(Onze heures vingt-quatre minutes)
La
Présidente (Mme Thériault) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la
séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte.
La commission
est réunie afin de poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations
particulières sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue
officielle et commune du Québec, le français.
M. le secrétaire, y a-t-il des
remplacements?
Le Secrétaire : Oui, Mme la
Présidente. Mme IsaBelle (Huntingdon) est remplacée par M. Lévesque
(Chapleau); Mme Rizqy (Saint-Laurent) est remplacée par M. Barrette
(La Pinière); Mme St-Pierre (Acadie) est remplacée par M. Birnbaum
(D'Arcy-McGee); Mme Dorion (Taschereau) est remplacée par Mme Ghazal
(Mercier); et Mme Hivon (Joliette) est remplacée par M. Bérubé
(Matane-Matapédia).
Auditions (suite)
La Présidente (Mme Thériault) :
Parfait. Merci. Donc, ce matin, nous entendrons les témoins suivants : l'Association
des commissions scolaires anglophones du Québec — ils sont avec nous au
parlement — ainsi
que M. André Binette, qui, lui, sera en visioconférence.
Donc, sans plus tarder, je vais souhaiter la
bienvenue aux représentants de l'Association des commissions scolaires
anglophones du Québec. Je vais vous inviter à vous présenter et procéder à
votre exposé d'une durée d'environ 10 minutes. Allez-y.
Association des commissions scolaires anglophones du
Québec (ACSAQ)
M. Lamoureux (Dan) : O.K. Merci
beaucoup. Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, merci
d'avoir accepté de nous recevoir sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. Je
suis Dan Lamoureux, président de l'Association des commissions scolaires
anglophones du Québec, et je suis accompagné de Russell Copeman, notre directeur
général.
The member school boards at the
Québec English School Boards, QESBA, serve some 100,000 students in roughly 330
elementary, high schools, adult, and vocational centers throughout Québec. We
have English schools from Chibougamau, in the North, to Franklin, near the US border in the South, and
from Témiscamingue, in the West, to Îles-de-la-Madeleine, in the East.
Our comments on Bill 96 cover
two broad themes: those related directly to the education provisions of the
bill and those which are more generally of concern to the English-speaking
community of Québec, in which school boards play a major role. But, first, some
general observations.
M. Copeman (Russell) : Nous avons
compris depuis longtemps que l'une de nos grandes responsabilités consiste à
préparer nos élèves de manière adéquate pour vivre et travailler au Québec. Les
commissions scolaires anglophones du Québec ont été les pionniers de
l'enseignement de la langue seconde au Canada. L'immersion en français, très
répandue dans nos écoles, fut développée et d'abord introduite dans la
commission scolaire South Shore Protestant Regional School Board au milieu des
années 1960. Plus de 50 ans plus tard, la majorité de nos élèves sont inscrits dans une forme quelconque de
programme intensif de français langue seconde, et plusieurs commissions
scolaires comptent des élèves qui réussissent les cours de français langue
maternelle au secondaire. Tous ceux qui sont diplômés des écoles secondaires
anglophones québécoises sont considérés, par le gouvernement du Québec, d'avoir
une connaissance adéquate du français parlé et écrit.
Le projet de loi n° 96 représente une
révision majeure de la Charte de la langue française et du régime linguistique
qui en résulte. Si l'intention du gouvernement du Québec était de contribuer au
renforcement des valeurs communes des
Québécois en actualisant la Charte de la langue française, le projet de loi n° 96 n'a pas réussi à le faire. Des sondages d'opinion démontrent
une profonde... division, pardon, de l'appui envers ce projet de loi chez les
Québécois d'expression française et anglaise. Nous avons connu de nombreuses années
de ce qui est qualifié de paix linguistique
au Québec. Le projet de loi n° 96 de même que d'autres mesures
législatives récentes ont beaucoup divisé les Québécois et fragilisé
cette paix linguistique. Une telle situation ne favorise ni une appréciation
mutuelle ni le renforcement des valeurs communes du Québec.
En matière
d'admissibilité à l'enseignement en anglais, le projet de loi n° 96
modifie la Charte de la langue française en la durée des autorisations
temporaires de recevoir l'enseignement en anglais. Le projet de loi propose que
l'autorisation d'admissibilité d'un enfant à charge d'un ressortissant étranger
qui séjourne au Québec de façon temporaire est valide pour une période de trois
ans et ne peut être renouvelée. Il s'agit là d'un changement majeur. À l'heure actuelle, bien que les autorisations d'admissibilité
temporaires soient valides pour trois ans, elles peuvent être renouvelées, à
condition que le statut, au Québec, des parents ou de l'étudiant ne change pas.
Le
nombre d'élèves qui fréquentent les écoles anglophones en vertu d'une
autorisation d'admissibilité temporaire représente un très faible
pourcentage des élèves dans les écoles publiques au Québec. L'ACSAQ a demandé à
nos neuf commissions scolaires membres le nombre d'élèves inscrits durant la
dernière année scolaire en vertu d'une autorisation
d'admissibilité temporaire. Le total d'élèves inscrits dans les écoles
publiques anglophones en vertu de ces autorisations
temporaires au cours de la dernière année scolaire se chiffrait à 4 108. Or, de ce nombre, 926 s'avéraient des
exemptions temporaires pour les membres des Forces armées canadiennes et non,
par définition, de ressortissants étrangers.
Ainsi, le nombre d'étudiants étrangers fréquentant les écoles publiques anglophones l'an dernier était seulement 3 182. Ce chiffre ne représente
que 0,33 % des effectifs scolaires au Québec mais donne un
peu d'oxygène à notre système scolaire, dont les effectifs scolaires ont été
réduits de 60 % depuis 1975.
• (11 h 30) •
Cette
nouvelle restriction qui limite la durée des autorisations d'admissibilité
temporaires entraînera certainement une diminution des inscriptions dans
notre réseau. De plus, elle peut avoir une incidence négative sur la capacité d'attirer les ressortissants étrangers qui peuvent
souhaiter que leurs enfants fréquentent une école anglophone pendant
leurs séjours temporaires au Québec.
Étant
donné le nombre relativement faible d'élèves touchés, étant donné que ces
autorisations d'admissibilité temporaires ne confèrent aucun droit acquis de
fréquenter une école anglophone de façon permanente, étant donné que les élèves
étrangers inscrits dans les écoles anglophones reçoivent un excellent
enseignement du français, la proposition du projet de loi n° 96 de limiter
à un maximum de trois ans les autorisations d'admissibilité temporaires à
l'enseignement en anglais des ressortissants étrangers semble être une solution
à la recherche d'un problème. S'il est
important pour le Québec d'être compétitif pour attirer des ressortissants
étrangers possédant des talents spécifiques vers le Québec, sur une base
temporaire, et pour toutes les raisons exposées ci-haut, cette mesure ne doit
pas être adoptée.
L'ACSAQ
recommande que cette modification soit retirée du projet de loi et qu'elle
laisse ouverte la possibilité de renouveler
les autorisations d'admissibilité temporaires à l'enseignement en anglais pour
la durée complète des séjours temporaires.
La Charte de la langue française
établit les exigences en matière de langue de communication de
l'administration publique. En ce qui
concerne les commissions scolaires, elle établit les circonstances selon
lesquelles le français et l'anglais peuvent
être utilisés et quand l'anglais peut être utilisé seul, par exemple, dans nos
communications d'ordre pédagogique.
Il
n'est pas très clair si le projet de loi n° 96
modifie les exigences pour les commissions scolaires en matière de langue de communication avec les personnes
morales tels les entreprises, les associations et nos partenaires
communautaires. Des précisions à cet égard seraient bienvenues.
Les
Québécois sont fiers, à juste titre, de notre Charte des droits et libertés de
la personne, qui est progressive, complète, innovatrice. Or, de notre avis et
de celui de plusieurs juristes, la suspension de ces droits fondamentaux doit
se faire avec prudence et prévoir un champ d'application limité.
Le
projet de loi n° 96 incorpore les dispositions de dérogation québécoise et
fédérale, dans les chartes des droits et
libertés, directement dans la Charte de la langue française et les applique à
tous les articles de cette charte. Le recours global et préventif aux
dispositions de dérogation mettra tous les articles de la Charte de la langue
française à l'abri de contestations judiciaires en vertu des chartes des
droits.
La
raison d'invoquer les dispositions de dérogation pour chacune des dispositions
du projet de loi n° 96, et... conséquemment, pardon, la totalité de la
Charte de la langue française, n'a pas été clairement expliquée. Cette mesure
prive tous les Québécois et Québécoises de la protection de nos droits
fondamentaux.
L'ACSAQ maintient que
les articles 118, 199 et 200 invoquant les dispositions de dérogation dans
la charte québécoise des droits et libertés de la personne et de la Charte
canadienne des droits et libertés soient retirés du projet de loi.
M.
Lamoureux (Dan) : We have presented you... We
have presented to you the main thrust of our brief, those more specific to
education. However, we have outlined other issues in more detail in our written
submission.
The
Québec English School Boards Association believes in the need to promote and
protect the French language in Québec and
indeed throughout Canada. We are the pioneers of French immersion. We ensure
the success in French for all our
students and prepare them to live and work in Québec with pride. But that
protection and promotion of the French language should not be done by
setting aside the fundamental rights of Quebeckers or
by potentially infringing on our constitutional rights.
Tel
que nous avons exposé dans notre mémoire, le projet de loi n° 96 doit être
modifié.
Nous serons
maintenant heureux de répondre à toutes vos questions ou à vos commentaires.
Merci.
La Présidente (Mme
Thériault) : Merci beaucoup. Donc, avant de céder la parole au
ministre, je veux tout simplement souligner le fait que M. Russ Copeman a
été député de Notre-Dame-de-Grâce ici, au parlement, aussi. On reçoit beaucoup
de députés ces temps-ci. Donc, je voulais souligner votre présence. C'est un
féru de nos règles parlementaires, M. le ministre. La parole est à vous.
M.
Jolin-Barrette : Merci, Mme la Présidente. Salutations à
M. Lamoureux, M. Copeman. Bienvenue à l'Assemblée nationale. C'est
toujours un plaisir de vous voir, M. Copeman, revenir à l'Assemblée
nationale.
D'entrée de
jeu, je tiens à le dire et à le réitérer, et je l'ai dit au moment du dépôt du
projet de loi, il n'y a rien, dans le
projet de loi n° 96, qui fait en sorte de porter atteinte aux droits et
aux institutions de la communauté anglophone.
So, as I
said before, when I tabled that bill, there is nothing, in the Bill 96,
that affects the rights of the English-speaking community, here in Québec, or
the institutions, and I want to reassure that.
Aussi, j'ai également
dit que, dans le projet de loi n° 96, on conférait davantage de droits
également à la communauté anglophone, en faisant en sorte que des ayants droit
qui allaient à l'école anglophone... anglaise, au primaire et au secondaire, allaient
avoir une priorité au cégep afin, justement, de pouvoir poursuivre dans leur
langue leurs études supérieures pour faire en sorte qu'ils puissent accéder à
leurs propres institutions, aux institutions de la communauté anglophone.
So, as I said before, when I
tabled that bill, we give more rights to the English-speaking community to make
sure that the members of the English
community will be able to study in their own language in... in elementary
school, in high school, and also in CEGEP, in their own language. So, that bill
doesn't affect anything about the English-speaking community's rights or institutions.
Cela étant dit, Mme la
Présidente, je vous remercie pour la présentation de votre mémoire. D'entrée de
jeu, je voudrais vous demander : Est-ce que votre organisation reconnaît
que le français est en déclin au Québec?
M. Copeman (Russell) : M. le
ministre, nous ne sommes pas des démographes ni des sociologues. Et on l'a dit
dans le mémoire, qu'on n'embarquerait pas dans une discussion sur le relatif
déclin du français. On n'a qu'observé, entre autres, que, par certaines
mesures, entre autres, si on prend la langue parlée à la maison plus
fréquemment, le Québec n'a jamais été autant français qu'il l'est aujourd'hui. Est-ce
qu'il y a des situations sur l'île de Montréal? Est-ce qu'il y a des situations
ailleurs? Possiblement, mais ce n'est pas notre domaine d'expertise. Nous
sommes ici pour parler des implications du projet de loi n° 96 sur le
réseau scolaire.
M. Jolin-Barrette : Donc, je
comprends que vous ne niez pas qu'il y a un déclin du français. Parce que, dans
la société québécoise, il y a pas mal un consensus à l'effet qu'effectivement...
Et les études statistiques démontrent, que ce soit de l'OQLF, que ce soit du Conseil
supérieur de la langue française... démontrent qu'il y a un déclin du français,
que le français continue à décliner si aucune mesure n'est prise. Alors, je
comprends que votre organisation n'est pas une spécialiste des données démographiques,
mais est-ce que votre organisation reconnaît ce déclin-là?
M. Copeman (Russell) : M. le
ministre, c'est à peu près la même question, et je vous donne à peu près la
même réponse. Je pense que M. Churchill a dit : «There are three
types of statistics. There are statistics, damned statistics, and lying
statistics.» Alors, on peut quasiment tout dire avec des statistiques, là.
Ce n'est pas notre domaine. Notre domaine, c'est
de représenter les positions des commissions scolaires sur le projet de loi
n° 96. Et là, si vous me permettez, quand vous dites, M. le ministre, et
avec respect, qu'il n'y a rien qui affecte les institutions de la communauté
anglophone, nous plaidons que la limite sur trois ans des admissibilités temporaires
va affecter nos institutions. Ça va diminuer nos inscriptions. Si ce n'est
pas... Si ce n'est pas affecter des institutions, je ne sais pas qu'est-ce que
c'est.
M. Jolin-Barrette : Est-ce que
vous croyez... Parlons-en, de la notion du trois ans. Parce qu'actuellement la
structure de la Charte de la langue française fait en sorte qu'une personne en
situation temporaire qui vient au Québec... Je suis une personne immigrante. Je
choisis de venir au Québec de façon temporaire, avec un permis de travail temporaire. Mes enfants peuvent aller à
l'école anglaise tout le long de leur parcours scolaire, hein? Ça veut
dire que, si les enfants commencent le primaire ici, ils peuvent poursuivre,
parce que ça peut être renouvelé tant que la permanentisation de la personne
n'est pas effectuée.
Et, même s'il y a permanentisation, en raison de
la Loi constitutionnelle de 1982, en raison de la Charte des droits et
libertés, que M. Trudeau père a mis en place, ça fait en sorte que... le
parcours authentique fait en sorte que les personnes immigrantes se voient
dotées d'un droit pour faire en sorte qu'eux vont conserver le droit d'aller à
l'école anglaise, et leurs enfants également, dans le futur, et leurs
petits-enfants vont avoir le droit d'aller à l'école anglaise, ce qui est en contravention directe avec l'esprit même de la Charte de la langue française, le fait de dire qu'au Québec on accueille
les personnes immigrantes en français dans les institutions francophones.
Donc, je vous pose la question. L'idée, avec la
limitation de trois ans, c'est de faire en sorte de permettre... une personne
qui vient travailler temporairement au Québec, parce qu'elle va retourner, de,
oui, lui permettre d'étudier... que ces enfants, pour une période temporaire,
soient trois ans à l'école, mais, si elle renouvelle son permis et qu'elle vient s'établir durablement dans
la société québécoise, qu'elle s'intègre dans les institutions francophones, comme c'est
l'objectif de la Charte de la langue française. Alors, ma question pour vous :
Êtes-vous d'accord qu'au Québec les enfants des personnes immigrantes qui
choisissent le Québec s'intègrent en français, comme le prévoit la Charte de la
langue française?
• (11 h 40) •
M. Copeman
(Russell) : M. le ministre,
vous avez soulevé une apparence de contradiction entre le renouvellement
des permis temporaires et les objectifs de la charte. Si c'est une
contradiction, c'est une contradiction qui existe depuis le début de la charte.
Ce n'est pas nouveau.
M.
Jolin-Barrette : Et donc, s'il y a contradiction, est-ce qu'on doit
perpétuer ce trou dans la Charte de la langue
française? Est-ce que
vous êtes d'accord avec moi, M. Copeman, que les personnes
immigrantes qui choisissent de venir
immigrer au Québec doivent s'intégrer, peu importe leur provenance
dans le monde, là, hein? Toute personne immigrante qui vient s'établir
au Québec devrait-elle fréquenter les institutions francophones? Parce qu'elle
vient au Québec et que l'objectif de la Charte
de la langue française, c'est qu'elle
puisse étudier dans les institutions
francophones. Et c'est de cette façon-là qu'on a réussi à augmenter le taux de
transfert linguistique pour faire en sorte d'assurer la pérennité de la langue
française au Québec par le biais de l'immigration.
M.
Copeman (Russell) : Mais la situation que vous avez décrite, M. le
ministre, concernant la possibilité, pour la personne, d'avoir des
droits de fréquenter pour les enfants et petits-enfants, de un, il faudrait que
cette personne-là devienne citoyenne canadienne, parce que, sans la citoyenneté
canadienne, cette voie n'est pas ouverte à la personne.
Deuxièmement, nous,
on prétend que les écoles anglophones... On dit «anglophones», on ne devrait
pas, hein, on s'entend, on devrait dire «les écoles anglaises», là. Mais même
nous, on fait cette erreur-là. Mais les écoles anglaises sont parfaitement
capables de faire en sorte de préparer les jeunes pour s'intégrer à la société
québécoise, pour apprendre le français et pour parler le français.
Si vous me
demandez : Est-ce que les immigrants doivent aller dans les écoles françaises?,
la réponse, c'est oui. Mais on parle d'une situation temporaire, d'un très
petit nombre. Si... Non, mais, si vous dites, M. le ministre, que
3 000 personnes vont perturber, ultimement, ceux qui restent, ceux
qui deviennent citoyens, ceux qui choisissent de rester au Québec, si vous me
dites que — ça,
c'est beaucoup de «si», là — après
tout ça, quelques milliers de personnes vont
perturber l'équilibre linguistique au Québec, on n'est pas d'accord et on pense que ces
gens-là devraient être capables d'avoir ce permis-là renouvelé.
M.
Jolin-Barrette : Bien, dans un premier temps, c'est plusieurs milliers
de personnes. Et je tiens à réitérer que l'exception pour les diplomates
étrangers et pour les militaires canadiens, ça, ça va demeurer et ça va
continuer de s'appliquer, le renouvellement.
Mais vous nous
dites : Écoutez, on est capables, dans les commissions scolaires
anglophones, de franciser les nouveaux arrivants. Bernard Tremblay, le
président de la Fédération des cégeps, disait, et je le cite : «J'ai des
témoignages de directions générales de cégeps anglophones qui me disent :
Le français des anglophones qui ont fréquenté des commissions scolaires
anglophones au Québec est épouvantable. Ils ne parlent pas français ou à peu
près pas.» Alors, ça, c'est ce que M. Tremblay dit.
Et moi, je m'inscris
en faux avec ce que vous dites, parce que ça va à l'encontre de la Charte de la
langue française de dire : Les personnes immigrantes pourront
fréquenter les écoles anglaises du Québec d'une façon permanente.
Et, je vous
réitérerais aussi, parce que, bon, j'ai eu un petit passé au ministère de
l'Immigration, il y a beaucoup de personnes en situation temporaire qui deviennent immigrants permanents, et qui
obtiennent leur résidence permanente,
et qui obtiennent leur citoyenneté. Et c'est même une volonté du gouvernement
du Québec de faire en sorte que les gens arrivent dans une situation
temporaire pour venir notamment répondre à la pénurie de main-d'oeuvre,
viennent contribuer à la société québécoise, mais en s'intégrant en français à
la société québécoise. Et c'est ça, le pacte social que nous avons au Québec,
de faire en sorte d'assurer la pérennité et la vitalité de la langue française,
de faire en sorte que les personnes immigrantes puissent s'intégrer au Québec
en français.
M. Copeman
(Russell) : Je ne commenterai pas nécessairement le commentaire de...
M. Jolin-Barrette :
M. Tremblay.
M. Copeman
(Russell) : ...de M. Tremblay, sauf pour vous dire que le gouvernement
du Québec reconnaît que les élèves qui sont
diplômés du secondaire V des écoles anglaises au Québec
sont réputés d'avoir une connaissance adéquate du français parlé et
écrit. La preuve de ça, c'est que ces gens-là sont exemptés des tests
linguistiques pour les professionnels.
Alors, si le gouvernement
du Québec, depuis 30 ans, plus, reconnaît que les diplômés des écoles
anglophones secondaires sont réputés d'avoir
une connaissance adéquate du français et de l'anglais, je pense qu'on devrait prendre ça pour acquis. Par ailleurs, M. le ministre,
mes trois enfants, tous des gradués des écoles de la commission scolaire
English-Montréal, pourraient être ici avec nous et discuteraient avec vous dans
un français peut-être pas impeccable, mais sûrement fonctionnel.
M. Jolin-Barrette : Mais ça, c'est très bien, puis je vous en félicite. Mais, fondamentalement, fondamentalement, il y a un enjeu, parce que vous nous
dites : Écoutez, ça fait 30 ans que ça fonctionne de même.
M. Copeman
(Russell) : Ça fonctionne bien.
M.
Jolin-Barrette : Non, non, mais ça fonctionne comme vous voulez que ça
fonctionne. Puis vous êtes d'accord avec le statu quo. Moi, ce que je vous dis,
c'est qu'il y a un enjeu, puis il y a un enjeu pour faire en sorte que les personnes immigrantes s'intègrent en français. Puis la meilleure
façon, et M. Rocher nous l'a dit également,
pour le taux de transfert linguistique, c'est de faire en sorte de les amener
dans le réseau francophone pour faire en sorte que, d'une façon durable, ils
apprennent le français.
Peut-être, avant de
céder la parole à mes collègues, j'aurais une question. Parce que la commission
scolaire English-Montréal est membre de votre organisation. Ils ont nié, dans
une résolution qu'ils ont adoptée, le concept de nation au Québec. Je serais
curieux de savoir qu'est-ce que l'association pense de cette position-là qui...
Par la suite, on a constaté que la commission scolaire English-Montréal s'est
rétractée, mais je pense que c'était un commentaire malheureux de leur part et également déplorable. Alors, je voudrais
savoir, votre organisation, qu'est-ce qu'elle en pense.
M. Copeman
(Russell) : Bien, je pense que, de l'aveu même du président de la commission
scolaire English-Montréal, cette résolution
initiale était mal avisée. C'est un constat qu'on partage. Et le conseil des commissaires de la commission
scolaire English-Montréal, manifestement,
sont venus à conclusion que la résolution était mal avisée, parce qu'ils
l'ont résiliée. Alors, pour moi, c'est la fin de l'histoire.
M. Jolin-Barrette : Parfait. Je vous
remercie beaucoup pour votre présence à la commission parlementaire. Je sais
que mon collègue de Sainte-Rose souhaite vous poser des questions.
La Présidente (Mme Thériault) : Oui.
Et, M. le député de Sainte-Rose, il vous reste 3 min 30 s à
l'échange.
M.
Skeete : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Vous avez parlé tantôt que vous n'êtes pas
démographes et que vous ne voulez pas
vous éparpiller dans des domaines qui ne touchaient pas l'éducation. En
regardant votre mémoire, je constate
que vous parlez ici d'accès à la justice, modifications constitutionnelles. En
quoi le présent projet de loi
affecte votre quotidien à l'intérieur de ces juridictions-là — juridique,
Constitution, dérogation, etc.?
M. Copeman (Russell) : Alors, M. le
député, nous avons quelques préoccupations, et c'est évidemment une question
d'interprétation. Quand il y a un amendement constitutionnel à la Constitution
du Canada qui indique que le français est la seule langue officielle du Québec,
est-ce qu'il n'y a pas possibilité ou une apparence de conflit potentiel avec la section 133 de l'acte
constitutionnel de 1982, qui indique, en autres, que le français et l'anglais
peuvent être utilisés dans la législature et dans les tribunaux? Alors, on pose
la question, M. le député. Et je pense que vous allez constater, dans les jours qui suivent, qu'il y a, effectivement, une différence d'interprétation parfois dans ces choses-là.
En termes d'accès à la justice, la même chose.
La disposition de la loi n° 96 qui indique qu'il faut
que ce soit le ministre de la Justice et le ministre responsable de la Langue
française, en l'occurrence la même personne, pour l'instant, qui doit autoriser si les juges peuvent avoir une
connaissance de l'anglais, nous craignons que ça peut restreindre le
bassin de juges avec une connaissance suffisante de l'anglais pour entendre des
causes, et ça... Je vois le ministre de la
Justice qui fait signe que non. Tant mieux. Qu'on nous éclaircisse ça, aucun
problème, mais c'est une préoccupation majeure. Et ça, c'est également
un droit constitutionnel.
• (11 h 50) •
M. Skeete : Mais vous savez comme
moi, certainement, par vos nombreuses années à ce Parlement, que la clause
dérogatoire ne touche pas tous les paragraphes de la Constitution. On parle,
ici, de 2 et de 7 à 15. Donc, en quoi votre inquiétude sur ces clauses-là
pourrait affecter le service rendu aux Québécois d'expression anglaise?
M. Copeman
(Russell) : Bien, c'est l'utilisation de la clause dérogatoire pour
toutes les dispositions de la loi n° 96 et,
par le biais de 96, à toutes les dispositions de la Charte de la langue
française.
M. Skeete : Ça vous affecte dans
votre mandat, votre mission, à l'éducation.
M. Copeman (Russell) : Bien, si on
interprète, M. le député, possiblement, qu'il y a conflit entre des articles du
projet de loi n° 96, et si quelqu'un veut tenter de contester ces articles-là en vertu de la charte québécoise ou en vertu de la charte canadienne, ils ne pourront pas le faire à cause de la clause
dérogatoire. Et nous, on pense que, dans une société de droit, les citoyens, les organismes devraient avoir la possibilité de contester des lois, comme a fait l'ACSAQ, avec succès, par ailleurs, récemment.
La Présidente (Mme
Thériault) : Et ceci met fin à l'échange. Donc,
je vais me tourner maintenant du côté de l'opposition
officielle. Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys, la parole est à vous.
Mme
David : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lamoureux.
Bonjour, M. Copeman. Rebienvenue à l'Assemblée
nationale.
Écoutez, je vais revenir sur ce qui
vous préoccupe le plus, c'est-à-dire la question des enfants de ressortissants
étrangers. Moi qui pensais avoir l'exemple parfait, je pense que ça
reste un exemple intéressant, Kamala Harris, qui est venue passer cinq ans et
qui est repartie. Je pensais que c'était ça, l'exemple type. Donc, je vais vous
poser un certain nombre de questions, peut-être complémentaires à celles du
ministre.
Il y a quatre... Parce que ce n'est pas simple,
hein, ça, on navigue dans des choses, là, compliquées. Il y a quatre catégories
de personnes qui séjournent temporairement : il y a les ressortissants
étrangers — je
pense que c'est la seule catégorie visée par, justement, l'article 56 — il y
a les citoyens canadiens qui séjournent au Québec pour y étudier ou y travailler, les ressortissants affectés au Québec à
titre de représentants d'un pays — alors, ça, c'est vraiment la
diplomatie — ou
d'un organisme international étranger — là, je ne suis plus trop sûre
si c'est l'ONU ou... etc. — et
les membres des Forces armées canadiennes.
Alors, vous,
vous mentionnez, dans votre mathématique, d'ailleurs bien expliquée, qu'il y a,
donc, 4 108, selon votre analyse, là, votre sondage interne des
commissions scolaires, 4 108 des quatre catégories, dont on soustrait une seule catégorie, qui est les militaires. Vous ne
soustrayez pas les représentants diplomatiques ou organisme
international étranger. Ça a peut-être...
M. Copeman (Russell) : C'est parce
qu'on n'avait pas ces chiffres, Mme la députée. C'est tout.
Mme David : O.K. Donc,
c'est minimalement, disons, 4 108 moins 926, mais ça pourrait être moins
1 500, disons, plutôt que 926. C'est ça?
M. Copeman
(Russell) : Tout à fait.
Mme David :
O.K. Donc, c'est le total moins une des trois autres catégories, qui serait exemptée.
Il reste, donc, les enfants comme Kamala Harris. Sa mère, à l'époque, dans les
années 70... Et elle, elle a diplômé en 1980. Elle a donc, comme on avait dit,
là, dans les journaux, quand, évidemment, Joe Biden a été élu, Kamala Harris, Montréal
célèbre l'assermentation de Kamala Harris... Elle a passé cinq ans.
Et là, bon, tout le
monde était bien fier, mais c'est parce que sa mère était chercheure, invitée à
statut de chercheure, à l'Université McGill. Elle y est restée cinq ans et elle
a décidé de repartir avec Maya et Kamala après cinq ans. D'ailleurs, Kamala a
même passé un an, si je me souviens bien des articles, là, un an dans un système
francophone, puis après ça elle est allée à l'école Royal... Royal quelque
chose, là, de Montréal. Alors, elle était dans le secteur public et puis après
elle est repartie.
