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Version finale

33rd Legislature, 2nd Session
(March 8, 1988 au August 9, 1989)

Tuesday, November 8, 1988 - Vol. 30 N° 6

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations


Journal des débats

 

(Dix heures treize minutes)

Le Président (M. Marcil): Je déclare la séance ouverte, tout en rappelant le mandat de la sous-commission qui est de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur i'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations. Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président, un seul remplacement. Mme Harel (Maisonneuve) est remplacée par M. Filion, député de Taillon.

Barreau du Québec

Le Président (M. Marcil): Donc, ce matin jusqu'à 13 heures nous avons l'honneur de recevoir à cette commission le Barreau du Québec, représenté par Me Guy Gilbert, bâtonnier. Nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission. J'aimerais vous rappeler que nous allons tenir cette audition jusqu'à 13 heures. Vous avez donc une heure pour présenter votre mémoire et deux heures seront allouées aux questions des deux partis représentés à cette table. Donc, si vous voulez bien, Me Guy Gilbert, dans un premier temps, nous présenter les personnes qui vous accompagnent et, dans un deuxième temps, procéder à l'explication de votre mémoire. Merci.

M. Gilbert (Guy): M. le Président, MM. les députés, M. le sous-ministre de la Justice, Mme la députée, comme j'en suis à ma première apparition en commission parlementaire, vous me permettrez de louer ces lieux et de vous dire jusqu'à quel point j'apprécie le confort du fauteuil.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gilbert: Pourquoi se faire nommer juge avec d'aussi bons fauteuils? Je suis très honoré de vous présenter mon Barreau et les personnes qui m'accompagnent pour cette présentation, cette discussion en commission parlementaire du point de vue du Barreau face à I'avant-projet de loi sur le traité du droit des obligations. Je me permettrais de vous dire, M. le Président, au départ - trève de plaisanterie encore, mais qui a son côté de vérité - que je ne me suis jamais autant senti en conflit d'intérêts. J'aime ce labyrinthe législatif qui nous plonge dans la nécessité d'avoir recours aux avocats et de nous retrouver devant les juges pour d'interminables procès, si on s'en remet au texte de cet avant-projet. Mais comme la vocation du Barreau n'est pas simplement le bien des avocats mais aussi la protection du public, je vais m'étirer un peu le cou et nous allons regarder au-delà du seul intérêt des avocats, pour vous dire certaines critiques mais aussi notre appréciation de ce projet et vous faire valoir, je crois, des points de vue justes et dans l'intérêt des Québécois, à propos de ce que devrait être un bon droit des obligations qui est, comme on le sait, la pierre angulaire de toute l'organisation de la société. Nous ne devons pas perdre de vue que ce dont nous discutons présentement, c'est de l'organisation de la société, si tant est que le droit civil se veut la règle qui régit à peu près tous les rapports entre les personnes au plan de leurs relations comme cocitoyens.

Le traité des obligations est donc, dans ce sens-là, plus qu'un simple projet de loi ordinaire. En un sens, c'est un effort pour refaire une société et nous nous sommes déjà démontrés au Barreau que ça ne se fera pas au chronomètre. Il va falloir qu'on y apporte beaucoup de réflexion et beaucoup de circonspection. J'aime aussi vous dire que le Barreau se présente devant vous aujourd'hui fort, non seulement de sa compétence juridique, puisque c'est son lot professionnel, mais fort aussi d'un travail immense qu'il a consacré à l'étude des projets de loi du Code civil. Je veux vous laisser savoir que, simplement dans le cadre de la sous-commission de la réforme du droit des obligations, les membres du Barreau qui s'y sont affairés ont consacré 3500 heures pour regarder attentivement cet avant-projet de loi et que nous avons présentement au Barreau douze comités composés de cinq à dix membres, selon les besoins de chaque objectif, qui travaillent d'arrache-pied pour regarder partout dans le Code civil. Vous recevez donc, je pense, aujourd'hui - je me permets de le dire même si j'ai l'honneur de présider cette corporation professionnelle - une voix singulièrement autorisée, en entendant les points de vue du Barreau sur ce projet de loi.

Cela dit, je n'entrerai pas moi-même dans l'analyse ou l'étude détaillée de ce qui est le propre de ce projet de loi. Des personnes qui m'accompagnent sont plus autorisées à le faire que moi puisqu'elles y ont mis beaucoup de leur temps. J'aimerais, cependant, vous faire valoir, en thèse générale que le point de vue du Barreau repose sur à peu près un seul mot, et ce seul mot, on va l'appeler l'incertitude. Rien n'est plus mauvais, dans la loi, que l'incertitude. Rien n'est plus mauvais pour les justiciables. L'incertitude engendre la discussion juridique, elle crée la nécessité de recourir aux tribunaux; elle est donc le foyer des litiges. Nous soumettons respectueusement que ce qui nous frappe, en regardant le libellé et l'esprit de l'institution nouvelle proposée par I'avant-projet de loi, c'est l'incertitude dans laquelle il place les citoyens du

Québec. Deux éléments majeurs le démontrent. Cela saute aux yeux et cela vous sera démontré plus en détail par les personnes qui m'accompagnent.

Je crois que le langage employé dans cet avant-projet de loi contraste énormément avec la rigoureuse clarté de la langue française. Nous voyons apparaître, dans un style de définition ou de concept, l'énumération assortie d'exclusion, et tout démontre à ce moment-là que, qui parle d'inclusion et d'exclusion laisse planer la nécessité de discuter à savoir, si on n'a pas oublié quelque chose. Nous sommes d'avis que cette façon d'aborder un projet de loi aussi fondamental que celui du traité des obligations ajoute à la confusion et à l'incertitude dont on vient de faire état. Un autre aspect du projet de loi nous frappe, c'est que nous institutionnalisons, dans ce traité des obligations, le régime de ce que j'appellerai, entre guillemets, l'infantilisme juridique. Le législateur vient prendre par la main tous ces concitoyens en leur disant: Ne vous inquiétez pas. Si un jour vous vous êtes embarqués, entre guillemets, on verra à ce que ce soit corrigé. Encore là, qu'est-ce que c'est que ce régime qui vient infantiliser les citoyens et leur donner à tous vents, au plan de l'institution la plus fondamentale de la société, c'est-à-dire le traité des obligations, le droit de défaire ce que des adultes ont intelligemment voulu faire, soit dans un rapport contractuel ou dans d'autres régimes.

Ce qui nous paraîtrait un meilleur remède que d'institutionnaliser le droit de remettre en question la validité des contrats atteints d'une lésion entre majeurs, serait que le législateur intervienne plus ponctuellement dans le cadre de relations particulièrement visées, comme cela a déjà été fait par le passé; la Loi sur la protection du consommateur en est un exemple et la Loi sur les assurances en est un autre exemple. L'article 2500 du Code civil dit très bien que le droit des assurances ou les polices d'assurance ne peuvent déroger à certaines clauses. Le législateur est intervenu pour protéger, assurer par des institutions, démontrer ou identifier - et je cite - une réforme permettant "de revoir l'ensemble des règles et d'établir un équilibre nouveau entre les parties." Institutionnaliser cette ressource, c'est placer, à mon point de vue et au point de vue du Barreau, toute une société sur un plan d'infantilisme juridique. Cela nous inquiète beaucoup lorsque nous songeons encore à cette norme de départ ou à cette inquiétude de départ qui est celle de l'incertitude générale engendrée par cet avant-projet.

Je vais m'en tenir à ces remarques d'ouverture pour vous dire que ce labyrinthe législatif crée une certaine angoisse dans l'esprit des juristes les plus avertis et dans l'esprit des juristes qui s'y sont attardés avec beaucoup d'objectivité et de sens d'analyse et de synthèse. C'est ainsi que je voudrais vous présenter les personnes qui m'accompagnent et qui seront là pour faire la lumière, dans le détail, sur ce dont nous voulons vous entretenir. Je vous présente d'abord à ma gauche, Me Richard Nadeau, qui a présidé et préside la sous-commission sur le droit des obligations du Barreau; le deuxième à ma droite, Me Pierre Cimon, membre de la sous-commission sur le droit des obligations et membre du comité de travail, d'entreprise et de service dans les contrats nommés; à mon extrême gauche, Me Jacques LeMay, membre de la sous-commission sur le droit des obligations et membre du comité sur la rente et les assurances dans les contrats nommés; à mon extrême droite, Me Paul M. Martel, membre du comité sur la société et le mandat dans les contrats nommés; le deuxième à ma gauche, Me Claude Masse, membre du comité sur la consommation dans les contrats nommés et sans omettre, bien entendu, à ma droite immédiate, Me Suzanne Vadboncoeur, qui est la secrétaire de cette sous-commission sur le droit des obligations, et comme vous le savez, le directeur de notre service de recherche au Barreau.

Ces personnes vous étant présentées, je vais demander à Me Richard Nadeau, sans plus tarder, de vous dire comment le Barreau voit les problèmes qui ressortent de cet avant-projet de loi. Richard.

M. Nadeau (Richard): Merci, M. le bâtonnier. M. le Président, M. le sous-ministre, Mme ou Mmes les députées, je ne sais pas, mesdames et messieurs. Lorsque j'ai accepté d'agir comme président de la sous-commission chargée d'étudier l'avant-projet de loi concernant les obligations et contrats nommés à la demande du Barreau, en février dernier, je dois l'avouer, j'étais loin de me douter de l'ampleur du travail qui avait été fait du côté gouvernemental et de l'ampleur de celui qui nous attendait, tant à lire qu'à essayer de comprendre, à décortiquer, à analyser et à tenter de faire une critique constructive de ces 1477 articles qui risquent de révolutionner tout notre système de droit. Sans vouloir être alarmistes, nous croyons, en effet, que si l'avant-projet de loi devenait loi sans transformations majeures dans beaucoup de cas, nous risquons de nous trouver collectivement dans un chaos juridique dont nous ne devons pas espérer émerger avant plusieurs décennies. Pourquoi, direz-vous? Tout simplement parce que, si vous avez tous bien compris ce que vous avez lu, vous aurez réalisé qu'on se propose, premièrement, de transformer radicalement un concept qui soustend l'existence d'un Code civil comme le nôtre, c'est-à-dire qu'on lui fait perdre volontairement ou on voudrait lui faire perdre son statut de loi fondamentale, pour lui donner, dit-on, une plus grande souplesse, une plus grande adaptabilité.

Deuxièmement, compte tenu de ce qu'on prétend être un changement dans les rapports de forces entre les individus et les cocontractants, on présume d'abus et on donne au code projeté une coloration très protectionniste, comme nous

le verrons.

Troisièmement, on change complètement son style de rédaction et son vocabulaire, même pour des concepts qui ne sont pas changés, de sorte qu'on lui enlève toute relation physique, littérale ou littéraire avec le code actuel. Il faudra donc recommencer presque toute l'étude jurisprudentielle du nouveau code. Bien que nous comprenions le désir du gouvernement de favoriser tous les genres de justice en leur fournissant des munitions pour plusieurs générations à venir, nous ne croyons pas, toutefois, que ce soit là l'objet visé et que les intentions du gouvernement aient été de mettre plus d'argent dans les poches des avocats. Plus sérieusement, nous ne voulons pas que ceux qui ont dépensé beaucoup d'énergie croient que nous voulons les écarter ou minimiser le travail qu'ils ont effectué, pas plus qu'il ne faut conclure de notre volumineux rapport que nous voulons à tout prix maintenir paisiblement le statu quo. Au contraire, nous avons trouvé plusieurs innovations et suggestions de modifications fort intéressantes et fort à propos. Dans ces cas, nous l'avons dit.

Par contre, nous avons cru nécessaire et constructif de dire que certains autres changements n'étaient ni souhaitables, ni adéquats dans les circonstances et qu'ils devaient être supprimés ou transformés radicalement selon les circonstances.

Enfin, nous avons voulu - nous croyons que cela ressort bien clairement de notre analyse - montrer la plus grande ouverture d'esprit possible en tentant de ne pas contester les choix politiques ou sociaux qui ont animé les rédacteurs de l'avant-projet. Il est cependant bien évident que nous avons, là où nous croyons que la chose s'imposait, formulé des mises en garde contre l'introduction de certains principes trop protectionnistes ou trop théoriques qui risquent non seulement de ne rien régler, mais surtout de créer un état d'instabilité commerciale mal à propos dans une société qui va peut-être abolir ses frontières commerciales avec notre voisin du Sud. S'il y a une raison majeure de ne pas tout chambarder, elle est peut-être là. Un changement radical comme celui qui est proposé, surtout au point de vue de la forme, risque très fort de nous placer dans la situation d'un ghetto juridique, parce que personne, sauf peut-être ceux qui y auront travaillé de très près et encore, ne saura dire exactement ce qu'est notre loi, non seulement aux étrangers mais surtout à nos concitoyens.

Avant de passer aux remarques générales que l'étude des différentes sections nous a imposées, vous me permettrez de vous parler un peu de la méthodologie que nous avons adoptée et qui, me dit-on, ressemble à ce que le Barreau respecte d'habitude lorsqu'il soumet des rapports de ce genre. Comme nous avions un nombre impressionnant d'articles à analyser et à commenter, nous avons réalisé rapidement que nous n'aurions pas suffisamment de temps entre février dernier et la fin d'août, qui était notre premier objectif, pour tout voir et tout analyser, ce qui, vous le réaliserez, était essentiel. Nous avons donc formé un comité principal qui s'est chargé de l'examen de la théorie générale des obligations, c'est-à-dire des articles 1412 à 1755 inclusivement. Ce comité a siégé pendant 26 jours entiers à raison d'environ une journée par semaine, ce dont plusieurs d'entre nous, d'ailleurs, ne disposions qu'à grand-peine. Nous avons préparé un rapport séparé et des commentaires généraux qui apparaissent au début de ce rapport. C'est le plus volumineux de ceux qui vous auront été remis. Pour les autres contrats nommés et les autres sections ou titres, tels, la protection du consommateur, nous avons dû former des sous-comités, auxquels certains d'entre nous ont également participé, qui ont préparé des rapports séparés qui vous ont été remis. Ces rapports et ces analyses, article par article, sont en général précédés de commentaires généraux, sauf dans le cas du régime proposé des sociétés où le comité en question, devant l'ampleur des changements et leur inutilité et inopportunité, a choisi de ne pas y aller d'une analyse article par article, se contentant de commentaires généraux que nous partageons. Tous ces rapports et commentaires ont ensuite été discutés et révisés par le comité principal, c'est-à-dire notre sous-commission, avant de vous être soumis. (10 h 30)

Je crois utile de vous faire part de ces commentaires de cuisine au cas où vous auriez réalisé qu'il pouvait y avoir, à l'occasion, des différences dans le style ou même dans la pensée. Il s'agit d'un travail tellement considérable et important qu'il nous aurait sans doute fallu deux fois plus de temps que ce dont nous avons disposé. Mais, nous croyons que, malgré tout, avec les efforts de tous ceux qui ont participé à cette oeuvre collective, nous avons relevé, sans doute, la très grande majorité des problèmes et avons fait des suggestions que nous croyons très constructives. À propos, je voulais vous indiquer que vous n'avez pas eu les rapports sur ta partie transport-affrètement, assurance maritime et arbitrage. On m'indique que les mémoires sont presque complets et presque prêts pour l'impression et qu'ils seront communiqués à la commission parlementaire dès que possible. Si jamais la commission sentait le besoin de reconvoquer le Barreau, vous êtes les bienvenus évidemment. Nous reviendrons pour discuter avec vous de ces quatre contrats.

Nous passons maintenant aux commentaires généraux. Les commentaires généraux que nous avons faits résument en général les perceptions que nous avons eues à l'analyse du texte, analyse qui, il faut le dire, n'a pas été facilitée par le manque de commentaires des codificateurs. Ces commentaires on les retrouve toujours ou presque dans le cadre de chaque loi importante et qui résument la pensée du ou des rédacteurs, à tout

le moins, aident à éclairer le lecteur sur les intentions et sur les buts visés. Vous l'aurez vu, il y a habituellement des commentaires dans le cadre de nos grandes lois, par exemple, le Code civil, le Code de procédure civile et le rapport de l'Office de révision du Code civil.

Outre certains documents de travail qui ont été utilisés par les légistes et dont certains dataient de quelques années, nous n'avons eu que le bénéfice du rapport de l'ancien ministre de la Justice, l'honorable M. Marx, que nous avons obtenu par les bons soins du sous-ministre et, encore là, la seule partie dite publique de ce rapport. Ce qui nous a aussi cause des problèmes réside dans le fait que le texte proposé des modifications que l'on retrouve dans lavant-projet est à l'occasion différent - du moins, il nous l'a semblé - de ce qui est affirmé dans ce rapport au Conseil des ministres.

Quelle que soit la décision finale du gouvernement, il faudrait à ce stade-là, manifestement, qu'il impose à ses légistes la préparation de commentaires ou d'un rapport exhaustif accompagnant le futur projet de loi ou la loi.

Les commentaires généraux relatifs à chaque section ou groupe de sections et qui vous ont été remis font donc état de nos inquiétudes, de nos interrogations et de nos mises en garde. Pour les lecteurs, ils doivent servir essentiellement de grands portraits de ce qu'ils trouveront en détail dans l'analyse article par article où nous avons relevé, retranché, ajouté, éliminé ou complété ce qui le nécessitait, en donnant à chaque occasion, en troisième colonne, les raisons qui motivaient nos suggestions.

Enfin, vous remarquerez que dans presque tous les commentaires généraux, qui sont d'auteurs différents ou à tout le moins d'inspirations différentes, les auteurs ont conclu unanimement que la forme proposée, le style utilisé et le vocabulaire nouveau n'étaient pas acceptables, étaient lourds, inutilement longs et complexes, bref, qu'il fallait revenir en arrière, à défaut de quoi, nous risquerions tous d'y perdre.

À vrai dire, la forme utilisée ou préconisée par les rédacteurs ressemble à du "common law", ce qui est déplorable surtout lorsqu'on pense à la richesse de notre langue et de notre système de droit.

Il est illusoire, même si souhaitable, qu'on essaie de vulgariser le Code civil, qu'on essaie de le rendre accessible à tous les citoyens en en simplifiant le langage et en le truffant d'exemples pour aider le lecteur à mieux comprendre, ce qui, dans le cas présent, a un effet tout à fait contraire. Cet exercice le rend lourd quand ce n'est pas carrément incompréhensible et tout porte à croire que les citoyens ne le liront pas plus qu'il n'ont lu le code actuel, beaucoup plus facilement compréhensible, malgré son âge. Tout ceci sans compter que le nouveau vocabulaire et cette nouvelle forme devont être interprétés par les tribunaux. Le but de simplification recherché nous semble donc faussé au départ. Nous n'avons aucune hésitation à dire au gouvernement qu'il est préférable d'adapter les modifications de fond qu'il veut apporter au code actuel, en sa forme et en son vocabulaire actuels, que de tout changer pour n'en modifier guère plus qu'une partie que nous évaluons à largement moins que 50 %.

Si nous passons maintenant à la théorie générale des obligations, celle qu'on retrouve aux articles 1412 à 1755 constitue la pierre angulaire du Code civil, on y énonce les notions fondamentales concernant les contrats, les quasi-contrats, les délits et quasi-délits, ce qui les rend valides ou les fait naître, ce qui les rend nuls, ce qui les annule, comment ils doivent être interprétés et quand ils doivent l'être, leurs effets entre les parties et les tiers, les moyens de s'exonérer dans les cas de responsabilité, bref, tout ce qui constitue la base des relations civiles et commerciales dans notre régime de droit.

Dans le code actuel, on retrouve l'élaboration de ces principes aux articles 982 et suivants. Ces notions, sauf celles concernant la responsabilité civile, sont basées sur un motif de souveraineté et de primauté de la volonté des parties sous la seule réserve de ce qui outrepasserait les notions d'ordre public et de bonnes moeurs, prises dans leur sens large.

Quant au régime de responsabilité actuelle, il édicte les conditions d'omission et de commission qui rendent quelqu'un responsable et de quoi il est responsable. Nos tribunaux ont interprété ces notions depuis 122 ans et notre système s'en porte bien, est connu des justiciables et tous savent où leur liberté s'arrête et où elle commence.

L'avant-projet de loi, comme je l'ai mentionné, aborde la théorie générale des obligations avec une philosophie nouvelle dominée par un désir de protection des faibles ou du plus faible de deux contractants, en faisant souvent fi de la volonté même des parties. On veut imposer, même à ceux qui n'en n'ont pas besoin ou qui n'en veulent pas, des conditions ou des clauses, des recours, des vices, des atténuations, des réductions d'obligations qui font croire que, dorénavant, le législateur entend s'immiscer dans tous les contrats et entend surveiller de près toutes les transactions entre tous les citoyens, même si c'est contre leur volonté. Tout cela, nous dit-on, dans le but de trouver et d'instaurer un nouvel équilibre de forces entre les parties.

Nous croyons que ce choix politique est inopportun, du moins, en ce qui concerne notre loi fondamentale. Que le législateur continue d'utiliser les lois particulières pour contrôler les vrais abus, soit. Mais il ne doit pas faire de notre code civil un recueil de "common law", ce qui va nécessairement se produire si l'avant-projet de loi devient une loi.

Malgré l'introduction du concept de la lésion entre majeurs au chapitre des obligations,

ce qui sera vraisemblablement interprété restrictivement par les tribunaux, c'est d'abord et surtout sur le plan de la responsabilité qu'il y a un changement de forme tellement considérable qu'il faut s'en inquiéter. En effet, le mot "responsabilité" lui-même disparaît presque du code pour se transformer en l'expression "réparation du préjudice causé à autrui" dont la simple évocation en fait frémir plusieurs. On semble y introduire, et on le fait en partie, des notions de responsabilité sans faute, ce qui n'est pas tout à fait ni véritablement le cas. Ce qu'on fait toutefois, c'est d'introduire des notions d'indemnisation sans faute, c'est-à-dire que, dans certains cas, l'auteur d'un dommage, même incapable de faute, le mineur ou le majeur protégé, objectivement, devra néanmoins réparation s'il a des moyens financiers. Dans d'autres cas, on retrouve une notion qu'on appelle la réduction de l'obligation d'indemniser, c'est-à-dire que le juge devra tenir compte de la gravité de la faute ou de la solvabilité du débiteur pour déterminer quel sera le ou les montants que ce dernier devra payer aux créanciers du jugement. Ces notions sont nouvelles et ne nous semblent pas justifiées, même si de deux victimes, on semble avoir voulu favoriser la vraie, l'innocente. Nous croyons qu'il s'agit d'un système dangereux et qui risque d'être interprété de beaucoup de façons par nos tribunaux, chaque juge ayant évidemment ses notions subjectives de ce que peut être la gêne démesurée - j'utilise des expressions qui reviennent - les besoins de l'avenir, la gravité, etc.

D'autres changements qu'on veut introduire concernent l'unification des régimes délictuels et contractuels des responsabilités. S'il est vrai que les mots se ressemblent dans les deux régimes actuels, les notions fondamentales sont différentes et l'on ne devrait pas les confondre, surtout si c'est uniquement pour satisfaire les théoriciens du droit. Il y a, d'après nous, beaucoup d'autres choses à faire pour rendre le régime contractuel mieux adapté que de le joindre sans raison à celui des délits et quasi-délits. Nous croyons ce choix théorique inopportun et nous sommes convaincus qu'il va prêter inutilement à confusion.

Nous avons d'ailleurs réalisé l'existence d'un problème tout à fait indentique en ce qui concerne la notion de solidarité contenue à l'avant-projet. Pour des raisons qui semblent tenir de la théorie du droit, on veut y introduire la solidarité dite imparfaite, ce qui signifie en pratique que le créancier qui recherche un paiement de ses codébiteurs devra poursuivre chacun d'eux et ce, pour la seule partie proportionnelle que ce dernier lui doit. Cette nouveauté vient du droit français, où depuis son adoption, elle n'a fait que causer des ennuis considérables que des dizaines de décisions des tribunaux n'ont pas encore réglés. Nous croyons au contraire qu'il faille innover au plan du code actuel et décréter que la solidarité dorénavant doive toujours et dans toutes les circonstances être parfaite, ce qui est clair et précis. Le créancier se fait payer par le plus solvable et le plus facilement accessible de ses codébiteurs et celui-ci se tourne contre les autres pour leur part et portion. C'est la théorie américaine du "deep pocket" qui nous semble parfaitement adaptée à la situation actuelle. Pourquoi, en fait, pénaliser le créancier qui ne connaît pas, ni ne veut connaître, les participations et les ententes de chacun de ses codébiteurs?

Une deuxième remarque s'impose au chapitre des obligations, mais elle peut aussi s'appliquer à tout l'avant-projet de loi que nous avons étudié. En effet, on y retrouve très fréquemment une référence de solution ultime à la décision des tribunaux comme pour nous inviter à nous adresser aux tribunaux pour qu'ils utilisent leur pouvoir discrétionnaire aux fins de déterminer ce qui est la loi, ce qui est légitime, juste, équitable, gênant, déraisonnable et autres expressions du genre.

Sans vouloir pour un instant mettre en doute la capacité de nos juges et de nos tribunaux, nous trouvons néanmoins surprenant que le législateur, dont c'est le rôle, n'établisse pas par sa loi des principes clairs, nets et concis que les tribunaux devront appliquer plutôt que de leur transférer un pouvoir quasi législatif comme on semble vouloir le faire ici. Ne trouve-t-on pas qu'il y a assez de recours devant les tribunaux? Est-il si difficile d'écrire une loi claire qui les réduirait, au lieu de les encourager? Le législateur aurait-il abdiqué ses responsabilités?

Nous croyons que le législateur a un rôle à jouer et que, dans la pensée française, il doit te jouer d'une façon claire et précise. C'est cela le droit d'inspiration napoléonienne et nous croyons que c'est comme cela que la situation doit demeurer.

Passons maintenant au contrat nommé et à la protection du consommateur. Le premier sous-groupe qui a révisé l'avant-projet de loi sur les obligations et les contrats nommés a étudié le chapitre de la vente et celui de la donation qu'on retrouve aux articles 1756 à 1864, pour la vente, et 1865 à 1902, pour la donation.

Quant à la vente, ce qui surprend d'abord, c'est qu'on y introduise encore des notions fortement teintées de protectionnisme tout en conservant le principe, et il eût été malheureux de le laisser tomber, du consensualisme, c'est-à-dire de l'accord des parties sur les clauses et les conditions de leur entente ou de leur marché. Si le besoin de protection peut se justifier dans certains cas, ce qui est déjà couvert par des lois particulières comme la Loi sur la protection du consommateur, il nous semble inapproprié dans la majorité des autres situations où chacune des parties a le loisir et même l'obligation de se faire assister par un ou des experts au sens large du mot et où, en pratique, personne qui ne soit un peu averti n'oserait se lancer seul. Il ne faudrait surtout pas que le législateur cherche à

surprotéger tout acquéreur en présumant que tout vendeur essaie de le rouler. C'est malheureusement ce qui ressort des dispositions projetées au chapitre de la vente. Qui plus est, on remarque également que les dispositions sur la cession de créances et de droit personnel ne se retrouvent plus à ce chapitre, ce qui est déplorable.

Enfin, et c'est cette partie qui risque de poser le plus de problèmes pratiques par rapport à ce qui se fait actuellement, l'intervention proposée en matière de vente à tempérament et de crédit-bail doit complètement anéantir ces modes de financement. La rigidité qu'on propose et qui peut avoir une certaine justification en matière de protection du consommateur, n'a vraiment pas sa place dans les relations commerciales. Si le législateur la maintient, nous croyons que ces techniques de vente, largement utilisées pour leur souplesse actuelle, deviendront tellement lourdes qu'il est vraisemblable de croire qu'elles seront délaissées, ce qui nous placerait dans une situation extrêmement défavorable par rapport à nos voisins de l'Ouest et à ceux du Sud. Encore une fois, nous déplorons !e manque de consultation des professionnels dans le domaine, consultations qui auraient grandement et sagement inspiré les légistes.

Quant à la forme, on retrouve ici aussi des problèmes chroniques de lourdeur, de multiplication des définitions et des dispositions, de répétition des notions générales de droit commun, d'utilisation de mots synonymes à plusieurs sauces et, d'intervention, surtout dans des détails, dans presque tous les détails d'ailleurs, dont les parties seules devraient s'occuper et se préoccuper.

Il est malheureux qu'on n'ait pas conservé dans l'avant-projet de loi la simplicité du langage et l'uniformité du vocabulaire que nous connaissons et avec lequel nous sommes tous familiers. (10 h 45)

Quant à la partie donation, le Barreau croit que l'introduction d'un formalisme lourd risque de compliquer inutilement une situation où la donation devrait demeurer un contrat purement et essentiellement consensuel, assujetti au moins de formalisme possible, sauf peut-être en matière Immobilière, par l'enregistrement, et en matière de donation, par contrat de mariage, lesquels sont ici, heureusement d'ailleurs, essentiellement simplifiés, ce que nous avons apprécié.

Le crédit-bail et le louage, un autre livre. Vous verrez, quant au crédit-bail, que les recommandations du Barreau visent à l'uniformité avec les autres moyens de financement dont il aurait dû être surtout question au chapitre des sûretés mobilières qui ont déjà fait l'objet de représentations devant la commission parlementaire. Nous vous référons d'ailleurs aux commentaires qui ont été faits à cette occasion, de même qu'aux commentaires article par article que vous retrouverez dans les textes qui vous ont été remis.

Sur le chapitre du louage, il est bien évident que le changement profond qu'il a subi en 1973 l'a rendu moins vieillot que certains autres chapitres. Toutefois, nous voulons souligner quelques problèmes en ce qui a trait aux baux commerciaux, peu touchés jusqu'ici, et faire quelques commentaires sur le fond et la forme de certaines modifications proposées quant aux baux résidentiels. Encore une fois, le Barreau n'est pas d'accord avec la coloration protectionniste qu'on voudrait donner maintenant aux dispositions concernant les baux commerciaux. On présume encore une fois, en interdisant les clauses d'exonération du locateur et celles concernant la responsabilité du locataire, qu'il y a toujours un fort, le locateur, et un faible, le locataire; que le premier veut nécessairement abuser du second et que le législateur doit y mettre son nez. Quoi de plus irréaliste, surtout en matière commerciale?

Faut-il vraiment croire que de grands commerçants qui louent des espaces dans des centres commerciaux et autres immeubles sont incapables de se défendre ou de s'assurer contre leurs responsabilités? N'est-ce pas là s'immiscer inutilement dans les relations commerciales entre entités capables de s'entourer et de se défendre? Quelles sont les raisons sociales qui justifient cette intervention? Aucune, d'après nous. Le législateur ne devrait pas se mêler de ces choses qui n'ont d'effet qu'entre les parties et qui n'auront de cesse d'inquiéter les commerçants et de faire augmenter inutilement le prix des loyers commerciaux.

En matière de bail résidentiel, nos commentaires tiennent principalement à l'absence de statut du bail verbal, à la confusion dans l'avant-projet des notions d'habitabilité et d'état impropre à l'habitation, à des problèmes de réparations dites majeures et à ce qui semble être une restriction faite dans plusieurs cas au droit fondamental du propriétaire de reprendre possession de son logement.

Je vous ai déjà indiqué, je crois, que les rapports concernant l'affrètement et le droit des transports suivraient et, en général, du moins selon les indications que Me Vadboncoeur m'a données, les modifications qui sont suggérées par le Barreau ne sont pas tellement importantes à ce chapitre.

Nous passons maintenant aux contrats de travail et aux contrats d'oeuvre, articles 2144 à 2201 inclusivement. Si les réformes proposées à l'avant-projet sur le contrat de travail cristallisent des principes émis par la doctrine, analysés par la jurisprudence et utilisés par les personnes que cela touche et si nos commentaires à ce chapitre tiennent donc plutôt à des motifs de clarification ou de forme, il en va tout autrement de ce qu'on retrouve en matière de louage d'ouvrages et de contrats d'entreprises qu'on reprend maintenant sous une seule appellation, celle du contrat d'oeuvre. Si l'on devait

qualifier ce chapitre traitant du contrat d'oeuvre, il faudrait tout au moins dire qu'il est apeurant, tant par la confusion que par sa complexité quant aux principes et au vocabulaire qu'il va créer que parce qu'il tente encore une fois de surprotéger l'utilisateur de services, le client du professionnel, entre guillemets, en présumant des mauvaises intentions de celui-ci.

Pour aller un peu plus loin, disons qu'au point de vue du vocabulaire, on y trouve les mêmes problèmes d'usage multiple d'un même mot pour qualifier tantôt un type de personne, un employé par exemple, et tantôt un autre type de personnes, un sous-entrepreneur, par exemple. Le professionnel devient non pas celui qui fait partie d'une profession reconnue par la loi, mais bien quiconque vend ou rend des services, fut-il architecte, ingénieur, entrepreneur, sous-entrepreneur et peut-être même fournisseur de matériaux. C'est donc risquer de créer dans l'esprit des gens une confusion totale sur le sens que l'on donne actuellement au mot "professionnel".

De même, on utilise des mots différents, quoique synonymes pour décrire des mêmes choses même si c'est à des endroits différents, par exemple: travail, ouvrage, services, oeuvre. Cela risque donc d'amener des problèmes d'interprétation alors qu'il eût été si facile d'être précis et concis.

Sur le fond, la distinction entre deux seules catégories de travail, matériel ou intellectuel, entraîne un vide important en matière d'un troisième type qui a toujours existé traditionnellement, soit le travail artistique. Elle crée également un problème quant à l'obligation assumée implicitement par le professionnel, c'est-à-dire celle de moyens ou de résultats. Et le problème se pose, par exemple, à savoir comment il faudra qualifier dorénavant le travail d'un chirurgien. Est-ce que ce sera principalement intellectuel, principalement matériel? L'obligation qui est la sienne sera-t-elle principalement de résultats, principalement de moyens? Ce sont des questions que nous nous posons et je pense qu'il faut se les poser.

Au chapitre des collaborateurs, c'est une autre expression, qui apparaît dans cette partie. On permet maintenant à un sous-entrepreneur ou à un fournisseur de matériaux, qu'on appelle indifféremment collaborateur, de réclamer directement du propriétaire sans même qu'il ne lui soit fait d'obligation d'aviser le professionnel qu'on présume ici être l'entrepreneur. Nous ne savons pas si cette notion du collaborateur pourrait s'appliquer, par exemple, à une secrétaire d'avocat dont les gages n'auraient pas été payés et qui pourrait communiquer directement avec un client pour lui demander son chèque. Mais dans tout cela, qu'est-ce qu'on fait du cas où l'entrepreneur ou le professionnel a décidé volontairement de ne pas payer l'entrepreneur, le sous-entrepreneur ou le fournisseur de matériaux, soit parce que le travail a été mal effectué, qu'il n'est pas complet, ou que les matériaux n'ont pas la qualité requise? Encore une fois, pourquoi s'immiscer inutilement dans des relations contractuelles? Pourquoi assujettir ainsi tout contrat à la protection par le législateur? Nous croyons que ce chapitre entier est à reprendre et surtout qu'on doit dissocier le louage d'ouvrages du contrat d'entreprises qui sont des institutions bien différentes, que nous connaissons et avec lesquelles nous sommes familiers.

Enfin, sur toute la question concernant les ouvrages résidentiels, nous croyons que l'obligation qui est faite à toutes les parties impliquées à ce genre de contrat, plus particulièrement au propriétaire ou à l'entrepreneur, est d'une lourdeur et d'un irréalisme tels que le but recherché, que nous présumons être la protection du consommateur encore une fois, est tout à fait faussé. En effet, on oblige le propriétaire qui donne un contrat de rénovation ou de construction à déposer dans un compte fiduciaire des sommes d'argent qui seront dues à l'entrepreneur, ce qui est à tout le moins irréaliste, rares étant les consommateurs qui possèdent au comptant l'argent nécessaire pour payer les réparations. Qu'arrivera-t-il donc, par exemple, si l'institution prêteuse refuse de débourser avant que les travaux ne soient complétés? Si le propriétaire manque à son obligation de constituer une fiducie, quelle sera la pénalité? Bref, toute cette section risque de compliquer très sérieusement la situation et nous ne croyons pas que le remède recherché par le législateur soit atteint par un texte comme celui-là qui devrait également être repris complètement.

Mandat et société, articles 2202 à 2349. Les propositions de modifications au chapitre concernant le mandat nous ont semblé fort acceptables parce que essentiellement mineures. Nous n'avons fait que quelques commentaires d'appoint que vous retrouverez aux commentaires article par article. Toutefois, où nous trouvons les changements proposés carrément inacceptables, c'est au chapitre traitant des nouvelles formes de société et de l'association. Le Barreau a trouvé les changements proposés tellement importants et peu justifiables qu'il a été décidé de ne pas procéder à une analyse article par article, ce qui est ici la seule exception. Pourquoi cette position draconienne? Parce que les changements proposés renversent complètement le régime des sociétés que nous possédons actuellement avec toute sa souplesse pour le remplacer par un système fort complexe dont le but visé semble vouloir en faire des corporations ou des personnes morales de la même manière que celles créées en vertu de la Loi sur les corporations avec laquelle nous sommes familiers. Encore une fois, le législateur s'immisce inutilement dans des ententes entre associés en imposant un cadre lourd et rigoureux et en y allant jusque dans les moindres détails. Ce n'est pas souhaitable et ne constitue aucunement un avancement du droit sur le sujet. Nous

vous référons aux longs commentaires généraux sur ce chapitre qui résument bien la position du Barreau sur ce type envisagé de nouvelles personnes morales. Nous avons d'ailleurs avec nous Me Paul Martel qui a présidé cette sous-sous-commission et qui pourra répondre à vos questions.

Nous passons maintenant à dépôt, prêt, cautionnement. Les chapitres concernant le dépôt et le prêt ne présentent pas de problème majeur et les commentaires, dans les circonstances, ont été faits beaucoup plus sur des questions de concordance et de style que sur des questions de fond. Quant au cautionnement, certaines remarques sur des changements de substance et des obligations d'information ont toutefois été notées à quelques endroits et vous pourrez voir aux commentaires article par article les recommandations qui ont été suggérées par notre commission.

Rentes et assurances, 2437 à 2575. Les commentaires du Barreau sur le chapitre des rentes, et qui se retrouvent à l'analyse article par article, nous semblent suffisants pour ne pas nous y attarder ici. C'est surtout au chapitre des assurances que nous voulons attirer votre attention. Même si la loi à ce sujet a été modifiée en profondeur en 1974 et remaniée à quelques reprises depuis, l'avant-projet voudrait aller encore plus loin en proposant des changements considérables quant à l'obligation de déclaration des assurés et quant au rôle des agents et courtiers. Nous croyons que la loi actuelle sur le sujet s'harmonise malgré tout assez bien avec le marché nord-américain de l'assurance et qu'il est tout à fait inopportun pour notre législateur d'aller chambarder tout cela sous un chapeau protectionniste qui risque de nous isoler du reste du continent.

Nous proposons donc des changements de fond sur plusieurs questions qui ont été modifiées par l'avant-projet de loi, tels le mécanisme de renouvellement du contrat d'assurance, la question des divergences, le droit de l'assureur à la subrogation, l'obligation de l'assuré de déclarer tout ce qui peut permettre à l'assureur d'évaluer le risque et d'autres questions dont vous trouverez la liste aux commentaires généraux qui précèdent ce livret sur les rentes et assurances.

Quant à l'assurance maritime, vous n'avez pas encore le livret, mais lorsque vous le recevrez, vous y verrez que le Barreau recommande essentiellement que le législateur québécois aligne ses vues sur celles que le gouvernement fédéral est présentement en train de travailler en marge de la loi anglaise de 1906 et qui sembleraient faire relativement l'unanimité.

Quant aux jeux, paris et transactions, les dispositions qui s'y rapportent sont de très peu d'importance et nous passons outre pour arriver au contrat de consommation. C'est à la considération de ce titre qu'on se rend compte de l'influence très considérable qui s'est exercée sur les auteurs de l'avant-projet de loi. En lisant les articles proposés au titre de la consommation qui, encore une fois, mettent l'odieux sur une catégorie de citoyens au profit d'une autre, vraisemblablement plus considérable en nombre, on se rend bien compte de la raison fondamentale qui explique pourquoi tout le régime du droit des obligations et des contrats a été transformé comme il l'est dans l'avant-projet. Le législateur ou les légistes, présumant qu'ils doivent protéger la majorité des citoyens contre les vendeurs de biens et dispensateurs de services, proposent ainsi une série de contrôles et créent des obligations dans le but d'assurer l'équilibre dans tous les rapports qu'ils visent. Tout cela est évidemment une question de choix politique et social et il serait peut-être illusoire et inopportun pour le Barreau de les contester, d'autant plus que des mesures souvent semblables existent actuellement, au Québec et ailleurs.

Toutefois, il faut se demander si notre législateur est justifié d'aller aussi loin. Doit-il innover, comme il le fait à plusieurs endroits dans ce titre ou dans ce livre? Doit-il le faire à l'intérieur du code proposé ou conserver ces mesures dans une ou plusieurs lois particulières? Nous nous sommes posé toutes ces questions, avons considéré plusieurs options, avons recueilli l'opinion de plusieurs membres du Barreau pour conclure que nous avions, parmi nos membres, diverses écoles de pensées. Alors que d'aucuns y voient un progrès pour les consommateurs, une façon rêvée de donner enfin à la loi de protection la place qu'on ne lui a jamais donnée, d'autres se demandent s'il n'est pas dangereux d'en faire la pierre angulaire de notre droit fondamental.

Nous référons le lecteur aux commentaires qui accompagnent l'étude article par article en lui soulignant toutefois que ce titre reflète peut-être le mieux les commentaires que nous avons faits tout au long de notre intervention sur les lourdeurs de style, sur les ambiguïtés fréquentes du texte, sur les problèmes véritables que le désir de tout dire et de tout illustrer va créer. À titre d'exemple, quoi penser des nouvelles illustrations du professionnel, entre guillemets? Comment doit-on et qui doit-on viser par ce mot si on lit l'article 2159 qu'on retrouve au contrat d'oeuvre et qu'on le compare avec l'article 2790 qui parle du réparateur? L'article 2804 de l'opérateur d'un studio de santé? Comment lire sans s'y perdre certains articles interminables comme 2776, 2804, 2810, 2826 et 2827? De plus, nous déplorons qu'il se retrouve un peu partout dans le projet de Code civil des dispositions de protection qu'il eût fallu regrouper sous un même livre. Nous avons avec nous Me Claude Masse qui a présidé la sous-sous-commission sur la protection, et il répondra à vos interrogations. (11 heures)

Quelles conclusions faut-il tirer de tout cet exercice un peu fastidieux auquel nous nous sommes livrés? Je pense qu'il faut le voir positivement, comme nous avons tenté d'être

positifs dans notre analyse de l'avant-projet. Vous aurez remarqué ou remarquerez que nous n'avons que rarement contesté les choix politiques du législateur et que nous avons respecté, somme toute, les orientations protectionnistes, même si nous ne sommes pas toujours d'accord avec leur à-propos. Toutefois, nous avons regardé tous ces changements d'un oeil de praticien du droit qui doivent vivre quotidiennement les réalités des tribunaux, des litiges, des clients, tant en demande qu'en défense.

