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Version finale

33rd Legislature, 1st Session
(December 16, 1985 au March 8, 1988)

Friday, September 18, 1987 - Vol. 29 N° 73

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les Etats-Unis


Journal des débats

 

(Dix heures deux minutes)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

Bonjour tout le monde. La commission de l'économie et du travail reprend, ce matin, sa consultation générale en ce qui a trait à la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Pour cette journée de vendredi, voici l'ordre du jour. Nous accueillerons d'abord M. Jean Blouin qui, si je ne m'abuse, est auteur d'un volume sur le libre-échange; si je me trompe, on me corrigera. Par la suite, on accueillera l'Association des manufacturiers canadiens, qui sera suivie de l'Association des éditeurs canadiens et la Société des éditeurs de manuels scolaires du Québec. Cet après-midi, l'Institut québécois du cinéma débutera et sera suivi par l'Association du disque et de l'industrie du spectacle québécois, par l'Union des écrivains québécois et, finalement, par la Société nationale des Québécois de Lanaudière.

Est-ce qu'il y a des remplacements?

M. Théorêt: Oui, M. le Président. M. Farrah (Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par M, Després (Limoilou), M. Hétu (Labelle) est remplacé par M. Gauvin (Montmagny-L'Islet), M. Rivard (Rosemont) est remplacé par M. Lemieux (Vanier).

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le vice-président. En fait, je voudrais indiquer à M. Blouin qu'il y a une heure de réservée pour la présentation et la discussion; d'abord, il y a une première partie de 20 minutes qui sera consacrée à la présentation de votre ou de vos points de vue et le reste du temps sera être réparti, à part égale, pour des échanges avec vous.

Sans plus tarder, je vous laisse la parole.

M. Jean Blouin

M. Blouin (Jean): J'aimerais d'abord situer les paramètres à l'intérieur desquels se place mon intervention ici, ce matin. D'une part, je dois dire que je ne suis pas un spécialiste du libre-échange, ni comme concept global, ni sous l'une ou l'autre de ses dimensions. J'ai abordé cette question comme journaliste, d'abord pour une chronique à L'Actualité et, sur cette lancée, j'ai fait un livre qui a paru en septembre dernier et qui reste paradoxalement très à jour parce qu'il n'y a pas eu beaucoup d'évolution publique sur la question.

Ma spécialité, c'est de rendie accessibles au grand public des sujets que des gens, des élites peuvent vouloir garder un petit peu sous le manteau. C'est mon métier» ce sont mes intérêts aussi.

Le deuxième paramètre, je ne suis pas partisan dans cette question: Depuis 18 mois, l'on m'invite généralement dans les débats contradictoires entre un pour et un contre. Je deviens même régulièrement le synthétiseur d'idées - ce qui est beaucoup moins payant que d'être le synthétiseur de son pour Madonna! - mais je reste non partisan. D'ailleurs, sur cette question, je relève un premier parallèle qu'on peut faire avec une question qui a été beaucoup débattue dans le passé, je pense qu'on peut faire une impressionnante série d'arguments pour le libre-échange et contre le libre-échange. Là n'est pas la question. Pour ma part, j'aime bien questionner le silence des protagonistes parce que, dans cette question, les silences sont nombreux. Quand on connaît la valeur de ce qui est caché souvent, c'est important.

Bref, je me situe carrément sur le terrain sociopolitique du sujet.

Une première chose me saute aux yeux, c'est le caractère très peu démocratique et même antidémocratique de l'ensemble du processus: depuis l'offre de négocier une entente de libre-échange jusqu'à cette commission parlementaire que je trouve pour le moins tardive, en passant par toute la cachotterie qui a entouré tout ce débat et cette organisation.

Je passe rapidement sur la mise en marche de cette offre de négocation. Je la trouve improvisée. Le premier ministre Mulroney n'avait même pas obtenu l'accord des provinces ou ne les avait même pas consultées et n'avait pas consulté les grands agents de l'économie. Je pense qu'on ne lance pas une négociation de cette nature sans une consultation et un consensus minimaux. Par ailleurs, le chef du Parti conservateur n'avait pas non plus obtenu de mandat populaire aux élections de septembre 1984. Cela n'avait même pas été souligné d'une manière ou d'une autre dans les programmes politiques de l'époque de telle

sorte que le débat a été mal lancé, à mon sens, parce qu'il a tout de suite épousé des clivages de partis politiques ou des clivages idéologiques de telle sorte qu'aujourd'hui on s'aperçoit que l'opinion en faveur du libre-échange décroît au fur et à mesure que la popularité du Parti conservateur décroît.

Par ailleurs} je trouve que ces négociations sont menées depuis le début par une poignée de technocrates qui sont, par essence, des gens peu enclins au débat démocratique. C'est une engeance que je respecte beaucoup, mais qui affectionne surtout les jeux de coulisses et d'ombre. Pour les technocrates, les parlements sont des empêcheurs de négocier - je n'ose pas dire négocier en rond - ils sont peuplés par des gens qui ne connaissent pas grand-chose à cela. Je pense qu'ils ont la même opinion, d'ailleurs, des journalistes de la presse écrite ou électronique qu'ils considèrent comme un mal nécessaire. Par ailleurs, ces technocrates peuvent s'entourer de conseillers qui sont des clercs ou généralement des économistes et cela n'élargit pas la base démocratique de l'organisation.

Le résultat de ce que j'appellerais une récupération technocratique, c'est que les politiciens eux-mêmes ont évacué le sujet. J'ai prononcé plusieurs conférences Tan dernier sur le libre-échange. J'ai eu l'occasion de rencontrer des députés du Parti conservateur à Ottawa, des gens pourtant, qui devraient être au courant et qui m'ont avoué carrément qu'ils ne savaient rien sur le sujet, que je leur ai appris, semble-t-il, ce qu'était le libre-échange - j'étais très honoré de tout cela - et qu'ils n'étaient pas au courant de ce qui se passait. Je trouve cela très anormal. Les politiciens qui en ont parlé l'ont fait en technocrates, je trouve. Je ne sais pas si c'est un cas typique de contamination par contacts, mais ils l'ont fait en des termes tellement vagues, ennuyants, démobilisateurs que cela a contribué à la désaffection de la population plutôt qu'à l'intéresser. Je vous dis, quant è moi, que, dans la population, on n'y comprend rien. J'ai fait le tour d'universités, de cégeps, de chambres de commerce, de clubs Richelieu, je vous jure que c'est la grande noirceur.

Pour ce qui est de la commission parlementaire, je la trouve un peu inutile et, par certains côtés, je la trouve un peu caricaturale. Je vais m'expliquer. Je pense que cette commission aurait dû se tenir dès le début, il y a deux ans. Je pense même qu'elle aurait peut-être dû se transformer en commission permanente. Il me semble aussi qu'il y avait là un sujet assez important pour qu'on lui consacre beaucoup de temps. Inutile aussi parce que je sais que le gouvernement québécois a déjà fait son lit sur la question.

Le côté caricatural de la commission, c'est que, à deux ou trois semaines de l'échéance des négociations, que pensez-vous que les organisations vont venir vous soumettre comme position? D'ailleurs, plusieurs viennent vous soumettre le même mémoire qu'elles ont soumis au groupe Warren aux mois de novembre et décembre derniers. On va vous soumettre des positions tranchées, sans nuance, parce que trop près de l'échéance. Je pense que vous aurez couru après parce que, si près de l'échéance, vous ne faites pas appel à leur intelligence, mais à leur instinct de conservation. Ce sont des gens qui vont venir négocier à partir d'une position idéale.

Par ailleurs, l'opposition générale - tout le monde la connaît là-dedans - me rappelle le titre d'une chanson de Petula Clark: Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir. En gros, c'est cela.

Pour ce qui est des positions particulières de chaque organisation, j'ai consulté la liste des intervenants. Je vous jure que j'aurais pu vous les résumer très facilement en dix lignes. Ce que le futurs perdants veulent savoir, que ce soit des régions ou des secteurs, c'est ce qui les attend après. Est-ce que c'est un suicide collectif à la Jonestown ou est-ce que ce sont des mesures de transition quelconques? Si ce sont des mesures de transition, lesquelles? Dans cette question du libre-échange, l'acceptation ou le rejet d'une entente de libre-échange dépendra énormément de ces mesures que les gouvernements vont mettre en place avec le secteur privé pour relancer ou pour convertir les secteurs ou les régions qui seront perdants dans cette question-là.

De telle sorte que je vous dis qu'il faut que le pouvoir politique rapatrie d'urgence les règles du jeu et, par pouvoir politique, j'entends les législateurs. Je suis un peu fatigué d'entendre parler du secret des négociations, c'est un mot qui commence à me rendre agressif, aussi agressif que le mot culture rendait agressif Goebbels qui voulait sortir son revolver chaque fois qu'il l'entendait. Nous voilà à la fin du mois de septembre, à deux semaines de la victoire totale de l'oligarchie technocratique. Ce n'est pas mon modèle de société.

Je pense qu'à ce stade-ci il faut que l'antidote soit proportionnel au mal et je propose qu'il y ait consultation du public sur cette question sous forme de référendum. Il faut qu'on cesse de jouer au chat et à la souris avec la population. Un référendum obligerait tes élus à s'y intéresser, à consulter la population, à se faire le porte-parole des craintes des gens, impliquer le public là-dedans. L'information doit circuler et la population décidera, dans un deuxième temps, à moins que le gouvernement ne croie que ce n'est pas une question sérieuse ou que cela ne dépasse l'entendement des simples citoyens. Je n'ose pas croire cela.

Ce traité doit avoir, c'est certain, s'il y a entente, des conséquences beaucoup plus importantes que le simple mandat de négocier un accord de souveraineté culturelle qui avait été demandé par le précédent gouvernement et, pourtant, il avait fait un référendum sur le sujet. On est devant un choix de société et non pas devant une simple option économique. Ultimement, l'économie est subordonnée au social et non l'inverse. Si le Québec ou le Canada veut qu'une plus grande partie de sa richesse collective serve à aider les miséreux, c'est de ses affaires; ce n'est pas une loi économique qui va empêcher cela. Quand la population décide, elle sait compter généralement. Par ailleurs, j'entends souvent l'argument que c'est inéluctable qu'on se dirige vers cela. Je vous rappelle qu'en histoire il n'y a rien d'inéluctable, surtout pas les lois économiques. Celles-ci peuvent nous crier qu'on s'en va dans tel sens, c'est à la société de rester maître de joindre ou non le peloton et de le faire à ses conditions.

Par ailleurs, je trouve que les économistes ont pris dans ce débat une importance démesurée. Jusqu'à maintenant, je les qualifierais de vrais gagnants des négociations. On en a fait les grands devins, les conseillers de la reine. On les engage pour faire des études de toutes sortes et je vous jure que ces gens écrivent mal. Il me semble qu'il y a là une surappréciation des économistes qui doit faire se retourner dans sa tombe M. Caouette qui disait: Présentez-moi un économiste qui dit blanc; je vais en trouver deux autres qui vont dire noir tout de suite, sur-le-champ. C'était la façon créditiste de nous rappeler que l'économique est une science humaine faillible, idéologique. Par ailleurs, vous n'avez qu'à écouter deux économistes un à la suite de l'autre et vous verrez ce que cela va donner sur une même question. Vous allez entendre l'Association des manufacturiers canadiens ce matin. Leurs économistes ne vont pas dans le même sens que ceux de la CSN.

Je pense qu'il faut rappeler que la science économique est impuissante pour des enjeux globaux et à moyen terme et relativement impuissante aussi pour le court terme. Ces gens peuvent photographier le présent, mais ne peuvent pas aller bien au-delà de cela.

Donc, on se retrouve ce matin avec Simon et Peter dans leur tour d'ivoire technocratique avec la bénédiction des gouvernements, une absence de débat dans la population où l'indifférence le dispute à l'ignorance. Je pense qu'on se dirige simplement vers un cul-de-sac. Actuellement, c'est le préjugé et le slogan qui tiennent lieu de jugement collectif et je pense que les élus en sont responsables; ils ont gardé sous le manteau cet important débat. Je pense qu'il faut lancer le débat et le baliser de façon intelligente, même s'il faut pour cela contrebalancer les groupes de pression. (10 h 15)

J'aimerais souligner rapidement quelques vérités élémentaires qu'il faudrait rappeler constamment dans ce débat ainsi que des leurres et omissions qu'il faudrait corriger à mesure qu'ils sortent dans le public.

Par exemple, c'est sûr qu'idéalement tout le monde devrait vivre en autarcie, mais ce n'est plus possible au plan international, encore moins entre le Canada et les États-Unis qui forment la plus grande zone bilatérale de commerce au monde. Vous savez comme moi que le plus grand client après le Canada, pour les États-Unis, ce n'est pas le Japon, mais l'Ontario. Donc, ce sont deux pays qui - je m'excuse du néologisme pas très heureux - se "siamoisissent".

L'intégration économique est très avancée, alors que les deux pays ont toujours voulu le contraire. La seule politique économique qu'on avait au XIX siècle jusqu'à la dernière guerre mondiale, c'est une politique protectionniste des deux côtés. La seule politique que le Canada s'est donnée après, c'est celle de M. Trudeau, dite de la "troisième option", qui voulait diversifier nos échanges commerciaux, et il faut entendre par là diminuer ceux avec les Américains. Or, pendant que cette politique de M.Trudeau était en vigueur, les échanges avec les Américains ont augmenté de 70 % à 80 %. Autrement dit, les échanges Nord-Sud sont d'un naturel absolument effarant.

Dans le mariage entre les deux pays, c'est le Canada qui est le plus dépendant des deux parce qu'il dépend davantage du commerce extérieur et parce que c'est avec les États-Unis qu'il effectue le maximum de ses échanges. On peut bien décider, demain matin, de fermer la frontière, j'entends des groupes dire qu'on va consommer québécois et canadien, et décréter que c'est fini, les échanges avec les autres pays et les Américains, le fait est que la riposte de Goliath sera de même nature, et on n'a pas de marché intérieur pour répliquer à ce que les Américains pourraient faire.

Devant ces faits, il me semble que les deux seules questions intelligentes que l'on puisse se poser sans basculer dans l'idéologie creuse sont les suivantes: Faut-il coiffer cette intégration croissante et rendue à un stade très avancé d'une entente formelle et globale de libre-échange? Deuxièmement, faut-il le faire à ce moment-ci?

Je dis qu'aucune des réponses n'a le monopole de la vertu. Il s'agit d'un choix et le libre-échange ne représente ni une réincarnation du diable ni la panacée tant attendue à nos maux économiques. Cela ne transférera pas non plus le soleil de la

Floride sur le lac Saint-Jean. C'est un moyen et tout est relatif et conjoncturel.

J'ai écrit que le libre-échange constituait une politique économique par défaut, c'est-à-dire qu'on compte sur la concurrence directe avec les entreprises américaines pour que s'effectue une espèce de sélection naturelle des entreprises canadiennes. Autrement dit, seules les meilleures survivraient. Je dis que, d'une part, c'est vrai qu'on n'a pas de politique économique au Canada ni au Québec, peut-être que, faute d'une vraie politique, celle-là est mieux que rien. Mais je dis qu'indépendamment du libre-échange les entreprises canadiennes vont faire face à une concurrence accrue, parce que le contexte international s'y prête, et vont devoir finalement prendre des décisions radicales concernant leur spécialisation, leur fusion et l'acquisition d'autres entreprises. Mais il faut dire aux adversaires du libre-échange que le temps des serres chaudes est terminé. C'est très important de le dire, entre autres, aux syndicats et aux secteurs mous.

J'entends le Nouveau parti démocratique et le mouvement syndical -c'est presque tout un, on le sait - qui proposent une série d'accords sectoriels comme solution de rechange au libre-échange qu'ils ont rejeté a priori; ce que je trouve inintelligent. Autrement dit, ils veulent faire à la pièce l'opération plutôt que de la faire globalement. Or, je remarque, d'une part, qu'ils écartent le statu quo comme solution -ce qui est déjà un début d'intelligence -mais je pense qu'il faudrait que ces gens-là annoncent par quelle pièce ils vont commencer, puis, qu'ils aillent proposer aux Américains leur programme pièce par pièce. Je n'ai pas l'impression que les Américains vont accepter un autre pacte de l'auto dans d'autres secteurs de l'économie à court terme. Au moins, dans un cadre global, il y a moyen de compenser les pertes dans un secteur par des gains dans un autre, mais non dans une approche à la pièce.

Je prends toujours avec un grain de sel l'opposition de ces groupes, parce qu'il me semble qu'il y a un antiaméricanisme latent là-dedans. Le Nouveau parti démocratique serait peut-être plus porté vers une entente de libre-échange s'il avait affaire à une grosse Suède au sud et la CSN, si le président Reagan était maoïste, mais en tout cas... Je prends cela avec un grain de sel parce que le NPD et le Congrès du travail du Canada ont été les plus féroces opposants au pacte de l'auto dans les années soixante et en sont devenus les plus grands défenseurs. Quand j'entends MM.

Charbonneau, Laberge et Pépin - ce dernier, à l'université - se déclarer les grands défenseurs du système, je n'oublierai jamais qu'au début des années soixante-dix ces mêmes personnes nous invitaient à casser le système. Alors, est-ce qu'il faut les croire maintenant ou est-ce qu'il faut les croire dans ce qu'ils disaient en 1970?

Chose certaine, je pense - et c'est une affaire de bon sens - que cela devient de plus en plus difficile de gérer des échanges commerciaux qui atteignent 150 000 000 000 $ par année. Peut-être que tout ce qui va sortir des négociations sera un mécanisme des règlements, un tribunal d'arbitrage. Ce sera un petit détour, mais c'est peut-être mieux que rien. Par ailleurs, je ne pense pas que, par ce mécanisme-là, les Américains aliènent complètement leur pouvoir d'intervention. Je ne pense pas nécessairement que tous les secteurs seront touchables par ce mécanisme-là, en tout cas, c'est peut-être mieux que rien, mais il faut mettre fin à la rhétorique du tout ou du rien. Je ne pense pas qu'il y ait de problème non plus pour s'entendre sur les tarifs. Cela diminue au plan mondial. On va juste prendre cette lancée-là. Par ailleurs, peut-être qu'il y aura un code de subvention qui sortira des négociations.

Quelques remarques rapides. Il me reste à peine cinq minutes, n'est-ce pas, M. le Président? Dire que le libre-échange signifierait la fin de la souveraineté du Canada ou du Québec comme société distincte, ce sont des histoires de Bonhomme Sept Heures. On ne connaît pas de cas d'assimilation culturelle dans les autres régimes de libre-échange qui existent à travers le monde. Il me semble que c'est jouer avec les nerfs des gens. Il faut rappeler aux gens aussi que, s'il y a une entente, cela me paraît fondamental, elle va se situer entre le statu quo et une ouverture totale des frontières. Alors, avant de crier que c'est dangereux pour un secteur, pour la culture canadienne ou québécoise, il faut attendre de voir quelle est l'entente et juger à la pièce, vraiment juger à partir de la réalité.

Il ne faut pas non plus leurrer le public en lui disant qu'un accord de libre-échange va ouvrir le marché américain de façon absolue aux entreprises canadiennes ou québécoises. Le Canada ou le Québec ne seront jamais de gros Wyoming aux États-Unis. Cet accès sera toujours limité et réglementé. Le cas de l'entente de libre-échange avec Israël est très révélateur. Israël n'a pas obtenu cet accès absolu ni une préséance du traité sur les lois protectionnistes américaines. Il faut le dire aux gens. Si les Américains ne l'ont pas accordé à Israël qui est un petit pays lointain, ils ne vont pas l'accorder à leur gros voisin avec qui ils font 150 000 000 000 $ d'affaires par année.

Par ailleurs, il y a un aspect qu'on touche de moins en moins - c'est bizarre, parce que M. Bourassa l'abordait de front quand ii était chef de l'Opposition - c'est la

question de la monnaie. Moi, j'ai posé la question au consul américain à Québec, l'an dernier, et il m'a juste souri. Je vous refile la question. Je lui ai demandé: Pensez-vous sérieusement que les producteurs américains vont longtemps tolérer un dollar canadien à 0,75 $? Il ne m'a pas répondu.

Le principal obstacle au commerce, ce sont les barrières non tarifaires, on le sait, et dans ce secteur, les deux pays ont les leurs. Vous connaissez le cas de Bombardier et les problèmes qu'elle a eus à s'installer aux États-Unis. Ces barrières non tarifaires peuvent englober les programmes sociaux quand ceux-ci servent de subventions déguisées à un groupe de travailleurs. Il y a eu l'exempte des pêcheurs des Maritimes. Même l'assurance-maladie est une subvention déguisée, parce que cela libère les entreprises de ce coût. Cela coûte moins cher de construire une voiture au Canada qu'aux États-Unis. C'est donc un engrenage qui peut nous mener loin. Or, ces barrières non tarifaires sont les outils de base de la stratégie économique des États modernes, c'est un attribut de leur souveraineté politique. Alors, moi, je vous dis qu'on se trouve devant un beau dilemme cornélien. Le fait est que les Américains trouvent cela "unfair" et menacent de surtaxer les produits qui sont coupables d'aller à l'encontre d'une saine concurrence. On peut toujours leur dire qu'ils doivent regarder la poutre dans leur oeil, le fait est qu'ils ont le gros bout du bâton et qu'à ce jeu on sort toujours perdant parce qu'on est le plus petit. On a déjà commencé à recevoir sur la tête une pluie acide de lois protectionnistes qui a touché différents secteurs. Il ne faut pas jouer à la vierge offensée, mais il faut négocier avec ces gens-là et peut-être qu'une entente de libre-échange est une façon de le faire.

Voilà! Je voulais parler de souveraineté politique et d'autonomie culturelle. Je voulais aborder la question du Québec, plus précisément. Ensuite, je voulais faire une conclusion qui disait qu'il faut absolument qu'il y ait consultation sur le sujet. Si les députés sont intéressés, on pourra les aborder plus tard.

Le Président (M. Charbonneau): On m'indique ici, et je pense que c'est la même chose de l'autre côté, qu'on serait disposé à vous laisser terminer votre intervention.

M. Blouin: D'accord.

Le Président (M. Charbonneau): Pour environ combien de temps en avez-vous?

M. Blouin: Pas cinq minutes.

Le Président (M. Charbonneau): Ah!

Parfait. Il n'y a pas de problème.

M. Blouin: Qu'en sera-t-il de la souveraineté politique et de l'autonomie culturelle du Canada et du Québec advenant une entente de libre-échange? J'ai toujours posé la question au présent. Qu'en est-il de cette entente, maintenant? Or, il me semble que l'une et l'autre n'en mènent pas large actuellement. À moins qu'on ne considère comme des manifestations de souveraineté politique notre quémandage hebdomadaire à Washington, où on va demander aux Américains d'être exclus des lois protectionnistes qu'ils prévoient pour l'ensemble de leurs partenaires commerciaux. Pour ce qui est de la culture, on consomme américain "à la planche", et même en français.

Voilà qui devrait au moins dégonfler la catastrophe appréhendée par tous les lobbies canadiens de la culture et par les nationalistes canadiens-anglais aussi, ontariens surtout. Je vais ouvrir une petite parenthèse parce que je me souviens du débat autour du référendum. Je suis allé un peu au Canada anglais pour mon travail journalistique. Je trouve cela très ironique qu'on entende les nationalistes ontariens enfourcher le cheval de la culture et de l'identité canadienne alors que, en 1980, je me souviens que certains traitaient cela de fascisant dans sa version québécoise. Il me semble que c'est un ironique retour de l'histoire.

Par ailleurs, les biens culturels circulent déjà en franchise des deux côtés: le litige concerne, encore une fois, les politiques gouvernementales d'intervention: propriété publique, subventions, pourcentage de contenu canadien obligatoire dans les médias, etc. Les Américains, aussi, ont une politique culturelle, j'en ai parlé dans mon livre. Mais je pense qu'il faut vraiment distinguer deux choses: le droit de subventionner le secteur culturel et, deuxièmement, empêcher les industries culturelles américaines de pénétrer le marché canadien. Je pense qu'on peut continuer à subventionner les industries et, en même temps, permettre aux Américains peut-être de franchir la frontière avec leurs propres produits. Je pense que ce sont deux choses très différentes.

Je veux vous dire que je ne nie pas les dangers que représenterait une entente de libre-échange avec les Américains aux plans politique et culturel, mais je veux signifier que le danger appréhendé ne peut qu'être proportionnel à la souveraineté politique et culturelle existante. Or, celle du Canada, de même que celle du Québec, n'est pas très large. Elle me paraît plutôt rabougrie. Je dis qu'il faut la conserver et l'élargir. Il faut cesser la rhétorique du tout comme si, maintenant, on avait une totale autonomie politique et culturelle et la rhétorique du rien qui dirait que, sous une entente de libre-échange, on tombe à zéro. Je pense que

cela est faux.

Le principal danger me semble menacer davantage le Québec comme société distincte du Canada sur un plan très précis. Je pense qu'un accord de libre-échange à court terme obligera à transférer des pouvoirs provinciaux vers le gouvernement central. Il n'est pas question pour les Américains, même s'ils mettent cela sous le boisseau au départ, de se buter à une série de particularismes régionaux. Or, le libre-échange n'existe même pas entre les provinces canadiennes, car les provinces ont un pouvoir de réglementation dans beaucoup de domaines. Du point de vue du Québec, ces pouvoirs servent à affirmer sa personnalité propre.

Dans cet engrenage, est-ce que la loi 101, par exemple, ne va pas se retrouver, un jour ou l'autre, parmi les barrières non tarifaires? D'autant plus que le libre-échange s'Inscrit, selon ses promoteurs - je pense à la commission MacDonald entre autres - dans un retour à la loi du marché. Dans ce retour, le rôle de l'État devrait s'effacer selon eux, évidemment, dans ce contexte. Ce râle est plus important au Québec que dans le reste du Canada et plus important au Canada qu'aux États-Unis. C'est sûr que le libre-échange va entraîner de nouvelles règles du jeu socio-économiques. Il faut au moins le savoir.

Pour terminer, je dirais que, en tant que citoyen, je ne peux pas être intelligemment pour ou contre le libre-échange tant que je n'aurai pas vu le texte de l'entente négociée, qui va se situer entre deux extrémités. Pour l'instant, de mon point de vue, c'est le noir total, je ne le sais pas. De ce qui en filtre, en tout cas, je remarque que les Américains semblent de plus en plus gourmands. J'ai vu leur insistance sur la question des investissements, entre autres; là, ils veulent ouvrir le pacte de l'auto. Chose certaine, je réitère que je veux être consulté à point nommé. Cet accord, qu'il soit total ou partiel, a beau s'inscrire dans l'évolution normale entre les deux pays, il constitue un sérieux coup de pouce à l'histoire et il nous enfonce davantage le pied, je pense, dans le giron américain. C'est peut-être pour le mieux, mais je ne veux pas d'un paternalisme d'État qui consisterait à le faire pour mon bien, mais à mon corps défendant. Je pense que ce qui va toujours distinguer une démocratie d'une république d'experts, c'est la possibilité, que s'offre une véritable démocratie, de consulter les gens touchés par les politiques des gouvernements.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Blouin, pour cet exposé pour le moins très clair, M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. Blouin, merci pour votre présentation; merci, aussi, pour avoir été une des rares personnes - on a eu le plaisir, hier, de recevoir M. Landry - qui se sont penchées sur le sujet, qui ont émis des opinions, qui ont écrit des textes et qui ont cherché à informer. Je reconnais avec vous que, effectivement, même si le dossier a connu ses débuts en mars 1985, cela a pris beaucoup de temps, beaucoup d'efforts de la part des gens responsables du dossier pour créer un certain intérêt, une certaine animation. Dans la presse écrite, on a retrouvé un certain nombre d'articles en progression croissante, mais la presse électronique, par exemple, dont vous connaissez la capacité d'informer et l'influence, a pris beaucoup de temps.

J'aimerais revenir, effectivement, sur la fin de votre présentation pour commenter un peu et avoir vos réactions sur une affirmation que vous faites et où vous dites que le principal danger à une entente me semble davantage menacer le Québec comme société distincte du Canada. Vous précisez que vous croyez que, dans l'administration, dans la gestion de l'entente, il y aurait tendance à une croissance ou à une "recroissance" de la centralisation des pouvoirs vers Ottawa. (10 h 30)

Je crois que vous êtes beaucoup plus au courant de la situation que l'exposé modeste que vous avez fait sur le sujet, à savoir que les États américains, leur législation et leur réglementation posent probablement pour nous, Canadiens et Québécois, l'obstacle majeur à la réalisation d'une entente valable... Effectivement, les barrières non tarifaires dans ces États par cette réglementation et cette législation font que je croirais que, généralement parlant et dans un plus grand nombre de sujets, il va être difficile, s'il y a entente, de la mettre en application.

Conséquemment, il faut aussi mettre en lumière que la volonté politique canadienne exprimée unanimement par les dix provinces et par le gouvernement fédéral en est actuellement une de décentralisation. Je serais très surpris, au cours des prochaines années, qu'on veuille renverser la vapeur. Alors, vis-à-vis de cette réalité américaine, de cette énormité d'influences, de cette tendance politique canadienne avouée et prouvée par l'entente du lac Meech, seriez-vous assez gentil de me réconcilier les deux et de traiter un peu plus longuement de ce paragraphe?

M. Blouin: D'abord, je dois vous dire que je suis d'accord avec vous quand vous affirmez que le marché américain est un marché drôlement balisé et drôlement réglementé entre les États. J'ai assisté, l'hiver dernier, à Montréal, à des rencontres provoquées par un groupe d'États américains pour attirer les exportateurs québécois. Ceux

qui se sont présentés à la rencontre ont vu qu'on ne rentrait pas aux États-Unis, on rentrait dans un État ou deux et, de là, on pouvait essayer de rayonner un peu. C'est clair que, du côté américain, l'entente de libre-échange avec le Canada est d'une importance économique très secondaire. Elle est d'une importance politique plus grande. Les Américains ont des preuves à faire qu'il est possible de s'entendre avec eux. Ou côté canadien, elle est importante sur le plan économique. Or, les États américains n'ont pas avantage, économiquement parlant, à mettre fin à un certain nombre de barrières non tarifaires entre eux. Donc, ils vont s'appliquer aux exportations canadiennes parce qu'ils n'ont pas un avantage économique à cette entente et c'est l'indifférence totale.

Au Canada, au contraire, ces aspects sont primordiaux. Sur le plan économique au Canada, ce qu'on dit, c'est qu'un des obstacles à la croissance économique canadienne ce sont les barrières non tarifaires entre les provinces et peut-être même qu'avoir travaillé cet aspect de l'élimination des barrières non tarifaires entre les provinces aurait été un stimulant économique plus grand que, dans un premier temps, essayer de conclure une entente de libre-échange avec les Américains. Je dis que le scénario a été mené à l'envers. Il aurait d'abord fallu poser cette question à laquelle je n'ai pas une réponse de devin, la poser aux provinces: Qu'est-ce que vous êtes prêtes à coordonner et à harmoniser entre vous avant qu'on se retourne du côté des Américains? Et non pas lancer à un party à Québec, en mars 1985, cette idée d'aller conclure une entente et puis se retourner vers les provinces et dire: Comment pourrait-on s'organiser maintenant? Ma grosse réticence porte sur le plan du déroulement du scénario. La commission MacDonald prévoyait, je pense - vous me corrigerez là -un scénario en deux temps où, d'abord, il y aurait une tentative de créer le libre-échange au Canada et ensuite le faire avec les Américains.

M. MacDonald: Si mon collègue me le permet, je suis d'accord avec vous qu'il y a beaucoup d'ordre à mettre dans le mouvement libre des personnes et des biens au Canada, c'est évident. Je pense par contre que, dans les débuts des études de la commission MacDonald, lorsqu'on s'est formé une idée - quand je dis "on", c'est la commission - sur le sujet, la progression géométrique absolument effarante des mesures de protection et ce versement des États-Unis à un État débiteur ce n'était pas encore concret à ce moment. Alors, on a vu un scénario se changer complètement.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Blouin, merci d'être là malgré vos autres occupations, tant sur le plan professoral que sur le plan du journaliste. Je pense que le fait d'avoir accepté de répondre • à l'invitation et de venir nous dire, dans un langage on ne peut plus clair, votre façon de voir le libre-échange... J'ai pris connaissance de votre volume, il y a maintenant plusieurs mois, dès sa parution sur le marché, et je dois dire que c'est le seul document de vulgarisation qui existe, à ma connaissance. Vous vous êtes décrit, tantôt, comme un non-spécialiste en la matière. Si vous n'êtes pas un spécialiste, vous êtes un excellent vulgarisateur et je vous en félicite! Si, depuis la dernière année, plus de gens avaient parlé ce langage et l'avaient porté tout haut dans tous les médias, on n'en serait peut-être pas là. C'est la partie de ceux qui ont véhiculé le message et si nos politiciens d'Ottawa et de Québec avaient mieux fait leur devoir, on n'en serait pas là, non plus. Par contre, j'ai déjà dit amplement ce que je pensais là-dessus et pourquoi on se retrouve à cette commission parlementaire depuis le 15 septembre. C'est un peu utopique, vous avez raison, sauf que, entre le choix de ne pas avoir de débat ou d'en avoir un, je pense que c'est mieux d'en avoir un. Si cet exercice permet au moins à une plus grande partie de la population d'être sensibilisée, je pense qu'on aura accompli une partie du travail.

Parmi les parlementaires ici à Québec comme à Ottawa, je peux vous dire que, il y a six mois, il y en a peu qui connaissaient cela; moi, le premier. On connaissait les grandes prémisses et les règles du jeu, mais on ne connaissait pas cela. Je vous parle, ce matin - Nous sommes le 18 septembre - et je vous dis que je connais encore peu de choses. Pourtant, on y travaille ardemment de même que mes collègues ici. Cela est inquiétant.

On a très souvent l'impression que le libre-échange va devenir la solution à tous les maux et à tous les problèmes actuels et on a souvent l'impression que, les barrières tombant, finalement, le marché va s'ouvrir tout grand. Mais on est déjà très présents de façon intéressante aux États-Unis et je trouve que le passage dans votre volume, à la page 49, est intéressant et je me permets de le lire pour, finalement, sensibiliser les gens à cette présence québécoise. Vous dites: "La présence québécoise, outre le 45e parallèle, est très visible. Les autorités américaines aiment bien faire allusion à une copie du New York Times imprimée sur du papier journal provenant de la Gaspésie et dont les presses sont alimentées par de l'énergie électrique de la Baie James, vendue par Hydro-Québec,

et lue dans les rames de métro construites par Bombardier. Une réclame publicitaire publiée dans ce même New York Times vantait l'avion Challenger, construit par Canadair à Ville Saint-Laurent et l'équipement de communication fabriqué par Northern Telecom, une filiale des Entreprises Bell dont le siège social est situé à Montréal."

Je trouve que l'image que vous en faites... d'ailleurs, tout votre livre est teinté de la même façon, et démontre bien que, oui, on est déjà aux États-Unis et ce n'est pas le matin du 6 octobre, le lendemain d'une entente possible, que tout va changer.

Vous décrivez aussi dans votre volume, et cette analyse étant faite il y a un an déjà... J'aimerais savoir comme première question si vous êtes toujours d'accord avec cela. L'analyse que vous avez faite aux pages 133 et 134, donc, les deux dernières pages de votre volume, il y a un an, m'apparaît, à moi tout au moins, comme déjà le scénario qui s'annonce, maintenant qu'on est rendu à quelques jours... Comme le ministre disait tantôt, je pense que vous aviez non seulement un excellent flair, mais vous avez aussi été capable de bien jauger non seulement la problématique, mais l'issue. J'aimerais savoir si, aujourd'hui, vous êtes toujours d'accord avec cela quand vous dites: "II est plus vraisemblable cependant qu'on arrive, pour sauver la face, à la mise en place d'un mécanisme de coordination des relations commerciales, une espèce de solution intermédiaire entre le statu quo et ce que recouvre généralement le vocable de "libre-échange". Ce serait déjà un progrès."

Vous avez écrit cela il y a un an; dans quelques jours, il y aura une entente ou ce sera le statu quo. Est-ce que vous êtes toujours d'accord avec cela? Si oui, quelle formule ou quel cadre, d'après vous, à partir de l'analyse, de la photographie que vous en faites aujourd'hui le 18 septembre, prendrait cette entente, même si on est dans la plus grande noirceur?

M. Blouin: D'abord, je vais vous répondre comme un non-spécialiste et non pas comme un spécialiste. Il me semble, étant donné la seule façon dont ia négociation a été annoncée et lancée, qu'on pouvait déjà déduire tout ce qui se passerait après. On ne peut pas lancer une négociation commerciale avec un voisin aussi puissant, aussi protectionniste, aussi près de ses intérêts à l'occasion d'un sommet de fin de semaine à Québec, qui était beaucoup plus un sommet de retrouvailles entre deux personnalités qui s'entendent qu'une vraie session de travail. On ne peut pas faire ça. Cela a été lancé dans la population comme une espèce de miroir aux alouettes.

Le marché américain, c'est un miroir aux alouettes dans un certain sens, parce qu'on ne l'aura jamais au complet: ils sont là en partie et cela va être difficile... Quand on va de l'autre côté, on va avoir ia concurrence et ce ne sera pas le Pérou non plus. Alors, de la façon que cela a été lancés cela m'a mis la puce à l'oreille.

Par ailleurs, ce débat m'aurait paru intéressant, mais il n'a pas eu lieu. Il m'aurait paru tout aussi intéressant que le débat sur le référendum. C'est comme cela que les sociétés se mesurent les unes aux autres. Là, on était en situation de dire; Oui ou non, est-ce qu'on conclut, est-ce qu'on appuie une entente de libre-échange avec les États-Unis? Cela veut dire: Qu'est-ce qu'on vaut sur le plan économique, que vaut noire vitalité politique, que vaut notre vitalité culturelle?

Cela entraîne la nécessité de se regarder et de se comparer. C'est un exercice très sain pour moi et j'espérais que l'exercice ait lieu. Il n'a pas eu lieu. Comme je trouvais très sain quand je rencontrais, dans des colloques ou des conférences, des hommes d'affaires de certaines régions - je pense en particulier au Saguenay-Lac-Saint-Jean - qui me disaient: Nous n'avons pas peur de cela, le libre-échange. Les Américains, on est capables de les affronter et on va aller chez eux.

Je trouvais cela très sain comme société de dire cela. Ce n'est pas là-dessus qu'on appuie une politique, mais je trouvais que le seul exercice démocratique était ce qu'il fallait mettre de l'avant. Les considérations économiques, pour moi, c'est secondaire dans la mesure où, une fois qu'on l'a dit, on l'a 'dit et, à partir des mêmes chiffres, on peut avoir deux options différentes.

