(Quatorze heures cinquante-trois minutes)
M. Arseneau : Alors, évidemment,
on réagit au dépôt d'un projet de loi qui est très imposant. On parle aujourd'hui
d'une véritable réforme, à l'image de ce que Gaétan Barrette a entrepris il y a
de cela quelques années. On parle de 1 180 articles, 37 lois
modifiées. Alors, même si on refuse de nommer ce dont il s'agit, c'est une
réforme extrêmement importante, majeure. Et ce qu'on entendait sur le terrain
depuis des années, c'est que c'est... la dernière chose dont les membres du
personnel de la santé au Québec avaient besoin, c'est d'un tremblement de terre
ou qu'on ébranle à ce point les colonnes du temple, et surtout sans les
consulter.
Donc, il y a toute la question du
processus. Tout le monde semble un peu surpris de constater ce qui se retrouve
dans le projet de loi et n'ont pas été partie prenante à la réflexion
antérieure. Mais je vous dirais que ce qui est remarquable, dans la démarche
qui a mené au dépôt du projet de loi et ce qu'on peut lire aujourd'hui, c'est
qu'il y a quelque chose d'orwellien dans ce qu'on nous présente. On dit qu'on
veut procéder à la décentralisation du système de santé avec une concentration
du pouvoir et des décisions entre les mains d'un petit groupe de «top guns» du
privé à Québec. C'est une hypercentralisation jamais vue. On dit qu'on veut
redresser le système public et on fait appel au privé pour ce faire, qui va
pouvoir signer des contrats avec des centres médicaux de services privés. Ils
auront carte blanche. On dit qu'on veut une gestion de proximité, alors que le
pouvoir va être concentré comme jamais entre les mains d'un petit groupe de
gestionnaires à Québec. On fait même sauter tous les conseils d'administration
des CISSS et des CIUSSS.
On dit qu'on veut accentuer l'imputabilité,
et pourtant, pour le ministre, bien, on crée une espèce d'écran devant lui où
toutes les opérations au quotidien du système de santé public du Québec vont
lui échapper, où il n'aura que fixé les objectifs. Et, lorsqu'on posera des
questions, bien, il aura beau jeu de dire : Moi, je ne suis pas là pour
éteindre des feux, je ne suis pas là pour vaquer aux opérations, je suis au-dessus
de la mêlée. Donc, les gestionnaires, ce qu'on comprend... la petite équipe de
gestionnaires sera imputable de ses décisions au ministre, mais l'imputabilité,
la responsabilité ministérielle, elle, si on se met du point de vue de l'usager,
du point de vue du citoyen, bien, elle disparaît complètement. À qui pourra-t-on
poser des questions sur les services de santé qui sont offerts dans toutes les
régions du Québec, si on est un citoyen, si on est un usager, si on est un
patient? Plus que jamais, cette possibilité-là disparaît. Même le service de
plaintes... on dit qu'on va les concentrer, là, dans un protecteur du patient
ou de l'usager à Québec. Alors, ce qu'on se dit, essentiellement, c'est qu'on
va éloigner encore davantage les centres de décision du plancher, de là où les
gens travaillent, d'une part, et là où les gens reçoivent des services, d'autre
part.
Pour le reste, je vous dirais qu'on va
regarder article par article comment on peut contribuer, collaborer à ce qu'essentiellement
ce projet de loi là soit amélioré, mais, à première vue, le projet ne semble
pas correspondre aux objectifs qu'on voit un petit peu partout, là, dans le...
comment on appelle ça, le napperon qui nous a été présenté, là, en disant, par
exemple, qu'on veut redonner une efficacité et un accès aux services pour les
usagers, qu'on veut les entendre, même chose pour le personnel, ça se veut plus
collaboratif. Ce n'est pas ce qui se dégage d'une première lecture.
M. Denis (Maxime) : Quand on
parle des fameux «top guns», là, avec autant de poids sur les épaules, de
responsabilité, d'imputabilité, là, qu'il arrive un incident avec un infirmier
quelque part dans un établissement, tout va revenir à cette personne-là. Ça va
intéresser qui de faire ce job-là?
M. Arseneau : Je ne sais pas
qui peut être intéressé par ça, mais ce n'est peut-être pas pour rien que le
ministre a dit qu'il allait faire sauter la banque pour ses gestionnaires.
Donc, ce qu'on sait, c'est que ceux qui sont intéressés par un poste
prestigieux et bien payé vont certainement tenter de relever le défi, mais la responsabilité
sera lourde face au ministère, face au ministre, mais pas nécessairement face à
la population. Et c'est là qu'il risque d'y avoir une cassure majeure entre
ceux qui demandent des services puis ceux qui gèrent les opérations, qui... Je
ne vois rien là-dedans, là, qui me confirme que les gestionnaires seront
imputables de leur gestion envers les prestataires de services, ceux qui
reçoivent les services, et ça, il me semble que c'est un virage qui éloigne,
encore une fois, là, les citoyens, les usagers, les communautés des pouvoirs
décisionnels. Donc, on va voir, là, de très, très loin, de très, très haut, là,
ces grands gestionnaires qui prennent une décision pour le bien commun, mais
avec pour conséquence que, localement, on n'aura aucune prise sur le système de
santé et les soins auxquels on a droit un peu partout à travers le Québec.