Nous croyons qu'en cette matière, nous sommes beaucoup mieux placés pour connaître de près ces réalités que n'ont pu l'être ou ne peuvent l'être les auteurs de l'avant-projet de loi. Y a-t-il matière à changement dans le sujet qui nous concerne? Certes. Y a-t-il nécessité de rajeunir et d'adapter certains concepts de notre droit des obligations et des contrats nommés? Évidemment. Mais pour modifier, changer, rajeunir, adapter moins de 50 % de ces obligations et contrats nommés à une réalité qu'on dit nouvelle, il n'était pas et n'est pas, d'après nous, nécessaire de tout changer même et surtout la philosophie législative qui fait partie de notre tradition et à laquelle il nous faut tenir. Si notre droit fondamental perd son caractère français pour s'angliciser, nous risquons de perdre ce qui doit nous être très précieux, c'est-à-dire notre culture légale spécifique que même le libre-échange ne saurait attaquer, s'il vient.

Nous croyons qu'il ne faut pas que nous le perdions et qu'en conséquence il faille repenser sous cette lumière l'avant-projet de loi concernant les obligations et contrats nommés. En pratique - et je terminerai là-dessus - nous croyons qu'une fois cet exercice long et pénible fait de part et d'autre, une fois que les légistes du gouvernement auront étudié et soupesé nos recommandations, vraisemblablement à la lumière des vôtres, il faudra probablement former un groupe d'étude auquel participeraient ceux qui travaillent dans des sujets que le droit touche et qui auraient pour mission de reformuler tout le chapitre qui demeure et doit demeurer la pierre angulaire de notre Code civil. Avant cela, toutefois, il faut que le législateur accepte de ne pas changer la vocation de notre code, qu'il accepte de le conserver comme ce qu'il doit être, c'est-à-dire l'assise de notre droit civil et, surtout, qu'il accepte de le conserver français. Merci.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Nadeau. Je vais maintenant inviter les deux représentants des deux partis politiques à intervenir. En premier lieu, je vais reconnaître le député de Marquette, adjoint parlementaire du ministre de la Justice.

M. Dauphin: Oui, merci beaucoup, M. le Président. Tout d'abord, j'aimerais souhaiter la bienvenue au Barreau du Québec, représenté par son bâtonnier, Me Gilbert, ainsi que Me Nadeau,

Me Cimon, Me LeMay, Me Martel, Me Masse, Me Vadboncoeur. Je veux tout d'abord vous souligner, comme à l'habitude, que le Barreau avait préparé un mémoire bien structuré, bien étoffé, un mémoire imposant qui a demandé un travail plus que considérable, comme le disait Me Nadeau. Au nom de mes collègues ministériels et de l'équipe de réforme du Code civil ainsi que du sous-ministre en titre, qui est avec nous ce matin, je veux vous remercier pour ce travail considérable qui sera d'extrême importance pour les codificateurs, pour l'équipe de réforme du Code civil.

J'aimerais juste apporter un commentaire. D'ailleurs, vous parliez de commentaires, Me Nadeau, relativement à l'absence de commentaires des codificateurs accompagnant l'avant-projet de loi. Je veux tout simplement vous souligner qu'il s'agit d'un avant-projet et nous sollicitons des commentaires que vous avez très bien faits ce matin, d'ailleurs. Les commentaires seront joints au projet de loi lorsque nous serons rendus à l'étape du projet de loi. À ce stade-ci, nous sommes en consultations et les commentaires suivront. Étant donné que nous avons plusieurs questions pour vous, je sais que l'équipe de codificateurs a également des questions pour vous et, évidemment, mon collègue de Taillon représentant l'Opposition officielle a beaucoup de questions également. Alors, nous allons tenter de nous entendre. Je ne sais pas, M. le député de Taillon, si vous voulez que je prenne tout mon temps, que nous prenions tout notre temps pour ensuite faire l'alternance, peut-être...

M. Filion: Oui, M. le Président, je suggère qu'on fonctionne de façon habituelle à cette commission des institutions que je préside habituellement, c'est-à-dire selon entente mutuelle et au fil des événements.

M. Dauphin: D'accord. Cela m'amène à une première question qui concerne la lésion entre majeurs. Vous vous dites opposés à l'extension de ce principe à l'ensemble des relations contractuelles, ceci malgré d'importantes limites prévues dans l'avant-projet de loi. Certains organismes, notamment des organismes représentant des groupes financiers, connaissaient non seulement le bien-fondé de ce principe "lésion entre majeurs", mais auraient souhaité qu'il soit étendu aux entreprises. On nous souligne également que les juridictions de "common law" connaissent une notion semblable avec le concept de "unconscionability" et que certains codes européens connaissent aussi cette notion, sans pour autant créer de bouleversement majeur. Un peu comme ce fut le cas avec notre Loi sur la protection du consommateur, est-ce que ces éléments sont susceptibles d'atténuer vos craintes face à l'avant-projet de loi?

M. Nadeau: Me Claude Masse me dit qu'il a des commentaires à vous adresser.

M. Dauphin: Me Masse.

M. Masse (Claude): II y a un double problème dans le projet. Le premier est un problème de cohérence technique. Actuellement, dans le Code civil, nous n'avons aucun principe général de lésion entre majeurs. Vous savez que les articles 1040c et 1056b ne sont que des applications sectorielles. On peut trouver souhaitable, à tout le moins en protection du consommateur, d'avoir un principe fort de lésion entre majeurs, mais l'avant-projet de loi instaure quatre principes différents de lésion entre majeurs, le principal étant celui qu'on retrouve à l'article 1449. Si on lit attentivement l'article 1449, le premier alinéa est d'inspiration directe des travaux fort utiles, à cet égard, de l'Office de révision du Code civil.

Cependant, le deuxième nous situe, à proprement parler, dans une perspective de protection du consommateur. On dit: "La lésion ne peut être invoquée que par une personne physique et seulement si l'obligation n'est pas contractée pour l'utilité ou l'exploitation d'une entreprise." Alors, si les représentations que les commerçants ou certaines entreprises vous font sont acceptées, il faudrait absolument modifier ce deuxième alinéa qui nous semble se situer uniquement dans le cadre d'une protection du consommateur, pour l'essentiel. Donc, si on veut garder l'article 1449 alinéa 2, il faudrait le rapatrier dans le titre 3.

L'autre problème qui se pose, ce sont les contradictions tout à fait claires entre l'actuel article 8, qui est repris pour l'essentiel dans le titre 3 de l'avant-projet, et l'article 1449. Une interprétation libérale de l'article 1449 par rapport aux dispositions du titre 3 en matière de lésion entre majeurs qui s'appliquent au consommateur laisse penser que l'article 1449, qui est le régime général, est plus avantageux pour les citoyens que les dispositions en matière de protection du consommateur. D'ailleurs, vous avez des commentaires là-dessus dans le rapport sur la protection du consommateur.

Donc, on a un double problème, un problème de duplication. On peut garder, d'ailleurs, le principe à l'égard des clauses abusives en matière de contrat d'adhésion. Donc, si on regarde l'ensemble de ces quatre principes de lésion entre majeurs, il y a des contradictions. Deuxièmement, il nous apparaît que le législateur devra cibler davantage qu'il ne le fait à l'article 1449, alinéa 2, les bénéficiaires de cette protection en matière de lésion entre majeurs.

M. Dauphin: Merci. Sur le même sujet, que pensez-vous du point de vue qui voudrait que cette protection ou ce motif de lésion entre majeurs soit également étendu aux entreprises? Dans certains cas, on sait qu'il y a des entreprises moins fortes économiquement que d'autres. On pense, par exemple, au contrat de franchise. J'aimerais avoir le point de vue du Barreau là- dessus.

M. Nadeau: Là-dessus, évidemment c'est une question de choix essentiellement politique. D'ailleurs, une des contradictions que nous avons relevées à l'étude de l'avant-projet de loi, c'est que le même acheteur, le même consommateur d'un bien a un régime différent selon que le bien va servir à son utilité personnelle et/ou que le bien va servir à son entreprise. Prenons l'exemple d'un petit commerçant qui achète deux réfrigérateurs, un pour son dépanneur et un pour sa résidence privée; un des deux contrats va être révisable sous le chapitre de la lésion entre majeurs et l'autre ne le sera pas. Or, il aura vraisemblablement payé le même prix et acheté du même vendeur. Est-ce qu'on doit aller aussi loin que d'étendre cela à la protection du consommateur qui achète pour une entreprise? Peut-être. Mais où est-ce qu'on arrête? C'est cela qui va être le problème majeur: où est-ce qu'on tire la ligne? Est-ce qu'on va devoir, dans la loi dire: Bien, s'il a un revenu qui excède 25 000 $ ou 30 000 $ ou 40 000 $ par année, il a droit à la protection, donc à l'invocation du principe de lésion entre majeurs, et s'il gagne moins que cela ou plus que cela, il n'y a pas droit? C'est un problème considérable. Là-dessus, je pense que c'est le législateur qui devra décider, sauf que cela peut nous mener dans une situation extrêmement complexe de savoir exactement où cela commence et où cela arrête. Je ne sais pas si un autre de mes collègues a des commentaires à faire.

M. Masse: L'entreprise a été tentée, M. Dauphin, en 1978 par le gouvernement du Parti québécois lors de la rédaction de l'avant-projet de loi sur la protection du consommateur. Je ne donne de secret à personne en disant que cela a été une entreprise tentée notamment par le ministre des Affaires sociales, à l'époque, et cela a été un échec. Comment définissez-vous la vulnérabilité d'une petite entreprise? L'avantage du statut de consommateur, c'est qu'à partir du moment où vous avez le statut de consommateur, c'est-à-dire que vous êtes une personne physique qui achète pour des fins personnelles, sans avoir à décider si vous êtes intelligent ou non intelligent, vous avez une présomption dans certains cas d'applicabilité de la loi. Mais le problème avec les petites entreprises, c'est à partir de quel moment vous la définissez. Est-ce que vous allez fixer un nombre d'employés? Cela peut être avantageux pour certains types d'entreprises et non pas pour d'autres. Est-ce que vous allez définir un chiffre d'affaires, etc? On a vu les difficultés posées par cela en matière de la loi 101. En tout cas, peut-être que vous allez trouver une solution à ce problème sans fond. À l'époque, il n'y a pas eu de solution qui a été trouvée et je ne pense pas qu'elle soit trouvable. Ce qui de façon générale nous inquiète, et, encore une fois, ce n'est pas du tout parce que

je suis contre le principe de lésion entre majeurs personnellement, je pense cependant qu'on doit assez bien cibler encore une fois l'objectif visé et les bénéficiaires de la protection. Si, dans ce domaine comme dans les autres domaines de l'avant-projet, on se réfère à la discrétion judiciaire, on va avoir plusieurs dizaines d'années d'incertitude profonde fondamentale de ce côté.

M. Dauphin: Merci beaucoup. M. le Président, avec votre permission, j'aimerais poser une seconde question qui a rapport à la clause abusive. À la page 50 de votre premier mémoire, M1, vous vous opposez dans la définition de la clause abusive à ce que l'avant-projet de loi se réfère à la notion d'attente légitime de l'adhérent, pour le motif qu'elle comporte des éléments beaucoup trop subjectifs. Alors, compte tenu que cette notion se retrouve déjà dans le droit de nos voisins de "common law", "reasonable expectations", et qu'elle est même codifiée en droit louisianais, pourriez-vous préciser davantage vos appréhensions?

M. Nadeau: Ce qui nous a troublés beaucoup quand nous avons vu cette disposition et plus particulièrement l'expression "la prive de ses attentes légitimes", c'est le subjectivisme auquel nous allons devoir faire face si cette expression est retenue. Quelles sont les attentes légitimes? On peut dire qu'il y en a autant qu'il y a de citoyens. Cela veut dire quoi en pratique si on se place du point de vue d'un tribunal? Est-ce qu'il devra analyser - vraisemblablement il va falloir le faire - la personnalité, l'intellect, les connaissances de chacun des citoyens qui se présente devant lui pour déterminer si, dans ce cas donné, les attentes légitimes de ce débiteur ou de ce créancier ont été respectées ou pas? Encore une fois, ce n'est pas impossible à faire, cela doit exister ailleurs vraisemblablement. Vous avez mentionné les régimes de "common law" et la Louisiane. Je ne sais pas comment cela est administré là-bas par les tribunaux. Quant à nous, on trouve que c'est tellement subjectif. Non seulement il y aura la subjectivité de chaque individu qui va se présenter devant la cour, mais aussi la subjectivité de chacun des juges. On risque de se retrouver avec quelle jurisprudence? Combien de temps va-t-il falloir pour qu'il y ait des paramètres qui soient développés de façon que et les juges et les justiciables et les avocats et les autres qui travaillent avec le droit sachent où s'arrête la ligne et où elle commence? C'est cela qui est notre inquiétude majeure.

M. Dauphin: Merci beaucoup. Une autre question relativement à la forme des contrats. Oui, Me Vadboncoeur. (11 h 15)

Mme Vadboncoeur (Suzanne): Je m'excuse de vous avoir interrompu. Ce qui me frappe également dans cela, ce sont les termes "attentes légitimes" par rapport à "reasonable expecta-tions". Je pense que "reasonable" est peut-être plus objectif comme test devant ies tribunaux que "légitimes". Une personne peut avoir des attentes qu'elle considère légitimes pour elle selon, comme le disait Me Nadeau, ses valeurs, son "background" scolaire, familial, etc., mais ce ne sera pas nécessairement légitime pour le voisin ou pour une autre personne qui a évolué dans un autre contexte, alors que le critère "reasonable" a été Interprété par les tribunaux de façon objective, ce qui aide à donner une certaine certitude juridique, particulièrement dans la jurisprudence. C'est la crainte qu'on a exprimée à la page 50 du mémoire.

M. Cimon (Pierre): Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter un commentaire. Il faut aussi voir cette critique dans celle beaucoup plus générale qui est faite quant à l'introduction de notions de "common law" qui, en soi, peuvent être excellentes, mais qui cadrent bien mal dans notre système de droit civil et avec lesquelles on n'arrive pas toujours aux résultats auxquels parviennent nos voisins américains surtout. Je pense par exemple à la notion d'assurance qui, s'il en est une, s'inspire de notions de "common law", a transposé dans notre droit des situations semblables et où l'on s'est aperçus à l'occasion que nos tribunaux, avec les mêmes notions, arrivaient à des solutions tout à fait différentes, parce que justement notre mode de penser et de fonctionner en droit ne ressemble en rien à celui de nos voisins. Et lorsque l'on importe ces institutions, on ne réussit pas toujours à vivre avec elles de la même façon et on peut parvenir à des solutions qui ne seront pas celles visées par le législateur. Notre système de droit civil, l'idée d'avoir une loi fondamentale est très importante et qu'on ne doit pas trop, tout au moins, la défigurer en la modifiant par des notions de "common law" qui ne cadrent pas avec notre système juridique, en principe.

M. Dauphin: Si vous me le permettez, M. le Président, je vais permettre à Me André Cossette, directeur du droit civil au ministère de la Justice, de renchérir sur le même sujet.

M. Cossette (André): Oui. Je veux intervenir sur un point plus spécifique. Vous semblez vous opposer d'une façon générale à l'introduction de notions de "common law", même si elles peuvent être utiles dans certaines circonstances. Par ailleurs, vous semblez insister sur la présomption d'hypothèque qui est également une notion de droit de "common law". Alors, quelle est votre position ferme là-dessus? Votre rapport est un peu dans un sens ou dans l'autre, selon les chapitres que l'on peut lire.

Mme Vadboncoeur: S'il est exact que dans le mémoire sur les sûretés, on a recommandé l'introduction de la présomption d'hypothèque, il

est également exact qu'on a réitéré cette demande dans ce même mémoire et il est exact que la présomption d'hypothèque est une notion de "common law".

Cela peut paraître contradictoire, mais cette notion de présomption d'hypothèque... D'ailleurs on n'est pas ici pour discuter du bien-fondé ou de l'inopportunité d'introduire la présomption d'hypothèque, mais elle se veut une façon de reconsidérer tout le domaine des sûretés et tout le domaine des différentes clauses qui servent à donner à certains créanciers des possibilités de réaliser leurs garanties. Donc, c'est beaucoup plus général comme aspect. Ici et à différents endroits où on le signalait dans le mémoire, ce sont des notions beaucoup plus spécifiques, sectorielles et limitées qu'on tente d'introduire.

Si je fais appel aux fameuses attentes légitimes dans les clauses abusives, c'est quand même beaucoup plus restreint comme application. Contrairement a la présomption d'hypothèque oui couvre tout le secteur des sûretés, mobilières ou immobilières, cela n'a rien à voir avec l'emprunt de certaines touches ou de certaines notions bien spécifiques de "common law" qui, elles, peuvent venir mêler tout notre droit civil.

M. Cimon: J'ajouterais un mot là-dessus, M. le Président. La notion de présomption d'hypothèque est, en fait, une technique beaucoup plus qu'une notion de droit. C'est un véhicule, alors que je croirais que la plupart de nos commentaires prudents sur les importations de la "common law" ont trait à ce qui tient plus à l'équité ou à l'application de l'équité. Ceci nécessite l'intervention des tribunaux sans le bénéfice des lignes directrices de la législation et ceci laisse beaucoup à l'appréciation des juges, sans toujours leur donner tous les éléments nécessaires pour les guider, ce qui ne cadre pas totalement, tout au moins, dans le système de droit civil.

M. Dauphin: Merci, Me Cimon. Avec la permission de la présidence, j'aimerais également autoriser le professeur Jean Pinault, qui est un des codificateurs, à poser une question sur le même sujet.

M. Pineau (Jean): Le Barreau s'oppose à l'article 1484 sur la clause abusive qui essaie de définir, dans le deuxième alinéa, ce qu'est une clause abusive. Je ne sais si le Barreau a fait l'exercice, mais il n'est pas aisé de définir ce qu'est une clause abusive. L'Office de révision, pour sa part, proposait un article 76 qui se lisait ainsi: "La clause abusive d'un contrat est annulable ou réductible", point. N'est-ce pas donner ouverture à une intervention des tribunaux, plus encore à une appréciation subjective davantage importante dans la formulation de l'article 76 qui est claire et concise - c'est le moins qu'on puisse dire - de type français, tout à fait conforme à la culture juridique française et au style français? Mais j'imagine qu'il y aurait une jurisprudence d'une abondance extraordinaire si on maintenait un tel article.

Est-ce que le Barreau préférerait la solution française qui, curieusement, a établi une liste que je dirais administrative des clauses abusives? L'administration a rédigé des clauses qui sont réputées abusives. Donc, dès que l'on rencontre une telle clause, la clause en question est annulable. C'est sans doute une technique qui est peut-être intéressante, sauf qu'il existe des avocats qui ont du génie ou, tout au moins, qui sont ingénieux et qui sont capables de fabriquer des clauses qui ne sont pas conformes à la clause qui se trouve dans la liste des prohibitions et qui sont tout aussi abusives que les clauses proprement interdites. Alors, où se situe le Barreau de ce point de vue-là?

M. Nadeau: Avec beaucoup de respect, je vous réfère à la page 49 du cahier sur la Théorie générale des obligations. Vous verrez que nous avons maintenu à peu près la totalité de la description ou de la définition qui était donnée par les légistes de l'abusivité, entre guillemets, des clauses. Ce que nous en avons extrait, c'est l'expression "la prive de ses attentes légitimes". C'est à peu près la seule chose que nous ayons retirée, nous avons gardé à peu près tout le restant. Alors, nous sommes d'accord. Ce n'est pas facile. Nous avons d'ailleurs travaillé très fort pour essayer de trouver une définition de ce que peut être une clause abusive et, finalement, avons opiné dans le sens que les légistes avaient choisi, à l'exception - dont nous avons parlé tantôt - de la notion très subjective "d'attentes légitimes". Me Masse a un commentaire aussi.

M. Masse: On peut aller à une contradiction apparente entre l'article 1484 et les clauses d'exonération de responsabilité. On va admettre assez facilement que les clauses d'exonération de responsabilité sont, dans l'immense majorité des cas, le plus bel exemple de clauses abusives. Or, d'une part, on a l'article 1484 qui donne aux juges un pouvoir discrétionnaire assez grand pour juger de ce qui est légitimement admissible et, d'autre part - cela m'apparaît paradoxal - on a les articles 1531 et 1532 qui, dans le premier cas, permettant au fabricant de s'exonérer, à tout le moins pou' les dommages matériels, à raison des risques d'innovation technologique.

Je soumets respectueusement que s'il y a un domaine où on n'aurait pas dû permettre au fabricant de s'éxonérer en raison des risques qu'un produit peut causer, c'est bien celui-là. Donc, il m'apparaît y avoir une contradiction entre le caractère assez rigoureux du principe général et l'application qu'on en fait.

Un deuxième exemple, c'est l'article 1532. On dit qu'une personne ne peut exclure ou limiter son obligation de réparer le préjudice par sa faute intentionnelle non plus que par sa faute lourde, et le reste s'ensuit. D'abord, je veux faire remarquer que la notion de faute lourde

qui est abordée, à ma connaissance au mois à douze reprises dans le projet de loi n'est absolument pas opérationnelle. Je défie qui que ce soit comme juriste de me dire quelle est la différence entre une faute lourde et une faute normale. J'ai fait, avant de venir ici, un examen attentif de la jurisprudence depuis 110 ans là-dessus, c'est une notion d'une ambiguïté considérable qui ne règle rien. Mais je reviens aux commentaires sur l'article 1532. Je dois donc conclure qu'une personne pourrait s'exclure, exclure sa responsabilité pour des dommages matériels, en raison de sa faute normale ou sa faute légère. Or, je soumets que c'est un beau cas de l'application de l'article 1484. Donc, ce qui me fait personnellement le plus problème dans l'article 1484, c'est la jonction qu'on fait entre ce principe général qui est fort louable mais, prétend-on, assez flou et l'application en matière de clauses d'exonération de responsabilité qui, elles, sont véritablement, historiquement en tout cas, les plus beaux cas d'exploitation ou d'abus contractuel dans ce type de contrat.

Le Président (M. Marcil): Sur la même question, je vais reconnaître... Oui, Me Gilbert.

M. Gilbert: J'aimerais répondre parce que, vraiment, on est au coeur de toute cette discussion. J'adresse mon interrogation au professeur Pinault. Qu'est-ce qui ne va pas avec le consensualisme contractuel au Québec? Qu'est-ce qu'il y a qui ne va pas?

Le Président (M. Marcil): Allez-y, monsieur.

M. Gilbert: Je me pose encore cette question-là après avoir lu et vu tout cet acharnement qu'on a à essayer de le dépister. Pourquoi se donner tout ce trouble? Le législateur nous a déjà dit que, quand il n'y a pas de consentement, il y a vice à la base du contrat. Si, un jour, on trouve à l'intérieur d'une relation contractuelle un défaut de consentement, soit en raison de l'incapacité du contractant, soit en raison de l'objet qui n'avait pas été envisagé, est-ce qu'on n'est pas bien servi? Qu'est-ce que c'est que tout ce trouble qu'on se donne d'essayer de prévenir et de pévoir tous les cas où il y aura eu vice de consentement? Parce que c'est tout cela, le langage qu'on parle, qu'on tient. On essaie de dire: On va vous démontrer qu'il y aura eu vice de consentement quand il y aura clause abusive, quand il y aura eu ci, quand il y aura eu lésion. Je n'ai pas besoin de me faire dire cela. D'abord, je pense que le législateur a encore le souci de voir dans sa société des gens responsables. Quand les situations seront trop complexes pour que les gens responsables puissent se comporter raisonnablement les uns face aux autres, le législateur prendra le soin de venir en aide, à l'occasion, à certaines catégories de contractants. Il le fait en marge des ventes sous pression. Il le fait en marge du contrat d'assurance qui est un contrat complexe où le consentement est atteint à travers la complexité de la police d'assurance. Le législateur a bien pris soin de dire: Un contrat d'assurance, c'est comme cela que ça va se faire, c'est de la belle protection, cela. Même si vous dérogez, voici les articles auxquels vous n'avez pas le droit de déroger dans un contrat d'assurance. Je trouve que c'est bon. Mais quand on part en peur et qu'on veut infantiliser toutes les relations civiles, je me dis qu'on va créer un tel état d'incertitude qu'on va commettre le péché capital, le grand péché qui, à mon point de vue, laisse tous les autres en péchés véniels. Je pose encore ma question: Qu'est-ce qui ne va pas dans notre consensualisme contractuel au Québec?

Le Président (M. Marcil): M. le professeur Pineau.

M. Pineau: M. le Président, je demanderai simplement si nous sommes encore au XIXe siècle et si la théorie de l'autonomie de la volonté a l'impact et la force qu'elle avait au XIXe siècle, cette théorie, sur laquelle a reposé tout le droit civil français et tout le droit civil du Bas-Canada. Et s'il n'y a pas d'abus, je pose la question suivante: Pourquoi a-t-on adopté une Loi sur la protection du consommateur?

M. Gilbert: Je répondrai à M. Pineau: Voilà une intervention ponctuelle du législateur. Je pense que c'est là qu'est l'inquiétude du Barreau. Vous voulez institutionnaliser l'incapacité entre des majeurs. Je dis: Pourquoi ne pas simplement la cerner dans des cas particuliers où se démontre l'abus? C'est une mine d'or pour les avocats, ce que vous faites là. S'il fallait qu'ils m'entendent vous parler comme cela aujourd'hui, ils diraient: Bâtonnier, voulez-vous revenir au plus vite? (11 h 30)

Le Président (M. Marcil): Oui, M. le professeur Pineau.

M. Pineau: M. le Président, je répondrai simplement à cela que l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur, qui prône la nullité du contrat sur la base de la lésion, n'a pas donné lieu à une jurisprudence délirante jusqu'à présent.

Une voix: M. Masse.

M. Masse: II y a une raison à cela et c'est pourquoi mon comité favorise l'introduction du titre 3 en matière de consommation. C'est une loi à caractère très dérogatoire. Je suis tout à fait d'accord pour dire que l'introduction des nouvelles dispositions en matière de lésion entre majeurs au titre 3, notamment en matière d'exonération de responsabilité, va faire beaucoup pour vulgariser le droit à la consommation et le répandre, surtout parmi les avocats de for-

mation traditionnelle. Mais je crains personnellement - et c'est mon commentaire général - qu'on introduise trop de principes de protection dans le cadre des titres 1 et 2.

Je ne citerais pour illustration que l'article 1666, qui, comme civiliste, me paraît quelque chose de très surprenant. Plutôt que de compenser le dommage réel, le juge, dans sa sagesse, pourra donner ce qu'il considère être raisonnable pour ne pas exposer le débiteur à la gêne. On introduit une foule de notions qui sont des flous juridiques considérables pour lesquels je me bats en matière de protection du consommateur. Mais, comme civiliste qui enseigne la responsabilité civile, notamment depuis quatorze ans, je me dis: À quoi va-ton donner lieu avec cela? C'est vraiment l'espèce d'équilibre entre le consensualisme qui existe peu souvent, mais qui existe surtout en matière commerciale je pense, et la protection du consommateur. Je pense qu'ici le législateur doit faire cet arbitrage. Mais à vouloir rapatrier tellement de principes généraux de la protection du consommateur dans le cadre des titres 1 et 2, on risque purement et simplement de discréditer l'opération, ce que je crains et cela peut apparaître assez surprenant. Mais, entre nous, je pense que l'article 1484 aurait une vocation fantastique dans le cadre du titre 3, peut-être pas nécessairement dans le cadre des titres 1 et 2. On n'est peut-être pas prêts à cela, comme société.

Le Président (M. Marcil): Merci, Me Masse. Je vais revenir au député de Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la Justice.

NI. Dauphin: Je sais que nous avons plusieurs questions, mais mon collègue de Taillon me faisait signe tantôt qu'il...

Le Président (M. Marcil): Qu'il voulait intervenir?

M. Dauphin: ...acceptait notre proposition du début.

M. Filion: C'est cela, exactement. Dans le même sens...

Le Président (M. Marcil): M. le député de Taillon.

M. Filion: D'abord, c'est à mon tour de souhaiter la plus cordiale bienvenue aux représentants du Barreau. Je voudrais leur présenter les gens qui m'accompagnent et qui sont susceptibles de leur poser des questions, Me Pierre Gariépy, à ma droite et Me Marie Marmet, à ma gauche, qui m'ont assisté dans la préparation de cette commission parlementaire qui me rappelle, M. le bâtonnier, mes examens du Barreau, en 1969. C'est un vrai bain de Code civil que j'ai eu l'occasion de prendre depuis déjà plus de deux semaines et en excellente compagnie. Nous avons eu l'occasion, durant les cinq premières journées de cette commission parlementaire, de voir défiler beaucoup de groupes d'intérêt de notre société québécoise qui sont venus généralement accompagnés de membres de votre et notre corporation professionnelle, le Barreau. Ils ont expliqué leur point de vue sur un avant-projet de loi qui constitue certes un ensemble de propositions innovatrices dans un chapitre, celui du droit des obligations, une clé de voûte de notre droit civil et donc de nos rapports collectifs et individuels ici, au Québec. C'est une expérience absolument enrichissante. Et le débat qui vient d'avoir lieu entre M. le professeur Pineau et les représentants du Barreau illustre bien la qualité des interventions que nous avons eues à cette commission parlementaire.

Je voudrais, bien sûr, signaler le caractère absolument titanesque du travail effectué par le Barreau, titanesque, non pas dans le sens du Titanic, mais dans le sens de titan. On ne tient pas ici, dans cette enceinte, de livre des records Guinness, mais il s'agit probablement du mémoire le plus substantiel, en tout cas...

Le Président (M. Marcil): II manque encore trois parties, je crois.

M. Filion: Comme il a été souligné, il manque encore certaines parties sur le transport, l'affrètement et l'assurance maritime, sauf erreur. À ma connaissance - et on me corrigera, particulièrement le député de Marquette dont l'expérience parlementaire est plus grande que la mienne - il s'agit - en tout cas de ce que j'ai vu - du mémoire le plus substantif et substantiel qu'il m'a été donné de voir sur un avant-projet de loi.

Des remarques de votre mémoire, je retiens évidemment plusieurs choses spécifiques. Mais de façon générale d'abord, je retiens la sagesse. C'est une leçon de sagesse qu'on donne au législateur quant à la nécessité, dans ce type d'exercice, de procéder par avant-projet de loi. Si nous en étions à l'étape du projet de loi, je dois vous dire que le législateur aurait besoin de travailler et de mettre les bouchées triples pour adopter ça dans une période de temps raisonnable. Heureusement, c'est un avant-projet de loi.

Vos remarques, celles de l'ensemble des intervenants, sont versées dans ce que j'ai appelé depuis deux semaines, la grande bouilloire, la grande marmite. L'équipe du ministère de la Justice verra à faire en sorte que le produit du projet de loi soit cohérent mais tienne compte aussi de l'ensemble des commentaires qui ont été faits par le Barreau, par la Chambre des notaires et les autres intervenants.

Deuxième lecon. Je pense qu'il faut retirer de cette intervention musclée du Barreau et M. le bâtonnier, tantôt, le résumait un petit peu à sa façon en disant: Cela ne se fera pas au chronomètre. Je l'ai dit souvent aux gens d'en

face et de façon absolument dénuée de toute partisanerie, c'est une erreur, à mon sens, de concevoir un Code civil parfait qui va nous arriver par la grâce des dieux et que l'on pourrait déposer dans une limite de temps raisonnable. Quand l'ex-ministre de la Justice, le député de D'Arcy-McGee - avec tout le respect que j'ai pour le député de D'Arcy-McGee - avait dit en 1985-1986 que le Code civil serait en vigueur, croyez-le ou pas, en 1888-1889, pardon 1988-1989. Aujourd'hui, à l'aube de 1989, on peut voir le Code civil. Il y a la loi 20 qui a été adoptée. Quant à moi je sais que l'entrée en vigueur de la loi 20 pose des problèmes mais ii ne faut pas chercher, à mon avis, à créer Rome ou Paris ou les deux en même temps dans une seule journée. Bâtir un Code civil, c'est une oeuvre - si vous me permettez d'employer une expression litigieuse de l'avant-projet de loi -absolument colossale. Donc, deuxième leçon à retirer directement des propos du Barreau du Québec.

Maintenant, sur le fond justement, le Barreau a noté à juste titre que l'avant-projet de loi comportait des changements profonds tant dans la philosophie du Code civil que dans son vocabulaire. Il souligne les remous considérables dans notre société et même M. le bâtonnier évoque un aspect qui pourrait nous échapper. Et à l'aube ou pas du libre-échange il demeure que nos frontières sont de moins en moins rebelles et, donc, comme société nous nous ouvrons davantage à ce qui se passe à l'extérieur d'où l'utilité d'avoir des règles du jeu claires pour toute personne qui veut vivre ou faire affaire au Québec. Je pense que c'est un élément intéressant.

Sur la forme, vous déplorez un petit peu la qualité de la langue. Vous soulevez le fait que ce style de législation est peut-être emprunté à l'anglo-saxon quant à la définition des termes, des principes et des nombreuses exceptions. Vous ajoutez que ce nouveau vocabulaire sera source d'incertitude. Mais dans la mesure où le législateur utilise ou adopte des nouvelles lois, des nouvelles dispositions, ça crée toujours une période d'incertitude. Un nouveau terme doit être défini par les tribunaux. Parfois, ça prend plus de temps avant de se rendre à la Cour suprême, mais à chaque fois que, comme législateur, on adopte une loi, on est susceptibles de créer un minimum d'incertitude. Il y a uniquement l'énorme statu quo qui empêche l'incertitude. Quant à moi en tout cas, à ce stade, j'ai écouté attentivement vos propos. Vous dites que ces emprunts anglo-saxons peuvent également nous nuire. En tout cas, je vais relire cette partie de votre mémoire, mais je ne suis pas à ce stade-ci, d'entrée de jeu, convaincu de la démonstration qui a été faite.

Par contre, vous n'avez pas suivi les travaux depuis le début, mais je dois vous dire que plusieurs des arguments évoqués par le Barreau l'ont été par celui qui vous parle quant au fond de certains changements proposés. Plusieurs de ce que vous appelez, M. le bâtonnier, d'une façon un peu sévère probablement pour frapper l'imagination des parlementaires et les alerter au danger qui, selon vous, nous guetterait, ce que vous appelez l'infantilisme juridique, ce sont des notions protectionnistes, finalement, qui sont introduites, qui sont discutables, et c'est pour ça qu'on en discute ici aujourd'hui.

J'ai moi-même émis des réserves sur plusieurs chapitres, le premier étant la notion du consentement réfléchi. J'avais même cité le dictionnaire. C'est quoi "réfléchir"? Un retour en soi. Ce n'est pas facile. Ce n'est pas facile pour un juge de définir un retour sur soi, d'autant plus que cette capacité de retourner sur soi n'est pas la même pour chaque individu. Double notion de subjectivité par ce terme "réfléchi". Les capacités individuelles ne sont pas les mêmes et, deuxièmement, une fois qu'on retourne sur soi, même si on est généralement bon en réflexion, ça ne veut pas dire que notre consentement était réfléchi cette fois-là. C'est une notion extrêmement difficile.

La lésion entre majeurs, je pense que le débat est bien lancé avec les échanges avec le député de Marquette, M. le professeur Pineau et vous-même. Vous soulevez les risques d'instabilité pour les contrats. Ce n'est pas une notion facile. Également, les discussions quant au contrat d'adhésion, les clauses abusives. Vous soulevez la notion subjective de l'article 484 de façon fort pertinente.

C'est sur le chapitre du préjudice causé à autrui que je vais concentrer mes premières questions. De façon générale, je pense que vous vous opposez au régime proposé, c'est-à-dire au régime où le majeur protégé et le mineur non doué de raison sont responsables. Vous suggérez le maintien du principe, à savoir que si l'auteur de la victime est un incapable, c'est la victime qui doit en souffrir. Là, vous faites une suggestion très intéressante, je pense, à la page XXIV, en chiffres romains, de votre mémoire, sur les commentaires généraux. Vous proposez un organisme gouvernemental d'indemnisation. Il en existe plusieurs, mais il y en a deux qui me frappent: d'abord, l'indemnisation des victimes d'accidents d'automobile et l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Vous suggérez un régime d'indemnisation par l'intermédiaire d'un organisme gouvernemental. Je trouve cette suggestion très intéressante. D'ailleurs, sauf erreur, je pense que la Commission des services juridiques nous avait, peut-être pas suggéré, mais en tout cas, elle nous avait suggéré d'emprunter cette piste de réflexion. J'aimerais vous entendre davantage, M. le bâtonnier ou l'un des membres éminents du Barreau qui vous accompagnent, sur cette notion d'organisme gouvernemental d'indemnisation. (11 h 45)

M. Nadeau: M. Filion, la raison pour

laquelle, vous l'aurez vu, nous avons suggéré, et ce n'est qu'une suggestion, de mettre sur pied un tel organisme tient beaucoup plus au fait que nous sommes inquiets de la tendance qui est prise dans le chapitre concernant la responsabilité ou la réparation du préjudice. Nous avons tous été élevés dans une tradition juridique dans laquelle il y avait faute ou il n'y avait pas faute. Étaient capables de faute les personnes qui, traditionnellement, et encore aujourd'hui, pouvaient discerner le bien du mal, etc. - vous connaissez la notion tout aussi bien que nous - et était incapable de faute, la personne incapable de former ce concept et de faire cette distinction.

Ce qu'on essaie d'introduire dans le chapitre sur la réparation du préjudice, et je l'ai mentionné tantôt dans ma présentation, c'est un régime un peu mixte par lequel, en principe, celui qui commet une faute devra la réparer, c'est-à-dire en payer les conséquences, défrayer les dommages qu'il aura causés, mais on va plus loin et c'est là que nous trouvons qu'il y a un grand danger et un subjectivisme qui, d'après nous, va causer des problèmes considérables, c'est-à-dire que la personne même incapable de faute, par exemple le mineur de cinq ans qui va casser une vitre ou causer un dommage quelconque est incapable de décider ou de savoir si le geste qu'il a posé est fautif. Malgré cela, on veut introduire dans le nouveau chapitre l'obligation pour lui ou pour les personnes responsables de lui d'indemniser, mais dans la mesure où il en a des moyens financiers. Or nous estimons que, pour réparer une soi-disant injustice qui peut exister actuellement envers la victime dite innocente et, encore là, c'est très relatif parce que la majorité des personnes au Québec, que je sache, sont détentrices de polices d'assurances personnelles pour protéger leurs biens et leurs responsabilités, auxquels cas ces polices d'assurances protègent contre les gestes posés même par des mineurs incapables, donc il y a rarement de vraies victimes innocentes.

Pour soi-disant modifier ou changer ce principe selon lequel des victimes innocentes sont pénalisées par le fait que l'auteur du dommage est incapable de faute, on transforme ou on voudrait transformer complètement notre régime et, dans certains cas très subjectifs, il faut le dire, c'est-à-dire la possibilité pour l'auteur ou ceux qui sont responsables de lui dans la mesure où il y a des moyens financiers d'être tenus de réparer, on va non pas vraiment changer le système parce que qu'adviendraît-il dans le cas où la vraie victime innocente d'un dommage causé par un mineur ou un majeur protégé ne se verra pas Indemnisée parce que le fauteur ou l'auteur du dommage est insolvable ou n'a pas d'argent? Alors il y aura deux catégories de victimes innocentes: celles qui auront la chance d'avoir subi un dommage causé par une personne solvable et celles qui auront la malchance d'avoir le même dommage causé, malheureusement, par une personne Insolvable. En somme, la réparation ne tient pas compte de la faute, mais de la solvabilité et ce sera le jeu de la chance qui déterminera si, dans un cas, on sera indemnisé et si, dans l'autre, on ne le sera pas. Pour réparer ce qui nous semble un problème mineur, minime, on voudrait chambarder notre système de responsabilité civile et nous croyons que c'est extrêmement dangereux de le faire.

M. Filion: Vous abordez finalement un peu l'article 1666 de l'avant-projet. Avec tout le respect de l'Opposition pour la qualité de l'avant-projet, j'ai déjà dit, et vous n'étiez peut-être pas là, que l'article 1666, surtout dans la partie où on dit que - je pense qu'il vaut la peine de lire la dernière phrase - "la réparation intégrale du préjudice risquerait de l'exposer démesurément à la gêne", que cette rédaction-là heurtait un peu ma formation, bien sûr, et, deuxièmement, qu'elle risquait peut-être d'exposer inutilement le parlementaire à la gêne pour y avoir souscrit.

Quant à l'article 1666, je comprends que la rédaction n'est pas facile, mais cet article contient en même temps des réserves et je vais maintenant attirer votre attention là-dessus. Au-delà des mots et des principes, on dit bien que "le tribunal peut exceptionnellement réduire le montant des dommages-intérêts dus par le débiteur lorsque la faute de celui-ci n'était ni intentionnelle ni lourde". Maintenant, j'avoue que je dis: Écoutez, la faute lourde, n'essayez pas de faire revivre ça. Je viens d'essayer, je ne suis pas capable. Je me souviens que ça remonte à loin. Les auteurs français qui nous avaient déjà instruits de ces nuances à l'époque. Le mot "intentionnel", c'est quand même un élément précis, l'intention ou l'absence d'intention, ou la présence d'intention. La réparation intégrale du préjudice risquerait d'exposer démesurément... Dois-je comprendre, Me Nadeau que même avec ces restrictions là, dont certaines sont relativement objectives, l'article 1666 heurte un peu les principes de droit fondamentaux et fait en sorte que le paiement d'une indemnité dépend de la qualité de l'auteur? J'avoue que c'est facile à intégrer à notre formation.