J'avais, la semaine dernière... D'ailleurs, la véracité des chiffres économiques me fait toujours rire. De toute façon, j'en parlerai une autre fois. Alors, le débat n'a pas eu lieu; c'est cela qui fait que, comme je l'ai un peu prévu dans le livre, on va se retrouver quelque part entre les deux, mais on n'aura pas participé à un débat dans lequel on se sera situé collectivement quelque part entre les deux. On aura dit: Bien, on ne va pas plus loin que cela parce que... Cela n'a pas eu lieu et je trouve ça déplorable.

M. Parent (Bertrand): Est-ce que vous me permettez?

Le Président (M. Charbonneau): Oui, allez.

M. Parent (Bertrand): Je vais continuer. En décembre 1986, M. Blouin, en tant que journaliste, vous avez eu la chance d'interviewer M. Jake Warren dans un reportage que vous avez passé dans L'Actualité. La grande déclaration de M.

Warren était la suivante: II n'y aura pas d'entente si tout le monde n'y trouve pas son compte. Je trouve cela extrêmement important et rassurant. Par contre, je me demande comment ce bonhomme, ce grand négociateur, très reconnu, et pour qui je pense que tout le monde a beaucoup d'estime, pourra arriver... Selon vous, est-ce qu'il pourra arriver à une entente dans laquelle tout le monde va y trouver son compte?

Comment pensez-vous, selon l'analyse que vous en faites aujourd'hui, que M. Warren va être capable de satisfaire ce "commitment" que vous avez réussi à lui faire dire en tant que journaliste?

M. Blouin: D'abord, je dois vous dire que M. Warren était très gentil et très disponible. Quand il m'a dit cela - si vous allez un peu plus loin dans mon reportage -M. Warren a aussi dit qu'il prévoyait du brasse-camarades entre les provinces. Alors, vous voyez. Si tout le monde parvient à y trouver son compte, ce sera probablement par suite d'un petit brasse-camarades, qu'est-ce que vous voulez? Il y a des provinces... Vous voyez l'Ontario maintenant.

On savait fort bien que les Américains ouvriraient le pacte de l'auto. Écoutez, ils ne vont pas mettre de côté quelque chose qui représente 50 % des emplois manufacturiers en Ontario ou quelque chose comme cela. Ils ne vont pas mettre cela de côté et dire: On va tout négocier sauf le pacte de l'auto. Il faut être enfant pour penser à ça. (10 h 45)

Alors, on savait qu'ils ouvriraient cela et on savait que certains des points d'entente auraient des répercussions plus précises dans certaines provinces que dans d'autres et M. Warren me disait qu'il y aurait du brasse-camarades entre les provinces aussi. Alors, ces deux phrases-là sont à mettre ensemble, si vous voulez. Cela ne laisse pas présager nécessairement que ce sera doré à la prochaine réunion des premiers ministres, s'ils ont quelque chose à se mettre sous la dent.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Vimont.

M. Théorêt: Oui, merci, M. te Président. M. Blouin, j'ai beaucoup de difficulté à concilier deux remarques que vous avez faites dans vos interventions et qui me semblent assez contradictoires. D'une part, vous nous dites que la population a été gardée dans la grande noirceur et que plusieurs députés ne savaient même pas ce qu'était le libre-échange. Vous nous dites que la commission parlementaire qui a débuté cette semaine est à toutes fins inutile.

Quand on regarde les travaux de la commission depuis le début, toute cette couverture de presse écrite et électronique de tous les débats de cette consultation, quand on regarde également ce que nous ont appris tous les intervenants, y inclus vous aujourd'hui, sur les besoins, les préoccupations et les recommandations des gens concernés dans chacun de leur secteur, j'ai de la difficulté à dire que cette commission parlementaire n'apporte effectivement rien, alors que moi-même, comme député, tout comme, j'en suis sûr, certains de mes collègues, avons appris énormément. Je suis certain également que la population n'a jamais, depuis mardi, autant entendu parler des conséquences possibles, favorables ou non, et des préoccupations des gens du milieu sur un éventuel libre-échange.

D'autre part, vous dites qu'il est également trop tard parce que les gens viennent aujourd'hui nous donner leur position qui est une position conservatrice de défense. Mais croyez-vous sincèrement que, si on avait fait cette consultation il y a six mois ou un an, la position ou l'intervention de l'association des brasseurs, des syndicats, des chambres de commerce, du Conseil du patronat ou même de l'UPA aurait été différente? On sait fort bien que, même si on avait tenu cette consultation il y a six mois ou un an, on n'aurait pas pu, de toute façon, mettre en place des mécanismes sans connaître les conditions de l'entente qui sera signée ou non.

J'aimerais que vous m'expliquiez cela un peu mieux, car vous nous dites que l'on est dans la noirceur, mais il me semble que vous nous reprochez également d'informer la population et de vraiment faire une lumière beaucoup plus éclairée que s'il n'y avait pas eu cette consultation générale.

M. Blouin: J'ai envie de vous retourner votre question. Compte tenu de l'impact que peut avoir une commission comme celle-ci dans la population, pourquoi ne l'avez-vous pas faite avant? Pourquoi? J'ai beau fouiller, je ne trouve aucune raison. Ne me dites pas que les études n'étaient pas finies. On n'a jamais eu les études. L'Actualité en a rendu publique l'an dernier, mais, ma foi, c'était plus difficile que de prendre un document secret du Pentagonel Cela été obtenu par des informateurs - ce n'est pas le bon mot, mais en tout cas comme le disait M. Charbonneau hier ou avant-hier - de façon très très difficile.

Je sais que, sous l'égide du groupe Warren, une centaine d'études ont été faites dans les ministères québécois à vocation économique ou dans les secteurs des ministères qui ont une implication économique quelconque. Cela a été fait, mais on ne les a jamais vues. Il n'y avait pas de raison de ne pas tenir la commission avant. Je vais vous dire pourquoi cela aurait été

meilleur encore comme effet d'entraînement dans la population. Imaginez une association qui vient ici défendre une position très carrée. Les brasseurs défendent une position carrée depuis le début, c'est un cas extrême. Mais prenons une association comme celle des manufacturiers. Elle va défendre une position pour le libre-échange, parce que tout le monde est pour le libre-échange dans un premier temps, mais elle veut que vous ne "maganiez" pas trop ses éléments faibles, par exemple. Quand on vient déposer publiquement devant une commission comme celle-ci et qu'on retourne ensuite auprès de ses membres et qu'on vient défendre une position en disant qu'on est pour, c'est là que le brasse-camarades se fait. L'effet d'entraînement se fait dans les milieux concernés mêmes.

Je connais un peu cette dynamique des milieux. Quand on retourne devant ses mandataires, je vous jure qu'on se fait parler. Alors, il me semble que la vocation pédagogique de la commission aurait été bien plus forte si on l'avait faite avant plutôt qu'à la dernière minute comme maintenant, je pense.

Je vous dis sans méchanceté que, de l'extérieur, quand on a su qu'il y avait une commission deux semaines avant la fin des négociations, on a trouvé cela très drôle. De l'intérieur, c'est peut-être autre chose, mais de l'extérieur, on a ri.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Roberval.

M. Gauthier: Merci, M. le Président. M. Blouin, je dois vous dire, que depuis le début de cette commission parlementaire, on a eu toutes sortes de mémoires, évidemment, et on a toujours senti que les gens qui se présentaient devant nous le faisaient avec ta ferme conviction que leur point de vue était le meilleur. Je peux vous dire que ce matin votre témoignage m'a particulièrement plu, autant par le style dans lequel il est fait que par le fait que finalement vous posez une série de questions que tout le monde se pose et auxquelles personne n'a de réponse, finalement, à ce stade-ci. Et d'essayer d'en trouver peut être prématuré.

Il y a quand même quelques éléments dans le texte qui soulèvent la curiosité et c'est pour cela que je désire vous poser une ou deux questions. Le premier élément est celui-ci. J'ai cru remarquer - quoique j'ai de la difficulté à le retrouver; je ne sais pas si je l'ai compris ainsi ou si vous l'avez dit vraiment - qu'il fallait en quelque sorte mettre fin à la stratégie du tout ou rien dans le libre-échange, cesser de dire au monde: On va avoir un traité de libre-échange ou on n'en aura pas. Il faut rejeter le statu quo, donc, il faut chercher à en avoir un. C'est à peu près la dialectique dans laquelle on fonctionne depuis un certain temps. D'autre part, vous parlez de la stratégie syndicale et du NPD que vous associez en disant: Ces gens-là, par contre, ce n'est pas mieux, ils proposent d'y aller par morceau. Qu'ils annoncent donc leur programme. Alors, je ne vous sens pas sympatique à l'une ou l'autre des façons de procéder et j'aimerais que vous vous expliquiez un peu là-dessus. J'ai de la misère à comprendre le lien entre les deux affirmations.

M. Blouin: Ce contre quoi j'en ai, c'est comme citoyen. J'en ai contre le fait que, lorsque les négociations ont été lancées, ce que l'on a fait miroiter devant les gens, c'est une entente globale de libre-échange dans le sens d'une abolition des tarifs et des barrières non tarifaires très avancées, dans le sens que les entreprises canadiennes et québécoises auraient un accès au marché américain, un accès vraiment absolu. On a lancé cela de cette manière et j'en ai contre cette façon de faire, parce que moi-même, dès le départ, sans être d'aucune manière un expert, je savais qu'on n'atteindrait jamais cela. C'est impossible, c'est trop complexe. On a leurré la population dans ce sens-là. Voilà pour la première question que vous posez.

La stratégie syndicale d'y aller par pièce, je trouve qu'au moins dans la volonté d'en arriver à une entente de libre-échange, on peut faire quelque chose de cohérent sur le plan économique, c'est-à-dire que l'on sait qu'il y a des secteurs qui vont perdre, on les connaît. On sait qu'il y a des secteurs qui vont gagner, des régions qui vont souffrir, d'autres qui vont progresser. On sait cela parce que déjà les tendances sont là, pas besoin d'économistes pour nous le dire.

Alors, quand on a une entente globale, on peut toujours jouer avec des pions comme cela, c'est-à-dire on peut toujours prévoir qu'une mesure de conversion économique dans une région est nécessaire, puis ce sera contrebalancé par une région plus florissante. Les ententes à la pièce, c'est impossible. Alors, quand on parle des ententes à la pièce, je trouve cela très drôle. J'imagine demain matin les négociateurs canadiens qui arrivent à Washington, qui s'assoient et qui disent: On négocie à la pièce. On commence par quelle pièce? Cela sera une farce, une pièce de théâtre, effectivement, et non pas une négociation à la pièce. Ils ne pourront jamais s'entendre sur la pièce à aller chercher, parce que les Américains et les Canadiens vont vouloir aller chercher chacun une pièce favorable et ils vont se battre pièce contre pièce. Je trouve cela un peu simpliste comme façon de voir.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Roberval.

M. Gauthier: Je peux revenir après, cela ne me fait rien.

Le Président (M. Charbonneau): II y a quelques autres collègues qui voudraient poser...

M. Gauthier: Oui, j'ai d'autres questions.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, allez-y avec une autre.

M. Gauthier: Notre temps est écoulé. M. le Président, mon collègue de Bertrand qui conduit cette commission du côté de notre formation politique m'informe à regret que notre temps est écoulé. Alors, je me priverai de ce plaisir...

Le Président (M. Charbonneau): II reste un peu de temps, en fait, parce qu'il y a un collègue de l'autre côté... Je sais que le député de Bertrand voulait aussi intervenir un peu. Donc, il y» a moyen mais à la condition que, de part et d'autre, les questions soient bien ciblées et les réponses brèves.

M. MacDonald: Nous, on a terminé. Si le député de Bertrand veut terminer, il n'y a pas de problème.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, une autre brève?

M. Gauthier: D'accord. J'y vais?

Le Président (M. Charbonneau): Oui, une brève.

M. Gauthier: Merci, M. le Président. Une brève. M. Blouin, dans votre mémoire, à la page 6, vous faites le constat que l'intégration des deux économies est une chose faite pour l'essentiel. Donc, je sens dans votre texte que, dans le fond, vous démontrez par là la futilité de tout le débat actuel. J'aurais cru que ce constat que vous faisiez vous amènerait à la logique suivante: Étant donné que nos économies - et c'est ce qui a conduit les gens à être d'aussi farouches partisans du libre-échange - sont aussi liées et qu'il y a un courant protectionniste aux États-Unis qui pourrait à la limite nous faire du tort, il est important qu'on bâcle toute cette question une fois pour toutes. C'est à peu près la logique que j'ai comprise des gens qui se battent dans cette question tandis que vous faites la même constatation et on sent que vous arrivez à une conclusion différente: IL n'y a pas de problème pour le libre-échange, ne nous énervons pas, c'est vrai qu'on est intégrés, on va continuer de l'être et essayons que cela soit viable pour le Canada et le Québec. J'ai de la difficulté à comprendre que vous arriviez à des points de vue tellement opposés à partir de la même prémisse.

M. Blouin: Écoutez, mot aussi, j'essaie de me reconnaître dans toute cette question et j'avoue que ce n'est pas toujours facile. Je vais vous faire deux séries de remarques.

La première, c'est que je crois que jamais un débat politique n'est futile; jamais, jamais, jamais! C'est ce que je reproche à la situation actuelle. Si on faisait une entente de libre-échange formelle, ce serait rendre structurel ce qui est maintenant un peu dû à l'évolution historique des deux pays. Je pense qu'on change la nature même de la situation et cela vaut tout un débat. Une fois le pied dans le giron, attention! Là, on reste quand même formellement à l'extérieur, mais une fois dans le giron, on tombe dans une nouvelle situation, d'où la nécessité d'un débat. Qu'est-ce que je propose? Quelles sont mes conclusions à partir des prémisses que vous dites? Qu'est-ce que vous voulez? Moi, je dis: Au moins, arrêtons les hauts cris contre le libre-échange en disant que cela va être épouvantable et que cela va changer toute la situation quand on sait que, sur le plan économique, c'est très intégré, sur le plan culturel, on consomme américain "à la planche". Je dis: Au moins, baissons d'un cran et discutons sereinement en hommes et en femmes intelligents et non pas avec des positions comme si on passait du noir au blanc. Je trouve cela très ridicule. Je trouve aussi ridicule et inintellligent d'être a priori pour ou contre. On ne peut pas être a priori pour ou contre, il n'y a pas de vertu là. Selon l'entente, on pourra être pour ou contre. Si, à notre sens, c'est trop près du statu quo, on pourra être contre ou pour; si c'est trop près de l'intégration totale, on pourrait être pour ou contre, mais au moins on aurait une raison alors que» là, on n'a rien.

Le Président (M. Charbonneau): J'ai une brève question avant de céder la parole à mon collègue de Bertrand. Vous avez dit une chose qui, à mon avis, est fondamentale. Vous avez dit qu'il n'y a pas de politique économique ni au Canada ni au Québec.

Une voix: Depuis une dizaine d'années.

Le Président (M. Charbonneau): Je ne suis pas sûr que c'est ce qu'il a dit, mais je vais le laisser...

Une voix: C'est ce qu'on constate.

Des voix: ...

Une voix: Chut! Chut!

Une voix: À l'ordre, s'il vous plaît! Cela va prendre un nouveu président.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, si mes collègues veulent me laisser continuer. Ce serait quoi, à votre avis, une politique économique dans la mesure où vous pouvez dire qu'il n'y en a pas? Vous devez avoir une idée de ce que cela devrait être. Quel est l'objectif que cette politique devrait viser? Est-ce que cette politique, on devrait se la donner avant l'établissement d'un traité de libre-échange, en même temps ou après? Éventuellement, quelles seront les conséquences d'un traité de libre-échange qui ne serait pas accompagné d'une politique? Si j'ai bien compris, c'est une politique avec un grand "P", et c'est plutôt le terme "stratégie" qu'on devrait utiliser. Mais on ne se chicanera pas sur le vocabulaire, je pense qu'on se comprend. Voilà un peu l'essence de mon intervention.

M. Blouin: D'accord, mais je vous réponds en généraliste.

Le Président (M. Charbonneau): Je me méfie des gens qui disent qu'ils ne sont pas experts et qui écrivent des livres. Je pense que vous êtes, parmi les gens qui sont venus ici, l'un de ceux qui savent le mieux s'exprimer et qui ont fait le tour de la question avec le plus de clarté. C'est la seule chose sur laquelle on ne serait peut-être pas d'accord. J'ai l'impression que vous êtes beaucoup plus expert que vous voulez bien le prétendre. Ce n'est peut-être pas une mauvaise chose pour vous, d'ailleurs. (11 heures)

M. Blouin: Je vous dis simplement qu'il n'y a pas de politique économique au Québec et au Canada, c'est évident. Je demanderais au gouvernement quelle est sa politique de la main-d'oeuvre, qui est une composante d'une politique... Il n'y a pas de politique de main-d'oeuvre au Québec. Quelle est la relation entre l'éducation au Québec et l'industrie? Souvent, il n'y en a pas.

Pour moi, une politique économique, cela veut dire simplement qu'un gouvernement, dans une optique de planification, va dire: D'ici dix ans, voilà les secteurs qu'on privilégie et les secteurs qu'on convertit. Ce serait un peu une politique à la japonaise. C'est comme cela que je vois une politique économique.

Ici, on éteint des feux et on essaie de suivre l'évolution du marché et de corriger à mesure, mais tout en maintenant tout. On est d'accord avec les secteurs mous, d'accord avec les secteurs technologiques. Je pense, que dans ce sens, il n'y a pas de politique économique.

Maintenant, vous me demandez s'il faut la faire avant, après ou pendant. J'ai simplement observé que, pour le gouverne- ment conservateur à Ottawa qui est un gouvernement près des lois du marché libre, une entente de libre-échange tiendrait lieu de politique économique, c'est-à-dire que cela aurait l'effet qu'une politique économique pourrait avoir, à savoir que la concurrence directe pourrait faire comprendre à des entreprises canadiennes qu'elles n'ont pas l'épine dorsale pour continuer et il y aurait une espèce d'élimination et de rajustement comme cela. J'ai compris cela. Il me semble qu'un pays devrait avoir une politique économique. Il me semble que cela va de soi; mais il semble que, dans les pays à philosophie libérale, en Amérique du Nord en tout cas, ce n'est pas le cas.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le député de Bertrand. Et je pense que cela va être la dernière intervention.

M. Parent (Bertrand): Peut-être une dernière intervention, une dernière question parce que, malheureusement, on est obligé de respecter cet horaire.

J'aimerais savoir, M. Blouin, si à ce stade-ci vous partagez la même analyse de la situation que j'en fais. Quand on négocie, que ce soit une convention collective, une transaction immobilière ou un achat d'entreprise, peu importe, on a un objectif en tant que négociateur, on a une fin qu'on veut atteindre et on a un plan de stratégie. Dans votre livre, vous dites d'abord que la problématique a été mal posée et qu'il y a eu une absence de stratégie de la part du gouvernement canadien. Je suis d'accord avec vous.

J'ai l'impression, après ce que j'ai entendu et compris déjà depuis une trentaine d'heures d'audiences en commission ici, que le gouvernement du Québec non seulement n'avait pas de stratégie, mais qu'il ne sait pas vraiment ce à quoi il devait s'attendre puisqu'il n'est pas, d'une part, à la table de négociation et, d'autre part, le premier ministre lui-même, en Chambre, le 22 juin, si ma mémoire est bonne, dernière journée que nous avons siégé, a dit qu'il attendait de voir ce que les autres avaient à nous proposer. Donc, on a été dans une attitude d'attente. C'est probablement là l'erreur de stratégie, si stratégie il y avait, parce que, actuellement, on est encore en attente de voir ce qui va se passer le 5 octobre comme si le 6 octobre on commençait une nouvelle étape. Mais on devrait savoir minimalement ce qu'il va y avoir et ce qu'il n'y aura pas dedans. Si on avait mis dans nos conditions particulières... Je sais qu'on a mis sept conditions, mais plus spécifique que telle ou telle chose, cela ne devrait pas entrer dans la négociation. J'ai l'impression que actuellement, tout est sous la table. Cela qui fait que personne ne peut vraiment parler, de là votre analyse de dire: On n'est ni pour ni

contre. Et je pense que vous avez raison.

Mais cette absence de stratégie fait en sorte qu'on se retrouve dans une situation où on ne contrôle absolument rien actuellement. Tout est entre les mains d'Ottawa et tout est au niveau politique avec une volonté politique de la part d'un premier ministre qui a décidé d'en faire un dossier politique et de régler cela sur une base politique. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord et si vous avez des commentaires par rapport à cela.

M. Blouin: Je pense que cela renvoie au type même de négociations qui ont été faites jusqu'à maintenant. Cela a été fait à un niveau politique très élevé et cela a été remis entre les mains de technocrates qui sont de très bons technocrates, M. Reisman, M. Warren. Cela s'est fait à ce niveau. Le reproche que je fais, c'est que je conçois le secret des négociations commerciales mais, secret à ce point, je ne peux pas, comme citoyen, l'accepter.

Par ailleurs, je suis convaincu que le gouvernement du Québec sait exactement où il s'en va là-dedans. J'en suis convaincu. Il ne le déclare pas publiquement. Je suis convaincu qu'il a fait son lit. Cela ajoute d'ailleurs au caractère inutile un peu de la commission. Mais il a fait son lit. Ces gens ont fait des études et ils ont établi une stratégie. J'en suis convaincu.

Ce qui me déplaît, c'est que tout cela se fait derrière le rideau, en coulisse. Cela n'est pas mon modèle de société.

M. Parent (Bertrand): Je vous remercie beaucoup, M. Blouin.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, M. Blouin, il ne me reste, au nom des membres de la commission, qu'à vous remercier d'avoir participé à cet exercice. Encore une fois, vous pouvez toujours continuer à prétendre que vous n'êtes pas un expert, mais j'ai l'impression que vous avez fait la démonstration ce matin que vous êtes un de ceux qui au Québec connaissent bien le sujet du libre-échange. En plus, non seulement vous vous exprimez avec beaucoup de clarté, mais avec une indépendance d'esprit, une approche avec nuance qui, tout compte fait, est à votre honneur. En tout cas, je vous remercie et je pense que les membres de la commission, de part et d'autre, ont apprécié votre communication et votre collaboration. Sur ce, j'invite maintenant les représentants de l'Association des manufacturiers canadiens à prendre place.

Association des manufacturiers canadiens

Alors, messieurs et madame, bonjour. Vous aussi êtes des habitués, d'une certaine façon, de la commission de l'économie et du travail, en fait, des consultations publiques. Néanmoins, je vous indique, comme à chaque consultation, qu'il y a des règles du jeu. Celles-ci sont souples, comme vous avez pu le constater si vous avez suivi nos travaux cette semaine. On a des balises et, aujourd'hui encore, on a un horaire assez chargé. Donc, on vous demanderait de vous en tenir à une présentation de 20 minutes et, par la suite, le reste du temps va être réparti équitablement de chaque côté de la table pour des interventions et des échanges avec les membres de la commission.

M. Thibault, je crois, si vous voulez présenter les personnes qui vous accompagnent avant de commencer votre exposé. Ou madame, je ne sais pas lequel ou laquelle va...

Mme Fecteau (Louise): Si vous permettez, je le ferai et je passerai ensuite la parole à M. Thibault.

M. le Président, MM. les ministres et MM. les députés, madame, d'abord, je tiens à remercier les gens responsables de cette commission d'avoir acquiescé à notre demande pour que l'on puisse être entendus aujourd'hui. D'abord, je vous présenterai les gens qui m'entourent: à mon extrême droite, M. Hubert Lavigne, vice-président et directeur général de Ciments Canada Lafarge; plus à ma droite, M. Laurent Thibault, qui est président de l'Association des manufacturiers canadiens et qui aura à faire la présentation; à ma gauche, M. André Sarrazin, vice-président des exploitations de Reed Inc. Je suis Louise Fecteau, responsable de la division de Québec.

Sur ce, je cède la parole à M. Thibault. Ce sera un court exposé, on ne lira pas le document puisque je pense que vous l'avez tous. On procédera plutôt à la période de questions de façon...

Le Président (M. Charbonneau):

D'accord. Je vous indique tout de suite qu'à un moment donné le vice-président va prendre la barre quelques instants, le temps que je puisse...

Mme Fecteau: Très bien.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. Thibault.

M. Thibault (Laurent): Merci de nous donner cette occasion de vous faire part de la façon dont on voit cette question importante du point de vue du secteur manufacturier. Comme Louise l'a dit, vous avez reçu la documentation. Alors, vous connaissez grosso modo la position que nous avons prise. J'ai pensé qu'il serait peut-être utile et intéressant de passer quelques minutes pour vous expliquer comment l'association est arrivée à cette position.

Vous savez peut-être que le début du protectionnisme au Canada a commencé avec l'Association des manufacturiers canadiens. Dans nos archives, on note que vers 1871, le comité des douanes de l'Association des manufacturiers canadiens a rédigé une "cédule" de douanes protectionnistes qui a été proposée au gouvernement de M. Macdonald et qui a été acceptée plus ou moins d'emblée. Alors, le protectionnisme, c'est une question qui est très bien ancrée dans l'histoire de l'association.

Évidemment, dans les décennies qui ont suivi, dans les années trente et quarante -on connaît l'histoire - on a surchargé les douanes, une par-dessus l'autre et, finalement, on a quasiment étranglé l'économie mondiale. Dans la période de l'après-guerre, avec le GATT, on a vu une transformation graduelle et assez fondamentale dans l'opinion du secteur manufacturier, de sorte qu'on appuyait, d'une étape à l'autre, chacune des négociations multilatérales de façon plus ou moins enthousiaste. On peut se demander ce qui est arrivé pour qu'en 1986-1987 une association comme la nôtre appuie la notion de négocier avec les Américains pour avoir plus ou moins une entente sur le libre-échange.

Alors, je crois que, surtout récemment, dans notre position courante, le point de départ serait peut-être en 1982, au fond de la récession ou de la dépression la plus sévère qu'on ait eue depuis les années trente où on a fait un examen de conscience et certaines constatations. Il y a eu des changements très fondamentaux dans la façon de penser, dans le secteur manufacturier. On est arrivé à comprendre de façon assez pénible que la priorité la plus importante, c'est qu'on devait être concurrentiel au niveau mondial. Alors, il y avait beaucoup de choses qu'on devait faire comme manufacturiers. Ces changements sont en cours pour ce qui est de la technologie, de la main-d'oeuvre, des investissements, etc. Il y a beaucoup de choses qu'on doit faire au niveau domestique, en ce qui a trait à nos politiques fédérales et provinciales, pour se • rentabiliser. Il y a un élément clé pour le secteur manufacturier, c'est que nous devons avoir accès à un marché suffisant pour rentabiliser nos usines et justifier les investissements tellement nécessaires aujourd'hui pour rester à la fine pointe de la technologie. Dans cette optique, la question d'avoir accès à un marché suffisant est une nécessité. Ce n'est pas suffisant, mais c'est nécessaire.

C'est dans cette optique que, dans les délibérations très extensives qu'on a faites au sein de l'association d'un bout à l'autre du pays, il y a eu des débats assez chauds. Finalement, on en est arrivé à un consensus très clair, très net et très fort qui dit que, stratégiquement, dans le moment, dans la situation où l'on se trouve maintenant, surtout avec la menace d'un protectionnisme américain très sévère, la meilleure stratégie est d'entrer en négociation avec les Américains pour voir si on peut s'entendre sur les règles du jeu et essayer d'établir de façon assez prévisible notre accès à ce marché. Finalement, pour le secteur manufacturier, vous pouvez vous imaginer que, si vous allez mettre 1 000 000 $ ou 100 000 000 $ dans une usine, vous devez avoir un certain volume pour rentabiliser cette usine; il est absolument essentiel d'avoir une certitude plus ou moins bonne, si vous voulez, pour autant qu'on puisse l'obtenir, qu'on va au moins avoir accès au marché. Ensuite, il faut faire concurrence, bien sûr. II n'y a rien de garanti, mais il faut au moins avoir l'accès. C'est dans cette optique que le débat s'est mené. Finalement, le consensus a été établi clairement dans l'association que nous devrions appuyer cette démarche. Maintenant, il va falloir voir quelle sorte d'entente on va obtenir, finalement. Comme tout le monde, on va l'examiner de façon très détaillée pour savoir si on a eu quelque chose qui en vaut la peine. Mais nous appuyons certainement fortement la démarche.

C'est à peu près le point où on en est. Vous avez le document qui résume notre position. Comme plusieurs autres organisations, l'opinion de l'Association des manufacturiers canadiens n'est pas unanime. Je crois que dans son rapport, qui vous a été soumis plus tôt, le 11 septembre, si je me souviens de la date, M. Warren a assez bien capté l'essence et le résumé de la pensée du secteur manufacturier, globalement. Tout le monde n'est pas unanime, évidemment, mais ce que tout le monde comprend bien, c'est qu'il faut absolument s'engager dans l'économie mondiale. Il faut y participer. Il n'est pas question de se cacher parce que, vraiment, ce n'est pas une politique rentable. L'appui est là et on verra ce que cela donnera. M. le Président, avec ces commentaires d'ouverture, peut-être qu'on pourrait entamer le dialogue. Merci.

Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie, M. Thibault. Je vais céder la parole maintenant au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: M. le Président, Mme Fecteau, messieurs, merci d'être venus devant nous. Si mon collègue d'en face est d'accord, j'aurais une série de petites questions à vous poser qui chercheraient à situer un peu plus l'Association des manufacturiers canadiens quant à son importance et à sa représentativité tant au Canada qu'au Québec. (11 h 15)

Pourriez-vous nous donner ce que serait

en quelque sorte cette balance? Hier, les représentants de la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange, qui représentait un peu moins de 30 % des travailleurs du Québec, amputée du syndicat de la CSD, la Centrale des syndicats démocratiques, qui, elle, a une attitude différente, ont très bien statué leur cas clairement et honnêtement. Mais plusieurs des employeurs de ces gens-là, c'est vous qui les représentez. L'Association des manufacturiers canadiens a combien de membres au Canada, au Québec? Combien d'employés regroupe-t-elle au Québec?

M. Thibault: Je peux commencer par faire un commentaire au plan national et demander à Mme Fecteau de faire le point sur...

M. MacDonald: Oui.

M. Thibault: ...notre présence au Québec. Au plan national, l'association a un bureau ou une présence dans toutes les provinces. Nous avons une division dans chaque province, avec un exécutif et des membres très actifs. Nous avons une portée nationale très bien établie depuis le début des temps, je suppose. Nos membres sont très diversifiés. On rejoint mensuellement, selon notre liste de postes, environ 8000 individus dans tout le pays et environ 3500 entreprises. C'est une base très large, des plus grandes entreprises, à partir de General Motors jusqu'à la majorité de nos membres; il y en a des milliers, évidemment. Nous constatons que les trois quarts de nos membres, finalement, emploient moins de 100 individus. Alors, ce n'est simplement que le reflet de la structure manufacturière au pays. Nous rejoignons les entreprises dans presque toutes les industries: le ciment, les pâtes et papiers, les meubles, le plastique, l'automobile, la chimie et tout ce que vous pouvez imaginer. Nous estimons, en somme, que nos membres représentent environ les trois quarts de la production totale et de l'emploi au pays. Alors, au Québec...

Mme Fecteau: Je crois que le portrait que vient de faire M, Thibault se situe également au Québec. On représente environ 75 % de la capacité manufacturière. Nous représentons également des industries de toutes sortes, de toutes natures, c'est-à-dire de tous les secteurs d'activité. Nous avons un bureau à Montréal et six sections au Québec; donc, on a des représentants dans tout le Québec. Finalement, il s'agit aussi de la petite et moyenne entreprise puisqu'on sait que ce qui compose le Québec, c'est en majorité la petite et moyenne entreprise, surtout la moyenne. Forcément, nous représentons plusieurs grandes entreprises au Québec. Sur 40 entreprises qui comportent au-delà de 1000 employés, nous en représentions 22 jusqu'à récemment; les autres sont des moyennes et petites entreprises. Lorsque je fais un envoi au Québec, c'est pour 1200 individus. Lorsque nous faisons un envoi aux entreprises elles-mêmes, cela constitue 420 entreprises en tout et partout.

M. MacDonald: ...manufacturières. Mme Fecteau: Oui, tout à fait.

M. MacDonald: Seriez-vous assez gentille de préciser un peu plus, quand à la tenue de forums, de colloques, d'enquêtes, le processus de consultation par lequel vous êtes passés auprès de vos membres pour faire ressortir les conclusions que vous nous avez exposées?

Mme Fecteau: Je vais procéder pour le Québec D'abord, c'est un dossier auquel on travaille depuis fort longtemps au plan national, comme M. Thibault vient de le dire, surtout après la récession de 1982 et, que je sache, cela fait au moins trois ans qu'on travaille à ce dossier pour ce qui est de la division du Québec. Ce qu'on a fait plus particulièrement, c'est un sondage par écrit et des visites dans les sections pour étaler notre position devant les manufacturiers, de même que les questions, les résultats, les effets positifs ou négatifs qu'un accord de libre-échange pourrait comporter. Évidemment, on a organisé, parallèlement, des séminaires sur cette question. Et, lorsqu'en mai 1985 ou 1986, je crois, M. Warren a tenu sa commission, lorsqu'il a entendu les gens en question, nous sommes allés également présenter une position devant le comité Warren.

Je peux ajouter que le fait de faire des sondages, le fait également de visiter les entreprises dans tout le Québec a permis de constater qu'un certain nombre d'entreprises n'étaient pas au courant des effets positifs d'un accord de libre-échange. Cela a permis également de démystifier une question qui n'est pas facile à comprendre, soit dit en passant. Ce n'est pas permis à tout le monde que d'aller rencontrer le comité Warren, c'est accessible à tous, mais ce n'est pas tout le monde qui y va.

Donc, cet exercice a permis à l'Association des manufacturiers canadiens de mieux informer ses membres.

M. MacDonald: Une dernière question, si vous me permettez. Vous avez des compilations statistiques de vos questionnaires, de vos enquêtes, de vos recherches, etc. Les avez-vous rendues publiques?

Mme Fecteau: M. Thibault, a fait un sondage national. Le nôtre, nous l'avons pour

nous, mais nous ne l'avons pas rendu public. Cependant, si vous voulez obtenir ce document, cela nous ferait plaisir de vous le transmettre. Je n'ai pas les données avec moi} c'est malheureux.

M. MacDonald: C'est évident qu'il y a de partout des demandes pour essayer de se documenter le mieux possible sur le sujet et, certainement, si vous étiez capables de rendre public le résultat de vos recherches, tout le monde serait reconnaissant.

Mme Fecteau: Mais le résultat était le suivant: que les entreprises que nous représentions, en fin de compte, étaient favorables à la négociation sur le libre-échange.

M. MacDonald: On a lu les conclusions, mais l'analyse elle-même et la méthodologie utilisées, c'est quelque chose qui nous permet de faire la balance entre toutes ces études. M. le député.

Le Président (M. Théorêt): Merci. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Thibault, Mme Fecteau et les différents responsables, M. Lavigne, de même que M. Sarrazin, cela me fait plaisir de vous accueillir ce matin. Le ministre vous a permis d'exposer davantage ce qu'est l'Association des manufacturiers canadiens dans le but de démontrer clairement que c'est un organisme très représentatif à l'échelle du Canada. Je le crois et je pense que vous êtes un des rares organismes qui ait fait aussi bien son travail.

Je me souviens d'avoir participé à un colloque, ici, à Québec, avec vos membres; j'avais assisté à une partie de ce colloque où M. Pierre Marc Johnson avait fait un exposé sur le libre-échange, en mars ou avril dernier. J'avais eu la chance de parler avec plusieurs de vos membres manufacturiers qui, effectivement, se sentaient consultés. Je tiens à vous dire publiquement que je pense que c'est un travail de fond important que vous avez fait.

Vous avez déclaré, vous aussi, que vous souffriez beaucoup du manque d'études et de rapports dans ce dossier. Ce matin, le ministre vous demande de rendre vos études publiques. Il faudrait peut-être lui demander de rendre les siennes publiques. Mais, tout compte fait, on sait qu'il ne les rendra pas publiques. On ne peut pas demander aux autres ce qu'on n'est pas capable de livrer soi-même, M. le ministre.

Vous avez donné une conférence de presse, M. Thibault, comme président, le 1er juin 1987. Vous avez publié un document qui s'intitulait: "L'importance des négociations commerciales", dans lequel vous avez présenté plusieurs conditions où vous demandiez, à toutes fins utiles, au nom de l'AMC, de connaître ce que devrait contenir l'entente. J'imagine que vous avez présenté cela en haut lieu par le biais du comité Warren ou autrement. J'aimerais savoir, dans un premier temps, M. Thibault, Mme Fecteau ou qui que ce soit d'autre: Est-ce que vous avez eu - en plus de l'accusé de réception -des commentaires, surtout de la part du gouvernement du Québec, parce que c'est à ce niveau-ci qu'on doit se préoccuper du problème? Est-ce que vous avez eu l'assurance que non seulement ces points-là seraient pris en considération, mais qu'il y avait de bonnes chances que vous puissiez obtenir les différents points que l'AMC défendait comme conditions minimales ou acceptables, afin de protéger vos entreprises selon les secteurs, certaines étant plus vulnérables que d'autres, autant par leur taille que par leur secteur? Est-ce que vous avez pu avoir du gouvernement du Québec toutes les assurances de façon que vous puissiez nous dire aujourd'hui, le 18 septembre, si vous êtes bien sûrs que vos revendications, que les préoccupations que vous incluez dans votre "oui", ce que je comprends très bien et qui est fondé... Je parle de . vos préoccupations dans votre "oui, mais", de vos conditions.

Mme Fecteau: Oui, il est vrai que ces documents ont été rendus publics et il est vrai qu'ils contiennent des conditions que nous considérons comme essentielles. Il est vrai que nous les avons transmises tant à M. Warren qu'à M. MacDonald. Cependant, on n'a pas reçu de commentaires, à savoir que M. MacDonald nous promettait que ces conditions seraient négociées avec Ottawa ou autrement. Si on avait eu un oui de sa part, c'est évident qu'on aurait fait comme vous, on aurait fait une conférence de presse pour dire: Le gouvernement nous promet que nos conditions seront incluses.

Je céderai la parole à M. Thibault pour qu'il nous parle de ces conditions essentielles que nous demandons au gouvernement fédéral dans la négociation du traité de libre-échange.

