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(Dix heures trois minutes)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission de l'économie et du travail entreprend sa
deuxième journée de consultation générale en ce qui
a trait à la libéralisation des échanges commerciaux entre
le Canada et les États-Unis.
Je vous donne l'ordre du jour. D'abord, nous entendrons, dans quelques
instants, M. Jacques Parizeau qui n'a pas besoin de présentation
additionnelle, je crois. Par la suite, nous entendrons M. Pierre Pettigrew, le
directeur des services internationaux de la firme Samson Bélair. Puis,
nous recevrons la Coopérative fédérée de
Québec.
Cet après-midi, nous rencontrerons le Regroupement avicole du
Québec, qui sera suivi de l'Union des producteurs agricoles du
Québec et, en soirée, de l'Ordre des agronomes du Québec.
Nous terminerons la journée avec le Conseil de la coopération
laitière et la Fédération des producteurs de lait du
Québec et, finalement, avec la Conférence canadienne des
arts.
M. le Vice-Président, est-ce qu'il y a des remplacements?
M. Théorêt: Oui, M. le Président. M. Farrah
(Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par M. Hamel (Sherbrooke), M.
Fortin (Marguerite-Bourgeoys) par M. Tremblay (Rimouski) et M. Rivard
(Rosemont) par M. Lemieux (Vanier).
Le Président (M. Charbonneau): D'accord. Alors, j'invite
immédiatement M. Parizeau à prendre place à la table des
invités.
M. le député de Bertrand?
M. Parent (Bertrand): M. le Président, mon
collègue, le député de Laviolette, M. Jolivet, se joindra
à nous au cours de la matinée concernant les affaires de
l'agriculture. Je veux juste m'assurer qu'il puisse...
M. Théorêt: Être inscrit.
M. Parent (Bertrand): ...être inscrit comme
remplaçant.
Le Président (M. Charbonneau): En fait, je pense que le
secrétaire pourrait s'organiser pour que M. Jolivet (Laviolette)
remplace, dans les règles, un des membres qui ne peut pas assister
à...
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau):
D'accord. Alors, M. Parizeau, bienvenue à notre commission. Je
pense que vous savez très bien comment fonctionne notre institution.
Néanmoins, je vous rappelle que nous avons des contraintes de temps.
Donc, nous avons une heure, 20 minutes au maximum pour la présentation
de votre point de vue et le reste du temps est partagé en parts
égales entre les membres de la commission, de part et d'autre, pour
engager la discussion avec vous.
Je vous rappelle aussi que les réponses sont
comptabilisées dans le temps des parlementaires et dans la mesure
où les uns et les autres, autant les parlementaires que vous-même,
pourrez condenser, cela permettra d'aborder plus de questions et de sujets.
Alors, sans plus tarder, je vous laisse la parole.
M. Jacques Parizeau
M. Parizeau (Jacques): Je vous remercie, M. le Président.
Comme nous le savons tous, les négociations sur le libre-échange,
dans leur première phase, achèvent. Ces négociations sont
- je pense qu'on ne le soulignera jamais suffisamment - entre les mains du
gouvernement fédéral canadien et du gouvernement
fédéral américain. Qu'au Canada, le gouvernement
fédéral ait jugé utile une assez vaste consultation avec
les provinces est au fond quelque chose de nouveau dans l'établissement
de la politique commerciale canadienne. C'est assez inédit comme
processus. On peut se demander si c'était nécessaire.
Peut-être dans la mesure où les provinces gardent un certain
nombre de pouvoirs sur des secteurs déterminés
d'activités. Encore que, comme on le verra plus loin, il aurait
été possible et il est, je pense, encore possible pour le
gouvernement fédéral de contourner passablement des objections ou
des appositions venant des provinces.
Cela étant dit, cependant, il reste que le Québec doit
déterminer les politiques qu'il entend suivre à
l'intérieur de ce nouveau
cadre, advenant qu'il y ait un nouveau cadre et qu'un accord aboutisse.
C'est probablement largement en dehors des mains du Québec que l'accord
se fasse, mais ce n'est pas en dehors des mains du Québec qu'un certain
nombre de politiques soient mises en place pour s'adapter et pour profiter de
cet état de choses, si tant est que le résultat d'un accord est
obtenu.
Quels sont les intérêts canadiens et américains dans
cette négociation? Je laisse ici pour le moment pendant quelques minutes
les intérêts du Québec, on y reviendra tout à
l'heure. Je vous rappelle ici que, pour ce qui est de déterminer les
intérêts canadiens, ils sont finalement très simples, ils
sont permanents, ils n'ont pas changé depuis 1984. En 1984, on assiste
pour la première fois à une opposition très nette entre le
Congrès des États-Unis d'une part et l'administration
américaine, le président des États-Unis d'autre part.
C'est à partir de 1984 que le Congrès américain part dans
une voie protectionniste - le mot, je pense, n'est pas trop fort - qui à
un moment donné frise le délire. Il y aura, en 1984, 200 projets
de loi protectionnistes déposés au Congrès
américain. On n'imagine pas un instant que le président des
États-Unis puisse tous les jours ou tous les deux jours mettre un veto
sur des projets de loi. Politiquement, c'est impensable. Remarquez qu'on est
rendu bien au-delà de 200 projets de loi maintenant. On est quelque part
entre 600 et 700 projets de loi protectionnistes. S'il fallait qu'une partie
seulement de ces projets de loi soit adoptée par le Congrès
américain et que le président des États-Unis soit
forcé de les laisser adopter ou d'en laisser adopter un bon nombre, des
secteurs entiers de l'activité économique canadienne seraient
saccagés. On en a eu un certain nombre d'exemples jusqu'à
maintenant. Mais ce qu'on a vu jusqu'à maintenant, c'est la pointe de
l'iceberg dans un certain sens. 11 y en a bien plus dans le pipeline qu'il y en
a eu d'adoptés.
L'intérêt fondamental canadien n'a pas changé depuis
le début même si l'observation publique de cet
intérêt a changé selon les mois. Depuis le début, ce
que les Canadiens veulent, c'est un mode de règlement automatique des
différends commerciaux, une forme d'automaticité. J'allais dire
en un certain sens: n'importe laquelle. Il est probablement dommage qu'on mette
à ce point l'accent actuellement sur un tribunal d'arbitrage, mettre
devant n'importe quel corps élu la formule, l'expression "tribunal
d'arbitrage", c'est mettre un drapeau rouge devant le taureau. Je pense que les
membres de cette commission comprendront très bien. Néanmoins, ce
n'est pas... le taureau.
On peut imaginer d'autres formes d'automaticité. On peut, par
exemple, imaginer une commission paritaire qui établisse le mode de
calcul des subventions de part et d'autre de la frontière et
établisse au fond une subvention nette. Si la subvention nette, dans un
sens ou dans l'autre, dépasse un certain pourcentage du prix de vente,
alors chacun des deux gouvernements peut faire ce qu'il entend pour se
protéger. C'est une autre formule et il y en a plusieurs. Tout ce que je
veux dire ici, c'est qu'il n'y a pas seulement le tribunal d'arbitrage, mais ce
que les Canadiens veulent et ce sur quoi ils ne peuvent pas céder, c'est
qu'il faut une forme d'automatisme pour ne pas permettre au Congrès
américain n'importe quoi et n'importe quelle forme d'arbitraire.
Il n'y a pas que cela comme intérêt canadien,
évidemment il y en a d'autres. Il n'y a pas de doute, par exemple, que
les politiques d'achat des gouvernements américains, mais
singulièrement à l'égard de la défense nationale,
représentent un marché très considérable dans
lequel nous avons pu entrer assez peu jusqu'à maintenant. Les contrats
des gouvernements américains dépassent actuellement le produit
national brut du Canada et les Canadiens n'ont pas tout à fait 1 % de
ces contrats. Évidemment, il y a des possibilités d'expansion qui
peuvent être intéressantes, singulièrement du
côté de la défense nationale.
Nous sommes intéressés aussi à la
libéralisation des services financiers, des services d'engineering, des
services techniques, des services d'entreprises d'une façon
générale. Il ne faut pas oublier à cet égard que,
depuis quelques années, les Canadiens investissent chaque année,
en investissements directs de contrôle d'entreprises, trois, quatre ou
cinq fois plus que les Américains n'investissent au Canada. La situation
dans laquelle nous avons tous grandi est complètement renversée
actuellement. Les flux d'investissements directs canadiens vers les
États-Unis dépassent plusieurs fois les flux américains
d'investissements directs ici.
Le résultat, c'est que les Canadiens ont maintenant des
intérêts quant à l'ouverture du marché
américain qu'ils n'avaient jamais eus avant. Mais tout cela, dans un
certain sens, je dirais, ce sont des intérêts secondaires par
rapport à l'automaticité dont je parlais tout à l'heure.
Les intérêts américains là-dedans, ils sont quoi?
Où sont-ils?
Je vous avouerai que, pendant un certain temps, on s'est posé la
question. Où est-ce qu'il serait l'intérêt des Etats-Unis
à régler avec le Canada? Ce n'était pas évident. On
a commencé à voir vraiment un intérêt
apparaître aux États-Unis autour de ces négociations
après la conférence de Punta del Este qui a lancé la plus
récente ronde des négociations du GATT.
À Punta del Este, le gouvernement des États-Unis, qui a
demandé lui-même la convocation de cette conférence, veut
placer sur l'agenda deux choses, en plus des négociations commerciales
ordinaires. D'une part, l'examen de la mise en place éventuelle du
libre-échange dans les services, les services financiers, les services
techniques, les services d'informatique, les services d'engineering, etc.
Deuxièmement, l'élimination graduelle des contrôles
nationaux sur les investissements des non-résidents, sur
l'investissement étranger. Jamais dans son histoire, le GATT, qui a 40
ans maintenant, ne s'était occupé de ces questions. Ce sont des
matières parfaitement nouvelles pour le GATT. Jamais on n'a
touché à cela.
Le Brésil et les Indes vont s'opposer de façon farouche
à l'inscription des deux questions sur l'agenda du GATT. Les
États-Unis, appuyés d'ailleurs par le gouvernement canadien
à ce moment, ont menacé de saborder les négociations du
GATT si ces deux questions n'étaient pas portées à l'ordre
du jour. Finalement, les appositions du Brésil et des Indes ont
été retirées et cela a été inscrit à
l'ordre du jour, sauf que c'est flambant neuf. On n'a jamais
négocié cela; au GATT, on ne sait même pas comment.
C'est donc parfaitement normal de voir les pays membres du GATT se
retourner vers les États-Unis et le Canada et dire si, sur ces
matières, vous ne pouvez pas vous entendre à l'occasion de vos
négociations bilatérales, ne demandez pas à l'ensemble des
pays du GATT d'être capables de faire mieux que vous. Ce jour-là,
on a vu le point de vue américain changer et on a vu le gouvernement
américain commencer à s'intéresser sérieusement aux
négociations avec le Canada. (10 h 15)
Cela, c'est quoi? C'est depuis novembre dernier. Cela ne fait pas
très longtemps. L'atmosphère a changé en novembre dernier
à cet égard. C'est là que les Américains ont
commencé à mettre sur la table un certain nombre d'exigences
quant au retrait par le Canada de contrôles à l'égard des
investissements étrangers et quant à la libéralisation
d'un certain nombre de services, en particulier, des services financiers. Ils
avaient enfin quelque chose à demander. Donc, l'entonnoir s'est
dessiné. Il est maintenant très clairement dessiné. Le
gouvernement canadien continue d'insister pour une formule automatique
applicable au règlement des conflits commerciaux et les
Américains continuent d'avoir un certain nombre d'exigences
précises dont ils savent très bien que s'ils n'arrivent pas
à les satisfaire au moins pour une part, leur exercice du GATT est dans
une bonne mesure flambé.
L'intérêt du Québec dans tout cela? Au moment
où ces négociations sont en train d'arriver à terme, au
moins dans une première phase, le Québec n'est pas si mal
placé que cela, il est même assez bien placé dans
l'hypothèse d'un accord de libre-échange assez vaste, assez
compréhensif. En tout cas, le Québec est mieux placé que
l'Ontario et compte tenu de ce que je vais dire en quelques minutes, je ne vous
cacherai pas que, si j'étais Ontarien, j'aurais aussi des
réticences et des hésitations. Dans ce sens-là, on peut
comprendre les réticences de M. Peterson.
Il faut bien comprendre à cet égard que les succursales de
sociétés américaines jouent dans l'économie
ontarienne un rôle qui n'a aucune commune mesure avec le rôle
qu'elles jouent au Québec. C'est vrai évidemment dans
l'automobile, mais c'est vrai aussi dans une foule d'autres activités:
dans l'industrie électrique, dans les produits chimiques, dans toute une
série de domaines où la croissance en Ontario a été
relativement rapide depuis un certain nombre d'années. Les succursales
de sociétés américaines ont joué un rôle
majeur dans l'économie ontarienne. II est donc assez normal que l'on se
pose des questions quant à savoir si les sièges sociaux de ces
compagnies américaines établies en Ontario vont leur permettre,
par exemple, de livrer concurrence aux usines de la même compagnie aux
États-Unis.
Il ne faut pas oublier que ces succursales sont venues s'installer au
Canada parce qu'il y avait un tarif. S'il n'y a plus de tarif, est-ce que
vraiment on va autoriser les filiales canadiennes de ces sociétés
américaines à entrer dans le corps des usines aux
États-Unis des mêmes compagnies? Cela peut être vrai dans
certains cas, cela peut ne pas l'être dans d'autres, mais cela devient
l'expression de "corporate policies" sur lequel les gouvernements au Canada
vont avoir relativement peu d'influence. Alors, à l'égard de
l'avenir, à l'égard de la progression de l'économie
ontarienne, on peut comprendre certaines réticences en Ontario. Ce n'est
pas vrai au Québec.
Il est évident que le dynamisme des entreprises
québécoises à l'heure actuelle est notoire, c'est un
phénomène bien connu, mais l'une de ses conséquences fut
une accentuation considérable des ventes aux États-Unis et de la
pénétration sur ce marché à partir du moment
où le dollar canadien est tombé. Au taux de change de 1976 - je
vous rappelle que le dollar canadien était à 1,03 $ des
Etats-Unis - il n'était pas question que beaucoup des fabricants les
plus performants du Québec puissent vendre aux États-Unis.
À partir du moment, cependant, où le dollar canadien est
tombé à 0,70 $ ou 0,72 $, an a assisté à des
pénétrations sur le marché américain qui sont
brillantes dans certains cas et pas
seulement de grandes entreprises.
Je comprends que les pénétrations de grandes entreprises
comme Bombardier à un certain moment peuvent faire rêver, mais il
y a des entreprises de taille beaucoup plus petite qui ont essayé de
vendre toute espèce de produits aux États-Unis et qui ont
trouvé la pénétration relativement facile. C'est un
phénomène tout à fait nouveau dans notre économie
et, dans la mesure où cela s'est fait, il ne faut pas s'étonner
de voir que beaucoup de ces entreprises en redemandent, en veulent davantage
et, d'aucune espèce de façon, ne sont gênées par un
siège social extérieur. Ce qui peut les gêner, c'est leur
aptitude à concurrencer selon leurs coûts de production et c'est
le taux de change du dollar canadien.
Il faut bien comprendre que se profile toujours derrière ces
négociations de libre-échange le problème de savoir
où est le taux de change. Tout ce que je dis à l'heure actuelle,
c'est que cela a du sens, un taux de change de 0,72 $ ou 0,75 $. Cela n'en
aurait pas nécessairement à 0,90 $ ou 0,95 $. Ce serait une tout
autre paire de manches. Quand on voit à l'heure actuelle des gens
à la Banque du Canada même se flatter de voir le dollar remonter
à 0,75 $, on est obligé de mettre une sourdine en disant:
Écoutez, il n'y a rien de particulièrement brillant en cela. Ce
n'est pas comme la température, le taux de change. Ce n'est pas d'autant
meilleur que c'est haut,
D'autre part, beaucoup de ces entreprises québécoises sont
en train d'investir aux États-Unis sur une très grande
échelle. C'est vrai dans le domaine financier, c'est vrai dans le
domaine de l'immobilier, c'est vrai dans le domaine manufacturier. Dominion
Textile, par exemple, a entrepris une sorte de redistribution de ses
investissements vers le sud qui est assez remarquable, mais on peut en trouver
beaucoup d'autres exemples, encore une fois de petits ou de très
importants. Ces investissements peuvent se faire dans la distribution. C'est
probablement ce qu'il y a de plus intéressant pour l'économie
québécoise que de voir des Québécois investir dans
la distribution aux États-Unis sur une très grande
échelle. Cela peut se faire dans de la production complémentaire
à la production québécoise ou cela peut se faire dans de
la production concurrente. Quand c'est dans la production concurrente, c'est
évidemment moins intéressant. Cela reste intéressant pour
les profits qui sont faits par le groupe québécois. C'est
intéressant quant aux honoraires de gérance qu'il va se faire
payer. Cela peut être intéressant pour l'expédition de
produits semi-finis ou de pièces aux États-Unis, mais c'est
évidemment moins intéressant que, par exemple, seulement... de la
distribution. Il est très intéressant de voir d'ailleurs de ce
temps-ci que l'essentiel des investissements directs japonais aux
États-Unis n'est pas dans la fabrication mais dans la distribution. Ils
saisissent les canaux de distribution pour être en mesure d'en
profiter.
Il y a évidemment un danger pour ces entreprises du Québec
qui commencent à investir sérieusement aux États-Unis et
à y vendre passablement. C'est que le succès lui-même
devienne une raison, pour les autorités américaines,
d'arrêter les opérations. Évidemment, dans ce sens, les
milieux d'affaires québécois ont le même
intérêt que partout ailleurs au Canada d'avoir ces
mécanismes automatiques dont je parlais tout à l'heure. Il reste
néanmoins qu'il n'est pas étonnant de constater qu'au
Québec il y a, à l'heure actuelle, un tel appui dans beaucoup de
milieux d'affaires à l'initiative canadienne, aux négociations
canado-américaines. Je vous rappelle à cet égard que le
premier corps public au Canada qui a appuyé la première
déclaration de M. Mulroney quant à l'ouverture des
négociations sur le libre-échange a été la Chambre
de commerce du Québec. Quand on pense à la réputation de
conservatisme assez prononcé de cet organisme, c'est assez remarquable
comme incident et très significatif.
Quel genre de politique le Québec doit-il suivre pour être
en mesure à la fois de minimiser les risques et de profiter au maximum
de ce nouveau cadre, si tant est qu'il apparaît? Évidemment,
l'observation que je vais faire peut être oiseuse dans la mesure
où la première phase des négociations achève, mais
d'abord on peut espérer que le gouvernement du Québec n'a pas mis
sur la table l'ensemble des barrières non tarifaires dont il dispose. Je
parle des politiques d'achat, mais aussi de toute espèce de politiques
qui établissent un traitement différent entre les entreprises
québécoises d'une part et les autres d'autre part.
J'espère qu'on n'a pas mis tout ça sur la table.
D'abord, des barrières comme celles-là, il en reste encore
beaucoup aux États-Unis, énormément au niveau des
États, bien sûr du gouvernement fédéral
américain, mais aussi des États eux-mêmes. D'autre part, il
n'est pas du tout nécessaire que tout cela soit mis sur la table
à la demande du gouvernement fédéral. Il est
évident que le gouvernement fédéral canadien et le
gouvernement fédéral américain sont suffisamment
réalistes pour se rendre compte que, s'ils n'ont pas réussi
à établir un marché commun américain parfait
après 200 ans d'intégration et si au Canada après plus de
100 ans d'intégration politique, on n'a pas non plus réussi
à réaliser un marché commun intégral, ce n'est pas
demain matin, à l'occasion d'un libre-échange entre les deux
pays, que tout ça va disparaître.
Les pouvoirs du Kansas, s'ils se sont maintenus, enfin non, le Kansas
s'est incorporé plus tard, mais si les pouvoirs du Massachusetts se sont
maintenus pendant 200 ans, il y a des chances pour qu'ils se maintiennent
encore pendant 15 ou 20 ans. C'est la même chose au Canada.
Il n'est pas nécessaire que ces dispositions locales,
provinciales ou d'État disparaissent. Qu'est-ce qui est important au
fond? C'est le traitement national. C'est qu'une société
américaine faisant affaires au Canada et, par exemple, au Québec
soit traitée au Québec comme si c'était une
société de l'Ontario. De la même façon, ce qui est
important pour une société québécoise dans le
Kansas, c'est d'être traitée dans le Kansas comme si
c'était une entreprise de l'État de New York. C'est cela qui est
fondamental.
Une fois qu'on a compris cela, on se rend très bien compte
à quel point les deux gouvernements fédéraux peuvent faire
un très gros millage dans le sens d'un traité, même contre
l'opposition des provinces ou des États aux États-Unis.
J'espère qu'on n'a pas mis tout cela sur la table.
Dans le cadre des périodes de transition qui seront
inévitablement prévues par un accord de ce genre, il est
important qu'on ait au Québec un certain nombre de mécanismes
d'ajustement et de recyclage à la fois pour les entreprises et pour la
main-d'oeuvre. Je suis étonné qu'on n'ait pas encore cela devant
nous, et déjà depuis un bon bout de temps. Rien n'a amené
une aussi forte opposition des syndicats au Canada au projet de
libre-échange que le fsit que les gouvernements ont donné
l'impression de se ficher éperdument des mécanismes d'ajustement,
de transition, de recyclage, de modernisation à l'intérieur des
périodes de transition aménagées dans le traité.
C'est difficile de comprendre pourquoi. Je vous rappellerai qu'à
l'occasion des grandes rondes du GATT d'autrefois, depuis 20 ans, le
gouvernement canadien avait l'habitude d'annoncer à l'avance ce que
seraient les modes d'aide aux entreprises et les modes d'aide à la
main-d'oeuvre. Cela tranquillisait considérablement les
appréhensions.
C'est la première fois depuis longtemps, à ma
connaissance, qu'on se prépare à un très grand changement
sur le plan de la politique commerciale, un changement majeur, et qu'on n'a
rien mis sur la table sur la façon dont on va procéder sur le
plan de l'ajustement, de la modernisation et du recyclage.
Il est évident que dans des secteurs susceptibles de traverser
des phases difficiles - je pense, par exemple, au vêtement - la phase de
transition va être assez longue. Les tarifs ne vont pas disparaître
demain matin. J'imagine qu'on va avoir cinq, six, sept ou dix ans - on va le
savoir bientôt - de transi- tion pour passer du niveau actuel de
protection à zéro. Pendant ces années, il va y avoir un
tassement de la main-d'oeuvre. De toute façon, la main-d'oeuvre tombe
déjà dans ce secteur, et cela va se poursuivre. Qu'y aura-t-il de
prévu à la fois pour les entreprises et pour la main-d'oeuvre?
Cela, c'est un peu étonnant. Au fond, dès qu'on saura si c'est un
échec ou un succès, à mon sens, il faut absolument, on n'a
pas le choix, annoncer rapidement ce qui va être fait dans ce cas.
D'autre part, il faut que le système gouvernemental
québécois facilite la pénétration sur le
marché américain. Cette question est absolument capitale. Tout
notre système, tout notre secteur public québécois, sous
la forme des sociétés d'État, sous la forme du
régime fiscal qui a été adopté, de temps à
autre, sous forme de subventions, a amené et entraîné une
bonne partie de l'effervescence actuelle dans le domaine des affaires dans la
croissance des entreprises au Québec. Non pas que les
sociétés d'État aient en tant que telles joué un
rôle à ce point brillant mais, en s'associant avec des entreprises
privées, elles ont fait apparaître un secteur mixte au
Québec, qui est probablement un des aspects les plus remarquables de la
croissance des entreprises québécoises depuis un certain nombre
d'années et qui est unique en Amérique du Nord; cela s'est fait,
d'ailleurs, non pas seulement par des sociétés d'État
opérationnelles, mais par des pools financiers comme la Caisse de
dépôt, la SDI, etc.
Le régime fiscal, on le connaît tous suffisamment pour
savoir à quel point il a suscité une croissance extraordinaire
des entreprises québécoises. On pense au REA, mais on pense aussi
aux actions accréditives, à toute une série de choses qui
ont poussé dans le même sens et puis aux subventions.
Évidemment, les subventions, il va y en avoir beaucoup moins
avant qu'il y en ait plus. Une entente commerciale avec les États-Unis
doit normalement faire disparaître une bonne partie du système de
subventions qu'on a connu, mais les deux premiers moyens jouent sur la
disponibilité du capital. Les entreprises québécoises, qui
ont besoin de pénétrer sur le marché américain,
vont avoir un problème de disponibilité de capital. Je comprends
qu'elles ont ramassé beaucoup de capital au Québec jusqu'à
maintenant, mais cela a été largement investi dans le
développement de leurs propres affaires ici et, d'une façon
générale, au Canada.
Acheter des canaux de distribution aux États-Unis, cela
coûte très cher. Là, il va y avoir une question de rendre
du capital disponible selon des formules largement analogues à celles
qui ont été suivies jusqu!à maintenant, mais
pas au même endroit. Il va falloir, par exemple, que les
Québécois comprennent à quel point il est
intéressant
que la Caisse de dépôt et placement entre, avec deux ou
trois compagnies, dans l'achat d'une grande chaîne de distribution aux
États-Unis ou que la SDI, à toutes fins utiles, investisse ses
capitaux dans une petite entreprise qui est en train de développer une
activité intéressante aux États-Unis. II va falloir, en
somme, accepter que les instruments que, jusqu'à présent, nous
avons appliqués à des développements au Québec
servent maintenant à du développement, essentiellement sur le
marché américain. Ce ne sera pas facile, nécessairement,
de faire comprendre cela à la population, mais c'est absolument
majeur.
Le Président (M. Charbonneau): M. Parizeau, je
m'excuse...
M. Parizeau: Oui. Deux minutes, M. le Président?
Le Président (M. Charbonneau): Deux minutes?
M. Parizeau: Oui.
Le Président (M. Charbonneau): Je pense que deux minutes,
on va négocier cela sans problème.
M. Parizeau: Je me suis laissé emporter par ma
démonstration.
Le Président (M. Charbonneau): Pas de problème. (10
h 30)
M. Parizeau: II y a deux obstacles, évidemment, à
l'heure actuelle, à ce qu'on utilise de ces instruments gouvernementaux
pour l'expansion des entreprises québécoises dans le cadre d'un
accord de libre-échange. Le premier obstacle, c'est de se dire: Le
secteur privé au Québec est devenu suffisamment fort pour
être capable de marcher tout seul; donc, les instruments d'aide au
secteur privé par le secteur public, par les sociétés
d'État, par les pools financiers, c'est terminé. Le
deuxième obstacle, c'est l'esprit de la réforme fiscale, aussi
bien aux États-Unis qu'au Canada, où on se dit que les exemptions
accordées aux entreprises, les abris fiscaux fournis aux entreprises
doivent disparaître pour être remplacés simplement par une
baisse du taux générai. Il n'est pas nécessaire que nous
nous laissions emporter par ces deux obstacles. Au contraire, il faut se
demander si, dans la mesure où effectivement il y a une entente avec les
États-Unis, on n'aura pas à garder pendant un bon bout de temps
ces deux instruments qui ne sont d'aucune façon interdits par une
entente de libre-échange, mais qui peuvent démultiplier l'impact
de la pénétration du marché américain par les
entreprises québécoises, c'est-à-dire ces leviers du
secteur public et, d'autre part, un régime fiscal
différencié.
Voilà, M. le Président, je conclus de la façon
suivante. S'il n'y a pas d'accord, on se sera excité pour rien. Il
faudra commencer à imaginer des politiques alternatives. S'il y a un
accord limité avec, comme c'est souvent le cas, des comités qui
doivent examiner un bon nombre de choses et qui doivent faire rapport dans
quelques années, là, il faudra voir. Est-ce qu'on aura besoin de
changements de stratégies importantes au Québec? Pour le moment,
on ne peut pas le déterminer. S'il y a un accord assez large et
substantiel cependant, il nous faut une stratégie d'appui à
l'entreprise pour des activités de conversion et pour la
pénétration du marché américain. En tout
état de cause, il faut évidemment un certain nombre de
dispositions relatives à l'entraînement, au
réentraînement, au recyclage et à la protection de la
main-d'oeuvre dont on n'a pas encore vu jusqu'à maintenant même
les principes généraux. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Parizeau. Alors,
sans plus tarder, je vais céder la parole au ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: M. Parizeau, merci. Comme vous avez pu le
remarquer, on est tous assujettis à la sévérité du
président. Il y a quatre ou cinq questions que j'aimerais vous poser. Au
départ, j'aimerais par contre vous rassurer sur ce qui a marqué
très sérieusement votre présentation, c'est-à-dire
toute cette question des périodes de transition, des mesures de
transition. Même si la publicité, si je peux employer le terme,
n'a pas été étalée autant que certains l'auraient
souhaité, la préoccupation quant aux mesures de transition, tant
aux périodes qu'aux politiques qui pourraient s'appliquer à la
main-d'oeuvre et aux politiques de modernisation des entreprises pour faire
face à la concurrence, dès le départ, la province de
Québec l'a posée comme une condition essentielle.
En décembre dernier particulièrement, j'insistais
auprès de mes collègues, ministres du Commerce extérieur,
et de Mme Carney du gouvernement fédéral, dans un discours sur ce
sujet insistant que, si vous me permettez l'expression, on se mette à
table, qu'on en fasse une discussion fédérale-provinciale - c'est
là que cela devait se faire - et qu'on parle de temps, d'argent et de
méthodes. J'ai fait suivre cela par une lettre officielle assez
détaillée sur le sujet à Mme Carney. J'ai insisté -
d'ailleurs cela a été le cas - pour qu'à la
Conférence des premiers ministres, M. Bourassa aborde ce sujec avec ses
collègues chaque fois qu'il pouvait le faire. Donc, c'est au sommet de
nos préoccupations. Je suis d'accord avec
vous. C'est absolument essentiel. C'est sine qua non.
Sur la question de se garder des instruments de développement en
cours de transition, je suis parfaitement d'accord avec vous. Hier, on faisait
le reproche d'une modernisation qu'a pu faire mon collègue, M. Johnson,
dans les activités de la Société de développement
industriel, qui a rendu de très grands services, et on est tous
d'accord. Au moment où on a modernisé, il y avait quatorze
programmes. On les a condensés dans quatre programmes. Je peux vous dire
que la présence de la SDI dans ce qui serait des programmes
généralement disponibles aux entreprises
québécoises avec cette particularité qu'on a
mentionnée hier, des PME qui ont des problèmes particuliers
d'éloignement ou de difficultés de pénétration,
c'est une chose que nous considérons comme essentielle en
périodes de transition.
M. Parizeau, au tout début, vous avez commencé avec les
intérêts canadiens à une négociation. Vous avez
d'ailleurs, à juste titre, indiqué qu'un automatisme dans le
règlement des différends à la frontière
était capital. Vous avez dit: C'est dommage qu'on parle strictement d'un
tribunal exécutoire. J'aimerais peut-être parler de plusieurs
moyens dont une* commission paritaire et vous êtes arrêté
à la commission paritaire. Ma première question est:
Pourriez-vous me donner deux ou trois autres suggestions qui pourraient nous
éclairer sur ce problème majeur?
M. Parizeau: Rapidement, sur la question de la conversion des
entreprises, je comprends bien que le Québec et d'autres provinces ont
poussé sur le gouvernement fédéral pour faire aboutir
cette question. Qu'y aura-t-il comme mesures de conversion? Qu'y aura-t-il
comme mesures d'appui, comme mesures de transition? C'est vrai. Il est
remarquable que le gouvernement fédéral n'ait rien
dévoilé de concret. Je pense qu'on en est donc rendu au point
où l'on ne peut probablement pas éviter d'envisager au
Québec... C'est toujours comme cela. Si le gouvernement
fédéral ne veut pas bouger, il va bien falloir qu'on s'en occupe.
Évidemment, cela n'aura pas la même ampleur que s'il entrait dans
le champ, simplement en raison du fait que les moyens financiers sont quand
même limités, mais on ne peut l'éviter. Que voulez-vous? Il
y a des responsabilités à l'égard de ce qui se fait
actuellement dans le milieu. Tout ce que je déplore à cet
égard, M. le ministre, c'est qu'on a, à cause de ces
circonstances, provoqué une réaction dans le public et
singulièrement chez les centrales syndicales qui était, pour une
part, inutile ou enfin, qui aurait pu être évitée. Je ne
déplore que cela, mais cela me paraît important. Je veux le
souligner. Je suis ravi de voir que vous n'avez pas l'intention de
démanteler davantage le réseau de certaines institutions
gouvernementales pour les raisons que j'ai dites, je pense qu'elles peuvent
être amenées à jouer un rôle important.
En ce qui a trait à la commission paritaire, et je reliais cette
question de ta commission paritaire, essentiellement au calcul des subventions,
j'aimerais expliciter cette question davantage, mais je vais être
obligé de faire vite. Cela a été à un moment
donné très discuté. Je ne sais pas... Cela l'est
peut-être encore, mais je ne sais pas pourquoi cela n'a pas refait
surface. Il est évident qu'aucun gouvernement ne peut accepter de ne pas
prendre de mesures antidumping ou de mesures de protection si tant est que son
partenaire commercial garde toute liberté d'établir toutes les
subventions qu'il veut à ses entreprises. Cela ne serait pas du "fair
trade".
Jusqu'à maintenant, les Américains ont cherché
à déterminer ce qu'étaient Ies subventions au Canada et
à dire, par exemple: Des droits de coupe trop bas au Canada, c'est une
subvention. C'est eux qui ont défini la subvention? C'est eux qui ont
mesuré la subvention. C'est sur cette base qu'ils ont
déterminé eux-mêmes quel doit être le droit
exceptionnel qu'ils imposent. Cela ne peut pas aller, on ne peut pas accepter
cela. Mais on peut imaginer, plutôt, qu'un tribunal d'arbitrage, qu'une
commission définisse ce que sont les subventions, comment on va
définir les subventions avant de les calculer, détermine le genre
de subvention marché par marché et produit par produit qu'il y a
aux États-Unis et au Canada et comment elles évoluent,
détermine quel est le montant total de la subvention pour un
marché ou un produit au Canada, quel est le montant de la subvention aux
États-Unis - il y en a, cela se joue toujours à deux - et si la
différence entre les deux subventions dépasse un certain
pourcentage, 2 %, 3 % ou 4 %, c'est ce qu'on appelle normalement la clause de
minimis.
Alors, là, chacun des deux gouvernements retrouve sa
liberté d'action pour imposer les droits compensatoires qu'il veut. Ce
serait déjà beaucoup. Ce ne serait pas un tribunal d'arbitrage,
mais cela nous aurait évité toute une série de mesures
compensatoires prises contre les produits canadiens par le Congrès
américain depuis deux ans, parce que la plupart de ces actions
compensatoires étaient déterminées par une certaine
interprétation de ce qu'on entend par une subvention et par un certain
calcul de ce qu'elle représentait. Si cela avait pu être
réglé par une commission, plusieurs des crises auraient
été évitées.
Ce n'est pas tout. Ce n'est pas aussi bon; ce n'est pas aussi
fermé qu'un tribunal d'arbitrage. Mais comme je le disais au
départ, un tribunal d'arbitrage... Écoutez, demandez
à n'importa quel Parlement de renoncer à une partie de ses
pouvoirs pour les remettre à un tribunal d'arbitrage, dès le
départ, je trouve qu'il y a une sorte de naïveté
là-dedans.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M. Parizeau,
merci de votre intervention. Je pense que vous nous avez montré
rapidement et de façon très pragmatique que, pour continuer
à développer le Québec et particulièrement dans le
cadre des nouvelles règles du jeu de libre-échange, cela va
prendre des outils, sur le plan du capital financier et humain. Cela va prendre
des sociétés d'État ou des véhicules, tels qu'on a
mis sur pied au cours des 20 dernières années.
Ma préoccupation est de plusieurs ordres. C'est d'abord le
discours ou les réponses que vous fournit le ministre. C'est qu'il n'y a
pas de problème? il est d'accord avec cela. Le drame, c'est que le
ministre est souvent d'accord avec nous, souvent d'accord avec les
propositions, mais que toutes les mesures qui ont été prises
jusqu'à maintenant - je le répète encore ce matin -tous
les gestes posés par le gouvernement au cours des deux dernières
années et ce qu'il y a à l'intérieur de la machine
gouvernementale sont exactement à l'effet contraire.
Quand on parle de façon systématique d'un
démantèlement de la SDI, la Société de
développement industriel du Québec, c'est dans les faits. Si
votre collègue de l'Industrie et du Commerce pense autrement, il va
falloir que cela transpire, parce que ce n'est pas du tout l'orientation que
cela prend.
Cela me préoccupe aussi, parce qu'on n'a pas de stratégie,
de plan stratégique de développement économique. À
la veille du libre-échange, on n'a pas de stratégie de
développement économique. On n'a pas de politique globale de
main-d'oeuvre. On n'a pas de politique, de façon générale,
sur la façon dont on va faire l'intervention.
On a en face de nous, avec tout le respect qu'on peut devoir à
ces gens-là, un gouvernement qui se dit non-interventionniste. Ou bien
on est interventionniste ou bien on ne l'est pas. Je pense qu'effectivement, si
le gouvernement est non-interventionniste, c'est son choix. Mais on s'en va
dans des conditions où les règles du jeu sont changées et
on doit être interventionniste. Mais cela ne veut pas dire qu'on doit
l'être comme on l'a été dans le passé. Je pense
qu'il y a une nouvelle façon d'aborder, même une nouvelle
façon d'aider les entreprises; une nouvelle façon qu'est la
notion de subvention, d'aide ou d'appui, je dirais même, aussi large
qu'un coffre d'outils bien adapté à cette nouvelle règle
du jeu, qui doit être repensée.
Mais le drame, c'est qu'on est à conclure ou à donner
notre accord à l'intérieur des négociations, et ce, dans
quelques jours et on ne sait pas où on s'en va.
M. Parizeau, croyez-vous sincèrement -vous qui avez suivi le
débat au cours des deux dernières années, plus
particulièrement sur ce qui s'est passé pour ce qui est du
libre-échange - que le gouvernement du Québec est vraiment bien
représenté à Ottawa, parce que la négociation -
vous l'avez dit au début - se passe entre Ottawa et Washington?
Comment le Québec, comment les spécificités
québécoises, comment les préoccupations du Québec
sont-elles défendues à Ottawa quand on sait qu'on a un premier
ministre au gouvernement fédéral qui veut, à tout prix,
pour des raisons sûrement bien logiques devant le protectionnisme
américain, conclure une entente de libre-échange? Comment le
Québec se retrouve-t-il dans les rapports de forces et croyez-vous qu'au
cours de la dernière année, des six derniers mois et
présentement, on est vraiment bien défendu quant à ce
qu'on a mis sur la table et aussi dans ce volet? Comment toute la question des
barrières non tarifaires a-t-elle pu être mise ou pas mise sur la
table?
De quelle façon est-on capable d'être défendu
à Ottawa actuellement dans le rapport de forces avec la volonté
à tout prix du gouvernement fédéral de régler
à tout prix cette dite entente dans le cadre du "fast-track procedure",
c'est-à-dire d'ici au 4 octobre? (10 h 45)
M. Parizeau: Quelque part dans la réponse, il y a une
pelure de banane. Je pense que je peux répondre peut-être, M. le
Président, de la façon suivante à la question que pose le
député de Bertrand. Je crois que, d'une façon
générale, les gouvernements des provinces canadiennes se sont
fait beaucoup d'illusions quant à l'impact qu'ils pouvaient avoir sur un
gouvernement fédéral déterminé à essayer
d'obtenir une entente avec les États-Unis. Il est vrai que les
gouvernements des provinces contrôlent un certain nombre de
sphères d'activité, de champs de réglementation, de champs
de législation, mais il faut bien comprendre qu'aux États-Unis,
c'est pareil. Savez-vous qu'il n'y a même pas de législation
fédérale sur l'assurance-vie, que cela n'existe pas, qu'aux
États-Unis il n'y a que des législations d'État? Dans un
domaine comme celui-là, le gouvernement américain n'a absolument
rien à faire et il le sait.
Au Canada, on s'est imaginé qu'une entente avec les
États-Unis devait nécessairement impliquer les provinces et
qu'il fallait qu'il y ait comme une sorte de nuit du quatre Août
des provinces qui, dans un premier temps, cèdent au
fédéral pour éliminer toute une série de choses
qu'elles contrôlent, que le fédéral ristournerait ensuite
aux États-Unis. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne
perspective. Évidemment ce que cela a voulu dire cependant, c'est que
les provinces en même temps ont dit: Il n'y aura pas d'entente
générale sans notre accord. C'était presque normal. Mais
je soutiens qu'il peut y en avoir une sans l'accord des provinces. Je soutiens
qu'il est probablement possible d'avoir un accord très large sans que
les provinces aient à lâcher grand-chose et sans qu'elles soient
vraiment très directement impliquées, mais cela a eu une
conséquence, par exemple, on a mis tellement l'accent sur les rapports
des gouvernements de provinces - je ne parle pas du Québec en
particulier, là-dessus cela a été général,
toutes les provinces se sont dit: On peut enfin prendre le
fédéral à la gorge, on va lui indiquer ce que l'on veut -
qu'on a eu tendance à laisser de côté des choses qui
relèvent pour une bonne part des gouvernements de provinces
eux-mêmes.
C'est vrai, comme le disait tout à l'heure le ministre du
Commerce extérieur, c'est tout à fait exact que les
premières responsabilités dans le domaine de la reconversion ou
du recyclage devraient être fédérales dans un cas comme
celui-là, mais que voulez-vous, ils n'ont pas bougé. Dans la
mesure où ils ne bougent pas, on ne peut pas éviter d'avoir ses
propres politiques. Sur le plan de l'appui à donner à ces
entreprises, le problème ne se présente pas de la même
façon dans l'Quest avec ses grandes compagnies de richesses naturelles
qui, au fond, dominent en un certain sens la croissance de certaines provinces
de l'Ouest, qu'en Ontario, pour les raisons que j'ai dites, à cause du
rôle des filiales de sociétés américaines, qu'au
Québec et que dans les Maritimes. Alors, on ne peut pas imaginer qu'il
va y avoir une politique fédérale à l'égard de la
pénétration des entreprises sur le marché
américain. Il va y avoir des divergences considérables, selon les
régions canadiennes, parce que les intérêts ne sont pas les
mêmes. Donc, il faut, bien sûr, que le gouvernement du
Québec s'occupe de ces politiques de pénétration sur le
marché américain.
Encore une fois, et c'est là que je rejoins ce que veut dire le
député de Bertrand, à force d'être obnubilés
par les tractations avec Ottawa en ce qui concerne le contrôle des
négociations, certains des éléments fondamentaux du
dossier qui auraient peut-être dû être commencés
à être travaillés il y a un certain temps ne le sont pas
encore suffisamment. Je veux dire du dossier politique à suivre par le
gouverne- ment du Québec pour recycler des entreprises, les moderniser,
assurer leur pénétration sur le marché américain
par des politiques de recyclage de la main-d'oeuvre, etc. On a
été tellement pris par les négociations collectives dans
le cadre d'Ottawa qu'un certain nombre de choses à faire ici ne sont
peut-être pas aussi avancées qu'elles devraient l'être. Dans
ce sens-là, je comprends ce que le député de Bertrand veut
dire.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. MacDonald: Je prends votre "peut-être" comme
l'observation de quelqu'un qui n'est pas nécessairement aussi
informé qu'on doit l'être à l'intérieur du feu de
l'action, mais comme j'ai essayé de le faire tantôt, je vous
assure que, si vous me permettez l'expression, tous les buts sont couverts.
Pour être certain d'avoir vos réponses et, à ce
moment-là, vous donner le temps de distribuer votre
disponibilité, j'aimerais connaître votre opinion sur les divers
modèles économétriques qui ont été
utilisés concernant la fameuse question des emplois perdus et des
emplois gagnés. Toutes sortes de déclarations ont
été faites à partir des catastrophes les plus terribles
jusqu'à un optimisme qui, peut-être, peut demander une mesure de
réserve.
Le deuxième aspect est celui de "c'est très possible",
c'est-à-dire qu'il est possible qu'il n'y ait pas d'entente. Qu'est-ce
qui résulterait du statu quo de la situation actuelle vis-à-vis
du protectionnisme américain et de l'évolution du Canada et
particulièrement de l'économie du Québec?
En troisième lieu, vous avez parlé de taux de change. Il y
a cette nouvelle situation des États-Unis qui sont débiteurs,
leur créant des pressions qui vont bien au-delà de la pure
question de leur balance commerciale. J'aimerais, si possible, avoir vos
commentaires sur ces trois sujets.
M. Parizeau: Je prends simplement des notes, M. le
Président. La troisième question, le taux de change. La
première question avait trait aux modèles
économétriques.
M. MacDonald: C'est cela. M. Parizeau: La
deuxième?
M. MacDonald: Le scénario du statu quo.
M. Parizeau: Le scénario du statu quo. M. le
Président, les modèles économétriques des
conséquences du libre-échange pour le Canada, il s'en fait depuis
que les premières négociations du Gatt ont commencé,
depuis la fin des années quarante, le début des
années cinquante. La plupart de ces modèles sont des
comparaisons de situations statiques et, dans ces conditions, permettent
souvent de voir certaines faiblesses sur le plan concurrentiel et certaines
forces, pas beaucoup plus que cela, parce que ce sont essentiellement des
situations statiques. Nous supposons que rien ne change, sauf qu'on lève
le droit de douanes, et là, on compare la situation avant et la
situation après. Cela a toujours été très
problématique, ces modèles-là.
La plupart du temps - et c'est vrai -remarquez, des modèles des
deux ou trois dernières années comme c'était vrai des
modèles qu'on voyait il y a 20 ans - cela conclut quoi? Cela conclut en
termes de produit national brut que le libre-échange entre le Canada et
les États-Unis permettrait d'augmenter le produit national brut du
Canada de 3 %, A %, 5 %, 6 % et celui des États-Unis, peut-être de
1 %, 2 %, ce qui démontre d'ailleurs que dans des modèles
fonctionnant dans des règles comme celles-là, c'est
habituellement le petit qui ramasse le plus clair des avantages. C'est vieux
comme le monde comme conclusion. On n'a pas besoin de faire six . mois de
calculs pour arriver à cette conclusion-là. On peut tout aussi
bien le démontrer en quinze minutes, mais si on tient à prendre
six mois pour le démontrer, on peut toujours le faire. Cela s'appelle
l'élaboration pénible de l'évidence.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Parizeau: Dire que 5 % au 6 % d'augmentation du produit
national brut, c'est extraordinaire. Bien non! écoutez, c'est 18 mois de
croissance. L'économie croft de 3 % par année. D'ailleurs, tous
les modèles les plus récents ont plutôt tendance à
indiquer que le gain serait de l'ordre de 3 % ou 4 % au lieu de 5 % ou 6 %.
Alors, c'est un an de croissance. Entre nous, on ne va pas commencer à
virer le monde à l'envers pour un an de croissance
accélérée. Dans une convention collective, on dirait
simplement que c'est deux barreaux dans la même année. Si ce
n'était que ça, cela ne vaudrait pas la peine, pas la peine en
tout cas de prendre des risques pareils.
Sur le plan de la main-d'oeuvre, cela démontre habituellement que
dans des secteurs en perte de vitesse, pas très concurrentiels, avec des
coûts élevés, le libre-échange va leur donner un
coût additionnel. Si, au contraire, ce sont des secteurs à haute
productivité qui sont déjà très concurrentiels et
qui, déjà, vendent beaucoup à l'étranger en
dépit de la protection, si on enlève la protection, ils vont
faire encore mieux. Je vous avouerai que, là aussi, c'est prendre
beaucoup de temps pour enfoncer une porte ouverte. C'est dans ce sens où
tellement de ces modèles évoquent pas mal de réticences.
Cela ne brise rien de fondamental et, parfois, cela aboutit à des
scénarios absolument horribles où, si on veut vraiment utiliser
les statistiques trop anciennes... Essayer de décrire la situation de
l'industrie québécoise de 1987 à partir de chiffres qui
s'arrêtent en 1981, il faut faire attention. Il y a pas mal de ces
études-là qui s'arrêtent en 1981 avec le recensement
industriel de l'année. Méfiez-vous! Six ans, c'est long, surtout
quand il y a eu la récession de 1982 dans l'intervalle et cinq ans de
progression par la suite. En se servant de statistiques assez précises,
assez spécifiques de certaines périodes de temps, on peut
démontrer des scénarios plus horribles que d'autres pour certains
secteurs ou plus brillants que d'autres.
Vous avouerez qu'il faut prendre beaucoup de ces études-là
avec beaucoup de circonspection. Je reconnais cependant que celle du Conseil
économique du Canada est plus intéressante que d'autres. Pour les
techniciens, c'est probablement la plus élaborée, la mieux faite
des études depuis nombres d'années, encore que je reviens
à ce que disait le député de Bertrand à la
télévision hier à l'occasion de votre réunion: II y
a certaines hypothèses dont il faut être conscient dans
l'étude du Conseil économique du Canada; cela a une influence sur
les conclusions, mais c'est certainement une étude plus
élaborée que ce qu'on avait vu jusqu'à maintenant.
Deuxièmement, le scénario du statu quo. Si c'est le statu
quo, cela ne veut pas nécessairement dire le statu quo, cela peut
vouloir dire que le protectionnisme américain continue de plus belle.
Cela pourrait vouloir impliquer que la loi ou le "Trade Bill" de portée
générale qui est devant le Congrès à l'heure
actuelle pourrait être beaucoup plus dur encore que ce qu'on pense qu'il
sera.
Si ces négociations échouent, ce n'est pas seulement parce
qu'à la dernière minute on n'aura pas pu s'entendre sur certaines
choses, c'est que le Congrès américain a décidé de
pousser plus loin encore ses tendances protectionnistes. Alors là, il
faut s'attendre à quelques années rudes, à la fois sur le
plan de certaines interventions ponctuelles du Congrès et, d'autre part,
sur des changements de plus en plus sévères à
l'égard des règles générales du jeu commercial aux
États-Unis, par un caractère encore plus strict au "general Trade
Bill" que celui qu'on attend. Ce ne sera pas facile pour certains secteurs de
l'économie québécoise.
Il est possible que le gouvernement de Québec, dans un cadre
comme celui-là, ait à redevenir beaucoup plus interventionniste
qu'il ne l'espérait il y a quelque temps. J'ai l'impression que le
gouvernement, indépendamment des orientations profondes
qu'il a cherché à prendre dans le sens d'une
réduction de l'intervention gouvernementale, de l'intervention de
certains instruments gouvernementaux, peut avoir à renverser sa position
et devenir assez remarquablement interventionniste dans le système
pendant quelques années, simplement parce qu'il n'aura pas le choix,
parce que ce sera la seule façon de compenser certains des coups assez
durs qui nous viendront des États-Unis. Je pense que ce ne sera pas
propre d'ailleurs au gouvernement québécois, ce sera la
même chose pour beaucoup d'autres gouvernements au Canada.
Les entreprises qui seront frappées les une3 après les
autres par d'autres mesures protectionnistes tomberont littéralement
dans les bras du gouvernement en disant: Faites quelque chosei C'est
inévitable.
Troisièmement, le taux de change. Il y a plusieurs
problèmes sur le marché des changes à l'heure actuelle,
mais un des problèmes majeurs qu'il y a, c'est l'ampleur des
transactions financières qui s'y exercent. Il fut un temps où on
se disait: On va regarder la parité des pouvoirs d'achat entre deux pays
sur le plan des transactions commerciales et on aura une assez bonne
idée d'où se situeront les taux de change pour
réfléter ces parités de pouvoir d'achat. C'est un point de
vue commercial qui dominait la fixation du taux de change. (11 heures)
Les mouvements de capitaux sont devenus tellement considérables
qu'ils finissent presque par dominer, jusqu'à un certain point, les
mouvements commerciaux proprement dits. Donc, il faut s'attendre à des
fluctuations importantes de taux de change à l'avenir, pour des
années encore. Il s'en faut de beaucoup que les grands pays industriels
aient trouvé le moyen d'harmoniser leur politique de façon
à avoir l'espoir de stabiliser les taux de change à terme. Cela
n'est pas fait.
Donc, 40 % d'augmentation du dollar américain pendant deux ou
trois ans et 40 % de diminution du dollar américain pendant deux ou
trois ans, cela peut paraître absolument incroyable par rapport à
ce qui s'est passé autrefois, et cela l'est. C'est évidemment
bien plus important que n'importe quelle fluctuation de tarif douanier. Cela
transforme les courants commerciaux, cela déplace les courants
commerciaux de façon extraordinaire, mais il va falloir apprendre
à vivre comme cela. Évidemment, jusqu'à un certain point,
le Canada s'est isolé de ces chambardements en laissant glisser sa
monnaie par rapport au dollar américain et, depuis quelques
années, au fond en cherchant à maintenir une sorte de rapport
presque fixe avec le dollar américain. Donc, pour 70 %, 75 %, 80 % de
nos exportations, nous profitons de ce rapport stable que nous avons
établi et nous laissons toutes les autres monnaies du monde passer par
des fluctuations considérables à l'égard du dollar
américain et donc, à l'égard du dollar canadien aussi.
Compte tenu du peu d'ampleur de notre économie par rapport
à celle des États-Unis, il faut probablement continuer dans cette
voie, laisser bien sûr les autres monnaies que le dollar américain
fluctuer par rapport au dollar américain il va y avoir des fluctuations
considérables - et nous, nous attacher au dollar américain
à un niveau qui fait notre affaire et faire en sorte que la chaloupe et
le gros bateau se déplacent ensemble.
Ce qui peut arriver de mieux sur le plan de l'expansion de nos
activités aux États-Unis, c'est qu'on ait un dollar canadien
aussi stable que possible par rapport au dollar américain et pas haut.
Dans cet océan très troublé des changes, on
rétablirait de cette façon, on continuerait d'établir une
certaine stabilité, et une stabilité utile pour nous.
Je sais que j'ai été long, M. le Président, mais ce
sont là des moyennes questions.
Le Président (M. Charbonneau): Oui, oui. Le ministre aura
la chance d'y revenir de toute façon. M. le député de
Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui. Étant donné l'heure, M.
le Président, moi aussi, je vais avoir une question à trois
volets ou trois questions. Je vous assure, M. Parizeau, qu'il n'y a aucune
pelure de banane, qu'il n'y a aucun problème. Ce n'est pas mon
intention.
J'aimerais vous entendre brièvement sur votre vision du
contrôle des investissements au Québec, dans le cadre du
libre-échange. Deuxièmement, est-ce que vous voyez la
fiscalité comme un outil important qui permettra au gouvernement du
Québec d'atteindre ses fins dans le cadre du libre-échange?
Troisièmement, ne croyez-vous pas, et tout cela à partir
justement des commentaires que j'ai faits hier sur le rapport du Conseil
économique du Canada par rapport aux prémisses de base qu'ils ont
utilisées... la préoccupation que j'ai, c'est qu'on admet au
départ dans un des scénarios que la productivité va
être automatiquement augmentée avec le libre-échange. Dans
ce cadre, ne croyez-vous pas que l'innovation sera effectivement la force que
le Québec pourra exploiter au maximum pour être capable
d'atteindre des bonnes performances sur le marché américain, et
je m'explique.
Dans un premier temps, on pourrait penser que l'auqmentation de la
production devrait permettre entre autres à nos entreprises d'aller
chercher des grands volumes. Je ne pense pas que le Québec
développe des grandes entreprises nécessairement à grand
volume. Cela va être vrai pour
les Américains puisqu'ils pourront spécialiser leurs
usines et à partir de tel ou tel secteur, développer. Mais, dans
le cas du Québec, je pense qu'on devra davantage cibler sur les nouveaux
créneaux, cibler sur les nouveaux produits, sur la technologie ou la
fine pointe de la technologie, tant pour les produits que pour les
services.
D'ailleurs, des PME québécoises ont réussi à
percer dans ce marché américain de façon assez
performante. On pense à l'industrie du meuble qui a été
appelé secteur mou en train d'agoniser. On a là des entreprises,
je pense à Shermag à Sherbrooke, Lacasse et Frères
à Saint-Pie-de-Bagot, pour ne citer que ces deux entreprises, qui
vendent 70 %, 75 % de leur production aux États-Unis. Pourtant, on est
dans un secteur mou au Québec et ce n'est pas parce qu'elles produisent
dix fois ce que les entreprises américaines produisent. Ce n'est pas sur
le volume, c'est sur l'innovation, sur les créneaux de marché
qu'elles ont été chercher. On pense, dans un autre domaine,
à Petro-Sun qui a réussi des capteurs solaires par la
transformation des nouveaux produits énergétiques des
déchets et même des vieux pneus, pour être capable, non
seulement ici au Québec, mais partout dans le monde, d'innover de
nouvelles technologies? Ce sont des entreprises de taille moyenne qui sont en
train de faire des percées merveilleuses, mais justement à cause
de l'aspect de l'innovation.
Ma question est: Est-ce que justement le gouvernement du Québec
ne doit pas envisager de mettre beaucoup d'efforts et d'énergies autour
de cela, puisque ce sera cet aspect de nouveaux créneaux de recherche et
de développement qu'il faudra pousser davantage que l'aspect du
volume?
M. Parizeau: Bon! En ce qui a trait à la première
question, M. le Président, nous avons, au Québec, toute une
série de lois ou de règlements qui empêchent des
non-résidents de s'installer dans certains secteurs. Très
souvent, ce n'est pas très connu dans le public, ce n'est pas tellement
spectaculaire, mais c'est assez fréquent, bien plus fréquent
qu'on ne le pense. Je vous en donne un exemple. On reconnaît qu'une
entreprise américaine, par exemple, dans l'assurance peut
développer ses activités au Québec à partir de
rien. Elle organise ses vendeurs, elle recrute des gens, mais si elle veut
acheter une autre société financière, à ce
moment-là interviennent des règles comme celle-ci: un
non-résident ne peut acheter plus que 10 % du capital-actions et tous
les non-résidents ensemble pas plus qu'un quart.
