en suis assurée, capable de
faire preuve, ce qui pourrait être un programme d'indépendance au
Québec? Ce à quoi je suis persuadée que vous me
répandrez en toute objectivité que cela vous serait possible
même si vous n'adhérez pas à cette idée.
M. Séguin: Je pourrais vous répondre, madame, que
c'est peut-être moins difficile que d'étudier...
Mme Boudreau: Pour répondre dans un premier temps. Et vous
comprendrez que si les indépendantistes québécois
continuent de l'être, c'est qu'ils espèrent que plusieurs autres
Québécois, un jour, adhéreront à cette idée.
Ainsi en est-il des fédéralistes, il me semble. Je pense que nous
tentons de part et d'autre de nous convaincre des bienfaits d'un système
par rapport à l'autre. Dans un premier temps.
Qu'est-ce qui pourrait être acceptable pour nous? La
Société Saint-Jean-Baptiste est indépendantiste, ce qui
s'avère un handicap pour une discussion sereine sur une
éventuelle adhésion à la Fédération
canadienne. Par ailleurs, la Société Saint-Jean-Baptiste a des
exigences très précises, notamment au chapitre de la langue,
notamment au chapitre de l'immigration. Je dois vous avouer très
franchement que, si ces exigences s'étaient répercutées
dans l'entente de principe du lac Meech, peut-être aurait-il
été plus difficile pour nous de défendre nos positions.
Par ailleurs, comme elles ne s'y répercutent pas, 'il est encore plus
facile pour nous de continuer et de persévérer. Je pense qu'un
jour l'histoire admettra que les indépendantistes
québécois, qu'ils aient ou non atteint leur idéal
d'indépendance, ont quand même eu un apport très important
à la société québécoise en ce sens qu'ils
ont toujours forcé leurs dirigeants à en demander plus et
à ne demander en fait que ce qui leur revient de droit.
M. Lefebvre: Mme Boudreau...
Le Président (M. Filion): Oui, M. Le député
de Frontenac, en vertu de la règle de l'alternance...
M. Lefebvre: Ah! excusez. Je m'excuse, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): On me fait signe de l'autre
côté. Je voudrais vous aviser, d'une part, qu'il reste un peu
moins d'une minute.
M. Lefebvre: Mme Boudreau...
Le Président (M. Filion): Deuxièmement,
étant donné que l'Opposition semble sauter son tour, je vous
donne donc la parole, M. le député de Frontenac.
M. Lefebvre: Mme Boudreau, à la page 8 de votre texte,
vous faites référence à un article de Mme Chaput-Rolland
qui vous avait impressionnée, semble-t-il. Vous aviez bien compris
l'opinion de Mme Chaput-Rolland. Est-ce que vous avez eu l'occasion d'entendre
le témoignage de Mme Chaput-Rolland à cette commission-ci, qui,
sans équivoque, nous disait: Le gouvernement du
Québec, c'est un bon coup, allez-y, signez l'entente, il ne
faudrait pas cette fois-ci laisser passer le train, vous avez l'occasion de
réparer l'erreur qui a été commise en 1981?
Avez-vous eu l'occasion d'entendre Mme Chaput-Rolland et, si oui, ne
considérez-vous pas qu'il ne s'aqit pas là du témoignage
d'une juriste, mais d'une femme qui a bien compris le peuple
québécois, qui parle avec son coeur et qui nous demande, comme
responsables des destinées du Québec, de signer l'accord du lac
Meech?
Mme Boudreau: D'abord, M. le député, le
témoignage à cette commission parlementaire de Mme Chaput-Rolland
ne contredisait en rien l'article qu'elle signait dans Le Devoir, il y a
quelques mois, et qui ne faisait référence qu'à la
complexité et qu'à l'inaccessibilité du texte de la
constitution canadienne. Je reconnais en Mme Chaput-Rolland une femme de gros
bon sens. Je reconnais en d'autres femmes également qui ont comparu
devant cette commission parlementaire et en moi-même, le cas
échéant, des femmes de gros bon sens. Il s'avère
qu'à ce chapitre Mme Chaput-Rolland et moi ne sommes pas du même
avis.
M. Lefebvre: Merci, madame.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme Boudreau. Je vais
reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): D'abord, merci, Mme Boudreau, pour votre
mémoire. Merci de votre présence. Je connais bien votre
société qui, comme vous le rappeliez vous-même dans votre
mémoire, a été créée au début du XIXe
siècle et qui, si je me souviens bien, d'ailleurs, avait
été formée au moment des grands combats pour le
gouvernement responsable. C'est une société, d'ailleurs, dont la
naissance a été marquée par la participation des Canadiens
français, comme on les appelait à l'époque, mais aussi
d'un certain nombre d'Écossais et d'Irlandais dans ses premiers
déjeuners dans les terrasses de ce qu'est devenu par la suite le
Vieux-Montréal. Il y avait un certain nombre de citoyens engagés,
élus municipaux, gens du prétoire, avocats, quelques
commerçants, littérateurs, politiciens de l'Assemblée. Il
y a donc une longue tradition dans votre société.
Deuxièmement, je connais votre engagement personnel pour avoir eu le
plaisir d'échanger avec vous à plusieurs reprises depuis que vous
avez accepté la présidence de ce mouvement.
Mes remarques, madame, ne s'adresseront pas tellement à vous et
à votre mémoire comme peut-être au ministre et à
ceux qui vous ont interrogée, vous me le permettrez. Je trouve
plutôt déplorable cette habitude que vous semblez avoir prise ce
matin de disqualifier comme étant sans crédibilité dans
vos propos et ceux aussi que semblait mettre en doute M. Roger Lemelin
lui-même en parlant des indépendantistes. Je vous dirai que ce
n'est pas parce que nous n'étions pas dans le même camp au moment
du référendum que cela fait de nous des gens incapables
d'interpréter ce qu'ils considèrent comme leur vision de ce qui
serait mieux pour le Québec.
Si vous prenez quelque plaisir à remettre aux
Québécois la réponse qu'ils ont donnée au
référendum - ce que fit d'ailleurs votre chef d'alors avec un
certain cynisme le soir du référendum - nous croyons pour notre
part que, si les Québécois ont donné la réponse
qu'ils ont donnée en 1980, au mois de mai, ça fera maintenant
sept ans cette année - cette date est déjà passée
depuis cinq jours - nous sommes aussi conscients du fait que les promesses que
les Québécois avaient reçues à l'époque,
c'était une refonte en profondeur du fédéralisme. Le
fédéralisme renouvelé pour les Québécois,
pendant 25 ans d'histoire, a toujours été associé à
une notion très simple: plus de pouvoirs.
D'un premier ministre à l'autre, pendant 25 ans et même
plus, je dirais 40 ans - on peut remonter à la fin de la dernière
querre mondiale - à l'époque de Duplessis, et ensuite sous Jean
Lesage, sous son successeur, sous M. Bertrand, même sous M. Bourassa en
1971, plus de pouvoirs. Je cherche en vain, d'une part, dans les accords du lac
Meech et, d'autre part, dans le "Canada Bill" que cela nous amènera
à siqner s'ils sont approuvés, où sont les pouvoirs
additionnels du peuple québécois. Je n'en vois pas. Je trouve que
le Québec est extrêmement loin dans ce texte de ce que signifiait
le combat des 25 années, même de ceux qui étaient en faveur
du fédéralisme renouvelé, par opposition à la
souveraineté, ou à l'indépendance, ou à
souveraineté-association, et je ne le vois pas. J'en vois un pâle
reflet dans l'immigration qui traduit, il faut bien le dire, l'entente
administrative existante. Je ne le vois sûrement pas dans le cadre de la
Cour suprême. Je ne le vois évidemment pas dans le pouvoir de
dépenser. Je pense qu'on serait aveugle de considérer que la
simple appellation de société distincte, dans une vague clause
d'interprétation, recèle quelque vague statut particulier ou base
d'un fédéralisme asymétrique. Nous sommes bien loin des
exigences que les souverainistes considéraient comme des exigences
minimales de progrès pour le Québec au début des
années soixante-dix. Nous sommes même très loin de
cela.
Nous sommes loin des exigences de Lesage et de ceux qui l'ont suivi.
Nous sommes loin de 25 ans de lutte. Je ne peux pas croire que le Québec
va réqler à un pareil niveau. Je ne peux pas croire qu'on va
mettre, avec l'arrogance d'une génération, qui est celle
qui a fait ou bénéficié de la révolution
tranquille, je ne peux pas croire que l'arrogance d'une
génération l'amènerait à considérer qu'elle
est propriétaire du Québec, et que, parce qu'elle a
été déçue des résultats du
référendum, humiliée ou qu'elle a senti le Québec
affaibli par le rapatriement de la constitution, elle va venir verser le
couvercle, visser comme il faut pour les générations à
venir les progrès du Québec, dans le sens de plus de pouvoirs
pour le Québec.
Je trouve, à vrai dire, que c'est tellement minuscule, tellement
parcellaire et même plein d'embûches et de risques de recul que
c'est finalement assez médiocre, quand on regarde l'envergure de ce qui
a déjà été la revendication même des
fédéralistes asymétriques ou des statuts
"particuliéristes". Cela n'a pas d'envergure. Je pense que Ies
Québécois aiment les choses qui ont de l'envergure, j'en suis
convaincu. Je trouve que vous manquez une bonne occasion de permettre aux
Québécois de voir un souffle et de l'envergure dans son
progrès. C'est pour cela qu'on ne doit pas adhérer, sur la base
du "Canada Bill", par la voie des communiqués de presse et des clauses
d'interprétation du lac Meech, à la constitution- canadienne qui,
de toute façon, s'applique déjà sur notre territoire.
L'intérêt pour le Québec, c'est de gagner et d'aller
chercher de gros morceaux. On n'a pas gagné de gros morceaux, vous
n'êtes pas allés chercher de gros morceaux. Alors, pourquoi
signer? Pourquoi cette bousculade? Pourquoi cette accélération,
pourquoi ce train qui passe avec l'équipage québécois
à bord et qui risque de dérailler parce que vous allez trop vite,
sans consultation en profondeur, sans échanges réels, autrement
que ceux qui, je veux bien en convenir, ont donné quelques
résultats, mais tellement minimes compte tenu de l'envergure, de
l'ampleur de ce dossier? C'est pour cela que nous considérons qu'en
discutant encore des clauses d'interprétation on est très loin de
la substance. Merci, M. le Président. Merci, Mme Boudreau.
Le Président (M. Filion): Mme Boudreau, au nom des membres
de cette commission, je voudrais donc vous remercier à la fois de vous
être déplacée, pour la qualité de votre
mémoire, comme je l'ai déjà souligné, ainsi que
pour la période d'échanges à laquelle vous avez bien voulu
vous livrer.
Nous allons suspendre quelques minutes, le temps de laisser la chance
à notre prochain invité, M. Daniel Latouche, professeur à
l'Institut national de la recherche scientifique, de bien vouloir prendre place
à la table des invités. Donc, nos travaux sont suspendus pour
quelques minutes.
(Suspension de la séance à 12 h 16)
(Reprise à 12 h 22)
Le Président (M. Filion): Donc, cette commission reprend
ses travaux. Nous avons devant nous, M. Daniel Latouche, professeur à
l'Institut national de la recherche scientifique, à qui je souhaite la
plus cordiale bienvenue parmi nous. M. Latouche m'a remis un texte que je
considère comme étant déposé et qui vous sera
distribué dans les minutes qui viennent. Les rèqles du jeu sont
bien connues: environ 20 minutes pour l'exposé - et les membres ont fait
preuve d'une grande souplesse à cet égard - et le temps restant
dans l'heure est consacré à un échange avec les membres de
cette commission. Donc, M. le professeur Latouche, à vous la parole.
M. Daniel Latouche
M. Latouche (Daniel): Merci, M. le Président. Je vais
évidemment tester cette souplesse des membres de la commission car mon
texte est un peu long et il n'a pas la qualité de présentation,
fautes de frappe y comprises, que d'autres textes ont pu avoir.
Je voudrais tout d'abord préciser l'esprit qui anime les
remarques que je vais faire aujourd'hui. Premièrement, ces remarques
sont avant tout celles d'un spécialiste de la science politique et, si
j'ai bien compris l'échelle d'importance que vous semblez accorder aux
différentes disciplines universitaires, je me situerais quelque part
entre journaliste et artiste, bien en dessous, évidemment, des experts
constitutionnels et de plus, je ne suis même pas sociologuel C'est tout
dire.
Donc, je ne m'aventurerai guère sur le terrain du droit et de
l'interprétation juridique. La glace m'y semble trop mince. Je ne me
risquerai pas non plus à définir la société
distincte. Allez donc savoir ce qui nous distingue quand nous ne savons
toujours pas qui nous sommes! Je m'étonne cependant, comme bien
d'autres, que tant d'experts aient déjà pu avoir tant
d'interprétations différentes d'un texte pourtant si court. Et
dire que tous ces spécialistes du droit, ceux qui sont assis à
cette table et ceux qui ont déjà défilé dans ce
fauteuil étaient tous au préalable d'accord sur les grands
principes entourant le caractère distinct du Québec, le
rôle particulier que doit jouer l'Assemblée nationale et la
nécessaire limitation du pouvoir fédéral de
dépenser. Qu'est-ce que cela va être lorsque la partie adverse
sera composée de plaideurs aguerris, sans sympathie particulière
pour le Québec et qui au surplus n'apprécieront ni la lettre, ni
l'esprit de cet accord. Mais vous voyez que je m'aventure déjà
sur le terrain des
opinions. Mettez donc ces premiers commentaires sur le compte de
l'émerveillement d'un politologue devant les divisions qui semblent
régner dans la discipline voisine.
Deuxièmement, contrairement à bien d'autres
témoins, je ne prétends pas me situer au-dessus, en dehors ou
à côté de toute considération partisane. Je ne suis
pas au-dessus de tout soupçon et ceux d'entre vous qui voudraient bien
me disqualifier, dès le départ, pourront trouver là une
raison suffisante et ce, d'autant plus facilement que je ne suis pas
représentatif.
Ce que j'apprécie dans le discours politique, ce ne sont pas les
certitudes qu'il procure ni les justifications à la mesquinerie
intellectuelle qu'il suggère, mais le défi qu'il préserve
de tenter de concilier perspective, honnêteté et sens
critique.
Troisièmement, ma perspective est aussi celle d'un pari sur
l'intelligence. C'est un part dangereux où les chances de perdre sont
énormes, mais auquel je choisis de m'astreindre bien volontiers. Mieux
vaut être déçu de s'être attendu è mieux que
satisfait d'avoir effectivement récolté le pire.
Nombreux sont ceux qui m'ont suggéré de ne pas m'embarquer
dans cette galère, que tout était déjà
décidé, que le gouvernement ne pouvait reculer et que
l'Opposition n'avait d'autre choix que de s'opposer, que tout cela
n'était qu'un cirque sans intérêt, sauf pour ceux qui
aiment jouer les phoques bien dressés.
Je ne partage pas ce point de vue. J'ai trop côtoyé de
politiciens, de trop près même, à l'occasion, pour ne pas
avoir vu les ravages que la politique médiatique, le pouvoir et la
partisanerie institutionnalisée pouvaient faire sur des gens au
départ intelligents, ouverts et capables d'analyse critique.
Je fais donc le pari que le cynisme et le spectacle ne gagnent pas
à tout coup et que les sondages constituent un merveilleux instrument
pour permettre à nos gouvernants de réfléchir sur le
travail qu'ils ont à faire, plutôt que de s'endormir dans une
autosatisfaction béate.
J'accepte donc d'emblée les conséquences de me situer
quelque peu en dehors des audiences qui, jusqu'ici, m'ont semblé
monopolisées, tantôt par un débat sur de bien grands
principes et tantôt par une exégèse bien
détaillée de l'orthographe du texte. Il reste à savoir si
on peut être à la fois hors d'ordre et pertinent.
Finalement, j'ai bien conscience que tout a été dit - ou
du moins le croit-on, ce qui est encore pire - sur cet accord. Ma
présentation en sera donc une empreinte de modestie. Je n'ai pas de
bombes à faire exploser, ni de nouvelles interprétations à
proposer. Il est bien tard pour réorienter un débat.
Je vais donc m'en tenir à deux idées.
Je sais que vous en êtes à vos derniers témoins et
que vous fourbissez déjà vos arguments pour vos plaidoyers de la
fin. Mais il en est des derniers témoins comme des derniers cours avant
l'examen: on peut parfois se permettre de les écouter, car on a
déjà préparé ses réponses à des
questions déjà rédiqées.
Comment évaluer l'accord du lac Meech? Comme bien d'autres - ce
qui prouve que les politologues sont aussi du monde ordinaire - j'ai
été, premièrement, surpris, agréablement surpris
par le succès remporté par des négociateurs
québécois. Enfin! Deuxièmement, frappé, lorsque le
chef du gouvernement a parlé du plus grand accord constitutionnel jamais
négocié par le Québec, mal à l'aise lorsque le chef
de l'Opposition a parlé d'un monstre vivant sur les bords du lac
Memphrémagog. Je suis toujours inquiet lorsqu'on m'annonce avoir vu un
monstre! Quelque peu soupçonneux lorsque le gouvernement a
révélé qu'il avait obtenu davantage que ce qu'il avait
demandé, passablement confus lorsque j'ai tenté de donner un sens
à la réaction du Canada anglais. Comment un accord
constitutionnel peut-il être bon pour le Québec s'il est
appuyé à la fois par le Globe and Mail et par le
gouvernement créditiste de la Colombie britannique? Comment peut-il
être mauvais si Roy Romanow qui détient toujours, à mon
avis, le championnat de la fourberie constitutionnelle à l'égard
du Québec a des réserves à son égard, et
franchement inquiet lorsque les spécialistes ont commencé
à disséquer le monstre et à y découvrir les germes
de toutes sortes de maladies transmissibles constitutionnellement.
Il n'y a pas de doute, ce texte laisse perplexe et c'est d'abord sur
cette perplexité que je veux m'attarder. Je suggère
immédiatement que cette perplexité ne tient pas surtout au fait
que nous ne disposons pas encore de la traduction juridique de ces accords. On
leur accorde beaucoup d'importance à ces textes - presque des textes
sacrés - comme si leur publication allait nous permettre de nous y
retrouver. C'est croire au miracle et se leurrer que de penser que la
traduction juridique d'un accord essentiellement politique va permettre au
gouvernement de mieux défendre sa proposition et à l'Opposition
de mieux l'attaquer. Il y a des miracles que même les
constitutionnalistes ne peuvent accomplir.
Si, effectivement, les textes juridiques nous permettent de mieux y voir
clair, c'est qu'ils auront, en quelque sorte, outrepassé leur mandat. Ce
texte, celui du lac Meech, parle de lui-même et c'est sur la base de ce
qu'on y trouve et qu'on n'y trouve pas qu'il doit être jugé. Je ne
puis, en toute logique, féliciter nos négociateurs d'avoir
réussi à convaincre leurs homologues de la
nécessité de reconnaître le Québec comme
société
distincte et, en même temps, présumer qu'ils ignoraient le-
sens des mots qu'ils utilisaient.
À ce titre, j'ai été intéressé
favorablement par l'explication du premier ministre qui révélait,
il n'y a pas si longtemps, que c'est par choix que le Québec n'a pas
voulu inscrire une définition de la société distincte dans
l'accord du lac Meech. Si son analyse était la bonne la semaine
dernière, elle doit l'être encore aujourd'hui. Si, comme il nous
le confie lui-même, il a refusé de limiter le sens de l'accord en
ajoutant des mots, j'espère qu'il ne s'engagera pas maintenant dans
cette voie pour le simple plaisir de réconforter les inquiets parmi
nous. Mieux vaut que les Québécois soient quelque peu inquiets,
mais bénéficient d'une clause qui va éventuellement les
avantager que l'inverse. Cette perplexité dans laquelle nous sommes
installés devrait cependant nous permettre de jeter un premier
éclairage sur la nature et les conséquences de cet accord.
À ce titre, je maintiens que nous sommes déjà pleinement
entrés dans la période "post lac Meech". Avant même que les
juges n'aient eu la chance d'y mettre leur nez, la société
politique canadienne a déjà commencé à donner vie
à ce qui, il y a quelques jours à peine, n'était encore
qu'une feuille de papier. (12 h 30)
Contrairement à ce qu'on laisse souvent entendre, les juges qui
seront éventuellement appelés à donner un sens à
cet accord le feront à partir des débats, de
l'interprétation, des opinions, des intentions et des procès
d'intention qui circulent actuellement. C'est faux de croire que leurs
jugements éventuels seront des créations instantanées
motivées uniquement par la lecture qu'ils feront à ce
moment-là des clauses de l'accord.
Dans cette optique, tout le débat sur le gouvernement des juges
m'apparaît bien incomplet. Les tribunaux ont toujours leur mot à
dire; c'est d'ailleurs pour cela que nous avons des tribunaux. Vouloir se
débarrasser des juges sous prétexte qu'ils ne sont pas
élus ressemble étrangement à ce souhait inconscient que
les choses iraient tellement mieux si on pouvait se débarrasser des
politiciens.
La question me semble ailleurs. Elle réside dans le fait que les
juges ont déjà commencé, dans leur tête tout au
moins, à interpréter cette nouvelle constitution. Tout ce qui a
été dit avant, pendant et depuis la rencontre du lac Meech a donc
déjà été retenu contre nous. Je vous signale par
ailleurs que, depuis la décision de la Cour suprême dans l'affaire
Blaikie, les discours de nos législateurs sont admis maintenant pour
interpréter notre constitution. Dans la mesure où il est
admissible de faire appel à l'histoire et d'interpréter largement
la constitution, de tels discours prennent donc une interprétation
considérable.
Comme vous pouvez le constater, ma perspective n'est pas celle de
l'expert constitutionnel. Je suis déjà considérablement
sorti du texte même de l'accord et il me préoccupe peu de jouer un
paragraphe de l'accord contre un autre et de lire derrière les mots. Je
ne compte céder à cette tentation que vers la fin de ma
présentation.
Il faut déjà interpréter l'accord du lac Meech dans
le contexte de la société politique qui l'a produit. Que
remarque-t-on à ce chapitre? Premièrement, que personne au Canada
anglais n'a suggéré que cet accord était un bon accord,
parce qu'il reconnaissait l'existence d'une société
québécoise distincte. On a vanté ses mérites
malgré le fait qu'il comportait une telle clause. Deuxièmement,
personne à Ottawa ou au Canada anglais n'a suggéré que
l'utilisation que le gouvernement du Québec pourrait faire de l'accord
pour développer le caractère distinct du Québec serait
bénéfique à l'ensemble du Canada. Le débat a
davantage porté sur les possibilités réelles ou
imaginaires que l'accord soit ainsi utilisé. Troisièmement, le
débat qui ne cesse de croître au Canada anglais sur l'accord du
lac Meech ne met pas aux prises ceux qui croient que le prix à payer
pour rapatrier le Québec a été un prix juste et
raisonnable contre ceux qui estiment qu'on a payé trop cher, mais bien
ceux qui estiment qu'on n'a rien payé du tout contre ceux qui estiment
le prix trop élevé. La nuance est importante et fort
révélatrice. Quatrièmement, personne n'a
suggéré que cet accord marquait un nouveau départ dans
l'évolution du cadre fédératif canadien, mais tous ont
souliqné qu'il fermait un chapitre et permettait de rapatrier le
Québec à l'esprit et à la lettre de l'Acte constitutionnel
de 1982.
Ce qui m'inquiète, ce n'est pas tant que le sénateur
Murray ne dise pas la même chose que son chef ou que le ministre
québécois doive, avec raison, le rappeler à l'ordre. Ce
qui m'inquiète, par contre, c'est ce silence à travers lequel on
décèle déjà les germes d'une unanimité quant
aux principes à travers lesquels on doit interpréter ce
rapatriement du Québec. Ces principes qui n'ont rien de constitutionnel,
j'en conviens, je les vois au nombre de trois: Premièrement, la
spécificité du Québec est un mal nécessaire que
l'on doit s'efforcer de réduire au minimum. Deuxièmement, cette
spécificité ne doit en aucun cas déboucher sur un statut
particulier. Troisièmement, la spécificité du
Québec s'inscrit dans le cadre du régionalisme et de la
décentralisation administrative qui caractérisent maintenant le
Canada.
Tel qu'il a déjà commencé à être
interprété - et j'insiste sur le caractère unanime de
cette interprétation - l'accord du lac Meech, s'il est
sîqné immédiatement et
dans sa forme actuelle ne permettra pas au gouvernement du Québec
de respecter ce qui doit être son objectif principal dans toute cette
opération, soit de permettre au Québec de jouer un rôle de
premier plan dans la Fédération canadienne. Il n'y a qu'une seule
façon pour le Québec d'arriver à jouer pleinement ce
rôle, c'est en développant au maximum toutes ses capacités
et toute l'originalité que sa géographie, son histoire et sa
population lui confèrent.
Si on se place d'un point de vue essentiellement
québécois, ce développement est évidemment une
question vitale. Avec 2 % de la population nord-américaine, le
Québec n'a pas d'autre choix qu'une stratégie de
développement maximal. On pourra discuter longuement pour savoir quel
rôle l'État doit jouer dans cette quête de l'optimum, s'il
fallait oui ou non privatiser Québecair et si on doit commencer
l'enseignement de l'anglais en première année. Je crois que nous
nous entendons tous pour dire que l'excellence est notre seule porte de
sortie.
On discutera probablement encore longtemps des avantages et des
désavantages que nous offre le cadre fédératif, mais pour
une fois, telle n'est pas la question. En 1982, il était peut-être
approprié de s'interroger sur les avantages d'une formule politique qui
semblait avoir pris plaisir à bafouer le Québec. D'ailleurs, dans
vos temps libres, je vous suggère de réfléchir - vous
verrez que cela n'est pas forçant et que cela vous fera sourire -
à ce qu'aurait été le résultat d'un certain
référenum si l'Acte constitutionnel de 1982 avait
été adopté trois ans plus tôt.
Dans 2 ans, dans 5 ans ou dans 25 ans, nous pourrons juqer des
bénéfices que nous aura apportés notre participation
pleine et entière dans l'honneur et la dignité, la tête
haute, au fédéralisme canadien. S'il ne faut pas préjuger
du résultat, il ne faut pas non plus piper les dés contre nous.
La politique du pire en attire peut-être certains mais nous risquons,
comme société, de ne plus être là pour en recueillir
les fruits, en admettant que ceux-ci existent.
S'il est vrai que l'accord du lac Meech doit être exclusivement
interprété dans le cadre du fédéralisme canadien -
c'est un point de vue que je partage entièrement car il n'implique aucun
jugement quant au mérite comparatif de ce cadre et à son
évolution éventuelle - si tel est le cas, je soumets
respectueusement que cet accord dans son économie générale
est encore trop incomplet pour que le Canada puisse tirer tout le parti dont il
a besoin - et à l'heure du libre-échange continental et de
l'internationalisation de l'économie, il en a plus besoin que jamais -
de l'excellence et de l'originalité québécoise.
Reconnaître dans un texte constitutionnel définitif que le
Québec cons- titue une société distincte ne vaut
guère mieux que de reconnaître que le printemps succède
toujours à l'hiver. Chose certaine, cela ne nous dit pas si
l'été sera beau. Et préciser avec tous les détails
inimaginables ce qui rend cette société distincte,
hiérarchiser ces différences, les articuler autour de la lanque
ne nous avancerait guère non plus. Après tout, ne sait-on pas
à la minute près à quel moment commence
l'été. Mais qui se hasarderait à planifier ses vacances
sur cet horaire?
