(Neuf heures trente et une minutes)
La
Présidente (Mme Nichols) : Bonjour. Alors, bon matin, bon matin. Bon vendredi matin. Je vous avais
invités un vendredi, mais finalement c'est vendredi matin, je m'excuse
encore.
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de
la Commission de la culture et de l'éducation
ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir
éteindre la sonnerie de leurs appareils.
La commission
est réunie afin de poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations particulières concernant le
mandat d'initiative portant sur l'avenir des médias d'information.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. M. Asselin (Vanier-Les
Rivières) sera remplacé par
M. Allaire (Maskinongé); Mme Grondin (Argenteuil), par
M. Thouin (Rousseau); Mme Labrie (Sherbrooke), par Mme Dorion (Taschereau);
et Mme Hivon (Joliette), par M. LeBel (Rimouski).
Auditions (suite)
La
Présidente (Mme Nichols) : Très bien, merci. Alors, cet avant-midi, nous entendrons le
programme Communication
dans les médias du cégep de Jonquière, M.
Christian Desîlets, Mme Colette Brin et l'École des médias de l'Université du Québec à Montréal.
Alors, nous
sommes prêts à commencer avec le premier groupe. Alors, je souhaite la
bienvenue aux représentants du cégep de Jonquière, programme Communication dans
les médias. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, puis nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter ainsi que les personnes qui vous accompagnent et à procéder à votre
exposé. La parole est à vous.
Cégep de Jonquière
Mme Roberge
(Hélène) : Oui. Bonjour à
vous. On tenait à vous remercier sincèrement de l'accueil que vous nous avez fait, d'ailleurs, en arrivant ce matin, ça
nous fait chaud au coeur. C'est notre première expérience, en passant, mais
on est très heureux d'être là.
Alors, moi,
c'est Hélène Roberge, directrice adjointe des études, particulièrement pour les programmes en Art et technologie des médias, au cégep de Jonquière.
M. Gagnon (Blaise) : Bonjour,
moi, c'est Blaise Gagnon, je suis enseignant et responsable de coordination du
département d'ATM, d'Art et technologie des médias.
M. Arseneault (Éric) : Et je
m'appelle Éric Arseneault, je suis enseignant au département d'ATM.
Mme Roberge
(Hélène) : Alors, je vais
débuter. Alors, mon rôle est peut-être un peu davantage de mettre la table, vous mettre assez bien
en contexte, là, par rapport aux programmes d'études que nous offrons.
Alors, le
cégep de Jonquière, dans le fond, est un des premiers établissements d'enseignement à offrir un programme en journalisme.
Alors, on a été autorisés par le ministère en 1968 à offrir le programme,
à l'époque, qui s'appelait Techniques journalistiques,
mais on le sait, que, par la suite, il
y a eu beaucoup de transformations
qui se sont opérées, et c'est en 1975 que
le programme devient Art et technologie des médias. Et, en
1990, dans le fond, il y a eu deux programmes distincts qui se sont développés, soit
Techniques de production et postproduction télévisuelles et Techniques de communication dans les médias, avec trois
options, dont une en journalisme — c'est
pour cette raison-là aussi, là, qu'on a déposé un mémoire à cet effet-là, pour l'avenir des médias d'information — et
un troisième programme aussi s'est greffé à la famille ATM, soit
Intégration multimédia. Alors, ça constitue, dans le fond, si on veut, la
grande famille ATM, actuellement.
Alors, on a
125 nouveaux élèves, à chaque année, qui entrent au cégep en Techniques de communication dans les médias, et, de ces 125 là, une quarantaine, à chaque année,
diplôment, environ 40 pour l'option journalisme. Et, au fil des
années, eh bien, vous savez qu'on a tissé beaucoup
de liens avec différentes entreprises de par le fait que tous nos programmes
se terminent par un stage de minimum cinq
semaines, donc ça nous amène à avoir beaucoup de contacts avec les entreprises
de par ces stages-là. Nos enseignants sont très, très impliqués par rapport à
ça.
C'est sûr que
je parle peut-être un
petit peu trop vite parce que je veux
vraiment maximiser mon temps, je m'en excuse.
Alors, on sait
que les cégeps sont des acteurs très importants dans le développement économique et social, particulièrement de nos régions, et c'est dans cet
esprit-là aussi qu'on est ici aujourd'hui, parce qu'on se considère importants
et on veut, dans le fond, faire partie des
solutions. Parce qu'on a bien entendu, là, qu'il va y avoir plusieurs solutions
dans cette grande tourmente-là qu'on
vit, donc on veut en faire partie et on veut vous offrir, dans le fond, notre
connaissance du milieu, de la problématique et de tout ce que ça
concerne et notre expertise aussi. On considère qu'on a quand même développé une grande
expertise, au fil de ces plus de 50 ans, actuellement. Donc, je vais
laisser la parole à mes collègues enseignants. Alors, j'inviterais
M. Blaise Gagnon à prendre la parole. Merci beaucoup.
M. Gagnon
(Blaise) : Merci, Hélène. On ne reviendra pas sur le fait que
plusieurs organisations ont insisté sur l'importance de l'information, particulièrement dans les régions du
Québec, vous l'avez entendu beaucoup cette semaine. Puis j'en profite pour vous remercier, la
commission. Vous faites un travail extrêmement important pour une saine
démocratie dans notre société. On ne
reviendra pas non plus sur le GAFA ou le GAFAM, dépendamment comment on
souhaite l'appeler, on connaît le
monstre. Notre préoccupation, notre inquiétude est de constater la disparition
d'autant de médias, dont beaucoup en
région, dans de plus petits marchés, des pertes d'emploi de journalistes, de
recherchistes, de rédacteurs, qui sont souvent de nos anciens étudiants.
S'ils ne perdent pas leur emploi, ils doivent souvent accepter de faire des
concessions quant à leur salaire ou à leurs
conditions générales de travail. Même les conditions d'embauche de nos jeunes
sont beaucoup moins intéressantes
aujourd'hui. Les médias dont nous parlons sont les partenaires, dans le sens
qu'ils accueillent nos finissants en
stage, ce qui vient compléter la formation de notre relève journalistique. Ces
entreprises les accueillent, les encadrent, leur donnent des mandats,
des responsabilités, ce qui vient enrichir concrètement leur formation.
Nous sommes
encore capables de développer des milieux de stage en suivant l'évolution des
médias, en adaptant notre programme
et notre enseignement. Nos jeunes, par exemple, vont créer des podcasts, des
balados, parce qu'aujourd'hui c'est comme ça qu'ils écoutent la radio.
Ils vont prendre des photos, faire du graphisme avec créativité et diffuser sur
Instagram leurs manchettes ou un bref topo
en quelques tuiles et en quelques mots, parce que c'est leur façon de
s'informer. Ils vont aussi, avec
fierté, partager leurs textes sur Facebook, avec fierté car ils auront déniché
ce sujet original, fait de la recherche, préparé un dossier, mené des
entrevues, approfondi une enquête. Ils seront gestionnaires de médias sociaux, créateurs ou générateurs de contenus, car les
plateformes numériques ont transformé la diffusion, c'est vrai, mais il restera
toujours un grand besoin de contenu original
et de qualité des informations, informations vérifiées deux fois plutôt qu'une,
ce qu'aucun robot ou algorithme ne pourra jamais faire, à mon avis.
La relève
journalistique, que nous avons bien l'intention de continuer à former, doit
avoir la possibilité de travailler partout,
dans les régions du Québec comme ailleurs. Le journal, la radio, la télé ou la
plateforme qui les embauche doit pouvoir continuer d'exister et même être capable de leur offrir des conditions
de travail plus qu'acceptables. On parle ici, à votre commission, de l'avenir des médias, mais c'est de
l'avenir de nos jeunes dont on parle. Alors, j'aimerais maintenant passer
à la deuxième piste d'intervention de notre
mémoire, qui concerne l'éducation aux médias, mon collègue Éric Arseneault.
• (9 h 40) •
M. Arseneault
(Éric) : Bonjour à tous. Oui, parce que, cette semaine, il y a
plusieurs solutions, plusieurs pistes, plusieurs
moyens qui ont été avancés devant cette commission-là, il y a des constats qui
sont en train de se dégager. Ce matin,
on veut vous enligner sur une autre piste de solution. Ce n'est pas la recette
miracle, elle n'existe pas, cette recette miracle là, mais la piste qu'on vous propose, c'est effectivement
l'éducation à l'information, l'éducation aux médias. S'il fallait
trouver un aspect positif dans la crise que vit actuellement Groupe Capitales
Médias, c'est peut-être d'avoir fait prendre
conscience aux gens de l'importance de ces médias-là et en particulier de ces
médias en région, de l'importance de ces
médias pour la démocratie, pour la vie des communautés et des sociétés. Et ça
nous a fait peut-être réaliser que, trop souvent, on a tendance à
oublier des trucs qui nous sont acquis.
Le travail
journalistique, la cueillette, la validation, le tri, la diffusion de
l'information, tout ce travail de coulisses qu'on ne voit pas
nécessairement, a un prix, a une valeur. Mais, puisque cette information-là est
gratuite, est accessible aujourd'hui, la
machine marche, on n'en vient même plus à se poser de questions. Les gens
doivent savoir, ou encore se souvenir, si tant est qu'ils l'ont oublié,
qu'il y a un coût à produire une information, qu'il y a une valeur à produire
une information qui est sérieuse, qui est
crédible, qui est indépendante, qui est de qualité, et il nous semble que plus
tôt les gens seront conscients de
cette valeur-là, plus tôt, à ce moment-là, ils pourront reconnaître la valeur de l'information puis l'importance,
également, des médias dans leur société.
Et c'est ici
qu'on entre dans notre champ d'expertise, nous autres, au cégep, c'est-à-dire les jeunes. On connaît tous et
chacun le pouvoir d'influence qu'ont les jeunes aujourd'hui. Et, dans votre
vie personnelle, vous l'avez probablement expérimenté avec vos propres enfants, bien souvent, ce sont eux qui font
les tendances en matière d'environnement, ce sont eux qui commencent à changer les choses en matière d'alimentation,
de saines habitudes de vie, d'activités sportives et des trucs de ce genre-là. On a toujours
conçu ces jeunes-là, pour nous, au cégep, comme étant nos plus beaux
ambassadeurs. Ces jeunes-là, ce sont
eux sur qui il faut miser, à mon avis, pour renverser la tendance morose
actuelle dans le monde des médias et
des communications. Il faut miser sur leur potentiel, j'allais dire, de
contamination positive à l'égard du reste de la société pour, justement, axer
et développer l'importance...
conscientiser les gens à l'importance des médias. Et, au cégep de Jonquière, ça fait des années qu'on travaille à
ce niveau-là non seulement auprès de nos propres étudiants, mais également
auprès des jeunes qu'on accueille chez nous
pour des visites dans des ateliers qu'on a préparés pour eux, où ils s'initient
au travail journalistique, c'est dans
des conférences qu'on prononce un petit peu partout, c'est dans différentes
activités qu'on conçoit pour nos plus
jeunes. D'autres maisons d'enseignement, incidemment, le font aussi, d'autres
organismes le font, et qu'il me
suffise de rappeler que la FPJQ a pris une initiative extraordinaire, notamment
au sujet des fausses nouvelles, on vous en a abondamment parlé.
À notre avis,
il faut multiplier ce genre d'initiatives là, que ce soient des programmes
d'éducation pour les jeunes, et qui
pourraient, d'ailleurs, en passant, s'adresser au public en général... Est-ce
que ça pourrait être un cours d'éducation aux médias? Est-ce que ça peut être une campagne qui serait menée à la
grandeur... nationale? Tous les moyens sont sur la table, mais il est important, en tant que maison d'enseignement, que
vous sachiez que nous, on est prêts à embarquer dans le bateau. On est là, on est motivés, on est
passionnés, on est déterminés. Nous autres, on veut faire partie de la
solution, et vous allez trouver chez
nous des alliés extraordinaires si vous en avez besoin. Pourquoi? Parce qu'on
pense qu'en faisant ça, ça va contribuer à faire de nos jeunes de meilleurs citoyens mieux
en mesure de vérifier puis de mesurer l'importance des informations. Et, au-delà de ça, et je pense
que ça devient capital, actuellement, c'est de permettre également de créer
des habitudes de consommation d'information,
de développer l'intérêt des jeunes pour une information crédible, de qualité,
peu importe la plateforme sur laquelle ils
vont la consulter, et on pense qu'à terme ça va permettre de contaminer le
reste de la société.
On est très
conscients, ce matin, que ce qu'on vous propose, ça ne réglera pas le problème
du jour au lendemain, c'est une
solution à moyen et à long terme. Mais, pour que ça porte ses fruits, il faut
que ça commence tout de suite. Moi, quand j'ai étudié dans un collège au secondaire, la devise, c'était Spes
messis in semine : L'espoir de la moisson est dans la semence. La semence, c'est nos jeunes, et il faut commencer
à s'en préoccuper tout de suite, de façon à ce que plus tard on puisse
récolter ces fruits-là et qu'on ne soit pas, dans quelques années, encore
ensemble ici à discuter de ça. Merci, et puis on accueillera avec bonheur vos
questions.
La
Présidente (Mme Nichols) : Merci. C'est moi qui vous remercie
pour votre exposé. Nous allons maintenant commencer la période
d'échange, et je laisse la parole au député de Beauce-Sud, vous avez une
période... Non? Oui, Beauce-Sud, pour 15 minutes.
M. Poulin :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Gagnon, M. Arseneault,
Mme Roberge, très content de vous retrouver.
Combien d'étudiants entrent en ATM et terminent en ATM, qui font le trois ans
au complet en journalisme, et qui, bon, j'imagine, par la suite, se placent
dans un domaine connexe, là, et qui s'en vont directement dans la profession
journalistique?
Mme Roberge (Hélène) : En
journalisme ou en Techniques de communication dans les médias?
M. Poulin : Bien, je serais
intéressé à savoir les différents volets, mais d'abord en journalisme.
Mme Roberge
(Hélène) : O.K. Au global, là, je vous dirais, aux alentours de 400
qui arrivent à chaque année. Donc, si
on prend toutes les cohortes ensemble, ça nous fait aux alentours de 700 élèves
en Art et technologie des médias. Et qui diplôment... ouf! Ça, c'est une
autre bonne question.
M. Gagnon (Blaise) : Bien, en
TCM, à peu près une centaine, en publicité, radio, journalisme.
Mme Roberge (Hélène) : 100,
200, 250 à chaque année, peut-être?
M. Gagnon (Blaise) : Oui.
Mme Roberge (Hélène) : Je vous
dis un chiffre rapide, là, mais...
M. Poulin :
Et, parmi ces étudiants-là, est-ce qu'il y a un fort intérêt à se placer
immédiatement dans un emploi dans le domaine des médias ou à poursuivre
vers des études universitaires?
Mme Roberge (Hélène) : Alors,
on a plusieurs profils. En journalisme, par exemple, on en a quand même un certain nombre qui poursuivent à l'université. Et
même les enseignants, je pense, sont tout à fait... même, les encouragent,
parce qu'un diplôme universitaire, aussi, en
journalisme peut être fort intéressant, peu importe le domaine,
M. Saulnier nous en a bien parlé
hier. Puis, par exemple en télévision, plusieurs, directement, là, s'en vont
sur le marché du travail. Les taux de
placement sont particulièrement élevés, on est au-delà de 80 %, même
90 % dans certains secteurs, les besoins étant très grands.
M. Poulin : Et ma dernière
question sera : Quelle est votre relation avec le réseau secondaire au Québec?
Parce qu'ATM est un programme exclusif qui,
comme vous l'avez signifié, depuis la fin des années 60, début des
années 70, est au Saguenay—Lac-Saint-Jean, et je sais que ça tient énormément
à coeur aux gens du Saguenay—Lac-Saint-Jean, et vous avez entièrement
raison, parce que ça attire de nombreux étudiants dans la région et ça devient
un peu une porte d'entrée aussi vers
de nouvelles personnes qui découvrent votre région. Et Dieu sait que, lorsqu'on
rencontre des journalistes aujourd'hui,
très souvent, ils ont passé par ATM à Jonquière, alors vous avez raison d'en
être fiers. Cependant, est-ce qu'il y a suffisamment, vous pensez, de
conseillers en orientation scolaire qui conseillent les étudiants, au Québec,
de se tourner vers l'ATM?
M. Gagnon
(Blaise) : Je crois que oui, vraiment. Pendant deux mois, avant la
date limite des inscriptions dans les cégeps
du Québec, on reçoit, à chaque vendredi, des visites, des autobus complets
d'écoles secondaires, d'écoles polyvalentes de partout au Québec qui viennent visiter nos installations. On a des
activités portes ouvertes avec des parents et des élèves de secondaire V qui viennent visiter nos
installations également. Notre équipe de communications et de recrutement fait
la tournée de tous les événements, les salons scolaires inimaginables au
Québec également.
Et puis,
évidemment, comme on a plus de 50 ans, le programme de l'ATM est quand
même extrêmement bien connu, souvent, aussi, les jeunes vont avoir le réflexe
de se tourner vers leur média local, par exemple, et aller demander au
journaliste ou à l'animateur,
l'animatrice des conseils ou des suggestions sur le travail dans les médias. Et
souvent nos anciens, comme disait Éric, ils sont
d'excellents ambassadeurs. Souvent, ils vont parler aux jeunes du programme
d'Art et technologie des médias au cégep de Jonquière. Et, bon an, mal an, moi,
j'évaluerais à à peu près 75 % de nos étudiants qui sont de l'extérieur de la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Donc, 25 % sont de la région
et le trois quarts viennent de partout, de toutes les régions du Québec.
On en accueille même de France et on a quelques...
Mme Roberge (Hélène) : De plus
en plus d'étudiants internationaux, évidemment.
M. Gagnon (Blaise) : ...de plus
en plus d'étudiants internationaux, oui, absolument.
M. Poulin :
...aussi vos installations. Il y a des investissements importants qui ont été
faits par les précédents gouvernements
pour ATM, à Jonquière, et c'est assez impressionnant. Vous êtes même en avance
sur plusieurs stations de radio au Québec, alors c'est bon signe. Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme Nichols) :
Alors, la parole est au député de Saint-Jérôme.
M. Chassin : Oui, merci. Merci de votre présentation. J'allais
vous poser, justement, la question : Quelle est la proportion qui
vient de l'extérieur de la région?, mais vous y avez répondu.
Je trouve
intéressante votre démarche sur l'éducation aux médias. C'est une réflexion qui
est importante, je pense, à avoir. Et
puis vous-mêmes faites un travail à cet égard. On vous en félicite. On espère
que le récent réinvestissement dans les cégeps vous donnera davantage
d'outils. Je crois que ça représente à peu près 1 million au cégep de
Jonquière.
J'ai envie
quand même de vous poser une question pour faire un peu le lien avec le mandat
de la commission sur l'avenir des
médias d'information. L'éducation aux médias va donner une idée claire,
certainement, de la valeur de l'information
ou du travail pour avoir une nouvelle crédible qui soit diffusée. À quel point
pensez-vous que ça peut jouer un
rôle, par exemple, dans un abonnement ou un geste qui va, finalement, augmenter
les revenus des médias d'information, notamment en région?
• (9 h 50) •
M. Arseneault
(Éric) : Je serais tenté de vous dire une chose, on a peut-être perdu
de vue... et ça vaut dans le domaine des
médias, dans le domaine de l'information, dans bien d'autres domaines, je pense
qu'on a perdu de vue, aussi, la valeur de cette information-là. Et je pense
qu'à partir du moment où on fait réaliser aux gens, et aux jeunes en
particulier, que, ce qu'ils
consomment, que ce soit de la musique, que ce soit du divertissement, que ce
soit du vidéo ou que ce soit de l'information, il y a un coût, nécessairement, associé
à ça, et pour préserver ces contenus qu'ils apprécient et qu'ils
chérissent, moi, il me semble qu'effectivement ils sont prêts à faire une
contribution.
Cette
semaine, je feuilletais une étude qui a été publiée l'an dernier par Reuters
Institute, qui nous montrait que les
gens qui contribuent financièrement, par un abonnement, ou par une donation, ou
peu importe, à un média d'information au
Canada, ça représente... en tout cas, dans certains pays, ça représente entre
20 % et 30 %. Il y a un bassin, là, important. Et cette étude-là nous montre que ceux et celles
qui sont le plus, j'allais dire, aptes ou susceptibles de contribuer
financièrement à un contenu, qu'il
soit numérique ou autre, ce sont les moins de 45 ans. Alors, je pense qu'à
partir du moment où les gens, et les
jeunes en particulier, comprennent que ce qu'ils ont entre les mains, ça a un
coût, ça a une valeur, un peu comme ils le font maintenant, aujourd'hui, avec les applications, les iTunes et
Spotify... Alors, il y a un prix à payer. Quel est-il, ce prix-là? Ça, ça reste à déterminer, mais je pense qu'ils
sont capables de comprendre que, s'ils veulent conserver ça, oui, il y a une
contribution à faire, dans la mesure où elle
est raisonnable puis elle correspond à leurs moyens. Et moi, je suis convaincu
qu'ils sont prêts à embarquer là-dedans, peut-être pas demain matin, mais sur un avenir
plus ou moins moyen, je pense que oui.
M. Chassin : Puis, si je peux me permettre de construire sur
votre argumentation, de réaliser aussi que, derrière, par exemple, la gratuité de certains sites, il y a
néanmoins un coût, que ce soit, par exemple, leurs données personnelles ou en
publicité, donc de réagir à l'offre qui leur
est faite de façon peut-être plus éclairée. J'imagine aussi, puis je le
postule, je vous pose un peu la
question, mais que, quand on a une certaine éducation aux médias, on se permet
d'avoir les bons critères pour distinguer entre une nouvelle versus une
opinion, versus une chronique, versus, je ne sais pas, moi, une controverse. Est-ce que c'est ça aussi, l'esprit de votre
esprit... bien, en fait, de votre définition de l'éducation aux médias? Vous
parliez du programme, là, 30 secondes avant d'y croire.
Mme Roberge
(Hélène) : Peut-être une petite suggestion ou petit rêve, dans le
fond. Parce que, vous savez, tu sais, il
y a eu des grandes campagnes pour la ceinture de sécurité, exemple, en tout
cas, moi, dans mon âge à moi, puis c'étaient les enfants, tu sais, qui disaient : Aïe! Maman, attache ta
ceinture, tu sais, parce qu'ils avaient été vraiment bien éduqués à ça, même à l'école, là. Nous autres, on parle même du
primaire. Bien, moi, je rêve, là, que les enfants, dans pas longtemps,
disent : Aïe! Maman, as-tu
vérifié ta source? C'est-u une bonne source? C'est-u une vraie nouvelle, ça?
Bien, si on réussit ça dans un avenir
moyen, on va avoir tellement réglé de choses. Moi, c'est ce que je nous
suggère, là, que je nous propose aussi, comme province.
M. Gagnon
(Blaise) : Pour rajouter, puisqu'on parle des enfants, j'ai une petite
anecdote. Puis, dans mon enseignement,
j'aime ça, souvent, partager des tranches de vie, mes étudiants vont rire en
entendant ça. J'ai ma plus jeune qui
avait huit ans et qui, un jour, me dit, puis ça fait quelques années, ça fait
quatre ans, ma plus jeune me dit : Papa, je voudrais qu'on aille magasiner à Plaza St-Hubert. J'ai dit : Mais,
Laura, on demeure à Chicoutimi, Plaza St-Hubert, c'est à Montréal. Ça fait qu'elle m'a dit : Oui,
mais Vanessa Pilon a parlé d'une boutique avec, vraiment, des beaux vêtements, puis tout ça, sur Instagram, ou sur YouTube, ou peu importe.
Et là, bien, je lui ai dit : Oui, mais tu sais que Vanessa Pilon, elle gagne de l'argent pour faire la promotion de
ces boutiques-là et tout, tu sais, c'est son travail, ça fait partie de son
métier. Elle m'a dit : Elle
gagne de l'argent pour parler de la boutique? Ah! bien, on va magasiner à la
Place du royaume, d'abord. Tu sais,
donc, tu sais, juste ça, ça lui faisait prendre conscience qu'en fait c'est un
média. Puis là, bien, on voit que c'est important d'expliquer aux jeunes, de bien leur faire comprendre puis de
bien faire la distinction entre un publireportage, un éditorial, un
billet, un commentaire, un article de fond, etc. Je vous rejoins là-dessus, M.
le député.
M. Chassin : J'ai envie de vous poser une toute dernière
question, sans vous mettre nécessairement dans l'eau chaude, mais vous avez parlé de fermetures de médias,
notamment régionaux. Dans plusieurs médias, ils sont encore vivants mais
ils ont moins de journalistes à leur emploi.
Souvent, les journalistes sont obligés de couvrir des territoires assez vastes,
etc. Est-ce que ça aussi, c'est quelque chose qui, pour vous, bien,
évidemment, doit être préoccupant, mais est une tendance lourde que vous observez, par exemple, avec vos
finissants, quand on vient les chercher, qu'on leur demande d'avoir, finalement,
une grande polyvalence et de travailler sur des territoires et des sujets très
vastes?