M. Gilbert: Je veux répondre à ça. M. Filion: Oui.

M. Gilbert: C'est trop criant, ça. Le législateur, dans sa sagesse, avait déjà prévu qu'il est des besoins fondamentaux, des besoins économiques qui ne devraient pas être exposés à l'acquittement des dettes, que ce soient des dettes commerciales ou des dettes encourues différemment. L'insaisissabilité des biens est déjà là. S'il faut étendre l'insaisissabilité des biens pour protéger davantage une économie inflationniste, les débiteurs d'aujourd'hui et de demain, c'est facile d'ajouter un petit mot au chapitre de

l'insaisissabilité...

M. Filion: Un zéro. M. Gilbert: Pardon? M. Filion: Un zéro.

M. Gilbert: Un zéro suffira. Mais pour aller changer un concept philosophique qui dit que, quand on fait du mal à un autre par sa faute, on n'est plus responsable si on n'est pas trop bien, si on est à la gêne. Qu'est-ce que c'est ça? Gêné par le fait qu'il ne faut pas perdre son frigo. Il est déjà insaisissable, monsieur, qu'avez-vous à craindre? Vous êtes à la gêne, mais votre père va vous laisser un héritage de 1 000 000 $, là écoutez, c'est la gêne éventuelle ou la gêne actuelle. Cela me gênerait, moi, si j'étais héritier de dire: Oui, mon million qui s'en vient, je suis gêné par la condamnation en cour, de sorte que je ne vois pas la nécessité de cette circonspection, de cette vigilance jusqu'au point de transformer la philosophie du système. Élargissons l'insaisissabilité au besoin. Faisons-la correspondre au contexte économique moderne. Rendons insaisissable un certain nombre de choses qui ne l'étaient pas hier. C'est la grande paix. C'est l'ordre et c'est la justice, si ce mot-là a encore quelque chose à faire dans le code. Le mot "justice".

M. Nadeau: J'ajouterais un commentaire pour répondre directement à la question de M. Filion. Ce qui nous inquiète, c'est encore une fois l'utilisation des mots comme "exceptionnellement". Cela veut dire quoi? Cela veut dire qu'il va falloir combien d'années d'interprétation par les tribunaux pour qu'on décide qu'un jour, exceptionnellement, ça veut dire: En bas de 10 000 $, en bas de 20 000 $, en bas de 50 000 $, en bas de 100 000 $ d'actifs, au-delà de quoi il n'y aura plus de gêne? La gêne ne sera plus démesurée. Nous estimons qu'encore une fois, au lieu de mettre ses culottes, entre guillemets, le législateur dit: Écoutez, de toute façon, les juges vont décider. C'est ça qui est malheureux avec ça et avec d'autres principes du genre.

M. Cimon: J'aimerais ajouter un commentaire.

Le Président (M. Filion): Oui, Me Martel. M. Cimon: Cimon.

Le Président (M. Filion): Me Cimon, je m'excuse.

M. Cimon: J'aimerais ajouter un commentaire sur votre première question: La première réaction, en ce qui a trait aux mineurs non responsables, de se dire que ce qu'on a voulu protéger, c'est la victime innocente. Cela amène tout de suite une autre question, c'est: Pourquoi le faire à ce moment-là à même le patrimoine de l'individu particulier qui est aussi innocent que la victime? À partir de quel nouveau principe ferait-on le choix de faire endosser par des individus une décision sociale d'indemniser des personnes à qui on cause injustement un préjudice? Cela rejoignait la suggestion que vous retrouvez à savoir que si à ce moment-là c'est vraiment le choix, qu'on fasse porter cette indemnisation par l'ensemble de la société au moyen d'un organisme comme celui qui existe pour l'indemnisation des victimes d'actes criminels, comme la Régie de l'assurance-automobile.

M. LeMay (Jacques): Ou encore en ajoutant, comme ce fut mentionné...

Le Président (M. Filion): Me LeMay.

M. LeMay: ... dans le mémoire une clause aux polices d'assurance responsabilité, ce qui existe d'ailleurs en Ontario ou ailleurs dans le cas des conducteurs inconnus qui peuvent causer des dommages, ajouter une clause aux polices d'assurance à savoir que si un dommage est causé par une personne non douée de raison, il y aura indemnisation directement. De toute façon, il faut bien réaliser que le problème est relativement d'application peu fréquente parce que, dans la majorité du temps, il y a une compensation par une compagnie d'assurances.

Pour revenir à l'article 1666...

M. Filion: Oui.

M. LeMay: ...auquel vous faisiez allusion aussi, même s'il y avait le terme "exceptionnel" dans la rédaction de cet article, il faut être prudent parce que dans la majorité des cas, les débiteurs trouveront que ce sera exceptionnel pour eux; à ce moment-là, ils voudront toujours bénéficier de cet article. Certains juges auront peut-être tendance à considérer que, dans bien des cas, c'est exceptionnel. C'est toujours exceptionnel pour un débiteur d'être condamné; c'est toujours exceptionnel pour lui de devoir payer un montant quelconque s'il n'y a pas d'assurance au bout. S'il y a de l'assurance au bout, évidemment, s'il a une limite d'assurance suffisante, il n'y a pas de problème, mais cela l'expose à la gêne qui va varier beaucoup selon les individus.

M. Filion: Je pense que cela va, concernant l'article 1666.

Avant de passer à une autre question et avant que je l'oublie, sur les dommages-intérêts punitifs, est-ce que je dois comprendre que la position du Barreau est favorable à l'introduction, au niveau du Code civil et donc du régime général de responsabilité, de ce concept de dommages-intérêts punitifs qui existe déjà, à la

fois dans la Charte québécoise des droits et libertés et dans la Loi sur la protection du consommateur avec la réserve que les polices d'assurance ne devraient pas - c'est là que j'aimerais avoir des explications - pouvoir ou devoir couvrir le paiement de ces dommages punitifs?

M. Nadeau: Laissez-moi répondre, d'abord, à la première partie parce que Me Masse brûle d'envie de faire un commentaire. Effectivement, quant à nous, nous sommes d'accord avec le principe de dommages punitifs avec la réserve très importante que ces dommages punitifs, qui seraient accordés, n'iront pas à la victime, sauf pour certaines dépenses, certains déboursés. L'aspect punitif doit profiter à l'ensemble de la société et non pas, comme aux États-Unis, donner ouverture à des choses totalement déraisonnables, où une victime, la première qui s'adonne à poursuivre, va se retrouver avec des centaines de militons de dollars de dommages punitifs qui n'ont absolument rien à voir avec la gravité de la blessure qui lui a été causée, ce qui, en général, ne laisse plus d'argent pour ceux qui suivent.

Quant à la question de la responsabilité des compagnies d'assurances, peut-être que la réponse pourrait être donnée par Me LeMay tantôt, mais d'abord Me Masse voulait faire un commentaire.

M. Masse: Je vous remercie, M. Filion, de me donner l'occasion de faire deux commentaires sur les articles 1677 à 1680. D'abord, je m'inscris en faux contre la notion de dommages punitifs. Ce ne sont pas des dommages punitifs, ce sont des amendes à caractère pénal déguisé. Les dommages punitifs sont ceux qui sont accordés à la personne qui les réclame. Alors, ici, il n'y a que son avocat qui pourrait, au maximum, en bénéficier. Je pense qu'on dénature profondément le caractère de dommages punitifs.

Je veux insister sur le fait qu'avec l'article 1677 de l'avant-projet de loi, on fait perdre des droits aux consommateurs qui leur sont actuellement reconnus, après une longue évolution jurisprudentielle, par l'article 272 de l'actuelle Loi sur la protection du consommateur. Vous savez sans doute que, comme l'article 53 de la charte, la Loi sur la protection des arbres, l'article 272 de la Loi sur la protection du consommateur reconnaît des dommages punitifs. Après une certaine évolution jurisprudentielle, c'est un droit qui est maintenant reconnu au consommateur et qui est appliqué. On retrouve dans ce domaine une trentaine de décisions rapportées et non rapportées qui traitent des dommages punitifs, alors que l'avant-projet de loi, à l'article 1677, limite la prétendue reconnaissance des dommages punitifs aux droits et libertés fondamentaux. À ma connaissance, cela se limite à la charte, je ne vois pas les droits des consommateurs comme des droits et libertés fondamentaux. Donc, de ce côtê-là, je pense qu'on fait perdre, premièrement, des acquis considérables pour les consommateurs avec la disparition de l'article 272. Deuxièmement, on dénature profondément l'institution pour en faire une amende pénale à caractère déguisé. Là-dessus, je pense qu'on manque le train, purement et simplement. (12 heures)

M. Filion: Je pense que Me Gilbert avait évoqué, à l'époque, qu'il est possible que parfois des positions ne soient pas totalement identifi-ques, d'autant plus que, dans votre mémoire, gentiment, vous me permettrez, Me Gilbert, de vous signaler qu'à la page 159, sur la question des assurances - d'ailleurs, j'aimerais avoir une réponse là-dessus à ma question de tantôt - vous dites quand même, à la page 159: "La sous-commission du Barreau est favorable au principe énoncé à cet article mais, dans le but d'assurer une pleine efficacité à ces dispositions, elle souhaite qu'un amendement soit apporté au chapitre 15 du titre deuxième de l'avant-projet - Des assurances - afin de spécifier que I'assurance-responsabilité ne couvre pas le paiement de ces dommages lorsqu'il y a faute lourde du débiteur, le but étant de punir le débiteur fautif et non sort assureur."

Ma question essentielle, au-delà de cette idée que finalement les vieux auteurs français sur la faute lourde ne sont pas tout à fait enterrés puisque, même dans une autre partie de votre mémoire, on le voit. C'est sur l'assurance et ma question s'adresse à n'importe quel membre du Barreau. C'est cela que je voudrais comprendre: Est-ce que l'assurance-responsabilité ne devrait pas payer cette amende à la victime si c'est une amende à caractère pénal ou ne pourrait pas... Alors, est-ce une interdiction que vous verriez ou si c'est carrément que cela ne devrait pas, de façon générale? Étant donné que c'est punitif, évidemment on doit pouvoir punir...

M. Nadeau: On veut punir l'auteur et non pas l'assureur de l'auteur.

M. Filion: ...l'auteur et non pas l'assureur. Je voudrais tout de même...

M. Nadeau: Me LeMay va vous faire un commentaire.

M. Filion: ...vous entendre là-dessus, Me LeMay.

M. LeMay: À l'heure actuelle, les polices d'assurance prévoient le remboursement des dommages compensatoires; cela n'inclut pas les dommages exemplaires. Cela n'inclut pas les dommages punitifs qui n'existent pas comme tels et cela n'inclut pas les dommages exemplaires qui peuvent être accordés en relation avec la charte. Il faut aussi réaliser que l'article 2563 du code actuel, qui est reproduit dans le nouvel avant-

projet de loi, prévoit que l'assureur ne répond pas de la faute intentionnelle de son assuré. Alors, quand le nouvel article 1677 réfère à faute lourde ou même à faute intentionnelle, on emploie le même texte, c'est le même but qui est visé, dans le fond. S'il y a une faute intentionnelle ou une faute lourde qui équivaut à une faute intentionnelle, ce n'est pas à l'assureur d'en répondre. Ce serait trop facile pour un assuré de dire: Je vais commettre n'importe quelle faute, je n'ai pas à en répondre personnellement et on accordera des dommages exemplaires, des dommages punitifs et mon assureur va en payer le coût. Ce n'est pas le but de l'assurance. Le but de l'assurance, c'est de compenser les dommages réellement subis mais non pas de voir à la compensation de la punition, si punition il y a pour la personne qui est fautive. À l'heure actuelle, il n'y a pas de compensation dans les polices d'assurance pour les dommages exemplaires réclamés en vertu de la charte, ce qui existe aujourd'hui. Il n'y aura pas plus, on le croit, de couvertures d'assurance pour les dommages punitifs qui pourront être accordés. Tout ce qu'on suggérerait, c'est peut-être une clarification à la section des assurances pour bien prévoir. Notre interprétation actuelle, c'est que cela ne serait pas de toute façon couvert. Il ne faudrait pas que ce soit couvert parce que tout le caractère qu'on veut donner à des dommages punitifs serait en sorte enlevé si c'était l'assureur qui répondait de ce montant additionnel, et non pas l'assuré.

M. Filion: Juste une dernière question sur la responsabilité avant de redonner la parole au député de Marquette. Deux questions rapidement. Premièrement, c'est toujours sur les dommages exemplaires ou punitifs, peu importe la formulation. Est-ce que, pour vous, c'est exclusif? S'il y a une poursuite pénale qui est intentée, par exemple contre un individu, est-ce que l'imposition d'une amende à l'intérieur d'une procédure pénale ou criminelle à cet individu interdirait l'imposition de dommages punitifs en vertu du régime de responsabilité civile?

M. Nadeau: Le peu de jurisprudence qui existe sur le sujet pour l'instant tient compte des pénalités accordées en vertu d'une condamnation au criminel. Je n'ai pas vu, moi, peut-être que d'autres l'ont vu, on ne condamne pas ou très peu le même fauteur poursuivi et au criminel et au civil à payer dans les deux cas des dommages dits exemplaires ou punitifs.

M. Filion: D'accord.

M. LeMay: C'est sans doute souhaitable d'ailleurs. C'est ce que l'article 1678 du nouveau texte reprend...

M. Filion: C'est cela.

M. LeMay: ... pour éviter de faire double emploi.

M. Filion: D'accord. Une dernière question sur la responsabilité, au sujet des dommages-intérêts provisionnels. Je pense que c'est une notion intéressante. Le Barreau le reconnaît d'emblée. Une première étape pour statuer sur les dommages connus et une deuxième étape étant réservée, si on veut, à la détermination des dommages qu'on appelle, je pense, non encore liquidés. Je ne sais pas si c'est tellement français, mais disons incertains ou indéterminés par le temps. Cela ferait une espèce de procès en deux étapes. Est-ce que le Barreau étudie la possibilité de faire ce procès en deux étapes: premièrement, pour la détermination de la responsabilité; deuxièmement, pour l'établissement des dommages?

M. LeMay: Le sens de la recommandation du mémoire, si je ne m'abuse, a cet effet-là, parce qu'autrement c'est trop dangereux de condamner des dommages provisionnels alors que ce serait en cours de procès et que le jugement final par la suite, que ce soit d'un tribunal comme la Cour supérieure ou la Cour provinciale ou même un tribunal d'appel, serait sujet à modifier le premier jugement. On voyait dangereux le principe d'accorder des dommages provisionnels en cours d'instance, lorsque la responsabilité n'est pas établie de façon définitive. Il en est autrement lorsque la responsabilité est établie. Si la responsabilité n'est pas contestée par la partie poursuivie, à ce moment-là rien n'empêche d'accorder des dommages provisionnels. C'est même à l'heure actuelle ce qui peut se produire avec un consentement des parties ou une entente entre les parties ou leurs procureurs, c'est facile. Mais lorsque la responsabilité n'est pas établie et est susceptible de ne pas être tranchée de la même façon par le juge qui entend la première partie du procès que par celui qui entendra la deuxième partie du procès ou par un juge d'appel, il y a des dangers. Ce sera encore le défendeur qui aura payé les dommages qui, souvent, se retrouvera dans la situation où il peut être exonéré par le tribunal final ou le tribunal qui est de juridiction finale et ne jamais être capable d'obtenir ce remboursement de dommages qu'il aurait été condamné à payer en cours d'instance. C'est là qu'on voit que c'est dangereux.

Votre suggestion d'un procès en deux étapes est bonne. Certains juges sont d'ailleurs entièrement d'accord avec cette suggestion. Elle éviterait des frais considérables aux parties, parce qu'on sait que de plus en plus, avec les preuves qui peuvent se faire dans les indemnités devant les tribunaux par des actuaires, des économistes et autres, il y a énormément de temps passé à cette preuve sur l'aspect du quantum, des dommages, alors que si la responsabilité est établie d'abord, à ce moment-là si la respon-

sabillté n'est pas accueillie ou s'il n'y a pas de responsabilité du défendeur, il n'y aura pas lieu d'encourir tous ces frais-là. Dans les procès de plusieurs semaines, souvent la moitié du temps est passée à faire la preuve de dommages.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me LeMay. Je reconnais maintenant le député de Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la Justice.

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. J'aimerais revenir sur l'indemnisation échelonnée. Vous vous dites favorables à ce principe d'Indemnisation échelonnée du préjudice, sous réserve de certaines difficultés pratiques. D'ailleurs, à la page XXIV de vos notes introductives, vous proposez de codifier la notion de règlement échelonné plutôt que de rente, ceci dans le but d'échapper à un jugement au paiement d'Impôt sur les sommes attribuées. Pour le bénéfice des membres de !a commission, pourriez-vous préciser davantage cette notion?

M. Nadeau: En deux mots, cette notion nous est venue parce que, lors de nos discussions, un des membres de notre groupe, Alain Létourneau, que vous connaissez sans doute, a donné, quant à lui, des conférences un peu partout dans le Québec sur les règlements échelonnés. La question que nous nous sommes posée à la lecture du texte proposé dans l'avant-projet de loi, c'était de se demander si, tel que proposé, le régime d'indemnisation ou de paiement échelonné ne serait ou ne risquait pas d'être assujetti au paiement d'impôt. Cela fausserait évidemment l'objectif qui est, comme vous le savez, de ne pas tout donner au débiteur en même temps, de façon à éviter ce que l'on voit très fréquemment, c'est-à-dire des débiteurs qui, faute de connaissances ou de se faire aider par des gens qui connaissent ça, vont dilapider leur argent en quelques mois ou en quelques années et se retrouver au crochet de l'État peu de temps après.

Le principe des règlements échelonnés est excellent. Il a fait la preuve de sa qualité dans des juridictions où il est reconnu officiellement. Ici, il est utilisé, mais dans la mesure où il y a consentement des parties. Et il y a un avantage pour les deux parties en présence: le payeur paie moins cher parce qu'il prend une somme de capital avec laquelle il achète le paiement d'une annuité, et le receveur est assuré pendant dix, quinze, vingt, trente ans ou même plus longtemps, de recevoir une indemnité qui sera ajustée en fonction de l'augmentation du coût de la vie.

Le principe, quant à nous, est excellent. Nous pensons qu'il faut qu'il puisse être permis au juge de le recommander ou de l'ordonner dans certains cas, selon la preuve qui sera faite devant le juge en question, mais il doit continuer surtout d'être favorable aux deux parties et doit échapper à l'application des lois sur l'impôt, sauf pour la partie touchée évidemment, au fur et à mesure qu'elle est touchée.

M. LeMay: Si on me permet d'ajouter un court commentaire, l'un des buts principaux, c'est d'éviter la dilapidation du montant forfaitaire qui pourrait être accordé. Les juges eux-mêmes sont souvent les premiers à dire qu'on doit aujourd'hui, en fonction de ce qui peut se passer dans cinq, dix ou quinze ans, tenter d'évaluer une fois pour toutes le montant forfaitaire auquel la victime aura droit. On sait fort bien, d'après les statistiques, que dans trois, cinq ou dix ans, les gens auront souvent dilapidé les montants en question, soit par des mauvais placements ou de mauvais conseils.

Alors, le principe est sûrement bon. Il faut qu'il échappe à l'impôt en ce sens que, à l'heure actuelle, ce sont les décisions du ministère du Revenu ou lorsqu'il est vraiment un règlement échelonné et non pas une rente, il n'y a pas d'impôt payant. C'est un des avantages principaux pour celui qui reçoit la rente. La rente, comme telle, n'est pas sujette à l'impôt, sauf que les intérêts additionnels le seront.

Notre suggestion était de s'assurer qu'il y aurait une législation plus complète qu'un seul article là-dessus, parce qu'il peut y avoir des situations très particulières dans le cas de mineurs et dans le cas de personnes incapables aussi. Tant que le principe est bon, il faudra peut-être qu'on s'y attache de façon un peu plus importante pour énoncer les critères de base d'un tel principe.

M. Dauphin: Merci. Peut-être une autre... Le Président (M. Marcil): Oui, allez-y.

M. Dauphin: M. le Président, j'aimerais revenir à la forme du contrat. Vous vous opposez à ce que les parties puissent convenir de respecter une forme particulière pour la validité de leur convention. Vous dites ça aux pages 13 et 14, au début de votre premier mémoire, M1. Dans la mesure où vous favorisez la liberté contractuelle, comment justifiez-vous votre position de ne pas permettre aux parties de s'imposer elles-mêmes une forme particulière de convention?

M. Nadeau: Ce contre quoi nous en avons, ce n'est pas que les parties soient empêchées de quelque façon de passer quelque contrat qu'elles veulent, mais que, dans certains cas, la forme même du contrat soit une condition essentielle à sa naissance. Nous avons, de tradition civile, et vous aussi - ceux d'entre vous qui êtes avocats - toujours appris que même un contrat verbal, c'était un bon contrat, sous réserve des difficultés d'en faire la preuve.

Alors, pourquoi amener dans notre Code civil une notion comme celle-là qui imposerait ou qui permettrait aux parties d'imposer une forme donnée, sans laquelle le contrat ne prend pas

naissance? Nous n'y voyons aucune justification. Le législateur est déjà intervenu pour dire, par exemple, que dans le cas de certains contrats, ils doivent être faits dans telle forme, parce qu'ils peuvent ou doivent être enregistrés, les contrats de mariage, par exemple, doivent être notariés. Mais à part ces quelques très rares exceptions, nous ne voyons pas pourquoi la forme d'un contrat serait, pourrait ou devrait devenir essentielle à son existence.

Ce qui est important, c'est: Est-ce que les parties se sont bien entendues sur le contenu de leur entente? Cette entente, ce consensualisme peut fort bien être verbal, peut fort bien être partiel, peut être constaté par un document domestique et, à ce moment-là, il est tout aussi bon contrat qu'un contrat de 152 pages. Alors, nous ne voyons et ne croyons pas qu'il soit utile et opportun d'introduire cette notion.

M. Dauphin: Dans les cas de protection du consommateur ou ces cas particuliers?

M. Nadeau: C'est ça. Il y a des contrats qui sont déjà déterminés, dont la forme est déjà décrite ou prescrite dans des lois particulières, certes. Mais on ne sait pas si c'est cela qui est visé dans l'avant-projet de loi; n'ayant pas eu le bénéfice des commentaires des légistes, on ne le savait pas. C'est peut-être cela. Si c'est cela, il faudrait le dire.

M. Dauphin: C'est cela.

Le Président (M. Marcil): M. le ministre, vouliez-vous intervenir?

M. Rémillard: M. le bâtonnier, mesdames et messieurs, merci de venir témoigner devant nous aujourd'hui et de nous apporter vos commentaires sur des points très importants. Votre mémoire est particulièrement intéressant, éloquent, bien fait. Quand d'ailleurs le bâtonnier m'avait demandé de reporter la présente commission parlementaire pour donner le temps d'étudier à fond ces sujets, j'ai accepté parce que je sais à quel point il est important, pour nous, qu'on puisse bénéficier de votre expertise. D'ailleurs, en voyant la qualité du mémoire par la discussion que nous avons ce matin, je vois à quel point il a été utile justement de vous donner ce temps et que l'on puisse avoir cette discussion sur des articles très importants. (12 h 15)

Nous sommes à refaire notre droit civil, et bien sûr que le Barreau comme la Chambre des notaires sont des intervenants de première importance. Je dois vous dire, au départ, toute l'attention que nous allons accorder, bien sûr, à vos remarques, à vos commentaires.

Vous me permettrez de revenir sur l'article 1668. Vous êtes contre l'octroi de dommages-intérêts provisionnels et vous souhaitez que cet article soit retiré. Pourtant, il y a plusieurs intervenants qui voient une certaine analogie entre cet article, cet octroi de dommages provisionnels avec l'injonction interlocutoire. À ce moment-là, est-ce qu'on ne devrait pas remettre en cause l'injonction interlocutoire directement si on remet en cause cette possibilité, par le juge, d'octroyer des dommages-intérêts provisionnels? J'aimerais vous entendre... Me Nadeau, oui.

M. Nadeau: Merci, M. le ministre. D'abord, je suis très heureux de voir que vous avez pu vous joindre à nous. Cela témoigne de l'intérêt que vous portez au travail que nous avons fait.

Je me permettrai de commencer en disant que vous avez peut-être mal perçu la position du Barreau sur les dommages-intérêts provisionnels. Nous ne sommes pas, bien au contraire, contre les dommages provisionnels. Ce que nous avons à reprocher au système proposé, c'est la façon dont ils pourraient être accordés. Comme vous savez, on a un système ici qui diffère profondément - c'est peut-être là l'explication, on ne le sait pas - de ce qui se passe dans les régimes de "common law", et plus particulièrement aux États-Unis. Dans ces juridictions-là, dès qu'un litige est amorcé devant les tribunaux, on nomme un juge qui se charge de l'administration du dossier, du début jusqu'à la fin. C'est lui qui entend toutes les requêtes, c'est lui qui peut ordonner n'importe quoi pendant la durée du dossier, c'est lui qui peut faire des enquêtes préliminaires ou provisoires, c'est lui qui peut déterminer de l'octroi de dommages provisionnels ou de montants d'indemnisations provisionnels. Mais comme c'est lui qui garde toujours la mainmise sur le dossier, il peut se faire assez rapidement une idée de la responsabilité. À ce moment-là, je pense qu'il est possible pour lui de déterminer qu'il devra y avoir un paiement d'indemnité provisionnelle parce qu'il s'est déjà fait une idée de la responsabilité éventuelle.

À ma connaissance, ce système a été proposé il y a plusieurs années et discuté avec les juges. Pour autant que je sache - mon bâtonnier me corrigera - je pense que les juges ici n'ont pas accepté ce régime où l'un d'entre eux se chargerait d'un dossier de son début jusqu'au jugement qui, pour lui, en ce qui a trait à sa juridiction, serait final.

À cause de cela, nous voyons la possibilité d'un problème très considérable en ce qui concerne le jugement qui pourrait éventuellement être contradictoire. Imaginez-vous la solution suivante où, par requête, on demande à un juge qui siège en cours de pratique... Je ne sais pas si vous êtes familier avec la technique. Les requêtes en cours d'instance sont entendues par un juge, pas nécessairement et très rarement le même que celui qui entendra le fond, le mérite. On se présente devant un juge par voie de requête et on lui dit: Voici, M. le juge, vous allez ordonner des dommages ou des indemnités provisionnelles. Le juge devra se faire une idée

prima facie de la preuve - et on ne sait pas quel genre de preuve sera faite - de la responsabilité éventuelle du débiteur puisque, s'il est convaincu que le débiteur n'est pas responsable, je ne vois pas comment il pourrait ordonner le paiement de dommages provisionnels. Alors, il va falloir qu'il se fasse une idée. Est-ce qu'à ce stade on devra faire une preuve complète sur la responsabilité? Ce n'est pas ainsi que cela ressort.

Alors, prenons le cas où le juge en vient prima facie à la conclusion que, d'après lui, il y a responsabilité. Il ordonne le paiement de dommages provisionnels. L'affaire suit son cours. Deux ans plus tard, on se retrouve devant un autre juge et celui-ci conclut qu'il n'y a pas de responsabilité. Malheureusement, la victime a dilapidé l'argent qu'elle a reçu de façon provisionnelle. Alors, on se retrouve devant quelle situation? C'est le créancier ou le débiteur qui est pénalisé.

M. Rémillard: M. Nadeau, si vous me le permettez... Est-ce vraiment différent de ce qui se passe en ce qui regarde l'injonction interlocutoire?

M. Nadeau: En matière d'injonction, avec toute déférence, M. le ministre, quant à moi, je n'ai pas vu - peut-être mes collègues en ont-ils vu - de cas où, dans une injonction provisoire, on ait ordonné le paiement de quelque chose. On ordonne de ne pas faire quelque chose.

M. Rémillard: Oui, c'est cela. Mais iI y a quand même ordonnance...

M. Nadeau: De ne pas faire... M. Rémillard: ...de ne pas faire... M. Nadeau: ...non pas de faire.

M. Rémillard: ...avant qu'il y ait procès et décision.

M. Nadeau: Je suis d'accord. Et l'idée n'est pas de réparer un dommage, mais d'immobiliser les parties dans le statu quo, au moment où elles s'adressent à la cour pour obtenir une injonction interlocutoire. Au chapitre du final ou du mérite de la cause, on déterminera qui est responsable et qui doit faire ou ne pas faire telle ou telle chose. Mais en ce qui regarde l'injonction, les tribunaux ont toujours été extrêmement réticents à prononcer des injonctions dites mandatoires, c'est-à-dire forcer quelqu'un à faire quelque chose. Cela commence à peine. Les Injonctions pour prohiber de faire des choses sont monnaie courante et je pense qu'elles sont très bonnes. Mais il y a un monde de différence entre les Injonctions qui, comme je vous l'ai dit, essaient de cristalliser la situation à un moment dans le temps, et l'indemnisation provisionnelle. Ce que nous recommandons, c'est: Accélérons la marche d'un dossier devant les tribunaux et faisons en sorte qu'un juge entende la responsabilité. Qu'il statue sur les dommages qu'on peut facilement évaluer au moment où c'est devant lui. Qu'il ordonne le paiement de ceux-là. Et, dans un délai de six mois, un an, un an et demi ou deux ans plus tard, quand la situation physique de la personne qui, par exemple, a été blessée sera rendue à un point où elle est connue et stable pour le futur, qu'il fasse revenir les parties et qu'il détermine quel montant doit être payé pour l'autre partie des dommages qui ont été causés.

M. Rémillard: Est-ce que ça ne revient pas un petit peu - je pense que c'est une proposition qui nous a été faite ici même à quelques reprises - à séparer le procès en deux? Une première serait de déterminer la responsabilité et l'autre serait de déterminer l'indemnité?

M. Nadeau: Exactement, sauf que...

M. Rémillard: Ah oui, vous accepteriez cette...

M. Nadeau: On va un pas plus loin. On dit: Déterminer d'abord la responsabilité et les dommages qui sont facilement quantifiables. Par exemple, un an et demi plus tard, si la personne a recommencé à travailler, on sait combien elle a perdu de salaire. On sait combien elle a eu de déboursés. On ne sait peut-être pas comment son bras cassé va évoluer. On ne sait peut-être pas s'il n'y a pas des opérations qui vont lui permettre de retrouver l'usage de son bras ou, en tout cas, d'en perdre moins l'utilisation. Qu'on reporte à plus tard cette partie-là qu'on est incapable d'évaluer à la première phase, il n'y a pas de problème. Mais qu'on détermine d'abord la responsabilité et, ensuite, qu'on quantifie les dommages facilement quantifiables, quitte à revenir évidemment devant le même juge. C'est notre proposition et nous pensons qu'elle est très raisonnable.

Le Président (M. Marcil): Merci. Une voix: Cela va?

Le Président (M. Marcil): M. le député de Taillon.

M. Filion: Est-ce que ce serait sur le même sujet?

Mme Bleau: Non, ce n'est pas sur le même sujet.

Le Président (M. Marcil): Juste une seconde, M. le député de Taillon. J'avais Mme la députée de Groulx qui voulait intervenir.

M. Filion: Certainement.

Mme Bleau: Si vous êtes sur le même sujet, j'aime autant vous laisser la chance...

Le Président (M. Marcil): Allez-y, madame.

Mme Bleau: Parmi les articles se rapportant aux droits nommés, j'aurais une question à vous poser, entre autres sur la vente d'immeubles résidentiels. Vous reconnaissez la nécessité de protéger le consommateur, et c'est très bien. Par ailleurs, certains organismes considèrent que l'exigence d'une circulaire d'information en matière de vente de copropriété peut paraître inutilement lourde lors de la vente d'immeubles, même à l'égard de ceux comportant plus de cinq unités. Croyez-vous que ce critère de cinq unités retenu par l'avant-projet est trop bas ou juste correct? Ou préféreriez-vous quelque chose de plus haut?

M. Nadeau: Écoutez, personnellement j'aimerais bien répondre mais je ne sais pas quel regroupement vous a fait des recommandations de ce genre-là. Je ne suis pas familier avec la notion de publicité dont vous nous parlez. Maintenant, peut-être que Me Masse a un commentaire personnel à faire.

M. Masse: Je n'ai pas étudié cette question de façon particulière, mais je peux vous dire, pour l'avoir lue dans l'avant-projet, que la règle est tout à fait valable. Je pense que dans le cas de cinq unités ou moins, il y a un caractère plus limité, plus personnel, plus privé que dans le cas de complexe, de développement, cela peut tout à fait s'imposer. Cela ne pose pas de problème.

Mme Bleau: Dans le même ordre d'idées, le bail commercial. En matière de bail commercial, nous avons eu à une précédente commission portant sur la réforme du droit des biens, plusieurs représentations de commerçants, disant qu'ils subissent bien souvent des préjudices importants à la fin du bail quant aux améliorations qu'ils ont dû apporter au local loué et qui ne leur sont pas remboursées. Pourtant, vous vous opposez au nouveau principe introduit par la réforme accordant au locataire le droit à l'indemnisation dans de tels cas. Ne croyez-vous pas qu'il existe des abus importants dans ce domaine et qui méritent, entre autres, d'être corrigés?

M. Nadeau: Notre position est la suivante, et ça revient un peu à ce qu'on a discuté au début de la période de questions. Où le législateur va-t-il commencer à essayer de s'immiscer dans les relations commerciales et où va-t-il arrêter? Quel est le niveau de revenus, le nombre d'employés ou le genre de commerce qui va faire que, dans certains cas, on va pouvoir forcer le locateur à remettre ou à rembourser certaines choses et d'autres cas, non? Nous continuons à croire que, lorsqu'il s'agit de relations purement commerciales, c'est-à-dire faites entre deux personnes dont c'est, pour chacune d'entre elles, une façon de gagner sa vie, il y a des clauses qui sont discutables. Si un locataire qui se propose de louer un local n'est pas satisfait des clauses du contrat, il a un choix très simple: il va ailleurs, il les accepte ou il essaie de les faire modifier. Ce n'est pas la même chose dans le cas du consommateur au sujet duquel le gouvernement est intervenu pour le protéger, dans le bail résidentiel et dans la loi sur la protection.

En matière de commerce, nous trouvons que c'est très dangereux pour le gouvernement, encore une fois, d'aller se mettre le nez dans les baux commerciaux pour exiger ou pour imposer à des propriétaires des clauses qui vont peut-être faire l'affaire de certains commerçants - vraisemblablement des petits commerçants - mais qui constitueront un ennui considérable pour les autres. Il n'y a pas que des petits commerçants. Je comprends qu'il y en a beaucoup, mais il y a aussi des grands commerçants ou des moyens commerçants. C'est ce que je vous disais quand j'ai fait la présentation. Nous pensons qu'à ce chapitre, le gouvernement ne devrait pas s'immiscer. La liberté contractuelle doit, encore là, être respectée. Les forces sont peut-être inégales, si on veut, mais il y a quand même un élément de choix. Si on n'est pas content d'un local avec les clauses qui sont imposées, on en trouve un autre; on va ailleurs.

Mme Bleau: Ce n'est pas toujours facile.

M. Nadeau: Ah non! Je suis d'accord pour dire que ce n'est pas toujours facile. Mais, encore une fois, où est-ce qu'on arrête? Est-ce qu'on va décréter que tous les baux commerciaux vont dorénavant comporter une série de clauses? Qu'est-ce qui va arriver avec Zellers ou avec je ne sais trop quels grands marchands? Est-ce qu'on va leur imposer des clauses dont en général ils ne veulent pas, parce que dans leurs rapports avec des locateurs, ce sont souvent eux les forts et le locateur qui est le faible, comme vous le savez? On appelle ça des "anchor tenants" en anglais, le gros locataire qui entraîne une panoplie de petits locataires dans un centre commercial. Dans ce cas-là, ce n'est pas le locateur qui est le fort, c'est lui qui est le faible. Nous pensons inopportun que le gouvernement s'immisce dans ces relations-là, parce qu'il n'y a pas de critères. Où arrête-t-on? Où commence-t-on?

Le Président (M. Marcil): Merci, Mme la députée. M. le député de Taillon.

M. Filion: Merci, M. le Président.

Comme je l'ai annoncé tantôt, j'avais

plusieurs questions concernant les contrats. D'abord, je crois qu'un travail admirable a été fart et je pense notamment à plusieurs contrats sur lesquels le Barreau est à peu près le seul à nous livrer ses commentaires et qui n'ont pas, pour diverses raisons, intéressé d'autres groupes jusqu'à maintenant.

Vos collègues de la Chambre des notaires vont venir cet après-midi nous faire aussi des recommandations, dans certains cas très originales, c'est-à-dire portant sur des sujets qui n'ont pas fait l'objet de commentaires des autres groupes. Je pense en particulier au contrat de société sur lequel un travail exclusif a été fait par le Barreau. Je pense que la recommandation du Barreau va plus dans le sens de nous dire d'apporter des éclaircissements à ce qui existe déjà sans venir compliquer trop les contrats de société. J'aimerais peut-être entendre Me Martel sur ce point de vue, compte tenu que sa critique est assez verte sur lavant-projet de loi. Mais au-delà de la verdeur encore une fois de sa critique, Me Martel, ne convenez-vous pas que ce contrat de société a évolué également au fil des années et qu'il conviendrait de ce côté de rafraîchir considérablement le Code civil, non pas en essayant de prévoir toutes les situations, mais au moins en élargissant un peu le carré de sable légal en ce qui concerne ces contrats? Me Martel, j'aimerais vous entendre sur cela. (12 h 30)

M. Martel (Paul M.): Concernant les sociétés, cela sera la troisième fois qu'on va revenir à la charge sur ce sujet. Nous en avions déjà parlé par anticipation lorsqu'on avait discuté du projet de loi 20 et qu'il y avait le titre des personnes morales. On se demandait déjà à ce moment ce que vous alliez faire avec les sociétés. On se faisait dire: Les sociétés, c'est un autre domaine, cela va rester tel quel. Après cela, on en a reparlé lors de l'étude de la Loi sur les registres, le projet de loi 54 - c'est assez récent - où on prévoyait une forme d'immatriculation pour toutes les formes d'entreprises, incluant les sociétés, et là aussi la question s'était posée. Enfin on voit la proposition et on a été vraiment très étonnés de sa teneur.

Vous avez raison de dire qu'il faudrait faire une espèce de mise à jour ou peut-être de rénovation en ce domaine. C'est un domaine particulièrement nébuleux du droit des affaires; il n'y a pas grand-chose qui a été écrit au point de vue doctrinal. Il y a beaucoup de points sur lesquels plane une équivoque. Alors, je pense que c'était indiqué de peut-être mettre un peu de lumière sur ces points. Ce qui s'est produit, c'est qu'on a fait beaucoup plus que de mettre de la lumière sur les points. On essaie d'introduire quelque chose de vraiment révolutionnaire et qui d'après nous est tout à fait inopportun.

Le système actuel distingue deux sortes de sociétés: les sociétés civiles et les sociétés commerciales. Il y a un mode de déclaration ou de publicité qui est différent pour l'une comme pour l'autre. Il y a aussi le système de responsabilité qui est différent pour l'une comme pour l'autre. Il y a certains problèmes que pose le système actuel des sociétés et en fait, cela se résume pas mal à une chose: la question de la capacité d'une société d'ester en justice, parce que les auteurs vont vous dire: Les sociétés ont une personnalité morale, mais ce n'est pas une personnalité complète. Il y a des querelles à savoir jusqu'où elle va et jusqu'où elle ne va pas. La solution qu'on a choisie a été de dire: La société a la personnalité morale, si elle s'immatricule. Par contre, si elle ne s'immatricule pas, elle n'a pas de personnalité du tout. Cela veut dire en fait que, par rapport aux sociétés actuelles - il y en a des dizaines de milliers - finalement il n'y en a pas une qui va entrer dans le cadre qu'on veut introduire parce que pour être des entités qui ont des personnalités tronquées, il va falloir qu'elles choisissent: Ou on s'immatricule et on change alors complètement de régime, ou on ne s'immatricule pas et on perd toutes sortes de bénéfices qui sont déjà rattachés à notre statut.

Alors, on change aussi la terminologie. C'est un mal, semble-t-il, qui est plutôt répandu. On va abandonner les notions de société civile et de société commerciale. On va plutôt parler de société en nom collectif et de société en participation. Fort heureusement, il y a tout de même une notion qui ne semble pas avoir été trop touchée dans cela, celle de la société en commandite. Les sociétés en nom collectif et en commandite, on va leur donner la personnalité morale si elles s'immatriculent au registre. Mais le fait de s'immatriculer à ce registre les assujettit à tout le régime du projet de loi 20 sur les personnes morales en ce qui concerne le fonctionnement interne. Ce régime en fait est calqué sur celui qui régit les compagnies, c'est-à-dire qu'on leur demande d'avoir un conseil d'administration, de faire des assemblées de membres et de procéder vraiment comme si c'était une compagnie.

Le problème que j'y vois, c'est qu'on est en train d'introduire une espèce de création qui est à mi-chemin entre la société telle qu'on la connaît et la compagnie, mais qui s'apparente tellement à la compagnie que cela sera une source de confusion. De toute façon, on ne voit pas la nécessité ou l'utilité même de ce genre de nouvelle créature. Nous pensons qu'il suffirait, en ce qui concerne le type de société, de régler les points d'interrogation qui existent parce que pour le reste, le système fonctionne très bien.

Le point d'interrogation concernant le fait d'ester en justice, cela demanderait une ou deux dispositions pour dire: Une société peut ester en justice. On peut y mettre une condition: II faut qu'elle s'immatricule. C'est d'ailleurs ce que le projet de loi 54 proposait de faire. Vous avez l'article 108 de ce projet de loi qui disait qu'un assujetti ou une personne morale qui ne s'est pas

immatriculé ne peut pas ester en justice ni intenter des poursuites tant que son immatriculation n'est pas faite. C'était suffisant d'agir comme ça plutôt que de dire: Maintenant, non seulement vous allez vous immatriculer, mais cela va aussi entraîner pour vous des modifications absolument fondamentales, car si les gens ne veulent pas avoir ces modifications, cela va les obliger à recommencer tout leur contrat de société. Et je ne parle pas des coûts que cela va représenter pour faire cette fameuse immatriculation.

Ce qu'on avait dit concernant la loi sur le registre, c'est que c'était une loi qui avait pour effet - et le projet de loi sur les sociétés le confirme - de restreindre la liberté des gens d'associations, parce que cela crée des mécanismes, des obligations et des formalités qui sont vraiment exagérées et inutiles et, en plus, cela restreint beaucoup la liberté contractuelle. Si les gens avaient choisi le mode de la société pour faire affaire, c'est vraiment parce qu'ils avaient décidé de ne pas choisir celui de la compagnie personne morale. Avec le nouveau système, on va quand même les ramener dans un système presque similaire. On va les obliger à aller affirmer chaque détail qu'ils ne veulent pas avoir du nouveau système. Cela sera extrêmement lourd pour tout le monde.

