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(Dix heures treize minutes)
Le Président (M. Marcil): Je déclare la
séance ouverte, tout en rappelant le mandat de la sous-commission qui
est de procéder à une consultation générale et de
tenir des auditions publiques sur i'avant-projet de loi portant réforme
au Code civil du Québec du droit des obligations. Mme la
secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire: Oui, M. le Président, un seul
remplacement. Mme Harel (Maisonneuve) est remplacée par M. Filion,
député de Taillon.
Barreau du Québec
Le Président (M. Marcil): Donc, ce matin jusqu'à 13
heures nous avons l'honneur de recevoir à cette commission le Barreau du
Québec, représenté par Me Guy Gilbert, bâtonnier.
Nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission. J'aimerais vous
rappeler que nous allons tenir cette audition jusqu'à 13 heures. Vous
avez donc une heure pour présenter votre mémoire et deux heures
seront allouées aux questions des deux partis représentés
à cette table. Donc, si vous voulez bien, Me Guy Gilbert, dans un
premier temps, nous présenter les personnes qui vous accompagnent et,
dans un deuxième temps, procéder à l'explication de votre
mémoire. Merci.
M. Gilbert (Guy): M. le Président, MM. les
députés, M. le sous-ministre de la Justice, Mme la
députée, comme j'en suis à ma première apparition
en commission parlementaire, vous me permettrez de louer ces lieux et de vous
dire jusqu'à quel point j'apprécie le confort du fauteuil.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Gilbert: Pourquoi se faire nommer juge avec d'aussi bons
fauteuils? Je suis très honoré de vous présenter mon
Barreau et les personnes qui m'accompagnent pour cette présentation,
cette discussion en commission parlementaire du point de vue du Barreau face
à I'avant-projet de loi sur le traité du droit des obligations.
Je me permettrais de vous dire, M. le Président, au départ -
trève de plaisanterie encore, mais qui a son côté de
vérité - que je ne me suis jamais autant senti en conflit
d'intérêts. J'aime ce labyrinthe législatif qui nous plonge
dans la nécessité d'avoir recours aux avocats et de nous
retrouver devant les juges pour d'interminables procès, si on s'en remet
au texte de cet avant-projet. Mais comme la vocation du Barreau n'est pas
simplement le bien des avocats mais aussi la protection du public, je vais
m'étirer un peu le cou et nous allons regarder au-delà du seul
intérêt des avocats, pour vous dire certaines critiques mais aussi
notre appréciation de ce projet et vous faire valoir, je crois, des
points de vue justes et dans l'intérêt des
Québécois, à propos de ce que devrait être un bon
droit des obligations qui est, comme on le sait, la pierre angulaire de toute
l'organisation de la société. Nous ne devons pas perdre de vue
que ce dont nous discutons présentement, c'est de l'organisation de la
société, si tant est que le droit civil se veut la règle
qui régit à peu près tous les rapports entre les personnes
au plan de leurs relations comme cocitoyens.
Le traité des obligations est donc, dans ce sens-là, plus
qu'un simple projet de loi ordinaire. En un sens, c'est un effort pour refaire
une société et nous nous sommes déjà
démontrés au Barreau que ça ne se fera pas au
chronomètre. Il va falloir qu'on y apporte beaucoup de réflexion
et beaucoup de circonspection. J'aime aussi vous dire que le Barreau se
présente devant vous aujourd'hui fort, non seulement de sa
compétence juridique, puisque c'est son lot professionnel, mais fort
aussi d'un travail immense qu'il a consacré à l'étude des
projets de loi du Code civil. Je veux vous laisser savoir que, simplement dans
le cadre de la sous-commission de la réforme du droit des obligations,
les membres du Barreau qui s'y sont affairés ont consacré 3500
heures pour regarder attentivement cet avant-projet de loi et que nous avons
présentement au Barreau douze comités composés de cinq
à dix membres, selon les besoins de chaque objectif, qui travaillent
d'arrache-pied pour regarder partout dans le Code civil. Vous recevez donc, je
pense, aujourd'hui - je me permets de le dire même si j'ai l'honneur de
présider cette corporation professionnelle - une voix
singulièrement autorisée, en entendant les points de vue du
Barreau sur ce projet de loi.
Cela dit, je n'entrerai pas moi-même dans l'analyse ou
l'étude détaillée de ce qui est le propre de ce projet de
loi. Des personnes qui m'accompagnent sont plus autorisées à le
faire que moi puisqu'elles y ont mis beaucoup de leur temps. J'aimerais,
cependant, vous faire valoir, en thèse générale que le
point de vue du Barreau repose sur à peu près un seul mot, et ce
seul mot, on va l'appeler l'incertitude. Rien n'est plus mauvais, dans la loi,
que l'incertitude. Rien n'est plus mauvais pour les justiciables. L'incertitude
engendre la discussion juridique, elle crée la nécessité
de recourir aux tribunaux; elle est donc le foyer des litiges. Nous soumettons
respectueusement que ce qui nous frappe, en regardant le libellé et
l'esprit de l'institution nouvelle proposée par I'avant-projet de loi,
c'est l'incertitude dans laquelle il place les citoyens du
Québec. Deux éléments majeurs le démontrent.
Cela saute aux yeux et cela vous sera démontré plus en
détail par les personnes qui m'accompagnent.
Je crois que le langage employé dans cet avant-projet de loi
contraste énormément avec la rigoureuse clarté de la
langue française. Nous voyons apparaître, dans un style de
définition ou de concept, l'énumération assortie
d'exclusion, et tout démontre à ce moment-là que, qui
parle d'inclusion et d'exclusion laisse planer la nécessité de
discuter à savoir, si on n'a pas oublié quelque chose. Nous
sommes d'avis que cette façon d'aborder un projet de loi aussi
fondamental que celui du traité des obligations ajoute à la
confusion et à l'incertitude dont on vient de faire état. Un
autre aspect du projet de loi nous frappe, c'est que nous institutionnalisons,
dans ce traité des obligations, le régime de ce que j'appellerai,
entre guillemets, l'infantilisme juridique. Le législateur vient prendre
par la main tous ces concitoyens en leur disant: Ne vous inquiétez pas.
Si un jour vous vous êtes embarqués, entre guillemets, on verra
à ce que ce soit corrigé. Encore là, qu'est-ce que c'est
que ce régime qui vient infantiliser les citoyens et leur donner
à tous vents, au plan de l'institution la plus fondamentale de la
société, c'est-à-dire le traité des obligations, le
droit de défaire ce que des adultes ont intelligemment voulu faire, soit
dans un rapport contractuel ou dans d'autres régimes.
Ce qui nous paraîtrait un meilleur remède que
d'institutionnaliser le droit de remettre en question la validité des
contrats atteints d'une lésion entre majeurs, serait que le
législateur intervienne plus ponctuellement dans le cadre de relations
particulièrement visées, comme cela a déjà
été fait par le passé; la Loi sur la protection du
consommateur en est un exemple et la Loi sur les assurances en est un autre
exemple. L'article 2500 du Code civil dit très bien que le droit des
assurances ou les polices d'assurance ne peuvent déroger à
certaines clauses. Le législateur est intervenu pour protéger,
assurer par des institutions, démontrer ou identifier - et je cite - une
réforme permettant "de revoir l'ensemble des règles et
d'établir un équilibre nouveau entre les parties."
Institutionnaliser cette ressource, c'est placer, à mon point de vue et
au point de vue du Barreau, toute une société sur un plan
d'infantilisme juridique. Cela nous inquiète beaucoup lorsque nous
songeons encore à cette norme de départ ou à cette
inquiétude de départ qui est celle de l'incertitude
générale engendrée par cet avant-projet.
Je vais m'en tenir à ces remarques d'ouverture pour vous dire que
ce labyrinthe législatif crée une certaine angoisse dans l'esprit
des juristes les plus avertis et dans l'esprit des juristes qui s'y sont
attardés avec beaucoup d'objectivité et de sens d'analyse et de
synthèse. C'est ainsi que je voudrais vous présenter les
personnes qui m'accompagnent et qui seront là pour faire la
lumière, dans le détail, sur ce dont nous voulons vous
entretenir. Je vous présente d'abord à ma gauche, Me Richard
Nadeau, qui a présidé et préside la sous-commission sur le
droit des obligations du Barreau; le deuxième à ma droite, Me
Pierre Cimon, membre de la sous-commission sur le droit des obligations et
membre du comité de travail, d'entreprise et de service dans les
contrats nommés; à mon extrême gauche, Me Jacques LeMay,
membre de la sous-commission sur le droit des obligations et membre du
comité sur la rente et les assurances dans les contrats nommés;
à mon extrême droite, Me Paul M. Martel, membre du comité
sur la société et le mandat dans les contrats nommés; le
deuxième à ma gauche, Me Claude Masse, membre du comité
sur la consommation dans les contrats nommés et sans omettre, bien
entendu, à ma droite immédiate, Me Suzanne Vadboncoeur, qui est
la secrétaire de cette sous-commission sur le droit des obligations, et
comme vous le savez, le directeur de notre service de recherche au Barreau.
Ces personnes vous étant présentées, je vais
demander à Me Richard Nadeau, sans plus tarder, de vous dire comment le
Barreau voit les problèmes qui ressortent de cet avant-projet de loi.
Richard.
M. Nadeau (Richard): Merci, M. le bâtonnier. M. le
Président, M. le sous-ministre, Mme ou Mmes les députées,
je ne sais pas, mesdames et messieurs. Lorsque j'ai accepté d'agir comme
président de la sous-commission chargée d'étudier
l'avant-projet de loi concernant les obligations et contrats nommés
à la demande du Barreau, en février dernier, je dois l'avouer,
j'étais loin de me douter de l'ampleur du travail qui avait
été fait du côté gouvernemental et de l'ampleur de
celui qui nous attendait, tant à lire qu'à essayer de comprendre,
à décortiquer, à analyser et à tenter de faire une
critique constructive de ces 1477 articles qui risquent de révolutionner
tout notre système de droit. Sans vouloir être alarmistes, nous
croyons, en effet, que si l'avant-projet de loi devenait loi sans
transformations majeures dans beaucoup de cas, nous risquons de nous trouver
collectivement dans un chaos juridique dont nous ne devons pas espérer
émerger avant plusieurs décennies. Pourquoi, direz-vous? Tout
simplement parce que, si vous avez tous bien compris ce que vous avez lu, vous
aurez réalisé qu'on se propose, premièrement, de
transformer radicalement un concept qui soustend l'existence d'un Code civil
comme le nôtre, c'est-à-dire qu'on lui fait perdre volontairement
ou on voudrait lui faire perdre son statut de loi fondamentale, pour lui
donner, dit-on, une plus grande souplesse, une plus grande
adaptabilité.
Deuxièmement, compte tenu de ce qu'on prétend être
un changement dans les rapports de forces entre les individus et les
cocontractants, on présume d'abus et on donne au code projeté une
coloration très protectionniste, comme nous
le verrons.
Troisièmement, on change complètement son style de
rédaction et son vocabulaire, même pour des concepts qui ne sont
pas changés, de sorte qu'on lui enlève toute relation physique,
littérale ou littéraire avec le code actuel. Il faudra donc
recommencer presque toute l'étude jurisprudentielle du nouveau code.
Bien que nous comprenions le désir du gouvernement de favoriser tous les
genres de justice en leur fournissant des munitions pour plusieurs
générations à venir, nous ne croyons pas, toutefois, que
ce soit là l'objet visé et que les intentions du gouvernement
aient été de mettre plus d'argent dans les poches des avocats.
Plus sérieusement, nous ne voulons pas que ceux qui ont
dépensé beaucoup d'énergie croient que nous voulons les
écarter ou minimiser le travail qu'ils ont effectué, pas plus
qu'il ne faut conclure de notre volumineux rapport que nous voulons à
tout prix maintenir paisiblement le statu quo. Au contraire, nous avons
trouvé plusieurs innovations et suggestions de modifications fort
intéressantes et fort à propos. Dans ces cas, nous l'avons
dit.
Par contre, nous avons cru nécessaire et constructif de dire que
certains autres changements n'étaient ni souhaitables, ni
adéquats dans les circonstances et qu'ils devaient être
supprimés ou transformés radicalement selon les
circonstances.
Enfin, nous avons voulu - nous croyons que cela ressort bien clairement
de notre analyse - montrer la plus grande ouverture d'esprit possible en
tentant de ne pas contester les choix politiques ou sociaux qui ont
animé les rédacteurs de l'avant-projet. Il est cependant bien
évident que nous avons, là où nous croyons que la chose
s'imposait, formulé des mises en garde contre l'introduction de certains
principes trop protectionnistes ou trop théoriques qui risquent non
seulement de ne rien régler, mais surtout de créer un état
d'instabilité commerciale mal à propos dans une
société qui va peut-être abolir ses frontières
commerciales avec notre voisin du Sud. S'il y a une raison majeure de ne pas
tout chambarder, elle est peut-être là. Un changement radical
comme celui qui est proposé, surtout au point de vue de la forme, risque
très fort de nous placer dans la situation d'un ghetto juridique, parce
que personne, sauf peut-être ceux qui y auront travaillé de
très près et encore, ne saura dire exactement ce qu'est notre
loi, non seulement aux étrangers mais surtout à nos
concitoyens.
Avant de passer aux remarques générales que l'étude
des différentes sections nous a imposées, vous me permettrez de
vous parler un peu de la méthodologie que nous avons adoptée et
qui, me dit-on, ressemble à ce que le Barreau respecte d'habitude
lorsqu'il soumet des rapports de ce genre. Comme nous avions un nombre
impressionnant d'articles à analyser et à commenter, nous avons
réalisé rapidement que nous n'aurions pas suffisamment de temps
entre février dernier et la fin d'août, qui était notre
premier objectif, pour tout voir et tout analyser, ce qui, vous le
réaliserez, était essentiel. Nous avons donc formé un
comité principal qui s'est chargé de l'examen de la
théorie générale des obligations, c'est-à-dire des
articles 1412 à 1755 inclusivement. Ce comité a
siégé pendant 26 jours entiers à raison d'environ une
journée par semaine, ce dont plusieurs d'entre nous, d'ailleurs, ne
disposions qu'à grand-peine. Nous avons préparé un rapport
séparé et des commentaires généraux qui
apparaissent au début de ce rapport. C'est le plus volumineux de ceux
qui vous auront été remis. Pour les autres contrats nommés
et les autres sections ou titres, tels, la protection du consommateur, nous
avons dû former des sous-comités, auxquels certains d'entre nous
ont également participé, qui ont préparé des
rapports séparés qui vous ont été remis. Ces
rapports et ces analyses, article par article, sont en général
précédés de commentaires généraux, sauf dans
le cas du régime proposé des sociétés où le
comité en question, devant l'ampleur des changements et leur
inutilité et inopportunité, a choisi de ne pas y aller d'une
analyse article par article, se contentant de commentaires
généraux que nous partageons. Tous ces rapports et commentaires
ont ensuite été discutés et révisés par le
comité principal, c'est-à-dire notre sous-commission, avant de
vous être soumis. (10 h 30)
Je crois utile de vous faire part de ces commentaires de cuisine au cas
où vous auriez réalisé qu'il pouvait y avoir, à
l'occasion, des différences dans le style ou même dans la
pensée. Il s'agit d'un travail tellement considérable et
important qu'il nous aurait sans doute fallu deux fois plus de temps que ce
dont nous avons disposé. Mais, nous croyons que, malgré tout,
avec les efforts de tous ceux qui ont participé à cette oeuvre
collective, nous avons relevé, sans doute, la très grande
majorité des problèmes et avons fait des suggestions que nous
croyons très constructives. À propos, je voulais vous indiquer
que vous n'avez pas eu les rapports sur ta partie transport-affrètement,
assurance maritime et arbitrage. On m'indique que les mémoires sont
presque complets et presque prêts pour l'impression et qu'ils seront
communiqués à la commission parlementaire dès que
possible. Si jamais la commission sentait le besoin de reconvoquer le Barreau,
vous êtes les bienvenus évidemment. Nous reviendrons pour discuter
avec vous de ces quatre contrats.
Nous passons maintenant aux commentaires généraux. Les
commentaires généraux que nous avons faits résument en
général les perceptions que nous avons eues à l'analyse du
texte, analyse qui, il faut le dire, n'a pas été facilitée
par le manque de commentaires des codificateurs. Ces commentaires on les
retrouve toujours ou presque dans le cadre de chaque loi importante et qui
résument la pensée du ou des rédacteurs, à tout
le moins, aident à éclairer le lecteur sur les intentions
et sur les buts visés. Vous l'aurez vu, il y a habituellement des
commentaires dans le cadre de nos grandes lois, par exemple, le Code civil, le
Code de procédure civile et le rapport de l'Office de révision du
Code civil.