M. Arseneault
(Éric) : J'aurais tendance à vous dire que, déjà, en partant de chez
nous, ils sont sensibilisés aux types
de conditions de travail qui seront les leurs sur le marché du travail. Moi,
j'insiste beaucoup avec mes étudiants en journalisme sur la nécessité
d'être multitâche, donc d'être capable de faire toute une série de choses. Elle
est terminée l'époque où, à la radio, par
exemple, les gens, tout ce qu'ils faisaient, c'était un reportage radio.
Maintenant ils font de la télé, maintenant
ils font du Web, maintenant ils font plein de trucs. Et c'est important
également... et on les sensibilise à ça, au principe aussi de ce qu'on
appelle le multiplateforme. Aujourd'hui, leur produit, leur contenu, ce qu'ils
vont produire ne sera pas destiné à un seul
média, mais va être destiné à toute une série de plateformes qui gravitent
autour de leur média. Alors, je vous
dirais que, lorsqu'ils débarquent dans leur milieu de stage ou encore dans leur
milieu d'emploi plus tard, ils ont
déjà une bonne idée, je pense, de ce qui les attend. En tout cas, on essaie du
mieux possible de les préparer à cette réalité-là qui est incontournable
aujourd'hui.
M. Gagnon
(Blaise) : Mais c'est un fait que, dans les petits marchés, par
exemple, particulièrement... soit dans les journaux, hebdos ou dans les radios, dans des marchés, par exemple,
comme Gaspé, Havre-Saint-Pierre, Fermont, souvent le service des nouvelles, c'est un journaliste.
Donc, évidemment, il va faire un quart de travail normal, il va préenregistrer
certains de ses bulletins de nouvelles, mais... donc, forcément, il ne peut pas
être partout. Donc, ça, ça fait partie de ce que je mentionnais tantôt, les conditions de travail. Ce n'est pas des conditions de travail idéales
pour un journaliste, ça ne lui donne
pas beaucoup de temps pour fouiller son dossier, vérifier sa
nouvelle et puis se déplacer d'un bout à l'autre d'un territoire, souvent... On connaît le Québec, un journaliste à Havre-Saint-Pierre qui va
couvrir, par exemple, toute la Minganie ou un journaliste à
Gaspé qui va couvrir tout le sud de la péninsule gaspésienne, c'est vraiment un
grand, grand territoire.
La Présidente (Mme Nichols) :
Alors, je cède la parole au député de Saint-Jean pour
2 min 35 s.
M. Lemieux : Merci,
Mme la Présidente. Mme Roberge,
M. Arseneault, M. Gagnon, le fier bleuet d'adoption
que je suis vous salue et le presque étudiant d'ATM que j'ai presque été
vous remercie de ce que vous avez fait depuis que je n'y suis pas allé, bon.
Pour l'éducation au sujet des médias, on en a beaucoup parlé, mais je veux juste rajouter que moi, j'ai toujours
pensé que les «fake news», c'était un
danger qui est en train de nous montrer jusqu'à quel point il vient
doper le cynisme ambiant, parce que... Dans
le fond, moi, mon problème avec ça, c'est
le cynisme, c'est le résultat. Le «fake news», à la limite, puis on le voit tous les jours avec le président Trump,
ça peut être drôle, là, mais il y a un cynisme ambiant qui est dopé en ce moment. La démarche que vous voulez
faire, non seulement je la salue, mais je ne suis pas sûr que notre ministre de
l'Éducation va trouver de la place dans les horaires, en ce moment, mais ne serait-ce que ce qu'on fait ici, à cause d'une crise, malheureusement,
c'est déjà un début, mais, vous avez raison, il faut continuer de travailler là-dessus.
Vous venez de parler du multidisciplinaire.
C'est fondamental pour les nouveaux journalistes et les nouveaux travailleurs
de toute l'industrie des médias. Comment vous vous êtes adaptés, vous? Comment
ça s'est fait? Étiez-vous en avant de la
vague, ou, pour toutes sortes de
bonnes et de mauvaises raisons, y compris les budgets, vous étiez en arrière
de la vague du genre : Bien,
l'industrie a fait ça, il faudrait qu'on fasse ça, nous autres aussi, ou
avez-vous réussi à être un petit peu
en avant? Puis j'ai vu, moi aussi, les derniers studios. Depuis sept ans, je
pense que vous êtes en avant, là, mais pour les besoins de la
discussion.
M. Gagnon (Blaise) : En fait,
je vous répondrais qu'on est toujours connectés avec le milieu. J'ai parlé,
tout à l'heure, des milieux de stage, nos
enseignants se déplacent. Moi, je me déplace, en supervision de stage. J'ai un
étudiant, une étudiante qui est en
stage à Rimouski, à Sept-Îles, je vais aller sur place rencontrer, oui, bien
sûr, l'étudiant, j'ai des communications
avec lui presque à tous les jours, lui ou elle, et puis ensuite je me rends sur
place et là je rencontre la direction, je rencontre le journaliste, les
animateurs, les animatrices qui sont dans cette station de radio là. Donc, on
est tout le temps connectés sur le
milieu, bien conscients de l'évolution des technologies, par exemple, ou de la
façon de diffuser l'information, de
l'utilisation des médias sociaux, etc. Donc, on l'intègre au fur et à mesure
dans notre enseignement. Par exemple, l'année passée, on s'est fait donner, les
enseignants avec notre groupe d'étudiants, une formation de deux jours sur le podcast, sur le balado. Alors, on a vu
l'ensemble des techniques pour créer, concevoir un balado, on a expérimenté
et on a créé chacun un balado, et ensuite,
bien, cette année, dans mon cours qui est commencé, là, depuis deux semaines,
les étudiants vont créer un balado à
leur tour. Donc, on est vraiment, je pense, tout le temps assez ajustés avec le
marché, avec la
technologie. Souvent, on enseigne deux, trois logiciels de traitement sonore,
puis, dans une radio, ils vont en utiliser juste un, mais ils en
connaissent déjà deux, trois.
La
Présidente (Mme Nichols) : Je vous remercie. Nous poursuivons la
période d'échange avec Mme la députée de Verdun.
• (10 heures) •
Mme Melançon :
Bonjour à vous trois, très heureuse de vous retrouver à cette commission, puis
vous faites très bien ça. C'est votre première, et ça se passe très,
très bien, je tiens à le mentionner.
Je
vais continuer à faire du pouce, parce que, contrairement à ce que vient de
dire le député de Saint-Jean, là, je ne pourrai pas être d'accord. On est en pleine réflexion, actuellement, sur
les programmes collégiaux, et j'espère qu'on va trouver un petit peu de place dans le cursus pour parler, justement, de
tout ce qui s'appelle, là, «fake news», parce qu'il faut... on l'a vu, là, les très jolies capsules, là,
30 secondes avant d'y croire, il faut continuer à pousser, il faut être en
éducation auprès de nos jeunes pour
leur démontrer... puis je dis les jeunes, mais aussi les moins jeunes,
disons-le, hein, je pense qu'il va y avoir de la place dans tout ça.
Rapidement,
on discute énormément, et ça fait cinq jours, là, où on est en discussion, je
pense qu'il y a unanimité sur le fait
qu'on doit taxer les géants du Web, je pense que ça s'est très bien dégagé.
Est-ce que vous êtes d'avis qu'on doive attendre après 2020, qu'on doive
attendre l'OCDE ou est-ce qu'on devrait agir immédiatement?
Mme Roberge
(Hélène) : Ça nous apparaît évident qu'il faut agir tout de suite,
puis ça, c'est clair.
J'avais
un petit exemple aussi au
niveau de l'éducation, parce que ça m'a fait penser à d'autre chose tantôt, mais,
quand... On est comme assez prêts, au niveau de la technique, et tout ça. Je
pense que nos enseignements sont très
ajustés, comme vient de le dire
Blaise, mais aussi, au niveau de l'éducation des plus jeunes, on a déjà
commencé. Nos enseignants vont faire
des conférences dans des classes. Ils sont toujours là, ils sont toujours
présents, ils disent toujours oui. Puis on a même accueilli, l'an passé, un partenariat avec une école primaire. Les
élèves ont développé un petit cursus journalisme. Bien, ils sont venus en ATM produire une émission,
on les a enregistrés, on les a mentorés. Si vous aviez vu les étincelles
de ces jeunes-là du primaire, c'était extraordinaire. Puis nos jeunes... c'est extrêmement valorisant d'être le mentor d'un plus jeune puis de montrer toutes les
connaissances que tu viens d'acquérir. Alors, c'est des expériences
comme ça aussi. Ce n'est pas nécessaire
de mettre ça toujours dans le cursus, mais des fois il y a déjà de
la place. On a des offres comme ça assez
régulièrement, je vous dirais, puis de plus en plus. Ça nous interpelle, puis on trouve qu'on a un rôle, aussi, à jouer
par rapport à ça.
Mme Melançon : Bien, merci, Mme Roberge. Puis moi, je peux
aussi témoigner, comme l'ont fait d'autres collègues, j'ai vu, je suis allée
chez vous, dans une autre vie, qui n'est pas si lointaine. Je me rappelle,
j'étais même accompagnée du député de
Jonquière, qui était avec nous, à l'époque. On était allés
voir, puis c'est vrai, vous êtes vraiment, en
tout cas, en avance sur bien
des stations de radio, disons-le, mais on voyait que, technologiquement
parlant, vous étiez formidables.
Je
reviens sur l'idée de la taxation. Ce matin, j'ai présenté un tableau comme
celui-ci, où on exprime qu'il y a près de
120 millions de dollars minimum qu'on peut aller chercher et pour la
culture et pour les communications. Et il
ne faut pas être à la remorque du gouvernement fédéral pour agir. On peut agir, on doit agir, et il y a
urgence là, et ça, c'est de l'argent
qui dort, actuellement, qui pourrait être investi pour nos médias.
Cela
étant dit, vous parliez, tout à
l'heure, que vous aviez
125 nouveaux élèves à chaque année, une quarantaine de finissants...
Mme Roberge
(Hélène) : ...de finissants, oui, oui.
Mme Melançon : Voilà. Et moi, je veux savoir... Le métier a
changé énormément, là. Depuis 1968, là, vous avez dû vous adapter à
plein de transformations. On a entendu des journalistes indépendants
dire : Bien, parfois, là, ça peut être 50 $ pour un texte de
500 mots. C'est difficile, actuellement. Le taux de placement, chez vous,
il est de combien? Parce que je pense que c'est un haut taux de
placement, mais je veux aussi savoir est-ce que ce sont dans de bons emplois.
Mme Roberge
(Hélène) : Je laisserais répondre Blaise, oui.
M. Gagnon
(Blaise) : Bien, effectivement, le taux de placement est excellent. On
regardait les chiffres de la dernière cohorte
en journalisme, plus de 80 % des étudiants on trouvé un emploi, souvent
même après... en terminant leur stage. C'est souvent le tremplin pour
leur premier emploi, dans le média où ils ont fait leur stage.
Par
contre, effectivement, je l'ai mentionné tantôt, les conditions de travail ne
sont pas toujours... elles n'ont pas beaucoup
évolué, effectivement. On a entendu d'autres présentations hier après-midi,
entre autres, il en était question, et les
piges, par exemple, ce n'est vraiment pas très payant. Les conditions de travail
n'ont pas évolué, pas autant que nous, on
peut suivre la technologie ou les tendances, par exemple. Ça, c'est clair et
net, que les conditions ne sont pas très, très bonnes, et c'est ce qui explique peut-être qu'il y a quand même un fort
roulement dans les médias et ce qui explique un peu aussi ce haut taux
de placement. Parce qu'il y a comme un paradoxe, là, on parle de crise dans les
médias et, en même temps, on se rend compte
que 80 % de nos étudiants trouvent un emploi dans les médias. Ça explique...
Je pense que le fait qu'il y ait un
fort roulement... parce que des jeunes se découragent, des jeunes retournent
aux études, des jeunes trouvent un
emploi en communications mais pas nécessairement dans un média. Ça, on a
beaucoup d'étudiants, de finissants qui se retrouvent en communications, qui... dans l'événementiel, dans des...
Je suis convaincu qu'il y a beaucoup de vos attachés de presse et
d'attachés politiques qui sont d'anciens d'ATM. Je suis convaincu, convaincu.
Mme Melançon :
D'ailleurs, on a entendu des gens venir nous dire : Jamais les
journalistes n'ont été aussi bien formés
qu'ils le sont actuellement. On a plusieurs, plusieurs témoins, là, qui sont
venus nous dire ça. Vous, est-ce que ça vous inquiète, de voir que le gouvernement pourrait mettre en place des
programmes? Et est-ce que vous voyez une corrélation négative avec l'indépendance des journalistes et une
aide étatique?
M. Arseneault
(Éric) : Je peux me risquer
à vous proposer une réponse sur ce terrain-là, encore que la réponse sera
peut-être davantage personnelle qu'au nom de mon institution, mais moi, sincèrement, je reste... Puisque nos journalistes sont effectivement bien formés, puisque, dès le départ, ils sont
sensibilisés aux règles d'éthique et aux règles déontologiques dans une entreprise de presse, ils savent nécessairement
qu'il y aura des contraintes autour d'eux. Mais je suis
convaincu, moi, qu'à partir du moment où ils sont sensibilisés à cette question-là,
le fait que des fonds pourraient venir... ou une contribution financière
pourrait venir de l'État, ils sont capables de faire la part des choses, ils
sont capables de faire la différence.
Et, on voit, il y a certains de nos médias d'information qui, effectivement, profitent de financement étatique, et ça
ne fait pas des artisans, des journalistes qui travaillent pour eux de moins
bons journalistes, au contraire. Moi, j'ai l'impression qu'ils savent où tracer
la ligne, ils savent qu'ils vivent dans un environnement où il y a des
pressions qui viennent de partout. Ça vaut
pour les contributions gouvernementales, mais, pour avoir travaillé pendant des
années dans le secteur privé, je peux vous dire une chose, quelquefois
aussi on était très sensibles puis des fois même très sensibilisés aux pressions qui venaient des annonceurs, donc
des gens qui contribuaient par la publicité. Mais on était aussi, là, capables
de s'adapter puis capables de tracer la
ligne, puis il y a des lignes qu'on ne peut pas franchir. Dans un
certain sens, moi, je ne serais pas inquiet outre mesure par rapport à
ça.
Mme Melançon : Je voudrais vous entendre au sujet de la mode, je
vais dire ça ainsi, là, qui va sur les chroniqueurs, actuellement. Parce
que, M. Arseneault, vous êtes professeur de journalisme...
M. Arseneault
(Éric) : Et chroniqueur.
Mme Melançon : ...et chroniqueur, je veux vous entendre sur ce
sujet-là. C'est quoi, la ligne? Même pour nous, là, comme élus, parce que ça fait quelques
jours, là, où entend parler de ça... J'aimerais vous entendre sur le sujet.
C'est quoi, la ligne, pour vous, entre un chroniqueur... Est-ce qu'un
chroniqueur est un journaliste? Je vais y aller comme ça.
M. Arseneault
(Éric) : Certains le sont,
certains ne le sont pas. Parce que, dans un certain sens, la limite entre les deux,
c'est que le journaliste strictement journaliste, c'est celui qui traite les
faits. Le chroniqueur, c'est celui qui, à
partir des faits, va proposer une contextualisation, va proposer une opinion,
va proposer une façon de voir les choses, une façon d'interpréter les événements.
Et le journalisme d'opinion est reconnu comme étant une forme de journalisme, à
partir du moment où ce travail-là est fait de la bonne façon, c'est-à-dire que
l'argumentaire qui est développé par le journaliste s'appuie sur des faits qui sont rigoureux, qui sont prouvables. À partir
de ce moment-là, je pense que les chroniqueurs ont tout à fait leur place à l'égard... à
l'intérieur, donc, de ce truc-là. Le
problème, c'est qu'il y a certains de ces chroniqueurs qui, à un certain moment donné, ont pris des
libertés, des latitudes avec cette vérification des faits puis sur le fait d'appuyer ou de baser leurs chroniques sur des faits qui
sont rigoureux. Là, ça ne devient plus de la chronique, là, là ça devient de
l'opinion pure et simple.
M. Gagnon
(Blaise) : De l'opinion personnelle.
La Présidente
(Mme Nichols) : En 30 secondes.
Mme Melançon : Et hier on a entendu Mme Payette. Vous étiez
là, dans la salle, lorsque Mme Payette est venue nous rencontrer.
Vous, sur définir un statut de journaliste professionnel au Québec, vous en
pensez quoi?
M. Arseneault
(Éric) : Si vous avez
deux heures après la commission, ça va me faire plaisir d'en jaser avec vous.
Mme Melançon :
Aïe! Savez-vous quoi? On prendra un café, parce que, oui, je suis très
intéressée sur le sujet.
M. Arseneault
(Éric) : C'est un débat qui
a cours, et je suis conscient, puis vous l'êtes aussi, il n'y a pas d'unanimité
au sein de la profession.
Mme Melançon :
Clairement pas.
M. Arseneault
(Éric) : Il y a
même un clivage générationnel, comme Mme Payette le faisait ressortir
hier, par rapport à tout ça.
On a tous et chacun notre idée là-dessus, mais des fois on aurait le goût qu'il
se fasse un petit peu de ménage là-dedans.
Mme Melançon :
Merci.
La Présidente
(Mme Nichols) : Alors, merci. La parole est à la députée de Taschereau
pour 2 min 30 s.
Mme Dorion :
Merci. Bonjour. Merci d'être là. Je suis curieuse de savoir comment... C'est
superintéressant, ce que vous dites sur les
chroniqueurs, le journalisme... comment on appelle ça, de la chronique
journalistique? Quel mot vous avez donné?
M. Arseneault (Éric) :
Journalisme d'opinion, oui.
Mme Dorion : Journalisme d'opinion. Il y en a du très bon qui
se fait dans le tas et il y en a qui se dit journalisme d'opinion qui
n'est pas... comme vous le dites, qui est sorti de ce qu'était la définition du
journalisme d'opinion et qui, finalement...
c'est juste une opinion personnelle mais qui a une grosse tribune, souvent dans
des médias reconnus comme tels qui font aussi de l'information à côté, ou dans des radios, ou dans toutes sortes de... Ce genre de
chronique, ce genre d'opinion a
explosé en nombre et en proportion, dans les dernières années, avec la fuite
des revenus parce que ça rapportait. On
est pris dans une espèce de situation où on en a besoin parce que c'est ce qui
attire les gens vers notre média, mais c'est un danger parce que ce n'est pas basé sur des faits, c'est... bon.
Comment vous parlez de ça aux jeunes, aux futurs journalistes ou gens de
com? Comment vous leur parlez de ça?
• (10 h 10) •
M. Gagnon (Blaise) : Éric, tu
veux y aller?
M. Arseneault
(Éric) : Bien, avec plaisir.
Dans la mesure où... Moi, je dis toujours à mes étudiants : Si un jour
vous voulez donner dans le journalisme
d'opinion, il faut d'abord que vous ayez été journaliste factuel. Et, à mon
sens, la transition se fait, pour certains, naturellement, pour
d'autres, qui choisissent de demeurer dans le secteur du journalisme factuel,
c'est bien parfait comme ça. Mais la tentation qu'ont les jeunes aujourd'hui,
d'autant plus avec les plateformes qui sont
à leur disposition, c'est qu'ils ont désormais des outils et des moyens de
pouvoir exprimer leurs opinions de façon, j'allais dire, très débridée,
sans aucune forme de recherche, ce qui n'existait pas auparavant. La tentation
est peut-être, aujourd'hui, encore plus grande de passer cette étape-là du
factuel puis de la vérification pour aller directement à l'opinion. Moi, je pense qu'il y a un équilibre à
trouver, peut-être, par
rapport à tout ça. Et, s'il est vrai
que, pour certains médias, les chroniques
d'opinion, que les chroniqueurs on tété une sorte de vaches à lait ou une façon
pour eux, effectivement, de continuer à
maintenir un contenu qui permet également d'avoir du factuel... Tu sais, on est
dans un balancier. Quelquefois, on balance un peu trop d'un bord, puis
trop de l'autre, puis tout est dans l'équilibre.
Mme Dorion : Il me reste 15 secondes. Est-ce que vous
pensez qu'il devrait y avoir une forme d'autorégulation ou de normes décidées par les journalistes eux-mêmes,
de tous types, pour déterminer, faire la différence entre du journalisme
d'opinion et de l'opinion pure et simple?
La Présidente (Mme Nichols) :
En quelques secondes, s'il vous plaît.
M. Arseneault
(Éric) : Ces normes-là
existent déjà. Le Conseil de presse a déjà des règles par rapport à ça. Le truc, c'est qu'il faut les appliquer.
La
Présidente (Mme Nichols) : Merci. Alors, pour poursuivre la période d'échange, j'ai besoin d'un
consentement pour donner la parole au député de Jonquière.
Des voix : ...
La Présidente (Mme Nichols) :
Aïe! Avec enthousiasme, consentement, M. le député de Jonquière.
M. Gaudreault : Merci, merci. Vous me permettrez de dévoiler mon
conflit d'intérêts, Mme
la Présidente, et de saluer des collègues estimés du cégep de Jonquière
et du département d'Art et technologie des médias, dont je fais toujours
partie, étant en congé sans solde et
libération pour charge publique. Alors, merci de votre brillante présentation,
et je sais à quel point vous êtes professionnels dans votre approche.
D'ailleurs, il y a des anciens d'ATM ici, dans la salle, et ça démontre que plusieurs
se rendent à différents paliers de couverture journalistique.
Vous parlez
d'éducation aux médias et vous avez mis le doigt, également, sur l'importance
de préserver l'exclusivité d'ATM au
cégep de Jonquière, comme d'autres programmes exclusifs dans les
régions, d'ailleurs. Depuis plusieurs années, sous divers gouvernements, que ce soit le gouvernement du Parti libéral ou le gouvernement du Parti
québécois, présentement, avec le gouvernement actuel, il
y a un projet d'école nationale des
communications, et on attend toujours l'autorisation pour obtenir le statut d'école nationale. Moi, j'aimerais
savoir, de votre part, qu'est-ce que ça va amener de plus, quelle sera la
plus-value d'un statut d'école nationale, notamment dans cette optique
d'éducation aux médias et de préservation également d'une exclusivité
importante en région.
Mme Roberge
(Hélène) : Bien, certaines
choses, quand même, plusieurs choses. Je commencerais peut-être
avec la possibilité de développer puis de consolider aussi des partenariats que nous avons
déjà, tu sais, autant des partenariats dans nos régions, nationaux, même internationaux, parce qu'on est toujours en
train de se développer, d'essayer de se démarquer puis de travailler
avec d'autres institutions aussi, qui fait qu'on est encore plus forts.
Il y a aussi
la recherche, tout le secteur de la recherche, qu'on souhaite développer parce
qu'on considère qu'on a une très
bonne expertise par rapport à ça, mais les moyens ne nous permettent pas
nécessairement de développer ce volet-là. Ça nous prendrait soit des professeurs-chercheurs
ou des professionnels aussi, chose qui est difficile, actuellement, là, dans
la façon dont on est organisés présentement.
Il y a
aussi de préserver, dans le fond, l'exclusivité. Vous l'avez mentionné, mais il y a beaucoup
de programmes, aussi, qui se
développent un peu au Québec, un peu partout, mais ce n'est pas ATM, là, donc
on veut préserver notre place, préserver
notre expertise, puis on pense que le fait d'avoir un statut particulier
pourrait nous permettre de préserver tout ça, et de continuer à se développer,
puis d'avoir les moyens, surtout, de le faire. Est-ce qu'il y a d'autres
choses? Non, je pense que ça fait pas mal le tour, mais...
M. Gagnon
(Blaise) : Bien, est-ce que je peux ajouter quelque chose?
M. Gaudreault :
Oui.
La Présidente
(Mme Nichols) : Très, très rapidement.
M. Gagnon
(Blaise) : On a plein
d'idées de projets. On parle des ateliers d'éducation aux médias. On veut
développer un volet journalisme des
Premières Nations, c'est très demandé chez les Premières Nations. Donc, ça, à
partir du budget d'opération
régulier, je pense que c'est difficile de pousser ce genre de développement là.
Mais, comme c'est demandé par les Premières Nations, nous, on veut
vraiment être là en formation pour eux.
La
Présidente (Mme Nichols) : Merci. Alors, je suis désolée,
le temps est restreint. La parole est à la députée de Marie-Victorin.
Mme Fournier :
Merci beaucoup. À mon tour de souligner l'excellent travail que vous faites.
C'est vraiment un plaisir de visiter et même de prendre part à des
entrevues avec vos étudiants, tout ça, donc chapeau!
J'ai
deux petites questions pour vous. D'abord, vous nous avez bien dit, vous
préparez les étudiants que vous avez au
cégep aux difficultés qu'ils vont rencontrer sur le marché du travail. Mais
est-ce que vous sentez, depuis quelques années, une augmentation des
craintes, peut-être, chez les étudiants, quant à leur avenir professionnel? Ma
deuxième question, peut-être plus
rapidement : On a parlé d'éducation aux médias, est-ce que, dans ce
contexte-là, vous seriez favorable à l'instauration
d'un cours d'éducation à la citoyenneté au primaire, au secondaire, qui
comprendrait une partie d'éducation aux médias?
