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(Dix heures huit minutes)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission de l'économie et du travail reprend ce matin sa
consultation générale en ce qui a trait à la
libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les
États-Unis.
Je vous donne, d'abord, l'ordre du jour pour aujourd'hui. Nous
recevrons, d'abord, M. André Raynauld, économiste de
l'Université de Montréal et ancien membre de l'Assemblée
nationale du Québec, puis le Conseil conjoint 91 des Teamsters du
Québec, qui sera suivi de l'Association des constructeurs de routes et
grands travaux du Québec.
En après-midi, nous recevrons l'Association canadienne des
compagnies d'assurances de personnes et le Nouveau parti démocratique,
suivis de M. Jean Lambert. Finalement, à 20 heures , nous recevrons le
Parti québécois du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et
des Îles-de-la-Madeleine et la Coalition solidarité populaire du
Québec.
M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Baril
(Rouyn-Noranda-Témiscamingue) est remplacé par M. Audet
(Beauce-Nord); M. Farrah (Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par
M. Hamel (Sherbrooke); M. Fortin (Marguerite-Bourgeoys) est remplacé par
M. Doyon (Louis-Hébert); M. Rivard (Rosemont) est remplacé par M.
Lemieux (Vanier) et M. Théorêt (Vimont) est remplacé par M.
Lemire (Saint-Maurice).
Le Président (M. Charbonneau): Merci. Je crois que le
ministre et le député de Bertrand, critique de l'Opposition,
voulaient faire de brefs commentaires avant de céder la parole à
notre premier invité. M. le ministre.
M. MacDonald: M. le Président, nous avons tous pris
connaissance, hier, de la déclaration de M. Reisman, l'ambassadeur
canadien aux négociations bilatérales, disant que les
négociations étaient dans une impasse. Depuis ce temps, nous
avons fait état des termes et conditions canadiens qui ne semblaient,
pas recevoir la compréhension des Américains et sur lesquels on
n'avait, tout au moins, pas de réponse satisfaisante.
Nous notons, cependant, que c'est une impasse et que les
négociations sont suspendues et non pas terminées. C'est dans ce
contexte que, avec l'accord du représentant de l'Opposition, nous
croyons que la commission parlementaire est encore très pertinente. Il y
a des témoins que nous avons convoqués et que nous voulons
entendre. Nous allons poursuivre aujourd'hui cette commission avec le
sérieux et selon l'objectif visé dès le départ.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. M.
le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président.
Brièvement, on a compris, dans ce qui se passait, que cela allait comme
cela va très souvent à la fin des négociations,
c'est-à-dire que ce sont des positions très serrées. Pour
notre part, tout en étant préoccupés, on espère une
chose, et je l'ai mentionné hier, c'est que, effectivement, il n'y aura
pas, à cause de cette grande volonté politique, de prix à
payer, de concessions trop importantes. Nous avons déjà
mentionné que les décisions finales seront des décisions
hautement politiques. Je pense que c'est ce qui est en train de ressortir. On
espère que le gouvernement canadien ne laissera rien aller et,
particulièrement, en ce qui regarde les demandes très
spécifiques du Québec, qu'aucun morceau ne sera abandonné.
Cela fait partie de nos préoccupations.
Bien sûr, quoi qu'il arrive, la commission parlementaire que nous
tenons a toujours son plein sens et je pense que plus on avance, plus on en
apprend; alors, je pense qu'elle est toujours d'appoint. Moi aussi, je suis
d'accord pour qu'on continue ce travail. Je vous remercie, M. le
Président.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le
député de Bertrand. De toute façon, comme je l'ai
indiqué hier, on a un mandat de l'Assemblée nationale. On n'a pas
d'avis que ce mandat soit conditionnel au déroulement proprement dit des
négociations. Ce n'est pas parce qu'il arrive un certain nombre
d'événements dans les négociations entre Ottawa et
Washington que le mandat de la commission, pour autant, est changé.
Sur ces commentaires, je vais maintenant céder la parole au
premier invité, M. Raynauld, en lui rappelant que nous avons
une heure pour sa présentation et la discussion. D'abord, il y
aura une vingtaine de minutes d'exposé de votre part, et par la suite,
le temps sera utilisé, avec vous, par les membres de la commission pour
des discussions. Alors, M. Raynauld.
M. André Raynauld
M. Raynauld (André); Merci beaucoup, M. le
Président. MM, les ministres, MM. les députés, je dois
dire, au point de départ,, que c'est un honneur, rempli aussi de
souvenirs qui me sont chers, d'avoir été invité à
me présenter devant vous ce matin. Je crains seulement qu'après
la longue liste d'experts que vous avez déjà entendus, il soit
difficile d'apporter des idées neuves que vous espérez sans doute
obtenir. Je ne voudrais pas reprendre les arguments que vous avez
déjà entendus. Je voudrais, cependant, dans le temps qui m'est
imparti, essayer de faire un peu une synthèse des arguments
présentés et, si vous voulez, sans entrer dans tous les
détails. J'ai préparé une petite note à votre
intention où j'ai simplement indiqué les points que je voulais
soulever devant vous.
Auparavant, je voudrais aussi vous dire que j'ai été
profondément déçu d'apprendre, hier, la suspension des
négociations. Il me semble qu'il devient plus urgent que jamais, pour le
Québec, d'intervenir auprès du gouvernement canadien pour faire
valoir l'importance historique d'une éventuelle entente de
libre-échange et trouver les voies d'un compromis honorable qui puisse
débloquer ces négociations. J'espère, comme M. le ministre
vient de le dire, qu'il s'agit d'une suspension, d'un repli stratégique
de négociateurs, parce qu'il me semble que, si ces négociations
devaient conduire à un échec, on serait dans une situation pire
que si on n'avait pas commencé les négociations, si on n'avait
pas ouvert la voie. En plus, si ce sont les Canadiens qui se retirent, cela va
rappeler des souvenirs qui remontent à très loin. Il faut, je
pense, se remémorer le fait que, au cours des 60 ou 70 dernières
années, il est arrivé à deux reprises que le Canada entame
des négociations avec les États-Unis et c'est le Canada
lui-même qui s'est retiré les deux fois. Je pense qu'il faudrait
vraiment faire des efforts pour faire avancer cette négociation.
En effet - et vous ne serez pas surpris, je pense, de l'entendre de ma
bouche - sur un sujet comme le libre-échange; les économistes
sont dans une situation très confortable parce que, pour une fois, ils
sont unanimes ou presque à vanter les mérites et les avantages du
libre-échange et cela, depuis au moins deux ou trois siècles. Les
économistes se fondent sur un certain nombre de considérations
pour appuyer le libre-échange. En gros, j'ai inscrit, dans la petite
note de présentation, les considérations économiques qui
sont en faveur de la libéralisation des échanges.
Au point de départ, on doit considérer les tarifs
douaniers, par exemple, comme on considère les impôts. Ces tarifs
sont un poids qui augmente les prix des biens et je suis toujours surpris qu'on
ne comprenne pas d'emblée qu'une réduction de prix augmente le
revenu réel des consommateurs. Un abaissement des tarifs et des
barrières non tarifaires conduit à une baisse des prix non
seulement des produits importés, mais de tous les produits qui sont
substituts aux importations et qui sont fabriqués sur place. Ceci
augmente donc le revenu réel des consommateurs. Cette réduction
de prix est encore plus marquée lorsqu'il s'agit non seulement des
tarifs canadiens, mais aussi de l'abaissement des tarifs étrangers ou
des tarifs américains, dans le cas qui nous occupe. Lorsqu'il s'agit
d'un impôt canadien,' on peut toujours argumenter en disant; Oui, les
consommateurs paient plus cher pour leurs produits, mais, comme il y a un droit
de douane qui s'en va au gouvernement, le gouvernement reçoit le produit
de cette taxe et, par conséquent, on peut recouvrer, si je peux dire,
l'augmentation du prix initial. Mais dans le cas d'un abaissement des tarifs
étrangers, on n'a pas de compensation. C'est une pure perte que d'avoir,
dans le cas d'un pays comme le Canada, à payer non seulement les tarifs
canadiens, mais également les tarifs américains et, cette
fois-là, sans aucune compensation.
Or, c'est cela qui est le problème, en ce sens que le Canada est
un petit pays sur le plan économique. Ce n'est pas lui qui fixe les
prix, les prix sont fixés par les Américains ou par le
marché international et, lorsque les Américains imposent un droit
de douane - d'ailleurs, dans tous les cas où il y a eu, par exemple, des
droits compensateurs qui ont été érigés, on l'a vu
immédiatement - les producteurs canadiens sont obligés d'absorber
l'augmentation de ce droit. Si les Américains imposent un droit de 10 %,
c'est presque automatique que les producteurs canadiens doivent abaisser leurs
prix de 10 % pour rester sur le marché. Par conséquent, ce sont
les Canadiens qui paient à la fois le tarif américain et le tarif
canadien et, dans le cas du tarif américain, encore une fois, sans
compensation. Donc, c'est cela, l'origine ou la base même de l'avantage
qu'il y a à une libéralisation des échanges.
Ensuite, on arrive à des considérations plus standard, si
je peux dire, où on peut faire état de gains de
spécialisation. Lorsqu'on a accès à un marché
beaucoup plus vaste, il y a une spécialisation des activités et
ceci remonte, sur le plan économique, à des auteurs les plus
anciens qui ont montré, hors de tout doute, que cette
spécialisation était avantageuse pour l'ensemble de la
population.
Ces gains de spécialisation, on peut les voir, d'ailleurs, dans
le cas du pacte de l'automobile. Le pacte de l'automobile a, justement, produit
cette spécialisation à l'échelle continentale. Ce pacte de
l'automobile est un bon exemple du genre d'adaptation qui se fait lorsqu'on a
accès à un marché vaste comme celui des États-Unis,
c'est-à-dire qu'il y a une spécialisation dans certaines lignes
de production, plutôt que d'essayer de tout produire, mais à
très petite échelle. On a donc une production
nord-américaine pour certains produits et on a abandonné la
production d'autres produits. C'est cela, la spécialisation. Ceci a
permis une augmentation de productivité considérable et, par
conséquent, une augmentation du bien-être.
Ces gains de spécialisation ont été estimés
à plusieurs reprises. Vous avez dû entendre de ces estimations
statistiques qui ont été faites. On dit que c'est autour de 2 %,
disons, du produit national brut. Je ne veux pas m'arrêter aux chiffres
en tant que tels, mais simplement donner un ordre de grandeur.
En outre de ces gains de spécialisation qui sont des gains
traditionnels de la libéralisation des échanges, il y a,
évidemment, les gains d'échelle, les économies
d'échelle qui ne s'appliquent pas toujours à toutes les
productions, mais à un certain nombre d'entre elles. Lorsqu'il y a des
gains d'échelle, évidemment, les avantages que nous recevons de
cette libéralisation des échanges sont décuplés. Ce
sont surtout ces gains d'échelle qui sont les plus importants,
d'après toutes les estimations qui ont été faites. Encore
une fois, cela ne s'applique pas dans toutes les industries, mais, là
où cela s'applique, ces gains d'échelle sont
considérables.
Ensuite, il y a des gains de concurrence. Lorsqu'on ouvre un
marché, la concurrence est plus vive, surtout, encore une fois,
lorsqu'on compare les dimensions, la taille des économies respectives du
Canada et des États-Unis, ces gains de concurrence sont
considérables à mon avis, même si on ne peut pas les
quantifier. Il suffirait de dire que, lorsqu'on est dans une économie
relativement petite et qu'il existe des économies d'échelle, cela
veut dire que les entreprises, dans beaucoup de cas, ont des coûts
décroissants, c'est-à-dire qu'elles auraient avantage à
produire plus pour abaisser les coûts, mais cela veut dire aussi qu'il y
a des prix qui sont plus élevés qu'ils ne le seraient. Ces gains
de concurrence, c'est ce que cela veut dire. Cela permet donc d'accroître
l'échelle de production et d'abaisser les prix sous l'influence d'une
concurrence accrue.
Enfin, il y a des gains d'innovation qui, là non plus, ne sont
pas quantifiables.
J'entends par gains d'innovation tous les aspects, disons, dynamiques,
toutes les choses qu'on ne peut pas prévoir vraiment, mais qui sont
probablement plus importantes que tout ce qu'on peut mesurer. C'est toujours
une chose qui me frappe que, lorsque nous faisons des études d'impact en
sciences économiques, les chiffres sont toujours relativement petits.
Même un gain de 5 % du PNB en 1991, on ne peut pas dire que cela va faire
une révolution. Je me souviens d'un auteur américain, qui
s'appelle Klein, qui a fait des études en commerce international pendant
30 ou 40 ans et qui a dit, un jour: Quand je regarde les études
économiques d'impact, je sais que ce sont des mesures très
statiques qui sont prises à un moment donné. J'ai pris
l'habitude, chaque fois que je vois un chiffre, de le multiplier par cinq. Cela
donne un bon ordre de grandeur des avantages réels qu'on va recevoir,
même si, encore une fois, on ne peut pas les quantifier.
Évidemment, c'était une blague qu'il faisait, mais lorsque nous
parlons, avec les études que nous avons actuellement, d'une
augmentation, comme le Conseil économique, de 3,3 % du produit national
brut, évidemment, si on multipliait par cinq, on aurait probablement une
vue plus adéquate de ce qui va se produire. Encore une fois, on ne peut
pas le prouver, on voit cela après coup.
Enfin, j'ai mentionné qu'il y avait des gains d'emplois. La
libéralisation des échanges n'est pas une politique de l'emploi,
c'est une politique de productivité, essentiellement. C'est une
politique de rationalisation de l'industrie, mais, dans à peu peu
près toutes les études qui ont été faites sur la
libéralisation des échanges, il existe aussi des gains d'emplois.
C'est un peu une cerise sur le gâteau, dans un certain sens. Il existe
des gains d'emplois, même dans le secteur manufacturier. Cette
libéralisation des échanges, à mon avis, ne peut pas faire
de doute quant à son bien-fondé et quant aux avantages que nous
avons à retirer d'une telle politique.
Je voudrais mentionner là-dessus que, quand on essaie de faire
avancer une économie, on n'a pas beaucoup d'instruments. Il n'y a pas
beaucoup de politiques dont on peut dire: Bon, on va établir cette
politique et on va avoir un résultat marqué, un résultat
évident. C'est très rare. Dennison, il y a plusieurs
années, avait calculé les facteurs de croissance
économique. Il disait: Voilà, la croissance économique
américaine dépend de l'accroissement de la main-d'oeuvre, cela
dépend de ceci, de cela, de tous les facteurs possibles et imaginables.
Il disait aussi: Si on voulait augmenter la croissance économique de
0,1%, par exemple, il faudrait probablement doubler le nombre d'heures de
travail dans une semaine.
Évidemment, c'était un exemple, une
illustration exagérée, mais le message qui est
derrière cela, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de politiques à la
disposition d'un gouvernement et d'une société pour changer
vraiment le cours de la croissance économique d'un pays. Par
conséquent, il est d'autant plus important, lorsqu'on a un instrument
comme celui de la libéralisation des échanges, de se rendre
compte de son importance, en termes économiques, pour faire avancer les
choses.
J'ai ensuite pensé à vous rapporter très
brièvement ce que j'appelle les enseignements de l'histoire. Encore une
fois, les mesures statiques d'impact économique sur des gains
d'échelle, des gains de spécialisation sont toutes dans la bonne
direction, si je puis dire. Ces gains ne sont pas aussi considérables
que certains le voudraient, mais en dehors de ces études d'impact, il y
a ce que j'appelle des études historiques qui ont été
faites.
Je voudrais dire quelques mots de Mancur Oison qui a écrit un
livre absolument fascinant qui s'appelle The Rise and Decline of
Nations. La thèse du professeur Oison est la suivante. S'il est vrai
que la libéralisation des échanges entre pays est aussi
avantageuse, on devrait voir ces avantages d'une façon encore plus
claire et plus facile si on regardait les moments où les pays se sont
intégrés, les moments où les États-Unis, par
exemple, sont devenus un marché commun à l'intérieur du
pays, les moments où certains autres pays, comme l'Allemagne, sont
devenus un pays par opposition à un grand nombre de villes plus ou moins
indépendantes. Il passe en revue trois ou quatre cas. Encore une fois,
je ne voudrais pas m'étendre trop longtemps là-dessus parce que
le temps passe. Il fait état, par exemple, de l'intégration de ce
qu'il appelle les "peuples germains" où il y avait une trentaine de
principautés, de villes et de régions qui ont été
unifiées, vers 1871, en Allemagne, et il rappelle que, jusqu'à ce
moment-là, les "peuples germains", comme il les appelle, étaient
perçus par les gens comme étant des peuples voués à
la pauvreté pour très longtemps et, tout à coup, à
cause de cette intégration des marchés où on a
éliminé toutes les barrières tarifaires à
l'intérieur du pays, l'avenir de l'Allemagne a été
complètement changé.
Il dit la même chose du Japon. Là aussi, je vous fais
grâce des détails. Autour de 1860, il y avait apparemment au Japon
300 unités politiques indépendantes, chacune avec ses
péages, comme on les appelait, ou ses tarifs. A l'occasion d'un
changement politique important, l'avènement des Meiji au Japon, ce pays
a été intégré. On a éliminé toutes
ses barrières tarifaires et, là encore, le Japon qui
était, à ce moment-là, un des pays les plus pauvres du
monde, a pu prendre une expansion sans précédent.
Olson insiste également sur l'histoire des États-Unis
proprement dite et il prétend que même pour les États-Unis,
on pourrait faire la même preuve.
Enfin, il y a l'exemple du marché de ia Communauté
économique européenne qui me paraît tout à fait
pertinent, encore une fois, sur le plan de l'histoire. Là encore, on
n'est pas capable de mesurer les impacts de la formation de cette
communauté, mais ce qui me surprend et m'étonne, c'est
qu'après des luttes séculaires en Europe on soit parvenu à
former une communauté économique d'abord et maintenant qu'on s'en
aille vers une autre étape; on veut avoir ce qui s'appelle le
marché unique d'ici 1991. (10 h 30)
J'ai vu un livre blanc qui a été publié par la
communauté en mai 1986. Je voudrais simplement vous lire les trois
titres principaux de cette publication, tellement ils paraissent
irréels. Le premier titre: L'élimination des frontières
physiques. Il n'y aurait plus de frontières physiques entre les pays
européens si on s'en tient à ceci. Le deuxième titre:
L'élimination des frontières techniques. Et, le
troisième titre: L'élimination des frontières fiscales.
On est loin de là et on n'aspire pas à un arrangement comme
celui-là, mais c'est pour dire que, si on considère fondamental
et impérieux le besoin d'une intégration économique aussi
poussée, d'une intégration même politique, il doit bien y
avoir des raisons. Là encore, dans la perspective de l'histoire de
Olson, on comprend très bien que c'est une croissance économique,
une expansion générale qui sont à l'origine de ces efforts
d'intégration.
Somme toute, si on essaie de résumer un peu ces avantages qui
existent de la libéralisation des échanges, je dirai
qu'au-delà, encore une fois, de toutes les précisions techniques,
au fond, la libéralisation des échanges, pour le Canada est
essentielle pour relever le défi technologique de notre temps, pour
rester dans la course, c'est-à-dire pour continuer à avoir des
carrières valorisantes dans un pays comme ici, à avoir des
centres de décision qui préféreront rester ici
plutôt que de s'en aller à l'étranger et aussi,
évidemment, pour continuer de valoriser des règles de
fonctionnement d'une économie qui ont fait leurs preuves dans le
passé. Je pense ici aux règles de marché, aux
règles de concurrence qui se sont avérées beaucoup plus
efficaces pour augmenter le niveau de vie des populations que les protections,
les privilèges qui se sont créés au cours des
années.
Cela étant dit, je voudrais m'arrêter quelque peu sur la
question des tarifs et des barrières non tarifaires. Évidemment,
dans un certain sens, on est à peu près tou3 d'accord pour dire
qu'il faut réduire les tarifs, mais on est beaucoup plus hésitant
lorsqu'il s'agit
des barrières non tarifaires et des subventions à
l'entreprise, par exemple.
Je voudrais simplement dire en quelques mots là-dessus qu'il est
impensable que l'on puisse, s'attaquer à l'ensemble de ces
problèmes au cours d'une négociation comme celle qui s'est faite
jusqu'à maintenant. Je crois qu'on ne sait pas, qu'on ne peut pas savoir
à l'avance quelles sont les implications sur les échanges, sur
les importations et les exportations de l'ensemble de ces barrières non
tarifaires. Il faut les examiner une à une. Je suis toujours surpris de
la facilité avec laquelle les gens généralisent à
partir de ces barrières non tarifaires en disant, d'un
côté, pour ceux qui s'y opposent qu'on va être obligé
de changer tous nos programmes sociaux et, de l'autre, que cela ne changera pas
grand-chose.
Je crois que ces barrières non tarifaires n'ont pas
été résolues encore sur le plan international. Il y a
quelques codes et quelques protocoles qui ont été examinés
et qui ont été adoptés mais on a fait très peu de
chemin là-dessus en dehors donc des barrières tarifaires
proprement dites. Je pense qu'il faut se donner du temps pour définir ce
que nous devrions faire en ce qui concerne le Canada et les
États-Unis.
Je favorise donc une entente-cadre qui va permettre par la suite de
poursuivre des négociations sur ces barrières non tarifaires dont
certaines, d'ailleurs, sont très difficiles à évaluer et
à estimer.
D'ailleurs, je voudrais mentionner que c'est exactement ce qui est
arrivé dans le cas de l'initiative américaine vis-à-vis
des pays des Antilles, le "Caribbean Initiative". Là-dedans, je voyais
justement qu'on a eu un protocole sur des subventions, mats surtout,
après avoir donc exempté des tarifs avec des restrictions
d'ailleurs, tout de suite après, on a voulu faire un cadre de
négociation pratiquement permanente et qui va durer pendant des
années. Je pense que ce serait la même chose ici.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Raynauld...
M. Raynauld: C'est pour cela que j'avais imaginé ce que
j'ai appelé un scénario du possible...
Le Président (M. Charbonneau): II vous reste combien de
temps à peu près?
M. Raynauld: Deux minutes.
Le Président (M. Charbonneau): Deux minutes. Alors, cela
va aller, il n'y a pas de problème.
M. Raynauld: S'il vous plaît! J'avais imaginé un
scénario du possible où l'entente dont nous parlons actuellement
aurait porté sur les tarifs dans le secteur manufacturier seulement.
Elle aurait peut-être touché à des barrières non
tarifaires, mais parmi celles qui sont évidentes, celles qui ont
déjà fait l'objet de négociations sur le plan
international, comme les achats publics. Ensuite, j'imaginais une
période de transition de cinq à dix ans. Et on arrive à ce
fameux règlement des différends. Je dois dire sur ce point que je
partage l'avis que M. Parizeau a émis ici selon lequel il est illusoire
de penser qu'on puisse obtenir un tribunal exécutoire compte tenu non
seulement des États-Unis ou du gouvernement américain ou du
Congrès américain, puisqu'on parle toujours du Congrès
américain, mais même du point de vue du Canada et du
Québec. Je trouve très surprenant que l'on soit obligé
d'appeler cela une concession, de dire que ce serait simplement une commission
d'évaluation des faits, un "fact finding board", par exemple.
Personnellement, je serais complètement satisfait d'une commission comme
celle-là qui serait bipartite, qui serait formée d'experts et qui
ferait des évaluations objectives des faits. Quant aux décisions
par la suite, il me semble qu'elles appartiennent aux gouvernements des deux
côtés. Je ne vois pas pourquoi on serait prêt à
suspendre, sinon à abandonner les avantages associés au
libre-échange pour une raison comme celle-ci. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Raynauld, je vous remercie. Vos derniers propos nous amènent dans
l'actualité brûlante, si on peut utiliser cette expression. Alors,
je cède maintenant la parole au ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: M. Raynauld, merci beaucoup. Vous avez eu la chance
d'explorer toutes ces relations commerciales entre le Canada et les
États-Unis bien avant ce matin. Vous l'avez fait comme président
du Conseil économique du Canada, vous l'avez fait comme professeur et
vous l'avez fait comme homme politique. Vous avez très bien
démontré votre connaissance approfondie du domaine ce matin.
Vous ne m'en voudrez pas si je ne m'arrête pas à des
questions traditionnelles. Je voudrais réellement profiter de votre
présence et de votre expérience pour parler d'un problème
qui n'a pas reçu peut-être toute l'attention qu'on aurait dû
lui apporter. C'est celui de la situation économique américaine.
Les États-Unis sont ce qu'ils sont, ils ont une opinion importante de ce
que doit être le bien des États-Unis. Le protectionnisme a
littéralement toujours existé chez eux, mais il s'est
créé une situation économique autour du déficit de
leur balance commerciale particulièrement désastreuse pour
certains à cause de l'état
de leur bilan, c'est-à-dire qu'ils sont devenus débiteurs
et de plus en plus chaque jour. C'est certainement cette situation
financière - une question de gros sous, à toutes fins utiles et
une question de "jobs" - qui fait qu'on retrouve chez leurs hommes politiques
cette violente poussée protectionniste.
Mais les économies changent, cela évolue. Il y a des
cycles économiques. On a passé è travers une
récession en 1981; on y a assez goûté ici au Québec
qu'on sait de quoi on parle. On pourrait prétendre que les Etats-Unis ne
seront pas toujours victimes d'un déficit de leur balance commerciale
semblable et que peut-être ils pourraient redevenir suffisamment
"balancés" dans leurs états financiers pour recommencer à
prêter à d'autres pays qui en ont plus besoin. Mai3 d'ici
là, il est évident que nous allons connaître un
protectionnisme. C'est vis-à-vis de ceci que la décision a
été prise de chercher à se protéger le mieux
possible, entre autres raisons pour négocier avec eux. Vous, comme
économiste et sans vouloir vous faire puiser dans votre boule de
cristal, mais en regardant des chiffres et l'évolution normale des
économies du monde et particulièrement celle des
États-Unis vis-à-vis de nous, pendant combien de temps
allons-nous avoir cette situation aux États-Unis? Pendant combien de
temps pensez-vous qu'on va subir cette pression ou que d'autres vont subir
cette pression?
M. Raynauld: Oui, M. le ministre. Effectivement, je n'ai pas de
boule de cristal et dans ce cas particulier, c'est encore plus difficile
à prévoir parce que, à mon avis, la situation ne changera
pas sans que des politiques soient changées. Cela va bien au-delà
de la conjoncture. Cela va au-delà des cycles économiques.
 mon avis, l'origine du problème américain, si on peut
l'appeler comme cela, tient à une politique fiscale qui a
été désastreuse et qui a entraîné des
déficits insoutenables à partir des ressources internes
américaines. Ceci a eu pour résultat qu'il fallait faire financer
ce déficit budgétaire par l'étranger, cela voulait dire
une entrée de capitaux et une demande de dollars américains qui a
fait monter le prix du dollar américain de façon
considérable, qui a fait monter en même temps, pour pouvoir
attirer ces capitaux, les taux d'intérêt réels aux
États-Unis. Comme conséquence, avec cette hausse de taux
d'intérêt réels, la demande intérieure
américaine est faible et, avec l'entrée des capitaux, le dollar a
été surévalué pendant longtemps et l'est encore, en
dépit de la baisse considérable qui s'est produite depuis deux
ans. Mais il est encore surévalué à cause de cette
entrée de capitaux.
Les États-Unis, comme vous l'avez dit, sont devenus des
débiteurs nets; c'est le plus gros emprunteur dans le monde et de loin,
alors que traditionnellement et compte tenu de la richesse d'un pays comme
celui-là, il devrait être créditeur, il devrait
prêter au reste du monde. Mais il emprunte et il attire, en fait, tous
les capitaux extérieurs disponibles. Par conséquent, aussi
longtemps que cette situation va durer, j'ai effectivement l'impression que les
pressions protectionnistes aux États-Unis vont être très
élevées.
Je dois dire qu'un certain nombre d'économistes commencent
à se poser des questions à savoir comment il se fait qu'avec une
baisse de la valeur du dollar américain de 40 % en deux ans les
exportations n'aient pas repris aux États-Unis. Ceci donne à
penser qu'on aurait dû voir une certaine amélioration de la
situation américaine. On n'a pas vu vraiment encore cette
amélioration. J'ai l'impression que c'est la combinaison des deux ou
trois facteurs que j'ai mentionnés qui fait qu'on n'a pas de
résultats très positifs.
Ayant expliqué la situation dans ces termes-là, cela veut
dire qu'elle risque de se perpétuer aussi longtemps que le
Congrès américain ne parviendra pas à prendre des mesures
du côté fiscal de façon à réduire ce
déficit fiscal parce que c'est lui qui est à l'origine de toutes
les autres conséquences qui s'ensuivent. Là, je ne suis pas plus
devin que d'autres et, étant donné qu'il s'agit de mesures plus
ou moins discrétionnaires qui sont prises par le Congrès
américain, le président et peut-être l'ensemble de la
société, je ne peux pas savoir combien de temps cela va prendre
pour qu'on arrive à trouver une solution à ce
problème-là. Pour l'instant, l'impression que j'ai, c'est qu'on
attend que l'expansion soit suffisamment rapide pour que le problème se
règle de lui-même. Or, je pense que c'est une attitude très
inefficace compte tenu des circonstances. C'est ce que je dirais
là-dessus. Ces pressions protectionnistes, on les comprend dans la
situation actuelle. Le déficit extérieur est considérable.
Il est vrai que les entreprises américaines sont plus concurrentielles,
mais, à mon avis, tout cela doit être relié à la
politique budgétaire initiale. Lorsqu'on prendra des positions, qu'on
trouvera des solutions au problème du déficit budgétaire,
je pense que tout le reste va s'ensuivre.
M. MacDonald: Donc, ce n'est pas pour demain? (10 h 45)
M. Raynauld: Je dirais: Pas d'ici un an.
M. MacDonald: Ce serait une sorte de virage.
M. Raynauld: Oui.
M. MacDonald: D'accord.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Raynauld,
cela nous fait plaisir de vous accueillir ce matin à cette tribune de 10
heures, la tribune des spécialistes. Après les Parizeau, Landry,
Blouin, Turp et Tremblay, vous venez noua apporter un éclairage
additionnel.
Sur ce que vous avez mentionné ce matin, je n'ai pas de question
précise. Là où j'ai beaucoup de questions, c'est sur les
écrits dont j'ai eu la chance de prendre connaissance et qui vont un peu
plus loin que ce que vous nous avez dit ce matin. Ils méritent
certainement qu'on profite de cette tribune pour se faire éclairer un
peu, parce que je ne suis pas sûr qu'après avoir dit que vous
êtes totalement pour le libre-échange on soit sur la même
longueur d'onde lorsqu'on entre un peu dans les détails.
Je m'explique. D'abord, vous disiez, dans la revue L'analyste en
décembre 1985 -je pense que ce sont toujours des propos que vous tenez
aujourd'hui - que vous êtes favorable à une libéralisation
aussi complète que possible. Vous l'appelez une libéralisation
globale. Vous dites: "Ma préférence va à une approche de
type globale vis-à-vis des États-Unis plutôt qu'à
une approche dite sectorielle. Mais les modalités de transition et
d'application pourraient comporter certaines mesures de type sectoriel ou
l'abandon plus progressif de certaines politiques restrictives."
Dans votre politique globale que j'aimerais que vous puissiez nous
définir, je retrouve ailleurs dans vos écrits, toujours à
la même époque, l'automne 1985, que vous mentionnez être en
faveur de l'inclusion de l'agriculture dans ce traité global et je vous
cite: "J'espère que tous les produits agricoles ne seraient pas exclus.
Après avoir parié des possibilités d'exclure, vous
souhaitiez grandement que tout ne soit pas exclu.
J'ai cru comprendre de tous les intervenants qui sont passés,
ici, à cette tribune et qui touchaient à ce secteur que
l'attitude gouvernementale et notre attitude à nous était de voir
à protéger cela au maximum et même d'exclure le secteur de
l'agriculture, et tout ce qui touche à l'agriculture,
c'est-à-dire les différentes infrastructures y
afférant.
Ma première question, M. Raynauld, c'est: Comment
définissez-vous cette libéralisation de type approche globale et
comment expliquez-vous, si c'est le cas encore aujourd'hui, que vous favorisiez
l'inclusion de l'agriculture ou d'une bonne partie des secteurs de
l'agriculture?
M. Raynauld: En fait, l'approche globale s'opposait vraiment,
dans cet article aujourd'hui, on en parle un peu moins - à ce qu'on
appelait alors une approche sectorielle. Même M. le ministre y faisait
allusion tout à l'heure. Dans l'étude du conseil
économique de 1975, on voulait travailler sur tous les fronts en
même temps. Donc, on travaillait sur les fronts sectoriels, tarifaires.
Ensuite, on soulevait également les questions du GATT sur lesquelles je
pourrai revenir dans un instant.
Alors, cette approche globale s'oppose à une approche sectorielle
où on dirait: Voilà, il y a l'automobile d'un côté
et, après cela, il y a les métaux non ferreux de l'autre et il y
a le papier en troisième lieu. J'ai toujours pensé que ces
approches sectorielles étaient moins avantageuses qu'une approche
globale, une approche où tous les secteurs sont mis sur le même
pied dans le sens où cela nous permet, lorsque tous les secteurs sont
mis sur le même pied, d'envisager une spécialisation.
Donc, il y a certains secteurs qui pourraient se restreindre et d'autres
secteurs qui pourraient prendre beaucoup d'expansion. Lorsque vous avez une
approche sectorielle, vous dites: C'est seulement ce secteur; il n'y a pas de
retombées autant sur les autres secteurs. Donc, je n'excluais pas
nécessairement une approche sectorielle, mais je disais que je
préférais une approche globale.
Un autre sens dans lequel j'entends cette notion d'approche globale,
c'est de dire, par exemple: Envisageons d'enlever tous les tarifs plutôt
que de voir cela, encore une fois, sur une base sectorielle. Une approche
globale, ce serait tous les tarifs. Cela serait global mais ça ne serait
pas nécessairement toutes les barrières non tarifaires d'un coup,
par exemple.
De là ma réticence un peu, à un moment
donné, lorsqu'on dit: Bien, est-ce que c'est aussi global que cela en a
l'air? Quand je dis ça, je dis simplement que ce n'est pas parce que je
n'y suis pas favorable; c'est parce que je prétends qu'il est
excessivement difficile de procéder à la réduction
progressive et à l'abandon de l'ensemble des politiques qui peuvent
avoir un effet sur le commerce extérieur d'un pays. Et il y a beaucoup
de politiques que nous avons qui n'ont aucun impact. Par conséquent,
elles ne devraient pas être touchées ou même
examinées. Je pense à des programmes de santé, par
exemple. J'ai déjà eu des débats avec des gens qui
disaient qu'on serait obligé d'adopter le régime de santé
américain, ce que je trouvais absolument stupide. Cela n'a pas d'impact
direct sur les échanges. Mais encore faut-il le prouver, cela dans
chacun des cas. Dans quelle mesure une subvention de développement
régional, par exemple, pourrait avoir un impact sur les échanges,
sur les importations et les exportations? Dans quelle mesure est-ce
discriminatoire, autrement dit? Et ça, ce n'est pas facile. Cela fait
des années que les
gens essaient de mesurer cela et on n'a pas encore réussi.
En ce qui concerne l'agriculture, il est vrai que j'ai été
parmi ceux qui disaient qu'il n'était pas indispensable de dire qu'il
fallait, absolument et tout le temps, que l'agriculture soit une exception.
Ceci ne veut pas dire qu'on pourrait traiter l'agriculture comme tous les
autres secteurs. Mais dire qu'a priori on ne doit pas toucher à
l'agriculture, même pas la regarder, je trouve ça excessif. C'est
pour ça que j'ai pris un petit peu cette contrepartie.
Toujours en ce qui concerne l'agriculture, il y a une étude qui a
été faite par l'UPA. J'ai aussi entendu des entrevues avec M.
Proulx, le président de l'UPA. Mais M. le président de l'UPA
aurait pu aussi suivre M. Proulx qui était son économiste
à l'UPA et cet économiste-là, lui, il dit la chose
suivante après avoir examiné l'agriculture du Québec, et
je le cite: "II y a au Québec plus de production compétitive que
non compétitive en agriculture. Le résultat net pour l'ensemble
du secteur devrait être en principe positif". Cela ce n'est quand
même pas la fin du monde. Là, il identifie effectivement les
secteurs où le Québec est compétitif et la grosse
exception, évidemment, où on ne l'est pas, c'est le secteur des
oeufs et de la volaille.
Maintenant, encore une fois, quand on regarde une politique d'ensemble
comme celle-là, je dis: Bien, ça ne serait peut-être pas si
catastrophique que ça d'avoir le libre-échange en agriculture,
mais il faudrait accepter, à ce moment-là, qu'il y ait, là
aussi, comme dans toutes les autres industries, une certaine rationalisation et
une certaine adaptation. C'est pour ça qu'on demande une période
de transition et c'est aussi pour ça que les gouvernements devront
essayer d'aménager cette transition-là de la façon la plus
efficace possible.
Bon, alors, encore une fois, je pense qu'à l'heure actuelle
à peu près tout le monde est d'accord pour dire qu'on . va
reporter ça à un autre moment. On en a assez sur la table. Je
n'ai pas l'impression qu'il va y avoir de très grosses pressions de part
et d'autre en ce qui concerne l'agriculture, dans son ensemble. Sauf que dans
l'agriculture il pourrait y avoir des protocoles sur certaines subventions, par
exemple, qui pourraient être déclarées inadmissibles dans
un régime comme celui-là et ça pourrait s'appliquer
indirectement à l'agriculture.
M. Parent (Bertrand): Mais si je comprends bien cet aspect de
l'agriculture bien spécifique, M. Raynauld, aujourd'hui, en septembre
1987, vous êtes toujours d'accord, même si à peu près
tout le monde veut l'exclure parce qu'il y en a beaucoup sur la table et parce
que c'est dangereux, pour l'inclure, du moins une bonne partie.
M. Raynauld: Ma position est que je ne voudrais pas l'exclure a
priori. Mais je sais que, lorsqu'on va vouloir l'inclure, il va y avoir
beaucoup de problèmes. À ce momenf-là, je me dis que
ça serait peut-être sage de reporter, si on veut, l'inclusion de
l'agriculture à une étape ultérieure. C'est ça, au
fond, que je dis. Je dis qu'il ne faudrait pas exclure l'agriculture a priori
et pour toujours. L'agriculture est, quand même, un secteur très
important et nous avons beaucoup d'avantages à gagner là aussi,
comme dans d'autres industries. Si on veut conserver, par exemple,
l'accès au marché américain pour le porc, il ne faut pas
s'imaginer qu'on va être capable de vendre tout le porc que l'on veut aux
États-Unis et qu'après cela, quand il s'agira d'un autre produit
qu'on va importer, on diras Non, on n'importe rien. On ne peut pas jouer sur
les deux tableaux. C'est un peu pour sauvegarder les secteurs en expansion en
agriculture que je dis cela pour sauvegarder ceux qui sont concurrentiels et ne
pas les mettre en danger.
M. Parent (Bertrand);:Je vous remercie. Je reviendrai
tantôt.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre des
Relations internationales et ministre délégué aux Affaires
intergouvemementales canadiennes.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Raynauld,
je veux tout d'abord vous remercier d'avoir accepté de venir
témoigner devant nous ce matin. De par votre expérience comme
économiste, comme président du Conseil économique du
Canada et comme professeur d'économie, vous êtes
particulièrement bien placé pour nous livrer vos commentaires sur
les possibilités de libre-échange avec les États-Unis.
Vous nous avez démontré avec beaucoup de conviction que vous
êtes favorable à un tel traité de libre-échange
entre les États-Unis et le Canada et que, pour vous, l'avenir
économique du Canada d'une façon générale et du
Québec d'une façon plus particulière passe par un tel
traité, une telle entente de libre marché entre les
États-Unis et le Canada, incluant, bien sûr, une période de
transition sur laquelle vous avez insisté.
M. Raynauld, j'aimerais vous poser une question qui, je vous l'avoue, me
tracasse un peu et qui est peut-être dans la suite de cette question que
vous a posée au tout début mon collègue, le ministre du
Commerce extérieur, M. MacDonald. On sait que - vous avez insisté
sur ce point - le libre-échange avec les États-Unis signifie,
bien sûr, en premier lieu, que nos industries doivent être capables
d'être en concurrence,
en compétition avec les industries américaines tant sur le
terrain américain que sur le terrain canadien et
québécois. Être en compétition veut dire être
productif, avoir une production de qualité, à bon compte. Mais
dans ce cadre, j'aimerais vous poser une question concernant le taux de change
entre nos monnaies, la monnaie canadienne et la monnaie américaine.
M. Raynauld, comment voyez-vous l'évolution de ce taux de change
dans les prochaines années? C'est-à-dire que maintenant, nous en
sommes environ à 0,25 $ de différence entre le dollar canadien et
le dollar américain. Il n'y a quand même pas tellement longtemps,
c'était 0,30 $ et même un peu plus. On sait à quel point
cela peut être important pour, justement, cet élément de
concurrence que nous pouvons établir, entre autres, dans le secteur
primaire, dans le secteur mou. Comment peut-on voir l'évolution de ce
taux de change en fonction de ce que vous avez dit tout à l'heure
concernant ce déficit important - de plus en plus important - du
commerce extérieur des États-Unis et ses conséquences,
justement, sur la valeur du dollar américain qui perd de la valeur?
Comment prévoir cette évolution du taux de change et quelle
conséquence cette évolution du taux de change entre les deux
monnaies pourrait-elle avoir sur la possibilité pour nos entreprises
d'être concurrentielles avec l'entreprise américaine?
M. Raynauld: Je vous remercie, M. le ministre. C'est une question
très vaste. Ma réaction spontanée à votre question,
c'est de dire que le taux de change est un résultat. Je pense qu'il ne
faut pas voir le taux de change comme une variable de départ sur
laquelle on va agir pour obtenir tel ou tel résultat. Le grand
intérêt du taux de change c'est que, si cela va mal et qu'on a de
la difficulté à concurrencer les entreprises américaines,
cela veut dire qu'on va vendre moins et importer davantage. (11 heures)
Je mets de côté les mouvements de capitaux pour l'instant.
Si je vends moins et que j'importe davantage, cela veut dire que le taux de
change va baisser et va permettre aux entreprises de redevenir concurrentielles
sur le marché américain. Si ça va bien et qu'on se met
à vendre plus qu'on n'achète, la valeur du dollar canadien va
monter et va permettre aux Américains d'être plus concurrentiels
vis-à-vis de nous qu'ils ne l'étaient. Oonc, le taux de change,
c'est la variable d'ajustement, d'adaptation qui permet aux équilibres
de rester des équilibres. C'est rassurant de poser le problème de
cette manière dans le sens où il est impossible - il y a des gens
qui craignent cela - que tout à coup les Américains nous
envahissent et qu'on ne soit vraiment pas capables de leur faire concurrence.
Ce n'est pas comme cela que cela se passe. Le prix qui change lorsqu'une
situation comme celle-là se produit, c'est précisément le
taux de change.
Cela dit, il y a des études économiques qui ont
été faites pour essayer de voir quelles seraient les tendances du
taux de change, compte tenu de tous les autres impacts. Une récente
étude du Conseil économique du Canada démontre que le taux
de change augmenterait légèrement. Dans la première
étude qu'on avait faîte au Conseil, au contraire, le taux de
change baissait légèrement aussi. Il y avait une certaine
compensation, mais en 1975, c'était basé sur des données
beaucoup plus anciennes, le Canada était moins compétitif qu'il
ne l'est maintenant vis-à-vis des États-Unis. C'est la raison
pour laquelle on envisageait que le taux de change allait baisser au
début des années 1970. Effectivement, peut-être qu'on
pourrait dire qu'on avait raison, c'est exactement ce qui s'est produit
à partir de 1976. On a publié notre étude en 1975 et on
avait dit à ce moment-là que le taux de change devrait baisser au
Canada; il a baissé, mais il a probablement baissé plus que ce
qu'on avait prévu.
Cela dit, je réponds en disant: Le taux de change, c'est la
variable qui va s'adapter à la situation, qui va compenser pour des
déséquilibres éventuels qui pourraient se produire.
Finalement, encore une fois, si on se fie aux études d'impact qui ont
été faites, on pense que le taux de change n'aurait pas besoin de
baisser pour s'adapter à cette situation et qu'au contraire il pourrait
monter légèrement.
Je ne sais pas si cela répond à votre question. J'ai,
évidemment, laissé de côté les mouvements de
capitaux qui sont autre chose, mais, à mon avis, si j'essaie
d'introduire les mouvements de capitaux là-dedans, ce serait
probablement un facteur de baisse du taux de change dans le sens où il
me paraît nécessaire qu'il y ait davantage d'exportations de
capitaux aux États-Unis de la part des Canadiens, de façon
à mettre sur pied des circuits de distribution et à profiter,
pour une fois, de cet accès au marché américain qu'il ne
va y avoir de capitaux qui vont venir des États-Unis au Canada. Par
conséquent, cela devrait accentuer les tendances des cinq ou dix
dernières années où ce sont des entrepreneurs canadiens
surtout qui essaient d'aller aux États-Unis; ceci est une sortie de
capital et, par conséquent, une force à la baisse sur le taux de
change.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Raynauld,
lorsqu'on parle de
libre-échange avec les États-Unis, la principale
préoccupation d'à peu près tous les groupes, quels que
soient les secteurs, c'est le type de structures industrielles que nous avons,
c'est-à-dire formées pour la plupart de petites et moyennes
entreprises. Ces PME sont davantage vulnérables par rapport à la
grande entreprise qui, elle, a les moyens de se défendre face à
une plus grande compétitivité.. La structure industrielle du
Québec devra certainement prévoir des mécanismes et le
gouvernement devra s'assurer qu'il donnera - la plupart des intervenants
étaient d'accord là-dessus - des coffres d'outils importants.