Outre certains documents de travail qui ont été
utilisés par les légistes et dont certains dataient de quelques
années, nous n'avons eu que le bénéfice du rapport de
l'ancien ministre de la Justice, l'honorable M. Marx, que nous avons obtenu par
les bons soins du sous-ministre et, encore là, la seule partie dite
publique de ce rapport. Ce qui nous a aussi cause des problèmes
réside dans le fait que le texte proposé des modifications que
l'on retrouve dans lavant-projet est à l'occasion différent - du
moins, il nous l'a semblé - de ce qui est affirmé dans ce rapport
au Conseil des ministres.
Quelle que soit la décision finale du gouvernement, il faudrait
à ce stade-là, manifestement, qu'il impose à ses
légistes la préparation de commentaires ou d'un rapport exhaustif
accompagnant le futur projet de loi ou la loi.
Les commentaires généraux relatifs à chaque section
ou groupe de sections et qui vous ont été remis font donc
état de nos inquiétudes, de nos interrogations et de nos mises en
garde. Pour les lecteurs, ils doivent servir essentiellement de grands
portraits de ce qu'ils trouveront en détail dans l'analyse article par
article où nous avons relevé, retranché, ajouté,
éliminé ou complété ce qui le nécessitait,
en donnant à chaque occasion, en troisième colonne, les raisons
qui motivaient nos suggestions.
Enfin, vous remarquerez que dans presque tous les commentaires
généraux, qui sont d'auteurs différents ou à tout
le moins d'inspirations différentes, les auteurs ont conclu unanimement
que la forme proposée, le style utilisé et le vocabulaire nouveau
n'étaient pas acceptables, étaient lourds, inutilement longs et
complexes, bref, qu'il fallait revenir en arrière, à
défaut de quoi, nous risquerions tous d'y perdre.
À vrai dire, la forme utilisée ou préconisée
par les rédacteurs ressemble à du "common law", ce qui est
déplorable surtout lorsqu'on pense à la richesse de notre langue
et de notre système de droit.
Il est illusoire, même si souhaitable, qu'on essaie de vulgariser
le Code civil, qu'on essaie de le rendre accessible à tous les citoyens
en en simplifiant le langage et en le truffant d'exemples pour aider le lecteur
à mieux comprendre, ce qui, dans le cas présent, a un effet tout
à fait contraire. Cet exercice le rend lourd quand ce n'est pas
carrément incompréhensible et tout porte à croire que les
citoyens ne le liront pas plus qu'il n'ont lu le code actuel, beaucoup plus
facilement compréhensible, malgré son âge. Tout ceci sans
compter que le nouveau vocabulaire et cette nouvelle forme devont être
interprétés par les tribunaux. Le but de simplification
recherché nous semble donc faussé au départ. Nous n'avons
aucune hésitation à dire au gouvernement qu'il est
préférable d'adapter les modifications de fond qu'il veut
apporter au code actuel, en sa forme et en son vocabulaire actuels, que de tout
changer pour n'en modifier guère plus qu'une partie que nous
évaluons à largement moins que 50 %.
Si nous passons maintenant à la théorie
générale des obligations, celle qu'on retrouve aux articles 1412
à 1755 constitue la pierre angulaire du Code civil, on y énonce
les notions fondamentales concernant les contrats, les quasi-contrats, les
délits et quasi-délits, ce qui les rend valides ou les fait
naître, ce qui les rend nuls, ce qui les annule, comment ils doivent
être interprétés et quand ils doivent l'être, leurs
effets entre les parties et les tiers, les moyens de s'exonérer dans les
cas de responsabilité, bref, tout ce qui constitue la base des relations
civiles et commerciales dans notre régime de droit.
Dans le code actuel, on retrouve l'élaboration de ces principes
aux articles 982 et suivants. Ces notions, sauf celles concernant la
responsabilité civile, sont basées sur un motif de
souveraineté et de primauté de la volonté des parties sous
la seule réserve de ce qui outrepasserait les notions d'ordre public et
de bonnes moeurs, prises dans leur sens large.
Quant au régime de responsabilité actuelle, il
édicte les conditions d'omission et de commission qui rendent quelqu'un
responsable et de quoi il est responsable. Nos tribunaux ont
interprété ces notions depuis 122 ans et notre système
s'en porte bien, est connu des justiciables et tous savent où leur
liberté s'arrête et où elle commence.
L'avant-projet de loi, comme je l'ai mentionné, aborde la
théorie générale des obligations avec une philosophie
nouvelle dominée par un désir de protection des faibles ou du
plus faible de deux contractants, en faisant souvent fi de la volonté
même des parties. On veut imposer, même à ceux qui n'en
n'ont pas besoin ou qui n'en veulent pas, des conditions ou des clauses, des
recours, des vices, des atténuations, des réductions
d'obligations qui font croire que, dorénavant, le législateur
entend s'immiscer dans tous les contrats et entend surveiller de près
toutes les transactions entre tous les citoyens, même si c'est contre
leur volonté. Tout cela, nous dit-on, dans le but de trouver et
d'instaurer un nouvel équilibre de forces entre les parties.
Nous croyons que ce choix politique est inopportun, du moins, en ce qui
concerne notre loi fondamentale. Que le législateur continue d'utiliser
les lois particulières pour contrôler les vrais abus, soit. Mais
il ne doit pas faire de notre code civil un recueil de "common law", ce qui va
nécessairement se produire si l'avant-projet de loi devient une loi.
Malgré l'introduction du concept de la lésion entre
majeurs au chapitre des obligations,
ce qui sera vraisemblablement interprété restrictivement
par les tribunaux, c'est d'abord et surtout sur le plan de la
responsabilité qu'il y a un changement de forme tellement
considérable qu'il faut s'en inquiéter. En effet, le mot
"responsabilité" lui-même disparaît presque du code pour se
transformer en l'expression "réparation du préjudice causé
à autrui" dont la simple évocation en fait frémir
plusieurs. On semble y introduire, et on le fait en partie, des notions de
responsabilité sans faute, ce qui n'est pas tout à fait ni
véritablement le cas. Ce qu'on fait toutefois, c'est d'introduire des
notions d'indemnisation sans faute, c'est-à-dire que, dans certains cas,
l'auteur d'un dommage, même incapable de faute, le mineur ou le majeur
protégé, objectivement, devra néanmoins réparation
s'il a des moyens financiers. Dans d'autres cas, on retrouve une notion qu'on
appelle la réduction de l'obligation d'indemniser, c'est-à-dire
que le juge devra tenir compte de la gravité de la faute ou de la
solvabilité du débiteur pour déterminer quel sera le ou
les montants que ce dernier devra payer aux créanciers du jugement. Ces
notions sont nouvelles et ne nous semblent pas justifiées, même si
de deux victimes, on semble avoir voulu favoriser la vraie, l'innocente. Nous
croyons qu'il s'agit d'un système dangereux et qui risque d'être
interprété de beaucoup de façons par nos tribunaux, chaque
juge ayant évidemment ses notions subjectives de ce que peut être
la gêne démesurée - j'utilise des expressions qui
reviennent - les besoins de l'avenir, la gravité, etc.
D'autres changements qu'on veut introduire concernent l'unification des
régimes délictuels et contractuels des responsabilités.
S'il est vrai que les mots se ressemblent dans les deux régimes actuels,
les notions fondamentales sont différentes et l'on ne devrait pas les
confondre, surtout si c'est uniquement pour satisfaire les théoriciens
du droit. Il y a, d'après nous, beaucoup d'autres choses à faire
pour rendre le régime contractuel mieux adapté que de le joindre
sans raison à celui des délits et quasi-délits. Nous
croyons ce choix théorique inopportun et nous sommes convaincus qu'il va
prêter inutilement à confusion.
Nous avons d'ailleurs réalisé l'existence d'un
problème tout à fait indentique en ce qui concerne la notion de
solidarité contenue à l'avant-projet. Pour des raisons qui
semblent tenir de la théorie du droit, on veut y introduire la
solidarité dite imparfaite, ce qui signifie en pratique que le
créancier qui recherche un paiement de ses codébiteurs devra
poursuivre chacun d'eux et ce, pour la seule partie proportionnelle que ce
dernier lui doit. Cette nouveauté vient du droit français,
où depuis son adoption, elle n'a fait que causer des ennuis
considérables que des dizaines de décisions des tribunaux n'ont
pas encore réglés. Nous croyons au contraire qu'il faille innover
au plan du code actuel et décréter que la solidarité
dorénavant doive toujours et dans toutes les circonstances être
parfaite, ce qui est clair et précis. Le créancier se fait payer
par le plus solvable et le plus facilement accessible de ses codébiteurs
et celui-ci se tourne contre les autres pour leur part et portion. C'est la
théorie américaine du "deep pocket" qui nous semble parfaitement
adaptée à la situation actuelle. Pourquoi, en fait,
pénaliser le créancier qui ne connaît pas, ni ne veut
connaître, les participations et les ententes de chacun de ses
codébiteurs?
Une deuxième remarque s'impose au chapitre des obligations, mais
elle peut aussi s'appliquer à tout l'avant-projet de loi que nous avons
étudié. En effet, on y retrouve très fréquemment
une référence de solution ultime à la décision des
tribunaux comme pour nous inviter à nous adresser aux tribunaux pour
qu'ils utilisent leur pouvoir discrétionnaire aux fins de
déterminer ce qui est la loi, ce qui est légitime, juste,
équitable, gênant, déraisonnable et autres expressions du
genre.
Sans vouloir pour un instant mettre en doute la capacité de nos
juges et de nos tribunaux, nous trouvons néanmoins surprenant que le
législateur, dont c'est le rôle, n'établisse pas par sa loi
des principes clairs, nets et concis que les tribunaux devront appliquer
plutôt que de leur transférer un pouvoir quasi législatif
comme on semble vouloir le faire ici. Ne trouve-t-on pas qu'il y a assez de
recours devant les tribunaux? Est-il si difficile d'écrire une loi
claire qui les réduirait, au lieu de les encourager? Le
législateur aurait-il abdiqué ses responsabilités?
Nous croyons que le législateur a un rôle à jouer et
que, dans la pensée française, il doit te jouer d'une
façon claire et précise. C'est cela le droit d'inspiration
napoléonienne et nous croyons que c'est comme cela que la situation doit
demeurer.
Passons maintenant au contrat nommé et à la protection du
consommateur. Le premier sous-groupe qui a révisé l'avant-projet
de loi sur les obligations et les contrats nommés a étudié
le chapitre de la vente et celui de la donation qu'on retrouve aux articles
1756 à 1864, pour la vente, et 1865 à 1902, pour la donation.
Quant à la vente, ce qui surprend d'abord, c'est qu'on y
introduise encore des notions fortement teintées de protectionnisme tout
en conservant le principe, et il eût été malheureux de le
laisser tomber, du consensualisme, c'est-à-dire de l'accord des parties
sur les clauses et les conditions de leur entente ou de leur marché. Si
le besoin de protection peut se justifier dans certains cas, ce qui est
déjà couvert par des lois particulières comme la Loi sur
la protection du consommateur, il nous semble inapproprié dans la
majorité des autres situations où chacune des parties a le loisir
et même l'obligation de se faire assister par un ou des experts au sens
large du mot et où, en pratique, personne qui ne soit un peu averti
n'oserait se lancer seul. Il ne faudrait surtout pas que le législateur
cherche à
surprotéger tout acquéreur en présumant que tout
vendeur essaie de le rouler. C'est malheureusement ce qui ressort des
dispositions projetées au chapitre de la vente. Qui plus est, on
remarque également que les dispositions sur la cession de
créances et de droit personnel ne se retrouvent plus à ce
chapitre, ce qui est déplorable.
Enfin, et c'est cette partie qui risque de poser le plus de
problèmes pratiques par rapport à ce qui se fait actuellement,
l'intervention proposée en matière de vente à
tempérament et de crédit-bail doit complètement
anéantir ces modes de financement. La rigidité qu'on propose et
qui peut avoir une certaine justification en matière de protection du
consommateur, n'a vraiment pas sa place dans les relations commerciales. Si le
législateur la maintient, nous croyons que ces techniques de vente,
largement utilisées pour leur souplesse actuelle, deviendront tellement
lourdes qu'il est vraisemblable de croire qu'elles seront
délaissées, ce qui nous placerait dans une situation
extrêmement défavorable par rapport à nos voisins de
l'Ouest et à ceux du Sud. Encore une fois, nous déplorons !e
manque de consultation des professionnels dans le domaine, consultations qui
auraient grandement et sagement inspiré les légistes.
Quant à la forme, on retrouve ici aussi des problèmes
chroniques de lourdeur, de multiplication des définitions et des
dispositions, de répétition des notions générales
de droit commun, d'utilisation de mots synonymes à plusieurs sauces et,
d'intervention, surtout dans des détails, dans presque tous les
détails d'ailleurs, dont les parties seules devraient s'occuper et se
préoccuper.
Il est malheureux qu'on n'ait pas conservé dans l'avant-projet de
loi la simplicité du langage et l'uniformité du vocabulaire que
nous connaissons et avec lequel nous sommes tous familiers. (10 h 45)
Quant à la partie donation, le Barreau croit que l'introduction
d'un formalisme lourd risque de compliquer inutilement une situation où
la donation devrait demeurer un contrat purement et essentiellement consensuel,
assujetti au moins de formalisme possible, sauf peut-être en
matière Immobilière, par l'enregistrement, et en matière
de donation, par contrat de mariage, lesquels sont ici, heureusement
d'ailleurs, essentiellement simplifiés, ce que nous avons
apprécié.
Le crédit-bail et le louage, un autre livre. Vous verrez, quant
au crédit-bail, que les recommandations du Barreau visent à
l'uniformité avec les autres moyens de financement dont il aurait
dû être surtout question au chapitre des sûretés
mobilières qui ont déjà fait l'objet de
représentations devant la commission parlementaire. Nous vous
référons d'ailleurs aux commentaires qui ont été
faits à cette occasion, de même qu'aux commentaires article par
article que vous retrouverez dans les textes qui vous ont été
remis.
Sur le chapitre du louage, il est bien évident que le changement
profond qu'il a subi en 1973 l'a rendu moins vieillot que certains autres
chapitres. Toutefois, nous voulons souligner quelques problèmes en ce
qui a trait aux baux commerciaux, peu touchés jusqu'ici, et faire
quelques commentaires sur le fond et la forme de certaines modifications
proposées quant aux baux résidentiels. Encore une fois, le
Barreau n'est pas d'accord avec la coloration protectionniste qu'on voudrait
donner maintenant aux dispositions concernant les baux commerciaux. On
présume encore une fois, en interdisant les clauses d'exonération
du locateur et celles concernant la responsabilité du locataire, qu'il y
a toujours un fort, le locateur, et un faible, le locataire; que le premier
veut nécessairement abuser du second et que le législateur doit y
mettre son nez. Quoi de plus irréaliste, surtout en matière
commerciale?
Faut-il vraiment croire que de grands commerçants qui louent des
espaces dans des centres commerciaux et autres immeubles sont incapables de se
défendre ou de s'assurer contre leurs responsabilités? N'est-ce
pas là s'immiscer inutilement dans les relations commerciales entre
entités capables de s'entourer et de se défendre? Quelles sont
les raisons sociales qui justifient cette intervention? Aucune, d'après
nous. Le législateur ne devrait pas se mêler de ces choses qui
n'ont d'effet qu'entre les parties et qui n'auront de cesse d'inquiéter
les commerçants et de faire augmenter inutilement le prix des loyers
commerciaux.
En matière de bail résidentiel, nos commentaires tiennent
principalement à l'absence de statut du bail verbal, à la
confusion dans l'avant-projet des notions d'habitabilité et
d'état impropre à l'habitation, à des problèmes de
réparations dites majeures et à ce qui semble être une
restriction faite dans plusieurs cas au droit fondamental du
propriétaire de reprendre possession de son logement.
Je vous ai déjà indiqué, je crois, que les rapports
concernant l'affrètement et le droit des transports suivraient et, en
général, du moins selon les indications que Me Vadboncoeur m'a
données, les modifications qui sont suggérées par le
Barreau ne sont pas tellement importantes à ce chapitre.
Nous passons maintenant aux contrats de travail et aux contrats
d'oeuvre, articles 2144 à 2201 inclusivement. Si les réformes
proposées à l'avant-projet sur le contrat de travail
cristallisent des principes émis par la doctrine, analysés par la
jurisprudence et utilisés par les personnes que cela touche et si nos
commentaires à ce chapitre tiennent donc plutôt à des
motifs de clarification ou de forme, il en va tout autrement de ce qu'on
retrouve en matière de louage d'ouvrages et de contrats d'entreprises
qu'on reprend maintenant sous une seule appellation, celle du contrat d'oeuvre.
Si l'on devait
qualifier ce chapitre traitant du contrat d'oeuvre, il faudrait tout au
moins dire qu'il est apeurant, tant par la confusion que par sa
complexité quant aux principes et au vocabulaire qu'il va créer
que parce qu'il tente encore une fois de surprotéger l'utilisateur de
services, le client du professionnel, entre guillemets, en présumant des
mauvaises intentions de celui-ci.