M. Filion: Je vous remercie, Me Martel. Ma question porte sur le contrat de travail qui m'a tenu particulièrement à coeur - j'allais dire particulièrement occupé. Sur la stipulation de non-concurrence, le Barreau ne fait pas de remarque particulière. Par contre, sur le devoir de loyauté de l'employé - article 2146 sur le contrat de travail - a juste titre, vous ajoutez dans la formulation de l'article "de l'information à caractère confidentiel".

Ce qui me chicote dans ce devoir de loyauté, c'est ceci: On dit: L'article nous le dira; ce qui est confidentiel, tu ne dois pas en faire usage; ce qui est un secret commercial, n'en fais pas usage. D'un autre côté - peut-être que mon raisonnement n'est pas exact - je me dis que dans certains cas, en vertu de l'intérêt public ou de l'ordre public, l'employé pourrait avoir intérêt à divulguer ce dont il a pris connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Par exemple, pensons à l'information touchant les produits dangereux. Pensons à la protection de l'environnement. Pensons de façon encore plus pratique à la santé et à la sécurité des travailleurs dans une boîte, dans un lieu de travail ou sur une machine en particulier. Bref, II peut y avoir des circonstances où, au-delà de ce devoir de loyauté que l'avant-projet de loi codifie de la façon qu'on connaît, je ne voudrais pas que les travailleurs ou les travailleuses se sentent dans certains cas liés par une espèce d'obligation comme celle-là, alors qu'il est d'intérêt public ou d'ordre public - ce ne sont pas des notions faciles, bien sûr - de divulguer ces renseignements qui gardent leur caractère confidentiel.

M. Nadeau: Me Cimon fera des commentaires. Il a participé à cette sous-commission.

M. Filion: D'accord.

M. Cimon: Nous nous sommes effectivement interrogés sur cette question. Nous en sommes venus très simplement à la conclusion que l'ordre public primait absolument une disposition comme celle-là et que ce n'était certainement pas au Code civil qu'il fallait introduire des exceptions ou des dispositions en vue de faire une liste de cas où il pourrait y avoir délation sans contravention au Code. Il nous semble que notre système de droit fondamental, en ce qui a trait à la primauté de l'ordre public, était suffisant pour constituer en soi une exception à une disposition comme celle-là.

M. Filion: D'accord. C'est ce que je croyais, que l'ordre public finalement primait. Par contre, le Code civil retient la notion d'ordre public à d'autres occasions, notamment dans d'autres chapitres du Code civil. Ce n'est peut-être qu'une référence à l'ordre public, sans évidemment aller commettre le péché de tenter de définir ce que c'est.

M. Nadeau: C'est toujours un peu le danger. Si on continue dans la même veine que lorqu'on a amorcé les travaux, on risque de se retrouver avec plusieurs articles pour tenter de circonscrire dans quel cas particulier un employé sera exonéré de son obligation de confidentialité ou de loyauté. Il y a toujours ce danger. C'est peut-être mieux de vivre avec la notion sous-jacente d'ordre public et de laisser les tribunaux faire leur oeuvre, pour une fois.

M. Filion: J'ai une autre question. J'ai le goût de demander un avis professionnel. Comme législateurs, on ne devrait pas s'en priver. On a reçu un plaidoyer très vibrant à cette commission - en tout cas, bien fait en ce qui me concerne - de la part de l'Ordre des architectes et de la part des architectes en pratique privée concernant cette responsabilité relativement unique, solidaire, qui gouverne notre troïka de la construction, c'est-à-dire entrepreneur - ingénieur - architecte. On s'est fait expliquer de façon très précise - cela confirme ma connaissance du milieu - comment les entrepreneurs peuvent s'incorporer et se désincorporer comme ils le veulent, à tel point que l'avocate du Barreau nous disait que c'était presque un deuxième métier pour les entrepreneurs que de trouver la bonne incorporation pour faire tel projet.

Par contre, en ce qui concerne les architectes et les ingénieurs, ils continuent, selon ce qui nous a été exprimé en commission parlementaire, non pas de jouir, mais, tout le contraire,

d'être affligés d'une responsabilité datant un peu de la coutume de Paris et faisant en sorte que ça prend un responsable quelque part. Or, comme l'architecte est celui qui Incorpore toutes les notions, si l'immeuble tombe, ça va être lui. Évidemment, le métier d'architecte a considérablement évolué au fil des années. Encore une fois, ça nous a été expliqué en long et en large d'une façon extrêmement précise par ces architectes.

Le mémoire du Barreau là-dessus pose beaucoup de questions, plus qu'il n'apporte de réponses. J'aurais le goût de vous demander, M. le bâtonnier ou à l'un des avocats qui vous accompagnent si vous seriez d'accord pour que l'article 1688, en l'espèce, soit modifié, pour faire en sorte que l'architecte ou l'ingénieur puisse se disculper de cette responsabilité solidaire qui existe maintenant pour la perte de l'édifice, plus précisément pour lui permettre de prouver qu'il y a eu force majeure ou que le défaut de l'immeuble ne résulte pas d'une faute de l'architecte ou d'une faute dans les plans qu'il a fournis pour la construction de cet immeuble.

Question pas facile. Peut-être voulez-vous y réfléchir?

M. Nadeau: Non, non.

M. Filion: Si le Barreau est prêt à nous éclairer là-dessus, j'aimerais avoir son avis professionnel.

M. Nadeau: Avant de présenter mon bâtonnier, j'aimerais savoir si vous faites référence à l'article 1688. Vous faites référence à l'article 1688 actuel, si je comprends bien. J'ajoute que n'importe quel professionnel peut s'exonérer actuellement s'il prouve qu'il n'a pas commis de faute.

M. Gilbert: Depuis l'arrêt Cargill, il y a eu beaucoup de chemin parcouru, beaucoup d'assouplissement apporté à l'article 1688, au plan du partage de la responsabilité et même de l'exonération lorsqu'il serait démontré que la faute est chez le propriétaire, ou que la connaissance ou la participation du propriétaire est à l'origine de la perte, de la destruction.

J'aimerais bien glisser, ici, à travers votre question, qu'il est temps qu'on laisse aux corporations professionnelles le droit de s'incorporer. Cela réglerait peut-être une autre façade du problème, et il est urgent qu'on restreigne le temps à l'intérieur duquel on peut poursuivre les corporations professionnelles ou les professionnels en raison de manquements à leur profession.

Vous savez que les avocats, incidemment, M. le député, sont exposés à des poursuites pendant 30 ans, si jamais ils commettent une faute professionnelle.

M. Filion: Dans le cas des médecins, cela a été modifié par...

M. Gilbert: Les médecins ont eu la faveur d'une intervention du législateur. Nous attendons la nôtre!

M. Nadeau: Trois ans. M. Filion: Trois ans!

M. Gilbert: Mais l'article 1688 est déjà bien assoupli...

M. Filion: Par la jurisprudence.

M. Gilbert: ...dans le contexte actuel. Maintenant, je pense qu'il y a une distinction à faire. Je ne suis pas l'auteur du rapport; j'espère que je ne m'en vais pas trop à part du rapport. Il y a une distinction à faire entre le propriétaire-commerçant-expert et le propriétaire profane qui se fait bâtir une maison résidentielle. Je pense que Cargill a bien fait valoir ces distinctions. (12 h 45)

M. Filion: La corporation faisait valoir également ces distinctions en ce qui concerne le propriétaire unique.

M. Gilbert: Oui.

M. Filion: En deux mots, celui qui se fait construire un bungalow quelque part et les propriétaires qui connaissent souvent leur métier aussi bien que...

M. Gilbert: Et qui interviennent très souvent dans l'élaboration du devis.

M. Filion: C'est cela.

M. Gilbert: Non seulement du devis, mais du processus de construction.

M. Filion: Ce que vous nous dites, c'est qu'il y a eu des modifications jurisprudentielles qui font en sorte que cette responsabilité, qui peut sembler...

M. Gilbert: La rigueur de l'article 1688 a été bien atténuée depuis l'arrêt Cargill.

M. Filion: Absolument.

M. Cimon: Cependant, il reste des problèmes très sérieux auxquels il est certain qu'il faut s'attaquer, que l'on conserve l'article 1688 actuel ou que l'on adopte l'avant-projet. Quant à nous, après bien des discussions au sujet de la signification des articles 2183-2184-2185, laquelle n'est pas nécessairement limpide, nous en avions conclu qu'effectivement le législateur avait voulu introduire ici le tempérament principal qui est de permettre aux gens de s'exonérer en prouvant qu'ils ne sont pas responsables. Le véritable problème était la solidarité, en l'absence d'une

possibilité de se disculper. Parce qu'il est exact que les professionnels - ingénieurs ou architectes - se retrouvaient, en l'absence de faute de leur part, avec une présomption irréfragable et tenus de payer les dommages, sans possibilité de se retourner contre l'entrepreneur qui était disparu, avait fait faillite et avait possiblement repris son métier autrement. À partir du moment où vous maintenez la solidarité, mais que vous donnez une possibilité de s'exonérer, il m'apparaît qu'en pratique, vous réglez une grande partie du problème. il n'en demeure pas moins que toute présomption de responsabilité dans notre droit est le pire des systèmes. Il peut être nécessaire pour répondre à des situations spécifiques, telles la construction, où on peut quand même vraiment présumer que ce sont les intervenants qui sont les premiers connaissants. C'est justement ce tempérament que Cargill est venu apporter, il y a quelques années. Mais, à compter du moment où une telle présomption est nécessaire - et l'enlever nous paraît aller à l'encontre de l'évolution actuelle du droit; c'était peut-être la première présomption aux lois sur la protection du consommateur, qui a été adoptée à l'origine - cela nous paraissait irréaliste de vraiment lancer un débat pour dire: Nous croyons qu'il sera opportun d'aller à contre-courant en ce qui concerne l'article 1688. Il nous paraissait falloir adopter une attitude pratique. Voici nos recommandations. Sous les réserves qu'il nous semble qu'on ait vraiment, sous certains aspects, beaucoup trop élongé cette responsabilité par les définitions qu'on a apportées ou par les distinctions établies entre les détériorations et les malfaçons, ce qui fait qu'on rend aujourd'hui les gens responsables pour cinq ans de simples détériorations et qu'on leur impose une présomption qui est peut-être beaucoup trop importante quant aux conséquences, sous ces réserves, il nous paraît qu'on a fondamentalement gardé l'article 1688 en donnant justement le principal remède, soit la possibilité de s'exonérer. Ce n'est pas idéal, mais c'est très certainement une amélioration importante qui devrait répondre aux abus les plus criants du système actuel.

M. Filion: Je vous remercie, Me Cimon, c'était très intéressant. Peut-être une question sur le contrat de consommation. En ce qui concerne la responsabilité du fabricant et du vendeur, au chapitre de vos commentaires généraux, aux pages VIII et IX de votre mémoire - partie rédigée, je pense, par Me Masse et par votre équipe - vous critiquez les dispositions de l'avant-projet de loi quant au recours du consommateur contre les fabricants et contre le vendeur pour vice du bien. Vous proposez d'adopter des recours identiques à ceux de l'article 53 de la Loi sur la protection du consommateur, entre autres. À votre avis, est-ce nécessaire pour le législateur d'ajouter ces recours?

M. Masse: D'ajouter les articles 53, 54, 37 et 38...

M. Filion: Oui.

M. Masse:...à l'avant-projet de loi?

M. Filion: Voilà!

M. Masse: Non, certainement pas. Je pense que le législateur ou les codificateurs avaient le problème suivant: II y a eu des avancées considérables dans la Loi sur la protection du consommateur en matière de responsabilité des vendeurs et des fabricants, essentiellement aux articles 37, 38, 53 et 54, pour ce qui est des garanties légales.

On peut noter que, sauf en matière d'automobile, ils ont été peu appliqués, c'est vrai, et l'introduction de ces dispositions dans le cadre du Code civil ferait beaucoup pour faire avancer le droit des consommateurs a cet égard. À mon avis, il était assez difficile de penser qu'on aurait pu garder ces dispositions dans le titre 3. Donc, il était clair qu'on s'en allait vers une introduction de ces principes dans le cadre du titre 1 ou 2. Jusque-là, je suis tout à fait le raisonnement des codificateurs.

Ce qui me pose des problèmes majeurs - et on en a beaucoup parlé au comité - et à tous les membres du comité, c'est le fait que l'on nie l'évolution jurisprudentielle et législative des dernières années avec le projet de loi. L'évolution est dans le sens suivant: avec l'affaire Kravitz et avec l'adoption, en 1978, de la Loi sur la protection du consommateur, on a unifié les bases des régimes de responsabilité des fabricants et des vendeurs pour pouvoir reprocher au fabricant essentiellement ce que l'on pouvait reprocher au vendeur, et on a uniformisé ces régimes pour une meilleure protection des consommateurs.

Or, d'une part, l'avant-projet de loi va à rencontre de cette évolution, nous fait perdre l'essentiel de l'évolution favorable depuis Kravitz, et l'article 53 fait reposer la responsabilité du fabricant sur un concept nouveau qui semble tiré du droit français, soit le vice de sécurité, et continue de faire reposer la responsabilité des vendeurs sur la notion de vice caché.

Deuxièmement, deuxième problème. On multiplie le problème par le fait qu'on va établir des distinctions, surtout à l'égard des fabricants, entre la responsabilité pour les dommages matériels et la responsabilité pour les dommages corporels. Je vous réfère à l'article - que je persiste à ne pas comprendre - l'article 1516 en matière d'option ou en matière de cumul. Cela veut dire ceci en pratique: Paradoxalement, pour la première fois depuis quinze ans dans l'histoire de notre droit - et on va convenir que la responsabilité des fabricants, c'est fichtrement

important pour les consommateurs - le fabricant aura moins de responsabilités que le vendeur. J'en donne des exemples: l'article 1526, alinéa 2, qui limite la responsabilité du fabricant pour dommages matériels uniquement à l'égard des utilisateurs. Il y a une foule de problèmes pratiques causés par ça. L'autre exemple, c'est le fait que le fabricant pourra invoquer qu'au moment de la fabrication du produit, il ne pouvait pas connaître les dangers du produit, alors qu'une lecture attentive des dispositions en matière de responsabilité du vendeur oblige le vendeur à répondre de tout défaut antérieur et postérieur, même sans sa faute.

Donc, dans la proposition de l'avant-projet de loi, les vendeurs - les simples intermédiaires entre les fabricants et les consommateurs - seront, nous semble-t-il, infiniment plus pénalisés que ne le sont ceux qui sont vraiment responsables de la qualité du produit, soit les fabricants. Cela nous apparaît être un paradoxe considérable. De ce côté, la seule façon d'en sortir, c'est d'adopter conjointement l'approche adoptée par les articles 37, 38 et 53, en corrigeant, au moment de !a rédaction, une erreur de différenciation, me semble-t-il, entre les bases de responsabilité des articles 37, 38 et 53, et en insérant ce nouveau mécanisme, opposable à la fois au fabricant et au vendeur, dans le cadre des principes généraux. Autrement, la situation qui sera faite au fabricant est tout à fait intenable pour les consommateurs; leur fardeau de preuve, les possibilités d'exonération des fabricants - et j'en mentionnais une tantôt - sont trop nombreuses par rapport au poids considérable que l'on fait reposer sur les petits intermédiaires, souvent les simples vendeurs qui ne sont même pas des spécialistes.

M. Filion: Je vous remercie, Me Masse. Mme la Présidente, avec votre permission, je demanderais à Me Pierre Gariépy de poser une question à nos invités.

La Présidente (Mme Bleau): Me Gariépy.

M. Gariépy (Pierre): Ma question porte sur l'article 2574. C'est l'article au deuxième alinéa qui traite des frais et dépens des actions contre les assurés, à savoir que ces frais et dépens sont à la charge de l'assureur. C'est le texte de l'article 2605 actuel du Code civil du Bas-Canada.

Dans votre mémoire, à la page 84 du volume 2 sur les assurances, vous proposez que cette disposition soit modifiée afin qu'il soit permis de stipuler qu'une partie des frais et dépens soit à la charge de l'assuré, que ce soit sous forme d'exclusion ou de limite. La question que je voudrais poser est la suivante: dans l'hypothèse où la réclamation en assurance-responsabilité serait égale au montant de l'assurance ou supérieure au montant de l'assurance, et qu'on aurait, par hypothèse, fixé une limite de 10 000 $ aux frais de l'assureur à titre d'hono- raires extrajudiciaires pour le procureur choisi par l'assureur, qu'en sera-t-il lorsqu'arrivera le déroulement en fin de compte du dossier judiciaire? Est-ce que l'assuré n'aura pas intérêt à ce que l'assureur règle le dossier, même avant l'émission d'un bref, afin d'éviter de payer les honoraires extrajudiciaires du procureur de l'assureur? Est-ce que l'assureur ne serait pas porté à laisser le dossier - sans nécessairement multiplier les procédures - aller jusqu'au bout? Parce que, de toute façon, les honoraires extra-judiciaires, dépassé un certain montant, seraient à la charge de l'assuré et ceia retarderait le paiement de l'indemnité. Est-ce qu'il n'y aurait pas de possibilité de conflit d'intérêts chez le procureur à cette occasion?

M. Nadeau: S'il y a quelque chose, c'est que, traditionnellement, il y a un conflit au niveau des assureurs qui font affaire dans la province de Québec en regard de l'article 2605 actuel. Comme vous le savez, l'assureur doit couvrir pour un montant donné de capital, en plus des intérêts et des frais, quel que soit le montant des intérêts et des frais en question. Cela fait l'objet d'un débat incroyable depuis toujours, parce que, sauf erreur - et mon bâtonnier est peut-être plus versé que moi sur le sujet - nous sommes le seul endroit en Amérique du Nord où il n'y a pas cette limite. Il n'y aucune limite quant aux intérêts et aux frais qui puissent être acceptables ou insérés dans un contrat d'assurance dans la province de Québec.

Les assureurs, par différents biais - ou bien directement ou bien par les représentations faites par leur procureur ou autrement - essaient depuis de nombreuses années d'obtenir cette possibilité de mettre un plafond à leur engagement, en ce qui concerne les intérêts et les frais. Il y a eu beaucoup de résistance et il continue d'y en avoir. Ce que nous avons fait au comité du Barreau à ce sujet, c'est ceci: plutôt que d'aller aussi loin que ne !e souhaitent les assureurs, c'est-à-dire qu'il y ait un plafond dans la police d'assurance concernant les intérêts et les frais, il puisse y avoir, néanmoins, une espèce de franchise conventionnelle, c'est-à-dire qu'on s'entend d'avance avec l'assuré que si les frais dépassent X montant, il devra absorber la partie qui dépasse ce montant, de façon à ce que l'assureur puisse évaluer le risque pour lui.

Or, l'essence du contrat d'assurance, comme vous le savez, c'est que l'assureur accepte de protéger un assuré dans la mesure où il sait, où il peut savoir quel est le risque auquel il s'expose, parce que, évidemment, tout cela est une question d'actuariat et de chiffres. Ce qui pose un problème majeur aux assureurs, nous dit-on, c'est d'évaluer que! est leur "exposure". S'il était permis de modifier légèrement cela par des dispositions conventionnelles, il est vraisemblable de croire que les primes baisseraient.

Maintenant, jusqu'à quel point les assurés ou certains groupes d'assurés pourraient-ils être

exclus ou pourraient-ils avoir des problèmes majeurs avec ça? Belle question! Me LeMay a peut-être un commentaire.

M. LeMay: J'ai peut-être autre chose sur la question des frais. Lorsqu'on parle de frais, cela inclut une foule de choses qui ne sont pas des honoraires d'avocat. Vous devez bien réaliser que ce ne sont pas les honoraires d'avocat qui sont le plus souvent concernés. Ce sont souvent les honoraires d'experts, parce que frais et dépens incluent à présent les honoraires d'experts. Dans les causes techniques, les honoraires d'experts sont très élevés.

Dans une cause récente où le montant en jeu était d'environ 2 500 000 $, les honoraires d'experts de toutes les parties pendant un procès d'un mois ont coûté 500 000 $, soit 25 % du montant qui était en jeu, ce qui est effarant. Mais il y avait quinze ou seize experts. La partie qui est obligée de payer le montant de la condamnation doit défrayer un montant considérable de frais.

Alors, les assureurs veulent être en mesure de prévoir un peu ou de limiter la couverture à ce moment-là, parce que, souvent, le montant dû à la partie qui gagne, en honoraires d'experts et en frais judiciaires, mais surtout en honoraires d'experts, va être effarant. Cela existe ailleurs. Cela existe en Ontario, dans les autres provinces anglaises, et surtout aux États-Unis. La recommandation était peut-être d'éviter qu'on fasse bande à part dans ce domaine et que les assureurs qui font affaire au Québec ne soient davantage pénalisés que ceux qui font affaire à l'extérieur.

M. Filion: Vous permettez. Par contre, le problème que cela pose, pour l'assuré, c'est une incertitude. Deuxièmement, devant le tribunal, durant l'instance, cela peut aussi signifier une multiplication des intervenants.

M. LeMay: Oui, sauf que si...

M. Filion: J'imagine le cas, selon le point de vue où l'on se place. Supposons que la franchise ou le plafond soit à la veille d'être atteint, il me semble que ça donnerait lieu à une espèce de situation, même un peu loufoque, en plus du conflit d'intérêts possible, encore une fois. Je comprends qu'on a un régime unique, ce n'est pas facile. Je comprends bien ce que vous dites, également. (13 heures)

M. Nadeau: C'est parce qu'on essaie de choisir le moindre de deux maux, dans celui-là.

M. Filion: Les assureurs nous ont dit la même chose. Écoutez, à notre première journée de commission parlementaire, ou deuxième, je pense, les assureurs nous ont dit: Écoutez, il faudrait limiter cela. Par contre, dans cette balance, les inconvénients sont énormes.

M. LeMay: Si vous me permettez, juste un dernier mot là-dessus. Que c'est pour les gros assurés et non pas pour les assurés moyens. Parce que ce problème-là ne se posera pas pour un particulier en général qui va être assuré, cela va se présenter dans le cas de grandes corporations, de grandes compagnies qui sont habituées d'avoir des réclamations importantes s'échelonnant sur de longues périodes. C'est dans ce cas que le problème va se poser en général et non pas dans le cas de particuliers.

M. Filion: Merci.

M. Gilbert: Oui. J'aimerais prendre à profit l'exemple que vous nous présentez pour vous dire: Voici un exemple d'une fausseté juridique. Qu'est-ce que cela vient faire, cette stipulation selon laquelle le législateur dit à des contractants: Vous allez contracter, vous allez accepter, vous allez convenir d'indemniser, advenant un événement contre lequel vous vous prémunissez moyennant une prime, vous aviez convenu d'un montant dans la police. Le législateur dit: Mais vous allez aussi payer autre chose.

L'assureur va dire: Je vais payer n'importe quoi. Je vais vous payer, je vais payer la terre et la lune mais ce que je veux, par ailleurs, c'est que si je paie la terre et la lune, il va falloir que j'ajuste mes primes. C'est cela, c'est un acte de commerce, l'assurance, et les assureurs, il n'y a rien qu'ils ne prennent moins que des risques, ils veulent tout savoir.

Et un bon assureur connaît un risque d'avance et il l'a tellement mesuré qu'il sait qu'en fixant sa prime, il a sa marge de profit entre le risque vécu et la police souscrite. C'est cela. Mais ce qu'il n'aime pas, c'est ne pas le savoir. Dans notre droit, on a mis cela d'ordre public. On est intervenus et on a dit aux parties d'un contrat d'assurance-responsabilité: Non seulement vous allez passer votre contrat comme vous le voulez, mais quand vous aurez à payer ce que votre contrat a dit que vous voulez payer, vous allez être obligés aussi de payer d'autres choses, ce qui déjoue complètement l'équilibre d'un rapport contractuel.

Que des parties capables de contracter veuillent se soustraire à cela, cela ne me blesse pas. Cela ne me blesse pas que des parties capables de contracter disent: Moi, je prends une police d'assurance-responsabilité professionnelle ou d'assurance-responsabilité civile en général et je suis couvert pour 1 000 000 $. Et je sais très bien que s'il arrive une malheureuse situation de laquelle découle mon obligation d'indemniser, j'ai 1 000 000 $ de capital dans une police pour alléger mon fardeau. Et qu'un autre assureur lui dise: Moi, je suis prêt a faire d'autres choses avec vous, je suis prêt à vous indemniser, non seulement 1 000 000 $, ou non seulement à porter votre responsabilité pour 1 000 000 $, mais à la porter avec intérêts et dépens et toutes sortes de choses. Mais la prime sera plus

chère, M. Gilbert.

Je suis libre, moi, j'espère, de dire: Bon, je la prends quand même, j'ai les moyens de la prendre, cette police, avec une prime qui coûte le triple de l'autre. Parce qu'il ne faut pas partir avec l'Idée qu'on est obligés de s'assurer, on n'est pas obligés de s'enrichir pour réparer les conséquences de ses erreurs. Il n'y a pas d'obligation, au contraire, la loi nous a même donné des moyens de les éviter. La loi sur les faillites est faite pour cela, pour se soustraire à des obligations d'acquitter ses obligations commerciales et même, cela s'est étendu à des obligations civiles.

Voyez-vous, il y a tout un schéma philosophique, on dirait, qui a été mis de côté et on est entrés dans d'autres choses, avec le résultat que les assureurs qui viennent au Québec faire affaire, y viennent les poings fermés. On paie des primes beaucoup plus cher qu'ailleurs, quand ce n'est pas tout simplement qu'on se fait refuser le risque qu'on leur présente. Parce que, nous disent-ils, on ne sait pas que! est votre risque. Alors, je ne sais pas si je réponds à votre question, mais moi, cela répond à mon sens, disons, philosophiquement juridique ou juridiquement philosophique d'une société bien organisée.

Je le sais, je fais affaire avec des assureurs et chaque fois que je me montre le nez, ils me disent: Oui, mais écoutez, faire affaire chez vous, on ne sait pas ce qu'on fait. Et ils ont raison, ils ne savent pas ce qu'ils font.

M. Filion: Cela existe depuis une douzaine d'années...

La Présidente (Mme Bleau): Je m'excuse, M. le député de Taillon. Votre temps est déjà terminé depuis deux minutes.

M. Filion: Oui, mais c'était ma dernière question: Cela existe depuis combien de temps?

M. Gilbert: Cela existe depuis 1974, en tout cas.

M. Fillion: Depuis 1974. Je vous remercie. Cela va, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bleau): Alors, je passerai maintenant la parole à M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais peut-être poser une dernière question concernant l'article 1520 sur la responsabilité du gardien. Vous vous opposez, dans votre mémoire, à ce que le majeur qui est protégé soit dorénavant tenu responsable de ses actes, plutôt que son gardien; vous vous opposez à cette mesure. C'est une mesure qu'on sait qui existe, je pense, depuis plus de vingt ans dans le droit français, sans causer particulièrement de problème. D'autre part, on peut croire que c'est une disposition qui pourrait favoriser îa prise en charge du majeur protégé par un curateur privé, ou pour encourager la curatelle privée. J'aimerais vous entendre là-dessus. Pourquoi êtes-vous contre ce principe?

M. Nadeau: Est-ce qu'on peut juste lire le texte - vous m'excusez une seconde!

M. Cimon: Peut-être au moins un premier mot! Ceci ne se situe pas dans le contexte précis du règlement d'un problème déterminé qui serait celui du dommage causé par un mineur, en rapport avec la responsable de son surveillant, mais doit être vu beaucoup plus dans le cadre des remarques qui ont été faites tout à l'heure en ce qui a trait à la responsabilité objective, d'abord, et deuxièmement, à l'obligation d'une personne non responsable d'acquitter une obligation, non pas eu égard à un régime de responsabilité, mais eu égard à sa richesse ou à sa possibilité financière de le faire.

C'est dans le cadre de ces deux volets qu'il faut comprendre la position du Barreau.

En soi, cette disposition peut répondre à un besoin, ou à une croyance en une injustice de fait, mais en théorie, elle s'oppose dans un nouveau régime de responsabilité objective, non seulement de responsabilité objective, mais également d'indemnisation, non seulement sans faute, mais selon la qualité du mineur en question, ou sa richesse. Et c'est dans l'ensemble des remarques qui ont été faites non seulement pour cette disposition-là, mais également, ce qui a été discuté tout à l'heure en ce qui a trait au mineur non protégé. Ceci me paraît être la suite logique des remarques qui ont été faites.

M. Nadeau: Peut-être un autre commentaire aussi. À la lecture, je réalise que ce qui nous causait des problèmes, c'était surtout le fait qu'on semblait vouloir enlever le recours d'un tiers victime contre le gardien de la personne, ou celui qui a la garde juridique de cette personne qui est dénuée de raison ou de discernement; ce qui, vous le savez, est le cas actuel sous 1054.

Et ça amène l'autre problème aussi: Comment pourra-t-on déterminer ce qu'on appelle ici le comportement en lui-même fautif? Est-ce qu'il va falloir que le juge, objectivement, décide que le geste posé par la personne protégée était une faute ou aurait été une faute, s'il avait été commis par une autre personne que celle-ci, et ensuite déterminer, selon les moyens financiers de l'auteur qu'il doit ou ne doit pas indemniser?

Nous trouvons que c'est beaucoup trop complexe. Si on veut rendre l'indemnisation plus facile, bien, qu'on enlève certains des moyens d'exonération du gardien de la personne protégée. Mais actuellement, on poursuit la personne protégée pour un défaut de sa part, ou une faute de sa part, dans la garde de la personne dont

elle a la charge. S'il y a faute, s'il y a eu négligence dans cette garde, cette personne-là est tenue d'indemniser; alors qu'ici, l'avant-projet mentionne plutôt que c'est la personne protégée qui doit réparation avec, sous réserve d'un recours qu'elle a contre son gardien, mais seulement dans le cas de faute intentionnelle ou lourde, dans l'exercice de la garde. Ce qui est un fardeau beaucoup plus lourd.

Alors, en somme, ce qu'on veut faire, semble-t-il, c'est imposer d'abord et avant tout le paiement ou la réparation du préjudice financier à la personne protégée ou à ses biens, sujets dans certains cas qui vont devenir très rares à une espèce de recours en garantie contre le gardien, alors que le système actuel, c'est le contraire. On poursuit le gardien s'il a fait un défaut dans la surveillance de la personne et que cette personne protégée a commis un dommage. C'est le gardien qui avait le contrôle immédiat sur cette personne et qui a fait défaut de l'exercer en temps utile qui doit réparation.

Le Président (M. Marcil): M. le ministre.

M. Gilbert: N'est-il pas intéressant ici de faire la comparaison entre l'étendue du devoir de surveillance qu'ont les parents vis-à-vis des enfants et l'étendue du devoir de garde d'une personne à qui est confiée une autre personne démunie de raison? Les parents se vident de leurs responsabilités, se dégagent de leurs responsabilités en faisant la preuve qu'ils ont fait tout ce qui est humainement possible et raisonnablement possible pour bien éduquer les enfants. N'est-il pas logique de dire: Bien, que le gardien de la personne fasse lui-même la preuve qu'il a fait une bonne garde, s'il a fait une bonne garde, je ne vois pas pourquoi le patrimoine de l'incapable, de la personne qui est démunie de raison, deviendrait garant de la réparation du préjudice? Il me paraît y avoir une fausseté philosophique dans cela. Il n'y a pas de faute là. La personne démunie de raison pose un acte en lui-même fautif. Cela veut dire que si on le dégage et si on le plaçait dans un autre contexte, on dirait: Si cela avait été une personne saine d'esprit qui avait fait cela, on aurait dit qu'elle aurait commis une faute. Donc, parce que cette personne-là est elle-même incapable de commettre une telle faute et est quand même l'auteur de cet acte en lui-même fautif, on lui dit: Paie d'abord, indemnise d'abord la victime. Ensuite, on dit à cette personne-là qui va être obligée de s'assortir d'un subrogé tuteur, je suppose, pour aller contre le premier tuteur ou du curateur: Bon, bien, maintenant, retourne pour essayer de te renflouer contre le patrimoine de ton gardien, à charge, toutefois, de la démonstration que ce gardien a fait une mauvaise garde. Qu'est-ce que c'est, cette affaire-là? Cela devient...

Une voix: Lourd.

M. Gilbert: Oui... lourd, non seulement lourd mais cela part d'une injustice d'abord. Pourquoi avoir fait payer le patrimoine d'une personne qui n'est pas capable de commettre de faute alors que la seule réalité devant laquelle on est placée, c'est qu'il y a eu une faute commise à l'égard d'un devoir de garde? Si quelqu'un est victime de la mauvaise éducation donnée par des parents et de laquelle découle un acte dommageable d'un enfant dont ces parents-là sont responsables, on va directement contre les parents. On ne commence pas par aller épuiser le patrimoine de l'enfant incapable de faute et ensuite dire à l'enfant: Tu te retourneras contre tes parents, toi, en les blâmant. L'acte de garde a une certaine connotation de devoir public. C'est un acte de responsabilité envers tout le monde que de bien garder un animal, un enfant, une personne démunie de raison. Les élèves doivent être bien gardés par leur maître, etc. Alors, moi, je trouve qu'on s'est forcés, là, ici, encore une fois. On s'est donné du mal.

La Présidente (Mme Bleau): Alors, merci, M. le bâtonnier. Est-ce que vous avez d'autres... Alors, je passerai la parole à l'Opposition officielle. Est-ce que vous avez une question? Oui, oui, bien.

M. Dauphin: Je pense qu'il ne reste plus de temps.

La Présidente (Mme Bleau): II reste...

M. Dauphin: Avant de laisser au ministre et collègue de Taillon de vous remercier.

La Présidente (Mme Bleau): Oui. Alors, le député de Marquette, s'il vous plaît.

M. Dauphin: Je sais que la période de questions commence à 14 heures. Mais quand même, une dernière question, si vous me le permettez, Mme la Présidente, relative à la vente en bloc ou appelée ici dans l'avant-projet vente d'entreprises. Je sais que le ministre de la Justice a eu l'occasion de poser une question sur ce sujet à la Chambre de commerce du Québec, si ma mémoire est bonne, au début de nos travaux. Vous dites dans votre mémoire que l'on va un petit peu trop loin dans les règles particulières relatives justement à cette vente en bloc, la vente d'entreprises. Alors, j'aimerais que vous énumériez les situations où on irait un peu trop loin dans l'avant-projet de loi. Le deuxième volet de ma question, le groupe qui va vous succéder un peu plus tard dans l'après-midi, la Chambre des notaires du Québec, propose au contraire que l'on abroge purement et simplement les règles particulières relatives à la vente en bloc ou la vente d'entreprises. Alors, j'aimerais vous entendre sur cela. (13 h 15)

M. Nadeau: Je vais devoir vous décevoir parce qu'aucun d'entre nous ici n'a participé au comité sur la vente. Les gens qui ont participé à ce comité et qui auraient fort bien pu répondre à votre question n'ont pas pu venir aujourd'hui. Alors, si vous nous le permettez, on va être obligés de faire une réserve là-dessus et revenir éventuellement si vous insistez que nous répondions à la question. Pour l'instant, sauf erreur, personne n'est en mesure de répondre exactement à cela, malheureusement.

Mme Vadboncoeur: Je voudrais d'abord que vous me référiez à l'article et à la page.

M. Dauphin: Je m'excuse. C'est l'article 1822 de l'avant-projet de loi et dans votre mémoire c'est à la page 35.

Mme Vadboncoeur: Vous vouliez des exemples, c'est cela?

M. Dauphin: Oui. La première partie de la question c'est que... Je ne sais pas si vous avez la page?

Mme Vadboncoeur: La page 35, oui.

M. Dauphin: Vous nous dites concernant des règles particulières de la vente en bloc que vous craignez que l'avant-projet de loi aille trop loin et englobe des situations qu'il ne convient peut-être pas de viser. Ma question était de savoir quelles sont les situations et croyez-vous qu'il faille viser la vente de l'outillage et de l'équipement de l'entreprise? Le deuxième volet de la question c'est que la Chambre des notaires du Québec, contrairement à vous, au lieu de dire qu'on va trop loin, dit, c'est-à-dire dans le même sens que vous, qu'on devrait abroger purement et simplement ces règles particulières.

M. Nadeau: J'ai une espèce de précommentaire, si vous me permettez. Je me souviens que lors de l'étude de ces dispositions, parce que nous les avons regardées, néanmoins, la question qui nous troublait beaucoup, c'était qu'il fallait dénoncer dans la déclaration solennelle ou sous serment prévue à l'article 1823 les noms et adresses de tous les créanciers du vendeur. Le scénario que nous avions regardé était le cas du vendeur qui possédait plusieurs entreprises ou une entreprise avec plusieurs filiales, l'une faisant de la fabrication, l'autre du montage, une autre faisant... Dieu sait quoi. Ce qu'on se posait comme question c'était: Est-ce que le nom de tous les créanciers de toutes les filiales de cette entreprise-là qui est le vendeur - encore une fois on se posait la question à savoir qui est le vendeur. Est-ce que c'est l'individu, l'actionnaire majoritaire ou la compagnie même qui vend? - doit être dévoilé dans cette déclaration solennelle ou sous serment? Cela nous posait un gros problème dans le scénario où, par exemple, le vendeur - que ce soit l'actionnaire majoritaire, celui qui a le contrôle effectif ou la compagnie elle-même - ne vend qu'une de ces filiales ou une de ces divisions. Est-ce que cela doit être, à ce moment, seulement les créanciers, qui ont trait à ce qui fait l'objet de la vente en bloc ou si cela doit être tous les créanciers comme cela semble ressortir de l'article 1823, "tous les créanciers de l'entreprise"?

Quant à la position de la Chambre des notaires du Québec, n'ayant pas eu le bénéfice de lire leurs commentaires et les raisons pour lesquelles elle voudrait élargir, je pense que personne d'entre nous ne peut vous aider à ce stade-ci.

M. Dauphin: Ce n'est pas élargir, c'est enlever complètement, enlever "des règles particulières".

Mme Vadboncoeur: Je pourrais peut-être donner un complément de réponse à la lumière du commentaire que je viens de lire à la page 35. Le Barreau semble faire siens les commentaires de l'article 411 du rapport de l'office et si je me fie à ces commentaires, dans l'esprit des auteurs du rapport de l'office, la définition de la vente de l'entreprise comprenait celle de l'outillage et de l'équipement. Donc, sans que ce soit forcément nommé ou désigné de façon formelle, si je me fie aux commentaires qui sont là, on était d'accord à ce que cela inclue l'outillage et l'équipement.

M. Dauphin: D'accord.

M. Cimon: Je pense que la remarque principale pour terminer a trait à, si vous regardez les deux, la recommandation et le texte même, c'est que lorsqu'on procède à l'énumération de certains types d'universalités, puisqu'on a déjà dit auparavant qu'il doit s'agir d'une partie substantielle du fonds de commerce, si on le complète en disant ensuite qu'il y a des universalités, on en vient à la conclusion qu'une vente d'outillage devient une telle universalité et qu'en soi elle constituait une vente en bloc, ce qui ne serait pas le droit actuel. On peut se demander s'il est utile d'aller si loin pour obliger les entreprises lorsqu'elles vendent, ne serait-ce qu'une seule des universalités qu'elle possède, de passer à travers le processus très lourd de la vente en bloc surtout dans les situations où on ne vend qu'un seul commerce, qu'un seul magasin. Cela devient vraiment un problème. Je comprends fort bien les notaires, leur responsabilité professionnelle est quotidiennement en jeu dans cette question parce que, en pratique, ils sont souvent obligés d'y passer outre et pratiquement de se fermer les yeux parce que demander vraiment une liste exhaustive des créanciers de l'entreprise, c'est mettre fin littéralement à la transaction. Alors on se fie probablement à la solvabilité et à la responsabilité des gens.

M. Dauphin: D'accord, merci beaucoup.

La Présidente (Mme Bleau): Merci, M. le député. Je passerai maintenant la parole pour les remarques finales à l'Opposition.

M. Filion: Je vous remercie, Mme la Présidente, trois heures qui ont passé aussi rapidement que mon examen du Barreau. Écoutez, très simplement...

M. Nadeau: II va peut-être falloir en repasser un autre.

M. Filion: Oui... Des voix: Ha, ha, ha!

M. Filion: Cela m'avait frappé tantôt. Très simplement, d'abord pour les gens qui nous écoutent, eux n'ont pas eu le bénéfice - nous avons posé quelques questions et quelques-unes des questions seulement - évidemment de parcourir l'ensemble des sept ou huit mémoires que le Barreau a déposés. Il s'agit là d'une oeuvre tout à fait magistrale, de conseils de maîtres que cette commission parlementaire a reçus avec le plus grand intérêt. Encore une fois, autant en quantité qu'en qualité, l'exercice de réflexion, de travail, d'analyse, auquel s'est livré le Barreau, si je comprends bien par comités et sous-comités, etc., c'est tout à l'honneur du Barreau lui-même, de son service de recherche et c'est un effort magistral. Et l'ensemble de ces commentaires viendra, bien sûr, alimenter cette réflexion, ce collimateur qui fonctionne déjà à plein depuis quelques semaines et qui va continuer à fonctionner jusqu'au moment où un projet de loi sera déposé, c'est-à-dire lorsque des décisions auront été prises.

La tendance, que je qualifierais peut-être de lourde, de vos représentations, M. le bâtonnier, vous vous êtes fait l'avocat du "consensualisme". Nous en retenons, à bien des égards, une série de commentaires qui, quant à nous de l'Opposition officielle, sont tout à fait fondés et méritent d'être bien pesés avant d'être rejetés. On ne peut pas évidemment être d'accord sur tous les points qui ont été soulevés, j'aurais bien aimé entamer avec vous une discussion, notamment sur la question d'une limite aux frais et dépens dans les contrats d'assurance, mais je pense que l'endroit et le lieu sont mal choisis. Donc, de façon générale, M. le bâtonnier, Me Martel, Me Cimon, Me Vadboncoeur, Me Nadeau, Me Masse, Me LeMay, merci, autant de la prestation que vous avez donnée cet avant-midi, que du mémoire que vous avez produit.

La Présidente (Mme Bleau): M. le ministre.