Ça, c'est un exemple à
peu près typique d'un ressortissant étranger? Parce que, là où je suis mêlée
puis où je pensais comprendre, avec votre mémoire... Vous dites bien que, dès
que la mère de Kamala, pour continuer notre exemple, aurait décidé :
J'aime tellement être à McGill, belle carrière, j'adore la ville, etc., je
demande mon CSQ, certificat de sélection du Québec, Kamala finit son année, admettons
qu'on est au mois d'avril, elle finit son année, bien, elle est obligée d'être
soumise à la loi 101. Même si le CSQ prend un an, deux ans, trois ans
avant d'arriver, dès le jour où elle dépose sa demande, elle est obligée de
passer au système francophone parce que, là, elle est considérée comme
quelqu'un qui veut rester au Québec.
M. Copeman
(Russell) : La pratique veut, Mme la députée, que, dès une personne
qui séjourne de façon temporaire au Québec
fait application soit pour un certificat de sélection du Québec ou pour statut
de réfugié, à la fin de cette année
scolaire là, si cette personne a des enfants à charge, ils doivent s'inscrire
dans des écoles françaises, doivent.
Alors,
la situation dont parle le ministre va venir, possiblement, quand ces
personnes-là deviennent citoyennes, quand ils ont des enfants... Et,
possiblement, les enfants vont avoir le droit de fréquenter s'ils ont fait la
majorité de leur enseignement en anglais au primaire. C'est assez compliqué,
là, on s'entend.
Mme David :
C'est là qu'intervient la fameuse notion de parcours authentique? Si Kamala...
Si sa mère était restée 10 ans au lieu de cinq ans, Kamala aurait pu
rester 10 ans, selon la loi 101 actuelle. C'est ça?
M. Copeman
(Russell) : Oui, mais, pour que les enfants de Mme Harris aient
droit à s'inscrire dans les écoles anglophones, la situation décrite par le
ministre, il faudrait que Mme Harris devienne citoyenne canadienne et,
deux, qu'elle a passé la majorité de son éducation en anglais au primaire. Là,
on est dans beaucoup de «si», Mme la députée, là. On soustrait, on soustrait, on
soustrait.
Mme David :
Et il reste peut-être quelques dizaines, centaines de...
M. Copeman
(Russell) : Je l'ignore. Par ailleurs, on a fait une demande d'accès à
l'information au ministère de l'Éducation pour avoir plus de détails sur ces
sujets-là, demande qui a été faite le 3 août. Alors, le ministère avait
jusqu'à 30 jours au maximum de répondre à cette question en vertu de la loi
sur l'accès à l'information, et nous sommes le 23, et il n'y a toujours pas de
réponse du ministère. Alors, je ne peux pas vous éclairer plus parce qu'on n'a
pas ces détails-là.
Mme David :
O.K. Et je comprends que ça, c'est la partie qui vous inquiète le plus dans...
ou qui vous affecte le plus. Parce que vous dites : On n'a déjà plus
beaucoup d'étudiants, d'élèves, on en perdrait encore plus. Et, si on trouvait les bons chiffres... Ce serait
vraiment bien qu'il y ait une réponse de cette demande d'accès à
l'information. On pourrait peut-être travailler avec des vrais nombres, des
vraies quantités d'étudiants, et peut-être qu'à ce moment-là le ministre
montrerait une certaine ouverture à un problème qui ne semble pas si répandu.
M. Copeman
(Russell) : Incluant le nombre de personnes qui séjournent
temporairement, qui deviennent citoyens, qui...
Mme David :
Citoyens, qui demandent le...
M. Copeman
(Russell) : Moi, je n'ai pas ces chiffres. J'ai toujours cru que c'est
important pour les parlementaires de travailler avec les faits.
Mme
David : O.K. Merci. Vous avez raison, mais je veux laisser la parole à
mon collègue de D'Arcy-McGee, un comté que vous connaissez, quand même,
et pour poser...
M. Copeman
(Russell) : Comté voisin.
Mme David : Voilà.
La
Présidente (Mme Thériault) : ...député de D'Arcy-McGee, vous avez
4 min 15 s.
M. Birnbaum :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lamoureux, M. Copeman. Ça m'a
fait plaisir d'entendre votre présentation,
surtout, d'avoir comblé les fonctions de M. Copeman pour une dizaine
d'années moi-même, dont... Tout au
long du temps, j'étais très fier de voir les écoles anglaises du Québec comme
vecteur de la francisation, et vous en avez parlé un petit peu.
Je me permets de
noter aussi notre déception de savoir que nous n'êtes qu'un de quatre groupes
issus de la communauté québécoise de langue anglaise qui aurait été convoqué à
ces audiences. Il y en avait plusieurs autres qui auraient souhaité avoir
l'opportunité.
Je veux revenir à la
page 15 de votre mémoire, vous en avez fait référence lors de vos
remarques, et je vous cite : «Enfin, il n'est pas très clair si le projet
de loi n° 96 modifie les exigences pour les
commissions scolaires en matière de langue de communication avec les personnes
morales.»
Malgré les petites
déclarations du ministre, je crois que c'est une préoccupation que nous aurions
entendue souvent et dont a fait écho, lors d'une rencontre que j'ai eue avec
Kathy Korakakis, présidente du English Parent's Committee Association... Et je
me permets de la citer, parce qu'elle aurait aimé comparer devant ces audiences
aussi, et elle note : «Specifically, it is unclear to
EPCA whether important documents regarding a child's education are going to be
solely made available in French with no option for English even in the English
educational system. We fear that this will create barriers for English only
parents to play an active part in their child's education. In turn, this lack
of involvement from parents, caused by such an unequal system, will have
drastic negative impacts on our students, and this will be particularly
exacerbated for those students who have IEPs — des plans individuels de l'éducation — and other vulnerable members of our school communities.»
I
wonder if... si je peux vous inviter d'élaborer là-dessus, vos inquiétudes
précises en ce qui a trait au projet de loi devant nous.
• (12 heures) •
La Présidente (Mme
Thériault) : ...pour le faire.
M. Copeman
(Russell) : M. le député, nous ne partageons pas nécessairement
exactement la même lecture de Mme Korakakis en ce qui concerne la
communication avec les parents ou les étudiants. Parce que l'article 28 de
la charte existe toujours sans être modifié, c'est-à-dire que la commission
scolaire peut communiquer, pour des raisons pédagogiques, en anglais seulement.
Alors, je pense que c'est assez clair. Si ça ne l'est pas, il faudrait que
quelqu'un nous le dise. Mais, à notre lecture, c'est assez clair.
La question est plus
avec les personnes morales, comme le English Parent's Committee Association,
comme nos syndicats, comme d'autres partenaires communautaires qui sont des
personnes morales. Est-ce qu'on aura toujours la capacité, selon le projet de
loi n° 96, de communiquer avec eux en anglais, que ce soit français et
anglais ou anglais seul, à la limite? Et ça, ce n'est pas très clair. Et nous
l'avons même examiné avec des avocats puis... Deux avocats, trois opinions,
hein? Alors, on a eu trois opinions. On aimerait avoir une opinion pour savoir
l'intention du législateur.
La Présidente (Mme
Thériault) : ...c'est beau? Il vous reste 40 secondes. C'est
beau?
M. Birnbaum :
Ah! je n'avais pas compris.
La Présidente (Mme
Thériault) : Il vous en reste 30 maintenant.
M.
Birnbaum : Je vous invite de parler un petit peu de vos inquiétudes de
façon générale. N'y a-t-il pas — ce que j'entends souvent — un sentiment d'appartenance à notre Québec,
et à l'avenir de la langue française au Québec, et notre rôle là-dedans,
qui n'est pas reflété dans les constats ni les articles de ce projet de loi là?
La Présidente (Mme
Thériault) : 10 secondes.
Une voix :
...
La Présidente (Mme
Thériault) : Et je vais devoir couper le micro. Les 10 secondes
sont passées. Désolée.
Une voix :
M. le député...
La Présidente (Mme
Thériault) : Non, je ne peux pas vous laisser répondre, désolée. Le
temps est passé, malheureusement. Donc, je vais me tourner vers la députée de Mercier
pour 2 min 45 s.
Mme
Ghazal : Merci. Bonjour,
messieurs. Merci pour votre présentation. Je voudrais vous poser une
question sur la disposition de dérogation. Le ministre veut l'appliquer
partout, sur tous les articles. Si, par exemple, il décidait de ne l'appliquer
que sur quelques articles uniquement, en expliquant pourquoi, seriez-vous
toujours contre?
M. Copeman (Russell) : Je pense, ça
dépend du contexte, Mme la députée. Je peux vous citer le... très brièvement,
le dernier jugement du juge Blanchard.
Mme
Ghazal : J'ai peu de temps, donc je ne sais pas...
M. Copeman
(Russell) : Je comprends. «Par définition, dans une société soucieuse
de respecter les droits fondamentaux qu'elle accorde à ses membres,
l'utilisation de la clause de dérogation devrait se faire de façon
parcimonieuse et circonspecte.»
Mme Ghazal :
Donc, vous n'êtes pas contre, en principe. Très bien. Merci. J'avais une autre
question aussi.
Il y a, aujourd'hui,
une jeune leader anglophone, interviewée dans La Presse, qui
disait qu'elle était inquiète que le projet de loi n° 96 nous fasse
retourner dans l'antagonisme des deux solitudes, qu'elle a un sentiment, comme beaucoup d'anglophones du Québec, jeunes
anglophones du Québec, un sentiment d'appartenance à la culture
française du Québec.
Il y a M. Guy
Rocher, hier, qui nous disait qu'on avait des préjugés mutuels, les
anglophones, les francophones, et qu'il comptait sur les anglophones du Québec
pour nous protéger contre le «Québec bashing» dans le reste du Canada, qui ne
nous connaissent pas.
J'aimerais savoir
comment est-ce que vous voyez votre rôle dans cette responsabilité de nous unir
ensemble au Québec aujourd'hui. Comment est-ce que vous voyez ça pour la paix
linguistique?
M. Copeman
(Russell) : Bon, en 30 secondes, Mme la députée.
Mme Ghazal :
Je ne sais pas. Moi, j'aimerais ça en avoir plus, mais...
M. Copeman
(Russell) : M. Lamoureux, moi, ses enfants, mes enfants, nous
sommes des Québécois à part entière. Nous avons décidé de s'implanter au
Québec, de rester au Québec. Mes trois enfants sont au Québec, ce qui est
relativement rare dans la communauté anglophone, de trouver la totalité des
enfants d'une deuxième génération toujours au Québec. Parce qu'on aime le
Québec, parce qu'on veut rester au Québec.
La
loi n° 96 ne nous unit pas, comme Québécois et
Québécoises. Je ne peux que le constater. Alors, peut-être, je supplie aux parlementaires de prendre ça en
considération quand on discute des dispositions individuelles du projet de loi.
Mme
Ghazal : Le ministre a une responsabilité, nous avons une
responsabilité ici, les membres de la commission, comme parlementaires.
Moi, j'avais envie de savoir, autre que de nous dire que vos enfants sont ici, vous, qu'est-ce qui pourrait être fait, qu'est-ce
que vous, vous pouvez faire, cet appel des jeunes anglophones du Québec
qui disent : On voudrait même avoir plus de français, par exemple, dans
nos cours, on aimerait être beaucoup plus bilingues...
La Présidente (Mme
Thériault) : Et, malgré l'importance de la question, on a déjà dépassé
10 secondes, donc je dois mettre fin à l'échange. Désolée. M. le député de
Matane-Matapédia, pour votre temps.
M. Bérubé :
Merci. Dans ce pays, l'anglais n'est pas menacé. Le français est menacé. Au
Québec, le français est menacé. Vous n'avez
pas voulu intervenir sur cette question-là. Manifestement, vous n'avez pas
d'opinion là-dessus. Vous représentez vos membres, soit.
Au Parti québécois,
on souhaite colmater une brèche, dans la loi 101, qui permet aux enfants
de résidents temporaires d'aller à l'école en anglais. Et ce phénomène-là, il a
une augmentation significative : 2 010 élèves en 2010, puis
maintenant 4 428 en 2019. Nous sommes d'avis qu'il faut s'intégrer dans la
langue officielle, dans la langue commune. Si on allait en Allemagne, ce serait
en allemand. Si on allait au Brésil, ce serait en portugais. Pourquoi ce serait
différent au Québec?
Tout à l'heure, vous
nous avez dit : Mais ça nous cause préjudice. Comment? Le financement?
L'influence de la communauté anglophone à Montréal et au Québec? J'aimerais
vous entendre là-dessus.
M. Copeman
(Russell) : Les chiffres dont vous parlez, M. le député, nous ne les
avons pas, outre que par le biais du Devoir.
M.
Bérubé :
Ah! bien, j'ai une autre source que je vais vous fournir.
M. Copeman
(Russell) : Bien, magnifique, parce que nous, on a fait une demande
d'accès à l'information pour valider ces sources-là, ces informations-là, et on
n'a pas obtenu réponse dans les délais normaux. Alors, c'est difficile de
commenter, outre le fait... Dans l'article du Devoir, on parle que les
séjours temporaires, au total, ont triplé depuis 2010, triplé, et les demandes
d'autorisation temporaire à l'enseignement en anglais ont doublé.
M.
Bérubé :
Mais ce n'est pas ça, ma question. Pourquoi vous voulez qu'ils aillent dans
votre réseau au lieu du réseau de la langue commune et la langue officielle au
Québec? Vous contestez ça?
M. Copeman
(Russell) : Non. On pense que, pour certaines catégories de personnes
qui viennent au Québec de façon temporaire... que ce serait utile et
intéressant de les permettre d'envoyer leurs enfants à l'école en anglais,
comme Dre Gopalan Harris a fait avec Kamala et Maya.
M.
Bérubé : Ah! bien
là, cessez de prendre cet exemple-là, il y en a bien d'autres. Je veux dire...
M. Copeman
(Russell) : Oui. C'est intéressant comme exemple.
M.
Bérubé : Tant qu'à
ça, vous savez qu'il y aurait une belle unité si tout le monde parlait anglais
aussi, mais ça enlèverait quand même
pas mal de l'unicité du Québec. Alors, si le Québec est francophone, et
c'est la langue officielle, et que
l'accueil ne se fait pas automatiquement en français, c'est qu'on fait un autre
choix qui n'est pas le mieux.
Mais, quand vous dites que ça cause préjudice,
c'est soit le financement soit l'influence de la communauté anglophone. Bien,
dans les deux cas, et comme vous ne voulez pas indiquer que le français est
menacé, moi, ça me cause problème, et je vais mener cette bataille-là.
Et le ministre, qui se targue d'avoir un projet
de loi qui est modéré... Malgré que c'est modéré, vous êtes quand même contre.
Imaginez, ça pourrait être bien pire, parce qu'il y a d'autres mesures qui
devraient être prises, quant à moi, si on est sérieux pour stopper le déclin du
français. Nous, nous le réalisons. Je vous fournirai également des chiffres sur
ce déclin, puis peut-être que vous aurez une opinion plus ferme là-dessus,
nouvelle.
La Présidente (Mme Thériault) : Et
ça met fin à l'échange. Donc, nous allons suspendre quelques instants. Merci
d'être venus en commission parlementaire.
Nous suspendons nos travaux quelques instants.
Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 09)
(Reprise à 12 h 12)
La Présidente (Mme Thériault) : Nous
reprenons maintenant nos travaux. Donc, nous recevons M. André Binette.
M. Binette, vous avez à peu près 10 minutes pour nous présenter votre
mémoire et votre point de vue. Par la suite, il y aura des échanges avec le ministre
et les représentants des différentes oppositions. La parole est à vous.
M. André Binette
M. Binette (André) : Mme la
Présidente, je vous remercie pour l'invitation de cette commission à exprimer
un avis sur les aspects constitutionnels du projet de loi n° 96.
C'est à la fois un honneur et une responsabilité. Je reformulerai brièvement
les principaux éléments de mon mémoire, en ajoutant quelques commentaires.
Dans la première moitié de mon mémoire, j'aborde
trois questions distinctes : les règles d'interprétation judiciaire de la Charte
de la langue française, les pouvoirs d'inspection de l'Office québécois de la
langue française et les droits ancestraux autochtones de nature linguistique.
Sur le premier point, j'estime que la jurisprudence
claire et ferme de la Cour suprême du Canada relative à l'article 133 de
la Loi constitutionnelle de 1867 ne permet pas à l'Assemblée nationale de dire
aux tribunaux d'accorder la primauté à la version française des lois du Québec.
Cette jurisprudence établit une symétrie rigoureuse entre les statuts de l'anglais
et du français devant les tribunaux, à l'Assemblée nationale et au Parlement du
Canada, ce qui est l'un des éléments principaux de l'entente politique qui est
le fondement de la création du Canada. La Cour suprême a constamment préservé
avec vigilance les termes de cette entente. L'article 5 du projet de loi
est donc inconstitutionnel à mes yeux et devrait être retiré.
Qui plus est, l'article 5 n'est pas nécessaire
parce que le projet de loi contient une autre nouvelle règle d'interprétation,
qui se trouve à l'article 63 et qui, elle, est valide. Cette seconde règle
demande aux tribunaux, de manière identique
dans les deux versions officielles, d'interpréter la Charte de la langue française de manière à atteindre ses objectifs de
promotion du français. Cette seconde règle est suffisante à mes yeux.
Sur le deuxième point, relatif aux pouvoirs
d'inspection, je souligne les limites des clauses dérogatoires. Même si
celles-ci sont valides, elles ne peuvent prémunir, à mon avis, les lois du Québec
contre les contestations judiciaires, des actes abusifs ou disproportionnés des
représentants de l'État en regard des chartes des droits. Les chartes des
droits continueront de s'appliquer aux actes administratifs qui découlent des
pouvoirs accordés par la Charte de la langue française. Les clauses
dérogatoires protègent les lois au nom du principe constitutionnel de la souveraineté
parlementaire, qui est un élément central de la Constitution canadienne. La souveraineté
parlementaire ne peut pas, à mon avis, immuniser les actes des inspecteurs qui
contreviennent aux chartes des droits, parce que ce serait contraire au
principe encore plus fondamental de la primauté du droit. Je suis convaincu que
les avocats de la défense au Québec seront du même avis.
En ce qui concerne les droits linguistiques
autochtones, je vous renvoie à mon mémoire, en ajoutant ce qui suit. Il y a
quelques années, il se trouvait, à l'Assemblée nationale, au moins un député
autochtone, et quelques-uns au niveau fédéral. Ce député avait, selon moi, le
droit constitutionnel ancestral de s'exprimer dans la langue de sa nation
d'origine à l'Assemblée nationale et que ses propos soient traduits aux frais
de l'État, de manière qu'ils soient compris par tous les parlementaires. Il en
est de même des témoins autochtones devant une commission parlementaire telle
que celle-ci. Cela est vrai, même si l'article 133, le règlement de
l'Assemblée nationale ou les lois du Québec ne le prévoient pas.
J'ai appris récemment que 35 langues
autochtones peuvent être traduites par les interprètes officiels de la Chambre des communes. Si ce n'est pas déjà le
cas, j'estime que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982
exige que des mesures semblables soient prises
pour les langues des 11 nations autochtones reconnues par l'Assemblée
nationale.
La deuxième moitié de mon mémoire
porte sur la tentative d'inscrire la nation québécoise et sa langue
commune de manière unilatérale dans la Constitution canadienne. J'estime que
cette tentative est vouée à l'échec, parce que l'article 159 du projet
de loi est inconstitutionnel pour le
motif principal suivant : l'article 159 n'entre pas dans le
champ d'application de l'article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982,
qui permet à l'Assemblée nationale de modifier la constitution du Québec
unilatéralement.
La
constitution du Québec existe depuis 1867, mais elle n'est pas codifiée. À
titre de comparaison, les constitutions québécoise et britannique ne
sont pas du tout codifiées, la Constitution canadienne l'est partiellement, et
les constitutions française et américaine le sont entièrement. Les autres
provinces peuvent, comme le Québec, codifier leurs constitutions, mais la
constitution du Québec est la seule constitution provinciale à être aussi celle
d'une nation, ce qui lui donnera un contenu différent, ce qui lui donne déjà, à
mon avis, un contenu différent.
L'article 90 de
la Loi constitutionnelle de 1867 a la particularité exceptionnelle de faire à
la fois partie des constitutions des provinces et du Canada, alors que ces
constitutions sont distinctes pour le reste et ne sont pas de même nature juridique, comme on peut le voir
clairement dans d'autres fédérations. L'article 159 repose sur le
postulat erroné que, puisque l'article 90 recoupe la constitution
provinciale, il peut être modifié par l'Assemblée nationale agissant seule au
moyen de l'article 45.
C'est l'inverse qui
est vrai. Lorsqu'une disposition de la constitution du Québec, à mon avis, fait
aussi partie de la Constitution du Canada, elle ne peut être modifiée que par
une procédure de modification multilatérale, qui est, dans ce cas, la procédure
la plus exigeante de l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui
requiert l'unanimité fédérale-provinciale.
L'article 159 se
trompe de constitution. Il manque de réalisme constitutionnel. Les éléments
qu'il cherche à ajouter à la Constitution canadienne et que je propose de
développer ne peuvent être ajoutés qu'à une constitution nationale du Québec
qui serait codifiée. Si l'article 159 est adopté, je prévois qu'il sera
immédiatement contesté et que le Procureur
général du Québec ne pourra éviter un revers cuisant devant les tribunaux. Je
ne peux concevoir que la Cour suprême
du Canada voudra reconnaître sa validité, puisqu'il modifie considérablement
l'architecture constitutionnelle dont elle est la gardienne.
Les reconnaissances
politiques de la nation québécoise par le premier ministre du Canada et la
Chambre des communes ne sont nullement déterminantes dans ce débat juridique.
Je rappelle que la demi-douzaine de jugements les
plus fondamentaux de la Cour suprême depuis 50 ans ont tous, sans
exception, été des rebuffades du gouvernement fédéral du moment, y
compris, quoi qu'on en dise, le renvoi sur le rapatriement de 1981. C'est
doublement vrai en matière autochtone.
• (12 h 20) •
J'ouvre ici une
parenthèse. Je laisse ici, dans mon mémoire, la version française de
l'article 90 de 1867. Cette version n'existe pas sur le plan juridique, ce
qui est contraire à l'article 55 de la Constitution de 1982, qui ordonnait
au gouvernement canadien de traduire dans les meilleurs délais la Constitution
de 1867 et de donner à la version française
une pleine valeur juridique, égale à la version originale anglaise. Au moment
où la nation québécoise exerce son droit
à l'autodétermination interne pour renforcer la protection du français, il
serait justifié, après 40 ans, que le Procureur général du Québec demande à la Cour supérieure un
jugement déclaratoire qui constatera ce manquement constitutionnel
majeur par le gouvernement du Canada. Le gouvernement du Québec ne ferait la
preuve ainsi que de sa cohérence et de son respect pour la primauté du droit.
Je referme la parenthèse.
Je conclus en vous
exprimant ma lecture fondamentale du droit constitutionnel canadien. Le Canada
est un État multinational composé de la
nation canadienne, de la nation québécoise et des nations autochtones. La
Constitution du Canada est la Constitution de la nation canadienne, qui a été
imposée à deux reprises à la nation québécoise, en 1867 et en 1982. Elle a
aussi été imposée aux nations autochtones en 1867. La Constitution de 1982 n'a
reconnu les droits de celles-ci que de manière partielle et tronquée.
Chaque
nation possède un droit inhérent à l'autodétermination. Il a beaucoup été
question du droit à l'autodétermination externe dans les deux
référendums sur la souveraineté, mais, dans la vie de tous les jours, le droit à l'autodétermination interne est beaucoup plus
concret. Toutes les lois majeures du Québec, du Code civil à la loi n° 21 et au projet de loi n° 96, sont des expressions
du droit à l'autodétermination interne de la nation québécoise. Ce droit à
l'autodétermination interne n'a pas été respecté par la nation canadienne en
1867 et en 1982.
Ceux et celles qui
veulent garder le Canada uni ont une immense tâche constitutionnelle qui les
attend d'urgence, celle de rédiger des constitutions pour chacune des nations
qui forment le Canada et de les réconcilier entre
elles. S'ils n'acceptent pas cette tâche ou s'ils échouent à la remplir, les
tensions constitutionnelles s'accroîtront continuellement, et la
question de l'autodétermination externe se posera presque sûrement à nouveau.
Pour bien la remplir, il ne faut surtout pas
confondre les constitutions de différentes nations. La question de la
coexistence des nations au sein d'un même État est universelle. Elle
est, avec la crise climatique, qui pourrait d'ailleurs l'aggraver, l'une des
plus grandes questions du XXIe siècle. Je vous remercie de votre
attention.
La
Présidente (Mme Thériault) :
Merci, M. Binette, pour votre présentation. Donc, sans plus tarder, nous
allons aller avec le bloc d'échange avec le ministre. Vous avez 16 minutes
et quelques secondes, M. le ministre.
M.
Jolin-Barrette : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Binette.
Merci d'être présent et de participer à nos travaux.
Écoutez,
moi, je trouve ça très intéressant, vos propos, qui relèvent du droit
constitutionnel, et je suis convaincu que mes collègues sont tout aussi
passionnés. Avec ce que vous avez dit, je suis en désaccord avec certaines
parties, mais, si vous voulez, on va explorer d'une façon plus profonde.
Essentiellement,
ce que je retiens, notamment, de votre propos relativement à la Constitution, notamment,
la constitution québécoise, vous, ce que vous souhaitez, c'est que le Québec se
dote de sa propre constitution. Vous dites,
dans le fond : La Constitution canadienne, la Loi constitutionnelle de
1867, la Loi constitutionnelle de 1982, le Québec n'a pas été consulté,
donc ça appartient à la nation canadienne, cette Constitution-là, et
nous-mêmes, nous devrions nous doter de notre propre constitution ici, au Québec,
qui est composée, notamment, bon, de la loi n° 21,
de la Charte de la langue française, du projet de loi n° 96, qui va y être
ajouté, de la Loi sur l'Assemblée nationale. Est-ce que je comprends bien?
M. Binette
(André) : Oui. Je précise que toutes les provinces peuvent faire la
même chose, mais que, dans le cas exceptionnel du Québec, nous avons affaire à
une nation qui est différente de la nation canadienne. Donc, on parle ici d'une
constitution provinciale qui est aussi une constitution nationale.
Cette constitution
nationale pourrait reprendre toutes les principales dispositions des
principales lois du Québec. Ce n'est pas une opération juridique
particulièrement complexe, mais il suffit de faire un arbitrage, je dirais,
pour intégrer tout ça. Alors, on parle de la loi n° 99,
d'abord, qui a été validée par la Cour d'appel cette année et qui contient une
affirmation du droit du peuple québécois à l'autodétermination, et évidemment
de toutes les lois dont vous avez parlé, y compris le Code civil, la Loi sur
l'Assemblée nationale, la Loi électorale. On pourrait reprendre les principales
dispositions.
Je souligne aussi que
la constitution du Québec existe déjà, que, selon les tribunaux, par exemple,
la Charte des droits et libertés de la personne a déjà une valeur
constitutionnelle, ce qui veut dire qu'elle est au-dessus des lois du Québec
mais en dessous de la Constitution canadienne, ce qui en fait une catégorie
intermédiaire qui serait, justement, celle de la constitution du Québec.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Je vais passer sur un autre sujet, M. Binette. Tout
à l'heure, vous l'avez abordé rapidement. Une des craintes de certains groupes,
c'est l'utilisation des dispositions de dérogation, les dispositions de souveraineté
parlementaire. Et tout à l'heure vous avez dit un élément qui est intéressant.
M. Copeman vient de passer, pour l'Association des commissions scolaires anglophones. Il dit : Bien, écoutez, le fait
d'utiliser les dispositions de souveraineté parlementaire empêche de
contester la loi. Alors... Or, vous, vous dites, sur les pouvoirs de
l'OQLF : S'il y avait abus de pouvoir, les citoyens pourraient tout de
même s'adresser aux tribunaux.
M. Binette
(André) : Oui. Il y a une distinction très claire, en droit
constitutionnel, entre la validité d'une loi et
la validité des actes administratifs qui en découlent. On peut contester, par exemple, une fouille ou une perquisition d'un douanier ou d'un policier
sans nécessairement contester le Code criminel ou les dispositions de la loi
qui autorisent la fouille. Donc, cette
distinction-là va demeurer, même si on utilise une clause dérogatoire. Même s'il n'y a pas encore de la jurisprudence
sur la question, je me sens en terrain ferme, en terrain sûr en vous disant
cela. Je pense que cette distinction-là est
trop bien établie, entre la validité d'une loi et celle des actes
administratifs qui en découlent. Alors, on sait que les autorités
administratives peuvent parfois aller trop loin, peuvent parfois prendre des
moyens abusifs ou disproportionnés, et là je pense qu'on peut rassurer quelque
peu la communauté anglophone en lui disant que ces recours-là vont demeurer.