Pour aller un peu plus loin, disons qu'au point de vue du vocabulaire,
on y trouve les mêmes problèmes d'usage multiple d'un même
mot pour qualifier tantôt un type de personne, un employé par
exemple, et tantôt un autre type de personnes, un sous-entrepreneur, par
exemple. Le professionnel devient non pas celui qui fait partie d'une
profession reconnue par la loi, mais bien quiconque vend ou rend des services,
fut-il architecte, ingénieur, entrepreneur, sous-entrepreneur et
peut-être même fournisseur de matériaux. C'est donc risquer
de créer dans l'esprit des gens une confusion totale sur le sens que
l'on donne actuellement au mot "professionnel".
De même, on utilise des mots différents, quoique synonymes
pour décrire des mêmes choses même si c'est à des
endroits différents, par exemple: travail, ouvrage, services, oeuvre.
Cela risque donc d'amener des problèmes d'interprétation alors
qu'il eût été si facile d'être précis et
concis.
Sur le fond, la distinction entre deux seules catégories de
travail, matériel ou intellectuel, entraîne un vide important en
matière d'un troisième type qui a toujours existé
traditionnellement, soit le travail artistique. Elle crée
également un problème quant à l'obligation assumée
implicitement par le professionnel, c'est-à-dire celle de moyens ou de
résultats. Et le problème se pose, par exemple, à savoir
comment il faudra qualifier dorénavant le travail d'un chirurgien.
Est-ce que ce sera principalement intellectuel, principalement matériel?
L'obligation qui est la sienne sera-t-elle principalement de résultats,
principalement de moyens? Ce sont des questions que nous nous posons et je
pense qu'il faut se les poser.
Au chapitre des collaborateurs, c'est une autre expression, qui
apparaît dans cette partie. On permet maintenant à un
sous-entrepreneur ou à un fournisseur de matériaux, qu'on appelle
indifféremment collaborateur, de réclamer directement du
propriétaire sans même qu'il ne lui soit fait d'obligation
d'aviser le professionnel qu'on présume ici être l'entrepreneur.
Nous ne savons pas si cette notion du collaborateur pourrait s'appliquer, par
exemple, à une secrétaire d'avocat dont les gages n'auraient pas
été payés et qui pourrait communiquer directement avec un
client pour lui demander son chèque. Mais dans tout cela, qu'est-ce
qu'on fait du cas où l'entrepreneur ou le professionnel a
décidé volontairement de ne pas payer l'entrepreneur, le
sous-entrepreneur ou le fournisseur de matériaux, soit parce que le
travail a été mal effectué, qu'il n'est pas complet, ou
que les matériaux n'ont pas la qualité requise? Encore une fois,
pourquoi s'immiscer inutilement dans des relations contractuelles? Pourquoi
assujettir ainsi tout contrat à la protection par le législateur?
Nous croyons que ce chapitre entier est à reprendre et surtout qu'on
doit dissocier le louage d'ouvrages du contrat d'entreprises qui sont des
institutions bien différentes, que nous connaissons et avec lesquelles
nous sommes familiers.
Enfin, sur toute la question concernant les ouvrages
résidentiels, nous croyons que l'obligation qui est faite à
toutes les parties impliquées à ce genre de contrat, plus
particulièrement au propriétaire ou à l'entrepreneur, est
d'une lourdeur et d'un irréalisme tels que le but recherché, que
nous présumons être la protection du consommateur encore une fois,
est tout à fait faussé. En effet, on oblige le
propriétaire qui donne un contrat de rénovation ou de
construction à déposer dans un compte fiduciaire des sommes
d'argent qui seront dues à l'entrepreneur, ce qui est à tout le
moins irréaliste, rares étant les consommateurs qui
possèdent au comptant l'argent nécessaire pour payer les
réparations. Qu'arrivera-t-il donc, par exemple, si l'institution
prêteuse refuse de débourser avant que les travaux ne soient
complétés? Si le propriétaire manque à son
obligation de constituer une fiducie, quelle sera la pénalité?
Bref, toute cette section risque de compliquer très sérieusement
la situation et nous ne croyons pas que le remède recherché par
le législateur soit atteint par un texte comme celui-là qui
devrait également être repris complètement.
Mandat et société, articles 2202 à 2349. Les
propositions de modifications au chapitre concernant le mandat nous ont
semblé fort acceptables parce que essentiellement mineures. Nous n'avons
fait que quelques commentaires d'appoint que vous retrouverez aux commentaires
article par article. Toutefois, où nous trouvons les changements
proposés carrément inacceptables, c'est au chapitre traitant des
nouvelles formes de société et de l'association. Le Barreau a
trouvé les changements proposés tellement importants et peu
justifiables qu'il a été décidé de ne pas
procéder à une analyse article par article, ce qui est ici la
seule exception. Pourquoi cette position draconienne? Parce que les changements
proposés renversent complètement le régime des
sociétés que nous possédons actuellement avec toute sa
souplesse pour le remplacer par un système fort complexe dont le but
visé semble vouloir en faire des corporations ou des personnes morales
de la même manière que celles créées en vertu de la
Loi sur les corporations avec laquelle nous sommes familiers. Encore une fois,
le législateur s'immisce inutilement dans des ententes entre
associés en imposant un cadre lourd et rigoureux et en y allant jusque
dans les moindres détails. Ce n'est pas souhaitable et ne constitue
aucunement un avancement du droit sur le sujet. Nous
vous référons aux longs commentaires
généraux sur ce chapitre qui résument bien la position du
Barreau sur ce type envisagé de nouvelles personnes morales. Nous avons
d'ailleurs avec nous Me Paul Martel qui a présidé cette
sous-sous-commission et qui pourra répondre à vos questions.
Nous passons maintenant à dépôt, prêt,
cautionnement. Les chapitres concernant le dépôt et le prêt
ne présentent pas de problème majeur et les commentaires, dans
les circonstances, ont été faits beaucoup plus sur des questions
de concordance et de style que sur des questions de fond. Quant au
cautionnement, certaines remarques sur des changements de substance et des
obligations d'information ont toutefois été notées
à quelques endroits et vous pourrez voir aux commentaires article par
article les recommandations qui ont été suggérées
par notre commission.
Rentes et assurances, 2437 à 2575. Les commentaires du Barreau
sur le chapitre des rentes, et qui se retrouvent à l'analyse article par
article, nous semblent suffisants pour ne pas nous y attarder ici. C'est
surtout au chapitre des assurances que nous voulons attirer votre attention.
Même si la loi à ce sujet a été modifiée en
profondeur en 1974 et remaniée à quelques reprises depuis,
l'avant-projet voudrait aller encore plus loin en proposant des changements
considérables quant à l'obligation de déclaration des
assurés et quant au rôle des agents et courtiers. Nous croyons que
la loi actuelle sur le sujet s'harmonise malgré tout assez bien avec le
marché nord-américain de l'assurance et qu'il est tout à
fait inopportun pour notre législateur d'aller chambarder tout cela sous
un chapeau protectionniste qui risque de nous isoler du reste du continent.
Nous proposons donc des changements de fond sur plusieurs questions qui
ont été modifiées par l'avant-projet de loi, tels le
mécanisme de renouvellement du contrat d'assurance, la question des
divergences, le droit de l'assureur à la subrogation, l'obligation de
l'assuré de déclarer tout ce qui peut permettre à
l'assureur d'évaluer le risque et d'autres questions dont vous trouverez
la liste aux commentaires généraux qui précèdent ce
livret sur les rentes et assurances.
Quant à l'assurance maritime, vous n'avez pas encore le livret,
mais lorsque vous le recevrez, vous y verrez que le Barreau recommande
essentiellement que le législateur québécois aligne ses
vues sur celles que le gouvernement fédéral est
présentement en train de travailler en marge de la loi anglaise de 1906
et qui sembleraient faire relativement l'unanimité.
Quant aux jeux, paris et transactions, les dispositions qui s'y
rapportent sont de très peu d'importance et nous passons outre pour
arriver au contrat de consommation. C'est à la considération de
ce titre qu'on se rend compte de l'influence très considérable
qui s'est exercée sur les auteurs de l'avant-projet de loi. En lisant
les articles proposés au titre de la consommation qui, encore une fois,
mettent l'odieux sur une catégorie de citoyens au profit d'une autre,
vraisemblablement plus considérable en nombre, on se rend bien compte de
la raison fondamentale qui explique pourquoi tout le régime du droit des
obligations et des contrats a été transformé comme il
l'est dans l'avant-projet. Le législateur ou les légistes,
présumant qu'ils doivent protéger la majorité des citoyens
contre les vendeurs de biens et dispensateurs de services, proposent ainsi une
série de contrôles et créent des obligations dans le but
d'assurer l'équilibre dans tous les rapports qu'ils visent. Tout cela
est évidemment une question de choix politique et social et il serait
peut-être illusoire et inopportun pour le Barreau de les contester,
d'autant plus que des mesures souvent semblables existent actuellement, au
Québec et ailleurs.
Toutefois, il faut se demander si notre législateur est
justifié d'aller aussi loin. Doit-il innover, comme il le fait à
plusieurs endroits dans ce titre ou dans ce livre? Doit-il le faire à
l'intérieur du code proposé ou conserver ces mesures dans une ou
plusieurs lois particulières? Nous nous sommes posé toutes ces
questions, avons considéré plusieurs options, avons recueilli
l'opinion de plusieurs membres du Barreau pour conclure que nous avions, parmi
nos membres, diverses écoles de pensées. Alors que d'aucuns y
voient un progrès pour les consommateurs, une façon
rêvée de donner enfin à la loi de protection la place qu'on
ne lui a jamais donnée, d'autres se demandent s'il n'est pas dangereux
d'en faire la pierre angulaire de notre droit fondamental.
Nous référons le lecteur aux commentaires qui accompagnent
l'étude article par article en lui soulignant toutefois que ce titre
reflète peut-être le mieux les commentaires que nous avons faits
tout au long de notre intervention sur les lourdeurs de style, sur les
ambiguïtés fréquentes du texte, sur les problèmes
véritables que le désir de tout dire et de tout illustrer va
créer. À titre d'exemple, quoi penser des nouvelles illustrations
du professionnel, entre guillemets? Comment doit-on et qui doit-on viser par ce
mot si on lit l'article 2159 qu'on retrouve au contrat d'oeuvre et qu'on le
compare avec l'article 2790 qui parle du réparateur? L'article 2804 de
l'opérateur d'un studio de santé? Comment lire sans s'y perdre
certains articles interminables comme 2776, 2804, 2810, 2826 et 2827? De plus,
nous déplorons qu'il se retrouve un peu partout dans le projet de Code
civil des dispositions de protection qu'il eût fallu regrouper sous un
même livre. Nous avons avec nous Me Claude Masse qui a
présidé la sous-sous-commission sur la protection, et il
répondra à vos interrogations. (11 heures)
Quelles conclusions faut-il tirer de tout cet exercice un peu fastidieux
auquel nous nous sommes livrés? Je pense qu'il faut le voir
positivement, comme nous avons tenté d'être
positifs dans notre analyse de l'avant-projet. Vous aurez
remarqué ou remarquerez que nous n'avons que rarement contesté
les choix politiques du législateur et que nous avons respecté,
somme toute, les orientations protectionnistes, même si nous ne sommes
pas toujours d'accord avec leur à-propos. Toutefois, nous avons
regardé tous ces changements d'un oeil de praticien du droit qui doivent
vivre quotidiennement les réalités des tribunaux, des litiges,
des clients, tant en demande qu'en défense.
Nous croyons qu'en cette matière, nous sommes beaucoup mieux
placés pour connaître de près ces réalités
que n'ont pu l'être ou ne peuvent l'être les auteurs de
l'avant-projet de loi. Y a-t-il matière à changement dans le
sujet qui nous concerne? Certes. Y a-t-il nécessité de rajeunir
et d'adapter certains concepts de notre droit des obligations et des contrats
nommés? Évidemment. Mais pour modifier, changer, rajeunir,
adapter moins de 50 % de ces obligations et contrats nommés à une
réalité qu'on dit nouvelle, il n'était pas et n'est pas,
d'après nous, nécessaire de tout changer même et surtout la
philosophie législative qui fait partie de notre tradition et à
laquelle il nous faut tenir. Si notre droit fondamental perd son
caractère français pour s'angliciser, nous risquons de perdre ce
qui doit nous être très précieux, c'est-à-dire notre
culture légale spécifique que même le libre-échange
ne saurait attaquer, s'il vient.
Nous croyons qu'il ne faut pas que nous le perdions et qu'en
conséquence il faille repenser sous cette lumière l'avant-projet
de loi concernant les obligations et contrats nommés. En pratique - et
je terminerai là-dessus - nous croyons qu'une fois cet exercice long et
pénible fait de part et d'autre, une fois que les légistes du
gouvernement auront étudié et soupesé nos recommandations,
vraisemblablement à la lumière des vôtres, il faudra
probablement former un groupe d'étude auquel participeraient ceux qui
travaillent dans des sujets que le droit touche et qui auraient pour mission de
reformuler tout le chapitre qui demeure et doit demeurer la pierre angulaire de
notre Code civil. Avant cela, toutefois, il faut que le législateur
accepte de ne pas changer la vocation de notre code, qu'il accepte de le
conserver comme ce qu'il doit être, c'est-à-dire l'assise de notre
droit civil et, surtout, qu'il accepte de le conserver français.
Merci.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Nadeau. Je
vais maintenant inviter les deux représentants des deux partis
politiques à intervenir. En premier lieu, je vais reconnaître le
député de Marquette, adjoint parlementaire du ministre de la
Justice.
M. Dauphin: Oui, merci beaucoup, M. le Président. Tout
d'abord, j'aimerais souhaiter la bienvenue au Barreau du Québec,
représenté par son bâtonnier, Me Gilbert, ainsi que Me
Nadeau,
Me Cimon, Me LeMay, Me Martel, Me Masse, Me Vadboncoeur. Je veux tout
d'abord vous souligner, comme à l'habitude, que le Barreau avait
préparé un mémoire bien structuré, bien
étoffé, un mémoire imposant qui a demandé un
travail plus que considérable, comme le disait Me Nadeau. Au nom de mes
collègues ministériels et de l'équipe de réforme du
Code civil ainsi que du sous-ministre en titre, qui est avec nous ce matin, je
veux vous remercier pour ce travail considérable qui sera
d'extrême importance pour les codificateurs, pour l'équipe de
réforme du Code civil.
J'aimerais juste apporter un commentaire. D'ailleurs, vous parliez de
commentaires, Me Nadeau, relativement à l'absence de commentaires des
codificateurs accompagnant l'avant-projet de loi. Je veux tout simplement vous
souligner qu'il s'agit d'un avant-projet et nous sollicitons des commentaires
que vous avez très bien faits ce matin, d'ailleurs. Les commentaires
seront joints au projet de loi lorsque nous serons rendus à
l'étape du projet de loi. À ce stade-ci, nous sommes en
consultations et les commentaires suivront. Étant donné que nous
avons plusieurs questions pour vous, je sais que l'équipe de
codificateurs a également des questions pour vous et, évidemment,
mon collègue de Taillon représentant l'Opposition officielle a
beaucoup de questions également. Alors, nous allons tenter de nous
entendre. Je ne sais pas, M. le député de Taillon, si vous voulez
que je prenne tout mon temps, que nous prenions tout notre temps pour ensuite
faire l'alternance, peut-être...
M. Filion: Oui, M. le Président, je suggère qu'on
fonctionne de façon habituelle à cette commission des
institutions que je préside habituellement, c'est-à-dire selon
entente mutuelle et au fil des événements.
M. Dauphin: D'accord. Cela m'amène à une
première question qui concerne la lésion entre majeurs. Vous vous
dites opposés à l'extension de ce principe à l'ensemble
des relations contractuelles, ceci malgré d'importantes limites
prévues dans l'avant-projet de loi. Certains organismes, notamment des
organismes représentant des groupes financiers, connaissaient non
seulement le bien-fondé de ce principe "lésion entre majeurs",
mais auraient souhaité qu'il soit étendu aux entreprises. On nous
souligne également que les juridictions de "common law" connaissent une
notion semblable avec le concept de "unconscionability" et que certains codes
européens connaissent aussi cette notion, sans pour autant créer
de bouleversement majeur. Un peu comme ce fut le cas avec notre Loi sur la
protection du consommateur, est-ce que ces éléments sont
susceptibles d'atténuer vos craintes face à l'avant-projet de
loi?
M. Nadeau: Me Claude Masse me dit qu'il a des commentaires
à vous adresser.
M. Dauphin: Me Masse.
M. Masse (Claude): II y a un double problème dans le
projet. Le premier est un problème de cohérence technique.
