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Version finale

32nd Legislature, 4th Session
(March 23, 1983 au June 20, 1984)

Tuesday, October 25, 1983 - Vol. 27 N° 155

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes sur la Charte de la langue française


Journal des débats

 

(Dix heures douze minutes)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! La commission élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration se réunit afin de poursuivre l'audition de tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

L'ordre du jour est le suivant: la ville de Montréal, le Congrès national des Italo-Canadiens, le Conseil des activités italo-québécoises, le Grand conseil des Cris, M. Alexander Silva, M. André Dupont, M. Pierre Landry, M. Gérard Brosseau, M. Michel Lussier et M. Claude Dulac.

Sont membres de cette commission: Mme Bacon (Chomedey), M. Dean (Prévost), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Fallu (Groulx), M. Godin (Mercier), M. Gratton (Gatineau), M. Payne (Vachon), M. Laplante (Bourassa), M. Leduc (Fabre), M. Ciaccia (Mont-Royal) et M. Ryan (Argenteuil).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Fortier (Outremont), M. Brouillet (Chauveau), M. Dupré (Saint-Hyacinthe), M. Gauthier (Roberval), M. Lincoln (Nelligan), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Sirros (Laurier) et M. Vaugeois (Trois-Rivières).

Le rapporteur de cette commission est M. Laplante (Bourassa).

J'inviterais immédiatement...

Motion proposant que la commission accorde

son appui aux Franco-Manitobains

M. Gratton: M. le Président...

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. le député de Gatineau.

M. Gratton: ...me permettrait-on, avant d'inviter les représentants de la ville de Montréal à venir nous présenter leur mémoire, de faire une brève intervention et solliciter le consentement unanime de la commission pour présenter une motion?

Le jeudi 20 octobre, à Montréal, le président de la Société franco-manitobaine, M. Léo Robert, et le président de la Fédération des francophones hors Québec, M. Léo Létourneau, lançaient une campagne de financement et de solidarité en collaboration avec la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour appuyer la lutte entreprise pour la reconnaissance du français au

Manitoba. Comme M. Létourneau l'indiquait en conférence de presse, jeudi, il s'agit d'une lutte qui doit se situer au-delà des considérations politiques. Elle doit dépasser nos options politiques à chacun, sans pour cela les nier. Je voudrais donc, M. le Président, avec le consentement unanime des membres de la commission, présenter la motion suivante que nous pourrions débattre très brièvement en utilisant seulement quelques minutes chacun de chaque côté pour ensuite l'adopter unanimement, si possible.

Compte tenu du mandat de cette commission qui consiste, en quelque sorte, à rechercher les meilleurs moyens pour continuer de protéger et de promouvoir la langue française au Québec et ailleurs au Canada et compte tenu que l'Assemblée nationale ne siège pas présentement, il me semble qu'il serait indiqué que cette commission adopte cette motion, que je lis à l'instant même: "Que cette commission apporte son appui moral aux Franco-Manitobains dans leur lutte pour la reconnaissance du français au Manitoba et suggère aux Québécois et au gouvernement québécois d'appuyer financièrement cette lutte."

Cela va?

M. Godin: Cela va très bien.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

Une voix: Est-ce qu'on pourrait avoir...?

M. Gratton: Oui, M. le Président, on pourra en distribuer des copies.

M. Godin: En tant que parrain de la motion, c'est vous qui intervenez maintenant sur la résolution?

M. Gratton: Oui, je voudrais intervenir pour à peine trois minutes.

Le Président (M. Gagnon): Est-ce que vous voulez intervenir sur la recevabilité ou si...

M. Gratton: Non, non, nous sommes unanimes de ce côté-ci.

Le Président (M. Gagnon): C'est unanime. Cela va. Alors, M. le député de Gatineau.

M. Michel Gratton

M. Gratton: Alors, tout en remerciant les membres de la commission d'avoir consenti à ce qu'on présente cette motion, j'aimerais simplement dire, M. le Président, que nous savons que le gouvernement du Manitoba a présenté un projet pour donner au français un statut officiel dans cette province et pour donner à ses 30 000 francophones un certain nombre de services dans leur langue; et que ce projet du gouvernement manitobain rencontre une opposition farouche de la part, entre autres, du chef conservateur, Sterling Lyon.

À la veille même du référendum qui est prévu dans la ville de Winnipeg pour demain sur la question, il me semble que c'est le devoir de cette commission d'exprimer la solidarité de l'Assemblée nationale du Québec pour nos frères franco-manitobains. Il est vrai, comme certains l'ont souligné, que la communauté franco-manitobaine ne compte que pour 4 pour cent de la population de cette province. Mais faut-il pour autant l'abandonner à son sort? Nous, les Québécois francophones, ne constituons que 2 pour cent de la population en Amérique du Nord et nous sommes pourtant unanimes à penser que le gouvernement du Québec est justifié de légiférer et de consacrer des ressources importantes à la protection et à la promotion du fait français, non seulement au Québec mais également ailleurs au Canada. De la même façon que les gouvernements successifs du Québec ont sollicité l'appui de la France, par exemple, dans ses efforts dans le domaine de la langue, il est tout à fait normal que les Franco-Manitobains se tournent vers le Québec au moment où ils sont, il faut l'avouer, en bonne position pour négocier la reconnaissance de leurs droits linguistiques. Tant et aussi longtemps que les Franco-Manitobains choisiront de se battre, nous n'avons qu'une chose à faire, il me semble, c'est de les appuyer. C'est pourquoi je souhaite que les membres de la commission soient unanimes à appuyer cette motion.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Gratton. M. le ministre.

M. Gérald Godin

M. Godin: M. le Président, c'est avec empressement que j'appuierai cette proposition ou plutôt cette résolution qui émane du député de Gatineau. Sans être toutefois dupe; ces concessions viennent tard et elles suivent en fait une série de coups mortels donnés a cette communauté française du Canada. Sans être dupe; il est possible que certaines personnes responsables de ce dossier accordent par exemple, à Louis Riel, un pardon après qu'il ait été pendu et enterré depuis près d'un siècle. Nous appuyons fortement, pour ne pas dire passionnément, la lutte des Franco-Manitobains comme celle du français partout, mais en trouvant que c'est bien tard. Nous sommes très tristes de constater que les Franco-Manitobains, qui étaient dans une proportion de 50% de la population lors de leur entrée dans la Confédération canadienne, ne forment plus maintenant que 3% de la population du Manitoba.

Nous souhaitons que partout où il existe une communauté française digne de ce nom en nombre, qui a atteint une masse critique, chacun des gouvernements du Canada accorde à cette communauté les mêmes institutions dont jouissent la minorité anglaise au Québec et la minorité française au Nouveau-Brunswick. Je ne citerai pas le nom de la province que je vise en disant ces mots, je suis sûr que ceux qui sont visés se reconnaîtront. Nous nous joignons de ce côté-ci, avec empressement, à la résolution de l'Opposition.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre.

M. le député d'Argenteuil.

M. Ryan: Je ne suis pas pressé. Le Président (M. Gagnon): Cela va?

M. Ryan: Je veux parler, mais pas nécessairement le premier.

Le Président (M. Gagnon): Allez-y, M. le ministre. Je crois qu'il y a eu une entente.

M. Godin: M. le député d'Argenteuil, il y a eu une espèce d'entente tacite pour qu'il n'y ait que deux intervenants sur cette résolution, deux intervenants en tout sur cette résolution, un par côté.

Le Président (M. Gagnon): II ne faut pas oublier non plus notre ordre du jour; nous avons plusieurs invités à entendre. Est-ce que cela veut dire que cette motion est acceptée? Oui, M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Pour l'information de la commission, je tiens à signaler que je n'étais pas au courant de cette entente, je n'ai pas l'intention d'intervenir, puisque le ministre appuie la motion; s'il ne l'avait pas fait, je serais intervenu. Je ne suis au courant d'aucune entente. Cela ne m'étonnerait pas que d'autres députés ne soient pas non plus au courant d'une entente.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Est-ce qu'on me permettrait de répéter ce que j'ai dit au début? J'ai proposé que le débat soit limité et qu'on puisse l'adopter unanimement, si possible, dans les meilleurs délais de façon à ne pas retarder indûment la comparution de nos invités. M. le député d'Argenteuil n'étant pas présent à ce moment-là, cela explique qu'il veuille intervenir. Je suis sûr qu'on pourrait lui permettre d'intervenir très brièvement.

M. Godin: M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Gratton: Je m'en reporte à votre décision, M. le Président.

M. Godin: Pouvons-nous nous entendre afin qu'il y ait un intervenant de plus de chaque côté, brièvement?

M. Gratton: D'accord, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Cela va? M. le député d'Argenteuil.

M. Claude Ryan

M. Ryan: Merci, M. le Président. J'étais particulièrement intéressé à intervenir sur cette question parce que la semaine dernière j'ai eu l'occasion de me rendre à Winnipeg et à Saint-Boniface pour une série de conférences qu'on m'avait demandé de faire à l'Université de Winnipeg. J'ai profité de cette occasion pour prendre contact avec les groupes francophones de Winnipeg et de Saint-Boniface afin de m'enquérir de la situation créée par la récente entente entre le gouvernement manitobain et le groupe franco-manitobain puis ensuite le fameux référendum qui doit avoir lieu sous les auspices de la ville de Winnipeg d'ici à quelques heures.

J'ai examiné la situation sous tous ses aspects. Je suis allé là-bas avec un esprit ouvert, n'étant pas sûr à l'avance que la solution proposée par le gouvernement manitobain était la meilleure.

Après avoir entendu les différents points de vue, j'en suis venu aux conclusions suivantes. Si nous sommes devant une situation extrêmement complexe au Manitoba aujourd'hui, c'est parce que pendant près d'un siècle la Législature et le gouvernement de cette province ont nié aux francophones du Manitoba des droits que leur garantissait la Loi constitutionnelle manitobaine de 1870. Si, après le jugement que la Cour suprême a rendu en 1979, les autorités gouvernementales avaient manifesté plus d'empressement qu'elles ne l'ont fait à s'acquitter de leurs obligations consti- tutionnelles en plénitude, il n'aurait probablement pas été nécessaire de recourir au moyen qu'on envisage maintenant, qui est un moyen assez complexe et assez lourd d'implications, au point qu'on a été obligé de présenter déjà plusieurs modifications au projet gouvernemental initial.

Je voudrais prévenir certaines personnes, surtout du côté gouvernemental. Il est facile de se solidariser avec des mouvements - la Société Saint-Jean-Baptiste l'a fait l'autre jour - mais je pense que lorsqu'on pose un geste comme celui-là, il faut être prêt à la réciproque également. Ce qu'on demande pour d'autres, il faut être prêt à l'accepter soi-même dans son propre comportement. C'est dans cet esprit-là qu'après avoir entendu tous les points de vue là-bas - y compris celui de mon bon ami, M. Georges Forest, qui préférerait qu'on suive la voie judiciaire, avec de très bons arguments à l'appui de sa position - et pris connaissance de la situation concrète, j'en suis venu à la conclusion que l'accord proposé par le gouvernement du Manitoba et la Société franco-manitobaine est encore la meilleure solution pratique dans les circonstances.

C'est pourquoi, à l'issue de mon séjour là-bas, j'ai fait une contribution financière personnelle à la cause des Franco-Manitobains. C'est pourquoi j'étais très heureux de voir mon collègue de Gatineau présenter cette motion que j'appuie de tout coeur.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député d'Argenteuil. M. le député de Vachon.

M. David Payne

M. Payne: II me fait plaisir d'appuyer la motion, M. le Président, parce que je considère que c'est le rôle de tout gouvernement québécois d'appuyer sans équivoque l'effort de nos minorités hors Québec et, le cas échéant, les minorités francophones. Je pense que ce devrait être appuyé sans équivoque parce qu'on ne ne peut plus se fier, si jamais c'était possible, au gouvernement d'Ottawa pour protéger nos minorités linguistiques.

Je pense que l'appui traditionnel et financier du gouvernement du Québec aux Franco-Manitobains confirme cette volonté politique du gouvernement du Québec de toujours apporter un appui plus que moral, aux minorités francophones. Je pense que c'est plus important maintenant que jamais. Aussi, force est de constater que ce n'est pas, à mon avis, par le judiciaire que les droits des minorités vont être respectés au Québec ou ailleurs, mais plutôt par la volonté politique et, le cas échéant, par le gouvernement du Manitoba, comme ici, au Québec, par l'Assemblée nationale.

Pour cette raison, je pense que la motion devrait être adoptée tout de suite, à l'unanimité.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Gatineau.

M. Michel Gratton (réplique)

M. Gratton: En guise de réplique, très brièvement, M. le Président, j'aimerais d'abord remercier le ministre, le député d'Argenteuil, le député de Vachon et également tous les membres de la commission qui, j'en suis sûr, auraient voulu contribuer à ce débat, mais, compte tenu des circonstances, je les remercie d'appuyer cette motion.

Il me semble que c'est le minimum qu'on puisse faire en tant que parlementaires québécois et j'aimerais, par le biais des caméras de télévision, inviter les Québécois à appuyer non seulement moralement, mais financièrement cette lutte que mènent nos frères franco-manitobains, tout en souhaitant que le président de l'Assemblée nationale accorde toute la diffusion possible à cette motion que nous adoptons à l'unanimité.

Je conclurai en citant ce qu'écrivait Pierre Tremblay, dans un éditorial du 20 septembre dernier, dans le journal Le Droit, d'Ottawa, et qui disait des Franco-Manitobains: "Ils ont eu cette constance de vouloir s'affirmer dans les conditions les plus hostiles. Maintenant, le vent tourne en leur faveur. Ils ont autant le droit de désirer, de combattre, de rêver d'une égalité à laquelle nous, Québécois et Canadiens français, n'avons jamais renoncé." Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Gatineau.

Maintenant, je demanderais au premier groupe ce matin, la ville de Montréal, de s'approcher de la table et je demanderais au maire, M. Jean Drapeau, de nous présenter les gens qui l'accompagnent.

Auditions Ville de Montréal

M. Drapeau (Jean): M. le Président, à tous les membres de cette commission et au président, au nom de la ville de Montréal, j'exprime nos respects. Il nous est agréable de tenter de croire que nous pourrions être utiles au cours des travaux de cette commission. Je donnerai d'abord lecture du mémoire.

Bien que la compétence législative en ce qui concerne la promotion et la protection de la langue française au Québec ne soit pas une matière de juridiction proprement municipale - et c'est pourquoi nous nous sommes toujours montrés réservés à l'endroit des différentes législations linguistiques - les effets de telles législations, tant sur l'économie montréalaise que sur la qualité des services dispensés par la ville, ne sauraient nous laisser indifférents.

Nous sommes bien conscients de la passion et de l'effervescence sociale que ces législations ont provoquées dans le passé, car nos rues ont souvent été le théâtre de désordres qui ont, à certains moments, vicié le climat économique et social de Montréal.

Comme c'était son devoir, la ville de Montréal s'est conformée à toutes les lois adoptées en matière linguistique.

Cette obéissance n'a cependant pas été aveugle. Chaque fois que des situations nous apparaissaient comme le fruit d'interprétations fautives ou exagérées, ou qu'on ne semblait pas tenir suffisamment compte de certains aspects de la réalité montréalaise, nous avons fait les représentations qui s'imposaient.

Ici, j'ouvre une parenthèse pour présenter mes collaborateurs: mon collègue, M. Pierre Lorange, vice-président du comité exécutif; Me Jules Allard, adjoint au chef du contentieux de la ville de Montréal qui était, dès le début de l'application de la loi, le gardien de l'ampoule sacrée quant à l'application de la loi dans les services municipaux, et M. Drolet, qui a été nommé dès le début par le comité exécutif le coordonnateur chargé de l'application de la loi, afin d'éviter le plus possible des problèmes. (10 h 30)

Après plus de cinq années d'application de la Charte de la langue française à Montréal, il convenait que le conseil municipal et le comité exécutif de la ville s'interrogent sur les effets d'une telle loi sur la santé économique de Montréal et la qualité des services offerts à ses contribuables. À la suite d'une résolution adoptée par le conseil municipal à son assemblée d'avril 1983, le comité exécutif de la ville a présenté un rapport qui situe la perspective dans laquelle nous considérons les effets de certains aspects de la loi 101 sur la santé économique de la ville de Montréal.

Nous rappelons que la conjonction de plusieurs facteurs a contribué à affaiblir la santé économique du Québec, en général, et de Montréal, en particulier, et qu'on ne saurait attribuer à la seule loi 101 tous les maux qui ont pu affliger notre société au cours des dernières années.

Ce qu'il y a de certain, c'est que cette loi, peut-être moins par son contenu que par l'interprétation qu'on en a faite et l'impression d'agressivité à l'égard des autres cultures qui en a été ressentie, n'a pas dans l'ensemble contribué à attirer les investissements ou les professionnels de

l'extérieur, à conserver certaines entreprises à Montréal ou à accroître la richesse collective des Québécois. Telle est notre conviction profonde.

À ce stade de l'évolution de la société québécoise, nous croyons que le moment est venu d'apporter certains changements à la loi 101 s'il est vrai que l'on veut assurer la relance économique du Québec et favoriser l'essor industriel et commercial de la région métropolitaine. En 1983, personne ne conteste le droit des Québécois à l'affirmation de la primauté de la langue française au Québec. Personne, non plus, ne pense sérieusement que la culture française soit réellement en danger au Québec.

Tout en réaffirmant le droit de la majorité d'expression française à la promotion et à la protection de sa culture, nous croyons que ce droit pourrait s'exercer avec autant d'efficacité dans un climat de plus grande compréhension envers la communauté anglophone et les divers groupes allophones. Il faut admettre une fois pour toutes que la mesquinerie et les règlements de compte historiques pourraient avoir pour effet de sous-estimer le fait français en Amérique du Nord, de faire table rase de chapitres marquants de l'histoire de ce fait et, à la fierté légitime et féconde qui se détache de l'histoire, de substituer une superbe exécrable et stérilisante.

C'est plutôt dans cet esprit de fierté légitime et féconde que la ville de Montréal croit que certains assouplissements à la Charte de la langue française sont souhaitables et ce dans les domaines suivants:

L'usage du français dans l'affichage commercial ne doit pas être toujours exclusif d'une autre langue. Les règles relatives à l'affichage commercial doivent respecter davantage des réalités historiques, d'ordre ethnique et culturel, partout où elles se manifestent et dans la mesure où leur reconnaissance n'affaiblira pas la culture française, favorisant ainsi la vitalité d'une multitude de commerces.

La langue de l'enseignement et des professions. La ville insiste à nouveau sur les points de vue qu'elle a fait valoir à cet égard, lors du sommet économique de 1981, savoir: les conditions d'accès à l'école anglaise pour les Anglo-Canadiens venant des autres provinces devraient être moins restrictives; et les règles relatives à la connaissance du français, imposées aux professionnels non francophones recrutés à l'extérieur du Québec devraient être assouplies.

La langue de promotion économique et touristique de Montréal. L'envergure internationale de plusieurs activités ou événements qui se déroulent chaque année à Montréal et l'importance des projets d'investissements susceptibles de se manifester commandent à la ville de produire un certain nombre de publications de haute qualité. Aucune autre municipalité au Québec ne se trouve dans une situation comparable à celle de Montréal. Les règles actuelles préconisées par l'Office de la langue française sur l'unilinguisme français ou anglais des publications et leur distribution en versions séparées doivent être assouplies. L'expérience démontre qu'un contrôle parfait et constant des moyens de distribution est impossible et que la présente politique heurte autant des francophones que des anglophones. Dans les cas où elle s'impose, l'édition bilingue de certaines de nos publications supprimerait cette situation et aurait pour effet de diminuer les coûts.

La langue de l'administration. Lorsque la ville fait l'acquisition de certains produits ou équipements, elle demande toujours que les renseignements relatifs à leur usage lui soient fournis en français. Or, il se trouve que des manuels ou des notices de mode d'emploi de certains équipements ne sont pas toujours disponibles en français. L'affirmation du droit absolu de l'employé de travailler en français, dans certains cas, peut finir par représenter pour la ville un accroissement important des dépenses publiques ou même entraîner la privation de certains services, produits ou équipements nécessaires. Pour ces motifs, tout en réaffirmant le principe du droit de travailler en français, la loi devrait accorder à la ville une certaine flexibilité en cette matière.

La langue des services. Considérant que dans certains secteurs de la ville, on compte une population non francophone parfois supérieure en nombre à celle de certaines municipalités avoisinantes dans lesquelles la population est majoritairement anglophone et où, en conséquence, un affichage bilingue est permis, la ville est d'avis qu'elle doit pouvoir afficher certains renseignements dans une langue autre que le français dans les locaux administratifs de ces secteurs (bibliothèques, bureaux des affaires sociales, centres de loisirs et autres) sans craindre qu'il en résulte un affaiblissement du français. Nous ne voyons pas pourquoi il serait interdit d'afficher en langue française et dans une autre langue certains renseignements destinés au public concernant une activité sociale, sportive ou culturelle, organisée dans un secteur où elle peut intéresser des citoyens majoritairement non francophones.

En matière d'exigences linguistiques dans le recrutement du personnel, la ville demande à retrouver la liberté qu'elle a déjà eue et à ne plus devoir se soumettre aux décisions d'un autre organisme lorsqu'elle estime qu'un candidat à une fonction doit avoir une connaissance minimale d'une langue autre que le français afin de mieux servir les citoyens et d'éviter des frictions inutiles.

À cet égard, la juridiction qu'exerce

l'Office de la langue française dans ce domaine pourrait finir par constituer une entrave à une bonne gestion des ressources humaines de la ville.

La ville devrait, en certains cas, pouvoir décider de publier des documents administratifs bilingues lorsque l'efficacité des communications l'exige pour en faciliter la compréhension à l'usager.

En ce qui a trait à la signalisation routière, la ville fait déjà largement usage de pictogrammes. Toutefois, les renseignements à l'adresse des automobilistes sur les panneaux de stationnement ou aux abords d'un chantier de construction ne peuvent pas toujours être facilement compris de tous nos visiteurs. Il en résulte des tracasseries inutiles, des ennuis et même des dangers qui pourraient être évités si, encore une fois, la règle actuelle était adoucie.

Les propositions que nous venons de présenter n'impliquent pas une remise en question de la Charte de la langue française. Les assouplissements suggérés n'ont pas pour but d'affaiblir le statut de la culture française au Québec. Ils pourraient avoir, au contraire, des conséquences bénéfiques dont les principales seraient de lever l'hypothèque psychologique qui pèse actuellement sur l'économie montréalaise et de redonner à la ville la souplesse dont elle a besoin pour continuer de fournir à l'ensemble de ses citoyens la même qualité de services.

La francisation des services de la ville est d'ailleurs une réalité depuis plus de 20 ans et n'a pas eu besoin de loi pour s'accomplir.

En cette année mondiale des communications et lorsqu'on considère l'appui non équivoque que le gouvernement du Québec a apporté à cet événement, l'importance des communications ne doit pas se limiter à la quincaillerie. Les communications doivent servir la personne avant tout.

À cet égard, la loi 101, en dressant des barrières psychologiques entre des groupes de notre société, a fait obstacle aux communications entre citoyens. Nous proposons la suppression de ces barrières.

De par sa situation géographique en Amérique du Nord, la société québécoise se doit d'affirmer sa spécificité culturelle, mais sans bravade ni exclusivisisme.

Pour sa part, à titre de deuxième ville française du monde, Montréal a besoin de continuer de s'affirmer comme ville à vocation internationale et, comme métropole du Québec et du Canada, qu'on lui reconnaisse la souplesse nécessaire en matière linguistique.

Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Drapeau.

M. le ministre.

M. Godin: M. le maire, les trois experts ou vice-présidents du comité exécutif qui vous accompagnent... merci d'abord de nous faire part de votre expérience comme maire de la ville qui a été surtout l'objet de l'opération visée par la loi 101. Tout le monde sait, ici au Québec, que vous avez contribué plus que quiconque à faire de Montréal une locomotive économique, culturelle et du français aussi au Québec. Il est sûr aussi que Montréal doit rester - vous le dites dans votre mémoire en d'autres mots - la métropole de l'Amérique française et non pas de l'Amérique bilingue. Je pense que c'est important qu'on se le dise d'entrée de jeu.

D'autre part, le défi pour le Québec et pour Montréal, qui constitue la moitié du Québec, en fait, c'est que ce qui s'est passé au Québec depuis dix ans... D'ailleurs un journaliste montréalais anglophone le disait fort bien, Gerald Clark, l'auteur d'un livre remarquable sur la ville de Montréal; je cite un titre de la Gazette sur son livre Montreal dying? No, just changing." Je pense donc que la ville de Montréal, et le Québec d'ailleurs, mais plus la ville de Montréal, à cause de sa situation démographique particulière et sa composition linguistique et ethnique - a été au coeur de ce changement. Il était inévitable que cela ne se fasse pas - je l'ai dit dans mon discours d'ouverture - de façon innocente ou dans l'harmonie complète. C'était inévitable. Tout changement amène des réalignements et certains coups d'épaule, comme dans une bonne partie de hockey ou de football. Donc, c'était inévitable.

Si on regarde les chiffres, on se rend compte que, malgré tout ce qu'on a pu dire de Montréal, la situation reste fort bonne. Je vais vous donner des chiffres qui se rapportent au tourisme, Montréal étant, on peut dire, la Mecque touristique du Québec, et qui nous viennent de Statistique Canada pour la période de 1977 à 1981. Nombre de citoyens américains entrés au Québec, en Ontario et au Canada en voiture pour y séjourner 24 heures ou plus: au Québec, une augmentation de 2,3%; en Ontario, une diminution de 4%; au Canada, une diminution de 3,5%.

Le nombre de voyageurs en provenance d'outre-mer: au Québec, il a diminué de 1%; en Ontario, de 11% et, au Canada, de 7,9%. Donc, on peut dire que malgré tout ce qu'on a pu dire sur ce qui se passait au Québec... Au-delà de la loi et au-delà de ce que le gouvernement fait, ce qui en a été dit a joué un rôle très important; ce qui en a été dit ailleurs par les médias a peut-être joué un rôle plus important que la loi elle-même. Je voudrais seulement vous donner un exemple, M. le maire. Dans un journal de Toronto... Quand je dis que ce n'est pas innocent, l'Ontario et la ville de Toronto se servent de tous les moyens pour convaincre

les gens de s'installer chez eux. Ils ont utilisé la loi 101 à fond de train, la présentant comme beaucoup plus rigide et stricte qu'elle n'était, pour attirer les investisseurs, les personnes et les entreprises en Ontario. Il y a quelques mois, dans le Toronto Star, on parlait des effets de la loi 101 sur l'économie de la ville de Montréal. On illustrait cet article d'une photo que je vous présente ici. C'est l'ancien magasin Dominion ou Steinberg de la rue Sainte-Catherine entre les rues Guy et Saint-Mathieu ou Saint-Marc. Je me suis fait photographier à Toronto il y a quelques jours; c'est une photo semblable qui permet de montrer que dans n'importe quelle ville nord-américaine, aujourd'hui, il y a des édifices en rénovation, des édifices masqués. Et le journal de Toronto prend bien soin de dire que l'année 1980 a vu la valeur de permis de construction, dans la ville de Montréal, dans votre ville, M. le maire, et grâce à vous en particulier, atteindre le sommet de 1 000 000 000 $, ce qui est un sommet sans précédent dans l'histoire de la ville de Montréal, en chiffres réels, en chiffres relatifs et en chiffres absolus. (10 h 45)

Tout ceci se fait à une époque où, soi-disant, la ville de Montréal "was going down the drain", comme on disait. Ce qui se passe chez vous à Montréal et ce qui se passe dans l'ensemble du Québec, c'est un nouveau défi. On peut arriver, d'ici à peu de temps, à démontrer que le fait que Montréal soit Montréal, une ville où le français est présent partout, une ville qui ressemble à la province dont elle fait partie, c'est un acquis, c'est un avantage pour cette ville et non pas un empêchement, un problème et un aspect négatif. Au contraire, c'est un aspect très positif. C'est cela le défi, au fond. Autrement, n'eût été de la loi 22 et de la loi 101, on se serait endormis sur ce que j'appellerais, pour caricaturer un peu, la pente franco-manitobaine puisqu'on l'a évoquer ce matin.

Je préfère que l'on mette l'accent, que l'on tourne la perspective de façon différente et que l'on en arrive à s'assurer que Montréal sera la métropole de l'Amérique française. Son avenir est là. Sa force économique et culturelle est là et non pas dans un bilinguisme universel.

Par ailleurs, je note encore une fois que les suggestions que vous faites sont très pragmatiques et concrètes. La suggestion que vous faites sur l'affichage commercial proprement dit, nous nous pencherons sur cette question avec sympathie dans la mesure où nous croyons que Montréal, étant une ville multiethnique, ce caractère doit être présent à Montréal de manière qu'en quelque sorte... Je l'ai déjà dit d'ailleurs dans un discours à la communauté chinoise, à Montréal, on fait le tour du monde en métro; en métro, on passe de la Chine, à l'Italie et au Portugal. Donc, il faut que ce soit évident publiquement et que ce soit dans les rues que l'on s'en rende compte. Il faut également qu'on puisse dire que l'on est aussi en Amérique du Nord à Montréal. Donc, nous nous pencherons avec sympathie sur cet aspect de votre proposition.

L'autre aspect: la langue d'enseignement et des professions. Encore là, notre proposition de la réciprocité qui date de quelques années déjà, c'est-à-dire de s'entendre entre provinces - parce que c'est une juridiction provinciale - entre ministères de l'Éducation des provinces - la langue d'enseignement est une question qui relève du ministère de l'Éducation et non pas de quelque autre ordre de ministère ou de gouvernement - cette proposition tient toujours. Nous souhaitons pouvoir en arriver à des solutions concrètes dans ce secteur.

La langue de l'administration: La loi 101 et la pratique qui découle de la loi 101 sont fort claires là-dessus. L'administration dans son ensemble, donc la ville de Montréal, non pas peut mais est tenue de donner à ses citoyens anglophones qui en font la demande la documentation en anglais. La ville de Montréal le fait, comme le gouvernement du Québec le fait d'ailleurs de plus en plus et a l'intention d'universaliser cette pratique qui s'inspire au fond du respect des citoyens qui constituent le partenaire essentiel des francophones au Québec.

Alors, en gros, M. le maire, vous avez aussi abordé la question de documents publicitaires de la ville. Vous souhaitez que dans certains cas, le bilinguisme soit autorisé. C'est aussi une de vos suggestions que nous allons prendre en considération quand viendra le moment, d'ici quelques jours, à la fin de la commission, d'en arriver à un consensus avec mes collègues du Conseil des ministres et du Conseil des députés sur toutes ces questions.

En conclusion, je vous remercie encore, M. le maire, d'être venu nous faire part de votre expérience qui est la plus longue comme maire et comme homme politique au Québec et qui, par conséquent, vous donne une espèce de rôle de mage pour ce qui concerne les autres niveaux gouvernementaux au Québec. Donc, merci encore et soyez bien sûr que nous prendrons avec beaucoup de sérieux les suggestions que vous nous faites ce matin.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. M. le maire.

M. Drapeau: M. le ministre, je vous remercie des reconnaissances que vous avez exprimées à la ville de Montréal dans certains domaines. Je souligne avec intérêt la formule que Montréal est la métropole de l'Amérique française et entend bien le

demeurer, mais sans devenir nécessairement la métropole de l'Amérique bilingue. Je réitère la conclusion du mémoire: Pour continuer de jouer son rôle, elle sera métropole de l'Amérique française dans la mesure où elle sera métropole, et elle sera métropole dans la mesure où elle pourra compter sur la vie économique. Ce serait manquer à mon rôle que de taire que la vie économique, en dehors de toute statistique, a ressenti de mauvais effets de certains aspects de la loi 101, encore plus de la forme de son application et surtout encore plus des propos, des déclarations et de l'atmosphère qu'elle a créée.

Il ne fait aucun doute que des déclarations allaient beaucoup plus loin que la loi. On s'est aperçu, entre le début de l'application et aujourd'hui que les interprétations ne sont pas tout à fait aussi restrictives parfois. Mais il faut bien admettre que le mal a été fait depuis le début. Si aujourd'hui il y a plus de réceptivité ou une interprétation un petit peu plus réaliste dans certains cas, le mal qui a été fait a été fait.

Quant aux statistiques qui démontrent qu'il y a eu plus de touristes à Montréal - je veux bien le croire - pour savoir si vraiment la situation est telle qu'on n'a pas à s'en occuper, il faudrait réussir ce qu'on ne peut pas: savoir quels seraient les chiffres s'il n'y avait pas eu la loi 101 et surtout tout ce qui a enveloppé la loi 101, les déclarations qui ont été faites. Là je suis peut-être un peu obligé de sortir du texte du mémoire de la ville, mais l'expérience que j'ai acquise au poste que j'occupe me porte à informer les membres de la commission que j'ai été l'objet de beaucoup de confidences, par la force des circonstances.

Les visiteurs à Montréal qui venaient d'autres pays, d'Europe ou d'autres continents, même d'Amérique avaient été atteints par la publicité vraiment néfaste faite autour de la loi 101, publicité qui était favorisée par les expressions employées. Je veux bien croire que cela dépassait les textes, mais c'est cela qui servait à faire des titres et à faire des histoires. J'ai dû accepter qu'on me fasse des confidences sur le ralentissement, le freinage que cela entraînait en certains milieux. Je ne peux mettre cela de côté et je ne peux le taire puisque le gouvernement nous a invités à venir dire ce que nous avions à dire.

Cela est moins dans les statistiques mais heureusement le Québec continue d'être le Québec et Montréal continue d'être Montréal dans l'Amérique. Quand on compare Montréal à d'autres grandes villes du Canada, qu'on étudie, dans un grand rayon de 50, 100, 200, 300, 400 kilomètres, le chiffre de population et qu'on fait des comparaisons, je n'hésite pas à dire que si Montréal, au point de vue de sa population - non seulement de la ville, de la population qui y couche, mais du grand bassin de population économique et au-delà - jouissait du même chiffre que d'autres grandes villes canadiennes, eh bien, Montréal serait de loin en avant parce que tous les facteurs sont là pour assurer cela, comme les facteurs au moment où il n'y avait pas de loi 101, il y a bien des décennies et même des siècles.

Il y a des facteurs naturels qui jouent en faveur de Montréal et qui expliquent ce que Montréal est devenue, avec les moyens du bord pendant longtemps. Il y a donc une tendance naturelle à faire que même encore aujourd'hui Montréal se situe - et nous en sommes fiers - à un niveau élevé comparativement non seulement aux villes canadiennes mais aux villes américaines, nord-américaines. Qu'est-ce que ce serait si tous les éléments qui manquent y étaient ou si des frais y étaient enlevés? C'est cela qui m'intéresse de savoir: quelle vitesse on peut atteindre si on enlève les freins? Qu'est-ce qu'on peut avoir si tout le monde concourt? Je ne peux pas m'empêcher de dire que l'expérience que j'ai acquise au cours d'un peu plus d'un quart de siècle dans la vie publique et dans la vie linguistique me porte à affirmer absolument catégoriquement que j'avais saisi une nette différence entre la période 1954 à 1957, mon premier mandat, et la période 1960 et les années qui ont suivi.

De 1954 à 1957, je dois avouer que presque toutes les lettres que je recevais, comme maire, de présidents de sociétés, de présidents de banques, de présidents de grandes institutions étaient en langue anglaise. En 1960, quand j'ai été réélu, je me suis aperçu que nombreuses étaient les lettres qui me venaient des mêmes personnes ou de leurs successeurs dans la fonction qu'ils occupaient et qu'elles étaient écrites en français. Qu'est-ce qui s'est passé? Je ne le sais pas. Je constate qu'il y avait un courant d'acceptation de la langue française à Montréal au point de recourir à quelqu'un pour écrire une lettre en français et la signer. C'est mon expérience personnelle. La ville a procédé - je le dis dans le mémoire -avant la loi 101 à une francisation graduelle à laquelle nos compatriotes d'autres origines n'ont fait aucun obstacle. Cela, c'est l'expérience pratique. C'est pourquoi personnellement j'ajoute ce témoignage au mémoire officiel de la ville. Je crois que l'action que le gouvernement visait par sa loi 101 peut - et là, je retourne à une expression du mémoire - s'atteindre sans le climat d'agressivité qui a été créé par des déclarations, des articles, des sautes d'humeur.

Il ne faut pas l'oublier, il y a des déclarations qui vont beaucoup trop loin. Cela nous vaut des questions. Et ensuite on dit: le maire ne se prononçait pas sur la

question. C'est vrai que je ne me suis pas prononcé souvent sur la question, pas publiquement. Je me suis prononcé à titre personnel dans des conversations privées avec beaucoup de monde et même des ministres. Je me suis prononcé publiquement dans les endroits où il fallait que je me prononce, car c'était au nom de la ville. Par exemple, au Sommet économique de 1981, nous n'avons pas caché la vérité. Nous avons préparé un mémoire pour dire ce que nous suggérions. Nous avons fait un rapport au conseil en août cette année. Nous sommes ici. Peut-être que c'était pour rester fidèle à mon style de ne parler que lorsque j'ai quelque chose à dire et de le dire là où il faut le dire. Je crois que c'est ici qu'il faut le dire.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: Je reviendrai sur vos propos après avoir laissé la parole à mes collègues de la commission. Merci.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: M. le Président, au nom de l'Opposition, j'aimerais d'abord remercier M. le maire et ceux qui l'accompagnent d'être venus faire leur devoir en quelque sorte: comme vient de l'exprimer M. le maire, venir dire ce que l'administration de la ville de Montréal perçoit quant à l'application de la loi 101 par rapport aux intérêts des citoyens de la ville de Montréal - intérêts d'ordre économique - et également par rapport à la qualité des services que la ville doit fournir à ses contribuables, à ses commettants. (11 heures)

Je me permets un bref commentaire, M. le Président. Quand le ministre dit que la perception qu'on a à l'extérieur est souvent faussée pour toutes sortes de raisons... On dit: à Toronto, ils n'ont pas avantage à promouvoir la ville de Montréal; donc, les médias rapportent des choses qui sont souvent exagérées. J'en conviens. C'est un fait que tant à Toronto, à Vancouver et à New York - on en a parlé jeudi dernier - il y a une perception qui souvent ne repose pas sur la réalité des faits. Malheureusement, force nous est de reconnaître que la perception est là, qu'à tort ou à raison elle influe sur les décisions des investisseurs, des personnes qui seraient susceptibles de venir nous visiter et que, qu'on le veuille ou non, on en subit les contrecoups négatifs. Je suis content d'entendre M. le maire, qui est en position privilégiée pour pouvoir l'évaluer -on sait qu'il rencontre énormément de gens de partout à travers le monde - venir témoigner de sa perception des choses par rapport à ce qu'on voit à l'extérieur. Je dis que, dans la mesure où il nous est possible en tant que législateurs d'éliminer ces tracasseries, ces applications tatillonnes de la loi - parce que le mémoire réfère non pas surtout au contenu de la loi, mais aux abus, aux excès dans son application - dans la mesure où on peut bonifier la chose, ce sont tous les Québécois et, bien sûr, au premier titre les Montréalais qui en profiteront.

Je m'arrête là, M. le Président. Comme vous le savez, M. le maire, il y a plusieurs membres de notre députation qui représentent des comtés de Montréal; je les laisserai entamer la période de questions avec vous en commençant non pas par un député de Montréal, mais bien par un autre Montréalais bien connu, le député d'Argenteuil.

Le Président (M. Gagnon): M. le député d'Argenteuil.

M. Ryan: M. le Président, il me fait grandement plaisir de pouvoir dialoguer avec les autorités de la ville de Montréal sur ce sujet très important de la loi 101. Je voudrais signaler, tout d'abord, un point qui a été mentionné par le maire de Montréal et qui m'apparaît capital. Le mouvement d'affirmation française de Montréal avait commencé bien avant l'adoption de la loi 101 et même avant l'adoption de la loi 22 et le principal artisan de ce mouvement d'affirmation a été le maire actuel de Montréal. Il m'est arrivé d'avoir des critiques à adresser à M. le maire sur d'autres sujets, mais sur ce point-ci j'ai constaté, dès son premier passage au pouvoir entre 1954 et 1957, qu'il avait imprimé un mouvement irréversible, surtout à l'administration de la ville de Montréal, dans le sens de l'affirmation du fait français. Je pense que le maire de Montréal avait raison de signaler ce matin que, par voie d'implication, si dans tous les secteurs on avait agi avec autant de vigueur pour affirmer positivement le fait français, on aurait pu facilement se dispenser d'un grand nombre de contraintes souvent artificielles découlant d'une loi comme la loi 101.

J'ai remarqué aussi, à la lecture du mémoire de la ville de Montréal, une sorte de climat qui est très important. Je pense que cela comporte un message important pour le gouvernement. Je ne suis pas sûr que le ministre l'a bien compris, si j'ai écouté son intervention avec la capacité de compréhension qu'il fallait. Je pense qu'il y a un jugement sévère qui est porté dans le mémoire de la ville de Montréal sur certaines conséquences de la loi 101. Quand les autorités de la ville de Montréal affirment, par exemple, que cette loi-là, peut-être moins par son contenu que par l'interprétation qu'on en a faite - on y reviendra - et l'impression d'agressivité qui

en a été ressentie, n'a pas, dans l'ensemble, contribué à attirer les investissements ou les professionnels de l'extérieur, à conserver certaines entreprises à Montréal, à accroître la richesse collective des Québécois; quand on nous dit plus loin que cette loi a contribué à ériger des barrières entre les catégories de citoyens, qu'elle a rendu plus difficiles les communications entre les citoyens et quand on parle plus loin de la nécessité de lever l'hypothèque psychologique que cette loi contribue à faire peser sur l'atmosphère économique de Montréal, il me semble qu'il y a là un avertissement en provenance des autorités d'une ville à qui on n'a pas de reproches à adresser au chapitre du laxisme en matière linguistique. Il me semble qu'il y a des avertissements que l'autorité politique doit accueillir avec une grande ouverture.

Je voulais souligner ces points pour que ce soit bien clair que nous, du côté de l'Opposition, avons été très attentifs à ces remarques non par une espèce de masochisme ou de souci d'avoir raison contre le gouvernement, mais parce que la santé de l'économie nous intéresse tous et nous savons tous qu'il y a beaucoup d'autres biens qui ne peuvent pas être atteints si le sous-sol de la santé économique n'est pas d'abord garanti.

Je voudrais poser une première question à M. le maire de Montréal. Dans votre mémoire, vous dites que vous êtes intervenu chaque fois que des représentations s'imposaient. Vous avez ajouté ensuite que, au cours des dernières années, vous l'avez fait publiquement d'une manière peu fréquente. Vous avez évoqué le sommet économique de Montréal en 1981 et, plus récemment, la discussion qui a eu lieu à la suite de la présentation d'un mémoire qu'on vous avait demandé au conseil municipal sur cette question. Y a-t-il d'autres représentations que la ville de Montréal a faites au cours des sept dernières années? Cela fait, quand même, sept ans que la loi 101 est en vigueur, qu'elle est appliquée d'une certaine manière. Y a-t-il d'autres représentations que la ville de Montréal aurait faites? Vous avez parlé de représentations de caractère privé. Avez-vous surtout eu l'impression que ces représentations donnaient des résultats ou que cela allait s'accumuler dans une espèce de banque de réactions dont, éventuellement, on pourrait voir les fruits?

M. Drapeau: Comme il ne s'agissait pas de représentations à titre officiel, il est difficile de faire la relation entre la conversation et le résultat. Surtout que les représentations étaient faites ou par Me Allard ou par M. Drolet qui, étant chargés de l'application de la loi, trouvaient des difficultés dont ils s'entretenaient avec les autorités, les organismes chargés de l'application de la loi. Graduellement, il y a eu une compréhension plutôt dans les faits. Dans certains cas, qui concernent peut-être moins la ville, j'ai cru comprendre de l'extérieur que les interprétations vont même parfois au-delà de ce que veut dire la loi, mais comme c'est dans le bon sens on applaudit.

Comme ce à quoi je pense ne concerne pas la ville de Montréal, je ne veux pas ouvrir le débat en dehors du mémoire. Mais, étant donné que nous voulions dès le début donner l'exemple qu'il faut obéir à la loi, nous ne pouvions pas engager de débat. Nous avons donc désigné un avocat du contentieux qui était chargé d'examiner la loi, ses règles et de conseiller tous les directeurs de service. Le coordonnateur qui a été nommé par le comité exécutif, M. Drolet, a été chargé d'être en communication avec tous les services afin que l'application de la loi cause le moins d'irritation possible; non pas la supprimer, mais la réduire. Dans une certaine mesure, cela donnait des résultats. Je ne peux pas dire que cela a donné des résultats quant à la loi parce qu'elle n'a pas été modifiée, mais je crois que oui, quant à l'application, dans certains cas - je ne prendrai pas le mérite d'en être la cause -cela a peut-être aidé.

Le Président (M. Gagnon): M. le député d'Argenteuil.

M. Ryan: Ce qui nous intéresse spécialement, ce sont les suggestions que la ville présente en vue d'améliorations possibles au régime actuel. Il y a quelques sujets qui m'intéressent spécialement et sur lesquels je voudrais attirer votre attention: la langue de l'affichage commercial en particulier. Vous dites que les règles relatives à l'affichage commercial devraient respecter davantage les réalités historiques d'ordre ethnique et culturel partout où elles se manifestent, dans la mesure où leur reconnaissance n'affaiblira pas la culture française. Je voudrais vous poser une double question là-dessus. Premièrement, comment cela pourrait-il se réaliser, et pouvez-vous expliquer ceci de manière plus concrète? Deuxièmement, est-ce que cette suggestion entraînerait des modifications à la loi? Dans votre mémoire, nous avons l'impression que vous dites: Si la loi était appliquée de manière plus souple, cela aiderait beaucoup, alors que, quand on lit les suggestions, nous avons plutôt l'impression que vous demandez aussi certaines modifications à la loi. Dans ce cas précis, êtes-vous d'avis qu'il faudrait que la loi soit modifiée et dans quel sens?

M. Drapeau: L'article 58 dit: "Sous réserve des exceptions prévues par la loi ou par les règles de l'Office de la langue française, l'affichage public et la publicité

commerciale se font uniquement dans la langue officielle." S'il faut aller jusqu'à des exceptions à prévoir dans la loi, allons-y. S'il suffit de règlements de l'Office de la langue française, cela aura le même effet. Nous avons eu l'impression ou la conviction que, dans l'application des règles, l'Office de la langue française et les organismes chargés de l'application de cette loi pourraient se rendre compte de certaines réalités et éviter de prouver que le mieux peut parfois être l'ennemi du bien. L'interprétation trop bonne de la loi, dans un sens, peut entraîner des problèmes qui pourraient amener des circonstances nuisibles à la loi elle-même. Si on veut protéger la loi, il faut peut-être ouvrir des vannes ou plutôt des soupapes -pas des vannes - quant à l'application et l'atténuer. Personne - j'en ai la certitude -ne poursuivrait l'office, le ministère ou le gouvernement parce que l'interprétation de la loi ou les règles de l'office sont appliquées trop largement.

