(Onze heures dix-neuf minutes)
La Présidente (Mme Thériault) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance
de Commission de la culture et de l'éducation ouverte.
La commission est réunie afin de poursuivre les auditions
publiques dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi
n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le
français.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
• (11 h 20) •
La Secrétaire : Oui, Mme la
Présidente. Mme IsaBelle (Huntingdon) sera remplacée par M. Lévesque
(Chapleau); Mme Rizqy (Saint-Laurent), par M. Barrette (La Pinière);
Mme St-Pierre (Acadie), par M. Birnbaum (D'Arcy-McGee);
Mme Dorion (Taschereau), par Mme Ghazal (Mercier); et Mme Hivon
(Joliette), par M. Bérubé (Matane-Matapédia).
Auditions (suite)
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci beaucoup. Donc, ce matin, nous recevons un groupe seulement. Donc, je
souhaite la bienvenue au Syndicat des professionnelles et professionnels du
Québec... du gouvernement du Québec, pardon. Mme Line Lamarre, la
présidente, est avec nous. Donc, Mme Lamarre, je vous cède la parole.
Présentez-nous la personne qui vous accompagne, et il y aura un échange par la
suite avec les députés. Allez-y.
Syndicat de professionnelles et professionnels
du gouvernement du Québec (SPGQ)
Mme Lamarre (Line) : Merci. M. le
ministre, Mme Lise Thériault, présidente de la Commission de la culture et
de l'éducation, Mmes, MM. députés et membres de la commission, bonjour. Je
m'appelle Line Lamarre, présidente du Syndicat des professionnelles et
professionnels du gouvernement du Québec. Je suis accompagnée de M. Philippe Desjardins, conseiller aux
communications au SPGQ. Nous remercions les membres de la commission de
nous avoir invités à nous exprimer sur le
projet de loi n° 96, Loi
sur la langue officielle et commune du Québec, le français.
Nos remarques préliminaires. Lors de la
conférence de presse suivant le dépôt du p.l. n° 96,
le 12 mai dernier, le premier ministre
du Québec lançait un appel à tous les Québécois de s'unir autour du français.
Cette conférence a été l'occasion de
brosser un portrait inquiétant de la situation de la langue française et
d'annoncer une relance linguistique. L'exemplarité de l'État, la fin du
bilinguisme institutionnel, le renforcement du français comme langue du système
de justice, le droit de travailler en français, le droit à l'apprentissage du
français et les études supérieures en français étaient au nombre des priorités
d'action permanentes de l'État annoncées.
Constatant que le travail est un facteur
puissant d'intégration pour les immigrants, l'effort du gouvernement sera mis
sur l'imposition du français comme langue de travail. L'Office québécois de la
langue française sera responsable d'accompagner les entreprises dans cette
tâche. Par sa position stratégique au sein du gouvernement du Québec, le
personnel professionnel de l'État, membre du SPGQ, devrait être perçu comme un
acteur clé des actions menées par le gouvernement.
Exemplarité de l'État et fin du bilinguisme
institutionnel, le SPGQ juge que le français doit être la norme dans toutes les relations de l'administration
publique québécoise. Toutefois, le syndicat estime que certaines
exceptions doivent permettre l'utilisation d'une autre langue, notamment dans
les communications avec les communautés anglophones
et les nations autochtones. Également, ces exceptions sont nécessaires pour
accueillir les personnes immigrantes à leur arrivée et durant une
période d'adaptation à déterminer. D'autres exceptions sont aussi à prévoir pour les personnes travaillant en relations
internationales, en santé, en services sociaux ou encore en sécurité
publique.
Le SPGQ trouve cohérent que le français soit la
langue exclusive des communications entre les membres du personnel de l'administration dans l'exercice de
leurs fonctions, tout en prévoyant, bien évidemment, certaines
exceptions.
À cet égard, le Conseil supérieur de la langue
française dressait un constat alarmant sur les proportions d'employés de l'État
qui utilisent une autre langue que le français dans leurs échanges avec des
collègues ou des contribuables québécois. À titre d'employeur, le gouvernement
devra veiller à ce que le français, comme langue de travail pour les
professionnels de l'État, soit protégé et utilisé sur le plancher de travail.
Il devra se conformer à ses obligations applicables aux travailleurs pour
assurer le respect de leur droit à exercer leurs activités en français.
Le gouvernement doit aussi veiller à respecter
le droit du personnel professionnel de l'État à un milieu de travail exempt de
discrimination et de harcèlement liés à l'usage du français ou à leur
revendication d'un droit découlant de la Charte de la langue française.
Les organismes de l'administration devraient
rendre compte du nombre de postes pour lesquels ils exigent la connaissance
d'une autre langue que le français ou lorsque cette connaissance est souhaitée.
Ce faisant, c'est le droit des employés de
l'administration de travailler en français qui se voit protégé et renforcé.
Plusieurs de nos membres dont le poste exige une connaissance d'une langue
autre que le français ont d'ailleurs exprimé des doutes quant à la pertinence
de cette exigence lors d'un sondage réalisé par le SPGQ, en mai 2021. Les
conclusions de ce sondage figurent au mémoire.
Politique linguistique de l'État.
L'assujettissement des institutions de l'État mettra fin à une application à
géométrie variable de l'actuelle politique gouvernementale. Le SPGQ offre sa collaboration
au gouvernement dans la conception et
l'application de cette nouvelle politique linguistique de l'État partout où il est présent,
dans les ministères et organismes.
Les impacts du p.l. n° 96 sur les
membres du SPGQ. À l'Office québécois de la langue française, le p.l. n° 96
prévoit un renforcement du champ d'action de
l'OQLF. Par ailleurs, celui-ci hérite d'un nouveau pouvoir d'ordonnance.
En outre, les éléments à inclure dans le suivi de l'évolution de la situation
linguistique sont précisés et bonifiés, et l'Institut de la statistique du
Québec sera davantage mis à contribution pour la production de données linguistiques.
Le SPGQ voit d'un bon oeil le rôle et les
responsabilités accrus confiés à l'OQLF, mais, compte tenu du bilan du gouvernement dans la résolution des
problèmes de sous-financement des programmes et de surcharge du travail de ses membres, le SPGQ sera vigilant pour
s'assurer que ces crédits additionnels soient suffisants pour répondre
aux nouvelles responsabilités confiées à l'OQLF.
Quant à Francisation Québec, le SPGQ s'interroge
sur la pertinence de créer une nouvelle structure comme Francisation Québec.
Des structures existantes offrent déjà des programmes de matériel et de
francisation, pensons au ministère de l'Éducation, à l'Enseignement supérieur,
aux universités, aux collèges, aux cégeps et aux centres de services scolaires. Le SPGQ croit que les
infrastructures des établissements existants du ministère de l'Éducation, de
même que le personnel, pourraient servir de points de service en étant mieux
financées, sans devoir en créer une nouvelle. Aussi, une réflexion devra être
menée sur l'a propos que le personnel de la francisation puisse relever du ministère
de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur plutôt que d'une structure
relevant du ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration,
des dédoublements seraient ainsi évités.
Au ministère de la Langue française qui serait
nouvellement créé, le SPGQ est d'avis que, si le nouveau ministère de la Langue
française souhaite accomplir adéquatement ses fonctions, il devra pouvoir
compter sur des ressources financières et humaines en quantité suffisante.
Au Commissaire à la langue française. Le SPGQ
juge pertinente la mise sur pied d'un Commissaire à la langue française. Toutefois, il estime que les travaux et les décisions
du commissaire seraient mieux soutenus en étant appuyés par un comité
consultatif. Ce comité pourrait être constitué de membres provenant de
différents horizons, mais tous concernés par l'enjeu de la langue française et
de la situation linguistique. Cela éviterait une trop grande concentration de
pouvoirs entre les mains d'une seule personne. Encore une fois, le SPGQ
considère que le succès du commissaire dans l'exercice de ses fonctions sera
tributaire de l'expertise professionnelle sur laquelle il pourra compter de
même que des ressources financières qu'on lui confiera.
Quant aux ordres professionnels, le SPGQ compte
parmi ses membres plusieurs personnes appartenant à des ordres professionnels.
Les membres des ordres professionnels doivent avoir une connaissance du
français appropriée à l'exercice de leur profession et réussir l'examen de
français de l'OQLF. Le SPGQ est d'avis que le gouvernement doit prévoir des
dispositions pour que les ordres professionnels incluent dans leur code une
obligation de maîtrise de la langue française pour leurs membres.
Législation et justice. Le projet de loi prévoit
que tout jugement rendu par écrit en anglais par un tribunal judiciaire est
immédiatement et sans délai accompagné d'une version en français lorsque ce
jugement met fin à une instance ou lorsqu'il présente un intérêt pour le
public. Toutefois, le gouvernement a négligé de renouveler son personnel malgré
des efforts soutenus de sensibilisation du SPGQ : de
2010 à 2020, les effectifs professionnels du gouvernement en
traduction ont fondu de 20 %, et la sous-traitance gouvernementale en
traduction a connu une croissance de
40 %. De plus, les traducteurs de l'État sont les moins bien payés de
l'État, une symbolique importante.
Comme le
p.l. n° 96 vient renforcer
le français comme langue de la législation et de la justice, le SPGQ
exhorte le gouvernement à revenir sur sa décision et à renforcer son expertise
interne en traduction pour faire face à moindre coût aux nouvelles exigences
induites en matière de traduction par le p.l. n° 96.
Je voudrais conclure cette présentation en
abordant le recours à la clause dérogatoire. Pour soustraire la réforme de la Charte de la langue française à
d'éventuelles contestations judiciaires, le gouvernement propose de
recourir à la clause dérogatoire. La clause dérogatoire est un outil législatif
prévu à la Charte des droits et libertés de la personne et à la Loi constitutionnelle. Elle permet de légiférer dans
l'intérêt primordial de la population dans la mesure où existe un
objectif urgent et réel. À cet égard, le SPGQ juge que la protection et la
préservation du français au Québec constituent des objectifs urgents et réels.
Toutefois, il comprend mal que la clause dérogatoire puisse suspendre certains
droits fondamentaux qui n'ont pas à l'être au nom de la sauvegarde de la
langue.
Le SPGQ est soucieux de préserver la langue
française, mais aussi les droits prévus aux chartes. En outre,
l'article 10 de la charte précise que «toute personne a droit à la
reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité des droits et libertés de la
personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée» notamment sur la
langue. À ce titre, le SPGQ estime que le p.l. n° 96, en recourant à
la clause dérogatoire, peut compromettre ce droit, entendu qu'il s'avérerait
discriminatoire d'opérer une telle distinction, exclusion ou préférence.
Malgré ce qui précède, le SPGQ croit que le p.l. n° 96
peut avoir un impact tangible pour freiner le déclin du français et mieux
encadrer son rayonnement. Toutefois, la Charte de la langue française ne doit pas
diminuer ou entraver de quelque façon des droits individuels ayant somme toute
peu à voir avec les objectifs urgents et réels de protéger et de préserver le
français au Québec. Selon le SPGQ, la Charte de la langue française doit
contribuer à préserver l'équilibre entre les intérêts de
la société et ceux des citoyennes et citoyens. Le SPGQ considère que les
campagnes de promotion et de sensibilisation seraient des outils à privilégier
pour faire rayonner la langue et y faire adhérer l'ensemble des citoyens et
citoyennes du Québec.
Voilà qui complète notre présentation. Merci de
votre attention.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci beaucoup. M. le ministre, la parole est à vous.
• (11 h 30) •
M. Jolin-Barrette : Merci,
Mme la Présidente. Mme Lamarre, M. Desjardins, bonjour, merci de
participer aux travaux de la commission parlementaire.
D'entrée de jeu dans votre mémoire, ce qui,
entre autres, ressort, c'est le fait que la langue de l'État et la langue du
travail pour les employés de l'État, ça doit être le français. Je comprends
bien ça?
Mme Lamarre (Line) : Oui.
M. Jolin-Barrette : O.K. Ce qui vous
amène à faire ces commentaires-là, d'insister sur à la fois... On va revenir à
l'exemplarité de l'État par la suite, mais parlons, dans un premier temps, là,
de la langue du travail dans le cadre des fonctions des employés de l'État. Qu'est-ce
qui vous amène à émettre ce commentaire-là d'une façon aussi forte pour
insister sur le fait que le travail dans la fonction publique, ça doit se
passer en français et que, bon, il y a certaines exceptions dans certains cas
particuliers, mais quelle est l'importance de ça?
Mme Lamarre (Line) : Il y a quelques
mois, peut-être 18 mois, au moment où on a pris notre place au SPGQ, nos
postes, j'ai eu beaucoup de commentaires de gens qui travaillent dans des
institutions gouvernementales dans la grande
région de Montréal, dans la grande couronne montréalaise, et qui disaient que,
sur le plancher de travail, il y
avait énormément d'échanges entre les employés dans d'autres langues que le
français, qu'ils étaient inconfortables avec ça et qu'ils souhaitaient que l'employeur fasse quelque chose. Le
SPGQ a agi auprès des employeurs à cet effet-là, et les employeurs nous ont dit être menottés et se
sentir mal à l'aise parce que ça pourrait être considéré comme une
discrimination s'ils intervenaient sur la langue parlée sur le plancher
de travail entre les employés pendant les heures de travail.
Alors là, on
s'est dit : O.K., il y a un problème, là. Il doit y avoir une loi qui
dit : Non, sur le plancher de travail, on parle français, on
échange en français. Et, à l'heure du dîner, utilisez la langue que vous
voulez, là, je comprends, là, c'est du temps personnel, mais pas pendant les
heures de travail. C'est ce qui a amené le SPGQ à se positionner.
M.
Jolin-Barrette : Et quelle
est l'importance pour vos membres, mais en fait pour tous les membres, qu'il
y ait une langue commune, comme vous le dites, sur le plancher de travail?
Qu'est-ce que ça amène dans le quotidien si vos différents membres, ça ne se
déroule pas en français sur le plancher de travail?
Mme Lamarre (Line) : Bien, écoutez,
c'est sûr que ça crée des frictions, ça crée des positionnements antagonistes.
Il y a des gens qui se sentent mal à l'aise, il y a des gens qui ne se sentent
pas compris.
Ce qu'il faut comprendre, là, puis je pense que
vous le savez tous, la langue, c'est un lieu commun de rassemblement. Si on
parle tous la même langue au même moment dans le même lieu, on va se comprendre
et on va être capable d'échanger. Si, par
ailleurs, quelqu'un décide de parler dans une autre langue que je comprends ou
que je ne comprends pas du tout, ça risque de créer des schismes entre
les équipes de travail, et ce n'est pas ce qu'on souhaite.
Mais je comprends très bien, là, que les gens
qui se retrouvent entre membres d'une même communauté aient envie d'échanger
dans leur langue maternelle, mais pas pendant les heures de travail.
M. Jolin-Barrette : Et le projet de
loi répond à votre préoccupation à ce niveau-là?
Mme Lamarre (Line) : Oui, on pense
que, dans le projet de loi, il y a assez d'affirmations pour soutenir ça.
M. Jolin-Barrette : O.K. Parlons de
Francisation Québec maintenant. Vous nous indiquez, dans votre mémoire, que
vous avez certaines réticences à ce qu'il y ait une centralisation, un guichet
unique à Francisation Québec. En soi, ça va être une direction au sein du ministère
de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration. Pourquoi est-ce que
nous avons fait le choix de créer Francisation Québec? On s'est basé notamment
sur les travaux de la Vérificatrice générale en 2017, lorsqu'elle disait : Bien, écoutez,
en matière de francisation, il n'y a pas de guichet unique, je vous recommande de créer un guichet
unique. Là, il y a de l'expertise, actuellement, au ministère
du Travail, qui ont des programmes, au ministère de l'Éducation et au ministère
de l'Immigration.
Un des enjeux que nous avons constatés, c'est le
fait que, parfois, à la fois les personnes immigrantes, à la fois les
employeurs n'ont pas qu'une seule porte d'entrée, qu'une seule porte d'accès.
Alors, c'est un peu ça qu'on souhaite faire avec Francisation Québec. Mais je
voudrais vous entendre sur vos commentaires en lien avec cette proposition.
Mme Lamarre (Line) : Mon commentaire
va être assez court. On a un système d'éducation, au Québec, qui fonctionne très,
très bien, qui est très, très bien outillé et qui a et les ressources, et le
matériel, et la compétence pour faire ce travail-là. Alors, il nous semble un
peu dérisoire de penser qu'on peut apprendre le français aux jeunes Québécois
de tous âges, de toute langue, à travers un système scolaire, mais, quand on
arrive avec l'immigration, on leur crée un système à
part. Pour nous, il y a un non-sens dans cette idée-là. Notre système d'éducation
fonctionne bien, il y a déjà de l'éducation aux adultes qui se donne, il y a déjà
des gens qui ont les compétences pour le faire.
Et on se trouve à créer deux catégories
d'employés, les catégories d'employés qui travaillent pour les réseaux
scolaires, puis je mets tous les réseaux, y compris collégiaux et universitaires,
et les gens qui font de l'éducation à travers un autre ministère qu'on va
appeler Francisation ou qu'on a appelé autrement, alors que ces gens-là ont les
mêmes titres d'emploi. Et là on va se retrouver avec... et on se retrouve déjà
avec des catégories d'emploi où un conseiller pédagogique au ministère de
l'Immigration n'a pas le même salaire qu'un conseiller pédagogique dans un
collège ou dans une université.
Et là on se dit : Non, il y a un système
scolaire, au Québec, qui fonctionne très bien, utilisons-le. Utilisons-le pour
accueillir les immigrants. Je pense aux jeunes mères de famille qui vont mener,
le matin, leurs enfants, les jeunes mères immigrantes qui vont mener, le matin,
leurs enfants à la maternelle ou à la première année dans une école. Pourquoi n'auraient-elles pas accès à une classe,
pendant la même période de temps, qui enseignerait le français, et on serait dans le réseau scolaire, on serait... on
aurait les mêmes balises, les mêmes examens, donc la même conformité?
Alors, voilà.
M.
Jolin-Barrette : Mais, dans
l'exemple que vous donnez aussi, il y a, certains organismes
communautaires qui font de l'accueil et de
l'intégration également, et là il y a les professeurs qui se déplacent du
ministère de l'Immigration aussi. Puis, dans une vie précédente, j'ai
été à l'Immigration, et il y avait du bon là-dedans aussi avec le fait que la
communauté, c'était un facteur d'intégration aussi. Vous allez pouvoir me
dire : Bien, écoutez, l'école aussi, c'est un facteur d'intégration. Donc,
je comprends que, pour vous, vous enverriez Francisation Québec au sein du
ministère de l'Éducation.
Mme Lamarre (Line) : Tout à fait, et
avec les ressources. Et je vous répète, là, puis vous m'ouvrez une porte,
M. Jolin-Barrette, qui est très intéressante, vous avez raison, il y a des
enseignants à Immigration-Québec, regardez comment on paie ces enseignants-là
versus les enseignants qui sont dans le réseau scolaire. Allez voir. C'est
tragique. Ces enseignants-là sont sous-payés parce qu'ils ne sont pas
représentés par les... je ne dirai pas les bons syndicats, là, je n'irai pas
jusque là, mais c'est tentant.
M. Jolin-Barrette : Je vais vous
laisser le soin de faire... de débattre de ça. Peut-être une dernière question
avant de pouvoir céder la parole à mes collègues, vous dites, à la page 16
de votre mémoire, là, que certains membres, certains de vos membres hésitent
avant de porter plainte à l'OQLF pour non-respect du droit de travailler en
français. Pourquoi est-ce que vous avez des membres qui hésitent à porter
plainte si leurs droits au sein de l'État québécois ne sont pas respectés, de
travailler en français?
Mme Lamarre (Line) : La réponse est
simple mais un peu triste : Parce qu'ils n'ont pas l'impression que ça va
changer les choses.
M. Jolin-Barrette : Je suis un peu
dubitatif. Et le message que je souhaite porter, c'est que l'employeur, le
gouvernement du Québec doit garantir le droit de travailler à français, et, si
ça ne se fait pas, j'invite vos membres à porter plainte à l'OQLF. Et, surtout
avec le projet de loi, ce qu'on est en train de faire, c'est justement de
garantir le droit à tous les Québécois, incluant les employés de la fonction
publique, de travailler en français.
Mme Lamarre (Line) : La SPGQ
souhaite que ce soit appliqué avec beaucoup de conviction. Mais, pour le
moment, je vous le dis, là, on a fait des interventions auprès des employeurs,
nos membres, et il y a eu une réticence d'action. Et ça, c'est
incompréhensible. Je comprends, là, qu'on entend souvent des cris à
l'intolérance, etc., mais je pense qu'on doit affirmer une chose, c'est que la
langue française, c'est le fondement de la culture québécoise. On doit se
battre pour ça et on doit le faire férocement.
M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être
une dernière question sur les affichages de postes. Souvent, il y a des affichages de postes qui exigent une connaissance
d'une langue autre que le français. Qu'est-ce que vous pensez de ça et
des mesures qu'on met dans le projet de loi, notamment à l'article 46, pour
renforcer, en fait, le critère de nécessité?
Mme Lamarre (Line) : Je pense qu'on
doit permettre à tous les unilingues francophones d'accéder au plus haut palier
décisionnel. Il y a toujours moyen d'offrir à ces gens-là un support pour
apprendre une langue si elle est nécessaire
dans leurs fonctions. Et, s'ils ne peuvent pas, il y a des services de
traduction qui existent et qui fonctionnent très, très bien, hein?
Alors, je vais faire un parallèle que je ne devrais peut-être pas faire, mais
je vais quand même le faire. On a une gouverneure générale du Canada qui est
bilingue, anglophone et langue des Premières Nations, et, quand elle va avoir
besoin de parler en français ou de discuter avec des gens unilingues
francophones, elle aura probablement le support d'un traducteur. Moi, je pense
que les gens qui parlent uniquement français au Québec actuellement ne peuvent
pas accéder à toutes les fonctions au Québec pour la simple et bonne raison
qu'ils ne possèdent pas une langue qui est l'anglais. Et ça, c'est
inacceptable.
M. Jolin-Barrette : Je vous
remercie, Mme Lamarre. Je vais céder la parole à mes collègues.
• (11 h 40) •
La Présidente (Mme
Thériault) : Oui. Merci. Donc, pour M. le député de Saint-Jean, vous
avez 7 min 30 s.
M. Lemieux : Combien?
La Présidente (Mme Thériault) :
7 min 30 s.
M. Lemieux : Six?
La Présidente (Mme Thériault) :
Sept.
M. Lemieux : Merci. Désolé. Bonjour.
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Lamarre,
M. Desjardins. J'entends et je lis, et vous me direz si mon analyse est
correcte : Oui, mais sur à peu près toute la ligne dans votre mémoire.
Mais, à la fin, vous dites : Mais on en a vraiment besoin puis on pense
que ça va marcher. C'est un peu ça?
Mme Lamarre (Line) : Oui, c'est tout
à fait ça. Oui, mais il y a des choses qui sont questionnables et pour
lesquelles on se questionne, et on voudrait pouvoir en discuter, mais il faut
affirmer la force de la langue française.
Maintenant, on pense que la promotion, le
travail de sensibilisation doit et peut nous aider. On l'a vu avec la ceinture
de sécurité, ça n'arrive plus qu'il y a des gens qui ne portent pas leur
ceinture de sécurité. On le voit avec l'alcool au volant. On pense que la
langue française n'a pas été assez valorisée, n'a pas été assez soutenue par
ces campagnes-là et n'a pas été rendue accessible à tous les gens qui n'étaient
que d'une autre langue.
Et il y a des embûches, et tous les immigrants
vous le diront, il y a des embûches à obtenir des cours. Il n'y a pas de place,
il n'y a pas assez de monde, hein, c'est trop long, c'est trop loin, c'est le
soir tard, c'est le matin de bonne heure.
M. Lemieux : Il y a malgré tout...
Et puis je veux qu'on regarde certaines parties du sondage interne dont vous
nous parliez qui sont détaillées dans votre mémoire. Il y a malgré tout, si on
prend le chiffre qui sort le plus, parce que vous ne l'avez pas mis en tableau,
vous l'avez mis en texte, alors il faut vraiment le lire, il y a quand même
deux fois trop de monde dans les gens que vous représentez qui considèrent qu'on
leur a demandé l'anglais pour rien, entre guillemets. Puis je fais le lien avec
ce que vous nous disiez à l'instant en réponse au ministre en disant : Ce n'est
pas normal que les francophones ne parlant pas anglais ne peuvent pas accéder aux
niveaux les... Il y en a un, palier quelque part. Je considère que votre est
idéal est souhaitable, mais, à la limite, dans la réalité, selon les chiffres
dont vous disposez, il y a 20 % des gens qui considèrent qu'ils doivent
travailler en anglais, que c'est des postes bilingues, mais là-dedans il y en a
la moitié qui disent : Ça ne devrait pas être le cas, là.
Mme Lamarre (Line) : Notre sondage,
on l'a fait il y a quand même un petit moment, et on n'avait pas, peut-être,
toutes les lumières qu'on a aujourd'hui, et on n'est pas allés très
profondément dans les questions qu'on a posées. Mais c'est sûr qu'il y a un
minimum d'échange avec les communautés anglophones, avec les communautés des Premières Nations qui doivent être faits en anglais. Ils le méritent, on leur doit, on doit le
faire. Maintenant, est-ce
que ça, ça représente 10 %, 20 %? C'est ce que le sondage ne nous
amène pas à discriminer présentement. Alors, voilà.
M. Lemieux : L'autre chiffre
qui impressionne, là, les résultats de votre sondage... Même si c'est un
sondage maison, là, ça vous donne quand même une lecture de ce que pensent et
disent vos membres. D'ailleurs, le taux de réponse est de...
Mme Lamarre (Line) : 25 %.
M. Lemieux : C'est ça. Donc, on
part avec un échantillon d'un quart sur les plusieurs milliers. Mais il y a un
chiffre qui saute aux yeux, c'est que près du quart des répondants considère
que la situation du français a régressé au Québec. Est-ce que vous avez une...
notre ministre de la Santé dirait de l'information plus «granulaire» sur les régions? Est-ce que c'est criant à Montréal ou,
même dans les régions, on est inquiet et on considère que ça a régressé?
Pas nécessairement dans leur région, mais vu de leur point de vue régional.
Mme Lamarre (Line) : Je vais
demander à Philippe de répondre à cette question-là.
M. Desjardins
(Philippe) : Lorsqu'on a
fait un croisement par régions, il ressortait que la région de Montréal,
la région de Laval, les régions périphériques de Montréal acquiesçaient
davantage à ce que vous avez soulevé, là.
M. Lemieux : Donc, ont de
l'inquiétude, et ça se traduit par vos recommandations.
Un dernier mot avant de passer la parole au
député de Chapleau, Mme la Présidente, c'est au sujet d'une phrase qui m'a
marqué dans la fin de votre présentation au sujet des intérêts de la société.
Il y a, dans ce projet de loi là, une dimension de droit collectif qui
s'impose, en quelque sorte, par rapport à d'autres lois, d'autres projets de
loi. Mais, dans ce cas-ci, vous êtes un petit peu en porte-à-faux avec ça par
votre position sur l'utilisation de la clause dérogatoire, parce que le droit
collectif, à quelque part, c'est associé à...
Mme Lamarre
(Line) : Oui, bien, un des problèmes de notre société, puis on le voit
avec la vaccination, hein, c'est :
Comment on fait pour faire vivre ensemble les droits collectifs et les droits
individuels? Dans les... Les chartes ont permis que les droits individuels
des gens puissent leur permettre de vivre ouvertement, sécuritairement. Ce
serait triste de devoir reculer, bien qu'on comprenne, puis je vous le dis, on
comprend très bien, puis on est d'accord, puis on veut que la langue soit
importante, mais il faudra conjuguer ces deux éléments-là, et la force de la
langue et la force des droits individuels. On n'est pas prêts à y renoncer.
M. Lemieux :
Merci, Mme Lamarre. Merci, Mme la Présidente.
La
Présidente (Mme Thériault) : Merci. M. le député de Chapleau,
deux minutes. Donc, une petite question, une petite réponse.
M. Lévesque
(Chapleau) : Oui, merci beaucoup, Mme la Présidente. Mme Lamarre,
M. Desjardins, merci beaucoup d'être ici avec nous. Merci de votre
présentation.
Dans votre mémoire,
là, à la page 8, vous dites que, dans le fond, le projet de loi n° 96
peut avoir un impact qui est tangible pour
freiner le déclin du français et mieux
encadrer son rayonnement. Donc, vous
en avez fait part durant votre présentation. Peut-être que vous pourriez
élaborer davantage sur cet élément-là. Donc, comment vous voyez ça? C'est assez
large, là, mais, tu sais, pour vous donner la dernière minute, là, pour...
comment vous voyez vraiment que ça va pouvoir encadrer puis assurer le
rayonnement, donc, ce projet de loi là?
Mme Lamarre
(Line) : Mais on pense qu'il y a les assises de très bonnes idées dans
ce projet de loi là. On ne se le cachera pas, là, d'y dédier un projet de loi,
de mettre en place un commissaire, de mettre en place des institutions comme le
ministère de la Langue, on pense qu'il y a là les éléments d'une solution et
d'une réelle reconnaissance de la langue.