Actuellement, dans le Code civil, nous n'avons aucun principe
général de lésion entre majeurs. Vous savez que les
articles 1040c et 1056b ne sont que des applications sectorielles. On peut
trouver souhaitable, à tout le moins en protection du consommateur,
d'avoir un principe fort de lésion entre majeurs, mais l'avant-projet de
loi instaure quatre principes différents de lésion entre majeurs,
le principal étant celui qu'on retrouve à l'article 1449. Si on
lit attentivement l'article 1449, le premier alinéa est d'inspiration
directe des travaux fort utiles, à cet égard, de l'Office de
révision du Code civil.
Cependant, le deuxième nous situe, à proprement parler,
dans une perspective de protection du consommateur. On dit: "La lésion
ne peut être invoquée que par une personne physique et seulement
si l'obligation n'est pas contractée pour l'utilité ou
l'exploitation d'une entreprise." Alors, si les représentations que les
commerçants ou certaines entreprises vous font sont acceptées, il
faudrait absolument modifier ce deuxième alinéa qui nous semble
se situer uniquement dans le cadre d'une protection du consommateur, pour
l'essentiel. Donc, si on veut garder l'article 1449 alinéa 2, il
faudrait le rapatrier dans le titre 3.
L'autre problème qui se pose, ce sont les contradictions tout
à fait claires entre l'actuel article 8, qui est repris pour l'essentiel
dans le titre 3 de l'avant-projet, et l'article 1449. Une interprétation
libérale de l'article 1449 par rapport aux dispositions du titre 3 en
matière de lésion entre majeurs qui s'appliquent au consommateur
laisse penser que l'article 1449, qui est le régime
général, est plus avantageux pour les citoyens que les
dispositions en matière de protection du consommateur. D'ailleurs, vous
avez des commentaires là-dessus dans le rapport sur la protection du
consommateur.
Donc, on a un double problème, un problème de duplication.
On peut garder, d'ailleurs, le principe à l'égard des clauses
abusives en matière de contrat d'adhésion. Donc, si on regarde
l'ensemble de ces quatre principes de lésion entre majeurs, il y a des
contradictions. Deuxièmement, il nous apparaît que le
législateur devra cibler davantage qu'il ne le fait à l'article
1449, alinéa 2, les bénéficiaires de cette protection en
matière de lésion entre majeurs.
M. Dauphin: Merci. Sur le même sujet, que pensez-vous du
point de vue qui voudrait que cette protection ou ce motif de lésion
entre majeurs soit également étendu aux entreprises? Dans
certains cas, on sait qu'il y a des entreprises moins fortes
économiquement que d'autres. On pense, par exemple, au contrat de
franchise. J'aimerais avoir le point de vue du Barreau là- dessus.
M. Nadeau: Là-dessus, évidemment c'est une question
de choix essentiellement politique. D'ailleurs, une des contradictions que nous
avons relevées à l'étude de l'avant-projet de loi, c'est
que le même acheteur, le même consommateur d'un bien a un
régime différent selon que le bien va servir à son
utilité personnelle et/ou que le bien va servir à son entreprise.
Prenons l'exemple d'un petit commerçant qui achète deux
réfrigérateurs, un pour son dépanneur et un pour sa
résidence privée; un des deux contrats va être
révisable sous le chapitre de la lésion entre majeurs et l'autre
ne le sera pas. Or, il aura vraisemblablement payé le même prix et
acheté du même vendeur. Est-ce qu'on doit aller aussi loin que
d'étendre cela à la protection du consommateur qui achète
pour une entreprise? Peut-être. Mais où est-ce qu'on arrête?
C'est cela qui va être le problème majeur: où est-ce qu'on
tire la ligne? Est-ce qu'on va devoir, dans la loi dire: Bien, s'il a un revenu
qui excède 25 000 $ ou 30 000 $ ou 40 000 $ par année, il a droit
à la protection, donc à l'invocation du principe de lésion
entre majeurs, et s'il gagne moins que cela ou plus que cela, il n'y a pas
droit? C'est un problème considérable. Là-dessus, je pense
que c'est le législateur qui devra décider, sauf que cela peut
nous mener dans une situation extrêmement complexe de savoir exactement
où cela commence et où cela arrête. Je ne sais pas si un
autre de mes collègues a des commentaires à faire.
M. Masse: L'entreprise a été tentée, M.
Dauphin, en 1978 par le gouvernement du Parti québécois lors de
la rédaction de l'avant-projet de loi sur la protection du consommateur.
Je ne donne de secret à personne en disant que cela a été
une entreprise tentée notamment par le ministre des Affaires sociales,
à l'époque, et cela a été un échec. Comment
définissez-vous la vulnérabilité d'une petite entreprise?
L'avantage du statut de consommateur, c'est qu'à partir du moment
où vous avez le statut de consommateur, c'est-à-dire que vous
êtes une personne physique qui achète pour des fins personnelles,
sans avoir à décider si vous êtes intelligent ou non
intelligent, vous avez une présomption dans certains cas
d'applicabilité de la loi. Mais le problème avec les petites
entreprises, c'est à partir de quel moment vous la définissez.
Est-ce que vous allez fixer un nombre d'employés? Cela peut être
avantageux pour certains types d'entreprises et non pas pour d'autres. Est-ce
que vous allez définir un chiffre d'affaires, etc? On a vu les
difficultés posées par cela en matière de la loi 101. En
tout cas, peut-être que vous allez trouver une solution à ce
problème sans fond. À l'époque, il n'y a pas eu de
solution qui a été trouvée et je ne pense pas qu'elle soit
trouvable. Ce qui de façon générale nous inquiète,
et, encore une fois, ce n'est pas du tout parce que
je suis contre le principe de lésion entre majeurs
personnellement, je pense cependant qu'on doit assez bien cibler encore une
fois l'objectif visé et les bénéficiaires de la
protection. Si, dans ce domaine comme dans les autres domaines de
l'avant-projet, on se réfère à la discrétion
judiciaire, on va avoir plusieurs dizaines d'années d'incertitude
profonde fondamentale de ce côté.
M. Dauphin: Merci beaucoup. M. le Président, avec votre
permission, j'aimerais poser une seconde question qui a rapport à la
clause abusive. À la page 50 de votre premier mémoire, M1, vous
vous opposez dans la définition de la clause abusive à ce que
l'avant-projet de loi se réfère à la notion d'attente
légitime de l'adhérent, pour le motif qu'elle comporte des
éléments beaucoup trop subjectifs. Alors, compte tenu que cette
notion se retrouve déjà dans le droit de nos voisins de "common
law", "reasonable expectations", et qu'elle est même codifiée en
droit louisianais, pourriez-vous préciser davantage vos
appréhensions?
M. Nadeau: Ce qui nous a troublés beaucoup quand nous
avons vu cette disposition et plus particulièrement l'expression "la
prive de ses attentes légitimes", c'est le subjectivisme auquel nous
allons devoir faire face si cette expression est retenue. Quelles sont les
attentes légitimes? On peut dire qu'il y en a autant qu'il y a de
citoyens. Cela veut dire quoi en pratique si on se place du point de vue d'un
tribunal? Est-ce qu'il devra analyser - vraisemblablement il va falloir le
faire - la personnalité, l'intellect, les connaissances de chacun des
citoyens qui se présente devant lui pour déterminer si, dans ce
cas donné, les attentes légitimes de ce débiteur ou de ce
créancier ont été respectées ou pas? Encore une
fois, ce n'est pas impossible à faire, cela doit exister ailleurs
vraisemblablement. Vous avez mentionné les régimes de "common
law" et la Louisiane. Je ne sais pas comment cela est administré
là-bas par les tribunaux. Quant à nous, on trouve que c'est
tellement subjectif. Non seulement il y aura la subjectivité de chaque
individu qui va se présenter devant la cour, mais aussi la
subjectivité de chacun des juges. On risque de se retrouver avec quelle
jurisprudence? Combien de temps va-t-il falloir pour qu'il y ait des
paramètres qui soient développés de façon que et
les juges et les justiciables et les avocats et les autres qui travaillent avec
le droit sachent où s'arrête la ligne et où elle commence?
C'est cela qui est notre inquiétude majeure.
M. Dauphin: Merci beaucoup. Une autre question relativement
à la forme des contrats. Oui, Me Vadboncoeur. (11 h 15)
Mme Vadboncoeur (Suzanne): Je m'excuse de vous avoir interrompu.
Ce qui me frappe également dans cela, ce sont les termes "attentes
légitimes" par rapport à "reasonable expecta-tions". Je pense que
"reasonable" est peut-être plus objectif comme test devant ies tribunaux
que "légitimes". Une personne peut avoir des attentes qu'elle
considère légitimes pour elle selon, comme le disait Me Nadeau,
ses valeurs, son "background" scolaire, familial, etc., mais ce ne sera pas
nécessairement légitime pour le voisin ou pour une autre personne
qui a évolué dans un autre contexte, alors que le critère
"reasonable" a été Interprété par les tribunaux de
façon objective, ce qui aide à donner une certaine certitude
juridique, particulièrement dans la jurisprudence. C'est la crainte
qu'on a exprimée à la page 50 du mémoire.
M. Cimon (Pierre): Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter un
commentaire. Il faut aussi voir cette critique dans celle beaucoup plus
générale qui est faite quant à l'introduction de notions
de "common law" qui, en soi, peuvent être excellentes, mais qui cadrent
bien mal dans notre système de droit civil et avec lesquelles on
n'arrive pas toujours aux résultats auxquels parviennent nos voisins
américains surtout. Je pense par exemple à la notion d'assurance
qui, s'il en est une, s'inspire de notions de "common law", a transposé
dans notre droit des situations semblables et où l'on s'est
aperçus à l'occasion que nos tribunaux, avec les mêmes
notions, arrivaient à des solutions tout à fait
différentes, parce que justement notre mode de penser et de fonctionner
en droit ne ressemble en rien à celui de nos voisins. Et lorsque l'on
importe ces institutions, on ne réussit pas toujours à vivre avec
elles de la même façon et on peut parvenir à des solutions
qui ne seront pas celles visées par le législateur. Notre
système de droit civil, l'idée d'avoir une loi fondamentale est
très importante et qu'on ne doit pas trop, tout au moins, la
défigurer en la modifiant par des notions de "common law" qui ne cadrent
pas avec notre système juridique, en principe.
M. Dauphin: Si vous me le permettez, M. le Président, je
vais permettre à Me André Cossette, directeur du droit civil au
ministère de la Justice, de renchérir sur le même
sujet.
M. Cossette (André): Oui. Je veux intervenir sur un point
plus spécifique. Vous semblez vous opposer d'une façon
générale à l'introduction de notions de "common law",
même si elles peuvent être utiles dans certaines circonstances. Par
ailleurs, vous semblez insister sur la présomption d'hypothèque
qui est également une notion de droit de "common law". Alors, quelle est
votre position ferme là-dessus? Votre rapport est un peu dans un sens ou
dans l'autre, selon les chapitres que l'on peut lire.
Mme Vadboncoeur: S'il est exact que dans le mémoire sur
les sûretés, on a recommandé l'introduction de la
présomption d'hypothèque, il
est également exact qu'on a réitéré cette
demande dans ce même mémoire et il est exact que la
présomption d'hypothèque est une notion de "common law".
Cela peut paraître contradictoire, mais cette notion de
présomption d'hypothèque... D'ailleurs on n'est pas ici pour
discuter du bien-fondé ou de l'inopportunité d'introduire la
présomption d'hypothèque, mais elle se veut une façon de
reconsidérer tout le domaine des sûretés et tout le domaine
des différentes clauses qui servent à donner à certains
créanciers des possibilités de réaliser leurs garanties.
Donc, c'est beaucoup plus général comme aspect. Ici et à
différents endroits où on le signalait dans le mémoire, ce
sont des notions beaucoup plus spécifiques, sectorielles et
limitées qu'on tente d'introduire.
Si je fais appel aux fameuses attentes légitimes dans les clauses
abusives, c'est quand même beaucoup plus restreint comme application.
Contrairement a la présomption d'hypothèque oui couvre tout le
secteur des sûretés, mobilières ou immobilières,
cela n'a rien à voir avec l'emprunt de certaines touches ou de certaines
notions bien spécifiques de "common law" qui, elles, peuvent venir
mêler tout notre droit civil.
M. Cimon: J'ajouterais un mot là-dessus, M. le
Président. La notion de présomption d'hypothèque est, en
fait, une technique beaucoup plus qu'une notion de droit. C'est un
véhicule, alors que je croirais que la plupart de nos commentaires
prudents sur les importations de la "common law" ont trait à ce qui
tient plus à l'équité ou à l'application de
l'équité. Ceci nécessite l'intervention des tribunaux sans
le bénéfice des lignes directrices de la législation et
ceci laisse beaucoup à l'appréciation des juges, sans toujours
leur donner tous les éléments nécessaires pour les guider,
ce qui ne cadre pas totalement, tout au moins, dans le système de droit
civil.
M. Dauphin: Merci, Me Cimon. Avec la permission de la
présidence, j'aimerais également autoriser le professeur Jean
Pinault, qui est un des codificateurs, à poser une question sur le
même sujet.
M. Pineau (Jean): Le Barreau s'oppose à l'article 1484 sur
la clause abusive qui essaie de définir, dans le deuxième
alinéa, ce qu'est une clause abusive. Je ne sais si le Barreau a fait
l'exercice, mais il n'est pas aisé de définir ce qu'est une
clause abusive. L'Office de révision, pour sa part, proposait un article
76 qui se lisait ainsi: "La clause abusive d'un contrat est annulable ou
réductible", point. N'est-ce pas donner ouverture à une
intervention des tribunaux, plus encore à une appréciation
subjective davantage importante dans la formulation de l'article 76 qui est
claire et concise - c'est le moins qu'on puisse dire - de type français,
tout à fait conforme à la culture juridique française et
au style français? Mais j'imagine qu'il y aurait une jurisprudence d'une
abondance extraordinaire si on maintenait un tel article.
Est-ce que le Barreau préférerait la solution
française qui, curieusement, a établi une liste que je dirais
administrative des clauses abusives? L'administration a rédigé
des clauses qui sont réputées abusives. Donc, dès que l'on
rencontre une telle clause, la clause en question est annulable. C'est sans
doute une technique qui est peut-être intéressante, sauf qu'il
existe des avocats qui ont du génie ou, tout au moins, qui sont
ingénieux et qui sont capables de fabriquer des clauses qui ne sont pas
conformes à la clause qui se trouve dans la liste des prohibitions et
qui sont tout aussi abusives que les clauses proprement interdites. Alors,
où se situe le Barreau de ce point de vue-là?
M. Nadeau: Avec beaucoup de respect, je vous réfère
à la page 49 du cahier sur la Théorie générale
des obligations. Vous verrez que nous avons maintenu à peu
près la totalité de la description ou de la définition qui
était donnée par les légistes de l'abusivité, entre
guillemets, des clauses. Ce que nous en avons extrait, c'est l'expression "la
prive de ses attentes légitimes". C'est à peu près la
seule chose que nous ayons retirée, nous avons gardé à peu
près tout le restant. Alors, nous sommes d'accord. Ce n'est pas facile.
Nous avons d'ailleurs travaillé très fort pour essayer de trouver
une définition de ce que peut être une clause abusive et,
finalement, avons opiné dans le sens que les légistes avaient
choisi, à l'exception - dont nous avons parlé tantôt - de
la notion très subjective "d'attentes légitimes". Me Masse a un
commentaire aussi.
M. Masse: On peut aller à une contradiction apparente
entre l'article 1484 et les clauses d'exonération de
responsabilité. On va admettre assez facilement que les clauses
d'exonération de responsabilité sont, dans l'immense
majorité des cas, le plus bel exemple de clauses abusives. Or, d'une
part, on a l'article 1484 qui donne aux juges un pouvoir discrétionnaire
assez grand pour juger de ce qui est légitimement admissible et, d'autre
part - cela m'apparaît paradoxal - on a les articles 1531 et 1532 qui,
dans le premier cas, permettant au fabricant de s'exonérer, à
tout le moins pou' les dommages matériels, à raison des risques
d'innovation technologique.
Je soumets respectueusement que s'il y a un domaine où on
n'aurait pas dû permettre au fabricant de s'éxonérer en
raison des risques qu'un produit peut causer, c'est bien celui-là. Donc,
il m'apparaît y avoir une contradiction entre le caractère assez
rigoureux du principe général et l'application qu'on en fait.
