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(Dix heures quinze minutes)
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission élue permanente des communautés culturelles
et de l'immigration est réunie ce matin pour entendre tous les
intervenants intéressés par la Charte de la langue
française.
Les membres de la commission sont: Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Payne
(Vachon), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Fallu (Groulx), M. Godin
(Mercier), M. Gratton (Gatineau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Laplante
(Bourassa), M. Leduc (Fabre), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Fortier
(Outremont).
Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Bissonnette
(Jeanne-Mance), M. Brouillet (Chauveau), M. Dupré (Saint-Hyacinthe), M.
Gauthier (Roberval), M. Lincoln (Nelligan), M. Martel (Richelieu), M. Sirros
(Laurier), M. Marx (D'Arcy McGee), M. Vaugeois (Trois-Rivières).
Le rapporteur de la commission est M. Laplante de Bourassa.
M. Marx: M. le Président, une question de règlement
avant qu'on commence.
Le Président (M. Desbiens): Oui.
M. Marx: M. le Président, dès le début de
nos travaux le ministre a promis de nous fournir une liste de toutes les
études et de tous les sondages qui étaient faits soit par
l'office, soit par le Conseil de la langue française et ainsi de suite.
Maintenant, le ministre a bien fourni une liste des publications du Conseil de
la langue française. Cette liste est déjà publique et on
peut en trouver une semblable n'importe où. La liste que le ministre
nous a promise n'est pas la liste des publications qu'on a déjà
publiées; la liste que le ministre nous a promise, si on vérifie
les débats, c'est celle de toutes les études et de tous les
sondages qui ont été faits, soit par l'Office de la langue
française, soit par le Conseil de la langue française, soit par
d'autres organismes sous son administration le cas échéant. Cette
liste n'a jamais été fournie. Est-ce que le ministre va tenir sa
promesse dans ce sens ou...?
M. Godin: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: M. le député de D'Arcy McGee, la liste
que je vous ai remise ou que j'ai fait distribuer inclut, conformément
à votre demande et à ma promesse, la liste des études et
sondages déjà faits, la liste des études et sondages en
cours, et des études et sondages à venir. Je ne sais pas si vous
l'avez lue avant de me poser votre question, M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Je ne l'ai pas...
M. Godin: Vous ne l'avez pas lue?
M. Marx: Non.
M. Godin: Vous ne l'avez pas lue ou pas eue?
M. Marx: Pas eue.
M. Godin: Laquelle? Celle du Conseil?
M. Marx: La liste... Tout ce que j'ai c'est la liste des
publications du Conseil de la langue française.
M. Godin: Faites, en cours et à venir mais les
publications incluent les sondages aussi parce que normalement on publie les
sondages; on ne les diffuse pas sous forme de cassette.
M. Marx: Combien de fois a-t-on déposé des
listes?
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Avez-vous déposé une liste une fois ou si
c'est déjà arrivé avant?
M. Godin: Une autre liste a été
déposée - vous étiez peut-être absent ou retenu par
d'autres activités - des travaux déjà faits,
déjà publiés, en cours et à venir, par l'Office de
la langue française. Vos collègues l'ont, ils pourraient
peut-être vous la passer.
M. Marx: Cela veut dire qu'en consultant cette liste, on peut
demander d'avoir une copie de ces études?
M. Godin: Bien sûr. Dès qu'elles seront
publiées, dès qu'elles seront accessibles et disponibles, nous
les distribuerons comme nous l'avons fait pour tous les travaux de l'office et
du conseil depuis que ces deux organismes existent. On n'a pas de secret ni de
cachette, M. le député.
M. Marx: Bon, si on n'a pas de cachette, c'est nouveau.
M. Godin: Merci beaucoup. Merci, c'est gentil de votre part. Cela
commence bien une journée.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: Pour ramener le ministre à sa bonne humeur
habituelle, j'aimerais, très brièvement, qu'on inscrive au
journal des Débats l'entente que nous venons de conclure entre nous
quant à nos travaux de demain. Nous devons rencontrer quatre organismes
demain. Une suggestion a été faite et retenue des deux
côtés pour commencer demain à 9 heures plutôt
qu'à 10 heures de façon à permettre à chaque
député de quitter Québec pour retourner dans son
comté le plus tôt possible demain après-midi. Cela va
permettre à l'Institut conjoint hospitalier de Montréal, qui
devait être le quatrième intervenant demain, d'être le
premier invité, de 9 heures à 10 heures, mais avec la stipulation
qu'a acceptée l'institut de s'engager d'avance à ne pas
dépasser 10 heures de façon à ne pas brimer ceux qui
étaient déjà inscrits pour 10 heures, c'est-à-dire
le Congrès juif canadien.
Pourrions-nous en faire une entente formelle immédiatement pour
que les gens puissent être avertis en conséquence?
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: M. le Président, sur ce point comme sur bien
d'autres, nous sommes tout à fait d'accord.
M. Gratton: Merci.
Le Président (M. Desbiens): II y a donc entente pour
commencer la journée de demain à 9 heures en recevant l'Institut
conjoint hospitalier de Montréal comme premier intervenant.
Aujourd'hui, nous recevons, dans l'ordre: le Conseil du patronat, la
Société Saint-Jean-Baptiste, Bell Canada, la
Confédération des syndicats nationaux et la
Fédération des affaires sociales, le Parti
québécois Montréal-Centre, le Parti
québécois Dorion.
Il y a également des mémoires qui ont été
présentés pour dépôt seulement et qui sont les
suivants: le Comité national des anglophones du Parti
québécois; la Commission scolaire Baldwin-Cartier; Mme Billy
Canellopoulos; l'Association des commissions scolaires protestantes du
Québec; la Conférence des maires de banlieue; M. Camil Marchand;
le Conseil québécois du commerce de détail; Alcan; et Mme
Josée Coallier et M. Robert Ascah.
Le premier organisme, ce matin, c'est le Conseil du patronat. M. Allard,
si vous voulez d'abord présenter les personnes qui vous accompagnent et
ensuite procéder à votre présentation tout en rappelant,
au début de nos travaux, qu'il est de commune entente qu'on essaie, sans
que ce soit une règle absolument stricte, de limiter à une heure
l'ensemble d'une présentation. Évidemment, si on veut
procéder, à l'intérieur de ce délai, à une
période de questions et à des échanges, on peut
présenter un résumé des mémoires, autant que
possible. M. Allard.
Conseil du patronat du Québec
M. Allard (Sébastien): Merci, M. le Président. M.
le ministre, mesdames et messieurs, vous me permettrez d'abord de
présenter les membres de notre groupe. À ma droite, M. Guy
Laflamme, président de Les industries de la Rive-Sud; à ma gauche
immédiate, M. Ghislain Dufour - je ne sais pas si c'est
nécessaire de le présenter -vice-président du Conseil du
patronat, ainsi que M. Marcel Côté, associé senior de SECOR
Ltée.
Nous avons intitulé notre mémoire "Où en
sommes-nous six ans plus tard?" La question de la langue est certainement l'un
des sujets qui ont provoqué le plus de débats et soulevé
le plus les passions des Québécois au cours des quinze
dernières années. Le Conseil du patronat du Québec a
toujours joué un rôle très actif dans ces discussions
à titre de porte-parole de la communauté patronale. C'est
à ce titre que, six ans après la sanction de la Charte de la
langue française, le CPQ répond à l'invitation du
gouvernement: faire le point sur la loi 101 et son application en vue
d'apporter les correctifs qui s'imposent pour que les objectifs visés
soient pleinement atteints tout en évitant, dans la mesure du possible,
les retombées négatives.
Nous rappellerons, dans la première partie de notre
mémoire, les positions prises antérieurement par le CPQ sur cette
question. Nous présenterons, en deuxième partie, les principaux
résultats d'un sondage que le CPQ a réalisé auprès
de ses membres en août dernier sur la loi 101 et son application. Nous
formulerons, en terminant, un certain nombre de recommandations
générales fondées sur les résultats de ce
sondage.
Pour rappeler nos positions antérieures,
nous sommes d'accord avec l'idée générale d'une
action concertée entre l'État, les entreprises et les citoyens en
vue de promouvoir l'usage du français au Québec et de parvenir
à en faire la langue principale dans les activités
économiques et culturelles. Ce n'est pas une déclaration que nous
faisons aujourd'hui; cette phrase est tirée du mémoire que
présentait le CPQ en juin 1977 devant la commission parlementaire de
l'éducation, des affaires culturelles et des communications sur le
projet de loi 1, Charte de la langue française au Québec.
Dès l'amorce des discussions sur ce qui est devenu par la suite
la loi 101, le CPQ a donné un appui sans équivoque au
gouvernement du Québec, tant au plan des principes énoncés
qu'à celui des objectifs visés. Dans la mesure où
l'intention du projet de loi était d'inscrire dans la vie
concrète du Québec une présence toujours plus active du
français et des francophones, le CPQ l'appuyait fermement. Cependant,
par le biais de la promotion du français, le but concret que poursuivait
le CPQ, c'était d'abord et avant tout la promotion des francophones,
c'est-à-dire leur bien-être et leur progrès. C'est pourquoi
nous affirmions que les moyens mis de l'avant pour assurer une évolution
linguistique désirable doivent tenir compte des conditions de la vie et
du développement économique d'un Québec
intégré à l'économie nord-américaine.
Le CPQ a particulièrement manifesté son accord avec les
énoncés suivants: d'abord le caractère fondamentalement
français du Québec; ensuite le droit de la majorité
francophone de parler sa langue au travail et d'être servie en
français; la nécessité de donner, par l'affichage et les
autres textes exposés à la vue du public, une image fidèle
de la réalité du Québec et, enfin, la
nécessité de respecter les droits des minorités.
Quant au choix des moyens pour atteindre les objectifs fixés, le
CPQ a toujours soutenu que la promotion du français ne peut pas
être considérée comme un absolu et que d'autres objectifs
sociaux, les libertés démocratiques fondamentales, le
progrès économique, le respect des minorités, doivent
fixer les limites de l'intervention directe de l'État dans la vie des
citoyens.
Les préoccupations du CPQ à ce sujet se regroupaient alors
autour de quatre thèmes principaux: Premièrement, le
régime scolaire doit rendre toujours possible le recrutement national et
international des compétences nécessaires à
l'amélioration de la gestion de nos entreprises, à la recherche
et a l'innovation technologique; deuxièmement, l'obtention d'un permis
ne doit pas être conditionnelle à des considérations
discriminatoires autres que celles pour lesquelles il a été
spécifiquement créé; troisièmement, les
sièges sociaux de sociétés faisant affaires à
l'extérieur du Québec doivent trouver au Québec des
conditions favorables à leur développement. De même, les
sociétés nationales et internationales doivent avoir avantage
à faire du Québec leur principale place d'affaires pour le
Nord-Est américain. Quatrièmement, les comités de
francisation, à cause du rôle qui leur serait confié ou de
leur composition, ne doivent pas introduire dans les entreprises des principes
de gestion contraires à ceux habituellement appliqués dans le
milieu des affaires.
Le CPQ abordait l'importante question de la langue d'enseignement avec
une insistance toute particulière et soulignait la grande ouverture
d'esprit nécessaire pour traiter de cette question. Il
présentait, à ce sujet, une position comportant trois
éléments. Liberté de choix de la langue d'enseignement
pour tous les résidents canadiens actuels. Deuxièmement,
après la promulgation de la loi, tous les nouveaux immigrants au
Québec autres que ceux d'ascendance anglophone ou francophone devront
s'intégrer à l'école française sous réserve,
cependant, qu'il est essentiel que les programmes scolaires soient
restructurés pour dispenser un meilleur enseignement de la langue
seconde, tant française qu'anglaise, aux étudiants des deux
réseaux scolaires. Troisièmement, des dispositions de
résidence temporaire devront être prévues.
Où en sommes-nous actuellement? Six ans plus tard, nos positions
demeurent généralement les mêmes. Les principes sur
lesquels nous nous sommes appuyés au cours des ans en matière de
législation linguistique demeurent valables et ils servent toujours de
base à notre argumentation. Aussi, le CPQ n'a-t-il nullement l'intention
de demander l'abrogation de la loi 101, ni même de réclamer des
modifications qui modifieraient les fondements de cette loi, sauf dans le
domaine de la langue d'enseignement. Fort de six ans de vécu avec la
réalité de la loi 101, le CPQ demandera plutôt aux
législateurs d'apporter certaines corrections à la loi, certains
amendements à la réglementation qui, associés à une
plus grande ouverture d'esprit de certains fonctionnaires, faciliteraient
l'atteinte des objectifs que vise la loi.
Rares sont les débats qui gagnent en qualité à
être engagés sur le ton de la croisade et au terme desquels les
protagonistes sont rangés dans le clan des bons ou dans celui des
méchants. Particulièrement dans un domaine aussi chargé
d'émotivité que celui de la question linguistique, il faut
éviter de cristalliser des positions qui deviennent alors rapidement
irréconciliables. Le CPQ s'est, pour sa part, toujours efforcé de
développer son argumentation sur cette question importante à
l'intérieur d'une démarche rationnelle,
réaliste, bien appuyée sur des principes qui ne sauraient
être ignorés dans toute société pluraliste et
démocratique. (10 h 30)
Le CPQ souhaite que tous les intervenants engagés dans cette
activité de révision de la législation sur la langue au
Québec procèdent de la même façon et que l'opinion
exprimée par chacun reçoive tout le respect qu'elle
mérite. Nous éviterons ainsi d'assister aux charriages qui ont
antérieurement marqué ce débat et nous éliminerons
du même coup les étiquettes qui ont souvent été
attribuées au monde patronal dans ce même débat. La
qualité des échanges n'en sera qu'améliorée.
Je demande maintenant à M. Dufour de poursuivre avec notre
sondage.
Le Président (M. Desbiens): M. Dufour.
M. Dufour (Ghislain): M. le Président, c'est le corps de
notre mémoire que nous abordons maintenant. Pour se présenter
devant vous, nous avons voulu vérifier dans le champ ce que pensent
vraiment les entreprises qui sont membres du Conseil du patronat. Je vous
rappelle que le Conseil du patronat est une fédération
d'associations qui regroupe 132 associations. Ce ne sont pas ces gens-là
qu'on est allé interviewer. Ce sont vraiment nos membres corporatifs.
Ces membres corporatifs sont au nombre d'à peu près 350; ils
représentent de façon assez générale la grande
entreprise, donc, les gens qui sont en situation de décision et qui sont
vraiment concernés par la loi 101. Quand nous avons envoyé notre
questionnaire à ces 350 entreprises, nous avons même, de
façon délibérée, enlevé toutes celles qui
n'avaient pas 50 employés, parce qu'on se disait qu'on irait
vérifier quelque chose qui ne donnerait rien, étant donné
qu'elles ne sont pas assujetties au programme de francisation. Alors, de
façon automatique, on les a exclues de notre sondage, ce qui nous en a
donné 280.
La question qui peut se poser immédiatement: Ces 280,
étaient-ce des anglophones ou des francophones? C'est un débat
dans lequel, nous, on n'ose pas nous embarquer, parce que, pour définir
une entreprise anglophone ou francophone, il n'y a personne qui nous a
donné une définition qui soit acceptable à ce jour. Nous
avons des entreprises anglophones qui sont présidées par des
francophones et nous avons l'inverse. Alors, si vous vous basez tout simplement
sur vos "mailing lists", cela ne donne absolument rien de faire ce genre de
démarche. Nous avons donc envoyé le questionnaire aux 280 et,
après un taux de réponses de 52% - 145 entreprises nous ont
retourné ce questionnaire - nous nous sommes demandé comment on
les regrouperait. Le choix qui a été fait, c'est le choix de la
tradition de l'entreprise au plan linguistique, avant l'arrivée de la
Loi 101. Donc, en 1975, vous aviez quoi comme tradition linguistique? Est-ce
que vous administriez un siège social en anglais ou en français?
Nonobstant des hommes cela n'a rien à avoir. C'est cette
définition qu'on a constamment dans notre sondage.
Ce sondage, d'ailleurs, n'a pas été un sondage maison. Il
a été confié à la firme SECOR, qui est la
Société d'études et de changements organisationnels. M.
Marcel Côté, associé senior, pourra répondre aux
questions de méthodologie éventuellement. Je l'ai
mentionné, nous avons reçu 138 réponses et 37 entreprises
étaient des entreprises de tradition francophone. Elles embauchent tout
près de 60 000 travailleurs ce qui veut dire en moyenne 1600
travailleurs ce qui est très représentatif des problèmes
qu'ils ont pu connaître.
Chez les anglophones, c'est un effet du hasard, mais il y en a eu 101
qui ont répondu. C'était plus que cela, c'était 108 mais
il a fallu en exclure vu qu'il y en avait qui ne nous avaient pas
identifié leur tradition et vu que notre critère de base est la
tradition, on ne pouvait pas procéder; c'est 101. Elles embauchent 168
000 travailleurs pour une moyenne de 1672 travailleurs. Encore là, c'est
très représentatif.
Je n'ai pas l'intention de vous donner toutes ces statistiques que l'on
retrouve dans ce sondage. D'ailleurs, vous l'avez, il a été
distribué en même temps que le mémoire comme tel. De toute
façon s'il y en a qui ne l'ont pas on a des copies disponibles. On va
essayer d'aller chercher les points clés du sondage. On n'a pas
tellement insisté sur les programmes de francisation comme tels. Vous
allez entendre un autre groupe, le Centre linguistique de l'entreprise, lequel
a une mission très particulière dans le sens de l'implantation
des programmes de francisation et lequel a axé son mémoire sur
les problèmes vécus comme tels des programmes de francisation. On
a essayé plutôt de couvrir l'ensemble de la loi, ce qui ne nous
pas empêché de leur poser des questions sur les programmes de
francisation comme tels.
On réalise que chez les francophones d'une façon
générale, en ce qui a trait aux objectifs, aux
échéanciers à rencontrer, il n'y a pas eu tellement de
problèmes. Sauf quelque chose qui est noté et qui est important,
soit la relation qui semble avoir été difficile entre les
fonctionnaires de l'office et les intervenants dans l'entreprise pour les fins
de négociation des programmes de francisation. Nous étions
vraiment entre francophones et il semble bien y avoir eu des
problèmes.
L'autre constatation qu'on peut faire, c'est sur le programme de
francisation comme tel. Il y a 33% des entreprises qui
(Dix heures trente-neuf minutes)
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Je voudrais aviser nos invités qui devaient être à
la commission ce matin -d'ailleurs, vous êtes tous ici - qu'une
décision vient d'être prise à l'Assemblée nationale,
disant que cette commission sera télévisée. Elle sera
retardée jusqu'à 14 heures ou à une date
ultérieure, mais elle se tiendra au salon rouge et elle sera
télévisée. On attend les directives de l'Assemblée
nationale pour savoir si nos travaux débuteront à 14 heures ou
à une date ultérieure. Merci.
Une voix: Que les gens soient disponibles.
Le Président (M. Gagnon): On vous demande de rester
disponibles, oui.
(Fin de la séance à 10 h 40)
ont répondu qui nous disent que cela a vraiment
entraîné une complexification des procédures
administratives: la paperasse, la bureaucratie. C'est quand même
important, 33%. Là où il y a une réponse qui est positive,
c'est concernant l'article 42, par exemple, qui avait fait craindre un peu au
début l'obligation de passer dans un journal francophone une annonce,
pour un poste lorsqu'on la fait passer dans un journal anglophone. L'article 42
n'a pas créé de problème. On réalise aussi que,
tant chez les francophones que chez les anglophones, le comité de
francisation n'a pas créé de problème. On avait certaines
craintes sur la façon dont le comité de francisation pourrait
être utilisé, et chez les anglophones et chez les francophones,
mais on réalise que le comité de francisation n'a pas vraiment
créé de problème.
Là où il y a eu problème c'est à l'article
46 de la loi, en vertu duquel l'employeur doit faire la preuve de la
nécessité du bilinguisme avant de combler un poste. On
réalise que dans 29% ou 30% des cas les entreprises anglophones, qui ont
le fardeau de la preuve dans ce domaine, ont rencontré un certain nombre
de difficultés; 29%, c'est quasiment une entreprise sur trois, donc il y
a sûrement un problème majeur de ce côté.
D'une façon globale, sur le problème de la francisation,
la question qui était posée était la suivante: Y a-t-il
des éléments du programme de francisation qui vous apparaissent
irréalistes ou inutiles? Là il y a une différence entre
les anglophones et les francophones. Chez les francophones, on a mis en cause
les méthodes: 53% des gens nous font des commentaires négatifs
sur les méthodes alors que chez les anglophones, ce ne sont pas
tellement les méthodes mais les échéanciers. Et cela se
comprend parce que, bien sûr, il y avait beaucoup plus à faire en
termes de mesures concrètes à prendre au niveau de la
réalisation de leur programme.
Cela termine donc ou à peu près la vision globale, sauf
qu'on leur demandait: Est-ce que les programmes de francisation ont pu
créer sur un certain nombre de points des problèmes très
concrets que vous pouvez identifier et que vous pouvez même
comptabiliser? On réalise, par exemple, que chez les anglophones - cela
n'est pas surprenant - 95% des répondants nous disent que cela a
créé des problèmes, soit majeurs soit mineurs, mais cela a
vraiment créé des problèmes de coût.
La deuxième préoccupation chez les entreprises
anglophones, c'est ce qu'on appelle la mobilité interne du personnel,
les mouvements de main-d'oeuvre à l'intérieur de l'entreprise. La
troisième, ce sont les relations avec les employés, et les
relations avec les fournisseurs et la clientèle sont toujours
identifiées à 55%-60% comme ayant créé des
difficultés.
Chez les francophones, 76% nous parlent de coûts directs
imputables au programme de francisation; 81% nous parlent de difficultés
dans leurs relations avec les fournisseurs et 43% de problèmes avec leur
clientèle. Ici, on est carrément dans les entreprises
francophones.
La deuxième dimension importante de la loi: la langue
d'enseignement. Est-ce que la loi 101 a imposé des restrictions quant
à la possibilité... Elle a imposé des restrictions quant
à la possibilité de faire instruire les enfants dans une langue
autre que le français, mais est-ce que cela a entravé le
déplacement d'employés vers le Québec? Est-ce que cela a
empêché le recrutement d'employés non
Québécois au Québec? Est-ce que cela a occasionné
le départ du Québec de certains de vos employés? C'est
quand même assez surprenant de constater que chez les entreprises
francophones, dans 26% des cas, cela a empêché le recrutement
d'employés non québécois pour venir au Québec et
que cela a occasionné, dans 17% des cas, des départs vers
l'extérieur du Québec. Ce sont les deux points majeurs que l'on
peut souligner. On leur offre un choix parmi les options suivantes: le libre
choix, la clause Québec, la clause Canada. 47% des francophones
répondent le libre choix; 3% répondent la clause Québec et
50% répondent la clause Canada.
Chez les anglophones, le visage est tout à fait différent.
A la même question: Est-ce que cela a entravé le
déplacement d'employés de votre entreprise vers le Québec?
On mentionne oui dans 71% des cas. À la question: Cela a-t-il
empêché le recrutement d'employés non
québécois pour vos exploitations au Québec? C'est
souligné dans 72% des cas. À la question: Est-ce que cela a
occasionné le départ du Québec de certains de vos
employés vers l'extérieur? On a répondu oui dans 70% des
cas. À l'offre des options: libre choix, clause Québec et clause
Canada, c'est 62% pour le libre choix, 2% pour la clause Québec et 36%
pour la clause Canada.
Dans les problèmes d'affichage et d'étiquetage, on
réalise que chez les francophones, 40% des répondants nous disent
avoir eu des difficultés dans le domaine de l'affichage public et 68%
nous disent avoir des difficultés dans le domaine des communications
écrites avec la clientèle: les catalogues, les
dépliants... Chez les anglophones, ce sont à peu près les
mêmes pourcentages: 38% et 72% nous disent avoir eu des
difficultés avec ces deux points très précis de la
loi.
Inversement, l'étiquetage ne semble pas avoir causé de
problèmes. C'est en tout cas assez marginal ce qui nous est
identifié. On vous livre le tout, M. le ministre. Ce sont
peut-être deux ou trois entreprises, mais
nous prenons cela en termes de pourcentage. Une question de
synthèse de ce secteur: Parmi les points suivants, cochez ceux où
vous souhaiteriez voir un assouplissement de la loi ou de la
réglementation. Chez les francophones, ce qui vient en premier lieu,
c'est la publicité commerciale imprimée avec 61% et ensuite,
c'est l'affichage dans les territoires ou quartiers anglophones. Cela, c'est
très nettement pointé. Chez les anglophones, c'est exactement la
même chose, c'est aussi la publicité commerciale imprimée
à 63% et l'affichage dans les territoires ou quartiers anglophones
à 45%.
Vous imaginez bien que l'on a posé des questions sur la
commission de surveillance. Il y en a plusieurs qui n'ont pas encore eu affaire
avec la commission de surveillance, donc ils ne peuvent pas
nécessairement passer un jugement. Chez ceux qui y ont eu affaire - je
sors seulement une statistique sur le paquet qu'il y a là - on fait une
affirmation, en réponse à la question suivante: Est-ce que les
représentants de la commission de surveillance ont eu une attitude
objective, collaboratrice et non empreinte d'un zèle trop excessif par
rapport aux problèmes que vous aviez? Chez les francophones, 56% des
gens qui ont eu affaire à la commission de surveillance disent qu'il
semble bien qu'ils sont atteints d'un zèle un peu excessif. Chez les
anglophones, le problème qui est surtout soulevé, c'est: Est-ce
qu'ils abusent des pouvoirs qu'ils ont? 47% sont entièrement en
désaccord, mais on réalise que 54% ont aussi le même grief
que les francophones.
Je ne peux pas échapper à l'article 26, qui est le quart
de notre mémoire, puisque nous sommes un organisme d'abord à
vocation économique. Je posais la question suivante: La loi 101 a-t-elle
occasionné, dans votre entreprise, des déplacements de postes en
dehors du Québec et des localisations de nouvelles activités en
dehors du Québec? Chez les francophones, on peut oublier le
résultat; il n'y a pas eu - ce qui est compréhensible souvent
chez les marchés très fermés - de problème ou
à peu près chez eux. Sauf que lorsque je dis cela, j'ai des
problèmes parce que l'entreprise ou les deux ou les trois qui ont dit
qu'ils en avaient eu des majeurs, quand on dit qu'ils n'en ont pas eu, vous
savez... Voyant leur cas particulier, pour eux cela demeure quand même un
problème fondamental. (10 h 45)
Chez les anglophones, il y a 13% des gens qui nous disent qu'à
cause de la loi 101, il y a eu des déplacements de postes en dehors du
Québec et 9% nous parlent de localisation de nouvelles activités
en dehors du Québec. On n'a pas défini ce qu'était une
nouvelle activité, mais cela peut être un siège social au
complet; on n'a pas mesuré le nombre de postes que cela pouvait
repré- senter.
Je termine, M. le Président, avec la question qui était la
suivante: À votre avis, y a-t-il des modifications qui devraient
être apportées aux aspects suivants de la loi 101? Là on
listait toute une série de choses. On réalise que tant chez les
anglophones que chez les francophones, on nous demande des amendements à
la clause sur la langue d'enseignement: 94% chez les francophones, 95% chez les
anglophones. L'affichage dans certains quartiers et certaines régions du
Québec: 87% chez les francophones, 80% chez les anglophones. Ce qu'on
peut souligner aussi chez les francophones, c'est les clauses sur les
communications avec les clients.
Quelles constatations peut-on tirer de cela? Je reviendrai rapidement au
mémoire. Cela nous oblige à en tirer un certain nombre et
à vous les projeter. L'objectif majeur de la loi 101 était
d'amener les entreprises oeuvrant au Québec à fonctionner en
français; les moyens utilisés pour atteindre cet objectif ne
devaient donc pas en toute logique causer d'ennuis aux enreprises qui
fonctionnaient déjà en français.
Première constatation, il est étonnant de voir que les
problèmes reliés à la loi 101 n'ont pas été
purement l'apanage des anglophones. Ce qu'on vous suggère, M. le
ministre, c'est de pousser plus loin la réflexion là-dessus. Il y
a là un problème très réel. Comment expliquer que
76% des répondants francophones aient éprouvé des
problèmes à cause des coûts reliés au programme de
francisation puisqu'ils fonctionnaient déjà en
français?
Interrogation.
L'importante question de la langue d'enseignement pose des
problèmes à bon nombre d'entreprises. Une sur quatre a
éprouvé des problèmes pour recruter à
l'extérieur du Québec le personnel dont elle avait besoin. Ces
chiffres sont purement une reprise du sondage. Ce ne sont pas des
interprétations. Quant aux entreprises anglophones, il n'est
certainement pas exagéré de qualifier le niveau de certains
problèmes d'inquiétants. Au sujet de l'importante question de la
langue d'enseignement, près de trois répondants sur quatre disent
avoir perdu certains employés qui ont choisi de quitter le
Québec. Pour nous, cela devient préoccupant.
On peut faire toute une série de constatations. On peut se
demander comment on en est arrivé à causer des problèmes
aux entreprises francophones en cherchant à les franciser. Il est
peut-être utile de rappeler que la promotion du français ne doit
pas être considérée comme un absolu. C'est peut-être
une des raisons qui fait que ce n'est pas tellement la loi, que ce n'est
peut-être pas tellement la réglementation, ce sont peut-être
les structures qu'on s'est données,
mais surtout l'application qu'on a pu faire de la
réglementation.
M. Allard: Comme vous pouvez le constater, M. le
Président, mesdames et messieurs, nous avons voulu, en présentant
notre mémoire, non pas venir vous dire ce que M. Dufour et ce que M.
Allard pouvaient penser de la loi 101, mais nous avons voulu réellement
vous communiquer ce que nos membres, les employeurs, les gens qui créent
des emplois, ont éprouvé comme difficultés, comme
problèmes par rapport à l'application de la loi 101.
Cela m'amène à résumer nos recommandations qui ne
sont pas tellement nombreuses et qui, à mon sens, sont très
réalistes. Encore une fois, ces recommandations sont basées sur
les résultats de ce sondage.
La première concerne la langue d'enseignement. Plus de 98% de
tous les répondants réclament des modifications aux dispositions
relatives à la langue d'enseignement. De toute évidence, il
s'agit là d'un problème majeur qui entraîne des
conséquences extrêmement importantes tant au plan de l'exercice
des libertés fondamentales qu'à celui de notre
économie.
En 1977, le CPQ préconisait la mise en application d'un
régime un peu plus large que ce qui fut appelé la clause Canada,
dans une tentative de compromis raisonnable qui permettrait d'atteindre les
objectifs visés par la loi dans une approche empreinte de
réalisme.
Aujourd'hui, les membres du CPQ, répondant à une question
de principe sur le choix de la langue d'enseignement, se partagent à peu
près également entre l'option du libre choix et la clause Canada,
et cela, qu'il s'agisse d'entreprises qu'on a dites francophones ou
d'entreprises anglophones. Même s'il est conscient que l'insertion de la
clause Canada dans la loi 101 ne réglerait pas la totalité des
problèmes soulevés par les dispositions actuelles, le CPQ, encore
une fois dans une démarche de compromis acceptable, recommande au strict
minimum l'adoption de la clause Canada. Au-delà du principe, il y va de
l'image que projette le Québec à l'étranger et de notre
capacité d'attirer certains types de spécialistes dont nos
entreprises ont besoin, par exemple, dans le domaine de la recherche.
Deuxièmement, les pouvoirs de l'Office de la langue
française. Une majorité de répondants, tant chez les
francophones (62%) que chez les anglophones (69%) - cela se compare - croit que
des modifications devraient être apportées aux pouvoirs
accordés à l'Office de la langue française. Les
commentaires émis par les répondants font clairement ressortir
qu'un très grand nombre de problèmes ont été
directement causés non pas par les dispositions de la loi, mais bien
davantage par l'application de règlements émanant de l'Office de
la langue française. Le nombre étonnamment élevé de
problèmes relevés concernant l'application de la loi qu'ont eu
à vivre les entreprises francophones est éloquent. Comment
expliquer autrement qu'une loi, visant entre autres à franciser les
activités des entreprises, ait pu causer autant de problèmes
à des entreprises qui fonctionnaient déjà en
français?
Lors des discussions qui ont entouré l'adoption de la loi 101, en
1977, le CPQ manifestait des craintes devant l'intention du législateur
de confier à un corps administratif de l'État autant de pouvoirs
discrétionnaires. Ses craintes se sont avérées. Le CPQ
recommande donc que le législateur revoie les pouvoirs qu'il a
accordés à l'office en fonction des problèmes réels
et nombreux vécus dans les entreprises. Il serait souhaitable que
l'exercice de ces pouvoirs soit rendu moins discrétionnaire, mieux
adapté à la réalité d'un Québec
nord-américain et, enfin, mieux contrôlé.
Une majorité de répondants juge que des modifications
devraient également être apportées aux pouvoirs
confiés à la Commission de surveillance. Les répondants
qui ont eu à transiger avec la Commission de surveillance
déplorent particulièrement l'attitude et les moyens
utilisés par le personnel de cette commission. L'étendue des
pouvoirs dont disposent ces fonctionnaires et les attitudes manifestées
provoquent facilement l'émergence de problèmes. À titre
d'exemple, certains répondants affirment que les fonctionnaires de la
commission se sont servis de rapports internes, sans autorisation, pour
effectuer leurs vérifications. Une telle attitude ne favorise certes pas
la solution des vrais problèmes lorsqu'ils se présentent.
D'autres déplorent le fait que le personnel de la commission
déborde le cadre de la loi 101 pour s'intéresser, dans
l'exécution de sa tâche, à la qualité du
français et imposer des raffinements qui n'ont rien à voir avec
l'application de la loi. En conséquence, le législateur devrait
s'assurer que les représentants de cette commission ne s'investissent
pas eux-mêmes d'une mission qui ne leur a pas été
confiée. La meilleure façon de contrôler les excès
de zèle, dont certains sont devenus célèbres, serait sans
doute de réviser les pouvoirs qui ont été confiés
à cet organisme. Pourquoi ne pas tout simplement le remettre en cause,
comme beaucoup le suggèrent?
Enfin, la réglementation. Bon nombre de griefs soulevés
par les répondants au questionnaire du CPQ ont trait bien davantage aux
règlements et à leur application qu'au contenu même de la
loi. Cette réflexion sur la loi 101, six ans plus tard, devrait fournir
l'occasion de retoucher
la réglementation afin de rendre l'application de la loi plus
conforme à la réalité, d'éviter aux entreprises des
pertes de temps et des coûts inutiles et, par le fait même, rendre
la Charte de la langue française plus acceptable à ceux qui ont
à composer avec elle quotidiennement. En faisant tomber les
barrières inutiles, les objectifs poursuivis seraient plus
sûrement et plus rapidement atteints.
Mais le cas des nombreux règlements émanant des juristes
de l'office, qui ont tendance, au besoin, à rétrécir ou
à élargir le sens des dispositions prévues par la loi, est
plus grave encore. Le législateur ne peut tolérer une telle
situation. Ce sont les bases mêmes qui sous-tendent toute
société démocratique qui sont ici en cause. Le
gouvernement ne peut accepter de quiconque qu'il en prenne trop à son
aise avec les textes de loi adoptés par les élus du peuple. Les
fonctionnaires doivent appliquer les volontés du législateur et
non retoucher les passages des lois qui ne seraient pas conformes à leur
vision des choses; dans ce cas précis, de ce que devrait être une
Charte de la langue française idéale.
En conclusion, nous rappelons l'appui que nous avons accordé
dès les premières discussions sur la loi 101 aux principes en
cause et aux objectifs visés par le législateur. Six ans plus
tard, le CPQ maintient cet appui et souligne l'importance d'orienter toute la
démarche poursuivie vers le mieux-être des Québécois
et le progrès de notre société.
Toutefois, l'analyse des résultats qui découlent de notre
sondage démontre clairement que le choix des moyens se
révèle parfois discutable. Nous n'insistons pas sur les
problèmes particuliers. Ils ont été maintes fois
débattus et ils sont connus, et nous laissons aux porte-parole des
groupes particuliers le soin de débattre de ces problèmes, chacun
apportant l'éclairage spécialisé dont il dispose.
C'est pourquoi nous formulons des recommandations d'ordre
général dont l'impact portera directement sur l'atteinte des
grands objectifs que visait le législateur en promulguant la Charte de
la langue française au Québec. Dans l'étude des nombreuses
recommandations qui ne manqueront pas de lui parvenir, le législateur
devra tenir compte tout autant des aspects économiques que des aspects
culturels de la question, à défaut de quoi l'un des grands
objectifs visés, le mieux-être des Québécois, serait
laissé pour compte. Le CPQ souligne à cet effet, avec une
insistance particulière, l'urgence et l'importance des correctifs
à apporter aux dispositions traitant de la langue d'enseignement. Tous
les sondages le confirment, la grande majorité de la population
québécoise, et même une importante majorité des
francophones, s'est dite d'accord avec un adoucissement de la loi à ce
sujet. Un geste significatif dans ce sens devient non seulement essentiel, mais
il est même souhaité par l'ensemble de la population.
M. le Président, si vous me le permettez, j'aimerais poser trois
questions au ministre. Évidemment, nous sommes ici pour répondre
aux questions que les membres de la commission pourraient aussi avoir à
nous poser. Il y a trois questions fondamentales qui nous préoccupent
particulièrement et c'est à ces questions que nous aimerions
avoir une réponse.
D'abord, l'exercice démocratique qui se fait actuellement est-il
inutile - on a pu le croire à certains moments - ou y aura-t-il
véritablement des amendements importants apportés à la
loi? Ce n'est pas seulement arrondir les coins et enlever ce qu'on appelle des
irritants, mais, en ce qui regarde la langue d'enseignement, encore une fois,
c'est un amendement qui, à notre sens, est important. C'est une
première question.
La deuxième question est la suivante: Est-il exact que le
gouvernement préférerait voir la Cour supérieure trancher
le débat sur la question de la langue d'enseignement plutôt que
d'agir lui-même?
Une voix: La Cour suprême.
M. Allard: Je m'excuse; c'est la Cour suprême.
Est-il exact que le gouvernement envisage d'appliquer le programme de
francisation aux entreprises de 50 travailleurs et moins, même si elles
sont de tradition francophone? À ce sujet, on a lu et on a entendu
beaucoup de choses, mais on n'a toujours pas de réponse, et c'est une
préoccupation très grande chez un bon nombre d'entreprises.
D'ailleurs, les réactions qu'on a pu lire lorsqu'on a commencé
à parler de cela, je pense, ont été assez vives.
Voilà trois questions, M. le ministre, auxquelles nous sommes
fortement intéressés à avoir des réponses.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Godin: Si vous me le permettez, je voudrais d'abord saluer MM.
Allard, Dufour, Laflamme et Côté. Bienvenue chez vous, dans ce qui
est votre maison. Avant de commenter, je voudrais insister sur un aspect qui
est un détail peut-être, mais qui est significatif en ce qui me
concerne et en ce qui concerne le Parlement. Vous nous avez remis, ce matin,
une note qui fait état d'un erratum. Vous nous l'avez remise il y a
quelques heures, ou il y a longtemps déjà. Je souligne cette
délicatesse de votre part, à savoir qu'il y avait des erreurs de
détail et que vous avez cru bon, dans tout le respect
de l'institution démocratique qui est la vôtre et qui est
la nôtre également, de nous en informer de nombreuses
journées à l'avance. Je souhaite que votre exemple soit suivi par
tous et chacun des groupes, et toutes et chacunes des personnes qui viennent
ici. Cela simplifie notre travail mais, surtout, cela illustre l'importance du
respect des institutions démocratiques dans un pays. Toute personne qui
vient ici et qui veut faire de la stratégie, comme cela s'est fait
récemment, je pense, affiche un mépris du Parlement, et c'est
déplorable, mais je constate que, dans votre cas, c'est une attitude
absolument contraire et c'est même un souci de délicatesse que
j'apprécie plus que tout en ce qui me concerne. (11 heures)
Deuxièmement, je vous dirai que votre sondage a l'avantage de
nous sortir du domaine des perceptions. Comme ce sondage est fait parmi ceux
qui, au Québec, représentent des emplois, représentent le
développement économique, il est extrêment
éclairant, d'une part, mais il est surtout très utile pour la
poursuite des travaux aussi bien de l'Office de la langue française que
de la Commission de surveillance. Je reviendrai sur la raison ou les raisons
pour lesquelles le gouvernement a cru bon de mettre en place de tels
organismes, plutôt que de procéder comme dans d'autres pays comme
la Belgique qui a déjà été citée en exemple
ici.
J'ai des chiffres qui illustrent que 2333 entreprises ont
déjà négocié des programmes avec l'office,
c'est-à-dire 90% des entreprises de 100 employés et plus et 86,9%
des PME qui tombaient sous le coup de la loi. C'est une performance que
j'estime remarquable. Y avait-il d'autres moyens de procéder que par
ententes négociées? Il y a eu, bien sûr, dans à peu
près un tiers - c'est le chiffre que je retiens - des entreprises
certaines difficultés. Par ailleurs, ces difficultés pourront se
corriger au fur et à mesure que les diverses étapes de
francisation seront atteintes, et on a vu que, dans le cas de certaines
entreprises, des délais avaient été demandés et
obtenus ou que des délais avaient été appliqués
unilatéralement sans l'autorisation de l'office. Mais l'office a quand
même pris cela en considération, parce que nous voulions,
dès le départ, que ce soit négocié.
Dans le cas de la Belgique, qui a déjà été
citée en exemple, la loi s'applique et, si elle n'est pas
respectée, il y a une pénalité. Donc, cela prendrait
beaucoup moins de gens pour surveiller l'application d'une loi rigide qui
dirait, par exemple: À compter de telle date, toute entreprise va
travailler en flamand, ou en français, ou en langue wallonne. C'est
beaucoup plus simple; cela prend peut-être cinq ou six personnes pour
vérifier si tout est appliqué, cela peut être
vérifié aussi facilement que le respect des feux rouges et des
feux verts au coin des rues. Mais quand nous voulons avoir une attitude qui
tienne compte de la réalité de chacune des entreprises, parce que
chacun de ces programmes a été négocié, dans la
pratique - vous êtes des gens pratiques et pragmatiques dans votre
profession, votre métier - d'autres méthodes ont
été utilisées au Québec avant l'adoption de la loi
101. Je vous citerai, seulement pour vous renouveler la mémoire, un
texte de M. William Tetley: "En 1973, écrit-il, je vais modifier aussi
la loi des compagnies afin d'obliger toutes les nouvelles compagnies du
Québec à adopter un nom français tout en ayant un nom
anglais ou bilingue, si elles le désiraient. Les compagnies
déjà existantes, 600 000 d'entre elles furent invitées
à changer de nom, donc à avoir un nom bilingue, sans frais. Mes
avis furent envoyés par mon ministère aux quelque 600 000
compagnies déjà constituées. Moins de 25 compagnies
donnèrent suite à ma lettre."
On peut dire que les expériences de deux gouvernements avant nous
ont fait partie de la réflexion collective là-dessus, non pas
seulement celle du PQ ou du gouvernement du Parti québécois, mais
de la réflexion collective, et la population suivait ces
expériences, la population voyait ce qui se passait. Les membres des
syndicats ou les non-syndiqués qui travaillaient chez vous constataient
ce qui se passait. C'est la raison pour laquelle on a cru bon d'avoir une
équipe, qui n'est pas constituée de gens parfaits, ni d'anges
descendus du ciel, mais des êtres humains, et je constate que, s'il y a
effectivement des modifications d'attitudes dans certains cas ou de nouvelles
directives à être données, la négociation doit tenir
compte encore plus de la réalité de l'entreprise. Je constate que
dans votre sondage - qui est très utile, remarquez bien, à tous
égards, aussi bien pour ce qui est positif que pour ce qui est
négatif - pour ce qui est positif, même si 62% des
répondants estiment que l'office a trop de pouvoirs, 34% seulement
estiment que les programmes de francisation négociés ne sont pas
tout à fait conformes à leurs attentes ou à leurs
exigences. Donc, dans le réel, il y a plus de satisfaction
vis-à-vis de l'office que dans la perception qu'on en a. C'est ce qui,
pour moi, est très positif. Je retiens, M. Allard, beaucoup de
matière à réflexion de votre suggestion.
Il ne serait peut-être pas inutile, même, qu'il y ait une
rencontre à trois: le Conseil du patronat du Québec, l'office et
les gens de mon ministère et moi-même pour que nous puissions
mettre le doigt sur les problèmes vécus et les résoudre
autant que possible, le plus vite possible, le plus tôt possible. D'autre
part, donc, c'est pour cela que cela coûte plus cher. Vous ne nous
reprochez pas, je le souligne, par rapport à
d'autres groupes, de dépenser 20 000 000 $ pour la francisation
au Québec. Ces 20 000 000 $ ont servi justement à évaluer
chaque entreprise au mérite et à tenter de trouver des solutions
appropriées. Dans le domaine des sièges sociaux et de la
recherche et du développement, des ententes particulières tenant
compte des exigences spécifiques ont été
négociées dans 242 des cas que vous avez mentionnés. Donc,
à ma connaissance, plus de la moitié des programmes
négociés n'ont pas causé de problème. Il reste
à raffiner les choses pour la partie qui reste, qui ne donne pas
satisfaction à tout le monde, mais je crois que nous pouvons nous
entendre dès maintenant pour, entre nous, en discuter le plus tôt
possible et arriver à des solutions concrètes et pratiques. C'est
ce qui vous intéresse et moi aussi.
Le régime scolaire, je vous en parle dès maintenant, M. le
Président. C'est votre première question, je reviendrai aux deux
autres après. Cette commission n'est pas inutile en ce qui me concerne
ni en ce qui concerne les deux côtés de cette commission. Nous
apprenons beaucoup. Nous retenons beaucoup. Des changements seront
apportés. Je m'y suis engagé dès le début. Je m'y
suis engagé hier devant Alliance Québec et je m'y engage encore
une fois devant vous, ce matin.
Quant à la langue d'enseignement - je réponds à
votre question - je vous avoue que j'ai un problème. Je vais vous poser
une question, d'abord, avant d'aller plus loin. Est-ce que la principale
province d'arrivée des personnes nouvelles au Québec dans vos
entreprises ou des personnes qui ne sont pas venues, ce n'est pas l'Ontario? Si
la clause Canada s'appliquait, est-ce que ce n'est pas de l'Ontario que nous
viendrait le plus grand nombre des experts ou des techniciens dont les
entreprises auraient besoin pour atteindre ces objectifs?
Le Président (M. Desbiens): M. Allard.
M. Allard: Je pense qu'on pourrait dire que c'est principalement
l'Ontario. Vous auriez raison. Ce n'est pas uniquement l'Ontario, mais
principalement.
M. Godin: Principalement. Bon. C'est ce que j'imaginais pour
toutes sortes de raisons. J'ai des sondages, j'ai des études
là-dessus assez précises qui montrent la mobilité
interprovinciale Québec-Ontario. Le principal pays, la principale
région du monde, devrais-je dire, d'où nous viennent des nouveaux
citoyens au Québec, c'est l'Ontario. Il nous en vient plus de l'Ontario
que du reste du monde année après année. La clause Canada,
si elle était appliquée maintenant, ne s'appliquerait qu'au
Québec et au Nouveau-Brunswick. Il n'y aurait pas de possibilité
pour les Québécois francophones qui iraient ailleurs de recevoir
un enseignement en français. Cela nous ramène à notre
vieille idée de la réciprocité. Je compte sur vous...
M. Allard: Ce n'est pas notre préoccupation. Notre
préoccupation, nous, c'est ce qui se passe au Québec.
M. Godin: Je suis tout à fait d'accord.
M. Allard: Si l'Ontario périclite parce qu'il ne fait pas
des choses qu'il devrait faire, c'est son problème. Notre
problème nous c'est au Québec.
M. Godin: D'accord, M. Allard. Sauf que nous avons...
M. Allard: Je prends ce que vous me dites.
M. Godin: ...un mandat plus large que le vôtre, et c'est
bien naturel, nous sommes le gouvernement. Je peux vous dire dès
maintenant que la clause Canada, nous n'y sommes pas opposés, mais
à la condition que le Québec ne soit pas le dindon de la farce
dans une espèce de mobilité absolue. Je comprends que ce n'est
pas votre préoccupation, mais c'est celle de bien des
Québécois et c'est celle de bien des gens ici.
La réflexion à ce sujet n'est pas terminée au
moment où on se parle; elle devrait l'être avant le 15 novembre.
Nous en arriverons à une conclusion le plus tôt possible sur la
question de la langue d'enseignement et de l'accès à
l'école. Mais, je vous répète que mon seul
problème, c'est que le Québec soit seul à faire les frais
de la clause Canada et qu'en contrepartie, il n'y ait rien pour les
francophones ailleurs au pays, sauf au Nouveau-Brunswick, ce qui compte pour
très peu dans la mobilité interprovinciale en ce qui nous
concerne.
Un autre point: les règlements. Cela fait partie des travaux
déjà en cours dans nos équipes de faire en sorte que les
rapports Ouellette - le rapport fait par le doyen de la faculté de droit
de l'Université de Montréal, M. Ouellette - celui qui a suivi et
qui a été demandé par le ministère de la Justice
à ses avocats à la suite du rapport Ouellette, et le rapport que
nous avons demandé, nous, en tant que ministère à ce qu'on
appelle chez nous les boîtes linguistiques, c'est-à-dire l'office,
la Commission de surveillance et le Conseil de la langue française...
À partir des travaux de ces trois groupes sur les règlements et
leur conformité ou non à la loi, nous avons l'intention de faire
en sorte que les bons règlements illégaux - je
répète, les bons règlements illégaux - soient
rendus légaux. C'est un engagement que je prends. Cela répond en
même temps à votre première
question qui était: Est-ce que le travail à cette
commission est inutile? Non, au contraire, la réponse que je donne vous
montre bien que cette commission travaille en vue d'un objectif précis
qui est de donner suite aux requêtes des groupes qui viennent ici.
Votre deuxième question: Est-ce que nous allons attendre la
guillotine de la Cour suprême? Cela fait partie également de la
réflexion. Sûrement que la guillotine inquiète beaucoup de
gens, sans qu'ils soient tous des Danton ou des Robespierre.
La troisième question: Est-ce que nous avons l'intention
d'étendre la francisation aux entreprises de 50 employés et
moins? Là-dessus, je vous poserais une question: Pour une entreprise
commerciale dont le marché est au Québec et qui se situe, dans
des cas récents, dans des domaines de nouveaux produits
électroniques, qui vendent de tels produits aux francophones, donc aux
gens qui déboursent de l'argent et en vertu du principe que le client a
toujours raison, ne croyez-vous pas que, dans une secteur comme
celui-là, il serait absolument normal que le client soit servi en
français, qu'il ait accès à un personnel qui parle
français, qu'il ait accès à une documentation qui lui
parle sa langue, qu'il ait accès à des produits qui portent une
inscription dans sa langue? Est-ce que, dans un cas comme cela, dans ce
secteur, vous ne croyez pas que la francisation devrait s'appliquer?
Le Président (M. Desbiens): M. Allard. M. Dufour.
M. Dufour: Non, je pense que, en fait, vous posez le
problème de façon trop générale. Il faudrait que
vous distinguiez entre la langue de travail et la langue des affaires. Quand on
vous parle d'appliquer le programme de francisation, c'est relativement
à la langue de travail et non à la langue des affaires. Dans le
cas que vous nous donnez, de façon générale, les affaires
se font en français. Quand vous arrivez dans des petites boîtes de
production, surtout dans le secteur manufacturier, c'est surtout là que
vous rencontrez des 30 ou 40 travailleurs anglophones, dans certaines
régions...
M. Godin: Oui, oui.
M. Dufour: ...que vous connaissez très bien, M. le
ministre. C'est un problème de langue de travail et non pas de langue
des affaires, parce que les affaires vont se faire généralement
en français. De toute façon, l'article 53 de la loi est clair.
C'est déjà francisé. Là, on parle...
M. Godin: En tout cas, dans mon esprit, M. Dufour... Excusez-moi,
allez-y.
M. Dufour: Non, non, c'est cela, mais... M. Godin:
Terminez votre phrase.
M. Dufour: ...vous me parlez de quoi? De la langue de
francisation ou de la langue des affaires?
M. Godin: Dans mon esprit, quand j'ai fait cette
déclaration lors de l'étude des crédits, il s'agissait du
secteur que je viens d'évoquer et non pas du reste.
M. Dufour: Et le secteur étant quoi?
M. Godin: La langue des affaires. (11 h 15)
M. Dufour: La loi est là. Je pense qu'elle est assez
claire. Le programme de francisation s'applique aux entreprises qui ont 50
travailleurs et plus, la réglementation, elle, est universelle. La loi
est là, la réglementation est là. Il n'y a pas à
faire des choses... Est-ce qu'on se comprend sur cela?
M. Godin: D'accord. Pour répondre très
précisément à la question de M. Allard et non pas en lui
posant une question, je vous...
M. Allard: Excusez-moi, M. le ministre. La question disait:
Même si elles sont de tradition francophone. Cela est important. On a
fait cette précision parce que cela représente d'abord la
multitude des entreprises francophones parmi les petites entreprises. C'est de
cela qu'on parle. Quand on constate jusqu'à quel point les entreprises
francophones qui ont été assujetties au programme de francisation
ont eu des problèmes de toute espèce, sans parler des
coûts, on se dit que si on est pour continuer cela dans les petites
entreprises on n'est pas sorti du bois.
M. Godin: Dans mon esprit, quand j'ai évoqué la
francisation des entreprises de 50 travailleurs et moins, à
l'époque, il y a plusieurs mois, cela s'appliquait uniquement au secteur
des affaires.
M. Dufour: Pas à la langue de travail.
M. Godin: Non, pas à la langue de travail.
Par ailleurs, je dois dire qu'il y a d'autres mémoires qui sont
entrés, entre autres, de la FTQ et de la CSN. Nous verrons s'ils
abordent ces questions et la réflexion du gouvernement se poursuivra.
Pour l'instant il n'est pas question de toucher aux entreprises de 50
travailleurs et moins dans le domaine du travail.
M. Dufour: Pour l'instant il n'est pas question que le
gouvernement baisse sa
norme de 50 travailleurs pour les programmes de francisation?
M. Godin: La réponse est non.
M. Dufour: Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. Allard.
M. Allard: M. le Président, est-ce que je pourrais revenir
sur un autre sujet, la langue d'enseignement? Lorsque que j'ai demandé,
dans la première question: Est-ce que l'exercice est inutile?
C'était en pensant à notre principale recommandation, la plus
importante, à toutes fins utiles, celle qui ressort de tout ce qu'on a
fait: la langue d'enseignement. La réponse que j'ai semble m'indiquer
que l'exercice est peut-être un peu inutile. Cela provient encore une
fois de notre sondage qui indique que tant les francophones que les anglophones
demandent ou bien le libre choix... Nous, nous n'allons pas jusque là.
Nous restons dans le domaine raisonnable et réaliste. Nous demandons la
clause Canada. Pour ma part, je ne veux pas savoir si cela va se faire à
la condition que la Colombie britannique et
l'Île-du-Prince-Édouard le fassent. Ce n'est pas cela. Notre
préoccupation c'est l'économie au Québec. Nous sommes un
organisme québécois, nous avons demandé à nos
membres quels sont les problèmes qui ont résulté de
l'application de la loi 101 et qui nuisent au développement de
l'économie. Nos membres nous l'ont dit et nous avons traduit cela dans
le mémoire. La principale recommandation que nous faisons concerne la
langue d'enseignement.
M. Godin: M. Allard, excusez-moi. La seule chose qui
m'empêche de vous donner une réponse aujourd'hui c'est que les
amendements, les directives ou tout autre changement seront annoncés de
façon officielle au Parlement le 15 novembre à la reprise de la
session. D'ici là, vous devrez attendre comme tout le monde, y inclus
moi-même, remarquez bien. Ma réflexion n'est pas terminée
non plus. Merci.
M. Allard: Nous voulions venir ici avec la possibilité
d'obtenir au moins l'accord à quelques recommandations. Il n'y en a pas
beaucoup dans le mémoire. On l'a dit dès le début, nous
sommes d'accord avec tout le principe de la loi 101. Selon nos membres, c'est
une partie importante que nous voudrions voir changée pour aider
l'économie du Québec.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: En terminant, M. Allard, le déroulement que nous
nous sommes donné comme commission c'est de recueillir tous les fruits
de votre réflexion, de les faire nôtres et de vous livrer un
produit fini à la mi-novembre. Ce n'est pas parce que je ne vous
réponds pas ce matin illico que ma réponse est négative.
Je dis que le gouvernement réfléchit profondément à
cette question. D'autant plus que votre deuxième question est une
incitation encore plus forte à nous faire réfléchir. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: M. le Président, avant que mon collègue
de Mont-Royal adresse les premières questions à nos
invités, j'aimerais faire un court commentaire sur le contenu du
mémoire du CPQ. Au début, vous dites souhaiter que l'opinion de
chacun soit mieux respectée et qu'il y ait moins de charriage, moins de
croisade. Moi, j'aimerais rendre un hommage au ministre actuel et saisir
l'occasion pour dire - je suppose que vous constaterez avec moi - que les
travaux de cette commission sont de loin beaucoup plus intéressants et
beaucoup plus acceptables que ceux qu'on a connus dans le passé quant il
s'est agi de débattre la question linguistique. Il n'y a personne encore
en tout cas qui ait été traité d'inféodé ou
de quoi que ce soit, quel que soit le point de vue qu'on ait pu exprimer.
Chacun s'est senti libre de venir exprimer son point de vue, lequel a
été accueilli de façon courtoise par le ministre.
Je dirai même que le ministre lui-même a
évolué parce que nous, de l'Opposition, avons eu l'occasion de
nous y frotter parfois à l'Assemblée nationale, au moment
où on lui adressait des questions qui ne faisaient pas toujours son
affaire bien entendu. Souvent, l'impulsion du moment l'amenait à
répondre un peu plus vivement et à s'attaquer plutôt
à nos intentions qu'à ce qu'on voulait faire ressortir. Je
constate avec plaisir que votre présentation de ce matin, comme vous le
dites vous-même dans la conclusion de votre mémoire: "Dans
l'étude des nombreuses recommandations qui ne manqueront pas de lui
parvenir, le législateur devra prendre en compte tout autant les aspects
économiques que les aspects culturels de la question, à
défaut de quoi l'un des grands objectifs visés, le
mieux-être des Québécois, serait laissé pour
compte." Sans faire de politique partisane, c'est ce qui nous a toujours
inspiré tant lorsqu'on a présenté la loi 22 qu'au moment
où on a refusé d'accepter d'appuyer la loi 101 et depuis lors,
qu'on l'a critiquée.
Il nous a toujours semblé que l'esprit, l'intention du
gouvernement, avec sa politique linguistique, la Charte de la langue
française, faisait complètement abstraction de l'impact
économique. Chaque fois qu'on avait l'occasion d'interroger le ministre
à l'Assemblée nationale là-dessus, on se faisait
traiter de défenseur de je ne sais quoi, de gens qui
prétendaient que le français équivalait au chômage.
C'est pourquoi je suis très satisfait de constater que le ministre
actuel, contrairement à son prédécesseur, et
jusqu'à maintenant - je veux que ce soit clair - s'est abstenu de faire
ce genre d'accusation à la commission parlementaire. Il les fait
à l'extérieur à l'occasion sur les ondes des
réseaux radiophoniques. C'est de bonne guerre. Mais au moins ici, on a
l'impression en tout cas qu'on est en train de faire un travail valable. Il
restera à voir les conclusions qu'on en tirera.
Je désire remercier le CPQ de la façon qu'il nous
présente ses données. Il n'est pas venu nous exprimer des points
de vue abstraits qui s'appuieraient sur des notions philosophiques; il a pris
la peine d'aller là où les problèmes sont vécus au
jour le jour dans le domaine qui l'intéresse, il a fait un sondage
scientifique et vient ici nous livrer le résultat de ses constatations.
Il me semble que cela sera extrêmement utile au gouvernement, au
législateur et le ministre l'a avoué dans la préparation
et la formulation des amendements qui s'imposent.
Aux questions que vous posez au ministre, bien sûr, on aimerait
bien pouvoir y répondre à titre de gouvernement, mais que
voulez-vous on n'y est pas. Je retiens, quant à moi, par contre, des
réponses que le ministre vient de fournir à la première,
par exemple: est-ce que l'exercice démocratique de cette commission est
inutile? Je pense que je peux convenir avec le ministre que non, pas
complètement en tout cas. Lorsque le ministre disait le 18 octobre
dernier sur les ondes de Radio-Canada qu'il avait pas mal une idée assez
complète des amendements qu'il suggérerait au cabinet d'apporter
à la loi 101, j'ai l'impression que depuis les quatre jours que durent
cette commission, cela a évolué pour lui-même. Il ne peut
pas rester sourd, insensible, aux représentations qui nous sont faites
de façon fort sérieuse dans la majorité des cas et qui
font état d'un problème que vivent non seulement les entreprises
mais plusieurs citoyens du Québec à tous les niveaux et qui
méritent que le gouvernement s'y attarde. La réponse
complète à votre première question, on l'aura en cette
date fatidique entre toutes du 15 novembre. Je vous assure d'avance que nous,
en tant qu'Opposition, serons là pour réagir. Le CPQ n'y sera
plus à l'Assemblée nationale; l'Opposition, non pas parce qu'on a
des associations quelconques mais on est là pour faire entendre la voix
de ceux qui ne peuvent se faire entendre du côté du gouvernement.
C'est bien sûr qu'ils se feront entendre en cabinet, mais on sera
là pour scruter objectivement la décision que prendra le
gouvernement et pour reprendre l'argumentation que vous nous faites valoir.
La deuxième question: Est-il exact que le gouvernement
préférera attendre la décision de la Cour suprême?
Il ne faut quand même pas s'imaginer qu'il n'y a pas d'autres
considérations que celles dont vous nous faites état dans la
décision du gouvernement. Cette question est grandement politique. Le
gouvernement va-t-il abandonner sa stratégie étapiste? Va-t-il
accepter, en acceptant la clause Canada, que le Québec puisse faire
partie de la fédération canadienne et s'y trouver à
l'aise, et ce, dans le plus grand intérêt de tous les citoyens
québécois, non pas seulement de l'entreprise
québécoise? Je souhaite fort que ce soit le cas, mais je vais me
risquer à faire une prédiction: Le gouvernement va attendre la
décision de la Cour suprême parce que ses buts politiques, son
option constitutionnelle et la stratégie qu'il a adoptée depuis
qu'il existe comme parti politique lui dictent cela. Je trouve cela malheureux.
Je le mets au défi de se rendre aux représentations qui lui sont
faites presque unanimement. Il y a quelques exceptions, mais vous allez
remarquer que les exceptions sur la clause Canada se retrouvent toutes du
côté de ceux qui favorisent l'indépendance du
Québec. C'est rattaché à cela. À moins que le
comité sur la question nationale qui travaille très fort de ce
temps-là en arrive à dire: Dorénavant, le Parti
québécois devient fédéraliste. Si cela n'arrive
pas, et cela ne risque pas d'arriver, on a bien des chances que la
réponse à votre deuxième question soit
négative.
À votre troisième question, je suis agréablement
surpris que le ministre, qui avait été le premier
malheureusement, et cela combien de fois?... Hier, je pense que c'est la ville
de Montréal qui nous demandait de part et d'autre de la commission de
faire attention aux déclarations qui donnent du Québec une
mauvaise image, tant à l'extérieur qu'à
l'intérieur. C'est le ministre actuel lui-même qui a fait allusion
à la possibilité d'élargir à toutes les entreprises
de moins de 50 employés les programmes de francisation et ce, au moment
de l'étude des crédits en commission parlementaire, le printemps
dernier. C'est une déclaration dont on aurait pu se passer. Je suis
très heureux de constater, ce matin, qu'il nous dit non, mais pas pour
le moment. Il y a toujours une petite parenthèse dans les phrases du
ministre. Tant mieux si cela n'est pas pour le moment. Soyons très
vigilants pour nous assurer qu'à l'avenir, si cela doit se faire, cela
ne se fasse que dans la mesure où il y a un besoin de le faire et non
pas simplement pour des considérations philosophiques et partisanes.