M. Lévesque
(Chapleau) : Et vous dites également, donc, que vous reconnaissez le
caractère urgent, donc le fait que c'est
réel, donc, pour l'utilisation des dispositions de souveraineté parlementaire.
Notamment, il y a souvent cette dichotomie-là, donc, la souveraineté
parlementaire avec les droits individuels, notamment les droits démocratiques
des élus ici, à l'Assemblée nationale. Donc, vous reconnaissez tout de même la
légitimité de cette utilisation-là.
Mme Lamarre
(Line) : Tout à fait.
M. Lévesque
(Chapleau) : Tout à fait. D'accord. Merci. Plus de question, Mme la
Présidente.
La Présidente
(Mme Thériault) : Merci. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys,
vous avez 7 min 20 s à votre disposition... 11 min, pardon,
20 s, 11 min 20 s.
Mme David :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Lamarre,
M. Desjardins. Votre... Je veux féliciter la rédaction de votre mémoire.
Les six premières pages sont très pédagogiques, même, pour savoir rapidement
quels sont les principaux enjeux du projet de loi, puis après ça votre
explication, et tout ça. Donc, je tenais à vous le dire que j'ai apprécié la
lecture de votre mémoire.
Je vais poursuivre
sur ce que mes prédécesseurs ont discuté. Vous dites : «Le SPGQ juge que
la protection et la préservation du français au Québec constituent des
objectifs urgents et réels. Toutefois...» Et vous n'êtes pas les seuls à le
dire, là, je pense qu'on est rendus à quatre ou cinq qui s'inquiètent de
suspendre des droits fondamentaux qui n'ont
pas l'air à l'être au nom de la sauvegarde de la langue française. Alors, vous
allez sur les deux exemples qui sont donnés, mais maintenant à
répétition, je pense qu'il va falloir s'y pencher sérieusement. En quoi la
suspension du droit au secret professionnel, c'est un de vos exemples ou de vos
inquiétudes, et celui de ne pas subir de fouille ou de saisie abusive, ça a été
répété, répété, répété? Mais j'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi vous,
vous pensez nécessaire, justement, d'inclure
ça précisément dans les inquiétudes par rapport aux dispositions de
dérogation.
Mme Lamarre (Line) : Écoutez, je comprends là où l'État veut arriver avec ce projet de loi
là et je comprends la volonté du gouvernement de dire : On doit
trouver les moyens pour que les chartes des droits et libertés n'empêchent pas
l'application de la Charte de la langue française. Et on comprend que la
gymnastique entre ces deux choses-là va être complexe. Mais, vous savez, une
fois qu'on a ouvert une porte à une diminution des droits individuels, c'est
une porte ensuite qui devient difficile à refermer. Et on a peur qu'il y ait là
un précédent qui fasse en sorte qu'il y ait et qu'il puisse... Puis on n'a pas
une grande inquiétude sur la dérive, là, parce qu'on est quand même conscients
que l'État est honnête, alors... mais, une fois que la porte est ouverte, c'est
dangereux.
Mme David :
Par exemple, le constitutionnaliste Patrick Taillon nous a dit : Oui, je
pense que, vraiment, pour ce qui a trait aux saisies abusives, aux fouilles,
c'est qu'en plus de la dérogation il n'y a pas de mandat à demander, de mandat
de perquisition. Donc, on rajoute deux mesures qui emprisonnent un peu, dans le
fond, la possibilité de pouvoir... Qu'est-ce que vous pensez de cet aspect-là
en particulier?
Mme Lamarre (Line) : ...ce qui nous
a fait, nous, réagir, et je ne vous cacherai pas que... Tantôt, vous avez
remercié pour la rédaction, bien, nous, c'est Philippe Desjardins à qui ont le
doit, c'est sa plume. Alors, je tiens à le dire. Mais,
écoutez, oui, je pense qu'il y a... on doit faire très attention au cumul de
droits, aux antagonismes. Les chartes ont fait beaucoup, beaucoup de travail.
Je pense à toutes les communautés qui en profitent. Maintenant, il ne faut pas
qu'on ouvre une porte qui va venir nuire à ça.
Ceci étant dit, comment on peut faire en sorte
de s'assurer que l'application de la loi va se faire en gardant ces droits
individuels là? Bien, peut-être qu'on peut appliquer... je ne suis pas une
juriste, là, mais peut-on appliquer la clause dérogatoire à des articles mais
pas à toute la loi puis choisir? Je ne vois pas en quoi ne pas avoir de mandat
a un lien avec la langue. Je ne le vois pas, là, j'ai beau chercher, là, dans
ma tête, je ne le vois pas.
• (11 h 50) •
Mme David : Bien, je pense que vous
mettez bien en évidence l'équilibre nécessaire à trouver et j'espère qu'on se
penchera tous ensemble sur cette question. Merci. Merci beaucoup.
Une autre question qui est complètement dans un
autre univers, mais vous avez parlé tout à l'heure de traduction, et on va
recevoir l'ordre des traducteurs, traductrices cet après-midi. Et vous dites,
dans un communiqué du 17 mars 2021 : «Le SPGQ [déplorait] la décision
[...] du ministère du Travail, Emploi et [...] Solidarité sociale de fermer
[le] service de traduction — fermer,
ce n'est pas rien — [de
la direction des Publications du Québec] à compter du 23 décembre 2021»,
ce Noël. On est bientôt, je ne veux pas faire de peine à personne, mais on s'en
vient vers l'hiver à toute vitesse. Après cette date, les ministères et
organismes n'ayant aucun traducteur devront se tourner vers les sous-traitances.
Là, moi, il y a quelque chose qui m'échappe
là-dedans, là, vraiment, parce qu'avec... Puis là on n'a pas encore parlé de
toutes les dispositions liées à la justice et à l'application de la justice.
J'aurai des questions au Barreau, entre autres, là-dessus. Ça va prendre...
Hier, j'avais le vertige devant le nombre d'enseignants de français que ça va
prendre. Là, j'ai le vertige par rapport aux traducteurs. Et je ne pense pas
qu'il y ait 50 000 traducteurs au Québec. Il y en a quelques milliers,
si je ne m'abuse. Je veux vous entendre sur la question des traducteurs et la
sous-traitance. Est-ce qu'on va refaire
comme au ministère, où il n'y avait plus d'ingénieurs puis il a fallu en
réembaucher? Mais là, s'il y a un projet de loi qui exige la traduction, il me
semble que c'est bien celui-là.
Mme Lamarre
(Line) : Tout à fait. Bien,
écoutez, le dossier des traducteurs, traductrices nous tient particulièrement à coeur. On est sortis plusieurs
fois cette année sur ce dossier-là. On a rencontré plusieurs fois cette
année les gens, les ministres, ministre de la Culture pour dire : Écoutez,
ça ne fonctionne pas, là, on ne peut pas couper constamment les traducteurs.
Le rangement salarial des traducteurs, là, au
Québec... Il y a trois rangements, 1, 2, 3, le 3 étant le moins payé. Les traducteurs sont dans ce rangement-là.
Et, dans ce rangement-là, sur 20 000, 21 000 professionnels, là,
il y a à peu près 70 personnes au rangement 3. Ça fait
plusieurs fois qu'on le dit au Secrétariat du Conseil du trésor : Pourquoi
il y a 70 professionnels de l'État qui sont sous-payés? Et pourquoi, si on
croit à la langue, pourquoi ce sont les traducteurs? Les autres, ce sont... il
y avait des agents de communication, si je me souviens bien, là, on est encore dans un dossier de la langue. Et je vous dirais,
puis là je vais rajouter sur la pile, c'est majoritairement des femmes,
ce sont majoritairement des femmes. Alors, il y a une ligne, là, de réflexion.
Si ça touche la culture, si ça touche la langue, si ça touche les femmes, ce
n'est pas grave.
Mme David : Oui, je n'aime pas
l'équation que vous faites et je suis tout à fait d'accord. Je partage votre grande inquiétude parce que la traduction va
être... ça et les enseignants de français, ce sont deux nerfs de la guerre,
je dirais. Et je vous remercie beaucoup,
beaucoup de parler de ça, et on ne l'oubliera pas, Mme Lamarre, ne vous
inquiétez pas.
Je passerais la parole à mon collègue le député
de D'Arcy-McGee.
La Présidente (Mme Thériault) : Oui.
Merci. M. le député, vous avez 4 min 45 s.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Mme Lamarre, M. Desjardins, pour votre mémoire
très intéressant ainsi que vos élaborations lors de votre exposé de ce matin.
Évidemment, votre rôle est exemplaire et primordial
en tout ce qui a trait à la promotion, la pérennité du français comme langue de
travail, et les protections qui devraient en découler, et l'équilibre
qu'il faut chercher en même temps.
Ça m'a intrigué de lire, dans vos recommandations
et vos commentaires, ainsi le numéro 5 où vous vous questionnez sur la
pertinence de la francisation au Québec, une chose qui m'a frappé. J'aimerais
que vous m'éclairiez là-dessus. En quelque part, si c'est le domaine... et ça
reste le domaine de l'éducation, où est la place de la francisation en milieu
de travail? Quelque chose que moi, j'ai toujours cru assez essentiel et
complémentaire dans notre effort collectif de franciser le milieu de travail,
je ne vois pas grand mesure dans le projet devant nous. Mais quelle importance
est-ce que vous accordez aux francisations en milieu de travail?
Mme Lamarre (Line) : C'est très important.
Mais le système d'éducation au Québec prévoit déjà ça. Dans les collèges, vous
avez le service de la formation continue. Vous avez la même chose dans les ex-commissions
scolaires, là, les services d'éducation permanente. Donc, il n'y a aucune
raison. La formation continue, c'est de la formation comme l'éducation de
primaire, secondaire, c'est le même genre de formation. Le système porte déjà
ça. Ils rendent déjà des services aux entreprises, hein? Ça se fait déjà, là.
Dans les collèges, là, vous avez un service de la formation continue qui fait
ça quotidiennement, rendre des services aux entreprises. Alors, rendre le service
de la langue ou rendre le service de la technique médicale ou de la technique
infirmière, c'est la même chose. Le système d'éducation
est bien fait au Québec; il manque de ressources. Tantôt, Mme la ministre
disait : Je ne sais pas comment on va faire pour trouver des enseignants. Mais
moi, je représente... mon syndicat ne représente pas d'enseignant, mais
on représente des professionnels, conseillers pédagogiques, aides pédagogiques.
Je vous le dis, il n'y en a plus dans le réseau. Alors, on va avoir un
problème.
Et on ne fait pas qu'enseigner, on doit
concevoir des outils d'enseignement. Et ça, ce sont des professionnels qui font
ça. Merci.
M. Birnbaum : Merci. Mme la
Présidente, merci. Dans un autre ordre d'idée, vous avez fait référence en quelque
part à l'apprentissage du... ou de perfectionnement de deuxième langue en milieu
de travail, qui m'a étonné un petit peu. Vous avez parlé qu'un francophone
unilingue devrait avoir accès illimité à la promotion au plus haut niveau
possible dans son cheminement. Intéressant, mais, sur le plan pratique, est-ce
que vous écartez la nécessité d'une connaissance d'une deuxième langue, surtout
l'anglais, pour, je ne sais pas, un coordonnateur, coordonnatrice
d'approvisionnement ou de l'exportation, disons, au ministère de l'Économie,
pour le chef d'une unité au CUSM à Montréal, pour le sous-ministre adjoint à
l'éducation en anglais au ministère de l'Éducation? Est-ce que vous écartez ces
réalités-là?
Mme Lamarre (Line) : Je n'écarte pas
les réalités. Je dis simplement, puis vous parlez à une ancienne enseignante,
je vous dis simplement que tout être humain peut apprendre une autre langue à
n'importe quel âge et je ne souhaiterais pas qu'un francophone québécois qui a
vécu toute sa vie dans un milieu francophone ne puisse pas atteindre les plus
hautes sphères, alors qu'il y a des outils qui peuvent l'aider. Je ne comprends
pas ça.
M. Birnbaum : Donc, sans exception,
dans les exemples que je vous donne, vous êtes à l'aise qu'il y aurait une
équité, une offre de service digne de ces postes-là si la personne en place ne
maîtrisait pas l'anglais?
Mme Lamarre (Line) : Actuellement...
M. Birnbaum : On parle des postes
limités, là.
Mme Lamarre (Line) : Oui, oui, on
parle de la même chose. Je comprends très bien. Actuellement, il y a des gens
unilingues anglophones qui occupent ces postes-là. Je ne sais pas...
M. Birnbaum : Et vous trouvez...
Mme Lamarre (Line) : Mais je ne sais
pas ce qu'on fait avec la clientèle francophone avec qui ils doivent...
affaire. La clientèle francophone, vous savez ce qu'elle fait? Elle va se
mettre à parler en anglais pour satisfaire parce que cette personne-là qui est
sur cette chaise-là, elle ne parle pas français. Alors, l'inverse...
M. Birnbaum : Mais est-ce qu'on va
en convenir que l'exemple que vous donnez est inacceptable? Je suis bien à
l'aise de le dire. Alors, pourquoi le contraire serait acceptable?
Mme Lamarre (Line) : En fait, c'est
ce que je vous dis, c'est que, si ça ne change pas de l'autre côté... Moi, je
veux que les gens qui parlent français puissent avoir accès à toutes les
strates. Maintenant, donnons-leur les outils. La personne peut avoir toutes les
compétences du monde, être probablement, peut-être, la meilleure, ce qui lui
manque, c'est une connaissance de la langue. Ça s'apprend, ça s'apprend.
La
Présidente (Mme Thériault) :
Et je dois mettre fin à votre échange. Mme la députée de Mercier,
la parole est à vous.
Mme Ghazal : Merci beaucoup. J'aime
beaucoup ce que vous dites. J'en aurais long à dire, mais je vais aller sur un autre sujet. Francisation Québec, j'essaie
vraiment de comprendre votre réticence, parce que vous êtes d'accord qu'actuellement l'offre est éclatée dans
différents ministères, que c'est important de la coordonner dans un seul
endroit, puis là vous dites que Francisation
Québec, c'est une structure de plus, il faut que ça reste au ministère de l'Éducation.
Mais, si on se place du point de vue des gens
qui veulent avoir des cours de français, c'est là que c'est difficile pour eux
de se retrouver, puis peut-être que ça ne répond pas à leurs besoins d'aller
dans un cégep ou une institution scolaire. Eux, ils vont déjà... eux ou elles
vont déjà, par exemple, dans un organisme communautaire pour faire toutes
sortes d'activités. C'est plus facile pour eux d'aller dans l'organisme
communautaire.
Est-ce que c'est parce que les conditions de
travail des professeurs sont... qui vont dans ces organismes ou ailleurs ne
sont pas bonnes, alors qu'au ministère de l'Éducation c'est mieux? Est-ce que
c'est ça? J'essaie de comprendre le fond de votre réticence.
Mme Lamarre (Line) : Ce qu'on dit,
c'est que les cours, l'organisation des cours, la préparation des cours, on a
une expertise dans le secteur de l'éducation, dans les collèges, etc. On va
dédoubler cette expertise-là en ouvrant Francisation Québec. Pourquoi ne pas
ramener Francisation Québec à l'intérieur du ministère de l'Éducation et que chaque collège, chaque commission scolaire ait son
secteur Francisation Québec? Et là on a les outils, les programmes, la
compétence, les gens. Et ça ne change rien avec le service communautaire. Je
veux dire, le lien va se faire à travers le ministère de
l'Éducation au lieu de... ou à travers un collège, ou à travers une commission
scolaire plutôt que se faire à travers le ministère de l'Immigration.
Mme Ghazal :
O.K. Parce que ça, il y a quand même une... il y a une unanimité, surtout, là,
de plusieurs, puis c'est une demande historique. Mais je comprends ce que vous
dites.
Est-ce
que vous pensez... tu sais, vous avez parlé des traducteurs, traductrices.
Est-ce que vous pensez qu'il y a suffisamment...
ou, en fait, à combien vous estimez les embauches que le gouvernement devrait
faire pour s'assurer que le projet de loi n° 96 soit bien instauré?
J'imagine, vous ne l'avez peut-être pas estimé, mais beaucoup?
• (12 heures) •
Mme Lamarre
(Line) : On ne l'a pas estimé, mais on est déjà en sous-effectifs.
Traducteurs, traductrices, là, je vous ai donné les chiffres, c'est terrible.
Il y a des expertises qui se perdent actuellement. C'est complexe de faire
traduire des documents de loi à l'extérieur quand l'expertise de la traduction
d'un document de loi, de droit, est à l'interne, et c'est de même pour tout le
temps. Donc, on envoie à l'externe, mais on est obligé de réécrire à l'interne.
Et là il n'y en a plus, là, d'effectifs, là. C'est vraiment...
Mme Ghazal :
Puis, au-delà des traducteurs, il y en a d'autres. Par exemple, vous parlez du ministère
pour la Langue française, etc. Donc, l'OQLF, est-ce que le nombre d'employés actuellement,
avec tous les pouvoirs qu'on leur donne, est suffisant?
Mme Lamarre
(Line) : Ils ont demandé dernièrement des effectifs supplémentaires,
mais on pense, encore là, que ce sera insuffisant pour faire toute la charge de
travail qui s'en vient. On est en surcharge.
La Présidente
(Mme Thériault) : Et je vais mettre fin à l'échange avec la
députée de Mercier. C'est rendu au tour du député de Matane-Matapédia pour
votre temps.
M. Bérubé :
Merci, Mme la Présidente. Bienvenue. Dans une étude de 2019 du Conseil
supérieur de la langue française, on indique que seulement 38 % des
membres du personnel des organismes publics ont été formés et informés sur la
politique linguistique interne. Pourtant, il y a près de 70 % des membres
qui souhaitent améliorer leurs connaissances et qui veulent que leur
organisation favorise la transmission d'informations sur les interactions avec
les usagers. Alors, c'est un enjeu qui touche de très près votre organisation,
vos membres.
Alors, je vous donne
l'occasion de vous exprimer là-dessus, sur les besoins qui sont exprimés et
comment ce projet de loi pourrait répondre à cet enjeu.
Mme Lamarre (Line) : C'est une demande récurrente au SPGQ. Les
coupures en formation au gouvernement sont légendaires. C'est très, très
difficile d'avoir de la formation individuelle et personnelle, et ça va
rejoindre les propos sur l'acquisition d'une autre langue. Pourquoi est-ce
qu'on ne permettrait pas ça? Pourquoi est-ce que les gens de la fonction
publique qui souhaitent progresser ne pourraient pas, pour se préparer aux
sièges les plus hauts de la fonction, acquérir la langue en chemin, en formation?
Mais, dans la fonction publique québécoise actuellement, l'accès à la
formation, là, c'est tragique.
M. Bérubé :
Ça sera retenu, certainement. Vous avez indiqué tout à l'heure qu'il faut
défendre férocement, hein, la langue. C'est un qualificatif, là, qui nous plaît
assez bien, au Parti québécois, parce que l'enjeu est important. Vous indiquez
que la langue exclusive des communications doit être le français.
Est-ce que vous
vouliez compléter votre intervention de tout à l'heure pour montrer comment
concrètement ça peut se faire, avec une mesure très concrète, par exemple, qui
n'aurait pas été évoquée jusqu'à maintenant?
Mme Lamarre
(Line) : Excellente question, à laquelle je vais avoir... peiner à
répondre. Mais l'idée, c'est de faire en sorte que, premièrement, les nouveaux
arrivants qui n'ont pas la langue, on va leur donner un temps, et là je laisse le soin au ministre, qui a souvent de
très bonnes idées, de préparer cette durée-là, de réfléchir à cette durée-là
et, entre-temps, faire des communications bilingues pour que les gens se...
tranquillement, s'en viennent vers cette idée-là, et peut-être, après six mois,
dire : Bien là, on a fait pendant six mois du bilinguisme, maintenant vous
le recevez en français.
M. Bérubé :
On a aussi de très bonnes idées puis on espère qu'il va être aussi attentif aux
nôtres pour faire en sorte qu'on ait la meilleure pièce législative possible,
qui ne fera pas consensus, mais qui va être nécessaire si on veut défendre
férocement la langue, comme vous l'indiquez juste à propos. Et je vous
remercie, Mme la Présidente. Ça complète mon intervention.
La Présidente (Mme
Thériault) : Donc, merci, Mme Lamarre, M. Desjardins, de
votre passage en commission parlementaire.
Nous allons suspendre
nos travaux jusqu'à cet après-midi, 15 heures. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 03)
(Reprise à 15 h 05)
La Présidente (Mme Thériault) :
Donc, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission de la culture et de l'éducation
reprend ses travaux.
Nous poursuivons
les auditions publiques dans le cadre des consultations particulières sur le
projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et
commune du Québec, le français.
Donc, cet après-midi, nous entendrons
M. Benoît Pelletier, professeur titulaire à l'Université d'Ottawa, le
Barreau du Québec, l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés
du Québec et le Conseil du patronat.
Donc, je vais me permettre de souhaiter la
bienvenue à notre ancien collègue député de Chapleau. Merci d'être avec nous à
l'Assemblée nationale. Vous revenez de loin. Donc, vous avez 10 minutes
pour nous faire votre présentation, et, par la suite, on fera les échanges avec
les parlementaires. Bienvenue à l'Assemblée.
M. Benoît Pelletier
M. Pelletier (Benoît) : Merci.
Merci, Mme la Présidente. Mmes et MM. les parlementaires et vos équipes
respectives, je vous salue et je tiens à vous dire à quel point je suis heureux
d'être dans cette enceinte, à laquelle j'accorde beaucoup d'affection ou pour
laquelle j'ai beaucoup d'affection.
J'ai examiné le projet de loi n° 96 avec
l'oeil d'un constitutionnaliste, d'une part, mais également avec l'oeil d'un citoyen, un citoyen engagé encore, en dépit
du fait que j'ai quitté la politique il y a déjà de cela plusieurs
années.
Il y a deux aspects du projet de loi qui
m'interpellent ou qui m'intéressent plus particulièrement. Il y a la question des modifications constitutionnelles,
d'une part, et, d'autre part, il y a la question des dispositions
dérogatoires, mais n'y voyez pas là, en quelque sorte, une limite à l'échange
que nous pourrons avoir, la période de questions et de réponses, n'y voyez pas là une limite. Mais à tout événement je vous
signale que je me suis focalisé sur ces deux aspects du projet de loi
n° 96.
En ce qui concerne les modifications
constitutionnelles d'abord, il s'agit bien entendu de l'article 159, qui
vise à modifier la Loi constitutionnelle de 1867 de façon à reconnaître que les
Québécois et les Québécoises forment une nation et à reconnaître également que
le français est la seule langue officielle du Québec et que c'est aussi la
langue commune de la nation québécoise.
Pour apprécier la constitutionnalité de ces
propositions, de ces mesures, il faut essayer de dégager une vue d'ensemble de la partie V de la Loi
constitutionnelle de 1982, qui contient la procédure de modification
constitutionnelle. En d'autres mots, il faut
essayer de dégager de cette partie V une vision cohérente et de regarder
les différentes dispositions de la partie V en corrélation les unes
avec les autres.
Après avoir fait cet examen, je peux vous dire
que je suis d'avis que les propositions du projet de loi n° 96 tombent
sous le couvert de l'article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982,
c'est-à-dire que ces propositions peuvent être
accomplies unilatéralement par l'Assemblée nationale du Québec.
L'article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 a un petit côté
paradoxal. D'un côté, c'est une disposition qui a une portée limitée, et
j'aurai l'occasion évidemment de détailler ce que j'en pense à cet égard, soit
en répondant à vos questions soit au moment de ma présentation, dans quelques
instants. Mais, en même temps, l'article 45 recèle un très grand
potentiel.
Alors, regardons d'abord la portée limitée de
l'article 45. L'article 45 permet la modification unilatérale, par
simple loi, de la Constitution ou de la province. Il est très clair dans mon
esprit que l'article 45 ne s'applique qu'aux modifications
constitutionnelles qui ne concernent qu'une province, et ce, tant dans leur esprit
que dans leur libellé. En d'autres mots, lorsqu'on examine l'article 45,
il faut cherche à dégager l'esprit de la modification constitutionnelle envisagée,
l'esprit de la modification constitutionnelle souhaitée de même que l'esprit
de la disposition qui est modifiée, le cas échéant. Il est très clair
que l'article 45 ne s'applique pas lorsqu'une modification
constitutionnelle touche à une autre province. Il est très clair que cet article
ne s'applique pas lorsque la modification constitutionnelle touche à l'ordre
fédéral de gouvernement. Il est aussi clair, à la lumière de la jurisprudence,
que l'article 45 ne s'applique pas lorsque la modification touche aux
relations fédérales-provinciales ou touche, si vous préférez, à la dynamique fédérative. L'article 45 ne
s'applique pas non plus lorsque la modification envisagée touche à une condition de
l'union de 1867, c'est-à-dire qu'il ne s'applique pas, cet article, lorsque la modification
envisagée va au coeur du compromis fédératif, d'un côté, touche à d'autres
partenaires fédératifs, de l'autre, ou encore touche au compromis fédératif qui
a scellé la fondation de l'union canadienne en 1867.
• (15 h 10) •
Donc, l'article 45 a essentiellement une
portée limitée, et cette disposition, donc, a aussi forcément une capacité d'avoir un impact juridique qui est
limité, c'est-à-dire que, forcément, une modification faite sur le couvert de l'article 45, à titre d'exemple, n'a pas d'autorité
supralégislative. C'est-à-dire qu'il s'agit d'une modification qui ne se
trouve pas au-dessus des lois, puisqu'elle est faite par une loi d'un
parlement, en l'occurrence l'Assemblée nationale du Québec. Il est très clair,
donc, qu'une telle modification n'a pas de portée supralégislative et il est
très, très clair, par
ailleurs, que l'impact juridique d'une modification accomplie sous
l'article 45 a cette portée limitée que je viens décrire.
Mais, en même temps, l'article 45 a un
grand potentiel, ai-je dit, parce que c'est par l'article 45 que passerait
l'adoption éventuelle d'une constitution du Québec, et une constitution du
Québec irait beaucoup plus loin que ce que
propose le projet de loi n° 96 en ce moment. Alors, ça veut dire que, si,
au Québec, il y avait une volonté, un jour, de doter le Québec de sa
propre constitution, une constitution élaborée avec différents principes qui
seraient énoncés, différentes valeurs chères
aux Québécois, eh bien, forcément, donc, une telle constitution du Québec
devrait être adoptée, normalement, en vertu de l'article 45.
Donc, vous voyez le
caractère paradoxal de l'article 45. Il a à la fois une portée limitée et,
en même temps, un grand potentiel. Et moi, j'invite cette Assemblée à explorer,
justement, le potentiel, à explorer la potentialité, éventuellement, de
l'article 45 de façon, un de ces jours, sait-on jamais, à doter le Québec
de sa propre constitution. J'ai toujours, Mme la Présidente, comme vous le
savez, été un promoteur de l'adoption par le Québec d'une loi qui constituerait,
donc, une constitution du Québec et dans laquelle nous retrouverions, en
quelque sorte, la définition du Québec d'aujourd'hui, ce Québec moderne, ce
Québec inclusif que nous aimons.
Par rapport à l'article 133 de la Loi
constitutionnelle de 1867, il est très clair que les droits découlant de
l'article 133 ne peuvent pas être affectés par une loi québécoise, quelle
qu'elle soit. Ça, c'est très clair. Évidemment, la question reste de savoir,
bon, quelle interprétation doit-on donner à l'article 133. Déjà, la Cour
suprême du Canada s'y est penchée dans différentes décisions judiciaires, bien
entendu. Mais il est très, très clair qu'aucune loi, qu'elle le dise expressément ou qu'elle ne le mentionne
pas, ne peut pas aller à l'encontre de cette disposition
supralégislative qu'est l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.
C'est pourquoi, moi, personnellement, le fait
qu'on ne mentionne pas que le projet de loi n° 96 ne va pas à l'encontre
de l'article 133 n'est pas quelque chose qui m'ennuie ou n'est pas quelque
chose qui m'effraie, parce que les principes constitutionnels sont tels
qu'aucune loi québécoise ne peut aller à l'encontre des droits découlant de
l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.
En ce qui concerne maintenant à l'adhésion au
rapatriement de 1982, je ne suis pas sans savoir, Mme la Présidente, qu'à
Ottawa il y a des députés qui soutiennent que l'adoption du projet de loi
n° 96 entraînerait ipso facto ou,
enfin, indirectement, peut-être, l'adhésion du Québec au rapatriement de 1982.
Il n'en est rien. Ce sont deux choses complètement différentes. La Loi
constitutionnelle de 1982 s'applique au Québec comme elle s'applique à toutes
les provinces canadiennes. La procédure de modification constitutionnelle a
déjà été utilisée dans le contexte de la déconfessionnalisation du système
scolaire québécois sans que cela n'entraîne pour autant l'adhésion du Québec au
compromis qui a donc façonné le rapatriement de 1981 et 1982.
À tout événement, je termine avec ceci, Mme la
Présidente, parce que je le sais que le temps qui m'est alloué pour ma présentation est limité, mais que j'aurai
bientôt le plaisir d'échanger avec vous, j'aurais quelques
recommandations à faire à cette Assemblée. En fait, j'en aurais deux.
D'abord, j'en ai fait mention précédemment, je recommanderais
à l'Assemblée nationale d'explorer la possibilité de doter éventuellement le
Québec de sa propre constitution, la Constitution du Québec.