M. Thibault: Si vous voulez que je parle des conditions, je peux expliciter davantage, mais votre question visait surtout à savoir si on avait été écoutés.

M. Parent (Bertrand): Alors, si je comprends bien, c'est non. Vous n'avez pas reçu l'assurance du gouvernement du Québec que cela avait bel et bien été pris en considération.

Mme Fecteau: Non, on a pris le document en considération, mais jamais on ne nous a fait une promesse disant que les

considérations seraient entendues ou écrites dans un accord.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le député de Bertrand. M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Je vous remercie, M. le Président. Madame, messieurs, dans votre présentation, vous reconnaissez, tout en plaidant qu'il est important de prévoir une période d'ajustement ou de transition... Pour ne pas allonger la question, on sait tous de quoi on parle. On sait également que c'est dans un contexte de consultation avec les secteurs industriels qu'on pourra aménager des périodes de transition pour chacun.

Quel rôle voyez-vous les gouvernements jouer au titre de leur participation éventuelle aux programmes d'ajustement qu'il faudra mettre sur pied? Envisagez-vous des programmes spéciaux, qui peuvent varier, évidemment, selon les secteurs que vous représentez? Croyez-vous aujourd'hui que les programmes de soutien au recyclage de la main-d'oeuvre et de formation, par exemple, certains programmes d'aide financière à la recapitalisation et à la modernisation des entreprises, que les programmes courants sont suffisants? Envisagez-vous d'autres modèles ou souhaitez-vous même la présence du gouvernement là-dedans? Ne souhaitez-vous pas que vos membres, comme entreprises privées philosophiquement peu enclines à demander l'aide gouvernementale, s'occupent eux-mêmes des ajustements que les nouvelles conditions commerciales pourraient créer?

M. Lavigne (Hubert): Je vais faire quelques commentaires sur votre question. Ce que nous souhaitons, ce n'est pas nécessairement une intervention directe du gouvernement; c'est beaucoup plus une forme d'encouragement qu'on voudrait voir dans ce sens-là. Vous avez parlé, par exemple, du recyclage de la main-d'oeuvre, qui est un domaine extrêmement important dans le cadre de l'évolution de ce dossier, à moyen terme surtout.

L'industrie dans laquelle j'oeuvre a vécu le libre-échange depuis un certain nombre d'années et c'est grâce à cela que nous avons réussi à devenir très compétitifs. D'ailleurs, je pense que notre industrie a progressé. Je voyais l'autre jour les syndicats qui ont peur du libre-échange, mais je pense que c'est ce qui nous a permis d'avoir une industrie où les salaires sont les meilleurs et les productivités les meilleures de, peut-être, la majorité des industries au Québec.

Donc, c'est beaucoup plus sous forme d'un encouragement en ce sens. Je pense à la formation, à la recherche aussi et au développement. Aux États-Unis, si on veut y arriver, il faudra avoir une technologie supérieure à celle que nous avons actuellement dans beaucoup de domaines. Encore là, beaucoup d'aide pourra sûrement provenir des gouvernements dans ce sens. Il y atout l'aspect fiscal qui pourrait être utilisé plutôt que la subvention directe, comme c'est souvent mis de l'avant et comme cela a souvent été mis de l'avant dans le passé par la majorité des gouvernements canadiens, avec nos tendances peut-être un peu trop socialisantes, si on peut dire. C'est un commentaire. Je ne sais pas si mes confrères ont d'autres points.

Une voix: André, est-ce que tu vouiais ajouter quelque chose?

M. Sarrazin (André): Je souscris à ce que vous dites, principalement quant à l'aspect discrétionnaire. Les subventions elles-mêmes sont normalement adressées à des personnes très spécifiques et pour des besoins très spécifiques. Souvent, elles ne sont pas transmissibles à d'autres personnes qui sont concurrentes de celles qui en reçoivent. (11 h 30)

Cette sélection, qui est faite pour des raisons qui ne sont pas toujours économiques, cause des problèmes dans la compréhension, par exemple, des Américains qui, eux, peuvent percevoir qu'il y a des montants d'argent qu'une compagnie en particulier peut recevoir pour produire un produit qui est en concurrence avec des produits américains. S'il y a des effets comme les douanes spéciales prélevées à cause de cette aide discrétionnaire, les concurrents de cette compagnie, qui eux aussi envoient aux États-Unis les mêmes produits et n'ont pas reçu de subvention, subissent quelque chose.

Alors, dans l'ensemble, ce que je vois comme solution à cette problématique, c'est que l'aide soit générale et applicable à tout le monde, surtout du point de vue fiscal. Du côté de la main-d'oeuvre, par exemple, s'il y a une aide formulée, qu'elle soit universelle et générale dans l'ensemble des industries. À ce moment-là, cette aide, du côté américain, sera bien reçue, comparativement à une situation où elle serait exclusive à une industrie particulière qui voudrait s'établir avec difficulté dans un secteur et qui, elle, recevrait une subvention très lucrative. Cela pourrait lui causer des problèmes lorsqu'elle va commencer à fabriquer ses produits et pourrait causer d'autres problèmes à ses concurrents canadiens.

M. Thibault: Je voudrais ajouter quelque chose à cette question, parce que c'est un élément très impartant. Je crois que vous, comme législateurs, ici, à Québec autant que dans les autres provinces et au gouvernement fédéral, vous devez saisir ce que veut le

secteur manufacturier.

Comme le disaient mes confrères, ce n'est pas tellement une question de programmes, de subventions. Il y a peut-être des éléments, surtout dans le recyclage, par exemple, où on doit faire un travail d'équipe, mais il y a des éléments clés qui affectent beaucoup la compétitivité du secteur manufacturier. Je pense, par exemple, au programme qu'on a maintenant au Canada pour déréglementer le domaine des transports. Si on veut être concurrentiels au plan nord-américain, il faut absolument se doter d'un environnement, d'un règlement sur la transport qui va nous permettre de transporter nos produits de façon très concurrentielle. Maintenant, la loi fédérale est en place. Il y a une certaine urgence, au plan provincial, à implanter la législation complémentaire, surtout dans le domaine du camionnage et, ici, au Québec, je sais qu'on traîne la patte un peu à ce sujet. Je vous demanderais d'accélérer le pas. Cela nous aiderait beaucoup comme manufacturiers à concurrencer les Américains.

Il y a évidemment la question des barrières interprovincialeso Dans certains domaines, comme vous le savez, certaines industries ont des problèmes majeurs pour faire face à la concurrence nord-américaine à cause des lois et des règlements qui les embarrent dans chacune de leur province et ne leur permettent pas d'être concurrentielles. Il y a beaucoup d'autres industries où le même problème n'est peut-être pas aussi visible, mais c'est à nous, je crois, comme Canadiens, à nous situer pour être capables de faire concurrence et de prendre avantage de l'accès au marché pour lequel nous travaillons si fort.

Je mentionnerais une autre politique globale. M. Sarrazin a mentionné l'aspect fiscal. Comme vous le savez, nous sommes en pleine réforme fiscale, au moins du point de vue fédéral. Il y a certains éléments clés là-dedans auxquels je vous demanderais de porter attention, parce qu'on est en train, au fédéral, de diluer les déductions disponibles en termes d'investissements, on est en train de diluer les encouragements à la recherche et au développement. D'autre part, on a un délai encore très substantiel, dans l'implantation d'une nouvelle forme de taxe à la consommation pour remplacer la taxe fédérale sur les produits manufacturés et, encore ià, c'est un élément qui aiderait beaucoup à la réforme de tout ce système et qui aiderait le secteur manufacturier à être concurrentiel, parce que, dans le moment, les importations sont avantagées et cela augmente nos coûts de fabrication.

Alors, il y a certains éléments globaux de politique économique qui sont très importants pour aider le secteur manufacturier à être concurrentiel. Je vous demanderais d'élargir, si vous le voulez, votre discussion; non seulement de vous pencher sur les aspects du libre-échange comme tel, comme événement, mais de bien comprendre toutes les implications que cela aura dans les politiques gouvernementales qui doivent être évaluées dans cette nouvelle optique.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Johnson (Vaudreuil-Souianges): M. le Président, une petite courte»

Le Président (M. Charbonneau): Une petite vite.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Une petite vite. Pour ce qui est de la question, il n'y a pas de problème, mais pour ce qui est de la réponse...

Le Président (M. Charbonneau): On verra.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...on laisse cela à nos témoins. Non, vous, cela ne vous dérange pas, c'est sur notre enveloppe de temps.

M. Parent (Bertrand): Contrairement à hier.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci. Assez brièvement, à l'égard de l'accès au marché public, vous souhaitez que vos membres et firmes canadiennes aient accès à des contrats gouvernementaux américains. Il est évident que dans le libre-échange, on doit offrir le même genre de concessions, si vous voulez. Est-ce que vous pourriez compléter à ce que vous nous avez indiqué tout à l'heure quant au seuil qu'il serait réaliste de considérer en deçà duquel la règle d'ouverture totale ne s'appliquerait pas, simplement à titre de protection minimale maintenue de certaines commandes gouvernementales qui pourraient être dirigées de façon privilégiée vers des firmes canadiennes et par les Américains, évidemment, chez eux? Je ne pense pas qu'on puisse dire, et personne ne le dit, que cela devrait être ouvert. On cherche probablement un seuil quelque part ou des exclusions de certains secteurs. Est-ce que vous avez des commentaires là-dessus?

M. Thibault: Le concept du seuil est assez bien établi au GATT. Comme vous le savez, dans la dernière négociation, c'est l'approche qu'on a suivie et qui semble être relativement acceptable par tout le monde. Je crois que quelque chose peut être fait en ce sens. Cela permet une certaine flexibilité au plan local qui semble être acceptable pour tout le monde, mais je crois que ce

n'est pas la question fondamentale- La question fondamentale, c'est: Est-ce qu'on y a accès, est-ce qu'on peut soumissionner même? C'est surtout cela, la question. C'est l'attitude et la réglementation qui permettraient aux Canadiens d'aller chercher des contrats aux États-Unis. Évidemment, il faudrait accepter l'inverse, bien sûr, mais les occasions sur le marché américain sont absolument énormes; je crois qu'on parle d'un chiffre de 500 000 000 000 $ ou 700 000 000 000 $. Si on peut en obtenir 1 % ou 2 %, ce sont des chiffres d'affaires énormes pour le secteur manufacturier canadien. C'est surtout une question d'accès. Je vous dirai que, dans ce contexte, le problème qu'on a maintenant au Canada, c'est que, souvent, on n'a pas accès d'une province à l'autre* Oans nos divisions de l'Ouest, un comité a été formé tout récemment pour faire valoir dans les provinces voisines, aux premiers ministres, qu'il y avait certaines difficultés en Alberta et en Saskatchewan, par exemple, à cause de la baisse des prix du pétrole. Pour essayer de survivre, il n'était même pas permis d'aller soumissionner au Manitoba ou en Colombie britannique. Ils disaient: Comment voulez-vous qu'on survive et qu'on fasse face aux Américains ou à qui que ce soit si vous ne nous permettez même pas de nous rentabiliser au sein de notre propre pays? Alors, nous-mêmes, on a du travail à faire dans le domaine.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci. Avec la permission de M. le ministre, moi aussi, deux ou trois petites vîtes... À la suite de la question que vous posait le ministre, M. Lavigne, de même que MM. Sarrazin et Thibault, lorsqu'il vous demandait si, dans le cadre du libre-échange, vous auriez besoin d'aide gouvernementale, de subventions ou de quoi que ce soit, si j'ai bien compris votre réponse, M. Lavigne a dit non, essentiellement. Son avis a été entériné autant par M. Sarrazin que par M. Thibault. Moi, j'aimerais faire une mise au point, parce que ce n'est pas la première fois que j'entends cela, et particulièrement depuis un an. Est-ce que quelqu'un peut me dire rapidement, en une minute ou deux, ce que vous entendez par une subvention? Je n'ai pas l'impression qu'on parle de la même chose. Une subvention, pour moi - si vous êtes d'accord avec cela, vous me le direz et, si vous ne l'êtes pas, vous me le direz aussi - c'est une aide, un appui gouvernemental quelconque. Une subvention n'égale pas nécessairement une formule particulière, mais c'est une aide. Lorsqu'on aide une entreprise en recherche et développement, on va lui apporter, à mon avis, une subvention. Peut-être que la forme de subvention d'il y a cinq ans, dix ans a évolué et changé. Peut-être qu'on a dépassé le stade, aujourd'hui, de dire: Quand vous achetez une bâtisse ou une "machine", on va vous donner 10 %, 12 %, 15 % de subvention gratuite pour vous aider. Je suis d'accord quant à la forme. Mais une subvention, une aide gouvernementale, une intervention gouvernementale, il faut s'entendre sur les termes parce que c'est important. On a eu le même dilemme hier avec le Conseil du patronat. Ghislain Dufour dit carrément: On ne veut plus de subventions, on ne veut plus d'aide, on ne veut plus d'intervention du gouvernement, mais, attention! pour l'exportation, on aimerait continuer à être appuyés. Le ministre du Commerce extérieur est là. En recherche et développement, on aimerait être appuyés et c'est important. Là-dessus, par exemple, on veut avoir des subventions.

Écoutez, je voudrais seulement qu'on s'entende sur le langage. Quand Mme Fecteau déclare dans la revue PME de ce mois-ci, et je pense qu'elle sait de quoi elle parle: De plus, l'AMC demande la mise sur pied de programmes d'assistance aux entreprises et aux travailleurs pour faciliter les ajustements, recyclages, l'établissement des nouvelles règles d'origine, etc.; dans mon langage, ce que vous demandez, effectivement, c'est un apport, un appui qui n'est pas négatif, mais qui est un appui de la part du gouvernement parce que je ne crois pas que l'entreprise pourra elle-même se débrouiller seule. Peut-être la grande, la moyenne, moins et la petite, sûrement pas. Vous représentez tous ces stades.

Je pense qu'il est important qu'on s'entende sur le langage. On ne peut pas dire: On ne veut pas d'aide gouvernementale, on ne veut pas d'intervention du gouvernement et on va s'arranger seuls parce que, maintenant, c'est la nouvelle façon de faire, et, de l'autre côté, dire: Oui, on va avoir besoin d'appui en recherche et développement, oui, on va avoir besoin d'un peu d'appui pour exporter. Quand il y a eu abolition de règles du GATT dans le secteur du meuble, dans le secteur de la chaussure, et vous le savez, qu'est-ce qui a permis à des entreprises, à des secteurs particuliers de survivre? Et, s'il y a un organisme qui représente bien le monde patronal, qui représente bien les chefs d'entreprises, c'est bien le vôtre, sur le plan sectoriel, au Québec, au Canada. Il y a des entreprises qui ont applaudi des programmes, dans le passé, pour avoir des mesures de transition et faire face aux nouvelles règles du jeu, je pense que cela a été drôlement apprécié. Je ne dis pas qu'il faudrait que cela soit du même ordre, mais je dis qu'il va falloir de l'intervention. L'intervention aussi, et je termine là-dessus, à mon point de vue, va dans le sens de ce que disait M. Thibault ou

l'un d'entre vous tantôt... Non, je pense que c'est M. Sarrazin qui a dit cela. Cela va prendre des politiques quant à la main-d'oeuvre, des politiques plus générales. Une politique ne doit pas être nécessairement spécifique quant à la main-d'oeuvre, au recyclage, à la formation de la main-d'oeuvre. Je pense qu'on devrait avoir une politique globale au Québec. On n'en a pas. j'aimerais que vous puissiez me clarifier cela. Même si je sortais d'ici avec simplement un éclaircissement là-dessus, je pense qu'on aurait fait avancer le débat en ce qui me concerne.

M. Sarrazin: En ce qui concerne tes subventions, dans leur forme pure et simple elles traduisent un privilège que quelqu'un reçoit. Si tout le monde reçoit le même privilège, est-ce qu'on peut appeler cela une subvention? Je ne le croirais pas. Si une personne en particulier, qui est concurrente d'autres personnes, reçoit une subvention alors que les autres ne la reçoivent pas, eh bien, il faut qu'il y ait une raison. Si la raison est qu'il y a, dans ce cas, un risque accru que les autres n'ont pas et que c'est pour couvrir ce risque afin de faciliter un démarrage particulier, il y a une justification. Il est difficile d'expliquer quelque chose comme cela sans avoir un exemple précis, chose à laquelle je ne voudrais certainement pas me risquer.

Il demeure tout de même un fait, que le facteur risque existe, et, s'il y a subvention pour pallier ce facteur de risque, est-ce qu'on peut penser qu'avec le temps ce risque va se dissiper parce qu'avec la subvention, cette industrie aura pu démarrer et, après, voguer de ses propres forces? C'est la grosse question. Si on subventionne une chose pour la démarrer et que, par la suite, elle a des problèmes pendant plusieurs années, eh bien, on peut se poser des questions sur les subventions. Le domaine du sciage a été assujetti à des choses comme celles-là, de même que celui des pâtes et papiers. (11 h 45)

Ce qu'on prône présentement, c'est d'arrêter d'être discriminatoire dans les aides qui sont fournies et de considérer des palliatifs universels du côté des taxes, des aides indirectes, entre guillemets, comme je les appelle, et qui seraient celles, par exemple, de la main-d'oeuvre et les aides reliées à la recherche pour développer des produits qui deviendront plus concurrentiels.

Si on attire ces commentaires sur le libre-échange, eh bien, il va y avoir des domaines où déjà on sera prêts à procéder au libre-échange, alors que dans d'autres domaines on ne le sera pas. Mais est-ce qu'on doit attendre que tout le monde soit prêt pour commencer ou si l'on doit regarder s'il y en a assez qui sont prêts pour que cela vaille ia peine? Une chose est certaine, comme M. Thibault le mentionnait, il y a beaucoup d'investissements qui peuvent être faits au Canada par nos propres banquiers, avec notre propre rentabilité - on a prouvé qu'on était capable de faire quelque chose de façon adéquate - et avec la main-d'oeuvre qu'on a. Dans ce contexte, on peut devenir concurrentiels avec les États-Unis, mais il est clair que, surtout dans la province de Québec, nous sommes des exportateurs. Nous ne consommons pas tous les biens que nous produisons. Faisant face à une population comme celle des États-Unis, il faut qu'on soit capable d'attirer vers elle ce qu'on produit en surplus.

Maintenant, si les fabricants des États-Unis s'aperçoivent qu'on est compétitifs avec de l'aide gouvernementale précise, attachée à une compagnie particulière - si on veut le mentionner aussi précisément que cela - ils vont mai comprendre comment on peut accepter que ces produits soient vendus avec des échanges de monnaie - ce qui, aujourd'hui, cause beaucoup plus de problèmes que le libre-échange - qui nous sont favorables présentement dans le secteur manufacturier. Lorsqu'ils s'en vont aux États-Unis, ils vont dire: On va établir un blocus, c'est du dumping ou c'est quelque chose d'autre. Si on achète quelque chose de l'extérieur, qu'on le transforme un peu au Canada et qu'on l'envoie aux États-Unis grâce à ces ouvertures tarifaires, ils vont dire: Attention!, M. Iaccoca, qui est venu ici, au Château Frontenac lors de sa dernière visite, ne s'est pas gêné pour nous dire: Attention, les gars, les Japonais entrent par le Canada pour pénétrer aux États-Unis. Donc, il faut faire attention à ces choses et je pense qu'il faut bien s'étoffer.

Mais, pour ce qui est de votre question reliée aux subventions, si elles sont discriminatoires, je prétends qu'elles sont nuisibles. Si elles sont universelles et bien comprises par les Américains, à savoir dans quelle situation elles sont versées, je pense qu'on a de bonnes chances de faire ensemble les deux choses qu'on semble dire ne pas être équitables, soit celle de donner quelque chose à quelqu'un pour l'aider, d'une part, et, d'autre part, être capable de profiter de cela et s'en tirer dans la vente de nos produits aux États-Unis. Il y a un dilemme là-dessus. Peut-être que Laurent peut préciser.

M. Thibault: J'ajouterais juste deux points. Je pense qu'il ne faut pas dire que les secteurs manufacturiers industriels ne veulent pas avoir affaire avec les gouvernements parce que au départ, c'est un travail d'équipe. Vous savez, dans une entreprise, on fait un profit et dès le départ le gouvernement en prend la moitié. Alors, on est dans l'équipe, qu'on le veuille ou non.

M. Sarrazin a mentionné l'élément risque. C'est un élément important et je crois que c'est accepté que, dans certains cas, il y a quelque chose à faire là. Il y a aussi un élément qu'il ne faut pas perdre de vue. Il ne faut pas être naïf, il faut égaliser le champ du jeu, si vous voulez. C'est bien compris aux Etats-Unis, par exemple, qu'on subventionne par les contrats de production pour la défense l'élément militaire. Il y a énormément de subventions de recherche et de développement. Nous, au Canada, on fait quelque chose qui est propre à notre situation, qui est très bien accepté et très bien reçu par le monde industriel, et qui est absolument nécessaire. Alors, la question de . la recherche et du développement, c'est un jeu que tous les pays jouent. Chaque gouvernement trouve des instruments pour faire avancer, moderniser sa structures économique; nous devons en faire autant et il ne faut pas se gêner.

M. Parent (Bertrand): Je conclus de vos explications que, pour autant que ce n'est pas discriminatoire, vous êtes favorables. Pour moi, si la Société de développement industriel du Québec prête à votre entreprise 1 000 000 $ et veut partager les risques -pour une raison ou pour une autre, l'entreprise ne peut pas l'obtenir de la banque - sans intérêt pendant trois ans, ce n'est pas donner de l'argent comptant, c'est vous donner par la porte arrière 300 000 $ sur une base de 10 % par année. C'est peut-être différent dans la formule, mais je pense que c'est une aide gouvernementale appréciée dans le partage du risque. Le gouvernement, en recherche et développement, pour aider l'une de vos entreprises, dit: Pour chaque dollar que tu vas mettre en recherche et développement cette année, on va mettre une piastre - une piastre, c'est une formule incitative - pour chaque piastre que vous mettrez, vous en recevrez une. La piastre que vous recevez, vous ne la mettez pas dans vos poches, elle va payer la recherche et le développement, mais c'est une aide gouvernementale, c'est un soutien. Si on s'entend sur cela, moi, j'aurai éclairci un gros point. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. le député de Vanier.

M. Lemieux: J'aimerais vous interroger sur un point bien particulier de votre mémoire, soit l'établissement d'un mécanisme de règlement. Lorsque je songe à ce mécanisme, je pense davantage par comparaison au droit constitutionnel canadien. Vous n'êtes pas sans savoir que, dans le droit constitutionnel canadien, ni le pouvoir de dépenser, ni le pouvoir ancillaire ou pouvoir résiduaire, vous ne trouvez cela écrit à l'article 91 ou 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, mais que ces pouvoirs ont été conférés à l'État fédéral à la suite de décisions de la Cour suprême. Relativement à l'établissement d'un mécanisme de règlement, le Conseil du patronat comparaissait devant nous et il nous disait qu'il s'imaginait mal qu'un accord se concrétise sans mécanisme de règlement. Il nous disait que c'était inévitable dans l'application concrète comme telle de l'accord. M. Parizeau, par contre, croyait très peu à l'instauration d'un tribunal d'arbitrage avec décisions exécutoires. Il optait pour une formule de subventions, si je peux employer l'expression, compensatoires. Par contre, lorsqu'on regarde votre mémoire, vous parlez de l'établissement d'un mécanisme de règlement des différends qui fonctionnerait sur la base d'avis et de consultations.

La première question que je me pose est la suivante: Si ces avis et ces consultations ne permettent pas d'en arriver à un règlement, quel type de solution nous proposez-vous? Avez-vous l'intention de laisser cela à la décision du Congrès? Un statu quo, actuellement - c'est une sous-question - est-ce acceptable selon vous? Mme Fecteau ou M. Thibault.

M. Thibault: Il est tout à fait clair que la situation courante est non seulement inacceptable, mais que cela va "rempirer" avant que cela ne "renmieute", comme on dit. C'est précisément le coeur de l'affaire qu'on essaie de régler comme Canadiens. Alors, il y a différentes méthodes qu'on peut concevoir pour essayer d'établir un accès prévisible et stable à long terme au marché américain. De préférence, si les Américains disaient: Bon, vous, les Canadiens, on vous aime, vous êtes différents, vous jouez le jeu de façon acceptable et on va vous exempter de tout cela, ce serait la chose idéale. Il semble que ce ne soit pas acceptable. Alors, à ce moment, on doit reculer et on doit essayer de négocier quelque chose qui soit plus acceptable.

Maintenant, il y a toute une gamme de possibilités et c'est là qu'il faut faire la négociation. Comme l'ont laissé entendre beaucoup de participants à ce débat, si on pouvait avoir un mécanisme qui enlève l'élément politique, si vous voulez, de la décision pour mettre cela aux mains d'un tribunal qui rendrait un jugement dans lequel tout le monde aurait confiance des deux côtés, permettant ainsi une évaluation rationnelle et objective de la situation, ce serait pour nous comme un petit pays faisant face à un énorme pays qui a évidemment une puissance économique énorme. Ce serait quand même pas mal comme solution de rechange. Alors, c'est ce qu'on doit viser, je crois. II va falloir examiner de très près ce que

l'entente va contenir. La décision, le jugement, je crois, à savoir si ce mécanisme qui a été mis en place dans l'entente nous donne suffisamment d'accès, de protection et de prévisibilité, c'est la question clé à mon avis. Je ne suis pas en mesure de vous donner les détails sur comment cela va se dérouler et comment cela va se structurer, mais il est évident que c'est le jugement clé de l'entente.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand, avez-vous...

M. Parent (Bertrand): Oui, certainement, M. le Président. M. Thibault, vous avez, dans le travail des dernières années et particulièrement de la dernière année, fait des études que vous avez entre les mains dans les différents secteurs donnés sur tout cet impact du libre-échange. Avez-vous préparé jusqu'à maintenant ou avez-vous l'intention de préparer un scénario de recommandations? Si demain matin on vous demandait quelles sont vos recommandations pour les périodes de transition selon les secteurs, tenant pour acquis que c'est dans le meuble, dans les produits électriques ou dans tous les secteurs qui sont sur la table actuellement, si on avait à faire des recommandations afin que les périodes de transition... Normalement, l'entente canado-américaine signée le 4 octobre devrait certainement comprendre un scénario prévoyant une entente sur les périodes de transition. Avez-vous, secteur par secteur, des recommandations précises à faire' concernant ces périodes de transition qui varieront sûrement, dans certains cas, de 18 mois, trois ans ou dix ans? Êtes-vous allés jusque-là? Avez-vous cela entre les mains?

M. Thibault: La réponse est non, essentiellement. Comme organisme horizontal, global et national, nous n'avons ni les moyens ni les mécanismes pour examiner la situation en détail dans chaque secteur. Cependant, il y a des organismes très actifs, l'industrie du textile, les pâtes et papiers, etc., qui, je crois, seraient en mesure de vous donner les détails sur la situation. Des propositions très concrètes ont été faites.

Je crois qu'un élément très encourageant de tout le processus qu'on a eu jusqu'à maintenant, c'est justement ce processus de consultation qui a été très bien mené. On n'a entendu aucune critique du point de vue industriel disant qu'on n'aurait pas eu accès ou qu'on n'aurait pu faire état de ces inquiétudes. D'après le dernier briefing que j'ai eu récemment à Ottawa -au point de vue tarifaire, du moins - il semble qu'il y ait une bonne possibilité d'avoir une entente où il y aura des décalages acceptables des deux côtés dans différentes industries. Il semble que cet aspect des négociations peut être réglé de façon acceptable pour les deux côtés.

M. Parent (Bertrand): En tant que chapeau d'organismes, vous avez des organismes sectoriels qui ont fait ce travail. Pensez-vous qu'il soit possible d'avoir cela dans... Je fais référence particulièrement au Soleil du 17 août dernier dans lequel l'AFMQ, l'Association des fabricants de meubles du Québec, disait d'une part qu'elle ne s'opposait pas au libre-échange, mais qu'il y avait des conditions très spécifiques. C'est très clair pour eux que, dans le cas du meuble, l'élimination des tarifs douaniers doit s'échelonner sur une période de dix ans, que le gouvernement doit offrir une aide financière aux fabricants pour les aider à améliorer leur productivité et que des mesures doivent être prises, etc. Et, là, on continue. Dans le cas des fabricants de meubles, déjà, on a assis une position sur dix ans. Il serait intéressant - et je ne sais pas comment on pourrait procéder - d'avoir cette étude-là comme outil pour faire avancer cela quelque peu - parce que cela va prendre cela à un moment donné - auprès des différents secteurs et davantage auprès de ceux qui ont fait ce travail. Actuellement, les gens du meuble ont pris position, si on peut dire; Us ont annoncé leurs couleurs. Et eux, il leur faut un minimum de dix ans. Je m'inquiète, à savoir si, d'une part, cela a été fait. Je ne sais pas si c'est à vous qu'il faut s'adresser, mais peut-être êtes-vous bien placés pour me donner une réponse - si ce n'est pas aujourd'hui, elle pourra venir par la suite - de façon que, s'il y a des recommandations, elles soient acheminées et qu'ils soient sensibilisées, si cela n'a pas déjà été fait. Mais la seule que j'ai pu voir dans les secteurs ici au Québec c'est quand on a dit: Nous, ce qu'on veut, c'est un minimum de dix ans. (12 heures)

M. Thibault: Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de vous donner les détails de chaque industrie. Par contre, je crois qu'il serait aussi simple de s'adresser au bureau de M. Reisman et de lui demander quelles sortes de propositions ont été soumises et discutées dans les discussions que nous avons eues avec différentes industries verticales, si l'on peut utiliser le terme.

Il y a certainement des positions très claires dans beaucoup d'industries, mais je ne peux pas me permettre de parler pour elles. Chaque industrie doit faire ses propres représentations. Est-ce que vous vouliez ajouter quelque chose?

M. Lavigne: Je pense que ce qui fait peur dans tout cela, c'est beaucoup plus que les gens ont l'impression qu'il va y avoir un choc du jour au lendemain, qu'on va se retrouver dans le libre-échange et que les

entreprises américaines vont être sur notre dos, etc. Je le vois beaucoup plus comme un processus évolutif. Il y aura certainement, dans certains secteurs, des comités qui vont regarder ce problème, vont l'étudier et faire des recommandations particulières.

Cela veut dire qu'il faut regarder cela dans un esprit de flexibilité. C'est beaucoup plus le principe du libre-échange qui est en question ici que le fait d'arriver à des règlements très précis. Si on réussissait à convaincre beaucoup d'entreprises, par exemple, des industries qui sont particulièrement touchées ou des ouvriers, que cela peut se faire sur un certain temps et qu'il n'y a pas de changements radicaux qui vont se produire, je pense qu'on va avoir accompli beaucoup. Mais, quand on sait qu'on n'a pas le choix, qu'il faut aller vers le libre-échange, sinon, comme on l'expliquait ce matin, il y a 80 % de notre industrie, actuellement, des expéditions manufacturières ou des exportations qui ne sont pas touchées par le... Elles sont dans le libre-échange, réellement. Ce sont ces 80 % qu'il faut protéger, justement, en allant vers des ententes, parce que à un moment donné, avec l'attitude protectionniste qu'on a aux États-Unis, ces 80 % risquent d'être affectés à la baisse et ce sont les Canadiens qui vont en subir les conséquences néfastes.

M. Thibault: II faudrait aussi - si je pouvais ajouter une autre pensée - garder la question de la baisse des tarifs en perspective. Ce n'est pas sorcier, vous savez, pour la plupart des entreprises, si on échelonne cela à travers une période adéquate de plusieurs années. Il y a beaucoup d'entreprises qui font face à des changements de devises, par exemple, qui sont l'équivalent de changer vos prix de moitié, de 50 %, 60 % ou 70 % en l'espace d'un an ou deux. Alors, si on parle de changer un tarif de 1 % par année sur dix ans, ce n'est pas la fin du monde. Ce n'est pas cela qui inquiète les gens, en général.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique, vous vouliez en faire une petite vite?

M. MacDonald: Une petite vite, oui, en conclusion. M. le président et madame, j'ai retrouvé chez M. Lavigne le discours ou l'esprit que je voulais vous laisser à la fin de votre témoignage, à savoir cette pondération. En effet, on a parlé de baguette magique, de cataclysme et de sauver les meubles, etc.; il y a eu beaucoup de vocabulaire. Mais il ne faut pas partir en peur vis-à-vis de ce que pourrait être une solution. Tout ne changera pas du jour au lendemain.

Permettez-moi de faire appel également au fait que j'ai déjà payé mon "membership'' à votre association il y a plusieurs années. À ce titre, j'abuserais, en vous faisant la suggestion suivante: Entre autres rôles, la commission parlementaire, ici, se veut pédagogique. Elle veut également connaître les opinions de gens qui n'en avaient pas formulé auparavant. Mais il y a une chose qui est ressortie et qui est évidente, c'est que le public, en général, pourrait recevoir beaucoup plus d'information.

S'il y avait une demande que j'aimerais vous formuler, tant sur le pian canadien et particulièrement sur le plan québécois, c'est: Que pourriez-vous faire de plus par l'entremise de vos membres pour mieux informer vos employés qui sont vos associés? Il y aurait beaucoup de travail à faire dans cela et je vous inviterais à le faire. Je vous remercie d'avance pour ce que vous pourriez faire dans ce sens-là. Merci.

M. Thibault: Juste un petit commentaire. Nous sommes très conscients de ce que vous dites et nous avons déjà, dans nos publications et nos bulletins d'information à nos membres, depuis un an et demi ou deux, fait beaucoup de suggestions. Nous avons publié, par exemple, des lettres que des présidents d'entreprises ont écrit à leurs membres, à leurs employés pour expliquer leurs positions. Cela se fait de plus en plus. Justement, hier, j'en lisais un autre, un magnifique dépliant de IBM à ses 20 000 employés qui faisait état de la position de l'entreprise envers le libre-échange clairement et nettement. Alors, voilà peut-être une vingtaine de milliers de Canadiens qui sont mieux informés. II s'en fait encore pas mal. Ce n'est pas visible, mais, dans nos entreprises, on en parle beaucoup.

Le Président (M. Charbonneau): Je sais que le député de Bertrand m'en a également demandé une petite vite. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Je tiens tout simplement à vous remercier. Les échanges qu'on a eus ce matin, je les ai sentis très fructueux et très sincères et je vous remercie pour toute cette franchise.

Le Président (M. Charbonneau): Au nom des autres membres de la commission qui ne vous ont pas remerciés - ils voudraient bien le faire, mais ils ne le peuvent pas parce que le temps est limité - je vous remercie également d'avoir bien voulu participer à cette consultation générale. Dans votre cas comme dans d'autres, il ne me reste qu'à vous dire à la prochaine, car je suis convaincu qu'à un autre moment, sur un autre sujet, vous reviendrez devant la commission de l'économie et du travail.

Merci et bon retour.

J'invite immédiatement les représentants de l'Association des éditeurs canadiens et de la Société des éditeurs de manuels scolaires du Québec à prendre place à la table.

Mesdames et monsieur, bienvenue à la commission de l'économie et du travail* Je vous indique immédiatement les règles du jeu. Vous avez au maximum une vingtaine de minutes pour présenter votre point de vue. Le temps qui reste, c'est-à-dire le reste de. l'heure, sera réservé aux membres de la commission pour un échange avec vous sur les points de vue que vous aurez présentés.

Je demanderais è la présidente de l'organisme, Mme Levert, de présenter les personnes qui l'accompagnent et d'aborder immédiatement, par la suite, son exposé.

Association des éditeurs canadiens

et Société des éditeurs de

manuels scolaires du Québec

Mme Levert (Carole): Merci, M. le Président. Je suis aujourd'hui ici avec mes collègues, M. Hervé Foulon, président de la Société des éditeurs de manuels scolaires du Québec, et la directrice générale de l'Association des éditeurs canadiens, Mme Johanne Guay-Simard.

Nous sommes reconnaissants aux membres de cette commission parlementaire de nous accueillir ici aujourd'hui et nous apprécions vraiment cette occasion que nous avons d'échanger avec vous sur un sujet qui nous tient, évidemment, beaucoup à coeur. Nous savons que la position de nos dirigeants gouvernementaux est de ne pas négocier la culture dans le cadre du libre-échange, sans compter la reconnaissance qui nous a été donnée, par le biais de l'accord du lac Meech, en parlant de société distincte. Nous savons aussi que les déclarations, entre autres, de notre vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles, Mme Lise Bacon, et celles aussi du ministre québécois des Communications, M. Richard French, ont été claires à cet effet.

Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est en quelque sorte pour étayer les raisons qui ont fait que, jusqu'à maintenant, nous, de l'industrie de l'édition du livre au Québec, avons appuyé les mesures protectionnistes à l'égard de l'industrie culturelle dans le cadre du libre-échange.

Quelles sont ces raisons qui font que nous appuyons cette position? Pourquoi naît l'inquiétude dans notre milieu lorsque l'on parle de libre-échange? Nous avons cru que, pour bien comprendre, le mieux était encore de voir quel était notre contexte de vie, dans quel contexte vivait l'industrie du livre québécois.

Tout d'abord, nous soulignons que l'industrie québécoise de l'édition telle que nous la connaissons aujourd'hui est jeune. On se souviendra que c'est principalement au cours des années soixante et soixante-dix que se multiplièrent les maisons d'édition québécoises, tant les maisons spécialisées que les maisons produisant des ouvrages d'intérêt grand public. Ce mouvement a permis è de nombreux créateurs d'accéder à leur public en même temps que se professionnalisaient les premières générations d'éditeurs soucieux d'augmenter leur part du marché.

Comment pouvons-nous et comment avons-nous pu augmenter notre part du marché? En diversifiant les produits, bien sûr, en occupant tous les créneaux commerciaux et surtout en tirant un meilleur parti des infrastructures de l'industrie de l'édition sans laquelle l'édition seule n'est rien.

C'est ainsi qu'au cours des années soixante-dix et quatre-vingt s'est amorcé ce que l'on a déjà appelé une "bataille", même si je mets le mot entre guillemets, sur l'appropriation et la consolidation des réseaux de distribution du livre qui jusque-là majoritairement étaient à propriété française. Même si la situation est aujourd'hui encore loin d'être idéale, le rachat d'importantes agences de distribution étrangères et la croissance d'agences nationales ont néanmoins profondément modifié le portrait du marché du livre québécois.

Les mesures gouvernementales provinciales, que ce soit par le biais de la loi 51, par les programmes de subvention à l'édition, par les mesures d'approbation aussi du ministère de l'Éducation à l'égard des ouvrages scolaires, ont joué un rôle important, voire déterminant pour l'épanouissement de notre industrie du livre.