M. Arseneault
(Éric) : Je vais me permettre de répondre à votre deuxième question
tout de suite en vous disant oui. Et,
à la première question, oui, effectivement, nos étudiants sont craintifs. Ils
voient, ils entendent parler de la crise que vit le secteur de l'information et, inévitablement, ils se posent
des questions : Est-ce que c'est un domaine dans lequel je vais pouvoir, effectivement, avoir un emploi?
Et moi, j'ai toujours deux réponses à leur faire. Première des choses, comme
on a déjà, je pense, souligné, on n'a jamais
eu autant besoin de journalistes que maintenant, et on a encore davantage
besoin de vous, surtout que vous autres, les jeunes, vous allez
peut-être trouver des solutions que nous autres, les têtes grises comme moi, on n'a pas encore réussi à trouver pour
adapter le modèle. Et, deuxième des choses, on se rend compte que, si
certains secteurs médiatiques sont effectivement touchés de plein fouet par la
crise, on le voit avec la presse écrite, d'autres
secteurs de l'information sont par contre en plein développement, en plein
bourgeonnement. Il y a des producteurs de
contenu qu'on voit apparaître un petit peu partout. Le Web offre des
possibilités extraordinaires. On est encore dans une phase de transformation et de mutation. Et moi, je
dis aux jeunes : Suivez votre coeur. Vous avez la passion, vous voulez
servir votre communauté, votre collectivité? Allez-y.
Des voix :
...
M. Arseneault
(Éric) : Ah! je suis sûr que oui.
La
Présidente (Mme Nichols) : Alors, merci. Le temps étant écoulé,
je vous remercie pour votre contribution aux travaux de la commission.
Et nous allons
suspendre, le temps que notre prochain intervenant puisse s'installer. Merci.
(Suspension de la séance à
10 h 17)
(Reprise à 10 h 20)
La
Présidente (Mme Nichols) : Alors, je souhaite la bienvenue à M. Christian Desîlets, notre
prochain représentant. Je
vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, puis nous
procéderons à la période d'échange. Alors, je vous invite à vous
présenter ainsi que débuter votre exposé.
M. Christian Desîlets
M. Desîlets
(Christian) : Bien, bonjour.
Merci de me recevoir. Mon nom est Christian Desîlets, je suis professeur
de publicité à l'Université Laval et je m'intéresse particulièrement
à l'impact du numérique sur les pratiques médiatiques.
Je
m'adresse à vous aujourd'hui en tant qu'expert de la communication marketing.
On vous a exposé en long et en large, toute la semaine, l'impact qu'a eu le
numérique sur les médias d'information. On a entendu dire et répéter que le
nouveau modèle d'affaires dans le monde
numérique n'existe pas encore, qu'on le cherche et que, si ça existait, on le
saurait. C'est inexact. Vous avez
reçu, cette semaine, des représentants de quelques médias qui ont développé des
modèles bien adaptés.
Au coeur des
modèles réussis, il y a habituellement trois grands principes que les médias
disparus ou en voie de disparition
n'ont pas acceptés, ou pas adoptés à fond, ou pris du retard à appliquer. Un,
c'est la vision du client qui doit être au centre de toutes les préoccupations. Les médias qui peinent à
survivre ont de la difficulté parce qu'ils ont mis, au coeur de leur modèle d'affaires, leur vision personnelle
de ce qu'est une information de qualité, et tant pis pour ceux qui ne sont
pas d'accord avec eux. Il y aurait beaucoup
à dire sur les conséquences néfastes de cette approche, mais les chiffres
parlent par eux-mêmes.
Tout au long
de vos travaux de cette semaine, j'ai abondamment entendu l'opinion que les
représentants des médias se font de
la qualité et de l'importance, très réelle d'ailleurs, de leur travail. Je n'ai
pas entendu l'opinion du public. Ça doit aller plus loin que les chiffres de
circulation et le niveau de confiance. Dans le cas des journaux, il est
peut-être plus important encore de savoir non seulement combien de
titres sont lus chaque jour et dans quelles catégories et de savoir combien de gens ne lisent que les titres et pas
les articles, mais il faut aussi, pour être au niveau des pratiques les plus
avancées, être capable de dresser le profil d'usage et d'intérêt de
chaque personne. Ça va plus loin que la segmentation.
Les autres médias ont des préoccupations
similaires. Demandez aux artisans de la radio s'ils sont satisfaits de la méthodologie des sondages qui déterminent leurs
parts d'écoute et leurs parts de maché. Alors, je pense que, dans le domaine de
la mesure de la consommation réelle des médias d'information, nombreux sont les
médias d'information qui accepteraient de l'aide pour développer nos
connaissances et nos outils.
Deuxième
principe, c'est la donnée qui est désormais la ressource la plus précieuse des
organisations. C'est sur le terrain
des données que toutes les grandes batailles se jouent et se perdent. La capacité
de collecter, de traiter, de valoriser un
nombre toujours plus grand de données est ce qui permet d'accroître son
intelligence d'affaires et de proposer des contenus toujours mieux
ciblés, donc plus pertinents et plus satisfaisants pour son auditoire.
Trois, pour
réussir dans le monde numérique, il ne suffit pas de bricoler l'ancien modèle
de gouvernance, il faut le changer
complètement ou carrément partir, créer une nouvelle organisation. Alors, pour
réussir, il faut des organisations déstructurées,
plus souples, plus réactives, plus agiles, plus innovantes, qui favorisent
l'expérimentation et la collaboration et qui aident le personnel à
acquérir de nouvelles compétences et qui les récompensent en conséquence.
L'Internet
n'est pas un univers fait pour les vases clos, il est fait pour la
collaboration, pour l'insertion des acteurs dans des modes de travail et de décision beaucoup plus ouverts et pour
la mise en commun des ressources. D'autre part, le concept, là, de virage numérique est trompeur, il conduit à penser
qu'une fois ce virage réalisé les efforts d'adaptation sont terminés. Ceux qui vous ont dit ici avoir déjà
accompli et réussi leur virage numérique n'ont pas bien compris dans quel
monde ils vivent et ils s'imaginent qu'une
fois le premier virage négocié ils peuvent se mettre sur le pilote automatique
ou, pire, se stationner au milieu de
l'autoroute. La réalité va les frapper plus rapidement qu'ils ne le pensent, et
non seulement on doit s'attendre à ce
qu'une récession pointe son nez, mais on doit s'attendre aussi à ce que
l'évolution des technologies de
l'information continue à se faire et à s'accélérer. Dans mon mémoire, je vous
ai donné un aperçu de ce que sera l'écosystème médiatique d'ici 10 ans si la tendance se maintient. Eh bien, les sites
Web et les médias sociaux ne seront plus dominants, ça va être autre
chose.
Alors, j'ai brossé jusqu'ici un portrait de
l'univers des médias d'information en fonction des problèmes de l'ancien monde
à s'adapter au nouveau. Mais, sans être professeur de journalisme, je travaille
au sein d'un département de l'Université Laval qui me permet de côtoyer des
professeurs et surtout de jeunes étudiants en journalisme, qui sont passionnés et qui ont le feu dans les yeux. Pour
eux comme pour mes étudiants et mes collègues en publicité mais aussi comme pour bien d'autres professionnels en
exercice, l'avenir n'est pas nécessairement sombre, il est même enthousiasmant pour plusieurs
d'entre eux.
Alors, si le gouvernement en vient à la conclusion qu'il peut et doit aider tous les médias d'information, ceux qui veulent réussir leur transformation numérique mais aussi ceux
qui l'ont réussie jusqu'ici, je pense
qu'il devrait ajouter à son bouquet
de mesures la création et le financement d'une structure de concertation et
d'innovation. Le gouvernement du Québec
ne serait pas le premier à créer des politiques de soutien à l'innovation
ciblant spécifiquement les médias d'information.
En complément
à mon mémoire, je peux déposer à la commission, si elle le souhaite, un tableau
portant sur les politiques d'innovation industrielle de 16 pays
européens et qui permet de constater que sept d'entre eux ont adopté de telles
politiques ciblant spécifiquement les médias d'information : l'Autriche,
le Danemark, la Finlande, la France, l'Italie,
les Pays-Bas et la Suisse. L'étude n'est pas exhaustive. On pourrait rajouter
le Royaume-Uni, par exemple. J'ajoute que
les Pays-Bas ont créé une structure semblable financée à hauteur de
5 millions d'euros par année. J'ai signalé aussi, dans mon mémoire, l'existence de toutes sortes
d'initiatives à travers le monde qu'une structure comme celle que je propose
pourrait étudier et aider à mettre en oeuvre ici. Je citerai le cas d'une régie
publicitaire commune, qui a été évoquée devant
vous et à propos de laquelle on vous a parlé des avantages que ça pourrait
procurer. Mais on a déjà l'exemple, en Grande-Bretagne,
de journaux concurrents — le Sun, le Times, le Daily Telegraph, le Guardian — qui se sont déjà regroupés pour se
doter d'une régie publicitaire commune. J'ai cité, dans mon mémoire, bien
d'autres exemples d'initiatives qui mériteraient
réflexion, comme une plateforme d'accès à l'ensemble des médias d'information
québécois avec une formule d'abonnement.
Ce n'est pas irréaliste. Apple New donne déjà l'accès complet au Wall Street
Journal, au Los Angeles Timeset à plus de
200 magazines pour 9,99 $ par mois.
À propos de
l'idée de l'aide que Radio-Canada ou Télé-Québec pourrait jouer afin d'aider la
relève et de couvrir l'information
régionale là où il en manque, je vous citerai l'initiative de la BBC, en
Grande-Bretagne, qui, en concertation avec 100 médias locaux et avec un budget de
8 millions par année, paie 135 journalistes en région pour produire de la
nouvelle hyperlocale, incluant la couverture des assemblées municipales.
En 2018, 54 000 nouvelles ont été ainsi produites et partagées par la BBC avec tous ses partenaires
externes. Ensemble, ils ont même créé un service partagé de données d'enquête.
Ce service, qui dessert actuellement
l'Angleterre, l'Écosse et le pays de Galles, va s'étendre, l'année prochaine, à
l'Irlande. Les services publics de
nouvelles de la Nouvelle-Zélande, de la Suède, du Canada, du Japon et de la
Norvège s'intéressent déjà à ce type d'initiative et sont en contact
avec la BBC.
Comme toutes les organisations engagées de gré
ou de force dans la transformation numérique, les médias d'information sont et seront, pour survivre, de
plus en plus appelés à être en phase permanente d'expérimentation, ne serait-ce
que pour arriver à rejoindre leur public,
dont les habitudes de consultation des nouvelles évoluent en fonction de
l'évolution des TI. Or, ça exige d'investir des sommes importantes en
recherche et développement et d'avoir accès à un ensemble d'expertises pour arriver à identifier et mettre
en place les solutions adaptées qui seront viables et rentables. Les variables
sont nombreuses. Comment évaluer le potentiel des innovations en fonction de
facteurs clés comme le temps épargné, la productivité, les coûts de développement ou d'acquisition, les coûts
d'entretien des nouveaux systèmes, les projections de leur rentabilisation, la formation continue pour
le personnel, et ainsi de suite? La liste est longue. C'est pourquoi les coûts
d'entrée dans l'innovation sont si
prohibitifs, sauf pour les très grands réseaux. On peut comprendre que cette
voie effraie même les organisations qui en auraient les moyens. Il est
pourtant indispensable de s'y engager.
• (10 h 30) •
En terminant, la transformation numérique est
déjà un défi d'importance pour les entreprises nationales et les
multinationales, dont la clientèle et les revenus sont à l'échelle des grands
marchés où ils évoluent. Pour que le Québec réussisse
à tirer son épingle du jeu et maintienne une information de qualité, diverse,
neutre et indépendante sans dépendre des grands distributeurs d'information qui
se livrent une guerre féroce entre eux, il faut commencer à jouer en équipe. Il faut mettre en commun nos ressources, de même il faut que les intérêts corporatifs
soient guidés par la compréhension des comportements,
besoins et contraintes des citoyens. Il faut créer des équipes multidisciplinaires
et mixtes, composées de chercheurs et
de gens du milieu de l'information et de la recherche universitaire, qui se mettront
à la recherche de solutions réalistes,
adaptées aux besoins et demandes des différents types de médias d'information ainsi qu'aux réalités nationales et locales. Par son financement, et je termine, le gouvernement du Québec peut jouer un rôle structurant. Je vous remercie.
La
Présidente (Mme Nichols) : Alors, c'est nous qui vous remercions pour votre exposé. Nous allons
débuter la période d'échange, et je cède la parole au député de Sainte-Rose.
Non?
M. Skeete : Non, c'était le
collègue de Beauce-Sud qui est en premier.
La
Présidente (Mme Nichols) : Moi, j'allais dans la façon que vous levez la main, mais le député
de Beauce-Sud, s'il veut parler en premier, je n'ai
aucun problème.
M. Poulin : Merci
beaucoup, M. Desîlets. Merci pour votre mémoire. Merci de nous amener
ailleurs, dans le cadre de cette commission, concernant les revenus
publicitaires et les outils qu'on peut mettre en place.
Vous avez
parlé d'une plateforme commune où on pourrait consommer tous les journaux
québécois. Je pense entre autres à
Press Reader, qui existe aussi, qui est situé du côté de Vancouver, dont
certains journaux québécois sont déjà dessus, mais c'est autour d'une quarantaine de dollars par mois. Est-ce que vous
sentiriez un appétit, de la part des patrons de presse ou même des
agences publicitaires, d'avoir cette plateforme-là?
M. Desîlets
(Christian) : D'abord, il faut vérifier l'appétit du consommateur. Je
vois qu'il y a beaucoup d'exils, hein,
au Québec, là. Il y a des exilés du Lac-Saint-Jean à Montréal, par exemple,
est-ce qu'ils seraient intéressés à continuer à avoir des nouvelles de leur région d'origine? On peut spontanément
dire oui, mais, un, ça se vérifie, première des choses. Deuxièmement,
bon, il faut s'attendre à une baisse des revenus publicitaires encore, là, ce
n'est pas fini, là. Mais il va encore y en
avoir, des revenus publicitaires, et on sous-estime beaucoup d'arguments utiles
pour vendre de la publicité dans les médias d'information.
L'un des grands problèmes qui agitent
l'industrie de la publicité en ce moment, c'est la fraude aux placements électroniques. On estime que la fraude peut aller
jusqu'à 20 % et 50 %. Et, il y a un an, la multinationale
Procter & Gamble a
complètement arrêté sa publicité dans tous les médias numériques, en sommant
ces agences de régler ce problème faramineux. Pensez-y, 20 % à 50 % de leur argent publicitaire qui est jeté
à l'eau à cause de la fraude. Alors, cette fraude, l'industrie n'en parlera pas, là. Je veux dire, l'industrie s'y
préparait depuis de nombreuses années, il y a des solutions à ce type de
fraude, mais ça demande d'adopter des
bonnes pratiques en placement média, et c'est coûteux, c'est long et ce n'est
pas tout le monde qui est prêt à le faire. Mais donc ça, c'est un gros
scandale qui agite l'industrie de la publicité.
Qu'est-ce que les médias d'information ont à
offrir d'intéressant? D'abord, ils vont offrir l'accès plus facile à l'ensemble
des médias, par exemple. Mais aussi une régie semblable devrait
encourager les médias à améliorer leurs données sur leur lectorat, les habitudes de consommation, puis c'est ce qui
intéresse les publicitaires. On n'est plus à l'ère de la segmentation, là. Ce qui nous intéresse, c'est
savoir ce que vous, vous et vous lisez, ne lisez pas, quand, où, pourquoi, en
plus de toutes les données
sociodémographiques habituelles, pour arriver à vous faire des offres les plus
précises et pertinentes possible.
Un autre
problème qu'on a, dans l'industrie publicitaire, qui agite beaucoup
les annonceurs en ce moment, c'est le
danger que les annonces soient placées automatiquement
dans des pages de contenus scandaleux et alors subir, après ça, un boycott de la part de la population alors
qu'ils ne savaient même pas que leur publicité allait se loger là-dessus. Les
médias d'information
sont capables d'offrir du placement dans du contenu sécuritaire, ça vaut de
l'or en ce moment. Alors, il y a beaucoup
d'arguments à mettre en place pour faire valoir la publicité, l'intérêt de la
publicité dans les médias d'information mais aussi de l'aide à donner aux médias d'information pour être en
mesure de faire valoir la qualité de cette offre. C'est la qualité de
l'offre des médias d'information, la qualité du public qui va attirer les
annonceurs.
M. Poulin : Merci beaucoup.
Merci.
La Présidente (Mme Nichols) :
Alors, c'est le moment de céder la parole au député de Sainte-Rose.
M. Skeete :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. C'est drôle que... d'emblée, vous avez parlé
de quelque chose qui m'a vraiment
saisi, puis le mot qui m'est venu en tête, c'était un peu «déconnectés», c'est
que les... comme si les gestionnaires de
presse s'étaient un peu bornés dans un modèle qui ne suffit plus puis ils n'écoutent
pas vraiment ce que les clients, ce que les lecteurs, ce que les...
Est-ce que j'ai bien saisi un peu ce que vous vouliez dire?
M. Desîlets
(Christian) : Bien, effectivement, c'est ce que je dis, c'est...
surtout aujourd'hui, là. Moi, je viens d'une école de... enfin, de l'école de la communication marketing, là, tout
doit être pensé en fonction du client. Si vous bâtissez votre modèle d'affaires en vous disant : Je
vais faire l'information de la meilleure qualité possible en fonction de ce que
vous déterminez qui est de l'information de
qualité, vous supposez que cet idéal type là va être partagé par tout le monde,
mais, si vous demandez aux gens :
Qu'est-ce qu'une information de qualité?, puis, si vous demandez aux
gens : Êtes-vous satisfaits de
la qualité de l'information que vous avez dans les médias que vous avez?, vous
n'aurez peut-être pas la même réponse. Alors, si vous voulez survivre
dans le monde aujourd'hui, il faut toujours placer... il faut se... c'est un
exercice excessivement difficile, là, c'est
placer la perspective du client, d'abord et avant tout, avant la vôtre. Parce
que le monde est plein de produits de
très bonne qualité. Sur le plan objectif, là, il y a des produits de qualité
très supérieure qui ne se vendent pas, et les entreprises font faillite
parce que la perception de la qualité n'est pas la même, du point de vue du
consommateur.
M. Skeete :
Comble de l'ironie, je soumets à mes collègues... Aujourd'hui, dans Le Devoir,
section Entrevues, on fait une
entrevue avec le renommé M. Mintzberg, et je le cite : «Il ne
comprend pas pourquoi tant de dirigeants d'entreprises soient [...] "déconnectés" de leurs
clients, de leurs employés et de la nature profonde de leur organisation et
qu'à l'inverse, ceux qui ont le
talent de tisser [les] liens avec le terrain...» Alors, je pense — puis ça, c'est dans Le Devoir
d'aujourd'hui, collègues — que vous mettez exactement la table à la
bonne place pour aussi comprendre pourquoi les clients délaissent nos
médias et qu'est-ce qu'on peut faire aussi pour les ramener. Merci beaucoup,
j'apprécie.
La Présidente (Mme Nichols) :
Alors, la parole est au député de Saint-Jérôme, qui sera suivi de Saint-Jean.
M. Chassin : Oui. Je vais continuer, M. Desîlets, avec ce
que mon collègue de Sainte-Rose a amorcé déjà. Vous parlez de trois principes de modèles d'affaires,
j'ai trouvé ça très intéressant. Et en même temps je demeure convaincu que
ces principes-là englobent différents modèles d'affaires et qu'il n'y en a pas
qu'un seul qui fonctionne à tous coups. Alors,
vous avez effectivement critiqué le réflexe de dire : On n'a peut-être pas
encore trouvé le bon modèle d'affaires, parce qu'il y a au moins des
principes qu'on peut reconnaître. En même temps, j'ai envie de vous poser la
question plus précise, parce que c'est un
peu ce qui faisait l'objet des discussions ici, à la commission : S'il y a
une aide publique, est-ce que cette
aide publique doit être conditionnelle à l'adoption d'un modèle d'affaires
pérein, par exemple? Et, si c'est le cas, est-ce que ça signifierait que
l'État devrait, selon vous, imposer un certain modèle d'affaires?
M. Desîlets (Christian) : La
réponse est non, on ne peut pas imposer un modèle d'affaires. Chaque média doit
trouver son propre modèle parce qu'il vit dans un écosystème qui est le sien,
avec une concurrence ou une absence de concurrence.
Donc, il n'y a pas un modèle, chacun doit trouver son modèle. Mais, comme je
vous dis, là — vous
avez très bien résumé — il y a des principes qu'il faut respecter,
et, quand on ne retrouve pas ces principes-là, on peut déjà annoncer que ça va être un échec. Je veux dire, la
transformation numérique, là... Si vous entrez dans une organisation puis vous
allez... vous vous posez la question : Est-ce qu'ils ont été capables de
se transformer, là, faire cette transformation numérique?, la première chose à regarder, là, c'est
l'organigramme puis la structure de gouvernance. Juste là, vous êtes capable de
dire «oh! échec» ou «ça va
marcher», point à la ligne, c'est tout. Si la structure de gouvernance, elle
est archaïque, vous perdez votre
temps, tu sais. Il faut commencer par la tête, hein? On dit souvent : Le
poisson pourrit par la tête, là, et c'est à la tête qu'il faut
commencer.
M. Chassin :
Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Nichols) :
Alors, M. le député de Saint-Jean.
• (10 h 40) •
M. Lemieux :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. J'avais exactement la même question que mon
camarade de Saint-Jérôme, mais lui, c'est un économiste, moi, je suis un
journaliste. Alors, c'est la même question, mais au lieu de vous demander si ça devrait être conditionnel...
on parle d'une aide éventuelle... si ça devrait être conditionnel au modèle
d'affaires, moi, c'est conditionnel, entre
guillemets — le mot
«condition» est un peu sévère, là — à ce qu'on a... à ce sur quoi on s'est buté dans nos conversations hier, le
statut de journaliste, et je vais l'éliminer de la conversation pour
parler — et
c'est vous qui le
faites aussi dans votre mémoire — des entreprises de presse, un peu comme le
gouvernement fédéral a fait. Même si on n'a pas encore le fin mot de l'histoire,
le gouvernement fédéral va donner des crédits d'impôt, et il y a eu un comité qui, pendant huit mois, a essayé de trouver
le secret de la Caramilk, essentiellement, là, c'est-à-dire, à qui on peut,
devrait, faudrait donner.
Vous,
dans votre mémoire, vous dites : «...quel type d'information est
suffisamment d'intérêt public pour mériter l'aide publique et comment faire pour éviter que l'aide ne soit
détournée au profit de secteurs qui n'en ont pas besoin...» Et vous allez plus loin, vous dites : «...doit-on
aider la presse sportive, d'opinion, d'arts et spectacles; devrait-on se
limiter à subventionner l'embauche de
journalistes...» Bref, vous ne répondez pas à la question, mais vous la posez,
on devine votre réponse.
Expliquez-moi un petit peu cette réponse-là. Parce qu'effectivement le statut de journaliste, c'est la quadrature du
cercle, là. L'industrie... En tout cas, les
journalistes n'y sont pas arrivés, puis ça fait 40 ans, à ma connaissance,
qu'ils en parlent. Mais il va peut-être falloir que nous, comme le
fédéral, on arrive à un carrefour, là.
M. Desîlets
(Christian) : Oui. Bien, non, c'est un exercice d'humilité,
c'est-à-dire que j'ai précisé, au début de mon mémoire, toutes les réponses auxquelles je ne répondrai pas, hein?
Toutes les questions auxquelles je ne répondrai pas, je les ai faites, et pour bien, aussi, faire
entendre que je comprends la difficulté des réflexions que vous devez mener et
puis la difficulté de livrer les réponses
que vous livrerez, là. C'est excessivement difficile. Donc, c'est des
questions... j'ai dit ça, ce ne sont pas des questions de mes
compétences, mais je suis conscient de ces enjeux-là.
Cependant,
de l'ensemble de ces enjeux que j'ai soulevés, là, j'ai retenu un certain
nombre de principes que j'ai essayé
d'appliquer dans ma réponse, c'est-à-dire qu'au fond je me disais : Si je
veux être utile à la réflexion — après ça, évidemment, vous faites ce que vous en voulez — il faut que j'arrive avec... je ne suis pas
arrivé avec 12 solutions, je n'ai pas
fait une proposition, pour contribuer à la solution, qui respectait, je pense,
les enjeux d'équité, de neutralité. Quand je parle d'une structure de concertation et de recherche, là, c'est donc
une structure dans laquelle les parties prenantes sont présentes, là : les gens de l'université, des
gens du gouvernement puis des gens de l'industrie, même des représentants des
journalistes, bons, qui vont s'assurer que ce qui va être fait va être utile,
pertinent, équitable. Ensuite de ça, il y a des critères d'objectivité de ces types de structure qui font en sorte qu'on
va vérifier la validité scientifique de ce qui va être proposé puis qu'on va arriver avec des solutions
rapidement et qui sont réalistes. Mais, non, l'ensemble des questions que
j'ai posées, voyez ça plutôt que... venant
de ma part, je vous titillais, je vous disais : Oh que je suis content de
ne pas être dans vos souliers.