Et,
deuxièmement, je recommande à l'Assemblée nationale, s'il devait y avoir
adoption du projet de loi n° 96, unanimement
ou non, mais je recommande à l'Assemblée nationale qu'elle adopte une
résolution réitérant sa non-adhésion au rapatriement de la Constitution
canadienne et à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 qui en a
découlé.
Alors, là-dessus, je vous remercie de votre
attention.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci, M. Pelletier. Donc, il y a... 45 secondes sera retranché au
temps du ministre, qu'il vous alloue gracieusement. Donc, M. le ministre, le temps
de parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, Mme la Présidente. Bonjour,
M. Pelletier. Un plaisir de vous voir ici, à l'Assemblée nationale,
et de vous voir en forme après ce que vous avez vécu. Alors, tous les
parlementaires, je crois, transmettent leur bonheur de vous voir ici, en cette
Assemblée, et surtout votre contribution au débat public passé, et aujourd'hui,
et futur, j'en suis convaincu aussi.
Juste vous dire, je vais vouloir laisser du
temps également au député de Chapleau parce que je suis convaincu qu'il va
vouloir vous poser des questions par la suite.
D'entrée de jeu, je voudrais qu'on aborde la
question des dispositions de dérogation ou des dispositions de souveraineté
parlementaire. En quoi ces dispositions-là font partie du fondement du
fédéralisme canadien? Pourquoi ces
dispositions sont là? Et pourquoi est-il légitime pour une assemblée de les
utiliser dans une loi comme la loi n° 96?
M. Pelletier
(Benoît) : Oui. Alors, merci, M. le ministre. D'abord, je dois dire, quand on examine les
dispositions dérogatoires, je pense qu'il faut tenir compte de deux facteurs a
priori. Le premier, c'est la forte judiciarisation du système canadien dans
lequel nous vivons, c'est-à-dire que nous sommes dans un contexte où les
tribunaux en mènent de plus en plus large et se prononcent parce que le
constituant l'a voulu, mais se prononcent sur différentes questions sociales, même
philosophiques, idéologiques, des choix de valeurs qui sont fondamentaux. Mais
tout cela découle, entre autres, de l'adoption, en 1982, de la Charte canadienne
des droits et libertés. Et comprenez-moi, ici, je ne blâme pas du tout les
tribunaux d'assumer le rôle qui est le leur, tel que l'a voulu, encore une fois,
le constituant, mais je ne fais que constater que nous sommes dans un contexte
de forte judiciarisation du régime canadien. Ça, c'est le premier facteur dont il
faut tenir compte. À mon avis, c'est une prémisse, en quelque sorte.
Le deuxième facteur, c'est que, si le Canada a
choisi le fédéralisme en 1867, c'était, entre autres, à cause de l'identité
particulière du Québec, et ça, je ne suis pas le seul à le dire, la Cour
suprême elle-même l'a dit dans le renvoi relatif à la sécession du Québec.
L'une des raisons fondamentales du choix du fédéralisme, ça a été parce qu'il y avait une société qui était différente,
parce qu'il y avait une société qui avait une identité qui était particulière
et que, dans un État unitaire, cette
société-là... ou dans une union législative, comme on l'appelait à l'époque, cette
société-là aurait été étouffée, cette
société-là aurait été broyée. Alors donc, le fédéralisme s'est imposé comme
étant le mode d'organisation des pouvoirs
dans un État qui permettait en même temps de concilier, et l'expression est
bien connue, l'unité et la diversité.
Et je ne prétends pas ici que le Québec ait été
la seule entité politique distincte à l'époque. Ça serait, à mon avis, faire
ombrage à l'identité des provinces de l'Atlantique, à titre d'exemple, qui,
elles aussi, cherchaient à se faire valoir dans un
contexte d'autonomie constitutionnelle, qui était finalement le contexte
approprié pour le fédéralisme canadien. Mais il y avait une société particulière
dans son identité, on le sait, et qui l'est encore aujourd'hui, c'est le
Québec. Et la disposition dérogatoire permet au Québec de faire valoir son
identité propre dans le contexte canadien, d'où le lien entre la disposition
dérogatoire et, dans le fond, le fédéralisme lui-même.
Si vous regardez la Déclaration canadienne des
droits en 1960, une loi fédérale, il y avait une disposition dérogatoire. Il y
avait un pouvoir dérogatoire dans la Déclaration canadienne des droits. Si vous
regardez la Charte des droits et libertés de
la personne du Québec, il y a là aussi une disposition dérogatoire. Il n'y a rien en soi d'indigeste, il n'y a
rien d'imbuvable dans l'existence d'une disposition dérogatoire. De telles dispositions permettent tout
simplement aux Parlements, au pluriel, d'avoir le dernier mot sur certaines
questions qu'ils considèrent fondamentales.
• (15 h 20) •
M. Jolin-Barrette : Et donc
l'utilisation des dispositions de souveraineté parlementaire ou de dispositions
de dérogation dans le projet de loi n° 96 est légitime. En fait, elles
sont légales, de ce que je comprends de votre propos, c'est qu'elles sont
légales et peuvent être légitimes si l'Assemblée décide de les inscrire de
façon préventive dans le cadre du projet de loi, dans le cadre de la loi, pour
faire en sorte d'établir dans quel cadre cette loi-là va s'appliquer.
Et, parallèlement à ça, je voudrais qu'on
discute... Vous avez déjà abordé, dans l'arrêt Nguyen en 2009, la décision
de la Cour suprême, et vous aviez indiqué, je crois, à l'époque, qu'en vertu de
l'article 1 ça aurait pu être sauvegardé, donc le test de
l'article 1. Alors, un peu ces deux questions-là.
Et je ferais un autre parallèle aussi. Le
constituant canadien a souhaité avoir une charte des droits et libertés, sauf
que ça n'a pas été approuvé par notre Assemblée, par le Québec, à l'Assemblée
nationale. Donc, c'est un bon rappel à faire, aussi.
Alors, je vous soumets ces questions.
M. Pelletier (Benoît) : Oui. Alors,
on peut ajouter, par ailleurs, la non-adhésion du Québec au rapatriement de 1982, évidemment, ce qui explique l'utilisation
plus fréquente de la disposition dérogatoire au Québec que dans d'autres
provinces canadiennes, à titre d'exemple. Nous pouvons également ajouter à
cela... je crois que les dispositions dérogatoires, telles qu'on les retrouve
dans le projet de loi n° 96, peuvent être utilisées à titre préventif,
comme vous l'avez mentionné. C'est-à-dire qu'évidemment ça peut suivre un
jugement ou des jugements de tribunaux, mais ça peut être aussi utilisé de
façon à parer éventuellement des contestations judiciaires ou, à tout le moins,
disons, parer des déclarations d'invalidité qui ne seraient pas souhaitées par
l'Assemblée nationale.
Et moi, je
suis, vous savez, parfaitement, comment dirais-je, donc, je suis parfaitement
sensible à l'idée qu'il y a dans notre société des droits et des
libertés individuels dont je profite. Mais j'appartiens aussi à une
collectivité, et cette collectivité-là a le droit, parfois, de faire des choix
qui lui sont particuliers, ce que j'appelle des choix collectifs. Et attention,
M. le ministre, je suis tout à fait conscient qu'il y a une différence
entre un choix collectif et un droit collectif.
Mais il y a des dossiers qui sont particulièrement sensibles au point de vue social, particulièrement
sensibles au point de vue identitaire, à l'égard desquels il est tout à fait
normal que le Parlement dise : Bien, moi, je fais un choix collectif ici qui est différent de celui que
feraient peut-être les autres Canadiens en pareille matière.
Mais ce choix-là est fait au nom du Québec. Et, dans la mesure où ce
choix-là est fait au nom du Québec et de son identité, j'accepte d'emblée qu'il
puisse y avoir, à l'occasion, l'usage de dispositions dérogatoires.
M. Jolin-Barrette : Je vous
ramènerais au début de votre intervention relativement à l'article 159 du projet
de loi et à l'insertion, dans la Loi constitutionnelle de 1867, du fait que les
Québécois et les Québécoises forment une nation et que le français est la
langue officielle de l'État québécois. Vous dites, en résumé : Nous
pouvons le faire, cette Assemblée a le pouvoir de le faire. Cependant, de votre
avis, la portée, elle est limitée parce que ça doit se lire : La langue
officielle du Québec est le français, sous réserve de l'article 133 de la
Loi constitutionnelle de 1867. Mais on n'a pas besoin de l'écrire, parce que
c'est implicite, les règles d'interprétation de la Constitution font en sorte
que les dispositions se lisent les unes par rapport aux autres, et ça va de
soi. Est-ce que je résume bien votre propos en lien avec la disposition qu'on
intègre et 133?
M. Pelletier (Benoît) : Oui.
J'ajouterais peut-être deux choses, si vous me le permettez. La première, c'est
que les dispositions constitutionnelles s'interprètent les unes par rapport aux
autres, mais certaines ont une autorité supralégislative que d'autres n'ont
pas. À titre d'exemple, les conventions constitutionnelles font partie de la Constitution, elles sont constitutionnelles, mais n'ont pas d'autorité supralégislative. Et, à mon avis,
c'est la même chose pour les modifications qui sont apportées en vertu
de l'article 45.
Donc, non seulement y a-t-il une interprétation
corrélative des dispositions constitutionnelles entre elles, mais, au surplus,
l'article 133 a une longueur d'avance. Qu'est-ce que vous voulez que je
vous dise? Parce que c'est une disposition supralégislative, alors que la
modification accomplie sous l'article 45 n'aurait pas cette portée.
Mais, cela étant dit, qu'il y ait une
reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise, bien, moi,
personnellement, je suis tout à fait à l'aise avec ça pour deux grands motifs.
Le premier motif, c'est que j'ai vraiment le sentiment, moi, d'appartenir à une
nation. Ça n'enlève absolument rien à l'existence d'une nation canadienne à laquelle, vous le savez, j'appartiens, par
ailleurs. Alors... Mais j'appartiens à une nation québécoise. Donc,
premièrement, cette reconnaissance de la nation québécoise non seulement ne
m'étonne pas, mais, par ailleurs, me réjouit. Je me souviens d'avoir travaillé
sous le gouvernement de M. Charest à ce que la Chambre des communes reconnaisse que les Québécois et Québécoises formaient une
nation, ce qui a été fait. Ça a été fait grâce au Bloc québécois, notamment, mais ce que les gens ignorent, c'est que le gouvernement du Québec travaillait aussi très, très fort en coulisse
pour que M. Harper reconnaisse effectivement
que les Québécois et Québécoises formaient une nation au sein du Canada. Ça,
c'est ignoré par la plupart des gens, mais on a travaillé très, très fort.
Donc, il y a plusieurs instances qui ont contribué à cette reconnaissance.
Donc, j'appartiens à une nation, premier facteur.
Deuxième facteur, bien, qu'il y ait une reconnaissance
constitutionnelle maintenant de cette nation-là, bien, là aussi je suis tout à
fait à l'aise, parce que j'ai toujours pensé que la constitution devait être le
miroir d'une société. Et la société canadienne,
bien, elle se définit notamment par la présence de nations autochtones,
mais elle se définit aussi par la présence de la nation québécoise et
elle se définit par d'autres réalités distinctes, d'autres réalités
particulières également, qu'il ne convient pas que j'énumère ici, mais dont
vous pouvez, tout comme moi, deviner l'existence.
Alors donc, c'est une reconnaissance de la
diversité canadienne puis, en plus, c'est fait dans la Constitution canadienne.
Alors, je ne peux qu'appuyer une démarche comme celle-là sur le plan de la modification constitutionnelle, j'entends.
M. Jolin-Barrette : Je vous
remercie, M. Pelletier, pour votre passage en commission parlementaire. Je
vais céder la parole au député de Chapleau.
La Présidente (Mme Thériault) :
...un peu moins de quatre minutes à votre disposition.
M. Lévesque
(Chapleau) : D'accord,
merci beaucoup, Mme la
Présidente. Bonjour,
M. Pelletier. C'est vraiment un plaisir de vous revoir, de vous
revoir également en pleine forme, avec toute la fougue et la passion qu'on vous connaît. Vous êtes non seulement
mon prédécesseur, mais j'ai également... en tant que député de Chapleau, mais
j'ai également eu l'occasion de travailler avec vous lorsque vous étiez ministre
dans le gouvernement de M. Charest. Et effectivement, là, nous avions eu
ces discussions-là et ces éléments-là, fort intéressants.
Quelques questions pour vous, là. D'abord, en
lien avec la modification constitutionnelle qui est proposée, on parle de
portée limitée en termes d'impact. J'aimerais peut-être vous ramener sur la
question des tribunaux québécois et l'interprétation que les tribunaux
québécois pourraient avoir de cette modification constitutionnelle là, si vous
avez eu l'occasion de réfléchir à cette question.
• (15 h 30) •
M. Pelletier (Benoît) : Bien,
d'abord, vous dire que j'ai le sentiment... Je suis très heureux de votre
présence et puis je suis très heureux que vous ayez... que j'aie l'occasion
d'échanger avec vous, mais, je vous dirai, quand on est député de Chapleau, on
l'est pour toujours. Et cela ne vous enlève rien, loin de là. Mais, en fait, ce
que je veux vous dire, c'est ceci, c'est que, dans l'accord du lac Meech, à
titre d'exemple, je fais faire un... je vais quand même répondre rapidement, Mme
la Présidente, soyez sans crainte, mais, dans l'accord... Je vais faire un
petit détour, néanmoins. Dans l'accord du
lac Meech, on reconnaissait le caractère distinct du Québec,
mais c'était pour l'interprétation de
toute la Constitution du Canada. Alors, forcément, là, à ce moment-là, à ce moment-là, la procédure qui s'appliquait, c'était la
procédure 750 parce que ça avait une portée interprétative générale. C'est
évident que, si vous avez une modification qui touche à l'interprétation de toute la
Constitution, c'est évident que ça échappe à la portée de l'article 45.
Alors, on revient à cette portée limitée, dont je parlais initialement, de cet article.
D'autre part, donc, la modification souhaitée
par le projet de loi n° 96 ne pourrait pas, à mon avis, porter sur
l'interprétation en général de la Constitution canadienne. Peut-être
pourrait-elle porter sur l'interprétation de lois québécoises, mais, encore une
fois, c'est sous réserve du respect des droits constitutionnels des
anglophones. Ça, c'est très, très clair. Et on ne doit pas en douter un seul
instant. Et ce sont aussi des droits constitutionnels dont je me fais le défenseur à l'occasion, parce que
le discours de diversité que j'ai donc attribué au Canada
est aussi un discours qui vaut pour le Québec.
M. Lévesque (Chapleau) : Précisément
là-dessus, sur les droits des anglophones, justement, est-ce que vous constatez
que le projet de loi n° 96 retire ou vient réduire les droits des
anglophones au Québec?
M. Pelletier (Benoît) : Bien, en
fait, je n'ai pas fait un examen minutieux de toutes les dispositions et je ne
peux pas me prononcer sur la constitutionnalité de tout. C'est pourquoi je me
suis focalisé dès le départ sur certains aspects du projet de loi n° 96.
Mais je compléterais peut-être votre question en disant : Si on parle de
droit constitutionnel, il n'y a aucune crainte à avoir, la constitution, telle
qu'interprétée, les tribunaux, triomphera toujours. Ça, c'est très, très clair.
Mais, pour le reste, je vois dans le projet de loi n° 96, moi,
personnellement, un geste de bonification de la loi 101, de peaufinement
de la loi 101, et généralement, sans me prononcer, encore une fois, sur la
constitutionnalité de tout, je trouve que ce geste-là est bienvenu.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme Thériault) :
...l'échange avec les membres du gouvernement. Donc, nous allons aller du côté
de l'opposition officielle avec Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys pour
votre 11 min 20 s.
Mme David :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Me Pelletier. Vous êtes à la
fois fédéraliste et nationaliste. Souvent, les gens ne nous croient pas qu'on
puisse être à la fois fédéraliste et nationaliste. Le PLQ a eu beaucoup de grands nationalistes dans son
histoire, dans son parcours, Jean Lesage, Paul Gérin-Lajoie, George-Émile
Lapalme, Robert Bourassa, et tellement
d'autres, dont vous, vous, M. Pelletier, vous qui avez été ministre des
Affaires intergouvernementales, qui avez écrit beaucoup
sur le rôle du Québec au sein de la fédération, sur le Conseil de la fédération,
dont le premier ministre actuel était, jusqu'à tout récemment, le président. Et
vous avez écrit aussi beaucoup sur le rôle de langue française et de la
nation québécoise. Donc, je vous remercie d'être ici avec nous aujourd'hui,
avec nous tous, quels que soient nos allégeances, nos convictions, notre parti
politique. Je vous remercie de nous partager vos opinions et votre expertise,
surtout quand l'on connaît l'épreuve terrible que vous avez traversée et dont
vous combattez encore les conséquences. Vous êtes admirable de courage et de
résilience.
Je vais aller vers
une première question, qui est justement sur la portée limitée et l'impact
juridique limité de ce fameux recours à l'article 45. Je me suis réveillée
un 22 mai au matin, samedi matin, Marco Bélair-Cirino qui écrit un long
article où il met en miroir, je dirais, l'opinion de la portée limitée ou non
de cette inclusion dans la Constitution. Je répète, ça faisait huit jours que
le projet de loi était déposé. Vous en aviez eu peut-être des idées ou des
échos avant, mais nous, on était sous ce choc. Mais, le 22 mai, en lisant
la longue entrevue que j'ai ici ou les entrevues de l'article de Marco
Bélair-Cirino, il y avait le ministre qui parlait d'une portée beaucoup plus
large, des impacts constitutionnels, des
portées juridiques, des interprétations qu'allaient en faire les tribunaux de
cette insertion dans la Constitution,
du recours à l'article 45, et vous, vous disiez : Attention, la
portée est plutôt limitée, vous l'avez répété tout à l'heure, l'impact
juridique est limité.
Où en êtes-vous
maintenant? Et qu'est-ce qu'on pourrait en dire quelques mois plus tard? Le
choc est absorbé, les chroniqueurs ont tous chroniqué, les constitutionnalistes
se sont prononcés, se prononcent maintenant. Où est-ce que vous en êtes et où
pensez-vous que le ministre en est par rapport à votre opinion?
M. Pelletier
(Benoît) : Bien, deux, trois choses. La première chose, c'est que moi,
j'en suis exactement là où j'étais au départ, c'est-à-dire que moi, je suis
convaincu de ce que j'avance. Maintenant, la portée, ça demeure une question de
perspective. Est-ce une grande portée, une petite portée? Ça dépend de la
question de la perspective. Certains disent que ce n'est qu'un geste
symbolique. Je vous dirai que, si tel devait être le cas, bien, les symboles
sont aussi importants pour une société. Je veux dire, pour moi, ça n'enlève absolument
rien à ce qui est proposé ici. D'autres comme moi soutiennent davantage que l'article 45
n'a qu'une portée limitée parce que je vous dirai que j'ai recensé neuf situations
où l'article 45 ne pourrait pas s'appliquer.
Tout à l'heure dans
ma présentation, j'ai fait allusion à certaines d'entre elles, hein, l'union fédérative
et puis les relations fédérales-provinciales. C'est déjà énorme, tout cela,
bien entendu. Mais on pourrait même ajouter que l'article 45 ne peut pas
ébranler la structure fondamentale du Canada, ça, c'est lié à d'autres arrêts
de jurisprudence, ou on pourrait toujours dire que l'article 45 ne peut
pas permettre à une province d'aller à l'encontre des principes
constitutionnels sous-jacents ou implicites comme ceux qu'a reconnus la Cour
suprême dans le renvoi relatif à la sécession du Québec. On pourrait élaborer,
ce n'est pas ça mon but. Mon but, c'est d'insister sur l'essentiel. Lorsque je
dis que l'article 45 n'a qu'une portée limitée, d'abord c'est dans ma
perspective à moi et, deuxièmement, c'est fondé sur une étude minutieuse de la
jurisprudence.
Alors, la deuxième
chose, peut-être, je ne sais pas si j'ai annoncé trois choses ou deux choses,
mais j'en ai une deuxième dont je voulais parler, c'est lié à votre
introduction où vous parliez de nationalistes et fédéralistes. Mais, vous
savez, Mme la députée, moi, j'ai siégé pendant 10 ans à l'Assemblée
nationale du Québec et j'y ai siégé avec fierté; «nationale», là, ça veut tout
dire. Et j'ai vu, durant mon parcours, des fédéralistes nier l'existence de la
nation québécoise, et, encore une fois, je leur répondais : Bien, il n'y a
rien d'incompatible entre l'existence d'une nation québécoise et l'existence
d'une nation canadienne. La première a un sens sociologique, essentiellement.
La seconde, bien, finalement se transforme sur le plan constitutionnel en un
État qui est l'État canadien. Mais il n'y a absolument rien d'incompatible
entre les deux.
Et j'avais, au sein
de mon cabinet, des gens, et je le dis sauf le respect que je leur dois parce
que ça faisait partie de nos échanges amicaux, mais j'avais, au sein de mon
propre cabinet, des gens qui niaient l'existence de la nation québécoise. Et
pourtant j'étais en même temps ministre des Affaires autochtones, et je
recevais le chef de la nation crie, qui, lui, s'attendait à avoir des relations
de nation à nation avec nous, et je recevais le chef de la nation huronne-wendat, et j'en avais dans mon cabinet qui
niaient l'existence d'une nation québécoise. Moi, je n'accepte pas ça.
Moi, ma prémisse de
départ, c'est qu'il y avait une nation québécoise, que cette nation québécoise
là a la liberté de choisir son destin. Mais
moi, personnellement, j'ai promu que ce destin-là se fasse dans le
cadre du fédéralisme canadien.
• (15 h 40) •
Mme David :
...on pourrait dire, dans ce sens-là, que ce projet de loi ne vous rend pas nécessairement
inconfortable par rapport au recours, donc,
à l'article 45 et par rapport, et là vous avez
dit «sous certaines conditions», à certaines
occasions... l'utilisation d'emblée de la disposition de dérogation. Il
y a beaucoup d'opinions, alors aidez-nous à nous
retrouver là-dedans.
M. Pelletier
(Benoît) : C'est-à-dire que moi, personnellement, je suis très
favorable à l'utilisation même plus fréquente de la disposition dérogatoire si
c'est le choix de l'Assemblée nationale du Québec. Mais je constate que, jusqu'à
présent, elle n'a pas été... sauf pendant l'épisode où le gouvernement du Québec l'a utilisée systématiquement au lendemain
de l'adoption de la loi de 1982, mais c'était pour des raisons qui
s'expliquaient historiquement, bien entendu. Mais, jusqu'à présent, elle n'a
pas été utilisée de façon abusive.
Mme David :
Pourtant, vous êtes juriste, vous êtes constitutionnaliste, et beaucoup vont
dire... Moi, je ne suis ni l'une ni l'autre. Beaucoup vont dire que la disposition
de dérogation nie l'existence, justement, du pouvoir du juridique et qu'il
remet tout dans le pouvoir législatif.
M.
Pelletier (Benoît) : Oui, mais, justement, c'est normal que, dans certains
cas, ce soient les élus du peuple qui aient
le dernier mot, c'est tout à fait normal. Quant à moi, il n'y a
rien là-dedans qui est effrayant, peut-être parce
que j'ai combiné une carrière politique
à ma carrière juridique. Donc, j'ai le plus grand des respects pour ces deux
institutions, pour ces deux sphères du pouvoir dans l'État.
Mme David :
Mais, par contre, je vais vous citer Patrick Taillon, qui est venu ici et qui a
dit clairement que, peut-être, par
rapport à certains aspects, entre
autres les fouilles et les perquisitions sans mandat données à l'OQLF
comme étant une possibilité puisqu'il y aurait disposition de dérogation, que
ça, peut-être qu'il devrait y avoir une levée de disposition de dérogation, parce qu'il faut vraiment respecter les
chartes quant aux saisies, fouilles, etc., qui seraient abusives.
D'autre part, et il
l'a dit le 14 mai, écoutez, c'est le jour même du dépôt, que... et je cite
Patrick Taillon : «Ils modifient la charte québécoise, la Constitution
canadienne. Ils utilisent la clause dérogatoire pour envoyer un message aux
juges : On vous demande de ne pas vous mêler de ça, sans trop savoir précisément
quels droits seraient violés.» Parce que
je vous ai déjà entendu dire
aussi : Bien, peut-être même que, sans disposition de dérogation, il
n'y en aurait pas, de droit qui serait vraiment contestable. Est-ce que vous
êtes encore là dans votre réflexion?
M. Pelletier (Benoît) : Bien, en fait, il faut comprendre que, quand on
parle du droit, c'est le droit tel qu'interprété par les tribunaux, ne
l'oublions pas, et cette interprétation-là elle-même est évolutive. Alors,
lorsqu'on dit que des droits et libertés individuels sont violés, mais qu'on
permet cette violation au nom de l'utilisation d'une disposition dérogatoire,
il faut comprendre que ce sont les droits et libertés individuels tels
qu'interprétés de nos jours par les tribunaux. Éventuellement, il faut
s'attendre à ce qu'il y ait une évolution jurisprudentielle.
Et moi, je vous dirai
que, si on prend l'article 33 de la Charte canadienne des droits et
libertés, pour un, si on prend cette disposition-là, elle est déjà limitée dans
son essence même. Elle est limitée à une application de cinq ans,
renouvelable, j'en conviens, mais néanmoins, donc, une utilisation de
cinq ans, d'une part. Elle est limitée à certaines dispositions de la Loi
constitutionnelle de 1982, bien, plus particulièrement de la Charte canadienne
des droits et libertés. Elle n'empêche pas les débats judiciaires comme, jusqu'à
présent à tout événement, comme l'a démontré la Loi sur la laïcité où il y a eu
un très long débat judiciaire qui a mené à un jugement de 200 pages en
dépit de l'utilisation d'une disposition dérogatoire.
Alors, moi, je vous
dirai que je ne vois rien là-dedans qui, étant donné le caractère limité, dès
le départ, de la disposition dérogatoire, je ne vois rien là-dedans qui, dans
le fond, serait, comment dirais-je, condamnable.
Mme David :
Vous dites que ça ne vous effraie pas qu'on ne mentionne pas
l'article 133, hein?
M. Pelletier
(Benoît) : Oui.
Mme David :
Est-ce que ça vous effraierait qu'on le mentionne?
M. Pelletier
(Benoît) : Personnellement, moi, je ne crois pas qu'il y ait lieu de
le mentionner, pour être franc. Mais, si ça pouvait permettre à un compromis
politique de se développer, je pourrais voir l'Assemblée nationale, cependant,
adopter une résolution disant qu'elle réitère que la loi, une fois adoptée, ne
compromet pas les droits constitutionnels des anglophones découlant de
l'article 133 de la loi n° 67, mais moi, je
ne modifierais pas le projet de loi pour autant.
La Présidente (Mme
Thériault) : Et je dois mettre fin à l'échange, M. Pelletier.
Donc, sans plus tarder, je vais aller du côté du député de Matane-Matapédia
pour votre temps de 2 min 50 s.
M. Bérubé :
Merci, Mme la Présidente. M. Pelletier, ancien collègue, c'est un
plaisir de vous retrouver et de vous entendre sur une proposition très
concrète, que vous avez réfléchie depuis un bon moment et qui est en droite
ligne avec votre pensée depuis que vous êtes en politique, de cette aile
nationaliste du Parti libéral du Québec. On a évoqué tout à l'heure des figures
historiques. Il faudrait qu'il y en ait des actuelles aussi, ça serait bien.
Alors, Pr Binette
nous a dit, que vous connaissez par ses travaux, que la modification du gouvernement
du Québec quant à la Constitution canadienne, la partie québécoise, était essentiellement
cosmétique et que ça ne changeait rien au sort du français, puis qu'en même
temps ça risquait fort de se river le nez aux tribunaux. Est-ce que vous
partagez cette vision?
M. Pelletier
(Benoît) : Bien, sauf respect pour mon collègue, je vous dirai que, d'abord,
moi, je ne partage pas son point de vue que ce soit purement cosmétique. Je
trouve que c'est une belle avancée. Même si ça ne devait être que symbolique,
ce serait déjà une belle avancée.
M. Bérubé :
Mais en quoi ça change le cours du français? En quoi ça va stopper ou renverser
le déclin du français au Québec?
M. Pelletier
(Benoît) : Ah! ça, honnêtement, cette modification-là à elle seule ne
renversera pas la situation démolinguistique et ne freinera pas la régression
du français.
M. Bérubé : Mais a-t-elle quelconque utilité pour augmenter l'utilisation du français ou améliorer la situation du français?
M. Pelletier (Benoît) : Elle envoie un message, à tout événement, que le
Québec est une société dont la langue commune est le français.
Elle envoie de nouveau ce message-là, et de ça, je m'en réjouis.
M. Bérubé : Bon, alors, c'est la différence entre l'approche
du gouvernement et la nôtre. Ce symbole ne change en rien
la trajectoire du Québec quant à l'utilisation du français.
Nous, ce qu'on
propose, c'est d'intervenir là où ça compte, par l'immigration, par la
fréquentation des institutions postsecondaires, le collégial en particulier, là
où on trouve qu'il y a un impact.