M. Rémillard: Oui, Mme la Présidente, je veux remercier les gens qui sont venus, M. le bâtonnier et les gens qui l'acccompagnent, d'abord pour la qualité du mémoire, un excellent mémoire, qu'ils nous ont produit, et aujourd'hui, pendant ces trois heures et plus où ils ont accepté de répondre à nos questions, et ce fut extrêmement intéressant. Je sais tout le temps que cela prend de la part des membres du Barreau pour préparer ces mémoires. J'ai déjà été membre de ces groupes, j'ai même eu le plaisir de travailler avec certains d'entre vous sur des mémoires du Barreau en fonction de certaines lois, et je sais que ce sont des dimanches et des heures de loisirs qui y passent, et je voudrais vous en remercier, parce que voilà qui correspond très bien à une des grandes responsabilités du Barreau, et vraiment dans ce cas-ci en particulier, je dois vous féliciter pour l'excellent travail que vous avez fait. Pour ma part, il ne m'a pas été possible de me joindre à vous dès le début de cette rencontre, parce que comme ministre de la Justice je suis président du comité de législation, et je dois vous dire qu'avant la date fatidique du 15 novembre, le comité est extrêmement occupé. C'est donc dire que j'ai eu a siéger depuis sept heures ce matin et je m'excuse de n'avoir pu me joindre à vous dès le début.

Je peux vous dire que vos remarques et commentaires seront pris très sérieusement en considération. Vous avez fait valoir des points de vue très importants sur bien des aspects importants et nous allons en tenir compte. Tout à l'heure j'entendais Me Nadeau vous dire qu'il faudrait peut-être passer un autre examen. Bien, écoutez, il faut réaliser que lorsqu'on aura fini notre opération, avec la prochaine commission parlementaire et la loi qui suivra, ce seront plus de 3000 articles qui auront changé. Pour nous, cela veut dire qu'il va falloir se remettre à l'étude. Là-dessus, j'ai déjà eu l'occasion d'écrire au bâtonnier, au président de la Chambre des notaires, aux représentants de la magistrature et aux différents intervenants pour leur suggérer de travailler ensemble et que, dès maintenant, on puisse s'asseoir et travailler ensemble à établir des moyens de concertation, pour que l'on puisse étudier ce droit nouveau. Je vous remercie d'avance de votre collaboration. Alors, Me Lemay, Me Masse, Me Nadeau, M. le bâtonnier, Mme Vadboncoeur, M. Cimon et M. Martel, merci beaucoup de cette participation extrêmement intéressante que vous nous avez donnée aujourd'hui. Merci.

La Présidente (Mme Bleau): Alors, au nom de la commission, je vous remercie aussi. Nous attendons avec intérêt les commentaires que vous nous avez promis sur certains chapitres. Je vous souhaite un bon voyage de retour. Je suspends les travaux de la commission jusqu'à 15 heures, alors que nous recevrons la Chambre des notaires.

(Suspension de la séance à 13 h 27)

(Reprise à 15 h 44)

Chambre des notaires du Québec

Le Président (M. Marcil): Nous reprenons nos travaux et nous allons immédiatement entendre les représentants de la Chambre des notaires du Québec. Avant de vous laisser la parole, je vais tout simplement vous rappeler que vous avez environ 60 minutes pour faire l'exposé de votre mémoire et que nous procéderons immédiatement après aux questions. Donc, j'aimerais que Me Jean Lambert, président de la Chambre des notaires, dans un premier temps, vous nous présentiez vos collaborateurs et, par la suite, vous procédiez à l'exposé de votre mémoire.

M. Lambert (Jean): Merci, M. le Président. Comme vous m'y invitez, c'est avec plaisir que je vous présente les notaires qui ont participé activement au travail du comité relativement à cet avant-projet qui est à l'étude devant la commission aujourd'hui. Alors, à ma gauche immédiate, la responsable de la coordination des travaux et de la rédaction du mémoire, Me Laurence Charest, du Service de la recherche et de l'information à la Chambre des notaires, Me Jacques Beaulne, professeur à la Faculté de droit civil de l'Université d'Ottawa et, à mon extrême gauche, Me Chantai Roberge, notaire à Québec. À ma droite immédiate, Me Julien Mackay, directeur du Service de la recherche et de l'information à la Chambre des notaires, suit Me Roland Vaillancourt, notaire à Laval et chargé de cours pendant plusieurs années à la Faculté de droit de l'Université de Montréal et, à mon extrême droite, Me Robert Lessard, notaire à Saint-Georges de Beauce et membre du comité de législation sur le Code civil depuis au moins quatre à cinq ans.

Alors, M. le Président, voilà les gens qui m'accompagnent aujourd'hui pour répondre aux questions et m'assister dans la présentation de notre mémoire. Je voudrais remercier la commission de nous permettre de nous faire entendre concernant ce projet fort important. Nous avons l'impression, M. le Président, de participer à quelque chose de grand, d'exceptionnel. D'ailleurs, depuis qu'il m'a été donné de participer aux travaux de cette commission, c'est-à-dire depuis 1984, j'ai noté une absence totale de partisanerie. C'était vrai avec le gouvernement précédent et c'est encore vrai avec le gouvernement actuel. C'est le côté admirable de la politique, M. le Président, et je tiens à le souligner. J'aimerais que tous les Québécois puissent être témoins de cette grande qualité de travail qui se passe ici, devant cette commission, depuis des années. Personnellement, je considérerai comme un privilège d'avoir été associé à ces travaux.

M. le Président, vous le savez, il s'agit d'une loi fondamentale. Même si tout le monde s'accorde pour dire qu'il faut rafraîchir notre monument législatif de 1866, il est étonnant de constater, parce que nous avons maintenant un certain recul, combien ce code demeure encore actuel dans les grandes lignes. C'est le propre d'une loi fondamentale de durer longtemps. Je crois que c'est l'objectif que le législateur s'est fixé dans les travaux qu'il a entrepris il y a maintenant une vingtaine d'années, et plus particulièrement et plus intensément depuis huit à neuf ans.

Toutefois, il nous semble que le législateur s'écarte de deux caractéristiques qui ont fait le succès de notre Code civil: tout d'abord, en judiciarisant beaucoup les rapports contractuels en s'inspirant largement de la "common law" et en introduisant des dispositions qui ont une vocation ponctuelle et une expectative de vie plutôt courte et qui, il me semble, trouveraient meilleure enseigne en logeant dans le droit statutaire, là où le législateur pourrait le modifier à souhait pour le faire coller davantage aux habitudes de consommation qui évoluent rapidement.

Cela m'amène à une première observation. Le législateur s'inspire largement, croyons-nous, de la "commom law" en confiant aux juges le soin d'intervenir pour déterminer la règle de droit malheureusement écrite de façon vague et imprécise, ou pour corriger ce qui ne correspondra pas au nouvel objectif de recherche d'équité dans les relations contractuelles. On y reviendra de façon plus détaillée dans quelques instants.

Cependant, je voudrais saisir l'occasion des travaux de cette commission pour émettre une opinion qui cherche à faire contrepoids à l'attrait que les systèmes de droit anglo-saxons semblent exercer sur les concepteurs du nouveau code. L'âge d'or du système anglo-saxon de la "common law", à notre avis, est révolu, alors que la société de gentlemen, puritaine, ordonnée et très disciplinée par des valeurs religieuses et morales profondes, a fait place à un monde très individualisé, avec un système de valeurs éclatées et où la parole donnée n'a que peu d'importance. Concrètement, c'est l'inflation judiciaire et la multiplication des litiges. Cela nous amène à constater ce qu'est la scène juridique nord-américaine. Par exemple, aux États-Unis, on compte actuellement un juriste pour 320 habitants, bientôt un pour 250 habitants, et cela comprend les enfants naissants et les gens qui sont à l'agonie. En Ontario, un juriste pour quelque 360 habitants; ici au Québec, un pour 430 habitants.

Explosion des litiges. Je n'ai malheureusement que les chiffres de l'Ontario pour l'exercice de 1986-1987 où il s'est inscrit quelque 3 000 000 de poursuites. Oh! elles n'ont pas toutes abouti devant le juge! Bien au contraire, la très grande majorité ne s'est pas rendue jusque-là, mais cela donne une idée du degré de société litigieuse. Aux États-Unis, dans certains secteurs de la

fabrication de biens, il faut compter 25 % des coûts de production que l'on doit consacrer à la judiciarisation. Plusieurs dirigeants de grandes sociétés américaines doivent maintenant consacrer jusqu'à 20 % de leur temps à défendre leur entreprise devant les tribunaux. Jacques Dufresne, dans son document de réflexion intitulé Le procès du droit, publié il y a à peu près 18 mois, rapporte, à la page 26, une communication qu'il a reçue lors de sa recherche, et je cite: "Un correspondant européen nous a appris que les hommes d'affaires américains sont les plus procéduriers du monde. Un contrat entre sociétés, qui ne dépassera pas 15 pages en Europe, s'étendra sur 350 pages, si l'un des signataires est américain."

Le coût social de ce juridisme débridé est énorme. Ici, au Canada, la situation tend à se rapprocher de celle qui prévaut plus au Sud. Ainsi, à propos de quelque chose qu'on connaît bien, sur chaque dollar de prime payée par les notaires dans leur régime d'assurance-responsabilité professionnelle, près de 0,50 $ vont aux frais de dossier, frais d'avocat et frais judiciaires, ne laissant à peine qu'une moitié pour la réparation des dommages aux victimes.

Que pensent les Américains de cette situation? Encore récemment, j'avais l'occasion d'en discuter avec des hommes d'affaires américains lors d'un congrès à San Francisco. Tous déploraient d'être captifs de leur "Légal Department" et d'être lourdement taxés par un légalisme devenu étouffant. Dans l'édition du 9 novembre 1987 du Time Magazine, consacrée presque en entier à la crise du leadership américain et aux causes du krach boursier du 18 octobre 1987, j'ai relevé une constatation lourde de signification, dans un collectif intitulé "Who's in Charge?". Je vous livre ici ma propre traduction mais déposerai, M. le Président, avec votre permission, à la fin de ces travaux, l'original du texte en langue anglaise. Voici: Les États-Unis constituent une société très individualisée mais aussi pluraliste, grouillante de milliers d'organismes et de groupes d'intérêts sans cesse en concurrence. Chacun d'eux, il nous semble, est flanqué d'une équipe de juristes - le terme est "lawyers". Le leadership est alors difficile, dans une société litigieuse qui exige que tout soit relaté par le menu dans des contrats. Le légalisme est l'ennemi de l'innovation et de la créativité. Il est donc évident qu'il sera extrêmement difficile pour les Américains de faire concurrence sur les nouveaux marchés mondiaux, à moins qu'ils ne deviennent meilleurs dans l'innovation et la créativité. Fin de la traduction. Et j'ajoute: en réprimant les excès de légalisme qui affligent la société américaine.

Pour saisir tout le sens de ces propos, je rappelle les chiffres donnés plus haut, auxquels j'en ajoute de nouveaux, pour fins de comparaison. Aux États-Unis, actuellement, on compte donc un juriste pour quelque 320 habitants, bientôt un pour 250; ici, un juriste pour 433 habitants; en Europe, un pour 2300 habitants; au Japon, un pour 10 300 habitants. On saisit donc à vue d'oeil l'immense différence qu'on accorde au légalisme et au juridisme dans des sociétés qui, pourtant, n'ont rien de l'arrière-garde ou du sous-développement.

M. le Président, nous avons cru déceler dans la réforme de notre Code civil, particulièrement dans le volet à l'étude actuellement, un net glissement vers la "common law" et un accroissement de la judiciarisation. Nous avons beaucoup de mal à comprendre pourquoi le législateur québécois remettrait en cause les principes civilistes de son droit, c'est-à-dire la rigueur de l'écrit précis. Pour s'inspirer d'un système de droit qui se dirige, selon certains, vers l'étouffement collectif, notre avis est clair. En s'inspirant de la "common law" et de ses lois apparentées, on puise dans le passé chez une puissance dont le déclin est certain et causé en partie par le déraillement de son système juridique. Permettez-moi de vous signaler que les sociétés humaines montantes, tant en Asie qu'en Europe, sont gouvernées par un droit de type civiliste qui, tout en respectant la liberté du consensualisme, recourt au formalisme en matière contractuelle là où il faut assurer une meilleure justice. Le recours aux tribunaux est alors vu comme exceptionnel. Nous invitons donc le législateur à repousser la judiciarisation de notre droit privé en s'inspirant davantage des sources civilistes et en utilisant plus fréquemment les instruments qu'il possède déjà; par exemple, l'acte authentique et l'intervention de cet officier public original qu'est le notaire.

J'en arrive maintenant à des observations d'ordre général quant à la forme de l'avant-projet. D'abord, nous avons noté l'utilisation d'un nouveau vocabulaire. Cet avant-projet n'est accompagné d'aucun commentaire ou note explicative, ce qui en rend l'étude très fastidieuse. Nous avons noté la reformulation de règles. S'agit-il d'une reformulation pour le simple plaisir de les reformuler ou s'agit-il effectivement de modifier la règle de droit? Et comment cette reformulation risque-t-elle d'être interprétée par les tribunaux?

On a relevé également certaines incohérences en ce qui concerne le vocabulaire. Par exemple, certains termes n'ont pas la même signification selon qu'on les trouve dans une partie ou dans l'autre de l'avant-projet. Je pense, entre autres, au terme "professionnel". Nous ne sommes pas les premiers à attirer l'attention de la commission sur l'usage très large et imprécis qu'on fait du terme "professionnel" et nous faisons nôtres les remarques qui ont été formulées par ceux qui nous ont précédés, à savoir de réserver le terme "professionnel" à ceux qui sont visés par le Code des professions. Également, le mot "entreprise" est un concept non défini. En ce qui concerne l'architecture, on a relevé une certaine difficulté que causent les

nombreux renvois, particulièrement dans le cas du louage, l'article 1952, la Loi sur la protection du consommateur qui est incluse, les dispositions qui sont incluses dans le code, l'article 2178 et les suivants, les sociétés et associations. Pour ce dernier point, en passant, nous aimerions attirer l'attention du législateur sur le projet de loi 54, la Loi sur le registre des associations et entreprises, qui ne semble pas décoller. Pourtant, cette loi devrait entrer en vigueur dans les meilleurs délais et toute l'économie du nouveau code présuppose que cette loi soit adoptée. (16 heures)

Tout ceci nous amène à nous poser la question: Est-ce que ce code sera davantage accessible aux justiciables? Même pour les professionnels du droit, sera-t-il une source de de confusion?

En ce qui a trait au fond, nous avons traité, dans notre préambule, de la judiciarisation que nous avons crue déceler. D'une façon précise, nous voulons tout d'abord affirmer que le but du législateur de rechercher une plus grande équité en matière contractuelle est un but louable, mais dans cette matière comme dans d'autres, il s'agit, à un moment donné, d'adopter une position qui sera la meilleure, compte tenu des avantages que chaque extrême représente. Cela nous amène à parler de la lésion, ce concept qu'on élargit dans l'avant-projet. Nous nous posons la question suivante: Pourquoi ce principe deviendrait-il un principe général et universel? Nous croyons que ce principe de lésion entre majeurs devrait être rejeté, pour des raisons d'instabilité contractuelle. Et si le législateur devait retenir la lésion, II devrait la confiner à des secteurs très précis, comme il l'a fait dans le passé, notamment dans le domaine du crédit et dans la Loi sur la protection du consommateur.

Les clauses abusives, la réduction des obligations, le consentement réfléchi sont également, d'après nous, des sources de litiges et de procès éventuels. Une certaine philosophie veut que le tribunal soit la norme ou le lieu souhaitable pour rétablir l'équité entre les justiciables. Je reprends ici des propos que tenait l'actuel bâtonnier du Québec, qui affirmait récemment, dans un de ses éditoriaux publiés dans le Journal du 3arreau, qu'en fait, 20 % des citoyens peuvent approcher le tribunal: 10 % d'entre eux sont ceux qui bénéficient de l'aide de l'État par l'Aide juridique, et les autres 10 %, les très bien nantis qui peuvent s'offrir ce luxe, alors que 80 %, c'est-à-dire la majorité de nos concitoyens, laissent tomber, ou abandonnent des recours, ou de toute autre façon tentent d'éviter le tribunal. Donc, nous croyons que, dans les faits, le recours au tribunal n'est pas souhaitable et doit demeurer exceptionnel.

Nous croyons que la prévention peut, avec avantage, se retrouver dans le formalisme, là où, effectivement, il s'agit de rétablir l'équilibre entre les parties, et ceci aurait pour effet d'amoindrir les coûts de l'appareil judiciaire pour l'État.

Nous nous interrogeons sur les débats que feront naître l'imprécision de termes tels que stipulations accessoires" à l'article 1457, le mot "substantiellement" à l'article 1493, le mot "principalement" aux articles 1557 et 2160, l'expression "règles de conduite" à l'article 1515, qui semble remplacer les critères de prudence et de diligence que nous retrouvons actuellement aux articles 1053 et suivants. Que signifie "attentes légitimes" à l'article 1621 au lieu de "qualité marchande", concept bien défini dans notre droit? Dans le contrat d'oeuvre, on trouve l'expression "nécessairement" à l'article 2172, et l'expression "demande répétitive". Qu'est-ce qu'une demande répétitive? La deuxième, la troisième, la dixième? Non précisé, le tribunal décidera, d'après ce qu'on peut voir.

Par ailleurs, à l'article 2703, dans le cadre de l'arbitrage et du pouvoir de transiger la transaction, nous proposons au législateur d'élargir les possibilités en permettant que les aspects économiques du droit familial puissent faire l'objet de la transaction.

Nous en arrivons au contrat nommé. Nous nous sommes interrogés sur les limitations. Je m'excuse juste un instant, je vais prendre le texte. Je vais faire un saut, je vais continuer juste un peu avant de trouver ce bout-là. On retrouve, à la vente à réméré, la présomption d'hypothèque qui n'avait pas été retenue par les rédacteurs de l'avant-projet de loi sur les sûretés réelles. Nous nous posons la question suivante: Pourquoi introduire cette présomption dans la vente à réméré?

Je reviens à la vente, particulièrement à l'article 1772. Il est dit: "Le vendeur d'un immeuble se porte garant envers l'acheteur de toute violation aux limitations de droit public qui grèvent le bien et qui échappent au droit commun de la propriété..." Nous nous posons la question suivante: Pourquoi ne serait-ce pas l'acheteur qui devrait vérifier ces limitations? Nous nous demandons d'ailleurs, comment ces divulgations devraient être faites. Par exemple, lorsqu'un immeuble est assujetti aux nombreuses limitations édictées par la Loi sur la protection du territoire agricole, sera-t-il suffisant de dire dans un contrat que l'immeuble est tout simplement assujetti à la Loi sur la protection du territoire agricole ou faudra-t-il procéder à l'énumération en détail des limitations que fixent cette loi à l'immeuble en question?

Pour ce qui est de l'intention de l'acheteur, lorsque celui-ci destine l'immeuble à un usage donné, il semble que, dans l'avant-projet de loi, le vendeur soit tenu de garantir que les limitations de droit public n'affectent pas l'usage qu'entend faire l'acquéreur. Nous croyons plus simple et plus correct de redonner cette responsabilité à i'acheteur qui devra lui-même vérifier si l'usage auquel il entend destiner l'immeuble est bien en accord avec les limitations de droit

public sur cet immeuble. Dans le concret, ceux qui doivent offrir une sécurité dans les transactions sur titre, les notaires, manquent d'outils pour effectuer ces recherches. Par exemple, existe-t-il des registres municipaux fiables faisant état et nomenclature des limitations? Pourquoi ne pas requérir tout simplement des municipalités quelles émettent un certificat de conformité sur les immeubles, comme cela se fait à d'autres endroits?

La vente d'immeubles. Dans notre mémoire, dans la partie de l'analyse article par article, nous revenons avec la faculté de dédire. Nous avions, il y a plusieurs années, attiré l'attention du législateur sur le fait que l'acheteur d'un immeuble n'avait pas la possibilité de réfléchir à l'achat, sans doute, le plus important de sa vie, celui de sa résidence, alors que celui qui achetait un aspirateur ou une encyclopédie se voyait octroyer un certain délai de réflexion. Dans l'avant-projet soumis à l'étude, le législateur retient cette faculté de dédit, mais uniquement pour la vente d'une maison neuve par un constructeur ou un promoteur. Nous croyons en effet que cette faculté de dédit devrait également s'étendre à tout consommateur qui signe une offre d'achat par l'intermédiaire de ce qu'on pourrait appeller un professionnel de la vente, c'est-à-dire un courtier, un agent ou le mandataire d'un constructeur. Nous croyons que l'environnement réel est le même et que le consommateur, qui a signé peut-être un peu trop à la hâte une offre d'achat sur un immeuble déjà bâti, peut également bénéficier d'un délai de réflexion.

En ce qui concerne les donations, l'avant-projet ne conserve l'obligation de recourir à l'acte notarié que si la donation porte sur un immeuble. Plusieurs praticiens vous diront qu'il faut conserver l'obligation de l'intervention du notaire pour toute donation autre que celle du don manuel, donc de retenir la loi actuelle. En de nombreuses occasions, nous avons permis à certaines personnes, souvent âgées, d'éviter de se dépouiller à la suite de pressions intenses de leurs proches et, à cet égard, l'intervention du juriste est partiale. L'obliger, par son devoir de conseil, à bien informer et à rechercher l'équilibre dans le contrat est tout à fait judicieux et mérite d'être conservé.

Nous avions dit au début, M. le Président, dans une première observation, que nous avions noté un accroissement de la judiciarisation dans l'avant-projet. La deuxième observation touche des dispositions législatives qui, à notre avis, se retrouveraient mieux dans des lois statutaires. À cet égard, nous soumettons que tout ce qui touche à la protection du consommateur et au louage, dont le bail, devrait se retrouver dans des lois statutaires, que le législateur pourra modifier fréquemment, comme il l'a fait dans le passé, sans nécessairement toucher à l'édifice législatif fondamental que constitue le Code civil.

Dans notre mémoire, nous faisons état du contrat d'oeuvre et nous savons que plusieurs intervenants en ont discuté devant vous. Nous avions émis le principe, lors de l'étude du volet sur les sûretés, que l'industrie de la construction devrait, à l'instar de toutes les autres industries, assurer elle-même son propre financement et, en corollaire, que le consommateur ne puisse être appelé, en aucune occasion, à subir les aléas de la santé financière de son promoteur-constructeur. À cet égard, nous suggérons au législateur d'éliminer toute la question des privilèges pour les fournisseurs de matériaux et les fournisseurs d'ouvrage, pour le constructeur et l'architecte et nous suggérons, pour en tenir lieu, que le principe d'une déclaration assermentée, semblable à celle qui existe actuellement dans la vente en bloc, soit effectuée avec responsabilité personnelle du déclarant, par le promoteur ou le constructeur, donnant, à l'occasion de la vente, la liste détaillée des créanciers, afin que le prix de vente puisse être distribué à tous les créanciers. (16 h 15)

Par ailleurs, si cette suggestion n'était pas retenue par le législateur, puisqu'elle n'offre peut-être pas assez de garanties aux créanciers du domaine de la construction, alors nous soumettons qu'il appartient à cette industrie de régler elle-même ses problèmes de financement, comme le font d'ailleurs les promoteurs-constructeurs de gros ouvrages qui ont déjà mis au point des mécanismes qui assurent le financement et les paiements par étape des grands projets, nous soumettons donc que la construction résidentielle, là où nous retrouvons les véritables problèmes de privilège, devrait s'autofinancer. Néanmoins, si le législateur ne devait pas retenir la première suggestion, nous lui suggérons d'avoir recours au notaire qui sera alors désigné par le promoteur-constructeur comme étant celui qui détiendra les capitaux que lui remettront les promettants-acquéreurs - donc l'entrepreneur ne pourra pas toucher ces sommes - et à qui devront être dénoncées par avis, les créances de ceux qui auront fourni de l'ouvrage ou des matériaux pour la construction. Le notaire, à la signature de l'acte de vente, qui ne devra pas intervenir avant la fin des travaux telle que définie par les critères jurisprudentiels, procédera alors à la distribution des sommes parmi les créanciers, à la remise du solde au promoteur-contracteur, ou à défaut, fera une distribution au prorata des créanciers, tout comme il est actuellement prévu dans la vente en bloc, et ceci sera absolument libératoire pour l'acquéreur. Si le législateur devait retenir l'hypothèse d'avoir recours à l'enregistrement des créances, nous estimons à ce moment-là que celui-ci devrait être limité ou effectué avant la date de la signature de la vente et que tout enregistrement ultérieur serait nul, et qu'il n'aurait pour effet que d'effectuer le déboursé ou la distribution du prix de vente parmi les créanciers dans les dix jours suivant la

signature de l'acte de vente, et la radiation de ces privilèges serait effectuée sur simple certificat du notaire à l'effet que ces créanciers auront reçu la somme qui leur revenait.

L'une ou l'autre de ces trois propositions, M. le Président, met de côté la création de cette double fiducie que l'on retrouve dans l'avant-projet, qui nous semble lourde et coûteuse. Ce que nous proposons, dans le fond, n'est rien d'autre que ce qui se fait actuellement dans la majorité des cas, c'est-à-dire qu'on utilise les services du notaire, officier public, bien réglementé, dont d'ailleurs la comptabilité en fidéicommis fait l'objet d'une surveillance absolument stricte, et où le public est bien protégé. Il s'agit donc d'utiliser ce qui existe pour, à la fois faciliter le financement et la distribution à qui de droit, et également protéger le consommateur.

Un dernier point, M. le Président, avant de procéder à la période de questions, nous est arrivé il y a deux jours à peine, mais correspondait à une discussion que nous avions eue entre nous, à l'occasion, des séances de travail du comité de législation sur le volet actuel. Mais, il traite surtout d'une question vue à l'occasion du projet de loi 20, dont il touche d'ailleurs les articles 297 et 301.

Avec votre permission, M. le Président, je distribuerai aux membres de la commission une copie de cette lettre qui m'a été adressée par un groupe qui se définit comme la Table de concertation des aînés d'Anjou et qui a publié un court document de travail intitulé La curatelle et les aînés. Dans cette lettre, ce groupe de concertation sollicite l'appui de plusieurs intervenants dans notre société à ce document de travail qui vise l'humanisation des services à la personne âgée. Ce document reflète un sentiment d'inquiétude et de dépossession chez la personne qui se voit subir la curatelle publique. Il y a dix attendus à quatre propositions formulées dans ce document. Je vous en fais grâce puisque, avec votre permission, je vous remettrai le document. Je n'en relève que trois où on manifeste le regret que l'État prenne immédiatement en charge les biens d'une personne frappée d'incapacité, s'il n'y a pas de curateur privé. On déplore, dans ce document - alors là, on parle de judiciarisation - le coût de l'obtention d'une curatelle privée. La perception que les gens ont, c'est que le gouvernement attache peu d'importance à la famille et que les droits de l'interdit sont bafoués. Je vous dis bien que c'est une perception. Il ne s'agit pas de discuter le fait de savoir si la perception est fondée ou non, mais c'est bien une perception que l'on retrouve dans le document.

Finalement, ce document se termine par un désir de prolonger les effets de la procuration au delà de la constatation de l'état mental déficient. Cela nous amène à reformuler - ce qu'on aurait fait plutôt, peut-être en janvier ou février -une suggestion au législateur voulant que la personne, lorsqu'elle signe une procuration ou un mandat notarié avec la stipulation expresse que ce mandat doit demeurer en force après constatation d'un état d'incapacité mentale du mandant, que cette procuration puisse donc continuer a être valide, qu'elle habilite le mandataire à agir au nom de la personne déficiente et que le tribunal n'intervienne que s'il y a des problèmes dans la gestion, et ce, sur demande des personnes de la famille ou d'un intéressé. Ce qui aurait pour effet, d'une part, de diminuer le coût pour l'État de toute cotte gestion et, d'autre part, de diminuer aussi le coût que le justiciable doit assumer lorsqu'il doit s'engager dans le processus de la curatelle privée.

Alors, voilà, M. le Président, c'est un court survol des points que nous tenions à souligner d'une façon particulière. Nous sommes maintenant à la disposition des membres de la sous-commission pour répondre à leurs questions.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Jean Lambert, président de la Chambre des notaires du Québec, de cet exposé. Sans plus tarder, nous allons procéder à la période de discussion. Je reconnais M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Merci, M. Lambert. Merci à vous qui accompagnez le président de la Chambre des notaires. Merci de ce mémoire particulièrement intéressant, très consistant et qui soulève des points très pertinents. Nous avons plusieurs questions à vous poser et je crois que toutes les questions que nous allons vous poser et la discussion qui pourra s'ensuivre vont nous être d'une très grande utilité pour la rédaction du projet de loi, puisque nous en sommes à un avant-projet de loi - c'est pour ça qu'il n'y a pas de commentaires. Mais, lorsque nous aurons un projet de loi comme tel, nous allons pouvoir bénéficier, dans notre rédaction, de votre mémoire, bien sûr, mais aussi de la discussion qui pourra suivre maintenant.

En ce qui regarde l'article 1668, quand à la possibilité d'attribuer des dommages-intérêts provisionnels à la victime d'un préjudice corporel, vous vous objectez à cela, comme l'a aussi fait le Barreau. On nous a proposé de scinder en deux le procès: une partie, la première, pourrait servir à la détermination de la responsabilité et, la seconde, à l'attribution de l'indemnité. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Lambert: Je vais demander au notaire Charest de répondre à cette question et, s'il y a lieu d'ajouter des commentaires, peut-être au notaire Beaulne.

Mme Charest (Laurence): Je ne sais pas si l'idée de scinder le procès pour établir la responsabilité et les dommages, est une bonne cho-

se. Nous ne sommes pas spécialistes en matière de responsabilité et de cette procédure devant les tribunaux. Cependant, à la lecture de cet article, ce qui nous a frappés, c'est qu'on préjugeait, finalement, de la responsabilité. Nous ne sommes pas d'accord avec ce principe. Tant que la responsabilité d'un individu n'est pas reconnue, on estime que le tribunal ne devrait être autorisé à accorder aucun dommage. Je pense que l'intervention du Barreau, ce matin, était à cet effet, c'est-à-dire qu'il disait aussi que, si la responsabilité n'est pas contestée mais qu'il y a uniquement contestation sur le quantum des dommages, à ce moment-là, on pourrait admettre des dommages avant l'issue complète du procès.

M. Rémillard: D'accord. Si vous me permettez, une autre question. En ce qui regarde le bail commercial, nous avons reçu, lors d'une précédente commission qui portait sur la réforme du droit des biens, plusieurs représentations de commerçants qui nous ont fait valoir qu'ils subissent très souvent des préjudices importants à la fin d'un bail, lorsqu'ils doivent mettre fin à leur bail ou tout simplement à la fin du bail naturel, qu'ils subissent donc des préjudices quant aux améliorations qu'ils ont dû apporter au local qu'ils ont loué, à savoir que ces améliorations ne leur sont pas remboursées. Par contre, dans votre mémoire, vous dites qu'il est très dangeureux de généraliser le droit à l'indemnisation de tel cas, à savoir que, lorsqu'on termine un bail, on puisse avoir cette règle qui permettrait au commerçant de demander une indemnité pour les améliorations qu'il a apportées au local. Est-ce que vous pourriez préciser ce point, s'il vous plaît?

M. Lambert: Oui, M. le ministre. Je vais demander au notaire Lessard.

M. Lessard (Robert): Alors, voici. La première réflexion que nous avons eue en lisant cet article, c'est qu'on s'est d'abord demandé si cette règle était impérative, dans le Code civil. Est-ce que le locateur est tenu de payer au locataire une indemnité pour les travaux faits? C'est la première question qu'on s'est posée: Est-ce que c'est impératif ou est-ce qu'on peut passer à côté de cette règle? On considère que, dans les baux commerciaux, cela se règle habituellement dans le contrat de bail. Alors, on est d'accord, par exemple, dans le cas des centres commerciaux, si les propriétaires de centres commerciaux se réservent habituellement la possibilité de faire changer le local d'un locataire. (16 h 30)

On est, à ce moment-là, d'accord que le locateur doit payer une indemnité au locataire pour changer de local, c'est-à-dire toutes les améliorations locatives qu'il a apportées au local qui lui permettent de se replacer, de déménager son local ailleurs. On trouve que c'est tout à fait normal, mais habituellement, c'est réglé dans le contrat. Si vous mettez dans la loi une obligation de payer une indemnité, je pense qu'on vient à rencontre de l'autonomie des volontés. En fait, c'est le contrat qui règle ça. Je pense qu'en général ça se règle à l'occasion du contrat et non par l'intervention du législateur.

M. Rémillard: Évidemment, vous savez que très souvent, je prends l'exemple des grands centres commerciaux où le locataire très souvent n'est pas en mesure de préciser ces dispositions dans un bail de location au départ. Vous ne voyez quand même pas un certain besoin de protéger lé locataire quant à ses améliorations et ses aménagements qu'il aurait faits pour pouvoir occuper le local?

M. Lambert: S'il n'est pas déplacé, à l'expiration du bail, il doit quitter. À ce moment-là, lorsqu'il a fait ses investissements, il devait anticiper que cet investissement couvrait la période du bail et normalement, au point de vue comptable, ils ont été amortis pour cette période. Je pense que là où il faut faire attention, c'est lorsqu'il y a relocalisation forcée; mais généralement les baux dont nous avons eu connaissance tiennent compte de ce fait. Par ailleurs, obliger les locateurs à payer pour des améliorations qui ne leur seront d'aucune utilité, nous avons de la difficulté à en saisir la logique. Je crois qu'en matière commerciale, les gens sont généralement avertis et, s'ils font des dépenses importantes comme ils le font, généralement ils le font pour la période du bail. On voit aujourd'hui que ces améliorations sont appelées à être modifiées sur une base de moyen terme; à tous les sept et huit ans, on refait généralement des améliorations d'une façon importante. Alors, est-ce qu'il y a effectivement un nombre important de personnes qui ont subi des préjudices dans de tels cas au point qu'il faille en faire une règle générale là-dessus? Je l'ignore. C'est sûr que, s'il y avait plusieurs cas rapportés d'abus flagrants, je crois que ça pourrait peut-être autoriser, mais encore là, il faudrait avoir la possibilité de s'en dégager. Peut-être qu'à ce moment-là, exiger une présentation graphique importante qui attire bien l'attention du locataire lorsqu'il signera son dégagement.

M. Rémillard: Très bien, je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): M. le député de Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la Justice.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. J'aimerais m'entretenir avec la Chambre des notaires relativement au contrat de consommation. Dans votre mémoire, vous vous opposez à l'inclusion du contrat de consommation dans le Code civil.

Ma question est la suivante: Ne croyez-vous pas, étant donné que la très grande majorité des contrats concernent justement un consommateur, la consommation qui de par sa nature est du domaine du droit privé, qu'il serait normal de les viser dans un code qui vise à régir les rapports de droit privé? Et le deuxième volet de ma question, si vous me le permettez, M. Lambert, c'est qu'on comprend bien que certains contrats, telle la vente de véhicules usagés ou le contrat d'épanouissement de la personne peuvent paraître, pour certains, trop particuliers pour être intégrés dans le Code civil, mais la question est la suivante: Seriez-vous favorable, cependant, à ce que les principes généraux, eux, soient inclus dans le Code civil quitte à ce que le reste soit conservé dans une Loi sur la protection du consommateur remaniée, mais que les principes soient inclus dans le Code civil du Québec?

M. Lambert: Je vais demander au notaire Charest de compléter l'esquisse de réponse que je vais vous donner. Je pense que vous avez très bien cerné la problématique. Le Code civil est une loi fondamentale et on doit y retrouver les grands principes. Lorsque l'extension de ces principes doit aussi trouver une expression législative, mais qui est appelée à être modifiée fréquemment parce que les habitudes changent, parce que le contexte social change, parce que l'économie change, à ce moment-là, je crois qu'il faut insérer ces dispositions dans une loi statutaire qui peut commodément être modifiée par le législateur sans nécessairement toucher l'édifice de la loi fondamentale. Notaire Charest.

Mme Charest: Je pense effectivement qu'on pourrait conserver à l'intérieur du Code civil les grands principes et les grandes règles du contrat de consommation. On ne voit pas d'objection à cela sauf que là, on se ramasse avec 162 articles en matière de consommation intégrés au Code civil. Là, on regarde cela et on dit: Le législateur veut certainement revaloriser le contrat de consommation. Il est vrai également que le contrat de consommation est un contrat qui, à la limite, sort en plus grand nombre que les autres contrats. C'est conclu à tous les jours par des centaines et des milliers de consommateurs. Vu sous cet angle, ce serait effectivement normal qu'on retrouve les dispositions au Code civil. Par contre, ce qui arrive, c'est qu'il faut peut-être revenir finalement à la base de notre Code civil, à l'idée de base qui guide le Code civil. Le Code civil est censé contenir des règles de droit fondamental. Là, on trouve curieux qu'on en arrive justement à traiter à l'intérieur d'un Code civil qui veut que les règles soient générales, soient stables, également, dans une certaine mesure - cela ne veut pas nécessairement dire que jamais elles ne seront modifiées, mais à la limite, disons que ce sont des règles stables et générales - et retrouver, par exemple, qu'on parte de lessiveuses, de réfrigérateurs, de cuisi- nières ou encore, de véhicules d'occasion dont les contrats sont réglementés dans leurs moindres détails. Aussi, ce qu'on a trouvé à l'examen de ces 162 articles de consommation, c'est que cela rendait difficile l'accès au consommateur. Je pense que le législateur veut rendre le code plus accessible aux citoyens. Maintenant, quand on en arrive en matière de consommation, là, on se ramasse...

Au tout début, il y a l'article 2718, alinéa 2, qui nous dit: "Ces règles, auxquelles le contrat de consommation est assujetti, sont impératives; elles s'ajoutent à toute autre règle législative qui accorde un droit ou un recours au consommateur, et, lorsqu'elles lui confèrent un droit, celui-ci ne peut y renoncer que dans la mesure permise par la loi." Alors, on se demande quelles sont ces règles impératives, quelles sont ces autres règles impératives qui ne sont pas comprises à l'intérieur du titre 3. Ce sont des points d'interrogation. Finalement, on en arrive à dire: Pour pouvoir se retrouver à l'intérieur de ces règles, le consommateur va devoir examiner tout d'abord les règles du titre 3, ensuite, examiner les règles des titres 1 et 2 et finalement, avoir recours à la Loi sur la protection du consommateur parce que malgré le fait qu'on insère les règles particulières du contrat de consommation à l'intérieur du code, la Loi sur la protection du consommateur va demeurer et également toute la réglementation. Donc, je pense que ce n'est pas vraiment un service qu'on rend au consommateur en voulant revaloriser ou peu importe, le contrat de consommation et d'inclure cela au Code civil.

M. Dauphin: Donc, vous seriez d'accord à l'inclusion des principes tout en conservant...

Mme Charest: Absolument. M. Dauphin: ...l'accessoire, les détails... Mme Charest: Le contrat de consommation. M. Dauphin: ...dans une loi particulière.

Mme Charest: Absolument. Pour les grands principes, mais pas les règles en détail.

Le Président (M. Marcil): M. le député de Taillon.

M. Filion: Vous aviez une question? M. Dauphin: Je reviendrai tantôt. M. Filion: Oui, si vous le voulez.

M. Dauphin: J'en ai plusieurs, mais on peut revenir tantôt.

M. Filion: C'est à mon tour de souhaiter la bienvenue aux représentants de la Chambre des notaires, Me Lambert, Me Mackay, en particulier,

avec qui j'ai déjà eu l'occasion de discuter dans une commission précédente.

Me Lambert, vous avez souligné le caractère exceptionnel de l'exercice dont la présente consultation constitue finalement un chaînon. Vous avez tout à fait raison. Quand on regarde les dates, 1866, vers 1980, par la suite, évidemment, cela va être l'an 2000 à un moment donné. Je pense, effectivement, qu'il y a un caractère tout à fait exceptionnel, presque merveilleux, à cet exercice de révision de notre Code civil et en particulier, évidemment, du droit des obligations qui constitue au moins la clef de voûte d'une partie de nos rapports collectifs.

Je voudrais revenir sur une partie de vos commentaires du début et que j'ai trouvés particulièrement intéressants, en ce qui concerne le caractère litigieux de notre société. Les statistiques que vous avez citées à partir d'une comparaison avec les autres sociétés, normalement, devraient avoir l'effet escompté, en tout cas, l'effet de nous faire réfléchir sur les tendances de notre société. Non pas que les gens qui travaillent dans le milieu du droit soient improductifs, mais il faut quand même se rendre compte que dans le produit national brut, les bonnes chicanes qu'on a au palais de justice ne rapportent pas énormément à la société en général. En ce sens-là, nos voisins du sud, vous l'avez illustré éloquemment, eux, ont déjà cette tendance-là à la judiciarisation. Quant à nous, nous sommes déjà latins, je le dis souvent, on est un peuple chicanier de nature. En plus de cela, on produit de plus en plus d'avocats chaque année. Il faudrait chercher à éviter le litige. D'ailleurs, le Barreau nous a souligné, ce matin, l'importance d'éviter des litiges. Leurs commentaires allaient dans le sens, d'ailleurs, d'une rédaction ta plus claire possible du droit des obligations pour éviter le nombre de litiges.

À ce sujet-là, vos comparaisons avec les sociétés européennes, les sociétés japonaises, sont tout à fait importantes. Je ne sais pas maintenant quelle sorte de mesures - parce que cela est beau d'en prendre conscience - mais encore faudrait-il commencer à jeter l'amorce, le commencement d'une série de mesures visant à empêcher la société québécoise d'évoluer encore plus vers une société litigieuse. Dans l'ensemble des recommandations que vous faites, il y en a une particulièrement - je ne dis pas que les autres ne sont pas valables - c'est ce que vous appelez l'information précontractuelle. L'information, qu'on informe encore plus les gens, avant d'adhérer à un contrat, des conséquences de leur adhésion à tel ou tel contrat. C'est simple, l'information, je pense que cela a beaucoup aidé au Québec de faire en sorte que les Québécoises et Québécois sont mieux informés de leurs droits. Étant mieux informés de leurs droits, le nombre de litiges normalement devrait diminuer à un moment donné.