M. le Président, je remercie encore une fois, au nom de
l'Opposition le CPQ, non pas d'être venu dire ce dont nous sommes
conscients, mais d'être venu mettre de la chair, de la viande autour des
arguments que
plusieurs au Québec - et c'est maintenant la majorité de
la population - invoquent à l'appui des demandes de modifications
à la loi 101. Souhaitons tous ensemble que le gouvernement ne reste pas
insensible à vos représentations.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: M. le Président, je serai bref. On avait une
sorte d'entente tacite de ne pas faire de politique ici. Je n'ai cité
aucune déclaration de votre nouveau chef. J'ai quatre à cinq
pages dans mon dossier de coupures de journaux...
M. Gratton: Vous devez être prêt.
M. Godin: ...Je n'ai pas touché à cela. Je m'en
suis abstenu pour que ce que vous avez appelé les croisades, M. Allard,
ou les passions, bref, pour éviter que l'on jette de l'huile sur le feu,
et je le ferai jusqu'à la fin, contrairement à mon
collègue qui, comme on le disait dans le temps, s'est
"autopeluredebananisé". Quant aux entreprises de 50 et moins, je vais
préciser ma réponse. Nous sommes d'accord, dites-vous, il y a
plusieurs années, avec l'idée générale d'une action
concertée entre l'État, l'entreprise et les citoyens en vue de
promouvoir l'usage du français au Québec. Il est certain que la
loi 101 et sa limite de 50 et plus et de 100 et plus pour un programme de
francisation a eu un effet d'entraînement sur les plus petites qui est
mesurable, j'imagine, dans certains coins du Québec et dans certains
secteurs économiques et industriels. Mais je voudrais vous dire que la
défense de ce même principe s'applique à tous au
Québec. S'il était établi que l'effet d'entraînement
n'était pas assez rapide, nous pourrions, comme on l'a fait pour Pratt
et Whitney l'autre jour - c'est ce que j'ai voulu faire -envoyer ce qu'on
appelle en indien un "smoke signal", c'est-à-dire un signal de
fumée disant: Écoutez, si les travailleurs d'une entreprise se
plaignent de devoir laisser leur langue au vestiaire, nous devrons fermer le
vestiaire ou faire en sorte que leur langue soit utilisée à
l'intérieur. Cela ne pose pas de problèmes concrets à
venir jusqu'à maintenant, me dit-on. Si l'effet d'entraînement se
poursuit, je m'en réjouis autant que vous. (11 h 30)
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Mont-Royal.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président.
M. de Bellefeuille: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: M. le Président, question de
règlement. Est-ce qu'il n'y a pas alternance?
M. Ciaccia: Bien oui. On vient de l'avoir. Le ministre vient de
parler.
M. de Bellefeuille: Bien, le ministre, ensuite le
député de Gatineau, ensuite un ministériel.
M. Ciaccia: Non, non. Le ministre vient de parler.
Le Président (M. Desbiens): Voici. M. le
député de Deux-Montagnes, comme il était entendu que M. le
député de Gatineau ne posait pas de questions, mais ne faisait
que des commentaires sans désigner leur longueur...
M. Payne: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): ...on a convenu et M. le
député de Mont-Royal a demandé en même temps de
participer, de faire coïncider les deux. M. le député de
Mont-Royal irait du côté des questions plutôt que du
côté des commentaires.
M. Payne: M. le Président. M. Gratton: M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: Sur la question de règlement. D'autant plus
que la pratique veut qu'on partage le temps aussi également que possible
entre les deux formations politiques et qu'effectivement je pense que le Parti
libéral n'a pas encore utilisé la même longueur de temps
que celle que le ministre lui-même a utilisée pour le
côté ministériel. Si j'ai pris la peine d'indiquer que
c'est mon collègue de Mont-Royal, je m'en excuse auprès de lui...
Le commentaire que j'ai fait n'a peut-être pas fait son affaire ou a
peut-être mieux fait son affaire à lui qu'à ceux du
côté ministériel, mais peu importe, je ne voulais pas
brimer le droit de mon collègue de poser des questions.
M. de Bellefeuille: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Deux-Montagnes, sur la même question.
M. de Bellefeuille: Sur la même question de
règlement. Première observation, il me semble que le
député de Gatineau devrait décider si, oui ou non, il
cède la parole à un de ses collègues du côté
de l'Opposition. Il vient de faire le contraire. Il
a pris la parole. Il me semble donc que la parole devrait revenir
maintenant du côté ministériel.
Deuxième point qui est une question. Combien de temps nous
reste-t-il du côté ministériel, M. le Président?
M. Gratton: Aucun, je pense. Mais vous ne me posez pas la
question.
Une voix: Voilà.
M. de Bellefeuille: J'ai bien dit M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre!
M. de Bellefeuille: On n'a pas promu le député de
Gatineau président de la commission encore, non?
Une voix: II l'est.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Deux-Montagnes, sur la question de temps, j'ai soulevé au départ
le fait qu'il y avait normalement, pour l'étude de chacun des
mémoires, une période d'une heure répartie un tiers, un
tiers, un tiers d'environ 20 minutes pour la présentation, 20 minutes
pour le parti au pouvoir, 20 minutes pour le parti de l'Opposition, ce qui, on
le sait, déborde souvent très largement sur la question de temps.
À moins que vous ne m'indiquiez et que vous ne manifestiez une
volonté qu'on tienne très strictement compte du temps, je
continuerai à laisser aller les deux côtés de...
M. de Bellefeuille: Mais, M. le Président...
Le Président (M. Desbiens): Oui? M. le
député de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Sur la question de règlement, je ne
suis pas assez masochiste pour vous demander de tenir compte du temps de
façon à m'en priver. Donc, si c'est le laxisme qui règne,
M. le Président, je vous annonce que je prendrai mes 20 minutes tout
à l'heure, à mon tour.
M. Payne: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Vachon.
M. Payne: Très brièvement. Je pense que le point
devrait être enregistré. Nous sommes très
intéressés comme parlementaires à participer
sérieusement aux travaux de la commission. Les ententes peuvent exister
entre les partis. C'est bon. Cependant, comme parlementaire, j'aimerais bien
utiliser un certain nombre de minutes au sujet des mémoires qui sont
présentés ici et je pense que c'est nécessaire. Alors, on
ne devrait pas trop insister sur les ententes entre les leaders. Ce qui est
arrivé - et vous n'étiez pas président à ce moment
- dans mon cas, lors de mes trois dernières interventions, c'est qu'on
m'a signalé que j'avais une minute et demie. Alors, ce n'est pas
sérieux au Parlement si on insiste sur les ententes qui dépassent
ou qui briment d'une certaine manière l'intérêt qu'ont les
parlementaires à intervenir.
M. Gratton: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Oui. M. le
député de Gatineau, sur le même sujet.
M. Gratton: Sur la question de règlement, M. le
Président. On s'entend tous pour dire qu'on a un certain nombre
d'invités à entendre. Si on prend cinq heures avec le premier, on
va nécessairement en faire souffrir d'autres. Les ententes qu'on a
à ce niveau-ci n'impliquent aucunement la perte du droit de parole de
quiconque. La suggestion que je pourrais faire aux ministériels, c'est
de faire ce que nous faisons du côté de l'Opposition. Avant chaque
réunion, on assigne un dossier à un député.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau...
M. Gratton: On n'a pas vu les députés
libéraux se chicaner entre eux pour savoir qui parlerait. Voyons
donc!
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre! Je crois
qu'il est assez clair qu'il n'y aura de brimade envers aucun
député sur le temps de participation aux débats. Sans
créer de précédent sur la question de l'alternance - je
considère l'alternance comme un principe -et pour les raisons que j'ai
énoncées tantôt, étant donné que des
questions n'ont pas encore été posées par l'Opposition et
puisqu'il lui reste une certaine période de temps, je donne la parole au
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Un des avantages que
nous avons de notre côté, c'est que nous n'avons pas un ministre
qui prend toutes les vingt minutes. Cela laisse plus de temps aux
députés.
M. Allard, pourriez-vous nous donner brièvement une idée
de la représentativité du Conseil du patronat? Est-ce que vous
représentez de grandes entreprises, de petites entreprises,
différents secteurs francophones ou anglophones? Pourriez-vous
préciser ce point?
M. Allard: M. Dufour va vous fournir
les renseignements.
M. Dufour: On devrait répondre à cette question en
deux volets. On peut redéfinir ce qu'est le Conseil du patronat, mais je
pense que ce qui est important, c'est de définir
l'échantillonnage qui est ici devant vous. Le conseil, je l'ai
rappelé, est une fédération d'associations patronales.
Nous regroupons en tout 130 ou 132 associations - cela varie -plus 350
entreprises, membres corporatifs, ce qui représente les employeurs
québécois qui embauchent à peu près 75% de la
main-d'oeuvre.
En relation directe avec ce sondage et la méthodologie de
représentativité appliquée dans ce cas précis, je
demanderai à un spécialiste des sondages de répondre: M.
Côté, de SECOR.
M. Côté (Marcel): L'échantillon est
très représentatif des membres du CPQ, avec des taux d'erreur de
2% ou 3%. Pour ce qui est de la représentativité du CPQ de la
grande entreprise au Québec, disons qu'il y a environ 1 000 000 de
personnes qui travaillent pour des entreprises de 100 employés et plus
au Québec et que, dans l'échantillon, on en a 228 000 qui sont
représentées par le biais de leur entreprise. Ce serait
peut-être entre 20% et 25% des entreprises qui sont
représentées. En somme, à ce niveau, comme il n'y a pas de
définition de l'universel, on peut dire que cela doit refléter ce
que la grande entreprise pense des programmes de francisation au
Québec.
M. Ciaccia: M. Dufour, est-ce que cela représente aussi
les petites entreprises de tous les secteurs, manufacturiers, etc., de notre
économie?
M. Dufour: Le Conseil du patronat représente les petites
entreprises, mais comprenons-nous bien. Aux fins de ce sondage, je l'ai
mentionné tout à l'heure, cela ne servait à rien de
demander à une entreprise de 42 employés d'étudier un
programme de francisation auquel elle n'est pas assujettie. On ne parle ici que
d'entreprises de 50 travailleurs et plus. Pour le CPQ, c'est vraiment un
échantillonnage de 80%.
M. Ciaccia: Dans votre mémoire, vous mentionnez les
difficultés qu'ont rencontrées les entreprises francophones.
C'est un peu étonnant de voir qu'une loi sur la francisation, la loi
101, peut causer des problèmes aux entreprises francophones.
Pourriez-vous nous illustrer quelques exemples?
M. Dufour: C'est vraiment ce qui nous a frappés le plus
dans ce sondage, c'est-à- dire de voir les difficultés
rencontrées par les francophones. Pour vous en parler, pour vous les
décrire, on a justement demandé à un francophone qui est
à la tête d'une PME, M. Guy Laflamme, président des
Entreprises Rive-Sud, de Sainte-Croix, Lotbinière, d'apporter le
témoignage d'une entreprise qui a été assujettie au
programme.
M. Laflamme (Guy): M. le Président, ma présence ici
- tout en étant membre du CPQ - est surtout à titre de dirigeant
d'une PME québécoise. Antérieurement, et plus
particulièrement cette dernière année, votre gouvernement
a fait des efforts pour assurer la relance des PME au Québec par le
biais de politiques tant à l'exportation qu'à l'innovation, au
développement technologique, et j'en passe. Il n'en demeure pas moins
que, quels que soient les efforts qui sont faits de votre part, il faut que nos
entreprises demeurent compétitives. Je ne parlerai pas des lois de
travail, des taxes ou de tout autre domaine qui ne serait pas pertinent au
sujet d'aujourd'hui, mais, toutefois, j'aimerais attirer votre attention sur
les coûts énormes que peut représenter la francisation dans
une entreprise déjà francophone à 99%.
En effet, notre compagnie emploie 400 personnes dont deux seulement sont
anglophones et ces dernières maîtrisent très bien la langue
française. Notre production est vendue, dans une proportion de 88%,
à l'extérieur du Québec, et cela comprend, outre le
Québec, les Maritimes, l'Ontario, l'Ouest canadien, l'Est
américain et les Antilles. À titre d'exemple, et de façon
à illustrer où je désire en venir, je vous prierais de
faire référence à votre programme type de francisation des
entreprises comptant plus de 100 employés publié par la direction
des programmes de francisation. Je vais vous donner brièvement la liste
des sujets dont nos entreprises doivent tenir compte tout en commentant
brièvement les pages 9 à 11.
À la page 9, établir un répertoire de tous les
formulaires circulant dans l'entreprise. Établir une liste de tous les
documents internes et externes utilisés dans l'entreprise incluant les
programmes et les documents informatiques. Établir un ordre des
priorités de francisation en tenant compte de la langue des
destinataires, lieu de préparation, diffusion, nombre d'utilisateurs et
fréquence d'utilisation. Concevoir en français tout nouveau
formulaire circulant au Québec. Obtenir du secteur économique les
travaux qui ont déjà été effectués.
Concevoir en français des manuels abrégés. Concevoir en
français les nouveaux programmes d'informatique ainsi que les modes
d'utilisation des terminaux. A même l'ordre des priorités de
francisation, établir la liste des formulaires et des documents à
traduire et les dates
d'échéance. Prévoir des échéances
pour assurer la francisation des documents et des formulaires. Mettre en oeuvre
le programme de traduction par le personnel en place. Utiliser le personnel
selon les besoins - c'est notre personnel. Éliminer complètement
les documents et les formulaires qui ne sont pas en français
après une période transitoire d'au plus six mois de circulation.
Aviser le personnel, par voie de directives, de n'utiliser que le
français dans le "rempli" des formulaires et des documents. Cela veut
dire, à toutes fins utiles, que toutes les fiches techniques et manuels
techniques qui couvrent chacune des pièces d'équipement, que ce
soit de l'équipement qui provient d'Allemagne, d'Espagne, d'Italie et
des États-Unis, doivent être traduits en français par notre
personnel. Lorsque vous achetez une pièce d'équipement en
Allemagne, les documents techniques vous parviennent en allemand et en anglais.
La même chose pour ce qui provient de l'Espagne. Aux États-Unis,
c'est en anglais.
De plus, notre compagnie gérait une compagnie de transport et,
à la suite de la présence de vos inspecteurs, nous avons
liquidé cette compagnie. Le but de l'existence de cette compagnie de
transport, c'était d'assurer la livraison de nos meubles aux
États-Unis, avec une manipulation soignée, afin d'éviter
les bris dans le transport. Toutefois, devant les exigences de votre inspecteur
qui nous obligeait à repeindre tous les camions et à refaire le
lettrage en français, en raison des coûts énormes qui, soit
dit en passant, excédaient $100 000, nous avons opté pour la
fermeture de cette compagnie de transport privant ainsi plusieurs personnes
d'un gagne-pain.
Il m'est très difficile pour le moment de donner le coût
total des mesures que je viens de décrire. Ces mesures n'ayant pas
été complétées, nous en sommes donc au certificat
de francisation provisoire tout en considérant que 99,9% de notre
personnel est francophone et que les deux employés mentionnés
précédemment maîtrisent très bien le
français.
Notre entreprise existe depuis juillet 1940, soit depuis plus de 43 ans.
Elle est québécoise à 100% et détenue par des
intérêts québécois à 100%. (11 h 45)
Je crois sincèrement que vous avez raison de vouloir maintenir le
fait français au Québec et, pour ce faire, il ne faudrait tout de
même pas verser dans le purisme. Les coûts considérables que
cela implique doivent s'ajouter au prix de nos produits et, le marché
compétitif étant ce qu'il est et les marges de jeu étant
ce qu'elles sont, nous ne pouvons absolument pas nous permettre quelque
écart que ce soit dans nos prix de revient et encore moins dans nos prix
de vente. Si cela peut illustrer un peu, nous fabriquons un mobilier de chambre
à coucher qui inclut un bureau, un miroir, une commode et un lit que
nous vendons 119,50 $. Vous êtes-vous déjà demandé
pourquoi on ne le vendrait pas 124,50 $? Cela donnerait 5 $ de plus chaque fois
qu'on en vendrait un. C'est parce que le marché ne nous le permet pas;
la compétition étant ce qu'elle est, on ne peut pas se le
permettre.
Si le fait de traduire des manuels en français augmentait la
productivité, améliorait la production ou donnait une meilleure
qualité au produit, cela se comprendrait, mais tel n'est pas le cas; non
seulement cela n'améliore pas la productivité, mais cela lui
nuit, en ce sens qu'en tant que PME, nous n'avons pas de "tablettés"
à mettre à l'oeuvre. Aussi doit-on faire appel, pour la
traduction de manuels, la confection de listes et tout ce dont j'ai
parlé, a notre personnel interne. Ces personnes, lorsqu'elles
travaillent à la francisation, ne s'occupent absolument pas de
l'amélioration des produits, de la qualité, de la recherche de
nouvelles techniques ou de la recherche de nouveaux marchés.
Enfin, en terminant, j'aimerais vous dire quelques mots sur l'article 8,
à la page 11 de votre programme de francisation, qui se lit comme suit:
"S'abonner aux revues techniques françaises du Québec et de la
francophonie en consultant Informatech France-Québec et la Banque de
terminologie du Québec."
Comme je vous l'ai dit précédemment, notre entreprise
oeuvre dans l'industrie du meuble, communément appelée secteur
mou de l'économie. Comme tout secteur mou qui désire s'affermir
quelque peu, nous essayons de le faire en nous abonnant aux revues techniques
qui concernent notre secteur d'activité. Les grands producteurs
d'équipements secondaires du bois ne sont sûrement pas reconnus
internationalement comme étant le Québec ou la France. Il semble
que ce soient beaucoup plus les États-Unis, les pays Scandinaves,
l'Allemagne et l'Italie. Aussi je me demande pourquoi on nous oblige - c'est
inscrit "en permanence" -à nous abonner en permanence à des
revues techniques qui ne concernent absolument pas notre secteur
économique.
J'espère, messieurs, que vous voudrez bien prendre en
considération l'exposé que je viens de faire et
réfléchir un tant soit peu aux conséquences
économiques qu'une telle rigidité de l'application de la loi
pourrait avoir sur le développement économique de l'industrie
secondaire à fort contenu de main-d'oeuvre. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Mont-Royal.
M. Ciaccia: Les employés de votre
entreprise travaillent-ils et communiquent-ils en français entre
eux?
M. Laflamme: Oui. D'ailleurs, je dirais que 98% d'entre eux ne
comprennent pas l'anglais.
M. Ciaccia: Je vais parler d'un autre sujet.
M. Laflamme: Ce serait très difficile de travailler
autrement.
M. Ciaccia: M. Allard, dans votre mémoire, vous avez
attaché beaucoup d'importance à la langue d'enseignement. Je ne
vois pas devant moi le PSBGM ou un institut éducationnel anglophone,
vous êtes le Conseil du patronat. Non seulement vous avez insisté
sur cela dans votre mémoire, mais vous avez posé une question au
ministre. Quelle est l'importance des changements dans la langue
d'enseignement?
M. Allard: Tout cela est basé sur ce que notre sondage
nous a révélé. Selon le sondage, qu'il s'agisse
d'entreprises qu'on appelle francophones ou anglophones, la langue
d'enseignement, c'est un problème. Il ne faut pas penser à une
entreprise francophone en termes d'une petite entreprise qui travaille en vase
clos et uniquement au Québec; il y a beaucoup d'entreprises francophones
au Québec qui font affaires avec des gens de l'extérieur du
Québec. C'est bien évident que, pour faire affaires avec des gens
de l'extérieur du Québec, il faut parler anglais. Il n'y a pas
moyen de faire affaires avec eux en français. Si ces entreprises n'ont
pas la possibilité d'envoyer des gens à l'extérieur -elles
ne l'auront pas, s'il n'y a pas de gens formés pour parler l'anglais -
même si elles sont d'origine québécoise et francophone et
qu'elles ont quand même des activités à
l'extérieur... Si elles ne peuvent amener des gens de l'extérieur
au Québec à cause de la langue d'enseignement ou de
l'extérieur du Canada et si, pour les entreprises anglophones, c'est la
même chose... J'appartiens à une entreprise anglophone, je peux en
parler en connaissance de cause parce que, chez nous on a
transféré des francophones à l'extérieur du
Québec; on a voulu, pour compenser d'une certaine façon et aussi
pour les besoins qu'on peut appeler culturels, essayer de faire la même
chose avec des anglophones et de les amener au Québec et on n'est pas
capable de faire cela. C'est impossible. La langue d'enseignement est une des
difficultés principales, ce que nous savions déjà, nous au
CPQ, parce que les gens nous le disent continuellement depuis 1977 et
même avant et nous l'avons constaté dans le sondage; cela a
confirmé ce qu'on savait déjà. Ce qui ressort de tout ce
sondage, principalement, c'est la langue d'enseignement. Ce n'est pas moi qui
viens dire cela. Ce n'est pas M. Dufour qui vient dire cela. Ce sont les
entreprises qui font partie du Conseil du patronat qui nous disent: C'est un
problème. On n'est pas capable de fonctionner, on est incapable de
fonctionner totalement, on n'est pas capable de fonctionner efficacement en
partie parce qu'il n'y a pas la possibilité de mobilité dans les
cadres, les gens qui sont dans la recherche, à cause de la langue
d'enseignement.
M. Ciaccia: Est-ce que le Québec peut fournir tout le
personnel requis par les industries, dans le domaine économique? Ou
est-ce que la raison pour avoir des changements dans la langue d'enseignement,
c'est que le marché au Québec, les entreprises
québécoises ont besoin, que ce soit dans n'importe quelle
entreprise, de personnel et de connaissances qui viennent hors du
Québec, même hors du Canada?
M. Allard: Les entreprises québécoises ont
sûrement ce besoin. Il y a encore au Québec - toutes les grandes
entreprises ne sont pas parties - beaucoup de grandes entreprises anglophones
qui ont des besoins et ces besoins pourraient être satisfaits par des
changements à la langue d'enseignement. On ne parle pas seulement en
termes de ce qui existe actuellement. Avec un peu d'ambition, on veut souhaiter
que d'autres entreprises viennent s'implanter au Québec. Il y a eu une
entreprise importante dernièrement qui a décidé de venir
s'implanter ici. On a fait beaucoup d'accommodements déjà
prévus par la loi et tout cela. Mais il a fallu faire ces
accommodements. Tout cela, je pense, démontre jusqu'à quel point
la langue d'enseignement représente une préoccupation très
importante des entreprises qui pourraient songer à venir
s'établir au Québec. C'est pour cela que tant de gens demandent
ce changement.
M. Dufour: Si vous me permettez d'ajouter juste un mot
là-dessus. Lors du dernier sommet sur les communications à
Montréal, les grandes entreprises qui ont participé au sommet, et
je pense notamment à la déclaration du groupe Bell Northern et de
son centre de recherche qui a identifié comme un des problèmes
majeurs actuellement, dans les discussions autour de la table, la
possibilité d'attirer des chercheurs dans ce genre de centre de
recherche... En plus, pas purement des chercheurs de type cadre. Ces gens
disaient qu'ils pouvaient et qu'ils pourraient - je sais d'ailleurs qu'ils vont
se présenter en commission parlementaire, ils vont vous le dire
-embaucher tout ce qui sort de doctorats
actuellement au pays dans le domaine de l'informatique et de la
télématique et que ce serait insuffisant pour leurs besoins.
Donc, il va falloir qu'ils aillent les chercher quelque part et ce sont des
anglophones.
M. Ciaccia: Si je comprends bien, le but du changement de la
langue d'enseignement, ce n'est pas d'amener du personnel ici pour enlever les
emplois aux Québécois. C'est plutôt pour créer des
emplois additionnels. Est-ce que c'est exact?
Deux autres petites questions parce que le temps... Le Conseil du
patronat semble être préoccupé par le climat
général au Québec. Dans plusieurs des mémoires que
vous avez soumis soit devant cette commission, soit devant d'autres commissions
parlementaires, vous vous préoccupez de la fiscalité, des
relations de travail, des dépenses gouvernementales. D'après
vous, quel est l'impact de la loi 101 sur ce climat et sur ces
éléments?
M. Dufour: Écoutez, on fait des sondages de ce genre,
nous, à tous les six mois, auprès de nos membres corporatifs
toujours. Cela existe depuis 1976. Au moment où on se parle, on
réalise que les grands problèmes sont des problèmes bien
connus, la fiscalité, les relations de travail, notamment. La question
de la langue est maintenant un problème moins préoccupant pour
nos entreprises. Effectivement, je pense que c'est passé du
troisième ou quatrième degré au douzième ou
treizième degré, parce que là, on parle de la politique
linguistique du gouvernement. Ce qui manifeste que les hommes d'entreprises ont
accepté la loi 101; ils ont accepté les programmes de
francisation, qui ont fonctionné, qui sont maintenant
opérationnels. Mais quand ils précisent, de façon
automatique, la langue d'enseignement, cela redevient la quatrième
préoccupation. Alors, la politique linguistique d'ensemble, non. Mais la
langue d'enseignement, toujours en quatrième lieu.
M. Ciaccia: En terminant - parce que je ne voudrais pas enlever
le droit de parole à mes collègues vu que le temps est
limité -si on enlève ces irritants ou les difficultés que
vous avez soulevées dans la loi 101 et son application, est-ce qu'on
pourrait espérer ou considérer que ce serait un facteur important
dans une relance, pour la santé économique, pour la
création d'emplois dans les entreprises québécoises?
M. Allard: Oui.
M. Ciaccia: Merci.
M. Allard: Cela répond à la question?
M. Ciaccia: Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Deux-Montagnes?
M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je voudrais
d'abord dire à nos interlocuteurs, et en particulier à M. Allard,
que je reconnais l'importance de l'anglais, aussi bien sur le plan des affaires
que dans le domaine culturel. L'anglais, dans le monde d'aujourd'hui, joue un
rôle qui est probablement sans précédent a l'époque
contemporaine, qui dépasse le rôle que le français a
joué comme langue de la diplomatie et de la culture. Donc, je ne
voudrais pas que personne puisse soutenir que je nie l'importance de l'anglais
comme langue de communication à travers le monde. Mais vous avez dit, M.
Allard, que, dès qu'une entreprise québécoise - vous
parliez d'une entreprise francophone - fait affaires hors du Québec, il
faut qu'elle le fasse en anglais. Je crois que vous avez fait un pas de plus
que celui que je fais moi-même. Je reconnais l'importance de l'anglais,
mais je reconnais aussi l'existence d'autres langues. Je connais un homme
d'affaires québécois francophone qui s'est mis à
l'étude du japonais, parce qu'il s'est rendu compte que, lorsqu'il
discutait avec son interlocuteur japonais en anglais, il y avait un manque de
communication, une imperfection de la communication, l'anglais n'étant
ni sa langue à lui, ni celle de son interlocuteur japonais. Donc, je
crois qu'il faut faire attention dans les affirmations que nous faisons. Les
questions linguistiques sont toujours plus complexes qu'elles ne le paraissent
à première vue.
Je relève dans votre mémoire une affirmation selon
laquelle "D'autres - ce sont les gens que vous avez consultés -
déplorent le fait que le personnel de la commission déborde le
cadre de la loi 101 pour s'intéresser, dans l'exécution de sa
tâche, à la qualité du français." Je ne veux pas
soutenir que la commission a un rôle très clairement établi
par la loi quant à la qualité du français, mais il faut
que quelqu'un, quelque part, se préoccupe de sa qualité. La loi
101 dont nous discutons, c'est la Charte de la langue française. Ce
n'est pas la charte d'un patois; ce n'est pas la charte d'un charabia. C'est la
Charte de la langue française, et je crois que les questions de
qualité de langue sont importantes, tout simplement pour qu'on se
comprenne bien.
Par exemple, vous nous présentez un document, une étude,
que vous avez appelé régulièrement "notre sondage". C'est
même dans l'intitulé de ce document; c'est un sondage. Il y a avec
vous un expert en sondages. Et moi, je prétends que ce n'est pas un
sondage. Je prétends que c'est une consultation. C'est important de
connaître le sens des mots. Hier, j'ai eu deux minutes et
trois huitièmes pour dialoguer avec Alliance Québec. Je
parlais de données de recensement et on me répondait en termes de
données de sondage, comme si des données de sondage
étaient en quelque sorte équivalentes à des données
de recensement alors qu'elles ne le sont pas du tout. Vous, vous avez fait une
consultation et, à mon avis, en l'appelant "sondage", vous la
dépréciez. Vous dépréciez votre consultation en
l'appelant "sondage" parce que vous dites que ce sondage a été
réalisé en août-septembre 1983 auprès de 280
entreprises, les membres corporatifs du CPQ qui emploient 50 personnes et plus.
Donc, c'est tout le monde. Comme c'est tout le monde, ce n'est pas un sondage.
Un sondage, c'est une sonde qu'on plonge dans l'océan pour en savoir la
profondeur. On la plonge à un seul endroit parce qu'on n'est pas capable
et on n'a pas assez d'instruments pour en plonger partout. Il y a une notion
d'échantillon dans un sondage. Votre expert a parlé
d'échantillon; ce n'est pas un échantillon, c'est la
totalité. Par définition, ce n'est pas un sondage. C'est une
consultation et comme telle cela a beaucoup plus de valeur. Si on se
préoccupait un peu plus souvent du sens des mots, on se comprendrait
mieux. (12 heures)
M. Dufour: Est-ce que je peux répliquer à cela
immédiatement, M. le Président?
Le Président (M. Desbiens): Oui. M. Dufour.
M. Dufour: M. le Président, dans notre cas, il y a 50% des
gens qui ont répondu, il y a 140 membres sur 300 membres. Il est
usuel...
M. de Bellefeuille: Vous avez tous été
invités à répondre. Si vous avez tous été
invités à répondre, par définition, c'est une
consultation de tout le monde, ce n'est pas un sondage. Je maintiens que ce
n'est pas un sondage. Je maintiens que ce genre de distinction est
important.
M. Dufour: On demandera à l'office un dossier sur ce
sujet.
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. le député de Deux-Montagnes, vos questions.
M. de Bellefeuille: Parlons de quelque chose qui vous
intéresse plus, de toute évidence. Je ne sais pas si je dois
conclure que la bonne expression en français, cela vous
indiffère. Je ne voudrais pas sauter à pareille conclusion. De
toute évidence, la langue de l'enseignement vous intéresse
plus.
Parlons de la clause Canada. M. le ministre en a parlé. Je
voudrais préciser une chose. M. le ministre a fait allusion à la
notion de réciprocité. L'offre que le Québec a faite, en
1977, à la conférence de St. Andrews, est une offre de
réciprocité et elle tient toujours. Je voudrais savoir, dans la
mesure où vous acceptez cette notion qu'il devrait y avoir
réciprocité, est-ce qu'il est suffisant de dire que l'offre tient
toujours ou si le gouvernement du Québec devrait en quelque sorte passer
à l'offensive, c'est-à-dire demander aux autres provinces
d'entreprendre des négociations sur cette question de la
réciprocité, faire d'un dossier qui, à l'heure actuelle,
vu la réaction qu'on a eue en 1977, est un dossier passif un dossier
actif?
Le Président (M. Desbiens): M. Allard.
M. Allard: M. le Président, notre rôle n'est pas
d'indiquer au gouvernement quoi faire sur cette question. De toute
façon, ce n'est pas pour cela que nous sommes venus ici aujourd'hui.
Nous sommes venus vous dire ce que nous pensons qui devrait être fait
à la loi 101, à la suite de l'invitation que vous nous avez faite
et après nous être basés sur ce que pensent nos membres.
C'est simplement cela que nous sommes venus faire. Les questions des relations
du gouvernement du Québec avec les autres gouvernements en ce qui
regarde la langue, ce n'est pas notre domaine et nous ne voulons pas nous
immiscer dans cela.
Si vous me le permettez, M. le député, j'aimerais revenir
sur ce que vous avez dit tout à l'heure. Je ne voudrais pas que personne
n'ait l'impression que le Conseil du patronat ou ses membres ne sont pas
intéressés à la qualité de la langue. On l'a dit
dès le début. On était tout à fait d'accord avec
les principes fondamentaux de la loi 101 et on l'est toujours. Il faudrait
reconnaître que la langue utilisée dans les entreprises ne peut
pas être meilleure que la langue parlée par les personnes qui y
travaillent. Je ne crois pas que les entreprises doivent devenir des
universités ou des écoles. Cela n'appartient pas aux entreprises
d'enseigner le français. Cela appartient peut-être aux entreprises
- on en a convenu - d'utiliser le français et d'utiliser le meilleur
français possible. Mais si on veut parler de la qualité de la
langue, il faudrait plutôt regarder du côté des institutions
d'enseignement et voir quelle sorte de langue on y enseigne. Si on y enseigne
la meilleure langue possible, les entreprises vont employer des travailleurs
qui parlent la meilleure langue possible et les entreprises parleront la
meilleure langue possible.
M. de Bellefeuille: Bon. Il y a une autre question que je veux
vous poser en ce qui concerne la langue du travail. La situation dans laquelle
nous sommes est qu'il
y a des entreprises qui sont en retard dans la mise en oeuvre de leur
programme de francisation. Cela a été établi devant nous
dans des mémoires qu'on nous a présentés. Je n'ai besoin
de citer aucun cas particulier, mais il y a des données précises
qui ont été fournies. La question que je veux poser, c'est
qu'étant donné que vous acceptez - vous l'avez dit à
plusieurs reprises et depuis plusieurs années, depuis le début -
les objectifs généraux de la loi - c'est dans votre texte - y
compris les incidences sur la langue du travail, que devons-nous faire, comme
législateurs et comme gouvernement, face à cette situation
où un nombre appréciable d'entreprises sont, de façon
patente, en retard dans la mise en oeuvre de leur programme de francisation? Il
y a des experts en francisation qui ont parlé de 30% et c'est à
peu près incompressible ou extrêmement difficile à
réduire. Qu'est-ce qu'on fait par rapport à cela? On change la
loi? On ne la change pas? On la durcit? On l'adoucit? On recourt à
d'autres moyens?
M. Allard: Encore une fois, M. le député, nous ne
sommes pas venus ici pour discuter de ces choses. Il y a une loi qui existe, il
y a des organismes qui la mettent en application. Ce que nous avons voulu faire
ce matin, c'est ce qu'il y a dans notre mémoire et cela n'y
apparaît pas. Je ne sais pas si M. Dufour veut ajouter autre chose
à cela.
M. de Bellefeuille: Si vous permettez, M. Allard, cela me
paraît un peu inquiétant que le Conseil du patronat du
Québec n'ait rien à dire sur la question de savoir ce qu'il faut
faire par rapport aux entreprises qui sont en retard dans le domaine de la
francisation. Cela me paraît inquiétant que le Conseil du patronat
n'ait rien à dire là-dessus.
M. Dufour: Vous ne voulez quand même pas qu'on vous dise de
mettre la police après elles. Il y a des programmes qui sont plus
difficiles à réaliser que d'autres. Cela vous a été
démontré. Cela le sera encore dans le champ à cause de la
technologie nouvelle. Il y a des problèmes très concrets qui font
partie de ces 30% dont vous parlez. M. Marcel Côté, ici, a
vécu de façon très concrète, dans le champ,
l'application de programmes. On peut vous en parler longtemps. C'est dans ce
sens que le président dit que chaque cas devient un cas d'espèce.
Si vous entrez là-dedans, on n'en ressort pas. C'est pourquoi on essaie
de rester sur de grandes modalités.
Quand on parle ici d'entreprises, ce sont toutes des entreprises qui ont
en moyenne de 1500 à 2000 travailleurs. Vous imaginez bien la
complexité. Quand vous m'embarquez dans un dossier qui pourrait
être le premier qui a été présenté à
cette commission parlementaire, si je me réfère un peu à
ce que vous avez dit, on vient d'entrer dans un dossier qui est drôlement
difficile. Je pense que vous n'avez pas les données, moi non plus, pour
étudier un tel cas. Si vous voulez entendre, de façon très
générale, les difficultés rencontrées par un
praticien... Marcel peut y aller.
M. Côté (Marcel): Je pense que le principal
problème relié au retard de la francisation - d'abord, on savait
qu'il y en aurait quand même certains... Dans un ensemble d'entreprises,
il est normal que certaines soient récalcitrantes, qu'il y ait de
mauvaises attitudes et ainsi de suite. On en retrouve partout. Par contre,
lorsqu'on a établi des échéanciers dans les programmes
qu'on négociait en 1978, 1979 et 1980 et même au début de
1981, personne ne prévoyait la sévérité de la
récession qu'on a connue. Les entreprises sont souvent amenées
à faire des choix entre une survie ou se maintenir et quelquefois - vous
pouvez demander à M. Laflamme, il peut vous dire dans quelle situation
il est lorsqu'il a des choix à faire - cela a pu occasionner des
retards. Dans ce sens, c'est normal que la récession ait amené
une augmentation de gens qui étaient en défaut quant à
leur programme de francisation.
Par contre, il faudrait dire aussi, quant aux chiffres qui ont
été lancés, que c'est l'office ou les organismes
responsables de faire respecter la loi qui sortent ces chiffres. Si on
demandait à l'autre partie de dire si elle est en retard sur son
programme de francisation, peut-être qu'on aurait un autre point de vue.
Il y a deux points de vue qu'il faudrait considérer lorsqu'on regarde
ces chiffres.
M. de Bellefeuille: L'Association des conseillers en
francisation, ce n'est pas un organisme gouvernemental, n'est-ce pas? C'est un
organisme tout à fait privé. Par ailleurs, il y a d'autres
données qui viennent d'organismes gouvernementaux, vous avez raison.
Mais ces données, dans l'ensemble, concordent. Je vous remercie des
éléments de réponse que vous avez apportés. Merci,
M. le Président.
M. Allard: M. le Président, M. Laflamme aurait
peut-être quelque chose d'utile à dire.
M. Laflamme: Vous vous demandez pourquoi il y a des retards. Nous
sommes un de ceux qui sont en retard. On a un certificat temporaire, on n'a pas
pu obtenir le certificat permanent à cause de la liste des choses qu'il
reste à faire. Cette liste nous a été remise par
l'inspecteur. Entre autres, sur toutes les pièces
d'équipement
dans les trois usines que nous avons, il faut changer tous les
interrupteurs qui marquent "start", "stop", "forward", "reverse", "stop", etc.
Au lot d'équipement qu'on a, on a fait faire une évaluation pour
changer les boîtes d'interrupteurs, cela coûte 45 000 $. L'an
dernier, si vous vous rappelez la situation économique dans l'industrie
du meuble, en particulier - d'ailleurs, le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme, M. Biron, avait mis sur pied un plan de relance alors que
toutes les entreprises fonctionnaient à perte, je pense que ce
n'était pas le temps d'investir 45 000 $ pour changer des boutons, ce
qui ferait plaisir à l'inspecteur, mais qui ne ferait aucun meuble de
plus et qui n'aiderait aucunement à la productivité de
l'entreprise. Tout ce que cela aurait contribué à faire, c'est de
diminuer le fonds de roulement encore un peu plus parce que les entreprises
fonctionnaient à perte l'an passé. Alors, devant ce fait, on nous
refuse notre certificat de francisation. Je ne sais pas si cela répond
à votre question. Il y en a d'autres sur les distributrices de
nourriture et de boisson. Cela n'est quand même pas nous qui les
fabriquons. Il faut que l'on s'occupe de changer les boutons. Il faut le faire
aussi sur les extincteurs chimiques, sur les panneaux électriques, sur
les gicleurs automatiques, etc.
M. de Bellefeuille: Cette observation nous a déjà
été faite, c'est-à-dire qu'il faudrait que la pression
s'exerce dans beaucoup de places chez les fournisseurs. Les gens qui vous
fournissent des instruments sur lesquels les inscriptions ne sont pas conformes
à la loi, ce sont eux qu'il faudrait amener à se conformer.
M. Laflamme: Oui, mais je vous ai expliqué tout à
l'heure qu'il y a des pièces d'équipements qui proviennent
d'Allemagne. Même si j'allais voir les Allemands pour leur expliquer
qu'au Québec, il y a la loi 101 et qu'il y a un inspecteur qui veut que
les boutons soient de telle manière, que pensez-vous qu'ils vont me
dire?
M. de Bellefeuille: C'est discutable parce que ce qui vient
d'Allemagne est destiné au Marché commun le plus souvent,
à la Communauté économique européenne qui utilise
couramment un grand nombre de langues. Du côté des produits
allemands, cela m'étonnerait qu'il y ait véritablement des
problèmes.
M. Laflamme: On en a...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Nelligan. Je rappelle à tous qu'il y a au-delà de 100 minutes
d'écoulées.
M. Lincoln: Oui. Cela sera très bref, M. le
Président.
M. Laflamme: Je voulais seulement ajouter que l'on
n'achète pas tous les matins de l'équipement neuf...
Une voix: Avec tout l'équipement qui est là.
M. Laflamme: ...au prix que cela coûte.
M. Lincoln: Tout d'abord, une question à M. Allard, et
ensuite j'en poserai une au ministre. M. Allard, je sais que votre compagnie a
été une des premières francisées au Québec;
en fait, bien avant la loi 101. Vous êtes un exemple typique. L'inverse
s'est produit, comme vous l'avez souligné, parce que le président
de votre corporation qui est la plus grosse dans son secteur au Canada est un
francophone de la ville de Québec et que vous avez
transféré des francophones en Ontario. Je voulais vous demander,
de façon pratique: Quand ces francophones ont quitté le
Québec pour aller en Ontario, ont-ils eu des problèmes avec la
langue d'enseignement? En avez-vous eu connaissance?
M. Allard: À ma connaissance, il n'y a eu aucun
problème de ce genre. Ce sont des gens qui sont allés surtout
à Toronto et à Ottawa. Vous avez parfaitement raison en demandant
quelle est notre compagnie et quel en est notre président. Un peu comme
M. Laflamme, nous ne sommes pas une entreprise francophone, mais, comme lui,
nous attendons toujours notre certificat de francisation permanent. Ce n'est
pas parce que nous en avons besoin, mais nous sommes soucieux d'être des
citoyens qui respectent les lois. Nous nous sommes conformés dans toute
la mesure du possible à toutes les exigences. On attend toujours le
certificat même si les inspecteurs nous ont dit, il y a des mois: Votre
affaire est correcte, mais il faut que cela passe ici et là. Cela prend
deux mois ici et trois mois là, mais vous l'aurez. On l'attend toujours.
Je n'en ai pas besoin parce que je ne fais pas affaires avec le gouvernement.
Il ne veut pas acheter de nous parce que l'on est des Anglais et il y a la
Société de développement industriel qui nous met des bois
dans les roues parce que notre siège social est à Toronto,
même si le président, M. Robitaille, est un francophone. Je n'en
ai pas vraiment besoin, mais je voudrais l'avoir et je ne l'ai pas. Cela attend
depuis le début et nous avons été parmi les premiers, je
pense, à fournir notre programme de francisation. C'était facile
parce que notre personnel au Québec, qui était à peu
près de 700 à ce moment, était à 99% francophone.
On n'a toujours pas de certificat.
M. Lincoln: Oui, je pense que vous avez répondu à
ma question. Ce que je voulais demander c'est si à Toronto les
francophones que vous avez transférés, dont M. Robitaille et les
autres, ont eu des problèmes pour envoyer leurs enfants à
l'école française. Pas à l'école anglaise, a
l'école française.
M. Allard: Ils n'ont eu aucun problème.
M. Lincoln: La deuxième question, je vais la poser au
ministre parce que je me demande s'il n'y a pas malentendu. Je ne sais pas,
peut-être que j'ai mal compris. On a parlé tout le temps, au sujet
de la langue d'enseignement, de réciprocité, M. le ministre. On
n'a pas envie de faire un débat constitutionnel, c'est la
dernière chose qu'on cherche, sur l'article 133, etc. Mais en fait,
aujourd'hui, à cause de l'amendement à la nouvelle constitution
canadienne, est-ce que l'Ontario n'est pas obligé par la constitution
canadienne de donner aux francophones qui partent du Québec pour aller
en Ontario l'éducation dans la langue française et est-ce que
l'Ontario ne s'est pas engagé à le faire, à respecter la
constitution? Donc, il y a réciprocité factuelle.
M. Godin: La différence de fond, c'est qu'ils peuvent le
donner "là où le nombre le justifie", ce qui n'est pas le cas au
Québec. De toute façon, M. le député, j'ai
répondu à la question que me posait le président, M.
Allard, tout à l'heure et, en ce qui me concerne, je n'ai rien à
ajouter pour l'instant. (12 h 15)
M. Lincoln: Ah bon! Mais c'est une nuance à faire parce
qu'il me semble que c'est un point clé, parce que le point clé du
Conseil du patronat est la langue d'enseignement et vous avez semblé
nier la réciprocité. Vous avez semblé dire que, si un
francophone quittait le Québec pour aller en Ontario, il n'y avait pas
du tout de chance qu'il puisse aller à l'école française.
Donc, le cas est tout à fait différent parce que la grande
majorité, de toute façon, ira à Toronto, où M.
Allard expliquait que ce n'était pas du tout un problème, ni
à Ottawa, ni dans la plupart des régions de l'Ontario. En fait,
je vais chercher les références, mais je suis presque convaincu
que le gouvernement de l'Ontario a maintenant pris l'engagement de donner
l'enseignement français, ignorant la question du nombre de personnes.
Donc, je pense que la question de réciprocité n'est pas factuelle
et que vous devriez la revoir en considérant ce que l'Ontario va donner,
parce que, si c'est la seule chose qui vous empêche de le faire, je pense
que le Conseil du patronat a un point qu'il a raison de souligner et que cela
devrait être revu parce qu'il me semble que votre argument ne tient pas
debout.
M. Marx: Seulement un petit point, s'il vous plaît! Vous
allez me permettre un petit point?
M. Godin: Ce n'est pas moi qui décide.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Ce n'est pas moi qui décide du droit de parole,
c'est le président.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre. À
l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre.
M. Godin: Évidemment, ce qui se passe dans le reste du
Canada fait partie de la réflexion du gouvernement sur cette question,
M. le député de Nelligan.
M. Lincoln: Pardon?
M. Godin: Je vous dis que ce qui se passe dans les autres
provinces à cet égard fait partie de la réflexion du
gouvernement sur cette question, bien entendu.
M. Lincoln: Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Vachon.
M. Payne: M. le Président, on a entendu beaucoup de
réponses, beaucoup de questions. Je n'ose pas trop poser ma question au
début parce que cela prendrait 20 minutes pour répliquer et je
n'aurais pas la possibilité de faire mes commentaires.
Les commentaires que j'aimerais apporter au sujet du mémoire sont
les suivants. Je souligne modestement que les commentaires du Conseil du
patronat sur le sondage mené par la maison SECOR sont pour le moins
déformés et même partiaux. Comme sociologue, j'aimerais
indiquer comment vos commentaires sont partiaux et parfois pleins
d'extrapolations. Vous finissez le sondage avec des questions que j'appelle
omnibus, du genre: Voulez-vous le ciel? Voulez-vous la vertu? Vous parlez des
modifications à apporter à la loi 101. C'est comme si vous
demandiez à quelqu'un: Voulez-vous l'abolition des taxes au
Québec? Nous sommes tous pour la vertu. Cependant, si on regarde
attentivement votre sondage, on voit que ceux qui ont rencontré des
difficultés avec la loi 101 sont beaucoup moins nombreux que vous ne le
prétendez.
Par exemple, lorsque la maison SECOR parle du programme de francisation,
elle demande si cela paraît réaliste. Vous n'avez pas
indiqué que 87% considèrent que c'est complètement ou
entièrement réaliste quant aux objectifs; 80% considèrent
que c'est réaliste quant aux objectifs. Même chose
pour les entreprises de tradition anglaise.
Lorsque vous parlez du programme de francisation, vous demandez: Est-ce
conforme à celui que votre entreprise avait proposé? Prenons
seulement les anglophones. 91% ont dit que c'était complètement,
entièrement ou passablement en conformité avec ce qu'ils ont
proposé. Je trouve que c'est une facette qui a été
négligée dans vos commentaires.
Troisièmement, à la question no 7, lors des
négociations, on parle de la crédibilité des
négociateurs. Chez les anglophones, 73% ont considéré que
les négociateurs ont démontré une bonne connaissance et
une compréhension adéquate. Vous ne l'avez pas mentionné
dans vos commentaires.
Lorsque vous parlez de la paperasse, vous formulez un commentaire assez
négatif. Vous dites: "II est pour le moins étonnant de constater
qu'un répondant sur trois appartenant à cette catégorie
(francophone) déplore une complexcification des procédures
administratives (paperasserie)." Or, à la question sur la paperasse pour
savoir s'il y a "trop de paperasse, plus ou moins ou pas du tout", les
francophones ont répondu à 67%.
M. Allard: M. Dufour va vous répondre. M. Payne: Un
instant.
M. Dufour: On peut reprendre le sondage, M. le
Président.
M. Payne: Non, non.
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Dufour: On peut le reprendre.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Vachon a la parole.
M. Payne: Ceux qui ont répondu "more or less", en anglais,
ou "pas du tout" sont au nombre de 66% chez les anglophones. Vous ne pouvez pas
extrapoler à partir de la petite minorité qui est contre la
paperasse pour proposer nécessairement qu'on doive apporter des
amendements.
Il y a la question concernant les programmes de francisation qui
créent des problèmes dans les coûts directs ou des
problèmes avec les fournisseurs ou des problèmes dans le service
à la clientèle. Pour prendre une optique assez objective, nous
allons regarder la réponse des anglophones seulement. Coût direct:
67% des problèmes sont mineurs ou cela ne cause aucun problème.
Avec les fournisseurs, problèmes mineurs ou aucun problème, 91%.
92% en ce qui concerne le service à la clientèle.
Dans tout votre mémoire, qui me semble être un pur exemple
de marketing négatif du fait français ou de l'importance d'une
loi linguistique vigoureuse au Québec, je considère que vous avez
fait des extrapolations assez exagérées.
En ce qui concerne la langue de l'enseignement, vous dites que, pour 25%
des répondants, la loi 101 a empêché le recrutement des
employés. Or, à la question 16: Est-ce que la loi 101 entrave la
mobilité et - question suivante - le recrutement des travailleurs, 100%
des francophones répondent non; "sometimes, never or does not apply,"
dans le cas des anglophones, c'est quand même 71%.
Concernant l'affichage, lorsque SECOR pose la question: Les
problèmes, est-ce qu'ils sont mineurs, nuls ou si cela ne s'applique pas
vous ne pouvez pas mettre "ne s'applique pas" avec ceux qui sont contre
l'affichage. Les francophones ont répondu à 83% et les
anglophones à 90%. Je n'ai pas la machine administrative derrière
moi pour faire le bilan au complet, mais j'ai fait mes calculs et, en ce qui
concerne les communications écrites en anglais comme entrave à la
bonne gestion de l'entreprise, chez les francophones, à 81%, aucun
problème, ou 86% problèmes mineurs, aucun ou la question ne
s'applique pas.
Je termine avec la question 26: La loi 101 a-t-elle occasionné
des déplacements de postes en dehors du Québec? On lit beaucoup
de manchettes là-dessus émanant souvent du Conseil du patronat.
Or, au sondage SECOR, on constate que 88% disent non. Quant aux questions
omnibus, a la fin, que j'appelle des questions de vertu, comme: Est-ce que vous
aimeriez qu'on abolisse les taxes au Québec, bien sûr, tout le
monde veut abolir les taxes, partout dans le monde. Mais, lorsque vous posez
une question spécifique sur la loi 101, vous avez un tout autre
portrait. Lorsque vous parlez plus loin de la localisation de nouvelles
activités en dehors du Québec, vous avez exactement le même
portrait.
Cela m'amène à me demander dans quelle mesure cela
n'entretient pas certains préjugés manifestés hors du
Québec en ce qui concerne la loi 101. Je voyage assez souvent hors du
Québec, hors du pays. Je me demande dans quelle mesure nos leaders,
comme le Conseil du patronat, sont en partie responsables d'un certain
marketing négatif. Est-ce qu'on est devenu un peu les marchands d'un
marketing négatif? Je considère que cela aurait été
beaucoup plus objectif sociologiquement si vous aviez décidé de
donner le portrait dans son ensemble. On pourrait avoir un dialogue de vingt
minutes, si vous voulez. J'ai entendu vos commentaires sur le sondage, mais je
voudrais, M. le Président, apporter mes précisions pour en faire
un portrait un peu plus objectif.
Le Président (M. Desbiens): Avez-vous
des commentaires, M. Dufour?
M. Dufour: Ils seront très brefs, parce que M. le
député Payne dit justement que le genre d'analyse qu'il vient de
faire pourrait être fait par un autre sociologue peut-être de
façon différente, un peu comme les démographes le
feraient, dans le fond. Je pense qu'on était loin de charrier en le
présentant tantôt. À l'inverse, on a soulevé les
points forts de ce document en disant: L'étiquetage, par exemple, ce
n'est pas un problème. Vous ne l'avez pas mentionné. Autrement
dit, vous aussi, vous êtes allé chercher ce qui faisait votre
affaire. Vous prenez un sondage et vous l'analysez.
Une voix: Une consultation.
M. Dufour: Une consultation, excusez-moi. Si nous étions
venus ici simplement pour vous dire que tout va bien, je pense que ce n'est pas
ce à quoi vous vous attendiez.
M. Payne: Je n'ai pas proposé cela.
M. Dufour: Mais quand vous soulevez que 33% des francophones ont
des problèmes administratifs avec l'application de la loi 101, je
regrette, vous pouvez me dire qu'il y en a 67% qui n'en ont pas, mais ce qui
m'intéresse ce sont les 33% qui en ont. Ce sont eux qui vivent les
problèmes à cause des 4,50 $ de plus sur le mobilier de chambre
à coucher qu'on ne vendra pas chez Simpsons. C'est la
réalité qui n'est pas une réalité sociologique,
mais une réalité économique. Je pourrais choisir toute
autre question et vous ramener sur la question où on parle des
déplacements de postes. Sur la question des déplacements de
postes, vous reconnaissez que l'on s'en plaint chez les entreprises anglophones
à 72%, 73%. Malheureusement - je l'ai dit tout à l'heure on n'a
pas quantifié ce nombre des personnes. On ne le sait pas, ce sera
peut-être une prochaine étude de l'office. Quand nous disons qu'il
y a eu simplement un transfert d'une activité dans l'entreprise, de
Montréal à Toronto, ce n'est pas identifié non plus. Cela
peut être un siège social. Or, M. Payne, il pourrait y avoir 98%
de positif et 2% de négatif, ces deux grands sièges sociaux, cela
nous préoccupe. C'est cela qu'on essaie de véhiculer en
pondérant tout cela. Bien sûr, c'est comme tout sondage, n'importe
qui peut en faire l'analyse qu'il veut, mais nous avons pensé vous la
livrer dans toute sa virginité, avec le positif et le négatif, et
on va en tirer un certain nombre de conclusions sans hésitation
aucune.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Vachon, une très brève remarque.
M. Payne: Un tout dernier commentaire qui ne touche pas vos
commentaires sur le sondage de la maison SECOR, mais plutôt le contenu du
questionnaire. Cela a été commandité par la maison SECOR,
j'en conviens. Dans le questionnaire tel qu'envoyé aux entreprises de
traduction anglaise, vous aviez la question 14 dans la forme suivante en
français: "Les programmes de francisation ont pu créer divers
problèmes aux entreprises." Dans la question anglaise, il y a une petite
nuance ajoutée à cela - de toute façon, sur le fond, je
crois que la question est un peu pipée - "The francization programs
could have very well created various problems to somes firms." C'est le
postulat de la question. And then, you continue: "Of the following points, was
your francization program at the source of major, minor or no problems at all?"
I think that the question is a little bit loaded. If somebody asked me,
following a postulated basic premise: "The francization programs could have
very well created various problems..." Je me pose des questions. Cela
paraît également être l'approche - et j'achève ici -
lorsque vous parlez de la question 17: "Of the following three options
concerning language and instruction in Québec, which would you favour -
c'est une question de vertu - freedom of choice, the Québec clause or
the Canada clause?" C'est bien sûr que, même si ce n'est pas la
politique du Parti libéral du Québec, ni du Parti
québécois, la question n'est pas tout à fait en
conformité avec ce que vous auriez pu chercher dans ce sondage. (12 h
30)
Le Président (M. Desbiens): Si c'est terminé...
M. Dufour: Évidemment, il y a des problèmes
techniques dans un sondage.
M. Côté (Marcel): Sur le premier point
soulevé par M. Payne, on reconnaît qu'il y a une différence
entre la version française et la version anglaise. Cela a
été corrigé dans ce qu'on pensait être la version
finale et, finalement, cela n'a pas été la version finale du
questionnaire. Pour ce qui est de la question 14, votre point est
excellent.
M. Payne: II y avait donc une erreur dans le sondage.
M. Côté (Marcel): Oui, une erreur de notre part. Je
dois vous dire qu'il y a des questionnaires anglais qui étaient
envoyés à des entreprises francophones et des questionnaires
français qui étaient envoyés à des entreprises
anglophones parce que la division qu'on a faite ici pour présenter les
entreprises anglophones sur un questionnaire anglais ne correspond à
l'envoi des questionnaires. En fait, un plus grand
pourcentage de questionnaires étaient en français. Si on
prend l'exemple de l'entreprise de M. Allard, il a reçu un questionnaire
en français, évidemment. Il y a une certaine partie des
questionnaires...
Quant au point de la question 17 que vous soulevez, la façon de
poser les questions sur la loi 101 ou la clause d'enseignement, c'est
sensiblement la façon dont on la pose généralement dans
les questionnaires écrits. Il faut dire que, dans un questionnaire
écrit, les personnes ont le temps de regarder soigneusement la question
avant d'y répondre. On pense qu'il n'y a pas de biais dans cette
question.
M. Payne: On constate qu'il s'agit d'une erreur. Je dis que c'est
une erreur de taille et non de détail.
M. Côté (Marcel): C'est une erreur de SECOR; cela
n'a rien à faire avec le Conseil du patronat.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau, en concluant, s'il vous plaît.
M. Dufour: Je voudrais poser une question au ministre, si cela
est possible. Elle sera très courte. Vous avez mentionné tout
à l'heure, si je me rappelle bien, que 243 entreprises se sont
prévalues de la loi pour une exclusion au niveau du siège social.
Le nombre n'est pas important, ne cherchez pas. Dans notre milieu, les gens ont
beaucoup de misère à comprendre ce qui s'est passé avec
Bell Helicopter. Est-il exact qu'il y a eu des arrangements particuliers pour
Bell Helicopter ou si c'est purement l'application actuelle de la loi?
M. Godin: C'est purement et simplement l'application actuelle de
la loi. J'ai dit, à d'autres séances, qu'il y avait eu 7600
demandes d'exemption pour la période de trois à six ans. De ces
7400, 96% ont été accordées. Je n'ai pas la ventilation
pour le renouvellement de trois ans ou pas, mais c'est en principe
automatique.
M. Dufour: Pourquoi cela a-t-il tellement circulé que vous
aviez fait cela?
M. Godin: C'est parce que cela a frappé les gens.
Certaines personnes ignoraient qu'il y avait ce délai de six ans.
Certaines personnes ignoraient que cela était presque automatique. Les
gens pensent que la loi 101 est beaucoup plus sévère qu'elle ne
l'est vraiment. Les sondages ou consultations le prouvent, d'ailleurs.
En gros, ce n'est pas un statut particulier. Le président, M.
Allard, a dit tout à l'heure très clairement et très
honnêtement que la loi s'était appliquée et c'est ce qui
s'est passé.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de L'Acadie sur le même sujet.
Mme Lavoie-Roux: Une toute petite question supplémentaire
au ministre. Je voudrais être sûre de bien comprendre. Je la
connaissais, évidemment cette disposition de la loi. Est-ce que dans le
cas de Bell Helicopter vous leur avez dit six ans? Dans le cas des autres
compagnies, c'est trois ans avec renouvellement. Est-ce que pour eux c'est six
ans automatiquement ou trois ans avec renouvellement?
M. Godin: C'est la loi qui s'applique; c'est trois ans avec
renouvellement automatique à 96%, je l'ai dit tout à
l'heure...
Une voix: M. le Président...
M. Godin: Non, non, ce n'est pas un an â la fois.
Mme Lavoie-Roux: Un an à la fois.
M. Ciaccia: Une question très simple au ministre. Est-ce
la loi telle qu'elle a été appliquée jusqu'à
maintenant ou si c'est votre interprétation nouvelle de l'application de
la loi avec Bell Helicopter?
M. Godin: C'est la loi telle qu'elle a été
appliquée jusqu'à maintenant.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: On me permettra de souligner que, si le ministre de
l'Industrie, du Commerce et du Tourisme était ici, on pourrait lui poser
la question parce que c'est lui qui, apparemment, a confirmé en
conférence de presse qu'il y avait eu des ententes quelconques avec Bell
Helicopter. Je peux vous dire que je lui ai posé la question en
privé et que sa réponse n'est pas la même que celle que
nous fournit le ministre présentement. Je n'insisterai pas
là-dessus, ce n'est pas le moment.
M. Godin: Est-ce que vous avez un affidavit à
déposer?
M. Gratton: Non, mais, s'il en faut un pour concilier les
déclarations de deux ministres du même gouvernement, on va prendre
les moyens nécessaires, M. le Président. J'aimerais, en terminant
- malheureusement, le temps ne nous permet pas de vous poser toutes les
questions qu'on aurait voulu - vous remercier, MM. du Conseil du patronat, et
vous rassurer quant à la définition des termes. Le petit Larousse
dit
au mot "sondage", entre autres choses: "Enquête par sondage, ou
sondage d'opinion, procédure d'enquête sur certaines
caractéristiques d'une population, à partir d'observations sur un
échantillon limité, considéré comme
représentatif de cette population."
Le député de Deux-Montagnes voulait dire que, si on le
fait sur l'ensemble, cela devient une consultation. J'ai pensé que vous
l'aviez interprété comme un sondage, puisqu'il n'y avait que 52%
de l'échantillonnage qui avait répondu. Mais peu importe, ce qui
est important de retenir, c'est que M. Côté, lui, est un sondeur
puisqu'un sondeur est une personne qui fait des sondages. Et nous tous, membres
de la commission, sommes également des sondeurs puisque, à la
définition de "sonder" on dit: "sonder le terrain, chercher à
connaître la situation", et c'est ce que nous essayons de faire sur la
loi 101.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, un dernier
mot.
M. Godin: M. Allard, M. Dufour et ceux qui vous accompagnent, je
tiens à vous remercier chaleureusement de votre mémoire. Je ne
ferai pas ici de discussions byzantines sur les méthodes de votre
sondeur ou consulteur, ni sur la grammaire.
Je soulignerai, par ailleurs, que M. Laflamme a cité quelques
programmes du gouvernement qui visaient, justement, à la relance
économique. Vous pouvez être convaincus, d'après ce qui
ressort de votre témoignage ce matin, que nous allons faire en sorte que
la francisation se fasse, puisque vous partagez cet objectif, mais que, d'autre
part, elle ne soit nullement un frein à la croissance économique.
Nous tentons d'établir l'équilibre entre un objectif qui est
louable pour l'ensemble des Québécois, qui a été
reconnu comme louable même par Alliance Québec hier, et, en
même temps, tenir compte de la réalité économique
qui est très dure depuis quelques années, comme vous le
savez.
C'est la conclusion que je tire personnellement de votre
présentation ici aujourd'hui. Comptez sur nous pour travailler ensemble,
les partenaires économiques, gouvernementaux et autres, pour que nous
sortions de la crise plus forts qu'avant et plus forte que jamais, en tenant
compte de la réalité économique, même dans un
programme de francisation. Merci.
Le Président (M. Desbiens): Nous remercions les
représentants du Conseil du patronat. J'inviterais maintenant les
représentants de la Société Saint-Jean-Baptiste, mais,
entre-temps, j'aurai à faire un sondage et/ou une consultation sur le
temps qu'il nous reste.