Là où on se mettait davantage d'accord, c'était sur la
recherche et le développement où il faut augmenter l'aide.
L'autre point sur lequel la plupart des intervenants ont
été d'accord - j'ai compris aussi que le gouvernement
était d'accord sur ce point - c'était d'augmenter l'aide et les
outils pour l'exportation, ouvrir de nouveaux marchés, aller chercher
des réseaux, des plans de marketing et tout ce que cela peut comporter.
Or, avec cette toile de fond qui nous anime aujourd'hui, je suis très
préoccupé par vos propos face à la structure industrielle
et particulièrement face à l'aide aux PME que vous qualifiez
comme n'étant peut-être pas tellement nécessaire.
En mars 1984, vous déclariez que la seule stratégie
susceptible de réussir, dans l'exportation comme ailleurs, consiste
à se doter d'entreprises suffisamment concurrentielles pour pouvoir se
dispenser de l'assistance de l'État. Jusque-là, je vous comprends
et je vous suis. Par contre, vous dites dans le numéro du printemps 1984
de L'Analyste que "dans le domaine des exportations, on a invoqué
à l'appui des programmes d'aide le bien-être des petites et
moyennes entreprises et le développement régional. Pour ce qui
concerne les PME, on m'excusera une fois de plus si je suis iconoclaste, je ne
vois pas l'intérêt de les privilégier dans l'aide à
l'exportation." Vous continuez en expliquant pourquoi. Est-ce que vous avez
toujours cette approche, cette philosophie où vous ne voyez pas qu'on
ait à privilégier les PME dans l'aide à l'exportation,
toujours face au défi qui nous attend actuellement d'aller
conquérir, justement, le marché américain?
M. Raynauld: Je vous remercie pour la question. Mais, j'ajouterai
tout de suite que, dans l'article que vous citez, le contexte était
complètement différent de celui dont nous parlons aujourd'hui.
L'aide à l'exportation, dont je parlais à ce moment-là,
était dans le contexte de l'aide à l'exportation pour les pays en
voie de développement essentiellement. C'était dans le contexte
des politiques canadiennes d'aide à l'exportation et, en particulier,
des activités de la Société pour l'expansion des
exportations.
Donc, dans ce contexte-là, je maintiens ce que je disais à
ce moment-là que je ne vois pas pourquoi on privilégerait des PME
plutôt que de grandes entreprises pour aller exporter dans les principaux
pays d'Afrique ou d'Amérique latine, là où les risques
sont beaucoup plus élevés. Je n'affirmerais pas la même
chose s'il s'agissait de commerce avec les États-Unis parce que
là les relations sont beaucoup plus faciles, les marchés sont
mieux connus, les gens se connaissent, les risques de non-paiement sont
beaucoup inférieurs à ceux qu'on peut imaginer pour les pays en
voie de développement. Par conséquent, je ferais donc une
distinction importante.
Mais je maintiens effectivement que, si on veut avoir une politique
d'aide à l'exportation il faut essayer de mettre les cartes de notre
côté. Pourquoi dire, au point de départ: On n'aide pas les
entreprises qui seraient les plus susceptibles de faire cette exportation parce
qu'elles sont supposément grandes et, après, aller mettre tous
nos oeufs pour essayer de favoriser des PME alors que ce sera très
difficile, sinon impossible? Encore une fois, je parlais des pays en voie de
développement. II faut bien se rendre compte que lorsqu'on parle de ces
pays-là, on parle de périodes très longues. II faut que
les PME puissent faire des investissements pendant cinq ans de suite avant de
commencer à voir le premier bout d'un achat payé, etc.
C'était donc dans ce contexte-là. Encore une fois, dans le
contexte américain, je ne dirais pas du tout la même chose.
Cela pose un autre problème. L'aide, identifiée et
authentique, à l'exportation proprement dite, à mon avis, dans un
régime de libre-échange entre les deux pays, ce sera très
difficile à faire parce que, s'il y a quelque chose de discriminatoire,
c'est bien cela sur les échanges. Je disais au début, dans ma
présentation, que les premières mesures qui seront
touchées dans le domaine non tarifaire, les plus évidentes,
à mon avis, c'est l'aide à l'exportation, l'aide directe sous
forme de subventions à l'exportation. S'il y a quelque chose où
on dit carrément que c'est pour exporter et pour empêcher les
importations des autres pays, à ce moment c'est nettement
discriminatoire. J'ai l'impression que cela serait difficile à faire
sous la forme actuelle. Je sais qu'on peut imaginer bien d'autres façons
d'aider les entreprises à l'exportation. Mais, quand on parle d'aide
proprement dite, de subventions, je ne pense pas qu'on soit capable de faire
cela dans un régime de libre-échange.
Le Président (M, Charbonneau): M. le député
de La Peltrie.
M. Cannon: Merci, M. le Président. Au tout début de
votre intervention, M. Raynauld, vous avez indiqué votre
déception profonde quant à l'interruption des négociations
qui sont en cours sur une plus grande libéralisation des échanges
avec les Américains. Je comprends, évidemment, à la suite
de vos propos, vous qui êtes une personne qui favorise un plus grand
échange avec les Américains, votre déception dans ces
circonstances.
Par ailleurs, tout au long de la commission parlementaire, nous avons
entendu des personnes qui ont été appelées à
commenter l'option statu quo. Je pense qu'aujourd'hui vous l'avez
commentée à la suite d'une question du ministre MacOonald en
disant: Écoutez, ce n'est pas une option parce que, finalement, c'est
une détérioration de nos relations avec les Américains si
cette situation continue*
Vous avez également parlé de ce que l'histoire nous
enseigne. Je pense que c'est le troisième ou le quatrième point
de votre propos. J'aimerais vous entendre commenter la troisième option
qui avait été proposée durant les années
soixante-dix, au tout début des années soixante-dix, par le
gouvernement Trudeau sous la direction de Mitchell Sharp. C'était
là une alternative à notre capacité d'exporter sur les
marchés étrangers et qui était "saupoudrée", entre
guillemets, d'une agence de tamisage des investissements étrangers
dirigée notamment vers les Américains qui, depuis des
années, se sont opposés à ce phénomène.
J'aimerais vous entendre sur ces questions et surtout sur l'aspect pratique de
ce que nous devrions faire advenant un échec dans ces «
négociations.
M. Raynauld: Je vous remercie de cette question. Cela me permet
de combler un vide. Parallèlement aux négociations que nous avons
avec les États-Unis, nous devrions, à mon avis, poursuivre des
négociations très actives au sein du GATT, donc des
négociations multilatérales. C'est un autre volet de la politique
commerciale canadienne qu'il ne faut pas négliger. Votre question
m'amène, justement, à souligner l'importance de cet autre volet.
Il ne faut pas être exclusivement branché sur la
libéralisation des échanges avec les États-Unis, mais il
faut aussi ouvrir d'autres marchés.
Cela dit, pour moi, la libéralisation des échanges avec
les États-Unis a toujours été la condition pour aller
à l'autre. La troisième option de M. Mitchell Sharp et du
gouvernement fédéral avait ce défaut d'essayer de
réorienter, de restructurer notre économie en fonction de
marchés qui n'étaient pas de l'Amérique du Nord, donc
essayer de développer des échanges avec l'Europe, avec le Japon,
mais surtout avec l'Europe et ceci en l'absence d'un effort sur notre principal
marché qui est celui des États-Unis. Je pense que c'était
voué à l'échec.
C'est un peu comme cela que j'ai perçu cette troisième
option dans le temps et, encore aujourd'hui, je la perçois comme une
espèce de voeu pieux disant: il faut qu'on diversifie nos
marchés, il faut qu'on puisse vraiment faire affaire avec d'autres pays
que les États-Unis, cette relation exclusive que l'on a avec les
États-Unis n'est pas saine. En théorie, c'est tout à fait
exact, sauf que, si ce n'est pas disponible, à ce moment, il faut bien
se contenter de ce qu'on a.
Il semblait que des relations sur notre principal marché
pouvaient être développées davantage. Les échanges
avec les tierces parties se sont toujours révélés
très difficiles à développer. Il faut rappeler encore que
la Communauté économique européenne représente
à peu près 7 % de nos exportations, les pays en voie de
développement, 10 %, puis il y a 5 % ou 6 % au Japon et tout le reste,
aux États-Unis. C'est à peu près 75 % à 80 %, selon
les années. (11 h 15)
Ces proportions inférieures à 10 % sur les marchés
européens ou japonais semblent très difficiles à modifier.
Encore une fois, il se peut que ce soit à cause de la construction de la
Communauté économique européenne qui n'était pas
propice, à ce moment, à une ouverture plus grande
vis-à-vis d'un pays comme le Canada ou inversement. Il se peut que la
conjoncture aussi, étant donné le taux de change dont nous
parlions tout à l'heure qui s'est apprécié
vis-à-vis des devises tierces et qui s'est déprécié
par rapport au dollar américain, évidemment, ait eu pour effet
une concentration accrue, encore une fois, des échanges avec les
États-Unis. Cela peut être conjoncturel. Il reste que, si on veut
être capable d'être concurrentiel sur d'autres marchés, il
faut d'abord, à mon avis, être concurrentiel sur le marché
américain. C'est un des avantages que nous avons. Si on peut obtenir la
libéralisation des échanges avec les États-Unis, cela va
permettre à nos entreprises d'être plus concurrentielles et,
après cela, de s'attaquer à d'autres pays, à d'autres
marchés beaucoup plus difficiles.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Raynauld. M. le
député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui, M. le Président. Je pense qu'il
nous reste peu de temps, peut-être le temps de vous poser une
dernière question. Malheureusement, on en aurait eu beaucoup d'autres.
Dans les raisons qui vous amènent à être tout à fait
pour une très grande libéralisation des échanges, voire
une entente globale, vous dites que le Canada est plus vulnérable que
les autres pays face à cette mondialisation des
activités et ce, pour deux raisons principales: d'une part, parmi
les pays avancés, le Canada est l'un des rares qui n'ait pas encore un
accès garanti à un marché important. Je suis d'accord avec
vous, mais est-ce que vous croyez que l'accès garanti au marché
américain, incluant la Défense nationale, sera quelque chose
d'acceptable par les Américains? Est-ce qu'ils nous laisseront aller?
Est-ce qu'ils nous donneront cet accès garanti à leur
marché et à leur marché global?
M. Raynauld: Cela, je n'en sais rien. Vous soulevez le
problème de la Défense nationale. C'est un produit tout à
fait particulier.
M. Parent (Bertrand): Oui, mais important en termes de...
M. Raynauld: Oui, très importante II ne faudrait pas, non
plus, sacrifier ou oublier tout le reste. Je pense que la défense va
être sûrement traitée sur une base ad hoc. On ne pourrait
pas imaginer un pays qui dirait: Pour tous les produits de la défense,
il n'y aura vraiment aucune restriction, d'aucune sorte. Je pense que ce serait
rêver en couleur. Mais, un accès garanti à tout le reste ne
serait pas négligeable, non plus. Même si on n'a pas un
accès garanti sans aucune restriction aux produits de la défense,
cela ne veut pas dire qu'on ne pourrait pas avoir accès à tous
ies autres marchés. Par conséquent, cet accès garanti me
paraît effectivement très important.
Je vais même aller plus loin que cela. Moi, je prétends
que, depuis 15 ou 20 ans, on a abaissé de façon
considérable les tarifs vis-à-vis des États-Unis. Les
Américains ont aussi abaissé leurs tarifs vis-à-vis du
Canada, mais on n'a pas été capable d'en
bénéficier, c'est-à-dire qu'on a perdu sur les deux
tableaux. On a perdu la protection et on n'a pas eu l'avantage de la
libéralisation des échanges. Un accès garanti pour moi,
cela veut dire que cela permet à un homme d'affaires de dire: Je veux
rentrer sur le marché américain. Il faut que je construise trois
usines, il faut que j'aie un circuit de distribution, il faut que je
dépense 1 000 000 000 $. Il ne va pas dépenser 1 000 000 000 $
s'il se dit: Ah, bien oui, mais demain matin, tout à coup qu'une
décision américaine me ferme mon marché. Alors, on ne fait
pas les investissements nécessaires pour aller sur le marché
américain aussi longtemps qu'on n'a pas cet accès garanti. C'est
là qu'est vraiment ta différence.
Sûrement que plusieurs vous l'ont déjà dit, il y en
a qui prétendent cela et qui disent: On n'a pas grand-chose à
gagner. De toute façon, les tarifs sont rendus à 2 % ou à
3 %. C'est vrai, cela, sauf qu'on n'a pas l'accès garanti. Alors, c'est
comme si on n'en avait pas. C'est comme si les tarifs étaient à
15 % ou à 20 % comme ils l'étaient dans les années
soixante. Il faut que non seulement ies tarifs baissent et que des obstacles
s'enlèvent, mais il faut, en plus, un mécanisme qui va nous
assurer d'une pérennité ou du temps nécessaire pour qu'un
homme d'affaires puisse faire de3 investissements.
M. Parent (Bertrand): Je comprends très bien, M. le
Président, en terminant, et je suis d'accord qu'il faut exiger cet
accès garanti. Mais, si le gouvernement américain, le
gouvernement Reagan décidait, M. Raynauld, de ne pas donner cet
accès garanti que le Canada réclame, croyez-vous que ceci
pourrait être un aspect majeur pour faire achopper les
négociations?
M. Raynauld: Oui. Mais, pour moi, c'est l'essentiel de l'entente.
Alors, quand vous dites cela, c'est comme si vous me disiez: S'il n'y a pas
d'entente, qu'est-ce qu'on fait? Pour moi, cette entente a, justement, pour
objet d'assurer cet accès garanti et de connaître les conditions
avec lesquelles il pourrait y avoir des problèmes. Mais c'est
celâ, l'essentiel de l'entente. Donc, s'il n'y a pas d'entente, à
ce moment-là, c'est un tout autre problème.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Je crois que vous avez terminé sur la bonne
note, c'est-à-dire que vous avez repris la cause même qui nous a
amenés à embarquer dans une négociation avec les
États-Unis, c'est-à-dire cet accès au marché qui
peut nous donner la perspective des investissements qui vont créer les
jobs. Merci beaucoup d'être venu, M. Raynauld.
M. Raynauld: Bienvenue.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Raynauld, il ne me reste qu'à vous remercier, au nom des membres
de la commission, d'avoir participé à cet exercice. Je pense que
les gens l'ont apprécié. J'espère que ce retour à
l'Assemblée nationale pourra se répéter à d'autres
occasions, tout au moins à la commission de l'économie et du
travail.
M. Raynauld: Merci beaucoup. Avec plaisir.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. Nous allons
suspendre pour cinq minutes avant de passer à l'audition du prochain
groupe.
(Suspension de ta séance à 11 h 22)
(Reprise à 11 h 31)
Le Président (M. Cannon): Nous reprenons les audiences et
nous avons le plaisir d'accueillir le Conseil conjoint 91 des Teamsters du
Québec. Je vous rappelle, messieurs, les règles du jeu. Vous avez
une heure pour faire votre présentation. On vous consacre 20 minutes et
il y a une discussion de 20 minutes, de part et d'autre. Alors, sans plus
tarder, je vous demanderais de vous identifier pour les fins du
procès-verbal.
Conseil conjoint 91 des Teamsters du
Québec
M. Saint-Onge (Patrice): Mon nom est Patrice Saint-Onge. Je suis
conseiller syndical au Conseil conjoint 91. Je vous présente Louis
Lacroix, président du syndicat au Québec; François
Laporte, directeur des communications pour le syndicat au Québec et il
manque Pierre Soucisse, qui devrait arriver bientôt, qui est un agent
d'affaires.
Le Président (M. Cannon): On vous écoute.
M. Lacroix (Louis): M. et Mmes les commissaires, nous aimerions
vous remercier, tout d'abord, nous donner l'occasion de présenter notre
point de vue. Le syndicat des Teamsters du Québec représente des
milliers de travailleurs issus de tous les secteurs de l'industrie.
Le but du présent exercice est d'évaluer si l'impact
positif d'un accord de libre-échange Canada--États-Unis sera
contrebalancé par une myriade d'éléments négatifs.
À la suite de l'analyse des conséquences probables d'un accord
sur les industries de la bière, des liqueurs douces et du transport
routier de matériel, nous en sommes venus à la conclusion qu'il
serait néfaste pour le Québec.
L'accroissement certain du chômage dans presque tous les secteurs
de l'économie, l'absence de mesures de recyclage des travailleurs ainsi
déplacés, les problèmes structurels de l'industrie
canadienne et la différence marquée entre les systèmes
fiscaux et sociaux des deux pays nous portent à croire que les grands
perdants de cet accord seraient les travailleurs et la population. C'est
pourquoi nous nous opposons à la conclusion de tout accord global de
libre-échange Canada-États-Unis.
L'organisation des Teamsters du Québec représente
près de 32 000 membres répartis dans des domaines aussi
diversifiés que les brasseries, les liqueurs douces, les buanderies, le
transport de matériel et de passagers, les produits laitiers et les
produits phar- maceutiques. L'impact que pourrait avoir un accord de
libre-échange sur ces industries suscite chez nos membres des craintes
et des appréhensions. Prendre position pour ou contre le
libre-échange, au stade actuel des négociations, n'est pas chose
aisée. Le secret qui entoure les tractations de MM. Reisman et Murphy,
l'ignorance dans laquelle est laissée la population quant à leur
contenu et à leur portée nous empêche de porter un jugement
global sur un possible accord. En effet, s'agit-il simplement de
négocier l'abolition des barrières tarifaires? Le but
recherché est-il d'établir un marché commun? De ces
questions en découlent d'autres: quel sera l'impact d'un accord sur nos
lois, sur nos programmes sociaux et sur notre système de taxation?
Le manque d'information nous oblige à prendre position en tentant
d'évaluer l'effet qu'aura l'accord sur certaines industries
représentatives du marché de production de biens et services.
L'industrie de la bière. Structure de l'industrie. Il est
nécessaire, pour bien comprendre l'impact d'un accord de
libre-échange de replacer les données que nous possédons
dans leur contexte.
L'industrie de la bière au Canada présente une structure
régionale. En effet, il existe actuellement 39 brasseries
réparties dans toutes les provinces, sauf
l'Île-du-Prince-Édouard. Le Québec, pour sa part, en compte
trois. Cette structure est due, tant au facteur historique de la
difficulté de transporter la bière sur de grandes distances
qu'à la réglementation provinciale. En effet, les provinces ont
juridiction sur la vente et la distribution de biens. Chacune a donc
dressé une série de mesures protectionnistes dans le but de
préserver son marché et de créer de l'emploi chez
elle.
La plus importante de ces mesures est certes celle qui
édicté que, pour vendre sa bière dans une province, une
brasserie doit y exercer son activité. L'industrie canadienne est donc
décentralisée à l'extrême. Au Québec, la
concentration de l'industrie a permis de limiter la répartition du
marché entre trois brasseurs.
La situation de l'industrie aux États-Unis est tout à fait
différente. L'absence de barrières protectionnistes entre les
États a permis d'établir de grands centres de production qui
desservent plusieurs régions; qui dit grand centre dit aussi
économie d'échelle. Pour être en mesure de concurrencer
efficacement l'industrie américaine, les brasseurs canadiens seront
forcés de rationaliser leur production, c'est-à-dire qu'ils
devront fermer une grande partie des usines existantes afin de concentrer leur
production dans de vastes centres. L'industrie de la bière se retirera
donc de certaines régions, provoquant une recrudescence de chômage
à ces endroits.
Production et situation du marché. L'industrie canadienne de la
bière produit actuellement à environ 83 % de sa capacité.
Celle du Québec produit, pour sa part, à environ 65 % de sa
capacité. En termes de marchés, la production excédentaire
canadienne pourrait desservir un nouveau marché qui correspondrait
à la moitié de la population du Québec L'excédent
de l'industrie québécoise pourrait, pour sa part, couvrir une
région équivalente aux Maritimes.
De son côté, l'industrie américaine ne produit
qu'à 75 % de sa capacité. Les 25 % excédentaires
représentent trois fois la consommation canadienne. En d'autres termes,
l'industrie américaine pourrait, du jour au lendemain, sans hausser ses
frais de production, inonder le marché canadien de ses produits. Il y a
donc un danger imminent de dumping auquel l'industrie canadienne n'est pas
prête à faire face. Une telle éventualité mettrait
en péril la rentabilité, voire l'existence même, des
brasseries québécoises et, par voie de conséquence, les
quelque 6 000 emplois directs qui s'y rattachent, sans compter les milliers
d'emplois indirects.
Taxation et programmes sociaux. Les systèmes fiscaux
américain et canadien sont des éléments qu'il faut aussi
considérer lorsqu'on examine la rentabilité de l'industrie. D'une
part, les brasseries canadiennes font partie des industries les plus largement
taxées. Les deux paliers de gouvernement tirent d'impartantes sources de
revenus de la taxation directe et indirecte des compagnies et de leurs
produits., De même, l'imposition des revenus des salariés de
l'industrie de la bière, qui font partie des travailleurs ayant les
meilleurs revenus de l'industrie, procure de larges revenus à
l'État. D'autre part, les brasseries américaines
bénéficient du système fiscal américain, qui
épargne, dans une large mesure, les compagnies.
Advenant un accord de libre-échange, les compagnies canadiennes
seraient désavantagées, le prix unitaire de leurs produits
étant supérieur à celui des produits américains.
Dans un tel cas, les gouvernements fédéral et provinciaux
accepteront-ils de réduire leurs revenus pour permettre à
l'industrie canadienne de demeurer concurrentielle? Et, en cas de
réponse affirmative, dans quelle mesure cette diminution des revenus
gouvernementaux affectera-t-elle les services sociaux auxquels est
habituée la population tant canadienne que québécoise?
D'autre part, si les niveaux de taxation sont maintenus à leurs
taux actuels, il est difficile de croire que l'industrie canadienne conservera
bien longtemps sa part du marché, auquel cas nous prévoyons,
encore une fois, des pertes d'emplois.
Période de transition. Une période de transition d'une
dizaine d'années pourrait sans doute permettre à l'industrie
canadienne de prendre les moyens pour survivre. Cependant, le coût des
modifications qu'il y aurait lieu d'apporter à l'industrie est
évalué par l'association des brasseurs à 2 000 000 000 $.
L'industrie étant actuellement incapable de débourser une telle
somme, il est à prévoir qu'une aide gouvernementale sera
demandée. D'autre part, comme nous le mentionnions plus haut, la seule
réelle méthode de rationalisation consiste à fermer des
usines dans certaines régions. Qu'adviendra-t-il des travailleurs qui
perdront leur emploi? Quel niveau de gouvernement prendra en main le programme
de recyclage qu'il sera essentiel de mettre en place? Qui en assumera les
coûts? À l'heure actuelle, on ignore encore tous les
éléments qui doivent composer la solution à ce
problème. La seule instance à s'être prononcée sur
le sujet, la commission MacDonald, proposait d'utiliser les 4 000 000 000 $ de
fonds d'assurance-chômage pour financer les programmes de recyclage, ce
qui, selon nous, ne constitue pas une solution réaliste.
Les gouvernements et les économistes s'entendent pour dire que
l'une des conséquences d'un accord de libre-échange sera la perte
de milliers d'emplois. Cependant, on nous promet la création de
centaines de milliers de nouveaux emplois. Jamais personne, ni les
gouvernements ni les spécialistes n'ont pu . promettre aux travailleurs
qui perdront leur emploi qu'ils pourront s'en trouver un nouveau qui respectera
les mêmes conditions de travail. Prenons un exemple. Un travailleur de
chez Labatt ou Molson perd son emploi en raison de la restructuration de
l'industrie qui découle du libre-échange. Ce travailleur ne
possède aucune garantie qu'il se trouvera du travail parmi les nouveaux
postes créés. De plus, s'il se trouve un nouvel emploi,
arrivera-t-il à trouver des conditions similaires à celles dont
il bénéficiait avant? Les conditions étant
généralement dues à de longues luttes syndicales,
devra-t-il reprendre les négociations au bas de l'échelle pour
retrouver son statut d'antan?
On se rend rapidement compte, à l'analyse, que les perdants d'un
accord de libre-échange le seront sur toute la ligne. Il ne s'agit pas
ici de protéger les emplois, mais bien de protéger les
travailleurs qui les détiennent et de veiller sur leur avenir. Tant
qu'un plan réaliste et bien étoffé n'aura pas
été élaboré, il est impensable de songer à
conclure un accord avec les États-Unis.
L'industrie de la boisson gazeuse. L'industrie de la boisson gazeuse
nous permet d'aborder un autre aspect des conséquences que pourrait
entraîner un accord de libre-échange. De 1978 à 1985, le
Québec est passé du deuxième au neuvième rang
des
consommateurs de boissons gazeuses au Canada. Durant la même
période, sa part de production canadienne est passée de 36,6 %
à 23,2 %. Quelles seraient les conséquences du
libre-échange sur cette industrie? Les usines d'embouteillage des deux
principales entreprises, Coke et Pepsi, sont implantées de part et
d'autre de la frontière Canada-États-Unis. Ces deux compagnies
ont déjà amorcé la centralisation de leur production dans
de grands complexes industriels. Devant la baisse de consommation au
Québec, le danger de voir la production transférée de ce
côté à l'autre côté de la frontière est
imminent. Les seules infrastructures qu'il serait alors nécessaire de
conserver au Québec se composeraient essentiellement de centres
d'entreposage, d'où la perte de centaines d'emplois. Les
considérations exprimées ci-haut quant au recyclage peuvent
trouver application pour ces travailleurs aussi.
Le transport routier de marchandises. Le transport de marchandise par
camion est un rouage essentiel de l'industrie nord-américaine. Au
Québec, ce secteur représente, avec ses 4 000 000 000 $ de
chiffre d'affaires, l'un des plus importants dans notre économie.
Historiquement, le transport a toujours été régi par une
abondante réglementation.
La situation aux États-Unis. En 1980, le gouvernement Reagan
procéda à une déréglementation partielle de
l'industrie du transport, ouvrant ainsi les portes de ce secteur à toute
une catégorie d'artisans. Il s'ensuivit une guerre de prix féroce
pendant laquelle tous les concurrents n'ont eu qu'un objectif: réduire
leurs coûts d'exploitation. Parmi les moyens employés, on note,
entre autres, une transgression systématique des règlements ayant
trait à ta sécurité routière. Malgré un
récent resserrement des contrôles, la qualité de
l'industrie ne reviendra que dans quelques années à son niveau
d'avant 1980.
On note aussi certaines lois qui ont un impact certain sur le
fonctionnement des compagnies de transport. Ce type de loi ne régit pas
précisément le transport, mais il génère des
conséquences qui influencent la façon de procéder des
compagnies. Citons, à titre d'exemple, les dispositions de la Loi sur
l'immigration, qui empêchent un travailleur québécois
d'exécuter un mouvement originant et destiné à
l'intérieur des États-Unis. De telles mesures entraînent
une augmentation des coûts d'exploitation.
Au Québec, on n'a pas encore assisté à une
déréglementation systématique de l'industrie du transport,
les normes existent donc toujours. On assiste même, depuis un certain
temps, à une tentative d'application plus rigoureuse de la loi.
Comme chez notre voisin, de nombreuses lois touchent de près ou
de loin l'industrie du camionnage, notamment la Loi sur l'immigration
canadienne.
Reste à déterminer l'impact d'un accord de
libre-échange sur la législation qui régit le secteur du
camionnage. De ce que nous avons exposé ci-haut, nous pouvons retenir
que le respect de la réglementation par les compagnies
québécoises entraîne pour elles des coûts
d'exploitation beaucoup plus élevés que pour les compagnies
américaines. Elles ne seront donc pas en mesure de soutenir la
concurrence. Si le gouvernement ne procède pas à un
réajustement à la baisse des normes, ce à quoi nous sommes
opposés de toute façon pour des raisons sécuritaires, on
pourra s'attendre, à plus ou moins brève échéance,
à la fermeture de nombreuses compagnies et à de massives mises
à pied de travailleurs. (11 h 45)
D'autre part, si le gouvernement modifie sa réglementation afin
de permetttre aux compagnies de diminuer leurs coûts de production, on
peut aisément prévoir une détérioration des
conditions de travail des camionneurs. Quelle que soit la position
adoptée par le gouvernement dans ce secteur de l'économie, on
peut s'attendre que ce soient les travailleurs qui en fassent les frais.
L'étude sommaire que nous venons de faire nous permet d'envisager
ce que sera l'avenir si un accord de libre-échange est convenu. L'effet
premier sera de mettre en concurrence des industries qui ne peuvent être
comparées. On peut donc s'attendre à la perte de milliers
d'emplois.
Par ailleurs, on ne connaît pas encore les mesures qui seront
mises en oeuvre pour aider les travailleurs qui seront victimes du
libre-échange. De même, on peut entrevoir que le choc des
régimes fiscaux des États-Unis et du Canada entraînera,
soit la fermeture d'usines au Québec, soit une diminution des services
sociaux auxquels nous sommes habitués.
Dans tous ces cas, les travailleurs et la population en
général auront à supporter les conséquences
négatives d'un accord. En tant que mouvement syndical, nous ne pouvons
être en accord avec de telles conséquences. C'est pourquoi nous
nous prononçons contre un éventuel accord global de
libre-échange Canada-États-Unis.
M. le Président, contrairement à l'intervenant
précédent qui a exprimé ses regrets à
l'égard des problèmes qui surgissent dans les négociations
sur le libre-échange, pour notre part, on s'en réjouit et on
souhaite ne plus en entendre parler.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur ce commentaire
pour le moins clair et explicite, je cède la parole au ministre du
Commerce extérieur.
M. MacDonald: Bonjour, messieurs! Merci d'être venus et de
nous avoir présenté votre mémoire. Comme vous le savez
très bien, sont venues devant nous pour traiter d'un sujet qui vous
intéresse l'Association des propriétaires d'autobus du
Québec, l'Association des camionneurs et l'Association des brasseurs du
Québec. La majorité des points que vous avez soulevés,
sinon la totalité, ont été abordés d'Une
façon plus ou moins approfondie, ce qui nous permettra de vous poser
quelques questions. Vous comprendrez également que nous ne poserons pas
les mêmes questions auxquelles on a déjà eu des
réponses.
Je dois commenter certaines de vos déclarations de la
façon suivante. Lorsque vous parlez des mesures de transition, vous
dites: On ne nous a pas dit et on ne voit pas la possibilité pour un
employé de se retrouver avec la garantie de retrouver un emploi avec les
mêmes conditions qu'il avait auparavant. Aujourd'hui, il n'y a pas
d'entente de libre-échange et à peu près 30 % ou 31 % des
travailleurs et travailleuses canadiens changent de "job" chaque année,
une personne sur trois. Des programmes de transition sans traité de
libéralisation des échanges n'existent pas dans un climat
économique où, de toute façon, et à un rythme ou
à une progression quasi géométrique, les gens changent de
"job" de plus en plus souvent à cause de la transformation des
industries.
En touchant une industrie que vous avez traitée plus
particulièrement, celle des boissons gazeuses, vous avez vous-même
cité les chiffres de diminution - dramatique, en fait - de livraison ou
de part de marché des boissons gazeuses. Ce n'est pas le
libre-échange ou la libéralisation d'échanges qui a
amené ces changements dans les habitudes des consommateurs. Ce n'est pas
non plus la libéralisation des échanges qui a amené et
amène chaque jour des changements technologiques.
Je dois indiquer que les gouvernements, particulièrement le
gouvernement du Québec qui a insisté là-dessus, ont
exigé que, s'il y avait entente de libéralisation, s'il y avait
des secteurs qui étaient plus affectés que d'autres - c'est
évident qu'il y en aurait -non seulement on voulait des périodes
de transition, mais des mesures de transition pour le recyclage des
employés et des mesures pour que les entreprises puissent
améliorer leur compétitivité pour demeurer dans le
marché. À l'heure actuelle, il n'y a pas de cela, mais le
marché change, qu'il y ait entente ou non. Pour moi, des mesures
vis-à-vis des changements qui, de toute façon, vont se produire,
la différence à l'intérieur d'une entente de
libéralisation, on a la période définie où il faut
s'ajuster...
Vous avez également traité des effets de la
déréglementation américaine sur la sécurité
et, sur ce plan, j'abonde dans le même sens que vous. Une
déréglementation totale et complète ne me semble pas avoir
donné, sur tous les plans, des résultats favorables et je n'ai
pas d'argument, je vous appuie entièrement dans cette
approche-là.
J'aurais deux questions à vous poser. Premièrement, vous
êtes totalement contre et vous souhaitez, comme vous l'avez dit, ne plus
en entendre parler. Dans le secteur qui vous préoccupe
particulièrement, je suis sympathique et je suis capable de comprendre.
J'ai entendu vos représentations et celles de vos
prédécesseurs sur le domaine et je vois qu'on compare des oignons
à des carottes, qu'on ne compare pas des dimensions et qu'on ne peut
pas, du jour au lendemain, se garrocher ouverts, en proie à une
concurrence de ce genre-là.
Mais il y a cependant d'autres secteurs et sûrement que vous
débordez, dans vos considérations générales, le
secteur de travail des Teamsters purement et simplement. N'y voyez-vous pas,
quelque part, sous une forme quelconque, un avantage à négocier,
premièrement, une protection de l'accès qu'on a
déjà aux États-Unis sur certains marchés, et, si on
pouvait la réussir, une plus grande ouverture de marchés.
M. Lacroix: Je vais répondre à une partie de la
question et je laisserai mon confrère répondre à l'autre.
Vous mentionnez qu'un Canadien sur trois change d'emploi. Il faut comprendre
que, quand on parle de l'industrie de la bière, ce n'est pas tout
à fait vrai. Il n'y a pas de travailleur qui change d'emploi dans
l'industrie de la bière. La moyenne serait peut-être de 1 sur 1000
qui, volontairement, quitte son emploi dans l'industrie de la bière. On
parle de salaire de 38 000 $ par année en moyenne, avec tous les
avantages reliés à cela. On parle aussi d'une industrie
où, depuis plusieurs années, on n'a pas de mises à pied,
avec des plans qui protègent en cas de mise à pied, avec un
revenu garanti, etc. On ne vit pas, dans l'industrie de la bière, de
changement d'emploi. On connaît, dans ce secteur en particulier, les
conséquences directes qu'aurait une entente de libre-échange,
demain matin.
Encore une fois, j'ai suivi, moi aussi, avec intérêt la
présentation de l'industrie de la bière face au comité.
Nous n'avons peut-être pas tout à fait les mêmes
préoccupations. On est assez grands pour savoir que, demain matin, s'il
y avait une période de transition de cinq ou dix ans et même s'il
n'y en avait pas, les brasseries s'arrangeraient pour survivre. Même si
cela signifie qu'elles devraient acheter des brasseries aux États-Unis
ou faire affaire à partir de Plattsburgh ou d'ailleurs, les
conséquences seraient que les brasseries seraient toujours en vie d'une
façon ou d'une
autre et continueraient à faire des profits d'une façon ou
d'une autre. Par contre, ce ne serait pas la même situation pour les
travailleurs au Québec. Nous, les travailleurs, ne pourrions pas nous
recycler ailleurs aux États-Unis dans l'industrie de la bière. Si
des emplois sont créés conséquemment au
libre-échange, ce ne seraient certainement pas des emplois à 38
000 $ par année les avantages et la protection que nous retrouvons dans
nos conventions collectives. Oe toute façon, s'il y avait des emplois
plus rémunérateurs ou aussi rémunérateurs, on doute
énormément que ce seraient les employés qui perdraient
leur emploi dans l'industrie de la bière qui auraient l'occasion de les
occuper. Pour nous, dans l'industrie de la bière, c'est clair qu'on a
tout à perdre et pas grand-chose à gagner dans cela. En fait, on
n'a rien à gagner.
Dans le secteur des boissons gazeuses, c'est vrai que, contrairement
à l'industrie de la bière, on a subi d'importantes mises à
pied parce qu'il y a eu rationalisation des centres de production, etc. Encore
une fois, on pense que, si le libre-échange devait se faire, c'est un
domaine où on pourrait subir de plus grandes mises à pied qu'on
en a subi jusqu'à présent sans possibilité de recyclage
avec des salaires et des conditions équivalents.
Quant à l'autre question que vous avez soulevée, je vais
laisser Pierre répondre.
M. Soucisse (Pierre): Sur l'objectif final du
libre-échange, ce n'est pas une question de dire... On ne s'est pas
réellement prononcés là-dessus en disant qu'on est pour ou
qu'on est contre. Ce qu'on reproche principalement au gouvernement
fédéral dans ses négociations, c'est
l'herméticité des négociations. C'est le "gardé
secret". Ce sont les emplois, les gens qui nous préoccupent avant tout.
Ce n'est pas de dire que, globalement, économiquement, ce sera
profitable. C'est beau en théorie, c'est beau sur papier sauf que nos
préoccupations ne sont pas là. Nos préoccupations sont
à savoir ce qui arrive aux travailleurs en place. Dans les discussions
portant sur le libre-échange, ces choses-là sont secondaires. On
verra que cela fait du plus ou du moins, on perdra des emplois, on en gagnera.
Sauf que, derrière ces emplois, il y a des individus et c'est notre
préoccupation. Notre principal reproche à l'égard des
négociations, jusqu'à présent, porte justement sur le
manque d'information aux principales parties en cause. On se demande finalement
quels secteurs seront sacrifiés au bénéfice de tel autre
secteur. C'est le genre de questions qu'on se pose et on est en droit de se les
poser pour ne pas dire, le lendemain de la signature sur le
libre-échange, que les effets vont traîner pendant cinq ans, dix
ans. Quel est le processus? Quelles sont les principales industries qu'on peut
pointer? Nous, on en pointe deux, trois. Sûrement que d'autres en ont
pointé dans le domaine du bois d'oeuvre, pour les poules, etc., chez les
agriculteurs et il y a d'autres secteurs susceptibles d'être
touchés. Au fond, ce sont les personnes derrière ces secteurs qui
nous préoccupent. Ce n'est pas la vision globale de dire:
Économiquement, cela va permettre à un investisseur
québécois ou canadien d'aller investir 1 000 000 000 $ dans le
centre des États-Unis. Cela ne nous apporte aucun emploi. C'est
peut-être beau économiquement, mais cela ne nous donne pas un
emploi de plus si notre intervention est dans ce sens.
M. MacDonald: Je suis content que vous ayez apporté
l'exemple du bois d'oeuvre et des poules. Le point que je voulais soulever et
sur lequel, je pense, je suis d'accord, c'est que, pour le créneau
particulier qui intéresse directement les membres des Teamsters, vous
avez de fortes appréhensions. En fait, vous aimeriez mieux qu'il n'y ait
pas d'entente vous touchant. S'il y avait une entente, vous voudriez être
complètement à part et ne pas être touchés par les
répercussions que cela pourrait avoir sur votre emploi. Je comprends
cela.
Cependant, si je prends ce que vous m'avez dit aussi, il y a d'autres
secteurs chez qui cela pourrait être avantageux. Vous aimeriez avoir
beaucoup plus d'information, mais il y a des secteurs, par exemple, comme le
bois d'oeuvre où les gens se sont présentés devant nous.
Eux, ils ont goûté au protectionnisme américain. Ils
veulent l'avoir, le libre-échange, ils l'ont déjà eu. Ils
veulent justement s'assurer d'être protégés d'une fermeture
encore plus grande sur l'exportation de leurs produits.
Je présume que vous n'êtes donc pas contre cette position
des travailleurs en forêt, mais, par contre, que vous vous
préoccupez pour les Teamsters ou pour les gens qui sont dans la
production de poules. C'est cela?
M. Lacroix: Ce qu'on se dit, finalement, c'est qu'il y en a qui
sont pour parce qu'ils en retireraient des avantages, mais nous, on est contre.
On se met un peu par rapport à des secteurs où on sait qu'on
serait affectés d'une façon directe avec de lourdes
conséquences. On se dit que, dans une négociation, il y en a qui
sont pour et d'autres qui sont contre. Finalement, il va falloir que les pour
aillent avec les contre. Alors, on va en subir inévitablement les
conséquences.
J'ai du mal à percevoir une entente où on aurait seulement
des avantages. Une entente sur le libre-échange, c'est bien
évident que, si on prend le bon côté, il va falloir qu'on
prenne le mauvais côté. Cela s'adonne que, dans les brasseries,
c'en est un
mauvais côté pour nous autres. C'est clair, c'est net. On
sait ce qui va nous arriver. C'est dans ce sens qu'on dit qu'on aimerait autant
ne pas entendre parler d'une entente parce qu'on est assez réalistes
pour savoir qu'il n'y aura pas que de bons côtés dans une entente
sur le libre-échange.
M. MacDonald: Je comprends ce que vous voulez dire. Pour nous, la
position a été qu'il y a de mauvais et de bons
côtés. Donc, il y a de mauvais côtés et on pose des
conditions. On est pour une entente, mais pas à n'importe quelle
condition. Je pense que l'impasse, hier, à Washington, démontre
très bien que, justement, on a des conditions et qu'on n'a pas
l'intention de revenir dessus.
M. Lacroix: Oui...
M. MacDonald: À toutes fins utiles, probablement qu'on
parie le même langage.
M. Lacroix: Écoutez, encore là, on est
habitués aux négociations. On se demande si ce n'est pas un
scénario pour permettre l'intervention du grand parrain qui va venir
comme sauveur avec le président des États-Unis conclure une
entente et amoindrir les difficultés. Il ne faudrait quand même
pas... L'avenir nous dira ce qu'il en est de cette question.
De toute façon, on aimerait que les politiciens à Ottawa
ou à Québec... On va avoir quelques centaines de travailleurs
représentant Labatt et Molson devant l'Hôtel du Parlement à
15 heures. On aimerait que vous veniez leur dire ou que vous leur donniez la
garantie de ne pas s'inquiéter et que, si jamais il y a perte d'emplois
par une entente dans le libre-échange, quelqu'un va leur garantir le
salaire et les avantages qu'ils avaient ou qu'ils ont présentement.
C'est tout ce qu'on demande: une garantie de protéger ce qu'on a acquis
pendant dix ans, quinze ans, vingt ans de luttes. Si on avait cela, si les
travailleurs avaient cela par écrit, peut-être qu'on pourrait
regarder cela différemment.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Lacroix,
de même que vos collègues, merci d'être là et
d'apporter cet éclairage sur vos préoccupations. Je suis
persuadé que le ministre sera devant le Parlement à 15 heures. On
va même retarder les travaux de cinq minutes s'il le faut. (12
heures)
Je comprends et je partage vos préoccupations parce que ce que
vous dites essentiellement, c'est que, pour vous, les jobs, le monde, c'est ce
qui vous préoccupe et vous n'avez pas les assurances
nécessaires.
Je vous rappellerai que, dès l'ouverture de cette commission, le
15 septembre, j'ai mentionné, dans le discours d'ouverture, que, pour
nous aussi de ce côté, l'enjeu, c'était l'emploi. Nous
réclamons à grands renforts des mesures très
spécifiques de la part du gouvernement et une politique de plein emploi,
des politiques globales concernant le recyclage et la formation. Nous n'avons
pas de plan précis actuellement.
À la page 2 de votre exposé, vous mentionnez très
clairement que le manque d'information vous oblige à prendre position
contre le libre-échange. Le gouvernement fédéral est le
premier coupable, je pense, et le gouvernement provincial a suivi dans la
même foulée, il n'y a pas d'information de leur part. Pour ma
part, je suis persuadé que les Teamsters ou la Coalition
québécoise d'opposition au libre-échange n'auraient pas
cette position, aujourd'hui, si on avait plus d'information. Si, au lieu
d'être à six jours d'une conclusion d'une entente comme on l'est
aujourd'hui, on avait été à six mois et qu'on tenait cette
commission parlementaire, je pense que les règles du jeu seraient
probablement différentes. Un coup qu'on a dit cela, on n'a rien
réglé parce que cette information n'a pas eu lieu pour toutes
sortes de raisons. Nous avons réclamé cette commission
parlementaire et ce débat public; je suis content qu'ils se tiennent et
je suis heureux que vous soyez là.
Vos préoccupations seraient les mêmes, mais de beaucoup
amoindries - j'aimerais que vous me le confirmiez - si vous aviez sur la table,
de la part du gouvernement, de la part du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu, un plan précis à savoir ce qui
va arriver des jobs. De là à dire qu'il va vous signer des
documents pour garantir les jobs à tout le monde, je ne pense pas que
qui que ce soit serait prêt à le faire, mais je pense que ee que
vous voulez imaginer, vous voulez avoir de la sécurité. Sur cela,
je ne peux que vous endosser. C'est-à-dire que les polices d'assurance,
même si le ministre nous l'a dit verbalement, je pense que ce n'est pas
suffisant. Ma préoccupation c'est à partir de l'exemple que vous
nous donnez en ce qui concerne les brasseries, le coût envisagé de
quelque 2 000 000 000 $ dont vous faites part à la page 4 de votre
mémoire, le coût des modifications à l'industrie en ce qui
a trait aux brasseries s'évalue à quelque chose comme 2 000 000
000 $. On peut s'imaginer le coût global que va apporter finalement le
libre-échange. Si le gouvernement du Québec - et je le
répète encore aujourd'hui - avant que ne soit conclue quelque
entente que ce soit, avait pu négocier - cela aurait pu se faire,
certes, dans la dernière année - des sommes importantes et
l'assurance que le gouvernement fédéral va nous
transférer... Dans l'ensemble du Canada, on le sait, c'est
le Québec et l'Ontario qui vont être principalement
touchés. Si l'Ontario protège le pacte de l'automobile, c'est le
Québec qui va être le plus touché à cause de ses
différents secteurs. C'est démontré dans toutes les
études et tout le monde est d'accord sur cela.