Savez-vous que c'est à peu près la règle
générale? Je ne parle pas des banques à charte. Elles sont
de juridiction fédérale. Savez-vous que c'est une règle
qu'on applique à peu près partout au Québec pour les
autres institutions financières? Même quand il n'y a pas de loi
qui le prévoit, comme par exemple notre loi sur les compagnies de
fiducie est muette là-dessus - c'est notre vieille loi qui date de 1914
- ne pensez pas que le 10-25, par la bande, on ne l'introduit pas. Il y en a
qui l'ont appris à leurs risques et périls.
Il y a toute espèce de moyens comme ceux-là qui ont
été utilisés. À certains moments, on cherche
même à en ajouter. Vous vous souvenez des avatars de la loi 109
sur le cinéma? C'était quoi, sinon exactement le même genre
de dossier? On cherche à établir, à faire en sorte que
certaines activités ne soient pas contrôlées par des
non-résidents. Le fédéral en a beaucoup dans ses lois,
mais les provinces en ont aussi. Nous aussi, au Québec, nous en avons
pas mal.
Il est clair que les Américains n'accepteront pas un accord de
libre-échange qui ne prévoit pas le démantèlement
d'un bon nombre de ces dispositions. Mais, en première ligne, il y a le
gouvernement fédéral canadien et ses propres dispositions qu'il
va devoir, pour une part, commencer à démanteler. FIRA, je
comprends qu'il a beaucoup été atténué; les
Américains vont demander des garanties que FIRA ne redevienne pas ce
qu'il était. Une politique nationale d'énergie. Le gouvernement
fédéral est en première ligne, comme le gouvernement
fédéral américain lui-même. Qu'est-ce qui va arriver
avec le Jone's Act? Le Jone's Act, à l'heure actuelle, aux
États-Unis empêche un propriétaire de navire canadien
d'aller faire du cabotage là-bas. Il n'a pas le droit d'entrer dans le
secteur.
Il est évident qu'il y a une négociation entre les deux
gouvernements fédéraux pour leurs propres législations
avant que cela arrive aux provinces et aux États. Des États
américains ont des dispositions de cet ordre; les provinces canadiennes
en ont beaucoup aussi. Il n'est pas évident qu'on doive passer au
deuxième stade. Peut-être qu'on va y passer encore, que si
c'était vrai, cela se saurait à trois semaines de la conclusion.
Mais il faut bien comprendre qu'à cet égard, les provinces sont
en retrait, en deuxième lieu, comme les États américains.
La première des choses à faire, c'est de nettoyer au niveau des
gouvernements supérieurs; après cela, cela reviendra sur les
provinces.
Deuxième question, la fiscalité. Je trouve embêtant,
à l'heure actuelle, qu'au moment où les sociétés
québécoises peuvent avoir à investir des sommes
importantes aux États-Unis, alors que beaucoup d'entre elles, au cours
des quelques dernières années, ont encouru des investissements
très importants au Québec ou au Canada, on réduise dans la
fiscalité, ce qui est toujours acceptable dans un système de
libre-échange ou d'union
douanière, c'est-à-dire de la fiscalité
destinée à susciter ou à faire apparaître du
capital, qui accroît la disponibilité du capital pour les
entreprises. Le REA est de ce type. Les actions accréditives de mines
sont de ce type. Ce n'est pas n'importe quelle fiscalité. Il ne s'agit
pas de dire: Si on baisse les impôts des compagnies, elles vont se mettre
tout à coup à vendre aux États-Unis et à faire des
investissements brillants. Ce n'est pas aussi simple que cela. Dans toutes tes
mesures fiscales, il y en a un certain nombre destinées à
accroître la disponibilité du capital pour les entreprises. Si on
veut que les entreprises québécoises profitent au maximum du
marché américain, il faut qu'on rende davantage le capital
disponible. Ce qui a été fait depuis quelques années est
important, mais ce n'est pas suffisant. Ce n'est surtout pas le moment de
fermer ces choses sur le plan fiscal.
Troisièmement, l'innovation. Je suis tout à fait d'accord
avec vous, M. le député de Bertrand, sur tout ce qui a trait
à l'importance de l'innovation, de la différentiation du produit
- c'est une autre façon de présenter l'innovation dans un bon
nombre de secteurs. Vous citiez les meubles par exemple. Mais, écoutez,
est-ce que le développement de l'industrie du "software" en informatique
n'est pas la meilleure preuve qu'on puisse aussi faire à l'appui de
votre thèse? S'il y a quelque chose où la differentiation est en
fait le marché et crée le marché plutôt que le grand
volume, c'est bien cela. Je pense cependant que ce ne serait pas un principe de
portée universelle.
II y a des secteurs au Québec qui ont besoin de grands volumes et
qui n'ont pas pu le trouver jusqu'à maintenant et qui à cause
d'un accord de libre-échange pourraient l'avoir. Je pense ici au textile
primaire. Le textile primaire a toujours souffert, au Canada, de fournir un
très grand nombre de variétés de tissus et en particulier
un très grand nombre de coloris de tissus à des acheteurs de
toutes petites quantités. On a toujours eu un problème avec cela.
L'usine américaine qui veut donner l'exclusivité d'un tissu de
robe en quatre couleurs à un fabricant de robes au Canada ajoute une
petite quantité à sa course de production déjà
langue aux États-Unis et elle peut la vendre pas cher. Alors que pour la
Dominion Textile, c'est une autre paire de manches. Si elle donne
l'exclusivité sur quelques milliers de verges d'un tissu
d'exclusivité, elle est obligée d'interrompre ses machines au
bout d'une heure de production, les laver, les nettoyer et recommencer sur une
autre "batch". Ouvrir le marché nord-américain pour donner du
volume aux machines canadiennes dans certaines industries va être
important! Ce n'est pas un principe général que j'exprime
là. C'est simplement une sorte d'atténuation à ce que vous
disiez, M. le député de Bertrand, mais cela me paraît
très important. Je pense que vous avez raison pour un grand nombre
d'industries, mais pas nécessairement pour toutes.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, merci, M. Parizeau.
M. le ministre.
M. MacDonald: M. Parizeau, en mentionnant l'innovation et les
mesures pour la promotion de l'innovation, je profite de l'occasion pour dire
au député de Bertrand que je suis totalement d'accord avec votre
suggestion. C'est d'ailleurs de cette façon qu'on procède.
M. Parizeau, la suggestion a été faite dans divers milieux
de traiter plutôt d'une façon multilatérale que
bilatérale, de cesser de compter sur les États-Unis comme le
marché unique et de faire porter les efforts du Canada et du
Québec vers les autres pays. Vous savez comme moi que c'est une
orientation que le gouvernement canadien, du temps de M. Trudeau, il y a
plusieurs années, s'était donnée, et vous connaissez aussi
les résultats si on constate les statistiques et les pourcentages
aujourd'hui en ce qui a trait à notre commerce avec les
États-Unis par rapport au reste du monde. De toute façon, la
ronde de l'Uruguay est engagée. De toute façon, les nouveaux
sujets sont là. De toute façon, le Canada négocie avec les
91 autres et le Québec est participant dans la préparation de la
position canadienne. Est-ce que vous auriez des observations que vous aimeriez
nous faire sur cet effort qu'on doit accentuer de toute façon dans le
reste du monde? Est-ce qu'il y aurait des façons particulières
par lesquelles on pourrait diminuer cette dépendance que nous avons
à l'égard des États-Unis en ce qui a trait à nos
exportations et par le fait même à notre santé
économique? (11 h 15)
M. Parizeau: M. le Président, j'hésite à
être trop explicite dans la réponse que je vais donner à la
question du ministre. Cette question de faire en sorte que le Canada ne soit
pas trop dépendant des États-Unis pour ses exportations, cela
fait simplement... Grand Dieu! on en discute depuis la guerre de 1914. Il y a
eu toutes espèces de tentatives. La préférence
douanière britannique de 1931 et les accords d'Ottawa. On allait
développer nos exportations du côté de l'Empire britannique
comme c'était le cas autrefois. Oui, cela a duré trois ou quatre
ans quant aux impacts de diversion. Après la guerre, le GATT,
c'était l'espoir de se débarrasser de cette
prépondérance américaine. Je comprends bien. C'est
à cause de cette prépondérance américaine et de
l'incapacité de payer de l'Europe qu'on a été quatre ans
au contrôle des changes au Canada, de 1947 à 1951. Mais il y avait
le GATT qui nous permettrait d'ouvrir des
marchés ailleurs que ces fameux marchés nord-sud. La
concentration des exportations canadiennes vers les États-Unis a
continué exactement comme si de rien n'était.
Plus récemment encore, on continue de se dire qu'on vend trop aux
États-Unis, que cela n'a pas de bon sens, qu'il y a une trop grande
concentration. Bien oui! mais que voulez-vous? Pendant trois ans, le dollar
américain s'est apprécié en moyenne, à
l'égard des autres monnaies des pays industriels, de 40 % et la
nôtre, presque autant puisqu'on a un peu descendu par rapport au dollar
américain, mais pas beaucoup. Pensez-vous que, quand votre monnaie
s'apprécie de 35 % par rapport à vos autres marchés, c'est
facile de vendre? Qu'est-il arrivé? On est passé d'environ 70 %
de nos exportations aux États-Unis à 16 % ou 77 %. Maintenant que
le dollar américain tombe par rapport aux autres monnaies et que nous
tombons aussi... Il ne faut pas être grand clerc pour considérer
que, d'ici une couple d'années, probablement que les autres pays que les
États-Unis seront un peu plus importants dans les exportations
canadiennes. Pourquoi? Parce que notre monnaie est moins chère.
Il y a là une sorte d'automaticité qu'on ne peut pas nier
et s'imaginer qu'on est capable de défaire cela et de refaire cela
à volonté, c'est se faire beaucoup d'illussions. Cela ne veut pas
dire qu'une fois qu'on a stabilisé nos choses avec les
États-Unis... Au fond, il faut avoir deux dossiers. On ne peut pas faire
autrement que de fonctionner avec deux dossiers. Il faut stabiliser nos choses
avec les États-Unis. Que voulez-vous? C'est de ce côté que
notre pain est beurré. Il y aura des techniques pour cela, des
tentatives. Il y a un essai d'avoir un accord de libre-échange. Il faut
essayer de stabiliser, c'est trop important, et pour le reste, prendre des
moyens, adopter des politiques pour essayer de vendre davantage à
certains pays du tiers monde en dépit de la situation de la dette,
aujourd'hui. Essayer de vendre davantage dans certains pays industriels
d'Europe de l'Ouest et du Japon, bien sûr, mais avec des techniques, des
moyens, des instruments tout à fait différents de ceux qui seront
ulilisés à l'égard des États-Unis. Tout se passe
comme si, au fond, on doit mener en parallèle deux politiques
différentes: l'une à l'égard des Américains
à cause de tous les caractères spécifiques des
échanges qu'on a avec eux et de leur importance et, d'autre part, avec
les autres pays du monde, eux-mêmes divisés en deux
catégories. Les pays du tiers monde où on peut faire du dumping
autant qu'on veut, où on peut utiliser tous les moyens que la morale
réprouve, sur le plan commercial j'entends, pas l'autre, pour vendre le
plus possible, mais où il y a ce problème de dette actuellement
et une autre sous-politique à l'égard des pays industriels
d'Europe de l'Ouest et du Japon. Mais cela, ce sont des politiques distinctes
qu'il faut pousser autant qu'on peut à partir du vieux principe de
négociation: "More, more and always more". S'imaginer qu'en
procédant comme cela, il va y avoir tout à coup revirement
spectaculaire des exportations canadiennes des États-Unis vers l'Europe
de l'Ouest, par exemple, quant à mot, cela m'apparaît totalement
illusoire.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Parizeau, j'aurais un bref commentaire et une question à deux
volets. Je voudrais dans la mesure du possible qu'on condense les
réponses pour permettre aussi à mon collègue de Bertrand
de terminer.
D'abord, le commentaire: le ministre nous a dit qu'il était
d'accord sur l'importance des mesures d'ajustement dans une période
transitoire, le "mais" est le suivant, c'est qu'il n'y a pas d'indications
actuellement ni sur le financement ni sur les sommes nécessaires et
disponibles pas plus que sur les pourparlers qui existeraient ou qui auraient
eu lieu au cours des derniers mois entre le gouvernement fédéral
et le gouvernement provincial du Québec, sur ces questions. Il n'y a pas
d'indications sur la nature des programmes qui seraient en préparation.
Il n'y a même pas eu d'association du ministre de la Main-d'Oeuvre et de
la Sécurité du revenu du Québec dans le processus de
préparation des négociations du côté du
Québec.
Dans l'optique où on veut un accord qui ait des retombées
positives pour le Québec, est-ce que l'adoption et la mise en oeuvre
d'une stratégie - j'utilise le terme "stratégie" plutôt que
"politique" - de l'emploi, stratégie qui comprendrait une politique de
main-d'oeuvre, une politique du marché du travail, une politique de
développement industriel, de développement régional, pour
vous, c'est une condition sine qua non à la mise en place et surtout
à la réussite d'un accord de libre-échange avec des
retombées positives pour le Québec?
D'autre part, dans la mesure où on veut que des mesures
d'ajustement pour la main-d'oeuvre et pour les entreprises soient efficaces,
donc substantielles, est-ce qu'il n'y a pas un problème en regard des
marges de manoeuvre budgétaires, en particulier, du gouvernement
fédéral, mais aussi du gouvernement du Québec? Si on veut
de véritables mesures, il faut mettre des sommes considérables.
Est-ce que les gouvernements ont ou pourraient dégager la marge de
manoeuvre financière nécessaire pour mettre en place de telles
mesures?
M. Parizeau: M. le Président, une stratégie
d'emploi n'est pas une condition sine qua non de l'établissement d'un
traité de libre-échange avec les États-Unis. On
peut fort bien imaginer un traité de libre-échange qui
provoque des dislocations dans un certain nombre de secteurs industriels, un
tassement de l'emploi, des mises à pied assez nombreuses et qu'il n'y a
pas de stratégie d'emploi avec le libre-échange. On voit alors
l'attitude qui est prise; c'est tant pis. On dit: Que les gens se
débrouillent. Cela se fait. Il y a des pays à qui c'est
arrivé. Évidemment, il ne faut pas s'étonner qu'ensuite,
assez rapidement, on soit pris avec des problèmes très
sérieux de chômage dans certains secteurs et des problèmes
de manque d'emplois dans d'autres, de pénurie sérieuse d'emplois
qui freine l'expansion d'autres entreprises.
Mais, encore une fois, ce n'est pas une condition sine qua non. Il y a
des gouvernements qui ont laissé cela aller. Seulement ce n'est pas
très responsable. On est déjà, à l'heure actuelle
au Québec, dans une situation où il commence à
apparaître des pénuries d'emplois dans certains secteurs. À
cause du changement dans les règles du jeu d'un accord de
libre-échange, on risque de voir cela s'accentuer.
Il y a des secteurs où on va manquer de main-d'oeuvre
entraînée. Un des griefs qu'ont beaucoup de PME à
l'égard du marché québécois ou de l'économie
québécoise, c'est leur difficulté de trouver de la
main-d'oeuvre entrafnée, de la main-d'oeuvre spécialisée.
À côté de cela, on va voir des poches de chômage se
développer et des gens à qui on va dire: Écoutez, c'est
bien dommage; votre secteur est en train de se restreindre
considérablement, il met des gens à pied;
débrouillez-vous.
Seulement ce n'est pas cela qu'un gouvernement doit accepter. Ce n'est
pas le chemin qu'il doit suivre, non pas seulement parce qu'il est humain de
procéder avec une politique de recyclage de la main-d'oeuvre et
d'entraînement de la main-d'oeuvre. Ce n'est pas seulement le
caractère humanitaire; c'est le caractère efficace de la chose.
Il faut absolument que les secteurs qui vont beaucoup profiter du
libre-échange soient en mesure de trouver la main-d'oeuvre dont ils ont
besoin. Pour une fois que le caractère humanitaire d'une
stratégie et que son caractère efficace se rejoignent, on aurait
bien tort de ne pas s'y engager.
Quant au montant, la marge de manoeuvre, ce dont nous parions n'est pas
quelque chose de nécessairement très coûteux. Les
expériences faites au Canada depuis une vingtaine d'années
à l'occasion des rondes de négociations successives du GATT ont
beaucoup baissé les tarifs douaniers. Ils les ont tellement
baissés, à certains moments, qu'on était certain qu'il y
aurait des problèmes sérieux de recyclage d'entreprises et de
main-d'oeuvre. Des programmes ont été mis en place. On s'est
rendu compte, finalement, que cela n'avait pas coûté les yeux de
la tête et, d'autre part, l'amélioration de la situation
économique depuis cinq ans apporte au gouvernement quand même bien
davantage de ressources qu'on n'aurait pu l'imaginer, il y a encore quelques
années. Cela n'est plus aussi serré que c'était.
Il faudrait évidemment regarder le dossier;
inévitablement, il est important, quand il s'agit de calculer les marges
de manoeuvre disponibles. Mais à première vue, cela ne semble pas
être une opération dont le coût dépasserait les
moyens dont on peut disposer aujourd'hui. Je n'aurais peut-être pas
réagi de la même façon, il y a trois ou quatre ans.
Aujourd'hui, c'est autre chose.
Le Président (M. Charbonneau): II reste un peu de temps,
pas beaucoup, pour le député de Bertrand. Alors, une
dernière question pour le député de Bertrand et une
dernière réponse, M. Parizeau.
M. Parent (Bertrand): Oui. Sur votre dernière
intervention, M. Parizeau, je pense que tous les pays qui ont une politique de
plein emploi - pour vous donner quelques exemples, l'Autriche, la
Norvège, la Suède -sont en faveur d'une très grande
libéralisation des échanges et qu'ils sont absolument contre le
protectionnisme. C'est certes là une formule à imiter.
Ma question en terminant, puisqu'on n'a plus de temps malheureusement,
est: À quelques jours d'une entente qui aura lieu ou qui n'aura pas
lieu, ne croyez-vous pas que, s'il y a une entente, ce sera une entente
minimale, une entente-cadre ou une entente-parapluie, parce qu'on arrive
à la toute fin de la négociation? Je ne pense pas qu'on
réussisse, à partir des informations qu'on a, à attacher,
comme on pourrait dire, les morceaux ou tous les morceaux. On pourrait se
ramasser dans une entente-cadre qui ferait en sorte que beaucoup resterait
à négocier par la suite, mais à l'intérieur de ce
cadre-là, et l'on pourrait se trouver quelque peu coincé si cela
se passait ainsi. Je pense particulièrement à la position du
Québec à l'intérieur de cette entente-cadre
canado-améncaine.
M. Parizeau: Pour ce qui a trait à l'état des
négociations jour après jour, depuis quinze jours, trois
semaines, les canaux de communications se sont fermés dans bien des
directions. Je ne veux pas faire de commentaires sur la situation où on
en est précisément parce qu'on est vraiment dans cette
espèce de dernier mille de n'importe quelle négociation où
ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas. Alors, je ne
peux pas répondre à cette première question.
Cependant, le danger - il y en a un dans la situation actuelle - c'est
que l'on ait
une entente-cadre, une sorte d'entente minimale composée de
beaucoup de comités qui examineront beaucoup de choses dans les
années à venir. C'est dangereux à cause de l'incertitude
que cela fait régner pour les entreprises à l'égard de
leur politique d'investissement et à l'égard de leur politique
d'expansion. J'ai été beaucoup frappé hier, en
écoutant vos débats è la télévision, par le
témoignage de Mme Pelletier, la présidente de l'Association des
camionneurs. Elle s'est présentée devant vous trois semaines
avant la fin de la première phase des négociations, avant que le
paquet soit attaché, uniquement avec des questions - je ne sais pas si
vous l'avez remarqué - et certaines de ces questions ont trait
littéralement à l'exercice de son métier.
Beaucoup des questions de Mme Pelletier consistaient simplement à
dire: Pourrons-nous faire cela ou non? C'est une incertitude pour beaucoup de
secteurs de services ou de secteurs industriels. Il faut faire très
attention à une sorte de simili-entente qui comporterait très peu
de choses certaines, puis beaucoup de choses à discuter. À ce
moment-là, des gens qui réagissent comme Mme Pelletier et qui
sont obligés de poser une série de questions, pour ne pas avoir
de réponse, il n'y en aura pas seulement dans le camionnage, il va y en
avoir dans toute une série de secteurs. . Évidemment, ce n'est
pas sain, c'est très malsain pour le développement des
entreprises dans les années qui viennent. Il faut se méfier de
cela.
Le Président (M. Charbonneau): Après cette
réponse, M. Parizeau, il me reste au nom des membres de cette commission
à vous remercier de cette participation. Je ne sais pas si vous l'avez
remarqué, mais les membres de la commission ont été un peu
indulgents sur le temps qui vous avait été alloué. Cela
témoigne à la fois du respect et de la considération que
nous avons pour les opinions que vous émettez et vos points de vue.
L'ensemble des membres de la commission a apprécié votre
présence parmi nous ce matin.
M. Parizeau: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous remercie et bon
retour!
J'invite maintenant le prochain intervenant, M. Pierre Pettigrew,
directeur des services internationaux de la firme Samson Bélair,
à prendre place.
On va suspendre pour 30 secondes, le temps de la pause-santé.
(Suspension de la séance à 11 h 30)
(Reprise à 11 h 35)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Pettigrew, je vous souhaite la bienvenue à notre commission et
je vous remercie de votre participation. Vous connaissez les règles du
jeu. Vous avez 20 minutes pour présenter votre point de vue
ets par la suite, le reste de l'heure sera répartie en parts
égales entre les membres de la commission afin d'engager la discussion
avec vous. Sans plus tarder, je vous laisse la parole.
M. Pierre Pettigrew
M. Pettigrew (Pierre): Merci, M. le Président, de votre
accueil ce matin. J'étais bien heureux que la commission accepte de
recevoir mon mémoire et me demande de venir en discuter avec ses
membres. Cette consultation générale à laquelle vous
procédez à cette commission est extrêmement importante
parce que le sujet dont on parle évidemment risque de changer le plus
d'une manière ou d'une autre le portrait politique, économique et
social du Québec au cours des prochaines années.
J'ai remarqué que le mandat de la commission était une
consultation générale à la fois sur les
négociations bilatérales et multilatérales. Ou moins, dans
le titre, j'ai noté que vous aviez été suffisamment
prudents de parler d'une consultation générale sur la
libéralisation des échanges commerciaux. Je tiens à vous
féliciter d'avoir laissé ce canal ouvert, car je croie les deux
négociations extrêmement liées, extrêmement
importantes, même si, bien sûr, on s'intéresse ici surtout
à la question plus immédiate du libre-échange. Il ne faut
pas concevoir ou avoir l'impression que tout se termine avec la
négociation du libre-échange. Je crois que l'ensemble de la
libéralisation du commerce international est une question qui est
à l'agenda pour un très grand nombre d'années encore, soit
au niveau bilatéral, soit au niveau multilatéral du GATT.
Je suis extrêmement intéressé par les questions
bilatérales de libre-échange avec les États-Unis parce
qu'essentiellement c'est là que nous sommes actifs sur le plan de notre
commerce extérieur. L'importance du marché américain est
considérable. L'accès à ce marché des
États-Unis est déjà très grand; il faut le
comprendre. Ce qui est véritablement en jeu à ce moment-ci, c'est
la question de la sécurité d'accès, beaucoup plus que la
question de la largeur d'accès ou des conditions d'accès. Je suis
donc plus préoccupé par la sécurité d'accès
que par les conditions d'accès qui sont déjà assez
grandes.
Je crois que la capacité d'adaptation des entreprises
québécoises est remarquable. Nous en avons fait la preuve. Vous
savez qu'au cours des 40 dernières années, nous
avons diminué énormément les tarifs douaniers qui
protégeaient nos entreprises au Canada. Le tarif douanier moyen, je le
rappelle, était de 40 % en 1948. Les tarifs ont été
abaissés, après le Tokyo round, à 4 %. Donc, une baisse de
40 % à 4 %, et des entreprises québécoises se sont non
seulement adaptées à cette situation, mais elles ont largement
profité de l'ouverture des marchés mondiaux. Je crois donc que
c'est trè3 important que nous continuions dans ce sens-là.
L'entrepreneurship au Québec est plus fort qu'il ne l'a jamais
été. Il y a dans nos milieux d'affaires, dans les milieux
économiques, une espèce d'enthousiasme qui repose sur une
expérience, un dynamisme, une volonté de faire des choses, une
valorisation, qui est absolument considérable. C'est quelque chose que
je vois tous les jours en fréquentant nos entrepreneurs, puisque la
clientèle que je dessers est essentiellement une clientèle de
moyennes entreprises en croissance qui cherchent à s'étendre sur
des marchés internationaux, surtout sur le marché des
États-Unis. Je crois donc qu'en raison de ces facteurs, surtout en cette
cinquième année de croissance consécutive, avec
l'optimisme que nous connaissons dans les milieux économiques, jamais le
débat sur le libre-échange ne pouvait avoir lieu avec un aussi
bon "background", avec un arrière-plan, aussi bon, aussi positif et
aussi dynamique.
Évidemment, les questions qui me viennent à l'esprit
concernent les barrières tarifaires qu'il faut élever. Il y en a
deux fois plus à l'entrée vers le Canada qu'à
l'entrée vers les États-Unis. Je crois que, de toute
façon, une élimination des barrières tarifaires est
souhaitable en respectant l'échéancier qui devrait permettre au
Canada d'avoir plus de temps pour s'en débarrasser qu'aux
États-Unis, à la fois parce que le Canada en a davantage à
éliminer que les États-Unis et aussi à cause de l'immense
disparité de taille entre les deux économies. Ces
barrières sont en train de disparaître. Je faisais remarquer qu'au
GATT elles partaient. Nous sommes dans une huitième négociation,
à Punta del Este, et, comme vous le savez, il risque gros de ne plus y
avoir de barrières tarifaires dans dix ou quinze ans, d'une
manière ou d'une autre, que ce soit négocié dans un
contexte ou dans l'autre.
Les barrières non tarifaires, bien sûr, il faut en
éliminer un certain nombre. Ce sera bon pour notre économie. Je
veux rappeler à cette commission l'importance, cependant, de maintenir
un certain nombre de ces barrières non tarifaires non seulement pour
faire pendant aux États-Unis qui ne se gênent pas pour en avoir en
très grand nombre, mais l'expression "barrières non tarifaires" a
une connotation assez négative. On voit une barrière, quelque
chose qui arrête. J'aime beaucoup rappeler l'importance d'un certain
nombre d'outils économiques parce que beaucoup de ces barrières
non tarifaires - les Américains les appellent comme ça - sont
souvent des outils économiques absolument essentiels, évidemment
au développement de notre économie. D'ailleurs, le contexte du
libre-échange nous forcerait à utiliser encore davantage certains
de ces outils économiques. On est dans une situation assez difficile
parce que nous risquons de nous faire demander de renoncer à certains
outils économiques, mais ces outils seront plus importants que jamais,
précisément à cause de la rationalisation industrielle
à laquelle nous devrons procéder à l'intérieur du
nouveau cadre nord-américain de libre-échange.
Je me permets de souligner cette distinction très importante
à la commission. Il y a une très grande différence entre
une stratégie industrielle et unp politique commerciale. Au niveau du
gouvernement fédéral où l'initiative de
libre-échange a été prise, j'ai été quant
à moi frappé du découplement que nous avons établi
entre la politique commerciale et la politique industrielle. À mon avis,
la politique commerciale est essentiellement un outil d'une politique
industrielle. C'est-à-dire qu'en fonction d'une certaine politique
industrielle, nous adoptons et choisissons une politique commerciale. Ce que je
veux dire par là, c'est qu'une fois les choix industriels faits, une
fois la préparation de l'économie accordée et
établie, nous pouvons éviter une concurrence plus grande
plutôt que de faire le contraire.
Je n'aime pas tellement cette approche qui consiste à dire:
Ouvrons les frontières, agrandissons la concurrence internationale et
ceci fera notre travail de rationaliser notre industrie. Très souvent,
j'entends certains porte-parole, des analystes, des experts, des
économistes théoriciens dans nos universités et dans
certains instituts, que je respecte beaucoup, mais qui nous disent: Bienvenue
au libre-échange, enfin on va faire une rationalisation industrielle;
tes faibles vont tomber, les forts vont survivre, ils vont créer des
emplois et les emplois des faibles vont passer là. Cela ne se fait pas
aussi facilement que cela, bien sûr. Un peu comme un athlète doit
se préparer avant une épreuve plutôt qu'après, je
crois qu'il vaudrait mieux procéder à certains sacrifices et
à certaines décisions industrielles avant de faire face à
cette concurrence accrue à laquelle nous devrons faire face de toute
façon, je le répète, comme je le disais un petit peu plus
tôt.
Je crois que dans la négociation, même si nous tenons
à maintenir certains outils économiques, la notion de tribunal
d'arbitrage obligatoire, que nous l'appelions tribunal
d'arbitrage obligatoire ou mécanisme de règlement des
différends - là, on peut être ouvert à un certain
nombre de données - il est absolument impérieux et fondamental
que ceci ait lieu. Â mon avis, les premiers ministres des provinces et le
premier ministre du Canada ont tout à fait raison de dires Pas de
traité de libre-échange s'il n'y a pas de mécanisme
obligatoire de règlement des litiges.
Évidemment, il faut comprendre que ce mécanisme-là
n'existe nulle part ailleurs. Ce n'est pas un mécanisme qui a
déjà été mis en application ou à peu
près pas. Au niveau du GATT, bien sûr, il y a un mécanisme
généralement respecté, dont les décisions sont
généralement respectées, mais qui n'est pas
nécessairement obligatoire dans tous les cas.
Cependant, l'élément radical de la proposition d'un
tribunal d'arbitrage qui, bien sûr à première vue, peut
avoir l'air effroyable de retirer au Congrès américain certains
droits, il faut comprendre que pour les Américains cela a
été la manière de faire du protectionnisme un peu comme
notre manière a été de faire des barrières non
tarifaires. Donc, si nous éliminons des barrières non tarifaires,
mais si nous disons que d'autre part, le Congrès doit maintenir son
droit de légiférer sur les droits compensatoires et les droits
antidumping, nous nous exposons, bien sûr, à créer un
déséquilibre puisque pour eux ce sont les barrières non
tarifaires les plus utilisées ou leur manière de protéger
leurs propres commerces et leurs propres secteurs qu'ils choisissent de faire.
Ces outils sont différents assez souvent. Au niveau des investissements,
il y a des problèmes. On a remarqué que, du côté des
États-Unis, on avait rejeté totalement la méthode
canadienne de l'approche sectorielle. Pour les Américains, l'approche
sectorielle n'est pas quelque chose d'acceptable.
Je suis personnellement heureux et satisfait du fait que le GATT, d'une
part, mais surtout que le traité de libre-échange couvrirait une
certaine part de l'industrie des services. Je crois qu'il est très
important que nous nous servions de l'industrie des services ou de la
négociation actuelle pour ouvrir des travaux de ce
côté-là et commencer à réglementer ou
à faire un nouvel encadrement international commercial pour le service
qui n'a jamais été couvert jusqu'à maintenant, mais qui
commence à être de plus en plus important. Vous savez que 25 % du
commerce mondial concerne maintenant des services. C'est donc très
important de procéder à ce sujet-là. (11 h 45)
Dans le contexte actuel, je remarque trois hypothèses qui sont
toutes les trois encore assez probables à quelques semaines de
l'échéance finale. Il est toujours possible, quoique improbable,
qu'il y ait une entente globale et générale de
libre-échange entre nos deux pays avec évidemment certaines
exceptions dans des secteurs comme l'agriculture ou la culture, etc.
Mais étant donné le problème de fond, un
problème qui existe aux États-Unis depuis le départ, et je
crois que nous ne soulignerons jamais suffisamment ce problème, il y a
un manque de volonté politique totale du câté des
États-Unis. Au cours des deux dernières années, j'ai eu
l'occasion de voyager énormément dans tous les coins des
États-Unis, depuis la Georgie, Washington, la Nouvelle-Angleterre, le
Texas, la Californie, l'Illinois, le Michigan. Partout où je vais, je ne
rencontre à peu près pas de volonté politique pour un
traité de libre-échange avec le Canada.
Ce manque de volonté politique, vous savez, ce n'est pas parce
que la Maison blanche ou l'administration des États-Unis veut quelque
chose, on ne sait pas trop quoi, que le reste du pays suit, surtout qu'on a
tout misé du côté du gouvernement fédéral sur
une relation privilégiée à l'époque entre le
président Reagan et le premier ministre de notre pays. Cette relation,
et c'était tout à fait prévisible en 1985, était
nécessairement pour perdre des plumes en 1987-1988, à l'approche
de l'échéance présidentielle des États-Unis. Un
président des États-Unis n'a jamais tellement de pouvoir en 1988.
C'était tout à fait prévisible. Beaucoup d'analystes nous
l'avaient écrit à l'époque. Si le principal moteur de la
volonté politique à Washington réside à la Maison
blanche et que toutes les résistances se manifestent au Congrès,
au Sénat et dans les lobbies, on va être obligé de mettre
énormément sur la table si on veut décrocher une entente
de libre-échange.
Donc, malgré que je sois pour une entente de
libre-échange, je voudrais à ce moment-ci que nous n'allions pas
trop loin dans ce qu'on est prêts à mettre sur la table pour une
entente qui serait minimale ou qui ne comprendrait surtout que des promesses
avec des protocoles d'entente. Regardez ce qui a été fait du
côté du traité entre Israël et les États-Unis.
Vous savez, après quelques années, on peut commencer à
regarder ce traité. Les droits compensateurs, les mesures antidumping
continuent d'être appliqués continuellement contre Israël par
Washington. Trois mois après le traité avec Israël,
traité de libre-échange, nous avons eu des droits compensateurs
sur le textile, sur le drap qui ont été extrêmement
sévères, également sur les roses qui venaient
d'Israël, un très grand nombre de sujets.
Donc, avant de mettre trop dans une négociation où la
volonté politique est si peu élevée que le prix que nous
devons mettre augmente, faisons extrêmement attention. Je crois que
jusqu'à maintenant la position du
gouvernement du Québec telle qu'exprimée par M. MacDonald,
par le ministre du Commerce extérieur, l'année dernière,
était essentiellement une réaction ou une approche prudente et
responsable. Je crois que le gouvernement a tout à fait à coeur
de conserver la liberté de manoeuvre nécessaire pour renforcer le
tissu industriel du Québec. Je crois qu'il faut encourager le
gouvernement dans cette position. Bien sûr, il faut absolument ramener la
politique commerciale comme un des outils importants du développement
industriel, du développement régional qui pose des
problèmes chez nous, beaucoup plus que de procéder de l'autre
manière.
Je crois que les politiques d'achat du gouvernement sont un des
éléments les plus importants, mais, vous savez, les chiffres me
font toujours un peu rire. Quand on dit que nous avons des milliards à
aller chercher de ce côté, il faut faire très attention.
C'est un peu comme moi, j'ai des clients qui viennent me voir parfois et ils me
disent: Vous savez, il y a un milliard de Chinois. Si je vends un stylo
à chacun des Chinois, c'est 22 000 fois plus. Oui, je comprends, mais
ils n'ont pas les moyens d'acheter votre stylo parce que les conditions ne sont
pas propices ou qu'il va y en avoir un moins cher de Taïwan ou fait
ailleurs ou quelque chose comme cela.
Il faut faire très attention aux chiffres. Le marché des
États-Unis est bien sûr un marché de 250 000 000 et un
marché très important. Il faut comprendre que nos entreprises
n'auront pas nécessairement accès à l'ensemble de ce
marché. Nous donnons à un certain nombre d'entreprises que nous
possédons, un accès plus considérable au marché des
États-Unis et cela est très important. Mais il faut comprendre
que nous donnons un accès plus considérable au marché du
Canada à bien plus d'entreprises américaines, d'autant plus que
la richesse aux États-Unis ne se crée pas dans des États
qui nous sont limitrophes.
À quelques exceptions près en ce moment, les États
autour du Michigan, de l'Illinois, tout près de l'Ontario et du
Québec, ce n'est pas là que la richesse se crée. Je ne
suis pas prêt à ce que nous investissions une fortune pour avoir
absolument une entente bien que cette entente eût été
souhaitable. Mais, étant donné la volonté politique du
côté des États-Unis, étant donné le prix
peut-être trop cher qu'il faudrait mettre, je dis, hésitons,
faisons attention, assurons-nous aussi... C'est un autre élément
sur lequel je voulais attirer l'attention de la commission, ce matin, soit
celui de l'importance du marché de l'Ontario pour le Québec.
Voilà qu'on ne parle à peu près plus de ce marché,
mais vous savez que nous exportons en Ontario autant que nous exportons dans
tous les États-Unis à l'heure actuelle, étant donné
la structure du commerce. Si nous comparons les derniers chiffres disponibles
relativement aux livraisons, nous exportons 20 % du produit intérieur
brut du Québec dans le reste du Canada et 20 % dans le reste du monde.
Alors, la structure actuelle, quoiqu'elle ne soit pas toujours heureuse,
quoiqu'elle ait certainement favorisé davantage l'économie de
l'Ontario dans le passé, n'est quand même pas un désastre
ambulant.
Si nous retirons toutes les barrières tarifaires et la structure
actuelle - il faudra le faire d'une manière ou d'une autre - il faut
préparer nos industries à le faire, mais assurons-nous que ce que
nous aurons du côté du marché des États-Unis vaille
la peine. Si nous exportons autant en Ontario qu'aux États-Unis à
l'heure actuelle, assurons-nous que le transfert se fera vraiment.
Donc, je voudrais inviter la commission à exercer beaucoup de
prudence au cours des prochaines semaines, à ne pas, dans l'excitation
des dernières minutes, trop mettre... J'ai tout à fait confiance
que le gouvernement le fera. Il a maintenu la même ligne depuis le
début avec un certain nombre de documents publics et plusieurs
déclarations qui vont tout à fait dans cette ligne. Je crois que
c'est extrêmement impartant, si vous voulez, de maintenir cette ligne
à ce moment-ci.
Alors, si je peux me permettre d'essayer de conclure un petit peu
rapidement, le libre-échange est une excellente idée, une bonne
idée en principe, surtout que la libéralisation globale du
commerce se fait de toute façon et que nos entreprises se sont non
seulement adaptées, mais elles en ont profité dans le
passé et elles continueront d'en profiter.
L'intégration de l'économie nord-américaine
également se fait. De plus en plus, nous exportons vers les
États-Unis. En 1945, c'était 50 %, aujourd'hui c'est 78 %,
malgré tous les efforts de diversification. La tendance est donc
là. Agrandir ses accès de part et d'autre, du côté
du Canada et du côté des États-Unis, est donc un objectif
intéressant et primordial, mais c'est surtout la sécurité
d'accès qui est importante pour nous protéger contre l'arbitraire
du Congrès américain et des "lobbies" protectionnistes.
L'objectif véritable est donc la mise sur pied d'un véritable
mécanisme de règlement des litiqes, beaucoup plus que
l'accès au marché des États-Unis, à mon avis.
Pour ce qui est de la libéralisation des accès, le Canada,
je le rappelle, a deux fois plus de barrières à éliminer
que les États-Unis et la transition doit en tenir compte et
l'au-delà de la transition aussi doit en tenir compte. Je voudrais donc
rappeler que le découplement de la politique industrielle et de la
politique commerciale, s'il était exiqé par Washington,
m'apparaîtrait tout à fait inadmissible pour le Québec, car
notre rationalisation industrielle a besoin d'un
grand nombre d'outils économiques. Il faut absolument sauvegarder
ces outils économiques, surtout que nous n'avons pas le budget de la
défense pour faire une bonne partie de la "job" que les
États-Unis font par cela. Vous savez? les comparaisons sont difficiles
à établir.
Nous ne devons donc pas sacrifier notre présence sur le
marché de l'Ontario puisque ce marché représente autant
que celui des États-Unis sans garanties réelles contre le
protectionnisme américain; autant d'emplois québécois
dépendent du marché ontarien que du marché
américain. Il faut donc, à cet égard, éviter
d'échanger nos droits d'aînesse contre un plat de lentilles.
Je crois que je peux conclure, à ce moment-ci, qu'une entente est
éminemment souhaitable si les conditions sont là, mais
qu'étant donné le manque de volonté politique du
côté des États-Unis, il faut être extrêmement
prudent à ce moment-ci. Je vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Pettigrew. M. le
ministre.
M. MacDonald: M. Pettigrew, je vous remercie de votre
présentation. Corrigez-moi si je préjuge de vos intentions, mais
je retrouve dans votre présentation une approbation de la position du
gouvernement du Québec qui dit oui à une négociation de
libre-échange, mais pas à n'importe quelle condition.
Je note particulièrement, et vous avez raison, que c'est la
réalité de n'importe quelle négociation à n'importe
quel moment, c'est-à-dire que dans les dernières minutes, il faut
faire attention pour maintenir nos positions. La logique qui les a soutenues au
départ continue. Vous pouvez être assuré qu'il n'est pas
question pour nous de faire des concessions qui iraient à l'encontre de
cette structure industrielle qu'on préconise pour le Québec par
des décisions de dernière minute.
Pour revenir à votre position, vous êtes un conseiller en
matière de commerce extérieur auprès d'une de nos grandes
firmes-conseils du Québec. Je vous poserai une question en deux volets.
Pour votre firme et celles qui s'apparentent à la vôtre, que
voyez-vous comme perspective à une ouverture plus grande aux
États-Unis, à une plus grande réceptivité, si vous
le voulez, aux entreprises de votre genre? Le deuxième volet de ma
question, ce serait: Qu'est-ce que vos clients vous disent à propos du
libre-échange? Qu'est-ce qu'ils vous ont mentionné? Qu'est-ce
qu'ils vous ont suggéré? Quelles ont été leurs
appréhensions générales ou spécifiques au cours des
derniers mois?
M. Pettigrew: Je vous remercie beaucoup pour vos deux questions.
Cela fait trois ans maintenant que je pratique chez Samson Bélair,
à Montréal. Au début, c'était tellement plus facile
de passer la frontière pour aller à New York parce qu'ils ne me
connaissaient pas. Comme j'ai à descendre assez souvent sur ce
marché, je passe aux douanes à Dorval, je vais prendre l'avion de
7 h 15 et je passe avec ma valise. Au début, cela allait très
bien. Qu'est-ce que vous allez faire? Je m'en vais voir un de mes amis, etc. Je
n'étais pas obligé de donner trop de détails. De plus en
plus, M. le ministre, je suis frappé du fait que d'une part ils me
connaissent plus, mais d'autre part ils sont plus sévères pour
d'autres aussi. Ils nous font ouvrir notre valise. Pour quel client allez-vous
travailler? Ils s'assurent que ce sont des corporations canadiennes, des
compagnies canadiennes. Ils vont nous demander s'ils ont des
compétiteurs là-bas.
C'est de plus en plus difficile d'exercer notre travail même pour
des clients québécois. Pour des clients américains, vous
savez, on n'ose à peu près plus. Carrément, ils vont nous
refuser l'accès. Moi, cela ne m'est pas arrivé, mais j'ai des
amis qui carrément se sont vu refuser l'accès. Donc, pour nous
essentiellement et en ce qui a trait particulièrement aux conseillers en
gestion, je peux vous assurer que nous apprécierions pouvoir faire un
travail plus sérieux pour nos entreprises du côté des
États-UniSp donc un accès plus considérable là-bas.
Les comptables agréés, bien sûr, appartiennent à un
corps professionnel tout comme les avocats, les médecins, etc. Je crois
qu'il faudra maintenir un certain degré de souveraineté sur ces
organismes professionnels. Nous avons des critères. Il y a toute la
notion de culture qui entre aussi. Nous, nous attendons certains services,
etc.
Dans la mesure où nous sommes capables de libéraliser, si
vous le voulez, ou de réglementer d'une manière plus facile
l'accès au travail là-bas, ce sera très bien, tout en
respectant cependant des normes de qualité auxquelles évidemment
nos clients au Canada et aux États-Unis sont en droit de s'attendre par
rapport aux corps professionnels. Je crois donc que des firmes comme la
nôtre le saluent. La globalisation des marchés mondiaux nous a
obligés à poser des qestes. Comme vous le savez, nous avons un
réseau international maintenant. Nous sommes capables de travailler dans
à peu près 75 pays avec plus que des correspondants, vous savez.
Ce sont des qens avec qui on travaille d'une manière très
étroite. Alors, pour bien servir nos clients, il est absolument
indispensable, si vous voulez, d'avoir un accès plus
considérable.
Votre deuxième question a trait à nos clients, mais
là la réponse est assez différente. Les clients pour
lesquels je travaille évidemment sont des petites mais
surtout des moyennes entreprises généralement dynamiques
parce que ce sont celles qui s'intéressent au marché
international. Donc, je suis plutôt biaisé pour les forts ou
favorable à ceux qui sont suffisamment dynamiques pour entreprendre la
démarche d'aller sur le marché international. Ils ne sont donc
pas sur la défensive, ils sont sur l'offensive s'ils viennent me
consulter pour savoir comment attaquer un nouveau marché. Ce sont des
entreprises qui seraient heureuses de pouvoir faire plus d'affaires du
côté des États-Unis, qui, elles aussi, font face de plus en
plus à de petits problèmes du côté des
États-Unis, à des petites barrières par-ci et
par-là.
J'ai été frappé par l'importance - c'est pour cela
que j'ai insisté un peu dans ma présentation, ce matin - du
marché de l'Ontario pour plusieurs de mes clients qui me disent: Oui,
mais je vends mes meubles, mes armoires de cuisine, mes biens
manufacturés en ce moment en Ontario. Est-ce que je vais rester
concurrentiel? Est-ce que je vais continuer de bénéficier, si
vous le voulez, d'un accès privilégié à ce
marché? On est obligé de leur dire évidemment qu'en ce qui
concerne les barrières tarifaires il va y avoir des sacrifices à
faire, que nous espérons que le gouvernement fédéral* et
les gouvernements provinciaux se concertent, mais qu'il risque d'y avoir du
côté du marché est-ouest par rapport au marché
nord-sud un certain nombre de difficultés.
Je crois qu'en général le secteur manufacturier et les
gens avec qui je travaille souhaitent cette entente dans la mesure où
elle respecte les conditions dont nous parlions un peu plus tôt et dans
la mesure aussi où nous leur donnerons le temps de réaligner
leurs flûtes, puisque le marché de l'Ontario, pour plusieurs de
ces entreprises, à venir jusqu'à maintenant est très
important. Je soulignais que nos entreprises exportent autant en Ontario que
dans tous les Etats-Unis à l'heure actuelle.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand. (12 heures)
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. M.
Pettigrew, merci de votre présentation. Vous avez mis des bémols
importants surtout en cette fin de négociation et nous partageons bien
sûr vos réserves. Je dois dire même que depuis 48 heures,
nous sommes très préoccupés par la volonté du
gouvernement fédéral d'arriver absolument à une entente,
mais doublement préoccupés par la volonté du gouvernement
du Québec d'avoir cette entente. Dans la stratégie qui n'a pas
été dévoilée jusqu'à ce jour, parce que cela
doit être ainsi, je comprends qu'on doit afficher des positions
publiquement, mais face à vos appréhensions et à vos
préoccupations que je partage, je suis obligé de vous dire que
l'attitude du gouvernement du Québec, particulièrement du premier
ministre qui était avec nous ici hier, m'inquiète quelque peu par
rapport à cette volonté de vouloir absolument faire des compromis
dans lesquels on risque de donner ou qu'on risque de payer, comme vous l'avez
si bien dit, peut-être trop cher, sauf qu'on ne sait pas quel compromis
il est prêt à faire. Je réitère au gouvernement du
Québec cette préoccupation pour nous assurer qu'on ne paie pas ou
qu'on n'est pas prêt à laisser aller des morceaux trop importants
pour avoir absolument cette entente de libre-échange.
Je pense que la négociation, et vou3 le soulignez dans votre
mémoire, a été, au tout départ, bien mal
engagée. Je pense que le fait que le gouvernement canadien était
en demande a un peu biaisé le débat. Là où je ne
suis pas d'accord avec vous, même si je n'ai pas voyagé aussi
souvent que vous l'avez fait du côté des États-Unis, c'est
sur le fait qu'il y a une volonté politique américaine
très grande et particulièrement depuis les derniers mois.
Peut-être qu'elle ne se ressent pas, comme vous le dites, sur place et un
peu partout dans les différents États américains, mais je
pense qu'il y a une volonté très ferme du côté des
Américains, non seulement à causé de ta fameuse balance
commerciale, mais particulièrement pour qu'ils soient capables de
s'ouvrir et de démontrer au reste du monde que, finalement, les
partenaires canadiens ont réussi à s'entendre avec eux.
Même si c'était une entente minimale, je pense que, pour
eux, ce serait un pas extraordinaire pour les futures négociations du
GATT et autres. De ce côté-là, je pense qu'il y a une
volonté américaine aussi. Sauf que l'épreuve de force des
derniers jours risque d'être très dangereuse et on aura un choix
à faire. Quand je dis "on", je pense que le gouvernement du
Québec doit peser lourd dans la balance. Si jamais le gouvernement
canadien décidait, même s'il peut le faire de par ses statuts,
d'aller dans un accord de libre-échange, il lui faudrait, je pense,
absolument l'accord autant de l'Ontario que celui du Québec, sinon il
risque d'avoir des problèmes, du moins des problèmes dits
politiques.
Les barrières tarifaires ne sont pas, comme vous l'avez
mentionné, tellement importantes, c'est-à-dire que ce ne sont pas
les barrières tarifaires qui vont empêcher qu'an se
développe davantage. Je pense que les mesures transitoires seront quand
même très importantes à cause de la
vulnérabilité de certains secteurs qui devront s'adapter.
La question des barrières non tarifaires. Vous avez dit: Les
barrières non tarifaires, il faudra voir à en conserver certaines
parce que ce n'est pas totalement négatif et je suis d'accord avec vous.
L'une de mes
questions, c'est: Quelles sont, selon vous, les barrières non
tarifaires qui doivent être conservées? Cela me semble important,
cette espèce de marge de manoeuvre, j'imagine, qu'on doit conserver dans
les politiques d'achat et j'aimerais que vous puissiez expliciter
là-dessus. Vous mettez aussi de l'importance au niveau du
développement régional, C'est très important pour le
Québec. J'aimerais que vous puissiez nous confirmer si vous voyez, dans
le développement régional, toute la marge de manoeuvre
nécessaire afin qu'on soit capable d'atteindre votre objectif.
Le dernier volet ou la dernière question que j'aimerais vous
poser: Ne croyez-vous pas que le libre-échange risque, si le
gouvernement n'intervient pas, de dégénérer en libre
marché dans le sens large du terme, c'est-à-dire une loi de libre
marché où, finalement, il n'y a plus d'entrave, tout le monde
fonctionne selon la loi du plus fort. Cela risquerait d'être dangereux.
Le libre-échange ne devrait pas davantage s'apparenter à un
minimum de règles du jeu, un minimum de règlements et
particulièrement d'interventions de la part du gouvernement pour que la
loi du plus fort ne joue pas dans le cadre d'un libre-échange et
qu'à cause de la structure industrielle du Québec et à
cause de l'ensemble de ses PME, on se retrouve dans des positions très
vulnérables et déficitaires.
M. Pettigrew: Je vous remercie beaucoup de vos questions, M. le
député de Bertrand. Dès le départ, j'ai
trouvé la négociation mal engagée et j'ai voulu le
souligner dans mon mémoire, parce que je n'ai pas compris pourquoi nous
avions engagé au niveau du gouvernement fédéral une
négociation aussi importante et aussi globale sans davantage
développer un consensus à l'intérieur du pays, d'une part,
mais surtout en réglant tous les problèmes ou plusieurs
problèmes et irritants que les États-Unis avaient à
l'endroit de notre pays à cette même table.
Ce que je veux dire, c'est qu'au cours des années 1981-1984 -
j'avais alors l'honneur de servir, au niveau du Conseil privé à
Ottawa, le Secrétariat des affaires étrangères et de la
défense - continuellement, tous les jours, nous entendions, à ce
moment-là, le gouvernement américain se plaindre du programme
national de l'énergie, se plaindre de FIRAf nous demander de
revoir notre réglementation sur les brevets, etc. Or, voilà que,
lorsque le gouvernement conservateur est arrivé au pouvoir, il a aboli
FIRA, à toutes fins utiles. Il a aboli le programme national de
l'énergie.
Il a donc éliminé tous les irritants ou, enfin, les
irritants majeurs qu'il y avait dans les relations entre le Canada et les
États-Unis. Une fois qu'il a fait cela, il a dit aux
Américains: Venez vous asseoir maintenant et nous voulons ceci et
cela de vous. Alors, nous, qu'est-ce qui nous reste à donner en
échange? Cela se rapproche, voyez-vous, de plus en plus des choses
importantes pour nous.
J'ai trouvé que cette approche n'était pas sage, qu'elle
n'était pas heureuse. C'est en sens-là que j'ai trouvé la
négociation mal engagée» Je trouve aussi qu'il y a beaucoup
de nafveté dans notre approche, parce que nous oublions continuellement
de faire les comparaisons entre les États-Unis et le Canada.
Vous savez, les Américains mettent des montants énormes,
considérables dans le budget de la défense pour des contrats un
peu partout à l'échelle du pays. Ces sommes d'argent sont
absolument considérables. Elles sont, à toutes fins utiles, une
politique industrielle que les États-Unis se donnent sans dire,
évidemment, qu'ils pratiquent une politique industrielle.
Il est donc extrêmement difficile d'arriver d'égal à
égal ou de pouvoir négocier d'une manière
équilibrée pour ce qui est des autres éléments de
la politique commerciale, parce que les contrats de défense du Pentagone
sont quelque chose de secret, sont quelque chose, donc, de différent des
outils que nous avons. Ils ne sont pas au même niveau dans leur esprit.
Ils nous disent: Cela, c'est secret? on ne peut pas permettre cela, parce que
cela se saurait du côté de nos adversaires sur la planète,
etc
II y a donc un problème considérable, dans le domaine des
barrières non tarifaires et celui des politiques d'achat, de comparaison
et d'équilibrage entre les deux. Donc, les Américains conservent
des outils de développement régional et de politique
industrielle, à toutes fins utiles, très importants. Qu'est-ce
que c'est une politique industrielle, au fond? C'est lorsque le gouvernement
choisit un certain nombre de secteurs dont la croissance potentielle est
importante, et lorsqu'il investit beaucoup d'argent dans la recherche et le
développement. Vous savez, alors qu'en 1945, 15 % de la recherche et du
développement américains, étaient faits par le secteur
public, cette proportion est passée maintenant à 70 % par le
budget de la défense.
Il y a donc, pour ce qui est du budget militaire, une véritable
politique industrielle dont tous les outils sont là. Les
Américains déménagent des centaines et des milliers
d'Américains depuis les États du Michigan et de l'Illinois vers
le sud, vers Houston et Dallas, en particulier ou le Southern Belt au sud de la
Californie, au sud de Los Angeles dans le Orange County. Ce sont tous des
endroits que j'ai eu l'occasion de visiter et c'est magnifique de voir cela.
Mais c'est une véritable politique industrielle. C'est un peu comme au
Japon. Il y a une politique
industrielle très arrêtée au Japon, très
interventionniste. Le MITI, le ministère du commerce international et de
l'industrie au Japon, c'est le même bras qui pense à tout
cela.
Donc, à ce chapitre, je ne suis donc pas gêné de
vouloir garder certaines barrières non tarifaires pour ce qui est de
notre propre société. Des organismes publics dont on parlait un
peu plus tôt doivent être certainement maintenus avec un
véritable rôle de développement et plusieurs organismes de
contrôle, si vous voulez, doivent être maintenus aussi,
certainement vis-à-vis du dumping. Il ne faut pas que l'on soit victime
de dumping de la part des Américains, si vous voulez, en ce qui regarde
la qualité des produits, non seulement pour protéger les
consommateurs, mais pour qu'ils n'arrivent pas avec des produits de moins bonne
qualité à un certain prix. Il y a un certain nombre de ces
barrières qui sont des outils que nous devons absolument conserver. Nous
devons les maintenir et les renforcer.
Je voudrais aussi parler de certaines politiques fiscales, si vous
voulez, qui devront être appliquées. Un des grands
problèmes auxquels font face nos entreprises vis-à-vis des
États-Unis, c'est la question de leur taille. Les Américains ont
des entreprises beaucoup plus considérables, beaucoup plus grandes que
celles que nous connaissons au Québec qui sont souvent trop petites pour
être compétitives. Nous devrons donc favoriser, par des mesures
fiscales, la capacité de ces entreprises de se fusionner ou de
s'acquérir l'une l'autre, de s'en aller vers la spécialisation,
la fusion ou l'acquisition. Ce sont des programmes tout à fait
réalisables, qu'il faut inclure à l'intérieur du
libre-échange ou s'assurer que l'accord de libre-échange
maintienne notre capacité de faire de telles interventions qui sont
extrêmement importantes.
L'entreprise américaine est beaucoup plus prête à
entrer sur notre marché que nous ne le sommes à entrer sur le
leur, parce qu'augmenter de 10 % votre marché n'implique pas une
capitalisation considérable dans l'amélioration de votre
production, de votre marketing, de votre gestion. Il va falloir renforcer
beaucoup de nos entreprises dans leurs grandes fonctions: la gestion, le
marketing, la production, si nous voulons être capables de faire une
bonne "job" du côté des États-Unis. Donc, c'est un peu ce
que je voulais dire.
En ce qui concerne le développement régional, je voulais
dire par là qu'au-delà de la politique industrielle, la question
du développement régional demeure. Les Américains en font,
comme je l'expliquais un peu plus tôt, mais le problème du
développement régional, c'est que par-delà la politique
industrielle et par-delà les besoins de rationalisation industrielle, il
y a des cas qui ne pourront pas être économiquement rentables et
qui, à mon avis, devront l'être. J'ai des clients dans certains
villages québécois qui sont uniques employeurs: un village
complet, petit parfois, où il y a seulement un fabricant de meubles.
Même si vous vouliez rationaliser, même si vous vouliez qu'il
fusionne avec d'autres et qu'il se donne des services communs, il va rester un
problème-là. Quand bien même je suis un ardent
défenseur de la rationalisation industrielle, et de couper tout cela, il
faut l'aider le plus possible. Il y a des cas désespérés.