Un deuxième exemple, c'est l'article 1532. On dit qu'une personne
ne peut exclure ou limiter son obligation de réparer le préjudice
par sa faute intentionnelle non plus que par sa faute lourde, et le reste
s'ensuit. D'abord, je veux faire remarquer que la notion de faute lourde
qui est abordée, à ma connaissance au mois à douze
reprises dans le projet de loi n'est absolument pas opérationnelle. Je
défie qui que ce soit comme juriste de me dire quelle est la
différence entre une faute lourde et une faute normale. J'ai fait, avant
de venir ici, un examen attentif de la jurisprudence depuis 110 ans
là-dessus, c'est une notion d'une ambiguïté
considérable qui ne règle rien. Mais je reviens aux commentaires
sur l'article 1532. Je dois donc conclure qu'une personne pourrait s'exclure,
exclure sa responsabilité pour des dommages matériels, en raison
de sa faute normale ou sa faute légère. Or, je soumets que c'est
un beau cas de l'application de l'article 1484. Donc, ce qui me fait
personnellement le plus problème dans l'article 1484, c'est la jonction
qu'on fait entre ce principe général qui est fort louable mais,
prétend-on, assez flou et l'application en matière de clauses
d'exonération de responsabilité qui, elles, sont
véritablement, historiquement en tout cas, les plus beaux cas
d'exploitation ou d'abus contractuel dans ce type de contrat.
Le Président (M. Marcil): Sur la même question, je
vais reconnaître... Oui, Me Gilbert.
M. Gilbert: J'aimerais répondre parce que, vraiment, on
est au coeur de toute cette discussion. J'adresse mon interrogation au
professeur Pinault. Qu'est-ce qui ne va pas avec le consensualisme contractuel
au Québec? Qu'est-ce qu'il y a qui ne va pas?
Le Président (M. Marcil): Allez-y, monsieur.
M. Gilbert: Je me pose encore cette question-là
après avoir lu et vu tout cet acharnement qu'on a à essayer de le
dépister. Pourquoi se donner tout ce trouble? Le législateur nous
a déjà dit que, quand il n'y a pas de consentement, il y a vice
à la base du contrat. Si, un jour, on trouve à l'intérieur
d'une relation contractuelle un défaut de consentement, soit en raison
de l'incapacité du contractant, soit en raison de l'objet qui n'avait
pas été envisagé, est-ce qu'on n'est pas bien servi?
Qu'est-ce que c'est que tout ce trouble qu'on se donne d'essayer de
prévenir et de pévoir tous les cas où il y aura eu vice de
consentement? Parce que c'est tout cela, le langage qu'on parle, qu'on tient.
On essaie de dire: On va vous démontrer qu'il y aura eu vice de
consentement quand il y aura clause abusive, quand il y aura eu ci, quand il y
aura eu lésion. Je n'ai pas besoin de me faire dire cela. D'abord, je
pense que le législateur a encore le souci de voir dans sa
société des gens responsables. Quand les situations seront trop
complexes pour que les gens responsables puissent se comporter raisonnablement
les uns face aux autres, le législateur prendra le soin de venir en
aide, à l'occasion, à certaines catégories de
contractants. Il le fait en marge des ventes sous pression. Il le fait en marge
du contrat d'assurance qui est un contrat complexe où le consentement
est atteint à travers la complexité de la police d'assurance. Le
législateur a bien pris soin de dire: Un contrat d'assurance, c'est
comme cela que ça va se faire, c'est de la belle protection, cela.
Même si vous dérogez, voici les articles auxquels vous n'avez pas
le droit de déroger dans un contrat d'assurance. Je trouve que c'est
bon. Mais quand on part en peur et qu'on veut infantiliser toutes les relations
civiles, je me dis qu'on va créer un tel état d'incertitude qu'on
va commettre le péché capital, le grand péché qui,
à mon point de vue, laisse tous les autres en péchés
véniels. Je pose encore ma question: Qu'est-ce qui ne va pas dans notre
consensualisme contractuel au Québec?
Le Président (M. Marcil): M. le professeur Pineau.
M. Pineau: M. le Président, je demanderai simplement si
nous sommes encore au XIXe siècle et si la théorie de l'autonomie
de la volonté a l'impact et la force qu'elle avait au XIXe
siècle, cette théorie, sur laquelle a reposé tout le droit
civil français et tout le droit civil du Bas-Canada. Et s'il n'y a pas
d'abus, je pose la question suivante: Pourquoi a-t-on adopté une Loi sur
la protection du consommateur?
M. Gilbert: Je répondrai à M. Pineau: Voilà
une intervention ponctuelle du législateur. Je pense que c'est là
qu'est l'inquiétude du Barreau. Vous voulez institutionnaliser
l'incapacité entre des majeurs. Je dis: Pourquoi ne pas simplement la
cerner dans des cas particuliers où se démontre l'abus? C'est une
mine d'or pour les avocats, ce que vous faites là. S'il fallait qu'ils
m'entendent vous parler comme cela aujourd'hui, ils diraient: Bâtonnier,
voulez-vous revenir au plus vite? (11 h 30)
Le Président (M. Marcil): Oui, M. le professeur
Pineau.
M. Pineau: M. le Président, je répondrai simplement
à cela que l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur, qui
prône la nullité du contrat sur la base de la lésion, n'a
pas donné lieu à une jurisprudence délirante
jusqu'à présent.
Une voix: M. Masse.
M. Masse: II y a une raison à cela et c'est pourquoi mon
comité favorise l'introduction du titre 3 en matière de
consommation. C'est une loi à caractère très
dérogatoire. Je suis tout à fait d'accord pour dire que
l'introduction des nouvelles dispositions en matière de lésion
entre majeurs au titre 3, notamment en matière d'exonération de
responsabilité, va faire beaucoup pour vulgariser le droit à la
consommation et le répandre, surtout parmi les avocats de for-
mation traditionnelle. Mais je crains personnellement - et c'est mon
commentaire général - qu'on introduise trop de principes de
protection dans le cadre des titres 1 et 2.
Je ne citerais pour illustration que l'article 1666, qui, comme
civiliste, me paraît quelque chose de très surprenant.
Plutôt que de compenser le dommage réel, le juge, dans sa sagesse,
pourra donner ce qu'il considère être raisonnable pour ne pas
exposer le débiteur à la gêne. On introduit une foule de
notions qui sont des flous juridiques considérables pour lesquels je me
bats en matière de protection du consommateur. Mais, comme civiliste qui
enseigne la responsabilité civile, notamment depuis quatorze ans, je me
dis: À quoi va-ton donner lieu avec cela? C'est vraiment l'espèce
d'équilibre entre le consensualisme qui existe peu souvent, mais qui
existe surtout en matière commerciale je pense, et la protection du
consommateur. Je pense qu'ici le législateur doit faire cet arbitrage.
Mais à vouloir rapatrier tellement de principes généraux
de la protection du consommateur dans le cadre des titres 1 et 2, on risque
purement et simplement de discréditer l'opération, ce que je
crains et cela peut apparaître assez surprenant. Mais, entre nous, je
pense que l'article 1484 aurait une vocation fantastique dans le cadre du titre
3, peut-être pas nécessairement dans le cadre des titres 1 et 2.
On n'est peut-être pas prêts à cela, comme
société.
Le Président (M. Marcil): Merci, Me Masse. Je vais revenir
au député de Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la
Justice.
NI. Dauphin: Je sais que nous avons plusieurs questions, mais mon
collègue de Taillon me faisait signe tantôt qu'il...
Le Président (M. Marcil): Qu'il voulait intervenir?
M. Dauphin: ...acceptait notre proposition du début.
M. Filion: C'est cela, exactement. Dans le même sens...
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Taillon.
M. Filion: D'abord, c'est à mon tour de souhaiter la plus
cordiale bienvenue aux représentants du Barreau. Je voudrais leur
présenter les gens qui m'accompagnent et qui sont susceptibles de leur
poser des questions, Me Pierre Gariépy, à ma droite et Me Marie
Marmet, à ma gauche, qui m'ont assisté dans la préparation
de cette commission parlementaire qui me rappelle, M. le bâtonnier, mes
examens du Barreau, en 1969. C'est un vrai bain de Code civil que j'ai eu
l'occasion de prendre depuis déjà plus de deux semaines et en
excellente compagnie. Nous avons eu l'occasion, durant les cinq
premières journées de cette commission parlementaire, de voir
défiler beaucoup de groupes d'intérêt de notre
société québécoise qui sont venus
généralement accompagnés de membres de votre et notre
corporation professionnelle, le Barreau. Ils ont expliqué leur point de
vue sur un avant-projet de loi qui constitue certes un ensemble de propositions
innovatrices dans un chapitre, celui du droit des obligations, une clé
de voûte de notre droit civil et donc de nos rapports collectifs et
individuels ici, au Québec. C'est une expérience absolument
enrichissante. Et le débat qui vient d'avoir lieu entre M. le professeur
Pineau et les représentants du Barreau illustre bien la qualité
des interventions que nous avons eues à cette commission
parlementaire.
Je voudrais, bien sûr, signaler le caractère absolument
titanesque du travail effectué par le Barreau, titanesque, non pas dans
le sens du Titanic, mais dans le sens de titan. On ne tient pas ici, dans cette
enceinte, de livre des records Guinness, mais il s'agit probablement du
mémoire le plus substantiel, en tout cas...
Le Président (M. Marcil): II manque encore trois parties,
je crois.
M. Filion: Comme il a été souligné, il
manque encore certaines parties sur le transport, l'affrètement et
l'assurance maritime, sauf erreur. À ma connaissance - et on me
corrigera, particulièrement le député de Marquette dont
l'expérience parlementaire est plus grande que la mienne - il s'agit -
en tout cas de ce que j'ai vu - du mémoire le plus substantif et
substantiel qu'il m'a été donné de voir sur un
avant-projet de loi.
Des remarques de votre mémoire, je retiens évidemment
plusieurs choses spécifiques. Mais de façon
générale d'abord, je retiens la sagesse. C'est une leçon
de sagesse qu'on donne au législateur quant à la
nécessité, dans ce type d'exercice, de procéder par
avant-projet de loi. Si nous en étions à l'étape du projet
de loi, je dois vous dire que le législateur aurait besoin de travailler
et de mettre les bouchées triples pour adopter ça dans une
période de temps raisonnable. Heureusement, c'est un avant-projet de
loi.
Vos remarques, celles de l'ensemble des intervenants, sont
versées dans ce que j'ai appelé depuis deux semaines, la grande
bouilloire, la grande marmite. L'équipe du ministère de la
Justice verra à faire en sorte que le produit du projet de loi soit
cohérent mais tienne compte aussi de l'ensemble des commentaires qui ont
été faits par le Barreau, par la Chambre des notaires et les
autres intervenants.
Deuxième lecon. Je pense qu'il faut retirer de cette intervention
musclée du Barreau et M. le bâtonnier, tantôt, le
résumait un petit peu à sa façon en disant: Cela ne se
fera pas au chronomètre. Je l'ai dit souvent aux gens d'en
face et de façon absolument dénuée de toute
partisanerie, c'est une erreur, à mon sens, de concevoir un Code civil
parfait qui va nous arriver par la grâce des dieux et que l'on pourrait
déposer dans une limite de temps raisonnable. Quand l'ex-ministre de la
Justice, le député de D'Arcy-McGee - avec tout le respect que
j'ai pour le député de D'Arcy-McGee - avait dit en 1985-1986 que
le Code civil serait en vigueur, croyez-le ou pas, en 1888-1889, pardon
1988-1989. Aujourd'hui, à l'aube de 1989, on peut voir le Code civil. Il
y a la loi 20 qui a été adoptée. Quant à moi je
sais que l'entrée en vigueur de la loi 20 pose des problèmes mais
ii ne faut pas chercher, à mon avis, à créer Rome ou Paris
ou les deux en même temps dans une seule journée. Bâtir un
Code civil, c'est une oeuvre - si vous me permettez d'employer une expression
litigieuse de l'avant-projet de loi -absolument colossale. Donc,
deuxième leçon à retirer directement des propos du Barreau
du Québec.
Maintenant, sur le fond justement, le Barreau a noté à
juste titre que l'avant-projet de loi comportait des changements profonds tant
dans la philosophie du Code civil que dans son vocabulaire. Il souligne les
remous considérables dans notre société et même M.
le bâtonnier évoque un aspect qui pourrait nous échapper.
Et à l'aube ou pas du libre-échange il demeure que nos
frontières sont de moins en moins rebelles et, donc, comme
société nous nous ouvrons davantage à ce qui se passe
à l'extérieur d'où l'utilité d'avoir des
règles du jeu claires pour toute personne qui veut vivre ou faire
affaire au Québec. Je pense que c'est un élément
intéressant.
Sur la forme, vous déplorez un petit peu la qualité de la
langue. Vous soulevez le fait que ce style de législation est
peut-être emprunté à l'anglo-saxon quant à la
définition des termes, des principes et des nombreuses exceptions. Vous
ajoutez que ce nouveau vocabulaire sera source d'incertitude. Mais dans la
mesure où le législateur utilise ou adopte des nouvelles lois,
des nouvelles dispositions, ça crée toujours une période
d'incertitude. Un nouveau terme doit être défini par les
tribunaux. Parfois, ça prend plus de temps avant de se rendre à
la Cour suprême, mais à chaque fois que, comme législateur,
on adopte une loi, on est susceptibles de créer un minimum
d'incertitude. Il y a uniquement l'énorme statu quo qui empêche
l'incertitude. Quant à moi en tout cas, à ce stade, j'ai
écouté attentivement vos propos. Vous dites que ces emprunts
anglo-saxons peuvent également nous nuire. En tout cas, je vais relire
cette partie de votre mémoire, mais je ne suis pas à ce stade-ci,
d'entrée de jeu, convaincu de la démonstration qui a
été faite.
Par contre, vous n'avez pas suivi les travaux depuis le début,
mais je dois vous dire que plusieurs des arguments évoqués par le
Barreau l'ont été par celui qui vous parle quant au fond de
certains changements proposés. Plusieurs de ce que vous appelez, M. le
bâtonnier, d'une façon un peu sévère probablement
pour frapper l'imagination des parlementaires et les alerter au danger qui,
selon vous, nous guetterait, ce que vous appelez l'infantilisme juridique, ce
sont des notions protectionnistes, finalement, qui sont introduites, qui sont
discutables, et c'est pour ça qu'on en discute ici aujourd'hui.
J'ai moi-même émis des réserves sur plusieurs
chapitres, le premier étant la notion du consentement
réfléchi. J'avais même cité le dictionnaire. C'est
quoi "réfléchir"? Un retour en soi. Ce n'est pas facile. Ce n'est
pas facile pour un juge de définir un retour sur soi, d'autant plus que
cette capacité de retourner sur soi n'est pas la même pour chaque
individu. Double notion de subjectivité par ce terme
"réfléchi". Les capacités individuelles ne sont pas les
mêmes et, deuxièmement, une fois qu'on retourne sur soi,
même si on est généralement bon en réflexion,
ça ne veut pas dire que notre consentement était
réfléchi cette fois-là. C'est une notion extrêmement
difficile.
La lésion entre majeurs, je pense que le débat est bien
lancé avec les échanges avec le député de
Marquette, M. le professeur Pineau et vous-même. Vous soulevez les
risques d'instabilité pour les contrats. Ce n'est pas une notion facile.
Également, les discussions quant au contrat d'adhésion, les
clauses abusives. Vous soulevez la notion subjective de l'article 484 de
façon fort pertinente.
C'est sur le chapitre du préjudice causé à autrui
que je vais concentrer mes premières questions. De façon
générale, je pense que vous vous opposez au régime
proposé, c'est-à-dire au régime où le majeur
protégé et le mineur non doué de raison sont responsables.
Vous suggérez le maintien du principe, à savoir que si l'auteur
de la victime est un incapable, c'est la victime qui doit en souffrir.
Là, vous faites une suggestion très intéressante, je
pense, à la page XXIV, en chiffres romains, de votre mémoire, sur
les commentaires généraux. Vous proposez un organisme
gouvernemental d'indemnisation. Il en existe plusieurs, mais il y en a deux qui
me frappent: d'abord, l'indemnisation des victimes d'accidents d'automobile et
l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Vous suggérez un
régime d'indemnisation par l'intermédiaire d'un organisme
gouvernemental. Je trouve cette suggestion très intéressante.
D'ailleurs, sauf erreur, je pense que la Commission des services juridiques
nous avait, peut-être pas suggéré, mais en tout cas, elle
nous avait suggéré d'emprunter cette piste de réflexion.
J'aimerais vous entendre davantage, M. le bâtonnier ou l'un des membres
éminents du Barreau qui vous accompagnent, sur cette notion d'organisme
gouvernemental d'indemnisation. (11 h 45)
M. Nadeau: M. Filion, la raison pour
laquelle, vous l'aurez vu, nous avons suggéré, et ce n'est
qu'une suggestion, de mettre sur pied un tel organisme tient beaucoup plus au
fait que nous sommes inquiets de la tendance qui est prise dans le chapitre
concernant la responsabilité ou la réparation du
préjudice. Nous avons tous été élevés dans
une tradition juridique dans laquelle il y avait faute ou il n'y avait pas
faute. Étaient capables de faute les personnes qui, traditionnellement,
et encore aujourd'hui, pouvaient discerner le bien du mal, etc. - vous
connaissez la notion tout aussi bien que nous - et était incapable de
faute, la personne incapable de former ce concept et de faire cette
distinction.