M.
Jolin-Barrette : Et ça, ce que vous dites, c'est fort important, parce
que, bien souvent, on agite un épouvantail relativement à, justement, cette
validité constitutionnelle là, en disant : Bien, le législateur, de façon préventive, utilise les dispositions de souveraineté parlementaire. Mais
là vous venez, par votre argumentaire très bien explicité, de
dire : Attendez, non, vous pouvez tout de même contester s'il y a un abus
de pouvoir aussi. Donc, ça maintient et ça garantit les droits des citoyens.
Sur un autre point,
est-ce que le projet de loi n° 96 contrevient aux
droits des nations autochtones?
M. Binette
(André) : Non. Ce n'est pas une question de validité du projet de loi n° 96, c'est une question d'applicabilité
constitutionnelle dans certains cas ou dans certaines... pour certaines
personnes ou certaines institutions. C'est
une autre... comment dire, un autre raisonnement, une autre distinction
qui est bien établie en droit constitutionnel.
Pour ce qui est des
droits des nations autochtones, j'ai cité, là, donc, j'ai mentionné des
situations concrètes dans mon mémoire. J'en ai ajouté une autre dans mon
allocution de tantôt. Je pense que ce qu'il faut retenir, essentiellement,
c'est que nous avions deux ou trois éléments majeurs en droit linguistique
constitutionnel, l'article 133 et le partage des compétences en matière
linguistique, qui a donné, d'une part, la Loi sur les langues officielles du Canada
et la loi 101 au Québec. Rien n'est remis en question par les droits
ancestraux autochtones sur ce plan, mais il faut faire de la place. Il faut
leur faire de la place, à ces droits ancestraux autochtones. Donc, ça veut dire
qu'il y a certains droits qui s'ajoutent, qui sont garantis par la Constitution
canadienne depuis 1982, des droits ancestraux autochtones que toutes les
nations autochtones détiennent au Québec, malgré les différences entre leurs
statuts juridiques, qui sont par ailleurs considérables.
Donc, c'est... Et je
termine là-dessus en disant : Il faut quand même se rappeler que ce ne
sont pas toutes les langues autochtones qui sont des langues vivantes. Alors, il
y a une grande inégalité de fait dans la pratique des langues autochtones au Canada
et au Québec. Alors, à un extrême, vous avez la langue mohawk, qui est peu
parlée, qui est enseignée, mais qu'on veut promouvoir, mais, à l'autre extrême,
les Attikameks sont la communauté autochtone au Canada qui parle le plus sa
propre langue à l'intérieur de sa communauté. Je pense que 90 % ou plus des Attikameks parlent leur langue. Donc, il y a
inégalité de fait, une inégalité sociologique mais une égalité juridique
sur le plan des langues autochtones.
M. Jolin-Barrette :
O.K. M. Binette, pouvez-vous nous parler de votre expérience avec les
communautés autochtones, le droit autochtone? Je pense que c'est un de vos
champs de pratique. Pouvez-vous nous parler de votre expérience relativement
aux droits autochtones?
M. Binette (André) : En gros,
j'ai partagé la moitié de ma carrière entre, je dirais, le service... comme
conseiller juridique du gouvernement du Québec et l'autre moitié dans le
secteur privé comme conseiller juridique des nations autochtones. J'ai eu des
contacts approfondis avec chacune des 11 nations autochtones du Québec,
mais j'ai travaillé surtout avec trois d'entre elles : les Innus, sur la
Côte-Nord, les Inuits, dans l'Arctique québécois, et les Anishnabe algonquins,
dans l'ouest du Québec. J'ai également été brièvement conseiller juridique de
l'Assemblée des Premières Nations.
Je précise,
évidemment, que je ne suis pas un porte-parole des autochtones et que je ne
partage pas nécessairement les vues
exprimées par les chefs ou l'Assemblée des Premières Nations. Cependant, mon
expérience professionnelle m'a donné un autre regard, une autre perspective,
qui est sensible à l'affirmation des droits autochtones et qui cherche à
concilier ces droits autochtones avec les compétences du Québec.
M. Jolin-Barrette : Je
comprends que vous avez été, notamment, leur conseiller juridique et vous les
avez représentés devant les tribunaux.
M. Binette (André) :
Exactement, devant les tribunaux dans des dossiers constitutionnels majeurs,
soit en droit environnemental autochtone
soit en droit... je dirais, en droit qui conteste parfois ou qui... affrontait le
Procureur général du Québec devant les tribunaux.
• (12 h 30) •
M. Jolin-Barrette : O.K.
Peut-être, avant de céder la parole à mes collègues, j'aurais une question sur
les éléments rattachés à la francophonie canadienne, que nous insérons dans le
projet de loi. Je veux avoir votre avis, notamment,
sur le fait qu'on va permettre aux communautés francophones hors Québec, incluant les Acadiens, d'avoir la possibilité de venir étudier au même coût que les
Québécois au Québec dans les institutions s'il n'y a pas d'institution
d'enseignement supérieur qui offre les cours dans leur province d'origine.
Qu'est-ce que vous pensez des mesures et du
rôle que l'État québécois doit jouer en termes de support pour les communautés
francophones et acadiennes du Canada?
M. Binette (André) : Je suis
moi-même d'origine franco-ontarienne. J'ai choisi de faire mon cours de droit à
l'Université Laval plutôt qu'à l'Université d'Ottawa et de m'intégrer dans la
fonction publique du Québec, mais je demeure
sensible tant aux réalités autochtones qu'aux réalités, je dirais, des
francophones hors Québec. Donc, j'appuie toute mesure du gouvernement du
Québec visant à promouvoir l'aide aux communautés francophones hors Québec. Je
crois que ces mesures sont parfaitement valides et justifiées.
M. Jolin-Barrette : Peut-être une
sous-question par rapport à ça. Pour les communautés francophones hors Québec,
certains disent : Écoutez, si le Québec met de l'avant des mesures comme
celles-ci, là, pour permettre aux francophones du Canada et aux Acadiens
d'étudier dans leur langue, dans leur programme de leur choix, au Québec... Est-ce que vous pensez que ça a un
impact négatif pour les communautés francophones hors Québec et
acadiennes, le fait que le Québec,
justement, met de l'avant des mesures comme ça pour les francophones hors
Québec? Quelle doit être la position du Québec par rapport aux autres gouvernements
comme ça pour, justement, appuyer ces communautés francophones et ne pas leur
nuire? Parce que, souvent, dans... au cours de l'histoire, les 40,
50 dernières années, peut-être, parfois, que les communautés francophones ont
perçu un désintéressement du Québec. Et ce n'est pas le choix que je
fais, que le gouvernement du Québec fait. On veut être en support. Alors,
pouvez-vous nous renseigner là-dessus?
M. Binette (André) : En tant que
juriste, il est bien clair que les provinces n'ont pas une compétence
extraterritoriale. Cependant, ça s'applique seulement au pouvoir législatif. Au
pouvoir exécutif, le pouvoir peut... Le pouvoir exécutif, lui, peut offrir des
programmes qui peuvent s'étendre à l'extérieur du Québec ou même exercer le
pouvoir de dépenser, provincial, par exemple, pour la représentation dans les
autres provinces ou à l'étranger. Et je...
Ce qu'on peut
reprocher au Québec dans certaines provinces, y compris par, peut-être... chez les francophones, c'est
qu'il intervient... il tente d'exercer une compétence extraterritoriale. Mais
je pense que... Autrefois, on parlait de la nation canadienne-française,
que c'est d'un océan à l'autre. Aujourd'hui, on parle d'une nation québécoise
qui tend la main à des communautés francophones ou qui leur offre un soutien — mais
aux États-Unis aussi — qui
ont besoin de cette aide, qui ont besoin de ce soutien culturel. Et je pense
que, dans la plupart des cas, cette aide sera la bienvenue. Elle est
parfaitement justifiée à mes yeux.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
Binette, pour votre passage en commission parlementaire. Je vais céder la
parole au député de Saint-Jean et au député de Chapleau.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Donc, M. le député de Saint-Jean, vous avez 5 min 40 s.
M. Lemieux : Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Bonjour, M. Binette.
M. Binette (André) : Bonjour.
M. Lemieux :
Je suis content que la conversation ait dérivé vers les francophones du reste
du Canada, d'abord, parce que
je ne suis pas constitutionnaliste, même si j'aime ça — n'importe
quel journaliste dans les années 70, 80, 90 était obligé d'aimer ça — je ne
suis pas avocat non plus puis je ne suis pas d'accord avec vous. Alors, par rapport
à ce que vous énoncez comme opinion sur la validité et l'à-propos d'inclure
dans la Constitution, et la force que ça aurait, la dimension québécoise
de la langue française, même si je vois où vous voulez aller avec la
constitution, éventuellement, québécoise... Et ça aussi, je trouve ça
intéressant.
Mais revenons, donc, ou continuons avec la
partie hors Québec. Parce que, c'est vrai, il n'y a pas de compétence extraterritoriale. Une province, c'est
une province. Mais les Québécois, de par leur nature, parce qu'ils sont la nation francophone
au Canada, ont de l'influence, une influence directe puis
indéniable. Ils ont aussi une responsabilité. Est-ce qu'on peut, à l'égard des autres francophones du reste du Canada
et des Acadiens... Est-ce que ça, ça peut venir aider le Québec à aider
les autres francophones, d'un point de vue légal, quand même?
M. Binette (André) : Je suis d'accord
avec ça. Je pense que le Québec est libre de se donner cette responsabilité politique,
même si elle n'existe pas dans la Constitution canadienne. Rien n'empêche que,
sur le plan politique, ça puisse se faire.
Et, deuxièmement, je pense que, dans la plupart
des cas, elle sera la bienvenue. Donc, je pense que, même si les définitions
des nations ont changé... Comme je le disais tantôt, les nations se
définissaient autrefois sur une base ethnique. Donc, c'était la nation canadienne-française,
descendante des colons français. Aujourd'hui, les nations, comme la Cour
d'appel l'a reconnu au printemps dernier dans l'affaire sur la loi n° 99,
se définissent sur une base territoriale, c'est-à-dire tous les habitants d'un
territoire, le Québec, quelles que soient leurs origines ethniques ou culturelles. Donc... Mais rien n'empêche que, dans ses agissements avec des membres de la nation
canadienne qui sont aussi une... des minorités francophones à
l'extérieur du Québec... que le Québec agisse en leur offrant son soutien.
M. Lemieux : Plus que moral, oui. Et
mes 15 années au Canada anglais, en particulier en Acadie et dans l'Ouest,
me disent que vous avez le doigt sur le bon levier par rapport à l'aide dont
ils ont besoin et la responsabilité plus que morale qu'on a.
Il y a... Et là je vais dans l'ensemble, sans
essayer de jouer au fin finaud avec la Constitution, mais je vous emmène quand
même dans une partie, une nouvelle partie du droit qu'on aura avec la loi n° 96,
si tant est qu'elle est adoptée comme elle
est présentée, où il y a
une notion de droits collectifs. Parce qu'on ajoute, dans le préambule de
la Charte de la langue française, ce que je vous appelle une notion, là, en termes
vulgarisés, sur le droit collectif. Est-ce
que ça a des assises, ça? Est-ce que
c'est une notion qui est bien développée et qui est intégrée dans le droit
ailleurs dans le monde?
M. Binette (André) : Oui, mais pas
assez au Canada, et je pense que c'est un travers, un défaut du droit constitutionnel
canadien, de la jurisprudence canadienne. Et, si on se reporte à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme, par exemple, il y a une
pondération beaucoup plus importante entre les droits collectifs et les droits
individuels. Ici, on fait... on donne une importance, à mon avis, parfois
excessive aux droits individuels, en ne
tenant pas compte de la légitimité des droits collectifs, qui sont aussi des
droits humains fondamentaux, j'insiste sur ce point.
M. Lemieux : Est-ce qu'il reste le
temps pour aller au député de Chapleau, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Thériault) :
1 min 45 s.
M. Lemieux : D'accord. Merci...
La Présidente (Mme Thériault) : M.
le député de Chapleau, la parole est à vous.
M. Lévesque (Chapleau) : ...Mme la
Présidente. Merci, M. Binette. Merci de votre présentation. Peut-être, rapidement,
là, revenir sur les concepts de nation au Canada, dont vous avez fait mention,
d'abord, la nation canadienne, la nation québécoise, les nations autochtones.
Juste une clarification, dans la nation canadienne, vous incluez, donc, les communautés francophones minoritaires hors Québec. Est-ce que
c'est bien ça ou il y a des distinctions à faire pour ces groupes-là,
là, dans le cas de la nation canadienne?
M. Binette (André) : Si on ne définit
les nations que sur une base territoriale, comme c'est le cas dans la sociologie moderne, dans la science politique
moderne et même, de plus en plus, dans le droit constitutionnel moderne,
selon la Cour d'appel, il est clair que les francophones hors Québec font
partie de la nation canadienne.
Il est clair aussi qu'il y a des membres de la
nation canadienne au Québec, parce qu'on peut s'identifier... C'est un choix
subjectif en grande partie. Alors, le premier ministre Trudeau peut dire qu'il
appartient à la fois à la nation canadienne et à la nation québécoise, mais
parfois il a peut-être un conflit d'allégeance qui lui fait privilégier la
nation canadienne. Donc, là-dessus, il y a un élément psychologique.
M. Lévesque (Chapleau) : D'accord.
Vous avez parlé, donc, des fameux droits collectifs qu'on inscrit à la charte.
Associez-vous ça également avec la notion de souveraineté parlementaire? Est-ce
qu'il y a un lien à faire avec ces clauses? Est-ce que vous avez vu ce type
d'application ailleurs dans le monde également?
M.
Binette (André) : Non, parce que le concept de souveraineté
parlementaire est propre au régime constitutionnel de type britannique, qui ne
privilégie pas, au contraire, la notion de droits collectifs. Donc, faire ce
lien-là, à mon avis, le Québec est peut-être le seul endroit au monde où on
peut le faire. Ce lien-là est plus... à mon avis, est tout à fait justifié,
mais c'est par l'entremise de la clause dérogatoire, par l'entremise de la
souveraineté parlementaire que l'Assemblée
nationale peut, en toute légitimité, en droit constitutionnel canadien,
rétablir ou affirmer les droits collectifs de la nation québécoise tout
en équilibrant...
• (12 h 40) •
La Présidente (Mme
Thériault) : Je dois mettre fin...
M. Lévesque
(Chapleau) : Merci.
La Présidente (Mme
Thériault) : Malheureusement, je dois mettre fin à l'échange. Donc, je
vais aller... maintenant aller du côté de l'opposition officielle. Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys.
Mme David :
Merci beaucoup. Merci, Pr Binette. Écoutez, j'ai beau être une
universitaire qui a fait carrière toute ma
vie à l'Université de Montréal, ce n'était pas en droit, c'était en
psychologie. Alors, je mets tous mes neurones en action pour essayer de
bien suivre ce que vous avez dit et travailler avec ces notions
constitutionnelles.
Ce que je comprends,
parce que je vais essayer de vulgariser parce que ce n'est pas toujours
évident, hein, on parle avec des constitutionnalistes, puis ils ne disent
malheureusement pas tous la même chose... On voudrait bien que ce que vous
dites soit partagé par tout le monde et qu'il y ait un seul discours, mais je
comprends bien qu'il n'y a pas un seul discours. À preuve, le ministre se fait
dire qu'il erre en mettant l'article 159.
Une fois qu'on a dit
ça, je pense que vous êtes assez clair qu'il erre, en disant : Vous vous
trompez de constitution. Là, je mets au défi pas mal de monde dans la salle et
dans la population pour comprendre de quoi vous parlez, évidemment, «parce qu'il
se trompe de constitution». On est un petit peu mêlés. On comprend Constitution
canadienne, on comprend qu'il y a l'article 45 qui est là, il y a le
supralégislatif, il y a le quasi constitutionnel, il y a la loi ordinaire,
toutes des notions avec lesquelles j'essaie de composer moi-même. Mais, une
fois qu'on a dit tout ça, vous dites une chose et ce qui me semble être un peu
son contraire. Alors, je vais essayer de comprendre, mais vous me pardonnerez
mes propres errances.
Alors, vous dites
que, l'article 159, là, il faudrait l'enlever. Il faudrait l'enlever. Puis
là vous dites comme Benoît Pelletier, vous dites : Il faudrait repartir,
commission itinérante, commission parlementaire qui va partout au Québec, qui
fait une tournée et qui, là, crée une vraie constitution du Québec. Ce que le
ministre ferait, ce n'est pas... ça ne marche pas. Ça ne marche pas.
Malgré tout ce qu'on
dit depuis le mois de... le 14 mai... Au Canada, il y a eu une motion du
Bloc québécois, tous les partis ont embarqué. Le ministre, Procureur général à
l'époque, M. Lametti, a dit : Oui, oui, oui, mes juristes ont dit que c'était tout à fait faisable. Alors
là, il y a... J'imagine qu'il y a quelques juristes à Ottawa, quand même,
là, qui ont regardé ça, que le procureur en chef du Canada doit avoir son
équipe de juristes qui en connaissent un peu aussi dans la Constitution. Alors,
eux autres disent : C'est correct.
Autre débat le
22 mai. On ouvre notre presse, on a le ministre... Procureur général du
Québec qui dit : Ça va avoir une immense portée constitutionnelle, puis
d'autres répondent, comme Benoît Pelletier ou d'autres : Non, non, non, pas tant que ça, c'est une loi ordinaire,
c'est quasi constitutionnel, ce n'est
pas supralégislatif. Là, on part dans tous les adjectifs. Alors là,
autres lieux de réflexion, de dissensions et de lectures pour la pauvre profane
que je suis.
Puis là vous, vous
dites : Non, non, non, ça ne marche pas, ce n'est même pas le bon chemin,
il s'est trompé de constitution, mais,
page 19, si l'article 159 était valide... Donc, ça, vous
réfléchissez, là. J'imagine, vous vous dites : S'il était valide,
ça veut dire qu'il aurait été contesté jusqu'en Cour suprême, et puis que
finalement on va dire : Ah! le ministre avait raison. Ça, c'est... On sera
tous peut-être à la retraite à ce moment-là.
Vous dites :
Bien, tant qu'à faire ça, bien, rajoutons des choses. Et c'est là que moi, je
suis encore plus mêlée, parce que vous
dites : Retirons l'article, mais ajoutons Q.3, Q.4, Q.5.
Alors, à la... le fait que la seule langue officielle... «La nation
québécoise détient...»
Bon, vous rajouteriez
même quelque chose : «Les Québécoises et Québécois forment une nation.»
Vous
rajouteriez, au Q.1 : «La nation québécoise détient de manière inhérente
le droit à l'autodétermination.»
Puis vous rajoutez ce
que... Là, je suis mêlée dans qui propose, là. Le ministre m'aidera. Il y en a
un qui est venu, je ne sais plus lequel, qui
a dit : L'État québécois est démocratique — ah! non, ça, ce n'était pas dit, j'espère qu'on est démocratique — et
laïque. Quelqu'un l'a proposé jusqu'à maintenant...
Une voix :
...
Mme David :
Pardon? Bien, Me Rousseau, voilà.
«90Q.4.
L'État québécois respecte les droits des personnes, des nations autochtones, de
la minorité anglophone et des autres minorités de manière compatible
avec les caractéristiques fondamentales du Québec.»
On est loin, il me
semble, de la langue française.
«Les lois du Québec
s'interprètent de manière à assurer cette compatibilité.» Q.4.
Et Q.5, puis là,
vraiment, j'ai été bien étonnée : «La loi sur le drapeau du Québec,
adoptée le 21 janvier 1948, fait partie depuis le jour de son adoption de
la constitution du Québec.»
Là,
vous m'avez tellement perdue dans vos positions que je vous donne l'occasion de
peut-être faire un cours de droit très, très, très accéléré pour nous
dire : Est-ce qu'on scrape tout ça, finalement, puis on repart avec une
tournée du Québec?
Benoît Pelletier
dit : Attention, c'est quelque chose, faire ça, ça prend l'unanimité, si possible,
de tout le monde. Moi, j'aimerais ça, participer à ça, ce serait passionnant,
mais j'ai l'impression qu'on n'est plus du tout dans les objectifs du p.l. n° 96. Je suis désolée, j'ai pris cinq
minutes pour essayer moi-même de me démêler puis de pouvoir expliquer ma
question. Je vous en donne autant, si vous en avez besoin, pour expliquer votre
réponse.
M. Binette
(André) : Bien, la question est excellente. Après mes suggestions pour
90Q.1 à 90Q.5, j'ajoute : «Tous ces articles pourraient validement faire
partie de la constitution du Québec sans faire partie de la Constitution du
Canada.»
En fait, ma position,
c'est... Comme je l'ai précisé aujourd'hui, elles ne peuvent faire validement
partie que de la constitution du Québec
codifiée. Elles ne peuvent pas faire validement partie de la Constitution du
Canada. Alors, pour moi, le gouvernement du Québec vient d'ouvrir une
porte tellement grande que ça dépasse de loin le cadre de la loi n° 96 sur la langue française. On a
ouvert une porte constitutionnelle entièrement nouvelle. Il n'est pas étonnant
que ça suscite un immense point d'interrogation et que les avis soient très
divergents.
Par ailleurs, moi,
j'ai passé toute ma carrière, que ce soit au Procureur général du Québec ou
chez les nations autochtones, à contester les avis du Procureur général du
Canada. Ça ne m'impressionne pas du tout que les juristes fédéraux disent que c'est valide. Comme je l'ai
dit dans mon mémoire, la demi-douzaine de jugements constitutionnels
fondamentaux, les plus fondamentaux depuis 50 ans ont tous été des
rebuffades servies au gouvernement fédéral du moment
à la Cour suprême du Canada, donc, y compris dans le renvoi sur le rapatriement
de 1981. Donc... Et, en matière autochtone,
c'est doublement vrai, là. On parle d'une vingtaine de jugements majeurs. J'ai
déjà confronté une avocate autochtone fédérale en lui disant :
L'histoire de la jurisprudence autochtone, en droit autochtone, c'est
l'histoire des défaites du Procureur général du Canada devant les tribunaux.
Elle n'a pu que le confirmer.
Donc, ça ne
m'impressionne pas du tout, les prises de position politiques. Les avis
juridiques fédéraux ne préjugent en rien du débat judiciaire à venir. Et je
pense que les implications ne sont pas encore pleinement comprises, de
l'article 90Q, parce qu'on pourrait avoir un article 90A, Alberta, un
article 90CB, Colombie-Britannique, un article 90O, Ontario, jusqu'aux
10 provinces. Chaque province pourrait ajouter 20 pages au moins. Il n'y a pas de limite de quantité à la Constitution
du Canada. La Constitution du Canada, donc, aurait 200 pages de
plus, et ce qui n'était pas du tout envisagé
par ses auteurs ni par la Cour suprême jusqu'ici. À mon avis, elle
dirait : Holà! ça, c'est modifier
l'architecture de l'ensemble de la Constitution, allez donc faire votre propre
constitution provinciale à la place.
Mme David :
C'est passionnant. Est-ce que je passerais mon examen constitutionnel? Je ne
suis pas sûre, mais j'ai compris qu'il y avait beaucoup, beaucoup de
divergences d'opinions. Et c'est normal, on est en science... ou on est en
sciences juridiques, comme on dit. La médecine peut avoir aussi... Des fois, on
a-tu un cancer, on n'a pas de cancer? Oui,
un dit, l'autre... l'autre dit non, etc. Mais je comprends que c'est une grande
porte qui a été ouverte, cet article QC90... non, 90Q.1 et 90Q.2,
et qu'on va avoir des heures de plaisir. Je vous remercie. Je vais passer la
parole à mon collègue le député de D'Arcy-McGee.
La Présidente (Mme
Thériault) : Et, M. le député, vous avez 2 min 40 s.
M. Birnbaum :
Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Binette, pour votre présentation.
J'aimerais vous entendre un petit peu plus
sur les pouvoirs de perquisition des inspecteurs du gouvernement. Dans un
premier temps, je diffère avec vous.
Selon mes discussions, cette commission risque d'entendre beaucoup de groupes
québécois francophones qui auraient
des questionnements là-dessus aussi. Alors, moi, je ne situe pas ce débat sur le plan communauté linguistique.
Vous constatez que,
de votre lecture, si j'ai bien compris, les articles 111 et 112 n'ont pas
besoin d'être à l'abri des défis judiciaires, c'est-à-dire que, pour vous, la
clause dérogatoire, ce n'est pas nécessaire pour que ces articles soient valides. Et je ne parle pas de ce
que je trouve un petit peu auxiliaire, votre point, que, oui, des
poursuites peuvent se faire sur le plan pratique. Je ne parle pas de ça. De
votre avis, 111 et 112 — deux
choses — sont
tout à fait recevables sans avoir recours à la protection de la clause
dérogatoire, dans un premier temps.
Deuxième temps,
j'aimerais, avec respect, vous faire sortir de votre zone de confort. Est-ce
que vous trouvez que ces pouvoirs sont raisonnables et nécessaires?
• (12 h 50) •
M. Binette
(André) : Je conviendrais d'emblée qu'ils sont importants, qu'ils ne
peuvent être maniés qu'avec un grand doigté et un grand discernement. On a vu,
par exemple, certaines enquêtes policières provinciales mener à des abus
récemment, donc, et ces abus-là peuvent être contestés devant les tribunaux.
Donc, je ne dis pas que les pouvoirs importants qui sont accordés à l'office
sont inconstitutionnels.
Je ne dis pas non
plus qu'il faut nécessairement une clause dérogatoire pour les valider. Ce que
je dis... Et je dis aussi que... Je dis, cependant, que la jurisprudence sur
les effets des clauses dérogatoires est encore peu abondante, peu détaillée,
parce qu'elle a peu été utilisée au Canada, et qu'entre autres la jurisprudence
sur la distinction entre la validité des lois et la validité des inspections
n'est pas encore développée. Mais je m'appuie, je dirais, sur des raisonnements
juridiques fondamentaux pour arriver à la conclusion que j'ai présentée
aujourd'hui.
Ce qui est clair,
c'est que la Constitution, que ce soit l'article 33 de la charte
canadienne ou l'article, je crois, 52 de la charte québécoise... permet des
clauses dérogatoires qui protègent des lois ou des dispositions des lois. Elle
ne permet pas des clauses dérogatoires qui vont jusqu'à protéger des actes abusifs.
Il
y a déjà eu une clause dérogatoire abusive dans le passé, la clause dérogatoire à la Loi sur les mesures de
guerre... dans la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970, qui dérogeait
à la Déclaration canadienne des droits de 1960 jusqu'à protéger les droits
abusifs, même brutaux de l'autorité policière. Une telle clause dérogatoire
serait inconstitutionnelle aujourd'hui, à mon avis.
La Présidente (Mme
Thériault) : Merci beaucoup, M. Binette. Donc, sans plus tarder,
Mme la députée de Mercier, pour vos 2 min 45 s.
Mme Ghazal :
Merci. Merci beaucoup, M. Binette, pour votre présentation. Moi non plus,
je ne pense pas que je vais réussir votre examen sur la Constitution, mais ce
n'est pas grave. J'ai quand même une question dans le peu de temps que j'ai.
Vous dites que les droits ancestraux des autochtones sont garantis par la
Constitution de 1982, mais est-ce que
le projet de loi n° 96 ne serait pas une opportunité pour promouvoir
et reconnaître les langues autochtones un peu plus? Et comment est-ce
qu'on peut le faire avec le projet de loi n° 96?
M. Binette
(André) : Bon, j'ai proposé certaines choses, dans mon mémoire et dans
mon allocution, qui s'appliqueraient... Les droits ancestraux vont s'appliquer,
quoi que dise le projet de loi n° 96. Donc, ils existent indépendamment du
projet de loi n° 96. Mais on pourrait préciser dans la loi n° 96
que ces droits ancestraux s'appliquent à l'Assemblée nationale et à la loi 101 un peu davantage
et donner quelques exemples particuliers, que j'ai donnés dans mon mémoire, en ce qui concerne, par exemple, les contrats avec les institutions autochtones,
les ententes intergouvernementales avec les nations autochtones dans les
deux langues, français et autochtone, les droits de témoin à l'Assemblée
nationale, etc.
Donc,
moi, je... Tout ça va s'appliquer, même si on ne le dit pas dans le projet de loi n° 96, mais ça vaut mieux si on le disait puis
ça irait mieux si on le disait. Ce serait plus généreux et plus ouvert.
Mme Ghazal :
O.K. Je comprends. Puis vous, vous êtes en faveur d'une constitution interne
plutôt qu'une constitution de pays, comme Québec solidaire le propose. Il y a
même des fédéralistes qui sont pour une constitution interne. Est-ce que vous
ne trouvez pas... Et là c'est peut-être une question politique. Vous ne trouvez
pas que ça nuirait à la souveraineté d'avoir une constitution interne du
Québec?