Il y a des fabricants de meubles, qu'on peut aider par des programmes
d'assistance à l'augmentation de productivité, etc., mais ce
problème va demeurer après la période de transition et je
pense déjà à la période qui suit la transition et
je demande qu'on nous conserve certains outils de développement
régional et je dis: Faisons-le sans aucune gêne, parce que les
Américains le font par les contrats de défense énormes qui
sont donnés. Les Japonais le font. Je suis allé à Sendai
au nord du Japon, qui est une région que le gouvernement japonais essaie
de développer. C'est la même chose que nous faisions par le
ministère de l'Expansion industrielle régionale.
Donc, pour passer à votre dernière question: Un
libre-échange risque-t-il de devenir un libre marché avec la loi
du plus fort? Le libre-échange théoriquement est une forme
d'intégration moins poussée qu'un marché commun et je
crois qu'à aucun des niveaux de gouvernement, à Québec et
à Ottawa, on n'envisage vraiment la création d'un marché
commun. Je crois que le libre-échange est par définition, si vous
voulez, un deqré moins poussé d'intégration puisqu'il
n'inclut pas la libre circulation des facteurs humains, des travailleurs, etc.
Je crois qu'il faudrait absolument résister à cette tendance si
nous le faisions, parce que ce ne serait pas une tendance très heureuse.
Notre pays est trop petit par rapport aux États-Unis pour faire une
chose comme celle-là.
Il faudra absolument voir que cette entente de libre-échange
reste une entente de libre-échange pour l'instant. Reqardez le
marché commun. Cela fait 30 ans, puis ils ne sont pas encore devenus un
marché commun, alors qu'ils étaient des pays de taille beaucoup
plus égale. Le traité de Rome a été signé en
1957 et il n'entrera en pleine application qu'en 1992. Il reste encore cinq
ans, si vous voulez, pour le... J'ai répondu un peu à vos trois
ou quatre questions. Si je peux juste me permettre un commentaire, là
où nous avons un désaccord, M. le député, c'est sur
la volonté politique des États-Unis. Encore récemment,
j'ai passé une semaine à Washington à discuter de ces
questions et je vous assure qu'il y a énormément de bonne
volonté à l'endroit du Canada. Ne nous trompons pas. Les
Américains aiment bien le Canada. Il y a beaucoup de bonne
volonté à l'endroit de notre pays, mais c'est un joueur bien
mineur dans la grande ligue du GATT. Je crois qu'au début ils ont
accepté la négociation du libre-échange. (12 h 15)
Je vous rappellerai que le président Reagan n'a obtenu la
permission de négocier un traité de libre-échange que par
un vote de 10-10 à un comité des finances du Sénat et que
si c'était à ce moment-là une menace supplémentaire
sur les autres partenaires commerciaux pour obtenir l'ouverture de la rampe de
Punta del Este. Ils se sont servis du Canada comme ils avaient dit: Nous avons
conclu une entente bilatérale avec Israël. Vous savez qu'ils ont
aussi une négociation très active à l'heure actuelle avec
Taiwan. Ils ont dit: Donc, nous établissons un tas de
réalisations bilatérales pour forcer l'arrivée de la
huitième négociation multilatérale. Maintenant qu'ils ont
eu cela, la force de l'exemple... Vous savez, les Américains sont assez
vendeurs et sont assez forts sur le plan international pour dire: Avec les
Canadiens, nous n'avons pas eu de traité de libre-échange; ils
étaient trop exigeants; ils voulaient maintenir des outils
économiques très forts tout en nous forçant à
renoncer à des pouvoirs du Congrès; ce sont eux qui nous ont mis
dans une situation intenable. À mon avis, ils sont capables de s'en
sortir sans trop de coût. Je sais que je suis en désaccord avec
beaucoup d'analystes. Je regrette de l'être avec vous aussi, mais, en ce
qui me concerne, je ne crois pas que cela compte énormément dans
la balance. Je ne dis pas que cela ne compte pas du tout, mais ne misons pas
trop là-dessus. Nous n'obtiendrons pas beaucoup de concessions à
cause de cela.
M. Parent (Bertrand): C'est simplement une question de
perception, selon l'endroit où on est placé. Étant
donné que vous avez été directement sur les lieux, j'ai
tout lieu de croire que ce que vous nous apportez comme éclairage est
fort intéressant et je vous dis que je suis préoccupé
quand je vois la façon dont les Américains se sont
comportés dans le traité avec Israël depuis 1985. C'est
inquiétant, quand on pense qu'on va aller les chercher de force comme
vous le dites, de voir la façon dont le traité va être
respecté. Je reviendrai tantôt avec une dernière
question.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Vimont.
M. Théorêt: M. Pettigrew, vous mentionnez dans votre
mémoire - je vous cite - que là où la négociation
se complique, c'est en particulier au niveau du tribunal d'arbitrage
obligatoire. M. Parizeau nous disait il y a quelques minutes que demander
l'arbitrage obligatoire, c'était mettre le drapeau rouge devant le
taureau. Il nous disait qu'il y avait d'autres alternatives. Dans un premier
temps, est-ce que vous pouvez nous suggérer quels mécanismes
pourraient être mis en place? Deuxièmement, il est possible aussi
qu'on se retrouve le lendemain du 5 octobre sans accord sur le
libre-échange. Advenant une telle éventualité et
connaissant également tous les commentaires que vous avez entendus dans
vos rencontres aux États-Unis, quel pourrait être l'impact pour le
Canada d'un statu quo, en particulier pour le Québec, et
également quel scénario envisagez-vous dans une telle
éventualité?
M. Pettigrew: Votre première question a trait au tribunal
d'arbitrage. Voilà ce que j'ai voulu souligner, et je l'ai
mentionné un peu plus tôt. Évidemment, je reconnais la
nature tout à fait radicale du tribunal d'arbitrage dans la relation
commerciale. Il n'y a aucun doute qu'il s'agit là d'un grand
élément, d'une nouveauté, et ce serait vraiment entrer sur
un terrain tout à fait nouveau. Je ne veux pas minimiser l'aspect tout
à fait radical de la demande canadienne. Je veux dire cependant - c'est
là où j'expliquais dans mon mémoire qu'il y avait une
espèce de voie terriblement difficile - que, d'une part, nous avons
besoin d'un certain nombre d'outils économiques pour procéder
à la rationalisation industrielle qui nous permettra de survivre et de
profiter du libre-échange, sinon, le libre-échange ne sera pas
très utile si nous ne sommes pas capables de nous positionner en
fonction de cela.
D'autre part, les États-Unis, qui sont aux prises avec le
déficit commercial le plus important de l'histoire commerciale mondiale,
ne sont pas du tout enclins ou d'humeur à sacrifier quelque pouvoir que
ce soit au Congrès. Au contraire, la tendance, pour le Congrès,
c'est de prendre de plus en plus d'initiatives législatives à cet
égard. Pourquoi prennent-ils ces initiatives législatives? C'est
précisément pour contrer des outils économiques que leurs
partenaires commerciaux utilisent. Voyez-vous, il y a une cause très
directe d'affrontement entre les deux. Je crois que le négociateur aura
à faire preuve de beaucoup d'imagination et de capacités
remarquables pour trouver une espèce d'équilibre. Je ne dis pas
que c'est impassible, par exemple, je le souhaite, mais c'est là que je
dis que c'est extrêmement difficile.
Est-ce que je vois d'autres alternatives au tribunal d'arbitrage?
Personnellement, je crois que quelque alternative que ce soit ou quelque nom
que vous lui donniez, mécanisme des règlements, des litiges,
etc., il faut maintenir une protection contre l'arbitraire
du Congrès des États-Unis. Quelle que soit la formule que
vous preniez, il faut qu'elle soustraie le Canada le plus possible à
l'arbitraire législatif des États-Unis et quelque mesure que nous
aurons sera donc nécessairement de contrer certains pouvoirs de
législation. Sans cela, il n'y a pas tellement d'intérêt
à avoir un traité de libre-échange parce que, je le
soulignais tout à l'heure, l'accès au marché des
États-Unis est déjà considérable. Donc, si nous
avons déjà un grand accès, ce ne sont pas les conditions
d'accès que l'on négocie. Ce que nous négocions, c'est la
sécurité de cet accès, c'est son maintien. Donc, si nous
ne nous soustrayons pas à l'arbitraire législatif, on a un
problème. Le problème de sécurité ne sera pas
gagné malgré un accès un petit peu plus large.
Incidemment, nous aurons à donner un accès beaucoup plus large
aux États-Unis vers le marché canadien que le contraire.
Donc, c'est un peu comme ça que je vois la chose. Que vous la
nommiez d'une manière ou d'une autre, il faut absolument qu'il y ait
quelque chose de cet ordre-là, sinon cela ne vaut pas vraiment la peine.
Si nous connaissons un échec le 5 octobre, je crois qu'il sera
évidemment très important de nous retourner très vite sur
nos pieds, de développer une stratégie où à la fois
le secteur public, le gouvernement, l'Opposition, les grands acteurs
économiques, les Chambres de commerce, les fabricants, les
entrepreneurs, les gens - je me porte déjà volontaire -
entreprennent une campagne systématique auprès des principaux
lobbies américains dès qu'on entend parler de quelque chose. Je
trouve qu'en ce moment notre temps de réaction a été trop
souvent lent. Il faut absolument que nous nous attaquions au problèmes
là où il existe et ce n'est pas ce que nous avons fait
jusqu'à maintenant. Même dans la négociation, M. le
député de Bertrand, pour compléter un peu ma
réponse de tout à l'heure, quand je dis qu'elle a
été mal engagée, elle a été mal
engagée et elle a été mal menée par la suite. Nous
n'avons fait qu'un travail limité auprès du Congrès des
États-Unis au niveau du gouvernement fédéral depuis deux
ans, alors que c'est là que la bataille se fait véritablement. Il
faut absolument que beaucoup beaucoup de travail se fasse auprès du
Congrès des États-Unis pour renforcer ou combattrer les lobbies
américains.
La politique américaine se fait par lobbies et je vous
encouragerais tous ensemble à multiplier ces lobbies, à utiliser
des gens qui ont une certaine crédibilité dans leur secteur et
à éliminer le plus possible le danger de protectionnisme. Je
pourrais même vous faire un beau plan de campagne au niveau du GATT.
L'argument contraire de celui que l'on fait quand on dit qu'à cause du
GATT il faut qu'ils nous donnent une entente. Je dirais: S'ils ne nous donnent
pas d'entente, soyons beaucoup plus agressifs au niveau du GATT, faisons
même un petit peu de chantage auprès des États-Unis en leur
disant: Donnez-nous ça, sinon ça va mal aller au niveau du
GATT.
Je crois que ce n'est pas le désespoir ambulant. Nous survivons
quand même assez bien à l'heure actuelle. Nous exportons
déjà 40 % de notre produit intérieur brut. Ce n'est quand
même pas si mai. Voilà certaines avenues. On pourrait continuer
beaucoup plus longtemps, mais peut-être vaut-il mieux laisser...
M. Théorêt: Merci.
Le Président (M. Charhonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Peut-être une dernière
question vu que le temps presse. Vous avez mentionné la
naïveté des gouvernements dans toute cette approche concernant le
dossier du libre-échange et je suis d'accord avec vous. Je pense qu'on
continue à être encore naïfs à 17 jours de
l'échéance à partir de ce qu'on sait aujourd'hui.
Vous avez dit aussi qu'il faut prendre position, que nos entreprises
prennent position pour être capables de faire face aux nouvelles
règles du jeu, toujours en tenant pour acquis qu'il y aurait une entente
de libre-échange. Vous nous avez dit aussi que cela prenait des outils
économiques. Dans ces outils-là, est-ce que vous voyez
l'intervention plus accrue de différentes sociétés
d'État?On pense à la Caisse de dépôt et
placement, à la Société générale de
financement, à la Société de développement
industriel du Québec qui ont joué des rôles moteurs, dans
certains cas sur le plan du financement, sur le plan du partenariat, dans
d'autres cas sur le plan des programmes très précis qu'on doit
accentuer. Finalement, trouvez-vous cela normal qu'à la veille d'un
traité de libre-échange le Québec ne soit pas doté
d'une véritable politique industrielle, d'une véritable
stratégie de développement économique? Est-ce que cela ne
vous inquiète pas, vous qui êtes dans le milieu des affaires, vous
qui représentez des centaines et des centaines de milliers de clients de
voir que finalement on n'est peut-être pas aussi prêts qu'on
devrait l'être? Si oui, selon votre réponse, quels seraient
peut-être les principaux axes par rapport à ce qui a
été discuté tantôt avec M. Parizeau? Êtes-vous
d'accord pour mettre l'accent, par exemple, sur le domaine de la recherche et
du développement? Je pense que cela est important si on regarde
l'exemple extraordinaire du Japon. Il est vrai qu'on fait un effort depuis
quelques années, mais, encore là, on est loin par rapport au
pourcentage du P.I.B. qu'on
devrait mettre en recherche et développement. Est-ce que dans une
stratégie, dans une politique comme cela, vous mettriez l'accent sur ces
choses?
M. Pettigrew: Oui, tout à fait. II n'y a aucun doute que
c'est une voie extrêmement importante. Elle va être très
difficile à accoter par rapport aux énormes budgets que les
Américains mettent de ce côté, évidemment à
cause de l'effort du Pentagone et des contrats de défense, etc. Mais je
crois que vous avez tout à fait raison, il faut favoriser cela
beaucoup.
Pour reprendre votre question à partir du départ, je crois
que l'importance de se bien positionner est tout à fait cruciale. Mais
je comprends très bien qu'à l'intérieur d'une
négociation aussi délicate et aussi difficile, où les
éléments techniques sont considérables ainsi que la force
politique et les éléments de discrétion qui doivent
l'accompagner, on ne soit pas nécessairement au fait des intentions du
gouvernement d'une manière extrêmement précise quand il
s'agit d'une stratégie industrielle. Ce ne serait peut-être
même pas sage.
Je comprends qu'au point de vue de l'opinion publique, pour calmer
certains syndicats ou certaines appréhensions, il aurait
été plus facile pour le gouvernement de leur dire: Très
bien, voici ce que nous ferons, et de dresser une liste un peu
sécurisante et confortable. Mais je crois que cette solution qui aurait
été, si vous voulez, plus facile au niveau de l'opinion publique,
était très difficile à faire en même temps qu'une
négociation et en conservant notre crédibilité,
étant donné les éléments de discrétion qui
doivent entourer cette négociation.
Ce que j'espère et ce que je crois comprendre de la politique qui
a été maintenue jusqu'à maintenant, c'est que le
gouvernement s'est assuré qu'à la table de négociation ces
éléments étaient maintenus. Dans la mesure où
à la table de négociation ces éléments sont
maintenus et qu'ils seront incorporés à l'accord d'une
manière ou d'une autre pour ne pas nous faire accuser de faire du
commerce déloyal par la suite, je crois que la partie est sauve. Mais il
est vrai que ces éléments doivent avoir été inclus
et doivent avoir été amenés.
Donc, pour y faire face, quels seront les outils les plus
nécessaires? Je crois qu'il faudra insister bien davantage sur le
rôle du secteur privé et l'implication des corps
intermédiaires à l'intérieur de notre
société qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant. Je crois
qu'il est très important que le secteur privé soit beaucoup plus
impliqué à l'intérieur de certaines décisions qui
ont été prises jusqu'à maintenant. On se souvient de
certains désastres passés dans des tentatives de politiques
industrielles qui ont été extrêmement coûteuses et
dont nous avons à faire les frais pendant longtemps.
Il est donc très important et même impérieux que
cette stratégie ne se fasse pas en vase clos, mais de concert avec le
secteur privé. Je crois que certaines des sociétés
d'État que vous avez nommées, notamment la Caisse de
dépôt et placement et la Société de
développement industriel, la SDI, sont deux de ces
sociétés extrêmement utiles où nous avons
déjà établi entre le secteur privé et ces corps une
relation de travail, une collaboration vraiment utile et vraiment importante.
Je crois que leur rôle devrait être non seulement maintenu, mais
accentué dans la mesure où ce travail se fait en coordination et
en collaboration avec le secteur privé.
Je peux conclure que je suis évidemment, tout à fait
d'accord avec vous sur le fait que dans le domaine de la recherche et le
développement nous devons faire beaucoup plus. C'est extrêmement
difficile d'accoter ce que les États-Unis font, mais en plus de la
recherche et du développement il y a plusieurs mesures de modernisation
et d'aide à la productivité qu'il faut absolument faire, surtout
aider à renforcer les grandes fonctions de l'entreprise - je vais faire
un peu de publicité pour les conseillers en gestion - en aidant
peut-être les entreprises à avoir accès, à de
meilleurs taux aux conseillers en gestion pour renforcer les grandes fonctions
de production, de gestion et de marketing dans les entreprises trop petites
pour se payer des gens à temps plein, mais qui auraient besoin de bons
consultants.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse,
nous allons mettre fin à votre présence devant nous. Je voudrais
au nom de mes collègues de chaque côté de la table, vous
remercier, M. Pettigrew. Je crois que nous avons pris une intéressante
et bonne décision en décidant de vous inviter à notre
commission. Je pense que tout le monde a apprécié la
qualité et la pertinence de vos interventions et de vos remarques. Merci
beaucoup et à la prochaine.
M. Pettigrew: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Nous allons suspendre deux
minutes afin de permettre à l'autre groupe de se joindre à nous.
La suite de nos travaux sera assumée par le vice-président de ta
commission, le député de Vimont.
(Suspension de la séance à 12 h 31)
(Reprise à 12 h 35)
Le Président (M. Théorêt): Alors, messieurs,
les membres de la commission
vous souhaitent la bienvenue. Je vous rappelle que vous avez un maximum
de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire et que le
reste du temps sera réparti entre les deux formations politiques. Je
vous demanderais, d'abord, M. Pelletier, si vous le voulez bien, de
présenter ceux qui vous accompagnent.
Coopérative fédérée de
Québec
M. Pelletier (Alphonse): Merci, M. le Président. Alors,
vous avez ici, à ma droite, M. Paul Massicotte, deuxième
vice-président à la Coopérative
fédérée de Québec et M. Réjean Nadeau,
directeur du service de la division agricole; à ma gauche, M. Mario
Dumais, secrétaire général et M. Jean-Marc Bergeron,
directeur de la division laitière.
Le Président (M. Charbonneau): On vous écoute.
M. Pelletier: M. le Président, Mmes et MM. les
députés. Nous tenons en premier lieu à vous remercier de
permettre à la Coopérative fédérée de
Québec de présenter officiellement sa position sur les
pourparlers canado-américains engagés en vue de
libéraliser les échanges commerciaux entre les deux pays.
Nous voulons vous faire connaître le point de vue d'un
réseau d'entreprises diversifiées, les coopératives
agricoles, qui appartiennent aux agriculteurs et qui sont engagées dans
la production et la distribution d'intrants agricoles, dans la transformation
et la mise en marché des produits agroalimentaires.
La Coopérative fédérée de Québec
regroupe 110 coopératives. Ce réseau d'entreprises emploie
environ 10 000 personnes et réalise globalement un chiffre d'affaires de
3 000 000 000 $. La coopérative agricole transforme et met en
marché environ les deux tiers du lait produit au Québec, le tiers
du porc et de la volaille, et elle se situe au premier rang pour la
commercialisation et l'utilisation du grain. Sa présence est toute aussi
importante au niveau de l'approvisionnement des entreprises agricoles en biens
et services, qu'il s'agisse de ceux utilisés pour les productions
animales et végétales, de la quincaillerie, de l'outillage et des
machines agricoles ou des produits pétroliers.
La coopération agricole dispose d'une longue expérience en
matière de commerce international. Son activité commerciale
internationale date de plusieurs décennies, voire de plus d'un
demi-siècle dans certains cas, tant à l'exportation qu'à
l'importation de produits, tels la viande de porc, les produits laitiers, les
grains, les machines et l'outillage agricole, les fertilisants, etc.
Nous ne pouvons être indifférents aux règles qui
régissent le commerce international des produits et intrants agricoles,
ni à des pourparlers qui visent à modifier ces règles.
Les États-Unis sont, et de très loin, le principal
partenaire commercial du Canada. Le volume des échanges entre le Canada
et ce pays atteint un niveau qui n'est dépassé par aucune autre
paire de pays dans le monde. Il est, par conséquent, légitime et
important que nous discutions de commerce avec les États-Unis. D'autant
plus que le déficit de la balance commerciale américaine et la
montée du protectionnisme qui l'accompagne causent bien des soucis aux
exportateurs canadiens.
Rappelons les tentatives de l'industrie porcine américaine
d'imposer des tarifs compensatoires sur le porc vivant et en coupe, ta
décision plus récente et moins connue d'imposer des tarifs sur
les importations, depuis novembre et décembre 1986, pour la promotion du
porc aux États-Unis et le recouvrement des coûts d'utilisation des
services douaniers américains auprès des importateurs qui le
percevront auprès des exportateurs. Un autre exemple récent de ce
harcèlement est l'imposition d'un tarif compensatoire sur la potasse
canadienne. Cette décision, qui a provoqué le dépôt
d'un projet de loi visant à mettre en place des quotas de production par
le gouvernement de la Saskatchewan, aura pour conséquence d'augmenter
substantiellement le prix payé par les agriculteurs canadiens pour ce
fertilisant en déclenchant une hausse générale des prix de
la potasse en Amérique du Nord.
Si nous admettons sans détour le bien-fondé des efforts du
gouvernement canadien pour assainir les relations commerciales
canado-américaines, nous mettons les autorités gouvernementales
en garde contre la tentation de conclure une entente à n'importe quel
prix. Il est important de négocier avec nos partenaires
américains, mais il ne faut pas oublier qu'un nouvelle ronde de
pourparlers s'amorcent en vue de la mise à jour des ententes du GATT.
Plusieurs questions relatives au commerce des produits agricoles et
alimentaires, et à l'impact sur les marchés mondiaux de certaines
politiques agricoles nationales seront traitées dans ce contexte
multilatéral. II est le seul où plusieurs de ces questions
peuvent se régler.
Certaines politiques ont été mises en place au Canada tant
au niveau fédéral que provincial, en vue d'assurer aux
agriculteurs des revenus stables et adéquats, de leur octroyer une
protection contre les catastrophes naturelles, de favoriser le
développement de l'agriculture, d'assurer aux consommateurs une
sécurité d'approvisionnement en aliments de qualité
à des prix raisonnables, sans grever démesurément les
ressources du Trésor public.
Les offices de commercialisation dans les secteurs laitier et avicole,
les programmes de stabilisation des prix et des revenus, les
assurances-récoltes et le crédit agricole constituent les
principaux exemples des mesures adoptées dans la poursuite de ces
objectifs.
Le chaos qui règne actuellement sur un grand nombre de
marchés mondiaux de produits agricoles et alimentaires, la guerre
commerciale qui sévit présentement entre la Communauté
économique européenne et les États-Unis constituent des
circonstances qui rendent inopportune l'ouverture des frontières
agricoles canadiennes pour un grand nombre de nos produits.
Nous nous opposons, par conséquent, à une politique de
libre-échange généralisée qui s'appliquerait sans
discernement à l'ensemble de l'industrie agro-alimentaire.
Des autorités du gouvernement fédéral ont
déjà clairement indiqué que le mandat des
négociateurs canadiens comportait le maintien des offices de
commercialisation. Nous appuyons cette orientation. Mais les offices de
commercialisation reposent sur des mécanismes multiples qui assurent
l'efficacité de leur fonctionnement. La gestion de l'offre sur le plan
intérieur et les quotas d'importation sont deux des piliers sur lesquels
reposent ces organismes. Mais les tarifs douaniers qui protègent
certains produits fabriqués à partir du lait, de la chair de
volaille et des oeufs sont également nécessaires au
fonctionnement efficace des offices de commercialisation. Nous nous opposons,
par conséquent, à l'hypothèse d'une abolition
généralisée des tarifs douaniers entre le Canada et les
États-Unis.
Les agriculteurs se méfient, à propos des offices de
commercialisation, d'une politique qui aboutirait à conserver les mots
tout en faisant disparaître la chose.
À propos des tarifs douaniers, nous tenons à signaler que
le secteur horticole canadien et québécois connaîtrait de
graves difficultés si les douanes permanentes ou saisonnières qui
protègent les produits de base et certains produits transformés
étaient abolies.
Dans un contexte de libre-échange, les producteurs d'un pays sont
soucieux de s'assurer que leurs compétiteurs du pays partenaire ne
jouissent pas d'avantages découlant de politiques gouvernementales qui
leur procurent un avantage compétitif. Les Américains ont
clairement fait savoir qu'il ne se sentiraient pas obligés, à la
suite d'une entente conclue avec le Canada, de remettre en cause leur politique
agricole. En même temps, ils considèrent parfaitement
légitime de forcer le Canada à modifier ses politiques comme ils
l'ont fait, par exemple, dans le cas du bois d'oeuvre, comme ils veulent le
faire dans celui de la potasse et comme ils voudraient bien le faire dans le
cas de l'assurance-stabilisation des prix ou des revenus dans le porc et dans
le transport des grains de l'Ouest.
Par conséquent, une entente prévoyant un
libre-échange généralisé en agriculture
amènerait inévitablement les producteurs agricoles
américains à remettre en cause des programmes tels les assurances
et le crédit agricoles.
On a d'ailleurs pu constater l'attitude des Américains à
cet égard en prenant connaissance de l'énoncé de
politiques agricoles déposé par leur gouvernement en juillet
dernier à la table de négociation du GATT. Par contre, des
ententes qui favoriseraient le maintien et le développement de notre
accès au marché américain et qui donneraient aux
producteurs américains les mêmes garanties dans les secteurs
où nos économies agro-alimentaires sont naturellement
complémentaires seraient évidemment souhaitables. (12 h 45)
Nous importons des États-Unis des quantités
impressionnantes d'intrants agricoles et de produits horticoles. Nous
exportons, à partir du Québec, de la viande bovine et porcine,
des produits laitiers, certains légumes, de la moulée et un peu
de grain, pour ne mentionner que ces exemples.
Si un tribunal binational, paritaire et décisionnel pouvait
régler les litiges commerciaux qui plongent les exportateurs des deux
côtés de la frontière dans un climat d'incertitude, un pas
important serait franchi sur la voie de l'assainissement des rapports
commerciaux entre nos deux pays.
À mesure que décline la protection assurée
principalement dans le passé par les barrières tarifaires,
l'utilisation à des fins protectionnistes des barrières non
tarifaires s'est généralisée. Le commerce est de plus en
plus souvent freiné par des mesures de quarantaine, visant à la
protection de la santé des plantes et des animaux du pays importateur.
Ou encore, des mesures visant officiellement à la protection de la
santé humaine bannissent l'importation de végétaux ou
d'animaux qui résultent de l'utilisation de certains produits de
protection des cultures et de santé animale.
Une harmonisation des pratiques, basée sur des politiques
nationales qui appliqueraient des standards internationaux reposant sur des
évidences scientifiques, constitue un autre exemple d'un domaine ou des
progrès sont envisageables et seraient mutuellement profitables.
Le développement du commerce international est un objectif
souhaitable qui contribue à l'accroissement de la
prospérité des partenaires qui s'y adonnent. Le
développement de l'économie canadienne et
québécoise a historiquement été tributaire,
à un degré élevé, de son commerce international, en
particulier de son commerce
avec les États-Unis.
Il est, par conséquent, parfaitement légitime que les
autorités gouvernementales s'engagent dans des pourparlers, tant
bilatéraux que multilatéraux, en vue de contribuer à
l'établissement des conditions favorables à une présence
accrue de nos produits sur les marchés internationaux.
Le secteur agricole et agro-alimentaire est cependant régi par
des règles particulières dans la vaste majorité des pays
du monde. Ouvrir toutes grandes nos frontières dans le contexte actuel
risquerait de faire disparaître des secteurs entiers de l'industrie
agro-alimentaire canadienne.
Advenant que le contexte mondial s'assainisse, si notre base
industrielle est, à ce moment-là, disparue, nous devrons nous
contenter d'être nourris par les autres. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie,
M. le président. Je vous rappelle que le temps que vous prendrez pour
répondre aux questions des membres de la commission aura
évidemment une influence sur le nombre d'interventions des membres de la
commission et je vous demande de prendre cette remarque en
considération. Je cède maintenant la parole au ministre du
Commerce extérieur, dans un premier temps, et au ministre de
l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, dans un
deuxième temps.
M. MacDonald: M. le président, je vous remercie de vous
être présenté devant nous et je suis
particulièrement heureux de pouvoir entendre des représentants du
domaine de l'agriculture qui, enfin, nous présentent une situation
très parallèle à la nôtre, à savoir: Nous
sommes favorables à une discussion autour d'une plus grande
libéralisation des échanges avec les États-Unis ou le
monde, à cet effet-là, mais pas à n'importe quelle
condition.
Malheureusement, et je pense que vous serez d'accord avec moi,
l'impression qu'on a laissé planer dans le public dans les derniers mois
était que l'ensemble du monde de l'agriculture était
systématiquement contre toute négociation, toute approche dans un
contexte de négociations et de libéralisation des
échanges. Il est évident qu'en tant que représentant d'une
entreprise qui effectivement vend et marchande les produits des agriculteurs du
Québec à un rythme que vous avez bien mentionné de 3 000
000 000 $ par année, avec des pourcentages de deux tiers d'une
production et un tiers de l'autre, et le principal agent dans le domaine du
commerce des grains, vous avez une très grande
crédibilité.
J'aimerais vous dire que, sur ce dossier, dès le départ,
le ministre de l'Agriculture a insisté, que cela a été la
position initiale du
Québec que l'agriculture devait être
considérée comme un dossier spécial, que cela l'a toujours
été et que cela doit continuer à l'être. Cela a
été notre position. Enfin, après avoir souligné ces
quelques notes, j'aimerais maintenant donner la parole à mon
collègue, M. Pagé, qui certainement pourrait nous donner, avec
vous, un éclairage additionnel sur ce sujet. Merci.
M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais
évidemment remercier M. Pelletier de la Coopérative
fédérée de sa présence parmi nous ce matin,
présence certainement utile compte tenu du rôle de premier plan
que vous jouez non seulement dans la représentation des productrices et
des producteurs agricoles du Québec, mais aussi et
particulièrement dans votre implication en ce qui regarde le volet
commercial de vos activités.
Je dois constater que votre position rejoint sensiblement et
substantiellement celle adoptée par le gouvernement du Québec.
Vous exprimez beaucoup de réserves, la façon et les principes qui
devraient inspirer toute discussion avec les Américains dans une
perspective de libéralisation des échanges.
Je dois vous dire que, pour notre gouvernement et
particulièrement pour moi comme ministre, le message que vous venez nous
livrer ce matin est clair. C'est précis, ïl se veut indicateur
d'inquiétudes aussi, et c'est explicable. Vous représentez un
volume d'affaires très important au Québec. La Coopérative
fédérée seulement, c'est un chiffre d'affaires de 1 200
000 000 $ annuellement. L'ensemble de la coopération, c'est 3 000 000
000 $ annuellement. C'est 10 000 emplois au Québec présents dans
chacune de nos régions, dans 97 comtés. Vous n'êtes pas
seulement des producteurs, mais vous êtes un employeur important.
D'ailleurs, je regrette que le président du Conseil du patronat ne soit
pas ici. Il aurait peut-être été à même de
constater encore, de façon très claire, combien l'agriculture et
l'agro-alimentaire peuvent être importants dans l'économie du
Québec. On aura d'autres occasions d'y revenir.
Nos positions se rapprochent en ce que l'ensemble des intervenants et le
gouvernement sont d'accord. Nous devons retenir que, si on a atteint un niveau
de performance pour lequel on peut être fiers, notamment dans des
productions aussi importantes que ta production laitière au
Québec, la production des viandes et celle du porc notamment, c'est
parce qu'on s'est donné des outils et des moyens pour mieux encadrer et
mieux définir les interventions gouvernementales au niveau du
financement agricole, comme vous l'avez indiqué, et, au niveau d'un
régime qu'on s'est donné en 1974, celui de
l'assurance-stabilisation des revenus agricoles.
Pour nous, ces régimes constituent un instrument
privilégié pour le maintien d'une stabilité en agriculture
et il a été très clairement indiqué par le
gouvernement, par la voix de son ministre de l'Agriculture, des Pêcheries
et de l'Agriculture que je suis, et ce dès le début de 1986,
qu'on devait maintenir de tels régimes au Canada et aussi dans les
provinces parce que, comme on le sait, l'agriculture est une
responsabilité partagée en vertu de la constitution.
C'est la même chose pour les offices nationaux de
commercialisation et les agences de commercialisation. On s'est donné
des systèmes de mise en marché dans la production du lait, du
poulet, du dindon, des oeufs, qui ont contribué à
développer l'entreprise, à développer une production
s'inscrivant sous l'égide de l'excellence et nous assurant aussi que le
consommateur ait un approvisionnement donné ou garanti pour
répondre à ses besoins. Le consommateur paie davantage un juste
prix, mais il faut quand même convenir que nos agences nationales de
commercialisation ont contribué à éviter et à
mettre de côté ces interventions ad hoc, sporadiques, des
différents paliers de gouvernement, comme on peut le voir
concrètement dans des dossiers comme celui de la pomme de terre. La
pomme de terre au Québec et au Canada, certaines années, on ne la
paie pas cher, mais chaque fois que le consommateur en mange, il mange ses
taxes et ses impôts. Lorsqu'on a des productions
représentées par une agence de commercialisation, le consommateur
paie le juste prix et le producteur ou la productrice a le juste prix. On a
été très clair là-dessus et on apprécie la
position que vous prenez, que vous réitérez aujourd'hui, qui
s'inscrit dans une volonté de nous supporter afin qu'on ait le
même message au Québec, compte tenu de l'importance de maintenir
ces avances.
Par contre, il y a un autre élément important dans ce
débat-là et vous y avez touché. On doit tenir compte de
l'aspect du contingentement de certains produits. Même si nos agences
nationales de commercialisation sont maintenues - c'est absolument
nécessaire et on espère, évidemment, que la
démarche entre le gouvernement du Canada et les États-Unis
conduira à l'acceptation de cette demande essentielle et importante du
Québec - il faudra évidemment accompagner le tout, comme vous le
dites, et on est d'accord avec vous, de contingentements. Même si, par
exemple, on a le droit de maintenir nos quotas laitiers, s'il n'y a pas de
limite à l'accès des yogourts, des fromages et des produits
laitiers des États-Unis, cela ne réglera pas le problème.
On pourrait facilement, dans dix ou quinze ans, avoir un très beau quota
de tant de mille livres de gras par année, s'il n'y a pas une vache dans
l'étable, ce n'est pas ce qui va sécuriser l'agriculture du
Québec. Là-dessus, je vous remercie des commentaires.
Vous avez évoqué, par contre, un autre aspect important de
nos relations avec les Américains. On ne peut pas, sans plus, dire: Non,
on se bute dans le coin, on ferme toutes les portes à toute
négociation ou à tout échange compte tenu de la place
importante que jouent les États-Unis dans l'économie agricole non
seulement du Canada mais surtout du Québec. L'année
dernière, en 1986, les exportations dans le secteur agricole ont
augmenté de 13 % pour atteindre un niveau d'au-delà de 1 300 000
000 $. À même ce montant-là, il faut bien avoir à
l'esprit que ce sont 700 000 000 $ qui sont exportés aux
États-Unis? 60 % de nos ventes agricoles internationales, alors que pour
le reste du Canada c'est 36 % seulement.
Si la réponse est négative le 4 octobre, qu'il n'y a pas
d'entente ou encore que, malgré qu'il y ait une entente avec
l'acceptation que l'agriculture soit traitée spécifiquement,
à part, si on a, comme exemple concret, le maintien de nos
régimes d'assurance-stabilisation - on sait que ces régimes sont
dénoncés par certains producteurs de viande rouge, notamment et
principalement aux États-Unis» - il est possible que des droits
compensatoires nous soient exigés soit par le dépôt d'un
projet de loi particulier ou par une requête au Congrès, etc.
La production du porc est très importante. On produit près
de 16 %, 17 % ou 20 % de la production canadienne mais, dans le porc, on est
à 31 %. Le marché américain est un marché important
pour nous, et vous vendez du porc aux États-Unis. Comment
réagissez-vous devant cette dualité où, d'un
côté, on doit maintenir nos régimes
d'assurance-stabilisation et où, de l'autre, on sait pertinemment qu'on
peut faire l'objet de droits compensatoires susceptibles d'avoir un effet
direct sur la production de porcs du Québec?
M. Pelletier: M. Dumais, le secrétaire
générai va répondre à la question, M. le
ministre.
M. Dumais (Mario): Au fond, M. le ministre, vous soulevez un
dilemme auquel tout le monde fait face, qui est extrêmement important et
qui découle d'une certaine mesure du fait que les politiques agricoles
américaines ont traditionnellement et historiquement
généralement pris le chemin d'une aide aux productions
végétales plutôt qu'une aide aux productions animales. En
fait, lorsque les Américains contestent notre assurance-stabilisation
dans le domaine des viandes, ils disent: Nous, on n'a pas de programmes
équivalents aux États-Unis; donc,
c'est une aide injuste qui vous rend plus compétitifs et vous
donne un avantage arbitrairement, mais ce que les Américains ne nous
disent pas et qui va dans la même direction également, c'est que
la loi agricole américaine comme celle qui est actuellement en place
contribue à faire baisser le prix des grains comme elle l'a fait depuis
qu'elle est en place. On sait qu'en termes réels, le prix du grain
aujourd'hui est rendu au niveau où il l'était au moment de la
grande crise économique de 1929. Or, les producteurs dans le domaine de
l'élevage aux États-Unis, bénéficient indirectement
d'un abaissement du coût de production de leur principal intrant. On sait
que, lorsqu'on produit pour 100 $ de porc, pas loin de 60 $ vont pour la
moulée et les grains qu'on leur donne dans les aliments. S'ils
bénéficient d'un prix beaucoup plus bas pour le grain, c'est un
avantage pour eux. (13 heures)
Je pense que, d'une certaine façon, le Canada pourrait se
débattre un peu vis-à-vis des Américains et de la
Commission fédérale du commerce en leur signalant que les
avantages que procure l'assurance-stabilisation aux éleveurs du Canada
ont leur contrepartie dans les avantages que donnent aux éleveurs
américains les programmes gouvernementaux, qui font baisser le prix des
grains. Cela dit, il n'en reste pas moins que c'est le tribunal
américain, en fin de compte, dans la conjoncture actuelle, qui
décidera. Quelle sera sa décision? On ne peut en être
sûr à l'avance et c'est effectivement un danger qui pèse
sur nous.
Comme on l'a souligné dans notre mémoire, même si,
après avoir imposé un tarif douanier sur le porc en coupe, ils
l'ont enlevé par la suite, on sait que récemment, par d'autres
biais, ils trouvent le moyen de continuer à nous harceler. On mentionne
en particulier dans notre mémoire qu'actuellement ils font aux douanes
un prélevé sur les importations pour faire la promotion de la
viande de porc aux États-Unis. Ils prélèvent auprès
de leurs importateurs ce qu'ils appellent des "user's fee", c'est-à-dire
des droits d'utilisation des services douaniers, et ces importateurs se
retournent et nous refilent la facture. On sait que, lorsqu'on expédie
des cargaisons de viande de porc aux États-Unis, un inspecteur arrive
périodiquement à la frontière et dit: Ahi Ce n'est pas
trop sûr que cette chose soit vraiment bonne, de telle sorte qu'on est
continuellement harcelés.
Ce sont, M. le ministre, toutes ces considérations qui nous ont
amenés, en tant qu'entreprise très active dans le domaine de
l'exportation, à dire que, si l'on pouvait assainir les relations qui
conduisent à du harcèlement de ce type et si on pouvait le faire
en disant aux Américains: Dans le domaine agricole et agro-alimentaire,
vous exportez également chez nous; vous vous plaignez aussi d'être
périodiquement l'objet de harcèlement, alors, pourquoi, dans les
secteurs où nous sommes naturellement complémentaires, même
en agriculture et en agro-alimentaire, ne ferions-nous pas en sorte que les
règles soient dorénavant un peu plus stables et que les
exportateurs, d'un côté et de l'autre de la frontière,
puissent fonctionner avec un peu plus de sérénité? En
gros, M. le ministre, c'est un peu la ligne de pensée qu'on a
tenté d'exposer dans le mémoire qu'on vous présente
aujourd'hui.
Le Président (M. Théorêt): Merci.
Je vais maintenant céder la parole, selon l'alternative qui
prévaut depuis le début de la commission, au député
de Bertrand. Nous reviendrons à vous, ensuite, M. le ministre.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Il me fait
plaisir de vous accueillir, M. Pelletier ainsi que vos collègues, en
commission, ce matin. Vous êtes le premier intervenant du monde agricole
et je pense que vous nous apportez un éclairage additionnel.
Je n'aurai qu'une ou deux questions, puisque je voudrais laisser le
maximum de temps à mon collègue, le député de
Laviolette et critique en matière d'agriculture, de poser à son
tour plusieurs questions.
D'abord, de façon générale, c'est un peu ambigu de
voir d'un côté l'Union des producteurs agricoles s'opposer
carrément à la Coopérative fédérée
qui est très, très modérée; vous êtes contre,
si on y va "at large"; mais, à la suite de votre congrès de
février 1986, vous avez, je pense, obtenu le feu vert à
l'assemblée générale pour aller appuyer, dans des domaines
très particuliers, soit le porc, l'horticulture, etc. De l'autre
côté, nous, de l'Opposition, demandons que, dans le domaine de
l'agriculture, cela soit exclu et, de son côté, le gouvernement a
une position qu'il qualifie de maintien d'un statut spécial. Si je vous
brosse ce tableau, c'est parce que tous les intervenants ne semblent
peut-être pas si loin les uns des autres, en ce sens que l'agriculture
doit avoir un statut particulier. Vous le mentionnez très clairement
dans votre mémoire ce matin quand vous nous dites ce qui est acceptable
et ce qui ne l'est pas, ce qui vous préoccupe et ce qui ne vous
préoccupe pas. Cela va en ce qui regarde la Coopérative
fédérée.
Nous sommes un peu plus radicaux, car nous pensons que, à cause
de cette complexité et de l'ensemble de notre position, l'agriculture
doit être exclue du traité sur le libre-échange de
façon à ce qu'on ait, après, le maximum de marge de
manoeuvre. Il serait intéressant de savoir très clairement de la
part du gouvernement ce qu'il entend
exactement par le statut particulier. Je pense que ce serait très
important, puisque le ministre a dit tantôt dans ses commentaires qu'il
était d'accord avec vos revendications et que le comité Warren
qui faisait rapport il y a quelques jours nous dit de façon très
précise qu'il y a des préoccupations de ce
côté-là et que le Québec a fait ses revendications
auprès du gouvernement fédérai.
Ma question est la suivante: Dans les revendications que vous avez
faites jusqu'à maintenant, avez-vous eu la confirmation de la part du
gouvernement que le statut particulier que vous revendiquez et les normes que
vous trouvez acceptables seront protégés et, sinon ne pensez-vous
pas justement qu'on devrait aller davantage vers une position, toujours
concernant l'agriculture dans le dossier du livre-échange, qui exclurait
beaucoup plus votre secteur des négociations pour qu'on puisse le
protéger. Je pense qu'on a tous les mêmes préoccupations et
que c'est très ambigu actuellement.
M. Pelletier: M. le Président, M. le député
de Bertrand, ce sont toujours des questions ambiguës. Vous avez
commencé votre exposé en vous disant un peu surpris de voir la
modération avec laquelle la coopération agricole abordait le
sujet, alors que le syndicalisme semblait plus radical. Je pense qu'il faut
regarder un peu en arrière. La coopération, dans tous les
domaines, a toujours apporté un élément de
modération. Dans ce domaine, comme dans d'autres d'ailleurs, on doit
avoir une certaine modération, et c'est pour cela qu'on est contre le
terme "libre-échange". On est pour le terme "libéralisation des
échanges". D'aucuns vous diront que nous sommes pour quand cela fait
notre affaire et contre quand cela fait notre affaire. J'oserais dire que c'est
un peu cela. Tout le monde est comme cela, mais dans le sens qu'on s'est
élu des gouvernements, autant à Ottawa qu'à Québec,
avec l'objectif de défendre nos intérêts. Actuellement, les
Américains ne sont pas là pour défendre les Canadiens.
C'est l'opinion de la Coopérative fédérée. Quand on
entend les Américains dire qu'ils veulent la libéralisation des
échanges, le libre-échange, car cela créera des emplois
aux États-Unis, et le gouvernement canadien répéter la
même chose, on n'y croit plus; on n'y croit plus à ces
choses-là. Cela ne peut créer des emplois des deux
côtés de la frontière.
La Coopérative fédérée - et, encore une
fois, on vous remercie, M. le Président, de nous avoir permis
d'être ici aujourd'hui -se sent responsable de représenter te
mouvement coopératif agricole, ses 110 coopératives
affiliées et ses 35 000 coopérateurs. Mais nous sommes aussi
convaincus qu'en donnant une certaine libéralisation aux
échanges, nos gouvernements, quels qu'ils soient, devront intervenir
dans une perpétuelle négociation pour protéger certains
secteurs particuliers et certaines régions particulières, par
exemple, l'assuranee-stabilisation des revenus dont on parle dans notre
mémoirec Je pense que, au Québec et au Canada, ce programme est
là pour y demeurer. Les Américains protestent contre cela dans
certains milieux. Toutes nos politiques sociales et tout ce qui s'y rattache.
À un moment donné, on veut sortir du domaine de l'agriculture. Je
pense qu on ne peut l'exclure. La Coopérative
fédérée en particulier exporte vers les États-Unis
40 % du porc des producteurs québécois.
Il y a tout un autre secteur d'activité auquel on n'a pas fait
beaucoup allusion, mais qui touche directement l'agriculture: Ce sont les
échanges monétaires de dollars américains et de dollars
canadiens. On pourrait bien dire qu'on négocie le libre-échange
et que la question du dollar américain par rapport au dollar canadien
pourrait venir tout chambarder du jour au lendemain. Ce sont tous ces facteurs
qui feront en sorte, je pense, quand les bases auront été
établies, que les négociations entre les deux pays devront
être perpétuelles et que nos gouvernements devront se
réserver le droit d'intervenir pour protéger leurs agriculteurs
dans certaines productions données, s'ils veulent qu'ils survivent;
sinon, comme le dit notre mémoire, ce sera la disparition
complète de certains secteurs agricoles.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
président. M. le ministre du Commerce extérieur, vous vouliez
faire un commentaire?
M. MacDonald: C'est une observation. Je trouve
rafraîchissant de vous écouter parler, M. Pelletier, ainsi que vos
collègues. Je disais au ministre de l'Agriculture que votre
exposé me semble aller dans le gros bon sens.
J'aurais quelques questions, mais je pense que, si vous voulez
poursuivre...
M. Pelletier: Non.
M. MacDonald: Non, c'est à nous pour le moment. Si vous en
avez une autre...
Le Président (M. Théorêt): Je rappelle tout
simplement à la formation ministérielle qu'elle n'a que cinq
minutes à sa disposition.
M. MacDonald: Cinq minutes. Questions et réponses.
Allez-y.
M. Pagé: Seulement quelques mots pour vous indiquer que
nous souscrivons pleinement et entièrement à
l'énoncé formulé par M.
Dumais qui dit que, souventefois, dans nos relations avec les
Américains, on nous reproche nos régimes
d'assurance-stabilisation qui ont la qualité d'être visibles,
clairs, transparents et honnêtes, mais qui ont le défaut de
paraître.
Si on compare aujourd'hui la contribution du Canada en vertu des
régimes d'assurance-stabilisation à celle du gouvernement des
États-Unis pour l'aide aux céréaliculteurs, là
aussi, il y a une certaine dualité interne aux États-Unis. D'un
côté, une volonté exprimée de réduire les
subventions à l'agriculture, et de l'autre, l'adoption de mesures
très coûteuses pour appuyer leurs exportations, 37 000 000 000 $
pour les céréales seulement pour une année, avec l'effet
que cela a chez nous: exemple concret, la tonne d'orge qui se vendait, il y a
une dizaine de jours, 65 $, alors qu'elle coûte au-delà de 185 $
à produire. Le fait évidemment qu'ils abaissent leurs coûts
de production, les 60 livres sur le porc de 100 livres auquel vous faisiez
allusion tantôt et aussi la possibilité qu'ils décident
massivement de transformer leurs céréales en porc, quoique, pour
la dernière année de production, les prêts autorisés
aient permis une croissance quand même limitée de la production du
porc là-bas.
Vous touchez aussi un point important et je vous dis qu'on se rejoint
encore là-dessus. Il est davantage important que nous bonifions certains
rapports, plus particulièrement en ce qui concerne les barrières
non tarifaires. Vous faisiez allusion tout à l'heure au
harcèlement et aux périodes de quarantaine. Vous faites
finalement allusion à toutes sortes de mesures adoptées, il faut
en convenir, autant par un pays que par l'autre pour limiter les rapports
commerciaux. Je peux vous indiquer que c'est une volonté très
claire du gouvernement du Québec, en termes de représentations
auprès du gouvernement fédéral, de s'associer à
toute démarche visant l'élimination de ces nombreux irritants. Le
Québec a aussi son mot à dire et il a commencé à
faire des choses en ce que la Conférence des ministres provinciaux de
l'Agriculture siège maintenant sur une base régulière avec
l'association des ministres des Etats américains. Il y a eu trois
rencontres depuis un an et demi et une autre cet automne et c'est l'objectif
qui nous mène.
On aurait pu passer encore beaucoup de temps, M. le Président.
C'est regrettable, mais je veux vous remercier et vous indiquer qu'on accueille
bien vos représentations. Elles ont été pleinement
endossées par le gouvernement du Québec dès le mois de
janvier 1986 et je peux vous dire que le gouvernement du Québec veille
au grain en ce qui concerne les intérêts des agriculteurs et des
agricultrices. Merci.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
ministre.
Je cède maintenant la parole au député de
Laviolette. (13 h 15)
M. Jolivet: Merci, M. le Président. C'est avec plaisir
qu'on vous reçoit ici ce matin et, moi, pour la première fois,
comme porte-parole, j'aime mieux parfois dire le mot "porte-parole" officiel de
l'Opposition en matière d'agriculture et d'alimentation plutôt
qu'autre chose, parce que ça nous permet quand même de critiquer
tout en étant parfois plus positifs que négatifs, mais en sachant
aussi que l'ambiguïté cause aussi de l'inquiétude. Cette
inquiétude-là, je l'ai perçue depuis quelques jours. Je me
suis permis, avec mes collègues, de faire une tournée du
Québec et j'ai visité les qens sur les fermes. Je suis
allé les voir avec les problèmes qu'ils ont en ce qui concerne le
grain, les productions ovines ou les productions d'engraissement, l'ensemble
des activités. Ils m'ont dit qu'effectivement ils sont inquiets.
Aujourd'hui, le ministre dit: Vous voyez, on n'est pas si loin que cela,
la Coopérative fédérée de Québec et nous, le
gouvernement, d'une position commune. J'ai entendu cela lorsque j'étais
ministre délégué aux Forêts et qu'un autre m'a
remplacé, à cause des circonstances, dans le cas du bois
d'oeuvre. Les gens disaient: Inquiétez-vous pas, on vous protège
comme gouvernement. Qu'est-il arrivé? Peu importe ce qu'ils ont dit,
l'activité finale a résulté en un droit compensatoire, en
"countervailing" de 15% au Québec des productions de bois d'oeuvre.
Moi, cela m'inquiète, car pendant que le ministre du Commerce
extérieur, lors de son laïus d'hier, disait qu'il y avait le
maintien d'un statut spécial pour l'agriculture, je n'ai, d'après
ce que les gens m'ont dit sur le terrain là, aucunement compris ce que
ça voulait dire. Vous avez un travail d'éducation à faire
et c'est dans ce sens-là que je veux intervenir. Quelles sont les
garanties que le gouvernement actuel, par l'intermédiaire des
négociations qui sont entreprises à l'intérieur des
discussions du libre-échange, nous donne qu'on protégera
l'ensemble des programmes suivants, et je les nomme: la stabilité des
revenus et des prix, la protection contre les catastrophes naturelles, le
développement de l'agriculture, la sécurité de
l'approvisionnement en aliments de qualité, l'ensemble des offices de
commercialisation dans les secteurs laitier et avicole,
l'assurance-récolte, le crédit agricole, l'ensemble des
programmes qui font que l'agriculture, au Québec, puisqu'on va parler de
celle-là, est protégée et qui en permettent une meilleure
expansion?
Moi, je ne peux pas poser aujourd'hui de questions au ministre pour
savoir ce que veut dire le maintien d'un statut spécial. Je
peux peut-être vous demander à vous comment le ministre est
capable de dire: Ce que vous proposez ce matin, c'est l'équivalent de ce
que lui propose sans savoir exactement ce qu'eux demandent et ce qu'eux veulent
protéger., C'est ma première question. Je suis obligé de
passer par vous.
M. Pelletier: Je pense bien, M. le député, qu'il
n'y en a pas beaucoup autour de la table qui pourraient dire: J'ai une
assurance totale de ce qui m'est avancé par le ministre de l'Agriculture
ou par n'importe qui d'autre, Si nos positions semblent se rejoindre, ça
ne veut pas dire que peut-être je n'ai pas plus d'assurance et le
ministre non plus, notre ministre de l'Agriculture, face au débat qui
arrive actuellement, car nous ne sommes pas les seuls acteurs, on a des
membres, on a des suggestions à faire. Ensuite, il y a d'autres acteurs
qui sont en avant de la scène et qui vont décider quelque chose.
Nous, ce qu'on demande comme Coopérative fédérée
c'est que nos gouvernements, tant canadien que québécois, et
notre ministre de l'Agriculture, M. Pagé, qui a été
élu par des électeurs québécois pour
défendre les électeurs du Québec et les agriculteurs en
particulier, parce que c'est son ministère, prennent position, arrive
que pourra, pour défendre les intérêts des
Québécois.
Je ne peux vous en dire plus, mot, comme représentant de la
Coopérative fédérée de Québec. Nous, on va
faire notre possible, ensuite, fais ton passible et Dieu fera le reste.
M. Jolivet: Surtout en agriculture, avec la nature.
M. Pelletier: Aussi. Surtout. Parce qu'il n'y a pas de toit, on
est à ciel ouvert.
M. Jolivet: C'est ça. Votre organisme propose des choses
et indique dans quelle orientation il voit aller les négociations
actuelles. Vous dites qu'une abolition généralisée des
tarifs douaniers, dans le secteur agricole, aurait un effet dramatique pour bon
nombre de vos productions agricoles, pour l'horticulture, pour les fruits et
légumes, pour l'ensemble de plusieurs productions. Vous dites aussi en
même temps qu'une entente de libre-échange qui remettrait en cause
l'ensemble des programmes d'assurance-stabilisation,
d'assurance-récolte, aurait pour effet de limiter la capacité du
Québec d'intervenir pour soutenir l'ensemble du développement de
nos productions et, par le fait même, ça risquerait de
déstabiliser de façon très forte, en raison de l'impact de
la surproduction américaine sur le marché
québécois, l'ensemble de nos productions. Est-ce que vous
pourriez donner des exemples qui nous permettraient de bien comprendre votre
position là-dessus? On pourrait en prendre pour différentes
productions américaines, et si simplement leur surproduction - parce
qu'il y a un problème de surproduction là-bas -arrivait sur le
marché québécois, ça tuerait complètement
notre industrie ici au Québec.
M. Pelletier: M. Dumais va...
M. Dumais: Oui, au fond, je pense que la taille de
l'économie américaine étant, au départ, à
peu près dans un rapport de 1 à 10 avec l'économie
canadienne en général et l'économie agricole en
particulier, il tombe sous te sens qu'un accroissement de 10% de leur
production à eux équivaut à peu près à toute
la production canadienne dans à peu près n'importe quel secteur.
On sait fort bien que, lorsque vous avez déjà une base de
production importante, et qu'il s'agit d'accroître la production,
à partir de cette base-là, de 5% ou 10%, vous ne devez pas
refaire tous les investissements. À un moment donné, c'est facile
d'ajouter une vache, deux vaches, trois vaches dans l'étable, surtout si
le gouvernement vient d'avoir un programme en vertu duquel il vous a
payé pour abattre des vaches. Bien! alors, vous avez de l'espace dans
l'étable comme ce fut le cas aux États-Unis. Vous en remettez
quelques-unes à la place de celles qui sont abattues. Chacun fait
ça. Ce qui fait que le coût de production pour ces unités
additionnelles, quand l'installation est déjà en place, est
extrêmement minime.
Alors, qu'on prenne l'exemple des légumes, qu'on prenne l'exemple
du lait, qu'on prenne l'exemple du porc, qu'on prenne l'exemple de la volaille,
donc, à peu près toutes les productions agricoles auxquelles on
peut penser, dans à peu près tous les cas, il existe des
capacités additionnelles de production qui ne sont pas utilisées
aux États-Unis et, dans la plupart des cas, un très petit
pourcentage d'accroissement là-bas provoquerait une situation où
notre marché serait complètement submergé.
M. Jolivet: Vous savez très bien que, si j'ai posé
la question, c'est parce que, compte tenu que vous êtes ici et que la
télévision va permettre à des gens de comprendre le
message, à des gens qui vont nous lire, c'est un problème majeur.
Vous indiquez que, si on devait y arriver en termes de négociations,
peut-être que le GATT serait un lieu plus privilégié que
les discussions actuelles sur le libre-échange. Je terminerais, parce
que je sais que le temps est limité, par une dernière question.
Donc, vous me direz d'abord pourquoi vous privilégeriez plutôt le
GATT que les discussions actuelles. Ensuite, sur le tribunal binational,
paritaire et décisionnel dont vous faites mention dans votre document en
page 6 et eu égard à la
discussion qu'on a eue ce rnatîn avec M. Parizeau et M. Pettigrew
qui mettent en doute cette possibilité, j'aimerais connaître vos
commentaires.