Remarquez que l'introduction dans la constitution canadienne d'une
clause qui parlerait de peuple ou de nation québécoise n'y
changerait rien non plus. Ce n'est pas parce qu'on réussirait à
s'entendre sur leur sexe qu'on arriverait à préciser le nombre
d'anqes pouvant tenir sur la pointe d'une aiguille.
Qu'y a-t-il dans ce texte qui permette à l'originalité
québécoise de donner sa pleine mesure? Certes, on dira que rien
dans le texte n'empêche cette dernière de s'affirmer. Plusieurs
spécialistes sont venus le dire à cette table et ils ont
probablement raison, mais l'objectif de tout exercice est-il de se donner une
constitution qui ne nous nuit pas trop? A-t-on jamais entendu parler d'une
entreprise qui choisirait de lancer un produit démodé sous
prétexte que cela permettra d'utiliser à fond toutes les
ressources de son service de marketing? Un entrepreneur choisit-il de
s'établir sur un marché étranqer où les
barrières non tarifaires sont impénétrables sous
prétexte que cela va donner du travail à son service du
contentieux?
Peut-être touchons-nous ici à une différence
importante entre les experts constitutionnels et les politoloques. Chose
certaine, l'accord du lac Meech n'offre pas les mêmes perspectives
d'emploi aux deux groupes.
Je me permets ici ma première excursion du côté du
libellé même de l'accord du 30 avril. J'espère que je ne le
regretterai pas trop et je suis inquiet de voir le ministre des Affaires
intergouvemementales canadiennes commencer à sourire. J'ai
été frappé par la façon dont on a choisi d'aborder
la question du caractère distinct du Québec. Le ministre des
Affaires intergouvemementales canadiennes a souligné qu'on avait choisi
d'en faire une clause d'interprétation de la constitution du Canada. Je
suppose que d'un point de vue strictement constitutionnel c'est là un
avantage marqué dont serait fier tout expert constitutionnel qui se
respecte. Je conviens aussi qu'il vaut mieux être situé là
que dans l'actuel préambule où se trouve déjà
l'objectif de favoriser les intérêts de l'empire britannique.
D'ailleurs, nous savons tous, et si nous ne le savions pas nous avons eu
l'occasion de l'apprendre depuis deux semaines, qu'un
préambule est sans effet pour interpréter une disposition
claire d'une loi. Sur cette question, je diverge donc de l'opinion du chef de
l'Opposition qui, s'appuyant sans aucun doute sur les écrits du
professeur Rémtllard - à l'époque où le premier
lisait encore des traités constitutionnels et le deuxième avait
le loisir d'en écrire - a suggéré qu'il était
important que la spécificité québécoise soit
inscrite dans le préambule de la constitution canadienne.
Je n'ai donc pas de problème avec la localisation de cette
clause. C'est sur le choix des mots que je me pose des questions. Pourquoi
avoir écrit: "L'interprétation de la constitution du Canada doit
concorder avec la reconnaissance d'un Canada francophone..." etc., etc? N'ayez
crainte, je ne veux pas rentrer dans la question de ce que constitue le Canada
francophone, encore que le constitutionaliste qui dort en tout politologue a
bien hâte de voir ce que nos juges vont faire de cette nouvelle
entité juridique.
Pourquoi avoir choisi les mots "concorder" et "reconnaissance"? Pourquoi
ne pas avoir parlé de "concourir", de "participer" ou de "favoriser",
des expressions plus fortes, plutôt que de la simple "reconnaissance"
d'une société distincte? Et qu'est-ce qui est fondamental? Notre
existence comme société distincte ou la reconnaissance de cette
existence? Soit dit en passant, qu'est donc devenu le concept des deux peuples
fondateurs et de leur égalité? Pourquoi ne pas avoir
qualifié les relations qui existent entre ce Canada francophone et ce
Canada anglophone? On dira que c'est là une tentative fort malhabile
d'un politologue de jouer à l'expert constitutionnel, mais les mots,
quelque part, doivent bien avoir leur importance si le principe de
l'interprétation littérale et grammaticale d'une constitution a
lui aussi encore un sens.
Qu'est-ce donc qu'il manque à cet accord du lac Meech?
Dans la mesure où ce n'est qu'une base de discussion, un premier
pas, il n'y manque rien du tout. Il est même plutôt bien, cet
accord, Dans cet esprit, c'est sûrement la meilleure plate-forme de
discussion dont nous ayons jamais disposé. Mais s'il faut le voir comme
point d'aboutissement de 25 ans de tractations, alors là c'est autre
chose. Il y manque beaucoup. Commençons par l'évidence,
même si cela donne l'impression d'enfoncer une porte qui s'est
considérablement ouverte depuis quelques jours.
Ainsi, il importe d'ajouter un peu de chair à cette
définition de société distincte. Mais attention!
L'essentiel n'est pas d'y plaquer une référence aussi ronflante
et non restrictive soit-elle à la langue française. Il ne faut
quand même pas présumer que les juges qui auront à
interpréter les implications de cet accord sont tous égale- ment
des imbéciles. S'il fallait que le gouvernement du Québec se
sente obligé d'y inscrire la langue française pour mieux baliser
l'interprétation future de l'accord du lac Meech, je peux dès
maintenant affirmer que nous sommes dans de beaux draps et même, que nous
avons reculé depuis Victoria.
Ce qu'il faut, c'est inscrire au sein de cet accord une clause
permettant au Québec non pas tant de protéger cette langue, mais
de pouvoir l'utiliser comme pierre angulaire d'un développement
économique, social et culturel qui consacre notre originalité et
notre excellence en Amérique du Nord. II va de soi que si le
Québec ne récupère pas aussi de larges pouvoirs dans le
domaine des législations linquistiques tout l'exercice aura
été vain. Si les Québécois n'ont pas la
possibilité de s'autodéterminer eux-mêmes dans ce secteur
névralqique, si on ne permet pas à leurs institutions politiques
de participer librement au jeu démocratique, vaut-il alors la peine de
continuer?
Que dire du domaine des communications, complètement
ignoré dans cet accord? Le Québec continuera-t-il d'être
absent de ce secteur et devrait-on continuer à se contenter
d'arrangements administratifs? Et la culture? Et les affaires sociales? Et le
pouvoir de désaveu? Le divorce? Le mariage? Sans oublier la
péréquation dont il importe au plus haut point de baliser
l'exercice constitutionnnel déjà reconnu.
En 1971 le Québec a dit non à Victoria parce qu'on a
refusé de satisfaire ses aspirations au chapitre des politiques
sociales. Paradoxalement, ce non n'a pas nui au Québec. Il a
peut-être même contribué à le pousser à se
donner un réseau et une approche originale dans le domaine. Allons-nous
cette fois accepter un accord avec un contenu moindre que celui que nous avons
refusé en ]971? Le test est pourtant bien facile. Il suffirait de
demander que l'on précise que les limites du pouvoir de dépenser
s'appliquent évidemment à des secteurs de juridiction
éminemment provinciale que sont les affaires sociales, la recherche
universitaire et l'enseignement postsecondaire.
Comment se fait-il qu'on n'a pas cru bon de préciser le contenu
de "ces autres questions dont on aura convenu" et sur lesquelles les prochaines
conférences constitutionnelles se pencheront? On me répondra
qu'il ne fallait pas heurter les autres provinces qui ont, elles aussi, des
ordres du jour de réformes constitutionnelles. Mais si l'accord du lac
Meech ne survit que parce qu'on a cru bon de ne pas offusquer nos
collègues quant au futur agenda constitutionnel, c'est que cet accord
est bien fragile et ne débouchera pas sur grand-chose.
Ma conclusion est simple: Le niveau de l'eau est bien bas dans ce lac
Meech où l'on voudrait nous voir plonger. L'accord est très
précis sur des points où nos qatns sont minimes. C'est le
cas de l'immigration, du droit de veto et de la Cour suprême. Par contre,
il demeure vague sur ces points où les gains pourraient s'avérer
intéressants et silencieux sur toutes ces questions qui pourraient
donner tout leur sens à cette reconnaissance de notre caractère
spécifique et du rééquilibrage nécessaire entre les
pouvoirs de dépenser des deux ordres de gouvernement.
J'en viens maintenant à ma deuxième constatation. Je crois
avoir assez dit et redit toute l'admiration que je ressentais devant
l'habileté des négociateurs québécois à
obtenir aussi rapidement un accord aussi large aux conditions préalables
définies par le gouvernement du Québec pour que le Québec
rapatrie l'Acte constitutionnel de 1982. Il est probable que certains voudront
me faire dire davantage et d'autres un peu moins que ce que j'ai
déjà dit à ce sujet. C'est de bonne guerre et si c'est le
prix à payer pour avoir la chance de s'exprimer, eh bien! tant pis.
S'il faut que je le redise, j'insisterai donc sur le fait que le
gouvernement actuel a su tirer les leçons qui s'imposaient à la
suite des échecs de 1971, 1978 et 1981. C'est de bonne augure pour nos
institutions politiques que de savoir qu'elles sont capables de mémoire.
Ce qui m'a peut-être le plus impressionné, c'est certainement la
capacité du gouvernement de bien maîtriser son
chronométrage constitutionnel. Pour une fois, le timing était
bon. On se souvient que, lors de la négociation de 1982, l'ancien
gouvernement n'avait pas fait preuve d'une habilité consommée
à ce chapitre.
Rappelons les faits! Le 16 avril 1981, soit trois jours après sa
réélection, il signe l'accord que l'on connaît avec sept
autres provinces canadiennes. Cet empressement allait se révéler
catastrophique beaucoup plus, soit dit en passant, que le prétendu
échange de plats de lentilles dont il fut amplement fait mention
à l'époque. (12 h 45)
Deuxièmement, lors de la conférence constitutionnelle de
novembre 1981, l'humiliation du Québec ne tenait pas tant au contenu
même de ce compromis inacceptable, mais au fait que le Québec se
soit ainsi laissé piéger à être le dernier à
être mis au courant et le premier à dire non. Lorsqu'on veut
absolument déchirer sa chemise en public, il est bon de le faire avant
que les autres ne vous l'aient enlevée du dos.
Troisièmement, après avoir réussi à
être allé trop vite, ensuite, à être en retard,
voilà que dans sa demande de précision adressée à
la Cour suprême au lendemain de la conférence, le gouvernement
réussit à être trop lent attendant plus d'un mois avant de
loger sa requête. II est toujours mauvais de déchirer sa chemise
à retardement.
Au-delà de ces erreurs de chronométrage, le gouvernement
acceptait pour la première fois de tronquer des mécanismes pour
assurer sa spécificité, notamment par ta possibilité de
l'"opting out" contre l'acceptation de ne pas procéder dès ce
moment à une réforme constitutionnelle en profondeur. S'il faut
lui accorder une bonne note pour ce qui est de la bonne foi au chapitre du
réalisme politique, on ne peut pas en dire autant. À mon avis, on
s'apprête à commettre de nouveau les mêmes erreurs et je
commence à craindre pour l'admiration que j'exprimais plus haut. D'une
part, on s'apprête à troquer le seul avantage comparatif que nous
possédions, celui - et il est paradoxal j'en conviens facilement
-d'avoir été exclu de l'accord de 1982 contre la reconnaissance
que nous existons comme société distincte comme si notre refus de
signer l'acte de 1982 ne confirmait pas à lui seul notre
distinction.
Cela me rappelle ces discussions sur le droit à
l'autodétermination que certains voudraient voir inclure dans la
constitution canadienne comme si un tel droit pouvait se définir en
dehors de son exercice. Ce dont le Québec a besoin, ce n'est pas de la
reconnaissance d'une concordance de sa spécificité, mais des
pouvoirs, des responsabilités et de la liberté qui nous
permettront de faire développer notre caractère distinct au
profit du Québec et du Canada. "Where is the beef?", ou plutôt
"where is the water", serait-on tenté de dire. Le niveau de l'eau ne
cesse de baisser et plus il baisse plus on voit les roches. D'autre part, le
gouvernement semble avoir pris la décision de jeter par-dessus bord le
chronomètre qui l'avait si bien servi.
Si effectivement le principe de constttutionnaliser le caractère
distinct du Québec a été reconnu par tous y compris les
partis politiques qui sièqent au Parlement fédéral,
pourquoi s'arrêter là? S'il faut battre le fer pendant qu'il est
chaud, alors, battons-le. Ne le retirons pas du feu. Craint-on que, si les
autres provinces ne siqnent pas immédiatement, elles aient changé
d'idée à l'automne? Si tel est le cas, on doit s'interroger sur
la solidité de cet accord que l'on s'apprête à signer dans
l'honneur et la dignité.
Doit-on conclure que cette reconnaissance de notre
spécificité n'est valable que si elle fait partie d'un "package
deal". Si tel est le cas, pourrait-on savoir ce que nous avons laissé
tomber au cours de la négociation? De deux choses l'une: Ou bien les
autres premiers ministres ont reconnu sans difficulté, sans
arrière-pensée calculatrice notre existence, et alors cette
reconnaissance tiendra toujours dans trois mois; ou bien ils ne l'ont reconnue
qu'en retour de certaines concessions de notre
part. Ce serait bien normal, d'ailleurs. La concession est l'essence
même de la négociation. Mais il faudrait savoir quelles furent ces
concessions. A-t-on promis d'être complaisants lors des
négociations sur le libre-échange? Sûrement pas. A-t-on
accepté de ne plus utiliser la clause "nonobstant"? A-t-on
accepté de ne plus parler des pouvoirs sur l'économie ou de ne
plus insister sur les communications? A-t-on accepté de ne pas tenter de
rendre plus constitutionnelle notre présence internationale, ou
peut-être a-t-on accepté de fermer le dossier et de le laisser
mourir de sa belle mort? J'imagine mal qu'un gouvernement du Québec ait
pu faire l'une ou l'autre de ces concessions. Si tel est le cas, alors, c'est
que les autres premiers ministres sont vraiment convaincus. Pour employer une
image chère à mon coeur de Montréalais, pourquoi fermer le
robinet alors que le lac vient à peine de commencer à se remplir?
Si on pense que seules quelques précisions pourraient être
nécessaires et que le tout pourrait être réglé en
quelques heures, les déceptions risquent d'être nombreuses.
Attardons-nous un instant à la clause sur l'immigration. On n'en
a guère parlé jusqu'ici, probablement parce qu'elle est moins
propice à un débat de principe et qu'elle semble plus
précise que les autres. Voyons voir. Premièrement, qui
définira les besoins et circonstances particulières d'une
province en matière d'immigration? Ottawa, la province, toutes les
provinces, un groupe de provinces? Qu'est-ce qu'une circonstance
particulière? Deuxièmement, selon quelle procédure se fera
la constitutionnalisation de cette entente? Le droit de veto s'appliquera-t-il?
Quelle réalité recouvre les normes et les objectifs nationaux
qu'elle accorde et lègue entièrement à Ottawa? N'est-ce
pas là reconnaître au gouvernement fédéral un
pouvoir exclusif dont il ne jouit pas actuellement, puisque l'immigration est
une responsabilité conjointe?
Quatrièmement, on sait que, dans les domaines de l'agriculture et
de l'immigration, une loi provinciale n'est acceptable que si elle est
compatible avec les lois fédérales. Est-ce à dire que les
nouvelles lois québécoises qui seront appliquées à
la suite de la constitutionnalisation de l'entente Cullen-Couture devront aussi
être compatibles avec les ententes qu'Ottawa ne manquera pas de conclure
avec les autres provinces? Qu'en est-il de ces situations pas du tout
hypothétiques où une autre province voudra faire administrer par
Ottawa sa politique provinciale d'immigration? À part le pouvoir de
définir les catégories générales d'immigrants,
d'établir les niveaux globaux et d'identifier les catégories
inadmissibles, quels sont les autres pouvoirs qu'Ottawa continuera d'exercer
dans ce domaine? Qu'arrivera-t-il si Ottawa n'arrive pas à conclure une
entente en premier lieu avec le Québec? De quelle sorte d'obligations
constitutionnelles est-il question ici? Quels sont les principes de l'entente
Cullen-Couture dont il est fait mention dans l'accord? Comment pourra-t-on
constitutionnaliser des principes qui proviennent d'un autre texte? Que veut
dire "incorporer des principes"? De quelle garantie est-il question lorsqu'on
mentionne qu'Ottawa garantit à Québec un certain pourcentaqe
d'immigrants? Qui fera la comptabilisation et selon quels critères?
Cette garantie sera-t-elle transmissible d'année en année?
Fera-ton la moyenne sur trois ans, sur cinq ans, sur dix ans?
Quelles sont les raisons démographiques dont il est fait mention
dans l'accord? Qui les décidera? Le Québec doit-il avoir des
raisons pour demander un dépassement de 5 %? Pourquoi 5 %, pourquoi pas
2 %? Sur combien d'années? De quelle population s'agit-il? Va-t-on
comptabiliser les immigrants illégaux, et comment? Que dire de la
définition de résidents ou de citoyens? Que veut dire "Ottawa se
retirera de tout service"? Quelles sont les limites de ce retrait? Pourquoi
accorder au Québec une compensation définie comme juste dans ce
cas et raisonnable dans le cas du pouvoir de dépenser? Quelles sont ces
ententes semblables avec les autres provinces dont il est fait mention?
Semblables comment? Semblables pour qui? Comment calculer les 5 % de
dépassement si chaque province les revendique? Qui sont ces
ressortissants dont on veut nous confier la responsabilité? Qui va
définir le statut de réfugié? On sait qu'il s'agit
là d'une question déjà passablement controversée.
Elle le sera encore plus une fois mise dans la constitution.
Quelles sont ces activités de réception et
d'intégration dont il est fait mention? L'acculturation et l'initiation
au multiculturalisme canadien pourraient-elles devenir d'autres façons
de maintenir une présence fédérale? Heureusement, toutes
ces questions n'ont pas la même importance; certaines sont cruciales et,
si des réponses ne sont pas apportées dès maintenant, le
Québec risque de se retrouver avec moins et non pas plus de marge de
manoeuvre.
Prenons le cas de ces normes et objectifs nationaux qu'Ottawa a
décidé de se réserver. L'un de ces objectifs pourrait
très bien être d'encourager la libre circulation des travailleurs.
Comment le Québec pourrait-il, dès lors, sélectionner
à l'étranger ou au pays un immigrant pour un poste pour lequel on
trouve à Vancouver ou à Calqary des travailleurs disponibles?
Cette question n'est pas hypothétique, elle s'est déjà
posée. Si le point de vue québécois avait alors
prévalu, c'est qu'il n'existait pas de tels normes et objectifs
nationaux. De la même manière, pourra-t-on continuer à
exercer une discrimination au profit de la langue
française si Ottawa fait de l'égalité linguistique
une de ses normes nationales?
À ce qu'il paraît, des équipes de fonctionnaires
fédéraux et québécois s'affairent actuellement
à donner un contenu encore plus précis à ce qui semble aux
profanes, au premier abord tout au moins, l'être déjà
passablement. Bien plus, on se dépêche d'aboutir avant la
conférence de juin. Ma question est alors la suivante: Pourquoi a-t-on
senti le besoin d'aller voir de plus près cette partie de l'accord avant
que ies tribunaux ne s'en emparent? Si c'est bon pour l'immigration, cela
devrait l'être aussi pour le pouvoir de dépenser. Je comprends
l'impatience du premier ministre -celui d'Ottawa, pas le nôtre, je
suppose - de conclure cette entente à temps pour le prochain voyage au
Canada de la souveraine britannique, mais l'avenir culturel,
démographique et économique du Québec et celui du Canada
méritent bien qu'on y réfléchisse le temps d'un
été. Merci et désolé d'avoir été si
long.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Latouche,
pour votre mémoire. Le temps de dépassement a finalement
été réduit, il reste un peu moins de quinze minutes
à chacun des deux groupes. Je laisse donc la parole à M. le
ministre délégué aux Affaires intergouvemementales
canadiennes.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Merci, M.
Latouche, d'avoir accepté de venir témoigner devant nous. J'ai eu
le plaisir de vous entendre et, dans votre style qui vous caractérise si
bien, vos messages passent bien, dans un style qui manie bien un humour
articulé et à peine acidulé.
Vous soulignez dans votre texte que, de fait, il n'y a peut-être
pas beaucoup d'éléments qui font en sorte que le Québec a
un statut particulier, mais il y en a. Une société distincte, il
n'y a pas deux, trois, quatre ou cinq provinces qui ont été
reconnues comme sociétés distinctes, il y en a une, au
départ. C'est le premier article qui a été reconnu au lac
Meech. Au départ, on reconnaît la distinction du Québec.
Mais, dans votre exposé, vous avez raison de souligner ce que vous
appelez la catastrophe du 16 avril 1981, où le Québec, le
gouvernement péquiste de l'époque, a accepté le principe
de l'égalité des provinces. C'est cela, l'entente. La seule
entente qui a été conclue avec les autres provinces en
matière constitutionnelle par le précédent gouvernement
l'a été le 16 avril 1981, trois jours après les
élections, où l'on a fait en sorte que le Québec devienne
une province comme les autres. Le Québec comme
l'Île-du-Prince-Édouard, comme Terre-Neuve ou comme la Colombie
britannique. Dans nos négociations, on a donc composé avec ce
principe, principe accepté par les autres provinces et principe qui nous
a été rappelé par les autres provinces à chaque
fois qu'on a discuté avec elles. Dans ce contexte, M. Latouche, comme
vous le disiez tout à l'heure, mieux vaut déchirer sa chemise
avant qu'on se la fasse enlever.
Mais, moi, tout simplement, je voulais essayer de comprendre vos
interventions. Vous avez écrit et je citet "Jamais un gouvernement du
Québec n'a su utiliser si habilement toutes les poignées que lui
offrait le reste du pays!" Je vous cite dans Le Devoir du 12 mai 1987:
"On dira que M. Bourassa aurait dû dire non dès le lac Meech ou
qu'il aurait dû accroître immédiatement ses demandes. Cela
aurait été compromettre tout le processus et menacer les gains
réalisés par le Québec. M. Bourassa eut raison de dire
oui. Sa stratéqie initiale était la bonne. Elle a donné
des résultats intéressants".
Ce que je crois comprendre de vos interventions, c'est que vous nous
dites: La Cour suprême, t'immiqration qui est beaucoup plus, en passant,
que l'entente Cullen-Couture, qui nous donne la possibilité de choisir,
de sélectionner nos immigrants qui sont déjà sur place,
soit 30 % de notre immigration, nous donne la possibilité, aussi, de
mettre en place nos propres mesures d'intégration: cours de langue,
cours de formation, de donner le goût du Québec à ces gens.
Ce sont des pouvoirs que nous n'avions pas, plus un minimum de base que nous
recevons en fonction de notre poids démographique dans la
fédération et plus 5 %. Dans ce contexte, c'est un gain
certainement très important. Je crois que c'est ce que vous nous dites
et puis, la formule d'amendement où nous récupérons un
droit de veto, un droit de veto sur les institutions qui avait
été oublié justement dans cette entente du 16 avril 1981
et que nous récupérons, mais que les autres provinces aussi
récupèrent. C'est comme cela. Dans ce contexte, M. Latouche, j'ai
l'impression que vous nous dites: Cela va très bien. Vous avez fait une
bonne entente. Cela va bien, mais cela va tellement bien que vous devez
continuer! Est-ce à peu près cela que vous nous dites?
M. Latouche: Ce que je dis, c'est qu'il faut savoir quand dire
oui et quand dire non. Je l'ai dit dans cet article - vous pensez bien que je
me suis relu pour bien savoir si j'étais encore d'accord avec
moi-même avant de venir ici; je connais quand même assez bien, pour
y avoir participé, le jeu des manoeuvres parlementaires - et ce que je
dis toujours, c'est que le gouvernement du Québec a bien fait d'aller
tâter le terrain, vérifier la température de l'eau, comme
on le disait à l'époque.
Vous avez fait une tournée pancanadienne, je crois, pour voir
s'il y avait
possibilité que ces conditions préalables soient remplies.
Vous avez dû conclure à l'époque que oui, il y avait de
l'avenir de ce côté. Donc, on a procédé à une
deuxième étape. Vous avez voulu officialiser un peu plus le
procédé.
Si vous vous souvenez des manoeuvres du mois de janvier, coup sur coup,
le gouvernement du Québec a dit non à une participation, celle de
son premier ministre à la conférence des autochtones, ce qui
était, à mon avis, de bon ton pour une logique constitutionnelle.
Par la suite, le gouvernement fédéral a cru prendre le
gouvernement du Québec peut-être à contre-pied, en
annonçant immédiatement la date de la conférence
constitutionnelle.
Le Québec, de nouveau, je crois, a très bien joué
en acceptant et en appelant un peu le "bluff" du gouvernement
fédéral là-dessus. Donc, il y a eu un échange de
oui et de non qui s'est très bien porté et qui a donné des
résultats intéressants, à savoir que nous avons
amené le Canada anglais à la table des négociations sur la
base de notre ordre du jour, sur la base de faire reconnaître des
principes qui, dans la suite de la discussion, pourraient s'avérer fort
importants. (13 heures)
Vous savez comme moi que les batailles sur la forme de la table et les
batailles sur l'ordre du jour sont des batailles très symboliques, comme
les querelles de drapeaux, mais les batailles en disent long sur le
déroulement des opérations. Donc, c'est une admiration devant la
capacité de bien mener son jeu que j'ai exprimée et que je
continue d'exprimer. Ce que je dis, c'est: Ne jetons pas tout cela par-dessus
bord sous le prétexte que peut-être, un peu de façon
inattendue, le gouvernement du Québec a été tellement
efficace à présenter une position un peu comme la mythologie le
voulait dans les années soixante, tellement bien articulée que
les autres ont dit: D'accord, on va discuter sur ce point. Donc, je dis: Ne
jetons pas tout par-dessus bord, continuons la discussion, surtout qu'on le
fait dans un domaine où le Québec a des avantages très
importants à aller chercher. Vous l'avez dit vous-même,
l'immigration ce n'est peut-être pas aussi secondaire qu'on le laisse
entendre et peut-être que même moi, je l'ai laissé entendre.
D'ailleurs, c'est probablement pour cela que le gouvernement a
décidé d'aller au fond des choses dans ce dossier-là pour
tester un peu plus la bonne volonté du gouvernement
fédéral, du moins celle de sa bureaucratie ou de son secteur de
l'immigration, avant de procéder. Si cette négociation
"préconférence" donne des résultats intéressants,
faisons aussi une négociation pendant tout l'été. C'est un
moment fort propice. Je conviens que cela exigera de notre ministre qu'il
sacrifie encore ses vacances entre Calgary et Saint
John's, à Terre-Neuve, mais je suis persuadé qu'il est
fort bien capable de se débrouiller et que l'on se retrouve à
l'automne avec un accord beaucoup plus substantiel et qui pourra rallier
beaucoup plus de Québécois. C'est évident qu'on ne pourra
jamais rallier -le ministre l'a dit - 100 % des Québécois.
D'ailleurs, je me demande de quoi serait fait un accord qui rallierait 100 %
des Québécois, sauf sur la température, mais on pourrait
quand même en rallier un plus qrand nombre.