M. Allard: Merci, mesdames et messieurs.
Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal
Le Président (M. Desbiens): II y a une entente pour
entendre le mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste
immédiatement avant le repas. Nous reviendrions ici à 14 h 30
pour la discussion avec la Société Saint-Jean-Baptiste. M.
Rhéaume, si...
M. Rhéaume (Gilles): M. le Président, M. le
ministre, mesdames et messieurs...
Le Président (M. Desbiens): ...vous voulez d'abord nous
présenter les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît.
M. Rhéaume: C'est ce que j'allais faire après vous
avoir salués. Je vous présente M. Dollard Mathieu, ancien
président général de notre société; M.
Pierre Légaré, conseiller général de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal; M. Gérard
Turcotte, secrétaire du conseil général et directeur des
communications; M. Guy Bouthillier, premier vice-président de la
société.
Mesdames et messieurs, je voudrais, au tout début de notre
présence à cette commission parlementaire, d'abord vous exprimer
le fait que nous avons l'intention, pendant les premières secondes qui
sont allouées à la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, de lancer un appel à l'ensemble des
députés de toutes les allégeances politiques et de toutes
les origines ethniques, qui sont présents, au sens que le 26 octobre
1983 a été une autre démonstration de ce qui arrive en
Amérique du Nord aux peuples, autres que le peuple anglo-saxon, qui
n'ont pas les moyens de prendre des mesures législatives pour
protéger leur langue et leur culture. Vous imaginez que nous faisons
référence à ce qui est arrivé hier aux
Franco-Manitobains. Nous lançons un appel, à toutes les tendances
politiques, nous faisons un appel au sentiment national, quelles que soient nos
opinions politiques, afin que, pendant quelques instants, nous
réfléchissions à ce qui arrive à nos frères
et à nos soeurs du Manitoba. À ceux qui disent nous aimer et qui
disent nous respecter, nous demandons leur solidarité pendant quelques
instants.
M. Gratton: Question de règlement.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: M. le Président, je comprends le sens de la
démarche, de M. Rhéaume, mais il me semble que la façon de
s'exprimer de la commission, mardi de cette semaine, en adoptant une motion
unanime à
l'appui des Franco-Manitobains est beaucoup plus éloquente qu'un
moment de silence qu'on pourrait observer pour des raisons que je ne
qualifierai pas. Quant à nous, nous sommes prêts à entendre
la présentation du mémoire de la Société
Saint-Jean-Baptiste.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Nous sommes disposés à observer le moment
de silence demandé par la Société Saint-Jean-Baptiste pour
souligner ce qui s'est passé hier au Manitoba.
Le Président (M. Desbiens): Oui, M. Rhéaume.
M. Rhéaume: M. le Président, notre mémoire a
quelque 50 pages. Je pense que vous en avez eu une copie. On nous a dit de
présenter le mémoire avant d'aller manger. Donc, je vous demande,
si la commission me le permet, si le mémoire peut être
versé intégralement au journal des Débats. Je me
contenterai de le résumer et de le commenter.
Le Président (M. Desbiens): C'est-à-dire que tous
les mémoires sont au secrétariat de la commission. Ce qui est
enregistré au journal des Débats, c'est ce que vous direz ici
même, mais tous les mémoires sont au secrétariat de la
commission. N'importe qui peut les consulter et même en avoir copie les
premiers moments qui suivent la commission, aussi longtemps, évidemment,
qu'il y en a des copies supplémentaires. Ils sont déposés
ensuite à la Bibliothèque nationale où n'importe qui peut
les obtenir ou les consulter.
M. Rhéaume: Donc, vous préférez que je
procède à la lecture des 55 pages du mémoire?
Le Président (M. Desbiens): Cela ne signifie pas
ça. Les députés l'ont eu à l'avance. Ils ont pu le
consulter et, de ce fait, ils ont pu préparer leurs interventions en
conséquence. Pour ce qui est de la lecture complète du
mémoire, n'importe quel citoyen du Québec peut s'en procurer une
copie ou le consulter lui-même. Ce que je vous demande, au contraire - et
ce qu'on demande à tout le monde, d'ailleurs - c'est d'essayer de vous
limiter à 20 minutes pour la présentation.
M. Rhéaume: Donc, une première partie du
mémoire, M. le Président, a pour but de situer et d'expliquer ce
qu'est la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, de
rappeler à ceux et celles qui auraient peut-être oublié et
d'apprendre à ceux et celles qui l'ignorent que la Société
Saint-Jean-Baptiste de
Montréal existe depuis 1834. Elle a été
fondée par un député journaliste, Ludger Duvernay,
accompagné d'une poignée de patriotes d'origine irlandaise et
d'origine canadienne-française.
Notre société célébrera donc en juin 1984
son 150e anniversaire. Rappelons, pour l'information de ceux et celles qui nous
écoutent, que la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal a été à l'origine de la désignation
du 24 juin comme fête nationale des Canadiens français, du choix
de saint Jean-Baptiste comme patron des Canadiens français et de la
fondation de la première société nationale en
Amérique du Nord. Donc, depuis près d'un siècle et demi,
la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a
été intimement liée à toutes les luttes, à
toutes les démarches du peuple canadien-français qu'on appelle
maintenant québécois et, avec les années, la
Société Saint-Jean-Baptiste a vu des sociétés
filles ou soeurs s'établir dans toutes les provinces canadiennes, dans
la plupart des États américains où vivent des Canadiens
français, ainsi que dans toutes les régions du Québec.
Notre société a contribué également à
presque toutes - et là, ce sont des archivistes qui pourraient le
confirmer - les réflexions sur la situation de la langue et de la
culture françaises. Dans toute son histoire, elle a toujours
été, je pense, le véhicule des aspirations du peuple
canadien-français, même si, comme dans le passé, comme
maintenant et sûrement comme dans l'avenir, nous n'avons jamais fait
l'unanimité de ceux et celles qui nous observent. Cependant, une chose
que l'on ne peut nier à la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, c'est son attachement à la langue et à la
culture françaises au-delà des appartenances politiques. Sont
sortis de nos rangs des hommes et des femmes qui ont oeuvré, oeuvrent et
oeuvreront dans tous les partis politiques de quelque tendance qu'ils soient.
L'histoire est là pour le démontrer. (12 h 45)
Nous regrettons également - ce qu'on appelle aussi en tout cas -
la campagne de culpabilisation qui a l'air savamment orchestrée contre
la langue et la culture françaises et, en particulier, contre la loi
101. Il me faudrait plus que la demi-heure qu'il me reste pour présenter
le mémoire de la société pour énumérer tout
ce qui a été dit contre la loi 101. Non pas que ce serait
inutile, mais nous voulons, dans le temps qui nous est réservé,
vous dire tout ce que nous en pensons de bon, de nécessaire, de
légitime. Nous déplorons - je tiens à le rappeler - cette
campagne de culpabilisation qui fait en sorte que les Québécois
et les Québécoises aujourd'hui - la peur, ici, nous savons que
cela a souvent été utilisé nous disent: Peut-être
qu'on est allé trop loin; cette loi est peut-être trop ferme ou
trop
forte. Nous avons tout entendu et nous entendrons tout sur cette
question.
Quant à nous, nous voulons ce matin témoigner que, pour
nous, la Charte de la langue française est une loi légitime et
nécessaire; une loi que le peuple réel, que le pays profond a
toujours voulue et a toujours attendue. En ce qui nous concerne, c'est la loi
la plus positive qui ait jamais été votée par
l'Assemblée nationale du Québec. La loi 101 est une
nécessité; elle est légitime. L'histoire de notre peuple,
c'est l'histoire de ses luttes pour la reconnaissance de ses droits
linguistiques et culturels; c'est l'histoire de ses luttes pour demeurer ce que
nous sommes. La loi 101 est venue exprimer, est venue décréter
une volonté de refrancisation afin de corriger une situation qui faisait
que notre langue, que notre culture, que nos travailleurs, que ceux et celles
qui vivent ici vivaient comme des citoyens de seconde zone chez eux.
Cette loi 101, tout ce qu'on en entend, c'est pour la changer, c'est
pour la diminuer, c'est pour la réduire, quand ce n'est pas pour la
ridiculiser ou l'attaquer, en nous disant qu'on en respecte les principes, mais
en attendant, par exemple, on énumère tous ses défauts,
toutes ses lacunes. Je regrette de le dire, mais je crois que cela
dénote une certaine forme de racisme qui m'inquiète parce que
nous avons presque l'impression, ce matin, que je dois excuser ou justifier le
contenu de la loi 101. Je peux vous dire que cela nous déplaît
énormément.
Elle a été charcutée, cette loi. Elle est pour nous
un véritable fromage de gruyère, pleine de trous, puisqu'on en a
enlevé des chapitres importants. La Cour suprême - je ne ferai pas
de commentaires - dont un ancien premier ministre a dit qu'elle était
comme la Tour de Pise, qu'elle penchait toujours du même
côté, est venue, dans un curieux jugement anonyme - ce n'est pas
sa façon habituelle, puisqu'on signe toujours les jugements; il y a de
brillants constitutionnalistes qui pourraient le confirmer -
décréter que le chapitre de la langue de la législation,
de la justice était inconstitutionnel. Ce chapitre, quant à nous,
était et demeure d'une importance vitale. Quant à celui de la
langue de l'enseignement, le "Canada Bill" est venu encore une fois de
l'extérieur charcuter ce chapitre important de la Charte de la langue
française.
Au niveau de la langue du travail, nous tenons à dire qu'il y a
un travail extraordinaire qu'il faut continuer de faire. Vous avez entendu les
mémoires d'organismes, de représentants de travailleurs et de
travailleuses, qui vous ont signifié -d'ailleurs, à
l'unanimité, la commission et tous les partis l'ont reconnu - les
difficultés que connaissaient certaines entreprises et certains
travailleurs à vivre en français. Pour nous, la langue de travail
est un aspect important de la Charte de la langue française puisque la
majorité de ceux et celles qui auraient peut-être quelque chose
à dire - s'ils travaillent en français, s'ils ont toutes les
facilités requises pour travailler dans leur langue - ne peuvent pas
venir ici parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Ce n'est pas tout le monde qui
peut imprimer un mémoire en cent exemplaires et venir passer deux ou
trois jours ici, car on sait quel prix cela coûte. Au niveau de la langue
de travail, le gouvernement, quant à nous, doit intensifier la
refrancisation de ce secteur. Les Québécois et les
Québécoises ont le droit de travailler dans leur langue partout,
ce qui n'est pas le cas. Ils ont ce droit et c'est un droit fondamental qui est
reconnu comme un objectif de la charte.
Tout le monde vous dit: On est d'accord avec cet objectif, mais ce qu'on
entend, ce sont des "mais", "mais c'est difficile", "mais 99% de nos
employés sont unilingues français", "mais pourquoi faut-il que la
sécurité soit en français également?". C'est le
genre de propos qu'on entend et qui nous étonnent
énormément.
Quant à la langue de l'enseignement, vous avez vu ce que nous en
pensons. Quant à nous, ce qui est arrivé hier au Manitoba... Je
ne voudrais d'aucune façon faire des comparaisons ou un plaidoyer, qu'on
pourrait d'ailleurs faire, sur le traitement des nôtres dans toutes les
provinces. La dernière page de notre mémoire est, d'ailleurs, un
rappel historique - pour ceux qui l'ignorent - de tout ce qui est arrivé
au français dans toutes et chacune des provinces de la
Confédération et cette liste n'est pas exhaustive.
La langue des communications. Ici même, à Québec,
regardez le nombre de postes de télévision, de postes de radio,
de films projetés, de magazines, de revues en anglais. On ne vous
apprendra rien en vous disant, particulièrement chez les jeunes, au
niveau de la culture, la place importante et presque exclusive que prend la
langue anglaise dans certains de nos milieux. On voit que 40% des jeunes du
Québec croient qu'il n'est pas essentiel de vivre en
français.
Cela doit inquiéter la commission parlementaire, cela doit
inquiéter l'ensemble de ceux et de celles qui s'intéressent
à l'avenir du Québec, quelles que soient leurs tendances
politiques. Pour nous, c'est un point important, M. le Président, de
départisaniser, de dépolitiser cette question. L'avenir de la
langue française, ce n'est pas une question politique. On peut
être libéral et être en accord totalement avec la loi 101;
on peut être péquiste et vouloir la changer. Nous croyons que cela
n'a rien à voir avec la politique; c'est une question nationale. Pour le
peuple canadien-français, qu'on appelle maintenant le peuple
québécois, il y a
seulement maintenant au Québec qu'on peut vivre dans notre
langue. Il y a environ 20 000 000 de francophones en Amérique -cela va
en surprendre quelques-uns peut-être, mais 13 800 000 Américains
ont répondu au recensement de 1980 qu'ils étaient d'origine
francophone - il en reste à peine 15% qui savent prononcer un mot de
français et les deux tiers de nos compatriotes sont incapables de
prononcer deux mots de français en 1983. Je pense qu'il ne faut pas
oublier cela. Quelles que soient nos tendances politiques, mettons-les de
côté et regardons les faits; si on veut être pragmatique,
cela parle tout seul sans aucun commentaire.
Sur cette loi, on a tout dit. On a dit qu'elle était
sévère, opprimante, écrasante, que les institutions
créées par cette loi avaient des mesures tout à fait
inacceptables. Je parlerai de la campagne de presse en conclusion. Vous savez,
on a comparé l'Office de la langue française au Ku Klux Klan; on
a comparé le père de la Charte de la langue française au
Dr Goebbels. Qui a nié cela? Qui a dénoncé cela? Qui a dit
que c'était faux? Contre cette loi si dure, si opprimante, depuis son
existence, la Commission de surveillance de la langue française a
reçu 15 950, on peut dire 16 000 plaintes. De ces 16 000 plaintes, le
fruit a été 17 poursuites. Sur ces 17 poursuites, il y a eu onze
condamnations par les tribunaux. Dix de ces condamnations ont été
des amendes entre 25 $ et 50 $ et une autre de 500 $. Voilà cette loi si
dure, si méchante, qui fait mal, qui empêche la liberté et
qui empêche les gens de vivre.
Nous croyons qu'il faut absolument prendre les moyens d'informer la
population, il faut absolument que la population connaisse la situation
linguistique au Québec. Nous croyons qu'en ce sens une vaste campagne
d'information doit se faire et qu'elle doit se faire rapidement, M. le
Président. Nous pourrons en reparler dans les échanges que nous
aurons cet après-midi. Il y a certaines inquiétudes que nous
avons quant à la connaissance de la situation linguistique.
Nous voulons également réitérer notre
entière confiance aux institutions crées par la loi 101. Je parle
de l'Office de la langue française, je parle du Conseil de la langue
française et de la Commission de surveillance de la langue
française qui ont été victimes de toutes les attaques. Un
véritable sottisier pourrait être fait si on mettait ensemble tout
ce qui a été dit contre ces institutions votées
démocratiquement par l'Assemblée nationale dans le but -
rappelons-le - de sauvegarder la langue et la culture françaises au
Québec. Donc, mieux faire connaître la loi 101, mieux faire
connaître ses objectifs, mieux faire connaître les
priorités, les gestes que nous devons poser, les mesures qui doivent
être prises, tel est, à mon avis, ce qui devrait être fait
dans les plus brefs délais.
La qualité du français, M. le Président - on a tout
entendu - doit préoccuper le gouvernement. La Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal ne blâmera jamais un gouvernement,
quel qu'il soit, de prendre les mesures qui s'imposent pour sauvegarder non
seulement la quantité, mais la qualité du français puisque
- vous avez entendu les linguistes et les traducteurs qui sont venus ici vous
présenter des mémoires que je ne vous répéterai pas
- il y a un comportement inquiétant au niveau de la qualité du
français. Cela intéresse aussi tout le monde, quelle que soit la
tendance politique à laquelle on appartient.
Donc, M. le Président, brièvement, en
résumé, ce que la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal veut vous exprimer, ce midi, par son mémoire et par sa
présence, c'est que, pour nous, la loi 101 a été
votée, il y a six ans - même les journaux francophones parlent de
cinq ans - et elle a exprimé une volonté de refrancisation du
Québec. Entre l'expression de cette volonté et sa
réalisation, cela, pour nous, prendra plus de six ans. C'est
l'évidence même que la loi 101 n'a pas fait ce pourquoi elle a
été votée. Elle a été votée pour
changer des affiches, c'est sûr. Elle a été votée
pour rendre compréhensibles à la majorité bien des signes,
bien des appellations, bien des guides et bien des écrits. Mais elle a
aussi été votée pour changer des mentalités;
d'abord, la mentalité de la majorité qui est une majorité
et qui est capable, comme toutes les majorités, de prendre des
décisions saines, qui est capable d'avoir un sentiment national,
puisque, comme le disait Félix Leclerc, il y a quelques semaines: Tous
les Anglais du monde, de la naissance à la mort, savent ce que c'est, le
sentiment national. Nous aussi, nous avons ce droit. C'est légitime. On
n'a pas à se gêner d'avoir un attachement à sa langue et
à sa culture et on n'a pas à se gêner de poser des gestes
pour défendre cette langue.
Ce que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
vient vous dire, c'est que nous avons besoin de la loi 101 en 1983, aujourd'hui
plus que jamais. Que ceux et celles qui la dénoncent, que ceux et celles
qui la critiquent soient à côté de nous pour demander
à la Cour suprême du Canada de respecter la compétence
québécoise en matière de langue et d'éducation. Que
ceux et celles qui la critiquent soient à côté de nous pour
dire que le traitement accordé à la minorité du
Québec est le meilleur traitement accordé à une
minorité dans la Confédération et un des meilleurs au
monde. Si vous le voulez, on pourrait parler strictement de ce sujet n'importe
quand. Nous disons donc: Si vous changez la loi 101, renforcez-la. Renforcez-la
dans le domaine
du travail. Faites en sorte que chaque Québécois et chaque
Québécoise puisse travailler dans sa langue sans problème,
sans se sentir gêné, sans conséquence et sans se sentir
coupable. Le sentiment de culpabilité que l'on a entretenu et que l'on
continue d'entretenir actuellement nous inquiète profondément.
Nous espérons - ce seront mes dernières paroles avant de revenir
pour échanger - que l'Assemblée nationale, quels que soient les
partis politiques auxquels appartiennent les députés, respectera
cette volonté essentielle du peuple québécois non
seulement de rappeler les principes déterminants de l'avenir
linguistique, mais également de poser des gestes pour sauvegarder cette
langue et cette culture. Nous rappelons particulièrement au gouvernement
- nous lui demandons d'avoir le courage de ses options fondamentales - que la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et beaucoup
d'autres appuieront ceux et celles qui se lèveront pour défendre
la langue et la culture dans un contexte où comme aujourd'hui, l'avenir
du fait français n'est pas assuré. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): Merci, M. Rhéaume.
La commission élue permanente des communautés culturelles
et de l'immigration suspend ses travaux jusqu'à 14 h 30.
(Suspension de la séance à 13 h 01)
(Reprise de la séance à 14 h 43)
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission élue permanente des communautés culturelles
et de l'immigration reprend ses travaux pour entendre les intervenants
intéressés par la Charte de la langue française. Le groupe
de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal nous a
présenté son mémoire avant l'heure du repas.
J'espère que votre exemple, M. le président de la
société, sera suivi par les députés. Vous avez pris
exactement 20 minutes.
Alors, la parole est au ministre.
M. Godin: M. le Président, M. Rhéaume, M.
Bouthillier, M. Légaré, messieurs, bienvenue d'abord dans votre
maison, qui est la maison de tous les Québécois et de toutes les
Québécoises. Je dois, moi aussi, souligner la discipline avec
laquelle les choses se déroulent depuis que vous êtes ici. Vous
êtes vraiment les premiers de tous les groupes à vous conformer de
façon stricte à cette discipline. Cela va nous permettre d'aller
plus rapidement à la période de questions.
Avant de passer aux questions, je dois vous dire que vos propos, en ce
qui me concerne, sont extrêmement utiles pour l'ensemble des
Québécois parce qu'ils rappellent que cette commission doit
entendre aussi les craintes, les récriminations et les revendications
des francophones. Cette commission est destinée à entendre
l'ensemble des opinions sur la question linguistique au Québec. Il
était prévisible, dès que nous avons annoncé que
cette commission aurait lieu, que ceux que nous verrions en plus grand nombre
seraient ceux qui avaient eu à se conformer à cette
révolution linguistique et à en subir les conséquences.
C'était voulu, d'ailleurs. Cette décision du gouvernement du
Parti québécois visait justement à ce qu'il y ait un
changement dans les attitudes au Québec, qu'il y ait une
réflexion globale sur tous les problèmes reliés à
la question de la langue au Québec.
Nous savions fort bien que, dans ce domaine de la langue, puisque les
langues sont des êtres vivants et qu'il n'existe pas de paix entre les
langues, dans quelque pays que ce soit, les langues se battent toujours entre
elles. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est un linguiste américain, Joshua
Fishman, dont je recommande la lecture à tous ceux qui sont ici. M.
Fishman a inventé la notion de "language of wider communications" et
celle de "language of lesser communications", la langue la plus
utilisée, la langue la moins utilisée de deux, sur un territoire
donné, que j'appellerais la LPU, la plus utilisée, et la LMU, la
moins utilisée. La réflexion, au fond, et la logique
derrière la loi 101 - et la loi 22 aussi, j'imagine - était de
faire en sorte que le français devienne, dans une petite partie du
continent nord-américain, le "language of wider communications", la LPU,
la langue la plus utilisée. Ce qu'elle n'était pas à aller
jusqu'à il y a huit ans. Les travaux de votre voisin, M. Guy
Bouthillier, dans son livre "Le choc des langues", illustrent fort bien que
telle n'était pas la situation. Le Québec était aux prises
avec littéralement un drame, celui de la langue de la majorité
française qui tranquillement devenait la langue la moins utilisée
au Québec. Avec tout ce que cela peut entraîner de glissement.
D'abord le bilinguisme, ensuite la diglossie, pour reprendre l'expression d'un
autre linguiste, et enfin l'assimilation linguistique, c'est-à-dire une
situation dans laquelle les gens font d'une autre langue la lingua del pane et
la lingua del cuore, la langue avec laquelle ils travaillent et celle avec
laquelle ils vivent.
Votre mémoire nous ramène à l'essentiel de la
question linguistique. Il nous sort des catalogues de problèmes
vécus dans la phase de l'application de la loi 101 et des ses
règlements, et nous ramène à l'essentiel. C'est dans ce
sens qu'il est très important pour le gouvernement et pour l'ensemble de
la commission, je présume.
II était donc inévitable que cette révolution
linguistique ne se fasse pas dans la paix et dans l'harmonie complète.
Il n'y a personne qui accepterait qu'il y ait des changements qui modifient des
habitudes ancrées, des traditions. On l'a vu ce matin, de la part des
entreprises qui sont l'objet précisément de la partie la plus
fondamentale de cette révolution linguistique. Nous les forçons
à respecter la réalité démographique du
Québec. Il est sûr que, le monde étant ce qu'il est et la
langue anglaise étant la langue la plus répandue
présentement sur le globe, comme l'ont été avant elle la
langue grecque à une certaine époque, la langue latine à
une autre époque, il est certain que cette nouvelle langue
internationale ne lâche pas le terrain facilement, d'une part. D'autre
part, il est certain aussi qu'elle est présente partout, qu'elle est
présente sur l'équipement, qu'elle est présente sur la
machinerie, qu'elle est présente dans les voitures que nous achetons au
Québec; même si on paie 12 000 $, la voiture nous parle encore en
anglais. Quand on le dit, on se fait dire qu'on dramatise, on se fait dire
qu'on n'a pas raison de s'inquiéter, on se fait dire que ce n'est pas
vrai que le français est une espèce menacée en
Amérique du Nord. Les gens nous sortent des chiffres.
Le fait que nous ne soyons que 4% du total nord-américain est un
chiffre significatif. Les 4% du Manitoba, s'il y avait des institutions comme
nous en avons ici, ce ne serait pas un chiffre dangereux. Mais 4% sans
institution, sans législation, sans gouvernement, c'est un chiffre,
à mon avis, extrêmement faible. Mais ces 4% étant, au
Québec, munis, nantis d'instruments législatifs, ont des chances
de survivre, des chances d'être là tels qu'ils le sont
présentement: francophones parlant français, vivant en
français, travaillant en français; ils seront là à
la fin du siècle et après, grâce aux efforts de trois
gouvernements successifs.
En toute modestie, je dois dire que le gouvernement du Parti
québécois a appris beaucoup de choses des deux gouvernements
avant lui qui avaient tenté de trouver une solution à la question
linguistique qui avait atteint des proportions dramatiques à une
certaine époque à Montréal. On se le rappellera
facilement. Donc, je rends cet hommage aux gouvernements qui nous ont
précédés d'avoir tenté eux aussi, en tenant compte
des réalités politiques du Québec, de trouver des
solutions qui nous ont permis d'en arriver à une solution qui n'est
peut-être pas parfaite, mais au moins... Je constate et j'observe ce qui
se passe depuis le début de cette commission. Mon collègue de
Gatineau a fort généreusement et fort honorablement
souligné ce matin qu'il semble que nous ayons atteint maintenant au
Québec un certain degré de rationalité quand nous
discutons de ces questions et que nous sommes disposés de part à
d'autre, en ce qui nous concerne, à faire en sorte que le
français reste, demeure et devienne de plus en plus la LPU du
Québec, la langue la plus utilisée. Tout en tenant compte du fait
qu'il y a au Québec une minorité anglophone et des
minorités autres qui contribuent à la vie, au dynamisme, au
développement économique du Québec, nous allons tenter de
trouver un équilibre entre ces divers facteurs sociaux, ces divers
groupes sociaux au Québec.
En terminant, je dirai que je vous sais gré également
d'avoir évoqué dans votre mémoire l'attitude des neuf
autres gouvernements au Canada, le fédéral et les provinces, par
rapport au Canada Bill, document que le Québec n'a pas signé et
qui le prive d'un des pouvoirs, d'une des juridictions qui étaient l'une
des raisons essentielles pour laquelle il a accepté en 1867 d'être
cosignataire du British North America Act. Il était important de le
rappeler.
Je terminerai par un vers qui nous ramène à votre minute
de silence au début de cette commission. La politique
fédérale à l'égard de la langue française au
Canada est la suivante: "Quand tu es mort, je t'adore et quand tu es fort, je
te dévore." Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Avez-vous des commentaires, M.
Rhéaume?
M. Rhéaume: M. le Président, que le français
devienne la langue la plus utilisée, que le français prenne sa
place, nous allons, comme nous l'avons fait par le passé, toujours
appuyer les démarches législatives, les attitudes
gouvernementales et les attitudes de l'Assemblée nationale dans ce
sens-là. Je ne peux qu'être en accord avec ce que vient de dire le
ministre sur ce point.
Le Président (M. Desbiens): Merci, M. Rhéaume.
Mme la députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour son
mémoire. Cela fait déjà plusieurs fois que nous nous
rencontrons dans ce forum linguistique. Je me souviens de votre
présentation de 1977. Vous nous avez rappelé au point de
départ que la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal avait joué un rôle historique depuis un
siècle et demi pour la défense et la promotion de la langue
française. Je pense que c'est exact, mais, comme je n'y étais pas
il y a un siècle et demi et même il y a un siècle, je ne
suis pas sûre qu'elle l'ait toujours fait dans le même esprit.
Selon les époques, peut-être
que la Société Saint-Jean-Baptiste a montré plus ou
moins de tolérance à l'égard des autres groupes qui sont
aussi partie intégrante de la société
québécoise.
Je m'inquiète un peu lorsque, pour défendre la place du
français - et là-dessus, vous ne trouverez pas de dissidence d'un
côté comme de l'autre de la table sur ce point; le ministre le
mentionnait, ce fut, en 1975, par la loi 22 et, en 1977, par la loi 101... Mais
là où il me semble y avoir un fossé qui nous
sépare, c'est quand, pour défendre la place du français et
lui donner vraiment le statut qui lui revient, il faut toujours que vous
mettiez en opposition francophones et anglophones dans la société
québécoise. Je ne suis pas sûre que le résultat de
cette approche que vous avez soit de créer un climat favorable où
les gens peuvent mieux vivre ensemble, peuvent mieux comprendre les objectifs
de l'un et de l'autre. Au contraire, cela soulève souvent des
difficultés ou des contestations qui, pour une certaine part, et
particulièrement en dehors du Québec, ont été
prouvées comme étant mal fondées. On en a parlé
à plusieurs reprises ici. Les rapports des journaux, à
l'extérieur du Québec en particulier et même aux
États-Unis, ont profité justement de ces conflits pour en tracer
un portrait plus mauvais que la réalité vécue au
Québec.
Quoi qu'il en soit, il y a quand même certains points sur lesquels
je ne voudrais pas de confusion entre ce que vous avancez et ce que notre
formation politique pense, à savoir qu'il y ait une loi au Québec
qui protège le français; qui non seulement le protège,
mais qui lui permette de prendre la place qui lui revient. Nous sommes tout
à fait d'accord avec vous là-dessus. C'est assez
intéressant de comparer les sondages qui ont été
publiés dernièrement, que ce soit des sondages ou des
consultations. J'aimerais me référer à celui qu'Alliance
Québec produisait, qui a été fait par SORECOM, dans lequel
on disait que 82% des anglophones du Québec appuient la protection du
français au Québec, sont pour une loi qui tienne compte de la
réalité française du Québec.
Dans ce sens, je trouve que votre mémoire est très
pessimiste. Vous créez l'impression que les anglophones du Québec
sont toujours prêts à vouloir nous manger. Les
représentations qu'ils font au nom de leur communauté vous
paraissent souvent mal fondées. Je vous référerai aux
pages 17 et 18 de votre mémoire. C'est la manifestation de ce que
j'appelle votre approche partisane - "partisane" est peut-être un mauvais
mot -à l'endroit de la communauté anglophone. Vous dites des
anglophones du Québec: "Cela ferait rire quiconque a le sens du
ridicule", quand ils s'inquiètent de l'assimilation de leur
communauté.
Je pense que toutes les statistiques que nous avons entendues, à
moins que vous ne puissiez me démontrer qu'elles ne sont pas exactes,
indiquent justement, si on prend le plan scolaire, que la diminution des
inscriptions dans le secteur scolaire anglophone avec la loi 101 telle
qu'appliquée... Cette loi crée justement ces problèmes de
diminution importante de la communauté anglophone, ce qui, à plus
long terme - c'était dans le rapport Henripin qui a été
publié - la réduirait, en l'an 2000, à une inscription de
5% à 7% dans les écoles anglophones.
Qu'ils s'inquiètent de cette diminution, je pense qu'on ne peut
pas leur en tenir rigueur. Je pense que c'est aussi légitime pour eux de
le faire que cela l'est pour des francophones dans d'autres provinces.
Un autre exemple. Je dis que, pour défendre le français,
vous devenez intolérants à l'égard d'autres
communautés, quand vous dites, à la page 18: "C'est en leur
donnant l'occasion historique et le droit supplémentaire de participer,
enfin minimalement, à l'édification du pays - vous faites
référence au Québec - qu'ils se font forts de
considérer comme le leur..." Je trouve qu'il y a là-dedans
d'abord une négation de l'histoire. Je pense que les anglophones du
Québec ont, avant les lois 101, 22 et 63, contribué à
l'édification du Québec. Ce genre d'affirmation ne fait rien, je
pense, pour avancer d'abord le statut du français et n'a pour
résultat que de créer des conflits qui enveniment les
problèmes et diminuent l'attitude de tolérance et de
compréhension que la majorité des francophones entretiennent
envers leurs concitoyens d'autres origines. (15 heures)
Ceci étant dit, j'aimerais vous poser quelques questions. La
première concerne la langue d'enseignement. Est-ce que vous croyez
vraiment, contrairement aux études qui ont été faites,
que, si on permettait la clause Canada, ceci nous ramènerait au statut
d'avant la loi 101?
La deuxième question est celle-ci: Avez-vous
étudié, au plan économique, les retombées de la loi
101? Je pense que, sans tomber dans des visions apocalyptiques des
retombées économiques de la loi 101, il semble en tout cas que
tous les gens qui sont venus ici nous ont indiqué que cela avait des
répercussions au plan économique, soit du point de vue de l'exode
des francophones, soit du point de vue de la baisse des investissements et,
sans attribuer uniquement à la question de la langue - là-dessus,
je suis d'accord avec vous - les difficultés économiques
auxquelles fait face le Québec, il reste que c'est un facteur qui a pu
jouer. Je me demande si vous vous êtes penchés sur cette question,
parce qu'elle a une importance du point de vue de la force du français
en Amérique du Nord. Vous l'avez vous-même mentionné ce
matin, M.
Rhéaume, en disant: II y a 13 000 000 de francophones qui ont
été assimilés à un très grand nombre
d'endroits - je pense que vous parliez même des États-Unis - et la
raison pour laquelle ils ont été assimilés aux
États-Unis, c'est que, pour des raisons économiques, ils ont
été obligés d'émigrer aux États-Unis. Dans
ce sens-là, je pense aussi que, tout en faisant valoir la défense
du français au Québec et, par ricochet, en Amérique du
Nord, il faut quand même songer qu'il y a peut-être un certain
équilibre à garder pour ne pas menacer plus qu'il ne faut la
survivance du français au Québec. C'est relié aux
conditions économiques dans lesquelles nos concitoyens francophones
peuvent vivre au Québec ou pour lesquelles ils doivent s'exiler pour
pouvoir gagner leur pain et leur sel. Je pense que cela passe avant tout. C'est
ma deuxième question.
Du point de vue de la francisation des entreprises, nous sommes d'accord
qu'il y a encore des progrès à faire. Quand vous parlez de la
langue des travailleurs, ce n'est pas un problème qui est résolu
partout. L'Association des entreprises de francisation nous l'a signalé.
Ce matin, on a fait référence aux 70% et 30%, les 70% où
c'est peut-être réalisé et les 30% où il reste
encore beaucoup de travail à faire. Je pense que, là-dessus, nous
croyons aussi - mon collègue de Gatineau l'a exprimé - que, s'il
y a d'autres efforts qui doivent être faits pour que les gens puissent
vraiment travailler dans leur langue, ils doivent être faits.
Je trouve que, dans l'ensemble, votre approche du dossier est
très pessimiste. Je vous reconnais ce rôle que vous avez toujours
joué comme défenseurs de la langue française et c'est ce
que vous êtes venus faire ici aujourd'hui. Par contre, je trouve que vous
ne nuancez pas assez ce qui s'est produit depuis une dizaine ou une quinzaine
d'années. D'une part, vous dites, à la page 9 de votre
mémoire, que c'est un très net recul de la francisation du
Québec qu'on observe et, vers la fin de votre mémoire, vous dites
qu'il y a eu infiniment de progrès au point de vue du français -
ce n'est pas textuellement, mais je me rappelle du mot "infiniment" - au cours
des dix ou quinze dernières années.
Il me semble que, même dans la façon dont vous
évaluez la situation, il y a une certaine contradiction. C'est
peut-être un message de vigilance que vous voulez donner à la
commission, mais je pense qu'il devient un peu déformé quand vous
revenez à des faits qui ne sont peut-être pas tout à fait
exacts.
Le Président (M. Desbiens): M.
Rhéaume.
M. Rhéaume: Je vous remercie, madame. Je me souviens que,
ce matin, lorsque j'ai demandé qu'on inscrive notre mémoire au
journal des Débats, vous avez été la seule
députée à dire avec beaucoup de rigueur que vous ne
l'aviez pas lu. Je vois maintenant que vous l'avez lu et je vous en remercie
infiniment.
Mme Lavoie-Roux: Non, je regrette, je l'avais lu ce matin.
M. Rhéaume: C'est un compliment que je faisais.
Mme Lavoie-Roux: Je l'avais lu.
M. Rhéaume: Je ne pourrais pas en quelques minutes - ce
n'est pas mon intention - justifier les 150 ans d'histoire de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, non pas parce que
je n'en ai pas envie et non pas parce que je n'en ai pas les données,
mais je pense que ce n'est pas le moment. Je voulais simplement vous rappeler
que, malgré sans doute des erreurs de parcours, il n'y a pas beaucoup
d'institutions au Québec, en Amérique, de 150 ans. Le
réseau anglophone de Radio-Canada a dit que nous étions la
société nationale la plus vieille au monde. En 150 ans, il y a
sûrement eu des erreurs; je ne dirai pas que rien n'a été
fait à la perfection, j'imagine que tout a toujours été
fait avec bonne volonté, parce que je prête des intentions
positives à ceux et celles qui m'ont précédé.
Cependant, je me permets de vous rappeler que, quand on parle de
tolérance face aux groupes ethniques, la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, sous réserve de
vérification, a été la première à donner des
cours de langue ici au Québec. On se rappellera le Monument national
bien avant que l'État ne se mêle de ces choses et bien avant que
l'Assemblée législative, à l'époque, ne s'en
préoccupe. Au sein de la Société Saint-Jean-Baptiste,
depuis fort longtemps, madame, il y a des gens de toutes les origines
ethniques. Si nous avions voulu jouer là-dessus ce matin, j'aurais eu le
plaisir d'avoir à côté de moi le secrétaire
général de la société, qui est un Haïtien
d'origine, et nous en sommes très heureux. J'aurais été
également heureux de vous présenter des vice-présidents,
des membres de sections d'origine norvégienne, vietnamienne, italienne,
grecque. Nous avons des gens de toutes les origines chez nous, et depuis fort
longtemps.
Cela fait peut-être partie des préjugés qu'on peut
avoir. Les préjugés, ce sont des choses qui sont là.
Cependant, nous espérons qu'à l'occasion du 150e anniversaire de
notre société, nous pourrons enlever certains de ces
préjugés. L'histoire de notre société
démontre qu'il y a des gens de toutes les tendances politiques. Il y a
des premiers ministres qui ont été nos présidents, qui
ont
été de grands conservateurs ou de grands libéraux.
Je pense, entre autres, à Sir Georges Étienne Cartier et à
Antoine-Aimé Dorion, qui n'avaient rien en commun. Je pense à
L.-O. David ou à P.-J.-O. Chauveau en passant par Gédéon
Ouimet. Nous sommes en train d'imprimer, pour le 150e anniversaire, l'histoire
de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ainsi qu'une
biographie de Ludger Duvernay. Cela me fera plaisir, madame, de vous en envoyer
une copie. Peut-être que cela va enlever certains préjugés.
On a peut-être projeté des images. Je ne suis pas ici pour
défendre ceux et celles qui m'ont précédé, mais je
peux vous assurer que, lorsqu'on regarde nos procès-verbaux depuis 150
ans, partout il y a toujours eu une continuité qui était celle de
prendre les intérêts de la communauté française et
francophone. Je vous l'avoue, cela a toujours été notre grande
priorité.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, si M. Rhéaume me
le permet, je pense qu'on s'est mal compris, et c'est probablement ma faute, je
me suis mal exprimée. J'ai dit: Vous avez une histoire de 150 ans qui a
été surtout de défendre le fait français.
C'était l'objet de la société nationale, mais je pense
qu'à certaines époques et particulièrement dans le
mémoire que vous présentez aujourd'hui, vous le faites avec moins
de tolérance que probablement dans le passé.
M. Rhéaume: Là, c'est ma faute. Je peux en parler
davantage. C'est de mon temps. Je suis prêt à répondre sans
aucun problème, l'inquiétude tombe même
complètement. Naturellement, je ne veux pas entrer dans un dialogue sur
ce point en particulier, sauf que, quand je vous parle du secrétaire
général actuel et des vice-présidents de section des
commissions qui existent chez nous, je vous invite à assister à
n'importe quelle de nos réunions et vous verrez qu'il y a des gens de
toute origine qui y militent. La libre circulation des idées est chez
nous quelque chose de reconnu. Il y a de vifs débats, de vifs
échanges, nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais il y a des gens de
toute origine qui sont chez nous encore actuellement. Les conclusions qui sont
là sont le fruit de consultations, de participation. Le mémoire
que nous avons présenté aujourd'hui, je suis sûr qu'il
représente ce que les congrès de la Saint-Jean-Baptiste
répètent depuis plus d'une quinzaine d'années. Je n'ai pas
innové. Ce n'est pas sous ma présidence qu'on a conçu le
contenu du mémoire qui est là. Que vous le trouviez
intolérant à certains égards, c'est votre droit le plus
strict. Moi je trouve, naturellement, - je suis en net conflit
d'intérêts - qu'il est le portrait exact de la
réalité québécoise et qu'il correspond à ce
qu'on entend dans nos milieux. Peut-être que nos milieux ne sont pas les
mêmes, j'imagine, mais je peux vous dire que c'est vraiment le reflet de
ce qui s'entend dans nos milieux.
En ce qui concerne l'opposition francophones-anglophones, je ne voudrais
pas renchérir. La contribution des anglophones au Québec, je ne
veux pas la nier, sauf que, si on veut faire l'histoire, nous allons la faire:
elle commence en 1760, elle continue en 1837, puis en 1840. Je peux expliquer
chacune de ces grandes dates, vous savez, au niveau de la contribution. Je peux
expliquer que les anglophones du Québec sont ici depuis 1760, pour un
certain nombre d'entre eux; il y a d'ailleurs des études
spéciales qui ont été faites là-dessus. Je fais
référence à ceci: "Le bill 22 le Parti
québécois aurait-il fait mieux?" C'est un ouvrage de Bernard
Smith que vous pourrez consulter et qui va démontrer une certaine
catégorisation, si on veut, de ceux qu'on appelle maintenant les
anglophones du Québec pour voir qui ils sont et à quelle
période ils sont arrivés chez nous.
Cependant, quand vous faites référence au fait que nous
entretenons une certaine intolérance, madame, j'aurais aimé - si
vous voyez une certaine intolérance dans mes propos, je le dis en toute
sérénité - que vous parliez de l'intolérance quand
on compare l'Office de la langue française au Ku Klux Klan, quand on
compare le Dr Laurin au Dr Goebbels. Quand on parle, au sujet des institutions
de l'Office de la langue française, de la commission de surveillance
ainsi que du Conseil de la vie française, d'attitudes pour le moins
totalitaires, je pense que c'est une certaine intolérance et une
intolérance qui se continue. Je pourrais vous en apporter beaucoup
d'exemples. J'aurais aimé entendre... Nous n'en sommes pas les auteurs
et ce n'est pas nous qui alimentons dans un certain milieu ce genre d'attitude.
Je regrette, mais je sens, en tout cas, une certaine injustice et je me sens
dans l'obligation de le dire.
En ce qui concerne les sondages comme tels, sans en rejeter le contenu -
vous savez, j'ai eu une longue discussion tantôt avec les journalistes
sur les sondages ou les consultations, et j'apprécie de voir nos
parlementaires dictionnaire à la main regarder la langue
française à ce sujet - j'en entends beaucoup parler de ce
temps-ci. Je pense qu'il faut les prendre dans la limite de leur être,
comme on dirait en philosophie, et bien mesurer ce qu'est l'objet et le sens
d'un sondage. Je donnerai comme exemple que des sondages veulent que, je ne
sais pas, 50%, 60% ou 70% de la population soit en faveur de
l'établissement de la peine de mort. Je pense qu'une majorité de
la population serait peut-être favorable à réduire le
nombre des députés, à limiter le nombre de mandats. Je
pense que les sondages nous diraient qu'une
certaine partie non négligeable de la population se pose beaucoup
de questions et a d'énormes réserves sur l'accueil fait aux
réfugiés. On pourrait aller dans beaucoup de secteurs comme cela.
On pourrait parler de l'aide sociale; on pourrait parler de beaucoup de
domaines. Ce que je dis, c'est que je ne nie pas les sondages, je ne nie pas
les consultations d'opinion. Je veux tout simplement dire qu'actuellement,
quant à moi, nous avons assisté et nous continuons d'assister
à un véritable conditionnement ici au Québec où ce
que j'ai appelé la culpabilité, vous savez, elle se
reflète... Tout ce qu'on entend, c'est que cette loi est trop
sévère, qu'on est allé trop loin, qu'elle n'est pas bonne.
J'aimerais que l'on entende des choses, que l'on dise que, non seulement on est
d'accord avec les principes, mais qu'elle est légitime, qu'elle est
nécessaire et qu'elle doit continuer son oeuvre.
La refrancisation n'est pas terminée, vous savez. Je sais que
vous connaissez bien le siège social de la Commission des écoles
catholiques de Montréal. Eh bien, je constatais, en marchant la semaine
dernière, que plusieurs rues face à la commission scolaire
s'appellent, par exemple, Sherbrooke East; ce n'est même pas bilingue,
vous savez. Et ce n'est pas, à ce que je sache, dans un quartier
particulièrement anglophone. Peut-être que pour certaines
personnes, cela n'est pas important; peut-être. Pour nous, c'est
important. Et je pense qu'on a le droit de considérer cela important.
Des illustrations comme celles-là, je pourrais en citer plusieurs
pendant fort longtemps.
En ce qui concerne les retombées économiques
vis-à-vis de l'application de la loi 101, d'abord on n'a pas fait de
sondage, on n'a pas fait d'étude particulière pour les mesurer
exactement et pour voir de façon précise si la loi 101
était la raison principale, soit du départ, soit de certaines
conséquences de fermetures d'usines ou de comportements de directeurs
d'entreprises. Ce que nous savons cependant, c'est que ce point a
été beaucoup véhiculé, à un point tel que
trop, c'est comme pas assez, dans ma tête. Cela a été
tellement véhiculé qu'on a l'impression que c'est la raison
majeure. Et cela, nous ne le croyons pas. Nous ne le croyons pas parce que
les... Et ce qu'il y a d'insidieux - je ne prête d'intention à
personne - c'est qu'on va nous dire: Ce n'est pas la raison majeure, mais c'est
la raison qui revient tout le temps. Elle revient continuellement. À
force de frapper sur un clou, on finit par le croire. (15 h 15)
C'est sûr que mon point de vue peut être différent de
d'autres, de ceux que vous avez entendus. Moi, ce que je crois, ce que nous
croyons, c'est que la loi 101 n'est pas responsable de tous les maux du
Québec. Et, depuis quelque temps, c'est ce qu'on entend continuellement.
Il y en a tellement que je suis convaincu que les gens qui nous écoutent
et les gens qui suivent les travaux de la commission parlementaire... Moi, je
n'ai aucune inquiétude à ce qu'on parle des questions
linguistiques au Québec, le plus publiquement possible, de toutes les
façons possibles, parce que, une fois que les francophones du
Québec connaîtront véritablement la situation linguistique,
ils se poseront certaines questions. Et cela doit se faire - je le
répète, parce que pour moi c'est très important - en
dehors des lignes de partis. C'est essentiel. Je sais que dans une commission
parlementaire, il y a des cadres rigides de politique. On n'est pas dans un
colloque, on le réalise assez facilement, d'ailleurs. Cependant, je
pense que nous sommes capables d'aller au-delà de cela. Je souhaite que
nous le soyons encore non pour nous-mêmes, non pour que le nom de qui que
ce soit d'entre nous apparaisse dans l'histoire, mais pour une contribution
objective et honnête à l'effort de refrancisation du
Québec. Nous sommes tous d'accord, comme on l'entend, avec ces
objectifs. J'aimerais que cela soit un peu plus évident. Actuellement,
il y a de plus en plus de personnes qui se posent des questions sur la
véritable volonté de refrancisation. Quant à ceux qui
demandent des changements, je ne prête pas d'intention mais je me pose
des questions. Quel est le véritable but? Est-ce qu'on va se contenter
de telle et telle chose? Quelle est la raison véritable? Quel est
l'objectif? Quel est le pays idéal que l'on veut? Un pays où - on
l'a vu - c'est le "free choice". Nous ne pouvons pas être d'accord avec
cela. Le bilinguisme institutionnalisé se fait toujours à
l'encontre du fait français et cela, personne ne peut le nier. On peut
ne pas être d'accord et on aimerait que cela soit autrement. Ce n'est pas
par plaisir qu'on dit cela. C'est la réalité. Sur ce point, on
devrait se préoccuper davantage. Quant aux retombées, je
répète que, quant à moi, la loi 101 n'est pas la raison
principale des difficultés économiques de Montréal.
Mme Lavoie-Roux: ...là-dessus.
M. Rhéaume: Si vous lisez les journaux depuis quelques
jours, on a l'impression qu'il faut la passer à l'essoreuse, qu'elle n'a
pas de bon sens, que cette loi nuit à Montréal, que cette loi
fait en sorte qu'elle est responsable de tous les maux. Je ne dis pas que ce
sont vos intentions et ce que vous pensez, sauf que les effets, c'est ce qu'on
entend, la loi 101, c'est la responsable des difficultés
économiques que nous connaissons. Quant à moi, tenir de tels
propos, c'est une attitude raciste.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, si
M. Rhéaume veut m'expliquer. J'avais bien pris le soin de dire
dans mon exposé que cela pouvait être un élément et
que je ne voulais surtout pas attribuer à la loi 101 la cause des
difficultés économiques. J'ai été très
claire sur cela.
Ce que je veux savoir de M. Rhéaume, et ce que je lui demandais
exactement est ceci: Est-ce qu'il pense qu'il peut y avoir certains effets
négatifs ou certaines retombées négatives de la loi 101
dans le domaine économique? Au point de départ, j'ai dit que je
ne voulais pas en faire la cause. Personne n'est venu ici nous dire que
c'était la cause des difficultés économiques.
M. Rhéaume: Pour moi, il peut y en avoir, il peut y en
avoir eu, et il y en aura pour autant - l'exemple peut venir de haut, je parle
de l'Assemblée nationale - que la volonté ferme de refrancisation
ne sera pas réaffirmée, ne sera pas véhiculée et
pour autant que la refrancisation ne deviendra pas un objet politique comme
c'est devenu actuellement. C'est un objet politique. Il y a des gens qui font
une utilisation politique de la question linguistique. Il est sûr que
cela nuit beaucoup plus au secteur économique et à la
stabilité économique du Québec que la loi 101
elle-même. Ce sont toutes les hésitations, ce sont tous les tics,
ce sont toutes les critiques. Je répète, les hésitations
autour de la loi 101 et l'utilisation politique de la question linguistique
sont des facteurs qui nuisent énormément; de cela, je suis
profondément convaincu. Si nous croyons tous aux objectifs fondamentaux
de la loi 101, qu'on se le dise une fois pour toutes de façon unanime et
qu'on le répète et qu'on cesse de dire oui, oui, à la
première occasion, c'est pour la critiquer.
On parlait tout à l'heure de sondages. Une question a
été posée, en mars 1983, chez les membres de la
communauté anglophone: Le français doit-il être la langue
de travail au Québec? 25% ont répondu: oui, et 71% ont
répondu: non. Qui l'accepte? C'est un principe fondamental de la Charte
de la langue française. À d'autres questions par exemple si, au
Québec, le français doit être la langue du commerce chez
les anglophones, 23% ont répondu oui et 73% ont répondu non.
Est-ce qu'on est vraiment d'accord avec les objectifs de la Charte de la langue
française? Nous croyons qu'il y a un désaccord dans beaucoup de
milieux avec les objectifs de la Charte de la langue française et qu'il
y a une utilisation politique de ces désaccords. Quant à la
langue de l'enseignement, à ses répercussions et son application
au chapitre de la loi, je demanderais à M. Pierre Légaré,
que vous connaissez d'ailleurs, qui connaît bien ces questions, de bien
vouloir répondre.
M. Légaré (Pierre): M. le Président, une
chose qu'il ne faut pas perdre de vue quand on parle de la langue
d'enseignement, c'est qu'un des objectifs de la Charte de la langue
française était de corriger un déséquilibre
important. Sur l'île de Montréal, en 1977, plus de 41% des
élèves aussi bien au primaire qu'au secondaire
fréquentaient le réseau anglophone. Cette proportion était
en croissance. Pourtant, six ans auparavant, le recensement de 1971 nous
dévoilait que 23,7% de la population de l'île était de
langue maternelle anglaise; 23,7% contre 41%. Cinq ans après - et
également cinq ans après l'adoption de la Charte de la langue
française - en 1982, la proportion était de 31,4% au primaire,
mais toujours de plus de 41% au secondaire. En 1988, dans cinq ans, selon les
prévisions, et toujours si la clause Québec subsiste, ce sera
25,7% au primaire et 28,9% au secondaire. Pourtant, la proportion de la
population de l'île dont la langue maternelle est l'anglais devenait, au
recensement de 1981, de 22,4%. Il est indéniable que par sa clause
Québec, la Charte de la langue française est en train de corriger
le déséquilibre. Mais même dans cinq ans,
l'équilibre ne sera pas encore atteint.
On a beaucoup parlé de sondage ou de consultation, mais la
question à poser est à savoir si ceux qui ont répondu
à cette consultation ou à ces sondages en se disant d'accord avec
la clause Canada, on a pris soin auparavant de les informer de la situation en
1977, de ce qu'elle est maintenant et de ce qu'on prévoit qu'elle sera
dans cinq ans. C'est ce que je viens de vous dire. Est-ce que ces gens ont
vraiment été informés de cette situation avant de se
prononcer pour la clause Canada?
Il est donc évident pour nous que -parce que c'est une
pièce majeure - cette pièce majeure de la Charte de la langue
française, le Québec n'a pas à l'abattre lui-même.
Autrement, ce serait nous ramener aux situations conflictuelles des
années soixante-dix. Nous pensons que si la clause Canada devait
être malheureusement imposée, au moins que le Québec laisse
faire cette tâche par la Cour suprême du Canada.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, il semble évident
qu'on n'a pas les mêmes sondages. Même si vous vous
référez à l'étude du Conseil de la langue
française de M. Paillé - je l'avais il y a quelques instants
devant moi et je ne la retrouve pas - on y indique que même si... Vous
demandez: Est-ce qu'on a informé la population sur les effets de
l'application de la clause Canada? Dans le rapport Paillé ou
l'étude Paillé, on dit que si on appliquait la clause Canada,
évidemment la population anglophone diminuerait un peu moins vite dans
les écoles anglaises, mais que jamais on ne reviendrait au statut
d'avant l'application de la Charte
de la langue française ou même de la loi 22. On fait
toutefois une exception pour la région de l'Outaouais. Si on est
honnête, si on lit le rapport au complet, on dit qu'il y aurait du
côté de l'Outaouais des conséquences plus grandes. Je vous
donnais tout à l'heure les chiffres d'Henripin qui dit qu'au rythme
où vont les choses, en l'an deux mille, ce sera de 5% à 7%
d'inscriptions dans les écoles anglophones. M. Henripin est quand
même reconnu comme une autorité en la matière.
Ceci étant dit, la dernière...
M. Légaré (Pierre): M. le Président, madame,
me permettez-vous...
Mme Lavoie-Roux: Oui, oui, je vous en prie.
Le Président (M. Desbiens): Oui, allez- y.
M. Légaré: ...de répondre à cela. Je
ne me suis référé à aucun sondage et à
aucune consultation. Je me référais aux prévisions des
populations scolaires sur le territoire du Conseil scolaire de l'île de
Montréal, qui ont été publiées il y a un peu plus
d'un mois par le conseil scolaire. Personne, ici, ne voudrait mettre en doute
ces statistiques.
Mme Lavoie-Roux: L'autre question que j'aimerais poser est la
suivante. Les recommandations qui ont été faites à la
commission sont de quatre ordres, l'une touchant la clause Canada - on en a
déjà parlé - et une autre touchant l'affichage. Quelles
seraient les modalités de cet affichage? Les opinions varient, mais l'on
souhaiterait qu'on remette à la communauté anglophone une plus
grande visibilité. La troisième touche les tests des
professionnels et, même si vous parlez dans votre mémoire
d'événements qui ont été montés en
épingle, on a fait la preuve que les tests pour les professionnels ne
rendaient pas justice aux personnes qui devaient les subir - du moins pour
certaines catégories de professionnels. Même cela a
été reconnu par le ministre hier après-midi, quand il a
dit à Alliance Québec qu'il avait modifié les tests
à la suite des représentations qu'ils avaient faites et
qu'Alliance Québec avait raison, puisque les tests semblaient vraiment
trop difficiles et que maintenant les résultats semblaient créer
moins d'injustice à l'endroit de ces professionnels. C'est une
troisième recommandation qui est faite. Ce sont les trois
recommandations, d'une façon générale, qui sont faites
pour modifier la Charte de la langue française, mais j'en oublie
peut-être une quatrième.
Si on apportait ces modifications, qui n'apparaissent peut-être
pas à vos yeux, mais qui apparaissent aux yeux de l'ensemble ou, enfin,
d'une forte majorité des Québécois comme étant des
choses raisonnables, croyez-vous que cela remettrait en question le statut du
français au Québec, sa place au Québec, le désir
des Québécois de pouvoir travailler de plus en plus en
français, de vraiment donner au Québec ce caractère
français que la population en général et d'une
façon très majoritaire désire? Vous ne voulez aucun
changement. Vous dites même qu'il faut aller dans le sens de rendre plus
difficile - ce n'est peut-être pas la bonne expression - de renforcer la
loi 101. Ces suggestions qui ont été faites dans - tout le monde
sera d'accord, ici, de chaque côté de la Chambre - la très
grande majorité des mémoires que nous avons entendus
mettent-elles vraiment en danger le statut du français au
Québec?
M. Rhéaume: Au sujet de l'affichage, ce que je pourrais
dire de mieux et de plus conforme à ce que nous pensons, c'est ce qu'a
répondu le premier ministre, René Lévesque, dans sa lettre
du 4 novembre 1982 au président d'Alliance Québec. Je le cite: "A
sa manière, en effet, chaque affiche bilingue dit à l'immigrant:
II y a deux langues ici, l'anglais et le français. On choisit celle que
l'on veut. Elle dit à l'anglophone: Pas besoin d'apprendre le
français, tout est traduit."
A sa manière, en effet, chaque affiche bilingue dit à
l'immigrant: II y a deux langues ici, l'anglais et le français. On
choisit celle que l'on veut. Elle dit à l'anglophone: Pas besoin
d'apprendre le français, tout est traduit. J'ai pris la peine de le
répéter parce que j'endosse totalement ce qui est dit.
Vous savez, l'affichage, c'est ce qu'il y a de plus visible. J'ai grandi
dans la ville de Verdun - si M. Caron était ici, il pourrait vous le
confirmer, on se connaît depuis de très nombreuses années -
et je peux vous dire que l'affichage, c'est quelque chose d'important puisque
c'est quelque chose que l'on voit continuellement. Peut-être qu'il y a
des francophones qui voient - c'est vrai pour l'immigrant et pour tous les
autres - dans l'affichage la législation linguistique dans son
caractère le plus visible, le plus tangible, le plus présent
partout. S'il y a un point que nous croyons prioritaire, c'est bien
celui-là puisqu'il est essentiel quant à cette présence
partout au Québec. S'il y en a qui ont des doutes, nous sommes
prêts, à la société, gratuitement, à leur
faire faire un tour d'autobus. Vous allez voir quelle langue on retrouve sur
les affiches. La réponse du premier ministre, quant à nous, est
la réponse qui devait être faite et ce qui doit se traduire dans
les attitudes. (15 h 30)
En ce qui concerne les tests linguistiques - historiquement, la devise
du Québec est "je me souviens", mais parfois on
a un peu de difficulté - que je sache, ils sont une
création de la loi 22. Ils n'ont rien à voir, en ce sens, au
niveau de l'innovation, avec la loi 101.
Deuxièmement, je vous citerai une réponse de quelqu'un qui
n'est pas membre de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, M. Max Yalden, commissaire aux langues officielles, qui s'y
connaît un peu dans ces questions et qui a dit qu'en Ontario il n'y a pas
de test linguistique parce que tous les examens sont faits en anglais. Si on le
prend de cette façon, c'est un moyen de régler la question des
tests linguistiques. C'est ce que j'avais à vous répondre sur ce
point.
Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Chauveau.
M. Brouillet: M. Rhéaume, je tiens d'abord à vous
remercier de votre exposé. Depuis le début de nos travaux, nous
avons effectivement entendu beaucoup de mémoires qui, pour des raisons
qu'on comprend très bien, mettaient surtout l'accent sur les effets dits
négatifs de la loi 101, la Charte de la langue française. Je
crois que vous avez raison de signaler que quand on accumule les
témoignages d'effets négatifs et qu'on s'en tient peut-être
trop exclusivement à cette dimension, il y a un effet de grossissement
et on a l'impression que la loi peut être la cause de presque tous nos
maux.
C'est pour cela que je crois qu'il a été bon et sain
aujourd'hui pour notre commission d'entendre un son de cloche - je ne dirais
pas complètement opposé - qui mettait davantage l'accent sur
certains aspects de la légitimité, de la nécessité
de cette loi. Cela peut nous permettre à nous, de la commission, et
aussi à la population qui nous écoute, de peut-être
pondérer un peu certains jugements trop hâtifs qu'on serait
porté à rendre sur l'expérience de six ans d'application
de la Charte de la langue française.
Je serai très bref dans ce commentaire général
parce que le temps passe et qu'il y en a probablement d'autres qui aimeraient
vous interroger. Je me référerai simplement à quelques
points particuliers. J'aurais aimé vous entendre expliciter davantage ce
que vous avez mentionné tantôt sur l'utilisation politique de la
langue qui a pu engendrer, auprès de notre population, un sentiment de
culpabilité et, auprès des autres, des étrangers, une
perception tronquée de la réalité. Cette perception
tronquée de la réalité, vous n'êtes pas les seuls
à l'avoir décelée. Cela a été dit, entre
autres, avec beaucoup d'intensité et d'affirmation, par son honneur le
maire de la ville de Montréal qui, lui-même, a beaucoup
insisté sur cet aspect en disant que c'était beaucoup la
perception plus ou moins tronquée de la réalité
linguistique et de la réalité de la charte au Québec qui
est souvent la cause de cette réaction négative à
l'égard de la charte. Vous voudrez peut-être toucher ce point
tantôt; j'aimerais que vous l'abordiez.
J'attirerai aussi votre attention sur la langue de travail. Vous avez
affirmé que plus de la moitié des travailleurs ne peuvent
travailler dans leur langue ou ne le font que partiellement. Je savais qu'il y
en avait beaucoup, mais cela me surprend qu'il y en ait tant que cela. Vous
pourrez peut-être étayer un peu votre affirmation, l'appuyer.
Toujours concernant la langue de travail, vous affirmez dans vos
recommandations qu'il faudrait peut-être étendre la francisation
aux entreprises de 49 employés et moins. Est-ce que vous tenez fermement
à cette recommandation?
J'aurais aussi une autre question. Vous faites allusion à
l'élimination de certains lieux d'abus; je crois que c'est à la
page 54, vers la fin du texte. Vous reconnaissez, tout en disant que la loi en
elle-même semble être adéquate, qu'on doive la garder et
même, sous certains aspects, la renforcer, qu'il faudrait peut-être
voir à éliminer ces lieux d'abus. Je voudrais que vous
précisiez un peu, que vous donniez quelques exemples de ce que vous
entendez par ces abus et peut-être les lieux où se trouvent ces
abus.
Pour terminer, comme vous faites partie de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, on a entendu son honneur le maire
revendiquer un statut particulier pour la ville de Montréal,
particularité qui consisterait à exempter la ville de
Montréal de l'application de la Charte de la langue française.
J'aimerais connaître votre point de vue quant à cette
revendication du maire de la ville de Montréal.
La Présidente (Mme Lachapelle): M.
Rhéaume.
M. Rhéaume: Mme la Présidente, quand nous
déplorons l'utilisation politique de la question linguistique, c'est un
des points essentiels qu'on aimerait apporter à la commission
parlementaire et à l'ensemble des membres de l'Assemblée
nationale. Je peux même vous illustrer jusqu'à quel point, si on
était capable, tous, de situer la question de la langue où elle
doit être située, c'est-à-dire en dehors des rangs
partisans, nous serions plus à même de voir la
réalité comme elle est et de nous rendre compte, comme on le
faisait remarquer tout à l'heure, que des changements d'attitude et de
mentalité se sont produits et nous devons le souligner et
l'apprécier.