Cela dit, nous sommes encore une industrie précaire; précaire parce que jeune et, conséquemment, en situation de non-contrôle par rapport à l'ensemble de son infrastructure; précaire par manque de capital, phénomène extrêmement difficile à contourner étant donné la taille du marché et les économies d'échelle impossibles à réaliser dans un tel contexte.

Les éditeurs québécois, compte tenu de la taille de leur marché, font preuve d'un dynamisme remarquable. Toutefois, malgré le très grand nombre d'ouvrages qu'ils publient, les ouvrages importés représentent encore 67 % du marché canadien des livres en français. La production des éditeurs québécois, avec celle des éditeurs de langue française ailleurs au Canada, n'occupe donc que 33 % du marché national. Cependant, il est reconnu que ce sont les éditeurs nationaux qui publient en plus grand nombre les auteurs nationaux. Cela est vrai pour les auteurs québécois - très peu d'entre eux, en fait, sont publiés par des éditeurs étrangers et, lorsque c'est le cas, c'est souvent la vente de leur ouvrage au Québec qui

rentabilise l'investissement de l'éditeur étranger - comme cela est vrai aussi pour les auteurs canadiens de langue anglaise. "85 % de tous les titres d'auteurs canadiens sont publiés par des entreprises appartenant à des Canadiens."

Or, l'activité de l'éditeur a besoin du dynamisme de plusieurs intervenants, lesquels constituent, justement, l'infrastructure de l'industrie à laquelle je faisais allusion tout à l'heure. Il s'agit, bien sûr, des distributeurs, des libraires et aussi des médias écrits et électroniques qui, par leur rayonnement, atteignent le public.

Qu'en est-il de notre structure de commercialisation? Si l'on regarde du côté des réseaux de distribution traditionnels qui sont des agences intermédiaires entre l'éditeur et les libraires, comme nous l'avons rappelé dans notre mémoire, pendant longtemps le produit français a bénéficié de la mainmise des grands groupes d'édition française sur les circuits de distribution au Québec. Cela a constitué une véritable barrière pour les producteurs nationaux oeuvrant dans le domaine de la littérature générale en langue française, par exemple. Ils n'avaient, la plupart du temps, pas d'autres recours que d'être distribués par leurs concurrents français. (12 h 15)

En dépit du rachat des principales maisons de distribution françaises au Québec par des capitaux nationaux, le produit français occupe encore aujourd'hui une place très importante sur le marché. L'antériorité des structures de commercialisation des éditeurs français au Québec et l'existence, encore aujourd'hui, de grandes unités de distribution à capitaux français et, plus globalement, le poids de l'édition française en regard de la production québécoise favorisent encore maintenant, dans beaucoup de secteurs, les ouvrages d'origine française. Le rachat d'agences de distribution, la création d'agences québécoises de distribution, tout en marquant un pas important vers l'occupation réelle de notre marché, demeurent une démarche à poursuivre.

Au second niveau de la structure de commercialisation se retrouvent les libraires et le réseau des petits postes de vente. Le nombre de librairies varie entre 300 et 350. Il y a les librairies à succursales multiples, les chaînes, qui sont au nombre de 5 regroupant environ 50 librairies. Les succès enregistrés par ces chaînes de librairies reposent sur des techniques de mise en marché dynamiques. En matière d'achat, on remarquera que les chaînes Coles et Smith se vouent principalement aux livres de langue anglaise et bénéficient donc d'économies d'échelle. La chaîne Flammarion-Scorpion, propriété de la maison française Flammarion, accorde une grande importance aux ouvrages à vente rapide et c'est normal puisqu'elle emprunte aux grands de la vente au détail les techniques de rentabilisation de l'espace. À leur suite viennent deux plus jeunes chaînes, Demarc et Action-Garneau.

Dans ce secteur, comme dans celui de la distribution, le phénomène de la concentration modifie les règles du jeu. Ainsi, le nombre des chaînes de librairies est-il passé de sept, en 1983, à cinq, en 1986. De plus, pour tenir compte de leurs frais d'exploitation, ces chaînes ont tendance à promouvoir les ouvrages de vente rapide, délaissant, faute d'espace, les ouvrages dits de fond. Cette situation ne peut pas favoriser l'épanouissement des éditeurs québécois, la durée de vie des ouvrages étant réduite au maximum, rendant fort difficile l'établissement d'un fonds d'édition, lequel, bien sûr, est nécessaire à la rentabilisation des investissements et oblige les éditeurs à augmenter le nombre des nouveautés, lesquelles nécessitent des investissements constamment renouvelés.

Existe également le réseau des postes de vente autres que les librairies pharmacies, tabagies, dépanneurs et grandes surfaces - qui compte entre 2000 et 6000 unités. Dans ce réseau, il va sans dire que les produits favorisés sont les produits à grande vente: en premier lieu, les ouvrages en format de poche d'origine étrangère, les collections à grande diffusion, les grands best-sellers étrangers, donc, des ouvrages grand public, français ou américains, objets, entre autres, de productions cinématographiques ou télévisuelles qui leur donnent une visibilité très importante et, en second lieu, les ouvrages pratiques. Ce réseau, qui est essentiel à la couverture entière du marché, aussi bien en milieu urbain que dans les régions éloignées des grands centres, est toutefois coûteux à exploiter et, pour plusieurs éditeurs, il est partiellement exploité.

Il faut ajouter à ces points de vente qui reçoivent annuellement 10 000 nouveautés françaises en excluant les rééditions qui sont au nombre de 14 000; les soldeurs, le Québec, à lui seul, comptant dix entreprises commercialisant ce "produit" comprenant des soldes d'éditeurs québécois, bien sûr, mais en grande partie des soldes d'éditeurs français souvent achetés directement du producteur original, ce qui occasionne, dans certains cas, des concurrences surprenantes, un livre coédité au Québec trouvant son pareil à prix de solde sur le même marché.

La force de l'édition étrangère se manifeste aussi au niveau d'un autre mode de distribution: la vente par correspondance, incarnée ici par les clubs de livres. Presque tous les clubs de livres au Québec, sinon la quasi-totalité, sont propriété étrangère. Outre le fait que les retombées et les profits de

l'exploitation de ce lucratif marché échappent aux Québécois, les maisons d'édition québécoise ne tirent, à proprement parler, presque aucun profit de l'existence de ces clubs.

Bien peu de titre nationaux retiennent l'attention des clubs de livres, qui exploitent principalement le marché avec des ouvrages publiés majoritairement par des maisons d'édition étrangères. Pour s'en convaincre, il suffit d'étudier les catalogues des clubs de livres. Par exemple, le contenu québécois de Québec-Loisirs, qui est le plus important club de Uvres de langue française sur notre territoire, varie entre 8 % et 10 %, ce qui ne correspond guère aux performances réelles du livre national de langue française, qui représente, quand même, 33 % du marché. Comment expliquer ce phénomène? Un club tel que Québec-Loisirs, lui-même filiale à 100 % de France-Loisirs, dont la société allemande Bertelsmann détient plus de 50 % du capital, bénéficie, bien sûr, d'économies d'échelle sur d'autres marchés plus vastes.

Le livre étranger, produit simultanément pour la maison mère et sa filiale, atteint un tirage très élevé qui lui permet d'étaler les frais fixes et, de ce fait, de réduire le coût moyen de chaque ouvrage produit, la plus importante économie étant, sans contredit, celle reliée à l'impression. Cela permet d'offrir les ouvrages avec une réduction de 30 % aux consommateurs, ce qui est en soi appréciable, sauf dans le cas où, par absence de réglementation en ce domaine, le livre sujet à un escompte à l'intérieur du club se trouve en même temps mis en vente au prix normal dans les librairies du Québec.

Cet exemple, tout comme ceux reliés aux autres secteurs de commercialisation que nous avons évoqués, témoigne de la difficulté de notre industrie de l'édition à contrecarrer les offensives de l'industrie étrangère, plus forte et plus puissante. Ces scénarios vécus avec des partenaires français ne peuvent-ils pas se reproduire avec les partenaires américains du libre-échange?

Le Québec a une longue expérience de l'envahissement de son marché par l'édition étrangère. La concurrence de l'édition française a été et demeure un souci constant. La volonté d'occuper notre marché a poussé les éditeurs québécois à faire preuve d'ingéniosité. Face à notre faible taux d'exportation, les éditeurs québécois ont amorcé la pratique de la coédition et de la coproduction. Ces solutions permettent un faible rééquilibrage des forces. Mais il reste encore vrai, aujourd'hui, qu'il nous est plus facile à nous d'acheter que de vendre.

Notre expérience avec le Canada anglais est similaire. Pour l'ensemble de nos produits, peu de nos titres sont exploités en langue anglaise au Canada. La raison: le marché est déjà autosuffisant et, de plus, les ouvrages américains occupent déjà tous les créneaux. Pourquoi alors exporter des auteurs et supporter des frais de traduction? Cette réalité serait-elle si différente à l'intérieur d'un accord de libre-échange?

Dans un tel contexte, comment peut-on envisager positivement de se lancer à l'assaut du marché américain de masse alors qu'au départ notre industrie est sous-capitalisée?

Quels sont nos rapports à ce jour avec les éditeurs américains? Ces rapports s'effectuent, dans la plupart des cas, par le biais d'intermédiaires localisés en France. En effet, l'achat de droits de langue française d'ouvrages américains, ouvrages populaires auprès de notre public, se déroule en France, le marché français étant mathématiquement plus important que le nôtre, sans compter que les possibilités d'exploitation du produit en France en de multiples secteurs sont beaucoup plus grandes que chez nous. L'achat de droits en langue française de best-sellers américains requiert des investissements importants pour ce qui est des à-valoir à verser. Pour rentabiliser de tels investissements, il faut compter sur l'exploitation des droits dérivés de l'ouvrage; vente de droits en livre de poche, en club de livres, quand ce n'est pas la vente de droits d'adaptation cinématographique. Pour de grands groupes d'édition, les revenus obtenus par le biais de la vente des droits dérivés s'avèrent parfois beaucoup plus importants que ceux engendrés par la vente d'exemplaires mis en marché. Et voilà qu'on se retrouve confronté à l'effet en chaîne provoqué par la faiblesse de l'ensemble de notre industrie culturelle.

Nous vivons au coeur d'une industrie culturelle vacillante. La sous-exploitation des droits dérivés des ouvrages québécois s'explique par le peu de débouchés qui s'offrent à nous. Le club de livres étrangers prendra peu de titres nationaux à son catalogue et, quand il le fera, le revenu sera, somme toute, modeste, le pourcentage de droits versés étant modeste, lui aussi, à être repartagé entre l'auteur et l'éditeur. Il existe bien des collections de poche au Québec, mais, le tirage de ces livres étant peu élevé, l'économie d'échelle ne peut pas être réalisée et la marge bénéficiaire sera, en règle générale, très faible. Bien qu'elle permette une vie plus longue aux livres ainsi mis en marché, la solution "poche" telle que nous la vivons ici ne peut être considérée comme des plus rentables.

Vendre des droits de cinéma ou de télévision? C'est possible même si c'est peu souvent probable. Mais quand c'est possible, de récents exemples nous ont démontré à quel point de telles opérations étaient rentables compte tenu des retombées auprès du public lecteur. Malheureusement, de telles productions sont peu nombreuses et nous ne pouvons compter sur une infrastructure

mature. Cette sous-exploitation des droits dérivés constitue donc un manque à gagner important pour tous les partenaires de l'industrie du livre.

Les avantages d'un éventuel libre-échange, quels seraient-ils? Nous permettre d'augmenter nos tirages et d'élargir notre rayonnement en nous ouvrant à un nouveau marché et, par là, avoir accès, nous aussi, à des économies d'échelle et à l'épanouissement de notre industrie? Pour les éditeurs québécois de langue française, il faut avouer que, de prime abord, la marge de manoeuvre semble réduite.

Pour tirer parti du contexte du libre-échange, continuerons-nous à publier en français et cela prioritairement?

Quelles seraient les avenues des producteurs de langue française aux États-Unis? Répondre à la demande américaine d'ouvrages en langue française?

Sans doute une telle demande existe-t-elle, notamment dans le secteur scolaire, bien que l'on constate actuellement une baisse du marché français aux États-Unis, notamment dans le marché du livre français de langue seconde, au profit, entre autres, de celui de l'espagnol, sans compter que, traditionnellement, en ce domaine, les Américains se réfèrent plus souvent aux normes et sources de France qu'à celles du Québec. Mais dans le cas où une telle demande existerait, nos éditeurs de livres scolaires auront-ils le capital nécessaire à investir pour attaquer ce marché et pour répondre, par exemple, aux normes de fabrication et d'approbation en vigueur aux États-Unis et différentes selon les États? Dans certains États même, on exige, avant l'approbation de l'ouvrage, une garantie de tirage minimum. Pour notre industrie scolaire, ce type d'entreprise s'avérerait impossible.

À l'inverse, les éditeurs scolaires américains qui auraient accès à notre marché pourraient très facilement adapter leurs livres à nos besoins, tout en bénéficiant du fruit des investissements antérieurs sur leurs marchés locaux et fournir ainsi une part importante des manuels scolaires au Québec. Tous les efforts déployés depuis maintenant plusieurs années pour appuyer l'édition scolaire québécoise et faire en sorte que les étudiants québécois aient à leur portée des ouvrages correspondant à leur contexte de vie seraient anéantis si, dans le cadre du libre-échange, l'on modifiait les règles du jeu qui prévalent actuellement. Et cela sans même parler des ouvrages d'études du niveau supérieur, lorsque l'on sait que, déjà, un grand nombre d'entre eux sont, justement, disponibles en américain à un coût bien inférieur à celui de leur traduction française, quand celle-ci, bien sûr, existe.

Si l'on considère les éditeurs de manuels scolaires membres de la SEMSQ, ils totalisent, à eux seuls, un chiffre d'affaires de plus de 40 000 000 $. C'est dire l'importance de ce secteur de notre industrie. Les ouvrages des éditeurs scolaires québécois occupent entre 70 % et 80 % du marché. Cette situation est meilleure certes que celle qui prévaut ailleurs au Canada. Le ministère des Communications du Canada constatait, en effet, en avril 1987, "que les filiales d'entreprises étrangères réalisent 67 % des ventes de manuels scolaires du Canada." Toutefois, il appert que, sans l'appui du gouvernement provincial et sans des mesures protectionnistes pertinentes, notre position s'affaiblirait.

Le Président (M. Charbonneau): Mme

Levert, est-ce que vous entendez lire l'ensemble de votre mémoire? Je me rends compte qu'il vous en reste encore au moins le tiers et que vous avez déjà à peu près écoulé les vingt minutes qui vous étaient allouées.

Mme Levert: C'est cela.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, de deux choses l'une: il y aura moins de temps pour les échanges au vous procédez à un résumé, une synthèse de ce qui vous reste pour qu'on puisse engager tout de suite la discussion.

Mme Levert: D'accord. Je pense que je vais résumer la conclusion, sachant que, d'autre part, vous avez pu recevoir le mémoire avant, et on pourra aller aux questions.

En d'autres termes, je dirais qu'on a mesuré davantage les risques que les promesses et que, globalement, n'étant pas en contrôle de notre marché, ayant déjà à lutter contre une première présence étrangère qui est celle de la France si, en même temps, nous avions, dans notre situation à nous protéger contre la France et courir pour nous protéger contre l'offensive américaine, il nous semble que nous n'y réussirons pas. À partir de là, nous croyons donc que le terrain ne serait pas favorable au libre-échange dans ce domaine chez nous. Je crois que cela résume l'esprit du texte.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie de cette présentation. Je vais immédiatement céder la parole à la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles.

Mme Bacon: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier l'Association des éditeurs canadiens et la Société des éditeurs de manuels scolaires pour l'excellent mémoire qu'elles nous ont présenté. (12 h 30)

On sent que l'expérience de la longue

lutte que vous avez déjà menée contre la concurrence, d'abord, de l'industrie française vous amène à être assez craintifs par rapport à ce dossier du libre-échange et à la possibilité d'entente sur la libéralisation des échanges.

Vous exprimez, dans votre mémoire, l'importance que vous avez en tant qu'industrie culturelle, mais, aussi, le rapport que vous nous faites a une habileté. Cette habileté-là, c'est de remonter la chaîne de l'industrie culturelle jusqu'à la création et, de la création, à l'identité québécoise. C'est pour cela que le ministère des Affaires culturelles a comme position de garder en main tous les instruments d'intervention gouvernementale qui sont nécessaires au maintien, au renforcement de l'industrie culturelle québécoise et aussi à ta diffusion des produits québécois au Québec ou à l'étranger. Soyez assurés que notre position est qu'on se doit de sauvegarder notre capacité d'intervention et même de renforcer cette capacité d'intervention.

Dans votre mémoire, vous précisez aussi que vous attendez, évidemment, peu d'effets positifs d'une libéralisation des échanges dans le cas des industries culturelles et dans le cas de l'édition qui vous concerne, en particulier.

Votre point de vue, évidemment, je viens de le dire, rejoint le nôtre. Étant donné que les États-Unis sont peu réceptifs -vous-même, je pense, vous en avez fait la preuve, chiffres à l'appui; quand on regarde votre mémoire, on sent bien aussi que les États-Unis ne sont pas réceptifs aux produits culturels étrangers - nos industries ont davantage à perdre de l'abolition de l'aide gouvernementale, c'est évident, et des autres mesures de protection que nous avons apportées à l'industrie culturelle elles pourraient gagner en ayant, si je peux dire, un accès théorique au marché américain.

Nous voudrions obtenir, toutefois, une précision sur ce que vous entendez lorsque vous dites, à la page 13 de votre mémoire: "Ceux qui voudraient se mettre en position de jouer le jeu du libre-échange devraient s'adapter et, ce faisant, ils compromettraient nécessairement le contenu du médialivre qui, jusqu'ici, a fortement contribué à alimenter l'identité québécoise."

Est-ce que vous avez à l'esprit une adaptation de la production des maisons d'édition au marché américain dans le but d'accroître les exportations ou encore est-ce que vous pensez qu'il s'agirait d'une adaptation de votre production pour accroître votre part sur le marché intérieur en modifiant les contenus? Je n'aime pas beaucoup parier de publication d'ouvrages faciles par rapport aux ouvrages littéraires mais, est-ce que c'est ce que vouliez dire en nous parlant de nous adapter?

Mme Levert: D'accord, la question est, de fait, très pertinente. Le scénario qu'on faisait, c'est: A supposer que cela arrive, à supposer qu'une maison d'édition bénéficie de capital d'investissement important et qu'elle veuille aller vers le marché de masse américain, elle va peut-être vouloir continuer à produire sur son marché local premier et, d'autre part, se dires Pour aller sur le marché de masse américain, nous allons donc faire des produits qui correspondent à ces besoins-là. Nous publions en français, mais rien ne nous empêche de publier en anglais, donc, de développer des secteurs de production en anglais pour aller du côté des maisons américaines et, si vous voulez, se conformer aux goûts, aux attentes du marketing des Américains.

Si jamais cela fonctionne, si les résultats sont bons, compte tenu de l'importance qu'auraient des revenus venant de l'exploitation du marché de masse américain, il se pourrait fort bien que quelqu'un, homme ou femme d'affaires éclairé se dise: Eh bien, finalement, c'est beaucoup plus profitable, donc, publions davantage, par exemple, en langue anglaise, allons plus vers ce marché, donnons beaucoup plus d'importance à ce volet de notre entreprise et mettons davantage en veilleuse la production nationale qui, elle, requiert des investissements très importants pour, finalement, une population de 6 000 000 et génère des bénéfices réduits.

Pour un best-seller au Québec, il y a toutes sortes de mesures, si vous voulez. Je n'aime pas donner des chiffres, cela dépend toujours des produits, mais on sait qu'au Québec les tirages moyens sont entre 3000 et 5000 exemplaires. Il est évident qu'en travaillant avec cette échelle, économiquement parlant, c'est peu, alors que si, dans une maison, on tirait, je ne sais pas, à 100 000 exemplaires, peu importe l'ouvrage, pour aller sur le marché américain, pourquoi, après cela, se soucier des 3000 exemplaires à côté? Donc, certains d'entre nous pourraient s'adapter à ce premier volet d'exploitation du libre-échange, mais est-ce que cela ne risquerait pas de ralentir leurs activités sur le marché national?

D'autre part, vous disiez: Est-ce que C'est une adaptation des maisons ou une adaptation de la production? Je pense que cela toucherait la production même pour le marché local. Par exemple, dans mon entreprise, je me dis: Bon, j'ai mon marché américain et j'ai mon marché québécois, d'autre part. Quand je fais mon produit québécois, je me dirais: S'il marche bien, je pourrais l'amener aux États-Unis; donc, je vais déjà prévoir, si vous voulez, son adaptation possible, comme, d'ailleurs, cela se fait si on regarde, par exemple, les coproductions internationales. Admettons que

pour produire un même livre, plusieurs éditeurs de différents pays s'entendent, disons un ici, au Québec, un en France, un aux États-Unis, un en Italie, nous avons cinq partenaires qui décident de faire un ouvrage pour les cinq marchés. Il est certain que le produit qui doit convenir à ces cinq marchés sera, si vous voulez, modifié en conséquence. Ces coproductions auxquelles nous participons de temps à autre sont bénéfiques parce qu'elles représentent des économies d'échelle très importantes et nous permettent donc de faire des livres, qui demandent de gros investissements, mais de partager les risques. Par contre, il est certain qu'il faut que le produit soit adapté. Adapter le produit, cela peut être quoi? Par exemple, vous vous dites: Je fais un livre pratique de cuisine qui provient d'ici, mais je veux éventuellement l'envoyer sur le marché américain. L'idée est d'ici, j'ai un auteur d'ici, mais est-ce que je ne m'adjoindrai pas, par exemple, est-ce que je n'irai pas chercher un auteur américain de prestige, connu, pour pénétrer le marché américain avec ce produit? Je ne veux pas parler ici de tous les exemples d'adaptation, mais il est certain que cela toucherait à la fois la maison d'édition et la production. Cela va, pour ainsi dire, ensemble.

Mme Bacon: II me reste encore un peu de temps?

Le Président (M. Charbonneau):

Quelques minutes, oui.

Mme Bacon: Peut-être une dernière question: Est-ce que la position que nous maintenons à l'égard des industries culturelles répond aux aspirations que vous exprimez dans votre mémoire? Je regarde à la page 16 où vous dites: "Aussi, nous souhaitons que les autorités provinciales, et particulièrement le ministère des Affaires culturelles du Québec et aussi le ministère de l'Éducation, sensibles à notre propos, à nos aspirations en même temps qu'à nos craintes, puissent faire valoir l'importance de protéger spécifiquement l'industrie du livre québécois pour le mieux-être de nos créateurs et de notre population." Est-ce que la position d'exclure totalement la culture ec tout le domaine culturel des pourparlers sur le libre-échange vous satisfait?

Mme Levert: Jusqu'à maintenant, oui. Nous avons toujours appuyé ces positions, compte tenu des raisons dont j'ai fait état. Comme je vous l'ai dit d'ailleurs, c'est avec confiance que nous venions ici. Nous demeurons vigilants, si vous voulez, et, sans doute, en même temps que nos dirigeants aussi, pour voir comment évolue la question et comment elle sera traitée, ayant à l'esprit le fait que si, par exemple, on protégeait ou excluait entièrement l'industrie de la culture québécoise du libre-échange, mais que, disons, pour le reste du Canada, il y avait des ententes plus ou moins ouvertes, il faudrait en mesurer aussi les effets qui sont difficiles à évaluer maintenant parce que, de notre côté, on ne connaît pas toutes les hypothèses possibles. Donc, oui, pour résumer, nous sommes satisfaits de la position tout en restant vigilants sur les multiples facettes d'application de l'entente future.

Mme Bacon: Que ce soit exclu du débat du gouvernement canadien.

Mme Levert: Oui.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, Mme la vice-première ministre. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Je veux aussi vous souhaiter la bienvenue au nom de ma formation politique. On vous remercie d'être venus présenter votre mémoire afin de nous sensibiliser, de nous informer davantage, ainsi que tous ceux qui nous écoutent.

Je tiens, d'abord, si vous me le permettez M. le Président, à excuser mon collègue, M. Gérald Godin, député de Mercier, qui devait être ici ce matin, puisque c'est le grand spécialiste en ces matières, et qui, pour des raisons de santé, a dû se désister à la dernière minute; il est retenu au lit ce matin.

Votre mémoire est très bien étoffé. Ce que je retiens essentiellement, c'est qu'avec quelques différences bien sûr, vous ressemblez un peu aux gens du marché vinicole qui nous disaient hier: Nous, nos compétiteurs particuliers viennent de France; on a un problème de petitesse par rapport à l'ensemble du marché. Je pense qu'il y a plusieurs analogies à faire entre votre milieu et celui du vin. Votre cri d'alarme, si on peut appeler cela ainsi, le message que vous passez, finalement, c'est: On a peu à gagner, nous, dans le libre-échange, mais on veut surtout protéger ce qu'on a et le renforcer. Les années 1978 et 1979 ont, je pense, permis d'apporter, avec la loi 51, un soutien, avec la SODICC et d'autres aides gouvernementales.

À la page 18 qui est, à toutes fins utiles, la dernière page de votre mémoire, vous parlez de votre préoccupation concernant l'affermisssement de l'industrie de l'édition québécoise et vous souhaitez finalement que les mesures soient maintenues et, même, éventuellement, plus vigoureuses.

On sait que, dans le cadre du libre-échange, les préoccupations du gouvernement du Québec visent à essayer de protéger les acquis de ce côté-là. Je pense qu'on tient pour acquis qu'effectivement elles seront

protégées. Ma préoccupation, c'est de savoir de quels outils vous auriez besoin, en plus de ce qui existe, tenant pour acquis qu'il y aurait le maintien de l'aide, si on veut, du ministère des Affaires culturelles. Mais face à cette nouvelle compétition qui sera possible, dans le cadre du libre-échange, y a-t-ii des choses précises dont vous auriez besoin? Dans votre mémoire, vous faites allusion, comme je l'ai dit tantôt, au protectionnisme que vous voulez conserver. Mais, quand vous parlez d'être capables de vous renforcer, non seulement de ne pas vous laisser envahir, mais, au contraire, de prendre de l'expansion, est-ce que vous avez des outils précis à réclamer à ce stade? Est-ce qu'il y aurait avantage, dans le cadre du libre-échange, à ce que d'autres mesures puissent être prises?

Mme Levert: Est-ce que votre question consiste à savoir, si le libre-échange incluait la culture, ce qui nous aiderait davantage? Si, dans le cadre du libre-échange, il y avait une entente nous touchant, évidemment, mon Dieu, ce serait tout un programme, je pense. Je demanderai à mon collègue, Hervé Foulon, de compléter. Ce serait tout un programme, parce que je pense qu'on aurait, d'abord, besoin de beaucoup de capitaux d'investissements pour aller chercher ce qu'on l'on peut du côté du marché américain. Sans doute qu'un organisme comme la SODICC, qui met à la disposition des industries culturelles des fonds d'investissement ou devient partenaire, devrait être très fort. Autrement, si nous n'avions pas de capital d'investissement, je pense que nous nous retrouverions très sectorisés, très restreints à une action sur notre territoire; nous n'arriverions pas à traverser la frontière. (12 h 45)

D'autre part, à plus ou moins court terme - je ne dis pas que tout cela arriverait du jour au lendemain, non, certainement pas - pour infiltrer te marché canadien au complet, incluant l'Est du pays aussi bien que l'Ouest, les Américains verraient tout de suite que c'est en achetant ou en devenant partenaires importants des infrastructures de l'industrie, à savoir les réseaux de distribution et les chaînes de librairies, qu'ils pourraient le mieux atteindre cet objectif. Donc, si, à plus ou moins long terme, on se retrouvait à publier et qu'une ou deux agences de distribution passaient aux mains américaines, il faudrait sûrement des mesures nuancées, plus ou moins permissives, si vous voulez, dans ce secteur. Nos produits risqueraient d'être mis en tutelle. Je demanderai à M. Foulon de compléter.

M. Foulon (Hervé): Je pense qu'effectivement, dans le cadre de l'introduction de l'édition dans le libre-échange, comme le disait Mme Carole Levert, pour ce qui est des librairies, on peut s'apercevoir de ce qui est arrivé déjà avec des intérêts français. Plusieurs chaînes de libraires français se sont installées au Québec et, lorsqu'on visite ces librairies, la place faite aux livres québécois est toujours restreinte dans un petit coin et clairement identifiée: Livres québécois.

Je pense que si, demain, des libraires et des chaînes de librairies américaines s'installent au Québec, ce qui serait certainement le cas, on se retrouverait encore certainement plus envahis d'ouvrages en américain qui, comme on le mentionnait tantôt, peuvent être vendus à des prix beaucoup plus bas que ceux que nous produisons. Il suffit de regarder quand un best-seller est publié, il est publié en français, d'abord, avec un certain retard, ce qui est normal, c'est le délai de traduction, mais il est fréquent de voir une différence de prix, l'édition française étant vendue, par exemple, 25 $ et l'édition américaine, moins de 10 $. Comme on le disait tantôt, c'est uniquement une question d'échelle de marché. On le sait très bien, énormément de personnes sont capables de lire aussi bien en anglais qu'en français et le choix, quand il y a une différence de prix telle, fait qu'on retourne assez souvent dans la langue la moins chère.

C'est donc un problème au niveau de la distribution qui serait, à mon avis, très dangereux. L'autre problème est celui des investissements. Quand on parle de sous-capitalisation, le domaine scolaire est un domaine aussi très impartant à ce chapitre-là, vu que, pour produire des manuels scolaires, l'investissement est très important parce que, d'abord, il y a les quantités et souvent, ce sont des ouvrages qui nécessitent quatre couleurs, qui doivent être accompagnés de matériel complémentaire, voire de cassettes, etc.

On parle déjà fréquemment, pour le marché québécois, d'investissements de l'ordre de 200 000 $, 250 000 $ pour une méthode, pour une année. Pour les Américains, il n'y a pas de problème. On a eu l'expérience, par exemple, du marché de l'Ouest pour le français langue seconde, qui était détenu auparavant par des maisons québécoises. On s'est fait souffler le marché par deux éditeurs américains qui ont réussi à publier des méthodes à coups de millions de dollars. Le coût, pour un d'entre eux, était de 5 000 000 $, pour publier une méthode et la commercialiser. À ma connaissance, il n'y a aucun éditeur québécois, aujourd'hui, qui a les reins suffisamment solides pour investir 5 000 000 $ et commercialiser sa méthode à travers le pays. Il est donc certain que, dans le cas du libre-échange, on se trouverait très nettement pénalisés.

Quand on parle, après cela, d'ouverture vers les États-Unis pour pouvoir se permettre de publier un ouvrage scolaire qu'on destinerait à tel ou tel État, tout d'abord, il faut respecter, comme le disait Mme Levert dans le mémoire, les exigences spécifiques à chaque État et qui peuvent être, par exemple, l'exigence d'un tirage minimum; je sais que, pour un certain État, il fallait justifier un tirage minimum, à une époque, de 100 000 exemplaires. Donc, si par hasard votre livre n'est pas choisi, vous vous retrouvez pris avec ce stock. D'autres exigences peuvent aller jusqu'à l'épaisseur de la couverture ou à la solidité de la reliure.

Tout cela, ce sont des investissements supplémentaires qu'une maison américaine, naturellement, peut se permettre d'absorber. D'autre part, les maisons américaines sont sur place et les contacts sont plus faciles afin de faire approuver leurs ouvrages. Même si certains États n'arrivaient è choisir qu'un seul livre, il serait plus que délicat de mettre en péril la vie de maisons québécoises dans le domaine scolaire.

L'autre point également que l'on peut soulever, c'est que déjà, sans parler de libre-échange, on s'aperçoit qu'il y a eu appelons cela un assouplissement ou une détérioration, comme vous voulez, de la politique au niveau fédéral. Auparavant, une société, pour bénéficier éventuellement de l'aide du ministère des Communications, devait être de propriété à 75 % canadienne; aujourd'hui, cela ne nécessite plus que 51 % de propriété canadienne. On a pu voir récemment une maison au Québec, comme HRW, qui est devenue, la semaine passée ou il y a deux semaines, je crois, maison canadienne. Ce n'est un secret pour personne que c'est une émanation de Holt, Rinehart et que cela ne changera rien à sa politique. Elle peut bénéficier, dans ses structures, dans la fabrication d'ouvrages, etc., de tous les avantages que peut lui offrir la maison mère. Alors, pour l'instant, on se réjouit de ce qui existe au Québec où la loi exige la propriété à 100 % pour pouvoir bénéficier au moins de l'aide du gouvernement.

M. Parent (Bertrand): Une dernière question, M. le Président, rapidement. J'aimerais savoir, M. Foulon ou madame, puisqu'on bénéficie ce matin de la présence du délégué général de France qui suit de très près les délibérations relatives aux affaires culturelles, comment vous réagissez à la venue possible ici, au Québec, des fameux supermarchés, si on peut les appeler ainsi, dans le domaine du disque et du livre, la FNAC?

Mme Levert: J'étais venue ici pour le libre-échange et la question...

M. Parent (Bertrand): Non, mais ce que je veux dire par là, c'est que cela viendrait affecter drôlement les règles du jeu aussi.

Mme Levert: Oui, énormément. Très sincèrement, pour répondre intelligemment à votre question, je pense qu'encore une fois, tout comme dans le mémoire, l'édition seule est une chose. Il faudrait réfléchir sur la chaîne et il faudrait que nous voyions avec les libraires, qui sont nos partenaires quotidiens, comment ils envisagent la chose. Il y a eu, il y a quelques années, des discussions à ce sujet. Récemment, j'ai entendu des réactions de libraires qui étaient négatives, en tout cas, celles que j'ai entendues. Des rencontres seront prévues entre nos associations pour, précisément, discuter de la question. Je préférerais répondre une fois ces éléments en main.

M. Parent (Bertrand): Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, le député de Vanier m'en a demandé une petite vite. Comme c'est l'habitude, semble-t-il, ce matin, on finit par des petites vites.

M. Lemieux: Et peut-être une réponse brève, dans la mesure du possible. Vous n'êtes pas sans savoir que, "par la loi 51, par la création de la SODICC, par les programmes d'aide à l'édition et à l'exportation - je cite un passage de votre mémoire - le gouvernement du Québec a favorisé l'essor de générations d'éditeurs animés du désir de pouvoir conquérir leur marché." On retrouve cela à la page 18 de votre mémoire. Dans une premier temps, je vous pose la question suivante: Ce marché ne pourrait-il pas s'étendre et ne peut-on pas imaginer des coproductions avec les États-Unis comme il s'en pratique, vous n'êtes pas sans le savoir, en France, à titre d'exemple? Est-ce que votre association a déjà tenté des expériences en ce sens?

Mme Levert: Tout d'abord, dans le mémoire, je parle de cette possibilité. C'est-à-dire qu'on s'est demandé: Est-ce que les Américains ne seraient pas des partenaires pour des coproductions ou des coéditions? De fait, ils en seraient et notre professionnalisme est tel que nous pourrions le faire. Tout ce que cela demande, par contre, ce sont des capitaux importants à investir. Si vous coproduisez un ouvrage à 10 000 exemplaires, c'est une chose, mais si vous êtes avec un partenaire dans une coproduction - cela peut varier, évidemment, je ne sais pas - votre tirage va être de 50 000 exemplaires. Le capital que vous devez y mettre comme partenaire doit donc être en conséquence de vos tirages. Comme nous avons un problème de capitalisation, il faudrait trouver ce capital pour le faire. Ce que nous disons, c'est qu'en ce moment il y

a, en fait, très peu de maisons qui pourraient le faire. Il y en a. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, mais je dis qu'il y en aurait peu qui pourraient se permettre cela. Pour les autres, eh bien, encore faut-il le trouver.

D'autre part, il y aurait éventuellement aussi de l'exportation à faire. Comme association, nous sommes soucieux de cette question et participons déjà à des activités. Nous recevons, d'ailleurs, de l'aide gouvernementale à ce niveau. Comme je vous le dis, ce n'est pas que la chose est impensable, impossible ou qu'on ne la souhaite pas quelque part, mais, j'en reviens un peu à cela, nous n'avons pas de maisons d'édition qui ont 100 ans d'existence derrière elles, qui ont un savoir-faire... Pour le savoir-faire, cela va toujours, disons qu'on l'a attrapé vite. Mais le capital, lui, nous ne l'avons pas, nous ne pouvons pas l'inventer en quelques années.

M. Lemieux: Mais c'est envisageable. Mme Levert: En théorie. M. Lemieux: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, nous allons conclure, mesdames, monsieur.

M. Gauthier: Je vous ai indiqué que j'avais quelques questions à poser.

Le Président (M. Charbonneau): Ah bon!

M. Gauthier: Est-ce que c'est parce que le temps est épuisé ou parce que vous êtes épuisé?

Le Président (M. Charbonneau): Non, je ne suis pas encore épuisé. Au contraire, cela va très bien. Sauf que le temps est épuisé, d'une part, et ce que l'on risque, c'est qu'on soit épuisé à la fin de la journée si on ne se garde pas au moins quelques instants pour aller dîner.

M. Lemieux: Comme les décisions du président sont des ordres...

Le Président (M. Charbonneau): Mais, si vous y tenez absolument, M. le député de Roberval, je ne voudrais pas que vous quittiez la séance frustré. Alors, connaissant votre intérêt, je peux vous en laisser une petite vite également.

M. Gauthier: Oui. De fait, j'aurais eu plusieurs petites vites à poser.

Le Président (M. Charbonneau): Vous pouvez faire une petite vite à quelques volets.

M. Gauthier: Non. Il y en a juste une, quand même, qui me préoccupe parce que c'est le seul point dans le mémoire avec lequel je ne suis pas en accord. C'est pour cela que je voudrais le clarifier. Vous parlez de la précarité de l'industrie de l'édition et vous la justifiez par le non-contrôle de son infrastructure. Or, vous définissez l'infrastructure comme étant la distribution, les librairies, les médias écrits et électroniques, etc. Je vous avoue que, sur la base de ce critère, à moins que vous ne me donniez des explications plus précises, l'ensemble des industries au Québec pourraient se dire précaires, parce que bien peu de réseaux industriels contrôlent les distributeurs, les points de vente et les médias écrits et électroniques. Je vous avoue que j'ai de la difficulté à comprendre cet argument-là.