M. Lemieux :
Laissez-moi tout de même m'y prendre autrement pour essayer d'arriver là où
j'ai besoin de vous entendre. D'abord, je suis un peu... pas un peu, je
suis beaucoup d'accord avec vous qu'on est condamnés au «R&D» permanent, à quelque part, là. Ça va trop vite, on
s'est fait dépasser par les Airbnb puis les Uber. Vous allez me dire que ça
n'a rien à voir, mais ça a tout à voir,
quand on y pense, parce que les médias sociaux, c'est un peu ça. Donc, ça,
c'est... on est condamnés à ça. Il faut vivre avec puis il faut
s'organiser pour être capables de suivre, bon.
En
passant, vous avez dit quelque chose, tout à l'heure, au sujet des médias, puis
j'avais pris une... ah oui. Il y a un illustre
inconnu, un grand journaliste, cependant, qui a dit qu'on avait les médias
qu'on mérite. Je voudrais savoir, en passant, si vous êtes d'accord avec
ça.
Mais,
pour en revenir au «R&D», on s'est fait dire qu'on avait une couple de
générations qui étaient probablement la
capacité qu'on avait de garder notre modèle parce qu'il allait nous péter dans
les mains, pour le dire comme ça, parce que les générations qui s'en
viennent, ils ne veulent rien savoir de ce qu'on avait à leur offrir. Vous le
voyez comment, ce tsunami-là, vous? Vous
avez dit tout à l'heure : Ça ne peut plus durer, il faut absolument qu'on
se regroupe. Et, vous allez voir, ma question fait le tour. Parce
qu'hier Radio-Canada parlait de collaborer, et j'ai été très fier d'entendre
Radio-Canada dire : Il est fini, le temps où on travaillait les uns contre
les autres, en compétition, il faut qu'on travaille ensemble si on veut survivre contre les autres. Mais il y en a un, Armageddon,
là, il y a en un, tsunami qui nous attend, là.
M. Desîlets
(Christian) : Oui, oui, on a les médias qu'on mérite, dans la mesure
où, si, ces médias, on les laisse disparaître
puis qu'on n'a pas fait de pressions pour les maintenir, bien, vivez avec, là.
Je comprends que la population doit aussi avoir son mot à dire.
Le
tsunami, bien, ce que je vous ai expliqué, c'est que, là, on est frappés par la
vague Internet, là, qui a commencé... qui
a pris 30 ans, là, à monter puis à faire les dégâts qu'on connaît, là, 30
ans, là. Puis ce n'est pas nouveau, là, les médias d'information ont toujours évolué à la vitesse des
technologies de l'information. Je veux dire, l'imprimerie est arrivée, donc
la presse, après ça la radio, après ça la
télé, puis après ça les médias numériques, puis à chaque fois la transition est
plus courte. Alors, la dernière
transition, elle a mis 30 ans, puis, malgré tout, il y a des médias qui
ont disparu parce qu'ils n'ont pas vu
la vague venir. Là, ce qui s'en vient, on parle d'un tsunami parce que ça va
prendre 10 ans, là. Les nouveaux systèmes qui se mettent en place, là, dans 10 ans, ils vont être vraiment à
un niveau suffisamment... de performance, là, pour dominer le marché, là, 10
ans. Alors, si on n'a pas été capables de s'adapter en 30 ans, imaginez
les 10 ans qui s'en viennent. L'avenir n'est pas écrit, là, mais, si vous regardez les dizaines de milliards de
dollars qui sont mis dans ces systèmes chaque année, ceux qui les développent
puis qui ont les moyens de les développer y croient, là, alors il faut
s'attendre à ce que, dans 10 ans, là,
c'est un autre univers, là, de ces... La publicité sur les médias sociaux, là,
ça n'excitera plus personne, là, dans 10 ans, ce n'est plus les
médias sociaux qui vont dominer.
La Présidente
(Mme Nichols) : En une minute.
M. Lemieux :
Il me reste moins d'une minute... Oui, je le veux, votre tableau, en passant.
Vous avez dit que... Moi, je le veux, en tout cas.
M. Desîlets
(Christian) : D'accord.
M. Lemieux : Ça va-tu marcher, la BBC, avec son hyperlocal?
Parce qu'essentiellement, sans le nommer, sans même le savoir, en toute humilité, là, hier, quand on
s'est fait... puis, depuis le début de la semaine, quand on parlait de Télé-Québec,
plateforme, na, na, là, bien, c'est quelque chose comme ça, moi, que je pressentais... pas qu'il faut faire, mais qui
était une avenue. Là, vous me dites que ça existe puis que ça marche.
M. Desîlets
(Christian) : Oui, oui,
regardez, l'innovation, là... le Québec peut être une terre d'innovation.
On se vante toujours d'être très créatifs, là, mais on peut être très
créatifs, y compris dans le domaine des médias, si on veut le faire. Si on comprend minimalement, là, dans
quel univers on est, là, c'est quoi, l'univers des médias numériques, là,
rapidement, là, les solutions inventées par les autres, là, on va les avoir,
nous autres aussi, puis on va en inventer des nouvelles.
Alors, je ne suis pas surpris que vous y ayez pensé. Puis, moi aussi, quand
j'ai écrit mon mémoire, des fois j'avais des idées, puis je vérifiais, puis... ah! ça a déjà été
pensé. Donc, oui, on peut imiter les autres mais on peut se faire imiter,
si on veut, aussi.
La
Présidente (Mme Nichols) : Merci. Je pense qu'il y a un intérêt, là, par l'ensemble des députés... par votre
tableau, que nous pourrions mettre en
annexe à votre mémoire si vous le faites parvenir à la secrétaire de la commission,
donc il sera accessible pour tout le monde.
Nous poursuivons la période d'échange avec Mme
la députée de Verdun.
Mme Melançon : Bonjour, M. Desîlets. Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui. Et il est vrai que vous nous faites
réfléchir. On est ailleurs, là, avec vous aujourd'hui, puis c'était nécessaire.
Moi, je veux
vous réentendre sur la fraude. Je sais qu'il y a eu beaucoup,
beaucoup d'articles, hein, qui ont été écrits sur la fraude, et on parle... jusqu'à 7 milliards de dollars en fraude, là, en tout cas, dans différents
articles que j'ai pu regarder. Les agences de pub ne le disent pas aux
clients, ça.
M. Desîlets
(Christian) : Bien, on ne se
tire pas dans le pied. C'est connu, c'est su, et l'IAB a déjà,
depuis plusieurs années, mis en place un protocole des meilleures
pratiques, des mesures à prendre pour limiter le risque de fraude, mais
c'est quand même complexe. Donc, il faut savoir aussi que les enchères, maintenant,
sont automatisées.
Mme Melançon : Je veux juste
vous arrêter. L'IAB, c'est quoi, pour le commun des mortels?
M. Desîlets (Christian) : Interactive Advertising Bureau. C'est une organisation internationale — il y en a un ici, au Canada — puis
qui étudie l'industrie de la publicité numérique et fait des recommandations. Alors, ça, je peux vous dire, à titre de professeur, là, j'ai vu, deux ans avant que ça sorte
publiquement, des rapports de l'IAB expliquant à quel point la fraude était importante et ce qu'il
faudrait mettre en place. Mais ça n'a jamais été révélé
publiquement, là, il a fallu que le scandale sorte pour que, là, on
dise : Oui, mais on prend des mesures ou il y a des moyens. Donc, bon, la
fraude est énorme, là. Maintenant,
il n'y a pas que les agences, c'est-à-dire que, par sa nature même, le placement numérique,
là, ça devrait être pris en charge par les organisations. Le gouvernement
devrait faire son propre placement numérique. Du placement numérique, ça demande... il faut que ça soit des gens qui s'en
occupent constamment, tous les jours. Nos agences ne font pas ça.
Alors, il y a beaucoup,
maintenant, d'entreprises, des assureurs, par exemple, compagnies
d'assurance, qui font leurs propres
placements en médias puis ils sont, eux aussi, victimes de cette fraude-là.
Donc, il n'y a pas que les agences. C'est
la nature même de la bête numérique de favoriser des fraudes massives. C'est ça,
le numérique. Vous vous intéressez à
la fraude, vous le savez, les GAFAM, c'est les champions internationaux de
l'évasion fiscale. Ils ont de l'argent, mais c'est incroyable, puis ils ne paient pas beaucoup d'impôt. Alors, ils
savent comment jouer avec ça, et les fraudeurs, c'est la même chose.
C'est très
difficile à empêcher, mais il y a des pratiques qui existent. Puis, encore une fois, bien, les médias d'information
peuvent offrir un environnement sécuritaire. Alors, je vous le redis, là, si
vous regardez les débats qui agitent en ce moment l'industrie de la publicité,
là, l'environnement sécuritaire est une préoccupation majeure — puis,
quand je dis «l'industrie publicitaire»,
j'inclus, bien sûr, les annonceurs — ils ont peur. Donc, vous avez des avantages
à faire valoir, puis une industrie
qui se réunirait puis qui développerait un meilleur système de collecte, de
traitement de données pourrait faire beaucoup.
• (10 h 50) •
Mme Melançon :
L'unité mixte de recherche dont vous parlez va servir, bien sûr, à nous
projeter dans le temps, parce que,
vous l'avez dit, là... puis là je vais paraphraser, là, mais vous dites :
On n'a pas encore fini de digérer Internet, là, il y a pour plein de gens, là, que c'est encore une bibite, on ne sait
pas par où la prendre. Dites-moi comment vous voyez cette unité-là.
M. Desîlets
(Christian) : Bien, il ne
faut pas avoir peur, là, des gros mots. Unité mixte de recherche, comme je dis,
c'est une structure de partenariat entre l'université, qui fournit l'accès à ses chercheurs de tous les
domaines, le gouvernement — je pense que le gouvernement a sa part à jouer, notamment en financement, mais, à titre de partenaire financier, il aurait sa place au sein d'une unité mixte de recherche — et
puis des représentants de l'industrie, puis on pourrait inclure aussi des représentants du public. Puis vous faites des conseils d'administration, des
nominations, vous êtes habitués à ce type de processus.
Donc, vous avez un conseil
d'administration, si vous voulez,
avec ces représentants-là qui vont veiller à ce que viennent à
cette unité mixte de recherche des propositions, des demandes de recherche, de formation.
Ils peuvent aussi proposer des projets d'innovation. Tous ces projets-là sont
validés par un comité scientifique sur lequel siègent des scientifiques qui vont vérifier si le projet est utile, pertinent. Ensuite, on peut
soit créer des équipes de recherche, soit lancer des appels d'offres
pour faire ces recherches-là.
Unité mixte
de recherche, là, ça se rend jusqu'à
ce qu'on appelle la preuve de concept, c'est-à-dire que, si on dit, par exemple : On veut une plateforme, on veut
une régie, puis, bon, pouvez-nous dire si c'est faisable?, puis que la réponse
est oui, puis après ça : Quel devrait
être le devis?, on peut aller jusqu'au devis avec la certitude que, si on fait
ce devis-là, ça va marcher. Mais,
après ça, la réalisation, ça relève d'autres personnes, vous comprenez? Et ça a
un rôle, aussi, structurant. Pourquoi? Alors, voulez-vous un scoop? Il y
a une équipe de recherche en journalisme qui est en train de se mettre sur place, et qui a convaincu un professeur de
l'Université Laval en intelligence artificielle de s'intéresser à l'usage qu'on
pourrait faire de l'intelligence
artificielle dans les salles de nouvelles, et il a l'intention de mettre
là-dessus tous ses étudiants en intelligence
artificielle. Je ne sais pas si vous réalisez, là, mais les gens en
intelligence artificielle, là, il n'en pleut pas, on n'en a pas assez, puis ils se font arracher. Puis
là vous avez un professeur puis ses étudiants qui disent : Oui, nous, on a
une conscience sociale, ça nous intéresse, ça, de voir comment on peut
aider le monde du journalisme à intégrer et exploiter l'intelligence artificielle. Bon, bien, qu'est-ce qui va arriver là? Il
faut, après ça, qu'ils demandent des subventions. Bien, je vous le dis, là, à part les «fake news», là, la
désinformation, le journalisme, là, ne fait absolument pas partie des priorités
des grands instituts de recherche. FRQSC,
CRSH, ce n'est pas leur priorité. Mais, avec une unité mixte de recherche, si
un chercheur ou une équipe de
recherche avec des experts et un bon projet se présente puis dit : Nous,
là, on a un projet, là, pour
l'intelligence artificielle et les salles de nouvelles, comment on peut
exploiter ça?, et qui serait capable de dire : On a des partenaires, des partenaires de l'industrie
puis des partenaires financiers qui se sont déjà investis dans le projet, là
leur chance d'obtenir du financement,
là, vient d'être multipliée, là. Alors, ça aussi, ça a un effet structurant,
donc, être capable d'aller chercher
de l'argent, aussi, ailleurs. Le défi qu'ils vont avoir, là, c'est d'arriver à
faire de la recherche, à produire des résultats,
pas dans 10 ans, puis, pour ça, ça prend des fonds. Alors, c'est ça
dont il est... ça fait partie des choses qui pourraient être faites par
une...
Mme Melançon : J'ai deux
petites questions rapides, puis après ça je veux laisser la parole à mes
collègues.
La Présidente (Mme Nichols) :
En 2 min 45 s.
Mme Melançon :
O.K. Une unité comme celui-là, est-ce qu'à votre connaissance il y en a
d'autres ailleurs dans le monde?
M. Desîlets
(Christian) : Pas à ma connaissance, mais ça ne veut pas dire qu'il
n'y en a pas. Les unités mixtes de recherche,
il y en a beaucoup en France, là. Il faudra vérifier, mais je peux vous dire
que... je vous l'ai dit, d'ailleurs, aux Pays-Bas, là, ils ont créé une
structure semblable, ils ont 5 millions d'euros par année, et le mandat
est pour cinq ans. Habituellement, c'est ça,
une unité mixte de... vous faites ça pour cinq ans, puis après ça on
analyse : Est-ce que ça vaut la peine? Est-ce que ça a donné les
résultats? On continue ou on arrête? Donc, l'unité est obligée d'être
performante.
La Présidente (Mme Nichols) :
Mme la députée de Saint-Laurent.
Mme Rizqy : Non, c'est à la
députée de Westmount—Saint-Louis.
La Présidente (Mme Nichols) :
Ah! de Westmount—Saint-Louis.
Mme Maccarone :
Merci beaucoup. Fort intéressant. C'est parce que, c'est sûr, on voit
maintenant les nouvelles comme une
marchandise, hein? Alors, moi, j'aurais des inquiétudes, comme consommateur,
consommatrice. Est-ce que ça va nous
prendre des règlements, des lois pour éviter qu'on ait de la publicité qu'on ne
veut pas voir? Parce que, là, ça va être mondial, hein? On a Facebook, qui ont maintenant leur propre devise, ils
ont libre... «they're going to conquer the world», ils vont être le prochain «superpower», c'est
vraiment devenu une commodité, de la marchandise. Puis on sait que, dans
le monde de publicité, ils paient pour
mettre des «backlinks», je ne sais pas comment le dire en français, mais,
exemple, tous les casinos, ils
peuvent mettre de la publicité derrière le site Web pour s'assurer que, quand
je vais y aller, je vais faire des clics.
S'il faut vraiment virer vers le
numérique, qu'est-ce qu'on doit faire pour protéger les consommateurs qui veulent aller consommer
les nouvelles mais de s'assurer que ce ne serait pas de la poubelle puis ils ne
vont pas être vraiment comme consommés par tout ça? Est-ce que ça nous prend
des règlements, avec votre formule, avec le virage pour le futur?
M. Desîlets
(Christian) : D'abord,
d'une part, les régies publicitaires, ça fait partie des critères qu'on peut
mettre automatiquement, là : oui à tel contenu, non à tel
contenu, ça peut se contrôler. Mais ce que je veux surtout vous dire, c'est que, là, vous parlez beaucoup...
on parle de maintenant et de ce qu'on connaît, la publicité, là, mais,
dans 10 ans, là, les budgets marketing
qui vont à la publicité vont avoir énormément diminué. Ce n'est plus comme ça qu'on va
communiquer avec les gens, là, plus
par de la publicité, là. Je veux
dire, concrètement, de quoi on parle?
Des Siri, des Alexa, tu sais, vous avez ces versions-là bêta — qui
sont pas mal bêtas, d'ailleurs, là — mais ce n'est pas l'objectif.
L'objectif, là, de ces grandes compagnies-là,
c'est que vous ayez tous chez vous des objets connectés puis que vous ayez ces
assistants personnels vocaux dotés
d'intelligence. Là, ça sert juste à raconter des blagues puis avoir la météo,
là, puis c'est plus ou moins efficace. Ce n'est pas grave, dans 10 ans, l'objectif,
c'est que ces outils-là, là, soient votre serviteur personnel et qu'ils vous
donnent accès à toute l'information dont vous avez besoin sans même que vous y pensiez. Fini les publicités, là, ce
n'est plus comme ça que ça va fonctionner. Il va y en avoir, de la publicité, je
m'excuse, mais la majorité des budgets, là, en marketing va aller, pour les entreprises, à se doter d'ordinateurs
capables de parler à votre ordinateur, négocier avec pour dire : Chère
madame, vous... Là, votre ordinateur
va dire : Je cherche à renouveler les assurances automobile de mon maître, qu'est-ce que vous avez à m'offrir? L'ordinateur a déjà tous
les paramètres nécessaires puis, après ça, va négocier avec les compagnies d'assurance, ordinateur à ordinateur. Ça fait que
les ordinateurs, là, ce n'est plus l'image de marque qui va les impressionner,
là, c'est les offres, c'est ça qui va se passer.
La Présidente (Mme Nichols) :
Merci. Nous poursuivons avec Mme la députée de Taschereau.
Mme Dorion : Merci. Vous êtes vraiment intéressant. Vous êtes comme vraiment... c'est comme si... on sent que, pour vous, ce qui s'en vient dans l'avenir est déjà
bien présent dans votre tête. Puis je me demande, en vous écoutant, si on n'aurait pas dû avoir plus d'intervenants qui auraient pu nous parler de ce point de vue là, parce qu'on sent qu'on est dans un moment
historique où il ne faut pas perdre ce qui était là mais qu'en même temps on est dépassés par le temps, et la technologie, et tout ça, qui
va, comme c'est arrivé dans les 10 dernières années, arriver de plus en plus vite. Puis on le voit, que
c'est exponentiel. C'est un peu épeurant, parce qu'on est vraiment
des novices complets en la matière, puis c'est même fou de se dire :
Bien, il va falloir prendre des... bien, en tout cas, le gouvernement va prendre des décisions sans avoir toute cette expertise-là, donc j'aime votre idée de
mettre des acteurs du milieu avec des gens qui connaissent bien ça. Est-ce qu'il faudrait inclure des sociologues, ou des
philosophes, ou des gens qui vont être capables de dire : Bon, bien, il y a
une posture éthique à respecter dans
ce qu'on va décider de mettre de l'avant avec cette nouvelle technologie-là ou avec l'appui de l'État? Est-ce que, selon vous, ça serait important,
fondamental? Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Desîlets
(Christian) : Oui, c'est d'ailleurs
déjà le cas. Les gens qui s'intéressent
un peu à l'intelligence artificielle prennent
peur, d'habitude, puis se disent : Ça y est, on va se faire manipuler et
tout. Mais je peux vous dire, si vous allez rencontrer les spécialistes de l'intelligence artificielle à
l'Université Laval, vous allez vous apercevoir qu'ils ont une conscience
éthique pas mal plus grande que vous ne
pouvez l'imaginer. Ils travaillent déjà avec des éthiciens, des sociologues,
puis c'est des questions qui les
intéressent. Ils placent leurs étudiants, après, notamment, chez Google, chez
Apple, et puis ils s'aperçoivent que leurs étudiants ont encore ce souci éthique
là puis le portent à l'intérieur de ces organisations-là. Alors, oui, effectivement, c'est absolument indispensable,
là, et puis donc... C'est pour ça, d'ailleurs, qu'on appelle ça une unité mixte
de recherche, c'est qu'on va aller chercher de l'expertise partout où elle est,
dans la mesure où on estime que c'est pertinent, puis ça fait partie des
grandes questions qui agitent le domaine de l'intelligence artificielle
maintenant.
Mme Dorion :
Puis ce dont vous parlez impliquerait... ce que vous proposez impliquerait un
chantier beaucoup plus large que
juste de sauver Capitales Médias et les quelques autres qui risquent d'avoir
des problèmes dans les prochaines années. C'est beaucoup plus profond.
Ce serait un...
M. Desîlets (Christian) : ...autre
chose, là.
Mme Dorion : C'est vraiment
autre chose.
M. Desîlets (Christian) : Ça
contribue à ça, c'est une partie de la solution, mais, d'après moi, c'est
absolument indispensable, c'est-à-dire
que... Évitez surtout d'avoir une discussion du type : Il faut sauver le
Titanic et il faut convaincre les
gens qui ont débarqué de rembarquer à bord. Ce n'est peut-être pas la meilleure
perspective. En tout cas, ce n'est pas la
plus enthousiasmante. Il faut aussi se projeter vers le futur, puis, comme vous
le dites, là, ça va tellement vite, là, que, si on ne se met pas tous
ensemble, là, on ne sera pas capables de suivre la parade, là.
Mme Dorion :
Donc, focaliser sur juste : Il faut mettre plus de publicité dans nos
médias traditionnels, c'est à peu près stérile, à long terme. C'est une
bonne idée, en passant, mais...
La Présidente (Mme Nichols) :
Rapidement.
• (11 heures) •
M. Desîlets
(Christian) : Bien, c'est nécessaire, mais sachant que ça va diminuer,
les revenus publicitaires, de toute manière, puis, si on n'est pas
capables de permettre à nos médias d'information de se développer dans cet
univers numérique comme il faut que ça se
développe, il va arriver ce qui est arrivé partout ailleurs, c'est-à-dire
d'avoir encore plus de concentration,
puis là on va se retrouver avec deux réseaux, il va y avoir Radio-Canada puis
Québecor, bon. Puis on peut se
dire : C'est formidable, il va quand même y avoir de l'équilibre, il va y
avoir les deux, pas de problème. Bon, un...
La
Présidente (Mme Nichols) : Je suis désolée de devoir intervenir,
je dois passer la parole à un prochain intervenant, mais c'est très
intéressant. Je cède la parole au député de Rimouski.
M. LeBel :
Merci. J'ai parlé souvent ici qu'il était important que l'ensemble du Québec
sache ce qui se passe dans les
régions du Québec. Puis souvent on a des images folkloriques des régions, puis
il se passe tellement de choses, puis on
dit que Télé-Québec a un rôle à jouer. Un peu comme disait le député de
Saint-Jean, le modèle de la BBC, il y a peut-être
quelque chose à faire là. J'aimerais ça que vous m'en parliez un peu. Quelle
sorte d'allure ça pourrait prendre? Première question.
La
deuxième. Vous dites que la collaboration entre les médias, c'est important, il
faut passer par là. Est-ce que vous pensez qu'au Québec c'est possible? Je vais
vous dire, on fait juste participer à des scrums, en arrière, puis on le voit
déjà, la compétition entre les médias, on le
voit dans les questions qu'ils nous posent. Puis, la commission ici, ça a
poussé fort, on le voit dans les
nouvelles, ils se relancent. Est-ce que c'est possible, au Québec, dans un
petit marché? Puis comment qu'on fait pour aller chercher la
collaboration entre les médias?
M. Desîlets
(Christian) : O.K. Je vais d'abord répondre à la deuxième, vous me
rappellerez peut-être la première, là,
mais... ah oui, ça va. Réponse à votre deuxième question, le modèle que je propose
stimule la compétition sur le plan du
contenu puis des reportages. La collaboration n'est pas là-dessus, là. Ils vont
pouvoir continuer à être de féroces compétiteurs,
se lever le matin et se haïr, se réveiller la nuit puis s'insulter. Ils feront
tout ce qu'ils voudront. S'ils ont envie de se haïr, ça n'a pas d'importance, ce n'est pas là-dessus que ça va
intervenir. Ça va aider à mettre en place les structures qui vont leur
permettre, après ça, de compétitionner sur le contenu. Alors, la compétition,
il en faut, c'est important.
Puis,
ensuite de ça, bien, le modèle de la BBC, bon, d'abord, une structure comme je
propose étudierait ce genre de
solution là, informerait l'Assemblée nationale de ces innovations-là puis
savoir ce que ça donne. Parce que, bon, il y a beaucoup d'initiatives en ce moment, mais souvent c'est trop tôt pour
avoir des résultats. Si on s'intéresse à ça puis on leur parle, on dit : Hi! ça existe depuis un an ou
deux ans, il faut laisser le temps, donc, il y a un peu de temps qui passe.