M. Desrosiers (Sébastien) : Juste
pour être certain de bien comprendre, quelles similitudes vous voyez avec la
réforme Barrette?
M. Arseneau : Bien, en fait,
c'est l'achèvement de la réforme Barrette. Par exemple, le fait qu'on ait, avec
la réforme Barrette, éliminé les élections, là, pour qu'on ait un conseil
représentatif de la population, c'était un premier pas pour déresponsabiliser
les communautés par rapport aux services et soins de santé auxquels ils ont
droit. Là, on décidait de nommer les P.D.G. et nommer les membres du C.A. Là,
on décide de faire tout simplement disparaître les conseils d'administration. On
aura un conseil d'établissement. Or, les conseils d'établissement, évidemment,
n'auront aucun pouvoir, et ce ne sera absolument pas contraignant pour les
gestionnaires locaux ou régionaux, et encore moins pour les gestionnaires de
Québec, d'entendre la population à travers ceux qui accepteront de siéger sur
ces conseils d'établissement, savoir comment ça se passe pour eux, la
prestation de services sur le terrain. Alors, moi, ça, c'est une étape de plus,
encore une fois, vers l'éloignement de l'imputabilité, justement.
Puis, si les gens qui sont dans les
hôpitaux, dans les CIUSSS ne rendent pas de comptes à la population qu'ils
desservent, bien, je pense qu'on n'améliorera pas l'expérience client ou
patient, si on veut, contrairement à ce qu'on dit qu'on veut faire. Il y a déjà
une connexion importante, là, à maints égards, dans toutes sortes de services
gouvernementaux, mais la santé, c'est d'abord les humains, c'est d'abord ceux
qui reçoivent des services et ceux qui les administrent, c'est-à-dire, qui les
livrent, et puis ils ne font pas partie du projet.
C'est un brassage de structures et de
gouvernance. Puis j'ai beaucoup de peine à imaginer, à voir le lien entre les
objectifs, qui sont louables et qu'on partage en grande partie, l'accès, le
public, ainsi de suite, de redorer le blason, et tout ça, et les moyens qui
sont mis en place dans le projet de loi, qui est un brassage de structures,
puis on donne les clés à des «top guns» du privé pour... avec cette idée-là,
là, puis c'est très, très idéologique, justement, de dire que parce qu'on va
aller chercher quelques gestionnaires du privé, magiquement, on va pouvoir
améliorer les choses.
M. Laberge (Thomas) : Vous
avez fait référence à Orwell, justement, pour montrer la disparité entre les
objectifs et les moyens. Quelle intention vous donnez au ministre de la Santé
avec ce qualificatif-là? Est-ce que c'est volontairement pour jeter de la
poudre aux yeux aux gens ou vous trouvez que, finalement, c'est comme une forme
d'incompétence puis que le projet de loi est incohérent?
M. Arseneau : Non, mais je
vous dirais que c'est encore dans la méthode de communication — puis
là on va voir que ça se traduit aussi dans le projet de loi — de dire
une chose pour rassurer les gens : ce service-là va être plus accessible,
le système public, on va le redresser. Mais, dans les moyens qu'on met en
place, on devine que la part du privé va être encore plus grande, qu'on va... on
dit qu'on va écouter davantage, par exemple, les employés syndiqués, on veut un
mode de gestion plus collaboratif, mais les moyens qui sont mis en place
risquent de générer exactement le contraire. Alors, c'est dans ce sens-là que
le discours et les gestes qu'on pose nous apparaissent contradictoires. Et c'est
dans ce sens-là que je dis que c'est orwellien, c'est qu'on veut faire dire
autre chose au vocabulaire qui est utilisé. De dire que c'est un projet de
décentralisation ou de gestion de proximité, c'est abuser de la crédulité des
gens. C'est exactement le contraire, qu'on est en train de faire. On est en
train d'hypercentraliser le réseau de la santé. C'est une réforme qui concentre
le pouvoir comme on ne l'a jamais vu dans le passé, et on écrit exactement le
contraire dans la description du projet de loi.
M. Laberge (Thomas) : Mais la
question, justement, c'est : Pourquoi le ministre fait ça, selon vous?
M. Arseneau : Bien, je
pense...
M. Laberge (Thomas) : ...il
veut vraiment tromper les gens, selon vous?