Je veux rendre
hommage à votre proposition d'une constitution du Québec, on partage ça, mais
pas dans le même pays, on aimerait en avoir un aussi. Croyez-vous que votre
proposition, que vous mettez au jeu dans le cadre d'un débat linguistique, aura un impact sur le cours de l'histoire pour
ce qui est de l'avenir du français au Québec, qui est face à un déclin?
Est-ce qu'une constitution pourrait être de nature à freiner ce déclin, à
renverser la tendance?
La Présidente
(Mme Thériault) : En 30 secondes, M. Pelletier.
M. Pelletier
(Benoît) : Pardon, Mme la Présidente?
La Présidente
(Mme Thériault) : En 30 secondes.
M. Pelletier (Benoît) : En 30 secondes? Bien, premièrement, vous mentionniez d'entrée de
jeu vos projets, vos ambitions par
rapport au projet de loi n° 96.
Un n'enlève pas l'autre, là. Il peut y avoir la modification
constitutionnelle tout en ayant vos propositions.
M. Bérubé :
Nos mesures dans le... absolument.
M. Pelletier
(Benoît) : Je veux dire, l'un n'empêche pas l'autre.
M. Bérubé :
Il l'a dit, là.
M. Pelletier
(Benoît) : Premièrement. Oui, je l'ai dit.
M. Bérubé :
Il l'a dit.
M. Pelletier
(Benoît) : Et je peux même le répéter.
M. Bérubé :
C'est enregistré, là.
M. Pelletier
(Benoît) : Mais je connais assez la politique pour savoir qu'il sera
fait bon usage, de part et d'autre, de mes propos. Ça, j'en suis tout à fait
convaincu.
M.
Bérubé : Absolument.
En tout cas, c'est enregistré, c'est dit, et on espère que ça
sera dans le rapport final.
M. Pelletier
(Benoît) : Mais en même temps, en même temps, bon, vous savez, vous
savez que je me focalise sur certains
aspects du projet de loi n° 96. Mais, si... Donc, je reviens à la Constitution
du Québec et, en terminant, Mme la Présidente, bien,
je vous dirai qu'une société, en 2021 ou 2022, peu importe le moment où ça
viendra, cette constitution-là, qu'une société se redéfinisse et dise au monde
entier ce qu'elle est, quelles sont les valeurs qui lui sont chères, moi, c'est
quelque chose à quoi je vais toujours applaudir.
M. Bérubé :
Oui, mais on le dit depuis 40 ans, puis ça avance lentement.
La
Présidente (Mme Thériault) :
Et, sur ce, je dois suspendre les travaux. Donc, merci pour votre
contribution aux travaux de la commission, M. Pelletier.
M. Bérubé :
C'est terminé?
La
Présidente (Mme Thériault) :
Nous allons suspendre quelques instants, effectivement, pour que le
prochain groupe puisse se joindre à nous.
M. Bérubé :
Ah mon dieu! Merci.
La Présidente (Mme
Thériault) : Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 49)
(Reprise à 15 h 54)
La Présidente (Mme Thériault) : Et
nous reprenons nos travaux. Donc, nous recevons maintenant le Barreau du Québec, qui est en visioconférence avec
nous. Donc, sans plus tarder, Me Catherine Claveau, la
bâtonnière du Québec, vous avez la parole une dizaine de minutes pour nous
présenter votre mémoire. Et, par la suite, il y aura des échanges avec les
différentes formations politiques, en commençant par le ministre. La parole est
à vous. Bienvenue à notre commission.
Barreau du Québec
Mme Claveau (Catherine) : ...(panne
de son)...
La Présidente (Mme Thériault) : Oh!
on a perdu votre son. Je m'excuse, on n'a plus votre son.
Mme Claveau (Catherine) : Est-ce que
vous m'entendez bien?
La Présidente (Mme Thériault) : Oui,
là, on vous entend. Allez-y.
Mme
Claveau (Catherine) : Alors,
merci, Mme la Présidente. M. le ministre de la Justice, Mmes et MM. les
députés, je suis Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, et je
suis accompagnée de Me Sylvie Champagne et de Me Nicolas Le
Grand Alary du secrétariat de l'ordre et affaires juridiques du Barreau.
Je veux d'abord, évidemment, vous remercier de
nous avoir invités aujourd'hui pour échanger sur ce projet de loi important. D'entrée de jeu, je tiens à
préciser que la mission du Barreau du Québec consiste à surveiller
l'exercice de la profession et, dans son
volet sociétal, faire la promotion de la primauté du droit afin d'assurer la
protection du public.
De manière générale, nous appuyons l'objectif du
projet de loi de renforcer la langue française à titre de langue de la
législation et de la justice et de favoriser son utilisation par les
professionnels du Québec. Il nous apparaît toutefois pertinent de vous
présenter nos commentaires sur deux aspects importants du projet de loi
n° 96, c'est-à-dire les dispositions
applicables aux ordres professionnels ainsi que les mesures prévues concernant
l'administration de la justice.
Alors, voyons d'abord les dispositions
applicables aux ordres professionnels. Le Barreau du Québec travaille pour
mettre en place des processus efficients, efficaces et accessibles afin de
remplir sa mission de protection du public de façon optimale. Dans un premier
temps, nous portons à votre attention les aspects du projet de loi qui viennent
resserrer les règles entourant l'utilisation de la langue officielle lors des
communications avec les membres. La très vaste majorité des communications du
Barreau du Québec se fait en français. Il arrive toutefois que, pour assurer la
protection du public, le Barreau doive utiliser l'anglais pour communiquer
individuellement avec certains de ses
membres. Par exemple, certaines questions déontologiques ou en lien avec les
normes d'exercice professionnel peuvent nécessiter des précisions et des
nuances qui pourraient échapper à un membre dont la langue maternelle n'est pas
le français, même si celui-ci a, par ailleurs, une connaissance appropriée pour
l'exercice de sa profession. Il arrive aussi
qu'un citoyen anglophone entre en contact avec le bureau du syndic. Dans ces
circonstances, il nous paraît important
de continuer de permettre que les échanges
avec le membre soient menés en anglais, si le membre y consent, bien sûr,
afin de s'assurer de la compréhension de la réponse du membre par le citoyen et
de l'intégrité du processus. C'est pourquoi nous croyons qu'il est important de
préserver la possibilité d'utiliser une langue autre que le français lors
d'interactions individuelles, qu'elles soient verbales, écrites et surtout par
courriel, avec des membres.
Sur un autre plan, nous souhaitons discuter de
l'interdiction pour un professionnel de refuser un mandat pour le seul motif qu'on
lui demande d'utiliser la langue française dans sa prestation de services. Nous
sommes d'avis que cet article pourrait entraîner un dilemme déontologique chez
les professionnels, ce qui n'est pas souhaitable pour la protection du public.
En effet, le code de déontologie des avocats précise que l'avocat doit exercer
avec compétence ses activités professionnelles. Or, un avocat ayant une
connaissance appropriée de la langue française devrait tout de même refuser d'accepter un mandat qui exigerait
une prestation de services en français, tel qu'un contre-interrogatoire
ou une plaidoirie complexe ou nuancée, puisqu'il serait d'avis qu'une maîtrise
complète de la langue française serait requise afin de représenter adéquatement
ce client. Cette nouvelle obligation risque de placer certains professionnels
dans une situation impossible et cela ferait en sorte qu'il serait susceptible
de violer soit une obligation prévue dans le code de déontologie, soit celle
prévue à la Charte de la langue française.
Le troisième
point porte sur l'inspection professionnelle qui se voit octroyer des nouveaux
pouvoirs puisqu'elle sera désormais chargée de procéder à l'évaluation
du maintien de la connaissance appropriée de la langue française chez les
membres. Il est souhaitable que ces pouvoirs puissent être mis en oeuvre de
manière efficace, efficiente et qu'ils portent fruit. Nous souhaitons, sur ces
enjeux, pouvoir compter sur l'important rôle que l'Office québécois de la
langue française pourrait jouer en aidant les ordres professionnels à
développer les différents outils nécessaires à cette activité d'inspection.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit qu'un
professionnel commet un acte dérogatoire s'il ne maintient pas une connaissance
du français appropriée à l'exercice de la profession ou s'il refuse un mandat
pour le seul motif que les services professionnels devraient être rendus en
français. Nous sommes d'avis que cette nouvelle infraction prévue au Code des
professions ne concorde pas avec les différents mécanismes d'intervention des
ordres professionnels pour surveiller la compétence des membres. En effet,
ceux-ci doivent être vus comme un continuum, et l'ordre, tant l'inspection professionnelle que le syndic, devront analyser
au cas par cas les situations afin de choisir la solution appropriée au cas en
espèce.
• (16 heures) •
Dans l'état actuel du droit disciplinaire, un
professionnel qui contreviendrait à ses obligations peut déjà faire l'objet
d'une plainte disciplinaire en vertu de l'article 59.2 du Code des
professions si le syndic juge que le manquement constitue une faute déontologique
et un acte dérogatoire à l'honneur ou à la dignité de la profession.
Le Barreau du Québec estime donc que le nouvel
alinéa de l'article 59 du Code des professions ne laisse pas assez de
discrétion afin d'évaluer la gravité du manquement en fonction des
circonstances particulières.
Enfin, nous attirons votre attention sur la modification
permettant à toute personne autorisée à obtenir en français tout document se
trouvant dans un dossier d'un professionnel. Cette obligation risque de devenir
très lourde en termes de délais et de coûts pour les professionnels et leurs
clients ainsi que pour les ordres professionnels qui agissent souvent à titre
de cessionnaire et gardien des dossiers de certains professionnels radiés,
décédés ou ayant quitté l'exercice de la profession.
En ce qui a trait maintenant aux mesures
applicables à l'administration de la justice, nous avons analysé le projet de
loi en ayant à l'esprit l'importance de préserver la confiance des citoyens
envers le système de justice. Selon le principe de la suprématie parlementaire,
les pouvoirs du gouvernement provincial sont illimités sous réserve des limites
prescrites par les lois constitutionnelles et la Charte des droits et libertés
de la personne.
Conformément à l'article 33 de la Loi
constitutionnelle de 1982, le projet de loi prévoit une dérogation aux
articles 2 et à... 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Bien que l'utilisation de la clause dérogatoire soit tout à fait légale, elle
ne peut pas porter sur les droits linguistiques que confère l'article 133
de la Loi constitutionnelle de 1867. Ainsi, le gouvernement du Québec a toute
la légitimité pour présenter ce projet de loi, mais il doit néanmoins le faire
dans le respect de l'article 133.
Le nouvel
article 7.1 de la Charte de la langue française, qui vient consacrer la
primauté de la version française des lois et règlements sur la version
anglaise, pose des difficultés. En effet, il est peu probable qu'en utilisant les principes d'interprétation moderne
généralement admis une divergence entre la version française et anglaise
d'une loi ne puisse se résoudre et il n'est donc pas nécessaire de prévoir une
telle mesure dans le projet de loi.
De plus, il faut s'interroger sur la
contradiction de l'article 7.1 proposé qui cohabiterait avec l'actuel
article 7 de la Charte de la langue française, qui n'est pas modifié par le
projet de loi et qui prévoit que les versions française et anglaise des textes
législatifs et réglementaires ont la même valeur juridique. La prépondérance
ainsi donnée à la version française pourrait être considérée comme visant à
nier le statut d'égalité des versions française et anglaise d'une loi ou d'un
règlement, et cela contreviendrait à l'article 133.
Les nouveaux articles 10 et 11 de la Charte de
la langue française prévoient qu'une version française soit jointe
immédiatement et sans délai à tout jugement rendu par écrit en anglais par un
tribunal judiciaire lorsqu'il met fin à une instance ou présente un intérêt
pour le public. Or, l'article 133 garantit aux juges la faculté de
s'exprimer dans la langue de leur choix dans leur jugement. La Cour suprême a
établi que ce choix appartient à celui qui parle.
En adoptant une telle exigence, il existe un
risque sérieux que les juges n'exercent pas leur véritable choix protégé par l'article 133.
S'ils choisissaient de l'exercer, cela entraînerait des délais supplémentaires
associés à l'obtention du jugement dans les versions française et anglaise. Par
exemple, on peut penser à un jugement de la chambre de la jeunesse relié à la
garde d'un enfant ou à un jugement portant sur la remise en liberté d'un accusé
attendant la tenue de son procès.
Par ailleurs, le projet de loi vient préciser
qu'il ne peut être exigé d'un candidat à la fonction de juge qu'il ait la connaissance
ou un niveau de connaissance spécifique d'une autre langue que la langue
officielle, sauf si le ministre de la
Justice et le ministre de la Langue française y consentent. Nous
croyons que cette modification importante au processus de nomination des
juges pourrait porter atteinte à l'indépendance judiciaire et ainsi miner la
confiance du public dans l'administration de la justice.
La Cour suprême a d'ailleurs précisé que
l'indépendance institutionnelle du tribunal relativement aux questions
administratives qui ont directement un effet sur l'exercice des fonctions
judiciaires est une condition essentielle de
l'indépendance judiciaire. Ces questions administratives ont été définies de
façon à comprendre l'assignation des juges aux causes, les séances de la
cour, le rôle de la cour ainsi que les domaines connexes de l'allocation de
salles d'audience et de la direction du personnel administratif qui exerce ces
fonctions.
La Présidente (Mme Thériault) : Et,
Me Claveau, je dois vous interrompre puisque le temps qui vous est imparti
est terminé. Désolée. Je vais aller du côté de M. le ministre. J'imagine qu'on
a aussi reçu votre mémoire, qui permettra certainement aux gens ici de
pouvoir... Non? Vous n'avez pas reçu le mémoire? Donc, on espère qu'on pourra
recevoir vos notes de discours ou votre mémoire pour pouvoir approfondir les
questions dans les échanges et réflexions lors de l'étude du projet de loi. M.
le ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Alors, merci,
Mme la Présidente. Me Claveau, Me Champagne, Me Le Grand Alary, merci de votre présence en commission
parlementaire. Effectivement, on sera heureux de recevoir votre mémoire
écrit.
Me Claveau, justement, là, sur
l'article 11... non, l'article 12 du projet de loi, sur lequel vous
venez de commenter, est-ce que, pour le Barreau du Québec, il est nécessaire,
pour être nommé à la Cour du Québec, d'être bilingue? Est-ce que, dans toutes
les circonstances, tous les juges de la Cour du Québec qui sont désignés, qui
sont nommés par l'État québécois pour siéger à la Cour du Québec, doivent tous
avoir une maîtrise de la langue anglaise? Est-ce que c'est la position du
Barreau du Québec?
Mme
Claveau (Catherine) : Je
répondrais non à cette question, ce n'est pas la position du Barreau du
Québec.
M. Jolin-Barrette : D'accord. Alors,
comment est-ce que je dois recevoir vos commentaires en lien avec
l'article 12 s'il y a une exigence systématique de la connaissance de la
langue anglaise pour être nommé à un poste de juge?
Mme Claveau (Catherine) : Bien, je
vous invite justement, lorsque vous verrez notre mémoire... Nous, l'important,
c'est de mettre l'emphase sur le fait que la fonction de juge, c'est une
charge. Et tout ceci est relié au respect de la séparation des rôles entre le
pouvoir judiciaire, pouvoir exécutif. Et la jurisprudence de la Cour suprême
s'est prononcée à plusieurs reprises, comme j'avais commencé à le dire, là,
pour bien distinguer ces rôles-là. Et cela inclut toutes les questions d'administration
de la justice, de leur cour. Et cela inclut la discrétion d'un juge en chef de
voir si, pour une certaine division, pour assurer le droit du justiciable à
recevoir... à être jugé dans la langue de son choix, c'est un... je vous
rappelle que c'est un droit qui est garanti par l'article 133, c'est un
droit constitutionnel. Alors cette discrétion-là, elle appartient, selon nous
et selon ce qui est prévu à la Loi sur les tribunaux judiciaires, à la Loi constitutionnelle...
c'est un pouvoir qui appartient au juge en chef.
M. Jolin-Barrette : Bien, je vais
exprimer mon désaccord fortement avec votre prétention, mais je vais reposer ma
question. Est-ce que, pour le Barreau du Québec, pour être nommé comme juge à
la Cour du Québec, il est nécessaire
qu'un avocat ayant 10 ans de pratique, dans toutes les circonstances, doive maîtriser la langue anglaise?
Et je vous rappellerais qu'à la lecture de
l'article 133 chacun des justiciables québécois peut être entendu, en
fait, peut faire des représentations dans la langue de son choix. Même chose
que le juge, également, peut s'exprimer dans la langue de son choix. Mais
est-ce que ça signifie que les 308 juges de la Cour du Québec doivent
maîtriser la langue anglaise au moment de leur nomination? Donc, est-ce que les
25 000 avocats qui souhaitent soumettre leur candidature à titre de
juge doivent avoir une maîtrise de la langue anglaise pour être nommés au
Québec?
Mme Claveau (Catherine) : Je croyais
avoir répondu déjà à la question. Ce n'est pas la position du Barreau.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur un
autre aspect, au niveau de la langue des jugements, on l'a dit, et vous l'avez
bien dit, le juge, en vertu de l'article 133, peut s'exprimer dans la
langue de son choix et rendre le jugement en anglais ou en français, comme il
le souhaite. Cependant, lorsqu'on est à la Cour suprême ou lorsqu'on est à la
Cour fédérale, bien, il y a des obligations de rendre également le jugement
disponible dans les deux langues officielles. Est-ce qu'il y a un enjeu du fait
que les Québécois et les Québécoises puissent avoir une copie en français du
jugement? Est-ce que ce n'est pas ça, protéger le public, le fait que les
Québécois et les Québécoises puissent avoir une copie d'un jugement au moment
du prononcé d'un jugement final pour comprendre le jugement, que les
justiciables québécois puissent savoir?
• (16 h 10) •
Mme Claveau (Catherine) : Je suis
tout à fait d'accord avec vous, M. le ministre, puis ce n'est pas l'objet de
notre commentaire dans notre mémoire. Je pense que je vais attirer votre
attention sur le fait que le jugement doit être rendu immédiatement et sans
délai pour le justiciable qui est anglophone, on s'entend que c'est un droit...
c'est un service essentiel, la justice. Le justiciable a le droit... Par exemple,
l'article 530, paragraphe 1° du Code criminel, une personne qui est
accusée a le droit d'avoir le procès dans la langue... dans sa langue
maternelle, l'une des deux langues. Si c'est l'anglais, dans ce cas-ci, et
que le jugement est rendu en anglais, et qu'on oblige la traduction immédiate
et sans délai, et que, pour des raisons administratives, cette traduction-là,
immédiate et sans délai, ne peut pas se faire, bien, le jugement, il est comme
réputé ne pas avoir été rendu. Ce qui fait que ce justiciable-là, par exemple,
qui serait en attente d'une remise en liberté, bien, resterait emprisonné le
temps que la traduction de son jugement se fasse. Alors, c'est dans ce sens-là.
Mais, pour répondre... Je vous avais répondu, au
début, à votre question, pour le droit du justiciable d'avoir un jugement en
français, qui le veut en français, pour nous, on ne peut pas être contre ça, le
Barreau, ce n'est pas ça notre position.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Donc,
je comprends que c'est un enjeu administratif et non pas légal? Donc, votre
crainte...
Mme Claveau (Catherine) : Bien, plus
que ça, c'est un droit fondamental. Pour certains cas, si le fait d'exiger une
traduction presque immédiate du jugement fait en sorte que cette obligation de
traduction là pourrait faire attendre quelques jours, effectivement, si la
traduction ne peut se faire, là, de façon simultanée, si on n'a pas
l'organisation suffisante pour le faire...
M. Jolin-Barrette : Mais, au
fédéral, notamment la Cour suprême, notamment la Cour fédérale, qui sont régies par la Loi sur les langues officielles, ce
sont des dispositions qui sont présentes, et eux, ça fonctionne. Alors,
pour l'État fédéral, ça serait correct,
mais, pour les tribunaux québécois, là on ne pourrait pas faire ça, là. Ça
fonctionne au fédéral.
Mme
Claveau (Catherine) : Je ne
répondrai pas vraiment à cette question-là. Si ça fonctionne au fédéral,
tant mieux. Mais ce que nous, on tient à
dire, c'est que le service... le droit... le service de justice, c'est un
service essentiel du citoyen, et le citoyen de langue anglophone a le
droit d'avoir un procès dans la langue de son choix, notamment.
M.
Jolin-Barrette : Et là-dessus je suis 100 % d'accord avec vous
sur cette position-là. Et je l'ai toujours dit, avec le projet de loi n° 96,
tous les droits de la communauté d'expression anglaise seront respectés et...
vont être respectés. La question est de savoir, par contre... et les
dispositions législatives qu'on met en place, c'est : Est-ce qu'il peut y
avoir davantage d'accès au français? Est-ce qu'on peut faire en sorte que les
justiciables québécois puissent recevoir un jugement dans leur langue, en français,
ou c'est uniquement une version anglaise qui est disponible? Alors, c'est le
sens. Et je l'ai dit, il n'y a aucun droit qui est retiré à la communauté
anglophone, et, surtout, l'article 133 s'applique. Mais, à l'intérieur de
l'article 133, est-ce qu'il y a une possibilité de faire en sorte de
promouvoir le français? Moi, je crois que oui. Je comprends que le Barreau a
certaines réserves.
Sur la question de l'article 7.1 qu'on
insère également, tout à l'heure, vous avez dit : Au niveau de
l'interprétation, les textes français et anglais ont une valeur égale au Québec,
en vertu de l'article 133, que ça soit les lois et les règlements qui sont
adoptés par le gouvernement du Québec. Cela étant, dans l'article 7.1, on
indique : «En cas de divergence entre les versions française et anglaise
d'une loi, d'un règlement ou d'un autre acte visé au paragraphe 1° ou 2° de l'article 7 que les règles
ordinaires d'interprétation ne permettent pas de résoudre
convenablement, le texte français prévaut.» Vous me direz, Me Claveau,
est-ce que ça arrive parfois que le juge, lorsque les règles d'interprétation
ne permettent pas de résoudre une question d'interprétation... fait en sorte
que le juge lui-même vient réécrire la disposition pour dire : Ah! la
véritable intention du législateur était celle-ci. Est-ce que ça arrive?
Mme Claveau (Catherine) : Je vais
inviter ma collègue Me Sylvie Champagne à répondre à cette question.
Mme Champagne
(Sylvie) : M. le ministre, ce que nous disons, c'est qu'en application des règles
d'interprétation, avec les deux versions, le juge, ce qu'il va regarder, c'est effectivement
de rechercher l'intention. Mais il ne va pas regarder juste les textes, il va
regarder également quelle est la finalité, quelle est... Des fois, ils vont
aller chercher les débats parlementaires
puis ils vont regarder aussi la disposition dans son contexte, puis ils vont
lui donner l'interprétation qui fait
le plus de sens. Et notre position, c'est qu'on n'a pas besoin de donner une
préséance à la version française
parce que les tribunaux vont être capables,
en regardant les deux textes qui ont valeur égale, de trouver l'intention du
législateur.
M. Jolin-Barrette : Donc, si je
vous suis, si jamais il y a ambiguïté au niveau des textes et que les règles d'interprétation
normales ne permettent pas de résoudre le conflit, donc le juge est face à ces
deux textes, ils ont une valeur égale. Il a appliqué toutes les règles d'interprétation
qui ont été édictées notamment par la jurisprudence, mais il se retrouve dans
un cul-de-sac. Alors, vous, vous préférez laisser ce pouvoir-là au juge, de
dire : Bien, je vais arranger la
version, c'est comme ça que ça va être interprété, plutôt que de permettre au législateur
de dire : Malgré toutes les différentes étapes qui ont été
prescrites, notamment par la jurisprudence, au niveau des règles d'interprétation,
la valeur égale des textes, vous dites : En bout de ligne, l'État québécois
ne devrait pas dire qu'est-ce qui... comment ça doit être interprété à la fin,
on laisse la discrétion judiciaire. C'est la position du Barreau.
Mme Champagne (Sylvie) : Non.
En fait, on laisse l'intention au législateur, au gouvernement, et donc c'est en
regardant les deux versions, de chercher l'intention du législateur, donc le
juge interprète. Mais il arrive, puis ça ne sera pas le seul cas où, des fois,
les lois doivent être précisées suite à la jurisprudence... et, si le législateur
n'est pas d'accord avec l'interprétation que les tribunaux a donnée, vont venir
modifier les lois pour réécrire quelle est la véritable intention du
législateur. Donc, ça, ça arrive, et même avec une version française qui est
parfaitement claire. Donc, pour nous, c'est vraiment
de laisser les principes d'interprétation des lois résoudre les difficultés
d'interprétation.
M. Jolin-Barrette : Et là, dans
ce cas-ci, on est avec un texte de loi, avec des législateurs autour de la
table qui souhaitent amener une précision sur l'intention du législateur. Et là
vous êtes en train de nous dire : Vous ne devriez pas spécifier
l'intention du législateur. On devrait maintenir le statu quo, laisser ça comme
ça, et que le législateur, lui, ne vienne pas préciser son intention.
Mme Champagne (Sylvie) : Mais
je vous dirais que, M. le ministre, ce qu'on demande, c'est de respecter ce que
prévoit l'article 133 de la Constitution à l'effet que les deux versions
ont valeur égale. Donc, on ne peut pas préférer une version sur une autre.
M. Jolin-Barrette : D'accord.
Sur la question de l'ordre professionnel et des communications, le projet de
loi permet la communication en anglais avec le public. Donc, ça, c'est très
clair, il n'y a pas de modification qu'ils sont
venus apporter avec ça. Mais, par contre, vous avez fait comme commentaire tout
à l'heure, Me Claveau, le fait que vous vouliez maintenir la possibilité de communiquer en anglais avec un
membre pour des raisons déontologiques ou autres. Mais, en même temps, le membre avocat qui doit maintenir une
connaissance appropriée de la langue française, c'est un juriste, c'est
un avocat, vous pensez réellement que, pour des motifs déontologiques, pour lui
expliquer une décision, il n'est pas en mesure de comprendre le français?
Je me questionne parce que, s'il doit maintenir,
tout au long de l'exercice de sa profession, une connaissance appropriée du français,
il va être capable de communiquer avec le syndic.
Mme Claveau (Catherine) : Tout d'abord,
c'est important de savoir que la majorité de nos communications avec nos
membres au Barreau du Québec, ça se fait en français, sauf exception. Nous
sommes d'avis que le libellé de l'article, au moment où on se parle, ne prévoit
pas quelques cas d'exception. Je vais vous donner un exemple. Le syndic appelle un membre qui a une plainte d'un client anglophone.
Et au cours de la conversation, au cours des communications, il y a, disons,
un... c'est un dossier très technique, avec des termes en anglais, et ce qui
permettrait au membre de donner la meilleure explication possible, ce serait de
pouvoir, au fil de la même conversation, pouvoir faire des passages en anglais,
pas exclusivement en français. C'est une question de protection du public en
même temps, qu'on soit capable, là, d'aller chercher et de donner les informations
plus précises.
Et, à ce moment-là, peut-être que ça prend une
connaissance plus grande que celle qui est la connaissance, là, qui existe, de
toute façon, actuellement, qui est une connaissance appropriée du français. Alors,
c'est dans des cas vraiment d'exception, je tiens à le redire, ce n'est pas
pour ouvrir une grande brèche qui va permettre au plus de membres possible de
pouvoir communiquer avec l'ordre en anglais.
M. Jolin-Barrette : Mais vous
convenez avec moi que n'importe quel membre du Barreau qui exerce sa profession
au Québec doit avoir une connaissance appropriée pour servir les citoyens en français.
• (16 h 20) •
Mme Claveau (Catherine) : Je
conviens parfaitement, et d'ailleurs c'est déjà prévu par la charte, et même
avant qu'elle soit modifiée. C'est une base, c'est un critère qui permet aux
membres, là, d'exercer la profession, une connaissance appropriée.
M. Jolin-Barrette : Et tout à
l'heure vous avez abordé le fait de dire : Bien, est-ce qu'il va devoir se
délester d'un mandat s'il n'a pas la connaissance appropriée de la langue spécifiquement
s'il ne le sent pas? Et je sentais que vous aviez un questionnement à cet
effet-là, mais est-ce vraiment différent que lorsqu'un membre du Barreau n'a
pas une connaissance appropriée d'un domaine de droit? Je crois bien que les obligations
déontologiques font en sorte qu'il ne peut pas effectuer le mandat. Supposons
que vous n'avez jamais fait de droit des assurances puis que vous avez fait du criminel
toute votre vie, je ne pense pas que, du jour au lendemain, vous pouvez
commencer une pratique en matière de droit des assurances. C'est un peu la même
chose pour la langue, non?
Mme Claveau (Catherine) : Vous avez
raison. Puis, lorsque vous allez lire notre mémoire, vous allez comprendre où
est-ce qu'on s'en va avec ça. C'est que le nouvel article de loi prévoit comme
une nouvelle infraction qui est surveillable et punissable par le syndic, par
exemple, qui est de ne pas pratiquer le français, là, dans une langue
appropriée. Et je réfère surtout à l'article qui dit qu'un professionnel ne
pourrait pas refuser un mandat parce qu'il ne se sent pas à l'aise dans la
langue française.