Alors, en ce sens-là, je me fais un peu le porte-parole d'une partie de votre suggestion pour inviter mon collègue, le ministre de la Justice, peut-être avec son équipe, à réfléchir sur cette problématique très sérieuse, en tout cas, qui me préoccupe. Quand on sait que les Japonais d'une courbette vont transiger sur des montants tout à fait faramineux, on peut s'interroger sur les 350 pages qui accompagnent à peu près n'importe quelle transaction, maintenant, au Québec. Je vois que le ministre, de sa courbette, agrée à mes propos. Alors, il restera donc peut-être à voir... Ce n'est pas facile, on ne peut pas empêcher les gens. Les gens ont le droit d'aller devant les tribunaux et de faire valoir leur point de vue. Mais, je pense qu'en ce qui concerne l'information, il y a matière à réfléchir sur les ressources que notre société investit au chapitre de cette nécessaire information aux citoyens, d'une part.

Deuxièmement, je voudrais féliciter la Chambre des notaires de son travail qui porte non seulement sur la partie contractuelle mais sur l'ensemble de la théorie des obligations, y compris ce qui concerne les notions de responsabilité qui, on le sait, affectent beaucoup plus les avocats que les notaires. Je pense que cette sensibilisation des notaires, cette autre partie du Code civil, est tout à fait à leur mérite. (16 h 45)

Alors, je voudrais diriger la première question sur des sujets où l'expertise notariale est peut-être particulière. D'abord, en premier lieu, vous proposez, aux pages 203 et 204 de votre mémoire, que les époux ou ex-époux puissent transiger en matière familiale sur les questions évidemment à caractère économique. Vous prenez bien soin, c'est tout à fait normal, de restreindre cette possibilité de transaction sur la question économique et non sur la garde des enfants ou autre matière d'intérêt public. Cependant, je transforme mon commentaire en question: N'y a-t-il pas un danger, finalement, étant donné la relation qui existe entre le caractère économique d'une transaction et dans certains cas, le bien-être des enfants, par exemple, la pension alimentaire? Est-ce que ça n'a pas une conséquence au bien-être des enfants? Alors, n'y a-t-il pas un danger de "court-cicuiter", si on veut, le contrôle judiciaire qui existe en matière matrimoniale sur tout projet d'accord?

M. Lambert: Je pense qu'on a mentionné dans nos propos introductifs que l'aspect économique de la relation pourrait faire l'objet de transaction, ce qui n'est pas permis actuellement dans l'avant-projet. Mais, par contre, lorsqu'on en arrive aux questions extrapatrimoniales, là-dessus on a peut-être adopté une position conservatrice. Mais je pense qu'on a reconnu que ces questions devraient être traitées par le tribunal parce qu'il s'agit de relations qui importent beaucoup à la société; l'effet n'est pas purement économique et on sait aujourd'hui combien la société est là pour essuyer les conséquences de ces mauvaises relations qui ne

touchent pas le patrimoine. Que ce soit l'effet psychologique désastreux sur des enfants qui ne s'inséreront que très difficilement dans la société plus tard, etc. Donc, c'est un sujet qui touche au coeur même des préoccupations de la société, et là-dessus on a conservé l'option, que ce soit le tribunal qui en dispose, mais on opine, par ailleurs, qu'on doive permettre la transaction sur les aspects économiques.

M. Filion: Notaire Charest, je veux compléter ma réponse.

Une voix: Allez-y.

Mme Charest: En fait, je pense que si on regarde entre les droits économiques des conjoints, il y a actuellement la prestation compensatoire et on se demande pourquoi il serait impossible à deux conjoints, qui en conviennent, de soumettre le différend quant au montant de la prestation compensatoire, quant à l'arbitrage. Même à la limite, dans certains cas, en édictant des dispositions comme celles-là où l'on empêche de transiger sur des questions en matière familiale, ça empêche également la possibilité de le prévoir par contrat. Par exemple, dans un contrat de mariage, pourquoi empêcherait-on les époux de convenir qu'advenant un divorce après X années de mariage, s'il y a entente entre les conjoints que la femme reste à la maison, que le couple veut avoir des enfants et que la femme va s'occuper de l'éducation des enfants, pourquoi empêcherait-on les conjoints de convenir à l'avance du montant de la prestation compensatoire en établissant même des normes dépendamment du nombre d'années de la relation que ces gens ont eue?

Dans cette optique, on était d'avis que tout ce qui concerne les rapports économiques entre les conjoints pouvaient finalement être soumis soit à la transaction ou à l'arbitrage sans pour autant que personne en subisse des préjudices réels.

M. Filion: D'accord. Je vous remercie Me Lambert et Me Charest. On a évoqué tantôt, le ministre évoquait le contrat de consommation. Outre ce que vous avez dit sur le contrat, notamment qu'il ne devrait pas être introduit au Code civil, vous êtes contre l'idée que le contrat de consommation s'applique aux professionnels dont les notaires, bien sûr, et vous signalez à ce moment-là qu'il ne faudrait pas que les dispositions législatives fassent double emploi avec le Code des professions. Finalement, le Code des professions vise des mesures, disons réparatoires, ou, en tout cas, des conclusions qui sont d'un tout autre ordre que les conclusions que l'on pourrait rechercher dans une poursuite intentée en vertu de nos règles civiles. Par exemple, si le contrat de consommation s'appliquait aux professionnels, les consommateurs pourraient bénéficier d'autres recours tels que la résiliation du con- trat, la réduction de ses obligations ou l'obtention de dommages exemplaires ou, en somme, de toute une variété de mesures qui ne font pas partie du Code des professions. J'ai ici le dernier article du Code des professions, l'article 156, où le comité de discipline peut imposer différentes mesures, mais ne peut pas imposer cette variété de mesures que l'on retrouverait dans le Code civil s'il s'appliquait aux professionnels. Je ne sais pas si vous pourriez réagir à mes propos. Est-ce qu'il y a une erreur dans mes prémisses?

M. Lambert: Non, je pense qu'on a établi clairement qu'il ne devrait pas y avoir deux régimes. C'est une opinion. On essaie de voir le cas où, effectivement, l'ensemble des mécanismes de protection qui existent à l'intérieur du système professionnel ne pourraient pas suffire. Il y a l'indemnisation en cas de fraude. M y a évidemment tous les recours criminels si un professionnel a fraudé. Il y a également la discipline pour le cas où le consommateur a été mal servi. Alors, déjà, le recours disciplinaire est, je pense, une mesure préventive forte. Nonobstant ceci, cela ne prive pas le consommateur de ses recours. Le monde professionnel a de telles choses comme le fonds d'indemnisation qui, justement, vient à la rescousse. On ne trouvait pas cela dans d'autres secteurs ailleurs que dans le monde professionnel. Il y a l'assurance-responsabilité professionnelle obligatoire dans presque toutes les professions qui, encore là, vient s'assurer que le consommateur qui a été mal servi par un professionnel puisse avoir une réparation, sans nécessairement se buter à l'insolvabilité ou à la faillite comme on le retrouve dans d'autres secteurs. C'est pour cela qu'on essaie de voir ce qui, en dehors de cette panoplie, manque pour que le consommateur soit bien protégé.

En juin dernier, l'Assemblée nationale a adopté une loi qui, en ce qui regarde les honoraires professionnels, permet au consommateur de pouvoir, nonobstant le fait qu'il a payé, rediscuter après paiement du compte d'honoraires pour, peut-être, justement éliminer cette possibilité qu'il y avait où le professionnel exerçait une rétention s'il n'était pas payé et le consommateur, ayant payé, ne pouvait plus avoir de recours. Alors donc, les lois professionnelles ont été modifiées dans ce sens encore. Alors, on se dit finalement que le service est généralement rendu. Il est difficile de revenir en arrière après. Il s'agit, dans le fond, de réparer ce qui a été mal fait ou de compenser s'il y a eu abus ou fraude. Alors, c'est pour cela qu'on pense que l'ensemble des règles est suffisant.

Mme Charest: II y aurait aussi une autre chose qu'il serait important de souligner en regard de l'emploi du terme "professionnel". C'est qu'en employant ce terme, le législateur a voulu élargir la protection offerte au consommateur, en fait. En même temps, il retirait du

même coup une protection dont certains professionnels, entre guillemets, bénéficiaient au terme de la loi actuelle. Je m'explique. Actuellement, un professionnel, par exemple, notaire, avocat, comptable, architecte, ingénieur, etc., qui achète de l'équipement pour son bureau, qui achète un ordinateur, sera considéré comme un consommateur lors de l'acquisition de ce bien. Si on le considère comme professionnel, étant donné que le bien va servir en partie à ses activités professionnelles, si on l'inclut là-dedans, il ne bénéficiera plus de la protection offerte par la Loi sur la protection du consommateur. C'est la même chose pour l'achat d'une automobile. Si un professionnel acquiert une automobile et s'en sert pour les fins de son travail, cet achat n'est plus assujetti aux règles de la protection du consommateur. En employant le terme "professionnel", le législateur, à notre avis, fait perdre du même coup cette protection à certaines personnes qui en bénéficient actuellement. C'est la même chose pour les agriculteurs et les artisans. Actuellement, un agriculteur qui se procure une moissonneuse ou un tracteur peut bénéficier des règles de la Loi sur la protection du consommateur. Maintenant, tel que formulé, d'après notre étude il ne pourrait plus bénéficier de cette protection. Il y a peut-être un danger qu'il faut aussi souligner concernant l'emploi du terme "professionnel".

M. Lambert: C'est un autre volet de la question.

Mme Charest: Exactement, c'est tout à fait différent.

M. Lambert: On saisit mal pourquoi le professionnel qui acquiert un véhicule et l'utilise à 100 % pour ses fins personnelles se voit offrir une protection, alors que s'il utilise ce véhicule à 20 % ou 25 % pour son travail, soudainement, je ne sais pas si c'est par la vertu du Saint-Esprit, il n'a plus besoin de protection. Là-dessus, on avait de la misère à rabouter les concepts. Mais c'est vraiment un autre volet que celui que vous n'avez pas...

M. Beaulne (Jacques): Je voudrais ajouter quelque chose concernant le double emploi que feraient la Loi sur la protection du consommateur et le Code des professions au niveau des corporations professionnelles. Il faut concevoir que les corporations professionnelles, c'est un petit gouvernement qui régit ses membres dans tous les aspects de leurs activités. Cela réglemente, par exemple, l'accès à la profession; cela réglemente leur conduite générale, par exemple, vous n'avez pas de code de déontologie pour les vendeurs d'aspirateurs, mais vous avez cela pour chacune des corporations professionnelles. Je pense que la réglementation, au plan des corporations professionnelles, va même au-delà de la Loi sur la protection du consommateur dans divers secteurs parce que cela réglemente l'activité des professionnels, non seulement leur conduite professionnelle comme telle, mais même l'image qu'ils peuvent donner de leur profession vis-à-vis du public. Les corporations professionnelles ont intérêt à voir à ce que leurs membres travaillent efficacement parce que leur statut en dépend. Dans la mesure où tous les membres d'une corporation professionnelle agiront bien, la corporation maintiendra son statut. Je pense que cela assure encore plus la protection du public.

M. Filion: Je vous remercie de ces éclaircissements. Maintenant, en ce qui concerne la vente d'immeubles résidentiels par intermédiaire, je pense que c'est Me Lambert qui disait tantôt que la plupart des acheteurs bénéficiaient d'un délai pour changer d'idée quand ils achetaient un aspirateur, ou je ne sais pas quel autre exemple vous donniez...

Une voix: Une encyclopédie.

M. Filion: ...une encyclopédie, voilà, et qu'en ce qui concernait l'achat d'une maison, qui est un achat extrêmement important, on le sait, probablement l'achat important dans la vie d'une bonne proportion de la population, il n'y avait pas cette espèce de faculté de dédire. Là-dessus, vous suggérez un délai de dix jours. L'idée est intéressante.

D'abord, en ce qui concerne l'acheteur, il n'y a que des avantages. Pour lui, il n'y a pas beaucoup d'inconvénients à un délai de dix jours pour lui permettre de réfléchir davantage. C'est pour le vendeur, le problème. Je le vois un peu de la façon suivante et j'aimerais que vous réagissiez, non pas que ces désavantages soient dirimants, mais bien plutôt parce qu'il faut mesurer le pour et le contre de cette suggestion que vous avancez. Premièrement, pour le vendeur, cela gèle son immeuble pendant dix jours, il a promesse et il ne peut pas bouger; deuxièmement, cela permet aussi une pratique à laquelle une autre corporation, je pense que c'est la corporation de l'immeuble, nous a sensibilisés, je connais le terme anglais et je ne connais pas le terme français, c'est-à-dire le "flipping". On achète l'immeuble, on a une promesse de vente ou une promesse d'achat acceptée, peu importe, et on profite du délai de dix jours pour aller transiger sur le marché notre promesse. Évidemment, c'est de la spéculation à l'état pur qui est tout à fait nuisible, je pense. Alors, c'est un deuxième désavantage. Le troisième désavantage, c'est la stabilité du marché immobilier. Je suis convaincu que la Chambre réfléchit également aux inconvénients et aux avantages de cette formule. Est-ce que vous voulez réagir aux conséquences de cette suggestion au sujet de l'équilibre entre les parties? (17 heures)

M. Lambert: En ce qui concerne le gel de l'immeuble, je crois premièrement que déjà, dans

les transactions actuelles, il y a une période de gel. Peu d'immeubles, en effet, sont vendus sans qu'il y ait une condition quant à l'établissement d'un financement approprié. Alors, il y a des délais et si on ne trouve pas chez un premier, on doit reformuler une seconde demande et une troisième, et après cela, le vendeur se réserve la possibilité de faire lui-même une demande. Déjà là, il s'écoule un nombre de jours.

Deuxièmement, dans ce domaine comme dans d'autres, il s'agit d'établir des règles claires au départ et, après cela, je pense que les gens savent se gouverner. Quand vous transigez sur un immeuble, sur une maison résidentielle, on s'entend bien, on parle du résidentiel, on ne croit pas qu'une période de dix jours soit dérangeante à ce point. Généralement, les gens qui vendent planifient ces achats et à ce moment-là, je pense que rien n'empêche qu'une offre additionnelle soit souscrite sur un immeuble sur lequel il y en a une première, en disant: conditionnelle à ce que l'autre soit défaite. Ce sont des choses qu'on voit réellement.

Alors, je pense que !a question du gel n'est pas une raison sérieuse. On propose d'ailleurs un choix. On dit que si l'offre d'achat est faite par acte notarié, à ce moment-là, la faculté de dédit tombe. Pourquoi? Parce que par l'intervention du notaire, il y a ce qu'on appelle une période de refroidissement. Dans le fond, on cherche à éviter que, sous l'impulsion du moment, habilement exploité par un professionnel de la vente, entre guillements, un consommateur se retrouve avec un achat qui devienne désastreux pour lui. C'est vraiment le cas que l'on vise. Or, si les gens décident de transiger sur les lieux, comme cela se fait, à ce moment-là, il y aura une faculté de dédit pour une période de dix jours. Mais si, par contre, les parties disent. Très bien, demain ou après-demain, on se rend chez le notaire et on signe une offre d'achat, il y a d'abord une période de refroidissement et, ensuite le notaire, en vertu de son devoir de conseiller, de son impartialité et de la recherche de l'équilibre des forces au contrat, fournira toute l'information et s'assurera que, là, le consommateur sait très bien ce qu'il fait et si c'est le cas, à ce moment-là il n'y a plus de raison d'avoir de dédit. Donc, il y aura un choix si, dans certains cas précis, les gens veulent procéder rapidement.

Quant à ce qu'on pourrait appeler, nous, dans notre jargon, des passes, ce que vous avez appelé du "flipping", cela se fait actuellement, puis ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de possibilité de dédit. Ce qu'on fait, c'est qu'on stipule des conditions dont on sait très bien qu'on pourra se dégager facilement, donc, qu'on fera tomber, notamment concernant le financement. On met un taux d'intérêt irréaliste, trop bas, qu'on ne trouvera pas, ou encore une somme tellement importante en termes de pourcentage d'équité qu'il n'y a pas un créancier qui voudra et on s'en sort. Alors, quelqu'un qui veut vraiment faire des passes le peut et je ne crois pas que le fait qu'il y ait possibilité de dédit l'encourage.

Quant à l'instabilité, la réponse aux deux autres désavantages, c'est que je vois ma! l'instabilité, d'autant plus que l'achat d'une résidence est un achat qui est beaucoup plus sérieux que celui d'un bien de consommation, par exemple, un aspirateur. Je pense que les gens qui s'engagent dans ces achats s'engagent d'une façon sérieuse. Il s'agit d'assurer à des personnes qui n'ont pas d'expérience en semblable matière la possibilité de contracter avec les meilleures chances de succès.

M. Filion: Je vous remercie de ces éclaircissements quant à une possibilité, je pense qu'elle devient de plus en plus intéressante. En tout cas, on va laisser réfléchir l'équipe du ministère de la Justice là-dessus. De mon côté, je pense que vous avez peut-être apaisé les préoccupations que soulevait une innovation de cette nature dans le secteur résidentiel. Et encore une fois, d'autant que vous la réduisez aux ventes, si j'ai bien compris, avec intermédiaire, c'est-à-dire lorsqu'il y a un courtier, donc, un personnage qui est susceptible de presser un peu plus fort, de tourner un bras un petit peu plus fort ou de séduire un peu plus facilement.

Je pense que je vais laisser la parole au député de Marquette après cette dernière question que j'avais également adressée à vos collègues du Barreau, ce matin. Et le notaire est présent à peu près à tous les stades de la construction d'immeubles. C'est très utile aussi au promoteur qui cherche du financement, il préside ou il officie pour les transactions quant au terrain, il est également présent lors de la vente des immeubles qui ont été construits sur ce terrain, de sorte que vous avez une expertise toute particulière dans le secteur de la responsabilité ou dans le secteur, devrais-je dire, de la réalité vécue par les entrepreneurs, les ingénieurs et les architectes.

Peut-être voyez-vous venir ma question. J'aimerais avoir votre opinion, savoir ce que vous pensez de la proposition qui nous a été faite par les représentants des architectes, proposition visant essentiellement à jouir d'un régime de responsabilité plus ordinaire, entre guillemets, c'est-à-dire n'être responsable que si la faute est prouvée et ne pas être lié à une responsabilité solidaire avec des entrepreneurs qui sont, ou en faillite, ou disparus, ou peu importe, réorganisés sous d'autres compagnies ou d'autres raisons sociales.

J'aimerais peut-être que vous nous fassiez part de votre point de vue là-dessus, compte tenu de votre expérience dans ce secteur.

M. Lambert: Si j'ai bien saisi le sens de votre question, vous voulez connaître notre opinion sur la responsabilité professionnelle des

intervenants, tels que les architectes ou les ingénieurs, par exemple.

Nous croyons que lorsqu'un professionnel pose un geste dans son domaine, en accord avec son expertise, il doit évidemment assumer la responsabilité qui en découle. Il y a eu un débat, à savoir: Est-ce que l'architecte ou l'ingénieur sera responsable vis-à-vis, appelons-le, du consommateur, donc celui qui bénéficiera de l'ouvrage, ou l'ingénieur ou l'architecte sera-t-il responsable uniquement envers celui qui aura retenu ses services, c'est-à-dire l'entrepreneur?

Il s'agit donc de discuter: Y aura-t-il responsabilité solidaire et conjointe de tous les intervenants à la construction de l'édifice? N'y aura-t-il qu'une seule responsabilité vis-à-vis du bénéficiaire de l'ouvrage, donc du propriétaire, qui serait celle de l'entrepreneur ou du promoteur, ou y aura-t-il un lien entre le consommateur et l'architecte ou l'ingénieur?

Donc, c'est le débat. Je vais demander au notaire Charest de le formuler, puisqu'on a eu une discussion, justement, ce midi, là-dessus, mais elle a à l'esprit une façon très claire de le formuler. Si vous voulez y aller.

Mme Charest: Je pense qu'en résumé, après en avoir discuté, on en est finalement arrivés à la conclusion qu'étant donné que l'entrepreneur, l'ingénieur et l'architecte travaillaient et collaboraient ensemble, on devrait maintenir une responsabilité conjointe. Il arrive souvent... En tout cas, dans bien des cas, il serait difficile pour le client de savoir qui il va poursuivre. Est-ce que l'erreur vient des plans ou ne provient-elle pas plutôt d'une mauvaise exécution des plans qui ont été faits par l'entrepreneur? À ce moment-là, on pense que pour une véritable protection du client, la responsabilité devrait être conjointe entre l'entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur.

On n'est pas d'accord, par exemple, pour inclure avec tout ce beau monde les sous-entrepreneurs, de même que les autres collaborateurs. Les sous-entrepreneurs qui ne participent pas vraiment à toute la réalisation des travaux, on voit mal comment ils pourraient engager leur responsabilité, du moins en ce qui concerne la garantie de cinq ans. Cela nous apparaît difficilement conciliable qu'on n'ait pas fait de distinction. Je ne sais pas si le législateur voulait viser strictement les défauts cachés dont il est question à 2184, les vices ou malfaçons garantis contre lesquels il donne une garantie d'un an, ou encore, s'il voulait vraiment couvrir tous les vices majeurs de construction qu'on retrouve à 2183, avec la garantie de cinq ans.

De toute façon, pour nous, étant donné qu'on ne faisait pas la distinction, on a présumé qu'il s'agissait de la garantie, également quinquennale, et à ce moment-là, on ne voyait pas l'utilité d'inclure les sous-entrepreneurs et autres collaborateurs dont il est question à l'article 2185. Parce qu'on imagine facilement les consé- quences économiques qu'il y aurait pour, par exemple, celui qui aurait posé la plomberie ou encore l'électricité, d'être responsable de l'ensemble du projet. Il nous semble que ça serait bizarre.

Alors on estime qu'il serait préférable de limiter ça strictement à l'entrepreneur, l'ingénieur et l'architecte, tel que ça existe actuellement dans le Code civil, à l'article 1688.

Maintenant, on est parfaitement en accord avec l'article 2185, alinéa 2, qui prévoit que dans la mesure où l'un des participants à l'ouvrage, et toujours mon entrepreneur, architecte ou ingénieur, puisse se dégager de ses responsabilités s'il prouve que son travail n'a rien à voir avec le vice qui est reproché, il peut s'exonérer de toute responsabilité, en prouvant que le vice ou la malfaçon de l'ouvrage reproché ne résulte pas d'une erreur que lui a commise. Et je pense qu'il faut conserver cette disposition-là.

La Présidente (Mme Bleau): Une autre question?

M. Filion: Non; je pense que je vais garder ma prochaine question pour tantôt et laisser la parole à M. le député de Marquette.

La Présidente (Mme Bleau): Nous allons passer la parole au député de Marquette.

M. Dauphin: Oui, Mme la Présidente. Peut-être une ou deux questions, puis ensuite un de nos codificateurs, le professeur Jean Pineau, aurait des observations à faire.

J'aimerais vous référer à l'article 1841 de l'avant-projet de loi qui parle de la circulaire d'information, c'est-à-dire lorsque la vente porte sur une fraction d'une copropriété, divise ou indivise, et qu'il y a au moins cinq unités de logement. Certains groupes qui sont venus, comme invités, nous ont dit que d'exiger une circulaire d'information dans le cas de cinq unités était peut-être un peu lourd. Ils nous suggéraient, peut-être, d'augmenter le nombre.

Alors comme praticien du droit, pour nous éclairer, j'aimerais demander l'opinion de la Chambre sur cet article-là, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de l'étudier de façon précise?

M. Lambert: Alors le bien-fondé de la circulaire, je pense que là-dessus, on le reconnaît. Il est évident que dans certains cas, dans certains projets immobiliers, des consommateurs achètent parce qu'on leur fait des représentations précises quant à des accessoires, quant à l'environnement immédiat de l'unité qui est achetée, et je pense que ça fait partie du contrat. Tout probablement que ces consommateurs n'auraient pas consenti s'ils avaient su que les représentations qu'on leur faisait n'étaient que l'expression de voeux, que ça se réaliserait peut-être, peut-être pas. À ce mo-

ment-là, je pense que le consentement n'aurait peut-être pas été donné.

Et que le législateur trouve ou suggère une façon de sanctionner en facilitant la preuve, parce que la circulaire, dans le fond, c'est ça, ça facilite la preuve que les représentations ont bel et bien été faites, je pense que c'est fort souhaitable. Dans la discussion qu'on a eue, on trouvait que le terme de cinq unités de logement, était un peu imprécis, en ce sens que si, effectivement, un entrepreneur érige deux maisons sur une rue, en érige trois sur la rue attenante, et une sixième, de l'autre côté de cette deuxième rue, est-ce qu'automatiquement il devrait y avoir une circulaire alors qu'aucune représentation n'est faite à ceux qui achètent, qui considèrent uniquement l'unité qu'il a représentée, sans penser qu'il y a des accessoires, sans qu'on fasse des représentations concernant les accessoires, tels que piscines ou terrains de récréation communs, stationnements ou autres, qu'il n'y a rien de cela qui est fait? Est-ce que c'est purement une question de nombre? Nous ne le croyons pas, et c'est ce qui nous amenait à avoir une certaine réticence sur cette façon-là, qui rejoint sans doute leur préoccupation. Allez-y donc, notaire Charest. (17 h 15)

Mme Charest: En somme, il faudrait peut-être définir ce que le législateur entend par projet immobilier, parce que je pense que c'est là qu'est le problème. Qu'est-ce qu'un projet immobilier de cinq résidences et plus? Nous nous sommes posé des questions, nous n'avons pas formulé de commentaires comme tels dans notre mémoire; par contre, étant responsable du comité de législation, je sais que cela a fait l'objet d'une grande discussion au sein du comité. Il y aurait peut-être avantage, parce que j'ai eu également l'occasion de lire différents travaux qui avaient été faits ici, en sous-commission, de différents intervenants, et on sentait très bien que les gens ne savaient pas précisément en quoi consistait le fameux projet immobilier dont il est question à l'article 1841.

Il y a une autre chose aussi que l'on concevrait très bien, ce serait que ces dispositions, ces règles particulières à la vente d'immeubles résidentiels, soient incluses dans la Loi sur la protection du consommateur. D'ailleurs on connaît déjà une nouvelle réglementation en matière de pratique de commerce immobilier dans la Loi sur la protection du consommateur, qui vient d'être mise en vigueur, et on concevrait facilement que ces dispositions, qui visent à protéger le consommateur immobilier, soient intégrées dans la Loi sur la protection du consommateur, qu'on fasse un volet spécial sur le consommateur immobilier, tout simplement. Et ce serait peut-être plus facile, j'imagine, que le contenu de la circulaire d'information puisse, par exemple, être établi par règlement, et à ce moment, au fur et à mesure que des pratiques se développeraient, on pourrait facilement modifier la réglementation ou l'ajuster de même que la loi statutaire.

M. Dauphin: Merci, j'aurais une autre question concernant la vente d'entreprises. Aux pages 36 à 44 de votre mémoire, vous étudiez l'opportunité de conserver un régime particulier pour la vente d'entreprises, et finalement vous concluez que ce régime n'a plus sa raison d'être. Ne croyez-vous pas que les problèmes en cette matière viennent du fait que la loi actuelle est inadéquate, par exemple, son champ d'application restreint, et la réforme ne tente-t-elle pas de corriger cette situation?

M. Lambert: Je vais demander au notaire Roland Vaillancourt de répondre à votre question.

M. Dauphin: D'accord.

M. Lambert: Me Vaillancourt.

M. Vaillancourt (Roland): II est exact que la loi actuelle manque de clarté et que ce soit la source de beaucoup de problèmes, mais si on creuse un peu plus profondément et si on se demande pourquoi elle existe, pourquoi on retrouve au Code civil ces dispositions sur la vente en bloc, on remonte à la fin du XIXe siècle, à une époque où la loi de faillite n'existait pas, où les propriétaires de fonds de commerce avaient une réputation, semble-t-il, sensiblement moins bonne que ceux que l'on connaît aujourd'hui semblent avoir. Et pour avoir été en pratique un bon nombre d'années jusqu'à maintenant, que je sache, les propriétaires et vendeurs de fonds de commerce ne sont pas plus malhonnêtes, ni plus croches que le reste de la population et il me paraît anormal qu'on les classe dans une catégorie spéciale et qu'on leur dise: Si toi, propriétaire du fonds de commerce tu le vends, tu ne touches pas ton prix de vente, on l'isole, tu nous donnes une liste de tes créanciers et on va les payer. Quand le notaire sert cette explication à un vendeur de fonds de commerce, ce dernier est des plus surpris et il tombe en bas de sa chaise, il l'apprend. Et quand on dit au même vendeur: Attention vendeur, tu dois me donner dans ton affidavit non seulement les dettes relatives à ton commerce, mais aussi toutes tes dettes personnelles: ta maison, tes cartes de crédit, tes comptes de Bell Canada et d'Hydro-Québec. Il retombe en bas de sa chaise. Ce que je veux exprimer par là, c'est que le public ne comprend pas les raisons profondes qui sous-tendent ces dispositions spéciales. C'est ce qui nous amène finalement à conclure que nous n'aurions aucune objection à ce qu'elles soient tout simplement enlevées du Code civil comme, semble-t-il, à certains endroits, on pense le faire, maintenant qu'on a une loi de faillite relativement bien faite, maintenant que les créanciers des propriétaires de fonds de commerce bénéficient de sûretés qui n'existaient pas aupa-

ravant, les nantissements commerciaux, sessions de biens en stock, il y a toute une panoplie de sûretés qui leur sont données, le crédit est mieux organisé, les fournisseurs sont généralement des grandes sociétés qui suivent bien leurs clients. Et que je sache, il n'y a pas de problèmes de crédit plus criants là qu'ailleurs dans d'autres domaines. Et c'est pour cela qu'on ne serait pas malheureux de voir les dispositions supprimées complètement.

M. Dauphin: Merci. J'ai d'autres questions, mais peut-être qu'à ce stade-ci, M. le Président, on pourrait autoriser le professeur Jean Pineau à vous poser une question ou à faire une observation.

M. Pineau: Si vous le permettez, M. le Président, ce n'est pas une question, c'est un simple commentaire sur des commentaires généraux ou certains commentaires généraux qui ont été faits au début de cette séance et ce matin par le Barreau.

On reproche à l'avant-projet son style et ce que j'appellerais sa manière, qui sont qualifiés l'un et l'autre d'anglo-saxons et on y voit la pénétration de la "common law", notamment par la judiciarisation - c'est un bien vilain mot - du droit.

On se porte au secours, c'est ce qu'on a entendu ce matin, de la culture juridique française et du génie de la langue française. J'applaudis à cela, je suis particulièrement touché par cette attention, mais si on ouvre le Code civil français aujourd'hui, aux pages nouvelles en matière de régimes matrimoniaux, de filiation, de tutelle et de curatelle, de divorce, de succession, de projets à venir, eh bien, on se rend compte que la rédaction du XXe siècle est tout à fait différente de celle du XIXe siècle.

Et on se rendra compte que l'écriture du doyen Carbonnier, qui est l'auteur des nouvelles parties du code français, est totalement différente du style ou de la rédaction de Portalis, n'est-ce pas? Ce n'est plus la même chose. On se rendra compte que les règles du code n'ont plus la concision de jadis car les situations sont de plus en plus complexes et cette complexité des situations, due aux relations nouvelles entre les particuliers, conduit à des lois nécessairement plus complexes et plus volumineuses.

Et on se rendra compte, en lisant les nouvelles dispositions du code français, que l'intervention judiciaire est de plus en plus fréquente. D'ailleurs, ce n'est pas nouveau car si on prend l'article 1053 du Code civil du Bas-Canada, c'est bien là le modèle même de cette règle dite simple, claire et concise, règle dite à la française par opposition à la règle dite à l'anglo-saxonne et cependant, des milliers de pages ont été écrites et publiées sur l'article 1053 ou les articles correspondants 1382-1384 du Code civil français, des milliers de pages de jugements ont été rédigées par les juges lorsqu'il s'est agi d'appliquer cette règle.

Alors, c'est bien dire qu'il n'est pas aisé d'énoncer des règles qui ne soient pas susceptibles de discussions, qui ne soient pas susceptibles d'interprétation et qui soient susceptibles d'éviter les recours aux juges. J'attire particulièrement l'attention de la Chambre des notaires, comme d'ailleurs celle du Barreau, relativement à ces problèmes. Nous ne sommes plus au XIXe siècle et les règles concises du XIXe siècle sont insuffisantes à régler toutes les situations. On nous dit ensuite qu'on trouve dans le Code civil les règles fondamentales. Mais qu'est-ce que c'est que les règles fondamentales, en définitive? On pourrait se contenter d'une théorie générale des obligations. Mais pourquoi, en 1866, a-t-on éprouvé le besoin d'énoncer des règles sur les contrats nommés? Elles sont déjà dans le Code civil du XIXe siècle. Donc, il ne faut pas s'étonner qu'un code civil nouveau, qu'un projet de code civil énonce des règles particulières dans le cadre des contrats nommés, et que ces règles visent des situations qui ne se présentaient pas au législateur ou au codificateur de 1866. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. Pineau. Je vais reconnaître M. le ministre de la Justice.

M, Rémillard: Je vous remercie, M. Pineau, pour ces remarques très pertinentes. Vous me permettrez, M. le Président, de poser une question concernant les contrats de louage.

M. le président Lambert, à la page 95 de votre mémoire, vous vous dites d'accord avec l'interdiction faite au locateur d'user de harcèlement, de harceler un locataire pour le contraindre à quitter les lieux. Cependant, vous vous opposez à ce que le locataire puisse demander justice, condamnation à des dommages et intérêts punitifs à la suite d'un harcèlement. Est-ce que vous ne voyez pas quand même une relation importante qu'on doit faire entre cette possibilité pour le locataire de s'adresser à la justice pour des dommages et intérêts punitifs dans la mesure où on sait très bien que, très souvent, c'est la seule façon dont le locataire peut vraiment obtenir compensation pour le harcèlement dont il a été victime? Est-ce que vous avez des commentaires là-dessus?

M. Lambert: On a mentionné tantôt qu'on suggérait que tout ce qui concerne le louage soit sorti et mis dans une loi statutaire. Dans cet endroit, il y aura peut-être plus de logique à y voir telles choses que des dommages punitifs. Je pense qu'on avait de la difficulté avec le concept dans le Code civil d'avoir des dommages punitifs. Qu'il y ait des dommages si, effectivement, le harcèlement a causé un préjudice, mais des dommages punitifs, on a peut-être plus de difficulté. Me Charest.

Mme Charest: C'est-à-dire que le concept

des dommages punitifs, tel qu'on le prévoit au chapitre de la responsabilité, où le demandeur ne toucherait pas personnellement les dommages punitifs, on est d'accord avec cette proposition. Sauf qu'ici, si on lit l'article, il semble que ce serait le locataire qui toucherait les dommages punitifs. À ce moment-là, c'est peut-être une disposition davantage à caractère pénal. Cela se concevrait peut-être facilement dans une loi statutaire, mais voir cela dans le Code civil, cela surprend un petit peu.

M. Rémillard: Très bien. Pour le moment...

Le Président (M. Marcil): Cela va? Oui M. le Président.

M. Lambert: J'aimerais revenir un peu sur les propos du professeur Pineau. On comprend - et on n'a rien contre - l'utilisation de la langue de Molière dans notre Code civil, loin de là. Toutefois, on se pose la question sur certaines phrases où on voit soudainement de nouvelles portes laissées entrouvertes pour de l'interprétation judiciaire. Par exemple, si on regarde l'article 1457: "Lorsqu'une forme particulière est exigée comme condition nécessaire...", il y a donc des conditions qui ne sont pas nécessaires et d'autres qui le sont. Qui apprécie le caractère de la nécessité de la condition? Ouverture. Si on regarde l'article 1493 parlant de l'exception d'inexécution: "Lorsque les obligations résultant d'un contrat synallagmatique sont exigibles par l'une et l'autre des parties et que l'une d'elles n'exécute pas substantiellement la sienne..." Tiens, avant on exécutait ou on n'exécutait pas; maintenant on peut exécuter, mais pas substantiellement. Qu'est-ce que c'est, cela? C'est nouveau, c'est de l'imprécision, du vague, encore une fois, de l'interprétation judiciaire. (17 h 30)

On peut aller aux articles 1557 et 2160, avec le mot "principalement". Qu'est-ce que cela veut dire, "principalement"? "Règles de bonne conduite" à l'article 1515. Avant, on avait un concept de prudence et d'exigence, maintenant on parle de règles de bonne conduite. "Des attentes légitimes", à l'article 1621. Encore là, qu'est-ce qu'une attente légitime, plutôt que le critère de la qualité marchande qu'on a actuellement? Alors, on voit qu'on a un souci d'ouvrir davantage à l'interprétation, de laisser flotter davantage les concepts et c'est là-dessus qu'on en est. On se dit: Ce sont finalement les tribunaux qui vont définir le droit. C'est dans ce sens-là qu'on trouve que c'est une incursion de la "common law", plutôt que de définir avec plus de rigueur. Mais, peut-être que le professeur Pineau a raison, peut-être sommes-nous maintenant dans un monde où il faut laisser flotter le droit.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le Président. M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. J'aimerais tout d'abord dire aux représentants de la Chambre: Lorsque vous vous référez au projet de loi 20 relatif à la Curatelle publique, vos suggestions sont extrêmement intéressantes et, effectivement, le ministère va sûrement y donner suite. Maintenant, j'aurais une question, non pas sur la Curatelle, mais sur le formalisme contractuel. Plusieurs groupes nous ont mentionné que l'avant-projet de loi contenait un formalisme protecteur au détriment, justement, de la liberté contractuelle. La Chambre des notaires suggère plutôt le recours à l'acte notarié en matière de donation de biens meubles, voire le recours aux services d'un notaire pour la gestion de fiducie en matière de vente d'immeubles résidentiels et de contrats d'oeuvre. Comment concilier vos suggestions de recourir, autant que faire se peut, à l'acte authentique, à l'acte notarié, avec le voeu de ces organismes-là qui nous disent: Arrêtez de formaliser et de protéger, laissez-nous la liberté.

M. Lambert: Cela, c'est tout le débat. Doit-on être formalistes avant ou après? Nous, on préconise d'être formalistes avant. On dit même qu'il faut aller plus loin. On sait d'expérience que notre intervention a prévenu des situations conflictuelles dans une foule de rapports contractuels. En d'autres termes, si le recours au notaire n'avait pas été soit la norme, soit souhaité par les parties à l'occasion d'une transaction, il y aurait eu à coup sûr une essence de litige. Je faisais référence tantôt à la donation. On voit régulièrement des gens âgés qui se sont fait convaincre de se dépouiller au bénéfice de proches de leur famille. Alors, sous la pression ou par captation, on pouvait simplement consigner cette donation sur un petit papier, sur le coin de la table de chevet. Imaginez combien la personne est vulnérable. Alors que, si vous la sortez de son contexte où elle subit des pressions, et que vous lui expliquez les conséquences, par exemple, et les dangers de se dépouiller en faveur d'une personne, qui peut être un proche de bonne foi mais qui pourrait être dans une aventure financière ou économique, le donateur n'ayant pas apprécié cet aspect-là, l'intervention du notaire, à ce moment-là, est tout à fait préventive, elle évite.

C'est la même chose au niveau de lavant-contrat. On sait, par exemple, que beaucoup de gens qui administrent - entre guillemets - les avant-contrats sont des gens qui sont dans le milieu pour à peu près deux ou trois ans. La proportion des gens qui tournent à l'intérieur de trois ans est à peu près de 80 %. Donc, ce ne sont pas des gens qui s'enracinent dans une profession à long terme. Ce sont des gens mus par un désir légitime de faire de l'argent. Donc, les considérations vis-à-vis de l'acheteur sont différentes. Il est important que cette vente soit

conclue, par exemple pour régler une fin de mois. Ce sont des choses qu'on voit. Cela, c'est de la pratique régulière et quotidienne. Si vous replacez l'acheteur dans un contexte plus froid où le juriste notaire explique toutes les conséquences du geste à l'acheteur, il est possible à ce moment-là qu'une situation de conflit soit évitée. En d'autres termes, le consommateur réalise que, mon Dieu, il est loin de faire une bonne affaire et qu'il a peut-être donné son consentement préalablement parce que le contexte était échauffé et qu'il avait été un peu l'objet de pressions.

Devant cette commission, en août 1987, on a eu le plaisir d'avoir un notaire parisien, docteur en droit, qui justement expliquait que sur 5 000 000 d'actes notariés en France l'année précédente, moins d'une centaine avaient donné lieu à une inscription en litige et que, en réalité, à peu près une vingtaine avaient vraiment une quelconque justification et un nombre mineur avait effectivement donné lieu à une poursuite parce que l'acte... C'est donc dire que des millions de transactions n'ont donné lieu à aucun litige parce que, préalablement, il y a eu une espèce d'arbitrage, il y a eu cette recherche de l'équilibre, ce devoir de conseil. Le notaire ne représente pas une partie, il agit pour l'ensemble des parties. C'est une institution qui existe; elle a été adoptée par le Japon, probablement parce que ce pays y a vu beaucoup d'avantages. Une société, par exemple, qui ne peut s'offrir le luxe d'un système judiciaire aussi sophistiqué que nous, la Chine populaire, a adopté le notariat et en fait la promotion. Pourquoi? Parce qu'il est absolument capital pour cette société de régler autant que possible, préalablement, que de bâtir un système judiciaire dont on peut réaliser les dimensions quand on a une population de 1 100 000 000 d'habitants. Donc, là où le notariat existe dans le monde, où il a une fonction et là où le droit civil, parce que c'est une institution typique du droit civil qui utilise cette forme, on voit que l'effet préventif est certain et mesurable.

Nous disons tout simplement que, dans certaines occasions, par exemple lorsqu'une personne se présente chez un notaire, donc qui n'est l'objet d'aucune captation et qui dit: Moi, notaire, je fais une procuration... Et on voit cela régulièrement dans nos bureaux. Je commence et, quelquefois, j'en oublie des bouts. C'est cela qu'ils nous disent. J'aimerais que ma fille ou mon garçon s'occupe de mes affaires. Là, on lui dit: Oui, mais vous savez, quand vous ne serez plus capable, la procuration ne sera plus valable. Là, les gens sont vraiment... Lorsque ce désir est formulé, après que le notaire a expliqué vraiment toutes les dimensions de la question, pourquoi à ce moment-là n'offrirait-on pas au justiciable ce moyen simple, mais à la fois solennel avec l'intervention d'un officier qui, je le répète, demeure responsable de ses actes? Quand je parle du devoir de conseil, de la recherche de l'équi- libre et de l'impartialité, ce ne sont pas des fleurs de rhétorique; il y a énormément de jugements qui sont là pour les étayer. Un jugement récent a trouvé responsable un notaire de ne pas avoir informé une personne, lors d'une transaction, sur la valeur économique d'une hypothèque de troisième rang qui a été cédée en paiement d'un prix de vente. Voyez-vous jusqu'où cela va? Cela va très loin.