Mais le modèle de la BBC me semble tout à fait intéressant. Il s'agit de
dire au gouvernement, via, mettons, Radio-Canada ou Télé-Québec : Vous allez payer des jeunes journalistes en région
pour faire de l'enquête, couvrir les assemblées municipales. C'est ça qu'ils font, au Royaume-Uni, ils le font.
Alors, je sais qu'on peut dire : C'est irréaliste, mais ils le font.
Alors, souvent, on pense que ce n'est
pas possible, alors, oui, ça l'est, possible. Alors, ils les financent, ils les
paient, ils ont créé ensemble une
structure où ils partagent les données. Alors, si je fais un reportage,
j'envoie ça là-dessus. Alors, un exemple qui est arrivé, c'est que, dans une région, il y a un journaliste qui est allé
dans une résidence pour gens âgés puis s'est aperçu que, bon, on leur avait coupé des vivres, des
subventions. Il a fait un reportage là-dessus, il a mis ça dans cette base de
données là. Un journaliste d'une autre région a vu ça, il a dit :
Tiens, je vais vérifier si c'est la même chose chez nous; il l'a fait : Oui. Puis après ça ils se sont mis partout, dans
toutes les régions, à faire ça puis ils se sont aperçus, scandale national, que
le gouvernement est en train de
couper dans les services de soins de santé aux gens âgés, puis il ne le disait
pas; scandale, c'est devenu une nouvelle nationale. Alors, oui, ça
fonctionne.
La Présidente
(Mme Nichols) : Je vous remercie. Je dois céder la parole à Mme
la députée de Marie-Victorin.
Mme Fournier :
Merci beaucoup. C'est vraiment fascinant de vous entendre. Je pense qu'il faut
vraiment considérer votre vision,
parce que, si on considère seulement la situation actuelle, bien, on va manquer
tout ce qui s'en vient, parce que, le changement, vous l'avez bien dit,
c'est exponentiel, ce qui s'en vient dans les prochaines années.
J'ai
deux questions. D'abord, sur la structure de concertation, d'innovation, vous
avez fait référence à d'autres pays qui ont déjà pris cette voie-là,
notamment les Pays-Bas, qui investissent 5 millions d'euros par année.
Considérant les investissements qui sont faits par les géants du numérique en
intelligence artificielle, qui sont des centaines de millions, voire des milliards de dollars, est-ce que vous
croyez que c'est suffisant? Est-ce qu'il ne faut pas un apport beaucoup plus
grand au niveau financier? Puis est-ce qu'on
peut déjà sentir une amélioration, par exemple, aux Pays-Bas, auxquels vous
faites référence?
Deuxième
question. La régie publicitaire, vous avez dit que ça pourrait prendre la
forme, donc, d'une possible formule d'abonnement
à tous les médias, un peu sur le modèle d'Apple News, possiblement des données
d'habitudes de consultation. Est-ce qu'il y a d'autres éléments aussi
qui pourraient être mis en commun par l'ensemble des médias?
M. Desîlets
(Christian) : J'imagine que
oui. Et je n'ai pas vraiment le temps, je pense, pour répondre à ça, mais une unité mixte de recherche peut faire de la
recherche semblable. L'équivalent, là, de ce que je vous propose, aux Pays-Bas,
là, ils font ça, ils publient des rapports,
ils les partagent — vous
pouvez les consulter, d'ailleurs — et
ils collaborent avec d'autres pays.
Ils servent à ça. Ils informent le gouvernement, ils font des études pour leur dire : Vous
avez adopté telle politique pour aider les médias d'information, on fait une étude : Voilà, qu'est-ce que ça donne, ça
marche, ça ne marche pas, quel résultat est-ce que ça donne. Donc, ça se
nourrit mutuellement.
Mais
il ne faut pas... L'innovation, là,
on ne peut prédire tout ce qu'on va avoir comme idées, ce qui va fonctionner,
ce qui ne fonctionnera pas, mais eux, ils dont déjà prêts à nous aider, ils
sont prêts à nous dire : Voilà, sur la base de notre expérience, là, voici ce qui marche puis ce qui ne
marche pas, parce qu'ils se sont un peu cassé la figure au début, là. Ils ont
financé un certain nombre de projets, puis ça n'a pas fonctionné, puis après
ça, tranquillement, ils ont commencé à comprendre :
O.K., qu'est-ce qui fonctionne, qu'est-ce qui ne fonctionne pas, qu'est-ce qui
est porteur, qu'est-ce qui ne l'est pas.
Donc,
même des collaborations avec les autres... Puis, oui, on peut le faire au
Québec. D'abord, on a la chance d'être un
petit marché francophone dans une mer anglophone, ce qui fait qu'on est
peut-être moins intéressants pour les grands géants, là. Puis on est capables de tirer notre épingle du jeu, on l'a
toujours fait, là. Donc, je suis parfaitement confiant puis je suis
optimiste.
La Présidente
(Mme Nichols) : Merci, M. Desîlets, pour votre contribution
aux travaux de la commission.
Je vais suspendre
quelques instants, le temps que le prochain intervenant puisse s'installer.
Merci.
(Suspension de la séance à 11 h 06)
(Reprise à 11 h 08)
La
Présidente (Mme Nichols) : Alors, nous poursuivons nos travaux.
Je souhaite la bienvenue aux représentants, Mme Brin, M. Descôteaux. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, puis nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la
commission. Je vous invite donc, bien que je l'aie fait un peu préalablement,
à vous présenter ainsi que la personne qui vous accompagne, et la parole est à
vous.
Centre d'études sur les médias (CEM)
M. Descôteaux
(Bernard) : Oui, bonjour. Bernard Descôteaux, je suis le président du
conseil du Centre d'études sur les médias.
Mme Brin (Colette) : Bonjour.
Colette Brin, professeure au Département d'information et de communication à
l'Université Laval et directrice du Centre d'études sur les médias.
M. Descôteaux
(Bernard) : Merci. Mmes et MM. les députés membres de la commission,
merci de nous accueillir à votre table ce matin.
Créé en 1992,
le Centre d'études sur les médias est à la fois un lieu de recherche et un
agent de concertation entre les entreprises de communications et les
milieux gouvernementaux et universitaires.
Nous avons réalisé, cette année, deux études,
que nous vous avons soumises ces dernières semaines. Elles sont également disponibles sur notre site Web. L'une
s'intitule Les médias québécois — État des lieux et l'autre, L'information
locale et régionale au Québec :
Portrait du territoire 2011‑2018 et perspectives citoyennes. Ces deux documents présentent un rare portrait de l'état des médias québécois,
tant au plan national que régional, et sont indispensables pour comprendre
la nature de la crise actuelle et en mesurer les effets.
Pour vous
parler, dans un premier temps, de la situation actuelle, je vais passer la
parole à Mme Brin. Je vous reviendrai par la suite.
• (11 h 10) •
Mme Brin
(Colette) : La situation du Groupe
Capitales Médias expose au grand jour la fragilité actuelle de notre écosystème médiatique, particulièrement à l'extérieur de Montréal. Pourtant, elle ne devrait pas nous surprendre.
La crise de la presse écrite ne date
pas d'hier, comme vous le savez. Les revenus publicitaires ont chuté de 42 % pour les hebdos, 53 % pour les quotidiens et 63 % pour
les magazines entre 2012 et 2017. La télévision a aussi vu ses recettes
publicitaires baisser de 13 %.
Pendant ce temps, la publicité numérique hors média a explosé, et la tendance,
bien sûr, s'est poursuivie depuis.
Notre étude
sur l'information régionale montre qu'on est passés de 200 journaux
hebdomadaires ou bihebdomadaires à
132 entre 2011 et 2018, soit une perte de 34 %. 68 d'entre eux ont fermé
leurs portes au Québec en sept ans. Des postes de journaliste ont été
abolis, le volume d'information a diminué. Certaines régions ont été plus
durement frappées que d'autres, et des
communautés locales sont devenues ou en voie de devenir des déserts
informationnels. La perte de diversité des
voix a des conséquences bien réelles sur l'écosystème médiatique et, plus
globalement, sur le dynamisme social, économique et politique d'une
ville ou d'une région.
Nous avons
rencontré des groupes de citoyens à Rimouski, Sherbrooke et Brossard. Les
différences dans l'évolution de l'offre et la consommation médiatique
dans ces trois villes nous laissent croire qu'il ne peut pas y avoir de
solution mur à mur pour l'ensemble du
Québec. Le recensement de Statistique Canada révèle une baisse du nombre de
journalistes au Québec de l'ordre de
10 % entre 2005 et 2015. La capitale nationale a perdu 33 % de ses
effectifs journalistiques, Gatineau, 30 %. Hors des régions
métropolitaines de recensement, le nombre de journalistes a baissé de
20 %, et ça ne va pas en s'améliorant.
Les
fermetures des dernières années et les difficultés du Groupe Capitales Médias
risquent d'assombrir davantage ce
portrait. Elles illustrent aussi parfaitement le cercle vicieux dans lequel les
médias sont entraînés. D'une part, les dépenses publicitaires migrent vers les grandes plateformes numériques, mais
aussi, depuis 20 ans, la plupart des médias nous ont habitués à consommer leur contenu gratuitement, de
sorte qu'il est maintenant très difficile de convaincre les consommateurs
de contribuer financièrement à l'information en ligne.
Depuis
plusieurs années, le Centre d'études sur les médias analyse l'évolution de la
consommation de l'information et les
attitudes des citoyens à l'égard des médias. En ce qui concerne la confiance,
nos médias font bonne figure comparativement
à ceux des autres marchés étudiés. Mais ici comme ailleurs, les jeunes
s'orientent de plus en plus vers les plateformes
numériques, en particulier les médias sociaux. Chez les plus vieux, la
télévision demeure la principale source de nouvelles. Ces éléments
doivent tous y être pris en compte, dans la mise en oeuvre de solutions.
Notre écosystème médiatique, tous le
reconnaissent, est dans un état critique. Comme à bien d'autres, il nous apparaît qu'il ne retrouvera pas, sans un soutien
public, les conditions d'équilibre que le marché lui avait assurées par le
passé. Une intervention de l'État nous
semble donc nécessaire pour assurer aux Québécois l'accès à des sources
d'information de qualité. Les médias
québécois ont besoin d'outils qui leur permettront de se restructurer, de se
repenser et de s'adapter aux conditions actuelles et futures du marché.
N'oublions
pas que l'information est un bien public, comme la santé, l'éducation et la
culture. Le droit du public à l'information
exige qu'elle soit accessible à tous les citoyens. Ce que fait l'État dans le
domaine de la culture, il doit le faire
aussi pour l'information et de la même façon, c'est-à-dire par des programmes
accessibles tant aux médias traditionnels qu'aux nouveaux joueurs, et
reposant sur des critères transparents et équitables. D'ailleurs, les
entreprises culturelles et
médiatiques se heurtent pour une bonne part aux mêmes problèmes de financement
et de découvrabilité dans l'environnement
numérique. Comme pour les créateurs et diffuseurs culturels, ce soutien de
l'État doit laisser aux journalistes et
à leurs médias toute la liberté et tout l'espace de création dont ils ont
besoin pour s'acquitter en toute indépendance de leur mandat.
M. Descôteaux
vous parlera maintenant des formes que pourrait prendre le programme de soutien
du gouvernement québécois.
M. Descôteaux
(Bernard) : Alors, la question est un peu «que faire?», comme
disait Lénine à une autre époque dans
un autre contexte. Mais, dans un
moment critique, je pense que la première chose à faire, ce serait de regarder
ce qui se fait ailleurs. Dans l'étude L'état des lieux, Daniel
Giroux a réalisé un inventaire des mesures adoptées par 24 États
comparables au Québec. La voie privilégiée par 19 d'entre eux est de nature
fiscale, notamment par l'exonération partielle ou totale des taxes aux
consommateurs à l'achat d'exemplaires ou d'abonnements à des médias
d'information. Certains font plus. En
Italie, par exemple, on accordera aussi un crédit d'impôt pour les
achats d'espaces publicitaires et on soutiendra les publications
appartenant à des coopératives de journalistes, à des fondations et à des OSBL.
D'autres accorderont aussi un soutien financier à des projets innovants. Par
exemple, ce qu'on a cité tout à l'heure, le témoin précédent, ce qui se fait en Grande-Bretagne avec la BBC, c'est intéressant. En Norvège et en
Suède, on aura une préoccupation particulière pour l'information de
proximité en soutenant d'abord les journaux locaux et régionaux.
Exonérer les
publications écrites et numériques de la taxe de vente s'impose, tout comme
libérer les journaux de la taxe verte sur le recyclage. La fiscalité
sera aussi un outil utile pour inciter les citoyens à investir dans des
entreprises médiatiques actuelles qui cherchent à se recapitaliser ou dans de
nouvelles initiatives. Ce serait un outil essentiel à la réussite des projets de coopérative qui se
préparent à reprendre des médias en difficulté. Ces mesures iraient tout à fait dans le sens de l'appel lancé par le premier ministre François Legault
aux citoyens à appuyer leurs médias. Au-delà
d'un soutien de l'État, les médias ont
besoin d'un soutien du public, c'est-à-dire de la communauté qu'ils servent.
Les médias lui appartiennent, à ce public, tout autant qu'à leurs
actionnaires.
Ce que je viens d'évoquer sont des mesures
indirectes. Elles ont l'avantage, je crois, de créer un environnement favorable
qui sera utile à long terme. Quant aux mesures directes, nous constatons que le
gouvernement canadien a privilégié le
recours à des crédits d'impôt remboursables sur la masse salariale. Cela nous
apparaît la bonne approche pour soutenir
les salles de rédaction et la création de postes de journaliste. Nous croyons
que cette mesure doit être réservée aux médias qui se consacrent à l'information générale et civique. Ce qui est
en cause ici est la création de contenu. C'est là le coeur de métier du journalisme et de la mission
des médias. La diminution des effectifs, vous le savez, a pour conséquence
directe d'affecter la quantité et la qualité
de l'information. Là où on a coupé des postes, on va à l'essentiel et à
l'urgent. Les articles de fond et les enquêtes sont bien sûr évacués.
Le soutien de
l'État ne devrait pas se limiter, croyons-nous, aux médias existants. Il devra
aussi faciliter l'émergence de
nouveaux médias, écrits comme numériques, en leur accordant une aide au
démarrage. Une telle aide au démarrage de nouveaux médias permettrait à
de jeunes pousses d'explorer de nouvelles pratiques d'information, ce qui est
essentiel, et d'enrichir la diversité des
sources d'information. Au-delà des mesures directes d'aide, l'État doit faire
en sorte aussi que l'environnement
d'affaires dans lequel évoluent les médias soit équitable. À cet égard, nos
institutions publiques, gouvernementales
comme municipales et autres — on peut penser à la santé, à
l'éducation — doivent
réserver une nette majorité de leurs dépenses publicitaires aux médias
québécois et en priorité à ceux qui se consacrent à l'information.
Nous appuyons
l'idée de taxer les GAFA. Le gouvernement québécois devrait aussi s'engager
dans le mouvement initié par des pays
européens pour que les grandes plateformes numériques soient soumises aux
droits d'auteur et pour la reconnaissance d'un droit voisin.
Une dernière
remarque. Nous concevons que le programme de soutien à venir sera là pour le
long terme, compte tenu de ce que
l'on sait de la situation de nos médias. Il aura besoin d'un financement stable
d'un fonds des médias alimenté notamment
par les taxes et les contributions venant des GAFA. Le contexte économique et
technologique évoluant — et il évoluera rapidement — il faudra pouvoir revoir ce
programme périodiquement pour l'adapter et évaluer ses résultats. On peut espérer qu'il aura des effets positifs à
moyen terme. Un travail de veille, cependant, s'imposera, que, pour notre
part, au Centre d'études sur les médias,
nous entendons réaliser et continuer nos travaux que nous avons déjà entrepris
ces dernières années. Merci. Nous sommes maintenant prêts à échanger
avec vous.
La
Présidente (Mme Nichols) : Merci de votre exposé. Et nous allons
débuter cette période d'échange avec le député de Saint-Jean.
• (11 h 20) •
M. Lemieux :
Merci, Mme la Présidente. Mme Brin, M. Descôteaux, Bernard, c'est bon
de vous voir et de vous entendre,
M. B. Descôteaux. Je dois dire que je m'ennuie de vous lire aussi
assidûment et régulièrement qu'avant. J'espère que vous continuez
d'écrire quand même.
On va avoir
d'autres questions sur le reste de l'ensemble de l'oeuvre, mais vous allez dans
le vif du sujet, puisqu'il y a une
urgence, maintenant, qui dépasse largement ce qu'on avait, même si c'était
prévisible, dites-vous, Mme Brin, au moment où vous avez signé
votre mémoire, il y a de cela plusieurs semaines déjà, la crise du Groupe
Capitales Médias, évidemment. Donc, il y a
des recommandations, dans ce que vous nous dites ce matin, qui vont au-delà de
ce qu'il y avait dans le rapport ou,
en tout cas, qui sont plus précis que ce qu'il y avait dans votre mémoire. Mais
vous m'avez coûté cher de surligneurs
parce que, quand je suis arrivé à la page 14, le cas particulier des régions, là j'ai jauni presque
toutes les pages. Et je voulais vous
entendre là-dessus, sans enlever à Groupe Capitales Médias puis à
l'urgence de Capitales Médias, mais, à
quelque part, en lisant votre mémoire, je comprenais et je
voyais presque une pyramide inversée. On a beaucoup parlé, au début de la semaine, de montréalisation des ondes — c'est
à l'écrit aussi, là, mais l'expression consacrée, c'est la montréalisation des ondes — mais
on ne se méfie peut-être pas assez du fait que, même si
on avait encore des grands médias qui
marchaient bien, si on est dans des zones désertiques d'information dans le reste du Québec, et c'est ce que je devine de ce que vous écrivez, en gros, et c'est ce que
j'en retiens, bien, la pyramide est inversée, puis ça va
s'écrouler, cette affaire-là. On a beau avoir des grands médias, si on
n'a pas de médias d'information locaux et régionaux, ça ne marchera jamais. Il
faut retourner à la base, entre guillemets.
Mme Brin
(Colette) : C'est un problème qui prédate, bien sûr, le numérique et
qui prédate la crise de Groupe Capitales
Médias. Ce qu'on voit, en tout cas, dans l'étude qu'on a faite qui... en fait, peut-être
un point de départ, là, parce qu'il y
aurait encore beaucoup
à faire, on a constaté à quel point la présence d'un quotidien régional, d'un
quotidien dans une ville est en quelque sorte le poumon, hein, en fait,
qui nourrit aussi les autres médias et qui nourrit l'écosystème d'information d'une ville et parfois même de la région environnante. Donc, la disparition
de ces journaux-là est critique pas seulement pour Groupe Capitales
Médias, mais aussi pour les autres médias et pour la communauté.
Et, bien sûr, comme
vous le soulignez, il y a beaucoup, beaucoup de régions et de communautés
locales qui ne disposent pas d'un quotidien ou qui sont très, très peu
couvertes par les quotidiens. Je pense, par exemple, au quotidien Le Soleil, dont les ressources pour couvrir l'Est du Québec
ont beaucoup fondu ces denières années, il n'y a
à peu près plus rien
pour couvrir l'Est du Québec. Donc, cette réalité-là existe, et c'est là-dessus
qu'on a voulu attirer l'attention dans cette étude-là, c'est justement les particularités des régions et aussi la
diversité des situations d'une région à l'autre. Certaines ont été
très durement touchées par la réduction de services. La Montérégie est un cas
particulier, là, qui est une région, si on
veut, périphérique à Montréal,
donc les gens s'informent beaucoup, beaucoup dans les médias montréalais mais qui ne sont pas nécessairement en mesure de couvrir l'actualité dans chacune
des villes de cette région. Donc, il
y a beaucoup de cas de
figure, je pense qu'on pourrait conclure avec ça.
M. Lemieux : Je me suis vanté d'avoir jauni beaucoup
votre mémoire, mais je n'ai pas jauni ce que vous venez de nous donner et que vous avez lu. Alors, je ne
retrouve pas le libellé exact de ce que vous nous dites quand vous dites :
Non seulement vous devez intervenir, l'État doit intervenir, mais vous
nous donnez les paramètres aussi de qui devrait ou pourrait recevoir cette aide-là, ce qui m'amène... puis vous parlez de
médias civiques, je pense, d'information civique. Et c'est intéressant, parce que Le miroir brisé, le très, très
grand rapport sur les médias au Canada, qui a été traduit en français dans
une bonne mesure, parlait d'information civique et d'intérêt public. On ne s'entend pas
sur ce que c'est, un journaliste professionnel, on ne s'entendra probablement pas, tout le monde, sur ce que c'est que l'information qui devrait bénéficier de
l'aide gouvernementale, mais expliquez-moi ce que vous entendez,
vous, parce que vous avez repris, même si je ne le vois pas, «civique» dans vos
affaires.
Mme Brin
(Colette) : Oui, par souci
de transparence, j'ai collaboré à la production de ce rapport-là,
qui s'appelle Le miroir éclaté, en particulier à la traduction, enfin,
que j'ai révisée, je n'ai pas fait moi-même la traduction. Mais, si on veut, l'indicateur pour ça, il n'y a
pas de jugement, si on veut, sur la déontologie ou sur la... mais c'est vraiment
le compte rendu factuel et régulier
des institutions publiques en particulier, donc l'hôtel de ville,
bien entendu, les palais de justice et les gouvernements, évidemment,
provinciaux et nationaux. Donc, la présence de cette couverture-là, elle a été
analysée aussi par le Forum des politiques
publiques dans une autre étude, et on montre qu'il y a eu un déclin quand même
significatif dans un très grand
nombre de médias régionaux, là, du volume de couverture. Donc, c'est quelque chose qui peut être mesuré assez objectivement.
On
a beaucoup parlé aussi de la présence de l'opinion versus l'information
factuelle. Donc, je pense que ce qu'on veut soutenir, c'est vraiment la
capacité des médias à faire ce travail-là de couverture régulière. Ce n'est
peut-être pas ce qui est le plus
vendeur, là, sur le plan marketing, pour reprendre l'intervention de tout à
l'heure, mais c'est un rôle essentiel des
médias de le faire en toute indépendance aussi. Ce n'est pas la même chose que
simplement mettre une caméra dans un
conseil municipal et filmer les discussions, ça prend des gens qui sont là pour
poser des questions, pour faire des comptes rendus, pour faire une
démarche, aussi, d'enquête autonome.
M. Lemieux :
J'ai des camarades qui ont demandé la parole, et je vais leur céder, mais,
pendant qu'on a encore le temps puis qu'on n'est pas pressés par le
chronomètre, j'aimerais vous entendre, M. Descôteaux. Avez-vous encore
confiance?
M. Descôteaux
(Bernard) : Absolument. Le défaut de toute personne humaine, je pense,
c'est toujours de regarder en avant quand on approche du précipice et non pas
quand... bien avant. Aujourd'hui, on est assez proches du précipice, si on peut dire, et je pense que la réaction est saine,
celle qu'on voit actuellement, qu'il y a des choses qui vont changer. On a
parlé, tout à l'heure, avec le témoin précédent, de la concurrence, de la mise
en commun de ressources dans un certain nombre de domaines. Vous savez,
la concurrence, c'est un vieux, vieux réflexe qui nous habite et qui... on ne
veut pas laisser le morceau. Mais je pense qu'aujourd'hui, justement, la
situation exige qu'il y ait des choses qui changent et que les... et elles vont
changer, notamment, entre autres parce qu'il y a une nouvelle génération de
journalistes qui sont à l'oeuvre, plus
jeunes, qui comprennent mieux les besoins du monde d'aujourd'hui, des
gestionnaires aussi qui sont plus jeunes,
qui sont prêts à relever des défis. Cependant, c'est toujours, pour un
gestionnaire, une question de savoir comment doser les décisions qui
vont être prises. Est-ce que votre public va vous suivre? Alors, il faut
évoluer aussi en même temps que son public,
le précéder un peu, mais pas au point de faire en sorte qu'on le précède tellement
qu'il décroche. Alors, c'est toujours une question d'équilibre, mais le
sentiment d'urgence actuel va faire que les choses vont vraiment changer.
M. Lemieux :
Merci, M. Descôteaux. Je vais céder la parole.
La Présidente
(Mme Nichols) : Alors, je cède la parole au député de
Saint-Jérôme.
M. Chassin : Merci. C'est intéressant de vous entendre
optimiste ou, à tout le moins, de dire que, tant qu'à recevoir cet
électrochoc, au moins, ayons les yeux grands ouverts.