Voici un exemple concret. J'ai un mandat tout à
fait technique. Je suis... Ma langue, mettons, maternelle est anglaise, mais
j'ai une connaissance appropriée de la langue française, mais je sais que ce
dossier-là va être très «touchy», qu'il va y
avoir des contre-interrogatoires serrés, et, même si j'ai une connaissance appropriée
de la langue, dans certains, encore,
enjeux techniques ou précis, le professionnel ne se sent pas assez compétent
pour accepter le mandat.
Vous allez voir, dans le mémoire, ce qu'on vous
dit, c'est que, si vous maintenez cette exigence-là, on vous propose de prévoir l'option, si jamais c'était le
cas, justement en raison de l'obligation de compétence, ce serait
d'ouvrir et de permettre au professionnel qui est face à cette situation-là...
de son obligation de référer le dossier à un confrère pour s'assurer que ce
confrère-là ait une connaissance plus grande du français pour servir ce
citoyen-là. Encore une fois, protection du
public. Protection du public, ça mérite d'avoir un avocat qui connaît bien le
français puis qui prend bien son dossier en main.
Donc, ce serait de peut-être bonifier l'article
en offrant la possibilité à l'avocat qui sent qu'il n'a pas suffisamment de
connaissance en français de pouvoir le référer à un collègue. C'est un peu
comme les médecins qui, dans des cas comme ça, peuvent référer à un collègue.
La Présidente (Mme Thériault) : Et
je dois mettre... Désolée, Me Claveau...
M. Jolin-Barrette : Je vous
remercie, Me Claveau. Merci.
La
Présidente (Mme Thériault) : Merci. Je dois mettre fin à l'échange.
Donc, Mme la députée de Marguerite-D'Youville, vous avez
11 min 20 s pour vous.
Mme David : Il y avait deux
Marguerite : Bourgeoys et D'Youville
La Présidente (Mme Thériault) : Ah!
excusez-moi.
Mme David : Mais ce n'est pas grave,
les deux sont passées à l'histoire, alors ça va bien. Bonjour, Mme la
bâtonnière. Bonjour, ceux et celles qui accompagnent.
Écoutez, je vais aller tout de suite sur,
justement, l'article 12, qui est l'article 5 du projet de loi n° 96
sur la nomination des juges. Ce que l'on constate à la lecture de l'article,
c'est que, d'abord, il n'existait pas dans la Charte de la langue française
actuelle. Si on comprend bien, c'est un nouvel article, cet article 12, où
il est marqué qu'«il ne peut être exigé de la personne devant être nommée à la
fonction de juge qu'elle ait la connaissance ou un niveau de connaissance
spécifique d'une langue autre que la langue officielle sauf si le ministre de
la Justice et le ministre de la Langue française estiment que, d'une part,
l'exercice de cette fonction nécessite une telle connaissance et que, d'autre
part, tous les moyens raisonnables ont été pris pour éviter d'imposer une telle
exigence».
Est-ce
que j'ai raison de penser que, jusqu'à l'adoption de ce projet de loi, il
n'existe pas une telle disposition que cette disposition liée à l'interdiction
du bilinguisme?
Mme Claveau
(Catherine) : Oui, vous avez raison de penser ça.
Mme David :
Donc, un juge, jusqu'à maintenant, et jusqu'à l'adoption éventuelle du projet
de loi s'il n'est pas amendé, le ministre n'a pas à intervenir dans la question
linguistique, même s'il signe en bout de ligne. Le ministre de la Justice, je
parle, puisqu'il n'existe pas, pour l'instant, cette addition du ministre de la
Langue française, mais il n'a pas à regarder cette question. Il prend la recommandation,
j'imagine, de la juge en chef.
Mme Claveau
(Catherine) : C'est ça. Ça fait partie des pouvoirs de...
Mme David :
Des pouvoirs de la... Quand vous dites que c'est une atteinte à l'indépendance
judiciaire — on
entend souvent ça, nous, les profanes, là, les civils qui ne sont pas nécessairement
avocats — c'est
que ça fait partie de ce concept
d'indépendance judiciaire, la nomination des juges et la façon de décrire les postes, si
on veut. J'ai besoin d'un juge bilingue parce qu'il y a un volume tel
de... bon. Bien, je vais aller sur les délais après.
Mme Claveau (Catherine) : Bien, écoutez, d'abord, je reviens à la base, les juges ne sont pas les
représentants de l'État, ils remplissent une charge. Et c'est très important de
respecter le principe d'indépendance judiciaire pour notamment obtenir la
confiance du public dans l'administration de la justice.
Et ce rôle-là, et,
lorsque vous aurez l'occasion de lire notre mémoire, on l'explique très bien,
on fait référence au jugement qui consacre ce rôle-là en vertu de nos lois constitutionnelles,
et ça implique, pour le juge... qu'il
appartient au juge, là, de décider de ses rôles, de gérer sa cour. Et ça va
jusqu'à... selon les besoins de chaque district ou de chaque division,
s'il y a un besoin d'une personne bilingue ou non.
Mme
David : Mais, si je ne me
trompe pas, la nomination des juges aboutit quand même au Conseil des ministres.
Mme Claveau (Catherine) : C'est exact, le dernier mot... Mais, au Québec,
vous avez, depuis la commission Bastarache,
là, un processus qui est très rigoureux, qui est composé de,
bon... Alors, c'est supposé d'être non partisan, mais effectivement,
tout de même, la décision finale va au bureau du ministre.
Mme David :
Mais ce que vous dites, c'est que la question de la description de tâches ou
des exigences, entre autres, linguistiques n'existait pas avant, puisque
l'article 12 n'existait pas. Donc, c'était au juge en chef de dire :
J'aurais besoin d'un juge bilingue ou je n'ai pas besoin d'un juge bilingue. À
la limite, peut-être qu'avec la commission Bastarache le ministre pourrait
dire : Bien non, moi, je pense que tu n'as pas besoin d'un juge bilingue. Il aurait pu faire ça même sans l'article 12,
mais ça ne faisait pas partie nécessairement des coches à remplir. Là, ça fait
partie des coches, il faut que le ministre autorise le juge avant que le juge
affiche le poste. C'est ce que je comprends.
Mme Claveau
(Catherine) : C'est ça, oui.
Mme David :
O.K. Maintenant, les délais, parce que, là, écoutez, je ne suis pas une
spécialiste de tout ça, mais les délais, il peut y avoir toute sorte de monde
qui se présente. Il y a des arrestations pendant la fin de semaine. Il y a des
audiences qui doivent aller vite, etc. Les accusés, entre guillemets, ont
raison... on le droit d'avoir une audience en anglais ou en français, selon
l'article 133. Justement, vous y référez beaucoup. Avez-vous peur que,
justement, s'il y a moins de juges bilingues, ça... déjà les cours sont
embourbées, les délais sont très grands. Est-ce que ça peut augmenter, ces
délais-là?
Mme Claveau (Catherine) :
Dans notre mémoire, on fait allusion effectivement à ça, qu'il y a quand
même... surtout depuis l'arrêt Jordan, là, qui nous oblige quand même à
rendre une justice de manière diligente et sans délai, bien, le fait,
justement, là, d'obliger la traduction des jugements immédiatement, comme j'ai
dit tout à l'heure, pourrait faire... avoir une incidence sur les délais.
Mme David :
Puis on sait déjà que les délais, des fois, peuvent être assez longs avant de
passer en cour ou... bon.
Maintenant,
je vais aller sur justement l'inspection professionnelle. Je l'ai posée à
d'autres ordres professionnels parce que tous les ordres sont évidemment
rejoints par ça. Donc, évaluer la qualité de la langue française, j'ai noté que vous en avez vraiment parlé, et vous faites
appel presque au secours à l'OQLF pour dire : Comment on va faire
ça?
Moi, de ma
compréhension, mais là je ne suis plus membre d'un ordre professionnel, mais
j'ai été inspectrice moi-même, je n'évaluais évidemment pas la qualité de la
langue, on était inspecteurs, inspectrices pour nos qualités de la... liées à
la profession, pas liées à la langue. Alors, est-ce que c'est le cas dans votre
ordre professionnel? Les inspecteurs sont des avocats en pratique,
habituellement, et ils font des visites, il y a des... bon, et ils vont devoir évaluer un aspect qui ne fait pas partie de leur
compétence première, c'est-à-dire la langue, c'est transversal, c'est
tout... ça va s'appliquer à tous les ordres professionnels. Comment vous voyez
ça? Ça va faire partie de votre rôle maintenant dans l'inspection.
Mme Claveau
(Catherine) : Bien, écoutez, on l'indique dans notre mémoire, on
comprend que ça va faire partie d'une nouvelle responsabilité, un nouveau rôle,
mais ce qu'on indique cependant, c'est qu'on va vraiment avoir besoin de
l'assistance et de la collaboration des gens de l'Office québécois de la langue
française. Alors, c'est pour nous... et je
crois que tous les autres ordres professionnels sont du même avis, c'est quand
même une nouvelle charge. Et, par
rapport aux critères de suffisance ou non, on aura sûrement besoin de l'aide de
l'Office québécois de la langue française, là, pour nous assister dans
ce contrôle-là, si vous me permettez l'expression.
• (16 h 30) •
Mme David : Et j'ai l'impression
qu'il n'y a aucun ordre à date qui a appelé au secours l'OQLF pour dire :
Qu'est-ce qu'on fait avec ça? Parce que ce n'est pas juste d'inspecter la
qualité de la langue, mais après c'est le maintien. Ça dure longtemps, une
carrière. Là, ça peut durer 40 ans.
Mme Claveau (Catherine) : Même
chose.
Mme David : Comment on maintient,
quand on est... Vous allez être responsable du maintien d'une qualité... de l'évaluer en premier, mais la
réévaluer, comme on va chez le médecin à tous les ans, ou à tous les deux
ans, ou à tous les cinq ans. Il n'y a pas de prise de sang, là, pour la
qualité de la langue.
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
j'avoue, Mme David, qu'on partage les mêmes préoccupations.
Mme David : O.K. Bien oui, c'est un petit
peu inquiétant.
Maintenant, les ordres professionnels, vous avez
parlé de communication aux membres, communication individuelle. Mais moi, je veux vous amener un peu plus sur un mandat,
par exemple, en contre-interrogatoire, d'interroger ou de contre-interroger
un client, et il maîtrise la langue, mais pas suffisamment pour faire ça. C'est
une de vos craintes que ça ne donne pas le
service nécessaire au client, on pourrait dire, ou, dans ce cas-ci, c'est
l'accusé, ou c'est le prévenu, ou je ne sais trop?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
écoutez, ça...
Mme David : S'il n'est pas capable
de maîtriser la langue.
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
c'est parce que c'est sûr que le seuil, là, qui n'a pas changé, d'ailleurs, le
niveau de connaissance pour les professionnels, ce n'est pas ça qui est en
question, c'est plus quand il va vraiment avoir des questions plus techniques,
plus importantes, plus pointues pour un client anglophone, peut-être que ça
pourrait nécessiter que ce soit un avocat qui soit plus compétent, là, en
français ou en anglais. Donc, c'est tout vérifier, toute la question de
compétence versus la connaissance de la langue, pour nous, c'est des enjeux,
là, qui s'entremêlent, puis c'est important toujours, là, pour offrir le
meilleur service, là.
Mme David : Et c'est là où la...
peut se mêler à la qualité de la langue, c'est-à-dire si le procureur
dit : Moi, je n'ai pas la compétence pour contrer-interroger parce que...
donc, je ne rendrai pas service à la personne.
Mme Claveau (Catherine) : Voilà. On
peut s'intéresser... C'est pour ça qu'on propose que, dans ces cas-là, il
pourrait y avoir ouverture à l'avocat de référer le dossier à un collègue plus
connaissant dans la langue officielle.
Mme David : Oui.
Mme Claveau (Catherine) : Et, à ce
moment-là, bien, il ne violerait pas la nouvelle obligation où on l'oblige de
servir le justiciable en français.
Mme David : Il y a quelque chose qui
m'inquiète beaucoup, mais vous aussi, vous semblez être inquiète, c'est la
fameuse gradation de l'article 35.1, là, l'infraction qui est un acte
dérogatoire grave si la personne ne maintient pas la connaissance du français,
et que c'est une infraction qui est placée au même niveau, dans cet article du Code
des professions, que collusion, corruption, agression sexuelle, abus sexuel,
abus de pouvoir, etc. Pourquoi pensez-vous... Bien, vous êtes juriste, là.
Pourquoi vous pensez que le ministre a mis ça à ce tel niveau de gravité? Et
pourquoi il n'y a pas, comme vous dites... Vous, vous dites : Ramenons ça
à la déontologie, ramenons ça au syndic, peut-être, mais pourquoi aller au
niveau, on pourrait dire, d'une peine maximum?
Mme Claveau (Catherine) : Écoutez,
c'est difficile pour moi de vous donner mon opinion par rapport à ça. Moi, je
suis vraiment... Vous savez, nous autres, au Barreau, on est ici pour éclairer
la cour, pour voir avec eux les enjeux, les écueils. Puis, dans ce cas-ci,
peut-être qu'on peut parler d'un exemple concret. Par exemple, il me semble
que, tu sais, il faut faire confiance quand même au jugement de nos
professionnels. Il y a parfois des infractions qui mériteraient d'avoir une
plainte d'un syndic. Disons que c'est un professionnel qui néglige de suivre
la... de se perfectionner en français. Il a été averti une fois, deux fois,
trois fois. Là, on pourrait aller jusqu'à dire : Bien là, là, c'est rendu
que tu l'atteins, l'honneur à la dignité de la profession. Donc, voici, je
propose de te radier. Ça, ça pourrait exister.
Maintenant,
ça ne sera pas tous des cas comme ça. Il va peut-être avoir la personne qui
fait les efforts mais qui, pour certaines
circonstances, fait une première, disons, infraction, n'a pas la compétence
qu'on considère, mettons, convenable,
mais qui promet de prendre des cours, de s'améliorer. Alors, à ce moment-là,
l'inspection professionnelle ou le syndic pourrait avoir une discrétion,
surveiller le membre, mais pas aller tout de suite le condamner, tel qu'on peut
le faire sur... comme vous avez donné comme
exemple, les autres articles où est-ce que c'est vraiment, là, une
atteinte à l'honneur, à l'intégrité, à...
Mme David :
Ce que vous me...
La Présidente (Mme
Thériault) : Non, je suis désolée, Mme la députée.
Mme David :
Ah! c'est fini.
La Présidente (Mme
Thériault) : Malheureusement, il n'y a plus de temps, donc je dois
mettre fin à l'échange. Et je vais me
permettre de faire une petite mise au point avant de passer la parole à notre
collègue la députée de Mercier.
Me Claveau, mes collègues ont tous dit : Je n'ai pas reçu le mémoire.
Donc, j'étais très surprise puisqu'on a constaté que le mémoire a été
acheminé rapidement aux membres du Barreau. Il a été... Et j'ai fait des
vérifications.
Donc, je tiens à dire
à mes collègues : Nous avons reçu le mémoire au secrétariat vendredi. Pour
une raison que je ne suis pas capable de
vous expliquer, il n'a pas été transmis aux parlementaires. Donc, vous m'en
voyez désolée. On va vérifier nos processus à l'interne pour s'assurer
que ça ne se reproduise pas, parce que, pour avoir été assise dans vos sièges, je sais pertinemment bien, autant
le ministre que les députés, peu importe leur fonction, désirent prendre
connaissance des mémoires. C'est la manière de se préparer pour pouvoir mieux
avoir des échanges avec vous, et poser les questions pertinentes, et de
comprendre, souvent, les prises de position qui sont faites par nos invités.
Donc, je pense qu'il
est important de faire cette mise au point là. Donc, sans plus tarder, je vais
passer la parole à ma collègue la députée de Mercier. Et nous allons s'assurer
que ça n'arrive plus dans le secrétariat qui touche notre commission. Merci.
Mme Ghazal :
Très bien. Merci.
Mme Claveau
(Catherine) : Merci, Mme la Présidente. Je tiens à dire que ça me
rassure, parce que moi, j'ai tellement vérifié ça vendredi dernier, que ce soit
fait. Alors, ouf! Nous, on l'a transmis. Mais je suis désolée quand même, parce
qu'effectivement ça aurait été plus productif. Allez-y, je ne veux pas vous
faire perdre votre temps.
La Présidente (Mme
Thériault) : Pas de problème, ce n'est pas chez vous. J'ai vérifié
parce qu'il y avait vraiment un malaise ici. Donc, Mme la députée de Mercier,
c'est à vous. 2 min 50 s.
Mme Ghazal :
Merci. Merci, mais on vous a écoutées attentivement, ce qui fait que je vais
pouvoir vous poser des questions dans mon 2 min 45 s.
Par rapport à la clause dérogatoire, vous dites qu'elle est anticonstitutionnelle à cause de l'article 133, mais il y a d'autres constitutionnalistes, comme, juste avant vous,
M. Benoît Pelletier... dit exactement le contraire. Est-ce que vous pouvez
expliquer plus en détail pourquoi est-ce que le projet de loi n° 96
contrevient à l'article 133?
Mme Claveau
(Catherine) : Excellente question. Je vais passer la question à Me
Sylvie Champagne, qui sera mieux à même de vous répondre.
Mme Champagne
(Sylvie) : Alors, ce qu'on... on ne dit pas que le projet de loi n° 96 est complètement inconstitutionnel. La clause
dérogatoire, comme Me Pelletier l'a expliqué tout à l'heure, c'est que ça
permet de déroger à certaines dispositions
de la Loi constitutionnelle de 1982, donc les articles 2 et 7 à 15 de la
charte. Et ça ne permet pas de déroger à l'article 133 de la Loi
constitutionnelle de 1867. Et donc certaines dispositions, selon notre opinion,
risquent d'être contestées, du projet de loi
n° 96, parce qu'elles violeraient l'article 133,
auquel on ne peut pas déroger.
Mais,
je vous rassure, les clauses dérogatoires, on peut les utiliser, ça permet de
valider certaines autres dispositions du projet de loi n° 96.
Ce n'est pas tout le projet de loi n° 96 qui risque
d'être contesté.
Mme Ghazal :
Quelles dispositions du projet de loi? Parce que vous dites que ce n'est pas
l'ensemble, mais certaines. Ce seraient lesquelles, si vous pouvez en nommer?
Mme Champagne
(Sylvie) : Bien, quand vous aurez le mémoire, vous allez le voir, mais
c'est surtout au niveau de l'article 7.1 de la Charte de la langue
française. Par contre, je tiens à dire que l'article 8, tel que modifié,
il serait constitutionnel en vertu de l'arrêt Blaikie, le deuxième, de la Cour
suprême du Canada. Donc, ça, ce serait constitutionnel. Ensuite, les articles
qui demandent que les jugements soient traduits immédiatement, on pense que ça
pourrait violer aussi l'article 133. Je pense que cet article-là, c'est
l'article 10.
Mme Ghazal :
Vous avez raison, on va pouvoir regarder tout, oui, on va pouvoir...
Mme Champagne (Sylvie) : 10 et 11.
Voilà.
Mme Ghazal :
Parfait. Et puis donc ce serait possible d'utiliser la clause dérogatoire pour
ces dispositions-là, là — puis
on va regarder votre mémoire — au lieu de l'utiliser partout, pour toute
la loi.
J'avais une autre question rapidement. Est-ce
que vous êtes d'accord avec le principe que tous les membres des ordres
professionnels doivent maîtriser le français, même s'ils travaillent dans des
institutions anglophones?
Mme Claveau (Catherine) : Oui, parce
que, vous savez, de toute façon, actuellement, cette exigence-là ne contient
pas ces exceptions-là. Et, comme je l'ai dit tout à l'heure, la majorité de nos
membres pratiquent en français, et le maintien de cette obligation-là pour
l'ensemble des membres, nous sommes tout à fait en faveur de cela.
La
Présidente (Mme Thériault) :
Merci, Me Claveau. Je vais aller maintenant
du côté du député de Matane-Matapédia. M. le député.
• (16 h 40) •
M.
Bérubé : Merci, Mme
la Présidente. Bienvenue dans cette commission. Ma première question :
Combien de vos membres, à votre connaissance, ont une pratique unilingue en
anglais?
Mme Claveau (Catherine) : Je n'ai
pas les statistiques exactes, là, mais ce n'est certainement pas une majorité
de nos membres qui pratiquent en... J'ai quelques chiffres que je peux vous
donner, et ce sont des chiffres qu'on a pris dans la dernière inscription
annuelle, donc en mars 2021. Nous avons 84 % d'avocats qui ont comme
langue maternelle le français. On a 10 % d'avocats qui ont comme langue
maternelle l'anglais. Le nombre d'avocats ayant une autre langue parlée,
français, c'est un pourcentage de 16 %. Le nombre d'avocats ayant une
autre langue parlée, l'anglais, est 84 %. Et le nombre d'avocats ayant une
autre langue parlée autre que le français ou l'anglais, 18 %. Donc, ce
sont les... Ce n'est peut-être pas une réponse directe à votre question, mais
ce sont les statistiques que je peux vous donner.
M. Bérubé : Parce que ça conditionne
tout le reste. Si vous faites les représentations que vous faites, notamment
quant à la connaissance du français, ça doit s'appuyer sur des données
probantes, une fine connaissance de vos membres. C'est important de le savoir.
J'imagine, je ne suis pas un juriste, mais que, pour obtenir son permis de
pratique, ça prend une connaissance suffisante du français, n'est-ce pas?
Mme Claveau (Catherine) : Bien sûr.
M.
Bérubé : Bon, c'est une des conditions. Alors, des avocats ont une
connaissance satisfaisante du français, et choisissent d'exercer leur profession qu'en anglais — c'est bien ça? — et vous demandent de nous dire de ne rien
changer.
Mme Claveau (Catherine) : Ce n'est
pas ce que je dis.
M. Bérubé : C'est ce que je dis.
Mme Claveau (Catherine) : C'est ce
que vous dites, d'accord, mais ce n'est pas ce que le Barreau pense et ce n'est
pas ce que le Barreau prône.
M. Bérubé : Ah! bien là,
éclairez-moi, maître.
Mme Claveau (Catherine) : Je répète
qu'on est en faveur de l'objectif de renforcer la langue française à titre de
langue de la législature et de la justice puis aussi de favoriser l'utilisation
de la langue française pour nos membres. C'est ce qu'on privilégie.
M. Bérubé : D'accord. Mais il y a
des éléments du projet de loi du ministre, en ce qui a trait aux ordres
professionnels notamment, qui ne vous satisfont pas. Vous ne souhaitez pas
qu'on en demande plus, c'est bien ça?
Mme Claveau (Catherine) : Bien, ce
qu'on dit, c'est qu'il y a certains risques à certaines dispositions. On pose
des pistes de solution pour que ça permette toujours de nous permettre
d'atteindre notre objectif principal, nous, comme ordre professionnel, c'est de
protéger le public. Et alors c'est dans cette optique-là qu'on propose cela.
M. Bérubé : Est-ce que le public se
plaint auprès de vous qu'il y a... que ça les brime d'avoir des avocats qui parlent français en plus de parler anglais? Ou ils
aimeraient... certains cas, ils aimeraient des unilingues anglophones?
Ils vous disent : Défendez ça?
Mme Claveau (Catherine) : Écoutez,
ce n'est pas à ma connaissance.
M. Bérubé : Merci. Pas d'autres
questions, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Et ceci met fin à l'échange. Et, avant de vous remercier, je tiens à préciser que tous les parlementaires ont reçu
copie de votre mémoire par le site Greffier il y a exactement neuf
minutes.
Donc, je vais suspendre les travaux
pour permettre à l'autre groupe de prendre la place. Merci de votre
contribution à nos travaux, mesdames et messieurs.
Une voix :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Au revoir.
La Présidente
(Mme Thériault) : Merci.
(Suspension de la séance à
16 h 43)
(Reprise à 16 h 47)
La Présidente (Mme
Thériault) : Donc, à l'ordre! Nous allons poursuivre nos travaux. Et
nous recevons maintenant le troisième groupe de l'après-midi, l'Ordre des traducteurs, terminologues
et interprètes agréés du Québec.
Donc, sans plus
tarder, je vous invite à vous présenter, présenter les personnes qui vous
accompagnent et, après ça, faire la lecture de votre mémoire.
Ordre des traducteurs,
terminologues et
interprètes agréés du Québec (OTTIAQ)
M. Barabé (Donald) : Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, l'Ordre des
traducteurs, terminologues et interprètes
agréés du Québec, l'OTTIAQ, vous remercie de l'invitation qui nous est faite de
participer aux consultations tenues dans le cadre de l'important projet de loi n° 96. Je me présente, Donald Barabé, traducteur agréé et
président de l'ordre, de l'OTTIAQ, et je vous présente ma collègue,
Mme Betty Cohen, qui est une ancienne présidente de la Fédération
internationale des traducteurs, mais surtout la première présidente de l'ordre
lors de sa création. Et je ne dirai pas à quand ça remonte, parce qu'elle m'en
voudrait à mort.
En tant qu'ordre des
langues et de la langue, parce qu'il faut savoir que la traduction au Québec se
fait principalement, très largement, vers le français, l'OTTIAQ tient à
souligner qu'il appuie le projet de loi n° 96 et qu'il salue la volonté du gouvernement de renforcer à la
fois l'usage et la qualité du français. La qualité du français, c'est
une composante essentielle à sa valorisation, au français.
Un mot sur l'OTTIAQ.
En raison de son champ d'expertise qui lui est propre, l'OTTIAQ a un double
mandat de protection du public. Le premier, il le partage avec tous les autres
ordres, c'est de protéger le public contre des préjudices, dans notre cas, dus
à une traduction erronée, une terminologie fautive ou une interprétation
erronée aussi.
Le deuxième mandat
qui lui est propre, c'est de protéger la société québécoise contre
l'acculturation, l'assimilation culturelle. L'OTTIAQ est donc, dans les faits,
dans un sens, l'ordre de la protection des droits linguistiques. Ce n'est pas le seul organisme qui protège les droits
linguistiques, mais il joue un rôle fondamental dans la protection des
droits linguistiques des Québécois.
• (16 h 50) •
Le Québec occupe une
place exceptionnelle dans l'histoire de l'humanité. Il y a bien des communautés
dans l'histoire de l'humanité qui ont été et qui sont encore isolées, mais
jamais aucune n'a été entourée d'un bloc aussi imposant et aussi monolithique
sur les plans économique, culturel et linguistique, et un bloc qui, en plus, a
la caractéristique de parler la lingua
franca, c'est-à-dire la langue la plus répandue et la plus utilisée dans le
monde, l'anglais. Alors, c'est une
situation exceptionnelle que vit le Québec, d'où la nécessité de protéger le
français dans ces circonstances.
La traduction occupe
une place prépondérante au Québec. Vous savez, la qualité première d'une
traduction, c'est son invisibilité, les gens ne s'en rendent pas compte. Alors,
le Québec est l'endroit dans le monde, sans doute l'endroit dans le monde, où
il se fait le plus de traduction, toutes proportions gardées, toutes
proportions gardées.
Elle
permet, la traduction, aux Québécois d'exercer leur droit constitutionnel — je ne suis pas constitutionnaliste,
mais c'est quand même un droit constitutionnel — de ne pas parler
l'autre langue officielle. Le pays est bilingue, mais les citoyens canadiens et
québécois n'ont pas à l'être. Elle permet aussi à l'État québécois de
fonctionner en français tout en communiquant avec la communauté anglophone dans
sa langue, et tout ça.
Sur le plan
économique, la traduction permet de commercer avec les autres provinces et avec
les autres pays, parce qu'il faut savoir que les exportations, qui représentent
46 % du PIB québécois, donc 0,46 $ sur chaque dollar qui est gagné au
Québec dû aux exportations, ça ne peut se faire que dans la langue des marchés
cibles. Alors, la documentation, lorsqu'on exporte des produits québécois en
Russie, en Allemagne ou en Italie, elle doit être dans la langue de ces pays-là. Alors, c'est fondamental.
C'est donc, la traduction, un gage d'ouverture sur le monde... du Québec
sur le monde et un rempart contre l'acculturation.
Mais, pour assurer la
qualité du français et la protection du public, l'ordre pense qu'il y aurait
lieu de clarifier certains articles du projet de loi n° 96. Par exemple,
aux articles 5 et 32, le projet de loi introduit la notion de «traduction
certifiée» et la confirme dans l'article 116. En fait, ce que le projet de
loi fait avec ces articles-là, c'est qu'il dit que, lorsque le citoyen... les
citoyens québécois ont droit à avoir une version dans leur langue des textes
qui sont prévus à ces articles-là et que, si cette version-là, l'originale,
n'est pas dans leur langue, ils ont droit à une traduction. Et ce que ces articles-là disent également, c'est que cette
traduction-là, cette version-là, elle doit être fiable. Et comment on la
rend fiable? En certifiant la traduction, en certifiant qu'elle est conforme à
l'original.
Dans l'état actuel du projet de loi n° 96,
la certification peut être faite par n'importe qui puisqu'on ne précise pas qui est autorisé à la faire. Or, l'Internet
regorge de personnes et d'entreprises qui prétendent qu'ils peuvent
traduire et certifier
à peu près tout. Or, il importe de préciser que la certification doit être
faite par un traducteur ou une traductrice agréé parce que l'OTTIAQ est
le seul à avoir une structure qui permet de certifier la compétence de ses
membres. Ça, c'était notre première recommandation.