Ce qu'on essaie d'introduire dans le chapitre sur la réparation
du préjudice, et je l'ai mentionné tantôt dans ma
présentation, c'est un régime un peu mixte par lequel, en
principe, celui qui commet une faute devra la réparer,
c'est-à-dire en payer les conséquences, défrayer les
dommages qu'il aura causés, mais on va plus loin et c'est là que
nous trouvons qu'il y a un grand danger et un subjectivisme qui, d'après
nous, va causer des problèmes considérables, c'est-à-dire
que la personne même incapable de faute, par exemple le mineur de cinq
ans qui va casser une vitre ou causer un dommage quelconque est incapable de
décider ou de savoir si le geste qu'il a posé est fautif.
Malgré cela, on veut introduire dans le nouveau chapitre l'obligation
pour lui ou pour les personnes responsables de lui d'indemniser, mais dans la
mesure où il en a des moyens financiers. Or nous estimons que, pour
réparer une soi-disant injustice qui peut exister actuellement envers la
victime dite innocente et, encore là, c'est très relatif parce
que la majorité des personnes au Québec, que je sache, sont
détentrices de polices d'assurances personnelles pour protéger
leurs biens et leurs responsabilités, auxquels cas ces polices
d'assurances protègent contre les gestes posés même par des
mineurs incapables, donc il y a rarement de vraies victimes innocentes.
Pour soi-disant modifier ou changer ce principe selon lequel des
victimes innocentes sont pénalisées par le fait que l'auteur du
dommage est incapable de faute, on transforme ou on voudrait transformer
complètement notre régime et, dans certains cas très
subjectifs, il faut le dire, c'est-à-dire la possibilité pour
l'auteur ou ceux qui sont responsables de lui dans la mesure où il y a
des moyens financiers d'être tenus de réparer, on va non pas
vraiment changer le système parce que qu'adviendraît-il dans le
cas où la vraie victime innocente d'un dommage causé par un
mineur ou un majeur protégé ne se verra pas Indemnisée
parce que le fauteur ou l'auteur du dommage est insolvable ou n'a pas d'argent?
Alors il y aura deux catégories de victimes innocentes: celles qui
auront la chance d'avoir subi un dommage causé par une personne solvable
et celles qui auront la malchance d'avoir le même dommage causé,
malheureusement, par une personne Insolvable. En somme, la réparation ne
tient pas compte de la faute, mais de la solvabilité et ce sera le jeu
de la chance qui déterminera si, dans un cas, on sera indemnisé
et si, dans l'autre, on ne le sera pas. Pour réparer ce qui nous semble
un problème mineur, minime, on voudrait chambarder notre système
de responsabilité civile et nous croyons que c'est extrêmement
dangereux de le faire.
M. Filion: Vous abordez finalement un peu l'article 1666 de
l'avant-projet. Avec tout le respect de l'Opposition pour la qualité de
l'avant-projet, j'ai déjà dit, et vous n'étiez
peut-être pas là, que l'article 1666, surtout dans la partie
où on dit que - je pense qu'il vaut la peine de lire la dernière
phrase - "la réparation intégrale du préjudice risquerait
de l'exposer démesurément à la gêne", que cette
rédaction-là heurtait un peu ma formation, bien sûr, et,
deuxièmement, qu'elle risquait peut-être d'exposer inutilement le
parlementaire à la gêne pour y avoir souscrit.
Quant à l'article 1666, je comprends que la rédaction
n'est pas facile, mais cet article contient en même temps des
réserves et je vais maintenant attirer votre attention là-dessus.
Au-delà des mots et des principes, on dit bien que "le tribunal peut
exceptionnellement réduire le montant des dommages-intérêts
dus par le débiteur lorsque la faute de celui-ci n'était ni
intentionnelle ni lourde". Maintenant, j'avoue que je dis: Écoutez, la
faute lourde, n'essayez pas de faire revivre ça. Je viens d'essayer, je
ne suis pas capable. Je me souviens que ça remonte à loin. Les
auteurs français qui nous avaient déjà instruits de ces
nuances à l'époque. Le mot "intentionnel", c'est quand même
un élément précis, l'intention ou l'absence d'intention,
ou la présence d'intention. La réparation intégrale du
préjudice risquerait d'exposer démesurément... Dois-je
comprendre, Me Nadeau que même avec ces restrictions là, dont
certaines sont relativement objectives, l'article 1666 heurte un peu les
principes de droit fondamentaux et fait en sorte que le paiement d'une
indemnité dépend de la qualité de l'auteur? J'avoue que
c'est facile à intégrer à notre formation.
M. Gilbert: Je veux répondre à ça. M.
Filion: Oui.
M. Gilbert: C'est trop criant, ça. Le législateur,
dans sa sagesse, avait déjà prévu qu'il est des besoins
fondamentaux, des besoins économiques qui ne devraient pas être
exposés à l'acquittement des dettes, que ce soient des dettes
commerciales ou des dettes encourues différemment.
L'insaisissabilité des biens est déjà là. S'il faut
étendre l'insaisissabilité des biens pour protéger
davantage une économie inflationniste, les débiteurs
d'aujourd'hui et de demain, c'est facile d'ajouter un petit mot au chapitre
de
l'insaisissabilité...
M. Filion: Un zéro. M. Gilbert: Pardon? M.
Filion: Un zéro.
M. Gilbert: Un zéro suffira. Mais pour aller changer un
concept philosophique qui dit que, quand on fait du mal à un autre par
sa faute, on n'est plus responsable si on n'est pas trop bien, si on est
à la gêne. Qu'est-ce que c'est ça? Gêné par le
fait qu'il ne faut pas perdre son frigo. Il est déjà
insaisissable, monsieur, qu'avez-vous à craindre? Vous êtes
à la gêne, mais votre père va vous laisser un
héritage de 1 000 000 $, là écoutez, c'est la gêne
éventuelle ou la gêne actuelle. Cela me gênerait, moi, si
j'étais héritier de dire: Oui, mon million qui s'en vient, je
suis gêné par la condamnation en cour, de sorte que je ne vois pas
la nécessité de cette circonspection, de cette vigilance jusqu'au
point de transformer la philosophie du système. Élargissons
l'insaisissabilité au besoin. Faisons-la correspondre au contexte
économique moderne. Rendons insaisissable un certain nombre de choses
qui ne l'étaient pas hier. C'est la grande paix. C'est l'ordre et c'est
la justice, si ce mot-là a encore quelque chose à faire dans le
code. Le mot "justice".
M. Nadeau: J'ajouterais un commentaire pour répondre
directement à la question de M. Filion. Ce qui nous inquiète,
c'est encore une fois l'utilisation des mots comme "exceptionnellement". Cela
veut dire quoi? Cela veut dire qu'il va falloir combien d'années
d'interprétation par les tribunaux pour qu'on décide qu'un jour,
exceptionnellement, ça veut dire: En bas de 10 000 $, en bas de 20 000
$, en bas de 50 000 $, en bas de 100 000 $ d'actifs, au-delà de quoi il
n'y aura plus de gêne? La gêne ne sera plus
démesurée. Nous estimons qu'encore une fois, au lieu de mettre
ses culottes, entre guillemets, le législateur dit: Écoutez, de
toute façon, les juges vont décider. C'est ça qui est
malheureux avec ça et avec d'autres principes du genre.
M. Cimon: J'aimerais ajouter un commentaire.
Le Président (M. Filion): Oui, Me Martel. M. Cimon:
Cimon.
Le Président (M. Filion): Me Cimon, je m'excuse.
M. Cimon: J'aimerais ajouter un commentaire sur votre
première question: La première réaction, en ce qui a trait
aux mineurs non responsables, de se dire que ce qu'on a voulu protéger,
c'est la victime innocente. Cela amène tout de suite une autre question,
c'est: Pourquoi le faire à ce moment-là à même le
patrimoine de l'individu particulier qui est aussi innocent que la victime?
À partir de quel nouveau principe ferait-on le choix de faire endosser
par des individus une décision sociale d'indemniser des personnes
à qui on cause injustement un préjudice? Cela rejoignait la
suggestion que vous retrouvez à savoir que si à ce
moment-là c'est vraiment le choix, qu'on fasse porter cette
indemnisation par l'ensemble de la société au moyen d'un
organisme comme celui qui existe pour l'indemnisation des victimes d'actes
criminels, comme la Régie de l'assurance-automobile.
M. LeMay (Jacques): Ou encore en ajoutant, comme ce fut
mentionné...
Le Président (M. Filion): Me LeMay.
M. LeMay: ... dans le mémoire une clause aux polices
d'assurance responsabilité, ce qui existe d'ailleurs en Ontario ou
ailleurs dans le cas des conducteurs inconnus qui peuvent causer des dommages,
ajouter une clause aux polices d'assurance à savoir que si un dommage
est causé par une personne non douée de raison, il y aura
indemnisation directement. De toute façon, il faut bien réaliser
que le problème est relativement d'application peu fréquente
parce que, dans la majorité du temps, il y a une compensation par une
compagnie d'assurances.
Pour revenir à l'article 1666...
M. Filion: Oui.
M. LeMay: ...auquel vous faisiez allusion aussi, même s'il
y avait le terme "exceptionnel" dans la rédaction de cet article, il
faut être prudent parce que dans la majorité des cas, les
débiteurs trouveront que ce sera exceptionnel pour eux; à ce
moment-là, ils voudront toujours bénéficier de cet
article. Certains juges auront peut-être tendance à
considérer que, dans bien des cas, c'est exceptionnel. C'est toujours
exceptionnel pour un débiteur d'être condamné; c'est
toujours exceptionnel pour lui de devoir payer un montant quelconque s'il n'y a
pas d'assurance au bout. S'il y a de l'assurance au bout, évidemment,
s'il a une limite d'assurance suffisante, il n'y a pas de problème, mais
cela l'expose à la gêne qui va varier beaucoup selon les
individus.
M. Filion: Je pense que cela va, concernant l'article 1666.
Avant de passer à une autre question et avant que je l'oublie,
sur les dommages-intérêts punitifs, est-ce que je dois comprendre
que la position du Barreau est favorable à l'introduction, au niveau du
Code civil et donc du régime général de
responsabilité, de ce concept de dommages-intérêts punitifs
qui existe déjà, à la
fois dans la Charte québécoise des droits et
libertés et dans la Loi sur la protection du consommateur avec la
réserve que les polices d'assurance ne devraient pas - c'est là
que j'aimerais avoir des explications - pouvoir ou devoir couvrir le paiement
de ces dommages punitifs?
M. Nadeau: Laissez-moi répondre, d'abord, à la
première partie parce que Me Masse brûle d'envie de faire un
commentaire. Effectivement, quant à nous, nous sommes d'accord avec le
principe de dommages punitifs avec la réserve très importante que
ces dommages punitifs, qui seraient accordés, n'iront pas à la
victime, sauf pour certaines dépenses, certains déboursés.
L'aspect punitif doit profiter à l'ensemble de la société
et non pas, comme aux États-Unis, donner ouverture à des choses
totalement déraisonnables, où une victime, la première qui
s'adonne à poursuivre, va se retrouver avec des centaines de militons de
dollars de dommages punitifs qui n'ont absolument rien à voir avec la
gravité de la blessure qui lui a été causée, ce
qui, en général, ne laisse plus d'argent pour ceux qui
suivent.
Quant à la question de la responsabilité des compagnies
d'assurances, peut-être que la réponse pourrait être
donnée par Me LeMay tantôt, mais d'abord Me Masse voulait faire un
commentaire.
M. Masse: Je vous remercie, M. Filion, de me donner l'occasion de
faire deux commentaires sur les articles 1677 à 1680. D'abord, je
m'inscris en faux contre la notion de dommages punitifs. Ce ne sont pas des
dommages punitifs, ce sont des amendes à caractère pénal
déguisé. Les dommages punitifs sont ceux qui sont accordés
à la personne qui les réclame. Alors, ici, il n'y a que son
avocat qui pourrait, au maximum, en bénéficier. Je pense qu'on
dénature profondément le caractère de dommages
punitifs.
Je veux insister sur le fait qu'avec l'article 1677 de l'avant-projet de
loi, on fait perdre des droits aux consommateurs qui leur sont actuellement
reconnus, après une longue évolution jurisprudentielle, par
l'article 272 de l'actuelle Loi sur la protection du consommateur. Vous savez
sans doute que, comme l'article 53 de la charte, la Loi sur la protection des
arbres, l'article 272 de la Loi sur la protection du consommateur
reconnaît des dommages punitifs. Après une certaine
évolution jurisprudentielle, c'est un droit qui est maintenant reconnu
au consommateur et qui est appliqué. On retrouve dans ce domaine une
trentaine de décisions rapportées et non rapportées qui
traitent des dommages punitifs, alors que l'avant-projet de loi, à
l'article 1677, limite la prétendue reconnaissance des dommages punitifs
aux droits et libertés fondamentaux. À ma connaissance, cela se
limite à la charte, je ne vois pas les droits des consommateurs comme
des droits et libertés fondamentaux. Donc, de ce
côtê-là, je pense qu'on fait perdre, premièrement,
des acquis considérables pour les consommateurs avec la disparition de
l'article 272. Deuxièmement, on dénature profondément
l'institution pour en faire une amende pénale à caractère
déguisé. Là-dessus, je pense qu'on manque le train,
purement et simplement. (12 heures)
M. Filion: Je pense que Me Gilbert avait évoqué,
à l'époque, qu'il est possible que parfois des positions ne
soient pas totalement identifi-ques, d'autant plus que, dans votre
mémoire, gentiment, vous me permettrez, Me Gilbert, de vous signaler
qu'à la page 159, sur la question des assurances - d'ailleurs,
j'aimerais avoir une réponse là-dessus à ma question de
tantôt - vous dites quand même, à la page 159: "La
sous-commission du Barreau est favorable au principe énoncé
à cet article mais, dans le but d'assurer une pleine efficacité
à ces dispositions, elle souhaite qu'un amendement soit apporté
au chapitre 15 du titre deuxième de l'avant-projet - Des assurances -
afin de spécifier que I'assurance-responsabilité ne couvre pas le
paiement de ces dommages lorsqu'il y a faute lourde du débiteur, le but
étant de punir le débiteur fautif et non sort assureur."
Ma question essentielle, au-delà de cette idée que
finalement les vieux auteurs français sur la faute lourde ne sont pas
tout à fait enterrés puisque, même dans une autre partie de
votre mémoire, on le voit. C'est sur l'assurance et ma question
s'adresse à n'importe quel membre du Barreau. C'est cela que je voudrais
comprendre: Est-ce que l'assurance-responsabilité ne devrait pas payer
cette amende à la victime si c'est une amende à caractère
pénal ou ne pourrait pas... Alors, est-ce une interdiction que vous
verriez ou si c'est carrément que cela ne devrait pas, de façon
générale? Étant donné que c'est punitif,
évidemment on doit pouvoir punir...
M. Nadeau: On veut punir l'auteur et non pas l'assureur de
l'auteur.
M. Filion: ...l'auteur et non pas l'assureur. Je voudrais tout de
même...
M. Nadeau: Me LeMay va vous faire un commentaire.
M. Filion: ...vous entendre là-dessus, Me LeMay.
M. LeMay: À l'heure actuelle, les polices d'assurance
prévoient le remboursement des dommages compensatoires; cela n'inclut
pas les dommages exemplaires. Cela n'inclut pas les dommages punitifs qui
n'existent pas comme tels et cela n'inclut pas les dommages exemplaires qui
peuvent être accordés en relation avec la charte. Il faut aussi
réaliser que l'article 2563 du code actuel, qui est reproduit dans le
nouvel avant-
projet de loi, prévoit que l'assureur ne répond pas de la
faute intentionnelle de son assuré. Alors, quand le nouvel article 1677
réfère à faute lourde ou même à faute
intentionnelle, on emploie le même texte, c'est le même but qui est
visé, dans le fond. S'il y a une faute intentionnelle ou une faute
lourde qui équivaut à une faute intentionnelle, ce n'est pas
à l'assureur d'en répondre. Ce serait trop facile pour un
assuré de dire: Je vais commettre n'importe quelle faute, je n'ai pas
à en répondre personnellement et on accordera des dommages
exemplaires, des dommages punitifs et mon assureur va en payer le coût.