M. Ryan: Trouvez-vous que c'est de la bonne législation, M. le maire, que vous ayez un article qui dit que l'affichage et la publicité commerciale se font uniquement dans la langue officielle et, ensuite, que le texte de la loi prévoie que des règlements de l'office pourraient chambarder cet ordre? Ne serait-il pas mieux, en bonne législation, que soient clairement indiqués dans la loi les cas où on devrait tenir compte des réalités dont parle votre mémoire?

M. Drapeau: J'ai soulevé cet aspect tout à l'heure en disant que c'est tout ce qui entoure la loi qui rend la tâche encore plus difficile et crée des difficultés qui causent des préjudices à la ville de Montréal. Il n'est pas toujours facile - et je serais prêt à laisser Me Allard vous faire part de ses expériences juridiques - de savoir si cela dépend de la loi ou si cela dépend de la règle. Faudrait-il modifier la loi ou la règle pourrait-elle être adaptée? Je demanderais à Me Allard de vous faire part un peu de son expérience quant à l'application au plan juridique.

Le Président (M. Gagnon): Me Allard.

M. Allard (Jules): Au plan juridique, on a eu à un moment donné à vivre avec la règle de l'affichage de la ville elle-même. Selon la loi, il n'y a aucune exception prévue. L'affichage doit être unilingue. Or, la ville elle-même dirige certains services comme Terre des hommes, le Jardin botanique et le Planétarium Dow. Ce sont des endroits qui sont largement fréquentés par des touristes et qui reçoivent parfois -en ce qui a trait, en tout cas, à Terre des hommes - la participation d'autres pays. On a dû recourir à différents expédients, par exemple, le règlement sur la langue du commerce et des affaires, pour trouver le moyen de faire un peu un affichage qui s'accordait avec la réalité qu'on vivait là. Même si probablement les gens de l'office n'étaient pas convaincus que ce règlement pouvait s'appliquer à un organisme de l'administration comme la ville, d'un commun accord, nous avions convenus à ce moment-là que nous pouvions le faire. C'est un exemple de représentations que nous avons faites au nom de la ville qui ont reçu une attention -je dois le dire - sympathique de la part de l'office.

Le Président (M. Gagnon): M. le député d'Argenteuil, avez-vous terminé?

M. Ryan: Non, une dernière question. Pour que la ville puisse s'acquitter au mieux de ses obligations envers ses citoyens, vous faites une série de suggestions demandant qu'elle dispose d'une marge de souplesse plus grande. Par exemple, lorsqu'il s'agit du recrutement du personnel ou des promotions, vous demandez que la ville soit moins soumise à la tutelle, pour ainsi dire, de l'Office de la langue française. Je pense que dans ce cas-ci vous demandez un amendement à la loi. Je crois que c'est l'article 20 de la loi qui est directement visé par votre suggestion. (11 h 15)

Mme Lavoie-Roux: 46.

M. Ryan: 44 et 46, ce sont des articles de la loi qui sont directement visés, si je comprends bien. Est-ce que, pour que la ville soit parfaitement à l'aise pour fonctionner, vous pourriez résumer les modifications qu'il incomberait d'apporter à la loi?

M. Drapeau: Je crois qu'il ne faudrait pas tenir, par exemple, à la proportion de francophones, d'anglophones ou d'allophones pour certains services, certains employés. Par exemple, si quelqu'un offre ses services comme inspecteur dans une catégorie quelconque de travaux, il est bien sûr que, si la ville ne peut engager d'inspecteurs bilingues qu'en proportion du bilinguisme de la ville, c'est un sophisme parce que l'inspecteur se déplace, va d'un quartier à l'autre. Alors, il peut être dans un quartier à 90% francophone, mais avoir un cas d'anglophone à régler. Il faut donc qu'il parle l'anglais. Il faut qu'il soit qualifié comme bilingue.

Il y a de ces règles-là qui ont causé des problèmes à la ville. Il est sans doute difficile ici - et cela ne doit pas être notre rôle - de refaire la loi, mais je n'hésite pas à dire que j'offre la collaboration de la ville de Montréal, lorsque la commission ou le ministère étudiera l'à-propos de certaines

modifications, pour travailler en comité, et sous tout le secret professionnel et parlementaire qu'il faut, afin de s'assurer que de l'expérience puisse encore se distiller au bénéfice des études qui seraient faites pour en arriver, avec certaines modifications à la loi lorsque cela doit être la loi ou aux règles quand cela doit être les règles et à l'interprétation ou aux directives quand cela doit être de l'interprétation ou des directives. Tel que cela fut appliqué jusqu'à présent, il n'était pas facile - je crois que tout le monde en conviendra - de savoir si c'est à cause de la loi dans tous les cas ou à cause des règles ou de l'interprétation.

Je réitérerais qu'il faudrait bien que, après ces séances de la commission, les déclarations qui se rapportent à la loi 101, dans un cas comme dans l'autre - là, je ne vise pas un cas plus qu'un autre ou une partie plus qu'une autre - s'expriment dans une atmosphère plus sereine. Je crois que déjà cela faciliterait beaucoup le travail du gouvernement pour peut-être modifier sa loi, ses règlements ou ses interprétations. Je saluerais comme un grand service rendu à la ville de Montréal - puisque je me limite à ce territoire - que cette commission poursuive des travaux qui clarifient l'atmosphère et qui chassent la pollution qui se respire à Montréal et même à l'étranger. On m'envoie des coupures de presse, des coupures de magasines qui se publient dans d'autres pays et dans d'autres villes et on me demande: Répondez donc à cela. Que faites-vous? Je ne peux pas répondre. Ce sont des articles qui sont écrits en reprenant des articles ou parfois simplement des titres d'articles qui sont publiés au Québec ou au Canada et qui, finalement, trouvent leur place dans des journaux ou dans des magazines. Cela ne sert pas du tout, du tout la vie économique du Québec.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le maire.

M. le ministre.

M. Godin: Sur le sujet abordé par mon collègue d'Argenteuil, je conclus de vos propos, Me Allard, qu'il y a eu, premièrement, entente avec l'Office pour la publicité de Terre des hommes.

M. Allard: Bien sûr, cela n'a peut-être pas été toujours possible dans tous les domaines, mais dans celui-là, oui.

M. Godin: Dans ce cas, cela s'est fait. Deuxièmement, par rapport à la question posée par mon collègue d'Argenteuil, je lui rappellerai l'article 20 de la loi: "Pour être nommé, muté (...) dans l'administration -donc, la ville de Montréal - il faut avoir de la langue officielle une connaissance appropriée à cette fonction". L'article 46 précise encore plus: "II est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance d'une langue autre que la langue officielle - donc, de n'importe quelle autre langue - à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite la connaissance de cette autre langue".

Prenons le cas récent des policiers du Service de police de la ville de Montréal, comme ceux de la Sûreté du Québec. S'il y avait, dans certains quartiers de la ville, certains postes ou certaines fonctions de policiers de la Sûreté du Québec qui requerraient la nécessité de connaître une autre langue que le français, la loi prévoit ces cas, M. le maire, M. le député d'Argenteuil et M. le Président. Il n'y a rien d'illégal dans le fait d'en tenir compte dans la pratique. Je voudrais que ce soit clair pour tout le monde que c'est possible dans la pratique. Je crois qu'il y a un commentaire de Me Allard.

M. Ryan: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): M. le député d'Argenteuil, question de règlement.

M. Ryan: Je ne suis pas sûr que le ministre a bien compris la question qui a été posée par la ville de Montréal dans son mémoire.

Une voix: II n'est pas intelligent, le ministre.

M. Ryan: La ville de Montréal dit que la juridiction excessive que l'Office de la langue française exerce dans ce domaine pourrait finir par devenir une entrave. C'est presque une manière indirecte de dire que cela l'a peut-être déjà été. C'est là-dessus, je pense, qu'elle a fait une suggestion demandant que ce soit un peu détendu.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Me Allard.

M. Allard: Oui, cela peut devenir une entrave dans la mesure où, en compartimentant les secteurs de la ville, on se trouve à geler les effectifs des employés en proportion de francophones unilingues ou bilingues français-anglais. On empêche ainsi toute possibilité de transfert d'employés selon les besoins. Il y a des employés qui prennent leur retraite, il y en a qui démissionnent. Pour continuer d'offrir des services à la population, il faut pouvoir déplacer un employé qui travaille dans un secteur de la ville pour l'envoyer dans un autre. Cette règle qu'applique l'Office de la langue française peut, à la longue, devenir extrêmement contraignante au plan administratif.

Nous avons, quand même, trouvé un peu pénible, comme employeurs, d'avoir à aller défendre - c'est un de mes collègues qui a défendu le dossier - le point de vue voulant qu'un pompier qui oeuvre sur le territoire de la ville de Montréal doit pouvoir s'exprimer dans les deux langues. Comment pourra-t-il se faire comprendre des gens qu'il va rencontrer sur les lieux d'un sinistre, de ceux à qui il va donner des instructions, comment pourra-t-il contrôler les foules s'il s'adresse à des gens qui ne parlent pas français, qui ne parlent qu'anglais? Même chose si le pompier est appelé à aller secourir quelqu'un qui tente de se suicider. Il a fallu qu'on en fasse la démonstration. La loi dit que l'employeur a le fardeau de la preuve. Bizarrement, ce qui nous a aidés, ce fut le témoignage du syndicat dans cette cause.

Mais dans une autre cause que nous avons eue avec l'office, dans le cas des agents d'aide sociale, donc des gens qui ont des contacts réguliers avec le public, on a appliqué, cette fois, la fameuse règle dont il s'agit. L'employé francophone unilingue français engagé ne pourra pas être transféré dans le bureau de Hingston où la clientèle de langue anglaise est de 56,69%, dans le quartier de Côte-des-Neiges où elle est de 51,2%, dans Pointe-Saint-Charles où elle est de 32,62%, et dans Saint-Jacques où elle est de 29,28%. Ce sont des secteurs où, advenant des mutations d'employés, on voit notre marge de manoeuvre passablement réduite. Ce n'est qu'à titre d'exemple.

M. Godin: Nous notons les difficultés d'application de certains aspects. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Avant de vous donner la parole, M. le député de Vachon, je voudrais faire remarquer aux membres de la commission, sans vouloir vous enlever le droit de poser des questions, que j'ai encore sept intervenants et que nous avons déjà dépassé l'heure allouée.

M. le député de Vachon.

M. Payne: J'ai trouvé le mémoire constructif parce que cela donne l'occasion de voir l'applicabilité de la loi. Le mémoire est basé sur un certain nombre de postulats et de vérités. À mon avis, il y a une vérité très importante. Vous dites: "Cette loi, peut-être moins par son contenu que par l'interprétation qu'on en a faite et l'impression d'agressivité à l'égard des autres cultures qui en a été ressentie, n'a pas dans l'ensemble contribué..." C'est souvent par interprétation de la loi que les conséquences néfastes sont les plus évidentes.

Par contre, vous affirmez au début, avec raison, le droit des travailleurs de fonctionner dans la langue française; c'était à la page 4. Plus tard, à la page 9, vous dites: "L'affirmation du droit absolu d'un employé de travailler en français, dans certains cas, peut finir par représenter pour la ville un accroissement important des dépenses publiques." Je considère que dans un projet de loi de ce genre-là il y a toujours des droits généraux, mais pas de droits absolus tels quels.

La loi 101, selon ma compréhension, est pleine d'exception aux règles. Que ce soit au chapitre de la langue d'enseignement, de l'affichage pour les communautés culturelles, des séjours temporaires pour les hommes ou les femmes d'affaires qui viennent de partout et désirent envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Le problème, vous l'avez bien mentionné dans votre mémoire, arrive lorsque les droits généraux sont en incompatibilité ou en contradiction, in situ, avec les droits d'exception.

Je pense que la page 9 de votre mémoire en serait justement un exemple, mais je suis déçu que vous n'entriez pas plus dans les détails avec des propositions concrètes pour rendre la loi plus compréhensible et plus applicable. Je m'explique. Lorsque vous dites: "L'affirmation du droit absolu" j'ajoute mes réserves: pour moi, le droit absolu n'existe pas dans ce monde et sûrement pas dans la loi 101 qui est pleine d'exceptions. Si c'était vrai, cependant, quel droit pouvez-vous accorder au Québécois francophone qui veut travailler dans sa langue? Quelle exception apporteriez-vous à cette règle générale de la loi, d'abord?

Deuxièmement, j'aimerais souligner l'article 40 - si je me souviens bien - qui donne déjà aux professions - qui ont bien tenu à nous signaler, lors des discussions sur les lois 101 et 1, l'importance pour elles de la conserver - leur autonomie en matière d'exercice de leur profession. L'article 40 est très catégorique: il laisse la possibilité d'avoir le permis restrictif. Il y en a qui diront que c'est toujours restrictif, qu'il y a trop de restrictions dans la loi 101. Mais dès que vous avez les droits généraux et, par conséquent, par la suite, les exceptions, c'est bien sûr que tout permis qui en découle est restrictif. Cette permission est autorisée par la loi elle-même. De quelle manière pouvez-vous amender cette permission restrictive pour la rendre plus compatible avec votre affirmation de la page 9 lorsque vous parlez de l'affirmation du droit absolu? (11 h 30)

Je répète ce que le ministre a dit tout à l'heure. La loi 101 est très explicite en ce qui concerne la possibilité pour quelqu'un de travailler dans une langue autre que le français. Si, par exemple, la description de tâche de quelqu'un qui travaille à la ville de Montréal l'exige, bien sûr l'employeur peut exiger qu'il utilise une langue autre que le français. Mais les nuances que vous avez

apportées par la suite nous éclairent un peu plus. Le problème en est plutôt un de transfert entre services, si j'ai bien compris. Mais le problème demeure: de quelle manière pouvez-vous amender le projet de loi pour que, justement, vous puissiez éviter ces dépenses publiques? Ici, on arrive aux points et aux virgules parce qu'il faut être très explicite quand on rédige un règlement. Est-ce que vous avez une suggestion?

M. Drapeau: Je crois que, si la loi était aussi claire qu'elle le paraît à M. le député, la commission ne siégerait pas. Cela m'a rassuré d'entendre que la loi est très claire et qu'elle est bourrée d'exceptions. Je crois que cela ne justifierait pas alors la commission; M. le ministre s'en serait tenu à la loi et aux nombreuses exceptions dont elle est bourrée et il n'aurait demandé l'aide de personne.

Je réitère que la loi n'est pas bourrée de tant d'exceptions; elle est catégorique. Les exceptions peuvent venir surtout des interprétations. Je réitère que la loi et les règles ont été interprétées trop longtemps d'une façon exclusive et restrictive et que l'impression et la conviction qui en restent, cela ne se change pas simplement à regarder la même loi ou le même texte. Le travail de la commission ou du ministère, ce sera de trouver comment dire les mêmes choses de façon à les préciser et non plus laisser l'interprétation régler le cas. Il est sûrement possible de préciser maintenant qu'à peu près tous les cas se sont présentés et que tous les problèmes sont connus. Je soumets bien respectueusement qu'il ne suffit pas de dire: Ah bien, ça, déjà la loi le permet; déjà la règle le permet. Si la conviction générale, c'est que cela ne le permet pas, on ne réussira pas à convaincre les gens que la même loi le permet après tant d'années d'application.

Je crois que - pour employer une expression consacrée - pour enlever les irritants inutiles, il faudrait peut-être passer la loi dans le tordeur et montrer que c'est presque du linge tout neuf qui est sur la corde. C'est ma conviction profonde, parce que, psychologiquement, on ne pourra pas changer l'impression et même la conviction que non seulement les anglophones, mais que beaucoup de francophones ont. C'est pourquoi nous avons vu à mettre dans le mémoire que cette affirmation, si elle continue à se faire dans le sens qu'elle se fait, va desservir la grandeur du fait français en Amérique. Quand on est obligé d'avoir des militaires pour garder une place, c'est parce qu'elle est en danger.

Je réitère ce qui est dans le mémoire: personne ne pourra sérieusement croire que la langue française ou la culture française est plus en danger en 1983 qu'elle l'est devenue à partir de 1760. Pendant un siècle, il n'y a eu aucune communication avec la France et on sait jusqu'à quel point on ne pouvait rien imprimer en langue française à ce moment-là. Pendant 100 ans, cela veut dire cinq générations au moins et puis on est encore ici, on représente un peuple et on a un gouvernement. Alors, croire ou affirmer qu'actuellement la langue française, la culture française, le peuple francophone est plus en danger qu'il l'a été ou qu'il est en danger par rapport à ce qu'il a déjà été, je soumets respectueusement que non.

C'est pourquoi cette affirmation de travailler en français, cela peut se faire et cela s'est fait à Montréal avant l'adoption de la loi 101. Je vais donner un exemple. Pour la construction du métro, un accord d'assistance technique a été conclu avec la RATP. À partir de ce moment-là, tout a été préparé en langue française, même les mesures qui étaient des mesures centigrades avant que cela fasse l'objet d'une loi et avant qu'il en soit question ici. Alors, tous les ouvriers se sont mis à employer des mots français pour des instruments de travail, des mesures, des travaux, des pièces de matériaux et l'habitude s'est prise. Ce fut la même chose à l'occasion de la construction du parc olympique. J'ai fait l'expérience sur place, demandant à certains employés: Comment appeliez-vous cela avant? Combien de fois l'employé se tournait vers un compagnon de travail et demandait: Eh Jos., comment appelait-on cela avant? C'est par la pratique. Si on me demande ce que j'ai à suggérer, c'est de favoriser le plus possible que tous les instruments soient indiqués sur les plans pour que l'ouvrier l'apprenne non pas dans un lexique où on dit: Ne dites pas, mais dites - souvent, on retient le "ne dites pas" et on oublie l'autre - mais par la pratique. La ville de Montréal a cru en cela. Il serait de beaucoup préférable de stimuler la volonté par des moyens à la portée de la main, une éducation de facto qui n'est pas dans un livre.

Ma conviction - je ne sais si la formule sera parlementaire mais, je l'espère - c'est que la religion, la langue et l'amour ne peuvent pas être imposés principalement par une loi. Il faut d'abord la volonté. Tant que nos ancêtres ont eu la volonté, ils ont résisté et ils nous ont permis d'avoir un État chez nous. Il n'y avait pas de loi qui précisait cela à ce moment-là. C'est par la volonté qu'on l'a eu; c'est par la volonté qu'on continuera de l'avoir en continuant de comprendre ceux qui vivent avec nous. Qu'on le veuille ou non, on vit sur un continent où on représente 6 000 000 de parlant français contre 250 000 000 de parlant anglais ou d'autres langues. Il faut tenir compte de cette réalité. Nos ouvriers et nos travailleurs de bureau doivent avoir accès tous les jours aux mots qu'ils emploient et non pas seulement recevoir Le bon français au

bureau.

La qualité de la langue est un problème tel qu'à Montréal on a créé un poste de commissaire à la qualité de la langue française. On a un agent de liaison dans chaque service qui travaille avec ce commissaire à la qualité de la langue. Ce n'est pas pour se battre pour la langue contre une autre langue; c'est pour la qualité. Les représentants de chaque service qui travaillent avec le commissaire ressentent maintenant un goût marqué. La contamination se fait dans le bon sens du mot et de plus en plus nombreux sont ceux qui trouvent que c'est bien de bien parler le français. Quand une langue doit être parlée, que ce soit le français, l'anglais, l'allemand, l'italien, l'espagnol ou n'importe quelle langue, elle mérite d'être bien parlée. Nous croyons, là encore, que c'est en facilitant la qualité de la langue qu'on va fortifier la volonté de la parler sans faire rire de soi. Quand c'est plus facile de prendre l'expression anglaise parce qu'on ne connaît pas l'expression française, cela fait mal au français.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Vachon.

M. Payne: J'aurais seulement une question à poser. J'aimerais revenir à la charge parce qu'à la page 7, lorsque vous parlez des professionnels, c'est bien inscrit: "Les règles relatives à la connaissance du français, imposées aux professionnels non francophones recrutés à l'extérieur du Québec, devraient être assouplies". Dans l'article 40 de la loi, c'est très clair, on dit: "Dans les cas où l'intérêt public le justifie, les ordres professionnels peuvent délivrer un permis restrictif aux personnes déjà autorisées à exercer leur profession en vertu des lois d'une autre province ou d'un autre pays." Cela a été préparé après consultation et discussion avec les corporations professionnelles.

Je reviens à ma question, elle est très simple: De quelle manière pouvez-vous amender cette exception permise par la loi? Comment pouvez-vous explicitement, mot pour mot, changer la réglementation ou la loi de manière que cela puisse arriver en conformité avec ce que vous voulez?

M. Drapeau: II faudrait peut-être faire ce que l'Office de la langue française fait quand elle délivre le permis. Elle interprète les mots "l'intérêt public le justifie".

M. Payne: Non, c'est la corporation qui le délivre. C'est la corporation qui est effectivement responsable du permis.

M. Drapeau: Oui, mais celui qui le délivre, c'est l'office, avec l'autorisation préalable.

M. Payne: Oui, mais cela vient de la profession.

M. Drapeau: S'il n'y a pas d'autorisation préalable, la corporation ne le peut pas, l'ordre ne peut pas le délivrer. Alors, celui qui a le dernier mot, c'est l'office. L'office doit constater que c'est un cas où l'intérêt public le justifie. Il faudrait tendre à justifier dans quel cas l'intérêt public le justifie afin de ne pas laisser dans l'incertitude le professionnel qui viendrait ici. Voyant que l'intérêt public va être justifié dans la mesure où l'Office de la langue française dira que l'ordre professionnel ne s'est pas trompé, de facto, il ne le fait pas, il ne vient pas. Il y a des précisions à apporter. Là où c'est laissé à des interprétations ou à des appréciations par d'autres, que la loi et que les règles le disent afin que, si on veut étudier un problème, on ait le texte et qu'on l'interprète. Il est facile à interpréter; il dit clairement les cas. Il n'y a pas un seul cas donné dans la loi, même à titre d'exemple, où l'intérêt le justifie. La loi devrait préciser cela. On va voir. Si elle ne le précise pas, cela va être la même situation. À ce moment, comme le sens de la loi, c'est de rendre cela plus difficile, on ne peut pas blâmer le professionnel de croire que l'interprétation est d'abord contre lui. Il a le devoir de faire la preuve.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Vachon et M. le maire. Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier la ville de Montréal et particulièrement M. le maire de son témoignage. Je pense que celui-ci a beaucoup de poids parce que, comme le signalait le député d'Argenteuil tout à l'heure, vous avez toujours été extrêmement conscient du visage français de Montréal, de la vie française à Montréal. Quand vous mentionnez, à la fin de votre mémoire, que depuis 20 ans vous avez procédé à la francisation de l'administration de la ville de Montréal sans heurt, sans blesser qui que ce soit, je pense que c'est là peut-être la meilleure démonstration qu'à bien des égards la volonté politique des gens a plus d'effet, des fois, que des lois qui ont des côtés très tatillons, comme c'est le cas pour plusieurs aspects de la loi 101. C'est juste une petite remarque pour le député de Vachon. Je serais inquiet à sa place de penser que la loi 101 a tellement d'exceptions parce qu'une loi, si tel est le cas, qui a tellement d'exceptions, on peut se poser des questions sur sa qualité. Enfin, il semble que tout le monde ne concourt pas nécessairement à son

appréciation dans ce sens.

J'aimerais demander au maire de Montréal quelles sont les statistiques qu'il a sur la composition culturelle de Montréal à l'heure actuelle?

Le Président (M. Gagnon): M. le maire.

M. Drapeau: Chez les employés ou dans la population?

Mme Lavoie-Roux: Dans la population, parce que votre plaidoyer est dans le sens de répondre aux besoins de différents groupes culturels dans la ville de Montréal.

M. Drapeau: Dans la population, il semble bien qu'actuellement le chiffre le plus près de la vérité, c'est 66% de francophones, 13% d'anglophones et 21% d'hallophones.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie. Vous avez parlé des coûts qu'impliquait la double traduction, si je puis dire, de documents touristiques, de dépliants touristiques ou même peut-être de certaines directives administratives, etc. Est-ce que vous avez fait une évaluation des coûts du fait que vous ne pouvez pas, dans bien des occasions, les produire sur un même dépliant ou dans une même brochure, mais que vous devez répondre à des demandes venant d'un groupe ou de l'autre?

M. Drapeau: Non, il ne s'agissait pas de monter un dossier; donc, nous n'avons pas de statistiques exactes sur les coûts. M. Drolet, qui, tout en étant coordonnateur de l'application de la loi, est chargé des travaux d'imprimerie qui sont exécutés à l'atelier de la ville de Montréal, pourrait nous dire, par exemple, dans quel cas le fait qu'une brochure ou qu'une circulaire ne peut pas être bilingue peut représenter - et en quoi -des coûts additionnels. (11 h 45)

M. Drolet (André): Voici, madame. Plus spécifiquement pour des publications à caractère promotionnel, par exemple d'ordre touristique, on utilise, évidemment, des publications relativement complexes qui exigent souvent le procédé quatre couleurs. Évidemment, dans ces cas-là, on doit reprendre deux fois tous les travaux, et de composition, et de montage, et de photolithographie, et d'impression, pour produire deux documents. Il est évident que cela multiplie les coûts par deux. Découlent aussi de cela des problèmes de distribution qui, forcément, ne sont pas palpables en termes d'argent, mais qui exigent une attention permanente de la part des employés de la ville qui sont, par exemple, situés dans des kiosques touristiques et qui doivent s'assurer de la disponibilité de l'une et de l'autre des versions comme le demande la loi.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce qu'en dehors des documents de promotion touristique il y a beaucoup d'autres documents qui doivent être traduits, par exemple à l'intérieur des maisons de la culture, touchant des directives?

M. Drapeau: Si on me permet de répondre. Dans un cas qui paraît anodin, simplement afin de prévenir de porte en porte qu'à partir de tel jour les éboueurs passeront en avant plutôt que dans la ruelle, l'information ne peut pas être bilingue. Alors, il y a des francophones qui reçoivent l'avis en anglais et d'autres qui le reçoivent en français. Qu'est-ce que cela peut représenter? Ce sont des ennuis, des irritants qui n'aident pas au service. Et parfois, comme M. Drolet l'a dit, il faut en faire plus, au cas où on en aurait besoin de plus. Mais on ne sait pas toujours - enfin, le service ne sait pas toujours - combien cela en prend, et ceux qui en font la distribution ne savent pas toujours à qui les remettre en français ou en anglais. Il y a une perte considérable.

Mme Lavoie-Roux: J'aimerais demander à Me Allard si vous avez eu des contestations en fonction de l'article 46 de la loi.

M. Allard: Vous voulez dire en ce qui a trait à des exigences de bilinguisme lors du recrutement?

Mme Lavoie-Roux: Où vous avez été obligé de faire la preuve que vous aviez besoin d'un employé bilingue.

M. Allard: Oui, nous avons eu, je crois, cinq causes devant l'office. J'ai mentionné tout à l'heure celle des pompiers. Nous en avons eu deux qui intéressaient des employés, des agents de bien-être social; nous en avons eu une qui concernait une bibliothécaire et une autre qui intéressait un contremaître. Après avoir eu trois décisions successives à l'occasion desquelles l'office a donné tort à la ville, alors que, d'une fois à l'autre, l'office nous faisait sentir qu'il avait déjà tranché la question, qu'il souhaitait que la ville comprenne une fois pour toutes, évidemment, nous avons dû adapter nos directives en matière de recrutement à cette philosophie qu'avait l'office.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie.

Le Président (M. Gagnon): Merci, madame. M. le député de Fabre.

M. Leduc (Fabre): Merci, M. le

Président. M. le maire, je voudrais vous remercier également du contenu de votre mémoire. Je pense qu'il y a beaucoup de matière, beaucoup à réfléchir.

Je voudrais faire porter ma réflexion sur un aspect que vous développez à la page 3 de votre mémoire et qui me semble pas mal important. Vous dites: "C'est moins par son contenu que par l'interprétation qu'on en a faite et l'impression d'agressivité...". Donc, je reviens un peu sur cet aspect que vous avez développé tout à l'heure: ce n'est pas tellement le contenu de la loi. Vous semblez dire, en tout cas si je me fie à ce qui est écrit ici, que le contenu de la loi, on peut vivre avec. On peut s'accommoder du contenu de la loi; c'est ce que vous dites ici.

Par ailleurs, il semble y avoir une certaine ambiguïté, parce qu'un peu plus loin, quand vous faites des propositions, on a un peu l'impression que vous réclamez un statut bilingue pour Montréal. Entendons-nous sur le statut bilingue, c'est dans le sens où on accorde un certain nombre d'exceptions à l'article 113f pour des municipalités où il y a une majorité d'anglophones. Est-ce juste? Est-ce qu'on peut dire que c'est ce que vous souhaiteriez?

M. Drapeau: Le paragraphe dit bien: "peut-être moins par son contenu". On ne l'affirme pas. Sachant qu'on venait faire des représentations ici, on s'attendait bien que dans certains cas on puisse nous répondre: Cela ne dépend pas de la loi, ce n'est pas cela dans la loi. On a dit: Peut-être moins par son contenu que par l'interprétation de la loi. Nous ne disons pas qu'on peut vivre avec la loi. On va continuer de vivre avec elle, si elle n'est pas changée, nous y sommes obligés. Mais cela va continuer d'être au détriment de Montréal. C'est pourquoi nous demandons d'apporter des modifications. Si c'est à la loi, que ce soit à la loi; si c'est aux règles, que ce soit aux règles. Mais nous serions beaucoup plus à l'aise et cela épargnerait beaucoup de temps d'application et des sommes d'argent si c'était mieux précisé dans la loi. Je soumets qu'avec plusieurs années d'expérience d'application le gouvernement peut recevoir une liste des cas où il faut préciser pour éliminer le plus possible de cas laissés à l'appréciation d'un autre.

C'est pourquoi, pour revenir au cas de l'emploi à la ville de Montréal, nous demandons que celle-ci puisse revenir à la souplesse qu'elle avait en décidant, elle, dans quel cas les citoyens de Montréal seront mieux servis par un employé bilingue et dans quel cas l'employé sera mieux servi plus tard. En effet s'il est unilingue, la promotion suivante, il ne pourra peut-être pas l'obtenir parce qu'il n'est pas bilingue. Là, il y a une promotion qui lui sera refusée parce qu'il n'est pas bilingue, mais l'office reconnaîtra qu'il faut être bilingue. Alors, si c'est laissé à la ville, celle-ci n'a pas abusé dans le passé. Son service du personnel est mieux placé que quiconque pour savoir comment rendre des services aux citoyens dans l'une ou l'autre langue. Cela ne se règle pas par la proportion de l'ensemble de la population.

Je crois avoir répondu à la question de M. le député. Le "peut-être" est là pour prévenir que, si certaines difficultés ne sont pas causées par la loi, alors c'est causé par les interprétations.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le maire.

M. Leduc (Fabre): La deuxième partie de ma question concerne l'affichage. On a l'impression que vous souhaiteriez un statut bilingue pour la ville de Montréal, un statut qui est accordé à certaines municipalités dans le cadre de l'article 113f, municipalités qui comprennent une majorité anglophone.

M. Drapeau: Comme il est dit dans le mémoire, il y a des secteurs de la ville où la population est beaucoup plus grande que celle de certaines villes de banlieue où il y a du bilinguisme autorisé. Nous demandons qu'on trouve une formule pour permettre au moins ce qu'on peut avoir dans une ville de banlieue et qu'on ne peut pas avoir dans la ville de Montréal. Nous ne sommes pas idiots à ce point que nous allons mettre du bilinguisme partout, même quand ce n'est pas utile. Si dans une paroisse ou dans un secteur il n'y a que des anglophones, on mettra du français et de l'anglais. S'il n'y a que des francophones, peut-être qu'il n'y aura pas d'anglais. S'il y a des Anglais qui sont intéressés par ce qui se présente à la Maison de la culture ou à la bibliothèque ou à l'installation sportive, ce sera le rôle de la ville et les services dans le but de rendre service aux citoyens leur feront savoir ce qui se passe dans leur langue, le français ou l'anglais. On sait qu'à Montréal il y a ou bien des Italiens ou bien des Grecs en majorité. Alors, ce ne devrait pas être défendu d'aller jusqu'à trois langues dans certains cas.

M. Leduc (Fabre:) D'accord. Si je comprends bien, vous demanderiez que la ville soit libre, que cela ne soit pas réglementé.

M. Drapeau: Je réponds oui, d'abord. Si, à l'application, l'Office de la langue française a des raisons de se plaindre au gouvernement, ce dernier pourra encore modifier la situation. Mais je ne crois pas que la loi 101 et les règles de l'office aient été rendues nécessaires à cause des abus pratiqués par l'administration de Montréal en

matière linguistique, ni dans un sens ni dans l'autre. Si à Montréal cela redevenait la liberté de l'administration municipale de fournir les meilleurs services possible aux citoyens dans la langue qu'ils comprennent le mieux ou qu'ils comprennent exclusivement, en français ou en anglais et, dans certains cas, même dans une troisième langue, nous pourrions vivre cette expérience et le gouvernement aussi. Ce serait drôlement favorable dans l'ensemble des villes et des pays où l'on cesserait de dire qu'à Montréal, si on ne comprend pas le français, on est aussi bien de ne pas y aller.

M. le ministre a cité des statistiques sur les touristes qui viennent, mais il y a des touristes qui ne viennent pas à cause de cela. On ne sait pas le nombre, mais on sait qu'il y a des gens qui pensent à cela. Je lis des articles dans des magazines de tourismes; je pourrai vous en envoyer des photocopies, M. le ministre, mais je ne vous apprendrai rien, vous les avez tous.

M. Leduc (Fabre): Dans votre publicité qui s'adresse à l'extérieur du Québec, parlez-vous de la loi 101 et comment la présentez-vous?

M. Drapeau: Si je...

M. Leduc (Fabre): Dans votre publicité à l'extérieur du Québec qui s'adresse aux anglophones?

M. Drapeau: On ne parle pas de la loi 101.

M. Leduc (Fabre): Vous n'en parlez pas. Comment présentez-vous alors le visage français de Montréal à l'extérieur?

M. Drapeau: D'abord, Montréal est de plus en plus connue par les événements internationaux qui ont eu lieu à Montréal, par les grands congrès internationaux qui ont lieu à Montréal. Montréal est connue comme une ville francophone beaucoup plus qu'elle ne l'était il y a 20 ou 25 ans. Toute notre publicité qui est faite en français sert en français là où elle sert. Nous répondons en français. Je dois dire qu'il y a même des lettres que je reçois de Français de France qui me sont écrites en anglais et je leur réponds en français. C'est arrivé plus d'une fois.

M. Leduc (Fabre): Mais selon ce que vous me dites, lorsque les gens de l'extérieur viennent au Québec - on pense, évidemment, aux Américains, et aux Canadiens anglais -ils s'attendent à trouver un visage français, une ville française, donc à ce que l'affichage soit en français.

M. Drapeau: Les gens s'attendent à trouver une ville francophone. De là à dire qu'ils s'attendent que l'affichage soit en français exclusivement, je mentirais si je disais que c'est ce à quoi ils s'attendent. Quand on va en France et qu'on visite certains quartiers, on voit même de l'Arabe à la devanture de certains magasins ou de restaurants et tout. Je ne crois pas que, nulle part, il y ait des gens qui croient qu'à Montréal il n'y aura que du français. Mais il y a les journalistes étrangers qui, reprenant certaines erreurs, volontaires ou non, certaines exagérations, volontaires ou non, partent de Montréal ou du Québec, écrivent des articles qui tendent à répandre que si on ne connaît pas le français, on a de la difficulté à Montréal, alors qu'on n'en a pas de difficulté à Montréal. Des congrès internationaux, il y en a eu à l'occasion de l'inauguration du Palais des congrès, et j'ai rencontré spécialement des organisateurs de congrès dont certains n'étaient jamais venus. Ils étaient heureux de ce qu'ils trouvaient. Cela défaisait l'impression qu'ils avaient à la lecture de ce qu'ils lisent. C'est cela. Il s'agit de détruire cette mauvaise impression.

M. Leduc (Fabre): Mauvaise impression qui est cultivée souvent par les médias à l'extérieur du Québec.

Une voix: À l'intérieur aussi.

M. Leduc (Fabre): À l'intérieur également, mais on parle maintenant pour le public extérieur au Québec. Il me semble qu'il y a des points dans votre mémoire où vous - excusez - allez assez loin. Par exemple, dans le cas de la signalisation routière, vous dites que la ville fait largement usage de pictogrammes. Les pictogrammes sont des symboles internationaux. Par contre, vous voudriez qu'il y ait du bilinguisme dans les affiches. Vous dites: II en résulte des tracasseries inutiles, des ennuis et même des dangers; par contre, dans le cas des dangers, la ville est autorisée à afficher 'bilingue", selon l'article 22. Donc, il me semble que la loi est suffisamment souple dans un cas comme celui de l'affichage, que vous mentionnez à la page 8, qui s'adresse aux automobilistes sur les panneaux de stationnement ou aux abords d'un chantier de construction. Pourtant, vous exigez encore là le bilinguisme. (12 heures)

M. Drapeau: Donner des signaux par des pictogrammes, c'est facile, mais c'est très court. S'il faut donner des explications, cela ne se donne pas par des pictogrammes. Il y a des explications à donner sur certains panneaux. Quand il s'agit d'un danger évident, on peut obtenir la permission, mais tous les dangers ne sont pas évidents. Pour prévenir un danger, s'il s'agit de dynamite, il

y a moyen de donner les explications, très bien! mais, dans certains cas, pour prévenir un danger, cela prend des explications. Cela ne se fait pas par des pictogrammes. Ce que la ville de Montréal faisait avant, depuis longtemps, cela ne menaçait pas la culture française. Nous demandons de revenir à la souplesse que la ville de Montréal avait avant. Je crois que, des deux côtés de la présidence, on reconnaîtra qu'à Montréal, c'est vrai que, bien avant la loi 101, il s'est fait une refrancisation.

Je vais donner un cas précis qu'à peu près personne ne connaît. Toutes les plaques de noms de rues à Montréal ont été changées pour des plaques à la française, en ce sens que, si c'était avenue Papineau, de l'autre côté de la plaque, c'était Papineau Avenue. Tout cela a été changé et je dois dire que nous l'avons fait avec la coopération de Montréalais anglophones qui le favorisaient. Vous n'avez pas lu un article qui se plaignait que la ville de Montréal était en train... Cela a pris quelque temps parce qu'il a fallu attendre graduellement les nouvelles plaques et les plaques qu'il fallait remplacer. Elles étaient volées ou abîmées. Je crois que c'est terminé à l'échelle de la ville. Il n'y a personne qui s'est plaint.

Il y a 1000 façons de franciser une ville sans sonner les trompettes pour réveiller tout le monde. Alors, nous demandons la même souplesse que celle que nous avions pour continuer à faire de Montréal ce que tous les Montréalais, même anglophones, acceptent. Pour le Canada tout entier, c'est une contribution que Montréal soit non seulement une métropole de l'Amérique française, mais une métropole internationale francophone. On ne peut pas être vraiment une métropole internationale si on refuse d'admettre qu'il peut y avoir une autre langue qui s'exprime aussi, visuellement ou d'une façon sonore, parce qu'il y a une population qui le justifie.

M. Leduc (Fabre): M. le maire, on reste quand même avec cette impression que vous voulez que Montréal ne soit pas soumise à la loi 101. Vous parlez tout le temps de souplesse, mais, dans vos explications, on a nettement l'impression que vous dites que Montréal n'a pas besoin de tel article ou de tel règlement. Cette souplesse que vous réclamez revient à dire: Laissez-nous prendre nos décisions. On est assez grands pour les prendre. On n'a pas besoin de la loi 101. Est-ce que je me trompe?

M. Drapeau: C'est presque cela.

M. Leduc (Fabre): Merci, M. le maire.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Fabre.

Avant de donner la parole au député de

Mont-Royal, j'aimerais dire que je reconnaîtrai par la suite les députés de Deux-Montagnes, d'Outremont, de Chauveau et de Nelligan. Cela vous donne un peu l'ordre de grandeur. On va passer la matinée avec nos invités actuels.

M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. M. le maire, dans votre mémoire, vous parlez des investissements et de la situation économique à Montréal. Plus spécifiquement, vous parlez de la connaissance du français imposée aux professionnels non francophones recrutés à l'extérieur du Québec qui devrait être assouplie. L'Association des directeurs de centres de recherche industrielle du Québec avait préparé un mémoire pour le gouvernement. En 1977, il y avait 1188 professionnels dans cette association dont 35% venaient du Québec, 20% du reste du Canada et 45% des États-Unis. D'après les discussions que vous avez peut-être eues avec des dirigeants d'entreprises, est-ce que la loi 101 telle qu'elle est présentement rédigée et appliquée cause des problèmes pour ce secteur de l'économie? Parce que c'est un secteur de l'économie qui comporte non seulement les emplois créés par les chercheurs, mais cela a des implications, des retombées économiques dans d'autres secteurs. C'est un effet multipliant.

Est-ce que vous avez parlé à des gens du milieu pour voir l'effet de la loi 101 sur ce secteur très sensible? Est-ce que c'est plus difficile de faire venir les gens de tout le monde, d'autres pays? Est-ce que cela décourage les investissements? Est-ce qu'il y a eu des départs de certaines entreprises dans ce secteur, dans ce domaine? Si la loi n'est pas amendée, d'après les discussions, d'après votre perception, quelles en seraient les conséquences pour l'avenir de Montréal et du Québec?

M. Drapeau: Je ne voudrais pas répondre par du ouï-dire. Mais à la question très précise: Est-ce qu'il y a eu des départs à cause de cela? je pourrais dire que tous les départs ne sont pas à cause de cela, n'ont pas la même cause. Je pense que c'est un peu comme... Les décisions à prendre dans les compagnies à ce moment étaient peut-être comparables à des fruits qui mûrissent et, pendant cette période, il faut éviter qu'il y ait des coups de vent parce que le fruit tombe avant d'être mûr. Alors, je crois qu'il y a des décisions de quitter le Québec et de quitter Montréal, notamment, qui ont été prises plus rapidement en invoquant la loi 101 et en craignant tous les effets de la tempête qui s'annonçait.

J'ai pu constater qu'il y a des gens qui, dès qu'il commence à venter, ferment les fenêtres parce qu'ils se disent: On va avoir de la pluie. C'est peut-être du ouï-dire,

mais, d'après des conversations, des confidences de gens, de sociétés qui commençaient à envisager la possibilité d'aller ailleurs et dont la décision a été hâtée à cause de l'idée qu'ils se faisaient, étant donné les difficultés qu'ils avaient et qui les induisaient à envisager de partir, en ajoutant les nouvelles difficultés linguistiques, cela leur arrachait la décision.

Je ne peux donner de statistiques parce que je ne suis pas documenté pour ces statistiques et il est difficile d'en avoir exactement le nombre. Mais je dois bien dire que - oui, j'en ai entendu des confidences -cela ne les avait pas rassurés, à savoir qu'ils pouvaient envisager l'avenir avec assurance puisque la récession... Il y a peut-être eu un mauvais concours de circonstances. La loi 101 aurait été adoptée à un moment où on aurait été au départ d'une montée en affaires, elle n'aurait peut-être pas eu les mêmes conséquences. Que cela a eu l'effet d'un coup de vent qui a fait tomber les fruits avant d'être mûrs, là-dessus, je suis obligé de répondre oui.

M. Ciaccia: M. le maire, votre opinion semble être confirmée par le mémoire que l'Association des directeurs de centres de recherche industrielle du Québec a envoyé au ministre Laurin, le 30 juin 1979, sur le thème: Pour une politique québécoise de la recherche scientifique et de la consultation. Ces gens ont porté à l'attention du gouvernement un peu les mêmes craintes et les mêmes réticences sur certains aspects que vous venez de souligner quant aux professionnels non francophones qui viennent d'en dehors du Québec.

Dans un autre ordre d'idées, le ministre a semblé parler d'une métropole, dire que Montréal était la métropole de l'Amérique française. Si je vous comprends bien, le rôle que vous voyez pour Montréal va au-delà d'être seulement la métropole de l'Amérique française, parce que Montréal étant la ville la plus populeuse en Amérique du Nord pour ce qui est des francophones, je pense qu'elle pourrait rester la métropole de l'Amérique française. Même si on perdait d'autres activités économiques, elle resterait toujours la métropole de l'Amérique française. Ce ne serait pas la Nouvelle-Orléans qui deviendrait la métropole de l'Amérique française. On pourrait perdre une autre portion de 200 000 personnes à Montréal et on resterait la métropole de l'Amérique française.

Maintenant, le rôle que vous voyez pour Montréal. Je pense que c'est un rôle assez noble - si on peut dire - assez important non seulement pour les Montréalais, mais pour tout le Québec, car les taxes et les investissements qui arrivent à Montréal servent à défrayer d'autres dépenses du gouvernement du Québec dans tout le Québec. Est-ce que la loi 101, telle qu'elle est présentement rédigée et appliquée, va compromettre le rôle international francophone de Montréal?

M. Drapeau: Tant qu'il y aura chez les Montréalais la volonté d'être francophones, Montréal restera francophone. Je ne peux pas dire que cela va empêcher Montréal de s'affirmer au plan international comme ville francophone. Peut-être que, dans 50 ou 100 ans, on ne sait pas ce qui va arriver avec l'immigration... Est-ce que la proportion des Canadiens français restera ce qu'elle est? Je ne le sais pas. Dans le moment, cela ne peut pas empêcher Montréal d'être une métropole internationale, au moment où on se parle. S'il devait y avoir une conviction à l'étranger qu'à Montréal on est en perpétuel conflit linguistique, cela ne pourrait pas aider.

M. Ciaccia: Alors, ce danger existe maintenant. Je présume que c'est une des raisons pour lesquelles vous faites vos recommandations aujourd'hui: que Montréal puisse conserver sa vocation internationale et son rôle de métropole du Québec et du Canada, qu'elle ne joue pas un rôle limité. Merci.

M. Drapeau: Montréal a un rôle à jouer comme métropole internationale. Elle va continuer de le jouer dans la mesure où on cessera d'associer au mot "Montréal" le mot "chicane". La chicane, le désordre ne peuvent pas favoriser le développement sous n'importe quelle forme.

M. Ciaccia: Est-ce qu'il faut plus que seulement éviter des chicanes? Est-ce qu'il faut aussi faire certains changements dans l'application de la loi 101 pour que Montréal maintienne cette vocation?