Cependant, il reste encore beaucoup de chemin à faire. On a
l'impression - ce n'est pas seulement une impression, on a même
parlé de perception une certaine journée ici en commission
parlementaire - ou la perception que la question de la langue est tellement au
coeur de l'enjeu politique que cela nous en fait oublier la langue
elle-même. On encourage même des gens à la
désobéissance civile. Cela doit nous inquiéter. Dieu sait
si la tradition anglo-saxonne est respectueuse des lois et comme c'est
important, mais la désobéissance civile... Toutes les lois
doivent être respectées, tout le monde est soumis à la loi.
Comme je suis en commission parlementaire je me permettrais de dire même
la GRC, tout le monde est soumis aux lois. C'est le rôle des membres de
l'Assemblée nationale de dire que tout le monde est soumis aux lois,
quelles que soient ces lois, il me semble, en tout cas.
Cependant, on voit dans des comportements, dans des encouragements, une
remise en question continuelle. Quant à la question de la langue, on a
l'impression - que, dépendant de l'attitude que l'on a face à la
loi 101, on peut dire immédiatement dans quel parti politique nous
sommes. Cela est grave, vous savez. Je suis certain qu'il y a des membres de
l'Assemblée nationale, de toutes les couleurs, comme on dit, qui sont
d'accord pour dire que ce n'est pas correct. Il y a des gens que je respecte
parce qu'ils ont des idées différentes des miennes quant à
l'avenir du Québec, mais qui sont capables de dire que certaines
questions doivent se situer en dehors de la partisanerie politique.
J'apprécie ces gens-là hautement. Ils n'ont pas toujours un
travail facile, mais c'est très important et essentiel.
Je vous dirai que je suis tellement en faveur d'une
dépolitisation de la question linguistique et je veux tellement qu'on la
"départisanise" que nous allons demander aux chefs des partis politiques
en présence à l'Assemblée nationale que lorsque viendra le
temps de disposer des amendements à la Charte de la langue
française, un vote libre soit pris et que l'ensemble des membres de
l'Assemblée nationale se prononce en âme et conscience, en toute
liberté, sans restriction aucune, afin de donner un exemple et de faire
en sorte de démontrer que c'est un point essentiel pour l'avenir. Je
suis très heureux de voir des approbations, parce que c'est très
important. Il faut la "départisaniser", il faut la dépolitiser.
La récupération politique, j'essaie moi-même...
Vous savez, la politique est un terrain glissant. Quelqu'un que j'estime
hautement et à qui on remettait une médaille récemment
nous faisait remarquer que la politique est un terrain glissant sur lequel il
faut s'avancer avec beaucoup de prudence lorsqu'on n'est pas dans cette
arène. Cependant, quand, venant d'outre-Outaouais, on entend dire que la
loi 101, c'est une bonne loi, si elle est si bonne qu'on l'applique dans les
institutions fédérales. On n'a pas parlé des aspects
où la loi n'est pas applicable, de tout ce qui relève de la
charte fédérale, de tout ce qui relève des
ministères du gouvernement fédéral. On a même
parlé récemment - j'ai reçu copie d'une demande - de
Petro-Canada qui n'est pas obligée, on l'inciterait même à
afficher dans les deux langues. L'utilisation politique de la question
linguistique est, à mon avis, la cause principale des difficultés
qu'on connaît actuellement et il faut en sortir le plus rapidement
possible.
En ce qui concerne la langue de travail, des études l'ont
démontré... Ecoutez! Faites des consultations et des sondages;
venez à Montréal et allez dans les restaurants, déjeuner,
dîner ou souper; faites-vous servir par des serveurs ou des serveuses de
langue française et écoutez dans quelle langue ils travaillent.
Je peux vous y amener gratuitement, à nos frais, en vous laissant
vous-mêmes choisir le restaurant. Dans certains magasins, on a encore de
la difficulté à obtenir des reçus en français. Je
défie qui que ce soit ici de me trouver des reçus de loyer en
français. Je ne voudrais pas entrer dans ces détails plus qu'il
ne le faut. Cela me rappelle des objections qu'on a entendues. On disait: Des
timbres bilingues, c'est trop petit; les timbres sont trop petits. L'argent,
cela va baisser de valeur. On en a entendu de toutes sortes. Ce que je veux
dire, c'est au niveau de la langue de travail. Qu'on aille là où
les hommes et les femmes du Québec travaillent et on découvrira
comment il est difficile, dans certains milieux, de travailler en
français pour les travailleurs et les travailleuses de langue
française.
Ce qui m'amène à faire le lien avec la ville de
Montréal, à savoir si nous sommes d'accord avec la proposition
que le premier magistrat de la ville est venu faire ici tout récemment.
La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal s'inscrit en
faux contre cette demande que la ville de Montréal soit exempte de
l'application de la loi 101 et qu'on lui accorde un statut particulier.
Notre devise, c'est "Je me souviens". Souvent, on ne se rappelle rien.
À la commission Gendron, en 1969, une même demande a
été faite par le Board of Trade. Quatorze ans après, c'est
le premier magistrat de la ville de Montréal qui fait cette demande qui,
d'abord, a été faite par le Board of Trade à la commission
Gendron. Donc, je n'ai pas besoin de vous dire que nous sommes en
désaccord. La législation linguistique, si elle s'incarne, si
elle se concrétise, c'est bien dans la région de Montréal.
Il n'y a pas beaucoup de gens qui vont nier cela. On le voit, d'ailleurs, par
le groupe de députés qui sont ici, majoritairement... Sauf le
respect que je dois à tout le monde, je pense qu'ils sont de la
région de Montréal en majorité. C'est là
qu'est le coeur de la question. C'est là où, tous les jours, de
génération en génération, les nôtres ont
exigé, ont revendiqué et se sont battus pour se faire servir dans
notre langue. On nous disait, il y a quinze ans: I am sorry; I do not speak
French. Maintenant, on nous dit souvent: Wait a minute, pleasei II y a encore
des changements qu'il faut faire. Il y en a qui ont été faits,
mais il faut continuer. On n'arrête pas quelque chose quand ce n'est pas
terminé. La francisation du Québec n'est pas terminée. Il
y a un élan qui a été donné; il faut que cela se
continue. Donc, nous ne pouvons pas être d'accord avec le maire de la
ville de Montréal qui demande un statut particulier. Nous nous
inscrivons en faux et nous verrons de quelle façon nous allons, à
moyen terme, faire savoir à M. Drapeau notre total désaccord.
Nous sommes à Montréal depuis fort longtemps; la ville de
Montréal n'existait pas. Le premier président a été
le premier maire de la ville, M. Jacques Viger. On peut parler de
l'évolution de la ville de Montréal depuis 150 ans. (15 h 45)
S'il y a un endroit où la question linguistique est
cristallisée - si on me permet le terme - très importante et
très évidente, s'il y a un endroit où on a besoin de la
loi 101, c'est bien à Montréal. Je ne sais pas si j'apprends cela
à quelques-uns ici, mais c'est la place. C'est cela, c'est là
qu'on a de la difficulté. Cela arrive ailleurs aussi, mais,
Montréal, c'est le coeur des difficultés de la refrancisation du
Québec. Cela existe dans beaucoup de domaines. Je ne toucherai pas celui
de la toponymie, je ne veux pas y toucher, mais j'aimerais qu'on y touche un
jour. C'est très important aussi; c'est une autre question.
La Présidente (Mme Lachapelle): Merci, M.
Rhéaume.
M. Brouillet: La question des lieux d'abus. Vous n'avez pas
abordé ce point, et je crois important de connaître votre point de
vue sur l'élimination d'abus, et vous parlez de lieux d'abus.
M. Rhéaume: Oui.
M. Brouillet: Brièvement, pourriez-vous nous donner
quelques exemples pour nous orienter un peu.
M. Rhéaume: Je n'en connais pas d'abus comme tels, je ne
peux pas vous en parler, mais ce que nous disons, c'est que, s'il y a des lieux
d'abus administratifs, s'il y a vraiment des choses qui sont des non-sens, il
faut les examiner. Je pense qu'il y a sûrement des aménagements
qu'on peut faire au règlement sans toucher à la loi. Nous en
sommes profondément convaincus, mais s'il y a des abus, nous nous
prononcerons sur ces abus. À ce stade-ci, je n'ai pas d'abus à
vous faire part. On n'est tout de même pas ridicules, s'il y a des abus,
je pense qu'il faut les corriger. Nous pensons que les règlements sont
là pour corriger certaines situations.
La Présidente (Mme Lachapelle): Merci. M. le
député de Gatineau, s'il vous plaît!
M. Gratton: M. Rhéaume, Mme la députée de
L'Acadie a fait allusion à la façon que la Société
Saint-Jean-Baptiste, dont j'ai moi-même déjà
été membre, soit dit en passant, défend les
intérêts de la francophonie et l'a comparée avec la
façon qu'elle l'a fait dans le passé, et plus
spécifiquement en ce qui concerne la situation au Manitoba. Si on se
reporte aux déclarations des officiers de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal en commission parlementaire ici
même, en juin 1977, on se rend compte que leur attitude était loin
d'être aussi généreuse que celle que je vous
félicite d'avoir adoptée la semaine dernière en
collaborant à la campagne de solidarité et de financement de la
Société franco-manitobaine, de même qu'à la
Fédération des francophones hors Québec. Mais, pour vous
situer, en 1977, au cours des auditions entourant l'adoption de la Charte de la
langue française, Mme Lise Cloutier-Trochu, qui était, à
ce moment-là, vice-présidente de la société, en
réponse à une question de M. Biron, qui était alors chef
de l'Union Nationale - vous voyez comme cela évolue! -disait ceci: Je
cite la page CLF-304 du journal des Débats. "Justement, le
mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste défend le
fait français au Québec, comme autrefois elle a défendu le
fait français de par le Canada. On s'est aperçu justement que le
Canada, c'était trop grand, que c'était une peau de chagrin qui a
rapetissé et qui nous a fait bien du mal, bien du chagrin. On s'en tient
maintenant au Québec et on veut être chez soi au Québec,
pouvoir parler français le mieux possible." Un peu plus loin, elle
enchaînait: "Je peux vous dire que les Québécois, les
Canadiens français, vous me permettrez de les appeler comme cela, qui
sont ailleurs qu'au Québec, ils sont ailleurs qu'au Québec et ils
sont perdus dans un sens. Depuis les États généraux, on a
bien constaté qu'il y avait déjà, à ce
moment-là, dans la jeune génération, une perte
d'identité. S'ils avaient encore une certaine langue française au
sein de leur famille, déjà ils allaient vers l'anglais et ils
étaient assimilés. C'est toujours le danger de la
minorité, d'une minorité dans un grand ensemble comme le
Canada."
J'aimerais vous permettre, par le biais de ma question, de concilier
cette attitude
de la Société Saint-Jean-Baptiste en 1977 avec celle que
vous avez adoptée cette année.
M. Rhéaume: Vous apportez de l'eau à mon moulin, je
vous remercie.
M. Gratton: Oui, et je le fais consciemment.
M. Rhéaume: Je vous remercie infiniment. Pour continuer le
scénario politique, je ne veux pas faire de personnalité, Mme
Lise Cloutier-Trochu, c'est la soeur du Dr François Cloutier.
M. Gratton: Je le sais aussi, elle s'était attachée
à une chaise, à un moment donné, au cours des
débats concernant la loi 22.
M. Rhéaume: Oui, elle a fait un travail extraordinaire, et
je tiens à l'en féliciter. Je voulais arriver à vous dire,
si on veut en faire le tour, que la Société Saint-Jean-Baptiste,
dès 1890, quand la fameuse loi a été adoptée au
Manitoba... Vous savez qu'à ce moment-là le Manitoba était
une province française. Je pense que tout le monde sait cela. À
un moment donné, on a facilité l'immigration pour que les Anglais
deviennent majoritaires. Cela coûtait moins cher de partir de Londres
pour aller à Winnipeg que de partir de Montréal pour aller
à Winnipeg. Qu'on me démentisse, j'en donne l'occasion à
tout le monde. Qu'on me démentisse là-dessus. Il y a des livres.
M. Séraphin Marion, 89 ans, un des chefs de file de la lutte
franco-ontarienne, a passé sa vie à étudier ces points.
Dès 1890, quand la loi inique a été adoptée, la
Société Saint-Jean-Baptiste, immédiatement, a
envoyé - je ne parlerai pas du montant, ce n'est pas cela qui est
important - a signifié sa solidarité avec les Franco-Manitobains.
Avec ce qu'a dit Mme Cloutier-Trochu en 1977, c'est facile pour moi de dire que
je n'y étais pas. Au contraire, ce que Mme Cloutier-Trochu a dit, ce ne
sont pas les faits. Le taux d'assimilation des francophones hors Québec,
je pense que vous le connaissez, on peut le prendre province par province, cela
ne nous empêche pas... La Fédération des francophones hors
Québec s'est même adressée à la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour demander son
témoignage de solidarité et son aide dans une campagne d'appui.
Vous savez, je pense que les francophones hors Québec ne se sentent pas
gênés de nous demander notre aide; ils ne pensent pas qu'on se
foute d'eux. Ils sont venus à nous. On n'a pas couru après.
Ils connaissent nos opinions, nous nous rencontrons depuis des
années dans des réunions, sauf que je ne vois aucune
incompatibilité avec ce que Mme Cloutier-Trochu a dit. Les francophones
hors Québec connaissent des difficultés sérieuses. Ils
l'admettent eux-mêmes. C'est le coeur de leurs revendications. Ce que je
dis et ce que je répète, c'est que nous devons appuyer cette
cause. Ce sont les nôtres. Ils connaissent de graves difficultés
et nous devons continuer à les aider. Ce que j'ai envie de dire, c'est
ceci: on a tous de la famille; si quelqu'un est très malade à
l'hôpital, dans une phase terminale, branché à une machine,
ce n'est pas à nous de tirer sur le fil. Laissons faire les autres. Ils
sont habitués à le faire. Ils l'ont toujours fait.
M. Gratton: Donc, contrairement à Mme Cloutier-Trochu en
1977 et à certains autres plus récemment, vous ne
considérez pas la cause des Franco-Manitobains comme perdue.
M. Rhéaume: Pour moi, vous savez, tant qu'il y a des
hommes et des femmes qui militent pour une cause, elle n'est jamais perdue. Il
y a des gens qui croient que la cause de l'indépendance est perdue au
Québec. Elle est loin de l'être.
M. Gratton: La minute de silence que vous nous avez
demandé d'observer ce matin n'avait rien à voir avec la mort ou
la fin de cette lutte que les Franco-Manitobains entendent continuer de livrer,
si j'ai bien compris.
M. Rhéaume: Quand je parle de récupération
politique, c'est de cela que je parle. C'est exactement de ce qui vient de se
passer que je parle.
M. Gratton: Je veux savoir le fond de votre pensée.
M. Rhéaume: Le fond de ma pensée, monsieur, c'est
que nos frères et nos soeurs du Manitoba se sont fait dire encore hier
ce qu'on pense d'eux. Ils se sont fait dire encore une fois ce qui arrive. Je
sais qu'on vous porte à me poser des questions pour que je me monte. Je
suis capable de rester calme, vous savez. Ce que je dis, c'est que les
Franco-Manitobains connaissent des difficultés graves, que nous devons
les appuyer, que nous devons nous intéresser à ce qu'ils
connaissent. Quant aux perspectives d'avenir quelles qu'elles soient, nous ne
devons pas rester indifférents à ce qui se passe là-bas.
Pour moi, une cause n'est pas perdue, je le répète, tant qu'il y
a des hommes et des femmes qui militent en sa faveur.
M. Gratton: M. Rhéaume, on veut bien ne pas faire de
politique, mais est-ce que je me trompe si je pense que, pour vous, à
titre personnel, la seule façon d'assurer le fait français,
d'assurer la possibilité d'un
État français, c'est par la voie de l'indépendance
du Québec? Je ne vous le reproche pas en vous posant la question, je
vous demande de me dire si c'est cela.
M. Rhéaume: Écoutez, pour moi, pour la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, pour nous, la
refrancisation du Québec, on le voit par ce qu'a dit la Cour
suprême, on le voit par le Canada Bill, on le voit par les attaques
externes, la refrancisation du Québec ne se fera que par le bris du lien
confédéral. C'est notre conviction. Nous n'en avons pas
honte.
M. Gratton: Je ne vous le reproche même pas. Au contraire,
je vous félicite et je vous respecte encore bien plus de le dire
franchement que ceux qui voudraient nous faire croire qu'ils sont autre chose.
À ce moment-ci, je ne nomme personne. Je vous pose la question: Me
croyez-vous sincère, moi, à titre de Québécois
francophone, comme vous, votre compatriote, si je vous dis que ma conception
des choses, mon option est aussi sincère que la vôtre? Je pose la
question à M. Rhéaume.
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre!
M. Rhéaume: Vous savez, je n'aime pas qu'on me prête
des intentions et qu'on juge de ma sincérité. Je respecte
l'intégrité de chacun des membres de l'Assemblée
nationale, même si je ne suis pas tout à fait d'accord. Cela
arrive souvent, je ne le cacherai pas, on ne se voit pas souvent dans des
soirées sociales. Il ne faut pas se le cacher, mais je pense qu'on est
quand même capable de se dire des choses. Je respecte l'opinion des gens
et j'espère de tout mon coeur que vous êtes aussi sincère
que je le suis. Si vous ne l'étiez pas, ce serait grave.
M. Gratton: M. Rhéaume, moi, je vous crois sincère.
Là où cela me chicote un peu, c'est que vous parliez ce matin -
je l'ai pris en note - d'une campagne de culpabilisation savamment
orchestrée pour faire peur aux Québécois, pour leur
démontrer qu'on est allé trop loin. Vous nous prêtez des
intentions à nous qui ne pensons pas comme vous. Vous dites...
Une voix: On n'a jamais pensé que vous étiez...
M. Gratton: Je vous pose la question: Est-ce que vous ne nous
prêtez pas l'intention de...
M. de Bellefeuille: Ah, c'est lui?
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Gratton: ...d'être... Si cela dérange les
ministériels, M. le Président...
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre. M. le
député de Gatineau, continuez votre intervention.
M. Gratton: Est-ce que vous ne nous prêtez pas des
intentions de faire partie d'une espèce de campagne orchestrée,
comme vous le dites, pour tenter de faire peur aux Québécois,
pour tenter d'amenuiser les efforts du gouvernement du Québec pour la
francisation? Ou est-ce qu'on ne pourrait pas, nous, tout simplement avoir une
perception différente, une conception différente de la
façon de mieux servir les intérêts des
Québécois et être tout aussi sincères que ceux qui
sont de ce côté-là qui ne partagent pas notre point de
vue?
M. Rhéaume: Vous savez, premièrement, je dois vous
avouer que je ne pensais pas au Parti libéral comme tel quand je disais
"savamment orchestrée". Dans un orchestre, il y a plusieurs instruments
et je ne pensais pas... Je constatais. Je ne sais pas quel est l'auteur de
cette symphonie. Ce que je sais, c'est qu'il y a des musiciens et qu'on en
trouve un peu partout: il y en a qui jouent les cordes, d'autres les vents -
beaucoup de vent - d'autres les percussions. On pourrait parodier longtemps,
mais c'est trop sérieux pour faire des blagues.
M. Gratton: Je le pense aussi.
M. Rhéaume: Ce que je veux dire, c'est que je ne peux que
constater, M. le député, que l'interprétation que nous
avons d'assister à une orchestration nous semble légitime. Je ne
dis pas que c'est vous, je dis tout simplement que - je répète,
parce que j'ai l'impression que ce n'était peut-être pas
suffisamment clair - quand on traite des fonctionnaires du gouvernement qui ont
la charge de faire respecter et d'appliquer la Charte de la langue
française, quand on les compare, dis-je, au Ku Klux Klan...
M. Gratton: On n'a jamais fait cela, M. Rhéaume.
M. Rhéaume: Je ne parle pas de vous...
M. Gratton: Je vous pose la question à mon sujet. Je ne
vous pose pas la question au sujet de je ne sais qui, de Jos Bleau. Je vous
parle de moi. Je vous demande de me donner vos réactions à mon
sujet.
M. Rhéaume: Vous me parlez de "campagne savamment
orchestrée". Je vous réponds sur la "campagne savamment
orchestrée". Je parle du Ku Klux Klan; je parle des articles du
Jerusalem Post; je parle
des comparaisons avec le Dr Goebbels; je parle d'attaques continuelles.
À une émission de télévision où nous
étions, on nous a dit que nous, les francophones, on pensait des Anglais
que c'étaient des barbares. Je pense aux articles de M. Johnson dans le
Globe and Mail. S'il est ici, je le salue. Je le salue parce que je respecte
tout le monde, mais... Vous savez, ce qu'on a entendu sur les médias
francophones, ce qu'on a entendu sur les intentions qu'on nous prête,
cela n'a pas de bon sens. On donne une image à travers le monde que les
Québécois sont un des peuples les plus terribles qui soient face
à leur minorité.
J'aimerais cela vous entendre. Que l'autre musique commence, la musique
qui va dire qu'ici, c'est un des États au monde où la
minorité est le mieux traitée parce qu'elle a un système
scolaire de la pré-maternelle à l'université, parce
qu'elle a des institutions dans le service social, parce qu'elle a des postes
de radio et de télévision, parce qu'elle a des magazines
même plus répandus que les nôtres, parce qu'il y a plus de
films en anglais qu'en français projetés au Québec. Qu'on
le dise, cela. Qu'on se mette à côté de nous et qu'on nous
le dise qu'on revendique et qu'on affirme cela. Ce qu'on entend, ce n'est pas
cette mélodie; ce que l'on entend, c'est une symphonie inachevée,
parce que cela ne finit jamais.
M. Gratton: M. le Président, c'est sûr que... J'ai
l'impression que je ne pourrais jamais faire partie d'un orchestre qui jouerait
une "toune" qui serait de votre goût, M. Rhéaume. J'ai
l'impression qu'on n'est pas du tout sur la même longueur d'onde. Quand
vous dites respecter Bill Johnson, par exemple, que vous le dites avec la moue
que vous avez faite et que cela suscite les rires de l'autre côté,
moi, cela m'inquiète tout autant que cela vous inquiète qu'on
fasse de la politique autour de la question de la langue. J'aimerais bien que,
de part et d'autre, le respect soit égal. Je regrette, M.
Rhéaume, je vous crois sincère, mais quand je vous pose une
question directe et que vous me faites le tour de passe-passe de laisser
l'impression que moi, en tant que député, que mes
collègues, nous faisons partie de ceux qui ont traité le Dr
Laurin de Dr Goebbels, ou qui ont... Je ne les reprendrai pas; cela fait trois
fois que vous en parlez et c'est suffisamment clair, ce que vous pensez. Je
m'inscris en faux contre cela.
M. Rhéaume: Ils l'ont répété plus de
trois fois, ceux qui l'ont fait. (16 heures)
M. Gratton: Je m'inscris en faux contre cela, M. Rhéaume.
Nous ne sommes pas de cette race de gens. Malheureusement, votre façon
de vous exprimer nous donne l'impression - pas seulement de ce
côté-ci -je suis sûr pour un bon nombre de
Québécois que la tolérance que vous réclamez
ailleurs, vous-même ne l'exercez pas. Ce n'est pas moi qui le dis ce sont
des gens comme Gilles Lesage, par exemple, dans le journal Le Soleil, le jeudi
4 février. J'en cite une partie seulement.
Une voix: Quelle année?
M. Gratton: Le 4 février 1982. Celui-ci rappelait les
accusations de traîtres que la Société Saint-Jean-Baptiste
de Montréal avait lancées à l'endroit des
députés fédéraux qui avaient appuyé -
j'imagine que cela devait s'appliquer à moi parce que j'ai voté
aussi contre la motion - Je vous vois acquiescer, donc, je suis un de
ceux-là.
M. Rhéaume: Je n'ai pas le droit de dire ce mot-là.
Ce pays de liberté qu'est le Canada m'interdit d'employer ce mot depuis
un jugement de la Cour d'appel. Je n'acquiesce pas, je ne réponds pas;
je pense.
M. Gratton: En tout cas! Alors vous le pensez. Je vous remercie,
au moins cela est clair. Je saurai où me situer quand je discuterai avec
vous la prochaine fois. Je vous cite M. Gilles Lesage. Je ne pense pas qu'il
soit de ce groupe. Vous ne faites pas signe de la tête, donc, non.
M. Rhéaume: Vous interprétez tout ce que je fais,
je vais faire attention.
M. Gratton: II écrit: "II faut déplorer que le jeu
politique permette de tels excès et ne puisse imposer le bon sens et la
décence. Il y a moyen, entre gens civilisés, de discuter et de
ferrailler sans lancer des cris de guerre.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, une
directive.
M. Godin: Je m'excuse, M. le Président. Est-ce que nous
sommes ici pour étudier les règlements de compte entre le
député de Gatineau et la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal ou la loi 101?
M. Gratton: M. le Président, sur la question de
règlement.
Le Président (M. Desbiens): Sur la question de
règlement, M. le député de Gatineau.
M. Gratton: J'ai le courage de dire à M. Rhéaume
alors qu'il est devant la commission ce que je pense plutôt que
d'attendre que M. Rhéaume soit parti et d'aller le dire aux journalistes
comme certains députés ont fait hier vis-à-vis d'Alliance
Québec.
Est-ce que je peux continuer, M. le Président?
Le Président (M. Desbiens): II faut que...
M. Rhéaume: Est-ce que les intervenants soulèvent
des questions de privilège en commission parlementaire? Je ne le sais
pas, je ne suis pas député.
Le Président (M. Desbiens): Ce n'est pas une question de
privilège. Il n'y a aucune question de privilège de toute
façon en commission parlementaire. Là il s'agit de
déterminer si l'intervention de M. le député de Gatineau
correspond à l'objet de la commission qui est d'entendre - je
répète l'objet de la commission - tous les intervenants
intéressés par la Charte de la langue française.
M. Gratton: M. le Président, sur la question de
règlement.
Le Président (M. Desbiens): Sur la question de
règlement, oui.
M. Gratton: M. le Président, les précédents
existent. D'ailleurs on les a utilisés ici. Un député est
libre de se prévaloir des dispositions du règlement qui lui
accordent 20 minutes pour faire un commentaire. Je n'en demande pas tant. Je
demande 20 secondes pour finir la citation du texte que je suis en train de
lire.
Le Président (M. Desbiens): Oui. Mais avant que vous ne
complétiez pour faire des commentaires qui sont pertinents avec l'objet
de l'étude en cours...
M. Gratton: Oui, M. le Président. Il s'agit de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, au sujet de
laquelle écrivait M. Gilles Lesage.
Le Président (M. Desbiens): De quelle façon la
reliez-vous avec la commission? C'est ce que j'aimerais savoir.
M. Gratton: M. le Président, on parle, depuis
l'arrivée de M. Rhéaume, de la façon dont la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, promeut,
protège le fait français. On pose des questions et on s'interroge
sur la meilleure façon. Je ne voudrais pas que le but et l'objectif que
nous avons en commun avec la Société Saint-Jean-Baptiste de
protéger et de promouvoir le fait français nous amène
à avoir le résultat contraire. Je tente de mettre en garde M.
Rhéaume que la façon de procéder de la
société est peut-être précisément en train de
faire cela.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau, je vais vous laisser aller, mais vous serez très bref.
M. Godin: M. le Président...
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Une autre question. Le député de Gatineau
a laissé entendre que j'avais dit à l'extérieur de la
commission des choses que je n'aurais pas dites à Alliance Québec
à son égard. Je voudrais tout simplement rappeler que j'ai dit
aux gens d'Alliance Québec, ici même, que je trouvais leur
comportement fort discourtois, que c'était une forme de mépris du
parlementarisme que de lire des documents ici qui ne sont pas conformes
à ceux qui nous ont été remis et que
deuxièmement...
M. Gratton: Une question de règlement...
M. Godin: ...nous aurions aimé les avoir avant qu'ils les
lisent et non pas après...
M. Gratton: Une question de règlement. Le
Président (M. Desbiens): À l'ordre!
M. Godin: ...ce que tous les groupes ont fait...
M. Gratton: Une question de règlement. Le
Président (M. Desbiens): À l'ordre! M. Godin:
...à venir jusqu'à maintenant. M. Gratton: Une
question de règlement.
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre! Ce n'est pas
une question de règlement...
M. Gratton: En effet.
Le Président (M. Desbiens): C'est une question de
privilège.
M. Gratton: II n'y en a pas en commission.
Le Président (M. Desbiens): II n'y en a pas en
commission.
M. Gratton: On s'entend sur cela. Je ne reprendrai pas, je ne
veux pas faire perdre le temps de nos invités...
Le Président (M. Desbiens): Si vous voulez continuer, M.
le député de Gatineau.
M. Gratton: Merci. Je reprends du début pour que cela soit
compréhensible. "Il faut déplorer que le jeu politique
permette
de tels excès et ne puisse imposer le bon sens et la
décence. Il y a moyen, entre gens civilisés, de discuter et de
ferrailler sans lancer le cri de guerre et brandir l'étendard de la
race. Pis encore, le président de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal récidive: "Le mouvement
indépendantiste québécois a été
tolérant trop longtemps. Il est temps que, dorénavant, nous
appelions les choses par leur nom et dénoncions nos agresseurs.
Pitoyable et déplorable, d'enchaîner Gilles Lesage, heureusement
que cet état d'esprit borné et sectaire n'est pas le lot de la
majorité, même pas au sein de la Société
Saint-Jean-Baptiste. Le criage de noms et l'insulte sont l'arme des faibles."
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Est-ce qu'il y a quelque
chose? M. Rhéaume.
M. Rhéaume: M. le Président, ce n'est pas la
première fois que, face au nationalisme, on remarque cette attitude. Je
sais qu'il n'y a pas de question de privilège admise en commission
parlementaire, même si je ne connais pas suffisamment les
règlements qui vous régissent. Cependant, je déplore
qu'une telle attitude ait lieu. Nous sommes arrivés ici de bonne foi. On
est en train de faire le procès de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Ce n'est pas la première fois
que l'on tente de détruire un message en essayant de réduire ou
d'attaquer le messager. Cela ne devrait pas nous attaquer. Il ne faudrait pas
se sentir de cette sorte. Vous savez... Est-ce qu'on a parlé
d'intolérance quand M. De Bané, ministre du gouvernement
fédéral, qui n'est pas ici à la table, a lui-même
employé le mot "traître" à la Chambre des Communes quelques
jours avant que nous ne l'employons? Est-ce qu'on a parlé
d'intolérance quand M. André Laurendeau, de regrettée
mémoire, a lui-même dans l'Action nationale... Vous m'ouvrez la
porte. Je peux faire le procès qui a eu lieu devant les juges.
Sir Wilfrid Laurier - on ne peut pas l'accuser, vous devez le respecter,
c'est un grand Canadien à vos yeux - à la grande assemblée
du Champs-de-Mars, lors de la pendaison de Louis Riel alors que le grand
tolérant John A. Macdonald avait dit: Quand bien même tous les
chiens du Québec japperaient tous ensemble, on va le pendre pareil - Sir
Wilfrid Laurier avait dit que Riel, notre frère, était mort
à cause de la trahison de quelques-uns des nôtres. Est-ce qu'il a
été intolérant?
Mais revenons à l'essentiel. Si la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal est ici aujourd'hui, ce n'est pas pour
justifier ses actes. Souvent dans son histoire, elle a connu des attaques comme
celle que l'on vient d'entendre. Quand je parle de racisme anticanadien
français, à mon avis, cela en a été une
manifestation. Ce que je veux dire, c'est que, pour nous, malgré la
forme qui vous déplaît, malgré les opinions politiques qui
ne sont pas les mêmes, malgré cela, nous demeurons
profondément convaincus que la Charte de la langue française, que
l'avenir du fait français est un point fondamental, que notre
société y a été attachée depuis 150 ans, ce
qui est le cas de peu d'institutions et de peu d'organismes et que nous allons
continuer de le faire. Nous croyons que le travail entrepris par la loi 101, et
non pas par le projet de loi 22, comme on l'a entendu souvent, doit se
continuer et qu'on a besoin de la loi 101 de plus en plus. Si vous n'aimez pas
ma façon de répondre, si vous n'aimez pas ma façon
d'agir... Quand on dit, comme vous l'avez lu, qu'au sein de la
Société Saint-Jean-Baptiste, cela n'est pas partagé, j'ai
été réélu pour un troisième mandat sans
opposition, j'ai été élu à deux reprises
président de la Fédération des Sociétés
Saint-Jean-Baptiste qui s'appelle le MNQ qui regroupe 200 000 membres dans
quatorze régions du Québec et j'ai été élu
président des communautés ethniques de langue française en
répétant les mêmes paroles que celles que je n'ai plus le
droit d'employer...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Groulx.
M. Gratton: M. le Président...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: C'est simplement pour dire...
Le Président (M. Desbiens): ...il y a 23 minutes
d'écoulées.
M. Gratton: ...à M. Rhéaume que je continue
toujours de respecter sa personne, son mouvement. Je m'interroge et je
m'inquiète de la façon dont vous défendez les
intérêts de la francophonie parce qu'il me semble que les
excès qui ont eu cours dernièrement nous amènent à
penser que vous atteindrez peut-être le but contraire. C'est pour cela
que je prends la peine de vous le dire, avec tout le respect que je vous
dois.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Groulx.
M. Fallu: M. le Président, la Société
Saint-Jean-Baptiste a souligné devant nous, après beaucoup
d'autres d'ailleurs, que la Charte de la langue française était
victime, au Québec, de perception. Pour votre part, vous avez
appelé cela des préjugés. Depuis plusieurs jours, le mot
peut-être le plus
important qui circule ici autour de cette table, c'est le mot
"perception" à propos de la charte. Je pense que les deux mots se
rejoignent dans les faits.
Dans votre conclusion, vous élaborez rapidement cette perception
en citant un certain nombre d'exemples aux pages 52 et 53 à propos des
institutions créées par la Charte de la langue française
et de leur intervention dans le milieu. Vous nous rappelez certaines attitudes,
certaines déclarations, à gauche et à droite dans le
monde. C'est d'ailleurs une de vos conclusions principales. Vous recommandez au
gouvernement d'informer, par une campagne spéciale s'il le faut, les
populations francophones, anglophones et allophones de leurs droits
véritables en matière linguistique. On en a vu d'ailleurs un
excellent exemple ces jours derniers au moment de l'annonce de Bell Helicopter
à propos des six années d'exemption qui étaient
méconnues de façon assez généralisée au
Québec.
Ma question est la suivante: Cette recommandation vaudrait-elle aussi
à l'extérieur du Québec? Au Québec, on sait que
l'occasion nous est donnée actuellement de faire une campagne -
hélas! il faudrait l'appeler de contre-publicité - par le
truchement de la commission que nous tenons, mais à l'extérieur
du Québec, de faire une telle campagne puisque c'est peut-être
là que les effets sont les plus gravement sentis au moment où des
décisions dépendant de l'extérieur ont des impacts sur la
situation économique du Québec même?
M. Rhéaume: J'apprécie hautement que l'on nous
demande des précisions sur cet aspect de nos conclusions. J'allais moi
aussi dévier un peu de l'essentiel parce que je me suis senti un peu
entraîné. Pour nous, il est bien important d'entreprendre une
vaste campagne d'information à l'intérieur et à
l'extérieur du Québec sur les objectifs de la loi 101, sur ses
principes, sur les droits qu'ont les individus. On entend des choses. Vous
savez, il y a un avocat de Toronto qui a plaidé devant une cour qu'un
contrat, parce que c'était anglais au Québec, était non
valide. On plaide cela en notre nom. Quand on lit un article en particulier du
Jerusalem Post, du Globe and Mail, des journaux américains et des
campagnes, vous avez raison, cela nuit. Cela n'amène pas des
investissements au Québec quand des campagnes disent qu'au Québec
cela va mal, que c'est impossible de parler anglais, qu'on n'a pas le droit de
prononcer un mot en anglais et que la minorité est ostracisée,
opprimée et écrasée. Cela n'aide pas beaucoup à
faire venir des investissements ici.
Effectivement, les délégations du Québec à
l'étranger, entre autres les maisons, les présences
québécoises à l'étranger doivent sensibiliser les
communautés où elles oeuvrent à la vérité.
On ne demande pas autre chose que la vérité afin de
rétablir un équilibre qui fait en sorte, d'une part, qu'à
l'extérieur un sottisier - je répète un terme: c'est un
sottisier - s'est constitué autour de la situation, face à la
question linguistique au Québec. À l'intérieur, c'est la
même chose. Je sais bien qu'ici, il ne me sera pas facile de convaincre
des gens sur certains points, mais la population qui nous écoute et les
gens, par l'aide des médias et leur collaboration sauront un peu les
interrogations qu'une société comme la nôtre peut se poser.
On peut nous reprocher bien des choses, mais notre attachement à la
langue française, on ne pourra jamais nous le reprocher. Ceux qui nous
le reprochent, cela tourne contre eux. Cela n'aide personne d'attaquer la
Société Saint-Jean-Baptiste, parce que les gens, même s'ils
ne sont pas tout à fait d'accord, savent que l'on est là depuis
suffisamment longtemps et avec certaines racines un peu partout au
Québec.
Tout cela pour dire qu'à l'intérieur, il faudrait informer
l'ensemble de la population sur les droits que la Charte de la langue
française accorde à l'ensemble de la population et
également sur le rôle de ces grands organismes qui font un travail
extraordinaire, essentiel et nécessaire, malgré tout ce que l'on
peut en dire, et qu'il ne faudrait en rien réduire; en rien, car nous en
avons besoin, grandement besoin.
Si on n'avait pas toutes les études qui ont été
faites par le Conseil de la langue française et qui ont
été rendues publiques, qu'aurions-nous d'autre devant nous ce
matin pour discuter de la situation linguistique? Merci au gouvernement du
Québec qui a créé ces organismes et félicitations
à celui qui les gardera et qui amplifiera leurs moyens pour continuer.
C'est la petite contribution que l'on peut faire pour contrebalancer ceux et
celles qui ont des moyens beaucoup plus gros, cette contribution que se donne
l'Etat du Québec par ses institutions qui sont, je le
répète parce que nous y sommes profondément
attachés, l'Office de la langue française, la Commission de
surveillance de la langue française et le Conseil de la langue
française. Pour nous, ces institutions sont essentielles à la
démarche de refrancisation. Il faut absolument leur donner encore plus
de moyens pour réaliser ce pourquoi elles ont été
créées.
M. Fallu: Pourrait-on compter sur la Société
Saint-Jean-Baptiste, qui s'est toujours présentée comme
étant la gardienne des institutions, des traditions et de la langue,
pour faire une part en collectionnant ce sottisier, en le faisant
connaître, voire même en en faisant la démonstration,
à l'occasion, pour autant qu'elle a des moyens
qui lui sont propres, pour que la charte, dans sa constitution
réelle, soit bien connue. (16 h 15)
M. Rhéaume: Soyez assuré, M. le
député, que dans la mesure de nos possibilités nous ferons
notre part. Je tiens toutefois à spécifier immédiatement
que nous n'avons pas, notre organisme, quelque 750 000 $ ou 700 000 $ de la
part du gouvernement fédéral pour nous aider à faire du
bien autour de la loi 101.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Laurier.
M. Sirros: Merci, M. le Président. J'éviterai de
faire des commentaires pour ne pas entrer encore une fois dans le débat
qu'on a eu tout à l'heure. J'aimerais simplement attirer l'attention de
M. Rhéaume sur le texte de la page 36 de son mémoire. Vous parlez
des immigrants et vous dites assez clairement que les immigrants, cela
intéresse les francophones - vous, en tout cas - parce que cela
représente pour le système scolaire des subventions
supplémentaires et des jobs pour les enseignants, etc.
Je crois qu'à un moment donné vous vous êtes rendu
compte que c'était un peu trop cru de le dire de cette façon,
vous avez ajouté que cela représente aussi, évidemment,
des richesses culturelles nouvelles. Plus tard, au chapitre de l'affichage,
votre position est assez claire: vous défendrez à un Grec ou
à un Italien d'afficher, en plus du texte français, le texte dans
sa langue. Je vois là-dedans une certaine contradiction. Est-ce que je
dois interpréter que cette richesse culturelle devrait être
gardée cachée ou quoi?
M. Rhéaume: Je cherche la première partie.
M. Sirros: Page 36, en haut.
M. Rhéaume: Non, la première partie qui parle des
jobs et de l'argent.
M. Sirros: Vous dites: "Nous ferons, en conséquence,
toujours valoir cet intérêt que représentent pour notre
système scolaire les subventions supplémentaires pour nos
écoles, des emplois pour nos enseignants, etc." J'ai trouvé
cela... Vous ajoutez, à la fin, l'aspect des richesses culturelles comme
si vous vous étiez rendu compte que c'était un peu trop cru de
dire que les immigrants ne représentaient que des subventions
supplémentaires et des jobs pour les enseignants. J'ai essayé de
concilier cela à votre position par rapport à l'affichage. Je me
disais: Vous défendez à un Grec, à un Italien ou à
n'importe qui d'afficher, en plus du texte français, un texte dans sa
langue, l'expression visible de cette richesse culturelle. Je me suis
posé la question: Est-ce que cela veut dire qu'on doit garder cette
richesse cachée, invisible ou quoi?
M. Rhéaume: Premièrement, en ce qui concerne les
intentions que vous nous prêtez, je n'y répondrai pas.
M. Sirros: Je ne vous ai pas prêté d'intention, j'ai
posé une question, M. Rhéaume.
M. Rhéaume: Vous avez dit que, parce qu'on trouvait cela
trop cru, on a atténué. C'est là, on a dit ce qu'on
voulait. Ce qu'on a dit est là.
En ce qui concerne l'affichage, je vous demanderai quelques instants. Je
regrette de vous faire attendre. En ce qui concerne l'affichage, il y a une
liste assez imposante, aux pages 48 et 49 du mémoire, de toutes les
exceptions et de toutes les possibilités d'exemption.
M. Sirros: Si je comprends bien...
M. Rhéaume: Est-ce que je peux... Excusez-moi.
M. Sirros: Juste pour vous remettre sur la "track", parce que je
ne voudrais pas qu'on continue ce genre de discours qui tourne en rond. Si je
comprends bien votre position, l'affichage unilingue français et ces
exceptions, c'est votre position. Cela inclut les petits commerces à
l'extérieur. Ils n'ont pas la permission, à moins qu'ils ne
fassent partie de ces exceptions - ce qui n'est pas le cas pour la grande
majorité des commerçants - d'afficher en d'autres langues que le
français. J'ai essayé de voir le lien entre la richesse
culturelle nouvelle par ces contacts, d'une part, et cette invisibilité
que vous voulez garder, d'autre part. J'aimerais avoir une explication à
cela.
M. Rhéaume: Vous parlez, à mon avis, de deux choses
tout à fait différentes. Je peux bien y répondre. En ce
qui concerne les activités typiquement culturelles, qui relèvent
de la communauté ethnique, de la communauté culturelle à
laquelle appartiennent les personnes oeuvrant dans un secteur donné, la
charte permet cela sans aucun problème. En ce qui concerne le reste,
nous maintenons que la langue du commerce, de l'affichage des affaires doit
être l'unilinguisme français. Pour nous, il n'y a pas
d'incompatibilité entre les exemptions prévues à la charte
- qui couvrent le genre de questions auxquelles vous faites
référence - et ce qui dit que l'affichage public doit être
unilingue français. Je ne vois pas de contradiction
là-dedans.
M. Sirros: Une dernière question, M. le Président.
Pour vous, y a-t-il une différence entre l'intégration et
l'assimilation?
M. Rhéaume: Pardon?
M. Sirros: Y a-t-il une différence entre
intégration et assimilation, et laquelle choisiriez-vous pour les
immigrants ici au Québec?
M. Rhéaume: On peut dire que l'assimilation, c'est ce qui
s'est passé concernant le Canada anglais et le Canada français et
l'intégration c'est ce que veut la Charte de la langue française.
C'est cela, la différence, et c'est ce qu'on pense
profondément.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Merci, messieurs, de nous avoir présenté
votre mémoire, vos opinions et vos inquiétudes quant à
l'avenir de la charte du français et des institutions qui assurent son
implantation partout au Québec. Soyez assurés qu'il n'est pas
question pour nous de freiner la francisation du Québec, mais, au
contraire, de l'accélérer. Merci beaucoup.
M. Rhéaume: M. le Président...
M. Gratton: Est-ce qu'on me permettrait...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: J'aimerais moi aussi m'associer au ministre pour vous
remercier. Malgré les divergences de vues qu'on peut avoir, je suis
très heureux qu'on ait eu cet échange et je vous en remercie.
M. Rhéaume: Je suis toujours prêt à discuter
pour l'avancement de ce à quoi on tient.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.
M. le député de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: M. le Président, je voudrais reprendre
à mon compte une demande qui a été faite par M.
Rhéaume de verser au journal des Débats, dans sa totalité,
le mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste. Ce qui s'est
passé, M. le Président, comme vous vous en souviendrez, c'est que
la demande de M. Rhéaume a été rejetée. Vous avez
invoqué une directive dont je n'avais pas connaissance, mais
m'étant informé je reconnais l'existence de cette directive. Je
voudrais cependant vous signaler que M. le député de Champlain,
occupant votre fauteuil jeudi dernier, a rendu une décision dans un
autre sens. Dans la transcription de nos délibérations du jeudi
20 octobre dernier, je lis que M. le député de Mont-Royal a
demandé que le mémoire de la Chambre de commerce de la province
de Québec soit versé intégralement au journal des
Débats comme s'il avait été lu devant la commission. Le
Président, M. Gagnon, a répondu: "Sûrement." Je continue de
citer le journal des Débats: "M. Ciaccia: Je me demande si on pourrait
faire cela dans le cas du mémoire de la Chambre de commerce de la
province de Québec." "Le Président (M. Gagnon): "Unanime."
Ensuite, le Président, M. Gagnon a donné la parole à M. le
ministre et c'est la décision qui a été rendue.
Devant ce précédent, M. le Président, et vu que...
Je ne mets pas du tout en doute l'éloquence avec laquelle M.
Rhéaume a résumé brillamment en 20 minutes le
mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste, mais je
voudrais vous signaler que le texte de ce mémoire contient des
développements des idées présentées par M.
Rhéaume qui sont extrêmement intéressants et qui doivent
absolument être conservés pour la postérité.
Je crois que le journal des Débats est le meilleur instrument
pour ce faire. Je ne sache pas que le secrétariat des commissions soit
une institution qui ait la même permanence et offre les mêmes
garanties de durée, quant aux archives, que le journal des
Débats. Comme, hier, nous avons vu un organisme verser au journal des
Débats pendant trois heures une prose que nous n'avions même pas
en main et que cela n'a pas fait de difficulté, je ne vois pas comment
nous pourrions, en toute justice et en toute équité, maintenir ce
refus de verser intégralement au journal des Débats le
mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, vu le précédent qui a été
créé jeudi dernier en faveur de la Chambre de commerce de la
province de Québec à la demande de M. le député de
Mont-Royal.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau sur la même question.
M. Gratton: Sur le fond, M. le Président, nous n'avons
aucune objection à ce qu'il en soit ainsi dans le cas du mémoire
de la Société Saint-Jean-Baptiste, sauf que je rappellerai au
député de Deux-Montagnes et à vous, M. le
Président, que, si je ne m'abuse, le même président, M.
Gagnon, le lendemain, a dû faire état d'une décision qui ne
relève pas de la commission et qu'il a indiqué aux membres de la
commission que le mémoire de la Chambre de commerce de la province de
Québec ne serait pas consigné au journal des Débats parce
que c'est interdit.
Quant à nous, nous acceptons, si c'est
possible, mais je ne voudrais pas que M. Rhéaume parte avec
l'impression que ce le sera automatiquement, parce qu'on n'est pas en mesure
ici, à la commission, d'en décider.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Je pense que ce que la commission peut faire, M. le
député de Deux-Montagnes, c'est de demander au président
de l'Assemblée nationale si cela peut se faire dans ce cas
présent et dans le cas du mémoire de la Chambre de commerce. Je
sais qu'il s'agit là d'une directive du président. Ce n'est pas
dans nos lois. C'est une directive pour l'instant. Donc, ce que nous pouvons
nous engager à faire - je pense que j'aurai l'appui de ce
côté-ci à ce sujet -c'est que ce mémoire-ci, comme
celui de la Chambre de commerce, échappe à la directive du
président.
Le Président (M. Desbiens): Oui, je vais conclure de cette
façon, sous réserve de directives nouvelles de la part du
président de l'Assemblée nationale. Pour l'instant, je
répète ce que j'ai dit ce matin: le mémoire est aussi
consigné à la Bibliothèque nationale. Les mémoires
sont consignés à la Bibliothèque nationale qui est aussi
un excellent lieu pour la conservation de ces documents.
M. Rhéaume: M. le Président, la raison pour
laquelle j'ai demandé de l'inscrire, c'est qu'on nous avait dit qu'on
devait, avant l'heure du dîner, procéder à la
présentation du mémoire et, ensuite, répondre aux
questions. J'ai tenté de résumer, et c'est pour cette raison que
j'ai demandé qu'on le publie intégralement.
Je voudrais corriger une erreur de ma part, ce matin, parce qu'il y a
d'autres personnes de la Société Saint-Jean-Baptiste qui sont ici
et qui ne sont pas inscrites. J'aimerais, en terminant, rappeler que M. Guy
Bouthillier, M. Pierre Légaré, M. Charles Durand, M. Dollard
Mathieu, M. Gérard Turcotte et Mme Monique Tremblay étaient de la
délégation de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, si on le permet.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre
participation.
J'appelle maintenant la société Bell Canada. M.
Beauregard, veuillez présenter les personnes qui vous accompagnent et
procéder à la présentation de votre mémoire, s'il
vous plaît!
Bell Canada
M. Beauregard (Claude): M. le Président, MM. les
ministres, mesdames et messieurs de la commission. C'est avec plaisir que je
vous présente les personnes qui m'accompagnent. A ma droite, Me Francine
Cardinal, du contentieux de la société, et également
membre du comité de francisation de l'entreprise. À mon
extrême gauche, M. René Deschamps, directeur des services
linguistiques, et, immédiatement à ma gauche, M. Paul Gadoury,
secrétaire du comité de francisation de Bell Canada.
Je vais vous livrer un résumé qui, je crois, est conforme
quant à la substance du document trop long, en termes de temps
réparti, qui a été déposé au
Secrétariat des commissions. Je crois qu'à la lecture
raisonnablement rapide du texte que j'ai devant moi, je devrais pouvoir m'en
tenir aux 20 minutes qui nous sont, semble-t-il, allouées pour faire
état de nos préoccupations.
Bell Canada reconnaît l'importance des questions sur lesquelles
vous devez vous pencher et croit être en mesure de faire un apport
valable à vos délibérations à leur sujet. Nous
apprécions d'ailleurs vivement cette occasion de vous faire part de nos
vues sur la loi 101 et sur les modifications qu'il est urgent, selon nous, d'y
apporter.
Le 21 juin 1977, devant cette commission, nous avions fait des
représentations. La commission était alors chargée de
l'étude du projet de loi 1. À cette occasion, M. le ministre
Camille Laurin avait dit: "Si toutes les entreprises s'étaient
comportées comme Bell Canada, qui s'était d'elle-même
largement francisée, une pareille loi ne serait pas nécessaire,
mais, ajoutait-il, il y a beaucoup de résistances à vaincre."
Plus de six ans après l'adoption de la loi 101, on aura disposé
avec plus ou moins de bonheur de certaines de ces résistances, mais il
est manifeste, à notre avis, qu'on en aura suscité d'autres que
des modifications justifiées et judicieuses à la loi et à
ses règlements contribueraient grandement à résorber. Les
intentions fondamentales de la loi ne s'en trouveraient pas compromises pour
autant tandis que d'autres aspirations de la population comme le
développement économique et les relations constructives entre
groupes ethniques seraient mieux servies. (16 h 30)
Notre intervention d'aujourd'hui se fonde principalement sur
l'expérience acquise au cours d'un processus de francisation
résolument engagé dès le début des années
soixante. Chez Bell Canada, le régime de la loi 101 et le programme de
francisation convenu avec l'Office de la langue française, en
février 1980, auront surtout balisé et formalisé davantage
ce processus; ce qui a comporté des avantages et des
inconvénients.
Au nombre des avantages, il convient de signaler l'apport constructif
des représentants syndicaux de Bell au comité de francisation
ainsi que la confirmation, auprès de ceux qui auraient pu en douter, de
l'à-
propos de la démarche de francisation dans laquelle Bell Canada
s'était engagée depuis longtemps, puisque les pouvoirs publics y
apportaient en quelque sorte une sanction sociale positive. Il en est
résulté un intérêt accru parmi les rangs du
personnel et une plus grande conscience des standards linguistiques à
atteindre et à maintenir.
Parmi les inconvénients, le plus général et le plus
ressenti tient au caractère rigide de cette loi et de ses
règlements. En outre, la stricte interprétation qu'en ont
donnée les organismes chargés de leur application a
engendré des tracasseries et, occasionnellement, des situations
ridicules qui défient le sens commun ou, plus gravement, briment les
personnes.
La compagnie aurait préféré voir privilégier
une approche incitative, qu'elle estimait toujours plus indiquée, mais
elle a toutefois entrepris de respecter, dans la mesure du possible, les
objectifs de la loi 101 et de ses règlements. C'est ce que nous avons
signifié au président de l'OLF en juillet 1978, au moment
où nous sollicitions et obtenions par la suite un certificat provisoire
de francisation. Depuis ce temps, nous avons soumis à l'office onze
rapports d'étape, dont quatre portaient sur l'entente
particulière concernant le siège social. Chacun fut
accepté sans histoire par l'OLF.
L'office porte beaucoup d'intérêt au dossier Bell Canada,
et pour cause. Il s'agit d'une entreprise de service public dont la
contribution à l'économie du Québec est
considérable et qui vient au premier rang comme employeur, après
l'État.
L'importance de notre exploitation est encore plus grande en chiffres
absolus en Ontario d'où proviennent 66% de nos revenus d'exploitation,
contre 34% en provenance du Québec. On concevra que les rapports
interprovinciaux sont fréquents entre l'Ontario et le Québec
comme le sont, compte tenu de la nature de nos activités, ceux que nous
entretenons avec le reste du Canada, les États-Unis et le monde entier,
la langue commune de ces échanges étant l'anglais.
Pourtant, selon nos plus récents relevés, plus de 95% du
total de nos employés de 50 ans et moins affectés à la
région du Québec sont francophones ou ont atteint le degré
de compétence en langue française prévu dans le programme
convenu avec l'OLF. Au siège social, la proportion est de 58%, soit une
augmentation de 11% depuis quatre ans.
Dans la mesure où la Charte de la langue française
n'impose pas l'usage exclusif du français, la politique suivie par Bell
consiste à servir chaque abonné en français ou en anglais,
au choix de ce dernier. De plus, le siège social est en mesure de
transiger en français avec les employés de la région du
Québec.
Quelques remarques générales sur la loi et ses
règlements. Nous n'entendons pas offrir ici de commentaires
élaborés sur l'impact de la loi 101 sur l'économie et le
climat social, avec des effets difficilement quantifiables, mais
néanmoins réels, tels les départs d'individus et
d'entreprises, ainsi que la diminution des rentrées fiscales qui en
résulte.
Nous indiquerons plutôt le sens des modifications à
apporter à ces articles de la loi et de ses règlements qui
contraignent Bell Canada dans ses rapports avec l'abonné,
l'employé et le fournisseur, comme dans l'exportation de ses services et
dans le développement de ses ressources humaines. Ces modifications,
parmi d'autres qui pourraient aussi s'imposer à la lumière
d'expériences autres que la nôtre, permettront sans doute à
un grand nombre d'entreprises de poursuivre dans de meilleures conditions leur
processus de francisation.
La langue des organismes parapublics. En matière
d'accréditation professionnelle, l'article 35 de la loi pose l'exigence
d'une connaissance appropriée du français pour être admis
à la pratique de la profession.
On a toutefois voulu prévoir convenablement le cas d'un
professionnel exerçant sa profession exclusivement pour le compte d'un
seul employeur et dans une fonction ne l'amenant pas à traiter avec le
public. On a pu penser que la délivrance d'un permis restrictif,
prévue à l'article 40, disposerait de ce problème. Cette
solution est effectivement raisonnable et satisfaisante à
première vue. À l'usage, cependant, on s'est rendu compte chez
Bell Canada et ses compagnies soeurs du secteur de la haute technologie que
cette approche ne donne pas le résultat escompté en ce sens que
les compétences qu'il s'agit de recruter ou de retenir ici sont
rebutées par tout cet encadrement et associent ces dispositions aux
agissements de l'Office de la langue française dont, à tort ou
à raison, ils ont une bien piètre image. Le résultat net,
c'est qu'on ne parvient pas vraiment à attirer et à retenir ici
le nombre limité mais critique de compétences d'origine non
québécoise dont nous avons besoin et continuerons d'avoir besoin,
l'apport étranger étant, pour cause, une pratique répandue
dans pratiquement tous les centres de recherche.
Nous avons proposé lors du sommet sur les communications de lever
cette contrainte pour les ingénieurs et scientifiques des laboratoires
et centres de recherche. S'il se révélait impossible de le faire
sans porter atteinte aux intentions de l'article 35, on pourrait certes
améliorer l'article 40 en le délestant des termes qui le rendent
arbitraire pour plutôt institutionnaliser la délivrance du permis
par les ordres professionnels, en posant que l'intérêt public le
justifie dès lors que les conditions de la catégorie de permis
prévue à l'article 40 prévalent. Pour ce
même motif, l'autorisation préalable de l'OLF ne devrait
plus être requise par l'article 40.
La langue du travail. Tout observateur non prévenu qui
circulerait dans les établissements de Bell au Québec et
transigerait avec des employés de diverses catégories
constaterait d'emblée que la langue de travail de la région du
Québec est le français.
La nature de notre exploitation nécessite cependant de toute
évidence, chez bon nombre d'employés, la connaissance de la
langue anglaise. À ce jour, l'application de l'article 46 de la loi ne
nous a toutefois pas posé de difficultés sérieuses, les
solutions de sens commun s'étant imposées à la
satisfaction de tous.
On sait que l'article stipule qu'il est interdit à un employeur
d'exiger pour l'accès a un emploi ou un poste la connaissance d'une
langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de
la tâche nécessite la connaissance de cette autre langue.
Nous demeurons perplexes devant les effets indirects de l'article 46,
qui favorise chez les francophones une tendance à l'unilinguisme, que
l'on constate en croissance, compromettant l'avancement d'employés dont
le potentiel pourrait leur permettre l'accès éventuel à
des postes de commande, comme plusieurs Québécois en ont atteint
chez Bell. Parallèlement à ce phénomène troublant,
environ 60% des employés inscrits aux cours de langue offerts par
l'entreprise, le sont aux cours de français, ce qui laisse
présager que le bilinguisme sera de plus en plus répandu chez les
employés anglophones de la compagnie.
On peut concevoir que modifier l'article 46 risquerait de compromettre
l'objectif poursuivi à l'article 4, qui est d'assurer aux travailleurs
le droit d'exercer leurs activités en français.
C'est donc principalement dans les maisons d'enseignement que l'on
devrait faire valoir que, vivant dans un contexte nord-américain,
l'unilinguisme français peut restreindre indûment la
mobilité et de légitimes aspirations professionnelles et
personnelles, sans compter l'abandon d'une source d'enrichissement
culturel.
La langue du commerce et des affaires. Il nous faut faire état
ici de l'impact négatif chez Bell de plusieurs points de ce chapitre et
des règlements qui s'y rattachent.
L'article 51 traite des documents accompagnant un produit, lesquels
doivent être rédigés en français.
N'étant pas une entreprise manufacturière, Bell Canada
n'offre à ses abonnés que des produits acquis chez des
fournisseurs. Règle générale, ces produits sont offerts
à la clientèle conformément aux exigences de l'article 51,
même si fréquemment nous devons assumer des coûts importants
de traduction et les délais qui s'y rattachent.
L'article 51 affecte beaucoup plus l'entreprise confrontée
continuellement à une technologie en rapide évolution,
développée en majeure partie à l'extérieur du
Québec. La documentation volumineuse qui accompagne, entre autres, les
systèmes de commutation est, plus souvent qu'autrement, conçue en
anglais. Elle est destinée à un marché international. La
traduction chez nous se fait par ordre prioritaire, en tout ou en partie, selon
les besoins des utilisateurs, mais à des coûts
considérables. Cela donne parfois lieu à des délais
pénalisants pour la compagnie et les clients dans la mise en
marché de certains produits, comme les terminaux d'affaires.
Bell Canada ne conteste pas le bien-fondé pour ses travailleurs
d'avoir accès à des documents dans leur langue, convaincue
d'ailleurs que cela accroît leur productivité. Elle demande
cependant que ceux qui sont responsables de faire appliquer l'article 51, le
fassent avec plus de discernement. De plus, Bell souhaite que les termes de
l'article 51 soient élargis afin de permettre une plus grande
flexibilité d'application.
L'article 57 fait état des bons de commandes, factures,
reçus et quittances.
L'obligation de fournir certains documents en français impose
à Bell certaines contraintes indésirables dans la mesure
où l'entreprise a toujours tendu à respecter le choix de
l'abonné et des fournisseurs en ce qui a trait à la langue des
documents visés par l'article 57.
On nous fera valoir qu'on pourra toujours tirer partie de l'article 89
de la charte, qui stipule que lorsque la loi n'exige pas l'usage exclusif de la
langue officielle, on peut continuer à employer à la fois la
langue officielle et une autre langue.
Notre expérience a prouvé qu'à ce genre de
bilinguisme sont reliés des efforts souvent inutiles, des coûts
fort élevés, des amoncellements de paperasse et même des
problèmes d'adaptation de logiciel. Nous recommandons que toute personne
morale soit libre d'exiger la documentation dans la langue de son choix, alors
qu'il lui incombe de prendre les dispositions nécessaires, le cas
échéant, pour que ses propres employés puissent travailler
dans des conditions conformes aux exigences de la loi.
L'article 58 concerne l'affichage et la publicité. Le fait de ne
pouvoir afficher qu'en français dans les endroits publics nuit. Il nuit
à l'entreprise qui doit tirer des revenus dans un marché
anglophone qu'un manque d'information entourant les produits et services de la
compagnie empêchera de s'en prévaloir autant que si l'information
était disponible et affichée en anglais. Il nuit aux
abonnés qui, privés de renseignements,
s'exposent à des erreurs. L'absence de renseignements que nous
croyons utiles à la circulation des personnes et à la bonne
marche des opérations n'est pas sans nuire à l'exploitation des
Téléboutiques.
Ainsi, pour des motifs d'efficacité dans l'exploitation et la
commercialisation, il conviendrait que l'article 58 de la loi soit
modifié de façon à permettre d'afficher aussi en anglais,
à l'intérieur de lieux publics, ces directives visant à
dépanner le client en même temps qu'elles assurent la bonne marche
des opérations; que l'article 58 de la loi soit aussi modifié de
façon à permettre, à l'intérieur
d'établissements reliés directement à la vente de biens et
services, d'afficher également dans d'autres langues que la langue
officielle la réclame promouvant directement la vente de ces biens et
services.
Dans une perspective plus large, qui est à notre avis celle qu'il
conviendrait d'adopter, il serait temps d'autoriser l'affichage public
bilingue, le texte français devant y occuper une place prioritaire ou au
moins égale.
La langue de l'enseignement. La mobilité du personnel a toujours
été, chez Bell, un trait caractéristique comme l'est,
à l'occasion, la nécessité de recruter des
spécialistes, des experts, pour des tâches spécifiques. Le
cheminement d'une carrière dans l'entreprise exige des stages dans
diverses fonctions de façon à accroître et le potentiel de
l'employé et l'éventail de ceux qui auront à juger ses
aptitudes.