M. Dumais: Écoutez, le tribunal binational,
décisionnel, paritaire dont on revendique la création, beaucoup
de gens se demandent si c'est une possibilité tangible, une
possibilité réelle. Evidemment, c'est comme dans toute
négociation. Lorsqu'on arrive à la table des négociations,
on ne sait pas, avant de commencer à discuter, quelle sera la
réaction de l'autre partie, mais on ne le saura jamais si en même
temps on ne met pas sur la table ce qu'on veut. Si vous me demandez
d'évaluer les probabilités que les Américains acceptent
ça, c'est une tout autre question que celle de savoir si on aimerait que
ça existe. Alors, étant donné qu'on venait ici pour dire
ce qu'on voudrait, on a dit: on la voudrait, cette affaire-là.
Si, au bout du compte, les négociateurs n'ont rien à
déposer en cette matière, étant donné que tout le
débat du libre-échange, depuis le départ, était une
tentative de libéralisation des échanges en vue de garder notre
accès au marché américain et étant donné que
le principal exemple qu'on a toujours invoqué pour signaler que notre
accès au marché américain était en danger
était les tarifs compensatoires qu'imposent périodiquement les
Américains, si on ne décroche rien à ce niveau-là,
je pense que le gouvernement aurait besoin d'avoir de drôles de bons
éléments ailleurs pour nous faire accepter une telle
situation.
Donc, est-ce que cette chose-là, il sera possible de l'obtenir?
Tout le monde spécule là-dessus. Est-ce qu'on le veut? Oui, on le
veut et on l'a dit. Alors, cela, c'est le deuxième volet de votre
question.
Le premier volet: Est-ce qu'on favoriserait plus une négociation
multilatérale, c'est-à-dire dans le cadre du GATT, qu'une
négociation bilatérale avec les Américains? Je pense que,
de ce côté-Ià, dans le mémoire, on a bien
signalé que, selon nous, ces deux démarches-là ne sont pas
exclusives, mais qu'elles peuvent aller de pair. C'est bien sûr qu'il y a
des choses qui ne pourront se régler que dans un contexte
multilatéral, entre autres, mettre fin à la guerre commerciale
qui appose actuellement les États-Unis et la Communauté
économique européenne, et à tous les programmes de
subventions à l'exportation que mettent en place ces pays-là.
C'est bien sûr que cela ne se réglera pas dans le cadre de
discussions entre le Canada et les États-Unis.
Cependant, il y a peut-être des choses que l'on peut faire avec
les Américains et on les a indiquées dans notre mémoire,
compte tenu que nous, on est directement actifs comme exportateurs et qu'an n'a
pas à vivre quotidiennement les conséquences du
harcèlement qu'on subit. Pour le public, souvent, ce sont des mots, mais
pour l'opérateur qui vend du porc par la Coopérative
fédérée aux États-Unis, un bon matin, son
chargement de porc est à la frontière et puis il est
bloqué. Qu'est-ce qu'on fait avec cela? Alors, ce ne sont plus des
problèmes théoriques lorsqu'on est dans une situation comme
celle-là. S'il y avait un moyen d'éviter cela, quand le
chargement part, qu'il a été acheté et qu'il se rend au
bout de la chafne, on aimerait bien cela. C'est peut-être ce sur quoi on
pourrait avancer en continuant des pourparlers avec les Américains.
Le Président (M. Théorêt): Je vous remercie.
Je sais que M. le président Pelletier veut ajouter quelques mots. Vous
avez une minute M. Pelletier pour continuer...
M. Pelletier: Merci, M. le Président. C'est tout
simplement un dernier commentaire. Je ne sais pas s'il y en a plusieurs qui ont
lu, dans le Bulletin des agriculteurs, le journaliste Rénald Bourgeois
qui a écrit, à un moment donné, après avoir fait
une tournée aux États-Unis, que trois ou quatre firmes
américaines produisaient autant que toute l'agriculture
québécoise. Si au Québec, on véhicule encore
partout qu'on veut une ferme familiale, qu'on veut un modèle de ferme
familiale, alors, si on veut véritablement une ferme familiale, il faut
lui donner les moyens de subsister. Il faut donner à ces
familles-là le moyen de vivre et je pense qu'au Québec, depuis
quelques années, on a précisé un certain choix de
société. Alors, nous, la Coopérative
fédérée, on favorise encore ces dites fermes familiales et
on croit que, pour une société comme le Québec, il est
important au niveau social que l'agriculture demeure entre les mains de nos
familles québécoises. C'est pour cela que nous voulons que nos
gouvernements soient là pour nous appuyer. Merci, M. le
président.
Le Président (M. Théorêt): Merci, M. le
président et, au nom des membres de la Commission de l'économie
et du travail, nous vous remercions de votre présence et vous souhaitons
un bon voyage de retour.
Nous suspendons les travaux jusqu'à 15 heures cet
après-midi.
(Suspension de la séance à 13 h 28)
(Reprise à 15 h 1)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission de l'économie et du travail reprend, cet
après-midi, ses travaux
relatifs à la consultation générale en ce qui atrait à la libéralisation des échanges commerciaux
entre le Canada et les États-Unis.
Nous accueillons, maintenant, le Regroupement avicole du Québec.
Messieurs,, bienvenue à la commission de l'économie et du
travail. Je vous rappelle que vous avez au total une heure pour la
présentation et la discussion du mémoire. Donc, 20 minutes pour
la présentation initiale; le reste du temps est réparti
équitablement entre les deux formations politiques pour la discussion
avec vous.
Alors, je crois que le président est M. Nadeau; est-ce cela?
M. Nadeau (Réjean): C'est cela.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Nadeau, voulez-vous nous présenter les gens qui vous accompagnent
et, par la suite, commencer immédiatement votre présentation.
Regroupement avicole du Québec
M. Nadeau: Les gens à la table ici sont: à ma
gauche, M. André Pilon, de l'Association professionnelle des meuniers du
Québec; à ma droite, M. Rosaire Baril de la
Fédération des producteurs de volailles du Québec;
à l'extrême droite, M. Bernard Dufour des Couvoiriers du
Québec.
M. le Président, Mmes et MM. les députés, nous vous
remercions de permettre au Regroupement avicole du Québec de vous donner
sa position concernant le libre-échange, mais davantage sur le maintien
des tarifs compte tenu des déclarations qui ont été faites
un peu partout nous rassurant concernant la protection des systèmes de
gestion des approvisionnements.
L'industrie avicole canadienne fonctionne sous un système de
gestion des approvisionnements. Ce système a permis d'atteindre, dans
toutes les productions avicoles, une stabilité et une
productivité dont ont bénéficié autant les
producteurs que les consommateurs. De fait, les plus récentes
données publiées par Statistique Canada démontrent que le
prix au consommateur des produits contingentés durant la période
1975 à 1987 ont augmenté, en moyenne, moins rapidement que le
prix des produits non contingentés. De plus, la variation des prix au
producteur fonctionne selon l'évolution d'une formule des coûts de
production, laquelle est sujette à une surveillance publique par divers
organismes.
Finalement, le développement de l'industrie avicole se fait sans
aucune forme d'aide des paliers de gouvernement, tout en assurant aux
consommateurs des produits de qualité à un prix raisonnable. Nous
croyons que le système des approvisionnements forme un tout et
qu'abandonner une de ses composantes met en péril toute la structure.
C'est dans cet esprit que nous soumettons le présent mémoire
visant à maintenir l'existence des tarifs douaniers en aviculture.
Le ministre de l'Agriculture du Canada, l'honorable John Wise, a
précisé clairement, dans le contexte des négociations
commerciales canado-américaines, que le gouvernement canadien
s'était engagé fermement à maintenir les systèmes
de gestion des approvisionnements et leurs fondements inhérents. Le 17
mars 1987, il disait ce qui suit dans le cadre des débats de la Chambre:
"Le gouvernement s'est très clairement engagé à savoir que
l'on n'aborderait pas la question des systèmes de gestion des
approvisionnements qui prévalent au pays et, dans cet ordre
d'idées, si l'on comprend les raisons et l'histoire entourant les divers
offices de commercialisation qui existent au pays, il faudra maintenir
certaines bases inhérentes de sorte qu'ils soient, en mesure de
continuer à fonctionner efficacement. Je fais donc ces commentaires en
reconnaissant le fait que si ces fondements sont nécessaires au maintien
de l'efficacité des offices de commercialisation et de leur utilisation
continue par les producteurs, les transformateurs et les consommateurs, ils
devront, bien entendu, demeurer en place."
II est devenu également apparent, par le biais des
autorités du Bureau des négociations commerciales, que les tarifs
n'étaient pas considérés comme partie intégrante de
ces fondements et que les négociateurs jugeaient que leur abolition
constituait une priorité. Le contenu des lignes qui
précèdent a soulevé bon nombre de préoccupations au
sein de l'industrie avicole du Québec et, par conséquent, un
groupe de représentants des industries concernées s'est
réuni dans le but d'étudier et de discuter la question des
tarifs. Qui compose ce groupe de représentants de l'industrie avicole du
Québec?
Ce regroupement représente les intérêts des
producteurs d'oeufs d'incubation, de poulets, de dindons et d'oeufs du
Québec, les couvoirs, les usines de transformation de poulets et de
dindons ainsi que les surtransformateurs. L'industrie contribue activement et
de façon importante à l'économie canadienne, offrant
directement au Québec de l'emploi à plus de 4500 personnes,
réalisant des ventes à la ferme de plus de 400 000 000 $ et des
ventes, au niveau de la transformation et de la surtransformation de 1 000 000
000 $.
Cette activité économique qui profite également aux
manufacturiers de moulées qui vendent environ 1 000 000 de tonnes
métriques de moulée par année aux manufacturiers d'autres
intrants comme les produits chimiques agricoles, la machinerie, les
bâtiments, les matériaux d'emballage, et
au secteur des industries de services.
La protection tarifaire est une composante essentielle des
systèmes canadiens de gestion des approvisionnements d'oeufs et de
volailles. Les coûts associés au produit brut et à la
transformation ont, dans cette industrie, évolué dans le cadre
d'un système ordonné qui appuie les objectifs de politique
publique rattachés à la gestion des approvisionnements et autres
programmes sociaux.
En termes simples, l'industrie canadienne est désavantagée
d'un point de vue concurrentiel par rapport à sa contrepartie
américaine qui a évolué différemment. Il est
impossible de maintenir la gestion des approvisionnements et les
contrôles qui s'appliquent aux importations, sans maintenir d'abord la
protection tarifaire. Le résultat de l'abolition des tarifs se
traduirait par une stagnation immédiate et une importante
détérioration éventuelle de l'industrie canadienne.
Quelle importance revêt donc la protection tarifaire pour
l'industrie de la production d'oeufs et de volailles du Québec? Les
organisations qui appuient les énoncés du présent
mémoire sont unanimes à dire que l'abolition des tarifs serait
largement nuisible à leur secteur particulier ainsi qu'à
l'ensemble de l'industrie, bien entendu.
Ce qui suit décrit bien les conséquences du retrait des
tarifs sur chacun des secteurs de la production d'oeufs et de volailles au
Québec.
Les secteurs de la transformation et de la surtransformation de la
volaille. Il s'agit des secteurs qui seront les premiers touchés et les
plus affectés par l'abolition des tarifs. Le niveau tarifaire est, ad
valorem, de 12,5 % pour les produits de volaille transformée (minimum de
0,11 $ le kilo et un maximum de 0,22 $ le kilo), les repas congelés du
genre TV-dinner étant à 17,5 %.
Un autre point important à considérer est que certains
produits de volaille surtransformée sont assujettis aux tarifs, mais
exempts des contrôles sur les importations. Bien que la liste
d'exemptions soit plutôt courte et comprenne des articles tels que les
repas congelés, le poulet cordon bleu, le poulet accompagné de
pommes et d'amendes, elle peut être allongée au gré du
gouvernement.
Au cours des dernières années, le secteur de la
surtransformation a connu une croissance considérable et devrait
continuer sur cette voie. Il a fourni l'élan requis à la
croissance de la production dans le cas de toutes les denrées à
base d'oeufs et de volailles.
En supposant l'abolition des tarifs et que le secteur en question
poursuive ses opérations aux coûts actuels, il y aura sans doute
stagnation des activités du secteur de la surtransformation au Canada.
Éventuelle- ment, ce secteur serait appelé à y restreindre
ses activités et à les transporter aux États-Unis, dans le
but précis de transformer, pour le marché canadien, ces produits
exemptés.
Puisque le secteur de la surtransformation représente
actuellement environ 20 % du marché canadien et que cette part devrait
atteindre 40 % d'ici l'an 2000, l'effet du retrait des tarifs sur ce secteur se
fera sentir jusqu'aux transformateurs primaires qui lui fournissent le produit
éviscéré dont il a besoin. En retour, cela contribuera
à l'augmentation des coûts par unité dans ledit secteur et
entraînera la fermeture éventuelle de ces usines incapables de
survivre sur un marché restreint.
La production primaire. Le poulet vivant est, pour sa part, assujetti
è un tarif de l'ordre de 0,044 $ le kilo. Le dindon est
protégé par un tarif ad valorem de 5 %, alors que les oeufs en
coquilles le sont par un tarif de 0,035 $ la douzaine. Étant
donné que ces denrées continueront d'être
protégées par les contrôles imposés sur les
importations, le retrait des tarifs ne fera que rendre plus profitable
l'importation de produits vivants pour les détenteurs de contingents
d'importations globales, au détriment concurrentiel de ceux qui ne
détiennent pas de contingents.
Plus important encore, la stagnation et le déclin des secteurs de
la transformation et de la surtransformation à la suite de l'abolition
tarifaire se feront sentir sur les secteurs de la production appelés
à restreindre leurs activités. Ainsi, il y aura augmentation des
coûts par unité et l'industrie canadienne sera encore moins
concurrentielle qu'elle ne l'est actuellement vis-à-vis de l'industrie
américaine.
Les oeufs d'incubation et les couvoirs. Les oeufs d'incubation sont
protégés par un tarif de 0,035 $ la douzaine, alors que la
protection des poussins est de l'ordre de 0,02 $ la tête. Ni les oeufs
d'incubation ni les poussins ne sont assujettis au contrôle des
importations et les niveaux d'importations se situent actuellement autour de 16
% de la production d'oeufs d'incubation au Québec, alors que les
importations de poussins englobent environ 3 % de la production locale.
En plus des répercussions occasionnant une réduction des
marchés d'oeufs d'incubation et des poussins, effet découlant
d'une perte au niveau de la surtransformation, de la transformation primaire et
de la production, il est prévisible que sans tarif, l'avantage accru des
importations obligera les producteurs et les couvoirs à recourir de plus
en plus à ces-dites importations, compte tenu d'une réduction
d'efficacité à la suite de la chute des niveaux de
production.
Conclusion, M. le Président. La gestion des approvisionnements au
sein des industries canadiennes de la production d'oeufs et de volailles a
été créé dans le but de répondre à
certains objectifs de politiques publiques, à savoir la protection et le
maintien de la ferme familiale, la stabilisation de la production et des prix,
un rendement raisonnable pour les producteurs et le maintien des installations
de production et de transformation à l'échelle du Canada.
En répondant à ces objectifs et en fonctionnant dans le
cadre global des programmes sociaux canadiens, cette industrie connaît un
désavantage concurrentiel par rapport aux États-Unis. Le ministre
de l'Agriculture du Canada a précisé que la gestion des
approvisionnements et ses bases inhérentes seraient
préservées dans le cadre de toute entente commerciale
canado-américaine, probablement parce que les objectifs de politiques
mentionnés plus haut continuent de revêtir une importance capitale
pour le Canada.
Le contrôle des importations et la structure tarifaire actuelle
sont des bases nécessaires à la gestion des approvisionnements
d'oeufs et de volailles et doivent être maintenus pour assurer la
viabilité que nous connaissons aujourd'hui au sein de l'industrie ainsi
que notre croissance dans l'avenir.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Nadeau. M. le
ministre.
M. MacDonald: M. Nadeau, merci de votre présentation. Je
ne peux faire appel à aucune prétention d'expertise en
matière d'agriculture. Alors, je vais laisser le gros des questions
à mon collègue, M. Pagé.
Cependant, si j'ai bien compris votre position, vous n'êtes pas
intervenu au comité Warren, car vous ne le saviez pas à ce
moment-là et vous vous fiiez sur votre interprétation des paroles
de M. Wise, à savoir que rien n'était discuté; mais vous
avez appris, à un moment donné, que les tarifs pourraient
être un sujet de discussion. Je comprends votre position: Vous ne voulez
pas que cela bouge ni sur le plan des programmes de stabilisation, ni sur les
programmes de mise en marché, ni sur la question des tarifs.
Cependant, dois-je comprendre qu'à l'exemple d'autres producteurs
vous voyez définitivement une valeur à discuter avec nos
partenaires américains des questions de subventions directes à
l'exportation ou des questions techniques comme, par exemple, les questions de
santé, de vérification, c'est-à-dire une harmonisation des
politiques canadiennes et américaines sur ce plan?
Le Président (M. Charbonneau): M.
Nadeau.
M. Nadeau: Si vous regardez les signataires du document, vous
verrez qu'il provient de plusieurs associations et de plusieurs intervenants.
Donc, la seule position qui peut être présentée
aujourd'hui, c'est celle contenue dans le mémoire. En dehors de cela, je
ne pourrais pas parler au nom des différents intervenants dans le
dossier. (15 h 15)
M. MacDonald: L'alternance.
Le Président (M. Charbonneau): Cela va. M. le
député de Laviolette.
M. Jolivet: Cela ne me dérange pas que le ministre...
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Agriculture.
M. Pagé: Merci, M. le Président. Je veux
évidemment souhaiter la bienvenue à MM. Dufour, Baril, Nadeau,
Pilon et Pelletier. Comme on le sait, la production avicole au Québec
est très importante et a, comme vous l'avez bien indiqué dans
votre mémoire, un impact économique dans chaque région du
Québec, encore une fois; une production, cependant, qui fait l'objet
d'une concurrence régulière et constante évidemment des
Etats-Unis, une production qui ne pourrait pas être l'objet d'une
libération complète et sans condition, etc., des échanges
entre les États-Unis et le Canada, parce qu'on serait susceptibles
d'être placés assez rapidement dans une situation de
vulnérabilité.
Qu'il suffise de se référer au fait qu'aux
États-Unis c'est 14 fois plus de volailles qu'au Québec, 74 fois
plus de poules pondeuses. Si on se réfère à la production
en tonnes, c'est 44 fois plus de productions aux Etats-Unis qu'au
Québec, c'est 868 fois plus de productions d'oeufs aux États-Unis
qu'au Québec. Donc, on risquerait d'être placés devant une
situation très difficile pour notre industrie.
Vous étiez ici ce matin lorsque j'ai très clairement
indiqué au nom du gouvernement notre position: On ne peut pas au Canada
négocier quelque accord qu'il soit, remettant en cause le principe de
nos agences nationales de commercialisation de nos produits et de mise en
marché de nos produits. Si on a atteint un niveau de performance
exceptionnelle, c'est particulièrement en raison de telles structures
qu'on s'est données. C'est pourquoi notre approche a consisté
à sécuriser nos productrices, nos producteurs, à formuler
des exigences très claires.
On a tous les motifs de croire que les représentations du
Québec, comme celles évidemment des gouvernements des autres
provinces, et celles aussi formulées par les productrices et producteurs
agricoles du
Québec, dont les secteurs importants comme le vôtre, on a
tous les motifs de croire, dis-je, que ces représentations auront
été non seulement écoutées, mais valablement
reçues par le gouvernement canadien.
Cependant, vous faites référence dans votre mémoire
à toute la question de l'accès au marché canadien de
poulets en provenance des États-Unis. Quand on a un niveau de production
aussi massif que celui des États-Unis, évidemment, un
marché comme le nôtre est important, même s'il est
limité en pourcentage.
Ma première question est: Pourriez-vous m'indiquer si vous avez
mesuré concrètement quel serait l'impact, non seulement en
volume, mais surtout en terme d'impact auprès des entreprises
canadiennes et notamment des entreprises québécoises, parce que
c'est là que se situe notre niveau de défense et de
représentation comme gouvernement du Québec, l'impact de
l'augmentation des quotas d'importation de 1 %?
M. Nadeau: De combien? M. Pagé: 1 %.
M. Nadeau: Après un calcul rapide avec Serge, chaque
pourcentage d'entrées supplémentaires représente 3 % de la
production du Québec.
M. Pagé: 3 % de notre production est ainsi
affectée. Le poulet est acheminé, évidemment, vers des
entreprises d'ici. Comment réagissez-vous devant le concept d'une
modification au quota d'importation qui permettrait à l'agence nationale
canadienne de contrôler l'affectation du quota d'importation, concept du
premier receveur?
M. Nadeau: Il s'agit d'un principe ou d'un concept qui a
déjà été discuté et qui, tout au moins en ce
qui concerne la production de la volaille, fait l'objet d'un consensus, je
pense, entre l'Association des abattoirs avicoles du Québec et la
Fédération des producteurs de volailles.
M. Pagé: Et au niveau canadien?
M. Nadeau: Il s'agit, encore là, d'un concept qui a
déjà été accepté en principe, mais ayant
été discuté récemment lors d'une réunion au
niveau national avec le pendant, si vous voulez, de l'Association des
abattoirs, le Conseil canadien des transformateurs d'oeufs et de volailles, il
est demeuré là comme position déjà prise, mais il y
a eu de l'opposition de la part d'une ou deux entreprises de l'Ontario pour le
réaffirmer.
M. Pagé: C'est donc dire, si je comprends bien, que vous
faites vôtres les représentations ou les demandes qui ont
été formulées dans le cadre général,
c'est-à-dire le maintien des agences, mais vos préoccupations
portent plus particulièrement sur les quotas d'importations de poulet
américain. À défaut d'un tel gel, croyez-vous que
l'acceptation de ce concept de premier receveur pour la distribution du quota
serait susceptible d'amoindrir le mal ou le contrecoup d'une augmentation
substantielle des quotas?
M. Nadeau: C'est sûr que le concept du premier receveur
équilibre les chances dans toute l'industrie, entre les
différents intervenants. Par contre, pour le producteur, il y a un
impact en diminution de production.
M. Pagé: D'accord. Une dernière question. Avez-vous
déjà songé à la possibilité d'établir
au niveau canadien un double prix dans le poulet?
M. Nadeau: Qu'est-ce que vous entendez par "double prix"?
M. Pagé: Le prix à l'exportation et le prix au
marché national canadien.
M. Nadeau: Des tentatives, des exportations ont été
faites au Québec. Cela ne s'est pas fait au niveau canadien comme tel.
Que je sache, il n'y a pas eu de discussion au niveau canadien.
M. Pagé: C'est quand même un élément.
Les politiques de double prix ont parfois des rôles utiles pour les
producteurs. Qu'il suffise de se référer au lait notamment,
où on a quand même un double prix, et à une situation
où, comme pour la production en aviculture, on est tellement susceptible
d'être affecté par le géant qu'est notre voisin, les
États-Unis. Je dois exprimer ma surprise de constater qu'au niveau
canadien cela ne se soit pas déjà discuté et que ce ne
soit pas une carte qu'on puisse garder dans notre manche
éventuellement.
M. Nadeau: C'est-à-dire qu'on est tellement
désavantagés, dans notre situation au niveau concurrentiel par
rapport aux États-Unis, que c'est très difficile. Il faudrait un
écart de prix très grand.
M. Pagé: D'accord. Je reviendrai pour d'autres
commentaires, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Laviolette.
M. Jolivet: Merci, M. le Président. Bonjour à M.
Nadeau et à ceux qui l'accompagnent. Comme porte-parole de l'Opposition
en matière d'agriculture, il me
fait plaisir de pouvoir discuter avec vous, mais en même temps
essayer de permettre aux gens qui suivent nos débats de comprendre un
peu l'ensemble de la problématique de votre important secteur.
Si je comprends l'ensemble de votre mémoire, on dit que cette
industrie avicole canadienne fait fonctionner un système qui a permis,
et on l'a vu dans l'ensemble de la gestion des approvisionnements, la mise en
place d'une certaine stabilité qui est profitable non seulement à
l'ensemble des producteurs mais aussi des consommateurs.
Dans ce contexte, on sait qu'une des craintes que vous avez, et vous
l'exprimez en page 2 de votre document, c'est que l'abandon de tarifs douaniers
mette en péril toute la structure des approvisionnements de votre
secteur. Vous avez fait mention de la décision du ministre
fédéral de l'époque, M. Wise, qui indiquait - vous le
mentionnez en page 3 - qu'il était d'accord pour maintenir les
systèmes de gestion des approvisionnements, mais qu'il n'y avait rien de
sûr quant aux tarifs. .
On sait aussi qu'il est, par le fait même, impossible de maintenir
la gestion des approvisionnements et les contrôles des importations sans
d'abord maintenir la protection tarifaire. Dans ce contexte, si on parlait
d'abolition de tarifs, on sait que les secteurs qui seraient affectés,
tels que la transformation et la surtransformation de la volaille, en
arriveraient à faire en sorte qu'il y aurait une stagnation quant aux
activités et possiblement un déménagement potentiel vers
les États-Unis. Quant à la production du secteur primaire, si un
secteur de transformation décline, il va y avoir des effets de damier,
si on peut les appeler ainsi, de l'un à l'autre et, par le fait
même, il y aurait augmentation des coûts par unité et moins
de possibilités de concurrence.
Quant aux oeufs d'incubation et de couvoirs, on sait que cela
amènerait plutôt la chute des niveaux d'efficacité et
possiblement le recours aux importations. Dans un contexte où on prend
comme position que la discussion a eu lieu, que les accords ont existé,
on en arrive à la situation suivante: Malgré toutes vos
représentations, cela ne fonctionne pas et les gouvernements canadien et
du Québec l'appuyant décident de passer outre à vos
craintes. Est-ce que vous pourriez m'indiquer ce qui se passerait, quelles
seraient les possibilités d'en arriver à une phase de transition
qui, sans être bénéfique parce qu'il va y avoir des plumes
qui vont être - sans jeu de mots - enlevées quelque part,
serait... Si l'abolition des tarifs se faisait sur une période de
plusieurs années, est-ce que ce délai de transition vous
permettrait à ce moment-là de devenir plus concurrentiels? Je
vais accrocher ma question à un autre texte que vous donnez à la
page 9. J'aimerais que vous l'expliquiez davantage pour les gens qui vont nous
lire et qui vont nous écouter. Qu'est-ce qui fait que votre industrie
connaît un désavantage concurrentiel par rapport aux
États-Unis?
M. Nadeau: D'abord, je pense que cela a été
mentionné un peu ce matin. II y a la question du volume. On sait
très bien que notre population représente à peu
près 10 % de celle des États-Unis. Donc, les Américains
ont des économies d'échelle importantes. Souvent un plan aux
États-Unis pourrait fournir tout le Québec, alors qu'ici c'est
une dizaine d'usines.
L'ensemble - j'y fais référence - du cadre de nos
programmes sociaux au Canada et au Québec font en sorte que c'est bien
différent du point de vue de la concurrence possible avec les
États-Unis. Qu'on pense seulement à toutes les lois, les lois
sociales, l'assurance-chômage, les lois sur le travail, sur le salaire
minimum, sur l'assurance-maladie, etc. Ces lois font en sorte que les
coûts sont très différents. La situation de la production
elle-même, les ingrédients, les coûts d'énergie pour
produire un poulet... Il y avait une industrie américaine dans le nord
des États-Unis, dans la région du Maine, etc., jusqu'à il
y a quelques années... Elle est disparue pour aller vers le sud
où c'est plus économique de produire. Donc, ce sont des facteurs
auxquels je faisais référence.
M. Jolivet: La période de transition, le
délai...
M. Nadeau: C'est très difficile. Est-ce qu'il y aurait
ajustement? C'est hypothétique. Est-ce que, parallèlement
à une période de transition, il pourrait y avoir ajustement de
ces programmes? C'est une grande question. Est-ce que cela peut se faire?
Est-ce que les Québécois sont prêts à cela? Je ne le
sais pas. (15 h 30)
M. Jolivet: Je reviens à ma question d'abolition des
tarifs. Admettons comme hypothèse de discussion que le
libre-échange est accepté, qu'il y a abolition des tarifs. Vous
dites qu'il ne faudrait pas les faire disparaître, sinon on va avoir de
gros problèmes. Est-ce que vous pensez qu'une période de
transition sera nécessaire ou si d'après vous avec ou sans
période de transition on ne passera pas à travers et le secteur
au complet va être affecté?
M. Nadeau: À court terme, la période de transition
aiderait certainement, sauf qu'on pense être affectés de toute
façon.
M. Jolivet: Peu importe ce qui va arriver, vous allez être
affectés?
M. Nadeau: Oui. S'il y a une période de transition, cela
peut être plus facile, sauf
que cela va nous affecter quand même.
M. Jolivet: Dans votre désavantage concurrentiel, à
moins que je n'aie mal compris, vous n'avez pas parlé du transport.
Est-ce que cela fait un gros effet à l'intérieur de vos
différences?
M. Nadeau: Le transport? M. Jolivet: Le transport, oui.
M. Nadeau: Non. M. Jolivet: Non.
M. Nadeau: Ce n'est pas sur cette partie-là.
M. Jolivet: Si on imposait des contrôles à
l'importation des oeufs d'incubation, est-ce que par le fait même il y
aurait possibilité de réduire à ce moment l'impact qui,
d'une façon ou d'une autre, va être néfaste, et de mieux
assurer votre production ici au Québec?
M. Nadeau: Je vais demander au représentant des oeufs en
incubation de vous répondre.
M. Dufour (Bernard): Si avec les oeufs d'incubation, on fait les
poussins pour fournir les producteurs qui, à leur tour, fournissent les
transformateurs, et s'il y a une diminution de la transformation,
automatiquement on a besoin de moins de poussins sur le marché pour
produire les poulets. Ce qui veut dire que du fait même une limitation
des importations des oeufs d'incubation n'a pas d'influence à ce
niveau.
M. Nadeau: Pour les couvoirs, il y a Mme Mercier qui
représente les oeufs d'incubation.
Mme Mercier (Martine): Excusez, je ne suis pas habituée de
venir dans ces affaires-là. En ce qui a trait aux producteurs d'oeufs
d'incubation, on demande le contrôle des importations depuis plusieurs
années. L'office a été proclamé l'année
passée et cette année on fait la demande vraiment du
contrôle des importations. Si toutes les levées des tarifs
douaniers se faisaient premièrement, on n'aurait sûrement pas le
contrôle des importations et deuxièmement, ce serait l'abolition
de notre industrie. On en est certains. On n'a qu'à voir depuis les
dernières années à quel rythme va l'augmentation des
importations. Le fait d'avoir un contrôle des importations, à
notre avis, va rassurer l'industrie avicole et on n'a qu'à penser au
drame qu'il y a eu l'été passé aux Etats-Unis quand il y a
eu une rareté d'oeufs et de poussins. Plusieurs des producteurs se sont
plaints de la qualité des poussins venant des Etats-Unis. Je pense qu'en
gros cela justifie nos demandes et notre crainte que ces levées de
tarifs se fassent.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Agriculture,
M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais
remercier le Regroupement avicole du Québec de sa présentation
cet après-midi et leur faire part que, pour ce groupe comme pour la
très grande majorité des groupes, sinon tous les groupes, la
position du gouvernement du Québec coïncide très clairement
avec les attentes, les représentations et les demandes des intervenants
en agriculture au Québec. Votre production est importante chez nous. Je
peux vous dire et vous indiquer très clairement ceci: Compte tenu de la
situation très vulnérable dans laquelle on se retrouverait
dès le moment où on changerait quelques règles aussi
minimes soient-elles entre le Canada et les États-Unis, il ne faut pas,
comme on dit chez nous, se faire de cachette. Les États-Unis, c'est un
grand pays; c'est un pays où on a une production importante. Qu'il
suffise seulement de dire ceci pour le bénéfice de mes
collègues et de celles et de ceux qui nous écoutent: II y a des
entreprises comme la compagnie Con Agro Inc. aux États-Unis qui
possède 18 établissements d'abattage, qui abattent 473 200 000
têtes par année. Cette production représente cinq fois le
total de la production québécoise, une seule entreprise
là-bas. En 1984, les quatre plus grandes entreprises américaines
d'abattage de poulets exploitaient 41 établissements et
contrôlaient 33,7 % des abattages avec 1 400 000 000 de têtes,
seulement dans ces entreprises.
Dans le secteur des oeufs, la compagnie Cargil Inc. possède 10
000 000 de poules pondeuses, soit trois fois le nombre de poules pondeuses,
soit trois fois le nombre de poules pondeuses au Québec qui est de 3 776
000. On dénombre aux États-Unis 1 000 000 de poules pondeuses.
Vous pouvez vous imaginer le volume de production à côté de
chez nous, conjugué avec une concentration des usines de transformation
particulièrement dans le sud des États-Unis, où les
avantaqes comparatifs au Canada et au Québec sont nettement en leur
faveur avec un niveau de rémunération, comme on le constate,
moins élevé, un coût social ou des déboursés
pour les avantages sociaux beaucoup moins élevés qu'ici, tant et
si bien qu'on pourrait être placés dans une situation très
grave pour l'industrie.
Les représentations que j'ai faites, comme ministre de
l'Agriculture, auprès du gouvernement canadien, auprès de mes
collègues des autres provinces et,
particulièrement, auprès du ministre
fédéral, M. Wise, et celles des autres membres du Conseil des
ministres dans le cadre de leurs obligations respectives, vont dans le sens
d'une protection qu'on veut la plus rigoureuse de nos acquis en aviculture.
Pour nous, la protection tarifaire est absolument essentielle et fondamentale
au succès et à la mise en place de quelque agence nationale de
commercialisation que ce soit. Â cet égard, noua vous disons merci
de votre présence, aujourd'hui. Nous vous appuyons. Nos
représentations vont pleinement dans le sens de vos
intérêts et nous sommes bien sensibles à toute cette
question de l'augmentation des quotas d'importation.
Comme le savez, l'agriculture est de juridiction partagée entre
le gouvernement fédéral et les provinces. Donc, même si on
est sécurisés au niveau des agences nationales de
commercialisation, même si on est sécurisés en ce qui
concerne la limitation des importations, on doit bien avoir à l'esprit
qu'en ce qui me concerne, comme ministre, toute augmentation des quotas
d'importation devra passer par un consensus et aussi, particulièrement,
par une analyse très rigoureuse des impacts que cela aura dans notre
économie, dans vos industries, dans vos entreprises et dans nos
régions du Québec. Merci d'être venus, Mme Mercier et
messieurs. J'ai été bien heureux de vous saluer et de vous
rencontrer.
M. Nadeau: Merci beaucoup.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Roberval.
M. Gauthier: Oui, merci, M. le Président.
Premièrement, je voudrais affirmer au nom de notre formation politique
que la nécessité, je pense, de protéger l'agriculture sous
toutes ses facettes est maintenant démontrée et qu'elle a
toujours été démontrée. Votre témoignage
d'aujourd'hui ne fait que renforcer cette opinion qui était la
nôtre.
J'aurais deux petites questions. Vous excuserez mon ignorance sur ces
sujets. Les producteurs du Québec sont-Us plus vulnérables? On
sait que l'agriculture et l'industrie agricole, qui n'échapppent pas
évidemment à cette loi, sont sujettes à différents
systèmes de subventions, de soutiens gouvernementaux. J'aimerais savoir
si l'industrie avicole au Québec est plus ou moins ou aussi
vulnérable à un éventuel accord de libre-échange
que l'industrie avicole hors Québec, c'est-à-dire ailleurs au
Canada? Y a-t-il des différences entre les deux secteurs?
M. Nadeau: Vous adressez-vous à l'industrie ou à la
production? La question porte-t-elle sur la production ou sur l'industrie en
général?
M. Gauthier: Globalement. La production, d'une part et on pourra
voir ensuite la transformation.
M. Nadeau: Je serais porté à dire qu'il n'y a pas
tellement de différence, en tout cas en ce qui regarde l'Ontario et le
Québec puisqu'il y a un mouvement presque similaire au nôtre qui
se dessine en Ontario et avec les mêmes préoccupations et les
mêmes demandes. Est-ce qu'on serait plus susceptibles d'être
affectés? Peut-être, dans le sens que, au Québec, on a 31,2
%, je crois, de la production canadienne, alors qu'on n'a pas la population
correspondante. Est-ce qu'on l'est plus? C'est difficile à dire. En fin
de compte, toutes les provinces font les mêmes représentations et
il n'y a pas de subvention nulle part, qu'on sache.
Le Président (M. Charbonneau): M.
Nadeau, est-ce qu'il serait possible de parler un peu plus fort, s'il
vous plaît, de parler plus dans le micro?
M. Nadeau: D'accord.
M. Gauthier: Si je comprends bien votre réponse, il n'y a
pas eu d'études comparatives poussées, de fait, entre les
différents secteurs du Canada, sauf que, somme toute, il y a une
même revendication commune. Donc, on peut supposer à partir de
là que l'état de vulnérabilité est à peu
près le même dans les différents secteurs du Canada.
Deuxième question. On sait très bien qu'un accord sur un
commerce sans frontières, en quelque sorte, évidemment, oblige
les gouvernements à regarder de façon très précise
l'état des subventions ou l'appui apporté à une
industrie.
On sait également que les gens qui auront à arbitrer un
éventuel accord de libre-échange, s'il finit par y en avoir un,
devront évaluer très sérieusement les niveaux de
subventions, entre guillemets, accordées à différents
secteurs. Est-ce que votre regroupement - ou peut-être que je devrai
poser la question à l'UPA plus tard - a des données concernant
l'aide gouvernementale, non pas ici au Canada, parce que vous avez
évidemment ces chiffres, mais aux États-Unis? À un moment
donné, si jamais vous êtes inclus dans un accord de
libre-échange, ne serait-ce que partiellement, les gens devront tenir
compte de cela. Est-ce que vous avez des données sur l'aide
gouvernementale aux producteurs et aux transformateurs aux
États-Unis?
M. Nadeau: Je ne suis pas un spécialiste, mais je ne crois
pas qu'il y ait d'aide directe aux États-Unis, sauf comme on
l'a dit ce matin dans le domaine des grains. Si on reprend la position
de M. Dumais ce matin, pour ce qui est de la production végétale,
il y aurait de l'aide aux Etats-Unis.
M. Gauthier: Donc, la conclusion que je tire de cette
réponse que vous me donnez, c'est que s'il y avait quelque chose, on
serait même encore plus vulnérables sur cet aspect que
présentement, dans le sens qu'aux États-Unis, il n'y aurait
aucune espèce d'aide à la production avicole. C'est cela?
M. Nadeau: Que l'on sache, l'aide directe à la production
animale ou à la transformation, il n'y en a pas. Mais il y a une aide
dans le domaine de la production végétale qui leur permet
d'exporter, par exemple. C'est phénoménal.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président. Hier, dans
l'exposé que j'ai fait, j'ai donné un exemple pour montrer un peu
l'ampleur de cette disproportion dans le marché avicole aux
États-Unis par rapport à ici, en disant que tous les oeufs
cassés dans le transport aux États-Unis représentent un
volume supérieur à toute la production canadienne. C'est assez
dramatique de penser que ce qu'eux peuvent jeter ou, du moins, ce qui arrive en
morceaux, c'est toute notre production.
Face à cette disproportion, face à ce qui se passe aux
États-Unis sur tout l'ensemble des mesures, tant barrières
tarifaires que barrières non tarifaires, certains analystes sont
portés à dire que l'entente de libre-échange, si elle
existe, devra passer par des équivalences en ce qui concerne l'abolition
de ces barrières et je pense particulièrement aux
barrières non tarifaires. Elle devra passer par les mêmes
équivalences.
Ce que j'aimerais savoir de votre regroupement du domaine avicole,
c'est: Étant donné cette disproportion, qui est vraie dans
d'autres marchés, mais dans celui-là, on est encore plus
vulnérables, parce qu'on est dans le domaine de l'agriculture et le
ministre semble en être déjà très saisi et
très préoccupé, de quelle façon seriez-vous
capables, s'il n'y avait pas ce pendant ou ce vis-à-vis en termes de
mesures amoindries du côté américain, si on n'avait pas
l'équivalent ici et vice versa, comment seriez-vous capables de vivre
cela? (15 h 45)
M. Nadeau: J'ai de la difficulté à saisir votre
question. Je pense que, sans protection, l'industrie avicole comme telle ne
peut pas vivre. Je ne sais pas si cela répond à votre
question.
M. Parent (Bertrand): Oui, je suis d'accord. Vous me confirmez
que vous devez absolument continuer d'avoir de l'aide de ce
côté-là. Prenons un exemple précis, la question des
barrières non tarifaires, en ce qui concerne l'aspect des quotas, des
subventions, que le Canada abolisse certaines barrières qui sont
beaucoup plus importantes pour vous, autrement dit, qui sont des appuis
absolument nécessaires et qui ne doivent absolument pas être
abolies. Autrement dit, dans quelles conditions ce serait vivable pour vous, si
on touchait à quelque chose en ce qui regarde votre domaine
particulier?
M. Nadeau: Je pense que le risque est tellement grand qu'on ne
peut toucher à quoi que ce soit. Quand on parle des fondements
sous-jacents au système, ce sont tous les fondements, que ce soit le
contrôle des importations, le maintien des tarifs ou la protection des
systèmes d'approvisionnement.
M. Parent (Bertrand): Donc, à toutes fins utiles, ce sont
toutes les mesures qui doivent...
M. Nadeau: Rester là.
M. Parent (Bertrand): ...demeurer intactes. On se comprend et on
espère que, de l'autre côté, mon collègue du
Commerce extérieur et celui de l'Agriculture l'ont bien compris.
Là, on est dans un marché spécifique; cela va. Lorsqu'on
parle d'agriculture, de façon générale, on ne semble pas
toujours être capable de bien saisir ce qui est carrément
acceptable ou carrément inacceptable et où il y a ce qu'on
pourrait appeler des zones négociables.
Lorsqu'on prend une position catégorique en disant que toute
l'agriculture doit être exclue comme telle du grand traité, si on
peut l'appeler ainsi, de libre-échange, et qu'on arrive dans des
marchés très spécifiques comme le domaine avicole, je
pense que là, cela devient clair. Ce l'est beaucoup moins dans d'autres
marchés. L'éclaircissement que vous nous apportez est fort
impartant. Je pense que d'autres voulaient faire des commentaires à ce
sujet.
Le Président (M. Charbonneau): Oui, c'est cela. Il y a
quelques personnes qui voudraient ajouter quelque chose.
M. Pilon (André): Je vais essayer de répondre
à votre question qui est quand même assez vaste. Le secteur
avicole au Canada ne jouit présentement d'aucune aide ou d'aucune
subvention directe, si ce n'est, encore une fois, pour les
céréales, contrairement à d'autres productions. Pour
ajouter à la réponse que M. Nadeau donnait à M. Jolivet
tantôt, vous demandiez si on pourrait rendre la transition plus facile
dans le cas
d'un libre-échange où il n'y aurait plus de
barrières tarifaires. Sans vouloir être pessimiste, je pense qu'il
faut quand même être réaliste. Si on regarde ce qui s'est
produit dans les États de la Nouvelle-Angleterres il
s'agirait de savoir combien de temps cela prendrait pour que toutes les
productions avicoles s'en aillent dans le sud des États-Unis. Ce ne
serait qu'une question de temps pour que cela n'existe plus ici au Canada.
Encore une fois, ce sont quand même des productions rentables pour
les gouvernements, autant provincial que fédéral. Je parle de
l'aviculture. Encore là, il n'y a pas de subvention directe et je pense
que les producteurs sont d'excellents contribuables, du moins pour essayer
d'amoindrir les déficits, autant du gouvernement provincial que
fédéral.
Si on regarde ce que la mise en place des contingentements a
représenté, M. Nadeau faisait allusion à la valeur de
l'indice canadien des prix à la consommation, j'ai devant moi un tableau
qui dit que, encore là, comparativement à toutes les industries,
si on se compare de 1981 à 1987, ce sont les productions
contingentées. Si on parle de toutes les industries, si on part en 1981
d'un indice 100 et qu'on arrive au premier trimestre de 1987, c'est rendu
à 135,8. On a donc eu 35,8. Par contre, si on s'en va dans les
productions contingentées comme le poulet, c'est quand même 26,9,
ce qui est en bas de toutes les industries. Si on regarde le dindon, c'est
peut-être un peu plus haut, mais il semblerait que c'est passager parce
que, pour 1986 comparativement à 1981, c'était 34,9 % et si on
regarde les oeufs, d'un indice de 100 en 1981, on est à 103,2 % pour le
premier trimestre de 1987. Alors, on voit encore là ce que les
productions contingentées ont pu apporter.
Le Président (M. Charbonneau): Cela va?
M. Parent (Bertrand): II y avait quelqu'un d'autre qui voulait
faire un commentaire.
Le Président (M. Charbonneau): Une autre remarque? Il y a
deux autres remarques; alors choisissez lequel prendra la parole le
premier.
M. Baril (Rosaire): M. le Président, c'est l'information
que je voulais dire et M. Pilon a répondu à ma place.
Le Président (M. Charbonneau):
D'accord. Merci. Alors M...
M. Pelletier: M. le Président, si vous me permettez une
intervention à titre de président de la Coopérative
fédérée, je vous dirai qu'on est beaucoup impliqués
dans la transformation, bien sûr, et aussi par nos producteurs
coopérateurs qui sont dans l'industrie de la volaille.
M. le ministre a souligné une chose importante qui fait une
différence avec l'industrie agricole aux États-Unis, ce sont les
immenses concentrations qui appartiennent à quelques compagnies, qui
sont situées au centre des États-Unis, qui ont un climat
favorable, qui ont des coûts d'énergie, parce qu'ils ont
l'énergie solaire à profusion. Alors, on aura toujours de la
difficulté à concurrencer cela.
Quand vous demandez, M. le député, si une période
de transition serait souhaitable, elle est sûrement souhaitable parce que
les gens ne veulent jamais mourir bien vite, ils aiment toujours mieux mourir
un peu plus lentement avec l'espérance de se raccrocher à quelque
chose, mais comme nous le disait mon confrère tantôt: cela
finirait par être quand même la mort. Alors ceux qui
préfèrent mourir rapidement ont un choix. Aussi, comme je le
disais cet avant-midi quand je présentais le mémoire de la
Coopérative fédérée, on a fait un choix de
société et on parle continuellement de ferme familiale,
d'industrie familiale.
Si on regarde l'aviculture aux États-Unis, elle se retrouve dans
d'immenses concentrations et pour le Québec cela n'a pas
été notre choix. Nos représentations de la
Fédération des producteurs de volailles, cela n'a pas
été leur choix non plus, ni les représentants de la
Coopérative fédérée, ni l'UPA. On veut
privilégier la ferme familiale et il faut lui donner les moyens de
survivre. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Cela va?
M. Parent (Bertrand): Si je comprends bien, la douzaine d'oeufs
qui se vend à Montréal deux fois le prix qu'elle se vend à
Albany, cela restera ainsi, à toutes fins utiles.
M. Pelletier: Mais quand madame va pour une maternité
à Albany, cela lui coûte 2000 $, tandis qu'ici cela ne lui
coûte rien. Vous retrouvez cela dans la douzaine d'oeufs et dans la livre
de beurre. Ce sont des politiques sociales qui ont été servies
par nos gouvernements parce que les Québécois les ont
désiré. Cela a profité à tous les consommateurs
québécois et canadiens, nos politiques de stabilisation de prix,
nos offices de commercialisation, tout cela mis ensemble, cela peut avoir des
faiblesses, mais dans l'ensemble on s'est donné une structure qui fait
que nos prix sont assez stables pour nos consommateurs et cela leur donne aussi
la garantie de produits de qualité et d'approvisionnements
réguliers.
Le Président (M. Charbonneau); Sur ce punch final, nous
allons mettre fin à votre présentation et, au nom des membres de
la commission, nous vous remercions infiniment d'avoir participé
à nos travaux et d'avoir bien voulu nous donner vos points de vue et vos
éclairages.
Alors, je vous souhaite un bon retour et on va enchaîner avec un
groupe qui ne vous est pas étranger d'ailleurs. J'invite les
représentants de l'Union des producteurs agricoles à venir
prendre place. M. Proulx, président de l'UPA, je vous souhaite la
bienvenue ainsi qu'à vos collègues. Je crois que vous êtes
un des vieux routiers du salon rouge, sans doute plus que plusieurs membres de
la commission. D'ailleurs, vous avez témoigné ou fait des
présentations dans des commissions parlementaires. Vous savez comment on
procède. Je vous demande d'abord de présenter les gens qui vous
accompagnent. Je vous rappelle que vous avez plus de temps parce que votre
groupe a une importance assez considérable dans ce dossier. Donc, vous
avez 40 minutes pour présenter vos points de vue et le reste du temps
sera équitablement réparti entre les membres de la commission de
chaque côté pour la discussion. Si jamais vous preniez moins de
temps, il y aura plus de temps pour les discussions et, compte tenu de la
nature du sujet, je pense que ce ne serait pas superflu. Je vous laisse sans
plus tarder le soin de nous présenter vos collègues ainsi que
nous exposer vos points de vue. M. Proulx.
Union des producteurs agricoles du
Québec
M. Proulx (Jacques): Merci, M. le Président. Comme vous
l'avez dit, cela fait quelques fois qu'on se présente au salon rouge. Je
vous dirai que les sièges, je les trouve un peu trop bas. Cela doit
être pour cette raison que les sénateurs aimaient bien leur emploi
dans le temps.
Si vous me le permettez, je vais vous présenter les gens qui
m'accompagnent: M. Laurent Pellerin, président de la
Fédération des producteurs de porcs du Québec; M. Roger
Daoust, président de la Fédération des producteurs de lait
du Québec; M. Rosaire Baril, représentant de la
Fédération des producteurs de volaille du Québec; M.
Jean-Paul Mailhot représente tous les maraîchers, si on veut, mais
particulièrement la Fédération des producteurs de fruits
et légumes de conserverie. D'autres personnes s'ajouteront
probablement.
Le mémoire qu'on présente aujourd'hui, c'est le
mémoire de toute la production agricole du Québec. M'accompagnent
également ceux et celles qui, quotidiennement, font cette agriculture,
des représentants d'à peu près toutes les régions
du Québec, qui trouvaient assez important de venir donner leur appui aux
positions que l'organisation agricole a prises depuis le départ. Vous
êtes sans doute au courant que l'UPA a été le premier
organisme au Québec à sentir ce mauvais vent de discussion et
cela fait fort longtemps qu'on parcourt les routes pour le dénoncer avec
des études qu'on a fait connaître le plus possible.
L'Union des producteurs et productrices agricoles voudrait vous
remercier de lui donner l'occasion de venir donner ses commentaires devant
vous. Même si on croit que cette commission aurait dû siéger
depuis fort longtemps parce qu'on est à la limite de ces
négociations, comme on dit souvent dans notre langage, vaut mieux tard
que jamais pour bien faire, en espérant que l'éclairage qui
pourra être fourni par les différents groupes permettra au
gouvernement du Québec d'adopter une position qui répandra le
mieux possible aux besoins du Québec en particulier. (16 heures)
Avant d'attaquer de front cette question, permettez-moi de vous
présenter brièvement l'organisation que j'ai l'honneur de
représenter. L'Union des producteurs et productrices agricoles, l'UPA,
représente l'ensemble des 47 000 producteurs et productrices agricoles
du Québec. L'UPA est formée de seize fédérations
régionales et de quinze fédérations
spécialisées, en plus, on regroupe les producteurs de bois qui
sont affiliés aussi à l'UPA. Il y a quand même, en plus des
producteurs et productrices qui sont propriétaires de boisés, 60
000 propriétaires producteurs de bois au Québec.
L'activité économique générée par nos
producteurs est remarquable. Elle est responsable de 40 % de la production
primaire québécoise pour une valeur d'environ 4 000 000 000 $. Le
capital agricole est estimé quant à lui à 14 000 000 000
$; 8 % des exportations du Québec sont d'origine agro-alimentaire,
c'est-à-dire autour de 1 200 000 000 $ au Québec dont 700 000 000
$ vont aux États-Unis.
L'agriculture québécoise s'est spécialisée
historiquement dans la production laitière qui représente 41 % de
la valeur de la production agricole. Cette dernière est suivie de la
production de porcs 20 %, des produits de l'aviculture 11 %, de la production
bovine 7 % et des fruits et légumes à 6 %.
Le secteur céréalier québécois a connu une
expansion considérable au cours de la dernière décennie.
Alors que nous importions en 1975, 70 % de nos grains pour l'alimentation
animale, c'est un peu moins de 30 % de nos besoins qui sont actuellement
couverts par des importations.
Des productions tentent actuellement
d'organiser leur avenir en réunissant les conditions favorables
à leur développement. Les productions ovine, caprine, cunicole,
apicole, de même que la production piscicole comptent parmi ces
dernières.
D'autres, enfin, voient leur survie compromise par des facteurs
externes. La production des érablières québécoises,
menacée gravement par les pluies acides originant en grande partie des
Etats-Unis, en est un bon exemple.
Plus de 80 000 Québécois et Québécoises sont
employés directement à l'activité agricole sur une base
permanente et saisonnière, sans compter Ies emplois indirects, notamment
dans les secteurs des intrants agricoles, des dépenses de près de
2 000 000 000 $ et du transport, et les 230 000 emplois tributaires de
l'agriculture dans les secteurs de la fabrication, de la distribution et de la
restauration. Les producteurs de bois contribuent, quant à eux, au
maintien de 50 000 emplois supplémentaires è tous les
échelons de l'industrie.
Le rôle de l'UPA est de défendre et de promouvoir les
intérêts économiques, sociaux et moraux de ses membres;
intérêts sérieusement menacés dans
l'éventualité d'un accord de libre-échange entre le Canada
et les États-Unis.
Notre organisation, par sa participation à la coalition
québécoise d'opposition au libre-échange
canado-américain s'est déjà prononcée globalement
contre un tel projet qui, concrétisé, déstabiliserait
dramatiquement l'économie québécoise avec les pertes
d'emplois qui en résulteraient, remettrait en cause nos programmes
sociaux et constituerait une menace à la souveraineté et à
la spécificité québécoise. La langue
française serait particulièrement menacée de
déclin, accentuant ainsi la tendance observée depuis
l'affaiblissement de la loi 101.
J'ajouterai qu'on va aujourd'hui beaucoup plus loin qu'au départ.
Si vous vous souvenez au départ des discussions, il n'était pas
question d'inclure les investissements à l'intérieur de cela et
aujourd'hui on voit que tous les investissements sont contenus et
discutés actuellement.
C'est en fait devant tous ces effets négatifs que nous nous
retrouverions en vertu de la plus parfaite utopie d'un accès garanti au
marché américain.
Du point de vue agricole, cette conviction, nous la réaffirmons
avec d'autant plus de vigueur qu'un traité de cette nature est
suicidaire et incompatible avec le type d'agriculture que nous nous sommes
donné au cours des dernières années.
Suicidaire pour ce secteur largement dominé par des petites et
moyennes entreprises, de nature familiale, que nous avons bâties
laborieusement et dans lesquelles nous avons investi génération
après génération, avec comme tâche primordiale de
nourrir la population du Québec sur son territoire, à bon compte
et avec des produits de la plus haute qualité.
Suicidaire également pour ces agriculteurs et agricultrices qui,
tout en produisant une activité considérable,supportent la vie économique, sociale et culturelle de plusieurs
communautés régionales et entretiennent le vaste espace et les
ressources dans l'ensemble de la société
Québécoise.
Incompatible enfin avec l'organisation de la dimension relative du
secteur agriccle québécois, de même qu'avec les politiques
et les programmes mis en place par les gouvernements québécois et
canadien qui se sont succédé au cours des dernières
décennies. Cette opposition à une entente de libre-échange
canado-américaine en agriculture s'appuie sur les nombreuses analyses
que nous avons effectuées depuis le sommet irlandais de Québec
ainsi que sur une étude d'envergure réalisée
l'année dernière par une sommité québécoise
en matière d'économie agricole. Je pense que tout le monde
connaît Yvon Proulx et personne ne le conteste; je pense que la plus
belle preuve de cela, c'est qu'au fédéral et au provincial, on
l'emploie très souvent pour faire des études comparatives. Tout
en étant un professeur à l'Université Laval, il est aussi
un agriculteur.
Quatre principales conclusions ressortent de ces réflexions. Une
entente de libre-échange canado-américaine signifie, pour
l'essentiel, la destruction des fondements du système agricole canadien
et de ses particularités québécoises dont la participation
active de l'État, la discipline et l'efficacité de ceux et celles
qui oeuvrent en agriculture, ainsi que la stabilité de la production en
constituent des caractéristiques importantes.
Les bouleversements qu'on est en voie de nous imposer sont en
contradiction avec les mesures qu'il nous faudrait mettre de l'avant sur le
plan international pour résoudre la crise actuelle sur le marché
des denrées agricoles, crise dont nous faisons largement les frais, mais
dont les principaux responsables sont les États-Unis et la CEE.
Un traité de cette nature entre les deux pays ne laisse entrevoir
que des possibilités insignifiantes d'accroissement de la production
agricole au Québec comme dans le reste du Canada.
En revanche, si ce traité se concrétisait, il pourrait
entraîner une diminution de la production dans la plupart des
sous-secteurs importants de cette activité, même s'ils sont
hautement productifs, et conduire à une déstabilisation
complète de toute la chaîne agro-alimentaire
québécoise et canadienne.
Même si le plus grand secret entoure les négociations
actuelles et que nos élus
fédéraux et provinciaux tentent de se montrer rassurants,
il est clair qu'une entente de libre-échange entre le Canada et les
États-Unis va de pair avec une profonde remise en cause des instruments
que nous nous sommes donnés historiquement et qui sont essentiels
à la survie de notre agriculture. Des instruments qui font du
système agricole canadien, complété par ses
spécificités québécoises, l'un des meilleurs, des
moins coûteux et dont certaines caractéristiques sont
enviées par la communauté internationale.
D'autre part, une entente de libre-échange implique, par
définition, l'abolition de tous les obstacles au commerce, de toute
mesure qui fausse l'établissement des avantages comparatifs par les
forces du marché laissées à elles-mêmes et qui
pourrait s'apparenter à de la concurrence déloyale entre les
producteurs des deux pays.