Je pense que le législateur, à l'occasion de cette réforme devrait regarder tous les avantages que l'institution notariale offre et l'utiliser là où cela pourrait avantageusement éliminer des recours devant les tribunaux. Oui, notaire Beaulne.

Le Président (M. Marcil): Oui, si vous voulez compléter.

M. Beaulne: Peut-être pour poursuive dans le sens du formalisme, on a un exemple actuellement avec les testaments. Actuellement, les gens ont le choix de la forme d'un testament. Ils peuvent opter pour le testament notarié ou pour le testament anglais ou olographe. J'enseigne le cours des testaments à l'université. On passe quatre heures à étudier les formalités du testament notarié. Évidemment, les étudiants me disent: C'est beaucoup de formalisme, c'est très méticuleux; à quoi tout cela sert-il? Il s'agit de vérifier dans la jurisprudence pour voir le nombre de testaments notariés qui se rendent devant les tribunaux par opposition au nombre de testaments olographes, testaments anglais. La présence d'un formalisme, d'un officier public va assurer, par exemple, que le testament est complet en soi. Combien rencontre-t-on de testaments olographes ou anglais où les gens lèguent les biens qu'ils ont au moment où ils font le testament, sans prévoir pour l'avenir! J'ai déjà réglé une succession où on faisait face à un testament olographe dans lequel le testateur avait dit: Je lègue mon batteur à oeufs à mon gendre. Cela nous a pris une bonne enquête pour nous rendre compte que le batteur à oeufs dont on parlait était un moteur hors bord d'une force et demie qu'il avait toujours désigné comme étant son batteur à oeufs.

Dans ce cas particulier, ça n'a pas débouché devant les tribunaux, mais ça laisse tout de même voir que l'absence de juriste où moment de la signature, s'il n'a pas été là pour éclairer la partie, ça va laisser un énorme potentiel de conflits ultérieurs. Par exemple, dans le cas d'un testament, les conflits vont nécessairement survenir au moment où celui qui a fait l'acte n'est plus là pour s'expliquer. C'est d'autant plus important qu'on s'assure qu'au moment où l'acte a été fait... Le formalisme est peut-être lourd, il est peut-être sévère, mais il est là pour une excellente raison, qui est justement d'éviter les ambiguïtés qu'on pourrait rencontrer au moment où l'acte va recevoir exécution.

M. Lambert: Peut-être pour compléter, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): M. Lambert.

M. Lambert: II est certain que le formalisme est parfois un peu agaçant, mais il y a un choix à faire. Ou on laisse un superlibéralisme, les gens contractent comme ils veulent, n'importe comment, et on dit: Nous de l'État, en payant un système judiciaire sophistiqué et coûteux, nous allons accrocher les balles après, c'est-à-dire que si ça ne va pas, vous viendrez nous voir. Je pense qu'il y a un choix à faire. Il n'est pas question d'éliminer le système judiciaire, je pense qu'il est là pour rester, mais il s'agit peut-être de mettre un frein à son développement s'il y a d'autres façons d'atteindre la justice contractuelle.

Je pense qu'on a mentionné tantôt qu'on a dans notre droit, justement, cet acte Infiniment supérieur qu'est le testament notarié, et c'est curieux, ça ne donne lieu à aucun problème. S'il y a un acte important dans la vie d'un individu, c'est bien celui de rédiger ses dernières volontés, puisqu'il ne sera pas là par la suite pour vérifier si elles sont respectées. Je pense que la très grande confiance que les gens ont dans ce testament notarié prouve justement que cette forme est souhaitable.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Lambert. Je reconnais maintenant le député de Taillon.

M. Filion: Avec la permission de mes collègues, j'aimerais demander au conseiller juridique de l'Opposition, Me Pierre Gariépy, de poser une question à nos invités.

M. Gariépy: À la page 175 de votre mémoire, vous commentez l'innovation qu'est l'article 2426, qui est l'interdiction de la renonciation d'avance au bénéfice de la subrogation. Vous commentez avec approbation parce que vous répétez le même texte dans votre recommandation. Ma question porte sur ceci. J'ai toujours trouvé intéressante cette innovation parce que ça mettait peut-être fin à l'invitation, pour certains créanciers, à négliger l'exercice de leur recours à des garanties au moment où le prêt viendrait à échéance. Beaucoup de mémoires ont critiqué cet ajout qu'est l'interdiction de renoncer d'avance au bénéfice de subrogation. Je veux juste vous lire une partie du mémoire de l'Association des banquiers canadiens qui dit ceci, concernant le deuxième alinéa de l'article 2426. Je serai bref. On dit: "Nous nous expliquons mal la position prise ici par le législateur et nous réclamons un retour au droit actuel en vertu duquel il est toujours permis de renoncer au bénéfice de subrogation. Advenant le maintien de cette interdiction, le créancier devra toujours se prévaloir de ses autres sûretés sur les actifs, ce qui entraînera des frais plus élevés qui se répercuteront en fin de compte sur la caution."

Vous, vous êtes favorables à l'innovation, et j'aimerais que vous répondiez aux arguments et peut-être que vous en discutiez, que vous les commentiez, si vous pouvez le faire. (17 h 45)

Mme Charest: Nous, on n'a pas vu de problème quand on a examiné cette disposition et on n'en voit pas encore. Le fait qu'on interdise la caution de renoncer à l'avance au droit à l'information et au bénéfice de subrogation, je ne vois pas comment on pourrait... Parce que !e bénéfice à la subrogation ne survient que lorsque la caution paie finalement au nom du débiteur. Je m'explique mal comment il se fait que l'Association des banquiers... en tout cas, ils sont d'avis, eux, que finalement cela coûterait plus cher, si j'ai bien compris ce que vous m'avez !u, en ce qui concerne les frais de crédit.

M. Gariépy: En fait, "se répercuteront en fin de compte sur la caution" des coûts plus élevés. Ce sont les pages 172 et 173 de leur mémoire.

Mme Charest: Malheureusement, je n'ai pas pris connaissance de ces pages-là. En tout cas, il me semble que... Nous...

M. Gariépy: D'après vous, cela apparaît...

Mme Charest: Bien non, je ne pense pas, parce que la caution, au moment où elle va être subrogée dans les droits du créancier, cela va être au moment du paiement uniquement.

M. Gariépy: Merci.

Le Président (M. Marcil): Ça va? M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. J'ai seulement une dernière question. D'ailleurs, j'en parlais justement au directeur du droit civil qui est également notaire, Me Cossette. À l'article 1860 de l'avant-projet de loi, on rend nulle toute clause de dation en paiement. Seriez-vous d'accord pour que l'on prohibe, pour qu'on fasse la même chose pour la vente à réméré?

M. Lambert: En d'autres termes, il s'agirait d'éliminer la vente à réméré? La faire sauter?

M. Dauphin: C'est cela. Faire sauter la vente à réméré. On me dit que... Je connais certains notaires qui, en 25 ans, n'ont jamais fait cela.

M. Lambert: Oui, effectivement. Ce n'est pas un instrument qui est fréquemment utilisé, mais...

M. Mackay (Julien S.): Le seul cas où j'ai

eu à l'utiliser, c'était pour un prêt qui n'était pas gros, mais qui supposait que l'acquéreur à réméré assumait la première hypothèque et devenait personnellement responsable. C'est une des raisons pour laquelle on ne recommandait pas à un prêteur qui pensait avoir une meilleure garantie en se faisant céder le bien à réméré: Vous devez assumer la première hypothèque existante qui, elle, est généralement d'envergure. Cette assumation était bonne tant que le prêt n'était pas remboursé. S'il ne l'assumait qu'hypothécairement, souvent l'acte d'hypothèque originaire disait qu'il y avait perte de bénéfice du terme si l'assumation n'était qu'hypothécaire. C'est pour cela que ce n'était pas pratique généralement comme mode de financement.

M. Dauphin: Nous conseilleriez-vous de conserver cela dans le Code civil? Non, d'accord.

M. Lambert: Je crois qu'on s'était prononcé contre la disparition de la clause de dation en paiement par contre l'an dernier.

M. Dauphin: Dans votre mémoire.

M. Lambert: Je ne voudrais pas l'associer. Mot, j'ai toujours considéré que la vente à réméré serait là et qu'un jour, peut-être, à un moment donné, on lui trouverait une nouvelle utilité, une nouvelle vie. Je me disais que ça ne nuisait pas que ce soit là.

M. Dauphin: Sur la dation en paiement, voulez-vous préciser? Vous vous êtes prononcés contre le fait qu'on rend nulle une clause de dation en paiement.

M. Lambert: Oui. L'an dernier, je me rappelle qu'on avait apporté une critique, assez complète, je crois, en ce qui concerne les recours qu'on réservait aux créanciers hypothécaires. Je pense qu'on avait formulé le désir de maintenir la dation en paiement, d'ailleurs qui était maintenue sous une autre forme, qui était la prise en paiement, si je me rappelle bien.

Le Président (M. Marcil): Cela va? M. Dauphin: D'accord. Merci.

Le Président (M. Marcil): S'il n'y a plus de question, on va...

M. Filion: J'ai peut-être une petite question. Dans votre mémoire, a la page 11, je crois, vous traitez de la question d'accessibilité à la justice, un souci qui vous honore, de vous préoccuper de cette question d'accessibilité à la justice, qui nous préoccupe également tous autour de cette table. Vous dites au conditionnel, je pense, dans votre résumé de mémoire à la page 11, pages 11 ou 12, vous dites 80 %... Je vais vous citer au texte.

M. Lambert: On reprenait les propos de M. le bâtonnier Guy Gilbert, propos qu'il avait tenu déjà...

M. Filion: Juste pour me laisser terminer, pour le Journal des débats: 80 % "de nos concitoyens" et concitoyennes "qui ne peuvent avoir accès à la justice". Là, vous dites: "Selon Me Guy Gilbert", après cela. Mais le chiffre de 80 % vient des propos de Me Gilbert, c'est cela?

M. Lambert: Oui. J'ai présumé qu'il était bien informé.

M. Filion: Ha, ha, ha! Donc, ça va, M. le Président. Je pense, que de notre côté, on aurait pu poursuivre ce dialogue pendant fort longtemps étant donné que nos invités ont évidemment l'expertise pour faire en sorte que cet entretien soit fructueux. De notre côté, M. le Président, nous remercions Me Lessard, Me Vaillancourt, Me Mackay, le président Me Lambert, Me Charest, Me Beaulne et Me Roberge non seulement de ce qui est apparent de leur performance, ici, cet après-midi, mais également de tout le travail d'excavation, de préparation, de lecture, etc., qui a été fait au sein de la Chambre des notaires. Je ne doute pas qu'il y ait eu sûrement des centaines, probablement des milliers d'heures, qui ont été investies par la Chambre des notaires pour faire en sorte que vos représentations, cet après-midi, et votre mémoire soient à la fine pointe de ce que vous croyez être la façon dont le droit des obligations devrait être rédigé. Vous avez dit au début de votre intervention, Me Lambert, que cet exercice était exceptionnel, et, à mon tour, au nom de l'Opposition officielle, je dois vous dire que la contribution de la Chambre des notaires est également exceptionnelle. Merci.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le député de Taillon. M. le député de Marquette.

M. Dauphin: À notre tour, au nom du ministre de la Justice, qui est ici mais qui s'est absenté quelques minutes, et des collègues ministériels, et de l'équipe de réforme du Code civil, nous aimerions remercier et féliciter la Chambre des notaires du Québec pour la préparation et la présentation de son mémoire, mémoire d'ailleurs, comme le disait mon collègue de Taillon, qui est très bien étoffé, très bien structuré. Encore une fois, c'est un avant-projet de loi, et je peux vous assurer, au nom du ministre, que l'équipe de la réforme du Code civil va analyser attentivement toutes vos recommandations afin de bonifier cet avant-projet de loi et éventuellement de déposer un projet de loi. Encore une fois, merci beaucoup de votre participation active à nos travaux.

Le Président (M. Marcil): Oui, Me Lambert.

M. Lambert: M. le Président, permettez-moi

de remercier les membres de la sous-commission de la grande patience qu'ils ont de nous avoir écoutés et interrogés avec pertinence. Une simple demande en terminant, M. le Président, c'est que j'ai, lors de mon allocution, mentionné la remise de documents et, pour ce faire, j'ai besoin de votre autorisation. Merci.

Le Président (M. Marcil): Oui, nous allons à accepter le dépôt de ces documents que nous allons ensuite reproduire et faire parvenir à tous les députés et membres de cette commission parlementaire.

Au nom de cette commission, nous vous remercions de vous être prêtés à cette discussion qui saura sûrement porter fruit.

Nous allons suspendre nos travaux et les reprendre à 20 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 53)

(Reprise à 20 h 12)

Fédération des notaires du Québec

Le Président (M. Marcil): Nous reprenons nos travaux et nous allons entendre la Fédération des notaires du Québec. Nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission parlementaire. Vous êtes le dernier groupe que nous recevons parmi les dizaines de groupes que nous avons rencontrés jusqu'à maintenant. Je voudrais, Me Pierre Lafortune, vous qui en êtes le président, que vous nous présentiez les gens qui vous accompagnent. Vous avez 15 à 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire. Sachez qu'il a été lu et étudié par tout le monde. Cela va?

M. Lafortune (Pierre): D'accord. Le Président (M. Marcil): Allez-y.

M. Lafortune: J'ai à mes côtés, à mon extrême droite, à votre gauche, le directeur de la fédération, M. Normand Chagnon, et, à ma droite immédiate, Me François Crête, notaire, ici à Québec.

M. Crête (François): Si vous voulez, nous allons débuter sans tarder.

La Fédération des notaires du Québec est heureuse de vous soumettre ce soir des commentaires sur l'avant-projet de loi sur les obligations. Étant donné l'ampleur du projet de loi et le peu de temps qui nous est alloué, nous nous limiterons à certains points précis qui concernent davantage la profession que nous représentons. Contrairement à la Chambre des notaires du Québec et au Barreau du Québec, la fédération a le mandat de défendre ies intérêts socio-économiques des notaires en pratique privée. C'est pourquoi notre approche va sembler être plus concrète et refléter la pensée des notaires de pratique privée. Avant de débuter, nous aimerions apporter nos félicitations à l'équipe des juristes qui a participé de près ou de loin à l'élaboration de ce projet de loi. Nous savons que ce n'est pas facile de préparer des projets de loi et que cela demande souvent un travail énorme.

Dans un premier temps, nous attirons votre attention sur la question de l'offre d'achat ou promesse de vente d'un immeuble. Nous suggérons que ces contrats soient assortis d'une clause de dédit permettant à l'acquéreur de pouvoir annuler son offre, qui a été acceptée par le vendeur, dans un délai de dix jours. L'achat d'un immeuble représente une obligation importante pour le consommateur et peut-être même l'obligation la plus onéreuse de sa vie. !! serait donc souhaitable de lui accorder une période de réflexion pour pouvoir annuler unilatéralement, sans aucun motif approuvé, l'offre d'achat d'un immeuble qu'il ne désire plus acquérir. Il faudrait étendre ce principe non seulement aux immeubles résidentiels de moins de cinq logements construits ou à construire, faits par le constructeur de l'immeuble ou par un promoteur, mais aussi aux immeubles résidentiels de moins de cinq logements vendus par des particuliers ou des compagnies. Il faudrait, de plus, prévoir qu'il soit impossible à l'acheteur de renoncer à ce délai. Cependant, nous proposons que l'acheteur puisse renoncer à ce délai en acceptant de signer l'acte de vente notarié de l'immeuble avant que le délai soit expiré.

Pour que le projet de loi soit en harmonie avec celui des sûretés réelles et de la publicité des droits, il faudrait prévoir, comme principe général, que tout contrat affectant un droit réel ou un droit mobilier susceptible d'être enregistré devrait être fait sous forme authentique. Nous avons déjà démontré en d'autres occasions aux membres du service de législation du ministère de la Justice toute l'importance et toute la valeur de l'acte authentique. Pourquoi ne pas obliger clairement les parties à procéder par acte authentique pour la conclusion d'un contrat ayant pour objet un droit réel ou un droit mobilier qui est soumis à l'enregistrement? De cette façon, les parties seraient mieux protégées et le tout faciliterait la publication de ces droits.

Le législateur a le devoir de prévoir des lois qui servent à la protection des parties et qui créent un système juridique qui diminue les risques de conflit ou les litiges futurs. L'acte authentique doit être lu et expliqué aux parties. On éviterait avec celui-ci le problème posé par l'article 1482 du projet de loi où on demande de faire la preuve d'une clause externe au contrat d'adhésion liant les parties et que l'autre partie prouve que l'adhérent en avait connaissance à cette époque. De même, l'acte authentique éviterait l'application de l'article 1483 du projet, car le contrat d'adhésion authentique, par son

essence même, ne pourrait être illisible ou incompréhensible, et il n'y aurait plus de preuve à faire que les clauses du contrat d'adhésion ont été portées à l'attention de l'adhérent et que toutes les explications suffisantes sur sa nature et sur son étendue lui ont été données.

Nous comprenons que ces principes doivent demeurer pour rééquilibrer l'équité dans un contrat d'adhésion, mais en obligeant les parties à avoir recours pour les contrats d'adhésion importants et authentiques on éviterait beaucoup de problèmes d'interprétation des contrats tout en permettant à l'adhérent de recevoir toutes les informations et les explications nécessaires pour l'amener à donner un consentement valable. De plus, l'autre partie n'aurait plus besoin de prouver que l'adhérent était bien au courant et qu'on lui avait donné toutes les explications suffisantes.

Nous n'insisterons jamais assez sur la valeur de l'acte authentique et le législateur devrait exiger plus souvent qu'on l'utilise pour des actes importants. De cette façon, on éviterait bien des problèmes aux parties.

Relativement à la résolution ou résiliation du contrat, l'article 1491 établit que le principe de la résolution ou de la résiliation du contrat peut avoir lieu sans qu'il soit besoin de poursuite judiciaire lorsque le débiteur est en demeure de plein droit d'exécuter son obligation ou qu'il ne l'a pas exécutée dans te délai fixé par la mise en demeure. Nous croyons que nous pourrions étendre ce principe en donnant une force exécutoire à certains contrats. Nous pensons, entre autres, qu'il serait très intéressant d'accorder une force exécutoire à l'acte d'hypothèque qui permettrait au créancier de reprendre, en paiement de ce qui lui est dû, les biens grevés du débiteur, pour autant que ce dernier ait été mis en demeure de remédier au défaut, que le délai soit expiré et que le défaut persiste toujours.

Tout cela pourrait se faire sans qu'il soit besoin de poursuite judiciaire, mais pour autant que le créancier puisse conserver les prestations qu'il a déjà reçues en vertu de ce contrat et qu'il s'engage à remettre au débiteur le profit net réalisé lors de la liquidation de la garantie après le remboursement de ce qui lui est dû.

Lors des auditions publiques sur l'avant-projet de loi sur les sûretés réelles et la publicité des droits, la Chambre des notaires du Québec avait fait un brillant exposé sur la question. Nous ne tenons pas à reprendre ce débat ici, mais nous tenons à mentionner qu'advenant que cette idée soit retenue par le législateur il y aurait lieu d'adapter le présent projet de loi en conséquence.

Au sujet des offres réelles, à l'article 1632, nous notons que les offres réelles peuvent être constatées par acte notarié en minute ou par une déclaration judiciaire dont il est donné acte. On mentionne également qu'elles peuvent être constatées par un autre écrit ou faites de toute autre manière, sauf, en ce cas, à en rapporter la preuve. Pourquoi ne pas créer l'obligation que les offres réelles soient constatées par acte notarié en minute? Pourquoi ne pas exiger l'authenticité, la meilleure preuve possible? Nous savons tous que, quand nous devons faire des offres réelles, c'est qu'il y a un désaccord entre le débiteur et le créancier et, plus souvent qu'autrement, nous aurons besoin d'apporter la meilleure preuve devant le tribunal. Le notaire est l'officier public tout désigné, le témoin du conflit qui peut apporter au tribunal la meilleure preuve dans les circonstances. Alors, pourquoi ne pas requérir ses services pour éviter des problèmes aux parties concernées?

Au chapitre de la consignation, l'article 1641 prévoit la consignation par le dépôt de la part du débiteur de la somme d'argent ou de la valeur mobilière qu'il doit au bureau régional de dépôts pour le Québec ou auprès d'une société de fiducie ou au greffe du tribunal. Pourquoi la consignation ne pourrait-elle pas se faire par le dépôt, de la part du débiteur, de la somme d'argent qu'il doit dans un compte en fiducie détenu par un notaire? Il arrive fréquemment dans la pratique que certaines parties, devant un litige, s'entendent pour déposer une somme d'argent dans un compte en fiducie d'un notaire jusqu'au règlement du conflit. Le notaire peut alors, conformément aux règlements de la Loi sur le notariat, prendre un certificat de dépôt soit dans une banque, une caisse populaire ou une compagnie de fiducie, portant intérêt en faveur des parties et contrôler le déboursé des fonds selon l'entente obtenue entre les parties. Nous vous demandons donc de modifier l'article 1641 du projet pour prévoir la possibilité de faire le dépôt pour une consignation dans un compte en fiducie détenu par un notaire.

Au niveau de l'action en inopposabilité, l'article 1690 traite du cas de l'inopposabilité de certains contrats qui permet aux créanciers de faire saisir et vendre le bien qui en est l'objet et d'être payés par préférence dans la distribution du prix, sous la seule réserve des droits des créanciers qui détiennent une hypothèque sur le bien saisi. Nous aimerions ajouter que le tout devrait être également sujet aux règles d'enregistrement pour qu'un tiers de bonne foi ne puisse être pénalisé par un contrat qui aurait été enregistré et qui serait déclaré inapplicable par la suite à un créancier. Sinon, nous ne pourrions plus nous fier au registre et, dès qu'il y aurait un acte qui pourrait être assimilé à une donation, nous ne pourrions certifier le titre qu'après un délai de trois ans.

Au chapitre de la subrogation, nous connaissons certains problèmes pratiques. Actuelle ment, de plus en plus de débiteurs changent de créancier hypothécaire en demandant à leur ancien créancier de signer une quittance subrogatoire en faveur du nouveau créancier, afin d'éviter les frais d'un nouveau contrat de prêt hypothécaire et d'une quittance de l'ancien prêt.

Cette nouvelle façon de procéder peut comporter certains dangers que le débiteur ignore parfois.

Certains prêteurs attirent les emprunteurs à venir emprunter auprès de leur institution en faisant valoir des frais d'administration peu élevés de leur part que le débiteur aura à payer. On ne mentionne pas que l'ancien prêteur peut exiger également avant de consentir à la subrogation certains frais d'administration additionnels que le débiteur aura à débourser. De plus, le débiteur bénéficie parfois d'une assurance-hypothèque ou d'une assurance-invalidité à un taux avantageux et, en changeant de créancier, le débiteur peut perdre le bénéfice de telles assurances et être obligé d'en négocier de nouvelles, souvent à un taux plus élevé. De plus, nous avons été témoins de différents problèmes vécus par le nouveau prêteur quant aux procédures d'enregistrement à être effectuées lors de la signature de ces quittances subrogatoires.

C'est pourquoi nous demandons, pour que le projet de loi respecte celui des droits des sûretés réelles et de la publication des droits, que toute quittance subrogatoire qui transfère des droits susceptibles d'enregistrement ou des droits qui proviennent d'un acte authentique soit faite obligatoirement sous forme authentique. De cette façon, toutes les parties impliquées seraient mieux protégées et le tout respecterait mieux les règles d'enregistrement proposées par le législateur. C'est pourquoi le législateur devrait modifier l'article 1707 du projet en conséquence.

Au chapitre de la confusion, aux articles 1734 et suivants, nous nous demandons s'il n'y a pas lieu de prévoir le cas où un prêt hypothécaire est effectué au débiteur à même des fonds accumulés dans un régime enregistré d'épargne-retraite autogéré pour que cette hypothèque ne puisse s'éteindre par confusion. Car, le REER n'étant qu'un mode de placement, les fonds ainsi placés ne demeurent-ils pas la propriété de leur détenteur, tandis que l'institution financière concernée n'est que leur dépositaire? Comme un prêteur ne peut se consentir un prêt à lui même, on peut s'interroger sérieusement sur la validité d'un prêt effectué à même le REER de l'emprunteur.

Pour ce qui est de la vente, au chapitre de la délivrance lors de la vente d'un immeuble, l'article 1773 prévoit que le vendeur a l'obligation de remettre à l'acheteur une copie de son acte d'acquisition. Nous croyons que cette obligation devient essentielle, lorsque nous pensons aux nouvelles règles d'enregistrement des droits réels envisagées dans la réforme du Code civil.

Comme le législateur prévoit que nous procéderons à l'enregistrement par bordereau, il devient essentiel d'obtenir une copie du titre d'acquisition du vendeur. Pour s'assurer que le vendeur sera toujours en mesure de remplir son obligation, le législateur devrait exiger que tout acte d'aliénation immobilière soit fait sous forme authentique pour toujours être en mesure d'ob- tenir une copie de l'acte d'acquisition, car si cet acte avait été fait sous seing privé, il y a de très grands risques de perte et que l'on ne puisse en obtenir une copie. Il n'est pas nécessaire ici de démontrer toute la valeur de l'acte authentique, mais vous comprendrez facilement que l'acte authentique est conservé par le notaire ou son dépositaire et que l'on peut toujours en avoir une copie authentique.

Au chapitre de la vente d'entreprise, l'article 1823 prévoit que le vendeur est tenu de faire une déclaration solennelle ou sous serment qui énonce le nom et l'adresse de tous ses créanciers. En pratique, nous aurions aimé que le législateur prévoie que le vendeur soit tenu de déclarer seulement toutes les créances se rapportant directement ou indirectement au commerce qu'il entend vendre. Pourquoi mêler à cette vente de fonds de commerce le prêt hypothécaire que le vendeur détient sur sa résidence familiale, ou le prêt automobile qu'il a obtenu pour sa voiture personnelle, ou le montant qu'il doit sur sa carte de crédit personnelle?

Nous croyons qu'il y aurait lieu d'y apporter des modifications qui refléteront le but visé par cette déclaration solennelle. Nous apprécions que le vendeur soit tenu d'indiquer les sûretés se rattachant à ses créances, pour être en mesure de mieux faire valoir les privilèges de chacun des créanciers et de les payer selon leur ordre de collocation.

L'article 1827 du projet de loi prévoit que l'acheteur et le vendeur désignent, dans l'acte de vente, une personne à qui l'acheteur devra remettre pour distribution aux créanciers le prix de vente ou la partie de ce prix payable au comptant, il est important que cette personne soit neutre et impartiale, qu'elle agisse dans l'intérêt des deux parties et soit en mesure de voir au paiement des dettes relatives au commerce, selon les règles prévues à la loi et être en mesure d'obtenir les quittances ou mainlevées qui s'imposent. C'est pourquoi nous recommandons au législateur d'exiger, étant donné que la vente d'une entreprise est souvent une transaction financière importante, que les parties requièrent les services d'un notaire, conseiller juridique des plus adéquats dans les circonstances.

Vu l'article 1831, nous sommes persuadés que les parties seront beaucoup mieux protégées par l'intervention du notaire qui n'hésite pas à prendre ses responsabilités et est en mesure d'assurer l'efficacité des services professionnels qu'il rend.

Au chapitre de la donation, l'article 1875 du projet de loi prévoit les cas des donations faites par une personne hébergée au propriétaire ou à l'administrateur ou à l'employé de l'établissement de santé ou de services sociaux. (20 h 30)

Nous appuyons la position du législateur dans ce domaine, mais nous croyons qu'il y aurait lieu de faire exception à cette règle quant

à une personne qui se trouve à être hébergée dans un établissement de santé depuis plusieurs années, qui se retrouve parfois sans aucun parent ou ami et qui désire donner ou léguer des biens aux personnes mentionnées ci-dessus. À ce moment-là, pour des donations de valeur importante, le législateur pourrait exiger que la donation se fasse devant notaire pour que ce dernier puisse constater que le donateur donne un consentement libre et éclairé et que cette donation se fasse vraiment en respectant la volonté du donateur, sans aucune fraude ou influence de la part du donataire.

Nous appuyons la volonté du législateur d'exiger à l'article 1883 du projet de loi que la donation d'un bien Immeuble s'effectue, à peine de nullité, par acte notarié portant minute. Il est important à ce moment-là de vérifier auprès du donateur si cette donation est purement gratuite ou si ce dernier désire se conserver un droit de retour ou un droit d'habitation dans l'immeuble donné. Également, le notaire sera en mesure d'informer les parties de toutes les conséquences juridiques, économiques ou fiscales de la donation.

Au chapitre des ouvrages immobiliers, l'article 2190 prévoit que le professionnel peut retirer les sommes détenues en fiducie 30 jours après avoir remis au client un certificat garantissant l'exécution de ces obligations ou 30 jours après la remise d'un certificat attestant que les travaux sont substantiellement terminés et seulement après que ceux qui ont participé à la construction ou à la rénovation de l'immeuble résidentiel n'ont pas enregistré d'hypothèque légale sur l'immeuble. Comme le processus d'enregistrement s'effectue parfois avec quelques jours de retard dans certains bureaux, pour être certain qu'il n'y a pas d'hypothèque légale d'enregistrée contre l'immeuble dans le délai de 30 jours, nous croyons qu'il serait plus sécuritaire de porter le délai à 35 jours, ce qui diminuerait le risque d'erreur pour le professionnel dans un cas semblable.

Au chapitre du séquestre, les articles 2373 et suivants établissent les règles qui gouvernent le séquestre. Nous tenons à vous souligner que les notaires du Québec sont les personnes toutes désignées pour agir dans le cas de séquestre. De par sa formation, le notaire a toute la compétence et l'habilité pour agir à titre de personne neutre et impartiale entre les parties et a le souci de bien conseiller les parties sur leurs droits et obligations. C'est pourquoi le législateur ne devrait pas hésiter de par la loi à recommander un notaire comme séquestre.

Au sujet du bail à rente, l'article 2438 prévoit que le bail à rente qui affecte la propriété d'un immeuble est régi principalement par les règles du contrat de vente. Comme ce genre de contrat est susceptible d'enregistrement, il y aurait lieu de requérir la forme authentique. Cela rendrait plus facile son opposabilité aux tiers. C'est pourquoi, afin de mieux protéger l'intérêt des parties, le législateur devrait imposer la forme notariée pour le bail à rente lorsque le débitrentier s'oblige au service de la rente moyennant le transfert de la propriété d'un immeuble.

Au chapitre du contrat de consommation, l'article 2723 du projet de loi exclut de l'application des règles de ce chapitre les contrats de consommation qui doivent être constatés dans un écrit et qui sont faits par acte notarié portant minute. Le législateur vient donc reconnaître la sécurité accordée aux parties par l'acte notarié. Le notaire, en tant que conseiller juridique, doit bien faire comprendre aux parties la portée et les conséquences juridiques et économiques des contrats qu'elles signent devant lui. Ces contrats, en recevant l'authenticité, doivent refléter l'intention des parties et le notaire doit s'assurer que les parties comprennent bien le sens de leurs actes.

De plus, l'article 2719 du projet de loi, au paragraphe premier, exclut de l'application des règles de ce chapitre les contrats relatifs à la vente, au louage ou à la construction d'un immeuble. Comme une très grande majorité des actes relatifs à l'immeuble passe par l'intermédiaire d'un notaire, le législateur a cru bon, à juste titre, d'exclure ces actes de l'application des règles de ce chapitre vu que le notaire est là à titre de conseiller juridique pour bien aviser chacune des parties. C'est pourquoi le législateur ne doit pas hésiter à recourir à l'acte authentique pour accorder une meilleure protection aux consommateurs.

En ce qui concerne le chapitre du compte en fidéicommis, les articles 2738 et suivants du projet de loi prévoient les règles relatives à l'obligation du professionnel de tenir des comptes en fidéicommis. Ces règles s'appliqueront-elles aux notaires du Québec qui sont déjà assujettis à la Loi sur le notariat ainsi qu'à ses règlements? En cas de conflit, est-ce que les règles édictées par le projet de loi auront priorité, ou celles édictées par la Loi sur le notariat auront-elles préséance?

Les notaires auront-ils à informer le président de l'Office, de la protection du consommateur de l'endroit où leur compte en fidéicommis est tenu, de même que du numéro de ce compte, ou les déclarations faites à ce sujet à la Chambre des notaires du Québec, corporation professionnelle qui représente l'État, seront-elles suffisantes?

En conclusion, la Fédération des notaires du Québec, au nom de tous les notaires de pratique privée du Québec, a été heureuse d'apporter son point de vue pour que ce projet de loi soit le plus harmonieux avec la vie juridique quotidienne. Nous sommes conscients que ce n'est qu'un avant-projet de loi et qu'il y a beaucoup de choses encore à modifier, mais nous savons que ce projet de loi va toucher tous les Québécois et toutes les Québécoises dans leur vie de tous les jours. Il ne sera pas facile pour chacun d'entre

nous de bien comprendre le sens et la portée de tous ces articles de loi, vu les nouvelles idées mises de l'avant par le projet de loi, vu un vocabulaire souvent nouveau, mais nous pouvons vous assurer que les notaires du Québec se feront un devoir d'être à fa fine pointe de l'actualité juridique pour être en mesure de bien conseiller leurs clients.

C'est pourquoi, pour les actes juridiques importants, le législateur doit, pour mieux protéger l'intérêt de chacune des parties, pour diminuer les recours aux tribunaux, inciter les gens à recourir à un conseiller juridique neutre et impartial qui sera en mesure de respecter la volonté de chacune des parties à la lumière des lois nouvelles. Et nous croyons sincèrement que tous y seront gagnants.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Maintenant, je vais reconnaître M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Oui. Merci, M. le Président. Merci, M. Crête de cet exposé. Merci pour votre mémoire et d'avoir accepté de venir nous le présenter ce soir. Vous faites valoir des points particulièrement intéressants sur lesquels nous devons nous pencher. Notre tâche n'est pas facile comme législateurs de revoir des règles aussi fondamentales que celles que nous avons dans notre Code civil et qui gouvernent les relations des citoyens entre eux dans tous les éléments de la vie sociale ou économique. Dans ce contexte, vous êtes certainement des intervenants qui venez nous apporter un éclairage intéressant par votre expertise très pratique des situations que vous vivez, vous, tous les jours. Vous pouvez donc nous apporter une dimension qui est particulièrement importante pour nous et je veux vous en remercier.

Je vous entendais tout à l'heure et j'avais un certain nombre de questions, à la suite aussi de la lecture de votre mémoire, à vous poser. Il y en a une qui attirait particulièrement mon attention. C'est en ce qui regarde les offres ou promesses d'achat d'un immeuble. On sait, évidemment, qu'acheter un immeuble, une résidence, en particulier pour un citoyen ou une citoyenne, est un des actes économiques les plus importants dans sa vie. C'est un déboursé important. C'est pour cette personne un effort économique souvent très important et, par conséquent, les conséquences de son geste sont bien là et vont être là pour plusieurs années. Vous recommandez dans votre mémoire que toute offre ou toute promesse d'achat d'un immeuble soit assortie d'une faculté de dédit permettant à l'acheteur de retirer son offre ou sa promesse dans un certain délai, même... C'est cet aspect qui a soulevé beaucoup mon attention, mon intérêt si vous voulez - même après l'acceptation du vendeur, étant donné l'importance de l'acte de cet achat pour la majorité de la population.

D'une part, évidemment, vous reconnaissez l'importance de ce geste d'achat de la part du consommateur, de l'acheteur ou du citoyen, mais, d'autre part, vous reconnaissez aussi, même s'il y a eu consentement entre le vendeur et l'acheteur, échange de consentements qui devrait normalement, selon nos principes, aboutir au contrat et qu'il y a donc une acceptation d'une offre, qu'il pourrait y avoir quand même désistement, comme vous dites, dans un certain délai par l'acheteur. Pour moi, cela m'amène à bien des interrogations et je vois des complications pratiques qui pourraient survenir. Par exemple, en ce qui regarde le vendeur, celui-ci ne sera pas sûr de sa vente tant qu'il n'aura pas passé ce délai ou peut-être même jusqu'au moment où le notaire pourra certifier la vente. C'est un petit peu cela qui existe mais, dans la pratique, il reste que, lorsqu'on a une offre qui est acceptée, il y a ià un lien juridique important. Pourriez-vous, Me Crête, expliquer un peu ce point?

M. Crête: C'est sûr qu'à première vue nous venons un peu en contradiction avec les principes mêmes du droit, mais, en pratique, nous rencontrons régulièrement des gens qui viennent nous consulter, qui ont signé une offre d'achat qui a été acceptée et qui désirent se retirer. Ils ont mal évalué, disons, leurs moyens financiers ou c'est pour toutes sortes de raisons qui sont parfois valables, mais surtout parce que les conditions n'ont pas été mises dans l'offre d'achat. Souvent ces gens sont victimes de pressions de la part d'un agent ou d'un courtier qui donne l'impression de travailler pour l'acheteur ou le vendeur mais qui, en fait, agit plus pour que la transaction ait lieu. C'est devant ces faits, c'est cette réalité-là qui nous amène à faire cette suggestion. Pourquoi un consommateur qui achète un bien de consommation peut-il facilement, après 48 heures ou dans un certain délai, en vertu de la Loi sur la protection du consommateur, annuler son contrat et ne pourrait pas le faire pour l'investissement de sa vie? Dans la pratique, ce qui se passe souvent, c'est que les offres sont faites conditionnellement à l'obtention d'un prêt ou conditionnellement à telle ou telle chose. À ce moment-là, il s'ensuit un "patinage" pour que la condition ne se réalise pas.

Nous croyons que le vendeur ne serait pas plus mal dans sa situation. Cela ne l'empêcherait pas de recevoir une offre d'achat d'une autre personne pendant ce délai, sujette à ce que la première offre soit refusée. Il y aurait encore moyen de négocier.

M. Rémillard: C'est justement la conséquence que je voyais: le vendeur pourrait être privé d'accepter une autre offre, parce que vous dites bien qu'il peut accepter l'offre mais à la condition, bien sûr, que la première tombe. Or, si la première est toujours là, ii refuse d'autres offres qui peuvent être même plus alléchantes

que la première.

M. Crête: Oui, mais il peut accepter ces autres offres-là sujettes à l'acceptation par l'acheteur de la première offre. Souvent vous allez rencontrer dans la pratique des offres qui sont conditionnelles à la vente: l'acheteur signe une offre d'achat d'un immeuble, conditionnelle à la vente de son immeuble. À ce moment-là, il y a une clause, qu'on appelle de 48 heures, qui permet, advenant qu'un autre acheteur se présente, d'exercer l'option ou pas. Nous croyons que, en réalité, le vendeur ne serait pas plus mal placé qu'il ne l'est actuellement et ce délai permettrait à l'acheteur de vraiment réfléchir sur l'acte qu'il a posé parce que, souvent, ces transactions se font sous pression, se font rapidement. Nous le vivons tous les jours. (20 h 45)

M. Rémillard: Vous permettrez une autre question. Des intervenants, de petits commerçants sont venus nous dire ici à quelques reprises qu'ils se trouvaient dans des situations souvent difficiles. Je pense aux petits commerçants dans un centre commercial, par exemple, qui ont une boutique, un petit magasin, qui se trouvent dans des situations difficiles lorsqu'ils terminent leur bail, parce qu'ils ont dû faire des améliorations, des aménagements importants pour tenir commerce. Ils cessent de tenir commerce dans ce local, le bail se termine et ils sont pénalisés, parce qu'ils n'ont pas de recouvrement possible de ces sommes d'argent qu'ils ont dû investir pour l'aménagement du local. Vous considérez comme exorbitante l'idée d'une indemnité qui pourrait être accordée aux locataires à la fin du bail pour des dépenses qu'ils auraient faites pour aménager leur local loué. Vous vous interrogez sur les retombées que ce principe pourrait créer pour le locataire et même sur la hausse des loyers possible. J'avoue que j'ai un petit peu de difficulté à cerner votre cheminement à ce sujet.

M. Crête: Si ce principe est retenu, est-ce qu'il va s'appliquer aux baux qui ont déjà été signés dans le passé? Nous croyons que non; je pense que cela ne serait pas juste. Face à ce nouveau principe, nous croyons, à ce moment-là, que le locateur propriétaire, se voyant pris pour rembourser au locataire le coût de son installation, va nécessairement augmenter le coût du loyer pour prévoir ce coût-là. Il va le refiler au locataire et je ne crois pas que le locataire va être gagnant au bout de cela. Je pense qu'il faut laisser le contrat, la convention des parties s'établir. Je pense que le locataire doit être conscient, au moment où il signe un bail, qu'il aura un montant d'argent à débourser pour installer son commerce et, à ce moment-là, il devrait prévoir un bail à long terme pour amortir le coût de cette installation. Souvent, pour des baux où le bailleur, le propriétaire, demande au locataire de changer de local - cela arrive dans les centres commerciaux - à ce moment-là le bailleur s'engage à payer les frais de réinstallation et ainsi de suite. Mais, dans le cas où le locataire décide à la fin de son bail de quitter les lieux, je crois qu'il sait que cela a été prévu ainsi au début, que c'est comme cela que cela a été négocié et je ne vois pas pourquoi on appliquerait ce principe.

Moi, je pense que le locataire va se voir refiler la facture de toute façon et que ce ne sera pas tellement plus avantageux. Il ne faut pas oublier non plus que, dans les baux commerciaux, le locataire est souvent une puissance plus grande que le locateur. Quand on pense à ces grandes compagnies, des compagnies multinationales, qui louent des locaux dans des centres commerciaux, eh bien, souvent ce sont elles qui vont faire la stipulation des clauses en leur faveur. Donc, je ne crois pas que le législateur doive intervenir ici. Je pense qu'on peut laisser à chacune des parties le soin de négocier le bail, tout simplement.

M. Rémillard: Je vous remercie.

M. Crête: Cela me fait plaisir, M. le ministre.

Le Président (M. Marcil): Cela va, M. le ministre?

M. Rémillard: Très bien, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Oui, M. le député de Marquette?

M. Filion: Comme vous le vouiez.

M. Dauphin: Une ou deux, juste une ou deux questions.

Le Président (M. Marcil): Allez-y.