Dans les industries à haute technicité, les besoins de
ressources qualifiées exigent souvent de reculer les frontières
du champ de recrutement. Les candidats en puissance sont en grande demande un
peu partout dans le monde. Ils monnaient légitimement leur
compétence, privilégient leurs libertés individuelles et
ne considèrent même pas élire domicile là où
on tend à les limiter. Les quelques rares exceptions, s'ils se
conforment aux lois du pays, n'en déplorent pas moins les tracasseries
administratives qui, en fait, font obstacle à leur intégration
à la société québécoise.
En ce qui a trait à ces employés déjà
intégrés à l'entreprise et qui manifestent des aptitudes
pour accéder à des postes supérieurs, il en est qui
décrochent en cours de route. Pour un candidat de l'Ontario à qui
on offre une mutation au Québec, il y aura hésitation en raison
des disparités fiscales comme en raison des tracasseries administratives
reliées à la langue de l'enseignement. Travaillera-t-il au
Québec trois ans, six ans? Certains ont, dans le passé,
accepté une affectation de quelques mois au Québec pour,
éventuellement, y terminer une carrière aux échelons
supérieurs. Ils sont maintenant moins enthousiastes, comme moins
nombreux, à venir au Québec.
Pour un cadre francophone du Québec doué et prometteur
s'ouvrent des débouchés au siège social, en Ontario,
ailleurs au Canada comme en de nombreux pays du globe. De rares exceptions ont
atteint les échelons supérieurs de l'entreprise en oeuvrant
exclusivement dans la région administrative du Québec. Tous
devaient, cependant, pour franchir le cap des échelons
intermédiaires, maîtriser la langue seconde, langue internationale
des communications et de la documentation qui s'y réfère.
Comme tel, le chapitre VIII de la charte n'empêche pas
d'acquérir la connaissance d'une autre langue que le français,
mais il brime en quelque sorte la liberté de celui qui voudrait recevoir
l'enseignement dans cette autre langue, ou qui entendrait que ses enfants y
soient admissibles.
Pour des fins de développement économique, il conviendrait
que tout travailleur venant de l'extérieur du Québec et
possédant l'expertise du poste qu'il doit combler soit exempté
des dispositions du chapitre VIII, quelle que soit la durée de son stage
au Québec. L'adoption de l'approche dite clause Canada marquerait certes
une amélioration appréciable et d'une certaine efficacité,
alors que la liberté de choix de la langue d'enseignement serait la
solution optimale pour les ressortissants étrangers.
Il faut bien voir que les règlements actuellement en vigueur pour
déterminer à quelles conditions certaines personnes, ou
catégories de personnes, séjournant de façon temporaire au
Québec, ou leurs enfants, peuvent être soustraites à
l'application du chapitre VIII ne disposent pas vraiment du
problème.
De la même façon que les restrictions déjà
mentionnées en matière d'accréditation professionnelle
inquiètent, rebutent et n'inclinent guère à
séjourner temporairement au Québec, même pour y occuper des
postes intéressants que pour diverses raisons des
Québécois ne seront pas nécessairement en mesure de
combler, les dispositions relatives à la langue d'enseignement, en cas
de séjour temporaire, paraissent tracassières et ne mettent
guère en confiance. Dans de nombreux cas, à notre connaissance,
on préfère s'abstenir et on refuse, par exemple, une mutation au
Québec.
On s'accorde généralement à reconnaître que
la force d'attraction de l'enseignement en langue anglaise a longtemps
reposé, au Québec, sur la conviction de plusieurs que cet
enseignement assurait mieux que l'enseignement en langue française
l'accès aux meilleurs emplois, voire la possibilité de trouver un
emploi quel qu'il soit. À notre avis, les dispositions prises
progressivement pour faire du français la langue du travail, dont celles
qu'amène la
Loi 101, établissent les conditions qui assurent à la fois
la nécessaire force d'attraction de l'enseignement en langue
française et la protection de la langue officielle au Québec.
C'est-à-dire que nous recommandons de façon pressante l'adoption
de la clause Canada, voire de préférence le libre choix de la
langue de l'enseignement.
La francisation des entreprises. Le 28 février 1983, à la
suite de la recommandation unanime du comité de francisation de
l'entreprise, le président de Bell Canada a sollicité de l'OLF la
délivrance du certificat de francisation (sceau bleu), certificat de
caractère plus permanent, quoique révocable, que le certificat
provisoire que nous détenons présentement.
Le comité de francisation et la direction de Bell Canada estiment
en effet que les objectifs du programme de francisation ont été
atteints, à toutes fins utiles, en ce sens que la langue
française possède dans l'entreprise le statut que le programme
avait pour but d'assurer.
Pendant un mois, au début de l'été, deux
représentants de l'Office de la langue française ont
visité 25 édifices de l'entreprise et leurs nombreux bureaux pour
constater où en était la francisation chez nous.
Nos visiteurs ont bien relevé quelques manquements à la
charte et au programme de francisation qu'elle requiert, mais ils
étaient peu nombreux et sans grande importance. Nous avons
apporté depuis, dans la mesure du possible, les correctifs qui
s'imposaient et le leur avons signalé. Nous ne savons toutefois pas,
à ce jour, si on nous accordera le certificat demandé.
Avec l'article 58 sur l'affichage, l'article 141 de la charte semble
celui qui intéresse le plus ceux qui ont la tâche de surveiller
l'application de la loi.
Avant de commenter l'article 141, qui décrit le but des
programmes de francisation, établissons que lesdits programmes
imposés par la charte ont été négociés, dans
notre cas, il y a quatre ans, alors que ni l'OLF ni la compagnie
n'étaient en mesure d'évaluer pleinement l'à-propos et
encore moins la faisabilité de certains engagements et objectifs
convenus de bonne foi de part et d'autre.
C'est ainsi que 48 mois après l'approbation du programme de
francisation, nous constatons que, si les objectifs du programme sont louables,
de grandes difficultés d'application, sinon quelques
incongruités, nous exposent et, malgré notre volonté, nous
exposeront encore longtemps aux réprimandes de l'office.
Dans la conjoncture économique actuelle, alors que les mutations
sont, à toutes fins utiles, éliminées et que l'embauche
connaît un ralentissement, sinon un temps d'arrêt, comment
espérer atteindre, avant la fin de 1983, l'objectif fixé de
francisation à 100% conformément au programme de francisation?
Qui plus est et indépendamment de la situation économique, quelle
entreprise responsable sacrifierait des employés chevronnés pour
atteindre, à tout prix, des objectifs irréalistes?
Comment respecterions-nous le bon sens et les droits et libertés
de la personne si, conformément à un article mal conçu de
notre programme de francisation, nous exigions que deux anglophones
communiquent entre eux en français?
À quels coûts, à quel rythme doit-on traduire des
documents de travail sans cesse renouvelés en fonction d'une technologie
mouvante? Il faut toutefois reconnaître ici qu'en règle
générale on ne nous a pas pressés indûment quand
nous avons démontré que nous traduisons annuellement de l'anglais
au français quelque 5 000 000 de mots, alors que nous concevons
d'ailleurs directement en français un volume tout aussi important, dont
une partie donne lieu à des traductions du français à
l'anglais, pour un total dépassant 1 000 000 de mots. Les coûts de
traduction, en 1983, dépasseront sensiblement les 2 000 000 $.
Devons-nous implanter de force dans les habitudes de nos gens, dans les
délais prescrits, la terminologie abondante et reconnue que nous avons
développée? En ce qui nous concerne, il est irréaliste de
prétendre à des objectifs de francisation tous azimuts, à
100%. Il serait même illusoire de croire que nous atteindrons ce chiffre
un jour, surtout pour ces aspects touchant la qualité de la langue
écrite et parlée, utilisée par nos employés, qui
sont bien plus du ressort de ceux-ci, à titre individuel, que de
l'entreprise.
À la lumière des difficultés qui sont apparues en
cours d'application des programmes négociés il y a quatre ans,
nous recommandons que l'article 154 de la charte soit modifié de
façon à l'assouplir. Car il est plus que probable que nombre
d'entreprises éprouvent et éprouveront longtemps des
difficultés du même ordre, sinon plus grandes.
Ainsi à l'article 154, au lieu de lire intégralement:
"L'office peut suspendre ou annuler le certificat de toute entreprise qui ne se
conforme pas au programme de francisation qu'elle s'est engagée à
réaliser", nous recommandons d'ajouter aux mots "qui ne se conforme
pas", ceux-ci: "sans justification adéquate".
Si l'article était ainsi rédigé, l'OLF s'estimerait
vraisemblabement moins tenu de suspendre ou d'annuler le certificat d'une
entreprise qui se dit incapable de se conformer au programme de francisation
qu'elle s'est engagée à réaliser mais fournit à cet
égard une justification adéquate. À
plus forte raison en quelque sorte, l'office ne donnerait pas comme il
le fait parfois dans la pratique douteuse sinon carrément abusive
d'imposer progressivement plus d'exigences que n'en prévoyait à
l'origine le programme de francisation convenu.
De telles exigences imprévisibles, auxquelles s'ajoutent celles
que peuvent imposer d'autres organismes reliés administrativement
à l'OLF, dont la Commission de toponymie, peuvent comporter des
coûts économiques supplémentaires appréciables et
contribuent à créer un climat d'incertitude, voire
d'instabilité. Ainsi, il arrive que ces divers organismes, voire divers
représentants d'un même organisme, donnent des
interprétations différentes de la loi et de ses
règlements. Nous croyons utile de signaler ici que le pouvoir
dévolu à la Commission de toponymie de faire des
règlements sur les règles d'écriture pourra l'amener
à édicter des règles qui auront une incidence
financière très importante pour les organismes et entreprises qui
publient des annuaires, des répertoires ou encore qui adressent des
pièces de correspondance à leur clientèle, notamment des
états de compte et factures périodiques.
Nous estimons que cette commission devrait consulter les industries en
cause et tenir compte de leurs observations en ce qui a trait à
l'application spécifique de ces règles d'écriture à
leurs productions spécialisées.
L'OLF demeure toutefois, pour nous, l'interlocuteur principal en
matière de francisation, compte tenu des nombreuses incidences du
programme de francisation. L'article 150 de la charte stipule que l'entreprise
charge son comité de francisation de surveiller l'application des
programmes convenus avec l'OLF.
Le comité de francisation de Bell Canada a été
réuni une première fois en septembre 1978. Il est composé
de neuf membres.
En qualité de président de ce comité, je tiens
à signaler la compétence, le tact et l'engagement dont
témoignent ces collègues dans l'accomplissement d'une tâche
qui requiert une bonne connaissance des processus de changement et une grande
ouverture d'esprit. L'approche incitative demeure à nos yeux la plus
apte à entraîner des changements de comportement.
Commission de surveillance et les enquêtes. Bell ne conteste pas
au législateur le droit d'instituer des mécanismes pour assurer
le respect des lois. Cependant, nous voyons mal qu'on puisse demander une
enquête sous le couvert de l'anonymat.
L'usage d'un tel procédé favorise les plaintes sans
fondement et la délation. L'investigation de plaintes frivoles comporte
des coûts appréciables. Quant à la délation, nous ne
croyons pas qu'elle soit un instrument qui convienne à la
démocratie.
Nous recommandons donc que soit retranchée de l'article 174 la
phrase qui favorise l'anonymat et que l'on exige de tout requérant que
son identité soit divulguée.
M. le Président, au terme de cet exposé, il nous semble
que la conclusion suivante s'impose: Si la loi 101 a été
efficace, certaines de ses dispositions visant à un redressement de la
situation initiale, maintenant réalisé, peuvent certainement
être éliminées ou modifiées; si, comme nous croyons
que ce soit le cas, la loi n'a toutefois pas eu tout l'effet escompté,
notamment en ce qui regarde la nécessaire transformation des
mentalités en matière de respect de la langue officielle du
Québec, certaines de ses dispositions abusives ou aux effets
imprévus ou mal calculés y sont pour beaucoup et sont donc
à revoir ou à corriger.
Nous espérons vous avoir fourni, à cet effet, des
indications utiles. Nous croyons dans l'intérêt du Québec
et de ses ressortissants que la loi 101, ses règlements et ses
organismes devraient être redéfinis dans le sens de ces
indications, signalant ainsi à tous, ici et ailleurs, l'avènement
d'un régime linguistique faisant plus largement consensus. On peut
légitimement en escompter des avantages économiques, sociaux et
même culturels. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Godin: Bonjour, M. Beauchamp... Une voix: M. Beauregard.
M. Godin: ...Beauregard, pardon, Mme Cardinal, M. Deschamps et M.
Gadoury. Merci de vous présenter devant nous et surtout de nous faire
part de votre expérience très précieuse en tant que
francisateur depuis bientôt un quart de siècle.
L'expérience que Bell a vécue en a fait une locomotive de la
francisation au Québec et dans un domaine extrêmement important
puisque vous êtes à l'avant-garde, par définition, de la
technologie et des dernières découvertes de la science au
Québec.
Ce que vous avez à nous dire est extrêmement important et,
d'ailleurs, c'est la raison pour laquelle mon collègue, le
député de Rosemont et ministre de la Science et de la
Technologie, est ici. C'est à lui que je passerai la parole après
mes remarques initiales et après quelques questions brèves,
après avoir, bien entendu, transmis - en vertu de notre principe
d'alternance - le micro à l'Opposition.
Des questions très précises. Le centre de recherche de
Northern bénéficie d'une
entente spécifique avec l'office en tant que centre de recherche.
Est-ce que l'entente spécifique ne vous permet pas de régler un
certain nombre des problèmes que vous auriez eu à vivre sans une
telle entente?
M. Beauregard: Est-ce que je dois répondre à votre
question immédiatement, M. le ministre?
M. Godin: S'il vous plaît, oui; s'il vous plaît,
allez-y, oui.
M. Beauregard: D'abord, je dois dire que, depuis une certaine
réorganisation que vous connaissez bien, je me sens moins
habilité, moins autorisé à répondre au nom de tous
les membres de la famille Entreprises Bell Canada. Je représente ici
Bell Canada, compagnie de télécommunications, service
d'utilité publique, alors je peux difficilement m'introduire le doigt
entre l'écorce et l'arbre et parler au nom des autres membres du group
Bell.
M. le ministre, s'il y a une entente spécifique avec Northern
Telecom ou les recherches Bell Northern, je crois sincèrement que cela
ne règle pas le problème, parce que c'est souvent dans le cas des
laboratoires de l'île des Soeurs, notamment, que le problème se
pose. Je crois qu'il existe encore ce problème.
M. Godin: Une deuxième et très brève
intervention. Mon collègue fera une autre partie du boulot, si vous
voulez. Quant à la toponymie, je vous offre illico une rencontre avec la
Commission de toponymie pour que vous en arriviez ensemble à des
formules d'abréviation qui soient conformes aux usages internationaux et
qui fassent que vos critères économiques ne soient pas trop
bouleversés par ces changements. De plus, vous n'êtes pas sans
ignorer que - j'ai découvert cela en discutant avec des gens de la
Commission de toponymie - la complexité des adresses au Québec
est un problème avec lequel doivent vivre tous les organismes comme le
vôtre, aussi bien la Régie de l'assurance-maladie que la
Régie des transports qui délivre les permis. Plusieurs personnes
au Québec, à cause de problème de toponymie, ont plusieurs
adresses, avec les coûts que cela peut impliquer. Nous tentons d'en
arriver à une solution qui fasse que toute personne au Québec
n'ait qu'une adresse: son adresse officielle qui soit celle qui apparaisse dans
votre bottin, qui est en fait le grand livre d'adresses du Québec. Donc,
c'est pour régler ce problème qui a des incidences
économiques pour tout le monde et pour tous les organismes du
gouvernement que je vous propose illico qu'ensemble, à la Commission de
toponymie, quitte à agir comme arbitre éventuellement, nous en
arrivions à une solution à ce problème très
concret. Quant aux restes de vos recommandations, j'y viendrai en
terminant.
M. Beauregard: Entendu. Si on peut me permettre de
répondre au ministre immédiatement, je dirai d'abord que son
invitation fait plaisir à Bell Canada, qui est un grand partenaire dans
une opération de publication d'annuaires puisque ce sont les annuaires
de Bell Canada, et également à un autre membre de la famille
Bell, qui n'est pas présent ici et que je ne suis pas habilité
à représenter, Télé-Direct (Publications). Je suis
sûr qu'on répondra avec empressement à votre invitation,
d'autant plus qu'on a déjà quelques idées sur la
façon dont on pourrait arriver à des réponses
satisfaisantes et économiquement acceptables et, je pense, acceptables
éventuellement à vos yeux, de même qu'à tous ceux
qui s'intéressent à une application intelligente des dispositions
de la loi et des règlements.
M. Godin: Merci, M. Beauregard.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier les
représentants de Bell Canada d'être venus présenter leur
mémoire. Je comprends que la compagnie a commencé à se
franciser avant les lois 22 et 101. J'ai une question à deux volets ou
peut-être deux questions différentes. Premièrement, la
compagnie a-t-elle francisé ses exploitations à
l'extérieur du Québec où il y a une forte minorité
de francophones? Je pense à Ottawa, Sudbury, Cornwall. La compagnie y
offre-t-elle ses services en français?
Deuxièmement, n'est-il pas vrai que Bell Canada, au moins en ce
qui concerne les relations du travail, ne s'est pas soumise à la loi
101? C'est-à-dire que, juridiquement, la compagnie ne s'est pas soumise
à la loi 101, quoique j'imagine qu'elle veut se soumettre pour des
raisons que je ne connais pas.
M. Beauregard: À votre première question, je
répondrai que la compagnie a commencé à franciser ses
opérations, j'insiste pour le dire parce que je crois que c'est
important pour comprendre la perspective de la compagnie en matière de
francisation, parce que c'était, selon nous, la façon convenable
de procéder pour une entreprise de service public, comme cela l'aurait
été d'ailleurs pour une grande entreprise transigeant avec une
clientèle donnée d'être en mesure de la servir dans sa
langue. Si cette conversion, si on peut ainsi parler, a été si
lente à venir, d'aucuns pourraient le penser, c'est qu'il faut se rendre
compte que le domaine des télécommunications a
été
développé en grande partie - on parlait de l'apport
culturel de groupes antérieurement -à partir de ressources
anglophones. Quand on a commencé à faire cette transformation, on
s'est rendu compte qu'on était heureusement conscient du milieu dans
lequel on travaillait et qu'on devait le servir en respectant ses exigences.
C'était donc une saine pratique commerciale a fortiori pour une
entreprise de service public, de telle sorte que lorsque la loi 22 ou la loi
101 sont arrivées, ne s'est pas vraiment posé pour nous le
problème d'une réorientation ou d'une réorganisation du
travail de francisation. L'entreprise était d'emblée
lancée dans un programme de francisation; alors, on n'a pas vraiment
cherché midi à quatorze heures pour voir si on allait y
être assujetti ou pas. Il s'agit là de questions légales
sur lesquelles, je crois, Me Cardinal pourrait vous confirmer que les opinions
ne sont pas nécessairement unanimes. Cela devient très
compliqué. C'est une question sur laquelle nous n'avons pas tablé
pour prendre les orientations que nous avons prises à la suite de ces
lois qui, je le dis encore une fois, étaient tout à fait dans la
foulée de ce qu'on faisait comme entreprise, mais - il faut bien le dire
- dans le cadre d'une liberté de manoeuvre, avec une marge de manoeuvre
qui nous était extrêmement utile pour réaliser nos
objectifs de francisation sans frictions indues, sans tracasseries; autrement
dit, pouvoir agir en pleine connaissance de cause, en fonction du contexte dans
lequel on fonctionnait, et faire les choses intelligemment.
Je crois que nous avons continué à bien le faire. Comme je
l'ai signalé dans mes remarques d'introduction, la
réglementation, la loi ne nous a pas, à toutes fins utiles,
empêchés de poursuivre nos objectifs; elle a simplement
balisé un peu le parcours. Elle nous a forcés, au fond, à
agir dans un cadre, selon des modalités que nous aurions
peut-être, dans certains cas, préféré
différentes, mais, encore une fois, je ne veux pas en faire tout un plat
parce que ce n'était pas vraiment la nature du problème que nous
avons rencontré.
En ce qui concerne - c'était également l'une de vos
questions - les services qu'on pourrait dispenser en français dans les
bassins de population francophone en Ontario, je ne suis pas en mesure de vous
en préciser la nature exacte, mais on est en mesure de répondre
et de rendre certains services en français dans les bassins de
population française en Ontario.
M. Marx: D'accord.
M. Beauregard: Un collègue me dit que les annuaires sont
bilingues, par exemple, dans plusieurs endroits.
M. Marx: Les annuaires sont bilingues, d'accord.
M. Beauregard: Dans les régions frontalières,
notamment.
M. Marx: D'accord. La question à laquelle vous n'avez pas
répondu, parce que vous avez dit qu'elle était trop
légaliste, c'était: Dans quelle mesure Bell Canada est-elle tenue
de suivre la loi 101? Il faut admettre qu'il y a d'autres corporations au
Québec qui ne sont pas soumises aux exigences de la loi 101 et qui
fonctionnent totalement en français. Radio-Canada, par exemple, le CN,
etc. Il y a des ministères du gouvernement fédéral qui
fonctionnent entièrement en français à Montréal et
cela, depuis des années. Ils n'ont pas attendu la loi 101.
Une autre question. À la page 6, on peut lire: "Dans la mesure
où la Charte de la langue française n'impose pas l'usage exclusif
du français, la politique suivie par Bell consiste à servir
chaque abonné en français ou en anglais au choix de ce dernier.
N'est-il pas vrai que les annuaires qu'on trouve dans les cabines
téléphoniques sont uniquement en langue française? Je
donne cet exemple parce que je me demande si Bell Canada n'a pas
francisé ses activités au-delà même des exigences de
la loi 101. Je ne pense pas que la loi 101 exige qu'il y ait des annuaires
unilingues dans les cabines téléphoniques, quoique ce soit le cas
au Québec. Celui qui est à côté de vous nous a dit
que dans les régions frontalières il y a des annuaires
bilingues.
M. Beauregard: Effectivement. Est-ce que je peux répondre
maintenant à votre question? D'accord. C'est justement le propre d'un
régime linguistique établi par voie législative et
réglementaire d'amener des situations qui nous empêchent d'adopter
une solution qui serait naturelle. En l'occurrence, malheureusement, cette
fois-ci, je ne peux pas, non plus, répondre adéquatement à
votre question dans la mesure où Bell Canada est en partie responsable
de cette situation. Des discussions ont eu cours, des éclaircissements
ont été recherchés auprès d'organismes
réglementaires par Télé-Direct Publications. On a
là un problème que j'admets être un problème qui
n'est peut-être pas résolu à votre satisfaction, mais sur
lequel on peut continuer à travailler pour chercher à trouver des
solutions.
Effectivement, il y a des fois où quelque chose n'est pas
spécifiquement interdit comme tel par la loi ou les règlements,
mais où d'autres contraintes que cela fait peser sur un processus
donné nous amènent à ne pas être capables de trouver
la bonne réponse. Entre autres, la possibilité, par exemple, de
devoir équiper des cabines téléphoniques pour recevoir
trois annuaires
alors qu'il n'y a de la place que pour deux. Il y a une série
d'autres considérations dont je ne suis pas en mesure de traiter
d'abondance ici.
M. Marx: Cela veut dire que mettre seulement un annuaire
unilingue dans les cabines téléphoniques, si ce n'est pas
exigé par la loi 101, c'est mal servir votre clientèle
anglophone.
Une dernière question. Normalement, Bell Canada, à ce que
je sache, ne suit pas aveuglément des règlements ou des
directives émis par un organisme. Si on va chercher dans les rapports
judiciaires, on verra que Bell Canada conteste à gauche et à
droite tous les organismes, le gouvernement fédéral, les
gouvernements provinciaux, etc. On sait que des règlements
adoptés par l'Office de la langue française ont une
validité douteuse. Je suis sûr que le ministre vous donnera des
études, qui ont été faites par ses avocats, son
contentieux ou par celui du ministère de la Justice, qui
démontrent qu'il y a des règlements d'une validité
douteuse. Par exemple, en ce qui concerne l'affichage unilingue dans les
téléboutiques, je me demande si cela est applicable à Bell
Canada. Je ne pense pas que ce soit applicable aux banques, par exemple. Je ne
pense pas que la Banque Royale du Canada soit tenue d'appliquer les
règlements ou les articles de la loi 101 quant à l'affichage
à l'intérieur d'une banque. Je pense que ce doit être la
même chose pour Bell Canada.
Il y a d'autres règlements; on peut même discuter la
portée de l'article 40. Qu'est-ce que cela veut dire, traiter avec le
public? Il y a toutes sortes de contestations possibles. Etant donné
tout ce que je viens de dire, je trouve un peu étrange que Bell Canada
n'ait jamais contesté, dans ce domaine, soit un règlement de
l'office, soit un article de la loi, soit une interprétation de
l'office. Comme je l'ai dit au début, Bell Canada, en tant qu'entreprise
téléphonique, est sous la juridiction fédérale en
matière de langue de travail. Vous avez déjà fait une
contestation, c'était Bell Canada contre la Commission des relations de
travail. Il a été décidé que pour, les fins des
relations de travail, Bell Canada serait sous la juridiction de la Commission
fédérale du travail. Je trouve étrange que Bell Canada se
soit soumise à tout ce que l'office demande même si la
validité de ces demandes est souvent douteuse. Vous avez votre propre
contentieux, mais il va sans dire qu'il est toujours très
occupé.
M. Beauregard: D'accord. M. le Président, je
répondrai ceci: D'abord, Bell Canada ne suit pas aveuglément et
ne se conforme pas à tous les voeux de l'Office de la langue
française. Il y a des dialogues virils occasionnellement avec des
représentants de l'office, mais ils sont courtois et on s'entend, on se
parle. Donc, on n'acquiesce pas à tout ce qui est demandé. Je
dirais, cependant, que dans l'ensemble je crois que Bell Canada, par la force
des choses, a vraiment pris une attitude un peu globalisante, si vous voulez,
face à l'ensemble du phénomène. Dans la mesure où
la loi et les règlements, malgré les contraintes que la
conjoncture a fait porter sur cette opération de francisation chez nous,
nous permettaient néanmoins de servir la clientèle anglophone,
par exemple, très largement, à une ou deux exceptions près
que vous avez mentionnées en ce qui concerne ce problème des
annuaires téléphoniques, nous servons notre actionnaire, notre
abonné et nous transigeons avec nos fournisseurs dans la langue de leur
choix. Ceci étant largement assuré - d'ailleurs, on en aurait eu
des échos beaucoup plus considérables s'il en avait
été autrement -on était vraiment en mesure de
répondre courtoisement et comme il se doit à notre
clientèle anglophone, dans sa langue. On ne peut pas dire, à ce
moment-là, que le régime qui nous était fait nous
plaçait vraiment dans une situation très ennuyeuse, sauf à
l'égard d'un certain nombre de problèmes que nous soulevons
aujourd'hui. Effectivement, est-ce qu'on aurait dû prendre l'attitude
suivante: Parce que nous n'y croyons pas, nous allons y déroger
systématiquement? Probablement - ce sont des hypothèses plus
qu'autre chose, parce que je ne représente pas nécessairement la
conscience collective de l'entreprise - qu'on a senti qu'on fonctionnait, en
quelque sorte, dans un cadre, en gros, qui nous permettait de respecter notre
public, à quelques éléments près.
Cependant - j'y faisais allusion - un des inconvénients d'un
régime légal et réglementé, c'est que vraiment -
j'aimerais avoir la sympathie des législateurs - dans la vie de tous les
jours dans l'entreprise, les meilleures intentions du monde, parfois, se
traduisent par des quasi-aberrations. J'ai dit que, sur des points qu'on
considérait importants, nous avons aménagé en souplesse un
certain nombre de choses que ni des employés individuellement, ni le
syndicat, ni quelque élément du public n'ont cru bon de
dénoncer chez Bell Canada. Quand nous disons, par exemple, que nous
avons trouvé une façon intelligente de respecter l'intention de
la loi, qui est de ne pas exiger indûment la connaissance de l'anglais
pour occuper un poste ou une fonction, personne n'a soulevé le
problème en disant: Comment faites-vous? C'est vraiment très
compliqué parce qu'on a affaire à une situation très
mouvante à l'intérieur de l'entreprise. À quel moment,
pour telle fonction d'un individu - je pense, notamment, au niveau des cadres -
ce qui pouvait paraître une non-nécessité de
connaître l'anglais le devient-il tout à coup? Il y a tout
un mécanisme très compliqué qui joue.
Heureusement, cela fait quand même plus de 20 ans qu'on se
francise. Cela fait six, sept ou huit ans qu'on le fait sous l'empire de
réglementations ou de lois et jamais on n'a eu à faire face
à des problèmes à Bell Canada à cet égard.
Beaucoup de choses se sont faites en souplesse. Est-ce qu'il y aurait eu
quelque avantage à contester un aspect légal,
réglementaire ou autre? En tout cas, je reconnais comme vous que la
compagnie -semble-t-il, Me Cardinal - à ma connaissance, n'a pas cru bon
de contester.
M. Marx: Merci, M. le Président. Vous avez ma sympathie en
ce qui concerne la surréglementation.
M. Beauregard: Si vous me le permettez, j'ajouterais quelque
chose. Il faut bien dire qu'il n'y a pas eu de contestation légale, mais
je crois que je ne révèle rien à personne, ici, en disant
que la haute direction de Bell Canada, sur une longue période
d'années, a longuement fait valoir combien, d'emblée, elle
préférait une approche incitative. Il y a certainement des
dispositions de la loi 101 au sujet des quelles M. Jean de Grandpré,
alors qu'il était président et chef de la direction de Bell
Canada, à plusieurs reprises, a clairement établi que, selon lui
et aux yeux de notre corporation, le fait d'avoir procédé par
voie législative et d'avoir les lois et règlements que nous
avions - M. Montambeault a fait de même en commission parlementaire et
à d'autres occasions - comportait des inconvénients. On l'a
mentionné.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Rosemont doit prendre la parole à ce moment-ci. N'étant pas
inscrit comme membre ou intervenant à la commission...
Une voix: Ah:
Le Président (M. Desbiens): ...on devra obtenir un
consentement unanime pour qu'il puisse intervenir.
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Paquette: M. le Président...
M. Gratton: M. le Président...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: ...je suis si heureux de voir un membre du cabinet,
titulaire d'un ministère à vocation économique, que c'est
avec plaisir qu'on lui donne, ainsi qu'à tous ses collègues, le
consentement requis pour qu'il puisse poser toutes les questions et s'informer
le mieux possible.
Une voix: Consentement, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Consentement. M. le
député de Rosemont et ministre de la Science et de la
Technologie, vous avez la parole.
M. Paquette: M. le Président, je remercie le
député de Gatineau et je tiens à lui dire que tous les
membres du gouvernement suivent attentivement les travaux de cette commission,
de concert avec notre collègue, le ministre responsable de la loi
101.
La présentation de M. Beauregard est importante à cause,
évidemment, des activités extrêmement vastes et importantes
pour l'économie du Québec que représente la
société Bell Canada, le groupe Bell-Northern en
général. Vous avez mentionné, à plusieurs reprises,
que vous aviez commencé à vous franciser avant les lois
linguistiques, mais qu'il y a eu accélération. Avez-vous
l'impression que, s'il n'y avait eu aucune politique linguistique officielle,
autant d'employés travailleraient de façon aussi intense en
français aujourd'hui? Avez-vous l'impression que la loi a quand
même, malgré les contraintes que cela vous a posées,
été bénéfique sur ce plan? (17 h 15)
M. Beauregard: C'est difficile à commenter d'une
façon ou d'une autre. On peut probablement dire que l'existence de la
loi et des règlements a certainement hâté certains aspects
du processus de francisation. En contrepartie, cela a amené un certain
nombre de "dysfonctions", de tiraillements ou d'ennuis dont on aurait
préféfé d'emblée faire l'économie. Autrement
dit, on n'était peut-être pas aussi pressé que d'aucuns. On
croyait au projet à moyen et à long terme. Comme entreprise, cinq
ans de plus pour nous, ce n'était pas dramatique, d'autant plus que
plusieurs le pratiquaient.
M. Paquette: Vous dites que cela fait vingt ans que vous vous
francisez!
M. Beauregard: Cela fait vingt ans qu'on se francise.
M. Paquette: La question que je voudrais vous poser concerne les
effets économiques de la loi 101 sur une entreprise de haute technologie
comme la vôtre. Vous mentionnez, à la page 7, qu'un certain nombre
- que vous ne pouvez pas quantifier de départs d'individus et
d'entreprises serait lié à la Charte de la langue
française. Je vous avoue que, tout en
reconnaissant qu'on est ici pour regarder s'il n'y a pas des
améliorations à apporter, autant dans le sens de
l'assouplissement de certaines réglementations que du renforcement
d'autres, pour vraiment atteindre les objectifs de francisation du
Québec, mais en assurant quand même un développement
économique, je suis sceptique un peu de ce côté. Je regarde
l'ensemble des activités économiques au Québec de 1976
à 1981 et je constate qu'il y a eu une croissance des investissements
une fois et demie plus rapide qu'en Ontario, qu'il y a eu une croissance des
exportations. Évidemment, la situation a changé depuis le crise
économique de 1981, mais, de 1976 à 1981, au plus fort de
l'adoption et des débats sur la loi 101, il y a quand même eu une
croissance économique, au niveau des investissements en tout cas,
légèrement plus rapide qu'en Ontario.
D'autre part, quand on regarde les entreprises de haute technologie, on
sait qu'au Québec 55% de la recherche et du développement sont
faits par les entreprises, le reste étant assumé par les
gouvernements et les universités. Donc, la recherche dans les
entreprises est peut-être le facteur le plus déterminant au niveau
des capacités scientifiques et technologiques du Québec. Je suis
obligé de regarder les chiffres concernant les dépenses en
recherche et développement, qui sont surtout attribuables aux
entreprises, par rapport au produit intérieur brut
québécois, par rapport à l'ensemble de la production
québécoise et je constate qu'entre 1973 et 1977 on est
passé de 92% à 88% en termes des dépenses en
recherche-développement par rapport à la production nationale. Il
y donc eu une diminution de 1973 à 1977. On pourrait toujours dire:
C'est à cause de la loi 22, parce que la loi 22 a été
adoptée en 1974 ou 1975, mais la descente avait commencé
même avant l'adoption de la loi 22.
De 1978 à 1981, on constate qu'on revient à une
croissance. On passe de 92% à 1,4% des dépenses de RD sur
l'ensemble de la production nationale. À ce moment-là, je me dis:
Dans l'ensemble cela n'a pas eu d'effet négatif, puisque ces
dépenses de RD sont faites par des entreprises de haute technologie. On
ne peut pas dire qu'il y a eu une diminution des entreprises de haute
technologie ou de l'effort de recherche et de développement. Il y avait
diminution avant la loi 101 et, après la loi 101, il y a eu
augmentation. On pourrait même prétendre, si on voulait charrier,
mais je ne le ferai pas, que la loi 101 a eu un effet bénéfique
sur les entreprises de haute technologie.
Ma véritable question est celle-ci: En quoi est-ce
différent pour la compagnie Bell de la moyenne des entreprises
établies au Québec? Quelle est la spécificité,
quels sont les problèmes particuliers qui feraient en sorte que ce
serait nuisible pour vous et que ce ne serait pas nuisible en
général?
M. Beauregard: Je n'ai pas assisté aux
présentations antérieures et je ne serai pas présent
à celles qui viendront; je n'ai pas lu les mémoires d'autres
entreprises. Je serais surpris que l'évaluation que vous faites de la
situation soit nécessairement partagée, ou même
démontrable à la satisfaction de plusieurs entreprises avec
lesquelles nous sommes en communication, avec des organismes d'affaires comme
le Conseil du patronat ou la Chambre de commerce de la province de
Québec qui semblent avoir des données que j'appellerais au moins
complémentaires aux vôtres, M. le ministre, sur cette chose. Pour
m'en tenir au contenu de notre mémoire à nous - je suis mal
préparé pour répondre aux questions que vous posez parce
que je n'ai pas analysé toute la situation - notre mémoire, vous
l'avez remarqué, se fonde à peu près essentiellement sur
l'expérience de Bell Canada. Je vous dis que, chez nous, cela a
causé des difficultés et je n'ai pas l'intention de mentionner
ici des noms de membres du personnel de Bell qui ont refusé des
affectations ici. J'en connais qu'on a dû déplacer ailleurs. J'en
connais de l'étranger qui ont refusé de venir, etc. Je vous dis
que chez nous, effectivement, cela a constitué une certaine
contre-indication.
M. Paquette: Je pense que vous êtes la personne la mieux
placée pour l'affirmer puisque vous travaillez dans l'entreprise. Je me
pose, quand même, toujours cette question: Qu'est-ce qui fait que c'est
plus difficile à Bell Canada que dans la moyenne des entreprises de
haute technologie puisqu'on est en croissance quant à l'effort de
recherche et de développement au Québec depuis l'adoption de la
loi 101? Je voudrais essayer d'approfondir cela un peu avec vous sur trois
plans: la langue de travail, la langue d'enseignement et la langue des
professions. Au niveau de la langue de travail, j'ai visité
récemment le centre Recherches Bell-Northern à l'île des
Soeurs; c'est, d'ailleurs, une expérience exceptionnelle d'association
entre une entreprise importante de haute technologie et une institution de
recherche qui est l'INRS-Télécommunications; le directeur
scientifique est le même. Il y a des francophones, il y a des anglophones
au niveau du centre de recherche. Compte tenu de l'exception qu'il y a dans la
loi 101 pour les centres de recherche, justement parce qu'on a tenu compte de
ce phénomène que dans le domaine scientifique les personnes
circulent d'un pays à l'autre et qu'on doit, par conséquent,
être très souple quant à la langue de travail, on m'a dit
que maintenant les difficultés étaient aplanies quant à
la
langue de travail au niveau du centre de recherche. Êtes-vous
d'accord avec cet énoncé?
M. Beauregard: Vous avez peut-être eu des apartés
durant cette visite à laquelle j'ai participé, M. le
ministre.
M. Paquette: J'ai discuté avec beaucoup de gens.
M. Beauregard: Cela dépend peut-être du niveau
où on parle. Je crois qu'effectivement il n'y a pas de difficulté
au sens où les personnes qui travaillent là n'ont pas de
problèmes.
M. Paquette: Elles communiquent librement dans les deux langues
et n'ont pas de difficultés.
M. Beauregard: Elles n'ont pas de difficultés, c'est un
fait. Je crois, cependant, que les problèmes auxquels j'ai fait allusion
en ce qui concerne Bell Canada se vérifient à Recherches
Bell-Northern, à savoir qu'il y a des individus qu'on aimerait voir
venir ici et qui, pas a priori, par préjugés ou autrement, ne
sont pas en mesure de communiquer convenablement en français. Ce sont
des gens qui reçoivent simultanément des offres à d'autres
endroits où ils n'ont pas à se plier à cette exigence d'un
milieu donné, ce qui fait qu'on ne les obtient pas.
M. Paquette: Justement, on recherche pourquoi il se produit des
problèmes comme ceux-là. Donc, ce n'est pas tellement du
côté de la langue de travail à l'intérieur du centre
de recherche qu'il faut chercher l'explication, mais peut-être
plutôt au niveau d'autres aspects de la loi 101 puisque les gens
communiquent librement entre eux au niveau du travail.
M. Beauregard: Je le croirais bien. Vous l'avez remarqué,
M. le ministre, dans mon espèce de petit plaidoyer succinct, je pense
que ce qui est important - et les travaux de votre commission sont
particulièrement cruciaux de ce point de vue - c'est vraiment les
signaux que nous émettons à notre environnement et à nos
auditoires un peu partout. Il est certain que tout ce brasse-camarades chaque
fois qu'on discute de la question linguistique, etc., fait ressortir des
dissensions, fait paraître le Québec comme un
endroit-problème. Remarquez qu'on aime bien mieux nos problèmes
que ceux d'autres coins du monde. Cela fait ressortir une dissension, un manque
de consensus. Pourquoi viendrait-on s'empêtrer dans cela? Pourquoi
s'embarquer dans cette galère alors qu'on peut aller dans d'autres
endroits où ces problèmes ne se posent pas? Je parle toujours,
encore une fois, des gens qui ont le choix et qui sont des ressources qui sont
extrêmement mobiles mondialement. Je pense qu'il ne faut pas se cacher
cette réalité.
M. Paquette: Vous diriez plutôt que c'est une impression
générale qui se dégage. Les gens ne font pas toutes les
analyses qu'il faut. Ils ne se demandent pas si on peut travailler dans toutes
les langues au niveau du centre de recherche ou si c'est la langue
d'enseignement ou si c'est la langue des professions. C'est plutôt une
image qui peut les rebuter. Est-ce que c'est cela?
M. Beauregard: Vous savez comment ces choses sont des vases
communicants à toutes fins utiles; on est blessé quelque part,
mais cela fait mal partout. C'est un peu le genre de situation à
laquelle on fait face. Il y a quand même, à mon avis - et nous les
avons relevés dans notre mémoire - des points qui, s'ils
étaient modifiés - et ils ne sont pas tellement nombreux, vous
avez pu le voir - pourraient, à nos yeux, faire une différence
appréciable justement parce qu'ils distilleraient, ils enverraient un
message différent. À ce moment, c'est toute une mentalité,
c'est tout un climat qui change. Nous croyons que ce serait extrêmement
bénéfique pour nous non seulement au plan économique, au
plan de la technologie, mais également socialement, culturellement.
M. Paquette: Je vais vous poser des questions sur deux de vos
propositions. D'abord, celle qui concerne la langue d'enseignement. Vous
demandez dans votre mémoire que le travailleur qui vient de
l'extérieur du Québec et qui a les qualifications
nécessaires - il faudrait que vous m'expliquiez ce terme - soit
exempté des dispositions du chapitre portant sur la langue
d'enseignement; que la clause Canada ou le libre choix de la langue
d'enseignement soit adopté de façon pressante.
Je vais vous dire qu'il faudrait s'entendre. Est-ce qu'il s'agit d'une
ouverture générale à tout le monde ou s'il s'agit de
regarder ce qu'on pourrait faire dans le cas de spécialistes, de
scientifiques ou de cadres de haut niveau qui ont à circuler rapidement
d'un pays à l'autre? S'il s'agit de demander à l'ensemble de la
population d'adopter le libre choix de la langue d'enseignement pour un
très petit nombre de spécialistes, vous allez reconnaître
que c'est relativement exagéré et même un peu dangereux. Le
pourcentage d'étudiants non anglophones dans les cégeps de langue
française, qui ne sont pas soumis à la loi 101, est passé
de 28% en 1976-1977 à 39% en 1982-1983. Donc, à ce niveau
d'enseignement où la loi 101 n'agit pas, il y a progression des
non-anglophones qui s'inscrivent aux cégeps anglais. On pourrait
supposer que, si on revenait au libre choix au niveau élémentaire
et secondaire, le
même phénomène pour lequel la loi 22 et ensuite la
loi 101 ont été adoptées risquerait de se reproduire.
Est-ce que j'interprète bien votre proposition en disant: Nous,
ce qui nous intéresse, ce n'est pas tellement le libre choix pour tout
le monde; c'est beaucoup plus une certaine garantie qu'on pourrait donner
à certains spécialistes, qu'on n'a pas au Québec et dont
on a besoin et qu'on voudrait attirer ici, qu'ils pourront envoyer leurs
enfants à l'école anglaise pour un certain nombre
d'années?
M. Beauregard: Vous avez remarqué, M. le ministre, qu'on a
traité le problème par notre bout de la lorgnette en quelque
sorte. On a regardé l'entreprise et on s'est dit: Bon, on aurait besoin
de... Une chose nous paraissait claire. On n'est pas des experts, on n'a pas
fait d'études démographiques très poussées. On
savait que d'autres en feraient. On vous disait: De notre point de vue - vous
avez remarqué le langage utilisé - pour les ressortisssants
étrangers, donc ceux qui viennent de l'extérieur, la clause dite
Canada ne règle pas leurs problèmes. Donc, on pense que, pour les
ressortissants étrangers - il y en a, que voulez-vous, un certain nombre
qui nous intéressent beaucoup - même la clause Canada ne
règle pas le problème.
Par ailleurs, les effets de la clause Canada, en termes
démographiques, et ce que cela ferait au plan scolaire sont les
mêmes, qu'on les négocie par voie de réciprocité,
comme cela a déjà été proposé, ou qu'on les
applique soi-même. Si donc on a pu l'offrir, on peut penser qu'on ne
concluait pas nécessairement au génocide. Alors, on se dit: La
clause Canada nous semble un minimum sur lequel, vraisemblablement, on peut
assez facilement s'entendre puisque même le gouvernement, semble-t-il,
l'a déjà considérée. Restera à voir ce que
les études démographiques disent. Ce qu'on a pu en voir, nous,
nous porte à croire - que ce soit les études de M. Henripin ou
d'autres - que ce n'est pas vraiment dangereux.
M. Paquette: Quand vous parlez du travailleur qui vient de
l'extérieur du Québec et qui a les qualifications
nécessaires, pour vous, c'est tout le monde...
M. Beauregard: Non.
M. Paquette: ...ou si ce sont des spécialistes dont vous
avez besoin?
M. Beauregard: C'est comme une recommandation à
étages en quelque sorte.
M. Paquette: Oui.
M. Beauregard: II est bien sûr que la solution - vous
l'appelleriez peut-être ou d'aucuns l'appelleraient de facilité -
c'est de dire que vous réglez le problème à sa source si
vous dites que le travailleur qui vient peut y accéder, que ce soit par
une clause Canada ou par la liberté totale de la langue d'enseignement.
Ce. qu'on avait en tête quand on parlait des employés, des experts
dont on a besoin spécifiquement, je vous avoue que cela correspondait
à une expérience très précise chez Bell. Pour le
développement de systèmes informatiques, il y a beaucoup de gens
qu'on aurait voulu avoir au Québec ici, qui étaient
déjà à l'emploi de la compagnie ou qu'on recrutait, qu'on
n'a vraiment pas été capable de recruter et d'amener au
Québec; ils sont chez Bell Canada, mais ils ne sont pas au
Québec.
M. Paquette: Alors, je pense qu'il faut regarder ce
problème de près.
M. Beauregard: En effet. (17 h 30)
M. Paquette: Maintenant, l'autre point que je voudrais examiner
avec vous, c'est la question de la langue des professionnels que vous soulevez.
Vous semblez trouver anormal qu'un État impose sa langue aux
professionnels qui viennent y travailler, alors que certains États
américains, l'État de New York entre autres, et l'Angleterre
exigent des membres de certains ordres professionnels qu'ils se soumettent
à des tests de connaissances linguistiques. Pourquoi ce qui est
exigé ailleurs et ne fait pas peur aux spécialistes dont vous
parlez fait-il peur au Québec?
M. Beauregard: Je vais tenter de répondre au mieux quitte
à ce que vous me fournissiez des précisions si je n'ai pas
à un certain moment tout à fait compris. D'abord, notre position
n'est pas qu'il est déraisonnable d'exiger une connaissance suffisante
du français pour les gens qui sont en rapport avec le public. On n'y
voit pas de difficultés; on comprend très bien qu'on puisse
exiger la connaissance du français pour la pratique professionnelle ici.
Des dispositions ont été prévues dans la loi -sans doute
avec une intention louable -d'exempter certains de ces professionnels qui
travailleraient, disait-on, pour un seul employeur. Je vous avoue qu'on ne voit
pas quelle différence cela fait que ce soit pour un seul employeur ou
pas. L'élément critique pour nous semble être le fait qu'il
n'a pas à transiger avec le public: qu'un tel professionnel soit tenu de
connaître le français, là on ne voit pas très bien.
On dit: Dans le cas particulier des activités de recherche et de
développement, c'est vraiment pernicieux et inutile. L'article 40, je
crois - je ne me souviens pas exactement de l'article - demande aux ordres
professionnels de délivrer ces permis. Nous
disons que le permis devrait être automatiquement
délivré par l'ordre professionnel dès que les
prescriptions prévalent, c'est-à-dire lorsque le professionnel en
question n'a pas à transiger au niveau d'un service public.
M. Paquette: Avec le public. Un dernier point. Je ne voudrais pas
être trop long. En supposant qu'on puisse effectuer certains
aménagements pour un certain nombre de spécialistes, notamment
dans la recherche et dans la haute technologie dans l'optique qu'il est
difficile d'obtenir des spécialistes de systèmes informatiques
partout dans le monde, si on peut se donner des avantages comparatifs, pourquoi
ne pas se les donner? Je suis certain que c'est une question qu'on est
prêt à regarder. Au-delà de cela, je reviens à la
question que j'ai posée au début. N'avez-vous pas l'impression
que c'est beaucoup plus une question de climat et d'image qu'on a fait au
Québec? Seriez-vous d'accord pour participer avec nous à
redresser cette image? A force de dire que les entreprises seraient parties du
Québec à cause de la loi no 101, les entreprises établies
au Québec se nuisent à elles-mêmes; elles se rendent un
fort mauvais service et rendent plus difficile le recrutement parce qu'elles
contribuent à une image qui est largement faussée. Est-ce que
vous seriez d'accord pour qu'on entreprenne tous ensemble, collectivement, au
Québec de corriger cette image et de mettre en évidence, au
contraire, les atouts que nous avons au Québec, quitte à se
donner un certain nombre d'avantages comparatifs supplémentaires qui
nous aideraient dans ce sens?
M. Beauregard: M. le ministre, Bell Canada à un certain
nombre d'associations qui mènent des projets dans ce sens, que ce soit
l'opération de fierté de Montréal qui a appuyé la
Chambre de commerce de Montréal. Pour avoir été
personnellement directeur général de la Chambre de commerce de
Montréal il y a quelques années, avant d'être chez Bell
Canada, cela a été vraiment l'attitude de plusieurs organismes
d'affaires de dire: Oui, il y a des choses qui vont mal et on ne va pas se
gêner pour les dire. Mais il y a des choses qui vont bien et on ne se
gêne pas pour les dire, non plus.
Bell Canada, comme toutes les entreprises, a intérêt
à la solidité, au dynamisme d'une économie donnée.
Je n'ai pas les documents, je n'ai pas fait de recherche, mais on pourrait
probablement trouver de nombreuses initiatives prises par des entreprises, dont
certaines par Bell Canada, qui démontrent d'emblée que notre
avenir est ici et qu'on sert la clientèle d'ici. Quand les affaires vont
bien ici, c'est bon pour la compagnie. D'ailleurs, même lorsque des
dirigeants de Bell Canada s'élevaient - à nos yeux avec raison -
contre des modes d'application ou des façons de procéder en ce
qui concerne la conversion des mentalités quant au régime
linguistique au Québec, en dépit des choses dures, à
l'occasion - nos dirigeants ont appelé les choses par leur nom, telles
qu'ils les voyaient - je ne crois pas que cela ait jamais été
fait avec le moindrement de hargne, de mépris ou autrement. On a
exercé nos responsabilités de leader dans la communauté
des affaires en appellant les choses par leur nom, telles qu'on les voyait.
Je suis convaincu qu'une entreprise comme la nôtre est ravie de
s'associer d'emblée à tout mouvement promu par les gouvernements
ou par des groupes volontaires ou par qui que ce soit de bonne volonté
pour instaurer un climat de confiance, un climat dynamique, un climat propice
à la conduite des affaires et à l'épanouissement des gens
dans une certaine liberté.
M. Paquette: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le
député d'Outremont.
M. Fortier: Je voudrais dire à M. Beauregard qu'il nous
fait plaisir, que lui-même et ses collègues soient devant nous
aujourd'hui parce qu'on engage le dialogue avec une société qui,
de toute évidence, a déjà réalisé une grande
partie des objectifs de la loi 101. D'ailleurs, vous avez fait état
vous-même des félicitations que vous aviez reçues du
ministre de l'Éducation, le Dr Laurin, à ce sujet. Je pense bien
que tous les parlementaires ici, à la commission parlementaire,
poursuivent cet objectif. Dans ce sens, je crois que votre présence ici
nous permet non pas de chercher à attaquer la loi 101, non pas de voir
quelles sont les difficultés qui rendraient la francisation impossible,
mais de voir - tout en continuant la francisation, tel que vous l'avez fait
depuis 20 ans, comme vous l'avez dit -quelles sont les modifications qui
pourraient faciliter, d'une part, la francisation et, d'autre part, le
développement économique du Québec. Ces deux objectifs
doivent être poursuivis en tandem. C'est là la
difficulté.
Cela me fait, d'ailleurs, plaisir de voir que le ministre de la Science
et de la Technologie est présent cet après-midi parce que, en sa
courte présence d'une heure où il a posé quelques
questions, on a vu qu'il était sensible à certains de vos
problèmes. J'oserais espérer que le ministre responsable de la
101 invite d'autres ministres, responsables de ministères à
vocation économique, pour qu'ils réalisent qu'il y a des
ajustements mineurs et peut-être importants à faire, tout en
gardant en tête
l'objectif principal qui est de permettre aux travailleurs
québécois de travailler en français, tout en continuant
à poursuivre l'objectif fondamental.
Dans votre mémoire, vous avez fait état de plusieurs
recommandations qui touchent la langue de travail, la langue de commerce, la
langue d'enseignement. Vous avez fait des commentaires sur le programme de
francisation et sur la toponymie. Compte tenu du fait qu'il est possible que le
gouvernement cherche à voir quelles sont vos recommandations
prioritaires, je vous demanderais, s'il fallait que les législateurs en
fassent un certain choix, quelles seraient les deux ou trois recommandations
prioritaires parmi celles dont vous avez fait état cet
après-midi.
M. Beauregard: Ce sont des questions de combien de millions de
dollars? Je ne me souviens plus exactement. C'est vraiment très
difficile. Si je peux me permettre de revenir sur le sujet ou de saisir une
perche que le ministre m'a tendue antérieurement, je dirais que ce sont
les recommandations qui sont le plus de nature à permettre
l'avènement d'un meilleur consensus, d'une espèce de changement
de cap, en respectant l'intention de maintenir les mêmes objectifs de
francisation, mais avec des moyens différents dans une dynamique
nouvelle. Si vous me demandez lesquelles parmi nos recommandations le font
davantage, je me permettrai d'insister sur l'une d'elles qui peut sembler
à première vue très loin, mais qui m'apparaît, avoir
une certaine importance: celle qui concerne les dispositions sur l'affichage.
Les dispositions sur l'affichage nous amènent des difficultés
mineures - il faut l'admettre - sur le plan du fonctionnement des
téléboutiques. Ce ne sont pas des difficultés
énormes, mais cela amène certaines difficultés. Pourquoi
est-il si important de les changer? Je crois qu'un témoin devant vous a
antérieurement fait valoir comment l'affichage était
également important a cause de sa dimension symbolique ou autrement si
on veut signaler que Montréal est une ville non pas
nécessairement bilingue, mais où on peut s'exprimer dans
différentes langues. C'est cela qui fait une métropole, c'est
cela qui est intéressant. Ce n'est pas à vous que j'ai besoin de
signaler qu'on trouve du japonais à Paris et du français à
Miami et un peu partout. C'est pour des raisons - je ne sais pas - je dirais
d'une espèce de connivence avec un public. Je pense que des
transformations des dispositions sur l'affichage auraient probablement,
à cet égard, beaucoup d'importance.
Elles nous intéressent chez Bell dans la mesure où elles
se répercuteraient, croyons-nous, sur une dynamique nouvelle qui
engendrerait plus de développement économique, qui engendrerait
un dynamisme collectif des francophones et des anglophones au Québec
pour améliorer leur sort dans un climat de respect mutuel. Ce serait un
changement appréciable par rapport au relatif retranchement qu'on voit
à l'heure actuelle. Pour cela, c'est important. Sans doute que,
opérationnellement, pour les fins de l'entreprise, ce sont certaines
dispositions qui visent les pratiques commerciales en particulier qui nous
causent des problèmes assez importants. Peut-être que certains de
mes collègues, soit Me Cardinal ou M. Gadoury, pourraient ajouter
là-dessus, mais je pense qu'au niveau de l'identification de certaines
pièces que nous achetons en grande quantité, que ce soit de
l'équipement téléphonique ou autrement, il y a une
série de petites dispositions qui nous amènent le plus de
difficultés. Voulez-vous commenter, M. Gadoury?
M. Gadoury (Paul): Oui, M. le Président.
Évidemment, lorsque l'on obtient les produits, la majeure partie du
temps, ce sont des produits technologiques qui sont importés au
Québec. Non seulement ces produits nous arrivent en anglais, mais aussi
la documentation qui y est associée. Il faut voir la documentation qui
accompagne le matériel de référence d'un centre de
commutation. C'est une bible qui est à peu près de cette
longueur-là. Alors, il faut la traduire pour nos techniciens et cela
prend du temps. Non seulement cela prend du temps, mais souvent cette
technologie n'est pas rodée avant quatre ou cinq ans; alors, on traduit
des chapitres qui, deux ou trois mois après, ne servent plus du tout.
Alors, ce sont des efforts qui sont engagés et ce sont des coûts
réellement astronomiques. Nos techniciens, eux, veulent bien travailler
en français. Nous tentons - et la plupart du temps nous
réussissons - de leur fournir la documentation française, mais
à certains moments c'est impossible. Évidemment, nous
négocions avec les gens de l'office et ils semblent comprendre ce
problème. Mais nous vivons avec des échéances qui disent,
par exemple, 1985. Alors, nous nous sentons un peu corsetés par ces
échéances. Non seulement nous aimerions qu'on recule cela dans le
temps, mais à certains moments nous aimerions que l'on comprenne
l'impossibilité de traduire ce matériel.
M. Fortier: M. Beauregard, vous avez fait allusion à la
nécessité de créer un nouveau climat. Je pense que c'est
ce que vous disiez. D'ailleurs, cela rejoint un peu ce que le ministre de la
Science et de la Technologie disait. Il vous posait la question: Est-ce que
Bell Canada est prête à collaborer?
J'ai ici devant moi le mémoire que M. de Grandpré
présentait à la commission par-
lementaire des communications le 20 avril dernier, où il disait:
"II faudra, avec la collaboration du gouvernement, créer un climat et
des conditions de nature à les attirer ici - il parlait des chercheurs -
et à retenir ceux qui s'y trouvent déjà." Mais je pense
bien que l'offre était déjà faite par M. de
Grandpré et que cela rejoint les préoccupations du ministre
à ce sujet.
En terminant, très brièvement - c'est malheureux que l'on
soit limité dans le temps - vous avez fait allusion tout à
l'heure à la méthode incitative. J'imagine que le
législateur, lorsqu'il a adopté la loi 101, a mis de
côté un peu cette possibilité de légiférer
dans ce sens parce qu'il craignait peut-être que certaines entreprises
n'aillent pas assez loin dans le processus de francisation. Au moment où
on fait une réflexion - c'est la raison de notre commission
parlementaire - est-ce que, pour les entreprises qui ont atteint un niveau de
francisation très poussé, - j'imagine que l'on pourrait classer
votre entreprise dans cette catégorie - et qui obtiennent un certificat
de francisation, comme cadeau, j'allais dire ou reconnaissance que
l'État québécois pourrait faire en faveur d'une compagnie
ou d'une corporation qui aurait fait des efforts très louables sur une
période très longue et qui serait engagée d'une
façon résolue dans la francisation de son entreprise, on ne
pourrait pas, à ce moment-là, mettre de côté
certains aspects qui sont réglementés présentement pour
faire plus confiance à des méthodes incitatives?
M. Beauregard: Si vous me le permettez, l'heure aidant, il y a
une blague que je voudrais faire et à laquelle je ne peux pas
résister. Lorsque nous avons demandé notre certificat de
francisation, en février 1983, nous avons fait valoir au
président de l'office que - et M. le ministre Godin est au courant parce
que je le lui ai déjà dit lors d'une rencontre privée -
nous demandions notre certificat en 1983 pour la première et la
dernière fois pour la simple et bonne raison que, si on n'est pas assez
fins pour l'obtenir aujourd'hui, nous savons, après les efforts
honnêtes que nous avons déployés, qu'on ne le sera
guère plus en l'an 2017. Cela a été dit à un
certain nombre de personnes, dont le ministre Godin. On a demandé le
certificat en 1983, par conséquent, estimant qu'il pourrait être
utile, en termes d'incitation et de marketing, d'octroyer à Bell Canada,
dont la renommée est internationale au plan des
télécommunications, son certificat de francisation durant
l'Année mondiale des communications. On a pensé que ce serait une
occasion rêvée pour MM. Godin, Bertrand, Paquette et autres de
nous décerner un certificat de francisation dont nous n'avons,
cependant, pas eu de nouvelles jusqu'à ce jour.
Tout cela pour dire qu'il y a des coups d'éclat qui se perdent.
Ce n'est peut-être pas une incitation, mais il se fait des bons coups.
Nous allons inaugurer très prochainement - en fait, lundi prochain - le
nouveau centre administratif de Bell Canada. Incidemment, M. Paquette, quand
Bell Canada a investi, en 1976 ou en 1977, pour établir, de concert avec
la Banque nationale du Canada, son siège administratif du Québec
là où elle l'a fait, je crois qu'on peut dire en toute
honnêteté qu'on a servi, une fois de plus, de moteur non pas
uniquement en termes d'efforts de francisation, mais en termes
d'investissement, en termes de confiance marquée à l'endroit du
Québec à un moment où il n'y en avait guère qui le
faisaient. Ce qui s'est développé par la suite sur le boulevard
Dorchester et sur le boulevard Maisonneuve, on a eu la fierté de croire
qu'on y était peut-être pour quelque chose. (17 h 45)
M. Paquette: Nous sommes conscients de cette marque de confiance
et nos amis libéraux doivent pâtir de votre manque de confiance
lorsque vous avez déménagé votre centre de recherche
à Ottawa en 1969 et en 1972.
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. le député d'Outremont.
M. Fortier: Je pense que vous venez de répondre
indirectement. Je posais la question: Quelle était votre incitation?
Votre incitation aurait été de pouvoir, cette année, faire
un peu de publicité. Quand même, j'imagine que la réponse
à ma question est oui. Ce que vous dites, dans le fond, c'est que,
même si on voulait vous contraindre davantage, les difficultés
auxquelles vous avez fait face continuent, mais la détermination de
votre entreprise est de continuer dans cette direction.
M. Beauregard: J'oserais dire qu'indépendamment de toute
loi c'est de propos délibéré que l'entreprise s'est
engagée, par respect de son public, dans une démarche de
francisation au Québec qui paraissait tout à fait normale. On va
la faire contre vents et marées et contre les lois.
M. Fortier: Merci.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le
député de Fabre.
M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. Quelque part
dans votre mémoire, vous dites que 95% du personnel est francophone ou a
une connaissance appropriée du français. Est-ce que ces 95%
incluent les
cadres, les contremaîtres, les administrateurs de Bell Canada?
M. Beauregard: Je pourrais répondre oui d'une façon
générale; toutes ces catégories y sont un peu. Mais je
vais demander à M. Gadoury, le secrétaire du comité de
francisation, de vous donner quelques précisions.
M. Leduc (Fabre): Est-ce qu'on pourrait avoir un portrait
peut-être plus précis de la situation en fonction des niveaux
d'emploi, sans que ce soit d'un détail exagéré?
M. Gadoury: M. le Président, je tiens à vous dire
que tous les six mois nous fournissons un rapport détaillé
à l'Office de la langue française. Nous avons cinq groupes
organisationnels qui sont réunis dans la région de Québec
et le taux de francisation du niveau 4 ou 5 de l'office est à 96%. Cela,
c'est pour tous les employés. Si nous incluons les 2700 employés
du siège social qui travaillent au Québec - chez eux, le taux est
de 58,4% - le total des employés de Bell Canada au Québec ayant
un niveau supérieur de connaissance du français est à
91,1%.
Dans chaque groupe, nous avons détaillé selon les
échelons. Au service à la clientèle, qui regroupe quelque
7076 employés - ce sont ceux qui transigent avec les
préposés au service, les techniciens, les installateurs, les
réparateurs - aux échelons supérieurs, c'est toujours
100%. Le taux le plus bas, c'est chez les 7076 employés non cadres, dont
97% sont francophones. Partout en haut de l'échelle, c'est 100%.
Dans le groupe de l'exploitation du réseau, il y a environ 4500
employés, tous francophones, même les non-cadres.