Notre deuxième recommandation porte également
sur l'article 5, qui prévoit les conditions dans lesquelles les jugements
d'un tribunal judiciaire ou les décisions rendues dans l'exercice d'une
fonction juridictionnelle sont traduits.
Pour les mêmes enjeux de protection du public, alors le double mandat de
protection du public, protection contre une traduction fautive et
protection de la qualité de la langue, l'OTTIAQ estime que ces jugements et
décisions devraient être traduits ou leur traduction devrait être certifiée par
un traducteur agréé.
Et enfin, à l'article 66 du projet de loi,
on précise que, et là je vais citer : Lorsque le français côtoie d'autres
langues, la version française doit être comprise sans se reporter à une version
dans une autre langue. On a tous vécu ça, voir des instructions qu'on ne
comprend pas, et il faut lire dans une autre langue. C'est à la fois un peu...
c'est à la fois frustrant, j'oserais même dire peut-être insultant, mais c'est
aussi parfois périlleux lorsque la traduction porte sur des documents, des
notices d'utilisation, par exemple, de produits toxiques, de produits dangereux
ou de produits à usage restreint. Alors,
l'OTTIAQ estime que cette version française là qui pose problème, ce n'est
jamais l'original, c'est toujours la version traduite en français. Alors,
l'OTTIAQ recommande que cette traduction-là soit faite par un traducteur ou
traductrice agréé, parce qu'il y a un double enjeu de protection du public.
Alors, les traducteurs agréés, et je vais
terminer là-dessus, exercent dans une foule de champs de compétence spécifiques, alors pas chacun, alors, mais chacun
de nos membres exerce dans des champs bien précis, et ils possèdent les compétences nécessaires pour certifier les
traductions, ce qu'ils font déjà, d'ailleurs. Alors, ils offrent toutes les
garanties qui sont prévues au Code des professions et, si jamais il y avait un
problème, ils offrent aussi des recours, tous les recours que prévoit le Code
des professions.
Alors, ça fait le tour de notre exposé. On sera
très heureux d'accueillir vos questions.
La
Présidente (Mme Thériault) : Parfait. Merci beaucoup, M. Barabé.
Donc, sans plus tarder, M. le ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, Mme la
Présidente. M. Barabé, Mme Cohen, bonjour. Bienvenue à l'Assemblée.
Merci de participer aux travaux du projet de loi n° 96.
Écoutez,
d'entrée de jeu, je veux qu'on aborde la question du libellé de certaines
dispositions du projet de loi, qui fait
référence à «traduction certifiée». Vous, vous souhaitez qu'on ajoute
«traduction certifiée par un traducteur agréé».
M. Barabé (Donald) : C'est ça.
M. Jolin-Barrette : Donc, je
comprends, un traducteur qui est membre de l'ordre professionnel.
M. Barabé (Donald) : Exact.
M. Jolin-Barrette : Quelle est
l'importance de rajouter «certifiée par un traducteur agréé»? Qu'est-ce que ça
va changer, le fait qu'on viendrait inscrire ça dans le projet de loi?
M. Barabé (Donald) : Je vais y aller
a contrario, là, le fait que ce n'est pas inscrit, ça veut dire que n'importe
qui peut prétendre pouvoir certifier la traduction de ces documents-là. Alors,
si le législateur a estimé qu'il y avait, à ce point, des enjeux de protection
du public contre des risques de préjudice, qu'il a créé un Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés
pour protéger le public contre les risques d'une mauvaise traduction,
alors il nous semble logique et cohérent de dire que, lorsque la traduction
doit être certifiée, elle devrait être certifiée par les personnes qui ont le
mandat de protéger le public dans le domaine de la traduction, donc les
traducteurs agréés.
M. Jolin-Barrette : Et on comprend
que les traducteurs qui sont membres de l'ordre professionnel ont une formation
et sont soumis à des règles déontologiques avec des inspections professionnelles,
il y a également un syndic. Quelle est la formation pour être traducteur?
M. Barabé (Donald) : C'est une
formation qui est tout à fait comparable à celle de tous les membres des autres
ordres, c'est une formation universitaire spécialisée en traduction.
M. Jolin-Barrette : Combien de
membres compte l'ordre? Et, dans l'éventualité où on ajoutait le fait que les
traductions doivent être certifiées par un traducteur agréé, est-ce qu'il y
aurait suffisamment de traducteurs agréés pour répondre au volume, aux besoins
qu'il y a dans le projet de loi, notamment pour les pièces de procédure?
M. Barabé (Donald) : Oui. L'ordre
comptait, il y a deux jours, 2 588 membres, et donc il n'y a pas de
problème de nombre de membres. Juste pour peut-être situer les choses
là-dessus, notre recommandation 1, qui porte sur les articles 5, 32
et 116, ces documents-là ne représentent pas 1 % de la demande de tout ce
qui est traduit au Québec, moins de 1 %, alors arrondissons-le à 1 %.
La recommandation 2, les jugements et les décisions, c'est, encore là, à
peu près 1 % de la demande. La recommandation 3... puis ça nous
amènerait, au total, peut-être à 10 %, recommandations 1, 2, 3, au
total, 10 % de tout ce qui se fait comme traduction au Québec.
M.
Jolin-Barrette : Donc, je comprends de votre propos qu'il ne manque
pas de traducteurs agréés. Et on a eu le Barreau du Québec qui est passé avant
vous et qui nous dit : Ça risque de ralentir la justice, ça risque
d'amener des délais supplémentaires, le fait d'avoir une traduction
immédiatement et sans délai. Est-ce que les craintes sont fondées? Est-ce qu'il
y a une pénurie de traducteurs agréés au Québec?
• (17 heures) •
M. Barabé (Donald) : Non, il n'y a
pas une pénurie de traducteurs agréés. Et, en plus de ça, comme on est un ordre à titre réservé et non pas à exercice
exclusif, si le projet de loi... si le législateur décidait de donner suite à
nos recommandations, donc d'ajouter les mots
«par un traducteur agréé» dans les articles où on fait notre
recommandation, il y a un certain nombre des personnes qui exercent en dehors
de l'ordre qui demanderaient à joindre l'ordre.
Au total, au Québec, selon Statistique Canada,
le recensement le plus récent, 2016, il y a 8 625 traducteurs,
terminologues et interprètes qui exercent, qui gagnent leur vie avec ça au
Québec, et, là-dessus, 30 %, 2 600, sont membres de l'ordre. Et
on a vu, dans tous les ordres à exercice... à titre réservé qui ont obtenu des
actes réservés, on a vu le membership augmenter énormément. Alors, il n'y a
vraiment pas d'enjeu, il n'y a vraiment pas d'enjeu de capacité, absolument
pas.
M. Jolin-Barrette : Et le fait
d'exiger un traducteur agréé ferait en sorte d'assurer la qualité de la
traduction des documents qui sont visés. Je voudrais vous demander quelle est
l'importance d'avoir une traduction de jugement en français au Québec, un
jugement de la cour.
M. Barabé (Donald) : Ah! c'est
fondamental. Je pense que c'est un droit linguistique fondamental. Alors, il
faut comprendre ce... Si je suis une des parties visées par ce jugement-là, je
dois absolument comprendre tous les tenants
et aboutissants de ce jugement-là, et, pour bien le comprendre, ce jugement-là,
il faut que ça soit dans ma langue maternelle. Alors, c'est... pour nous,
c'est absolument fondamental.
M.
Jolin-Barrette : Le Barreau
du Québec, avant vous, avait des réserves sur le fait que les ordre
professionnels, suite au projet de loi
n° 96, vont devoir communiquer en français avec leurs membres. Est-ce que
l'ordre des traducteurs a un enjeu avec le fait de cette imposition-là,
du fait que les membres d'un ordre professionnel, au Québec, devraient avoir
une maîtrise adéquate de la langue française?
M. Barabé
(Donald) : Non. Je... Mais
l'ordre, l'OTTIAQ, est dans une situation qui... vous savez, les langues
et l'évaluation de la compétence linguistique, c'est notre pain et notre
beurre, on fait ça toujours, tout le temps. Dans toutes les inspections que
l'on fait, l'inspection porte sur ça, l'évaluation de la compétence
linguistique. Alors, l'OTTIAQ communique en français avec tous ses membres.
Tous ses membres communiquent en français avec l'ordre. Alors, pour nous, ça ne
pose pas d'enjeu actuellement.
M. Jolin-Barrette : Vous avez abordé
l'aspect économique, tout à l'heure, pour les traducteurs. Est-ce que je dois comprendre, du fait qu'il n'y a pas d'acte
réservé au niveau de votre ordre et que lorsqu'on parle de traduction
certifiée, tous et chacun peut faire une traduction certifiée, ça fait en sorte
que des traductions pourraient être faites ailleurs dans le monde que plutôt
qu'au Québec par des gens qui oeuvrent dans ce domaine-là?
M. Barabé (Donald) : C'est actuellement
le cas. C'est actuellement le cas.
M. Jolin-Barrette : Et est-ce que vous
avez évalué combien de contrats quittent le Québec?
M. Barabé (Donald) : C'est très
difficile d'avoir cette... c'est extrêmement difficile d'avoir ce volume-là,
mais, puisqu'on connaît le milieu, et tout ça, et qu'on voit comment les choses
circulent, on sait que ça se produit. Je n'oserais pas avancer un chiffre, mais
je dirais que ce n'est pas considérable, mais ce n'est pas négligeable non
plus.
M. Jolin-Barrette : Et je reviens
sur l'aspect de la justice encore une fois. L'importance, pour vous, d'avoir...
que ce soit par un traducteur agréé sur ces types de procédures là, c'est en
raison du fait de l'importance de la nature de la procédure et des conséquences
qu'il peut y avoir.
M. Barabé
(Donald) : Oui, exactement.
Exactement. Alors, si ce n'est pas conforme à l'original, si
l'original dit blanc et que la traduction dit noir ou que la traduction dit
beige, il y a des conséquences, là, il y a des conséquences. Alors, il y a des
risques de préjudice non négligeables, et on pense que c'est... Et c'est
cohérent aussi avec l'ensemble de la législation. Alors, il faut interpréter
ces dispositions-là en fonction des autres lois, et, dans les autres lois, il y
a le Code des professions, et le législateur a établi qu'il y a un risque de
préjudice en matière de traduction, étant donné la prépondérance que la
traduction occupe... la place prépondérante que la traduction occupe dans la société
québécoise, due à notre position, là, géopolitique.
M. Jolin-Barrette : Et vos membres
ont les compétences pour faire de la traduction dans le domaine de la justice, notamment
la traduction judiciaire.
M. Barabé (Donald) : Absolument.
M.
Jolin-Barrette : Il n'y a pas d'enjeu à ce niveau-là.
M. Barabé
(Donald) : Absolument.
Non. Absolument pas. Absolument pas. Alors, nos membres travaillent dans des domaines qui vont littéralement, là, de
l'actuariat à la zoologie, vraiment, et en passant... on l'a mis dans le
mémoire, je vais citer le mémoire là-dessus, en passant par le droit, le génie,
la médecine et tous les autres domaines. Allez-y.
Mme Cohen (Betty) : Excusez-moi,
c'est ce que je... on en parlait hier, justement, et j'aimerais... C'est que, justement,
le marché québécois de la traduction est tellement actif, est tellement gros, finalement,
que nous sommes à peu près le seul pays du monde où un traducteur peut faire
carrière toute sa vie en se spécialisant dans un seul domaine parce que la
demande est suffisante pour ça. Donc, quand un traducteur est spécialisé au Québec,
il est vraiment spécialisé parce qu'il a le marché suffisant pour ne faire que
ça, et donc d'approfondir ses compétences à mesure. Donc, c'est quand même
important.
M. Jolin-Barrette : Écoutez, je vous
remercie pour votre passage à la commission parlementaire. J'ai des collègues
qui souhaitent poser des questions. Un grand merci pour votre présence.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Nous allons aller du côté du député de Saint-Jean. Et vous avez
6 min 15 s pour compléter l'échange.
M. Lemieux : Merci, Mme la
Présidente. Mme Cohen, M. Barabé, content de pouvoir vous parler.
Hier, on a vécu une expérience d'interprétation qui m'a laissé songeur. Et je
suis content de pouvoir en reparler avec vous parce qu'on vient de se
concentrer beaucoup sur la traduction, mais l'interprétation fait aussi partie
de ça.
Mais, d'abord, vos premiers mots, vos premières
secondes de témoignage m'ont beaucoup interpellé. Vous avez parlé de la qualité de la langue, vous avez insisté, souligné,
surligné la qualité de la langue comme une valorisation. Je suis de ceux
qui vont répéter probablement toute leur vie que le français va toujours avoir
besoin d'être protégé au Québec. Il me semble que c'est une évidence. Donc, on
se bat contre ce qu'on craint être un déclin, ce qu'on mesure maintenant être
un déclin et ce qu'on voit.
Mais vous, vous avez parlé de la qualité comme
étant comme un puissant levier par rapport à combattre l'acculturation, qui
amène à l'assimilation, ce sont vos mots. Et vous parlez à un gars qui a passé
presque 20 ans de sa vie hors Québec. Je comprends très bien ces mots qui
font toujours mal à ces sociétés qui sont en train de se faire assimiler, si ce n'est déjà fait dans certains
cas. Donc, la qualité est aussi importante que la quantité. Nous, quand on
regarde les immigrants, la francisation,
tout ça, on regarde des chiffres quantitatifs. Le qualitatif n'y est pas
beaucoup aussi, donc.
M. Barabé (Donald) : Le qualitatif
est fondamental, sinon, à ce moment-là... Écoutez, pour prendre un exemple très
simple, si les 2 600 membres de l'ordre se mettaient à canceller des
appointements dans leurs traductions, ça aurait un impact sur la qualité de la
langue et ça aurait un impact assimilatoire important.
Des voix : Ha, ha, ha!
M. Lemieux : On va canceller votre
dernière réponse, O.K.?
• (17 h 10) •
Des voix : Ha, ha, ha!
M. Lemieux : Mais c'est important
parce qu'on joue avec... on ne joue pas, mais on mesure et on essaie de trouver les leviers pour aider... contrer le
déclin, aider la survie du français, donc s'en aller à l'opposé de
l'assimilation. Mais, si on le fait seulement en parlant de noms de personnes
qui parlent français à la maison, au travail, on oublie que cette qualité-là,
si elle s'atrophie, bien, on est tirés par le fond.
M. Barabé (Donald) : Ah! absolument,
absolument. Et, en fait, ce qui se passe, étant donné la situation tout à fait
exceptionnelle dans laquelle on se trouve, entourés d'une mer anglophone, c'est
qu'à ce moment-là on assiste tranquillement à une anglicisation de la langue,
et là une perte de sa nature essentielle. C'est ça.
M. Lemieux : Regardez sous votre
table, il y a une boîte de Pandore. Je vous demanderais de l'ouvrir, s'il vous
plaît, et de nous parler de la qualité du français quand on regarde ailleurs
dans le monde. Parce que vient toujours...
C'est anecdotique, vous allez me dire, mais il vient toujours, dans les
conversations sur le français, à quel point les Français de France
châtient la langue, s'américanisent, et tout ça. Parce qu'il faut qu'on parle
dans l'ensemble, il faut qu'on parle, il faut qu'on... Quand on travaille sur
notre loi, sur ce qu'on veut faire, il faut qu'on n'ait pas des oeillères
seulement chez nous, il faut qu'on tienne compte du monde dans lequel on vit.
M. Barabé (Donald) : Absolument. Je
pense que ma collègue voudrait...
M. Lemieux : Oui, elle a levé la
main. Je pense qu'elle est interpellée.
M. Barabé (Donald) : C'est ça.
Mme Cohen
(Betty) : Je lui fais signe quand je veux dire quelque chose. Bien, je
peux réagir aussi, parce que je suis d'origine... Ça fait 46 ans que je
suis au Québec, donc je suis plus Québécoise que n'importe quoi. Mais, bon, en
tant que d'origine française, je peux vous le dire, effectivement, il y a un
danger pour la langue française un peu partout. En revanche, en France, ils
sont... ça relève un peu de la mode. Ça relève d'une mode, ça relève de
vocabulaire, ça ne relève pas de structures de langue.
Au Québec, le problème qu'on a parfois et qu'on
peut constater, c'est que l'anglicisation se fait dans la structure de la
phrase. Et ça, c'est... C'est ça qui est pernicieux, finalement.
M. Lemieux : On fait plus
d'anglicismes lexicaux et grammaticaux qu'on ne le pense.
Mme Cohen (Betty) : C'est ça. C'est
ça, alors qu'en France, puis je ne vais pas m'étaler là-dessus trop longtemps,
mais c'est plutôt un phénomène de terminologie, les trois quarts du temps,
passagère.
M.
Lemieux : Il me reste juste deux minutes, et je voudrais, avant de
parler d'interprétation une petite minute, je voudrais revenir sur un
passage de votre mémoire qui m'a presque ému : «...d'exercer leur droit
constitutionnel de ne pas parler l'autre langue officielle...» C'est fort, ça.
C'est... Quand on y pense, là, je veux dire, vous me l'avez écrit, je l'ai lu,
puis là j'ai fait : Wow!
M. Barabé (Donald) : Et c'est un
fait, et c'est un fait. Dans une vie antérieure, j'étais responsable de la
traduction pour tous les ministères et organismes fédéraux, y compris la Cour
suprême et la Cour fédérale, au gouvernement fédéral, et j'ai eu à comparaître
devant diverses commissions comme celle-ci, et je l'ai dit à ces commissions-là, et c'était vrai, et le Commissaire
aux langues officielles le confirmait, c'était effectivement ça : la
Loi sur les langues officielles n'est pas une loi qui instaure le bilinguisme
obligatoire pour les Canadiens et les Québécois. On l'oublie, il y a comme un
miroir, là, qui nous envoie une autre image...
M.
Lemieux : En terminant, au sujet de l'interprétation hier, on s'est
surpris à être interprétés en trois langues,
dont l'anglais, l'innu et une autre que j'oublie, là... le micmac. Et je
racontais qu'aux Territoires du Nord-Ouest les cabines des traducteurs
au parlement des Territoires du Nord-Ouest à Yellowknife, c'est une douzaine,
minimum, de langues autochtones différentes. Il y a l'anglais, bien sûr, à ma
souvenance, il n'y a pas le français, mais ça fait très longtemps, j'ai pu
oublier.
Mais on parlait, au sujet des allophones qui
arrivent chez nous, des gens d'ailleurs qui sont des nouveaux Québécois... qui
veulent intervenir...
La Présidente (Mme Thériault) : ...
M. Lemieux : Ah! j'ai pris le
mauvais chiffre, je suis désolé, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Thériault) :
Désolée.
M. Lemieux : Et je suis désolé, on
ira jaser de ça dans le passage.
M. Barabé (Donald) : Oui,
absolument.
M. Lemieux : Merci beaucoup, M.
Barabé.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Désolée, je suis la gardienne du temps. Donc, Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys, la parole est à vous.
Mme David : Merci beaucoup. Bonjour,
monsieur, bonjour, madame. Enchantée d'avoir cette discussion-là. Je
continuerais bien sur le terrain du député de Saint-Jean, mais moi aussi, je
vais me retenir pour parler de l'objet pour lequel vous êtes ici, de réflexion.
Le ministre a commencé à en parler, je voulais peut-être approfondir un petit
peu, c'est étonnant en ce temps de pénurie de main-d'oeuvre, mais vraiment
généralisée, je vous entends dire : Ça ne représente au maximum que 10 %
des actes, si vous nous donniez les traductions certifiées...
M. Barabé (Donald) : Les trois
recommandations.
Mme David : Les trois, c'est ça.
J'ai bien compris, les trois additionnées, ça ferait un maximum de 10 %
d'augmentation de travail ou de...
M. Barabé (Donald) : À peu près.
Mme
David : ...non, ce n'est pas
ça, 10 % de l'ensemble des heures travaillées pour les traducteurs,
interprètes...
M. Barabé (Donald) : Oui, et je suis
persuadé que je pèse sur le crayon.
Mme
David : O.K. Alors, je n'en reviens pas, d'entendre ça, parce que,
quand même, on a tous un peu le vertige devant la quantité de traductions,
mais, pour vous, ce n'est pas un vertige du tout, c'est une goutte d'eau dans
l'océan de la traduction, ce qui est impliqué dans ce nouveau projet de loi.
C'est ça qu'on entend, là?
M. Barabé
(Donald) : Oui.
Mme David :
Donc, le mot «vertige», je peux oublier ça, là.
M. Barabé
(Donald) : Tout à fait.
Mme David : Mais il y a des vertiges pour d'autres choses, mais pas pour ça. Il n'y
a pas de pénurie de traducteurs.
M. Barabé
(Donald) : Non, non.
Mme
David : Moi qui ai été tellement longtemps, j'ai passé ma vie dans une
université, la traduction, pourtant, il devait bien y en avoir, hein? Peut-être
que vous... honte à moi de... ils sont formés où, les traducteurs? À
l'Université de Montréal?
M. Barabé
(Donald) : Ils sont formés, au Québec, dans six universités, et une
septième est en train de monter un programme.
Mme David :
Donc, dans les départements de linguistique.
M. Barabé
(Donald) : Généralement, dans les départements de linguistique,
langues et lettres, et tout ça, là.
Mme David :
O.K. Et donc je comprends que ça prend quoi pour être membre, quel niveau de formation?
M. Barabé
(Donald) : Ça prend un... minimum, bac universitaire spécialisé en
traduction.
Mme David :
Spécialisé en traduction.
M. Barabé
(Donald) : Spécialisé en traduction.
Mme David :
Donc, l'étudiant sort du cégep et il dit : Moi, je m'en vais en
traduction.
M. Barabé
(Donald) : Oui.
Mme David :
Je ne m'en vais pas au département de langues et littérature.
M. Barabé
(Donald) : Non, il s'en va en traduction.
Mme David :
C'est traduction.
M. Barabé
(Donald) : Ce sont des programmes distincts dans six universités
québécoises, et une septième s'ajoute tranquillement.
Mme David : Et donc est-ce que vous diriez qu'ils sont bien
fréquentés, ces programmes-là, suffisamment fréquentés?
M. Barabé
(Donald) : Oui, oui, il pourrait toujours en avoir plus.
Mme David :
Oui.
M. Barabé
(Donald) : Écoutez, il y a une firme internationale qui a calculé que,
pour traduire 0,01 % de tout le contenu
multilingue qui est produit chaque jour dans le monde, ça prendrait
2 milliards de traducteurs professionnels, 0,01 % de tout le
contenu multilingue produit dans le monde. Alors, c'est sûr qu'il y a des
besoins de traducteurs partout. Il ne faut pas oublier aussi que la technologie
est là et aide, et tout ça.
Mme David :
Oui, ça, c'est vrai. Mais là vous allez m'expliquer, parce que je sais que
c'est la loi n° 21, pas celle à laquelle le ministre va référer, mais l'autre avant, qui était
la loi sur les ordres professionnels, vous vous souvenez, célèbre loi n° 21 qui a pris 10 ans à peu près à adopter ou à
créer, parce que j'y ai participé, vous avez référé à ça, l'acte réservé versus
l'acte exclusif. Donc là, vous allez devoir expliquer un peu pour notre
bénéfice à nous. Vous avez l'acte réservé, mais vous n'avez pas l'acte
exclusif, parce que ça va revenir aux questions du ministre sur le mot
«certifié». Là, on a trois mots «certifié», «réservé», «exclusif».
M. Barabé
(Donald) : Parfait. Il existe deux types d'ordres, actuellement au
Québec, en vertu du Code des professions.
Les ordres à exercice exclusif, on ne peut pas exercer si on n'est pas membre
de l'ordre : Barreau, Collège des
médecins, l'Ordre des ingénieurs, Ordre des comptables professionnels agréés.
Il y en a 26, ordres à exercice exclusif.
Et il existe
21 ordres... 25... c'est-à-dire, il y en a 21, ordres à titre
réservé, c'est-à-dire qu'on ne peut pas se prétendre traducteur agréé à moins
d'être membre de l'Ordre des traducteurs agréés... des traducteurs,
terminologues et interprètes agréés. Même chose pour l'Ordre des travailleurs
sociaux, par exemple. On ne peut pas se prétendre travailleur social, porter le
titre de travailleur social, sans être membre de l'Ordre des travailleurs sociaux.
Et les ordres à
exercice exclusif ont tous des actes qui leur sont exclusifs, des ordres, à
titre réservé, la plupart ont des actes réservés.
Mme David :
Alors, quand vous dites que vous pouvez remplir toutes les exigences et
répondre aux attentes en termes de traduction, ce sont vos membres de votre
ordre professionnel.
M. Barabé
(Donald) : Les membres de notre ordre et ceux qui, éventuellement,
pourraient se joindre. Vous savez, dans les
8 725, nous, on a 2 600,
alors disons qu'il en reste 6 000. Il y en a là-dedans qui ont les
compétences pour exercer... pour
devenir traducteurs agréés, mais qui choisissent de ne pas le faire parce
qu'ils ne veulent pas être assujettis aux
obligations du Code des professions, code de déontologie, formation continue,
inspection, assurance responsabilité.
Mme David :
Tout à fait, mais, inversement, vous ne pouvez pas les poursuivre, parce que
vous n'avez pas l'acte exclusif, donc...
M. Barabé
(Donald) : Personne ne peut les poursuivre.
Mme David :
Et c'est important qu'on entende ça, nous, ici, là, parce qu'il y en a quand
même 6 000, disons, je vais faire un
chiffre rond sur les 8 000 qui exercent, qui se lèvent le matin puis ils
font de la traduction à longueur de journée,
de semaine et d'année, mais ils ne sont pas membres de votre ordre. J'ai connu
ça dans une autre commission d'enquête,
où c'était exactement ça, je pense, pour les criminologues ou autres, ne pas
être obligé d'être membre de l'ordre.
Alors, si je
comprends mieux vos trois demandes, vos trois recommandations, c'est que vous
voulez que ce soient des membres dont la
qualité est agréée. C'est un sceau de qualité, faire partie d'un ordre, mais
c'est une exigence aussi, c'est une exigence.
• (17 h 20) •
M. Barabé (Donald) : Absolument. Vous avez dit quelque chose : L'ordre, l'OTTIAQ, ne
peut pas poursuivre ces gens-là, parce qu'ils exercent la traduction,
oui, ce qui est grave encore, c'est que la personne lésée par une mauvaise
traduction...
Mme David :
Ne peut pas poursuivre.
M. Barabé
(Donald) : ...n'a aucun recours...
Mme David :
C'est ça.
M. Barabé
(Donald) : ...tandis que, si c'est le cas d'un traducteur agréé qui
fait une erreur professionnelle, il y a des recours.
Mme David :
Alors, quand on parle d'une mesure législative et d'une pièce législative aussi
importante que le projet de loi n° 96, d'où votre recommandation très
forte : S'il vous plaît, faites appel à nos services, parce que, si ça
veut dire quelque chose, être membre d'un ordre, c'est bien pour faire de la
traduction juridique, de la traduction... Bon, je comprends beaucoup mieux.
Maintenant,
on nous a dit ce matin, puis on n'a pas aimé ça entendre ça, moi, je n'ai pas
aimé ça, du syndicat des professionnels
du gouvernement du Québec, que les salaires des 70 traducteurs, ce n'est
pas des milliers, là, 70 traducteurs payés par l'État du Québec, étaient
de niveau 3, qui est le niveau le plus bas des salaires de leurs milliers de
syndiqués dans le syndicat des professionnels du gouvernement. Pourquoi ils
sont si mal payés, les traducteurs?
M. Barabé
(Donald) : Ah! ça, écoutez, je ne pourrais vraiment pas vous répondre.
Ça, c'est des questions de régie interne de la fonction publique.
Malheureusement, je ne pourrais vraiment pas vous répondre.
Mme David :
Bien, ils sont peut-être juste 70 pour aller se défendre, là. Ce n'est pas
comme...
M. Barabé
(Donald) : Il y a probablement une question de rapport de force,
effectivement.
Mme David :
Mais ils ont un baccalauréat obligatoire, donc j'imagine que... Bien là, je
vous pose la question.
M. Barabé
(Donald) : Ça... Ils ne pas sont...
Mme David : Ils ne sont pas
nécessairement membres de votre ordre.
M. Barabé
(Donald) : Non. Là, on touche l'exemplarité de l'État, là.
Mme David : O.K. Le ministre
prend des notes, là, parce que, là, on vient de toucher à quelque chose
d'important. Ils ne sont pas obligatoirement membres de votre ordre, les
traducteurs engagés, même par l'État.
M. Barabé (Donald) :
Exactement.
Mme David :
O.K. Maintenant, l'article 35.1... je ne sais pas combien de temps il me
reste, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Thériault) :
Une minute.
Mme David :
O.K. L'article 35.1. Ça, l'article 35.1 dit bien : «Il ne
peut — le
professionnel — dans
l'exercice de ses activités professionnelles, refuser de fournir une prestation
pour le seul motif qu'on lui demande d'utiliser la langue officielle dans
l'exécution de sa prestation.» Bien là, on parle de langues, justement.
Admettons que, c'est une question, votre
traducteur membre de votre ordre — moi, je vais me concentrer sur votre
ordre — soit
un spécialiste de l'allemand à l'anglais. Ça se peut?