Pour nous avoir vus faire cet exercice de démocratie et
d'éducation populaire depuis quinze jours, je pense que tout le monde a
été fort impressionné de la qualité et de
l'intérêt des débats. Alors que l'on croyait que tout avait
été dit et que cette question n'intéressait personne,
imaqinez-vous donc qu'elle a même intéressé des
députés de l'Assemblée nationale. Donc, je dis: Continuons
dans cette ligne.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, cela va? Je
reconnais maintenant M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): M. Latouche, merci de votre communication
qui, comme d'habitude, manie les registres d'ironie, votre érudition de
ce que j'appellerais non pas le fédéralisme
juridico-constitutionnel, mais le fédéralisme fonctionnel ou en
fonction. C'est un sport auquel se livre le ministre un peu plus facilement que
moi. J'ai un peu de difficulté à résumer vos propos, parce
que vous en avez couvert assez large, vous avez essayé de cerner une
réalité qui n'est pas seulement juridique, puis technique, mais
aussi un processus. Par ailleurs, vous êtes entré avec dix-sept
questions qui me sont, toutes sans exception, apparues absolument pertinentes
quant au texte sur l'immigration. Je dois vous dire qu'au fur et à
mesure que je lisais votre texte je reqrettais un peu qu'on n'en ait pas
posé autant. On en a posé cinq ou six là-dessus. Vous en
ajoutez une bonne douzaine qui, je pense, ont autant de pertinence que les
premières. C'est pour cela que j'hésite à prétendre
résumer votre pensée. Est-ce que je comprends bien que vous
dites: Au lac Meech, vous êtes parvenus par un jeu de oui et de non
adéquat pendant un certain nombre de mois, y compris la cavalcade
western du ministre pendant de nombreuses semaines, et vous êtes parvenus
à obtenir la reconnaissance de quelques principes. Mais vous me dites:
Je regarde deux choses: l'immigration où il reste dix-sept questions de
nature technique qui ont une importance réelle et, deuxièmement,
la société distincte. C'est comme dans l'univers de
l'évidence, vous débloquez sur: Si on est différent, c'est
peut-être plus sur les pouvoirs. Je crois comprendre que ce que vous
dites, c'est que, dans la mesure où il
est évident que le Québec est différent, il ne
s'agit pas d'en obtenir la reconnaissance, mais d'en obtenir plutôt les
conséquences de la reconnaissance de cette distinction du Québec
et que, parmi ces conséquences, il y a un certain nombre de
pouvoirs.
Si je me permets de vous poser la question, M. Latouche, c'est parce
que, dans votre texte, contrairement à ce que M. Lemelin a dit ou
d'autres, y compris ceux de l'autre côté de la table, vous n'avez
pas l'air de tenir pour acquis que cela ne sert que le Québec si le
Québec a plus de pouvoirs dans certains secteurs. Vous associez toujours
la relation Québec-Canada et la relation de pouvoirs particuliers au
Québec au bien-être du Québec et au bien-être du
Canada. Jusqu'à maintenant la notion de pouvoirs québécois
a été un peu travestie par un fardage intellectuel auquel
certaines personnes autour de cette table sont habituées, comme: Oui,
mais cela, ce sont les méchants séparatistes. Les méchants
séparatistes veulent que le Québec ait tous les pouvoirs. Donc,
ils en veulent plus, ils ne seront jamais contents. Ce que vous dites, vous,
c'est: À partir de l'entente du lac Meech, c'est une espèce
d'ordre du jour ou de feuille de route et là, il faut traduire
maintenant cette distinction du Québec par un certain nombre de pouvoirs
pour que le Québec et le Canada progressent. J'ai trouvé cela
frappant, vous le dites à trois ou quatre endroits dans votre texte.
J'aimerais peut-être vous entendre quelques minutes là-dessus.
M. Latouche: Oui, très brièvement. Je ne crois pas
que le Québec et le Canada soient des vases incommunicants et que nous
soyons dans une sorte de dilemme du prisonnier où tout ce qui est bon
pour le Québec doit être mauvais pour le reste du Canada et tout
ce qui est mauvais, etc.
On cite de plus en plus des chiffres nord-américains: 2 % de
l'ensemble nord-américain. Je pense que ce qu'il faut, c'est un bon
accord pour le Québec et que si cet accord est bon pour le
Québec, il le sera pour le Canada. Je ne pense pas qu'on doive ignorer
cette solidarité d'un lien qui doit exister entre le Québec et le
Canada. Je ne voudrais pas entrer dans les détails sur ce qui, je pense,
devrait être les virgules du trait d'union entre le Canada et le
Québec, mais j'ai l'impression que, sur la base de cet accord, si on
ferme les livres immédiatement, la discussion ne progressera plus
beaucoup; elle va progresser autour du débat sur le Sénat, par
exemple. Cela ne me dérange pas personnellement que
l'Île-du-Prince-Édouard ait le même droit de veto que le
Québec, je ne vois pas pourquoi il faudrait diminuer
l'Île-du-Prince-Édouard pour se mettre de l'avant. Non! La
question n'est pas là. La question est de savoir si, oui ou non, on va
pouvoir continuer, pour un avantage pour les deux parties, cette
démarche-là. Je pense que le Canada a commencé à
s'en rendre compte et je suis certain que l'argument du ministre lorsqu'il se
promenait de capitale en capitale a été: Écoutez, si on
n'est pas là, je vous souhaite bonne chance dans vos négociations
sur le libre-échange et ce qui va suivre le libre-échange.
Donc, ma thèse est finalement assez simple. C'est qu'il faut que
l'accord permette au Québec, dans l'intérêt du Canada, de
jouer à fond tout son caractère spécifique et distinct et
non pas simplement de se contenter de l'affirmer de telle façon qu'il
ferme des portes par la suite. Préciser - c'est pour cela que je parlais
du sexe des anqes - de quelle nature sera la porte qui sera fermée ne
nous avance guère à ce niveau-là. C'est pour cela que,
personnellement, j'aime mieux, si c'est effectivement l'analyse de cette
équipe de négociateurs, pour lesquels j'ai exprimé une
certaine admiration, que de préciser la langue française dans le
cadre de la société distincte et que cela ne nous avantaqe pas
mais réconforte les inquiets parmi nous, je dis au premier ministre: II
faut garder votre idée initiale. Donc, c'est là ma
démarche. Je vois que, dans la suite des événements,
lorsque notre souveraine sera retournée à son prince, il sera
très difficile de continuer et de procéder. Ce n'est pas une
invention de politologue. Je pense que tous les premiers ministres l'ont
déjà dit et que M. Bourassa a déjà
littéralement fait une campaqne électorale sur ce thème en
1976, sur les dangers de signer tout de suite un certain rapatriement. Je me
permets de dire là-dessus que ce qu'on a reproché avec justesse
à l'équipe gouvernementale en 1981, ce n'est peut-être pas
tellement d'avoir oublié le veto - on a parlé de plats de
lentilles et je rappelle au ministre que c'est lui qui l'a écrit et,
d'ailleurs, c'est lui qui l'a souligné le premier à
l'époque - mais c'est que, pour la première fois, un gouvernement
du Québec acceptait de ne pas regarder le contenu explicite d'un accord
constitutionnel sur la fameuse question du partaqe des pouvoirs et sur toutes
les autres questions et a mis cela de côté pour faire une
négociation droit de veto contre "optinq out". C'est cela, la principale
erreur en 1981 et c'est cela qu'on a tenté de réparer par la
suite. Il ne faudrait pas en réparer seulement la moitié.
M. Johnson (Anjou): Finalement, vous dites que le gouvernement,
en n'ayant pas une revendication ou en n'obtenant pas une négociation
solide sur un certain nombre de pouvoirs, risque de faire ce que vous qualifiez
d'erreur à l'époque.
M. Latouche: Tout à fait. Franchement,
je ne comprends pas pourquoi le gouvernement veut absolument se mettre
dans cette situation. J'ai dit tout à l'heure que je croyais qu'il avait
eu raison, même au lac Meech, de ne pas arriver - c'est toujours de
mauvais goût - à la toute dernière minute avec une
commande: En passant, voici 22 autres demandes traditionnelles du
Québec. Le premier ministre a signé un accord de principe.
Maintenant, il faut mettre de la chair sur cet accord de principe avant de
signer. Cela m'apparaît la base élémentaire de toute
négociation. Et je ne vois pas pourquoi on s'évertuerait à
nier les succès qu'on a déjà accomplis,
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Latouche.
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant M. le député de Bourget.
M. Trudel: Merci, M. le Président. Je salue en M. Latouche
- je me permets de le dire en quelques minutes - un très vieux copain
avec qui j'ai fait mon collège classique. Nous avons des souvenirs
ensemble, notamment de politique étudiante et de journalisme
étudiant. À l'époque, M. Latouche était l'homme
politique et j'étais l'organisateur. Il y a de cela quelques
années. Je salue également l'homme qui a eu un peu le même
genre d'expérience que moi. II a participé à la vie d'un
bureau de premier ministre à une époque différente de la
mienne, bien sûr, et pour un premier ministre différent du mien,
bien sûr. Je salue également l'auteur courageux et humoristique du
Devoir, celui qui nous écrit des articles
régulièrement. J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ses
articles publiés dans Le Devoir et même ceux qu'il n'a pas
publiés dans Le Devoir, parce que certains ont été
refusés, mais il me les a déjà envoyés.
Ceci dit, je me permettrai de diverger d'opinion avec M. Latouche sur
deux points, le premier consistant en la question que je voulais lui poser,
mais le chef de l'Opposition la lui a posée, à savoir: À
partir du moment où on signe l'accord du lac Meech, qu'est-ce qu'il
advient des autres revendications constitutionnelles du Québec? Je pense
qu'il y a encore beaucoup de place pour ces revendications et qu'il y aura
toujours moyen de les faire en temps utile.
J'ai cru déceler, dans son texte à la fois humoristique et
très touffu - je ne voudrais pas le mettre en contradiction, c'est
peut-être moi qui ai mal compris - en ce qui a trait à la
société distincte, une contradiction ou des nuances entre son
article du 13 mai dans Le Devoir et son texte de ce matin, si bien que
je vais lui poser la question suivante: La société distincte,
faut-il la définir ou non? Je vois, dans votre article du 13 mai, M.
Latouche, que vous semblez dire: II serait bon de la définir. Ce matin,
il semble que ce soit moins sûr, puisque vous parlez de...
M. Latouche: Effectivement, je puis dire que le premier ministre
et le gouvernement m'ont fortement ébranlé par leur
argumentation, non pas dans son contenu juridique, à savoir qu'il ne
fallait pas préciser, etc., mais j'aimais bien cette approche et cette
vision de dire: Écoutez, cela va être au dynamisme et à
l'originalité québécoise de jouer; il ne faut pas toujours
se laisser définir avant que la partie commence et par d'autres. Donc,
si, peut-être, vous appelez cela une contradiction, moi, je suis assez
fier d'avoir changé d'avis sur ce côté. Peut-être que
je m'en vais dans le mauvais sens où tout le monde semble s'en aller.
Effectivement, le gouvernement semble s'en aller dans l'autre sens maintenant,
en mettant une référence à la langue française. Mon
point est toujours le même. Cela m'apparaît maintenant, devant les
interprétations qu'on a commencé à donner et au
Québec et dans le reste du pays... (13 h 15)
Je vous signale à cet effet que le premier ministre du Canada n'a
pas encore prononcé un seul discours de fond sur l'accord du lac Meech.
Il y a eu des discours: J'ai promis de ramener le Québec, etc.; mais un
discours de fond, une discussion comme on en a ici, je ne pense pas qu'il y en
ait eu dans le reste du pays, sauf probablement des expulsions et des menaces
d'expulsion dans les caucus réciproques des divers partis
fédéraux. Donc, cette question de la société
distincte m'apparaît maintenant beaucoup moins importante dans la mesure
où le qouvernement semble vouloir aller à toute vapeur dans la
direction de ne pas donner suite immédiatement à d'autres
négociations.
Il faut être réaliste. Si, effectivement, le gouvernement a
fait son lit et a décidé de jeter par-dessus bord son
chronomètre et de perdre mon admiration - je suis sûr que cela ne
l'empêchera pas de dormir - à ce moment-là, je dis:
Précisons le plus possible cette société distincte. C'est
comme cela que j'avais interprété les premières remarques
du premier ministre et du ministre délégué aux Affaires
intergouvernementales. Si ces conditions préalables n'étaient que
l'accord sur un ordre du jour, alors, le premier ministre avait raison de faire
deux choses au lac Meech: de ne pas arriver avec tout un arsenal où tes
gens avaient l'impression, dans le reste du pays, de constitutionnaliser la
grammaire française et le subjonctif du plus-que-parfait, ou d'autres
demandes multiples, il avait donc eu raison de faire cela. Mais si, dans les
faits, ce
qu'on apprend maintenant, c'est que tout est coulé dans le
béton depuis le lac Meech et qu'on ne fait que discuter de virgules
juridiques, mon argument est de dire: Revenons avec le plus de virgules dans ce
texte-là. Si on veut fermer la porte absolument, tentons de sauver les
meubles.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. M. le
député de Bourget, cela va? M. le député de
Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: M. Latouche, simplement une remarque, une question.
Chez plusieurs, il a été beaucoup question, au cours de ces deux
dernières semaines, de rapport de forces, et en particulier chez les
centrales syndicales. Mais le chef de l'Opposition utilise aussi
fréquemment l'expression "rapport de forces". Est-ce que je vous
comprends bien si je fais le raisonnement suivant? Si le rapport de forces
entre le Québec et le Canada anglais est favorable au Québec,
vous dites à ce moment-là: Profitons-en, poursuivons la
négociation, allons juqu'au bout et en une seule étape. Vous ne
croyez pas à d'autres étapes et à une négociation
constitutionnelle en plusieurs phases. Par contre, si le rapport est
défavorable au Québec, allons plus loin aussi, pour justement
mettre cela en lumière et se buter à un refus. Si le rapport de
forces est défavorable au Québec et qu'on poursuit la
négociation, je suppose qu'à un moment donné cela va se
buter à un refus de ta part du Canada anglais, du gouvernement
fédéral d'aller plus loin. Donc, cela va avoir pour effet de
mettre en lumière l'aspect défavorable du rapport de forces.
Donc, c'est dans les deux cas, que le rapport de forces soit favorable ou qu'il
soit défavorable. Actuellement, justement, on n'est pas allé
assez loin, ce qui fait qu'on ne le sait pas. On ne sait pas vraiment s'il est
favorable ou défavorable parce qu'on n'a pas poussé assez loin la
négociation. Dans les deux cas, il faut pousser la négociation
jusqu'au bout pour se rendre compte si ce rapport de forces est favorable ou
défavorable. S'il est favorable, la négociation devra aller
jusqu'au bout; s'il est défavorable, il devra y avoir une rupture.
À ce moment-là, si je vous comprends bien, vous dites: Attendons
un moment qui soit plus propice ou plus favorable.
M. Latouche: Vous savez, même si la science politique est
une science inexacte, on a quand même fait quelques proqrès depuis
Aristote. On sait, par exemple, qu'un rapport de forces n'est pas quelque chose
qui est consigné une fois pour toutes. Ce n'est pas une convention
collective. Je considère qu'actuellement, pour toutes sortes de raisons
et de circonstances, certaines étant indépendantes et d'autres
dépendantes de la volonté et de l'habilité du
gouvernement, nous avons un rapport de forces favorable. Nous n'aurions jamais
obtenu cet accord de principe préliminaire du lac Meech si tout le monde
était contre nous. Un rapport de forces favorable qu'on ne poursuit pas
et qu'on n'utilise pas devient très rapidement un rapport de forces
défavorable. Donc, il ne faudrait pas se mettre dans la situation
d'avoir à déplorer dans six mois de pas avoir su mieux utiliser
la bonne volonté, l'ouverture d'esprit et l'habileté
manifestées par le gouvernement jusqu'ici.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Frontenac.
M. Lefebvre: M. Latouche, à la page 9 de votre texte, vous
nous dites et je vais essayer de résumer votre pensée: la
reconnaissance de la société distincte inclut - et selon vous
cela va de soi - la reconnaissance de la langue française comme
étant acquise au Québec. Vous ne considérez pas
nécessaire d'ajouter à la reconnaissance de la
société distincte des références à la langue
française. Par contre, vous ajoutez -et c'est ce qu'on retrouve au bas
du texte à la page 9 - que vous considérez qu'il serait quand
même utile d'inscrire au sein de l'accord une clause permettant au
Québec, non pas tant de protéqer sa langue, mais de pouvoir
l'utiliser comme pierre angulaire dans différents secteurs
d'activité. La notion de société distincte étant
reconnue et incluant nécessairement la langue française comme
incluse dans cette reconnaissance, est-ce que cela ne va pas de soi qu'on
pourra nécessairement dans différents secteurs d'activité
tenir compte de la spécificité comme telle?
M. Latouche: Je pense que non, parce qu'alors très
facilement, les juges et les hommes et femmes qui font de la politique et en
feront dans dix ans, diront tout simplement: Pourquoi, lorsqu'on a
discuté de société distincte, n'a-t-on pas balisé
les pouvoirs et tout ce que j'ai mentionné, au moment où on avait
l'occasion de le faire? On pêche par omission dans cet accord. C'est pour
cela qu'on ajoute la langue, ce que j'ai répondu à votre
collègue. Cela me plaît bien, si on ferme les livres actuellement.
Ce sera toujours cela de gagné. Mais encore une fois, là n'est
pas l'essentiel. La seule façon, il me semble, de donner un certain sens
au caractère français de cette société et d'autres
caractéristiques, c'est d'inclure immédiatement toutes ces autres
questions où l'on va pouvoir dans le texte constitutionnel comme on le
fait sur l'immigration voir un peu ce que donne cette société
distincte. On le fait pour l'immigration. On pourrait le faire pour
l'agriculture. C'est exactement le même type
de pouvoir, c'est un pouvoir partagé entre les deux ordres de
gouvernement. II n'y a pas de contradiction évidente - peut-être
en avez-vous décelé une - entre ce que je dis aux deux parties de
la même page. Dans un cas, je suggère d'aller de l'avant avec
société distincte, tel qu'il est, si c'est cela que le premier
ministre nous a dit. Mais si, effectivement, il dit que le dossier est
terminé, alors je voudrais avoir le plus de virgules possible. Mais
j'ose espérer - il est évident que je suis aussi réaliste
- qu'on va encore continuer de débattre la question cet
été et l'actuel premier ministre sait très bien que de
dire non au reste du Canada anglais n'est pas toujours nécessairement un
signe annonciateur de catastrophes électorales ou autres. Si je me
souviens bien, cela ne lui avait pas trop nui en 1973. Donc dire non et
même dire non comme on a fait en 1981-1982, avec l'accord unanime de tous
les partis politiques à l'Assemblée nationale, cela ne nous a pas
nui non plus. Cela a même permis à l'actuel gouvernement de
"scorer" des points à la rencontre du lac Meech. Donc, continuons.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie.
M. Lefebvre: M. le Président, avec le consentement de
l'Opposition, si vous le permettez, une très courte question.
M. Johnson (Anjou): Très courte.
M. Lefebvre: M. Latouche, je voudrais qu'on se comprenne bien. La
langue étant une caractéristique de la société
distincte, parce que la société distincte, cela fait
référence évidemment à plusieurs critères
-je pense qu'on se comprend là-dessus - la langue étant une
caractéristique qui nous permet de considérer notre
société québécoise comme distincte, est-ce que par
le fait même, même si elle ne fait pas l'objet d'une clause
spécifique, elle ne deviendrait pas, comme vous le suggérez, une
pierre angulaire du développement économique, social et culturel
dans différents secteurs d'activité auxquels vous faites
référence à la page 10 de votre texte?
M. Latouche: Pour que cela se produise, pour que l'allusion
à la langue ne soit pas simplement une sorte de reconnaissance
symbolique comme il en existe des dizaines dans certaines constitutions du
monde - celle de l'URSS, celle de la Chine et celle de l'Inde - pour que la
langue ne soit pas simplement quelque chose de symbolique, pour qu'elle joue le
rôle de pierre d'assise, alors, il faut aussi donner au texte les
pouvoirs de faire quelque chose avec cette langue. Quand bien même je
vous reconnaîtrais l'existence d'une société dis- tincte,
si je ne vous donne aucun pouvoir pour la mettre en application dans tel ou tel
autre secteur, quand bien même j'inclurais toute votre qrammaire dans la
constitution, cela ne changerait rien au fait que vous allez vous promener tout
seul avec votre société distincte. Donc, ce sont les autres
questions qui sont importantes et c'est ce qu'on a déjà
commencé à définir. Je répète encore: On
veut le faire pour l'immigration. On est rendu très loin. Je suis
certain que dans mes quinze ou seize questions, on a déjà
répondu à sept ou huit. Il n'y a rien de très malin dans
plusieurs d'entre elles, mais faisons aussi l'exercice. On va vivre très
longtemps avec cette constitution.
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): M. Latouche, je vous laisserai le mot de la
fin, qui est d'ailleurs le propre de la plupart des enseignants comme vous et
des chroniqueurs, mais je vais prendre une minute simplement pour revenir un
peu sur ce qu'évoquaient le ministre et le député de
Frontenac.
À la page 10 de votre mémoire, comme la réponse que
vous venez de donner au député de Frontenac, vous dites: Le
premier ministre m'a convaincu depuis quelques jours, même s'il a l'air
de changer d'idée depuis son congrès général du
parti, que la société distincte, c'était plus que la
langue française et, par conséquent, je ne crois pas que vous en
concluiez qu'il faut se contenter de dire: On va garder "société
distincte" dans la clause d'interprétation. Si vous dites: Dans la
mesure où c'est cela et dans la mesure aussi où on ne le
mentionne pas, puis on considère que le dossier n'est pas fermé,
il s'agit pour le Québec d'aller chercher des pouvoirs et d'aller
explorer le contenu de la société distincte en matière
d'immigration, en matière économique, en matière sociale
et en matière culturelle.
Évidemment, certains diront: Oui, mais c'était l'art du
possible; c'est la meilleure chose que le Québec pouvait obtenir, compte
tenu des circonstances. Mais c'est là qu'on arrive à
"échoir" dans la fédération plutôt que de choisir,
alors que le Québec a l'occasion de choisir, puisque la constitution
s'applique chez lui en ce moment. II a l'occasion de choisir de signer ou pas.
Il s'agit juste de savoir si le gouvernement ira, comme il le devrait à
nos yeux, au bout de ce processus pour voir quel est le contenu de la
société distincte aux yeux du Canada et d'aller chercher le
maximum dans les circonstances, alors qu'il semble probablement se contenter du
minimum pour régler le passé et non pas d'ouvrir vers l'avenir.
La seule ouverture vers l'avenir qui resterait, à en écouter le
ministre et ses collègues, c'est
que les juges de la Cour suprême nous diront peut-être un
jour que la société distincte voulait dire pas mal plus que ce
que l'on pensait à l'Assemblée nationale. Mais c'est une
espèce d'élément aléatoire et un
impondérable qui me préoccupe un peu.
Alors, M. Latouche, vous avez 30 secondes ou un peu plus. On est
tolérants.
M. Latouche: J'ai été frappé lors du
débat par le fait que le ministre des Affaires intergouvernementales et
le premier ministre, à ma connaissance, n'ont jamais dit! C'est le
meilleur "deal" possible que nous pouvions aller chercher. J'aurais assez bien
compris cette logique; c'est une logique politique, une logique de
négociations. Ils n'ont jamais dit cela, ils ne l'ont jamais
qualifié comme étant le summum de ce que l'on pouvait aller
chercher. Dans le fond, ce que je suggère, c'est de laisser à
l'équipe gouvernementale et à l'Assemblée nationale la
chance de continuer cet été. Cela ne veut pa3 dire de
déchirer sa chemise à la prochaine conférence
constitutionnelle; cela ne veut pas dire d'indiquer un échec; cela ne
veut rien dire de tout cela. La conférence du mais de juin, soit la
semaine prochaine, pourra simplement être ajournée au mois de
septembre ou au mois d'octobre et je suis certain que la souveraine ne s'en
offusquera pas plus qu'il ne le faut si on lui gâche un peu son
voyage.
Le Président (M. Filion): M. Latouche, au nom des membres
de cette commission, je voudrais vous remercier de vous être
présenté, d'avoir su accélérer la lecture de votre
texte sans en réduire - soyez-en assuré - la densité ni
l'acuité des propos qui y étaient contenus. Je vous remercie
encore une fois et nos travaux sont suspendus jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 13 h 31)
(Reprise à 15 h 6)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Bienvenue aux membres de cette commission qui reprend ses travaux afin
d'entendre les représentations des groupes, organismes et individus
relativement à l'entente intervenue au lac Meech le 30 avril 1987 et
concernant la constitution canadienne.
Fédération des groupes ethniques du
Québec
Nos premiers invités, cet après-midi, ont
déjà pris place à la table des invités. Il s'agit
des représentants de la Fédération des groupes ethniques
du Québec. Je demanderais à son président, le docteur
Kevork Bagdjian de bien vouloir nous présenter la personne qui
l'accompagne et de bien vouloir, par la suite, nous faire part de son
exposé, lequel devra durer environ 20 minutes pour permettre une
période de discussions avec les membres de cette commission. Dr
Bagdjian, bienvenue.
M. Bagdjian (Kevork): M. le Président, je m'appelle Kevork
Bagdjian, je suis le président de la Fédération des
groupes ethniques du Québec qui compte dans ses rangs une trentaine de
groupes ethniques de différentes couleurs, de différentes
origines, de différentes croyances et de différences cultures.
J'ai à mes côtés le Dr Georqes Saine, vice-président
de notre organisme. Le Dr Jean Taranu, qui devait faire partie de notre
délégation, en a été empêché par un
devoir urgent.
En mon nom personnel et au nom des membres du conseil d'administration
de la Fédération des groupes ethniques du Québec, je
remercie la commission parlementaire des institutions de nous avoir
donné l'occasion d'exprimer notre point de vue sur l'entente du lac
Meech. "Réunis aujourd'hui en conférence au lac Meech, le premier
ministre du Canada et les premiers ministres des dix autres provinces
canadiennes sont convenus de donner instruction à des légistes de
traduire en un texte constitutionnel l'entente de principe qui se trouve dans
le document ci-joint", lisions-nous dans un communiqué en provenance du
lac Meech le 30 avril 1987. Nous aurions préféré que les
juristes aient traduit en un texte constitutionnel l'entente de principe dont
il est question dans le communiqué et que nous puissions discuter de ce
texte supposément précis pour proooser des modifications et des
amendements au lieu de fonder nos interventions, comme nous le faisons depuis
quelques jours, sur des communiqués diffusés par les
médias. Nous aurions donc préféré, dis-je, que la
commission parlementaire fut convoquée après la rédaction
d'un projet de texte constitutionnel. Mais l'approche différente du
gouvernement qui en a décidé autrement ne nous empêchera
pas d'émettre nos points de vue et de formuler nos souhaits devant cette
commission parlementaire, ne serait-ce que sur la base de ce que les
communiqués nous ont permis de connaître de l'entente du lac
Meech.
Caractère distinct du Québec. Dans l'entente du lac Meech,
il est question de reconnaître l'existence d'un Canada francophone
concentré, mais non limité au Québec, et celle d'un Canada
anglophone concentré dans le reste du pays, mais présent au
Québec. L'entente souligne que ces deux éléments
constituent une caractéristique fondamentale de la
Fédération canadienne. À notre humble avis, il est
nécessaire et important de reconnaître aussi dans cet
énoncé l'existence d'un troisième élément
qui constitue la caractéristique fondamentale de la
Fédération canadienne. Il s'agit, comme vous l'avez
deviné, des peuples autochtones qui, historiquement et juridiquement,
sont les fondateurs du Canada.