Mme Levert: D'abord, c'est un fait que c'est un ensemble de choses et non pas nécessairement une chose. Il faut ajouter à cela les autres raisons invoquées, à savoir la jeunesse et le manque de capital. Ce pourquoi je l'ai dit, c'est que j'imagine bien que, dans les autres secteurs, la situation peut se reproduire. Évidemment, quand j'ai écrit le mémoire, j'étais tout entière à mon secteur et, en fait, c'est venu dans les discussions que nous avons eues quand nous comparions l'industrie du livre québécois à d'autres industries du livre. Nous faisons référence à la force que donnent à d'autres industries du livre, qu'elles soient françaises ou américaines, par exemple, leur concentration et leur diversification. Par exemple, un grand groupe d'édition qui est à la fois propriétaire de maisons d'édition, de magazines et, si vous voulez, qui est aussi copropriétaire d'un club de livres et, en même temps, d'une compagnie de films, c'est bien sûr que pour les livres qu'il achète, il appelle sa filiale du livre, etc. Wow!, c'est bien. Nous n'avons pas cela et nous ne pouvons pas l'avoir rapidement, c'est impossible. C'était cela.

M. Gauthier: D'accord.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, M. le ministre.

M. MacDonald: Selon une tradition qui n'a pas tellement de jours, il me revient de vous remercier et de souligner que, pour moi, votre mémoire était très bien fait et très pertinent. Ce n'est pas parce que je ne suis pas intéressé au sujet que vous traitiez que j'ai laissé Mme la vice-premier ministre assumer cette responsabilité qui est la sienne. Alors, je vous remercie beaucoup de votre présentation.

Le Président (M. Charbonneau): Au nom

des autres membres de la commission, je voudrais également vous remercier, mesdames et monsieur, de votre participation aux travaux et à la consultation générale que nous menons. Je vous souhaite un bon retour et à bientôt.

Mme Levert: Bonne fin de journée.

Le Président (M. Charbonneau): Les travaux de la commission sont suspendus jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 1)

(Reprise à 14 h 5)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous plaît!

Mesdames et messieurs, bonjour. On reprend cet après-midi notre consultation générale sur la libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis. Nous recevrons en premier lieu l'Institut québécois du cinéma, qui sera suivi de l'Association du disque et de l'industrie du spectacle québécois, de l'Union des écrivains québécois et, finalement, de la Société nationale des Québécois de Lanaudière. Alors, comme on a déjà quelques instants de retard, je demanderais immédiatement aux représentants de l'Institut québécois du cinéma de prendre place à la table des invités.

MM. Malo et Boucher, bonjour. Je vous indique que nous avons une heure pour la discussion générale; 20 minutes au départ pour la présentation de votre mémoire et le reste du temps va être réparti équitablement entre les membres de la commission pour la discussion. Je ne sais pas lequel présente le mémoire ou si vous allez le faire en alternance, mais celui qui va prendre la parole le premier devra identifier son collègue pour les fins du Journal des débats.

Institut québécoise du cinéma

M. Malo (René): Bien, je vais prendre la parole en premier, mais uniquement pour identifier mon collègue et je vous dirai quelques mots après. Je vous présente Bernard Boucher qui est le secrétaire général de l'Institut québécois du cinéma; il va vous présenter la position officielle de l'institut. Après, je voudrais vous donner quelques remarques sur cette présentation.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. Boucher.

M. Boucher (Bernard): Très bien. Je voudrais d'abord préciser que le mémoire que nous allons vous présenter est appuyé formellement par toutes les associations professionnelles du milieu du cinéma. Notre mémoire va comme suit: L'identité n'est pas négociablel En fait, le titre, pour commencer par le début: Les industries culturelles et la libéralisation des échanges avec les États-Unis.

L'Institut québécois du cinéma est formé de représentants de toute l'industrie cinématographique au Québec. Il est le lieu de concertation permanent de la profession. En sa qualité de porte-parole du milieu du cinéma, l'institut réaffirme son opposition à l'inclusion des industries culturelles dans un traité de libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

La culture constitue le facteur primordial de l'identité d'une société. L'expression de la culture s'incarne dans des biens qui sont créés, produits et commercialisés par les industries culturelles de chaque pays. L'épanouissement des industries culturelles est garant de la force avec laquelle s'exprime l'identité.

Pas question de comportement ambigu en cette matière. Il ne faudrait pas d'un côté refuser de négocier notre identité tout en acceptant de l'autre de discuter des "échanges commerciaux" de la culture. L'intégrité de notre collectivité ne peut courir le risque d'un tel sophisme. Si l'identité tient fondamentalement à la culture, comment la négociation des échanges commerciaux reliés aux industries culturelles n'affecterait-elle pas directement l'identité?

Une première chose à faire, contrôler notre marché. Le cinéma, et de façon évidente le cinéma québécois, contribue largement à l'imagerie populaire qui façonne le caractère distinctif de notre société. Le cinéma occupe une place significative parmi les industries culturelles canadiennes. Les quelque 2000 entreprises qui y oeuvrent sont responsables de la création de plus 15 000 emplois et ont des revenus annuels qui dépassent le milliard de dollars. Cette performance n'est qu'un reflet du potentiel économique que représenterait le cinéma si nous contrôlions nos marchés. En effet, 97 % de notre marché intérieur est sous domination étrangère, principalement américaine. Dans le contexte où les forces du marché sont laissées à elles-mêmes, les écrans canadiens sont occupés à 98 % par des films étrangers; les étrangers recouvrent dans des proportions comparables les redevances de droits d'auteur, de frais de location et de commissions. Ils empochent le profit de nos marchés et repartent avec des bénéfices qui devraient contribuer à produire des films québécois. Le premier objectif de l'industrie cinématographique québécoise et canadienne est de prendre le contrôle du marché domestique. La responsabilité de l'État est de prendre des mesures qui permettront d'atteindre cet objectif. Il faut

reconnaître et encourager la primauté de la propriété québécoise et canadienne sur les industries culturelles.

La conquête du marché américain: une utopie. Alors que nous consommons majoritairement des films américains, les Américains, eux, ne font qu'une place marginale aux films étrangers sur leurs écrans. En fait, c'est à peu près 1 %. Les distributeurs américains prônent une politique de libre choix sans pour autant s'ouvrir aux productions des autres pays. Quel libre-échange peut-on établir sur ce qui serait presque de la xénophobie culturelle? Les marchés sont déjà ouverts. Aucun libre-échange ne saurait les ouvrir davantage. Nous ne rencontrons aucun obstacle à vendre aux Américains sinon l'attitude même des Américains. Un traité de libre-échange incluant le cinéma voudrait-il dire que nous ferions le pari de changer la mentalité du peuple américain? La domination étrangère sur notre industrie, l'exiguïté de notre marché et la non-réciprocité rendent notre industrie cinématographique non rentable. Voilà les problèmes auxquels il faut apporter des solutions.

Libre-échange ou dépossession? L'enjeu réside conséquemment dans la capacité d'intervention de l'État. Les mesures gouvernementales de soutien à l'industrie sont indispensables. Ces mesures compensent l'étroitesse du marché et ont pour but de garantir l'expression de notre identité culturelle. L'investissement gouvernemental vise à renforcer la présence des éléments canadiens sur notre marché. L'intervention de l'État devrait aller jusqu'à créer des conditions de réappropriation de la distribution et de l'exploitation. Tout ce qui risquerait de rendre les gouvernements inaptes à prendre des mesures favorisant l'expression et le contrôle de notre culture est le plus grand danger que nous courons à inclure (es industries culturelles dans un traité de libre-échange.

Est-ce que la culture est une monnaie d'échange? Les industries culturelles jouent un rôle stratégique et se déplacent progressivement vers le centre de l'économie. Les artistes expriment la culture mais ils font aussi une contribution économique. Les industries culturelles font aussi partie du monde des affaires: elles représentent des milliards de dollars et donnent de l'emploi à plus de 100 000 personnes au Canada. Quand on dit des milliards de dollars, selon des chiffres récents de Statistique Canada, c'est environ 11 000 000 000 $ dans le produit intérieur brut. Quant aux emplois indirects, ils ne sont pas considérés là-dedans.

Il faut redouter que la culture serve de monnaie d'échange contre quelque avantage commercial; les Américains nous invitent-ils à troquer nos mesures de soutien aux industries culturelles contre de plantureux achats de matières premieres et d'énergie dont ils sont affamés? Il ne faudra pas capituler devant les pressions des Américains qui aimeraient que tout soit sur la table des négociations, ni même prendre le risque de discuter des échanges commerciaux dans le domaine culturel en nous faisant croire que l'identité restera indemne. Nous voulons que notre industrie cinématographique soit forte et productive. Pour y arriver, elle doit bénéficier des conditions propres à susciter la créativité et l'entrepreneurship qui lui permettront de nourrir notre culture, facteur central de notre identité.

Attendu la position qu'il adopte, l'Institut québécois du cinéma demande au gouvernement du Québec et, dans le contexte, au gouvernement canadien aussi: d'affirmer la reconnaissance du rôle central des industries culturelles dans l'identité québécoise et canadienne; de confirmer leur volonté de ne jamais aliéner aucune de leur capacité de soutenir financièrement ou de légiférer en ce qui concerne les industries culturelles et, en particulier, le cinéma; de favoriser l'accroissement de la propriété québécoise et canadienne de nos industries culturelles, en particulier l'exploitation des films; de maintenir et accroître dans la mesure du possible les crédits destinés aux activités cinématographiques; de donner des garanties que les industries culturelles, sous quelque forme que ce soit, ne feront pas partie d'un traité de libéralisation des échanges avec les États-Unis. Voilà.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie. Je crois que M. Malo voulait ajouter des...

M. Malo: Oui, je voudrais ajouter quelques remarques et quelques appuis à ce que vient de dire mon confrère. M. Peter Murphy, le négociateur en chef américain, avouait; Je ne suis même pas certain de ce que la souveraineté culturelle signifie exactement. Sous bien des rapports, cela ressemble à un déguisement pour le protectionnisme. Pourtant, les États-Unis reconnaissent que c'est par l'exportation culturelle qu'ils réussiront à amener les autres peuples à partager leur idéologie.

Selon M. Yves Eudes, les Américains ont adapté un plan Marshall des idées selon lequel tout leadership durable suppose l'allégeance aux valeurs, aux principes et au mode de vie du leader. Ils se sont même dotés d'appareils d'État et de programmes sophistiqués pour pénétrer - pour ne pas dire envahir - d'autres cultures. Puisqu'ils reconnaissent l'importance de la culture, admettant qu'il s'agit d'une voie privilégiée pour assurer son leadership sur le plan idéologique, ils doivent aussi reconnaître qu'il est normal que d'autres nations ne partageant pas nécessairement le système de

valeur américain tentent de résister à la lente assimilation culturelle ou conquête des esprits que les Américains désirent réaliser. (14 h 15)

Voici quelques extraits d'une conférence prononcée le 31 octobre dernier par le professeur Charles F. Doran, qui est directeur du Centre des études canadiennes à l'Université John Hopkins, à Washington: "Canadian culture is more fragile, more in the process of creation or of becoming and less self-confident than that of many other modern societies, certainly than that of the United States. By culture, I mean both what is often termed high culture and what is called entertainment. Together, high culture and entertainment provide a myth along with historical experience and mass education underlying the structure of a society and of its political institutions. Culture is the cement that enlivens society, gives it distinctiveness and holds it together". Plus loins "The question of the degree of central control of the federal state, a perennial issue for political theorists as well as policymakers in Canada, cannot be analysed apart from culture. Some analysts such as John Meisel argue that the more vital and cohesive is the underlying culture of a society the less necessary are centralized political institutions. Controversially, the less vital and cohesive is the culture the more necessary is the establishment of civilized political institutions to overcome possible fragmentation of that society".

Il y a un an, le premier ministre du Canada, M. Brian Mulroney, prenant la parole à Chicago, déclarait que le Canada et les États-Unis sont des démocraties souveraines distinctes. "Chez vous, le dispositif de la sécurité nationale recouvre un plus grand nombre de domaines que chez nous; au Canada, c'est le dispositif de souveraineté culturelle qui en recouvre plus large que chez vous". Marcel Masse, quant à lui, dans la revue L'Actualité de juillet dernier, disait: "Échanger le petit marché de 25 000 000 de Canadiens contre celui de 250 000 000 d'Américains, c'est une illusion. Il ne faut pas mordre à l'hameçon. Les Canadiens, grands consommateurs de culture, ne consomment pas leurs produits. Pourquoi? Parce qu'en général les réseaux de distribution des produits culturels appartiennent aux Américains, qui ont tendance à distribuer d'abord leurs produits. Ils considèrent que le Canada fait partie des États-Unis pour ce qui est de la distribution des biens culturels. Ils froncent les sourcils aussitôt qu'on met en doute cette vérité, d'autant plus que le Canada est le plus impartant de tous les marchés extérieurs".

On a des chiffres aberrants: 71 % de toutes les émissions diffusées par les stations de télévision en langue anglaise sont d'origine américaine. 71 %, on ne voit cela nulle part. 98 % des films projetés dans les salles de cinéma du Canada sont produits à l'étranger, principalement aux Etats-Unis. 85 % des ventes de disques et de bandes découlent de l'exploitation de bandes maîtresses importées des États-Unis, 75 % du marché du livre intérieur et 71 % des périodiques sont monopolisés par des produits étrangers.

Dans un article sur les médias et l'industrialisation de la culture, Line Ross et Roger De la Garde font ressortir l'importance du phénomène de l'américanisation dans les pays qui entretiennent des relations commerciales avec les États-Unis. Ils notent que les dimensions mêmes des industries culturelles américaines, grâce aux économies d'échelle qu'elles permettent, facilitent l'exportation et bloquent l'expansion des autres industries nationales. Les produits culturels américains, déjà rentabilisés sur leur marché intérieur, énorme et riche, pourront ensuite être écoulés à l'étranger à des prix défiant toute concurrence. On pourrait espérer que ces échanges mutuels, basés sur une libre circulation des produits culturels, favoriseraient la réciprocité des influences. Toutefois, les États-Unis sont, jusqu'à maintenant, demeurés trop fermés aux produits culturels étrangers.

En étudiant minutieusement le comportement du gouvernement américain en matière d'exportation culturelle, on s'aperçoit que l'État américain intervient à plusieurs niveaux et que l'exportation de produits culturels n'est pas régie uniquement par les lois du marché.

Dans les "hearings" du Sub-Committee of International Operations of the Committee on International Affairs, en février 1979, on peut lire: "Le leadership mondial qui a échu aux États-Unis, proclama le président Carter, doit être solidement fondé sur le respect et l'admiration du monde pour les hautes qualités de notre nation, guide dans le royaume des idées et de l'esprit". En page 48 du même document, il cite un texte émanant d'un groupe de recherche de l'école du Pentagone: "Si nous voulons que nos valeurs et notre style de vie triomphent, nous sommes forcés d'entrer en concurrence avec d'autres cultures et d'autres centres de pouvoir. Pour ce faire, l'Amérique devra imposer les méthodes des entreprises, les techniques bancaires et commerciales américaines et aussi nos systèmes et nos concepts juridiques, notre philosophie politique, notre façon de communiquer nos idées de mobilité et, d'une certaine manière, de considérer les arts et les lettres propres à notre civilisation".

Pour Carl Rowan, ambassadeur des États-Unis et directeur de la USIA: "En diffusant la culture des États-Unis, nous aidons à la réalisation des objectifs de la

politique étrangère des États-Unis, Nous n'avons pas d'autre tâche".

Plus encore que les lois du Congrès, le texte qui résume à la perfection l'attitude américaine en matière d'exportations culturelles et auquel tous les documents et déclarations officielles se réfèrent systématiquement est le Memorandum Kennedy, publié en 1963. Selon ce document, il s'agit d'aider à la réalisation des objectifs de politique étrangère des États-Unis en influençant les attitudes publiques dans les autres nations, en conseillant le président, ses représentants à l'étranger et les divers départements et agences dans les implications des opinions étrangères pour les politiques, les programmes et les déclarations officielles présents ou envisagés des États-Unis. L'influence sur les attitudes doit être réalisée en utilisant ouvertement les diverses techniques de communication, contacts personnels, émissions, bibliothèques, publications et distributions d'ouvrages, presse, cinéma, télévision, expositions, enseignement de la langue anglaise, etc. Devant cet arsenal d'exportations culturelles qui fait intervenir, on le voit bien, les pouvoirs politiques fédéraux américains, comment ne pas reconnaître aux autres peuples le droit de se défendre, de protéger leur identité nationale, leur souveraineté culturelle? C'est une question de fair-play que les Américains devraient admettre.

L'intervention de l'État dans le domaine culturel apparaît alors comme un mécanisme essentiel pour assurer le maintien de cultures plus fragiles et moins agressives que la culture américaine. Pour nous, il s'agit de plaider devant nos adversaires en faveur de la diversité des cultures et pour le droit des peuples à se protéger et à s'autodéterminer, comme l'ont fait les Américains, au cours de leur histoire.

Marcel Masse, dans le même article de L'Actualité, disait: "Après l'indépendance américaine, le marché intellectuel est demeuré largement entre les mains des Britanniques. C'est de 1860 jusqu'à la première guerre que les Américains ont pris conscience qu'ils ne pouvaient pas développer une nation américaine distincte s'ils n'étaient qu'inondés des produits culturels des autres. Les Américains ont alors adopté des mesures dont jamais les Canadiens n'oseraient même rêver, comme, par exemple, en 1891, la politique des droits d'auteur qui ne protégeait aucune oeuvre à moins que le livre ne soit imprimé aux États-Unis. Si jamais le Canada faisait une chose comme celle-là, les Américains crieraient à la révolution. Donc, ils ont compris que si on veut être soi-même, il faut une équation de la production de biens culturels et de la consommation".

Le ministre québécois des Communications, M. Richard French, a été invité par le département d'histoire de l'Université Princeton en juin de l'année dernière pour discuter de la culture populaire américaine au Québec. En faisant référence aux réticences québécoises sur la question des barrières non tarifaires, le ministre a apporté les nuances suivantes: "II ne faut pas interpréter ces efforts comme antiaméricains, mais plutôt comme proquébécois et procanadiens. Si nous sommes mal à l'aise à l'égard des films financés par les abris fiscaux, des vidéos rock produits avec l'argent des contribuables et des luttes sur le nombre de nos disques que nos propres stations de radio devraient faire jouer, ce n'est pas parce que nous croyons enfreindre les règlements du système commercial international, mais parce que nous ne voulons pas vraiment admettre que c'est sur ces appuis bien concrets que reposent les quelques faibles reflets de nous-mêmes qui subsistent encore dans notre culture populaire. C'est le prix que nous devons payer pour vivre près de la culture populaire la plus attrayante, la plus dynamique, la plus expansionniste du monde".

Une des raisons évidentes pour laquelle l'entreprise privée a réussi économiquement et avec efficacité dans le domaine de la culture aux États-Unis tient à l'importance du marché intérieur. Il est primordial d'établir une nette distinction entre bien commercial et bien culturel; ce que les Américains ne comprennent pas ou feignent de ne pas comprendre. Il est ridicule et aberrant, voire méprisant, de penser qu'un livre édité au Québec, écrit par un Québécois, par exemple, est un bien commercial au même titre que n'importe quel autre produit industriel ne participant pas à la transmission des informations culturelles au sein de la communauté des personnes qui liront l'ouvrage, c'est-à-dire des Québécois en majorité. À moins de croire et de soutenir que les industries culturelles sont totalement dissociables du dynamisme et de la vitalité des communautés culturelles et de leurs principaux acteurs, il est impossible d'appliquer aux industries dites culturelles la même analyse économique, financière et commerciale que celle que l'on applique aux industries lourdes, par exemple. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Malo. Je vais maintenant céder la parole à la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles. M. le ministre du Commerce extérieur voudrait d'abord, je crois, ouvrir la discussion.

M. MacDonald: Bonjour, messieurs, et merci d'être venus nous présenter vos vues sur cette négociation d'un traité de libéralisation des échanges. Je serai bref. Je vous rappellerai, comme je l'ai fait à

d'autres personnes qui se sont présentées devant nous, que, dès le départ, le Canada a posé, comme une de ses conditions à une négociation de libéralisation des échanges, que n'était pas sur la table l'entité culturelle canadienne et québécoise, nécessairement. Et, lorsque le Québec a décidé de s'engager avec les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral dans cette négociation-là, on l'a fait en restipulant sans équivoque aucune qu'il n'y a rien qui devait mettre en péril la spécificité culturelle, entre autres, mais également sociale, politique et économique du Québec.

Je ne peux que resouligner ces affirmations et vous dire que, lorsque je prends la conclusion de la première partie de votre mémoire, où vous avez un attendu et des suggestions, à quelques nuances près, je me sens parfaitement à l'aise avec votre réquisitoire ou votre suggestion - enfin, je vous laisserai le qualifier - mais c'est essentiellement la position du gouvernement du Québec, dans ce contexte-là. Mais je crois qu'il est tout à fait approprié que je laisse Mme la vice-première ministre discourir plus longuement sur notre position.

Le Président (M. Charbonneau): Mme la vice-première ministre.

Mme Bacon: Je dois vous remercier, messieurs, d'être venus ici nous rencontrer pour discuter de ce dossier fort important pour le milieu culturel au Québec. Il est évident pour moi que, peu importe l'issue des discussions sur le libre-échange, le Québec doit conserver tous les instruments d'intervention gouvernementale pour maintenir, mais aussi pour renforcer nos industries culturelles, tant pour ce qui est de la production, que la diffusion de nos produits. Je pense qu'on s'entend là-dessus. Qu'il s'agisse de la loi 109, par exemple, sur le cinéma, de la loi 51 sur le livre, qui touche les éditeurs et qui touche aussi les libraires, que ce soit dans le disque, avec les différents programmes que nous avons pour faciliter la production, la diffusion, la promotion, il est clair que le Québec protège et protégera ses industries culturelles.

Nous sommes aussi soutenus en cela par le gouvernement fédéral, qui dispose aussi de moyens pour protéger les industries culturelles à l'échelle canadienne. Donc, il n'est pas question, pour nous, d'accepter des mesures libre-échangistes qui auraient pour conséquence, à moyen et à long terme, de réduire de quelque façon le caractère distinct du Québec. Pas question, non plus, de voir menacées les industries culturelles, telles que l'édition, le cinéma et le disque. Là-dessus, je pense que nous sommes tout à fait d'accord. Vous avez comme objectif de prendre le contrôle du marché domestique. Je vais être un petit peu plus modeste et dire que nous tentons de développer l'industrie du cinéma, par exemple, pour qu'elle soit saine et je pense qu'un des moyens que nous avons retenus a été l'entente prise avec les "majors", qui ne règle pas tous les problèmes, mais une partie. Je dois aussi dire que, quand nous disons que nous partageons votre avis quant à la nécessité de maintenir les interventions législatives, les interventions financières du gouvernement auprès des industries culturelles, c'est pour cela que la culture, pour nous, n'est pas négociable.

J'aimerais quand même savoir dans quelle mesure les interventions que le gouvernement peut avoir - en ce qui touche la promotion, la diffusion et la distribution -par le soutien, par la Société générale du cinéma, par exemple, les instruments que nous nous sommes donnés et par la SODICC contribuent à protéger et à développer l'industrie du cinéma. Est-ce qu'il faut faire encore davantage? (14 h 30)

M. Malo: Mme la ministre, je vais vous répéter un petit peu un discours que je vous ai souvent tenu, mais je pense que toutes les études qui se sont faites sur l'industrie du cinéma, tant au Canada qu'au Québec, depuis plus de vingt ans, sont absolument toutes arrivées à la même conclusion: On ne pourra absolument jamais avoir une industrie du cinéma au Canada forte et rentable tant qu'on n'aura pas une industrie de la distribution forte et rentable. La mainmise sur la distribution des produits culturels, c'est essentiel. Cela ne s'applique pas juste au cinéma, cela s'applique autant au disque, au livre qu'à tous les produits culturels. La mainmise sur la distribution est essentielle. C'est certain que tous les programmes d'aide, de financement... Il faut continuer, mais il faut faire plus à ce chapitre. Le coût des films augmentant, il faut donc aider plus par tous les moyens.

Tant que, au Canada et au Québec, on n'aura pas une plus grande mainmise sur le système de distribution des produits culturels, particulièrement dans le cas du cinéma, cela va toujours rester une industrie marginale, alors que les industries culturelles constituent de plus en plus, dans le reste du monde, des industries de l'avenir. Regardons les grandes sociétés américaines qui, actuellement et de plus en plus, sont en train d'investir dans les industries culturelles. La compagnie Coca-Cola, après avoir acheté Columbia Pictures, vient d'acheter un autre "major" américain, Tri Star; Gulf & Western, qui, avant, était diversifiée dans les industries manufacturières, pétrolières et tout cela, s'est complètement départie de ses avoirs dans ces domaines pour les consacrer entièrement aux industries culturelles, c'est-à-dire l'impression de livres, la production et la distribution de films et d'émissions de

télévision.

Je pense qu'économiquement il serait extrêmement important pour ie Québec d'investir largement dans des industries qui sont vraiment les industries de l'avenir. L'industrie du cinéma et les industries culturelles en général ne sont pas vues comme quelque chose de très... On dirait que ce n'est pas réel pour les décideurs publics, tant politiques que financiers, parce que ce ne sont pas des usines, ce n'est pas une chose dont on peut aller couper le cordon à un moment donné et dires Ah! c'est là et cela va rester là pendant dix ans. Ce qu'on oublie, c'est que, dix ans après, ce n'est plus bon et il faut recommencer.

Dans les industries culturelles, particulièrement celle du cinéma, ces investissements font rouler énormément d'argent. Créer des emplois dans le domaine du cinéma coûte quatre fois moins cher que dans n'importe quelle autre industrie manufacturière. Ce sont des choses qu'on oublie. Je pense qu'il faut vraiment investir dans cela parce que c'est vraiment investir dans une économie d'avenir, mais tous ces investissements seront beaucoup moins efficaces, c'est-à-dire qu'ils vont être beaucoup plus lents à rentabiliser si on ne possède pas la distribution de ces produits. Je pense qu'il se fait un net développement à ce chapitre. En ce qui concerne la vente à l'étranger de nos films, alors qu'avant, la plupart du temps, ces ventes étaient faites par des sociétés américaines, maintenant, il commence à se constituer au Québec des sociétés de vente à l'étranger de nos films. Le résultat, c'est que nos films commencent à très bien fonctionner à l'étranger.

À cause de la petitesse du marché et de la population, on ne peut quand même pas produire 350 films par an, et le nombre de films ne peut pas faire vivre non plus une industrie de distribution avec uniquement ce qu'on produit ici. Il faut donc qu'on ait accès aux produits étrangers, ce que les Américains nous ont toujours défendu. L'entente que vous avez signée, Mme la ministre, avec les représentants des "majors" américains est un pas en avant. C'est certain qu'on est loin des premières recommandations du rapport Fournier, qui étaient que toute distribution au Québec soit faite par des compagnies québécoises à 80 %; cela avait été dilué après cela pour que les compagnies québécoises aient accès à tous les films dont les droits mondiaux ne sont pas aux "majors" américains; maintenant, on est revenu à une situation qui est moins forte et où les "majors" américains auront le droit de distribuer leurs films ici, mais on aura au moins accès aux films indépendants. C'est un premier pas. C'est un premier pas sur papier, mais il n'est pas encore franchi.

Mme la ministre, comme vous le savez, cela fait quatre ou cinq ans que la loi est adoptée et elle n'est pas encore entrée en vigueur. Je pense qu'il est extrêmement urgent que cette loi soit mise en application. La prise en main des systèmes de distribution, on l'a vu un peu dans la démonstration que je vous ai faite tantôt, est extrêmement importante. C'est par cela que les Américains ont imposé leur culture dans ie monde. Ce qu'on appelle les "majors" américains sont d'abord et avant tout des distributeurs. II ne faut pas oublier cela. Nous sommes portés à penser que ce sont des producteurs. Ce sont d'abord et avant tout des distributeurs. C'est dans la distribution que se fait l'argent. La production est chère. Quand les compagnies de production arrivent à faire un tout petit peu de profits, c'est déjà formidable. C'est dans la distribution que se situent vraiment l'argent et le pouvoir, le pouvoir de choisir les salles, le pouvoir d'imposer aux salles qu'on joue tel film plutôt que tel autre à telle date plutôt qu'à telle autre, ce qui relègue très souvent les distributeurs québécois à des distributeurs de seconde zone parce qu'on n'a pas des produits aussi puissants que les Américains.

Mme Bacon: Je voudrais seulement dire un mot, M. ie Président. L'industrie de la distribution la plus articulée possible est une priorité pour la Société générale du cinéma. On l'a vu dans son dernier rapport annuel et je pense que cela va se poursuivre. Je sais qu'il y a de mes collègues intéressés à poser des questions par la suite, alors, je vais garder du temps.

Le Président (M. Charbonneau): Dans ce cas, madame... D'accord. Alors, M. le député de Bertrand, s'il vous plaît.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Boucher et M. Malo, il me fait plaisir de vous accueillir. Votre message est très succinct et très clair. Je le retiens comme étant: L'identité, ce n'est pas négociable. Et vous posez la question: Si l'identité tient fondamentalement à la culture, comment la négociation des échanges commerciaux reliés aux industries culturelles n'affecterait-elle pas directement l'identité? L'autre message que vous passez à la page 4 de votre mémoire c'est: L'enjeu réside conséquemment dans la capacité d'intervention de l'État. À partir de cela, j'en déduis que l'industrie du cinéma comme telle a besoin énormément de l'aide et du soutien non seulement qu'elle a actuellement mais du soutien possiblement accru.

Vous l'avez bien mentionné, M. Malo, le problème n'est pas comme tel dans la production. Le problème est effectivement dans la distribution. On réalise que, d'une part, un fort pourcentage des salles de

cinéma au Québec est contrôlé par des intérêts hors Québec pour une bonne partie, de 40 % à 50 % par des Américains directement, par les grandes sociétés, et 98 % des films qui paraissent sur nos écrans sont des films étrangers. À toutes fins utiles, cela veut donc dire qu'on aura beau, comme Québécois, faire de belles productions, si on n'est pas capables de les placer - je pense qu'il y en a qui ont vécu de mauvaises expériences - sur nos écrans, on a un sérieux problème. On ne réussira jamais à être capables de percer.

Quant à la situation face au libre-échange, vous avez une certaine expérience ou une expérience certaine, M. Malo, parce que vous avez négocié et plus fréquemment, autant que je sache, avec les Américains qui vous ont acheté les droits pour réaliser la version du film Le déclin de l'empire américain. Face aux différentes expériences que vous avez vécues et au nom aussi de l'Institut québécois du cinéma, est-ce que vous pensez sincèrement qu'il y aurait, s'il y avait une entente de libre-échange, des possibilités de débouchés de quelque nature que ce soit étant donné que pour vous la barrière, ce n'est pas une barrière tarifaire, ce n'est pas une barrière non tarifaire, j'appelle cela un autre type de barrière, c'est une barrière psychologique parce que les Américains, tout simplement, ne nous reçoivent pas? Comment voyez-vous ce marché américain? Le deuxième volet de ma question serait: Par quel type de soutien pensez-vous que le gouvernement du Québec pourrait vous aider face à cela?

M. Malo: Enfin, il y a actuellement un libre-échange total, en fait, entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne la circulation des films. Donc, un libre-échange ne changerait rien à l'accessibilité des films québécois au marché américain, c'est-à-dire qu'actuellement, quand les Américains pensent qu'ils peuvent faire de l'argent en diffusant un film québécois, ils l'achètent. À venir jusqu'ici, ils n'ont pas pensé qu'ils pouvaient faire de l'argent avec beaucoup de films, ils en ont acheté un. Alors, le problème... Enfin, il y a deux problèmes quand on parle de films québécois. Si on parle de films en langue française, le film de langue française québécois tombe, à ce moment-là, dans la catégorie de ce que les Américains appellent un film en langue étrangère. Le marché américain des films en langue étrangère est presque inexistant. II constitue exactement 1 % du marché américain. Cela est dû au fait que les Américains... Tous ces films sont diffusés en version sous-titrée. Les Américains n'acceptent pas les versions doublées. Ce n'est pas une loi ou quoi que ce soit, ils ne les acceptent pas parce qu'ils n'ont jamais eu l'occasion d'être confrontés à quelque chose de doublé justement, c'est-à-dire la télévision. Tous les pays du monde acceptent les versions doublées et c'est pour cela justement que le cinéma américain entre dans tous les pays du monde, que ce soit en version américaine ou en version doublée du pays, parce que les Américains vendent. Ils font carrément du dumping de leurs émissions de télévision partout au monde. Cela fait que toutes les télévisions du monde achètent des émissions de télévision américaines pour un prix beaucoup moindre que cela ne leur coûterait pour produire la même chose. Ainsi les Américains peuvent imposer leur culture partout dans le monde. Cela a comme résultante aussi que, partout dans le monde, les gens, dès l'âge de la tendre enfance, lorsqu'ils sont devant la télévision, leurs yeux et leurs oreilles s'habituent au doublage. Cela fait que quand ils vont au cinéma cela ne les choque pas de voir un film doublé. Les Américains n'ont absolument jamais accès, avec leur télévision, à des émissions étrangères qui ont été doublées. Cela fait que lorsqu'ils arrivent à l'âge de 17, 18, 19, 20 ou 25 ans, qu'ils vont au cinéma et qu'ils se retrouvent devant un film doublé, ils sortent après cinq minutes parce qu'ils ne sont pas habitués. Je vais même vous donner un exemple précis: un petit film québécois pour enfants qui s'appelle La guerre des tuques a été présenté aux États-Unis. Le distributeur américain l'a acheté, il l'a présenté sur le marché avec une quarantaine de copies dans une quarantaine de salles - je pense que c'est dans la région de Chicago - et cela été une catastrophe. Même les enfants sortaient parce qu'ils disaient: II y a quelque chose qui ne va pas. Ils trouvaient que cela n'allait pas. Cela limite donc énormément le marché américain qui est extrêmement limité pour les films en langue étrangère. C'est uniquement ce qu'on appelle le circuit des salles arts et essais en version sous-titrée et cela touche à peine 1 % du marché américain.

Si on retourne en anglais, c'est différent, c'est-à-dire que le marché américain est ouvert. Enfin, dans un cadre de libre-échange, il ne serait pas plus ouvert qu'il ne l'est actuellement. Quand les Canadiens font des films en langue anglaise qui sont diffusés aux États-Unis, si ces films véhiculent quelque chose de trop canadien d'une certaine façon, à ce moment-là, le succès n'est pas très grand. Si cela véhicule quelque chose qui n'est pas nécessairement canadien, les possibilités sont aussi grandes que pour un film anglais ou australien, enfin tous les autres films qui sont faits dans le monde en langue anglaise.

Votre deuxième question était: Qu'est-ce qui peut être fait pour cela? Je pense que rien d'autre ne peut être fait au Canada pour aider à la diffusion de ces films-là aux États-Unis sauf de continuer à aider le

cinéma. Je pense que le cinéma québécois, particulièrement, a atteint une maturité depuis deux ou trois ans. Cela fait qu'on ne fait plus un cinéma nombrilisme, comme je l'appellerais, mais vraiment un cinéma qui peut sortir à l'extérieur du Québec. Mais il faut aussi avoir les moyens. Il est certain que, quand on a 1 000 000 $ pour faire un film et que la moyenne d'un coût de production aux États-Unis est de 15 000 000 $ US, il faut être quinze fois meilleur pour arriver à produire la même qualité. Je dirais qu'on est peut-être trois fois meilleur, mais quinze fois, c'est assez difficiiec (14 h 45)

M. Boucher: J'aimerais intervenir. Vous avez fait référence à notre texte lorsqu'on dit que l'enjeu réside dans la capacité d'intervention de l'État. En cinéma, on utilise régulièrement l'image qu'il y a un trépied de soutien à l'industrie du cinéma: c'est, d'une part, l'intervention directe de l'État dans l'investissement, dans la production et la capacité qu'on aurait de contrôler notre distribution, comme René l'a expliqué, et aussi les mesures fiscales favorables à la production cinématographique. En cette matière, ce que... Bon, évidemment, c'est une attitude interventionniste et l'analyse de ces interventions démontre aussi que le cinéma n'est pas un fardeau au pied de l'État. C'est aussi une source d'économie intéressante, c'est-à-dire que l'industrie cinématographique rapporte à l'État québécois et que la protection accordée, par exemple, dans des abris fiscaux ou dans d'autres mesures ne contribue pas seulement à l'économie du cinéma. Et ce ne sont pas des mesures coûteuses pour l'économie québécoise. Quand on citait tout à l'heure le négociateur américain qui disait que, quand on pariait, nous, de souveraineté culturelle, on voulait peut-être camoufler des notions d'interventionnisme, c'est peut-être pour laisser croire que les Américains ne sont pas interventionnistes en matière de cinéma. Mais l'histoire démontre justement le contraire. On a beau remonter aux années vingt jusqu'à aujourd'hui, après la guerre, le plan Marshall, c'était justement que les Américains ont obligé les pays européens à laisser tomber toutes leurs mesures de soutien et de protection à leur industrie cinématographique pour justement soutenir l'économie de ces pays après la guerre, c'est-à-dire qu'ils en ont fait une monnaie d'échange.

D'autres mesures, par exemple, le cartel américain de négociations en distribution qui est le MPEA, le Motion Picture Exportation Association, c'est à toutes fins utiles une institution semi-gouvernementale dans la mesure où sa tête directrice est un fonctionnaire de l'État américain. Les Américains ont toutes sortes de mesures de soutien. Ils ont toujours négocié, autant à la conférence de Mexico que dans l'Organisation des États américains, des mesures pour protéger l'exportation de leurs produits culturels. Donc, c'est de l'interventionnisme là aussi. Nos interventions à nous sont pour soutenir notre identité et notre production culturelle.

M. Parent (Bertrand): Eux, ils disent qu'ils n'en font pas mais ils en font par la porte arrière. Un commentaire,,..

Une voix: Et par la grande porte.

M. Malo: C'est-à-dire qu'eux ils ont compris que la meilleure défense étant l'attaque, ils sont interventionnistes mais en attaquant justement, c'est-à-dire en imposant plutôt qu'en défendant. Ils n'ont pas besoin de se défendre.

M. Parent (Bertrand); La meilleure défense, c'est l'attaque. Us ont compris cela.

M. Malo: Voila!

M. Parent (Bertrand): Un commentaire et je vais poser une dernière question puisque mon temps de ce côté-ci va être terminé. Je passerai la parole à Mme la ministre. Les mesures fiscales, vous les avez soulignées. Le fait que cela a passé de 150 % à 100 %, j'imagine que c'est quelque chose de négatif pour vous. Je vous laisserai commenter cela.