À partir de ce moment, du fait que le Québec aura besoin
d'investir plus d'argent, il ne faudrait pas se ramasser après une
entente de libre-échange en disant: On n'a pas les moyens de mettre les
montants d'argent qu'il faut, que ce soit pour la main-d'oeuvre, la
modernisation des équipements, la recherche et le développement
ou toute autre mesure qui pourra aider les entreprises et les travailleurs. La
préoccupation, je le répète, c'est que le gouvernement
fédéral va devoir faire un effort exceptionnel pour le
Québec. Je suis loin d'être sûr que, si on négocie
cela après que l'entente aura été signée, on va
être capable, effectivement, d'avoir la même position de force.
Ceci étant dit, ma première question concerne votre
dossier. Vous mentionnez quelque part - je pense que c'est à la page 3 -
que les barrières interprovinciales sont des embûches importantes
actuellement. Encore là, l'exemple des brasseurs fait en sorte que ces
barrières interprovinciales sont déjà des embûches
et ont créé, auprès des investissements dans le domaine
des brasseries, une dispersion un peu partout au Canada, y étant
obligés par ces lois. M. Lacroix, croyez-vous qu'une plus grande
abolition des barrières tarifaires interprovinciales aurait dû ou
devrait se faire en parallèle avec une entente sur le
libre-échange?
M. Lacroix: D'abord, je vous remercie de vos questions. Il faut
comprendre que les barrières tarifaires entre les provinces dans
l'industrie de la bière, c'est une chose à laquelle, à
venir jusqu'à aujourd'hui, on ne s'était pas opposés, bien
au contraire. Cela signifiait qu'une brasserie qui vend sa bière dans
une province pour les profits qu'elle fait dans cette province crée et
maintient des emplois dans cette province.
Il faut comprendre aussi que, si on laisse de côté, pour
quelques instants, les négociations sur le libre-échange, s'il
n'y avait pas de barrières tarifaires au niveau de la bière entre
les provinces, il n'y aurait pas non plus des brasseries dans chaque province.
Il y en aurait peut-être une à Toronto, une autre à
Montréal, enfin, il y en aurait quelques-unes à travers le pays.
Et, selon les problèmes géographiques ou encore de
négociation ou d'autre chose, c'est une situation qui pourrait
changer.
La situation, telle qu'elle existe présentement dans l'industrie
de la bière, avec ses limitations provinciales, a avantagé non
seulement les gouvernements en place, mais aussi les travailleurs et les
syndicats. Des emplois ont été créés et maintenus
dans les provinces où la bière se fabrique, se vend et se
consomme.
Il est sûr que si, demain - ce qu'on ne souhaite pas - il y avait
une entente sur le libre-échange, il serait impensable que ces
barrières-là demeurent pendant que les Américains auraient
accès, de leur côté, à l'ensemble du marché
canadien et que les brasseries canadiennes, elles, ne pourraient pas
transporter leur bière d'une province à l'autre parce qu'elles
seraient limitées par une loi. C'est impossible de penser cela, c'est un
non-sens complet et total. Il est évident que, pour survivre, les
brasseries, face à une possibilité de libre-échange,
devraient avoir absolument de gros centres de production comparables à
ceux qui existent aux États-Unis.
On donnait cet exemple. Une brasserie a été construite il
y a quelques années dans l'État de New York par Schlitz;
finalement, elle ne s'est jamais lancée en affaires parce que les ventes
avaient baissé. La capacité de production de cette brasserie
pourrait suffire à elle seule pour le marché total de la
bière au Québec et en Ontario. Quand on voit cela... Un autre
exemple. La bière qui se vend aux États-Unis, c'est en canette
essentiellement, en bouteille non retournable. Une "ligne" de canettes emploie
quatre personnes, une "ligne" de bouteilles à Montréal va
employer douze personnes. On peut vous citer des exemples comme cela, on en a
autant que vous en voulez.
On a visité récemment une brasserie de Budweiser, à
Williamsburg où la production est de 6 000 000 de barils. Une brasserie
comme la brasserie Labatt au Québec vend environ 2 000 000 de barils.
Vous voyez tout de suite que les comparaisons sont...
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Messieurs, vous avez exposé très bien
votre situation et on la comprend. Mais je pense également que vous ne
pourrez pas m'en vouloir ou en vouloir au gouvernement ou à l'Opposition
d'être concernés par les travailleurs qui n'ont pas 38 000 $
garantis par année, que ce soit dans le domaine de la foresterie, que ce
soit ailleurs dans des conditions canadiennes, et pour la potasse aussi, si je
reviens au Québec, que ce soient des agriculteurs qui font face
actuellement à des pressions dans le domaine de l'élevage du
porc. Je n'ai nommé que quelques secteurs. La même chose est vraie
pour ceux qui sont au salaire minimum ou ceux qui sont dans des industries
comme le meuble, pour prendre un autre exemple, ou certaines industries du
textile et qui sont venus nous dire que, pour eux, l'expansion de leur
marché, l'expansion
de leurs entreprises, la possibilité de plus de jobs pour plus de
gens, l'occasion qui pourrait être créée par une
libéralisation des échanges dans le secteur, c'était une
visée parfaitement légitime et c'est pour cela qu'ils soutenaient
l'initiative.
Pour ce que cela peut vous dire... Vous avez parlé, par exemple,
de la question de la rationalisation du commerce interprovincial avant de
s'ouvrir totalement aux États-Unis, vous avez totalement raison. Il y a
beaucoup d'ordre à mettre dans notre propre boîte avant même
de considérer de regarder une ouverture semblable vis-à-vis des
géants du Sud.
En terminant, je tiens à vous réitérer que la
position du gouvernement du Québec dans la négociation - on n'a
pas encore d'entente, je ne sais pas si on en aura une -en est une qui a
été balisée de conditions dès le départ.
Nous avons pris cette décision!et déterminé
ces conditions à l'avantage de tous les Québécois, ne
pouvant cerner notre position que sur l'avantage d'un créneau
étroit d'activités économiques ou un petit groupe de
travailleurs en particulier. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre.
M. Lacroix: On aimerait peut-être, avec votre permission,
M. le Président, permettre à un autre président, qui
représente les employés de Labatt de la ville de LaSalle à
Montréal, de même qu'au nom des employés de Labatt de la
ville de Québec et des employés de Molson de la ville de
Québec, de vous remettre une pétition signée par les
employés de l'industrie de la bière s'opposant au
libre-échange pour toutes les raisons qu'on vous a
énumérées.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, faites donc,
messieurs.
M. Lacroix: Cette délégation, d'ailleurs, est une
délégation composée majoritairement de
représentants de l'industrie de la bière qui, comme on l'a
mentionné, sont très préoccupés par cette
situation.
Le Président (M. Charbonneau): Le secrétaire de la
commission a pris possession de cette pétition que j'ai maintenant.
Alors, cela va être consigné au dossier des auditions de la
commission, sur cette question.
M. Lacroix: Je vous fais remarquer que cela ne comprend pas tous
les employés de la brasserie Labatt ou de Molson qu'on représente
en province. On n'a pas eu le temps de tous les voir et la seule raison de leur
absence de signature, c'est parce qu'on ne les a pas vus et non pas parce
qu'ils ne voulaient pas signer.
Le Président (M. Charbonneau): Même si le texte
n'est pas rédigé comme le prévoient les règlements
de l'Assemblée nationale, de consentement, on pourra peut-être
voir, de chaque côté, lorsque la session reprendra au mois
d'octobre, à déposer la pétition à
l'Assemblée nationale comme les pétitions peuvent y être
déposées. En terminant, M. le député de
Bertrand.
M. Parent (Bertrand): M. le président, étant
donné que le temps nous manque quelque peu, j'aurais peut-être un
dernier commentaire et une dernière question à vous poser.
Lorsque vous dites, dans votre mémoire, qu'advenant un accord de
libre-échange les compagnies canadiennes seraient
désavantagées, parce que le prix unitaire de leurs produits est
grandement supérieur à celui des produits américains,
c'est vrai comme prémisse à partir du moment où on prend
des produits où le coût unitaire est principalement basé
sur le fait de la quantité.
On sait que les entreprises américaines, même nos grandes
entreprises ici - par exemple, les brasseries - sont des PME et on n'aura
jamais le volume qu'elles ont, à cause, bien sûr, de la
population.
Par contre, je vous laisserais comme commentaire et aussi comme question
-j'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec cela - que, si on appuie et
on pousse davantage la recherche et le développement, afin de
bâtir de nouveaux créneaux... Que ce soit dans le domaine des
boissons gazeuses ou dans le domaine de la bière, cela peut être
parfois difficile d'arriver avec de nouveaux produits, des produits de haute
technologie. Ce sont peut-être de nouveaux produits avec de nouveaux
goûts qui pourront être mis au point. Mais, quoi qu'il en soit,
dans quelque domaine que ce soit, je suis sûr que le conseil des
Teamsters touche à différents secteurs. Si le gouvernement donne
les outils nécessaires pour que nos entreprises, de quelque grosseur que
ce soit, puissent développer à fond des nouveaux produits et non
pas essayer de se battre pour être capables d'entrer sur des
marchés strictement sur l'aspect de la compétitivité, sur
le volume, parce qu'on n'y arrivera pas...
L'exemple le plus patent est peut-être dans l'industrie du meuble
où on a réussi des percées intéressantes. Dans le
domaine informatique, c'est la même chose, on a réussi des
percées intéressantes à cause des designs, à cause
de l'aspect technologique. Je pense que, si l'on mettait l'accent de ce
côté, on pourrait certainement permettre à nos entreprises
de pénétrer les marchés américains, mais sous un
angle de nouveauté de produits qui sont différents, qui se
différencient.
M. Lacroix: Quand on mentionnait les
coûts d'accès aux matières premières, par
exemple, ou l'accès à des coûts moindres pour les
Américains que pour nous, on parlait, on avait plus
précisément en tête... Encore une fois, dans l'industrie de
la bière, l'accès à l'orge, aux matières
nécessaires pour la fabrication de la bière ici sont
contrôlées par le marché sur le blé, par le
gouvernement canadien, alors qu'aux États-Unis les brasseries
l'acquièrent sur un marché libre c'est-à-dire qu'ils ont
accès à des coûts beaucoup moindres que nous. Le coût
au Canada pour certaines des matières premières
nécessaires à la fabrication de la bière revient à
deux fois à peu près ce qu'il en coûte aux
Américains, parce qu'ici la Commission canadienne du blé
contrôle les prix tandis qu'aux États-Unis ça n'existe pas.
Alors c'était ce qu'on avait plus précisément à
l'esprit quand on parlait de différence de prix dans l'acquisition des
biens ou matières premières. (12 h 15)
Quant à ce que vous mentionnez après, c'est sûr
qu'en tant que conseil provincial des Teamsters on représente des
travailleurs dans beaucoup d'industries, pas simplement dans l'industrie de la
bière ou de la liqueur douce ou dans le transport et que tout ce qui
peut contribuer à relever le niveau salarial des travailleurs en
général travailleurs, travailleuses en général -
est une chose pour laquelle on est en faveur et qu'on est prêt à
regarder et à considérer. Cela va de soi. Mais, encore une fois,
là on est inquiet pour ce qu'on a. Alors, c'est la première
préoccupation qu'on a dans le moment présent.
M. Parent (Bertrand): M. Lacroix, je tiens à vous
remercier et peut-être à dire à vos travailleurs qu'ils ont
à se consoler, du moins pour l'instant, parce que le salaire moyen que
vous nous avez mentionné de 38 000 $ est à peu près
équivalent au salaire d'un député actuellement. C'est
consolant peut-être pour eux et désolant pour nous.
M. Lacroix: Mais je vais vous laisser là-dessus. Le
"turn-over", me dit-on, est plus grand parmi les politiciens.
M. MacDonald: La sécurité d'emploi n'est pas
forte.
M. Parent (Bertrand): D'ailleurs j'ai déjà averti
le ministre là-dessus. C'est trois ans, la moyenne.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, messieurs, je
voudrais vous remercier au nom de tous les membres de la commission d'avoir
participé à cette consultation générale et,
indépendamment de l'avenir, on vous souhaite au moins de garder votre
niveau salarial.
M. Lacroix: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, j'invite maintenant
l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec
à prendre place à la table des invités.
Madame, messieurs, bonjour. Bienvenue à cette commission
parlementaire. Vous êtes parmi les associations qui viennent
régulièrement devant la commission de l'économie et du
travail. Alors, on vous souhaite à nouveau la bienvenue. Je vous
rappelle les règles pour cette consultation générale. On a
une heure, en fait un peu moins, mais à peu près une heure. Une
vingtaine de minutes de présentation et le reste du temps est
réparti de part et d'autre pour la discussion avec vous. Alors, je crois
que M. Roux dirige la délégation; ou madame, je ne sais pas.
Une voix: M. Richard va présenter...
Le Président (M. Charbonneau): Alors, excusez-moi. Si,
dans ce cas-là, c'est M. Gabriel Richard. C'est ça? Alors, M.
Richard, si vous voulez d'abord présenter les gens qui vous accompagnent
et par la suite immédiatement commencer l'exposé que vous avez
à faire.
Association des constructeurs de routes et grands
travaux du Québec
M. Richard (Gabriel): M. le Président, M. le ministre, M.
le député de Bertrand, membres de la commision, à mon
extrême gauche, je vous présente M. Pierre Roux, président
du conseil d'administration de l'Association des constructeurs de routes et
grands travaux du Québec et président de Thiro Ltée, Me
Gisèle Bourque, conseillère juridique de l'association; à
mon extrême droite, M. Michel Bérubé,
président-directeur général de Verreau Frontenac inc. et
membre de l'exécutif de l'ACRGTQ; à ma droite, M. Claude Giroux,
premier vice-président de l'association et président-directeur
général de Giroux et Lessard Ltée.
Je demanderais maintenant à Me Bourque de vous présenter
notre mémoire.
Mme Bourque (Gisèle): L'Association des constructeurs de
routes et grands travaux du Québec, incorporée en 1944, regroupe
sur une base volontaire quelque 600 entrepreneurs oeuvrant dans le domaine des
travaux de génie civil, de voirie et de transport d'énergie, dont
ils exécutent environ 90 % du volume total octroyé au secteur
privé.
Parmi les donneurs d'ouvrage importants, notons Hydro-Québec, le
ministère des Transports, le ministère de
l'Environnement, celui de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation, la Société québécoise
d'assainissement des eaux, les communautés urbaines, les
municipalités. La grande majorité des contrats obtenus par les
entrepreneurs le sont par le biais des soumissions publiques et sont
exécutés, dans la totalité des cas, selon les plans et
devis approuvés par des ingénieurs et des architectes. Plusieurs
membres de notre association exécutent une bonne partie de leurs
activités à l'étranger, notamment en Afrique, au
Moyen-Orient, en Amérique du Sud ainsi que dans les Antilles, et une
proportion appréciable de leur chiffre d'affaires provient de
l'exécution de ces contrats.
En outre, quelques-uns de nos membres oeuvrent aux États-Unis
depuis quelques années et ont ainsi acquis l'expérience
nécessaire à parfaire adéquatement les travaux qu'ils
exécutent dans ce pays. Afin d'être admissibles à
soumissionner sur ces contrats, nos membres doivent former des raisons sociales
américaines soumises aux lois existantes.
Le sujet d'actualité qu'est le libre-échange nous
préoccupe grandement et, quoique nous n'ayons eu à ce stade-ci
l'occasion de prendre connaissance du contenu du projet de pacte qui en fixera
les paramètres, nous désirons vous faire part des
appréhensions et des interrogations qu'il suscite en nous, ceci dans le
meilleur intérêt et au nom de nos membres du secteur de
l'industrie de la construction. À cause de ses caractéristiques
particulières, l'industrie de la construction est plus concernée
par le libre-échange des personnes que par celui des biens.
A priori, une entente valable de libéralisation
canado-américaine des échanges semble alléchante, et nous
souscrivons à l'inclusion des services à l'ordre du jour des
négociations bilatérales dans la mesure où la
libéralisation des échanges commerciaux contribuera à
renforcer l'économie du Québec. En effet, notre marché
intérieur est insuffisant à optimaliser l'utilisation de nos
ressources productives et nous ne pouvons pas consommer tout ce que nous
pouvons produire. Le Québec ne peut donc espérer créer de
nouveaux emplois et améliorer son niveau de vie s'il n'exporte pas
davantage. Cependant, il ne sera possible de déterminer les avantages
précis de la libéralisation des échanges de services qu'au
moment où seront connus les principes généraux, les
sous-secteurs impliqués et les mesures spécifiques à
mettre en oeuvre à la suite d'un accord-cadre dans ce domaine.
Dans notre mémoire, nous tenterons malgré tout de faire
part à la commission, de la façon la plus éclairée
possible, des répercussions éventuelles du libre-échange
dans les différents domaines afférents à l'industrie de la
construction au Québec.
Le libre-échange des biens. Nous ne pouvons facilement
présumer que le libre-échange des biens produira une importante
augmentation de la compétitivité respective des producteurs et
des manufacturiers des pays participant à ce libre-échange en
entraînant comme conséquence la baisse des prix de ces produits au
Canada et l'amélioration qualitative desdits produits. Par ailleurs, la
valeur de notre dollar canadien par rapport au dollar américain amplifie
l'attrait des Américains à acquérir des biens du Canada,
ce qui favorisera donc l'augmentation du volume des ventes canadiennes et,
conséquemment, entraînera la création d'emplois
additionnels. En outre, les entrepreneurs québécois auront un
intérêt marqué à acquérir des
équipements des États-Unis, car ceux-ci seront exempts des frais
douaniers, contrairement à la situation qui prévaut
actuellement.
Le libre-échange des personnes. Nous savons que, globalement,
sous le vocable de "services de haute technologie" où sont
regroupés entre autres les services de génie-conseil,
d'ingénierie technique et les services professionnels divers, les
services constituent le plus important domaine d'activité
économique du Québec. Le Québec possède un secteur
tertiaire très développé et en évolution constante:
65 % des emplois totaux en 1975, 68 % en 1980 et 71 % en 1986. Le secteur, des
services contribue pour près de 67 % du produit intérieur brut au
Québec alors que ce chiffre s'élève à 64 % dans
l'ensemble du Canada. Dans le domaine du génie-conseil, le Québec
joue un rôle important aussi bien au Canada qu'internationalement. Selon
la Fédération internationale des ingénieurs-conseils, le
Québec se situe au quatrième rang mondial pour l'importance des
effectifs. De plus, trois des plus grandes sociétés de
génie-conseil au monde ont leur siège social au Québec.
Les firmes de génie-conseil établies au Québec encaissent
30 % des honoraires de l'industrie canadienne. On estime que 45 % des
exportations canadiennes de génie-conseil proviennent du
Québec.
Le Canada a un déficit très élevé au titre
de commerce international de biens et services de haute technologie. En 1984,
celui-ci se chiffrait à près de 12 000 000 000 $. Le
Québec et l'Ontario sont les deux régions où se concentre
la plus grande partie des activités des secteurs de production de biens
et services de haute technologie.
Le libre-échange de services où celui des personnes
intervient nécessairement doit tenir compte d'éléments
particuliers propres à l'industrie de la construction et de l'aspect
saisonnier qui la caractérise et qui différencie sa main-d'oeuvre
de celle inhérente à la fabrication. Il convient en
effet de tenir compte des mesures de protectionnisme de la main-d'oeuvre
adoptées par chacun des pays, des provinces et des régions par le
biais des syndicats et des institutions locales, tant au Québec qu'aux
États-Unis et concrétisées entre autres dans le
Décret de la construction et le Règlement sur le placement des
salariés dans l'industrie de la construction. Les syndicats et
organismes locaux qui gèrent les systèmes de placement se veulent
les protagonistes de l'utilisation de la main-d'euvre locale, principe qu'il
convient de sauvegarder car le déplacement de la main-d'oeuvre, du
reste, de compétence équivalente, engendre des coûts
additionnels de transport et de pension injustifiés.
Actuellement les entrepreneurs québécois qui
exécutent des contrats aux Etats-Unis utilisent la main-d'oeuvre
ouvrière locale et une partie du personnel local pour former les
équipes de direction. Cependant, les personnes qui assument les
fonctions de responsables de ces équipes de direction proviennent des
cadres québécois.
Dans le cadre d'un pacte de libre-échange, il importe que ces
principes soient respectés car il ne serait pas adéquat de
remplacer de part et d'autre une main-d'oeuvre compétente et disponible
par une main-d'oeuvre provenant de l'extérieur. Toutefois, s'il fallait
que le pacte signifie que le libre-échange doive se faire sans
restriction aucune, il y aurait lieu d'adopter des mesures spécifiques
pour empêcher les syndicats tant canadiens qu'américains d'exercer
une influence indue sur le recrutement et l'embauche des ouvriers.
À titre d'exemple, au Québec il faudrait modifier les
dispositions stipulées au règlement sur le placement des
salariés dans l'industrie de la construction, car la mobilité de
la main-d'oeuvre d'une région à l'autre ne s'effectue qu'en
respectant certaines conditions précises.
La langue française. Le pacte sur le libre-échange devrait
contenir des dispositions permettant de veiller au maintien et à la
préservation de la langue française qui caractérise notre
société distincte par rapport à I'ensemble des provinces
canadiennes. Plusieurs démarches ont été effectuées
et des actions concrètes ont été entamées en ce
sens depuis quelques années et il convient de préserver les
progrès réalisés par le Québec à ce jour. Il
est recommandable que ce soit la langue du lieu où le contrat est
réalisé qui prévaille tant au niveau de la
rédaction du contrat qu'en ce qui a trait à la transmission des
directives afférentes aux opérations.
Le système métrique. Le pacte sur le libre-échange
devrait nécessairement comporter des dispositions suivant lesquelles les
biens américains devant être vendus au Canada soient
fabriqués en conformité avec le système métrique,
ceci afin de s'assurer de la continuité de la situation qui
prévaut actuellement, les Québécois n'ayant, de
façon générale, aucune difficulté à
s'approvisionner aux États-Unis selon le système
métrique.
Les institutions et lois locales. Il existe au Québec plusieurs
institutions et organismes qui veillent à ce que les activités
relatives à l'industrie de la construction se déroulent dans le
meilleur intérêt des entrepreneurs, des ouvriers et du public en
général. Il s'agit plus particulièrement des institutions
suivantes: la Régie des entreprises de construction du Québec; la
Commission de la construction du Québec; la Commission du bâtiment
du Québec; la Commission de la santé et de la
sécurité du travail du Québec. S'ajoutent à
celles-ci des associations patronales regroupant les différentes
catégories d'entrepreneurs oeuvrant au Québec. Aux
États-Unis existent des institutions analogues désirant atteindre
les mêmes objectifs.
Le pacte sur le libre-échange devrait contenir des dispositions
suivant lesquelles les entreprises étrangères désirant
faire affaires dans un autre pays soient tenues de se conformer aux exigences
des institutions et associations existantes ainsi qu'à toutes les lois
et règlements afférents.
Le règlement des différends. Qu'ils soient
bilatéraux ou multilatéraux, les accords internationaux
prévoient souvent la création d'instances responsables de
surveillance et de mise en oeuvre de l'accord. En l'occurrence, l'accord
canado-américain de libre-échange devrait établir un tel
mécanisme susceptible de contribuer à la gestion de l'accord et
à la solution des différends commerciaux. Par le biais d'une
entente il serait peut-être possible de mettre en oeuvre un
mécanisme alternatif de coopération pour établir des
règles et des modalités de recours à un processus de
règlement des différends.
Par le biais du pacte sur le libre-échange, il y aurait lieu de
préconiser des moyens efficaces permettant de régler le sort des
différends de façon plus expéditive que par le recours aux
tribunaux de droit commun. L'arbitrage pourrait s'avérer une solution
avantageuse, d'autant plus qu'à Québec et à Vancouver des
centres ont été créés pour la conduite d'arbitrages
internationaux. Il y a également l'Institut des arbitres du Canada
à Montréal et le Canadian Arbitration Association à
Toronto qui fonctionnent de façon analogue à celle de l'American
Arbitration Association aux États-Unis.
En tenant compte de l'ampleur et du contenu d'un accord de
libre-échange entre le Canada et les États-Unis, on peut
déjà insister sur l'importance que les provinces soient
impliquées directement relativement au sujet du règlement des
différends, tenant
compte de leurs intérêts respectifs.
Assurance-accidents du travail. L'article 8 de la Loi sur les accidents
du travail et les maladies professionnelles stipule que ladite loi s'applique,
sous certaines conditions, aux travailleurs victimes d'un accident du travail
qui survient hors du Québec ou victimes d'une maladie du travail
contractée hors du Québec. En conséquence, l'employeur
doit obligatoirement souscrire à l'assurance de la CSST et, parfois,
doit également souscrire à une assurance additionnelle lorsqu'il
effectue des travaux à l'étranger. (12 h 30)
Cette obligation constitue une entrave à la liberté
d'entreprise et empêche les entrepreneurs de mener une saine concurrence
à leurs compétiteurs soumissionnaires des projets hors
Québec ou internationaux où il est possible de souscrire à
des assurances privées à des coûts moindres que ceux de la
CSST. Pour illustrer cette assertion, prenons le cas d'une soumission
comportant un montant de 5 000 000 $ représentant la main-d'oeuvre,
auquel l'entrepreneur québécois doit ajouter un pourcentage de 15
% traduisant la part de sa souscription à l'assurance obligatoire de la
CSST, c'est-à-dire 750 000 $ additionnels au montant initial de sa
soumission, alors que la part de souscription de son homologue étranger
à une asssurance privée ne peut représenter que 3 %,
c'est-à-dire 150 000 $, ce qui représente un écart de 600
000 $ suffisant pour rendre le soumissionnaire québécois non
compétitif.
Pour que les entrepreneurs québécois soient placés
sur le même pied que leurs homologues étrangers en ce qui a trait
aux soumissions, le pacte sur le libre-échange devrait considérer
cet aspect et, en conséquence, le gouvernement québécois,
amender l'article 8 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles précitée en annulant cette exigence qui
pénalise l'entrepreneur québécois.
La Régie des rentes du Québec. Actuellement, l'employeur
et l'employé contribuent à parts égales à ce
régime auquel ils sont soustraits dès qu'ils exécutent des
travaux à l'étranger. Ces parts manquantes de revenus pour la
Régie des rentes du Québec sont non significatives pour le
moment, car il s'agit d'une faible proportion de travailleurs qui oeuvrent
à l'étranger. Toutefois, le pacte sur le libre-échange
favorisera le travail hors du Québec, ce qui se traduira par une perte
de revenus plus substantielle pour la Régie des rentes du Québec.
Par ailleurs, l'employé qui oeuvre plus fréquemment à
l'étranger verra sa pension réduite au bout du compte, ne
contribuant à ce régime que dans une proportion minime. Dans le
cadre d'un accord de libre-échange, il conviendrait de modifier la loi
existante pour l'adapter aux besoins nouveaux générés par
ce pacte, en rendant obligatoire en tout temps, pour l'employeur et
l'employé, cette forme de prestation.
Les investissements américains.
L'avènement du libre-échange entraînant une
meilleure compétitivité contribuera à une baisse des
coûts de production. Les Américains, constatant qu'il leur est
possible de produire des biens à de. meilleurs prix au Canada, y
consentiront des investissements, ce qui leur permettra d'exporter davantage
leurs produits. Ce volet de l'exportation rajoute une possibilité de
vendre plus facilement à l'étranger car, de façon
générale, le transport en Europe des marchandises s'effectue plus
rapidement à partir du Canada que de l'Ouest des États-Unis. Les
Américains bénéficieront donc de trois marchés
potentiels plutôt que de deux, en ce qu'ils auront la possibilité
de vendre leurs produits au Québec et au Canada, aux États-Unis
et à l'Europe.
Les répercussions précises du libre-échange sur les
investissements américains demeurent difficiles à évaluer
car elles graviteront autour du fait que le volume des investissements sera
intimement relié à la performance du dollar canadien et à
l'évolution des taux d'intérêt. Par ailleurs, nous pouvons
conclure que ces investissements additionnels profiteront à l'industrie
de la construction qui devra réaliser les infrastructures et les
constructions nécessaires à la production de nouveaux biens.
L'Association canadienne de la construction effectue chaque année
des études économiques de façon à projeter des
perspectives pour les années suivantes dans le domaine de la
construction au Canada. L'an passé, L'ACC considéra l'impact du
libre-échange sur ses perspectives, et les résultats apparaissent
aux pages 21 et 22 du présent mémoire. Nous remarquons, au
tableau 1 de la page 21, qu'en 1994, plus particulièrement, l'impact du
libre-échange sur le volume des contrats au Canada se traduira par une
augmentation de 2,2 % ou 638 000 000 $.
Finalement, il convient de faire une importante mise en garde en ce qui
a trait aux investissements potentiels des Américains au Canada,
à savoir qu'il faut éviter que les entreprises américaines
puissent prendre le contrôle d'entreprises ou de secteurs
d'activités québécois et contrôler ainsi les prix.
Le pacte de libre-échange devrait donc comporter des mesures
restrictives quant à la mainmise potentielle des Américains sur
le regroupement des entreprises québécoises.
Les produits québécois. Le pacte sur le
libre-échange impliquera que la politique québécoise
faisant la promotion des produits québécois devra être
modifiée en
conséquence de cet accord. Il est opportun de reconnaître
que la disparition de cette politique québécoise favorisant la
promotion des produits québécois affectera les fabricants du
Québec chaque fois qu'un produit américain sera moins cher. Pour
survivre, les fabricants québécois devront atteindre des niveaux
de productivité et de coûts de production compétitifs
à ceux des Américains.
Par la teneur des remarques que nous vous avons formulées dans le
présent mémoire, vous constaterez que nous sommes, dans
l'ensemble et à ce stade-ci, favorables à un pacte de
libre-échange, dans la mesure où la libéralisation des
échanges commerciaux contribuera à renforcer l'économie du
Québec et à sauvegarder les intérêts des
Québécois. La pleine réalisation des
bénéfices d'une libéralisation bilatérale des
échanges sera d'autant plus valable si elle repose sur un climat
d'investissement stable et productif. À la fois pour assurer la
croissance et la modernisation économiques du Québec et pour
favoriser son ajustement à un espace commercial
libéralisé, nous souhaitons que les négociations
commerciales bilatérales contribuent à façonner un climat
plus sûr, plus ouvert et plus libéral pour l'investissement.
Finalement, nous percevons les négociations commerciales comme un
moyen d'atteindre les objectifs suivants permettant de moderniser la structure
industrielle du Québec: faire du Québec une société
productive et plus compétitive à la concurrence domestique et
internationale; développer un climat d'encouragement à
l'investissement, tant domestique qu'étranger; offrir à sa
population active de meilleures possibilités de création
d'emplois stables et qualifiés, ce qui pourrait contribuer à
réduire le chômage; renforcer sa base technologique.
Bref, nous sommes favorables à ce que le Québec
développe une économie dynamique, capable de s'adapter avec plus
de flexibilité à son environnement et de mieux saisir les
opportunités de changements qu'offre l'internationalisation de ses
perspectives de marché. Merci!
Le Président (M. Charbonneau): Mme Bourque et messieurs,
merci. Je vais céder la parole au ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: Madame, messieurs, merci de votre
présentation. Il y a des éléments très
intéressants sur lesquels je vais vouloir vous demander des explications
plus longues, mais je commencerai par le début. Il y a de vos membres
qui ont très bien réussi à aller travailler à
l'étranger. Est-ce qu'il y en a qui réussissent ou qui ont
réussi à aller travailler aux États-Unis?
M. Richard (Gabriel): Oui, M. le ministre. Il y en a
quelques-uns, depuis plusieurs années, qui travaillent aux
États-Unis et en particulier au cours des dernières
années. Cela va très bien.
M. MacDonald: Cela va très bien. C'est un pourcentage de
combien de vos membres qui font cela?
M. Richard (Gabriel): II y a quatre ou cinq membres de
l'Association...
M. MacDonald: ...sur un total de 600.
M. Richard (Gabriel): ...sur un total de 600.
M. MacDonald: Une plus grande ouverture, d'après vous, en
amènerait-elle plusieurs autres à le faire?
M. Richard (Gabriel): C'est l'impression que nous avons,
basée aussi sur l'étude des perspectives économiques de
l'Association canadienne de la construction.
M. MacDonald: Et. réciproquement, avec-vous des
Américains qui viennent soumissionner pour vos contrats ici?
M. Richard (Gabriel): Pas directement, ils viennent en
étant en entreprise conjointe avec des entrepreneurs
québécois ou canadiens.
M. MacDonald: S'il y avait une plus grande ouverture, est-ce que
vous sentiriez une compétition accrue?
M. Richard (Gabriel): Probablement.
M. MacDonald: Est-ce que cela vous fait peur?
M. Richard (Gabriel): Non.
M. Macdonald: J'ai d'autres questions, mais on a un processus
d'alternance entre le député de Bertrand et moi-même.
Alors, à vous la parole et je reviendrai.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci beaucoup, M. le Président. Mme
Bourque, messieurs, bienvenue à la commission parlementaire sur le
libre-échange. Merci d'être là!
Un mot particulier concernant votre mémoire. Je dois dire, pour
être rendu au 46e intervenant dans le processus de ceux qui comparaissent
devant cette commission, que vous êtes certes de ceux qui ont
porté de nouveaux points à l'attention de la commission, des
points de vue que d'autres
n'avaient pas considérés, de par leur marché ou
leurs orientations. Vous avez fait un travail vraiment remarquable dans le sens
que non seulement vous apportez de grands termes, mais aussi des choses
très précises en ce qui regarde vos demandes, pour
répondre vraiment à vos membres.
Vous apportez, je ne prends que quelques exemples, la dimension du
système métrique. Cela n'avait pas été
souligné jusqu'ici. Je pense que c'est juste. Vous avez tout â
fait raison, il faut se préoccuper de ces spécificités
canadiennes, entre autres, dans le cadre du marché.
Vous nous parlez de nos institutions locales et des lois concernant
particulièrement les institutions dans le domaine de la construction. On
est assez bien régis ici et je pense qu'il va falloir assurer certains
mécanismes. À la question du règlement des
différends, là aussi, vous apportez une dimension fort
intéressante dans le dernier paragraphe, à la page 14, où
j'ai noté que vous dites: "En tenant compte de l'ampleur et du contenu
d'un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis,
on peut déjà insister sur l'importance que les provinces ont
impliquées directement relativement au sujet des règlements des
différends." Je pense qu'on n'insistera jamais trop, à cause de
la spécificité québécoise et à cause non
seulement de la culture et de la langue mais de tous les autres aspects, on se
doit d'être là.
La question des assurances des accidents du travail, de la CSST, des
régimes de retraite, je trouve cela fort articulé et fort
intéressant. Je tiens à vous féliciter pour avoir si bien
étoffé un tel mémoire. Je ne le sais pas, j'imagine que
oui, est-ce que vous avez comparu avec ce mémoire ou avec un
mémoire semblable devant le comité Warren?
M. Richard (Gabriel): Non, monsieur.
M. Parent (Bertrand): C'est malheureux cela, M. le ministre.
J'espère que plusieurs de ces points ont été pris en
considération. Si M. le président me le permet, j'interpelle le
ministre pour qu'on soit mieux informés. Vous comprendrez que dans le
processus il y en a plusieurs qui comparaissent à cette commission et
qui ont déjà, au cours des six ou douze derniers mois, comparu
devant le comité Warren et porté à l'attention des choses
qui ont déjà été prises en considération par
le négociateur de façon que M. Reisman sache exactement ce que le
Québec veut. Dans votre cas et à cause des demandes très
logiques que vous faites, je suis pas mal assuré que le ministre sera
d'accord avec cela aussi, si vous n'avez pas comparu devant le comité
Warren, et cela nous arrive aujourd'hui, un 24 septembre, j'espère que
plusieurs de ces points ont été portés à
l'attention ou seront considérés, M. le ministre. Peut-être
que vous pourriez me répondre sur cela. Je continuerais. Je vais vous
laisser parler sur mon temps.
M. MacDonald: Continuez et je commenterai.
M. Parent (Bertrand): Cela fait partie certes de mes
préoccupations.
Vous mentionnez aussi, à la page 3: "A priori, une entente
valable de libéralisation canado-américaine des échanges
semble alléchante et nous souscrivons à l'inclusion des
services." Là, aussi, j'ai beaucoup de préoccupations parce qu'en
relisant toutes les coupures de presse et tout ce qu'on a je ne sais plus si
tous les services sont sur la table et s'il y a une volonté de la part
du Québec de les mettre sur la table. Je sais que le premier ministre
lui-même - le 31 janvier 1987 - suggérait d'exclure non seulement
l'agriculture mais toute la question des services dans le but de ne pas mettre
trop de choses dans la balance et de ne pas faire achopper les
négociations. J'imagine que cela a été corrigé. Je
pense que c'est important. Là, je rapporte les propos du journal La
Presse, le 31 janvier 1987, dans un titre: "M. Bourassa suggère
d'exclure l'agriculture et les services dans les négociations de
libre-échange". Le texte fait foi de cela. J'espère, en tout cas,
que la question des services est incluse.
La question que j'aimerais vous poser, dans un premier temps, serait:
l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec
aurait certes des avantages à trouver au libre-échange par
rapport à la question des investissements, donc, des retombées
économiques qu'on aurait ici et des avantages en ce qui a trait à
la création d'emplois. Vous avez mentionné que vous avez fait des
études d'impact. Est-ce que vous avez pu mesurer cela jusqu'à un
certain point? J'aimerais avoir certaines explications sur le tableau no 1 que
je n'ai pas entièrement compris, à la page 22. Ces impacts, on
les a en millions de dollars par rapport aux retombées, mais aussi, en
termes d'emplois, ce serait intéressant d'avoir une idée.
L'autre question que j'aimerais vous poser c'est: il y a une très
grande démarcation entre les chiffres de 1994, dont vous avez fait
mention particulièrement dans votre mémoire à la page 19,
les chiffres prévus de 638 000 000 $ de volume de contrats au Canada, et
ceux de 1988 mais aussi de 2001. Il semble y avoir une espèce de cycle
où on connaîtra une baisse, d'après ce scénario, et
où le total comme tel des contrats au Canada serait de 261 000 000 $,
c'est-à-dire qu'il baisserait de 638 000 000 $ à 261 000 000 $
entre 1994 et 2001 pour remonter par la suite. J'aimerais, si vous le
pouvez, que vous m'expliquiez rapidement un peu l'essence même de
cette prévision qui est fort intéressante. (12 h 45)
M. Richard (Gabriel): Les prévisions ont été
faites par l'Association canadienne de la construction, avec son service
d'économistes. L'Association canadienne de la construction
réalise ces études chaque année et projette, pour les
quinze ou vingt prochaines années, quelles devraient être les
perspectives économiques. L'an dernier, dans le cadre du
libre-échange, elle a étudié l'impact du
libre-échange sur ses prévisions économiques. Le tableau
que vous avez ici donne l'impact sur les prévisions pour 1988, 1994,
2001 et 2005. Si ces prévisions étaient moins fortes en 2001 que
celles de 1994... C'est pour cela que les chiffres varient, c'est toujours par
rapport aux prévisions économiques sans libre-échange.
En ce qui concerne les emplois, on peut se baser sur 2,2 % de 100 000
emplois au Québec; cela devrait créer 2200 emplois en 1994.
Quant aux millions, c'est difficile à dire, je crois qu'on peut
conclure facilement que l'Ontario et le Québec représentent les
deux tiers du montant prévu pour le Canada entier et, probablement, le
tiers pour le Québec. Cela pourrait représenter 200 000 000 $
additionnels de travaux dans le domaine de la construction, au Québec,
en 1994.
M. Parent (Bertrand): Comment expliquez-vous la différence
par la suite, sept ans plus tard, c'est-à-dire la baisse? Avez-vous une
explication par rapport à cela?
M. Richard (Gabriel): C'est probablement que les
prévisions économiques, sans le libre-échange,
prévoyaient déjà une baisse en 2001; c'est pour cela qu'il
y en a une là. Aussi, le libre-échange, selon les renseignements
que nous avons, ne se fera pas du jour au lendemain, il va s'implanter
progressivement au cours des dix ou quinze prochaines années. C'est pour
cela qu'en 1988 l'impact est de 47 000 000 $ et, en 1994, de 638 000 000 $.
M. Parent (Bertrand): Justement...
M. Richard (Gabriel): Et peut-être qu'après une
période initiale d'investissements il y aura une accalmie et que cela
reprendra par la suite.
M. Parent (Bertrand): Justement, dans cet ordre-là, vous
n'avez pas de façon spécifique, j'imagine volontairement,
précisé des recommandations sur l'échéancier de la
période de transition qui serait... Tout le monde parle d'entre cinq et
dix ans, mais vous, dans votre cas, et concernant votre association,
auriez-vous, à ce stade-ci, des recommandations à faire en termes
de période de temps?
M. Richard (Gabriel): II faudrait abonder dans le sens de
l'Association canadienne de la construction et parler d'une période de
dix ans.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie pour l'instant. M. le
ministre.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Merci. L'Association des ingénieurs-conseils
du Québec a comparu devant le comité Warren le 21 août
1987, je crois. Mais, avant même qu'elle ne comparaisse, je peux vous
assurer que l'élément particulier du système
métrique avait été couvert par les représentants du
ministère de l'Industrie et du Commerce, particulièrement autour
du secrétariat qui était concerné par la
libéralisation des échanges, comme les gens du ministère
des Affaires culturelles ont fait leurs représentations sur la langue.
Vous avez effectivement soulevé un bon nombre de points. Vous êtes
sensibles à cela et nous l'étions. Nous nous sommes
assurés, dans la préparation non seulement de la position mais
aussi des arguments accompagnant la position canadienne dans la
négociation avec les États-Unis, que ce soit des choses qui,
à toutes fins utiles, se rendent à l'évidence de la
réalité canadienne. Comme on peut voir, et on en a parlé
un peu plus dans les 24 dernières heures, il y a des conditions sur
lesquelles on est inflexibles et c'est cela.
À la page 16, vous avez mentionné des chiffres qui valent
la peine d'être relevés. Si j'ai bien compris, vous
établissez à 15 % de la masse salariale calculée par un
entrepreneur pour un contrat le coût des cotisations à la CSST
exigé à un employeur. C'est une moyenne. Est-ce qu'il y en a un
peu moins, un peu plus, selon le dossier de l'entrepreneur?
M. Richard (Gabriel): Cela dépend surtout du type de
travaux qui est effectué. Dans le domaine de
l'électricité, il y a un taux. Dans le domaine des tunnels, il y
a un taux plus fort. Alors, plus les risques d'accidents sont
élevés, plus le taux de la CSST est élevé.
M. MacDonald: Ma deuxième question, c'est comment
expliquez-vous... il doit certainement y avoir une différence importante
à quelque part, en ce sens qu'une compagnie d'assurances privées
pourrait assurer le risque à 3 % et que la CSST exige 15 %. Où
est la différence? Est-ce
qu'on compare des oignons avec des oignons?
M. Richard (Gabriel): On compare exactement des oignons avec des
oignons.
M. MacDonald: Et comment expliquez-vous cela?
M. Richard (Gabriel): J'aimerais être capable de vous
l'expliquer. Il n'y a pas d'explication autre que la CSST a un taux de
cotisation applicable à tout le monde et que c'est ce taux-là
qu'il faut utiliser,.
Dans les contrats étrangers - j'ai personnellement eu à
m'occuper de contrats étrangers - je peux vous dire que les accidents
sont beaucoup ' moindres quand nos ouvriers canadiens travaillent à
l'étranger, pour toutes sortes de raisons. Probablement qu'ils sont plus
prudents sachant que ce n'est pas intéressant de se faire casser une
jambe en Afrique. L'expérience des assurances privées est
là pour démontrer que 3 %, c'est un taux raisonnable. Les
assurances privées font de l'argent avec un taux de 3 %, et je pense que
c'est essentiel pour permettre aux entrepreneurs québécois, en
particulier, de compétitionner à l'étranger, d'être
capables de souscrire à ces assurances qui offrent la même
protection que celles de la CSST.
M. MacDonald: C'est un écart effarant qui nuit
considérablement à votre compétitivité, que les
contrats soient à l'étranger, comme on dit, ou aux
États-Unis.
M. Richard (Gabriel): Exactement.
M. MacDonald: Votre note sur la recommandation d'amender
l'article 8 de la loi sur les accidents du travail, cela aussi, c'est
intéressant. Je veux dire, c'est l'ensemble; on vient d'en parler. Mais
allons donc à la Régie des rentes. Cela, c'est très
intéressant. D'une part, vous dites: J'aimerais aller chercher dans le
privé la protection de mes employés, pour la question des
accidents du travail. Mais vous dites: Par contre, je voudrais m'assurer qu'on
continue à accumuler adéquatement dans la caisse de retraite qui
est la Régie des rentes du Québec.