L'entente stipule aussi que le Québec forme au sein du Canada une
société distincte. Dans notre optique, la mention d'une
société distincte ne reflète pas suffisamment et
adéquatement le visage du Québec et ne reconnaît pas
formellement la spécificité du Québec. Une
société distincte signifie qu'elle est une entité sociale
propre, mais le terme "société distincte" ne traduit pas les
points qui distinguent le Québec des autres provinces. En quoi le
Québec se présente-t-il comme une société
distincte? Il faudra l'expliciter. Autrement, le mot "distinct" ne sera qu'une
épithète vidée de son sens. Nous croyons qu'il faudra
faire ressortir dans le futur texte constitutionnel, dont l'élaboration
sera confiée aux juristes, la réalité francophone du
Québec, le fait français au Québec, la
réalité française au Québec, sa langue, sa culture,
ses traditions, et assurer et garantir la survie de cette
spécificité. Sans cette garantie formelle, indispensable à
nos yeux, l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ne
pourront pas protéger efficacement et promouvoir réellement le
caractère distinct de la société québécoise,
comme il est mentionné dans l'entente.
Immigration. Dans le domaine de l'immigration, il est question
d'incorporer les principes de l'entente Cullen-Couture de 1978. Il ne fait
aucun doute qu'après l'entente Lang-Cloutier, en 1971, qui reconnaissait
au gouvernement du Québec le droit de nommer des conseillers à
l'étranger pour faire la promotion du Québec, celle
d'Andras-Bienvenue, en 1975, qui a permis aux conseillera du Québec de
rencontrer les candidats à destination du Québec, l'entente
Cullen-Couture constituait un grand pas en avant qui élargissait
considérablement le champ d'intervention du Québec dans la
sélection des immigrants destinés au Québec,
l'établissement de normes de qarantie financière, le partage avec
le fédéral des décisions relatives à la venue des
visiteurs pour des raisons de santé, ou des étudiants, des
travailleurs saisonniers, mais, au fond, tous ces avantages se limitaient au
traitement des dossiers à l'étranger seulement.
Nous apprécions cette entente à sa juste valeur, mais nous
formulons une réserve pour ce qui est du droit de sélection parce
que ce droit de sélection que le Québec est autorisé
à exercer n'en garantit pas l'efficacité. Par exemple, quand un
candidat présente une demande d'immigration pour résider au
Québec et que sa requête est refusée par Québec, il
peut toujours présenter une nouvelle demande pour résider dans
une autre province et, une fois au Canada, il vient, après quelque
temps, s'installer au Québec en vertu du droit de libre circulation des
immigrants et des citoyens. Il y a là une lacune que les nouveaux textes
constitutionnels devraient corriger pour empêcher ce qenre de
détour qui rend nul et inefficace le droit de sélection du
Québec. (15 h 15)
Heureusement, l'entente du lac Meech nous assure de nouvelles garanties
constitutionnelles dans le domaine de l'immigration: a) Elle reconnaît au
ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration le
droit d'étudier les dossiers des requérants non seulement
à l'étranger comme par le passé, mais aussi sur place, sur
le territoire canadien. C'est une grosse concession au fédéral et
un gain considérable pour le Québec dans le domaine de
l'immigration; b) Elle accorde au Québec un nombre d'immiqrants en
proportion de sa part de la population canadienne, même avec un droit de
dépasser ce chiffre de 5 %; c) Elle accorde aussi au Québec le
contrôle de l'accueil et de l'adaptation avec une juste compensation du
fédéral.
Ainsi, tous les immigrants et les réfugiés qui viendront
résider au Québec devront s'intégrer à la
société québécoise et à sa majorité
francophone. Cela constitue un apport appréciable à la survie et
à l'essor de la francophonie québécoise. Nous saluons avec
enthousiasme tous ces avantages que l'entente du lac Meech reconnaît au
Québec dans le domaine de l'immigration.
Pouvoir de dépenser. Pour ce qui est du pouvoir de
dépenser, nous croyons que la juste compensation que l'entente du lac
Meech accorde à toute province qui ne participe pas à un nouveau
programme à frais partagés dans un domaine de compétence
provinciale exclusive mérite d'être reconsidérée.
Nous appréhendons que l'immixtion du gouvernement fédéral
dans un domaine de compétence provinciale exclusive ne crée des
précédents dangereux de nature à affecter les relations
fédérales-provinciales et que ces éventuels incidents de
parcours ne se règlent aux dépens du plus faible, comme cela
arrive fréquemment.
Pour éviter ce risque éventuel, nous souhaiterions que
tout nouveau programme à frais partagés que le gouvernement
fédéral voudra introduire dans les provinces soit soumis à
l'approbation préalable du gouvernement provisoire concerné.
Cour suprême du Canada. Nous souhaiterions que la nouvelle
constitution reconnaisse au Québec le droit de participer à la
nomination des juqes de la Cour suprême en provenance du Québec et
qu'au moins trois des neuf juges de la Cour
suprême proviennent du Québec.
Deuxième ronde. Nous souhaiterions aussi qu'à ta
deuxième ronde prévue dans les douze mois suivant la proclamation
de la présente modification constitutionnelle, la réforme du
Sénat canadien intervienne et devienne réalité. Dans cette
optique, le Sénat doit être élu et les sièges
doivent être répartis en proportion du pourcentage que
représente chaque province dans la population totale du Canada. Les
fonctions et le rôle de cette institution doivent être
arrêtés d'un commun accord entre le gouvernement
fédéral et les dix provinces.
Conclusion. Certaines critiques positives que nous avons
formulées relativement à l'entente du lac Meech ne nous
empêchent pas de proclamer notre accord enthousiaste à l'ensemble
de cette entente historique que nous considérons comme constructive. Il
faut que le Québec profite de tous les nouveaux acquis que lui assure
cette nouvelle entente. Il est rare de rencontrer dans l'histoire du Canada un
tel consensus entre le gouvernement du Canada et les gouvernements des dix
autres provinces. Nous en félicitons sincèrement le premier
ministre du Canada, le premier ministre du Québec et notre ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes
pour ce succès éclatant.
Les lacunes que d'autres intervenants et nous-mêmes avons
signalées peuvent être corrigées. Les textes peuvent
être amendés. Nous formulons le voeu que le gouvernement du
Québec réussisse cet autre tour de force et de diplomatie au plus
grand avantage du Québec. Il est impérieux de ne pas manquer
cette rare occasion qui nous est offerte. Nous sommes convaincus que l'entente
du lac Meech est, dans son ensemble, avantageuse pour le Québec et que
les Québécois en tireront des bénéfices
considérables et substantiels dans un proche avenir.
Un grand Canadien, Sir Wilfrid Laurier, a comparé le Canada
à un sanctuaire gothique fait de granit, de marbre et de chêne. Et
il a conclu en ces termes: "Je voudrais que le Canada devienne une nation
semblable à cette image, car je tiens à ce que, dans ce pays, le
marbre demeure marbre, le granit demeure granit et le chêne demeure
chêne. Avec tous ces éléments, je bâtirai une grande
nation parmi toutes les nations du monde." C'est dans ce cadre que nous
aimerions et que nous souhaiterions bâtir un Québec fort, un
Québec stable, un Québec prospère et hospitalier.
Il y a quelques jours, plus exactement le 12 mai 1987, Mme Louise Robic,
ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration du
Québec, soulignait devant vous, M. le Président, dans cette
enceinte, que "la société québécoise sera
bâtie, entre autres, avec le concours des hommes et des femmes qui
viendront des quatre coins de l'univers chercher au Québec une terre de
paix, de travail et de liberté, conscients de l'importance qu'a eue au
cours des dernières années l'apport des communautés
culturelles à la vie nationale québécoise et conscients
que l'avenir du Québec est indissociable des apports de l'immigration
internationale". Nous avons précédé ces bâtisseurs
comme d'autres nous avaient devancés sur cette terre
hospitalière. Beaucoup d'autres viendront encore grossir nos rangs pour
bâtir tous ensemble, Québécois de vieille souche et
Québécois de fraîche date, dans la paix et dans la
sérénité, notre patrie d'adoption. Merci.
Le Président (M. Filion): Merci, Dr Baqdjian. J'invite
maintenant le ministre déléqué aux Affaires
intergouvemementales canadiennes à amorcer le dialogue avec vous. Et,
pour chaque groupe parlementaire, il y a plus de 20 minutes.
M. Rémillard: Oui, merci, M. le Président. Je
voudrais vous remercier, Dr Bagdjian, d'avoir accepté de venir
témoiqner devant nous cet après-midi. C'est avec un très
grand plaisir qu'on vous entend. Vous êtes les derniers intervenants de
cette commission parlementaire après 17 citoyens et citoyennes et 20
organismes. Nous avons le plaisir de vous entendre, vous qui parlez au nom de
communautés culturelles, ethniques. Votre témoignage est
intéressant parce qu'il se situe très bien dans le contexte de
cette reconnaissance de la société distincte que nous voulons
voir reconnaître dans la constitution canadienne, société
distincte qu'est le Québec par sa langue et sa culture,
fondamentalement, essentiellement - c'est ce qui fait que nous sommes
essentiellement différents - mais aussi par ses institutions et ses
communautés culturelles, ses communautés ethniques qui en sont
une richesse. Vous représentez pour notre société une
richesse, un apport. Il y a - vous l'avez très bien souligné -
dans l'entente du lac Meech un élément qui se
réfère directement à nos communautés culturelles;
c'est ce qui regarde l'immigration. En plus d'avoir maintenant la garantie de
la constitution en ce qui regarde les principes que nous avions
déjà dans une entente administrative, l'entente Cullen-Couture,
qui nous permettait de sélectionner nos immigrants qui demandaient
è venir au Québec et qui étaient déjà
à l'extérieur du Canada, maintenant, nous allons avoir la
possibilité de sélectionner nos immigrants qui sont
déjà sur place - c'est 30 % de nos immigrants - et, surtout, nous
allons avoir la possibilité de prendre les mesures nécessaires
pour intégrer ces hommes et ces femmes qui viennent de partout au monde
et qui veulent venir avec nous participer au défi de notre
société: leur donner des cours de langue, de
formation, leur donner le goût de vivre avec nous, leur apprendre
nos institutions, notre façon de vivre, les intégrer à
notre société, parce que 50 % de nos immigrants quittent pour une
autre province. Il faut qu'ils demeurent avec nous, il faut leur donner le
goût de demeurer avec nous, surtout quand on regarde le taux de
natalité qui est si bas, 1,4 %. Bien sûr, il faut une politique
familiale, une politique gouvernementale globale, mais il faut aussi une
politique d'immigration, dont ma collègue, la ministre des
Communautés culturelles et de l'Immigration, a la
responsabilité.
Vous soulevez, à bon droit, que l'entente du lac Meech est une
entente qui, en concrétisant dans la constitution le fait que le
Québec est une société distincte, évidemment, par
sa lanque et sa culture et par tous ses éléments qui font qu'elle
est distincte, est aussi un bienfait pour les communautés culturelles.
Par le fait même, le noyau sera solide et, autour de ce noyau, pourront
graviter et composer un ensemble d'éléments qui font que nous
sommes ensemble heureux de vivre dans cette société libre,
démocratique, heureux de partager un bien commun, heureux de recevoir
ces gens qui viennent de partout au monde relever avec nous ce défi de
la modernité de notre société. C'est dans ce contexte que
j'accueille avec beaucoup de plaisir le témoignage que vous nous livrez
aujourd'hui: un témoignage d'ouverture et de sincérité. Je
vous remercie de ce témoignage.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, merci.
J'inviterais maintenant le chef de l'Opposition à prendre la parole.
M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre désire y aller
tout de suite? Si le ministre le désire... D'accord.
M. Bagdjian, merci de votre présentation. Bienvenue parmi nous,
et au Dr Saine aussi. J'ai écouté avec beaucoup
d'intérêt et extrêmement attentivement les longues nuances,
réserves et critiques que vous faisiez sur l'accord. Je retiens
cependant que cet accord, à vos yeux, est extrêmement important
dans la mesure où il a permis de créer cette unanimité des
premiers ministres autour du texte émanant du lac Meech.
J'ai cru comprendre dans vos propos, Dr Bagdjian, que ce qui
était le plus important à vos yeux, c'était le fait de
l'unanimité et, deuxièmement, la notion ou l'idée d'une
reconnaissance de la distinction du Québec. Cependant, il y a une chose
qui m'a frappé dans vos propos, ce sont les réserves que vous
avez émises sur l'ensemble des cinq points de l'accord du lac Meech.
Elles sont extrêmement substantielles et considérables, notamment
quand vous dites: -je crois, avec une certaine
sévérité
Écoutez! Québec, société distincte, mais
comment? Ne vaudrait-il pas mieux le préciser? Est-ce qu'il ne vaudrait
pas mieux aussi en pratique que s'ensuivent des choses concrètes? C'est
précisément ce que nous reprochons à cette entente. Non
pas qu'en soi le fait que le Québec soit reconnu comme distinct pose un
problème. Je considère que c'est un acquis politique pour le
Québec, sans pour autant souscrire au texte qui est devant nous. (15 h
30)
Après le référendum, après le rapatriement,
dans un certain contexte, la conjoncture politique, pour toutes sortes de
motifs, certains nobles, certains un peu plus terre-à-terre, pour des
politiciens en voie d'élection ou de réélection ou avec
des espoirs de finir leurs jours ailleurs, a fait que, au lac Meech, les dix
premiers ministres anglophones du Canada, les neufs premiers ministres des
provinces anglophones et le premier ministre du Canada, ont reconnu un fait
que, vous, vous vivez depuis de nombreuses années, je le sais. Vous
savez très bien que le Québec est différent du reste du
Canada, vous le sentez. Mais, une fois qu'on a dit cela dans un texte juridique
qui s'appelle une constitution, cela donne quoi le lendemain,
concrètement? J'ai cru comprendre dans vos propos que vous
émettiez de telles réserves sur la facture de ta reconnaissance
de la société distincte, et j'avais l'impression que vous auriez
plutôt conclu que vous souhaitiez qu'on finisse par voir des textes pour
savoir ce que cela voulait dire en pratique. J'ai été quelque peu
étonné de votre conclusion quant à l'intensité que
vous avez mise, à la réjouissance que vous démontriez face
à la signature en l'absence de texte.
Deuxièmement, je vous le permettrais de réagir à la
question suivante: L'article 27, qui est intégré à la
charte canadienne et qui dit que la constitution doit être
interprétée d'une façon compatible avec la notion de
multiculturalisme, est-ce que, à vos yeux, cet article doit
prévaloir sur le caractère français de la
société distincte qu'est le Québec? Comment voyez-vous
cette jonction entre ce que pourraient être les impératifs d'une
vision du multiculturalisme au Canada enchâssés dans la charte des
droits et la notion de société distincte bilingue - il faut bien
le reconnaître par le paragraphe a) - du fait qu'il y a ici une
majorité de francophones? À vous la parole, docteur.
M. Bagdjian: M. le Président, d'abord, sur la question de
l'unanimité, cela saute aux yeux qu'il y a eu unanimité; je parle
de l'unanimité des premiers ministres des dix provinces du Canada et du
premier ministre du Canada lui-même. Évidemment, c'est très
rare de rencontrer cette unanimité, et nous la soulignons. Je crois que
c'est peut-être la
dernière chance pour le Québec de profiter de cette
unanimité; il faut le dire très sincèrement.
Deuxièmement, quant à ce qui vous a étonné
dans ma conclusion, je ne trouve pas qu'il y a de quoi s'étonner. On
peut faire des réserves sur certains articles, sur certaines
dispositions de certains articles, mais cela ne veut pas dire qu'on doit
rejeter l'ensemble de l'entente, quand il s'agit d'une entente historique.
Nous, communautés culturelles du Québec, nous posons la question:
Au Québec, depuis "la nuit des longs couteaux", comme vous l'avez
appelée, la nuit où vous avez disons, été
dupés, vous avez été trompés,
écoeurés et où vous êtes rentrés bredouille
au Québec, depuis ce temps, est-ce que le Québec fait partie du
Canada, d'un Canada fédératif? Est-ce que nous faisons partie de
la Fédération canadienne, oui ou non? Si nous en faisons partie,
il faudra que nous puissions adhérer à la constitution. Sans
adhérer à la constitution, nous ne pouvons pas faire partie d'un
Canada qui parle au nom d'un Québec qui ne fait pas partie du Canada.
Vous voyez, il faudrait mettre un terme à cette anomalie, à cette
existence anormale et même illégale du point de vue juridique.
Or, nous voyons que le plus qrand acquis de cet accord du lac Meech est
bien ce point qui serait réglé définitivement si l'accord
était accepté.
Quant aux réserves que vous faites sur le multiculturalisme, nous
les partageons, ces réserves M. le chef de l'Opposition. M. le
Président, déjà, en 1972, 1973 et 1975, nous avons
présenté des mémoires au gouvernement canadien en disant
textuellement -c'est moi qui ai rédigé ces mémoires, je
peux vous les citer par coeur... Il y a une phrase où nous disons: Pour
nous, le multiculturalisme doit se traduire dans la vie quotidienne que nous
vivons, dans notre vie quotidienne, et non pas rester une doctrine
philosophique. Secundo, nous disons qu'il ne faut pas que le multiculturalisme
serve à véhiculer la langue et la culture du plus fort. Je crois
que cette position est très claire. Nous ne voulons pas que le
multiculturalisme qu'on applique au Canada serve à véhiculer la
culture et la langue du plus fort qui n'est pas, évidemment, la
communauté francophone. Voilà les réserves que nous
formulons sur le multiculturalisme, mais nous sommes pour le multiculturalisme
parce qu'il ouvre qrandes les portes et les fenêtres du Québec sur
un monde culturel universel et c'est de ces fenêtres et de ces portes que
le Québec prendra et donnera, échangera sa culture avec d'autres
cultures et enrichira la sienne. Nous sommes contre une culture de tour
d'ivoire, une culture qui s'enferme dans son coin, dans son ghetto et qui se
coupe de toutes les autres cultures au monde. Cette culture est
condamnée à mourir dans un délai plus bref que nous ne le
croyons.
Pour terminer, si vous avez l'obligeance de consulter le Journal des
débats du 23 juin 1977, no 133, vous y lirez le mémoire que
la Fédération des groupes ethniques du Québec a
présenté à l'occasion de la présentation de la loi
101. Vous verrez que nous avons pris position, une position très nette
et sans équivoque pour la francophonie et pour la francisation. Donc, il
ne s'agit pas pour nous de venir ici maintenant parler et faire de la
démagogie sur la francophonie et de la francophonisation. Nous
connaissons tout cela. Maintenant, il faut faire un pas en avant. Nous voyons
que l'entente du lac Meech nous donne ce premier pas en avant et je crois qu'il
est temps de continuer à marcher.
M. Johnson (Anjou): Merci, Dr Bagdjian. Vous avez parlé
avec votre connaissance, votre érudition de ces questions et aussi avec
beaucoup de conviction.
M. Bagdjian: Merci beaucoup.
M. Johnson (Anjou): Je l'apprécie d'autant plus... Je dois
vous dire, Dr Bagdjian, puisque je sais que vous faites partie de cette
importante communauté qu'est la communauté arménienne,
tout en étant conscient que vous représentez la
Fédération des groupes ethniques, que vous savez ce que signifie
l'ambiguïté d'un peuple sans territoire, ou à la recherche
d'un territoire. Je souhaiterais que le Québec ne devienne pas un
territoire sans peuple. Vous comprenez nos préoccupations, je
présume.
Mme la ministre.
Le Président (M. Filion): Mme la ministre des
Communautés culturelles et de l'Immigration.
Mme Robic: Merci, M. le Président M. Bagdjian, M. Saine,
cela fait huit jours que nous sommes en commission parlementaire et cela fait
huit jours que j'écoute. Vous comprendrez que je ne suis pas une
experte; je suis plutôt Mme Tout-le-Monde. Si vous me le permettez,
j'aurais quelques remarques à faire avant de vous poser une question. On
me dit que c'est ma dernière chance. Alors, si vous me le permettez,
j'aimerais dire certaines choses.
Si je n'ai pas beaucoup parlé durant ces huits jours, c'est que
je croyais qu'il était important que j'écoute et que je comprenne
les interventions et ce qui se passait, parce que je pense qu'il est important
de comprendre les enjeux auxquels nous faisons face. J'ai écouté
les experts et les groupes. Ce qui m'a le plus frappée des groupes
indépendantistes qui sont passés devant nous, c'est qu'ils
semblent remplis de complexes, ils voient tout en noir, ils sont
pessimistes.
La Société Saint-Jean-Baptiste, ce matin, m'a
semblé remplie d'animosité et d'hostilité envers tous les
gens qui ne pensent pas comme elle. Des pessimistes. Ce ne sont pas les
pessimistes qui font avancer le monde, qui font que des choses fantastiques se
produisent. L'autre matin, tout de suite après Gilles Rhéaume,
c'était la Chambre de commerce du Québec qui s'exprimait, et,
là, c'était comme une bouffée d'air frais. Elle nous
disait comme c'était bon, comme elle avait multiplié le nombre de
leurs membres. C'était la chambre de commerce la plus importante de tout
le Canada. Il se passait des choses merveilleuses au Québec. Les jeunes
se lançaient en affaires, les jeunes lançaient leur propre
entreprise. Les gens avaient confiance. Cela faisait du bien d'entendre parler
de cette façon.
Les experts sont venus et ils se sont contredits. Bien sûr, on a -
on le sait tous ici - posé également des questions, mais ce qu'il
faut retenir, ce sont les gains importants que le Québec a faits. Je
pense que vous l'avez dit, Dr Bagdjian. Et je suis surprise. Que les
indépendantistes ne soient pas contents de ces gains-là, je peux
comprendre. Il ne faut pas, pour que leurs choses avancent, que la
fédération fonctionne. Eux autres, il faut toujours qu'ils
puissent nous dire que cela ne peut pas fonctionner cette affaire-là, et
on est en train de leur prouver que, oui, il y a des gens de bonne
volonté qui sont décidés à voir à ce que
cette fédération-là fonctionne avec tous ses membres.
Je suis un peu surprise que le chef de l'Opposition soit, lut, contre
ces gains. Après tout, j'aurais pensé que cela va dans le sens de
son affirmation nationale, à moins que son affirmation nationale, ce
soient encore juste des mots qu'il utilise pour vouloir dire
indépendance. Est-ce que ce sont des mots piégés, telle la
question du référendum? On peut se poser cette question.
Les experts se sont interrogés sur la société
distincte et les pouvoirs du Québec de la protéger et de la
promouvoir. Ils ont cependant à peine parlé des pouvoirs en
immigration. Oui, certains en ont parlé pour nous dire que, oui,
c'étaient des pouvoirs minimes que nous allions chercher. M. Claude
Morin a même dit: Ah! bien, vous savez, dans la balance, ce n'est pas
tellement important. Ce matin, on m'a dit que M. Latouche a dit la même
chose. C'est drôle, c'étaient des gens qui trouvaient que
l'entente Couture-Cullen, c'était merveilleux. Pourtant, c'est une
entente administrative et, maintenant qu'on la constitutionnalise, qu'on va
chercher d'autres pouvoirs, bah! dans la balance, ce n'est pas tellement
positif. Eh bien, je pense que cette clause est très importante
puisqu'elle nous assure, qu'elle assure la survie de la société
québécoise. Je ne voudrais pas vous rappeler - je pense qu'on l'a
fait en fin de semaine - les problèmes démographiques auxquels le
Québec a à faire face. Donc, ces pouvoirs accrus au chapitre de
la sélection sont fort importants parce que les gens qui sont
sélectionnés par nous, par le Québec, savent, avant
même d'arriver ici, avant même de venir au Québec, que l'on
parle français au Québec, que l'on vit en français au
Québec. Ils acceptent cela avant même d'arriver ici. C'est
très important.
Vous avez parlé tout à l'heure de gens d'autres provinces
qui viennent s'installer ici. Cela fait longtemps que cela n'est pas
arrivé, vous savez. En 1982, nous avons perdu 28 000 personnes qui sont
parties du Québec pour aller s'installer ailleurs au Canada. Cette
année, bonne nouvelle: bien que nous ayons encore des pertes
interprovinciales, c'est rendu à 3000 seulement et nous allons avoir un
solde migratoire positif de 9000 personnes. Déjà, là, on
voit que les gens font confiance au Québec, veulent rester au
Québec et veulent y vivre en français également.
Les pouvoirs que l'on a en matière d'immigration, ce sont
également des pouvoirs importants et aucune autre province ne pourra les
avoir parce que, quand nous recevons 31 % de l'immigration canadienne, je pense
que c'est une protection additionnelle pour le Québec, et le reste du
Canada aura à se diviser les autres 69 %. (15 h 45)
Les pouvoirs en matière d'accueil, d'adaptation et de
francisation, je dirais que ce sont probablement les pouvoirs les plus
importants. Le chef de l'Opposition, dans l'une de ses grandes envolées
qu'il nous a servies quelques fois par jour, m'a reproché de ne rien
comprendre. On parlait à ce moment-là du pouvoir de
dépenser du gouvernement fédéral. Je voudrais vous dire,
M. le chef de l'Opposition, qu'une chance qu'il y a des fois où le
gouvernement fédéral peut dépenser, parce que ce n'est pas
vous qui auriez francisé les immigrants. Les seuls programmes de
francisation des immiqrants sont des programmes fédéraux. Les
programmes de francisation des immigrants...
Une voix: ...
Mme Robic: Certainement!
Nous gérons ces programmes, mais ce sont des programmes
fédéraux. C'est tellement vrai que, quand le gouvernement
fédéral a décidé de ne pas franciser les
revendicateurs du statut de réfugié, vous n'avez pas
créé de proqrammes pour les revendicateurs. C'est nous qui avons
donné aux revendicateurs cette chance d'apprendre le français.
Ils voulaient apprendre le français, ils faisaient la file pour
s'enregistrer. Vous vous êtes privés de ça pendant des
années.
Vous avez également laissé pour compte les femmes. Le
gouvernement fédéral n'avait pas de programme de francisation
pour la femme à domicile. Vous l'avez ignoré. Comme de raison, ce
n'est pas la première fois que vous ignorez l'importance et l'influence
de la femme dans le milieu familial. Ça fait longtemps que j'ai compris
ça. Nous avons créé un programme et, encore là,
nous allons nous assurer que le plus grand nombre d'immigrants, de
ressortissants étrangers puissent apprendre le français.
À Mme Lorraine Pagé, de l'Alliance des professeurs de
Montréal, qui déplore le fait que la CECM n'attire pas assez
d'étudiants allophones, je vais lui dire que ce n'est pas parce que vous
êtes une commission scolaire catholique, madame, tout est dans l'accueil
des parents et des enfants. Là, je ne veux pas, surtout pas,
blâmer la CECM et son président qui font des efforts
considérables pour faire du rattrapage à ce niveau-là.
Mais c'est un fait, notre accueil vis-à-vis de ces nouveaux arrivants
pour qu'ils s'intègrent le plus rapidement possible à la
société québécoise est très important. Je
pense qu'il est essentiel, comme vous l'avez si bien dit, que le Québec
signe les accords du lac Meech et que des pouvoirs accrus en matière
d'immigration, l'entente Bouchard-Robic, comme l'appellait le
député de Mercier tout récemment, soient
constitutionnalisés afin que nous puissions protéger, promouvoir
et assurer une longue vie à cette société distincte.