Or, les fondements d'une grande partie de notre façon de faire en
agriculture et les objectifs que nous poursuivons notamment au chapitre des
revenus agricoles reposent sur des principes qui sont incompatibles avec cette
notion.
De même, les litiges commerciaux que nous avons connus
récemment dans les pêches maritimes, les pommes de terre, le porc,
le bois d'oeuvre, nous indiquent clairement jusqu'où peuvent aller les
Américains avec un déficit de la balance commerciale de 170 000
000 000 $ US. Quand il s'agît d'identifier les mesures déloyales
au sens d'un commerce bilatéral, ils n'évaluent sectoriellement
que du côté canadien, sans égard aux énormes
subventions qu'eux-mêmes injectent globalement et particulièrement
en agriculture.
Uniquement, cette année au-delà de 35 000 000 000 $ seront
donnés en subventions ad hoc ou à la production
américaine, et particulièrement aux céréales.
D'autre part, les déclarations publiques tant
fédérales que provinciales ainsi que les informations que nous
avons obtenues de source non officielle, mais non moins sûres n'ont
absolument rien de rassurant puisqu'elles confirment qu'on est
résolument décidé dans les présentes
négociations à faire preuve de purisme en appliquant
intégralement ce que comporte un réel libre-échange entre
tes deux pays, cela sans exception.
Nous en sommes à nous demander si ceux et celles qui cherchent
à nous vendre un traité de libre échange même
après toutes les évidences que nous avons fait ressortir depuis
le début de ce débat - et ce ne sont pourtant pas des gens si
éloignés de l'agriculture - comprennent, ne serait-ce que dans
ses grandes lignes, les bases et objectifs du système agricole canadien
et la situation américaine actuelle en agriculture.
S'ils comprennent, ils réalisent évidemment qu'il y a une
incompatibilité entre la survie de l'agriculture
québécoise et canadienne et un traité de
libre-échange avec les États-Unis. S'ils persistent,
malgré cela, à défendre un tel projet, c'est qu'ils ne
tiennent aucunement à ce que les professionnels de l'agriculture et les
industries en amont et en aval fassent partie du décor économique
du Québec et du reste du Canada, à l'aube du
21esiècle.
Fondamentalement, le système agricole canadien, enrichi des
particularités québécoises, implique une participation
active des deux paliers de gouvernement et repose sur quatre grands
principes:
La sécurité d'approvisionnement alimentaire à la
fois nécessaire et vitale sur les plans économique et
politique;
Dans plusieurs productions, la recherche de la constance et de
l'adéquation du niveau de production, de la qualité des produits
et des prix avec les besoins de consommation principalement domestique;
Dans d'autres productions, telles les céréales et
oléagineux, la recherche de nouveaux marchés d'exportation et le
maintien des marchés actuels d'exportation notamment pour les
producteurs de l'Ouest canadien;
La rémunération équitable des agriculteurs et
agricultrices pour leur travail et leur capital; cette
rémunération constituant une condition nécessaire au
maintien des exploitants dans ce secteur stratégique et à haut
niveau de risque; et l'assurance des meilleurs prix possibles pour la
consommation des denrées essentielles.
La concrétisation de ces principes, nous la retrouvons dans des
mesures toutes utiles, cohérentes et complémentaires les unes par
rapport aux autres et légitimées par les deux paliers de
gouvernement.
La gestion des approvisionnements. Parmi les mesures les plus
importantes, la gestion nationale des approvisionnements dans les secteurs
laitier et avicole est sans doute une des plus appréciables du
système canadien dans le contexte actuel de surplus mondiaux dans
plusieurs denrées. Elle a d'ailleurs été mise sur pied
à partir du milieu des années 1960 pour corriger avec
succès la situation de surproduction chronique qui prévalait
à ce moment. Au Québec, les secteurs contingentés
représentent 50 % de la valeur de la production agricole.
Cette gestion assure une stabilité des approvisionnements, un
équilibre constant entre l'offre et la demande intérieures, et
répartit efficacement la production entre les producteurs et entre les
provinces canadiennes. Elle est caractérisée en outre par
l'absence ou l'insignifiance de surplus, des prix à la production
équitables et des prix à la consommation stables et abordables;
ces derniers ayant connu au cours des dernières années une
évolution beaucoup moins rapide dans les secteurs
contingentés
que l'indice général des prix à la consommation.
Cela reflète l'augmentation constante de la productivité des
secteurs sous ce régime de gestion.
Pour réussir efficacement dans la gestion des approvisionnements,
la discipline et la maturité de nos producteurs canadiens sont
essentielles mais non suffisantes. Encore faut-il empêcher que la
production extérieure ne vienne perturber l'organisation harmonieuse des
marchés.
Entre donc en jeu, à cet effet, le contingent des importations
dont la responsabilité est dévolue à des organismes
canadiens - exemple; Commission canadienne du lait et Office de
commercialisation des produits avicoles. Ces organismes ont un pouvoir de
contrôle sur l'entrée au Canada des produits qui sont susceptibles
d'affecter les marchés où il y a gestion de l'offre.
La gestion de l'offre est attaquée dans le contexte d'une
négocation de libre-échange puisqu'elle est contraire à la
philosophie entourant les négociations où le libre marché
doit prévaloir. De toute façon, les Américains
dénoncent depuis fort longtemps le pouvoir des organismes de
commercialisation,,
Du côté canadien, il ressort qu'on se montre à la
fois rassurant, en déclarant que la gestion des approvisionnements
demeurera, et inquiétant lorsqu'on parle de la possibilité
d'accroître les contingents à l'importation et de réduire
ou d'éliminer les tarifs douaniers qui sont essentiels au succès
de ce régime de gestion. On se montre également très
fermé et irrespectueux de la liberté des producteurs, lorqu'ils
suggèrent de ne pas permettre dans l'avenir d'établir la gestion
des approvisionnements dans les secteurs qui le désireraient, comme
c'est le cas, par exemple, pour les oeufs d'incubation a l'heure actuelle,
comme tout le débat ou tout le travail qui a été fait en
ce qui concerne la pomme de terre, cela, en dépit des succès
incontestables de ce régime, là où il existe actuellement.
(16 h 15)
En fait, on voudrait nous nier complètement le droit de
développer dans d'autres secteurs et d'établir justement un
équilibre qui, encore une fois, a fait amplement ses preuves dans le
passé.
La mise en marché collective: La législation
québécoise et celles des autres provinces permettent
l'organisation de la mise en marché collective des produits
agricoles.
Les producteurs et les productrices agricoles ont ainsi la
possibilité d'améliorer leur rapport de force sur les
marchés en définissant un plan global de commercialisation pour
les besoins principalement domestiques, en faisant la promotion de leur
production et en négociant des prix plus équitables. Cette
négociation sur le prix est toutefois très restreinte par
l'environnement concurrentiel dans lequel ils évoluent. Dans les
secteurs contingentés, les plans conjoints permettent en plus de
contrôler l'allocation des quotas au niveau de la province.
La majeure partie des productions se prévaut des dispositions de
la loi québécoise. Selon les sous-secteurs agricoles toutefois,
le degré de développement d'une réelle mise en
marché collective, ordonnée et efficace diffère.
Malgré l'évolution notable des dernières années,
des efforts additionnels seraient requis dans l'avenir pour assurer aux
producteurs et aux productrices qui oeuvrent dans ces sous-secteurs un revenu
stable et acceptable, compte tenu de leurs efforts et de leurs coûts de
production.
Cette façon de faire québécoise et canadienne, au
même titre que la gestion de l'offre et le pouvoir des offices nationaux
de commercialisation, risque une sérieuse remise en cause dans le cadre
des négociations bilatérales, car elle accorde à la
collectivité agricole le pouvoir d'organiser et d'influencer quelque peu
leur marché plutôt que de lui laisser un total libre cours.
Dans l'attente qu'on organise efficacement la mise en marché
collective et que les objectifs de revenus agricoles soient atteints, le
gouvernement du Québec a mis en place, en 1975, un programme
d'assurance-stabilisation des revenus agricoles. Il est peut-être bon de
noter que déjà, à ce moment-là, la Colombie
britannique avait ses plans de stabilisation, soit l'équivalent de ce
qu'on possède au Québec. Grosso modo, ce programme, dont le
paiement de la prime est partagé entre les producteurs et le
gouvernement du Québec, permet de rencontrer une portion des coûts
de production non couverts par les revenus que tirent les exploitants de la
vente de leurs produits, revenus souvent uniques pour supporter les membres de
l'entreprise familiale.
Le gouvernement du Québec a reconnu en 1974 que la parité
des revenus des agriculteurs et agricultrices avec ceux des travailleurs des
autres secteurs de l'économie était un objectif qu'il
était souhaitable d'atteindre; d'abord, pour une question
d'équité pour ces professionnels dont les fonctions
économiques et sociales sont considérables et ensuite, pour
assurer le maintien de ceux-ci dans un secteur des plus stratégiques
pour l'économie québécoise.
Dans le contexte de crise actuelle qui n'a plus rien à voir avec
l'efficacité ou une concurrence normale, et de faibles prix
internationaux, notamment dans le secteur des céréales, cette
assurance-revenu a fort probablement évité qu'une grande partie
des exploitants, leur famille et les travailleurs qu'ils emploient ne joignent
ces dernières années le rang des chômeurs dans les centres
urbains: des coûts économiques, sociaux et
politiques énormes qu'on a pu limiter en leur assurant un revenu
plus stable et plus équitable.
Un certain nombre d'autres programmes d'assistance ont été
mis en place pour atteindre, par exemple, les objectifs de consolidation des
PME agricoles, de financement du secteur à haut niveau de risque qu'est
l'agriculture et pour faciliter la transmission d'une génération
à l'autre du patrimoine agricole familial. Cette assistance peut prendre
la forme de garanties par le gouvernement, d'emprunts contractés par des
exploitants agricoles auprès des banques ou de subventions pour couvrir
une partie des frais d'intérêts.
Le programme d'assurance-stabilisation des revenus agricoles, tout comme
d'une façon générale tous les programmes d'assistance
systématique de l'État, sont gravement menacés par ces
négociations bilatérales. Cette menace entraîne avec elle
celle de l'abandon des grands objectifs sociaux et économiques que nous
poursuivons.
Une des raisons principales motivant nos appréhensions
réside dans le comportement même du gouvernement américain
face à son secteur agricole. La politique agricole américaine
n'est fondée que sur des interventions ad hoc et inefficaces, des
mesures de temps de crise qui n'ont rien à voir avec la poursuite
d'objectifs de revenus, de consolidation et de stabilité à long
terme poursuivis par les gouvernements du Québec et du Canada. Au
départ, il y a donc une différence d'approches fondamentales
entre les deux pays.
Dans une négociation bilatérale confrontant le Canada et
le géant américain, il est à se demander quelle vision des
choses sera prédominante. D'autant plus que depuis le début du
processus, le gouvernement canadien est dans une position de demandeur et
semble prêt à céder à toute revendication
américaine pour ne pas mettre en péril son projet global. On a
qu'à se rappeler ses agissements et les devants qu'il a pris
vis-à-vis du bois d'oeuvre. On a peut-être, dans un autre secteur
qui affecte peut-être un peu moins l'agriculture, aboli, en fait, et
remplacé l'agence de tamisage. On a laissé un autre conseil ou un
autre équipement en place, mais on sait très bien que les
personnes qui font partie de cette nouvelle agence n'ont pas eu un dossier
depuis l'abolissement de l'agence de tamisage.
La présence de tarifs douaniers relativement plus importants au
Canada qu'aux États-Unis compte également dans les mesures qui
caractérisent le système agricole canadien. Par ces tarifs, le
Canada assure à l'agriculture une protection à deux niveaux.
Le premier consiste à assurer une protection
supplémentaire aux secteurs où il y a une gestion des
approvisionnements qui, autrement, risqueraient d'être perturbés
et mettrait en péril le succès du régime. Les tarifs
douaniers s'appliquent ainsi aux importations de produits tels la crème
glacée, le yogourt et autres dérivés du lait et les
produits transformés de la volaille (en conserve, congelés, etc.)
qui ne font pas partie de la liste des produits dont les importations sont
contrôlées ou à d'autres qui en font partie, mais dont les
restrictions quant au volume sont insuffisantes pour protéger la
stabilité du marché.
Ces tarifs constituent donc un élément
complémentaire et essentiel au succès de la gestion des
approvisionnements.
Le second niveau consiste à protéger les producteurs et
productrices agricoles qui, compte tenu des avantages comparatifs de leurs
principaux concurrents, ne pourraient supporter le libre jeu de la concurrence.
Nous retrouvons une protection saisonnière et permanente de cette
nature, notamment dans les secteurs des fruits et légumes frais, et des
fruits et légumes de transformation. II y a beaucoup de raisons qui font
que, même si on est très compétitifs... on n'a qu'à
penser à des raisons incontrôlables: particulièrement le
climat pour toute la production maraîchère et même pour la
volaille. On en a parlé tout à l'heure. Malgré tous les
efforts et l'efficacité des producteurs dans ces productions, ils sont
incapables de tenir, justement pour des raisons qui sont complètement
hors de contrôle. La production de volaille seulement, au cours des 15,
20 ou 30 dernières années, a complètement disparu du
nord-est américain pour se concentrer dans le sud des
États-Unis.
Obligatoirement, ces tarifs devront disparaître dans
l'éventualité d'un libre-échange avec les
États-Unis. Le gouvernement fédéral en a fait la
première priorité dans le cadre des négociations
bilatérales.
Un ensemble d'autres mesures québécoises et canadiennes
complète notre système pour assurer à l'agriculture la
performance et l'harmonie qu'on lui connaît et aider les producteurs et
productrices du Québec, et du reste du Canada, à continuer la
poursuite de leur mission stratégique. Parmi celles-ci, les
assurances-récoltes qui protègent les exploitants agricoles
contre les aléas de la nature, les programmes québécois
qui visent le développement et la consolidation des entreprises
agricoles, les programmes de commercialisation des produits agro-alimentaires
qui, sans être des transferts directs, encouragent la promotion des
secteurs de l'alimentation et la recherche de nouveaux marchés, le
contrôle fédéral du commerce des céréales qui
assure un approvisionnement domestique suffisant et filtre l'entrée des
importations par l'entremise de la Commission canadienne du blé.
Des mesures qui sont menacées par une
entente de libre-échange entre le Canada et les
États-Unis.
Voilà pour l'essentiel, les fondements, les grands principes et
mesures concrètes qui caractérisent le système agricole
canadien et ses particularités québécoises et, qui sont
sérieusement remis en cause dans les négociations
bilatérales actuelles. Des façons de faire qu'il nous a fallu des
décennies à mettre sur pied, à édifier avec
patience et force de conviction en collaboration étroite avec
l'État. Aucun des éléments présents n'est superflu,
mais chacun se complète. Il s'agit à ce niveau d'en sacrifier un
seul pour que s'ébranle tout le système et se perdent les
nombreuses énergies que les producteurs et productrices agricoles du
Québec ont dépensées pour le construire. Vous ne serez
donc pas étonnés de la ferveur que nous déployons et que
nous déploierons encore plus à l'avenir pour défendre ce
que nous avons édifié.
Certains diront, comme nous l'avons trop souvent entendu, que les
sacrifices que nous aurions à consentir à notre façon de
faire en agriculture seraient plus que compensés par une ouverture et un
accès garanti au vaste marché américain. L'accès
garanti au marché américain, premièrement, nous n'y
croyons aucunement et cela tant et aussi longtemps que le déficit de la
balance commerciale des États-Unis sera ce qu'il est.
Deuxièmement, l'argument du vaste marché ne tient pas du
tout, sauf peut-être pour les théoriciens libre-échangistes
détachés de la réalité qui font fi de la situation
internationale actuelle et, en particulier, de celle très anarchique que
connaissent les États-Unis.
Le marché international des denrées agricoles est
actuellement engorgé. Des pays qui, traditionnellement, ont
été de grands importateurs tels la Chine, l'Inde et la CEE ont
poursuivi des politiques protectionnistes visant l'autosuffisance alimentaire
et sont devenus eux-mêmes exportateurs. L'Europe notamment exporte,
depuis quelques années, de nombreux excédents agricoles au point
de devancer en 1985 le grenier mondial qu'a déjà constitué
l'Ouest du Canada comme exportateur de céréales.
Alors que de plus en plus de vendeurs sont présents sur le
marché international des denrées agricoles, il se présente
de moins en moins d'acheteurs, ce qui occasionne des surplus croissants
à l'échelle planétaire. Dans ce contexte, les grands pays,
traditionnellement exportateurs sur le marché des
céréales, sont amenés à se livrer une guerre
commerciale pour tenter de maintenir leurs exportations, ce qui ne peut
être obtenu qu'en tentant de subtiliser des clients à d'autres, en
coupant les prix et en subventionnant de façon massive leurs
exportations. On peut en donner des exemples très concrets. On sait
qu'à l'heure actuelle les États-Unis, pour vendre des
céréales par exemple à des très vieux clients de la
Communauté économique européenne offrent en prime des
oeufs et de la volaille. On en est rendu là. On est un peu revenu aux
coupons qu'on avait à l'épicerie il y a quelques années
comme encouragement.
Ces guerres, dont la plus spectaculaire est sans doute celle que livrent
actuellement les États-Unis aux pays de la Communauté
économique européenne, ajoutent des pressions
supplémentaires sur les niveaux des surplus et des faibles prix
mondiaux. L'Ouest du Canada étant, elle aussi, une région
exportatrice traditionnelle et donc concurrente des États-Unis, subit
cette conjoncture, craint pour la survie de ses producteurs et anticipe que ses
principaux clients pourraient, à moyen terme, lui échapper. Ce
pressentiment devient d'autant plus fondé que le gouvernement canadien
ne peut concurrencer un pays comme les États-Unis au chapitre des
subventions agricoles. Le budget agricole américain qui
s'établissait à 4 000 000 000 $ en 1982 s'est accru pour
atteindre cette année plus de 35 000 000 000 $ US, dont une grande
partie va aux productions exportées.
Malgré cette intervention guerrière et excessive du
gouvernement américain, et un ensemble de mesures ad hoc mises de
l'avant depuis 1984 pour restreindre l'accumulation croissante des surplus,
compenser les milliers de producteurs agricoles pour qu'ils se retirent du
secteur et éviter les faillites de ceux qui restent, le gouvernement
américain ne peut que constater l'échec de ses politiques
agricoles et l'état anarchique de ce secteur. C'est ce contexte
général qui se présente à nous pour accroître
notre part du marché aux États-Unis en échange d'un
système agricole idéal comme celui qui prévaut aux
États-Unis.
Plus encore, nos élus fédéraux et provinciaux
accepteraient, d'emblée et tête baissée devant les
Américains, de nous faire supporter l'échec du système
agricole des États-Unis en acceptant de laisser tomber des
éléments fondamentaux du nôtre, tout en nous faisant
miroiter des perspectives irréalistes de marché. C'est
plutôt tête levée que ceux-ci devraient se présenter
devant un organisme international comme le GATT, avec la plus logique
détermination de proposer aux pays membres les façons de faire
québécoises et canadiennes en agriculture comme solution à
la crise mondiale actuelle.
L'éventualité d'une ouverture intégrale des
frontières entre les deux pays ne comporte donc pas de perspectives
florissantes pour l'économie agricole québécoise et
canadienne. Le vaste marché de consommateurs qui s'ouvrirait à
nos producteurs ne tient pas. L'accès garanti au marché
américain non plus et cela tant et
aussi longtemps que le déficit de la balance commerciale
américaine sera ce qu'il est. De même, les problèmes de
surplus mondiaux et la baisse chronique des prix ne trouveraient pas non plus
de solutions dans une entente de libre-échange entre le Canada et les
États-Unis. (16 h 30)
II ne nous reste donc à retirer de cette entente qu'une
confrontation libérée de toutes les contraintes avec les
producteurs américains d'une gamme complète de biens et de
services, disposant d'une surcapacité dans plusieurs secteurs,
bénéficiant d'économies d'échelle et d'un climat
propice dont nous ne disposons pas, et intéresssés à
écouler leur énorme surplus de production.
Un tour d'horizon des sous-secteurs agricoles importants des industries
de transformation agro-alimentaires et des effets d'un libre-échange sur
eux seront à même de tracer le portrait de notre situation dans
l'éventualité de la signature d'un tel accord avec les
Américains.
Le secteur laitier. Comme on a pu le voir précédemment, le
secteur laitier canadien est contingenté. La production de lait de
consommation ne couvre essentiellement que la demande domestique, alors que
pour le lait de transformation, 2,4 % de la production est exportée vers
les marchés internationaux, qui sont essentiellement des marchés
de surplus pour des produits tels que le beurre et la poudre de lait.
Depuis son implantation, ce système a permis d'atteindre
l'objectif d'équilibre entre la production laitière et les
besoins de consommation domestique de produits laitiers.
Ce système a permis aux producteurs et productrices oeuvrant dans
ce secteur d'obtenir un revenu stable tout en assurant aux consommateurs un
produit de la plus haute qualité à des prix plus qu'abordables.
Le prix des produits laitiers n'a en effet augmenté annuellement
qu'à un niveau comparable ou inférieur à l'indice
général des prix à la consommation depuis les quinze
dernières années.
Ces prix ont été rendus possibles grâce aux
transferts des gains de productivité qui n'ont cessé de
croître depuis l'instauration du contingentement, la stabilité du
secteur renforçant sa volonté d'accroître son
efficacité.
Le succès de la gestion de l'offre dans le secteur laitier repose
sur trois mesures: La restriction sur ta production nationale; le
contingentement des importations; l'existence des tarifs douaniers. Trois
mesures complémentaires et indissociables les unes des autres.
Ces dernières années, plusieurs pays, dont ceux de la CEE,
ont adopté des programmes s'inspirant du modèle canadien, la
seule solution logique dans un marché mondial déstabilisé
par ses énormes surplus et la réponse à un soutien
excessif de l'État dans des pays comme ceux de la CEE et les
États-Unis. Depuis 1981, les États-Unis ont tenté
d'atteindre l'harmonie que l'on retrouve dans ce secteur au Canada.
Plutôt que de mettre en place un système de gestion des
approvisionnements, ils ont préféré adopter une
stratégie de prix désincitative, des quotas à
l'importation, des programmes volontaires de diversion de la production, des
programmes de rachat des troupeaux en vertu desquels les producteurs sont
payés pour cesser de produire et abattre leurs animaux. Ce dernier
programme seul coûtera aux contribuables américains plus de 1 800
000 000 $ par année.
En dépit de ces mesures, les États-Unis ont
échoué là où le Canada a réussi: Les surplus
américains continueront de croître dans l'avenir, forçant
le gouvernement à acheter d'énormes quantités de produits
laitiers. En 1984-1985, ces achats totalisaient 405 800 000 $ US pour le
beurre, 748 900 000 $ US pour le fromage, 665 100 000 $ US pour la poudre de
lait écrémée. Des achats que l'ensemble des contribuables
américains paient et continueront de payer dans l'avenir. Signalons au
passage que les rares fois où les producteurs canadiens dépassent
leurs quotas de production, ils sont les seuls à supporter les
coûts entraînant leur écoulement.
Et c'est le système américain que l'on s'apprête
à nous offrir avec un accord de libre-échange? Les ministres
fédéraux responsables de ce dossier, appuyés en cela par
leurs homologues provinciaux, s'empressent de nous répondre par la
négative. On nous assure que, d'une part, l'esprit et la lettre de la
gestion canadienne des approvisionnements demeureront. On nous déclare,
d'autre part, que tous les tarifs et restrictions aux importations en
provenance des États-Unis seront abolis. N'est-ce pas là une
insulte à l'intelligence, une contradiction flagrante dans ta mesure
où te seul contingent à ta production nationale ne peut assurer
le succès et la survie de la gestion des approvisionnements, sans les
tarifs douaniers et tes restrictions à l'importation qu'elle
comporte?
On doit donc en conclure qu'un libre-échange
canada-américain signifie le démantèlement de cette
gestion des plus logiques dans un secteur représentant plus de 40 % de
la valeur de la production agricole québécoise.
Ce que nous avons finalement à gaqner en compensation de
l'ouverture de ce vaste marché américain, c'est l'importation
d'une instabilité comparable à celle des États-Unis, des
coûts économiques et sociaux considérables, un
marché inondé par les surplus américains, dont la poudre
de lait qui représente 4,6 fois le marché canadien, et les
succédanés du lait qui sont vendus
légalement aux États-Unis. Ultimement, la disparition
d'une grande partie des producteurs québécois et canadiens et des
industries en amont et en aval est à prévoir.
Comme le secteur laitier, dans l'éventualité d'un
libre-échange canado-américain, le système de gestion des
approvisionnements dans la volaille et les oeufs devra disparaître, que
ce soit par une remise en cause directement ou indirectement, par
l'élimination ou la diminution des tarifs douaniers ou par
l'augmentation des contingents à l'importation. En revanche, nos
producteurs et productrices de ce secteur ne peuvent espérer
concurrencer les Américains.
La production américaine est largement concentrée, comme
je l'ai dit tout à l'heure, dans les régions de l'Atlantique sud
et du sud des Etats-Unis. Ces deux régions produisent 88 % de la
production américaine. Les oeufs de ces régions, comme cela a
été dit tout à l'heure, qui sont cassés pendant
leur transport, représentent un volume supérieur à la
production totale canadienne.
Cette concentration et ce gigantisme dans l'industrie avicole
s'expliquent par les avantages comparatifs dus au climat ainsi que des terres
et de la main-d'oeuvre bon marché. De plus, la taille des fermes
étant gigantesque et n'ayant plus rien à voir avec nos fermes
familiales de petite et moyenne dimension, elles bénéficient
d'économies d'échelle importantes.
Les quelques comparaisons suivantes illustrent bien les
différences structurelles dans ce secteur entre les deux pays. II y a
1956 fermes productrices d'oeufs au Canada. Aux États-Unis, il y en a
225 de moins, c'est-à-dire 1725, pour desservir un marché douze
fois plus grand. De plus, 62 très grosses fermes américaines
possèdent près de 60 % du troupeau. Il est évident que
très peu de producteurs québécois et canadiens pourraient
suryivre à ces règles déséquilibrées de
concurrence.
L'horticulture. Au Canada, notre saison est relativement courte et plus
tardive que celle des États-Unis. S'ils le désiraient, les
États du Sud atlantique et du Sud-Ouest pourraient approvisionner le
Canada durant toute l'année en fruits et légumes frais ou
transformés. Ils le font d'ailleurs une grande partie de l'année
dans la plupart des productions.
Pour cette raison, il existe des tarifs douaniers saisonniers pour
protéger la production canadienne de fruits et légumes frais au
moment de la récolte et de l'écoulement, de même que des
tarifs permanents pour les fruits et légumes transformés.
D'autres barrières non tarifaires, telles que la
possibilité d'imposer une surtaxe quand des volumes croissants sont
vendus sur les marchés canadiens à prix réduit et les
contrats de vente à prix ferme, sont présentes au Canada. Il
existe également de ces barrières du côté
américain, mais généralement elles sont moins
restrictives.
Le Canada est un des plus gros clients des États-Unis dans ce
secteur. Le déficit à la balance commerciale canadienne au
chapitre des fruits et légumes frais et transformés, qui gravite
autour de 1 000 000 000 $, en témoigne»
II est généralement établi, dans tes études
qui ont abordé cette question, que l'élimination des tarifs,
saisonniers ou permanents, de même que l'abolition des autres
restrictions à l'entrée entre les deux pays résulteraient
en des pertes significatives pour le Canada qui ne pourraient être
compensées par les gains minimes de certaines productions. Il ne
suffirait pour les Américains que de remettre en activité une
portion des milliers d'acres de terre en jachère ou utiliser une petite
partie de leur surcapacité de production dans la transformation pour
desservir douze mois par année le marché canadien d'une gamme
complète de fruits et légumes frais, en conserve et
surgelés. Le danger est particulièrement grand pour les
légumes en conserve qui peuvent être transportés sur de
grandes distances, à des frais relativement faibles.
II est évident que nos producteurs et productrices
québécois, qui s'acharnent depuis peu à organiser leur
mise en marché, verraient leur secteur sérieusement
menacé, d'autant plus que cette possibilité d'organisation
collective pourrait être remise en cause par un accord de
libre-échange entre les deux pays.
Les céréales. Les États-Unis et le Canada sont tous
deux des exportateurs importants de céréales, donc concurrents
sur le marché international. Il est évident qu'il ne peut se
développer un commerce canado-américain important de blé,
d'orge et d'avoine entre le Canada et les États-Unis. Quant au
maïs, le volume transigé est limité, car le Canada est
devenu autosuffisant au début des années quatre-vingt.
Bien que nous n'ayons pratiquement rien à gagner dans ce secteur,
nous avons beaucoup à perdre au chapitre du contrôle des
importations par la remise en cause des pouvoirs de la Commission canadienne du
blé et d'autres mesures en place pour appuyer les productions de
céréales au Canada.
À l'heure actuelle, aucune importation de blé, d'orge et
d'avoine ne peut être faite au Canada sans l'autorisation de la
Commission canadienne du blé. Lui enlever ses pouvoirs et permettre la
libre entrée des céréales se traduiraient par une
congestion et une anarchie encore plus grandes sur le marché canadien,
en regard surtout des énormes surplus américains. Les
réserves américaines actuelles de céréales
fourragères
sont équivalentes à quatre fois la production canadienne,
alors que les réserves de blé représentent plus de deux
fois cette production.
L'accumulation de ces surplus a d'ailleurs été
encouragée en grande partie par les énormes subsides que le
gouvernement américain a consentis aux producteurs de
céréales dans le cadre de sa guerre ouverte avec les pays de la
communauté européenne. À titre d'exemple, en 1986, le
gouvernement américain versait à ses producteurs des subsides de
2,63 $ par boisseau de blé et 1,06 $ par boisseau d'orge. Les chiffres
correspondant pour le Canada étaient respectivement de 0,75 $ pour le
blé et de 0,33 $ pour l'orge. C'est sur la base de tels chiffres,
d'ailleurs, que le gouvernement canadien a imposé une surtaxe sur le
maïs américain importé au Canada.
Dans un tel contexte, il est complètement inapproprié de
penser à un commerce harmonieux et mutuellement avantageux de
céréales entre le Canada et les États-Unis.
La production bovine. La suppression du droit des producteurs
d'administrer des plans conjoints et la disparition des programmes
d'assurance-stabilisation des revenus pour les producteurs de ce secteur
représentent un coût excessif à rencontrer dans une optique
de libre-échange. Il existe déjà dans ce secteur un
mouvement assez libre entre les deux pays. On sait qu'il n'existe pratiquement
pas, pour ne pas dire pas de tarifs douaniers, enfin pas de tarifs
importants.
La possibilité de relâchement des normes canadiennes
d'hygiène plus sévères que les américaines et qui
ont contribué à éviter par le passé la propagation
de maladies au cheptel canadien et éviter la vente de produits de
mauvaise qualité aux consommateurs ajoutent aux coûts d'une
entente de libre-échange canado-américaine. Ces normes
étant des barrières non tarifaires, elles devront être
harmonisées au niveau des normes américaines, avec des
conséquences qui pourraient être importantes sur la santé
des troupeaux canadiens.
La production porcine. Il existait, jusqu'en 1985, un commerce de viande
de porc sans barrière importante entre le Canada et les
États-Unis, sauf peut-être des normes d'hygiène plus
sévères qui empêchaient l'importation de porcs vivants au
Canada. Les producteurs de porc, qui n'exportaient que 5 % de leurs produits en
1971, ont accru de façon considérable leur part du marché
d'exportation. En 1985, plus de 30 % de la production de porcs fut
exportée en majeure partie vers les États-Unis.
Depuis, les Américains ont imposé un important droit
compensatoire pour tenter de freiner la montée des exportations
canadiennes.
L'imposition d'un droit sur la viande de porc est imminente, car un
projet de loi à cet effet est actuellement devant le Congrès
américain. L'impact négatif serait majeur et notamment pour le
Québec.
Même s'ils subventionnent exagérément leur
agriculture, subventions dont les effets se traduisent dans toutes les
productions, y compris le porc, les Américains demandent que le Canada
modifie substantiellement ses politiques agricoles et, en particulier, mette
fin à toute forme de stabilisation des prix et surtout des revenus.
Le porc comme le bois d'oeuvre sont deux excellents exemples de ce qui
adviendrait dans l'éventualité d'un accord de
libre-échange. Tant qu'ils auraient besoin de nos produits, les
Américains les laisseraient entrer librement. Lorsque ce ne serait plus
le cas, libre-échange ou pas, ils trouveraient unilatéralement
les moyens de prouver que les producteurs canadiens leur font une concurrence
déloyale.
Les Américains éprouvent, à cause de leur pouvoir
de contrôle actuel, de graves réticences à confier à
un organisme d'arbitrage neutre le soin de régler les différends
commerciaux de cette nature. Entre nos deux pays, cet objectif primordial du
gouvernement fédéral dans les présentes
négociations ne sera certainement pas atteint. Les Américains ont
clairement établi dès le début des négociations que
les décisions finales en matière de lois commerciales
relèveraient toujours des autorités politiques
américaines. (16 h 45)
Certaines productions en développement ont vu leurs efforts
périmés ces dernières années, à cause
justement d'une trop grande liberté des échanges permise par
notre gouvernement canadien, sans condition aucune des pays exportateurs. C'est
le cas notamment des productions de moutons et d'agneaux au Canada.
Notre degré d'autosuffisance dans cette production, dont les
opportunités au niveau du marché domestique sont incontestables,
était, de peine et de misère, passé de 20 % en 1980
à 75 % en 1985. Il est retombé en deçà de 30 % en
une seule année, à cause principalement de l'augmentation
considérable des importations d'agneaux frais et congelés de la
Nouvelle-Zélande et de l'Australie.
Ces deux pays s'étaient abstenus jusqu'en 1984, par des
restrictions volontaires, de desservir à Noël et à
Pâques notre marché en agneaux et en moutons frais.
Voyant leur marché glisser et notre qualité de produits
surpasser la leur, ils ont abandonné cette entente volontaire,
s'attaquant dorénavant aux 30 % résiduels de la demande
canadienne pour les produits frais. Pire encore, ils se proposent maintenant
d'exporter au Canada des animaux vivants, toujours sans réaction du
fédéral.
Un libre échange canado-américain ne contribuera
sûrement pas à redonner des bases de développement à
cette production. Les Américains sont déjà autosuffisants
à 90 %, accordent un soutien à leur production et ne semblent pas
prêts à concéder leur marché domestique aux
Canadiens, aux Néo-Zélandais ou aux Australiens.
Il est évident qu'un recul dans la production agricole primaire
affecterait négativement le segment de la transformation
agro-alimentaire avec des pertes de milliers d'emplois qui s'ensuivraient.
Mais, déjà au départ, les entreprises
québécoises, elles-mêmes, sont reconnues comme relativement
sous-capitalisées face aux entreprises américaines. Elles ne
peuvent en ce sens bénéficier d'économies d'échelle
possibles aux États-Unis. À cela s'ajoute que dans certains
secteurs les entreprises américaines disposent d'une capacité
excédentaire extraordinaire.
Le libre-échange aurait un effet désastreux pour le
secteur de la transformation laitière, responsable du maintien de 8551
emplois directs au Québec, c'est-à-dire 32 % des emplois
canadiens dans ce secteur. L'instabilité très grande que nous
appréhendons du niveau primaire, étant donné la
disparition des contingentements, tant au niveau de la production que des
importations, et à la limite l'anéantissement d'une grande partie
des exploitants se répercuteraient très certainement au segment
de la transformation. Les perspectives d'exportations sur le marché
américain sont nécessairement nulles, étant donné
la surproduction américaine et les surplus accumulés et qui
continueront de s'accumuler dans l'avenir.
Le sort des abattoirs et des salaisons québécois est
nécessairement lié à celui qu'on anticipe dans les
secteurs de l'élevage et qui seront particulièrement
négatifs dans celui de la volaille et des oeufs. Plus de 10 000
travailleurs et travailleuses québécois sont employés
à la transformation, dont près de 3000 oeuvrent dans la
transformation des oeufs et de la volaille, productions où l'on anticipe
au niveau primaire une déstabilisation complète. De même,
l'abolition des tarifs douaniers sur certains produits de viande, tels le boeuf
en conserve, envenime cette situation négative en affectant par ricochet
les secteurs du bovin et de la vache de réforme.
Étant donné l'avantage climatique des États-Unis,
il est évident que l'industrie québécoise de la
transformation des fruits et légumes subirait durement les affres d'une
entente de libre échange, impliquant l'abolition des barrières
tarifaires permanentes sur les produits transformés. Le segment de la
mise en conserve, notamment, responsable de 96 % des 2719 emplois
québécois dans la transformation, ne pourrait supporter cette
concurrence indue et qui n'a rien à voir avec son degré
d'efficacité.
Dans le secteur des brasseries, nous n'entrevoyons d'aucune façon
des gains pour le Québec et le Canada. La situation est telle dans ce
secteur aux États-Unis qu'une seule entreprise moderne pourrait produire
autant que les 40 petites brasseries canadiennes. La capacité
excédentaire de l'industrie américaine est actuellement de
l'ordre de 50 000 000 de barils par année, soit plus de deux fois la
production canadienne. Le libre échange signifie certainement la
disparition de cette industrie canadienne, dont les 5200 emplois
québécois qui s'y rattachent.
Finalement, le recul de la production primaire se refléterait
nécessairement dans les nombreuses industries spécialisées
dans les intrants agricoles et, parmi celles-ci, l'industrie de la
moulée, principal intrant des productions avicole et porcine avec ses
3000 emplois québécois.
Alors, rien à gagner mais presque tout à perdre d'un libre
échange canado-américain, voilà le contrat que propose le
gouvernement fédéral et que s'empresse d'entériner trop
souvent le gouvernement du Québec, sans mandat et sans rendre publiques
les études dont il dispose sur cette question. On se demande si un
quelconque séjour sur les bords d'un lac renommé n'a pas quelque
chose à voir avec cet empressement subi du gouvernement du Québec
à appuyer l'initiative fédérale.
Non content d'avoir cédé sur les questions du pouvoir de
dépenser des provinces et de la reconnaissance officielle d'un
Québec de langue française, le gouvernement du Québec, par
un appui à une éventuelle entente bilatérale, se fait
à la fois l'artisan et le complice d'un recul pour la
collectivité québécoise.
On invite en particulier les agriculteurs et agricultrices du
Québec à assister, les bras croisés, au saccage d'un
système agricole qu'ils ont mis plus de 60 ans à construire, 65
années plus exactement depuis l'UCC, pour faire admettre aux deux
paliers de gouvernement que l'agriculture est un secteur particulier, à
haut niveau de risque et économiquement important par ses
retombées directes et indirectes. Que l'agriculture c'est aussi des
fonctions sociales essentielles, dont notamment l'occupation et
l'aménagement d'un vaste territoire comme celui du Québec, la
contribution à la diversité des cultures et moeurs
régionales ainsi qu'à la richesse collective.
Toutes ces années pour amener les gouvernements à
participer à l'établissement graduel des conditions
nécessaires au développement de ce secteur stratégique,
à
l'encouragement des producteurs et productrices agricoles à
poursuivre leurs activités, et à la transmission d'un patrimoine
familial d'une valeur inestimable, génération après
génération,
Ces conditions, nous avons sensiblement réussi à en
réunir plusieurs dans un ensemble de mesures québécoises
et canadiennes qui caractérisent le système agricole.
C'est tout cela et davantage, par deux simples signatures, qu'on se
propose de compromettre pour satisfaire aux exigences d'un traité de
libre-échange avec les États-Unis.
Un démantèlement de notre système agricole pour, en
contrepartie, épouser la façon de faire américaine, dont
l'anarchie et l'inefficacité des interventions gouvernementales
ponctuelles et excessivement coûteuses en constituent les principales
qualités. Et cela n'est pas en voie de se régulariser. Le
président américain peut bien dire n'importe quoi sur
l'élimination totale du soutien de l'agriculture, il est en fin de
mandat et, une semaine après cette déclaration, il faisait voter
des crédits supplémentaires au budget agricole.
On nous offre, en revanche, l'utopie d'un accès garanti au vaste
marché américain de 240 000 000 d'affamés, de devenir
plutôt un débouché non négligeable pour
écouler la surproduction américaine, d'abondonner nos fermes
familiales et de joindre le rang des chômeurs, de fermer nos usines de
transformation, de réduire sensiblement notre degré
d'auto-approvisionnement alimentaire pour dépendre du bon vouloir des
Américains, de faire enfin des régions rurales du Québec
des immenses Schefferville.
Qu'on ne nous propose surtout pas une exclusion de l'agriculture d'une
éventuelle entente bilatérale, comme l'ont fait, avant, certains
ministres pour nous rappeler quelques minutes après que tout
était sur la table - ce sont aussi certains ministres provinciaux et
même le premier ministre du Québec - pour se contredire à
peine quelques mois suivant ces déclarations.
On se souvient lors d'un voyage en Europe où l'agriculture
était exclue et, pourtant, quelques jours plus tard, tout était
sur la table. Nous avons eu souvent la preuve par des mémos des
négociateurs que, d'un côté, les Américains
affirmaient, par leurs sénateurs ou leurs personnes politiques, que tout
était sur la table, même l'agriculture, et pourtant, de ce
côté, on niait.
S'il était question d'exclure l'agriculture, il faudrait, dans
l'esprit de l'UPA, qu'on soustraie également les industries de
transformation agro-alimentaires et toutes les autres en amont et en aval de
l'agriculture.
Nous préconiserions l'exclusion de la culture, des programmes
sociaux et de tout ce qui fait la richesse et l'originalité de la
société québécoise, de cet accord.
L'UPA revendiquerait enfin qu'on exclue l'ensemble des secteurs
où, dans les études que nous avons menées de front avec
les organisations membres de la coalition québécoise d'opposition
au libre-échange, on a pu identifier des pertes de milliers d'emplois
québécois, des secteurs perdants où 200 000 emplois sont
en jeu - cela, c'est certain - face à des secteurs gagnants,
responsables du maintien de 30 000 emplois. En plus, 53 000 emplois sont en
jeu, peut-être d'une façon moins radicale, dans un secteur qui
aurait des effets assez négatifs, en tout cas, beaucoup plus
négatifs que positifs, sans oublier les 400 000 emplois dans le secteur
des services. On sait qu'il y a une étude du MIC aussi qui nous a
révélé, pas nécessairement
révélé, mais qui, tout au cours de cette étude
était très négative et qui disait en conclusion:
Malgré tout cela, un accord de libre-échange va être
excellent.
Autrement dit, nous sommes sur toute la ligne en désaccord avec
ce projet. On ne doit pas toutefois traduire une opposition globale à ce
projet comme une fermeture à l'amélioration du commerce avec les
États-Unis ou les autres pays ou une fermeture à une plus grande
liberté des échanges, loin de là. Nous commerçons
internationalement et nous sommes conscients que les Américains sont
actuellement nos principaux acheteurs sur les marchés d'exportation.
Comme vous tous également, nous sommes pour la vertu de la
liberté. Dans le cas de l'approvisionnement alimentaire toutefois, la
liberté s'arrête où celle qui met en cause
l'intérêt de la société québécoise
commence.
Nous croyons simplement que le cadre des négociations actuelles
avec les États-Unis n'est aucunement celui qui convient et que c'est
dans des négociations multilatérales au sein du GATT que nous
serons en meilleure posture et que nous parviendrons à des objectifs
vitaux, secteur par secteur, là où c'est mutuellement avantageux
au chapitre des échanges internationaux.
Dans le secteur agricole en particulier, nous pourrions arriver gagnants
aux prochaines rondes de négociations, puisque notre façon de
faire dans plusieurs secteurs de production convient parfaitement aux grands
objectifs qu'il faudrait atteindre au niveau international, des objectifs qui
sont triples.
Une discipline dans les niveaux de production. Le succès de la
gestion de l'offre dans les secteurs du lait et de l'aviculture, sans surplus,
témoigne de la capacité de cette mesure à atteindre cet
objectif. Cette gestion traduit également la réalité que
le secteur agricole, quoi qu'on en dise, a besoin d'un certain niveau de
protection dont les éléments cohérents et
complémentaires tels les contingentements à la production,
les
restrictions à l'importation et certaines barrières
douanières, en assurent le succès pour le plus grand
bénéfice des consommateurs.
L'élimination des soutiens excessifs de l'État. Cet
objectif sur lequel s'entendent tous les spécialistes s'adresse d'abord
et avant tout aux États-Unis et aux pays membres de la CEE, ces pays qui
ensemble ont semé la pagaille sur le marché international des
denrées en subventionnant excessivement leurs exportations et qui sont
en grande partie responsables d'une grande remise en cause de l'État en
agriculture. C'est 35 000 000 000 $ aux États-Unis, 30 000 000 000 $ la
CEE, 10 000 000 000 $ au Japon.
Les négociations du GATT offrent l'occasion à ces pays de
réajuster leurs niveaux d'intervention sur celui plus normal des
gouvernements québécois et canadien, un niveau dont
l'organisation de la mise en marché collective, ordonnée et
efficace contribue et contribuera encore à l'avenir à maintenir
un minimum, au fur et à mesure que les plans conjoints atteindront leur
maturité.
Qu'on ne se leurre surtout pas, le soutien de l'État en
agriculture sera toujours nécessaire et même les organisations
telles que l'OCDE le préconise. Ce soutien doit s'inscrire, selon
celle-ci, dans l'ordre des préoccupations économiques, sociales
et autres tels la sécurité et la stabilité alimentaire,
l'emploi global et l'assurance en outre d'un revenu décent et
encourageant pour ceux et celles qui sont à la base de la chaîne
agro-alimentaire.
Une ouverture des frontières aux produits agricoles des pays en
développement. Nous sommes conscients des problèmes
qu'éprouvent ces pays qui, bien souvent, ont, comme seule richesse,
celle récoltée de leur commerce agricole extérieur pour
faire face à leur énorme dette et assurer leur
développement. Le Canada a été plus que disposé par
le passé à favoriser l'essor de ces pays, continuera de le faire
dans l'avenir et l'UPA est prête à y contribuer. Le GATT nous
offre le forum idéal pour trouver des solutions internationales à
des problèmes internationaux.
C'est cela et rien d'autre que nous demandons au gouvernement du
Québec. On lui demande d'appuyer auprès du gouvernement
fédéral les positions que nous avons prises. Nous le pressons en
même temps de retirer son appui, c'est bien évident, à
toute entente de libre-échange avec les États-Unis. On n'a
qu'à regarder les réactions de la dernière rencontre des
premiers ministres cette semaine. Je prendrai la réaction du nouveau
premier ministre de l'Ontario qui dit: En fait, toutes les appréhensions
qu'on avait viennent de nous être confirmées. (17 heures)
Alors, messieurs, mesdames, les députés, vous excuserez
peut-être la longueur, mais notre secteur est tellement immense que je
pense qu'il était important qu'on puisse en faire le tour le plus vite
possible, mais le plus complètement possible. Alors, mes
collègues et moi sommes disposés à répondre
à vos questions, s'il vous en reste.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Proulx. Sans
tarder je vais céder la parole au ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonaldï Excuse2-moi, c'est un problème de régie
interne. On avait dit qu'on arrêtait pour quelques secondes. Je n'ai pas
d'objection à continuer. Pas de problème.
M. le président, votre mémoire, essentiellement, rejoint
celui que vous avez déjà présenté devant le
comité Warren. Il est essentiellement aussi la représentation, en
fait, dans tous les détails, n'utilisant pas les mêmes adjectifs,
mais tout de même cherchant à faire les mêmes points, du
dossier tel qu'il a été présenté au comité
interministériel par le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries
et de l'Alimentation. Malgré cela, M. le président, je me sens
obligé de faire appel à cette expression de Hugh MacLennan, Deux
solitudes, ou si vous voulez, du verre à moitié plein et du verre
à moitié vide.
Effectivement, si je fais la somme des déclarations faites par
les représentants du gouvernement du Québec, que ce soit
moi-même - excusez-moi, je devrais commencer plutôt par le premier
ministre - ou, dans le domaine de l'agriculture, M. Pagé, ou d'autres
collègues, on dit essentiellement, à quelques points près,
exactement la même chose que vous. Et malgré cela, on se retrouve
avec une position où vous, vous dites: Notre conclusion c'est - et je la
lis -Nous demandons au gouvernement du Québec d'appuyer... Nous le
pressons en même temps de retirer son appui à toute entente de
libre-échange avec les États-Unis.
Me limitant au secteur de l'agriculture, au départ, je fais
référence aux conditions de l'appui du Québec à un
accord de libre-échange, conditions qui ont été
discutées nécessairement après avoir pris connaissance de
ce qu'étaient les éléments non néqociables
identifiés par le gouvernement canadien et auxquels il fallait se faire
une idée si on y souscrivait ou non. M'adressant à celle-ci, je
reprends les préoccupations que vous avez mentionnées, eu
égard, par exemple, à la souveraineté canadienne. Cela
faisait partie de ces éléments non négociables, et on l'a
répété, on l'a répété à
maintes reprises. Il n'est pas question de négocier la
souveraineté politique. Il n'est pas question de remettre en cause les
programmes sociaux. Aujourd'hui, votre collègue de la
Coopérative fédérée de Québec, M.
Pelletier, a donné rapidement cet exemple de la douzaine d'oeufs qui
coûtait moitié moins cher à Albany, mais l'accouchement ou
une autre intervention médicale en coûtait dix fois plus. C'est un
choix qu'on s'est donné comme Canadiens et comme
Québécois. Il n'est pas question de négocier cela.
La même chose pour ce qui a trait à la capacité des
gouvernements de pouvoir influencer le développement régional. La
même chose pour ce qui a trait à l'identité culturelle. Ce
n'est pas négociable. Et encore, d'une façon plus
particulière au Québec, la question du caractère
linguistique particulier. Mais quand je reviens à ces conditions de
l'appui du Québec, on parle du respect intégral de ses
compétences législatives, on parle du respect intégral de
ses lois, programmes et politiques dans les domaines de la politique sociale,
des communications, de la langue et de la culture. Et j'en passe, pour aller
à ce qui a été décidé comme position du
Québec sur les représentations qui nous ont été
faites par le ministère de l'Agriculture, dès le départ,
le maintien d'un statut spécial pour l'agriculture et les
pêcheries. Et je vais encore prendre notre dernière conclusion et
je suis sûr que mon collègue pourra peut-être en traiter, le
maintien de son droit d'approuver ou non l'entente en fonction de
l'évaluation ultime qu'il fera à la lumière de ses
intérêts fondamentaux.
Le point que je vais faire, M. le Président, c'est que sur le
plan de l'agriculture, de la conservation des offices de commercialisation, des
programmes de stabilisation des prix, de la question des tarifs en
général soulevée plus particulièrement dans le cas
de la représentation du Regroupement avicole du Québec et dont
mon collègue a traité avec une fermeté que je n'ai pas
à souligner encore plus, nous avons catégoriquement
déclaré qu'il n'était pas question de sacrifier les
structures ou l'organisation de tout ce secteur agricole
québécois qu'il a fallu des années d'efforts à se
donner et qui fonctionne aujourd'hui.
Mais voyant la conviction avec laquelle vous défendez les
intérêts de votre groupement, je suis surpris de votre
non-acceptation des intérêts d'autres qui se sont
présentés et qui vont se présenter devant nous et qui,
aussi catégoriquement que vous le faites pour l'agriculture, reprennent
d'abord, en premier lieu, ce qui s'applique pour eux et pour l'agriculture,
c'est-à-dire que l'objectif premier de la négociation avec les
États-Unis - et c'est également notre objectif premier au
Québec - est de se prémunir vis-à-vis de ces actions
unilatérales américaines qui, sans avis et très souvent
sans fondement valable, viennent pénaliser nos producteurs, comme cela a
été fait dans le cas du porc, dans le cas des pêcheries ou
dans le cas du bois de sciage. Maintenant, c'est la potasse et autre chose.
L'objectif premier est de protéger nos marchés. Ne parlons
pas d'ouvrir de nouveaux marchés. Protégeons les marchés
que nous avons déjà et protégeons les exportateurs
canadiens des actions unilatérales américaines. Je crois que
cette seule raison justifie la position québécoise. Les
représentants de la Coopérative fédérée qui,
à mon avis, regroupent 35 000 participants dans votre industrie, ont
ajouté d'autres raisons, mais cette raison seule met de
côté, je crois, ou va à l'encontre de cette
déclaration que vous faites: "nous les pressons en même temps de
retirer leur appui à toute entente de libéralisation des
échanges."
Les organismes dits mous mais performants du meuble - je prends
ceux-là, les mous, parce qu'on en a parlé souvent. D'ailleurs,
maintenant, ils n'aiment pas bien cela; la majorité des gens qui
oeuvrent dans cette industrie nous disent: Arrêtez de nous parler du
secteur mou; ce n'est pas de cette façon qu'on se caractérise -
du textile, de la chaussure ou du meuble, ou les industries relativement
nouvelles comme le transport en commun, l'avionique, l'aéronautique,
l'électronique, l'informatique, les secteurs financiers
québécois qui ont démontré que, même partis
de bases modestes, ils étaient capables de concurrencer les meilleurs
que les Américains pouvaient mettre en ligne, ces gens-là -
même si, dans plusieurs secteurs que j'ai mentionnés, vous allez
me dire qu'il n'y a pas de tarifs, vous savez comme moi qu'il existe nombre de
barrières tarifaires; votre connaissance approfondie des méthodes
américaines de commerce international m'évite de continuer
à discourir sur ces restrictions - l'ensemble de ces entreprises que je
viens de mentionner nous disent qu'il y aurait avantage pour elles à ce
qu'on négocie avec les Américains une plus grande ouverture, une
diminution de ces barrières et surtout, et j'y reviens, une protection
contre les actions punitives unilatérales.
Dans ce contexte, je vous demanderais, M. le Président, si en
acceptant - et je ne veux pas commencer une polémique avec vous, parce
que je pense, comme je vous l'ai dit au départ, et je suis même
convaincu, que nos positions se rapprochent beaucoup, et je crois que vous ne
mettez sûrement pas en doute la parole du ministre de l'Agriculture -le
fait qu'il n'est pas question de mettre en danger sous quelque forme que ce
soit tous les éléments de cette politique agricole que vous avez
mentionnée, en acceptant ceci, mais également le fait que
d'autres peuvent avoir des avantages dans tout ceci et qu'il a plusieurs
intérêts que nous, comme gouvernement du Québec, devons
représenter avec autant d'acharnement et de fermeté, vous
maintenez qu'il devrait n'y avoir aucune
entente quelconque avec les États-Unis.
M. Proulx: Je continue à dire que, dans le décor
dans lequel cela a été fait depuis dix-huit à vingt mois
et très prochainement deux ans, on doit dire non, parce que le discours
change continuellement, M. le ministre. Cela ne fait pas si longtemps, je suis
persuadé que vous l'avez dit, c'était le marché
américain. L'objectif à atteindre, c'était avoir
accès au marché américain. Il n'y a pas que vous qui
l'avez dit, tout le monde l'a dit.
M. MacDonald: C'est secondaire.
M. Proulx: Vous ne l'avez peut-être pas dit, mais il y a
une multitude de gens qui l'ont dit. Aujourd'hui, on dit: C'est pour
protéger notre marché. Je vais vous donner seulement un exemple.
Je suis certain que vous le connaissez. Il y a un traité de
libre-échange dans le monde, à l'heure actuelle, un peu
semblable, entre les États-Unis et Israël. Vous savez ce que cela
donne. Les États-Unis ont gardé toute la partie de l'armement qui
représente des milliards et des milliards - je crois que c'est 700 000
000 000 $ - pas le droit de toucher, c'est un petit écart. Cela n'a pas
empêché les Américains, même à
l'intérieur de la première année de cette entente, de
mettre des surtaxes sur certains produits. Exactement, ils l'ont toujours dit.
Il faut se souvenir qu'il y a des éléments qui ont toujours
été là. Le droit des Américains de mettre des
droits compensatoires. Ils ne se sont jamais cachés pour le dire. Ils
l'ont toujours dit haut et fort. Le tribunal d'arbitrage neutre et
exécutoire, ce sont deux éléments essentiels à une
entente. Ils ont toujours dit qu'il n'en était pas question,
c'était leur souveraineté. Encore ces jours-ci, à la
télévision, j'ai vu des sénateurs américains
affirmer qu'il n'était pas question de cela.
Vous dites: Telle affaire ne sera pas là-dedans, telle autre
affaire non plus. Il n'y a plus rien là-dedans. Pourquoi
négociez-vous si intensément? Il n'y a plus de secteurs. Il n'en
reste plus que quelques-uns. Pourquoi tout ce branle-bas, ces dépenses
énormes, et cette mobilisation de toute la population? Il y a une
crainte. S'il n'y a plus rien, s'il n'y a plus la culture, s'il n'y a plus
l'agriculture, s'il n'y a plus nos secteurs X et nos secteurs Y, pourquoi ne
continuons-nous pas comme avant? Depuis la fin de la guerre, M. le ministre, il
y a eu une augmentation graduelle du commerce entre le Canada et les
États-Unis. On en est à 75 %, à 80 %. Il ne reste plus que
4, 5 ou 6 % à aller chercher. Cela ne peut pas vraiment être
complet. C'est quand on regarde cela en omettant les surproductions, etc.
Pour moi, protéger nos marchés... vous le savez comme moi,
la dignité attire la dignité. On n'a pas à plier devant
les Américains. Le Canada n'a pas réglé son
problème de bois d'oeuvre en prenant les devants et en mettant une taxe
à d'autres endroits. II a courbé l'échine et il va
continuer à courber l'échine. Pourquoi les Américains -
continuons avec l'exemple du bois d'oeuvre - ont-ils mis uniquement une taxe
sur le bois d'oeuvre? Pourquoi n'en ont-ils pas mis sur la pâte et sur le
papier? La réponse est simple, je pense, c'est qu'ils ont besoin de la
pâte et du papier. Ils en ont absolument besoin. Le New York Times et
d'autres journaux ont besoin de papier tous les jours. Pourquoi n'ont-ils pas
mis de taxe là? Ce sont des questions auxquelles personne n'est capable
de nous répondre.