Ce n'est pas le but de l'assurance. Le but de l'assurance, c'est de compenser
les dommages réellement subis mais non pas de voir à la
compensation de la punition, si punition il y a pour la personne qui est
fautive. À l'heure actuelle, il n'y a pas de compensation dans les
polices d'assurance pour les dommages exemplaires réclamés en
vertu de la charte, ce qui existe aujourd'hui. Il n'y aura pas plus, on le
croit, de couvertures d'assurance pour les dommages punitifs qui pourront
être accordés. Tout ce qu'on suggérerait, c'est
peut-être une clarification à la section des assurances pour bien
prévoir. Notre interprétation actuelle, c'est que cela ne serait
pas de toute façon couvert. Il ne faudrait pas que ce soit couvert parce
que tout le caractère qu'on veut donner à des dommages punitifs
serait en sorte enlevé si c'était l'assureur qui répondait
de ce montant additionnel, et non pas l'assuré.
M. Filion: Juste une dernière question sur la
responsabilité avant de redonner la parole au député de
Marquette. Deux questions rapidement. Premièrement, c'est toujours sur
les dommages exemplaires ou punitifs, peu importe la formulation. Est-ce que,
pour vous, c'est exclusif? S'il y a une poursuite pénale qui est
intentée, par exemple contre un individu, est-ce que l'imposition d'une
amende à l'intérieur d'une procédure pénale ou
criminelle à cet individu interdirait l'imposition de dommages punitifs
en vertu du régime de responsabilité civile?
M. Nadeau: Le peu de jurisprudence qui existe sur le sujet pour
l'instant tient compte des pénalités accordées en vertu
d'une condamnation au criminel. Je n'ai pas vu, moi, peut-être que
d'autres l'ont vu, on ne condamne pas ou très peu le même fauteur
poursuivi et au criminel et au civil à payer dans les deux cas des
dommages dits exemplaires ou punitifs.
M. Filion: D'accord.
M. LeMay: C'est sans doute souhaitable d'ailleurs. C'est ce que
l'article 1678 du nouveau texte reprend...
M. Filion: C'est cela.
M. LeMay: ... pour éviter de faire double emploi.
M. Filion: D'accord. Une dernière question sur la
responsabilité, au sujet des dommages-intérêts
provisionnels. Je pense que c'est une notion intéressante. Le Barreau le
reconnaît d'emblée. Une première étape pour statuer
sur les dommages connus et une deuxième étape étant
réservée, si on veut, à la détermination des
dommages qu'on appelle, je pense, non encore liquidés. Je ne sais pas si
c'est tellement français, mais disons incertains ou
indéterminés par le temps. Cela ferait une espèce de
procès en deux étapes. Est-ce que le Barreau étudie la
possibilité de faire ce procès en deux étapes:
premièrement, pour la détermination de la responsabilité;
deuxièmement, pour l'établissement des dommages?
M. LeMay: Le sens de la recommandation du mémoire, si je
ne m'abuse, a cet effet-là, parce qu'autrement c'est trop dangereux de
condamner des dommages provisionnels alors que ce serait en cours de
procès et que le jugement final par la suite, que ce soit d'un tribunal
comme la Cour supérieure ou la Cour provinciale ou même un
tribunal d'appel, serait sujet à modifier le premier jugement. On voyait
dangereux le principe d'accorder des dommages provisionnels en cours
d'instance, lorsque la responsabilité n'est pas établie de
façon définitive. Il en est autrement lorsque la
responsabilité est établie. Si la responsabilité n'est pas
contestée par la partie poursuivie, à ce moment-là rien
n'empêche d'accorder des dommages provisionnels. C'est même
à l'heure actuelle ce qui peut se produire avec un consentement des
parties ou une entente entre les parties ou leurs procureurs, c'est facile.
Mais lorsque la responsabilité n'est pas établie et est
susceptible de ne pas être tranchée de la même façon
par le juge qui entend la première partie du procès que par celui
qui entendra la deuxième partie du procès ou par un juge d'appel,
il y a des dangers. Ce sera encore le défendeur qui aura payé les
dommages qui, souvent, se retrouvera dans la situation où il peut
être exonéré par le tribunal final ou le tribunal qui est
de juridiction finale et ne jamais être capable d'obtenir ce
remboursement de dommages qu'il aurait été condamné
à payer en cours d'instance. C'est là qu'on voit que c'est
dangereux.
Votre suggestion d'un procès en deux étapes est bonne.
Certains juges sont d'ailleurs entièrement d'accord avec cette
suggestion. Elle éviterait des frais considérables aux parties,
parce qu'on sait que de plus en plus, avec les preuves qui peuvent se faire
dans les indemnités devant les tribunaux par des actuaires, des
économistes et autres, il y a énormément de temps
passé à cette preuve sur l'aspect du quantum, des dommages, alors
que si la responsabilité est établie d'abord, à ce
moment-là si la respon-
sabillté n'est pas accueillie ou s'il n'y a pas de
responsabilité du défendeur, il n'y aura pas lieu d'encourir tous
ces frais-là. Dans les procès de plusieurs semaines, souvent la
moitié du temps est passée à faire la preuve de
dommages.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me LeMay. Je
reconnais maintenant le député de Marquette, adjoint
parlementaire au ministre de la Justice.
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. J'aimerais
revenir sur l'indemnisation échelonnée. Vous vous dites
favorables à ce principe d'Indemnisation échelonnée du
préjudice, sous réserve de certaines difficultés
pratiques. D'ailleurs, à la page XXIV de vos notes introductives, vous
proposez de codifier la notion de règlement échelonné
plutôt que de rente, ceci dans le but d'échapper à un
jugement au paiement d'Impôt sur les sommes attribuées. Pour le
bénéfice des membres de !a commission, pourriez-vous
préciser davantage cette notion?
M. Nadeau: En deux mots, cette notion nous est venue parce que,
lors de nos discussions, un des membres de notre groupe, Alain
Létourneau, que vous connaissez sans doute, a donné, quant
à lui, des conférences un peu partout dans le Québec sur
les règlements échelonnés. La question que nous nous
sommes posée à la lecture du texte proposé dans
l'avant-projet de loi, c'était de se demander si, tel que
proposé, le régime d'indemnisation ou de paiement
échelonné ne serait ou ne risquait pas d'être assujetti au
paiement d'impôt. Cela fausserait évidemment l'objectif qui est,
comme vous le savez, de ne pas tout donner au débiteur en même
temps, de façon à éviter ce que l'on voit très
fréquemment, c'est-à-dire des débiteurs qui, faute de
connaissances ou de se faire aider par des gens qui connaissent ça, vont
dilapider leur argent en quelques mois ou en quelques années et se
retrouver au crochet de l'État peu de temps après.
Le principe des règlements échelonnés est
excellent. Il a fait la preuve de sa qualité dans des juridictions
où il est reconnu officiellement. Ici, il est utilisé, mais dans
la mesure où il y a consentement des parties. Et il y a un avantage pour
les deux parties en présence: le payeur paie moins cher parce qu'il
prend une somme de capital avec laquelle il achète le paiement d'une
annuité, et le receveur est assuré pendant dix, quinze, vingt,
trente ans ou même plus longtemps, de recevoir une indemnité qui
sera ajustée en fonction de l'augmentation du coût de la vie.
Le principe, quant à nous, est excellent. Nous pensons qu'il faut
qu'il puisse être permis au juge de le recommander ou de l'ordonner dans
certains cas, selon la preuve qui sera faite devant le juge en question, mais
il doit continuer surtout d'être favorable aux deux parties et doit
échapper à l'application des lois sur l'impôt, sauf pour la
partie touchée évidemment, au fur et à mesure qu'elle est
touchée.
M. LeMay: Si on me permet d'ajouter un court commentaire, l'un
des buts principaux, c'est d'éviter la dilapidation du montant
forfaitaire qui pourrait être accordé. Les juges eux-mêmes
sont souvent les premiers à dire qu'on doit aujourd'hui, en fonction de
ce qui peut se passer dans cinq, dix ou quinze ans, tenter d'évaluer une
fois pour toutes le montant forfaitaire auquel la victime aura droit. On sait
fort bien, d'après les statistiques, que dans trois, cinq ou dix ans,
les gens auront souvent dilapidé les montants en question, soit par des
mauvais placements ou de mauvais conseils.
Alors, le principe est sûrement bon. Il faut qu'il échappe
à l'impôt en ce sens que, à l'heure actuelle, ce sont les
décisions du ministère du Revenu ou lorsqu'il est vraiment un
règlement échelonné et non pas une rente, il n'y a pas
d'impôt payant. C'est un des avantages principaux pour celui qui
reçoit la rente. La rente, comme telle, n'est pas sujette à
l'impôt, sauf que les intérêts additionnels le seront.
Notre suggestion était de s'assurer qu'il y aurait une
législation plus complète qu'un seul article là-dessus,
parce qu'il peut y avoir des situations très particulières dans
le cas de mineurs et dans le cas de personnes incapables aussi. Tant que le
principe est bon, il faudra peut-être qu'on s'y attache de façon
un peu plus importante pour énoncer les critères de base d'un tel
principe.
M. Dauphin: Merci. Peut-être une autre... Le
Président (M. Marcil): Oui, allez-y.
M. Dauphin: M. le Président, j'aimerais revenir à
la forme du contrat. Vous vous opposez à ce que les parties puissent
convenir de respecter une forme particulière pour la validité de
leur convention. Vous dites ça aux pages 13 et 14, au début de
votre premier mémoire, M1. Dans la mesure où vous favorisez la
liberté contractuelle, comment justifiez-vous votre position de ne pas
permettre aux parties de s'imposer elles-mêmes une forme
particulière de convention?
M. Nadeau: Ce contre quoi nous en avons, ce n'est pas que les
parties soient empêchées de quelque façon de passer quelque
contrat qu'elles veulent, mais que, dans certains cas, la forme même du
contrat soit une condition essentielle à sa naissance. Nous avons, de
tradition civile, et vous aussi - ceux d'entre vous qui êtes avocats -
toujours appris que même un contrat verbal, c'était un bon
contrat, sous réserve des difficultés d'en faire la preuve.
Alors, pourquoi amener dans notre Code civil une notion comme
celle-là qui imposerait ou qui permettrait aux parties d'imposer une
forme donnée, sans laquelle le contrat ne prend pas
naissance? Nous n'y voyons aucune justification. Le législateur
est déjà intervenu pour dire, par exemple, que dans le cas de
certains contrats, ils doivent être faits dans telle forme, parce qu'ils
peuvent ou doivent être enregistrés, les contrats de mariage, par
exemple, doivent être notariés. Mais à part ces quelques
très rares exceptions, nous ne voyons pas pourquoi la forme d'un contrat
serait, pourrait ou devrait devenir essentielle à son existence.
Ce qui est important, c'est: Est-ce que les parties se sont bien
entendues sur le contenu de leur entente? Cette entente, ce consensualisme peut
fort bien être verbal, peut fort bien être partiel, peut être
constaté par un document domestique et, à ce moment-là, il
est tout aussi bon contrat qu'un contrat de 152 pages. Alors, nous ne voyons et
ne croyons pas qu'il soit utile et opportun d'introduire cette notion.
M. Dauphin: Dans les cas de protection du consommateur ou ces cas
particuliers?
M. Nadeau: C'est ça. Il y a des contrats qui sont
déjà déterminés, dont la forme est
déjà décrite ou prescrite dans des lois
particulières, certes. Mais on ne sait pas si c'est cela qui est
visé dans l'avant-projet de loi; n'ayant pas eu le
bénéfice des commentaires des légistes, on ne le savait
pas. C'est peut-être cela. Si c'est cela, il faudrait le dire.
M. Dauphin: C'est cela.
Le Président (M. Marcil): M. le ministre, vouliez-vous
intervenir?
M. Rémillard: M. le bâtonnier, mesdames et
messieurs, merci de venir témoigner devant nous aujourd'hui et de nous
apporter vos commentaires sur des points très importants. Votre
mémoire est particulièrement intéressant, éloquent,
bien fait. Quand d'ailleurs le bâtonnier m'avait demandé de
reporter la présente commission parlementaire pour donner le temps
d'étudier à fond ces sujets, j'ai accepté parce que je
sais à quel point il est important, pour nous, qu'on puisse
bénéficier de votre expertise. D'ailleurs, en voyant la
qualité du mémoire par la discussion que nous avons ce matin, je
vois à quel point il a été utile justement de vous donner
ce temps et que l'on puisse avoir cette discussion sur des articles très
importants. (12 h 15)
Nous sommes à refaire notre droit civil, et bien sûr que le
Barreau comme la Chambre des notaires sont des intervenants de première
importance. Je dois vous dire, au départ, toute l'attention que nous
allons accorder, bien sûr, à vos remarques, à vos
commentaires.
Vous me permettrez de revenir sur l'article 1668. Vous êtes contre
l'octroi de dommages-intérêts provisionnels et vous souhaitez que
cet article soit retiré. Pourtant, il y a plusieurs intervenants qui
voient une certaine analogie entre cet article, cet octroi de dommages
provisionnels avec l'injonction interlocutoire. À ce moment-là,
est-ce qu'on ne devrait pas remettre en cause l'injonction interlocutoire
directement si on remet en cause cette possibilité, par le juge,
d'octroyer des dommages-intérêts provisionnels? J'aimerais vous
entendre... Me Nadeau, oui.
M. Nadeau: Merci, M. le ministre. D'abord, je suis très
heureux de voir que vous avez pu vous joindre à nous. Cela
témoigne de l'intérêt que vous portez au travail que nous
avons fait.
Je me permettrai de commencer en disant que vous avez peut-être
mal perçu la position du Barreau sur les dommages-intérêts
provisionnels. Nous ne sommes pas, bien au contraire, contre les dommages
provisionnels. Ce que nous avons à reprocher au système
proposé, c'est la façon dont ils pourraient être
accordés. Comme vous savez, on a un système ici qui
diffère profondément - c'est peut-être là
l'explication, on ne le sait pas - de ce qui se passe dans les régimes
de "common law", et plus particulièrement aux États-Unis. Dans
ces juridictions-là, dès qu'un litige est amorcé devant
les tribunaux, on nomme un juge qui se charge de l'administration du dossier,
du début jusqu'à la fin. C'est lui qui entend toutes les
requêtes, c'est lui qui peut ordonner n'importe quoi pendant la
durée du dossier, c'est lui qui peut faire des enquêtes
préliminaires ou provisoires, c'est lui qui peut déterminer de
l'octroi de dommages provisionnels ou de montants d'indemnisations
provisionnels. Mais comme c'est lui qui garde toujours la mainmise sur le
dossier, il peut se faire assez rapidement une idée de la
responsabilité. À ce moment-là, je pense qu'il est
possible pour lui de déterminer qu'il devra y avoir un paiement
d'indemnité provisionnelle parce qu'il s'est déjà fait une
idée de la responsabilité éventuelle.
À ma connaissance, ce système a été
proposé il y a plusieurs années et discuté avec les juges.
Pour autant que je sache - mon bâtonnier me corrigera - je pense que les
juges ici n'ont pas accepté ce régime où l'un d'entre eux
se chargerait d'un dossier de son début jusqu'au jugement qui, pour lui,
en ce qui a trait à sa juridiction, serait final.
À cause de cela, nous voyons la possibilité d'un
problème très considérable en ce qui concerne le jugement
qui pourrait éventuellement être contradictoire. Imaginez-vous la
solution suivante où, par requête, on demande à un juge qui
siège en cours de pratique... Je ne sais pas si vous êtes familier
avec la technique. Les requêtes en cours d'instance sont entendues par un
juge, pas nécessairement et très rarement le même que celui
qui entendra le fond, le mérite. On se présente devant un juge
par voie de requête et on lui dit: Voici, M. le juge, vous allez ordonner
des dommages ou des indemnités provisionnelles. Le juge devra se faire
une idée
prima facie de la preuve - et on ne sait pas quel genre de preuve sera
faite - de la responsabilité éventuelle du débiteur
puisque, s'il est convaincu que le débiteur n'est pas responsable, je ne
vois pas comment il pourrait ordonner le paiement de dommages provisionnels.
Alors, il va falloir qu'il se fasse une idée. Est-ce qu'à ce
stade on devra faire une preuve complète sur la responsabilité?
Ce n'est pas ainsi que cela ressort.
Alors, prenons le cas où le juge en vient prima facie à la
conclusion que, d'après lui, il y a responsabilité. Il ordonne le
paiement de dommages provisionnels. L'affaire suit son cours. Deux ans plus
tard, on se retrouve devant un autre juge et celui-ci conclut qu'il n'y a pas
de responsabilité. Malheureusement, la victime a dilapidé
l'argent qu'elle a reçu de façon provisionnelle. Alors, on se
retrouve devant quelle situation? C'est le créancier ou le
débiteur qui est pénalisé.
M. Rémillard: M. Nadeau, si vous me le permettez... Est-ce
vraiment différent de ce qui se passe en ce qui regarde l'injonction
interlocutoire?
M. Nadeau: En matière d'injonction, avec toute
déférence, M. le ministre, quant à moi, je n'ai pas vu -
peut-être mes collègues en ont-ils vu - de cas où, dans une
injonction provisoire, on ait ordonné le paiement de quelque chose. On
ordonne de ne pas faire quelque chose.