M. Saine, M. Bagdjian, vous avez parlé tout à l'heure de
l'importance que la langue commune soit le français au Québec et,
pour ce faire, n'êtes-vous pas d'accord avec les pouvoirs accrus que nous
obtenons pour l'accueil qui nous permettront de mettre en place des programmes
de francisation pour rejoindre un plus grand nombre, non seulement de nouveaux
arrivants, mais de gens qui peuvent être ici depuis un certain temps et
qui n'ont pas eu la possibilité d'avoir droit à des cours de
français?
Le Président (M. Filion): Je vous en prie, M. Saine.
M. Saine (Georges): Je ne sais pas, M. le Président, si je
ne serai pas hors sujet, peut-être un peu en dehors de la question, mais
je pense que j'y arriverai assez bien. Il y a 62 ans, né d'un peuple
sans patrie parce qu'usurpée par des gens contre lesquels on n'a pas pu
se défendre, je me suis échappé et j'ai abouti dans les
Cantons de l'Est. Dès mes premières années, j'entendais
tout le monde dire: Les maudits ci et les maudits ça! On ne nous donne
pas de chance: On n'est pas correct et on n'est pas comme les autres.
Mieux que cela, mes professeurs au séminaire nous disaient qu'on
était des porteurs d'eau ici. À un moment donné, je
commençais à me poser des questions, surtout après une
partie de tennis avec feu le père du chef de l'Opposition qui
commençait à se plaindre - je ne dirai pas le mot dont il m'a
qualifié - de ceux qui n'étaient pas canadiens-français au
pays. Là, je me suis dit: Mon Dieu! j'ai raison, pourquoi ai-je abouti
au Québec? J'aurais souhaité aboutir en Ontario ou dans une autre
province tellement que, sans connaître ce qui se passait, je voyais qu'il
y avait des plaintes. Donc, on n'était pas comme les autres. Le temps a
passé, l'évolution s'est effectuée. Le lac Meech est
arrivé. Et l'unanimité complète que le Dr Baqdjian a
qualifiée de pratiquement unique et historique, cela veut dire, M. le
chef de l'Opposition ou madame, qu'on est un peu comme les autres actuellement.
Avez-vous une idée comme je me sens fier de dire que j'étais dans
les patates quand j'ai pensé qu'on n'était pas comme les autres?
C'est ce que le lac Meech nous apporte aujourd'hui dans le populo. Je ne parle
pas d'affaires scientifiques comme les parlementaires. Cela est un fait.
Là-dessus, je souhaite que mes petits neveux ne regrettent pas
d'être venus au Québec plutôt qu'en Ontario parce que le
Québec est devenu réellement ce que le Québec devait
être, grâce à ceux qui l'ont fait actuellement. Je crois que
cela me donne un peu de fierté. C'est tout ce que je veux vous dire.
M. Johnson (Anjou): Dr Saine, je ne suis pas sûr que je
tiens absolument à ce que vous répétiez ce que vous avez
dit parce que mon père n'est pas là pour y répondre.
Peut-être qu'un jour en jouant au tennis avec vous il trouvait que
l'arbitre appelait des as qui n'auraient pas dû être appelés
et il vous a peut-être traité de "maudit rouge". Je sais que
parfois il disait cela quand il faisait du sport.
M. Saine: Ce n'est pas une critique. Je bénis la
mémoire de votre père. C'était un ami.
M. Johnson (Anjou): Bon, voilà. Alors, on se comprend
bien, je pense, parce que je dois vous dire que cela ne sortait pas tout
à fait comme cela tout à l'heure.
Le Président (M. Filion): Donc, il n'y a pas d'autres
interventions. Je... Oui, M. le ministre.
M. Rémillard: Je vais terminer. Je veux simplement
remercier nos visiteurs aujourd'hui qui sont venus nous livrer ce message. Je
comprends des commentaires qu'ils nous ont donnés que maintenant ils
voient dans l'entente du lac Meech un espoir
encore renouvelé de voir dans la société
québécoise une société fière de ce qu'elle
est, fière de son assise francophone, fière aussi d'être
ouverte sur le monde. Cela signifie aussi que la théorie de la serre
chaude, la théorie de la xénophobie, c'est terminé chez
nous.
Nous sommes heureux d'avoir ces gens qui viennent de partout au monde,
qui viennent relever le défi de notre société avec nous.
Nous sommes heureux de les avoir. C'est une richesse pour nous. Maintenant,
avec ces pouvoirs que nous allons avoir en matière d'immigration, avec
aussi cette sécurité culturelle que nous allons pouvoir avoir
aussi, nous allons pouvoir mieux vivre tous ensemble et partager donc un
mieux-être en fonction de cette société libre et
démocratique que nous vouions avoir au Québec, fière
d'elle-même, fiers de ce que nous sommes et fiers de vivre dans ce pays,
dans ce Canada.
M. le Président, ce sont nos derniers interlocuteurs. Vous me
permettrez, en terminant, de remercier tout d'abord mes collègues ici du
groupe ministériel pour l'appui qu'ils nous ont donné. On a
travaillé en équipe, on a travaillé ensemble, on a fait
plusieurs rencontres. À chaque session de nos travaux, on s'est
rencontré, on a discuté des différentes interventions. Je
voudrais les remercier très sincèrement pour le travail qu'ils
ont fait.
Je voudrais remercier l'Opposition et rendre hommage à
l'Opposition pour avoir gardé ce niveau de discussion qui nous a permis
d'avoir une très bonne commission parlementaire. Je peux vous dire que
c'était pour moi la première commission parlementaire et que je
suis particulièrement heureux d'être un parlementaire
québécois dans cette enceinte. Cela s'est dérouté,
malgré un sujet qui pouvait soulever beaucoup de discussions d'une
façon remarquable. Et je voudrais rendre hommage à l'Opposition,
comme je voudrais vous rendre hommage, M. le Président, pour l'excellent
travail que vous avez fait. Je crois que, selon les règles, je l'ai
appris, je vous avoue que j'ai été surpris au début que
vous puissiez intervenir dans les débats. C'est rare qu'un
président d'assemblée peut intervenir. Je dois dire que vous
l'avez fait et que, quand vous l'avez fait, vous l'avez fait avec un certain
doigté. Et je dois donc, pour ma part, vous signifier ma grande
satisfaction, vous dire que j'ai beaucoup apprécié d'être
membre de cette commission et que ces travaux m'ont été d'une
grande utilité dans mon travail de ministre. Je vous remercie. M. Saine,
M. Bagdjian, merci d'être venus.
Le Président (M. Filion): Au nom des membres de cette
commission, Dr Bagdjian, Dr Saine, je voudrais également vous remercier
d'avoir ainsi collaboré à nos travaux de consultation sur cet
important dossier. Merci, encore une fois.
Nous allons suspendre la séance quelques minutes avant de
permettre la reprise de nos travaux qui, comme on le sait, consisteront en une
période de deux heures, divisée à parts égales
entre les représentants du groupe ministériel et les
représentants de l'Opposition. Nos travaux sont suspendus pour quelques
minutes.
(Suspension de la séance à 15 h 57)
(Reprise à 16 h 11)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Nous avons terminé cette partie du mandat qui nous était
confié par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire celui
d'entendre les représentations de certains groupes, organismes ou
individus relativement à l'entente intervenue au lac Meech concernant la
constitution du Canada à l'intérieur, bien sûr, du
délai qui nous était fixé pour le faire.
Maintenant, nous en sommes à l'étape des commentaires de
nature finale de la part des représentants des deux groupes,
c'est-à-dire l'Opposition et le groupe ministériel. Le partage du
temps qui a été fixé à l'intérieur de la
motion qui nous gouverne est le suivant: les 30 premières minutes sont
consacrées à l'Opposition, les 30 minutes subséquentes, au
groupe ministériel et c'est la même chose pour les deux autres
périodes de 30 minutes qui suivent.
Donc, sans plus tarder, je laisse la parole à M. le chef de
l'Opposition ou à M. le député de Lac-Saint-Jean qui va
commencer.
Remarques finales M. Jacques Brassard
M. Brassard: Merci, M. le Président. Il ne faut jamais
perdre de vue l'objectif poursuivi dans toute négociation
constitutionnelle au Québec. Il s'agit, on se le rappellera, de corriger
l'état de choses généré par l'Acte constitutionnel
de 1982, négocié, comme on le sait, et conclu sans nous, sans le
Québec. En quelque sorte, il s'agit de réparer les torts et les
dégâts causés par l'Acte constitutionnel de 1982.
Or, quel est le tort principal, le déqât majeur
qénéré par ce nouveau contexte constitutionnel? II faut se
le rappeler, là-dessus il y a un large consensus. Le tort ou le
dégât est, d'abord et avant tout, linguistique. La loi 101, la
charte du français, adoptée en 1977, était une
pièce législative majeure qui avait pour but d'instaurer
l'unilinguisme français au Québec, de faire du français ta
langue de l'État, de
l'administration, de la justice, de faire du français la langue
de travail, la langue de l'enseignement et la langue d'affichage au
Québec. Eh bien, cette loi 101, cette charte du français, on le
sait, depuis quelques années, a été littéralement
démantelée. Elle a été durement touchée, de
telle sorte que nous avons connu, sur le front linguistique, des recuis
dangereux. Le français se trouve actuellement mal protégé
au Québec et sa promotion est en quelque sorte paralysée.
Tout cela, M, le Président, à cause de toute une
série d'entraves constitutionnelles dont la plupart proviennent de
l'Acte constitutionnel de 1982. Je les énumère rapidement:
article 133 qui fait finalement, officiellement, du Québec un
État bilingue sur le plan de ses lois et de ses législations;
l'article 23 qui limite le pouvoir, pourtant exclusif, du Québec en
matière d'enseignement, en matière d'éducation; l'article
2, surtout la liberté d'expression qui a été
invoquée, on le sait, pour rendre inconstitutionnel l'affichage
unilingue français; l'article 6 sur la liberté de circulation et
d'établissement qui pourra sans doute être invoqué un jour
contre la loi 101 ou la charte du français; l'article 27 sur la
promotion du multiculturalisme qui pourrait également être
invoqué contre la charte du français; l'article 93 qui
empêche le Québec de mettre en place, d'établir des
commissions scolaires sur une base linguistique.
Il y a donc toute une série d'entraves, d'obstacles
constitutionnels, de dispositions actuellement dans la constitution qui
limitent dangereusement et gravement le pouvoir de l'Assemblée nationale
de légiférer en matière linguistique. Plusieurs groupes,
je dirais la majorité des groupes qui ont défilé devant
cette commission depuis deux semaines, sont venus dire au gouvernement,
à l'Assemblée nationale et aux députés membres de
cette commission: II faut que l'Assemblée nationale retrouve sa pleine
et entière compétence en matière linguistique. Il est
essentiel, c'est ce qu'on est venu nous dire, c'est ce qu'on est venu nous
répéter, que l'Assemblée nationale soit le seul lieu de
décision au Québec en matière linguistique. C'est ce qu'on
est venu nous dire. Il y a un large consensus au sein de la population à
ce sujet. On pourra faire les sondages qu'on voudra, M. le Président, on
va toujours arriver à la conclusion qu'une très large
majorité de Québécois et de Québécoises
estiment que l'Assemblée nationale devrait détenir les pleins
pouvoirs, les pleines compétences en matière linguistique. C'est
clair. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute. On a parlé à
plusieurs reprises de référendum. On pourrait faire, je dirais,
un référendum sur cela. Il est à peu près certain
qu'on obtiendrait des résultats extraordinairement élevés
pour demander que l'Assemblée nationale détienne
entièrement et pleinement les compétences en matière
linguistique.
Or, l'entente du lac Meech ne répond pas, ne satisfait pas
à cette aspiration fondamentale et majeure du peuple
québécois. On nous arrive tout simplement et exclusivement avec
une règle d'interprétation sur la société distincte
qui ne touche en rien et en aucune façon des dispositions qui,
actuellement, limitent sérieusement les pouvoirs de l'Assemblée
nationale en matière linguistique. Cette seule raison serait suffisante
pour dire au gouvernement: Cette entente du lac Meech n'est pas satisfaisante,
elle ne convient pas, elle n'est pas honorable, elle ne satisfait pas une des
aspirations fondamentales du peuple québécois qui est de faire en
sorte que l'Assemblée nationale ait le plein contrôle en
matière linguistique. Je pense que le gouvernement, à ce sujet,
doit retourner faire ses devoirs.
Le Président (M. Filion); Merci, M. le
député de Lac-Saint-Jean. Je vais reconnaître maintenant M.
le chef de l'Opposition.
M. Pierre Marc Johnson
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je voudrais d'abord
vous remercier, ainsi que les collègues. Je sais que le premier ministre
sera parmi nous tout à l'heure. Il est probablement dans la pièce
à côté ou à son bureau en train de regarder cela
à la télévision. J'aurai un certain nombre de demandes
à lui faire au terme de nos travaux.
Cette commission a permis d'entendre, bien que partiellement seulement,
un certain nombre d'experts, d'individus, de représentants de groupes.
Je suis de ceux qui sont convaincus que l'opinion publique a été
ébranlée depuis deux semaines. Je sais que chez des
Québécois, dans la mesure où ils ont pu suivre une partie
de nos travaux, l'incertitude s'est installée quant à ce qui
faisait l'objet de tant d'enthousiasme à la sortie du lac Meech. Je sais
qu'il y a dans l'opinion publique québécoise, chez ces citoyens
de mon comté et de partout au Québec, un attachement profond
à notre responsabilité collective à l'égard,
notamment, de la législation linguistique. Je sais aussi que le
gouvernement s'apprête à obtenir des amendements dont la valeur ne
sera que cosmétique si elle n'implique pas des pouvoirs pour
l'Assemblée nationale en matière linguistique. Je sais qu'il y a
aussi un attachement, chez les nationalistes du Québec depuis 25 ans,
à ce que dans nos discussions sur les questions constitutionnelles avec
le reste du Québec on fasse prévaloir cette volonté
d'augmenter l'espace de liberté du Québec, l'espace de
responsabilité collective de notre Assemblée nationale et
de son gouvernement en termes de développement culturel, social
et économique. Je sais qu'il y a cet attachement chez les
Québécois à l'égard de cette responsabilité
en matière linguistique comme à l'égard de la
conquête d'espaces, de libertés et de responsabilités
collectives pour notre développement.
Or, je crains qu'on ne sombre dans le ridicule, et je le dis au premier
ministre. Nous en sommes réduits, depuis 48 heures, à faire
l'interprétation publique d'un amendement inconnu à une clause
d'interprétation inexistante sur le plan juridique. Nous sommes à
la limite de ce qui pourrait être ridicule pour le Québec en
entier, parce que nous ne possédons pas l'instrument qui nous liera pour
longtemps, selon le premier ministre lui-même, en fin de semaine. Si je
ne m'abuse, il a dit que ce texte lierait le Québec pour des
décennies, pour ne pas dire pour toujours.
Il a également dit, en fin de semaine, qu'une fois saisie de la
résolution qui émanera de la conférence du 2 juin à
Ottawa, l'Assemblée nationale ne pourra pas amender le texte. Quel
texte? Nous ne l'avons toujours pas, après trois semaines. Pourtant, le
premier ministre du Québec nous dit que ce texte va nous lier pour des
générations. Il nous dit qu'une fois qu'il aura signé le
document à Ottawa, le 2 juin, l'Assemblée nationale du peuple
québécois ne pourra pas modifier ce texte.
J'en appelle au premier ministre, à M. Bourassa, pour qu'il
obtienne les textes et qu'il les présente aux élus du peuple
québécois avant d'aller signer, car il nous a dit en fin de
semaine qu'une fois signés à la conférence du 2 juin,
c'est fini, il n'y a plus d'amendement possible. C'est passe ou casse? Dans son
esprit, c'est passe, puisqu'il a 99 députés et nous, 23.
J'en appelle au premier ministre pour qu'il comprenne que, sur des
enjeux aussi fondamentaux, le peuple québécois doit savoir
à quoi s'en tenir et ne pas être réduit à contempler
ce spectacle, encore une fois à la limite de l'acceptable en
démocratie, où on voit des gens faire l'interprétation
d'amendements à une clause d'interprétation elle-même
inexistante sur le plan juridique. Afin d'éviter un tort qui pourrait
être irréparable pour le Québec, j'offre à M.
Bourassa la collaboration de l'Opposition pour que, d'une part, il fasse
reporter la conférence du 2 juin en le demandant à M. Mulroney et
à ses autres collègues; deuxièmement, pour qu'il obtienne
les textes qui lieront le Québec pour des générations,
dit-il, qui ne pourront pas être amendés une fois signés,
troisièmement, pour qu'il présente ces textes aux élus du
peuple québécois ici.
Nous sommes prêts, dès maintenant, à offrir la
collaboration de l'Opposition pour que, dès la semaine prochaine, nous
puissions suspendre un certain nombre des règles qui font qu'en ce
moment ce sont les crédits budgétaires qui sont
étudiés et qui ont préséance sur tout le reste. Je
considère que cela s'impose parce que M. Bourassa devrait
reconnaître qu'une évidence s'est imposée au cours de cette
commission, l'évidence de l'absence de textes, de l'absence de
réponses aux questions adressées au ministre ou au premier
ministre, absence de garanties linguistiques quant aux pouvoirs de
l'Assemblée nationale sur les politiques linguistiques, de l'absence de
pouvoirs nouveaux pour le Québec, de l'absence de mandat de ce
gouvernement pour prétendre disposer, en trois semaines et demie, de
l'avenir des futures générations a dit le premier ministre, de
l'absence de vision d'un Québec qui regarde vers l'avenir et non pas
vers le passé. Incessamment, son ministre et quelques-uns de ses
collègues députés nous ont servi que c'était le
problème du 16 avril 1981, du coup de force de 1982. Rien qui ne
démontre une vision, une perspective, une volonté de construire
vers l'avenir, mais tout qui confine au passé, passé parfois
désolant.
Sur la place publique, des experts et des parlementaires, des
représentants de groupes et des individus en sont réduits,
à cause de l'absence du chef du gouvernement, à cause de
l'absence aussi d'une vision claire, aux conjectures et aux hypothèses.
Le premier ministre nous dira tout à l'heure, quand il se joindra
à nous, qu'il y avait les cinq points du Parti libéral, mais sur
lesquels vous n'avez pas été élus... D'abord, vous n'avez
pas livré cette marchandise, vous ne t'avez livrée que
partiellement.
Si on prend chacun des points du programme du Parti libéral et
qu'on prend l'entente du lac Meech, déjà, il y a des
différences. Mais vous n'avez pas obtenu de la population
québécoise un mandat qui la lierait dans l'avenir, pour des
générations, avez-vous dit. Les Québécois vous ont
élus pour toutes sortes de bonnes raisons ou pour des raisons
discutables, selon le point de vue où l'on se place. Vox populi, vox
Dei. Je n'ai jamais remis en cause la sagesse populaire dans une
décision démocratique. Mais loin de moi la pensée que ce
sont les cinq points sortis des différents extraits, souvent
contradictoires, des documents du Parti libéral en matière
constitutionnelle qui ont été la source de votre mandat afin de
prétendre régler l'avenir du Québec, comme vous le faites,
en quelques semaines.
Des experts sont venus ici. Je le dis pour le premier ministre qui, je
le sais, à cause de ses occupations, ne pouvait pas être ici tout
le temps; il y sera aujourd'hui.
Des voix: II y est.
M. Johnson (Anjou): Je lui ferai la
synthèse, non pas en prétendant mettre quoi que ce soit
dans la bouche des experts qui sont venus ni résumer ce qu'ils
prétendaient, mais je donnerai des extraits, Me Pierre-André
Côté: "Un principe d'interprétation, ce n'est pas une
règle stricte et contraignante. On ne peut pour ainsi dire jamais savoir
d'avance de façon précise quelle influence un principe
d'interprétation aura dans un cas concret donné, ni même de
façon générale." Me Côté, toujours: "Les
tribunaux auront en pratique à choisir entre la société
distincte et la liberté d'expression de l'article 2, entre la
société distincte et le patrimoine multiculturel du Canada de
l'article 27, entre la société distincte et le caractère
bilingue du Canada et du Québec. Rien ne permet de savoir où ira
leur préférence."
Question à Me Nicole Duplé: "Si la Cour
suprême - on discute toujours à partir d'hypothèses - est
saisie de l'interdiction qui est faite en vertu de la loi 101 d'afficher dans
une autre langue que le français, sauf des exceptions
spécifiques, à vos yeux, est-ce que Ies plaideurs et la Cour
suprême devront en tenir compte? Est-ce que, pour vous, "le Québec
forme au sein du Canada une société distincte" l'emporte sur la
reconnaissance de la dualité canadienne?" Réponse de Me
Duplé: "Un article de loi qui interdit l'affichage commercial dans une
autre langue que l'anglais, est-ce cela? - C'est cela. - Me Duplé:
"...que le français - excusez, ce n'est pas la première fois que
je fais cette... -mais cet article lui-même dit Me Duplé, serait
contraire, en admettant qu'il soit adopté aujourd'hui, à
l'engagement qu'a pris le Québec comme toutes les autres provinces de
sauvegarder la caractéristique fondamentale du Canada." C'est clair. (16
h 30)
Me François Chevrette: "Écoutez, il est
indiscutable et incontestable que le paragraphe a) sur la dualité
canadienne a un impact direct sur le statut de la minorité anglophone du
Québec. C'est une interdiction de l'unilinguisme français tout en
permettant une prédominance du français".
Me Guy Tremblay: "Ce qui frappe dans l'entente du lac Meech,
c'est qu'à peu près tout ce que le Québec a demandé
a aussi été accordé aux autres provinces. Il est constant
en droit que les clauses doivent s'interpréter dans leur contexte les
unes par rapport aux autres. Or, il me semble que le sens qui sera donné
au paragraphe b), portant sur la société distincte, sera
intimement lié au paragraphe a) qui dit que le Canada francophone est
concentré au Québec et que le Canada anglophone y est
présent. Les clauses protègent autant la minorité actuelle
que la majorité actuelle."
Me Gérald Beaudoin: "À ce moment-là, si vous
me demandez: Est-ce que la liberté de légiférer en
matière linguistique est absolue? bien sûr qu'elle n'est pas
absolue.
Bien sûr. Le pouvoir est entier, mais sujet, évidemment,
aux articles de la constitution qui ou bien départagent les deux
pouvoirs ou encore garantissent certains droits."
Me Blache, de l'Université de Sherbrooke: "Si quelqu'un me
demandait: Est-il clair avec un texte comme cela que la province de
Québec va pouvoir légiférer comme bon lui semble en
matière linguistique? je dirais: Non, puisqu'il y a la dualité
canadienne qui est prévue aussi et qui équilibre de telle sorte
qu'on se retrouve avec le grand accord fondamental en matière
linquistique, à savoir qu'il y a deux langues et, même dans le
Québec, des restrictions seront vraisemblablement apportées au
pouvoir de légiférer de la province en matière, donc, de
langue."
Me André Lajoie: "J'avais dit que je n'aborderais pas ces
questions, la notion de société distincte, mais je les aborde
pour ce lien." On parlait du pouvoir de dépenser. "C'est là le
lien entre le pouvoir de dépenser et la possibilité de maintenir
une société distincte. La possibilité d'établir nos
priorités législatives et nos priorités de dépenses
publiques dans les secteurs provinciaux de notre choix, c'est la seule garantie
qu'on a d'avoir une société qui ne sera pas exactement pareille
à celle de l'Ontario ou de la Colombie britannique."
M. Fernand Dumont: "Puisqu'il s'agit de droits, nous devons, je
crois, nous assurer d'une sorte de critère. Ma foi, à mon avis,
il ne reste que la langue, mais, encore une fois, j'y vois une sorte de
critère clair. On ne peut pas se tromper en inscrivant cela, comme
critère parce que, s'il fallait que l'évolution nous amène
à des changements tels que dans vingt ans d'ici ce critère ne
conviendrait plus, une chose est certaine, c'est qu'on n'aurait plus besoin de
parler de société distincte."
Léon Dion: "Une seule expression, coquille vide."
Ces hommes, ces femmes, ces experts, ces Québécois sont
venus nous parler de la faiblesse de l'accord du lac Meech. Ces hommes, ces
femmes, ces Québécois sont conscients aussi des absences, je
dirais, du peu d'envergure de ces contenus. Je dis et je réitère
au premier ministre l'invitation suivante: M. Bourassa, puisque, vous l'avez
dit vous-même en fin de semaine, cela va lier le Québec pour des
qénérations et que l'Assemblée nationale du Québec
ne pourra pas amender la résolution que vous vous engagerez, à
Ottawa, à la conférence du 2 juin, à faire adopter si cela
est vrai, si cela est le cas, alors vous devez présenter l'ensemble des
textes aux parlementaires québécois, vous devez suspendre la
réunion d'Ottawa, vous devez permettre un large débat sur le fond
des choses. Une fois que nous saurons à quoi nous nous engagerons,
alors, et alors seulement une fois que cela
sera fait, pourrons-nous considérer que ce n'est pas dans le
secret, que ce n'est pas dans l'improvisation, que ce n'est pas dans le huis
clos, que ce n'est pas en cachette que vous vous apprêtez à
engager te Québec pour longtemps.
Les Québécois peuvent faire plus que ça. Le
Québec mérite plus que ça; 25 ans de lutte à la
recherche de pouvoirs plus grands pour notre Assemblée ne sauraient se
solder par une vague clause d'interprétation même si elle devait
contenir les mots "langue française". Une clause
d'interprétation, ça ne donne pas de pouvoirs à
l'Assemblée nationale. Une clause d'interprétation, ça
donne les probabilités vagues ou lointaines d'obtenir peut-être,
un jour, des juges de la Cour suprême des espaces un peu plus grands pour
le Québec. Alors, pourquoi signer puisque de toute façon, en ce
moment, la constitution canadienne s'applique sur le territoire
québécois tous les jours? Celles et ceux qui disent qu'il faut
que le Québec signe pour que la constitution s'applique chez nous se
trompent. Elle s'applique tous les jours. L'intérêt, donc, pour le
Québec de signer, c'est d'aller chercher un gros morceau qui ne bloque
pas l'avenir. On ne saurait prétendre que la protection contre tes
événements rares en matière d'amendements
constitutionnels, que l'immigration qui traduit essentiellement une entente
administrative existant déjà depuis dix ans et que le fait
qu'à l'égard de la Cour suprême on consigne quelque chose
qui est dans les lois depuis 100 ans, sauf, c'est vrai, la liste des personnes
qui, dans des événements rares, seront appelées à
occuper un poste à la Cour suprême, on ne saurait prétendre
que ce résultat mince mérite que le Québec s'y
déleste de son poids politique.
Le morceau serait "société distincte", qualifiée,
alors que le premier ministre nous disait encore il y a quelques jours qu'il ne
fallait pas le qualifier, ou le mot "français" quelque part ailleurs
dans le texte, à côté de "multiculturalisme", un article 27
(a), par exemple; une limite au pouvoir de dépenser qui constitue en
pratique une formalisation de l'intervention constante de l'État
fédéral déjà dans l'ensemble des secteurs, alors
qu'on n'a réclamé aucun pouvoir dans ces secteurs
déjà envahis par l'État fédéral. Ce ne sont
pas des gains, ce ne sont même pas de petits pas. Cela reste,
essentiellement, pour des juristes fascinés par la Cour suprême,
ce qu'il faut pour écrire peut-être une "footnote" dans un
traité de droit constitutionnel.