M. Barabé (Donald) : Oui.
Mme David : Ou de l'allemand à
l'espagnol, ou de... bon, du mandarin à l'anglais. Il fait quoi si son métier,
c'est faire ça? Il ne pourrait pas refuser un mandat de traduire en français,
si je comprends bien cet article-là, mais...
M. Barabé (Donald) : Son code
de déontologie lui dirait qu'il ne peut pas le faire parce qu'il n'a pas les
compétences pour le faire. Alors là, il faut qu'il ait... Il a la compétence
pour pouvoir traiter avec un citoyen québécois
dans sa langue, en français, O.K., mais pas nécessairement... Parce que, là, on
parle, là, d'un service expert en langues, là, O.K.? Alors, si son
expertise, c'est, dans votre exemple, l'anglais, l'allemand, alors c'est
certain qu'il ne s'aventurera pas à traduire en français.
Mme David :
Bien, vous dites la même chose que deux autres ordres, au moins, auxquels j'ai
posé la question. Mais c'est un vrai problème, là, un vrai, vrai
problème. Il est bien écrit : «Il ne peut, dans l'exercice de ses activités professionnelles — donc la traduction — refuser de fournir une prestation pour le
seul motif qu'on lui demande d'utiliser la langue officielle dans
l'exécution de cette prestation.»
Qu'est-ce que vous feriez si vous étiez à notre
place? Vous feriez un amendement?
M. Barabé (Donald) : Je vais
vous laisser décider de ça.
Mme David : Non, mais vous
dites... Ça fait trois ordres qui disent : Ça rentre de plein fouet en
contradiction avec le code de déontologie.
M. Barabé (Donald) : Dans
l'exemple que vous donnez, là, cette personne-là ne peut clairement pas donner
un service de qualité, un service de professionnel dans un domaine qu'il ne
connaît pas, alors dans des langues qu'il ne connaît pas, dans des langues
qu'il ne maîtrise pas. Ce qui ne veut pas dire que cette personne-là... Parce
que tous nos membres ont une connaissance appropriée du français pour pouvoir
communiquer avec un client, qui, lui, voudrait faire traduire, et puis... et
pour adresser ce client-là à un collègue qui, lui, va lui fournir le travail,
et tout ça.
Mme David : Mais ça dépend, mais
moi, je ne le lis pas comme ça : «Il ne peut...» Il n'a pas le droit de refuser de fournir une prestation. Moi, j'appelle
ça un acte professionnel, fournir une prestation. Référer à un collègue,
ce n'est pas fournir une prestation. Ça va devenir très important, ce
libellé-là. On doit s'arrêter là-dessus, je sens. Donc, je vous remercie
beaucoup.
La
Présidente (Mme Thériault) : Merci beaucoup. Donc, nous allons aller
du côté de la députée de Mercier.
Mme Ghazal : Merci. Merci beaucoup
pour votre présentation. Est-ce que vous savez il y a combien de vos membres
qui travaillent dans la fonction publique?
M. Barabé (Donald) : Québécoise?
Mme Ghazal : Oui.
M. Barabé (Donald) : Non.
Malheureusement, non. On ne leur demande pas nécessairement quels sont leurs
employeurs.
Mme Ghazal :
Oui. Parce que, justement, moi aussi, je vais référer à ce que le syndicat des
professionnels du Québec nous ont dit
aujourd'hui, le fait qu'il déplorait qu'on faisait beaucoup appel à la
sous-traitance, qu'on fermait des directions entières, dans des ministères, de
traducteurs, traductrices pas très bien payés, etc. Puis je voulais
savoir, étant donné que le projet de loi n° 96, c'est la langue française,
et tout ça, mais l'État lui-même se départit... Est-ce que c'est quelque chose sur lequel vous avez réfléchi, la traduction
dans la fonction publique versus la sous-traitance?
M. Barabé
(Donald) : Non, pas de ce point de vue là. Nous, c'est vraiment la
protection du public, alors, et pas l'avancement de nos membres.
Mme Ghazal :
Peu importe où est-ce qu'ils travaillent, pour vous, l'important, c'est qu'ils
offrent un service qui protège le public.
M. Barabé
(Donald) : Exactement. Exactement. C'est à eux de décider à quel
employeur ils veulent offrir leurs services.
Mme Ghazal :
Puis, c'est ça, j'ai regardé le portrait, beaucoup de femmes, beaucoup aussi de
travailleurs et travailleuses autonomes. Ça, c'est... il y a beaucoup de gens
qui travaillent là-dedans.
Puis aussi on parle
beaucoup de la traduction des documents, c'est surtout sur ça qu'est concentré
votre mémoire et vos recommandations. Mais l'interprétation, il y avait le
Syndicat de la fonction publique qui proposait qu'il y ait un service
d'interprétariat pour, par exemple, les nouveaux arrivants qui arrivent puis
qui doivent faire affaire avec l'État, d'avoir ce service-là pour ne pas que
ces immigrants-là aillent... se tournent directement vers l'anglais,
c'est-à-dire qu'on leur parle en anglais, mais qu'on leur parle dans leur
langue maternelle. Qu'est-ce que vous pensez de cette proposition?
M. Barabé
(Donald) : On est tout à fait d'accord avec ça. On est en discussion
avec l'Office des professions du Québec pour établir un répertoire exactement
de ces interprètes-là.
Mme Ghazal :
Ah! intéressant. Donc, ce seraient des interprètes, évidemment, qui
travailleraient à leur compte, mais qui auraient... qui travailleraient pour
offrir ces services-là.
M. Barabé
(Donald) : Oui. Dans ces langues-là, les langues...
Mme Ghazal :
D'autres langues.
M. Barabé
(Donald) : ...les autres langues. Ce sont ce qu'on appelle les langues
qui sont moins utilisées. Alors, ces gens-là ne font pas... ne gagnent par leur
vie avec ça. Contrairement à ce que... Par exemple, l'exemple que Mme Cohen donnait tantôt, en traduction, on
peut gagner notre vie, hein, non seulement en traduction, mais dans un domaine précis de la traduction. Pour
l'interprétation, ça, ça s'appelle l'interprétation communautaire,
l'interprétation communautaire, on ne gagne pas notre vie dans ça. Alors...
Mais il y a moyen de structurer ça pour que ce soit... en faire, et ça fait
partie des discussions qu'on a avec l'Office des professions...
Mme Ghazal :
Puis ceux qui font ça, ce sont vos membres, donc parmi vos membres.
M. Barabé
(Donald) : Certains sont nos membres, certains ne le sont pas, et
c'est en cours.
Mme Ghazal :
Merci.
La
Présidente (Mme Thériault) : Merci. Ceci met fin à l'échange. Donc, M.
le député de Matane-Matapédia, c'est votre tour.
M. Bérubé :
Merci. Bienvenue à l'Assemblée nationale. J'aimerais profiter de votre présence
pour que vous puissiez mettre en lumière d'autres observations, d'autres
propositions quant à la valorisation du français. Est-ce qu'il y a des éléments
que vous souhaitez aborder qui ne l'ont pas été jusqu'à maintenant?
M. Barabé
(Donald) : Non. Je pense qu'on a couvert tous les points, oui.
M. Bérubé :
Très bien. Lorsqu'on passe en quatrième, plusieurs des questions ont été
posées. Bon, écoutez, j'avais un autre élément...
M. Barabé
(Donald) : Mme Cohen...
Mme Cohen
(Betty) : Non, simplement une chose, c'est qu'on a entendu d'autres
ordres qui sont passés avant nous dire la difficulté de vérifier le français et
qu'ils avaient travaillé avec l'OQLF. Il reste que la qualité du français est
dans nos compétences. Donc, on pourrait aussi travailler avec l'OQLF et en
collaboration avec les autres ordres pour les aider à ce niveau-là.
M. Bérubé : Absolument.
Mme
Cohen (Betty) : C'est peut-être une solution, enfin, c'est une idée
comme ça, mais ce serait peut-être quelque chose d'envisageable.
M. Bérubé :
Bien, c'est le bon endroit pour émettre cette idée, parce que c'est filmé,
c'est enregistré, il y a des parlementaires,
des membres du personnel du cabinet du ministre qui écoutent ça. Vous avez une
expertise certaine, une qualité du français qui est impressionnante.
Vous êtes des gens qui travaillez quotidiennement à valoriser la langue, à la
magnifier, à la communiquer, à la traduire. En fait, vous êtes des ambassadeurs
quotidiens méconnus, et je suis heureux de vous connaître maintenant à travers
votre témoignage et je vous remercie pour votre passage en commission
parlementaire, c'est très éclairant et très stimulant de mieux vous connaître.
Merci.
La Présidente (Mme
Thériault) : Donc, merci, Mme Cohen, merci, M. Barabé.
Donc,
nous allons suspendre les travaux quelques instants pour permettre au prochain
groupe de prendre la place.
(Suspension de la séance à
17 h 30)
(Reprise à 17 h 35)
La Présidente
(Mme Thériault) : À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre! Merci.
Donc, nous allons poursuivre nos travaux.
Nous
entendons le dernier groupe de la journée, soit le Conseil du patronat du Québec. Donc, nous souhaitons la bienvenue à M. Karl
Blackburn, qui est le président et chef de la direction, ancien député aussi à
l'Assemblée nationale. On en a vu beaucoup durant les représentations sur le
projet de loi.
Donc, bienvenue à l'Assemblée.
Bienvenue, monsieur. Donc, peut-être nous... Je vous invite à nous présenter la
personne qui vous accompagne et de procéder à votre présentation. Vous avez
10 minutes avant les échanges.
Conseil du patronat du Québec
(CPQ)
M. Blackburn
(Karl) : Alors, je vais demander à mon collègue de se présenter
lui-même.
M. Hamel (Denis) : Certainement. Bonjour. Je suis Denis Hamel,
vice-président aux politiques de développement de la main-d'oeuvre au Conseil du patronat du Québec.
M. Blackburn
(Karl) : Alors, Mme la Présidente, M. le ministre, MM.,
Mmes les députés, ça me fait bien plaisir d'être avec vous aujourd'hui
pour vous présenter la position du Conseil du patronat du Québec sur le projet
de loi n° 96. Nous sommes très heureux, d'abord, de prendre part à ces
consultations et vous faire part de notre point de vue des employeurs du
Québec.
Le projet de loi est
ambitieux et touche bon nombre de secteurs de notre société. Il précise que le
français est la langue commune de la nation
québécoise. Nous souscrivons totalement à ce principe, mais l'ampleur du projet
de loi est telle que nous ne devons
nous consacrer qu'aux articles qui affectent directement les employeurs. Les
observations formulées dans le présent mémoire s'inscrivent dans la volonté de
s'assurer de la promotion du français comme la langue de travail et comme la
langue de commerce et des affaires... et des communications hors entreprise
tout en reconnaissant qu'une économie ouverte à l'international comme la nôtre
nécessite la connaissance d'autres langues.
À nos yeux, l'usage
d'une langue repose avant tout sur deux éléments fondamentaux indissociables
qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure législative, soient la fierté et la
qualité de la langue qui nous unit. Ainsi, il est important de souligner que
les employeurs au Québec sont nombreux à offrir davantage que ce qui est prévu
dans la loi en raison notamment du contexte actuel du marché du travail.
Pour le CPQ, la
question de la langue s'associe invariablement à l'amélioration du niveau de
vie et le développement économique dans un contexte nord-américain où dominent
l'anglais et l'espagnol. Or, nous avons maintes fois déploré un tabou
gênant : le français, au Québec, se porte mal chez les francophones. Un
adulte québécois sur deux est soit analphabète soit analphabète fonctionnel. Je
répète, une personne sur deux en âge de travailler
ne comprend pas ce qu'il lit. Et ne comptons pas sur les réseaux sociaux pour
améliorer la qualité du français.
Les
conséquences sont terribles, d'abord pour les citoyens eux-mêmes face auxquels
nous avons collectivement échoué. Nous avions le devoir moral de former
et d'éduquer ces gens. À leurs défis personnels s'ajoute celui professionnel.
En août 2020, l'Office québécois de la langue française révélait que
35 % des entreprises québécoises situées sur tout le territoire rejetaient
des candidatures pour un manque de connaissances suffisantes en français, principalement
à l'écrit. Et, une fois à l'emploi, ces travailleurs se trouvent à la merci
d'innovations technologiques et de numérisation qui exigeraient une
compréhension plus poussée en littératie ou en numératie, sans compter qu'ils
sont limités dans leur capacité de promotion.
Le problème est
enraciné depuis longtemps. De manière récurrente, environ la moitié des futurs
enseignants échouent dans leur test de français. Chez les jeunes francophones
qui décrochent dans leurs études lorsqu'ils arrivent au secondaire V, 75 %
échouent en français. Je parle exclusivement des jeunes francophones. Le
français est, de loin, leur pire matière. La qualité de la langue française au
Québec, il faut l'imaginer sur une civière, très souffrante. Alors qu'on débat
régulièrement du format des fenêtres, du nombre de serrures à la porte et de la
couleur des murs de la chambre, la santé du patient, elle, se détériore de jour
en jour.
On s'est convaincu, dans
un certain discours public, que l'immigrant était le problème. Or, le Québec
est maître d'oeuvre dans ce domaine. C'est
pourquoi 75 % des immigrants économiques reçus au Québec parlent
français. Ils ne font pas que maîtriser le français, ils le maîtrisent très,
très bien. Le niveau d'exigence de la langue française est très élevé. Le niveau 7
de l'Échelle québécoise des niveaux de compétence en français est le seuil
minimum. En d'autres mots, suivant les mêmes exigences, au moins la moitié des
Québécois de la langue maternelle française nés ici ne se qualifieraient pas
pour être reçus au Québec.
• (17 h 40) •
M. le ministre, il faut poser des gestes. Votre
collègue la ministre de l'Enseignement supérieur a annoncé récemment quelques
mesures à cet effet, mais ce ne sera pas suffisant. Il faut protéger le statut
de la langue, évidemment, mais il faut absolument que l'on parle de sa qualité.
Quant au statut de la langue, dont il est question dans ce projet de loi, les
interventions du CPQ en matière linguistique ne sont pas nouvelles. Depuis la
création du CPQ, il y a maintenant 52 ans, nous nous sommes toujours
impliqués dans le débat sur la langue française, car nous avons jugé qu'il
s'agissait là d'un élément distinctif important de notre paysage
socioéconomique.
En particulier, nous collaborons depuis
plusieurs années avec l'Office québécois de la langue française à la promotion
du français dans le milieu des affaires. En parallèle, notre organisation a
toujours appuyé les efforts de francisation des immigrants, ceux qui ne sont
pas francophones, non seulement pour favoriser leur intégration, mais aussi
pour assurer la pérennité de la langue.
À nos yeux,
notre langue nous place dans une position privilégiée pour tisser des liens
avec d'autres pays. Il y a un mois, le CPQ a signé, au nom du Québec, la
Déclaration commune de Paris sur le renforcement de la francophonie économique.
L'objectif est de multiplier les opportunités d'affaires à travers le monde et
attirer chez nous des entreprises
étrangères. En somme, nous croyons que notre langue peut devenir un tremplin
pour un développement économique de notre économie, d'où l'importance de
maîtriser un français de qualité. Assurons-nous que les 300 millions de
francophones ne puissent nous comprendre et nous lire.
L'objectif
visé par le projet de loi n° 96 est de concentrer le français...
de consacrer le français, pardon, en tant que langue commune au Québec.
D'entrée de jeu, les questions qui s'imposent sont les suivantes : Est-ce
que le p.l. n° 96 est susceptible de remédier aux
enjeux identifiés? Est-ce que les résultats attendus sont à la hauteur de la
lourdeur de l'application et des coûts dans les entreprises? Est-ce que le p.l.
n° 96 pourrait affecter négativement le climat social
et le climat de travail dans nos entreprises?
De façon générale, de grands constats se
dégagent des consultations auprès de nos membres. En premier lieu, les employeurs sont favorables à la défense et à
la promotion du français comme langue de travail, surtout à Montréal,
et du rôle qu'ils peuvent jouer pour assurer cette vitalité. Toutefois,
l'imposition des lourdes mesures administratives appliquées sans nuance sera
très dure, surtout pour les petites entreprises de 25 à 49 employés.
En second lieu, les mesures qui limitent la
capacité d'embaucher des candidats pour des postes qui exigent la connaissance
d'une langue autre que le français ne tient pas compte des entreprises qui font
affaire avec le reste du Canada et à l'étranger. Mais surtout les trois
conditions imposées pour éviter d'exiger la connaissance d'une autre
langue représentent des obstacles majeurs
qui risquent indirectement d'entraver l'organisation du travail,
d'affecter grandement les relations de travail et d'imposer un très lourd fardeau administratif et financier aux entreprises
du Québec de toutes tailles. C'est particulièrement vrai dans le cas des PME, car ces conditions
imposent des démarches lourdes et complexes qui conduisent à analyser
chaque poste auquel est rattachée une exigence linguistique.
En troisième lieu, les employeurs jugent trop
contraignante toute la question de la primauté du français dans la rédaction
des contrats internationaux, mesure pour laquelle le gouvernement s'est
lui-même exclu. Nous doutons que les entreprises et les organisations
internationales voient d'un bon oeil de devoir se plier à ces dispositions
lorsqu'elles voudront faire affaire au Québec, ce qui affaiblira la
compétitivité de nos entreprises.
Enfin, il
n'est pas exagéré de prétendre qu'il
y a en ce moment une paix sociale
concernant l'affichage commercial des
entreprises. Plusieurs d'entre elles ont investi des sommes d'argent
colossales afin de se conformer à la réglementation en vigueur depuis
2019, et d'autres sont actuellement dans ce processus. La réouverture de ce
dossier, qui n'affectera rien dans la qualité de la langue française, risque
fort d'envenimer inutilement le climat social actuel puisqu'elle a de nouveaux
pouvoirs d'inspection et de dénonciation que nous estimons démesurés.
Voici donc, en quelques minutes, les grandes
lignes qui résument notre mémoire, lequel est beaucoup plus complet et
détaillé, que vous avez reçu dans les dernières heures. Comme l'écrivait ce
matin Patrick Lagacé : «Savoir écrire, c'est aussi savoir penser.» Alors,
nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions. Merci de votre
attention.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. On voit là toute l'expérience d'un ex-parlementaire. Vous étiez pile
dans le temps, vous avez même laissé quelques secondes, ce qui est parfait. M.
le ministre, la parole est à vous.
M.
Jolin-Barrette : Merci, Mme
la Présidente. M. Blackburn, M. Hamel, bonjour, bienvenue à la
commission parlementaire et merci pour votre contribution aux travaux de la
commission.
D'entrée de jeu, je dois vous dire que vous avez
un bon point au niveau de la qualité de langue. C'est effectivement vrai qu'on
devrait s'en préoccuper davantage. Puis le constat que vous avez fait,
M. Blackburn, relativement à la
maîtrise de notre langue commune au Québec, même par les francophones, c'est
tout à fait préoccupant du fait que l'on voit que certains jeunes
éprouvent des difficultés, notamment à l'épreuve uniforme de français au cégep,
mais également au secondaire aussi. Puis
effectivement ça doit être une priorité nationale, parce que le fait de
pouvoir bien s'exprimer, ça nous donne des outils également. Et moi, je suis
également craintif lorsque j'écoute la télévision puis je constate, dans certaines émissions de
téléréalité, que, parfois, ça prend des sous-titres, hein, pour comprendre
des jeunes qui ont parfois mon âge aussi.
Alors, oui, je souhaite écouter sans avoir à lire le sous-titre pour comprendre
ce qui est dit.
Alors, oui,
on a un effort, et je suis d'accord avec le Conseil du patronat là-dessus. Et vous avez raison de dire que
les personnes immigrantes que l'on accueille, bien souvent, ont un très bon
niveau de français lorsqu'elle passe par le
PEQ, notamment, parce qu'il y a un niveau 7 de français. Ça me permet de
faire un crochet sur le niveau de connaissance de français des personnes
immigrantes, parce que ça, c'est un défi qu'on ne dit pas souvent. Parce qu'on
est environ à 50 % de personnes
immigrantes qui déclarent connaître le français, mais ce n'est pas mesuré,
c'est une autodéclaration. Alors, ça peut être : Bonjour, je
m'appelle Simon, et c'est une autodéclaration, et ça peut vouloir dire que je
connais le français. Mais ça ne veut pas
dire que la personne sait d'autres mots, d'autres termes, et qu'elle n'est pas
nécessaire capable de converser en français. Donc, je voulais juste faire ce
préambule-là.
Vous avez abordé la question de
l'article 46 de la charte. On vient insérer l'article 46.1 pour
renforcer l'article 46 à l'article 36 de la loi. Alors, trois
conditions, désormais, qui vont être établies. Donc, pour l'employeur, il va
devoir avoir évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à
accomplir. Donc, est-ce que l'employé a besoin,
dans le cadre de ses tâches, de parler anglais? Deuxièmement, s'il s'est assuré
que les connaissances linguistiques déjà
exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour
l'accomplissement de ses tâches. J'ai d'autres employés, est-ce qu'ils
parlent anglais déjà, mes autres employés? Est-ce que c'est nécessaire que tous
les employés parlent anglais? Et le troisième critère, il avait restreint le
plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l'accomplissement nécessite la
langue ou un niveau de connaissance spécifique d'une autre langue que la
langue officielle. Donc, est-ce que je répartis mes tâches en anglais sur 10 employés
ou je peux le faire uniquement sur cinq employés?
Donc, ce sont uniquement les trois critères que
l'on rajoute, mais ça va avoir un effet quand même important pour dire dans le fond : Ne faisons pas
exprès d'exiger la connaissance d'une autre langue que le français à
l'embauche. Mais ça ne signifie pas que l'employeur ne pourra pas le faire, ça
ne signifie pas que, s'il y a des relations avec l'extérieur, avec le Canada,
avec les États-Unis, ou il fait des démarches à l'étranger, il fait des affaires
à l'étranger, il ne pourra pas le faire.
Donc, moi, je trouve que l'article 46.1, il
est quand même balancé. Mais je crois comprendre que vous êtes en désaccord
avec mon opinion là-dessus.
M. Blackburn (Karl) : Bien, votre
point est très, très bon, M. le ministre. Et d'ailleurs on a parlé de ce
point-là, justement, Denis et moi, en s'en venant ici, à Québec. Et Denis avait
soulevé des très bons exemples, et je vais lui demander de vous les partager.
Mais effectivement ce qu'on constate par rapport
à cette application-là, c'est que ça peut être beaucoup plus compliqué dans l'application
de celle-ci en fonction de la réalité de l'organisation. Et la marge de
manoeuvre ou la flexibilité nécessaire aux employeurs ne se retrouvent pas nécessairement
avec cet article-là. Et je vais demander à Denis,
si vous me le permettez, de pouvoir vous donner un exemple
qui va vous amener vraiment à bien comprendre le sens de ce qu'on fait
de l'interprétation de cet article et surtout son application sur le terrain. Alors,
Denis, s'il vous plaît.
• (17 h 50) •
M. Hamel (Denis) :
Oui. Merci, Mme la Présidente. Mais c'est tout le côté de... Dans le projet de
loi, on parle que l'employeur doit prendre tous les moyens raisonnables pour
mettre ces règlements-là en application. Et le ministère de la Justice
lui-même, dans son analyse, dit : Bien, c'est un fardeau administratif qui
est dissuasif, donc de l'aveu même du ministère de la Justice.
Vous savez, parce que, d'après nos membres, ça
ne passe pas le test de la réalité, ces trois conditions-là. Le portrait actuellement
d'une entreprise au Québec, vous savez, c'est une trentaine d'employés, cinq
postes vacants, les gens font des heures
supplémentaires avec la pandémie, il y a toute la transformation numérique, tout ça. C'est extrêmement difficile de
définir qu'est-ce que c'est qu'un poste qui a besoin d'une autre langue, qui
n'a pas besoin d'une autre langue. On est en
transformation complète. Et cette évaluation-là devra se faire à
chaque fois qu'il y a une réorganisation administrative, donc ça devient
excessivement complexe pour un employeur de déterminer est-ce qu'un poste, au
cours d'un an, deux ans, trois ans, il peut changer, la nature du poste peut
changer.
Vous avez donné l'exemple tantôt au point n° 2, c'est que, si quelqu'un d'autre, par exemple, parle
l'anglais, l'espagnol, le mandarin, on n'a pas besoin d'exiger ça à quelqu'un
d'autre. Vous savez qu'actuellement avec la pénurie de main-d'oeuvre, mais
c'est vrai à tout moment donné, il y a de la rotation de personnel. Donc, il y
a deux personnes qui parlent anglais ou espagnol dans l'équipe, ces
personnes-là changent de travail, alors on se retrouve avec personne pour
offrir le service. Donc, il faut prévoir, quand on est en entreprise, que
l'entreprise peut grandir, que les conditions peuvent changer. Et cette flexibilité-là
disparaît avec la proposition qui est dans le projet de loi actuel, flexibilité
qui existait dans la charte actuelle, à l'article 46, mais qui, aux yeux
des employeurs, disparaît, là, avec cette clause-là au 46.1.
M. Jolin-Barrette : Mais est-ce
que vous convenez avec moi, à la lumière des récentes études de l'OQLF, ou du
conseil supérieur, ou des enquêtes journalistiques que, dans la grande région
de Montréal, particulièrement sur l'île de Montréal, souvent, on exige la connaissance
d'une autre langue que le français à l'embauche, alors que ce n'est pas nécessairement...
nécessairement nécessaire, effectivement.
Alex Boissonneault et Hugo Lavallée avaient fait
un reportage qui s'intitulait Quand il faut parler anglais pour travailler à
Montréal. Puis là on avait des jeunes femmes, notamment, qui
disaient : C'est comme si l'anglais écrasait toutes les compétences que
j'avais. Parce que je n'ai pas l'anglais, toutes les compétences que j'ai ne
valent rien. Une personne immigrante d'Haïti, Wislène, est arrivée
il y a trois ans. Et elle dit : J'ai traversé un parcours à
obstacles. Pour moi, c'est un système de freinage, d'exclusion, parce que, si
tu ne parles pas l'anglais, tu as des problèmes d'abord pour rédiger la lettre
de présentation et le C.V. puis, par hasard, tu ne te fais pas... tu te fais
appeler pour une entrevue, c'est tout un
calvaire si tu n'es pas anglophone, alors que, parfois, tu as toutes les
qualifications pour le poste.
Au moment où on parle de pénurie de
main-d'oeuvre, il y a des candidats unilingues francophones sur l'île de
Montréal qui ne réussissent pas à se trouver un emploi parce que l'employeur
dit : Il y a une nécessité de parler anglais. Mais est-ce que, dans tous
les postes, il y a une nécessité de parler anglais? Moi, je ne le crois pas.
Alors, peut-être que l'article 46.1, il est là justement pour dire :
Bien, écoutez, peut-être que... qu'il y a une façon de trouver une solution
pour ne pas exiger systématiquement la connaissance de l'anglais, alors, si ce
n'est pas nécessaire.
M. Blackburn (Karl) : Si je
peux me permettre, M. le ministre, c'est clair que, si on veut se raconter des
histoires d'horreur, on va se prendre des cas comme ça, individuels, qui
risquent malheureusement de dévier le débat.
La volonté, on l'a dit très clairement, la volonté que vous poursuivez, on y
adhère. Malheureusement, l'inquiétude qui nous est soulevée, c'est dans l'application de certains de ces
articles-là. Malheureusement, ça va enlever cette flexibilité qui est
importante pour les employeurs, quel que soit le lieu de leur organisation.
L'article 46 ou les suivants vont s'appliquer pour une entreprise à
Roberval ou à Montréal. Sachez qu'à Roberval il n'y a pas grand personnes qui
parlent anglais. Blackburn, c'est un nom anglophone, mais c'était la seule
chose que j'avais d'anglophone lorsque j'habitais à Roberval.
Alors, vous voyez que cette réalité-là, elle est
quand même particulière. Et ce qu'on pense avec l'application, comme dans
certains cas aussi on le voit avec d'autres lois, ou l'application terrain par
rapport justement à la réalité de ce qui se
passe en fonction des organisations, puis de leur marché, et de leur
croissance, et surtout dans le contexte de la pénurie de main-d'oeuvre
dans laquelle on se retrouve, bien, malheureusement, on constate que ça ne
risque pas d'aller atteindre les objectifs que vous poursuivez avec le projet
de loi que vous déposez, et surtout ça va enlever cette flexibilité qui est importante
pour les employeurs dans l'environnement dans lequel on évolue.
M.
Jolin-Barrette : Mais
prenons l'exemple, justement, de l'entreprise à Roberval, là. L'entreprise à Roberval
qui fait des affaires avec l'étranger puis
qui a besoin d'un travailleur qui a une maîtrise de la langue anglaise, il n'y aura pas d'enjeu. Ce qu'on dit, par contre,
c'est que... peut-être pas que l'ensemble des employés qui sont à
Roberval, ça nécessite d'avoir une connaissance de la langue anglaise. Et ce
qu'on constate, notamment dans la grande région de Montréal, c'est que
l'exigence de la connaissance d'une autre langue que le français devient
systématique. Ça, vous ne pouvez pas vraiment le nier, là.