M. Richard (Gabriel): Nous aurions pu choisir une autre
façon de le dire. On aurait pu dire que ce serait adéquat, pour
les travailleurs, d'avoir un régime de rentes supplétif qui va
compenser pour la perte du Régime de rentes du Québec. Cela
aurait été la même réponse. Comme c'est moins
important que dans le cas de la CSST et que c'est plutôt destiné
à protéger le travailleur lui-même, nous croyons que c'est
plus facile de modifier la loi sur le régime de rentes et de garder le
paiement obligatoire.
Mais aussi c'est un domaine où des changements surviendront au
cours des prochaines années et la protection est meilleure pour tout le
monde avec un...
M. MacDonald: Une dernière question. Ce n'est pas parce
que je n'en aurais pas plusieurs, mais c'est toujours la fameuse question de
temps. Est-ce qu'à l'intérieur de l'association que vous
représentez l'association ou les membres individuellement ont eu un
dialogue, un forum quelconque avec les syndicats représentant les
employés de la construction ou un groupe de travailleurs avec lequel
vous faites affaire plus régulièrement? Est-ce que les patrons et
les employés de la construction se sont parlé de ce que pourrait
être l'éventualité d'un traité de
libéralisation des échanges?
M. Richard (Gabriel): Pas à ma connaissance.
M. MacDonald: Permettez-moi de vous le suggérer. On n'est
pas ici pour sermonner personne, mais ce serait peut-être une bien bonne
idée, parce qu'à ma connaissance vous faites vos contrats avec
eux et les répercussions vont les toucher et vous aussi. On a
déjà suggéré cela à d'autres. Vous
n'êtes pas les seuls à qui on l'a suggéré.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. On sait que,
dans le genre de travaux fait par les gens de votre association, la masse
salariale est très importante. Il y a l'aspect technologique des
différentes machineries, lorsqu'on fait des travaux sur les routes, etc.
Mais, bien sûr, l'aspect de la main-d'oeuvre est très important.
Est-ce que vous pourriez me dire s'il y a une différence marquée
entre les coûts de la main-d'oeuvre au Québec et aux
États-Unis ou dans différents États, sur une base
comparative? Est-ce qu'on peut dire que ce sont sensiblement les mêmes
bases salariales ou si vous avez un désavantage en partant?
M. Richard (Gabriel): Je ne peux pas vous répondre sans
vous répondre pour chacun des États, parce que les taux sont
différents d'un État à l'autre. Dans l'État de New
York, les taux sont beaucoup plus élevés qu'ici, tandis que, dans
d'autres États du centre des États-Unis, ils le sont moins. Il
faut comparer État par État.
M. Parent (Bertrand): Une dernière question puisque, M. le
Président, je pense que mon temps est à peu près
terminé. Les contrats qui sont effectués, sauvent ici, au
Québec, sont des contrats octroyés par les gouvernements ou
sociétés qui dépendent des
gouvernements. Ne pensez-vous pas qu'il y aura barrière
psychologique pour des entreprises québécoises qui vont aller
essayer de décrocher des contrats sur les marchés
américains? Vos membres, nos entreprises québécoises ne
rencontreront pas un mur là? Et, s'il n'y a pas de mur, ne pensez-vous
pas que les cahiers de charges, les politiques d'achat, ou toute la
mécanique qui peut se faire autour d'une demande de soumission ne peut
pas être, je dirais, "trafiquée" - entre guillemets - ne peut pas
faire en sorte qu'on exige finalement des choses, indirectement, dans le devis
qui font que nos gens ne pourront pas avoir accès à ces
soumissions-là ou du moins être capables d'entrer en
compétition? On sait que, dans ce domaine-là, finalement, il faut
être capable de répondre à tous les critères. Et on
peut jouer beaucoup sur la question des critères, en dehors des grandes
normes qui pourront être inscrites dans un accord de
libre-échange, incluant le fait qu'ils pourraient nous garantir, s'ils
nous le garantissaient, l'accès au marché américain. Ne
pensez-vous pas, selon l'expérience que vous avez ici, au Québec,
et celle des quatre, cinq ou six qui ont réussi à franchir et
à faire des travaux de ce côté-là, qu'il y a
certaines précautions qu'on devrait prendre dans la mécanique
pour s'assurer qu'on ne se fera pas fermer la porte par en arrière par
ceux qui demanderont les soumissions? Je pense au gouvernement
américain, à l'occasion, aux gouvernements des différents
États.
M. Richard (Gabriel): Premièrement, quant à la
barrière psychologique, nos entrepreneurs sont habitués d'obtenir
des contrats en Afrique, au Moyen-Orient. Alors, je pense qu'en étant
habitués à faire cela ils seront sûrement capables de ne
pas être influencés par la barrière psychologique aux
États-Unis. C'est quand même tout près du
Québec.
M. Parent (Bertrand): Ce n'est pas que je sois inquiet que les
Québécois ne puissent la franchir. C'est beaucoup plus parce que
les Américains sont peut-être plus réfractaires.
M. Richard (Gabriel): Bien, si c'est ainsi, ce ne sera pas le
libre-échange. Pour parler de votre mécanique de
procédés, si, dans les appels d'offres des Américains, il
y a des dispositions qui font en sorte que les entrepreneurs
québécois ne sont pas capables de soumissionner
équitablement, ce n'est pas le libre-échange.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Je vous remercie beaucoup. En effet, j'abonde dans
le sens de mon collègue, vous avez apporté des
éléments nouveaux et je vais y donner suite sans aucun doute.
Mais je retiens de votre présentation que, si vous êtes
appelés à jouer avec les mêmes règles du jeu, vous
n'avez pas peur de la compétition, qu'au contraire vous aimez cela.
M. Richard (Gabriel): C'est cela. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Comme commentaires, je
voudrais, au nom des membres de la commission, vous remercier, madame,
messieurs, d'avoir participé à cet exercice de consultation. Et,
dans votre cas, on n'a qu'à se dire à la prochaine, parce que je
suis convaincu qu'on va vous revoir à la commission de l'économie
et du travail pour, sans doute, une autre consultation. Alors, merci.
M. Richard (Gabriel): Les 27 et 28 octobre. Merci. Au revoir.
Le Président (M. Charbonneau): Bon retour. Les travaux de
la commission sont ajournés jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 59)
(Reprise à 15 h 3)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaîtï
La commission de l'économie et du travail reprend ses travaux.
Son mandat est de procéder à une consultation
générale en ce qui a trait à la libéralisation des
échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.
Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes inc.
Nous accueillons maintenant l'Association canadienne des compagnies
d'assurances de personnes. Messieurs, bon après-midi, bienvenue à
la commission de l'économie et du travail. Je reconnais, entre autres,
un ancien membre de l'Assemblée nationale qui a fait sa marque dans
cette salle. M. Castonguay. Je crois que c'est vous qui êtes
président de la délégation. Je vous demanderais, avant de
commencer votre exposé, de présenter les gens qui vous
accompagnent. Je vous rappelle qu'il y a une heure à la disposition de
votre groupe, dont une vingtaine de minutes, au départ, pour la
présentation de votre point de vue, le reste du temps étant
réparti de part et d'autre pour la discussion avec les membres de la
commission.
M. Castonguay (Claude): Merci, M. le Président. À
ma gauche, M. Robert Bégin, président et chef de la direction de
l'îndustrielle-Alliance, compagnie d'assurance sur la vie, et qui,
jusqu'au mois de juin, était président de l'Association des
compagnies d'assurances de personnes du Canada. À sa gauche, M. Claude
Lamoureux, président de la Société de gestion La
Métropolitaine Ltée; à ma droite, Gaétan Drolet,
membre du Groupe de consultation sectoriel sur le commerce extérieur
dans le secteur des services financiers et qui est aussi, à d'autres
moments, vice-président de la Corporation du Groupe La Laurentienne, et
Me Yves Millette, vice-président de l'ACCAP, notre association.
M. le Président, nous avons un mémoire qui a
été préparé et qui est disponible, je pense.
J'aimerais faire quelques commentaires en ne m'en tenant pas strictement
à la structure du mémoire. D'abord, au point de départ, je
pense qu'il est important de rappeler l'importance du secteur de l'assurance
des personnes pour plusieurs raisons, non seulement en fonction de l'assurance
que nous donnons aux gens, mais également par le fait que nous
maintenons beaucoup d'emplois, des emplois stables, permanents, des emplois
ayant un contenu très intéressant au point de vue fonctions et
aussi par le fait que nous investissons dans l'économie. Nous
investissons non seulement dans des obligations, c'est-à-dire des dettes
d'entreprises ou de gouvernement, mais nous investissons aussi fortement dans
des actions, soit dans la propriété des entreprises. C'est
peut-être, dans le contexte de ce qui est discuté ici, une des
dimensions qui est extrêmement impartante.
L'industrie de l'assurance de personnes est dominée par des
entreprises contrôlées par des Canadiens. On voit, par exemple,
que les sociétés canadiennes d'assurances de personnes ont
perçu, en 1985, environ 8 000 000 000 $ de primes par année,
alors que les sociétés américaines et leurs filiales qui
font affaires au Canada percevaient environ 1 800 000 000 $. On voit que, dans
ce domaine, les compagnies ou les sociétés canadiennes
détiennent la plus grande part du marché. Dans cette
répartition des compagnies, il y a une autre ventilation importante. Les
sociétés mutuelles font à peu près 62 % du chiffre
d'affaires à l'échelle canadienne contre 38 % pour les
sociétés à capital-actions. En d'autres termes, Ies
sociétés mutuelles sont détenues par leurs assurés.
Donc, ce sont des compagnies dont le contrôle est canadien et devrait
normalement demeurer au Canada. Je dis "normalement" dans le sens que, si une
compagnie avait plus d'assurés à l'extérieur, il peut y
avoir malgré tout un certain déplacement.
Une autre question assez importante, c'est le fait que les compagnies
canadiennes d'assurances ont pris au cours des dernières années
une expansion assez grande à l'étranger. Elles ne font pas
affaires uniquement au Canada et, au cours des dix dernières
années, de 1975 à 1985, leur progression a été plus
rapide à l'extérieur qu'à l'intérieur du Canada. On
constate qu'au cours de 1985 les compagnies canadiennes faisaient un chiffre
d'affaires de plus de 5 000 000 000 $ à l'extérieur, la plus
grande partie aux États-Unis. Dans tout ce portrait de l'industrie, il y
a une caractéristique qu'il faut mentionner en ce qui a trait au
Québec, c'est que l'industrie régionale de l'assurance de
personnes est plus forte au Québec qu'elle ne l'est dans les autres
provinces» On cite des chiffres; les revenus de primes perçues par
les compagnies du Québec se sont élevés à plus de
35 %, alors que les autres sociétés canadiennes faisaient environ
46 % ici au Québec et les sociétés de l'extérieur
à peu près 16 %. On voit une plus grande concentration des
compagnies domiciliées ici au Québec et à charte
québécoise. Sur ce plan, les sociétés et les
compagnies québécoises aussi ont une autre caractéristique
un peu plus prononcée, c'est que les sociétés mutuelles
contrôlent à peu près 90 % du chiffre d'affaires. (Sa
propriété est ancrée chez les assurés de ces
compagnies.
Il faut voir ces chiffres comme étant une manifestation de la
compétence des gens qui ont administré ces compagnies, qui les
ont développées, mais, s'il n'y avait pas eu certaines mesures de
protection, peut-être que ces chiffres-là seraient assez
différents. Il faut aussi garder cela comme information. Il y a des
limites à la propriété des compagnies d'assurances de
personnes qui apparaissent dans les lois. Il y a eu certaines autres
contraintes dans le passé. Il y a eu un mouvement, au cours des
années soixante, de mutualisation des compagnies canadiennes pour faire
que leurs propriétés demeurent ici-Ces mesures-là ont eu
évidemment certains effets sur le portrait que nous venons de
présenter.
Avant d'aller plus loin et de discuter plus spécifiquement de
libre-échange, il n'est peut-être pas mauvais de rappeler que le
secteur de l'assurance des personnes n'est pas un secteur d'activité
isolé. C'est un secteur d'activité qui se situe dans le secteur
plus grand des services financiers, c'est-à-dire les banques, les
fiducies, les compagnies de courtage en valeurs mobilières, la gestion
de fonds, la distribution de fonds, les fonds mutuels, la gestion de caisses de
retraite, etc. Il est important de se souvenir de cette autre dimension.
D'ailleurs, ici, au Québec, elle a
été reconnue depuis déjà un bon moment. Elle
est reconnue de façon très explicite dans la loi depuis 1984,
avec l'adoption de la loi 75 qui avait modifié à l'époque
la Loi sur les assurances. Si on examine la question des assurances de
personnes, je pense qu'il faut garder ce contexte en mémoire. On en a eu
un exemple frappant en Ontario au mois de juin lorsqu'on a ouvert la
propriété des sociétés de courtage de valeurs
mobilières assez brusquement et sans obtenir quoi que ce soit, en
contrepartie, de l'extérieur. Je pense qu'il a été reconnu
qu'un geste trop brusque dans ce secteur-là nous a privés de
certains avantages qui auraient pu être obtenus d'autre part par un
échange avec les États-Unis.
Le libre-échange en matière d'assurances de personnes
existe déjà dans une très large mesure entre les deux
pays. On sait qu'il y a des compagnies de l'extérieur qui font affaires
ici au Canada et qu'il y a des compagnies canadiennes qui font affaires aux
Etats-Unis. Ce libre-échange existe même au point où les
associations, l'association dont nous sommes membres - ici et les associations
correspondantes aux États-Unis, se sont entendues pour reconnaître
et accepter le principe du libre-échange en matière d'assurances
de personnes. Elles ont relevé qu'il existe encore certaines
barrières et que ces barrières ou ces contraintes devraient
être levées.
Dans ce contexte-là, pour aller maintenant un peu plus loin que
ce qui a été reconnu en ce qui concerne les associations, il y a
deux principes que nous préconisons comme association: d'abord, la
règle du traitement national. Première règle,
c'est-à-dire qu'en vertu du principe ou de la règle du traitement
national, les sociétés américaines qui font affaires au
Canada devraient être traitées au Canada de la même
manière que les sociétés canadiennes ou les
sociétés à charte québécoise. D'autre part,
les sociétés canadiennes devraient être traitées
exactement pareil aux États-Unis, comme les sociétés
américaines le sont. Donc, pas de discrimination du fait qu'ici, dans
l'application de la loi, une société est américaine et
vice versa. D'ailleurs, ce principe est déjà reconnu dans la Loi
sur les assurances et l'article 206 de la loi québécoise sur les
assurances énonce précisément ce principe-là.
Alors, ce n'est pas un principe qui devrait faire des difficultés.
La deuxième grande règle, c'est le droit
d'établissement. En d'autres termes, qu'une entreprise de
l'extérieur puisse venir, si elle le veut, s'incorporer ici, pour autant
qu'elle se soumette à toutes les normes, à toutes les
règles. Donc, qu'elle puisse venir s'établir ici et que la
même chose s'applique en contrepartie aux États-Unis. Ce sont les
deux grands principes et je crois qu'ils ne créent pas de
difficulté sur le plan théorique.
En principe, évidemment, il y a certains aspects qu'il faut
considérer. On ne vit pas dans un monde abstrait. Comme je l'ai
mentionné tantôt, il y a des barrières et certaines
contraintes. Il y en a du côté canadien mais il y en a aussi du
côté américain. (15 h 15)
Deuxièmement, je pense bien qu'on ne peut pas oublier que les
États-Unis et le Canada n'ont pas la même taille et n'ont pas la
même importance sur le plan économique. Si on insère aussi
le secteur des assurances dans le contexte plus large des services financiers,
on constate que, dans certains secteurs, il y a des différences
fondamentales. Par exemple, la législation bancaire au Canada est
extrêmement différente de la législation bancaire aux
États-Unis. Alors, si on veut appliquer ces deux principes et en arriver
à un plus large degré de libre-échange, il faut viser
à l'élimination de ces barrières. Ici, au Canada, il y en
a une qui est assez clairement identifiée, c'est la règle en
vertu de laquelle une société canadienne ou une
société québécoise d'assurance de personnes ne peut
pas voir plus de 10 % de son capital-actions détenu par des
non-résidents, et l'ensemble des non-résidents qui
détiennent du capital-actions ne peuvent détenir plus de 25 % du
capital-actions d'une entreprise. Donc, cette règle est un
empêchement au contrôle de sociétés canadiennes ou
québécoises d'assurances. Du côté américain,
il n'y a pas de telle règle, mais nous avons constaté qu'il peut
y avoir des barrières invisibles tout aussi efficaces. Personnellement,
j'ai eu l'occasion d'être soumis à l'une de ces barrières
invisibles lors d'une tentative d'acquisition. Alors, il y a des règles
de part et d'autre ou des contraintes de part et d'autre qui devraient
éventuellement ou graduellement être levées.
Il y a également dans les autres secteurs, comme je le
mentionnais tantôt -je pense qu'on ne peut pas isoler totalement le
secteur de l'assurance des personnes des autres secteurs - des
différences. Une banque canadienne qui veut aller aux États-Unis
ne peut faire affaires que dans un État. Une banque américaine
qui veut venir au Canada, si elle est admise, elle fait affaires partout au
pays. Si on veut avoir une certaine équivalence et surtout si on se
souvient de la différence d'importance entre les deux pays, il y a des
choses encore à corriger et à modifier au plan législatif.
Notre position, c'est que nous sommes d'accord pour le libre-échange. Il
y a deux principes clairement énoncés et il devra y avoir une
certaine négociation et certains ajustements pour qu'on puisse atteindre
ces objectifs. D'autant plus qu'ici, au Canada, il nous reste
en même temps un certain ménage à faire dans notre
propre législation. On sait qu'un projet de loi doit être
présenté bientôt à Ottawa. Si l'on veut que les
entreprises canadiennes soient en mesure de concurrencer les entreprises sur le
plan international il y a certaines choses qui devront être possibles. Et
tout ceci est loin d'être réglé encore.
En plus de ces points qui ont été mentionnés plus
spécifiquement, il y en a peut-être deux ou trois autres qu'il
serait important de mentionner. D'abord, les deux règles de droit
d'établissement et de traitement national n'empêchent en aucune
façon le gouvernement de garder, par exemple, tous ses programmes
sociaux. Je pense l'une des données qui a été
établie sur le plan des négociations avec les États-Unis,
le désir de garder un certain nombre de caractéristiques ou de
programmes au Canada.
La deuxième question qu'il n'est peut-être pas mauvais de
mentionner, c'est que, au niveau de la distribution des services,
c'est-à-dire la question des intermédiaires,
l'établissement des deux principes dont on vient de parler ne
signifierait pas, par exemple, que l'on doive modifier profondément les
règles qui s'appliquent pour la distribution, par exemple, de
l'assurance-vie. On sait qu'au Canada ou au Québec, de façon
générale, pour être représentant en assurance-vie,
il faut le faire à temps complet. Dans certains endroits aux
États-Unis, les gens peuvent le faire à temps partiel, tout en
ayant d'autres occupations. Une libéralisation des échanges entre
les deux pays ne nous oblige pas à ce niveau-là à changer
nos règles si on tient compte, toujours, qu'il s'agit d'éviter de
faire de la discrimination. Enfin, comme dans tous les autres secteurs, je
pense qu'il est important qu'il y ait un certain mécanisme d'arbitrage
pour régler les différends. Cela ne peut pas être
laissé uniquement à la force entre les parties parce que je pense
bien que, sur ce plan, on n'a pas toujours la taille requise.
En conclusion, l'association est d'accord sur le principe du
libre-échange; elle énonce deux règles ou droits
très clairs pour y arriver. Elle souligne qu'il reste du travail
à faire, qu'il y a un certain travail à terminer. Je pense que,
comme bien d'autres organismes, on souhaite que le libre-échange avec
les États-Unis devienne une réalité si l'on pense à
l'avenir et au monde dans lequel on s'engage de plus en plus,
c'est-à-dire un monde où les frontières vont en
s'estompant et où la concurrence d'autres pays devient de plus en plus
vive. Merci.
Le Président (M. Cannon): Merci, M. Castonguay. Je
cède la parole au ministre du Commerce extérieur et du
Développement technologique pour cette partie de l'échange.
M. MacDonald: M. Castonguay, messieurs, je vous remercie
d'être venus nous rencontrer et de faire suite à cette rencontre
de votre association devant le comité Warren en juillet 1987.
M. Castonguay, je vous écoute et, à juste titre, vous
mentionnez qu'au Canada, particulièrement même au Québec,
on est bien en avance sur ce qu'on pourrait appeler la
déréglementation ou le décloisonnement des institutions
financières. Vous mentionnez, en donnant quelques exemples, que cette
déréglementation ou ce décloisonnement n'existe pas,
à toutes fins utiles, aux États-Unis.
Vous concluez en disant que vous êtes favorable à une
libéralisation des échanges et à une plus grande ouverture
entre les deux pays en ce qui a trait particulièrement au commerce des
assurances. Vous avez d'ailleurs discuté de ce sujet avec l'association
américaine. Mais, comme vous l'avez abordé, il existe le Glass
Steagall Act et il existe les limites de ce qu'on appelle l'"Interstate
banking".
En résumé, vous nous avez fait la suggestion: Nous sommes
favorables à une plus grande ouverture pour autant qu'il y a
réciprocité. Or, de toute évidence, il n'y a pas
réciprocité à l'heure actuelle, compte tenu
également de cette structure législative et réglementaire
américaine. Ici, au Canada, en matière d'institutions
financières, le gouvernement fédéral a autorité sur
plusieurs aspects de ces domaines, chez les quatre piliers, mais, aux
États-Unis, fondamentalement, cela se retrouve au niveau - et
particulièrement dans l'assurance - des États. Vous avez
souligné qu'on avait un peu d'ordre à mettre dans notre propre
boîte canadienne. Il me semble qu'il y a énormément d'ordre
à mettre dans la boîte américaine s'il est pour y avoir
réciprocité.
Est-ce qu'en conclusion on doit prévoir une entente
éventuelle, mais très loin dans l'avenir, en ce qui a trait
à l'ensemble des quatre piliers qui constituent le monde financier?
M. Castonguay: J'aimerais, sans m'attarder sur les mots - je
pense bien que ce n'est pas le but de l'exercice - faire un ou deux petits
commentaires avant d'essayer de répondre à votre question. Le
principe de la réciprocité - je comprends ce que vous voulez dire
- c'est qu'on doit éviter ou réduire, disons, les grandes
différences entre les législations, de telle sorte que, si on
s'engage dans la libéralisation des échanges, les règles
du jeu soient raisonnablement les mêmes des deux côtés.
Alors, si c'est cela qu'on entend par réciprocité, je pense bien
qu'on est d'accord. Mais le terme a été utilisé d'autres
façons et c'est pour cela que j'apporte cette clarification.
Vous avez dit que le décloisonnement
n'existait pas aux États-Unis. Je pense que c'est exact. Il
n'existe pas de la même façon qu'ici, parce que la
législation ne se présente pas de la même manière.
Ici, on peut voir, au niveau fédéral, comme on l'a vu au niveau
québécois, une législation qui vise à un
décloisonnement. Aux États-Unis, les choses se font
différemment. Elles se font d'abord en pratique. Il y a
déjà un décloisonnement important qui s'est
effectué aux États-Unis. On pourrait nommer un certain nombre
d'entreprises qui y sont engagées déjà d'une façon
assez importante. Merrill Lynch en est une. On pourrait en nommer d'autres. La
Prudentielle et on signale Sears, par exemple. Alors, par toutes sortes de
façons, on s'est engagé dans le décloisonnement et c'est
là qu'on voit que c'est très important parce que ces entreprises
sont très dynamiques et leur façon de faire répond au
désir d'un grand nombre de consommateurs. Alors, ça se fait dans
les faits. Cela ne se fait pas nécessairement de la même
façon au plan de la législation. Si je mentionne cela, c'est que
c'est important qu'on s'engage davantage vers le décloisonnement.
Maintenant, les négociations. On sait qu'on n'est pas au courant
de tout ce qui s'est dit, de tout ce qui s'est fait au chapitre des
négociations. D'ailleurs, on l'a constaté hier d'une façon
assez claire. Mats ce que nous avons eu par la voie de la presse les rapports,
en tous les cas, qui nous sont parvenus par la voie de la presse sont que la
négociation sur les services financiers semblait moins avancée
que dans d'autres secteurs, où on connaissait beaucoup mieux les
façons de négocier, étant donné que les biens ont
toujours fait l'objet de ce type d'entente dans le passé. C'est la
première fois qu'on négocie, je pense bien, dans ce type
d'entente-là, la libéralisation de l'échange de services,
et c'est pour ça qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire,
semble-t-il, si on en juge par les journaux.
Alors, quelles sont les chances de succès et quand? C'est
très difficile de répondre à cette question, à mon
avis. Je ne sais pas si quelqu'un ici en connaît plus long sur le...
M. Lamoureux (Claude): Je voudrais ajouter quelque chose, si vous
me le permettez. Un des problèmes fondamentaux, je crois, c'est qu'il ne
faut pas confondre réciprocité et traitement national. Et je ne
crois pas que dans le domaine des échanges comme ça, on puisse
avoir les deux. Le problème qui se pose pour un pays comme le Canada,
c'est que, si on négocie avec le Japon et dix autres pays des ententes
qui sont négociées d'une façon réciproque, on va
avoir vraiment tout un mélange dans notre législation. C'est pour
ça que la plupart des pays, lorsqu'ils essaient d'avoir des ententes
dans ce domaine-là, ce sont des ententes sur une base, disons, de
traitement national, ce qui fait que, lorsqu'on veut s'établir dans un
pays, on est obligé de suivre les lois de ce pays-là. Disons que
c'est une base fondamentale de ces traités-là.
M. MacDonald: Oui, bien je pense là qu'il faudrait... M.
Castonguay, particulièrement, a souligné qu'il faut s'entendre
sur réciprocité et traitement national. Mais la
réalité, c'est qu'aujourd'hui vous êtes des
représentants de compagnies d'assurances de personnes. J'ai
présenté mon argument et ma question sur la base que nous ne
pouvions pas séparer, et je ne vois pas aujourd'hui... Les groupes que
vous représentez vous-mêmes, particulièrement deux d'entre
vous, maintenant impliqués plus que dans l'assurance, que ce soit le
domaine bancaire, le domaine du courtage, etc. Alors, c'est ça. Vous
pouvez avoir le traitement national sur le plan des assurances, mais, pour une
partie des opérations d'un organisme canadien qui est impliqué
dans le courtage ou d'une banque qui est dans le domaine financier, la
réciprocité n'existerait pas.
J'aurais une autre question. Vous avez fait état des
succès de compagnies en dehors du Québec: Manufacturer's Life,
Great-West, Sun, qui ont connu des succès intéressants aux
États-Unis, avec le résultat, comme vous l'avez mentionné,
que cinq des plus grandes compagnies d'assurances parmi les 20 premières
sont canadiennes.
Vous avez assisté, participé, été
très actifs dans une pénétration de plus en plus grande et
avec un rythme de progression quasi géométrique des
activités de sociétés québécoises aux
États-Unis, et il n'y avait pas de traité de
libéralisation des échanges, il n'y avait pas plus d'ouverture,
il n'y avait pas plus de réciprocité ou de traitement national.
Vous continuez vos activités, je crois. Pour vous, dans le
créneau étroit - ce n'est pas étroit parce qu'on parle de
milliards - mais ne parlant que d'assurances, avez-vous besoin d'un
traité de libéralisation des échanges pour poursuivre vos
activités?
M. Castonguay: Comme je l'ai mentionné tantôt, il y
a déjà eu une première entente entre les associations
reconnaissant qu'il existe déjà dans une large mesure un
libre-échange entre les deux pays. Cela a donné les
résultats que vous venez de mentionner. On retrouve au Canada bon nombre
d'entreprises étrangères qui font affaires au pays et bon nombre
d'entreprises canadiennes qui font affaires à l'extérieur. Dans
ce sens, il y a une situation à reconnaître qui est assez claire.
On signale, par contre, certaines contraintes de part et d'autre, dont la
règle portant sur la propriété. J'ai mentionné
tantôt la règle du 10-25 du côté canadien.
Du côté américain, je rappelle que, même si
cela n'apparaît pas dans la législation, il peut y avoir aussi des
barrières invisibles, et je m'explique, parce que ce n'est pas
expliqué de façon très détaillée dans le
mémoire. Vous pouvez, par l'utilisation de la législation et des
règles de prise de contrôle, vous faire bloquer très
facilement aux Etats-Unis. On a eu une expérience lors d'une acquisition
au Maryland. Après l'acquisition d'un bloc de 5 % des actions, vous
devez vous soumettre à des audiences publiques, vous devez exposer vos
objectifs. Là, on nous a fait traîner suffisamment avant de nous
permettre d'aller plus loin et il est arrivé une autre entreprise qui a
fait une offre et notre acquisition nous est passée sous le nez.
Évidemment, toute l'affaire était bien préparée; de
l'extérieur, tout a bien paru, mais c'est clair que nous avons perdu
à cause de barrières invisibles, on dirait. (15 h 30)
C'est pour cela qu'il faut un certain mécanisme pour
régler ces différends et s'assurer que ces barrières
soient aussi enlevées. Il reste du chemin à faire des deux
côtés et, dans ce sens, je pense bien que c'est du chemin qui peut
être fait si on s'y attaque, évidemment.
Le Président (M. Charbanneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui, merci, M. le Président. M.
Castonguay, M. Bégin, M, Lamoureux, M. Drolet, M. Millette, il nous fait
plaisir de vous accueillir aujourd'hui. Je pense que le groupe que vous
représentez, l'Association canadienne des compagnies d'assurances de
personnes, est très important même si, comme vous le dites, vous
vivez déjà dans une situation, à toutes fins utiles, de
libre-échange. C'est un modèle parfait pour dire que,
malgré cela, vous avez beaucoup d'entraves que vous aimeriez voir
éliminées.
De façon chronologique, M. Castonguay, déjà, en
décembre 1986, il y avait une espèce d'entente. J'ai un reportage
du Devoir du 13 décembre 1986 qui fait mention d'une entente
entre les trois associations de l'industrie des assurances de personnes, soit
la vôtre, l'ACCAP, l'autre du côté américain, qui est
l'American Council of Life, et la Health Insurance Association of America.
À toutes fins utiles, de part et d'autre, vous vous entendiez, si j'ai
bien compris, pour aller davantage vers l'abolition des barrières non
tarifaires ou l'abolition des différents différends qui existent
entre les deux. Cela, c'était en décembre 1986. En février
1987, quelques mois plus tard, lors de la 49e assemblée annuelle de La
Laurentienne, vous déclariez au sujet du libre-échange, et je
cite: La taille modeste du marché canadien rend cette
nécessité évidente et nous avons la capacité et la
volonté de soutenir la concurrence. Quant aux récents
événements, ils illustrent de façon saisissante l'urgence
de préciser les règles du jeu et d'établir un cadre
approprié pour nos échanges avec nos partenaires
américains. Autrement, le déséquilibre dans les rapports
de force conjugué aux fortes pressions protectionnistes sont toujours
présents des deux côtés de la frontière et ne
peuvent qu'entraîner une détérioration de la situation.
Je trouve cela excellent et j'insiste sur le fait que vous mentionniez
déjà, dès février dernier, l'urgence de
préciser les règles du jeu. Depuis, il y a eu votre comparution
en juillet dernier devant le comité Warren et, aujourd'hui, en septembre
1987... Ce qui me préoccupe le plus, c'est qu'on est, d'une part,
à huit ou neuf jours d'une possible entente qui sera signée entre
les deux pays et qui sera probablement un cadre global. Mais, si on prend votre
cas précis, c'est à se demander si, entre décembre 1986 -
pour ne prendre que cette période - et maintenant, au cours des neuf
derniers mois, il y a eu évolution par rapport à vos
différentes revendications que déjà vous faisiez à
ce moment-là, que vous avez répétées et pour
lesquelles vous semblez voir une certaine urgence et maintenant, au moment
où vous nous présentez le mémoire. On a un peu
l'impression que, d'une part, on ne sait pas trop ce qu'il y a sur la table, ce
qui est en train d'être négocié en matière de
services, particulièrement dans votre secteur, et, d'autre part, les
revendications que vous avez faites. Déjà, l'espèce
d'entente de principe que vous avez avec vos homologues américains nous
amène à dire: Est-ce que, vraiment, dans la négociation
qui se fait actuellement sur le plan pancanadien, on est en train de
revendiquer, là-bas, vos droits pour les retrouver... À moins que
vous n'ayez plus d'information que nous en avons, nous avons un peu
l'impression que ce n'est pas en train d'être négocié. Si
c'est en train d'être négocié. Est-ce que vous avez plus
d'information que nous? On trouve un peu anormal de se retrouver comme cela,
sans trop savoir où on s'en va et sachant très bien
qu'après le 4 octobre il y a des choses qui seront peut-être plus
difficiles à négocier.
M. Castonguay: D'abord, pour faire un petit rappel à
l'excellent texte que vous citiez tantôt...
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Castonguay: ...je faisais aussi référence au
secteur plus large de tout le libre-échange. J'avais à l'esprit,
en disant qu'il fallait établir un mécanisme des
différends, les problèmes qui ont surgi dans le bois
d'oeuvre, les bardeaux, ces choses-là. Je ne pensais pas seulement au
secteur des services financiers. Mais la question, évidemment, demeure
malgré tout. Nous savons aussi, et j'imagine que c'est pour cela... Je
ne veux pas essayer de justifier le manque d'information, mais c'est toujours
difficile de négocier face au public. Cela explique peut-être
pourquoi on n'a pas toute l'information qu'on pourrait souhaiter avoir, en
cours de route. À tout hasard, nous avons ici Me Gaétan Drolet,
qui est membre du Groupe de consultation sectoriel pour la partie des services
financiers. Peut-être qu'on pourrait donner la parole à
Gaétan Drôle t. Il en connaît un peu plus que nous sur cette
question.
M. Drolet (Gaétan): Je pense bien que je ne peux pas
donner les secrets de la négociation, mais il y a des choses qui sont
publiques et connues. Vous avez mentionné tantôt le secteur des
valeurs mobilières, par exemple, où, au cours de l'année,
on a eu trois amendements successifs de la part de l'Ontario. M. Kwinter, qui
avait pris des décisions de ne pas ouvrir son droit de
propriété, a changé à trois reprises. Ceci a
été conditionné par le climat international. Vous avez
également vu, à plusieurs reprises, la barrière
systématique du Glass, Steagali Act des Américains. Le
sénateur Proxmire et d'autres ont probablement pris des engagements de
l'amender et, au lieu de l'amender sur une période de cinq, six ans,
aujourd'hui, on parle d'amendements à l'intérieur d'une
année. Peut-être même que le sénateur ne prendra pas
sa retraite avant de livrer à la succession l'amendement du
système bancaire en relation avec les valeurs mobilières. Il est
évident que les pressions du Merchant Banking qui contournait la loi sur
les banques pour prendre possession des maisons de courtage aux
États-Unis, il y a eu tellement de pressions que ceci, qui était
prévu dans les cinq prochaines années, se produira pendant la
prochaine année.
Alors, est-ce qu'il y a eu du chemin de fait depuis le discours de M.
Castonguay? Je peux dire qu'on a certainement deux expériences dans les
services financiers, soit le service bancaire et le service des valeurs
mobilières, qui ont beaucoup bougé. Il est clair que, même
s'il y a une entente de principe dans le domaine de l'assurance, comme
l'assurance ouvre tous les secteurs financiers au Québec et au Canada,
on espère que tout cela sera vu dans cette image globale. C'est pour
cela, je pense, que le principe de la réciprocité a
été abandonné en cours de route pour être
supplanté par le principe du traitement national. Les banquiers ont vu
que la réciprocité était impossible, les structures
étaient trop différentes. On n'a pas de fiducie aux
États-
Unis, on a des fiducies au Canada. Les courtiers sont beaucoup plus gros
aux États-Unis; au Canada, c'est plus petit.
Alors, la structure était tellement différente qu'il
fallait abandonner le concept de réciprocité pour se rallier
à un principe de traitement national. Il reste qu'il y a une mise en
garde que M. Castonguay a faite, c'est que le traitement national, on ne peut
pas le faire à tout prix. On ne peut pas donner le grand , gâteau
au Canada. Nous, par le traitement national mitigé qu'on aurait aux
États-Unis, on serait les perdants dans cet échange. Ce sont
peut-être des points qui sont assez chauds au moment où on se
parle.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Ce que vous dites, c'est un peu ce qu'on a entendu
à plusieurs reprises ici ou qu'on a répété
nous-mêmes, c'est-à-dire oui à la libéralisation de
nos échanges, mais pas à n'importe quelles conditions.
Vous avez fait allusion, M. Castonguay, à la question des
investissements dans des sociétés autres que des
sociétés d'assurances. Vous avez dit qu'un traité de la
libéralisation des échanges pourrait avoir un effet dans, et je
le prends dans un sens très large, sur les bilans de ces
sociétés-là et, par conséquent, sur les placements
que vous pourriez y faire.
Est-ce qu'il y a de prévu... Cela a sûrement
été discuté. Je ne demande pas de secrets de gestion de
vos entreprises, mais il a dû ressortir, à regarder vos
portefeuilles, certains secteurs qui pourraient vous amener à
décider de faire telle ou telle transaction. Est-ce qu'il y a dans vos
portefeuilles - c'est la nature de ma question et, encore là, je
voudrais respecter entièrement, je ne vous demande pas de
révéler votre portefeuille, quoique, pour la plupart, c'est
très public et vous le publiez - mais est-ce qu'il y a des secteurs plus
névralgiques dans l'expectative d'une entente de libre-échange?
Je comprends que vous n'êtes pas privés à chaque petit
détail, mais est-ce qu'il y a des secteurs qui vous semblent plus
vulnérables et qui pourraient influencer votre politique de placement et
d'investissement.
M. Castonguay: J'espère que je vais répondre
à la question que vous posez. Il existe, si on regarde d'abord nos
pouvoirs de placement vis-à-vis de l'extérieur, que ce soit en
matière d'assurances, que ce soit en matière de caisses de
retraite, certaines contraintes sur les placements que nous pouvons effectuer
à l'extérieur. À un certain moment, c'est important de
pouvoir le faire pour bénéficier d'occasions, obtenir les
rendements dans des économies qui se développent dans certains
secteurs. Au Canada, on ne trouve pas toutes les
occasions de placement dans certains secteurs spécialisés,
par exemple, de la technologie. II y a certaines contraintes. Il y a certaines
contraintes aussi pour les sociétés canadiennes ou
québécoises qui veulent investir à l'extérieur dans
l'acquisition, par exemple, d'autres sociétés d'assurances et
cela? c'est dans notre propre législation au niveau
fédéral, par exemple.
On n'a pas toute liberté d'action, loin de là. Ici, au
pays, dans nos investissements, il y a énormément de concurrence
présentement. Les gens qui sont responsables des placements recherchent
évidemment toujours les meilleures occasions. Il y a beaucoup de
capitaux disponibles. Présentement, je pense bien qu'il n'y a pas de
manque de capitaux pour répondre aux besoins qui pourraient se
manifester en matière de placements. Cette situation-là n'est pas
nécessairement permanente et je pense que c'est ce qui est important.
Comme on le mentionnait au départ, en matière de placements, il y
a une donnée importante dans le fait qu'une large partie des entreprises
canadiennes sont contrôlées au Canada. Des entreprises d'assurance
sur la personne sont contrôlées ici par des Canadiens. Je crois
que c'est important. Je pense bien qu'il est difficile, par des règles
législatives et par des règlements d'orienter les placements;
c'est impossible dans tel ou tel secteur d'activité. Je pense que ce qui
est le plus important, c'est de s'assurer que les gens qui ont la
responsabilité de ces placements aient les mêmes objectifs, les
mêmes préoccupations que celles qu'on pourrait retrouver
normalement au sein de la population ou dans les gouvernements.
Alors, c'est dans ce sens-là. Je pense bien que dans le moment il
n'y a pas de pénurie de capitaux de placements au Canada, mais il n'est
pas dit que cette situation-là est nécessairement permanente.
Lorsque l'on veut faire des placements à l'extérieur, il y a des
contraintes et ces contraintes-là ont été mises en relief
à plusieurs reprises dans le passé. Je pense qu'elles devront,
à un moment donné, disparaître ou tout le moins être
atténuées.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci M. le Président. Vous
mentionnez, à la fin de votre mémoire, dans une de vos
conclusions, M. Castonguay, que votre association croit que les juridictions
respectives des divers paliers de gouvernement doivent être
respectées. On sait que dans le cadre du libre-échange il peut y
avoir des tentatives de la part du gouvernement fédéral de
s'approprier dans certains domaines un peu plus de pouvoir. J'aimerais vous
entendre là-dessus. (15 h 45)
Quelles seraient vos recommandations pour s'assurer que le gouvernement
du Québec prenne toutes les mesures nécessaires afin qu'il n'y
ait pas envahissement, mais qu'au contraire il y ait possibilité d'aller
chercher plus de pouvoirs de ce côté? Deuxièmement, vous
parlez du mécanisme d'arbitrage que vous préconisez. Est-ce que
vous êtes allés plus loin dans le scénario? Quelle serait
la meilleure forme possible? Est-ce que vous verriez à assurer au
Québec un siège à ce comité d'arbitrage, de
façon à bien défendre les intérêts
spécifiques du Québec à un comité éventuel
d'arbitrage ou à un tribunal d'arbitrage?
M. Castonguay: La première question est celle de la
juridiction. C'est clair qu'en matière d'assurances la juridiction est
exercée aussi bien au niveau du Québec qu'au niveau
fédéral. En matière de fiducie, je pense que c'est de
façon prédominante au niveau provincial, mais il y a une
juridiction au niveau fédéral - on me le signale. En
matière bancaire, c'est au niveau fédéral et en
matière de courtage des valeurs, c'est supposé être au
niveau provincial, mais on a vu qu'il y a eu des hésitations au mois de
juin. Je pense bien qu'il n'est pas mauvais qu'il y ait un système
où les juridictions ne sont pas toutes concentrées. On est dans
un pays fédérai, il y a des différences. On peut
constater, de ce point de vue, que le fait qu'il y ait des juridictions
différentes peut favoriser à certains moments le
développement dans une région par rapport à une autre. Par
exemple, le fait que la loi 75 nous ait permis de poser certains gestes nous a
peut-être favorisés temporairement. On sait, par exemple, que la
Colombie britannique aimerait bien voir un développement plus vigoureux
de ses institutions financières.
Alors, je pense qu'il est important du point de vue du
développement régional, des diverses régions et de
l'équilibre du pays, que les juridictions demeurent partagées et
qu'elles soient exercées à chaque niveau. Il reste, en même
temps, qu'il faut être prudents et ne pas faire en sorte qu'il y ait
double emploi, qu'il y ait trop de guerres de juridiction et que ce soient les
institutions qui en paient le prix. Il reste que nous avons affaire, ici, au
Canada, à des concurrents très puissants. Et de plus en plus,
avec l'internationalisation de tout ce qui touche les marchés
financiers, cette concurrence va se faire de plus en plus vive aussi bien au
Canada qu'à l'extérieur.
Alors, dans ce sens, il y a sûrement un grand besoin
d'harmonisation entre les deux paliers de gouvernement et un grand besoin de
collaboration, et aussi entre les gouvernements des provinces. Malheureusement,
on ne constate pas toujours cette harmonisation ou cette collaboration. Je vais
vous donner des
exemples. Dans la loi fédérale des assurances, on
reconnaît clairement les compagnies étrangères. C'est
reconnu, elles peuvent venir faire affaires ici. On ne reconnaît pas sur
le même pied les compagnies à charte québécoise. On
a eu un exemple encore récemment. On a voulu transférer de
l'Impériale, compagnie à charte fédérale, certaines
affaires à La Laurentienne, compagnie à charte
québécoise. C'est impossible parce que la législation
fédérale ne reconnaît pas cette réalité. Elle
reconnaît les compagnies de l'extérieur, mais elle ne
reconnaît pas les compagnies à charte québécoise.
Vous avez vu le conflit au mois de juin entre l'Ontario et le gouvernement
fédéral en matière de courtage des valeurs
mobilières. On voit présentement dans la législation
québécoise sur les assurances et les services financiers le
principe que ce sont les institutions qui devraient se réglementer
elles-mêmes, s'autodiscipliner dans la conduite de leurs affaires
à l'intérieur d'un certain cadre établi dans la
législation, ce qui a donné d'excellents résultats
à ce jour. Vous n'avez pas vu de faillites de compagnies
québécoises au cours des dernières années.
Malgré les faillites que l'on a vues dans les banques, les fiducies et
les compagnies d'assurances à l'extérieur du Québec, le
gouvernement fédéral, dans la loi qu'il se propose de
présenter, veut établir un principe très différent.
Il veut établir par des contraintes légales un système
qui, selon lui, pourrait éliminer l'incompétence et la
malhonnêteté. Nous n'y croyons pas. Nous avons fait de nombreuses
représentations. Si on devait trouver ces normes et ces règles
dans la législation fédérale, ce sont des entreprises
comme nous, ou qui sont de plus petite taille, qui pourraient en souffrir.