M. Binette
(André) : Pas du tout. Du point de vue souverainiste, ça peut être un
préalable très intéressant.
Pour ce qui est de...
Pour un fédéraliste qui veut, lui, changer la Constitution canadienne, ça peut
être l'occasion de dire : Bien, nous, on veut abolir la monarchie au
Québec. On met ça dans la constitution du Québec et on déclenche une
réouverture de la Constitution canadienne par l'obligation de négocier.
Et, pour un
fédéraliste que j'appelle plus orthodoxe, qui veut respecter le cadre
constitutionnel canadien, c'est quand même un moyen de renforcer l'identité
nationale québécois.
Donc, moi, je pense
que, dans tous les cas, on est gagnants et qu'on peut aller chercher des
consensus étendus au Québec.
Mme Ghazal :
O.K. Merci. J'ai peut-être un peu de temps pour l'article 65 du projet de
loi n° 96, qui fait en sorte que la charte s'applique aux entreprises fédérales.
Ça, ça ne peut pas être contesté par le fédéral. Dès que la loi est votée, les
entreprises fédérales au Québec... la charte s'applique.
M. Binette
(André) : Bon, l'application des lois provinciales aux entreprises
fédérales, c'est un chapitre de la jurisprudence constitutionnelle en soi.
Grosso modo, si je vulgarise rapidement, là, les lois générales provinciales s'appliquent aux entreprises fédérales, sauf si
elles visent leurs fonctions essentielles. Alors là, en ce moment,
jusqu'ici, l'état du droit, c'était que la
loi 101, ça touchait aux fonctions essentielles des entreprises fédérales.
Cependant, certaines entreprises fédérales, comme Radio-Canada ou TVA,
peuvent volontairement appliquer la loi 101. Maintenant, le fédéral peut modifier
sa position là-dessus.
La Présidente (Mme
Thériault) : Et je dois mettre fin à l'échange. Merci. Donc, nous
allons aller du côté du député de Matane-Matapédia. La parole est à vous.
M. Bérubé :
Bienvenue, M. Binette. Alors, selon vous, on ne sera pas capable
d'inscrire que le Québec est une nation, que
le français est la seule langue officielle du Québec
dans la Constitution canadienne. Ai-je bien compris?
M. Binette
(André) : Exact.
M. Bérubé :
Merci. Le gouvernement du Québec a choisi de faire une promotion assez débridée
de ce qu'il considère comme étant un coup de génie et d'en faire la promotion.
C'est une douche froide assez importante que vous envoyez. Nous, ça ne nous
impressionnait pas tant que ça. On ne cherche pas vraiment à intégrer la Constitution
canadienne, on cherche à en sortir. Mais pouvez-vous nous indiquer pourquoi
l'espoir que le ministre fonde en ce geste symbolique, inspiré d'un intervenant
qu'on verra cet après-midi, Me Patrick Taillon, pour vous, est voué à
l'échec?
M. Binette
(André) : Bon, là, il faut se rappeler que l'article 45 de la Loi
constitutionnelle de 1982 est la disposition sur laquelle s'appuie le
gouvernement actuellement pour introduire l'article 159 dans la
Constitution canadienne. Donc, qu'est-ce que dit l'article 45, c'est
qu'une province peut modifier sa constitution interne.
Cet article-là ne date pas de 1982, il existe
depuis 1949, et à l'époque de ce qu'on a appelé alors le minirapatriement, qui
a mis fin à la juridiction des tribunaux britanniques au Canada. Et donc il
existe quand même une pratique importante de cette disposition-là depuis 1949.
À mon avis... C'est pour ça que j'ai fait référence à la Loi sur le drapeau.
Dès le départ, Maurice Duplessis a compris qu'on pouvait utiliser ce nouveau
pouvoir pour modifier la constitution interne, et le drapeau en est un exemple
à mes yeux.
M. Bérubé : M. Binette, si vous
faites cette interprétation, il est possible qu'au gouvernement on l'ait faite aussi. Où résiderait l'intérêt du gouvernement du
Québec à proposer une telle chose s'il sait que c'est voué à l'échec?
M. Binette (André) : Bien, moi, je
pense que c'est très attrayant à première vue. C'est tellement innovateur que
ça éblouit un peu, même les constitutionnalistes, et puis qu'il y a un petit
peu de pensée magique là-dedans, en toute franchise et en tout respect.
M. Bérubé : Pas d'autre question,
Mme la Présidente. Ça résume assez bien l'opération.
La
Présidente (Mme Thériault) : Parfait. Donc, M. Binette, je vous
remercie de votre participation à nos travaux.
Et je vais
maintenant suspendre les travaux de la commission jusqu'à 14 heures.
Merci. Bon appétit, tout le monde.
(Suspension de la séance à 12 h 57)
(Reprise à 14 h 02)
La Présidente (Mme Thériault) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Donc, la Commission de la culture et de l'éducation
reprend ses travaux.
Nous
poursuivons les auditions publiques dans le cadre des consultations
particulières sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue
officielle et commune du Québec, le français.
Cet après-midi, nous entendrons les témoins
suivants : M. Patrick Taillon et M. Frédéric Lacroix seront tous
les deux présents dans notre salle de commission, et nous terminerons avec
M. Pierre Curzi, ancien député de Borduas, qui, lui, sera en
visioconférence.
Donc, sans plus tarder, M. Taillon,
bienvenue à l'Assemblée nationale. Je vais vous demander de procéder à votre présentation, d'une durée
d'approximativement 10 minutes, avant de faire les échanges avec les
parlementaires.
M. Patrick Taillon
M. Taillon
(Patrick) : Bonjour. Merci, Mme la Présidente. J'aimerais remercier
les membres de la commission pour cette invitation.
Comme professeur de droit constitutionnel, moi,
je suis particulièrement interpelé par, évidemment, les aspects
constitutionnels du projet de loi. Ils sont nombreux. Le projet de loi
n° 96 consacre de nouveaux droits fondamentaux, et surtout il hisse autant
que possible au sommet de la hiérarchie, au sommet de notre hiérarchie des
normes ce projet de société particulier qui consiste à protéger et vivre en
français, notamment par l'octroi d'un statut quasi constitutionnel à la Charte
de la langue française, un statut à l'égal de la charte québécoise, par la
modification de la charte québécoise à son préambule, une disposition
interprétative qui s'ajoute, et surtout un droit de vivre en français qui est
consacré parmi la partie de cette charte qui a la plus grande portée, et aussi
par la mention explicite, à l'article 9.1,
que l'importance accordée au Québec à la protection du français est un motif de
justification qui doit être pris en considération par les tribunaux
lorsqu'il est question de concilier, pondérer, limiter, encadrer les droits des
uns et les droits des autres.
Il y a aussi le recours à la dérogation aux
chartes canadienne et québécoise qui participe à cette volonté de hisser ces droits au sommet de la hiérarchie des
normes et qui représente un message clair envoyé à l'endroit des
tribunaux. Ce n'est pas la négation ou le rejet des droits fondamentaux, bien
au contraire. C'est seulement la volonté du Parlement québécois d'avoir en
cette matière le dernier mot et d'exercer ce pouvoir, cette capacité reconnue
par la Constitution canadienne et par la
charte québécoise d'établir l'équilibre approprié entre les différents droits
et libertés et les autres objectifs d'intérêt public. Autrement dit, si
la théorie du dialogue entre les juges et le législateur a un sens, une théorie
que cite abondamment la Cour suprême, bien, l'utilisation de la dérogation,
c'est une manière pour les parlementaires de répondre, de répliquer, de
dialoguer avec la jurisprudence de la Cour suprême qui s'est élaborée depuis
les dernières décennies.
Cela dit, moi, je veux surtout utiliser cette
déclaration d'ouverture pour me concentrer sur un aspect précis du projet de
loi, trop souvent mal compris, qui est la modification apportée au texte de la
Loi constitutionnelle de 1867 et qui est
opérée par le biais de la procédure de l'article 45 de 1982. Je veux
insister ici sur deux points. Premièrement, pourquoi et comment ce
changement est-il possible? Puis, deuxièmement, quel effet que ça va avoir,
quelle portée, quelles conséquences juridiques peut-on déceler un peu par
rapport à ce changement?
Alors,
d'abord, pourquoi ce changement est possible? Il faut comprendre que ce
changement découle de la spécificité de la Constitution canadienne, de ce qui fait qu'elle est extrêmement différente d'autres constitutions ailleurs dans le monde. Trois
constats. On a affaire à une constitution de la fédération qui en comprend
plusieurs autres, donc des constitutions
entremêlées où il y a la Constitution du grand Canada, une constitution de la
fédération, qui comprend plusieurs entités, 10 entités provinciales
et une entité fédérale. Or, ces constitutions, elles ne sont pas étanches.
Elles sont entremêlées, profondément entremêlées, et elles sont aussi
profondément dispersées.
La Cour suprême nous
l'a dit à plusieurs reprises. Vous avez ici un extrait de l'arrêt SEFPO, où
elle le dit. Dans ce cas, elle parle de la
constitution de l'Ontario : «Il n'y a pas de document unique. Elle se
trouve dans plusieurs sources, dans une variété de dispositions, dans du
droit non écrit.»
La Cour suprême dit
la même chose en 1981, mais cette fois de la grande Constitution, celle de
toute la fédération. Elle dit aussi «pas de document unique», «profondément
dispersée», «profondément entremêlée».
Et donc on se retrouve
avec une constitution dispersée, entremêlée. Et, comme le dit la Cour suprême
dans l'arrêt Blaikie à propos de certaines questions linguistiques, il y a,
dans la Constitution canadienne de la fédération du Canada, qui comprend les 11 entités qui composent la fédération,
des dispositions qui sont indivisibles, indissociables, qui font à la
fois partie de la constitution du Québec et à la fois partie de la constitution
de la fédération dans son ensemble. Et c'est cette caractéristique, le fait que
c'est profondément entremêlé plutôt qu'étanche, qui fait en sorte que, lorsque
le Québec modifie sa propre constitution, il modifie aussi celle de la
fédération, puisque certaines dispositions se trouvent à être dans la Loi
constitutionnelle de 1867.
Donc, cette façon de
faire, elle n'est pas nouvelle, c'est très important, elle a des racines
historiques profondes. Dès 1867 — le témoin précédent a mentionné 1949,
mais en vérité c'est 1867 — les
Britanniques vont dire : Bien, pour modifier les règles constitutives du
Canada et de ses entités, il y a la loi britannique qui opère ces changements,
mais, par exception, il y a des sujets pour lesquels vous pouvez agir seuls. Vous
avez à l'écran une série d'exemples de sujets pour lesquels on peut exercer ce
pouvoir unilatéral. Certains, c'est un pouvoir... Dans certains cas, c'est un
pouvoir unilatéral fédéral, dans certains cas, c'est un pouvoir unilatéral
provincial.
En vertu de ce
pouvoir, cette capacité, le Québec a modifié la composition même de son
Parlement en abrogeant — ce
n'est pas un petit changement mineur — sa Chambre haute, l'une des
composantes de ce Parlement à l'origine de la fédération. Donc, depuis toujours,
le constituant britannique a voulu et prévu cette possibilité. Et, même en 1982, on aurait pu oublier ces
dispositions, on aurait pu les abroger, mais le constituant de 1982 a, au
contraire, pris le temps de réécrire ces articles-là, les déplacer puis les
coller bien comme il faut à côté des autres procédures de modification pour
montrer qu'elles forment un tout puis qu'elles sont intimement associées les
unes aux autres.
• (14 h 10) •
Cette compétence de l'article 45,
c'est une compétence profondément hybride. On sait qu'en vertu de cette
compétence-là on peut adopter des lois ordinaires — c'est la petite boule
de billard verte à l'écran — comme
par exemple les lois électorales. On peut aussi adopter des lois quasi
constitutionnelles, comme la charte québécoise ou, à Ottawa, la Loi sur les
langues officielles. Et on sait qu'on peut aussi modifier certains aspects de
la constitution supralégislative, ne seraient-ce que les dispositions de la
Constitution de 1867 modifiables en vertu de l'article 45. Donc, on a une
compétence profondément hybride et qui côtoie d'autres compétences, celles des
articles 38 à 43, où, là, pour ces questions-là, il faut l'accord du reste
du Canada, du fédéral, d'un certain nombre de provinces. Donc, 45 permet
certaines choses, c'est un carré, un domaine de compétence limité, mais, à
l'intérieur de ce domaine de compétence, le Québec peut agir.
Alors, comment on
fait pour identifier, lorsque le Québec modifie la loi suprême du Canada, le
morceau de la constitution de la fédération
qu'il peut modifier? Bien, le texte de la Constitution lui-même et la
jurisprudence nous fournissent assez clairement les balises. D'abord,
vous voyez à l'écran, l'article 52 de 1982 définit clairement c'est quoi,
la constitution suprême du Canada, c'est son... quelles sont ces normes qui
sont supralégislatives, et on nous dit : Tous les textes figurant à l'annexe.
À l'annexe, on voit
ici clairement que c'est l'ensemble de la Loi constitutionnelle de 1867, comme
c'est l'ensemble de la loi constitutionnelle
sur le Manitoba ou celle sur l'Alberta, peu importe — je pourrais vous énumérer les
exemples pendant longtemps — qui
fait partie de ce qui est enchâssé dans la Constitution. On ne dit pas
seulement : Certains morceaux du texte de 1867, on dit bien : La
totalité de 1867.
Alors, dans le texte
de 1867, vous avez ce sous-titre sur les constitutions provinciales, qui est
enchâssé, évidemment, via 52, et, même avant
1982, les normes qui composaient les
lois suprêmes du Canada, les lois supralégislatives, faisaient
aussi l'objet d'une définition à travers l'article 7 du Statut de
Westminster ou à travers la loi sur la validité des lois coloniales de 1865.
Donc, ce n'est pas nouveau, dans cette approche britannique, de dire :
Bien, ce qui s'impose à vous, ce qui est supralégislatif est défini.
La Cour suprême, sous
la plume du juge Major, est venue définir comment on fait pour distinguer,
lorsque le Parlement du Québec agit comme législateur ordinaire, des situations
où le législateur québécois met son chapeau ou sa casquette de pouvoir
constituant de la fédération. L'extrait de la Cour suprême est assez clair. On
nous dit : «L'article 45 permet de modifier la constitution de la
province», donc un objet limité et précis.
La citation se
poursuit, hein : «Ce pouvoir doit être lu en corrélation avec le
paragraphe 52.» Donc, le mot «constitution», ici, c'est au sens du
paragraphe 52, paragraphe 1, de 1982, donc cette constitution au sens
de loi supralégislative au-dessus des autres lois.
Et on nous dit :
La façon de savoir, lorsque le Parlement d'une province veut agir ainsi, c'est
qu'il le fasse avec une intention claire en le disant expressément. Donc, par
mention expresse, un Parlement, qu'il soit britannique, fédéral ou provincial,
peut, s'il agit à l'intérieur de sa compétence, modifier le morceau qui le
concerne de la loi suprême de la fédération.
Cette définition de la
Constitution qu'on trouve à l'article 52, qu'on trouvait avant dans
d'autres dispositions, elle n'est toutefois
pas exhaustive. La jurisprudence dit clairement que d'autres normes font aussi
partie de cette constitution suprême. N'empêche que ce sont ces
spécificités typiquement canadiennes, c'est-à-dire les constitutions
dispersées, entremêlées et définies en partie par une définition qui dit
expressément ce qui est enchâssé, qui font en sorte qu'aujourd'hui le projet de
loi n° 96 est une façon appropriée de venir réécrire,
modifier, ajouter, bonifier le texte de la Constitution de 1867.
Qu'est-ce que ça va changer? Qu'est-ce que ça
peut avoir comme portée et comme conséquences? Bien là, il faut nuancer le
bilan. Une minute?
La Présidente (Mme Thériault) :
30 secondes.
M. Taillon (Patrick) :
30 secondes. Très bien. Sur le...
M. Jolin-Barrette : Mme la
Présidente...
La Présidente (Mme Thériault) : Oui.
M. Jolin-Barrette : Vous pouvez le
laisser sur mon temps, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Thériault) : Bon,
c'est... On...
M. Taillon (Patrick) : Très bien. Je
prends une minute, pas plus, pour dire que la question de savoir qu'est-ce que
ça va changer, elle appelle à deux précisions. La première, bien, sur le plan
des normes, de la place de ce que l'on
adopte dans la hiérarchie des normes, ça va faire partie de la constitution du
Québec et de la fédération canadienne, parce qu'il n'y a pas de
hiérarchie à l'intérieur de la Constitution. La Cour suprême l'a déjà dit. Et surtout, dans des affaires qui concernaient les privilèges parlementaires
des Assemblées provinciales, la Cour
suprême a clairement dit que ce n'est pas
parce que c'est modifiable unilatéralement par les provinces que ce n'est pas
pour autant supralégislatif. Ça a le même rang, à l'égal de la Charte
canadienne, même si c'est modifiable seulement par les provinces.
Toutefois,
sur le plan du contenu, l'instrument qu'est l'article 45 ne permet
pas d'introduire tous les changements possibles et imaginables. Donc,
sur le plan du sens, du contenu, il y a des limites qui s'imposent, qui
encadrent l'action de Québec. Québec ne pourrait pas contredire les autres
dispositions de la Constitution de cette façon.
Et surtout, j'insiste là-dessus et je m'arrête,
sur le plan du sens, le Parlement québécois peut modifier le texte, mais le Parlement
québécois, malheureusement, c'est un des problèmes du fédéralisme canadien, ne
contrôle pas le choix des juges qui vont
interpréter et qui vont donner suite à cela. Donc, qu'est-ce que les juges vont
accorder comme signification au fait que le Québec forme une nation et
le fait qu'il a pour langue officielle le français? Ça, c'est un univers de
possibilités sur lequel on peut spéculer. Certainement que ça va produire des
effets, mais jusqu'où ces effets peuvent être atténués ou, au contraire,
valorisés et encouragés par les tribunaux? Merci. Je m'arrête ici.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci, Pr Taillon. Le ministre vous a alloué généreusement
3 min 15 s de plus. Donc, M. le ministre, il vous reste
13 min 15 s.
M. Jolin-Barrette : Merci beaucoup.
M. le professeur Taillon, merci beaucoup d'être présent aujourd'hui et d'avoir
fait cette démonstration pédagogique en 10 minutes pour bien expliquer aux
parlementaires de quoi il s'agit au niveau de la modification
constitutionnelle.
Une courte question. À la fin de votre
intervention, vous avez dit : Il existe une problématique dans le
fédéralisme canadien du fait que ce n'est pas le législateur québécois ou le
gouvernement québécois qui choisit les juges qui interpréteront les
dispositions. Pouvez-vous rapidement expliquer quelle est cette problématique?
M. Taillon (Patrick) : Bien, ce que
je veux dire, c'est que, dans une fédération, ça prend un arbitre pour trancher
les litiges entre le fédéral et les provinces. Un des problèmes du fédéralisme
canadien, c'est que le choix de l'arbitre, il est unilatéralement fait par l'un
des partenaires. Et donc ça, c'est un problème que l'accord du lac Meech voulait atténuer, et ça n'a pas été adopté, et ça,
ça contribue à faire en sorte que... Évidemment, les juges,
individuellement, ils font leur travail au mieux... du mieux qu'ils peuvent.
Mais quelle importance ils accorderont à cette autodéfinition du Québec? Ça, on
ne peut pas le savoir. Et le fait qu'ils sont sociologiquement choisis par l'un
des partenaires de la fédération, ça vient structurellement introduire un
certain biais qui joue parfois en défaveur des intérêts du Québec.
D'autres vous
diront, par contre, que, même avant que le Québec s'affirme comme nation dans
la Constitution, il y a déjà des traces dans la jurisprudence que la
Cour suprême reconnaît la spécificité du Québec. C'est certain que de l'affirmer
noir sur blanc, comme ça avait été le cas avec les droits ancestraux des
peuples autochtones, qui avaient été déjà reconnus au début des années 70
par la Cour suprême, quand on est venus l'inscrire dans le texte, c'est venu
donner un élan, c'est venu encourager les juges à aller plus loin dans cette direction-là.
Je pense qu'on est dans une dynamique similaire ici.
M. Jolin-Barrette : Donc, pour vous,
le fait d'insérer l'article 159, c'est légal et légitime, et le Parlement
québécois est tout à fait en droit de faire ce que nous faisons dans le projet
de loi.
M. Taillon
(Patrick) : Bien, le citoyen que je suis va vous dire que c'est légitime,
puis le professeur de droit va vous dire qu'effectivement c'est une procédure
qui est parfaitement conforme à la Constitution, qui a déjà été utilisée. Et la
seule nouveauté ici par rapport à ce qu'on a déjà vu dans le passé, c'est une
nouveauté un peu esthétique ou légistique, dans le sens où un réflexe...
peut-être, les mots sont chargés, mais je vais dire autonomiste ou nationaliste
incitait un peu le Québec, par exemple, en 1968, à faire nos affaires
séparément, dans un autre texte que celui de
1867. Donc, on a abrogé certaines dispositions de 1867, mais, esthétiquement,
dans le passé, on mettait ça ailleurs. Mais l'ailleurs est quand même...
Puisque les sources constitutionnelles sont dispersées, l'ailleurs est quand
même constitutionnel.
Et là le génie de ce projet de loi, c'est de
venir maximiser la visibilité de cette modification constitutionnelle faite par
le Québec en la mettant dans un texte qui occupe une... qui a une plus grande
visibilité dans la fédération. C'est un peu
comme si le fédéralisme canadien, c'était une tour à condos. Ça va de soi que
chaque unité peut modifier et rénover l'intérieur de son propre condo,
ça va de soi que les balcons sont encadrés par des règles communes. Mais là,
d'une certaine façon, avant, on rénovait, mais là, cette fois-ci, on rénove,
mais on le met bien visible dans la fenêtre. Il n'y a personne qui pourra lire
le texte de 1867 sans savoir que le Québec forme une nation. Et c'est là que le
changement du projet de loi n° 96 se démarque de façon très utile et très
pertinente de la manière dont on avait fait les choses en 1968, où on avait mis
ça dans un texte qui ne bénéficie pas de la même visibilité. Mais,
juridiquement, c'est la même chose.
• (14 h 20) •
M. Jolin-Barrette : Dans le projet
de loi n° 96, on a introduit la notion de droits collectifs. Qu'est-ce que
vous pensez de ça? Et est-ce que ça existe déjà, des droits collectifs?
M. Taillon (Patrick) : Oui. Bien, il
faudrait avoir une philosophie ou une idéologie libertarienne pour croire que
les droits n'existent que pour les individus qui vivent comme des atomes
isolés. Donc, les droits fondamentaux, ils ont... Il y a plusieurs générations
de droits fondamentaux. Certains ont des dimensions plus individuelles que
d'autres, mais il existe, et c'est reconnu dans les pactes internationaux sur
les droits et libertés, des droits qui ont des dimensions plus collectives. Et
les droits fondamentaux, ce sont des objectifs que l'on se donne comme société,
ce n'est jamais des absolus. C'est des choses que l'on concilie avec toutes
sortes d'objectifs d'intérêt public. Donc, qu'on appelle ça des droits
collectifs, ou des objectifs constitutionnels, ou des valeurs
constitutionnelles communes, ça, c'est un choix de mots qui m'importe peu.
Mais il est clair qu'une constitution, ça
établit un équilibre entre toutes sortes de préoccupations. Et le projet de loi
n° 96, notamment ses modifications à la charte québécoise, il vient dire
qu'au Québec, dans l'équilibre des droits, au sommet de notre hiérarchie des
normes, il y a des préoccupations qui sont d'ordre individuel et il y a des
préoccupations qui sont d'ordre collectif, et les unes et les autres sont tout
aussi importantes et doivent être conciliées les unes avec les autres.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je vais
vous demander ce que vous pensez des dispositions de souveraineté parlementaire
qu'on est venus insérer au sein du projet de loi n° 96.
M. Taillon (Patrick) : Bien, c'est
le propre de la tradition juridique britannique d'avoir une foi dans... avoir
confiance dans les élus, et le Canada, le Québec, nous sommes un peu les
héritiers de cette tradition qui veut que le Parlement est souverain, du moins,
à l'intérieur de ses compétences. Et, progressivement, le Canada a choisi, et
le Québec aussi, de mettre des garanties au-dessus de la volonté du Parlement,
mais ce choix-là, il s'est toujours accompagné d'un compromis, c'est-à-dire de
préserver la capacité des parlementaires de répliquer, d'utiliser, si
nécessaire, cette capacité de dérogation, cette souveraineté parlementaire qui
subsiste.
Alors, moi, je ne crois pas que la dérogation,
ce n'est ni... je ne crois pas que c'est mauvais ou que c'est bien, ça dépend
ce qu'on en fait. Et, en réalité, il s'agit d'un mécanisme qui permet aux élus
de dire : Voici, on veut le dernier mot, on veut établir nous-mêmes
l'équilibre entre les droits et les autres objectifs d'intérêt public. Si le
législateur, quand il le fait, il établit un équilibre qui est raisonnable, qui
est approprié, qui est dans l'intérêt public, tant mieux. Ça veut dire que la
dérogation a été bien utilisée. Et, peut-être, même, elle va empêcher que les
juges, dans l'exercice de leur pouvoir, tout
à fait prévu par la Constitution... Eux aussi, ils pourraient commettre
certains abus ou certains déséquilibres. Donc, d'utiliser la dérogation,
ça peut être une bonne façon pour les élus de répliquer à une jurisprudence en établissant une solution
pertinente. Mais, si, quand est-ce qu'on utilise la dérogation, on utilise ce
pouvoir de manière abusive, bien là, le pouvoir devient en soi plus néfaste.
Donc, tout est dans la solution qui est établie, ce qu'on fait avec le pouvoir
de dérogation.
Moi, en ce qui me concerne, considérant la
manière dont les tribunaux ont joué dans la version initiale de la Charte de la
langue française, je n'ai pas de problème avec l'idée que le Parlement dise,
cette fois... envoie un message très clair aux tribunaux pour dire :
Écoutez, il ne s'agit pas d'une loi comme les autres, il s'agit d'une loi qui
est au coeur de la spécificité du Québec puis d'un projet de société
particulier en Amérique du Nord, nous, on veut mettre cette loi au sommet de la
hiérarchie des normes et on vous envoie le message que vous ne touchez pas à
ça, vous faites preuve d'une plus grande retenue et vous... et il faut
reconnaître au législateur, en cette matière, la plus grande marge de manoeuvre
possible.
M. Jolin-Barrette : Est-ce que
le recours aux dispositions de souveraineté parlementaire signifie qu'une loi
est discriminatoire?
M. Taillon
(Patrick) : Comme j'essayais de le dire peut-être maladroitement, ça
dépend du contenu de la loi. Là aussi, si la loi est utilisée pour promouvoir
des droits, bien, au contraire, c'est une loi qui favorise les droits, là. Et,
si, à l'inverse, la loi est utilisée pour les restreindre... Et on voit
d'ailleurs, dans cette crise sanitaire, qu'on a souvent adopté des normes, soit
des décrets, peut-être bientôt une loi à l'Assemblée nationale sans utiliser la
clause dérogatoire pour limiter les droits. Donc, il n'y a pas de lien. On peut
utiliser une loi sans dérogation, sans disposition
de souveraineté parlementaire, pour reprendre votre expression, qui est tout à
fait pertinente. Donc, on peut restreindre les droits sans utiliser la
dérogation et on peut légiférer avec dérogation sans restreindre les droits.
Tout dépend de ce que le législateur fait lorsqu'il utilise cette souveraineté
parlementaire.
Par contre, lorsqu'on légifère avec la
dérogation, je pense que ça demande, de la part des parlementaires, justement,
une attention particulière, puisque ça limite la capacité du juge d'intervenir,
par la suite, pour venir rectifier les choses. Mais, si les parlementaires
souhaitent exercer ce pouvoir de dernier mot, qui a toujours existé dans la
tradition britannique et qui subsiste à travers cette disposition-là,
l'article 33 de la charte canadienne et l'article 52
de la charte québécoise, bien, ça peut être tout à fait pertinent et salutaire.
Tout dépend de ce qu'on en fait.
M. Jolin-Barrette : O.K. Quelle
est votre opinion des nouveaux droits fondamentaux qu'on vient insérer dans la
Charte de la langue française, et le fait également de rendre exécutoires les
droits fondamentaux qui étaient déjà prévus à la Charte de la langue française?
M. Taillon (Patrick) : Oui.
Bien, je pense que ça participe à ce qui risque d'être la vision des droits
fondamentaux de demain. C'est-à-dire que, dans le passé, on associait beaucoup
les droits fondamentaux à l'individu.