M. Drapeau: C'est cela que je dis quand j'utilise le mot "chicane". C'est l'impression que cela donne: que la loi 101 est la cause d'oppositions constantes au plan linguistique. Si on précise les choses et que cela cesse d'être l'impression projetée à l'étranger, cela servira à Montréal.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je pense que nous avons tous beaucoup de plaisir à écouter M. Jean Drapeau, qui est un "debater" redoutable et qui nous présente un mémoire fondé sur une très vigoureuse logique, logique fondée sur un postulat qui a déjà été relevé par des intervenants précédents et qu'on retrouve à la page 4 du mémoire. Ce postulat est: "Personne non plus ne pense sérieusement que la culture française soit réellement en

danger au Québec." Si c'est là le postulat à partir duquel on examine la loi 101, on doit effectivement non seulement proposer plusieurs modifications à cette loi, mais demander quasiment d'en être dispensé. M. le maire, si j'ai bien compris, ce que vous demandez quasiment, c'est d'être dispensé de l'application de la loi.

Il se trouve, M. le maire, que je pense que votre postulat est insuffisant. Il ne suffit pas de savoir si la langue et la culture françaises sont en danger au Québec - je ne suis pas absolument sûr qu'elles ne le soient pas - mais il faudrait aussi savoir si elles sont victimes de brimades. Votre mémoire n'y fait guère allusion. Nous avons pu constater, par exemple - non pas pour ce qui est de la langue de l'administration qui est votre principale préoccupation, mais pour ce qui est de la langue du travail - par les mémoires que nous avons entendus à cette commission - en particulier dans le cas du syndicat des travailleurs de Pratt et Whitney - qu'il y a des cas - ce n'est pas le seul cas - où le français est victime de brimades. Il n'y a pas d'autres mots qui correspondent à la situation. Quand, M. le maire, vous parlez de conflits linguistiques, de chicanes, de désordres, je me demande qui est à l'origine, qui est responsable, qui est coupable de ces conflits, de ces chicanes et de ces désordres. Je ne pense qu'on doive dire, qu'on doive conclure que c'est la majorité francophone ou les lois qu'elle a souhaité faire adopter par l'Assemblée nationale qui soient les seules responsables de cet état de choses. Il y a d'autres gens qui sont aussi responsables des conflits, des chicanes et des désordres et la loi est là pour chercher à faire en sorte que le français ne soit plus victime de ces brimades qui, elles aussi, sont cause de conflits, de chicanes et de désordres. C'est la base, c'est le postulat de base; je ne sais pas s'il est très utile de reprendre tout le débat à partir de cela.

(12 h 15)

Je voudrais plus particulièrement vous demander, vous qui nous dites que, dès le début, vous avez contribué vous-même - je reconnais que cela est vrai - à un très fort mouvement de francisation de la ville de Montréal, sans attendre la loi 22, ni la loi 101, dont vous dites que vous n'avez guère eu besoin, je voudrais vous demander si vous ne reconnaîtriez pas, quand même, sans renoncer à votre thèse, que la loi 101 vous a donné un sérieux coup de main, peut-être, en particulier, sous l'aspect de la langue de l'affichage; un sérieux coup de main pour ce qui est du visage français de Montréal. Je crois qu'on pourrait reconnaître que la loi 101 a contribué puissamment à rendre plus français le visage de Montréal, sans pour autant prétendre que les aspects de la loi relatifs à l'affichage sont infrangibles et ne doivent, en aucune façon, être modifiés. Ce n'est pas cela; il faut modifier cela aussi. Mais, pour l'essentiel, est-ce que la loi, à cet égard-là, ne vous a pas donné un sérieux coup de main?

M. Drapeau: Elle a donné un coup de main dans un sens et elle a nui dans l'autre sens. Cela a été plus difficile dans un sens et plus facile dans l'autre. On ne peut pas dire... Nous avons dit que la loi 101 ne doit pas être condamnée pour tous les maux qui existent au pays, dans le Québec ou à Montréal. Cela serait vraiment simplifier plus que le bon sens ne le permet. Il y avait un courant de commencé qui se faisait sans tambour ni trompette et auquel les anglophones participaient, quelques-uns en toute connaissance de cause et d'autres en l'acceptant. Maintenant, on peut dire que, par la loi 101, il y en a - et j'en connais, des amis, des gens que je connais - qui sont anglophones, qui étaient extrêmement sympathiques à tout ce qui pouvait être francophone et qui, aujourd'hui, affichent leurs couleurs un peu plus en anglais. Ils ont le droit de le faire, mais avant ils allaient au delà de ce qu'ils avaient le droit de faire ou l'obligation de faire; ils étaient spontanément sympathiques et réceptifs. Je constate chez des amis qu'ils le sont moins parce qu'ils n'aiment pas l'atmosphère. La loi a pu aider et elle a pu nuire aussi. Quand le saurons-nous? Je ne le sais pas; c'est une question psychologique qui joue un rôle extrêmement important. Je ne peux pas dire autrement, c'est comme cela que je le vis.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le maire.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. M. le député d'Outremont.

M. Fortier: M. le maire, je crois que votre mémoire vient à point, non seulement parce que vous avez fait la promotion du fait français à Montréal et au Québec - vous voulez que Montréal soit et demeure la métropole internationale - mais également parce que vous vous préoccupez beaucoup de développement économique.

Nous avons tous noté votre présence assidue aux assemblées annuelles de la Chambre de commerce de Montréal, en particulier, et au moment où on se pose des questions au Québec et que le gouvernement se pose des questions sur ce qu'on devrait faire collectivement pour créer de l'emploi et assurer le développement économique, je crois que votre présence ici peut nous porter à trouver quelques solutions.

À ce sujet, vous venez de le dire -votre mémoire est très clair là-dessus - vous n'imputez pas uniquement à la loi 101 - loin de là - tous les maux qui ont affligé le Québec sur le plan économique, mais vous dites quand même, à la page 2, que cela n'a

pas aidé: "Cela n'a pas contribué à attirer les investissements ou les professionnels de l'extérieur." Sans parler des départs, mais ce n'est pas là qu'est mon point, c'est plutôt le développement économique, l'attirance de nouveaux investissements. Vous parlez dans votre mémoire du tourisme, qui est une industrie qui peut favoriser l'emploi; certains emplois à temps plein, mais beaucoup d'emplois à temps partiel. Dans le passé, nous avons parlé de sièges sociaux, mon collègue de Mont-Royal parlait des centres de recherche, mais on sait que, pour la masse de la population, ce qui est plus important, c'est le secteur de la fabrication et le secteur industriel. Justement, hier, dans le Devoir, il y avait une analyse d'un de nos collègues de la recherche, Ghislain Fortin, qui disait: "Montréal se relève mal de la récession." On parlait de la chute dramatique de l'emploi dans le domaine de la fabrication.

Alors, le développement économique se traduit en termes d'emplois pour des gens qui sont en chômage et, sans imputer tout le blâme - loin de là et ce n'est pas non plus ma suggestion - à la loi 101, est-ce que quand même, dans le domaine des investissements, dans le domaine de la fabrication, qui est un domaine un peu ignoré parce que le tourisme, les sièges sociaux ou la recherche et le développement, c'est toujours plus glorieux d'en parler. Mais, dans le domaine de la fabrication, qui apporte des emplois à l'ouvrier moyen, est-ce que, pour Montréal, cet aspect de la langue a eu un effet et, au moment où le gouvernement cherche des moyens pour favoriser l'emploi, ne croyez-vous pas que cet aspect devrait être pris en considération d'une façon sérieuse? Même sans dire qu'elle a eu tout l'impact, est-ce qu'elle a eu un certain impact et est-ce qu'on devrait prendre en considération la question de l'emploi lorsqu'on pense à apporter des amendements ou des modifications à la loi 101?

M. Drapeau: Je dirais que, dans tous les domaines, la loi 101 a agi d'une façon un peu sournoise. Elle a eu des effets un peu comme quand on répand de l'eau quelque part et que l'eau cherche des voies pour pénétrer. Alors, le climat général de difficultés économiques favorisait les explications faciles. La loi 101, dans certains cas, a été une explication facile; l'eau s'était rendue jusque-là. Dans d'autres cas, cela n'a pas fonctionné. Encore une fois, à cause des circonstances économiques difficiles, tout était nuisible, quand cela n'aidait pas. Et c'est pourquoi nous avons dit d'une façon assez claire: II est certain que cela n'a pas aidé, au moment où on avait besoin de toute l'aide possible. Si, à la souque à la corde, deux équipes d'égale force tirent sur le câble et qu'il y en a un qui, au lieu de tirer avec son équipe, tire dans l'autre sens, cela compte, si les deux sont absolument de même force. Dans le moment, la loi 101 n'a pas pu aider. Cela a compliqué, je crois, le travail du gouvernement qui voulait, aussi bien que l'Opposition et tout le Parlement, faciliter le plus possible la vie économique. Cela ne la facilitait pas.

M. Fortier: Mais, si je comprends bien l'ensemble de votre mémoire où vous suggérez certains amendements quant à l'administration de la loi pour la ville de Montréal comme telle - vous venez de dire que des amendements pourraient faciliter les choses dans l'avenir et vous avez parlé d'un déblocage psychologique, je pense bien - si j'interprète bien vos paroles, vous dites qu'une modification bien faite de la loi pourrait non seulement faciliter l'administration de la loi chez vous en tant qu'administrateur de la loi - vous parlez des employés de la ville - mais, sur le plan économique, cela aurait un facteur déterminant pour passer un message à ceux du Québec et à ceux de l'extérieur du Canada qui, à tort ou à raison, ont une mauvaise perception de Montréal. Dans ce sens, ce que vous dites, c'est que ce déblocage psychologique serait un facteur important pour favoriser l'emploi à l'avenir.

M. Drapeau: Certainement, parce que, encore une fois, dans certains milieux, on a tellement utilisé la loi 101, souvent à tort, que, si c'est corrigé, ils ne pourront plus l'utiliser. S'ils ne peuvent l'utiliser, cela ne pourra pas faire mal. C'est cela.

M. Fortier: Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. M. le député de Chauveau.

M. Brouillet: Merci, M. le Président. Je commencerais mon intervention par la dernière phrase que vous venez de prononcer. Si j'interprète bien l'ensemble de votre exposé et la réponse aux questions, je crois que ce qui est important, c'est qu'il y ait des corrections, beaucoup moins que la nature des corrections. Vous établissez votre thèse pour justifier des modifications sur le fait qu'il y a un blocage psychologique qui est le résultat d'une perception de la loi, laquelle perception a été engendrée par de la publicité qui n'était pas toujours fidèle à ce qu'était la loi. Il me semble important de bien saisir le sens de votre intervention parce que nous, nous devrons nous prononcer non pas exclusivement sur des perceptions, mais sur le contenu de la loi. Et il ne faudrait pas tenir pour acquis que, entre la perception qui engendre des inconvénients de

toutes sortes... On a parlé de barrières psychologiques. Sur le plan social, on a parlé de fuites des investissements. Ce sont des effets. Ce qui est important pour nous, c'est de bien prendre conscience que ces effets sont peut-être beaucoup plus les effets de la perception de la loi que ceux de la loi comme telle. Et nous, comme législateurs, nous aurons à nous prononcer sur le contenu de la loi, quitte ensuite à nous dire que nous avons aussi une tâche psychologique. Nous devrons nous organiser, dans l'avenir, pour que la loi, telle qu'elle est rédigée, puisse être bien perçue exactement telle qu'elle est dans son contenu. Parce que, si l'on ne fait pas ces distinctions entre la loi et la perception qui engendre des inconvénients -perception qui n'est pas fidèle à ce qu'est la loi - on peut partir en peur et dire qu'il faut changer beaucoup de choses là-dedans, et allons-y! en croyant que c'est le contenu de la loi qui est responsable des effets que vous avez mentionnés.

Il faudrait peut-être me dire si mon interprétation de ce que vous avez énoncé plus tôt est assez fidèle.

Avant de vous céder la parole, je reviendrai sur certains points. Vous avez dit que certaines personnes croyaient qu'on ne pouvait pas vivre à Montréal si l'on ne connaissait que la langue française et, en réalité, c'est faux. Les gens sont venus et ont dit: Bien au contraire, même si l'on ne connaît pas la langue française, on peut très bien se débrouiller. C'est donc une confirmation que c'est la perception qui est très souvent la cause de barrières psychologiques et de fuites d'investissements. Ceci dit, je reviendrai aussi sur un autre point.

Je sais bien que certains membres autour de cette table auraient bien aimé vous faire dire que la loi était la cause des fuites d'investissements et tout ça. Vous avez très bien nuancé à chaque fois que la question vous était posée en disant: Écoutez, il y a une conjoncture économique difficile et il y a beaucoup de ces gens qui étaient sur le point de partir. Cela, vous l'avez bien énoncé plusieurs fois: Ils étaient sur le point de partir. Et, finalement, cela fut peut-être la goutte qui a fait déborder le vase et ils ont allégué, à ce moment-là, que la loi, c'était tout. On partait à cause de la loi. En réalité, cela a été une belle occasion pour eux de se faire excuser du départ, si vous voulez. Quand on oeuvre dans un milieu depuis des générations, quand on vit avec les travailleurs du milieu, c'est toujours gênant de s'en aller. Quand on est en présence d'un homme politique - vous avez dit avoir eu beaucoup de confidences tantôt - on n'aime pas à lui dire qu'on quitte, qu'on va s'établir ailleurs, dans une autre province. C'est gênant; alors, il faut s'excuser; c'est normal, je pense. Il faut excuser le départ et la loi 101 a été pour beaucoup l'excuse du départ et non pas la raison du départ, à mon sens.

Maintenant, dans la poursuite de cette logique, est-ce qu'on peut légiférer en fonction d'une conjoncture économique? Je suis prêt à admettre que cela a pu être la goutte qui fait déborder le vase, étant donné qu'il y avait tellement de difficultés, d'autres facteurs dans certains secteurs de l'économie. La loi 101 était un petit tiraillement de plus. Cela a peut-être été l'excuse ou la goutte, le prétexte pour se faire excuser du départ. Mais est-ce qu'on peut vraiment se servir de cela pour dire: On va légiférer en fonction d'une conjoncture économique? Quand on légifère, on légifère pour plus que deux ou trois ans de crise économique. C'est la question que je me pose et j'aimerais avoir votre opinion. (12 h 30)

Deuxièmement, est-ce qu'on peut légiférer en fonction d'hommes politiques qui ont bien fait leur devoir jusqu'à ce jour sur le plan de la protection du français? Vous demandez quasiment l'exclusion pour la ville de Montréal. C'est vrai, je reconnais avec tout le monde les efforts considérables qui ont été faits et, si tous les hommes politiques, toutes les administrations, toutes les compagnies et les corporations avaient fait ce que la ville de Montréal a pu faire sous votre administration, on n'aurait pas eu besoin de la loi.

On ne peut pas inversement dire: Parce que le maire de Montréal a fait son devoir, on ne doit pas légiférer. Cela impliquerait que tous les autres le font. L'histoire nous prouve que tous les hommes politiques n'ont pas fait leur devoir, que toutes les compagnies, toutes les administrations n'ont pas fait leur devoir, et encore aujourd'hui, on a signalé des cas tantôt.

Nous sommes devant le fait de devoir légiférer ou modifier une législation, mais pour l'ensemble. Il faut tenir compte de la situation globale. Je verrais mal qu'on puisse faire un cas d'exception simplement pour une ville parce que l'administration, qui est toujours temporaire... Cela se prolonge dans votre cas et nous en sommes très heureux.

Je crois qu'il faut légiférer non pas en tenant compte du mouvement des hommes qui sont en place momentanément, mais en tenant compte de l'ensemble d'une situation pour une plus grande pérennité, je pense bien, des institutions et des hommes qui sont en place pour un temps donné. Ce sont mes observations.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le maire.

M. Drapeau: Je vais prendre trois points: la perception de la loi. Je n'ai pas dit qu'il n'y avait que la perception de la loi. J'ai dit: II y a la perception de la loi, mais il y a la loi elle-même qui n'aurait pas

été l'objet d'une telle perception s'il n'y avait pas eu dedans des éléments à caractère agressif. Il faut bien dire que, quand on regarde dans la loi, il n'y a pas que de l'affirmation positive, il y a de l'exclusion. Or, sur le continent nord-américain, nos voisins au sud du 45e n'aimeraient pas beaucoup l'idée et, quand ils lisent ce qui s'écrit ici, ils comprennent difficilement qu'il puisse y avoir une idée d'exclusion.

Il y a l'affirmation du français et l'exclusion de l'anglais. Il y a deux perceptions dans la loi. Que la perception de l'exclusion se soit répandue plus vite que celle de l'affirmation du français, c'est indéniable, mais il y a cette perception d'exclusion de l'anglais. Cela aussi est indéniable.

Je dis qu'il faudrait que cela soit corrigé parce que, si c'est une perception -et j'en viens à répondre à votre question -au point de vue de la loi, il faudrait la corriger pour qu'elle ne soit plus perceptible comme cela, enlever cette image qu'elle projette que l'anglais est exclu.

Je crois qu'il y a possibilité d'affirmer la protection et la promotion du français en association. On parle, fort heureusement, les deux langues qui permettent de voyager dans le monde entier et de ne jamais avoir à coucher dehors ou à se coucher sans souper. Dans certains pays, c'est différent. Ils parlent une langue tellement exclusive qu'en dehors de leur pays, ils ne sont pas compris. Nous avons l'avantage, même dans le Québec, de pratiquer, même si on ne l'a pas appris à l'école, et de finir par apprendre deux langues qui sont infiniment utiles et qui sont parmi les langues les plus parlées dans le monde.

Ce n'est pas seulement nos concitoyens anglophones de chez nous qu'on atteint par cette perception d'exclusion de l'anglais. Tous ceux qui, dans le monde entier, parlent anglais ne peuvent pas accepter l'idée que l'anglais sera exclu d'un pays par un gouvernement. Cela ne s'accepte pas et c'est ce qui crée finalement ce climat que l'anglophonie n'est pas bienvenue au Québec. Cela peut être exagéré, mais, quand la psychologie et le sentiment entrent dans une réaction, on ne sait pas jusqu'où cela ira; mais c'est une réalité.

Que nos concitoyens anglophones de Montréal - je me limiterai à Montréal -aient sur place cette image qui n'est pas totalement fausse... On ne peut pas dire que c'est totalement faux, ce n'est pas totalement faux. Cette réaction ou cette perception qu'ils ont n'est pas entièrement fausse. Tout à l'heure, j'ai dit que ce n'est pas seulement la loi 101, mais ce n'est pas non plus seulement la dépression, la récession économique. Quand il y a plusieurs éléments défavorables qui s'unissent, cela rend la tâche plus difficile et notre vie économique s'en ressent.

Deuxièmement, c'est vrai qu'il y avait des compagnies qui étaient sur le point de partir. J'ai dit qu'elles étudiaient la question non pas de partir pour partir, mais, voyant précisément cette difficulté économique qui s'en venait, elles essayaient de trouver comment réduire leurs coûts de fonctionnement et où aller pour que cela coûte moins cher. C'est là que le vent s'est levé et elles ont cessé de fouiller pour trouver d'autres solutions. Elles ont dit: Si, en plus, nous avons des frais pour nous adapter à cette nouvelle loi, ce n'est pas le temps d'ajouter des frais; nous cherchons une formule pour les réduire.

J'écris tellement mal que je n'ai pas retrouvé ma troisième note.

M. Brouillet: L'exception pour la ville de Montréal.

M. Drapeau: Pardon?

M. Brouillet: II reste un point, l'exception pour la ville de Montréal.

M. Drapeau: Oui, l'exclusion de Montréal. J'ai répondu tout à l'heure que c'est presque cela et je serais prêt à négocier...

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Drapeau: ...pour que, dans la loi, il y ait un chapitre qui prévoit les cas de Montréal et, dans les cas de frontière, qu'on laisse décider Montréal. Puisque la loi serait l'objet de plus de précisions, qu'on fasse un chapitre pour Montréal, parce que, si Québec n'est pas une province comme les autres, Montréal n'est pas une ville comme les autres à l'intérieur du Québec. Il faut tenir compte de cette réalité. Il y a suffisamment de cas connus et de problèmes qui ont été étudiés jusqu'à présent pour prévoir un chapitre qui s'applique dans toutes les villes du Québec qui comptent plus de 1 000 000 d'habitants!

Des voix: Ah! Ah! Ah!

Le Président (M. Gagnon): Merci.

Mme Bacon: M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Mme la députée de Chomedey.

Mme Bacon: Je sais que le député de Nelligan a des questions à poser, mais, si vous me le permettez, parce que ma question fait tellement suite aux interventions du député de Chauveau, même s'il a parlé de la présence momentanée de 25 ans de M. le maire, j'aimerais quand même poser

ma question si mes collègues y consentent.

Le Président (M. Gagnon): Mme la députée, je vais vous le permettre sûrement, mais j'en profite pour demander que les questions soient les plus brèves possible...

Mme Bacon: Ce sera très bref.

Le Président (M. Gagnon): ...de même que les réponses, parce qu'on a réellement dépassé le temps alloué. Mme la députée de Chomedey.

Mme Bacon: M. le Président, ma question ne sera pas précédée de remarques. Je voulais justement mentionner la présence momentanée de 25 ans de M. le maire, comme disait M. le député de Chauveau. Est-ce que vous iriez aussi loin, M. le maire, que de préconiser la création d'un office montréalais qui serait sous la responsabilité de la ville de Montréal et où siégerait, par exemple, un représentant du gouvernement qui aurait cette délégation des pouvoirs que le gouvernement donnerait à la ville de Montréal...

Une voix: Semblable à celle de l'office.

Mme Bacon: ...semblable à celle de l'Office de la langue française?

M. Drapeau: C'est une formule que je n'exclus pas. Si c'est celle qui semble la meilleure, je ne l'exclus pas.

Mme Bacon: Vous êtes prêt à la négocier. Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, Mme la députée. M. le député de Nelligan.

M. Lincoln: M. le Président, tout d'abord, je vais profiter de mon droit de parole pour apporter une correction à ce que j'ai dit jeudi, lors de la présentation du mémoire de la Chambre de commerce de la province de Québec, au sujet des écoles japonaises. Je dois faire amende honorable à l'honorable ministre. Il avait dit qu'on avait le droit, effectivement, à Montréal, d'avoir des écoles durant le week-end, des écoles du dimanche. En fait, il a raison parce que j'ai relu le mémoire des investisseurs japonais et ils disent: II n'existe aucun système scolaire japonais à temps plein au Canada, mais des écoles dispensant un enseignement complémentaire à Toronto, à Montréal, à Saskatoon, etc. Donc, il avait raison. Je fais amende honorable. Cependant, ce que la Chambre de commerce de la province de Québec a dit est bien vrai. Ce dont elle parlait, c'était d'une école japonaise et j'ai pensé avoir lu une école du dimanche. Alors, les Japonais, se référant aux écoles qu'ils voudraient implanter ici, afin de continuer à donner une éducation japonaise à leurs enfants, disent: Dans ce contexte, la société japonaise de Montréal, Niking Kai, a demandé sans succès la création d'une école japonaise à temps plein en 1980 et 1981. La société a présenté cette demande pour la troisième fois cette année. On dit: II n'existe aucune difficulté de ce genre à Calgary, en Alberta, mais le problème tient du coût élevé de la fréquentation de l'école japonaise. J'espère que le ministre va appuyer la demande des Japonais pour permettre des investissements ici.

Mes remarques, après m'être excusé...

Le Président (M. Gagnon): Oui, question de règlement.

M. Fallu: Non.

Le Président (M. Gagnon): Voulez-vous qu'on vous... Était-ce bien la réponse?

M. Godin: Non, c'était seulement un commentaire concernant votre commentaire.

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. le député de Groulx.

M. Fallu: Un commentaire extrêmement rapide, puisque c'est moi qui vous avais donné la réplique, M. le député. Je vous avais rappelé également, a ce moment-là, qu'à la suite d'un jugement de la Cour d'appel, le ministre ne pouvait plus prendre sur sa propre responsabilité de ne plus autoriser ce type d'école. Je pense que l'information n'a pas tellement circulé au Québec, mais il est utile de la connaître.

M. Lincoln: Ce que je veux vous dire, c'est que les investisseurs japonais constatent que le type d'école peut exister en Alberta et ne peut pas exister à Montréal. C'est une chose qui nous différencie. Peut-être qu'il faudrait considérer cela et amender la loi en conséquence.

M. le ministre, ayant fait...

M. Godin: Ce que nous voulons préciser, M. le Président, parce que c'est important pour l'économie de la ville dont le maire est ici, la ville dont la province n'est pas un enfant, c'est que, le jugement ayant été rendu, une demande formulée par le groupe dont vous parlez sera dorénavant recevable par le ministère de l'Éducation.

M. Lincoln: J'espère que vous allez pousser cette demande le plus tôt possible, parce que justement cela fut constaté en 1982.

M. Godin: D'accord.

M. Lincoln: Pour apporter une seconde précision, M. le ministre, cette fois-ci, je pense que vous avez cité des chiffres touristiques en établissant que la loi 101 n'a eu aucun effet sur le tourisme. Le maire de Montréal vous a demandé des statistiques. Cela veut dire beaucoup de choses, parce qu'on pourrait parler de cela un peu. On pourrait comparer le nombre de cardiaques à l'Île-du-Prince-Édouard à ceux de l'État de New York. On pourrait dire: Les pourcentages sont différents. On pourrait parler du taux de pollution à l'Île-du-Prince-Édouard et de celui de New York. On pourrait avoir des pourcentages variés. Il faut voir les chiffres dont on parle.

Votre collègue, le ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, a cité les mêmes chiffres que vous presque textuellement aujourd'hui, les 2,3% d'augmentation au Québec, la diminution de 4% en Ontario, mais ce qu'il faut voir, ce sont les chiffres. On est en train de comparer les pommes aux oranges. Je veux vous citer des chiffres de Statistique Canada. Les entrées de gens en automobile au Québec, en 1982, venant des États-Unis, sont de 847 000, en chiffres ronds, 847 880 en tout. C'est vrai, cela augmente de... Excusez-moi, M. le Président, mais c'est bien important, le ministre a donné ces chiffres. Je compte les relever.

Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse, M. le député de Nelligan, je ne conteste pas l'importance de cela, et je sais que vous aurez l'occasion d'en reparler. Nous avons ici comme invités actuellement les représentants de la ville de Montréal. D'autres personnes attendent aussi pour donner leur point de vue. J'aimerais qu'on termine la discussion avec la ville de Montréal.

M. Lincoln: Je vais le demander à la ville de Montréal...

Le Président (M. Gagnon): Ah bon!

M. Lincoln: ...puisque le maire a dit lui-même qu'il ne connaissait pas les chiffres. C'est bien important pour la ville. Je vais poser la question au maire. M. le maire, êtes-vous au courant que, selon les chiffres donnés par le ministre, il y a eu une augmentation au Québec de 19 000 personnes venant des États-Unis, en automobile? Par contre, il y a eu justement une diminution par rapport à celles qui se rendaient en Ontario. Mais 4 733 000 Américains se rendaient en Ontario en automobile, six fois plus. Là, c'est jouer avec les chiffres. Ce que le ministre n'a pas dit non plus, c'est que 600 000 personnes sont venues au Québec et que, pendant ce temps, presque 2 000 000 de personnes, 1 926 000, sont allées en Ontario autrement qu'en automobile. (12 h 45)

Le total de personnes venant d'autres pays que les États-Unis, au Québec, il y en a eu 368 000, mais 884 000 en Ontario. Au total, 1 800 000 personnes sont venues au Québec pendant que 7 544 000 se sont rendues en Ontario. C'est dire qu'on parle de choses tout à fait différentes, c'est-à-dire que le pourcentage est beaucoup plus petit au Québec, qu'il y a une plus petite proportion. En fait, c'est souligné dans ce rapport statistique que je voudrais déposer devant la commission, parce que cela démontre bien clairement que nous sommes tellement en retard sur l'Ontario que les statistiques et les pourcentages du Québec en seront naturellement beaucoup plus affectés, parce que c'est une beaucoup plus petite proportion de gens. En fait, cela confirme un peu ce que vous dites. Nous avons eu l'occasion de rencontrer M. Allard, un collègue et moi-même, un des membres de l'exécutif de l'Association des hôteliers du Québec, qui nous disait - justement, il soulignait la même chose que vous; c'est lui qui nous a donné ces deux documents qui montraient ce que M. Drolet disait - Voilà un document qui est publié par Québec et envoyé à l'étranger, un en français, un en anglais. La seule différence, ce sont deux petites pages explicatives au début et les titres. Tout le reste est exactement pareil. Il disait la même chose que vous.

La seconde chose qu'il faisait ressortir, c'était la question de l'affichage intérieur dans les hôtels. Est-ce que vous êtes au courant, par exemple, que, si un artiste étranger vient ici au Québec, dans un hôtel, si c'est un artiste de langue anglaise comme Dean Martin, l'hôtel a le droit d'afficher en anglais en plus du français, mais que, si c'est un artiste français ou espagnol, par exemple, Julio Iglesias, il n'a pas le droit d'avoir l'anglais? Est-ce que cela a été porté à votre attention?

M. Allard: Non, c'est la première fois que j'entends parler de cette règle particulière à l'hôtellerie. Je dois dire que la Charte de la langue française impose des règles différentes selon que vous êtes un organisme de l'administration ou que vous êtes dans le monde des affaires.

M. Lincoln: Est-ce qu'il y a eu des représentations de la part de l'institut de l'hôtellerie et du Conseil du tourisme à la ville de Montréal par rapport à l'affichage, par rapport à la loi 101? Est-ce que vous avez reçu, M. le maire ou M. Allard, des représentations privées ou publiques? Le Conseil du tourisme a fait plusieurs représentations.

M. Drapeau: Les représentations qui se

feraient dans des cas comme ceux-là, je suis pas mal sûr que ce serait à la chambre de commerce, au Board of Trade, dans un milieu réceptif à accumuler ces diverses situations pour formuler ensuite une prise de position ici ou ailleurs, non pas auprès de la ville. Je crois que, dans ces situations, les gens qui les vivent savent que la ville ne peut faire autre chose qu'obéir à la loi elle-même et que suggérer des modifications. Je conclus qu'ils passent plutôt par les voies ordinaires des affaires.

M. Lincoln: Dernière question. Quand vous parlez de l'affichage, par exemple, aux abords du Québec, aux abords de Montréal, en anglais, des panneaux explicatifs, est-ce que vous parlez surtout du tourisme, des Américains ou des gens de langue anglaise qui viennent au Québec et qui voudraient recevoir la même courtoisie, par exemple, que celle que les Américains démontrent dans les États du Nord-Est?

M. Drapeau: Je pense bien que, dans les États voisins du Québec, les marchands qui font de la publicité, de l'affichage en français, le font avec l'arrière-pensée d'attirer les clients francophones. Je crois qu'également les marchands du Québec qui veulent attirer la clientèle anglophone américaine pourraient avoir le droit de s'adresser à eux dans leur langue pour être compris.

M. Lincoln: Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. M. le député de Laurier, vous m'aviez demandé une très courte question.

M. Sirros: Ce serait très court, M. le Président, sans préambule, sans rien. M. le maire, vous avez parlé d'hypothèque psychologique, de barrière psychologique, de perception négative que la loi 101 laisse percevoir. Est-ce que, selon vous, le fait que la loi 101 dans sa rédaction fait quasiment tout pour éviter même de prononcer le mot "anglais", sauf, je pense, à l'exception du chapitre sur l'enseignement, c'est le genre de fait qui permet à des personnes de dégager l'impression qu'ils ont que, si on ne parle pas français, comme vous l'avez dit tout à l'heure, on ne peut pas se débrouiller à Montréal? C'est une des choses qui m'avaient frappé, dans la rédaction de la loi, que l'anglais comme langue en Amérique du Nord, au Québec, est réduit dans la rédaction au même rang que n'importe quelle autre communauté culturelle finalement.

M. Drapeau: J'ai dit tout à l'heure qu'il y avait l'exclusion de l'anglais. Je crois que le mot "anglais" est même exclu de la loi. On parle d'une autre langue. Le mot "anglais" est exclu. On ne fait pas référence au mot "anglais". C'est bien sûr que pas seulement les anglophones d'ici, mais ceux de l'étranger voudraient... Et il y en a, j'en suis sûr, qui regardent: les consuls qui sont ici, qui viennent de bien des pays, qui lisent la loi parce qu'ils sont obligés parfois de renseigner leur pays qui demande un rapport sur la situation. Ils sont bien obligés de conclure que, dans la loi, on ne parle pas du mot "anglais"; le mot "anglais" n'y est pas. Alors, c'est bien sûr qu'il y a un sentiment fondé que c'est une exclusion de l'anglais. Alors, toutes ces choses auraient pu être dites autrement et pourraient encore être dites autrement, de façon a faire moins mal. Vous savez, il y a des traitements qui sont douloureux, mais on préfère toujours les traitements non douloureux.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: Alors, M. le maire, merci de votre intervention et des réponses aux questions assez serrées qu'on vous a posées. Je vous en poserai une dernière, en ce qui me concerne, avant de conclure. Si je comprends bien, le point sur lequel vous voudriez qu'il y ait une négociation, au fond, ce serait sur l'entente intervenue entre la ville de Montréal et l'Office de la langue française. Cette entente couvre les cas dont vous faisiez état tout à l'heure, Me Allard, sur le transfert d'un employé d'un poste à un autre. Il semble qu'il y ait des accrochages. Par ailleurs, je retiens - et c'est un chiffre qui me frappe - qu'en six ans d'existence, il n'y a eu que cinq cas qui ont fait l'objet de litige, ce qui est une moyenne de moins d'un cas par année.

M. Allard: C'est parce que nous nous sommes conformés...

M. Godin: Pardon?

M. Allard: C'est parce que nous nous sommes conformés, M. le ministre.

M. Godin: Mais, vous vous êtes conformés en respectant les articles 20 et 40 de la loi 101 qui disent bien que c'est la ville qui détermine, d'après un programme qu'elle a négocié avec l'office, quelle langue est requise pour tel poste. C'est la ville qui administre déjà cette entente et l'office n'intervient pas, proprio motu, dans la façon dont la ville fonctionne avec ses employés. L'office n'intervient que quand une plainte est portée à sa connaissance par un de vos employés; cela, vous le savez. Et je constate que, puisqu'il y a moins d'une plainte par année, la ville se comporte de façon exemplaire avec ses employés, du moins pour ce qui touche cet aspect, M. le maire.

M. Drapeau: La ville avait le devoir de donner l'exemple de l'obéissance...

M. Godin: Mais, au fond, ce sont...

M. Drapeau: ... mais on n'a pas manqué l'occasion de venir vous dire que, s'il y avait moyen de nous libérer de certaines obéissances, ce serait à l'avantage de Montréal, ce serait à l'avantage du Québec et de nos compatriotes anglophones.

M. Godin: D'accord. Maintenant, je constate quand même qu'en six ans, il y a seulement cinq de vos employés qui ont estimé que leur droit à travailler en français n'était pas tout à fait respecté dans certains cas. Cinq en six ans, ce n'est pas une moyenne qui me semble dramatique, quant à moi. Maintenant, je suis d'accord avec vous -vous l'avez suggéré, M. le maire - pour qu'il y ait une espèce de rencontre pour distiller -je reprends votre mot - une meilleure entente avec l'office. Je n'ai aucune objection, au contraire.

Maintenant, pour conclure... Parce que, au fond, il faut arrêter de répéter que français égale difficultés économiques, que français égale chômage, que français égale misère. C'est très pervers, cet alliage, qui n'est pas fait par vous, qui n'est fait par personne ici non plus, je tiens à le dire, ou presque pas. On a dit aux Québécois depuis 30 ans: "Soyez bilingues, vous allez travailler": il y a 56% des bilingues canadiens au Québec et le chômage est resté au même niveau.

Il y a eu des campagnes incitatives - la loi 22 de notre prédécesseur - évoquées par M. Bill Tetley, ancien ministre du cabinet Bourassa, des campagnes d'incitation aux entreprises à respecter la langue de leurs employés. Et sur 500 entreprises, même pas 6, je pense, avaient répondu favorablement à une demande de "gentle persuasion". C'est ce qui a amené le gouvernement du Québec, sous la pression de sa population, des centrales syndicales, du mouvement des travailleurs organisés, à agir. Il était inévitable qu'il y aurait des frictions puisque, la "gentle persuasion" n'ayant rien donné, on ne pouvait pas attendre l'éternité pour que nos partenaires économiques réagissent. Je vous citerai la phrase du poète André Frènaud: "L'éternité, c'est long, surtout vers la fin."

D'autre part, les chiffres sont importants aussi. Statistique Canada nous dit que, depuis plus de dix ans, de 1971 à 1981, le marché du travail du Québec a été plus dynamique que celui de l'Ontario, malgré tout. Donc, il ne faut pas non plus battre sa coulpe parce qu'on a affirmé qu'on était Français et différents du reste du continent nord-américain et toujours se sentir coupables comme des pensionnaires à qui le maître d'école dit: Attention, pas trop de français parce qu'on s'en va! Attention, pas trop vite le français, parce que vous allez payer pour! Ce n'est pas la mentalité à la ville de Montréal, et vous l'avez prouvé plusieurs fois. Il est important de dire à ceux qui nous entendent et qui nous écoutent qu'il faut se sortir de l'idée cette équation que français égale chômage. On n'est plus français au Québec, on est bilingue et on chôme encore, plus que dans bien des provinces canadiennes. Par ailleurs, moins qu'au Michigan. L'État des "majors" de l'automobile américaine chôme plus aujourd'hui à cause de la crise économique, non pas à cause de la loi linguistique parce que ces gens n'en n'ont pas là-bas. Ils chôment plus à cause de la crise économique que le Québec ne chôme depuis deux ans. Les Maritimes ont toujours chômé plus et il n'y a pas là de loi linguistique. Il faudrait tenter de mettre les choses en perspective.

Les chiffres sur le tourisme. M. le maire, je comprends que certains humoristes vous ont suggéré de transporter à Montréal les chutes Niagara pour augmenter le nombre d'Américains qui viennent ici. C'est un projet qui ne vous laissera sûrement pas indifférent, mais qui est un peu compliqué.

Il y a des facteurs que je répéterai pour la gouverne de mon collègue de Nelligan. Le nombre de nuitées passées au Québec, en Ontario et au Canada par des visiteurs d'outre-mer, de la période de 1977 à 1981, chiffres de Statistique Canada, des non-Canadiens a augmenté au Québec de 74,9% dans cinq ans. En Ontario, 19%. Au Canada, 48%. Donc, notre performance sur le plan touristique est remarquable. Il est possible que des gens viennent au Québec parce que c'est français précisément. Il est possible que des gens de Cleveland aimeraient bien voir un peu de français dans leur vie, d'exotisme. Les gens du Palais des congrès me confirment aussi que ceux qui viennent visiter le palais que nous avons bâti ensemble, les trois niveaux de gouvernement... Ce Palais des congrès revitalisera encore plus Montréal. On parle d'un hôtel qui sera construit dans les parages de ce Palais des congrès. Le nombre de visiteurs d'outre-mer ayant séjourné 24 heures ou plus au Québec - sûrement à Montréal - au Québec a augmenté en cinq ans - les cinq ans de la loi 101 - de 54%, en Ontario de 37%, donc moins, et au Canada de 50%. Donc, nous sommes au-dessus de la moyenne canadienne dans ce secteur. Le nombre de nuitées passées au Québec, en Ontario et au Canada par des visiteurs américains: au Québec, depuis cinq ans, il a augmenté de 14,6%. En Ontario, le nombre a diminué de 11,5%. Au Canada, le nombre a diminué de 1,9%. Nous sommes au-dessus de la moyenne canadienne. Nos affaires ne vont pas si mal dans ce secteur.

Quant aux visiteurs américains, 24

heures ou plus depuis cinq ans, le nombre a augmenté de 8,7% au Québec; en Ontario, il a diminué de 5,9% et au Canada, il a diminué de 4%. Donc le portrait global n'est pas si mauvais. Vous me dites: Enlevons les freins pour voir ce que cela donnera. Je suis d'accord avec vous. C'est ce pourquoi cette commission a été convoquée en mars dernier. Nous voulons identifier les "irritants" avec ceux qui les ont observés ou qui les ont subis. Nous voulons changer des perceptions. Nous voulons être sûrs que ce blocage psychologique, qui a été créé en grande partie par la loi et surtout par ce qu'on en a dit et ce qu'on en a fait... J'ai illustré avec une photo tout à l'heure ce qu'on disait de nous à Toronto. Ces gens n'ont pas intérêt à ce que Montréal reprenne la "pâle". Par ailleurs, il faut dire aussi que la Bourse de Toronto a dépassé celle de Montréal en 1948, longtemps avant vous et longtemps avant moi. Il y a eu des facteurs autres qui ont joué, je ne dis pas au détriment de Montréal, mais qui ont joué pour Toronto, certainement. Mais, malgré tout cela, d'autres chiffres démontrent qu'aujourd'hui, on flotte. Même que la Chambre de commerce de Montréal nous disait l'autre jour: II y a eu chaque année une demande supplémentaire de 500 000 pieds carrés d'espaces à bureaux à Montréal depuis vingt ans. Il y a peu de villes canadiennes - je pense même qu'il n'y en a pas une - qui peuvent prétendre avoir connu une telle croissance de la demande de métrage -puisque l'on parle du système métrique aujourd'hui - en mètres carrés pour de l'espace à bureaux à Montréal. (13 heures)

Lorsque l'on a regardé, en 1980-1981, sortir littéralement de terre ces nouveaux édifices que vous voyez de votre bureau de l'hôtel de ville et que je vois du mien, du ministère de l'Immigration, la plupart, très beaux d'ailleurs, beaucoup plus beaux que les anciens, en pleine période où Montréal devait être au plus bas - c'est dans cette période-là, en 1980-1981, que Montréal a atteint 1 000 000 000 $ d'investissements nouveaux dans le domaine immobilier - je me dis que, si on n'avait pas eu ce frein, où en serions-nous? Mais jusqu'à quel point faut-il enlever le frein? Comment trouver le point d'équilibre avec la nécessité que les francophones du Québec puissent vivre et travailler en français dans le respect? Il n'y a pas d'exclusion de l'anglais dans la loi 101; au contraire, il y a une reconnaissance de fait des droits des anglophones. Pas seulement des anglophones; quand on dit: toute autre langue, il y a 80 groupes ethniques à Montréal. La ville de Montréal elle-même est aux prises avec un problème de surdéveloppement de l'économie ethnique à Montréal. Vous avez des pétitions sur votre bureau de Montréalais qui disent: Empêchez- les de s'étendre dans notre quartier, les restaurants ethniques.

Donc, il y a des secteurs de l'économie où cela n'a pas dormi. C'est une réalité économique - économique, je dis bien -centrale dans la vie de Montréal, depuis dix ans, dont personne ne parle, mais on a l'impression que les communautés portugaise, italienne, dont les représentants sont ici, et grecque n'ont pas subi la crise et ont développé et investi plus que jamais. Comme si eux, ayant subi d'autres crises - des vraies celles-là - trouvaient ici que, malgré nos petites chicanes de famille... De quoi les Québécois francophones et anglophones se plaignent-ils puisqu'il se développe ici une économie du tiers Québec, une économie des communautés culturelles qui apporte en taxes à la ville de Montréal, et au Québec d'ailleurs, des retombées fabuleuses des investissements de 500 000 000 $ depuis dix ans par les immigrants investisseurs au Québec et à Montréal?

Donc, je suis - peut-être pas autant que vous, M. le maire - très optimiste quant à l'avenir de votre ville. La coexistence des deux langues, mais fortes l'une et l'autre, dans une réalité qui correspond à la réalité statistique: 80% francophone, 10% culturelle ethnique et 10% anglophone, qu'elle se reflète également dans la ville. C'est ce que nous tenterons de réaliser grâce à vos conseils sages et judicieux. Merci beaucoup, M. le maire.

Le Président (M. Gagnon): Merci beaucoup, M. le ministre.

À ce moment-ci, je dois demander à la commission de dépasser l'heure de quelques minutes. D'ailleurs, on l'a fait déjà de quelques minutes. J'aurais le goût de donner la parole à M. le député de Gatineau et de vous garder pour le mot de la fin, M. le maire. Cela va?

M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Merci, M. le Président. Brièvement, inutile de vous dire, M. le maire, que l'on aurait encore beaucoup de questions et que nous souhaiterions pouvoir dialoguer, mais, les contraintes du temps étant ce qu'elles sont, nous devrons terminer maintenant votre visite avec nous. J'aimerais vous dire que je retiens, quant à moi, deux éléments de votre intervention. D'abord, compte tenu de tout ce que vous avez fait vous-même à titre de premier magistrat de la ville de Montréal pour promouvoir le fait français à Montréal, je retiens la suggestion ou l'offre de collaboration que vous avez faite, tant au gouvernement qu'aux membres de la commission, de participer à une rédaction des amendements à la loi 101 qui pourraient le mieux permettre à la ville de Montréal de fournir les meilleurs services à ses citoyens au meilleur coût possible et

aussi enrayer le plus possible les difficultés ou les effets négatifs que, possiblement, certaines dispositions de la loi 101 peuvent avoir sur l'économie de Montréal. Quand on constate que l'économie de Montréal, ce sont les deux tiers de l'économie du Québec, cela vaut la peine de retenir votre suggestion.

Quant à nous, nous souhaitons fort que le gouvernement fasse appel aux services de la ville de Montréal et nous, de l'Opposition, dans la mesure où nous serons appelés à scruter les intentions du gouvernement, nous tâcherons de nous prévaloir de cette offre.

Je retiens également, M. le maire, la suggestion que vous nous faite à tous, des deux côtés de la table, de surveiller les déclarations que nous faisons sur la question linguistique qui, souvent, alimentent les reportages et les articles de journaux de Montréal et du Québec, qui projettent une image telle que cela nous prive peut-être de la venue non seulement de touristes, mais d'investisseurs éventuels, et qui ne sont pas de nature, donc, à contribuer à la relance économique que nous souhaitons tous, surtout dans les moments difficiles que nous traversons présentement.

Contrairement à ce que disait le ministre tantôt, j'ai l'impression qu'on commence à s'en rendre compte au gouvernement. Le ministre dit que, pour certaines gens, français égale chômage. Ce n'est pas le cas ici; ce n'est encore le cas de personne ici à la commission. J'ai voulu que ce soit bien clair dès les remarques préliminaires que j'ai faites à la commission jeudi dernier.