À mon avis, c'est en se tenant debout qu'on va se faire
respecter. Le respect attire le respect. Les États-Unis, ce n'est pas la
fin du monde. Quand ils achètent chez nous, c'est parce qu'on leur vend
meilleur marché qu'ailleurs. Ne nous racontons pas d'histoires. Il n'y a
pas d'Américains qui achètent ici pour nous faire plaisir. Ils
achètent parce qu'ils viennent faire un bon "bargain", parce que c'est
payant. Le matin que ce ne sera plus payant, ils ne viendront plus. Je vous
ramène aux deux points majeurs d'une vraie entente: Ce serait d'accepter
qu'il n'y aura plus jamais de droits compensatoires et qu'il y aura vraiment un
tribunal neutre qui va être exécutoire. C'est là que tout
se joue et, à mon avis, on a trop tendance à oublier ces parties.
Le seul exemple, c'est avec Israël et ce n'est pas avec celui-là
que vous allez vous convaincre. (17 h 15)
M. MacDonald: C'est exactement cela et je suis content que vous
le mentionniez. Ce n'est justement pas le genre d'entente passée avec
Israël que nous, Québécois, appuyons comme position à
atteindre. Cette entente-là, justement, ne prévoyait absolument
rien de différent au règlement des différends à la
frontière. Comme vous l'avez très bien dit, dans la
première année, les Américains ont fait appel à
leur "trade remedy laws". Donc, vous venez témoigner à nouveau
avec nous, dans votre conclusion, qu'il faut trouver un moyen quelconque.
Rappelez-vous aussi que le traité avec Israël ne couvrait que 2 000
000 000 $ de transactions. La nature des transactions entre le Canada et les
États-Unis, c'est 150 000 000 000 $ par année. Qu'on le veuille
ou non, c'est le principal débouché international des biens et
services pour le Canada. Je vous rejoins très bien dans cette notion
qu'il faut - appelez-le un tribunal; on peut lui trouver d'autres
désignations trouver un moyen - c'est ce que nous avons dit depuis le
début - beaucoup plus civilisé, beaucoup plus logique de
régler nos différends à la frontière.
J'aimerais terminer, et ainsi laisser la parole à mon
collègue, en vous faisant la remarque suivante. Permettez-nous
d'être très sceptiques sur notre capacité de
réaliser quelque chose de concret à l'intérieur d'un
délai convenable au sein du GATT. Je crois connaître le GATT.
L'agriculture, par le fait même, est un des sujets très importants
qu'on a essayé de traiter au GATT. Cela a été le plus
grand fiasco et le plus grand gâchis qu'on peut imaginer.
Deuxièmement, le GATT, loin de se raffermir, s'est plutôt
affaibli.
Je conclurai en disant que, même si ce ne sont que des questions
de normes d'hygiène ou certains barèmes de vérification
technique, si nous ne sommes pas capables dans une entente bilatérale
avec les États-Unis de régler quelque chose, franchement je suis
plutôt sceptique qu'avec 91 autres pays à une table dans le
contexte du GATT on puisse réaliser quoi que ce soit. Merci tout de
même de votre présentation et, comme je vous le dis, je ne me sens
pas tellement éloigné de vous.
M. Proulx: J'ai hâte que vous soyez complètement
à l'aise avec nous.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): M. le président, merci pour la
présentation de ce mémoire. Je dois dire que, de ce
côté-ci, on se sent bien à l'aise avec votre position parce
qu'on a été clairs dès le début sur le fait qu'il
fallait absolument exclure tout le secteur de l'agriculture, et de la culture,
soit dit en passant.
Votre mémoire est bien étoffé. Il est clair, net et
précis. Je trouve quand même extraordinaire de voir le ministre du
Commerce extérieur réussir, par de bonnes pirouettes politiques,
à dire et oser dire qu'on n'est pas loin d'une position semblable. Je
l'ai mentionné hier et on doit le souligner aujourd'hui, lorsqu'on parle
du secteur de l'agriculture, si j'ai bien compris - à moins que je n'aie
mal compris et la commission parlementaire est là, une fois pour toutes,
pour qu'on s'explique bien - la position du gouvernement, c'est de dire au
point 6 dans les conditions d'appui... Si le président de l'UPA, M.
Plourde, a des réponses qu'il a obtenues que nous n'avons pas
réussi à obtenir, j'aimerais les avoir. Si on ne les a pas, il
faudra que le ministre les donne.
Qu'est-ce que c'est exactement que le gouvernement du Québec, le
16 septembre 1987, entend par le maintien d'un statut spécial pour
l'agriculture et les pêcheries? Y a-t-il une différence entre le
maintien du statut, ce que le gouvernement tente de défendre, et ce que
l'Union des producteurs agricoles dit et ce que nous disons, à savoir
que nous voulons une exclusion totale? S'il y a une différence - j'ai
tout lieu de croire qu'il y en a une et c'est ce que je comprends - c'est qu'il
y a effectivement des choses qui sont sur la table en train de se
négocier aujourd'hui. Je voudrais savoir ce que signifie exactement ce
qui est en train de se négocier. Je pense que votre démonstration
n'est pas démagogique. La démonstration faite dans votre
mémoire, M. Plourde, est bien appuyée, bien
étoffée. Vous savez drôlement de quoi vous parlez.
Je pense que votre position catégorique, M. Proulx, est une
position dans laquelle vous êtes entièrement dans vos droits. Si
le gouvernement vous a fourni des réponses quant à son statut
particulier, son statut spécial, nous essayons de le savoir. Je me
souviens que le 22 mai - j'ai relu les notes tantôt - lors de
l'interpellation en Chambre avec mon vis-à-vis, le ministre du Commerce
extérieur, on n'avait pas pu obtenir ces réponses-là mais,
encore là, on était à cinq mois de la fin des
négociations. On sait que la position du gouvernement n'a pas
changé. On sait que des enjeux importants sont en train de se jouer. Je
pense que, si on veut vraiment que le débat avance, il faudra avoir des
éclaircissements, tant vous que nous, à savoir ce que signifie
exactement le fameux maintien d'un statut spécial. Est-ce que les quotas
sont remis en question? Est-ce que les tarifs sont remis en question? Qu'est-ce
qui est remis en question? Je comprends qu'effectivement le gouvernement du
Québec n'a pas exclu l'agriculture dans ses positions.
Je ne sais pas si vous avez des réponses, mais si vous ne les
avez pas, je vous prierais de les demander au gouvernement.
M. Proulx: Je n'ai pas de réponse. On a posé des
questions en de multiples occasions. D'abord, je voudrais vous dire que vous
êtes bien d'accord, mais tout le monde est d'accord pour exclure
l'agriculture. Ils nous l'ont dit depuis le départ, sauf que c'est plus
que ça pour nous, et je pense que vous l'avez constaté. Il ne
suffit pas d'exclure l'agriculture. L'agriculture n'est plus ce qu'elle
était il y a 30 ans, isolée, à peine autosuffisante pour
la ferme. C'est le secteur le plus important au Québec. Ce n'est pas
parce qu'on nous dit qu'on est bien d'accord pour exclure l'agriculture que
cela nous contente, parce qu'on vient de nous prendre par la bande d'une
manière ou d'une autre. On l'a dit clairement à
l'intérieur de notre mémoire.
Il y a tellement d'ambiguïté là-dedans. Cela a
tellement d'effets complètement négatifs sur toute
l'économie - de quelque secteur que ce soit - qui en souffrirait. Je
pense que tous ceux qui, depuis le début, ont
essayé de nous dire... On ajoute, au fur et à mesure que
les besoins se font sentir, différents secteurs qu'on va exclure, cela
ne fait qu'ajouter de l'ambiguïté à mon avis. Encore une
fois, exclure l'agriculture uniquement, c'est ni plus ni moins pour nous
essayer de se donner bonne bouche ou essayer d'entrer dans le décor
d'une certaine façon. Les secteurs en aval ont une influence
énorme sur les coûts en agriculture et cela va se
répercuter.
Encore une fois, vis-à-vis de vous aussi, on dit que c'est plus
ou moins clair parce que vous avez de petites tendances à vouloir
être pour certains secteurs. Je voudrais rappeler qu'on a souligné
tout à l'heure que des secteurs étaient venus dire ou viendront
dire qu'ils sont d'accord. J'ai hâte de les voir vous mettre quelque
chose de potable sur la table montrant pourquoi ils sont pour. Je n'en ai pas
rencontrés encore et pourtant on s'occupe du dossier depuis fort
longtemps. Il y a peut-être le Conseil économique du Canada qui,
par deux fois, s'est essayé d'en faire accroire au monde. Il a
commencé à 500 000 emplois de gain et il est rendu à
quelque 100 000. Cela a toujours été des rapports minoritaires.
Je veux bien que ce soit crédible mais, quand même, il faudrait
que ça se tienne.
Quels secteurs sont en pleine progression? On peut vous nommer
Bombardier. Souvent, on aime ça. On n'avait pas le libre-échange
et pourtant Bombardier a fait une progression "abominable". Pour Shermag qui
est dans ma région et que je connais très bien, qu'est-ce que
ça va changer, le libre-échange? Il a une progression qui
surpasse tout ce qu'on peut espérer. Il n'y a pas de traité de
libre-échange. Une multitude d'autres secteurs ont pris
énormément d'ampleur dans les dernières années et
on n'avait pas d'entente. Ce sont uniquement ceux-là qui disent que...
mais ils n'ont pas de chiffres qui le prouvent. En tout cas, on n'en a pas vus.
Je sais qu'il y a eu des études, mais jamais ceux qui les ont faites ne
les ont rendues publiques. Nous sommes les seuls à avoir rendu publiques
les études qu'on a faites parce qu'on n'a pas eu peur. Le gouvernement a
fait des études. Je ne sais pas si vous les avez eues, vous êtes
en meilleure position que nous pour les avoir, mais on ne les a pas eues.
M. Parent (Bertrand): Je veux vous rassurer, M. Proulx, on n'a
pas eu tes études non plus et on travaille sensiblement avec les
mêmes outils que vous. J'aimerais juste vous dire, par rapport à
votre commentaire, qu'il a toujours été clair, lorsqu'on a
parlé d'exclusion de l'agriculture et de la culture, qu'en ce qui
concernait l'agriculture il s'agissait, bien sûr, des industries de
transformation qui les accompagnent.
Quant au reste, oui on a des nuances et on a dit où elles se
situaient exactement. Je pense que le débat n'est pas là parce
qu'on le fait avec d'autres groupes, mais en ce qui regarde l'agriculture, je
pense qu'on a été très clairs de ce côté. Il
est dommage que vous n'ayez pas la réponse à la question que je
pose, vous non plus; En quoi consiste exactement le statut spécial que
défend le gouvernement, en quoi votre sort, notre sort dans le domaine
de l'agriculture au Québec est actuellement en train de se jouer? Nous
sommes ici, nous, des élus, vous, des représentants d'une
association qui gère des millions et des millions de dollars
d'activités économiques au Québec et des milliers et
milliers de PME, vraiment dans le sens qu'on l'entend et nous n'avons pas,
à 17 jours de la conclusion d'une entente, les éclaircissements
là-dessus. En tout cas, pour ma part, je vous le dis, je trouve cela
carrément inacceptable et j'espère que le gouvernement va nous
donner ces réponses puisqu'on a le ministre en face de nous qui va
certainement s'empresser d'éclaircir cette ambiguïté le plus
rapidement possible, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, si je comprends
bien, c'est un autre commentaire. Alors, je vais céder la parole...
à moins que M. Proulx vous ne vouliez réagir?
M. Proulx: Juste pour compléter peut-être, pourquoi
on ne veut pas uniquement l'agriculture là, c'est parce que ce sera bien
beau d'avoir une agriculture bien protégée si les consommateurs
n'ont plus de "job", cela veut dire qu'ils n'auront plus d'argent pour acheter
nos produits; on va être poignés au bout, quand même. C'est
pour cela qu'on est contre partout.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, la parole est
maintenant au ministre de l'Agriculture.
M. Pagé: Merci, M. le Président, écoutez, ce
que vous auriez dû faire depuis janvier 1986 et que vous n'avez pas
fait...
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre a
jusqu'à présent la parole.
M. Pagé: Ne venez pas dire que c'est mai qui ai
commencé, depuis tantôt qu'il parle, lui.
Le Président (M. Charbonneau): Non, mais je vous
arrête avant que cela dégénère. Allez-y.
M. Pagé: Vous les connaissez mieux que moi donc.
Le Président (M. Charbonneau): Je vous connais aussi alors
je vous demande de...
M. Pagé: M. le Président, je voudrais remercier M.
Proulx, M. Mailhot, M. Baril, M. Daoust, M. Pellerin. Je voudrais profiter
aussi de l'occasion pour saluer tous les gens de l'Union des producteurs
agricoles qu'ils soient au niveau des régions ou au niveau des
différentes fédérations qui sont avec nous, aujourd'hui,
et qui sont venus dans leur Parlement parce qu'ils s'inquiètent, et
c'est explicable qu'il en soit ainsi. Non seulement on doit avoir à
l'esprit le débat sur le libre-échange, cette volonté qui
a été évoquée par le gouvernement du Canada de
négocier une entente de libre-échange avec les États-Unis,
mais il faut bien avoir à l'esprit que l'inquiétude qui anime les
agricultrices et les agriculteurs du Québec s'appuie sur d'autres
considérations.
Jamais l'agriculture ne se sera retrouvée dans une position aussi
délicate comme vous l'indiquiez de façon assez claire, assez
précise, M. Proulx. Des surplus à l'échelle mondiale en ce
qui a trait aux céréales, c'est l'équivalent de deux ans
peut-être de stock de report. Des pays qui étaient importateurs de
céréales sont maintenant devenus des exportateurs. Une guerre
commerciale très farouche entre deux entités que sont les
États-Unis, notamment, et la communauté économique
européenne. Des pays industrialisés qui subventionnent de plus en
plus leur agriculture, et à cet égard on doit convenir que
l'agriculture canadienne et l'agriculture du Québec ne sont pas les plus
subventionnées dans cette vallée de géants
budgétaires que sont, entre autres, les Etats-Unis et la
Communauté économique européenne. Ce sont des pays de plus
en plus protectionnistes, notamment les États-Unis qui, d'un
côté, manifestent de l'intérêt à
l'égard d'une libéralisation des échanges avec le Canada,
mais qui, d'un autre côté, adoptent des mesures protectionnistes
que ce soit par l'imposition de droits compensatoires ou par des subventions
énormes pour aider à exporter leurs produits.
Ce qui entraîne, plus souvent qu'autrement, des chutes de prix
durement ressenties par des producteurs comme ceux du Québec, qui,
notamment dans la production de céréales, sont à
même de le voir depuis quelques années tout comme dans les
productions animales. Dans la production du porc où on est très
performant, l'inquiétude est tout à fait légitime quand on
voit, quand on constate que les céréales sont l'intrant principal
dans cette production, et que là-bas aux États-Unis ils ont des
avantages comparatifs avec nous. En voyant des appréhensions comme
celles de l'imposition de droits compensatoires, je comprends pourquoi les
productrices et producteurs de porcs s'inquiètent. (17 h 30)
M. le Président, il faut reconnaître que dans tout ce
débat, dans toute l'analyse de ce dossier, il faut toujours avoir
à l'esprit le caractère spécifique de l'agriculture et de
l'agro-alimentaire au Canada et au Québec. On a une politique agricole
au Québec qui s'est développée, qui s'est bâtie,
où on a atteint des niveaux d'excellence, mais ce n'est pas le fruit du
hasard. Cela s'est articulé principalement sur une volonté de
mise en marché de nos produits mieux ordonnée pour que la gestion
de l'offre soit mieux structurée avec l'objectif de correspondre
davantage aux besoins des consommateurs en termes de volume et aussi,
évidemment, de régularisation des prix. Cela s'est
articulé aussi autour de régimes d'assurances, d'agences
nationales de commercialisation.
L'agriculture au Québec aussi performante s'est bâtie
à partir aussi de régimes d'assurance-stabilisation qu'on s'est
donnés, pas seulement les gouvernements, mais les gouvernements et les
producteurs parce qu'ils contribuent de façon assez importante; à
partir aussi de la protection de nos ressources, notamment de la ressource du
sol; à partir de programmes agricoles pour la . mise en place de
capacité de production, de développement de marchés
internes et externes; par la mise sur pied et en place d'un système
très performant en ce qui concerne la qualité de nos produits.
Vous savez, pour nous, ces particularités commandent et ont
commandé une prise de position qu'on veut la plus claire en ce qui
concerne des principes de base à respecter.
La position du Québec face au projet de libéralisation des
échanges entre le Canada et les États-Unis s'articulent autour de
la prise en compte que ce secteur est particulier, et cela, ce n'est pas
d'aujourd'hui qu'on le dit. D'ailleurs, les représentants de l'Union des
producteurs agricoles le savent pertinemment par suite des nombreux
échanges que j'ai eus avec eux. C'est depuis janvier 1986, à la
première conférence fédérale-provinciale des
ministres de l'Agriculture, si ma mémoire est fidèle,
c'était exactement le 30 janvier, que j'ai indiqué au nom du
gouvernement du Québec ce sur quoi on ne pouvait pas bouger d'un iota,
compte tenu de l'importance pour les fondements mêmes de notre
agriculture: Le droit dans un premier temps, le droit constitutionnel du
Québec de favoriser le développement de son agriculture par des
politiques, des actions spécifiques et complémentaires à
celles du gouvernement fédéral.
Qu'est-ce que cela veut dire concrètement? En vertu de la
constitution, on a une juridiction partagée en agriculture. Le
Québec doit conserver ses leviers, ses pouvoirs en ce qui concerne le
droit que nous avons, dans une perspective de représentation
adéquate de nos productrices, de nos producteurs et de l'industrie, de
développer des programmes, d'enclencher des
façons de faire, façons de faire, de consacrer des budgets
pour développer notre agriculture. Et je me référais,
quand on a échangé tout à l'heure avec le Regroupement
avicole du Québec, à la production avicole, en disants Toute
volonté du gouvernement canadien d'augmenter les quotas d'importation
devait passer par des études d'impact et aussi des consensus pour les
provinces, compte tenu de la juridiction que nous avons en agriculture. Cela a
été dit aujourd'hui M. le député. Cela a
été dit dès le 30 janvier et cela a été
répété depuis.
La capacité pour le Québec d'utiliser le régime de
stabilisation des revenus agricoles comme instrument privilégié
pour le maintien de cette stabilité et pour assurer la croissance et la
rentabilité de l'agriculture, pour nous, c'est primordial. Nos
régimes d'assurance-stabilisation qu'on s'est donnés au
Québec depuis 1974, même s'ils sont critiqués par d'autres
provinces, notamment et particulièrement .par les Américains - on
voyait des déclarations des producteurs de porcs en fin de semaine qui
dénonçaient nos régimes d'assurance-stabilisation
correspondent à un fondement de notre agriculture. Les Américains
procèdent de façon différente. C'est par l'injection de
subventions à l'exportation, c'est par l'injection de subventions
à la production sur une base ad hoc. Mais le degré
d'efficacité de nos programmes d'assurance-stabilisation n'est plus
à démontrer. Exemple concret: Si les
céréaliculteurs de l'Ouest avaient eu des régimes
d'assurance-stabiiisation comme ceux que le gouvernement du Québec a
adoptés en 1974, qui ont été développés
depuis, si on avait eu cela dans l'Ouest canadien, le gouvernement
fédéral n'aurait pas à débourser des paiements ad
hoc régulièrement, dont 1 500 000 000 $ ou 1 700 000 000 $ qu'il
devra débourser cette année. Aux États-Unis, les
producteurs de céréales ne seraient pas dans la position
où ils sont.
Il n'est pas question, en ce qui nous concerne, que quelqu'entente que
ce soit vienne toucher à un principe de base comme celui-là, tout
comme le maintien des offices nationaux de commercialisation. On s'est
discipliné au Canada à coup de sacrifices. On se rappellera,
tous, les déclarations qu'on voyait parfois à la
télévision et dans les journaux. C'était terrible. Le
producteur devait jeter son lait dans le drain. Pour certains, cela
était dramatique. Il fallait revoir tout cela et il fallait produire
comme on voulait. C'est à partir de contingentements de production qu'on
s'est bâti une économie, une production rentable, justifiant les
investissements, justifiant aussi le travail en capital humain qui y est
consacré. C'est comme cela qu'on s'est bâti aussi tout un
réseau d'industries de transformation de nos produits laitiers.
La position qu'on adopte, et on a abordé ce sujet pour votre
bénéfice, M. Proulx, c'est qu'on ne peut pas évidemment se
satisfaire d'une déclaration du gouvernement canadien nous disant: Ne
soyez pas inquiets, les agences nationales de commercialisation vont être
maintenues; exemple concret, dans le lait, dans le poulet, dans le dindon, dans
les oeufs, et on l'espère le plus rapidement possible, dans les pommes
de terre compte tenu de l'entente qu'on a eue. Cette prise de position de
maintien de nos régimes, de nos agences de commercialisation doit
être accompagnée d'une sécurité, en ce qui concerne
le Canada et notamment le Québec, des arrivages des autres pays et
notamment des États-Unis. Que ce soit sous forme de contingentements,
que ce soit sous forme de tarifs douaniers, peu importe le vocabulaire, peu
importe la procédure ou le terme, il doit être très clair
que la protection, par exemple, de nos quotas laitiers, de notre production
laitière doit être accompagnée d'une protection
adéquate pour le produit transformé ici. Comme je le disais ce
matin, s'il n'y a pas cette protection complémentaire, peut-être
que dans quinze ans, on aura encore des quotas et le papier sera beau. Mais
s'il n'y a pas une vache dans l'étable, ce n'est pas cela qui va faire
vivre l'agriculteur. C'est clair. J'espère que c'est assez clair. Cela a
été demandé, cela a été
réitéré, cela a été invoqué à
chacune des conférences fédérales-provinciales. Je peux
vous indiquer que j'ai tous les motifs de croire que la position du
Québec, qui n'est pas seulement celle du Québec, mais qui est
celle des autres provinces aussi, va non' seulement être entendue, mais
se reflétera concrètement dans la prise de position canadienne
annoncée comme suite des échanges qu'ils ont avec leurs voisins
américains.
M. le Président... II me reste deux minutes. C'est dommage. Ils
ne peuvent pas me donner un peu de leur temps?
Le Président (M. Charbonneau): On peut toujours...
M. Parent (Bertrand): On va en ajouter des deux bords.
M. Pagé: II y a toute la question de la protection
adéquate à fournir à nos productions pour certaines
productions saisonnières. On a eu l'occasion d'y revenir ce matin. II
nous apparaît qu'on doit tenir compte du caractère saisonnier
rattaché à certaines productions, notamment les productions
horticoles. On accorde aussi une importance de premier niveau et des exigences
très claires. On ne peut pas s'associer à une démarche qui
aurait comme résultat de diminuer ou d'affecter notre juridiction en
matière de réglementation
technique- Qu'il suffise de se référer à toutes nos
normes sur la qualité des produits, nos normes sanitaires, etc. Par
contre, il faut pousser l'analyse jusqu'au bout, M. Proulx. C'est là que
j'ai une question à vous poser. Je vais terminer là-dessus.
II n'est pas impossible, pour ne pas dire qu'il est probable que la
position américaine voyant que le Canada ne céderait pas, c'est
ce qu'on espère, sur les agences nationales de commercialisation, sur
nos régimes d'assurance-stabilisation, sur le droit d'orienter notre
propre agriculture, tout en établissant clairement qu'on ne pourra pas
faire indirectement ce qu'on ne peut pas avoir directement au niveau de
l'entrée des produits transformés venant de l'extérieur...
il faut quand même s'attendre à des réactions, et une qui
est possible, c'est évidemment au niveau du porc. On produit un porc de
haute qualité, dont le pourcentage de gras est très faible.
Même si nos intrants sont plus chers qu'aux États-Unis, même
si on a des avantages comparatifs plutôt que des désavantages
comparatifs, si je peux utiliser le terme, c'est un marché important
pour nous sur les 700 000 000 $ qu'on y exporte en produits agricoles, et une
bonne partie, c'est le porc de chez nous, si on a des droits compensatoires qui
sont exigés. Est-ce qu'on a eu une analyse de l'impact qui a
été faite, soit par l'UPA ou par la Fédération des
producteurs de porcs?
Le Président (M. Charbonneau): M.
Pellerin.
M. Pellerin (Laurent): M. le ministre, pour avoir
participé dans la question de la douane du porc depuis le début
de la demande des Américains de fixer des droits compensatoires sur le
porc, depuis le début de l'année 1985, je peux vous dire que,
dans tout ce processus-là, il n'a jamais été question,
avec tous les producteurs américains, les avocats, les fonctionnaires
américains qu'on a rencontrés, de tribunal paritaire pour
analyser les subventions reçues au Canada et aux États-Unis. Il
n'a jamais été question de comparaison et c'est là que
cela faisait un peu mal sachant comment les producteurs américains
étaient soutenus financièrement par la production de
céréales, largement subventionnée aux États-Unis,
alors qu'on pourrait qualifier les sommes qu'on recevait au Québec et
dans l'ensemble du Canada d'insignifiantes par rapport à celles que les
Américains recevaient, mais rien ne paraissait.
Je pense que vous avez suffisamment l'expérience du dossier
canadien dans la stabilisation des produits agricoles pour savoir comment c'est
difficile de mesurer comment votre contrepartie peut recevoir de subventions
sous formes diverses, directes et indirectes. Vous savez tous les noms que les
anglophones emploient pour qualifier leurs subventions de "bottom, top" ou de
"side-loading", etc. Vous savez comment c'est difficile d'évaluer les
sommes que ces gens-là reçoivent dans un même pays, le
Canada, alors que, dans l'entente qu'on est en train de discuter avec les
Américains, même s'il y avait un tribunal d'arbitrage paritaire,
je ne vois pas comment on serait capables d'évaluer adéquatement
les sommes d'argent que les producteurs américains reçoivent puis
de les comparer à ce qu'on reçoit ici. Très directement,
ce sont nos programmes de stabilisation des prix, des revenus qui sont
visés au Canada, pour l'avoir entendu de producteurs américains,
de fonctionnaires, d'avocats, du côté américain.
S'il y avait un homme politique aux États-Unis qui
prétendait le contraire, c'est-à-dire qui serait prêt
à signer une entente de libre-échange avec tribunal d'arbitrage
avec les Canadiens, je vous garantis bien que, selon la connaissance que j'ai
des producteurs, des fonctionnaires et des quelques avocats américains
qu'on a rencontrés dans ce dossier, il se ferait chauffé assez
sérieusement. Je peux vous dire que c'est le climat des gens de
l'agriculture aux États-Unis. À aucun prix, ils ne sont
prêts à considérer un tribunal d'arbitrage. Pour nous, du
côté canadien, c'est une condition primordiale; s'il n'y a pas de
tribunal d'arbitrage, il n'est absolument pas question de s'en aller dans ce
domaine-là. On ne voit pas la possibilité d'un tribunal
d'arbitrage; on ne voit même pas la possibilité de sortir d'une
décision d'un tribunal d'arbitrage qui aurait porté son jugement
sur des données qu'on ne peut pas vérifier ou qui sont difficiles
à vérifier. (17 h 45)
Où cela blesse encore un peu plus, si on veut revenir à
des arguments un peu plus terre-à-terre - au fond, peut-être que
les agriculteurs ne sont pas de bons négociateurs et qu'on vous fait
confiance pour négocier; vous semblez vous diriger sur une bonne piste,
quand on négocie quelque chose, on sait habituellement ce qu'on veut
prendre; on sait aussi ce qu'on est prêt à laisser aller -c'est
là que cela nous met un peu dans l'eau chaude, on ne sait pas
jusqu'à maintenant -et le monde agricole ne le sait pas - ce que vous
êtes prêts à laisser aller en notre nom. Quand on
négocie, on peut prendre des choses, mais il faut aussi en laisser
aller. On ne sait pas ce que vous ou ce que le gouvernement, autant provincial
que fédéral, a l'intention de laisser aller.
Le Président (M. Charbonneau): M,
Proulx.
M. Pellerin: C'est la source de nos inquiétudes.
M. Proulx: Je pense qu'il y a là une question fondamentale
qu'on ne peut connaître de personne. Quelle partie ou quel secteur de
l'agriculture sera-t-on prêt à négocier si les
Américains disent: On n'achète plus de porc? On sait que le porc,
c'est important et qu'aux États-Unis, c'est une question qui vaut
plusieurs piastres et qu'il est impossible de savoir. Je peux bien essayer de
comprendre que, quand on est en négociation, on ne peut pas ouvrir notre
jeu? c'est bien évident. Mais on devrait au moins faire confiance et
avoir un peu de respect pour ceux et celles qui le font quotidiennement. C'est
la grosse question.
Je voudrais revenir dire à mon ministre que sa profession de
foi... je ne sais pas si on est plus réceptifs que son chef mais, s'il
tenait le même langage à son chef, son chef comprendrait
rapidement qu'il faut qu'il soit contre le libre-échange.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Proulx: Je voudrais quand même dire qu'il y a une chose
qu'on ne peut oublier: libre-échange ou non - et on est trop souvent
porté à l'oublier - les droits compensatoires seront toujours
là. Ce ne sont pas (es douanes qui nous font mal à l'heure
actuelle; ce ne sont pas toutes les bebelles qui entourent les
différents mécanismes. Ce sont les droits compensatoires. Vous
avez indiqué dans le cas du porc que c'est cela qui va faire mal. C'est
cela qui fait toute la différence entre être capable d'être
concurrentiel ou non. Cela, on essaie de l'ignorer, mais on ne peut pas
l'ignorer. C'est ce qui a fait mal, durant les dernières années,
dans le domaine du poisson, du bois d'oeuvre, du porc et de la pomme de terre.
C'est ce qui a fait mal et c'est ce qui nous a demandé des
dépenses excessives pour nous défendre contre cela. N'ignorons
pas cela. Vous ne changerez rien. Vous aurez beau signer le plus bel accord de
libre-échange au monde avec les Américains, vous allez toujours
avoir cela dans les jambes, et c'est là le problème. Les
Américains ont toujours été clairs là-dessus.
Jamais ils n'accepteront de ne pas avoir le droit d'imposer des droits
compensatoires.
Je ne vois pas pourquoi, depuis un moment donné, depuis une
certaine fête à Québec, le monde est viré à
l'envers et qu'il faut absolument négocier avec les Américains.
Personne n'a été capable de me répondre non plus à
cela. On n'en entendait pas parler en 1983 ou en 1984, et on en avait des
difficultés dans le commerce. Mais, à partir d'une fête
durant l'hiver, c'est devenu le problème numéro un du Canada.
Pourquoi instantanément?
M. Pagé: M. le Président, un bref commentaire, si
vous le permettez pour remercier M. Pellerin et lui indiquer que je conviens
avec lui de la très grande difficulté, et dans plusieurs cas, la
quasi-impossibilité de mesurer exactement, pour une production
donnée, à un moment donné, le niveau de partipation ou
d'aide, directe ou indirecte, à une production agricole. On en a eu
l'expérience au niveau canadien quand on a voulu mesurer pour chacune
des provinces ce qui se faisait, notamment en ce qui concerne les viandes
rouges. Entre parenthèses, on a constaté, soit dit en passant que
le Québec n'était pas pire que les autres au niveau canadien,
mais on a constaté que c'était difficile à cerner en
général et précisément, cela arrivait trop tard. Je
comprends avec vous que, dans un contexte américain, où non
seulement le gouvernement, comme gouvernement fédéral, pourrait
intervenir, mais chacun des États, il serait difficile de calibrer et de
mesurer le degré exact de soutien donné à une production
et avec ce que cela peut entraîner.
M. le Président, mon temps est terminé. M. Proulx,
j'apprécie beaucoup votre contribution, évidemment, dans tout ce
débat. Aujourd'hui, c'est la comparution publique, mais ce n'est quand
même pas d'aujourd'hui, c'est depuis plusieurs mois que l'Union des
producteurs agricoles, à juste titre, s'interroge, s'inquiète. Et
aujourd'hui, vous êtes venu dire très clairement à
l'Assemblée nationale du Québec quelles étaient les
positions que vous défendez, qui, j'en conviens avec mon collègue
- et je pense qu'on doit en convenir à la lumière des discussions
nombreuses qu'on a eues depuis dix-huit mois, depuis vingt mois - sont
très près l'une de l'autre, entre votre organisme et le
gouvernement du Québec que je représente en ce qui concerne
l'agriculture. Ce qui vous inquiète c'est ce qui pourrait être
laissé tomber. Je peux vous dire très clairement qu'il n'est pas
question pour le gouvernement du Québec de laisser tomber quelque acquis
que ce soit en ce qui concerne nos productions agricoles au Québec, M.
le Président. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Sur ce commentaire du
ministre, je vais maintenant céder la parole au critique de l'Opposition
en matière d'agriculture, le député de Laviolette.
M. Jolivet: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Proulx,
c'est la première occasion qu'on a de se rencontrer publiquement,
même si on s'est déjà rencontrés à d'autres
occasions sur l'ensemble de différents sujets. Aux gens qui vous
accompagnent, aux gens de vos régions, bonjour. J'ai
écouté avec attention le ministre qui a commencé en disant
que sa mémoire ne lui faisait peut-être pas défaut.
Le 30 janvier 1986, il exprimait, lors de la Conférence
fédérale-provinciale, la position de son gouvernement sur
l'ensemble du libre-échange eu égard au secteur agricole. Il
avait commencé, en parlant de plusieurs points, à faire
l'énumération. Il a commencé par parler d'abord du droit
constitutionnel que le Québec a d'agir. Préserver cela est bien
le minimum qu'on lui demande. J'espère qu'il n'avait pas pensé ne
pas le préserver.
Il y a deux autres secteurs que j'aimerais voir plus explicites de sa
part, car c'est là que l'ambiguïté commence, c'est là
que l'inquiétude s'installe. Quand on regarde le texte: Conditions de
l'appui du Québec à un accord de libre-échange, on dit:
"Maintien d'un statut spécial pour l'agriculture et les pêcheries"
et on ne l'entend d'aucune façon nous dire si oui ou non, actuellement,
il n'est pas question de quotas d'exportation. Est-ce qu'il y a une exclusion
ou non dans les discussions actuellement? Est-ce que, sur les tarifs de
commercialisation il y a ou non exclusion, ou est-ce que tout est sur la table?
Si tout est sur la table, c'est là que commencent les inquiétudes
de tout le monde. On nous dit, d'une part, que c'est le maintien d'un statut
spécial et, d'autre part, on ne nous indique pas exactement ce qui est
présentement en négociation et les dangers pour l'ensemble du
secteur.
Il y a un document, La libéralisation des échanges avec
les États-Unis, une perspective québécoise, fourni par ce
gouvernement. À la page 21, on parle des enjeux et on y lit: "Donc, au
plan commercial, l'élimination des tarifs douaniers pour les produits
primaires de l'agriculture n'aurait que des conséquences minimes pour
les deux pays pourvu qu'on trouve un moyen efficace de maintenir
l'équivalent de la protection accordée sur une base
saisonnière aux produits horticoles." La question qu'il faut se poser,
eu égard à la position du gouvernement, c'est: Qu'est-ce qu'ils
ont mis sur la table et qu'est-ce qu'ils ont l'intention de défendre? On
n'a pas encore de réponse de la part du ministre.
Il est évident que le but n'est pas d'avoir une discussion entre
le ministre et moi ou entre les gens de l'Opposition et les gens du parti
ministériel. C'est plutôt d'aller discuter avec les gens qui
viennent présenter leurs mémoires pour voir exactement ce qu'ils
pensent, à savoir ce que devrait être, pour certains, le
libre-échange et, pour d'autres - c'est une partie de ma question
à M. Proulx - ce que ne devrait pas être le libre-échange.
Même s'il y avait exclusion du secteur agricole, ce que je crois
comprendre et ce qu'il répète depuis fort longtemps, comme il
fait partie d'une coalition, selon lui, selon son organisme, il ne peut pas y
avoir de traité de libre-échange. On doit plutôt
fonctionner par l'intermédiaire de discussions au GATT.
Vous vous opposez d'une façon globale à un traité
de libre-échange même s'il y avait exclusion de l'agriculture et
vous dites que les discussions au GATT vous apparaissent comme un cadre de
négociations plus approprié que celui des négociations
bilatérales avec les États-Unis actuellement en cours. Le
ministre du Commerce extérieur vient nous dire que, pour lui, c'est de
la foutaise, de la bouillie pour les chats. Quelle est votre impression, M.
Proulx, de ce qui a été dit jusqu'à maintenant?
M. Proulx: Je ne reprendrai pas tous les arguments et les raisons
pour lesquelles ce n'est pas uniquement l'agriculture qui doit être
exclue parce que je pense que c'est assez clair. Le secteur en amont et en
aval, même si, parfois, on a l'impression... On dit qu'il y a des pertes
d'emplois énormes et personne ne les a niées jusqu'à
aujourd'hui. Qu'on veuille ou qu'on ne veuille pas comprendre qu'il y aura
création d'une multitude d'emplois, il y a quand même un temps,
entre le moment de ces pertes d'emplois et la création, où des
gens n'auront rien à faire, c'est-à-dire qu'ils n'auront pas
d'argent; donc, ils ne pourront pas acheter. Je pense qu'on ne peut pas nier
cela.
Il reste que tout le secteur agroalimentaire occupe la place la plus
importante dans l'économie du Québec. Je pense que ce
secteur-là n'a jamais dit qu'il ne fallait pas négocier avec les
États-Unis. On rejette carrément la forme que cela a pris au
cours des deux dernières années car, pour nous, c'est un
cul-de-sac, cela n'a pas d'issue, c'est de la foutaise, cela ne tient sur rien
et personne ne nous a dit ce qu'on négociait véritablement. Je
pense que ces raisons sont amplement suffisantes. Ce n'est pas la forme que
cela doit prendre. On n'est pas assez bêtes, pas assez fous pour
négliger le commerce qu'on a avec les États-Unis. C'est bien
évident, c'est prêt, mais je ne crois plus à la
possibilité d'élargir encore fortement le commerce.
Le GATT, ce n'est pas la solution à tous les maux, c'est bien
évident. Il ne faudrait pas minimiser... d'autant plus que pour une
première fois le Canada a une place, qu'il va négocier
lui-même au niveau du GATT, et je pense qu'il est préparé
comme il ne l'a jamais été. C'est vrai que c'est long, que c'est
sur plusieurs années. Il faut, entre temps, protéger ce qu'on a.
Il faut trouver de nouveaux débouchés. On n'a pas le temps
d'attendre. Tout cela est vrai, mais quand on dit ça, on veut dire que
le véritable avenir, l'avenir dans bien des secteurs et
particulièrement pour l'agriculture, c'est dans le multilatéral
qu'il se trouve et non dans le bilatéral. On a comblé le
bilatéral, actuellement. Certains secteurs seront ouverts, mais ne nous
contons
pas d'histoire. J'ai donné tout à l'heure des exemples
d'industries qui se sont développées et dont on est tous
très fiers: Bombardier, Shermag, celles que vous employez souvent un peu
partout et plusieurs autres industries de pointe québécoises,
modernes. On n'avait pas de libre-échange. Est-ce que ce sont des
"supermen" pour avoir réussi à développer un marché
aux États-Unis?
Il y a des choses à développer, mais il ne faut pas se
mettre à genoux pour les développer, il ne faut pas perdre ce
qu'on a acquis. On s'est donné au Québec et au Canada un mode de
vie, une qualité de vie, bien imparfaite encore, mais bien
différente de celle des Américains. Je pense que vous avez un bel
exemple avec le poster qu'on vous a distribué: un cheval, un lapin. On
est souvent porté à croire que le cheval c'est Ie3
Américains et le lapin, les Canadiens. C'est le contraire, cette
fois-ci. On a un beau cheval qui a encore quelque chose à
améliorer, mais il est beau et là on veut nous le changer pour un
lapin et vous avez remarqué que la laisse est séparée, tu
peux la décrocher.
Connaissant les Américains qui ont énormément de
difficultés à respecter plusieurs de nos ententes, j'ai une
crainte supplémentaire, c'est que quand j'aurai l'accord, quand on va
arriver au "catch" qu'on peut décrocher, on va le décrocher.
Alors, là, j'aurai perdu mon cheval et je n'aurai même pas de
lapin. C'est cela en fait, on peut bien nous traiter d'exagérés
et de peureux à corneilles. Cela se peut. Moi, je respecte les gens qui
disent cela, parfois je fais la même chose, mais il reste que c'est une
réalité. Il n'y a personne nulle part qui nous a dit...
même dans ceux qui disent: II va y avoir 3000, 4000 ou 5000 emplois
nouveaux. Moi, je ne demande pas mieux de croire cela, mais créer des
emplois, cela ne se fait pas par des créations instantanées, des
générations instantanées. II y a quelqu'un quelque part
qui va devoir investir pour créer ces emplois. Il va y avoir une
transition qui va se faire. Je pense que, autant que vous êtes, vous
savez que les transitions ne se font pas instantanément de même.
Je pense que vous allez comprendre nos inquiétudes et vous savez
pourquoi on dit que l'agriculture ne peut pas être seule exclue, mais
l'ensemble. Continuons avec un modèle qui a donné des
résultats. (18 heures)
Depuis la dernière guerre, il y a eu des améliorations
énormes; le commerce avec les États-Unis est parti avec un
très petit pourcentage pour se ramasser aujourd'hui à 75 % et 80
% d'échanges sur lesquels il n'y a aucun droit, aucune douane et qui se
font de même librement, mais dans le respect des communautés. Si
on veut devenir des Américains, un cinquante xième État
américain, il faudra le demander aux gens avant, s'ils veulent: nous, on
ne le veut pas. On l'a dit haut et fort. Mais ce sont les risques. Mais dans
cette transition-là en fait - je reviens encore sur cela - il n'y a
personne qui ne nous dit rien sur cela. Si c'est si merveilleux que cela, qu'on
nous le démontre, qu'on nous montre des études que les
ministères ont faites et qu'on n'a jamais voulu nous montrer. Le Conseil
économique du Canada, je l'ai dit tout à l'heure, a lancé
de très beaux chiffres dans les airs, mais ça repose sur quoi?
Moi, je veux bien respecter les gens du Conseil économique du Canada. Je
ne doute pas de leur intelligence, sauf, qu'il faudrait au moins qu'ils nous
montrent, à monsieur et madame tout le monde, des choses qui sont
concrètes face à ça. Qu'est-ce qui va se passer entre
temps? C'est ça. En fait, on ne veut pas être Américains.
On ne veut pas changer notre cheval pour un lapin qu'on n'est même pas
certains de pouvoir tirer chez nous.
M. Jolivet: Pour reprendre une discussion qui a eu lieu ce matin,
au cours de laquelle j'ai posé des questions à d'autres
personnes, M. Parizeau et M. Pettigrew, ce matin, ont parlé d'un
problème quant à la mise sur pied d'un tribunal qui viendrait
régler les problèmes qui pourraient surgir entre les deux pays.
Beaucoup de gens parlent de cela pour régler les difficultés
entres les deux partis. Vous, vous voyez ça comment? Je pose toujours la
question dans l'hypothèse où il y en aurait un, parce que, comme
vous n'en voulez pas du tout, il reste quand même que, si jamais
ça arrive, qu'est-ce que vous pensez de ça?
M. Proulx: Si c'est pour remettre en cause tout notre
système qu'on s'est donné, notre qualité de vie et notre
façon de voir les choses, bien sûr que c'est non. En ce qui a
trait au tribunal, qu'il y ait traité ou non, il devrait être
évidemment mis en place. Je pense que ce serait un bon moyen, ce serait
une des étapes à faire pour aller plus loin. Qu'on ne vienne pas
nous faire accroire qu'un tribunal qui est égal et qui peut appliquer
des choses ne peut pas être mis en place.
Je comprends que les États-Unis ne veulent pas. Ils disent: Nous,
on est gros, on n'a pas nécessairement besoin de vous, on va perdre
notre souveraineté avec cela. C'est une étape. Je serais
très fier de le voir se mettre en place. Là, on pourrait
installer une crédibilité autour de tous les avantages qu'on nous
dit d'un libre-échange. Il va falloir que de la bonne volonté
soit mise quelque part et qu'on nous donne des preuves et, en cours de route,
on pourra peut-être... on ne dit pas non à tout jamais, on dit
qu'à l'heure actuelle c'est impensable. Cela fait, le droit
compensatoire qui n'existerait plus, peut-être qu'on ne dira pas
nécessairement
oui, mais on dira: Essayons cela pendant quelques années et,
pendant ce temps-là, probablement que la balance commerciale des
États-Unis diminuera ou que cela sautera, je ne sais trop, et, à
ce moment-là, peut-être seront-ils plus parlables ou
peut-être y aurait-il alors vraiment des choses à faire.
M. Jolivet: En dehors de tout ce débat sur le
libre-échange, d'autres débats sont un peu sous-jacents à
l'ensemble de ces négociations, en particulier la remise en question des
programmes d'assurance-stabilisation au profit des politiques
américaines qui sont plus ponctuelles et contre-cycliques, sur les prix
des denrées agricoles. Pourriez-vous nous définir votre position
dans ce débat? Même si ce n'est pas le débat actuel, c'est
quand même un peu à l'intérieur de l'ensemble de la
problématique.
M. Proulx: Voudriez-vous juste préciser à nouveau
au départ? Je m'excuse, j'ai eu une distraction.
M. Jolivet: D'accord. C'est votre position dans le débat
à l'intérieur du libre-échange, mais cela concerne la
remise en question des programmes d'assurance-stabilisation.
M. Proulx: On sait que les programmes d'assurance-stabilisation
des revenus au Québec sont souvent remis en cause pour toutes sortes de
raisons, la plupart du temps sans fondement, mais il reste quand même que
tout le monde est bien jaloux de cela, un peu partout. Vous savez que
l'objectif visé et appliqué dans cela a été
d'assurer un revenu décent aux producteurs et productrices agricoles. En
même temps, cela a joué le râle de satisfaire les besoins de
(a communauté québécoise, du consommateur
québécois. Je pense que cette affaire se tient. Si c'est
intéressant, les gens seront intéressés à fournir
quelque chose et toute la communauté va s'en servir.
En même temps, la stabilisation des revenus est davantage une
subvention au consommateur qu'une subvention au producteur. Elle a aussi permis
de mettre en place, dans la plupart des productions, même s'il reste des
choses à faire, une mise en marché efficace, qui a prouvé
des choses et qui va continuer à prouver des choses. Cela a
été un choix social. On vous a énormément
parlé du rôle social qu'on a à jouer et c'est la
société québécoise; d'ailleurs, c'est ce même
gouvernement avec le même premier ministre qui nous a accordé
cela. Il avait compris que c'était important, qu'on avait un rôle,
etc. Je pense que cela a toujours été reconnu.
C'est une politique qui, à mon avis, et non seulement à
mon avis, est certainement mise en cause et on ne peut pas se permettre de le
faire, parce qu'elle joue un rôle à plusieurs niveaux dans la
société québécoise, tant pour le soutien du revenu
que pour l'accessibilité du consommateur à des denrées
essentielles, à des prix qui sont abordables, etc. Alors, cela joue un
rôle extraordinaire qui nous permet d'avoir la société
qu'on a. C'est bien différent de l'intervention ponctuelle qu'on
connaissait dans le passé un peu partout, qui coûtait bougrement
plus cher que peut coûter à l'heure actuelle cette intervention
structurée.
La plus belle preuve - d'ailleurs, le ministre de l'Agriculture, des
Pêcheries et de l'Alimentation l'avait démontré clairement,
si je me souviens bien - c'est que le Québec se situe au septième
rang, je pense, dans les provinces du Canada si on compare les productions
agricoles, le soutien et ainsi de suite. L'étude qu'on a fait faire par
M. Yvon Proulx démontre clairement qu'on est les moins
subventionnés, non seulement au Canada, mais presque partout dans le
monde, dans les pays industrialisés. Je crois que le Japon, par
exemple... Vous allez me dire que je prends le pire, mais c'est normal. C'est
à tout près de 90 % qu'ils soutiennent leur agriculture et les
Etats-Unis, avec les milliards et les milliards qu'ils y mettent... On vous l'a
démontré.
Même le reste du Canada - beaucoup de provinces sont jalouses et
beaucoup de provinces nous ont souvent taxés de choses -intervient
à environ 15 % plus que nous au Québec. Alors, je ne sais pas si
cela répond à votre question, mais il reste quand même que
pour nous, encore une fois, c'est un outil qui a fait ses preuves, c'est un
outil essentiel tant pour les producteurs que pour les consommateurs, c'est un
outil qui est très peu dispendieux quoi qu'en dise le Conseil du
trésor. Il est très peu dispendieux pour un gouvernement.
M. Jolivet: En fait, ce que je voulais faire ressortir, c'est le
contexte où il y aurait libre-échange et qu'on négocierait
des choses qui auraient pour effet d'avoir le modèle américain
qui arrive ad hoc, selon les moments donnés de la contre-production. A
ce moment-là, il serait vraiment impossible pour les gens qui vivent ici
avec un système qui a fait ses preuves de le vivre comme les
Américains le vivent actuellement. Donc, c'est ce que je voulais faire
ressortir... Dans ce sens-là, j'ai peut-être un commentaire
concernant ce que le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation disait: Faites-nous confiance d'une certaine façon dans
les négociations. Je prends comme exemple la discussion qu'il y a eu sur
les droits compensatoires, dans le bois de sciage en particulier.
Je n'ai jamais compris comment il se fait que quelqu'un s'accuse d'avoir
commis un péché qu'il n'a jamais commis et en fin
de compte, donne en négociation à l'autre le moyen de
dire: Écoute, maintenant que tu acceptes d'avoir commis quelque chose,
tu vas payer pour. Et là, c'est le chantage qui vient continuellement.
Dans ce sens, on nous arrive toujours avec des exemples comme ceux-là,
mais qui, malheureusement, pour moi, sont de mauvais exemples, parce
qu'effectivement le respect attire le respect comme vous le disiez. Dans ce
cas, j'ai eu l'impression que ce n'était pas du respect, c'était
s'accuser d'une chose qu'on n'avait pas commise et, par le fait même,
voir les Américains imposer un tarif compensatoire pour le bois de
sciage en particulier, avec la négociation qu'il y a eu
après.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Oui, peut-être une dernière
question. M. le Président, qu'il y ait ou non entente de
libre-échange, je pense que le Québec, du côté
agriculture, doit continuer à se renforcer, doit continuer à se
positionner. Votre mémoire n'en fait pas référence parce
que vous avez traité tout l'aspect des préoccupations que vous
aviez dans le cas d'un libre-échange. Vous nous avez
démontré l'importance de pas avoir de traité concernant
l'aqriculture, mais j'aimerais vous entendre quelques minutes sur l'importance
pour l'UPA et particulièrement pour le secteur que vous défendez,
l'agriculture, l'importance de la recherche-développement afin de
permettre à vos PME, à vous, pour reprendre votre expression,
pour que les nouvelles technologies, les nouvelles façons de faire... je
pense particulièrement aux nouvelles techniques qui pourraient
être poussées, qui sont déjà à l'étude
et même à l'essai actuellement pour l'accélération,
par exemple, des produits pour être capable d'avoir dans des
périodes beaucoup plus serrées de la production... De quelle
façon, pensez-vous, le gouvernement, le ministère de
l'Agriculture devrait mettre l'accent en ce qui concerne la
recherche-développement? On parle très souvent de
recherche-développement, parce qu'on pense à la haute technologie
avec des produits manufacturés, mais dans des produits agricoles, si on
avait davantage de soutien, si vous aviez davantage de soutien en ce qui
concerne la recherche-développement, appliquée comme telle, afin
de développer des nouvelles technologies de production pour que vous
soyez capables d'être plus compétitifs, quoi qu'il arrive, cela
vous permettrait certainement dans votre domaine d'être drôlement
plus forts. J'aimerais vous entendre sur cela pendant que vous
êtes...
M. Proulx: En fait, la recherche-développement ou la
recherche est toujours le parent pauvre de tous les gouvernements.
Quand on regarde l'avenir, cela va être évidemment
essentiel qu'il y ait énormément d'argent de mis à ce
niveau, autant par l'État que par les producteurs et productrices, par
d'autres intervenants dans le milieu. Même avec le peu de moyens qu'on a
au Québec et au Canada à ce niveau, on fait
énormément de ce côté malgré tout. En tout
cas, comme producteurs, on s'adapte très rapidement à cette
nouvelle technologie. Je pense qu'on pourrait prendre plusieurs secteurs qui
sont ici autant du porc justement que du lait, par exemple. On est en demande
très fortement sur le plan international pour nos animaux et ainsi de
suite; le porc est couru, on le sait, c'est parce que justement on a su se
servir de cette haute technologie. On sait que, sur le plan du produit
maraîcher, même si cela est minime encore, on rentre de plus en
plus, parce que les nouvelles générations adoptent davantage les
nouvelles techniques.
C'est évident que, si on croit véritablement à
l'agriculture dans l'avenir, il va falloir changer les mentalités et
particulièrement pour l'État, parce que c'est peut-être
moins visible politiquement, mais cela a toujours été. Il n'y a
pas un gouvernement quelle que soit sa couleur... ils sont tous pareils dans
cela, il n'y a jamais personne qui a fait un effort. L'avenir est en partie
dans cela à l'heure actuelle. C'est dans notre discours
déjà depuis un bon bout de temps et cela va continuer de
l'être de plus en plus fortement. Quand on vous parlait de
spécificité, on disait que c'était important de conserver
cela.
Au Québec, M. Pelletier l'a dit tout à l'heure, c'est la
ferme familiale, l'agriculture familiale. On a compensé les lacunes
peut-être qu'il peut y avoir, en faisant des regroupements et en se
donnant des mécanismes où on est capables de ramasser tout cela
et d'offrir cela, exactement comme... On a fait ce choix et on s'est
donné les moyens pour que cela arrive en fin de compte,
c'est-à-dire aux consommateurs, à un prix aussi
intéressant que si cela était fait par des très grandes
entreprises. C'est tout cela, en fait.
Cela ne nous a pas empêchés d'employer de la haute
technologie et dans plusieurs productions pour une fois, on n'a pas à
avoir honte de ce qui se fait aux États-Unis ou ailleurs. On est
à la fine pointe. Il y a des secteurs où on tire peut-être
un peu rie la patte, mais qu'on nous donne le moindrement les moyens et on va
arriver rapidement à être comparables avec n'importe qui. On l'a
fait dans plusieurs secteurs. Je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas dans
tous les secteurs. Parce qu'il y a une volonté, parce qu'il y a eu une
prise en main, il y a eu une discipline qui s'est installée, on l'a
prouvé.
Pourquoi les Européens viennent-ils si
souvent ici et pourquoi sont-ils à mettre en application à
l'heure actuelle nos systèmes de contingentement, notre système
de contrôle? Pourquoi de plus en plus de producteurs américains
viennent justement rencontrer nos fédérations, viennent visiter
le Québec pour regarder et voir les réalisations qui se sont
faites à ce niveau? Je pense que cela veut dire quelque chose, je pense
que c'est un indicatif. Notre structure sur tous les plans, notre façon
de voir les choses a fait ses preuves et est prête à les faire
encore.
M. Parent (Bertrand): Merci beaucoup M. Proulx.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, M. Proulx, je pense
que cette réponse termine le programme de cet après-midi. Je
voudrais vous remercier au nom de l'ensemble des membres de la commission
d'avoir bien voulu participer à cet exercice de consultation
générale et importante. Je crois que le sujet l'est. Je pense que
les membres de la commission ont apprécié votre franchise et la
clarté de vos points de vue. J'espère qu'on aura d'autres
occasions prochainement de vous revoir ici à la commission de
l'économie du travail. Bon retour et à bientôt! Aux membres
de la commission, je voudrais indiquer qu'un nouvel ordre du jour vous sera
envoyé par le secrétaire de la commission. Il y a eu quelques
modifications dans l'ordre du jour qui ont fait l'objet d'ententes de part et
d'autre, dont je vous dispense de la lecture. Il y a des modifications, non pas
pour ce soir, mais pour les prochains jours. Alors, sur ce, les travaux sont
suspendus jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 h 15)
(Reprise à 20 h 6)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre, s'il
vous plaît! La commission parlementaire de l'économie et du
travail reprend sa consultation générale sur la
libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les
États-Unis. Nous recevons ce soir l'Ordre des agronomes du
Québec. Je demanderais aux représentants de l'Ordre de bien
vouloir prendre place à la table des invités.
Messieurs, bonsoir. Je vous rappelle que le temps qui vous est
alloué au total est d'une heure. Vous avez 20 minutes
précisément pour présenter vos points de vue et, par la
suite, le reste du temps est réparti en parts égales entre les
membres de la commission pour des échanges avec vous.
Alors, M. Boutin, je vous demanderais de présenter la personne
qui vous accompagne et puis immédiatement d'engager votre
présentation.
Ordre des agronomes du Québec
M. Boutin (Guimond): D'accord. Merci!
Alors, je suis Guimond Boutin. Je représente l'Ordre des
agronomes du Québec, qui regroupe 3000 professionnels, dont la
majorité travaillent dans les secteurs de la production et de la
commercialisation des denrées agro-alimentaires.
Malgré l'inquiétude manifestée en certains milieux
face à la libération des échanges commerciaux agricoles
avec les États-Unis, l'Ordre des agronomes demeure confiant que les
négociations, si elles respectent les conditions déjà
énoncées par le gouvernement du Québec pourraient
favoriser un accroissement des exportations de certains produits agricoles.
À cette fin, notre mémoire contient quelques propositions et
recommande que le Québec conserve son droit et son pouvoir
d'intervention, lorsqu'il le jugera nécessaire, pour garantir aux
producteurs agricoles un revenu minimum raisonnable.
Ce mémoire a été préparé par un
comité composé d'agronomes dont l'expertise en économie
agricole est reconnue. Notre directeur des affaires publiques, M. J.-Alphonse
Lapointe, vous le présente.
M. Lapointe (J.-Alphonse): M. le Président, M. le
ministre, MM. les députés, membres de la commission, mesdames,
messieurs.
Dans ce mémoire, nous désirons réaffirmer certaines
positions que l'ordre estime particulièrement importantes dans les
négociations bilatérales avec les États-Unis. Nous
examinerons d'abord la situation de l'agriculture québécoise dans
l'économie nord-américaine.