Et je demande au premier ministre, puisqu'il prétend avoir un
rapport de forces, puisqu'il ne saurait se présenter comme un homme qui
ne se contentera que du possible temporaire, mais qu'il croit en la force du
Québec, d'utiliser cette force non pas dans des clauses
d'interprétation, mais dans des pouvoirs réels pour
l'Assemblée du Québec. Car s'il ne va pas chercher des pouvoirs
réels pour l'Assemblée nationale du Québec, il se
contentera d'avoir agi pour le passé et dans la conjoncture et non pas
d'avoir préparé l'avenir du Québec.
Je souhaite que le premier ministre fasse preuve de cette
responsabilité et de ce courage qui lui permettraient d'engager sur une
autre piste, sur une autre voie, ce qui est en train de se passer, car ce qui
est en train de se passer avec l'ensemble canadien, c'est que vous êtes
passé d'une entente historique à un malentendu du siècle,
si vous n'allez pas au fond de la question des pouvoirs.
Puisque vous dites que vous avez le rapport de forces, allez au fond de
la question des pouvoirs. Pour reprendre une expression d'outre-Outaouais,
"that is where the beef is". Et le premier ministre le sait. C'est cela, la
question fondamentale du Québec, le pouvoir québécois. Et
il n'y en a pas dans ce que vous nous offrez. Prenez le temps aujourd'hui
d'étudier cette proposition, à moins que vous ne l'ayez
déjà fait. Faites suspendre la conférence du 2 juin,
apportez les textes, faites-les discuter ouvertement devant tes parlementaires
du Québec. Peut-être serez-vous plus forts d'un mandat
réel, ou, au moins peut-être, le Canada anglais
connaîtra-t-il les véritables enjeux qui ont été
masqués jusqu'à maintenant. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de
l'Opposition. Je vais maintenant reconnaître M. le premier ministre.
M. Robert Bourassa
M. Bourassa: Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Je veux
féliciter le chef de l'Opposition pour la sérénité
de ses propos. J'espère bien que, d'ici la fin, nous pourrons, sur le
même ton, discuter ouvertement, franchement et dans
l'intérêt du Québec.
Il me permettra, avant d'aborder le fond de la question, de signaler
certains propos qu'il a tenus hier et les jours récents et qui doivent
être relevés, ne serait-ce que pour empêcher qu'ils ne
puissent être répétés, car ces propos ne
reflètent pas la véritable personnalité du chef de
l'Opposition. Je fais allusion à ses attaques à l'endroit du
premier ministre du Canada depuis quelques jours, attaques totalement
injustifiées. Dire que le premier ministre serait prêt à
vendre le Yukon pour quelques dollars ou quelques votes, je ne crois pas que ce
soit une façon de considérer le rôle d'un premier ministre
du Canada qui veut respecter un engagement qu'il a pris solennellement au cours
de l'automne 1984. Donc, je crois qu'on ne peut pas blâmer un premier
ministre de vouloir respecter un
engagement. Le chef de l'Opposition se souvient des propos très
durs qu'il a eus vis-à-vis de l'un des prédécesseurs de M.
Mulroney, M. Trudeau, en le blâmant sévèrement pour son
attitude vis-à-vis du Québec. Voilà que, là, nous
avons un premier ministre qui veut aider le Québec, qui prend un risque
politique pour le Québec, et, encore là, le Parti
québécois trouve le moyen de le critiquer
sévèrement et injustement. J'ai cru hier qu'il était
important de rétablir les faits.
Malheureusement, ce n'est pas la seule déclaration discutable du
chef de l'Opposition. Je prenais connaissance d'une autre déclaration ce
matin, où il s'en prenait à ceux qui ont contribué
à la Révolution tranquille. Pour lui, ce sont des gens qui font
preuve d'arrogance et de suffisance. Je ne comprends pas du tout le chef de
l'Opposition de tirer comme cela dans toutes les directions. Il sait fort bien
que, parmi ceux qui ont contribué à bâtir la
Révolution tranquille, se trouvent plusieurs de ses anciens
collègues. Je ne vois pas pourquoi il voit un intérêt
politique quelconque à fustiger, comme il l'a fait, tous ces
Québécois qui ont contribué à bâtir le
Québec moderne. Sur ses autres propos, amendements de fond de tiroir,
etc., je constate, si j'ai bien suivi le chef de l'Opposition, qu'il a un
nouveau ton aujourd'hui. C'est pourquoi je l'en félicite. (16 h 45)
Globalement, M. le Président, on peut dire que la commission
parlementaire a été une expérience très utile. Nous
avons pu entendre des représentants de plusieurs dizaines de groupes et
d'experts qui sont venus exposer leur point de vue sur une décision ou
un document fondamental pour l'avenir du Québec. Je sais que le chef de
l'Opposition m'a reproché d'être plutôt absent. Cela ne veut
pas dire que je ne suivais pas les délibérations. Il est
suffisamment conscient des responsabilités d'un chef de
l'Exécutif dans notre système politique pour le deviner. Il a
été, quand même, premier ministre durant quelques semaines.
Il n'a pas eu à siéger ou il n'a pas pu siéger, pour
être plus précis. Il doit, quand même, savoir que les
responsabilités du chef de l'Exécutif dans une
société comme le Québec sont assez exigeantes.
Même si la situation économique, la situation
financière ou les relations de travail vont relativement bien ces
mois-ci au Québec, il y a des exigences administratives très
importantes. J'ai suivi les travaux dans toute la mesure du possible et j'ai
trouvé que dans l'ensemble c'était particulièrement
intéressant et utile. Utile pour le travail de négociation que
nous faisons actuellement. Pour ce qui a trait aux textes juridiques, je devrai
répondre au chef de l'Opposition ce que je lui ai dit il y a quelques
jours. Nous nous étions engagés, dans toute la mesure du
possible, si ça pouvait se faire, à soumettre les textes
juridiques. J'ai discuté avec mes collaborateurs. Je profite de
l'occasion pour rendre hommage non seulement au ministre et aux membres de la
commission parlementaire qui ont fait un travail tout à fait
exceptionnel, mais à tous nos collaborateurs de la haute fonction
publique.
C'est très stimulant, M. le Président, pour un chef de
gouvernement de voir des Québécois, quelles que soient leurs
idées politiques, se serrer les coudes comme ils le font actuellement,
travailler jour et nuit pour servir au mieux les intérêts du
Québec. Les délibérations de la commission parlementaire
ont permis, et à nous et à nos collaborateurs, de travailler plus
efficacement aux négociations que nous devons faire actuellement.
On nous a souligné, et on a compris facilement, que
l'efficacité des négociations pouvait être compromise si
nous soumettions des textes juridiques qui ne sont pas définitifs, qui
ne peuvent être définitifs pour l'instant. Quant aux textes
communs qui peuvent circuler entre les différents gouvernements, nous ne
pouvons pas, évidemment, les rendre publics sans la permission de nos
partenaires. Il y a des rencontres qui se tiennent régulièrement
ces jours-ci. Surtout, la troisième raison, c'est que je constate au fil
des discussions que la bataille ou les négociations ou les discussions
que nous continuons dans ce dossier ont pour but précisément de
transformer en textes juridiques la substance des principes que nous avons
convenus.
Il n'y aura pas de surprise pour les membres de l'Opposition, M. le
Président. Il n'y aura pas de surprise dans les textes juridiques. Il
pourra y avoir des clarifications, il pourra y avoir possiblement des clauses
de sauvegarde, étant donné qu'on ne parle pas d'un principe,
qu'on parle d'un texte constitutionnel, mais il n'y aura pas de surprise quant
à la substance de l'entente que nous avons conclue.
Ce qui ressort de toutes ces discussions depuis trois semaines, c'est
qu'il y a deux séries d'opposants. D'abord les partisans de l'isolement
du Québec, chez ceux qui priment la crainte, la peur, le repli
plutôt que la confiance dans l'avenir et la conquête par le
Québec ou les Québécois dIl y a également, comme
autre série d'opposants, ceux qui favorisent ou ont toujours
favorisé la centralisation canadienne alors que, dans une
période, comme on le dit ou comme on l'a répété
très souvent, de forces économiques plutôt
centripètes étant donné l'intégration
économique, nous devons, au niveau social ou culturel, normalement et
logiquement tenir compte de la justification d'avoir un mouvement de forces
centrifuges. C'est pourquoi
nous n'acceptons pas les arguments, à cet égard, des
partisans de la centralisation.
Les Québécois, y compris le chef de l'Opposition,
probablement, auraient souhaité que nous puissions obtenir davantage.
C'est normal. C'est logique. C'est une option qui se comprend. Dans toute
négociation, on essaie d'obtenir davantage. J'entendais, durant la
commission parlementaire, un chef syndical pour qui j'ai beaucoup d'estime, M.
Louis Laberge, qui disait: Pourquoi ne pas continuer de négocier?
Pourquoi ne pas essayer d'obtenir plus? Il faut tenir compte du rapport de
forces; il faut tenir compte de la situation. La FTQ a tenu compte, durant la
dernière négociation, de la loi 37 qui avait été
établie par l'ancien gouvernement et qui interdisait la
négociation pour la deuxième et la troisième année.
Lorsqu'un syndicat obtient - même si on ne peut pas comparer, d'aucune
façon, ce qui se passe dans le domaine constitutionnel et dans le
domaine syndical, je me réfère à cet exemple puisqu'il a
été soulevé par M. Laberge qui invoquait la pratique
syndicale -toutes les demandes qu'il présente à son partenaire,
je pense bien qu'il y a de bonnes chances qu'il accepte de signer.
Alors, j'admets qu'il aurait pu être souhaitable d'obtenir plus
à la première ronde, mais nous avons obtenu ce que nous avons
demandé. Nous avons été élus, je le
répète, sur cinq demandes et c'est faux de dire que jamais le
Québec n'a demandé si peu. Je comprends qu'un journaliste ait pu
l'écrire, c'est l'un des meilleurs journalistes que je connaisse, M.
Graham Fraser. Je comprends que, dans l'analyse d'un texte de journal l'on
puisse faire ce genre de commentaire, comme il disait, ce matin, que, par
exemple, j'aurais fait des confidences, jeudi soir dernier, au chef de
l'Opposition; je ne m'en souviens pas.
M. Johnson (Anjou): Non.
M. Bourassa: Non. Pas jeudi soir dernier.
M. Johnson (Anjou): Pas jeudi soir dernier.
M. Bourassa: Donc, le même journaliste s'est trompé
sur ce point. Ce que je dis au chef de l'Opposition, c'est qu'on ne peut pas
invoquer un propos, un commentaire d'un journaliste pour répéter
constamment, comme le fait le chef de l'Opposition, que jamais nous n'avons
demandé si peu. Je demande au chef de l'Opposition d'examiner les faits,
ce que le Québec a demandé en 1964 et ce qu'il a demandé
en 1971. J'étais là, je représentais le Québec, je
ne me souviens pas qu'on ait demandé, dans le domaine de l'immigration,
des pouvoirs aussi importants qu'on en demande ici. Je reviendrai sur la
question de l'immigration. Oui, mais pour les pensions, pour la
sécurité sociale, on a demandé également le pouvoir
de dépenser, cette fois-ci.
En 1985, je comprends que le chef de l'Opposition - on me permettra
d'expliciter un peu plus étant donné qu'il était en cause
- a fait 23 demandes, mais il n'a jamais dit, alors qu'il était premier
ministre ou ministre de la Justice, quelles demandes allaient pour la
première ronde et lesquelles allaient pour la deuxième. Je me
souviens très bien que le premier ministre, son
prédécesseur, M. Lévesque, avait dit: II y a une condition
préalable, la reconnaissance du peuple québécois dans le
préambule ou dans un article de la constitution, ce n'était pas
spécifié. Je me souviens de cela. M. le Président, je
permettrai au chef de l'Opposition de me poser des questions tantôt;
d'ailleurs, je préfère qu'on puisse dialoguer. Mais, je m'en
souviens très bien, je pourrai citer au chef de l'Opposition la
déclaration que le chef a faite. C'est, d'ailleurs, écrit dans le
texte comme tel: La reconnaissance de l'existence du peuple
québécois constitue un préalable essentiel, une
condition.
Une voix: Oui, oui.
M. Bourassa: M. le Président, je dis au chef de
l'Opposition que je ne mentionne pas que c'était uniquement dans le
préambule; j'ai toujours dit que cela pouvait être dans le
préambule ou dans la constitution; ce n'était pas
mentionné si c'était dans l'un ou dans l'autre. Ce que je dis au
chef de l'Opposition, c'est que le premier ministre du temps - je tiens
à rétablir les faits durant quelques minutes - avait dit: Une
condition essentielle, c'est cette reconnaissance du peuple
québécois. On n'avait aucune indication, en 1985, sur les autres
conditions qui auraient pu faire partie de la première ronde. J'aimerais
bien, s'il reste quelques minutes de disponibles pour parler de l'histoire
récente, entendre les propos du chef de l'Opposition là-dessus:
aucune indication sur les conditions de la première ronde. Alors, il est
temps de détruire ce mythe, constamment répété par
le chef de l'Opposition, que jamais le Québec n'a demandé si peu.
On n'a qu'à examiner les faits.
Les cinq points de la proposition du gouvernement du Québec. Ce
matin, le Parti québécois, riche d'une forte caisse
électorale, émet des messages à la radio. Messages du PQ
sur les accords. On me permettra de le lire pour pouvoir le réfuter sans
frais. Voici un message du Parti québécois: "Le premier ministre
Robert Bourassa est pressé de siqner l'accord constitutionnel du lac
Meech. Pourtant, cet accord ne donne au Québec aucune garantie quant
à la protection de la langue française." On y reviendra.
"Pourtant,
cet accord ne donne au Québec aucun pouvoir nouveau."
Celle-là, c'est la meilleure. "Alors, pourquoi signer cet accord
etc?"
M. le Président, on va profiter de cette occasion pour
répondre sereinement et logiquement aux affirmations gratuites du chef
de l'Opposition. L'immigration. J'ai insisté en fin de semaine sur la
question de l'immigration. Je n'ai pas besoin d'expliciter longtemps. Quand on
voit les taux de natalité qui ont été rendus publics: le
Québec, 1,4 % - seule l'Allemagne fédérale qui a le record
historique dans les taux de natalité les plus bas au monde, est plus
basse que le Québec - le reste du Canada, 1,7 %, est-ce qu'on ne doit
pas conclure sur le plan historique, sur le plan de notre responsabilité
comme société, comme gouvernement et comme Parlement -
l'Opposition fait partie du Parlement - à l'urgence, même pas
à la nécessité, à l'urgence dramatique de
récupérer le maximum de pouvoirs dans le domaine de l'immigration
pour essayer d'enrayer cette chute de notre natalité qui met en cause
l'existence de notre société? Une préoccupation
existentielle du Québec. Je crois que, il y a deux ans, quand les
militants du Parti libéral ont inscrit dans nos cinq demandes celle sur
l'immigration, ils ont fait preuve à ce moment de beaucoup de vision en
insistant, parmi 20, 30, 40 conditions, sur celle de l'immigration. Or, nous
allons chercher des pouvoirs importants. Je pourrais citer Claude Morin qui
admet lui-même, qui l'a admis ici, et M. René Lévesque. Le
chef de l'Opposition l'a peut-être fait - je ne me souviens pas -
lui-même, c'est possible. Il a ses moments de lucidité que
j'apprécie toujours. On doit constater jusqu'à quel point c'est
important dans le contexte actuel. C'est vrai qu'on a l'entente Cullen-Couture.
Le chef de l'Opposition va dire: On l'a déjà en pratique, mais on
va chercher des pouvoirs additionnels. Il y a une récupération de
fonds. Ne vous imaginez pas que c'est facile, que c'est l'euphorie dans la
bureaucratie fédérale. La récupération de fonds
qu'on a, de services qu'on va donner dans le domaine de l'immigration:
l'intégration, la formation, la sélection. Je voudrais insister
particulièrement étant donné la situation dramatique qu'on
a dans le domaine de la natalité sur cette question de l'immigration.
Dire qu'on ne va chercher aucun pouvoir additionnel je dis tout simplement que
la propagande du Parti québécois est un mensonge pur. Cela ne
peut pas être plus clair.
Pouvoir de dépenser, M. le Président. Cela fait presque un
siècle que le gouvernement fédéral utilise son pouvoir de
dépenser. Un siècle que, à plusieurs reprises selon le
rapport de forces existant entre les provinces et le gouvernement
fédéral, on utilise ce pouvoir de dépenser. Il fallait
trouver une façon de le limiter. Il fallait trouver une façon
d'empêcher que ne se poursuive cette situation où on impose des
normes et des critères de programmes nationaux qui ne sont pas toujours
conformes aux priorités du Québec. Cela fait au moins des
décennies, et particulièrement depuis 25 ans, que nous avons ces
batailles pour la récupération du pouvoir de dépenser. (17
heures)
Nous avons obtenu un droit de retrait constitutionnalisé. Pour
obtenir un droit de retrait constitutionnalisé, il fallait mentionner
dans la constitution le pouvoir de dépenser. Nous ne pouvions pas
obtenir ce droit de retrait sans mentionner l'existence du pouvoir de
dépenser. Je voudrais dire à ce sujet, comme je le disais hier,
que jamais aucun gouvernement n'a contesté ce pouvoir de dépenser
devant les tribunaux. Le gouvernement qui nous a précédés
a fait des batailles très serrées. Je me souviens des batailles
du chef de l'Opposition dans le cas de C-3 sur la question des programmes de
santé, mais jamais on n'est allé devant les tribunaux.
Donc, on devra admettre que ce n'est pas facile d'écrire un texte
juridique sur le pouvoir de dépenser quand on n'a jamais eu de cause
reliée à ce pouvoir portée devant les différents
gouvernements. Il reste que ce pouvoir de dépenser, là aussi, on
peut le relier à la question de la natalité. On sait qu'on parle
beaucoup, depuis quelques mois, de programmes nationaux dans le cas de
garderies, notamment, ou dans le cas d'autres programmes sociaux. Nous voulons
obtenir cette flexibilité; c'est cela que nous avons obtenu et c'est ce
que les textes juridiques devront exprimer. Nous ne voulons pas de normes et de
critères; c'est cela que j'ai dit au lac Meech, c'est ce qui a
été accepté et c'est ce qui devra se retrouver dans les
textes juridiques pour qu'ils soient acceptés par l'ensemble des
gouvernements qui ont accepté le principe.
Nous ne voulons pas nous retrouver, par des astuces juridiques qui ne
sont pas toujours prévisibles, devant une situation où on
pourrait utiliser certains termes généraux qui ont
été acceptés au niveau des principes, mais qui, au niveau
strictement juridique, peuvent être polyvalents. Nous ne voulons pas nous
retrouver avec des astuces juridiques qui nous placeraient devant des normes et
des critères pour empêcher le gouvernement du Québec
d'avoir cette flexibilité dans les politiques familiales, par exemple,
qui nous permettraient de relever le défi démographique. Tant
dans l'immigration que dans le pouvoir de dépenser, nous pouvons
retrouver là des outils indispensables, essentiels, vitaux pour faire
face au défi le plus aigu de notre société pour la
prochaine génération, le défi démographique. Nous
avons quatre ou cinq
ans devant nous pour renverser cette tendance.
Troisième aspect, M. le Président, la
société distincte. Je trouve que c'est très important,
très conséquent. Le chef de l'Opposition dît: Ce n'est pas
assez précis, c'est trop vague. C'est vrai que, à cet
égard - je l'admets volontiers - il est un grand connaisseur, son
idée d'affirmation nationale est un chef-d'oeuvre de précision.
En passant, il n'en parle pas beaucoup, de cette affirmation nationale, depuis
quelques semaines. Je dis au chef de l'Opposition que cette affirmation que le
Québec est une société distincte avec le rôle de
promouvoir et de protéger son caractère distinct, cela constitue
un gain historique. Combien d'experts l'ont affirmé?
Je regardais l'émission intéressante de vendredi soir
dernier. J'entendais M. Fortier, M. Beaudoin et d'autres mentionner
l'importance... Yves Fortier, quand même, c'est un avocat qui a
plaidé devant la Cour suprême, c'est un avocat de grande
réputation, et combien d'autres. M. Daniel Turp qui, je crois, est
l'élève de M. Jacques-Yvan Morin. Je n'ai pas l'intention de
citer parce que c'est trop facile de citer hors contexte, mais celle-là,
je crois que je ne pourrais pas y résister. Daniel Turp, qui
accompagnait M. Jacques-Yvan Morin. Est-ce que je peux citer sa
déclaration, M. le Président? Oui: "II faut savoir gré
à l'actuel gouvernement du Québec d'avoir su convaincre ses
partenaires de la Fédération canadienne de consacrer le
caractère distinct du Québec dans la constitution du Canada et
d'avoir ainsi réussi à faire reconnaître le droit à
l'autodétermination du Québec". Voilà l'alter ego, le
sosie intellectuel de M. Jacques-Yvan Morin qui arrive et qui dit à
l'Assemblée nationale que la reconnaissance de la société
distincte, selon lui - c'est un juriste éminent qui a été
invité, je crois, et qui a travaillé pour le Parti
québécois, qui a été consultant pour le Parti
québécois dans cette commission parlementaire, en tout cas, son
maître l'a fait - cela se trouve à faire reconnaître le
droit à l'autodétermination du Québec. Je ne sais pas si
le chef de l'Opposition va assister à l'assemblée de ce soir au
Plateau, à Montréal, mais je lui suggère de citer cette
déclaration de M. Turp, pour favoriser la sérénité
du climat.
Ce que je dis... Je répondrai au chef de l'Opposition, j'ai
réservé une période de questions et je souhaite vivement
qu'il m'en pose. Pour ce qui a trait à la société
distincte, nous avons examiné tous les avis juridiques qui nous ont
été donnés de la part des doyens, des bâtonniers et
ils concordent, pour la plupart, sur l'importance de cette disposition. C'est
vrai qu'on ne récupère pas l'article 133, c'est vrai qu'on ne
récupère pas la "clause Canada" sur le plan des pouvoirs
législatifs du Québec, c'est vrai. Il y a des dispositions dans
l'article 23.2 pour lesquelles le Parti libéral a déjà
émis des réserves. Étant donné les
possibilités d'échappatoire, on a fermement l'intention, à
la deuxième ronde, de discuter de cette question. Mais il reste que nous
obtenons un gain énorme. Nous n'obtenons pas tout, mais nous obtenons un
gain énorme.
La clause "nonobstant", le chef de l'Opposition n'en parle plus. Il
s'inquiète, il proclame son angoisse vis-à-vis de la question de
l'affichaqe, mais la clause "nonobstant" demeure dans la constitution. On n'a
qu'à se souvenir des propos de M. Mulroney et de M. Marcel Masse, au
mois de décembre dernier, qui sont venus au Quéhec et qui ont
dit: II ne faut pas qu'il y ait de recul linquistique au Québec. On se
souvient des affirmations de M. Mulroney et de M. Masse à cet effet.
Donc, dans la disposition de la société distincte, il est
évident qu'on n'entame pas les pouvoirs du Québec pour nous
protéqer dans des questions comme celle de l'affichage. Il me semble que
c'est clair. L'article 33 demeure dans la constitution. C'est cela que je veux
exprimer au chef de l'Opposition. Quand il dit que le concept est une coquille
vide, il y en a d'autres qui disent: C'est une invitation au
séparatisme. Lui, il prend l'autre extrême, un point de vue
d'extrémiste, si je puis dire, au bon sens du terme, sur le plan
idéologique.
Pour ce qui a trait à un amendement, ce que le chef de
l'Opposition décrit généreusement comme des amendements de
fond de tiroir, je lui dis, comme je l'ai dit, que, même si nous sommes
convaincus que nous n'affaiblissons pas le Québec par la clause sur
cette société distincte, on est prêt à examiner...
En lisant le texte, on s'aperçoit que le Québec est
mentionné: "L'interprétation de la constitution du Canada doit
concorder avec la reconnaissance que l'existence d'un Canada francophone - on
parle d'un Canada francophone - concentré, mais non limité au
Quéhec..." Donc, on parle dans la clause de la société
distincte de la reconnaissance d'un Canada francophone concentré mais
non limité au Québec. Donc, on en parle déjà, de la
culture française. On est prêt à considérer un autre
ajout, mais à une condition: en acceptant des représentations de
gens très compétents dans leur secteur, on ne veut pas prendre le
risque que, dans 15 ou 20 ans, les institutions économiques du
Québec et son système social qui est distinct puissent être
affectés parce qu'on aurait affaibli le caractère distinct de nos
institutions économiques et sociales en spécifiant le secteur
culturel. Je pense bien que le chef de l'Opposition me suit là-dessus.
Des écrivains, des artistes, des politicoloques, des sociologues, des
politiciens sont venus pour dire: II faut ajouter un élément sur
la culture française, même s'il existe déjà dans
le texte, comme je l'ai mentionné. On me permettra, comme chef du
gouvernement qui a à assumer dans cette question-là une
énorme responsabilité historique, puisqu'on parle de textes
constitutionnels, puisqu'on parie de textes juridiques, d'accorder une
attention spéciale aux juristes, d'accorder une attention
spéciale aux experts juridiques. Parce que nous aurions voulu
satisfaire, dans une situation conjoncturelle, des personnalités
québécoises de très bonne foi, mais non
spécialisées dans ce secteur, il pourrait arriver en faisant
cette concession que nous puissions affaiblir le Québec dans ses
institutions économiques. Je pense, notamment, à la Caisse de
dépôt qui est l'une des forces du Québec, la Caisse de
dépôt qui, comme on le sait, M. le Président, a permis au
Québec de relever le défi au plan économique. S'il y avait
une cause éventuellement sur cette question-là, c'est un
élément distinct du Québec, je ne voudrais pas que nos
avocats soient affaiblis en disant: On parlait sur le plan culturel.
M. le Président, j'ai parlé plus longtemps que d'habitude.
J'avais plusieurs autres choses à dire, mais je crois qu'il me reste
encore quelques minutes dans l'autre demi-heure. Je vais, avec le plaisir
habituel, laisser la parole à mon honorable ami, le chef de
l'Opposition.
Le Président (M. Filion): Je redonne la parole à un
membre de l'Opposition, M. le député de Gouin.
M. Jacques Rochefort
M. Rochefort: Merci, M. le Président. Je soulignerais
amicalement au premier ministre, qui semble vouloir ici jouer au maître
de cérémonie, que ce serait peut-être plus utile qu'il joue
au maître de cérémonie dans ses négociations avec
ses collègues des autres provinces et du gouvernement
fédéral.