Quant à nous, il n'a jamais été quesion de penser que la loi 101 était l'unique facteur qui contribuait au climat défavorable aux investissements créateurs d'emplois. On a même reconnu que, malheureusement, il y en avait beaucoup d'autres qui relevaient du gouvernement du Québec. Mais on pense qu'il serait complètement irresponsable pour quiconque, et encore plus pour un gouvernement, de jouer à l'autruche et de refuser d'examiner objectivement quels sont les effets, possiblement négatifs, qui découlent de l'application de la loi 101 sur l'économie. Votre témoignage de ce matin nous apporte un certain éclairage là-dessus. Le gouvernement lui-même en est conscient puisque, pour permettre à Bell Helicopter de venir s'installer à Mirabel, on a non seulement consenti une exception à la loi, mais en fait une exception à l'exception. On sait qu'il y a déjà un règlement qui fait exception dans le cas de l'accès à l'école anglaise pour les personnes qui viennent s'installer de façon temporaire au Québec. Semble-t-il - je dis semble-t-il parce qu'on n'a pas encore réussi à obtenir les détails pertinents là-dessus - qu'on aurait consenti aux employés de Bell Helicopter que le règlement qui prévoit cette exemption soit modifié dans ce cas spécifique.

Comme vous le disiez vous-même tantôt, M. le maire, il n'est pas question ici de tenter de démontrer combien de personnes sont venues et quel pourcentage cela représente, mais il serait, selon nous, tout à fait irresponsable de ne pas au moins nous poser la question suivante: Combien ne sont pas venus à cause de certaines dispositions de la loi 101?

Je termine en vous disant merci infiniment pour l'éclairage que vous apportez à la commission; merci pour vos suggestions très constructives. Je dois vous dire, au départ, qu'avec les suggestions et recommandations que l'on retrouve dans votre mémoire, vous ralliez à l'Opposition presque à l'ensemble sinon à chacune d'elles. Quant à nous, on continuera à faire le travail qui nous est dévolu par le sort des dernières élections, c'est-à-dire surveiller le gouvernement, malgré que cela ne soit pas toujours aussi facile que certains le pensent. Merci, M. le maire.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. M. le maire.

M. Drapeau: II me reste à remercier tous les membres de la commission, M. le Président et M. le ministre, de leur accueil vraiment sympathique. J'aurais voulu que l'éclairage se fasse encore plus complet. Je suis sûr qu'il est resté des questions en suspens. Je réitère l'invitation de ne pas hésiter, M. le ministre, dans tous les cas où vos collaborateurs voudraient examiner quelle pourrait être la réaction à tel ou tel amendement. Mes collaborateurs, ceux d'ici et ceux qui sont restés au travail à Montréal, et moi-même, nous sommes à votre disposition.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Drapeau.

M. Lorange (Pierre): M. le Président... Le Président (M. Gagnon): Oui.

M. Lorange: ...me permettriez-vous une petite intervention pour souligner l'importance historique que représente un 25 octobre dans la vie de M. le maire? Il n'y a pas seulement sa façon brillante de défendre le mémoire de la ville de Montréal, mais c'est aussi un 25 octobre, celui de 1954, qu'il a été élu pour la première fois à la tête de l'administration municipale.

Le Président (M. Gagnon): Alors... M. Godin: M. le Président...

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. le ministre.

M. Godin: ...ce n'est pas un hasard si M. le maire est ici aujourd'hui, on le savait. Merci beaucoup.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le maire et les gens qui vous accompagnent, pour ce mémoire de la ville de Montréal.

A 15 heures, nous inviterons le Congrès national des Italo-Canadiens. Je suspends donc nos travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 10)

(Reprise de la séance à 15 h 09)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission des communautés culturelles et de l'immigration poursuit ses travaux aux fins d'entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française. Lors de la suspension de nos travaux pour le dîner, nous étions à inviter le Congrès national des Italo-Canadiens. Je vous prie donc de prendre place à la table, s'il vous plaît!

Congrès national des Italo-Canadiens

M. Godin: M. le Président...

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: ...avant que mes amis du congrès prennent place, j'aimerais remettre aux membres de la commission, à la demande du député de D'Arcy McGee, la liste des rapports de recherche faits par l'Office de la langue française, à la demande de l'Opposition. Je pense que ce document a été distribué ou le sera dans les secondes qui suivent. C'était une demande de l'Opposition et nous y donnons suite. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député d'Outremont.

M. Fortier: Quelqu'un m'indiquait que l'étude d'André Raynauld serait déposée aujourd'hui. Est-ce que le ministre peut nous confirmer qu'elle sera déposée?

M. Godin: Avant 17 heures. M. Fortier: Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. Antonio Sciascia, si vous voulez nous présenter les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît, et nous faire la lecture de votre mémoire en tentant de le résumer en 20 minutes, environ.

M. Sciascia (Antonio): M. le Président, distingués membres de la commission, permettez-moi, avant tout, de vous présenter les membres du comité du Congrès national des Italo-Canadiens, qui ont eu la tâche de préparer et de vous présenter le mémoire qui se trouve devant vous cet après-midi. À ma gauche, M. Donato Taddeo, qui est le premier vice-président du congrès national et aussi le président du comité; suivant M. Taddeo, il y a Me Antonio de Michele, qui est le premier vice-président de la CIBA. La CIBA est l'Association des gens d'affaires italo-canadiens au Québec. A ma droite, M. Filippo Salvatore, qui est le secrétaire du congrès; ensuite, Mme Giovanna Allegra, aussi membre du conseil d'administration du congrès et représentante de la section des jeunes du congrès et, en dernier, M. Vincent Mercadante, qui est membre du comité.

À ce stade, M. le Président, j'aimerais vous dire quelques mots sur la représentativité du congrès. Le congrès est un organisme communautaire à but non lucratif et apolitique qui regroupe la grande majorité des associations et organismes communautaires. Lorsqu'on parle d'associations, on parle, évidemment, des associations qui sont très actives dans des activités qui touchent de près la communauté italienne du Québec. On a aussi au sein du congrès des représentants de quelque six syndicats dont un bon nombre des syndiqués sont d'origine italienne. Nous avons aussi des gens qui représentent le peuple; ils sont élus lors d'une élection générale qui a lieu tous les deux ans à travers le Québec et ils représentent plus ou moins des Italiens de toutes les régions du Québec. Par la suite, tous les Italiens majeurs sont de plein droit membres du congrès. Donc, nous sommes ici, M. le Président, comme interlocuteurs privilégiés et représentatifs de la communauté italienne du Québec.

Nous avons une histoire sur laquelle j'attire votre attention dans le préambule du mémoire qui vous a été présenté. Le congrès a déjà pris position en matière linguistique au Québec et cela date du début des problèmes linguistiques. Je ne voudrais quand même pas répéter toutes les études que nous avons déjà présentées devant les diverses commissions parlementaires, ainsi que devant les divers ministres des divers gouvernements.

Nous voulons, par contre, réitérer notre position sur le fait français au Québec. Le Congrès national des Italo-Canadiens de la région de Québec croit qu'il n'y a aucun doute que le Québec, peuplé à 80% de citoyens de souche française, constitue le foyer national des francophones du Canada. En conséquence, le gouvernement du Québec est le premier responsable du maintien et du développement de l'identité culturelle des francophones.

Par ailleurs, il est indéniable que le français est devenu la langue commune de tous les Québécois indépendamment de leurs origines. C'est pourquoi nous croyons que le temps est arrivé pour le gouvernement du Québec de modifier sa politique et, par conséquent, la Charte de la langue française. Si le gouvernement a convoqué une commission parlementaire, nous croyons que le même gouvernement croit qu'il est nécessaire d'apporter des changements favorables à toute la communauté québécoise. Nous sommes convaincus que la majorité des Québécois sont favorables à un assouplissement de la charte. Le temps, donc, est à l'ouverture et au dialogue avec les autres.

M. le Président, le congrès a demandé de vous rencontrer afin de vous faire part d'une série de modifications qui, selon nous, pourraient rendre la Charte de la langue française plus en harmonie avec le présent et l'avenir du Québec. Notre intervention se divise en sept parties. J'attire votre attention sur la page 3 de notre mémoire car des représentants de ces comités vont me suivre et vous faire des représentations sur chaque point mentionné dans cette page du mémoire.

Je crois, M. le Président, que si le congrès a cru bon faire aujourd'hui ces quelques recommandations que nous allons entendre bientôt, c'est qu'il est convaincu qu'elles tiennent compte de la nouvelle réalité québécoise de plus en plus ouverte, tolérante, internationaliste, tout en restant profondément québécoise. Nos recommandations sont également l'expression de la volonté de l'immense majorité des quelque 250 000 Québécois, fiers de leur propre origine italienne. Nous sommes convaincus que les membres de la commission parlementaire sauront accueillir nos recommandations avec la même ouverture d'esprit qui nous a animés lors de la rédaction de ce mémoire. Vous avez, M. le Président, messieurs et mesdames les membres de la commission, une tâche historique à accomplir: modifier la Charte de la langue française de façon qu'elle soit acceptable par tous les Québécois de façon à contribuer à cimenter l'harmonie de toutes les composantes de notre société.

Je donne maintenant la parole à M. Donato Taddeo qui vous parlera de l'aspect éducation, du problème qui existe actuellement pour ce qui est des enfants qui se trouvent dans le secteur anglophone. M. Taddeo.

M. Taddeo (Donato): Merci, M. le Président. Les membres de la commission, trouveront à la page 4 le premier volet du chapitre sur la langue d'enseignement, que nous avons cru bon de situer dans un certain historique. Il faut jeter un coup d'oeil sur le passé et reconnaître le fait que le débat linguistique qui s'est déroulé de 1967 et 1977 s'est surtout fait au frais des communautés ethniques et surtout de la communauté italienne. Au lieu de garder un sentiment d'amertume en songeant, par exemple, au malentendu de Saint-Léonard en 1968, nous préférons, au contraire, regarder vers l'avenir, tout en souhaitant que la leçon historique tirée des incompréhensions du passé nous évite, en tant que citoyens d'une même société, de répéter les mêmes erreurs. Nous tenons à réaffirmer ce que nous avons toujours dit dans le passé, à savoir que la communauté italienne du Québec tient à la connaissance des deux langues officielles du pays, tout en reconnaissant que le Québec est une province foncièrement française.

À la page 5, j'aimerais souligner que nous n'avons jamais refusé l'intégration a la société française de cette province. Si nous avons refusé d'accéder à l'école française, ce n'est pas parce que nous voulions nous angliciser; nous préférions une école qui, à cause des événements historiques pendant la période de 1948 à 1968, était devenue beaucoup plus à l'image de la communauté italienne qu'une école anglaise dans son sens strict.

À la page 6, vous trouverez la première de nos recommandations, celle qui a trait à l'admissibilité à l'école anglaise. Les critères sont clairs tels qu'ils sont définis dans la loi. Les fonctionnaires, semble-t-il, reçoivent leurs directives du ministre de l'Éducation et font obéir à la lettre au texte de la loi. Quant à nous, ce dirigisme bureaucratique exclut toute souplesse et la possibilité d'exceptions pour des raisons humanitaires ou par simple bon sens. Si vous voulez, nous pourrons vous en donner des exemples lors de la période des questions.

Quant à l'élément B), qui traite des enfants qui ne sont pas officiellement inscrits à l'école anglaise et qu'on appelle des illégaux, je dirige votre attention surtout à la page 8, deuxième paragraphe. Le rapport Aquin établit à entre 1200 et 1600 le nombre d'enfants qui fréquentent "illégalement" - entre guillemets - l'école anglaise, ce qui ne fait que 0,1% de la population scolaire du Québec formée de 1 200 000 élèves. Notre question est: L'intégration dans le système scolaire de langue anglaise de ces enfants changera-t-elle lasociété québécoise? Ce que nous demandons pour eux, c'est l'amnistie. Par amnistie, nous entendons le fait de permettre à ces enfants, y compris les frères et soeurs de ces enfants, conformément à l'esprit de la loi 101, d'être inscrits officiellement dans les écoles qu'ils fréquentent présentement.

En effet, nous ne pouvons accepter l'argument que, ce faisant, l'État se compromettrait devant ceux et celles qui ont obéi à la loi et qui ont inscrit leurs enfants

à l'école française. Cette logique empêcherait à jamais le gouvernement de poser un geste exceptionnel afin de mieux servir les intérêts de la société. À quoi bon permettre que cette solution continue? Notre communauté n'a-t-elle pas assez porté le fardeau du conflit linguistique depuis quinze ans? Les précédents existent, c'est-à-dire amnistie totale pour les immigrants illégaux, amnistie totale pour des syndicats qui ont enfreint la loi. Après tout, ces enfants et leurs parents ne sont pas passibles d'actes criminels. Nous ne pouvons pas comprendre vraiment les motifs qui empêchent le gouvernement d'accorder une amnistie totale à ces étudiants soi-disant illégaux.

À la page 10, nous parlons pour la nième fois de l'enseignement de l'anglais, langue seconde. C'est un thème qui rejoint les principes de la communauté italienne, compte tenu que nous avons toujours prôné l'apprentissage des deux langues et cela, depuis bon nombre d'années. Ceux de la CECM qui sont autour de la table se souviennent de l'histoire des écoles Notre-Dame-de-la-Défense et Saint-Philippe-Bénizi et leur popularité au sein de la communauté italienne. Ils se souviennent aussi des débats quant à l'enseignement de la langue seconde à la CECM dans les années soixante-dix. Ce qu'on peut constater aujourd'hui, c'est que ce débat n'a fait aucun progrès et quant à nous, il est important non seulement pour notre communauté, mais pour toute la communauté québécoise que l'école française enseigne l'anglais comme langue seconde d'une façon valable. En effet, on parle d'un Québec de plus en plus sensibilisé vers le virage technologique et compte tenu de l'importance de l'anglais comme "lingua franca" des disciplines qui font partie de ce virage technologique, nous croyons qu'il convient à l'État de s'assurer que les enfants qui sortent de l'école possèdent une connaissance de cette langue afin de pouvoir bien transiger dans cette discipline. Il y a une erreur de frappe à la page 10: "...surtout si l'on tient compte que l'anglais est", non pas "Roi né", mais "Koinè"... "Koinè" est un mot grec qui était le mot de passage dans le monde ancien, quand le grec était la langue commune.

À ce chapitre, nous parlons de la clause Canada pour plus ou moins les mêmes raisons qui ont été exposées ce matin. Nous croyons que cette clause permettrait l'application du droit à la mobilité de tous les Canadiens dans n'importe quelle des dix provinces. Nous croyons que l'équilibre linguistique et démographique ne sera nullement affecté par l'insertion d'une telle clause dans la Charte de la langue française. À toutes fins utiles, la clause Canada nous apparaît conforme à l'esprit de l'article 86 de la charte qui dit: "Le gouvernement peut faire des règlements pour étendre l'application de l'article 73 aux personnes visées pour une entente de réciprocité conclue entre le gouvernement du Québec et le gouvernement d'une autre province." Merci, M. le Président.

M. Sciascia: M. le Président, avant de passer au prochain interlocuteur, je voudrais souligner une mention faite par M. Taddeo au sujet de l'intégration de notre communauté. C'est en effet la communauté la plus intégrée au Québec. Pour vous démontrer vraiment cet aspect d'intégration de notre communauté, j'inviterais les membres de cette commission ainsi que toute la population du Québec à visiter notre Ita-lexporama qui a lieu justement cette fin de semaine les 28, 39 et 30 octobre au Palais des congrès, M. le ministre, et qui démontre vraiment l'intégration de notre communauté et l'apport économique, culturel et social de la communauté italienne au Québec. Je cède maintenant la parole à M. Filippo Salvatore qui parlera plutôt de l'aspect social et culturel de la présentation.

Le Président (M. Gagnon): M. Salvatore.

M. Salvatore (Filippo): Merci, M. le Président. Membres distingués de la commission parlementaire, mon intervention portera surtout sur deux aspects: le caractère pénal des infractions à la loi 101 et les droits linguistiques des minorités culturelles au Québec. Je vous prie donc de regarder le mémoire à la page 14 parce que c'est l'aspect que je vais souligner.

La charte prévoit des sanctions pénales pour toute personne qui contrevient à l'une de ses dispositions. Dans une société désormais francophone et qui se veut ouverte au monde, il nous apparaît anormal qu'une personne qui ne respecte pas la charte soit considérée comme un criminel, justement parce que dans aucun pays démocratique de telles sanctions ne sont prévues. Par ailleurs, si l'immense majorité de la population se conforme à la charte, ce n'est pas par crainte des sanctions pénales prévues mais plutôt parce que le Québec est devenu naturellement francophone. L'article 208 de la charte, qui prévoit la possibilité que soient enlevées ou détruites des affiches bilingues, par exemple en français et en italien, est tout à fait inadmissible dans une société démocratique.

Nous recommandons donc que le titre V en entier de la charte, qui s'intitule "Infractions et peines", soit abrogé.

Par ailleurs, nous croyons qu'il y a trop d'organismes qui s'occupent de l'application de la charte. Un seul organisme, administré par des personnes compétentes, prudentes et représentatives de la mosaïque humaine du Québec, serait plus que suffisant en l'occurrence, surtout en temps de crise

économique et de restrictions budgétaires. Tout le monde sait, évidemment, qu'il y a trois organismes qui s'occupent de l'application de la loi 101, soit l'office, le conseil et la commission de surveillance.

Je vous renvoie maintenant à la partie 7 de notre mémoire, à la page 16, qui s'intitule "Droits linguistiques des minorités culturelles".

Au Québec, où le français est désormais la langue commune des Québécois, les problèmes linguistiques concernent autant les communautés culturelles anglophones qu'allophones. Or, sauf exception, les droits linguistiques des groupes minoritaires ne sont ni reconnus, ni protégés par la charte ou par toute autre loi québécoise. Les Québécois de souche française qui, depuis la colonisation, se battent pour la sauvegarde et la promotion de leur langue devraient être très sensibles à notre plaidoyer en faveur des langues minoritaires.

Ce n'est pas ici l'endroit idéal pour discuter dans les moindres détails la façon dont le gouvernement devrait reconnaître et promouvoir les droits linguistiques et les droits des minorités au Québec. Toutefois, nous demandons au gouvernement qu'il proclame officiellement dans la Charte de la langue française la reconnaissance des droits linguistiques des minorités. Ainsi, l'utilisation du français dans tous les domaines de la vie sociale au Québec ne pourra pas affecter l'existence de ces droits.

Je tiens à rappeler que le Congrès national des Italo-Canadiens, région de Québec, en tant qu'organisme représentatif de la communauté culturelle d'origine italienne, épouse depuis longtemps cette optique et est prêt à collaborer dès maintenant avec le gouvernement pour établir les modalités d'application de cette recommandation.

Je repasse la parole au président.

M. Sciascia: J'inviterais maintenant Me Antonio de Michele à vous parler de l'impact économique de la loi 101 sur notre communauté.

M. de Michele (Antonio): M. le ministre, MM. les membres de la commission, j'aimerais avant tout vous remercier de me permettre de vous adresser quelques mots. Le premier signe d'un gouvernement démocratique est l'occasion qu'il donne à ses électeurs de critiquer ses actes et gestes. Il y a différentes sortes de critiques que nous pouvons formuler: il y a les critiques négatives et les critiques positives. La critique est valable pour autant que les gens qui la reçoivent savent en profiter.

En tant que premier vice-président d'une association de gens d'affaires d'origine italienne au Québec, laquelle, en passant, regroupe au-delà de 500 membres seulement dans la région de Montréal, on m'a demandé aujourd'hui de vous adresser quelques mots sur l'aspect économique de la loi 101, la Charte de la langue française. En tant que professionnel, je me dois de formuler une objection stricte à l'endroit des tests linguistiques que la loi impose à nos finissants professionnels. Nous trouvons aberrant que quiconque, quelque gouvernement que ce soit, oblige, après trois, quatre ou cinq années d'études en français au sein d'une communauté qui se veut francophone, qui est francophone - affirmer autre chose, le Québec étant un État francophone, ce serait tout à fait illogique - une personne, parce que son nom de famille n'est pas à consonnance francophone, à passer des tests linguistiques. Personnellement je le prends comme une insulte. Heureusement je n'ai pas eu à passer un tel test à la fin de mes études. Par contre, plusieurs de mes amis, plusieurs de mes collègues se voient dans l'obligation de se soumettre à une dernière guillotine avant de pouvoir honorablement gagner leur vie. (15 h 30)

Les critères sont variés. Ils sont plus souvent qu'autrement basés strictement sur le nom de famille. Peu importe que ce soit un ressortissant du Québec ou un ressortissant étranger, le test est là. Si on veut résoudre le problème je propose respectueusement que c'est à la source qu'on doit le résoudre.

Je me souviens encore, lors de mon passage à l'Université de Montréal, alors que tous nos cours étaient en français, 90% de nos volumes étaient en anglais. Il est tout à fait illogique, après trois ans, quatre ans ou cinq ans d'études dans une institution francophone d'obliger un finissant à passer un test linguistique.

Tous ceux que nous perdons, messieurs, c'est un investissement que notre province a, ni plus ni moins, jeté à travers les fenêtres. Vous savez mieux que quiconque combien le Québec perd pour chaque professionnel qui nous quitte. Vous savez mieux que quiconque combien d'investissements cela coûte à la province pour former un professionnel.

En ce qui concerne l'impact économique de la loi 101, permettez-moi de vous citer dans l'autre langue "The name of the game is money". En tant que commerçant, en tant qu'homme d'affaires, mon but premier est de pouvoir communiquer. Si je ne peux communiquer avec la personne qui me fait face, si je ne peux communiquer avec la personne que je sollicite, je ne peux pas faire affaires avec cette personne. Si elle ne me comprend pas, si je ne la comprends pas, il est impossible de pouvoir transiger.

Je l'ai dit tantôt et je le répète, le Québec est francophone. Vouloir affirmer le contraire serait une erreur grossière. Par contre, au stade où nous sommes rendus

aujourd'hui, est-il vraiment nécessaire d'imposer des règlements et la loi que nous sommes venus ici vous expliquer ce matin?

Toute loi est adoptée, est mise en vigueur en fonction d'une société existante. Toute société existante évolue. Ses lois doivent évoluer en conséquence. Si ses lois n'évoluent pas en conséquence de l'évolution de la société, elles deviennent aberrantes, déprimantes. C'est le rôle du gouvernement de voir à ce que ses lois suivent le progrès de sa société. Autrement, M. le Président, nous devenons une société fermée. Si nous ne pouvons communiquer avec la réalité économique qui existe non seulement autour de nous au Canada mais également en Amérique du Nord, nous nous enfermons sur nous-mêmes. À court ou à long terme, cela veut dire un suicide économique. Dans le rapport que nous vous avons soumis aux pages 12 et 15 on fait état de ce que je viens de vous présenter.

M. Sciascia: M. le Président, en ce qui a trait à l'affichage je dois vous dire que ce que nous proposons c'est de pouvoir afficher aussi dans notre langue. C'est ce qu'on vous demande, M. le Président, et c'est ce qu'on demande aux membres de cette commission, de modifier certaines parties de cette loi et appliquer le bon sens. Je vais vous donner quelques exemples qui, selon nous, sont entièrement contre le bon sens. C'est illogique, par exemple, qu'un commerçant italien soit obligé d'afficher exclusivement en français alors qu'il dessert, dans certains quartiers de Montréal, une clientèle strictement ou en grande partie italienne. Le petit commerçant, au coin de la rue, qui voudrait afficher ses produits, doit le faire exclusivement en français alors que 99% de sa clientèle est italienne ou d'origine italienne.

Je vais vous donner un exemple éclatant. Nous avons une seule banque italienne à Montréal, la Fiducie canadienne italienne. C'est ce qu'on appelle une banque et cette dernière a été forcée d'enlever son nom en italien et de s'afficher uniquement en français. Nous trouvons que la seule banque italienne qui dessert la communauté italienne devrait avoir le privilège de s'afficher en italien ainsi qu'en français.

Voici un autre exemple flagrant. Nous avons vu des banques francophones ou des banques internationales afficher des enseignes qui indiquaient: "Qui si parla italiano", parce que ce sont des banques qui transigent avec un fort pourcentage de clientèle italienne. Ces banques ont été forcées d'enlever cette affiche qui indiquait à la clientèle qu'il y avait un service en italien. C'est ce qu'on voudrait souligner à cette commission. Il faudrait éliminer ce non-sens qui crée de la tension, de la friction entre les groupes.

Je vais maintenant vous parler de l'aspect éducatif. Je ne voudrais pas faire l'histoire de l'aspect linguistique au Québec, mais la communauté italienne, comme disait M. Taddeo, a été la communauté victime des lois linguistiques au Québec. À un moment donné, il y a eu une loi qui, du jour au lendemain, a voulu changer une histoire vieille de 20 à 30 ans. Cette loi n'a pas prévu une période de transition. Nous avons une situation paradoxale. Nous avons des parents qui ont été instruits presque entièrement ici en anglais, nous avons des professeurs qui enseignent dans des écoles anglaises et ces mêmes personnes, tout à coup, n'ont pas le droit d'envoyer leurs enfants à l'école où ils enseignent. Cela crée des frictions. Cela crée des situations de non-sens. Nous avons dit à maintes reprises que la loi aurait dû prévoir une période de transition afin de permettre à tous les Québécois de s'y adapter. C'est un non-sens que, par exemple, mon frère aîné ait le droit d'envoyer ses enfants à l'école anglaise, parce qu'il a été chanceux que ses enfants aient déjà commencé l'école en anglais, et que, par contre, moi qui fais partie de la même famille, si mes enfants commencent l'école après l'entrée en vigueur de ladite loi, je n'aie pas le même droit que mon frère. C'est la situation qu'on a essayé assez souvent de soulever auprès des diverses commissions parlementaires et c'est, en effet, cet aspect rétroactif de la loi dont nous voulons que cette commission prenne connaissance.

Je voudrais souligner qu'il serait désastreux à ce moment-ci de l'histoire d'envisager un transfert d'un système scolaire à un autre de ces enfants qui, aujourd'hui, se trouvent en grande partie en sixième ou septième année. Je pense que vous avez quand même, rattachée à votre mémoire, une opinion d'experts qui fait le point sur l'impact qu'un transfert pourrait avoir sur l'enfant qui a reçu une instruction six ou sept ans dans un système bien défini. Je dis "bien défini", parce que, dans ce système, 99% des élèves sont de la même origine; ce sont des élèves qui proviennent d'une environnement familial à peu près semblable. Ce ne sont pas des écoles où il y a une participation d'anglophones. On les appelle des écoles anglophones, mais il faudrait analyser les chiffres des étudiants qui vont dans ces écoles. Vous serez déçu, parce qu'il n'y a pas ou peu d'anglophones qui vont dans ces écoles. Vous devriez aussi savoir que, dans ce système, la présence des enfants que vous avez appelés "illégaux" n'existe plus, c'est-à-dire qu'il n'y a pratiquement plus d'élèves qui entrent dans ce système. D'ici à cinq ou dix ans, le phénomène des enfants illégaux n'existera plus. Nous devons quand même trouver une solution pour résoudre le problème de ces enfants qui se trouvent dans ce système en cachette, qui se sentent

vraiment les victimes de la loi 101.

Lorsqu'on parle de droits linguistiques, nous voudrions aussi avoir le droit de communiquer avec des groupes d'origine italienne dans notre langue. Vous êtes vraiment le groupe qui devrait comprendre que nous aussi, les Italiens, voulons conserver notre langue d'origine, notre culture. Nous sommes très fiers de notre culture italienne. Ce que nous demandons à cette commission, c'est de reconnaître en effet qu'il existe au Québec, comme le disait le ministre tantôt, 80 groupes ethniques qui veulent aussi conserver leurs origines, leur culture sans pour autant s'empêcher de s'intégrer à la culture francophone du Québec. Il n'y a pas de conflit, il n'y a pas de contraste. Vous verrez que la grande majorité de la communauté italienne s'est bien intrégrée ici au Québec. Nous vous demandons d'avoir une certaine souplesse dans la loi afin d'éviter les frictions, afin d'éviter ce qu'on appelait ce matin les irritants. Nous sommes prêts, M. le Président, à répondre à vos questions.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Sciascia. M. le ministre.

M. Godin: M. le Président, M. Antonio Sciascia, que je rencontre toutes les semaines ou à peu près, et tous ceux qui vous accompagnent, vous avez d'abord raison de dire que la communauté italienne a été un peu prise entre l'arbre et l'écorce dans la question linguistique depuis quelques années au Québec, et on se souviendra que la loi 63 avait justement eu, dans la ville de "San Leonardo", qui est une ville plus italienne peut-être que Milan, des effets sociaux extrêmement désagréables pour tout le monde à l'époque. Vous êtes mieux placés que n'importe quelle communauté pour mesurer à quel point la question linguistique, pour les francophones du Québec, est une question délicate et qui va au coeur de leurs inquiétudes quant à leur avenir dans un continent qui n'est guère francophone et encore moins italien. Par ailleurs, je dois dire, à propos de certains passages de votre mémoire où vous dites que les autres langues que le français ne sont pas reconnues dans la charte, qu'au contraire, chaque fois que nous disons "toute autre langue" ou "une autre langue", cela couvre précisément les 80 langues dont nous parlons.

La communauté italienne du Québec, d'ailleurs, a retenu sa langue maternelle italienne plus fortement que toute autre communauté italienne du continent nord-américain. On peut donc dire que dans cette province de Québec, dans ce petit territoire, au fond, il y a quand même eu, j'imagine, puisque les résultats sont là pour le démontrer, un environnement propice au développement de l'italianité de ces Québécois qui sont venus de l'Italie depuis quelques générations et de leurs descendants ici au Québec. Je dois dire aussi que des 40 groupes, des 40 communautés culturelles qui, dans les écoles du samedi, suivent des cours dans leur langue maternelle, la communauté italienne est celle qui est la plus nombreuse à suivre ces cours qui permettent aux enfants italiens du Québec de garder leur langue, leur culture, d'apprendre l'histoire de leur pays, etc. La contribution de la communauté italienne est la plus importante et la contribution du gouvernement à ce programme - qui va à la communauté italienne - est également la plus importante. Il y a 5000 élèves sur 17 000, je pense, qui suivent des cours semblables. Le budget global de ce ministère que je dirige pour l'enseignement des langues des communautés culturelles aux écoles du samedi, qui était de 60 000 $ en 1972-1973, à l'époque de mon prédécesseur, Mme la députée de Chomedey, est maintenant rendu à 250 000 $ par année. Le nombre d'élèves est passé de 7900 en 1972-1973 à 18 000.

Donc, nous n'avons, au fond, que poursuivi dans la voie tracée par Mme Bacon, qui à l'époque était ministre de l'Immigration, et ses collègues qui l'ont précédée ou suivi à ce poste. Je trouve assez étonnant, M. Sciascia, que ces faits, qui sont connus de votre part aussi bien que de la nôtre, la vitalité, de dynamisme des Italiens de Montréal et du Québec, vous n'en fassiez pas écho. (15 h 45)

II y a également Italexporama dont vous avez parlé. Le gouvernement du Québec, depuis le début, est associé à cette exposition qui prend tellement d'ampleur que vous voilà maintenant sortis d'une salle trop petite à la Place Bonaventure et transférés dans notre Palais des congrès à tous, Montréalais et Québécois, qui pourra accueillir encore plus de monde pour voir la vitalité et le dynamisme de cette communauté. Je disais ce matin au maire Drapeau, vous étiez ici, que j'ai l'impression depuis, quelques années, que s'il y a au Québec des groupes qui ont agi, se sont comportés comme s'il n'y avait pas de crise économique au Québec c'étaient bien les Italiens, en particulier, qui ont continué à développer leurs entreprises, à développer leurs restaurants, à développer leurs activités économiques et à créer un autre dynamisme économique dans l'ensemble du Québec. Donc, on peut dire que vous avez été, pendant toute cette période, des modèles pour l'ensemble des Québécois, pour l'ensemble des communautés du Québec.

Je n'ai pas la même lecture sombre qui semble se dégager de votre mémoire. Et, je voudrais dire à M. de Michele que, quand vous dites que les tests s'appliquent seulement à ceux qui ont un nom à consonance bizarre ou étrangère, c'est

complètement faux. Cela s'applique en vertu de la fréquentation ou non du secteur anglophone. C'est ainsi qu'un ancien collègue, M. Oswald Parent, a été soumis à ces tests, ce qui illustre bien qu'ils ne sont nullement discriminatoires, mais qu'ils s'appliquent uniquement à ceux qui n'ont pas suivi au Québec des cours dans des commmissions scolaires de langue française.

Par ailleurs, sur ce point précis, M. de Michele, je vous dirai ceci: C'est l'un des points - celui de l'application ou de l'exemption de ces tests aux étudiants qui sortiraient du secteur anglais en ayant réussi un examen de français - sur lesquels le gouvernement va se pencher avec énormément d'attention. La décision du gouvernement de demander à l'office de vérifier quelques années plus tard si ses propres examens de français dans le secteur anglais sont valides me semble, à première vue, un peu illogique, un peu contradictoire. Puisque la responsabilité est entre les mains du ministère de l'Éducation, c'est à lui de faire son travail proprement; non pas à un autre organisme de vérifier quelques années après. Donc, sans vous annoncer de changement, sans même vous dire qu'il y en aura, je vous dis que c'est l'un des points sur lesquels le gouvernement se penchera avec énormément d'attention dans les semaines qui viennent, dès après cette commission parlementaire.

D'autre part, les banques, M. le président, ne sont pas soumises à la loi 101. Les banques relèvent de la loi fédérale et peuvent échapper à toute application de la loi 101. Alors, par conséquent, une banque qui s'afficherait Trust hellénique canadien, ou Canado Hellenic Trust - ou, en grec, je ne sais pas comment on dit cela - peut le faire. Une banque peut afficher dans la langue de sa clientèle.

Je vous demanderais votre opinion également, M. le président, sur l'article 62 de la loi 101 qui porte sur les établissements spécialisés dans la vente de produits typiques d'une nation étrangère, ou d'un groupe ethnique particulier. La loi dit que l'on peut afficher à la fois en français et dans la langue de cette nation, ou de ce groupe ethnique. Est-ce que cet article de la loi actuelle, qui date de six ans déjà, ne permet pas précisément à la communauté italienne de faire part, de montrer à l'ensemble des Québécois qui ne sont pas italiens leur présence ici d'une part, mais également de rejoindre leur clientèle italophone? Mon expérience personnelle, dans votre communauté et dans les nombreux restaurants italiens que je fréquente, et dans les nombreux commerces italiens d'ailleurs il n'y a pas seulement des restaurants, il y a beaucoup d'autres genres de commerces - j'ai rarement entendu dire que la loi 101, à cause de cet article, avait provoqué des problèmes de la gravité de ceux que vous évoquez.

En terminant, vous dites, M. de Michele, que "The name of the game is money". Nous sommes d'accord avec cela, jusqu'à un certain point, pour tout ce qui est commercial, pour tout ce qui est fabrication, pour tout ce qui est industrie et commerce, nous sommes d'accord avec ce principe. Dans le domaine culturel, mon ami le poète Filippo Salvatore, constatera peut-être comme moi que dans nos domaines respectifs de publication de poèmes "the name of the game is not always money".

Est-ce que vous voulez me dire par là que la loi vous interdit de communiquer en italien avec votre clientèle italophone? Est-ce que la loi vous interdit d'envoyer des catalogues, des dépliants, de la publicité en italien à votre clientèle anglophone et d'avoir dans votre établissement commercial des dépliants italiens? À ma connaissance, les règlements ne l'interdisent nullement. À ma connaissance la loi ne l'interdit nullement. J'aimerais que vous me précisiez dans quelles circonstances vous avez observé que la loi 101 vous empêchait de procéder à une publicité qui s'adresse à vos clientèles italienne ou autres? La clientèle qui va chez vous n'est pas seulement italophone. Toute autre langue est permise pour ce qui est de la publicité commerciale, imprimée, distribuée dans les lieux commerciaux ou expédiée par la poste.

Avant de conclure j'aimerais que vous me donniez une réponse à cette question.

M. de Michele: Lorsque j'ai fait mon affirmation, M. le ministre, je ne faisais pas nécessairement référence à la communauté italienne comme telle, puisqu'il n'y a rien qui nous empêche de communiquer entre deux commerçants italiens en italien. Par contre, vous devez certainement être au courant qu'une loi existe et que les règlements existent. Je faisais surtout allusion au secteur anglophone. À toutes fins utiles, présentement l'affichage anglophone au Québec est inexistant ou impossible. D'ailleurs, M. le maire, ce matin, a clairement indiqué la situation de la ville de Montréal qui représente au-delà de 50% de l'économie du Québec. C'est dans ce sens également.

J'ai fait également référence à l'Office de la langue française qui applique en partie la loi 101. J'ai eu un cas particulier il y a quelques années. Vous êtes sans doute au courant qu'il existe des marques de commerce qui ne peuvent pas être traduites. Il y a des noms qui ne peuvent pas être traduits de l'anglais au français. Il y a quelques années l'Office de la langue française nous avait demandé - là je parle d'une expérience tout à fait personnelle. Vous devez connaître la chaîne d'hôtels

Seaway qui existait. C'est une marque internationale comme les Holiday Inn et les Hilton et les autres, qui, à ce moment, par l'interprétation donnée par l'Office de la langue française, devait changer son nom pour "Hôtel-Motel Voie Maritime". Personne ne connaît ce nom. C'est la même chose que si on change le nom des Holiday Inn pour l'"Auberge des vacances". L'impact économique que cela peut avoir en ce qui a trait au domaine touristique peut être désastreux.

M. le ministre, ce matin on a donné des chiffres en ce qui concerne le tourisme au Québec en démontrant que le tourisme au Québec contrairement aux autres régions du Canada a augmenté et que nous sommes en avance sur la moyenne générale du Canada. Peut-être. Mais en fonction de la performance du dollar canadien par rapport au dollar américain, depuis les deux dernières années, ne seriez-vous pas d'accord pour dire: Etant donné l'attrait culturel, l'attrait francophone du Québec, que ces chiffres auraient du être de loin et de beaucoup supérieurs aux résultats donnés? Si dans un État comme les États-Unis d'Amérique on se fait une gloire de dire qu'ils ont une ville francophone comme cela a été mentionné ce matin, la Nouvelle-Orléans, nous, au Québec, l'industrie touristique devrait être une des industries premières. Si on veut attirer ces personnes il faut être en mesure de les accueillir. Si elles viennent ici et elles se trouvent dans un labyrinthe, puisqu'on ne peut pas s'attendre que ces gens parlent le français. On veut les accueillir, on veut communiquer avec eux. On veut qu'ils reviennent. D'où l'importance de l'affichage non pas seulement au sens strictement commercial mais l'affichage en général. On veut communiquer avec ces gens, on veut les attirer, on veut leur argent. C'est à nous à les attirer. C'est à nous à voir à ce que, quand ils viennent chez nous, ils nous comprennent. Autrement, ils ne reviendront pas. Aussi bien déménager Montréal à Niagara Falls comme on le disait ce matin, chose qui est impossible.

M. Godin: C'est le contraire que je proposais: qu'on amène Niagara Falls à Montréal.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: Une dernière intervention avant de donner la parole à M. Antonio Sciascia, qui a un commentaire à faire sur mes propos.

En tant que ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, nous avons chez nous un service des immigrants investisseurs qui nous met en contact avec des investisseurs d'une cinquantaine de pays.

Laissez-moi vous dire, Me de Michele, qu'un grand nombre de citoyens de pays européens qui viennent ici nous disent: On est tellement bien ici, il n'y a pas de règlements, par rapport à ce qu'ils ont dans leur pays d'origine: la Grèce, l'Italie, l'Allemagne, la France, la Belgique, la Suisse. Nous pensons qu'on a des règlements comme ce n'est pas possible, des tombereaux de règlements. Mais un paysan, un cultivateur français ou belge qui débarque ici se trouve presque, quant à lui, dans le paradis par rapport à la réglementation qu'il y a dans certains pays d'Europe, les problèmes du marché commun et d'autres semblables.

Je pense qu'on peut citer la phrase célèbre de Daniel Johnson, père, qui disait: "Quand je me regarde, je me désole, mais, quand je me compare, je me console." C'est le témoignage qui nous vient des immigrants qui investissent ici. Je vous répète qu'en huit ans il y a eu 500 000 000 $ qui ont été investis par les immigrants investisseurs au Québec qui ont créé des emplois, même en période de crise, alors que tout le monde, enfin bien des gens dans certaines communautés parlaient de partir. Beaucoup arrivaient et décidaient de venir ici parce qu'ils savaient qu'il y avait ici, dans le cas des Italiens, une communauté italienne forte dans laquelle ils pourraient trouver une espèce d'environnement favorable au maintien de leur propre culture, tout en étant en Amérique du Nord, tout en étant là où le dynamisme économique se trouve. Ils choisissaient le Québec en connaissance de cause, comme ils le font depuis que la loi 101 existe. Ceux qui viennent ici savent à quoi ils s'engagent au point de vue scolaire et à d'autres points de vue.

Votre communauté a été un partenaire essentiel du développement économique du Québec depuis de nombreuses années. Pour ces raisons, nous allons nous pencher avec une attention particulière sur les recommandations faites dans votre mémoire; aussi bien sur ce qui touche les tests et sur ce qui touche les illégaux que sur ce qui touche les sept points abordés dans votre mémoire. Nous espérons qu'à la fin de cette commission nous saurons donner satisfaction à quelques-unes de vos recommandations.

Je vous redonne la parole, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Sciascia.

M. Sciascia: M. le Président, M. le ministre, vous avez soulevé tellement de questions, il serait pratiquement impossible de vous répondre. Vous avez parlé de la performance économique de la communauté italienne du Québec. Je dois vous dire que les Italiens ne quittent pas facilement. Je

dois peut-être répondre de la même façon que le maire, M. Drapeau, l'a fait ce matin, d'une façon très brillante. Imaginez-vous, s'il n'y avait pas eu cet irritant de la loi 101, quel aurait été le résultat. On vous dit: II y a eu du progrès. Nous sommes tout à fait d'accord avec cela. Mais, par contre, vous devez parler à nos hommes d'affaires italiens pour voir exactement ce qu'ils pensent des aspects de la loi 101 dont on vous a fait part ce matin.

Je crois, M. le Président, qu'il faut quand même apporter certains assouplissements à cette loi afin de prendre en considération les opinions de ces hommes d'affaires qui ont tellement collaboré à l'économie du Québec. Vous avez parlé aussi... Je voudrais faire des corrections, lorsqu'on parle du trust italien, ce n'est pas une banque, cela ne relève pas du gouvernement fédéral, c'est une charte provinciale. L'affichage, c'est autre chose, c'est aussi une exclusivité de la province et non pas du fédéral. Je voudrais apporter ces corrections.

Vous avez parlé de la communication entre les Italiens, mais vous parlez de deux choses différentes. On peut très bien communiquer en faisant imprimer des brochures strictement en italien et les distribuer dans les magasins, mais on ne fait pas allusion à cela. On fait allusion à l'affichage public qu'on ne peut pas faire dans les deux langues. Il y a des exceptions dans la loi lorsque l'on parle des associations ou des groupes culturels. Mais on ne parle pas de cela, M. le ministre, on parle des commerçants qui veulent vendre leurs produits à des consommateurs. (16 heures)

Vous avez mentionné aussi l'article 62. M. Salvatore veut dire un mot à ce sujet.

Le Président (M. Gagnon): M. Salvatore.

M. Salvatore: M. le ministre, en tant que poète, cela me fait plaisir de voir qu'un ministre peut devenir poète au Québec.

M. Godin: À votre tour maintenant, la prochaine fois.

M. Salvatore: Donc, j'ai encore espoir dans ce pays, dans cette province de Québec, puisqu'un poète peut devenir ministre. Cependant, je tiens à vous faire remarquer deux choses: En fait, vous n'avez pas mentionné seulement les articles 61 et 62, mais aussi 59 et 60; il y a quatre exceptions à l'article 58. Or, que dit l'article 58? La charte interdit l'utilisation d'une langue autre dans l'affichage public. Évidemment, quelles sont les exceptions? Il y en a deux. À l'article 61, il y a l'exception qui limite à l'affichage, aux activités culturelles, à laquelle Me Sciascia faisait référence tandis que l'article 62 permet l'affichage dans une langue étrangère ou autre dans les établissements spécialisés en produits ethniques. Voilà donc le sens des exceptions. Mais même à l'article 62, il y a une exception à l'exception en fait, encore plus spécifique, parce que l'affichage est permis à l'intérieur. Quand vous dites "dans", selon l'interprétation donnée, cela signifie à l'intérieur et non pas à l'extérieur. Je me suis rendu compte de la vérité de cette interprétation en allant à Saint-Léonard. Qu'ai-je vu au coin de Jean-Talon et Viau? Maman Rosa Pizzeria. Savez-vous comment on a épelé "mamma"? Maman, pas Mamma Rosa. C'est un établissement qui sert des produits ethniques: la pizza évidemment, mais puisque probablement il y a plus que trois employés, on est obligé, selon la loi, d'afficher en français seulement. Voilà le type de tracasseries auxquelles nous faisons référence, M. le ministre... M. le Président, excusez-moi si je ne suis pas l'étiquette.

J'aimerais aussi faire une sorte de distinction entre ce que l'on appelle leur propre langue. Évidemment, il faut tenir compte du contexte dans lequel se trouve une communauté. La communauté italienne est au Québec depuis deux, trois et même quatre générations, dans certains cas. Donc, il faut quand même faire une distinction entre les membres de cette communauté. Quand on dit leur propre langue, on peut se référer aux gens qui sont arrivés ici il y a une génération et dont l'italien est la langue maternelle; par contre, il y a des gens de la deuxième ou de la troisième génération qui, eux, choisissent librement l'anglais comme langue maternelle. Le recensement de 1981 a démontré justement qu'il y a eu une baisse au sein de la communauté italienne d'à peu près 10 000 personnes parce que depuis une décennie, il y a un nombre de plus en plus important de gens d'origine italienne qui ont déclaré l'anglais ou le français comme langue maternelle. Cela dépend. Donc, quand on se sert de l'expression "leur propre langue", selon moi, cela devrait signifier la langue librement choisie, non seulement la langue, mais les langues, parce que je tiens à souligner que de toutes les communautés culturelles du Québec, la communauté italienne est celle qui probablement, en termes de pourcentage, est la plus bilingue -à nouveau je vous réfère au recensement de 1981. Donc prétendre que la communauté italienne s'anglicise ou qu'elle refuse de se servir du français comme langue d'usage, c'est faux. C'est l'image que certains médias d'information ont voulu corroborer, mais, selon nous, ce n'est pas aux organismes du gouvernement de dire: Puisque vous avez un nom d'origine italienne, vous êtes de langue maternelle italienne. Ce serait une sorte de dirigisme que nous n'acceptons pas, parce que l'on peut avoir un nom grec, italien,

arménien ou n'importe quoi et déclarer: La langue d'usage chez moi est l'anglais, donc je déclare que l'anglais est ma langue maternelle.

Il y a des cas comme celui-là sur lesquels je voulais attirer votre attention. Voilà.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Merci, M. le ministre. M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je veux remercier le Congrès national des Italo-Canadiens pour son mémoire. C'est une tâche assez difficile pour une minorité que de présenter son point de vue, ses préoccupations et d'essayer de les faire comprendre par les autres éléments de la société, parce qu'on a toujours le problème culturel, les traditions, les usages, les problèmes et les expériences qui sont vécus dans la minorité. Ce n'est pas toujours facile d'essayer de traduire ces problèmes pour qu'ils soient compris par les autres éléments de la société, par la majorité. Je voudrais féliciter les membres du congrès pour avoir entrepris cette tâche, qui est assez difficile.