Dans le groupe de l'administration, qui inclut les affaires publiques -
c'est un groupe très important - ils sont seulement 300 à 400 et
les têtes dirigeantes sont francophones à 100%. Cela descend
à 96% au quatrième échelon où il y a seulement 26
personnes. Chez les non-cadres, c'est 98,6%. Il faut comprendre que ce groupe a
sous sa juridiction des employés qui n'ont absolument aucun rapport avec
le public.
Dans le groupe de la planification de l'exploitation, on compte environ
1400 ou 1500 employés, dont 90,6% des non-cadres sont francophones. On y
inclut tous les gens qui s'occupent de l'entretien des édifices.
Souvent, les francophones ne sont pas tellement intéressés
à faire ce travail, il faut aller recruter d'autres gens.
Le groupe du service du contrôleur, c'est le groupe de Dorval, le
groupe de la comptabilité, un groupe qui a une certaine histoire dans la
compagnie parce que travaillant à Dorval. L'accès à Dorval
est très difficile pour les gens qui demeurent au centre-ville. Ce
groupe compte donc quelque 700 employés. Les cadres supérieurs
sont tous francophones et c'est au niveau des non-cadres que 78,8% des 609
employés de 50 ans et moins sont francophones. La plupart des
employés de ce groupe étaient déjà localisés
à Dorval il y a dix ans, soit avant l'avènement des lois 22 et
101.
M. Leduc (Fabre): Est-ce qu'un tel taux de performance a
été atteint après l'adoption de la loi 101, depuis que la
loi 101 est en vigueur?
M. Gadoury: Cela a été atteint
périodiquement.
Une voix: Progressivement. M. Gadoury:
Progressivement.
M. Leduc (Fabre): J'ai une autre question concernant le programme
de francisation. En lisant votre mémoire, j'ai été un peu
étonné de voir à quel point vous êtes
sévère, vous avez des expressions assez dures à
l'égard de l'Office de la langue française alors que, finalement
- je pense que les chiffres sont là pour le démontrer
également - vous avez un taux de performance assez respectable en ce qui
concerne la francisation de l'entreprise. Pourtant, dans votre mémoire,
vous utilisez des expressions telles que "grandes difficultés
d'application", "réprimandes", "cela défie le sens commun". On a
l'impression que la négociation a été difficile entre vous
et l'Office de la langue française.
J'ajouterai un commentaire. On a entendu les travailleurs de Pratt et
Whitney qui ont témoigné ici de façon assez
sévère à l'égard de leurs patrons, de leur
entreprise et qui nous ont démontré que, finalement, l'Office de
la langue française était beaucoup trop tolérant à
l'égard de Pratt et Whitney. Cela m'étonne donc que vous nous
disiez que l'office soit ou semble avoir été aussi
sévère à votre égard. Est-ce que vous pouvez nous
donner quelques précisions à ce sujet?
M. Beauregard: Écoutez! Je ne vais pas vous donner des
détails précis.
M. Leduc (Fabre): Non, mais...
M. Beauregard: Je n'ai pas l'intention, non plus, de
répercuter ici les tractations qui ont eu cours avec l'office depuis
quatre ans, dont, dans l'ensemble, on n'a pas eu à se plaindre. On a
pris le soin de préciser qu'on n'a jamais eu de difficulté, par
exemple, quand on a parlé de nos priorités en matière de
traduction, des trucs comme cela. Cependant, si on a employé des termes
durs, c'est qu'à l'occasion, effectivement, cela a donné lieu
à des aberrations ou à certains
types d'accrochages ou autres, mais ce n'est pas du tout l'objet de
notre mémoire. Ce sont des gens avec qui nous avons travaillé et
je ne voudrais vraiment pas soulever ici ce genre de problème, si vous
le voulez bien.
M. Leduc (Fabre): Mais vous comprenez le sens de ma question.
Vous revenez sur le sujet dans votre mémoire. Vous utilisez des
expressions qui ont attiré mon attention. Je suis content d'apprendre
que cela n'a pas été aussi difficile que vous semblez le
dire.
M. Beauregard: C'est-à-dire que je voudrais éviter
de mettre des gens en cause. Je ne voudrais pas vous sortir ici des
pièces de correspondance qui sont un peu navrantes. Je ne le voudrais
pas. Est-ce que vous comprenez?
M. Leduc (Fabre): Une dernière question. Dans le cas de
l'article 46, cela m'a étonné un peu. Vous dites que l'article 46
favorise l'unilinguisme chez les francophones. C'est étonnant parce que
cela suppose, d'abord, que Bell Canada a atteint un degré de
francisation très élevé, véritablement exemplaire,
au Québec. Deuxièmement, cela suppose que l'article 46 soit
vraiment contraignant alors qu'il permet quand même une forme de
bilinguisme; il admet une forme de bilinguisme.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur le fait qu'on est loin de
là au Québec. J'ai devant moi une photocopie d'un journal assez
récent. Dans ce journal, on voit des offres d'emplois. À 80%, on
exige le bilinguisme de la part des francophones, à tous les postes.
C'est étonnant de vous entendre dire une telle chose, comme s'il y avait
danger que nos jeunes deviennent unilingues dans une entreprise comme Bell
Canada. Pourriez-vous nous apporter des précisions?
M. Beauregard: Oui. À partir d'une situation qui
était probablement un peu aberrante il y a peut-être vingt ans,
quarante ans, à cause de l'état de la technologie et des
personnes qui oeuvraient, travaillaient, dirigeaient ces entreprises de
télécommunications, probablement qu'on exigeait de tous les gens
qu'ils parlent anglais - ce qui n'était pas utile, ce qui n'était
pas nécessaire - on est passé à une situation où,
aujourd'hui - on ne parle pas des entreprises dans leur ensemble, mais de Bell
Canada - des dirigeants de l'entreprise de la région du Québec se
sont inquiétés de ce que plusieurs de nos jeunes cadres ne
possèdent pas la langue anglaise à un point suffisant - je vous
assure que ce n'est pas un degré d'exigence extrêmement
élevé -pour entrevoir d'être utilement employés au
siège social de l'entreprise ou mutés en Arabie ou en Ontario. Ce
sont des cadres, des jeunes cadres.
Par conséquent, ce qu'on dit, c'est qu'un certain état
d'esprit fait que de jeunes ingénieurs, hommes et femmes, des
diplômés des hautes études commerciales ou autres, entrent
chez Bell Canada et ont à ce point la conviction qu'ils peuvent faire
leur avenir en français dans l'entreprise qu'ils sont tout à fait
mal préparés. C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle M.
Deschamps ici a une "business" florissante à l'heure actuelle, celle de
donner des cours aux anglophones qui veulent apprendre le français, bien
sûr, mais également à des francophones qui se rendent
compte sur le tard qu'il faut faire quelque chose pour passer un certain
seuil.
On vous le dit en toute honnêteté: Alors qu'autrefois,
quand on entrait travailler comme cadre chez Bell, on savait d'entrée de
jeu qu'on allait travailler en anglais à un moment donné, rendu
à un certain niveau de gestion; aujourd'hui, on entre chez Bell
allègrement, parce que Bell ne demande pas: Parlez-vous anglais? On
demande simplement: Quel est l'ensemble de vos aptitudes, y compris vos
aptitudes linguistiques. Personne ne dit: Pour travailler chez Bell,
éventuellement, dans dix ou quinze ans, si tu veux accéder
à tel ou tel genre de poste, il faudra que tu parles anglais. À
cause de cela, on se rend compte qu'il y a des gens activement engagés
dans l'entreprise, des valeurs sûres au plan professionnel, qui sont
singulièrement et notoirement inadéquats au niveau de leur langue
seconde. C'est un phénomène croissant chez nous. C'est cela qu'on
vous dit.
M. Deschamps (René): Est-ce que je peux ajouter un mot
ici, M. le Président? Avant l'adoption de la loi 101, dans la
répartition des employés qui suivent des cours de langue chez
nous, nous avions 90% de ces cours qui étaient des cours de
français à des anglophones et seulement 10% de cours d'anglais.
Les chiffres de 1983 nous indiquent que 40% des cours qui sont donnés,
ce sont des cours d'anglais à des francophones. La compagnie
dépense à peu près 400 000 $ par année pour
enseigner l'anglais à des francophones.
M. Leduc (Fabre): J'aimerais ajouter un commentaire à ce
que vous avez dit. On sait qu'Hydro-Québec est une très grande
entreprise qui a un rayonnement international. Hydro-Québec fonctionne
à peu près entièrement en français, peut-être
à 90%, 95%, et cela n'empêche pas les cadres, les
ingénieurs d'aller travailler à l'extérieur, d'avoir des
contrats dans à peu près tous les pays où on a besoin de
leurs services. Il y a un rayonnement international qui s'exerce même si
on travaille dans un cadre à peu près francophone. Je pense que
c'est un exemple.
M. Beauregard: Si vous me le permettez, je tiens beaucoup
à apporter ici une précision, parce que vous me semblez faire un
parallèle implicitement qui est mal fondé. Vous semblez indiquer
qu'on travaille en français à Hydro et qu'on ne travaille pas en
français chez Bell. C'est complètement faux.
M. Leduc (Fabre): Ce n'est pas cela que je veux dire.
M. Beauregard: On travaille en français dans les deux cas,
mais je maintiens qu'en toute vraisemblance, quant à l'expertise
exportée d'Hydro, lorsqu'elle se fait dans la plupart des pays du monde,
les ingénieurs travaillent probablement en anglais au même titre
que les nôtres. Voilà ce qu'on vous dit.
M. Leduc (Fabre): Oui, je suis d'accord, mais ils sont bilingues.
Ils fonctionnent dans un cadre à peu près unilingue dans le cas
d'Hydro-Québec et cela ne les empêche pas...
M. Beauregard: Dans le nôtre aussi. (18 heures)
M. Leduc (Fabre): Vous aussi, d'accord; mais je reviens à
votre critique de l'article 46. Vous semblez souhaiter une modification
à l'article 46 parce que vous craignez que cela ne conduise à
l'unilinguisme à l'intérieur de l'entreprise de la part des
employés.
M. Beauregard: Non, nous ne demandons pas de modifications
à l'article 46. On a dit que l'existence de l'article 46 semble avoir
engendré dans certains segments de la population, notamment parmi la
nouvelle génération de jeunes cadres, une mentalité qui
les amène à croire qu'on peut se tirer d'affaire au Québec
- et c'est vrai qu'on le peut à un certain niveau et dans certaines
activités - en étant unilingue français. C'est ce que je
dis.
M. Leduc (Fabre): D'accord.
Le Président (M. Desbiens): II est 18 heures...
M. Gratton: M. le Président...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: ...compte tenu qu'il semble y avoir cinq minutes dans
le partage du temps qui appartiendraient au Parti libéral, pouvons-nous
demander le consentement unanime pour continuer encore cinq minutes pour
permettre au député de Nelligan de poser quelques courtes
questions?
M. Godin: D'accord.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau, ce sont à peu près les chiffres qui sont
mentionnés. Je ne le calculais pas dans ce sens, parce que tantôt,
lors des interventions précédentes, il n'y a pas toujours eu
égalité parfaite, mais, en tout cas, j'ai le consentement. M. le
député de Nelligan.
M. Lincoln: M. Beauregard, il y a environ 23 000 employés
à Bell. Pourriez-vous nous dire la proportion, le nombre de gens qui
oeuvrent dans la haute technologie, dans la recherche parmi ces 23 000? Vous
parlez de combien à peu près? Serait-ce possible de nous le dire?
Parlez-vous de centaines de milliers?
M. Beauregard: Au Québec, on peut parler de milliers, sans
doute.
M. Lincoln: Alors c'est un nombre significatif. Pourriez-vous me
dire, de ces gens qui sont dans la recherche, quelques milliers ou plusieurs
milliers, enfin un nombre assez significatif, combien vous pourriez en trouver
sur le marché même du Québec qui ont les capacités,
les connaissances nécessaires? Je parle des connaissances
professionnelles; je ne parle pas de connaissances de langue
nécessairement.
M. Beauregard: Quand on parle du nombre dont je viens de vous
parler, de milliers, il faudrait s'entendre, et ce serait difficile de savoir
de quoi on parle exactement quand on parle de haute technologie.
M. Lincoln: Oui, d'accord.
M. Beauregard: Des gens qui manipulent, qui travaillent dans la
haute technologie, passablement sophistiquée, il y en a des milliers.
Les gens qui travaillent au plan de la recherche, au plan du design, comme
concepteurs ou autrement, leur nombre est passablement plus limité.
C'est surtout là qu'est le problème.
Pour ce qui est des contingents successifs qui nous arrivent sur le
marché du travail d'ingénieurs qui sortent de Laval, de McGill ou
de Polytechnique, on a, au Québec, d'emblée toutes les ressources
qu'il nous faut, dans la mesure, comme tous les pays occidentaux, où on
a un nombre suffisant d'ingénieurs spécialisés en
électronique ou autrement. Je ne prétends pas que c'est le
règne des vaches grasses, mais on en a suffisamment. On parle
probablement d'un nombre beaucoup plus petit, de quelques centaines, quand on
parle de gens qui ont vraiment des rôles cruciaux au niveau du
développement technologique, et cela, effectivement - on l'a
mentionné au sommet sur les télécommunications -
était
une des raisons qui limitent la rapidité du développement
de Northern Telecom ou de RBN au Québec. Concernant les
détenteurs de doctorats, dans certains aspects des sciences
informatiques et des télécommunications, M. Montambeault a bien
signalé au ministre des Communications qu'on pourrait utiliser à
peu près, dans la famille Bell, une dizaine de Ph. D par année,
alors que les universités du Québec en produisent un.
M. Lincoln: Est-ce dans cet ordre d'idées que
l'association des directeurs de recherche scientifique avait produit un rapport
au gouvernement du Québec, en 1977, qui recommandait
précisément des modifications à la loi 101 par rapport
à la langue de l'enseignement pour permettre une beaucoup plus grande
flexibilité pour les enfants de s'adapter à l'école
anglaise? Dans ce sens, est-ce une des difficultés majeures que vous
rencontrez pour aller recruter des gens à l'extérieur?
M. Beauregard: Oui, il n'y a pas de doute que la loi pose des
difficultés quand on approche certains candidats qu'on aimerait attirer
ici.
M. Lincoln: Du côté inverse, vous transférez
des francophones du Québec en Ontario, par exemple, d'une façon
assez significative, plusieurs centaines et peut-être plus. Est-ce qu'ils
ont des problèmes avec leur enseignement en français en
Ontario?
M. Beauregard: Je suis porté à le croire. Remarquez
que je suis obligé de formuler ma réponse comme ceci: Je suis
porté à croire qu'ils ont sans doute dû éprouver des
difficultés sérieuses à certains moments et qu'un
transfert du Québec vers l'Ontario ne devait pas toujours être
particulièrement joyeux, à un moment surtout où la
compagnie faisait beaucoup plus de transferts qu'on n'en fait aujourd'hui. Les
familles sont beaucoup moins mobiles qu'elles ne l'étaient. On ne veut
pas se déplacer pour le simple plaisir de se déplacer. Il est
certain que le manque de services en français en- Ontario a probablement
rendu des affectations de Québécois en Ontario pas toujours
souhaitables et désirables.
M. Lincoln: Quelle est la situation aujourd'hui? Le
savez-vous?
M. Beauregard: Je vous répondrai juste sur la situation du
court terme. Elle est malheureuse pour tout le monde, pour nos employés
et le Québec dans son ensemble. Les conditions économiques sont
telles qu'il n'y a virtuellement pas eu de déplacements, de mutations,
de promotions chez Bell Canada depuis à peu près deux ans.
M. Lincoln: Une dernière question sur l'article 58. Vous
donniez comme exemple "express cash", etc. D'après ce que disait mon
collègue de D'Arcy McGee, vous n'êtes pas obligés de vous
soumettre à l'article 58. Pourquoi voudriez-vous qu'on le modifie
puisque, selon votre charte fédérale, vous auriez pu afficher
"express cash"? Pourquoi ne le faites-vous pas de toute façon puisque
vous avez la permission selon la loi fédérale?
M. Beauregard: La réponse qui me viendrait le plus
instinctivement, c'est de dire - je crois que notre heure de discussion et plus
vous l'a montré - que la voie qu'a empruntée Bell Canada dans ce
domaine a été d'avoir le moins de confrontations - le terme
serait peut-être fort - le moins de "dysfonctions" possible. On n'allait
pas faire tout un plat pour la non-possibilité de mettre "express cash"
"caisse rapide". On s'est plutôt dit: II y aura fort heureusement des
ajustements qui seront apportés un jour; on en fera état avec
peut-être d'autant plus de crédibilité qu'on aura suivi les
prescriptions qui ne nous paraissaient pas particulièrement
indiquées. C'est une approche qui, je crois, a caractérisé
le comportement de la corporation en cette matière. On s'est
accommodé de quelques frottements au nom d'une logique qui nous
paraissait plus large.
M. Lincoln: S'il n'y avait pas ces accommodements - par exemple,
vous parlez de l'article 58, - est-ce que vous seriez prêt à
considérer l'autre solution?
M. Beauregard: Je ne suis certainement pas le grand patron de
Bell Canada. Je ne sais pas quelle serait l'attitude de la corporation à
cet égard.
Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie.
M. Gratton: M. le Président...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau, en terminant.
M. Gratton: ...si vous me le permettez, j'aimerais remercier
madame et messieurs de la compagnie Bell et leur adresser non pas une question,
mais une demande. Tantôt, quand on a parlé des bottins
téléphoniques unilingues français, vous avez dit, je
pense, si j'ai bien compris, que vous n'étiez pas habilité
à nous dire pourquoi vous aviez pris cette décision. Serait-il
possible de nous faire parvenir l'information à la commission par
courrier?
M. Beauregard: J'en parlerai à mes collègues de
Télé-Direct.
M. Gratton: Merci pour votre
présentation.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: En conclusion, merci, M. Beauregard et non pas M.
Beauchamp -veuillez m'en excuser - pour votre contribution à cette
commission qui est remarquablement intéressante pour nous, du
gouvernement, qui avons à réfléchir sur l'avenir de la loi
101 et de la francisation, avec tout ce que cela peut impliquer.
Vos diverses mentions des articles qui vous semblent causer des
problèmes sont notées. Je retiens, par ailleurs, en terminant,
quant à l'article 51, que sa portée est fondamentale pour le
français au Québec et en Amérique du Nord. Il y a un
écrivain israélien qui a dit: "Une langue, c'est un dialecte avec
une armée." Nous n'en sommes pas encore là, ici, grâce
à Dieu. Je dirais qu'une langue, c'est un dialecte avec un
marché. Si le français est respecté au Québec,
c'est en partie parce qu'il y a des milliards qui sont dépensés
par des francophones pour acheter des produits ici. Donc, puisque vous
récoltez environ 1 500 000 000 $ par année, selon le dernier
rapport annuel, au Québec, l'article 51 vous amène par
capillarité, par extension, à demander à vos fournisseurs
de vous envoyer de la documentation en français. Cette demande pour le
français qui vient d'ici, de notre marché, de nos poches, en
fait, et de notre argent, c'est ce qui fait que le Québec peut encore
parler français et pourra continuer de le faire. On a vu dans d'autres
parties du continent nord-américain que, faute d'avoir ce poids
économique, ce marché, le français n'a plus eu de sens, ni
de portée économique. Donc, c'est une réflexion que, j'en
suis sûr, vous partagez à savoir que, si le français
constitue encore un poids au Canada et aux États-Unis, c'est parce qu'il
y a ici un marché puissant et relativement riche. Donc, par extension,
ce que vous faites en vertu de l'article 51 - et ce que vous faisiez avant,
j'imagine - a un impact considérable sur le respect que le
français peut inspirer dans le reste du monde. Cela joue
également pour Bell Canada, pour la langue que vous avez apprise sur les
genoux de votre mère. Cela joue pour Mme Cardinal, ainsi que pour M.
Gadoury et M. Deschamps et pour nous tous ici.
Si cette langue, que nous avons apprise dans la maison et dans le
berceau, a un sens encore aujourd'hui dans le monde, en 1983, c'est parce que
nous sommes un marché. On prend des décisions qui, à
première vue, peuvent être emmerdantes et ennuyeuses pour
l'entreprise, mais la portée globale de ces articles est très
lourde et aura des effets dans les décennies à venir. C'est pour
cela que je serai très prudent avant de modifier l'article 51. Quant au
reste, on peut en discuter. Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.
La commission élue permanente des communautés culturelles
et de l'immigration suspend ses travaux jusqu'à 19 h 30.
(Suspension de la séance à 18 h 11)
(Reprise de la séance à 19 h 46)
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission élue permanente des communautés culturelles
et de l'immigration reprend ses travaux pour entendre tous les intervenants
intéressés par la Charte de la langue française.
Ce soir nous entendrons la Confédération des syndicats
nationaux et la Fédération des affaires sociales, le Parti
québécois Montréal-Centre et le Parti
québécois Dorion.
Avant d'entreprendre l'audition du mémoire de la centrale
j'aimerais faire une remarque à la suite des deux propositions qui ont
été faites aujourd'hui, l'une par le député de
Mont-Royal portant sur la demande d'inclure le mémoire de la Chambre de
commerce du Québec au journal des Débats, la deuxième par
le député de Deux-Montagnes demandant d'inclure le mémoire
entier de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. J'ai
vérifié la directive du 30 mars 1982. Elle est très
claire. Il n'y a plus aucune inclusion de mémoires au journal des
Débats depuis cette date. Autrefois c'était sur demande;
maintenant il n'y a plus de ces inclusions.
Je rappelle toutefois aux gens, à la population, aux personnes
intéressées, que la consultation sur place au Secrétariat
des commissions est toujours possible et également il y a
possibilité de se procurer copie des mémoires qui sont
présentés ici-même à la table du greffier pendant le
déroulement de nos travaux ou de s'abonner au journal des Débats
ou encore par la suite consulter les mémoires à la
bibliothèque. M. le député de Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: M. le Président, je vous remercie de
nous avoir informés du fait que vous allez vous conformer à cette
directive de la présidence de l'Assemblée. Je ne vais pas
m'insurger contre ce fait mais je pense que dans les circonstances il serait
bon que nous ayons comme pratique - et ce sera à vous, M. le
Président, d'y voir - d'informer les gens qui se présentent
devant nous que ce qui paraît au journal des Débats est ce qu'ils
disent au micro et rien d'autre. Si des gens qui se sont donné le mal de
travailler
pendant des mois pour préparer un mémoire plein de
renseignements utiles et faisant une démonstration très
poussée de leur point de vue et qu'ensuite, sentant la pression du
temps, ils décident sur place de n'en présenter qu'un
résumé de vive voix qui risque de n'en être qu'une
pâle copie, que ces gens sachent que ce ne sera que la pâle copie
qui sera au journal des Débats.
Quant à la disponibilité des textes au Secrétariat
des commissions et à la bibliothèque du parlement, je prends
votre assurance, M. le Président, que cela assurera la même
pérennité aux textes que s'ils étaient versés au
journal des Débats. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): C'est exactement cela et ils
sont là pour l'éternité; sur micro film ou quelque chose
d'autre probablement un jour.
M. Gratton: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: Simplement une remarque. On sait qu'avec la
réforme parlementaire on risque fort que les règles de pratique
changent de façon assez draconnienne. Quant à moi je retiens les
propos du député de Deux-Montagnes - siégeant à la
sous-commission de l'Assemblée nationale qui étudie
présentement la réforme parlementaire, je pense qu'il y aurait
lieu - c'est justement, au moment où on se parle, l'endroit où on
en est rendu dans nos délibérations, c'est-à-dire les
nouvelles commissions parlementaires - de soulever ce point et de faire en
sorte qu'on puisse donner toute la latitude voulue à ceux qui veulent se
faire entendre devant les commissions parlementaires, et de le faire d'une
façon où ils pourraient inscrire, au journal des Débats ou
ailleurs, pour la postérité des propos que le temps, que les
règles de pratique ne leur permettraient pas de faire.
Le Président (M. Desbiens): M. le député
d'Outremont.
M. Fortier: Je crois que l'intention de mon collègue de
Deux-Montagnes n'était pas de suggérer que la meilleure
façon de faire passer un point de vue était nécessairement
de lire un mémoire de A à Z, puisque nous avons eu devant nous
plusieurs exemples où ceux qui avaient un mémoire très
long qu'ils ont lu n'ont pas réussi autant que d'autres qui l'ont
synthétisé, à faire passer leur message. Je crois que ce
n'était pas nécessairement l'intention de mon collègue de
Deux-Montagnes de le dire, mais il faudrait quand même que ceux qui se
préparent pour venir à cette commission sachent que, surtout
quand la commission est télévisée comme c'est le cas
présentement, une présentation dynamique, comme celle que la
Société Saint-Jean-Baptiste a faite avant le dîner, est
plus susceptible de faire passer un message que la lecture d'un document qui
est quelquefois trop long. Par ailleurs, je crois qu'il est peut-être
utile de référer au journal des Débats et de voir le texte
in extenso. Mais il ne faudrait pas laisser croire à ceux qui, dans
l'avenir, pourraient venir devant les commissions parlementaires que la
meilleure façon de faire passer un message et d'articuler une dynamique
de discussion sur deux ou trois points est de lire le document au complet
plutôt que de le résumer.
Je crois qu'entre nous on se comprend, que nos désirs et les
désirs de ceux qui viennent devant les commissions parlementaires seront
entendus par la sous-commission de l'Assemblée nationale.
Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie.
M. Larose, Mme Campbell et - il y a un troisième invité
qui n'est pas inscrit sur ma liste.
CSN
M. Larose (Gérald): M. Rioux, le directeur de
l'information à la centrale, lequel est responsable du suivi du dossier
de la langue.
Le Président (M. Desbiens): Michel, je pense.
M. Larose: Michel Rioux.
M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs les
députés. Avant d'entreprendre la lecture du mémoire, je
voudrais faire une correction immédiatement à la page 4: à
la quatrième ligne, si vous voulez biffer jusqu'aux mots "se retrouve".
C'était là une erreur de transcription; cela va faciliter un peu
plus la compréhension du paragraphe.
Le Président (M. Desbiens): Si vous voulez
répéter, s'il vous plaît!
M. Larose: C'est à la page 4, quatrième ligne: vous
biffez tous les mots jusqu'aux mots "se retrouve".
Le Président (M. Desbiens): Merci.
M. de Bellefeuille: ..."Est disparu pendant qu'une autre
partie."
M. Larose: Voilà, c'est cela qu'on biffe. La
décision de rouvrir, à ce moment-ci de notre histoire, le dossier
linguistique peut ne
pas paraître des plus pertinentes. On pourrait même s'en
inquiéter, non pas parce qu'une loi étant un jour votée,
il faille s'en tenir à sa lettre jusqu'à la fin des jours: il est
vrai que les lois sont susceptibles d'amélioration, après avoir
subi l'usure du temps, après qu'elles ont été soumises
à l'expérimentation concrète. D'ailleurs, nous savons tous
que les lois dont la lettre ne correspond plus à l'esprit du temps
finissent par devenir caduques en quelque sorte et à tomber
d'elles-mêmes en désuétude.
La question à se poser consiste donc en ceci: l'esprit qui a
conduit à l'adoption de la charte, il y a six ans, et qui avait
emporté un appui très large de la part du peuple
québécois demeure-t-il encore? Les objectifs fondamentaux
poursuivis par la Charte de la langue française qui touchent la
dignité des hommes et des femmes et leur épanouissement collectif
sont-ils encore valables? Sont-ils encore partagés par une grande
majorité des Québécois et des Québécoises?
C'est par le biais de ces questions fondamentales que nous croyons
approprié d'aborder la situation. Pour la CSN, l'essentiel demeure que
la francisation continue de progresser et que cette francisation continue de se
faire dans le plus grand esprit de tolérance et d'ouverture d'esprit
possible.
C'est ainsi que nous préférons voir, dans l'invitation qui
est faite de débattre à nouveau de la question linguistique, une
occasion d'exprimer un point de vue visant essentiellement à consolider
les acquis.
Si nous manifestons une inquiétude quant à la pertinence
de rouvrir le débat linquistique à ce moment-ci, cela tient
à plusieurs facteurs. D'abord, il nous faut convenir que les coups de
boutoir assénés à la loi 101 par les tribunaux ou encore
par le gouvernement fédéral lors de l'adoption de la Constitution
canadienne sont venus affaiblir sensiblement la force et la portée de la
législation linguistique québécoise.
Des pans entiers de la loi sont tombés: le chapitre III, portant
sur la langue de la législation et de la justice a été
emporté, une partie importante du chapitre VIII, portant sur la langue
de l'éducation, se retrouve devant la Cour suprême. Il n'est pas
irréaliste de prévoir qu'à moyen terme à peu
près tout ce qui touche la langue de l'enseignement devra être
rebâti. Nous cueillerons alors les fruits empoisonnés d'une
Constitution canadienne qui nous a été imposée par un coup
de force dont nous avons déjà dénoncé la nature et
la portée, mais nous n'y sommes pas encore.
De même, certaines dispositions du chapitre VII touchant la langue
du commerce et des affaires se retrouvent devant les tribunaux. Sans
préjuger des décisions finales, admettons cependant qu'il y a un
risque potentiel de voir ce chapitre subir à son tour certaines
amputations.
Quant au reste, même si la Charte de la langue française a
globalement imprimé une impulsion qui, bien qu'imparfaite et encore
inachevée, se dirige dans la bonne direction, on ne peut pas affirmer
aujourd'hui que tout est assuré, que tout est consolidé. On ne
peut certainement pas procéder à des changements à la loi
qui ne tiendraient pas compte des données politiques et juridiques que
nous venons de souligner. Cela fait largement partie du débat et doit
absolument être pris en compte.
De là notre inquiétude devant la démarche du
gouvernement. Il ne nous paraissait pas nécessaire de tenir une
commission parlementaire pour que la loi soit appliquée de
manière moins tatillonne puisqu'un certain nombre de problèmes en
ce sens ont été soulevés depuis six ans ou encore pour que
soient prises les mesures administratives nécessaires pour que ceux qui
ont à appliquer la charte ne lui fassent pas dire, selon les cas, soit
plus, soit moins qu'elle ne le prévoit en réalité.
La position de principe que nous soutenons est donc la suivante: Les
seules modifications ou changements à la charte que nous pourrons
appuyer seraient ceux ayant pour effet le renforcement du pouvoir des
travailleurs sur les questions touchant la langue de travail et le respect de
leurs droits syndicaux.
Nous croyons important de faire un retour, si rapide soit-il, sur ce qui
s'est passé sur le front de la langue de travail depuis l'adoption de la
charte.
Notons tout d'abord que les travailleuses et les travailleurs
concernés au premier chef par les dispositions touchant la langue de
travail ont pu sembler se désintéresser de cette question
à partir du moment où la loi a été adoptée,
c'est du moins l'impression qui se dégage. Il y a certes là un
fond de vérité. Nous devons le constater et, en même temps,
tenter de dégager un certain nombre d'explications.
Tout d'abord, comme la chose se produit souvent lors de l'adoption de
lois, il y a sans doute eu la réaction normale voulant que le
problème soit réglé une fois qu'une loi est
adoptée. Le problème a été identifié, les
choses suivent leur cours normal; comme le gouvernement s'en est occupé,
on n'a plus à le faire. Nous savons bien que ce n'est pas ainsi que les
choses se passent, mais il y a dans cette attitude une part d'explication
à l'espèce d'apathie qui a pu être observée chez les
travailleurs depuis l'adoption de la charte. Si cela a pu jouer, ce n'est pas
là que nous voyons les raisons les plus importantes à la
démobilisation constatée. Nous y voyons beaucoup plus le
résultat de l'influence conjuguée de deux facteurs: la situation
économique et la conviction rapidement acquise que les
travailleurs n'avaient pas un rôle actif dans le processus de
francisation, ni la connaissance, ni les pouvoirs nécessaires à
une contribution signifiante. (20 heures)
En novembre 1982, au cours d'un colloque tenu sous le thème
"Langue et société", un journal avait publié le titre
suivant, qui courait sur six colonnes: "La francisation nuit à la
situation économique". C'était, bien sûr, un hommes
d'affaires qui avait fait une telle déclaration.
D'ailleurs, il ne faut pas se surprendre des hauts cris patronaux en
regard de tout ce qui touche la nécessité pour l'État
d'intervenir directement pour soutenir, en l'occurrence, la francisation du
Québec. C'est la même réaction que l'on constate quant
à la fiscalité ou encore aux lois du travail. Les employeurs se
gardent cependant, règle générale, de mettre l'accent sur
les résultats positifs qui ont pu être constatés par suite
de l'applicaiton de la loi 101. Une étude réalisée en
avril 1980 par la firme ECONOSULT, portant sur les avantages et les coûts
de la francisation, en arrivait à la conclusion qu'à moyen terme,
les bénéfices pour les entreprises seraient supérieurs aux
coûts inhérents à la francisation. Ces coûts
étaient alors évalués à 0,5% du chiffre d'affaires,
en moyenne. Selon cette étude, en effet, l'usage accru du
français au travail amène un accroissement de la
créativité, de l'innovation et de l'initiative, de même
qu'une plus grande efficacité dans les communications. Tous ces
facteurs, on le comprendra, sont de nature à avoir des effets positifs
sur la productivité dans une entreprise.
Sans caricaturer, nous pourrions affirmer à peu près le
contraire de ce que disait cet homme d'affaires, à savoir que c'est la
situation économique qui a nui à la francisation, dans le sens
suivant, à notre point de vue.
Les grandes luttes en faveur de la langue, auxquelles la CSN a toujours
été intimement liée, se sont déroulées au
moment où l'économie était en progrès. La
récession économique, avec les difficultés réelles
de chômage, les fermetures d'usines et les mises à pied à
peu près permanentes, a directement influencé la capacité
de mobilisation des travailleurs et de leurs organisations.
On comprendra facilement que, dans un syndicat où la
moitié des membres sont en chômage, on consacre les
énergies militantes de ceux qui restent à des problèmes
qui se situent davantage au niveau de la survie pure et simple. La
détérioration économique, qui était
commencée lors de l'adoption de la loi 101 et qui s'est poursuivie avec
les rigueurs que l'on connaît, a certainement été un frein
pour la mobilisation des travailleurs et des travailleuses sur les questions de
la langue.
À ces conditions économiques extrêmement difficiles
se sont ajoutés des facteurs qui, dès l'adoption de la loi,
faisaient déjà l'objet des appréhensions de la CSN. Ce qui
s'est produit depuis six ans n'a fait que confirmer ce que nous avions craint
et que nous avions signalé. Nous voulons parler plus
précisément des comités de francisation.
Les travailleurs, règle générale, ne prennent pas
beaucoup de temps avant de se rendre compte s'ils ont ou non la
possibilité d'infléchir le déroulement des choses, s'ils
ont ou non une prise sur le réel, en quelque sorte.
Or, après six ans de fonctionnement, on peut affirmer sans
crainte de se tromper que les comités de francisation ont
été un échec à peu près total. Sauf de
très rares exceptions, les travailleurs et les travailleuses s'en sont
désintéressés dès le moment où ils se sont
rendu compte qu'ils n'avaient ni le savoir nécessaire, ni les pouvoirs
qu'il aurait fallu pour changer quoi que ce soit aux intentions de
l'entreprise.
Ce n'était pas l'intention de la loi de faire en sorte que les
travailleurs ne se sentent pas concernés par ce qui aurait dû les
intéresser au premier chef. On peut même penser le contraire. Mais
le résultat demeure: les travailleurs ne se sont pas sentis
intéressés par la francisation et les comités de
francisation ont été rapidement perçus comme des endroits
où ils ne pouvaient pas faire valoir leurs points de vue de façon
valable. Or, il est dans la tradition syndicale de ne pas perdre de temps ni de
gaspiller les énergies militantes à des endroits ou dans des
domaines où on ne croit pas pouvoir changer ou influencer quelque
chose.
Dès le départ, et cela s'est poursuivi jusqu'à
maintenant, les travailleurs, les travailleuses et les syndicats se sont sentis
démunis quant aux moyens à leur disposition. Au mieux, si on peut
dire, ils ont joué le rôle de "rubber stamping" dans les
comités de francisation. Au pire, ils n'y ont pas participé.
Minoritaires au sein de ces comités, les travailleurs n'ont pas
eu non plus accès à la connaissance. Nous avions
réclamé en commission parlementaire, en juillet 1977, que l'on
fournisse des outils aux travailleurs et à leurs syndicats. Nous
disions: "La loi devra prévoir que les dépenses inhérentes
à ces comités de francisation sont la responsabilité de
l'entreprise. Les moyens financiers forcément limités de nombreux
syndicats locaux en amèneraient plusieurs à ne pouvoir participer
à ces comités où, nous le répétons, les
travailleurs sont intéressés au premier chef."
Il a fallu à peu près deux ans avant que l'Office de la
langue française ne pro-
duise un dépliant expliquant aux membres des comités de
francisation quels étaient leurs pouvoirs. Cet outil est arrivé
trop tard, une fois que les travailleurs eurent constaté leur
impuissance.
Nous nous retrouvons aujourd'hui face à une superorganisation de
type bureaucratique où nous apprenons, sans pouvoir véritablement
vérifier au fond des choses, que tant de milliers d'entreprises ont
reçu leur certificat de francisation, que cela rejoint tant de millions
de travailleuses et de travailleurs. Mais il nous manque ce que nous avons
appelé plus haut la prise sur le réel et qui ne pourra
qu'être le fait d'une implication beaucoup plus grande des travailleurs
et des travailleuses dans le processus de francisation.
Dans ce qui s'annonce comme étant la deuxième étape
de la francisation du Québec, nous réclamons que soit
prévu l'élargissement de la participation des travailleurs et des
travailleuses au sein des comités de francisation; il n'est pas normal
que les travailleurs ne comptent que pour un tiers de ces comités.
On devra aussi prévoir qu'au sein de ces comités de
francisation, dont la vocation devra être redéfinie puisque, en
principe, la majorité d'entre eux est à la veille d'avoir
terminé le mandat qui lui est dévolu par la loi, les travailleurs
et leurs syndicats pourront compter sur un meilleur appui quant aux outils
nécessaires à l'accomplissement de la tâche de
francisation. Il faudra aussi prévoir que les travailleurs, les
travailleuses et leurs organisations puissent compter sur les budgets
nécessaires à la formation des membres de ces comités. On
pourrait prendre exemple sur ce qui se fait au plan de la santé et de la
sécurité, où des moyens financiers sont mis à la
disposition des syndicats pour la formation et le fonctionnement des
comités. Depuis l'entrée en vigueur de la loi, c'est la plupart
du temps à leurs frais et aux frais de leurs syndicats que les
travailleurs ont pu s'occuper de francisation. Pendant ce temps, les
entreprises paient à leurs représentants les frais
inhérents à l'accomplissement de leurs fonctions. On constate
donc un déséquilibre sur le plan de la possession du savoir qui
continue d'être à l'avantage des entreprises et qui contribue
à éloigner les travailleurs de luttes auxquelles, de toute
évidence, ils devraient participer.
Dans la même veine, étant donné la structure
industrielle du Québec, nous réclamons à nouveau que les
entreprises comptant de 50 à 100 employés soient maintenant
tenues de former un comité de francisation. Là aussi, dans la
perspective d'une nouvelle étape dans le processus de francisation, nous
pensons qu'il serait normal que la francisation continue de s'étendre au
plus grand nombre de lieux de travail.
La charte de la langue ne prévoit pas la formation de
comités de francisation dans les organismes de l'administration. Nous
revendiquons la création de tels comités, dans la perspective que
nous venons de décrire d'une nouvelle vocation à donner à
ces comités. Ils pourraient être les lieux, dans les organismes de
l'administration, où les travailleurs, les travailleuses et leurs
syndicats pourraient avoir une véritable prise sur l'application de la
loi et sur son respect, le cas échéant.
C'est dans le même esprit que nous prenons à notre compte
les revendications de syndicats de travailleurs et de travailleuses
affiliés à la CSN et qui oeuvrent dans des institutions dites
anglophones, particulièrement dans les institutions de santé de
la région montréalaise.
Nous sommes informés du fait que les directions de ces
institutions font dire à la loi 101 beaucoup plus qu'elle ne l'exige
dans les faits, avec le résultat que la charte nous semble quelquefois
utilisée à d'autres fins que celles pour lesquelles elle a
été adoptée. Dans certaines institutions, elle semble, ni
plus ni moins, utilisée à des fins politiques qui n'ont rien
à voir avec la francisation et le respect des droits des travailleurs et
des travailleuses. De même, le risque de voir la charte utilisée
pour des fins antisyndicales doit être évité.
Actuellement, en vertu de l'article 20 de la charte, les directions
d'institutions sont seules à "établir les critères et
à déterminer les modalités" de ce qui est décrit
dans le premier paragraphe comme la "connaissance appropriée à
cette fonction", dans le cas de nominations, mutations ou promotions. Quand on
laisse les employeurs déterminer seuls, de façon
unilatérale, les critères de la nature de ceux prescrits à
l'article 20, il est sûr qu'on peut s'attendre qu'on fasse dire à
la loi, et c'est souvent le cas, autre chose que ce qu'elle dit ou que ce qui
est compris dans son esprit.
C'est ainsi que dans certaines institutions dites anglophones, on fait
croire à des travailleurs et à des travailleuses qu'à
compter du 31 décembre prochain, tous les postes dans l'institution
devront faire l'objet d'examens de la connaissance du français. On
comprendra l'inquiétude qui s'empare de la femme de 50 ans, qui
travaille à la buanderie, mais qui est unilingue anglophone, et à
qui on fait peur en agitant le spectre de la langue pour la menacer dans son
emploi.
Ne nous attardons pas sur l'utilisation politique que les dirigeants de
ces institutions font de l'insécurité de ces gens; nous
connaissons trop le phénomène. Mais comme organisation syndicale,
nous revendiquons que soit reconnu le droit pour les travailleurs, les
travailleuses et leurs syndicats de pouvoir négocier avec les
employeurs pour déterminer les postes qui nécessitent la
connaissance du français; de même, en corollaire, nous
réclamons que les examens pour déterminer la connaissance
appropriée à la fonction soient le fruit d'une négociation
et soient appliqués de façon uniforme dans toutes les
institutions, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il devra aussi être
prévu qu'il ne soit pas nécessaire à une ou un
employé de subir un nouvel examen dans le cas d'un changement
d'institution, pour l'exercice d'un emploi similaire.
Les risques d'utilisation arbitraire ou autre seraient à notre
avis de beaucoup réduits si les syndicats étaient partie prenante
à ces décisions. De plus, dans l'esprit même qui a
présidé à l'adoption de la loi 101, nous demandons que
pour les travailleurs et les travailleuses à l'emploi de ces
institutions au 31 décembre prochain, il n'y ait pas de perte de
sécurité d'emploi au sens de la convention collective - ou
plutôt du décret - pour la raison d'une connaissance insuffisante
du français. Les travailleurs et les travailleuses anglophones
conviennent du droit absolu de tous les francophones d'être servis ou
soignés dans leur langue, mais nous convenons aussi que tous les postes
et toutes les fonctions, dans une institution, ne nécessitent pas une
connaissance égale de la langue française. Et nous
réclamons pour les syndicats d'être liés à la
détermination de ces critères.
Pour ce faire, le gouvernement pourrait se prévaloir des
dispositions prévues à l'article 93 pour donner aux termes "les
organismes de l'administration" contenus à l'article 20 le sens que les
travailleurs et leurs syndicats en font partie.
Nous formulons à nouveau la revendication que des cours de
français puissent être dispensés à des travailleurs
et travailleuses anglophones, sur les heures de travail, pour les rendre aptes
à occuper certaines fonctions. Il est injuste que pareils cours soient
actuellement disponibles pour le personnel cadre et ne le soient pas pour les
simples travailleurs.
Enfin, nous suggérons, en rapport avec l'article 18, que
l'utilisation d'une autre langue puisse être possible dans les
communications internes dans les organismes reconnus en vertu de l'article
113f, pour autant, bien entendu, que le droit des travailleurs et des
travailleuses de langue française de recevoir ces communications dans
leur langue soit rigoureusement préservé.
Comme nous l'avons indiqué, dès l'ouverture, il ne faut
pas compter sur la CSN pour soutenir des propositions de modifications qui
iraient à l'encontre des objectifs que nous avions appuyés lors
de l'adoption de la charte de la langue. Ainsi, nous pensons qu'en ce qui a
trait à l'affichage, par exemple, les dispositions actuelles doivent
continuer de s'appliquer comme c'est le cas depuis l'entrée en vigueur
de la charte, soit avec la volonté qui s'impose en même temps que
la souplesse nécessaire à l'atteinte des objectifs. La charte
fait en quelque sorte figure de mythe aux yeux de centaines de milliers de
Québécoises et de Québécois. Elle est venue
rétablir en faveur de la majorité francophone ce qui avait
été jusque là un déséquilibre dangereux.
Il faut poursuivre dans cette direction, au cours de cette seconde
étape de francisation, en prenant les moyens nécessaires pour que
les travailleurs, les travailleuses et leurs syndicats, tel que nous l'avons
indiqué dans notre mémoire, aient davantage de prise sur ces
questions qui déterminent pour une bonne part leurs conditions de vie et
d'existence. Dans l'histoire d'un peuple, rien n'est jamais acquis, mais la
patience et la force de conviction font partie des outils à la
disposition de ceux qui veulent durer. Merci. (20 h 15)
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Godin: M. le Président, M. Larose, Mme Campbell, M.
Rioux, pour avoir été membre de la CSN à l'époque
où j'étais journaliste et pour avoir suivi de près les
luttes de la CSN, comme d'ailleurs du mouvement syndical depuis le tout
début, et pour avoir constaté que c'est grâce au mouvement
syndical si, au fond, il y a au Québec aujourd'hui une loi qui
reconnaît le droit des travailleurs et des travailleuses du Québec
à travailler en français, j'attache beaucoup d'importance
à ce que vous nous dites après quelques années d'exercice
et d'application des lois 22 et 101.
Je passe dès maintenant aux questions parce que, votre
mémoire étant très concret, j'aimerais, de façon
plus précise, savoir comment on devrait agir à l'avenir. Dans le
cas de la CSST, le financement des centrales syndicales provient, en partie, du
gouvernement, je crois?
M. Larose: II provient de la caisse de la CSST qui est
elle-même pourvue des sommes d'argent provenant des employeurs.
M. Godin: Est-ce que le gouvernement, comme tel, contribue au
soutien des comités de santé et de sécurité du
travail à l'intérieur de l'usine?
M. Larose: L'argent, c'est-à-dire...
M. Godin: Tout vient des fonds de la CSST?
M. Larose: Le fonctionnement des comités à
l'intérieur des usines se fait - si
vous me permettez l'expression - sur le bras du patron.
M. Godin: D'accord.
M. Larose: À partir du moment où il y a
consentement pour la création d'un comité paritaire, si le
comité se réunit, je ne sais pas, le mercredi ou le vendredi,
cela se fait sur le temps de travail; les gens sont libérés de
leur travail par le patron pour travailler au comité de santé et
de sécurité et c'est l'employeur qui les libère.
M. Godin: Est-ce que vous avez une idée, pour ce qui
touche la francisation et les comités de francisation, du budget qui
devrait être débloqué, peu importe la source, pour
permettre aux membres de la CSN de faire leur travail librement au sein de ces
comités de francisation?
M. Larose: Ce ne sont pas tellement des budgets que des
conditions favorables de libération pour les travaux du comité,
d'abord, et pour les travaux préparatoires à ceux du
comité. Dans ce sens-là, je ne crois pas que cela puisse
signifier des ajouts d'argent. C'est un aménagement du temps de travail
qui permet d'assumer ces responsabilités.
M. Godin: Dans les comités actuels, dois-je comprendre que
les réunions sont très peu nombreuses pour autant que vos
travailleurs et travailleuses, membres de la CSN, sont concernés? Est-ce
qu'il y a des difficultés qui tiennent au genre de solutions non
appliquées - des solutions que vous proposez qui ne seraient pas
appliquées - où les gens devraient faire cela sur leur temps
à eux et non pas sur leur temps de travail? Est-ce que c'est ce que je
dois comprendre?
M. Larose: Dans la pratique, ce qu'on a pu vérifier, c'est
que, pour les syndicats qui sont impliqués dans les comités de
francisation - les militants et les militantes impliqués - cela se fait
strictement en dehors des heures de travail, donc sur leur temps de loisir.
M. Godin: D'accord.
M. Larose: Cela, c'est clair. Ce qu'on souligne, par ailleurs,
c'est que, n'ayant aucun moyen pour s'équiper et se former à
toute cette question, doutant aussi un peu de l'impact et de la prise qu'ils
ont sur les décisions dans ces comités, ils doutent un peu de
leur pertinence en termes de participation. Ce qu'on constate, c'est que les
comités, globalement, n'ont pas fonctionné, à notre avis.
Il y a eu des efforts au tout début, mais les gens n'ayant pas le temps,
n'ayant pas été libérés, n'ayant pas eu des cours
de formation pour pouvoir s'inscrire dans la dynamique, ont abandonné
peu à peu. Parmi ceux qui ont continué, comme on dit dans le
texte, plusieurs sont devenus des "rubber stamping". On connaît, entre
autres, dans le domaine du papier, un supercomité national de
francisation. Il y en a un qui est du Saguenay-Lac-Saint-Jean, l'autre du
Cap-de-la-Madeleine, etc. Il reçoit la paperasse, il regarde cela et met
sa griffe. Mais on ne peut pas dire que c'est véritablement un
comité de francisation. Globalement, les rapports sur les travaux des
comités de francisation ont été faits par les employeurs,
avec l'office.
M. Godin: Merci. Maintenant, j'aimerais poser mes questions
à Mme Campbell, qui a travaillé dans un hôpital anglophone
de Montréal. Si je comprends bien, les hôpitaux anglophones sont
plus exigeants, dans les notes de passage d'examen de connaissance du
français, que l'Office de la langue française ne le serait
lui-même. Est-ce que je dois comprendre que c'est ce qui se passe?
Mme Campbell (Gail): On a eu une certaine expérience
où cela a été vrai. Ce qu'on cherche, c'est un moyen de
faire une standardisation comme telle. Il y a des hôpitaux qui font le
test eux-mêmes. D'autres institutions envoient des gens au Montreal Joint
Institute. On aimerait avoir une standardisation dans toute la province.
M. Godin: Pour l'ensemble des institutions de santé
anglophones.
Mme Campbell: Oui.
M. Godin: D'accord. Ma deuxième question, c'est: À
l'intérieur de ces comités ou de ces institutions, est-ce qu'il y
a une détermination qui est faite des postes qui exigent une
connaissance du français ou si on dit que c'est tout le monde,
contrairement à ce que la loi affirme?
Mme Campbell: On a cherché les moyens de connaître
les ententes que les institutions avaient faites avec l'Office de la langue
française. On n'a pas eu de réponse dans le secteur des
hôpitaux, mais, du CSS Ville-Marie, on a eu l'information à savoir
pour quelles tâches on exige la langue française, à quel
pourcentage, ainsi de suite. On n'a pas toute l'information
là-dessus.
M. Godin: Est-ce que je dois comprendre que certains
hôpitaux anglophones seraient plus catholiques que le pape, si je puis
dire, et exigeraient plus de français que l'office ou la loi
elle-même? Est-ce que c'est ce que je dois comprendre à la lecture
de votre mémoire?
Mme Campbell: Pour le moment, je pense que non. Mais, si la loi
permet des exigences abusives, si la loi n'affirme pas qu'il y a des tests de
standardisation qui doivent être passés, c'est là qu'il y
aurait des problèmes dans l'avenir, je pense.
M. Godin: Vous citez dans votre mémoire l'employé
de 50 ans qui travaille à la buanderie, qui est unilingue anglophone,
qui n'a aucun contact avec le public et qui n'a pas besoin d'avoir une
connaissance appropriée du français. Est-ce que vous avez des cas
où l'hôpital ou l'institution aurait dit à des personnes de
ces postes qu'elles devraient parler et connaître le français?
Mme Campbell: On a eu un cas à l'hôpital
Catherine-Booth où l'administration avait menacé les travailleurs
en disant qu'au 31 décembre tous les gens qui travaillaient dans cet
hôpital devaient passer des tests de français. Cela a finalement
été retiré. Maintenant, non, ce n'est pas
nécessaire de parler le français, mais, pour être
muté, pour être transféré à un autre
département, même dans un département où on
travaille en contact avec le public, il faudrait parler français. On
aimerait, pour la dame qui travaille à la buanderie, qu'elle puisse
avoir une session de formation à l'heure du travail et qu'elle puisse
être transférée ou être mutée n'importe
où.
M. Godin: On a laissé planer un certain temps des
exigences qui allaient beaucoup plus loin que la loi, si je comprends bien,
mais cela s'est résorbé à la suite de vos demandes ou de
vos négociations ou discussions avec les hôpitaux anglophones.
C'est ce que je comprends.
Mme Campbell: Ce qu'on aimerait avoir, c'est un moyen de faire
une négociation, un comité de francisation.
M. Godin: D'accord. Une dernière question. À
l'intérieur d'un hôpital anglophone, vous dites que la
communication écrite devrait se faire dans la langue des personnes qui
communiquent entre elles, si je comprends bien le sens du passage qui porte sur
cette question.
Mme Campbell: On parle l'anglais et le français
normalement. À l'hôpital Général...
M. Godin: ...mais pour ce qui est écrit, Mme Campbell,
pour les communications écrites, pour vous ou vos compagnes et
compagnons de travail, est-ce qu'il y a beaucoup de correspondance
écrite entre employés de l'hôpital?
Mme Campbell: Entre chaque employé de l'hôpital?
M. Godin: Oui.
Mme Campbell: Non. Normalement, cela vient de la direction.
M. Godin: De la direction aux employés.
Mme Campbell: Oui.
M. Godin: Est-ce que, d'après vous, le... Oui,
allez-y.
Mme Campbell: Sauf quand les gardes-malades et les
médecins écrivent les notations sur un dossier du patient.
À l'intérieur de la boîte, c'est là qu'il peut y
avoir des problèmes. Même si cela était accordé dans
la charte d'avoir le droit d'écrire les notes dans les deux langues ou
n'importe quelle langue, cela peut présenter des problèmes.
M. Godin: D'après votre expérience, est-ce que la
solution serait l'unilinguisme anglais ou le bilinguisme ou le bilinguisme
intégral? Vu les objectifs que vous mentionnez ici, quelle serait la
solution idéale qui devrait être appliquée pour les
communications, la correspondance écrite à l'intérieur
d'un hôpital anglophone?
Mme Campbell: C'est une bonne question. Il y a des moyens de
répondre. Je ne sais pas s'il y a une vraie réponse. Si on veut
garder le caractère de nos institutions anglophones, peut-être
faudrait-il que les deux langues soient respectées; même si on est
Québécois, si on vit ici avec le fait français, on aurait
aussi les moyens de s'exprimer en anglais.
M. Godin: Alors, la solution serait-elle du côté
d'une communication en anglais et en version française dans tous les
cas?
Mme Campbell: Je pense que cela devrait être la meilleure
méthode de procéder.
M. Godin: Merci, Mme Campbell.
Le Président (M. Desbiens): Merci. Mme la
députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
la CSN et la Fédération des affaires sociales pour leur
mémoire. Le message que M. Larose, au nom de la CSN, nous a transmis,
c'est que la francisation continue dans le domaine du travail, mais que cela se
fasse dans un esprit de tolérance et d'ouverture. Ici, autour de la
table, on est assez conscients que, dans le domaine du travail, il y a encore
des progrès à faire. Dans ce sens-là, on peut concourir
à
des moyens qui seraient mis en oeuvre pour s'assurer que ceci se
réalise le plus possible. Mais vous avez bien pris soin d'ajouter: dans
la tolérance et un esprit d'ouverture.
Je voudrais revenir un peu sur les questions du ministre. Pourriez-vous
me dire, et ceci est relatif au comité de francisation à
l'intérieur des entreprises - avant de toucher aux organismes
gouvernementaux que sont les institutions - dans les entreprises de quel
secteur particulier se trouve la CSN.
M. Larose: La CSN a des syndicats dans tous les secteurs. Il y a
les principaux secteurs, mais on a des syndicats dans tous les secteurs. Si on
veut parler du secteur privé, on en a massivement dans les papeteries,
dans la forêt, dans les fonderies, dans les chantiers maritimes, dans les
médias, dans le commerce au détail, dans l'alimentation, dans les
pêcheries et dans la métallurgie... Disons qu'on en a à peu
près dans tous les secteurs.
Mme Lavoie-Roux: On a eu ici l'Association des conseils de
francisation des entreprises qui est venue nous dire que la francisation
était réalisée, à leur point de vue, dans 70% des
entreprises privées; il restait 30%. On va laisser les 30% de
côté pour le moment. Dans ces 70% des entreprises où la
francisation a été réalisée, dans quelle mesure
cela a-t-il affecté la majorité des travailleurs qui s'y
trouvent? Car on fait une différence entre la francisation des
entreprises et la possibilité des travailleurs de travailler en
français. À votre connaissance, là où la
francisation, selon l'Association des conseils de francisation, a
été réalisée à 70%, diriez-vous que
parallèlement, dans ces entreprises, les travailleurs peuvent maintenant
travailler en français? (20 h 30)
M. Larose: On constate effectivement qu'il y a eu une
amélioration à ce niveau. Même, je dirais que le climat
dans les entreprises où on est passé du bilinguisme, dans le sens
que l'employé parlait français et se faisait répondre en
anglais par son patron... Maintenant que les rapports se sont normalisés
en français, il y a quand même plus de sécurité,
plus de bien-être dans l'entreprise. Je pense que cela a affecté
plutôt les gens qui se sentent moins étrangers dans leur propre
entreprise.
C'est clair qu'il reste beaucoup à faire, mais il y a quand
même un minimum de fait. Quand on dit que la francisation est faite dans
70% des cas dans les entreprises, je dirais . que c'est plutôt la
francisation formelle, c'est-à-dire peut-être la terminologie, un
certain nombre d'affaires et souvent ce sont des programmes. Parce que, selon
l'enquête qu'on a faite, c'est très régulièrement
l'employeur qui a négocié avec l'office le programme de
francisation; souvent cela s'est résumé à peu de chose,
c'est-à-dire l'affichage en français, la terminologie, etc. Comme
les travailleurs ne se sont pas impliqués dans le comité de
francisation, je pense qu'ils sont en demande, sauf que, comme ils ne se sont
pas impliqués dans le comité, c'est un travail qui reste à
faire. C'est dans ce sens qu'on dit qu'il y a une deuxième étape
à la francisation du Québec, c'est-à-dire qu'il va falloir
que ce phénomène s'approfondisse.
Mme Lavoie-Roux: Vous n'avez pas de statistiques quant au
pourcentage des travailleurs affiliés à la CSN qui, aujourd'hui,
travaillent en français?
M. Larose: Non. L'enquête qui avait été faite
précise que 55% des gens travaillent strictement en français
comparativement à 47%, vers les années soixante-dix-sept, mais,
chez nous, on n'a pas ce genre de statistiques pour nos propres membres.
Mme Lavoie-Roux: À la page 4 de votre mémoire, vous
demandez que la loi, en certaines circonstances, soit appliquée de
manière moins tatillonne puisqu'un certain nombre de problèmes
ont été soulevés depuis six ans. D'ailleurs, je pense que
c'est un peu l'objet de votre démarche aujourd'hui en relation avec des
travailleurs syndiqués de langue anglaise qui sont dans des syndicats
affiliés à la CSN.
Quels sont les problèmes que vous vouliez indiquer? Est-ce que ce
sont les problèmes dont on entend généralement parler
quant à l'application des tests? À quoi faites-vous
référence exactement?
M. Larose: À trois types de choses. Il est clair qu'il y a
eu des erreurs d'application, pensons au cas Joanne Curran, si je ne m'abuse. A
notre avis, il apparaissait quand même un peu aberrant. Quand on dit
moins tatillon, tout dépend qui tatillonne là-dedans. Comme Gail
le disait: Comme la loi permet effectivement à chacune des
administrations d'appliquer la loi un peu comme bon lui semble, de telle sorte
que, pour un même type d'emploi, dans un examen qui est passé
à Catherine Booth, on va demander 65% et, au Royal Victoria, 80%; il y a
là un arbitraire qu'on ne trouve pas très bon. Quant à
Catherine Booth, on menace les gens en disant qu'au 31 décembre, il faut
que tous aient passé leurs examens de français peu importent les
postes qu'ils occupent. On pense que c'est là du tatillonnage qui vient
d'un peu partout.
Le sens de notre proposition, c'est d'impliquer les gens au premier chef
que sont les travailleurs et travailleuses dans le processus de la francisation
et de la décision de la francisation. Dans ce sens, c'est un
renforcement des comités de francisation pour que les
travailleurs et travailleuses y soient impliqués, un minimum de
ressources pour qu'ils puissent participer, de telle sorte que la francisation,
de formelle qu'elle a beaucoup été, puisse s'approfondir.
On pourrait même voir à ce que le comité de
francisation puisse organiser des cours de français sur le temps de
travail pour un certain type de travailleurs qui voudraient avoir des
promotions ou participer à une chance de promotion. Alors, on pourrait
facilement organiser des cours dans l'entreprise ou dans l'institution. Cela
pourrait être piloté par le comité de francisation.
Quand on dit tatillon, ce n'est pas à la manière du
"tordeur" de Drapeau dont je pourrai parler tantôt. C'est que...
Mme Lavoie-Roux: Tout le monde peut être tatillon.
M. Larose: Pardon?
Mme Lavoie-Roux: J'ai dit que tout le monde peut être
tatillon.
M. Larose: Oui.
Mme Lavoie-Roux: Chacun son tour.
M. Larose: Et ce n'est pas nécessairement la loi.
Peut-être que l'encadrement de la loi fait qu'il y a plus d'arbitraire
sur cette question et on pourrait s'organiser pour qu'il y en ait moins. Dans
ce sens, une autre partie de notre proposition suggère que, sur la
francisation, on devrait minimalement négocier les tests avec les
organisations syndicales. Ce pourrait être un moyen de s'entendre sur des
choses qui pourraient s'appliquer de façon équivalente pour le
même monde dans l'ensemble des institutions.
Mme Lavoie-Roux: M. Larose, combien avez-vous de travailleurs
syndiqués de langue anglaise?
M. Larose: Dans le secteur des affaires sociales, c'est quelque
chose comme 6000 ou 7000. C'est 7000 aux Affaires sociales; à
l'Éducation, il doit y en avoir environ 1500; dans le secteur
privé, ce doit être environ 10 000.
Mme Lavoie-Roux: Grosso modo, entre 15 000 et 20 000, quelque
chose comme ça. À la page 9, vous dites: "De plus, dans l'esprit
même qui a présidé à l'adoption de la loi 101, nous
demandons que pour les travailleurs et travailleuses à l'emploi des
institutions au 31 décembre prochain, il n'y ait pas de perte de
sécurité d'emploi au sens de la convention collective - ou
plutôt du décret! - pour la raison d'une connaissance insuffisante
du français." Je voudrais que vous m'indiquiez où, dans la loi
101, il y a cette menace de perte d'emploi pour non-connaissance du
français. Il peut y avoir des exigences pour les mutations. Je voudrais
savoir à quel article vous vous référez pour tirer cette
conclusion.
M. Larose: Gail pourra peut-être donner un exemple
très concret. Au bout du processus de "bumping", il peut y avoir
congédiement administratif pour insuffisance de connaissance du
français. Ce peut être cela. Dans votre décret, il y a les
congédiements administratifs; c'est une nouveauté.
Mme Campbell: On a déjà eu le cas d'un bonhomme qui
a travaillé dans un centre éducatif. Il a travaillé dans
le secteur anglophone d'une institution francophone. Le secteur anglophone a
été déplacé vers une autre institution et le type
devait être "bumpé". Mais parce qu'il est unilingue anglophone -
il vient des West Indies - il ne peut être "bumpé".
L'administration l'a donc congédié.