On dit qu'il faudrait qu'il y ait beaucoup plus de concertation entre
les provinces et le gouvernement fédéral, et entre les provinces
elles-mêmes aussi. On sait qu'à certaines occasions il y a des
conflits entre les commissions de valeurs mobilières; on a
été la victime de l'un de ces conflits, au printemps, entourant
justement la question plus large des modifications en Ontario. On nous a
demandé d'adopter des règles comptables différentes de
celles que nous impose le Surintendant fédéral des assurances
dans la présentation de nos états financiers. D'une part, on nous
dit: Préparez vos états comme cela et, d'autre part, en Ontario,
on a dit: Non, il faut que vous les prépariez d'une autre façon.
Avant de débloquer l'imbroglio, les marchés avaient
évolué et c'est nous qui avons payé la note.
Il y a donc un grand besoin. Même si nous n'avions pas la
libéralisation des échanges avec les États-Unis dans le
contexte d'internationalisation dans lequel on s'engage, il va devenir de plus
en plus important, d'autant plus que, bien souvent, ce qui va déterminer
les règles du jeu, ce sera la concurrence qui va nous venir de
l'extérieur et non pas celle de l'intérieur. Il va falloir
comprendre de plus en plus dans l'avenir que ce ne sont pas seulement les lois
qui sont faites à l'intérieur du pays dont on devra tenir compte,
mais également celles faites à l'extérieur du pays. Sur ce
plan-là encore, la loi fédérale qui est annoncée
nous rend très inquiets; elle voudrait bannir, par exemple, le lien
entre les entreprises dans le domaine des services financiers et les
entreprises à caractère commercial. En d'autres termes, il
faudrait être uniquement dans le secteur des services financiers. On sait
que c'est un secteur qui demande beaucoup de capitaux. Dès que vous
augmentez votre taille, vous devez ajouter à votre capitalisation. On
n'est déjà pas tellement gros au Canada, si on nous prive de
moyens de financement, on sera encore plus vulnérables. Si vous regardez
à l'extérieur, la plupart des grandes entreprises, dans le
domaine des grandes banques, les grands assureurs à l'extérieur,
qu'ils viennent du Japon, de l'Allemagne ou de la France, sont
généralement liés à des intérêts
commerciaux qui peuvent les alimenter en capitaux. Il va aussi falloir
s'habituer à cette dimension. Comment réaliser cette
harmonisation des lois aux deux niveaux ou des réglementations? Je pense
bien qu'il va falloir que les gouvernements reconnaissent qu'ils vont devoir
travailler sur cela; au lieu d'essayer uniquement de parfaire leurs propres
lois, les détailler le plus possible. Il y a une nouvelle dimension et
c'est celle que vous mentionnez. Je pense que c'est seulement en travaillant
ensemble qu'on va atteindre cet objectif.
M. Parent (Bertrand): J'aimerais, si M. le ministre me le permet,
terminer le temps qu'il me reste. Face à ce que vous dites, M.
Castonguay, cela m'inquiète beaucoup de voir, d'une part, la
façon dont le gouvernement fédéral agit actuellement et le
fait qu'il retarde énormément toute la question du
décloisonnement auquel vous êtes aux prises vous-mêmes avec
La Laurentienne. Vous-même, en tant que conférencier à la
Chambre de commerce de Montréal le 14 avril dernier, vous
dénonciez cette situation et je pense qu'elle n'a pas changé.
C'est aussi ce même gouvernement qui est assis avec Washington en train
de négocier une partie des secteurs des services. En tout cas, cela me
préoccupe et je pense que vous avez lieu d'être inquiet. Ce qui se
passe quant à l'internationalisation des services, c'est que,
finalement, comme vous l'avez déjà mentionné, les grands
géants mondiaux sont en train de s'allier. On pense à la Nippon
Life, à Sherson Lemon et à American Express qui se mettent
ensemble et qui
s'organisent pour prendre le contrôle du marché.
La dernière question que j'aimerais vous poser, puisque mon temps
est presque terminé: M. Castonguay, avez-vous fait, à
l'intérieur de l'association canadienne, certaines études
d'impact pour voir st ces barrières non tarifaires, ou ces
barrières invisibles, et ces embûches qui existent actuellement,
lorsqu'elles seront abolies, à toutes fins utiles... Avez-vous fait des
projections de la possibilité que vous pourriez aller chercher? À
la page 6 de votre mémoire, vous mentionnez qu'actuellement 40 % des
revenus, des primes des sociétés d'assurances canadiennes
proviennent de l'extérieur et en majeure partie des États-Unis.
Avez-vous des études d'impact qui pourraient vous amener à dire:
Voici ce qui va se passer? Est-ce que vous avez ce genre de chiffres ou si vous
n'en avez pas?
M. Castonguay: Je ne le crois pas. Je ne sais pas si ce serait
possible de faire de telles études. Il reste que...
M. Parent (Bertrand): ...
M. Castonguay: Oui, il reste aussi qu'on est dans le domaine de
la concurrence. Cela m'apparaît assez difficile. Mais, pour repondre
précisément à votre question, M. Millette m'a dit qu'il
n'y a pas de telles études qui ont été faites au sein de
l'ACCAP.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup, M.
Castonguay.
Le Président (M. Charbonneau): M. le députe de
Vanier, il ne reste pas grand temps.
M. Lemieux: Rapidement, M.
Castonguay, à la page 12 de votre mémoire, le haut de la
page 12 de votre mémoire attire particulièrement mon attention
lorsqu'on constate que l'Association canadienne des compagnies d'assurances de
personnes nous dit qu'elle reconnaît que l'entente sur le
libre-échange ne doit pas viser à influer sur tes programmes
sociaux des gouvernements, tels les régimes d'assurance-chômage,
de rentes et d'assurance-maladie qui comportent des droits spécialement
réservés et propres à chaque pays, à chacune des
juridictions qui les composent. D'abord, cela a frappé mon imagination
et cela a aiguisé un peu ma curiosité, puisque je rne dis:
Voilà quelqu'un qui a écrit des centaines de pages, qui a
émis un rapport sur le sujet... Je ne dis pas que votre
résumé n'est pas bon, mais je retrouve à peu près
en trois lignes et demie ce qui semble être une de vos
préoccupations.
J'aimerais savoir ce que vous aviez à l'esprit en écrivant
ces quelques lignes. Qu'est-ce que ce mémoire a a l'esprit?
M. Castonguay: D'abord, je n'ai pas été le seul
à l'écrire...
M. Lemieux: J'en conviens.
M. Castonguay: Malgré que c'est flatteur de penser que
vous aviez pensé cela. C'est une préoccupation qui a
été exprimée par plusieurs, étant donné les
différences assez profondes qui existent entre la législation
sociale aux États-Unis et celle qui existe au Canada. On sait, par
exemple, qu'aux Etats-Unis il n'y a pas d'assurance-maladie universelle comme
nous la connaissons ici. Dans bien des États, il n'y a pas
d'assurance-chômage comme nous la connaissons ici. Alors, ce sont ces
grands programmes sociaux qui font partie aujourd'hui de la structure, de la
culture même de notre pays qui apparaissent comme ne devant pas faire
l'objet de négociations dans la libéralisation des
échanges sur le plan de l'économie.
Alors, c'est ce rappel que l'association voulait faire. Elle est
d'accord avec ce principe que l'on libéralise les échanges sur le
plan commercial, mais que l'on ne touche pas, par contre, à la
souveraineté des pays en matière de politiques sociales ou
culturelles.
Le Président (M. Charbonneau): Cela va? M. le ministre du
Commerce extérieur.
M. MacDonald: Même si on connaît de quelle
façon l'assurance se vend, soit par les agents ou par les courtiers,
cela revient toujours à des personnes qui vendent. Il y a
différentes formes de licenciements d'agents habilités à
vendre de l'assurance. Vous semblez avoir une affinité avec
l'association américaine. Est-ce que les conversations sont
allées au point de prévoir une possibilité pour un agent
canadien de vendre aux Etats-Unis et un agent américain de vendre au
Canada, dans quelque province que ce soit? Je fais la réserve qu'il y a
législation et réglementation provinciale là-dessus, mais
en avez-vous parle?
M. Castonguay: D'abord, j'aimerais juste établir un point
et, après cela, je poserai la question. À ma connaissance, une
personne, pour agir comme représentante ou vendre de l'assurance, doit
obtenir un permis, peu importe la juridiction dans laquelle elle se trouve.
Alors, pour que, par exemple, un Québécois vende en Ontario, il
faut qu'il obtienne une licence de l'Ontario. S'il veut aller vendre dans
l'Etat de New York, j'imagine que c'est la même chose. Ce qu'il faudrait
regarder, c'est: Est-ce que dans ces
lois sur le licenciement des représentants, il y aurait de la
discrimination contre les non-résidents? Je ne sais pas si cela a
été examiné. Si oui, est-ce qu'on a abordé le
sujet? Je ne suis pas en mesure de répondre.
M Millette (Yves): Je pense que c'est l'une des principales
raisons du traitement national. Finalement, ce genre de chose qui fait part de
la compétence personnelle des individus, c'est quelque chose qui,
finalement, n'est pas considéré comme négociable. Cela
fait partie des politiques d'un pays, des politiques de formation
professionnelle, etc. Je pense qu'à ce moment-là ce n'est pas
véritablement quelque chose qui peut être mis en
réciprocité; c'est vraiment quelque chose qui est du traitement
national. On parlait tantôt du travail à temps partiel. Aucune
juridiction au Canada ne le reconnaît et je ne pense pas qu'on veuille
changer cette situation.
M. Castonguay: Mais, en même temps, il ne faut pas qu'il y
ait de discrimination dans le traitement national. C'est le principe.
M. MacDonald: Eh bien, pour ma part, je vous remercie beaucoup.
Vous nous avez éclairés sur un certain nombre de sujets. Merci,
messieurs.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui. En terminant, M. Castonguay et vos
collègues, moi aussi je tiens à vous remercier au nom de
l'Opposition officielle, pour ce mémoire et cette présentation
que vous avez faite. On n'a pas eu le temps de toucher à un secteur
important qui est l'effet, comme tel, du libre-échange sur les
personnes, c'est-à-dire les consommateurs. En terminant, j'aurais
aimé avoir un petit mot, à savoir si cela aura un effet
bénéfique. Est-ce que cela risque d'aider les consommateurs?
M. Castonguay: Si le temps le permet, je peux faire un bref
commentaire. Dans la mesure où on s'engage davantage vers le
libre-échange, il devrait y avoir davantage de concurrence et, nous,
nous croyons que plus il y a de concurrence, plus le consommateur est
susceptible d'en bénéficier. Alors, dans ce sens-là,
à plus long terme, je dirais que la réponse est oui. Je vous
remercie, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse,
messieurs, merci beaucoup de votre présence à cette consultation
générale, et peut-être à une prochaine fois. Nous
allons suspendre la séance, quelques instants et j'invite, pendant cette
période, les représentants du Nouveau parti démocratique
à prendre place à la table des invités.
(Suspension de la séance à 16 h 2)
(Reprise à 16 h 7)
Le Président (M. Charbonneau): Nous reprenons cette
consultation. Nous accueillons maintenant le Nouveau parti démocratique.
M. Harney, vous devez connaître un peu nos règles du jeu. Nous
avons une heure pour votre groupe, une vingtaine de minutes pour la
présentation du mémoire et le reste est consacré, avec les
membres de la commission, à des discussions.
Je vous demanderais, avant de commencer votre exposé, de
présenter les personnes qui vous accompagnent et, par la suite, d'y
aller allègrement.
Nouveau parti démocratique du
Québec
M. Harney (Jean-Paul): Merci beaucoup, M. Charbonneau. M. le
Président, honorables membres de la commission, j'aimerais commencer en
vous présentant la personne qui n'est pas ici, Mme Ruth Rose
Lizée, qui a beaucoup aidé à la préparation du
mémoire, qui aurait bien voulu être ici, mais depuis qu'on a
changé d'horaire, il lui était impossible de revenir de
Montréal, après son cours. On aurait certainement dû avoir
cette présence, puisqu'elle nous a beaucoup aidés, une
présence féminine, qui est très importante. M. Pierre
Graveline est le porte-parole du parti, surtout en matière de politique
linguistique et culturelle. Justement, nous allons nous partager la lecture du
document. Mon collègue s'attardera surtout aux éléments
qui portent sur les acquis sociaux et sur l'aspect de la politique culturelle,
les effets d'une politique de libre-échange sur la politique
culturelle.
M. le Président, je ne ferai pas lecture de l'introduction, vous
l'avez tous lue, j'irai directement à la page 2, où on commence
en matière. Le NPD-Québec conteste la légitimité du
gouvernement dans ce dossier. Quand a-t-il reçu le mandat de la
population d'engager le Québec dans un projet de libre-échange
avec les États-Unis? Au contraire, il faut se rappeler que le Parti
libéral et son chef, Robert Bourassa, exprimaient les plus grandes
réserves face à ce projet au moment de la campagne
électorale de 1985, alors que ie Parti québécois s'en
faisait le défenseur acharné. On a vu dernièrement que
quelques anciens membres du gouvernement du Parti québécois se
sont présentés devant votre commission pour soutenir
essentiellement la même thèse.
Non seulement ce projet de libre-échange s'élabore-t-il de
manière non
démocratique, mais ce projet repose sur une stratégie de
négociation bilatérale qui soulève des inquiétudes
profondes et qui comporte des risques inacceptables pour une
société qui prétend demeurer distincte. Le Nouveau Parti
démocratique du Québec s'oppose au projet de
libre-échange. Il considère que ce projet, s'il devait se
concrétiser, entraînera des conséquences
désastreuses pour l'emploi, les acquis sociaux, l'identité
culturelle de la population québécoise et, ultimement, pour
l'autonomie politique de l'État québécois. Le
NPD-Québec invite le gouvernement du Québec à se prononcer
contre ce projet de libre-échange, à favoriser plutôt la
négociation d'accords multilatéraux et à mettre en oeuvre
une stratégie de développement économique pour
réduire notre dépendance à l'égard des
États-Unis et diversifier nos partenaires commerciaux.
Discuter de cette question aujourd'hui, après les nouvelles
d'hier, c'est un peu s'acharner à changer de place les chaises sur le
pont du Titanic après qu'il a frappé l'iceberg. Le sujet est
quand même peut-être devant nous, peut-être qu'on a vu hier
une espèce de mise en scène, peut-être que le fond de la
question reste pour nous.
Le principe généralement admis qui guide toute
négociation commerciale, en particulier celle du GATT, est que les
résultats d'une négociation doivent faire en sorte que, pour
chaque pays, les pertes d'emplois découlant de l'ouverture accrue aux
importations étrangères soient compensées par des gains
d'emplois équivalents provenant d'exportations accrues sur les
marchés étrangers désormais plus ouverts. Rien n'indique
à ce jour que le projet de libre-échange actuellement
négocié garantira une telle réciprocité.
Certes, le gouvernement Mulroney évoque avec beaucoup d'emphase
les projections théoriques établies par le Conseil
économique du Canada qui prétend que plus de 370 000 emplois
pourraient être créés au Canada, d'ici 1995, à la
suite d'un accord de libre-échange avec les États-Unis, et
qu'à l'inverse plus de 500 000 emplois pourraient être perdus en
l'absence d'un tel accord. Le moins qu'on puisse dire est que ces projections
sont très contestables et reposent sur des fondements peu convaincants.
Quand j'ai lu le rapport du conseil, je me suis rappelé un peu les
lectures que je faisais des aventures récits du baron Münchhausen.
Quel lien cela a-t-il avec la réalité vécue par les
Canadiens et Canadiennes? me suis-je demandé. Ou encore une autre
lecture que j'ai faite étant jeune, Les voyages de Gulliver. Est-ce
qu'ils sont dans l'exactitude quand ils proposent ces études? Ainsi,
pour qu'il y ait une perte de plus de 500 000 emplois en cas de non-signature
d'un traité de libre-échange, il faudrait que nos exportations de
marchandises en direction des États-Unis baissent du tiers, soit
d'environ 33 000 000 000 $, puisque, selon les données mêmes du
gouvernement fédéral, chaque milliard de dollars d'exportations
correspond à 15 000 emplois. Or, au cours des 20 dernières
années, nos exportations n'ont jamais cessé de croître,
passant de 11 000 000 000 $ en 1970 à 93 000 000 000 $ en 1986 et cela,
en dépit de la crise économique et de plusieurs mesures
protectionnistes américaines.,
D'autre part, les projections du Conseil économique du Canada
sont contredites par plusieurs autres études qui concluent plutôt
à des pertes d'emplois importantes, particulièrement au
Québec, en cas de libre-échange. La commission Macdonald
affirmait que plus de 300 000 emplois québécois seraient
affectés par un accord de libre-échange. Selon une analyse du
ministère de l'Industrie et du Commerce du Québec,
réalisée en 1985, le libre-échange aurait un impact
négatif sur douze secteurs représentant 260 000 emplois et un
effet positif sur à peine quatre secteurs représentant 30 000
emplois. Une étude de l'Université du Maryland désigne
nommément le Québec comme le grand perdant d'un accord de
libre-échange. Enfin, une série d'études sectorielles
menées par la FTQ, la CEQ, la CSN et l'UPA confirment la menace
réelle qui planerait sur de nombreux emplois au Québec.
On ne doit d'ailleurs pas se surprendre du résultat de ces
études, puisque les tarifs douaniers ne posent pas de problème
à notre accès au marché américain, 85 % de nos
exportations y entrant déjà en franchise. À
l'opposé, toutefois, les entreprises américaines exportant vers
le Canada font face à des barrières tarifaires deux fois plus
élevées. Il n'est donc pas surprenant de constater que le nombre
de perdants potentiels au Québec soit beaucoup plus élevé
que celui des éventuels gagnants. La logique est assez limpide: c'est
plus avantageux pour les Américains de se débarrasser des
barrières tarifaires.
Le Président (M. Charbonneau): Je veux seulement vous
signaler qu'au rythme où vous présentez votre mémoire vous
n'aurez pas assez de 20 minutes. Il n'est pas long, mais il est dense, vous
lisez avec un rythme correct, mais vous faites des commentaires additionnels.
Tout cela fait que vous êtes rendu seulement à la page 4 et il y a
déjà plusieurs minutes d'écoulées. Je voulais
seulement vous signaler qu'on va avoir un problème de temps si vous ne
compressez pas, ne résumez pas ou si vous n'accélérez pas
te rythme. Vous avez le choix. On veut se garder du temps pour pouvoir discuter
avec vous, autrement on va prendre l'heure et demie pour vous écouter,
ce qui ne serait
pas...
(16 h 15 )
M. Harney: Je sais qu'il est dense, mais j'espère qu'il
est clair. Je vais essayer d'accélérer mon débit.
Dans ses projections optimistes, le gouvernement fédéral
ne semble pas tenir compte du fait que les industries menacées sont
concentrées au Québec, que notre capacité à
concurrencer l'industrie américaine est limitée, notamment
à cause de la faiblesse de notre structure industrielle, de notre
productivité moindre, de nos coûts de production plus
élevés. Il ne paraît pas considérer non plus que nos
industries d'exportation dynamiques bénéficient largement d'un
soutien étatique perçu comme déloyal par les
Américains et dont ils exigeraient l'arrêt dans le cadre du
libre-échange. Là, je saute un petit bout pour arriver à
un paragraphe très important.
Le gouvernement Bourassa est-il en mesure de garantir aux centaines de
milliers de travailleurs et de travailleuses dont les emplois sont liés
aux 20 000 000 000 $ d'exportation que nous faisons dans les autres provinces
canadiennes que l'ouverture de ce marché aux Américains ne sera
pas catastrophique pour notre industrie? A-t-il réalisé des
études d'impact à ce sujet? Si je peux ajouter un autre chiffre
à ces 20 000 000 000 $, je demande à la commission si elle est
consciente du fait que notre client le plus important n'est pas les
États-Unis - ce ne sont pas les États-Unis globalement - mais
l'Ontario, Ici je parle surtout de produits manufacturés au
Québec. 14 000 000 000 $ de notre production sont écoulés
en Ontario. Cela dépasse de beaucoup notre exportation de produits
manufacturés aux États-Unis. Je fais référence aux
chiffres qui sont produits par le Bureau de la statistique du Québec
pour les années 1982-1984. Je fais référence à la
page 9, ce sont les chiffres produits par le gouvernement. On écoule
beaucoup plus en Ontario qu'on écoule aux États-Unis,
globalement. C'est un facteur extrêmement important dans notre
considération politique.
Le gouvernement Bourassa a-t-il envisagé le risque que de
nombreuses filiales américaines établies ici pour contourner les
barrières tarifaires et pour profiter des politiques d'achat
préférentielles, déménagent leur production au sud
quand les unes et les autres auront disparu à la suite d'un accord de
libre-échange? A-t-il envisagé le danger que bon nombre
d'entreprises canadiennes et québécoises, dans un contexte de
libre circulation des capitaux et des produits, transfèrent leurs
activités aux États-Unis pour être plus près des
grands marchés et pour bénéficier des coûts de
production moins élevés? La jeunesse québécoise
devra-t-elle s'expatrier en Alabama pour avoir un emploi chez Bombardier?
Ici, je saute deux paragraphes pour donner la parole à mon
confrère, Pierre Graveline, qui va parler de l'effet de ce programme sur
les acquis sociaux et sur la politique culturelle.
M. Graveline (Pierre): Je pense qu'il est important, quand on
discute du libre-échange, de regarder l'impact sur les acquis sociaux et
de se poser la question s'il ne conduit pas au sacrifice de ces acquis qui font
de la société québécoise une entité vraiment
distincte par rapport aux États-Unis. Qu'ils soient
considéré ou non comme des barrières non tarifaires,
qu'ils fassent l'objet ou non de discussions formelles à la table de
négociation, on sait que ces acquis sociaux sont perçus souvent
par le patronat comme des entraves au commerce et à la libre
concurrence. Dans un contexte de libre-échange, il faudrait que nos
coûts de production dans lesquels sont inclus les coûts sociaux
soient équivalents de part et d'autre de la frontière. Or, il est
notoire que le Québec et le Canada ont mis en oeuvre des politiques
sociales et des services publics supérieurs à ceux des
Américains, notamment pour se prémunir des effets
déstabilisateurs de notre trop grande dépendance à
l'égard des fluctuations de l'économie américaine. Il est
certain que, à la suite d'un accord de libre-échange, des
pressions énormes seront exercées pour niveler à la baisse
les pharges sociales et pour égaliser le terrain de jeu sur lequel
s'affronteront les entreprises. Déjà, les Américains s'en
prennent à certains programmes qu'ils considèrent comme des
subventions déloyales.
Dans un contexte de libre-échange, la question se pose:
qu'adviendra-t-il de nos programmes universels et publics d'allocations
familiales, de pensions, d'assurance-maladie et d'assurance santé qui
n'ont pas leurs équivalents aux États-Unis? Leur érosion
et, conséquemment, l'accentuation des inégalités de la
pauvreté ne seront-ils pas le prix à payer pour assurer la survie
des entreprises canadiennes et québécoises?
La liberté de commerce, si elle devait se réaliser, y
compris dans le secteur des services, ne conduirait-elle pas à une
remise en cause de nos services publics, à leur diminution et à
leur privatisation? L'exigence de compétitivité ne
deviendrait-elle pas le prétexte du patronat non seulement pour exiger
la réduction de ses contributions aux régimes de rentes, à
l'assurance chômage, à la Commission de la santé et de la
sécurité du travail, par exemple, mais également pour
limiter les salaires, restreindre les avantages sociaux, alléger les
normes de santé-sécurité et attaquer les droits syndicaux
mieux protégés ici qu'aux États-Unis? Le gouvernement
Bourassa accepterait-il, par exemple, le remplacement de la formule Rand par
une version québécoise du "Right to Work" qui
restreint considérablement la syndicalisation dans plus de la
moitié des États américains?
La question se pose aussi de l'impact du libre-échange sur la
situation spécifique des femmes. On sait que ce sont les secteurs
d'emplois massivement occupés par les femmes qui seront touchés.
Par exemple, les industries du textile, du vêtement et de la chaussure.
On sait également que toute réduction des programmes sociaux, des
conditions minimales de travail affecterait particulièrement les
conditions de vie des femmes qui sont les principales victimes des
inégalités et de la pauvreté dans notre
société.
Enfin, il est bien connu que notre société a consenti des
efforts beaucoup plus considérables que la société
américaine pour la protection de l'environnement: le nivellement par le
bas se ferait-il là aussi? Toujours au nom de la concurrence, les normes
antipollution devront-elles s'ajuster sur les normes moins
sévères de certains États américains?
Qu'adviendra-t-il du contrôle de la circulation des substances toxiques?
Les programmes de l'État québécois, par exemple, en
matière d'activités de reboisement, de
récupération, de subventions à l'achat
d'équipements antipollution seront-ils remis en cause?
Sur le plan culturel, certaines questions se posent aussi. Les
déclarations du gouvernement Mulroney selon lesquelles les politiques et
les industries culturelles ne feraient pas partie des négociations
commerciales avec les États-Unis et ne seraient pas touchées par
un accord de libre-échange ne suffisent pas à lever nos
inquiétudes à cet égard. Ces déclarations ont
été formellement contredites par le négociateur
américain qui a affirmé à plusieurs reprises qu'il ne
voyait pas pourquoi la libre circulation des investissements et des produits
dans le secteur culturel et dans celui des communications serait exclue des
pourparlers. Le gouvernement Bourassa lui-même a ouvert la porte à
une participation américaine à la propriété des
entreprises de communication au Québec. Nul besoin de faire la
démonstration que nous subissons déjà l'envahissement des
produits culturels américains et cela, malgré un ensemble de
mesures protectionnistes, essentielles bien qu'insuffisantes, que nos
gouvernements ont établies au cours des années. Je vous cite
comme exemple: les tarifs douaniers sur les enregistrements sonores et
audiovisuels, un minimum de contenu canadien et francophone dans les
programmations télévisuelles et radiophoniques. Ces mesures
sont-elles considérées comme des barrières nontarifaires
ou des avantages déloyaux qui devraient disparaître?
Par ailleurs, les Américains ont été très
clairs et explicites quant à leur volonté de libéraliser
la circulation des capitaux et des investissements entre les deux pays, y
compris dans le domaine de la culture et des communications. Si une telle
liberté d'investissement leur était concédée,
comment les gouvernements canadien et québécois pourraient-ils
régir la propriété étrangère dans ces
secteurs et protéger le caractère national de ces industries? Par
exemple, actuellement, la réglementation canadienne limite à 20%
la part des capitaux étrangers dans les entreprises de radiodiffusion.
Dans un contexte de libre-échange, qu'est-ce qui aurait pu, par .
exemple, empêcher l'une ou l'autre des grandes chaînes de
télévision américaines de s'approprier
Télé-Métropole, qui était en vente, on le sait, il
n'y a pas tellement longtemps?
Par ailleurs, je souligne que, selon l'avis même du Conseil de la
langue française, il ne faudrait pas sous-estimer l'impact du
libre-échange sur toute la question de la langue au Québec, des
dispositions linguistiques, en ce qui concerne l'étiquetage des
produits, etc. Le gouvernement Bourassa est-il en mesure de garantir à
la population que ni la langue française, ni les industries de culture
et de communication ne seront menacées directement ou indirectement par
un éventuel accord de libre-échange?
Je termine en posant cette question: À quoi aurait servi
d'affirmer le caractère distinct de notre société dans un
vague préambule constitutionnel si l'on s'apprête aujourd'hui
à le diluer dans le melting-pot américain?
M. Harney: M. le Président, je vais vous faire grâce
de la lecture des dernières pages, mais j'aimerais bien quand même
lire le paragraphe où on propose une politique différente et on
le trouve à la page 15: Le NPD-Québec considère qu'il
vaudrait mieux rechercher une libéralisation des échanges dans le
cadre multilatéral du GATT. Historiquement, le Canada et le
Québec ont pu y négocier avec leurs partenaires commerciaux,
entre autres - les États-Unis, des ententes mutuellement avantageuses.
Ce forum est plus approprié puisqu'il nous est possible d'y faire jouer
à notre avantage la force de négociation de la CEE et du Japon
pour contrebalancer la puissance américaine et en obtenir des
concessions. Le mécanisme de règlement des différends que
nous recherchons avec les États-Unis existe déjà dans le
GATT. Renforçons-le, c'est ainsi que nous remplacerons la loi du plus
fort par la règle du droit qui est le meilleur atout du
Québec.
Ici, je termine sur un commentaire, M. le Président, qui englobe
un peu notre plus grand souci. Notre partenaire commercial le plus
considérable maintenant, à part l'Ontario, ce sont les
États-Unis. On écoule
une très bonne partie de notre production de ce
côté-là. À peu près 80 % de la production
canadienne, prise globalement, s'en va vers Ies États-Unis. Il y a 50
ans, quand j'étais petit garçon, cela se situait autour de 33 %,
35 %. Proposer maintenant de libéraliser davantage les échanges,
et ils sont déjà assez libres entre le Canada et les
États-Unis, c'est placer le Canada dans une situation où il
n'aura qu'un client et ce qui est vrai pour le Canada devient encore plus vrai
pour le Québec. Je vous avoue que notre souci est foncièrement
politique mais nous sommes, après tout, un parti politique et nous
cherchons à englober non seulement ce qui nous concerne sur le plan
économique, mais ce qui concerne tout l'avenir de notre
collectivité. Je termine, M. le Président, sur ce
point-là, espérant qu'il va y avoir des questions.
Le Président (M. Charbonneau): Écoutez, je vous
remercie de votre collaboration, qui nous a permis de rentrer dans le temps qui
était prévu pour l'exposé. Alors, sans plus tarder, je
cède la parole au ministre du Commerce extérieur.
M. MacDonald: Merci, M. Harney, M. Graveline, d'être avec
nous et merci de nous avoir présenté votre position. Je suis
content que, d'une certaine façon, vous ayez qualifié, à
la fin, votre position de position politique et je comprends très bien,
j'admire et je respecte votre honnêteté de l'avoir fait. Mais,
ici, pour la conduite de la commission parlementaire, dans une entente, qui,
d'ailleurs, a été très respectée, entre
l'Opposition et le gouvernement, on a convenu que le sujet était
éminemment trop important pour qu'il soit habillé, qu'il soit
balisé principalement ou strictement par des considérations
purement politiques et partisanes. Nous avons conduit nos discussions avec les
témoins qui sont passés en regardant l'aspect technique du
problème de la libéralisation des échanges. Il est
évident que vous n'avez pas tenu compte, en aucune façon, de ces
balises, de ces exigences que nous avons formulées en tant que
gouvernement québécois participant également à ces
négociations avec le gouvernement du Canada qui, lui aussi, avait
posé des conditions fondamentales et qui se devaient d'être
présentes, sans quoi le Québec n'aurait pas embarqué dans
cette négociation avec le fédéral et les autres provinces,
si lesdites conditions n'avaient pas été présentes. (16 h
30)
Je ne peux pas vous révéler plus que ce que vous avez lu,
mais je crois qu'il a été déclaré carrément,
sans réserve à toutes fins utiles, que, parmi les
problèmes majeurs de l'impasse actuelle avec les États-Unis, il y
avait justement cette objection ou cette incapacité des
Américains de comprendre que, pour des Canadiens et pour des
Québécois, la culture ce n'est pas de l'"entertamment", que cela
fait partie de nous-mêmes, c'est viscéral et c'est une condition
sine qua non, au même titre que la capacité des gouvernements du
Canada d'intervenir lorsqu'ils le jugent approprié vis-à-vis des
problèmes de développement régional. Si cela n'avait pas
été présent, nous n'aurions pas été
présent, comme gouvernement du Québec, à cette
équipe de négociation. Ce sont deux des trois
éléments majeurs qui achoppent et pour lesquels le
négociateur, l'ambassadeur Reisman, s'est levé de la table et est
retourné revoir son premier ministre, devant demeurer à
l'intérieur des balises de la fourchette qui lui a été
donnée pour négocier. Si vous mettez en doute ces conditions, la
crédibilité du gouvernement - en fait, c'est votre droit, on est
en démocratie - à ce moment-là, il n'y a certainement pas
de place pour s'entendre sur quoi que ce soit.
Vous déclarez carrément que vous ne croyez pas à
l'étude du Conseil économique du Canada. Vous citez, dans votre
mémoire... Il faudrait que je retrouve le texte exact, mais je pense
être fidèle à ce que vous avez dit, à savoir que ce
n'est pas le document sur lequel vous voulez baser vos estimations de perte
d'emplois ou de création d'emplois, etc. Je ne veux pas vous faire dire
ce que vous n'avez pas dit. Mais il y a de multiples experts reconnus, quel que
soit le parti politique auquel on adhère, comme étant, dans leur
profession d'économiste, des gens très compétents qui ont
tous dit, avec les réserves qu'on accorde à n'importe quel
modèle économétrique, que cette étude du Conseil
économique du Canada était la plus poussée, la plus
élaborée, la plus crédible, la plus valable dans le
contexte de cette négociation de traité.
Si je voulais aller précisément à l'encontre de ce
que vous prétendez... Quand on examine le tableau 3 de cette
étude, il ressort et je lis textuellement, "que la production et
l'emploi augmentent dans tous les secteurs industriels du Québec pour le
scénario 2 et, au pire, n'augmentent pas pour certains secteurs dans le
scénario 1." Ce sont 6 des 30 secteurs. Encore là, cela ne nous
sert pas beaucoup de discuter de la valeur de cette étude ou d'autres
études si ce n'est que, peut-être, nous pourrions comparer celle
du Conseil économique du Canada avec la vôtre, si vous en avez
une. Sûrement, si vous pouvez déclarer ouvertement comme cela
qu'il y aurait perte de jobs, que le Québec est le plus menacé
dans cette perte éventuelle de jobs... Si je me rappelle, je crois avoir
lu que M. Bob Rae, votre contrepartie ontanenne, a dit la même chose pour
l'Ontario, que l'Ontario était beaucoup plus menacé que le
Québec en perte de jobs. Cela a d'ailleurs été
répété
par un certain nombre d'experts qui sont venus ici, mais enfin! Si on
pouvait faire la comparaison technique - si vous l'avez, j'aimerais l'avoir et
je vous promets qu'on va le faire - du modèle
économétrique qui a pu vous servir pour faire les
prévisions que vous avez, je ferai faire le plus sérieusement
possible la comparaison entre les deux et je la remettrai à cette
assemblée parlementaire pour qu'on puisse être capable
d'évaluer les deux côtés.
En allant plus loin, je vous poserai cette question, à ce
moment-là. Vous dites que le GATT serait le véhicule par lequel
nous devrions assurer l'expansion de nos activités commerciales
internationales. Mais le GATT a une façon de traiter les plaintes de
commerce déloyal qui, comme cela est connu... Peut-être que vous
pourriez nous l'expliquer et en faire une comparaison parce que si vous optez
pour le GATT comme étant la formule, par rapport à ce qui est
suggéré d'avoir un traité avec les Américains et se
mettre plus à l'abri de leurs mesures unilatérales,
peut-être qu'il y a quelque chose que je n'ai pas compris. Mais de l'avis
de ceux qui m'ont conseillé, la menace, c'est la menace
américaine. La menace, ce n'est pas l'Ontario, notre principal
partenaire, comme vous le disiez. Il n'y a pas de problème. Ils ne
prennent aucune action de droits compensatoires contre nous, ils ne nous
accusent pas d'antidumping, ils ne nous imposent pas de droits ou de taxes et
il n'y a pas de lois en Ontario pour interdire le commerce avec le
Québec. Mais il y en a, et un méchant paquet, aux
États-Unis. C'est là qu'est la menace. Ce qu'on dit, après
avoir fait l'analyse de tous les paramètres, c'est qu'entrer dans une
négociation avec les Américains - et non pas à n'importe
quelle condition, et c'est évident avec l'impasse qu'on voit -
était une formule plus valable pour protéger des dizaines de
milliers d'emplois de Canadiens et de Québécois contre une menace
de chaque jour et une procédure légale et réglementaire
qui nous exécute d'un coup de hache sur la tête, d'un coup sec,
plutôt que de strictement se baser sur le GATT qui, lui - j'en suis, on
est partie du GATT et on veut rester partie du GATT- a une procédure
beaucoup plus lente qui ne règle rien pendant que les jobs se
perdent.
Ayant dit ceci, c'est notre attitude. Vous êtes contre la
libéralisation des échanges. Vous avez le droit. J'aimerais,
à moins que vous ne réfutiez mon argument sur cette lenteur du
GATT, que vous me proposiez des méthodes pour être capable de
réagir rapidement aux mesures unilatérales américaines,
une méthode qui serait autre que de chercher à avoir un
traité de libéralisation, mais pas à n'importe quelle
condition.
Le Président (M. Charbonneau): M. Harney.
M. Harney: Eh bien, M. le Président, j'ai
déclaré tout à l'heure que, .carrément, notre
intervention était d'ordre politique. Nous sommes un parti politique.
Nous ne sommes pas un amalgame d'experts. Nous ne faisons que chercher à
représenter les gens ordinaires, vous comprenez. Parce que des
études approfondies, des modèles économétriques, on
n'en a pas. Ah! on n'en a pas, mais je trouve qu'il est aussi valable de se
pencher sur notre constat de la réalité que de se pencher sur des
modèles économétriques qui, parfois, faussent fortement la
réalité.
Le modèle du Conseil économique du Canada n'inclut pas le
secteur des services. Est-ce qu'on peut parler d'une réalité
totale, d'une correspondance à une réalité quand on a un
modèle qui ne prend pas en considération le secteur des services?
Même si on n'a pas de modèle, on peut étudier celui des
autres. Le modèle du Conseil économique du Canada ne prend pas en
considération l'effet de la cessation des subventions. Peut-on essayer
de comprendre une économie québécoise sans participation
étatique dans le développement de cette
économie-là? Moi, je trouve difficile ce repos que le ministre se
donne. Je trouve difficile à accepter qu'il puisse se reposer sur une
étude qui est quand même schématique et qui n'est pas
vraiment représentative de la réalité
économique.
Je fais une distinction - M. le ministre l'a faite tout à l'heure
- entre une approche politique et une approche partisane. Moi, j'accepte avec
difficulté qu'une Chambre qui est composée de
députés qui ont été élus par le truchement
d'une campagne électorale très partisane devienne tout è
coup non partisane et qu'on étudie un sujet très important
seulement sous l'aspect technique. Comme de raison, nous sommes partisans. Il
faut être partisan, parce que ce sont des questions de valeur qui sont
devant nous. Et la triste science de l'économie n'est pas la
totalité du vécu humain.
Pour ce qui est du GATT comme de raison, c'est lent. On se rappelle
très bien le Kennedy Round. Cela a pris des années à
préparer le Kennedy Round. Cela a pris des années à passer
à travers. Comme cela a pris bien du temps à en arriver à
l'accord du Dunbarton Oaks en 1947-1948. Cela a pris peine et misère,
guerre, etc. pour y arriver. Mais on a établi l'accord du Dunbarton
Oaks. On a passé à travers le Kennedy Round. Après cela,
on a préparé le round japonais. Cela a pris du temps. Puis on a
passé au travers. Il y a eu des améliorations. Mais c'est
l'internationalisation de ce sujet qui est importante et c'est important sur le
plan économique et sur le plan politique pour les
Québécois et les Québécoises. Et, ici, c'est
évident, M. le Président, qu'on ne partage pas avec le ministre -
peut-être aussi avec les représentants du Parti
québécois - cet engouement pour une continentalisation de notre
économie. On se dit très clairement: Faites attention. Si vous
voulez non seulement survivre mais croître ici, en Amérique du
Nord, il va falloir se développer de l'intérieur avec nos propres
moyens et chercher à augmenter notre commerce intérieur au lieu
de toujours chercher à vendre, presque à tout prix à
l'extérieur.
Pour ce qui est de modèles, comme de raison, je propose des
négociations multilatérales, mais aussi qu'il y ait des
négociations sectorielles et ponctuelles avec les Etats-Unis pour
chercher à limiter les effets que cause une concurrence qu'ils trouvent
peut-être, dans certaines occasions, néfastes pour eux. Cela, on
peut le faire. On l'a fait dans le passé et ce qu'on y fait, nous
présente aujourd'hui ce qui existe: toute une série de
traités, d'accords ou d'engagements qui mènent aux
échanges qu'on a maintenant avec les États-Unis. Il ne faut pas
présenter à la population ce choix qui me semble être faux.
C'est-à-dire le libre-échange ou rien. C'est déjà
le cas. Le Canada exporte à l'extérieur de ses frontières
à lui; 80 % de son produit est exporté aux États-Unis. On
est déjà lié de très près à ces
gens-ià.
M. Graveline: Si vous permettez, je voudrais ajouter quelques
mots à propos des commentaires du ministre, à savoir qu'il
faudrait discuter des aspects techniques. Nous pensons qu'il est important de
poser ce problème-là en termes politiques également, non
pas dans le sens partisan, mais dans le sens politique du terme. Si, pour
arriver à un accord de libre-échange avec les États-Unis,
le gouvernement du Québec accepte de sacrifier ou s'engage à ne
pas utiliser certains des pouvoirs dont il dispose actuellement... Il ne s'agit
pas de partisanerie. Il s'agit de la capacité de voir jusqu'à
quel point le gouvernement du Québec accepte de sacrifier sa
capacité d'établir des politiques et des programmes propres.
Au NPD-Québec, par exemple, on fait de la question de l'objectif
du plein emploi le coeur du développement économique et social
pour le Québec. Alors, comment concevoir la mise en oeuvre d'une
politique de plein emploi, ici, si, dans le cadre d'un accord sur le
libre-échange, le gouvernement du Québec s'est engagé
à ne pas utiliser certains de ses pouvoirs majeurs d'intervention
économique? Je pense par exemple à la réglementation des
investissements, aux politiques préférentielles d'achat qui
favorisent les productions locales, aux politiques de subventions directes aux
entreprises et même à l'imposition de tarifs pour protéger
les secteurs faibles et subventionner leur modernisation. Dans ce sens, on ne
peut pas poser la question strictement en termes techniques et en termes de
modalités et se demander quelles seraient les meilleures
modalités d'échange. Il y a une question de politique de fond
là-dedans. On soulève également, des questions par rapport
aux acquis sociaux et à la culture. On peut bien nous dire que,
directement, il n'est pas question des programmes sociaux à la table des
négociations mais cela n'empêche absolument pas l'impact du
libre-échange en s'engageant dans cette voie-là. II n'y aura
peut-être pas une pression qui se produira à la table des
négociations mais après, cela conduit à une situation
où l'ensemble, le partenaire, le patronat, les entreprises... Ce
partenaire, au nom de la nécessaire compétitivité dans un
marché libéralisé à ce point, dira, par exemple:
Les normes antipollution qu'on a ici dans nos industries, elles n'existent pas
ou elles existent beaucoup moins dans tel ou tel État américain.
Il faut donc diminuer les nôtres qui nous imposent des coûts
supplémentaires et qui nous rendent moins compétitifs. C'est dans
cet esprit-là qu'on pose la question. Au niveau de la culture, si vous
permettez un dernier commentaire, c'est la même chose. On peut nous dire
que les industries culturelles comme telles, les politiques culturelles, ne
sont pas affectées. Mais, si on accepte la liberté totale de
circulation des capitaux et des investissements américains ici, cela
nous conduit directement sur la... De toute façon, le risque est grand.
II existe un risque de voir certains instruments culturels majeurs
appropriés par les Américains. (16 h 45)
M. MacDonald: Je vais passer la parole à mon
collègue, le député de Bertrand, mais je dois noter que je
vous ai posé une question et que je n'ai pas eu de réponse.
J'espère, s'il me reste quelques minutes, que je pourrai reformuler ma
question pour qu'on essaie de se comprendre. J'aimerais obtenir une
réponse.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Harney,
M. Graveline, je vous remercie drêtre venus à cette
commission parlementaire. Je pense que beaucoup de gens, parfois, veulent
véhiculer leurs idées et la meilleure place pour le faire est
peut-être sur la place publique. Vous véhiculez dans votre
mémoire plusieurs préoccupations et vous prenez une position
claire contre le libre-échange. Je vous dis d'abord que plusieurs des
questions... J'ai relu votre mémoire à quelques reprises et
vous-même,
M. Harney, qui avez suivi les débats depuis le début pour
voir ce qui se passait, avez dû vous rendre compte que la plupart de ces
questions, nous les avons posées au gouvernement. Je mentionne cela
parce que vous avez dit tantôt que le gouvernement et l'Opposition, le
Parti québécois, avaient un engouement. Je vous dis qu'il
faudrait peut-être faire attention avant de nous embarquer dans des
engouements. Notre position est claire. Nous sommes conscients des
problèmes, nous sommes conscients que le débat est mal
engagé? nous sommes conscients des pertes d'emplois et nous sommes
conscients qu'il n'y a pas eu d'études d'impact; elles ont
été faites mais elles n'ont pas été
publiées. Nous sommes conscients des préoccupations sur le plan
de la langue, de la culture, de la non-transparence du gouvernement
fédéral et du gouvernement provincial, de la
spécificité québécoise, et j'en passe.
Une fois qu'on a vu cela et au-delà de tout cela, qu'est-ce qu'on
fait et où va-t-on? C'est là qu'on diverge peut-être
d'opinion, malgré que si on passait quelques heures ensemble il y aurait
peut-être des échanges d'idées qui nous amèneraient
â partager les mêmes points de vue. Voilà une soixantaine
d'heures qu'on passe ici en commission pour écouter plusieurs
intervenants.