M. Dauphin: Alors, j'aimerais vous entretenir de l'actuel article 1688 du Code civil mais, dans l'avant-projet de loi qui nous concerne, l'article 2185 relativement à la présomption légale de responsabilité pour l'entrepreneur, l'architecte, l'ingénieur. Certains groupes intéressés, notamment l'Ordre des architectes ainsi que l'Ordre des ingénieurs, sont venus comme invités témoigner du fait que ces articles qui traitent de la présomption légale de responsabilité sont, évidemment pour eux, exorbitants. Ils vivent des situations et nous transmettent la même opinion, soit que les primes d'assurance, pour leurs membres, ont atteint des coûts astronomiques. Comme notaires praticiens, comme Fédération des notaires, j'aimerais, si vous me le permettez, M. le président, obtenir votre opinion sur l'article 2185 de l'avant-projet de loi, où il est prévu, d'ailleurs, à l'alinéa 2, que le professionnel peut se dégager de cette responsabilité s'il fait la preuve, évidemment, qu'il n'a commis aucune faute. J'aimerais vous entendre sur cette pré-

somption de responsabilité.

M. Crête: Dans le domaine de la construction, nous rencontrons beaucoup d'entrepreneurs qui fonctionnent sous le couvert d'une compagnie. On crée une compagnie par projet, une fois que le projet est fini, la compagnie disparaît et l'acheteur se retrouve devant un entrepreneur qui n'est plus là. C'est pourquoi l'acheteur a souvent recours à la responsabilité des architectes ou des ingénieurs. Je crois que ce sont des professionnels et je crois qu'ils doivent assumer leurs responsabilités comme nous, les notaires, devons assumer nos responsabilités. Quand nous faisons un acte notarié, nous en prenons la responsabilité, et pour trente ans. Je pense que si ces derniers réussissent à prouver qu'ils n'ont pas commis de faute ou qu'ils ont agi selon les règles de l'art, leur responsabilité ne sera pas plus difficile qu'elle ne l'est pour nous. Je ne vois pas, autrement, comment l'acheteur ou le consommateur ne pourrait pas avoir de recours contre un architecte ou un ingénieur qui aurait mal fait son travail. Je pense qu'on doit laisser aller les principes de base. Je comprends très bien leur situation, parce que nous vivons la même situation à un autre niveau. Je pense que cela fait partie de la vie juridique.

M. Dauphin: Eux nous demandaient justement qu'il n'y ait aucune solidarité, c'est-à-dire que la responsabilité ne soit que contractuelle, soit avec la personne qui les engage.

M. Crête: C'est difficile de partager: est-ce l'architecte ou l'ingénieur? C'est difficile. À ce moment-là, en mettant cela conjoint, chacun pourra débattre sa position et, à ce moment-là, on verra celui qui sera responsable et qui devra acquitter la note. S'ils sont tous les deux responsables, ils paieront.

M. Dauphin: Merci beaucoup. J'aurais une autre question, si vous me le permettez, M. le président, concernant l'article 1841 qui parle de la circulaire d'information. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de vous attarder sur cet article. Certains groupes nous ont dit que l'exigence d'au moins cinq unités de logement, c'était peut-être un peu trop lourd. On nous a proposé d'augmenter le nombre d'unités de logement, autrement dit que le promoteur n'ait pas à fournir la circulaire d'information à moins que ce ne soit 20 ou 25 unités de logement. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Crête: Nous nous sommes penchés sur cette question et, en principe, nous sommes d'accord avec une circulaire d'information. Nous avions arrêté notre remarque sur le fait qu'on demandait un résumé, une déclaration de copropriété. Pour nous, il semblait un peu ridicule de demander un résumé d'un document qui n'existe pas encore. Vous savez comme moi que la déclaration de copropriété sera faite après que l'immeuble sera construit, qu'on aura les plans de l'arpenteur-géomètre et son rapport qui va établir la quote-part de chacune des parties et les règles d'application. À ce moment-là, on trouvait un peu onéreux de demander de remettre un résumé de la déclaration de copropriété, on ne trouvait pas ça logique. Mais, quant à l'obligation de donner une circulaire d'information, nous sommes d'accord avec ce principe. Quant à savoir s'il faut que ce soit moins de cinq unités de logement ou plus de cinq unités de logement, c'est sûr, à un moment donné, qu'il faut mettre une démarcation.

Quant à nous, c'est sûr que, si on met dix unités, ils vont construire des neuf logements, ils vont organiser leur projet pour passer en dessous. Je pense que ceux qui ont préparé le projet ont dû étudier la question plus que nous, et je serais d'accord pour le laisser tel quel.

Le Président (M. Marcil): Cela va? M. Dauphin: D'accord.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. M. le député de Taillon.

M. Filion: Merci, M. le Président. À mon tour, je voudrais souhaiter la bienvenue aux représentants de la Fédération des notaires. J'aurais peut-être trois questions, rapidement. Premièrement, en ce qui concerne l'article 1491, c'est-à-dire la force exécutoire de l'acte authentique, si nous avons bien saisi votre mémoire aux pages 9 et 10, particulièrement, ce que vous recommandez, finalement, équivaudrait à donner au créancier le loisir de prendre possession de l'immeuble de son débiteur par dation en paiement, sans que le tribunal en contrôle le processus de réalisation, et cela en donnant une force exécutoire à l'acte authentique. À ce moment-là, si mon interprétation est la bonne... Je pense, d'ailleurs, dans les discussions que j'ai eues sur les sûretés, qu'il y a eu des commentaires semblables d'amenés par certains intervenants. À ce moment-là, s'il nie l'un ou l'autre des éléments nécessaires à la réalisation de la clause de dation en paiement, comment le débiteur qui est lésé pourra-t-il contester cette dation en paiement?

M. Crête: Je crois que vous n'étiez pas présent à la commission parlementaire sur l'avant-projet de loi sur les sûretés et l'enregistrement des droits réels. Je n'aimerais pas reprendre ici un débat qui a été fait à ce moment-là. La Chambre des notaires avait fait venir - je ne me souviens pas du nom du notaire français - un docteur en droit qui nous avait fait un exposé - je pense que votre confrère, le député de Marquette, s'en souvient - sur la force exécutoire de l'acte d'hypothèque. C'est une chose qui se fait beaucoup dans d'autres

pays. Souvent, on a tendance à laisser au créancier le pouvoir de réaliser sa garantie, par contre en conservant le principe qu'il doit agir à titre d'administrateur du bien d'autrui. En reprenant l'immeuble, il agit comme administrateur du bien d'autrui et, en liquidant cet immeuble, il doit, advenant un surplus, remettre cette somme au débiteur.

M. Filion: Cela ne répond pas à ma question.

M. Crête: Votre question était: Quel recours a-t-il? Le débiteur peut toujours prendre un recours...

M. Filion: Non. Comment le débiteur peut-il contester...

M. Crête: II peut contester.

M. Filion: ...l'un ou l'autre des éléments nécessaires à la réalisation de la clause de dation en paiement?

M. Crête: II peut toujours contester, avoir un recours devant le tribunal. Il peut contester le recours de son créancier s'il l'a lésé et s'il a des raisons valables de le faire.

M. Filion: À ce moment-là, ce sera un contrôle a posteriori de l'appareil judiciaire après la réalisation de la clause de dation en paiement. Est-ce que c'est ce que vous me dites?

M. Crête: Oui. En réalité, dans la pratique, on le voit régulièrement, le créancier obtient un jugement par défaut. La majorité des jugements que les créanciers obtiennent en dation en paiement sont obtenus par défaut. Le débiteur ne se présente même pas.

M. Filion: Oui, mais il y a un contrôle judiciaire quand même.

M. Crête: Oui.

M. Filion: Même si c'est par défaut. Si le débiteur choisit de ne pas présenter de défense, c'est parce qu'il n'y en a pas ou qu'il choisit de ne pas en présenter. Mais, dans les deux cas au moins il y a un contrôle judiciaire. Autrement, si on donne une force exécutoire à l'acte... J'essaie de comprendre cela indépendamment des opinions des juristes français. Vous voulez donner un caractère exécutoire à un acte authentique. Je suis créancier d'une hypothèque. Je voudrais réaliser ma clause de dation en paiement. Je m'en vais et je prends possession. Il me semble qu'il y a un côté un peu "cow-boy" - si vous me permettez l'expression - à l'exécution, à donner une force aussi puissante à l'acte authentique.

M. Crête: Je comprends votre scepticisme face...

M. Filion: Pardon?

M. Crête: Je comprends vos interrogations quant à cet état de choses, parce qu'on n'est pas habitués à procéder de cette façon ici. Si on regarde ce qui se fait en Ontario au chapitre des nantissements ou de telles choses, la banque reprend le bien et le revend, point final. Comprenez-vous? De plus en plus on essaie de ne pas avoir recours aux tribunaux, et c'est dans cette optique-là. Il est sûr qu'au point de départ... Par contre, quand vous signez une hypothèque, quand vous signez un acte dans lequel il y a une clause de dation en paiement, vous savez que si vous ne payez pas on peut vous donner un avis de 60 jours et qu'à l'expiration des 60 jours le créancier peut redevenir propriétaire et garder l'immeuble. Actuellement, c'est cela. Tandis que là, par la reprise en paiement, en donnant une force exécutoire, le créancier ne serait pas obligé de passer par le tribunal. Par contre, le débiteur aurait toujours la possibilité de contester ou de prendre un recours contre le tribunal s'il voit qu'il est lésé dans tout cela, s'il n'est pas d'accord.

M. Filion: Une autre question qui concerne l'article 1875. Ce n'est pas une révolution, l'article 1875 reprend l'actuel article 155 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux et fait en sorte que les dirigeants ou les employés d'un centre d'accueil - pour être plus précis - ne peuvent ni solliciter ni accepter un don ou un legs d'une personne hébergée dans un centre d'accueil. Cela peut même être un hôpital pour personnes âgées. Dans votre mémoire, à la page 34, vous nous dites: Écoutez, si cette donation a été faite par acte authentique, il y aurait peut-être lieu de la soustraire, finalement, à cette interdiction-là. Est-ce que je vous saisis bien? (21 heures)

M. Crête: Exactement, oui.

M. Filion: L'idée du législateur - cela a dû être introduit au début des années soixante-dix - n'est pas que la donation, disons que le consentement puisse être constaté par un officier, c'était plus pour faire en sorte qu'il n'y ait pas, entre les dirigeants et le personnel d'une part et les personnes hébergées d'autre part, de contact de nature autre que les soins à être accordés, en deux mots qu'il n'y ait pas de motivation pécunière directe ou indirecte. Je ne sais pas si vous me saisissez beaucoup plus.

M. Crête: Oui.

M. Filion: Je pense, plutôt que de voir si la personne est bien consentante à donner à l'infirmière qui a pris soin d'elle, etc.

M. Crête: D'ailleurs, dans le droit actuel, la personne pourrait faire la donation ou le testament en faveur de cette personne. Si personne ne conteste le don ou le legs, elle peut le garder. Comprenez-vous? Mais, on a vu, dans la pratique, des gens qui vivent dans des foyers et qui se retrouvent à un moment donné sans aucun parent, sans aucun ami. Ils sont les derniers de la lignée, comme on dit, et ils veulent laisser cela aux gens qui ont pris soin d'eux. À ce moment-là, on leur soulève cette question, que ceux-ci ne peuvent pas accepter. C'est pour cela que, pour certaines situations, il faut prévoir une exception. Je crois que si le notaire sst capable de voir que le consentement donné par le donateur est valable, que c'est bien cela qu'il veut, sans aucune influence, pourquoi pas?

M. Filion: Alors, vous aimeriez que le consentement soit constaté?

M. Crête: C'est cela. Comme cela, on éviterait la fraude, on éviterait la pression que le donataire peut faire sur le donateur pour obtenir ses biens.

M. Filion: D'accord.

M. Crète: Je pense qu'on respecterait le but visé par la loi.

M. Filion: Je vous remercie, Me Crête, de cette explication. Une dernière question qui concerne l'article 1996. Ici, c'est une combinaison des pages 40 et 62 de votre mémoire. D'abord, quelle est la position de la fédération? Est-ce que vous dites que le nouvel acquéreur d'un immeuble à logements devrait pouvoir prendre possession du logement tel que prévu à l'article 1944? Est-ce que cela impliquerait l'éviction des locataires?

M. Crête: Excusez-moi, je comprends mal votre question.

M. Filion: À la page 62 de votre mémoire, peut-être pour vous y référer, à l'article 1996.

M. Crête: Page 62, d'accord.

M. Filion: Est-ce que je dois comprendre, finalement, que la position de la fédération est la suivante: lorsqu'il y a un nouvel acquéreur d'un immeuble à logements, ce nouvel acquéreur peut prendre possession et procéder à l'éviction des locataires? Non, ce n'est pas cela.

M. Crête: II peut le faire, mais en donnant un avis de six mois avant la fin du bail.

M. Filion: II doit donc respecter les baux.

M. Crête: Oui, oui, il doit respecter. C'est notre position qu'il doit respecter le...

M. Filion: Le bail courant.

M. Crête: ...le bail tel quel. Disons que cela, est en accord avec...

M. Filion: Vous respectez pour six mois, est-ce cela?

M. Crête: II y a un délai de six mois à donner avant la fin du bail et, si le bail est d'une durée de plus de douze mois, je pense que l'avis doit être... Excusez-moi, je ne m'en souviens pas exactement, je pense que c'est douze mois également.

M. Filion: Oui, c'est cela. Alors, il y aurait quand même, par rapport aux règles actuelles, une éviction des locataires, éviction qui n'a pas lieu actuellement en vertu des règles en vigueur. Est-ce que je comprends bien votre suggestion? Est-ce que c'est là la portée de votre suggestion?

M. Crête: Actuellement, le propriétaire peut reprendre... Quelqu'un qui achète une maison...

M. Filion: Pour son propre bénéfice, en vertu des règles.

M. Crête: C'est cela, exactement.

M. Filion: Ah! c'est uniquement dans ces cas-là que vous le suggérez...

M. Crête: Oui, oui.

M. Filion: ...et non pas dans les cas... M. Crête: Non, non, on garde le statu quo. M.Filion: Vous gardez le statu quo. M. Crête: Oui, oui.

M. Filion: Je n'étais pas sûr d'avoir bien compris.

M. Crête: On garde le statu quo là-dessus.

M. Filion: C'est bien.

M. Crête: La seule chose qu'on avait là-dessus, c'est que, à un moment donné, on disait, en cas de décès du locataire, que le liquidateur avait un délai d'un mois et, à un moment donné, on se rend compte qu'il faut annuler et que cela prend un délai de trois mois. Il semblait y avoir confusion dans les délais.

M. Filion: Alors, de notre côté, M. le Président, je veux remercier Me Crête, Me Chagnon et Me Lafortune qui l'accompagnent de leur mémoire, d'avoir pris la peine de dresser ce

mémoire qui est quand même bien étoffé, qui fait part des préoccupations de la fédération.

Au nom de la formation politique que je représente, je veux vous remercier, pour une jeune fédération quand même qui n'a pas... Quel âge avez-vous comme fédération?

M. Crête: On a dix ans.

M. Filion: C'est déjà pas mal. Il s'agit là d'un travail qui a dû vous demander beaucoup d'heures.

M. Crête: Je tiens simplement à vous mentionner que la fédération est un organisme qui existe depuis dix ans. Nous n'avons pas les moyens financiers du Barreau ni de la Chambre des notaires, parce que nous sommes un mouvement volontaire de la part des notaires et nous présentons humblement ce rapport en tenant compte de nos moyens.

Nous tenons à remercier cette commission d'avoir accepté que nous soyons entendus, parce que nous savons que plusieurs organismes ont présenté des mémoires et qu'ils n'ont pas été entendus. Quant à nous, nous tenons à vous remercier de nous avoir entendus, car nous avons l'impression de jouer le rôle qui nous revient auprès de nos membres. Je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, je veux aussi remercier très sincèrement Me Crête, Me Chagnon et Me Lafortune pour la présentation de leur mémoire et cette discussion qui a pu suivre la présentation de leur mémoire, on a touché des points très importants; et pour nous c'était intéressant, puisqu'on a entendu aujourd'hui le Barreau, la Chambre des notaires et nous vous entendons ce soir. Il est intéressant de pouvoir discuter avec vous sur des points qui auront des conséquences certainement importantes en ce qui regarde cette réforme du Code civil. Donc, merci de vous être déplacés, merci pour ce mémoire et je veux vous assurer que nous prendrons en considération en réfléchissant très sérieusement aux commentaires que vous nous faites valoir dans votre mémoire. Je vous remercie.

M. Crête: Je vais profiter de l'occasion de la présence du ministre de la Justice pour lui offrir toute notre collaboration. Dans le passé, nous avons siégé à des comités en commission parlementaire et nous tenons à vous dire que nous sommes encore présents et que nous désirons toujours collaborer auprès du gouvernement dans l'élaboration de ses projets de loi.

M. Rémillard: Je vous en remercie.

Dépôt de mémoires, documents et lettres

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup de vous être présentés à cette commission parlementaire. Nous vous souhaitons un bon voyage de retour.

Avant de procéder aux remarques finales, nous allons accepter le dépôt des mémoires dont nous n'avons pu entendre les personnes et qui ont demandé que leur mémoire soit reçu et déposé à cette commission parlementaire. Donc, les mémoires pour dépôts seulement sont les mémoires de l'Association des corporations financières canadiennes, Bélanger, Sauvé, avocats, Commission des droits de la personne, Confédération des syndicats nationaux, Encon Insurance Managers inc, Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec.

À cela aussi nous allons accepter le dépôt des lettres des organismes suivants: lettre provenant du Service d'aide au consommateur, de la fédération des ACEF du Québec, de l'Association des consommateurs du Québec, du Conseil diocésain de pastorale de l'archidiocèse de Sherbrooke qui appuient la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec dans ses démarches visant à abolir la vente itinérante dans les domaines des préarrangements funéraires. Donc, tous ces documents, mémoires et lettres ont été acceptés comme dépôts.

Maintenant nous arrivons aux remarques finales et je vais inviter immédiatement le porte-parole de l'Opposition officielle à prendre le temps qui lui est accordé pour faire ses remarques finales.

M. Filion: Combien avait-on prévu de temps, M. le Président?

Le Président (M. Marcil): Vous avez environ 30 minutes allouées à chacune des parties.

Remarques finales M. Claude Filion

M. Filion: Je ne pense pas les utiliser, les épuiser en entier, Mme la députée de Groulx. Je vais quand même en prendre une petite partie, parce que, veux veux pas, on a consacré une quarantaine d'heures à ces travaux de consultation et auditions publiques. Nous avons reçu 40 mémoires, nous avons entendu 34 organismes, la salle est vide mais il y a 34 organismes qui sont venus à chaque fois avec leurs procureurs, ou dans la majorité des cas avec leurs procureurs, leurs avocats pour nous expliquer leur point de vue. Je pense qu'il est plutôt rare qu'on puisse entendre une diversité d'intervenants plus grande que cela.

Donc c'est un travail colossal de consultation que nous avons fait et qui s'inscrit bien dans ce qui avait été amorcé par l'Office de

révision du Code civil et également par les rédacteurs de l'avant projet de loi.

Quelques remarques: de façon générale, je dois vous dire qu'il m'a semblé que l'ensemble des intervenants était relativement satisfait de lavant-projet de loi. Quant à nous de l'Opposition, nous l'avons dit également lors de nos remarques introductives, nous l'avons dit aussi en cours de commission, de façon générale, je pense qu'on peut dire que cet avant-projet de loi qui couvre tous les secteurs du droit des obligations reçoit, je dirais, un accueil relativement chaleureux des intervenants.

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de critiques, s'il n'y avait pas de critiques on pourrait s'inquiéter, mais, chose certaine, cet accueil-là, quant à nous, nous inspire qu'il ne faudrait peut-être pas changer de fréquence pour ce qui est de la rédaction du projet de loi. Faire une fine modulation, sûrement, je pense que tous les intervenants vous convient, l'équipe du ministère de la Justice, à cette opération de fine modulation, mais sûrement pas un changement de fréquence; la longueur d'onde, à mon avis, semble être la bonne, même si parfois les critiques paraissent sévères. Donc, c'est la première réflexion.

Deuxième réflexion, la résistance au changement. Évidemment nous sommes dans un milieu où il y a des groupes d'intérêt, qui ont bâti, au fil des années, leur rapport de forces avec d'autres groupes d'intérêt, et ils ont chacun leur procureur, qui, au fil de la jurisprudence, a argumenté, développé son point de vue et chacun est à l'aise avec les gants de boxe de 12 onces, et l'arène comme ceci, etc. Alors comme il y a une résistance au changement, quant on leur demande d'intégrer de nouveaux concepts, bien sûr il y a une résistance et c'est normal, mais à notre avis cela ne devrait pas empêcher l'équipe, et éventuellement le législateur d'innover dans certains secteurs.

Finalement les codificateurs français, c'est au début du siècle dernier, en 1804 - me disent mes recherchistes, je ne savais pas cela - mais en 1804, avaient bâti le Code civil français, à partir des ordonnances royales, des coutumes des pays de droit coutumier et de la jurisprudence des pays de droit écrit fondé sur le droit romain. À partir de cette diversité, en 1804 on a bâti le Code civil français, cette unification se fit en poursuivant comme but, entre autres, la rédaction de textes concis, clairs et un langage familier de façon à ce que le tout soit compréhensible par tous les citoyens et citoyennes du Québec. C'est en 1804, cela a été repris en 1866. Bon, 1804 à 1988, cela fait presque 200 ans, et en ce sens-là, quitte à reprendre certaines des expressions du professeur Pineau cet après-midi ou ce matin - je dois lui dire que mes notes étaient quand même rédigées avant qu'il n'intervienne cet après-midi - je suis forcé de constater que près de 200 ans plus tard les réalités ont changé et qu'il n'est peut-être pas aussi facile d'ériger des règles simples, claires, accessibles à tous et d'application universelle à tous les citoyens. La situation n'est plus la même, le commerce et les gens ont évolué, par exemple l'identité des justiciables est un nouveau facteur, l'incorporation des entreprises publiques, des entreprises de services et même de personnes seules - qui est devenue presque la règle - alors qu'à l'époque de la rédaction du Code Napoléon et du Code civil, l'incorporation c'était l'exception. (21 h 15)

Deuxièmement, la qualité des justiciables, les mêmes personnes, qu'elles achètent un bien pour leur commerce ou pour leur foyer, c'est discutable, mais cela reste une réalité. Mais qu'elles louent un bien de consommation, un logement ou une pièce d'équipement, elles s'attendent et réclament des statuts différents, même parmi les gens qui sont intervenus devant nous, et s'attendent à des règles particulières dépendant de leur qualité de justiciables.

Troisième facteur, la fréquence des transactions. Le fait qu'une transaction soit isolée ou répétée suffira à qualifier ou non, par exemple, une personne de commerçant. La nature du bien, les distinctions sur les biens entre meubles et immeubles ne suffisent plus. Si c'est une universalité, on applique les règles de la vente d'entreprise. Si c'est un véhicule d'occasion, une motocyclette, un appareil domestique, alors, sa vente ou sa réparation obéira à des règles particulières. J'ouvre une parenthèse à ce sujet-là. Lorsqu'on nous a dit que le contrat de consommation ne devrait pas être incorporé au Code civil qui lui est un texte fondamental, le contrat de consommation est un acte fondamental maintenant. Or, il y a plusieurs intervenants qui nous ont mis en garde. Ce n'est pas mon avis. Le contrat de consommation est un acte on ne peut plus fondamental maintenant en 1988.

Également, toujours dans la nature du bien, si c'est un immeuble résidentiel de moins de cinq logements, les règles seront différentes comme on l'a vu dans l'avant-projet de loi. Il y a le statut des personnes qui est discutable aussi; mais quant au statut des personnes, aux mineurs, aux incapables, au consommateur s'ajouterait maintenant, avec la lésion, l'individu agissant pour des fins non commerciales. Bref, on constate que la diversité des intervenants, selon le contrat, le bien ou le but poursuivi, nécessite des règles différentes. Par nécessité donc, le nouveau code contiendra des règles plus diverses, plus complexes que le premier, étant le reflet même de ce qu'est notre société, de sa diversité et de sa complexité.

Un mot sur les innovations contenues dans l'avant-projet de loi. Ici, je ne voudrais pas que mes commentaires soient considérés comme étant exhaustifs. J'ai fait quelques commentaires durant cette commission parlementaire. Je le dis uniquement pour éclairer possiblement la lanterne de ceux qui ont la responsabilité de voir à ce que toutes ces règles soient cohérentes et se tien-

nent debout. Je n'ai pas cette prétention, quant à moi. Quand même, grosso modo, les innovations suivantes m'ont frappé: d'abord, l'exigence du consentement réfléchi qui est sévèrement critiqué dans plusieurs mémoires, caisses Desjardins. Moi-même, j'ai eu l'occasion de faire quelques commentaires là-dessus. Deuxièmement, l'introduction du concept de dommages punitifs qui, à mon avis, fait généralement consensus quant aux modalités qui ont été discutées. Je pense que c'est une innovation extrêmement intéressante. La lésion entre majeurs, le problème est posé et je pense que les discussions ont été très viriles, dirait le ministre de l'Éducation. Mais comme c'est sexiste d'employer ce qualificatif, disons que les discussions ont été musclées autour de l'introduction de ce nouveau concept de lésion entre majeurs.

À mon avis bien personnel, et je livre peut-être ici une expérience de praticien, lorsque les juges ont en face d'eux une situation d'exploitation indue à cause d'une disproportion dans les prestations des deux parties, je vais vous dire qu'ils trouvent généralement une façon de régler le problème. En deux mots, encore une fois, ce n'est pas un commentaire de juriste, mais de praticien, en général, il faut faire confiance aux juges. Ils n'ont pas toujours besoin d'un texte de loi leur ouvrant une porte qui, par ailleurs, pourrait s'ouvrir trop grande pour trouver dans les faits qui sont devant eux et dans le droit existant... À l'occasion, la Cour suprême le fait. Les juges de première instance font encore plus que débroussailler les règles de droit s'appliquant à une situation d'exploitation pour en trouver peut-être la justification d'un jugement qui, en fin de compte, redresserait une situation carrément injuste.

La notion de solidarité imparfaite qui a été critiquée par le Barreau. Je n'ai pas de commentaires là-dessus. Certaines notions subjectives, telles, par exemple, les attentes légitimes du créancier, me sont apparues... C'est le mot "légitime" qui semblait causer des problèmes.

La réduction du quantum du jugement dans les cas où la pleine condamnation pourrait placer le débiteur dans la gêne. Je pense que cela a été soulevé par plusieurs intervenants. Moi-même, j'ai peut-être lancé le débat sur cela au tout début de nos travaux, sans savoir ce qui viendrait nécessairement par la suite.

Le paiement par cartes de crédit qui est accepté par presque tous m'apparaît une innovation extrêmement intéressante.

Le vice de sécurité du bien, la responsabilité du fabricant et du vendeur professionnel, ces notions semblent faire l'objet d'une certaine incompréhension ou de difficultés d'interprétation. Il y a le jugement Kravitz qu'on nous a servi à ce sujet-là.

La vente d'entreprises, il n'y a pas, en tout cas, d'unanimité sur la nécessité de règles spéciales.

Sur la vente d'immeubles résidentiels, deux choses. Premièrement, la circulaire d'information me semble faire consensus et, également, j'ai trouvé intéressante cette suggestion relative à une faculté de dédit. Il y a des arguments pour et contre, mais il me semble que, dans la balance, les arguments pour ont pesé bien lourd.

Le crédit-bail, dont les dispositions sont, peut-être, à revoir selon certains.

L'Association du camionnage nous a parlé du contrat de transport. Je suis convaincu que ce mémoire-là sera étudié.

Sur le contrat de travail, bon, moi, j'avais cru suggérer, M. le ministre, une codification unique de nos lois du travail. Ce n'est peut-être pas facile à achever, mais cela m'apparaîtrait souhaitable. C'est un désir des intervenants depuis très longtemps. Tous les intervenants du milieu du travail sont en faveur d'une codification unique, ce n'est pas nécessaire de parler de refonte, mais une codification unique, c'est une chose.

Deuxièmement, en ce qui concerne le devoir de loyauté, je pense avoir, ainsi que plusieurs intervenants, souligné la nécessaire qualification de l'information qui devrait être protégée.

Et, enfin, en ce qui concerne les cas d'aliénation de l'entreprise, particulièrement à la lueur des représentations du Conseil du patronat, c'est-à-dire les représentations du Conseil du patronat, quant à moi, n'ont fait que renforcer la nécessité de garder des dispositions prévues dans l'avant-projet de loi.

Bon, le contrat d'oeuvre, on se souviendra des représentations de la construction, des professionnels, des architectes, bien sûr. Un mot sur les mécanismes de fiducie que j'ai trouvés, en tout cas, extrêmement intéressants.

En ce qui concerne la société et association, uniquement le Barreau a soulevé le problème. Évidemment, il faudrait voir si la critique du Barreau est fondée ou pas.

En ce qui concerne les assurances, j'aurais aimé pouvoir, en tout cas... que les auditions puissent justifier une modification en ce qui a trait aux conséquences des fausses déclarations et des réticences pour éviter l'annulation de tout le contrat lorsque la réticence ou la fausse déclaration ne porte que sur une partie. Le débat est là. Je ne sais pas si nécessairement les arguments ont été concluants. Il y a les remarques du BAC, par contre, en ce qui concerne les assurances qui sont intéressantes.

En ce qui concerne la consommation, diverses recommandations des ACEF, des organismes regroupant les consommateurs, de la Commission des services juridiques doivent être étudiées sérieusement. Mais, notamment, la question de la location de la voiture à long terme, la question des paiements préautorisés, des prélèvements bancaires préautorisés tels que suggérés par l'ACEF, entre autres. Il y avait les représentations originales de l'APA sur les véhicules citrons. On nous a parlé même de la loi citron. Ce n'est pas la loi elle-même qui est

citron, mais c'est une loi qui portait sur les véhicules citrons. C'est original. I! y a une réalité-là. Il y a également la possibilité d'Inclure les magnétoscopes, les télévisions.

Bref, tout cela signifie que le travail n'est certainement pas terminé. Je pense bien qu'il n'y a personne autour de la table d'ailleurs qui a cette prétention-là. Quant à nous, il était de notre devoir, M. le Président, d'entendre les représentations, ce que nous avons fait durant plus de 40 heures. Il appartiendra maintenant à l'équipe du ministère de la Justice de tenir compte des commentaires, des critiques de ceux qui ont pris le temps et la peine de nous faire valoir leurs recommandations sur cette partie du Code civil évidemment si capitale qu'est le droit sur les obligations.

Pour conclure, et je n'ai nul doute que ce sera fait, mais soyons soucieux de tendre autant que possible à une simplicité des concepts, des mécanismes juridiques. Code de procédure civile. La réforme de 1966 était une opération tout à fait souhaitable: simplicité des concepts, simplicité des mécanismes juridiques, simplicité du langage afin que ce monument qu'est le Code civil ne devienne pas un labyrinthe tant pour le plaideur que pour le justiciable. Voilà, M. le Président.

Quelques remerciements en terminant. D'abord, au personnel de la commission et, au premier chef, Me Giguère, notre secrétaire, qui a su agencer l'ensemble des contraintes de tous ces intervenants, ainsi que les gens autour de la table, pour nous construire un calendrier de consultation qui n'était pas facile à bâtir de façon cohérente. Mais je pense qu'on a réussi, c'était agréable; on a même réussi à concentrer les intervenants dans un même secteur. Il y a des journées un peu plus fatiguantes que d'autres mais, ça, c'est la vie en commission parlementaire... surtout les mercredis soir!

Deuxième série de remerciements accompagnés de voeux de bonne chance à l'équipe du ministère de la Justice: M. le juge Chasse, M. le professeur Pineau, Me Marie-José Longtin, M. le sous-ministre Cossette. Ce sont eux qui nous ont livré la matière brute et... peut-être que je viens de lui accorder une promotion? Elle est bien méritée, M. le ministre. Je m'excuse, je n'en étais pas sûr, je croyais que vous étiez sous-ministre. Donc, une série de remerciements mais, tout de suite après, mes voeux de bonne chance pour la deuxième série de l'opération.

Mes remerciements également à Me Pierre Gariépy qui m'a accompagné tout au long de cette commission parlementaire malgré certains problèmes de santé occasionnels, Me Claude Melançon et Me Marmet qui m'ont accompagné à l'occasion, et enfin à tous les intervenants, c'est-à-dire tous ceux qu'on a entendus, à vous M. le Président, au député de Marquette avec qui c'est si plaisant de travailler en commission parlementaire, à M. le ministre de la Justice. Je comprends aisément qu'il n'a pu être avec nous durant l'ensemble de ces travaux.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le député de Taillon. Maintenant je vais reconnaître M. le ministre de la Justice.

M. Gil Rémillard

M. Rémillard: Oui, M. le Président, vous me permettrez tout d'abord, moi aussi, de bien remercier ceux qui ont participé à cette commission et en tout premier lieu vous, M. le Président, pour votre travail particulièrement efficace. Je sais que ça n'a pas été le lieu où on a dû discuter très très très vigoureusement, mais on l'a fait d'une façon particulièrement intéressante, et vous avez fait en sorte qu'on puisse poursuivre en respectant l'horaire. Je pense que vous avez fait un très bon travail et je vous en remercie. Mme la secrétaire, Mme Giguère, bien sûr, comme il est de son habitude de faire un travail très efficace pour l'agencement de tous ces intervenants.

Je voudrais remercier les députés qui ont participé à cette commission. Tout d'abord, le député de Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la Justice. Je tiens à le remercier très sincèrement pour m'avoir secondé si efficacement dans tous ces travaux. Je n'ai pas pu assister du début à la fin, bien sûr, à cause des autres obligations que j'ai; en particulier en cette période de l'année, il y a le comité de législation qui demande beaucoup d'attention. Je voudrais le remercier car il a su vraiment faire un travail extrêmement efficace. Je voudrais remercier d'une façon toute spéciale Mme la députée de Groulx qui, du début à la fin, a participé d'une façon très active, M. le Président, à cette commission, toujours soucieuse de veiller à ce que nos principes collent à la réalité, et on a pu voir par ces questions cherchant la réalité... et c'est ça qui est intéressant à cette commission parlementaire, M. le Président, de voir les gens qui sont venus témoigner et qui nous expliquaient les situations qu'ils avaient à vivre dans la vraie vie. La députée de Groulx les interrogeait toujours pour savoir si les principes qu'on avançait collaient à la réalité. Je voudrais la remercier très sincèrement pour cette collaboration, remercier le député de Taillon qui, pour l'Opposition, a aussi offert une collaboration très efficace. (21 h 30)

Cela a été une commission qui nous a tous unis en fonction des mêmes objectifs, et je pense que les objectifs ont été atteints. Le député de Taillon était bien préparé, et je sais qu'il y avait Me Gariépy qui pouvait bien le préparer, Me Marmet qui a été mon assistante à l'université, qui a été membre de mon cabinet comme ministre des Affaires intergouvernementales et des Affaires internationales. Je suis donc en mesure de dire que je suis certain que le député de Taillon était bien préparé et que le travail qu'il

a fait était efficace, bien sûr, pour l'intérêt public.

Je veux remercier ceux qui, au ministère, ont travaillé à la préparation de cet avant-projet et qui auront maintenant à se mettre à leur table de travail pour colliger tous ces commentaires, et chercher l'équilibre parce que c'est vraiment le mot qu'on doit employer dans les circonstances. Les gens du comité de réforme du Code civil: M. le juge Chassé, le professeur Pineau, M. le notaire André Cossette et Mme Marie-Josée Longtin auront donc cette tâche avec l'équipe du ministère: Me Pierre Charbon-neau, Me Louise Garon, Me Louise Ringuette, Me Denise McManimam, Me France Fradette ces gens auront à travailler très fort dans les prochaines semaines, les prochains mois, pour tenter de nous préparer un projet de loi qui saura coller à cette réalité que nous avons comme société québécoise et de le préparer en fonction, bien sûr, des commentaires que nous avons reçus de tous ces intervenants.

Mes derniers remerciements vont, bien sûr, à ces intervenants qui sont venus nous présenter ces quelque 40 mémoires, qui sont venus discuter avec nous du contenu de ces mémoires.

On s'aperçoit, par le nombre d'intervenants que nous avons eus, M. le Président, que tous ont réalisé l'importance de cet avant-projet de loi, l'importance de cette démarche que nous faisons en fonction d'une pièce majeure de notre Code civil. Tous les milieux intéressés ont été représentés devant cette commission. Je pense au secteur des institutions financières, au secteur de la construction ou à celui du transport maritime et routier, au secteur des locataires, de la consommation, sans oublier les associations directement liées au milieu juridique comme le Barreau du Québec, la Chambre des notaires et la Fédération des notaires, que nous avons entendus ce soir.

Le rôle actif de tous les organismes qui ont participé à cette commission et aussi la qualité des analyses et des commentaires qui nous ont été soumis, voilà qui nous permettra certainement de mieux connaître la réalité dans laquelle nous évoluons tous, et cette réalité qui doit nous servir de base à l'élaboration des principes du droit des obligations. Je ne veux pas m'attarder sur tous les aspects abordés par l'avant-projet et discuter devant vous, dans le cadre de cette commission, de tous ces aspects qu'on a fait valoir ensemble.

Cependant, il m'apparaît important de souligner que dans la foulée des objectifs poursuivis, plusieurs points de vue sur les équilibres nécessaires que l'on doit mettre en place pour assurer une véritable justice contractuelle ont été abordés par divers intervenants. Ainsi, en matière d'obligations, je prends bonne note des réticences exprimées par certains milieux quant à des propositions qui, au premier abord, paraissent trop favoriser certaines parties ou qui, pour d'autres, paraissent insuffisantes. En effet, je dénote de l'ensemble des mémoires soumis deux principes qui sont mis en opposition, soit la liberté contractuelle des parties par rapport à la protection du consommateur. Certains organismes déplorent le caractère protectionniste du nouveau Code civil face aux consommateurs, et ce, au détriment de la liberté contractuelle des parties ou de la sécurité des transactions. Mais je pense notamment au nouveau principe de la lésion entre majeurs, je pense aux clauses abusives des contrats d'adhésion, à la protection accordée aux consommateurs en matière de construction et de vente d'immeubles résidentiels. Toutefois, M. le Président, il faut dire que plusieurs intervenants nous félicitent de ces orientations visant à donner au consommateur une juste protection. Les nombreux arguments avancés de part et d'autre nous permettront de réévaluer les impacts de ces principes et d'étudier la possibilité de concilier les points de vue de chacun.

Je suis par ailleurs conscient que la recherche d'un équilibre en ces matières doit tenir compte de tous les intérêts en présence, prenant en considération les forces respectives des parties sans oublier la possibilité de protéger les petites et moyennes entreprises. Sur le plan particulier des contrats, M. le Président, le milieu de la construction nous a brossé, par le biais de ses organismes, un tableau fort intéressant des problèmes vécus dans ce domaine. On nous a apporté des solutions de rechange à celles proposées dans l'avant-projet de loi, en matière de contrat d'oeuvre et de vente d'immeubles résidentiels, par exemple. Ces solutions seront attentivement étudiées. En ce sens, il a été particulièrement intéressant que certains organismes nous rappellent la qualité des plans de garantie qu'ils ont élaborés pour la protection des consommateurs et qui sont offerts par le biais de leurs membres entrepreneurs.

Quant au contrat de travail, plusieurs nous ont rappelé l'importance de tenir compte des règles élaborées par les lois particulières dans la Loi sur les normes du travail. Même en l'absence d'incompatibilité entre ces dispositions, nous retenons qu'il est important d'unifier les concepts en ces matières. Cependant, il est aussi important de souligner le caractère supplétif du Code civil dans le domaine du travail, en ce qu'il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger.

En matière de louage, nous évaluerons avec soin, à la lumière des recommandations soumises, la nécessité d'apporter une protection supplémentaire aux locataires, tel qu'il nous fut proposé par certains groupes. Nous tiendrons aussi compte des solutions apportées par les offices municipaux d'habitation, qui ont pour but de permettre de mieux atteindre l'objectif des logements publics qui est de venir en aide aux ménages à faible revenu.

Dans le domaine des assurances, les moyens

pour assurer une meilleure communication entre les assureurs, les intermédiaires et les assurés pourront être réévalués.

Enfin, quant au contrat de consommation, nous retenons que quelques transactions spécifiques méritent une attention particulière parce qu'elles semblent être sources d'abus sérieux au détriment des consommateurs. Je pense, M. le Président, à la location d'automobiles à long terme, à la location-achat d'appareils électroménagers ou vidéos, de même qu'au retrait préautorisé.

En fait, bien que je ne puisse m'arrêter sur tous les points soulevés devant cette commission, je tiens à rappeler la très grande qualité des mémoires qui ont été déposés et commentés. Ils nous donnent une vision fort intéressante de la réalité pratique et des enjeux de la réforme. Tous les commentaires qui nous ont été soumis feront l'objet d'une étude approfondie préalablement à la rédaction finale du projet de loi.

Pour terminer, M. le Président, je me permets de rappeler aux intervenants que nous aurons encore besoin d'eux et de leurs précieux apports dans les prochaines étapes de la réforme, notamment lors des auditions qui se tiendront au début de 1989 sur le droit de la preuve, de la prescription et du droit international privé.

Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le ministre. C'est à mon tour, comme président de cette sous-commission, de remercier tous les députés, autant ceux de l'Opposition que ceux du parti ministériel, de leur précieuse collaboration et de leur assiduité, ainsi que tout le personnel de soutien, le personnel technique et juridique, qui a bien voulu apporter sa collaboration et son support afin de rendre intéressant ce magnifique travail qui, soit dit en passant, n'est pas nécessairement facile pour les membres de cette commission qui n'ont pas cette formation juridique qu'on rencontre chez la plupart de ses membres. Mais ce fut très intéressant. Ce n'est pas le premier chapitre que l'on voit en sous-commission et je reste convaincu que la réforme du Code civil est une pièce maîtresse et qu'on n'a pas fini de recevoir des gens en consultations pour terminer ce magnifique travail qui s'impose présentement.

Je certifie que la sous-commission a rempli son mandat et fera rapport à la commission dans les meilleurs délais.

J'ajourne les travaux sine die.

(Fin de la séance à 21 h 40)

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