Dans
l'ensemble de ce que vous avez fait comme travail, je voudrais d'abord vous
remercier, au Centre d'études des médias, pour avoir dressé un portrait de
situation qui va nous être certainement très utile dans le cadre de nos
travaux. Même là où je diverge peut-être
dans l'analyse des conclusions que vous tirez, à tout le moins ça provoque, ça
fait réfléchir. Et aujourd'hui, ce
matin, j'ai vu une idée que je n'avais peut-être pas vue auparavant, exprimée
de votre part, qui est une aide au
démarrage pour les nouveaux médias. Alors, je voudrais voir avec vous... Il y a
eu plusieurs interventions de nouveaux médias
ou de nouveaux types de médias, je pense, par exemple, au West Island Blog ou
encore à Urbania, deux modèles tout à fait différents qui... Puis
là on ne leur a pas posé la question, peut-être ont-ils profité d'incubateurs
d'entreprise ou de services-conseils, parce
qu'il y a quand même différents organismes d'aide au démarrage et à la
croissance des entreprises qui existent... Est-ce que vous envisageriez
quelque chose de particulier, pour ce qui est des nouveaux médias, comme
intervention dans une aide publique éventuelle?
• (11 h 30) •
Mme Brin
(Colette) : En fait, c'est une idée qui nous est venue
progressivement, je dirais, surtout à la fin de la rédaction de notre rapport
sur l'information régionale, là, qu'on a publié hier, et aussi dans les
discussions qui ont entouré l'annonce
des mesures fédérales. Donc, c'est quelque chose qui avait été critiqué, hein,
que c'était un programme qui semblait s'adresser en priorité aux médias
existants, aux médias très établis et qui étouffait un peu l'environnement pour
les nouvelles entreprises, les
nouvelles initiatives. Nous, on a toujours été sensibles à cette question-là.
La difficulté, bien sûr, quand on crée des programmes de subvention, c'est
qu'il faut presque avoir des employés à temps plein pour faire les demandes
de subvention, et les entreprises établies
ont peut-être un peu plus l'habitude de ce genre de programme là, ou les plus
grandes entreprises, que des petites
entreprises, justement, en démarrage, des gens qui ne sont pas nécessairement
des spécialistes de la chose.
Donc, je
pense que ça doit surtout être un programme très souple. Je pense qu'il doit
aussi être attentif aux besoins dans
les marchés les moins bien desservis. Donc, ça fait partie aussi de
l'initiative fédérale de soutenir le développement de médias, y compris des médias traditionnels, des
radios, hein, pas seulement des médias écrits ou numériques, donc de soutenir
l'émergence de choses qui sont... Et l'innovation, ce n'est pas seulement de la
technologie, ça peut être aussi des nouvelles
façons de raconter, des nouvelles façons de chercher l'information ou des sujets dont on ne parle peut-être
pas assez. Donc, ce n'est pas très
précis, là, on n'a pas un programme déjà élaboré, mais c'est quelques pistes.
Je ne sais pas si tu veux ajouter quelque chose.
M. Descôteaux
(Bernard) : L'idée, c'est
d'avoir des gens, des jeunes particulièrement, qui vont pousser dans le dos les plus vieux, tout simplement, parce qu'on pratique notre métier de journalistes d'une façon
traditionnelle encore, généralement,
il y a des formules qui doivent
changer, des façons de faire, et il faut expérimenter. Vous parliez
d'incubation, dans le fond, c'est un peu le sens de... Oui, le rôle de programmes d'incubation...
d'incubateurs peuvent être vraiment utiles. Puis il y a des besoins aussi... Il
faut reconnaître qu'on ne sait pas ce qui sera dans cinq ans. Est-ce que
tous les médias qu'on connaît aujourd'hui seront encore là? On regarde la crise Capitales
Médias, bon, ça nous inquiète beaucoup de voir qu'est-ce qui
pourrait arriver. Alors, il y aura des besoins qui... un vacuum à des endroits
qui va survenir, et il faudra aider ceux qui voudront remplir ce vacuum.
M. Chassin : Bien, permettez-moi peut-être de conclure par un
commentaire. Je pense que ce qui est intéressant, c'est qu'effectivement il y a un vrai danger, dans
une intervention gouvernementale, un soutien public, de prendre l'état
des lieux et de le considérer comme une situation statique, alors qu'avec un
encouragement à l'innovation par le soutien à
de nouvelles pousses, en quelque sorte, il y a un certain élément dynamique,
surtout que M. Desîlets, juste avant vous, nous disait : Dans 10 ans, ce ne seront peut-être plus les médias
sociaux, là, qui domineront, et il y a, dans le fond, 10 ou 15 ans, la crise
des médias, elle existait mais elle avait une forme différente, c'était une
autre phase, en quelque sorte. Donc,
on peut présumer que, dans l'avenir, il y aura d'autres risques ou d'autres
circonstances. Je trouve que c'est une piste, à tout le moins, de
réflexion qu'on devrait conserver en tête. Merci.
La Présidente (Mme Nichols) :
Alors, je cède la parole au député de Saint-Jean.
M. Lemieux :
Merci beaucoup. Juste avant d'oublier, vous souvenez-vous, M. Descôteaux,
qui a dit ça, qu'on a les médias qu'on mérite? Ça ne me revenait pas
tout à l'heure. Êtes-vous d'accord?
M. Descôteaux
(Bernard) : Bien, oui, je
pense que les lecteurs, les consommateurs paient pour ce qu'ils aiment.
Alors donc, c'est eux qui choisissent de voir ce qui va exister comme médias d'information.
M. Lemieux : Et, en terminant... C'était juste quelque chose qui me trottait dans la tête depuis tantôt, «les médias qu'on
mérite», je voulais juste vérifier avec vous. Mais, en terminant, je voudrais
vous entendre sur le droit du public à l'information. C'est dans la charte, l'article 44, bon, ça, ça va, mais, même s'il n'était
pas dans la charte, c'est un droit inné
ou presque, en tout cas, dans une société moderne, démocratique, avec une presse libre. On
est-u rendus à se demander si... Je
veux dire, j'écrivais une publication, aujourd'hui, puis je me disais : Je devrais-tu dire
«protéger, défendre, garantir le droit»? On est rendus où avec notre
droit du public à l'information? Il est rendu où, notre droit?
La Présidente
(Mme Nichols) : En moins d'une minute, s'il vous plaît.
Mme Brin
(Colette) : Je pense qu'on
pourrait en faire quelques heures, de débat là-dessus. La difficulté...
parce qu'on est inondés d'information, en fait, on en a beaucoup, beaucoup, on s'interroge sur la qualité puis on
s'intéresse, je le sais, sur les
moyens qu'on a, comme citoyens, de s'informer dans cet univers d'abondance et
d'incertitude sur beaucoup d'information. Donc, c'est plutôt comment assurer ce droit-là plutôt
que est-ce qu'on est d'accord que c'est un droit important ou pas.
La
Présidente (Mme Nichols) : Merci. Alors, nous poursuivons la période d'échange avec Mme la députée de Verdun.
Mme Melançon : Bonjour à vous deux. Bienvenue à l'Assemblée nationale. Ce matin, dans ce que vous présentez, et c'est ce que je disais un peu plus tôt, je
pense qu'on voit se dégager, actuellement, un large consensus quant à l'inéquité, actuellement, que vivent les médias face aux géants du Web. Et mes collègues d'en
face... Oui, je vais vous déposer le tableau,
que je veux remontrer, actuellement. On a décidé, depuis le 1er janvier dernier, là...
parce que l'ancien gouvernement
avait fait la bataille pour Netflix, on a actuellement 62 millions de
dollars qui vont entrer, d'ici la fin de l'année, dans les coffres de l'État. Nous sommes d'avis qu'on peut appliquer, nous, la
TPS sur Netflix parce que le gouvernement fédéral a
décidé de ne pas aller chercher les cinq points de TPS qu'il pourrait faire sur
Netflix, et, bien entendu, d'imposer les géants du Web. Là, on a fait le calcul uniquement pour Facebook, puis on parle
d'autour de 20 millions. Donc, si on fait un total de tout ça, c'est près de 120 millions de dollars, actuellement, dont on pourrait jouir pour les médias et la culture, là. Il faudra regarder, dans un large
sens, comment faire, parce qu'au final ce que sont ces géants-là, c'est que
c'est le conduit qui amène le
contenu, et là c'est un problème avec le contenu que nous vivons, actuellement,
donc je tenais à en parler. Je ne pense pas qu'il faille attendre après 2020 pour bouger, parce que je ne pense
pas qu'on doive attendre après l'OCDE, là. Il y avait un slogan d'une
formation politique qui était Maintenant, ce serait le fun que ce soit
maintenant.
Alors, sur
ce, je voulais... je m'excuse, j'ai fait une longue parenthèse, mais je vous
amène directement là où je voulais
aller. Ce que je comprenais, c'est que, pour vous, ça prend l'aide publique à
long terme, c'est ce que vous écrivez. Est-ce qu'on doit mesurer au fil
du temps? Je voudrais vous entendre là-dessus.
M. Descôteaux
(Bernard) : Bien sûr. Je pense que le problème ne se réglera pas en
deux ans, cinq ans ou 10 ans, il
y aura des problèmes qui vont subsister. Alors, on croit que, quand on évoque
le long terme, une aide sur le long terme, c'est qu'elle puisse être
disponible sur un long terme, mais en espérant qu'il y ait des choses qui
puissent se solutionner, trouver des
solutions à des problèmes plus immédiats. On a vu les gens de La Presse
prétendre qu'ils avaient besoin d'une aide
pour cinq ans. Tant mieux si, au bout de cinq ans, leur modèle aura trouvé sa
rentabilité, on verra si ce sera le cas. Mais, s'ils ont trouvé la rentabilité, qu'ils n'ont plus besoin d'aide et si
les quotidiens régionaux, les hebdomadaires régionaux ont encore des
besoins, il faudra continuer. Je ne pense pas que tout va se régler dans un
seul temps.
Il y a des
situations qui sont différentes d'un endroit à l'autre. On parle de la presse
locale et régionale. Il y a la presse
locale, à Montréal, dans des quartiers, mais il y a la presse locale dans les
régions éloignées. C'est plus difficile de survivre, sûrement, dans des régions éloignées, où le niveau de revenus
moyen est beaucoup plus bas qu'à Montréal ou à Québec. Alors, il y a toutes sortes de considérations à prendre, et il
faut éviter, je pense, une application trop rigide d'un programme de
soutien.
Mme Melançon :
Donc, c'est exactement là où j'allais. Puis vous en avez vu, là, des politiques
publiques être écrites tout au long de votre carrière, M. Descôteaux, vous
nous appelez à assurer une souplesse dans un programme qui va pouvoir, justement, mieux vieillir et assurer,
justement, les transformations, parce que, je l'ai dit à quelques reprises dans
cette commission, souvent le législatif a une certaine lenteur, alors que tout
ce qui se produit en parallèle va tellement rapidement. Alors, si on veut
pouvoir pallier aux problèmes futurs, il faut se laisser pas mal de souplesse.
M. Descôteaux
(Bernard) : Bien, on a vu la lenteur... parlant de lenteur, ce qui est
arrivé ou ce qui arrive avec le programme
d'aide fédéral, si on calcule le temps écoulé depuis que ça a été annoncé dans
un énoncé économique et sa mise en
oeuvre, et qui demeure peut-être incertaine, c'est vraiment dommage. Alors, on
espère que ce que pourra faire le gouvernement du Québec sera plus
rapide.
Mme Brin (Colette) : L'avantage
qu'on a, si je peux me permettre, sur le contexte fédéral, c'est qu'il semble y avoir... en tout cas, d'après ce que j'entends
ici depuis lundi et, je pense, même avant, il y a un consensus, donc il n'y a
pas de débat partisan — et ça, je vous en félicite, là — sur le bien-fondé de venir en aide aux
médias ou pas, alors qu'à Ottawa c'est
très différent. Donc, j'ai confiance que, même après... de futurs
gouvernements, qui ne seront peut-être pas toujours de la même couleur,
vont maintenir cette aide-là.
• (11 h 40) •
Mme Melançon :
Il faut juste s'assurer qu'une commission parlementaire, bien qu'elle ne gère
pas le gouvernement, puisse être
entendue par le gouvernement. Malheureusement, j'étais un peu attristée
d'entendre le premier ministre cette semaine.
Je veux vous
revenir sur la loi d'accès à l'information, parce que vous en faites aussi
mention à l'intérieur de votre mémoire.
On a reçu Marie-Ève Martel, ici, qui nous disait qu'ils vivaient des problèmes
dans les régions, là. Parfois, ils se font
interdire même l'accès à des conseils municipaux. Mais vous revenez plus
précisément sur la loi d'accès à l'information, on voit... et ce, sous tous les gouvernements, là, je le dis, mais
dernièrement on a eu l'exemple, avec la loi d'accès à l'information, où c'est un communiqué de presse
qui est arrivé, où on voyait que l'information était hachurée pour être sûr... mais c'était un communiqué de presse.
Donc, il y a souvent des problèmes. Pouvez-vous me parler de problèmes
avec la loi d'accès à l'information?
M. Descôteaux
(Bernard) : Bien, écoutez,
ça fait des années que le milieu des médias, les journalistes, la FPJQ et d'autres réclament une modernisation de la loi
sur l'accès à l'information. Notre loi est désuète, et les gouvernements tardent à la moderniser, à faire les changements radicaux qui
devraient s'imposer. Ce que vivent les journalistes, actuellement, comparativement au moment où la loi a été adoptée...
Par exemple, un journaliste faisait une demande, elle était refusée, il pouvait plaider lui-même pour que sa requête
soit finalement acceptée. Aujourd'hui, il faut prendre un avocat, c'est des
délais qui n'en finissent plus. Je regrette
de le dire devant vous, mais tous les partis, une fois qu'ils sont au
gouvernement, ont un réflexe
protecteur exagéré. Vous étiez au gouvernement il n'y a pas longtemps, et je me
souviens de propos tenus par la ministre responsable qui n'étaient pas
très élogieux par rapport au respect de la loi et au principe même. Alors, ce
qu'il faut souhaiter, c'est vraiment un changement d'attitude et que la loi
soit radicalement transformée et modernisée.
Mme Melançon :
Et, concernant les craintes de certains à savoir, s'il y a une aide étatique,
s'il va y avoir toujours une indépendance de la part des journalistes,
qu'est-ce que vous en pensez?
M. Descôteaux
(Bernard) : Bien, écoutez, l'indépendance des journalistes, c'est une
question d'attitude, d'abord. C'est
ce qui est important, c'est ce qui fait, dans notre métier de journaliste...
c'est d'abord de s'affirmer comme étant là pour protéger le public,
travailler pour le public. Notre patron, c'est le public. Alors, je pense qu'un
programme d'aide du gouvernement, s'il est bien normé, ne devrait pas mettre en
cause l'indépendance des médias. C'est important. Mais l'indépendance... les attaques à l'indépendance peuvent venir de toutes
parts. Très souvent, c'est plus insidieux que... et ça vient souvent du monde
publicitaire, les entreprises qui vont faire des... et des gens très bien
intentionnés parfois mais qui ont des exigences... On met de l'argent dans
votre journal, dans une campagne de publicité de 10 000 $,
50 000 $, mais on vous
laisse entendre qu'on voudrait être bien traité par ailleurs, qu'il y ait des
articles favorables, etc., pour les éditeurs, dans un contexte de difficultés économiques, c'est des
fois très difficile de refuser. Comme disait une de mes collègues, éditrice
d'un magazine, la relation entre la
publicité et le contenu, c'est un peu comme danser un tango, mais il faut
danser loin, loin.
Mme Melançon :
M. Descôteaux, en terminant...
La Présidente (Mme Nichols) :
En quelques secondes, oui.
Mme Melançon : ...en terminant, vous parlez de la publicité gouvernementale qui doit être dédiée dans les médias québécois. Avez-vous une idée de pourcentage? Parce qu'il y a quatre
mois, j'ai déposé une motion à l'Assemblée
nationale, donc ça fait
120 jours... Je ne l'avais pas dit encore, alors ça me fait plaisir de le
rappeler. Est-ce que vous avez une idée du pourcentage qui devrait aller
directement dans les médias québécois?
La Présidente (Mme Nichols) :
En quelques secondes, s'il vous plaît.
M. Descôteaux
(Bernard) : Le plus
possible. On n'est pas outillés pour mesurer vraiment. Mais c'est sûr que
ce que j'entendais tantôt me faisait vraiment plaisir, de voir que...
inviter le gouvernement à faire les mêmes placements publicitaires, c'est une façon de corriger les travers des agences de
publicité, qui souvent font des placements publicitaires sans absolument connaître les médias dans lesquels ils vont
placer. Et, imaginez, ça ne va pas trop mal à Montréal, mais imaginez-vous quand ils vont parler des
hebdomadaires des régions et des municipalités, alors, placer une publicité dans Le Reflet du lac
Saint-Jean ou celui... L'Oeil régional de Saint-Hilaire, pour eux, ça
n'a aucune importance. Tous ces médias, très souvent, sont laissés sur
le carreau.
La Présidente (Mme Nichols) :
Je vous remercie. Je cède la parole à Mme la députée de Taschereau.
Mme Dorion :
Merci. Une question pour les chercheurs que vous êtes. On parle beaucoup... un
peu, là — je prends du recul — de la surcharge informationnelle. Il y en a
qui ont amené des nouveaux mots au Québec, on parle d'infobésité, de
surinformation, et tout ça. Les gens reçoivent tellement d'information partout
que leur incapacité à la traiter les rend malades,
finalement, c'est un vrai enjeu de société, et on a vu arriver ça avec Internet, avec la course aux clics. Il y a
des psychologues qui travaillent avec les grandes entreprises numériques
pour qu'on clique, finalement. Est-ce que l'État devrait avoir, selon vous, un
souci, dans son aide, dans l'aide qu'il va vouloir apporter, à ne pas
dire : Bon, bien, il faut absolument
que nos médias soient dans cette course aux clics là pour rajouter à
l'infobésité, et, au contraire, dire : Développons des plateformes fiables, rigoureuses ainsi qu'une
culture, à côté, qui va dire : Bien, ça, c'est fiable, ça, tu peux y aller
quand tu veux? On ne va pas t'attirer comme un poisson, mais... oui,
voilà. Vous comprenez ma question?
Mme Brin
(Colette) : Oui, oui, oui. C'est un enjeu auquel on est très
sensibles. Je le disais dans ma présentation, on travaille beaucoup sur
les pratiques de consommation et les questions qui concernent le public de
l'information, en particulier. On a produit,
l'année dernière, un ouvrage sur les fausses nouvelles, donc sur la question de
la désinformation mais aussi la
surcharge d'information. Tout ça va un peu ensemble. C'est des questions qui
nous préoccupent. On a parlé aussi,
plus tôt ce matin, de l'éducation aux médias. Ça fait partie des solutions, si
on veut, au problème que vous évoquez. Comme moi, en tant que professeure aussi, pas
seulement chercheure, mais qui enseigne à des futurs journalistes, je pense
qu'on est tous dans cette logique-là d'essayer de trouver des moyens de rendre
une information qui est plus, comment dire... qui est libérée de tout ce
bruit et de toute cette incohérence, cette incertitude, toutes les rumeurs et
toutes les faussetés qu'on voit propagées.
Donc, de pouvoir dire : Oui, il y a des endroits où vous pouvez... On
parlait d'environnement sécuritaire, tout à l'heure, ou d'environnement au
moins où on peut se reposer un peu l'esprit puis essayer de comprendre, il y a de plus en plus de journalisme qui se
pratique qui est du journalisme d'explication, du «slow news», qui essaie de...
Donc, ça, ça fait partie, je pense, des
choses qu'on doit soutenir. Je ne sais pas si ça fera partie de ce programme-ci
spécifiquement. Moi, c'est certainement le genre de chose que je prône
dans mon enseignement et dans ma pratique.
La Présidente (Mme Nichols) :
Je vous remercie. Je cède maintenant la parole au député de Rimouski.
M. LeBel :
Oui, merci. Bonjour. J'ai aimé votre définition par rapport au désert
médiatique puis le fait de ne pas aller
dans le mur-à-mur. Je vais donner un exemple. Moi, à Rimouski, à la dernière
campagne électorale, j'ai fait cinq ou six conférences de presse,
j'avais des médias dans chaque conférence de presse. J'ai rendu publics mes
engagements, Les 12 travaux d'Harold, ça a roulé partout. Le monde savait de quoi je
m'engageais. J'ai fait une dizaine de débats, la moitié ont été
couverts. Ça fait que je n'étais pas dépendant de la campagne nationale, je
réussissais à avoir ma propre campagne.
Mes collègues dans le 450 n'ont pas cette
chance-là. Ma collègue de Marie-Victorin, je parlais du collègue de Saint-Jean, Terrebonne, eux autres, ils sont
enterrés par les médias nationaux. Ils ne réussissent pas à imposer le... En
fait, ils n'ont pas le choix de
passer par des Facebook ou des affaires du genre parce que, sinon, ils ne se
font pas connaître. Ça fait que comment
on fait? Parce que, souvent, quand on parle de déserts médiatiques, on parle
des régions périphériques, mais, dans
le 450, il y a quelque chose à regarder, là. On ne peut pas... C'est la
démocratie aussi qui est mise en compte, là. On ne parle que des...
c'est juste les médias nationaux qui sont là. Qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce
qu'on pourrait faire?
Mme Brin (Colette) : Tu es un
résident du 450, tu peux parler.
M. Descôteaux (Bernard) : Je
suis un résident du 450. Dans l'annexe qu'on a jointe à notre mémoire, on a un
tableau de la répartition des journalistes par région, et, en le regardant,
j'ai été frappé et étonné de voir que, dans la ville où j'habite, à Laval, il y a six médias, et c'est là qu'il y a eu
la plus grande... la plus forte baisse, dans la région de Montréal, du nombre de journalistes. C'est enterré
par le fait... de l'ensemble... pour l'ensemble de la région métropolitaine
de recensement... C'est sûr qu'il y a une
petite augmentation du nombre de journalistes, de quatre ou cinq, mais, dans la
réalité, c'est encore à Montréal, ville où il y a eu une forte augmentation.
Alors, à Laval, à Longueuil, à Brossard, en Montérégie, on est enterrés par
l'ensemble de l'information, et la vie de quartier, la vie locale, on n'y a pas
accès.
Et on
regarde... Pour moi, ça a été... J'ai suivi tout particulièrement, avant même
d'habiter à Laval, le scandale qu'on a eu avec le maire Vaillancourt. Pourquoi
ça a pris tant d'années avant qu'on puisse en parler publiquement? C'est
peut-être parce que... le manque de
journalistes, mais aussi parce que les regards s'étaient tournés ailleurs, ils
étaient tournés sur Montréal et non pas sur ce que faisait le maire Vaillancourt
avec son administration. Alors, c'est ça qui est vraiment, je pense, un
rôle important de l'information locale et régionale qu'il faut valoriser
davantage.
La Présidente (Mme Nichols) :
Merci. La parole est maintenant à la députée de Marie-Victorin.
• (11 h 50) •
Mme Fournier :
Merci beaucoup. Très intéressant. Je vais vous donner l'occasion de poursuivre
là-dessus, parce que, franchement,
c'est une réalité qu'on observe, qu'on vit, en tout cas, dans la région
périphérique de Montréal. Moi, je suis députée à Longueuil, et,
personnellement, chez nous, on n'en fait pas, de conférence de presse au niveau
local, parce qu'il n'y a pas de journalistes
qui viendraient, de toute façon, parce qu'ils sont si peu nombreux qu'ils sont
beaucoup trop occupés pour se
présenter à des événements comme ça. Donc, on fonctionne par communiqués de
presse, puis, même encore, ce n'est
pas certain que ce sera repris dans les médias locaux. Comment est-ce qu'on
fait dans cette situation-là? Vous avez dit : Il faut valoriser
l'information locale. Mais, concrètement, ça peut passer par quoi? Est-ce que
c'est par l'éducation? Nous, on a des médias
quand même très créatifs, à Longueuil, qui font un travail extraordinaire, qui
misent beaucoup sur le développement
du sentiment d'appartenance, aussi, à la communauté. Est-ce que vous croyez que
c'est des voies à explorer? Comment vous le voyez, de façon concrète?
Mme Brin
(Colette) : Bien, c'est ça, il y a... bon, c'est une région que je
connais peut-être un peu moins, mais, d'après ce qu'on a fait sur le terrain, d'après ma connaissance de cette
région-là, il y a quand même une forte présence de médias
communautaires. Il y a une présence aussi de... il y a des nouveaux groupes de
propriétaires qui se sont formés avec la vente
des hebdos de Transcontinental, donc ces gens-là auront peut-être des projets
de consolidation, de développement de leur
offre d'information. Mais je pense que ça peut être une région où le soutien
peut être ciblé aussi pour les aider dans ces efforts-là, évidemment avec toute la distance qui s'impose. Et c'est
clair que c'est une région où les besoins... On a constaté aussi que l'offre conditionne la demande,
hein? Dans la ville de Brossard, où on est allés, les gens ne manifestaient
pas une grande insatisfaction ou un grand
besoin pour avoir plus d'information régionale ou locale parce qu'ils sont
habitués à consommer les médias de Montréal et même... bien, Brossard,
c'est plutôt les médias de Longueuil aussi, mais donc il y a un travail à faire
aussi, évidemment, pour cultiver cette demande.