Le ministre, M. le Président - et je dois essayer de clarifier certains des points qu'il a soulevés avant de passer aux questions que je voudrais poser à nos invités - souvent au cours de la journée a fait des affirmations. Je présume qu'il ne s'attend pas qu'on le corrige. Parfois si on ne le corrige pas, cela peut laisser une mauvaise impression, de fausses impressions ou des impressions incorrectes. Je pense bien que le ministre ne le fait pas volontairement. Il le fait d'après les renseignements qu'il a.

Quand le ministre affirme que la communauté italienne a conservé sa langue plus que toute autre communauté italienne du continent et quand il mentionne les investissements de la communauté italienne au Québec, je me demande où il prend ses données et je me demande aussi s'il sait... Cela, ce sont des articles de presse. On pourra vous en montrer d'autres. J'aurais cru que vous auriez peut-être eu une étude...

M. Godin: Montrez-les. Montrez-les.

M. Ciaccia: Non, mais quand on parle des investissements on dit: Bon, la communauté italienne au Québec, vous faites du progrès, etc., je pense que c'est un secret de polichinelle que la communauté italienne au Québec n'a pas eu la croissance de la communauté italienne, par exemple, de l'Ontario. Pourtant, au Québec, la communauté italienne est beaucoup plus vieille. Elle est une des communautés les plus anciennes au Canada, mais la croissance des immigrants se fait à Toronto. Quand on parle d'investissements, c'est beau de parler de petits restaurants qui agrandissent ou qui ouvrent leurs portes, de plus en plus nombreux, d'autres petits commerces de commerçants italiens, mais il faut aussi regarder les grandes entreprises d'origine italienne et les difficultés qu'elles ont avec la loi 101, tout en voulant franciser leur entreprise, tout en voulant se conformer à la loi 101, les difficultés qu'elles ont pour attirer d'autres capitaux, d'autres investissements. Elles ont les difficultés - ce n'est pas parce qu'elles sont d'origine italienne - que la chambre de commerce est venue souligner, les difficultés que le maire de Montréal est venu souligner ce matin, les mêmes.

À un moment donné, il y a des problèmes communs. Ce n'est pas parce que c'est la communauté italienne qui les soulève; ce sont des problèmes qui existent dans l'ensemble de la population. Il ne s'agit pas de tomber dans le piège du ministre sur la question de langue, de dire: Le français équivaut au chômage et l'anglais équivaut... Pas du tout. Ce n'est pas du tout ce qu'on dit, mais qu'il y a des difficultés qui causent des problèmes. C'est là le seul but. Il ne faudrait pas les éviter. Il ne faudrait pas essayer de détourner les discussions pour faire dire des choses que ni les intervenants, ni les membres de ce côté-ci de la table de la commission parlementaire ne disent.

Voici ma première question à M. Sciascia ou à un autre intervenant membre du Congrès national des Italo-canadiens. Vous avez soulevé une série de problèmes. Est-ce que ce sont des problèmes qui affectent particulièrement la communauté italienne, ou est-ce que ce sont d'autres problèmes? Pourquoi, à ce moment-ci, avez-vous soulevé ces problèmes? Si je remarque les autres mémoires que vous avez soumis à des commissions parlementaires sur d'autres législations linguistiques, ils étaient plutôt d'ordre général. Cette fois-ci ils sont assez spécifiques.

M. Sciascia: M. le Président, je crois que le temps est vraiment venu de prendre position. Nous avons le Québec à coeur. Nous souhaitons le progrès économique, social et culturel du Québec. Le congrès, dans le passé, a toujours pris position pour protéger et défendre les intérêts de la communauté italienne. À ce moment-ci de l'histoire du Québec, tous les points que nous soulevons dans notre mémoire touchent directement l'intérêt de la communauté italienne. Par exemple, si on parle des enfants victimes de la loi 101, de la question de l'affichage et de tous les points soulevés dans notre mémoire, ce sont tous des points qui sont devenus assez importants et qui troublent notre communauté. Ce n'est pas nécessairement, M. le député de Mont-Royal, qu'ils touchent et troublent seulement la communauté italienne. Je pense qu'en général

ce sont des problèmes qui touchent à peu près toutes les autres communautés ethniques dans le Québec.

Personnellement, on a des relations très étroites avec les autres groupes ethniques. Nous sommes en train de travailler ensemble sur d'autres projets avec les groupes ethniques, surtout le projet du gouvernement en ce qui a trait à l'égalité en emploi. Nous sommes en train d'organiser tous les groupes ethniques minoritaires afin de prendre une position commune sur ce sujet. Je me rends compte que les problèmes que nous avons soulevés existent pour toutes les communautés ethniques minoritaires au Québec. C'est pour cela que le congrès, à ce stade-ci, a décidé d'aller au-delà de simplement prendre une position sur la question linguistique, sur la question des victimes de la loi 101, les enfants.

M. Ciaccia: Sur la question des soi-disant illégaux, si je comprends bien, votre position est de demander l'amnistie pour ces enfants. Est-ce que je comprends bien que si la loi n'avait pas eu d'effet rétroactif, autrement dit si la loi avait explicité qu'elle s'appliquerait à tous ceux d'origine italienne, grecque, qui viendraient au Québec après que la loi eut été promulguée, dans ce cas il n'y aurait pas eu de problème des illégaux?

M. Sciascia: Je réfère la question à M. Taddeo.

M. Taddeo: II y a deux volets. Premièrement, on ne s'entend pas sur le thème rétroactif. C'est un mot qui fait partie du débat linguistique depuis 1970. Vous n'avez qu'à jeter un coup d'oeil sur le mémoire de la CSN à la commission Gendron qui, en 1970, demandait à la commission d'adopter une politique linguistique en ce qui avait trait à l'éducation mais qui demandait d'une façon spéciale que la loi ne soit pas rétroactive, c'est-à-dire qu'elle n'affecte pas les enfants, de quelque origine qu'ils soient, qui habitaient le Québec au moment de son adoption. En 1974 le mot rétroactif est revenu à la surface mais pas avec la même interprétation. Mais si on tient cette interprétation de rétroactivité, par le sondage qu'on a fait l'an dernier il est évident- que, parmi les soi-disant illégaux, 100% sont nés au Québec c'est-à-dire qu'ils sont des citoyens québécois et canadiens. Leurs familles sont ici à 40% depuis 10 ans. Ajoutez à cela 15% qui sont ici depuis au moins 15 ans, c'est-à-dire que parmi les familles qui ont des enfants à l'école anglaise non officiellement inscrits, 70% des familles sont ici au Québec depuis au moins 10 ans, sinon plus. Quant à nous, ces familles ont écopé des conséquences psychologiques surtout et sociologiques de l'application des lois linguistiques, les lois 22 et 101. En ce qui nous concerne, ce débat est clos. Les écoles anglaises, à notre connaissance, n'acceptent plus d'enfants "illégaux" depuis trois ans. Ce que nous demandons c'est que, pour ceux qui sont là depuis trois ans ou depuis sept ans, le gouvernement fasse ce qu'il a fait par le passé, c'est-à-dire accorder à ces enfants l'amnistie totale.

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Deux autres questions, si le président me le permet. Est-ce qu'il y a d'autres difficultés? Par exemple, selon l'article 80 de la loi, les enfants présentant des difficultés graves d'apprentissage doivent être exemptés de l'application du présent chapitre. Le gouvernement peut, par règlement, définir les catégories d'enfants visées à l'alinéa précédent. Est-ce que cet article cause des problèmes dans la communauté?

M. Taddeo: Vous avez cet article et l'article 73 qui posent des problèmes dans la façon de les appliquer. Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu'on peut appliquer une loi de deux façons, soit une façon rigide ou une façon humaine et souple.

Vous avez autour de la table deux personnes qui étaient commissaires à la CECM, en 1974-1975, lorsqu'une loi beaucoup plus difficile d'application a été mise en vigueur, soit la loi 22. Les critères d'admission étaient l'accès à l'école anglaise pour ceux qui avaient une connaissance suffisante de l'anglais. La CECM, avec l'accord des deux personnes qui sont là, a décidé de faire venir devant elle les enfants avec leur famille, afin de constater si oui ou non l'enfant possédait une connaissance adéquate de la langue d'enseignement et constatait si oui ou non les enfants avaient des frères ou des soeurs à l'école anglaise. C'est une façon souple et humaine d'appliquer une loi.

En ce qui a trait à la loi 101, vous avez des gens qui travaillent pour le ministère de l'Éducation, qui reçoivent un formulaire. Si le formulaire indique que l'enfant ou les parents n'ont pas fait six ans d'études à l'élémentaire au Québec, c'est fini, final; allez en appel. Il n'y a aucun effort pour appliquer la loi avec souplesse et ouverture d'esprit.

En effet, l'article 83, si vous avez dans une famille, un enfant qui a une anomalie, la situation est la suivante: on accorde à l'enfant la permission de fréquenter l'école anglaise parce que l'enfant souffre de difficultés d'apprentissage, mais ses frères ou soeurs qui pourraient l'aider à l'école anglaise, eux, qui sont normaux mais qui ne répondent pas aux autres critères de la loi,

doivent fréquenter l'école française.

M. Ciaccia: On revient à un vieux problème de division dans les familles.

M. Taddeo: C'est la division de la famille avec l'enfant qui a des difficultés d'apprentissage à l'école anglaise et ceux qui ne l'ont pas et qui sont à l'école française.

Le Président (M. Gagnon): Merci.

M. Salvatore: Un autre exemple, M. Ciaccia. Prenez ma famille. Ma soeur cadette, qui est arrivée ici très jeune, a fréquenté l'école élémentaire anglaise à l'époque et ses enfants ont le droit de fréquenter l'école anglaise. Moi, puisque j'étais un peu plus âgé et que je n'ai pas fréquenté toute l'école élémentaire au Québec, je n'ai pas le droit. Donc, il y a une division de la famille. Quand mes enfants et les enfants de ma soeur se réunissent chez nous, c'est vraiment une sorte de tour de Babel, parce qu'on ne sait pas dans quelle langue on doit communiquer. D'habitude nous communiquons dans notre dialecte maternel, mais s'ils doivent communiquer dans une des langues officielles du pays, c'est vraiment impossible, parce que mes enfants parlent le français et les enfants de ma soeur parlent l'anglais. C'est un exemple typique des effets rétroactifs de la loi 101.

M. Ciaccia: M. Salvatore, quand vous avez dit qu'il y a encore espoir quand un poète peut devenir ministre, vous, comme poète, dans quelle langue écrivez-vous vos poèmes?

M. Fortier: En jouai ou en français?

M. Salvatore: J'écris en français, en anglais et en italien, dans les trois langues.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Bourassa, en vous rappelant qu'il reste très peu de temps à votre formation politique.

M. Laplante: Merci, M. le Président. Je voudrais souhaiter la bienvenue aux membres du congrès que je connais bien. Vous savez sans doute que j'ai une importante population de votre communauté dans mon comté et j'ai appris à connaître la communauté italienne bien avant d'être député. D'ailleurs, avec M. Taddeo, je pense qu'on s'était sensibilisé, au temps où nous étions commissaires d'écoles, justement à la loi 22 où il y avait une discrimination. Il n'y avait pas de respect de la famille par les tests. Il y avait une division de la famille à ce moment-là et on avait fait équipe ensemble pour essayer d'avoir à juste titre ce que je crois encore aujourd'hui une amélioration à la loi 22.

M. le député de Mont-Royal parlait tout à l'heure d'économie, que les gens avaient peut-être peur d'investir, mais l'effet qui se produit dans la communauté italienne chez nous, c'est que, dans le plus dur de la crise qu'on vient de passer, un seul homme d'affaires de la communauté italienne a investi pour 50 000 000 $ de construction chez nous, dans le plus dur de tout. Le temps était des plus risqués. Je peux lui rendre hommage. Il a bien planifié. Actuellement, il serait prêt à réinvestir 100 000 000 $ si on avait des terrains à lui fournir dans Montréal-Nord. Malheureusement, la ville est presque entièrement construite. On n'a pas d'autres terrains à lui offrir pour garder cet investisseur chez nous.

Passons maintenant aux questions. Vous dites en quoi la Charte de la langue française a eu des conséquences particulières sur vous, la communauté d'origine italienne. Vous semblez croire que votre communauté a été traitée de façon différente des autres dans l'application de la charte lorsque vous déclarez à la page 3: "La loi 101 est une loi très puissante qui est parfois appliquée sur un groupe particulier avec un esprit vindicatif." Si je vous donne comme référence une institution de votre communauté que vous connaissez très bien, l'hôpital Santa Cabrini, qui a reçu son certificat de francisation et qui fonctionne aujourd'hui en français et en italien, ne serait-ce pas une preuve du contraire actuellement?

M. Sciascia: Lorsque vous faites allusion à ce paragraphe de notre mémoire, le groupe visé n'est pas nécessairement la communauté italienne. Lorsqu'on parle de l'interprétation de la loi d'une façon puissante, on fait surtout allusion dans ce paragraphe à la manière dont cette loi a été appliquée lorsqu'on parle du groupe anglophone, par exemple. Je crois que, dans l'interprétation et dans l'application de cette loi, il y a eu une injustice flagrante dans la manière avec laquelle les représentants de l'office ont procédé à l'enlèvement de l'affichage en anglais. Je dois vous dire, M. Laplante, que les mêmes personnes n'ont pas procédé de la même manière avec la communauté italienne. D'un côté, nous en sommes fiers, mais nous avons peur que cette manière d'agir puisse aussi se propager dans les autres communautés. C'est pour cette raison que lorsque nous faisons allusion à la manière dont cette loi a été appliquée, avec un esprit de vengeance vis-à-vis d'un certain groupe en particulier, nous ne voulons pas dire le groupe italien du Québec. L'allusion que nous faisons dans ce paragraphe concerne justement le groupe anglophone.

M. Laplante: Cela ne m'entre pas dans la tête, un mémoire du Congrès national des

Italo-Canadiens qui vient prendre la défense des droits culturels de la communauté italienne et qui élargit jusque-là.

M. Sciascia: Je vous donne comme référence ce qui se produit actuellement au Manitoba.

M. Laplante: Comme on n'a pas tellement de...

Le Président (M. Gagnon): Excusez-moi, M. le député. On va laisser M. Sciascia...

M. Sciascia: M. Laplante, tous les groupes minoritaires sont à la défense de la communauté francophone de Winnipeg. Vous savez cela, n'est-ce pas? Ne vous étonnez pas si les autres groupes ethniques, à un moment donné, se sentent visés par la manière dont la loi est appliquée vis-à-vis d'un groupe en particulier. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous n'avons pas mentionné le mot "anglais", mais on s'attendait naturellement à une question sur ce paragraphe.

M. Laplante: Vous recommandez aussi l'abolition du chapitre V - oui, il pourra enchaîner après - de la charte qui traite des infractions. Pourriez-vous, en tout cas, me dire par quelles garanties la loi serait respectée, ce qu'on peut faire s'il n'y a pas de peine encourue pour la non-application de la loi? Vous la remplacez par quoi?

M. Salvatore: Voilà. Je faisais référence à l'article 208. En fait, les sanctions appliquées par la Commission de surveillance de la langue française, légalement parlant, ne sont pas pénales mais civiles. Je tiens bien à faire la distinction. Par contre, étrangement, on retrouve l'article 208, au paragraphe qui s'intitule "Infractions et Peines", n'est-ce-pas?

M. Laplante: D'accord.

M. Salvatore: Or, je ne connais pas la logique du législateur. Si les sanctions ne sont pénales, pourquoi avoir inséré ces articles dans le paragraphe qui s'intitule "Infractions et Peines"? Une erreur de définition me semble donc avoir été commise par le législateur, d'un côté. D'accord?

M. Laplante: En somme, vous êtes d'accord pour qu'il y ait des sanctions quand même.

M. Sciascia: M. Laplante, la solution que nous avons - je n'ai pas compris votre question plus tôt, je m'en excuse - c'est ce que nous allons vous suggérer. Si vous voulez éviter les sanctions pénales, il faut prendre connaissance de la Loi sur la protection du consommateur. Vous verrez qu'il est prévu dans cette loi un recours pour l'exécution du jugement comme nous en avons un dans le droit civil, c'est-à-dire par la saisie des meubles ou par la saisie des salaires, au lieu d'incarcérer les gens qui refusent de payer une amende suite à une infraction à la loi 101. Cela nous semblerait plus humain que la sanction soit civile plutôt que pénale, tel que prévu dans la loi 101.

M. Laplante: D'accord.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Bien, une couple-Le Président (M. Gagnon): Bien, une couple, je vous ferai remarquer qu'on a dépassé largement le temps, M. le député de Bourassa, et d'autres m'ont demandé la parole.

M. Laplante: Encore une.

Le Président (M. Gagnon): Seulement une très courte.

M. Laplante: Vous attribuez à certains articles de la charte - notamment à ceux qui traitent de la langue de l'affichage public, de l'enseignement, des exigences linguistiques pour les membres des ordres professionnels -le fait d'avoir empiré la situation économique du Québec. C'est le texte que vous donnez. J'aimerais, à la suite de ces affirmations, que vous nous en fassiez la preuve. Actuellement, s'il y avait eu absence de la loi 101, est-ce que cela aurait empêché le Québec de subir une crise économique qui s'est d'ailleurs manifestée un peu partout dans le monde? Avez-vous des chiffres à nous fournir là-dessus?

M. Sciascia: La question me semble très hypothétique. Je ne voudrais même pas répondre à une telle question.

M. Laplante: Oui, mais vous la posez dans un cadre hypothétique aussi. C'est pour cela que je vous demande des chiffres là-dessus. Qu'est-ce qui vous fait dire cela?

M. Sciascia: C'est justement. Je pense que le président est très pressé à cause du temps.

Le Président (M. Gagnon): Oui.

M. Sciascia: On pourrait se parler après la présentation du mémoire.

Le Président (M. Gagnon): Vous aurez l'occasion d'y revenir. Je vais donner la parole à Mme la députée de Chomedey.

Mme Bacon: M. le Président, je vais essayer d'être assez brève. Vous indiquez, M. Sciascia, que vos recommandations à cette commission parlementaire sont d'ordre général mais il me semble qu'on doive être d'accord que c'est assez spécifique dans les recommandations que vous nous faites. À la page 5 de votre mémoire, vous indiquez qu'il faudrait en fait presque réduire l'appareil bureaucratique et je pense que cela revient dans d'autres sections de votre mémoire. Est-ce que vous avez là-dessus une recommandation bien spécifique à faire? Est-ce qu'il y a une branche de l'appareil bureaucratique qui, selon vous, devrait disparaître?

M. Sciascia: Je pense que presque tous nos organismes, nous en avions six je pense, s'occupent de l'application de la loi 101. Et, ce que nous préférions, c'est que dans les organismes où des gens en place sont déjà tenus de faire appliquer les diverses lois ou divers règlements, le gouvernement devrait considérer de laisser à ces organismes le devoir de suivre l'application de la loi 101. (16 h 30)

En principe, nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire d'avoir, par exemple, une Commission de la langue française ou d'avoir des inspecteurs qui se promènent partout et qui créent cet esprit de friction entre les groupes. C'est, je crois, la seule loi au Québec dans laquelle on prévoit une espèce de bureau de surveillance, un strict contrôle de certaines activités des Québécois. Je pense que c'est choquant pour les Québécois en général; je pense que c'est choquant surtout - on représente les Italiens - pour les Italiens. (16 h 30)

Voici ce que nous suggérons, pour plaire au gouvernement. Si c'est trop demander d'abolir ces divers organismes, qu'on n'en garde qu'un. On va ainsi économiser de l'argent. On se plaint de la crise économique. Nous suggérons donc un organisme qui verrait à ce que le fait français au Québec soit respecté.

Le Président (M. Gagnon): M. Salvatore, vous aviez demandé la parole.

M. Salvatore: Oui, j'aimerais préciser davantage la pensée de Me Sciascia et dire qu'actuellement, il y a trois organismes qui s'occupent de l'application de la loi 101: l'Office de la langue française, le Conseil de la langue française et la Commission de surveillance de la langue française. J'ai moi-même fait partie pendant deux ans du Conseil de la langue française. Il est composé de douze personnes qui doivent voir à l'application de la loi, qui doivent veiller à la qualité de la langue française au Québec. L'élément inacceptable dans toute cette histoire reste la Commission de surveillance de la langue française.

Je tiens à rappeler les chicanes internes qui ont eu lieu au sein de cet organisme. Il y avait une différence entre l'interprétation que le président de la Commission de surveillance de la langue française donnait de son rôle et le rôle que les commissaires enquêteurs s'étaient donné. Les commissaires enquêteurs voulaient recueillir les plaintes des citoyens pour faire une sorte de gestapo civile. Eux, une fois qu'ils recevaient la plainte, pouvaient mettre au mur les petits commerçants qui ne respectaient pas à la lettre la loi 101. Je crois que dans un pays démocratique un tel fonctionnement est absolument inacceptable. La Commission de surveillance de la langue française, étant donné l'affirmation péremptoire du fait français, est désormais inutile; donc, il faudrait l'éliminer.

En ce qui concerne le Conseil de la langue française, je me demande quelle est l'utilité de ce conseil, en toute sincérité. Ce conseil fait des recommandations au ministre et, très souvent, les recommandations que le conseil formule ou qui sont formulées par des spécialistes qu'il engage tendent à être assez biaisées, dans une optique politique spécifique, c'est-à-dire qu'on prend la loi 101 comme une espèce de vache sacrée. Tout ce qui se passe autour, dans la société, qui ne se rattache pas de façon précise aux modalités de la loi 101, est considéré comme un anathème. Très souvent, même les études que le Conseil de la langue française fait faire par des experts... Je pense, par exemple, aux derniers sondages, aux dernières études faites par Claude Castonguay. En toute sincérité, si on veut être vraiment sérieux dans la façon d'interpréter les données, on ne peut arriver à des conclusions aussi absurdes - j'ai hésité à employer ce mot - que celles auxquelles M. Castonguay est arrivé. Si le Conseil de la langue française arrive avec des études de ce niveau intellectuel, de cette validité scientifique, je me demande quelle est l'utilité de ce conseil.

Mme Bacon: M. le Président, juste quelques questions. Au chapitre de l'admissibilité à l'école anglaise, vous indiquez que pour toute loi il doit y avoir une période de transition. Est-ce que vous aviez envisagé cette période?

Le Président (M. Gagnon): M. Sciascia.

Mme Bacon: Pourriez-vous préciser cela?

M. Taddeo: Quant à nous, la période de transition, elle est plus ou moins révolue. Elle s'appliquerait surtout aux enfants qui se trouvent actuellement dans des écoles

anglaises, non officiellement inscrits. Je crois que la communauté connaît la situation depuis 1975. Ceux qui ont pu et voulu s'adapter l'ont fait. J'aimerais qu'on puisse fermer ce chapitre dans l'histoire du Québec et de notre communauté en accordant l'amnistie aux enfants qui sont actuellement dans les écoles anglaises.

Une voix: On doit dire aussi... Mme Bacon: Juste...

Le Président (M. Gagnon): Si vous voulez, il faudrait tenter d'être un peu plus court dans les réponses; on a réellement dépassé notre temps et il y a d'autres groupes à entendre.

M. Sciascia.

Mme Bacon: Mes questions ne sont pas longues, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Non, les questions ne sont pas trop longues.

M. Sciascia: Pour répondre à la même question, je voudrais dire aussi que ce serait une occasion excellente pour ce gouvernement de démontrer l'ouverture dont vous parlez assez souvent, M. le ministre, et dont vous avez fait preuve assez souvent par votre participation au sein des communautés culturelles.

En effet les frères et soeurs qui restent encore, qui ne font pas partie du système scolaire, nous avons fait un sondage l'année dernière et il en restait environ 90. La période de transition est désormais caduque parce que pour ces enfants qui sont déjà dans le système, ainsi que leurs frères et soeurs qui ne sont pas encore dans le système - il y en a à peu près 90 - une amnistie générale est accordée. Si leur statut est réglé le problème des soi-disant illégaux est réglé. Je dois souligner au gouvernement qu'il a déjà démontré une espèce de générosité dans le cas des immigrants illégaux au Québec lorsque, il y a quelques années, il a accordé une amnistie générale. Il y a aussi le cas du saccage des syndicats à qui le gouvernement a aussi accordé une amnistie. Le gouvernement a refusé de porter plainte au criminel.

Pourquoi, dans le cas des enfants qui sont strictement des victimes, qui n'ont aucune faute dans toute cette histoire parce que la faute se trouve ailleurs, cette réticence à régler ce problème qui persiste maintenant depuis sept ans?

Mme Bacon: Une dernière question très courte, M. le Président. Au chapitre de l'enseignement de l'anglais langue seconde, par exemple, est-ce que vous préconisez l'enseignement de la langue seconde à la première, deuxième, troisième ou quatrième année? Pourriez-vous nous dire comment vous envisagez cela?

M. Taddeo: C'est un débat qui existe au moins depuis 1924, si vous lisez les procès-verbaux de la CECM. Je doute que je puisse le résoudre aujourd'hui. Il s'agit surtout d'un enseignement de qualité, c'est-à-dire de s'assurer que les gens qui enseignent l'anglais langue seconde, tant aux secteurs élémentaire que secondaire de la CECM, soient qualifiés.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Merci Mme la députée de Chomedy. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Je veux simplement remercier les membres du Congrès national des Italo-Canadiens de leur contribution à nos travaux. Soyez assurés que, nonobstant le fait que le temps ne nous permet pas de vous poser toutes les questions que nous aimerions vous poser, il est certain que les contacts entre nous demeureront ce qu'ils ont toujours été pour le plus grand bien non seulement de votre communauté mais de l'ensemble de la société québécoise.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Gatineau. M. le ministre.

M. Godin: Deux très brèves choses, M. Sciascia. J'ai vu des gens qui se promenaient avec ce collant: C'était en Italie. Il y a un poste de radio à Milan qui s'appelle le poste 101. Je pensais que les Italiens de Montréal avaient décidé, de retour chez eux ou de passage en vacances chez eux, de faire la publicité d'une loi du gouvernement du Québec. Mais il n'en était rien. Cela m'aurait beaucoup surpris d'ailleurs.

Deuxièmement, ma soeur Mireille a épousé M. Harry Jennings et elle s'appelle maintenant Mrs Harry Jennings. Ses enfants sont bilingues, les miens le sont aussi dans deux systèmes scolaires différents, l'un français et l'autre anglais. Quand nous nous voyons aux fêtes il n'y a pas de tension ni de traumatisme dont je puisse faire état ici. Je voulais juste vous dire cela comme expérience personnelle d'une famille qui prie, qui est unie et qui parle plusieurs langues. Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci au Congrès national des Italo-Canadiens de votre participation à cette commission.

M. Sciascia: Merci, M. le Président et merci aux membres de cette commission.

Le Président (M. Gagnon): Merci beaucoup. J'invite maintenant le Conseil des

activités italo-québécoises.

Vous êtes M. Luigi Galante?

Conseil des activités italo-québécoises

M. Galante (Luigi): C'est cela. Mon nom est Luigi Galante et j'aimerais présenter tout d'abord M. Adrien Lemelin, trésorier du Conseil des activités italo-québécoises, et M. Carmine Ciccarelli, membre du Conseil des activités italo-québécoises,

M. le Président, je représente une association qui a pour but d'harmoniser les rapports entre Québécois francophones et italophones et d'intensifier les échanges entre eux.

Conscients de l'importance du débat pour notre société en général, pour nos membres en particulier, puisque ces derniers sont issus en grande majorité des communautés italienne et française, nous avons décidé de nous présenter devant cette commission pour exposer notre opinion.

Depuis notre incorporation en 1981, nos activités dans les communautés italienne et française nous ont permis de constater qu'une grande partie des citoyens de ces deux communautés partagent les positions que nous vous présentons aujourd'hui.

Comme association, nous avons concentré nos efforts dans la cité de Saint-Léonard, en banlieue de Montréal. Nous croyons avoir fait oeuvre utile en participant à plusieurs activités. Par exemple: le projet d'alphabétisation Alpha et le marathon de Saint-Léonard. Nous avons aussi réalisé différents projets. En particulier, nous avons organisé dans notre municipalité les festivités de la fête nationale du Québec en 1982 et 1983. Cette occasion de rapprochement entre nos deux communautés a permis à des milliers de Québécois francophones et italophones de fraterniser tout en s'amusant ferme. Le grand succès remporté par la fête, cette année, a valu à notre organisme une résolution unanime de félicitations de la part du conseil municipal de Saint-Léonard.

Nous croyons que cet événement illustre l'amélioration du climat entre les deux grandes communautés depuis quelques années et souligne le contraste entre la situation actuelle et celle qui prévalait il n'y a pas si longtemps.

Bien sûr, Saint-Léonard rappelle aux yeux de plusieurs Québécois les conflits qui amenèrent tout d'abord la loi 63, la loi 22 et, enfin, la loi 101. Saint-Léonard représentait le fer de lance de certains intérêts anglophones dans leur combat contre les francophones et je n'hésite pas à dire que nous avons été, à l'époque, le jouet de forces qui nous dépassaient et d'intérêts qui n'étaient pas les nôtres.

Dans les années cinquante et soixante, c'est un fait que la plupart des immigrants de toutes origines s'anglicisèrent. La communauté francophone n'est cependant pas sans responsabilités dans cette évolution: le laisser-faire de ses dirigeants politiques a pesé très lourd dans cette tendance. La langue de travail a également joué un rôle majeur. Mais il faut aussi rappeler la manie qu'avaient et qu'ont encore beaucoup de Québécois d'utiliser systématiquement l'anglais dans leurs rapports avec les anglophones et les membres des autres minorités. Finalement, le bilinguisme du gouvernement québécois à cette époque et l'affichage commercial bilingue ont eu un impact fatal, car ils installaient un doute dans notre esprit quant au caractère et à l'avenir linguistique du Québec et quant à la volonté des Québécois eux-mêmes de vivre en français. En cas de doute, on choisit l'éventualité la plus sûre et, comme l'anglais est la langue du reste de l'Amérique du Nord, il est bien évident de conclure.

La loi 22 fut une tentative bien intentionnée, mais extrêmement maladroite de corriger le problème. Les tests linguistiques dont plusieurs intervenants avant moi ont fait mention étaient odieux pour tout le monde et créèrent beaucoup d'injustice et de traumatisme dans notre communauté. La loi permettait aussi l'usage général de l'anglais, à côté du français, dans l'affichage. Donc, encore une fois, le doute subsistait pour tout immigrant qui arrivait au Québec.

La loi 101 est venue corriger ces deux défauts majeurs. La clause Québec place toutes les familles qui arrivent au Québec sur un pied d'égalité, alors que la loi 22 créait plusieurs catégories de citoyens.

M. Godin: La loi 22.

M. Galante: Oui, la loi 22. La réciprocité fut offerte aux autres provinces. Le gouvernement québécois a fait transformer la clause Québec, qui exigeait qu'au moins un des parents ait lui-même fait ses études élémentaires en anglais au Québec, en une clause Canada dont on parle abondamment et qui exige qu'un des parents ait fait ses études élémentaires en anglais au Canada. Cette offre conciliante du Québec fut rejetée. Avec la loi 101, un mouvement qui était timide au début et qui s'est accentué avec la réélection du présent gouvernement, laquelle confirmait le choix linguistique des Québécois, s'est amorcé dans la communauté italienne. La langue de travail étant maintenant le français, ils choisiraient le français, ils choisiraient le français, parce qu'ils se doteraient de la clef dont tout citoyen désireux de vivre au Québec aurait besoin. (16 h 45)

II faut maintenant passer à la primauté du français, et ceci, un grand nombre de la

communauté italienne l'a fait ou s'apprête à le faire. Quant à nous, du Conseil des activités italo-québécoises Inc., nous l'avons fait, et je crois que notre position aujourd'hui découle de ce principe.

Voici nos recommandations. La Charte de la langue française proclame le droit des Québécois à être servis en français et à travailler dans cette langue. Nous croyons que ceci devrait être maintenu, mais le critère s'appliquant au "degré de connaissance" requis pour les institutions publiques à clientèle majoritairement anglophone devrait s'inscrire dans la tradition tolérante qui a caractérisé jusqu'ici l'application de la charte.

Nous faisons appel, M. le Président, à la même générosité pour les travailleurs dont l'avenir professionnel pourrait être menacé, parce qu'ils n'ont pu, dans les délais de cinq ans prévus par la loi, apprendre suffisamment le français. Nous croyons qu'une prolongation des délais servira beaucoup mieux les buts visés par la charte qu'une application rigide de la loi.

Nous aimerions aussi que la communauté italienne puisse être mieux représentée dans les secteurs public et parapublic. Nous savons que dans le plan d'action actuel pour les communautés culturelles, un chapitre est consacré à ce sujet, mais nous aimerions qu'une amélioration concrète notable puisse être enregistrée.

Quant à l'essentiel de la loi 101, n'y touchons pas présentement quant à son contenu et quant à l'essentiel, mais restons souples dans son application, prolongeons les échéanciers, protégeons les emplois là où ils pourraient être menacés, restons fermes sur les principes et soyons humains quant à leur application.

Il ne faut surtout pas toucher à l'article du chapitre premier qui proclame que le français est la seule langue officielle du Québec, ni à celui sur l'affichage qui donne au Québec un visage français et non pas bilingue, car les acquis dans la communauté sont extrêmement fragiles - je pourrais vous donner beaucoup d'exemples -et la moindre hésitation au stade actuel ferait que des milliers de Québécois d'origine italienne s'interrogeraient sur la volonté bien arrêtée des Québécois francophones de faire du Québec un Québec irrémédiablement français.

Nous aurions pu revoir la loi chapitre par chapitre, article par article et y apporter nos commentaires, mais nous avons préféré manifester notre appui à l'ensemble de la Charte de la langue française qui, d'après nous, est garante de la paix sociale au Québec.

Voilà, M. le Président, l'essentiel de notre position. L'avenir de la francisation reste fragile à ce stade-ci. Il faut être déterminé à maintenir et à développer le caractère français du Québec et, d'après nous, la Charte de la langue française est la manifestation tangible de cette volonté. Il faut que nos enfants - c'est très important pour nous - puissent être certains que, s'ils choisissent le français aujourd'hui - plusieurs d'entre eux ont eu une transition à faire -ce ne sera pas seulement l'outil indispensable pour maintenant, mais aussi pour l'avenir.

Les rapports de force en Amérique du Nord sont tels qu'il faudra toujours rester vigilant.

M. le Président, 27 années de vie au Québec m'ont convaincu que la majorité québécoise peut être accueillante et généreuse envers ses minorités, mais je suis également convaincu qu'elle le restera uniquement si elle est rassurée quant à sa propre survie et son propre épanouissement.

Nous vous remercions d'avoir bien voulu nous entendre et nous vous prions d'agréer, M. le Président, mesdames et messieurs, l'assurance de notre considération.

Le Président (M. Laplante): Merci, M. Galante. M. le ministre.

M. Godin: M. le président du Conseil des activités italo-québécoises, MM. Lemelin et Ciccarelli, merci de nous faire part de vos expériences en tant que témoins privilégiés et, je dirais, témoins qui ont été au centre de la question linguistique au Québec, depuis 27 ans que vous êtes ici, M. Galante, ainsi que vos deux compagnons.

Première question: après avoir vécu les trois lois linguistiques, les lois 63, 22 et 101, après avoir vécu cette transformation de l'intérieur même de la communauté italienne, diriez-vous que nous avons atteint présentement un climat de relative paix linguistique dans les rapports des Italiens entre eux et ceux qu'ils ont avec la majorité francophone ou anglophone?

M. Galante: Je dirais, tout d'abord, que si on replace tout cela dans son contexte, il y a eu une évolution à l'intérieur de la communauté. D'ailleurs, vous êtes en mesure tout le monde de vous rendre compte, à partir des déclarations de ceux qui nous ont précédés, que maintenant le français est acquis dans la communauté italienne. Maintenant, au niveau de la loi 101, j'aurais aimé que les messieurs qui nous ont précédés, qui ont amené le fait, par exemple, qu'il y a des études présentement qui disent que de transférer les enfants aux écoles françaises peut leur causer des problèmes, je suis bien conscient de cela. Ce que j'aurais aimé, c'est que les mêmes organismes, peut-être avant d'encourager d'une certaine façon ces enfants à s'inscrire illégalement dans les écoles, fassent aussi des études en disant: Quelles sont les

conséquences de l'acte que nous posons présentement?

Si vous me demandez mon opinion personnelle concernant les enfants illégalement inscrits - c'est une opinion bien personnelle - je suis d'accord présentement pour le faire à cause, en fin de compte, de certains précédents qui sont arrivés dans la société québécoise. Je me demande s'il n'aurait pas fallu, à ce moment, que la communauté prenne vraiment ses responsabilités et fasse ces études à ce moment. Je suis d'accord qu'il aurait peut-être fallu qu'il y ait une période de transition nécessaire pour l'application de la loi 101. Je dis que présentement, oui, il y a une paix relative à l'intérieur de la communauté italienne en ce qui concerne surtout ce sujet.

M. Godin: On peut dire que d'une étape à l'autre, on a appris à mieux digérer le problème dans sa réalité et que la solution 101, sans être parfaite, est peut-être celle qui a amené le plus de sérénité dans le climat linguistique au Québec.

M. Galante: D'une façon générale, oui, M. le ministre.

M. Godin: J'interprète vos propos comme cela. Deuxième question: Est-ce que vous avez des renseignements quant au nombre de parents italiens qui, ayant droit au libre choix de l'école anglaise ou française à cause de leur date d'arrivée ici, ont quand même choisi d'envoyer leurs enfants à l'école française depuis quatre, cinq ans?

M. Galante: Je n'ai pas de statistiques précises, mais il y en a quand même un certain nombre.

M. Godin: À votre connaissance, il y a un certain nombre de personnes qui, même ayant le libre choix, ont choisi l'école française.

M. Galante: Oui, c'est cela. C'est un mouvement qui a tendance à s'accentuer.

M. Godin: À s'accentuer aussi. Dernière question: Vous dites, à la page 4 de votre mémoire, que s'il y avait la moindre hésitation gouvernementale au stade actuel d'évolution de cette situation linguistique, des milliers de Québécois d'origine italienne s'interrogeraient sur la volonté bien arrêtée des Québécois francophones de faire du Québec un Québec irrémédiablement français. Est-ce que je dois comprendre que la détermination du gouvernement, en fait, a montré que la question était réglée et que s'il y avait flottement, on pourrait assister à de nouvelles fidélités, si vous voulez - si on tient pour acquis, d'après ce que nous a dit M. Sciascia et son groupe avant vous, et vous maintenant, que pour les Italo-Québécois maintenant, le français est un fait acquis ou du moins l'accès au français ou la décision d'aller vers le français est un fait acquis -et qu'il pourrait y avoir des réorientations ou des révisions d'attitude de la part des familles italiennes?

M. Galante: Oui. Il faut comprendre que pour la grande majorité des familles italiennes, du moins parlons du stade d'immigration qui me regarde, on venait non pas au Québec, même pas au Canada, oserais-je dire, mais on venait plutôt en Amérique du Nord. Pour les Européens, de ce temps-là, l'Amérique c'était, enfin, pas seulement pour les Italiens - j'ai l'impression pour une grande majorité d'Européens c'était l'Amérique. Le symbole était anglais. Quand ils sont arrivés ici, il y a eu une évolution dans la société québécoise qui a fait que les Français, les francophones ont réalisé que c'était une société qui était peut-être en danger jusqu'à un certain point. A ce moment, ils se sont donné des mesures pour affirmer leur identité.

L'Italien, lui, qui était venu ici s'était doté et avait doté ses enfants de l'outil, à ce moment, pour justement réussir économiquement dans le nouveau pays qui l'avait accueilli. À ce moment, l'outil, comme je le dis dans le mémoire, c'était l'anglais. Donc, je ne blâme aucunement mes compatriotes italophones d'avoir choisi dans le passé l'anglais. Il y avait aussi une part de responsabilité. Si je vous donne mon cas personnel, dans ma famille, à part moi, les autres sont allés à l'école anglaise. Il y avait une part de responsabilité aussi. Il y avait un manque d'accueil de la part de la société francophone en ce qui concerne les immigrants. On tenait pour acquis que les immigrants s'en allaient du côté anglais. Mon père, quand il a réalisé cela, il a envoyé le reste de la famille, à l'école anglaise.

Maintenant, quand on parle de traumatisme, il ne faut pas exagérer. Ma soeur a des enfants et j'ai des enfants; ma soeur a envoyé les siens à l'école anglaise et les miens à l'école française. Je veux dire, il n'y a pas de problème majeur. Je veux bien croire que cela cause certains petits problèmes; ils sont d'après moi, d'ordre mineur.

Ce que je dis actuellement, c'est que si la société québécoise francophone a décidé de prendre en main sa propre identité. Il ne faut aucunement hésiter, parce que, à ce moment-là, tous les Italiens qui, présentement, ont choisi le français, parce que c'est l'outil pour réussir au Québec, vont se poser des questions. Ils vont se dire: Est-ce que c'est vrai seulement pour cinq ans, huit ans, dix ans? Ou si c'est vrai que si on

veut vivre au Québec et si on veut que nos enfants réussissent au Québec, c'est le français qu'il faut choisir.

Maintenant, dans mon mémoire, je dis aussi qu'il faut être généreux pour tous les Italiens qui ont eu à subir un fait: ils sont arrivés ici et ont été pris un peu entre l'arbre et l'écorce. Je suis d'accord pour dire que, finalement, il aurait peut-être fallu prévoir une période de transition pour qu'ils s'adaptent. Cela a été un peu... Mais je dis: À ce stade-ci, restons très souples quant à l'application de la loi, mais restons rigides quant à l'essentiel en disant qu'au Québec, si quelqu'un veut réussir, cela va être en français. Après cela, on votera pour que l'anglais soit bien enseigné, parce qu'on est conscient aussi de l'importance de l'anglais. À ce stade-ci, j'ai l'impression qu'il faut rester ferme au niveau des principes. Je pense que c'est l'essentiel du mémoire, M. le ministre.

M. Godin: En conclusion, M. Galante -ce sera ma dernière question, M. le Président - on peut dire que l'attrait de l'Amérique anglaise que vous avez évoqué au début et qui est parfaitement compréhensible pour tout Européen qui débarque ici, cet attrait reste de toute manière et que cela fait des fidélités fragiles dans la mesure où le bloc, la masse critique continentale est anglaise. Donc, il faut le moins possible le bouger sur l'essentiel.

M. Galante: C'est exact, M. le ministre.

Le Président (M. Laplante): Merci, M. le ministre. M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, je voudrais remercier le Conseil des activités italo-québécoises pour son mémoire et son apport d'un certain point de vue à l'attention de la commission. Vous parlez de la langue d'affichage qui devrait demeurer le français. Est-ce que je dois comprendre que les commerçants d'origine italienne - prenons l'exemple des commerces de la rue Jean-Talon, à Saint-Léonard - ne devraient pas avoir le droit d'afficher publiquement en italien, en dehors de leur commerce, pour leur clientèle italienne? Est-ce que c'est votre position?

M. Galante: Disons que c'est un débat qui a peut-être été la partie de notre mémoire qui a créé... Au départ, j'avais l'impression qu'il fallait le permettre; surtout l'italien, parce qu'on parle de l'italien ici. J'ai encore l'impression que, jusqu'à un certain point, il faudra peut-être le permettre dans l'avenir. Mais je dis qu'à ce stade-ci, nous-mêmes, à un moment donné, notre élan de générosité est bien compréhensible parce que, étant minoritaires, on veut que tout le monde soit généreux et on a tendance nous-mêmes à être généreux. Mais, finalement, on a réalisé que c'est le nombre de fois qui est très important, où on dit d'une façon subconsciente aux gens qu'ici c'est un pays bilingue, d'accord? Alors, si on met les deux, on dit: D'accord, c'est bilingue. Si c'est bilingue, qu'est-ce que vous pensez qu'un immigrant va choisir? Il va choisir l'anglais, parce que c'est un attrait qui est tout à fait naturel actuellement. Dans un deuxième temps, si vous me posez la même question d'ici quelques années, ma réponse sera peut-être différente.

M. Ciaccia: Mais aujourd'hui, vous seriez contre l'affichage en italien en plus du français? Je tiens pour acquis qu'il va y avoir l'affichage en français...

M. Galante: Si vous parlez de l'italien, non. Je serais absolument... Je serais favorable à ce qu'il y ait l'italien en plus du français.

M. Ciaccia: Vous permettriez l'affichage en italien et en français...

M. Galante: Oui, oui.

M. Ciaccia: ...à Saint-Léonard?

M. Galante: Oui.

M. Ciaccia: Mais vous ne permettriez pas l'affichage en anglais et en français sur la rue Crescent?

M. Galante: C'est-à-dire qu'actuellement, je n'ai pas l'impression que l'italien, à ce stade-ci, pourrait, d'une façon ou d'une autre, convaincre une grande majorité d'immigrants arrivés à Montréal que c'est la langue qu'ils devraient choisir. Si c'est cela que vous voulez avoir comme réponse.

M. Ciaccia: Non, ce n'est pas cela que je demande. Je parle strictement en termes de permission d'affichage. La loi 101 est très claire; votre mémoire est très clair. Je vous demande si vous permettriez à un commerçant italien d'afficher, en plus du français - et mettons le français en position primordiale - en italien sur la rue Jean-Talon, à Saint-Léonard?

M. Galante: Vous venez de mentionner vous-même, j'ai l'impression, dans votre prémisse, que si je mentionne cela, automatiquement vous faites le lien avec l'anglais. C'est cela que vous voulez que je dise? (17 heures)

M. Ciaccia: Non, non. Je veux savoir

ce que vous faites de l'italien et ensuite on ira à l'anglais, au portugais; on prendra les autres langues.

M. Galante: Pour répondre d'une façon logique, il faudrait que je réponde non, même si, de par ma nature, j'aurais tendance à répondre oui.

M. Ciaccia: Vous ne permettriez pas l'italien sur l'affichage à Saint-Léonard.

M. Galante: Oui, je permettrais l'italien.

M. Ciaccia: Mais vous ne permettriez pas l'anglais sur la rue Crescent? Vous pouvez le dire, nous sommes en démocratie. J'essaie de voir la logique de la chose.

M. Galante: Dans un stade ultérieur, comme je dirais. Si vous me posez la question présentement, pour être logique et pour être un peu juste, je serai obligé de répondre non. Mais je dis que, dans un temps ultérieur, peut-être que j'aurais tendance à répondre oui. C'est cela.