La question qui me préoccupe, c'est: Est-ce qu'il y a des moyens, par exemple, d'essayer d'attacher quelque chose par rapport aux sommes d'argent que récupèrent les réseaux de distribution actuellement? Ce sont des dizaines... On parle de 10 000 000 $ ou 15 000 000 $, par exemple, que les Américains ou les étrangers réussissent à amasser dans les "box offices", dans les guichets. Est-ce qu'il n'y aurait pas moyen justement de... On ne peut pas les retenir auprès d'eux par des mesures mais est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de négocier? Je sais qu'en 1984 et 1985 il y a eu des ébauches avancées par rapport au fait qu'on pourrait possiblement essayer de négocier avec l'association, la MPEA, que vous avez mentionnée tantôt, pour faire une certaine forme de troc pour une partie de ces sommes. Par exemple, qu'on puisse permettre à 20, 25 ou 30 Québécois d'aller faire des stages aux États-Unis. Cela ne coûterait absolument rien mais il y aurait des genres de mesures compensatoires. Autrement dit, on essaierait d'aller récupérer une partie de ces sommes en services qui pourraient être donnés parce que, effectivement, il pourrait y avoir des débouchés pour des Québécois là-bas. Est-ce que ce type d'approche a été regardé de près? Est-ce que

c'est quelque chose qui est envisageable? Je sais qu'on ne peut pas s'étendre trop longtemps sur le sujet aujourd'hui mais j'en ai parlé avec mon collègue Gérald Godin, qui a été ministre des Affaires culturelles, et il me disait que ce genre d'approche avait été mis sur la table. J'aurais aimé avoir vos commentaires si vous êtes familier avec cela. Si vous ne l'êtes pas, on pourra reprendre...

M. Malo: Je ne sais pas. Les 30 ou 4Q personnes qui iraient aux États-Unis iraient y faire quoi? Je ne comprends pas.

M. Parent (Bertrand): C'est-à-dire que la formule serait d'être capable de bénéficier, autrement dit, de formation, par exemple, dans les différents scénarios de films. Lorsqu'on tourne un film, ils pourraient être capables d'aller chercher de l'expérience. Autrement dit, ils iraient faire des stages dans des écoles de musique, de cinéma ou autre, ce qui ne coûterait rien è nos gens. On pourrait marchander une partie de formation pour l'argent que l'on perd de toute façon ici actuellement.

M. Malo: Je pense que cela aurait peut-être été valable il y a de très nombreuses années. Mais, maintenant, les gens qui font partie de l'industrie de la fabrication d'un film au Québec ont tout autant d'expérience et d'expertise que les Américains. La meilleure preuve, c'est qu'on tourne actuellement autant de films américains au Canada qu'à Los Angeles. Maintenant, les Américains viennent tourner au Canada non pas parce qu'ils nous aiment mais parce qu'on coûte moins cher. Ils considèrent quand même que les équipes canadiennes peuvent livrer une qualité tout à fait équivalente à celle qu'ils retrouvent aux États-Unis.

Je connais un peu les négociations auxquelles vous faites allusion et je considère que ces négociations étaient vraiment des négociations de colonisés, c'est-à-dire qu'on nous prenait vraiment pour des petits Noirs d'Afrique à qui on offrait de venir étudier à l'université américaine pour être sûrs qu'ensuite on pense vraiment comme les Américains.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Limoilou avait demandé...

M. Parent (Bertrand): J'espère que vous avez de meilleures solutions, Mme la ministre.

Mme Bacon: J'avais l'impression, M. le Président, que nous discutions beaucoup plus de la loi 109 que du libre-échange.

Le Président (M. Charbonneau): Sur ces mutuelles remarques, nous allons céder la parole au député de Limoilou pour quelques instants.

M. Després: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous indique, M. le député, qu'il ne reste plus grand temps.

M. Després: Ce sera bref, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Très bien.

M. Després: Dans un premier temps, vous mentionnez dans votre mémoire que 97 % du marché intérieur est sous domination étrangère. Dans un deuxième temps, vous nous dites que l'industrie canadienne compte 2000 entreprises, 15 000 emplois et 1 000 000 000 $.

J'aimerais savoir deux choses. Dans un premier temps, qu'est-ce que cela représente pour l'industrie québécoise? Les chiffres que vous nous citez sont ceux de l'industrie canadienne et j'aimerais savoir, pour mieux vulgariser, ce que cela représente pour le Québec. Est-ce possible? Approximativement.

M. Malo: Pour ce qui est de l'activité du cinéma, le Québec représente environ 35 % de l'activité canadienne. C'est plus que la moyenne de la population, parce que les activités de cinéma sont concentrées surtout à Toronto et à Montréal. Il y a aussi Vancouver qui est un centre important, mais surtout de productions américaines, étant donné qu'elle est plus près de Los Angeles.

Quelques chiffres ont été cités en termes de... Un document a été préparé par l'association des producteurs pour le ministre des Finances, M. Levesque, quand il y a eu le passage de 150 % à 100 %. On disait que, l'année précédente, le coût de l'avantage fiscal de 150 %, pour le gouvernement, avait été 1 500 000 $. On disait: Ce coût apparaît fort minime, surtout si l'on considère également les autres bénéfices économiques et socioculturels. La même étude du Bureau de la statistique du Québec, commanditée par la Société générale du cinéma, établit en effet que des dépenses de 10 000 000 $ dans la production cinématographique génèrent une masse salariale de 5 000 000 $, une valeur ajoutée de 9 500 000 $ et un input de main-d'oeuvre de 227 personnes par année. En extrapolant à partir de cette base, nous constatons que les 31 000 000 $ d'activité cinématographique engendrée par le programme fiscal ont contribué à créer plus de 700 emplois et une valeur ajoutée de près de 30 000 000 $.

Ailleurs dans le document, on parlait du nombre... Une chose est certaine, c'est que

le coût de création d'emplois au cinéma, c'est vraiment à peu près celui qu'il y a de plus bas de toutes les industries parce que ce n'est pas du hardware.

M. Després: Peut-être dans un autre ordre d'idées, parce que ce que vous nous dites aussi dans le mémoire, c'est qu'il est peut-être téméraire, sinon utopique, de penser conquérir le marché américaine On sait qu'acquérir un statut international, ce n'est pas facile. Que l'on pense au film Le déclin de l'empire américain, aux films de Roch Demers ou aux autres tels que La guerre des tuques. De façon concrète, pour favoriser davantage les productions québécoises et canadiennes à acquérir un statut international, y a-t-il des choses que le gouvernement pourrait donner comme ressources?

M. Malo: L'industrie est jeune, il ne faut pas l'oublier. Quand on se compare aux Américains ou aux Français, cela existe chez eux depuis 60 ou 70 ans et même plus. Chez nous, cette industrie existe depuis 15 ou 20 ans. C'est une industrie extrêmement jeune qui a été beaucoup financée au début par des subventions. Ensuite, on a fait un système de "tax shelter" au fédéral qui a été très mauvais, parce que, de la façon qu'il a été construit, c'était tout à fait à l'encontre d'une rentabilisaton de ces films. On a changé le système et je dirais que depuis environ trois ou quatre ans l'industrie a vraiment commencé à prendre son envol, tant au Québec que du côté canadien-anglais.

Il ne faut pas oublier que le problème est encore malheureusement toujours axé uniquement sur un film. On ne pense pas à l'entreprise mais au film. C'est pour cela que l'on pousse maintenant de plus en plus pour que l'aide gouvernementale... Et même, une des propositions que l'on fait maintenant pour les avantages fiscaux, c'est que cela soit pour l'investissement dans les entreprises de cinéma et non pas uniquement dans le produit comme tel. C'est dans les entreprises qu'il faut investir à* tous les niveaux.

Donc, il commence à y avoir des compagnies au Canada qui sont encore très fragiles, mais qui commencent à prendre une certaine place et donc à produire un produit qui a son équivalence dans le reste du monde, de par les expertises que l'on a maintenant et de par le financement qu'on avait. Malheureusement, plusieurs malheurs sont arrivés dans les derniers mois: D'une part, au Québec, l'abaissement de 150 % à 100 %; au gouvernement fédéral, le passage de 100 % à 30 % cumulatif. D'autre part, la loi fédérale qui devait aider la distribution canadienne a été carrément mise sur la glace en attendant de voir ce qui se passerait dans les discussions sur le libre-échange. Cela fait qu'actuellement il y a plusieurs mesures qui font que cette industrie-là qui commençait à prendre vraiment son élan, non seulement sera ralentie, mais sera pratiquement assassinée par toutes ces mesures-là, s'il n'y a rien d'autre qui les remplace.

M. Després: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Un dernier mot à Mme la ministre des Affaires culturelles,,

Mme Bacon: Oui, en remerciant MM. Malo et Boucher de leur présentation cet après-midi, j'aimerais quand même dire aussi que la distribution des films doit refléter le choix et les goûts au niveau sociologique de la clientèle québécoise - c'est important - et que nous avons tous intérêt, et comme Québécois et comme Canadiens, à sauver l'intégrité culturelle du Québec.

Il n'y a pas de raison de croire que les Américains n'ont pas eux-mêmes compris cette condition sine qua non que nous avons faite de l'acceptation de négociations de libre-échange qui est l'exclusion du domaine culturel. Depuis le début des discussions -mon collègue est en mesure de corroborer mes dires - ils ont vraiment compris que c'est une condition sine qua non que nous faisions et qu'il fallait la respecter. Nous tentons pas les mesures que nous mettons de l'avant de protéger davantage les industries culturelles, que ce soit par la loi, par l'aide ou par la réglementation et nous allons continuer de le faire à notre façon à nous. Merci beaucoup. (15 heures)

Le Président (M. Charbonneau): Sur ces commentaires de la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles, nous allons mettre fin à cette rencontre. Alors, messieurs, au nom de tous les membres de la commission, je voudrais vous remercier d'avoir participé à cette consultation générale. Je crois que votre intervention a été fort utile pour la compréhension des membres de la commission et j'imagine aussi pour les gens qui suivent nos travaux, à la fois dans cette salle et à la télévision. Alors, merci et à une prochaine fois.

M. Malo: Merci de nous avoir reçus.

Le Président (M. Charbonneau): Merci et au revoir.

Association du disque et de l'industrie du spectacle québécois

Alors j'invite maintenant les représentants de l'Association du disque et de l'industrie du spectacle québécois à prendre place à la table des invités.

Bonjour, bon après-midi. Je pense que

vous étiez dans la salle tantôt et que vous connaissez un peu les règles du jeu. Je vous les rappelle: une heure est prévue pour la discussion et la présentation du mémoire. Vous avez d'abord une vingtaine de minutes pour présenter vos points de vue et, par la suite, la discussion s'engagera entre vous et les membres de la commission.

J'imagine que c'est M. Di Cesare, le président du conseil, qui va être responsable de la délégation. Je lui demanderais de présenter les gens qui l'accompagnent et d'engager immédiatement son exposé ou celui de ses collègues.

M. Di Cesare (André): À mes côtés, M. Pilon, économiste qui a travaillé à notre dossier, et M. Gaétan Morency, notre directeur général à qui je vais laisser la parole pour commencer. Merci.

M. Morency (Gaétan): Nous serons brefs. Je ne lirai pas le mémoire tout au long. Je vais plutôt présenter une synthèse de notre position. Il est ressorti tout au long des débats de la présente commission des enjeux importants sur le plan économique. On parle d'emploi. On parle de développement régional. On parle d'harmonisation de la main-d'oeuvre. Pour nous qui sommes dans un secteur économique qui, somme toute, est comparativement plus marginal ou moins important, il est clair que, dans notre cas, l'enjeu principal, fondamental, est l'identité culturelle. La position du gouvernement québécois, dans le cadre du libre-échange, est de considérer l'identité culturelle comme un élément non négociable de l'entente, ce avec quoi nous ne pouvons faire autrement qu'être d'accord. Cependant, nous voudrions nous assurer que l'identité culturelle soit plus qu'un concept abstrait, mais soit une série de mesures, une série de considérations qui se répercutent sur le plan économique.

En effet, dans un contexte où l'économisme et l'industrialisation sont les idéologies dominantes de nos sociétés occidentales, l'identité culturelle n'y échappe pas et elle aussi s'incarne dans une activité économique et industrielle. Donc, on ne peut pas parler à notre époque d'identité culturelle sans parier d'industrie culturaliste et c'est ce lien-là qu'on tient à représenter quand on veut protéger l'identité culturelle. On veut donc aussi, selon nous, protéger les industries culturelles.

Dans notre industrie, l'identité culturelle s'incarne par les millions de disques, les milliers d'heures de diffusion radio et télévision et les milliers de spectacles qui sont diffusés au Québec ou au Canada, qui sont largement consommés par les citoyens et qui, donc, sont déterminants dans toute l'identité culturelle de notre pays.

L'identité culturelle pose déjà des problèmes. Au moment où on envisage un libre-échange, il y a déjà des problèmes graves, sans parler du libre-échange, qui découlent de la concentration des entreprises, de l'envergure de ces entreprises et de la technologie, qui ont entraîné une mondialisation des marchés et une homogénéisation de la consommation de la part des citoyens. Donc, ces problèmes d'identité culturelle étaient là avant qu'on envisage le libre-échange et ils vont continuer d'être là d'autant plus. Au Canada et au Québec, la grande majorité de nos produits culturels sont étrangers. La grande majorité des produits culturels offerts et consommés sur nos marchés sont étrangers et les recettes qui découlent de ces produits fuient largement à l'étranger. Il en résulte, finalement, une infrastructure industrielle très fragile qui est difficilement compétitive, même sur son propre marché.

Le Québec partage ces problèmes avec plusieurs autres pays européens, notamment la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, qui, comme nous, ont un avantage naturel pour se protéger des produits américains, celui de la langue. En plus, ce qui n'est pas notre cas, ils disposent d'un marché intérieur important concentré géographiquement. Ils sont donc mieux placés, à prime abord, que nous pour défendre leur identité culturelle. Malgré cette position avantageuse, le Conseil de l'Europe a dénombré au-delà de 400 mesures, dans 13 pays européens, qui visent à la protection des industries culturelles nationales. C'est dire le type de mesures dont on a besoin ici, dans un contexte où notre marché intérieur est faible et très largement diffusé sur un territoire.

Actuellement, il y a des mesures qui sont là, les gouvernements québécois et canadien, le ministère des Affaires culturelles, le ministère des Communications fédéral, la SODICC ont reconnu les besoins de ces industries et injectent chaque année des millions pour aider à la création, à la production et à la commercialisation des produits culturels au Québec. Il y a de plus des mesures tarifaires sur le disque, des lois qui protègent nos industries de la publicité en imposant une taxe aux Américains ou aux Canadiens qui veulent annoncer dans les périodiques non canadiens à diffusion canadienne. Il y a aussi des règlements sur le contenu canadien qui s'ajoutent donc aux injections directes de fonds dans l'industrie.

Malgré ces mesures, actuellement, la réalité économique des industries culturelles au Québec, au Canada, est très difficile. Nos marchés sont dominés par les produits étrangers et notre accès au marché étranger est très difficile, non pas à cause de la barrière tarifaire, simplement à cause des moyens énormes qu'il faut générer pour faire de la promotion, pour pénétrer les marchés comme le marché américain, à cause des budgets qui sont de douze à quinze et vingt

fois supérieurs aux budgets qui sont nécessaires pour percer le marché ici. De plus, Ies Américains, à cause d'un marché intérieur important, sont capables de produire des disques, des vidéos avec des ressources financières incroyables, des millions de dollars qu'ils peuvent investir dans des produits et ils peuvent, à cause de la rentabilisation qui est faîte sur leur propre marché, maintenir des politiques de prix à l'étranger, donc, au Canada et au Québec, qui ne correspondent absolument pas à la réalité économique de l'industrie nationale. Par exemple, dans le domaine du disque, les politiques de prix au détail sont largement déterminées par les Américains qui offrent un produit de qualité, qui disposent de ressources de production incroyables comparées aux nôtres. Donc, il est difficile pour nous de maintenir une politique de prix qui reflète la réalité économique de nos industries. Nos prix doivent concurrencer les prix pratiqués par les Américains. On ne peut pas vendre deux fois plus cher un disque qui a coûté vingt fois moins cher à produire. Le consommateur est face à ces choix-là et on ne peut pas maintenir des politiques de prix facilement. Donc, nos politiques de prix, nos pratiques commerciales sur le marché national sont fortement influencées par les Américains qui ont des conditions économiques qu'on ne peut comparer aux nôtres.

D'une façon générale, pour nous, il est clair que les industries culturelles ne peuvent faire partie du libre-échange. Non seulement elles ne peuvent en faire partie, mais il faut pour ces industries, une protection accrue face aux entreprises étrangères. De toutes sortes de façons, on peut s'inspirer des Européens, on peut s'inspirer d'une foule de mesures qui ont été instaurées un peu partout dans le monde. Il est certain qu'on ne parle pas de libre-échange, mais plutôt d'un protectionnisme accru pour nos industries culturelles.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette présentation, je vais d'abord céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Messieurs, merci de votre présentation. Je serai bref, mais je tiens à noter que, dans votre conclusion, vous démontrez clairement que nous pouvons avoir des intérêts particuliers, qu'un secteur d'activité peut nécessiter une attention tout à fait particulière, voire une quasi-exclusion totale, sans pour cela rejeter d'emblée les intérêts des autres et de l'économie du Canada en général. Quand vous dites: Le projet de libre-échange n'est pas mauvais en soi, vous ajoutez: II amènera de nettes améliorations dans plusieurs secteurs de notre économie et nous permettra l'accès au marché américain. Il faut cependant faire la part des choses. Si certaines de nos industries peuvent soutenir et profiter de la concurrence américaine, ce n'est pas le cas de nos industries culturelles.

Vous avez un mémoire qui est très bien structuré, je vous en félicite. Cela dit, pour élaborer un peu plus sur cette présentation, je pense que je vais passer la parole à Mme la vice-première ministre qui s'y connaît beaucoup mieux que moi et qui pourra faire ressortir certains des points qui vous intéressent le plus.

Mme Bacon: Alors, merci, messieurs, de votre présentation. Je pense que vous avez raison quand vous dites dans votre mémoire que cela nous permet de faire le point sur les industries culturelles, de nous apercevoir qu'il y a des choses qui ont été faites, mais qu'il en reste encore à faire. On a encore un bout de chemin à faire ensemble.

Nous partageons aussi votre lecture de la situation actuelle des industries culturelles et du spectacle. Ce sont des industries fragiles, c'est vrai, et qui ont profité de différentes mesures d'aide financière, de protection des ministères du gouvernement pour se tailler une place dans un marché qui est largement occupé par des produits étrangers. Votre mémoire, qui est appuyé de statistiques fort éloquentes, ne fait que confirmer notre volonté d'appuyer et de protéger encore davantage nos industries culturelles qui sont, pour nous, essentielles à la production des oeuvres québécoises.

Nous voudrions quand même avoir certains éclaircissements sur certains points de votre mémoire. Par exemple, vous mentionnez que la production de spectacles canadiens aux États-Unis est marginale au sein de la production totale des spectacles canadiens; c'est en page 8 de votre mémoire.

Par ailleurs, vous participez à des congrès d'acheteurs de spectacles aux États-Unis. Est-ce que votre participation à de telles activités a ouvert de nouvelles possibilités de production de spectacles aux États-Unis? Est-ce qu'il existe un bassin de francophones américains qui soit important? Est-ce qu'il y a des attentes, des besoins chez les Franco-Américains qui sont suffisamment importants, selon votre association, pour accroître la production de spectacles et de vidéos québécois sur le marché des États-Unis? On nous dit que, dans la nouvelle génération, non pas ceux qui nous ont quittés il y a longtemps ou même leurs enfants, mais dans la nouvelle génération il y aurait une espèce d'engouement pour une autre langue et cette autre langue serait le français.

M. Morency: II est certain que, de plus en plus, les jeunes artistes ont grandi dans un contexte culturel davantage universel.

Donc, on retrouve de plus en plus de produits intéressants pour les marchés étrangers, des produits de créateurs québécois qui ont été branchés sur une culture davantage internationale. (15 h 15)

II y a un peu de productions. Cela dit, on n'en est pas encore au point de mener systématiquement une mise en marché aux États-Unis. Il y a de plus en plus de participation de notre part à des événements, à des marchés américains et européens. Régulièrement, depuis dix ans, on va au MIDEM, à Cannes, où se retrouve l'ensemble de l'industrie internationale du disque, pour tenter de percer. Certains de nos produits, surtout les produits musicaux, hors la chanson, ont, dans certains cas, pas mal de succès à l'étranger puisqu'il n'y a pas de barrière de langue. Arriver à un marché, offrir un produit, un "trade show" en particulier, et susciter un intérêt de la part d'un acheteur, c'est le début d'un long processus. Pour soutenir l'effort qui a été entrepris face à ce marché et auquel on participe grâce à l'aide des gouvernements, il s'agit de continuer à assurer une présence sur ces marchés qui coûte extrêmement cher.

Actuellement, l'industrie nationale a de la difficulté à financer le développement de son propre marché; donc, elle n'a pas les moyens de financer une présence internationale soutenue. Nos actions vont dans ce sens. C'est donc dire, pour que cette industrie jouisse des investissements pour mener ce genre d'action, qu'il faudra trouver des façons, qu'il faudra que les gouvernements aient des mesures d'aider qui s'ajoutent et il faudra impliquer aussi le secteur privé. Malheureusement, on est dans une période où l'Angleterre, les États-Unis et maintenant le Canada éliminent les abris fiscaux pour des investissements, par exemple, dans le cinéma, des types d'abris qui auraient été susceptibles d'aider l'industrie du disque et du spectacle à intéresser les investisseurs privés.

L'industrie du disque et du spectacle finalement est plus facile à rentabiliser que l'industrie du cinéma puisque, quand on fait un disque ou un spectacle, on n'investit pas 4 000 000 $, 5 000 000 $ ou 10 000 000 $ sur un produit qui va ou bien fonctionner ou bien ne pas fonctionner. Avec le même budget, on peut produire 10 ou 20 produits. Donc, quant à nos chances de succès dans un contexte où on ne peut pas prévoir le succès d'un produit, ni dans le domaine du cinéma, ni dans celui du disque, ni dans celui du spectacle, on a un avantage statistique de succès pour des budgets comparatifs. Les investisseurs privés, je pense, depuis quelques années, se sont montrés très intéressés par l'industrie du cinéma avec les abris fiscaux. Ces mesures, dans notre industrie, auraient pu être très positives. C'est malheureux, parce qu'on est finalement un peu "offbeat" à ce sujet, puisque les mesures fiscales, de façon générale - il y a une problématique ici au Canada - dans les pays occidentaux, ont tendance à disparaître. Les régimes fiscaux ont tendance à éliminer ce genre de mesures. Donc, oui au marché étranger, à la condition d'avoir les sommes et les investissements nécessaires pour assurer une présence soutenue.

Mme Bacon: Seulement une dernière question, M. le Président; je sais qu'il y a des collègues qui veulent poser des questions. Il y a un sujet qui a été débattu peu ou pas. C'est la difficulté des conditions de travail des artistes et des techniciens canadiens aux États-Unis. Vous avez mentionné cela dans votre mémoire. Est-ce que vous pourriez expliciter davantage ces problèmes qu'éprouvent les producteurs? Quelles mesures, peut-être un assouplissement à la réglementation sur l'immigration américaine, par exemple, ou sur les permis de travail, pourraient faciliter ce permis de travail ou cet emploi que pourraient avoir nos gens, nos Canadiens aux États-Unis?

M. Morency: Actuellement, un producteur canadien qui produit aux États-Unis n'a pas le choix d'embaucher des Américains. Quand c'est impossible, par exemple, dans le cas d'une tournée où les musiciens travaillent avec l'artiste depuis plusieurs années et qu'il n'est pas question de changer les musiciens ou lorsque les techniciens suivent la tournée et qu'ils sont habitués - c'est quand même techniquement complexe de monter un spectacle et de changer de ville le lendemain matin - il est très difficile d'obtenir des permis de travail. Actuellement, les Américains sont assez intraitables sur cette question. Ici, finalement, ils profitent de conditions très favorables puisqu'ils déterminent eux-mêmes les règle du jeu quand ils viennent produire ici. On l'a vu dans le cas du Music-Fest l'an dernier où, finalement, ils sont arrivés à Montréal, ont déterminé une politique de prix dans le cadre d'une expérience de mise en marché et ont payé, compte tenu de cette expérience le double de la valeur des cachets en vendant les billets la moitié du prix, donc un écart de quatre fois par rapport à l'industrie nationale ou montréalaise, dans ce cas-là. Finalement, il a fallu un an avant que les producteurs québécois et montréalais puissent se remettre de cette expérience de mise en marché qui a coûté finalement peu de choses, 2 000 000 $, ce qui est peu pour un investisseur américain, mais qui déséquilibre complètement l'industrie.

Est-ce qu'il faut que les Américains soient plus ouverts face à nous? Effectivement, oui, quand on n'a pas le choix. Quant à nous, il faudrait peut-être être plus

sévères quand ils viennent ici. En fait, il s'agit de trouver un équilibre.

Mme Bacon: Merci.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Morency, M. Pilon et M. Di Cesare, il nous fait plaisir de vous accueillir., Votre mémoire contient beaucoup de faits précis et de statistiques qui nous permettent de bien saisir l'importance de la disproportion entre les possibilités de ce qui se passe ici au Québec et ce qui se passe aux États-Unis.

Vous avez mentionné tantôt, en terminant votre exposé, que non seulement les programmes de soutien, les programmes d'aide qui existent actuellement... Je pense à ceux de la SODICC, à ceux qui ont permis particulièrement d'aider l'usine de disques compacts à Drummondville au cours de la dernière année, mais il y a aussi le gouvernement fédéral qui a mis de l'avant un programme? au printemps dernier, le PADES, je crois. Quand vous demandez une aide accrue, quand vous demandez un soutien accru pour être capables de développer, entre autres, le marché du disque compact, pour prendre un exemple, est-ce que vous voulez dire des sommes additionnelles ou des programmes additionnels plus spécifiques soit pour la promotion, soit pour les réseaux de distribution? Qu'est-ce que vous entendez, en plus de ce qui existe, afin d'éviter la duplication par rapport à ce qui se fait au gouvernement fédéral? Y a-t-il des choses précises que vous demandez face à ce qui fait partie de vos préoccupations actuelles?

M. Di Cesare: Je pense que, dans l'industrie du disque, par le biais de Musicaction, les fonds pour la production existent. Mais produire un disque, ce n'est pas suffisant, il faut le mettre en marché. Je pense qu'on manque beaucoup, au Québec, de sommes qui nous aideraient à faire la mise en marché de ces produits pour être compétitifs avec les Américains. Il ne faut jamais oublier que les Américains arrivent ici avec un produit qui a déjà été éprouvé dans leur marché, donc un des meilleurs produits pour ce qui est de la qualité, un produit que les gens achètent déjà aux États-Unis. Donc, c'est un produit éprouvé; ils arrivent ici avec tout le matériel de publicité et de promotion pour nous le vendre à nous, les Québécois. En plus de cela, ils ont déjà récupéré leurs frais de production. Donc, ce qui nous manque, après avoir mis en marche tout l'appareil de production, c'est de mettre en marche un appareil de marketing, de promotion équivalant au leur. Au Canada, les "majors" américains, les principaux investisse- ments qu'ils font, c'est au chapitre du marketing, de la distribution, non pas au chapitre de la production parce que leur production est déjà faite; pour les quelques productions qu'ils font localement, ce n'est pas là l'essentiel de l'argent.

Quant à nous, nos besoins dans l'industrie du disque sont plus des besoins de promotion et de marketing, à ce stade-ci, parce qu'on a des fonds pour la production. Ce sont la promotion et le marketing qui manquent. Il faut prendre de l'espace dans les marchés. C'est chez le détaillant, que le disque se vend. Si on se promène dans les magasins de détail, l'espace qui nous est alloué n'est pas suffisant en tant que production locale, il faut aller chercher de l'espace là, en ayant de bonnes affiches, en ayant la possibilité de mettre plus de matériel là. C'est cela,

M. Morency: Donc, comme l'a dit M. Di Cesare, il faut des fonds aussi importants en promotion qu'en production. D'autre part, dans un contexte où, justement, il y a un soutien à la production et où il y aurait un soutien à la promotion, il serait important que les sommes phénoménales qui sont investies en formation professionnelle dans notre industrie, quand on pense à la construction, à l'industrie de l'automobile, aux secteurs économiques majeurs... Il y a des sommes incroyables qui sont investies en formation professionnelle dans un contexte industriel qui est bien connu de tous, avec des programmes qui ont fait leurs preuves avec le temps. Quand on veut accéder à ce type de programme, toutes sortes de problèmes se posent parce que les programmes ne sont pas faits sur mesure pour notre industrie, ils ne tiennent pas compte de la réalité de notre industrie et, finalement, c'est un grand besoin pour nous. La concurrence à laquelle on fait face est experte, si on veut, et je pense qu'on partage cela avec d'autres secteurs économiques; cela est ressorti ici. C'est important et urgent qu'une relève industrielle soit mise en place, c'est-à-dire qu'on assure la transmission des contenus, comme, en tant que producteur, par exemple, comment faire un disque, comment faire un spectacle, comment développer une entreprise de disques et de spectacles. Ces contenus ne sont écrits dans aucun volume, ce sont des contenus qui sont dans la tête de nos producteurs. Il est important d'assurer la transmission de cette expertise à une relève industrielle et de former les gestionnaires de nos entreprises qui, à première vue, ont l'air de gérer de petites entreprises.

L'industrie est surtout articulée autour de pigistes, de travailleurs autonomes. Dans le cas d'une entreprise qui a quatre ou cinq permanents, si on analysait de près ses budgets de production au cours de l'année,

on se rendrait compte que c'est une PME qui engage à langueur d'année de 60 à 75 employes. Les problèmes de gestion de ces entrepreneurs ressemblent davantage à ceux des entreprises de cette taille qu'à des entreprises de quatre ou cinq permanents. Alors, les problèmes de gestion, les problèmes de mise en marché, les problèmes de production sont aussi complexes que ceux des entreprises de plus grande taille. Plus complexes parce que, non seulement ils engagent de 60 à 75 personnes par année, souvent plus, mais ils les engagent dix à douze fois par année. Cela veut dire que chaque fois, à chaque projet, on réengage tout ce monde, donc, on a une administration relativement complexe.

Paradoxalement, c'est une des industries la moins formée sur le plan administratif. J'ai eu l'occasion, avec la SODICC, de me rendre compte de ce phénomène. Ce secteur économique qui devrait être très fort administrativement parlant, parce qu'il faut une lourde administration pour produire des disques et des spectacles, est un des plus faibles. Donc, il faudrait éliminer ce paradoxe et trouver des façons d'investir dans la formation professionnelle au sein de l'industrie.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Limoilou.

M. Després: Merci, M. le Président. J'aimerais savoir, pour ce qui est de votre association et du soutien législatif qui est accordé à votre industrie, notamment en ce qui concerne la réglementation sur le contenu canadien des émissions de radio et de télévision, quelle est votre opinion face à cette réglementation.

M. Di Cesare: On voudrait, en ce qui concerne le contenu canadien et québécois, ou francophone, à la radio, que cela revienne au contenu exigé auparavant. Je pense qu'avec les investissements qu'a faits le gouvernement fédéral avec Musicaction et le MACQ avec ses programmes pour aider la production, il y a beaucoup plus de produits qui sortent sur le marché maintenant et si on veut que tout cela continue de fonctionner, il faut que cela tourne à la radio, il faut avoir de l'espace radio, une vitrine radio importante. Je pense qu'il faut que cela augmente. Il faut que cela augmente aussi aux heures de pointe. C'est un autre grand problème du produit québécois et même canadien anglais. Il faut tourner à la radio, mais tourner aux heures de pointe ou aux heures de grande écoute. Il ne faut pas tourner ailleurs, sinon on n'a pas la même exposition que les produits américains.

M. Després: Est-ce que j'ai bien compris? Vous avez dit: Cela devrait revenir à ce que c'était?

M. Di Cesare: Oui, parce qu'ils ont diminué...

M. Després: C'est quoi en termes de...

M. Di Cesare: Ils ont diminué à 55 %, dans certains cas 50 %. Il faudrait que cela revienne à 60 % et 65 % dans certains autres cas. Monsieur peut répondre.

M. Pilon (Robert): Oui. Simplement pour vous signaler, à la dernière ligne, au bas de la page 11 - malheureusement, c'est un problème de traitement de texte, j'imagine -que l'expression "contenu francophone" a été sautée. La réglementation du CRTC impose aux stations canadiennes, qu'elles soient de langue française ou anglaise, d'abord un contenu canadien de 30 % des pièces musicales qui sont jouées à la radio et, en ce qui concerne les stations de langue française, autrefois, c'était 65 % de contenu vocal de langue française. Maintenant, durant les deux dernières années, à la suite d'un certain nombre de décisions, le CRTC a réduit cela à 55 % et, dans certains cas, même à 50 %. (15 h 30)

II faut voir que c'est là une mesure extrêmement importante. Essayons d'imaginer ce qui se passerait si cette réglementation -je parle en particulier des 55 % ou 60 % de contenu francophone - n'existait pas. La pression auprès des postes de radio, entreprises qui doivent rentabiliser leurs opérations et vendre de la publicité, et le marketing que les entreprises américaines, comme on le signalait tantôt, font de leurs disques, la visibilité des disques et des artistes américains partout, dans tous les médias, obligent presque les postes de radio à faire jouer quand même beaucoup de musique américaine. C'est la loi du marché, jusqu'à un certain point. D'où l'importance de cette règle des 55 % ou 65 %, selon les postes, de contenu francophone qui doit absolument être maintenue.

On peut imaginer - c'est un scénario catastrophique et j'ose espérer que cela ne se produira pas - mais certains rapports de presse ont laissé entendre, que les Américains, dans le cadre des négociations sur le libre-échange, étaient très gênés par les différents règlements de contenu canadien qui existent à la radio et à la télévision - il y a des règlements de 60 % et de 50 %, selon les heures d'écoute, de contenu canadien à la télévision - et qu'ils voyaient ces règlements comme des barrières non tarifaires restreignant, par conséquent, les fenêtres ouvertes pour leurs émissions de télévision sur le marché canadien ou les fenêtres ouvertes pour leurs disques dans les postes de radio.

Je pense que c'est là une mesure cruciale, tant dans le domaine de la télévision que dans le domaine du disque, et, pour l'industrie francophone du disque en particulier, il est crucial que cette réglementation des 55 % ou 65 % de disques francophones soit maintenue.

M. Di Cesare: Oui. Il ne faut jamais oublier que les Américains ont compris une chose; à travers la culture, ils vendent tous leurs autres produits. C'est par la culture qu'on amène des modes et, par ces modes, que les industries manufacturières vendent des produits à des pays étrangers. Il y a cela aussi.

M. Després: Le fait de diminuer ce temps d'antenne, avez-vous déjà essayé d'évaluer si c'est quantifiable pour vous dans l'industrie?

M. Di Cesare: Quantifiable?

M. Després: Quantifiable, je veux dire...

M. Di Cesare: La diminution du contenu?

M. Després: La diminution. C'est difficilement quantifiable?

M. Di Cesare: C'est difficilement quantifiable. Ce qu'il est important de savoir, c'est que ces règlements sur le contenu doivent être faits pour les grandes écoutes, non seulement pour une journée complète, mais pour les grandes écoutes. Il faut répartir cela aussi durant les grandes écoutes.

M. Després: D'accord.

M. Pilon: Si je peux seulement me permettre une chose...

M. Després: Oui.

M. Pilon: ...André me faisait remarquer l'autre jour que, au lendemain du spectacle de Madonna à Montréal, si vous vous promeniez dans les magasins de disques et regardiez ce qui était acheté, forcément, c'étaient des disques américains, entre autres, ceux de Madonna. C'est la même chose chaque fois qu'un artiste américain vient à Montréal avec un battage énorme de publicité et de promotion. D'où l'importance de mettre cette réglementation des 65 % ou 55 % en rapport avec le blitz que font les artistes américains ici. Comment peut-on mesurer cela? J'imagine que, si on avait fait une étude très minutieuse, on aurait sans doute pu mesurer la diminution des ventes de certains produits au moment où les postes de radio ont diminué les contenus canadien et francophone. Je pense, par exemple, à des postes de radio FM rock bien connus où, au moment où les contenus ont été diminués, cela a sans doute eu un impact sur la vente au détail.

M. Di Cesare: Sur la vente au détail de cette catégorie de disques cela a eu un impact, je peux vous le dire» Plusieurs artistes n'existent même plus aujourd'hui à cause de cela.

M. Després: Concernant ce que j'appelle le soutien législatif, y a-t-il d'autres points? Je vous ai mentionné celui-là, mais y en a-t-il d'autres qui vous agacent particulièrement ou qui devraient être modifiés? Je n'en ai pas un en particulier en tête. Je vous ai mentionné celui de la réglementation du temps d'antenne d'émissions de radio et de télévision, il y en a peut-être d'autres, mais il n'y en a peut-être pas non plus, remarquez bien.

M. Morency: Oui. En fait, il y aurait surtout un travail d'analyse à faire pour identifier les mesures législatives propres à aider notre industrie à contrôler le marché intérieur et à accéder à des marchés étrangers. Actuellement, peu de lois concernent notre industrie; c'est plutôt l'absence de lois qui pose un problème que la législation comme telle.

M. Després: Dans ce cadre, je vais vous poser la question autrement. Quelles avenues le gouvernement du Québec devrait-il considérer pour que l'industrie culturelle québécoise puisse occuper une place plus importante, autant è l'intérieur du pays que sur le marché international? Si on n'a pas de lois, qu'est-ce qu'on devrait faire?

M. Morency: Un exemple. Quand on parle de politique de prix de détail, il devrait y avoir une loi qui permette à l'industrie nationale de maintenir une politique de prix de détail, selon sa réalité économique plutôt que selon la réalité économique des Américains. Donc, des tarifs ou une taxe sur les produits étrangers qui ne refréneront pas la consommation de produits étrangers, mais qui vont peut-être générer des fonds qui pourront être réinvestis dans l'industrie. D'une part, cela permettrait à l'industrie de maintenir sa politique de prix au détail; d'autre part, cela permettrait de générer des fonds pour l'industrie nationale qui pourraient être investis, par exemple, pour aider les auteurs-compositeurs qui ont de la difficulté à gagner leur vie sur notre marché, qui pourraient être investis dans le domaine des salles et des équipements culturels - actuellement, Montréal souffre d'un manque de salles; même un événement comme le gala des Félix n'a pas pu se tenir

à la Place des Arts ou au Saint-Denis, parce que les salles sont prises, il manque de salles - et qui pourraient aussi être investis dans la production.