M. Arseneau : J'ai de la
difficulté à lire les pensées du ministre, mais je constate que les moyens qui
sont mis en place vont créer exactement le contraire de ce qu'on dit qu'on va
faire. Est-ce que c'est pour, justement, embellir la réalité, ouvrir à une
meilleure réception du projet de loi, rassurer les gens? Bon. Je ne suis pas,
là, du tout, là, dans la psychanalyse, mais je pense que les méthodes de
communication qui sont utilisées pour vendre ce projet de loi là, pour le
présenter, abusent un peu, oui, de la crédulité des gens.
On devrait dire les choses telles qu'elles
sont, et ce projet-là va centraliser le pouvoir entre les mains d'un groupe et
réduire l'imputabilité du ministre face aux citoyens, face aux oppositions, de
façon claire.
M. Desrosiers (Sébastien) : Vous
allez participer aux consultations sur le projet de loi. Quand est-ce que c'est
réaliste de l'adopter, selon vous?
M. Arseneau : Bien, on a eu
une rencontre avec le ministre après le dépôt de son projet de loi, il a semblé
vouloir collaborer avec les oppositions. Il a évoqué le fait qu'on prendrait le
temps que ça prend et il n'a pas fixé d'échéancier, à ce que je sache. Puis
nous, on ne va pas faire durer le plaisir, là, des années durant, mais chose
certaine, c'est un projet qui mérite qu'on y travaille longuement et de façon
très, très chirurgicale. Donc, moi, je pense que... Le ministre a évoqué, là,
que, regarde, s'il fallait prendre jusqu'à la fin de l'année pour bien faire
les choses, bien, il semblait ouvert à ça. Moi, je n'ai pas de calendrier, je
n'ai pas de boule de cristal non plus, on va voir comment les travaux vont
avancer. On nous dit, mais on n'a pas fait la vérification, qu'il y a 50 %
des articles qui sont des transpositions de ce qui existe déjà dans la Loi sur
la santé et les services sociaux, donc peut-être que ça, ça peut aller plus
vite, mais il en reste encore 600. Un projet de loi de 100 ou 140 articles
peut prendre trois à quatre mois, donc moi, j'envisage difficilement qu'on
puisse le finir avant la session d'automne. On verra.
M. Laberge (Thomas) : Est-ce
que vous avez peur du bâillon?
M. Arseneau : Bien, moi, je n'ai
pas peur du bâillon, dans la mesure où c'est un outil que le gouvernement a
déjà utilisé lorsqu'il a jugé que tous les efforts avaient été consentis, mais
on n'a même pas commencé à y travailler, donc je ne vois pas pourquoi on
évoquerait, là, l'épouvantail du bâillon à l'heure actuelle. Puis le bâillon a
pour conséquence justement d'antagoniser les parties, puis moi, je pense que le
ministre, il dit qu'il veut collaborer avec l'ensemble des parties, donc ce
serait contre-productif d'y aller avec la méthode forte, là, sachant que, déjà,
il y a plusieurs éléments là-dedans qui sont très loin de faire consensus puis
qu'il y a déjà plusieurs groupes, là, qui se sont prononcés avec un
scepticisme, pour ne pas dire se sont opposés, déjà, à certaines propositions
qu'on peut lire dans le projet de loi.
M. Spector (Dan) : Just a quick reaction in English. What did you think? What are your
concerns?
M. Arseneau : My concerns are that, first of all, it's a reform, it's a very important change in the view, in the system,
and we should, you know,
recognize that it's going even further than the Barrette reform. And I'm not
sure that's exactly what people in the public health network were looking for,
it's actually the opposite that
we hear from them. So, it's very, very large, 1,200 articles in the bill.
What I notice is the
communication on this bill is very positive, you know. And we obviously agree with the objectives. We don't see the link
between the means that they're putting down on paper in the bill and the
objectives. We think there is a dichotomy between the two and we have a hard
time, you know, understanding
how these changes, which are mainly in the management of the network, will give
people better services.
There are probably a few
things that, you know, we could
say will change positively the system, but, overall, it's just putting the
operations in the hands of top gun managers from the private sector. I think
it's been tried in the past, notably in 1986, I think, in the aborted reform or
plan for reform under the Bourassa Government. So, I
don't really think that's where we should have spent the time in the past few
months.
And one more thing, just
to finish. One of the mottos is proximity management, and I think this is
absolutely the opposite that they are proposing in the bill. So, there are
contradictions between what they say they want to do and what is actually the
consequences of what they're proposing. I find that the power will be
concentrated in the hands of a few managers. And, you know, saying that they
will have to be... what do you say, «imputable», they have to respond to the...
M. Spector (Dan) :
They'll be accountable.
M. Arseneau :
Accountable, that is the word. So, they say they're going to be more
accountable. Accountable to whom? And will the minister be accountable for the
operations? When he says that he doesn't want to put out fires, and he doesn't
want to get involved in the operations, well, what is the public to think, if,
you know, the system goes wrong? Who are they going to be able to, you know,
ask questions to? Merci. Merci beaucoup.
(Fin à 15 h 09)