M. Ciaccia: J'ai compris votre réponse.

Pour les soi-disant illégaux, vous avez donné votre point de vue. Est-ce que vous appuierez la demande du Congrès des Italo-Canadiens d'accorder une amnistie aux soi-disant illégaux?

M. Galante: Je peux répondre à titre personnel. J'ai déjà répondu tantôt et j'ai dit oui.

M. Ciaccia: Lorsque vous parlez de la tradition tolérante qui a caractérisé jusqu'ici l'application de la charte, à la page 3 de votre mémoire, est-ce que vous considérez cela comme une tradition tolérante dans l'application de la charte quand une commission de surveillance oblige un commerçant à enlever l'enseigne "Merry Christmas" dans sa vitrine? Est-ce que vous trouvez que c'est tolérant cette approche?

M. Godin: M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: M. le Président, cela n'a jamais été fait. "Merry Christmas" est un message religieux, et cela n'a jamais été fait.

M. Ciaccia: Bien.

M. Godin: C'est permis par les règlements. Il y a peut-être d'autres exemples qui seraient vrais, mais celui-ci ne l'est pas.

M. Ciaccia: Je vais attendre que le député de Gatineau revienne ici parce qu'il a un exemple où cela a été fait dans sa région.

M. Godin: Non, pas par des organismes gouvernementaux.

M. Ciaccia: II y a le cas de Joan Coran qui s'exprimait en français, dont les supérieurs étaient satisfaits du travail qu'elle faisait, mais qui a échoué à son examen. Trouvez-vous cela tolérant? Est-ce une application rationnelle?

M. Galante: J'ai l'impression que, si vous les prenez cas par cas, cela relève très souvent de la personne qui est en train d'appliquer la loi, cela relève de tellement de choses. Je sais que, si on prend le cas des personnes illégalement inscrites dans les écoles, je n'ai pas l'impression que cela a été trop...

M. Ciaccia: Je ne parle pas précisément des écoles.

M. Galante: C'est cela que j'essaie de vous dire. Vous me parlez de porter un jugement global sur toute une loi et vous m'amenez des cas très précis où, si c'est moi qui avais appliqué la loi, peut-être que je l'aurais appliquée d'une façon différente. Il doit y avoir un certain nombre de cas que vous avez en main et qui ont causé des frictions.

M. Ciaccia: Lorsque vous dites que la Charte de la langue française est garante de la paix sociale au Québec... Ce matin, le maire de Montréal a déposé un mémoire et, dans un résumé de celui-ci, il a dit: À cet égard, la loi 101, en dressant des barrières psychologiques entre des groupes de notre société, a fait obstacle aux communications entre citoyens. Nous proposons la suppression de ces barrières. Comment pourriez-vous concilier cette déclaration du maire sur les effets de la loi avec votre affirmation que la loi elle-même est garante de la paix sociale?

M. Galante: Dans le mémoire, c'est ma perception personnelle. M. Drapeau, dans son mémoire, a peut-être des faits et des statistiques dont je n'ai pas eu connaissance et qui lui ont permis d'affirmer ce qu'il a affirmé. On n'a pas fait de statistiques précises, on n'a pas fait de sondages. C'est tout simplement une impression par rapport à ce que j'ai connu dans le passé, surtout lors de l'introduction du projet de loi 63. Je considère que c'est relativement stable par rapport à ce temps. C'est ce que je veux dire.

M. Ciaccia: Une dernière question.

Vous dites que la plupart des immigrants de toutes origines s'anglicisaient. Vous dites que la communauté francophone n'est cependant pas sans responsabilité. Vous identifiez spécifiquement le laisser-faire de ses dirigeants politiques. N'y avait-il pas vraiment une autre raison pour laquelle les jeunes immigrants allaient aux écoles anglophones? C'était qu'on leur refusait l'accès aux écoles francophones, soit pour des raisons religieuses... Par exemple, la communauté grecque qui était orthodoxe et dans laquelle les Juifs de la communauté juive qui n'étaient pas catholiques étaient refusés, même s'ils parlaient français. Même dans la communauté italienne, on refusait l'admission aux écoles françaises parce que ces jeunes n'avaient pas une connaissance suffisante du français. Est-ce que ce serait une autre.

M. Galante: Pour être franc, il y a un certain nombre de ces cas. Mais j'ai l'impression qu'on les a peut-être un peu poussés. Oui, il y a quelques cas qui sont arrivés dans le passé, c'est sûr.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Mont-Royal. M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. M. Galante, c'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons pris connaissance de votre mémoire. Je crois que vous manifestez une excellente connaissance de l'histoire des relations entre les Québécois francophones et les Québécois d'autres origines. Je crois que vous avez tout à fait raison de rappeler que, dans le passé, les Québécois francophones n'étaient pas assez accueillants envers les immigrants. Cela tient à des raisons que vous avez comprises, je crois, c'est-à-dire à une espèce d'insécurité dont nous cherchons justement aujourd'hui à nous dégager. Vous écrivez, avec raison, dans votre mémoire que la majorité québécoise peut être accueillante et généreuse envers ses minorités. Nous souhaitons que cela se réalise par tous les moyens, y compris l'application de notre loi linguistique.

Je voudrais vous poser deux questions. La première, c'est à propos d'un rappel que vous faites à la page 3 de votre mémoire. Vous rappelez que le gouvernement du Québec avait offert aux gouvernements des autres provinces, en 1977, des accords de réciprocité. Vous rappelez également que cette offre conciliante du Québec fut rejetée. Je voudrais vous demander aujourd'hui, six ans plus tard, à un moment où beaucoup de gens préconisent le remplacement de ce qu'on appelle la clause Québec dans la loi 101 par la clause qu'on appelle clause Canada: Quel est votre propre sentiment? Est-ce que nous devrions opter pour la clause Canada ou maintenir plutôt cette offre d'accord de réciprocité? Et non seulement maintenir l'offre, mais peut-être se montrer un peu plus entreprenant et entamer des pourparlers avec les autres provinces pour voir si on ne pourrait pas en arriver à s'entendre sur une réciprocité?

M. Galante: Personnellement, j'aurais plutôt tendance à opter pour la deuxième partie de votre argument, de proposer aux autres provinces un accord de réciprocité.

M. de Bellefeuille: Merci. Ma deuxième question, c'est à propos de la langue de travail. Nous avons pu constater que la loi 101 n'est pas universellement respectée dans le domaine de la langue de travail. L'autre jour, on nous a donné des renseignements assez détaillés sur un certain nombre d'entreprises qui sont en retard quant à la mise en oeuvre de leurs programmes de francisation, des programmes qu'elles ont elles-mêmes acceptés. Je voudrais vous demander: Qu'est-ce qu'il faut faire? Il y a un certain nombre d'entreprises qui se fichent un peu de la loi et qui se fichent un peu de choses que vous considérez fondamentales puisque vous dites que la Charte de la langue française est garante de la paix sociale au Québec. C'est extrêmement important si on la considère comme cela. Qu'est-ce qu'il faut faire par rapport à ce défaut d'application de la loi, à ce manque de respect de la loi de la part d'une certaine proportion des entreprises? Sévir? Si oui, comment? Ou avez-vous un autre moyen?

M. Galante: Je dirais que, présentement, c'est quand même une période où il y a de la résistance, c'est normal. Je veux dire que ce qu'il faut tout simplement, c'est que, si toutes les personnalités politiques démontraient une volonté bien arrêtée de poursuivre ce qui a été commencé, j'ai l'impression que le problème se réglerait de lui-même.

M. de Bellefeuille: Si toutes les personnalités politiques manifestaient une volonté de faire respecter la loi, donc une espèce d'unanimité générale entre les parties...

M. Galante: Exact.

M. de Bellefeuille: ...non pas sur des clauses particulières, mais sur l'idée fondamentale que la loi, tant qu'elle n'est pas changée, doit être respectée.

M. Galante: Exactement, monsieur.

M. de Bellefeuille: Merci. Merci, M. le

Président.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Deux-Montagnes.

M. le député de Gatineau.

M. Gratton: M. le député de Laurier avait des questions, je pense, mais je vois qu'il a dû s'absenter. En l'occurrence, quant à nous, on vous remercie, messieurs du Conseil des activités italo-québécoises.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: Je vous remercie, messieurs, de nous avoir fait part d'un témoignage vécu sur la question linguistique au Québec. Merci beaucoup.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Galante. Merci aussi à ceux qui vous accompagnent.

Maintenant, je veux inviter le Grand Conseil des Cris à prendre place, s'il vous plaît. Alors, M. Billy Diamond, est-ce cela?

Grand Conseil des Cris

M. Diamond (BiUy): Oui.

Le Président (M. Gagnon): Si vous voulez bien nous présenter la personne qui vous accompagne.

M. Diamond: Mr. Chairman, I am going to have to speak to you in the only language that I can communicate in with you. I am sure that you do not understand the other language that I can use, which is Cree. So, I will use the language that I often use in my line of work and that is English. We regret that we have to speak to you in English, but historical factors permit us only to communicate with you in English.

The Grand Council of the Crees of Québec represents the Crees of James Bay and the Crees living in Northern Québec. The Crees are the direct descendants of one of the great Indian nations of North America, are a founding people of Québec and our first nation in Québec.

The Crees possess a distinct and vibrant culture which is intimately related to the traditional activities of hunting, fishing and trapping. They work with the environment and situation, and not against it.

The Crees number approximately 8500 persons distributed among eight Cree Indian bands. The Cree villages are situated along the East Coast of James Bay and in the interior South of James Bay. Along with this brief, we have submitted a map outlining the territories that we speak of.

The portion of Québec inhabited by the Crees did not become a part of what is now the Province of Québec until 1898 and 1912. An agreement known as the James Bay and Northern Québec Agreement was concluded between the Crees of Québec and the Government of Québec on November 11, 1975. All provincial legislations to put the agreement into force and into effect were substantially adopted by the National Assembly in June of 1978.

The James Bay and Northern Québec Agreement was the climax of a long and intensive struggle by the Cree and Inuit people of Northern Québec to preserve their way of life and to have their rights as the aboriginal occupants of a large part of Northern Québec recognized and respected.

The James Bay and Northern Québec Agreement was approved by federal and provincial legislation. It is, in a legal sense, an agreement between nations and now has become a constitutional document, it is a charter of Cree rights. (17 h 15)

The Agreement is a complex document and covers a wide range of subject matters. However, the essence of the Agreement is to provide for the development and betterment of the Cree communities and culture. A great deal of control is given to the individual communities to allow them to develop at their own pace and pursuing goals which they have established.

The preservation of the Cree way of life is a cornerstone of the James Bay and Northern Québec Agreement and is highlighted significantly in specific sections of the Agreement dealing with local government, education, health, and economic and social development.

The Government of Québec, when it executed this agreement, recognized the specific and unique situation of the Crees of Northern Québec and undertook both by the letter and spirit of the Agreement to specifically give effect to this commitment.

The Agreement is highlighted by Section 16 dealing with the creation of a school board for the Cree people, the Cree School Board, which has been set up under provincial legislation and which provides education to Crees and non-Crees within the Cree communities and the Cree School Board municipality.

The special powers of the Cree School Board provide for large native involvement in its activities, provide for Cree control of the objectives of the board, provide for the selection of courses, textbooks and teaching material appropriate for the Crees. To develop courses, textbooks and material designed to preserve and transmit the language and culture of the native people only highlights the specific intent of the Agreement to preserve and develop Cree culture.

When Bill 1, and later Bill 101, was

presented to the National Assembly for consideration, the Crees made a presentation to inform the National Assembly committee considering this proposed legislation of their position.

We highlighted the fact that the application of Bill 1, and later Bill 101, in its entirety to the Crees would constitute an obstacle to the implementation of the James Bay and Northern Québec Agreement and, legally, would likely constitute a breach.

There was a recognition by the Government of the specific status of the Cree people of Québec, particularly, the overall intent of the Crees to provide for, in a general program of education, the introduction of French and English as teaching languages within the system, the whole compatible with the use of Cree.

We highlighted that it was only for historical reasons that the practice in the Cree communities was that the languages of instruction were Cree and English, but undertook to institute French as an effective teaching language. This has been done. Sections 88, 95, 96 and 97 of Bill 101 reflect this commitment by the Crees of Québec and the recognition by Québec of their unique situation.

A second point which was highlighted before the commission was that the James Bay and Northern Québec Agreement provided for a variety of administrative bodies having extensive responsibilities in many diverse fields of activities.

These bodies, when dealing with the Crees, basically had to use the Cree and English languages at the present time because of the factual situation in the communities. There was a commitment once again to introduce the French language in the activities of these entities. Again, the commission and the Government recognized the unique situation of the Crees of Québec and Sections 95 and 96 are proof to this effect.

The Crees can state to the commission that, to date, they have been meeting their part of the bargain regarding the special situation of the Crees under the Charter of the French Language.

The reason for the presentation at this time, however, is because of specific difficulties which have arisen with respect to the implementation of the Charter. Some of these difficulties are more administrative, but they are important enough that the commission should be made aware of them.

A first problem deals with the application of the Charter to non-Cree individuals within the jurisdiction of the Cree School Board.

A particular case has arisen where a young francophone child of seven, living in the Cree community of Wemindji, was refused accreditation for courses he took at the Cree School Board facility in the community, giving education in the English language, because his family had not been educated in the English language.

The incredible situation which developed was that this young child either had to be sent to a student hostel in a community four hundred miles away for eight months of the year to receive French education, the Cree School Board had to build a school solely for this one francophone student in the community of Wemindji or the family would have to move away from the community in order to allow for the education of their son.

The literal interpretation of the provisions of the Charter in such a case provided for a ridiculous situation which apparently may be repeated in other cases. From a humane and social point of view, it is essential that the commission look at obvious situations where the literal application of the provisions of the Charter should not be applied.

A second difficulty relates to both the activities of the Cree School Board and the other Cree entities contemplated by the James Bay and Northern Québec Agreement. Although the Charter does not apply to them in most situations, they are faced with the difficult task of being Cree or English bodies and understanding these languages, but receiving documentation from the

Government of Québec and its agencies only in the French language.

It is submitted that necessary steps should be taken in order to provide for essential translation facilities either to allow documents which are sent to be translated before they are received or to allow the board and entities to have translation facilities for themselves. This, of course, would apply until the entities or commissions have developed the ability to use French as an effective working language with Cree and, perhaps, English.

A third matter which relates to the mandate of this commission is the special status that should be given by the Government of Québec to the Cree language and to native languages generally.

The Charter of the French language was adopted in order to preserve and allow for the flourishing of the French language, but the provisions of the James Bay and Northern Québec Agreement and the special recognition of the importance of the Cree language in the Charter, as well as commitments by the Government, point to the necessity of setting up a special charter for the Cree language and, by implication, for other native languages in the province. This charter should provide for the growth, preservation and development of all native languages in Québec, the first and founding cultures.

In respect to the Crees, this charter should relate to the specific situation of the Cree language in the James Bay territory and the special regime which has been set up under the Charter and under the James Bay and Northern Québec Agreement.

It should also provide for the enhancement and growth of this language, allowing for a development with respect to toponomy, grammar and the more extensive use of this language among a founding people of the province.

We have done extensive work in preparing a proposal for the formal establishment of this charter, setting up a commission to deal with its implementation and setting specific goals and projects to be followed. We are prepared to submit them to you at your convenience.

This last suggestion is entirely consistent with the policy of the Government to support native languages and the commitments of the Premier of Québec in this regard. In fact, Camille Laurin, the Québec Minister of Education, gave a formal undertaking to provide the Crees with all possible assistance in order to develop the Cree language. This particular commitment is highlighted in the magazine called Rencontre, which is this magazine here.

As a last point, Mr. President, it should be highlighted that the Government of Québec is now in the process of reviewing its obligations under the James Bay and Northern Québec Agreement and its commitments towards the Cree people.

It is essential that the spirit of this review be followed in the deliberations by this committee regarding the provisions of the Charter of the French Language. As in the case of all social legislation, it is important that the legislation not only provide for specific rules with respect to a subject, but also provide that they be humanely and properly applied.

Mr. Chairman, I would like to thank you for giving us the chance to present this brief to you. I am now prepared to answer any questions along with my colleague, Philippe Awashish, Vice-Chairman and Executive Chief of the Grand Council of the Crees of Québec and a member of the personnel from our Québec office, Miss Laura Moses.

M. Godin: Donnez-moi la parole, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: Merci. Chief Billy Diamond, Vice-Chairman Awashish, Mme Moses, it is an honor and a pleasure for us to listen to you here. I would like to try myself at a few words in Cree, just to check my accent.

(S'exprime dans la langue crie).

This being said, it simply means, for those who do not have the privilege of knowing a few Cree words...

M. Diamond: Merci beaucoup, M. le ministre.

M. Godin: (S'exprime dans la langue crie).

M. de Bellefeuille: Allez-vous nous donner l'interprétation?

M. Godin: Chief Billy Diamond, as I said, we are glad to listen to you here today because your situation in the history of Québec is central. You were here long before our ancestors even thought about coming here. At that time, you did not have any Immigration Department, so we were all considered on the same level as any newcomer here.

Your brief, in fact, reminds us of some of the problems that you are dealing with and some of the problems that Bill 101 has been trying to solve by giving the Native people of this province a special status. The intention is still there and I am very favorable to the idea of having a charter of the Native languages of Québec. I guess that this proposal, which I will myself transmit to my Premier, Mr. Lévesque - who is now preparing for that meeting with the Native people - goes exactly alongside the thinking of the Government as far as that is concerned.

We want the Native groups in Québec not only to keep their culture, but to develop it to make sure that their children speak these languages and also have a knowledge as wide-ranging as possible of the culture, the very deep culture of the Cree nation in this part of the world. I know, after having seen some of the documentaries made with your people, after having read some of the textbooks written by your people, the very precious culture that you represent here in Québec. Also, one of the lessons that I am drawing for myself is that, in your literature, in your culture, there are many lessons that could be useful to the White man. We will try and make that culture known not only by the Cree people themselves, but by as great a number of citizens of Québec as possible.

I also would like to tell you that you have submitted a brief in front of another commission a few years ago; you did it in the Cree language, with an interpreter, and that same offer could have been made to you for this hearing, if you had wanted to resort to it. We would have been ready to use an interpreter to translate your brief into French from the Cree language. (17 h 30)

To come back to your brief, on page 6, you mention a specific case which was solved, I think, as soon as it was known by the Department of Education. In fact, article 88 is precisely concerned with that kind of problem and the Department of Education with your help, the Cree School Board and the Kativik School Board, has to work to implement needed measures or needed decisions to make sure that the children whose parents are neither Cree nor Inuit be admissible to the benefits of the Convention.

You mention, on page 7, the problem of access to documents of the Québec Government in the language which you understand, the English language. It is, in fact, in 1979 that the SAGMAI sent in each Department of the Government of Québec a note asking that one and each document sent to you be made available in English. So, the order was given. It has not yet reached the point where one and each of the documents we are sending you - and God knows that they are numerous... The goal has not been reached yet, but we are in the process of achieving it.

One of the other aspects that you mention is the fact that you want to have more of the French language in your operations. My Department has been in contact with the Office de la langue française and together with you - I am taking into account your suggestions - we will give that job to someone, to one of the employees of the Office de la langue française so as to make sure that the transition period is made in full harmony with your needs.

My final point, Chief Billy Diamond, concerns the question of toponymy. We are very proud of the fact that thousands and thousands of lakes, rivers, creeks, places and spots in Québec were first named - not to say baptized - by the Cree nation. In fact, as of now, 1000 of these Cree words are a part of the official toponymy of Québec. All these names were given to these places and spots in accordance with the council of which you are the chief. We have the intention of adding 2000 more names and of making official other names designed by you because they are the names that you, yourselves, have been using for millenaries, in some cases, in that part of the world.

You can count on us to respect the fact that you are the people who give these names to these places in Québec. We want these names to become the official names of these places. Since it has been for so long Cree territory, we intend it to remain so for as long as Québec exists. It will be in the official cartography. It will be there for your children and the children of your grandchildren. It will be there to remind them of that fact; not only for the Cree children, but also for the children all over

Québec, all over Canada and, in fact, all over the world, because these official maps will become the maps that people from anywhere in the world will have to consult when they want to know where is where in Québec.

So, you can count on our full collaboration, Chief Billy Diamond. We will work together, as we have been doing for the past years, to make sure that the Cree nation is not only respected, here in Québec, but gets to full bloom.

Thank you so much.

Le Président (M. Gagnon): M. Diamond.

M. Diamond: Mr. Chairman, Mr. Minister, when the first White men arrived on the very shores of this river, they came in with their ships and when the first Indian went to meet with them, the Indian said: Go back, go back. That, Mr. Minister, was our Immigration Department. He meant to say: Come to the shore. That was our Immigration Department, what you referred to and I hope that is not the intention in today's dealings with the Native people in this province. We are very proud of the fact that we are one of the individual nations in Québec that can find a formula which is compatible with our way of working in responding to the many departments of the Government of Québec.

I just want to respond to a few things that you have indicated in our brief. The first one was in respect to the francophone child in the Cree community of Wemindji. The parents of that child were our teachers, who are employed by the Cree School Board, and they wanted their son to be educated in the only school that was available, that is the English speaking school or the Cree School Board facilities. In all our facilities and in all our schools, the first three grades are taught in Cree and then the parent has to write to decide if it should be pursued in English or in French. Then, Cree is taught throughout elementary and secondary school as a subject. But this particular situation arose when the parents were educated in the French language as their first language and the child, in following the regulations of Bill 101 and its Charter, had to have francophone education. It is unfortunate that this had to happen but as Chairman of the Cree School Board, I have not been advised as to whether this has been settled yet. I intend to look into it; I know that the Cree School Board is meeting today and tomorrow, in my own community of Rupert House, and I will monitor the situation from here. So, there was an example that we wanted to highlight in respect to the literal interpretation of the Charter.

However, we do have other problems and that is in respect to the application of

the Charter to other Indians who come not only from the Province of Québec, but from across Canada who are employed with one of the Cree entities. They have children as well and basically, their upbringing the English school system. They do have problems when they enter the Cree territory. It is our hope that these problems can be solved.

The same can be said with teachers who are married to registered nurses who come from outside the Province of Québec. These nurses cannot practice their profession once they are in the Province of Québec without passing the French language tests via the Québec Order of Nurses. It is unfortunate, but these are registered nurses in Chisasibi, where there is a hospital, who cannot practice nursing because of that particular Charter.

You refer to page 17 of our brief, in respect to access to Québec documents. I agree with you that SAGMAI has written a directive, that communication with the Cree entities, in particular with the village corporations and the landholding corporations who have responsibility over categories 1-B and 1-B special lands, which are under provincial jurisdiction, be done in this manner, but it is for that reason that many of the village corporations are behind in their submission of annual reports, in their submission of financial records because the communications are still in French. Many of the bands, in fact all of the bands are still operating in the French language. We hope that can be corrected through the review of the James Bay and Northern Québec Agreement which is presently being undertaken.

In respect to the development of a Cree Language Commission, we had made a presentation on the development of the Cree Language Commission. We see the Cree Language Commission not only for the purpose of developing the Cree language, as the Cree way of life has changed drastically since the signing of the James Bay and Northern Québec Agreement. We know that there is a world outside of the James Bay Territory and we have to communicate with that world; we have to live with that reality, we have to do business with that world.

For instance, there are words in Cree to describe compound interest or some of the many technical terminologies that you have in the French language or in the English language, so the development of the Cree language is uppermost in our minds. It is not only to develop the Cree language, but to monitor the Cree language and to make sure that the Cree language is being used by the various Cree entities.

The James Bay and Northern Québec Agreement created many entities; the Cree Regional Authority was set up for the administration of the Cree activities and for the implementation of the James Bay Agreement, the Cree School Board, the Cree Health Board. As a result of the agreement, the Crees have set up their own companies as well: the Cree Construction Company, the Cree Housing Corporation, Air Creebec. All these entities must be influenced to use the Cree language in their everyday operations as well as the various local governments.

So the intent is to have a Cree Language Commission that will be attached to a university in the Province of Québec and for that Cree Language Commission to have a research body that can be called on as an institute. That research body would have its own staff, Cree linguists and researchers, people that can develop the various pedagogical material that is needed not only in the Cree School Board, but in the various entities as well, because we are going through a period of training not only for our own children, but for many of the people who are now starting to take control of their own affairs.

You refer more specifically to the French Language Charter in respect to what can be done in the transition period. I would like to concur with you that we do have an agreement between the Crees and the Government of Québec; it establishes a transitional period where - by the Crees can, in X number of years, operate efficiently in the francophone language.

As a result of the various legislations to put the agreement into effect, as a result of getting special rights for the Crees in Bill 101, the Crees did not stop there. In fact, the Crees are moving and progressing towards having a totally francophone operation. However, that will take a number of years.

In our various companies most of our staff members, perhaps with the exception of the leadership and the Cree managers, are bilingual and most of the positions that we advertise are bilingual. Most of our transactions and requests for tenders, for the various projects that we have in the Cree territory, are done in the French language. (17 h 45)

So, in essence, the Crees have come a long way since the last time you saw us here, in 1977 I believe. During this transitional period, the idea was that the Crees, together with the Government of Québec, come up with a formula on how to develop that transitional period. We have agreed, with the officials of SAGMAI, to develop a survey to find out the francophone language needs of our various entities, to find out where they are in respect to the franconisation of the various entities and to develop what their needs are.

We want to develop this survey and we have agreed to develop this survey in

consultation with the Office de la langue française. From this survey, we will determine a schedule calendar that will put the transitional period into effect. We do not know how long this transitional period will last. It may take 10, 15 or 20 years, but we intend to put it into effect. So, we are moving ahead, but our problem is that it is going to cost dollars, it is going to cost a lot of money to set up the Cree Language Commission, dollars that the Crees have.

I know for a fact that many people in the Province of Québec and many people in this room probably think that the Crees are very rich. Well, the Crees are not very rich. The Crees have managed their money very well and are using their money for future generations and for community purposes. They are advancing quite a bit of their money as bridge financing in respect to community development for housing and housing infrastructures and projects such as that.

So, it is going to take a lot of financial resources, technical resources and human resources coming from the Government of Québec and, perhaps, coming from the Office de la langue française. We are ready to proceed in that matter and we are just as proud as you are with the toponymy of the area. We are proud of the fact that we were able to work together to develop the Cree names of the various geographical spots in our territory and it is in this pride that we want to proceed.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Good afternoon, Chief Billy Diamond. This month is going to mark the 10th anniversary of the commencement of negotiations for the James Bay Agreement. It seems that we cannot lose sight of each other. I was wondering, when your Department of Immigration told the White man not to come to Québec and we came anyway, what would have happened if your Department of Education had enacted your own Bill 101. Would we always be speaking Cree today?

M. Diamond: I think my colleague Max Gros-Louis could answer that question. It might be Huron, but I always tell him that the Hurons came from Georgian Bay; so he is also an immigrant.

M. Ciaccia: Chief Billy Diamond is one of the chief architects of the James Bay Agreement and there were some provisions in that agreement which have been explained, partially, as to the intent, the objectives with respect to the Cree people, to their way of life and to their rights and obligations within the James Bay and

Northern Québec Territory.

In addition to some of the problems that you have raised concerning the application of Bill 101 and the James Bay Agreement, I think there was a provision in the agreement that, if there was an inconsistency between the agreement and any legislation enacted either by the federal or provincial government, the provisions of the agreement would prevail. Have you had occasion to invoke that provision or has that been respected by the Government in its administration and application of Bill 101?

M. Diamond: Mr. Chairman, the Member for Mount-Royal referred to the 10th anniversary of the starting of the negotiations of the James Bay and Northern Québec Agreement. I just want to remind him that a certain leader of a certain political party wants to build phase 2 of the James Bay hydroelectric project. So, he may start another 10 years of negotiations if he proceeds with that project.

M. Ciaccia: Billy, if you look at the agreement, you will find that there are provisions for that. So, I think that all the negotiations are over and I think the atmosphere within the territory has changed sensibly.

M. Diamond: The provisions are there, in the James Bay and Northern Québec Agreement, for discussions to continue. I just hope that the Government of Québec will tell its Crown corporations that they need Cree consent with respect to future development.

With respect to the application of the language provision in Section 16 of the James Bay and Northern Québec Agreement, we are always faced with having to refer to the James Bay and Northern Québec Agreement and we are always faced with the fact that we have to use the special rights of the Crees not only in the agreement, but in the Charter as well. So, it is almost an everyday occurrence that we have to remind officials in the various department, that the Crees, basically, are exempt from the application of Bill 101 in their territory.

It is unfortunate but, during the negotiation of Bill 101, we did have a broader exemption, an exemption to the entire Province of Québec. We would have preferred and we still would like to see that exemption reinstated, because we are now in the situation where we are quite universal in respect to our own developments. We do not keep ourselves only within that particular territory, we have an office in Québec City and we have an office in Montreal, for instance. We would hope that those offices could also be provided with the exemption. We do a lot of business in the City of

Montreal, because it is the business community, it is the financial center of the Province of Québec. Almost on a daily basis, we have to refer to Bill 101, we have to refer to Section 16010 of the James Bay and Northern Québec Agreement to remind people in the Government that the Crees have special language rights.

The parents in the Cree School Board Municipality have exercised those rights; they want their children educated in the Cree language in the first three grades. That is always under review by the Council of Commissioners, but it is the parents who basically decide how they wish to educate their children, whether in English or in French. For instance, I have a son who goes to an English school and I have another son who goes to a French school. Both my wife and I have discussed the situation and that is what the kids have agreed to as well. Hopefully, they will be able to manage and help each other.

Incidentally, many of our children who do follow the elementary and secondary schooling in the Waswanipi Area, Rupert House, Mistassini, Great Whale and Chisasibi are trilingual. They come out of the system, even if the system, is not complete, even if we have had many difficulties with the quality of education, speaking French, English and Cree.

M. Ciaccia: You mentioned certain problems of your school board and, I take it, your municipal government bodies; do you have any problems with your health services?

M. Diamond: The Cree School Board and the Municipal Corporation set up under the agreement have problems in communicating with the various departments. For instances, many of the budget submissions are done in French, but the Council of Commissioners operates in English because it is composed of nine Crees and their second language is English. It will be a while before we have a francophone school commissioner. But our staff is able to cope, is able to use the French language because our staff in the Cree School Board is bilingual.

With respect to health services, the local nursing stations and the patient services are operating basically in the Cree language. They use Cree translators. They use Cree community health workers. They use local Cree staff but the qualified nurses, the qualified doctors and the professionals who visit the territory from the various health centers in Montreal or Québec are usually bilingual.

The operation of the hospital in Chisasibi and the senior operations of the various nursing stations in the James Bay Territory are French speaking. The problem arises when we have to find a registered nurse or when a registered nurse living in one of the Cree communities is from Ontario, for example. She cannot practice nursing because she has to pass the French language test and undergo the procedures with the Québec Order of Nurses.

The same has arisen in one occasion with a Cree who was a fully qualified engineer, a Cree person from Waswanipi who received his engineering degree at the University of Waterloo. He was admitted to the Ontario Order of Engineers, but could not, when he returned home to Waswanipi, practice engineering because he was not a member of the Québec Order of Engineers. Subsequently, he had to go through a lot of bureaucractic handling to get his papers from that particular order. It took him several years before he was admitted to the Québec Order of Engineers and he was admitted on the basis that he was exempted from the application of Bill 101. He is now able to practice engineering in the Cree communities.

M. Ciaccia: Are you suggesting that there should be a blanket exception? There seem to be so many exceptions, in Bill 101, that are applicable or that should be applicable, in the James Bay Agreement. Are you suggesting that there should be a blanket exception, that it does not apply to the Crees or do you have some specific proposals to make, with respect to all of the different areas that you have mentioned?

M. Diamond: What I would suggest is that there be a blanket exception until we are able to determine together the transitional period, those X number of years, that it will take the various entities to be totally efficient in the French language.

M. Ciaccia: Thank you very much and I hope that we do not have to renegotiate the James Bay Agreement for the Phase 2, if it ever takes place.

Le Président (M. Payne): It is six o'clock. Mr. Awashish?

M. Awashish (Philippe): Thank you, Mr. Chairman.

Le Président (M. Payne): Very briefly, because it is six o'clock, unless this Assembly consents to continue for a few minutes? (18 heures)

M. Godin: Would you agree to another fifteen minutes, or would you...

Le Président (M. Payne): Unless the wish of the committee would be to meet you again and take it up again, Chief Diamond,

at eight o'clock, for a short time.

M. Godin: On a une grosse soirée.

M. Fortier: That is all right.

Le Président (M. Payne): Fifteen minutes? OK.

M. Fortier: We need just a few minutes.

M. Awashish: Thank you, Mr. Chairman, and members of this commission. I just want to clarify what the intentions of the Crees are. Chief Diamond has stated the position of the Crees very eloquently. We share the objectives, of course, with the Government of Québec, of promoting the use of the French language as we have come to realize that we have to cope with the political and social reality of Québec.

By the same token, we do have a unique situation where, as Native people, we happen to be isolated up North where the Federal Government has provided and has been responsible for our education. It is for that reason that we have been speaking English as a second language. As far as the Crees are concerned, the transitional period that is contemplated in Bill 101 began when this particular law was proclaimed.

Since the proclamation of this law, we have not been idle. Chief Diamond has stated that we have taken measures to introduce the use of French within our Cree communities, within the territory and also within our own institutions. There are French language instruction programs in the Cree School Board; we have initiated French language programs for adults; we have considered the use of French within our own institutions and we have promoted the use of that language amongst the employees. We are concerned with the gradual introduction of French within our own institutions, within our own communities and our territories. The Cree School Board obviously needs more human resources, financial resources to assist, to promote the use of French within our territories and also, of course, to promote the use of the Cree language.

In our dealings with the Government of Québec, we have to be practical in the use of the English language. For example, there is the Hunting, Fishing and Trapping Coordinating Committee that is established by the James Bay and Northern Québec Agreement on the enabling laws. That particular committee has responsibility over management and supervision of the wildlife resources within the territory. There are five parties within that committee, the five parties being the Federal Government, the

Québec Government, the Crees, the Inuits and the Naskapees.

In the deliberations of that committee, in coming up with recommendations to the appropriate governments, we do have to be practical and use the English language. In that committee, there is a possibility of using five languages. Of course, each party wishes to speak in its own mother tongue but that would certainly be very cumbersome and, as practical administrators and to some extent politicians, we simply have to communicate in English for the time being. Until such time as the Crees are able to operate efficiently and effectively in French, we will have to be practical and give some special consideration to the Crees and the other Native parties that are involved with the proper implementation of the James Bay and Northern Québec Agreement.

Le Président (M. Payne): The Member for Outremont, very briefly.

M. Fortier: Just a quick question to Chief Billy Diamond. I believe that part of the James Bay Agreement states that the James Bay Development Corporation has a role to play. The Minister for Energy and Resources has announced that this corporation would be abolished, its role would be modified. You also mentioned yourself that there are some negotiations going on. My first question is the following: Does this announcement or the fact that the Government intends to liquidate this corporation have any impact on you at the moment? Could this have an impact in the future?

M. Diamond: We were informed that the James Bay Development Corporation will remain intact and will not be abolished for the purposes of the application of the James Bay and Northern Québec Agreement because they are one of the signatories of that agreement. Their role or their size may diminish but they will still be there. That is what we were told.

M. Fortier: Thank you very much.

M. Ciaccia: What is the language of communication with the other Native communities in Canada?

M. Diamond: What is the language of communication...?

M. Ciaccia: ...between the Crees and the other Native communities in Canada.

M. Diamond: It is English, including the Native communities in Québec.

Le Président (M. Payne): If I could

invite the Member for Gatineau to add some concluding remarks.

M. Gratton: Chief Billy Diamond, very simply, I would like to thank you in the name of those members of the committee who do not have the expertise of our colleague for Mont-Royal with regard to the Cree community. We wish to thank you very much for providing us with a much better insight into the very unique situation that the Cree people are faced with regarding the application of the Charter of the French Language.

In our opinion, the more unique the situation, the more efforts must be made by the legislators to insure the application of our laws, while taking into consideration these specificities. Thank you very much.

M. Diamond: Mr. Chairman, Mr. Minister, on behalf of the Crees, I want to state the fairness that you have displayed in hearing us. I hope that something will develop as a result of our presentation. We are also very proud of the fact that we are citizens of Québec. We say that we are not Québécois, we are "Creebecois". Thank you.

Le Président (M. Payne): Just one moment, please, Chief Billy, if I could invite the Minister of Cultural Communities for two words.

M. Godin: Just two words. About the implementation of the French language, let me tell you that your cruising speed will be our cruising speed.

Secondly, I am very satisfied to see, as a writer, that a group of your people, along with people from the Université du Québec à Montréal, are working to create new Cree words to describe new realities. That is a very stimulating prospect for any community, to establish new words. I wish you good luck in that respect too and I hope that one day or the other, you will be in a position to teach us a few more words describing compound interests and things like that which could be useful for any government in the dire streak that we are experiencing. Thank you so much.

M. Diamond: Thank you.

Le Président (M. Payne): Very briefly, Chief Billy Diamond, I was asked to sit in the chair a few minutes ago, so I missed the opportunity to exchange with you. In the name of the committee, I would like to say that it is very good to see you again after a number of years. We hope that it continues. We will take up the meeting again at 8 o'clock. Mr. Minister.

M. Godin: Avant la suspension, je fais distribuer présentement le rapport Raynauld-Vaillancourt, tel que promis. On a une heure et dix minutes de retard, M. le député d'Outremont, veuillez m'en excuser. Je rappelle, à la demande du président du Conseil de la langue française, que ce document est un premier jet, qu'il est présentement à l'étude au Conseil de la langue française et qu'il est possible qu'il y ait des corrections mineures, ou de style ou de présentation, avant sa publication officielle. Donc, c'est une prépublication.

Le Président (M. Payne): Merci, Chief Billy Diamond.

La commission est suspendue jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 10)

(Reprise de la séance à 20 h 09)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission des communautés culturelles et de l'immigration poursuit ses travaux aux fins d'entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

Lorsque nous avons suspendu nos travaux, nous étions à inviter M. Alexander Silva, que j'invite à prendre place immédiatement et à nous faire la lecture de son mémoire.

M. Godin: M. le Président, avant de...

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: Si vous me permettez, avant de commencer. À trois reprises déjà on a fait état d'un cas cité par votre nouveau chef du parti suivant lequel des spectacles donnés par des Américains à Montréal pourraient être affichés dans deux langues tandis que des spectacles annoncés par des artistes francophones ne le pourraient pas.

Je vous renvoie au chapitre des règlements qui porte sur la langue du commerce et des affaires, à la page 2-380, article 8: "L'affichage public et la publicité commerciale affichée relatifs à un spectacle, un discours, un cours, un séminaire, une conférence, une émission de radio et de télévision ou à toute activité culturelle ou éducative de même nature - mais en ce qui nous concerne c'est surtout relatif à un spectacle - peuvent se faire - affichage public et publicité commerciale - à la fois en français et dans une ou plusieurs langues."

Par conséquent si vous avez le cas précis j'aimerais être saisi de ce dossier car il me semble que la loi et les règlements tels qu'ils existent présentement permettent

à tout spectacle présenté à Montréal d'afficher en français et en plusieurs langues. Donc j'aimerais bien que le cas précis soit porté à notre attention de manière que nous puissions éclaircir le cas, si nécessaire. Merci beaucoup.

M. Lincoln: Très brièvement, M. le ministre.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Nelligan.

M. Lincoln: Ce n'était pas une référence à notre présent chef du Parti libéral. C'était une référence qui était venue... Je l'ai citée aujourd'hui, c'était un membre de l'exécutif de l'Association des hôteliers qu'un collègue, M. le député de Viger, et moi avons rencontré il y a peut-être trois mois au cours d'un débat. C'est en mai 1983 qu'on l'a rencontré, avant le débat sur le tourisme. C'est lui qui nous a fait cette représentation. Alors je vais le contacter pour savoir quels sont les faits exacts parce qu'il nous a dit que cela s'est passé; il nous a même cité l'exemple que j'ai donné aujourd'hui. C'est lui qui m'en a parlé. Je vais lui demander de communiquer avec vous à votre bureau.

M. Godin: M. le député, je compte sur vous pour m'en informer mais si j'ai cité M. Bourassa c'est qu'il a évoqué ce cas à deux reprises dans des émissions de télévision que j'ai vues...

M. Lincoln: Oui, je pense.

M. Godin: Comme je m'y intéresse de près, j'aimerais qu'on ait les faits pour pouvoir intervenir le plus tôt possible de manière que...

M. Lincoln: Certainement.

M. Godin: ...cette apparente injustice soit corrigée dans les plus brefs délais. Merci, M. le Président.

M. Alexander Silva

Le Président (M. Gagnon): M. Silva, si vous voulez vous présenter. Vous êtes avec M. Joseph Sagaria. C'est cela?

M. Silva (Alexander): C'est cela.

Le Président (M. Gagnon): Si vous voulez nous faire la lecture de votre mémoire, en vous souhaitant la bienvenue.

M. Silva: Certainement, M. le Président. Pour commencer, j'aimerais vous remercier de cette occasion qui nous est donnée de...

Le Président (M. Gagnon): Voulez-vous approcher votre micro, s'il vous plaît?

M. Silva: D'abord, j'aimerais remercier la commission parlementaire pour l'occasion qu'elle nous fournit de nous exprimer sur la loi 101. Nous n'appartenons à aucun organisme à but non lucratif reconnu, nous sommes ici comme individus et nous sommes ici pour relater ce que nous avons perçu par expérience personnelle dans notre vie quotidienne.

Une voix: Pourriez-vous parler plus fort, s'il vous plaît?

M. Silva: Oui, certainement. Pour commencer, M. le Président, mesdames et messieurs, comme anglophone je ne suis pas venu ici pour détruire, mais pour donner un avis constructif, car je ne suis pas aveugle et je suis conscient de la popularité de la loi 101. Une loi qui ressort du besoin fondamental de la défense de la langue de Molière, de Dumas, de Balzac, d'Yves Thériault, Roch Carrier et on pourrait en ajouter. Il y a aussi le besoin de défendre cette même culture en Amérique du Nord, qui fait du Québec un endroit où on a une joie de vivre malgré la crise économique qui traverse ce continent.

Voulant vous épargner une longue dissertation sur les raisons des politiques linguistiques au Québec, passées, présentes et même futures, car elles sont bien claires et lucides pour des gens bien intentionnés et de raison, j'aimerais témoigner de certaines modifications qui pourraient nous permettre d'intégrer ceux qui ont l'intérêt du Québec à coeur et qui acceptent le Québec comme province de langue française et ceux qui songent à un retour aux situations passées.

Alors, pour faciliter l'ajustement à la loi 101 aux conditions existantes, je propose, non pas un changement de loi en lui-même, mais un agrandissement de latitude dans son application à travers des directives dans trois cas bien spécifiques. 1. Les examens de compétence de la langue française pour les professionnels doivent être maintenus, car ils permettent aux gradués d'institutions anglophones d'avoir une connaissance de base de la langue française dont être capables de travailler n'importe où au Québec. 2. La clause d'affichage pour les petits commerces et entreprises familiales comme prescrit par la loi doit rester, mais, pour des cas où l'affichage extérieur se présente seulement en anglais, c'est-à-dire non seulement en contravention à la loi 101, mais aussi à la loi 22, une certaine souplesse doit s'appliquer, tenant compte de la solidité financière des propriétaires, mais ils doivent le changer car avec un temps de grâce suffisamment long, il n'y a pas d'excuse.

Pour des commerces à affichage bilingue du même genre, on devrait poursuivre la même politique d'avertissement. Comme vous le savez, les seules poursuites judiciaires ont été contre des propriétaires avec affichage unilingue anglais, après avertissement. (20 h 15)

Le troisième point se réfère à l'admissibilité à l'école anglaise pour des enfants de familles immigrantes.

A) La loi prévoit que les enfants de ces familles sont admis dans des écoles anglophones si un des parents a complété son éducation de base en anglais au Québec. Les comités d'appel ont été créés et ils ont résolu beaucoup de cas épineux.

B) i) La loi permet que des frères et des soeurs d'étudiants ayant passé l'examen de la loi 22 soient admissibles à l'école anglaise. ii) Dans plusieurs cas, la loi 101 a facilité l'harmonie et a amené une cohérence dans l'éducation d'enfants de familles immigrantes. Exemple, une famille nucléaire, c'est-à-dire les parents et deux enfants, arrive au Québec. L'enfant plus vieux qui a fait ses études a une connaissance de base en anglais, tandis que le plus jeune ne l'a pas; le plus vieux est admis dans l'école anglaise, l'autre échoue l'examen et doit aller dans une école française. Ces cas ne se sont pas produits seulement avec de nouveaux arrivants, mais aussi avec des familles demeurant ici au Québec depuis plusieurs années. iii) La loi prévoit que les enfants de parents appelés à travailler au Québec peuvent étudier en anglais selon certaines conditions. Cela doit continuer.

C) Les conditions d'admissibilité aux écoles anglaises pour les nouveaux arrivés sont très désirables, surtout pour ceux d'origine latine car pour ceux-ci leurs langues maternelles se ressemblent et sont même identiques quant aux structures grammaticales; en toute logique elles sont désirables du point de vue académique, ce qui peut confirmer les résultats provinciaux d'examens au secondaire IV et secondaire V d'écoles anglaises à haute proportion ethnique.

En concluant, ceux qui conseillent à certains parents une pareille action d'inscrire leurs enfants dans des écoles anglaises ou à suivre illégalement - sans guillemets - des cours n'ont pas en vue le meilleur intérêt des enfants, mais se servent d'eux comme d'un outil politique, surtout avec des parents bien intentionnés, ce qui est une honte. Comment on peut faire sa vie sur le dos d'actions exécrables comme telles et vivre en paix avec soi-même va au-delà de ma compréhension, et je me passerai d'autres commentaires. C'est à la population d'en juger.

J'aimerais terminer en vous disant qu'en raison de la situation géographique et de la position démographique dans ce continent, l'enseignement du français dans les écoles anglaises devrait être approfondi et vice versa.

Je vous remercie de votre attention en vous laissant savoir que je suis prêt à vous donner des informations supplémentaires nécessaires et à répondre à vos questions.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Silva. M. le ministre.

M. Godin: M. Silva. J'aurais deux courtes questions. Au point un, vous dites que les examens de compétence en langue française pour les professionnels devraient être maintenus. Si les diplômés anglophones des écoles anglaises du Québec détiennent un diplôme de connaissance du français, s'ils réussissent l'examen de français qu'ils doivent subir à la fin de leur cours secondaire, estimez-vous que même dans ces cas, les examens de l'Office de la langue française devraient s'appliquer à eux quand ils auront atteints l'âge de pratiquer leur profession ou leur métier au Québec?

M. Silva: Vous posez une question, laissez-moi voir si je la comprends bien. Disons qu'un étudiant anglophone termine ses études universitaires...