M. le Président, l'objectif que visent et qu'ont toujours
poursuivi l'ensemble des forces vives du Québec, dans ces relations
fédérales-provinciales, dans ces négociations
constitutionnelles que nous avons connues particulièrement au cours des
trente dernières années, l'objectif poursuivi par tous les
gouvernements, quelle que soit leur couleur ou leur allégeance
politique, cela a toujours été de faire en sorte que le
Québec ait plus de pouvoirs qu'il en avait et qu'il en a toujours
à l'intérieur du régime fédéral actuel, que
le Québec ait plus de pouvoirs pour se développer, plus de
pouvoirs pour progresser, plus de pouvoirs pour évoluer, plus de
pouvoirs pour avancer; en somme, plus de pouvoirs pour réussir comme
peuple distinct. Et, M. le Président, plus de pouvoirs pour
réussir comme peuple distinct, cela prenait donc des pouvoirs distincts,
des pouvoirs qui sont entre les mains des autres provinces canadiennes. C'est
ce qui a été l'essence, c'est ce qui a été le
fondement même de toute l'évolution qu'a connue le dossier
constitutionnel au cours des trente dernières années au minimum,
que ce soient les commissions d'enquête, les qroupes de travail, ces
multiples conférences fédérales-provinciales. Même
au référendum, le oui voulait tous les pouvoirs et le non voulait
plus de pouvoirs. D'ailleurs, M. le Président, c'est l'ex-premier
ministre fédéral, M. Trudeau, qui nous a dit qu'un non voudrait
dire un oui massif à plus de pouvoirs pour le Québec. Et,
aujourd'hui, on se retrouve avec l'entente du lac Meech qui est une sorte
d'aboutissement à ces trente années de relations, de
négociations, de débats constitutionnels Québec-Ottawa,
Québec-Canada. On se retrouve avec absolument rien, rien de plus que ce
que nous avions déjà, que ce qui était déjà
dans notre lot de pouvoirs. On se retrouve avec rien de plus alors
qu'effectivement, si on l'avait voulu, nous aurions pu obtenir plus parce que
nous avons, cette fois-ci, un pouvoir de négociation, un rapport de
forces pas très fort, pas très important, mais on en a un. C'est
peut-être, d'ailleurs, le dernier que nous avons et on se retrouve dans
une situation où on ne l'a même pas utilisé. Le premier
ministre du Québec, effectivement, n'en a pas eu; il n'a pas
demandé de nouveaux pouvoirs. Ce n'est pas surprenant que personne ne
souhaite nous en donner, il n'en a pas demandé. (17 h 15)
Devant les demandes répétées des experts, des
groupes, des individus qui se sont présentés ici ou qui ont
participé aux débats dans notre société et qui
demandent plus de pouvoirs, qui manifestent un intérêt pour que le
gouvernement du Québec demande plus de pouvoirs, obtienne plus de
pouvoirs, le premier ministre a trouvé une réponse passe-partout
devant ça. Ah! ça, vous savez, vous avez bien raison, ça
prend plus de pouvoirs, on va en discuter à la deuxième ronde.
À l'écouter parler, chaque fois qu'il me parle de la
deuxième ronde, j'ai l'impression que la deuxième ronde va durer
sûrement plusieurs années. Mais, encore là comme c'est trop
souvent le cas de la part du premier ministre, la deuxième ronde, pas
dans ses discours, pas dans ses paroles qui sont de la nature des promesses
électorales qu'il nous fait d'une élection à l'autre...
Que nous dit le texte de l'accord du lac Meech sur cette deuxième ronde?
Dans la deuxième ronde, on va discuter de réforme du
Sénat. On sait bien que c'est pour faire plaisir à l'Ouest
canadien. Deuxièmement, on va y parler des pêches. C'est pour
faire plaisir aux qens des Maritimes. Troisièmement, toute autre
question dont on aura convenu.
J'espère que le premier ministre - je le vois tenter d'amocer une
réponse - n'essaiera
pas de nous dire que toute autre question dont on aura convenu,
ça renfermera tous ces nouveaux pouvoirs dont il a parlé au cours
de la commission. On sait bien que dans toutes les conférences
fédérales-provinciales au niveau ministériel ou au niveau
des premiers ministres, tout ce dont on aura convenu, c'est uniquement ce qui
aura fait l'objet d'un accord unanime de la part de tous les membres pour en
discuter. Et on sait qu'après avoir fermé le dossier comme le
premier ministre tente de le faire actuellement il n'y aura pas d'accord. On ne
conviendra pas au Canada de faire en sorte qu'on discute de ces pouvoirs... En
ce sens-là, quand le premier ministre dit aux autochtones qu'on pourra
discuter de leurs pouvoirs à l'occasion de cette deuxième ronde,
quand le premier ministre et le ministre disent aux agriculteurs qu'on
discutera de la répartition des pouvoirs dans le domaine de
l'agriculture à la deuxième ronde, quand il dit aux
représentants des centrales syndicales reliées au monde de
l'éducation qu'on discutera des pouvoirs en éducation, des
pouvoirs en communication lors de cette deuxième ronde, c'est tromper la
population. Si le Québec veut obtenir plus de pouvoirs - et j'ai la
conviction profonde que les Québécois n'accepteront un accord
constitutionnel que dans la seule mesure où ils obtiendront plus de
pouvoirs - c'est maintenant qu'il faut discuter, qu'il faut négocier,
qu'il faut demander et obtenir plus de pouvoirs. Le Québec appuiera le
premier ministre s'il s'en va dans cette négociation pour obtenir plus
de pouvoirs parce que c'est ce que les Québécois ont toujours
voulu et c'est ce qu'ils veulent aujourd'hui plus que jamais dans le
passé. Plus parce qu'on est capable de plus et qu'on a besoin de plus
pour réussir comme peuple. Merci.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le
député de Gouin.
La parole est toujours du côté de l'Opposition. M. le
premier ministre.
M. Bourassa: Oui, d'accord. C'est juste parce que je voudrais
suggérer au chef de l'Opposition, en tenant compte du temps, que s'il a
des questions à me poser, parce qu'il a dit qu'il voulait me poser des
questions, je ne voudrais pas que cela se termine sans qu'il me pose ses
fameuses questions.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je vois venir le
premier ministre qui, je comprends, devait être absent de nos travaux,
mais peut-être que s'il avait été ici, ou, en tout cas, si
les résumés qu'on lui en donne - ce qui est normal, il a des
attachés politiques qui sont là pour ça - avaient
été un peu mieux faits, il se serait peut-être rendu compte
que j'ai posé un certain nombre de questions auxquelles son ministre a
refusé de répondre et je ne voudrais pas qu'il prenne mon temps
de parole pour y répondre. Je n'aurais pas d'objection à ce que,
dans ses 25 dernières minutes, il... Je lui poserai un certain nombre de
questions à la fin de mon exposé et je suis sûr qu'il
prendra les 20 dernières minutes pour nous faire ça.
M. Bourassa: Qu'il prenne sur mon temps.
M. Johnson (Anjou): Oui, ça me fera plaisir plus tard.
M. Bourassa: Qu'il prenne des questions sur mon temps mais je
veux qu'il me pose...
M. Johnson (Anjou): Oui, sûrement, mais je lui
permettrai...
M. Bourassa: II passe son temps à dire: Je veux lui poser
des questions. Qu'il les prenne à même mon temps.
Le Président (M. Filion): M. le premier ministre, nous
sommes toujours à l'intérieur de l'enveloppe de l'Opposition. Je
crois comprendre que vous offrez une partie de votre enveloppe...
M. Bourassa: Oui.
Une voix: On ferait l'échange de questions-réponses
sur les 30 minutes qui nous restent.
Le Président (M. Filion): ...de temps qui commencera
tantôt, lorsque t'enveloppe du temps de l'Opposition sera
épuisée.
M. Bourassa: Bien, je veux dire...
M. Johnson (Anjou): On peut peut-être faire ça tout
de suite. Si le premier ministre veut que je lui pose quelques questions tout
de suite, sur son temps, c'est très gentil.
M. Bourassa: Oui. Il ne faudrait pas qu'il prenne quinze minutes
pour les questions. Il ne faudrait pas qu'il prenne tout le temps pour les
questions.
M. Johnson (Anjou): Ha! ha! ha! Seriez-vous en train de reculer,
là?
M. Bourassa: Non, non, pas du tout. Je n'ai pas cette habitude
qu'on retrouve ailleurs. Ce que je vous dis, c'est que, si le chef de
l'Opposition, pour éviter mes réponses, prolonge indûment
ses questions, je suis prêt à lui donner...
M. Johnson (Anjou): Non, non, non. Je promets au premier ministre
que... S'il le veut, on peut prendre dix minutes.
M. Bourassa: Oui, le tiers de mon temps pour ses questions.
Le Président (M. Filion): Immédiatement?
M. Johnson (Anjou): Immédiatement? M. Bourassa:
À son choix.
Le Président (M. Filion): Vous en convenez ensemble, les
deux groupes.
M. Johnson (Anjou): J'en conviens tout de suite.
Le Président (M. Filion): D'accord. Donc, sur le temps du
parti ministériel.
M. Johnson (Anjou): Le secrétariat, je présume, va
mettre en marche son troisième chronomètre.
Bien oui, j'aurais des questions pour le premier ministre. La
première question, c'est: Est-ce qu'il considère que le peuple
québécois a le droit de s'autodéterminer?
M. Bourassa: M. le Président, une autre fois, le chef de
l'Opposition fait un drame avec cette question. Je suis d'accord avec le
ministre quand il n'a pas voulu répondre, parce qu'il suivait la
procédure. Mais tous ceux qui ont participé au
référendum en 1980, y compris le chef de l'Opposition - je crois
que je devais avoir un débat avec lui et finalement il avait
refusé, mais cela est du passé... Tous ceux qui ont
participé au référendum se trouvent à admettre le
droit à l'autodétermination.
Moi-même, j'ai participé au référendum contre
Pierre Bourqault, contre Jacques Parizeau, contre Bernard Landry et contre
beaucoup d'autres. Je ne vois pas pourquoi le chef de l'Opposition fait tout un
plat. Lui-même a dit au mois de mai 1985 qu'il ne voulait pas inscrire -
je lui donne la réponse qu'il a donnée à ceux qui lui
posaient cette question...
M. Johnson (Anjou): Donc, il est d'accord.
M. Bourassa: Non. Laissez-moi répondrel Je comprends que
cela commence à vous embêter quand je vous cite. Non, non.
Laissez-moi vous répondrel Vous avez dit, vous-même, M. le chef de
l'Opposition, quand on vous a posé cette question en mai 1985: Ce n'est
pas nécessaire de le mettre dans les 23 demandes. Alors, je
réponds exactement ce que vous avez dit. Vous avez dit: Ce n'est pas
nécessaire de le mettre dans les 23 demandes. Il existe en fait, on l'a
exprimé le 20 mai 1980. Je ne vois pas pourquoi le chef de l'Opposition
fait tout un piat, quand tous ceux qui ont participé au
référendum en 1980 se sont trouvés à admettre le
droit du Québec à s'autodé-terminer, ce qu'a
répondu le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Donc, le premier ministre me dit que, lui,
comme premier ministre du Québec, comme chef du gouvernement, est
d'accord avec l'affirmation que je fais que le droit à
l'autodétermination du peuple québécois existe et qu'il
n'est pas affecté par la signature d'une éventuelle
résolution constitutionnelle avec l'ensemble canadien.
M. Bourassa: Je suis un peu estomaqué des questions du
chef de l'Opposition, parce que je viens de lui citer M. Turp.
M. Johnson (Anjou): Je lui demande juste un oui ou un non. Mais
est-ce que vous êtes d'accord avec cela? Ce que je demande au chef du
gouvernement, c'est tout simplement si lui est d'accord.
M. Bourassa: Oui, mais le chef de l'Opposition peut-il me laisser
répondre? Je lui ai cité M. Turp qui disait que la reconnaissance
de la société distincte équivalait à cela. Ses
propres conseillers le disent eux-mêmes. Ce que je dis, c'est que la
question du chef de l'Opposition, il en fait un drame, c'est un faux
débat. Étant donné qu'il y a... M. le Président,
j'ai évidemment une déclaration du chef de l'Opposition ici
à l'Assemblée nationale. M. Johnson a fait savoir que le
Québec ne réclamera pas le droit à
l'autodétermination. Selon lui, le Québec l'a déjà,
ce droit. Il l'a exercé au moins à deux reprises, lors de son
adhésion à la Confédération en 1867 et lors du
référendum de mai 1980. Le droit du peuple
québécois à l'autodétermination constitue un des
fondements mêmes de notre société sur le plan
constitutionnel depuis 200 ans et cela continuera. Il a dit lui-même que
cela existe déjà, qu'on n'a pas besoin de l'inscrire. Est-ce
qu'il a renié ses paroles?
M. Johnson (Anjou): Non. M. Bourassa: Ah! D'accord.
M. Johnson (Anjou): Je veux m'assurer que, dans la mesure
où le premier ministre a eu la qentillesse de m'offrir ces dix minutes
d'échange exceptionnel avec lui dans la vie de notre Parlement depuis
deux ans, il réponde, car je pensais qu'il répondrait. Alors, lui
dit oui, nous avons le droit à l'autodétermination, en tant que
premier ministre.
M. Bourassa: Je réponds par...
M. Johnson (Anjou): Non, non. Je ne
vous demande pas de répondre par un article de journal. Je vous
dis vous, comme premier ministre du Québec, comme chef de l'État
québécois, au moment où le Québec s'apprête
à aller signer, considérez-vous que le peuple
québécois a le droit de s'autodéterrniner?
M. Bourassa: M. le Président...
M. Johnson (Anjou); Je le demande au chef du gouvernement.
M. Bourassa: ...je ne voudrais pas que le chef de l'Opposition
continue à "farfiner" sur cette question. Je lui réponds
exactement ce qu'il a lui-même répondu à cette question en
janvier 1985.
M. Johnson (Anjou): Bon. Vous êtes d'accord avec moi,
à savoir que le Québec a le droit de s'autodéterminer.
Merci.
M. Bourassa: Le chef de l'Opposition dit: On l'a exercé
notre droit en 1867 et en 1980.
M. Johnson (Anjou): Deuxièmement, est-ce que le premier
ministre considère que, dans la deuxième ronde, les droits des
autochtones, l'agriculture, l'éducation en fonction de l'article 93, les
communications, le resserrement de l'article 23, les questions relatives
à l'emploi ainsi que... Bien voilà! C'est déjà une
partie de la liste. C'est parce qu'au cours de nos échanges son ministre
a eu l'occasion de dialoguer avec chacun des groupes et, à chacun des
groupes qui expliquait que le Québec avait besoin de régler un
certain nombre de problèmes concrets, lui disait oui, cela va se faire
dans la deuxième ronde.
Je voudrais demander au premier ministre de nous dire si, dans la
deuxième ronde, les autochtones, l'agriculture, l'éducation, les
communications, le resserrement de l'article 23, les questions d'emplois seront
abordés.
M. Bourassa: Nous allons établir une priorité. J'ai
dit que nous avons choisi cinq demandes qui nous paraissaient
justifiées. Immigration, je l'ai mentionné, société
distincte, pouvoir de dépenser. Je parlerai peut-être tantôt
au cours des 20 minutes qui vont me rester de la récupération du
droit de veto. Il fallait le récupérer le droit de veto. On
l'avait perdu. Le chef de l'Opposition, dans sa publicité
mensongère, effrontément mensongère pour la population du
Québec - jamais on ne peut trouver un exemple aussi condamnable pour
tromper la population, mentir à la population - alors qu'on
récupère le droit de veto, dit qu'on ne va pas chercher de
pouvoirs additionnels.
La question du Sénat. En 1981, on ne parlait pas d'avoir un droit
de veto pour le
Sénat. Quand on sait que la réforme du Sénat peut
chambarder le partage des pouvoirs dans le système
fédéral! Ce que je dis au chef de l'Opposition, forcément,
si on change les pouvoirs du Sénat, M. le Président, on se trouve
à changer les pouvoirs de la Chambre des communes. Vous n'avez pas vu
cela. Cela ne m'étonne pas. Ce que je dis, c'est que la
récupération du droit de veto, la Cour suprême, la
société distincte, le pouvoir de dépenser, l'immigration,
c'étaient nos cinq priorités. Pour la deuxième ronde, nous
allons examiner les priorités. Je crois que la question de la langue -
je parlais de 23.2, il y a quelques minutes - sera une priorité dans la
deuxième ronde. On ne perd pas notre rapport de forces parce qu'on
réintègre le Canada. Tantôt le député de
Gouin, et cela m'étonne dans son affirmation, probablement qu'il n'a
peut-être pas saisi toutes les implications de ce qu'il disait, a dit:
C'est la dernière fois. On n'en aura plus. Si on n'en aura plus, c'est
le temps de saisir l'occasion pour avoir les meilleurs avantages possible.
Je dis au chef de l'Opposition que, dans la deuxième ronde, nous
allons examiner nos priorités. Dans le domaine économique, toutes
les demandes qui ont été faites par le chef de l'Opposition,
alors qu'il était premier ministre, sans qu'il nous spécifie,
lui, ce qui faisait partie de la première et la deuxième ronde...
C'est facile pour lui de nous demander aujourd'hui: Qu'est-ce qui fait partie
de la deuxième ronde? Qu'est-ce qui fait partie de la première
ronde? Nous, on le dit pour la première ronde. Vous, vous ne l'avez pas
dit. C'est 23, et débrouillez-vous avec cela pour ce qui est avant et ce
qui est après. Alors, je dis au chef de l'Opposition que, dans
l'état actuel du dossier, nous allons examiner les priorités,
mais que la question de la langue sera sûrement prioritaire.
M. Johnson (Anjou): Oui, mais les autochtones.
M. Bourassa: Bien, quant aux autochtones, nous avons
été présents, sauf par le chef du gouvernement, à
cette conférence constitutionnelle. Nous serons prêts, si le
Québec réintègre la constitution, et ce sera le cas avec
la confirmation de l'entente de principe, à discuter de nouveau avec nos
partenaires canadiens pour réexaminer la question des autochtones.
M. Johnson (Anjou): Alors pourquoi le premier ministre a-t-il
déclaré ce qui suit? II n'y a pas de doute que les droits et les
questions qui vous intéressent - parlant aux autochtones - seront
également discutés de même que les autres questions dont on
a traité pour la deuxième ronde constitutionnelle au lac Meech.
Je crois comprendre que
le premier ministre a donné son engagement à ce que,
pendant la deuxième ronde, on discute des droits des autochtones.
M. Bourassa: II n'y a rien de contradictoire.
M. Johnson (Anjou): Ah! bon. D'accord. C'est parce que cela ne
figure pas dans l'accord du lac Meech.
M. Bourassa: Pour les autochtones, non, parce que, M. le
Président, il faut dire au chef de l'Opposition que, s'il avait fallu...
Il y avait deux priorités, on réglait le problème du
Québec. Il y avait une priorité pour l'Ouest du Canada, la
réforme du Sénat. Ils insistaient beaucoup sur cette question. Il
y avait une priorité pour l'Est du Canada, la question des
pêcheries. Dans la deuxième ronde, je vous dis que nous sommes
prêts. Nous aurons nos priorités. Il y aura la question des
autochtones, si nos partenaires sont prêts à prendre ce dossier.
Il y aura la question de la main-d'oeuvre, qui est une question très
importante.
Mais je vous dis qu'actuellement le gouvernement du Québec a
comme priorité, dans cette deuxième ronde, la question
linguistique, la question de 23.2, par exemple.
M. Johnson (Anjou): Bien, alors si je comprends bien, pour
être dans la deuxième ronde, il faut, d'une part, passer le
premier tamis: Oui, ça va être dans la deuxième ronde.
Disons que cela s'applique pour n'importe quoi qui n'est pas dans Meech. On se
comprend bien. Deuxièmement, cela fait partie des priorités. Si
je comprends bien, 23.2 fait partie des priorités, mais les autochtones
ont-ils le privilège de 23.2 aussi ou...?
M. Bourassa: M. le Président, nous...
M. Johnson (Anjou): Ce n'est pas sûr. (17 h 30)
M. Bourassa: ...avons dans la première ronde - j'essaie
d'être clair, je comprends que c'est la fin de la journée - cinq
demandes. On n'a pas dit que, dans la deuxième ronde, on n'en avait
qu'une. On va régler la première ronde. D'ailleurs, je
m'étonne, le chef de l'Opposition, il faut qu'il soit à court de
questions. Je l'entendais à ta télévision faire de grandes
déclamations grandiloquentes et là il passe son temps à me
parler de la deuxième ronde, comme si la première ronde
était régléel Je lui dis: On va traverser la
première ronde et, après cela, on discutera de la deuxième
ronde.
M. Johnson (Anjou): Je ferai remarquer au premier ministre qu'on
est rendu à peu près à dix minutes de son temps qu'on a
pris; est-ce qu'il veut continuer? Je n'ai pas d'objection, je comprends...
M. Bourassa: Rien, on va donner un peu de répit au chef de
l'Opposition.
Des voix: Oh!
M. Johnson (Anjou): Je reviendrai et avec plaisir à part
cela.
M. Bourassa: C'est parce qu'il est rendu à la
deuxième ronde.
M. Rochefort: M. le Président, quant à nous, il y a
consentement pour poursuivre, toujours sur le temps du premier ministre, les
échanges entre le chef de l'Opposition et le premier ministre.
M. Bourassa: M. le Président, je crois...
M. Rochefort: Je sais que le premier ministre est un homme
ouvert, courageux.
M. Bourassa: M. le Président, je crois que j'ai fait
preuve d'un geste qui n'est pas fréquent en donnant au chef de
l'Opposition dix minutes de mon temps dans un débat très
important afin de lui permettre de me poser ses fameuses questions dont il
parle constamment quand je ne suis pas là.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Alors...
M. Bourassa: Alors, je veux garder quelques minutes pour
conclure.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Veut-il... On va prendre
peut-être cinq minutes du mien, s'il veut bien - on va partir le
sixième chronomètre ici en arrière, s'il consent.
M. Bourassa: Certainement, si c'est... Je ne peux pas
refuser...
M. Johnson (Anjou): Bon!
M. Bourassa: ...un tel cadeau du chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): À condition qu'il promette de me
répondre - cela est peut-être plus difficile dans ces conditions,
par exemple. Mes questions s'adressent au premier ministre et elles touchent
précisément...
M. Bourassa: La première ronde.
M. Johnson (Anjou): ...ce dans quoi on est en ce moment.
M. Bourassa: La première ronde.
M. Johnson (Anjou): Alors, ce que je vous demande, c'est de faire
suspendre le 2
juin.
M. Bourassa: Pardon?
M. Johnson (Anjou): Ce que je vous demande, c'est de faire
suspendre le 2 juin. Pourquoi? Parce que vous avez vous-même
déclaré qu'une fois que la résolution constitutionnelle va
être signée, qui enclenche le processus d'adoption par tous les
Parlements du Canada... N'avez-vous pas dit que ce n'était plus
amendable par l'Assemblée nationale? Et, dans la mesure où ce
n'est plus amendable par l'Assemblée nationale, est-ce que vous ne
pensez pas que, plutôt que de vous rendre à Ottawa signer le
papier, après cela revenir et dire "c'est cela ou rien", vous ne devriez
pas plutôt le soumettre à un débat public, ouvert,
éclairé, honnête et prendre le temps qu'il faut? Si
l'entente est si solide, cela peut tenir le temps un peu. Est-ce que vous ne
pensez pas que vous devriez soumettre les textes plutôt que cette
précipitation d'arriver à Ottawa, de signer le contrat de vente
et que nous soyons pris pour payer l'hypothèque? J'aimerais cela voir le
contrat de vente.
M. Bourassa: Alors, je suis heureux de constater que le chef de
l'Opposition revient à la première ronde et je suis heureux de
répondre à sa question.
Je n'ai pas dit en fin de semaine... Je ne peux pas dire que la loi ne
sera pas amendable; le chef de l'Opposition a été ministre de la
Justice, il a dix ans d'expérience, on n'est pas dans une dictature,
c'est une démocratie parlementaire. Il y aura donc une résolution
ou un projet de loi, possiblement un projet de loi, qui sera adopté; et
on suivra la même procédure que pour les autres projets de loi. Je
voudrais que le chef de l'Opposition m'écoute sur cette
réponse...
M, Johnson (Anjou): J'écoute attentivement.
M. Bourassa: D'accord.
M. Johnson (Anjou): J'écoute attentivement.
M. Bourassa: Si...
M. Johnson (Anjou): Cela m'arrive de pouvoir faire deux...
M. Bourassa: ...les textes juridiques -ce pourquoi nous
négocions actuellement -représentent l'entente de principe
à laquelle j'ai contribué avec l'accord de mes collègues,
des membres du caucus et de la totalité des militants du Parti
libéral au conseil général de fin de semaine - dans un
climat d'unité que je souhaite au chef de l'Opposition - si ceux-ci
confirment l'entente, il est peu vraisemblable que des amendements soient
acceptés, parce que cela confirme l'entente. Si ce n'est pas le cas,
à ce moment-là, comme je l'ai dit, on suivra la procédure
habituelle et on prendra nos responsabilités par rapport à
l'Opposition et à nos partenaires.
Mais, ce que nous faisons actuellement, c'est de vouloir
représenter dans des textes juridiques - c'est pourquoi on ne les a
pas... Comme j'aimerais pouvoir les offrir au chef de l'Opposition et avoir
cette discussion sereine et utile et, tout compte fait, plutôt
détendue sur cette question. Mais si nous discutons, aujourd'hui encore,
durant des dizaines et des dizaines d'heures... De hauts fonctionnaires du
Québec font actuellement un travail extraordinaire pour servir les
intérêts du Québec. S'ils poursuivent ces
négociations, c'est que nous voulons transposer dans des textes
juridiques l'entente. À ce moment-là, on va la voter. Je ne sais
pas si je réponds à la question du chef de l'Opposition. Les
réunions...
M. Johnson (Anjou): C'est-à-dire que vous ne
répondez pas à mon attente, c'est évident. Moi, je vous
dis: Écoutez, avant d'aller mettre votre griffe sur cela face à
dix autres premiers ministres et avant d'être pris avec un texte qui va
arriver devant l'Assemblée nationale et, à toutes fins utiles,
qui va être adopté par votre majorité, vous ne trouvez pas
que vous devriez apporter le texte avant d'aller vous engager face à
tous les autres premiers ministres du Canada et dire: C'est cela? Vous ne
trouvez pas que vous devriez venir au Québec avant?
M. Bourassa: Oui, mais ce que je dis au chef de l'Opposition - je
comprends sa question et il doit la poser - c'est que les textes...
M. Johnson (Anjou): Et vous devez y répondre.
M. Bourassa: Oui. Je viens de lui répondre. On regarde le
texte. C'est un texte tout de même qui, sans être juridique... Il
ne peut pas l'être, c'est pour cela qu'on veut clarifier des points dans
le texte sur la société distincte et le texte sur le pouvoir de
dépenser. On a écouté les représentations de la
commission parlementaire. J'ai dit l'objectif du pouvoir de dépenser.
Maintenant on veut être sûr de ne pas avoir une mauvaise surprise
par une interprétation d'un jugement de la Cour suprême dans deux,
trois ou quatre ans. Je pense que sur cela il y a total consensus entre
l'Opposition et le gouvernement. On veut avoir les textes les plus
étanches possible. Mais je lui ai dit que si ces textes - et la bataille
qu'on fait c'est probablement la bataille qu'il ferait s'il était
à ma place - représentent la substance et les principes
qu'on a décidés, bien, je me dis: Pourquoi dire au chef de
l'Opposition qu'on va les amender?
M. Johnson (Anjou): Bon, merci. Je pense, M. le Président,
que vous voulez prendre la parole et on peut, je pense, vous laisser...
Le Président (M. Filion): Non...
M. Bourassa: Est-ce qu'il me reste quelques minutes?
Le Président (M. Filion): Non...
M. Johnson (Anjou): Non, ensuite il y aura vous et ensuite il y a
moi et ensuite...
M. Bourassa: D'accord.
Le Président (M. Filion): Bref, résumons. Il reste
un peu moins d'une vingtaine...
M. Johnson (Anjou): Parce que c'est comme cela que ça
fonctionne ici. On est ici depuis deux semaines, vous comprenez!