M. Blackburn (Karl) : Écoutez,
l'application de ce qu'on pense qui doive être fait, malheureusement, va être
plus difficile que ce que ça peut paraître dans le projet de loi, et on
souscrit encore une fois aux objectifs que vous poursuivez. Ça, il y a un...
c'est sans équivoque à cet égard-là. Mais, malheureusement, ce qu'on constate,
c'est que ça vient enlever une certaine flexibilité puis une certaine agilité
pour les employeurs en termes d'organisation de travail, et malheureusement ça
risque de ne pas atteindre l'objectif que vous poursuivez.
M. Jolin-Barrette : Sur la question
de l'affichage, suite à l'adoption de la loi 101, c'était l'usage exclusif en
français, et on a vu M. Bourassa, il a fait adopter la disposition de
dérogation en 1988. Par la suite, entre 1988... entre 1993 et 2016, ça a été la
nette prédominance. Et là arrive 2016, et je comprends que, du côté du Parti
libéral, on a fait le choix de ne pas ouvrir, hein, la loi 101, on a adopté un
règlement, et le Parti libéral avait le choix de le faire pour maintenir le
consensus historique, parce que la Cour d'appel, dans le fond, elle a
dit : Bien, vous n'avez pas la possibilité,
ce n'est pas ce qui est écrit dans la charte, même si c'est ça qui est entendu,
puis c'est des corporations qui ont contesté
la loi jusqu'en Cour d'appel. Tout ça pour dire qu'on revient au consensus
historique avec la nette prédominance. Donc, je comprends que, là,
certaines entreprises que vous représentez ont un enjeu avec ça, parce qu'ils
se disent : Bien, écoutez, moi, depuis 2016, le règlement a été adopté,
puis on se conforme à ça, puis là vous changez encore les règles. Mais ce qu'on fait, c'est qu'on revient au
consensus original et on laisse trois ans aux entreprises pour se
conformer à la nouvelle disposition. C'est une problématique, l'affichage, de
dire que c'est de la nette prédominance?
M.
Hamel (Denis) : C'est
l'exemple parfait. Quand on dit... Au début, on disait d'entrée de jeu... M. Blackburn mentionnait l'importance... Quel est le
poids entre les investissements qui vont être faits par les entreprises et le résultat?
L'accord de 2016, qui est rentré en vigueur à partir de 2019, a été coûteux
pour les entreprises. Les gens du commerce de détail vont venir vous en parler
plus tard cette semaine. Ça a été extrêmement coûteux, extrêmement laborieux.
Et il y avait quand même un consensus. Là, on rouvre ce débat-là, qui va
nécessiter des investissements supplémentaires.
Et, honnêtement, est-ce que le fait d'afficher
le magasin X, Y, Z plutôt que X, Y, Z va faire en sorte qu'on va parler plus
français ou un meilleur français en entreprise? Alors, c'est exactement un
exemple, à nos yeux, où on va mettre beaucoup d'argent sur de l'affichage, sur
des pancartes à l'extérieur, au lieu de s'occuper de la qualité du français,
des cours de francisation. Donc, c'est là que le bât blesse, parce qu'on rouvre
encore un débat. C'est une boîte de Pandore
qui risque encore de causer différents types de heurts, là, au niveau des
entreprises dans leur affichage.
Donc, c'est
pour ça qu'on est... Ce que l'on propose au gouvernement, c'est : celles
qui se sont déjà conformées au règlement, laissez-les tranquilles, puis
les nouvelles, qu'on puisse avoir des dispositions qui soient adaptées, mais
dans le futur. La question de prévisibilité, pour une entreprise, c'est
fondamental.
M.
Jolin-Barrette : Donc, je vais céder la parole au député de
Saint-Jérôme. Mais je comprends, je décode de
votre propos que le travail aurait dû être bien fait dès la première fois, en
2016, lorsque le règlement a été
modifié, puis on aurait dû ouvrir la charte à ce moment-là. Alors, on a
perdu du temps un petit peu, mais au moins on est rendus là.
Alors, je vous remercie pour votre passage en commission.
Je cède la parole.
La Présidente (Mme Thériault) : M.
le député de Saint-Jérôme, vous avez quatre minutes pour l'échange.
M.
Chassin : D'accord,
merci, Mme la Présidente. M. Blackburn, M. Hamel, je voudrais peut-être
parler d'un certain nombre de points un peu plus précis dans votre
mémoire. Alors, vous connaissez ma sensibilité au fardeau réglementaire et
administratif des entreprises. On cherche à atteindre des objectifs, dans cette
loi-là, en le minimisant autant que faire se peut.
Puis j'ai trouvé intéressant... Dans vos
remarques générales, vous mentionnez la collaboration du CPQ avec l'OQLF. Vous
collaborez donc déjà, là, pour la promotion du français dans le milieu des
affaires. Puis j'aimerais peut-être vous donner l'occasion de nous dire un peu,
dans votre expérience, là, comment l'OQLF collabore, comment on peut avoir le
maximum, dans le fond, là, d'appuis et d'incitations positives de la part de
l'OQLF, qui, je crois, a de plus en plus,
là, une culture d'accompagnement plutôt que de sévérité, là, en quelque sorte,
pour s'assurer qu'on respecte les objectifs, mais évidemment en donnant
le maximum d'outils possible.
• (18 heures) •
M. Hamel (Denis) :
Oui, bien, merci, M. le député, pour la question. Effectivement, depuis déjà
deux ou trois ans, on a travaillé avec l'OQLF pour les entreprises...
essentiellement les 25 à 49 employés, ceux qui sont visés par le projet de
loi. Parce que, bon, il y avait toutes sortes de rumeurs que, peut-être, la
charte allait s'appliquer à elles. Et vous
savez que, dans ces entreprises de cette taille, il n'y a souvent pas de
direction des ressources humaines. Ce sont des entreprises qui sont
vraiment concentrées sur leurs activités. C'est très difficile pour eux de
répondre à une obligation réglementaire très lourde. Alors, déjà, il y a plein
de règlements quand on part une entreprise, vous le savez, c'est extrêmement
lourd.
L'approche qui avait été préconisée avec le principe
MEMO, là, ce qui s'appelle maintenant, ce sont des outils donnés aux employeurs pour permettre la francisation non
seulement, là, des communications à l'intérieur, mais aussi d'aider à la francisation des employés.
Donc, il y a tout un coffre à outils qui est mis à la disposition des
employeurs pour, justement, améliorer le français et qui donne lieu aussi à une
certification qui n'est pas l'équivalent d'un certificat
de l'OLF pour la conformité à la charte, mais qui démontre l'engagement d'une
entreprise à travailler en français.
Donc, c'est sûr que, pour une entreprise, ça
fait partie de son image, ça fait partie de sa volonté d'être un bon citoyen.
Mais c'est surtout le fait que l'OQLF travaille en collaboration. Donc il n'y a
rien de coercitif, c'est incitatif, et l'entreprise va aller à son rythme.
Alors, actuellement, je vous l'ai mentionné tantôt, on est en plein virage
numérique, pleine transformation, et tout ça. Donc, l'élément francisation
arrive en harmonie, il arrive en même temps que l'entreprise se transforme.
M. Chassin :
Puis, dans le fond, parce que le ministre a posé la question... L'OQLF, évidemment,
était notre premier groupe reçu, puis il leur a posé justement la question sur
cette espèce de changement de culture. Ça fait que je pense qu'on a, dans le
fond, des pistes de solution intéressantes pour atteindre l'objectif en ayant
un fardeau le plus allégé possible.
Puis là j'aimerais vous amener sur un point
particulier. Vous avez mentionné aussi avoir consulté vos membres avant le
dévoilement du projet de loi n° 96, puis un des
constats que vous tirez, c'est que plusieurs petites entreprises ou, enfin, des
25 à 49 estimaient ne pas pouvoir faire face à la lourdeur administrative.
Compte tenu de cette habitude de l'OQLF d'avoir, dans le fond, une culture
d'accompagnement, est-ce qu'on peut penser que, maintenant qu'on connaît le projet
de loi n° 96 puis ses libellés, est-ce qu'on peut envisager que, selon
vous, vos membres seraient peut-être plus favorables puis comprendraient davantage
que ce serait possible?
La Présidente (Mme Thériault) : En
10 secondes.
M. Hamel (Denis) :
En 10 secondes. On a consulté nos membres. La crainte demeure, et nos
collègues de la FCEI l'ont mentionné, le fardeau est trop lourd actuellement,
compte tenu des huit exigences, là, pour obtenir le certificat de francisation.
M. Chassin : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Donc, je vais aller maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme
la députée de Marguerite-Bourgeoys, la parole est à vous.
Mme
David : Merci beaucoup. Bonjour, M. Blackburn,
M. Hamel. Contente de vous revoir. Écoutez, le ministre m'a donné
une bonne idée de refaire l'histoire un peu, moi aussi. Alors, je vais reculer.
Il n'avait pas 30 ans à ce moment-là. Je recule en 2013, c'est ça, en
2013. Et lui a reculé en 2016. On pourrait... je pourrais apporter bien des
précisions sur cette modification avec laquelle, bon, vous avez eu à travailler
et qui est entrée en vigueur en 2019. Mais,
en 2013, il y avait eu un projet de
loi déposé par le PQ, le projet de loi de Mme De Courcy, vous vous souviendrez parce que
vous aviez témoigné, projet de loi
n° 14. Et la CAQ s'était justement
fortement inquiétée du fardeau réglementaire, on vient juste d'en parler, justement, du fardeau réglementaire, en
disant : Si on le met aux 25-49 employés, ça va être beaucoup trop lourd, ça va
être beaucoup trop exigeant. Et donc ils étaient extrêmement nerveux. Finalement, le projet de loi a été retiré.
Je ne sais pas ce qui attend ce projet de loi
ci, mais je comprends que la CAQ a dû essayer, admettons, là, de se dire :
Je n'essaierai pas de faire ce que j'ai craint en 2013. Je vais essayer d'être
très allégé. Je vais essayer de... Oui, francisation 25-49 employés. Oui,
68 % de vos membres ont répondu à un sondage, que vous avez rendu public le 15 février 2021, où 68 % de vos
membres se disaient d'accord à assujettir les entreprises, à condition que les
mesures soient flexibles, c'était l'adjectif que vous employiez. On avait
nous-mêmes des mesures dans notre projet, dans notre plan d'action,
mesures 21-22, sur l'article 46, sur le 25-49, toujours à la
condition que ce soit allégé. Toujours.
Alors, évidemment, quand je vous ai lu, je suis
arrivée à la page 11 puis j'ai dit : Pouf! Là, le ballon s'est comme dégonflé beaucoup, beaucoup, beaucoup. Et, à
la page 11, vous dites carrément qu'on devrait retirer carrément
l'article qui traite des 25-49 employés. Donc, je dois conclure... parce
qu'après ça on ira à la page 5 et la page 6, là, qui est vraiment
très sévère sur l'article 46, 46.1, sur les conditions. Là, vous êtes pas
mal moins chauds à l'idée d'assujettir la charte aux 25-49 employés. Vous
rejoindriez la position de la CAQ en 2013.
M. Blackburn
(Karl) : C'est des beaux
cours d'histoire, toute cette commission
parlementaire cet après-midi.
C'est fort intéressant. Je pourrais vous parler de 2003, j'ai d'excellents
souvenirs également, mais ce n'est pas l'objet de la discussion.
Peut-être que Denis pourra compléter, mais il
est clair que, pour les plus petites entreprises... et c'est un peu un plaidoyer du coeur que je viens vous livrer cet
après-midi, ces hommes et ces femmes d'affaires qui actuellement, dans le contexte de la pénurie de main-d'oeuvre, entre autres,
font des pieds et des mains, font preuve d'une résilience incroyable, et les
employés également font preuve d'une résilience incroyable. Malheureusement, la
crainte que nous avons et qu'ils ont, c'est que la lourdeur administrative de
l'administration de cette nouvelle loi risque de leur causer plus de problèmes.
Et, de notre côté, on pense également que ça ne
rejoindra pas l'amélioration de la qualité de la langue française, parce qu'il
est clair que, dans le même sondage que vous avez cité tout à l'heure, Mme la
députée, que nos membres nous ont également lancé un cri d'alarme important
concernant la qualité du français. Et, de mémoire, c'est plus d'un C.V. sur
deux qui était rejeté parce qu'il contenait trop de fautes à l'intérieur de
celui-ci.
Alors, le constat que nous en faisons est :
si on vient à additionner le très haut taux d'analphabètes et d'analphabètes
fonctionnels de notre société québécoise, c'est une lumière rouge qui clignote
qui est devant nous. Et on se doit de tout mettre en oeuvre... Comme
parlementaires, comme organisation patronale, comme société, on se doit de tout
mettre en oeuvre pour améliorer notre langue française. Et, dans ce sens-là,
pour les plus petites entreprises, on a des doutes que le bon investissement
n'ira pas nécessairement dans l'amélioration de cette qualité.
Et, Denis, si tu avais quelques données à
rajouter par rapport à ces plus petites entreprises.
M. Hamel (Denis) :
Bien, peut-être plus un point d'information. Vous savez, le Conseil du
patronat, nous représentons 70 000 entreprises, pas juste des
grosses, on en a plusieurs petites aussi qui n'étaient pas là, souvent, en
2013, en 2003 ou en 2016. Elles doivent vivre, donc, avec une réalité. Quand on
a consulté les gens... vous savez, la défense du français, c'est une priorité.
Les entreprises sont prêtes à se retrousser les manches et dire : On va
travailler en français, on va en faire un petit peu plus. Mais elles... À peu
près sans exception, elles nous ont dit : C'est lourd, on veut sortir de la bureaucratie. Donnez-nous la
flexibilité. Donnez-nous la possibilité de l'implanter à notre rythme et
en travaillant à la fois à la qualité et en travaillant aussi sur le fait
que... en respectant le fait qu'on doit travailler à l'international et que le
français est notre langue de travail, mais n'est pas notre seule langue de
travail.
Mme
David : Je dirais, à la page 6, que... C'est une page importante, là, la page 6, où,
vraiment, là, vous taillez pas mal en pièce tout l'article 46, avec
les propositions. Mais vous faites une suggestion très claire à l'effet de
retirer le second paragraphe de
l'article 46.1, second paragraphe, c'est : «il s'était assuré — dans les trois conditions — que
les connaissances linguistiques déjà exigées
des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour
l'accomplissement de ces tâches.» Ça, vous dites, pour parler clairement, que
ça va foutre le bordel dans les relations de travail entre les employés. Qui parle
mieux? Qui ne parle pas mieux? Qui va parler anglais? Qui va prendre le job,
pas mon job? Ça a l'air d'être un peu ça, le
climat que vous craignez beaucoup, beaucoup. Mais vous dites : Si on
retirait ce deuxième alinéa, on pourrait vivre beaucoup mieux avec
la condition 1 et la condition 3. Est-ce que je suis en train
d'essayer d'aider le ministre à trouver une solution, là?
M. Hamel (Denis) :
Bien, nous essayons d'aider à trouver une porte de sortie. Nous croyons que
notre proposition n'est pas extrême. On ne
demande pas le retrait complet. Effectivement, le deuxième paragraphe, le
deuxième alinéa pose problème plus que les deux autres. Avec les deux
autres, on serait prêts à vivre, les entreprises seraient prêtes à vivre avec.
Mme David : Expliquez-nous donc
mieux, là, parce que j'aimerais ça qu'on avance là-dessus et que vous puissiez vraiment
expliquer pourquoi ça fait une grosse différence.
• (18 h 10) •
M. Hamel (Denis) :
Bien, comme je l'ai souligné tantôt, je donnais l'exemple d'il y a une
personne, dans une équipe, ou deux personnes qui parlent une autre langue, ces personnes-là
quittent l'organisation, on doit... Vous savez, dans une
petite organisation, ce n'est pas comme une structure quand il y a 1 000
ou 2 000 employés, c'est très flexible, on s'ajuste en fonction des
qualités et des expériences de tous et chacun. Alors, on risque, c'est un
risque qui a été soulevé, qui est bien réel qu'il y ait de la jalousie, qu'il y
ait des griefs, qu'il y ait des plaintes soit devant...
et encore, ça, on le mentionne, est-ce
que c'est l'OQLF, est-ce que
c'est la commission de la santé
et sécurité au travail qui va être
appelé à régler ce genre de grief là? On vient mettre, je dirais... on vient
mettre un pavé dans la mare des relations de travail. Alors, justement... Alors, au lieu de dire : On enlève tout
l'article, notre proposition est bien simple, de juste retirer ce paragraphe
2°, qui, d'après nous, est là où le bât blesse le plus.
Mme David : J'ai deux autres questions
dans cet article-là, parce qu'il est fondamental, l'article 46. Vous
demandez de changer les mots «aux tâches» par les mots «à l'emploi». Alors,
pourquoi «aux tâches à accomplir»... Je vais
lire, là, pour les bienfaits des collègues, il avait... une des conditions : «Il avait
évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir.»
Et vous proposez «les besoins réels associés à l'emploi». Et ça a l'air de
faire une grosse, grosse différence, pour vous.
M. Hamel (Denis) :
Bien, écoutez, je ne suis pas juriste, et c'est une nuance que notre équipe,
avec les équipes juridiques de nos membres, ont développée. Mais effectivement il
y a une nuance fondamentale dans le sens que, comme on dit, on engage pour les
compétences. Les tâches, elles, peuvent changer. L'emploi, lui, est beaucoup
plus fixe. Donc, les tâches... de le rattacher à une tâche, c'est beaucoup plus
problématique.
Mme David : Et comprenez-moi, je ne
veux pas vous embêter, parce que moi aussi, j'ai eu quelques cours de droit
accélérés pour préparer ce projet de loi, vous comprendrez, il y a un mot que
vous ne contestez pas, puis je ne veux pas vous obliger à contester, là, mais
c'est un mot, pour les juristes, qui a une valeur extrêmement lourde, et c'est
le mot «réputé». L'employeur... à 46.1, je lis le début de 46.1 : «Un
employeur est réputé ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables...» Autrement
dit, c'est, M. le ministre, vous me corrigerez, irréfragable. C'est
irréfragable. Eh! je m'en suis souvenue. C'est irrécusable, on ne peut pas
contester, l'employeur est réputé. Alors, un juriste dit : Mais c'est
d'une lourdeur épouvantable. Il faut mettre au moins «est présumé», qu'il y ait
au moins la petite porte de sortie pour pouvoir s'expliquer. Irréfragable,
souvenez-vous de ça.
M. Hamel (Denis) :
Vous me donnez un cours de droit condensé que j'apprécie, mais, vous savez,
quand le ministère de la Justice lui-même dit que, dans cet article-là, on rend
le fardeau tellement lourd que ça va être dissuasif pour l'employeur, mais,
nous, ce qu'on dit, c'est que ça va être justement tellement lourd que ce ne
sera pas gérable, ce ne sera pas gérable dans la vie de tous les jours.
Mme David : Mais vous comprenez que
le mot «réputé» veut dire : Il est coupable avant même d'avoir le temps de
se défendre.
M. Hamel (Denis) :
Le fardeau de la preuve est sur le dos de l'employeur.
Mme David : Oui, alors, ça rajoute à
toute la lourdeur dont vous parlez. On n'a même pas parlé desdites conditions
qu'on parle, il est réputé coupable avant même avoir parlé des conditions.
M. Hamel (Denis) :
D'où le fait qu'on dit qu'on craint pour la qualité des relations de travail
avec justement ce genre de fardeau là.
Mme David : Et est-ce que je peux
résumer en disant, à la page 11, que c'est pour ça que vous dites :
«Recommandation : retirer le premier paragraphe de l'article 81 du
p.l. n° 96, qui modifie l'article 139 de la
Charte de la langue française, en abaissant de 50 à 25 le nombre minimal
d'employés pour que l'entreprise soit assujettie à la charte.» Donc, vous
concluez qu'on ne veut plus rien savoir du 25-49 employés?
M. Hamel (Denis) :
Comprenons-nous bien, au niveau de la charte tel qu'elle existe, oui, on
souhaiterait que ça demeure à 50 et plus, que pour les 25-49, qu'il y ait des
mesures beaucoup plus flexibles comme MEMO, comme ce que l'Office de la langue
française fait, en accord puis avec la participation des employeurs, ça va être
beaucoup plus efficace que la massue, dans le fond, qui est : obliger.
Mme David : Donc, vous n'êtes pas tellement
rassurés de voir ce qui arrive avec le 25-49 en plus ou ce qui est proposé dans
le projet de loi n° 96, même si on enlevait l'article 2, même si on
enlevait le mot «réputé» par «présumé», même si on mettait «emploi» plutôt que
«tâche», là, je mets les trois.
M. Hamel (Denis) :
Oui, c'est ça, il y a beaucoup de choses, là. Lorsqu'on parle du 25-49, c'est l'application
de la charte telle qu'elle existe ou qu'elle
existera après l'adoption du projet
de loi n° 96, que ce ne soit pas une mesure coercitive mais une
mesure incitative qui soit développée, peut-être une version allégée, mais qui
tient compte de la réalité des 25-49.
Mme David : Et là je conclus que
vous n'êtes pas satisfaits ou que vous n'êtes pas rassurés.
La Présidente (Mme
Thériault) : Et ça met fin à l'échange.
Mme David : Merci.
La Présidente (Mme Thériault) :
Donc, Mme la députée de Mercier, la parole est à vous.
Mme Ghazal : Oui, merci beaucoup.
Merci, messieurs, pour votre présentation. Vous savez, il y a des choses qu'on répète tout le temps, tout le temps,
que ça devient une vérité de La Palice, et souvent le patronat, le monde
des affaires répète toujours la même chose quand on parle d'une réglementation,
d'une nouvelle loi, notamment la Charte de
la langue française, le projet de loi actuel, un, que ça va générer de la
lourdeur bureaucratique, de la paperasse ou de la paperasserie, pour
parler de façon péjorative. Moi, j'ai déjà été dans des entreprises privées
pendant 15 ans. J'ai même été sur une des plus grandes entreprises, sur un
comité de francisation. Vous dites que c'est lourd, mais de quoi on parle, à
quel point c'est si lourd que ça? Il y a combien de rapports, combien de
formulaires à remplir, surtout qu'il y a l'accompagnement de l'OQLF?
L'autre chose, c'est de l'importance de demander
la connaissance de l'anglais en entreprise. Je ne veux pas faire des cas
particuliers. Moi, il y a même quelqu'un de la FCEI, avec qui je parlais, qui
disait : Écoutez, au Québec, il y a
quand même suffisamment de gens qui sont bilingues. Puis on n'est pas
parfaitement bilingue, on peut
baragouiner un peu l'anglais puis être capable de faire le poste. L'entreprise
a juste à nous donner une formation. J'avais une amie qui faisait du
recrutement dans une entreprise dans la haute finance. Elle recrutait à travers
le monde. Elle venait du Lac-Saint-Jean. Elle ne se sentait pas très, très à
l'aise avec l'anglais. Elle est allée suivre des cours qui lui ont été payés
par son employeur. Donc, on en fait des montagnes, de tout ça. Puis je pense
que c'est possible si on veut vraiment, vraiment réellement que le français
survive au Québec, puis c'est au travail que ça se fait.
La langue du
travail, ça, c'est quelque chose de fondamental. Vous parlez de la qualité du
français, sa maîtrise. Donc, le
système d'éducation, mais il y aussi la formation en entreprise. Et la façon la
plus efficace pour les personnes qui ne parlent pas très bien le
français, notamment dans les PME, les personnes immigrantes, c'est la
francisation en entreprise. Les fins de semaine, les soirs, ils ont d'autres
choses à faire, s'occuper de leur famille. À Québec solidaire, on a proposé de
prendre la loi du 1 % de la formation de la main-d'oeuvre et d'y ajouter
aussi un plus grand pourcentage, un plus haut, 0,5 %, pour faire de la
francisation en entreprise, surtout à Montréal. Qu'est-ce que vous en pensez?
La Présidente (Mme Thériault) : Vous
avez 45 secondes pour répondre.
M.
Blackburn (Karl) : Bien, il y a beaucoup de choses dans ce que vous
avez dit. D'abord, par où commencer? Je suis issu du milieu des affaires
également. J'ai eu l'expérience de m'occuper de l'Office de la langue française
pour une grande multinationale américaine, et c'était... j'avais la capacité,
avec ce travail, de pouvoir avoir le support nécessaire pour être capable de
rencontrer les exigences que demandait l'Office et le respect pour la
certification. Une plus petite entreprise n'a pas cette possibilité ou cette
flexibilité. Ce n'est pas tout à fait exact de dire que les employeurs sont toujours contre plus de lourdeur
administrative. Ce qu'on souhaite, c'est que les argents qu'on demande
d'investir aillent au bon endroit et donnent les bons résultats. Le Conseil du
patronat du Québec, comme je l'ai mentionné,
depuis près de 52 ans, la langue française, c'était un de nos premiers
chevaux de bataille où nous avons de la qualité du français, de la
langue du français comme étant la langue du travail une priorité absolue
pour... au Québec.
La Présidente (Mme Thériault) : Je
dois mettre fin à l'échange, malheureusement. M. le député de Matane, la parole
est à vous.
Mme Ghazal : On s'en reparlera plus
tard.
M. Bérubé : Merci, Mme la
Présidente. Bienvenue aux membres du Conseil du patronat. Plusieurs de vos
membres sont dans le commerce au détail, dans l'hôtellerie, dans la
restauration. Alors, je vais vous parler du visage de Montréal, mais surtout de
ce qu'on y entend lorsqu'on se fait servir. Je suis l'auteur d'une motion
maintenant célèbre, qui porte le nom du «Bonjour! Hi!», adoptée par l'unanimité
de l'Assemblée nationale. Tous les députés, à deux
reprises, en 2017 et 2019, ont voté pour cette motion, et je les en remercie.
Qu'est-ce que je voulais illustrer? Les problèmes qu'on a de se faire
servir en français. C'est «Bonjour! Hi!» ou des fois il n'y a même pas de
«Bonjour!», c'est «Hi!»
Alors, on a cherché une façon de faire face à
cette situation qui, certainement, vous inquiète. Le ministre, à l'époque,
avait envisagé de légiférer là-dessus. Finalement, ça a duré une demi-journée,
le premier ministre a dit : Ce n'est pas une bonne idée. Mais, quand même,
j'apprécie son volontarisme, et, moi aussi, ça me préoccupe.
Donc, on est arrivé avec une proposition toute
simple où on prend les choses d'une autre façon : un insigne de bonne conduite linguistique. Au lieu de taper
sur les doits ou de dénoncer, on va valoriser ceux qui le font
correctement. Et je prends ce moment pour vous parler de notre proposition pour
la tester avec vous.
Alors, toutes les entreprises qui font affaire
au Québec ont l'obligation de répondre aux exigences de l'OQLF. Celles qui
respectent l'entièreté des dispositions pourraient apposer fièrement un insigne
de bonne conduite sur leur devanture ou sur leur site Internet. C'est une
mesure incitative et positive tant pour les entreprises de commerce, de
services, de détail, d'hôtellerie, de restauration : Ici, on accueille en
français. Autrement dit, c'est une valeur ajoutée, c'est un label supplémentaire. Les
entreprises seraient fières de dire : Ici, on sert en français. C'est
une responsabilité, en même temps. Et celles qui ne l'ont pas, on pourrait se
poser la question : Bien, pourquoi vous ne l'avez pas, vous? Vous ne
servez pas en français? Ouais.
Alors, vous voyez, c'est une mesure toute simple
qu'on aimerait voir au centre-ville de Montréal, à Laval, à Brossard et
ailleurs. Qu'est-ce que vous en pensez, de ce genre de position?
La Présidente (Mme Thériault) :
...45 secondes également.
M. Blackburn (Karl) : Votre idée
n'est pas mauvaise.
M. Bérubé : Bon, j'en ai d'autres,
j'en ai d'autres.
M. Blackburn (Karl) : Il vous reste
une trentaine de secondes.
M. Bérubé : Vous n'avez pas perdu
l'habitude, ex-député que vous êtes. Nous, on pense que l'immigration... Vous
êtes pour l'immigration, vous voulez davantage d'immigration. Je vais faire
quelque chose avec vous. Êtes-vous d'accord qu'elle soit francophone à
l'arrivée?
• (18 h 20) •
M. Blackburn (Karl) : Bien, c'est
probablement une des exigences qui fait en sorte que l'immigration francophone,
à 75 %, parle le français.
M. Bérubé : Bien oui, elle est
francophone.
M. Blackburn (Karl) : Et, dans le
contexte de la pénurie de main-d'oeuvre, si vous me le permettez, je vais
utiliser les 20 dernières secondes qu'il nous reste, dans le contexte de
la pénurie de main-d'oeuvre, le Conseil du patronat
du Québec a proposé pas une, pas deux, 10 solutions pour palier à la
pénurie de main-d'oeuvre. La formation, la députée ici en a parlé.
M. Bérubé : En français.
M. Blackburn (Karl) : La formation,
le rehaussement de compétences, l'intégration, l'inclusion et aussi
l'immigration.
M. Bérubé : Oui, mais pas à
l'entrée? Nous on veut que ce soit à l'entrée, le français.
La Présidente (Mme Thériault) : Et
je dois mettre fin à l'échange. Donc, merci aux gens du Conseil
du patronat d'avoir accepté de venir discuter du projet de loi avec nous
aujourd'hui.
Et je suspends les travaux jusqu'à
demain, après les affaires courantes. Merci, bonne soirée.
(Fin de la séance à 18 h 21)