Mme Lavoie-Roux: Merci. M. Larose, tout à l'heure, Mme
Campbell a fait référence à la survie des institutions
anglophones, au fait de savoir si on devait conserver des institutions
anglophones. À une question du ministre, elle n'avait pas de
réponse claire. Je voudrais savoir - je ne me rappelle pas le
mémoire que la CSN a certainement présenté et
déposé en 1977 -quelle est votre position comme syndicat sur la
reconnaissance d'institutions à caractère anglophone.
M. Larose: Je vous rappellerai d'abord nos positions
traditionnelles. Le ministre Godin a certainement participé à ces
travaux comme militant de la CSN à l'époque. En 1969, la CSN a
adopté l'unilinguisme français. L'ensemble des positions de la
CSN a toujours été sous ce chapitre, d'une certaine
manière. Dans les débats auxquels elle a participé, que ce
soit au niveau social ou au niveau politique, la CSN en est arrivée
effectivement à promouvoir l'affirmation du fait français de
façon positive au Québec.
Quant aux institutions dites anglophones, à notre avis, il n'est
pas pertinent d'isoler, d'identifier des institutions anglophones - parlons
d'un hôpital - comme telles quoique, dans la pratique, et avec la loi 101
telle qu'édictée, on puisse effectivement satisfaire la
clientèle dans sa propre langue, d'une manière ou d'une autre.
À notre avis, il ne faudrait pas systématiquement établir
deux réseaux chaque fois; socialement, on trouve que cela n'a pas de
sens. À un moment donné, on va
devenir comme la Belgique. Cela ne doit pas être fait de cette
façon. Nous pensons qu'il faut tout mettre en place pour l'affirmation
du fait français d'une façon positive et en favorisant
l'harmonisation ou l'intégration de l'ensemble des cultures. Mais on est
d'accord avec la souplesse, à l'article 18, c'est-à-dire qu'on
peut permettre, à l'intérieur de certaines institutions dites
anglophones, des communications en anglais entre deux personnes qui
décideraient de communiquer en anglais. On pourrait le permettre en plus
du français.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous feriez une différence,
comme la loi le fait, entre les institutions qui existaient avant 1977, avant
l'adoption de la loi 101, et d'autres qu'on voudrait peut-être
créer du point de vue d'un réseau d'institutions anglophones?
M. Larose: J'ai perdu le premier bout de votre question.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous feriez une différence -
votre réponse est un peu ambivalente, disons - entre la survie
d'institutions anglophones qui existaient avant l'adoption de la loi 101,
c'est-à-dire avant 1977, et la création d'autres institutions
anglophones qui pourraient survenir?
M. Larose: J'avoue que je ne "capiche" pas trop.
Mme Lavoie-Roux: C'est parce que j'ai essayé de comprendre
votre réponse. J'ai cru comprendre que vous étiez pour les
institutions anglophones, mais...
M. Larose: On n'est pas... Pour être très
clair...
Mme Lavoie-Roux: Non, vous n'êtes pas... Vous êtes
pour l'unilinguisme.
M. Larose: Non. Pour être très clair, on n'est pas
d'accord pour l'identification d'institutions anglophones. On est clair
là-dessus?
Mme Lavoie-Roux: Oui.
M. Larose: J'ai eu le malheur de voyager un peu. Il me semble
qu'il n'y a pas de surprises qu'une société se donne un
réseau complet et qu'en même temps elle aménage certaines
affaires pour permettre, je dirais, les rapports sociaux et humains normaux.
Dans ce sens-là, pour les institutions anglophones, ce qu'on dit, c'est
qu'en vertu de tout ce qui existe dans la loi 101, il est possible de servir la
population en tenant compte des particularités anglophones de certains
milieux, mais l'institution n'a pas à être qualifiée
d'institution anglophone par rapport à une institution francophone. On
n'est pas d'accord avec cela.
Mme Lavoie-Roux: J'aimerais poser une question à Mme
Campbell. Assez souvent, on a entendu dire que l'application de la loi 101
avait eu un effet ou a un effet - pas seulement a eu un effet -
démoralisant sur la motivation des travailleurs à
l'intérieur des institutions anglophones. Est-ce que c'est une fausse
impression? Est-ce que c'est basé sur la réalité? What is
your feeling about the application of Bill 101 to the English-speaking
institutions?
Mme Campbell: There is, definitely, a feeling of impending doom.
The Anglophone workers or the people... We are not only talking about
Anglophones, when we are talking about the English institutions. We have to
recognize that a large percentage of our worker population would be classified
as allophone: So, we have Portuguese, Italian, Greek, not necessarily in that
order, and about 70 other different nationalities that are represented,
obviously immigrants to Québec. They are not prepared, nor are many of
the Anglophones prepared to deal with the patient population. There have been
definite examples where the nurses and medical staff will hide their name tag,
will avoid approaching a patient because they do not have enough French. They
are afraid of being reported to the Office de la langue française. There
is a definite palpable fear.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que c'est comme cela depuis le
début de l'application de la loi 101 ou s'il y a des
événements qui se sont passés et qui ont intensifié
ce sentiment chez les travailleurs et les travailleuses? (20 h 45)
Mme Campbell: Je pense que cela a commencé lors de
l'applicaiton de la loi 101, mais, avec les événements qu'on a
vécus, cela commence à être plus "tenable", parce qu'on
sait que, dans la loi 101, les prolongements donnés à des
institutions connues, comme l'article 113f, vont disparaître à la
fin de décembre cette année. Elles savent que la loi devra
être appliquée dans toute sa vigueur, mais ce n'est pas tout le
monde qui a acheté la loi, qui l'a lue, qui l'a étudiée.
C'est peut-être avoir peur de ce qu'on ne sait pas. On a plus peur de ce
qu'on ne sait pas, mais, avec tous les autres événements qu'on a
vécus avec ces gens, cela a créé des problèmes.
Mme Lavoie-Roux: Est-il exact que l'application des tests ou le
fait de devoir passer un test pour être promu à l'intérieur
de l'institution décourage le personnel de se présenter à
une promotion, par exemple de
passer du niveau d'infirmière auxiliaire à
infirmière? Le fait que la promotion exige le test, est-ce que cela
finalement empêche le progrès ou la promotion qui devrait
normalement se faire plus naturellement? Y a-t-il un fondement à
cela?
Mme Campbell: C'est certainement vrai. Si tu sais que tu
accomplis bien ta tâche comme préposée à la
buanderie et que tu aimerais travailler comme préposée aux
bénéficiaires, tu n'es pas certaine de connaître assez le
français pour le travail et tu seras même bloquée par le
test.
Mme Lavoie-Roux: You will not make the move?
Mme Campbell: Tu ne vas pas mettre ton nom en candidature pour le
poste.
M. Larose: D'où l'importance de développer des
instruments comme des types de cours à donner pendant les heures de
travail pour que ces gens puissent se sécuriser eux-mêmes, dans un
apprentissage plus articulé de la langue française. C'est le sens
de la proposition.
Mme Lavoie-Roux: Y a-t-il des institutions qui ont
organisé de ces cours et dans quelles conditions les donnent-elles?
Sont-ils accessibles au personnel?
Mme Campbell: Le CSS Ville-Marie a déjà
commencé à donner des cours. Cela a commencé il y a
à peu près un mois. On les donne durant les heures de travail.
Ils sont donnés à trois niveaux. Les employés y vont
à des heures différentes. Je ne sais pas exactement commence cela
fonctionne, mais je sais que cela fonctionne. On a abordé toutes les
autres institutions anglophones afin d'avoir une entente de principe concernant
des sessions de formation. Il n'y a qu'une institution qui a signé
l'entente, c'est l'hôpital chronique Maimonides, les autres institutions
ont peur de signer une entente de principe, elles ne veulent rien savoir de
cela.
Mme Lavoie-Roux: La dernière question que j'ai à
poser s'adresse à Mme Campbell. On dit dans le mémoire, à
la page 8 - M. Larose y a touché tout à l'heure - "Dans certaines
institutions, la loi ou la charte a été utilisée, ni plus
ni moins, à des fins politiques qui n'ont rien à voir avec la
francisation et le respect des droits des travailleurs." Il a donné
comme exemple le cas de Catherine Booth Hospital. Est-ce une chose accidentelle
ou si cela a été généralisé dans les
institutions anglophones qu'on ait utilisé la charte à des fins
politiques? I mean, is it accidental or is it generalized?
Mme Campbell: In the sense that if you do not want an employee,
if you want to block a certain employee from getting a certain job, you could
tell him he does not have enough French and he will not get the job.
Mme Lavoie-Roux: But it is an individual case?
Mme Campbell: The individual cases like that, that is possible.
The concrete case that we have is of the Catherine Booth Hospital.
Mme Lavoie-Roux: In a general way, it is the only case you know
of?
Mme Campbell: At this moment.
Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Deux-Montagnes.
M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je voudrais
dire à M. Larose, à Mme Campbell et à M. Rioux que, quant
à moi - je pense que je suis pas le seul - je trouve leur mémoire
particulièrement intéressant. Chaque mémoire jusqu'ici
nous a apporté des éléments nouveaux par rapport aux
mémoires antérieurs ou précédents. C'est
particulièrement le cas du vôtre qui a l'avantage de remettre
certaines choses dans une perspective différente, une perspective,
peut-être, plus juste. Par exemple, il y a une expression que vous
employez que je trouve très juste, très appropriée. Vous
parlez de la deuxième étape de la francisation du Québec
puisqu'il n'est pas question de renoncer aux objectifs et que, s'il y a un
réexamen des dispositions que nous prenons pour franciser le
Québec, ce réexamen ne peut mener qu'à une deuxième
étape dans la francisation du Québec.
Par ailleurs, j'ai écouté et lu avec beaucoup d'attention
cette critique - pas du tout une critique sévère, mais c'est
quand même une critique que vous faites - de la démarche du
gouvernement. Vous affirmez, à la page 4, qu'il ne vous apparaissait pas
nécessaire de tenir une commission parlementaire pour faire en sorte que
la loi soit appliquée de manière moins tatillonne. Je ne lirai
pas le reste, nous l'avons tous entendu, mais je crois que vous avez raison de
vous interroger. Nous devons tous nous interroger sur le sens de la
démarche du gouvernement.
Je me souviens de la déclaration d'ouverture du
député de Gatineau. Je ne suis pas intervenu à ce moment
là-dessus parce que les déclarations d'ouverture, ce n'est pas
tout le monde qui en fait, cela appartient au ministre et au principal
porte-
parole de l'Opposition, mais le député de Gatineau nous a
assurés, à ce moment, de sa parfaite ouverture d'esprit. Je ne
mets pas cela en doute du tout, je pense que son ouverture d'esprit s'est
manifestée au cours des séances de la commission, mais ce que je
veux faire observer, c'est qu'il déclarait avoir l'esprit ouvert quant
aux changements à apporter à la Charte de la langue
française. Donc, il y avait dans l'esprit du député de
Gatineau un postulat, un axiome selon lequel nous devions modifier la Charte de
la langue française et c'est là-dessus que je serais intervenu ce
jour-là pour dire que, quant à moi, avoir l'esprit ouvert, c'est
d'abord se demander s'il faut la modifier. Il ne faut pas dire: Quels
changements? Il faut d'abord dire: Faut-il la changer?
Notez qu'avec le temps qui passe, pour ce qui est de la démarche
du gouvernement, je l'appuie parce que, comme cela a été dit,
après six ans, des personnes sages et raisonnables doivent pouvoir se
pencher sur une loi fondamentale comme celle-là vu qu'elle a fait
l'objet d'un certain nombre de critiques y compris - comment dire? - une mise
en boîte constitutionnelle et une mise en boîte devant les
tribunaux. Devant une situation comme celle-là, des personnes sages et
raisonnables doivent effectivement réexaminer ce qu'elles ont fait.
Mais, avec le temps qui passe, effectivement, ayant l'esprit ouvert, je
commence à accepter l'idée que, peut-être, il faut faire
des changements.
Vous nous en proposez et je trouve cela intéressant. Vous nous
proposez, par exemple, de faire des changements, que ce soit par voie
législative, réglementaire ou autre, de façon à
donner aux travailleurs les instruments voulus pour participer à la
francisation en ce qui concerne les lieux du travail. Je trouve cela
extrêmement intéressant. Je considère que vous faites
là un apport très précieux à nos travaux. Je suis
sûr que nous allons tous examiner cela de près pour voir comment
nous pouvons donner corps à cette recommandation qui est
extrêmement cohérente par rapport aux positions que nous
connaissons généralement de la part de votre centrale. La
participation réelle des travailleurs, c'est un objectif que vous
poursuivez généralement dans bien d'autres domaines et on ne peut
que vous en louer et chercher à faire en sorte que vous puissiez
l'atteindre.
Ceci dit, je voudrais vous poser deux questions. La première,
c'est par rapport aux entreprises qui sont en retard dans leur programme de
francisation. Les gens qui suivent les délibérations se
demanderont peut-être si je mets toujours le même disque. J'ai
effectivement tendance à poser toujours la même question à
plusieurs intervenants. Ce n'est pas par distraction, c'est au contraire
à dessein que je le fais pour qu'on puisse comparer les
différentes réponses obtenues à une même question.
La question est la suivante: II y a un certain nombre d'entreprises qui sont en
retard dans la mise en oeuvre des programmes de francisation qu'elles ont
elles-mêmes acceptés dans leurs négociations avec l'Office
de la langue française. Que devons-nous faire comme
société, comme législateurs, comme gouvernement?
Patienter, élever le ton, adopter des lois et des règlements?
Qu'est-ce que nous devons faire?
M. Larose: J'attendais la deuxième question, mais je peux
déjà répondre.
M. de Bellefeuille: Elle viendra, elle viendra.
M. Larose: Écoutez, je pense qu'il y a eu une
stratégie patronale pour la francisation. Elle n'a peut-être pas
été uniforme. J'entendais les gens de Bell Canada louanger leurs
propres efforts. Je pense qu'ils étaient dans une position où ils
n'avaient pas le choix d'avoir ou non une entreprise massivement francophone au
Québec. À partir de la clientèle massivement francophone,
ce serait surprenant qu'une entreprise de communication se mette à
parler le chinois à des Anglais. Bon. Mais il y a une dynamique des
entreprises que plusieurs connaissent. C'est comme dans toute
négociation, à un moment donné, il faut commencer à
serrer quelques affaires. C'est d'ailleurs très précis dans
l'enquête que nous avons faite. C'est dans la mesure où les
travailleurs ont pu s'impliquer dans un certain nombre de comités et
qu'ils ont décidé de "prendre cela sous le bras" que la plupart
des délais ont été respectés. Là où
les travailleurs s'en sont désintéressés, ou en tout cas
n'ont pas pris le temps de suivre à la trace le programme de
francisation, cela a été délai par-dessus délai. On
connaît cela dans la francisation, mais je vais vous dire qu'on
connaît cela dans bien d'autres domaines. Dans ce sens-là,
à mon avis, la patience a habituellement des limites et moi, je ne
serais pas scandalisé qu'on doive prendre des mesures pour
qu'effectivement les 30% dont on parlait tantôt accouchent. Entre nous,
si après six ans ils n'ont pas accouché, je vous prédis
que dans six ans ils n'accoucheront pas encore. C'est clair. D'autant plus que
la loi 101, pour plusieurs entreprises, et c'est courant chez le patronat,
c'est le prétexte à tout. La loi 17, du 1er septembre, c'est le
prétexte à pas mal de choses. Toute intervention de l'État
pour orienter ou pour imprimer une direction à certains comportements
n'est jamais bienvenue chez le patronat. Alors, il ne faut pas s'attendre
qu'ils accouchent de programmes et qu'ils respectent des délais s'il n'y
a pas un peu de "forcing", pour
prendre un terme grec!
M. de Bellefeuille: Un peu de "forcing" auquel pourrait
contribuer une participation plus effective des travailleurs au processus, je
suppose?
M. Larose: Oui. Je pense que, si rapidement on pouvait reformuler
la vocation des comités de francisation, y asseoir la participation des
travailleurs, la première étape de la francisation se ferait
beaucoup plus rapidement et peut-être que tout le monde serait rendu
à la deuxième étape avant longtemps.
M. de Bellefeuille: Ma deuxième question, c'est à
propos du mémoire qui nous a été présenté au
nom de la ville de Montréal par son maire, Me Jean Drapeau. Vous avez un
certain nombre de vos membres qui habitent ou travaillent à
Montréal, ou les deux à la fois. Le maire Drapeau nous a
proposé, ou presque, de dispenser la ville de Montréal de
l'application de la Charte de la langue française. Qu'est-ce que vous
pensez de cette demande? (21 heures)
M. Larose: Mon concitoyen Drapeau est d'une verve... Après
la baignoire, c'est le "tordeur". On va avoir tout le "set" de cuisine avant
longtemps. Sauf qu'habituellement il paie à crédit, mais sur la
carte d'un autre. S'il fallait effectivement avoir un "tordeur" pour
éliminer tous les irritants, je pense qu'il serait peut-être le
premier à passer dans le "tordeur". Je trouve que M. Drapeau "chire" -
c'est le minimum qu'on puisse dire - quand il parle, entre autres, d'une
hypothèque psychologique et que cela nuit à Montréal.
Puis-je lui dire que les hypothèques olympiques nuisent encore plus
à Montréal? Il ne faudrait pas, quand même, proposer une
zone franche linguistique comme il existe des zones franches économiques
aux Philippines, où n'importe qui peut aller sans payer d'impôt,
sans être soumis à rien. Il prétend que, si on lui
remettait le soin d'appliquer la loi 101, mon Dieu! il semble que cela irait
très bien. D'abord, on sait que le problème linguistique ne vient
pas de Trois-Rivières et ne vient pas de la Pente Douce de
Québec; il vient de Montréal. Cela s'adonne qu'il est là
depuis au moins 25 ans. Depuis 1969, il y a trois gouvernements qui se sont
fait les dents sur la langue. Alors, qu'il vienne nous dire, après un
quart de siècle de règne, qu'il a la formule pour que cela passe
et que tout le monde soit à l'aise... Le monde sera à l'aise mais
"un" monde. À mon avis, je sais très bien quel monde sera
à l'aise. Ce sont ceux qui impriment le développement
économique à la ville de Montréal.
En plus, si j'ai bien entendu un des ses passages - il a voyagé
lui aussi - il disait qu'il avait vu de l'hébreu à Paris. Bien
moi, je vois de l'hébreu à Montréal, et c'est permis par
la loi 101. Cela est aussi le genre de réflexions qui
discréditent la loi 101: c'est comme si, par la loi 101, il n'existait
plus rien d'autre que du français.
Je fais visiter la ville de Montréal. J'habite
Hochelaga-Maisonneuve, mais il n'y a pas qu'Hochelaga-Maisonneuve à
Montréal. Je fais visiter Montréal... C'est curieux, mais il me
semble que je n'ai pas besoin de sortir une carte pour savoir ce qu'est le
quartier grec ou le quartier chinois. Il existe une signification, je dirais,
culturelle, même écrite. Cela n'a rien à voir avec la
façon que la loi dicterait comme devant être seulement en
français. Dans ce sens, je trouve que le maire nous a mal servis. Il
n'est pas du tout question, du moins pour la CSN, de laisser aller et de
retourner "back" à 1974 ou 1975 ou à la loi 22.
Le sens de notre intervention est clair. C'est que les objectifs de la
loi à la détermination desquels on a massivement participé
doivent se poursuivre. Par ailleurs, il faut s'organiser pour que les gens
participent davantage à l'approfondissement de cela. Par rapport aux
anglophones ou aux allophones, il faut leur donner tous les moyens
nécessaires pour, effectivement, se sentir à l'aise dans cette
opération de francisation et que cela ne se fasse pas à leur
détriment, au niveau de la "job" ou autrement. Dans ce sens, je pense
que c'est clair. M. Drapeau peut serrer son "tordeur" ou s'en servir pour
d'autres fins que celles pour lesquelles il a voulu s'en servir.
M. de Bellefeuille: Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Fabre, en terminant.
M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. J'aimerais
savoir si c'est votre centrale qui regroupe la majorité des travailleurs
anglophones et allophones des institutions de santé.
M. Larose: Oui.
M. Leduc (Fabre): C'est votre centrale?
M. Larose: Oui.
M. Leduc (Fabre): Ce sont des institutions anglophones, c'est
cela?
M. Larose: Oui.
M. Leduc (Fabre): Ma deuxième question. Nulle part dans
votre mémoire vous ne parlez de la langue du travail,
c'est-à-dire du chapitre VI, articles 41 à 49, qui font partie
intégrante de toute convention collective. Est-ce à dire que vous
êtes
satisfaits en tant que travailleurs de ce chapitre sur la langue du
travail?
M. Larose: On n'a effectivement pas d'observation
particulière là-dessus. Il y a ce qu'on disait tantôt, mais
plus lié au contenu de la convention collective. Il ne faudrait pas se
retrouver, en bout de processus de "bumping", avec pour motif l'insuffisance du
français de quelqu'un qui perd son emploi. C'est clair.
M. Leduc (Fabre): Dans votre mémoire, vous parlez
d'entreprises de 50 à 100 employés et vous proposez qu'il y ait
des comités de francisation. Avez-vous songé aux entreprises de
moins de 50 employés qui présentement ne sont pas
protégés - oui, je dirais protégés en partie par la
loi 101 - qui n'ont ni comité de francisation ni de programme de
francisation? Avez-vous une réflexion à nous faire à
propos de ces entreprises?
M. Larose: La proposition visait tout simplement à
être accessible immédiatement et opérationnelle. Alors,
dans ce sens-là, on s'est fixé un chiffre, 50, mais on ne
s'opposera pas du tout à quelque chose qui serait plus exigeant encore
et qui effectivement pourrait toucher toutes les entreprises. Mais on vous
dira, pour avoir eu et avoir des expériences précises en
santé et sécurité, que c'est difficile à
établir immédiatement. Si déjà il y avait des
comités de francisation dans l'ensemble des entreprises qui comptent 50
employés et plus, on couvre pas mal de territoire et on peut imprimer
à des entreprises qui sont moins grosses un tonus par celles qui sont
plus grosses.
M. Leduc (Fabre): Merci.
Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie...
M. Godin: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: D'abord, félicitations pour votre récente
accession à ce poste qui, semble-t-il, est difficile à occuper
pendant de longues périodes. Bonne chance, en tout cas.
Je retiens de votre mémoire un certain nombre de suggestions
très précises. Sachez que l'objectif fondamental de la
francisation du monde du travail au Québec reste sacré pour le
gouvernement actuel. Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre
participation.
J'invite maintenant le Parti québécois de
Montréal-Centre à se présenter à l'avant, s'il vous
plaît.
Parti québécois de
Montréal-Centre
M. Boulerice (André): Mesdames et messieurs les
députés...
Le Président (M. Desbiens): Oui, M. Boulerice, vous pouvez
y aller. M. Bégin.
M. Boulerice: M. le Président, mesdames et messieurs, nous
ne sommes pas fâchés de passer à 9 heures. Nous avons eu
peur de passer à 3 heures, étant l'heure où normalement
les gens travaillent, donc ne peuvent être à leur écran de
télévision, ce qui privait les 180 000 personnes qui nous
appuient de pouvoir assister à cette démarche.
Si nous vous disons en introduction dans le texte que vous avez que nous
représentons les 17 associations de comté de
Montréal-Centre, j'ai le plaisir de vous informer que le mémoire
que nous vous présentons reçoit un appui tout à fait
unanime d'autres régions du Parti québécois, à
savoir Montréal-Ville-Marie, Montréal-Rive sud, Laval,
Laurentides-Lanaudière, Mauricie-Bois-Francs, Côte-Nord,
Outaouais, Abitibi-Témiscamingue, Saguenay-Lac-Saint-Jean,
Gaspésie-Bas-du-Fleuve, Îles-de-la-Madeleine et Capitale nationale
dont le président, Me Bégin, m'accompagne.
C'est à Montréal que s'est toujours jouée,
d'après nous, la partie la plus importante de ce que nous appellerons la
bataille du français. Ainsi, M. le Président, quoi de plus
naturel que nous nous présentions devant cette commission, nous de
Montréal-Centre, lorsque l'on connaît l'importance de ce
débat dans nos sociétés canadiennes et
québécoises et que l'on sait quelle place a occupé ce
débat dans notre parti politique, et plus précisément dans
notre région.
Si nous représentons les milliers de membres de ces associations
régionales ou locales, nous avons le très fort sentiment de
représenter également ces milliers de Québécoises
et de Québécois qui éprouvent chaque jour, depuis 1977, de
plus en plus d'indignation à être périodiquement
traités de racistes, de fascistes ou même de nazis parce que,
conformément au mandat reçu de l'électorat
québécois, le gouvernement a légiféré dans
le domaine de la langue, avec un succès certain si on considère
les tentatives timides et infructueuses des gouvernements
précédents.
Peut-on, M. le Président, traiter de fasciste un peuple
minoritaire qui a voulu donner à sa langue la place qu'elle est en droit
d'occuper? Peut-on traiter de racistes les citoyens de cette terre
accueillante, sans doute une des plus accueillantes au monde?
Les Québécois étaient-ils racistes lorsqu'au XIXe
siècle ils s'entêtèrent à élire
député de Trois-Rivières un compatriote d'origine juive
contre l'avis contraire et obstiné du gouverneur anglais de
l'époque? D'ailleurs, une plaque nous le rappelle dans cette enceinte
et, à notre grande joie, nous avons remarqué ce matin que
flottait sur notre édifice un drapeau dont les couleurs s'apparentent
aux nôtres et qui est le drapeau de l'État d'Israël.
Les Québécois étaient-ils racistes lorsqu'ils
accueillirent des milliers d'immigrants irlandais? Posons la question, M. le
Président, aux Hongrois de 1956, aux Chiliens de 1973, aux Libanais de
1975, aux réfugiés indochinois de 1979, aux
réfugiés d'Amérique centrale et d'Afghanistan des derniers
mois. Était-il raciste le peuple qui donne son nom à tout
citoyen, peu importe son origine ethnique ou sa langue maternelle? La loi 101
ne dit-elle pas, au premier paragraphe de son préambule: "Langue
distincte d'un peuple majoritairement francophone, la langue française
permet au peuple québécois d'exprimer son identité"?
Nul peuple ou ethnie, ici ou ailleurs, surtout pas au Manitoba, n'est en
mesure de nous donner des leçons de démocratie ou
d'humanité. Le 26 août 1977 vit le couronnement législatif
d'un long débat amorcé au début des années
soixante, débat au cours duquel la communauté
québécoise francophone a pu faire les constats suivants: - elle
est très largement minoritaire en Amérique du Nord avec un ratio
de 40 contre 1; - elle est très nettement minoritaire dans la
Confédération canadienne, et cette minorisation ne cesse de se
réaliser d'année en année, lentement mais inexorablement.
Le recensement de 1981 nous apprend des choses fort pertinentes. En 1971, nous
représentions 22,58% de la population et, en 1981, 21,83%. À ce
rythme de 0,7% par décennie, nous serons moins de 20% en l'an 2000,
à la condition bien entendu que la minorisation ne s'amplifie pas. Reste
à voir; - malgré la loi fédérale des langues
officielles, l'assimilation des populations francophones du Canada est toujours
tristement irréversible. En Ontario, en 1971, 4,6% et, en 1981, 3,9%. Au
Manitoba, 3,9% en 1971 et 3,1% en 1981. Donc nous constatons, M. le
Président, le même taux de minorisation qu'au Québec par
rapport au Canada, phénomène à mon point de vue
inquiétant; - l'assimilation est en oeuvre également au
Québec et, qui plus est, la langue française n'occupe même
pas au Québec et a fortiori au Canada la place que son soi-disant statut
d'égalité lui garantit au Canada: égalité de droit,
mais égalité d'usage; - la situation des
Franco-Québécois, minoritaires au Canada, commande des mesures
particulières de protection et de promotion. Donc le constat de 1977 est
tristement valable en 1983.
L'Assemblée nationale du Québec adopte le projet de loi
101, dit Charte de la langue française, et décrète que le
français est la langue officielle du Québec, tout en
reconnaissant l'apport précieux des minorités ethniques à
son développement et en réservant un statut
privilégié à la communauté
anglo-québécoise quant au droit à l'enseignemet dans sa
langue. Cette charte établit des droits linguistiques fondamentaux pour
les francophones, statue que le français est la langue de la
législation et de la justice, précise que le français est
la langue du travail, du commerce et des affaires. (21 h 15)
Six ans après l'adoption de la loi 101, où en sommes-nous?
C'est l'objet de cette commission de faire le point, non seulement sur le
contenu de la loi, mais surtout sur son application.
Tout organisme, corps constitué et gouvernement doit revoir ses
politiques à la lumière de l'expérience, en faire le bilan
et tracer de nouvelles perspectives.
Dans cette optique, notre région s'est penchée sur les
chapitres I, II, III, IV, VI, VII et VIII du texte de la loi.
Au chapitre I, nul ne songe à retrancher l'article qui proclame
que le français est la langue officielle du Québec, même si
certains ont des réticences à reconnaître ce fait
officiellement ou voudraient voir cet article modifié. C'est navrant de
voir qu'un groupe comme Alliance Québec se refuse à inclure dans
sa charte la reconnaissance de la primauté du français au
Québec. Si, d'après eux, cela va sans le dire, cela va mieux en
le disant et surtout en l'écrivant.
Quant au chapitre II, droits linguistiques et fondamentaux, nul ne
songe, du moins nous l'espérons également, à retrancher le
chapitre II et ses cinq articles qui traitent des droits linguistiques
fondamentaux.
Le chapitre III, langue de la législation et de la justice. Quant
à ceux qui veulent ici, aujourd'hui, retrancher le chapitre III sur la
langue de la législation et de la justice, nous rappelons que c'est
ailleurs et hier que ce chapitre a été rendu inopérant
à la suite d'un jugement de la Cour suprême du Canada. Nous
déplorons qu'après ce jugement, le gouvernement du Québec
n'ait pas, au moins, envisagé de garantir le droit de traduction des
jugements rendus en anglais à des francophones dans une cour du
Québec comme le garantit dans ses propres tribunaux l'article 5 de la
loi fédérale des langues officielles.
Nous croyons que les francophones au Québec, comme c'est le cas
en Ontario, ont droit à des interprètes de l'État lorsque
leur
procès se déroule entièrement ou en partie en
langue anglaise. Tout ceci est en accord avec l'article 133 de la Loi
constitutionnelle de 1867.
Le chapitre IV, la langue de l'administration. En ce qui a trait
à la langue d'administration, nous jugeons pertinent de citer certaines
données du rapport de l'Office de la langue française de
1981-1982, dernier paru en date, et qui fait état de l'avancement au 31
mars 1982 du processus de francisation des organismes de l'administration.
Le rapport indique que sur 1800 organismes municipaux, 195 avaient,
à cette date, un programme de francisation en cours d'exécution,
98 avaient un certificat délivré après un programme de
francisation et 824 certificats ont été accordés sans
programme.
Sur les 246 organismes scolaires, 37 avaient un programme de
francisation en cours d'exécution, 23 avaient un certificat
délivré après programme et 92 sans programme.
Sur 1280 organismes de santé et de services sociaux, 135 avaient
un programme de francisation en cours, 69 avaient un certificat
délivré après programme et 843 sans programme.
Nous pourrions nous contenter de ce bilan purement mathématique,
ce que nous ne ferons pas. De telles statistiques ne donnent pas une image
réelle de la situation. Nous savons pertinemment que les certificats
furent souvent donnés d'une façon bureaucratique.
En premier lieu, à ce chapitre, nous déplorons qu'il y ait
à peine une douzaine d'employés pour faire appliquer la loi 101
dans l'administration alors qu'il y en a plusieurs centaines pour faire
appliquer la loi des langues officielles dans la seule fonction publique
fédérale. Ce contraste est d'autant plus frappant que la loi 101
s'applique à autant de fonctionnaires provinciaux, municipaux et
travailleurs parapublics qu'il y a de fonctionnaires concernés par la
loi fédérale des langues officielles.
De plus, nous constatons que l'arrêté en conseil no 77-424,
du 26 octobre 1977, prévoyant, entre autres, la formation de
comités de francisation à l'intention des organismes de
l'administration, n'a pas été mis en application dans sa
totalité, sauf exception dans le cas d'Hydro-Québec,
croyons-nous. Cet arrêté prévoit aussi une
définition des postes bilingues de l'administration conformément
à l'esprit et à la lettre de l'article 46. Ici encore, nous
sommes obligés de constater que ces dispositions n'ont pas
été respectées.
Finalement, nous relevons une différence majeure de sens entre la
version anglaise et française de la loi pour l'application de l'article
24. Cet article 24 nous renvoie à l'article 113 - on sait que c'est
toujours étourdissant, mais enfin - dont le texte français dit:
"personnes en majorité d'une langue autre que française", alors
que la version anglaise dit: "speak a language other than French". La version
anglaise, plus précise, oblige à calculer les majorités
non plus sur la base de la langue maternelle, mais bien sur celle de la langue
parlée.
Chapitre VI, la langue du travail. Pour aborder ce chapitre, nous devons
retourner d'abord au chapitre II, "Les droits linguistiques fondamentaux", en
particulier à l'article 4 où l'on dit: "les travailleurs ont le
droit d'exercer leurs activités en français".
Cet article de la loi donne le droit à l'usage du
français, mais ne garantit pas l'usage exclusif du français au
travail. Par conséquent, les travailleuses et les travailleurs
unilingues francophones ne sont pas protégés par cet article de
la charte, et c'est inacceptable.
C'est le droit à l'emploi dont il est réellement question
ici, M. le Président. Il y a incapacité de la loi à
garantir aux travailleurs francophones un emploi s'ils sont unilingues. Le
bilinguisme comme condition d'embauche augmente depuis l'adoption de cette loi;
en preuve, nous vous citons, en référence, les travaux du Conseil
de la langue française. Quand on sait que le but de la loi 101
n'était pas de stabiliser le bilinguisme, mais bien de franciser, on
regarde ces statistiques avec inquiétude.
La formule linguistique privilégiée par les travailleurs
francophones de l'ensemble du Québec et de l'agglomération de
Montréal pour les années 1971, 1979 et 1982, en pourcentage, cela
donne ce qui suit. À peu près uniquement le français: en
1971, 66,2%; en 1979, deux années après l'application de la loi
101, 69,4%; en 1982, retour, mais en deçà de 1971, 66%. À
peu près uniquement l'anglais: en 1971, 2,9%; en 1979, 2,8%; en 1982,
1%. Les deux langues: en 1971, 30,9%; en 1979, 27,8%; en 1982, 33%.
Le deuxième tableau s'intitule: Pourcentage général
d'usage du français par les travailleurs francophones de
l'extérieur de Montréal et de l'agglomération de
Montréal, pour les années 1971, 1979 et 1982. Pourcentage d'usage
du français pour ceux qui emploient les deux langues au travail -le
bilinguisme - Montréal: en 1971, 67,4%; en 1979, remontée
artificielle, 70,8%; en 1982, 66,3%.
Donc, le Québec est loin d'être aussi français que
l'Ontario est anglais et on pourrait dire que le Québec est aussi
bilingue que le Canada ne l'est pas.
Nous posons donc des questions sur cette absence de garantie pour les
travailleurs unilingues français.
D'ailleurs, M. le Président, le gouvernement du Québec
n'est pas le dernier à provoquer une telle situation puisque, en premier
lieu, 17 000 fonctionnaires
québécois, en vertu des règlements de
classification de la Loi sur la fonction publique, ont des exigences de
bilinguisme, au besoin. Cela, nous le précisons, n'inclut pas les
fonctionnaires qui sont touchés par l'article 26.02, et qui sont
bilingues en vertu des décrets gouvernementaux qui leur tiennent lieu de
convention collective. Nous aimerions vous souligner le libellé de cet
article: "L'employé dont la langue maternelle est le français
doit utiliser la ou les autres langues qu'il connaît aux fins de
communications externes selon les nécessités du service et
conformément aux lois." Nous nous étonnons donc qu'au
Québec, contrairement à la fonction publique
fédérale, ce soient les compétences linguistiques
personnelles de l'employé qui déterminent le statut linguistique
du poste. L'inverse nous aurait semblé plus habituel. Nous pouvons
affirmer que, malheureusement, la loi 101 est impuissante à
empêcher des procédés non seulement discriminatoires en
vertu de l'article 10 (sur la langue) de la Charte des droits et
libertés, mais encore cela a pour effet de contourner l'interdiction des
exigences linguistiques supplémentaires à l'embauche
prévue à l'article 46 de la loi 101.
Ce que l'État employeur peut faire et fait est imité
forcément par d'autres employeurs. Ceux-ci ont donc avantage, nous le
comprendrons - le vieil adage le dit bien - à ne pas être plus
catholiques que le pape.
Comment pouvons-nous expliquer une telle aberration? Nous nous
interrogeons sur la possibilité réelle et le droit d'un
employé bilingue de pouvoir n'utiliser que le français dans son
travail, alors qu'il n'y a aucune précision sur le caractère
bilingue du poste et surtout aucune exigence préalable concernant une
langue seconde.
De plus, l'interprétation et l'application qui est faite
jusqu'à ce jour par l'Office de la langue française de l'article
46 rend pour ainsi dire celui-ci, à toutes fins utiles, caduc.
Nous nous expliquons. Jusqu'ici, nous avons entendu des plaintes
d'anglophones à l'endroit de l'office au sujet de ses
interprétations, lesquelles interprétations ont été
qualifiées de mesquines et restrictives aux dépens de l'usage de
l'anglais. Nous voulons, pour notre part, protester énergiquement contre
une autre interprétation restrictive de l'office, cette fois-ci au
détriment des francophones.
Ainsi, nous remarquons, à l'article 46, que l'office limite
l'accès aux seuls candidats refusés à un emploi bilingue
et qu'elle n'admet pas que cet article puisse remettre en cause le bilinguisme
des postes déjà comblés. Cela explique pourquoi, en cinq
ans, il n'y a eu que cinquante requêtes contre des postes bilingues,
alors que ceux-ci se multiplient.
Nous sommes dans la situation de constater de plus que l'Office de la
langue française n'a pas inclus l'article 46 dans les modalités
prévues à l'article 141h concernant l'objectif des programmes de
francisation des entreprises, à savoir: une politique d'embauche, de
promotion et de mutation appropriée. Pour preuve, nous ne trouvons
aucune statistique quant aux postes bilingues ou unilingues dans les
entreprises ayant un certificat de francisation.
Il en est de même concernant l'article 131, celui-ci se
référant aux organismes de l'administration. Nous pouvons
affirmer qu'il n'est nullement fait mention du statut linguistique des postes
dans les organismes de l'administration.
Concernant l'article 46, l'office n'agit jamais de sa propre initiative,
mais seulement après requête de quelques rares intrépides,
ne craignant pas les foudres d'un employeur peu enclin alors à les
embaucher. En termes juridiques, toutefois, l'office pourrait agir sans
attendre les requêtes de l'extérieur.
Avant de terminer sur ce chapitre, nous insistons brièvement sur
l'article 41. Son libellé fait en sorte que la dernière
jurisprudence à ce jour exclut les communications personnelles ou
particulières de l'employeur à l'employé des obligations
de la charte, ce qui signifie, par exemple, qu'un travailleur
québécois francophone peut être congédié par
une lettre rédigée uniquement en anglais.
Chapitre VII, la langue du commerce et des affaires. Le chapitre VII sur
la langue du commerce et des affaires est sans doute celui qui est l'objet des
plus dures et des plus fréquentes critiques. Les attaques se retrouvent
presque chaque jour dans les médias.
Ses articles 61, 62, 63, 64 et 65 revêtent une importance
considérable, puisque ce sont les dispositions qui visent à
donner au Québec cette image distincte française. Cette image,
réalité à préserver, ne permet-elle pas, de plus,
aux Canadiens des autres provinces de se distinguer du voisin du Sud?
Après une lecture attentive des articles cités ci-haut,
nous en venons à la conclusion que l'interprétation et
l'application de l'Office de la langue française sont satisfaisantes et
qu'il n'y a pas lieu de les modifier. (21 h 30)
Nous avons fait état tantôt de la visite du maire de
Montréal à cette commission parlementaire. M. Drapeau avait
l'habitude d'apporter des cadeaux aux ministres en commission parlementaire.
Nous regrettons qu'il ait perdu ses bonnes manières et nous avons voulu
suppléer en vous offrant des photos de la ville de Montréal que
vous allez sans doute juger très intéressantes et qui sont
relatives au chapitre VII. L'amballage
est sobre. Voici ce qu'on appellerait un "old time favorite" bien connu,
et je pourrais vous les montrer. Il y en a une autre ici. "Over 16 000 000 sold
in USA". Je ne sais pas combien de millions de vendues au Québec. On va
pouvoir se payer une affiche française. Il y en a une qui est pour le
moins attristante puisque c'est une institution tellement
québécoise; on ne s'explique pas comment il se fait qu'elle n'a
pas été francisée plus tôt: "Tavern".
Voilà.
Chapitre VIII, La langue de l'enseignement. Certains y proposent des
modifications. Nous avons déjà pris connaissance de la position
du conseil exécutif de la ville de Montréal et nous pouvons ici
commenter cette position en disant qu'elle révèle une profonde
méconnaissance de ce chapitre. La proposition de la ville de
Montréal vise à créer, par les distinctions de formation
des parents ou par la spécificité des emplois, des
catégories d'immigrants. Mais à ce chapitre, comme celui sur la
langue de la législation, nous venons tard puisqu'il y a lieu de
craindre un jugement de la Cour suprême du Canada, lequel rompra la paix
scolaire qui prévaut et qui, par ce biais essentiel et capital de la
langue d'enseignement, renforcera le courant d'assimilation et de minorisation
de la population francophone du Québec. L'article 23.02 de la Loi
constitutionnelle de 1982 vous fera revenir au principe du libre choix dans la
langue d'enseignement. La question que nous posons est: Quelle loi comptera
présenter le parti politique au pouvoir à l'Assemblée
nationale lorsque ce chapitre sur la langue d'enseignement sera
déclaré inconstitutionnel en vertu des lois du Canada?
Par conséquent, M. le Président, mesdames et messieurs de
cette commission parlementaire sur la Charte de la langue française,
nous vous demandons, découlant des remarques, commentaires et
observations précédents, d'apporter à la loi 101, Charte
de la langue française, les modifications suivantes. Au chapitre II, que
l'article 4 de ce chapitre, Droits linguistiques fondamentaux, soit
modifié de façon qu'il se lise comme suit: "Les travailleurs ont
le droit d'exercer leurs activités exclusivement en français,
sauf exception prévue par la loi." Que le chapitre III, La langue de la
Législature et de la justice, rendu inopérant à la suite
de la décision de la Cour suprême du Canada soit remplacé
par ce qui suit, conformément à l'article 133 de la Loi
constitutionnelle de 1867: "a) Tout justiciable a le droit à une
traduction française écrite, prévue et payée par
l'État des jugements faits en anglais dans les tribunaux au
Québec conformément à l'article 5 de la Loi des langues
officielles du Canada. b) Tout justiciable a le droit d'avoir un
interprète, prévu et payé par l'État, pouvant
traduire en français les débats d'un procès comportant en
tout ou en partie des interventions en anglais". Au chapitre IV, que l'on
ajoute un article 30 qui se lirait comme suit, au sujet de la langue de
l'administration: "Qu'il y ait création d'un comité permanent de
francisation - comité mixte, il va de soi visant dans chaque organisme
de l'administration à l'application de la charte." Il s'agit de donner
ici aux travailleurs du secteur public les mêmes droits que ceux du
secteur privé.
Chapitre VI, La langue du travail. Que la première phrase de
l'article 41 du chapitre VI, La langue du travail, soit modifiée de
façon qu'elle se lise comme suit: "L'employeur rédige dans la
langue officielle les communications collectives ou individuelles qu'il adresse
à son personnel."
Que l'article 45 de ce même chapitre soit modifié de
façon qu'il se lise comme suit: "Il est interdit à un employeur
de congédier, de mettre à pied, de rétrograder, ou de
déplacer un membre de son personnel, pour la seule raison que ce dernier
refuse d'utiliser une langue autre que la langue officielle, lorsque l'usage
d'une autre langue n'a pas été prévu aux conditions
d'embauche ou de travail en vertu de l'article 46 de la charte."
Sixièmement, que le premier paragraphe de l'article 46 du
chapitre VI, toujours sur la langue du travail, soit modifié de
façon à ce qu'il se lise comme suit: "Il est interdit à un
employeur d'exiger comme condition d'embauche ou de travail, à un emploi
ou à un poste, la connaissance et l'usage d'une langue autre que la
langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne
nécessite la connaissance et l'usage de cette autre langue".
Qu'un troisième paragraphe soit ajouté à l'article
46 et qu'il se lise comme suit: "Que dans le cas où un poste bilingue a
été légalement autorisé dans les organismes de
l'administration, une prime doit être accordée à
l'employé. Une prime équivalant à 5% du salaire brut est
ajoutée si cette connaissance est orale et à 10% du salaire brut
si cette connaissance doit aussi être écrite."
Nous croyons qu'il ne s'agit ici que d'équité envers un
groupe de travailleurs desquels des compétences supplémentaires
sont exigées et chez qui les effets sur la productivité devraient
être reconnus et récompensés. Ce que fait d'ailleurs, M. le
Président, le gouvernement fédéral du Canada et le
gouvernement français. Nous espérons que ce même principe
puisse être appliqué dans le secteur privé.
Voilà, M. le Président, l'essentiel de nos revendications.
Si ces revendications ont porté, pour une très grande part, sur
le chapitre de la langue du travail, c'est que nous trouvons aberrant,
indécent, que des
milliers de Québécoises et de Québécois,
trop souvent des jeunes formés dans nos meilleurs écoles
techniques, collèges et universités, soient en chômage.
Nous trouvons honteux qu'ils se voient refuser des emplois du fait qu'ils ne
parlent que la langue française.
Dans son bilan de 1981-1982, l'Office de la langue française
écrit ce qui suit: "L'avenir de la francisation n'est pas encore
assuré. Il reste aléatoire, fragile et il importe qu'il soit
défendu avec conviction par les divers organismes créés
par la charte, mais aussi par la volonté collective des
Québécois, par leur engagement renouvelé et quotidien
envers les objectifs de la francisation. Ceux-ci correspondent en effet
à ce désir d'identité en même temps qu'à ce
besoin de dignité, de fierté, qui se traduit par la
détermination à maintenir et à épanouir le
caractère français du Québec. Des exemples récents
nous ont d'ailleurs montré que l'avenir de la francisation continue
d'être menacé, du moins dans certains secteurs de la
société. Des attaques renouvelées ont été
portées contre la Charte de la langue française au Québec.
Ces attaques très vives ont pu engendrer une certaine confusion et de
profonds malaises dans l'opinion francophone, d'autant plus qu'elles
s'employaient souvent avec habileté à activer, à
actualiser un sentiment de culpabilité collective, fait naturel dans une
collectivité qui n'est pas encore habituée à ses nouveaux
objectifs et qui peut ressentir une certaine gêne à les affirmer
avec toute la force et la vigueur que manifestent depuis des siècles
d'autres collectivités qui n'ont pas été soumises aux
mêmes contraintes que le Québec."
Nous faisons nôtres ces remarques, M. le Président, et nous
nous permettons d'ajouter que ceux qui, avec nous, ont travaillé
à la présentation de ce mémoire et ceux qui l'ont
adopté en notre conseil régional sont tous de cette
génération issue de la révolution tranquille avec son
désir d'être maître chez soi. Notre génération
est celle, justement, comme le mentionne le bilan de l'office, de la
fierté et de la dignité. Nous n'avons aucune gêne, aucune
culpabilité envers la francisation du Québec puisque nous avons
montré et continuons de le montrer, comme nous le disions en
introduction, un respect accueillant des autres. Les
Franco-Québécois sont toujours minoritaires au Canada et de plus
en plus, répétons-le.
Les rapports de forces au Canada et en Amérique du Nord sont tels
qu'il faudra toujours lutter avec ou surtout sans indépendance
politique, afin de protéger les acquis et éviter de sombrer dans
un confort illusoire et une indifférence aveugle dont l'issue nous
serait fatale. Les Québécois ont donc avantage à se
méfier de marchands de sommeil qui, tantôt, proposent
souveraineté culturelle ou sécurité culturelle.
La loi 101 et les améliorations que nous souhaitons y apporter
sont d'autant plus importantes qu'elles visent à protéger une
minorité linguistique qui a été laissée sans
défense par la nouvelle loi constitutionnelle canadienne puisqu'il faut
remarquer, pour conclure, que cette nouvelle constitution protège toutes
les minorités linguistiques provinciales, mais oublie la minorité
franco-québécoise.
En définitive, il s'agit, pour nous, de mesures et de garanties
exceptionnelles pour un peuple qui est seul sur ce continent.
Nous vous remercions, M. le Président, mesdames et messieurs de
cette commission parlementaire d'avoir bien voulu nous entendre et nous vous
prions d'agréer l'assurance de notre très haute
considération.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Godin: M. Boulerice, M. Bégin, merci de votre
mémoire. Le PQ de Montréal-Centre a été
associé de près à la réflexion qui a entouré
la rédaction de la loi 101, comme vous avez été en quelque
sorte les moteurs de l'humanité qui s'incarne dans la loi 101. La
connaissance intime des problèmes que vivaient les Montréalais
anglophones et francophones, dès le début des travaux
préparatoires à la loi 1, à l'époque, a
été très utile au gouvernement pour arriver à
pondre une législation qui - on le constate à l'usage six ans
après son existence - était empreinte d'une grande sagesse. Si,
aujourd'hui, le climat passionnel qui entourait les anciens débats
linguistiques est relativement apaisé, je pense que c'est grâce
à cette sagesse qui a entouré la rédaction de cette
loi.
Une seule question en ce qui me concerne. À la page 8, vous vous
étonnez qu'au Québec, contrairement à la fonction publique
fédérale, ce soient les compétences linguistiques
personnelles de l'employé, etc... Est-ce que vous affirmez que la loi
101 est impuissante à empêcher les procédés
discriminatoires en vertu de l'article 10 de la Charte des droits et
libertés? Est-ce que vous avez des cas précis où,
effectivement, des problèmes ont été posés à
des personnes, à des individus à la suite de ce manque ou de ce
défaut dans les lois actuelles? Ou vous situez-vous au niveau des
principes de droit?
M. Boulerice: Premièrement, M. le ministre, si vous me le
permettez, je vais vous remercier de reconnaître de façon
éclatante l'humanité qui régnait lors des discussions au
moment de l'adoption de la loi 101, spécialement dans notre
région. Vous savez que le sujet me tenait à coeur et surtout, le
droit et le respect des minorités, puisque je n'ai pas besoin de vous
le
rappeler, M. le Président, celui qui est actuellement
président de Montréal-Centre était à cette
époque président du Parti québécois du comté
de Westmount. C'est d'autant plus évident, M. le ministre, que lorsque
l'on regarde le programme de notre parti, on s'aperçoit que ce qui
touche à la langue officielle du Québec - je ne m'en plains pas -
se résume à cela. Par contre, lorsque l'on feuillette ce
programme de notre parti politique, nous remarquons également que pour
ce qui est des droits des minorités culturelles au Québec, le
texte s'étend sur une page et demie. Je pense que cela témoigne
de l'esprit qui anime le Parti québécois à ce niveau.
(21 h 45)
Pour ce qui est de votre deuxième question, il s'agit des
principes tout d'abord. Il y a effectivement des cas que je n'ai
malheureusement pas avec moi. Nous n'avions pas prévu d'interventions
plus détaillées à ce sujet, sauf que je pourrai, si vous
le désirez, vous soumettre l'autre partie du dossier par courrier
très prochainement.
M. Godin: S'il vous plaît! Merci.
M. Boulerice: Merci.
M. Ryan: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. Ryan, je vais devoir
procéder de la même façon que pour le ministre de la
Science et de la Technologie cet après-midi et demander le consentement
des membres de la commission, puisque vous n'êtes pas inscrit sur la
liste des membres...
Une voix: Qui n'est pas inscrit?
Le Président (M. Desbiens): M. le député
d'Argenteuil.
Une voix: Ah, allons-y.
Le Président (M. Desbiens): Alors, il y a consentement.
Allez-y, M. le député d'Argenteuil.
M. Godin: II n'y a aucun problème, M. le
député d'Argenteuil.
Une voix: Vous êtes bien bon.
M. Godin: Est-ce que M. Gratton consent aussi?
M. Gratton: C'est évident. Une voix: ...le
questionner.
Le Président (M. Desbiens): M. le député
d'Argenteuil, vous avez la parole.
M. Ryan: Merci, M. le Président. Je voudrais tout d'abord
féliciter le Parti québécois de la région
Montréal-Centre du caractère précis du mémoire qui
est soumis à cette commission. Sauf quelques passages dont j'aurai
l'occasion de parler ensuite, la plupart des observations qui nous sont
communiquées ont un caractère assez précis pour que l'on
puisse se former à leur sujet une opinion non moins précise.
C'est peut-être la meilleure façon de chercher à
améliorer la loi. L'élan général de votre
mémoire va plutôt dans le sens d'additions au contenu de la loi
alors que la plupart des mémoires que nous avons entendus jusqu'à
maintenant vont plutôt dans le sens de certaines réductions ou de
certains ajustements. Cela fait partie du jeu d'équilibre auquel doit
s'attendre une commission comme celle-ci.
Je voudrais engager avec vous la discussion sur quelques points plus
précis de votre mémoire, mais après avoir fait la remarque
générale suivante. Cela fait bien des fois que j'entends cette
observation depuis le début des travaux de la commission. J'entends des
représentants de la majorité s'ériger en juges satisfaits
du traitement qui est fait à des groupes minoritaires au Québec.
Je voudrais simplement vous rappeler une vérité de bon sens
élémentaire qui est que lorsque l'on veut se faire une
idée juste du traitement qui est accordé à des groupes
minoritaires, il faut surtout écouter les représentations des
groupes minoritaires. Il ne faut pas se fier à l'opinion de la
majorité. Les majorités sont rarement des juges fiables dans ces
questions. Si vous allez demander à ceux qui ont voté en faveur
du référendum à Winnipeg s'ils traitent bien leur
minorité francophone, ils vons vous dire: Oui, ne vous inquiétez
pas, tout va très bien. Ils sont mieux traités que les Ukrainiens
et que les Polonais au Manitoba qui n'en demandent pas tant qu'eux.
C'est simplement une remarque que je vous fais parce que je l'ai entendu
de la part de plusieurs intervenants depuis deux ou trois jours. Je veux
simplement dire que je ne suis pas d'accord avec cette approche et que si on
veut arriver à une société véritablement juste, il
faut être capable de chercher et de trouver honnêtement un
régime sous lequel tout le monde sera raisonnablement satisfait et
où on n'entendra pas toujours le groupe majoritaire dire: II n'y a pas
de problème, nous sommes satisfaits, on les traite bien; qu'ils se
ferment donc la boîte et tout va être réglé. Cela
n'est pas ma conception de la démocratie, je vous le dis franchement.
Cela ne veut pas dire que j'approuve toutes les plaintes que j'entends. Je veux
les écouter et je me dis que c'est mon devoir comme législateur
de trouver un équilibre quelque part.
Je veux tout d'abord souligner certains points de votre mémoire
avec lesquels je serais enclin à être d'accord. Vous dites, par
exemple, à la fin de vos recommandations, qu'il y aurait lieu pour
l'Assemblée nationale d'adopter une loi garantissant certains droits
à des justiciables en matière de traduction de jugements qui
pourraient être rendus en anglais, en matière de service
d'interprètes à l'occasion de procédures judiciaires qui
pourraient se dérouler en anglais. C'est vrai qu'il n'y a pas de
garantie législative à cette fin depuis que le chapitre de la loi
101 traitant de la justice a été déclaré invalide
par la Cour suprême du Canada. Je serais très spontanément
enclin à appuyer une loi qui apporterait des garanties comme celles que
vous demandez. Réservant mon jugement sur le libellé même
du texte que je n'ai pas eu le temps d'étudier à fond, dans
l'ensemble je serais porté à être d'accord avec cela assez
facilement.
Quand vous proposez que l'article 41 de la loi 101 soit modifié
de manière que l'employeur soit tenu de rédiger dans la langue
officielle non seulement les communications collectives mais aussi les
communications individuelles qu'il adresse à ses travailleurs, je pense
que vous proposez une addition qui se justifie très bien et je pense que
le gouvernement aura intérêt à considérer la
possibilité d'apporter cette amélioration à la loi
101.
Il y a d'autres points sur lesquels j'ai plus de doutes. En ce qui
regarde les postes bilingues dans les entreprises je pense que vous devez
soupçonner la marge de souplesse qu'il faut savoir conserver dans les
entreprises. Quand un employeur embauche une personne, il peut arriver
qu'à ce moment il n'ait pas eu à faire face à des besoins
de communications en anglais avec sa clientèle, mais que le besoin se
présente par la suite et qu'on n'ait pas le temps d'attendre toutes les
procédures devant l'Office de la langue française.
Je ne sais pas, je vous pose le problème. Vous pourrez ensuite
faire vos commentaires là-dessus. Je pense que dans la vie des
affaires... J'ai moi-même dirigé une entreprise pendant quinze ans
et je me souviens qu'à un moment donné, un de nos syndicats
était parti un petit peu en peur au sujet de questions comme celles que
vous soulevez. Je me souviens que j'avais demandé au président:
Quand va arriver un appel de Toronto demain pour offrir d'acheter une page de
publicité dans le journal, est-ce que vous voulez dire que vous allez
répondre au client de Toronto: On regrette, ici on parle seulement le
français. J'ai dit: Je suis plus intéressé aux 600 $ qu'on
facturait dans le temps pour une page pour payer votre salaire de la semaine
prochaine.
En somme, j'ai l'impression que les précisions que vous proposez
d'apporter dans la loi seraient de nature à introduire une
rigidité excessive, artificielle, qui serait susceptible de conduire
à une plus grande emprise de la bureaucratie linguistique sur le
fonctionnement des entreprises. C'est malheureusement un point -
peut-être qu'on n'aime pas cela l'entendre - sur lequel la très
grande majorité des employeurs sont d'accord pour trouver qu'il faut
plus de souplesse et non pas plus de rigidité.
Je comprends l'objectif que vous poursuivez et je pense que nous y
souscrivons tous mais j'ai l'impression que les amendements que vous proposez
à ce chapitre sont moins intéressants, moins pratiques surtout
que ceux à propos desquels je vous ai exprimé mon accord
spontané.
En matière de langue d'enseignement, je pense que c'est la partie
la plus faible de votre mémoire. Je pense que c'est une partie qui est
assez typique de la langue alarmiste dans laquelle le Parti
québécois, dont vous représentez une des sections
importantes ici, a souvent tendu à s'exprimer. Lorsque vous dites qu'un
jugement éventuel de la Cour suprême dont nous ne voulons pas
préjuger pour l'instant pourrait conduire à un danger de
minorisation de la population francophone du Québec, je crois que vous
exagérez quelque peu les choses. Je voudrais peut-être donner un
petit peu de précisions là-dessus.
D'abord, je pense que vous êtes d'accord avec moi pour convenir
qu'il y a un paragraphe dans cet article 23 de la nouvelle constitution
canadienne dont vous parlez, l'article 23.1a qui autoriserait l'admission
à l'école anglaise pour les enfants de langue maternelle
anglaise. Cet article ne peut s'appliquer dans la province de Québec
sauf sur résolution ou loi dûment adoptée par
l'Assemblée nationale du Québec. Dans la constitution, c'est
inscrit "le gouvernement ou l'Assemblée nationale" et nous avons
adopté, par la suite, à Québec, la loi 62 en vertu de
laquelle un changement de cette nature devrait être approuvé par
l'Assemblée nationale du Québec avant de s'appliquer au
Québec. Par conséquent, je ne pense pas que ce soit pour demain
matin ni pour un avenir prévisible.
Il reste les articles 23.1b, 23.2. Dans votre mémoire vous parlez
de l'article 23.2; je vais y venir tout de suite après. L'article 23.1b
est l'article qui permettrait la clause Canada entendue dans son sens
restrictif, c'est-à-dire "autorisant l'admission à l'école
anglaise pour les enfants de parents ayant reçu leur enseignement
primaire en anglais dans une autre province canadienne."
L'étude de M. Paillé faite pour l'Office de la langue
française établit hors de tout doute, à mon point de vue,
qu'il n'y a pas de danger de minorisation dans l'application éventuelle
de cette clause. Je comprends que le Parti québécois a son
programme de réciprocité là-dessus et qu'il veut sauver
un
petit peu les apparences en s'accrochant à cela pour un certain
temps.
Une voix: ... M. Ryan: Oui?
M. Godin: Le principe de la juridiction des provinces en
éducation, M. le député d'Argenteuil. C'est un principe,
une chose avec laquelle vous êtes familier.
M. Ryan: Nous avons dit au Parti québécois que s'il
avait été assez réaliste et ouvert pour accepter cette
règle avant la nouvelle Constitution canadienne, on ne serait pas dans
l'impasse actuelle. Si le Parti québécois avait défendu le
droit de veto du Québec quand c'était le temps, on n'aurait pas
eu cet amendement non plus. Je ferme la parenthèse là-dessus.
M. Godin: II n'y en a jamais eu. Cela n'a jamais
existé.
M. Ryan: Au contraire, il était dans les
propositions...
M. Godin: La Cour suprême...
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. le ministre.
M. Godin: Est-ce que je peux poser une question au
député d'Argenteuil?
Le Président (M. Desbiens): Si le député
d'Argenteuil accepte.
M. Ryan: Volontiers, pourvu que ça ne compte pas sur le
temps qui nous est imparti parce que c'est un peu en dehors du sujet.
M. Godin: M. le député d'Argenteuil,
reconnaissez-vous avec moi que le dernier arbitre en cette matière de
l'appartenance ou non d'un droit de veto à une province ou à
l'autre était entre les mains de la Cour suprême?
M. Ryan: Volontiers.
M. Godin: La Cour suprême n'a-t-elle pas dit que le
Québec n'avait jamais eu de tel droit de veto?
M. Ryan: Oui, mais je vais vous dire autre chose. Écoutez
la fin de la réponse. Il y avait sur la table, il y a deux ans et demi,
une proposition formelle du gouvernement fédéral proposant une
formule d'amendement qui comportait un droit de veto pour le Québec. Le
gouvernement dont vous faites partie maintenant a levé le nez sur cette
formule au profit d'une formule d'amen- dement qui ne comportait pas le droit
de veto pour le Québec. C'est à la suite de cette ouverture que
dès le lendemain de l'élection de 1981, sans aucune consultation
avec l'Assemblée nationale, d'autres ont trouvé un
prétexte pour avancer dans cette direction qui n'avait jamais
été entrouverte par aucun autre gouvernement avant le
vôtre. C'est la réponse complète à la question.
Maintenant, je reviens...
Des voix: Avez-vous d'autres questions? M. Godin: Vous
auriez dû le garder!
M. Ryan: Je reviens au point qu'a soulevé M. Boulerice. Je
discute en toute cordialité, sans aucune passion. Je crois que l'article
23.1b ne comporte pas de danger de minorisation pour le Québec. Le Parti
québécois ne se rend pas service en faisant de la dramatisation
autour de cela. Si, un jour, l'Assemblée nationale pouvait l'adopter de
son propre chef, librement, mais de manière lucide et ouverte, je pense
qu'on ferait un pas en avant considérable.
En ce qui touche l'article 23.2, je pense que vous exagérez
considérablement le danger. Il y a cependant lieu de l'examiner et je me
demande si, dans une négociation serrée sur ce point
précis, il n'y aurait pas moyen d'obtenir certaines améliorations
qui permettraient à tout le monde de disposer de ce chapitre du litige
constitutionnel d'une manière qui soit raisonnablement
sécurisante pour le Québec. De toute manière, je me sens
obligé d'émettre une restriction, surtout des réserves
sérieuses sur le style plutôt alarmant dans lequel est
formulé cette partie de votre mémoire.