Le Président (M. Filion): II reste un peu moins de 20
minutes sur votre enveloppe du côté ministériel, M. le
premier ministre, et 19 minutes ou quelque chose de semblable, un peu moins de
20 minutes également du côté de l'Opposition.
Le Président
Donc, aux membres de cette commission, en terminant ces longs travaux de
consultations particulières, je voudrais relever certaines choses. Je
suis d'autant plus heureux que M. le premier ministre soit avec nous parce que
j'avais plusieurs questions à lui poser. Premièrement, en ce qui
concerne le mandat. Quel mandat considère-t-il avoir obtenu de la
population du Québec pour agir de la façon dont il l'a fait et
enqager notre avenir? Le ministre délégué aux Affaires
intergouvernementales canadiennes a dit à quelques reprises au
début de la commission: Vous savez, on en a parlé pendant les
élections, mais heureusement j'ai remarqué que dans la
dernière semaine il ne le disait plus. Pendant la campagne
électorale dans mon comté, M. le premier ministre, ce dont on
parlait c'était plutôt la parité de l'aide sociale, les
rentes pour les femmes au foyer et la médecine de guerre dans les
hôpitaux. On n'a pas beaucoup entendu parler des cinq conditions. Je ne
dis pas que cela n'a jamais été mentionné-Une voix:
Et vous avez été élu. Le Président (M.
Filion): Force est, M. le premier ministre, je pense, de reconnaître,
pour n'importe quel esprit objectif, que la population n'est pas dans le coup
en ce qui concerne l'accord du lac Meech. Ceci nous a été dit de
plusieurs façons par une bonne majorité d'intervenants.
Deuxièmement, évidemment, en ce qui concerne les textes
juridiques, je pense que le chef de l'Opposition a couvert amplement cette
contrainte qui a marqué les travaux de la commission en ce sens que nous
n'avions pas de texte juridique. Étant donné les bons mots que
vous avez eus à l'éqard du caractère extrêmement
profitable de cette commission parlementaire, étant donné
également les bons mots que le ministre a eus à l'égard de
cette commission en ce sens que cela a été de bon conseil, etc.,
j'aimerais vous suggérer, dans la même lignée que le chef
de l'Opposition, si la commission parlementaire vous a véritablement
apporté ces bons conseils, ce bon éclairage, de tenir semblable
commission parlementaire avec les textes juridiques. Non pas seulement pour
nous, mais pour les intervenants qui ont dû préparer des
mémoires à la hâte, en toute précipitation et sans
même avoir le texte juridique même. Moi, en première
année de droit, j'ai appris que chaque mot était important en
droit. Mon cours accéléré de droit constitutionnel depuis
un mois me fait dire qu'en droit constitutionnel, sans être un expert
dans cela, je pense c'est d'autant plus vrai.
M. le premier ministre, nous avons entendu 20 organismes et 17 individus
durant cette commission. À cause de contraintes de temps fixées
par l'ordre de l'Assemblée nationale, nous avons dû refuser une
quarantaine de groupes ou d'organismes qui auraient aimé être
entendus et une dizaine de personnes également qui auraient aimé
être entendues. Quant au choix des personnes et des groupes, je ne
voudrais surtout pas ici porter de jugement de valeur sur les personnes qui
sont venues devant nous; les exemples que je donne sont strictement pour faire
comprendre que ce choix arbitraire qui a été exercé a
été pénible, en tout cas, vu de la présidence.
Pourquoi entendre Me Yves Fortier - ce qui fut très intéressant -
mais ne pas entendre M. François-Albert Angers? Pourquoi entendre
l'Institut politique de Trois-Rivières, mais ne pas entendre la
Fédération des associations de professeurs de l'Université
du Québec? Ce sont là des vices au niveau du processus, au niveau
de la procédure qui sont peut-être explicables politiquement, mais
qui sont sûrement injustifiables compte tenu de l'importance du dossier,
compte tenu des conséquences non seulement pour notre
génération, mais les générations à
venir.
Quelques mots sur le fond - et je demande à la secrétaire
de m'aviser lorsqu'il me restera une minute - d'abord, je pense
qu'il est clair qu'il ressort de la commission, premièrement,
qu'il n'existe aucune garantie quant à la protection linguistique des
lois québécoises; deuxièmement, aucun nouveau pouvoir
supplémentaire, aucune récupération de nouveaux pouvoirs
au sens de demandes traditionnelles et historiques du Québec;
troisièmement, dans sa facture actuelle, le pouvoir de dépenser
constitue un assujettissement net du Québec aux objectifs d'Ottawa et,
quatrièmement, en ce qui concerne la clause de la société
distincte, une étiquette sur une bouteille vide, on le sait, mais
pourquoi confier tout cela à la Cour suprême en lui demandant de
définir ce que nous sommes, en quoi nous sommes distincts?
M. le premier ministre, votre gouvernement voudrait que la population du
Québec chante Ô Canada dans l'honneur et l'enthousiasme, pour
employer l'expression du premier ministre fédéral, Ô
Canada, terre de nos aïeux, moi je veux bien, mais qu'est-ce qu'il y a
là-dedans pour nos enfants? Ce n'est sûrement pas parce que nous
avons obtenu quelques pouvoirs au niveau de la nomination des juges à la
Cour suprême, ce n'est certainement pas parce que nous confirmons, en
termes d'immigration, ce qui existe déjà depuis dix ans, ce n'est
certainement pas, bien que ce soit un actif - je l'admets - le droit de veto,
mais c'est un bien maigre repas. On peut dire Ô Canada, terre de nos
aïeux, je veux bien, mais nos enfants, M. le premier ministre, n'y
trouvent rien en termes de récupération de pouvoirs pour
permettre au Québec de se développer culturellement,
économiquement et socialement.
La parole est maintenant à M. le chef de l'Opposition.
M. Bourassa: M. le Président, est-ce que je peux
répondre à ces questions?
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je n'ai pas
d'objection, je vais terminer mon exposé et le premier ministre pourra
prendre le reste du temps, il n'y a aucun problème.
M. Bourassa: Je m'excuse auprès du chef de l'Opposition,
je dois me rendre à Gaspé - il le sait - et je voudrais savoir
combien de temps il va parler.
M. Johnson (Anjou): Je vais prendre dix minutes.
M. Bourassa: D'accord.
M. Johnson (Anjou): II n'y a pas de problème, je sais que
le premier ministre doit se rendre à Gaspé.
M. Pierre Marc Johnson
Quelques brefs commentaires à partir des propos du premier
ministre. D'abord, il qualifie les propos de Léon Dion de propos
extrémistes.
M. Bourassa: Je m'excuse, question de règlement, M. le
Président. Je n'ai pas dit que les propos de Léon Dion... Au
contraire, j'ai dit que...
M. Johnson (Anjou): Je n'ai jamais dit que la reconnaissance du
peuple québécois devait être dans le préambule de la
constitution, ce que le premier ministre a passé son temps à
répéter pendant trois semaines ainsi que son ministre ici
même.
M. Bourassa: Non, c'est faux. M. Johnson (Anjou): Bon.
M. Bourassa: J'ai dit dans l'un ou dans l'autre.
M. Johnson (Anjou): Est-ce que le premier ministre me permet dix
minutes? Je lui promets que je vais l'écouter pendant dix minutes.
M. Bourassa: Mais, M. le Président, je m'excuse...
M. Johnson (Anjou): Ce qui n'est pas porter un jugement sur ce
que je pense.
M. Bourassa: Le chef de l'Opposition déforme constamment
mes propos - je pourrais donner une dizaine d'exemples - et déforme les
faits. Quand il ne déforme pas ies faits, il peut parler en toute
liberté et en toute sérénité.
M. Johnson (Anjou): Alors, M. le Président, rapidement,
sur quelques autres propos du premier ministre. C'est la seconde fois que
j'entends M. Bourassa se réclamer des propos de René
Lévesque et je lui dirais que je suis sûr qu'il va avoir un
déjeuner intéressant, demain à midi, à Percé
ou à Gaspé, parce que, à ma connaissance, M.
Lévesque, qui avait exprimé un certain intérêt pour
la question des pouvoirs en matière d'immigration, croit que d'aucune
façon cet accord ne correspond aux besoins essentiels du Québec
et j'ai l'impression qu'il va le lui répéter demain à midi
dans une conversation privée. (17 h 45)
Quant à la clause "nonobstant", je trouve paradoxal que ce
qouvernement qui m'a fait le reproche, qui a fait le reproche à
l'Opposition, qui a fait le reproche à un gouvernement pendant cinq ans
d'avoir utilisé la clause "nonobstant" soit en train de dire:
Voilà la qrande bouée de sauvetaqe pour le Québec en
matière linguistique. J'ai entendu le ministre nous dire à cette
Assemblée
pendant des mois: II n'y a pas deux sortes de Canadiens et nous sommes
tous égaux, puis en veux-tu, en v'là, pendant des mois. Chaque
fois qu'on parlait de "nonobstant", il expliquait qu'on faisait du chantage sur
le dos du peuple et là il est en train de nous dire: Ce qui va sauver le
Québec en matière de droits linguistiques, c'est la clause
"nonobstant". Quelle cohérencel Quelle perspective! Quelle profondeur
d'analysel Quelle soliditél Cela devait être cela, l'expression
"C'est du solide". Je trouve cela quand même un peu étonnant,
alors qu'on a qualifié l'utilisation du "nonobstant" comme étant
négocier sur le dos du monde. J'ai entendu le ministre dire cela de
façon outragée, pour ne pas dire outrancière.
J'en arrive à la conclusion, normalement, que le premier
ministre, en matière d'affichage, par exemple, va faire appeler et faire
adopter le projet de loi 199 que j'ai déposé, qui prévoit
l'application de la clause "nonobstant" à l'égard de l'ensemble
des dispositions de la loi 101 qui peuvent être affectées par un
jugement. Je me dis qu'il pourrait peut-être changer d'idée dans
quelques mois. Quant au ministre, en tout cas, cela, c'est sûr; quant au
premier ministre, ce n'est pas impossible.
Vous me reprochez d'avoir passé des commentaires sur les gens de
la Révolution tranquille. Je vais vous dire le fond des choses
là-dessus, comment je le vois, comment je le ressens. Vous faites
partie, avec plusieurs autres au Québec, d'une génération
qui a fait la Révolution tranquille. Vous y avez vous-même
participé dans vos travaux à la commission politique du Parti
libéral alors que vous étiez un jeune avocat. Vous n'avez pas
été seul. Il y a bien des gens d'à peu près tous
les horizons politiques qui ont 50 ans aujourd'hui ou qui approchent de la
soixantaine qui ont participé à ces moments extraordinaires de
développement dans la vie du Québec. Moi, je considère que
ma génération en a plutôt bénéficié.
On ne peut pas prétendre l'avoir fait, sauf ceux d'entre nous qui
auraient été attachés politiques à l'âge de
20 ans. C'est arrivé dans quelques cas. Là, il y a eu le
référendum. Certains diront: C'était la mauvaise question.
Chose certaine, la réponse était là. Après cela, il
y a eu le rapatriement. Le rapatriement, ce n'est pas neutre, ça, dans
l'histoire du peuple québécois. C'est d'abord et avant tout la
conséquence du référendum. C'est aussi un plan bien
établi par les forces centralisatrices canadiennes avec, à leur
tête, Pierre Elliott Trudeau, mais d'autres gens et bien du monde
aujourd'hui qui sont dans l'appareil fédéral qui ont
travaillé sur les textes constitutionnels, Me Tellier et plusieurs
autres, qui étaient là, dans le comité du non et dans le
comité de l'unité canadienne, dans les subventions et dans la
propagande fédérale pendant la campagne
référendaire, et tout cela. Mais le rapatriement,
fondamentalement, cela a été une forme de diminution du
Québec. D'abord, son humiliation, le non-respect de la parole
donnée du premier ministre du Canada à l'égard de
l'électorat québécois, le non-respect de leur parole de
huit premiers ministres dont sept premiers ministres provinciaux, les
procureurs qénéraux, et puis l'affaiblissement du Québec,
l'affaiblissement en matière linguistique. Or, je me dis: Vous allez
aller signer là; il faut bien se comprendre. Ce ne sont pas les accords
du lac Meech que vous allez signer. Ce que vous voulez aller signer la semaine
prochaine, à Ottawa, c'est le "Canada Bill" de 1982. On se comprend
bien. En siqnant le "Canada Bill" ou l'acte constitutionnel de 1982, comme on
voudra, vous acceptez ce qui s'est passé là. Je dis qu'il y a un
contexte où cela pourrait être concevable que vous acceptiez cet
affront qui a été fait dans la mesure où le Québec
va chercher quelque chose, mais vous n'allez pas réparer le quart de la
moitié de la fraude, notamment, parce que, dans le secteur linguistique,
vous admettez l'intrusion de la constitution canadienne dans le domaine de
l'éducation sur notre territoire et, deuxièmement, parce que vous
ne faites pas en sorte que nos lois linguistiques soient à l'abri de
l'ensemble des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 du Canada qui
s'appelle la partie de la charte canadienne, dont l'article 2 sur la
liberté d'expression, l'article 6 sur la liberté
d'établissement, l'article 15 sur le droit à
l'égalité, l'article 23 en éducation et l'article 27 en
matière de multiculturalisme. Tout cela va continuer d'être dans
la constitution et ce sera plaidé régulièrement contre la
loi 101, et puis votre société distincte "nonobstante" et
peut-être parlant français, selon vos propos et les fonctionnaires
de jeudi prochain, il n'y a rien qui nous garantit que cela va protéqer
le français et la langue française. Et, surtout, aucun pouvoir
additionnel pour le Québec dans les autres secteurs ou dans d'autres
secteurs.
On veut bien nous parler de la deuxième ronde, et le premier
ministre essaie un peu de tourner en dérision le fait qu'on lui pose des
questions sur la deuxième ronde, je vais lui dire: Ce n'est pas moi qui
l'ai inventée la deuxième ronde; c'est vous qui l'avez
inventée au lac Meech.
M. Bourassa: On va régler la première.
M. Johnson (Anjou): Oui, oui. Dans la deuxième ronde, vous
avez marqué "le Sénat". Je vais vous dire qu'on va s'en payer des
joies avec cela. Vous avez marqué "le rôle et les
responsabilités en matière de pêches". Là, vous avez
mis la clause "fourre-
tout". Je la connais bien cette clause-là. J'ai été
dix ans ministre. J'en ai fait des conférences
fédérales-provinciales. Tu marques toujours cela à la fin
de tous les ordres du jour: "et toute autre question que les parties voudront
bien". Le premier ministre est en train de prétendre que la
deuxième ronde, s'il réussit celle-ci, cela va inclure les
autochtones, l'agriculture, l'éducation, les communications. Voyons
donc! Ce n'est pas de même que cela marche, et le premier ministre le
sait très bien. II le sait très bien. Je veux bien croire qu'il
m'accuse de tordre les faits, mais il y a quand même des limites. On
n'est pas des enfants d'école, on a vu neiger un petit peu. Je comprends
qu'on n'était pas là en 1970, mais on a été
là quelques années, quand même!
Ce que je vous dis, à votre génération de la
Révolution tranquille qui avez connu ces moments extraordinaires dans
notre vie collective, qui avez été témoins ou participants
de l'émergence, non pas seulement d'un nationalisme culturel, mais du
nationalisme conquérant de son espace avec un projet politique et,
aussi, de plus en plus, des préoccupations de nature économique,
je vous dis que vous n'avez pas le droit, parce que vous avez vu le
résultat du rapatriement comme conséquence du
référendum, de nous dire: Le Québec, ça appartient
à notre génération, ça, et on va fermer le
couvercle là-dessus, et cela va s'appeler les cinq conditions minimales.
Vous n'avez pas le droit de faire ça. Le Québec ne vous
appartient pas. Le Québec appartient aussi à ceux qui viennent.
Il appartient à cette génération que je vois, moi, qui a
20 ans et qui est consciente du phénomène de la
dénatalité. Il appartient à cette ouverture des jeunes
Montréalais qui vivent ce qu'est le Québec pluriethnique dans le
concret, mais qui vivent avec fierté, cependant, et avec engagement. Le
progrès du Québec, ça va se faire en français, et
il faut qu'on se donne des moyens pour que ça se fasse en
français. On ne saurait se contenter des éventuelles
interprétations possibles peut-être d'une Cour suprême dont
la démonstration historique n'a pas été qu'elle nous
favorisait de façon systématique.
L'avenir, c'est l'environnement. L'avenir, c'est, oui, des politiques
familiales mais avec des moyens, bon Dieu! Les allocations familiales, c'est le
fédéral qui les contrôle. Vous allez me dire que c'est dans
la deuxième ronde, ça aussi? Voyons donc! Voyons donc!
L'avenir, c'est contrôler nos politiques de main-d'oeuvre comme
société, parce qu'on est sur le bord du libre-échange,
parce que ça va modifier profondément la vie des travailleurs et
des entreprises, et que ça va nous prendre des moyens, comme
société, pour faire face à ces défis. On ne les a
pas les moyens. Ce n'est pas dans la "société distincte" et un
vague jugement de la Cour d'appel ou de la Cour suprême dans cinq ans,
sur un élément des règlements de main-d'oeuvre que
ça veut dire qu'on va faire le Québec, ça, qui va faire
face à ses défis.
M. Bourassa: C'est dans l'affirmation nationale.
M. Johnson (Anjou): Ce que je dis au premier, ministre c'est que
son train va un peu vite. Un peu vite, merci! Mais il y a bien des passagers
dans le train. Et, ces passagers, je vais vous dire, pour moi, il y en a
beaucoup qui sont jeunes. Il y en a beaucoup pour qui les grands acquis de la
Révolution tranquille, ça a été de mettre dans la
tête de toute une génération qui s'en vient que tu peux
progresser, tu peux être fort, tu peux t'enrichir, tu peux te
développer, tu peux être différent en français,
alors que le combat de sa génération, et, en partie, de la
mienne, ça a été de prouver que, le français,
c'était important. Il y a comme un acquis là-dessus dans la
société mais il y a des acquis qu'il ne faut pas perdre. Pour ne
pas les perdre, il faut avoir des instruments et des moyens parce qu'on reste
un peuple fragile à cause de notre nombre. C'est pour cela qu'il ne
faudrait pas que son train déraille. Je pense qu'il y a une façon
de le remettre dans la bonne direction. C'est ce qu'on lui fait comme
proposition. Si cela ne fonctionne pas là-bas, que le premier ministre
se dise... Il s'est déjà tenu debout dans une affaire comme cela,
en 1971. C'était difficile à Victoria et c'est évident que
je n'aurais pas voulu vivre cela à sa place. Mais, bon Dieu! il n'est
pas trop tard. Mais, une fois que vous aurez signé le papier à
Ottawa, je vous dis que ce sera trop tard. Le lac Meech, cela pouvait toujours
aller. Cause, cause, parle, parle, jase, jase. Mais là on en a
parlé ici pour vrai et cela ne s'est fait nulle part ailleurs au
Canada.
Je termine. Cela ne s'est fait nulle part ailleurs au Canada mais je dis
au premier ministre que s'il va à Ottawa le 2 juin, par exemple, une
fois qu'il aura signé le texte juridique, ce n'est plus vrai qu'il va
être capable de se retirer. Je lui demande d'y penser comme il faut.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de
l'Opposition. M. le premier ministre.
M. Robert Bourassa
M. Bourassa: Merci, M. le Président. Avant de
répandre aux propos du chef de l'Opposition, je voudrais quand
même répondre à quelques-uns des vôtres. D'abord,
j'aimerais vous féliciter pour votre travail
comme président. Ce n'était pas facile de diriger cela.
C'est l'une des demandes de l'Opposition à laquelle j'avais
acquiescé. On avait pensé que cela pourrait être la
commission de l'Assemblée nationale mais finalement on a accepté
que ce soit la commission des institutions. On savait que vous dirigeriez les
travaux avec impartialité et objectivité. Je peux me permettre,
sans humour, de vous remercier pour votre travail. Je pense que vous avez
posé des questions. Vous en aviez le droit. C'est conforme au
règlement.
Pour ce qui a trait au chef de l'Opposition, j'ai de la
difficulté à le suivre sur la Révolution tranquille, cette
espèce de distinction qu'il fait entre ceux qui ont contribué
à bâtir la Révolution tranquille et ceux qui sont un peu
plus jeunes, comme quoi ceux qui ont contribué à la
Révolution tranquille font preuve d'arrogance et de suffisance, ils ne
veulent pas partager le pouvoir. Le ministre responsable dans ce dossier qui a
fait - je le répète parce que je ne le répéterai
jamais assez - un travail extraordinaire et où le Parti libéral a
eu la chance dans un dossier historique d'avoir comme ministre responsable et
principal conseiller, un des meilleurs experts canadiens en droit
constitutionnel, il a l'âge du chef de l'Opposition. Je ne comprends pas
cette espèce d'analyse qu'il fait entre tous ceux-là qui ont plus
de 50 ans. Je pourrais lui donner toute une liste. J'éviterai de le
faire parce que la plupart ont été des collègues de son
Conseil des ministres durant plusieurs années et il affuble tous ces
gens d'accusations comme arrogants et suffisants, possesseurs de la
vérité, détenteurs de la vérité. Je crois
qu'il devrait trouver une autre occasion - la je lui dis sans vouloir le vexer
- pour expliciter davantage sa pensée sur cette question-là.
Pour ce qui a trait à l'argument qu'il n'y a pas de pouvoirs
additionnels - je voudrais juste compléter ce que je disais tantôt
car je n'ai pas pu terminer mes propos étant donné le temps -
j'ai parlé de la récupération du droit de veto, c'est
quand même important, de la Cour suprême qui nous assure, quelle
que soit notre population, et on voit que son poids démographique est
menacé, au moins 33 % des juges... M. le Président, je crois que
quand le chef de l'Opposition évoque les jeunes, s'il y a un
gouvernement et un homme politique qui sont dédiés à
améliorer leur sort, ce sont bien celui qui dirige le gouvernement et le
gouvernement actuel. Toutes nos politiques, que ce soit dans le domaine
économique, social, constitutionnel, nous les protégeons quand le
Québec sera reconnu comme société distincte, quand on aura
la flexibilité dans le pouvoir de dépenser. Cela va nous
permettre de pouvoir satisfaire les besoins particuliers du Québec, y
compris les jeunes. Mais il faut tenir compte, M. le Président, et les
jeunes le comprennent facilement, que le Canada est un marché commun et,
parce que celui-ci est un marché commun avec pleine mobilité de
la main-d'oeuvre, pleine mobilité des marchandises, pleine
mobilité des capitaux, c'est évident qu'il doit y avoir une
certaine correspondance dans des objectifs communs. On peut reprendre le
débat référendaire que, s'il y a une intégration
économique vers laquelle nous nous dirigeons de plus en plus avec le
libre-échanqe, appuyée par des amis et ex-collègues du
chef de l'Opposition comme M. Landry et M. Parizeau, si nous nous orientons
vers une intégration économique de plus en plus poussée,
ceci a une correspondance dans les politiques sociales, dans les objectifs
politiques. Alors, ce que nous cherchons - c'est cela qui est le défi du
Québec - c'est de pouvoir trouver cette formule qui nous permet de nous
affirmer comme société distincte et, en même temps, de
tenir compte de la réalité économique canadienne et
nord-américaine.
Je suis bien conscient de la responsabilité qui nous incombe
vis-à-vîs de l'acceptation de l'entente de principe. Je l'ai dit.
Lorsque nous y sommes allés, nous avons dit: Si cela marche, tant mieux,
si cela ne marche pas, on peut attendre. Le Québec est habitué de
se battre depuis deux siècles. Le Québec a réussi depuis
25 ans à faire preuve d'un renouveau économique extraordinaire
avec des outils de l'État créés par la Révolution
tranquille - pour donner des exemples, Hydro-Québec, Caisse de
dépôts -avec son secteur privé et on l'a fait en bonne
partie par nos propres moyens. On n'a pas eu de ligne Borden pour
protéqer notre pétrochimie. On n'a pas eu de canalisation du
Saint-Laurent, Ce n'est pas le Québec qui a été
bénéficiaire de la canalisation du Saint-Laurent. On n'a pas eu
de pacte de l'automobile pour l'industrie automobile. On s'est battu
principalement par nos propres moyens et on a pu, sur le plan
économique, réussir des choses exceptionnelles, convertir notre
économie de ressources en une économie tournée vers la
haute technologie, devenir actuellement l'une des sociétés les
plus dynamiques sur le plan économique. Donc, le Québec est
habitué de se battre, souvent seul.
Mais j'ai la responsabilité, comme chef du gouvernement, de
porter un jugement sur une conjoncture particulière qui peut se
décrire comme étant très favorable, exceptionnelle. Est-ce
qu'on aura éventuellement pour l'avenir prévisible un pouvoir
politique à Ottawa qui est aussi décidé à
régler le problème du Québec? Est-ce qu'on aura des
premiers ministres provinciaux - je pense à celui de l'Ontario, M.
Peterson -aussi favorables, aussi ouverts vis-à-vis du Québec?
Est-ce que nous aurons éventuellement, avec le défi
démographique qu'il nous
faut relever, une conjoncture aussi favorable? C'est un immense risque
de dire non au lac Meech avec ce qu'on obtient dans le domaine de
l'immigration, avec la récupération du droit de veto, avec cette
reconnaissance de la société distincte.
J'aimerais bien, puisque je me rends à Gaspé dans quelques
minutes pour rencontrer le président de la République
française, le président de notre mère patrie, l'accueillir
demain en ayant solennellement dans la constitution canadienne ces pouvoirs
pour le Québec de protéger et de promouvoir la culture
française. J'espère que lorsqu'il reviendra au mois de septembre,
ce sera mission accomplie à cet égard. C'est un pouvoir
énorme d'avoir dans cette constitution canadienne, en très bonne
place, exprimés et inscrits d'une façon formelle, les pouvoirs
pour la société québécoise et son gouvernement et
son Assemblée nationale de protéger et de promouvoir notre
culture.
C'est cela la décision historique que nous avons à
prendre, M. le Président. Je veux assurer le chef de l'Opposition et ses
collègues ainsi que l'ensemble de la population que le seul et unique
critère qui me guidera dans cette décision ne sera pas de nature
électoraliste ou partisane, surtout pas à mon troisième
mandat. Le seul critère qui va me guider, c'est l'intérêt
collectif du Québec. Je demanderais au chef de l'Opposition de nous
faire confiance.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le premier
ministre. Il reste du côté ministériel une enveloppe d'un
peu plus de 10 minutes. Je dois comprendre que c'est terminé de part et
d'autre, n'est-ce pas?
M. Johnson (Anjou); Merci, M. le Président. La fin de ces
dix-huit ...combien d'heures, combien de séances, M. le
Président, pas suffisantes, on le sait... En dépit de cela, nous
avions des journées difficiles et on vous remercie de votre travail.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de
l'Opposition. À mon tour de remercier les membres de la commission et
également je voudrais remercier en votre nom la secrétaire de
notre commission, Me Lucie Giguère, ainsi que tout le personnel du
Secrétariat des commissions qui a su, dans ce dossier qui filait parfois
à très grande vitesse, nous aider à garder l'ordre,
à faire en sorte que nos avis de convocation puissent se donner, se
recevoir, etc. Ils ont pu faire en sorte qu'il y ait un minimum de bon
fonctionnement à nos travaux.
Nos travaux sont ajournés sine die. Merci.
(Fin de la séance à 18 h 7)