C'était la première génération de droits. On voit qu'au contraire, à mesure
où... De toute façon, les droits, ils n'ont pas une définition préexistante,
hein? Quand on consacre des droits fondamentaux, ce qu'on consacre, en réalité,
c'est une mission que l'on accorde au juge d'agir comme, un peu, gardien de ces
droits-là puis de les concilier les uns avec les autres. Et, à mesure où on consacre certains droits fondamentaux, bien,
c'est normal, légitime et pertinent d'en ajouter d'autres pour s'assurer
que, justement, le résultat global soit équilibré, et, on le voit de plus en
plus, certains droits économiques et sociaux, certains droits culturels.
Là, ici, dans une société comme la nôtre,
d'accorder un droit fondamental de vivre en français, c'est tout à fait
cohérent avec le projet de société puis la spécificité du Québec, et je pense
que c'est important, dans cette dynamique qui existe entre les législateurs et
le juge, de venir dire que ces dispositions en matière de langue, c'est d'abord
et avant tout la concrétisation d'un droit, et non pas simplement des
restrictions, des règles pointues ou des aménagements. Donc, ça permet de
donner à la loi un sens particulier et cohérent avec l'ensemble du dispositif constitutionnel.
M. Jolin-Barrette : Je vous remercie
grandement. Je sais que j'ai des collègues qui veulent vous poser des questions.
La Présidente (Mme Thériault) :
Donc, pour le député de Sainte-Rose, vous avez 2 min 15 s.
M. Skeete : Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Pr Taillon, merci beaucoup. J'ai quelques questions en rafale, en espérant avoir le temps de conclure. Il y a
des gens dans la société civile qui disent qu'il y a
des aspects, dans ce projet de loi là, qui vont enlever des droits, notamment,
la communauté d'expression anglaise, qui dit : Ça peut affecter l'accès à
la santé ou l'accès à la justice. Vous voyez quoi, vous, dans ces interprétations-là?
M. Taillon (Patrick) : Bien, d'abord,
le domaine qui est plus le mien, là, sur le plan des droits qui sont
supralégislatifs, les droits qui sont dans la Constitution, il n'y a rien dans
ce projet de loi qui vient restreindre les droits historiques de la communauté
anglo-québécoise tels qu'ils sont consacrés à l'article 133 de 1867. Et,
si c'était le cas, bien, ce serait justement une possibilité pour les tribunaux
d'intervenir, parce que le domaine d'application de l'article 45, il est
circonscrit. Donc, sur le plan des droits constitutionnels, dire que le Québec
forme une nation et qu'il a pour langue officielle le français, ça n'enlève
rien par rapport à ce que la Constitution offre comme droits à la communauté
historique anglophone.
Après, en ce qui concerne les autres mesures
détaillées du projet de loi, moi, je n'ai pas vu, là, d'exemple particulier,
mais mon attention s'est surtout tournée vers les droits qui sont garantis dans
la Constitution. Dans le pacte de 1867, lorsqu'on a négocié ce compromis qui
veut qu'il y aurait... il y aura un législateur majoritairement francophone au
Québec, mais, en contrepartie, il y aura des droits historiques protégés pour
la minorité anglophone, tels qu'on les voit à l'article 133, le projet de
loi n° 96 ne touche pas du tout à ces questions-là.
M. Skeete : Puis en quoi la vision
ou la perspective des Québécois d'expression anglaise et de la majorité
francophone par rapport au Code civil versus la common law... en quoi ce regard
historique vient teinter un peu la vision du droit commun versus le droit
individuel?
La Présidente (Mme Thériault) : En
20 secondes.
M. Taillon (Patrick) : Bien, la
spécificité du Québec tient à plusieurs piliers. La tradition juridique
civiliste en est un, elle modifie notre rapport au texte, elle nous incite à
aimer mettre les choses plus clairement. Elle nous a peut-être
même empêchés de voir que... la vraie nature de la Constitution canadienne,
comme je disais, dispersée, entremêlée, et etc. Mais, oui, ça fait partie des
ingrédients qui peuvent expliquer culturellement que l'on... un rapport au
droit légèrement différent, en effet.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Donc, je me tourne maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, pour votre échange de 11 minutes.
• (14 h 30) •
Mme
David : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Pr Taillon. On se retrouve. Vous étiez venu pour la loi
n° 21.
M. Taillon (Patrick) : Entre autres,
et aussi pour la loi sur la succession... dévolution au trône, je pense.
Mme David : Oui, mais, disons que,
moi, c'est parce que je vous ai connu à la loi n° 21. Et donc on se
retrouve. Écoutez, c'est difficile, sans mémoire écrit, parce que je ne suis
pas une spécialiste, là, de haut niveau comme vous. On a eu un autre
constitutionnaliste ce matin. Ce n'est pas facile, mais je vais prendre la
dernière partie puis je vais essayer de remonter le fil de votre intervention
en commençant par la fin.
J'ai vraiment bien entendu que vous avez
dit : Il faut une attention particulière demandée aux parlementaires quand
il y a application de dispositions de dérogation. Si vous-même, vous étiez un
parlementaire, là, sans formation constitutionnelle,
et tout ça, comme nous, humbles mortels, comment vous appliqueriez cette
attention-là? Donnez-nous un cours d'attention sur les dispositions de
dérogation.
M. Taillon (Patrick) : Bien, elle
n'est pas... Ce n'est pas particulièrement différent de ce que font les
tribunaux eux-mêmes lorsqu'ils analysent la conciliation des droits. C'est
extrêmement difficile. On le vit dans le dossier des manifestations devant les
écoles, où il y a un vrai droit, celui de manifester, qui est en tension avec
un autre droit, tout aussi réel, qui est d'aller à l'école sans se faire
déranger ou de pratiquer son métier.
Mme David : Dans le p.l. n° 96,
particulièrement, là.
M. Taillon (Patrick) : Oui. Oui, bien
sûr. Donc, je pense que les principaux critères, c'est d'identifier les droits
et les intérêts qui sont en présence, les droits et intérêts des individus, qui
peuvent voir dans ces dispositions-là un fardeau, une contrainte, etc., par
opposition à ceux qui... les droits des individus et de la collectivité, et de
voir dans quelle mesure l'équilibre qui est proposé par le projet de loi est
raisonnable. Puis, parmi les indications qui peuvent aider à voir si c'est
raisonnable, c'est de se demander — ça, c'est exactement de la
façon dont les tribunaux procèdent — est-ce que le législateur
pourra atteindre son objectif. Puis l'objectif est ambitieux ici, là, c'est
promouvoir la protection du français, freiner son déclin. Est-ce qu'il y a
beaucoup, beaucoup, beaucoup de solutions de rechange? Et, parmi ces solutions
de rechange, est-ce qu'il y en a qui seraient plus respectueuses des droits et
d'autres qui le seraient moins? Et le tribunal va arriver à la conclusion qu'il
faut retenir pas la moins pire des solutions, mais parmi les moins pires. Donc,
ça, c'est les techniques qui sont employées par les tribunaux. Je ne pense pas
que c'est la seule manière de concilier les droits puis d'évaluer. Les
parlementaires peuvent s'en inspirer.
Mais moi, je n'ai pas une conception du savoir
juridique qui serait un savoir exclusivement réservé à des gens ayant eu une
formation. Au contraire, quand il est question de droits fondamentaux, il est
question du pacte fondamental qui encadre notre société, et, si on ne peut pas
avoir un débat démocratique sur ces droits que l'on veut se reconnaître
réciproquement ou si ce débat n'est réservé qu'à des gens qui ont un savoir
particulier, bien, moi, je suis plutôt inquiet. Je crois qu'il faut avoir une
délibération démocratique, et la meilleure façon, c'est de cumuler les préoccupations.
Si on est centrés seulement... Pardon.
Mme David : O.K. Alors, je vous
arrête. Je sais qu'il faut interrompre des professeurs de... n'importe quel professeur, mais en droit encore plus. Je vais
oser un exemple, O.K., où il faudra porter une attention particulière.
Parce que plusieurs constitutionnalistes et juristes de haut niveau m'ont apporté
et ont apporté publiquement des inquiétudes.
Les droits d'inspection de l'OQLF, où même votre
prédécesseur, le Pr Binette, disait : C'est des droits vraiment très,
très, très... beaucoup plus élargis qu'ils le sont dans la charte actuelle,
beaucoup de juristes ont dit : Attention, il y a même des arrêts de la
Cour suprême, il y a quelque chose qui dit... Par exemple, le droit à la vie privée dans les ordinateurs, ça n'existait pas en
1976, lors de la charte, hein, on s'entend, 1977. Et là, maintenant, il y
a eu un certain nombre de jugements là-dessus, en disant : Un ordinateur
portable, vous allez repartir avec votre ordinateur, il peut y avoir des
rendez-vous chez le médecin, il peut y avoir des choses, vous ne voulez
certainement pas qu'un inspecteur de l'OQLF
voie. Mais, quand il a le droit de regarder et que c'est permis par la loi,
puis il ne fait pas ça pour rien non plus, là, mais il a le droit, clash
annoncé, droit à la vie privée, mais il y a dérogation quand même.
Puis là je veux vous entendre là-dessus, parce
qu'il y en a qui disent : Peut-être qu'on devrait enlever, pour cet
article-là, la disposition de dérogation. Or, ce n'est pas ça qui arrive, là,
c'est comme — ce
sera une autre de mes questions — tous azimuts pour protéger des droits
collectifs de langue. On s'entend, la langue, c'est important. Mais, sur ça en
particulier, pourquoi on mettrait une dérogation?
M. Taillon (Patrick) : Bien, c'est
un bel exemple, parce que vous montrez qu'il y a plusieurs intérêts en
présence. Moi, je pense qu'il faut clairement distinguer la capacité de
déroger, d'affirmer cette souveraineté parlementaire.
Elle ne vaut que pour la loi. Elle ne vaut pas pour l'administration. Et je
pense que, lorsqu'on applique les chartes, il y a
une distinction qui est faite entre les lois et les règlements, les règles de
droit, puis le comportement de l'État, le comportement du policier ou, dans ce
cas-ci, de l'inspecteur.
Et j'ai plutôt tendance à penser que le
comportement de l'inspecteur ne peut pas être... Seul le législateur peut
déroger. Et donc, pour valider un comportement d'inspecteur, il faudra ou il
faudrait le rattacher quand même assez explicitement à son fondement
législatif. Puis le comportement de l'inspecteur doit s'exercer dans le respect
de la finalité de la loi. Donc, je pense que ça pourrait être une manière
d'atténuer la chose.
L'autre manière d'atténuer la chose, et le
Parlement est souverain, bien, c'est peut-être d'apporter des précisions à
cette disposition. C'est vrai que du moment...
Mme David : ...vous me proposez déjà
un amendement...
M. Taillon (Patrick) : Du
moment où le législateur décide de déroger, c'est qu'il décide de lui-même
établir l'équilibre des droits.
Mme David : Savez-vous ce que
me proposent plusieurs juristes?
M. Taillon (Patrick) : Je
vous...
Mme David : Je le dévoile, là,
bon, on est là pour discuter, de dire : Ça n'a aucun bon sens qu'il n'y
ait pas de mandat, au moins, qu'un juge puisse se prononcer avec un mandat
de... l'équivalent d'un mandat de perquisition.
M. Taillon (Patrick) : Oui.
Bien, généralement...
Mme David : Parce qu'avec la
dérogation ce n'est pas permis.
M. Taillon (Patrick) :
Généralement, lorsqu'il est question de vie privée, c'est soit le consentement
de l'individu à y renoncer — nos
étudiants sont très vites sur le piton pour renoncer à leur vie privée dans
différentes applications — et,
sinon, l'autre solution, c'est généralement qu'un tiers, le juge, vienne juger
la raisonnabilité de la chose. Donc, c'est une suggestion qui est intéressante,
en effet.
Mme David : Ah! bien, je suis contente,
venant de vous. Alors, je comprends que la dérogation n'est pas nécessairement
tous azimuts, tous les articles de la charte, pour tous les articles de la loi,
de la loi n° 96, que... On a beau dire que c'est
l'ordre collectif versus l'ordre individuel, vous dites bien : Ça prend un
équilibre. Mais, si ça prend un équilibre, pourquoi on choisit que l'entièreté
du collectif, dans cette loi-là, s'applique? Donc, on applique les dispositions de dérogation au maximum, là. Les
articles 2 à je ne sais pas quoi, puis, bon, des deux chartes, là,
sont là au complet, pour tous les articles.
Pourquoi, alors, on dit que c'est un équilibre entre collectif et individuel?
On vient de donner un exemple sur les inspections.
M. Taillon (Patrick) : Donc,
le... Est-ce que le Parlement du Québec pourrait procéder de façon plus
chirurgicale? Oui. En procédant comme ça, c'est un peu comme si, d'une certaine
manière, le but du législateur était de hisser la Charte de la langue française
à l'égal du reste de la Constitution, hein, si... Si la charte canadienne dit
des choses, puis vous enchâssez dans la Constitution canadienne le contraire,
bien, la charte canadienne n'a pas vocation à s'appliquer au reste de la
Constitution. La dérogation, ça produit un peu cet effet-là.
Mais effectivement il est important que le
législateur s'assure de la raisonnabilité puis de la pertinence de sa loi. Et, s'il veut déroger d'une manière plus
chirurgicale, bien, il est tout à fait possible de retirer certaines
dispositions du domaine d'application de la dérogation. Au lieu de dire :
La dérogation vaut pour tout le projet de loi n° 96, il pourrait valoir
pour tout le projet de loi n° 96, sauf l'article numéro machin. C'est tout
à fait possible.
Mme David : O.K. Et le ministre
écoute, évidemment. Donc, on comprend que ce serait une possibilité puis qu'on
pourrait pousser, entre guillemets, cette idée-là d'avoir, pour certains
articles qui contreviennent plus manifestement
à des dangers de non-respect du droit à la vie privée, tel que mentionné dans
des jugements, d'ailleurs, dont un, si je me souviens bien, en 2016, de
la Cour suprême. Ce n'est pas rien, là. Mais c'est dans le domaine pénal et non
pas civil, mais, quand même, la personne a droit que l'inspecteur ne voie pas
qu'elle a un rendez-vous chez l'oncologue, par exemple.
• (14 h 40) •
M. Taillon (Patrick) : Oui. Donc, il
revient au législateur de choisir quelles dispositions du projet de loi entrent
dans le domaine de la dérogation. Donc, c'est un choix législatif d'en étendre
ou d'en restreindre la portée.
Mme David : Il y a une autre question
qui me... C'est parce que, là, vous employez plein de mots, là, puis le ministre
aussi, puis tout ça. La souveraineté parlementaire, là, ça, là, je n'ai pas vu
ça bien, bien dans le projet de loi, c'est comme nouveau. Souveraineté
parlementaire égale-t-elle disposition de dérogation?
M. Taillon (Patrick) : Bien, en fait,
c'est qu'historiquement, au Royaume-Uni, le Parlement est souverain. Il peut
tout faire. Il n'y a pas de loi au-dessus du Parlement britannique.
Au
Québec, lorsqu'on a adopté la charte québécoise, on a respecté ce modèle-là. On
a dit : Il y a des normes au-dessus de
la volonté du Parlement québécois, de la charte québécoise, mais, si le
Parlement québécois est insatisfait de la manière dont c'est interprété,
on a la capacité de modifier cette charte ou d'y déroger expressément.
Le Canada, dans son
ensemble, la fédération, en 1982, il a fait un pas de plus pour s'éloigner du
modèle de souveraineté parlementaire. Il y avait huit provinces canadiennes,
dont le Québec, qui s'opposaient à cela, parce qu'elles étaient conscientes que
ça allait opérer un transfert de pouvoir considérable du législateur vers le
juge. Et le compromis qui a été fait, compromis qui a rallié sept des huit
provinces qui s'opposaient, c'est de maintenir cette souveraineté parlementaire
comme un outil disponible, au besoin, à travers cette capacité de dérogation
là.
Donc, est-ce qu'il...
Est-ce que le Canada est un pays qui pratique la souveraineté parlementaire?
Bien, c'est à l'origine de son système, et, par différents choix, ce
principe-là s'est effrité, mais il subsiste, notamment à travers
l'article 33 de la charte canadienne, comme un instrument qui permet au
législateur, lorsqu'il le souhaite, de réaffirmer cette souveraineté
parlementaire.
La Présidente (Mme
Thériault) : Et je dois maintenant faire une petite intervention pour
passer la parole à Mme la députée de Mercier.
Mme
Ghazal : Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup pour votre
présentation. Évidemment, c'est superintéressant, là, cette idée-là
d'ajouter «nation», «langue française commune» dans la Constitution, là, dans
notre partie, avec l'article 45, puis vous en faites beaucoup la
promotion, puis Québec solidaire, on est pour ça.
Tout à l'heure, il y
a un constitutionnaliste avant vous, M. Binette, qui nous a dit qu'on est
trop éblouis par cette nouvelle idée, puis peut-être qu'à un moment donné on va
se calmer, ce qui n'est pas votre cas.
Mais moi, j'ai une
question. Tu sais, à Québec solidaire, on est indépendantistes. Pourquoi
ajouter une ligne dans une constitution qu'on n'a pas signée? C'est quoi, la
prochaine étape? Est-ce que ça ouvre la porte, après ça, de dire : Bien, on va la signer, puisqu'il y a
l'affirmation du fait que le Québec est une nation? Il n'y a
pas de danger que, par ce geste, que
je veux qualifier de pseudo-affirmation nationale... qu'on donne de la légitimité à la
Constitution canadienne?
M. Taillon
(Patrick) : Très pertinent. Je dirais, en rafale, d'une part, on
modifie 1867. C'est 1982 qu'on n'a pas signé. Bien, je conviens qu'à un moment
c'est l'ordre constitutionnel canadien.
Mais, surtout, je
pense qu'il faut, à un moment donné, faire le constat que, lorsqu'on procède
par un paquet de changements constitutionnels, comme Meech, comme
Charlottetown, dans le but de se réconcilier, là, le grand soir du... ce qui
ferait en sorte que, là, la Constitution deviendrait acceptable, bien, on est un
peu condamné à l'échec, parce que, là, on cumule les obstacles procéduraux,
puis ça devient une camisole de force.
À l'inverse, lorsque,
par exemple, le gouvernement du Parti québécois, en 1997, il est allé avec une
mesure précise, les commissions scolaires, lorsqu'avec le projet de loi
n° 96 on y va sur un truc précis, la nation et la langue, bien, on a un
peu plus de chances de succès.
C'est
sûr qu'on peut ne pas vouloir jouer dans le film de la Constitution canadienne,
mais, en attendant peut-être un autre grand soir, ça permet au Québec de
défendre ses intérêts par rapport à la fois au fédéral, par rapport
aussi à la dynamique constitutionnelle qui se joue devant nos tribunaux, en
posant ce qui nous tient à coeur au sommet de la hiérarchie des normes.
Mme Ghazal :
Mais... Puis ça, c'est peut-être une question politique, ça ne vient pas un peu
conforter les Québécois en disant : Bien, tu sais, comme... On a beaucoup
de valeurs refuges. Bien là, on se réfugie là-dedans en attendant, puis ça peut
créer ça, en disant : Bien, pourquoi faire la souveraineté puis faire
l'indépendance?
M. Taillon
(Patrick) : Bien, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il ne faut
pas sous-estimer les effets positifs. Ce n'est pas parce que c'est un bon coup
que ça règle tout. Le fédéralisme canadien continue à avoir des problèmes, des
dysfonctionnements. Mais moi, je me réjouis que l'on s'attaque, un par un, à
ces problèmes et que, en tout cas, du moins, sur ce coup-là, le Québec gagne,
alors qu'il a si souvent perdu. Est-ce qu'après c'est suffisant pour dire que
tout est parfait? Au contraire.
La Présidente
(Mme Thériault) : Je dois malheureusement passer la parole
maintenant au député de Matane-Matapédia.
M. Bérubé :
Merci, Mme la Présidente. Me Taillon, c'est un plaisir de vous accueillir.
Je pense qu'on peut
dire sans se tromper que vous avez certainement été une source d'inspiration
pour le ministre, pour son projet de loi. En janvier dernier, dans une entrevue
avec Marco Bélair-Cirino, vous nous indiquiez qu'il était possible de modifier
la Constitution canadienne et y ajouter des éléments dans l'espace qui
appartient au Québec. Et, comme le projet de loi du ministre est arrivé après,
j'aime à penser que vous l'avez influencé. Donc, ceux qui trouvent que c'est un
bon coup doivent d'abord vous féliciter, vous.
Et, sur la base de...
Moi, c'est sur la base de l'applicabilité de la chose qu'on va pouvoir dire si
c'est un bon coup. Plusieurs personnes, dont moi, sont plutôt sceptiques quant
à ce que ça représente versus les véritables mesures qui devraient être mises
en place. Par exemple, moi, je trouve que c'est une diversion sur la vacuité de
plusieurs éléments du projet de loi.
Alors, Me Binette, qui est un peu dans le même type d'action que vous,
c'est-à-dire que c'est un prof de droit... en fait, c'est un avocat en droit constitutionnel, est beaucoup moins
optimiste que vous. Alors, est-ce que, raisonnablement, vous croyez que
ça peut se retrouver dans la Constitution canadienne?
M. Taillon
(Patrick) : Bien oui, puisque c'est... La Constitution canadienne est
un objet entremêlé, dispersé, et donc ça en fait partie. Quelles seront les
suites que vont donner les juges à ça? Ça, il faudra voir. Mais, surtout, avec égards pour mon collègue et ami André
Binette, il ne faut pas faire l'erreur de définir. Peut-être qu'on aimerait
que ce soit comme ça, mais ce n'est pas ça,
la réalité. L'objet «constitution québécoise» n'est pas un objet totalement
étanche, distinct et séparé de l'objet «constitution
de la fédération». C'est entremêlé. On fait partie de la même tour, de la
même...
M. Bérubé :
Donc, ce n'est pas quelque chose d'acquis, c'est une hypothèse. On n'a aucune
garantie, parce qu'on se heurte, encore une fois, aux juges qu'on ne nomme pas.
Et c'est ça, accepter le régime canadien. Je ne l'accepte pas. Ça fait assez
longtemps qu'on se connaît, vous connaissez mes opinions là-dessus. Je
soupçonne les vôtres aussi. Mais je dois vous dire que je demeure sceptique.
Ceci étant dit, vous
êtes allé beaucoup plus loin. Si c'était seulement de vous, on ajouterait
beaucoup plus d'éléments. Vous avez parlé d'États associés, par exemple, de
l'existence de son Parlement. J'imagine que vous avez eu cette discussion-là
avec le ministre. Pourquoi, selon vous, il a décidé de ne pas aller plus loin?
La Présidente (Mme
Thériault) : En 20 secondes.
M. Taillon
(Patrick) : Oui. Moi, j'ai proposé de traduire... d'imposer notre
vocabulaire, notre manière de décrire les institutions, tel qu'il ressort de la
Révolution tranquille, de cesser de se faire appeler province. On est un État
membre de la fédération.
M. Bérubé :
Vous avez proposé ça?
M. Taillon
(Patrick) : Bien, je l'ai proposé dans mes écrits. C'est publié.
M. Bérubé :
Mais ce n'est pas dans le projet de loi.
M. Taillon
(Patrick) : Ce n'est pas dans le projet de loi.
M. Bérubé :
...c'est là qu'on l'apprend.
M. Taillon
(Patrick) : Je salue le fait que le projet de loi introduit une
numérotation précise qui crée un espace pour, peut-être, des changements
futurs.
M. Bérubé :
J'espère qu'il vous écoutera. Parce que vous l'avez proposé, puis ce n'est pas
dans le projet de loi. Nous, on ne considère pas qu'on est une province.
La Présidente (Mme
Thériault) : Et je dois mettre fin à cet échange.
M. Bérubé :
Merci.
La Présidente (Mme
Thériault) : Donc, je vais suspendre les travaux quelques instants
pour permettre à l'autre groupe de prendre place. Donc, merci, Pr Taillon,
de vous être joint à nos travaux. Nous suspendons.
(Suspension de la séance à
14 h 47)
(Reprise à 14 h 52)
La
Présidente (Mme Thériault) : À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre,
s'il vous plaît! Donc, nous allons poursuivre les travaux de la
commission. Et nous recevons M. Frédéric Lavoie... Lacroix, pardon.
Donc,
M. Lacroix, vous avez une dizaine de minutes pour faire votre exposé — vous
pouvez enlever votre masque, évidemment, puisque vous faites l'exposé — et
par la suite il y aura des échanges aussi. Donc, sentez-vous libre de ne pas le
remettre, puisque vous répondrez aux questions des parlementaires. Donc, la
parole est à vous.
M.
Frédéric Lacroix
M. Lacroix
(Frédéric) : C'est bon. Donc, merci, tout d'abord, aux membres de
cette commission sur l'étude du projet de loi n° 96,
la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français,
de me recevoir.
Donc, je m'appelle
Frédéric Lacroix. Je suis l'auteur d'un livre intitulé Pourquoi la
loi 101 est un échec, publié chez
Boréal l'année passée. et je suis aussi l'auteur d'un livre, à sortir le
7 octobre, qui s'intitule Un libre choix? Cégeps anglais et étudiants internationaux :
détournement, anglicisation et fraude, édité par le Mouvement Québec français.
Donc, dans mon premier
livre, je conclus que, globalement, la loi 101 est un échec, en ce sens
qu'elle n'atteint pas et n'a jamais atteint les objectifs que s'étaient fixés
ses concepteurs. Donc, l'objectif principal de la charte était d'arrêter
l'évolution démographique qui se dessinait pour l'avenir pour le Québec,
évolution qui allait conduire à un recul du poids démographique relatif des
francophones au Québec.
Pour ce faire, il faudrait hausser les
substitutions linguistiques des immigrants allophones vers le français de
25 % à 80 % ou 85 % environ. La commission Gendron écrivait, en
1972, qu'il fallait viser à faire du français la langue commune des Québécois,
une langue que tous connaissent, de telle sorte qu'elle puisse servir de moyen
de communication entre Québécois de toute langue et de toute origine.
Cette notion
de langue commune est extrêmement importante. Donc, je salue le fait que cette
notion se trouve maintenant dans le
titre même du projet de loi et que l'article 1 du projet de loi n° 96
vienne modifier la charte en ce
sens.
L'axe principal du projet de loi n° 96 me
semble être l'exemplarité de l'État et me semble être une tentative pour
restreindre le bilinguisme systémique de l'État québécois, bilinguisme qui a
été réimposé par les tribunaux fédéraux après 1977. Cela me semble être un
axe d'intervention incontournable, car le français ne peut être à la fois la
langue officielle et une langue sur deux, une langue optionnelle pour l'État
québécois même.
Mais débilinguiser l'État québécois ne sera pas,
je crois, une mince affaire alors que le bilinguisme est rendu quasi universel
chez les francophones, qu'il est profondément entré dans les moeurs et que les
jeunes, en particulier, sont de plus en plus
intéressés à utiliser l'anglais dans leur vie quotidienne, selon Statistique Canada. Dans ce contexte,
comment va-t-on pouvoir restreindre l'offre active de services en anglais? Je
crains qu'on se retrouve avec une situation où les services en anglais ne
seraient théoriquement pas disponibles pour tous, tout en l'étant en pratique.
Cela serait dommageable pour le statut du français.
Aucun livre blanc n'a été déposé préalablement
au projet de loi n° 96. Le diagnostic linguistique établi par le
gouvernement n'est donc pas du domaine public. Donc, quel est-il? Normalement,
les objectifs que vise un projet de loi sont proportionnés aux besoins, mais on
ne connaît ni les uns, ni les autres, ni les objectifs visés, ni le constat
précis qui motive l'action. En entrevue, M. le ministre Jolin-Barrette a
affirmé : Un des objectifs sera d'augmenter le transfert linguistique des
immigrants à 90 % vers le français, c'est le plus grand défi que nous ayons.
Et je suis parfaitement d'accord là-dessus.
Un objectif subsidiaire devrait être d'arrêter
l'anglicisation des jeunes francophones à Montréal. Les projections démolinguistiques effectuées par Statistique Canada nous
annoncent que les francophones ne constitueront plus que 69 % de la
population du Québec, selon la langue maternelle, et 73,6 %, selon la
langue d'usage, la langue parlée à la
maison, en 2036. Il s'agit d'une chute de 10 points et de 8 points
par rapport à 2011. Donc, ça,
c'est en 25 ans seulement. Entre 2006 et 2016, on a aussi mesuré
un doublement des jeunes francophones à Montréal.
Donc, on peut dire que, démographiquement
parlant, le groupe de langue française est en chute libre au Québec. Ce qui
nous guette, c'est la mise en minorité des francophones sur de larges pans du
territoire québécois, donc, à Montréal, dans la région métropolitaine de
Montréal, à Laval, à Gatineau. Cette mise en minorité aura, a déjà d'immenses
conséquences politiques.