En fait, il y a trois problèmes majeurs dans l'industrie des auteurs-compositeurs. Les artistes doivent vivre de leur travail, l'industrie doit générer des investissements et on doit avoir l'infrastructure technique pour fonctionner. Par exemple, si la taxe d'amusement qui est surtout facturée sur des produits américains qui dominent le marché à 80 %, si le produit de cette taxe était réinvesti, réinjecté dans l'industrie, déjà on générerait des sommes incroyables et on pourrait les canaliser dans le développement de notre infrastructure industrielle. La taxe d'amusement est actuellement un irritant sérieux et il y aurait moyen de faire beaucoup, de façon à transformer cet irritant en un aspect positif des mesures qui sont mises de l'avant par le gouvernement.

M. Després: Y aurait-il d'autres façons, d'autres mesures, à part cette taxe?

M. Di Cesare: II y a l'éducation pour créer une relève industrielle. Il faut absolument créer une relève industrielle au Québec. Présentement, c'est ce qui manque le plus. On a beaucoup de sous pour produire présentement, mais on manque de relève industrielle pour s'occuper de tous ces gens-là. La relève artistique existe, elle est là, elle attend des bons producteurs, des bons gérants, des bons éditeurs pour s'occuper d'eux. S'il y a un secteur où il faut faire un pas rapidement pour ne pas perdre du terrain plus qu'on en a perdu depuis déjà un an et demi ou deux ans, il faut vraiment aller de l'avant de ce côté-là.

M. Després: D'accord. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. M. le député de Roberval.

M. Gauthier: C'est plutôt une question de curiosité dans le contexte du libre-échange, puisque c'est l'objet de notre commission parlementaire. Tout le monde a compris et a admis qu'il fallait exclure les industries culturelles, dont la vôtre, bien sûr. Mais il y a une question qui me préoccupe et c'est la suivante: On comprend qu'il faille exclure les industries culturelles, parce que les moyens de nos voisins du sud - vous en avez fait état tout à l'heure - sont tellement gros, tellement énormes, qu'ils envahissent facilement notre marché, quitte même à couper les prix et à présenter une situation que vous ne pourrez jamais concurrencer. On comprend comment les Américains font pour venir ici, mais, comme il y a des artistes de chez nous qui vont aux

États-Unis à l'occasion, j'imagine - et c'est là la première partie de ma question - qu'il y a un certain écoulement de produits de disques, entre autres, sur le marché américain, pourriez-vous nous donner, si vous l'avez, un chiffre pour nous faire comprendre l'ordre de grandeur que cela peut représenter? C'est peut-être infime. J'imagine que c'est infime par rapport au marché américain. C'est peut-être relativement important pour vous, compte tenu du marché qu'on a ici, d'aller vendre là-bas des produits. Or, j'aimerais avoir une idée de l'ordre de grandeur et j'aurai une sous-question par la suite.

M. Di Cesare: Si on parie de produits francophones aux États-Unis, il faut oublier cela. Il n'y en a pas qui s'exportent vraiment. Si on parle de produits anglophones venant du Québec, il y a Corey Heart qui a vendu 1 000 000 de disques aux États-Unis. Donc, c'est un ordre de grandeur très intéressant sur un marché comme...

M. Gauthier: Dans le produit francophone, c'est folklorique, c'est quelques collectionneurs.

M. Di Cesare: Oui, oui, c'est marginal.

M. Gauthier: Dans un cas comme celui que vous avez cité dans le produit anglophone, produit ici mais vendu là-bas, vous n'avez toujours pas, même pour un produit comme celui-là, les moyens de faire le battage publicitaire qui s'impose pour envahir le marché américain. Quelle est la stratégie? Vous vous concentrez dans un coin en particulier? Comment ça...

M. Di Cesare: Non, c'est par un distributeur américain que la stratégie de marketing américaine va se faire. Ce n'est pas à partir de Montréal...

M. Gauthier: Ce n'est pas vous autres.

M. Di Cesare: ...que ça va se décider. Même les "majors" américains qui signent des artistes québécois anglais ou canadiens anglais ne sont pas sûrs, s'ils font un produit ici, de pouvoir le sortir chez leur partenaire américain, chez leur filiale américaine. C'est aux États-Unis que la décision va se prendre pour le marché américain. Elle ne se prendra pas à Toronto ou à Montréal.

M. Gauthier: C'est donc dire, pour être réaliste, que ça ne sera jamais possible et, si jamais un jour ça pouvait devenir possible, il faudrait procéder à des investissements, une implantation de l'industrie québécoise aux États-Unis, ce qui est absolument illusoire.

M. Di Cesare: C'est ça, c'est illusoire.

La seule façon de le faire, si on prend l'exemple de Corey Heart, ce sont de gros investissements dans la production. À partir du moment où ces investissements-là ont été faits, avec de l'expertise peut-être américaine ou autre, un transfert d'expertise, à un moment donné, les Américains ont décidé que le produit était valable pour le sortir aux États-Unis, mettre la machine en marche et sortir les fonds que ça prend pour faire de ça un succès aux États-Unis.

M. Gauthier: La nature même de la réponse que vous me donnez, dans le fond, répond à la dernière question que je vais quand même exprimer à haute voix même si la réponse est donnée., Des industries dites vulnérables au libre-échange sont venues nous dire: Bien, si une période de transition très très longue était mise en place, ça serait peut-être possible de s'ajuster. Dans le cas du disque, entre autres, ce n'est absolument pas possible.

M. Dï Cesare: Si on parle du disque francophone, on oublie ça. Si on parle du disque anglais, pas vraiment.

M. Gauthier: D'accord. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. le ministre, vous vouliez..,.

M. MacDonald: Je crois, M. le Président, que vous avez retrouvé ici des gens, de part et d'autre, qui, par la nature de leurs questions et également par leurs commentaires, sympathisent et font plus que sympathiser avec vous pour ce qui est de protéger et d'aider l'expression de notre culture. Mais vous ne m'en voudrez pas si je mentionne cette espèce de cliché des gens du domaine des arts et du spectacle qui sont supposés être un peu éloignés des considérations pratiques; après vous avoir entendus tous les trois, je serais prêt à parler affaires avec vous n'importe quand. Je vous remercie de votre présentation.

Le Président (M. Charbonneau): Bon, écoutez...

Mme Bacon: Permettez, permettez que j'ajoute...

Le Président (M. Charbonneau): Mme la ministre, oui.

Mme Bacon: Cela fait du bien à mes collègues d'entendre les gens de l'industrie culturelle et ce n'est peut-être pas mauvais qu'ils viennent ici s'exprimer devant des collègues qui ont des dossiers économiques. Cela leur démontre la place que prennent les industries culturelles dans le monde économique pour faire avancer, je pense, l'économie du Québec. Je veux vous remercier de votre ton serein et aussi de l'intéressant dossier que vous nous avez soumis et de votre souci de faire rayonner les productions québécoises du disque, du vidéo, non seulement aux États-Unis mais aussi à l'étranger. Je pense que c'est ça faire rayonner notre identité culturelle. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Dans la même foulée, je vous remercie au nom de notre formation politique. Vous avez aussi contribué à nous enrichir. Si cette commission parlementaire permet à certains parlementaires d'être sensibilisés davantage, je suis d'accord avec Mme la ministre, pour cette fois-là.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, messieurs, peut-être que votre venue à la commission parlementaire de l'économie et du travail lui permettra d'étendre sa juridiction. Nous retrouverons peut-être la juridiction de la commission sur les industries culturelles et nous accueillerons plus souvent la ministre des Affaires culturelles à notre commission.

Ceci étant dit, messieurs, merci de votre collaboration et de votre participation. Je vais suspendre les travaux de la commission quelques instants pour une pause-santé.

(Suspension de la séance 15 h 45)

(Reprise à 15 h 51)

Le Président (M. Charbonneau): Nous accueillons maintenant l'Union des écrivains québécois. Je demanderais aux représentants de l'union de prendre place à la table des invités. Je vous rappelle que, par la suite, nous accueillerons la Société nationale des Québécois de Lanaudière et cela complétera les travaux pour cette semaine assez remplie, je pense. Nous accueillons, je crois, Mme Charlotte Boisjoly et les deux messieurs, j'imagine que ce sont M. Bruno Roy, le vice-président, et M. Yves Légaré, le directeur général. Madame, messieurs, bonjour. J'imagine que vous étiez dans la salle, vous avez compris un peu nos règles du jeu. On a une heure, vous avez environ vingt minutes pour présenter votre position et, par la suite, le temps est réparti de part et d'autre entre les membres de la commission pour un échange et des discussions. Je ne sais pas qui va présenter le mémoire. C'est Mme Boisjoiy. Vous pouvez y aller, madame. Je vais céder le fauteuil

présidentiel au vice-président, le député de Vimont, pour quelques instants. Merci.

Union des écrivains québécois

Mme Boisjoly (Charlotte): Mme la vice-première ministre, M. le Président, M. le vice-président, mesdames et messieurs les membres de la commission. L'Union des écrivains québécois a tenu à se présenter devant cette commission afin de lui faire part de ses interrogations, voire de ses craintes, face à un éventuel traité de libre-échange Canada-États-Unis.

Trop souvent dans ce débat, les enjeux culturels ou linguistiques sont occultés par des préoccupations essentiellement économiques. Or, une libéralisation des échanges économiques avec les États-Unis influera, à notre avis, sur tous les aspects de la société québécoise.

Les négociateurs, dans le secret des dieux, cherchent actuellement à aplanir les différents obstacles au commerce entre les deux pays. Dresseront-ils des barrières linguistiques ou culturelles à cette belle uniformisation des rapports commerciaux qu'ils recherchent? En l'absence d'un document définitif, ces questions demeurent sans réponse.

Certes, tant au fédéral qu'au provincial, on affirme volontiers que ni la culture ni la spécificité québécoise ne seront négociables. Cela, malheureusement, ne nous rassure guère.

D'une part, les Américains n'ont pas la même volonté d'écarter des négociations ce genre de questions. Saura-t-on se défendre contre leurs empiétements?

D'autre part, la culture a des retombées économiques certaines; n'est-il pas d'ailleurs courant de parler en termes d'industries culturelles? Définir ce qui relève de la culture et ce qui est du ressort de l'économie pourra parfois entraîner de sérieuses complications. Un disque, par exemple, est-ce un bien culturel ou un bien économique?

Plus lourde de conséquences nous apparaît la dynamique même dans laquelle le libre-échange nous entraîne. À nos yeux, il constitue une accentuation de notre intégration à l'espace nord-américain. C'est ainsi mettre une autre main dans l'engrenage; une action qui, une fois enclenchée, sera irréversible. D'ores et déjà, la présence culturelle américaine se fait lourdement sentir: de Dynastie à Madonna, point n'est besoin d'en faire une longue démonstration. Le libre-échange ne risque-t-il pas de nous rendre davantage vulnérables, ne risque-t-il pas d'accélérer la pénétration américaine et d'entraîner notre déperdition culturelle?

Au plan culturel, parler en termes de libre-échange nous semble relever davantage du délire que de la réalité. En fait, si échange il y a, il se fera plutôt à sens unique: nos industries culturelles n'en retireront aucun avantage. Sans être prophète ou économiste, il est facile de prévoir qu'aucun nouveau marché ne sera ouvert à notre musique, notre cinéma, notre chanson, notre littérature.

Dans les faits, les Américains n'importent pas de produits culturels étrangers. Et si d'aventure, ils en consomment, ils les servent à leur manière, en les intégrant à leur culture. Malgré le dynamisme de nos créateurs, malgré la vitalité de notre production, nos petites industries culturelles par rapport à celles, toutes-puissantes, des États-Unis, appartiennent aux secteurs mous de notre économie. En outre, l'exiguïté de notre marché nous oblige à recourir systématiquement à l'intervention de l'État.

Nous le voyons bien, culturellement, non seulement le libre-échange ne comporte pas d'avantages, mais il laisse poindre de sérieux dangers. Le premier, c'est bien sûr l'accentuation de la pénétration des produits américains.

À cela s'ajoute l'élimination possible de ce que les Américains pourraient considérer comme des entraves au commerce et qui constituent pour nous des instruments de sauvegarde. Voilà pourquoi il n'est pas exagéré de voir les règles d'une éventuelle union économique comme autant de menaces pour l'intégrité des compétences politiques nationales. Et même les volontés canadiennes ou québécoises de protéger la langue ou la culture peuvent être vues par les Etats-Unis comme un moyen détourné de maintenir ou d'instaurer des politiques protectionnistes canadiennes.

Un nouvel aménagement de l'économie ne peut qu'affecter l'action de l'État dans ses dimensions économiques, politiques, sociales et culturelles. Toute la discussion sur l'abolition des barrières non tarifaires nous en donne la preuve. Quand nos programmes sociaux, nos programmes d'aide à l'entreprise sont interpellés par les Américains, on peut craindre avec raison que des concessions ne leur soient faites. Le libre-échange risque en quelque sorte de restreindre nos choix sociaux. Pourrons-nous souverainement favoriser tel ou tel secteur sans mettre en cause les termes de l'échange avec les États-Unis?

Or, nous l'avons dit, nos industries culturelles ne peuvent survivre sans l'intervention de l'État. Voilà d'ailleurs un choix social caractéristique de la culture québécoise. La tradition américaine est tout autre, elle fait appel au mécénat privé. Ne peut-on craindre alors que les discussions à cet égard n'aient lieu sur des longueurs d'onde différentes?

Même dans le domaine du livre et

périodique en français, la présence américaine se fait sentir. La version française de Sélection du Reader's Digest a, par exemple, ses milliers d'abonnés. En littérature scientifique, nombreux sont les livres américains traduits dans des succursales américaines installées au Québec et distribués ici. De telles entreprises pourront-elles un jour dénoncer les subventions faites aux éditeurs québécois comme étant déloyales? Sans oublier que, dans ces mêmes 'secteurs scientifiques, les étudiants sont le plus souvent formés par des livres américains, faute d'une production locale adéquate. Pourra-t-on continuer longtemps à développer une expertise québécoise digne de ce nom ou serons-nous simplement d'habiles techniciens? (16 heures)

Par ailleurs, la langue n'est pas toujours une barrière. Combien de francophones lisent le Times ou Newsweek? Après les lecteurs, les publicitaires ne risquent-ils pas de délaisser les revues québécoises pour les américaines et les mesures qui actuellement les en découragent ne seront-elles pas elles-mêmes dénoncées comme entraves au libre-échange? D'autant que la présence accrue de produits culturels américains favorisera sans doute le passage des francophones vers l'anglais. Aura-t-on encore des lecteurs dans 20 ans?

L'attrait de l'anglais est indéniable. N'a-t-on pas vu récemment une production cinématographique, dite québécoise, entièrement tournée en anglais sous prétexte que là se trouve le marché. C'est d'ailleurs un bel exemple de la difficulté qu'on peut avoir à distinguer un bien culturel d'un bien économique.

À l'attrait exercé par l'anglais faudra-t-il ajouter les pressions naturelles de la dynamique du libre-échange? Car, dans une perspective purement économique, la langue ne sera-t-elle pas perçue comme un frein à l'expansion des marchés? Les politiques linguistiques pour la sauvegarde du fait français que, tant bien que mal, nous cherchons à appliquer depuis nombre d'années seront-elles à l'abri du libre-échange?

La question n'est pas nouvelle, déjà, l'an dernier, le Conseil de la langue française, dans un rapport qu'il faisait parvenir à la ministre des Affaires culturelles, exposait avec éloquence les risques encourus à cet égard.

Marché et langue ne peuvent être dissociés. Cela s'applique tout autant pour les politiques québécoises que pour la loi fédérale sur les langues officielles. Le rapport Macdonald en note d'ailleurs les liens. Je cite: "En ce qui a trait aux politiques linguistiques, il a fallu débourser des centaines de millions de dollars pour promouvoir l'utilisation des langues dans les écoles, dans les bureaucraties gouverne- mentales et, surtout au Québec, dans l'économie. Même si ces politiques puisent souvent leur élan initial dans des réalités non économiques comme la race, l'ethnie, la langue et le sexe, elles peuvent comporter des conséquences majeures pour le fonctionnement des marchés". C'est tiré du rapport de la Commission royale sur l'union économique et sur les perspectives de développement au Canada.

Sous un éclairage économique, la langue nuit à l'uniformisation des marchés» Elle est un obstacle à la libre circulation des biens, des services, des personnes.

Combien de nos dispositions linguistiques seront perçues comme une entrave au commerces une manoeuvre protectionniste et de ce fait contestées par nos nouveaux partenaires commerciaux? L'étiquetage en français ne nuira-t-il pas à la libre circulation des biens, ne deviendra-t-il pas une exigence déloyale aux yeux des Américains? Les clauses concernant la langue d'enseignement n'entraveront-elles pas la libre circulation des personnes? Et l'affichage, et la langue des affaires et quoi encore?

Nos politiques linguistiques déjà attaquées avec fréquence pourront-elles résister à de nouveaux assauts? L'Union des écrivains québécois ne peut que s'inquiéter des menaces que ferait peser le libre-échange sur la langue. II ne faut pas que la défense et la promotion de cette dernière puisse être entravée par des impératifs commerciaux.

Tout ce qui précède peut sembler relever d'un scénario fantaisiste, voire alarmiste. Et pourtant, l'étude du Conseil de la langue française donne même des exemples au sein du marché commun où une politique linguistique d'un pays souverain - et nous parlons ici de la France - fut invalidée par une décision de la Commission des communautés européennes.

Au Québec, nous devons nous demander quel sera le poids de notre langue et de notre culture quand viendra le temps d'engager l'avenir économique du pays. Notre spécificité culturelle demeurera-t-elle fondamentale quand les enjeux économiques sont si importants? Que valent les angoisses culturelles de 6 000 000 de francophones face aux desiderata économiques de plus de 200 000 000 de personnes? Peut-on penser que les Américains, adeptes du melting-pot, comprendront et respecteront notre spécificité? Les autres provinces remettront-elles en cause cet éventuel accord pour calmer les inquiétudes culturelles du Québec?

Alors que le poids du Québec à l'intérieur de la Confédération canadienne n'est pas toujours évident, on peut s'interroger sur la place qu'il occupera au sein de cet accord de libre-échange, quand viendra le temps de défendre sa langue et sa

culture.

Le traité relèvera des compétences internationales du fédéral. Pourra-t-on compter sur ce dernier pour défendre les intérêts particuliers du Québec? On peut en douter; d'autant plus qu'il devra satisfaire l'ensemble des provinces et présenter aux États-Unis l'image d'un partenaire homogène.

Quels seront d'ailleurs les mécanismes instaurés en cas de litiges? Qui pourra intervenir? Les instances créées pour faire appliquer un traité perçu comme essentiellement économique seront-elles réceptives à des priorités d'ordre culturel et linguistique?

Le Québec n'a pas l'initiative dans ce traité. Nous ignorons encore s'il en sera signataire. Et alors même, pourrait-il réussir à sauvegarder ses pouvoirs législatifs en matière de culture et de langue? Devrait-il, au préalable, obtenir l'assentiment des autres provinces? Dérision au surplus, comment légitimer une dérogation pour cause linguistique ou culturelle quand la dynamique même du traité est celle d'une intégration institutionnelle, juridique et commerciale?

Toutes ces questions et bien d'autres méritent réflexion. Une fois l'intégration au marché américain amorcée, une fois que les échanges nord-sud auront totalement modifié notre paysage économique, il sera trop tard pour qu'un retrait soit envisageable. Le libre-échange est trop important pour qu'on y adhère les yeux fermés.

Certes, on peut comprendre qu'à l'étape des négociations les parties tiennent au secret. Il n'en demeure pas moins que les véritables implications du libre-échange doivent être sérieusement analysées, particulièrement dans leurs effets sociaux, politiques et culturels, et faire l'objet d'un débat large et public.

À cet égard, on peut s'inquiéter du désir exprimé par les deux pays de faire en sorte que l'accord, une fois intervenu, soit rapidement entériné. Le libre-échange, s'il doit se faire, ne doit pas se faire dans la précipitation, ni sans consultation populaire. Pour le Québec et même pour le Canada, les enjeux culturels du libre-échange doivent être clairs. Car, et nous reprenons cette phrase du romancier Jacques Godbout: "La différence entre le Canada et les États-Unis, c'est le Québec."

Ce mémoire a été rédigé par M. Bruno Roy et M. Yves Légaré.

Le Président (M. Théorêt): Merci, Mme Boisjoly. Je vais maintenant céder la parole au ministre du Commerce extérieur et par la suite à Mme la ministre des Affaires culturelles.

M. MacDonald: Mme Boisjoly, MM. Roy et Légaré, merci de la présentation de votre mémoire.

En regardant certaines phrases de votre conclusion, nous ne pouvons qu'être totalement d'accord. Vous dites que toutes ces questions et bien d'autres méritent réflexion, que le libre-échange est trop important pour qu'on y adhère les yeux fermés, qu'il ne faut pas se précipiter, que cela doit faire l'objet d'un débat public et voici que nous sommes dans un débat public. Vous dites également que le libre-échange culturel entre le Québec et les États-Unis n'aura pas lieu. Je suis d'accord avec vous dans le sens général de la chose. C'est facile pour moi de l'être parce que je reviens aux prémisses du départ. Sans vouloir répéter les conditions du gouvernement fédéral, je me permettrai de souligner celles du gouvernement provincial qui étaient: Si la culture n'est pas exclue, à toutes fins utiles, si le moindrement il est possible de mettre en danger, d'à peine égratigner la spécificité culturelle du Québec, on n'y est pas.

Malheureusement, vous dites également: Cela ne nous rassure guère. Nous n'avons pas autre chose à vous présenter que notre crédibilité. Le fait que, à juste titre, nous soyons des Québécois, dans mon cas même, de choix et que je n'aie rien à prouver et que les préoccupations, qui sont les vôtres sur le plan de la culture, sont également, non seulement les miennes, mais celles de notre gouvernement, et je ne connais pas beaucoup de Québécois qui ne les partagent pas... Je dirais aussi que peut-être nous n'avons pas la même foi en cette résistance du peuple québécois et du peuple québécois francophone particulièrement.

Il n'est pas question de se retrouver dans un marché commun. Il n'est même pas question d'aller vers une union douanière. Dans un contexte comme celui-ci qui dure depuis la signature du traité de Rome, je ne connais aucune des nations de l'Europe qui a perdu un trait de caractère de sa spécificité nationale et nous, nous avons été écrasés à maintes reprises. Je pense qu'à l'heure actuelle jamais on ne s'est retrouvé aussi fort.

Je conclurais, madame, en vous disant que j'espère que les paroles que j'ai pu prononcer avant aujourd'hui et aujourd'hui et celles de Mme la vice-première ministre et de mes collègues sauront vous rassurer un peu plus.

Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le ministre. Mme la vice-première ministre, ministre des Affaires culturelles.

Mme Bacon: Merci, M. te Président. J'aimerais remercier les responsables de l'Union des écrivains québécois pour cette importante contribution aux travaux et aux réflexions, aussi, de la présente commission parlementaire. Nous disions tout à l'heure que, si cela nous avait seulement servi à remettre en question soit les industries

culturelles, soit d'autres domaines en ce qui concerne la culture, je pense que cela aurait une valeur importante dans ce débat.

J'aimerais aussi marquer mon préjugé favorable quant à la mise en valeur d'un accroissement audacieux de l'accessibilité des productions culturelles québécoises sur le marché américain et réitérer aujourd'hui ma détermination et celle du gouvernement de maintenir, mais aussi de renforcer les mécanismes gouvernementaux d'intervention dont le ministère des Affaires culturelles s'est doté pour faciliter la distribution comme la diffusion au Québec, au Canada et aux États-Unis des produits et des créations québécoises. Je pense que le gouvernement devrait toujours apporter son soutien à la diffusion et à la distribution des produits culturels.

Il y a des appréhensions comme il y a des attentes qui sont exprimées par l'Union des écrivains québécois qui sont à la fois sérieuses et aussi légitimes. Je pense qu'il faut dire que les positions qui sont exposées dans votre mémoire rejoignent bon nombre d'orientations et aussi d'objectifs qui sont poursuivis par le ministère que je dirige en ce moment, notamment en ce a trait à la nécessité de l'appui continu de l'État - je reviens sur cela, parce que c'est important -en matière culturelle et linguistique.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises l'avis du Conseil de la langue française. J'aimerais peut-être apporter un commentaire et vous dire tout de suite que cet avis a été envoyé à mes collègues qui ont eu une responsabilité dans ce dossier du libre-échange et qui en ont tenu compte à l'occasion des travaux, soit sous l'égide du groupe de travail interministériel, et évidemment à mon collègue, le ministre du Commerce extérieur. Ils avaient tous reçu cet avis et j'ai voulu les sensibiliser davantage à l'avis du Conseil de la langue française au moment où se poursuivaient les travaux du comité interministériel.

Certaines préoccupations que vous évoquez dans votre mémoire rejoignent, je pense, directement des éléments de position du ministère des Affaires culturelles dans le dossier. Nous constatons, comme vous, que les industries culturelles, y compris l'édition, font des produits à haut risque. C'est toujours à haut risque quand c'est la culture. Ces produits rencontrent une concurrence des multinationales alors qu'ils viennent des petites et des moyennes entreprises. Il y a aussi des difficultés particulières de financement. Je pense que vous êtes sûrement d'accord avec l'affirmation que l'on a faite portant sur l'exclusion des industries culturelles des négociations. Elles sont nécessaires pour nous et nous permettent de garantir, avant tout, aux créateurs québécois de pouvoir continuer de communiquer avec notre collectivité sans avoir à subir des problèmes que pourrait amener la négociation, au même titre que d'autres de notre culture. (16 h 15)

En ce qui concerne les industries culturelles, j'aimerais savoir dans quelle mesure, selon votre organisme, le maintien de tous les instruments d'intervention gouvernementale est nécessaire à la survie et au développement de l'industrie culturelle. Je repose souvent cette question, mais j'aimerais savoir de vous s'il faut faire davantage que ce que nous faisons en ce moment, soit par réglementation, par programmes bien définis, par des subsides ou par des interventions que nous faisons au plan financier auprès des groupes culturels. Y a-t-il d'autres façons d'apporter une participation gouvernementale qui pourrait être déterminante dans la diffusion du produit culturel québécois? On nous dit souvent que nous sommes trop interventionnistes. Le sommes-nous trop, pas assez ou juste assez?

M. Roy (Bruno): Vous nous donneriez 1 000 000 000 $ et on vous dirait qu'on n'en a pas assez.

Mme Boisjoly: On vous dirait: Merci beaucoup!

M. Roy: Mais on vous dirait merci. Mme Bacon: Ha! Ha! Ha!

M. Roy: Je comprends votre question. Il faut aussi comprendre que, dans la dynamique du libre-échange, M. MacDonald a parlé de crédibilité, je dirais qu'il ne faut pas être naïf en même temps. Vous avez parlé de crédibilité auprès des intervenants américains. Mais, à l'inverse, de notre côté, il ne faut pas être naïf et je vais rejoindre votre question par ce biais. Effectivement, je pense que le soutien de l'État est un principe acquis que personne ne va mettre en doute. Là où nous nous posons des questions, étant donné qu'il n'y a pas de texte officiel de l'entente, c'est à savoir si les Américains, dans leurs négociations, ne voudront pas éliminer un certain nombre de choses.

Prenons l'exemple de la langue. Si une loi est prévue pour protéger la langue, ce qu'on pourrait appeler une clause de protection, comment les Américains pourraient-ils accepter une telle chose en sachant très bien que, dans leur propre territoire, les hispanophones pourraient exiger la même chose? Si cela devient égal, si le rapport en est un d'égalité, qu'est-ce qui nous garantit la possibilité d'obtenir cette clause? Pour l'instant, la question se pose, mais on n'a pas de réponse étant donné qu'on ignore même si cela a été discuté de façon formelle et approfondie. On ne le sait pas et, pour nous, c'est une hypothèse. Donc,

de ce point de vue, il y a une crainte réelle.

Mme Bacon: Vous avez parlé d'étiquetage, tout à l'heure, et je n'aurais qu'à vous demander de vous référer à l'article 51 de la loi 101; il pourrait vous rassurer. Il existe toujours et il n'a pas été changé. Mais je pense aussi qu'il ne faudrait - je m'avance peut-être un peu - pas s'alarmer outre mesure sur ce qui adviendrait de l'étiquetage des produits vendus ou distribués au Québec advenant la libéralisation des échanges commerciaux. Là, j'exclus la culture.

On connaît quand même la façon des Américains de respecter leur marché. Jusqu'à maintenant, notre politique linguistique sur les produits a été respectée par les Américains et je ne pense pas que des négociations sur le libre-échange changent quoi que ce soit à cela. C'est la demande faite par le marché et ils ont quand même un respect de leur marché. On a vu des produits américains avec le français sur les étiquettes; ils ont respecté les exigences du Québec là-dessus. Ils ont l'habitude de tenir leurs commerces et de faire affaire avec nous; donc, ils savent ce qu'il en est. D'abord, on a des lois qui nous protègent, mais on a aussi cette liberté d'expression du marché, si je peux m'exprimer ainsi. Aussi, dans les conditions que nous avions posées au départ dans les négociations, il y a le respect intégral de nos lois, de nos programmes, de nos politiques dans les domaines de la politique sociale, de la politique des communications, de la langue et de la culture. Si cela n'avait pas été respecté au départ, il n'y aurait pas eu de discussion possible. Cela faisait partie des conditions de l'appui du Québec à un accord au libre-échange et cela n'a pas changé en cours de route. Je comprends que vous n'ayez pas le texte devant vous, mais ce sont les conditions que nous avons mises au départ et qui sont quand même connues du public.

M. Roy: Dans le texte, on parle du poids culturel politique du Québec. Selon vous, il serait réel dans cette discussion?

Mme Bacon: Mon collègue pourra ajouter ses commentaires tantôt parce qu'il est responsable du dossier, mais, sur le plan canadien - et vous le dites vous-même dans votre conclusion: le Canada ne serait pas le Canada sans le Québec - le Canada ne peut pas faire autrement que de respecter ces conditions de l'appui du Québec à un accord de libre-échange.

M. MacDonald: Je voudrais vous rappeler ce que vous avez sûrement lu ou vu, ou ce dont vous avez pris connaissance, c'est-à-dire l'organisation mise en place par le gouvernement dans cette négociation et il faut se rappeler que, depuis le Tokyo Round du GATT, on a commencé à traiter plus spécifiquement de sujets de commerce international, mais il y avait des domaines de juridiction provinciale pour le Canada. La même chose s'appliquait pour d'autres pays qui sont régionalisés. Les gouvernements centraux de ces pays-là se sont rendu compte qu'il ne leur servait à rien de négocier quelque chose si cela ne pouvait être mis en application à cause de la structure constitutionnelle d'un pays et c'est ce qui arrive plus que jamais dans la ronde actuelle si je prends, par exemple, les problèmes qui vous touchent de près: la question de la propriété intellectuelle, la question de l'investissement, la question des services, secteurs où il y a loi ou réglementation provinciale et où toute entente signée par Ottawa avec Washington n'aurait de valeur si on s'y opposait parce qu'Ottawa ne pourrait pas livrer la marchandise. Dans ce contexte-là, vous avez eu la mise en place d'un exemple, sans aucun doute. C'était peut-être une première.

Le comité Reisman, qui regroupe des représentants de toutes les provinces, a démontré - peut-être parce qu'il y avait une tierce partie; ce n'était pas la question de régler les problèmes de l'Ontario et de l'Île-du-Prince-Édouard, parce que c'était le Canada vis-à-vis des États-Unis - une maturité qui a amené un genre de coopération et où l'un s'est aperçu qu'il ne pouvait pas réaliser grand-chose sans l'autre. D'où un poids qui ne vient pas du fait qu'on est 24 % de la population et ainsi de suite. Dans la nature même des choses, le Québec a joué et joue un rôle très important dans toutes les négociations.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Mme Boisjoly, M. Roy, M. Léqaré, merci de vous être déplacés et d'être venus sensibiliser la commission et tous ceux qui suivent ses travaux à l'extérieur de cette enceinte. Votre mémoire est très convaincant dans le sens que vous touchez des cordes très sensibles et vraiment importantes.

Lorsque le ministre du Commerce extérieur et Mme la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles nous confirment que le gouvernement du Québec a la situation en main, cela vous inquiète et nous aussi. Je m'explique. Même si, dans les conditions où on mentionne très clairement qu'est exclue toute la question de la culture, tout le monde est de bonne foi et on veut tous dire la même chose. Là où cela se complique, c'est lorsqu'il est question de toutes les barrières non tarifaires - si je peux m'exprimer ainsi - de tout ce qui va

entourer les dérivés sur les autres produits qui vont faire en sorte que ça risque de venir toucher l'aspect culturel. Et vous avez tout à fait raison d'apporter cette dimension. En effet, la négociation a lieu essentiellement entre Ottawa et Washington, On sait quelle vision ont les Américains de la culture; d'abord, de la culture canadienne et, de la culture québécoise, encore moins. Je pense que, là-dessus, il y a eu beaucoup de faits de rapportés et je pense qu'on ne charrie pas et qu'on ne dramatise pas quand on dit que, pour les Américains, "culture means entertainment".

Cette préoccupation-là, en tant que Québécois, est drôlement grande parce que c'est en haut lieu que ça se négocie et, même si on inscrit dans le pacte, dans le traité, que la culture sera protégée, la question fondamentale que vous posez à la page 9 de votre mémoire c'est; Une fois cette entente signée - et elle risque d'être signée dans quelques jours avec la volonté ferme du gouvernement du Québec, qui sera de bonne foi et qui aura dit! Nous mettons l'exclusion ou nous demandons l'exclusion de la culture - qui va défendre les intérêts du Québec au gouvernement fédéral? Voilà un autre problème.,

La culture est un secteur de juridiction provinciale, je le conçois. Mais le pouvoir de dépenser du fédéral dans ce secteur implique de lui une intervention croissante, entre autres, dans le financement des activités, soit des individus, des organismes ou des entreprises culturelles au Québec. Je prends un exemple. Les programmes d'aide du fédéral pour le développement de l'industrie du disque ont été de 25 800 000 $ en trois ans. Pendant cette même période, le ministère des Affaires culturelles s'est retiré progressivement de différents secteurs d'activité pour toutes sortes de raisons, que ce soit à cause de compressions budgétaires ou autres; il s'est retiré. Pendant ce temps, le gouvernement fédéral a étendu son influence via son pouvoir de dépenser et je pense qu'il va falloir encadrer cette pratique et s'assurer que le contrôle de l'État québécois sur le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral en matière de culture s'exerce pleinement.

Quand les ministres, les porte-parole du gouvernement nous disent: Soyez tranquilles, je pense qu'il va falloir assurer que vous pouvez, que le gouvernement peut non seulement garder ou conserver ce qu'on a en termes de législation, mais il va falloir le resserrer parce que l'influence du libre-échange va faire en sorte qu'il va se faire un commerce additionnel et il va se faire une ingérence accrue de tous les produits fabriqués aux États-Unis sur le marché canadien et particulièrement sur le marché québécois. Et c'est là qu'on aura de la difficulté à contrôler. Sur l'aspect de l'étiquetage - je peux vous le donner comme exemple - je pense que c'est tout à fait véridique. Et je pense que les lois actuelles, la législation, tout ce qui existe actuellement devra non seulement être appliqué à la lettre, mais être augmenté pour que nous soyons capables de faire face à cela.

Prenons l'exemple de la publicité. Je sais que cela concerne la politique fiscale canadienne, mais si, par exemple, la compagnie Seagram décide d'annoncer, demain matin, dans le New York Times parce qu'elle pense qu'il y a de plus en plus de Québécois d'une certaine classe ou de certains groupes d'affaires ou peu importe qui le lisent davantage et qu'elle veut rejoindre cette clientèle-là... Présentement, ils ne sont pas portés à le faire à cause des avantages sur le plan de la fiscalité canadienne, mais le jour où ça ne se fera plus et où il n'y aura plus cette protection, cet avantage, cette barrière non tarifaire ou cette dimension d'abri fiscal ou de subvention, toute forme d'aide quelconque -laquelle on ne contrôle pas, soit dit en passant, lorsqu'il s'agit des avoirs sur le plan fédéral - moi, je me dis qu'il y a des choses qui vont nous échapper et rapidement. Je pense que, même si tout le monde est de bonne foi, on ne pourra pas, si on n'est pas extrêmement vigilant, contrôler ce que j'appelle notre culture, et tout ce qu'on a acquis s'effrite, malgré nous, autour de nous actuellement. (16 h 30)

Je n'ai pas de question particulière, si ce n'est de vous dire; Vous devez continuer à porter très haut vos messages. Vous devez continuer, l'Union des écrivains québécois, en tant qu'organisme concerné, à faire valoir et à vous assurer que, au-delà des paroles, il va y avoir des gestes de posés. Tout le monde s'entend sur ie principe. Est-ce que, dans la pratique, dans les faits on va être prêts à agir pour être capables de protéger... C'est ce que j'avais à mentionner comme propos d'ordre général. Je n'ai pas particulièrement de questions, si ce n'est de vous féliciter pour cette sensibilisation et cette excellente présentation.

Le Président (M. Théorêt): M. Roy, vous vouliez faire un commentaire.

M. Roy: Oui. Ce sera un commentaire d'ordre général. On parlait tantôt de la possibilité pour les francophones de pénétrer le marché culturel américain. J'ai envie de sourire quand j'entends cela. Je pense à un artiste comme André-Philippe Gagnon, s'il a pu percer aux États-Unis, c'est parce qu'il imitait des chanteurs, des artistes américains. Je ne sais pas si en imitant seulement Vigneault il aurait percé. Encore là, ce fut un succès très limité dans le temps. C'est dans ce sens-là que je me

méfie d'un certain enthousiasme, disons.

La deuxième remarque, c'est pour répondre plus directement, à reculons d'ailleurs, à Mme Bacon. Effectivement, ce qui est important, c'est de faire circuler le produit. Par exemple, ce qu'on pourrait appeler l'impérialisme du produit culturel américain, quand il s'impose ici, il empêche les francophones, les Québécois d'ici d'avoir accès à leur propre culture. Le rapport est tellement inégal que, en effet, faire circuler le produit devient le moyen. Il est bien sûr que les subventions sont importantes, elles sont nécessaires, il n'y en aura jamais assez, d'une certaine manière. En même temps, ce qui est important, c'est qu'on ait une infrastructure qui permette la circulation du produit, qu'on entende la chanson francophone à la radio. Les sondages sont plutôt pessimistes de ce côté-là, bien que, depuis quand même quelques mois, il y ait un effort réel. Il reste que, le produit québécois ne circulant pas, le reste demeure de belles intentions.