M. Godin: Non, secondaires.

M. Silva: ...secondaires. Selon mon expérience personnelle et selon ce qu'on peut constater - je pense que les études peuvent aussi en donner - l'enseignement du français dans les écoles anglophones est pitoyable et vice versa alors qu'on pourrait l'approfondir et avoir des pédagogues compétents. Dans le décalage... Je pense que ce ne serait pas suffisant dans la plupart des cas.

M. Godin: M. Silva, deuxième question, la dernière en ce qui me concerne. À la page 2, au paragraphe B)ii, vous donnez l'exemple, entre parenthèses, d'une famille de deux enfants qui arrive au Québec, l'enfant plus vieux, etc. Est-ce que vous vous référez ici à la situation telle qu'elle est présentement ou à ce qu'elle était auparavant parce que vous dites que la loi 101 a réglé ce problème?

M. Silva: C'est telle qu'elle était. Ici, je me réfère à des cas qui sont concernés par la loi 22 qui ont été un peu disparates. L'exemple, c'est moi ici présent. Je suis arrivé ici en 1975. J'avais fait mes études secondaires en Europe. Je parlais le portugais qui est ma langue maternelle et le français comme langue seconde. J'ai aussi appris l'anglais. Lorsque je suis arrivé ici, je ne m'occupais pas trop de politique linguistique,

c'est-à-dire pas trop de politique en général ici au Québec. J'ai changé par la suite, mais j'ai passé l'examen de la loi 22. Cela aurait pu passer comme cela et j'aurais pu fréquenter une école française, mais j'ai dit: Pourquoi n'essaierais-je pas d'aller dans une école anglaise? Très bien! Mais ma soeur avait six ans et n'avait donc pas commencé à étudier. Elle ne savait parler ni le français ni l'anglais. Elle n'a donc pu poursuivre ses études ici et elle a décidé de s'en aller dans une école française. Elle est maintenant polyglotte comme moi.

M. Godin: Si je comprends bien, l'ancien régime provoquait également des situations comme celles qui ont été décrites plus tôt par le Congrès national des Italo-Canadiens. Dans une même famille, un enfant fréquentait un système et l'autre fréquentait l'autre système.

M. Silva: Pourrais-je faire un commentaire sur cela?

M. Godin: Oui.

M. Silva: Quant à moi, la question de la langue pour un polyglotte ne présente pas de gros problèmes. C'est quand même un peu ridicule pour les gens qui viennent ici comme immigrants ou qui parlent plus de deux langues. Lorsque nous sommes arrivés ici, on lisait les problèmes qu'il y a eu concernant la loi 22. C'était un problème émotionnel. Cela n'en dit pas suffisamment pour bien exprimer les raisons et je ne puis pas vraiment identifier le problème. C'est plutôt émotionnel. Il y a des raisons politiques et culturelles pour expliquer cela. Mais concernant les directives de ma maison, il n'y a pas eu de grand problème. Le problème a été que lorsque j'arrivais le soir, comme je voulais améliorer mon anglais, je voulais écouter la station CBC et ma soeur prenait Radio-Canada au même moment. Cela a été un problème mais cela s'est passé et il n'y a pas eu de grand problème. Je vous ai donné un exemple de choses qui n'ont pas beaucoup de sens.

M. Godin: Merci, M. Silva. M. Silva: II n'y a pas de quoi.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Nelligan.

M. Lincoln: Quelques brèves questions, M. Silva. Je voulais vous demander, puisque vous êtes polyglotte et que vous avez l'expérience des langues, puisque ce sont les Portuguais qui ont répandu la langue dans plusieurs coins du monde, si vous pensez qu'il est vraiment nécessaire d'adopter une législation linguistique en tant que principe.

Par exemple, ce matin, le maire Drapeau a dit qu'une langue se transmet par le bon vouloir d'une population de l'exprimer. Pensez-vous qu'on ait besoin d'une législation linguistique d'abord et, ensuite, d'une législation linguistique très forte comme celle-ci?

M. Silva: Je vais répondre à votre question avec beaucoup d'attention parce que vous avez fait un commentaire sur une législation linguistique forte. Je vais donc faire attention à ma réponse. Comme question de principe, si on parle de pays indépendants, je dirais non; on a tous les outils pour contrôler les communications, l'éducation, c'est complètement indépendant. Ici ce n'est pas le cas, ce palier législatif est en concurrence avec un autre palier législatif au sujet des communications de ce XXIe siècle. Elles seront beaucoup plus sophistiquées et, alors, pour un groupe culturel, une nation culturelle minoritaire dans un continent si large, anglophone - les anglophones ne sont pas en majorité sur le continent nord-américain, comme vous le savez, ce sont les gens de langue espagnole...

Le Président (M. Gagnon): M. Silva, je m'excuse, mais il va falloir que je vous demande de terminer.

M. Silva: D'accord. Ma réponse est: Oui, en principe, on n'en aurait pas besoin si c'était un pays indépendant; comme ce n'est pas le cas et que c'est une province, elle doit se soumettre à d'autres juridictions, à d'autres paliers gouvernementaux, je dirais, moi aussi, que c'est peut-être un besoin. Nous ne sommes que 6 000 000 sur un continent comprenant plus de 200 000 000 de gens. C'est tout.

M. de Bellefeuille: On va faire l'indépendance...

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Nelligan.

M. Lincoln: À la page no 2. On aurait pu discuter le cas de Goa et de Macao contre la Chine, par exemple, 1 000 000 000 de Chinois.

M. Silva: On pourrait dire que le portugais n'est presque pas parlé aujourd'hui.

M. Lincoln: Écoutez! On va vous poser une question concernant la page 2 de votre mémoire...

M. Silva: Certainement.

M. Lincoln: ...sur la clause sur l'affichage. Vous dites: "Comme vous le savez, les seules poursuites judiciaires ont

été contre des propriétaires avec affichage unilingue anglais après avertissement", et vous parlez de la loi 22. Si ma mémoire me sert bien, la loi 22 permettait un affichage dans une autre langue aussi, optionnellement, n'est-ce pas?

M. Silva: Oui.

M. Lincoln: C'est-à-dire qu'on pouvait afficher en français mais avec une autre langue. Voulez-vous dire que vous préférez le système de la loi 101 qui insiste sur l'affichage unilingue, ou si vous dites que vous étiez d'accord avec la loi 22? Je ne suis pas trop sûr de ce que vous voulez dire.

M. Silva: Non. Ce que je dis, c'est que je pense que l'affichage bilingue... Est-ce que vous voulez dire anglais et français ou quelques autres langues?

M. Lincoln: Anglais et français ou quelques autres langues.

M. Silva: Bilingue, ce n'est pas nécessairement français et anglais.

M. Lincoln: Oui, nous sommes tout à fait d'accord.

M. Silva: Je dirais que les cas d'exception prévus par la loi sont, dans beaucoup de cas, suffisants. Ce que je veux dire, c'est que je pense que vous ne mettez pas ici en doute le fait que les deux seules poursuites aient été faites pour des cas d'unilinguisme, d'affichage en anglais. Vous ne contestez pas cela.

M. Lincoln: À l'exception des poursuites, dans le cas du West Island, à Pointe-Claire, il y a eu des enquêtes sur 63 commerces, on a essayé de faire la guerre à 63 petits commerçants pour des affichages avec des mots comme "wool"? Est-ce que vous êtes d'accord avec cela?

M. Silva: Je vais répondre en deux volets. Premièrement, je pense que l'Office de la langue française s'attaque aux cas où il y a d'abord un affichage unilingue anglais. Il n'est même pas bilingue dans plusieurs cas, quand on se promène dans le West Island. Pour l'affichage bilingue, il n'y a pas eu de problème; il y a eu des avertissements dans certains cas. Disons que pour des commerces qui sont spécifiques à une communauté, je pense qu'on devrait avoir un affichage bilingue. Pour des commerces familiaux de cinq personnes et moins, comme j'en ai parlé, cela est permis à l'intérieur. Je ne vois pas de problème pour le moment. Peut-être que dans un avenir rapproché, si la situation est différente, la loi sera différente aussi.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. Merci, M. Silva, de votre présentation.

M. Silva: Pourrais-je faire un commentaire?

Le Président (M. Gagnon): Oui.

M. Silva: J'ai remarqué une chose. J'ai regardé les présentations de jeudi dernier et ce qui m'a frappé, c'est un civisme impeccable, caractéristique de cette commission au cours des présentations. Même si on avait des opinions différentes, on n'a pas vu ce qu'on a vu dans les années antérieures où ce n'était pas le cas. C'est toujours...

Le Président (M. Gagnon): Merci beaucoup.

M. Godin: M. Sagaria, merci beaucoup.

Le Président (M. Gagnon): J'invite maintenant M. André Dupont. M. André Dupont, veuillez prendre place, s'il vous plaît!

Une voix: Quel mémoire?

Le Président (M. Gagnon): Mémoire no 49.

M. Dupont, en vous souhaitant la bienvenue, je vous demande de faire la lecture de votre mémoire, s'il vous plaît!

M. André Dupont

M. Dupont (André): Je veux d'abord vous remercier de tenir cette commission qui, à mon avis, est très importante. C'est un honneur pour moi que d'y présenter mon point de vue.

Je commencerais en soulignant que, si on a beaucoup parlé, par exemple, au sujet de la Charte de la langue française, de l'accès aux écoles et, finalement, de l'aspect quantitatif de l'utilisation de l'anglais et du français, à ma connaissance, on n'aborde presque jamais dans ce débat la question de la qualité du français utilisé couramment au Québec. C'est principalement à ce point de vue que je vais m'attarder, si vous le voulez bien, dans les quatre points principaux que je vais aborder rapidement.

Le principal point que je veux mettre en lumière, c'est ce que je crois être une anglicisation croissante qui s'effectue au Québec par les médias et par la publicité. Pour ne pas faire trop théorique, je vais d'abord commencer, si vous le voulez bien, par certains exemples qui démontreront que la situation est importante et réelle et qu'elle est urgente. Il y a trois sortes de fautes qu'on retrouve souvent à la télévision,

par exemple. Ce sont surtout les affiches et la publicité sous toutes ses formes que je vise. Il y a, ce que j'appellerais des fautes de terminologie de lexique, des fautes de syntaxe et des fautes contre l'esprit de la langue française.

Je vais d'abord vous souligner des fautes du genre terminologique. Je vous souligne que ce sont des fautes qu'on entend couramment. J'essaie de vous convaincre que ce sont des choses extrêmement répandues. On entend des expressions comme "la conservation de l'énergie" alors qu'on devrait dire "l'économie de l'énergie". Conserver l'énergie, ce serait facile, il suffirait de ne pas en consommer du tout; on la conserverait entièrement. Il ne s'agit jamais de la conserver, il s'agit de l'économiser le plus possible, et pourtant tout le monde parle couramment de conservation d'énergie, n'est-ce pas? (20 h 30)

On entend beaucoup, préparer un rapport, préparer un mémoire. Si ces choses étaient seulement préparées, elles ne verraient jamais le jour ou presque, enfin, elles ne seraient jamais terminées. Il ne s'agit pas de les préparer, il s'agit de les rédiger. On rédige un rapport, on rédige sa déclaration d'impôt, on peut l'écrire, on peut la détailler, on peut la concevoir, la créer, mais seulement la préparer cela ne mène pas bien loin. D'accord? Pourtant, je suis sûr que tous ceux ici qui vous apportent des mémoires, qui vous présentent des mémoires doivent couramment dire qu'ils l'ont préparé et c'est ce qu'on entend en ce moment à coeur de jour; il y a des tas de gens qui préparent des tas de choses et pourtant, c'est un anglicisme flagrant. En anglais, on dit, "prepare".

On parle de contrôler la pollution alors qu'il s'agit de l'éliminer, des tours quand il s'agit d'agences de voyages ou de visites touristiques. Il y a même des marques de commerce, des marques d'agences de voyages, par exemple, Unitours ou des choses comme cela, mais cela est un anglicisme flagrant, cela n'a jamais voulu dire cela en français. Il n'y a pas de rapport entre le mot tour et l'idée d'une agence de voyages sinon des expressions comme faire un tour en ville, ou faire le tour de quelque chose. À Montréal, il y a un autobus qui s'appelle "tour de ville". C'est très mauvais comme expression. On peut faire le tour de la ville, d'accord. Voyez-vous, c'est qu'il y a de faux amis sur le plan linguistique, comme on les appelle, et on glisse facilement d'un terme anglais à une mauvaise expression en français. Je passe vite là.

Maintenant, des fautes de syntaxe. Je pense à des tas de publicité où on saute l'article. Par exemple: Voyageur.

Normalement, en français, il faut lier les choses, toutes les expressions employées. On devrait mettre l'article; prenez "Le Voyageur" puisqu'on a personnifié avec un V, ce qui est bien. "Tapis métropolitains vous offrent" au lieu de "Les tapis métropolitains vous offrent". Des exemples comme cela, il y en a énormément, mais je vais vous en trouver des plus parlants.

À la frontière du Québec et de l'Ontario, il y a une affiche qui dit: "Québec vous souhaite la bienvenue". C'est "le Québec", normalement, qu'on devrait lire alors que juste de l'autre côté, en Ontario, précisément, c'est bien écrit "L'Ontario vous souhaite la bienvenue". "Aux habits Sorel". "Les habits Sorel", devrait lire l'enseigne. "Ce plan devrait permettre à Pêcheurs Unis". Mais c'est affreux, cette expression-là! Devrait permettre "aux" Pêcheurs Unis. Le français est une langue qui exige d'être logique. Tout doit être lié, enchaîné, même dans les tableaux, quand on rédige des tableaux en français, on doit le plus possible rédiger en faisant des phrases complètes, en respectant la ponctuation. Toutes nos lois sont rédigées avec des points virgules à la fin de chaque paragraphe, chaque alinéa et on remplace le dernier point virgule par un "et".

Du français qui se tient bien, qui se lit bien et qui s'entend bieni On en est venu à se faire lessiver le cerveau tous les jours, tous les soirs par des horreurs, des barbarismes et, finalement, du petit nègre. C'est là la question que je soulève, est-ce qu'on veut continuer à entendre du petit nègre ou est-ce qu'on veut entendre du français? C'est la question fondamentale que je voulais soulever.

Contre l'esprit de la langue française, dernière catégorie d'expression que je voulais souligner, il y a des choses comme la Labatt bleue. C'est ma favorite, celle-là. Au début, il y a très peu de gens qui ont remarqué que la Labatt bleue, quand c'est sorti, il manquait le "e" à la fin. J'ai envoyé une lettre; je ne sais pas si c'est à cause de cela qu'ils l'ont modifié, mais maintenant, ils ont ajouté le "e". Voyez-vous, il y a des gens... Il y a une fausse croyance au Québec qui veut qu'un nom propre, cela s'écrit n'importe comment. C'est un nom propre, c'est invariable; c'est vrai, la grammaire nous dit cela. Mais, cela ne veut pas dire qu'on peut l'écrire n'importe comment, non plus, quand on crée une marque, un nom. C'est évident que le reste de l'expression du slogan, "bleu, c'est fameux". Voyez-vous, dans l'ensemble de l'expression, il n'y avait rien de féminin. Ce qui est d'abord assez formidable à faire, pour quelque chose qui est féminin, une bière. Bleu: b-l-e-u, c'est fameux; "c" apostrophe, c'est neutre, c'est un pronom démonstratif; "fameux", au masculin. Si on ne se doutait pas qu'il s'agit d'une bière, on ne le devinerait pas du tout. Voyez-vous? Ensuite, c'est tout à fait

impersonnel au sujet d'une bière. Alors, l'ensemble de la construction pêche directement contre l'esprit de la langue française. Cela n'a ni queue, ni tête, une affaire pareille. Il y a des exemples comme cela; c'est mon malin plaisir d'en relever à la télévision. Je pense que je vais vous faire grâce des autres exemples.

Je souligne rapidement, trois autres points, qui me frappent. C'est que, au sujet de l'enseignement public au Québec - je sais qu'on a tout entendu à ce sujet - j'aimerais que, au bout du compte, on garde bien à l'esprit que, dans toutes les sociétés, dans la plupart des sociétés au monde, c'est la langue de la majorité qui est celle qui est utilisée dans l'enseignement public. C'est pourtant simple. Est-ce que c'est trop simple comme critère? C'est l'évidence, à mon avis. Et je ne sais pas pourquoi on cherche de midi à quatorze heures. On est souple au Québec; on a fait des concessions. Mais, au bout du compte, je crois que c'est la normalité qui est exprimée par ce critère, celui de la majorité, et qu'on devrait y revenir constamment, comme à un barème, comme à un étalon. Tous les autres accommodements, d'accord on peut en faire, mais ce ne sont que des accommodements par rapport au critère de base qui lui, est patent, à mon avis.

Le troisième point qui me frappe et qui m'horripile personnellement, c'est d'entendre les journalistes anglophones dans les médias interviewer les francophones en anglais. Cela me renverse. Et cela me renverse pour deux raisons: d'abord que les journalistes anglophones n'aient pas la décence peut-être de savoir le français s'ils oeuvrent au Québec; s'ils le savent, de ne pas l'utiliser quand ils interviewent des francophones. Et enfin, de ne pas se rendre compte qu'ils humilient des francophones en leur demandant de s'exprimer dans une langue qui n'est pas leur langue maternelle. Il faut une certaine dose de cynisme pour pratiquer une telle politique de façon quotidienne, courante. Et il se trouve toujours des francophones pour se présenter a leur micro et montrer qu'ils savent parler anglais. C'est pitoyable comme situation. Je ne connais pas bien des endroits au monde où cela se passe comme cela. Il faut une sacrée dose de masochisme pour tolérer des situations comme cela.

Il y a une grande confusion au Québec entre ce qui est la langue première et la langue seconde; cela dit - c'est une opinion personnelle - d'une façon sociolinguistique, je dirais. Quelqu'un qui ferait une analyse de société, comme un anthropologue qui viendrait ici et qui étudierait les moeurs de ces gens, trouverait étonnant qu'un si grand nombre de personnes s'interrogent constamment sur les langues qu'elles parlent au lieu de parler une langue... comme un mécanicien prend son coffre à outils avant de réparer une auto. Il n'examine pas sa clé anglaise ou son tournevis pour se demander s'ils sont en bon état. Il prend ses outils et travaille. Ici, pour la culture personnelle, que des tas de gens souhaitent parler plusieurs langues ou toutes les langues du monde, on ne connaît personne sur cette planète qui serait contre ce principe. Mais quand il s'agit de la langue qui est parlée par une société, c'est autre chose. Ce n'est plus la culture personnelle qui est en cause, il s'agit de se demander quelle langue prévaut dans cette société, dans ce groupement humain.

La dernière chose: si, dans les médias -j'y reviens - il y a un si mauvais français qui est couramment employé, entre autres, dans la domaine sportif, quoi faire? C'est une grande question. Il y a des filtres ou des freins naturels qui ont échoué. Normalement, la population aurait dû se révolter contre ce français si mauvais qu'on entend couramment sur les ondes. Il semble que non puisqu'elle adopte, répand et diffuse elle-même des tas d'expressions fautives. Il y aurait eu les médias eux-mêmes qui auraient pu être des freins et des filtres naturels, mais les stations de radio, de télévision qui même parfois ont des services de linguistique chez elles, ne réussissent pas - cela est évident -à freiner cette inondation de mauvais langage. Qu'est-ce qui reste comme solution? Est-ce qu'on va modifier la loi 101 pour exiger que la qualité du français soit respectée, soit appliquée? C'est une possibilité. Est-ce que les organismes en place, la commission de surveillance, l'OLF, le conseil, devraient y veiller normalement d'une façon générale peut-être par leur mandat, mais en pratique, je pense qu'ils ne réussissent pas ou... Est-ce qu'on va congédier les commentateurs des médias qui ne veulent pas s'amender? Je pose la question. Voilà! Le problème est là. Il est posé et il faudrait y trouver une solution, à mon avis.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Dupont. M. le ministre.

M. Godin: Merci, M. Dupont. Vos remarques et propos sont notés. Merci bien.

Le Président (M. Gagnon): Merci beaucoup. *

M. Dupont: Cela me fait plaisir.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Je remercie M. Dupont pour son mémoire. M. Dupont, vous vous présentez devant nous comme traducteur professionnel.

M. Dupont: C'est exact, oui.

M. de Bellefeuille: Je trouve vos observations sur la langue très pertinentes. On pourrait ajouter d'innombrables exemples à votre liste. Je voudrais en ajouter seulement un, parce que je trouve que c'est la plus idiote des fautes répandues: l'adverbe "définitivement" employé dans le sens de certainement.

M. Dupont: Absolument aussi.

M. de Bellefeuille: C'est une faute idiote, parce que ce que les gens veulent dire, ce n'est pas définitivement, ils veulent traduire "definitely". Si on traduit le mot "definitely", c'est "définiment". Comme indéfiniment existe, il serait légitime de dire "définiment", mais définitivement, cela veut dire toute autre chose.

Cela dit, je voudrais vous proposer une réorientation de votre carrière. Ne pourriez-vous pas faire ce genre de travail dans un important média d'information? Cela existe. Il y a par exemple la revue de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec qui s'appelle...

Une voix: Médium.

M. de Bellefeuille: Média, un médium, c'est autre chose. C'est pour les magiciens.

Une voix: Ah bon!

M. de Bellefeuille: ...Le "30" et qui a un petit bloc dans chaque numéro où on signale quelques fautes courantes. À Radio-Canada on s'efforce de parler un langage très châtié, à tel point que l'on n'emploie pas un verbe vulgaire comme "prévoir", on "anticipe". Cela ne veut pas dire la même chose, mais on s'en fiche pas mal, cela fait mieux de dire "anticiper" plutôt que "prévoir". Mais à Radio-Canada il y a quand même fréquemment des observations sur la langue qui ont, je pense, une certaine valeur et une certaine influence sur la population...

M. Dupont: À la radio?

M. de Bellefeuille: Oui, à la radio. Alors, il me semble que vous devriez essayer de convaincre un journal important ou une station de radio ou de télévision de vous faire faire une chronique sur la langue. Je crois que vous pourriez la rendre très vivante et que cela vaudrait la peine.

M. Dupont: Me permettez-vous une impression? (20 h 45)

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. Dupont.

M. Dupont: Je suis d'accord avec vous, M. de Bellefeuille, pour dire qu'il y aurait beaucoup de choses à faire, mais en même temps, voyez-vous, il faut plutôt essayer d'intervenir au bon moment, au bon endroit et de la bonne façon. Cela en serait une très bonne, bien sûr, mais je crois que ce qui compte ce n'est pas de poser des sparadraps - comme on dit en français - sur un bobo, ce qui me préoccupe plutôt, c'est d'endiguer ce que je considère être une inondation. La différence que je fais, c'est que l'on peut faire toutes les campagnes du bon parler français que l'on veut, cela ne change rien au fait que la tradition verbale naturelle au sein d'une population devrait normalement suffire. Mais on a affaire, dans le cas des médias, à un haut-parleur qui domine la foule en un sens et qui a une puissance de pénétration tellement supérieure que c'est une intervention négative qu'il faudrait faire, c'est-à-dire mettre une digue pour stopper ce raz-de-marée; autrement toutes les petites interventions ponctuelles sont inutiles et vouées à l'échec.

C'est pour cela que je considère que c'est très important. On pourra dire que les médias, la liberté d'expression, il ne faut pas intervenir, et tout cela, mais eux ont le pouvoir d'intervenir et, d'une certaine façon, dans un sens indu sur l'évolution de la langue au sein d'une société. À mon avis c'est ce qui justifierait une intervention d'une nature autre, quitte à brimer tant soit peu la supposée liberté d'expression qui, de toute façon, est déjà brimée par ailleurs par d'autres interventions qui, elles aussi, sont sans doute justifiées.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député d'Argenteuil.

M. Ryan: Juste un mot rapide, M. Dupont. Je comprends votre souci et je le partage largement. Au chapitre des moyens j'ai des grands doutes sur les méthodes que vous proposez. Je crois que cela nous conduirait très rapidement à un régime autoritaire en matière linguistique. Je me demande si vous ne seriez pas mieux de chercher à améliorer le travail d'éducation à tous les niveaux de manière que les résultats en fin de compte soient meilleurs. Dans votre système, c'est la régie ou l'Office de la langue française qui va tout décider au bout de la ligne.

J'ai eu le cas récemment - je vous raconte cela - d'une de mes proches qui est à l'université. Elle avait un désaccord avec son professeur qui lui avait mis une mauvaise note sur une question de linguistique. Elle est allée vérifier à des sources très autorisées, documentaires, et c'est le professeur qui avait tort. Il ne voulait pas l'admettre et il a dit: On va téléphoner à l'Office de la langue française. C'est

parfaitement ridicule. Je pense qu'il faut que vous admettiez que si on s'embarquait dans un système comme celui-là... L'homme public quand il répond à des questions va prendre ses responsabilités et il me semble qu'il va répondre dans la langue qu'il jugera opportun d'utiliser, quitte à subir les sanctions de l'opinion.

Il me semble que la logique de votre texte conduit à un régime de plus en plus autoritaire. Je vous demande encore une fois si vous ne devriez pas plutôt envisager la perspective d'un travail d'éducation en profondeur, plus long mais qui produirait éventuellement des fruits plus intéressants; plus libre aussi.

M. Dupont: D'abord je ne fais pas que proposer des solutions, je les cherche. Deuxièmement, je dirais que les méthodes naturelles, celles dont vous parlez, ont déjà cours et on voit le résultat. Disons que je suis devant un problème et je cherche une solution. Je ne dis pas que je la tiens, mais ce que je suis tenté d'affirmer c'est que les solutions déjà en place en somme sont inefficaces. Il faudrait songer à autre chose.

M. Ryan: Oui. J'ajouterai seulement une chose si vous me permettez. Je ne suis pas de votre opinion quant au diagnostic que vous portez. Je considère, dans l'ensemble, ayant longuement observé ces choses, qu'il y a une amélioration générale de la qualité de la langue parlée et écrite au Québec. On pourrait discuter de cela très longtemps ensemble, mais je voudrais simplement que nous nous quittions, vous ayant entendu dire par quelqu'un que votre opinion n'était pas nécessairement partagée en matière de diagnostic.

M. Dupont: Oui. L'été passé il y a eu un congrès sur le français qui s'est tenu à l'hôtel Méridien où les gens concluaient effectivement que le français s'était beaucoup amélioré depuis des années. Il y a cela et il y a aussi l'inverse. Je pense qu'il y a deux mouvements en sens inverse qui se produisent. C'est un fait que les médias ont diffusé un meilleur français - on est d'accord là-dessus - mais en même temps il faut se rappeler que le français moyen parlé par les Québécois était excellent. Par exemple, le jouai était circonscrit à Montréal, paraît-il. Il paraît qu'on en situe l'origine dans une partie de l'île de Montréal. Par ailleurs, en ce moment il y a de plus en plus de jeunes à qui c'est indifférent de parler anglais ou français. On en connaît, on en voit de plus en plus. Moi-même, dans un ascenseur, j'ai entendu deux Québécoises, en descendant treize étages, se parler anglais et, en arrivant en bas, je me suis rendu compte que c'étaient des Québécoises francophones. Quelle ne fut ma surprise! Ce sont des choses qu'on ne voyait pas avant.

M. Ryan: Pensez-vous que c'est en donnant plus d'autorité à l'Office de la langue française que vous allez faire naître le goût de la langue et de la culture françaises chez ces jeunes?

M. Dupont: II faudrait bien voir quelle sorte d'intervention. Il ne s'agit pas d'intervenir dans le parler de chacun. Mais je dis que les personnes qui travaillent pour les médias, elles ne sont pas des personnes au sens d'une personne parmi la foule, elles sont des multiplicateurs qui tiennent un haut-parleur dans leurs mains. D'eux, nous sommes en droit je pense, comme société, d'exiger un français d'une qualité bien supérieure, impeccable. C'est là mon point de vue.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Dupont, de votre mémoire. Maintenant j'inviterais M. Pierre Landry.

M. Godin: Merci, M. Dupont.

Le Président (M. Gagnon): Excusez-moi, M. le ministre. Vous aviez...

M. Godin: Cela va.

Le Président (M. Gagnon): M. Landry, compte tenu de l'heure assez avancée - c'est le mémoire que j'ai entre les mains ici - je vais vous demander, s'il vous plaît, de le résumer en quelque dix ou quinze minutes.

M. Pierre Landry

M. Landry (Pierre): J'avais prévu lire un texte à caractère historique, qui me permettait de me définir au départ, et de définir la question de la langue au Québec. Si vous me permettez, je vais le lire; cela ne devrait pas prendre plus de cinq minutes. Après cela, on comprendra mieux pourquoi je propose une radicalisation de la loi en ce qui concerne la langue au Québec.

Je désire d'abord m'identifier comme Canadien d'avant la conquête, tout simplement pour vous dire que de 1608 à 1759 nous avons toujours parlé une seule langue au Québec, c'est le français. Il n'y a jamais personne qui s'est plaint du fait que nous parlions seulement français.

C'est à partir du 13 septembre 1759 que des problèmes linguistiques se sont posés au Canada. C'est en ce jour du 13 septembre 1759 que des étrangers, des Britanniques, se sont établis chez nous par la force militaire et nous ont imposé une langue étrangère, l'anglais. Depuis la conquête britannique, les Canadiens d'autrefois et les Québécois d'aujourd'hui ont dû regagner pacifiquement, au prix de combats quotidiens, ce qu'ils avaient perdu par la force des armes dans

une bataille qui ne dura que quinze minutes. Il y a eu l'Acte de Québec, en 1774, l'Acte constitutionnel en 1791. En 1840, l'Acte d'union devait casser les reins des Canadiens d'avant la conquête qui avaient osé se soulever contre l'occupant britannique en 1837 et 1838.

En 1867 la constitution du Canada britannique est imposée à la population du Québec sans qu'elle soit consultée. Le BNAA garantit alors à la minorité anglaise des droits égaux à ceux de la majorité française, alors que dans les trois provinces anglaises incluses dans le Canada de 1867, il n'y avait aucune protection assurée aux francophones.

Par la suite, à tour de rôle, chacune des provinces anglaises a légiféré pour faire disparaître sa minorité française. En 1864, les Acadiens de la Nouvelle-Écosse perdent leurs écoles. En 1871, une loi du Nouveau-Brunswick supprime les écoles catholiques et défend l'enseignement du français dans les écoles. En 1877, le gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard légifère dans le même sens. En 1890, le gouvernement du Manitoba abolit les écoles françaises et interdit l'enseignement du français dans les écoles. En 1892, le Conseil des Territoires du Nord-Ouest, sous juridiction fédérale, interdit lui aussi l'enseignement de la langue française. En 1905, lors de la création des deux nouvelles provinces de la Saskatchewan et de 1'Alberta, aucun droit n'est reconnu aux Canadiens-Français. En 1912, le Keewatin, sous juridiction fédérale, supprime les écoles confessionnelles et interdit l'enseignement du français sur son territoire. En 1912, le gouvernement de l'Ontario publie le règlement 17. Pendant tout ce temps, le gouvernement fédéral a eu une politique d'immigration qui a toujours favorisé l'anglicisation de chacune des provinces, même du Québec. Ce qui fait que les francophones se sont débrouillés comme ils ont pu au Québec et aussi dans les provinces canadiennes. Dans les autres provinces canadiennes, cela a été plutôt mal.

En résumé, je voudrais dire que le Canada britannique s'est bâti par la force militaire, politique et économique sur le dos des Canadiens d'avant la conquête. Le résultat aujourd'hui, c'est que la moitié des Canadiens français des provinces anglaises est assimilée. Il y a au moins 700 000 Canadiens français qui sont devenus des Anglais aujourd'hui. En 1976, le Parti québécois a été élu en grande partie à cause des problèmes linguistiques mal réglés par les libéraux de Québec - la loi 22 - et par les libéraux d'Ottawa - la question des gens de l'air.

Le 26 août 1977, la loi 101 entrait en vigueur. Elle devait permettre à long terme à la population française du Québec de se sentir enfin chez elle partout sur son territoire national. Or, qu'en est-il aujourd'hui, en 1983, de la situation de la langue française au Québec? Selon les études faites par le Conseil de la langue française et les résultats qu'on a pu en lire dans les journaux, il n'y a pratiquement pas eu de gains faits par la langue française depuis l'adoption de la loi 101. L'anglais continue de s'affirmer comme langue de la domination économique d'une minorité bien nantie. Quand je vais à Montréal, je me sens encore étranger, parce que je suis habitué de vivre dans une ville entièrement française et je ne me sens vraiment pas chez moi à Montréal et dans d'autres régions où on entend encore beaucoup parler anglais.

Ce qui m'amène à demander au gouvernement du Parti québécois d'opter enfin pour l'unilinguisme français dans une nouvelle loi qui pourrait s'appeler la loi 303. C'est l'observation du milieu nord-américain dans lequel la nation canadienne d'avant la conquête devenue la nation québécoise d'aujourd'hui doit et devra s'épanouir. Elle devra faire face à une population de 240 000 000 de Nord-Américains, alors que nous sommes 6 000 000. Ces 240 000 000 de Nord-Américains ont la possibilité de vivre dans 50 États des États-Unis et dans neuf provinces au Canada. Le seul territoire sur lequel peuvent vivre en français les Canadiens d'avant la conquête, c'est le Québec. Je considère qu'on n'a strictement aucun choix sur le plan linguistique que de légiférer dans le sens de l'unilinguisme de façon à nous assurer une vie normale qui nous permette de vivre chaque instant de la journée en français comme un "Étatsunien" va vivre en anglais chaque seconde de sa vie quotidienne.

Si on se raccroche au Québec et qu'on analyse les résultats du recensement fédéral de 1981, on s'aperçoit qu'il y a 82% de la population qui est francophone ou d'origine française et il y a à peine 11% d'anglophones ou d'origine anglaise. À venir jusqu'à maintenant, ce 11% de la population est toujours parvenu à imposer sa loi, ses normes ou son mode de vie à l'immense majorité de la population française. Cela m'apparaît plus qu'anormal et je trouve étrange que le gouvernement du Parti québécois songe à ramollir la loi 101, alors qu'elle n'a pas encore obtenu les résultats que l'on escomptait sûrement déjà, en 1977, lorsqu'on a adopté la loi. Ce que je conseille au Parti québécois, c'est d'opter pour l'unilinguisme français. Je comprends qu'il y ait des problèmes constitutionnels qui obligeront le gouvernement à faire des accommodements à cette politique éventuelle de l'unilinguisme mais je lui demande quand même, tenant compte de la Charte canadienne, de radicaliser tous les articles de la loi 101 qui peuvent l'être sans qu'il y ait d'obstruction juridique. (21 heures)

Je demanderais aux libéraux qui, sans

doute, voudront faire de la politique de cette question-là, de songer aux francophones de l'Ontario et de favoriser un gel des privilèges actuels de la minorité anglaise jusqu'à ce que la minorité française de l'Ontario reçoive le même traitement que les anglophones au Québec. Lorsque ce sera gagné en Ontario, ils pourront revenir au Québec et pourront essayer d'obtenir au pair chaque élément nouveau que les francophones pourront gagner en Ontario.

Le texte que j'ai proposé, c'est une révision de la loi 101 dans le sens de l'unilinguisme français. Il y a possibilité de revoir chacune des parties mais si vous en avez fait la lecture, vous aurez compris qu'il n'y a pas beaucoup de modifications, sauf que l'utilisation de la langue officielle dans tous les articles existants de la loi 101 devient exclusive.

Le Président (M. Gagnon): Je vous remercie. M. le ministre.

M. Godin: M. Landry, j'ai une brève question. Si l'on reconnaît l'existence d'une menace pour le français au Québec, une menace qui vient du poids de l'anglais sur le continent nord-américain, est-ce qu'on ne peut pas aussi reconnaître qu'il y a ici, pour des raisons historiques, une minorité anglophone qui a bâti ses institutions et que ce n'est pas cette minorité de 11% qui représente une menace pour le français au Québec? Donc, une loi linguistique doit tenir compte de ces deux facteurs-là, c'est-à-dire prendre des mesures qui protégeraient, qui protégeront et qui protègent déjà le français mais contre ses ennemis réels ou contre ce qui la menace réellement et non pas contre la présence au Québec d'institutions anglophones qui sont historiques et qui font partie du patrimoine social et économique du Québec.

M. Landry (Pierre): Je suis bien d'accord pour admettre que la menace vient des États-Unis mais il reste quand même que la minorité anglaise est également une menace puisque, concrètement, ce que l'on côtoie en dehors des médias, ce sont des individus. Les individus que l'on rencontre quotidiennement sont des membres de la communauté anglaise du Québec. Alors, il est bien clair qu'ils véhiculent dans leur vie quotidienne l'idée que la langue anglaise est encore prédominante au Québec. L'influence en provenance des États-Unis va venir par les programmes qu'on voit à la télévision, dans ce que transmet le cinéma ou encore lorsque les Québécois voyagent aux États-Unis. La présence de la minorité anglaise est bien concrète en ce sens que chaque jour, ce sont les gens que l'on entend parler anglais, non seulement dans la rue mais qui vont nous obliger - dans certains milieux - à parler anglais. Il y a beaucoup de Québécois qui sont, encore aujourd'hui, obligés de parler anglais pour travailler. Le problème ne vient donc pas des États-Unis. En ce qui concerne la langue de travail, le problème est posé concrètement par des gens de Montréal ou d'autres régions qui imposent la langue anglaise aux travailleurs.

M. Godin: Merci, M. Landry. Vos suggestions sont notées.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: M. le Président. Je veux simplement remercier M. Landry d'être venu exprimer son point de vue. Je ne lui cacherai pas qu'on ne le partage pas mais on lui reconnaît le droit de l'exprimer. Nous le remercions d'en avoir saisi la commission.

Le Président (M. Gagnon): Merci beaucoup, M. Landry. Cela va.

J'inviterais maintenant M. Gérard Brosseau à prendre place.

M. Gérard Brosseau

M. Brosseau: M. le Président, Mesdames, Messieurs, distingués membres de la commission, une question préliminaire, si vous me le permettez. J'aimerais savoir, M. le Président, si nous sommes ici nantis de l'immunité parlementaire.

Le Président (M. Gagnon): Non.

M. Brosseau: Je n'ai pas compris votre réponse.

Le Président (M. Gagnon): Non.

M. Brosseau: Cette précision apportée, je continue. À vrai dire, il n'y a qu'une manière de régler la question linguistique au Québec, il n'y en a qu'une seule: c'est l'indépendance politique et nationale du Québec, la souveraineté nationale. Il est bien certain qu'en fin de compte, seule notre indépendance politique, seule la plénitude du pouvoir politique nous permettra de régler la question nationale au Québec. Cependant, d'ici cette indépendance politique que je désire tant, il y aurait un moyen, étant donné que l'indépendance politique n'est pas pour 6 heures demain matin, nous allons y arriver tantôt.

Indépendantiste québécois depuis les premières heures du mouvement contemporain, soit depuis 1957, parce qu'il y en a eu d'autres avant notre époque, il m'est difficile de croire, mesdames et messieurs, que je puisse me retrouver de nouveau en cette année 1983, comme ce fut le cas en 1977, devant une commission parlementaire

dans le but de quémander l'officialisation réelle et exclusive de la langue française ici, au Québec même.

Aujourd'hui, après ma journée, j'aurais préféré m'en aller chez moi avec ma femme et mes six enfants, mais j'ai un devoir de québécois à accomplir, et je ne serai pas rendu chez moi avant 2 heures ou 3 heures cette nuit. Mais cela vaut le coup, je serai sur la ligne de feu aussi longtemps que ce sera nécessaire.

Une voix: Bravo!

M. Brosseau: À mon avis, le gouvernement du Québec a le devoir impérieux non pas d'amender la loi 101 dans le sens d'un quelconque recul, si minime soit-il, mais bien de l'amender dans le sens de la fermeté. En effet, notre gouvernement - là, je veux souligner ce qui s'en vient - se doit de ne pas commettre l'erreur tragique de ne pas apercevoir les véritables visées d'Alliance Québec, cet organisme qui veut regrouper tous les "anglophones" - entre guillemets - dans le but d'en venir à neutraliser complètement la loi 101 et de replacer ainsi le Québec sur la voie de l'anglicisation en douce.

Notre gouvernement a la tâche impérieuse de dissiper - je le souligne aussi -le malentendu fondamental qu'Alliance Québec tente désespérément de perpétuer et qui consiste à parler de "deux" - entre guillemets - communautés linguistiques au Québec. Il n'y a pas de nation sans assimilation. En 1840, nous avons eu Lord Durham, ici, qui a dit cela, mais dans une autre langue. J'en suis un Lord Durham, moi, mais dans le sens contraire. Il n'y a pas de nation sans assimilation. Il ne saurait y avoir de nation québécoise, ni maintenant ni demain, sans le phénomène de l'assimilation graduelle de nos minorités. Une minorité ne peut demeurer éternellement une minorité. Qu'on n'aille pas me dire que nous sommes une minorité en Amérique du Nord, la question n'est pas là.

J'entends déjà des gens qui vont dire: Ne sommes-nous pas une minorité en Amérique du Nord? C'est faux. Le Québec est un territoire juridiquement délimité, ayant une institution gouvernementale à lui; par conséquent, il faut une seule langue officielle nationale et territoriale. La question linguistique, M. le Président, c'est une question territoriale, c'est un problème territorial qui appelle une solution territoriale. Le destin des anglophones du Québec, c'est un destin québécois, donc francophone. S'ils décident de rester au Québec et s'ils ne peuvent en supporter même l'idée, ils doivent, en toute logique, prendre les dispositions nécessaires en vue de quitter le Québec. S'ils ne peuvent pas nous sentir, qu'ils foutent le camp. Le ministre

Godin a eu raison de dire que nous ne changerons pas d'odeur. Vous avez bien fait, M. Godin, mais vous n'avez pas encore assez de poigne.

Le destin des anglophones du Québec est le même que celui des francophones des provinces anglaises. Je répète que le destin des anglophones du Québec, c'est le même que celui des francophones des provinces anglaises. L'assimilation à la langue majoritaire, je juge cela drôlement important également. Je pense, M. le Président, que l'époque de la duperie, du mensonge doit prendre fin bientôt si nous ne voulons pas nous retrouver dans une autre Irlande. À moins de vouloir continuer, de part et d'autre, dans la voie de l'hypocrisie, de la duperie et du mensonge, ce qui ne manquerait pas de nous mener éventuellement à de très graves affrontements, la solution territoriale est la seule valable tout simplement parce qu'elle est la seule applicable. Je ne suis pas un extrémiste. Je suis l'homme le moins raciste de la terre. Je ne suis que normal. L'unilinguisme territorial. En Suisse française, c'est en français. Je ne suis jamais allé en Europe de ma vie, mais je connais bien ma géographie politique et physique. En Suisse française, c'est en français. En Suisse allemande, c'est en allemand. En Suisse italienne, c'est en italien. En Belgique française, c'est en français. En Belgique flamande, c'est en flamand.

Voici, à mon avis, M. le Président, dans quel sens très précis le gouvernement du Québec doit amender la loi 101 s'il est vrai qu'il tient absolument à l'amender. Je ne sais pas quelle maladie il a d'être tenté d'amender la loi 101 dans le sens de la mollesse, mais je le prie de remarquer que nous allons le ramener à la réalité. Si le gouvernement tient à amender la loi 101, il doit le faire sous la forme d'une nouvelle loi, la loi 1, dont voici un court essai de rédaction, M. le Président: "À compter de 0 h 01, à telle date, la langue française devient la seule langue officielle, nationale et territoriale du Québec, par tout le territoire québécois, et ce dans toutes les sphères de l'activité nationale sans en excepter aucune." Francophones, anglophones, allophones et tout ce maudit "phone-là", ce serait fini. C'est de la folie, de la folie furieuse. Il n'y a que nous, les Québécois, qui pensons de cette manière. (21 h 15)

La langue est une question territoriale et cette nouvelle loi doit évidemment signifier automatiquement - c'est là que j'arrive à ma solution temporaire - la destruction - le gouvernement actuel en aura-t-il le courage? - unilatérale ou non -on nous parlera d'"unilatéralisme" à Ottawa -du mortel article 133 et du non moins mortel article 23 de la maudite constitution

fédérale, deux articles très précisément destinés à entraver, à empêcher l'évolution linguistique et politique du Québec. Il faut nous révolter contre cela. La nouvelle loi que je propose, la loi 1, doit aussi avoir pour effet d'abolir automatiquement le réseau d'enseignement public anglophone du Québec, cette bête noire extrêmement dangereuse, et d'instaurer un seul et même grand réseau d'enseignement public francophone, de l'élémentaire à l'université, avec l'enseignement obligatoire et efficace d'une ou de deux langues étrangères, dont la langue anglaise en raison du contexte nord-américain. Il ne s'agit pas de ne pas apprendre de langues étrangères. En plus de parler le français, je parle couramment anglais et passablement l'espagnol. J'ai quelques notions d'une ou deux autres langues. Il ne s'agit pas de ne pas connaître une langue étrangère, il faudrait cesser de mêler les cartes.

Sur le plan linguistique, le gouvernement du Québec n'a plus le choix, M. le Président. Il doit afficher une fermeté absolument inébranlable en réalisant, en dépit de tous les obstacles, la francisation intégrale du territoire québécois, et ce, quelles que soient les réactions juridiques d'Ottawa. Dans les circonstances, le politique a nette préséance sur le juridique. C'est une question de vie ou de mort. Si le feu est à votre maison, ce n'est pas par politesse pour quiconque que vous ne défoncerez pas la porte; vous allez la défoncer, que ce soit permis ou non. C'est la même chose pour nous. Le politique a préséance sur le juridique. Il faut que le gouvernement du Québec se tienne debout. N'allez pas nous parler, messieurs du gouvernement, de faire des assouplissements à la loi 101. Au contraire, il faut renforcer la loi 101. Il faut une loi musclée, c'est le mot; il faut une loi qui a des dents. Les hypocrites d'Alliance Québec, pensez-vous qu'il vont vous donner la main, si vous faites des assouplissements à la loi 101? Loin de là, ils vont rire de vous et ils vont vous demander autre chose, autre chose et encore autre chose, jusqu'au moment où vous n'aurez plus rien à leur donner. La minorité...

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre! À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Brosseau: ...anglophone du Québec n'aura de cesse que le jour où elle nous aura assimilés complètement, n'oubliez pas cela.

Le gouvernement du Québec n'a rien à craindre, un nombre de plus en plus grand de Québécois vont l'approuver sur le plan linguistique. Il n'a qu'à se tenir debout. Mais je remarque une chose avec énormément d'amertume. Je suis militant indépendantiste depuis le moment où j'étais dans la vingtaine. Nous étions peut-être 25 jeunes gens quand nous avons commencé au Québec, vers 1956-1957. Savez-vous ce que l'abbé Lionel Groulx, pour qui j'ai une admiration sans borne et que Ryan déteste à mort -n'est-ce pas, Claude Ryan? - nous a dit? Il nous a dit: Vous autres, les gars qui voulez... Claude Ryan moins que quiconque...

Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse, M. Brosseau; ici, on interpelle les gens de la commission par le nom du comté qu'ils représentent.

M. Brosseau: Nous en aurions, des comptes à régler, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Ce ne sera pas l'endroit, si vous voulez. Exprimez votre opinion. Tout le monde vous a laissé libre d'exprimer votre opinion. Cela va en rester là.

M. Brosseau: L'abbé Lionel Groulx nous avait dit ceci: Les gars, rappelez-vous une chose... Je l'avais déjà remarqué à ce moment, même avant qu'il le dise, mais cela m'a convaincu davantage. Et combien les faits me l'ont toujours prouvé! L'abbé Groulx nous a dit: Les gars, vous qui voulez une émancipation de plus en plus grande pour le Québec, rappelez-vous bien que ce sont vos propres compatriotes qui vous mettront des bois dans les roues. Nous en avons eu un exemple cet après-midi par Drapeau le vire-capot, ci-devant maire de Montréal-en-Haut. M. le Président, j'achève.

Le Président (M. Gagnon): M. Brosseau, oui, vous allez terminer, mais...

M. Brosseau: M. le Président, j'achève.

Le Président (M. Gagnon): M. Brosseau, c'est moi qui dirige l'assemblée. Alors, s'il vous plaît, vous allez donner votre point de vue sur la question de l'heure, qui est d'entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

M. Brosseau: C'est cela.

Le Président (M. Gagnon): Vous allez vous contenter de donner votre point de vue et de répondre, par la suite, aux questions, si questions il y a.

M. Brosseau: Oui, je me mets à votre place et je vous comprends, remarquez. C'est vous qui avez le volant dans les mains et vous faites bien de le tenir.

Le Président (M. Gagnon): Je vois cela.

M. Brosseau: Une minorité, je le disais tantôt - je vais conclure - ne peut demeurer une minorité indéfiniment, éternellement. Il

est illogique voire immoral qu'une minorité sur un territoire juridiquement délimité demeure indéfiniment une minorité. Elle doit nécessairement s'assimiler à la majorité.

Une dernière remarque, M. le Président: le non-règlement de la question linguistique au Québec exerce une action paralysante sur tout ce que nous faisons, sur tout ce que nous entreprenons, au plan politique et social, au plan économique. C'est une tragédie, et la tragédie est ici même à Québec. Tous nos gouvernements qui se sont succédé - merci, monsieur; les libéraux sont commodes des fois, vous savez - à Québec, presque tous, exception faite peut-être du gouvernement d'Honoré Mercier et de celui de M. René Lévesque, tous les gouvernements nous ont lamentablement trahis. Il faut, ici au gouvernement du Québec, que la trahison cesse. Il faut que le gouvernement du Québec se tienne debout.

Nous n'avons qu'un pouvoir, nous ici en Amérique du Nord, et c'est le gouvernement du Québec. Si le gouvernement du Québec ne se tient pas debout, qui va se tenir debout?

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: M. Brosseau, merci d'être venu nous faire part de vos opinions. Elles ont l'avantage d'être extrêmement claires et de ne pas tellement souffrir la réplique. C'est la raison pour laquelle je me contenterai de digérer votre mémoire sans vous poser d'autres questions. Merci beaucoup.

Le Président (M. Gagnon): Pas de questions? Alors, on vous remercie infiniment, M. Gérard Brosseau.

Maintenant, j'invite M. Michel Lussier à venir prendre place, s'il vous plaît. M. Lussier, si vous voulez nous faire la lecture de votre mémoire, s'il vous plaît.

M. Michel Lussier

M. Lussier (Michel): Merci, M. le Président. Étant donné l'heure tardive, je vais tenter d'être bref. Je vais vous signaler en premier lieu que c'est ma première expérience à une commission parlementaire. Vous excuserez un peu mon manque de professionnalisme ou mon manque d'habitude. Je vais procéder à la lecture de mon mémoire.

À notre avis, le fait d'avoir accordé la tenue d'une commission parlementaire sur la Charte de la langue française démontre un esprit de faiblesse et de conciliation de la part du gouvernement. Devant la volonté de remettre en question certains articles dits irritants, certaines questions me sont venues à l'esprit. Je me suis demandé pourquoi la conciliation alors que, depuis six ans, les francophones du Québec doivent mener un combat permanent pour justifier la protection de leur langue? Pourquoi répondre aux pressions des adversaires de la loi 101 quand ces derniers ont tout simplement refusé de respecter notre langue? Pourquoi se dire que l'on s'est peut-être trompé quand la loi 101 est l'objet de la plus grande campagne de désobéissance civile qu'ait jamais connue le Québec? Qui nous donne le droit d'offrir une tribune publique à des personnes et à des groupes qui se présentent comme des héros de la lutte pour la survie des contrevenants à la loi 101? Je suis poli en disant "contrevenants"; on pourrait peut-être dire "criminels", parce qu'un acte a été commis.

Il ne faut pas se faire d'illusion. Quel que soit le niveau de notre esprit de conciliation, quoi que nous donnions aux anglophones en matière linguistique, ils ne seront satisfaits que lorsque le libre choix sera rétabli. Et encore, ce ne sera probablement pas assez, tant que l'on parlera français au Québec. Il faut aussi se rappeler que, tant et aussi longtemps que le Québec ne sera pas bilingue, M. Trudeau à Ottawa ne dormira pas bien sur ses deux oreilles. Un bon matin, une fois la question du Manitoba réglée, notre croisé ou notre redresseur de torts national se préparera pour une autre croisade. Seulement, cette fois, il ne s'agira pas de l'Ontario ou de la Nouvelle-Écosse, mais bien du Québec. Faire du Québec une province bilingue, voilà sûrement le rêve de M. Trudeau.

En 1977, pour la première fois de l'histoire, un gouvernement donnait - ou plutôt rendait - aux francophones du Québec le droit légitime de pouvoir vivre, travailler, s'informer et être administrés en français. La loi 101, telle qu'on la connaît aujourd'hui, deviendra rapidement la loi la plus populaire du gouvernement. Et, malgré les années qui ont passé depuis son adoption, elle recueille toujours un appui largement majoritaire auprès des francophones du Québec.

Malgré sa popularité certaine, la loi 101 est victime d'attaques continuelles. Ces attaques, qui ressemblent plus à une résistance organisée, sont dirigées par un adversaire puissant, riche et fort. D'ailleurs, sa résistance est forte et variée. Et pour citer les paroles de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal: "Tantôt - en parlant de la résistance - elle prend la forme d'un appel révérencieux aux tribunaux; tantôt, elle prend celle d'un recours à l'illégalité. Tantôt, elle se fonde sur les traditions et les droits acquis; tantôt, elle n'hésite pas à bousculer les traditions et les droits acquis, allant même jusqu'à modifier - unilatéralement - la constitution. Tantôt, elle se dit nationale québécoise; tantôt, elle se rappelle sa véritable nature, constate qu'elle est un élément d'un vaste ensemble impérial et elle

court alors chercher appui et confort à Ottawa, Toronto, et même à Londres. Tantôt, elle se montre amicale; tantôt elle recourt à la propagande haineuse, au mensonge éhonté de l'assimilation du patriotisme québécois aux crimes du Ku Klux Klan, du Dr Goebbels, et pourquoi pas - on allait l'oublier - de Joseph Staline lui-même."

Les attaques continuelles qu'a connues la loi 101 depuis six ans font souvent croire que les francophones sont en train d'éliminer la minorité anglaise du Québec. Pourtant, la Commission Pepin-Robarts avait décerné au Québec un certificat de bonnes moeurs et cela avec des termes qui laissaient peu de place à la discussion: "Ainsi avons-nous la preuve, au Québec, que les droits de la communauté anglophone peuvent être protégés et que les gouvernements de cette province sont tout à fait capables de réconcilier l'intérêt de la majorité et les préoccupations de la minorité."

Devant cette situation contradictoire, devant les attaques souvent injustifiées contre la loi 101 et la Charte de la langue française, n'est-il pas bon de se demander si ces activités de sabotage n'auraient pas nui au projet de francisation du Québec tel qu'entrepris en 1977 par le présent gouvernement?

Dans les minutes qui suivent, nous tenterons de voir si le français est bel et bien la langue de travail au Québec; s'il y a eu renversement du phénomène assimilateur que connaissaient les francophones il n'y a pas si longtemps. Nous tenterons aussi de voir si le Québec a désormais un visage français et si cette situation est irréversible ou si elle peut être ramenée comme avant, au moindre changement de gouvernement.

Finalement, nous nous attarderons sur l'attitude de certains médias et groupements qui s'entêtent à refuser le fait français du Québec et qui, par le fait même, nuisent à l'évolution normale de nos deux communautés, car il ne fait aucun doute que cet état de guerre nuit à notre société.

Le visage français du Québec. Depuis l'adoption de la loi 101, le Québec a certainement pris un visage français à caractère irréversible. À travers la province, on peut voir des centaines d'affiches en français, des milliers de compagnies qui s'affichent en français ainsi qu'une vision globale d'un caractère absolument francophone pour le plus grand territoire français du monde. La publicité que l'on reçoit par la poste est désormais en français ainsi que la plupart des catalogues et brochures décrivant produits ou services. (21 h 30)

Cependant, malgré le fait que le Québec soit définitivement sur la bonne voie pour atteindre un niveau de francisation encore jamais égalé, il reste encore de nombreux commerces ou compagnies avec pignon sur rue qui s'obstinent à aller contre la loi. À Montréal, par exemple, on pourrait donner l'exemple de la rue du Parc, "Park Avenue", cela se dit tout seul. Il y en a d'autres aussi qu'on pourrait nommer. Certains ont cru devoir agir en "irréductibles Gaulois" - on pourrait peut-être remplacer "Gaulois" par "Anglo-Saxon", mais en tout cas - pour faire une campagne de survie des affiches anglaises. On a tous connu M. Allan Singer ou, plus récemment, le fleuriste McKenna à Montréal. D'autres ignorent totalement la loi et conservent leurs affiches anglaises. On peut facilement en dénombrer des centaines seulement à Montréal qui sont dans l'illégalité et personne ne semble rien y faire.

Il peut être compréhensible et même préférable que la loi soit mise de côté durant la crise économique. Après tout, n'est-il pas préférable de conserver des emplois? Mais comment expliquer que des corporations publiques, telles les villes de Montréal, Outremont, Westmount, Mont-Royal, aient toujours des "stop" unilingues, des "Fifth Avenue", des "Sherbrooke Street" à la tonne? Cela pour en venir à la constatation que, malgré le fait que le Québec soit sur la bonne voie en ce qui concerne la francisation, il est important de rappeler qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire.

On pourrait peut-être aussi rappeler -un petit point en terminant cette section -les nombreux commerçants qui ont renversé leurs panneaux d'affichage, qui les ont tournés de bord ou encore qui ont mis du ruban gommé - on pourrait dire du "tape" -sur les noms anglophones qui étaient interdits d'après la loi, pour en faire une affiche pleinement légale. C'est très légal, mais, au point de vue esthétique, cela paraît très mauvais. On dirait qu'ils attendent strictement la prochaine élection.

Le français dans le monde du travail. Au niveau du monde du travail, c'est désormais accepté. Le français a fait des pas de géant. Cependant, le travailleur qui oeuvre dans une entreprise à charte fédérale n'a pas les mêmes privilèges que celui qui travaille dans une boîte québécoise. Il en est de même pour le travailleur de la petite entreprise familiale qui doit souvent se résigner à travailler en anglais parce que cela s'est toujours fait comme cela et que, d'ailleurs, le patron ne comprend pas un traître mot de français ou bien ne désire tout simplement pas le parler. Des exemples, on pourrait en donner là aussi.

Un autre problème semble se développer et prendre des proportions assez immenses. Il est très facile aujourd'hui de se faire assimiler dans une grande entreprise qui autrefois fonctionnait en anglais et qui aujourd'hui tente de fonctionner en français. Premièrement, on nous dira que, pour gravir

les échelons, il faut parler l'anglais parce que les grands patrons qui sont à Toronto ne comprennent pas le français. Souvent aussi, les entreprises ont traduit leurs brochures et les documents divers, les documents internes, mais voilà, la traduction est tellement exécrable que mieux vaut utiliser le document en anglais qui est bien souvent plus facile à comprendre.

On n'a qu'à rappeler, dernièrement encore, la traduction d'un mode d'emploi pour un certain appareil téléphonique qu'on a vu dans le Journal de Montréal récemment. Cela faisait pitié. Ces problèmes sont ceux de milliers de Québécois. Il serait donc bon de pouvoir dire que l'entreprise québécoise est francisée, mais cela est vrai seulement sur papier pour une vaste majorité de firmes. Il y a peut-être de grands mauvais citoyens corporatifs, mais au moins les travailleurs de ces mauvais citoyens corporatifs avaient des recours et ils ont pu venir s'exprimer ici. Pour ce qui est des petits mauvais citoyens corporatifs, les travailleurs sont laissés pour compte, sans recours, à part une loi qui, trop souvent, n'est pas respectée.

Le troisième et dernier point: l'attaque permanente contre le français au Québec. Depuis le début de la francisation au Québec avec la mise en application de la loi 101, les Québécois qui croient en cette politique se voient confrontés à un ennemi très puissant: les médias anglophones.

Sans compter les tentatives de sabotage contre la loi 101 dont on a pu voir les effets avec divers jugements de cour, sans compter les actes de désobéissance civile pratiquement encouragés par "certains groupements de défense des droits des anglophones", les Québécois doivent affronter une publicité négative et mensongère diffusée par les médias anglophones.

Alors qu'à tous les deux jours, le gouvernement légitime du Québec se fait traiter de membre du Ku Klux Klan, de gouvernement stalinien ou pire, de régime nazi, à l'étranger, des journalistes s'en donnent à coeur joie pour projeter une image franchement négative de la politique linguistique du Québec.

À titre d'exemple, on pourrait citer l'article paru dans le Jerusalem Post, en février 1982, qui faisait allusion aux souffrances des Juifs montréalais au sein de la société antisémite du Québec. Bien que dénoncé par plusieurs organismes, il n'en demeure pas moins que le mal avait été fait.

Un autre exemple de la politique de sabotage contre la loi 101. Récemment, en juillet 1983, Mordecai Richler se servait des cercles journalistiques les plus influents pour accuser le gouvernement québécois d'avoir condamné à la stagnation la métropole en votant la loi 101.

Selon M. Gosselin, délégué du Québec à New York, l'idée fausse que les Américains se font du Québec est aberrante. À titre d'exemple, M. Gosselin cite certains appels de personnes qui désiraient savoir s'il était vrai que l'on pouvait être arrêté à Montréal pour avoir parlé l'anglais. Une autre personne réclamait une photo d'un policier en uniforme chargé de faire respecter la loi 101. Pour conclure, M. Gosselin signale qu'à New York, on n'entend jamais parler des aspects positifs de la législation, mais seulement que les Québécois sont des nazis et des racistes.

Plus près de chez nous, The Gazette foisonne d'idées et d'articles les plus bizarres les uns que les autres. Ainsi, il nous est régulièrement possible de prendre connaissance d'articles ou de caricatures qui sont des plus mensongers pour les Québécois de langue française. Des exemples, on n'a qu'à ouvrir le journal à tous les deux jours et on en a un. À plus d'une reprise, des articles parus dans la Gazette ont du être démentis par le Devoir, ou d'autres journaux, à cause de la fausseté des déclarations.

Je me demande et je demande aux membres de la commission: Est-ce là une situation normale?

Je recommande donc, à la suite de ce mémoire, premièrement, que les municipalités soient forcées d'accélérer leurs programmes de francisation en ce qui concerne la signalisation routière; deuxièmement, qu'aucun changement ne soit fait dans la loi en ce qui concerne l'affichage public; troisièmement, que la loi soit ajustée pour forcer davantage la francisation de la petite entreprise et que cette dernière soit guidée pour faire en sorte que le processus s'effectue de façon régulière; quatrièmement, que quiconque contrevient aux règlements de la loi soit poursuivi immédiatement; cinquièmement, qu'un plus grand contrôle existe au niveau des grandes compagnies pour empêcher que des problèmes se créent comme on en a vu la semaine dernière chez Pratt et Whitney; sixièmement, qu'une résolution provenant de l'Assemblée nationale soit envoyée à M. Trudeau et ses comparses pour leur rappeler le caractère strictement unilingue francophone du Québec; qu'on le lui rappelle, il a peut-être besoin d'un rafraîchissement de mémoire; septièmement, que des moyens soient mis en place dans le but d'améliorer la diffusion et la compréhension de la Charte de la langue française; huitièmement, qu'une campagne de valorisation du français comme langue de travail soit entreprise dans les plus brefs délais; neuvièmement, que la clause Québec en matière d'éducation soit conservée; dixiè-mement, que ceux que l'on appelle les illégaux soient réintégrés dans le système de l'éducation francophone dans les plus brefs délais, parce que les parents de ces enfants jouent avec leur avenir.

Je veux vous remercier, messieurs, de

m'avoir écouté.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Lussier.

M. le ministre.

M. Godin: M. Lussier, je veux vous féliciter d'abord pour la tenue et la qualité de votre mémoire. Vous avez vraiment présenté un portrait complet de la propagande qui entoure la loi 101. Je vais passer la parole à mon collègue Patrice Laplante, vu que le temps se fait de plus en plus serré.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Merci, M. le Président. D'abord, je veux vous remercier à mon tour du mémoire que vous avez voulu apporter. Dans l'avant-propos, vous dites: "A notre avis, le fait d'avoir ordonné une commission parlementaire sur la Charte de la langue française démontre un esprit de faiblesse et de conciliation de la part du gouvernement." Si on fait un retour en 1977, lors de l'adoption, au mois d'août, de la loi 101, déjà le premier ministre avait promis - une promesse assez catégorique - qu'après cinq ans il rouvrirait la loi 101, sans promettre de rouvrir les articles, mais du moins de regarder le fonctionnement de la loi 101 pendant ces années pour voir s'il y avait lieu de faire des amendements à la loi. C'est pourquoi aujourd'hui, a l'usage, on peut voir les irritants qu'il peut y avoir dans la loi 101 parce qu'il ne faut pas non plus se présenter comme Dieu le père, dire qu'on a fait une loi parfaite et qu'on ne lui touche plus. Je pense que les intentions de cette commission parlementaire sont bonnes d'essayer de détecter à peu près tous les irritants qu'il peut y avoir, de les analyser et d'amender s'il y a des amendements à faire.

Mais il y a une question qui me tracasse un peu, votre mémoire étant dur mais réaliste. La seule question que j'aurais à vous poser sur votre mémoire se rapporte à la recommandation no 10. Vous dites: "Que les illégaux soient réintégrés dans le système d'éducation francophone dans les plus brefs délais." C'est une tâche très difficile. C'est qu'on a promis aussi que l'État policier ne serait pas dans les écoles. Il ne faudrait pas envoyer la police chercher les enfants à domicile ou aller faire un tri dans les écoles. Mais par quel moyen, même avec le rapport Aquin qui est sorti et a été refusé, favoriseriez-vous l'intégration des illégaux dans le milieu francophone?

M. Lussier: M. le député de Bourassa, premièrement il faudrait se rappeler qu'à l'heure actuelle ces enfants sont en train de perdre leur avenir. Cela fait au moins six ans qu'ils sont dans le système anglophone. Dans quelques années ils auront les examens du ministère à passer, et ces enfants ne seront inscrits nulle part, ils n'existeront nulle part. Ce seront des fantômes. Je ne sais pas comment on pourrait appeler cela. Il serait peut-être bon que, d'une part, on fasse une campagne d'éducation envers les parents de ces enfants pour leur dire à quoi ils feront face dans un avenir proche.

Il serait peut-être bon de rappeler qu'il y a aussi un syndicat en arrière de cela. Il y a un syndicat qui protège ces enfants. Il serait peut-être bon qu'on dénonce ce syndicat et aussi qu'on rappelle au syndicat qu'il joue avec l'avenir de certains enfants. Il y en a qui parlent de 1100, d'autres de 1600 enfants. C'est du monde. Ceux qui ont une formation complète ont déjà de la difficulté à se trouver de l'emploi à l'heure actuelle. Les enfants qui n'existeront pas, qui n'auront pas de diplôme, qui n'auront absolument rien auront probablement gâché douze ou treize ans de leur vie. Comment feront-ils pour se trouver un emploi?

Ma première tentative serait d'essayer d'informer, d'éduquer les parents et le syndicat pour tenter de réintégrer les enfants dans le système auquel ils seraient censés appartenir.

M. Laplante: II faut être sensible à cela un petit peu - pas un petit peu mais beaucoup - il reste que ce sont des enfants de six à dix ans qui n'ont eu aucun mot à dire dans cette histoire.

M. Lussier: Justement, M. le député. Ces enfants ne savent pas à quoi ils ont affaire à l'heure actuelle. Étant donné qu'ils sont jeunes, la réintégration dans le système francophone sera de beaucoup simplifiée. Leur formation étant encore très réduite à l'heure actuelle, ce sera moins difficile pour eux d'apprendre une autre langue qui sera une langue seconde à ce moment, étant donné que les familles parlent probablement toutes l'anglais à la maison. Ce sera beaucoup plus facile de les réintégrer immédiatement et non dans quinze ans, quand il sera trop tard.

M. Laplante: D'accord. Merci, M. Lussier.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Bourassa. Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier M. Lussier qui a pris la peine de venir présenter un mémoire devant cette commission et qui est fort préoccupé des conséquences que pourraient avoir des amendements que le

gouvernement apporterait à la loi 101. (21 h 45)

Je pense que vous avez vous-même reconnu que la loi 101 avait fait beaucoup pour la francisation de l'entreprise, l'affirmation du caractère français du Québec et ainsi de suite. Vous semblez convaincu que, si elle est amendée de quelque façon que ce soit, nous allons retourner aux années cinquante.

Êtes-vous conscient que, quand même, dans les sondages qui ont été faits assez récemment et qui ont été rendus publics, une majorité de francophones est favorable à des modifications? Je ne vous citerai que deux points, parce que c'est le seul tableau que j'aie devant moi. Il y a peut-être d'autres points sur lesquels on accepterait aussi des modifications, mais, particulièrement en ce qui a trait à la langue d'enseignement, 62% des francophones seraient plutôt d'accord pour permettre aux anglophones des autres provinces d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, enfin ce qu'on appelle la clause Canada, et 32% seraient en désaccord. Les autres 6% n'ont pas d'opinion, mais, en tout cas, c'est 62% par rapport à 32%, et là je ne parle que des francophones. Si j'ajoutais les non-francophones, on arriverait évidemment à des totaux beaucoup plus élevés.

La même chose pour la loi 101. Devrait-elle être modifiée pour permettre l'affichage bilingue? Plutôt d'accord toujours chez les francophones - 64%; plutôt en désaccord, 33%.

Est-ce que vous ne croyez pas que ceci est le résultat du fait que la loi 101 a eu des conséquences positives sur la francisation au Québec, sur le visage français du Québec et que, à ce moment-ci, les Québécois se sentent plus à l'aise, même si, au travail, on l'a vu l'autre jour, il y a encore des progrès à faire, on l'a vu dans le cas de Pratt et Whitney et probablement dans le cas des 30% d'entreprises où il reste encore du travail à faire? C'étaient les conseils en francisation des entreprises qui sont venus nous donner ces chiffres. Ne croyez-vous pas que des amendements devraient être apportés? Que, dans le sens où une majorité de la population francophone - j'insiste là-dessus - est prête à les accepter et les souhaite, ce soit un signe que justement on se sent plus en sécurité au Québec et qu'on peut élargir ou amender une loi qui... Là-dessus il faudrait peut-être faire un autre sondage, mais je pense que ceci le traduit d'une certaine façon. On a trouvé que, dans son application, à certains égards, la loi était peut-être trop tatillonne, trop rigide et que, dans le fond, au lieu de perpétuer ou de continuer l'image de générosité et de tolérance des Québécois, somme toute, elle amoindrissait cette image. Vous avez les résultats que vous avez fort bien décrits et qui sont exagérés à bien des égards quand vous parlez de la publicité qu'on nous fait à New York ou ailleurs. Il y a plusieurs des témoins qui sont venus devant nous qui l'ont relevé, et je pense qu'il n'y a personne ici qui n'ait admis qu'il y avait eu de larges exagérations, particulièrement en dehors du Québec et du Canada.

Ne croyez-vous pas qu'à ce moment-ci vous pourriez conserver quand même au Québec ce visage français que la majorité des francophones désirent, veulent, dans le travail, dans l'entreprise, etc., et que, en même temps, on ferait du Québec une société où peut-être on pourrait mieux s'accepter les uns les autres et corriger cette image qui nous fait du tort? Je pense qu'il y a plusieurs personnes qui sont venues le dire ici, même des gens qui sont très convaincus des bienfaits de la loi 101. Pour vous, apporter certains amendements à la loi 101, est-ce tout à fait irréconciliable avec un Québec qui demeure français, mais qui fait une place plus généreuse et plus réaliste aux autres communautés et particulièrement à la communauté anglophone du Québec?

Le Président (M. Gagnon): M. Lussier.

M. Lussier: Mme la députée de L'Acadie, je vais tenter de regrouper cela un peu; il y a plusieurs questions.

Quand vous dites que la majorité des francophones serait d'accord avec certaines modifications de la loi au niveau de l'enseignement, pour imposer la clause Canada, je suis bien sceptique là-dessus, parce que j'ai toujours considéré le Québec, finalement, comme n'étant pas une partie intégrante du Canada à cause de notre caractère très différencié aux niveaux culturel, linguistique et même social. Donc, je serais très porté à être contre le fait d'imposer la clause Canada. Je le vois dans ce sens-là. Je regardais justement en fin de semaine dans la Presse. Il y avait une annonce ou une publicité de Bell Helicopter qui cherche des ingénieurs, qui a commencé à recruter des ingénieurs pour l'usine qu'elle vient établir au Québec. Les ingénieurs qu'elle va recruter et qui vont être appelés à travailler pour cette compagnie vont devoir passer un an à Fort Worth au Texas pour une formation. Si elle recrute 1000 ingénieurs - c'est un chiffre bien hypothétique - et que, sur ces 1000, il y en a 800 qui sont francophones, j'aimerais savoir si ces francophones qui vont déménager là avec leur famille vont être capables d'avoir une école française pour leurs enfants. J'ai bien des doutes là-dessus. Je le vois dans le même sens. Si je déménage en Espagne avec ma famille, je suis obligé de me débrouiller en espagnol et d'apprendre cette langue. C'est dans le même sens que je le vois. Étant donné notre différence, le fait qu'on

est tellement différent des autres provinces, je ne verrais pas pourquoi on devrait imposer la clause Canada au Québec.

Mme Lavoie-Roux: Si vous me permettez de vous interrompre à ce moment-ci... D'abord, ce n'est peut-être pas "imposer", mais "permettre" la clause Canada. Car la loi 101, comme la loi 22, faisait du français la langue d'enseignement, mais elle prévoyait des dérogations pour une situation qui est une situation historique. Quand vous comparez le Québec au Texas ou à l'Espagne, je pense qu'on est dans un contexte historique différent. Il reste qu'ici, même si vous le permettez, il y a un grand nombre d'anglophones qui pourraient envoyer leurs enfants à l'école anglaise et qui les envoient à l'école française. Ils font le choix de l'école française. Même si ceci facilitait la venue ici d'ingénieurs ou de techniciens dont on a besoin, personne n'est obligé d'envoyer son enfant à l'école anglaise. Il reste toujours l'école française et l'enseignement public est français au Québec avec des dérogations, compte tenu du contexte historique. Je ne suis pas sûre que ce soit tout à fait exact de faire une comparaison avec les États-Unis qui, eux, ont eu une autre politique qui a été la...

M. Lussier: Je fais la comparaison dans le même sens, dans l'ensemble...

Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse. Vu qu'il nous reste environ huit minutes et qu'on a un autre groupe à entendre, j'aimerais que vous ayez la réponse la plus courte possible pour qu'on puisse entendre le prochain intervenant.

Mme Lavoie-Roux: C'est ma faute. J'ai posé une longue question.

M. Lussier: Merci, M. le Président. Pour répondre à la question de Mme la députée de L'Acadie, ce que je veux dire, c'est que je vois le Canada et le Québec comme deux ensembles politiques totalement différents, deux ensembles géopolitiques. C'est une opinion personnelle de dire que je suis contre le fait d'accorder la clause Canada. Il s'agira pour la commission à ce moment-là de voir, en tâtant le pouls des citoyens, ce qu'elle doit faire.

Pour répondre à votre autre question, la majorité des francophones qui serait pour l'affichage bilingue... J'aurais tendance à être pour l'affichage bilingue, mais il faudrait que ce soit dans le même sens. Je ne veux pas réduire les anglophones, mais les amener au même niveau que les communautés ethniques, qui ont le droit d'afficher en français d'une façon prééminente et ensuite d'afficher dans leur langue.

Mme Lavoie-Roux: Ils n'ont pas le droit, sauf à l'intérieur de leurs établissements quand ils ont plus ou moins de quatre travailleurs.

M. Lussier: Je m'excuse. Je me suis trompé.

Mme Lavoie-Roux: C'est...

M. Lussier: C'est dans ce sens-là que je le verrais. L'affichage anglophone à l'extérieur, je suis contre. On se promène à Montréal encore aujourd'hui et c'est en anglais que cela se passe dans plusieurs quartiers de la ville de Montréal, dans beaucoup de quartiers de la ville de Montréal. Je considère cela comme un problème. Je suis chez nous. Je regarde une pancarte et c'est écrit: "Harold Sweat shirts". On dirait que je suis dans un autre pays ou dans une autre province. C'est mon impression personnelle.

Le Président (M. Gagnon): Je vous remercie, M. Lussier, de ce mémoire.

M. Lussier: Je vous remercie.

Le Président (M. Gagnon): J'invite maintenant M. Claude Dulac.

Une voix: Mon nom est...

Le Président (M. Gagnon): Vous n'êtes pas M. Claude Dulac?

Une voix: D'accord. J'ai mal compris. Vous avez dit Claude Dulac?

Le Président (M. Gagnon): C'est cela.

M. Dulac (Claude): Bonsoir, mesdames et messieurs.

Le Président (M. Gagnon): Je vais vous demander de résumer le plus possible, parce que vous savez qu'on doit terminer à 22 heures. C'est malheureux, il ne vous reste pas beaucoup de temps; mais tentons de résumer, s'il vous plaît.

M. Dulac: C'est parce que j'aimerais bien exprimer mon idée.

Le Président (M. Gagnon): Oui.

M. Dulac: Est-ce que quinze minutes, c'est trop ou c'est passable?

Le Président (M. Gagnon): Cela va. M. Claude Dulac

M. Dulac: Ce rapport ne vise que la minorité de langue anglaise d'origine

britannique et exclut les allophones. D'ailleurs, si certains allophones ont choisi, par égarement, la langue anglaise à la suite de renseignements erronés des anglophones ou des fonctionnaires aux ambassades canadiennes, dommage, les Québécois ne sont engagés d'aucune manière envers eux. Si les immigrants allophones, nouveaux ou anciens, choisissent ou ont choisi l'anglais, ils devront en subir les conséquences et se préparer à apprendre le français. C'est urgent de le faire. S'ils tiennent à l'anglais, eh bieni le reste du Canada, c'est anglophone, le reste de l'Amérique et, si ce n'est pas suffisant, l'Afrique du Sud.

En adoptant des mesures claires, que le Québec règle la question une fois pour toutes. Voyons ce qui arrive lorsqu'on veut émigrer dans des pays multilingues. En Suisse, vous choisissez votre canton et sa langue. Même si le fonctionnaire vous a induit en erreur, si vous êtes français, essayez d'avoir des écoles et des services en français dans le secteur allemand. Pourquoi ces émigrants ne se plaignent-ils pas là-bas? Parce que les règles sont plus précises et qu'il n'y a pas non plus d'échappatoires. Si vous n'êtes pas satisfaits, vous émigrez ailleurs. Et en Belgique, c'est la même chose. Si vous êtes Québécois, francophones et immigrés dans le secteur néerlandais en Belgique, demanderez-vous des écoles et des services en français? La tolérance des Flamands a des limites, vous allez vous en apercevoir.

Nous, au Québec, béatement, on vous tolère alors que nulle part ailleurs on ne le fait. En Israël, l'immigrant qui s'installe en Israël n'a qu'à bien se tenir. S'il demande des écoles ou des services en arabe, croyez-vous qu'on tolérerait des illégaux et l'affichage en arabe à Tel-Aviv? La question ne se pose même pas.

En guise de conclusion sur cet aparté, l'immigrant - qui qu'il soit - en choisissant le Québec, devrait choisir le français comme il choisit l'anglais lorsqu'il va dans le reste du Canada. Pourquoi l'immigrant viendrait-il nous imposer une langue étrangère au Québec? Et là, je vise particulièrement aussi la communauté d'origine juive au Québec. Dernièrement, on s'est permis des commentaires à l'égard d'un ex-premier ministre du Québec lesquels étaient outrageux, je pense, dans une synagogue à Montréal. Il suffirait de rappeler que ces gens-là veulent défendre des anglophones du Québec et ils se rendent un mauvais service.

En 1934, M. Mackenzie King avait dit: II n'entrera aucun Juif au Canada, alors que les Allemands voulaient expulser les Juifs. Le Canada, en ce temps-là, aurait probablement eu de la place pour un ou deux millions de Juifs et l'on n'aurait pas eu à participer indirectement à ce génocide là-bas.

Nous nous sommes aussi interrogés sur l'origine de ces Anglais au Québec depuis l'occupation britannique. À chaque époque de cette présence, on peut se demander si nous, comme Québécois, voulions avoir ces gens-là. Entre 1760 et 1763, l'occupant anglais n'étant pas complètement satisfait de notre défaite et ses humiliations, s'est acharné à tout détruire dans des objectifs purement civils. Est-ce que des maisons, des récoltes, des bâtiments de ferme étaient des objectifs militaires? Je ne pense pas. La guerre était finie. Ce n'étaient pas des installations militaires. D'autres bassesses aussi viles et inutiles ont été faites par les habits rouges. En passant, est-ce que la couleur est semblable à celle du drapeau du Canada?

Donc, la première vague de peuplement a été faite de soldats et de tout ce qui croupit avec les soldats. Nos ancêtres ont répondu: Ces Anglais-là, nous n'en voulons pas. Par la suite, l'immigration étant insuffisante, les britanniques acceptaient tout: des mercenaires, des marchands sans scrupules, des repris de justice, des victimes de l'intolérance religieuse; cela peut aller. Les Anglais ont même nommé un juge élargi d'une prison anglaise. Vous pouvez vérifier si cela existe. Ces Anglais, nous n'en voulions pas.

Une anecdote nous rappelle même qu'un bateau rempli à craquer des descendants des survivants du génocide anglais en Irlande -en passant, la moitié de la population de l'Irlande a été tuée par les Anglais - a été mis en quarantaine par les Anglais sur une île, sans aucune ressource. Ils étaient voués à une mort certaine. Ce sont les Québécois qui ont défié les ordres des Anglais, qui les ont nourris et qui les ont soignés au péril de leur vie. Par contre, l'anecdote ne nous dit pas si ces Irlandais, pour mieux nous remercier, ont choisi la langue anglaise en signe de gratitude envers les Québécois. Ces Anglais, nous n'en voulions pas.

Plus tard, l'armée anglaise nous a imposé les loyalistes au bout du fusil. Nous n'avions pas le choix, nos fermes auraient été brûlées et les conséquences que l'occupant nous aurait fait subir. Lors d'un récent voyage au Vermont, un Américain m'a confié, je traduis: Vous savez, les loyalistes, pour nous Américains ou résidents des États-Unis, c'était le fond de la poubelle. Les loyalistes refusaient la libération des États-Unis de l'Angleterre. C'étaient des déserteurs, des traîtres, des collaborateurs -on sait ce que sont des collaborateurs - des pilleurs associés à l'armée anglaise. Nous avons purgé notre pays de ces traîtres et, à la même occasion, vidé nos prisons. Les "Canadians" n'ont jamais vu la différence, ils les ont accueillis à bras ouverts. Le gouverneur anglais leur a donné de l'argent et les a installés sur d'immenses terres, Haldimand en particulier, alors qu'on refusait de vendre des terres aux Québécois qui

avaient atteint les limites du territoire. On peut consulter Madeleine Ferron et Robert Cliche, dans: Les Beaucerons, ces insoumis, pour vérifier ces assertions. Les loyalistes se sont également installés en Gaspésie, dans les Cantons de l'Est et dans la région de Sorel. (22 heures)

Les endroits où ils se sont installés portent encore les noms des dégénérés de la famille royale anglaise et des gouverneurs militaires, tout ce fatras. Quand nous débarrasserons-nous des Dufferin, des Dorchester, des Craig, des Sherbrooke, et j'en passe? Est-ce honteux d'avoir sur nos cartes électorales les noms de Wolfe, de Dorchester, etc.? Des noms, cela se change, et rapidement! Vous savez, quand le général de Gaulle a dit, à Montréal, que le Québec devrait être libre, le lendemain, les citoyens de la ville d'Ottawa ont changé le nom de la rue de Gaulle. J'ai l'impression que nous aurions pu faire un peu plus rapidement ces changements.

Injustice suprême, nous avons dû racheter ces terres des Anglais par la suite. La seule trace de leur présence dans certains cas est un cimetière à l'abandon. Certains diront que nous avons été plus fortunés que les Acadiens ou les Amérindiens du Nouveau-Brunswick. Cette fois, les Anglais ne les ont pas déportés comme en 1755, ils se sont contentés de les repousser comme du bétail à l'intérieur des terres. Les loyalistes se sont installés sur ces terres qui avaient été développées. Les historiens nous diront que cela aurait pu être pis: le génocide des Beotuks par les Anglais à Terre-Neuve.

La résistance du peuple a toujours été constante de 1759 jusqu'à maintenant. Depuis la menace d'une libération américaine - je retourne dans l'histoire - les Anglais ont adouci les conditions de l'occupation, du moins en apparence, au Québec. Mais, lorsque les Québécois ont choisi une façon démocratique, ont résolu de s'affirmer et de réclamer un gouvernement responsable - qu'il suffise de penser aux 92 résolutions des gens élus par le Québec les patriotes, les "Vigilants", c'est-à-dire les ancêtres d'Alliance Québec qu'on subit présentement, ont été armés et aidés par le gouvernement militaire anglais. Les "Vigilants" harcelaient les Fils de la liberté. À cette époque, ç'aurait été un crime contre l'humanité anglaise de laisser les nôtres s'assumer par eux-mêmes, en 1834. Le pays n'était pas assez peuplé d'Anglais.

À la suite de la répression sanglante par les "habits rouges" - de la même couleur que le drapeau du Canada - des Colborne, en 1837-1838, on a maté les patriotes québécois. L'Anglais, non satisfait de sa victoire, a continué...

Le Président (M. Gagnon): M. Dulac...

M. Dulac: Je m'en viens.

Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse, mais, sincèrement, on est là pour écouter des interventions sur la Charte de la langue française. J'ai l'impression qu'on en est bien loin. J'aimerais vous demander de résumer pour en arriver à vos conclusions le plus vite possible.

M. Dulac: Ce que je veux dire par là, finalement, c'est que ces anglophones, avec qui on fait affaire présentement, sont peut-être des descendants de ces gens-là. On ne nous a pas donné de chance quand on était en majorité, donc, qu'on ne les traite pas injustement, mais qu'on les traite de la même façon qu'eux, en majorité, traitent les Canadiens français dans le reste du Canada, pas plus ni moins. La question de tolérer des illégaux dans les écoles, c'est se rendre un mauvais service. Si ces gens ne sont pas satisfaits des lois du Québec, ils peuvent émigrer.

Je vais sauter aux recommandations. On nous présente des solutions de dupes comme le Manitoba bilingue. On pourrait dire aux anglophones: Voulez-vous avoir des lois bilingues en 1995? Voulez-vous des institutions bilingues en 1995? La Confédération, cela a été un autre marché de dupes, la garantie des commissions scolaires confessionnelles, dernièrement, la clause Canada. La clause Canada, qu'est-ce que cela veut dire? Pouvez-vous envoyer votre enfant dans une école française à Terre-Neuve, à l'Île-du-Prince-Édouard, en Alberta? En Alberta, oui, dans certains cas. En Colombie britannique? Très peu.

L'attitude de la minorité anglophone du Québec a été de préserver la race anglaise comme les Africains du Sud. 10% de la population veut imposer sa loi à 90% de la population. Est-ce normal d'avoir trois universités de langue anglaise à Montréal avec une clientèle qui se compose de 30% de vrais Anglais alors que les nôtres sont refusés? C'est une injustice par rapport aux nôtres; il n'y a pas de place cette année dans les cégeps francophones ou anglophones.

Je passe à autre chose: les hôpitaux. Est-ce justifié? Pour donner un cas concret, il y a une communauté protestante qui a son siège social aux États-Unis et qui a décidé de faire d'un sanctuaire religieux anglophone un sanctuaire francophone parce qu'il restait 30 Anglais et 100 francophones. On a dit: Les Anglais, on les transportera dans un autre. Cette institution américaine a eu plus de courage que le gouvernement du Québec. S'il restait 20 Anglais au Jeffery Hale, un hôpital de Québec, l'hôpital serait toujours de langue anglaise.

Je vais passer aux recommandations, parce que c'est assez important. Donner des institutions aux anglophones selon le

pourcentage qu'ils représentent au niveau de l'ensemble du Québec ou des régions; s'ils en ont plus que les francophones hors Québec, tant mieux. St. Mary's pourrait devenir l'hôpital Sainte-Marie, en français. J'aime bien Nelson, mais Sainte-Marie, je n'aime pas cela. Concordia, pour une université, Concorde. Ce serait dans l'ordre des choses. Il n'y a pas la clientèle scolaire pour le justifier. Il y a quelque chose qui aurait été fait depuis 1976 et qui est facile.

En affaires, vous avez besoin d'un permis; vous avez besoin d'un enregistrement. Que l'octroi de tout permis, licence, numéro de taxe ou d'employeur ne soit accordé qu'à la condition que le demandeur démontre qu'il satisfait aux exigences d'affichage, d'utilisation de raison sociale et que son personnel peut s'exprimer en français. Si vous ouvrez un bar au Québec et si vous n'avez pas de raison sociale française, essayez d'avoir votre permis d'alcool. Est-ce que McKenna serait encore en activité présentement si, en 1976, on avait pris ce règlement? Est-ce que Singer serait encore en train de nous niaiser devant la Cour supérieure si on avait pris ce règlement? Ce n'est pas possible de contester une décision administrative. Si on adoptait ce règlement-là demain, dans six mois, vous verriez l'affichage anglais à Montréal complètement changé. De toute façon, on sait que, lorsqu'on va devant la Cour supérieure, qui est un dépotoir de patroneux fédéraux, la décision penche toujours du même côté. C'est comme la Cour suprême du Canada.

En tant que Québécois, nous avons aussi une responsabilité. Ce n'est pas seulement au gouvernement à prendre des décisions. Nous avons un devoir de boycotter toute entreprise qui ne respecte pas l'unilinguisme français au Québec: plus d'annonce dans la Gazette, CFCF, CJAD, boycott des établissements qui...

Le Président (M. Gagnon): Est-ce que vous en êtes rendu à vos recommandations?

M. Dulac: Oui.

Le Président (M. Gagnon): II faut abréger le plus possible.

M. Oulac: D'accord. Je vais passer pardessus celles-là, parce qu'elles sont secondaires. Une solution d'entente réciproque de province à province relativement aux services offerts dans la langue de la minorité, telle la proposition de 1978; pas de clause Canada. Cette proposition pourrait même être adoptée au Parlement. Si l'Ontario ne veut pas le faire, qu'on laisse la loi sur la tablette.

Les anglophones veulent un assouplissement sur les tests de langue de l'office. Voici une solution qui nous permettrait de revoir cela. Évidemment, il serait impensable de laisser aux institutions anglophones la correction de leurs propres tests puisque tout le monde réussirait et personne ne parlerait français. Exemple, les 1000 heures de cours suivis par un anglophone au Québec et qui ne peut pas s'exprimer, sauf exception, en français. Les tests de français seraient administrés et corrigés par des fonctionnaires du gouvernement. Évidemment, sans l'attestation de ces cours, il serait impossible d'aller de l'avant. Par exemple, si vous arrivez à la fin du cours primaire et que vous ne réussissez pas le test de français, c'est dommage. Vous ne continuerez pas tant que vous n'aurez pas réussi votre test de français. C'est la même chose à la fin du secondaire. C'est la même chose à la fin du cégep. Vous verriez que la francisation du Québec serait rapide.

Les étudiants détenant des diplômes étrangers et voulant accéder au secteur de l'enseignement anglophone devraient passer des tests. Cela se fait en Ontario. Quand je suis allé faire des études en Ontario, on m'a fait passer un test pour savoir si je parlais anglais, à l'Université d'Ottawa, même si mes cours étaient en français. Pourquoi ne ferait-on pas cela aux anglophones? S'ils viennent à l'Université McGill ou à l'Université Concordia, s'ils viennent de Hong Kong, qu'ils passent donc un test pour démontrer qu'ils connaissent un peu le français; autrement, qu'ils aillent faire leurs études en Ontario. Si c'est bon pour les francophones qui vont en Ontario, pourquoi cela ne serait-il pas bon pour les Anglais qui viennent à l'Université McGill? S'ils ne sont pas capables de réussir le test, c'est dommage...

Aussi, la loi 101 devrait être étendue pour englober les collèges, les universités et les autres organismes sans but lucratif qui échappent à la loi, et il y en a beaucoup. Prévoir également des structures de frais de scolarité, c'est-à-dire qu'il y ait une parité entre les droits de scolarité au Québec et ceux des universités américaines, et la même chose pour les collèges. S'il en coûte 12 000 $, quelqu'un de Hong Kong choisirait peut-être plutôt l'Université de Toronto, et tant mieux pour nous, parce que ensuite ces gens-là nous quittent et déblatèrent contre nous.

Aussi, on peut proposer l'adoption de mesures de redressement progressif dans les entreprises de plus de 30 employés en défendant le droit au travail des groupes victimes de la discrimination. En fait, nous, en tant que Québécois, sommes victimes de cette discrimination. Ainsi, 90% des postes devraient être réservés aux francophones, y compris un pourcentage attribué aux minorités visées, tels les femmes, les Noirs, les autres. On peut quand même laisser, par rapport à 10% de la population anglophone

qui subsiste, un nombre correspondant de postes qui pourraient être réservés à ces anglophones de souche britannique, puisqu'ils sont là.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Dulac.

M. le ministre.

M. Godin: Merci, M. Dulac. Nous lirons votre mémoire de façon complète et nous en tiendrons compte.

Le Président (M. Gagnon): Merci de votre mémoire.

Les travaux de la commission sont ajournés à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 10)

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