Donc, est-ce que le projet de loi n° 96 va
arriver à déjouer le scénario que nous peint Statistique Canada? La réponse me
semble être non, premièrement, parce que la sélection de l'immigration est
exclue de son champ d'action. Nous savons que la sélection d'immigrants déjà
francisés à l'étranger est le levier qui a permis de hausser les transferts
linguistiques vers le français de 20 % à 55 %, donc, en 2016. Pour
arriver à 90 %, il faudrait n'accepter au Québec que des francotropes ou
des gens ayant une excellente maîtrise du français avant l'arrivée, et ce, pour
toutes les catégories d'immigrants temporaires ou permanents.
Deuxièmement, parce que le projet de loi
n° 96 est d'une timidité excessive concernant la surcomplétude
institutionnelle dont jouissent les institutions de langue anglaise au Québec.
Le réseau collégial anglophone, au Québec, est dimensionné au double du poids
démographique des anglophones, et nos réseaux universitaires, au triple de ce
poids. Le projet de loi n° 96 aura très peu d'impact sur les flux
monétaires allant soutenir l'expansion d'institutions anglaises au Québec.
Le gouvernement s'apprête même à financer un
agrandissement royal de 100 millions de dollars pour Dawson et à faire don du Royal Victoria à McGill,
deux projets qui viendront rehausser la surcomplétude institutionnelle
des institutions anglophones à Montréal.
Donc, les mesures du projet de loi n° 96, à
mon avis, seront mises en échec par ces investissements. Le gouvernement défait
avec l'argent ce qu'il tente de faire avec le droit. Je ne comprends pas, en
particulier, l'hésitation à imposer les clauses scolaires de la loi 101 au
niveau collégial. À mon avis, l'impérieuse nécessité de cette mesure crève les
yeux. L'article 88.0.4 imposant une croissance contingentée au réseau
collégial anglais est deux fois moins
costaud que la mesure proposée par le Parti libéral du Québec, soit le gel des
places dans les cégeps anglais.
Et cette mesure ne fera rien pour contrer
l'écrémage des meilleurs étudiants, effectué par les cégeps anglais, qui
représente l'autre problème majeur affectant le collégial. Avec l'écrémage, le
Québec finance le déclassement symbolique du français comme langue d'étude au
collégial. L'anglais va rester la langue d'étude de l'élite. Cela est très
lourd de sens.
En contingentant les places en anglais, le
gouvernement du Québec jette les bases pour une contestation permanente de la
clause 88.0.4. Cette politique ne sera pas acceptée socialement, à mon
avis.
Une autre solution pour contrer l'écrémage, mais
partielle, serait de faire en sorte que le recrutement et la sélection des étudiants admis aux cégeps anglais
ne soient pas du ressort des directions des cégeps anglais. L'ensemble
des cégeps montréalais, incluant Dawson, devraient être intégrés dans le
Service régional d'admission du Montréal métropolitain.
Un système panquébécois d'admission au collégial pourrait également être créé.
Une sélection aléatoire des postulants au collégial anglais devrait être effectuée pour éliminer
l'écrémage appliqué par les directions des cégeps anglais. Et, bien sûr,
à mon avis, les étudiants scolarisés en anglais au primaire et au secondaire
devraient être priorisés lors de l'admission.
• (15 heures) •
Également, les mesures du p.l. n° 96
devraient cibler les cégeps privés non subventionnés. Ce réseau a connu une croissance exponentielle dans les dernières
années et accueille des milliers d'étudiants internationaux qui étudient
en anglais au Québec, ce qui contribue
fortement à l'anglicisation de la région de Montréal. Ces étudiants
internationaux socialisés en anglais constituent une partie croissante des
candidats à l'immigration au Québec. Il est, à mon avis, contreproductif de
socialiser les futurs immigrants en anglais au Québec et de tenter de les
franciser ensuite en leur offrant des cours de français, même gratuits.
Plus largement, le gouvernement du Québec
devrait axer sa politique linguistique sur l'usage du français et non sur sa
simple connaissance. Ça, c'est un point crucial, à mon avis.
Donc, à mon avis, le p.l. n° 96
dans sa forme actuelle ne permettra pas de hausser les substitutions
linguistiques des allophones à hauteur de 90 % du total, ce qui est
pourtant l'objectif qui semble être visé. Donc, il ne va pas déjouer le
scénario que nous annonce Statistique Canada pour l'avenir. Le français va
continuer à reculer au Québec. Donc, le p.l. n° 96
dans sa forme actuelle pourrait avoir pour effet de rendre plus confortable le
chemin de la minorisation, qui est celui qu'emprunte maintenant la majorité
francophone au Québec. Merci.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci beaucoup, M. Lacroix, pour votre présentation. Donc, sans plus
tarder, nous passons au premier bloc d'échange avec le ministre.
M. Jolin-Barrette : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, M. Lacroix. Merci d'être présent parmi nous et de
nous présenter votre mémoire sur le projet de loi n° 96.
D'entrée de jeu, je tiens à souligner la qualité
de votre travail relativement à votre livre que vous avez écrit l'an passé, Pourquoi
la loi 101 est un échec. Bon, sur la question du titre, je ne suis pas
tout à fait en accord. Je considère que la loi 101 a amené des avancées
significatives par rapport à l'état du français. Mais je dois dire que, dans
votre livre, vous réussissez à résumer, notamment avec des tableaux... d'illustrer
très bien un portrait de la situation du français au Québec. Et, au-delà du
fait que vous émettez certaines réserves, si je peux dire, sur le projet de loi
que le gouvernement du Québec a déposé, les conclusions que vous amenez dans le
cadre de votre livre font état de la démonstration du déclin du français.
Alors, je crois que votre ouvrage fait oeuvre
utile dans le cadre du débat linguistique. Je tiens à vous remercier puis à
vous féliciter pour ça. Puis je vais lire avec intérêt votre prochain livre qui
va sortir prochainement.
Dans votre intervention tout à l'heure, vous
avez parlé du bilinguisme systématique ou institutionnel de l'État québécois. Dans le projet de loi, on amène
un volet sur la question de l'exemplarité de l'État. Le gouvernement du
Québec a adopté le décret de l'article 1 de la loi n° 104
récemment. Ça faisait 20 ans. Comment expliquez-vous que l'État québécois
lui-même n'a pas été exemplaire et que ça a pris le projet de loi n° 96
pour avoir des dispositions sur l'exemplarité de l'État?
M. Lacroix (Frédéric) : Pourquoi
l'État québécois n'a pas été exemplaire? Bien, le bilinguisme a été réintroduit
à grande échelle par Robert Bourassa, là, au début des années 90, qui a
changé plusieurs articles dans la loi 101, puis après ça il y a eu un
désintérêt pour la question. Donc, il y a eu un grignotement par la base,
là — ça,
c'est mon interprétation de ce qui s'est passé — puis la question n'a
pas été prise au sérieux, à mon avis.
Donc, moi, je salue l'intervention sur
l'exemplarité de l'État, je pense que c'est absolument nécessaire, mais, à mon
avis, ça va être un travail titanesque de rentrer le génie dans la bouteille,
dans le contexte où le bilinguisme anglais-français est en train de devenir
universel au Québec, puis en particulier dans le contexte où les jeunes veulent
de plus en plus pratiquer leur anglais. Ça, c'est Statistique Canada qui nous
apprend ça. Donc, les jeunes qui passent par l'anglais intensif au primaire,
par exemple, l'immersion anglaise au secondaire, bon, l'univers numérique, qui
est très anglicisant, comment on va arriver à les convaincre que, s'ils sont
employés de l'État, ils doivent offrir un service en français seulement? Ça va
être difficile.
M. Jolin-Barrette : O.K. Hier, on a
eu le démographe Patrick Sabourin qui est venu faire une présentation, et
certains de mes collègues autour de la table ont tenté de discréditer
l'indicateur qu'il considérait comme le plus important, soit la langue parlée à
la maison. Qu'est-ce que vous pensez de cet indicateur-là, la langue parlée à
la maison? Et est-il important de s'en préoccuper et de l'utiliser comme valeur
de référence pour évaluer la situation du déclin du français?
M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Bien,
donc, il y a un consensus chez les démographes à l'effet que la langue parlée à
la maison, la langue d'usage est l'indicateur le plus important pour prédire la
vitalité future d'un groupe linguistique. Il faut rappeler que cet
indicateur-là, dans le recensement canadien, nous vient de la commission
Laurendeau-Dunton des années 60, donc une commission extrêmement
importante, le plus important travail intellectuel sur la question jamais fait
au Canada, qui a demandé au gouvernement d'insérer une question sur la langue
d'usage, donc, ce qui a été fait en 1971. Donc, c'était la conclusion, une des
conclusions de cette commission.
Marc Termote, qui est un démographe bien connu,
qui a travaillé avec l'OQLF depuis longtemps, a dit... Son opinion, c'est que
la langue d'usage, c'est un indicateur incontournable et que... Par exemple, on
nous parle souvent de la langue d'usage public, à ne pas
confondre avec la langue d'usage ou la langue parlée le plus souvent à la
maison. Donc, la langue d'usage public, donc la langue parlée, par exemple,
dans les dépanneurs, serait un indicateur sur lequel il faudrait se rabattre.
On nous dit souvent ça. On entend ce discours-là. À mon avis, c'est
complètement farfelu. Puis M. Termote a dit que se baser sur un indicateur
comme la langue d'usage public, c'était renoncer à toute analyse démolinguistique.
Donc, c'est son opinion. C'est dans un des articles qu'il a écrits pour l'OQLF
en 2008.
Donc, il n'y a pas de doute à avoir qu'il faut
avoir cet indicateur parmi la batterie d'indicateurs. Il peut y en avoir
d'autres. Cependant, celui-là est crucial.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la
question... Dans votre mémoire, je crois, vous faites référence à l'épisode de
Mme France Boucher, à la tête de l'OQLF, et relativement au fait, et je
l'ai dit hier, que des études de l'OQLF n'ont pas été rendues publiques pendant
des années et que les indicateurs, également, étaient sélectionnés pour avoir
un beau portrait de la situation.
Alors, dans le projet de loi, ce qu'on propose,
c'est de mettre des dates dans... pour que l'OQLF produise des rapports et avec
des rapports intérimaires aux deux ans, à travers les différents rapports qui
sont rendus, mais aussi d'avoir un commissaire à la langue française qui va
être nommé par l'Assemblée nationale et qui va pouvoir surveiller les données statistiques, les indicateurs qui vont être choisis par
l'OQLF, pour que ce soit fait en concertation, justement, pour que, peu
importent les gouvernements qui vont passer au Québec... que la population
puisse avoir un juste portrait.
Est-ce que vous croyez que ces dispositions-là, par
rapport aux institutions qu'on vient créer dans le projet de loi, sont
suffisantes par rapport, notamment, à l'indépendance qu'il va y avoir sur la
production des rapports, sur l'état de situation de la langue française au Québec?
M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Un
des problèmes de l'OQLF pendant longtemps, c'était que les nominations étaient politiques.
Donc, la personne nommée avait, selon ma compréhension des choses, pour mission
implicite de ne pas faire de vagues sur la question linguistique. Puis... Donc,
il y a des études, comme une étude... une étude de projection, là,
démolinguistique de Marc Termote qui a été camouflée par l'office pendant de
nombreux mois. Ça a pris l'intervention des médias pour que les données soient
dévoilées. Bien sûr, l'étude n'était pas positive pour l'évolution du français
à Montréal. Ça, c'était il y a 15 ans. Donc...
Puis un des problèmes aussi de l'OQLF, c'est
que, bon, un rapport quinquennal... Ils pondent un rapport quinquennal, puis ce rapport-là,
c'est des centaines de pages, des milliers de chiffres. C'est complètement incompréhensible. Puis souvent il n'y a pas de synthèse.
Puis, à mon avis, ce que ça prend, c'est un
suivi. Il ne faut pas changer. Ça prend un suivi linguistique de la situation
avec les mêmes paramètres à chaque fois, calculés de la même façon, pour qu'on
puisse faire un suivi dans le temps. Ça, c'est très important. Puis ça prend
une synthèse qui soit accessible et compréhensible au public. Donc, en écrivant
mon livre, j'ai voulu faire cette synthèse, mais c'était le travail, en fait,
de l'office. Donc, ça prend une synthèse simple et accessible.
Puis donc, dans mon mémoire, j'ai quelques
suggestions pour le commissaire, donc, ce commissaire-là, d'avoir une
compétence reconnue sur la question. Donc, ce n'est pas dans le libellé, je
crois bien.
Puis, comme
disait mon confrère Sabourin hier, une des faiblesses majeures qu'on a, c'est
la production de savoir dans ce
domaine. Il y a peu de recherche quantitative qui est faite maintenant. Ça,
c'est une lacune majeure à mes yeux.
Une autre lacune majeure, c'est que le Québec
n'effectue pas de recensement. Je sais que c'est dans la Constitution canadienne, mais, à mon avis, le Québec devrait procéder à
quelque chose qui ressemble au recensement sur son territoire afin de
collecter ses propres données pour éviter les changements de question ou les
changements d'indicateur qui sont faits par Statistique Canada, qui nuisent
considérablement au suivi de la situation linguistique.
• (15 h 10) •
M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être
une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Vous avez
abordé la question des cégeps et vous avez dit : Probablement que cette...
la proposition, dans le cadre du projet de loi n° 96, sera mal acceptée
par la population. Parce que, notamment, vous dites : Ça va amener un
écrémage, et les gens vont vouloir accéder
aux cégeps en anglais, et là il va y avoir un bassin restreint de personnes qui
vont y accéder. Entre... Vous êtes d'avis qu'on devrait étendre la
loi 101 aux cégeps pour les francophones et les allophones. Entre cette
possibilité-là, et la possibilité que je propose, et celle de ne rien faire, de
laisser les cégeps, donc, c'est les trois possibilités qui existent, là, dans l'univers
présentement, est-ce que vous croyez que ce que nous proposons va, sur le plus
long terme, avoir un impact sur la fréquentation scolaire des cégeps?
M. Lacroix (Frédéric) : Bien, je
pense que ça ne va pas changer la dynamique linguistique à Montréal, si c'est ça, la question. Est-ce que ça va arrêter le
déclin du français à Montréal? Est-ce que ça va arrêter l'anglicisation
des jeunes francophones à Montréal? À mon
avis, non. Ça va freiner l'accélération du déclin du français, si vous me
suivez.
Puis je pense que vous devriez y aller pour un
gel. O.K., la loi... Faire tomber le libre choix, c'est une impossibilité, je
comprends. Donc, ça doit être un gel franc des places et non pas une croissance
contingentée, qui est une mesure bancale, à mon avis.
Puis l'autre problème majeur, puis ce qui est
peut-être un problème plus important que celui des effectifs, c'est l'écrémage,
donc le déclassement symbolique du français. Tout le monde sait, tous les
étudiants sur l'île de Montréal savent que, s'ils veulent avoir un avenir
prometteur, ils doivent aller à Dawson et John-Abbott, puis après à McGill et
Concordia. Donc, le français est déclassé symboliquement, puis ça, c'est très
lourd de conséquences.
Donc, à mon avis, vous
devriez introduire une clause de sélection aléatoire des postulants, puis que,
donc, les directions des cégeps anglais ne puissent pas sélectionner seulement
la crème et l'élite académique.
Donc, s'il y
avait un gel puis une sélection aléatoire des postulants, déjà, on rétablirait un
peu plus l'équilibre.
M. Jolin-Barrette : Je vous remercie
pour votre présence en commission parlementaire.
M. Lacroix (Frédéric) : Merci.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Donc, je vais céder la parole au député de Saint-Jean, et vous avez un
peu moins de 5 min 30 s.
M. Lemieux : Merci beaucoup, Mme la
Présidente. Bonjour, M. Lacroix. C'est assez phénoménal, quand on est assis de ce côté-ci puis qu'on voit les
témoins se succéder, jusqu'à quel point la perspective fait une énorme différence. Je me suis retenu d'essayer de faire
un débat de constitution avec un constitutionnaliste, mais j'aurais bien
aimé parler plus longtemps, tout à l'heure, avec un avocat qui nous expliquait
des choses qui me semblaient très terre à terre.
Quand vous arrivez avec votre livre, le titre,
forcément, choque, mais, en même temps, ça me rappelle qu'hier Guy Rocher était...
Je ne veux pas rien lui faire dire, là, il l'a dit avec suffisamment
d'éloquence, mais, juste pour le répéter... Je lui demandais où on en serait
si, après 40 quelques années, il n'y avait pas eu sa charte, la charte du
Dr Laurin, mais qu'il a coécrite, disons, et il me disait : Bien,
vous savez, il faut qu'on s'ajuste, il faut qu'on s'ajuste avec la
mondialisation, avec le temps qui passe, avec tout le reste. Et ça m'a frappé
jusqu'à quel point, effectivement, il ne s'est pas passé grand-chose depuis
40 quelques années. Elle peut bien ne pas marcher, elle n'était pas
capable de suivre, la loi 101, si je résume seulement le titre de votre
livre.
Ce qu'on est en train de faire en ce moment,
c'est l'actualiser. Vous allez me dire que ce n'est pas assez, vous l'avez
éloquemment expliqué. Mais, à quelque part, ça va dans la même direction, c'est
la même volonté : protéger la loi, protéger le français pour l'avenir puis
s'ajuster. Expliquez-moi pourquoi on est toujours maladroits dans notre façon
d'aborder les leviers qu'on a avec le français, parce qu'à chaque fois ils
explosent dans les mains de ceux qui les manipulent.
M. Lacroix (Frédéric) : Bien, c'est
sûr que c'est une question très, très sensible. Je vous rappelle que, quand
M. Laurin a déposé la charte, il a dit que la charte était le commencement
des actions du gouvernement du Québec en
faveur du français. Puis ce ne fut pas le cas, ça a été le début et la fin, en
même temps, des actions pour le français.
Donc, si on se met dans la perspective du projet
de loi actuel, si le projet de loi actuel est le commencement des actions, à ce
moment-là, c'est un excellent projet de loi. Si c'est le commencement et la
fin, s'il n'est suivi de rien d'autre pendant 40 ans, à ce moment-là, il
va arriver ce que Statistique Canada nous prédit. Mais, si c'est le début,
c'est un bon premier projet de loi. Donc, j'en appelle d'autres.
Donc, pourquoi on est gênés? Bien, je pense
qu'il faut dire les choses telles qu'elles sont. Donc, il ne faut pas être gêné
de dire les choses telles qu'elles sont.
Puis il faut se fier aussi au meilleur résultat
objectif sur la question pour se dégager des impressions subjectives. Moi, ça, c'est quelque chose de très important, je crois. Malheureusement, comme je le disais, bien, la recherche en
ce domaine est parcellaire puis souvent insatisfaisante. Donc, ça, c'est une
lacune qu'il faut combler, à mon avis.
M. Lemieux : ...entendais tout à
l'heure expliquer en partie pourquoi on n'avait pas eu plus de chiffres et de
rapports de l'OQLF, comme si ça allait de soi. Il y a quelque chose de
profondément choquant à vous entendre expliquer... Bon, il y a bien, tu sais...
Mais, au final, on a travaillé là-dessus un peu
hier, et le ministre expliquait jusqu'à quel point, malgré le fait que c'est encore Statistique Canada qui pose
les questions, donc on vit avec les réponses posées par quelqu'un d'autre, bien, au final, qu'on
allait quand même, avec la vision du projet de loi n° 96, essayer d'aller
s'assurer d'un meilleur encadrement de la recherche. Ça fait partie de la
solution beaucoup plus qu'on le pense. Quand on se réveille après 10 ans,
pas de chiffres, à se dire : Mon Dieu! comment ça qu'on est rendus là?,
bien, c'est parce qu'on ne l'a pas regardé pendant 10 ans. Alors,
la recherche, ce n'est pas le nerf de la guerre, ce n'est pas ça qui va tout
changer, mais c'est ce qui nous donne la garantie d'être capables de suivre le
changement.
M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Moi, il
y a beaucoup de questions que je me pose dans ce domaine, auxquelles je n'ai
pas la réponse. Donc, il y a beaucoup d'études que je me dis : Ah! ce
serait vraiment bien de savoir ça, mais on ne l'a pas. Donc, oui, c'est le nerf
de la guerre, à mon avis. Puis il faut que ce soit de la recherche indépendante
faite, j'oserais presque dire, de bonne foi.
M. Lemieux : Francisation Québec, en
terminant, parce qu'effectivement il y a plusieurs façons de prendre le
taureau, et il n'a pas juste une corne, là, Francisation Québec, moi, en tout
cas, à sa face même, m'apparaissait un effort concerté et organisé qui a plus
de chances de fonctionner.
M. Lacroix
(Frédéric) : Oui, je suis
d'accord. C'est une bonne mesure. C'est une bonne idée de tout regrouper
là. Mais il ne faut pas s'imaginer qu'en
faisant ça on va venir agir sur les substitutions linguistiques en faveur du
français, parce que ce qui vient agir là-dessus, c'est la sélection de
l'immigration.
On sait que la
francisation... Si on regarde la francisation qui se fait sur le sol, au
Québec, là, donc, les immigrants arrivent, puis on enlève ceux qui sont
francisés à l'étranger, la francisation est d'à peu près 38 % en faveur du
français seulement, en 2016, à peu près 62 % en faveur de l'anglais. Donc,
de tous les allophones, les immigrants...
tous les immigrants allophones, leurs enfants, etc., 62 % font des
substitutions linguistiques vers le français sur le sol. Donc, le
facteur qui permet de rehausser ça, c'est la sélection de francotropes.
M. Lemieux : ...passer au prochain.
Merci beaucoup, M. Lacroix.
La Présidente (Mme Thériault) : Pas
de problème. Merci. Donc, sans plus tarder, Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys, pour vos 11 minutes.
Mme David : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, M. Lacroix. J'ai passé... Je l'ai dit hier à
Guillaume Rousseau, mais je le dis à vous aussi, j'ai passé beaucoup, beaucoup
de temps, très annoté, de votre livre. Je l'ai lu trois fois plutôt qu'une,
avec quand même un certain nombre de réactions.
Si je peux résumer, il y a un concept qui vous
est très, très cher. Je ne sais pas si c'est de vous qu'il vient, le concept de
surcomplétude institutionnelle, mais vous avez l'air à y tenir comme à la
prunelle de vos yeux. Ce concept-là, vous l'appliquez aux collèges, aux
universités, aux institutions de santé, anglophones particulièrement,
évidemment, par rapport à francophones, peut-être plus précisément à la grande
communauté urbaine de Montréal, je pourrais dire, même, Montréal.
Et je vous cite, à la page 16 de votre
mémoire, vous dites : «Si on souhaite réellement redonner de l'oxygène au français comme langue de travail, il faut, de
un, réduire sérieusement la surcomplétude institutionnelle des
institutions anglophones au Québec.»
Pour avoir lu
votre livre, comme je vous dis, attentivement, vous y allez de façon quand même
assez radicale. Il faudrait vraiment
définancer ce qui est au-delà du poids démographique de la communauté
anglophone, et vous appliquez ça, collèges, universités, hôpitaux.
Alors, j'aimerais ça vous entendre plus sur l'application de votre
surcomplétude institutionnelle.
• (15 h 20) •
M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Bien,
je réfute l'étiquette de radical, en premier lieu. À mon avis, c'est la
situation actuelle qui est radicale. Et le sous-financement chronique des
institutions de langue française, ça, on en parle peu. Mais l'envers de la
médaille, c'est que le réseau institutionnel de langue française au Québec est
en état d'asphyxie chronique, les cégeps, les universités et les hôpitaux.
Donc, je pense qu'on peut renverser la perspective.
Puis la compétition institutionnelle, ce n'est
pas mon invention. C'est un concept qui a été inventé par Raymond Breton, un
sociologue de la University of Toronto, dans ses études doctorales. Puis c'est
un concept, comme je l'écris dans le livre, qui a été reconnu en droit canadien
lors de la cause Montfort, puis, depuis lors, il a été utilisé à sept reprises,
donc, devant les tribunaux, souvent avec succès. Donc, ce n'est pas du tout un
concept farfelu ou tiré par les cheveux. Puis ce que ce concept-là exprime,
c'est que c'est... l'ampleur du réseau institutionnel a une incidence directe
sur la vitalité linguistique d'une communauté.
Donc, ce que je propose dans mon livre, ce n'est
pas d'enlever des droits aux anglophones, ce n'est pas de fermer des
institutions anglophones, c'est de rétablir un équilibre de financement entre
les deux réseaux. Donc, ce que je propose, en fait, c'est qu'il y ait une
équité de financement entre les deux groupes linguistiques au Québec. Cette
équité, à l'heure actuelle, n'existe pas. Donc, les francophones sont
pénalisés.
Mme David : Les financements
des réseaux sont équitables, dans le sens où c'est fait par le nombre
d'étudiants. Il y a beaucoup moins d'étudiants à McGill qu'il y en a à
l'Université de Montréal. Ils ont décidé de limiter
leur admission. Donc, ce n'est pas sur la question de l'argent subventionné, de
l'argent qui vient du gouvernement dans les institutions, ça va en fonction
du nombre d'étudiants.
M. Lacroix (Frédéric) : Non.
Mme David : Alors, si on
descend le nombre d'étudiants, par exemple, c'est... je pense, c'est ce que
vous voulez faire, dans les cégeps anglophones, qu'est-ce qu'on fait? Guillaume
Rousseau proposait de privatiser, c'est-à-dire
que les non-ayants droit, comme il qualifiait correctement, là, au sens légal,
paieraient des droits, évidemment, majorés, puisqu'ils ne seraient pas
subventionnés, le collège, ou l'université, ou les hôpitaux ne seraient pas
subventionnés pour ces étudiants-là. Est-ce que vous êtes d'accord avec lui?
M. Lacroix (Frédéric) : Ce que
le concept de complétude institutionnelle exprime, c'est qu'il y a un lien
entre la vitalité d'une langue, donc les substitutions linguistiques vers cette
langue, et l'ampleur du réseau institutionnel. Donc, moi, c'est ce que
j'affirme. Ce lien-là, je pense, est indéniable.
Donc, à savoir si on veut faire quelque chose ou
on ne veut rien faire, ça, c'est du domaine du politique. Donc, c'est à vous de
décider. Puis ça, c'est... Une des iniquités de financement, c'est celle-là.
Mais il y a
une autre iniquité de financement, donc, je l'ai démontré, au niveau
universitaire, c'est par étudiant. Donc,
il y a aussi une iniquité de financement par étudiant Donc, au niveau
universitaire, par étudiant équivalent temps plein, par EETP, les universités de langue anglaise, par exemple — je l'ai calculé pour les fonds
d'immobilisation — ont 56 % de plus de fonds
d'immobilisation par étudiant que les universités de langue française sur l'île
de Montréal.
Donc, il y a deux iniquités.
Il y a une iniquité au niveau de la complétude institutionnelle puis il y a
aussi celle qui frappe l'étudiant même.
Donc, j'ai écrit un article là-dessus dans L'Aut'Journal, Québec
préfère les universités anglaises. Je vous invite à le lire.
Mme David :
J'ai lu aussi. Je pourrais discuter longuement de tout ça, mais je vais passer
la parole à mon collègue.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. M. le député de La Pinière, il vous reste
5 min 45 s.
M. Barrette : Merci, Mme la Présidente,
M. Lacroix. Vous avez dit une chose qui m'a beaucoup étonné, et la raison
pour laquelle ça m'a étonné, bien, ça vient simplement du fait que j'ai deux
jeunes adultes qui sont rendus au sortir de l'université : Tous les étudiants au Québec, à Montréal, savent que, si on
veut avancer dans la vie — c'est
les premiers mots que vous avez dits, là — il faut aller à Dawson ou à
John-Abbott. Moi, les deux miens, là, ne m'ont jamais demandé ça. Vous tenez
cette donnée-là d'où, que, tout le monde, là, c'est de connaissance commune,
pour avancer dans la vie, il faut passer par Dawson ou John-Abbott?
M. Lacroix (Frédéric) : Bien, c'est
ce que beaucoup d'étudiants m'ont dit. Évidemment, il n'y a pas d'étude
là-dessus. Il y a une étude, à vrai dire, qui sont les statistiques d'admission
de Dawson, qui a été publiée par Le Journal de Montréal. Dawson
reçoit 11 500 demandes d'admission par année et accepte seulement
30 % des étudiants. Donc, l'écrémage effectué par Dawson est phénoménal.
11 500, c'est une grande proportion des étudiants au collégial à Montréal.
Donc, mon affirmation, je pense, n'est pas complètement farfelue.
M. Barrette : Je ne vous dis pas
qu'elle est farfelue, je vous dis qu'elle n'est pas fondée, tout simplement. Ce
n'est pas la même chose. Elle n'est pas fondée sur des analyses rigoureuses.
M. Lacroix (Frédéric) : J'aimerais
justement qu'on les fasse.