Mme Fournier :
...pourrait viser spécifiquement la région du 450.
Mme Brin
(Colette) : Entre autres, oui.
La
Présidente (Mme Nichols) : Je vous remercie, Mme Brin,
merci, M. Descôteaux, de votre apport à cette commission. C'était
vraiment très bénéfique pour nous tous.
Et nous allons
suspendre, le temps de laisser s'installer le prochain groupe. Merci.
(Suspension de la séance à
11 h 53)
(Reprise à 11 h 55)
La Présidente
(Mme Nichols) : ...dernier groupe de la journée et de la semaine.
Je souhaite la bienvenue aux représentants de l'École des médias de l'Université du Québec à Montréal. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, puis nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission.
D'emblée,
je vais avoir besoin d'un consentement avec les membres
de la commission pour aller un petit peu au-delà de l'heure prévue.
Des voix :
...
La
Présidente (Mme Nichols) : Merci pour votre consentement. Alors,
je vous invite donc à vous présenter ainsi que les personnes qui vous
accompagnent et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
École des médias
de l'Université du Québec à Montréal
Mme Lortie
(Suzanne) : Tout d'abord, merci de nous avoir invités chacun de notre
côté, merci de nous entendre ensemble. On a tous les deux été invités
par la Commission de la culture et de l'éducation à déposer, donc, un mémoire
dans le cadre du mandat, mais on a choisi délibérément, nous deux, de présenter
un mémoire commun afin de combiner nos expertises respectives.
Je
m'appelle Suzanne Lortie, je suis professeure à l'École des médias de l'UQAM et
responsable du programme de stratégies.
M. Roy
(Jean-Hugues) : Pour ma part, je m'appelle Jean-Hugues Roy,
responsable du programme de journalisme à la même École des médias de
l'UQAM.
Mme Lortie
(Suzanne) : Alors, nous sommes les derniers. Vous avez entendu
beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses.
Notre intervention se veut essentiellement prospective ici aujourd'hui. Au-delà
de la crise financière actuelle et des mesures urgentes qui doivent...
et qui seront prises, nous en avons confiance, nous sommes intéressés, pour le
contexte québécois, à ce que nous croyons
non seulement possible, mais politiquement souhaitable. L'idée, c'est qu'on
espère vous transmettre une partie de notre vocabulaire et de nos arguments
pour que vous soyez capables de communiquer à vos électeurs et à vos collègues les mesures à prendre et le passage à
faire. C'est un passage dans un environnement médiatique qui est
toujours plus social et de plus en plus social. Ce que ça signifie, c'est que
la forme des interventions politiques développées
et conçues pour les environnements des médias du XXe siècle auront besoin de
réformes pour être effectives et
efficaces dans ceux du XXIe — voilà — notamment en ce qui concerne, dans un
premier temps, la lutte effective contre les défaillances potentielles
du marché dans la production d'un bien public que permet le journalisme
professionnel, indépendant et de qualité, et
l'arrivée de nouveaux joueurs d'ici, les jeunes journalistes et les jeunes
médias, dans un deuxième temps, la garantie d'un marché de médias efficace et
concurrentiel, et, dans un troisième temps, l'assurance que les citoyens
développent une connaissance des médias et
de l'information suffisante pour naviguer efficacement, et dans leur propre
intérêt, dans l'environnement médiatique.
Comme
l'a si bien exprimé Philippe Lamarre cette semaine, il faut combattre l'offre
par l'offre. Plus spécifiquement et
sans répéter tout ce qui a été dit depuis lundi, nos réflexions ont porté, bien
évidemment, sur le soutien du journalisme par des mesures fiscales. Nous privilégions plus les mesures fiscales
indirectes à long terme, la valorisation des données échangées — le point crucial de notre mémoire, en
fait — tant
pour les producteurs de données que pour les organisations qui transforment ces
données, qui sont redevables envers leurs producteurs, et une série de pistes
de réflexion, tout en respectant un Internet libre, qui vont susciter
une lecture critique de la structure de l'information journalistique, de son partage, de sa portée et de son rayonnement, ainsi
qu'une réflexion sur l'impact de l'augmentation du volume de data sur
les infrastructures, sur le développement durable des infrastructures
technologiques et culturelles au Québec.
Le
développement du data, ça a un prix que nous allons devoir soutenir
collectivement et assumer collectivement. D'entrée de jeu, nous, ce
qu'on dit, c'est que le journalisme québécois sous toutes ses formes est un
produit culturel. L'information participe à la
création identitaire, au même titre que la littérature, le théâtre, la musique,
etc. La présentation de Marie Collin, de Télé-Québec, cette semaine, a
été claire, précise, concise et juste.
Nous
nous permettons de plus de citer Alexis Martin, qui lui-même citait Georges
Bataille, la semaine dernière, à Plus on est de fous, plus on lit, à
Radio-Canada : «La culture, c'est peut-être ce rêve dérangeant de ceux qui
"ne veulent plus vivre avec des
yeux crevés"...» Voilà. Dans un monde où le data est roi, la publicité,
c'est un produit transformé à partir du data, et c'est pour ça que nous mettons les
données au coeur de nos recommandations et la valorisation des données au coeur
de nos recommandations.
• (12 heures) •
Nous
proposons aussi, comme tous ceux qui ont témoigné cette semaine, de nous
questionner sur la transformation des conditions de travail des journalistes et
des éditeurs, sur les modèles de production de sens et de confiance, sur des
pistes qui remettent en perspective les utopies technologiques et
technocentristes, des pistes qui invitent à réfléchir à la façon dont les lecteurs, les téléspectateurs, bref, les
citoyens contribuent et à ce qu'ils retirent de ces modèles, paradoxalement, en
perpétuelle continuité. Ce n'est plus
uniquement le data de l'information qui compte seul, c'est le data du public,
des citoyens, des auditeurs, des
lecteurs adultes et enfants. Ce sont nos quêtes, nos recherches, nos
questionnements, nos conversations, nos affects, notre confiance, notre affiliation,
nos affinités qui sont monétisées et qui créent du data parce qu'ils créent du data, justement. En plus, au-delà de
la finesse des modèles de ciblage publicitaire, dont Facebook et Google sont
devenus les experts, et des moteurs
de recommandations — et on espère un jour être capables de
changer l'acronyme GAFA pour quelque chose d'autre — ce sont nos conversations qui sont en train
de changer par leurs interventions et par leur curation.
Culture
et information québécoises sont dans le même bateau au coeur de la tempête
provoquée par les géants du Web.
Culture et communications font déjà partie du même ministère et, à notre avis,
doivent être considérées ensemble dans
la réflexion amorcée par la
commission. Cette posture permet aussi à l'Assemblée nationale de réaffirmer
que l'information fait partie intégrante de ses compétences, ce qui lui permet
d'agir, vu l'immobilisme actuel du gouvernement fédéral.
Nous
avons abordé le contexte réglementaire. On ne reviendra pas là-dessus parce
qu'en ce moment il y a une grande partie
de ça qui est à Ottawa. On a aussi abordé, dans notre mémoire, un contexte
économique, dont Jean-Hugues va vous faire part, et un contexte
sociotechnologique.
Notre
réflexion nous a amenés à un point crucial, c'est que la mutation constante des
formes des médias et de la distribution/diffusion
doit nous faire prendre en compte que les points éventuels d'aide aux médias
deviendront très rapidement désuets
si on ne définit pas ce qu'est un distributeur, si on ne comprend pas, si vous
ne comprenez pas vous-mêmes, dans vos
coms, le paradoxe qui existe entre travailler une niche et «scaler» un modèle
ou si on est sur la défensive — excusez-moi le jargon. Nous invitons donc le gouvernement à penser en termes
politiques et non en termes de solutions représentant sur la technologie donnée, sur un modèle technologique
particulier pour en arriver à augmenter les revenus dédiés à ce que
nous, on voudrait être une super-SODEC ou un fonds des médias du Québec.
Nous avons donc... Je
laisse la parole à Jean-Hugues.
M. Roy
(Jean-Hugues) : Trois minutes, très rapidement. Suzanne a éloquemment
résumé notre mémoire. Tout ce que je
pourrais ajouter, justement, c'était de regarder le contexte économique des
médias. J'étais surtout curieux de voir... bien, surtout, ce qui est important pour moi de faire, c'est de
démontrer que les médias, ils en ont fait un, effort pour s'adapter. Ils l'ont pris, le virage numérique dans les 10
dernières années. Ils ont réduit leurs dépenses de différentes façons, hein?
M. Péladeau est venu dire comment il
s'y est pris, lui, devant vous cette semaine. Les gens de La Presse
ont fait aussi un effort en éliminant
la dépense de l'imprimerie. Donc, ça, ils l'ont fait. D'autre part, ils ont
fait plusieurs efforts pour aller augmenter leurs revenus : ils
organisent des événements, ils ont de plus en plus recours à leur public à
travers les abonnements. Et certaines de ces façons d'aller chercher d'autres
revenus, à mon sens, sont une bien plus grande menace à l'indépendance des médias. Je pense à la publicité native, le
recours au contenu commandité, ça, c'est... voilà, ça, ça menace carrément l'indépendance, d'où, donc,
l'importance, l'intérêt de bénéficier d'une aide du public. Le consensus est
que ça prenne la forme de crédits d'impôt, mais toutes ces mesures-là, à notre
sens, ça va être autant de petits diachylons tant et aussi longtemps qu'on n'ira pas chercher l'argent là où il se
trouve. Les gens, les Québécoises, les Québécois, hein, ont soif d'information. Où est-ce qu'ils vont
chercher cette information-là? En achetant des appareils comme celui-ci, en
s'abonnant à Internet, en installant... en payant pour des forfaits de données
sur leur téléphone cellulaire. Ça coûte une fortune.
Alors, tout le monde s'entend pour taxer les GAFA, mais il y a un autre grand
absent, je pense, dans la commission, ce
sont les fournisseurs d'accès à Internet, qui pourraient être mis, eux aussi, à
contribution, je pense à Rogers, Bell, Vidéotron et d'autres. On va
arrêter là pour... Et les recommandations, mon Dieu, très rapidement...
Mme Lortie
(Suzanne) : La première recommandation qu'on fait, en fait, ça va dans
le sens de ce qui a été fait par Urbania,
c'est-à-dire la création d'une super-SODEC, O.K.? Ça a l'avantage, en fait,
d'avoir déjà un cadre réglementaire, une
expertise et des gens qui travaillent là qui sont capables d'amener une
expertise historique en culture, donc crédits d'impôt, et compagnie,
etc., soutien aux médias.
À
la recommandation n° 3, ce qu'on veut souligner, c'est qu'il faut que
le Québec, dans sa conception de sa politique sur l'approche aux GAFA,
se rapproche de l'Europe, fondamentalement, donc les données, à un moment
donné, soient considérées comme étant une matière première.
M. Roy
(Jean-Hugues) : Oui, un autre intervenant aujourd'hui,
M. Desîlets, l'a bien dit, là, toutes mesures qui ne tiendront pas compte de la valeur des données dans le monde
d'aujourd'hui, elles risquent d'être vaines. Alors, nous, c'est central dans notre recommandation 4 et 6, on vous dit : Le législateur
a le pouvoir d'obliger les entreprises... toute entreprise qui collecte des
données sur les Québécoises et sur les Québécois et qui fait de l'argent
avec ça, bien, vous avez le devoir d'aller voir il y a quoi, comme données, qu'est-ce qui circule comme informations sur ces
plateformes-là. En ayant accès aux
données, vous allez pouvoir le savoir et vous allez pouvoir mesurer aussi la
valeur de ces données-là et aller imposer, donc, les revenus qui sont
faits avec.
La
Présidente (Mme Nichols) : Je vous remercie de votre exposé. Nous
allons maintenant commencer la période d'échange. Vous pourrez
poursuivre, évidemment, à nous donner de l'information avec le député de
Beauce-Sud.
M. Poulin :
Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Lortie, M. Roy, pour votre
excellent travail puis pour vos recherches.
Merci de nous amener également sur le terrain des données, qui est de l'or de
nos jours, bien évidemment, pour plusieurs
grandes entreprises mais également pour les médias. On souhaite avoir de l'information,
c'est de savoir les gens se situent où, qu'est-ce qu'ils font, et ça
nous oriente parfois vers des placements publicitaires.
Il
n'en demeure pas moins que vous avez une grande expertise également au niveau
des jeunes, comme École des médias.
Vous faites une proposition fort intéressante, la 12, vous dites : «Que le
gouvernement québécois mette sur pied un programme d'allocation directe
aux jeunes destiné à stimuler la consommation et l'expérience de produits
culturels et d'information de proximité.» On
a déjà fait le choix, au Québec, il y a quelques années, d'abolir la TVQ sur
certains biens culturels québécois,
qui est un incitatif, justement, visant à inciter les gens à consommer des
biens culturels. Et je veux vous entendre
là-dessus, avec vos recherches. Oui, on peut, par exemple, encourager les
jeunes à se tourner vers de l'information québécoise, à se tourner vers des biens culturels québécois, faut-il
encore qu'ils puissent... que ce soit accessible et que ça les intéresse
aussi. Et, dans tout le virage numérique, on en a parlé tout à l'heure, on en
reparle aujourd'hui, on parlait... quelques
minutes, où on disait : Bon, il y a des gens qui ont l'impression d'avoir
fait le virage numérique, puis tout est réglé, merci, bonsoir, c'est fait, alors que ce n'est pas ça. Souvent, une fois
qu'on l'a fait, il faut recommencer à penser à ce qui s'en vient, on l'a bien indiqué tout à l'heure.
Alors, moi, je me dis, oui, peut-être, inciter les jeunes à consommer, mais
est-ce qu'ils vont y rester, est-ce
qu'ils vont aimer? Et, selon vous, est-ce que notre plateforme... nos
plateformes médiatiques sont suffisamment attirantes pour la jeunesse?
Mme Lortie
(Suzanne) : Oh mon Dieu! Je pense que la question est très vaste puis
je pense qu'il y a plusieurs plateformes
pour la jeunesse. Je pense qu'il faut d'abord et avant tout se rendre compte
que les cycles sont très, très courts. Je vous conseille, en fait, de ne
pas cligner des yeux quand vos enfants grandissent, parce qu'ils sont volatils.
M. Poulin :
Ça va vite.
Mme Lortie
(Suzanne) : Ça va très, très, très vite.
L'autre
chose, je pense qu'ils sont attachés à des expériences, à des produits et pas
nécessairement à des plateformes, et
donc ils vont se promener d'une plateforme à l'autre. Et, bien souvent, la
plateforme n'est pas nécessairement non plus le meilleur endroit, en
fait, en termes de découvrabilité.
Une
chose que je voudrais souligner, qui a été relevée dans le rapport du Centre
d'études des médias, qui nous ont précédés,
c'est l'importance de la communication pair à pair. Et on oublie à quel point,
donc, les conversations se passent, entre
les gens, à l'extérieur des plateformes et en messagerie privée, de plus en
plus en messagerie privée, surtout chez les jeunes. TikTok s'en vient,
et là... Et c'est pour ça, d'ailleurs, que, nous, le dénominateur commun de nos
systèmes de financement qu'on veut faire,
c'est qu'on veut revenir au degré zéro, en fait, de ce qui se passe avec le
numérique, c'est-à-dire l'unité zéro... où est la valeur, c'est la
donnée. La recommandation pair à pair va faire en sorte que les jeunes vont sauter d'une plateforme à l'autre, ils sont à la
recherche d'un produit et d'une expérience. Impossible de qualifier la qualité
des productions mur à mur au Québec, c'est
impossible, mais ce qui est certain, c'est qu'on a des productions
extraordinaires qui se font,
extraordinaires. Le cas de Télé-Québec est flagrant, mais on espère aussi que
le réinvestissement à Radio-Canada, par exemple, en production jeunesse va faire
en sorte qu'on va arriver avec des nouvelles émissions, des nouvelles découvertes. Et il y en a d'autres qui se font
ailleurs. Je veux souligner aussi l'importance de l'audio et du balado. On
oublie qu'il y a énormément de développement qui se fait du côté de la
production culturelle audio.
M. Poulin :
Je vous remercie. Je cède la parole à un de mes collègues.
La
Présidente (Mme Nichols) : Alors, j'avais le député de
Sainte-Rose qui a demandé la parole, suivi de Saint-Jérôme et de
Saint-Jean.
• (12 h 10) •
M. Skeete :
Merci beaucoup de me dire l'ordre à venir, je l'apprécie, Mme la
Présidente. Je me permets de vous saluer, merci beaucoup.
En
fait, j'ai immédiatement saisi votre dénominateur zéro. Je comprends comment
que les compagnies informatiques ont
commodifié la donnée. Je vois très bien que c'est vraiment là que la valeur,
elle est. Mais comment un gouvernement pourrait
s'attarder... C'est quoi, la... Comment vous voyez la taxation de la donnée
ou de donner un prix à cette donnée-là? C'est-u la TVQ? Quand les
abonnés se joignent, mettons, est-ce qu'on va ajouter une taxe aux citoyens
pour avoir des cellulaires ou accès à l'Internet? Comment vous voyez ça?
Mme Lortie
(Suzanne) : C'est un peu un mélange de tout ça. Ce qu'on fait, nous
autres, à l'École des médias, c'est qu'on
surveille, effectivement, beaucoup ce qui se passe du côté de l'Europe parce
que, eux, leur démarche de quantification de la valeur de ces échanges-là est plus avancée et commencée déjà depuis
un certain temps. Puis ça a d'ailleurs fait sauter un peu M. Trump, quoique, cette semaine, ils
en sont arrivés à une entente, en fait, sur une mesure temporaire de taxation.
Le fameux 3 % sur le chiffre d'affaires
est une mesure temporaire en attendant la fin de négociations ou
l'aboutissement de négociations globales avec les pays membres de
l'Union européenne, globalement. Les données ont un prix, puisque Facebook les
vend.
M. Skeete :
Oui, mais...
M. Roy (Jean-Hugues) :
Mais, plus précisément, vous vous demandez... D'abord, il y a plusieurs choses
à faire. Il faut les imposer,
première étape, mais ensuite, si vous vous donnez le pouvoir d'obliger ces
entreprises-là à vous montrer qu'est-ce qu'elles ont comme données, qu'est-ce
qu'elles possèdent et quels sont les algorithmes qui les utilisent, bien
là, vous allez être plus en mesure de voir
les quantités de données et, voilà, d'aller imposer des redevances là-dessus en
fonction de la valeur de ces
données-là. C'est très difficile à faire maintenant, parce qu'on n'en a aucune
idée, mais donnez-vous le pouvoir d'aller chercher cette information-là.
M. Skeete :
Donc, vous dites : Taxer l'algorithme...
M. Roy
(Jean-Hugues) : Pas l'algorithme.
M. Skeete :
...ou taxer le consommateur...
M. Roy
(Jean-Hugues) : Non.
M. Skeete :
On est où, là? C'est ça que j'essaie de comprendre, vite, vite.
Mme Lortie
(Suzanne) : Alors, le consommateur, en ce moment, est lui-même
producteur de la donnée, il devrait en
rester le propriétaire, première des choses. Ça veut dire que tous les
consommateurs au Québec devraient être capables de récupérer leurs données et
devraient être en mesure d'exiger qu'elles soient interopérables, c'est-à-dire
de les transporter et les amener ailleurs. Cette valeur-là, par
définition, appartient à celui qui les a produits. En Angleterre, par exemple,
il y a maintenant des lois — aux
États-Unis aussi — qui
permettent aux gens de récupérer leurs données, et certaines plateformes s'y conforment. Facebook semblait, dans
certains pays, être en passe de montrer une certaine forme d'ouverture.
Ce
qui se passe en ce moment, économiquement... de façon un peu abstraite, j'en
conviens, mais ce qui se passe en ce
moment, c'est que ces données-là, qui sont des intrants pour une plateforme ou
pour une organisation, sont transformées en pubs, mais sont aussi... pas juste transformées en pubs, mais sont
aussi transformées en services qui sont vendus à des relationnistes, à des influenceurs, à des gens qui
font de la com en particulier, et ce n'est pas que de l'affichage publicitaire.
Mais essentiellement tout le modèle de revenus de ces plateformes-là est basé
sur la transformation de données d'un intrant. Ça fait que le moyen qu'on a en ce moment, c'est de regarder le chiffre
d'affaires puis dire : Bon, bien, avec ces données-là, vous êtes capables de produire un chiffre
d'affaires... et non pas des bénéfices, mais un chiffre d'affaires x sur un
territoire x, et c'est donc ça qui est en train de se passer en ce
moment.
M. Skeete :
Merci beaucoup.
La Présidente
(Mme Nichols) : La parole est au député de Saint-Jérôme.
M. Chassin : Merci. Continuons dans cette voie sur les
données. Vous comprendrez que j'y vois, moi, une piste très interventionniste,
là, j'en ai un peu des frissons. Comme dystopie, il n'y a pas grand-chose qui
me fait plus peur qu'un gouvernement qui a un droit de regard. Peut-être
mieux le définir, parce que... puis je suis sûr que vous réalisez, il y a une partie de la valeur des données et de
l'analyse de ces données-là qui dépend de l'exclusivité que, par exemple, une
entreprise détient sur ces données-là. Elle
a une analyse fine parce qu'elle a de nombreux recoupements qu'elle peut faire,
elle peut avoir une typologie, caractériser des comportements. Et donc de
permettre à l'État d'avoir un droit de regard, ce serait limité à la taxation, pour vous, ou...
Parce que vous parlez, à un moment donné, de divulguer ça, par exemple, pour
des... de façon dénomalisée, bien sûr, mais pour des travaux de recherche. Dans
un cas comme ça, ça veut dire que ce n'est plus exclusif, il y a un type d'expropriation, là, des collecteurs de
données. Comment vous voyez, disons, le danger d'aller aussi loin?
M. Roy
(Jean-Hugues) : Je ne vois pas de danger. Tu sais, votre rôle, c'est
quoi? C'est de préserver l'intérêt public, c'est aussi d'assurer une
redistribution de la richesse. Alors, ce qu'on voit, l'essentiel pourquoi on
vous propose ça comme recommandation,
c'est pour faire en sorte que la richesse qui est créée, en ce moment, grâce
aux données et qui est concentrée dans les mains d'un très petit nombre de
joueurs, bien, que vous vous donniez les moyens la mesurer et ensuite d'aller
en tirer des bénéfices, en tirer des bénéfices
pour financer l'ensemble des services publics, pas simplement la culture et l'information, mais l'ensemble
des services publics. Puis je
pense que ça, ça va être
à l'avantage de ces entreprises-là, parce
que nos données, les données qu'on leur permet d'accumuler, de monétiser, elles
ont une valeur dans la mesure où on est des citoyens informés... des citoyens en santé, des citoyens
éduqués, donc des citoyens qui bénéficions des services publics. En gros,
c'est ce qu'on dit. Je ne vois pas de dystopie là.
Mme Lortie
(Suzanne) : En fait, excusez-moi, là, je vais me permettre de rajouter
à ça. Je ne sais pas si vous avez visionné
The Great Hack sur Netflix, donc, cette oeuvre qui a été pilotée par
cette journaliste pigiste, c'est... l'utilisation de données dans une dynamique très sociométrique et prédictive de comportements
pourrait, à la limite, selon la loi britannique, être considérée comme étant de l'information stratégique.
Ça dépasse... je rejoins tout à fait Pierre Trudel là-dessus, qui est professeur à l'Université de Montréal, c'est
une question de gouvernance et de gouvernalité, en fait, par les... Il va
falloir, à un moment donné, qu'on
accepte, nous, que ces univers-là sont des continents qui ont leur propre
gouvernance... gouvernalité et leur
propre dynamique de fonctionnement et qu'ils ne peuvent pas continuer à
fonctionner à côté, au-dessus ou en dessous des lois nationales.
M. Chassin : Évidemment, on pourrait en discuter longtemps. Je
vous inviterai à prendre un café ou une bière, puis on continuera la
discussion. Mais je voudrais peut-être...
Mme Lortie
(Suzanne) : ...avec monsieur... oui, on peut... tout à fait.
M. Chassin : Mais j'aimerais quand même juste vite attirer l'attention sur une autre
suggestion. Vous parlez, par exemple, d'ouvrir des critères à la
SODEC, et ça, je trouve ça porteur. Pourquoi penser à la SODEC?
Mme Lortie
(Suzanne) : Parce que la SODEC a une... est habilitée. D'abord, elle
existe, de un. De deux, elle comprend
l'expertise et le fonctionnement en mode projets. Nous, on veut insister, en
fait, sur un financement indirect en mode projets, donc sous forme de crédits
d'impôt remboursables, parce que, de toute façon, les entreprises culturelles,
si on les considère comme ça, et médiatiques sont une succession de projets, et
parce que ça permet un ajustement à géométrie variable des projets, et ça permet une compréhension fine des métiers de
l'information, qui incluent la programmation, le design. Philippe Lamarre l'a dit aussi, chez Urbania, «the medium
is the message». Donc, ce ne sont pas que des journalistes à l'écrit, mais ce sont des journalistes à la
recherche, et d'ailleurs, par exemple, l'équipe du Gardian fonctionne
comme ça.