Face à la montée d'un sentiment protectionniste aux
États-Unis, qui ont introduit récemment plusieurs projets de loi
visant à réduire les importations ou imposer des tarifs
compensatoires, nous sommes conscients de l'importance du marché
américain pour les producteurs agricoles du Québec, et de la
nécessité de poursuivre des négociations en vue de
maintenir ou d'accroître, si possible, nos exportations.
Considérant que les États-Unis sont notre principal
partenaire commercial, l'ordre considère légitime que les
discussions sur les échanges commerciaux avec notre voisin partent sur
certains produits agricoles. Par contre, l'Ordre des agronomes affirme qu'une
politique de libre-échange, s'appliquant à l'ensemble de
l'agriculture et incluant les secteurs où existent des mécanismes
de protection des prix, aurait des conséquences désastreuses pour
l'agriculture et l'économie du Québec. À cet égard,
il faut se rappeler
que le Canada et les États-Unis ont un mode de gouvernement
fédératif, où le pouvoir central ne peut lier les
États qui le composent, sans obtenir leur accord.
Cela ne signifie pas, cependant, qu'il faille maintenir le statu quo ou
s'opposer énergiquement à toute forme de négociation dans
le secteur agro-alimentaire. Une telle attitude pourrait devenir, selon nous,
un mythe qui priverait éventuellement le Québec des avantages
pouvant découler de propositions garantissant sa participation à
un accord de réciprocité avec un client qui accapare plus de 60 %
de nos ventes internationales.
Dans le commerce agricole, le marché américain est
relativement plus important pour le Québec que pour l'ensemble canadien.
En effet, nous exportons annuellement pour 700 000 000 $ contre 540 000 000 $
d'importations, ce qui représente 60 % des ventes agricoles du
Québec, comparativement à 36 % pour l'ensemble du Canada. Il faut
aussi noter que les viandes et produits animaux constituent 44 % des
exportations québécoises sur le marché des
États-Unis, où nos achats de fuits et légumes comptent
pour 40 % de nos importations.
Un autre élément qui détermine la position
concurrentielle de l'agriculture québécoise dans le contexte
nord-américain, est le niveau des interventions gouvernementales
jugées nécessaires pour assurer la rentabilité et la
croissance de l'agriculture. Il faut souhaiter que la libéralisation des
échanges contribue à mettre de l'ordre et un juste
équilibre dans les mesures compensatoires.
Actuellement, environ 50 % de la production agricole se réalise
au Québec sous le régime des offices nationaux de
commercialisation: lait, volaille, oeufs. À cela, il faut ajouter dix
programmes provinciaux de stabilisation des revenus couvrant environ le tiers
de la production agricole québécoise.
Pour le fait, le beurre et le fromage, si l'on compare les prix sur la
base du temps de travail, en minutes, requis pour acheter ces produits, les
consommateurs québécois se placent sur un pied
d'égalité avec ceux des autres provinces et des
États-Unis. Cependant, dans les négociations bilatérales,
il faudrait se rappeler que ni le gouvernement du Québec ni celui du
Canada ne pourront accorder aux producteurs laitiers des subventions
équivalentes à celles dont bénéficient leur
concurrents américains.
Le prix de gros des carcasses de vaches laitières est plus
élevé au Québec. Ce produit est en bonne partie
exporté et contribue significativement au fait que la part du
Québec dans les exportations canadiennes totales de viande de boeuf a
atteint 41 % en 1984 et permet que la balance commerciale du Québec pour
la viande bovine soit en nette amélioration.
Même si les prix à la production porcine sont
compétitifs au Québec par rapport à ceux des
États-Unis, la position concurrentielle de notre province connaît
un certain recul depuis 1982. Depuis cette date, en effet, la part du
Québec dans la production canadienne diminue et la balance commerciale
du Québec accuse aussi un déclin. Par contre, en production
ovine, la part du Québec dans la production canadienne connaît une
progression substantielle depuis 1982. Dans les secteurs contingentés
des oeufs et de la volaille, les prix sur le marché canadien sont plus
élevés tant à la ferme qu'au marché de gros.
Le Québec qui était depuis toujours consommateur de
céréales a vu sa production augmenter de façon importante
au cours des dernières années. En général, les prix
y sont actuellement plus élevés qu'ailleurs et sa balance
commerciale s'est améliorée.
Dans l'ensemble, on peut dire que la position concurrentielle de
l'agriculture québécoise est favorable, tant à
l'intérieur du Canada que dans l'économie nord-américaine.
Dans ce contexte et en tenant compte des différences de tailles et de
structures de l'agriculture au Québec et aux États-Unis, on peut
souhaiter une réduction progressive des tarifs douaniers, qui assurerait
la protection des acquis et le respect de la juridiction provinciale en
matière de réglementation technique des produits
agro-alimentaires. De plus, il faut prévoir un assouplissement des lois
et procédures d'enquêtes imposées par les États-Unis
sur nos produits alimentaires et le retrait des droits compensatoires. Enfin,
il faudra une mesure de protection saisonnière pour plusieurs produits
horticoles du Québec.
Considérons maintenant quelques effets possibles d'une
libéralisation des échanges commerciaux agricoles. Le
libre-échange est une notion économique abstraite qui, dans le
commerce, signifie la libre circulation des biens et des services entre deux
pays. Or, cette libre circulation des biens et services suppose l'abolition
complète des frontières et la suppression de certains programmes
qui rendraient un pays plus concurrentiel que l'autre.
Pour tenter de prévoir les effets possibles d'une
libéralisation des échanges agricoles avec les États-Unis,
nous suggérons donc de considérer plutôt
l'amélioration des ententes commerciales entre les deux pays et
l'ouverture plus grande de nos frontières respectives. Dans ce contexte,
le projet de libéralisation des échanges pourrait sembler plus
raisonnable et d'application plus facile. Le Canada étant le seul pays
industrialisé qui n'a pas accès à un marché de 100
000 000 de consommateurs, il doit nécessairement trouver de nouveaux
débouchés pour ses produits agricoles. Si nous
voulons un accès plus grand au marché américain,
notre principal client, il faut accepter d'offrir quelque chose en
échange. Or, l'agriculture n'est jamais négociable, d'une part,
parce qu'elle dépend des conditions de température que personne
ne peut prévoir ni contrôler et, d'autre part, parce qu'elle
répond au besoin le plus impérieux d'une nation, celui de
s'alimenter. (20 h 15)
La production de lait au Canada équivaut à 12,5 % de la
production américaine. Les surplus américains équivalent
à la production canadienne et pourraient, s'ils entraient librement au
Canada, désorganiser complètement cet important secteur agricole.
En effet, cela signifierait l'abandon du plan national et du contingentement,
la disparition des quotas, une baisse radicale du prix du lait, la faillite de
plusieurs producteurs, la fermeture d'usines, la perte de milliers d'emplois.
On sait que 250 000 emplois directs ou indirects dépendent de la
production laitière. Parce que les coûts de production des fermes
laitières sont plus bas aux États-Unis, on prétend, en
certains milieux, que les consommateurs canadiens bénéficieraient
d'une ouverture des frontières, permettant ainsi de s'approvisionner
à meilleur compte outre-frontières. Selon ce concept, on pourrait
tout aussi bien importer les surplus gigantesques des pays de la CEE.
Cependant, nous pouvons être assurés que le jour où notre
capacité de production locale serait diminuée, les consommateurs
du Québec paieraient beaucoup plus cher pour le lait et les produits
laitiers provenant de l'extérieur.
Pour avoir une juste idée de la position concurrentielle de notre
aviculture, il suffit de savoir qu'une augmentation de 8 % de la production
américaine correspond à 100 % de toute la production canadienne.
De plus, comme les coûts de production aux États-Unis sont
inférieurs, un système de libre-échange mettrait
certainement en danger la survie de cette industrie, tant au Québec
qu'au Canada. À ce sujet, il importe de noter que nos productions
contingentées comptent pour 47 % de la production agricole
québécoise, comparativement à 22 % pour l'ensemble
canadien.
Dans les productions non contingentées, il s'agit principalement
du porc, de l'agneau, du boeuf, des céréales et de plusieurs
produits horticoles. Bien que les barrières tarifaires applicables
à ces produits soient en général peu
élevées, l'harmonisation des programmes des deux pays
entraînera une révision des politiques de soutien et de
stabilisation des revenus aqricoles et, en conséquence, nuira à
la stabilité actuelle de ces secteurs, sauf peut-être ceux des
viandes rouges et de certains produits horticoles. L'utilité d'un accord
dépendra donc avant tout de l'efficacité avec laquelle il
empêchera l'adoption de mesures protectionnistes - comme les droits
compensatoires sur les porcs - ou l'interdiction de vendre à d'autres
pays.
Les éleveurs de porcs québécois ne veulent pas se
voir priver de la possibilité de participer, eux aussi, à un
programme de stabilisation, par l'introduction de règles applicables aux
subventions. D'autre part, les éleveurs de bovins ne veulent pas que
l'élimination bilatérale des contingents, établie en vertu
des lois sur l'importation des viandes, les empêche de lutter contre les
produits bon marché ou subventionnés qu'exportent d'autres pays.
Selon la Fédération canadienne de l'agriculture, les objectifs
globaux des producteurs de viande rouge et de légumes comprennent:
1° l'élaboration d'une meilleure définition des subventions
qui faussent le marché; 2° la conclusion d'une entente sur la
manière dont les questions techniques, comme les règlements
sanitaires, seront traitées; 3° la mise en place d'un
mécanisme conjoint pour régler les litiges, afin que les
mêmes règles soient appliquées de part et d'autre de la
frontière.
Si l'on jette maintenant un coup d'oeil du côté de la
transformation des denrées agro-alimentaires, on constate qu'un accord
de libre-échange pourrait entraîner la perte de plusieurs milliers
d'emplois au Québec. On sait que plus de 50 000 personnes travaillent
dans le secteur des aliments et boissons dans cette province. Par ailleurs, on
peut constater que la majorité des manufacturiers des produits
alimentaires du Canada s'opposent au libre-échange avec les
États-Unis.
Il n'est pas facile de prévoir l'avenir, surtout dans un domaine
où les décisions politiques ont une influence déterminante
sur l'évolution des facteurs qui conditionnent la production et la vente
des denrées agroalimentaires. Cependant, une chose est certaine: Les
Américains sont plus intéressés à libérer
leur marché de leurs surplus qu'à accueillir librement les
produits étrangers pour accroître encore davantage leurs stocks en
réserve. D'autre part, même s'il existe entre les
États-Unis et le Canada des entraves sévères au libre
commerce des denrées, les deux pays demeurent des partenaires
d'échanges prioritaires.
Jusqu'à présent, presque toutes les études et
analyses relatives à la libéralisation des échanges
commerciaux agricoles avec les États-Unis tendent à
démontrer que le Canada et, en particulier le Québec, ont plus
à perdre qu'à gagner dans cette opération.
Fidèle à son rôle de protection de
l'intérêt public, l'Ordre des agronomes considère la
libéralisation des échanges commerciaux agricoles avec les
États-Unis dans une perspective globale de bénéfices
sociaux pour le Québec. Pour obtenir ou
accroître nos garanties d'accès au marché
américain, il semble opportun que l'on discute des questions relatives
aux tarifs douaniers, aux règlements techniques et aux subventions
à l'exportation. Pour l'agriculture québécoise,
l'élimination graduelle des tarifs douaniers aurait des effets mineurs,
pourvu qu'on accorde une protection saisonnière aux produits
horticoles.
Les mesures non tarifaires sont plus à craindre. En effet,
plusieurs barrières techniques, règlements, normes
d'hygiène, méthodes d'analyses, certifications, et., constituent
des irritants qui pertubent le commerce des denrées agricoles entre nos
deux pays, même si les normes de salubrité et de qualité en
vigueur au Canada sont reconnues pour leur excellence.
Quant aux subventions à l'exportation, il ne saurait être
question pour le Québec de modifier sa capacité de stabilisation
des revenus agricoles. Par conséquent, toute intervention du
gouvernement américain qui aurait pour effet de réduire les prix
des produits agricoles concurrentiels entrant au Québec devrait
être rejetée.
Pour les produits dont l'offre est réglementée, il
appartient aux producteurs et productrices qui se sont donné un tel
outil de décider eux-mêmes si, à plus ou moins long terme,
la libéralisation des échanges pourrait leur être
profitable. Ce que l'on peut prévoir, c'est que l'entrée massive
sur le marché canadien des surplus américains entraînerait
momentanément une baisse des prix, mais en même temps une
déstabilisation de plusieurs secteurs économiques,
accompagnée de faillites et de pertes d'emplois et de revenus.
Dans le cas des productions stabilisées par l'action
gouvernementale, la surcapacité de production de l'agriculture
américaine entraînerait des surplus et des baisses de prix sur le
marché canadien, obligeant les gouvernements fédéral et
provincial à minimiser cet impact par des programmes de stabilisation
des prix à la ferme. Même s'il est impossible d'anticiper l'issue
des négociations sur le libre-échange avec notre puissant voisin,
les données suivantes peuvent être retenues.
L'écart de productivité entre l'agriculture et l'industrie
de transformation du Canada et des États-Unis aura tendance à
s'accentuer en situation de libre-échange international ou
nord-américain, parce que la structure de la ferme familiale
relativement petite au Québec ne permet pas une production agricole de
masse comme elle se pratique aux États-Unis.
En raison de leur immense potentiel de ressources et de leur niveau
actuel d'équipement et de production, les États-Unis sont en
mesure d'accroître leur production globale de 30 %, sans même
devoir faire des investissements majeurs dans leurs infrastructures de
production, de transformation et de distribution.
Enfin, en situation de libre-échange, la bataille concurrentielle
des États-Unis se ferait principalement par une prise de contrôle
stratégique et sélective de certains réseaux de
transformation et de distribution.
Les gouvernements accorderont toujours une importante protection
à l'agriculture, car elle concerne l'ensemble des consommateurs, demeure
l'activité économique principale de plusieurs régions et
une production primaire dont dépendent de multiples industries
secondaires et tertiaires.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les récentes mesures
adoptées par le gouvernement de Washington pour soutenir les prix
à l'agriculture et faciliter l'exportation nous obligent à douter
de la valeur et de la durée des gains sociaux qui pourraient
découler, pour Ies Québécois, d'un accord de
libre-échange avec les États-Unis.
Néanmoins, on ne peut raisonnablement s'opposer â inclure
l'agriculture dans le processus actuel des négociations
bilatérales. Notre démarche pourrait viser principalement quatre
objectifs: 1- obtenir un traitement prioritaire et différent de celui
que les États-Unis accordent à d'autres pays; 2-accepter, de part
et d'autre, une discipline nouvelle sur les mesures d'aide gouvernementale par
laquelle chaque partenaire se prive du droit unilatéral de protection
â la frontière; 3- introduire une discipline efficace concernant
les pratiques commerciales qui perturbent l'économie du pays
importateur; 4- établir un mécanisme permanent ou un tribunal
d'arbitrage pour régler équitablement les litiges et les
différences d'interprétation des accords entre les deux pays.
Face à la complexité des questions que pose l'agriculture,
on peut souhaiter qu'un accord de libre-échange avec les
États-Unis se résume, tout au moins, à définir un
cadre général pouvant servir de base à des
négociations ultérieures et spécifiques à ce
secteur.
Le Président (M. Lemieux): Merci, M. Lapointe, de votre
exposé.
M. le ministre du Commerce extérieur.
M. MacDonald: Merci, M. Lapointe. En relisant votre
mémoire, en cherchant à me faire une opinion et à
préciser mes questions, je ne pouvais faire autrement que de m'imaginer
que les gens qui ont commencé à suivre le débat sur la
libéralisation des échanqes peut-être seulement hier
doivent être très confus.
Effectivement, nous avons eu aujourd'hui l'Union des producteurs
agricoles qui s'est présentée devant nous et qui a très
honnêtement soutenu la position qui était la sienne depuis le
début, à savoir qu'ils sont
contre un traité de libéralisation des échanges
avec les États-Unis. Ils nous ont fait comprendre que, dans leur
optique, leur façon de voir les choses, effectivement, les
résultats seraient néfastes même si nous excluions de
l'entente l'agriculture globalement et qu'il ne saurait être question de
continuer la négociation de la façon qu'elle a été
entreprise. C'était un négativisme total et non camouflé,
je crois, et, comme je l'ai dit, une position très honnête.
Par contre, nous avons eu, avant, la Coopérative
fédérée représentant, on nous disait, 35 000
membres, 10 000 producteurs, un chiffre d'affaires pour le coopératisme,
si j'ai bien compris, de 1 200 000 000 $, mais pour le coopératisme dans
son ensemble de 3 000 000 $ d'affaires, enfin, des représentants du
milieu. Eux, avec des réserves, les mêmes d'ailleurs que le
gouvernement, disaient: Nous sommes pour une négociation sur le
libre-échange à l'intérieur de certaines balises,
certaines paramètres, et les mêmes que les nôtres.
Vous, vous êtes les professionnels, si je peux employer le terme,
du domaine de l'agriculture. Vous êtes 3000 et vous nous dites que vous
oeuvrez dans les organismes gouvernementaux, les universités, les
institutions d'enseignement et de recherche, l'industrie, le commerce, le monde
des affaires et les cabinets de consultation privée. Vous couvrez
l'ensemble du secteur sûrement et vous débordez. Vous nous dites,
si je comprends bien: Nous aussi, à l'intérieur de certaines
balises protégeant la fragilité que peut représenter le
secteur de l'agriculture au Québec et les acquis, nous sommes pour !a
continuation de la négociation, pour l'ouverture des frontières,
pour l'établissement de mécanismes plus civilisés pour le
règlement de nos différends, etc.
J'aimerais peut-être vous demander, parce que vous êtes
justement les professionnels qui avez à traiter avec ce que
j'appellerais les deux côtés de la table dans le domaine de
l'agriculture, de quelle façon le commun des mortels peut
réconcilier ses positions qui semblent aux antipodes avec celle qui est
la vôtre, et je dirais même celle de la Coopérative
fédérée, qui semble être plus
pondérée.
M. Lapointe: En fait, M. le ministre, vous nous demandez de
régler le problème auquel la commission doit apporter une
réponse.
M. MacDonald: Je ne veux pas vous placer dans ce genre de
situation. Il y a ici une commission d'information; il y a non seulement les
gens ici qui vous écoutent, mais il y a les gens dans toute la province
qui suivent ces travaux à la télévision. On a voulu et on
veut que cette commission ait une direction pédagogique, une direction
d'information. C'est plutôt sur ce plan que je vous demanderais de
commenter.
M. Lapointe: C'est bien évident qu'il suffit de suivre un
peu l'actualité depuis quelques jours et de lire les journaux pour
constater que ceux qui sont responsables de l'information publique semblent
aussi avoir une certaine confusion par rapport aux avantages et aux
inconvénients de la libéralisation des échanges. On n'a
qu'à lire les nouvelles qui nous ont été rapportées
dans les journaux depuis deux ou trois jours, de même que certains
éditorîaux.
À moi, il m'apparaît ceci. Quand je dis "moi", je veux dire
le groupe qui a travaillé sur le mémoire de l'Ordre des
agronomes. En ce qui concerne l'agriculture, on ne croit pas qu'il faille
rejeter totalement le projet de négociations avec les Américains.
Seulement, si on se reporte à l'expérience vécue en
Europe, on sait que les négociations sur l'agriculture ont
été très longues et que plusieurs autres secteurs, ceux de
l'industrie en particulier, avaient déjà fait l'objet d'ententes
et on discutait encore sur les modalités d'entente entre les pays
producteurs de denrées agricoles.
À l'Ordre des agronomes, on pense que le processus va être
un peu semblable en ce qui concerne les négociations bilatérales
du Canada et des États-Unis. Nous n'avons pas intérêt, au
Québec, à refuser de négocier avec notre principal client;
c'est notre principal client. Seulement, il y a probablement, je ne dirais pas
des accommodements, des modalités de commerce qui devraient faire
l'objet d'une attention particulière. On suggère à la
commission - je pense que c'est seulement un appui parce que le gouvernement
l'avait déjà prévu - que le gouvernement du Québec
se garde quand même un pouvoir d'intervention. On ne peut pas tout donner
aux Américains parce qu'ils sont trop gros par rapport à nous. Il
faudrait que le gouvernement du Québec puisse garder à la fois
son droit et son pouvoir d'intervention pour apporter, lorsqu'il le jugera
nécessaire, une aide financière aux producteurs de certains
secteurs particuliers.
On pourrait référer juste à une industrie, par
exemple. On sait qu'au Québec, il serait possible de développer
certains produits horticoles et qu'il y aurait des marchés
intéressants dans plusieurs États américains. Il arrive
que ce ne sont pas nécessairement des tarifs douaniers, mais ce sont
d'autres conditions douanières qui sont souvent importées:
seulement l'imposition de dates sur le calendrier qui nous permettent
d'exporter ou qui permettent aux Américains de venir inonder le
marché québécois, alors que nos producteurs ont des
primeurs à mettre sur le marché. Ce sont des ententes qui nous
paraissent quand même relativement faciles à négocier et
sur lesquelles les
Américains devraient être en mesure de comprendre la
position du Québec et la nécessité pour nous d'une
certaine forme de protection. (20 h 30)
M. MacDonald: Est-ce que vous voulez faire l'alternance? Alors,
allez-y.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Laviolette.
M. Jolivet: Merci, M. le Président. M. Boutin et M.
Lapointe, merci d'être venus apporter votre éclairage.
J'écoutais M. le ministre du Commerce extérieur et j'avais
un petit problème de compréhension. Moi aussi, j'ai suivi la
journée et je pense que vous avez eu la chance peut-être comme
d'autres de suivre le ministre. Il me semblait, il vient de nous le dire, que
la façon dont il voyait ce soir le rapport de l'UPA, c'était du
négativisme, puis j'ai cru comprendre - je peux me tromper, mais ma
mémoire ne fait pas totalement défaut - qu'il parlait cet
après-midi de deux solitudes, mais qu'en réalité, ces deux
solitudes-là étaient proches l'une de l'autre. Je ne comprends
plus le ministre parce que cet après-midi, devant l'UPA, devant les gens
ici, il disait que la position de l'UPA et celle du gouvernement, c'est
à peu près pareil, sauf qu'ils ne parlaient pas de la même
chose. Ce soir, il vient nous dire que c'est aux antipodes, que c'est du
négativisme complet, et devant nous il y a un autre organisme qui est un
peu pris par l'ambiguïté et par le fait qu'on ne connaît pas
l'ensemble des dossiers sur lesquels le gouvernement en place est en train de
négocier par l'intermédiaire d'un autre organisme
fédéral.
J'aimerais bien comprendre, parce que le ministre vient de nous dire que
la rencontre d'hier et d'aujourd'hui a un but pédagogique, un but
d'information. J'ai des craintes quand je l'entends parler comme ce soir parce
que cela rne donne plutôt l'impression qu'il est en train d'endormir le
monde, de chloroformer le monde pour finalement les empêcher d'avoir des
idées parce qu'il dit depuis le début, comme le ministre de
l'Agriculture: Votre position est comme la nôtre; on ne s'entend
peut-être pas sur les mots, mais on dit la même chose que vous; on
a une position comme gouvernement qui est le maintien d'un statut
spécial pour l'agriculture, ne vous inquiétez pas. Moi, je les ai
connus, je vous parle de la négociation sur le marché du bois
d'oeuvre. On pourra leur parler de négociations qu'ils ont eues au
fédéral pour les grains, les gens commencent à nous en
parler. J'ai l'occasion d'aller sur le terrain, j'ai des rencontres en fin de
semaine avec des gens qui vont m'en parler davantage avec des cas
précis, avec des gens qui, assurés ou non reçoivent du
fédéral des montants d'argent à la suite des
négociations avec le provincial, puis quand ils arrivent à
l'assurance- stabilisation des revenus agricoles, l'ASRA, on dit: Bien,
écoutez, vous l'avez eu, vous n'avez pas besoin d'en avoir une
deuxième partie. Finalement, assurés ou non, ce que les gens
disent dans le milieu c'est qu'on se retrouve avec des gens qui au bout de la
course...
Une voix: ...se laissent tomber dans le piège.
M. Jolivet: ...vous avez le droit. M. le Président, je ne
l'ai pas dérangé. Merci!
Une voix: Je ne veux pas vous déranger.
Le Président (M. Charbonneau): Â l'ordrel
M. Jolivet: Ce que je veux juste vous dire c'est ce que les gens
nous disent et dans ce contexte-là, je veux bien qu'on ait, ce soir, de
l'information, de la pédagogie, mais j'aimerais qu'on ait le même
langage tout le temps.
Il y a une chose que vous dite à la page 18 de votre
mémoire, en terminant, vous dites: "Face à la complexité
des questions que pose l'agriculture, on peut souhaiter qu'un accord de
libre-échange avec les États-Unis se résume à
définir un cadre général pouvant servir de base à
des négociations ultérieures et spécifiques à ce
secteur". Est-ce que je comprends bien en disant que - et vous avez un peu
ajouté à la demande du ministre tout à l'heure où
on parle de libre-échange dans les secteurs où c'est facile de
parler de libre-échange et finalement d'arriver à des ententes -
dans le cas de l'agriculture, si on peut avoir un cadre général,
il va falloir qu'on continue les négociations ultérieurement
parce que cela ne sera pas fini au moment où il pourrait y avoir un
cadre général? C'est un dossier tellement fragile de part et
d'autre, mais surtout pour l'agriculture considérée comme une
agriculture familiale au Québec avec des conditions où le
gouvernement n'a pas le choix de la supporter, sinon le projet de
société qu'on s'est donné, il va falloir le changer, il va
falloir dire aux gens qu'on veut un modèle américain ou un
modèle autre que le nôtre. J'aimerais que vous m'expliquiez le
dernier paragraphe de votre mémoire nous disant qu'il y a un cadre
général, mais que ce cadre général va servir de
base à des négociations ultérieures. Cela veut dire que ce
ne serait pas fini, si je comprends bien.
M. Lapointe: Je pense qu'on ne peut pas détacher le
dernier paragraphe de ce qui
précède. Antérieurement, on dit aussi ceci, on dit
que, dans l'état actuel de connaissance des dossiers, personne, en tout
cas certainement pas nous à l'Ordre des agronomes, n'est en mesure de
prévoir de façon précise ce que le Canada va proposer et
encore moins ce que les Américains vont proposer et accepter. Mais ce
qu'on peut déjà pressentir, c'est que les Américains sont
aux prises avec de sérieux problèmes en agriculture et qu'ils ne
seront certainement pas prêts à accepter spontanément une
ouverture des frontières pour qu'on puisse leur exporter les surplus
dans certaines productions agricoles.
Donc, puisqu'il semble difficile de prévoir que les
Américains accepteraient qu'on puisse augmenter nos exportations d'une
façon importante et, d'autre part, comme on sait que nous ici, nous ne
pouvons pas accepter non plus que les Américains nous inondent, la
meilleure entente du départ, ce sera peut-être justement de
tâcher de discuter d'un certain cadre général qui peut
aller un peu plus loin que des principes, mais qui donnerait une ouverture
à des négociations plus spécifiques par la suite. Encore
une fois, comme je l'ai souligné auparavant, ce qui s'est passé
en Europe risque probablement de se passer aussi en Amérique du Nord,
c'est-à-dire que l'agriculture n'a pas été le premier
secteur qui a suscité une entente spontanée de la part des pays
de la Communauté économique européenne et il y a trop
d'écart entre les deux pays impliqués pour prévoir une
entente possible sur un grand nombre de secteurs de production.
M. Jolivet: Vous avez dit à la page 7 de votre
mémoire que, dans l'ensemble, la position concurrentielle de
l'agriculture québécoise est favorable, tant à
l'intérieur du Canada que dans l'économie nord-américaine.
D'autre part, vous nous dites à la page 9 que l'agriculture n'est jamais
négociable. Vous nous dites que certaines productions
contingentées - je donne des exemples: le lait, les oeufs, la volaille
-seraient fortement déstabilisées et par le fait même
vulnérables à un accord de libre-échange. Les pages 12 et
13 indiquent que les producteurs de produits agro-alimentaires sont contre le
libre-échange. En fait, on a eu des gens qui nous ont parlé de
l'ensemble du projet et de la façon dont ils le voyaient. D'un autre
côté, on soutient que l'élimination des tarifs n'aurait que
des effets mineurs et que là où l'offre est
réglementé, il appartient aux producteurs à décider
et qu'il faudrait minimiser l'impact par des programmes de stabilisation des
prix à la ferme, en raison de la surproduction américaine et de
son avantage concurrentiel. D'un autre côté, on dit: Connaissant
les effets dévastateurs que pourrait avoir un accord de
libre-échange américain, on ne peut raisonnablement s'opposer
à inclure l'agriculture dans le processus de négociation. Il
semble un peu y avoir dans l'ensemble une certaine forme de contradiction dans
la façon dont vous présentez l'ensemble du sujet. J'aimerais voir
si j'ai bien compris et si vous avez une opinion qui me permettrait de bien
comprendre si j'ai saisi l'ensemble de votre mémoire.
M. Lapointe: Vous avez employé les termes "il semble" y
avoir une contradiction, je pense que les termes sont justes, "il semble" -
peut-être qu'en apparence on peut, à la première lecture,
penser qu'il y a une contradiction, mais de l'avis des membres du comité
avec lequel j'ai travaillé, il n'y a pas d'opposition, si vous voulez,
entre ces deux énoncés. D'une part, il est bien certain que les
productions contingentées, les producteurs ne voudraient pas les
négocier et je ne crois pas non plus que personne au Québec ne
serait prêt à sacrifier ce secteur ou à l'ouvrir. Il reste
que des productions non contingentées, qui ont déjà un
accès relativement facile sur le marché américain peuvent
faire l'objet de négociations. La position des agronomes face à
cela, c'est que les négociations devraient nous permettre, vu la
qualité des produits que l'on offre sur le marché
américain, tant des viandes que des produits horticoles, d'augmenter
peut-être nos exportations, sans qu'on n'ait à donner en
échange des concessions sur des productions déjà
contingentées et pour lesquelles les producteurs se sont donné
des structures depuis au-delà d'une vingtaine d'années. Je pense
que, s'il fallait les sacrifier, c'est sûr que cela serait un recul.
Alors, il n'y a pas d'opposition. L'Ordre des agronomes croit qu'il ne
faut pas rejeter ou mettre de côté l'agriculture dans les
négociations avec les États-Unis, mais, dans ces
négociations, il faut déjà avoir une position ferme sur
les productions contingentées et une certaine ouverture des
négociations sur les productions qui pourraient nous offrir un
accroissement de nos exportations. Personne ne peut prétendre à
ce moment-ci que ce n'est pas possible. La preuve, c'est que, tous les soirs,
des camions de produits horticoles partent de la région du sud de
Montréal vers le marché de Boston ou vers le marché de New
York, et cela depuis plusieurs années.
II serait possible de les accroître. J'ai été
personnellement impliqué dans l'industrie de transformation pendant
plusieurs années et je me suis toujours demandé pourquoi
l'industrie rie la conserve alimentaire au Québec était si
dépendante des Américains. Il y aurait probablement moyen de
renégocier suffisamment tout le secteur des conserves alimentaires, de
la congélation et de la surgélation, et d'accroître
peut-être
certaines productions au Québec dans ces secteurs, car le
marché américain apprécie la qualité de nos
produits et la valeur du dollar américain nous favorise.
M. MacDonald: Je voudrais tout simplement faire observer que, non
seulement j'approuve, mais je ne fais que constater cette recommandation que
vous faites de continuer à négocier, en faisant partie
peut-être de l'éducation du député de Laviolette qui
est nouveau au dossier. Dans le domaine de la commercialisation internationale,
c'est de la négociation continuelle. Que cela se fasse au niveau
bilatéral ou multilatéral,, ce n'est pas pour rien que nous avons
une expertise à la disposition des gouvernements pour continuer à
traiter ces dossiers où il y a déjà eu entente, mais les
marchés évoluent. Alors, dans le domaine de l'agriculture, encore
peut-être plus s'il y a des efforts à concentrer, à
continuer à négocier, c'est là.
Si vous me le permettez, M. le Président, j'aimerais passer la
parole au député de Frontenac qui aurait quelques questions
à poser.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Frontenac.
M. Lefebvre: M. Lapointe, à la page 2 de votre
mémoire, vous soulignez le fait que le Canada aurait
intérêt à conclure avec les États-Unis un accord de
libre-échange en vue de former le bloc commercial le plus puissant au
monde dans le cas des échanges multilatéraux du GATT, Est-ce que
cela laisse entendre que les États-Unis et le Canada, à partir du
moment où ils auraient convenu ensemble d'un accord de
libre-échange, auraient tous deux un intérêt qui pourrait
être partagé évidemment de façon différente
vis-à-vis du commerce avec d'autres pays que le Canada pour les
États-Unis et que les États-Unis pour le Canada? Autrement dit,
en formant un bloc, tous les deux gagneraient d'autres marchés que les
marchés réciproques du Canada et des États-Unis.
J'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce bien ce que vous voulez dire
à la page 2 de votre mémoire? Si oui, j'aimerais vous entendre
là-dessus. (20 h 45)
M. Lapointe: Je pense que vous avez non seulement bien lu, mais
bien compris. Ce deuxième paragraphe vient au tout début du
chapitre et il réfère plutôt à une
considération d'ordre général. Il n'est pas
nécessairement limité au secteur de l'agriculture. Il nous
apparaît en tout cas que les négociations avec les
États-Unis, comme vous le soulignez, pourraient avoir comme un des
objectifs de constituer éventuellement un bloc économique
très puissant, de façon à avoir - je dirais - une
influence plus considérable lors des négociations du GATT que le
Canada isolément. C'est-à-dire que le Canada pourrait
peut-être gagner des points en étant, dans certains secteurs
allié avec les Etats-Unis pour négocier avec d'autres pays dans
le cadre du GATT, ou dans le cadre, éventuellement, d'autres formes de
négociations commerciales sur le plan mondial.
M. Lefebvre: Maintenant, M. Lapointe, je vous avouerai que j'ai
un peu de difficulté à tirer une conclusion en partant de
l'ensemble de votre mémoire et je n'arrive pas à conclure si
finalement vous êtes pour ou contre une entente de libre-échange
avec les États-Unis. Je pars de ce que je viens de dire à la page
2: Vous considérez que les deux pays auraient intérêt
à former un bloc commercial plus puissant. Alors, je conclus par les
commentaires que vous faites à la page 2 que vous êtes favorables
à une entente de libre-échange avec les États-Unis.
À la page 17, cependant, vous dites que vous doutez sérieusement
de la valeur et de la durée des gains sociaux qui pourraient
découler pour les Québécois, particulièrement - on
parle du Québec - d'un accord de libre-échange avec les
États-Unis. Au paragraphe suivant, vous ajoutez: "Néanmoins, on
ne peut raisonnablement s'opposer à inclure l'agriculture dans le
processus actuel de négociations bilatérales." Dans un premier
temps, à la page 2, vous dites: Oui, on aurait intérêt,
comme les États-Unis - vous parlez du Canada, évidemment.
À la page 17, cependant, pour le Québec, vous n'êtes pas
certains que le Québec ferait des gains sociaux durables et vous
continuez en disant que, de toute façon, si jamais on décidait
d'y aller, pourquoi ne pas inclure l'agriculture? Cela contredit l'UPA qui dit:
À tout le moins, excluez l'agriculture. Non seulement vous dites:
Peut-être que cela serait bon. À la page 17, vous êtes moins
certains pour le Québec et vous terminez, ou presque, votre
mémoire en disant: Si on y allait, incluons l'agriculture. Alors, je
vois des contradictions dans ces trois points que vous soulevez aux pages de
votre mémoire que je viens de mentionner. J'aimerais vous entendre
là-dessus.
M. Lapointe: Ce qui est dit à la page 2 et au bas de la
page 17 n'est pas une contradiction, mais une réaffirmation. Par contre,
le paragraphe 2 de la page 17 dit que l'Ordre des agronomes doute des gains
sociaux qui pourraient découler pour le Québec. Je pense qu'il
faut le relier avec le début du paragraphe quand on dit que les
récentes mesures adaptées par Washington pour soutenir les prix
et faciliter l'exportation nous obligent à lutter sérieusement.
C'est justement pourquoi il faut des négociations. Si on les laisse
aller avec leurs
mesures actuelles, ils vont trouver toutes sortes de prétextes,
des méthodes techniques pour empêcher l'entrée des produits
ou pour introduire leurs produits, alors que, si on négocie, on a
peut-être des chances de s'entendre sur des modalités.
M. Lefebvre: M. Lapointe, vous en venez à la conclusion,
et c'est votre opinion, qu'on a tout intérêt à faire
l'impossible pour réaliser une entente. Ce sera toujours mieux que le
statu quo actuel.
M. Lapointe: C'est ce qui est au bas de la page 17 et au
début de la page 18.
M. Lefebvre: C'est ce que vous voulez dire.
M. Lapointe: C'est la dernière partie de la
conclusion.
M. Lefebvre: Merci.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Laviolette.
M. Jolivet: Je vais revenir, parce que, pour moi aussi, comme je
vous l'ai expliqué tout à l'heure, il semblait y avoir une
certaine forme de contradiction. Vous venez d'expliquer davantage cette
ambiguïté qui semblait persister. Je reviens à la page 13 de
votre mémoire. J'aurais la question suivante: Quels sont donc les
avantages que le Québec peut espérer obtenir d'un traité
de libre-échange avec les États-Unis dans le secteur agricole,
alors que, à la page 13, vous affirmez que les Américains sont
plus intéressés à libérer leur marché de
leurs surplus qu'à accueillir librement les produits étrangers
pour accroître encore davantage les stocks en réserve? J'aimerais
que vous m'expliquiez davantage quels sont les avantages pour le Québec
de participer à ce libre-échange.
M. Lapointe: Je pense que ce qu'on dit là, c'est
l'évidence même. Lorsqu'on a des surplus, on veut s'en
débarrasser. À cause, évidemment, de la force
économique de notre voisin, on n'a pas intérêt à
refuser constamment toute négociation, c'est-à-dire que le statu
quo ne permettrait pas quand même de fermer toujours nos
frontières et, éventuellement, les Américains pourraient
trouver des moyens de faire des exportations même s'il fallait abaisser
les prix d'une façon considérable. Éventuellement, ils
vont s'en débarrasser. On risque d'en avoir une partie. Alors que, si on
négocie et qu'on en vient à signer une entente sur certains
secteurs de l'agriculture, on a peut-être des chances de prévenir
une situation qui ne serait pas avantageuse pour te Québec. Autrement
dit, nous croyons plutôt que la négociation est meilleure que le
statu quo. C'est cela.
M. Jolivet: À la page 18, vous présentez une des
propositions, la proposition 4, soit l'établissement d'un
mécanisme permanent ou un tribunal d'arbitrage pour régler
équitablement les litiges et les différences
d'interprétation des accords entre les deux pays. Vous avez probablement
entendu dire que, ce matin, M. Parizeau est venu ici à la commission
parlementaire et que, dans les entrevues qu'il a accordées et dans ce
qu'il a dit ici, il ne voyait pas que c'était une décision qu'on
pouvait imposer aux États-Unis, dans le sens que le Congrès ne se
départira pas de ses pouvoirs au profit d'une autre nation d'à
côté, d'un autre peuple qui décide de vouloir
négocier un libre-échange à la condition de. Donc, il dit
que c'est une condition qu'on peut bien mettre, mais qu'on est presque
assurés de ne pas l'avoir. D'un autre côté, M. Pierre
Petitgrew disait la même chose, à savoir qu'il ne voyait pas cela
d'un bon oeil, compte tenu qu'effectivement la possibilité de l'obtenir
était très mince. Vous avez écrit votre mémoire
avant. Il y a eu ces gens, des personnes considérées comme
connaissant l'ensemble du dossier. Est-ce que votre position, malgré
leur intervention de ce matin, est toujours la même? Si oui, qu'est-ce
que vous donnez comme argumentation?
M. Lapointe: Comme vous et comme plusieurs autres, j'ai pu lire
dans les journaux ce matin ce que vous dites, que définitivement, le
Sénat américain ne veut pas laisser aller ses prérogatives
de décisions finales dans cette matière. Les élus veulent
conserver leur pouvoir et on le comprend très bien. Seulement, il existe
quand même des exemples, je pense, par lesquels on peut prévoir
que, pour certaines questions, il pourrait y avoir un mécanisme,
appelons-le tribunal ou peu importe, mais appelons-le un mécanisme en
tout cas, qui permettrait justement de régler des litiges comme ceux
qu'on a connus récemment. Vous en avez mentionnés vous-même
tout à l'heure, soit le bois. Il y en a eu d'autres. Il y en a assez
régulièrement en agriculture et cela, depuis fort longtemps.
Est-ce que, pour des questions qui seraient peut-être
économiquement de moindre importance, le Sénat voudra quand
même mettre un veto complet?Personne ne peut le savoir. On le
saura seulement après le 5 octobre. Nous n'avons pas changé de
position parce qu'on a appris comme vous que cette opposition semblait assez
ferme, mais je ne vois pas pourquoi on ne tenterait pas quand même de
convaincre le partenaire américain de céder sur un point comme
celui-là pour certaines denrées agricoles. Cela ne s'appliquerait
peut-être pas nécessairement à l'ensemble parce qu'on
va négocier seulement une partie de l'agriculture. Il y a une
partie qu'on ne veut pad négocier de toute façon.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation.
M. Pagé: Merci, M. le Président- Je veux remercier
M. Lapointe et M. Boutin de l'intérêt qu'ils manifestent au
dossier et de leur participation aux travaux de notre commission parlementaire.
Je vais être bref parce qu'il ne reste que quelques minutes. Je dois vous
indiquer que j'ai été surpris, vraiment surpris de constater la
prise de position de l'Ordre des agronomes, en ce que j'interprète comme
le message que vous nous livrez ce soir. Je l'interprète comme un appui
à une démarche de libre-échange purement et simplement
entre les États-Unis et le Canada, particulièrement en
matière d'agriculture.
À la page 2, sans reprendre ce que mon collègue de
Frontenac vous indiquait tout à l'heure, vous évoquez le fait que
le Canada et les États-Unis ensemble pourraient constituer, par leur
présence sur les marchés internationaux, une force beaucoup plus
vitale et importante dans l'économie agricole du Québec. Je me
permets de vous exprimer mes réserves et mes craintes en ce qu'on doit
constater et retenir certains éléments, si on se compare aux
États-Unis, notamment pour nos productions au Québec. En volume,
ils sont beaucoup plus gros que nous. On a référé à
la production du poulet ce matin. Il leur suffirait d'augmenter leur production
de 4 % ou 6 % et ils pourraient nous enlever 50 % de notre marché
canadien. On a un marché, une production canadienne dans le domaine du
poulet de gril d'environ 750 000 000 de livres par année et avec une
augmentation de la production de 4 % à 6 %, on perdrait,
c'est-à-dire qu'on pourrait perdre 50 % de nos marchés. Imaginez
l'impact dans l'économie du Québec non seulement pour les
producteurs ou les productrices qui ont des investissements, qui ont des quotas
d'une valeur donnée, mais aussi pour toute la chaîne, de ceux et
de celles qui fournissent. C'est la même chose dans le domaine de la
production laitière. Il ne faut pas se faire de cachette. Il y a des
surplus là aussi. Notre population compte seulement quelque 20 000 000
d'habitants répartis sur le territoire qui est le plus vaste dans les
pays du monde libre. Nous pourrions être une proie relativement facile
à manger dans certaines productions. Je vous exprime ma surprise et je
ne peux pas faire autrement.
J'ai une question très particulière maintenant. À
la page 14 de votre mémoire, vous dites en conclusion: "Pour
l'agriculture québécoise, l'élimination graduelle des
tarifs douaniers aurait des effets mineurs pourvu qu'on accorde une protection
saisonnière aux produits horticoles." On doit convenir qu'il n'y a pas
beaucoup de tarifs douaniers applicables. Cependant, tous les intervenants sont
unanimes à soutenir - jusqu'à maintenant en tout cas - que la
force et la vitalité de l'agriculture au Québec et au Canada
passent par le maintien de certains acquis dont, évidemment, nos agences
nationales de commercialisation, nos structures de mise en marché de
produits. J'ai indiqué cet après-midi et ce matin que, non
seulement on devait être sécurisés à l'égard
du maintien de ces structures, mais aussi en ce qui concerne le droit pour un
pays comme les États-Unis d'acheminer au Canada et
particulièrement au Québec des produits transformés venant
des États-Unis. II suffit de référer au yogourt, à
la crème glacée, au fromage.
On pourrait aussi parler longuement des succédanés qui
sont utilisés sur une grande échelle là-bas, par exemple
pour les fromages, et qui ne le sont pas ici au Canada. Ne croyez-vous pas que
la proposition que vous formulez, si elle était adoptée - je
pense que, tout à l'heure, le Conseil de la coopération
laitière qui va comparaître sera en mesure de nous donner des
exemples très spécifiques de ce qu'une mesure comme
celle-là pourrait avoir comme effet sur leur industrie, notamment en ce
qui concerne la crème glacée - ne croyez-vous pas que
l'application intégrale d'une recommandation comme celle-là
risquerait de placer de3 secteurs entiers de notre production agricole en
péril?
M. Lapointe: Me posez-vous une question?
M. Pagé: Oui.
M. Lapointe: Je ne sais pas si je vous ai bien compris, M. le
ministre. Ce paragraphe suppose qu'on a déjà lu ce qui
précède où on dit que les productions
contingentées, le Québec n'est pas prêt à les
négocier. On dit que l'élimination graduelle de tarifs douaniers,
ce ne serait pas applicable aux produits laitiers ni aux produits avicoles. On
peut prendre l'exemple du porc; on l'a vécu. Les États-Unis ont
trouvé parfois des prétextes comme ça pour nous
empêcher d'exporter ou pour diminuer les quotas qu'ils étaient
prêts à accepter. C'est un peu cela. Ce n'est peut-être pas
suffisamment clair, je m'en excuse, mais ici on suppose que les productions
contingentées, on n'y touche pas.
M. Pagé: J'apprécie et je vous en remercie. M. le
Président, je pense qu'il me reste deux minutes.
Le Président (M. Charbonneau): II ne vous reste plus de
temps, M. le ministre. La réponse a grugé le reste du temps qu'il
vous restait.
Une voix: Consentement.
M. Lefebvre: Consentement du député de Laviolette.
Consentement pour deux minutes, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Si vous êtes sage, on
peut vous donner deux minutes additionnelles. (21 heures)
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Pagé: Vous savez, je suis le plus vieux
parlementaire.
Une voix: Ce n'est pas une punition mineure.
M. Pagé: Non? Je m'excuse. Mon collègue d'Orford et
moi sommes les plus vieux parlementaires ici. On a droit à certains
égards.
Le Président (M. Charbonneau): Je remarque simplement que
vous avez grisonné un peu plus depuis deux ans.
M. Pagé: Pardon?
Le Président (M. Charbonneau): Vous avez un peu plus
grisonné.
M. Pagé: Ce n'est certainement pas la force de
l'Opposition.
Le Président (M. Charbonneau): Ah!
Bien, écoutez.
M. Pagé: Pour y revenir, M. le Président, une
minute seulement pour indiquer à mon bon ami et collègue de
Laviolette que j'ai été très surpris quand vous avez
indiqué tout à l'heure que, pour vous, le paiement
effectué en vertu d'un programme spécial du gouvernement
fédéral pour appuyer les productions agricoles au Québec
qui sont stabilisées, le produit de ces sommes ne devrait pas être
versé dans nos régimes d'assurance-stabilisation mais bien aux
producteurs. Si c'est ce que vous m'avez dit, c'est très
inquiétant parce que les paiements en vertu du programme
d'indemnités pour les céréales ont été
versés directement dans nos régimes d'assurance-stabilisation.
Cela est très clair dans la loi que les sommes venant d'Ottawa doivent
aller là.
Quand vous avez parlé de votre voyage en Abitibi tout à
l'heure, c'est ce que vous avez dit, je m'excuse, à moins que vous ne
fassiez amende honorable. Mais...
M. Jolivet: Je n'ai pas parlé d'Abitibi, M. le
Président. Ce que j'ai dit c'est: En fin de semaine, je vais recevoir
des gens qui vont me donner les informations cas par cas. Faites attention
à ce que vous dites.
M. Pagé: D'accord. Vous savez, cela témoignerait
soit d'une méconnaissance profonde ou d'un haut sens de
l'électoralisme, ce qui ne serait pas bon dans un cas ou dans
l'autre.
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre! Dans ce
cas, M. le ministre, je me rends compte que j'aurais dû rester sur ma
position initiale et vous refuser vos deux minutes. Vous avez ouvert une
boîte qui aurait pu risquer de nous amener là où on ne doit
pas aller. Bientôt, la Chambre va reprendre et je pense que vous aurez
l'occasion mutuellement de vous affronter selon les règles
parlementaires. En attendant, je vais vous amener à attendre patiemment
cette joute et plutôt profiter des quelques instants qui nous restent
pour remercier MM. Lapointe et Boutin d'avoir accepté notre invitation
et participé à cette consultation générale. Je
pense que les membres de la commission ont apprécié. Nous vous
remercions. Peut-être que nous aurons d'autres occasions de vous revoir
à cette commission. Bon retour!
J'inviterais maintenant les nouveaux intervenants, qui sont les
représentants du Conseil de la Coopération laitière et la
Fédération des producteurs de lait du Québec.
Messieurs, bonsoir. Je crois que le responsable de la
délégation est M. Daoust, si je ne m'abuse. Je vais vous
rappeler, M, Daoust, ainsi qu'à vos collègues - je pense que vous
le savez un peu - que le temps est d'une heure. Vous avez 20 minutes pour faire
la présentation de votre mémoire et de vos points de vue. Par la
suite, le reste du temps sera utilisé par les membres de la commission
de part et d'autre pour discuter. Pour le Journal des débats, je
vous demanderais, M. Daoust, de présenter les personnes qui vous
accompagnent.
Conseil de la coopération
laitière et Fédération
des
producteurs de lait du Québec
M. Daoust (Roger): Merci, M. le Président, de nous donner
l'occasion de faire connaître notre point de vue concernant les
discussions qui ont cours sur la libéralisation des échanges
commerciaux entre le Canada et les États-Unis.
D'abord, je dois vous présenter à ma droite M. Claude
Lafleur, économiste à la Fédération des producteurs
de lait de même que M. Normand De Montigny, secrétaire du Conseil
de la Coopération laitière; à ma
gauche, M. Napoléon Théberge, vice-président du
Conseil de la coopération laitière et M. Jean-Marc Bergeron,
directeur de la division laitière à la Coopérative
fédérée de Québec. Je demanderais à M.
Théberge de procéder à la lecture du court mémoire
que nous avons à vous présenter. Cela résume aussi un peu
la position qui a déjà été présentée
par l'UPA, cet après-midi.
Le Président (M. Charbonneau):
D'accord.
M. Théberge (Napoléon): M. le Président de
la commission, Mmes et MM. les députés. Nous tenons tout d'abord
à vous remercier de l'occasion qui nous est donnée de vous
exprimer notre point de vue sur un éventuel accord de
libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les
États-Unis.
Le Conseil de la Coopération laitière et la
Fédération des producteurs de lait du Québec ont voulu se
présenter conjointement devant la commission. Nos deux organisations
représentent l'ensemble des 17 000 producteurs de lait du Québec
ainsi que les deux tiers de la capacité de transformation de l'industrie
laitière québécoise. Notre position est claire et connue
depuis plusieurs mois. Nous sommes contre la libéralisation des
échanges commerciaux en industrie laitière puisque cela
n'apportera rien de positif aux Canadiens, mais mettra, par contre, en
péril des milliers d'emplois et signera l'arrêt de mort de la
ferme familiale au Québec.
Pour mieux vous permettre de bien saisir les fondements de notre
position, nous vous brosserons d'abord un rapide portrait du système
canadien de gestion des approvisionnements de lait sur lequel repose
l'industrie laitière.
La mise sur pied de ce système a nécessité des
efforts considérables, notamment des producteurs de lait, au cours des
20 dernières années. Des ajustements ont été
apportés au cours des ans à ce mécanisme qui met en
équilibre l'offre et la demande de produits laitiers, de manière
à répondre aux attentes tant des consommateurs et contribuables
canadiens que des producteurs.
Ce système original, qui fait figure de contrat social entre le
gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les
producteurs de lait du Canada, a inspiré plusieurs pays qui ont
récemment adopté des systèmes de gestion
d'approvisionnement se rapprochant du modèle canadien. Les pays de la
Communauté économique européenne notamment, qui, depuis
plusieurs années, sont aux prises avec d'énormes surplus de
produits laitiers, surplus stockés aux frais des contribuables
européens, ont implanté, il y a quatre ans, un système de
contingentement.
Le système canadien repose sur des engagements concrets et des
responsabilités bien délimitées. C'est ainsi que les
producteurs sont directement impliqués dans la prise de décision
quant au niveau des quotas à émettre pour répondre aux
besoins canadiens. L'administration de ces quotas et leur répartition
entre les 40 000 producteurs de lait canadiens relèvent également
des organisations de producteurs.
Les coûts d'exportation de l'excédent structurel de
certains sous-produits du lait et des excédents conjoncturels de
production lorsqu'ils surviennent sont à la charge des producteurs. Bon
an, mal an, c'est près de 270 000 000 $ ou 9 % de leur revenu brut que
les producteurs décaissent pour assumer cette responsabilité.
Le gouvernement fédéral, pour sa part, soutient le revenu
des producteurs et la marge de transformation des usines par le biais d'un prix
de soutien sur le beurre et sur la poudre de lait écrémé.
De plus, un subside est versé directement au producteur pour lui
permettre d'obtenir l'équivalent de son coût de production. Ce
subside a pour effet également de maintenir le prix des produits
laitiers à un niveau raisonnable pour le consommateur canadien. Le
gouvernement injecte donc environ 280 000 000 $ par année à cette
fin. Le gouvernement fédéral doit également veiller
à maintenir les contrôles à l'importation de produits
laitiers pour permettre un fonctionnement efficace du système de gestion
des approvisionnements.
Voilà bien brièvement résumé le contrat qui
lie le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, qui
ont également signé le plan national de commercialisation du
lait, et les organisations de producteurs de lait dans tout le Canada.
Le gouvernement canadien reconnaissant le mérite de ce contrat a
annoncé, en janvier 1986, le renouvellement, pour une période de
cinq ans, de ses engagements envers l'industrie laitière et ce, au
moment même où les pourparlers quant à la
libéralisation des échanges commerciaux canado-américains
s'amorçaient. Un peu plus tard, dans le processus de négociation,
le gouvernement canadien a confirmé que les offices de
commercialisation, qui sont à la base de la gestion des
approvisionnements, ne sauraient être inclus dans les discussions en
cours avec les États-Unis.
Le système canadien de gestion des approvisionnements de lait a
fait ses preuves et il doit être maintenu intégralement dans
l'avenir puisqu'il dessert bien tant les consommateurs que les producteurs de
lait canadiens.
La production laitière du Québec représente 40 % du
total canadien. La valeur à la ferme de cette production
représentait, en 1985, plus de 40 % des recettes
monétaires de toute la production agricole du Québec.
L'industrie laitière procure plus de 38 000 emplois directs sur les
fermes et en usines, ces emplois se situant souvent dans des régions qui
ont peu d'alternatives économiques. Enfin, l'industrie laitière
se situe, par la valeur de ses livraisons, au premier rang de l'industrie des
aliments et boissons, laquelle elle-même figure au premier rang de
l'industrie manufacturière du Québec.
Il s'agit d'une industrie performante, utilisant des technologies
avancées et dont les gains en productivité au cours des
dernières années n'ont pratiquement pas connu d'égal en
agro-alimentaire. Qu'il suffise de mentionner qu'on produit aujourd'hui au
Québec sensiblement le même volume de lait qu'en 1970, mais en
ayant diminué de 3Q % le nombre de vaches durant cette
période.
Pour ce qui est des usines, la rationalisation a été tout
aussi, sinon plus, spectaculaire puisqu'en 1970, on comptait plus de 230 usines
laitières au Québec, alors qu'on en retrouve plus que 93
aujourd'hui.
Le gouvernement québécois a fourni des sommes importantes
dans les années 1960 et 1970 pour favoriser et accentuer cette
rationalisation tant à la ferme qu'au niveau de la transformation. Ces
investissements de fonds publics perdront de leur valeur dans
l'éventualité d'un libre-échange appliqué à
l'industrie laitière.
Comme vous êtes à même de le constater, l'industrie
laitière est d'une importance capitale pour l'économie du
Québec et le gouvernement du Québec doit s'assurer que le
système canadien de gestion des approvisionnements, qui a permis
jusqu'à un certain point l'essor de cette industrie, soit maintenu dans
son intégralité.
Pour ce faire, il faut s'assurer qu'aucune des quatre composantes qui
forment le système canadien ne subira de brèche. Ces quatre
composantes sont le contingentement de la production, les quotas d'importation
de produits laitiers, les tarifs douaniers s'appliquant aux produits laitiers
entrant au Canada, notamment ceux s'appliquant à la crème
glacée et au yogourt pour lesquels il n'existe pas de quota
d'importation comme tel, et la quatrième étant les restrictions
provinciales touchant la commercialisation de produits d'imitation tels les
substituts de fromage.
C'est tout cela qui fait partie du contrat intervenu entre le
gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les
producteurs de lait canadiens. Toute brèche dans un de ces quatre
secteurs peut mettre en péril tout le système dont
l'équilibre est très délicat. Merci!
Le Président (M. Charbonneau): Alors, Monsieur, merci.
Immédiatement, je cède la parole au ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: M. le Président, merci de votre
présentation.