M. Barrette : Bon, très bien.
Maintenant, vous dites également... Attendez juste un petit instant. Vous dites
une chose qui m'étonne beaucoup :
L'écrémage se fait seulement du côté anglais. De votre côté, là, il n'y a pas
d'écrémage du côté francophone.
M. Lacroix (Frédéric) : Non, parce
que, si on regarde la cote R des étudiants admis, si vous consultez le
graphique dans mon livre, c'est très clair, là, il y a un sucroît, dans les
cotes R élevées, qui est très significatif du côté anglophone.
M. Barrette : Mais là ça devient une
question de ratio. Il y a plus d'établissements francophones. Et les
établissements francophones, par définition, sélectionnent eux aussi.
Sélectionnant, il y a un écrémage, là. Parce qu'évidemment
que c'est une question de numérateur et de dénominateur, là. Vous avez plus de
cégeps francophones au Québec que
d'anglophones, ça dilue le nombre d'étudiants. Et, à mon sens, c'est inexact de
dire que les cégeps francophones n'écrèment pas. Je ne vous dis pas que
les cégeps francophones sont égaux, je dis qu'il en existe du côté francophone
aussi.
M. Lacroix (Frédéric) : C'est une
question de proportion.
M. Barrette : Bien oui, c'est ce que
je dis.
M. Lacroix (Frédéric) : Donc, les
cégeps... Bien, évidemment que les cégeps admettent des étudiants ou non, mais la sélection effectuée par les cégeps
anglais est beaucoup plus importante. Ça, c'est démontré hors de tout doute.
M. Barrette : Vous nous dites, si je
comprends bien, votre choix politique, si vous aviez le pouvoir de le faire, sur l'argument de la surcomplétude des institutions anglophones — je
vais prendre mon domaine, en santé — vous,
votre approche est une approche proportionnelle. Vous êtes dans une approche de
règle de trois. Essentiellement, vous considérez qu'il y a trop d'argents qui
vont dans les institutions dites anglophones. Parce qu'ils sont moins nombreux,
ils devraient en avoir moins. Donc, vous prônez un définancement de ces institutions-là.
M. Lacroix (Frédéric) : Encore là,
ce n'est pas mon approche, c'est quelque chose qui est bien établi. Puis,
encore là, la solution doit être politique. Moi, je n'ai pas de solution,
là-dessus, à vous offrir. Il y a une multitude d'avenues possibles pour assurer
une équité de financement. Donc, c'est à vous.
M. Barrette : Bon. Comment
pouvez-vous affirmer qu'il y a une surcomplétude, particulièrement dans le réseau de la santé, alors que, dans mon mon
expérience, je ne connais pas d'institution qui, dans leur financement public, par gestes posés en termes de santé, il y a
un financement différencié entre les anglophones et les francophones?
M. Lacroix (Frédéric) : La question,
c'est... La distinction qu'il faut faire dans les services de santé, c'est
celle entre la langue de travail et celle de la langue des services.
M.
Barrette : Je m'excuse de vous interrompre. Vous avez abordé la question
sous l'angle du financement. Moi, je veux bien aller sur la langue d'usage, et
ainsi de suite, on va s'entendre là-dessus. Même, je vous le dis tout de suite
à l'avance. Mais, sur le financement, d'où sortez-vous la donnée selon laquelle
il y a plus d'argent pour un service donné dans hôpital anglophone que dans un
hôpital francophone dans la région de Montréal?
M. Lacroix
(Frédéric) : Je n'ai pas dit ça. Je n'ai jamais dit ça. Je n'ai jamais
dit qu'il y avait plus d'argent dans un hôpital anglophone. Le financement se
fait à l'acte, là, on le sait. J'ai dit que la dimension du réseau de langue
anglaise dépasse de loin la taille de la démographie de la communauté de langue
anglaise. Ce n'est pas du tout la même chose.
Puis, par institution
anglophone, ce que j'entends par là, c'est la langue de travail, donc, pas la
langue de service. On pourrait très bien avoir un réseau de la santé au Québec
où la langue du travail soit le français mur à mur puis qui offre des services
en anglais. Donc, ça, il n'y aurait aucun problème avec ça. La communauté
anglophone aurait des services de santé dans sa langue. Ça, c'est une
possibilité.
M. Barrette :
Peut-être que je vous ai mal compris, mais vous avez fait le parallèle aussi, à
un moment donné, en termes de financement par étudiant. Bon, reprochez-moi de
faire un parallèle avec par unité de soins. Je ne vois pas ça, moi. Je ne vois
pas...
M. Lacroix
(Frédéric) : Je n'ai jamais dit qu'il y avait une différence de
financement par unité de soins pour la santé. J'ai dit : Pour les
universités, il y en a une, et c'est démontré.
M. Barrette :
Et elle vient d'où, d'après vous? Est-ce qu'elle vient de la portion publique
ou elle vient de la philanthropie?
M. Lacroix
(Frédéric) : Elle vient de la portion publique en partie, en partie.
Oui, il y a un déséquilibre dans le financement public assuré par le
gouvernement du Québec. Il y a un déséquilibre, aussi, massif de la part du
fédéral, mais ça, c'est une autre question. Il y a un déséquilibre dans les fonds
du gouvernement du Québec même.
M. Barrette :
Sur la base de la proportionnalité. Votre argument, c'est la proportionnalité.
M. Lacroix
(Frédéric) : Non, non. Vous m'avez mal suivi. C'est sur la base par
étudiant.
M. Barrette :
Mme la Présidente, je pense que j'ai fini, hein?
La
Présidente (Mme Thériault) : Oui, vous venez de terminer le temps.
Donc, sans plus tarder, je me tourne vers la députée de Mercier pour vos
2 min 45 s.
Mme Ghazal :
Merci, merci. Finalement, j'ai eu le temps de vous poser une question. Tout à
l'heure, je n'étais pas certaine. Mais je vais devoir quitter tout de suite
après.
Écoutez, dans votre
mémoire, vous n'en parlez pas vraiment, mais, dans votre livre, que j'ai, bon,
aussi lu et étudié, vous dites, à la
page 76, qu'«il faut une réduction durable de l'immigration afin de
ralentir le recul du français». Quand vous dites «immigration», est-ce
que vous parlez de tous les types d'immigration? Parce qu'on sait, il y a une volonté du gouvernement à augmenter l'immigration
des travailleurs étrangers temporaires, qui, peut-être éventuellement,
pourraient vouloir rester ici. Donc, de quelle immigration vous parlez? Toute
l'immigration?
• (15 h 30) •
M. Lacroix
(Frédéric) : Là, la question de l'immigration, c'est un sujet complexe
qui se prête mal à une réponse simple. Donc, ce qu'on sait, c'est que... À
cause de l'ampleur des substitutions linguistiques qui sont faites vers l'anglais, à mon avis, le niveau actuel d'immigration est excessif. Donc, on n'arrive pas à intégrer ces
immigrants-là. Donc, la question pourrait
être, bon : Si on acceptait seulement des immigrants francotropes, est-ce que
la question des seuils serait aussi importante? À mon avis, non. Si les
immigrants étaient largement francisés ou francotropes, l'acuité de la question
des seuils se poserait de... la question se poserait de façon moins aiguë.
Quant au type d'immigration,
oui, je pense que la question de l'immigration temporaire est très, très
importante, puis elle n'est pas... elle ne semble pas être sur l'écran radar
quand on parle de l'immigration. Donc, ce qu'il faut considérer, c'est l'immigration
temporaire et permanente à la fois, parce que les deux ont un impact sur la vitalité du français. Puis on sait que les flux
d'immigrants temporaires au Québec sont en augmentation
exponentielle.
Mme Ghazal :
Énorme, oui.
M. Lacroix
(Frédéric) : Donc... C'est ça, donc, en particulier dans les universités
de langue anglaise, bon, mais pas seulement. Donc, cette immigration-là a un
impact.
Mme Ghazal :
Donc, vous ne faites pas beaucoup confiance à notre système d'intégration, au
Québec, des immigrants au français.
M. Lacroix
(Frédéric) : Bien, on sait que l'intégration sur le sol se fait à plus
de 60 % en anglais. Donc, si on accepte des gens qui ne sont pas francisés
d'avance, on sait qu'à 60 % et plus ils vont faire des transferts
linguistiques vers l'anglais dans l'avenir.
Mme Ghazal : On ne peut pas faire un
effort pour changer une fois qu'ils sont ici mais... Comme j'ai peu de temps,
pour les étudiants internationaux, dans l'article, aujourd'hui, du Devoir,
vous disiez que la solution serait que... d'exiger que les candidats à la
résidence permanente aient suivi un programme d'études en français. Donc, un
étudiant international qui fait ses études en anglais, qui veut, après ça,
rester ici, faire la résidence permanente, là, il va falloir qu'il continue ou
qu'il fasse un autre programme en français. J'essaie juste de comprendre votre
solution.
M. Lacroix (Frédéric) : Bien, lors
de la réforme du Programme de l'expérience québécoise, donc, il y a eu une
levée de boucliers. On se rappelle en particulier du cégep de Matane, qui s'est
opposé à la réforme parce qu'il a beaucoup d'étudiants internationaux. Puis
moi, j'ai trouvé ça malheureux que le projet... cette réforme-là ne fasse pas
la distinction entre les étudiants qui sont scolarisés en anglais ou en
français, parce qu'à ce moment-là... Ceux qui sont au cégep de Matane, à mon
avis, c'est une bonne chose.
La
Présidente (Mme Thériault) : ...mettre fin, malheureusement. Donc, M.
le député de Matane-Matapédia, nous parlions de votre belle région. La
parole est à vous.
M.
Bérubé : Mme la
Présidente, notre invité me fournit une tribune exceptionnelle pour dire que
c'est une bonne chose de fréquenter le cégep de Matane et que ce cégep a bien
fait de mener la bataille qui a amené au recul qu'on connaît, pour des raisons
évidentes. Donc, la capacité d'intégrer en français dans la région de Matane,
c'est fantastique, et je vous dirais que c'est un succès que je salue, celui de
l'intégration de ces étudiants internationaux.
Ceci étant
dit, vous avez parlé de l'exemplarité de l'État ou le ministre en a parlé tout
à l'heure. Puis j'ajouterais la donnée de cohérence de l'État. Vous avez
évoqué que le gouvernement ne peut pas poser des gestes qui vont à l'encontre
de ses volontés en matière de langue.
Alors, je vous offre cette tribune pour
expliquer, au ministre surtout, parce que moi, je suis convaincu, pourquoi les annonces successives quant à Dawson
et Royal Victoria vont à l'encontre de tout ce que le gouvernement veut
faire en matière de langue et en quoi ça contribue à faire de l'anglais la
langue de prestige, la langue de référence en plein coeur de Montréal. Je vous
offre tout le temps qu'il me reste pour vous exprimer à ce sujet.
La Présidente (Mme Thériault) : ...
M. Lacroix (Frédéric) : Oui. Donc,
l'essayiste Marc Chevrier a qualifié le français, au Québec, de langue
infantile, puis, à mon avis, c'est un terme très exact, parce que les clauses
scolaires de la loi 101 s'appliquent seulement au primaire, au secondaire
et cessent au collégial. Donc, on considère qu'à partir du collégial il y a un
libre marché bilinguistique que l'État doit financer sans limites. Donc, au
cégep et à l'université, l'État québécois est intégralement bilingue. Il
finance les études à 100 %, selon les volontés de l'étudiant. Cette
politique-là est, à mon avis, en contradiction totale avec la volonté de faire
du français la langue commune et la langue officielle.
Si... Moi, j'aimerais ça parler de Dawson très
longtemps. J'ai beaucoup de choses à dire sur ce sujet-là. Dawson, c'est le
plus gros cégep au Québec. Il est cinq fois plus gros que la moyenne des
cégeps. Puis moi, je ne comprends pas qu'on finance une expansion. C'est
vraiment une expansion, un agrandissement, et non une simple mise à niveau,
parce que c'est un nouveau bâtiment de six étages qui va accueillir des
nouveaux programmes. Donc, quand on nous parle de mise à niveau, c'est faux.
Quant à donner le Royal Victoria à McGill, bien,
il faut comprendre que McGill University, l'institution royale pour l'avancement
du savoir et l'hôpital, ce n'est pas la même entité. L'hôpital, c'est du
domaine public. McGill, c'est une corporation privée. Donc, ce qui se passe,
c'est que le gouvernement transfère un bien public à une corporation privée,
puis, à mon avis, c'est quelque chose qui ne se fait pas, qui ne doit pas se
faire.
Donc, on joue souvent sur les mots en parlant du
Royal Vic, en disant : Bien, c'est déjà à McGill. Non, ce n'est pas déjà à
McGill.
La
Présidente (Mme Thériault) : Je dois mettre fin à l'échange. Donc, je
vous remercie, M. Lacroix, d'avoir accepté de venir nous rencontrer
cet après-midi.
Donc, je vais
suspendre quelques instants pour laisser l'autre groupe de se préparer et de
venir nous rejoindre. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 36)
(Reprise à 15 h 39)
La Présidente
(Mme Thériault) : Donc, nous reprenons les travaux de la Commission
de la culture et des... de la culture, des communications et de l'éducation.
Bienvenue à M. Curzi, aux travaux de la commission, en tant qu'ex-député
de Borduas. C'est un plaisir de vous revoir. Et, sans plus tarder, vous savez
comment ça fonctionne, vous
avez 10 minutes pour nous faire votre exposé, et il y aura des échanges,
après, avec les députés. La parole est à vous.
M. Pierre Curzi
M. Curzi
(Pierre) : Merci, Mme la Présidente. D'abord, je veux saluer M. le
ministre, vous-même, M. le ministre et les députés qui sont présents à cette
commission-là. Ma présentation va être relativement courte, je pense.
• (15 h 40) •
Il y a... En 2010,
j'étais député à l'Assemblée nationale et du Parti québécois, député de
Borduas, et j'avais le dossier de la langue. À cette époque-là, c'est, donc...
je vous parle du printemps 2010, j'ai publié une première étude qui s'appelait Le grand Montréal s'anglicise,
une esquisse de la situation du français au Québec. Ensuite, à
l'hiver 2011, j'ai publié une autre
étude qui s'appelait L'application de la Charte de la langue française au
collégial : un prolongement nécessaire. Ça vous indique
déjà où je vais aller. Puis enfin j'ai une autre étude qui s'intitulait L'effet
anglicisant du déséquilibre du financement des universités.
En 2012, j'étais
député indépendant et, avec Éric Bouchard et avec les juristes de l'Assemblée
nationale, j'ai déposé un projet de loi, le projet de loi n° 593, qui
était, à toutes fins pratiques, une réécriture complète de la loi 101.
Évidemment, comme député indépendant, ce projet de loi là a été immédiatement
tabletté et il s'est perdu quelque part dans les oubliettes. Je vous dis tout
ça non pas par vantardise ou par orgueil, mais je le dis parce que c'était il y
a 10 ans. Et, depuis 10 ans, honnêtement, il n'y a pas eu de geste
structurant pour contrer ce qu'on avait déjà décrit à l'époque, il y a 10 ans, comme une situation alarmante, une
situation inquiétante, c'est-à-dire l'anglicisation du Grand Montréal,
et on aurait pu ajouter de la région de l'Outaouais et des régions frontières
du Québec.
Or, je dis tout ça
parce que je veux me féliciter et féliciter le ministre. Quand j'ai vu le
projet de loi n° 96 apparaître, j'étais heureux. Et je le remercie et je
veux remercier son équipe et l'ensemble des gens qui ont travaillé sur ce projet de loi n° 96 là, parce qu'il contient un grand nombre de
mesures extrêmement importantes et structurantes.
Vous l'avez sous les
yeux, je ne veux pas en faire tout un retour exhaustif, mais, quand même, le
fait d'inscrire la nation et la langue
commune à l'intérieur de la Constitution, ce n'est pas banal. Rendre les droits
fondamentaux exécutoires, et certains nouveaux droits, comme le droit à
l'apprentissage du français, et d'autres droits, c'est extrêmement important.
Créer un ministère, créer un poste de commissaire, créer Francisation Québec,
voilà autant de créations qui peuvent aider grandement la situation du
français. Remettre en place le critère de la prédominance du français, voilà
qui n'est pas banal. Et j'y reviendrai parce que je voudrais préciser, en mon
sens, où devrait aller cette prédominance-là, jusqu'où elle devrait aller.
L'exemplarité de
l'État, voilà un phénomène extrêmement important, parce que, s'il y a une chose
sur laquelle un gouvernement peut agir, c'est sur son propre comportement. Et
ce n'est pas le seul atout, c'est le fait... que le comportement du gouvernement
soit exemplaire va aussi, en quelque sorte, soulever ou enlever une charge sur
les personnes qui sont toujours en... qui doivent appliquer la loi. Et je parle
aux soldats de la fonction publique qui, eux, vont être en contact avec les
personnes à qui elles devront expliquer, par exemple, que ça doit se passer en
français. Donc, c'est très important.
Une certaine
stabilisation de la fréquentation des cégeps anglophones, bien, ça, je vais y
revenir très immédiatement, et la justice et la législation en français.
Donc, un ensemble de
mesures, un projet de loi qui m'apparaît cohérent, qui m'apparaît intelligent,
qui m'apparaît tenir compte des différents aspects de la loi 101, une
oeuvre majeure après avoir adopté la Charte de la langue française. C'est peut-être
le moment.
Et je dis que, si
cette... ce projet de loi là, dès son adoption, était mis en oeuvre
immédiatement, s'il était mis en oeuvre avec une extrême rigueur, s'il était
mis en oeuvre avec beaucoup de vigueur, s'il entraînait le nombre de personnes
nécessaires pour l'adopter puis le mettre en oeuvre et s'il avait l'ensemble
des budgets qui sont nécessaires pour le faire, nous aurions progressé, nous
aurions progressé d'une façon importante, nous aurions commencé à contrer le
phénomène de l'anglicisation, particulièrement dans le Grand Montréal.
Mais, et là c'est,
évidemment, le sens de mon intervention, je crois que ce ne sera pas suffisant.
Je crois clairement que ce ne sera pas suffisant. Ce projet de loi là, il
manque quelques gestes extrêmement structurants pour le rendre vraiment
efficace, et qu'on soit vraiment dans une dynamique où on va essayer de
renverser une tendance extrêmement inquiétante. Et ça, je pense que tout le
monde est prêt à le reconnaître. On l'a vu, ces derniers mois, on a vu, tout
d'un coup, une espèce de réveil de conscience sur ce qui est en train de se
passer.
Quelles sont ces
mesures plus structurantes qui devraient être adoptées? La première, la plus
évidente, et je lisais M. Guy Rocher, qui en a parlé, c'est, évidemment, que,
lorsqu'on a fait un parcours au primaire et au secondaire en français, on doit
aller au cégep en français. Le fait d'imposer, et je dis bien imposer, la
fréquentation du cégep français aux gens qui ont un parcours d'études en
français va avoir des effets extrêmement structurants, non seulement sur la
fréquentation des cégeps, évidemment, mais aussi sur la fréquentation des
universités et, par le fait même, sur le financement des universités, qui est
actuellement grandement favorable au système universitaire anglais, alors qu'il
devrait être, en fait, beaucoup plus favorable au système universitaire
français.
Cette
fréquentation-là du cégep en français est, à mon sens, un incontournable, et
cette commission devrait vraiment s'attarder
à en faire un objet absolument nécessaire du projet de loi. Je sais que ce
n'est pas une mesure populaire, et on
va se buter à de très nombreux préjugés, mais, il n'empêche, elle m'apparaît,
quant à moi, absolument fondamentale.
Maintenant, quelles
sont les autres mesures? On parle... Il y a actuellement, dans l'exemplarité de
l'État puis dans la langue du commerce... Évidemment, tantôt, j'ai oublié de
dire, vouloir franciser les entreprises de 25 à 50, ça tombait sous le sens, et
en fait le projet de loi le recommande.
L'exemplarité de l'État
pourrait être, à mon sens, plus significative, et je m'explique. Quand je lis
le projet de loi, on parle de l'accès au
marché public comme étant une exigence de cette loi. Autrement dit... Et là je
trouvais que «marché public», c'était une notion qui m'échappait un peu.
J'ai demandé des précisions. On m'a dit : Ça s'applique aux entreprises
qui ont 25 employés et plus, donc les grandes entreprises, et celles qu'on veut
franciser.
Là, je ne suis pas entré dans l'article par
article, je ne sais pas s'il y a des articles que je ne connais pas, mais il me
semble qu'on devrait étendre cet article-là, cette notion-là de marché public à
l'ensemble des dollars qui sont dépensés par l'ensemble des ministères, par
l'ensemble des organismes qui dépendent des ministères et par, aussi, les
sociétés d'État. Et je pense à Hydro-Québec, je pense à la SAQ, je pense à la
SQDC, l'ensemble des sociétés d'État, lorsqu'elles
dépensent, ne devraient le faire,
parce qu'il s'agit d'argent public, qu'envers des entreprises, des organismes,
j'irais quasiment jusqu'à... pas des
individus, mais jusqu'à des petites entreprises, des contrats... toute dépense
devrait être liée à un processus de francisation de ceux qui vont bénéficier de
cet argent public. Je ne sais pas comment cela s'exprimerait concrètement dans
le projet de loi, mais ça me semble être un incontournable.
Une autre mesure qui me semble devoir être
encore renforcée, c'est l'affichage en français. Là, on rétablit enfin le critère de la nette prédominance du
français, mais il y a un aspect où on n'ose pas... qu'on n'ose pas trop
toucher, ce sont les marques de commerce. On sait que, dans les marques de
commerce, on doit maintenant y adjoindre une expression française qui définit
le genre de commerce. Moi, je pense qu'il faut aller jusqu'à un affichage
quasiment unilingue français, c'est-à-dire qu'on respecte la marque de
commerce, parce qu'on peut difficilement faire autrement dans notre contexte,
mais on adjoint une définition ou un contenu nettement prédominant de la langue
française, même à la langue de commerce.
• (15 h 50) •
Je sais que c'est une exigence forte et que
plusieurs entreprises ont commencé à se conformer à ce qui a été décidé, voté
en 2016, mais je crois qu'on doit faire un pas de plus pour qu'il n'y ait pas
d'ambiguïté sur le visage français. C'est à
cette condition-là qu'on va pouvoir commencer à envoyer un message vraiment
général qu'au Québec et à Montréal ça se passe en français, et sortir de
cette espèce d'ambiguïté qui fait que, quand on arrive à l'aéroport, quand on
est à Montréal, on ne sait plus trop... en fait, on sait très bien que c'est un
endroit bilingue. Et moi, je pense que le bilinguisme, dans le cas d'une langue
commune, est un danger extrêmement inquiétant.
Bon, la dernière mesure, là, qui me vient,
peut-être qu'il y en aurait d'autres, mais, disons, la dernière mesure qui me vient, c'est cette espèce de, ah! laxisme
sur le fait que les municipalités, quand il y a moins de 50 %
d'anglophones, devraient renoncer au bilinguisme et carrément adopter le
français comme la langue de leurs communications.
Maintenant, ça, ce sont les mesures qui, à mon
sens, doivent impérativement être renforcées dans le projet de loi. Ce n'est
pas simple. Et je sais que le projet de loi, il est menacé par différents
pièges, puis j'ai tenté d'essayer de voir un peu quels étaient les pièges d'un
projet de loi, s'il n'est pas appliqué, s'il n'est pas structuré encore plus
fermement et s'il n'est pas appliqué avec toute la vigueur nécessaire, et j'en
vois plusieurs.
Quand on crée un ministère, quand on crée un
poste de commissaire, quand on crée Francisation Québec, on est menacé par la
fonction publique, on est menacé par l'enlisement bureaucratique dans lesquels
les organismes peuvent tomber.
On est menacé aussi par un changement,
changement de ministre, changement de parti au pouvoir. Donc, on peut revenir
sur certaines décisions. Comment éviter ces pièges-là? C'est important.
La Présidente (Mme Thériault) :
M. Curzi, je vais devoir presque vous interrompre, parce que vous avez
déjà pris deux minutes de plus que le ministre vous a offertes gracieusement.
Donc, je pense que vous allez pouvoir continuer dans vos idées lors de vos
échanges avec le ministre et les parlementaires.
M. Curzi (Pierre) : Oui. Je
m'excuse d'avoir pris deux minutes.
La Présidente (Mme Thériault) : Il
n'y a pas de problème.
M. Curzi (Pierre) : Je veux
juste finir. Il y avait une phrase de Falardeau avec laquelle je voulais terminer,
mais que vous connaissez sûrement, qui
dit : On va toujours trop loin pour ceux qui ne vont nulle part. Moi, je
pense que, dans ceci, il faut aller un peu trop loin, et je le dis en
tant qu'être modéré et citoyen qui n'est pas du tout extrémiste.
La Présidente (Mme Thériault) :
M. le ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, Mme
la Présidente. M. Curzi, bonjour. C'est un plaisir de vous accueillir en
commission parlementaire, et je tiens à vous saluer. Vous êtes mon
prédécesseur, mon ancien député également, puis là maintenant, bien, on
n'habite pas loin l'un de l'autre dans la même circonscription. Alors, c'est
toujours un plaisir de vous revoir.
Écoutez, pour la question des marques de
commerce, il y a un enjeu de partage des compétences. Donc, la marque de commerce relève du fédéral en termes
d'affichage. Alors, nous, notre compétence vise, au Québec, à pouvoir
encadrer. Donc, c'est ce qu'on a fait dans le projet de loi n° 96 avec la
nette prédominance, notamment en lien avec les marques de commerce. Donc, il y
a un enjeu constitutionnel sur cet élément-là.
Hier, on a reçu, M. Curzi... on a reçu
M. Sabourin, le démographe, et il nous disait : On a constaté, à
partir du début des années 90, un déclin du français. Ensuite, il nous a
dit : À partir du début des années 2000, on a constaté une
accélération du déclin du français.
Alors,
vous, à l'époque, 2008, 2009, 2010, 2011, vous publiez vos études, donc, Le
grand Montréal s'anglicise et, par la suite, L'application
de la Charte de la langue française du collégial :un prolongement
nécessaire, des études qui étaient fouillées,
que vous avez faites avec les propres ressources que vous aviez à l'époque dans
l'opposition, de bonnes études. Qu'est-ce qui explique, à l'époque, que vous
étiez comme un seul chevalier à tirer la sonnette d'alarme sur le déclin du français et que les partis successifs qui ont
été au pouvoir n'ont pas donné suite, notamment, à vos propositions?
M. Curzi (Pierre) : D'abord,
préciser que, quand j'ai fait ces études-là, je les ai faites à partir de la
toute petite équipe et des maigres ressources que j'avais comme député. Ce ne
sont donc pas des études qui ont été financées et appuyées d'une façon
vigoureuse par le Parti québécois, dont je faisais partie.
Les raisons pour lesquelles, je crois... qu'on
n'a pas donné suite, c'est essentiellement parce que le sujet, à l'époque,
n'était pas très intéressant, et je crois qu'il n'était pas intéressant au
niveau électoral. C'est essentiellement parce qu'il y a beaucoup de résistance
à toucher à la langue française. Ce n'était pas payant au niveau électoral.
Et aussi il y a des raisons... Par exemple,
prenons la grande région de Montréal. On sait que ça a toujours été représenté,
puis on connaît, là, le contexte, par, souvent, les libéraux, dans des comtés
qui étaient acquis aux libéraux, et,
souvent, cette élection-là, dans ces comtés-là, était le fait d'une majorité
d'anglophones dans un comté. Je pense que la règle, c'était : Quand
il y a plus que tant de pour cent d'anglophones dans un comté, inévitablement,
ce comté-là devient un comté libéral. Donc, il n'y avait pas d'intérêt, à
Montréal, électoral. Ce n'était pas une bataille à gagner.
Dans d'autres régions du Québec, le phénomène,
quand on parle de la langue, il est beaucoup moins sensible. Et là on se bute à
toutes sortes de préjugés, dont le principal, c'est qu'on ne peut pas vivre et
réussir au Québec si on ne connaît pas la langue anglaise, ce avec quoi je suis
partiellement d'accord. C'est-à-dire que je pense qu'individuellement la
connaissance de l'anglais et du français sont des incontournables en Amérique
du Nord dans notre... Mais je crois qu'il faut absolument qu'on puisse vivre,
travailler, créer une famille, bref, vivre complètement dans notre langue. C'est... Et le préjugé de croire que, sans une
connaissance, donc, acquise dans les cégeps anglophones, par exemple, ou à l'université... nous privera des
meilleurs emplois, je pense qu'on est dans les préjugés complètement. Il
y a ces phénomènes-là.
S'ajoute à cela que probablement que... les
effets, par exemple, d'une certaine immigration, qui était plus francophone à
l'époque, qui est devenue de moins en moins francophone.
Bref, il y avait plusieurs facteurs objectifs
qui faisaient qu'on ne percevait pas encore à quel point la situation allait
rapidement se dégrader. Donc, il y avait une question de perception, une
question politique puis une question, encore importante, de préjugés.