Le Président (M. Théorêt): M. le député de La Peltrie, vous aviez une question?

M. Cannon: Oui. Merci, M. le Président. Si mon collègue de Bertrand n'a pas de question à poser, de mon côté, j'aurais une ou deux questions à vous poser, bien sûr, si le temps me le permet. À la page 2 de votre texte, Mme Boisjoly, vous dites: "Plus lourde de conséquences nous apparaît la dynamique même dans laquelle le libre-échange nous entraîne. À nos yeux, il constitue une accentuation de notre intégration à l'espace nord-américain." Pourriez-vous nous indiquer d'une façon concrète comment ce phénomène pourrait affecter votre secteur d'activité?

M. Légaré (Yves): Peut-être que je pourrais répondre. Je vous reporterai à une enquête qui est parue hier. L'enquête a été faite par M. Greiss de la Direction générale de l'enseignement collégial. Elle donnait justement l'impact de la pénétration américaine quant aux connaissances littéraires de nos cégépiens. Il semble que les cégépiens connaissent fort peu la littérature québécoise. La plupart ne connaissent même pas Jacques Godbout, ne connaissent pas des auteurs comme Lemelin, etc., qui sont très connus. Ils connaissent davantage la littérature américaine, encore qu'ils ne connaissent pas beaucoup la littérature. Donc, la pénétration américaine est déjà, sans le libre-échange, très très forte. Tous les secteurs de l'économie étant liés, on ne peut pas faire abstraction de la culture lorsqu'on parle d'économie, on ne peut pas faire abstraction du social, tout est quand même interrelié. On craint que cette accentuation de la pénétration soit accélérée par le libre-échange. Il n'est pas, à notre avis, nécessairement question de mettre en cause une crédibilité. C'est simplement que ce libre-échange pourra ultérieurement, pas nécessairement à court terme, mais à long terme, entraîner des modifications économiques, donc, un échange nord-sud, et peut-être aussi de nouveaux pourparlers pour aller plus loin et la culture pourrait être entraînée dans ce sillage.

M. Cannon: Dites-moi peut-être si j'ai... Oui, merci, M. le Président. J'aimerais simplement savoir si, dans les conditions actuelles, l'énoncé de principe que nous avons fait, je pense que vous êtes extrêmement familier... Le ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique de même que la vice-première ministre vous ont réitéré la position québécoise et la position canadienne. Ce que j'aimerais savoir de votre part, c'est: Assumant qu'on est de bonne foi, êtes-vous favorables à une libéralisation des échanges avec les Américains?

M. Légaré: Nous n'avons pas abordé cette libéralisation des échanges en termes de favorable ou pas parce que les secteurs véritablement impliqués, les secteurs économiques à ce qu'on nous dit, cela sort quand même de notre domaine. Si on parle d'un point de vue culturel, nous vous dirions que nous avons tellement de craintes, donc, non. Si on parle d'autres points de vue, je pense que les gens d'autres secteurs feront valoir ces points de vue respectifs.

D'un point de vue culturel, nous croyons que le libre-échange ne pourrait pas exister puisque les produits américains pénétreraient constamment au Québec et que te produit québécois ne pénétrera jamais, sauf exception, le marché américain. Donc, ce n'est pas du libre-échange, pour nous.

M. Cannon: D'accord, merci.

Le Président (M. Charbonneau): Mme la ministre des Affaires culturelles.

Mme Bacon: Juste le mot de la fin, pour vous remercier de votre présentation qui est un élément ajouté aux discussions que nous avons déjà eues. J'aimerais quand même rappeler que nous avons formellement fait reconnaître la spécificité du Québec dans l'entente du lac Meech. Nous avons, en même temps, accepté la nécessité de défendre la spécificité, de la relever et de la mettre en valeur. Je pense que c'était acquis à ce moment-là et compris par tout le monde.

II n'est pas question de consentir à des mesures libre-échangistes qui auraient pour effet, à plus ou moins long terme, de réduire cette spécificité québécoise, de la réduire en

affaiblissant le développement et l'épanouissement de notre culture chez nous, mais aussi à l'étranger. Il n'en est pas question, sous aucune forme, d'aucune façon. Je pense que, comme Québécois, nous avons intérêt à sauver, à garder et à protéger cette intégrité culturelle par tous les moyens que nous avons en place en ce moment - on en a mentionné queiques-uns aujourd'hui - et peut-être ensemble essayer d'en trouver d'autres. Ce qui est nécessaire, ce qui est important, c'est cette condition sine qua non que nous avions au moment de îa discussion ou de l'adhésion québécoise aux discussions du libre-échange entre le Canada et les États-Unis, condition de protéger la culture québécoise et notre spécificité québécoise.

Le Président (M, Charbonneau): Alors, pour le mot de la fin, Mme Boisjoly et MM. Roy et Légaré, il ne me reste qu'à vous remercier d'avoir participé à cet exercice qui, je pense, a été apprécié par tous les membres de la commission et, j'en suis convaincu, par tous ceux qui ont suivi nos travaux et qui les suivent encore à ce moment-ci à la télévision. Merci beaucoup et à une prochaine fois. Les chances de vous revoir à la commission de l'économie et du travail sont peut-être moins grandes que de vous revoir éventuellement à la commission de la culture, mais sait-on jamais! En tout cas, le président de la commission de l'économie et du travail est probablement un de vos membres. D'ailleurs, ayant publié deux livres, je pense que j'ai eu des communications il y a quelque temps avec l'union.

Mme Bacon: Conflit d'intérêts!

Le Président (M. Charbonneau): II n'y a pas de conflit d'intérêts, je n'ai pratiquement pas dit un mot. Alors, merci et bon retour.

J'invite, maintenant, la Société nationale des Québécois de Lanaudière à se présenter à la table des invités.

Messieurs de la Société nationale des Québécois de Lanaudière, je vous souhaite la bienvenue à la commission parlementaire de l'économie et du travail. Je pense que vous êtes au courant comme les autres intervenants que vous avez une heure au total et la présentation initiale va durer une vingtaine de minutes. Par la suite, on aura un échange avec vous. Je crois que c'est M. Racine qui préside la délégation. Si M. Racine veut bien présenter les gens qui l'accompagnent et immédiatement par la suite engager son exposé.

Société nationale des Québécois de Lanaudière

M. Racine (Jacques): M. le Président, je veux vous remercier d'avoir accueilli la Société nationale des Québécois de Lanaudière. Je désire vous présenter ceux qui m'accompagnent. À ma droite, M. Gilbert Boulet, président de la commission politique de la Société nationale des Québécois de Lanaudière et également vice-président de la Société nationale des Québécois de Lanaudière; à sa droite, par la suite, M Pierre Morin, administrateur à la Société nationale des Québécois de Lanaudière et également membre de la commission politique: à ma gauche, M. René Charette, directeur général de la société. Ces personnes ont collaboré étroitement à la rédaction de notre mémoire et vont sans doute apporter tantôt leur collaboration lors de l'échange si les députés jugeaient bon de poser des questions.

M. le Président, mesdames et messieurs de la commission parlementaire, nous voudrions, en guise de préambule, vous situer quelque peu notre organisme. La Société nationale des Québécois de Lanaudière, à l'origine appelée la Société Saint-Jean-Baptiste du diocèse de Joliette, fut fondée en 1947 et regroupe, sur le territoire de la région de Lanaudière, quelque 20 000 membres provenant de toutes les couches de la population. La société a pour objectif général la promotion des intérêts des Québécois dans tous les domaines de leur vie collective. De plus, elle est très active dans les dossiers de concertation avec plusieurs organismes régionaux dont le Sommet économique permanent de Lanaudière, la Chambre de commerce, le Conseil régional de la culture et plusieurs autres organismes de développement régional.

Le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui est le résultat des travaux de notre commission politique et de la consultation d'une quinzaine de leaders et organismes régionaux intéressés par le sujet. Aujourd'hui, nous vous livrons le fruit de notre réflexion en espérant apporter au débat sur ta question le point de vue d'un organisme régional intéressé au plus haut point au développement économique et au mieux-être de nos concitoyens. Enfin, tout au long de ce mémoire, notre réflexion et notre analyse se sont surtout faites en fonction du Québec et des intérêts des Québécois pour cette ouverture vers la libéralisation des échanges Canada-États-Unis.

Historique. Le libre-échange, pour le Québec, n'est pas nouveau. Un précédent: le traité de réciprocité de 1854, qui dura plus de dix ans, favorisa le Québec. L'accord supprimait les tarifs douaniers sur les produits naturels tels le bois, le blé, le charbon et les poissons, mais non sur les biens manufacturés. C'était donc un libre-échange partiel. Enfin, on y retrouvait d'autres clauses sur les droits de pêche, l'utilisation des canaux du Saint-Laurent et

l'accès aux Grands Lacs. Ce traité, concluent les auteurs de la synthèse historique "Canada-Québec", amène la prospérité même dans les Maritimes. La croissance urbaine et industrielle des États-Unis à cette époque, de même que la guerre de Sécession, provoque une grande demande pour le bois et les produits alimentaires. Les États-Unis ne renouvelleront pas l'entente car, en 1866, la guerre de Sécession opposait surtout deux économies: le Sud, agricole et le Nord, évidemment plus industriel.

Nous estimons que, si le traité de 1854-1866 avec les États-Unis avait continué, la Confédération canadienne n'aurait peut-être pas été nécessaire car le Québec a toujours préféré développer ses marchés dans l'axe nord-sud et la Confédération a changé le cours de nos échanges commerciaux en les dirigeant dans l'axe est-ouest car on voulait créer la Confédération destinée à stabiliser cette mouvance, établir des assises juridiques qui permettraient de constituer un pays à même les morceaux du nord du continent. Jacques Parizeau, à ce sujet, nous dit: "Construire un pays à partir des tarifs douaniers implique inévitablement une sorte de schizophrénie."

Le consommateur et le libre-échange. Tous les économistes reconnus s'entendent pour dire que le libre-échange est profitable aux consommateurs. Cette affirmation est lourde de conséquences et nous devons nous réjouir de constater qu'en général la libéralisation des échanges bénéficiera en fin de compte aux citoyens du Québec. Â cette affirmation, nous citons volontiers le Conseil économique du Canada qui, dans une nouvelle étude sur l'élimination des barrières commerciales entre le Canada et les États-Unis, dit qu'un traité de libre-échange se traduirait en 1995 par un gain de 3,3 % du produit national brut, une baisse de 5,7 % des prix à la consommation et une réduction de plus de 5 000 000 000 $ du déficit global des divers gouvernements. (16 h 45)

Enfin, nous citerons l'économiste Bernard Landry qui, dans son livre "Commerce sans frontières", nous dit à ce sujet, que la libre circulation des marchandises joue puissamment en faveur des consommateurs car la simple participation au marché de plusieurs producteurs, de plusieurs nations améliore automatiquement la concurrence, les ententes et cartels sont plus difficiles à réaliser, donc il y a plus de chances que le prix des produits soit juste. Il en est de même pour la qualité, particulièrement dans son rapport avec le prix. La variété des produits disponibles sera plus grande. Il s'ensuit donc que les besoins essentiels et autres seront mieux satisfaits et ce, à meilleurs prix. Enfin, nous appuyons cette autre affirmation de M. Landry qui dit: "Dans la vie courante, surtout depuis quelques années, la fidélité des consommateurs aux productions locales ne résiste pratiquement plus devant la recherche de bons prix et de bannes qualités."

Le dynamisme de l'entrepreneurship québécois. A l'appui de la libéralisation des échanges, nous citerons quelques éléments positifs pour le Québec basés surtout sur l'entrepreneurship québécois.

Premièrement, le dynamisme de nos PME sera un élément positif pour le Québec, car les marchés ont une tendance à la segmentation et cela favorise les PME. Les PME chez nous sont nombreuses et très dynamiques et elles souhaitent de plus en plus s'ouvrir à de nombreux marchés. Sur 673 entreprises recensées dans notre région représentant près de 14 000 emplois, 607 sont des PME et 10 % d'entre elles commercent avec nos voisins du Sud. Voici quelques exemples des secteurs d'activité de ces entreprises exportatrices vers les États-Unis: munitions, moteurs à essence, meubles, lavabos, bennes de camions, cloisons en métal, bacs à poissons, réservoirs en plastique, bicyclettes, meubles de salon, fils métalliques, électrodes en graphite, équipements d'abattoir, fauteuils sur roulement à billes, systèmes hydrauliques, usinage de machinerie de précision, etc.

Un autre élément positif, la moyenne d'âqe des entrepreneurs québécois est plus basse qu'ailleurs au Canada. Elle est donc, en principe, plus capable de s'adapter au changement de niveau du mode de gestion participative et prête à faire face à la concurrence mondiale. Le Québec peut diversifier ses échanges commerciaux car sa situation culturelle et linguistique peut lui ouvrir un réseau francophone et, pour exemples, citons l'Algérie, le Zaïre, etc. Enfin, soulignons la position privilégiée du Québec par rapport au marché new-yorkais qui est plus accessible et un des plus importants pour nous.

Un autre thème, La mondialisation des économies. Dans ce chapitre, nous voudrions porter à votre attention le phénomène de la mondialisation des économies. Prenons des exemples, afin d'illustrer nos propos.

Premièrement, le marché commun qui profite à tous les partenaires dont des petits pays comme l'Espagne, le Portugal et le Luxembourg. Le monde des communications instantanées nous amène è constater ce phénomène, à titre d'exemple: II est facile aujourd'hui pour une entreprise de Chicago de produire à distance à partir d'une usine de Singapour. Les pays ont tendance à se regrouper; la CEE, 300 000 000 d'habitants, la COCEM, ou l'union économique des pays de l'Est, 500 000 000 d'habitants. Si on n'agit pas maintenant, on sera coincé et isolé entre des empires commerciaux: les États-Unis, 230 000 000 d'habitants, l'Europe et les nouveaux pays industrialisés asiatiques:

le Japon, la Chine, les Indes. Actuellement, nous sommes le seul pays dit développé qui a un marché inférieur à 100 000 000 d'habitants. La tendance actuelle est au regroupement et le commerce s'internationalise, donc nous ne devons pas bouder cette libéralisation des échanges, il en va de notre développement. Enfin, si nous n'agissons pas en ce sens, l'influence du pays diminuera.

L'argument des fermetures d'usines, Â notre avis, et en cela nous partageons les dires de l'économiste Bernard Landry, nos fermetures d'usines, surtout dans les secteurs mous comme le textile, ne sont pas dues aux États-Unis mais beaucoup plus aux transferts de technologie versus des pays à bas salaires et en voie de développement. Ainsi, la production du textile et des vêtements du tiers monde devint rapidement abondante et à des prix défiant toute concurrence. Plusieurs industriels occidentaux sont allés s'installer dans ces pays ou encore faire fabriquer là-bas ce qu'ils faisaient auparavant chez nous. La part importée des vêtements vendus aux États-Unis est plus grande que la pénétration étrangère de notre marché: 60 % chez eux contre 40 % ici. Nous avons donc un problème commun et nous devrons dans ces secteurs dits mous avoir un intérêt manifeste à le résoudre ensemble.

De plus, le secteur manufacturier perd de plus en plus de son importance relativement aux emplois globaux créés au Canada au cours des quinze dernières années. À titre d'exemple, les statistiques disent que sur les 3 530 000 nouveaux emplois créés seulement 249 000 le furent dans le secteur manufacturier, soit un peu plus de 7 %. Ce secteur ne représente plus maintenant que 17 % des emplois au Canada. Le Conseil économique du Canada prévoit qu'un accord de libre-échange permettra la création de 205 000 nouveaux emplois au Canada d'ici 1995. Outre l'augmentation nette de ces nouveaux emplois, le Québec et l'Ontario recevraient 63 % du nombre total des nouveaux emplois au pays.

Les secteurs exclus. Tout en étant d'accord sur une plus grande libéralisation des échanges Canada-États-Unis, nous proposons que l'agro-alimentaire, la culture, la langue et les services sociaux soient exclus de ce processus de libéralisation des échanges.

Pour ce qui est de l'agriculture, nous croyons qu'elle doit être un secteur privilégié et protégé au Québec. Nous vivons dans un pays où beaucoup d'impondérables affectent notre production dans ce secteur. Mentionnons à ce titre que nos impondérables climatiques sont des facteurs non négligeables. À l'exemple de l'association européenne de libre-échange, on ferait mieux de s'en détourner tout simplement, ainsi que des pêcheries. La CEE est un autre exemple: après plus de 20 ans de rodage, l'agriculture demeure toujours un de ses points faibles. Afin de ne pas mettre en péril un débat serein sur le libre-échange et également toute entente possible, il est primordial de traiter avec soin les objections du milieu agricole et d'y donner des réponses claires et précises.

La culture et la langue. Ces secteurs névralgiques au Québec doivent être pris en main par nous, car déjà on subit d'une certaine façon le libre-échange par la voie des communications. En cela, le gouvernement devrait être plus vigilant, car il en va de l'identité propre d'un peuple. Dans le domaine des communications, il est un phénomène interne auquel le gouvernement du Québec fait face, c'est qu'il n'a aucun contrôle effectif sur le CRTC pour réglementer le contenu français sur les ondes au Québec. Il peut quand même agir auprès de nos diffuseurs, comme nous l'avons fait dans notre région, par une entente à l'amiable, une espèce de protocole d'honneur, faisant passer la période d'écoute de la chanson française et québécoise au-delà des normes minimales exigées par le CRTC. Quant à la langue, elle est une partie importante de notre culture et de notre expression; en cela, la langue devra constituer une barrière non tarifaire. Nous profitons de l'occasion pour vous dire que la Charte de la langue française constitue notre meilleure garantie.

La préservation de notre culture et du patrimoine français s'inscrit dans notre droit à l'autodétermination en tant que nation. Nous ne sommes certes pas prêts à nous en départir au gré d'une quelconque négociation commerciale américaine. Il serait souhaitable que le gouvernement suive les recommandations du Conseil de la langue française en cette matière.

Politiques sociales et développement régional. Chaque pays a sa propre conception de la sécurité sociale et de la façon dont celle-ci doit être financée. Chez nous, au Québec, nous avons l'un des meilleurs régimes au monde en cette matière. Ainsi, nous avons le régime d'assurance-maladie, celui de l'hospitalisation, le régime de rentes et, au Canada, le régime universel de sécurité de la vieillesse et plusieurs autres propres au Québec. Or, nous voulons que rien de tout cela ne soit abordé à la table des négociations et nous ne vouions d'aucune façon qu'il y ait des accords sur cette question. Enfin, le pouvoir d'appliquer des politiques de développement régional doit être un droit souverain que toute nation garde jalousement.

Les conditions de réussite. Nous citerons brièvement tes conditions qui, à notre avis, doivent être mises en place afin d'assurer l'entente sur la libéralisation des échanges.

En premier lieu, la productivité des

entreprises québécoises dépend de la modernisation des équipements de production, ensuite de l'informatisation des tâches de gestion et de production et finalement de la formation de son personnel.

Une politique industrielle. Le Canada ou le Québec est un des seuls sinon le seul pays sans politique industrielle. Il faudra, à l'exemple de la France, s'en donner une.

Autre condition, la gestion des réserves de nos matières premières. Les matières premières s'épuisent, certaines ne sont pas renouvelables, d'autres, heureusement, le sont. Il va donc falloir se donner des politiques précises en ce domaine; exemple: penser à une politique de reboisement de nos forêts.

Avec ou sans libre-échange, la place du français doit être protégée et surtout appliquée.

D'autres conditions: le Québec doit s'associer à la politique actuelle du gouvernement français en ce qui a trait à la diffusion, au soutien et à l'émancipation de la culture d'expression francophone. Le ministère des Affaires culturelles doit encourager et favoriser la diffusion de la culture francophone au Québec et à l'extérieur en assumant une reconnaissance internationale. Enfin, il faudra multiplier nos partenaires commerciaux afin de s'assurer une plus grande indépendance vis-à-vis de nos voisins du Sud.

En conclusion, au moment où nous vous exprimons notre point de vue, nous ne connaissons pas beaucoup l'évolution des négociations en cours. Il faut peut-être se dire que le libre-échange ne réglera pas tous nos problèmes économiques, mais ceux qui s'y opposent ne doivent pas croire en la nécessité de réformes économiques en profondeur. Il serait souhaitable qu'on en arrive à la mise en place d'une libéralisation des échanges et ce, de façon graduée, expérimentant les secteurs un à un afin de ne pas demeurer dans le statu quo. Ce serait déjà un progrès.

Geste de confiance envers soi, volonté de s'ouvrir au monde, défi du commerce international, c'est ce qui fermente actuellement chez nos PME québécoises. Elles n'attendent que la concrétisation dans les textes de cette lancée vers les défis du XXIe siècle: Notre apport à la mondialisation des échanges commerciaux par l'expression de nos talents, si souvent démontrés parce qu'ils ont maintes fois traversé nos frontières.

La première annexe vous explique tout simplement le schéma de travail et les diverses étapes franchies par la commission politique chez nous, tandis que la deuxième, plus importante par son contenu, constitue la prise de position officielle de notre société sur le libre-échange. Si vous me le permettez, M. le Président, j'aimerais vous faire lecture de cette deuxième annexe.

Le Président (M. Charbonneau): M.

Racine, ce n'est pas que cela ne nous intéresse pas...

M. Racine: Elle est très courte.

Le Président (M. Charbonneau): ...mais, dans la mesure où cela recoupe la position que vous venez d'exprimer, ne serait-il pas utile qu'on puisse engager immédiatement la discussion? Finalement, les membres de la commission ont le texte en main et ils comprennent un peu la démarche. L'important, une fois que vos positions sont claires - et je pense qu'elles le sont après la lecture du mémoire que vous venez de faire - serait peut-être de faire immédiatement l'échange avec les membres de la commission.

M. Racine: Ah! C'est comme vous voudrez.

Le Président (M. Charbonneau): De toute façon, le texte est consigné aux archives de la commission.

M. Racine: D'accord.

Le Président (M. Charbonneau): Cela va?

M. Racine: Comme vous le jugerez.

Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie de cette présentation et je vais maintenant céder la parole au ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: Messieurs, je cherche les qualificatifs, et je ne veux pas vous envoyer des fleurs, mais je vais parler le plus naturellement possible. C'est probablement l'un des meilleurs, sinon le meilleur mémoire du genre déposé ici devant nous. C'est un mémoire remarquable qui démontre également que vous n'avez pas tout simplement fonctionné sur la base des tripes, mais que vous êtes allés consulter, que vous avez travaillé et que vous avez conclu, et, ces conclusions-là, vous les avez mises sur papier d'une façon magistrale.

Dans ma fonction de ministre du Commerce extérieur, comme vous le savez assez bien, je représente en quelque sorte les PME québécoises plus souvent que les grandes entreprises dans leurs efforts de s'ouvrir vers le monde. Je me permets de lire, parce que je trouve assez sensationnel ce paragraphe qui est votre conclusion. Vous dites: "Geste de confiance envers soi, volonté de s'ouvrir au monde, défi du commerce international, c'est ce qui fermente actuellement dans nos PME québécoises. Elles

n'attendent que la concrétisation dans les textes de cette lancée vers le défi du XXIe siècle: notre apport à la mondialisation des échanges commerciaux par l'expression de nos talents, si souvent démontrés parce qu'ils ont maintes fois traversé nos frontières." J'espère que vous ne m'en voudrez pas et que vous me donnez immédiatement la permission d'utiliser ce texte-là à l'occasion.

Vous avez consulté. Et vous allez comprendre, M. le président, que j'appuyais un peu l'intervention du président de la commission parce que j'ai pris connaissance de votre mémoire. Je me réfère particulièrement à la cinquième étape de votre annexe où vous avez eu une table ronde, où 11 organismes et 18 personnes sont venus étudier la situation. Est-ce que, dans cette table ronde - parce que je trouve que c'est excellent et sain, et c'est ce qu'on retrouve ici dans cette commission parlementaire - les gens étaient beaucoup plus contre le concept de la libéralisation des échanges? De quelle façon avez-vous marié ceci à votre position ou dans vos considérations? (17 heures)

M. Charette (René): Si vous me permettez de répondre, je dirai qu'il n'y a pas de gens contre, mais beaucoup de gens étaient pour qu'on procède secteur par secteur, par étapes, en fin de compte, dans ce processus-là. Que ce soit peut-être plus long avant d'arriver à une libéralisation beaucoup plus grande des échanges avec le Québec, le Canada et les États-Unis, mais que cela se fasse étape par étape et, si possible, expérimenter cela par secteurs pour que cela fasse le moins possible... Partout il y a une attente, mais dans certains secteurs on a peur et dans d'autres on se dit: Oui, cela sera très bon pour nous. Alors, il y avait un peu d'hésitation et on reflète cela en disant dans notre mémoire: Allez-y donc secteur par secteur. Allez-y étape par étape et expérimentez-le et voyez comment cela se passera.

M. MacDonald: A-t-il existé des débats semblables dans d'autres sociétés nationales des Québécois dans toute la province? Êtes-vous au courant que...

M. Racine: Oui, il en a existé dans d'autres sociétés, mais pas beaucoup parce qu'il y a au Québec - chez nous, en tout cas, dans notre mouvement - quatorze sociétés nationales et cela dépend aussi des moyens techniques dont elles disposent, mais il y a eu trois sociétés au total, incluant la nôtre, qui ont creusé le problème en profondeur comme nous avons pu le faire.

M. MacDonald: Avez-vous rencontré des gens qui étaient représentés ici, hier, de la coalition contre le libre-échange et avez-vous eu des discussions avec eux?

M. Charette: Remarquez que, lorsqu'on a fait la table ronde des organismes de la région chez nous, il y a 18 intervenants qui sont venus. Le milieu syndical était représenté comme les milieux patronaux, les chambres de commerce, le milieu agro-alimentaire également par l'UPA. Leur position était arrêtée aussi ferme qu'elle l'était, comme je l'ai entendu hier en commission parlementaire, et elle n'a pas bougé. Ils ont défendu la position qu'ils défendent encore aujourd'hui, mais cela ne représentait pas, autour de la table, l'opinion majoritaire de notre milieu. Nous aussi, on partageait quand même avec eux certains aspects. C'est pour cela qu'on vous dit que, dans le domaine de l'agriculture, par exemple, on aimerait mieux que ce ne soit pas touché.

M. MacDonald: Nous partageons, comme vous le savez très bien, l'ensemble des réserves que vous avez, plus les points sur lesquels vous trouvez qu'on devrait insister. J'aimerais en parier avec vous, mais il semblerait qu'on est pas mal d'accord. Alors, je laisse à Mme Bacon le soin de poser les questions qu'elle juge appropriées.

Le Président (M. Charbonneau): Mme la vice-première ministre.

Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier tes responsables de la Société nationale des Québécois de Lanaudière pour cette importante contribution à nos travaux et souligner l'importance que nous accordons aux principales mesures d'accompagnement qui sont souhaitées dans le cadre d'un mouvement graduel et par secteurs de libéralisation. Il m'apparaît intéressant, comme votre mémoire le souligne, d'envisager sérieusement la mise en place d'un certain nombre de mesures d'accompagnement qui sont conçues comme autant de balises aptes à préserver jalousement nos priorités, nos objectifs culturels et linguistiques. Avez-vous, dans ce même ordre d'idées, d'autres précisions ou peut-être des spécifications à formuler quant à ces sortes de mesures qui sont esquissées dans votre mémoire?

M. Racine: M. Boulet va répondre.

M. Boulet (Gilbert): Par rapport à la protection de la langue française, on croit qu'on doit être vigilant parce qu'il faut protéger la loi 101, et c'est une manière de protection non tarifaire Mais on sait maintenant que la francophonie se développe. Il se développe tout un réseau autour des pays francophones et le gouvernement français a maintenant une politique de promotion de la chanson française et différentes politiques qui protègent la culture

francophone. Qu'est-ce qu'on demande? C'est de s'associer à ces politiques. On sait qu'il y a la semaine de la chanson francophone ici et qu'on l'a aussi en Europe, spécialement en France. On devrait collaborer avec la France à la promotion, on dit de la chanson française, mais c'est beaucoup plus . de l'expression francophone: le théâtre, la musique, etc.

Mme Bacon: J'aimerais ajouter ici rapidement, si vous me le permettez, M. le Président, que cette expression que nous avons eue de protéger davantage la chanson française d'ici, comme nous l'avons appelée, c'est justement ces ententes que nous faisons au cours de nos rencontres avec le ministre français de la Culture, lequel avait discuté avec moi de ces possibilités de faire du jumelage. Les dates ne coïncidant pas cette année, nous avons eu notre propre semaine de la chanson française et cela a réussi à donner un nouvel essor et un nouveau souffle de vie à notre chanson française. Ce que nous voulons aussi, c'est que nos gens écrivent davantage de chansons françaises. Pour ce qui est du cinéma, c'est la même chose. Nous avons tenté de faire aussi ce genre de jumelage. Encore là, eux, ils sont déjà dans le train depuis longtemps. Nous ne venons que d'y arriver. Alors, on essaie de faire coïncider les mêmes choses. En ce qui concerne le théâtre francophone, c'est la même chose. Nous faisons partie intégrante d'un comité de théâtre francophone qui comprend la France, le Canada, la Suisse, la Belgique et auquel comité s'est joint le Sénégal. Nous tentons, par nos rencontres avec les pays du sud, qu'il y ait ce lien entre le nord et le sud. Je pense que la francophonie n'existerait pas sans les gens du nord et du sud. Ce sont ces mesures que nous encourageons nous aussi. Je pense que là-dessus nous sommes aussi sur la même longueur d'onde.

Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Alors, messieurs de la Société nationale des Québécois de Lanaudière, merci. Merci pour cet apport que vous faites à la société. Je trouve dommage, et c'est là qu'on voit l'importance du débat, que ce même débat n'ait pas eu lieu il y a six mois. Vous y auriez livré ce message, parce que, d'après ce que j'ai pu comprendre essentiellement, vos devoirs étaient déjà faits à ce moment-là, et il y aurait eu effet d'entraînement. Un effet d'entraînement qui aurait fait prendre conscience aux autres citoyens, groupes, associations de l'importance de s'impliquer. Félicitations, parce que vous avez pris vos responsabilités, dès 1986, à l'automne, même à l'été 1986.

On a eu la chance de se parler un peu au téléphone avant votre venue ici à la commission et je me souviens que vous étiez dans les premiers à vous inscrire. Je trouvais cela encourageant, parce qu'on se demandait s'il y aurait beaucoup de groupes qui auraient le temps de se préparer. Vous, vous étiez prêts. Là-dessus, je vous dis chapeau.

Quant à la permission que M. le ministre vous a demandée d'utiliser des parties de votre texte, qui est très bien conçu, je vous suggérerais de négocier des droits d'auteur.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Parent (Bertrand): Les effets d'entraînement, effectivement, qu'un document comme celui-ci peut avoir, je pense, sont très importants.

Vous avez touché un aspect fort intéressant à la quatrième section, soit le dynamisme de l'entrepreneurship québécois. Vous savez que j'ai à coeur, depuis plusieurs années, justement, la défense des droits des PME et, particulièrement, de ce qui caractérise le Québec, nos petites et moyennes entreprises et leur entre-preneurship. Dans votre texte, vous mentionnez justement ce dynamisme, ces possibilités et cette volonté de conquérir, finalement, le monde, comme vous l'avez souligné dans le dernier paragraphe de votre mémoire qui a été repris par le ministre tantôt. Vous mentionnez aussi la moyenne d'âge. Cela aussi, c'est intéressant, voir que la relève est là.

J'aimerais vous entendre rapidement sur une dimension que vous ne touchez pas, qui me semble importante, qui a dû faire partie de vos discussions, mais qui, pour une raison que j'ignore, ne se retrouve pas là-dedans. À cause de la structure industrielle de ces types d'entreprises que nous avons, les PME, il y a aussi l'envers de la médaille qui amène finalement une certaine vulnérabilité de ces entreprises qui sont moins grandes. Différents secteurs devront avoir de l'aide pour passer cette période de transition. Vous ne touchez pas aux périodes de transition. J'imagine que c'est volontaire. Comment voyez-vous, en définitive, après avoir fait ce travail-là, l'aide que devraient recevoir ces entreprises-là pour être capables de passer à travers les différentes périodes qu'elles auront à traverser à cause du virage qu'on est en train d'entreprendre? Est-ce que vous envisagez une aide gouvernementale? Est-ce que vous envisagez qu'elles vont s'organiser seules? Qu'il faut davantage pousser dans le domaine de la recherche et du développement, avec des outils additionnels? Comment envisagez-vous cette dimension-là?

M. Boulet: Sien, par rapport à la PME, il y a des choses, avec ou sans libre-

échange, qui doivent se faire. Cela me fait penser que, dans le journal Le Monde, on disait que présentement la formation dans l'entreprise occupe 7% de la masse salariale et on prévoyait, d'ici une quinzaine d'années - c'est en Europe, mais le même phénomène va se produire ici - que la formation dans l'entreprise, le capital humain, c'est ce qui serait le plus important, Cela représenterait 20 %. Cela veut dire qu'il va falloir investir dans la formation dans l'entreprise,, D'un autre côté, comme on a dit, la trame de fond de notre message, c'est un geste de confiance en soi, ou peut-être, dans un langage plus familier, un geste d'affirmation. Je pense que les entreprises québécoises seront capables de le faire - les PME - elles vont le faire parce que je ne crois pas que le gouvernement laissera tomber les entreprises québécoises. On a bien dit que cela se faisait par étapes, cela se faisait par secteurs. En faisant cela par étapes et par secteurs, on va pouvoir s'adapter par la formation, par l'aide à la production, c'est-à-dire une production plus moderne, l'informatisation de la production, etc. C'est l'aide à ces deux niveaux, aide à la formation, aide pour rendre les petites entreprises plus concurrentielles, qui fera qu'on va pouvoir être concurrentiels sur le marché nord-américain.

M. Parent (Bertrand): On pourrait en parler longuement, mais je pense que l'essentiel a été dit concernant votre mémoire. Je suis d'autant plus fier que le ministre vous a félicité pour cet excellent contenu. En définitive, le message que vous nous dites, c'est l'affirmation nationale. M. le ministre, je suis très heureux de voir que vous êtes d'accord avec cela.

Je tiens à vous remercier aussi, au nom de ma formation politique, pour cette contribution enrichissante et je suis sûr qu'elle va sortir de l'enceinte du salon rouge.

Le Président (M. Charbonneau): Vous aviez un commentaire.

M. Boulet: Simplement un commentaire. Je pense qu'on va faire beaucoup d'argent avec les droits d'auteur cet après-midi.

Le Président (M. Charbonneau): II y a un autre député qui veut peut-être vous demander des permissions particulières d'utilisation de votre texte, c'est le député de Taschereau.

M. Leclerc: Merci, M. le Président. Simplement une petite intervention pour dire que, effectivement, je trouve moi aussi que ce mémoire, notamment dans ses conclusions, transpire la confiance, confiance que l'on ressent nous aussi dans nos comtés, des gens qui sont aptes à faire face à la concurrence internationale.

Je voudrais seulement reprendre un petit paragraphe de votre mémoire en page 8, au point E, deuxième paragraphe, où vous dites avec justesse: "Le ministère des Affaires culturelles doit encourager et favoriser la diffusion de la culture francophone au Québec et à l'extérieur en assumant une reconnaissance internationale". Je peux témoigner, comme député de Taschereau, où se trouve notamment le Vieux-Québec et beaucoup d'industries culturelles, que le ministère des Affaires culturelles encourage et favorise la diffusion de la culture, J'aimerais que vous preniez une minute ou deux pour nous préciser un petit peu ce que Vous entendez par reconnaissance internationale.

M. Boulet: Je pense que c'est l'expression de la culture francophone. Que ce soit dans le monde du théâtre, de la chanson, du livre, on doit favoriser son exportation dans le sens noble du mot. C'est-à-dire qu'il faut encourager les artistes qui ont la chance de se produire à New York, à Paris, encourager le livre québécois pour qu'on puisse le retrouver dans les librairies en Europe, en Belgique, en Suisse ou ailleurs. C'est l'encouragement pour que nos produits culturels puissent se retrouver un peu partout dans le monde. C'est ce qu'on veut dire. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): La vice-première ministre me prie de lui laisser encore quelques instants.

Mme Bacon: J'aime avoir le dernier mot.

Le Président (M. Charbonneau): C'est moi qui vais l'avoir.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Mme Bacon: Quand on parle de rayonnement international, j'aimerais dire que cette semaine nous avons nommé des représentants et à Paris et à New York, C'est la première fois, je pense, que le ministère des Affaires culturelles a son mot à dire aussi fort dans la nomination de représentants du ministère afin d'avoir ce lien étroit entre les gens qui nous représentent là-bas et le ministère, donc des gens qui connaissent le ministère et le milieu culturel. Je pense que cela peut aider à faire davantage. C'est peut-être la politique des petits pas, mais, quand vous parlez d'affirmation ou de confiance en soi, c'est peut-être cela aussi qui est la suite logique, il s'agit d'avoir des gens sur place qui nous aideraient à démontrer aux gens notre épanouissement et en faire la démonstration à l'étranger et, en même temps, faire

connaître ce que nous sommes capables de faire. Nous avons toujours été condamnés à l'excellence, donc nos artistes sont des gens excellents qui peuvent apporter ce visage québécois à l'étranger.

Le Président (M. Charbonneau): Messieurs, au nom de tous les membres de la commission, je vais utiliser les derniers mots qui me sont impartis pour vous remercier d'avoir participé à notre exercice de consultation. J'ai la profonde conviction que le nationalisme n'est pas quétaine et que les nationalistes, loin de là, ne sont pas tous des "nationaleux", des gens dépassés et traditionnellement nostalgiques. Je pense que vous en avez fait une brillante démonstration aujourd'hui,, Le nationalisme peut être aussi très progressiste et très branché sur l'actualité et l'avenir.

Alors, merci de votre présentation et à une prochaine fois, on l'espère.

M. Racine: Merci beaucoup.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Alors, mesdames et messieurs, les travaux de cette commission, qui ont été longs et intéressants cette semaine, sont ajournés jusqu'à mardi prochain, le 22 septembre, à 10 heures, où nous reprendrons notre consultation.

(Fin de la séance à 17 h 16)

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