M. Harney, nous aussi sommes inquiets. Il aurait été
beaucoup plus simple, comme Opposition à l'Assembée nationale et
en tant que parti politique, de dire au gouvernements Nous sommes contre. Et,
comme ils sont pour, là on se bat. Je pense qu'il ne faut pas être
contre pour être contre, il ne faut pas être contre juste pour
servir une clientèle. Tout le monde a une clientèle à
servir: eux ont des fins politiques, nous en avons, vous en avez et le
gouvernement fédéral en a. Je pense que, si on regarde le
bien-être du Québec, on se doit de prendre ce qu'on a comme
conviction profonde de ce qui est le mieux pour le Québec de l'an 2000
et après.
Je vous ai dit cela et je vous dis que notre engouement est loin
d'être celui du gouvernement. C'est oui à une
libéralisation des échanges mais avec une très grande
prudence. Nous avons l'intention, comme nous l'avons fait jusqu'à
maintenant, dans un esprit positif, de harceler le gouvernement et de faire
notre travail, mais en assurant le maximum de protection pour le Québec.
Le système dans lequel nous vivons, le système dans lequel les
décisions sont en train d'être prises à Ottawa sans que le
Québec soit à la table de négociation, on n'y peut rien.
Ni vous ni moi n'y pouvons rien. Le système fait en sorte que ce n'est
pas M. MacDonald ou M. Robert Bourassa qui est en train de négocier,
c'est un mandataire négociateur pour le gouvernement
fédéral, et nous avons à passer dans le canal. Nous vivons
avec cela.
Je donne quelques exemples. Quand vous parlez du cas de Bombardier - je
pense que c'est à la page 5 - cela m'a frappé un peu, vous dites:
"La jeunesse québécoise devra-t-elle s'expatrier en Alabama pour
avoir un emploi chez Bombardier?" On a vécu le contrat de Bombardier
pour le métro de New York et on n'était pas dans la situation du
libre-échange. C'était en 1985-1986 et, à cause des
politiques d'achat américaines, des contraintes et des barrières
tarifaires, Bombardier a été obligée de faire de la
fabrication et de l'assemblage aussi du côté américain. Je
vous dis, quant à cet exemple précis, que: s'il y a effectivement
une entente de libre-échange faite dans les règles que nous
demandons - moi non plus, je ne sais pas si on va obtenir gain, de cause
-Bombardier risque d'avoir beaucoup plus d'expansion ici au Québec et
peut-être aux États-Unis. Le résultat net, ce serait
cela.
Je termine en vous parlant de la question des emplois. Bien sûr,
nous avons aussi déclaré que la préoccupation que nous
avons, l'enjeu, ce sont les emplois. Ce que nous demandons au gouvernement, je
ne le vois pas dans votre mémoire comme tel et j'aimerais
peut-être vous entendre là-dessus, c'est ce coffre d'outils,
d'abord le coffre d'outils que le gouvernement doit fournir aux entreprises
québécoises pour les aider à traverser cette
période de transition. Bien sûr, si on tient pour acquis que vous
êtes contre, vous dites qu'on n'a pas besoin d'outils. Mais je vous
demande: S'il y avait un accord de libre-échange, est-ce que le
gouvernement devrait s'engager dans une voie où il laisse les
entreprises, dans une situation de libre marché, se débrouiller
à peu près seules ou si on doit fournir des coffres d'outils?
Est-ce qu'on doit fournir aussi des politiques au niveau de l'emploi? Votre
collègue a mentionné tantôt la politique de plein emploi.
Quelle va être exactement la position du gouvernement du Québec et
qu'est-ce que nous, d'un côté, et vous, de l'autre, on doit exiger
de la part du gouvernement afin que les emplois qui sont prévisibles...
En septembre 1985, M. Harney, nous les avions, les études. Elles avaient
été produites juste à la fin du mandat. Elles montraient
des pertes d'emplois dans différents secteurs, et cela nous
préoccupe. Mais, une fois qu'on voit ce qui risque de se produire, on
doit aussi se poser des questions, à savoir: Qu'est-ce qu'on fait et de
quelle façon va-t-on s'en sortir? J'aimerais vous entendre
là-dessus.
M. Harney: Eh bien, on a tous des questions. Je suis
désolé de ne pas avoir répondu à toutes les
questions du ministre. Il y en avait plusieurs, j'ai cru y répondre,
mais ma mémoire a fait défaut. Si on a le temps de reprendre, je
serais prêt à répondre
à la question à laquelle je n'ai pas répondu. M. le
député de Bertrand... Pardon?
Une voix: ...
M. Harney: Oui. M. le député, il est évident
qu'on est dans une situation un peu hypothétique. Vous n'avez pas un
engouement, c'est peut-être le cas...
M. Parent (Bertrand): ...pas excité.
M. Harney: Pas un engouement de ce côté-là et
pas un envoûtement de l'autre côté. Il serait bien quand
même qu'on soit tous assurés que, s'il y a une proposition
concrète d'accord de libre-échange après toute cette mise
en scène qu'on voit ces jours-ci, il y ait des auditions devant une
nouvelle commission parlementaire. Il est très difficile de
répondre à votre question. En répondant à votre
question, je semblerais donner mon aval à une politique avec laquelle je
ne suis pas d'accord. Cela me met dans une situation un peu difficile. S'il y
avait une proposition concrète et si nous étions
rassemblés ici, je n'hésiterais pas à commenter les
propositions du projet de libre-échange. Mais, moi, je demanderais
à l'Opposition qu'elle demande au gouvernement qu'on ait des auditions
devant cette commission après une proposition de libre-échange,
s'il y en a une. On ne voudrait pas se faire "lacmeechifier" encore une fois.
Vous comprenez, on a comparu avant de connaître l'accord du lac Meech. On
a parlé, on s'est amusé, on a dit des choses qui nous tenaient
à coeur, mais après que l'accord fut déposé,
là, plus de chance. Ne répétons pas cette
expérience. Je serais prêt à l'occasion à
répondre à votre question, M. le député de
Bertrand, je la trouve importante, mais je ne veux pas donner contenance
à cette politique en préparant mes effets pour un voyage que je
ne veux pas entreprendre. Vous comprenez?
M. Parent (Bertrand): Mais, rassurez-vous, M. Harney, le ministre
a pris l'engagement de tenir une commission parlementaire lorsqu'on aura ce
qu'il faut. Alors, vous aurez certainement la chance de venir répondre
à mes questions.
M. Harney: C'est rassurant, c'est rassurant.
Le Président (M. Charbonneau): En ce qui me concerne, M.
Harney, ce n'est pas une question d'être rassuré ou non, mais ce
qui m'étonne, c'est que vous n'avez nulle part dans votre mémoire
parlé de l'objectif dont votre collègue a parlé,
c'est-à-dire de l'objectif du plein emploi. Vous avez parlé du
problème de l'emploi et des conséquences éventuelles du
libre-échange. On est tous préoccupés ici, de part et
d'autre, par le problème de l'emploi, mais ce qui est fondamental,
à mon avis, et ce qui est notre position, c'est qu'il n'y aura pas de
retombées positives suffisantes et significatives pour le Québec
si on n'adopte pas au Québec une stratégie de plein emploi comme
on le fait dans des pays sociaux-démocrates d'Europe. Ce qui est
étonnant, par ailleurs, quand on regarde ce qui se fait dans ces pays,
c'est qu'on se rend compte qu'on est libre-échangiste dans ces pays. Ces
pays vivent dans des situations de libre-échange avec leurs partenaires
économiques européens. Cela met une balise. On peut très
bien être en faveur d'un objectif de plein emploi et être aussi en
faveur d'une libéralisation des échanges. Pour moi, le
problème actuellement, depuis un certain nombre d'années, n'est
plus, comme il y a une vingtaine d'années, tant le problème de la
dépendance économique unique face aux États-Unis que le
problème de la sous-utilisation des ressources humaines au Québec
et d'une espèce de perpétuation d'un sous-emploi chronique par
rapport à nos voisins, à notre potentiel et à nos
capacités. C'est cela le véritable enjeu des discussions. Ce
n'est pas de savoir si on est trop liés avec les Américains, avec
qui on est déjà beaucoup liés. D'autant plus que, depuis
un certain nombre d'années, nos gens d'affaires ici ont commencé
à prendre le contrôle de l'économie
québécoise, entre autres avec l'aide de l'État
québécois, de l'interventionnisme de l'État
québécois.
Donc, le problème de la dépendance économique n'est
peut-être plus le problème numéro un. Le problème
numéro un, c'est le chômage qui se perpétue encore pour un
trop grand nombre de personnes. C'est là que, du côté de
l'Opposition, du Parti québécois, on a une différence
d'approche fondamentale avec le gouvernement. Nous croyons, nous, que le plein
emploi est un objectif de société, un objectif politique, un
objectif économique. Le plein emploi est le premier critère de
décisions qui doivent être des décisions politiques, bien
sûr - on s'entend avec vous - mais aussi des décisions
économiques. Alors que, pour d'autres qui ont plus une approche
libérale traditionnelle, l'emploi est une conséquence de la
croissance économique. Pour nous, ce n'est pas cette approche. À
cet égard-là, si on se rejoint, tant mieux, sauf qu'il faut
être clair. On peut très bien avoir une approche dans ce sens et
être en faveur du libre-échange. Il y a des représentants
syndicaux qui sont venus nous dire ici qu'eux aussi partageaient nos
préoccupations et notre objectif de plein emploi, mais qu'ils
étaient plutôt réticents à s'engager dans une
approche libre-échangiste. Autrement dit, des approches
social-démocrates ayant comme objectif le plein emploi et non pas
l'emploi résultant d'une
croissance économique additionnelle ou d'investissement
additionnel peuvent très bien être partagées par des gens
qui ont des approches différentes ou des opinions différentes sur
le libre-échange,
II est entendu aussi qu'il peut y avoir une troisième voix,
c'est-à-dire la voix de gens qui ne sont à priori pas
nécessairement contre mais qui ne sont pas enthousiasmés non
plus. Ils sont plus prudents, craintifs parce que, effectivement, en fin de
compte, c'est du monde. Il y a des gens qui l'ont bien dit au cours de ces deux
dernières semaines: C'est cela, notre préoccupation à
tous, chacun d'une façon différente, les gens qui vont subir les
conséquences. Les pères et les mères de famille qui ont
des emplois dans des secteurs qui risquent d'être plus menacés,
eux, ils sont plus angoissés. C'est à eux qu'il faut penser,
c'est à eux et aussi à leurs enfants. Eux, parce qu'ils ont des
emplois, parce qu'ils ont des responsabilités à assumer, parce
qu'ils ont leur vie à vivre, n'ont pas le goût de la vivre dans la
dépendance de l'État. Mais il y a aussi des gens qui n'ont pas
encore d'emploi. Et on doit mettre en évidence le défi du plein
emploi. On peut très b'ien dire qu'on est d'accord avec le plein emploi,
mais où nous avons une approche différente, c'est que pour moi,
contrairement à ce que vous avez présenté dans votre
mémoire et la conclusion sur laquelle vous avez insisté, ce n'est
pas d'abord la dépendance économique avec les Américains
qui est la préoccupation de notre côté. Notre
préoccupation premières c'est qu'il y a des gens en
chômage. Il y a une approche qu'il va falloir changer. Je l'ai
déjà dit à l'Assemblée nationale, nous-mêmes
nous avons changé de trajectoire au cours des dernières
années. Il est évident que le Parti québécois,
lorsqu'il a assumé les responsabilités de l'État, n'a pas
toujours eu une approche qui était cohérente avec cet objectif.
D'ailleurs, cet objectif à l'intérieur du parti est un objectif
qui est plus récent. On a une approche à cet égard qui, je
pense, est celle d'un parti politique qui a, dans son programme politique, le
plein emploi comme objectif. (17 heures)
M. Harney: M. le Président, vous avez fait une
intervention largement politique et moi, je l'accueille. C'est normal, dans
cette enceinte. Ce sont des choix politiques qu'on fait et on les exprime. On
vous a fait grâce, cet après-midi, de la lecture de notre
programme où se situe le plein emploi comme objectif principal. Je
tenais cela pour acquis.
J'aurais un commentaire ou deux sur vos commentaires. Comme de raison,
le modèle de la CEE, cela nous intéresse beaucoup. Oui, on
désire le libre-échange internationalisé. C'est exactement
ce qui se passe...
Le Président (M. Charbonneau): Je parlais de ce qui se
fait pas nécessairement dans la Communauté économique
européenne mais dans les pays Scandinaves où il y a une entente
de libre-échange formelle. Ce n'est pas une entente internationale avec
le monde entier, c'est avec quelques pays très limités.
M. Harney: Avec des économies qui se comparent plus ou
moins, des populations qui se comparent plus ou moins, ces pays peuvent
s'affronter sur le plan commercial sans se menacer l'un l'autre. C'est M. le
ministre tout à l'heure qui a parlé de menace venant du
côté américain; de menacel Je ne sais pas si, dans son
envoûtement pour le libre-échange, il a oublié ce qu'il a
dit mais, nous, on trouve qu'il y a un danger sensible de se diriger non pas
vers le libre-échange mais vers la continentalisation - c'est un gros
mot, je m'enfarge toujours sur ce mot-là - de se lancer dans une
économie qui est purement et largement continentale. Ce qu'on veut, on
veut une économie qui se dirige vers le monde autant que possible. Le
Canada est en situation de déficit commercial avec bien des pays: la
communauté européenne, Taiwan, l'Ontario. C'est avec eux qui nous
vendent plus qu'on vend chez eux qu'on peut exiger de nouveaux accords pour
arriver à écouler nos produits à l'étranger. Cela
va être extrêmement difficile aux États-Unis, ils sont en
déficit envers nous. On vend chez eux deux fois plus qu'ils nous
vendent. Il faut comprendre que la situation est inélastique. Il n'y a
presque rien à aller chercher de ce côté-là. II nous
faut, pour créer ce régime de plein emploi, commencer à se
lancer ailleurs dans le monde que dans l'étreinte des
États-Unis.
M. Graveline: Si vous me le permettez, juste un ajout très
bref.
Le Président (M. Charbonneau): Très
brièvement, parce que le ministre voudrait intervenir.
M. Graveline: Juste un commentaire très bref. C'est que le
ministre nous pose une question et nous demande d'y répondre. Dans notre
mémoire, nous posons une bonne vingtaine de questions, et certaines, je
pense, très importantes, qui demandent réponse et qui sont
importantes pour la population. Par exemple, on pose la question très
clairement: Est-ce qu'il y a eu des études d'impact sur le danger qu'un
certain nombre de filiales de multinationales américaines
décident de transférer leurs opérations au sud dans un
cadre de libre-échange? On n'a pas eu de réponse à cela.
La population n'en n'a pas eu non plus. C'est au gouvernement qui porte la
responsabilité de la chose publique de répondre à ces
questions-là.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: La réponse, monsieur, est oui, il y a eu des
études d'impact. Et, si vous en voulez une copie, regardez en
arrière, il y en a de disponibles. Il n'y a pas un gouvernement, soit-il
d'un État américain, fédéral américain,
provincial canadien ou fédéral canadien, qui a publié
autant, qui a clarifié sa position, qui a donné des chiffres et
qui a statué dans un volume comme celui-ci les enjeux. Il faut
nécessairement le lire et vouloir le comprendre pour pouvoir
réellement recevoir notre réponse.
J'écoutais le président de la commission et,
effectivement, je me permettrai de reprendre son exemple. C'est que vous avez
une énorme charrue pesante qui est cette relation commerciale avec les
États-Unis et la seule chose qui nous différencie avec le PQ,
à l'heure actuelle, c'est que, nous, on dit qu'on devrait tirer la
charrue et eux disent qu'ils devraient avoir la charrue et la pousser. Mais il
y a une affaire certaine, c'est que la charrue ne peut pas rester stationnaire,
il faut qu'elle bouge. Le statu quo n'est pas acceptable avec la menace sur les
jobs qu'on connaît.
Je reviens donc à ma question. Hypothétiquement, s'il n'y
a pas d'entente, des témoins ici ont déclaré qu'il
pourrait y avoir des actions américaines prises contre, par exemple,
l'industrie des pâtes et papiers, 42 000 emplois dans la province de
Québec, en utilisant les mêmes arguments qui ont été
utilisés pour le bois de sciage, c'est-à-dire que, si la
ressource appartient à l'État, il y a donc subvention. Cela a
déjà reçu une oreille sympathique du Département du
commerce américain et de ses agences. Pour rendre la chose pire, vous
avez un projet de loi HR-3 qui a passé à la Chambre des
représentants et au Congrès et qui rend encore plus
libérale l'interprétation qu'on peut donner au terme
"subvention".
On a mentionné également ici que 17 000 producteurs de
porc au Québec expédient plus de 60 % de leur production aux '
États-Unis pour 300 000 000 $. Non seulement on pense prendre une action
en droits compensatoires contre eux mais un projet de loi - non seulement un
appel à un droit temporaire - circule à Washington pour
réduire les importations américaines de porc
québécois. Seriez-vous assez gentils... C'est la question que je
vous pose, à moins que vous ne soyez capables de me démontrer que
le processus d'appel du GATT pourrait répondre à temps pour
sauver ces exportations ou les jobs dont on parle. Je prétends que non,
je prétends que la façon de procéder est beaucoup trop
longue vis-à-vis de la possibilité - ce n'est pas moi qui en fait
état, ce sont les gens qui ont témoigné ici - d'action
contre des jobs spécifiques. Ce n'est pas de la politique, ce n'est pas
de la spéculation que je fais, je vous parle des témoignages qui
ont été faits. Avez-vous, s'il vous plaît, des suggestions
à nous faire comme gouvernement du Québec? Que va-t-on faire pour
aider ces gens qui vont être menacés directement, rapidement et
avec une très courte période pour répondre?
M. Harvey: C'est-à-dire, M. le Président, que le
ministre avait développé et proposé une politique
commerciale avant d'entendre les témoins. Comme de raison, pour
répondre à la question et aux commentaires du ministre, si vous
permettez, j'ai lu le document La libéralisation des échanges
avec les États-Unis: une perspective québécoise.C'est une étude d'impact? Cela se peut peut-être, enfin, on ne
va pas argumenter sur les mots. Je l'ai lu parce que c'est là que j'ai
trouvé les chiffres qui me disaient que le client le plus important pour
le Québec, c'était l'Ontario et non les États-Unis. Et
vous étiez un peu surpris d'apprendre cela tout à l'heure, vous
l'avez appris vous-même. J'ai fait la lecture de vos textes et je
demanderais à la députation ici de se pencher sur ce fait
très important pour les travailleurs et les travailleuses
québécois. Pour courir le lapin du libre-échange - on va
échanger le cheval contre le lapin - on peut mettre en risque des
relations commerciales avec un partenaire très important et avec lequel
on peut traiter sur une base politique et législative.
Je me demande quelle sorte d'impact on peut avoir sur les
États-Unis pris globalement. J'ai regardé de près non
seulement les procédures de cette commission, hier, à la
télévision, mais j'ai bien regardé les nouvelles
après qu'on a eu rompu les négociations. Et cet
événement a accaparé à peu près 50 % de la
nouvelle québécoise et canadienne, d'accord? Après cela,
j'ai "pitonné" et j'ai regardé les émissions
américaines. On ne l'a pas mentionné du tout, ce n'est pas
important pour eux, ce n'est pas très important. Il ne faut pas se
leurrer quand même.
Pour ce qui est des politiques plus ponctuelles, qu'est-ce qu'on fait
dans des cas particuliers? On réagit et on se prépare aussi pour
les cas particuliers. Dans la question du bois de sciage, il aurait
été possible, et cela s'est fait aussi, de se liguer avec des
intérêts américains qui aiment avoir... Oui, le
consommateur américain, le constructeur américain veut avoir du
bois de sciage à un prix qui lui convient pour qu'il puisse construire
des maisons, les vendre, les hypothéquer, les louer, les acheter. C'est
comme cela qu'on négocie et, s'il y a des problèmes particuliers,
une menace particulière des États-Unis, ou bien si leur
marché se désorganise... C'est là, le
problème, M. le Président. C'est la désorganisation
de tout le marché américain. Si cela se désorganise dans
un secteur où on est impliqué, surtout venant du Québec...
Dernièrement, ils ont eu des problèmes a cause de la potasse;
leur producteur, le Texas, ne pouvait pas concurrencer avec la Saskatchewan.
D'accord, il faut s'asseoir à la table et négocier des
limitations volontaires, s'il le faut, leur offrir des limitations volontaires,
s'il le faut, tout en sachant qu'il y a toujours moyen de faire appel à
des intérêts chez eux pour mitiger l'effet des demandes des gens
qui sont protectionnistes chez eux. Je répète, M. le
Président, qu'il n'est pas nécessaire, pour y arriver, de se
jeter encore plus dans un système économique qui nous laisse
maintenant si peu de libertés que la moindre menace de changement nous
épouvante.
Le Président (M. Charbonneau): M. ie ministre.
M. MacDonald: Avec tout le respect que je vous dois, je ne peux
pas faire autrement que de qualifier de naïve cette approche. J'ose
espérer que, lorsque viendra le temps de faire face à une action
en droits compensatoires, on saura trouver des moyens ou qu'on aura su trouver
des moyens qui vont convaincre un peu plus les travailleurs qu'on fait quelque
chose pour leurs jobs. Merci d'être venu tout de même. Vous avez le
droit, on est en démocratie. Je suis content que vous ayez pu
déposer votre position, de toute façon.
M. Harney: On a plus que le droit de se présenter devant
vous, M. le ministre.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand aurait des questions additionnelles, des commentaires additionnels.
M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui, certainement. En conclusion, puisqu'il
nous reste peu de temps, j'aimerais juste apporter un éclaircissement
pour les fins de la commission et je pense que le ministre sera aussi d'accord
avec moi. Lorsque le ministre du Commerce extérieur et du
Développement technologique a déposé la fameuse
perspective québécoise, le 5 mai 1987, il a aussi dit en Chambre,
à l'Assemblée nationale - et j'ai les galées avec moi -
que les annexes de ce document seraient les études d'impact. Alors, les
vraies études d'impact ne sont pas arrivées.
Cela étant dit - cela a déjà été dit
et redit - M. Harney et votre collègue dont j'ai oublié le nom,
je tiens à vous remercier d'être venus. Je tiens à vous
faire deux commentaires en terminant. C'est vrai qu'on fait un commerce
important avec l'Ontario, mais il faut prendre conscience que le commerce qu'on
fait s'adresse à une clientèle de 8 000 000 ou 9 000 000 de
personnes en Ontario et on ne pourra pas l'augmenter beaucoup, quand on compare
au marché américain. Alors, il ne s'agit pas de regarder que ce
qui est actuellement, c'est le marché potentiel, et dans ce sens les 100
000 000 dans un rayon de 1000 kilomètres ou les 250 000 000 du
territoire américain sont intéressants en termes de marché
et de perspectives. C'est bien sûr que l'Ontario deviendra vite
limité. Je pense qu'on se comprend là-dessus.
Deuxièmement, je vous dirai que l'approche que vous avez
proposée dans la négociation, s'il n'y avait pas d'entente de
libre-échange, serait une approche sectorielle. Je vous dis que je ne
pense sincèrement pas que le Québec... D'abord, il est dommage
que le Québec n'ait pas actuellement de politique, de stratégie
de développement économique. Si on se doit d'en avoir une, on se
doit d'en avoir une globale qui soit orientée avec des objectifs
très précis. On ne pourra pas fonctionner sur un
développement basé strictement sur le sectoriel. Je voulais
apporter ces deux commentaires en terminant et vous remercier aussi au nom de
ma formation politique.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Graveline, vous voulez ajouter un dernier mot?
(17 h 15)
M. Graveline: Un petit mot. Il me semble que c'est important de
le dire. Le ministre nous dit que nous ne prenons pas suffisamment en compte le
danger des mesures protectionnistes américaines. II dit que nous
avançons des solutions naïves. Il nous traite de naïfs face
à cette question. Je veux juste lui rappeler une chose: le principal
négociateur américain lui-même a déclaré
qu'il serait naïf et illusoire -puisqu'on parle de naïveté -
pour les Canadiens de penser que le libre-échange constitue une garantie
contre le protectionnisme américain et qu'il ne saurait être
question de soustraire le Canada aux politiques des États-Unis en ce
sens. C'est le principal négociateur américain qui a
déclaré ça. Et on voit que ça se concrétise
dans le refus du gouvernement américain d'accepter un tribunal
d'arbitrage décisionnel et de perdre ainsi ses pouvoirs. On sait aussi
que le Sénat s'oppose particulièrement à ça. Or le
négociateur lui-même nous dit que l'accord de libre-échange
en négociation ne nous protège pas contre le
protectionnisme...
Le Président (M. Charbonneau): M.
Harney.
M. Harney: Alors, M. le Président, études
d'impact... Moi, j'aurais une dernière
question. Je ne m'attends pa9 à une réponse. Pour moi,
c'est une question importante.
Le Président (M. Charbonneau): Vous n'êtes pas
encore en Chambre, M. Harney.
M. Harney: C'est pour ça que j'essaie de dire bonjour en
même temps, M. le Président. C'est un discours de clôture.
On connaît la technique.
Études d'impact. Est-ce qu'on sait s'il y a eu des études
par rapport à l'effet d'une telle politique sur la construction navale
comme on fait à Lauzon, de l'autre côté du fleuve? Est-ce
qu'on sait si le négociateur, M. Reisman, a demandé aux
Américains si on pouvait, nous, avoir une entrée libre de notre
production navale aux États-Unis? Est-ce que le gouvernement du
Québec le sait? Je crois que vous ne le savez pas. Comme ça, si
vous parlez de naïveté - moi je peux être accusé
d'être naïf - de votre côté, je pense que c'est un
envoûtement pour une thèse qui vous emporte. Comme ça, bon,
d'accord je retire le mot "envoûtement", vous allez retirer le mot
"naïf" et je vais retirer le mot - c'était quoi tout à
l'heure? - "engouement", pour le Parti québécois. Il y a des
questions extrêmement concrètes et extrêmement
sérieuses et cela en est une. Et je l'ajoute aux 20 questions qu'on a
posées. Et j'espère que la prochaine fois qu'on va se rencontrer
on va tous recevoir des réponses assez concrètes, s'il y a lieu,
d'un traité proposé par le gouvernement fédéral sur
le libre-échange.
Le Président (M. Charbonneau): Je comprends que vous avez
été provoqué. Cela devient réciproque. Vous
rembarquez. Alors, je sais que le ministre voudrait ajouter son dernier
commentaire. Cela va être la fin par la suite.
M. MacDonald: À la première question sur
l'étude d'impact de construction navale, la réponse c'est oui.
À votre deuxième question, vous abordez un contenu des
négociations que je n'ai pas traité et que je ne peux pas traiter
et vous comprendrez pourquoi.
M. Harney: On va tous revenir pour en discuter.
M. MacDonald: Ah! s'il y a lieu. Oui.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette discussion
fort intéressante, nous vous remercions d'avoir participé
à cette consultation et à la prochaine fois.
Immédiatement, je poursuis avec le dernier intervenant, puisque
nous avons un peu de retard dans notre horaire. Alors, j'invite M. Jean Lambert
à prendre place à la table des invités.
Une voix: M. le Président, est-ce que ce serait possible
de distribuer le nouveau document?
Le Président (M. Charbonneau): Pas de problème.
Une voix: ...
Le Président (M. Charbonneau): Alors, on va suspendre
pendant quelques instants. On me fait signe qu'il y a des membres de la
commission qui voudraient prendre une pause-santé. Alors, quelques
instants de suspension.
(Suspension de la séance 17 h 19)
(Reprise à 17 h 23)
Le Président (M. Charbonneau): Alors, si j'ai bien
compris, M. Thibault me laisse l'antenne. Je le remercie infiniment. Je veux
maintenant, à mon tour, céder la parole à M. Lambert,
mais, auparavant, je veux lui rappeler qu'on a une heure et que la
première partie de cette heure-là, une vingtaine de minutes, est
consacrée à la présentation de votre mémoire. Le
reste du temps va être consacré aux membres de la commission.
J'aimerais que vous nous indiquiez dans quel cadre... Il y a des gens qui sont
venus ici à titre personnel. Ce sont peut-être des
économistes, des gens de l'Université de Montréal ou d'une
autre université. Vous êtes lié à quelle entreprise
ou à quel titre êtes-vous engagé dans cette
réflexion?
M. Jean Lambert
M. Lambert (Jean): En fait, je me présente comme simple
citoyen ayant des connaissances en gestion internationale, en économie
internationale, en sociologie, en psychologie et en criminologie.
Le Président (M. Charbonneau): Ah bien! là, on va
se retrouver.
M. Lambert: On va se retrouver.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, écoutez, ce
qu'on voulait savoir, c'est un peu... Finalement, vous avez fait une
réflexion.
Une voix: ...
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Charbonneau): Non, ça va
très bien, M. le député. Mais ce n'est pas une commission
au cours de laquelle on va parler de problèmes de criminologie, bien
que, éventuellement, il pourrait y avoir des conséquences
sur le taux de délinquance, selon les attitudes qu'on pourrait adopter
au plan économique. De toute façon, je vous laisse la parole, M.
Lambert.
M. Lambert: M. le Président, messieurs, mesdames, j'ai
voulu présenter dans ce mémoire un aperçu global du
problème qui nous préoccupe et, si mes propos peuvent souffrir
d'embonpoint, c'est peut-être parce qu'il manque un peu de transparence
dans les résultats des négociations. Quelques mots d'abord sur le
commerce extérieur du Canada. Le commerce extérieur du Canada se
caractérise par une forte ouverture aux échanges internationaux
et par sa faible part au sein du commerce mondial. Il connaît une forte
croissance depuis 1960, mais cette hausse est inégalement
répartie entre les provinces canadiennes.
Actuellement, 30 % de la production nationale brute canadienne est
destinée à l'exportation. Les importations comptent pour environ
26 % du PNB canadien. Le Canada reçoit aussi la plus large part des
exportations américaines, soit 21,7 % en 1985, surpassant dans ce
domaine la Communauté économique européenne,
l'entière Amérique latine et le Japon. Sa faible part au sein du
commerce mondial -dernier rang avec 5 % au sein des sept pays les plus
industrialisés - place le Canada dans une position de preneur de prix,
c'est-à-dire qu'il n'exerce pas d'influence sur le prix mondial.
Cependant, il faut ajouter que le Canada est, à la suite des accords
avec la CEE et l'Association européenne de libre-échange, le seul
pays industrialisé à ne pas avoir d'accès direct à
un marché d'au moins 100 000 000 d'habitants.
Deux traits marquent la composition du commerce extérieur du
Canada: le surplus régulier du commerce de marchandises, qui s'oppose au
déficit chronique des échanges et services, la forte part dans
les exportations nettes des produits bruts et traités, intensifs en
ressources naturelles, avec un taux de couverture d'environ 3,65, versus le
poids des produits finis (le taux de couverture, environ 50 % dans les produits
manufacturés à haute et moyenne technologie). Entre 75 % et 80 %,
en 1985, 78,1 % des exportations totales canadiennes sont dirigés vers
le marché américain. Ce qui fait des États-Unis un
partenaire commercial et politique non négligeable qui exerce une
influence très significative au plan des politiques financière,
fiscale et budgétaire des gouvernements canadiens.
Dans l'histoire des ouvertures économiques dont le but est
d'accroître les échanges internationaux, notons quatre principaux
types d'ententes...
Le Président (M. Charbonneau): M.
Lambert, Je vous suggérerais, si vous êtes d'accord avec
moi, d'aller immédiatement aux avantages parce que cette partie est
assez didactique, on l'a déjà entendue, et je vous conseille...
Je regarde la longueur de votre mémoire et le temps qu'on a...
M. Lambert: Je comprends. Avec le nombre d'organismes qui se sont
présentés...
Le Président, (M. Charbonneau): C'est pour cela que je
vous dis que vous êtes mieux d'aller immédiatement à votre
point de vue et de nous dire quels sont les avantages et les
inconvénients, selon le développement que vous avez fait, ainsi
que les contraintes. Parce que la description que vous faites dans les
prochaines lignes va vous faire perdre du temps inutilement, pour dire des
choses qu'on a entendues à plusieurs reprises.
M. Lambert: M. le Président, les avantages. Les
bénéfices découlant des avantages comparés sont des
gains de productivité qui résultent de la réallocation des
investissements vers les secteurs les plus productifs, une baisse des prix qui
résulte des gains de productivité et qui découle de la
substitution de produits importés aux biens des industries les moins
productives, des gains de productivité permis par l'obtention des
économies d'échelle à la suite de la spécialisation
de la production par les firmes qui doivent approvisionner un marché
plus grand, un accroissement des activités d'innovation et de la
rapidité des firmes à adopter le changement technologique pour
faire face à une concurrence plus forte et, enfin, une tendance vers un
transfert technologique bilatéral.
À cause du danger croissant du protectionnisme américain,
un marché qui reçoit de 75 % à 80 % des exportations
canadiennes, le gouvernement canadien espère l'abolition des
barrières entre les deux pays, n'ayant pas d'alternative réelle
et viable à court terme. Cette politique d'ouverture favoriserait
l'accès à un marché de 255 000 000 de consommateurs,
versus des accords régionaux déjà existants qui ont un
accès direct à des marchés importants.
Les contraintes et réserves sur l'accord. Concernant la
transformation structurelle du secteur industriel, le libre-échange va
créer une nécessité de changement dans la structure
industrielle au plan de sa réorganisation technique et une aide
gouvernementale à la transition pour le recyclage, le positionnement et
le repositionnement des autres industries (soutien aux industries) qui ont un
avantage comparé. Cette transformation amènera des
problèmes liés aux développements régional et
provincial qui voudront avoir une partie du transfert des industries rentables
vers leurs régions respectives
(problèmes politiques interprovinciaux et interrégionaux).
Ce qui amène plus de dépenses gouvernementales dans les secteurs
spécifiques pour l'aide importante et croissante à la promotion
de secteurs de production spécifiques et conduit à une diminution
des dépenses gouvernementales dans les programmes sociaux qui seront la
source des transferts budgétaires.
Les témoignages de nombreux spécialistes confirmeront
qu'il est illusoire de penser que les entreprises privées pourront se
passer de l'aide de l'État pour soutenir la concurrence
américaine. Cette aide devra être très substantielle pour
passer d'un marché de 25 000 000 à celui de 255 000 000.
D'après ce qu'on entend, la marge de manoeuvre serait suffisamment
grande pour permettre aux gouvernements de mettre en application des programmes
de reconversion industrielle, de pénétration du marché
américain et de réadaptation de la main-d'oeuvre. Un doute
subsiste: il n'y a pas si longtemps, les gouvernements s'étonnaient de
l'étroitesse de cette marge de manoeuvre. Si elle existe
réellement, il est impardonnable de laisser les économistes
concevoir un taux de chômage naturel aussi élevé.
Cependant, il n'est pas étonnant de retrouver, dans les sondages
s'adressant au secteur privé, une proportion croissante de
réponses favorables au libre-échange en relation avec la taille
des entreprises. En effet, 44,5 % sont favorables pour celles ayant 100
employés et plus. La plupart bénéficient
déjà d'importantes économies d'échelle, d'un bon
niveau de productivité et leur impact actuel sur l'économie
régionale leur laisse présager des soutiens gouvernementaux en
situation de besoin.
Dans le domaine de la fiscalité, d'après la coalition de
700 entreprises travaillant dans des secteurs de haute technologie, la
réforme fiscale leur cause un grave préjudice, plus
particulièrement advenant un accord de libre-échange qui
ouvrirait le marché canadien à la concurrence américaine
en détruisant le seul levier dont elles disposent pour soutenir leur
programme de recherche et de développement.
Cependant, nous devons féliciter les gouvernements canadien et
québécois pour leur politique favorisant la collaboration entre
le secteur privé et les chercheurs des universités. Ottawa verse
aux organismes subventionnaires un montant équivalent à celui que
les entreprises donnent aux universités avec qui elles concluent des
contrats de recherche. De plus, le gouvernement canadien accorde des
subventions directes de contrepartie avec un crédit d'impôt
d'environ 20 % pour des programmes spécifiques de recherche.
Pour sa part, le gouvernement du Québec consent un crédit
d'impôt de 40 % aux entreprises qui se lancent, conjointement avec les
universités, dans la recherche. Même les contribuables qui veulent
investir dans la recherche universitaire peuvent obtenir une déduction
fiscale de 66,6 %. Ces mesures placent le Québec au premier rang pour
les avantages fiscaux en faveur de la recherche. Mais ces incitatifs
gouvernementaux ne semblent pas venir à bout des réticences du
secteur privé. L'une d'elles, bien légitime, porterait sur le
secret industriel, facteur très important en milieu de forte
concurrence. D'autres questions concernent le renouvellement rapide des
équipements industriels pour faire face à une concurrence plus
vive et à un plus large marché. Pour ce faire, les entreprises
canadiennes devront-elles s'adresser aux producteurs d'équipements
américains ou d'autres pays? Dans de tels cas, n'y a-t-il pas risque de
compromettre nos avantageux surplus de la balance commerciale? Où
trouver les capitaux nécessaires devant une mentalité bancaire
déjà peu encline aux risques, surtout envers les PME? Quelle sera
la définition de subvention gouvernementale telle qu'elle devra
être communément - adoptée par les États-Unis et le
Canada, advenant un accord?
Concernant les secteurs ayant un avantage comparé qui
bénéficient déjà d'un tarif douanier progressif,
c'est-à-dire d'un tarif plus élevé à mesure qu'on
se dirige des matières premières vers les produits finis, le
Canada, ayant sa force dans les matières premières jusqu'aux
produits semi-finis, va perdre là où il n'a pas d'avantage
comparé tandis qu'il y aura peu de hausse dans les secteurs où il
possède un avantage comparé. Car il y a peu de droits de douane
américains dans des secteurs tels les mines, le bois, etc. À
court terme, la perte des industries qui n'ont pas d'avantage comparé ne
sera pas compensée par les gains des industries qui ont un avantage
comparé.
Après trois rondes de négociations du GATT, la très
grande majorité des matières premières et des
matières partiellement transformées se transige, aujourd'hui, en
franchises, avec le résultat que 80 % des biens canadiens
exportés aux États-Unis entrent sans tarif douanier. Sur les 20 %
restants, le tarif moyen est d'environ 5 %. Parce que le Canada importe
beaucoup de produits manufacturés finis, il reste encore 35 % des
importations canadiennes provenant des États-Unis sur lesquelles le
gouvernement impose un tarif moyen d'environ 10 %. Nous devons souligner que,
même avec un différentiel de taux de change de 30 % auquel on
ajoute la protection des barrières tarifaires, les entreprises
canadiennes concurrencent difficilement les entreprises américaines sur
leur propre marché canadien, ce qui vaut autant pour
l'agro-alimentation, la chaussure, le textile, le meuble, la
métallurgie et la machinerie que pour les produits
électriques et l'informatique.
Les secteurs bénéficiant d'un avantage comparé sont
mal préparés à une forte et rapide croissance de la
production. On parle de sous-sol, de forêt, d'agro-alimentation. Il y a
des problèmes liés à l'environnement, comme
l'acidité des sols, l'exploitation intensive, qui entraînent la
désertification par érosion du sol. Nous pouvons facilement
reconnaître la faible influence qu'exerce le Canada sur son partenaire
commercial américain à propos des problèmes
environnementaux. Sur le plan économique, les pluies acides menacent des
industries comme la pêche, le tourisme, l'agriculture et les forêts
dans l'est du Canada, sur une superficie de 2 600 000 kilomètres
carrés. Les érables sont déjà touchés
à plus de 50 %. Que doit-on attendre d'un plus grand partenariat avec un
pays qui rebute à prendre les mesures qui s'imposent devant l'urgence
d'intervenir? Une société responsable ne satisfait-elle pas ses
besoins sans diminuer les perspectives de la génération
suivante?
Les biens énergétiques. Le libre-échange ne fixe
aucune limite à l'exportation et conduit au rapprochement d'un
même prix au Canada et aux États-Unis. L'Office national de
l'énergie doit faire en sorte que les besoins nationaux soient
assurés pour une trentaine d'années. Avec le
libre-échange, il ne pourra plus contrôler l'exportation, mettant
ainsi en danger la suffisance canadienne. Il y a un risque pour les biens non
renouvelables d'un épuisement relatif des ressources
énergétiques.
Le libre-échange engage les deux gouvernements centraux. Les 10
provinces et les 52 États américains, qui ont des
compétences partagées, sinon exclusives, ne sont pas tenus de
respecter tous les accords. Aux États-Unis, une grande partie des
barrières non tarifaires sont mises par les États
indépendants (équipement de transport, traitement des eaux,
équipements médicaux, la sécurité, tous les achats
gouvernementaux). Le problème est d'amener les 52 États et les 10
provinces à faire disparaître toutes les barrières.
Les services, alors qu'ils seront moins touchés dans leur
ensemble que les biens, la plupart du temps, les entreprises s'adresseront aux
entreprises de services américaines, surtout les services à
l'industrie - services de consultation - qui détiennent plus
d'information et des techniques plus sophistiquées d'études de
vastes marchés. On pourrait parler des grandes banques de données
informatisées.
Le chantage politique de la part d'un pays ou de l'autre. Le poids
américain sera davantage important contre un Canada déjà
assez vulnérable. Si les États-Unis tentent d'instaurer le
libre-échange avec un tiers, comme le Brésil ou le Mexique - je
parle après d'éventuelles ententes avec le Canada - le
président Reagan, lors de sa première campagne
présidentielle a parlé, lui, d'un marché commun
États-Unis-Canada-Mexique -ou encore, si les États-Unis
obtiennent un accord avec un quelconque pays qui présente les
mêmes avantages comparés pour le ou les mêmes biens ou
services que le Canada, il faudra que ce dernier renouvelle ses
équipements pour s'ajuster à un pays où les
économies d'échelle peuvent être plus
élevées, à cause des moindres coûts de la
main-d'oeuvre et de beaucoup de facteurs. Cela nécessitera des
ajustements sociaux et techniques, c'est-à-dire une augmentation des
coûts.
Au Canada, le libre-échange causera un exil rural et des petits
centres urbains ou même des régions éloignées comme
Terre-Neuve, la Gaspésie, la Côte-Nord, sauf dans les
régions où l'on exploitera intensivement une richesse naturelle.
Mais c'est dans le secteur des services de produits finis ou semi-finis que
sont générées les plus hautes qualifications et la plus
grande masse d'argent, en plus des revenus gouvernementaux. La mobilité
démographique ou de la main-d'oeuvre n'est pas aussi parfaite que se
plaisent à le laisser entendre certains économistes
réputés. Cependant, les entreprises canadiennes qui devront
bénéficier d'économies d'échelle s'approcheront
obligatoirement des grands centres urbains ou bien choisiront d'investir
directement aux États-Unis.
Il n'existe pas ou très peu de programmes de recyclage de la
main-d'oeuvre. Ceux-ci, avec le libre-échange, deviendront rapidement
nécessaires et entraîneront rapidement des coûts
élevés que les entreprises ou les gouvernements ne peuvent
actuellement absorber. Si aucun, ou peu de programmes ne sont conçus
dans ce domaine, ou encore s'il y a des retards quant à leur
application, le processus conduira à une détérioration
irréversible du tissu socio-économique. Il est tellement facile
de parler, au niveau macro-économique, de création d'un nombre
d'emplois qui compensent la perte de tel nombre d'emplois, mais il faudra en
parler directement au père ou à la mère de famille qui
vient de perdre son emploi, ses revenus, sans possibilité réelle
de recyclage, en lui disant que tout ira pour le mieux dans
l'économie.
L'investissement étranger. À ce chapitre, la
libéralisation des échanges entre le Canada et les
États-Unis pourrait être très bénéfique pour
le Canada si les entreprises étrangères de production
décidaient de se servir de l'ouverture canadienne pour accéder
à l'immense marché américain. Mais il semble que les
entrepreneurs étrangers préfèrent investir directement aux
États-Unis, ce qui fait dire à un économiste
réputé du MIT, M. Paul
Krugman: The political issue of the 1990's is going to be the foreign
invasion of the US.
M. Lawrence Brainard, l'économiste international en chef au
Manhattan's Bankers Trust, confirme cette tendance. Les investisseurs
étrangers profitent de la baisse de 40 % du dollar américain par
rapport aux devises fortes, le yen, le mark ou la livre anglaise. Ils profitent
également de taux de taxation des corporations plus avantageux que
partout ailleurs. L'investissement direct étranger a augmenté de
25 % en 1986, aux États-Unis, pour se porter à 1 300 000 000 000
$ américains. Bien qu'une grande part de ces investissements ait
visé des immobilisations et les acquisitions d'entreprises, les
"takeovers", une bonne partie a servi à créer de nouvelles
entreprises, à implanter des filiales d'entreprises
étrangères et ...
La Présidente (Mme Bélanger): Je m'excuse, M.
Lambert, il vous reste deux minutes pour votre exposé. Si vous voulez
conclure...
M. Lambert: II me reste deux pages, cela va être beaucoup
plus clair pour les questions par la suite.
La Présidente (Mme Bélanger): C'est parce que vous
avez vingt minutes pour faire votre exposé, il vous reste deux minutes,
alors, si vous voulez résumer et en venir à la conclusion.
M. Lambert: Je vais parler de l'importante ingérence
américaine dans les affaires canadiennes, les politiques
économiques, les relations internationales, la politique
étrangère, concernant des accords politiques ou commerciaux avec
un tiers pays que le gouvernement canadien voudrait privilégier ou
encore sur une aide gouvernementale spécifique à une de ces
industries canadiennes. Perte significative de l'autonomie dans les relations
internationales sur les ententes avec les pays tiers alors que le contenu des
biens importés devra être réglementé car les
Américains voudront éviter l'invasion de produits
étrangers sur leur marché via le Canada. Cette espèce
d'intégration économique significative que cause une plus grande
libéralisation des échanges nécessite une plus large
sphère de décision politique commune et nous connaissons le
pouvoir d'influence du Canada envers les États-Unis.