À cette époque, il faut se souvenir que
plusieurs des personnes qui sont d'accord maintenant avec le fait que le cégep doit être fréquenté par les allophones et
les francophones s'y opposaient. Ils
trouvaient que c'était une mesure radicale. Pourtant, ça m'apparaissait,
moi, à cette époque-là, une mesure absolument essentielle, parce qu'elle a un
effet constructeur ou destructeur, selon qu'on l'applique ou pas. Voilà, c'est
un peu ma réponse.
M. Jolin-Barrette : Trouvez-vous
qu'on a un certain enjeu, sociétalement... Vous venez de le dire, là, individuellement,
c'est positif de parler plusieurs langues, de parler français, anglais,
espagnol, mandarin, portugais. Mais parfois, lorsqu'on entend dire, pour des
plus jeunes : Si tu veux réussir, si tu veux avoir une carrière, il faut
que tu aies étudié dans une autre langue que
le français, il faut que tu puisses travailler dans une autre
langue que le français, pour l'émancipation de la nation et même comme
individu, ce n'est pas problématique, ça, ce message-là qui est véhiculé, de
dire : Si tu veux réussir dans la vie, il faut que tu parles anglais?
Comme nation, comme société, là, on ne devrait pas se dire : Du berceau à
la tombe, on devrait pouvoir vivre en français sur le territoire québécois et
réussir notre vie en français?
• (16 heures) •
M. Curzi (Pierre) : Oui, je suis totalement
d'accord avec vous, c'est clair qu'on devrait, mais, pour que cela puisse se
passer, il faut vraiment qu'il y ait une volonté très claire d'avoir une langue
commune qui soit le français. Pourquoi avoir une langue commune? Parce que, si,
dans tous les secteurs de l'activité humaine, le travail, principalement, mais
aussi la culture, les loisirs, les voyages... si on a une langue commune et que
cette langue commune là est bien installée, ce réflexe-là de penser qu'on ne
pourra pas vivre sans connaître une autre langue va tranquillement s'effacer.
Et chez les jeunes, actuellement, et c'est une menace majeure, il y a le fait
que l'on ne peut pas vivre en français uniquement.
Le résultat de ça, actuellement, on peut le
voir, c'est qu'il va y avoir une dégradation des deux langues. On voit déjà que
la langue française n'est peut-être pas maîtrisée comme elle devrait l'être,
même après un parcours en français dans notre système d'éducation. Et, pour ces
gens-là qui, rapidement, choisissent d'aller vers une autre langue, dans ce cas-ci, d'aller vers l'anglais,
leur connaissance de l'anglais demeurera aussi approximative, de telle
sorte qu'on risque... Si on n'a pas une
langue commune très forte et très
bien établie, on risque d'avoir une
méconnaissance à la fois du français et de l'anglais.
J'ajoute à cela, probablement, le critère le
plus important, c'est que la langue, au Québec, situation très spécifique sur ce territoire très précis de
l'Amérique, la langue est porteuse de la culture, et, quand on adopte une
autre langue que le français,
on adopte ipso facto aussi une autre culture. Déjà qu'on ne peut pas ignorer
la culture d'expression anglaise... Et c'est très bien, mais, quand on commence à
utiliser l'anglais comme moyen d'étude, inévitablement, cette
connaissance-là, cette pratique-là va nous amener à adopter une autre culture,
risque de nous inciter à travailler à la fois dans les deux langues ou aussi en
anglais, et, au final, elle risque d'entraîner une absence de cohésion sociale,
parce qu'utiliser
communément, dans l'ensemble, une autre langue que la nôtre, fréquenter une
autre culture que celle qui nous définit, en particulier avec cette
langue-là majoritairement, risque d'amener une sorte de dégradation de nos
valeurs communes.
Et on commence à le voir, on commence à voir
l'importation, par exemple, de certains courants, qui sont surtout des courants
américains, on commence à les voir importés. Là-dedans, il y a du bon et du
moins bon. Je ne suis pas fermé à ce qui nous vient des États-Unis, mais on
sait très bien que, tout à coup, face à nos valeurs, il y a une confrontation,
et, à mon sens, cette confrontation-là est une menace à l'ensemble de nos
valeurs communes.
On le voit avec, par exemple... Faisons...
(panne de son) ...avec la pandémie. La pandémie était une situation d'urgence,
et tout le monde a adopté des contraintes, a accepté de se contraindre, et
plusieurs contraintes étaient très exigeantes. Tout le monde l'a fait parce
qu'on s'est dit : Le bien collectif, la santé collective doit primer sur
mes préférences individuelles.
Moi, je crois qu'actuellement, au niveau de la
langue, dans la grande région de Montréal, on est dans une situation
pandémique. Si on n'agit pas avec beaucoup de fermeté, et, même, ça peut
sembler brutal pour certains, ça va être perçu comme ça, si on ne le fait pas,
on risque de laisser ce virus-là se répandre. Et c'est un virus qui n'est pas... Ce n'est pas moral, mon appréciation du
virus, c'est juste l'évolution normale des langues. Une langue
minoritaire dans un contexte majoritairement
autre va toujours devoir utiliser des moyens beaucoup plus forts, pas seulement
pour se protéger, mais surtout pour fleurir,
pour être porteuse de la culture et porteuse des valeurs intrinsèques à cette
nation-là.
M. Jolin-Barrette : Une dernière
question, courte question, puis je veux céder la parole à mes collègues. Je
prends la balle au bond. Vous venez de parler beaucoup de culture, de langue.
Il y a d'autres intervenants avant vous qui ont fait le même parallèle,
l'importance de lier les deux. Je vous poserais la question. Un des défis de
l'État québécois, de la nation québécoise, c'est de bien intégrer les personnes
qui font le choix du Québec, les personnes immigrantes,
en français au Québec. Et là on a eu des discussions hier à l'effet... des
effets délétères du multiculturalisme canadien, donc le modèle
d'intégration canadien. Croyez-vous que l'État québécois doit définir son
propre modèle d'intégration, par rapport au multiculturalisme canadien, pour
avoir un effet structurant sur l'intégration en français, et à la culture québécoise,
et aux valeurs communes, comme vous l'énoncez?
M. Curzi (Pierre) : Oui. Bien, évidemment,
je le crois. J'ai toujours été un pourfendeur de cette notion de multiculturalisme
canadien, parce que je crois que ça nous a profondément desservis.
Je voyais aussi les prétentions de l'UMQ, je
pense, qui disait : Oh! comment allons-nous nous adresser en français six
mois après que quelqu'un soit arrivé d'un pays où on ne connaît pas du tout le
français? Mais, en même temps, on regarde cette notion-là puis on se dit :
Mais, si on ne leur parle pas français après six mois, dans quelle langue
allons-nous leur parler? Est-ce qu'on va leur parler dans les quelques mots
d'anglais qu'ils connaissent?
Notre modèle d'intégration nous appartient
complètement. Et il faut se méfier de plusieurs dérives qu'on peut voir. On en
voit, par exemple, avec toute l'admission des étudiants étrangers. Dieu sait
qu'on est d'accord pour qu'il y ait des
étudiants étrangers, mais Dieu sait aussi qu'on voit très bien qu'il y a une
très forte concentration de ces étudiants-là qui vont vers le système
anglais, où ils acquièrent, des fois, la résidence, et ça leur permet
d'introduire, par ce biais-là, des gens qui vont s'intégrer à la minorité
anglophone. Donc, il y a plusieurs petits phénomènes dont...
Il faut absolument que Francisation Québec...
Maintenant, comment allons-nous réussir? Là, le projet de loi va vers la
francisation des petites entreprises. On sait que c'est souvent là que les
premiers emplois des gens qui arrivent se trouvent. Donc, c'est déjà un gain.
Il faut maintenir ce gain-là.
Mais les autres visages, c'est comment permettre
de ne pas, en quelque sorte, aller d'aucune façon à l'encontre des droits fondamentaux
d'une minorité anglophone au Québec, ça, je respecte ça complètement, mais
comment désamorcer pour nous-mêmes le fait que le bilinguisme comme langue
commune est une aberration. Ça n'a jamais marché dans aucun pays et ça ne
marchera jamais.
Il y a une
volonté des Québécois qui doit être mobilisée, elle doit être aussi forte, et
on doit avoir le même souci de la santé collective culturelle et des
valeurs québécoises, et ça passe inévitablement par une langue commune.
Je me suis un peu répété, là. Je n'ai peut-être
pas répondu exactement à votre question. Mes excuses.
M. Jolin-Barrette : C'est parfait.
Je vous remercie pour votre présence en commission.
La
Présidente (Mme Thériault) : Bien, merci. Il reste à peine une minute.
Donc, M. le député, à peine une minute, oui. Donc, M. le député de
Saint-Jean, question, réponse.
M. Lemieux : Je vais prendre moins
d'une minute, Mme la Présidente, pour saluer M. Curzi, d'abord, lui dire
qu'il semble dangereusement en forme, et c'est une très bonne chose.
Il y a quelqu'un, sûrement, j'en connais un, au
bout de la salle, là, qui va vous parler de cégeps. Avec le ministre, vous avez
parlé d'affichage. Ce qui me surprend, c'est jusqu'à quel... pas «surprend»,
mais ce qui me réjouit, c'est jusqu'à
quel point il y a beaucoup de points positifs auxquels vous vous ralliez
avec toute votre passion. Et effectivement il y en
a beaucoup, là. Je veux dire, il y en a
même que vous n'avez pas abordés, vous n'avez pas eu le temps, mais la partie sur le droit au travail en
français, et tout ça. Mais ça fait partie d'un tout, puis c'est en vous
écoutant que je me rends compte jusqu'à quel point on a un sapré bon projet
de loi. Merci beaucoup, M. Curzi, et je vous souhaite...
Je l'ai remarqué, vous avez écouté d'autres
témoins avant vous. Il y en a encore pour deux semaines. J'espère que vous
serez des nôtres.
M. Curzi
(Pierre) : Avec plaisir.
La Présidente (Mme Thériault) :
Donc, maintenant, je vais aller du côté de l'opposition officielle. Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, pour vos 11 minutes.
Mme David : Merci beaucoup. Bonjour,
M. Curzi, contente de vous entendre, et, comme dit le député de Saint-Jean,
avec toute votre verve et votre passion. Alors, c'est formidable de se taper
des commissions parlementaires
à distance comme ça. Bien, bravo! Merci beaucoup.
Moi, j'étais curieuse, justement... D'abord,
vous dites que vous avez vous-même fait tout un projet de loi. Dieu sait qu'on
sait ce que c'est, dans l'opposition, on l'a tous été, ici, à tour de rôle.
Alors, faire un projet de loi comme ça, j'imagine que ça a quand même été une
tâche assez considérable.
Et, quand vous comparez le produit actuel avec
ce que vous avez... ce qui est sur la table, ce qui est proposé avec ce que
vous, vous aviez proposé, qu'est-ce qui... quelles sont les différences
majeures, ou quelles sont les avancées, ou peut-être les reculs aussi, par
rapport à ça?
• (16 h 10) •
M. Curzi
(Pierre) : Bien, je n'y ai
pas vu beaucoup de reculs. Puis je trouve qu'entre le projet de loi n° 593 que j'avais concocté avec Éric Bouchard puis
avec les juristes de l'Assemblée nationale à titre de député indépendant, je
vous le ferai remarquer — j'avais
beaucoup de temps, les députés indépendants ont beaucoup de temps — à
titre de député indépendant... Je trouve...
Je retrouve le même esprit qu'il y avait quand on a fait ce travail-là, qui est
un travail complexe, ardu, parce qu'on soupèse. Et, dans ce cas-ci, là,
il s'agissait d'écrire les articles en langage juridique, donc c'était
exigeant. Je retrouve le même esprit dans le projet de loi n° 96.
Et une des qualités de ce projet de loi, c'est
que je le trouve bien articulé. Visiblement, on a bien réfléchi à quelle serait
l'application de plusieurs mesures les unes avec les autres. Il y a de la
conjonction là-dedans, il y a une intelligence de ce qu'un projet de loi peut
et doit faire. Alors, je retrouve...
Ce qu'il y avait de plus dans le projet de loi n° 593, c'est que je n'avais aucune contrainte de la part
d'un caucus. Je n'en étais plus. Donc, je
n'étais pas restreint. Je n'avais pas de contrainte non plus au sujet d'un
jugement moral sur ce que je recommandais, et ça menait à des
recommandations plus fortes.
Disons, comme le cégep français, c'était dans le
document. L'affichage, bon, je pense qu'on n'allait pas jusqu'à l'affichage
unilingue, mais il y avait... On donnait, par exemple... Je vous donne un
exemple qu'il y avait. On donnait à l'OQLF... Là, dans ce cas-ci, on redéfinit
les pouvoirs de l'OQLF. Nous, dans le projet de loi qu'on avait, on donnait même un pouvoir d'amende. On
disait : L'OQLF va pouvoir donner une amende, faire son rôle, qu'on lui
a toujours reproché, de police de la langue.
Oui, police de la langue, mais avec la possibilité de donner une
contravention. Donc, autrement dit, essayer
de tuer ces délais, là, qui sont de porter une cause devant le DPCP puis
attendre des mois.
En même temps, je vous dis ça en sachant
pertinemment qu'on n'est pas, comment dire, fascistes, là. Moi, je ne suis pas
un fasciste de la langue, je ne suis pas un ayatollah, je comprends les
réticences. Mais je me dis, en même temps : Une loi, elle a pour but de
nous encadrer et, comme je le disais tantôt, d'éviter que ce soient les
soldats, le monsieur, ou le commis, ou la personne qui doit répondre à
quelqu'un directement ou au téléphone, par écrit... et qui, lui, doit porter la
responsabilité d'appliquer la loi. Je pense qu'une loi doit être suffisamment
forte pour que qui que ce soit se sente encadré.
On ne demande pas, par exemple, aux infirmières
de discuter quand elles nous donnent le vaccin, elles nous donnent le vaccin.
La consigne est claire. Et moi, je pense qu'actuellement, au niveau de la
langue, on a vachement besoin d'une deuxième dose.
Mme David : Ou d'une troisième.
M. Curzi (Pierre) : Ou d'une
troisième.
Mme David : Merci. Je vais passer la
parole à mon collègue de D'Arcy-McGee et après de...
La Présidente (Mme Thériault) : Et
il reste sept minutes au bloc de l'opposition officielle.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, M. Curzi. C'est drôle, dans une vie antérieure, j'ai
eu à répondre à vos questions en commission parlementaire. Je crois que c'était
le projet de loi n° 14.
M. Curzi (Pierre) : Oui.
M. Birnbaum : En tout cas, un
plaisir de vous retrouver.
Ça m'intrigue. Il y a deux cibles dont on parle,
et j'aimerais les qualifier avec vous. Dans un premier temps... Et Frédéric
Lacroix, qui vous précédait, était du même avis. Il parlait presque d'une
menace du fait qu'il y a une croissance
d'étudiants de l'ordre international qui viennent au Québec et, davantage,
qu'il y en a plusieurs qui décident de rester chez nous.
Deux choses.
Premièrement, moi, j'aurais cru qu'on se réjouirait d'un tel phénomène. Dans un
deuxième temps, je me demande si c'est votre expérience. Je ne suis pas dans
les données, mais, de mon expérience, tellement souvent, quand je rencontre un
de ces étudiants, étudiantes internationaux, ça me touche de voir comment ils
sont en amour avec
notre langue commune, comment ils se donnent
le devoir de s'immerser et d'apprendre la langue française. Alors, pour
mon premier... J'aimerais savoir si, en quelque part, vous voyez comme
un atout au lieu d'un obstacle ces étudiants internationaux.
Deuxième
chose, quand je parle de cibles, on parle beaucoup, évidemment, des établissements d'enseignement
supérieur, surtout, attachés à la communauté québécoise d'expression anglaise. Est-ce
que vous écartez la capacité de ces établissements d'être vecteurs de la francisation?
Une deuxième fois, je
me permets une anecdote qui m'a touché, qui a touché beaucoup de Québécois lors
de cette terrible tragédie à Dawson, la tuerie à Dawson, où il y avait des
élèves avec des noms comme Papadopoulos, Hernandez, des gens issus de partout,
qui faisaient des témoignages touchants en français, plusieurs, plusieurs.
Donc, ma
question : Est-ce qu'à la fois ces étudiants internationaux, à la fois ces
établissements issus de la communauté québécoise de langue anglaise peuvent
être des vecteurs positifs de francisation ici, au Québec?
M. Curzi
(Pierre) : Pour répondre à votre première question, moi, je suis aussi
heureux que vous l'êtes quand je vois des étudiants internationaux venir au Québec
et y faire leurs études. J'ai... Au contraire, on sait qu'au Québec on a besoin
d'avoir à la fois des gens qui vont travailler, mais aussi on a besoin des
intelligences, on a besoin du savoir. Alors, je n'ai aucun préjugé. Le seul
problème, c'est qu'ils s'intègrent à une communauté minoritaire, ici, pour le moment, anglophone. Et, à Montréal,
ils ont un effet, et ce n'est pas un reproche, mais ils ont un effet
anglicisant extrêmement important. Au centre-ville, quand vous allez autour de
McGill, Concordia, vous vivez dans un milieu où, franchement, là, c'est un
bilinguisme de plus en plus anglais.
Bon, est-ce que
les... Je connais beaucoup, comme vous, des gens qui ont suivi le parcours
d'études, par exemple, à McGill, plusieurs de mes amis, et ce sont des gens qui
possèdent très bien le français et qui travaillent en français, chez qui...
(panne de son) ...en tout cas, le passage par le système universitaire de
qualité anglophone n'a pas, en quelque sorte, changé leur nature. Mais je ne
crois pas que le système scolaire anglophone soit en mesure de franciser vraiment,
non pas parce qu'il n'en a pas la capacité. On a vu beaucoup d'efforts faits du
côté du système d'études anglophone. Beaucoup de gens ont bien appris le français
à l'intérieur de ce système-là. Ce n'est donc pas uniquement leur système.
Il
y a deux facteurs qui jouent. Le premier, c'est que, s'il n'y a pas un
environnement extrêmement... s'il n'y a pas une langue commune qui fait
que le français est inévitable dans tous les gestes de tous les jours et qu'il
n'est pas dominant, je crois que, quelle que soit l'influence du cégep, ce soit
insuffisant. Donc, c'est ça, ma réponse. Bien, voilà. Je vous ai senti un peu
distrait...
La Présidente (Mme
Thériault) : Et, pour le temps qu'il reste, 2 min 15 s,
c'est le député de La Pinière qui va échanger avec vous.
M. Barrette :
Bonjour, M. Curzi. Je pense que vous ne serez pas surpris de mon
commentaire. Quand on a un projet de loi d'une telle envergure et
potentiellement d'un aussi grand impact, on recherche l'adhésion du maximum de
personnes possible, puisqu'il est impossible d'avoir tout le monde, là, mais on
recherche le maximum de personnes possible.
Dans des échanges que
ma collègue de Marguerite-Bourgeoys a eus avec le Pr Taillon cet
après-midi, je ne sais pas si vous avez eu la chance de suivre tout
l'après-midi, on a abordé la question des clauses dérogatoires et la
possibilité de nuancer, ou de baliser, ou d'encadrer la clause dérogatoire.
Alors, ici, on a un projet de loi qui met de l'avant des clauses dérogatoires
qualifiées de préventives, mais qui sont mur à mur.
Alors, dans l'esprit
de ce que je viens de dire, là, en introduction, ne trouvez-vous pas que, s'il
y avait, je dis bien «s'il y avait», à y avoir des clauses dérogatoires, elles
devraient être nuancées ou encadrées — choisissez le mot qui vous
conviendrait — dans
le cadre de ce projet de loi là?
La Présidente (Mme
Thériault) : Et vous avez un peu plus d'une minute pour répondre à la
question.
M. Curzi
(Pierre) : Oui. Je serai bref. S'il n'y avait pas eu la mise en pièces
de la loi 101 par la Cour suprême au fil des ans, de telle sorte qu'il ne
restait qu'un pauvre squelette inopérant, je pourrais être d'accord avec vous. Malheureusement, je crois qu'on doit se
prémunir complètement, par des clauses dérogatoires qui sont
essentielles, préventivement, parce que la contestation risque d'être très
forte.
L'autre argument sur
lequel je veux revenir, c'est celui de l'équilibre. Bien sûr que la tentation
est grande de dire : On va adopter un projet de loi qui va susciter
l'adhésion du plus grand nombre. Dans ce cas-ci, je crois que ce serait une
démission gouvernementale. Pour un gouvernement qui est majoritaire, qui a une
volonté nationaliste et qui a une volonté légitime que la langue commune
s'exerce sur ce territoire-là et pour cette nation, je pense qu'il faut avoir
le courage d'aller vers des mesures qui ne seront peut-être pas les plus populaires,
qui vont certainement être attaquées, être contestées, mais je crois, et en
toute honnêteté, là, et avec tout le respect que j'ai pour la démocratie et
pour la vie des gens, je crois que c'est nécessaire.
La Présidente (Mme
Thériault) : Et je dois mettre fin à l'échange. Donc, sans plus
tarder, nous allons du côté de la députée de Mercier.
Mme Ghazal :
Merci. Merci beaucoup, M. Curzi, pour votre présentation si passionnée.
Vous, évidemment, vous êtes un artiste. Donc, vous êtes amoureux de la culture.
Vous avez été président de l'Union des artistes. Et, quand
on aime quelque chose, on a envie de le partager. Et donc on parle de langue
française, vous l'avez dit, on ne peut pas la séparer de la culture québécoise.
Et moi, j'ai envie de savoir comment est-ce qu'on peut transmettre la culture,
pas juste l'apprentissage du français mais la culture québécoise aux jeunes
immigrants et aux moins jeunes.
J'ai visité une
école, mon ancienne école secondaire, à Laval, qui, aujourd'hui, contrairement
à l'époque où je l'ai visitée, est constituée, je ne sais pas, à 97 % de
jeunes issus de l'immigration. J'étais dans une classe d'accueil, puis une des jeunes, d'origine afghane, ça fait
deux ans qu'elle est en classe d'accueil, donc son français était franchement
bon, et elle me disait : Mais, madame, je ne suis jamais en contact avec
des Québécois, comment voulez-vous qu'on apprenne
le français? Je ne parle jamais le français, à part en classe. On est gênés,
quand on sort avec mes amis, qui ne sont
pas des francophones, qui ne sont pas des Québécois — parce qu'elle ne se considère pas encore
Québécoise — on est gêné de parler français.
Puis moi, je me
dis : Qu'est-ce qu'on doit faire pour pas seulement leur apprendre le
français, mais la culture? Je ne sais pas, est-ce qu'il y a des artistes qui
peuvent venir dans les écoles pour leur faire aimer le théâtre québécois, le cinéma, etc.? J'ai envie de vous
entendre là-dessus, plus... pas comme ancien député mais comme acteur,
artiste, ancien président de l'Union des artistes.
• (16 h 20) •
M. Curzi
(Pierre) : Oui. Bien, vous touchez à quelque chose d'extrêmement
sensible, parce que c'est complexe. Arriver à rejoindre des gens qui viennent
de multiples pays, de multiples cultures et essayer de leur faire aimer une
culture, alors qu'on n'est plus là, comment on fait? Il y a eu... La première
chose, puis on commence à le voir, il y a de plus en plus, maintenant... On le
voit à la télévision, il y a de plus en plus de gens de diverses origines qui
commencent à incarner des personnages importants. Qu'ils se voient, d'abord,
qu'ils puissent se voir.
On sait, par
ailleurs, que les pratiques ont changé. Il y a beaucoup de jeunes, maintenant,
qui regardent moins la télévision, qui regardent leurs réseaux sociaux et qui
vont consommer. Et, quand ils consomment sur les réseaux sociaux, sur Internet,
là, le modèle qu'on pourrait leur proposer, d'identification, il n'est plus
là... ou il est là, mais il s'exprime dans une autre langue. Ils vont
fréquenter, je ne sais pas, le rap, mais ils vont le faire en anglais parce que
la majorité des rappeurs... Il y a des rappeurs québécois qui rappent en
français, et il faut qu'ils se déploient. Donc, c'est un travail lent, mais la
condition de base...
Il y a... Vous
touchez à d'autres problèmes aussi, le fait qu'on ait déserté l'île de Montréal,
les... Moi, je vis dans une banlieue, et c'est à 99 % blanc francophone et
même blanc rasé. Je le déplore. J'aimerais... Je m'emporte. Mais c'est certain
qu'il y a un problème sociologique.
Mais moi, je pense
qu'une des conditions, c'est, justement, de rétablir une langue commune puis
après, bien, tranquillement, de permettre que chacun puisse s'identifier, tel
qu'il est, à des modèles qu'on leur proposera.
Mme Ghazal :
Ça prend du temps. Merci.
La Présidente
(Mme Thériault) : Et je dois mettre fin à cet échange. Donc, sans
plus tarder, M. le député de Matane-Matapédia, pour le dernier bloc de notre
après-midi.
M. Bérubé :
Merci. Je veux saluer mon ancien collègue, que je retrouve avec plaisir, lui
dire qu'il est toujours aussi cohérent et que les travaux qu'il a menés dans le
passé ont certainement influencé notre formation politique. Et j'aurais bien
aimé, moi, et j'en fais l'aveu public, qu'il reste avec nous. Et peut-être que
c'est lui, le ministre responsable de la Langue, qui aurait présenté ce projet
de loi dans un gouvernement, celui de Mme Marois. Mais c'est mon souhait.
On ne peut pas refaire l'histoire, mais j'aurais aimé ça.
Ceci étant dit, en
mai dernier, un texte du Journal de Montréal, qui s'appelle Réforme
de la loi 101 : une occasion ratée, selon Pierre Curzi,
l'essentiel du reproche que l'ancien député de Borduas porte à l'égard du
gouvernement, c'est sur la loi 101 au cégep, de ne pas faire preuve de
cohérence, de ne pas faire preuve de la nécessaire audace. On dit la même
chose. Ce n'est pas... Ça ne doit pas être consensuel, ça doit être nécessaire.
Le défi est là. Oui, ça va faire du bruit. Guy Rocher nous a dit la même chose
hier.
Alors, ce n'est
toujours bien pas une idée extrémiste. Le premier ministre m'a dit ça, moi, en
Chambre : C'est extrémiste de promouvoir que la loi 101 s'applique
aux cégeps. Alors, pourquoi c'est si nécessaire? Et je vous laisse la tribune,
cher Pierre.
M. Curzi (Pierre) : Bien, écoute... Bonjour, M. le député. Parce
que... Je pense que c'est nécessaire parce que c'est l'effet
constructeur. Admettons que tous ceux qui suivent un parcours au primaire et au
secondaire en français soient obligés d'aller au cégep en français. Ça veut
dire qu'ils vont devoir mieux connaître leur langue, puisque plus ça va aller, plus ils vont avoir besoin de cette
connaissance-là pour réussir dans leurs études. Ça, c'est une première
chose.
Ça va avoir un effet
sur la fréquentation, le nombre de personnes qui vont aller à l'université en
français. Le nombre de personnes qui fréquentent le système universitaire
francophone est une des conditions de financement de ces universités-là. Donc,
on commencerait à rétablir une sorte d'équilibre entre le financement des
universités francophones et le financement des universités anglophones.
Une voix :
...
M. Curzi
(Pierre) : Oui. Pardon?
M. Bérubé : Ce
n'est pas une idée extrémiste.
M. Curzi
(Pierre) : Alors là, je reviens à ce point-là. Moi qui suis... Je
considère que je suis un citoyen modéré et j'ai un total respect de la démocratie.
Et, si l'ensemble des Québécois décidaient du jour au lendemain qu'ils vont
abandonner la langue française parce qu'ils veulent vivre en anglais, si
c'était une décision totalement démocratique, je l'entérinerais. Le Québec ne
disparaîtrait pas pour autant. Mais on sait pertinemment qu'il y a quelque
chose de précieux, de particulier, de spécifique dans ce territoire-là puis
aussi dans d'autres provinces du Canada, dans les communautés francophones. Il
y a là une richesse qu'on qualifie et que j'ai longtemps défendue comme étant
l'effet de la diversité, une diversité de langues...
La Présidente (Mme Thériault) :
Et, M. Curzi...
M. Curzi (Pierre) : ...une
diversité de cultures, une diversité de valeurs. Voilà ce qui enrichit une société...
La Présidente (Mme Thériault) :
Et je dois mettre fin aux échanges sur ces paroles...
M. Bérubé : Merci, Pierre.
La Présidente (Mme Thériault) :
...ayant déjà dépassé le temps. Donc, M. Curzi, merci pour votre passage
en commission parlementaire.
Et, sans plus tarder, j'ajourne les travaux jusqu'au
mardi 28 septembre 2021, à 9 h 45. Bonne fin de semaine, tout le
monde, et bon retour à Montréal.
(Fin de la séance à 16 h 26)