Vous dites au départ que vous êtes contre la
libéralisation des échanges et que les échanges
commerciaux en industrie laitière n'apportent rien de positif aux
Canadiens. Si on parle de tarification, d'agences de commercialisation, de
programmes de stabilisation, etc., je pense comprendre très bien votre
situation. Si on étend la négociation, parce qu'il y a
négociation à l'heure actuelle, et si, sur le plan de
l'agriculture, on regarde les questions d'uniformisation de règles
d'hygiène pour ne prendre qu'un exemple, si on regarde la subvention
directe des exportations qui a fait subir des pressions et des pressions que
j'appellerais plus qu'indues à certains pays lorsque les
États-Unis ou la communauté européenne directement ou
indirectement ont décidé de le faire, y a-t-il là des
sujets qui, d'après vous, peuvent continuer à faire le sujet de
négociations avec les États-Unis? Ce que je cherche à
dire, et je ne voudrais pas vous mettre en conflit, c'est qu'aujourd'hui,
venant du secteur agricole, on nous a dit: II ne devrait pas y avoir de
négociations à aucun prix, je voudrais savoir si vous, vous
êtes d'accord sur, par exemple, les sujets que je viens de mentionner,
compte tenu de toutes les réserves que vous avez mises ici dans votre
soumission.
M. Daoust: Concernant l'exportation des produits laitiers, c'est
l'entière responsabilité des producteurs de lait. Ce qui se
produit présentement lorsqu'il y a des surplus de produits laitiers au
Canada, c'est que les producteurs de lait, par leur contrat, acceptent
d'exporter ces produits-là à leurs frais et, d'autre part, ce que
nous devons concurrencer, ce sont les États-Unis, ce sont les
gouvernements des autres pays. C'est de cette façon-là qu'on
s'oppose à ce qu'il y ait des libéralisations d'échanges
entre les deux pays dans le secteur laitier puisqu'advenant une ouverture des
frontières, justement les surplus de produits laitiers aux
États-Unis sont suffisants pour approvisionner le marché
canadien. Donc, à partir de ce moment-là, le marché
canadien va devenir un pays très intéressant pour l'exportation
et, par le fait même - on a dit aujourd'hui qu'à environ 40 %
l'agriculture du Québec était composée de l'industrie
laitière - cela impliquerait la disparition de régions comme
celles du Bas-St-Laurent et du lac-Saint-Jean qui sont des régions
fondamentalement laitières. Donc, cela mettrait en danger toute la
survie de ces régions.
M. MacDonald: Je suis parfaitement d'accord avec vous. J'ai
compris exactement,
mats ma question était: Est-ce que vous êtes favorables
à ce que se poursuive, à l'intérieur d'une
négociation, un sujet, par exemple, où l'on s'entend pour
interdire toute subvention directe à l'exportation comme on en adéjà vue au sud de la frontière ou une
négociation qui cherche, par exemple, à uniformiser des
règles d'hygiène? (21 h 15)
M. Daoust: J'aimerais laisser répondre M. Bergeron sur
cette question.
Une voix: Certainement.
M. Bergeron (Jean-Marc): Je pense que la position conjointe de
l'industrie laitière va peut-être un petit peu surprendre la
commission. Ce matin, la Coopérative fédérée avait
des positions nuancées parce qu'elle représentait plusieurs
productions. Ce soir, comme secteur laitier, nous faisons une
présentation séparée. En fin de compte, ce que nous
disons, c'est que par secteur, les traitements doivent être
différents. Je dis que nous allons surprendre la commission, parce que
au fond, dans l'industrie laitière, lorsque les négociations de
libre-change ont commencé, on s'est rendu compte qu'il y avait certains
secteurs qui étaient fragiles dans le système actuel. En fait,
les Américains sont plus protectionnistes que nous sur le plan des
barrières non tarifaires dans plusieurs secteurs. Il existe même
une association nationale de producteurs, la National Milk Producers
Federation, une association nationale américaine qui s'est
prononcée ouvertement contre la libéralisation des
échanges avec le Canada.
Alors, l'industrie laitière de chaque côté de la
frontière ne semble pas tellement vouloir ouvrir les échanges.
Dans notre cas, on s'est aperçu qu'en ce qui concerne les
barrières non tarifaires, c'est-à-dire dans les produits qui
requièrent des licences ou des quotas d'importation, il y avait le
yogourt et la crème glacée pour lesquels il n'y avait aucune
frontière. Compte tenu de la puissance industrielle de certaines
entreprises américaines, pour l'instant, tout ce qui empêche
l'entrée de ces produits, ce sont les tarifs. En passant, je signale que
les tarifs américains sont plus élevés que les tarifs
canadiens. Essentiellement, ce qu'on dit, c'est que, s'il y a des
négociations, puisqu'il y en a de toute façon, nous demandons que
les barrières soient encore plus hautes. Nous demandons qu'on nous
protège davantage.
Il existe un autre secteur où on n'est pas tellement
protégés, c'est le secteur des produits de substitution et encore
là, il n'existe que des barrières provinciales. Il n'existe
aucune barrière fédérale à l'entrée des
produits de substitution. Encore là, on veut certainement garder l'appui
des gouvernements provinciaux pour en interdire l'entrée et pourquoi
pas? Pourquoi le gouvernement canadien ne négocierait-il pas des
barrières encore plus élevées à l'entrée des
produits de substitution? C'est dans ce sens que peut-être on surprend,
mais, en fait, je pense que le mémoire vous dit que ce sont des
industries qui, de part et d'autre, ne semblent pas en vouloir plus qu'il le
faut. Tout ce qu'on dit, c'est: Pour ce qui est du secteur laitier, dans le
cadre de la libéralisation des échanges, au mieux,
négocions des conditions encore plus serrées, des protections
plus efficaces; au pire, s'il vous plaît, oubliez-nous. C'est ce que les
Américains disent aussi.
M. MacDonald: Au mieux et au pire. Je le retiens.
Le Président (M. Charbonneau): Mais on va prendre encore
le mieux pour quelques instants et on ne va pas vous oublier tout de suite.
Alors, le député de Laviolette aurait quelques questions.
M. Jolivet: Oui, M. le Président, merci. Au moins, la
position que vous tenez n'a pas permis au ministre de dire qu'il était
d'accord avec vous cette fois par rapport à ce qu'il a dit cet
après-midi, avec des choses qui semblaient être aussi directes que
votre position. J'entendais tout à l'heure le député de
Frontenac qui disait que l'UPA -je suis toujours dans la partie
pédagogique et informative dont on faisait mention tout à l'heure
- demandait au moins d'exclure l'agriculture du libre-échange. J'ai cru
comprendre plutôt qu'ils n'en voulaient pas du tout nulle part. Ils
aimaient mieux plutôt aller à un autre niveau de
négociations, celui du GATT. Cela a été, il me semble,
assez clair.
Vous parlez de l'efficacité du système de contingentement
de la production et vous dites que ce système ne peut être
efficace sans la présence des tarifs douaniers s'appliquant aux produits
laitiers - vous en avez fait mention: crème glacée, yogourt
-entrant au Canada, et de restrictions sur la commercialisation de produits
d'imitation -on parlait tout à l'heure de substituts du fromage dans le
texte. Pour vous, ces tarifs et ces restrictions sont indissociables du
système de contingentement et le seul fait d'exclure les offices de
commercialisation des négociations ne serait pas suffisant, si j'ai bien
compris votre explication.
D'un autre côté, la seule ouverture de nos
frontières aux surplus américains en matière de produits
laitiers signifierait par le fait même la mise à mort de ce qu'on
a voulu défendre aujourd'hui, la façon de voir de la vie
québécoise, c'est-à-dire la ferme familiale. J'aimerais,
pour que les gens qui vous écoutent et qui vont vous lire puissent bien
comprendre, que vous nous expliquiez
quels impacts aurait un traité de libre-échange touchant
l'agriculture sur le secteur québécois de la transformation
agro-alimentaire dont vous faites partie.
M. Daoust: Concernant les tarifs douaniers, vous savez qu'il
existe présentement des tarifs douaniers de 15 % s'appliquant sur les
yogourts et la crème glacée. Advenant l'élimination des
tarifs douaniers, cela voudrait dire que les États-Unis pourraient
entrer librement au Canada avec ces deux produits et, comme ces deux produits
font justement partie de l'un des composants du contingentement - le
contingentement canadien, c'est la capacité de production des
producteurs pour suffire aux besoins canadiens - cela veut donc dire qu'il y
aurait ce qu'on appelle une brèche dans le système, qu'une partie
de la consommation échapperait donc au système, ce qu'on appelle
entrer par la porte d'en arrière. C'est bien beau de dire qu'on est pour
la protection des offices de commercialisation mais, à court et à
moyen termes, nos offices de commercialisation deviendraient presque
inopérants et inefficaces,
Quant au contrôle de l'importation, vous savez qu'il y a des
quotas d'importation de fromages. S'il y avait abolition du contrat
d'importation de fromages, ce serait une autre brèche, donc notre
système de contingentement ne pourrait plus s'appliquer, étant
fondé sur la consommation à l'intérieur du pays dont on ne
pourrait contrôler une partie, étant donné qu'une partie de
la consommation serait alimentée par des yogourts, de la crème
glacée ou des fromages qui seraient importés de cette
façon-là.
M. Jolivet: Donc, les composantes que vous mentionnez...
M. Daoust: Je dois ajouter que tout ce système a
été mis en place par les producteurs, il y a environ quinze ans
à coups de sacrifices et je ne pense pas que les producteurs
laisseraient échapper, du jour au lendemain, un système reconnu,
efficace, qui fait l'envie des producteurs canadiens et qui est aussi le point
de mire de plusieurs pays, puisqu'on constate qu'actuellement 22 pays dans le
monde ont adopté un système de contingentement. On était
l'un des seuls pays, depuis quelques années, et dans la
communauté européenne - on revient justement de la session de la
fédération internationale en Finlande - la semaine
dernière, 22 pays nous ont dit qu'ils ont adopté le
système ou qu'ils se dirigent au cours de l'année vers un
système de contingentement. Donc, pour nous, il serait inconcevable de
retourner 15 ans ou 20 ans en arrière.
M. Jolivet: Donc, ce sont les quatre composantes qui doivent
demeurer intactes.
M. Daoust: Elles doivent être maintenues intactes.
M. Jolivet: D'accord. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): M. le
député...
M. Daoust: Mais l'une des inquiétudes justement... Je
recevais il y a environ un mois une lettre de la ministre Pat Carney qui nous
disait: On est pour maintenir en place les offices de commercialisation. Mais,
dans un autre paragraphe, elle dit: Je suis fermement résolue à
abolir tous les tarifs douaniers de même que le contrôle des
importations de fromages. Donc, c'est un peu contradictoire et je voudrais
également m'assurer qu'en dernier recours, il y aurait une entente avec
le gouvernement du Québec et qu'on ne cautionnerait pas une position du
gouvernement fédéral pour en arriver à une entente et, en
fait, je pense aux tarifs douaniers et au contrôle des importations qui
est un élément très important du système de
contingentement.
M. Jolivet: C'est sur cette partie que je disais cet
après-midi que nous n'avions pas de réponse de la part du
gouvernement du Québec, à savoir si les tarifs étaient
dans la négociation ou s'ils ne l'étaient pas.
Le Président (M. Charbonneau): Oui.
M. De Montigny (Normand): Peut-être pour ajouter en
réponse à la question. Il ne faut pas penser que les portes sont
complètement fermées non plus à l'entrée de
produits laitiers d'autres pays au Canada. Les fromages importés qui
entrent au Canada représentent déjà 10 % de la
consommation canadienne de fromages. Aux États-Unis, qui se disent
très ouverts au libre-échange, les fromages importés
représentent seulement 6 % de leur consommation. En Europe, c'est
environ 4 %.
Donc, déjà le Canada, avec un système de
contingentement, a une porte ouverte qui représente 10 % de la
consommation de fromages. Donc, ces 10 % sont dans le système
actuellement et l'équilibre est fait avec cela. Mais, si on ouvre les
portes demain matin et si on dit que c'est 20 %, l'équilibre est
défait.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Rimouski.
M. Tremblay (Rimouski): M. le Président, je vous remercie.
Je suis très heureux de constater que le vice-président du
Conseil de la coopération laitière, M. Théberge, est
un
citoyen de mon comté et en même temps président de
Purdel. Comme vous vous intéressez au problème de l'agriculture
et de la classe agricole, j'essaie de voir si j'ai bien cerné le
problème. Il semblerait que les mesures de subvention et de
stabilisation des prix ont fait en sorte que l'ensemble de la classe agricole
au Québec a une certaine stabilité, fournit des produits de
qualité et est assuré d'une sécurité de revenu, de
telle sorte que, lorsqu'on vous propose un libre marché avec les
Américains, vous semblez avoir peur, car ils ont moins d'ordre que nous
dans leur pays, ils ont des surplus de stocks, ils ont beaucoup de grosses
concentrations et nécessairement la balance des paiements est
énorme. Tout cela fait en sorte que vous avez peur qu'il y ait une
espèce d'envahissement de votre marché. Je voudrais savoir si
vraiment c'est votre perception. Vous dites: Nous avons mis de l'ordre dans
notre boîte, au pays, au Canada et au Québec; cela nous a
assuré une stabilité; nous avons une très bonne
qualité de produit; de plus, la sécurité de revenu nous
est relativement assurée; on va tout sacrifier cela pour aller vers un
marché américain. Il n'y a pas d'ordre dans leur boîte. On
y produit tous azimuts. Nécessairement, il y a une grosse concentration,
avec le résultat que ce peut être dangereux d'avoir un
envahissement. Est-ce là votre perception, votre crainte?
M. Théberge: Je pense que c'est cela. Dans une
région, comme vous venez de le mentionner, la région du bas du
fleuve, où la seule production possible ou presque est la production
laitière, si on ouvre les portes et si on vient envahir ce
marché, je me demande, dans une entreprise comme Purdel, dans une
région comme celle-là, ce qu'on va faire. Purdel emploie
actuellement 3000 employés. Je pense que c'est important. S'il entre des
produits dans notre région, si on ouvre les portes, nos producteurs sont
très inquiets et se demandent quelle est l'alternative qu'on peut avoir,
dans une région où, vous le savez aussi, le climat ne nous
avantage pas tellement. Dans certaines régions des États-Unis, il
est beaucoup plus facile de produire et de nous envahir.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Agriculture.
M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais saluer
évidemment MM. De Montigny, Lafleur, Daoust, Théberge, Bergeron,
qui représentent le Conseil de la coopération laitière et
la Fédération des producteurs de lait, pour leur présence
parmi nous, ce soir. Vous venez nous livrer un message très clair. Vous
mettez en relief les inquiétudes vécues par celles et ceux qui
sont dans la production, qui jouent un rôle de premier niveau en
agriculture au Québec, la production laitière, une production
où on a atteint des niveaux de performance très
intéressants avec l'amélioration de la génétique de
notre cheptel laitier, dans un premier temps, avec l'amélioration aussi
de nos industries, de nos usines de transformation, en passant
évidemment par de la consolidation.
En fait, on peut reconnaître qu'en 1987 l'industrie
laitière est véritablement dynamique, très présente
par les recettes monétaires en agriculture c'est 1 200 000 000 $
environ, comparativement à près de 19 000 000 000 $ aux
États-Unis - des milliers d'emplois répartis sur l'ensemble du
territoire et une industrie qui risquerait d'être affectée
sévèrement si une libéralisation pleine et entière,
sans condition, était la conclusion de la démarche du
gouvernement fédéral. Là aussi, dans cette production,
même si on a atteint un niveau de» performance exceptionnel, nous
serions évidemment susceptibles d'être placés dans une
position très vulnérable. On n'a qu'à se
référer aux avantages comparatifs qui bénéficient
aux Américains, on a qu'à se référer aussi aux
tailles et aux types d'entreprises là-bas. Si on se
réfère, par exemple, à la Californie et à la
Floride, c'est en moyenne 98 % des fermes qui ont plus de 100 vaches
laitières. La moyenne aux États-Unis dans son ensemble est de 99
000 sur 173 000 fermes laitières où il y a plus de 100 vaches
laitières, ce qui veut dire 57 %, alors qu'ici au Québec, c'est
seulement 0,68 % de nos fermes qui ont plus de 100 vaches laitières. (21
h 30)
Les Américains sont confrontés à des surplus, sont
confrontés aussi à l'obligation de développer de nouveaux
marchés. Il faut en convenir, ils sont protectionnistes, comme vous le
disiez tout à l'heure, M. Bergeron, je le pense, à très
juste titre. Les inquiétudes que vous véhiculez ce soir
correspondent presque exactement, pour ne pas dire exactement, à la
position très claire qui a été prise par notre
gouvernement, par moi-même comme ministre de l'Agriculture, en ce qui
concerne les conditions à exiger ou les exigences à formuler ou
les garanties à obtenir avant que quoi que ce soit puisse être
modifié dans les règles du jeu canado-américaines
susceptibles de nous affecter, vu que nous sommes la province laitière
au Canada qui détient près de 50 % des quotas de lait industriel.
On produit près de 50 % du beurre, au-delà de 40 % des quotas de
lait industriel.
Soyez persuadés que c'est avec beaucoup d'intérêt
et, cela va de soi, beaucoup de réceptivité qu'on entend vos
inquiétudes, ce soir. Le rôle que nous avons à jouer comme
gouvernement et comme parlementaires autour de cette table, c'est
évidemment de prendre note et de discuter avec vous, mais c'est aussi de
faire des
représentations qu'on veut les plus claires, les plus
précises et ce, dans l'intérêt de celles et ceux qu'on
représente. Cela a été fait depuis un an et demi. C'est
continuellement réitéré par mon collègue et par les
représentants du gouvernement du Québec. On a tous les espoirs.
Nous sommes animés par l'espoir que le gouvernement canadien puisse
donner suite positivement, non pas seulement à certaines parties des
représentations, mais à l'ensemble des
représentations.
Vous référiez tout à l'heure à la
problématique qui pourrait être conséquente du maintien de
nos agences nationales de commercialisation, mais non accompagné par des
mesures appropriées pour protéger nos produits. Alors, je vous
dis merci. J'apprécie aussi que vous ayez fait référence
à toute la problématique des succédanés. Voua savez
que notre équipe est très préoccupée par la mise en
marché de ces produits. Nous pensons avoir démontré de
façon très éloquente le haut degré de
solidarité que nous avons à l'égard de votre industrie
récemment dans un dossier que vous connaissez, qu'on connaît, que
l'ensemble des citoyens et des citoyennes connaissent, le dossier du beurre et
de la margarine. Encore une fois, laissez-moi vous exprimer le souhait que
l'Opposition puisse nous appuyer dans ce dossier.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Pagé: J'en étais à dire à ces gens
qui nous visitent ce soir, qui sont les représentants de l'industrie
laitière, de la coopération laitière et de la
fédération qu'on attend évidemment de ce
côté-ci de la...
Le Président (M. Charbonneau): On reconnaît, en M.
le ministre de l'Agriculture, non un vieux parlementaire, mais un parlementaire
expérimenté qui...
Une voix: Un fin "jouteur".
M. Pagé: Ah!
Une voix: Un fin "jouteur".
Le Président (M- Charbonneau): ...a de la
difficulté à résister à la tentation de tendre des
perches. Je voudrais qu'on n'ouvre pas une autre avenue parce qu'on discute sur
le libre-échange. Il me semble que vous êtes pressé de vous
confronter avec votre nouveau critique de l'agriculture. Je pense que le moment
viendra dans quelques semaines, de l'autre côté, au salon bleu.
Pour le moment, je crois que, si vous avez terminé vos remerciements et
vos remarques à nos invités, nous allons les remercier.
M. Pagé: M. le Président, je vais terminer en vous
remerciant et en remerciant surtout nos honorables visiteurs ce soir de leur
contribution, de leur comparution ici et du mémoire qu'ils ont
déposé. Je crois comprendre, M. le Président, qu'il me
reste une minute. Vous avez référé à
l'expérience, vous avez référé aussi à la
session qui va ouvrir bientôt. Vous comprenez que c'est difficile pour
moi de freiner mon enthousiasme. Le porte-parole de l'agriculture avant le
député de Laviolette ne s'est frotté avec le ministre de
l'Agriculture qu'à trois reprises.
Vu qu'il ne me reste qu'une minute, je suis prêt à
céder mon droit de parole...
Une voix: Ha! Ha! Ha!
M. Pagé: ...au député de Laviolette pour
qu'il me réponde. Est-ce que vous êtes d'accord avec nous sur la
margarine?
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre...
M. Jolivet: M. le Président...
Le Président (M. Charbonneau): ...je n'autoriserai pas de
réponse, M. le ministre.
Une voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Charbonneau): Je vais vous faire languir
jusqu'au 20 octobre alors que la session va reprendre.
Je veux plutôt profiter des derniers instants, en votre nom
d'ailleurs, au nom de votre collègue du Commerce extérieur et au
nom de tous les membres de la commission, y compris le critique de l'Opposition
en matière d'agriculture, pour remercier nos invités d'avoir
participé à cette consultation générale sur le
dossier du libre-échange. Je suis convaincu que nous aurons d'autres
occasions de nous revoir. Messieurs, merci, bonsoir et bonne route.
J'invite maintenant le dernier groupe pour aujourd'hui, !a
Conférence canadienne des arts.
Madame et messieurs les représentants de la Conférence
canadienne des arts, bienvenue à notre commission. Je présume que
vous le savez déjà, mais vous avez un maximum de 20 minutes pour
présenter votre mémoire. On m'a dit que vous n'utiliseriez pas
ces 20 minutes. Je vous dirai que les membres de la commission, qui sont ici
depuis 10 heures ce matin, ne vous en tiendront pas grief. Par ailleurs, le
temps additionnel sera utilisé par les membres de la commission, de part
et d'autre, pour discuter avec vous à partir des opinions et des points
de vue que vous émettrez.
Je crois que vous êtes Mme Fortier,
présidente de la conférence. Si vous voulez bien
présenter la personne qui vous accompagne, madame, et commencer
immédiatement votre présentation.
Conférence canadienne des arts
Mme Fortier (Claudette): Nous avions pensé faire
l'opposé.
Le Président (M Charbonneau): Ah oui?
Mme Fortier: Alors, je cède la parole à M.
François Martin.
M. Martin (François): Je suis François Martin,
secrétaire de section québécoise de la Conférence
canadienne des arts.
M. le Président, Mme la ministre des Affaires culturelles, M. le
ministre, MM. les parlementaires, la Conférence canadienne des arts
désire vous remercier d'avoir accepté de nous recevoir ici ce
soir pour vous soumettre notre point de vue et notre exposé. En
l'absence de la présidente de la section du Québec de la
Conférence canadienne des arts, Phyllis Lambert, c'est justement
Claudette Fortier, présidente canadienne de l'organisme et membre du
comité de coordination au Québec de notre organisme qui va vous
présenter l'exposé et qui, en outre, répondra à vos
questions. Merci.
Mme Fortier: Merci et bonsoir. Depuis deux ans, sinon plus, ceux
et celles qui oeuvrent dans le secteur culturel se penchent sur la question du
libre-échange commercial entre le Canada et les États-Unis ainsi
que sur les retombées dans leur secteur d'activité. Des
études, colloques, commissions et débats se sont
multipliés depuis septembre 1985 lorsque le premier ministre Brian
Mulroney annonçait le début des négociations de
libéralisation des échanges avec les États-Unis.
Si nous étions cyniques, nous en conclurions que ces discussions
ont à elles seules créé plus d'emplois dans le domaine de
la recherche et des conférences que ne l'a fait aucun autre sujet,
exception faite du débat constitutionnel. C'était peut-être
de ces emplois dont parlait le premier ministre quand il a
déclaré que le libre-échange créerait toute une
nouvelle série d'emplois au Canada.
Le libre-échange, c'est-à-dire la libre circulation des
biens entre le Canada et les États-Unis existe déjà dans
te secteur culturel, à une exception près, un tarif d'importation
de l'ordre de 11,3 % sur les enregistrements sonores. D'ailleurs, les filiales
des compagnies étrangères situées au Canada évitent
ce tarif en louant et en impartant les bandes maîtresses de leur
siège social pour les reproduire sur cassettes ou disques au Canada.
Mis à part cette taxe sur les enregistrements sonores, nous avons
en ce sens une libre circulation de biens culturels entre nos deux pays.
Toutefois, nous accusons un déficit énorme en matière
culturelle face aux États-Unis. En 1984, ce déficit se chiffrait
à plus de 1 000 000 000 $ selon Statistique Canada. Le Canada accusait
un déficit commercial de 288 000 000 $ pour les ventes de magazines,
journaux et périodiques, dont 263 000 000 $ provenaient d'importations
américaines. Les magazines américains occupent 77 % de la part
des ventes en kiosque.
Pour ce qui est du secteur de l'édition, la vente de livres
étrangers représentait 16 % de l'ensemble du marché du
livre au Canada. En 1984, notre déficit commercial avec les
États-Unis se chiffrait à quelque 400 000 000 $. Cette même
année, le Canada constituait le plus important marché
étranger pour la vente de livres américains.
Passons maintenant à l'industrie du disque où le
marché canadien est accaparé par douze entreprises
étrangères et par des produits à contenu étranger.
En 1985, les produits à contenu canadien représentaient seulement
13 % des ventes de disques et de bandes sonores. La part du lion, soit 87 % ou
222 000 000 $, revenait aux produits étrangers prédominamment
américains. Le marché canadien de la distribution
cinématographique n'est guère plus encourageant. Seulement 3 % du
temps d'écran est consacré aux productions canadiennes. En 1984,
96 % des ventes étaient constituées de produits étrangers
dont 98 % traitées par des entreprises américaines.
La programmation télévisuelle est tout aussi
inondée de productions étrangères, lesquelles
représentaient, en 1984, 72 % du temps d'antenne de langue anglaise et
47 % du temps d'antenne de langue française. Quant aux émissions
dites dramatiques, 90 % des émissions de langue française et 96 %
des émissions de langue anglaise provenaient de l'étranger,
principalement des États-Unis, ce qui nous amène à
conclure que le Canada et même le Québec sont les plus grands
consommateurs de produits culturels étrangers. (21 h 45)
Parmi les pays de l'Ouest, le Canada est celui dont les marchés
culturels sont les plus saturés de produits étrangers. Nous avons
encouragé et bénéficié de la libre circulation de
l'information et des idées, et personne ne voudrait qu'il en soit
autrement. Toutefois, nos artistes et nos entreprises culturelles doivent
concurrencer sur leur propre territoire le flot de produits étrangers.
Pour ce faire, nous devons franchir plusieurs obstacles. Le marché
canadien est petit, composé de 8 500 000 de francophones et de 16 500
000 d'anglophones. Nos coûts de production sont
donc plus difficiles à amortir que ceux des Américains,
qui peuvent compter sur un marché de plus de 250 000 000 d'habitants.
Les produits américains vendus au Canada et au Québec sont
déjà amortis lorsqu'ils sont distribués chez nous, tandis
que les produits canadiens et québécois doivent se rentabiliser
sur des marchés limités ou encore à l'étranger. Les
entreprises canadiennes et québécoises sont plus petites que les
succursales des entreprises américaines en territoire canadien. Elles ne
peuvent pas concurrencer l'énorme publicité que déversent
au Canada les filiales américaines, même en français.
Puisque les entreprises étrangères distribuent
elles-mêmes leurs produits au Canada, les entreprises canadiennes ne
peuvent pas bénéficier d'une partie des revenus de la vente de
ces produits pour réinvestir dans la production canadienne. En effet,
lorsqu'il s'agit de la vente de droits étrangers pour la production de
livres, de films, de bandes sonores et même de pièces de
théâtre, on ne considère pas le Canada comme un
marché distinct de celui des États-Unis. Nous faisons partie du
marché nord-américain contrôlé par nos voisins du
sud.
Finalement, le marché culturel mondial se joue sur la
concentration des intérêts financiers. Les grandes entreprises
américaines, telles que Coca-Cola, General Electric et Western,
infiltrent de plus en plus les entreprises culturelles et de communication. On
s'attend à ce qu'elles dominent sous peu l'ensemble du secteur de
l'information en Amérique du Nord et à l'étranger.
Face à cette situation, les gouvernements canadien et
québécois ont établi des programmes, des mesures, des
règlements, voire des lois pour encourager la création, la
production et la diffusion de produits culturels de chez nous. Ils ont reconnu
l'importance de nos activités culturelles afin d'assurer cette
souveraineté culturelle, politique et même économique dont
on parle si souvent. Sans culture, il n'y a pas de pays. Ici, les arts et les
industries culturelles bénéficient de l'appui direct et indirect
des gouvernements provinciaux et fédéral et ce sont ces
programmes, règlements, mesures et lois que nous craignons de perdre
dans le cadre des négociations commerciales avec les
États-Unis.
Les programmes, tels que l'aide à la production
cinématographique et télévisuelle qu'offrent la
Société générale du cinéma du Québec
et Téléfilm Canada, les programmes d'aide à
l'édition et à l'enregistrement sonore du Québec et du
fédérai, les dégrèvements fiscaux, que ce soit au
provincial ou au fédéral, pour la production de films et de
vidéos, les règlements du CRTC, le Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes régissant le contenu
canadien, les dispositions spéciales d'Investissements Canada
relativement à l'investissement étranger, donc l'investissement
dans les secteurs culturels, les tarifs postaux préférentiels
pour les publications canadiennes et, finalement, le fameux projet de loi C-58,
c'est-à-dire l'article 19 de la Loi sur l'impôt, qui, depuis 1976,
permet aux entreprises canadiennes de déduire, pour fins d'impôt,
les frais d'annonces publicitaires placées dans les magazines, revues et
journaux, dans les périodiques canadiens, ainsi que sur les ondes des
postes canadiens de télévision et de radio. D'après cette
loi, les frais de publicité dans les médias étrangers,
même si celle-ci est destinée au public canadien, ne sont pas
déductibles, de sorte que l'on attribue à cette seule loi la
création de revenus de publicité suffisants pour permettre la
publication hebdomadaire de la revue McClean's.
Somme toute, ce n'est pas le libre-échange comme tel qui suscite
l'inquiétude de la part des artistes et des regroupements culturels,
puisque nous vivons depuis plusieurs années une situation de
libre-échange dans notre secteur, mais c'est la peur de perdre le peu de
marché qu'il nous reste, la peur de perdre les programmes, les
règlements et lois qui sous-tendent notre production culturelle, la peur
de perdre notre capacité d'intervenir dans notre marché,
d'assurer la diffusion de nos produits, d'agir en toute liberté et de
contrôler notre destin culturel qui soulève chez nous de telles
réactions. Il se peut que, dans le cadre des pourparlers, les
négociateurs américains exigent d'occuper le peu de notre
marché culturel qu'ils ne détiennent pas déjà, en
échange de tarifs préférentiels dans des secteurs
économiques critiques tels que l'agriculture ou le textile. Les
négociateurs canadiens pourraient facilement céder notre
marché culturel contre des concessions plus favorables dans l'industrie
du bois d'oeuvre, par exemple. C'est donc à ce niveau que nous tentons
de sensibiliser nos élus, les négociateurs canadiens ainsi que le
grand public et que nous exprimons nos vives préoccupations à
l'égard des pourparlers commerciaux entre le Canada et les
États-Unis.
Nous pouvons certes concurrencer nos collègues américains
sur le plan de la qualité et de la diversité, mais nous ne
pouvons pas les concurrencer sur une base économique puisqu'ils
détiennent déjà une large part de notre marché.
Pour nous, pour la Conférence canadienne des arts, pour les artistes et
les travailleurs culturels qui sont au nombre, d'ailleurs, de quelque 100 000
au Québec, il s'agit de nous offrir un choix. Si les
Québécois doivent avoir accès à la production
culturelle étrangère, ils doivent tout autant avoir accès
à leur propre production culturelle, aux livres, revues,
films, émissions de télévision,
théâtre et disques québécois et canadiens et nous
devons nous offrir ce choix d'une distribution équitable de produits
culturels. Une production à 100 % étrangère n'est pas un
choix, c'est un monopole.
Nous voulons maintenir, sinon augmenter, notre part du marché
culturel. Nous devons continuer à nous offrir une production culturelle
qui nous est propre, qui nous reflète. II est à souhaiter que
vous perceviez ainsi notre démarche et que vous nous appuyiez. Il en va
de notre avenir culturel et du vôtre. Nous avons pris connaissance de la
position québécoise concernant le libre-échange - le
document qui est sur la table - et nous sommes heureux de constater que noua
avons les mêmes conclusions en ce qui concerne les industries
culturelles. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Madame merci beaucoup. Nous
allons maintenant céder la parole au ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: Eh bien! madame, dans les derniers mots de votre
présentation, vous m'avez enlevé les premiers mots de la mienne,
à savoir justement que votre position ou plutôt je dirais, vos
préoccupations, ont été, dès le départ, les
préoccupations du gouvernement du Québec. Dès le
départ aussi, les représentations de madame la
vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles
étaient sans équivoque et ressemblaient,- d'une façon
parfaitement identique, à la position canadienne, à savoir, que
la culture, la spécificité canadienne, ce n'est pas une chose
qu'on veut négocier. On s'est aperçu qu'il faudrait, comme dans
toute négociation, faire un lobby et ce lobby, nous l'avons fait et nous
continuons à le faire.
Je lisais aujourd'hui en éditorial du Wall Street Journal
qu'il nous reste encore du travail à faire, c'est-à-dire
qu'il y a cette vallée qui nous sépare, les Américains et
nous, les Américains qui considèrent que pour eux, la culture,
à toutes fins utiles, c'est "entertainment" et pour nous c'est quelque
chose d'autre, c'est viscéral, c'est chez nous, c'est l'étoffe,
c'est le tissu canadien, c'est la réalité
québécoise. Même s'ils n'ont pas compris et même si
cet éditeur disait en parlant des négociateurs canadiens "if its
negotiators continue to cling to protection for cultural industries such as
publishing and movies", mais pour ce qui est du Québec dans ce contexte
canadien de négociations, non seulement on s'accroche, mais ce n'est pas
négociable et c'est aussi simple que cela. Je pense que pour expliciter
plus longuement, ma collègue, madame la vice-première ministre,
pourrait certainement continuer. Mme Bacon.
Le Président (M. Charbonneau): Mme la vice-première
ministre.
Mme Bacon: Merci, M. le Président.
J'aimerais d'abord remercier Mme Fortier et M. Martin de leur
présence ici à cette commission. Nous avions surtout pris
connaissance du dossier que vous aviez déposé au gouvernement
fédéral et nous nous étions arrêtés davantage
sur ce dossier pour vous poser des questions ce soir ou reqarder un peu la
partie qui touche davantage le Québec par rappart au Canada puisque
c'était un dossier presque strictement canadien.
J'aimerais vous remercier d'avoir tenu à nous faire
connaître vos opinions sur tout ce dossier important du
libre-échange, important pour le milieu culturel et si vous aviez
quelques inquiétudes, on vous dit que nous partageons ces
inquiétudes. Donc, nous avons dit non négociable pour la culture
au Québec. Nous l'avons aussi prouvé récemment par
l'entente du lac Meech qui faisait du Québec une société
distincte, qui signifie pour nous la nécessité de défendre
et de mettre en valeur notre culture, entre autres. Je pense que ce sont des
signes de distinction par rapport au reste du Canada.
Il n'est donc pas question pour nous d'accepter les mesures
libre-échangistes qui pourraient avoir comme conséquences,
à plus ou moins court ou long terme, de réduire de quelque
façon que ce soit le caractère distinct du Québec. Je
pense que cela doit être très clair. Si vous aviez encore quelques
appréhensions, j'espère que vous allez les perdre
complètement. Nous avons quand même posé ces gestes
importants. Il n'était pas question non plus de voir menacées nos
industries culturelles - on pense à l'édition, au cinéma,
au disque et à d'autres industries - je pense que cela aussi, ce sont
des gestes que nous avons posés pour protéger davantage nos
industries culturelles. Donc, il n'est pas question non plus d'accepter des
effets indirects qui pourraient avoir lieu, dans des échanges à
d'autres niveaux que le niveau culturel.
Alors, j'aimerais quand même dire combien nous sommes d'accord
avec vous dans le texte que nous avions devant nous au moment où vous
disiez: "La culture doit être au coeur de la perception - là, je
vous cite - et de la détermination de notre avenir, que ce soit sur les
plans économique, politique ou social." Nous partageons
entièrement ce que vous avez avancé dans votre texte.
La culture et sa vitalité quident et doivent guider
quotidiennement la réflexion d'un ministère de la culture, la
réflexion de ceux et celles qui en ont ta responsabilité comme la
réflexion du gouvernement au moment où nous discutons de culture.
Les points de vue que vous avez exprimés, je pense, se conjuguent aussi
avec ceux
qu'expriment d'autres organismes culturels. Peut-être qu'il y en a
qui viendront nous les faire connaître ici, mais on retrouve d'un groupe
à l'autre ies mêmes points de vue qui sont exprimés par
rapport à la culture, par rapport à nos productions culturelles,
par rapport à nos industries culturelles, par rapport aussi à la
nécessité pour l'État d'assurer un soutien, un appui pour
le développement, pour la distribution, pour la diffusion et même
pour la formation. Je pense que l'État devra toujours apporter cet
appui. C'est pour cela que nous ne pensons pas que nous pouvons négocier
que l'État se retire de ces champs d'action.
Cela dit, quand on regarde votre dossier, à un certain moment
donné, vous parlez des producteurs de disques, de bandes, de langue
française comme de langue anglaise, qui pensent que les
États-Unis représentent le principal débouché pour
leurs produits. Il me semble avoir entendu plusieurs producteurs
québécois nous dire qu'ils ont des problèmes à
penser "marché américain" à cause de la différence
de langue par exemple, est-ce que vous pourriez peut-être expliciter
davantage? C'était le dossier que vous aviez présenté en
1985.
Mme Fortier: Effectivement, il existe un marché possible
aux États-Unis, mais il est très dispersé, donc il est
aussi très difficile à distribuer. Je pense qu'il n'y a pas un
accord de libre-échange, même s'il y avait la culture, qui ferait
en sorte de changer les règles aux États-Unis où c'est une
question de volonté de la part des distributeurs de prendre nos
produits, parce que, jusqu'à maintenant, on ne peut pas distribuer nos
propres produits aux États-Unis. Donc, il faut passer par un
distributeur. Il y a effectivement aux États-Unis un marché qui
pourrait être intéressant. D'ailleurs, les gouvernements, que ce
soit le gouvernement du Québec, le ministère des Communications
ou le gouvernement fédéral, ont vu en Amérique du Nord un
marché francophone puisque, dans la demande de permis, par exemple, de
TV5 au Canada, il est question, dans un avenir plus ou moins rapproché,
d'émettre nos signaux aux États-Unis. Donc, il y a un
marché francophone à ce niveau. (22 heures)
Mme Bacon: Des accords pourraient être signés sur le
libre-échange dans différents secteurs. Pensez-vous que ces
accords pourraient avoir certains effets sur le secteur culturel? Est-ce l'une
de vos préoccupations? On parle du secteur économique ou d'autres
secteurs.
Mme Fortier: Effectivement, c'est une très grande
préoccupation et, d'ailleurs, c'est ce que nous voulions souligner,
puisque, depuis 1985, que ce soit de la part du gou- vernement du Québec
ou de la part du gouvernement fédéral, on nous a toujours
rassurés en nous disant: La culture n'est pas négociable. Sauf
que certaines mesures négociées auront des implications
indirectes dans le secteur culturel, si on pense par exemple à
l'investissement. La propriété de certaines industries sera
touchée par la bande, à moins qu'il n'y ait une volonté du
gouvernement d'exclure nommément ces industries culturelles sous
d'autres formes, qu'il n'y ait un accord avec les États-Unis en
matière culturelle, spécifiant qu'on est protectionnistes et
qu'on peut continuer d'être protectionnistes.
Plusieurs autres lois, à part celle sur l'accès à
l'information, ou des tarifs pourraient être abolis. Les
États-Unis ont, depuis quelques mois, mis en place des frais de
manutention pour toutes les oeuvres d'art qui entrent aux États-Unis,
mais des oeuvres d'art d'artistes étrangers. Donc, les États-Unis
peuvent également être protectionnistes de leur marché et
ils le démontrent par certaines mesures. Mais, dans plusieurs domaines,
il y a des incidences indirectes sur le marché culturel et c'est ce
qu'on veut exprimer et il faut être très vigilant.
Mme Bacon: Vous disiez aussi dans votre dossier: Nous ne pouvons
pas considérer les États-Unis comme le débouché
privilégié pour nos productions culturelles - je parle toujours
du premier dossier. Cela peut être vrai pour le Canada d'expression
anglaise, mais pas nécessairement pour le Québec et je pense que
vous le reconnaissez un peu plus loin dans votre dossier. Pourriez-vous
peut-être faire d'autres commentaires en cette matière dans cette
perspective propre au Québec? Le Québec est quand même
différent.
Mme Fortier: Effectivement, on essaie de développer nos
produits dans d'autres pays francophones plutôt que sur le territoire
américain, puisque la France, la Suisse et la Belgique sont des pays de
langue française. Mais je pense qu'il existe également d'autres
marchés qui ne sont pas explorés actuellement pour nos produits;
il y a l'Orient et les pays nord-africains où il pourrait y avoir un
potentiel.
Évidemment, un pays comme la France n'est pas non plus un
très grand importateur de produits étrangers. Alors, on a un peu
les mêmes problèmes que ceux qu'éprouvent nos
collègues anqlophones du Canada sur le territoire américain.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Merci, M. le Président.
Je vous remercie d'abord d'être venus
nous présenter votre position. J'avais, comme Mme la ministre,
pris connaissance du mémoire que vous avez présenté au
gouvernement canadien en juillet 1985, au Comité sur les relations
extérieures. Je dois vous avouer que j'étais aussi quelque peu
préoccupé par la spécificité canadienne en ne
voyant pas beaucoup de choses sur la spécifité
québécoise. Toutefois, vous nous apportez ce soir des
éclaircissements.
Je tiens pour acquis, dans les propos qui ont été tenus
jusqu'à maintenant par le ministre du Commerce extérieur et par
ceux de Mme la ministre, que les acquis culturels seront
protégés. Cela nous semble clair de ce
câté-lè et on y acquiesce entièrement. Si c'est vrai
sur le plan du Canada, je pense que c'est encore plus vrai, plus fragile et
plus vulnérable sur le plan du Québec. Je pense que tout le monde
est sur la même longueur d'onde là-dessus. Ma
préoccupation, d'abord, serait de savoir quelle importance prend le
Québec à l'intérieur de votre organisme, qui est la
Conférence canadienne des arts, non seulement en ce qui concerne vos
membres, mais par rapport à cette dimension de spécificité
québécoise, de quelle façon' elle est traitée
à l'intérieur du chapeau de la Conférence canadienne?
J'aimerais avoir d'abord cet éclaircissement.
Mme Fortier: À votre première question, la
Conférence canadienne des arts regroupe environ 800 organismes dans le
secteur des arts et de la culture au Canada, et presque autant de membres
individuels. Les associations du Québec sont au nombre d'environ 200 et
autant de membres individuels, ce qui fait que c'est presque le quart des
membres de la Conférence canadienne des arts. Pour ce qui est de votre
deuxième question, depuis qu'il est question de libre-échange, de
protectionnisme, d'envahissement de produits américains, de diminution
d'émissions de télévision sur les ondes, d'accès
aux salles de spectacles pour leurs films, nos collègues
américains nous envient parce que nous avons la langue française
qui nous protège un peu, dans un certain sens, de l'envahissement
américain, puisque la langue nous a protégés pendant
plusieurs années. Peut-être, François, tu aimerais
compléter.
M. Martin: J'aimerais revenir sur la première partie de
votre question, sur l'importance du Québec à la Conférence
canadienne des arts en tant que telle. La Conférence canadienne des arts
actuellement est représentée, province par province, au sein d'un
conseil d'administration. Le Québec joue un rôle
déterminant et majeur dans notre organisme, ne serait-ce que par sa
représentativité et aussi par ses démarches. Il est
possible que votre question ait été inspirée par le fait
que vous ayiez reçu effectivement un document largement inspiré
d'une intervention soumise, par le passé, à une commission
fédérale. Néanmoins, nous traitons, à partir de
données que nous recueillons du mieux que nous pouvons. Nous ne sommes
pas un organisme financé avec des millions de dollars et c'est la raison
pour laquelle, ce soir, l'exposé québécois
préparé par les membres québécois de l'organisme
vous a été soumis.
Mme Fortier: Concernant la spécificité
québécoise de notre industrie, d'ailleurs, il n'existe pas
énormément de données. Les chiffres qui ont servi à
préparer les documents sont ceux auxquels nous avons accès, soit
ceux de Statistique Canada et évidemment le document de 1985 a
été présenté au nom de la Conférence
canadienne des arts, nationale, si je puis dire, alors que, ce soir, nous avons
présenté un document particulier au Québec, avec certains
chiffres.
M. Parent (Bertrand): Merci. On a un peu de temps, M. le
Président? Est-ce que votre organisme, Mme la présidente, serait
d'accord avec cette phrase du romancier, Jacques Godbout, qui déclarait
que la différence entre le Canada et les États-Unis c'est le
Québec? En tant que présidente de la conférence, est-ce
que vous êtes d'accord avec cela, et est-ce que vous travaillez dans ce
sens?
Mme Fortier: Je m'excuse, je n'ai pas... Voulez-vous
répéter votre question.
M. Parent (Bertrand): Je citais le romancier Jacques
Godbout...
Mme Fortier: Oui.
M. Parent (Bertrand): ...qui déclarait que pour lui la
différence entre le Canada et les Etats-Unis, c'est le Québec. Je
voudrais savoir si vous approuvez cela.
Mme Fortier: Je serais tout à fait d'accord. Est-ce que
François veut...
M. Martin: Ce n'est pas dans tes deux têtes à
Papineau...
M. Parent (Bertrand): À propos des barrières
tarifaires et non tarifaires, vous avez mentionné que, dans certains
secteurs il y a 11, 11,3 %. Je pense que cela doit être
protégé, bien sûr. Je pense qu'on n'a pas eu
d'éclaircissements de ce côté-là, ni de la part de
Mme la ministre des Affaires culturelles, ni de la part de M. le ministre du
Commerce extérieur. Je relisais les conditions que le gouvernement a
exposées hier, concernant la culture, et au point 2 concernant la
culture - et je voudrais juste
le savoir très clairement - on dit: Le respect intégral de
ces lois, de ces programmes, de ces politiques dans les domaines social, de la
communication, de la langue et de la culture. Je ne vois pas cependant et j'ai
des préoccupations par rapport à ce que vous avez dit, la
dimension "contrôle et investissement". Est-ce que vraiment, par le biais
que prendra le Québec dans le contrôle des investissements
à l'intérieur de la négociation
CanadaÉtats-Unis, on est vraiment protégés sur le
plan de la culture en ce qui regarde la dimension
"contrôle-investissement" parce que cela me semble impartant? Vous
même, vous avez dit que ce biais-là faisait partie de vos
préoccupations. Alors, je vous le demande et je pense que ce serait
intéressant d'avoir cette clarification. Si vous le permettez, j'aurai
peut-être une dernière question par la suite.
M. MacDonald: C'est à moi que vous l'adressez,
monsieur.
Le Président (M. Charbonneau): Je pense que nos
invités auraient une réponse, mais si le ministre veut ajouter un
commentaire par la suite, je le permettrai.
Mme Fortier: Ce n'était pas vraiment une réponse,
je voulais simplement dire: Merci d'insister sur cette question. Elle est
effectivement très importante pour nous.
M. Parent (Bertrand): Cela me semble important et on est
d'ailleurs en commission pour que ce soit très clair. Je pense que si on
pouvait avoir cet éclaircissement, cela pourrait rassurer tout le monde
parce que...
M. MacDonald: Cela me semble élémentaire et vous
avez bien compris.
M. Parent (Bertrand): Comme d'habitude, vous êtes d'accord
avec moi.
M. MacOonald: Non, c'est le contraire. C'est le contraire.
M. Parent (Bertrand): C'est merveilleux.
M. MacDonald: Cela fait partie... D'ailleurs, j'en ai
donné des exemples parce que cette question m'a été
posée sous différentes formes. Je me rappelle une fois, par
exemple: Quelle serait votre réaction ou est-ce que vous
préconisez une libéralisation au point où un
Américain ou un autre pourrait venir au Canada ou au Québec et
acheter toutes les stations de télévision? Il n'en est absolument
pas question. C'est le genre de situation qui, pour nous, est
élémentaire. C'est inclus dans la définition qu'on a
donnée de protéger la réalité et la
spécificité culturelle du Québec.
M. Parent (Bertrand): Je vous remercie de cette réponse.
Peut-être pour Mme la présidente, une question additionnelle par
rapport à vos propos qui étaient dans l'essence de la
préoccupation de votre consolidation et votre augmentation concernant
votre positionnement sur le marché actuellement. Le marché
culturel comme tel aura, au cours des prochaines années,
libre-échange ou non, à continuer à marquer, que ce soit
dans le domaine de l'édition ou dans le domaine
cinématographique. Quels moyens préconisez-vous? Quels outils et
quels moyens, pensez-vous seraient les plus aptes et que vous pourriez demander
au gouvernement du Québec pour qu'il puisse davantage vous aider
à consolider cette position, tant sur le plan de la recherche ou du
soutien que sur le plan de l'aide à l'exportation bien spécifique
des produits québécois? Finalement, où mettriez-vous vos
priorités si vous aviez à faire des recommandations au
gouvernement pour vous aider à consolider votre position sur le
marché?
Mme Fortier: La réponse pourrait être finalement
assez simple. On a signalé dans notre document à plusieurs
endroits que c'est une question d'économie, que c'est une question de
sous. Je ne veux pas dire par là nécessairement plus de
subventions, mais il y a plusieurs manières d'injecter plus d'argent
dans la production de produits culturels. Cela peut être des incitatifs
fiscaux, cela peut être des formes d'aide à la production
puisqu'on sait que, si on aide la production, plus on a de chance de faire des
produits qui ont du succès. Pensons au "Déclin de l'empire
américain" qui a été fait avec l'aide de l'État,
avec de l'argent public, et qui rapporte des sous. Il y a un autre moyen aussi.
Afin d'évaluer ensemble les meilleurs moyens, les besoins dans le
secteur, ce serait de tenir un sommet culturel afin que les partenaires
étudient ensemble les besoins dans le milieu et en discute.
François aimerait peut-être compléter. (22 h 15)
M. Martin: On découvre de plus en plus, à la
Conférence canadienne des arts, au Québec, l'importance de
l'intervention municipale dans le domaine des arts et de la culture. Pour nous,
c'est une question de concertation entre les différentes
autorités gouvernementales. En outre, à l'intérieur
même du gouvernement, la question de la taxe d'affaires pour les
organismes culturels - on va un peu loin, mais c'est un exemple -a
créé bien du souci à bien des organismes. Heureusement, la
loi fiscale a été amendée partiellement. Pour nous, il
faudrait voir à ce que tous les intervenants gouvernementaux aillent le
plus possible dans la même direction. À cet égard, on le
constate
actuellement, on s'intéresse de très près aux
interventions municipales dans le domaine des arts et de la culture. Claudette
Fortier suggérait l'idée d'un sommet. Effectivement, un sommet
pourrait éventuellement - c'est une proposition - permettre à
différents intervenants, en tenant compte d'un éventuel
traité de libre-échange, de s'orienter dans un sens commun.
M. Parent (Bertrand): De quelle façon la décision
prise par le gouvernement, au cours de la dernière année, de
baisser l'abri fiscal de 150 % à 100 % vous affecte-t-elle? De quelle
façon avez-vous fait valoir vos préoccupations dans ce sens
à la suite des engagements de Mme la ministre qui doivent être
remplis incessamment?
Mme Fortier: Le secteur culturel a effectivement manifesté
son désaccord à ces changements. Les représentations ont
été faites auprès du ministre, M. Wilson.
Également, nos collègues de l'Association des producteurs de
films et vidéo ont fait une recherche dans le dossier, ont fait
connaître leur point de vue. Je pense que le dossier n'est pas encore
clos. Nous avons encore espoir que l'application de cette mesure pourrait
être retardée.
M. Parent (Bertrand): Est-ce qu'il y avait autre chose à
ajouter, Mme la ministre?
Mme Bacon: Vous voulez peut-être continuer.
Le Président (M. Charbonneau): Non, non.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Charbonneau): Je n'ai pas permis
tantôt au ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation d'ouvrir d'autres portes et je n'ai pas l'intention de
commencer. Je vais plutôt céder la parole au député
de Vanier.
M. Lemieux: Merci, M. le Président. J'ai pris connaissance
de votre mémoire et j'avais trois questions à vous poser, mais
comme le député de Bertrand est souvent tellement d'accord avec
nous, je dois dire qu'intellectuellement il m'a emprunté une de mes
questions.
Lorsqu'on lit votre mémoire, on constate, plus
particulièrement à la page 11, qu'il y a deux choses vraiment
importantes. Vous nous dites, dans un premier temps, et je résume: Ne
touchez pas au mécanisme de soutien que l'État vous accorde. Et,
dans te dernier paragraphe de la page 11, vous nous dites: "Quoiqu'il en
coûte, si fortes soient les pressions, nous vous exhortons à ne
pas négocier les mécanismes qui font que notre culture croft et
persiste. Ne négociez pas notre identité culturelle." Mme la
vice-première ministre vous a fait quelques remarques tout à
l'heure et je me permettrai de la citer; je ne connais pas de meilleure
façon de m'exprimer qu'en empruntant des mots qu'elle nous citait
récemment d'une manière, je crois, très convaincante. Cela
va répondre à une de vos questions. Elle nous disait que, pour le
Québec - vous me permettrez, Mme la vice-première ministre,
d'emprunter vos .mots et vos paroles - les activités culturelles sont
essentielles au maintien et au développement du caractère
distinct de l'identité nationale. Elle nous disait que,, pour le
Québec, et c'est important, on ne lésinera pas à
défendre l'intégralité des lois, de ses programmes et de
ses politiques contribuant - et j'ajoute - à la
spécificité de la société québécoise.
Elle insistait en disant que le Québec comme le Canada insistera sur son
identité culturelle et son caractère linguistique particulier, et
-cela m'apparaît très important - ce ne doit pas être
l'enjeu des négociations.
Vous avez dans ce court texte, dans les paroles de Mme la
vice-première ministre, une réponse à vos principaux
points d'interrogation. Vous pouvez vous demander comment, maintenant, ceux qui
négocient vont réagir. Je dois vous dire que dans le rapport
Warren du 11 septembre 1987, c'était aussi une de leurs
préoccupations. Ils nous disaient - il s'agissait enfin des
préoccupations relatives à la culture - "II a été
maintes fois signalé qu'il faudra conserver tous les outils
nécessaires pour protéger et promouvoir la
spécificité canadienne et québécoise face à
la forte présence actuelle d'intérêts américains
dans le secteur, lequels pourraient s'accentuer. "C'est particulièrement
le cas dans le domaine de l'édition et de l'ensemble de ce que l'on
convient d'appeler les industries culturelles qui souhaitent le maintien de
protection sur les marchés locaux et l'amélioration des
perspectives d'emploi pour les artistes et concepteurs
québécois." Vous voyez que, au gouvernement, c'est à la
fois une préoccupation du ministre du Commerce extérieur et de
Mme la vice-première ministre. Je pense que cela répond aussi
vraiment aux deux principales préoccupations de votre
mémoire.
Mes questions sont les suivantes: Dans un premier temps, est-ce que vous
connaissez le régime américain actuel concernant l'admission des
artistes québécois et canadiens? Quel est son impact comme tel?
Ma deuxième question sera la suivante: Comment entrevoyez-vous les
conséquences des négociations sur le libre-échange pour
les industries culturelles principalement du Québec? Est-ce que vous
faites état de statistiques? Vous nous dites aussi dans votre
mémoire: "À ce stade-ci et compte tenu dès
données que nous possédons, il nous est pour ainsi dire
peut-être impossible de prévoir certaines retombées." Mais
est-ce que vous avez une idée des conséquences quand même
pour les industries culturelles du Québec d'un accord de
libre-échange?
Mme Fortier: On espère que les industries ne seront pas
touchées. Ce qu'on veut protéger et ce qu'on dit dans notre
document, c'est au moins, dans un premier temps, de protéger notre
propre marché. Nous sommes déjà envahis de produits
américains. Nous sommes d'accord pour qu'il y ait des ouvertures sur
d'autres produits. Nous voulons conserver notre capacité de continuer
à produire des produits québécois, des produits d'ici.
C'est ce qu'on vise.
Quant à votre première question concernant l'admission des
artistes, je n'ai pas très bien saisi ce que vous vouliez dire.
M. Lemieux: Est-ce que vous connaissez le régime
américain actuel qui» concerne actuellement l'admission des
artistes québécois et canadiens aux États-Unis? De quelle
façon est-ce que cela fonctionne pour les artistes canadiens et
américains?
Mme Fortier: Vous. voulez dire, par exemple, les musiciens ou les
comédiens?
M. Lemieux: Les musiciens...
Mme Fortier: Concernant les musiciens, à ma connaissance,
il y a un accord qui a été négocié par ['American
Federation of Musicians. S'il y a des artistes canadiens qui doivent se
produire aux États-Unis, l'American Federation donne avis au service qui
émet les visas ou - excusez-moi, je cherche mes mots - les permis de
travail. Alors, il n'y a pas de problème. Pour ce qui est des autres
secteurs, je pense qu'il y a eu des difficultés par le passé. Je
ne suis pas certaine si cela a été réglé concernant
les artistes.
Concernant les oeuvres, il n'y a pas de problème. Il n'y a rien
qui empêche un film québécois ou canadien d'être
diffusé dans une salle de spectacles. Il n'y a rien qui empêche
une pièce québécoise d'être jouée dans un
théâtre aux États-Unis. Il n'y a rien de cela, sauf que les
Américains ne sont pas très ouverts aux produits
étrangers, mais Michel Tremblay a été joué aux
États-Unis. Il n'y a pas de problème. Il n'y a rien qui
empêche cela. D'ailleurs, on l'a dit, c'est la base de notre
mémoire, le libre-échange dans le secteur des biens culturels
existe en ce moment.
M. Lemieux: Cela va. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Alors, sur cette
dernière réponse, madame et monsieur, je voudrais, au nom des
membres de la commission, vous remercier d'avoir accepté notre
invitation pour venir débattre devant nous de cette importante question.
J'espère que nous aurons d'autres occasions de vous revoir. Je vous
souhaite un bon retour. Je voudrais indiquer aux membres de la commission que
les travaux sont ajournés à demain matin, 10 heures. Nous avons
encore une grosse journée devant nous.
(Fin de la séance à 22 h 24)