Pour le reste, je ne sais pas s'il y a lieu d'envisager le même
genre de mécanisme à Ottawa qu'à Québec. Je pense
que votre mémoire méconnaît un peu les
problématiques très différentes qui régissent
l'action des gouvernements aux deux niveaux, au niveau fédéral et
au niveau québécois. Au niveau fédéral, le
gouvernement a adopté une loi sur les langues officielles dont l'objet
est, de toute évidence, l'avancement du français. Il n'y avait
pas besoin de loi des langues officielles pour l'anglais, il était
présent partout. Alors, ils ont dit: On fait une loi des langues
officielles pour assurer qu'il va y avoir certains progrès du
français. Et il y a eu beaucoup de progrès du français,
même si c'est loin d'être satisfaisant.
Au Québec, on a adopté une loi pour assurer le respect des
droits de la majorité. Je ne pense pas que dans l'administration
publique, en particulier dans la fonction publique québécoise,
dans les sociétés d'État, dans les organismes qui
relèvent directement du gouvernement québécois, il y ait
eu de gros problèmes de francisation qui se sont
posés. Il y avait des petits problèmes ici ou là,
qu'on était capable de régler sans être obligé de
recourir à tout cet appareil législatif que nous avons. Je ne
sais pas s'il n'y a pas un peu de formalisme dans la suggestion qui est faite
ici. D'ailleurs, je pense qu'on a tous les mécanismes voulus à
l'intérieur de l'appareil public; il y a des mécanismes
syndicaux, en particulier, qui peuvent à tout instant intervenir pour
faire les représentations qui s'imposent. Je ne sais pas si vous ne
faites pas un peu de formalisme à rebours en proposant une chose comme
celle-là alors que notre loi répond à une
problématique différente de celle à laquelle voulait faire
face la loi fédérale.
En matière de droit des employés au travail, ici encore,
il faut réserver une place importante aux interventions des associations
syndicales. Je remarque, à propos de l'article 46, que vous laisseriez
tomber le deuxième alinéa du paragraphe qui dit qu'il incombe
à l'employeur de prouver à la personne intéressée,
à l'Association de salariés, etc. Je pense que vous laissez
tomber cet alinéa dans votre mémoire. Si c'est le cas, je vous
dis que je serais plutôt enclin à le laisser là, parce que
je pense qu'il y a un rôle indispensable de vigilance et de surveillance
qui doit être exercé par les associations d'employés dans
ces cas-là. (22 heures)
Ce sont des remarques que je vous soumets bien cordialement pour amorcer
une discussion avec vous et cela me plairait d'entendre vos commentaires.
Le Président (M. Desbiens): L'amorce de la discussion se
fait à 22 heures.
Une voix: On est encore là.
Le Président (M. Desbiens): Je dois avoir un consentement.
Est-ce qu'il y a une entente? Il y a un autre mémoire qui doit
être présenté par la suite.
Une voix: Consentement.
Mme Lavoie-Roux: Consentement, M. le Président.
Une voix: La langue, c'est important.
Le Président (M. Desbiens): II y a consentement pour une
période de temps. M. le ministre.
M. Godin: M. le député d'Argenteuil, vous voyez
qu'il n'est jamais trop tard pour obtenir une reconnaissance de son parti.
Le Président (M. Desbiens): Cela ne m'avance pas sur la
question du temps.
M. Ryan: Vous n'êtes pas du tout pertinent.
Une voix: Cela n'avance pas à grand-chose, en effet, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): Je veux savoir, d'abord, s'il
y a un consentement pour continuer.
Des voix: Oui, consentement.
Le Président (M. Desbiens): Jusqu'à quelle
heure?
Mme Lavoie-Roux: Jusqu'à ce qu'on ait fini.
M. Gratton: Jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Le Président (M. Desbiens): Allez-y, M. Boulerice.
M. Boulerice: M. le Président, je lisais justement un
article, cette semaine, sur l'ambassadeur Pelletier qui disait: À
défaut d'ordre du jour, allons vers le désordre de la nuit. Je
vous remercie de vouloir poursuivre.
Pour poursuivre dans le climat de franche camaraderie qui animait M.
Ryan, je vais lui dire au départ que j'ai bien apprécié
ses compliments au sujet de notre rigueur. Connaissant la sienne, cela nous
honore. J'ai bien apprécié également son acquiescement
à mettre de nouveaux articles dans un nouveau chapitre III. Je le
trouvais tellement bien lancé, d'ailleurs, que j'avais presque le
goût de lui indiquer qu'il y a, dans mon conseil exécutif
régional, un poste vacant, sauf qu'il a abordé d'autres articles
par la suite. Alors, je reprends ma proposition.
Je vais commencer par lui répondre, lorsqu'il dit: Vous donnez
état de la majorité. Mais quelle majorité, M. Ryan? Les
Franco-Québécois ne sont pas une majorité. Ils sont une
minorité et, je le répète, une minorité de plus en
plus minoritaire. Il y a une dangereuse illusion d'optique qui, actuellement,
se glisse au Québec qui est celle d'une communauté francophone
majoritaire, oppressante, dominatrice, sûre d'elle-même, face
à une minorité oppressée. Cela n'existe pas. Il y a une
majorité minoritaire, mais il y a, par contre, au Québec, une
minorité majoritaire. Il y a une minorité ici qui dispose de tous
les droits d'une majorité puisque c'est elle qui constitue très
majoritairement - c'est le cas de le dire - le Parlement fédéral
qui est en dernière instance sur presque tous les sujets de la vie
nationale qui nous préoccupent. Donc, quand vous me parlez de
majorité, je vous dis: Laquelle? Vous ne me parlez sûrement pas de
la communauté francophone au Québec; elle n'est pas une
majorité. Elle n'a qu'un demi-gouvernement qui n'adopte
des lois que sur une partie quand même minime des sujets qui nous
préoccupent.
Deuxièmement, M. Ryan - pourquoi pas vous le dire, c'est presque
un rêve de jeunesse qui se réalise, de croiser le fer avec
l'ex-directeur du Devoir - vous parlez des conditions d'embauche que nous
posons. Je dois vous rappeler, non pas pour en faire une esquive, que nous
avons mis d'abord et avant tout l'insistance au niveau des organismes de
l'administration. Nous avons dit que nous souhaitions que cela s'applique au
secteur privé. Nous savons que c'est complexe, mais nous avons d'abord
mis l'insistance au niveau de l'administration avec tout ce que cela comporte:
parapublic, péripublic, sociétés d'État, etc.,
parce que je vous ai fait état tantôt de 17 000 postes
catalogués bilingues au besoin et il y a - je ne vous les
énumérerai pas, on en aurait pour la nuit - c'est publié
dans la Gazette officielle d'ailleurs, vous pouvez le lire facilement - une
série incroyable de postes qui obligent au bilinguisme. Les inspecteurs
en fourrure doivent être bilingues au Québec, les inspecteurs
d'ascenseurs, "up and down". Ce sont ces abus que nous voulons corriger.
Nous avons eu la visite de notre maire bien-aimé à qui je
répondrais que son administration municipale, qui fait partie de
l'administration, a le plus haut taux de postes bilingues; 95% des postes dans
la fonction publique de la ville de Montréal sont bilingues avec des
choses vraiment incroyables. Il y a des jugements. D'ailleurs, l'Office de la
langue française s'insurge contre cela. C'est d'abord et avant tout au
niveau de l'administration que nous voulons corriger cet abus. Nous ne disons
pas que nous sommes contre le bilinguisme dans le sens que certains citoyens du
Québec peuvent recevoir des services en langue anglaise, mais nous
trouvons inadmissible qu'on l'impose à la quasi-totalité. Si vous
regardez le décret, il touche tout le monde. Nous trouvons inadmissible
que ce soit l'entité complète du fonctionnarisme
québécois qui soit obligée d'être bilingue.
Forcément, nous demandons à ceux à qui nous allons
imposer des connaissances et des compétences supplémentaires
qu'ils soient payés en conséquence. C'est de la justice et c'est
de l'équité. On veut une certaine forme de bilinguisme, cela se
paie le bilinguisme. Il n'y a rien de gratuit dans la vie, je ne vous
l'apprends pas.
Vous parlez du langage alarmiste au sujet du chapitre sur la langue
d'enseignement. Je vais vous citer l'article d'un journaliste que vous
appréciez, un journaliste d'un journal que vous appréciez
toujours, j'en suis persuadé, Jean-Pierre Proulx, du Devoir, jeudi 13
octobre 1983, qui dit: "La clause Canada élargie pourrait
théoriquement avoir des conséquences insoupçonnées.
Des parents pourraient décider d'envoyer un enfant chez l'oncle de
Toronto ou de Cornwall pour qu'il fréquente l'école anglaise
pendant quelque temps et le rapatrier ensuite. Le juge Deschênes a
déclaré constitutionnellement admissible à l'école
anglaise un parent qui avait justement expédié son fils à
Ottawa pendant un an. Il n'est même pas nécessaire de s'expatrier,
on peut librement fréquenter l'école privée anglaise non
subventionnée ici même au Québec. Au 30 septembre 1982,
1535 élèves recevaient leur enseignement en anglais aux niveaux
primaire et secondaire dans de telles institutions où la loi 101 ne
s'applique pas. Parmi eux, on comptait 151 francophones, 10%; 330 allophones,
21%; tous, ainsi que leurs frères et soeurs nés ou à
naître, ont maintenant acquis à ce moment-là le droit
constitutionnel de poursuivre leurs études en anglais dans le secteur
public." Si, par une loi, le gouvernement du Québec disait qu'il ne
donne plus l'autorisation d'avoir des écoles non subventionnées,
par la loi constitutionnelle, le gouvernement fédéral a le
pouvoir de dépenser, le gouvernement fédéral pourrait
instituer ces écoles et faire dévier encore la loi, donc
considérablement réduire dans un espace de dix ou quinze ans les
effets que l'on souhaitait de la loi 101.
Pour rester avec la Loi constitutionnelle de 1982, M. Ryan, son texte
est très clair à l'article 233. "Le droit reconnu aux citoyens
canadiens par les paragraphes 1 et 2 de faire instruire leurs enfants, au
niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité
francophone ou anglophone d'une province s'exerce partout dans la province
où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant
pour justifier à leur endroit la prestation sur les fonds publics de
l'instruction dans la langue de la minorité." Il dit: comprend, lorsque
le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des
établissements d'enseignement de la minorité linguistique
financés à même les fonds publics. M. Ryan, le texte est
clair en français. Le droit de faire instruire dans des
établissements d'enseignement de la minorité linguistique
financés par les fonds publics. Ne partez pas Mme Lavoie-Roux, je vous
en supplie. Donc, il s'agit en premier lieu d'établissements
contrôlés par cette minorité. On ne dit pas: pour la
minorité anglophone. En conséquence, M. Ryan, et c'est là
que cela devient intéressant, en plus d'un système confessionnel,
la Loi constitutionnelle oblige à ajouter un système linguistique
d'écoles au moins pour la minorité.
Peut-on imaginer un tel système uniquement pour la seule
minorité? Donc, ce droit ne peut qu'être étendu aussi
à la majorité, mais sans oublier que seule la minorité
provinciale a une telle garantie. Ce qui signifie, M. Ryan, que cette garantie
s'étend non seulement à l'existence d'un tel
système, mais aussi à son financement public par
l'État. Paradoxalement, la minorité
franco-québécoise du Canada n'a pas une telle garantie
constitutionnelle. Le gouvernement du Québec pourrait donc abolir le
financement public des écoles françaises. Il pourrait même
abolir les écoles françaises au Québec. On ne pourrait pas
le faire, par contre, pour les écoles anglaises et ce n'est surtout pas
notre intention, merveilleux.
Comparons cette situation avec celle de la Belgique ou de la Suisse,
où des gouvernements régionaux existent comme au Québec.
Êtes-vous capables d'imaginer des francophones de Belgique qui voient
leurs droits linguistiques uniquement garantis par la Flandre, mais aucunement
en Wallonie? Idem pour le cas suisse. En somme, le projet de loi 40 - je fais
une petite diversion -n'est pas seulement en accord avec la Loi
constitutionnelle de 1982 mais, à toutes fins utiles, une obligation
constitutionnelle pour nous. Quand vous dites qu'au niveau de la langue
d'enseignement on a un ton alarmiste, l'alarme se sonne d'elle-même quand
on lit la Loi constitutionnelle de 1981.
Le Président (M. Desbiens): M. le député
d'Argenteuil.
M. Ryan: Juste une précision. Je ne voudrais pas
poursuivre le débat à cette heure tardive. Malheureusement, il
faudra se reprendre parce qu'on a beaucoup à se dire là-dessus...
dans l'espoir de conversions éventuelles de part et d'autre. Je sais que
j'entreprends beaucoup. M. Boulerice, quand vous avez cité la Loi
constitutionnelle canadienne, vous avez oublié de citer l'article
suivant, l'article 59. Vous avez cité 58, je crois bien.
M. Boulerice: Non. 23.
M. Ryan: Vous avez cité 23.3. Il faut ajouter l'article 59
qui précise que l'article 23.1a, celui qui traite de la langue
maternelle, ne peut entrer en vigueur au Québec que sur approbation de
l'Assemblée nationale ou du gouvernement du Québec. Cela est
très important de l'ajouter celui-ci, pour quand même circonscrire
le problème. Vous l'avez devant vous. Je pense que sur les textes on ne
peut pas se chicaner.
M. Boulerice: II y a toujours une école d'évitement
quand même, qui va pouvoir...
M. Ryan: Très bien. Mais pourvu que vous admettiez ceci,
je pense que ce serait déjà un gros progrès de fait. On
aura le temps de prendre le reste un peu plus tard.
Maintenant, il y a deux autres articles au sujet de la langue
d'enseignement dans la constitution canadienne. Il y a 23.1a: lui, c'est le
critère Canada, la clause Canada au sens strict. Vous avez cité
Jean-Pierre Proulx tantôt. Il parlait de la clause Canada au sens large.
Cela ne s'applique pas, par conséquent, à celui-ci. Nous autres,
ce que nous défendons de ce côté-ci, je voudrais que ce
soit clair dans votre esprit, c'est 23.1b, la clause Canada entendue dans son
sens strict. Je pense pouvoir dire sans faire de vantardise que c'est
moi-même qui ai fait introduire cet article dans la constitution
canadienne. J'étais allé voir M. Trudeau, après avoir
consulté le comité des députés, d'ailleurs,
même si je passais pour ne pas le consulter. Je me rappelle très
bien que nous avons réussi au moins à faire introduire cette
sauvegarde très importante. (22 h 15)
J'ajoutais dans mes remarques tantôt que l'article 23.2... Si un
mouvement de conversation avait existé ou pouvait exister, c'est un
article qui serait, à mon point de vue, négociable et sur lequel
il y aurait moyen de trouver des précisions qui permettraient
d'éviter le genre d'hémorragie de manière excessive, que
l'on redoute. Mais quand même, j'admets que, théoriquement...
Mais, avec les calculs théoriques, on peut faire bien des choses. Je
pense que le ministre se rappelle comme moi de cette vieille histoire. En
Angleterre, au milieu du siècle dernier, il y avait beaucoup de fumier
de cheval dans les rues de Londres. À un moment donné, il y a un
gars qui a fait une projection. Il a dit: Au rythme où cela a
augmenté depuis dix ans, tous les résidents de Londres seront
asphyxiés dans un siècle. Sauf qu'il n'y en a plus du tout
maintenant. Il n'y en a plus du tout; l'automobile est arrivée et tout a
changé. Ici à Montréal, il y a moins de danger, parce
que...
M. Godin: M. le Président.
M. Ryan: Pardon?
M. Godin: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Ils se font asphyxier par des produits
pétroliers, ce n'est guère mieux.
M. Ryan: Je sais bien, mais cela aussi va passer.
M. Godin: La projection était juste.
M. Ryan: Vous savez qu'avec le prochain gouvernement, cela va
être l'électricité. Tout ceci par conséquent... Je
ne veux pas prolonger la discussion davantage. Mais je voulais simplement
suggérer qu'il y a une marge pour la conversation civilisée.
J'espère, encore une fois, qu'au moins le gouvernement
comprendra clairement que la position du parti qui forme l'Opposition en
ce qui concerne la langue d'enseignement, je pense que c'était important
à un stade ou l'autre de notre discussion de l'exposer de manière
juste. Je remercie M. Boulerice de m'avoir fourni l'occasion de le faire. Et
encore une fois, je lui exprime mon appréciation pour la manière
dont nous avons pu discuter ensemble qui était extrêmement
intéressante. Je regrette simplement que le temps ne nous permette pas
d'en faire davantage.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Bourassa.
M. Laplante: Merci, M. le Président. Vu l'heure tardive,
je veux souhaiter la bienvenue à nos frères péquistes de
Montréal-Centre. Il y a quelque chose qui me chicote un peu dans tout
votre mémoire. Vous préconisez un durcissement de la loi, de
certains articles avec lesquels je suis bien d'accord. Après six ans de
fonctionnement d'une loi aussi importante que la loi 101, croyez-vous qu'il
peut y avoir des irritants qui puissent être améliorés
d'une autre façon que de durcir cette loi?
Le Président (M. Desbiens): M.
Boulerice.
M. Boulerice: J'aimerais, au départ, M. le
député, tout en vous témoignant mon amitié, vous
corriger quant à votre vocabulaire. Nous n'avons pas proposé de
durcissement; nous avons proposé des additions et nous suggérons
des consolidations.
La deuxième chose, M. le député, je pense que nous
reconnaissons qu'il peut y avoir des irritants dans la loi. Mais, moi,
j'aimerais savoir, M. le Président, comment il se fait que certains
irritants pour la communauté anglophone, c'est odieux, mais que, par
contre, pour la communauté francophone, c'est un incident. Je me suis
acheté un chandail avant de venir à la commission parlementaire:
"Special offer: our previous regular price 22 $, 15,95 $ special offer". J'ai
réservé une chambre qui s'appelle "one twin" et c'est
"guaranteed". C'est même marqué "Government ID required" et c'est
"October 19". Mais, les irritants, ils sont pour qui, M. le
député?
M. Ryan: Est-ce que vous l'avez acheté?
M. Boulerice: C'est pour qui? La question n'est pas de savoir si
j'achète ou si je n'achète pas, M. le député
d'Argenteuil. La question, c'est que les consommateurs ont le droit
d'être servis en français. Voilà un exemple. Les irritants
sont où? Est-ce que vous proposez à nos compatriotes anglophones,
si par malheur il y avait un étiquetage unilingue français sur
les "beans" Clark, de ne plus acheter les "beans" Clark? Je pense, M. le
député d'Argenteuil, que s'il y a des irritants pour les uns, il
y a des irritants pour les autres. Il y a une loi qui doit être
respectée et, à mon point de vue, je pense qu'elle mérite
d'être respectée. Si vous voulez un exemple, je peux facilement
vous en donner. Il semble y avoir consensus. Je sais qu'un organisme anglophone
doit, selon la loi, correspondre en anglais avec un autre organisme
anglophone...
Une voix: En français.
M. Boulerice: En français, pardon. Que l'on autorise ces
gens, ces administrations à correspondre en anglais. Si on me dit qu'au
besoin il pourra y avoir une traduction française de cette
correspondance, cela va de soi.
Je vais vous donner un autre exemple. Concernant l'admission à
l'école anglaise, on dit que si vous fréquentiez l'école
française, que vous voulez fréquenter l'école anglaise et
que vous êtes déclaré admissible, la demande doit
être faite avant le 1er avril, je crois. Normalement, techniquement et
juridiquement, si vous présentez votre demande le 1er mai, je devrais
vous répondre non. Je dis "je devrais" parce que c'est un secteur que
j'administre dans ma vie privée. Que l'on modifie cela et que le droit
de passage soit à n'importe quel temps. Ce sont sans doute des
irritants, nous en convenons nous aussi, mais, à mon point de vue, les
irritations que l'on pense avoir ne doivent pas être des moyens
déguisés ou insidieux de faire perdre à la loi son essence
et ses buts.
M. Laplante: Monsieur, vous faites une remarque, à la page
9, disant: "Nous nous expliquons: jusqu'ici, nous avons entendu des plaintes
d'anglophones contre l'office au sujet de ses interprétations..." Dans
les mémoires qu'on a reçus jusqu'à aujourd'hui, il y a
aussi beaucoup de francophones qui se sont plaints à ce sujet. Je ne
voudrais pas non plus qu'on sente dans le milieu des affaires, dans le milieu
industriel, qu'il y a seulement l'anglophone qui se plaint. Le francophone se
plaint aussi de l'interprétation de l'office là-dessus. C'est
pour être un peu plus juste pour les deux groupes que je vous dis cela.
Il y a peut-être aussi une éducation à faire parmi les
nôtres pour accepter la loi 101 avec tout ce qu'elle comporte.
Lorsque vous dites que nous retournons au libre choix, pouvez-vous
préciser là-dessus un peu plus?
M. Boulerice: La première chose, au sujet de votre
remarque sur les plaintes, c'est que l'on dit clairement, M. Laplante, qu'il y
en a eu très peu à notre avis. Nous
ne faisons pas allusion à des plaintes de francophones quant aux
mauvais services reçus de l'Office de la langue française. Nous
faisons allusion à des plaintes d'employés éventuels qui
se plaignaient qu'il y avait des exigences de bilinguisme à leur emploi
et qui le contestaient. Sauf que l'office, comme nous le disions, limite
l'accès aux seuls candidats refusés à un emploi bilingue.
Ce qu'on essaie de vous dire, c'est: Mettez-vous dans la situation d'un
employé refusé à un poste dit bilingue et qui conteste son
bilinguisme. Quelles sont ses chances après d'avoir ce poste? Il y a
quand même le biftek à gagner dans la vie. Alors ces gens ne
portent pas plainte. On vous disait que s'il y avait eu une meilleure
protection, le nombre de plaintes aurait été beaucoup
élevé.
Maintenant, on veut revenir au libre choix. Cela fera plaisir à
M. Ryan. Nonobstant ce qu'il a dit, le texte anglais dit aussi "is receiving".
Avec l'article 23.02, on pourra, avec des moyens de combine, des moyens
instantanés, des écoles que j'appelle comme aux États-Unis
- cartons d'allumettes où on s'inscrit pour 3 $, faire ce que la loi
dit, recevoir au Canada l'enseignement en langue anglaise et, après
cela, aller au secteur public anglophone au Québec et éviter
d'aller au secteur francophone. C'est tout simplement cela.
M. Laplante: D'accord. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: M. le Président, compte tenu de l'heure, je
tâcherai d'être le plus bref possible. M. Boulerice, vous dites
ailleurs dans votre conclusion que l'essentiel de vos revendications porte sur
la langue de travail. Je vous cite: "...nous trouvons aberrant,
indécent, que des milliers de Québécoises et de
Québécois, trop souvent des jeunes formés dans les
meilleures écoles techniques, collèges et universités,
soient au chômage. Nous trouvons honteux le fait qu'ils se voient refuser
des emplois du fait qu'ils ne parlent pas la langue française." Si j'ai
bien compris dans la réponse que vous donniez au député
d'Argenteuil tantôt, vous souligniez que c'était surtout dans le
domaine de l'administration publique que cela vous préoccupait. Ai-je
bien compris votre message?
M. Boulerice: Non. Notre préoccupation de la
difficulté d'emploi pour un unilingue ne va pas nécessairement
uniquement au niveau de la fonction publique, elle va à tous les
secteurs d'emploi. Nous avons mis une insistance, je ne dirais peut-être
pas particulière, au niveau de la fonction publique parce qu'il y avait
des exemples extrêmement convaincants de cela. Je vous donne un exemple:
Dans un dossier à l'Office de la langue française, il y a une
plainte de l'Association des contremaîtres municipaux employés par
la ville de Montréal contre la ville de Montréal. On dit que
l'employeur exige la connaissance de la langue anglaise pour l'accès au
poste de contremaître de section ou service de la voie publique. La
candidature du requérant a été rejetée parce
qu'elle ne répondait pas à cette exigence même si celle-ci
ne figurait pas dans l'avis de concours. Les contacts du contremaître
avec le public ne représentent qu'un aspect accessoire de ses fonctions.
L'office estime que le service téléphonique central suffit
à assurer le contact avec les anglophones. Décision: l'employeur
n'est pas justifié d'exiger la connaissance de l'anglais. Nous avions,
M. Gratton, énormément d'exemples à ce niveau. C'est bien
entendu que nous croyons qu'un unilingue francophone au Québec devrait
avoir autant de chances de se trouver un emploi qu'un unilingue anglophone peut
en avoir en Colombie britannique ou en Ontario.
M. Gratton: Vous nous citez - et d'ailleurs vous avez
insisté là-dessus - le fait qu'à la ville de
Montréal, quelque 95% des postes sont affichés dans les deux
langues. Avez-vous des exemples d'organismes publics relevant directement du
gouvernement du Québec où il existerait des situations
semblables?
M. Boulerice: Vous me parlez de refus d'emploi pour un
unilingue...
M. Gratton: Non, non, des conditions de travail qui
empêcheraient un unilingue francophone de travailler pour un organisme
sous le contrôle du gouvernement du Québec.
M. Boulerice: Évidemment. J'essaie de trouver mes papiers
le plus rapidement possible.
M. Godin: Excusez-moi, M. Boulerice a cité tout à
l'heure le Comité paritaire de la fourrure...
M. Boulerice: C'est cela. J'essaie malheureusement de retrouver
le document.
M. Godin: ...qui relève indirectement de la
responsabilité du ministre du Travail, qui exige que les inspecteurs
soient bilingues...
M. Gratton: Oui, j'ai saisi celui-là. M. Godin:
Celui-là était un cas.
M. Gratton: Oui, mais je me demandais s'il y en avait
d'autres.
M. Boulerice: J'essaie d'en trouver. Je vous ai fait état
tantôt, tirée de la Gazette officielle du Québec, d'une
liste de tous les emplois qui ont les exigences du bilinguisme au niveau du
fonctionnarisme.
M. Gratton: Oui, oui.
M. Boulerice: Si je le retrouvais, je pourrais vous en donner une
nomenclature de ces emplois. Je me demande très honnêtement
pourquoi il y a exigence sine qua non de bilinguisme lorsqu'on veut être
inspecteur d'ascenseur ou, comme je vous ai mentionné tantôt parce
que je l'avais frais à la mémoire, inspecteur en fourrure.
M. Gratton: Mais conviendrez-vous avec moi que, quel que soit le
texte de la loi, il faut qu'il y ait une volonté de francisation? Quand
on parle de la ville de Monréal, il y en a qui prétendent que la
volonté existe. Sûrement, si je vous posais la question: Est-ce
que c'est la volonté du gouvernement du Québec actuel? Vous me
répondriez oui. Seriez-vous surpris d'apprendre qu'il existe des
sociétés publiques qui relèvent directement du
gouvernement du Québec où les opérations se font
uniquement en anglais? On n'a pas besoin de loi pour que le gouvernement agisse
dans ces cas. Cela existe. (22 h 30)
M. Boulerice: Ce que nous disons, M. Gratton, c'est qu'il se peut
qu'il y ait effectivement des organismes directement gérés par
l'État où tout se fait en anglais. Quand vous regardez les
amendements que nous proposons, vous voyez que nous disons que le droit de
parler exclusivement le français, sauf exception prévue par la
loi. Nous ne rejetons pas des exceptions, quand même conscients du
contexte nord-américain dans lequel on vit. Ce que l'on dit, M. Gratton,
c'est que exception - pléonasme -mais exception des exceptions
prévues par la loi il existe encore - et cela n'est pas en consolidation
de l'esprit de francisation -une nomenclature d'emplois dans la fonction
publique qui ont des exigences de bilinguisme et nous les mettons en question,
nous nous interrogeons sur cette pertinence.
Donc ce que nous demandons c'est qu'il soit revu et que l'on statue de
façon définitive si véritablement il y a exigence du
bilinguisme. Si oui la démonstration sera faite et la loi le
prévoira mais on arrêtera de demander du bilinguisme à tous
azimuts. C'est pour cela que je vous donnais deux exemples. Je vais vous
inviter à relire les classifications de personnel dans la fonction
publique du Québec que vous trouvez à la Gazette officielle et
vous allez bien voir cette série, cette nomenclature de postes. Il y a
des choses qui sont vraiment particulières, aberrantes, qu'il y en ait
tant que cela et que cela touche 17 000 fonctionnaires.
Encore une autre fois, nonobstant l'article qui fait part des
connaissances d'autres langues, donc qui caractérisent un bilinguisme
qui n'est même pas inscrit dans la fonction mais qui est inhérent
aux capacités personnelles des candidats.
M. Gratton: Là où je veux en venir, M. Boulerice,
c'est que... J'ai toujours pensé que d'abord le gouvernement du
Québec doit donner l'exemple. Je suis sûr que vous conviendrez
avec moi que le gouvernement du Québec doit donner l'exemple le premier.
Quand on exige par voie législative que des entreprises dans le secteur
privé aussi bien que dans l'administration publique adoptent des
programmes de francisation, s'y conforment sous peine de pénalité
et tout le reste, je dis que le gouvernement du Québec lui-même
qui fait la loi doit le premier donner l'exemple et ne devrait pas laisser
exister des situations où des sociétés publiques
directement sous son contrôle font en sorte que des employés - et
en très grand nombre - ne sont pas en mesure de fonctionner normalement
en français.
Je vous pose la question: Est-ce que vous êtes d'accord avec moi
là-dessus et est-ce que vous connaissez des cas semblables?
M. Boulerice: Ce que je vous dis, M. Gratton, c'est qu'au moment
de l'adoption de la loi, pour les caractéristiques linguistiques de la
majorité des postes de la fonction publique on a laissé la
situation en fonction de la tradition qui existait. Je ne blâme donc pas
le gouvernement directement comme tel mais je lui dis que, compte tenu de ce
nombre incroyable de postes, nous jugerions beaucoup plus pertinent qu'il y ait
une révision de ces postes et que l'on spécifie de façon
d'ailleurs très catégorique sur le nombre, la qualité et
l'endroit où ces postes bilingues doivent exister. Cela va d'ailleurs
vous réjouir puisque à ce moment on aura l'assurance que ceux de
la communauté anglophone du Québec qui auront affaire au service
sauront qu'il y a effectivement un service avec un fonctionnaire très
nettement identifié comme bilingue.
M. Gratton: On n'est pas sur la même longueur d'onde, M.
Boulerice. On parle de deux choses différentes. Je ne parle pas des
postes bilingues. Je parle...
Une voix: ...
M. Gratton: Pardon?
M. Laplante: Nommez-les...
M. Gratton: Non, non. Je demande si M. Lebourice en
connaît.
M. Laplante: II n'en connaît pas. M. Gratton: Je vous en
nommerai...
M. Laplante: D'accord. Mais nommez-les au lieu de laisser
planer...
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, à
l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Gatineau.
M. Gratton: Avant de vous en nommer je vais faire les recherches
et je vous informerai en conséquence.
M. Godin: Ah bon!
M. Laplante: Ah! Ah! Ah! Ah! D'accord.
M. Gratton: Bon bien je m'engage dès demain matin à
vous en fournir un cas d'espèce. Cela vous intéresse? Je vais
vous l'apporter demain matin.
M. Laplante: Oui, oui, cela nous intéresse.
M. Godin: Donnez-nous un cas. On revient à l'ancien
principe: donnez-nous un seul cas. C'est bien.
Mme Lavoie-Roux: Et si on trouve un seul cas que faites-vous?
M. Gratton: On me demande un seul cas, M. Boulerice.
J'espère pour vous que vous ne serez pas avec nous demain matin mais je
m'engage aujourd'hui à l'apporter dès demain matin. Je vous
remercie, M. Boulerice, à moins que vous ayez quelque chose à
ajouter.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Saint-Hyacinthe.
M. Dupré: M. Boulerice, les Montréalais
étant ce qu'ils sont et puisque vous dites que c'est à
Montréal que s'est toujours jouée la partie la plus importante de
ce que nous appellerons la bataille du français, ne trouvez-vous pas que
sur les Plaines d'Abraham, en 1759, il s'en est joué une bonne
partie?
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Dupré: Je voulais juste attirer votre attention, M.
Boulerice, sur une des questions que le député d'Argenteuil vous
a posées tantôt quant à la deuxième partie de
l'article 47. Là, vous parlez d'un deuxième paragraphe; vous
voulez remplacer le premier. Si j'ai bien compris - je voudrais vous l'entendre
dire - la partie du fardeau de la preuve demeure.
M. Boulerice: Nous la gardons, la preuve demeure.
M. Dupré: Cela vous a été demandé et
d'un article à l'autre...
M. Boulerice: Pour ce qui est de votre reproche d'être trop
spécifiquement montréalais, je vous dirai que je ne le prends
pas, c'est bien entendu, mais je sais qu'il a été fait à
la blague. Sauf que vous devez comprendre que c'est bien malheureusement
à Montréal que devenait dérisoire un Québec
français, surtout une métropole française et l'appellation
d'une deuxième ville de langue française. C'est surtout à
Montréal, il n'y a quand même pas si longtemps - je ne suis pas si
vieux, je ne suis pas si jeune que cela qu'on se faisait répondre par
une expression que vous connaissez bien: "I am sorry, I do not speak French."
C'est encore le cas, malheureusement, quoique cela diminue de plus en plus. Il
faut quand même avouer qu'il y a des efforts de faits. Vous savez, il ne
faut pas juger tous les anglophones en fonction de certains qui s'arrogent le
droit de parler en leur nom. Il y a des efforts de faits.
Je vous ai expliqué que j'ai habité le comté de
Westmount où j'y ai gardé d'excellents amis. Il y a effectivement
des efforts de faits, mais il y a encore une certaine
irréductibilité et je ne pense pas qu'elle soit
intrinsèque à ces personnes qui sont, à mon point de vue,
d'excellents Québécois malgré tout, sauf qu'il faut voir
le climat dans lequel on les entretient pour comprendre que, quelquefois, ils
ont des agissements qui ne sont peut-être pas ceux que, normalement, ils
auraient.
M. Dupré: Merci.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre
participation aux travaux de la commission.
M. Godin: Merci, MM. Boulerice et Boivin.
M. Bégin (Paul): Bégin.
M. Godin: Excusez-moi, il se fait tard.
Le Président (M. Desbiens): J'inviterais le dernier groupe
à se présenter, le Parti québécois de Dorion.
Mme Lavoie-Roux: C'est un beau comté, le comté de
Dorion.
M. Godin: Un comté qui a élu une femme.
Le Président (M. Desbiens): M. Bérard, si vous
voulez nous présenter votre
compagnon et votre mémoire, s'il vous plaît.
Parti québécois de Dorion
M. Bérard (François): M. le Président,
mesdames et messieurs les membres de cette commission, je suis François
Bérard, président du Parti québécois du
comté de Dorion. Je suis criminologue et directeur général
d'une maison de transition pour ex-détenus. Mon collègue, M.
Gilbert Ouellet, est vice-président de l'Association du Parti
québécois Dorion également. M. Ouellet oeuvre depuis
quinze ans dans le milieu commercial et professionnel de la ville de
Montréal.
Nous allons commencer la présentation. M. le Président,
mesdames et messieurs les membres de cette commission, nous nous
présentons aujourd'hui devant vous investis du mandat que nous a
confié le conseil exécutif de l'Association du Parti
québécois Dorion. Ce mandat consiste à faire des
représentations auprès de vous concernant certains
éléments touchant la mise en vigueur de la Charte de la langue
française.
Dorion étant, d'une part, situé dans la grande
région montréalaise, endroit stratégique s'il en est,
où se déroule, selon nous, la bataille la plus importante pour
préserver notre culture française et, d'autre part, 20% de notre
électorat étant constitué d'allophones, principalement des
Italiens, fortement anglicisés, nos militants et nos militantes se sont
toujours montrés sensibles aux questions linguistiques. Pour nos
membres, essentiellement des travailleurs et des travailleuses, ce combat est
quotidien.
Pour nous, de Dorion, le principal sujet de préoccupation est le
français langue de travail. Comme vous le savez, un des objectifs de la
loi 101 visait à faire en sorte qu'un Québécois
francophone puisse travailler en français. Pour ce faire, la loi
prévoyait la mise sur pied de comités de francisation au sein des
entreprises. Malheureusement, nous devons affirmer, et ce, contrairement
à ce que véhiculent certains médias anglophones, qu'on est
encore loin d'avoir atteint les buts fixés par la loi.
Il est connu du grand public combien peu de ferveur ont manifesté
certaines entreprises anglophones à l'égard des dispositions
relatives à la francisation de leur entreprise. Ainsi, les nombreuses
négligences et même la mauvaise volonté qui a
présidé la mise en place des comités de francisation dans
certaines entreprises ayant 50 employés et plus ont souvent
entraîné la nomination de membres au sein de ces comités
qui étaient indifférents ou hostiles à la progression du
fait français au sein de leur entreprise. Cette attitude contrevenait
manifestement à l'esprit de la loi. Inutile de préciser que
très peu de choses ont été faites dans plusieurs
entreprises anglophones de 50 employés et moins puisque la loi ne les
obligeait pas à mettre en place un comité de francisation.
Lorsqu'on sait que la très grande majorité des grandes
entreprises privées oeuvrant dans la région de Montréal
appartiennent à des anglophones ou à des allophones
anglicisés, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Mais comment expliquer ce phénomène de résistance
si on passe sous silence l'influence néfaste qu'exercent bon nombre
d'institutions anglophones à l'égard de la loi 101 et ce, avec la
collaboration souvent complaisante de plusieurs organismes allophones? Leur
attitude d'opposition à des lois visant à protéger le fait
français au Québec n'est pas récente, bien au contraire.
Cependant, elle s'est exprimée sous différentes formes au fil des
années.
Prenons l'exemple de la Gazette. Au cours des 20 dernières
années, la réponse de ce journal aux différents projets
linguistiques et culturels français fut de leur opposer un "non"
catégorique, comme ce fut le cas pour la loi 22, ou encore un "oui,
mais...". On n'a qu'à jeter un coup d'oeil sur les éditoriaux
produits par la Gazette au cours des deux dernières décades pour
être en mesure de constater la fumisterie que ce journal essaie de
répandre à l'heure actuelle en affirmant qu'il a toujours
favorisé la promotion du fait français au Québec. La
Gazette n'est malheureusement pas le seul média anglophone en cause
ici.
Les médias jouant le rôle de caisse de résonance au
sein d'une communauté, il n'est pas étonnant que l'action de
certains médias anglophones, au cours des années, n'ait pas
préparé un terrain propice à l'application de la loi 101
dans leur communauté, mais ait plutôt provoqué un
durcissement d'attitude de la communauté anglophone à
l'égard de la question linguistique. De calme et rigide, la
communauté anglophone manifeste aujourd'hui beaucoup
d'agressivité et de frénésie.
L'expression de cette agressivité face au fait français se
fait sentir, par exemple, par l'insistance que plusieurs anglophones mettent
aujourd'hui à s'adresser à nous, d'abord en anglais, plutôt
qu'en français, et ce, dans les magasins, dans les restaurants et les
lieux publics. Cela constitue un changement assez subtil, mais évident
puisqu'il y avait eu amélioration dans ce sens après l'adoption
de la loi 101.
On assiste également à des attaques virulentes et directes
contre le fait français au Québec. Ainsi, le vendredi 14 octobre
1983, M. Neil McKenty, animateur au poste de radio CJAD, dans son programme,
parlant de notre drapeau - cela concernait la question de Grande-Vallée
- disait: "The French flag" - au moment où les gens le brûlaient,
à Grande-Vallée - laissant entendre que nous,
Québécois francophones, sommes étrangers ici. Quelle
grande malhonnêteté
intellectuelle:
Cette agressivité se manifeste aussi dans le cadre de la
francisation des milieux de travail. La propagande féroce de certains
médias anglophones à l'égard de l'Office de la langue
française et, notamment, du Bureau de surveillance de la langue
française ne vise certainement pas à faciliter le travail des
fonctionnaires chargés de faire en sorte que la loi soit
respectée. Ces médias présentent à leurs clients
tous les fonctionnaires du Bureau de surveillance de la langue française
comme des fanatiques. Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant que
l'Office de la langue française et le Bureau de surveillance de la
langue française aient adopté une attitude défensive
à l'égard de la francisation des entreprises!
Cette forme de harcèlement facilite l'apparition des
comportements irrespectueux de la loi que nous avons décrits plus
tôt. Cette attaque sournoise et vicieuse frappe aussi directement les
fonctionnaires dans leur intégrité et leur professionnalisme, eux
qui doivent veiller à l'application d'une loi établie par des
représentants du peuple démocratiquement élus. Il s'agit
d'une attaque politique lâchement dirigée vers la mauvaise cible:
On s'attaque aux valets plutôt qu'au maître. (22 h 45)
Notre scepticisme face aux chances qu'a le français de devenir
langue de travail au Québec s'est accru depuis la création
d'Alliance Québec. Pour nous, il est devenu évident qu'avec la
création de cet organisme, les médias anglophones, la
communauté d'affaires anglophone et la communauté
éducative anglophone font maintenant front commun contre la loi 101. En
fait, nous sommes actuellement en présence de groupes qui mènent
une action concertée dont le premier objectif est d'abord d'affaiblir la
loi pour ensuite la détruire. L'exemple des enfants qui continuent de
suivre illégalement des cours dans les écoles anglaises nous
semble à propos.
Lors de l'adoption de la loi 101, la communauté anglophone
encouragea les parents d'immigrants dont les enfants étaient
touchés par les dispositions relatives à la langue d'enseignement
à envoyer leurs enfants à l'école anglaise sous le
fallacieux prétexte que le gouvernement du Parti québécois
serait battu aux prochaines élections. Cela était une incitation
directe à la désobéissance à la loi 101. Cette
stratégie du milieu anglophone fut modifiée après la
réélection du gouvernement du Parti québécois. Sous
prétexte de générosité, on réclame
aujourd'hui l'amnistie pour les "illégaux", ces "pauvres martyrs" de la
loi 101. Quelle hypocrisie chez l'élite anglophone dans ce dossier, eux
habituellement si prompts à dénoncer les comportements
irrespectueux des lois!
Nous vous lançons aujourd'hui un cri d'alarme quant à
l'application de la loi 101 au plan du français langue de travail.
L'importance de cet enjeu ne peut supporter aucune négligence. Les
sociologues ont souligné à juste titre qu'avec la famille et
l'école, le travail constitue une des institutions fondamentales de
notre société. Après tout, le tiers d'une vie se passe
dans le milieu de travail; d'où l'importance de la francisation
véritable de ces milieux.
En effet, que nous aura valu une éducation française
donnée à nos enfants s'ils doivent vivre leur vie de travail dans
une autre langue? À quoi nous aura servi de procurer des services
d'immersion aux immigrés dans nos centres d'accueil aux immigrants parce
que nous voulons les intégrer dans la société
française si nous permettons que leur milieu de travail soit anglophone?
Il faut veiller à ce que la francisation des milieux de travail devienne
une réalité tangible et constante. Le peuple
québécois a besoin d'une ambiance française au travail;
c'est une question de justice et de gros bon sens! C'est pourquoi nous
demandons le renforcement de la loi concernant le français langue de
travail.
En guise de conclusion, il nous apparaît pour le moins
étrange qu'au Québec, en 1983, des représentants de la
majorité française soient placés dans l'obligation de
devoir défendre leur langue devant cette commission face à
l'envahissement d'une minorité anglophone et qu'ils se trouvent
également dans l'obligation de réitérer des faits si
évidents. Mon Dieu, quelle tristesse!
Nous vous remercions d'avoir bien voulu nous entendre et nous vous
prions d'agréer, M. le Président, mesdames et messieurs de cette
commission, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
Avant de vous laisser et avant de répondre aux questions que vous
voulez peut-être nous poser, nous vous prions d'écouter
brièvement la deuxième partie de notre présentation qui
traite de propositions concrètes et qui vous seront
présentées par M. Gilbert Ouellet. Merci.
M. Ouellet (Gilbert): Mesdames et messieurs, à la suite de
nos précédents propos, nous voulons, premièrement,
souligner la baisse flagrante à l'heure actuelle de vigilance au niveau
des comités de francisation dans des entreprises de 50 employés
et plus. Nous demandons que soient trouvés des moyens de
réactiver ces comités afin d'en faire des outils permanents
d'accélération de la francisation des milieux de travail. Pour ce
faire, il est impérieux de s'assurer de la participation des
employés francophones intéressés.
Deuxièmement, pour les entreprises de 50 employés et
moins, nous considérons qu'aucune raison ne nous paraît valable
pour
que ces entreprises ne soient assujetties à la loi. Ceci
constitue une omission importante présentement, si l'on considère
que le français langue de travail est un droit pour tous et que la
justice exige que tous les travailleurs soient protégés. Afin de
favoriser le développement du français dans ces entreprises, une
certaine forme de subvention pourrait être étudiée et mise
au point pour les entreprises qui sont de bonne foi.
Troisièmement, vu l'importance de s'assurer de l'implantation du
français dans les milieux du travail, on pourrait faire preuve
d'imagination en incluant ce principe dans le Code du travail ainsi que dans la
Loi sur les normes du travail. Nous pourrions également inscrire ce
principe dans toutes les lois touchant de près ou de loin des questions
relatives au travail.
Quatrièmement, nous voulons également mettre l'emphase sur
la question des immigrants en rapport avec le travail. Les nouveaux immigrants
s'intégrant à la vie francophone doivent posséder les
mêmes droits et privilèges que tout francophone a, même s'il
travaille dans une industrie ou une entreprise anglophone où le
personnel francophone est minoritaire ou inexistant. Agir autrement envers eux
serait démontrer de la duplicité à leur égard
entraînant leur découragement et la perte de tout l'investissement
que constitue l'apport des immigrants pour le peuple
québécois.
Enfin, nous tenons à vous assurer que nous demeurons à la
disposition du ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration
car notre délégation a vraiment à coeur la promotion du
français, langue de travail.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Godin: Brièvement, M. Bérard, M. Ouellet, nous
tenons à vous remercier de vous être présentés
devant nous. Nous regrettons qu'il soit si tard et que le temps soit
peut-être un peu réduit. J'aurais une question ou deux à
vous poser, très brèves. Quand vous abordez la question des
entreprises de 50 employés ou moins, je dois vous dire d'abord qu'au
ministère, présentement, nous procédons à une
étude en collaboration avec le ministère de l'Industrie, du
Commerce et du Tourisme pour savoir dans quels secteurs se situent exactement
ces entreprises et quel est l'état actuel de la francisation chez elles.
D'après les propos entendus par le Conseil du patronat du Québec
et également la Chambre de commerce de la province de Québec, il
semble que ces entreprises de 50 employés et moins soient, dans la
majeure partie des cas, des PME, ou ce qu'on appelle des TTE, des "tites tites
entreprises". J'aimerais avoir de vous des lumières sur ce genre
d'entreprises. C'est ma première question.
Deuxième question: Quand vous dites à la page 9, à
l'égard des immigrants, dont vous savez qu'ils sont ma priorité,
qu'ils devraient bénéficier des mêmes droits et
privilèges que tout francophone, pourriez-vous préciser un peu si
vous entendez par là qu'ils devraient pouvoir, eux aussi, travailler en
français?
M. Ouellet: Exactement, oui.
M. Godin: C'est cela? D'accord. Alors, revenons à ma
première question, s'il vous plaît.
M. Ouellet: Bon. Eh bien, si on considère, par exemple, la
ville de Montréal où les très petites entreprises, comme
vous disiez, sont généralement des magasins ayant de un
jusqu'à peut-être quinze ou vingt employés, des petites
manufactures où on fabrique... Cela peut être, par exemple, dans
le domaine du vêtement où on a 25 ou 30 employés. Lorsqu'on
considère que 80% des propriétaires de ces manufactures sont soit
des anglophones ou des allophones fortement anglicisés, comme nous
disons, dans le milieu du travail, les employés en
général, puisqu'ils travaillent presque journellement avec leur
patron, sont obligés d'employer presque continuellement l'anglais.
Évidemment, ceux qui sont francophones parlent français entre eux
à l'heure du lunch, ou s'ils ont une blague à se raconter, leur
fin de semaine ou des choses comme cela. Mais pour ce qui est des besoins du
travail, ils doivent nécessairement communiquer avec le patron ou avec
les contremaîtres qui, généralement, sont anglophones. Ils
sont anglophones parce que beaucoup de ces manufactures appartiennent à
des gens de race juive qui parlent, pour la plupart, beaucoup l'anglais, ou
encore à des allophones. Il y a beaucoup d'Italiens qui ont des
manufactures et qui parlent italien. Ils parlent italien forcément entre
eux lorsqu'ils sont plusieurs dans la manufacture, mais lorsqu'ils s'adressent
à leurs employés francophones, ils parlent anglais.
M. Godin: Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: Très brièvement, M. le
Président, compte tenu de l'heure. Je dois dire à nos
invités que, lorsque, au début de nos travaux, jeudi dernier,
nous avions souhaité de part et d'autre pouvoir tenir un débat
plus calme, plus serein et moins virulent que ceux qu'on avait connus
précédemment, en 1977, on avait souhaité que les termes
que vous employez dans votre mémoire soient plus nuancés. Quand
on
s'aperçoit que vous parlez d'influence néfaste, de
fumisterie, de durcissement d'attitude, d'agressivité et de
frénésie, toujours en parlant de la communauté anglophone
et de ses médias d'information, d'attaques virulentes et directes contre
le fait français, que vous parlez de grande malhonnêteté
intellectuelle, de propagande féroce, de harcèlement
irrespectueux de la loi, d'attaque sournoise et vicieuse, de politique
lâchement dirigée - en fait, je ne les reprendrai pas toutes - je
me demande si c'est là la façon d'entreprendre un débat
qu'on veut respectueux de l'opinion de chacun. Par exemple, plus
spécifiquement, quand vous dites à la page 6: "Sous
prétexte de générosité, on réclame
l'amnistie pour les illégaux, ces pauvres martyrs de la loi 101. Quelle
hypocrisie chez l'élite anglophone dans ce dossier, eux habituellement
si prompts à dénoncer les comportements irrespectueux d'une loi."
Je vous ferai remarquer que ce n'est pas l'élite anglophone qui a fait
cette demande devant la commission parlementaire, par exemple, ce sont deux
groupes d'italophones, notamment, le Conseil des activités
italo-québécoises qui, pourtant, a pu exprimer des points de vue
semblables aux vôtres sur d'autres éléments et le faire
dans un langage beaucoup plus acceptable, de même que le Congrès
national des Italo-Canadiens - les deux - qui est venu nous dire qu'il fallait
amnistier les illégaux.
Je regrette qu'on ne soit pas encore capable de parler dans certains
milieux, en 1983. Vous reprochez, par exemple, aux médias anglophones
toutes sortes de choses. Je suis bien placé pour en parler. Mon
père a dirigé le journal Le Droit à Ottawa. Pour ceux qui
ne le savent pas, le journal Le Droit a été fondé
spécifiquement pour défendre les intérêts des
francophones en Ontario, des Franco-Ontariens, au moment du fameux
règlement 17. Le journal Le Droit, qui existe encore aujourd'hui, joue
son rôle de défendre les intérêts des francophones,
des Franco-Ontariens de même que des Franco-Québécois. Je
vous avoue qu'à l'occasion, j'imagine qu'on doit se demander à
Queen's Park et dans la communauté anglophone si ce journal est bien
représentatif de l'ensemble de la société? Peut-être
pas à l'occasion, parce que c'est justement un journal de combat et qui
lutte pour les droits d'une minorité. Reprocher aux anglophones de
s'être réunis sous la bannière d'Alliance Québec
pour lutter pour leurs droits, je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de
répréhensible là-dedans, je ne vois pas pourquoi... Le
député de Bourassa va me laisser en paix.
Une voix: II n'a pas dit cela. Une voix:Voyons,
s'il vous plaît!
M. Gratton: II me semble qu'Alliance Québec a le droit de
défendre les intérêts des membres de la communauté
anglophone. Elle l'a fait avec dignité. On peut ne pas aimer le contenu
de ses revendications, mais je vous ferai remarquer qu'hier personne n'a
parlé de haine, d'attaques virulentes ou de quoi que ce soit. Cela s'est
déroulé de façon civilisée. Je suis loin de vous
reprocher de ne pas être civilisés, mais je trouve qu'il y a des
écarts de langage dans votre mémoire qui nous amènent
nous, de ce côté-ci en tout cas, à nous demander: Est-ce
encore la même vieille rengaine qui recommence? Est-ce que, finalement,
on doit essayer de discuter? Je vous avoue franchement que je le regrette
profondément parce qu'il me semble qu'il devrait être possible
pour nous, que l'on ne soit pas de la même allégeance politique,
que l'on n'ait pas les même convictions, cela importe peu, mais on
devrait pouvoir discuter de ces choses-là sans employer des termes
abusifs, à mon avis, comme vous le faites. Je vous invite à le
faire à l'avenir. Vous aurez beaucoup plus de chance d'être
écouté. Cela ne vous dérange peut-être pas trop ce
que nous pouvons percevoir, mais même le gouvernement devrait être
embarrassé à l'occasion. (23 heures)
Le Président (M. Desbiens): M. Bérard.
M. Bérard: Ce que j'aimerais dire d'abord, c'est que la
rédaction de ce mémoire a été faite avant le
début de vos travaux, ce qui fait qu'on pouvait s'attendre à une
façon d'intervenir de la part de l'Opposition qui est effectivement
celle que vous avez aujourd'hui, depuis le début des travaux de cette
commission, ou encore à une autre attitude de votre part. On ne pouvait
pas préjuger, s'imaginer à l'avance ou prédire quelle
pouvait être votre propre attitude à l'égard des travaux de
cette commission.
Nous avons essayé de faire ressortir des éléments
avec des qualificatifs peut-être pas imbéciles, comme vous le
soulignez, mais qui, à notre sens...
M. Gratton: Question de privilège. Je n'ai jamais
mentionné le mot "imbécile". Jamais!
Une voix: Question de règlement.
M. Gratton: Question de règlement, en vertu de l'article
96.
M. Bérard: Ce qu'on voulait tenter de faire,
c'était de sensibiliser la commission à une situation qui nous
apparaît avoir changé depuis quelques mois, à
Montréal. À la suite de plusieurs années de travail fait,
entre autres, par certains médias anglophones et également des
attitudes manifestées, chez
des anglophones, par un silence approbateur ou encore par des propos
tenus à la télévision, il nous semblait important de faire
remarquer à la commission qu'on commençait à sentir,
à Montréal, des effets de telles attitudes ou de tels propos.
Dans le cadre de ces attitudes, par rapport à celle où, comme on
le disait dans le mémoire, effectivement, on sentait qu'il y avait une
évolution de l'attitude de la communauté anglophone et des
communautés allophones à l'égard du fait français
au Québec, depuis quelques mois, on sent un renversement comme tel.
C'est pourquoi on a utilisé des termes ou des qualificatifs qui nous
apparaissaient appropriés pour faire ressortir ce qui pouvait se passer,
en donnant des exemples précis, comme c'est le cas pour l'animateur au
poste de radio CJAD.
Lorsqu'on parle de la question des élites anglophones face aux
immigrants, effectivement, devant cette commission, ce sont non pas des
immigrants, mais des groupes allophones, les italophones en particulier, qui
vous ont fait des représentations pour demander des assouplissements
à la loi 101 pour faire en sorte, entre autres, que les étudiants
illégaux deviennent légaux dans le système scolaire
anglophone. Sauf que, depuis plusieurs années ou plusieurs mois, dans la
presse anglophone, on appuie de telles revendications. On est pour de telles
revendications.
À notre sens, cela peut être légitime d'un certain
point de vue, mais cela nous apparaît quand même, par rapport
à l'esprit de la loi, des tentatives détournées de
contourner la loi comme telle en disant: Vous savez, lors de l'adoption de la
loi 101, le gouvernement du Parti québécois ne tiendra
peut-être pas très longtemps; il y a moyen d'envoyer des gens
à l'école anglaise et, quand il sera battu, peut-être que
d'autres gouvernements qui nous sont plus favorables seront prêts
à modifier la loi 101 dans le sens de nos intérêts.
Face à la réélection du gouvernement, on sent
maintenant un changement d'attitude. Il y a des enfants qui, effectivement,
depuis 1977, sont "illégaux" et on demande aujourd'hui, parce qu'on dit
que ces gens-là, à cause de la loi 101 et non pas comme c'est
notre analyse, comme nous le croyons... À cause de la loi 101, il y a
des enfants qui sont martyrisés alors que ces mêmes personnes
avaient incité les parents immigrés à envoyer leurs
enfants à l'école anglaise.
En ce qui concerne Alliance Québec, nous ne sommes pas du tout
contre son existence; au contraire. Vous nous avez fait dire ou vous avez fait
dire à notre mémoire des choses qu'il ne dit pas du tout. Ce que
nous voulons souligner, c'est que des groupes qui, individuellement, ont
tenté, chacun à leur façon, par des moyens
différents, d'en arriver à affaiblir la loi 101, se retrouvent
tous derrière la bannière d'Alliance Québec, aujourd'hui.
Il nous semblait à propos de le souligner à la commission, mais
nous ne sommes pas du tout contre Alliance Québec. Je pense que c'est
important que des gens qui ont des revendications à faire puissent
s'unir en groupes ou en comités pour pouvoir défendre leurs
intérêts.
M. Gratton: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: Une simple remarque. J'ai retenu les explications que
vous nous avez données. Je les accepte. Je retiens, cependant, qu'il
semble que votre attitude ou la rédaction de votre mémoire ait
été inspirée par un préjugé. Vous
préjugiez de l'attitude que nous de l'Opposition adopterions à
cette commission parlementaire. J'espère que l'attitude qu'on a
adoptée ne vous a pas trop déçus.
M. Bérard: Bien au contraire, nous sommes heureux de voir
que l'Opposition officielle est prête à transiger avec nous sans
débat passionné, sans animosité et nous en sommes
très heureux.
M. Gratton: Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: En terminant, parce que mon collègue de Gatineau
s'est permis de faire une remontrance à des gens - amicale? Oui, amicale
- qui se sont comportés de façon parfaitement respectable et
honorable devant cette commission, je voudrais moi aussi faire une leçon
à un autre groupe qui est venu, qui a avoué à un
journaliste anglophone qu'il avait utilisé l'effet de surprise face
à la commission en ne remettant pas un document à temps dans le
cadre d'une stratégie globale.
M. Gratton: Ouvrez cela, on va en parler.
M. Godin: Je l'ai dit ce matin, je pense que c'était une
forme de mépris du Parlement et moi, le Parlement, M. le
député, je me suis assez battu dans les rues du comté de
Mercier pour être ici parce que j'y croyais à cette institution et
j'ai appris de l'un de vos ex-collègues, le député
Jean-Noël Lavoie, à quel point l'institution était
importante. Je l'ai appris ici, en fait, encore plus que je ne le croyais au
début. Quand je vois des groupes qui viennent demander à
l'État de les écouter tenter de manipuler une commission - ce
n'est pas le gouvernement, mais autant vous que nous - je trouve cela
plus répréhensible encore que quelques mots un peu verts
utilisés dans un mémoire présenté par des gens
d'une politesse extrême et d'une courtoisie exquise. Merci, M. le
Président.
Mme Lavoie-Roux: C'est vrai, ils sont très polis.
M. Gratton: Oui.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Gatineau.
M. Gratton: Par deux fois, le ministre a fait allusion aux
comportements qu'il a jugés incorrects de la part d'Alliance
Québec. Je ne suis pas ici pour les défendre.
M. Godin: Je ne les ai pas nommés, M. le
Président.
M. Gratton: On n'est quand même pas pour... Je voudrais
préciser tout de suite que je n'ai pas trouvé quelque impolitesse
que ce soit. Au contraire, j'ai trouvé fort polie la façon de nos
invités de s'exprimer. Quand on parle de mépris du Parlement,
j'inviterais le ministre à nous dire ici à la commission ce qu'il
dit aux journalistes par rapport à nos invités. J'y ai fait
référence ce matin - et le ministre s'est mépris en
disant: J'ai dit la même chose à la commission. Ce à quoi
je faisais référence ce matin et on le retrouve dans deux
articles signés Michel David dans le Soleil de ce matin - c'est aux
propos que le ministre a tenus, des commentaires qu'il a faits au sujet d'un
invité après la commission: "Quand on veut tuer son chien -a dit
le ministre - on dit qu'il a la rage. Quand on veut tuer le français, on
dit que les gens de l'Office de la langue française sont des
"crack-pot", que ceux de la Commission de surveillance sont comme la Gestapo.
On crée ainsi un climat dont le but ultime est de détruire la loi
101 complètement", a commenté le ministre Godin après la
séance d'hier."
Plus loin, on faisait dire à M. le ministre: "Ils cherchent la
chicane - en parlant d'Alliance Québec - mais ils ne l'auront pas", a
dit M. Godin aux journalistes, après que la commission eut suspendu ses
travaux." J'aurais préféré que le ministre leur dise cela
aux gens d'Alliance Québec comme je viens de le faire avec nos
invités. Je pense que ce n'est pas un manque de politesse. Tout au
contraire, ce n'est sûrement pas un mépris du Parlement. C'est de
dire ce qu'on a à dire là où on doit le dire, à la
commission...
M. Godin: M. le Président...
M. Gratton: J'invite le ministre à ne pas mépriser
la commission en faisant ses commentaires sur le comportement de nos
invités une fois qu'ils sont partis parce que, là au moins, les
reproches que je leur ai adressés amicalement, ils ont pu les commenter
à leur guise et j'ai accepté leurs commentaires. Les gens
d'Alliance Québec n'ont malheureusement pas pu le faire à la
suite des propos que le ministre a tenus hier après la séance de
la commission.
M. Godin: M. le Président...
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Godin: Les principes qui doivent nous préoccuper ici,
ce sont les principes du respect du Parlement. Je l'ai dit ici, je l'ai
souligné au président que la procédure employée par
Alliance Québec était inacceptable, n'était pas conforme
à nos règles de procédure normales, et je pense que
c'était cela le message que j'avais à passer. En entrevue, par la
suite, en réponse à des questions nombreuses, comme vous l'avez
certainement fait vous-même sur d'autres points, je me suis
exprimé en d'autres termes parce que ce n'était pas parlementaire
à ce moment. Cela ne signifie pas que ce que j'avais à dire, ils
ne l'ont pas reçu comme message. La preuve, c'est que, quand je suis
sorti d'ici, ils m'ont abordé sur ce que j'avais dit ici qui
était exactement ce que j'ai dit aux journaux en d'autres termes. Je
n'ai pas fait le relevé de tout ce que vous avez dit en entrevue avant
ou après la commission pour voir si c'était bien ce que vous avez
dit ici.
M. Gratton: Je dis tout ici.
M. Godin: Je présume que ce n'était pas exactement
dans les mêmes termes parce que ce serait ennuyeux aussi bien pour ceux
qui nous écoutent que pour ceux qui s'expriment de répéter
constamment les mêmes mots dans les mêmes circonstances...
Mme Lavoie-Roux: ...et en-dehors de...
M. Godin: Oui. Écoutez, vous connaissez mon
deuxième métier, qui est celui de poète. Donc, je change
de niveau de langage. Entre le langage parlementaire et la poésie que
j'écris et que je publie, il y a souvent des marges. Le
député Fernand Lalonde de Marguerite-Bourgeoys me l'a d'ailleurs
souvent reproché. Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Merci. Je remercie nos
invités de leur participation à nos travaux. Le commission
élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration
ajourne ses travaux à demain.
M. Laplante: Avant d'ajourner, M. le
Président...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Bourassa.
M. Laplante: Juste une information. Dans les couloirs du
parlement ici, il y a à peu près pour 10 000 $ de paperasse que
Alliance Québec a laissé en pile. Qu'est-ce qu'on fait avec cela?
Est-ce que c'est la responsabilité du Parlement actuellement?
Le Président (M. Desbiens): Je transmettrai cette
information au président de l'Assemblée nationale.
M. Laplante: Je demande au président de communiquer avec
eux.
Le Président (M. Desbiens): La commission des
communautés culturelles et de l'immigration ajourne ses travaux à
demain matin 9 heures.
(Fin de la séance à 23 h 11)