L'autre
chose, c'est qu'il y a des produits d'appel dans tous les médias et il y a des
produits à valeur ajoutée. Nous, ce
qu'on voudrait, ce seraient des programmes de financement qui s'adressent aux
produits à valeur ajoutée en information et en médias, et la SODEC a
cette expertise-là des formats et des types de contenu.
La Présidente
(Mme Nichols) : La parole est au député de Saint-Jean pour
2 min 40 s.
M. Lemieux :
En fait, deux minutes, parce que je veux laisser 40 secondes à mon
camarade de Beauce-Sud.
La Présidente
(Mme Nichols) : Quelle gentillesse.
M. Lemieux :
Oui. Non, mais c'est circonstanciel, c'est que c'est nos derniers mots.
On
ne peut pas remettre le génie dans la bouteille, malheureusement, mais on
aurait envie des fois, et, moi, c'est l'envie
que j'ai eue en lisant vos 13 recommandations. Je suis trop pragmatique
pour rêver beaucoup, mais ça me rappelait les jours où on se disait : On pourrait-u réinventer un Facebook à
nous autres puis contrôler au lieu de demander à quelqu'un qui le
contrôle de le déconstruire? Bien, bref, c'est... vaste programme.
Je
disais, tout à l'heure, à M. Descôteaux que j'avais envie qu'il me
dise — et il
vous reste une minute pour me répondre — il en est où, notre droit du public à
l'information. J'avais oublié ce que j'avais écrit dans ma publication, je ne
me souvenais pas si c'était «préserver le droit du public à l'information»,
«protéger» ou «garantir». Je vous vends le punch, j'ai écrit «garantir». Mais vous, vous écririez
quoi et vous en pensez quoi, de notre droit du public à l'information
aujourd'hui?
M. Roy
(Jean-Hugues) : Bon, mais je veux revenir, M. Lemieux, sur ce que
vous disiez, «le génie est sorti de la bouteille».
Ce n'est pas ça qu'on dit du... on ne demande pas que vous le remettiez à
l'intérieur. L'autre analogie, c'est «la pâte dentifrice est sortie du
tube». On ne ne dit pas ça, mais pas du tout, au contraire. Mais ce qu'on dit,
c'est que, dans le dentifrice, là, il y a de
la culture, il y a de l'information et que c'est à vous d'aller chercher... tu
sais, ça fait partie des ingrédients, donc ces ingrédients-là, ça se
paie, et on vous demande d'aller chercher cet argent-là.
Pour
ce qui est du droit du public à l'information, bien, je pense, si... plus les médias vont être affaiblis, moins il va y avoir de journalistes qui vont pouvoir gagner
leur vie au Québec, moins la liberté d'information va être forte au Québec.
M. Lemieux :
Et est-ce qu'elle a besoin d'être protégée en ce moment ou... protégée?
M. Roy
(Jean-Hugues) : Elle a besoin d'être soutenue, oui.
• (12 h 20) •
M. Lemieux : Je ne dis pas qu'on ne peut pas le remettre dans
la bouteille, on aurait envie de le remettre dans la bouteille par bons
moments.
M. Roy
(Jean-Hugues) : Ça, je... oui.
La Présidente
(Mme Nichols) : Alors, il reste définitivement 40 secondes
pour le député de Beauce-Sud.
M. Poulin : Merci, Mme
la Présidente. Vous nous excuserez,
puisque vous êtes les derniers témoins, c'est notre dernier temps, à la partie ministérielle, dans le
cadre de cette commission
parlementaire. On tient à vous
remercier, remercier l'ensemble des gens qui sont venus témoigner ici. On a eu
une semaine assez exceptionnelle, avec des gens provenant de différents
horizons, avec différents intérêts.
Je veux saluer, bien
évidemment, les collègues de la partie ministérielle, Sainte-Rose, Maskinongé,
Richelieu, Rousseau, Saint-Jérôme et
Saint-Jean, saluer la députée de Verdun, la députée de Saint-Laurent et ses
tableaux, la députée de Westmount également...
Une voix :
...
M. Poulin :
...Westmount—Saint-Louis,
bien évidemment. La députée de Taschereau vient de venir me voir parce qu'elle devait quitter pour une activité, on
la salue, bien évidemment, M. le député de Rimouski, Mme la députée de Marie-Victorin. On débute la rédaction de ce
rapport, et je suis convaincu qu'on aura des échanges, encore une fois, très
intéressants. Merci.
La
Présidente (Mme Nichols) : Alors, nous poursuivons tout de même
la période d'échange, après ces remerciements, avec Mme la députée de
Verdun.
Mme Melançon :
Très intéressant, l'idée de la super-SODEC. J'ai été huit ans à la SODEC,
donc je peux en parler en long et en
large. Et j'imagine que ce dont vous parliez tout à l'heure, c'est qu'il y a un
département complet, là, je tiens à le mentionner, qui s'occupe des crédits
d'impôt. Donc, c'est Sophie Labesse et toute son équipe, là, justement, qui,
aux crédits d'impôt, sont des experts, sont
capables... l'infrastructure est déjà là. Je salue cette idée-là, je trouve ça
très, très bien, d'autant plus que,
lorsqu'on a entendu Philippe Lamarre, d'Urbania, cette semaine, j'ai
aussi dit : C'est vrai, parce qu'en fin de compte c'est de notre culture,
c'est de notre identité qu'il est question. Quand on parle de notre
information, c'est qui on est, c'est
chez nous, c'est ce qui se passe dans nos régions, dans nos métropoles, dans
notre capitale. Bref, il faut que ce soit vu dans un tout, et,
là-dessus, je suis tout à fait d'accord avec vous.
Je
vais aller un peu plus loin, parce que... et malheureusement la députée de
Taschereau ne pourra pas abonder dans ce sens-là, mais... je ne veux pas lui
mettre des paroles non plus dans la bouche, mais actuellement nous, on a décrié
quand même qu'il y avait deux absents
majeurs, des gens qui ont quand même pignon sur rue ici, au Québec, et je vais
les nommer, c'est Facebook et Google,
qui ne sont pas là, actuellement, qu'on aurait quand même souhaité entendre.
Est-ce que vous croyez... puis là je
vais faire sourire mes collègues en face, mais, quand on parle, justement, de
pouvoir taxer, je vous ai lus, vous
êtes d'accord avec cette taxation-là auprès des géants, là, puis il faut le
faire rapidement, c'est que j'ai compris aussi.
M. Roy
(Jean-Hugues) : ...imposition, là, oui, absolument.
Mme Lortie
(Suzanne) : En fait, c'est une taxation, Jean-Hugues. C'est correct,
on est habitués à s'obstiner entre nous.
Des voix :
Ha, ha, ha!
Mme Melançon :
Mais je vous entends qu'il ne faut pas attendre après l'OCDE, là, on peut aller
immédiatement.
Mme Lortie
(Suzanne) : Non, on peut aller immédiatement, et par des mesures
temporaires, par des mesures de transition, tout à fait. C'est ce qui se passe
en France en ce moment. Ce qui se passe en France, c'est une mesure de
transition.
Mme Melançon :
Et je veux juste rappeler aux gens qui suivent nos travaux, actuellement, qui
sont à la maison, que c'est de 120 millions de dollars dont il est
question, actuellement, si on inclut, bien sûr, le Netflix, qu'on entre,
actuellement, là, qui a la taxation depuis
le 1er janvier dernier, bien sûr, les cinq points de TPS que le fédéral a
décidé de laisser sur la table. Puis
là c'est un minimum, parce qu'on a juste fait les chiffres pour Facebook, on
n'est pas allés vers Google. Là-dessus, je voudrais vous entendre.
Mme Lortie
(Suzanne) : Google...
M. Roy
(Jean-Hugues) : ...
Mme Lortie
(Suzanne) : Excuse-moi.
M. Roy
(Jean-Hugues) : ...c'est très difficile, très difficile. Facebook nous
permet, dans ses rapports annuels, de calculer la part de ses revenus qui
proviennent du Canada. Impossible de faire ça avec Google, avec Twitter, j'ai
regardé, avec d'autres entreprises, très, très difficile.
Mme Melançon :
Alors comment est-ce qu'on peut y arriver?
M. Roy
(Jean-Hugues) : En leur demandant... en les forçant à vous ouvrir
leurs portes, leurs données. Sans dévoiler des secrets industriels, bien sûr, sans... tu sais, en protégeant les
données personnelles aussi. On a déjà des lois pour protéger ces
renseignements personnels, alors il y a moyen de le faire...
Mme Melançon :
On a quand même une agence de revenu, au Québec.
Mme Lortie
(Suzanne) : ...oui, tout à fait, et qui collabore avec la SODEC, et,
je rajouterais aussi, en se rapprochant de ce que les Européens font. Il faut,
à un moment donné, aussi considérer qu'on a des alliés commerciaux en
Europe. Je pense qu'il faut vraiment y réfléchir très sérieusement.
Mme Melançon : Dans
quelques instants, je vais laisser la parole à la députée de Saint-Laurent,
mais, très rapidement, je pense que,
tout au long de la semaine, s'est dégagée une chose : on veut parler plus d'équité, et actuellement il y a inéquité.
C'est clair pour vous?
Mme Lortie
(Suzanne) : Tout à fait.
Mme Melançon :
Merci.
La Présidente
(Mme Nichols) : Alors, je cède la parole à la députée de
Saint-Laurent.
Mme Rizqy :
Merci beaucoup. Je n'irai pas dans les chiffres, ça a déjà été traité, vous
savez où est-ce qu'on loge sur ce dossier. Vous avez mentionné, tantôt, The
Hack. Et, pour ceux qui ne...
Mme Lortie
(Suzanne) : Excusez-moi, je n'ai pas compris.
Mme Rizqy :
Est-ce que vous avez, tantôt, mentionné le reportage The Hack?
Mme Lortie
(Suzanne) : Oui.
Mme Rizqy :
Parfait. Vous avez aussi parlé d'algorithmes. Je me permets qu'on retourne sur
ce dossier, juste pour le vulgariser
davantage, pour ceux qui nous écoutent puis qui ne comprennent pas c'est quoi,
un algorithme, et c'est quoi, The
Hack. Alors, en ce moment, on a
Facebook qui décide par eux autres mêmes, en Californie, comment que
l'information, le contenu sur leur
plateforme va être traité, ce que vous allez voir, ce que vous ne verrez pas.
Et on a appris, dans ce reportage, qu'en
Grande-Bretagne, sur l'élection du Brexit, il y a eu de la manipulation des
citoyens. Certains groupes, on a identifié et qu'on a ciblés, qu'on a été
capable d'amener à voter pour sortir de l'Union européenne en leur faisant voir
massivement le même contenu, souvent
de façon répétée, pour les manipuler dans les urnes. Et par la suite on
explique que la même chose a été faite lors des élections américaines
présidentielles de 2016.
Aujourd'hui,
il me semble que ça devrait être un enjeu national, de sécurité nationale, et
que nous devons immédiatement
demander à Facebook de venir s'asseoir devant nous pour venir s'expliquer,
parce qu'on a des élections fédérales, certes, mais on a aussi des
élections, au Québec, qu'on devra toujours protéger.
M. Roy
(Jean-Hugues) : Absolument, tout à fait d'accord avec vous, avec votre
constat, puis c'est un problème majeur
pour les chercheurs en communications, en journalisme. Autrefois, c'était
possible de savoir quelle était l'information qui parvenait au public. Il suffisait de mesurer ce qui a été publié
dans les journaux, ce qui était diffusé à la radio, à la télé, même dans le Web, qui repose sur des normes
ouvertes, c'était possible de le faire. Maintenant que les citoyens s'informent
majoritairement sur des plateformes comme
Facebook mais de plus en plus également sur des applications de messagerie,
WhatsApp, Suzanne mentionnait TikTok, alors...
Mme Lortie
(Suzanne) : WeChat.
M. Roy
(Jean-Hugues) : ...WeChat, en Afrique et en Chine, d'où l'intérêt,
donc, de forcer, encore une fois — ça, c'est
notre recommandation n° 5 — d'obliger ces entreprises à ouvrir un pan de
leurs API, leurs applications de programmation, à la recherche, aux gens comme
nous, comme les gens du Centre d'études des médias, pour savoir qu'est-ce
qui se passe, quelle est l'information qui
arrive aux Québécois. On n'en a aucune idée en ce moment, et ça mène aux
dérives que vous avez mentionnées.
Mme Rizqy :
Parlons de la recherche. Lorsqu'il y a eu, au fédéral, un petit peu ce que
nous, on fait ici, on a entendu, par
la suite, les groupes comme Facebook et Google dire : Bien non, c'est
correct, en Ontario, on s'investit dans la recherche universitaire. Je
suis professeure en congé sans solde pour charge publique, et, dans mon
université, c'était très clair qu'on n'était
pas à la remorque de l'industrie privée et encore moins étrangère. J'aimerais
vous entendre. Nous, au Québec, si on
a, justement, des entreprises telles que Facebook et Google qui vous offrent
leur aide précieuse pour venir faire de la recherche à l'intérieur des
murs universitaires, vous en pensez quoi?
M. Roy
(Jean-Hugues) : J'ai déjà demandé de l'aide de Facebook pour
participer à un projet de recherche, justement, en 2014. Ils ont refusé de collaborer parce que je... La question que je
posais, c'était, justement : Quelle est l'information qui parvient
aux Québécois à travers Facebook?
Aux États-Unis, en ce
moment, Facebook collabore avec un groupe de chercheurs dans le cadre du
conseil des sciences sociales. Facebook
avait promis un accès à certaines données à un groupe de 80 quelques
chercheurs. Eh bien, ce groupe de
chercheurs là est obligé d'aller sur la place publique parce que Facebook ne
collabore pas comme il l'avait promis. Donc,
on ne peut pas leur faire confiance sur du gré à gré comme ça, d'où l'intérêt,
d'où l'importance que ça soit mis dans des
législations, l'obligation de ces entreprises-là de nous... de vous laisser
voir, aux législateurs mais au public, quelles sont les données qu'elle
possède sur nous.
Mme Lortie
(Suzanne) : Oui, et, excusez-moi, je complète la réponse de
Jean-Hugues, parce que ce ne sont pas, évidemment,
tous les joueurs qui sont dans cette situation-là. À la Faculté de communication, à l'UQAM, Ubisoft a ouvert ses données
à une chaire... pour une chaire stratégique
pour les études en jeux vidéo, ses données en temps réel.
Mme Rizqy : Oui, Ubisoft, qui
est bien installé ici, au Québec.
M. Roy (Jean-Hugues) : Il y a
de bons joueurs.
Mme Lortie (Suzanne) : Il y a
de bons joueurs, donc c'est possible.
Mme Rizqy : Parfait. Juste
rapidement, Google News, vous en pensez quoi?
M. Roy (Jean-Hugues) : Ouf!
Des voix : Ha, ha, ha!
Mme Rizqy : Je pense que vous
avez répondu.
M. Roy
(Jean-Hugues) : Qui va là-dessus? Google News, qui va là-dessus? Qui
s'informe comme ça? Je ne suis pas sûr que ça fonctionne bien. Je n'ai
pas vraiment de...
Mme Lortie
(Suzanne) : Ce qu'on en sait, en fait — moi, je ne suis pas une utilisatrice non
plus — c'est
qu'il y a eu des conversations assez
tendues dans certains pays, en fait, sur la question du droit voisin, et ça a
fini... Google News s'est retiré du pays en question, la plupart du
temps, parce que c'est un échange. C'est «crois ou meurs» un petit peu.
Mme Rizqy : Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Nichols) :
Alors, la parole est à la députée de Verdun.
• (12 h 30) •
Mme Melançon :
Alors, un peu comme l'a fait le député de Beauce-Sud, d'abord, merci à vous,
merci de vous être déplacés. Merci à
tous ceux et celles que nous avons entendus durant cette semaine et à ceux
qu'on a lus, parce qu'on a aussi reçu d'autres mémoires, et il faut le
mentionner.
Je voudrais,
bien sûr, saluer les députés — messieurs — de la banquette gouvernementale, donc députés
de Saint-Jean, Beauce-Sud,
Sainte-Rose, Rousseau, Richelieu, Maskinongé, Saint-Jérôme, merci à vous de
votre présence. Merci à mes très chères
collègues de Saint-Laurent et de Westmount—Saint-Louis, merci de votre présence. Merci à la
députée de Taschereau, au député de
Rimouski, à la députée de Marie-Victorin. Je pense qu'on a été capables
d'amener un éclairage.
Ce que je
souhaite tout simplement mentionner, c'est qu'il y en a, des solutions, on en a
entendu. On ne doit pas être à la solde, je tiens à le dire, du gouvernement à
Ottawa. On peut prendre le taureau par les cornes. C'est à nous que
reviennent les décisions de la commission pour la suite des choses. Et, très
honnêtement, j'étais heureuse d'entendre tout
ce qu'on a entendu, mais maintenant le vrai travail commence, avec ce qu'on
devra écrire, de la commission, et j'espère que vos voix, messieurs,
seront entendues au sein de votre gouvernement. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Nichols) :
Merci. La parole est maintenant au député de Rimouski.
M. LeBel :
Merci. Je ne sais pas si je parle de... si je remercie tout le monde, je
n'aurais plus de temps à poser ma question.
Des voix : Ha, ha, ha!
M. LeBel : Je veux juste dire
quelque chose, par exemple, on est une commission non partisane, il faut se le
rappeler. 95 % des mémoires ont dit qu'il fallait faire des pressions sur
le gouvernement fédéral, vous le dites aussi. M. Saulnier
disait hier que le gouvernement doit avoir un rôle de leader, notre premier
ministre doit avoir un rôle de leader là-dedans.
On n'est pas à la solde du fédéral, mais on a un maudit problème avec le
fédéral, parce qu'il faut aller chercher ces outils-là. Moi, ce que je
dis : L'ensemble des parlementaires, on doit être unanimes là-dedans. On
doit être avec le premier ministre du Québec
pour assumer ce leadership-là comme Assemblée nationale. C'est l'avenir de
notre culture, de notre patrimoine qui en dépend, ça fait qu'on va
travailler ensemble.
Ma question maintenant. Dans votre mémoire, vous
ne parlez pas trop de la partie régionale, de la pénétration régionale. Pour moi, il y a un bout important
là-dedans. Si on veut... On parle de la culture québécoise, il faut connaître
ce qui se passe dans nos régions, il
faut donner la voix à nos régions. Je vous permettrais de nous en parler un
petit peu pour terminer.
M. Roy (Jean-Hugues) : On ne
parle pas de Montréal non plus. Pour nous, c'est tout ensemble, tout ensemble.
M. LeBel : ...particulière pour
les régions, il faut le dire.
M. Roy (Jean-Hugues) :
Oui, c'est clair, c'est clair. Alors, je pense qu'en ayant accès aux données,
justement, que ces plateformes-là
possèdent, on va savoir plus précisément qu'est-ce qui se passe, quelle est
l'information, encore une fois, qui
parvient aux citoyens du Bas-Saint-Laurent. Ce n'est pas mentionné, mais les
mesures qu'on propose pourraient aider, donc, à soutenir l'information
en région.
Mme Lortie
(Suzanne) : Et l'autre chose dont il faut parler, effectivement, c'est
l'impact sur les infrastructures. C'est
qu'en ce moment il n'y a pas juste des déserts de contenu, mais il y a des
déserts d'accès parce que le signal ne se rend pas, et parce que ce n'est pas
la même vitesse partout, puis parce que le déploiement final est prévu pour
2030. Ça pose un problème.
M. LeBel :
Je comprends.
Mme Lortie
(Suzanne) : 2030, c'est long longtemps. Puis, comme disait un des
intervenants ce matin, ça se peut que
les médias sociaux n'existent plus, en 2030, sous la forme sous laquelle ils
existent. C'est pour ça que tout ça, ça fait partie de la révision législative qui se fait à Ottawa sur les quatre
lois principales, en fait, qui encadrent le milieu des médias et de
la... les grappes industrielles, les milieux, les objets culturels et
médiatiques et la création médiatique et culturelle.
Maintenant,
il faut aussi se méfier des investissements technologiques qui sont faits par
des entreprises qui ne sont pas redevables et qui ne sont pas... — je vous vois hocher de la tête — qui est aussi un problème de... une perte de
contrôle sur nos infrastructures en
voulant précipiter le déploiement serait, à mon avis, tout aussi dommageable.
Il faut qu'on reste propriétaires du déploiement de nos infrastructures,
c'est clair. C'est le fédéral, ça aussi.
M. LeBel :
Merci.
La Présidente
(Mme Nichols) : Merci. Alors, la parole est à la députée de
Marie-Victorin.
Mme Fournier :
Merci beaucoup. Merci à tout le monde, aux collègues et aux intervenants, aux
différents contributeurs. Vous venez de le
dire, ça aussi, c'est fédéral. Mais là, en ce moment, en plus, on a le contexte
idéal, il y a des élections, au
niveau canadien, qui vont se dérouler dans les prochaines semaines, alors
j'espère qu'on saura utiliser cette période, disons, stratégique pour
faire valoir les demandes du Québec.
Ceci
étant dit, vous nous parlez des données, comme quoi c'est essentiel que les
géants du numérique puissent nous donner accès à l'information qu'ils
détiennent sur les Québécois pour qu'on soit en mesure de mieux les comprendre.
Est-ce que, par données, vous incluez
également, là, comme vous le faites à la recommandation 6 et 7, les
algorithmes, donc la façon dont l'information nous parvient? Et, si
c'est le cas, est-ce que vous êtes favorables à ce qu'il y ait une totale transparence? Est-ce que c'est possible, dans un
contexte de secret d'affaires derrière lequel les entreprises pourraient être,
évidemment, tentées de se cacher?
Mme Lortie
(Suzanne) : Je vais répondre à la première partie de la question. En
ce moment, on met en place des politiques de diversité à l'écran,
diversité derrière l'écran en produits culturels et médiatiques. Il faut minimalement
qu'on soit capables d'assurer que la
programmation algorithmique, qui est autant une lecture grammaticale de l'information et du média, etc... C'est la même
chose que faire du montage, c'est la même chose que de la direction photo,
c'est un métier, ça fait partie de l'information.
Comment
on fait pour vérifier s'il n'y a pas des biais, des biais de genre, des
biais... peu importe le biais? Comment on
fait pour vérifier ça? Comment on fait pour s'assurer qu'il n'y a pas, justement,
un pan de nos médias et de notre production culturelle qui est soustrait
aux avancées qu'on pourrait faire en termes de diversité et d'équité? Ce n'est
qu'un exemple.
M. Roy
(Jean-Hugues) : Cette
recommandation-là, elle est directement issue d'un rapport, d'un livre blanc que le gouvernement britannique a rendu public un peu plus tôt cette
année, l'Online Harms White Paper, donc «harms» dans le sens de préjudices, de dommages que ces
plateformes-là, oui, peuvent causer et... Bien oui, ils ont... les parlementaires
en Grande-Bretagne réfléchissent à... parce que les plateformes ont
fait la démonstration qu'elles n'étaient pas capables de s'autoréglementer. Donc, on les a laissées aller
pendant plusieurs années, là, pendant une dizaine d'années, et,
bien, voilà, ils demandent donc un accès aussi, donc, aux algorithmes
pour savoir quels sont leurs effets sur la société.
La
Présidente (Mme Nichols) : Alors, Mme Lortie, M. Roy, nous vous remercions pour votre
contribution aux travaux de la commission.
Documents déposés
J'en
profite, avant de suspendre les travaux, pour déposer deux tableaux. Donc, je
vais déposer le tableau de la députée...
deux tableaux pertinents — j'entends rire — deux tableaux très pertinents : le
tableau de la députée de Saint-Laurent et celui de la députée de Verdun,
dont les députés ont reçu des copies.
Mémoires déposés
Et
je vais aussi, avant de terminer, déposer les 27 mémoires des personnes et
organismes auprès desquels la commission
a sollicité un avis mais qui n'ont pas été entendus au cours des auditions.
Donc, je présume que vous en avez déjà pris connaissance.
Il y avait une question avant d'ajourner les
travaux. M. le député de Rimouski, oui.
M. LeBel :
Je veux juste m'assurer que... on a deux endroits à aller visiter encore, on
n'a pas fini, deux régions, et j'aimerais juste m'assurer qu'on puisse
travailler ensemble pour trouver des dates qui vont faire l'affaire de tout le
monde, que ça ne soit pas dans trop longtemps.
La
Présidente (Mme Nichols) : Oui. J'ai pris bonne note de votre
question de directive d'hier, et nous vous reviendrons très rapidement.
J'ai fait le suivi avec Mme la secrétaire de la commission.
Alors, voilà.
Donc, je vous remercie pour votre participation à nos travaux, et la commission
ajourne ses travaux jusqu'au mardi 3 septembre 2019, à
9 h 30, où elle poursuivra un autre mandat. Merci.
(Fin de la séance à 12 h 38)