Au risque de choquer les promoteurs des échanges commerciaux
naturels par rapport au relief géographique, nous croyons que ce qui
fait un pays ce ne sont pas seulement ses frontières
géographiques, c'est aussi la volonté de son ou ses peuples de
maintenir et, dans certains cas, de défendre des valeurs. On peut citer
une certaine vision des choses comme la lutte contre la famine, la protection
de l'environnement, le droit de l'épanouissement des peuples, la
promotion de la paix dans le monde, bref, un ensemble de valeurs à
partir desquelles on est lié à un gouvernement dans l'espoir
qu'il établira les meilleurs moyens pour promouvoir ces valeurs.
Maintenant, répondons à cette question: Est-ce que le
gouvernement américain présente la meilleure politique en ce
sens?
Il y a d'autres contraintes. Au nom de la sécurité
nationale, c'est un marché qui risque d'être assez étroit
pour les producteurs canadiens. Pour les secteurs de haute technologie, la
spécialisation entraîne des limites, car les coûts
d'ajustement pour renouveler les équipements sont très
élevés et la possibilité de concurrence est forte par
rapport à la tendance américaine vers le conglomérat
géant. Ceux-ci peuvent absorber de forts déficits temporaires,
comme en période d'ajustement, par transfert de fonds dans les
activités temporaires moins rentables et la proximité
immédiate de vastes marchés.
Je pense qu'on a débattu longtemps la question des droits
compensatoires, la nécessité de créer un tribunal, qu'on
n'aura pas besoin d'y revenir. La politique de libre-échange avec les
Américains anéantirait la position privilégiée du
Canada dans le monde, perdant ainsi son image de pays neutre, pacifique et
ouvert, de pays défenseur des droits des peuples. (17 h 45)
Libéraliser les échanges. Comme nous venons de le
présenter, un accord de libre-échange avec les États-Unis
est loin de ne comporter que des avantages. Nous devons retenir, avant tout,
qu'il est sage pour n'importe quelle entreprise d'être solidement
implantée sur son marché intérieur avant d'exercer sa
capacité, à risques modérés, de percer sur des
marchés extérieurs avec bénéfices. Actuellement,
nos entreprises de produits manufacturés de moyenne et haute technologie
semblent davantage avoir besoin de protection pour s'assurer d'une suffisante
part du marché canadien. Il apparaît que le Canada retirera des
bénéfices dans les secteurs où il détient des
avantages comparés, les produits de richesses naturelles, alors qu'il
peut être étouffé dans les secteurs de pointe. Au risque de
contredire le réputé spécialiste en gestion
internationale, M. Landry, qui a écrit que le commerce international est
un champ de bataille pacifique et sans mentionner la plus rentable des
industries mondiales ni les efforts gigantesques manifestés par des pays
en proie de fléaux aggravés par la continuelle dégradation
des termes de leurs échanges, nous croyons ce commerce international
particulièrement turbulent, quelquefois même, violent.
La libéralisation des échanges entre le Canada et les
États-Unis amènera, nous croyons, une baisse sensible mais
significative des prix dans plusieurs secteurs de produits finis et semi-finis,
le temps que les entreprises américaines fassent disparaître
plusieurs de ces quelques producteurs canadiens dans ces domaines,. La
production américaine, dans plusieurs secteurs, est tellement forte que
les producteurs américains peuvent inonder notre marché avec leur
surplus. C'est la loi de la concurrence et une stratégie de prise de
marché. Et l'accroissement de la production américaine
amènera . une pression inflationniste aux États-Unis, pression
qui se fera sentir au Canada, avec un peu de retard, amenant la hausse des
prix.
Devant la nécessité de soutenir le parc industriel
advenant un accord, les gouvernements canadiens après leurs
récentes expériences en vue de réduire les coûts et
nombres de programmes sociaux, auront-ils la fermeté nécessaire
pour allouer une part plus grande de leur budget à la promotion des
industries canadiennes? Une infrastructure adéquate, comme
l'investissement dans les programmes de recyclage, éviterait le
sacrifice de milliers de travailleurs qui se retrouveront à la charge de
l'État. La société canadienne peut-elle se le permettre,
quand les priorités émergeront des capacités de production
pour concurrencer les entreprises américaines?
Comme nous l'avons noté, le désir de promouvoir le
libre-échange avec les États-Unis est lié à
l'absence d'alternative réelle et viable à court terme. C'est du
moins ce que laisse supposer la démarche du gouvernement canadien.
Doit-on accroître la dépendance de nos entreprises
vis-à-vis du marché américain ou faire des efforts accrus
de diversification de marchés? Le Japon s'est déjà
étonné du peu d'intérêt manifesté par les
entreprises canadiennes et québécoises envers ses marchés,
surtout dans le domaine des télécommunications.
Nous nous sentons justifiés de servir ces mises en garde au
moment des importantes rencontres internationales que sont les sommets de la
francophonie et du Commonwealth, événements qui ressemblent
davantage à des conférences Nord-Sud. Se tailler une place
privilégiée auprès d'un marché de 3 000 000 000
d'individus passe-il, stratégiquement, par le biais d'une plus grande
connivence avec les Américains?
Nous pouvons tendre à la libéralisation des
échanges. Nous devons tout mettre en oeuvre dans cette voie. La question
est de savoir si les États-Unis devront être les partenaires
privilégiés du Canada. Et, dans l'affirmative, y sommes-nous
adéquatement préparés?
Le Président (M. Charbonneau): Alors, merci, M. Lambert,
pour cette présentation. Je vais maintenant céder la parole au
ministre du Commerce extérieur.
M. MacDonald: M. Lambert, j'avais parcouru votre premier texte et
c'est sur ce premier texte que j'avais formulé quelques questions. On
m'a remis, à la dernière minute, un deuxième texte que
vous avez parcouru et dans lequel vous avez sauté certains
éléments, à cause de la contrainte du temps. Je dois dire
que vous avez abordé une foule de choses. C'est probablement le texte le
plus vaste quant aux sujets couverts. Vous avez des considérations qui
se veulent non seulement économiques, mais, je dirais, de politiques
provinciale, nationale et internationale. Vous avez couvert des sujets qui nous
intéressent fortement et sur lesquels on a entendu des
présentations. Vous avez une perspective qui vous est personnelle sur le
sujet. J'aimerais vous poser une question en particulier parce qu'il y a
quelque chose que je ne comprends pas. Je crois que votre texte est
relativement clair sur les autres sujets. C'est une question qui touche votre
texte numéro un. Dans le secteur des contraintes et réserves sur
l'accord, vous avez traité des biens énergétiques. C'est
un domaine qui m'intéresse un peu.
M. Lambert: J'imagine.
M. MacDonald: Un peu, oui. Vous avez dit ici: "Le
libre-échange ne fixe aucune limite à l'exportation et conduit au
même prix au Canada et aux États-Unis."
M. Lambert: J'entends par libre-échange...
M. MacDonald: Me permettez-vous de compléter?
M. Lambert: Allez-y.
M. MacDonald: Ensuite, vous dites: "L'Office national de
l'énergie doit faire en sorte que les besoins nationaux soient
assurés pour une trentaine d'années. Avec le
libre-échange, il ne pourra plus contrôler l'exportation, mettant
ainsi en danger la suffisance canadienne." Qu'est-ce qui vous fait
prétendre qu'il n'y aurait pas d'Office national de l'énergie au
Canada qui continuerait à assurer la suffisance canadienne dans le
domaine?
M. Lambert: Je vous rappellerais, M. le ministre, que je parlais
du cas de libre-échange et non pas de libéralisation des
échanges et que le libre-échange est une abolition des tarifs
douaniers et des barrières non tarifaires. Je crois que toute
réglementation, dans les échanges commerciaux,
est une barrière non tarifaire.
M. MacDonald: Oui, on pourrait discourir là-dessus. Mais
sur une question que nous pouvons appeler de sécurité nationale,
et la sécurité de la disponibilité de l'énergie en
est une, on pourrait probablement parler longtemps. Ensuite, vous avez
continué et vous dites: "Pour l'électricité: vendue plus
cher aux États-Unis sans libre-échange." Pourquoi?
M. Lambert: Dans mon second document, j'ai évité la
question de l'électricité, peut-être à cause de ma
méconnaissance du dossier ou du contrat passé avec les
États-Unis. On évitera de parler des différends qui
opposent le Nouveau-Brunswick et le Québec.
M. MacDonald: D'accord.
M. Lambert: Je ne sais pas si cela a été
réglé.
M. MacDonald: Dans ce cas-là, je vous libère de la
situation. Vous l'aviez corrigée dans votre deuxième texte. Je
vous remercie.
M. Lambert: Je pense que M. Murphy a mis, à un moment
donné, les tarifs d'électricité sur la table des
négociations. Peut-être pourriez-vous m'en parler?
M. MacDonald: Pardon?
M. Lambert: Vous pourriez me parler de ce qui a été
discuté, à ce moment-là, soit les tarifs
d'électricité.
M. MacDonald: Non, je ne peux pas vous en parler.
M. Lambert: Vous ne pouvez pas m'en parler?
M. MacDonald: Non, je ne peux pas vous en parier.
Je vous remercie. Comme je vous l'ai dit, vous avez couvert un grand
nombre de sujets et non seulement cela vaudrait peut-être la peine, mais
sûrement que mes conseillers et moi-même vaudrons revoir certaines
de vos suggestions. Je vous remercie de votre déposition.
La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le
ministre. M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, Mme la Présidente.
M. Lambert, vous avez bien essayé d'avoir des réponses du
ministre, mais il se fait de plus en plus discret. Vous le comprendrez, surtout
avec les événements des dernières heures.
Alors, mes premières paroles seraient pour vous dire: Bravo!
Parce qu'il y a peu de personnes qui se sont présentées à
cette commission à titre de simple citoyen, non-expert officiel en quoi
que ce soit, et je pense que vous êtes - si on ne dit pas le mot "expert"
- expérimenté en tout cas dans plusieurs domaines et vous
touchez, dans ce mémoire bien étoffé, à beaucoup de
points. Cela a dû demander, de votre part, une excellente
préparation et j'espère, et le ministre l'a souligné
tantôt... Il y a plusieurs de ces points-là sur lesquels vous
soulevez des questions, bien sûr, et où vous n'avez pas les
réponses et, pour la plupart d'entre eux, moi non plus, je n'ai pas de
réponse. Sauf que les questions qu'on se pose, dans le cadre du
libre-échange et de la libéralisation des échanges,
doivent aller le plus loin possible et c'est dans le questionnement qu'on
trouvera probablement des réponses pour éviter peut-être
des erreurs importantes.
J'ai souligné à certains endroits des choses
intéressantes et particulièrement l'image que vous faites lorsque
vous mentionnez qu'il va falloir de l'aide substantielle quand on passe d'un
marché de 25 000 000 à 255 000 000, d'un rapport de un à
dix. Il va falloir de l'aide substantielle. J'aurais aimé vous entendre
peut-être davantage là-dessus, voir de quelle façon vous le
voyez. Mais compte tenu du fait que vous avez préféré
toucher à différents secteurs et poser beaucoup de questions,
vous n'êtes pas allé en profondeur pour chacun de ces
points-là.
À la toute fin de votre mémoire - et ce sera aussi mon
commentaire et ma question que vous pourrez commenter - vous dites: II
s'agirait de savoir d'abord si notre partenaire privilégié doit
être les Américains; si oui, le Canada est-il prêt à
y faire face? C'est un petit peu le thème que nous avions pris à
l'ouverture de cette commission. Je pense que le libre-échange, la
libéralisation des échanges, cela se prépare et qu'on est
à essayer de faire la démonstration à savoir, tant pour le
gouvernement canadien que le gouvernement québécois, si on y est
préparés? Et vous nous dites un peu plus haut, trois paragraphes
précédents: "Le désir de promouvoir le
libre-échange avec les États-Unis est lié à
l'absence d'alternative réelle et viable à court terme." Je parle
du Canada. Ma question est la suivante. Â la suite des dernières
nouvelles, hier, on a un petit peu l'impression que les négociations
étaient en train d'achopper. Le Canada a mis beaucoup d'oeufs dans ce
panier, au cours des deux dernières années
particulièrement, pour être capable de venir à bout d'une
entente. Ma première question c'est: S'il n'y a pas d'entente, s'il n'y
a pas de stratégie et d'autres plans d'élaborés et
d'alternative, comme vous dites, viable, à court terme, que
l'on connaisse en ce qui a trait au gouvernement du Canada, à ce
moment la situation serait déplorable selon moi; j'aimerais vous
entendre là-dessus. D'autre part, selon vous, à partir de toute
l'analyse que vous en faites et du bagage d'expérience que vous avez,
est-ce que voua croyez sincèrement que le Québec et le Canada,
mais le Québec en particulier, sont prêts à faire face
à une entente le 4 octobre?
M. Lambert: Je pense qu'une entente, actuellement, à la
lumière de ce que j'ai écrit, serait assez difficile, pour moi,
à conclure, une entente avantageuse à court, à moyen et
à long termes avec les Américains. Évidemment, ce serait
une tout autre chose s'il y avait un autre pays ou deux, ou trois autres pays
qui étaient liés à cette entente-là, comme le
Mexique, si l'entente se faisait en premier lieu, si les premières
ententes se faisaient avec plusieurs pays. C'est la raison pour laquelle la
Communauté économique européenne en association avec
l'AELE réussit à s'en tirer quand même assez bien.
Maintenant, si les négociations achoppent avec les
États-Unis, l'article 24 du GATT permet toujours de négocier
certaines ententes et ces ententes pourraient être
négociées par secteurs. Je ne sais pas si les Américains
seraient si réticents à négocier des ententes sectorielles
avec leur principal marché extérieur.
Si on parle de stratégie, je pense que cela dépasse le
cadre du mandat de cette commission mais je serais quand même
disposé à apporter ma contribution à un comité
spécial sur la question. Je pense que, en regard de l'évolution
sur l'échiquier mondial et des crises qui secouent les grandes
institutions internationales comme l'UNESCO, l'ONU, où les
Américains ont soutenu qu'il y avait de graves problèmes de
gestion, qui a une plus ou moins grande influence dans les résolutions
qui sont adoptées... Si on regarde le FMT, qui fait face à de
sérieux bouleversements sur la stabilité des monnaies, à
la suite du refus des grands pays endettés de payer
l'intérêt de leur dette ou même carrément leur dette,
et même le GATT, malgré la présente ronde de
négociations qui, en fait, vise à abolir les barrières non
tarifaires, je pense que c'était le but premier, au sortir de la
précédente, que la négociation en Uruguay concerne la
diminution des barrières non tarifaires, même là, je pense
qu'on assiste à un protectionnisme assez fort du Japon et des
Américains.
Comme je le disais tantôt, il est toujours possible de
négocier des ententes sectorielles avec te Américains, sans
inclure toute la négociation dans le cadre d'une négociation
globale.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup au nom de ma
formation politique pour ce travail et cette présentation. Je suis
sûr que le ministre sera intéressé, éventuellement,
à recourir à certaines de vos idées. Je vous remercie.
La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le
député. M. le ministre, c'est parfait?
M. Lambert, les membres de la commission de l'économie et du
travail vous remercient de votre participation à nos travaux et vous
souhaitent un bon retour. Sur ce, la commission suspend ses travaux
jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 heures)
(Reprise à 20 h 13)
Le Président (M. Charbonneau): On reprend nos auditions
avec deux groupes ce soir. D'abord, le Parti québécois de la
région du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des
Îles-de-la-Madeleine, suivi de la Coalition solidarité populaire
du Québec. Nous accueillons M. Paul Crête, président
régional du PQ de la région du Bas-Saint-Laurent, de la
Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine.
Bonsoir, M. Crête. Je présume que vous connaissez les
règles du jeu, mais je vais vous les rappeler pour ce que ce soit clair.
On a* une heure avec votre groupe. Une première tranche d'une vingtaine
de minutes est consacrée à la présentation de votre
exposé et le reste du temps va être utilisé par les membres
de la commission pour un échange de vues avec vous. Alors, je vous
cède immédiatement la parole.
Parti québécois du Bas-Saint-Laurent, de
la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine
M. Crête (Paul): Bonsoir. Merci beaucoup. Je veux d'abord
me présenter. Moi, je suis originaire de la région de
Québec. J'ai travaillé ici durant quelques années,
ensuite, je suis allé travailler à Gaspé durant trois ans
et maintenant je suis à La Pocatière. C'est vous dire que je
connais assez bien la région dans laquelle je vis. J'ai la
prétention, ce soir, de représenter le PQ du Bas-Saint-Laurent,
de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, une région qui
a été longtemps défavorisée et, dans un certain
sens, toutes les régions du Québec qui sont en dehors des grands
centres. Par rapport au dossier du libre-échange sur lequel on est, il y
a des choses à dire au niveau des régions. C'est un peu dans ce
sens que je viens livrer le message ce soir, en attirant l'attention plus
particulièrement sur notre région. Je pense que c'est aussi
valable pour toutes les régions du Québec qui sont en dehors des
centres. Cela me paraît aussi important,
parce que notre région est une région qui a un très
haut taux de chômage, de pouvoir dire qu'on est le porte-parole des gens
qui sont moins bien organisés dans la société, qui n'ont
pas nécessairement les moyens de se payer des représentations
très officielles. On essaie par la même occasion de
véhiculer ces choses.
Le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les
Îles-de-la-Madeieine connaissent depuis la nuit des temps les dangers de
la compétition ouverte avec un grand marché de producteurs et de
consommateurs. Cela fait longtemps qu'on nous impose des produits qui peuvent
être fabriqués ailleurs et qu'on nous donne comme réponse
que, nous, on ne peut pas les fabriquer parce qu'on n'a pas assez de monde pour
le faire ou parce qu'on est trop loin des marchés. À petite
échelle, cela peut reproduire étrangement ce qui se passe entre
le Canada et les États-Unis.
Les gens de la région se méfient tout autant des approches
purement rationnelles qui créent des emplois de haute technologie pour
remplacer les emplois non spécialisés. Au total, cela peut,
à l'occasion, faire plus d'emplois, mais ce ne sont souvent pas les
mêmes travailleurs et travailleuses qui sont l'objet du recyclage
approprié. Cependant, la région est ouverte à toute
proposition qui permettrait de rompre le cercle vicieux du chômage
chronique qui est son lot depuis tant d'années. Si le
libre-échange permettait d'implanter en Gaspésie une industrie de
la pêche moderne où les hautes technologies seraient monnaie
courante sans pour autant couper le maigre gagne-pain de plusieurs travailleurs
d'usine, s'il permettait d'accroître le marché agricole des
producteurs du Bas-Saint-Laurent sans crainte d'une compétition
inégale et écrasante à long terme, si les producteurs de
bois pouvaient s'assurer d'éviter ainsi les soubresauts d'une taxe
surprise sur le bois ouvré, alors on dit: Oui, signons un tel
traité.
Mais, la population de notre région n'excusera jamais un
gouvernement qui en ferait une population sacrifiée, comme elle le fut
dans les années soixante-dix, par la fermeture dite, elle aussi,
rationnelle des villages. Car, surtout chez nous, la rentabilité d'une
société doit être économique, mais elle est aussi
sociale et culturelle. Ce n'est pas le fait que la société
gaspésienne n'ait pas été riche économiquement qui
l'a empêchée de produire des gens que vous connaissez bien, comme
M. René Lévesque et M. Gérard 6. Levesque. Donc, le
Québec a intérêt à ce qu'une région comme
celle-là puisse se rentabiliser, mais globalement et non pas seulement
au niveau économique.
Il faudra que le traité de libre-échange ne diminue en
rien le droit du Québec et du Canada de se doter d'un régime de
sécurité du revenu et de travail garanti, qui s'inspire de
valeurs autres que celles du modèle américain. À titre
d'exemple, l'objectif du plein-emploi ne doit pas être entravé par
un traité de libre-échange, comme il l'est par la
répartition actuelle des pouvoirs. On a déjà assez de
contraintes à ce niveau-là.
D'un autre côté les prestations de bien-être social,
d'assurance-chômage ou tout régime plus bénéfique
sont, pour nous, des acquis nécessaires pour l'instant. Tant qu'on
n'aura pas pu se permettre d'entrer en compétition libre avec le reste
de l'Amérique, on continue d'avoir besoin de ces régimes et on ne
voudrait pas qu'ils soient remis en question sans être certain des
avantages qui découleront des contre-propositions.
Il apparaît aussi que le Québec devra s'assurer d'un
développement nord-sud du réseau des communications, ce qui a
manqué si souvent au développement du Québec depuis 1867.
Si le traité du libre-échange permet de développer cet
axe, au lieu de faire des voies ferrées d'est en ouest comme il s'en est
fait au Canada, de développer les communications du nord au sud et du
sud au nord, pour vendre, par exemple, notre poisson, notre bois, si on nous
garantit ces choses pendant la période de transition, on sera prêt
à concéder des choses, mais on veut des garanties dans ce sens.
On dit que ce réseau devra être mis en place avant que la vanne
soit ouverte aux produits entrant directement en compétition avec nos
produits locaux. L'État du Québec devra donc continuer
d'intervenir de façon soutenue non dans des infrastructures, mais dans
une implantation réelle des technologies appropriées. L'exemple
récent de Quebecair nous laisse profondément songeurs.
La population de notre région s'interroge aussi sur les effets
culturels qu'aura le libre-échange sur ses instruments de diffusion de
la culture. Le réseau des salles de spectacles survit déjà
péniblement, à titre d'exemple, grâce aux programmes de
subventions provinciaux. C'est vrai que tous les politiciens nous ont promis
que la culture ne serait pas sur la table de négociations, mais
là, trois points sont en litige, dont la culture. On sait très
bien que, dans une négociation, à la fin il y a toujours des
échanges qui se font et on ne voudrait pas que, sur ce point, on nous
sacrifie sur l'autel. L'autre exemple qu'on donnait, c'est celui de
l'arrivée, sans contrôle, des vidéos américains, des
productions américaines de tous types. Cela nous apparaît
dangereux pour une région comme la nôtre qui a déjà
vécu la fermeture de Radio-Québec en régions et qui a
perdu des moyens de production à ce moment. On donne aussi comme exemple
que la télévision a longtemps été, pour la
Gaspésie, celle du Nouveau-Brunswick. On ne voudrait pas revivre cet
impérialisme culturel dans les
autres secteurs.
Toutes ces interrogations, la population de notre région demande
au gouvernement du Québec d'y répondre avant de s'engager dans
une voie de non-retour en donnant son aval à un projet mal connu et aux
impacts imprévisibles. Le Parti québécois du
Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine et
toute la population de la région concernée ne se posent pas en
spécialistes du libre-échange. Le PQ a voulu ici n'être que
le porte-parole d'une région qui a vu, à quelques occasions, sa
survie économique, sociale et culturelle transformée par des
vents venus d'ailleurs. Cette fois, nous voudrions connaître
l'itinéraire avant d'accepter de mettre le cap sur un tel défi.
Dites-nous l'avenir qui nous est réservé. Après tout;
c'est le nôtre.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Crête. Je
vais céder la parole maintenant au ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: Merci, M. Crête. Dans votre conclusion ou
dans le paragraphe précédant votre conclusion, vous dites?
"Toutes ces interrogations, la population de notre région demande au
gouvernement du Québec d'y répondre avant de s'engager dans une
voie de non-retour en donnant son aval à un projet mal connu et aux
impacts imprévisibles."
Dans votre exposé, vous vous préoccupez de plusieurs
choses et, si j'en oublie, je vous prierais de me les rappeler. Je veux parler
principalement de cette taxe surprise que vous avez mentionnée et qui a
touché particulièrement le bois d'oeuvre; vous vous rappellerez
que cela a déjà touché également les pêches
et le poisson de fond. Vous parlez de programmes sociaux, d'interventions en
matière de développement régional. Dans les trois cas,
vous êtes sûrement au courant que c'étaient des conditions,
dès le départ, de la province de Québec, pour s'associer
au gouvernement fédéral et aux autres provinces en vue de
négocier une entente de libéralisation des échanges avec
les États-Unis. Un élément essentiel, également,
sur lequel on n'a pas lésiné et qui a été
publicisé - ce n'est pas révéler des secrets quelconques -
qui fait l'objet actuellement, si vous vouiez, de cette impasse et du fait que
M. Reisman a suspendu les négociations, c'est tout l'aspect
culturel.
Je crois que, sur les quatre plans que j'ai mentionnés, on se
rejoint très bien et je n'ai pas de difficulté. J'espère
que vous n'en avez pas avec nous. C'est une question nécessairement de
crédibilité, mais je n'ai à vous offrir que notre parole
et la mienne particulièrement ce soir sur ce sujet-là.
II y a quelques phrases dans votre mémoire sur lesquelles
j'aimerais, s'il vous plaît, un peu plus d'explications. À la page
2, vous dites: "Les prestations de bien-être social,
d'assurance-chômage ou tout régime plus bénéfique
sont des acquis nécessaires à notre région - là,
vous faites cette espèce de réserve sur laquelle j'aimerais, si
possible, que vous me donniez des explications - tant qu'elle n'aura pu se
permettre d'entrer en compétition libre avec le reste de
l'Amérique." Pourriez-vous me donner plus d'explications sur cette
réserve, s'il vous plaît?
M. Crête: Notre région a eu beaucoup de
difficultés à se doter des équipements, des
infrastructures, que ce soit au niveau des organismes ou d'autres types d'aide,
nécessaires pour se développer correctement. On a
hérité d'une tradition en Gaspésie, par exemple, des
Robin, d'exploitation systématique des pêcheurs. On évolue
là-dedans au rythme du XXe siècle qu'il faut traverser en cinq,
six ans, dix ans alors que, normalement, on peut prendre cent ans. Si je prends
le dossier des pêches maritimes, c'est un dossier qui s'étend
à la grandeur du Canada - les pêches du Québec
représentent peut-être 1 % du dossier des pêches ou de
l'économie canadienne - mais, en Gaspésie, c'est une industrie
majeure pour les gens qui sont là. Ce dont on veut être certain,
c'est que, dans les négociations où on pourrait toucher au
régime d'assurance-chômage, par exemple, ce qui peut
apparaître une minorité comme les pêcheurs ne se ramassent
pas, par le résultat d'une négociation sur le
libre-échange, dans une situation où il ne pourrait plus y avoir
de régime compensatoire pour eux parce que cela serait
considéré comme une subvention indirecte.
Donc, avant d'entrer en compétition libre, comme on le disait,
avec le reste de l'Amérique, on veut que le Québec se soit
donné, qu'on se soit donné à nous-mêmes aussi, parce
que nous ne sommes pas des quémandeurs, les moyens d'être
compétitifs de façon satisfaisante. On ne demande pas à
quelqu'un qui est en réhabilitation parce qu'il s'est cassé une
jambe de courir le 100 mètres contre Ben Johnson. Il faut lui donner le
temps de corriger la faiblesse qu'il a dans sa jambe. Nous avons encore besoin
de corriger des choses et nos béquilles, s'il faut les appeler comme
cela ou tout au moins, notre réhabilitation, il faudrait nous donner le
temps de la mettre en place.
M. MacDonald: Je vous dirai que je suis peut-être plus
généreux que vous dans l'établissement des termes et
conditions en tenant pour acquis que l'orientation de notre gouvernement - je
crois que c'était également celle de celui qui nous
précédait - est de voir à régler ces
problèmes de la Gaspésie et du Bas-du-Fleuve et de chercher
à diminuer au maximum le chômage. Même
si on avait un grand succès dans ce domaine, je ne suis pas
prêt du tout à sacrifier les programmes sociaux parce que
l'absence totale de chômage, l'absence totale de nécessiteux, ce
n'est certainement pas pendant que je vais être en fonction que je vais
voir cela. Malgré qu'on tende vers l'excellence, je pense que nous
allons continuer à avoir besoin de ces programmes qu'on s'est
donnés. Je ne suis pas prêt à renoncer à ce qui
existe.
J'aurais une deuxième question qui est intéressante parce
qu'il n'y a personne qui a soulevé cela ici, sous quelque forme que ce
soit, et c'est cette notion des communications nord-sud que vous avez
mentionnée. Vous dites: "II faudra aussi que le Québec s'assure
enfin d'un développement nord-sud du réseau de communications",
et vous citez en exemple? "routes, navigation, télématique, etc,
qui a manqué si souvent au développement du Québec depuis
1867. Ce réseau devra être mis en place avant que la vanne soit
ouverte aux produits entrant directement en compétition avec nos
produits locaux." Premièrement, j'aimerais cela avoir un peu plus de
précisions et, deuxièmement, si vous créez ces voies de
communication, elles vont être dans les deux sens; donc, n'allez-vous pas
rendre également plus facilement accessibles vos marchés à
des commerçants américains?
M. Crête: Si on traite de télématique
là-dedans, c'est le côté culturel et on dit que c'est un
côté qui ne peut pas être négocié. Mais on a
déjà des exemples là-dedans au niveau de la radio et de la
télévision; on a beau vouloir contrôler ce qu'on veut, les
ondes n'ont pas de frontières. De ce côté-là, on
veut que le Québec se donne une chance de développement vers la
Nouvelle-Angleterre, vers des marchés qui, il y a peut-être dix ou
quinze ans, n'avaient jamais été considérés comme
étant vraiment les nôtres.
Donc, on veut avoir le maximum de chances que ce développement,
qui se fera sûrement dans l'axe Toronto-Montréal-Québec, se
rende plus loin aussi, dans un sens. Si on pense aux pêcheries, entre
autres, c'est un secteur où il y a des marchés nouveaux à
développer. Mais, si on laisse les choses s'ouvrir spontanément
sans aucun contrôle ou sans aucune phase transitoire significative, on
risque d'avoir de sérieux problèmes. C'est vrai qu'on a
peut-être cette réaction d'avoir souvent peu confiance dans les
gouvernements, dans nos régions.
M. MacDonald: Dans tous les gouvernements?
M. Crête: Dans les gouvernements, en régions, en
général, oui. Je peux, quand même, le dire au nom des gens
de chez nous: Parfois, on a peut-être été trompés et
on reste avec des goûts amers. C'est pour cela qu'on veut avoir des
assurances de ce côté-là.
La voie du Saint-Laurent pourrait être beaucoup plus
exploitée dans un contexte de libre-échange. Présentement,
elle sert surtout à l'Ontario jusqu'à Montréal. Il y a
d'autres valets où elle sert, mais il y aurait moyen de faire autre
chose. Mais l'axe de développement du nord au sud nous apparaît,
pour le Québec globalement, de toute façon, plus
intéressant que le chemin des montagnes Rocheuses. (20 h 30)
M. MacDonald: Je suis d'accord avec vous que c'est une
possibilité et qu'il y a un développement à faire, mais je
vous dirais qu'à l'heure actuelle, naturellement, les entreprises du
Québec et pas seulement celles centrées sur Montréal, sont
à développer, et d'une façon assez
phénoménale dans certains cas, cet axe nord-sud vers les
États de la Nouvelle-Angleterre.
Dans votre coin, particulièrement, je me rappelle avoir
visité tout récemment une salaison de Matane, un succès
phénoménal avec un produit de qualité. Je discutais avec
le propriétaire de ses prochains marchés. Il avait
déjà fait des visites dans la région de Boston pour
identifier des marchés; c'était l'orientation première de
ses produits. Avant même de se diriger vers l'Ouest canadien, il avait
décidé qu'il regarderait l'axe nord-sud. Alors, je pense que vous
avez souligné ce qui se fait de plus en plus. Mais, il y a certainement
des infrastructures à développer pour faciliter cela.
M. Crête: Prenons l'exemple du poisson que vous mentionnez.
C'est vrai. Si, par contre, un accord de libre-échange touchait aux
programmes d'assurance des bateaux des pêcheurs, à ces
choses-là, on se retrouverait avec de sérieux problèmes
parce que nos pêcheurs n'auraient plus le moyen de produire leur poisson,
de l'amener à Boston à un prix compétitif de façon
identique, avant plusieurs années, si on ne se donnait pas une chance de
ce côté-là.
M. MacDonald: Je vous remercie. Je vais laisser la parole
à mon collègue.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M.
Crête, merci d'être là et de venir nous donner ce que
j'appellerais un peu un cri du coeur de la région de la Gaspésie,
du Bas-Saint-Laurent et des Îles-de-la-Madeleine. J'écoutais, au
cours des derniers jours et même au cours de la journée, la
députée de Matane qui nous disait: S'il n'y a pas de papeterie
dans notre région, c'est
catastrophique.
Je pense que c'est très significatif par rapport à ce qui
se passe au Québec, quand vous, M. Crête, vous venez nous dire: On
existe dans la région du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésîe
et des Îles-de-la-Madeleine et on veut s'assurer que, dans cet accord sur
le libre-échange qui est en train de se négocier quelque part
entre Ottawa et Washington, vous pensiez à nous. Je trouve que c'est
très significatif parce que c'est cela, les régions du
Québec, c'est cela, la réalité québécoise.
Je pense que le ministre sera d'accord avec moi: lorsqu'on parle de
réalité québécoise en matière de
développement régional, vous en êtes un exemple vivant. Le
député de La Peltrie, qui était avec nous il y a quelques
minutes, disait, le 21 mars dernier, lors d'une entrevue au Soleil,
avoir sensiblement les mêmes préoccupations. Les impacts sur
la région du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des
Îles-de-la-Madeleine sont certes au centre de vos préoccupations,
M. Crête, et votre mémoire - même s'il est très
succinct - se veut un peu un cri d'alarme par rapport à ce que vous
êtes capables de donner. Vous lancez un cri au gouvernement du
Québec en lui disant: Ne nous oubliez pas. Si vous voulez que cette
région puisse être bien dynamique, bien vivante, il faut s'assurer
que la dimension du développement régional de cette région
soit prise en considération.
Dans ses préoccupations, M. Crête, l'Opposition a
mentionné au gouvernement toute cette dimension du développement
régional; il faut s'assurer auprès du gouvernement d'Ottawa que
nous puissions avoir accès à toute la marge de manoeuvre
nécessaire. Ainsi, lorsque le gouvernement du Québec
décidera d'intervenir dans des régions pour donner les outils de
développement nécessaires, il pourra avoir cette marge de
manoeuvre et non pas se faire taxer de donner des subventions, de donner des
aides jugées déloyales par le gouvernement américain.
Tout en vous remerciant de venir au nom de cette région, de vous
donner la peine de vous déplacer pour lancer ce cri d'alarme - ce qui
est important, soit dit en passant -quel est, pour vous, cet impact sur la
région lorsqu'on parle de libre-échange? Qu'est-ce que cela veut
dire, en termes clairs, la décision qui sera prise au cours des
prochains jours? Cette décision jouera un rôle
prépondérant et je pense que votre expérience personnelle
dans le domaine des pêcheries pourrait nous éclairer sur le
potentiel extraordinaire de cette région. Cela voudrait dire
peut-être une région dynamique, si on a pris des
précautions, et peut-être, si les précautions ne sont pas
prises, une région où on devra, comme on l'a fait dans d'autres
secteurs d'activité et dans d'autres régions du Québec,
fermer des municipalités, fermer des villes. Pour vous, qu'est-ce que
c'est, le libre-échange et quel est le message très clair que
vous voulez passer au gouvernement du Québec pour faire en sorte que le
Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine
profitent d'une entente sur le libre-échange? Vous y êtes
favorable. Qu'est-ce que ce serait, pour vous, les précautions à
prendre et les outils à vous donner pour faire en sorte que cette
région ressorte grandie de la décision gouvernementale d'une
entente sur le libre-échange?
M. Crête: Effectivement, la première choses le
libre-échange, pour nous, c'est un bouleversement possible qui vient de
l'extérieur. Les expériences passées qu'on peut avoir eues
là-dessus nous laissent douter un peu des possibilités qu'on en
ressorte plus forts parce que, en soi? le libre-échange, c'est le droit
à la concurrence libre» Nous, on s'est souvent ramassés
à avoir après les autres les informations pour pouvoir
concurrencer correctement. À titre d'exemple, si le libre-échange
veut dire une concurrence entre les transporteurs aériens qui nous
amène un autre résultat comme Quebecair, on n'en veut pas.
Là, on est passé d'un système où on avait un
transport équilibré, d'un régime qui nous assurait des
déplacements en régions potables, à un nouveau
régime où les gens ne prennent plus l'avion parce qu'il n'est
jamais à l'heure. Il n'est pas dangereux, mais pas loin. C'est un
exemple qui nous vient de l'extérieur, où on dit: La libre
concurrence nous permettra d'être meilleurs. Cet exemple ne nous convainc
pas.
Ensuite, le libre-échange est aussi une grande interrogation. On
nous a dit que des études d'impact avaient été
menées précisément sur l'effet qu'aurait sur les
régions le libre-échange et on n'a jamais pu connaître les
résultats de ces études. Si le libre-échange permet de
créer des emplois de haute technologie, on n'est pas certain que ce sera
pour des gens de chez nous qui, eux, n'ont pas nécessairement de
formation en haute technologie. On voudrait aussi que nos maisons
d'enseignement, par exemple les cégeps, puissent former des gens dans ce
secteur. Si on n'a pas suffisamment de temps pour se préparer, on va se
ramasser avec une évacuation encore plus grande de nos populations vers
les grands centres. Cela fait qu'on s'interroge beaucoup. Dans ce sens, on n'a
pas peur de la compétition, mais on veut être sûr de la
mener de façon correcte et avec les outils suffisants.
Je pense qu'il faut distinguer deux notions: la non-intervention
gouvernementale et le libre-échange. Il ne faudrait pas que le
libre-échange soit l'excuse pour ne plus rien faire. Il faut qu'on
puisse continuer à utiliser des outils qui nous permettraient, par
exemple, d'avoir un financement régional d'activités plus
adéquat et non un traité de
libre-échange qui aurait des impacts, par exemple, pendant sa
période de gestation et de gestion, qui feraient qu'on ne pourrait pas
faire des choses au Québec pour développer nos régions
parce que cela ne correspondrait pas à l'accord qui a été
signé. C'est ce genre de choses qu'on veut éviter.
On sait aussi que cela prend des PME pour devenir de grandes
entreprises. Mais, pour créer des PME, il faut aussi avoir une chance de
faire de la compétition à des prix satisfaisants. Qu'on pense
à Murdochville qui a fermé, parce qu'on n'avait aucun
contrôle sur ceux qui étaient propriétaires de la mine; on
veut y développer une industrie de culture de tomates en serre, mais
effectivement, s'il n'y a pas d'aide... On sait que cela prend quatre, cinq ou
dix ans. Le pouvoir de financement local est plus ou moins présent. Il
ne faut donc pas que l'État évacue ce territoire, parce que, si
on calcule seulement ia rentabilité économique, on va fermer la
Gaspésie. Nous, ce n'est pas cela qu'on veut, on veut y vivre.
M. Parent (Bertrand): Avec la permission du ministre... Vous avez
vécu Quebecair avec ce que j'appelle ses inconvénients parce que
vous n'avez plus, aujourd'hui, le même service. Pour vous, Quebecair,
c'est un peu l'autobus au coin de la rue pour être capable de vous
véhiculer hors région. Vous avez vécu Radio-Québec
qui est un moyen de communication où il y a eu aussi des coupures
importantes qui vous privent de certaines informations. Je me demande, M.
Crête, si vous pouvez nous dire concrètement si le secteur des
pêcheries qui vous touche particulièrement, qui est une richesse
naturelle... Ce qu'on a véhiculé jusqu'à maintenant,
c'est: II faut protéger nos richesses naturelles. Lorsqu'il s'agissait
soit du secteur minier, parce qu'on avait des filons importants, ou de
ressources naturelles en matière hydroélectrique, on était
tous d'accord. En matière de pêcheries, qu'est-ce que cela
voudrait dire concrètement, chez vous, si demain matin il y a une
entente de libre-échange? Si le gouvernement a pu réussir
à se garder les coudées franches, qu'est-ce que cela veut dire en
matière d'appui à de nouvelles entreprises, à des
entreprises existantes ou à de nouveaux investissements par rapport
à une richesse naturelle qui est là ou par rapport à
d'autres types d'entreprises qui pourraient naître en régions? Je
pense que cette réalité québécoise qu'est la
région du Bas-Saint-Laurent, de ia Gaspésie et des
Îles-de-la-Madeleine fait en sorte que vous avez des possibilités
extraordinaires. J'aimerais que vous puissiez nous donner quelques exemples
qui, avec l'appui gouvernemental, avec une intervention, feraient en sorte
qu'on pourrait développer des choses qui n'existent pas et qui, avec
l'ouverture du marché américain, pourraient nous permettre de
créer des emplois même en régions.
M. Crête: Je vais répéter l'information que
j'ai donnée au départ, mais qui m'apparaît importante dans
un contexte de négociation. Cela peut s'appliquer dans un contexte de
convention collective et c'est le même dans celui-là, je pense.
L'économie des pêches du Québec est peut-être 1 % de
l'économie du secteur des pêches au Canada. Cela n'a pas beaucoup
d'importance, cela n'a pas de poids. On n'a jamais réussi à avoir
le poids qu'on voulait. Par contre, c'est 50 % de l'économie de la
Gaspésie. Il peut être facile dans un accord de
libre-échange Je céder des choses sur les programmes de soutien
aux pêcheries si le pêcheur qui pêche dans les Maritimes ou
qui pêche en Colombie britannique n'a pas besoin de programme de soutien
du même type parce qu'il est dans une économie qui vit de la
pêche complètement et qui a déjà un passé
plus efficace de ce côté-là. Pour nous, cela peut
être important que le financement des bateaux continue d'être
assuré. On vous demande d'être sûr que ces choses vont
être garanties avant de signer quoi que ce soit. (20 h 45)
Je vais vous donner un autre exemple, l'exemple de la prospection
minière. Une prospection minière dans tout le parc de la
Gaspésie, «dans toute cette région s'est faite depuis
plusieurs années. Si on veut développer les choses qui sont
là, sans attendre que nécessairement cela vienne
spontanément par le financement privé à 100 %, il faut
qu'on ait des moyens d'intervention. Cela peut être des "joint ventures"
entre la Caisse de dépôt et placement et des intérêts
locaux ou d'autres types d'interventions de l'État, des programmes
d'aide à la formation pour nos gens qui, avec une dixième
année, ont décidé qu'ils ne pouvaient plus aller à
l'école. On s'aperçoit que, si on veut leur donner des emplois un
peu spécialisés, il faut qu'ils acquièrent autre chose. Il
faut que ces programmes continuent d'exister. Si l'accord de
libre-échange remet en question ce type d'intervention, cela va nous
créer de sérieux problèmes, alors qu'on a
déjà une économie qui roule lentement.
M. Parent (Bertrand): Dans quelle proportion la formation de
main-d'oeuvre spécialisée par rapport à des secteurs
déjà existants, de main-d'oeuvre à former par rapport
à d'autres secteurs à développer, soit par rapport aux
richesses naturelles ou par rapport à un potentiel déjà
existant, est-elle importante pour vous? De l'autre côté ou le
revers de la médaille, si ceci ne se produit pas, quel sera l'impact du
libre-échange par rapport à une population qui va quitter cette
région pour les grands centres pour être capable de survivre? Je
me dis: Les
différentes régions existent et ce qui se passe chez vous
va se passer ailleurs. Si vous étiez capable de nous donner... Vous
êtes probablement une des seules régions qui vient à ce
titre nous exprimer ses préoccupations. Est-ce que le fait de ne pas
donner d'aide sur le plan de la main-d'oeuvre, sur le plan des investissements,
sur le plan des richesses naturelles va faire en sorte que la population de
votre région va déserter vers des grands centres et créer
ce que j'appellerais un vide, une situation intenable dans cette région,
alors que, de l'autre côté; peut-être, avec de l'argent qui
pourrait être remis par le gouvernement du Québec, on pourrait
être capable de former sur place une main-d'oeuvre qui veut travailler
sur place et certainement répondre à une demande des entreprises
qui pourraient s'y installer?
M. Crête: Je pense que, pour répondre à cela;
il s'agit de donner une photographie de la réalité. On a des
maisons d'enseignement collégial chez nous. Selon la définition
que j'en donne, il y en a cinq à peu près dans l'Est du
Québec. S'il n'y avait pas eu, par exemple, de subvention
d'éloignement, de budget d'éloignement prévu pour ces
maisons, plusieurs auraient disparu. Aujourd'hui, on donne à des gens
des formations professionnelles et techniques adéquates pour la
région. On donne le goût à des jeunes de se former
là-dedans et de rester dans la région. Si ces choses n'avaient
pas existé, ils ne seraient plus là.
À titre d'exemple, on a une université dans la
région, c'est l'UQAR. Elle forme des spécialistes dans des
secteurs intéressants. Elle ne forme pas de médecins, on n'a pas
de médecins en Gaspésie. S'il n'y a pas une intervention qui
permet d'amener les gens chez nous, c'est-à-dire qui permet aux gens de
chez nous de se développer chez nous, eh bien, on va se ramasser avec un
vacuum qui a déjà eu lieu il y a 20 ans mais qui s'est
arrêté. On a arrêté l'hémorragie, mais on ne
voudrait pas qu'elle recommence.
M. Parent (Bertrand): Merci. Je passe la parole au ministre,
quitte à revenir un peu plus tard.
M. MacDonald: J'ai déjà posé mes questions
et je suis très heureux d'avoir eu l'occasion de vous interroger et de
voir cette représentation régionale. Peut-être que c'est un
aspect qui n'a pas été couvert, vous l'avez, d'ailleurs,
mentionné. Je peux vous dire qu'au sein de l'équipe qui a fait
l'étude des différents dossiers provenant des différents
ministères ou organismes la question du régionalisme a
été regardée. Mais de la part des témoins qui se
sont présentés, je crois que c'est réellement la
première fois qu'on touche ce sujet particulier. Je vous remercie
beaucoup.
M. Parent (Bertrand): Peut-être en terminant, si vous me le
permettez, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Oui.
M. Parent (Bertrand): M. Crête, vous avez mentionné
dans votre dernière intervention l'importance des mesures incitatives.,
Je n'insisterai jamais assez pour souligner le fait que, s'il est vrai que le
domaine des petites et moyennes entreprises est vulnérable, le
gouvernement doit continuer d'intervenir. Et quand je dis "continuer
d'intervenir", ce n'est pas négatif d'être un gouvernement
interventionniste; c'est être un gouvernement qui appuie ceux qui sont
des bâtisseurs, des créateurs d'emplois. Quand j'arrive dans le
domaine régional, quand j'arrive dans cette réalité
québécoise, soit l'ensemble des régions qui doivent faire
face à des nouvelles règles du jeu qui seront assez difficiles
dans certains cas, je me dis qu'il est important, comme vous l'avez fait ce
soir, M. Crête - et je vous en remercie -d'insister auprès du
gouvernement pour qu'il puisse garder, d'une part, la marge de manoeuvre pour
être capable d'être incitatif dans le cadre d'une intervention
gouvernementale pour les industries dites locales à base des ressources
naturelles et d'autre part, d'être incitatif sur la base d'une politique
en ce qui concerne la formation de la main-d'oeuvre. D'un autre
côté, lorsqu'on connaît des taux de chômage
élevés dans les régions du Québec, on se demande
souvent qui paie la facture. La facture, bien, on se dit que c'est Ottawa qui
la paie parce que c'est l'assurance-chômage. Mais Ottawa, qui le paie?
C'est nous qui le payons. Je me dis: Si on réussissait à avoir
des transferts fiscaux, des transferts qui nous donneraient seulement la
même somme d'argent, on pourrait de façon autonome, dans les
régions du Québec, créer cette main-d'oeuvre et non pas de
l'assistance sociale entre guillemets, et rendre nos gens productifs.
Je suis persuadé, avec l'exemple qu'on a eu au cours des derniers
jours, de la dernière semaine, de gens d'affaires qui ont toutes sortes
d'initiatives, qui ont le goût de créer ou de bâtir, que,
dans votre région, vous avez sûrement des tas de projets qui ne
demandent pas mieux que d'être appuyés si le gouvernement du
Québec pouvait vous donner, si minime soit-il, un coffre d'outils pour
vous permettre d'exploiter non seulement vos ressources naturelles, mais vos
ressources humaines. Là-dessus, j'aimerais avoir vos commentaires et au
cas où le temps me manquerait, M. Crête, je tiens à vous
remercier au nom de toutes les régions du Québec d'être
venu exprimer votre point de vue ce soir.
M. Crête: Rapidement, ce que je
voudrais dire sur ce point-là, c'est que nous autres, on est au
niveau du rêve présentement; on rêve. Mais le rêve,
c'est ce qui alimente notre avenir. On vise ce qui pourrait être du
plein-emploi dans notre région. Et la façon d'en venir à
du plein-emploi, c'est d'avoir des outils qui permettent d'avoir des
façons originales de créer de l'emploi, d'amener les gens
à être productifs. Les gens de la Gaspésie, des
Îles-de-la-Madeleine et du Bas-Saint-Laurent ont le goût du
travail. C'est évident. On n'a pas le goût de devenir une
société qui se fait vivre par les autres. On veut que ce soit
nous autres qui nous fassions vivre nous-mêmes et on pense qu'il faut
s'assurer qu'on va avoir les bons outils là-dedans. On en a
déjà certains, mais on en voudrait plus. Et on ne voudrait
surtout pas perdre ceux qu'on a déjà. C'est à peu
près ce que je voulais dire là-dessus.
En conclusion, je me permettrais de dire que tous les membres du
gouvernement, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre de la Chambre,
sont invités à venir nous voir en automne et en hiver et pas
seulement pendant la saison du homard.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. Crête, on
vous remercie infiniment de votre présence et on espère qu'on
aura d'autres occasions de vous revoir en commission parlementaire. Et si cela
ne vous fait rien, transmettez nos salutations aux gens de votre région
et aux militants et militantes de cette région-là
également.
M. Crête: Merci beaucoup.
Le Président (M. Charbonneau): Alors...
Une voix: Un message du commanditaire.
Le Président (M. Charbonneau): Voilà! Exactement,
c'est une offre que je ne pouvais pas refuser.
Nous accueillons maintenant la Coalition solidarité populaire du
Québec.
Coalition solidarité populaire du
Québec
Mesdames, monsieur, bienvenue à la commission de
l'économie et du travail. Je vous indique immédiatement les
règles du jeu. On a une heure pour la discussion avec vous. Les vingt
premières minutes seront consacrées à la
présentation de votre mémoire et le reste du temps sera
utilisé à des discussions et des échanges avec vous. Je
crois que c'est Mme Parent qui est le porte-parole du groupe. Je vous
demanderais de présenter les personnes qui vous accompagnent pour le
Journal des débats et d'engager immédiatement votre
exposé.
Mme Parent (Madeleine): Merci, M. le Président. Mes
collègues sont, à ma droite, M. Yvon Poirier, de la Coalition
populaire sur les impôts et les revenus et du Conseil central des
syndicats nationaux de la région de Québec; à ma gauche,
Mme Jeanne Lalanne, d'Action Chômage Québec qui fait partie du
Regroupement des chômeuses et chômeurs du Québec. Nous
sommes de la coalition Solidarité populaire du Québec.
Solidarité populaire Québec est une coalition
formée en 1985. C'est une coalition de groupes populaires,
communautaires et syndicaux avec appui sur les groupes populaires soutenus par
les syndicats. Il y a 43 organismes qui en font partie et la liste de ces
organismes est attachée à la fin de notre mémoire.
Nous avons quatre objectifs principaux, soit de mettre un terme à
la politique de coupures dans les programmes sociaux des gouvernements
fédéral et québécois tels les allocations
familiales, l'assurance-chômage, l'aide sociale; deuxièmement,
revendiquer et promouvoir la consolidation, l'élargissement et la
démocratisation des programmes sociaux; de revendiquer et promouvoir une
révision de la fiscalité permettant de contrer les
inégalités croissantes dans notre société et
assurant un meilleur partage des richesses collectives; et finalement, de
revendiquer et promouvoir la mise en place d'une politique de plein-emploi
répondant aux intérêts et aux besoins de l'ensemble de la
population.
Nogs croyons qu'une entente bilatérale de libre-échange
entre le Canada et les États-Unis aurait des conséquences allant
dans le sens contraire des objectifs que nous poursuivons. Elle ne ferait que
renforcer les effets désastreux des politiques néo-conservatrices
suivies par nos gouvernements depuis plusieurs années, surtout les
coupures dans les programmes sociaux, les privatisations, la
déréglementation et le reste. Les conséquences de ces
politiques sur les pertes d'emplois, la diminution des conditions de vie et de
travail et les inégalités sexuelles et régionales sont
inacceptables. C'est pourquoi nous avons mené une série de
consultations populaires dans la province aux mois de janvier et février
1987 où la commission populaire itinérante de Solidarité
populaire a visité huit villes de la province, sait Québec,
Trois-Rivières, Montréal, Rivière-du-Loup, Victoriaville,
Sherbrooke, Rouyn et Hull. Nous avons entendu quelque 130 mémoires, des
centaines d'interventions verbales; en tout, quelque 900 personnes sont venues
à ces consultations populaires nous dire ce qu'elles pensaient des
conditions actuelles; elles nous ont fait part de leurs craintes, de leurs
frustations et aussi de leurs espoirs.
Dans le rapport de la commission
populaire itinérante - nous avons laissé des copies que
les députés pourront consulter -on y lit: "Le projet d'une
entente de libre-échange avec les États-Unis est identifié
comme la carte-maîtresse du gouvernement fédéral dans sa
stratégie de désengagement... Mettre les entreprises canadiennes
sur le même pied que les entreprises américaines aura
nécessairement des conséquences sur nos politiques sociales.
Compte tenu des forces économiques en présence et du
caractère relativement plus développé de nos programmes
sociaux comparativement aux États-Unis, le nivellement se fera
nécessairement vers le le bas. Le même raisonnement . peut
s'appliquer à nos politiques environnementales, aux droits syndicaux,
à notre spécificité culturelle et à notre
souveraineté politique." (21 heures)
Depuis qu'il est question de libre-échange entre le Canada et les
États-Unis, Solidarité populaire Québec appuie les groupes
qui s'y opposent, et, quand la coalition a été formée par
les grandes centrales syndicales et agricoles, nous lui avons offert notre
appui. Aujourd'hui, nous déclarons notre appui aux thèses
contenues dans le mémoire de la coalition des quatre centrales qui a
été présenté ces jours derniers devant votre
commission et nous donnons aussi notre appui et nous voulons signaler le
mémoire du CIAFT, le Conseil d'intervention pour l'accès des
femmes au travail, parce qu'il concerne plus particulièrement les
difficultés qu'ont les femmes à obtenir de l'emploi et les
difficultés qu'elles ont face aux programmes sociaux.
Lorsque le gouvernement fédéral a été
converti aux thèses de la commission Macdonald, malgré
l'assurance que M. Mulroney nous avait donnée au temps de la campagne
électorale, le gouvernement avait pourtant promis que les programmes
sociaux ne seraient pas dérangés. Par ailleurs... Je ne lis pas
en ce moment. Vous avez tous des copies du mémoire. Je fais des
remarques en marge. Par ailleurs, le gouvernement fédéral
développait des projets pour démanteler des programmes sociaux et
mettre en vente des sociétés de la couronne, étant
donné qu'elles n'existent pas dans le même sens aux
États-Unis. Pour nous orienter vers une plus grande série de
privatisations, il s'attaquait à des programmes sociaux qui
protègent la population. Par exemple, il y avait le projet du ministre
fédéral des Finances, M. Wilson, de désindexer les
pensions de vieillesse de 3 % par année. Les personnes
âgées, voulant garder leur autonomie et appuyées par de
nombreux secteurs de la population, ont finalement obligé le
gouvernement fédéral à revenir sur sa décision et
les pensions de vieillesse sont demeurées indexées. Ensuite, il y
a eu la désindexation de 3 % par année des allocations
familiales, malgré de très très nombreuses protestations
de partout au pays, en particulier de la province de Québec. Puis, il y
a eu la menace à notre programme d'assurance-chômage, avec la
commission Forget. Il est évident que l'intention était de
réduire les prestations, un peu selon les thèses de la commission
Macdonald, de réduire aussi la durée des prestations,
d'éliminer les travailleurs saisonniers, comme les pêcheurs, et,
aussi, dans certains cas, dans la construction, d'enlever les prestations de
grossesse de l'assurance-chômage aux femmes, avec une vague promesse de
poser un geste dans ce sens ailleurs, mais personne ne nous a dit quelles
étaient nos garanties.
La menace a suscité tellement d'opposition que M. Forget
lui-même avait déjà reculé sur quelques-unes de ses
intentions déclarées, au moment du dépôt du rapport.
Mais son rapport était toujours très régressif et dans le
sens de nous niveler vers les conditions qui prévalent aux
États-Unis. À cause des protestations populaires, M. Bouchard a
finalement déclaré qu'il n'y aurait aucun changement au
système d'assurance-chômage. Mais il est à craindre que,
plus tard, on essaiera encore de niveler nos prestations et nos garanties
d'assurance-chômage vers ce qui se fait aux États-Unis, et on sait
qu'elles sont inférieures.
En plus, il y a différentes restrictions, limites et refus
d'accéder aux revendications des groupes communautaires, des groupes de
femmes, des groupes populaires, des limites et des restrictions au
fédéral et au provincial. Par exemple, il nous faut un programme
de garderies à but non lucratif, de qualité et accessibles
à toutes. On ne demande pas qu'elles soient gratuites, mais au moins que
toutes les mères et tous les pères puissent y avoir accès
selon leurs besoins. On a besoin de plus de centres d'accueil pour femmes et
enfants violentés. On sait qu'il y a des abus et des accidents terribles
qui se commettent aujourd'hui parce que ces femmes et leurs enfants n'ont pas
d'endroit où aller pour être protégés. On veut des
programmes de formation, surtout pour les femmes, pour les jeunes, des
programmes de recyclage dirigés et orientés par l'État, et
combien d'autres services encore qui nous manquent.
Il nous semble que ce durcissement de l'État par rapport à
ces revendications et ce manque d'action sur le plan social est lié aux
visées des gouvernements d'en venir à un accord
Canada-États-Unis sur le libre-échange, alors que nous savons
tous que les programmes sociaux, au sud, sont inférieurs aux
nôtres. On vaudrait donc limiter les coûts sociaux au Canada en
prévision d'une ère de forte concurrence avec le patronat
américain sur un marché plus grand.
Solidarité populaire du Québec n'est pas opposée
à la libéralisation plus équilibrée et
plus graduelle des échanges, surtout les échanges de
marchandises, comme cela se discute aux conférences du GATT où
notre pays est représenté, mais nous croyons qu'il est dangereux
pour notre pays d'augmenter le pourcentage déjà trop
élevé de nos échanges avec notre voisin du sud. Il y a
là un danger que notre pays subisse des pertes énormes en emplois
et dans ses programmes sociaux quand le gouvernement américain, aux
prises avec une crise économique - et son déficit énorme
nous permet de craindre que cela arrivera un jour - prendra des mesures
défensives pour protéger ses industries menacées, en
particulier dans le domaine de la fabrication manufacturière et des
services. À ce moment, le gros risque, ce que M. Macdonald appelait "the
leap of faith", aura réussi à quelques compagnies puissantes,
comme la compagnie Dominion Textile ici qui aura fermé d'autres usines,
parce qu'elle le fait systématiquement, et, dans certains cas,
après les avoir achetées récemment pour confirmer son
monopole. Elle aura fermé d'autres usines au Québec et sera
relocalisée plus fortement qu'elle ne l'est encore au sud des
États-Unis et ailleurs, se servant des capitaux qu'elle a
accumulés ici en exploitant la main-d'oeuvre du Québec surtout et
du Canada.
Lorsque des succursales américaines de compagnies en
difficulté aux États-Unis fermeront leurs portes ici pour
concentrer leur production au sud de nos frontières, les travailleurs,
les travailleuses et les défavorisés, ici, au Québec,
seront laissés pour compte. Quand on sait que dans le domaine du
textile, du vêtement et des chaussures, au Québec, il y a environ
- ce qu'il en reste - 100 000 travailleurs et travailleuses dont presque les
deux tiers sont des femmes et dont un bon nombre, surtout dans nos grandes
villes, sont des immigrantes, des femmes de couleur qui sont beaucoup moins
mobiles que d'autres, on se demande comment on pourrait recycler cette
main-d'oeuvre qui est aujourd'hui productive. Ce sont des personnes qui gagnent
leur vie et qui en ont sûrement le droit.
La coalition des quatre centrales estime qu'il y aurait une perte de 40
000 emplois au cours des dix premières années d'une
période de libre-échange Canada-États-Unis seulement dans
ce secteur. Quand on regarde ce qui se passe dans l'industrie, on sait que
cette estimation est très prudente. Comment trouver des emplois pour
tous ces gens? Dans le domaine des services, en plus, qui emploie à peu
près 70 % de la main-d'oeuvre au Québec, si le gouvernement des
États-Unis gagne la partie et nous place dans un libre-échange
dont les services feront partie - il semble bien évident que ce soit son
intention - les industries financières, les transports, les
communications, les services aux entreprises, beaucoup de secteurs semblables
seront affectés et nous perdrons sûrement beaucoup d'emplois. Au
fait, avec la technologie que nous avons, beaucoup de ce travail pourrait se
faire de New York, de Chicago, de Pittsburg ou d'ailleurs et nous serions les
consommateurs mais non les dispensateurs de ces services. Dans le secteur
social, de la santé et le reste, c'est sûr que la concurrence et
la nécessité de réduire les coûts pour être
encore plus concurrentiels avec les États-Unis constitueraient une
menace à nos acquis.
Je voudrais rappeler ici la mise en garde faite devant votre commission
par M. Jacques Parizeau, dont je respecte l'intelligence et la grande
compétence, même si nous ne sommes pas d'accord sur nos choix de
société, parce que nos choix de société sont
différents: lui favorise le libre-échange et, nous, nous sommes
contre. Il disait, par exemple, qu'il y a un grand risque, dans un accord de
libre-échange Canada-États-Unis. Il croit que certaines
compagnies, si j'ai bien compris, passeront la rampe et réussiront dans
une concurrence beaucoup plus active. Mais il disait aussi qu'il ne faudrait
pas que l'État se désengage parce que les compagnies, ici, au
Québec, auront besoin de beaucoup d'appuis. Elles auront besoin de faire
des investissements beaucoup plus grands et il faudra que l'État et les
différentes sociétés de développement soient
là pour les aider à survivre et à grandir dans une
société de libre-échange. Il a même dit qu'il ne
faut pas que l'État se désengage des programmes sociaux, selon
lui, dans l'intérêt d'une stabilité sociale, mais, selon
nous, dans l'intérêt du mieux-vivre de nos populations. Il a dit
aussi - c'est très important étant donné les nouvelles des
dernières 24 heures - que, pour lui, la pire des solutions serait une
entente minimale parce que, selon lui, elle perpétuerait le climat
d'incertitude et ce serait néfaste pour les projets, les investissements
et les risques. La situation économique, semble-t-il, pourrait se
détériorer sérieusement.
Or, nous apprenions hier que les négociations, pour le moment,
sont rompues. M. Reisman et M. Murphy se sont séparés, cela
achoppe sur l'arbitrage des décisions obligatoires. Je voudrais vous
rappeler que la coalition des quatre centrales ne se réjouit pas
tellement de la position favorable à l'arbitrage parce que cela nous
enlèverait notre souveraineté. M. Shultz lui-même, aux
États-Unis, avait dit justement que le gouvernement américain
était contre l'arbitrage parce qu'il n'abandonnerait pas sa
souveraineté et son droit de prendre des décisions. Pourquoi
abandonnerions-nous notre droit de prendre des décisions quand elles
doivent être prises dans notre intérêt?
Il y a aussi, comme pierre d'achoppement, le développement
régional et les industries culturelles, d'après ce qu'on nous
dit. Le scénario avait déjà été
prévu, M. Reisman nous avait dit, il y a quelque temps, qu'il se
pourrait que cela passe par des rencontres entre M. Reagan et M. Mulroney. Nous
sommes à un moment où, de façon très dramatique, il
semble qu'on nous prépare une rencontre des grands chefs d'État.
(21 h 15)
Tout le monde sera en haleine pour voir ce qui va arriver et je crains
que personne ne puisse le prédire au juste, du moins sûrement pas
nous qui ne sommes pas dans les secrets des chefs d'État, mais je crains
fort qu'après des scènes dramatiques, on nous dise: On l'a! Ce
n'est pas tout ce que vous voulez, mais vous êtes chanceux. Je regrette
beaucoup, nous ne serons pas chanceux, à mon avis, si nous avons une
entente de libre-échange, si nous avons une entente minimale. Même
M. Parizeau et beaucoup de ses amis trouvent que ce ne sera pas une chance et,
nous le répétons aujourd'hui, nous demandons, comme nous l'avons
demandé au début, au gouvernement du Québec de se refuser
à une entente de libre-échange Canada-États-Unis et de
travailler dans le sens d'échanges commerciaux plus actifs, qui se
feront de façon plus graduelle, si on veut, mais sûrement plus
équilibrée et plus dans le sens de nos intérêts,
avec les pays du GATT. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, Mme Parent, de cette
présentation. Merci d'avoir respecté le délai qu'on avait
fixé. Cela va maintenant permettre à la discussion de s'engager.
M. le ministre du Commerce extérieur, d'abord.
M. MacDonald: Mme Parent, mademoiselle, monsieur. Mme Parent, je
dois vous dire que vous me rappelez des souvenirs lorsque j'étais
étudiant et que vous étiez à ce moment... Vous avez
conservé ce dynamisme et cette articulation qui étaient les
vôtres pour présenter votre choix de société. Je
devrais dire aussi que, contrairement à certaines personnes que vous
avez citées, vous êtes très cohérente et que vous
n'avez pas changé d'idée.
Cela dit, la majorité des objections que vous avez
formulées à l'égard de ce projet de négociation
d'une entente autour de la libéralisation des échanges, nous les
avons nécessairement reçues de vos collègues de la
coalition et nous y avons répondu. Nous avons cherché à
donner cette assurance qui a suscité plus ou moins de
crédulité ou de crédibilité, selon les gens qui la
recevaient, de cette préoccupation que nous avons pour la très
grande majorité des points que vous avez soulevés, même si
on cherche à créer des emplois, à procurer du
bien-être à notre société, ou à
préserver ce bien-être, et qu'on suggère d'utiliser des
moyens différents de ceux que vous préconisez. Je n'ai pas pu
faire autrement que de voir votre persistance, quand vous avez
évoqué cette compagnie que je vois que vous n'avez pas
oubliée, la Dominion Textile, qui ne semble pas proche de votre coeur,
mais proche de vos souvenirs. Nous avons eu des présentations de gens du
domaine des textiles. Il nous ont démontré, entre autres choses,
qu'ils n'aimaient pas se faire appeler le secteur mou, mais plutôt un
secteur traditionnel. Certains des intervenants avaient très bien
réussi à moderniser leur entreprise, à accroître
considérablement leur capacité d'être concurrentiels en
fournissant de l'emploi dans leur milieu.
Il y a un point, par contre, que vous avez souligné à
nouveau et que j'ai repris au moment où le regroupement de femmes que
vous avez mentionné est venu nous voir. Malheureusement, ce fut le seul
regroupement de femmes qui soit venu. Vous avez raison; advenant une entente
dans cette discussion que nous aurons pour ce qui est des moyens et des
méthodes mis en oeuvre, la situation des femmes dans certaines
industries recevra de ma part et de la part du gouvernement une attention
particulière.
Pour ce qui est de votre conclusion, je ne partage pas, comme vous le
savez très bien, un bon nombre de vos prémisses et votre
conclusion. Nous sommes un gouvernement qui a été élu
démocratiquement et je présume que vous êtes toujours en
faveur de la démocratie. Nous exerçons ce pouvoir qui nous a
été confié par la population avec le plus de diligence et
le plus de sérieux possible. Cette menace américaine que vous
avez mentionnée dans un contexte de postentente, nous, nous l'apercevons
actuellement, elle est là. C'est la raison principale, d'ailleurs, pour
laquelle nous croyons que la solution au problème immédiat du
protectionnisme américain, c'est qu'il faut chercher à garantir
nos marchés, à protéger cet accès que nous avons
déjà.
Je ne rejette pas du tout, au contraire, votre recommandation de
poursuivre des négociations sur un plan international, sur un plan
multilatéral, mais je vous rappellerai, en terminant cet exposé,
qu'au Canada, durant les années soixante-dix, M. Trudeau avait fait un
choix. Il avait lui-même souligné - ce que vous avez
mentionné - notre grande dépendance dans notre relation
commerciale avec les États-Unis et le besoin pour le Canada de s'ouvrir
sur le reste du monde. Cela s'est fait. Cela se fait encore. J'ai
personnellement comme mission, comme vous le savez, d'amener des entrepreneurs,
des femmes, des hommes d'affaires canadiens et québécois en pays
étrangers, de leur faciliter la chose. Mais, pendant toute cette
période où, en même temps qu'on refermait le Canada par
l'agence de tamisage des investissements, d'autre part, par une foule
de politiques, par l'aide et le soutien de l'ACDI, de la SEE, etc., on
voulait ouvrir le Canada et diversifier nos marchés. Malgré tous
ces efforts, la proximité de ce marché, l'accès de ce
marché a fait que la proportion de nos exportations a augmenté
substantiellement avec les États-Unis par rapport è celles du
reste du monde, malgré un grand effort.
Alors, comme gouvernement, on a à faire face à cette
réalité. Je suis totalement d'accord avec vous qu'il faut
s'ouvrir au reste du monde, mais, pour le moment, il y a des dizaines de
milliers d'emplois de travailleurs et de travailleuses du Québec et du
Canada qui sont menacés par cette espèce de peur collective qui
amène des gestes que je dirais même intempestifs de la part des
législateurs américains qui sont aiguillonnés par des
créneaux industriels et qui y voient un profit immédiat dans le
contexte actuel. Nous ne pouvons faire autrement que de chercher à nous
donner une façon plus civilisée de régler nos
différends et de ne pas être assujettis à cette action
unilatérale, sauvage, que les Américains utilisent lorsqu'ils
font appel à leurs "Trade Remedy Laws".
Je vous remercie très sincèrement. Comme je vous le
disais, vous m'avez rappelé des souvenirs. Vous m'aviez appris certaines
choses de la réalité quand j'étais étudiant. Je
comprends votre position. Je respecte votre opinion et je vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre.
Est-ce que vous vouliez ajouter un commentaire, madame?
Mme Parent: Oui. Je voudrais dire que, malgré ce sentiment
aux États-Unis dont vous parliez, cette espèce de peur
collective, en haut lieu, on n'a vraiment pas si peur. The Wall Street Journal
nous disait, il y a quelque temps, que le gouvernement américain aurait
tort de ne pas tout faire pour avoir une entente de libre-échange avec
le Canada, que ce serait un grand avantage pour les Etats-Unis que d'aller plus
tard aux discussions du GATT et de dire: Voici l'exemple du genre
d'échange que nous voulons. Le modèle serait le
libre-échange Canada-États-Unis où les services seraient
compris, où il y aurait une intégration beaucoup plus grande et,
quand il s'agit d'une intégration d'économies - et cela aura ses
effets politiques aussi - entre un géant et un petit, on sait qui va
dominer. Les États-Unis ont beaucoup plus de difficultés à
passer la rampe et ses idées au GATT où il y a les pays de
l'Europe de l'Ouest, il y a le Japon, enfin, il y a des économies
très fortes qui préfèrent garder pour leur propre pays des
réserves, des mesures de protection et en venir à des
échanges beaucoup plus équilibrés. Je pense que, si nous
tombons dans le panneau et que nous abandonnons ces droits, nous serons
à la merci des États-Unis et, bien que ce soit beaucoup plus long
et beaucoup plus dur d'arriver à quelque chose au GATT, nous devrions
participer plutôt aux discussions de ce côté et garder tous
nos droits.
M. MacDonald: Je vous ferai l'observation suivante: nous
participons au GATT. Je suis moi-même allé au GATT. J'ai
participé à l'ouverture du round d'Uruguay. Nous sommes
présents en tant que province avec le fédéral. Je dois y
retourner. C'est un véhicule qu'on ne néglige en aucune
façon.
Si vous me permettez une dernière petite remarque, le
Washington Post et le New York Times s'étaient
associés dans ce langage qu'ils avaient, favorisant une relation
commerciale convenable, meilleure, entre le Canada et les États-Unis, au
moment de ce fameux litige sur le bois d'oeuvre. Mais personne, en haut lieu ou
non, n'a écouté ce langage, l'épée est
tombée et cette charge nous est arrivée sur la tête d'une
façon sauvage et cela n'a pas changé. Je suis d'accord, et c'est
réconfortant d'ailleurs de savoir qu'il y a quelques gens qui sont
encore raisonnables au sud de la frontière. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. M.
le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): M. le Président, merci. Mme Parent,
Mme Lalanne, M. Poirier, merci d'être là ce soir pour nous livrer
ce que vous nous avez livré. Je serai très direct en vous disant
que, Mme Parent, vous avez un nom prédestiné. Cela fait rire le
ministre, mais il y a eu un premier ministre, Simon-Napoléon Parent, en
1901.
M. MacDonald: II y a eu un MacDonald aussi.
M. Parent (Bertrand): II y a eu un MacDonald d'ailleurs.
M. MacDonald: Lui n'était pas bilingue.
M. Parent (Bertrand): Et lui n'était pas bilingue. Je vous
dirai, Mme Parent, au nom de Solidarité populaire que vous
représentez, que vous êtes un excellente porte-parole.
J'ai eu la chance de prendre connaissance de votre rapport sur cette
commission populaire itinérante. Par rapport aux propos que vous tenez
aujourd'hui et à l'égard de ce rapport, j'aimerais faire quelques
commentaires. J'aurai peu de questions. C'est davantage pour vous souligner
là où je suis d'accord et là où je ne le suis pas.
Je dois dire que, dans l'ensemble, je suis d'accord avec vous, sauf
que la conclusion à laquelle vous en venez, quant à votre
prise de position, est un peu différente de la nôtre, mais, si je
portais le chapeau que vous portez, je ne suis pas sûr que ce serait
différent.
À la page 11, vous dites; "De partout, un seul cri d'alarme."
Votre commission itinérante est passée par
Rivière-du-Loup, Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières,
Montréal, Victoriaville, Hull et Rouyn, pour demander aux gens de venir
présenter leurs idées. Mon premier commentaire, c'est de vous
dires Chapeau! Vous avez fait un travail que beaucoup de gens n'ont pas fait.
Votre cri d'alarme - j'espère que M. le ministre le reçoit
très bien et le gouvernement aussi -se veut un cri d'alarme de la
population qui est aux prises avec les problèmes de tous les jours,
c'est différent des cris d'alarme qu'on a reçus ici du monde des
affaires, des différentes associations qui parfais se situent, pour
toutes sortes de raisons, à un autre niveau.
Je me permettrai de lire le passage de votre rapport à la page 11
parce que je trouve cela révélateur: "Un très grand nombre
de personnes issues, pour la plupart, des groupes impliqués dans la
défense des droits fondamentaux et légitimes du Québec
populaire sont venues exprimer devant la commission leurs craintes face aux
multiples formes de désengagement de l'État. "Selon ces
témoignages, les Québécoises et Québécois
travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles et
réussissent de moins en moins à se trouver un emploi. Quand ils
en trouvent, ce sont des tâches mal protégées, mal
payées, à temps partiel, de courte durée et sans
guère d'espoir à moyen terme. (21 h 30) "Ces
Québécoises et Québécois vivent en même temps
des situations de soins de santé qui se dégradent sans cesse. Ils
connaissent des conditions de vie et de loisir de plus en plus
négligées. Ils se retrouvent dans des conditions de formation de
plus en plus pénibles. Et ils voient la protection de leurs revenus
fondre d'un rapport à l'autre, d'une décision politique à
la suivante.
Femmes, jeunes, personnes âgées, personnes
handicapées, résidants de régions éloignées
ou des centres-villes et la liste pourrait encore s'allonger... Tous et toutes
démontrent, à travers des témoignages souvent
émouvants, en quoi le dégagement de l'État les touche
quotidiennement.
Je trouve que c'est un message important par rapport au rôle que
joue actuellement le gouvernement et, surtout face au libre-échange, par
rapport à ce désengagement de l'État qui se doit, à
mon avis, d'être exactement l'inverse si on veut être capables de
faire face à cette nouvelle compétitivité.
Je ne citerai, dans les pages suivantes, que de grands titres qui sont
révélateurs. Je pense que ce document a été
publié en mille copies en mai 1987 et mille copies en août 1987.
Mme Parent, je pense que ce document devrait être distribué en
plus grand nombre. À la page 12, le titre est "L'emploi: une
denrée de plus en plus rare". À la page 13, dans un paragaraphe
que je retiens, concernant la Société générale de
financement, vous dites qu'elle a joué un rôle déterminant
dans le développement de notre industrie forestière. Et Dieu sait
s'il y en a un qui s'est battu pour cette cause qui est celle des
sociétés d'État particulièrement dans le domaine de
l'industrie forestière. "Mis à part la SGF, dites-vous, il
n'existe pas, dans le secteur industriel québécois, un seul
"holding" susceptible d'acquérir ces sociétés en donnant
des garanties de développement ayant le même effet synergique
observé dans 'les investissements faits par la SGF avec Donohue et
Domtar."
Je me permettrai de citer la page 19 où vous dites: "Vivre sans
emploi, ce n'est pas une vie." À la page suivante: "Le libre jeu du
marché équivaut à des pertes d'emplois", et ces
titres-là parlent d'eux-mêmes. À la page 28: "Vivre sous le
règle des Boubou-Macoutes". À la page 32: "Les femmes: toujours
en reste". A la page 37: "Les jeunes: une relève laissée pour
compte". À la page 40: "Un âge d'or qui n'a rien de la retraite
dorée". A la page 43: "Les personnes handicapées: un espoir
d'autonomie déçue". À la page 46: "La santé et les
services sociaux: arrêtez l'hémorragie". À la page 50:
"L'éducations des acquis collectifs remis en question". À la page
55: "Le logement: une nécessité de moins en moins accessible".
À la page 62: "Le loisir, droit ou privilège?"
Mme Parent, votre message, je pense, devrait être reçu
positivement de la part du gouvernement, mais, tout au moins, il est
reçu de notre part très positivement. C'est facile, dans le monde
dans lequel on vit, de critiquer, mais, lorsqu'on voit les nouvelles
règles du jeu qui s'amorcent face au libre-échange et votre
préoccupation et votre non face à toute entente qui pourrait
intervenir, moi, je les crois justifiés, par rapport aux
énoncés que j'ai tout simplement cités et sans vouloir
charrier. Je pense que vous êtes dans votre droit lorsque vous laissez
entendre ce cri d'alarme venant de toutes les couches de la
société.
À la page 97, et je termine là-dessus, vous dites: "De
toute évidence, l'État a fait un choix et ce n'est pas le
nôtrel Le nôtre se loge du côté du plein emploi. Les
témoignages sont unanimes à cet égard."
Bien sûr que, lorsqu'on assiste à une commission
parlementaire comme celle que l'on vit depuis une soixantaine d'heures, on
entend toutes sortes de sons de cloche, mais le vôtre est assez
particulier. J'espère que le gouvernement - et j'en suis persuadé
- ne
fera pas la sourde oreille face à ces préoccupations de ce
qu'on se plaît à appeler aujourd'hui le monde ordinaire, le monde
de tous les jours, le monde qui est aux prises avec les vrais problèmes,
ce que les syndicats ont souvent appelé le vrai monde.
Vous savez, je ne prétends pas - ni moi ni ma formation politique
- être le grand défenseur de tout le monde, mais j'ai certes une
préoccupation. Je vais porter tout haut votre voix et je vous encourage
à continuer à le faire parce que ce que vous véhiculez,
c'est ce que monsieur et madame de tous les secteurs véhiculent tous les
jours par rapport aux préoccupations d'un gouvernement qui n'a
peut-être pas cette attention particulière par rapport à
tous ces groupes de la société qui seront frappés demain
par les nouvelles règles du jeu qu'on a appelées le
libre-échange. Même si cette formation politique que je
représente est en faveur d'une libéralisation des
échanges, mais à certaines conditions: nous demandons de prendre
soin de vos préoccupations, je vous dis que nous allons veiller au
grain, que nous allons veiller è ce que le gouvernement, dans tous les
secteurs d'activité et pour toutes les classes de la
société, dans toutes les régions du Québec, s'il y
a libre-échange, en fasse une réussite au Québec. Tout en
comprenant vos préoccupations et la position que vous prenez par rapport
aux intérêts que vous défendez, je vous dis: Continuez
à vous battre pour cette cause et continuez à porter très
haut les propos que vous tenez dans ce document parce que je pense qu'ils sont
vraiment véridiques par rapport à ce qui se passe actuellement.
Mme Parent, je vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau): Vous vouliez ajouter un
commentaire?
M. Poirier (Yvon): Oui, si cela est possible. C'est une
réaction aux commentaires de M. le ministre tantôt sur le fait
que, finalement, la principale raison pour laquelle les gouvernements au Canada
maintiennent que le libre-échange serait intéressant, c'est la
menace américaine sur nos emplois et le protectionnisme
américain. Donc, d'une certaine façon, le libre-échange
est vu comme une mesure défensive face au protectionnisme
américain. Sans être expert de la question, j'ai suivi
l'actualité depuis une vingtaine d'années et cette approche
m'inquiète parce que je pense qu'il faut voir ici que le protectionnisme
américain actuel est lié aux difficultés de
l'économie américaine. Si je regarde ce qui se passe depuis un
bout de temps, de 1945 à 1970 environ, l'économie
américaine a été assez dominante dans le monde occidental.
Dès 1970, elle a commencé à être moins
compétitive face au Canada, à l'Europe et au Japon. Je me
rappelle que M. Nixon avait imposé des tarifs de 10 % d'un coup parce
que cela n'arrivait pas dans le commerce. Graduellement, depuis cette
époque, ce que j'ai pu voir, c'est que la situation de l'économie
américaine a continué à se détériorer au
point où il y a eu un déficit commercial fantastique causé
en partie par les Américains eux-mêmes parce que, d'après
ce que j'ai vu dans les journaux, pratiquement la moitié des
importations viennent de succursales américaines qui sont
installées à Taiwan ou un peu partout.
Donc, ils sont pris eux-mêmes avec des décisions qui ont
été prises ou qui n'ont pas été prises. Alors, une
libéralisation poussée avec les États-Unis pourrait nous
mettre à leur merci parce qu'il n'y a rien qui empêcherait le
déficit américain de continuer quand même. À un
moment donné, il va certainement y avoir du côté
américain des mesures de prises dans les prochaines années et
elles ne toucheront pas seulement le Canada. Le protectionnisme
américain, on en parle face au Japon et on en parle face à
l'Europe. De gros débats au plan multilatéral s'en viennent et il
serait bon de s'asseoir et de regarder, avec les autres partenaires commerciaux
des Américains qui sont en surplus face aux Américains, ce qu'on
va faire face à cela. Je ne suis pas sûr qu'on puisse
régler cela seuls avec les Américains, loin de là. C'est
lié au fait qu'après qu'on aura fait le traité, on sera
pris avec et les décisions de toute nature que prendront les
Américains, fiscales ou autres, vont probablement nous influencer plus
qu'elles ne le font déjà maintenant. Si on en arrive au fait que,
sur le plan budgétaire et fiscal, an doive s'aligner encore plus sur les
Américains, c'est ce qu'on a décrit et ce qui vient d'être
expliqué.
Regardons la situation que le député de Bertrand a
soulignée par rapport à ici: le chômage, les jeunes, etc.
Mais je pense qu'entre nous on peut dire qu'aux États-Unis le niveau de
pauvreté et les coupures qu'il y a eu depuis que le gouvernement
américain est là sont pires. Si ce type de société
se transpose ici sans que ce soient des ordres directs ou des choses comme
cela, notre économie risque de devenir trop imbriquée dans
l'économie américaine. Ce sont les inquiétudes qu'on peut
avoir à la lecture de l'actualité et des événements
des dernières années.
M. MacDonald: Je saisis vos préoccupations. Je vous
suggère, si on peut vous le remettre... Il faudrait trouver un moyen;
peut-être pourriez-vous le demander au secrétaire. Mais ce matin,
M. André Raynauld a fait un exposé assez intéressant qui
s'associe très bien à vos préoccupations et qui trouve le
grand coupable des problèmes américains comme étant leur
fiscalité. Je vous donne cela comme
renseignement et je suis sûr que, de la façon dont vous
avez approché votre exposé, vous seriez intéressés
à lire cela.
J'aimerais conclure en disant que le genre de société, si
je peux employer le terme, qu'ont les États-Unis n'est pas le genre de
société que nous avons. Je suis d'accord. Ce n'est pas le genre
de société que je voudrais voir ici non plus. Lorsqu'on a
statué au départ que les programmes sociaux, les acquis et la
spécificité canadienne et québécoise
n'étaient pas négociables, c'est une position sur laquelle nous
n'avons pas changé. Je répète ce que j'ai mentionné
à quelques reprises aujourd'hui, l'impasse dans laquelle M. Reisman se
trouve avec M. Murphy est due justement à ces sine qua non canadiens et
québécois dans cette négociation.
Or, je ne peux que conclure en vous disant que nous sommes
disposés à protéger l'accès au marché et les
jobs. Nous sommes disposés à avoir une plus grande
libéralisation dans certains domaines, mais pas à n'importe
quelle condition-
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand, un dernier commentaire?
M. Parent (Bertrand): En terminant, puisque notre temps est
presque écoulé, Mme Parent, Mme Lalanne et M. Poirier, je vous
dirai que votre message et la vivacité avec laquelle vous l'avez
livré, particulièrement vous, Mme Parent, m'ont
profondément touché. Je suis sincère, je pense que vous
avez été assez impressionnante dans le message que vous avez
livré. Soyez assurés qu'on va se battre pour que nous puissions
garder ici au Québec les préoccupations qu'a mentionnées
il y a quelques minutes M. Poirier, garder notre qualité de vie et que
le gouvernement, quel qu'il soit - le gouvernement qui est en train de
négocier à Ottawa et le gouvernement qui est en train de
négocier à Québec - puisse s'assurer que nos droits acquis
soient protégés et, si possible, à cause du
libre-échange, que nous puissions même voir une
amélioration. Cela fait partie de nos préoccupations et je suis
sûr que si jamais on réussit ce que j'appelle ce tour de force, on
pourra faire grandir le Québec mais au moins en gardant et conservant ce
que nous avons comme acquis. Je pense qu'on pourra se revoir dans quelque temps
et dire: Mission accomplie. Merci de votre participation.
Mme Parent: Si vous ie permettez, M. le Président...
Le Président (M. Charbonneau): Oui.
Mme Parent: ...Mme Lalanne voudrait dire quelques mots.
Mme Lalanne (Jeanne): Je ne voudrais pas passer ici à
l'Assemblée nationale sans vous dire un mot, avec beaucoup
d'émotion et de respect. Je n'ai pas grand-chose à ajouter
après Mme Parent, évidemment, mais je voudrais vous dire que nous
ne sommes pas contre les échanges comme tels. On pourrait même
être pour les échanges planétaires si c'était
à notre avantage, mais nous ne voudrions pas recevoir moins que ce que
l'on donne. C'est certain que si les États-Unis nous envahissent, gros
comme ils sont, cela va toucher, d'après le rapport de M. Racicot, de
l'ACEF - j'espère que vous l'avez reçu ici - 840 000 personnes.
Quand on considère qu'il y a déjà 600 000 assistés
sociaux et 400 000 chômeurs ici, que les lois et mesures sociales sont
déjà très restreintes et que ces gens-là ont de la
misère à manger et à vivre, on est très inquiets de
voir qu'il pourrait s'en ajouter plus à cela. C'est vraiment la classe
prédominante que nous défendons ce soir et non pas la classe
dominante. J'espère que vous l'avez compris, cela paraît en tout
cas. On voudrait échanger, par exemple, des pommes contre des oranges
avec les États-Unis, mais vraiment en quantité égale. On
ne voudrait pas être envahis de...
La question qu'il faudrait se poser est: Combien cela va-t-il nous
coûter pour payer moins cher sur le coup? Je pense que cela serait une
bonne question. Si vous achetez une marchandise des États-Unis parce
qu'il n'y a pas de douane dessus, cela ne va pas coûter cher sur le coup,
mais, à la longue, les gens ne pourront pas se la payer parce qu'il va y
avoir tellement de chômeurs et de chômeuses additionnels que les
rares personnes qui vont encore travailler vont avoir tellement d'impôt
à payer qu'elles n'auront même plus le pouvoir d'achat
nécessaire pour se la payer même si c'est moins cher. C'est le
dernier petit message que je vais vous laisser.
Le Président (M. Charbonneau): Madame, sur ce message, je
peux vous dire -étant du côté de l'Opposition mais aussi
président de cette commission parlementaire - que je pense que tous les
députés qui participent à ces travaux ne veulent pas non
plus avoir moins comme résultat pour le Québec. On a, bien
sûr, des théories et des idéologies différentes sur
un certain nombre de choses, mais je pense que l'objectif est qu'on en ait plus
pour le Québec. J'ai l'impression qu'on a assisté ce soir
à une espèce de rencontre de deux commissions: la nôtre,
celle de personnes qui sont élues par la population et qui essaient de
faire honnêtement un travail important, et aussi la vôtre, la
commission populaire itinérante sur le désengagement de
l'État. Quand on regarde le travail qui a été fait,
j'aurais le goût de vous dire, comme ancien journaliste,
que le problème d'action des groupes populaires est souvent la
façon dont ils sont couverts par les médias d'information. C'est
souvent comme s'il y avait deux sociétés. Il y a tout un travail
d'information, de prise de conscience et de réflexion de beaucoup de
citoyens qui n'arrive pas souvent à avoir de résonance dans la
grande opinion publique ou la grande actualité. Si on a pu humblement
faire que vos travaux, durant ces mois, ne passent pas inaperçus
auprès du grand public et que votre document puisse circuler un peu
plus, ce sera cela de plus dans l'acquis que vous pourrez enregistrer à
la suite de votre présence parmi nous ce soir. Tous les membres de la
commission ont apprécié les discussions que nous avons eues et
nous espérons avoir d'autres occasions, à la commission de
l'économie et du travail, de vous recevoir et de discuter avec vous sur
d'autres questions importantes. Merci beaucoup de votre participation et
à la prochaine.
Les travaux de la commission sont ajournés à mardi
prochain, 10 heures.
(Fin de la séance à 21 h 49)