M. Rémillard: Oui, c'est cela. Mais iI y a quand
même ordonnance...
M. Nadeau: De ne pas faire... M. Rémillard: ...de
ne pas faire... M. Nadeau: ...non pas de faire.
M. Rémillard: ...avant qu'il y ait procès et
décision.
M. Nadeau: Je suis d'accord. Et l'idée n'est pas de
réparer un dommage, mais d'immobiliser les parties dans le statu quo, au
moment où elles s'adressent à la cour pour obtenir une injonction
interlocutoire. Au chapitre du final ou du mérite de la cause, on
déterminera qui est responsable et qui doit faire ou ne pas faire telle
ou telle chose. Mais en ce qui regarde l'injonction, les tribunaux ont toujours
été extrêmement réticents à prononcer des
injonctions dites mandatoires, c'est-à-dire forcer quelqu'un à
faire quelque chose. Cela commence à peine. Les Injonctions pour
prohiber de faire des choses sont monnaie courante et je pense qu'elles sont
très bonnes. Mais il y a un monde de différence entre les
Injonctions qui, comme je vous l'ai dit, essaient de cristalliser la situation
à un moment dans le temps, et l'indemnisation provisionnelle. Ce que
nous recommandons, c'est: Accélérons la marche d'un dossier
devant les tribunaux et faisons en sorte qu'un juge entende la
responsabilité. Qu'il statue sur les dommages qu'on peut facilement
évaluer au moment où c'est devant lui. Qu'il ordonne le paiement
de ceux-là. Et, dans un délai de six mois, un an, un an et demi
ou deux ans plus tard, quand la situation physique de la personne qui, par
exemple, a été blessée sera rendue à un point
où elle est connue et stable pour le futur, qu'il fasse revenir les
parties et qu'il détermine quel montant doit être payé pour
l'autre partie des dommages qui ont été causés.
M. Rémillard: Est-ce que ça ne revient pas un petit
peu - je pense que c'est une proposition qui nous a été faite ici
même à quelques reprises - à séparer le
procès en deux? Une première serait de déterminer la
responsabilité et l'autre serait de déterminer
l'indemnité?
M. Nadeau: Exactement, sauf que...
M. Rémillard: Ah oui, vous accepteriez cette...
M. Nadeau: On va un pas plus loin. On dit: Déterminer
d'abord la responsabilité et les dommages qui sont facilement
quantifiables. Par exemple, un an et demi plus tard, si la personne a
recommencé à travailler, on sait combien elle a perdu de salaire.
On sait combien elle a eu de déboursés. On ne sait
peut-être pas comment son bras cassé va évoluer. On ne sait
peut-être pas s'il n'y a pas des opérations qui vont lui permettre
de retrouver l'usage de son bras ou, en tout cas, d'en perdre moins
l'utilisation. Qu'on reporte à plus tard cette partie-là qu'on
est incapable d'évaluer à la première phase, il n'y a pas
de problème. Mais qu'on détermine d'abord la
responsabilité et, ensuite, qu'on quantifie les dommages facilement
quantifiables, quitte à revenir évidemment devant le même
juge. C'est notre proposition et nous pensons qu'elle est très
raisonnable.
Le Président (M. Marcil): Merci. Une voix: Cela
va?
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Taillon.
M. Filion: Est-ce que ce serait sur le même sujet?
Mme Bleau: Non, ce n'est pas sur le même sujet.
Le Président (M. Marcil): Juste une seconde, M. le
député de Taillon. J'avais Mme la députée de Groulx
qui voulait intervenir.
M. Filion: Certainement.
Mme Bleau: Si vous êtes sur le même sujet, j'aime
autant vous laisser la chance...
Le Président (M. Marcil): Allez-y, madame.
Mme Bleau: Parmi les articles se rapportant aux droits
nommés, j'aurais une question à vous poser, entre autres sur la
vente d'immeubles résidentiels. Vous reconnaissez la
nécessité de protéger le consommateur, et c'est
très bien. Par ailleurs, certains organismes considèrent que
l'exigence d'une circulaire d'information en matière de vente de
copropriété peut paraître inutilement lourde lors de la
vente d'immeubles, même à l'égard de ceux comportant plus
de cinq unités. Croyez-vous que ce critère de cinq unités
retenu par l'avant-projet est trop bas ou juste correct? Ou
préféreriez-vous quelque chose de plus haut?
M. Nadeau: Écoutez, personnellement j'aimerais bien
répondre mais je ne sais pas quel regroupement vous a fait des
recommandations de ce genre-là. Je ne suis pas familier avec la notion
de publicité dont vous nous parlez. Maintenant, peut-être que Me
Masse a un commentaire personnel à faire.
M. Masse: Je n'ai pas étudié cette question de
façon particulière, mais je peux vous dire, pour l'avoir lue dans
l'avant-projet, que la règle est tout à fait valable. Je pense
que dans le cas de cinq unités ou moins, il y a un caractère plus
limité, plus personnel, plus privé que dans le cas de complexe,
de développement, cela peut tout à fait s'imposer. Cela ne pose
pas de problème.
Mme Bleau: Dans le même ordre d'idées, le bail
commercial. En matière de bail commercial, nous avons eu à une
précédente commission portant sur la réforme du droit des
biens, plusieurs représentations de commerçants, disant qu'ils
subissent bien souvent des préjudices importants à la fin du bail
quant aux améliorations qu'ils ont dû apporter au local
loué et qui ne leur sont pas remboursées. Pourtant, vous vous
opposez au nouveau principe introduit par la réforme accordant au
locataire le droit à l'indemnisation dans de tels cas. Ne croyez-vous
pas qu'il existe des abus importants dans ce domaine et qui méritent,
entre autres, d'être corrigés?
M. Nadeau: Notre position est la suivante, et ça revient
un peu à ce qu'on a discuté au début de la période
de questions. Où le législateur va-t-il commencer à
essayer de s'immiscer dans les relations commerciales et où va-t-il
arrêter? Quel est le niveau de revenus, le nombre d'employés ou le
genre de commerce qui va faire que, dans certains cas, on va pouvoir forcer le
locateur à remettre ou à rembourser certaines choses et d'autres
cas, non? Nous continuons à croire que, lorsqu'il s'agit de relations
purement commerciales, c'est-à-dire faites entre deux personnes dont
c'est, pour chacune d'entre elles, une façon de gagner sa vie, il y a
des clauses qui sont discutables. Si un locataire qui se propose de louer un
local n'est pas satisfait des clauses du contrat, il a un choix très
simple: il va ailleurs, il les accepte ou il essaie de les faire modifier. Ce
n'est pas la même chose dans le cas du consommateur au sujet duquel le
gouvernement est intervenu pour le protéger, dans le bail
résidentiel et dans la loi sur la protection.
En matière de commerce, nous trouvons que c'est très
dangereux pour le gouvernement, encore une fois, d'aller se mettre le nez dans
les baux commerciaux pour exiger ou pour imposer à des
propriétaires des clauses qui vont peut-être faire l'affaire de
certains commerçants - vraisemblablement des petits commerçants -
mais qui constitueront un ennui considérable pour les autres. Il n'y a
pas que des petits commerçants. Je comprends qu'il y en a beaucoup, mais
il y a aussi des grands commerçants ou des moyens commerçants.
C'est ce que je vous disais quand j'ai fait la présentation. Nous
pensons qu'à ce chapitre, le gouvernement ne devrait pas s'immiscer. La
liberté contractuelle doit, encore là, être
respectée. Les forces sont peut-être inégales, si on veut,
mais il y a quand même un élément de choix. Si on n'est pas
content d'un local avec les clauses qui sont imposées, on en trouve un
autre; on va ailleurs.
Mme Bleau: Ce n'est pas toujours facile.
M. Nadeau: Ah non! Je suis d'accord pour dire que ce n'est pas
toujours facile. Mais, encore une fois, où est-ce qu'on arrête?
Est-ce qu'on va décréter que tous les baux commerciaux vont
dorénavant comporter une série de clauses? Qu'est-ce qui va
arriver avec Zellers ou avec je ne sais trop quels grands marchands? Est-ce
qu'on va leur imposer des clauses dont en général ils ne veulent
pas, parce que dans leurs rapports avec des locateurs, ce sont souvent eux les
forts et le locateur qui est le faible, comme vous le savez? On appelle
ça des "anchor tenants" en anglais, le gros locataire qui entraîne
une panoplie de petits locataires dans un centre commercial. Dans ce
cas-là, ce n'est pas le locateur qui est le fort, c'est lui qui est le
faible. Nous pensons inopportun que le gouvernement s'immisce dans ces
relations-là, parce qu'il n'y a pas de critères. Où
arrête-t-on? Où commence-t-on?
Le Président (M. Marcil): Merci, Mme la
députée. M. le député de Taillon.
M. Filion: Merci, M. le Président.
Comme je l'ai annoncé tantôt, j'avais
plusieurs questions concernant les contrats. D'abord, je crois qu'un
travail admirable a été fart et je pense notamment à
plusieurs contrats sur lesquels le Barreau est à peu près le seul
à nous livrer ses commentaires et qui n'ont pas, pour diverses raisons,
intéressé d'autres groupes jusqu'à maintenant.
Vos collègues de la Chambre des notaires vont venir cet
après-midi nous faire aussi des recommandations, dans certains cas
très originales, c'est-à-dire portant sur des sujets qui n'ont
pas fait l'objet de commentaires des autres groupes. Je pense en particulier au
contrat de société sur lequel un travail exclusif a
été fait par le Barreau. Je pense que la recommandation du
Barreau va plus dans le sens de nous dire d'apporter des
éclaircissements à ce qui existe déjà sans venir
compliquer trop les contrats de société. J'aimerais
peut-être entendre Me Martel sur ce point de vue, compte tenu que sa
critique est assez verte sur lavant-projet de loi. Mais au-delà de la
verdeur encore une fois de sa critique, Me Martel, ne convenez-vous pas que ce
contrat de société a évolué également au fil
des années et qu'il conviendrait de ce côté de
rafraîchir considérablement le Code civil, non pas en essayant de
prévoir toutes les situations, mais au moins en élargissant un
peu le carré de sable légal en ce qui concerne ces contrats? Me
Martel, j'aimerais vous entendre sur cela. (12 h 30)
M. Martel (Paul M.): Concernant les sociétés, cela
sera la troisième fois qu'on va revenir à la charge sur ce sujet.
Nous en avions déjà parlé par anticipation lorsqu'on avait
discuté du projet de loi 20 et qu'il y avait le titre des personnes
morales. On se demandait déjà à ce moment ce que vous
alliez faire avec les sociétés. On se faisait dire: Les
sociétés, c'est un autre domaine, cela va rester tel quel.
Après cela, on en a reparlé lors de l'étude de la Loi sur
les registres, le projet de loi 54 - c'est assez récent - où on
prévoyait une forme d'immatriculation pour toutes les formes
d'entreprises, incluant les sociétés, et là aussi la
question s'était posée. Enfin on voit la proposition et on a
été vraiment très étonnés de sa teneur.
Vous avez raison de dire qu'il faudrait faire une espèce de mise
à jour ou peut-être de rénovation en ce domaine. C'est un
domaine particulièrement nébuleux du droit des affaires; il n'y a
pas grand-chose qui a été écrit au point de vue doctrinal.
Il y a beaucoup de points sur lesquels plane une équivoque. Alors, je
pense que c'était indiqué de peut-être mettre un peu de
lumière sur ces points. Ce qui s'est produit, c'est qu'on a fait
beaucoup plus que de mettre de la lumière sur les points. On essaie
d'introduire quelque chose de vraiment révolutionnaire et qui
d'après nous est tout à fait inopportun.
Le système actuel distingue deux sortes de
sociétés: les sociétés civiles et les
sociétés commerciales. Il y a un mode de déclaration ou de
publicité qui est différent pour l'une comme pour l'autre. Il y a
aussi le système de responsabilité qui est différent pour
l'une comme pour l'autre. Il y a certains problèmes que pose le
système actuel des sociétés et en fait, cela se
résume pas mal à une chose: la question de la capacité
d'une société d'ester en justice, parce que les auteurs vont vous
dire: Les sociétés ont une personnalité morale, mais ce
n'est pas une personnalité complète. Il y a des querelles
à savoir jusqu'où elle va et jusqu'où elle ne va pas. La
solution qu'on a choisie a été de dire: La société
a la personnalité morale, si elle s'immatricule. Par contre, si elle ne
s'immatricule pas, elle n'a pas de personnalité du tout. Cela veut dire
en fait que, par rapport aux sociétés actuelles - il y en a des
dizaines de milliers - finalement il n'y en a pas une qui va entrer dans le
cadre qu'on veut introduire parce que pour être des entités qui
ont des personnalités tronquées, il va falloir qu'elles
choisissent: Ou on s'immatricule et on change alors complètement de
régime, ou on ne s'immatricule pas et on perd toutes sortes de
bénéfices qui sont déjà rattachés à
notre statut.
Alors, on change aussi la terminologie. C'est un mal, semble-t-il, qui
est plutôt répandu. On va abandonner les notions de
société civile et de société commerciale. On va
plutôt parler de société en nom collectif et de
société en participation. Fort heureusement, il y a tout de
même une notion qui ne semble pas avoir été trop
touchée dans cela, celle de la société en commandite. Les
sociétés en nom collectif et en commandite, on va leur donner la
personnalité morale si elles s'immatriculent au registre. Mais le fait
de s'immatriculer à ce registre les assujettit à tout le
régime du projet de loi 20 sur les personnes morales en ce qui concerne
le fonctionnement interne. Ce régime en fait est calqué sur celui
qui régit les compagnies, c'est-à-dire qu'on leur demande d'avoir
un conseil d'administration, de faire des assemblées de membres et de
procéder vraiment comme si c'était une compagnie.
Le problème que j'y vois, c'est qu'on est en train d'introduire
une espèce de création qui est à mi-chemin entre la
société telle qu'on la connaît et la compagnie, mais qui
s'apparente tellement à la compagnie que cela sera une source de
confusion. De toute façon, on ne voit pas la nécessité ou
l'utilité même de ce genre de nouvelle créature. Nous
pensons qu'il suffirait, en ce qui concerne le type de société,
de régler les points d'interrogation qui existent parce que pour le
reste, le système fonctionne très bien.
Le point d'interrogation concernant le fait d'ester en justice, cela
demanderait une ou deux dispositions pour dire: Une société peut
ester en justice. On peut y mettre une condition: II faut qu'elle
s'immatricule. C'est d'ailleurs ce que le projet de loi 54 proposait de faire.
Vous avez l'article 108 de ce projet de loi qui disait qu'un assujetti ou une
personne morale qui ne s'est pas
immatriculé ne peut pas ester en justice ni intenter des
poursuites tant que son immatriculation n'est pas faite. C'était
suffisant d'agir comme ça plutôt que de dire: Maintenant, non
seulement vous allez vous immatriculer, mais cela va aussi entraîner pour
vous des modifications absolument fondamentales, car si les gens ne veulent pas
avoir ces modifications, cela va les obliger à recommencer tout leur
contrat de société. Et je ne parle pas des coûts que cela
va représenter pour faire cette fameuse immatriculation.
Ce qu'on avait dit concernant la loi sur le registre, c'est que
c'était une loi qui avait pour effet - et le projet de loi sur les
sociétés le confirme - de restreindre la liberté des gens
d'associations, parce que cela crée des mécanismes, des
obligations et des formalités qui sont vraiment exagérées
et inutiles et, en plus, cela restreint beaucoup la liberté
contractuelle. Si les gens avaient choisi le mode de la société
pour faire affaire, c'est vraiment parce qu'ils avaient décidé de
ne pas choisir celui de la compagnie personne morale. Avec le nouveau
système, on va quand même les ramener dans un système
presque similaire. On va les obliger à aller affirmer chaque
détail qu'ils ne veulent pas avoir du nouveau système. Cela sera
extrêmement lourd pour tout le monde.
M. Filion: Je vous remercie, Me Martel. Ma question porte sur le
contrat de travail qui m'a tenu particulièrement à coeur -
j'allais dire particulièrement occupé. Sur la stipulation de
non-concurrence, le Barreau ne fait pas de remarque particulière. Par
contre, sur le devoir de loyauté de l'employé - article 2146 sur
le contrat de travail - a juste titre, vous ajoutez dans la formulation de
l'article "de l'information à caractère confidentiel".
Ce qui me chicote dans ce devoir de loyauté, c'est ceci: On dit:
L'article nous le dira; ce qui est confidentiel, tu ne dois pas en faire usage;
ce qui est un secret commercial, n'en fais pas usage. D'un autre
côté - peut-être que mon raisonnement n'est pas exact - je
me dis que dans certains cas, en vertu de l'intérêt public ou de
l'ordre public, l'employé pourrait avoir intérêt à
divulguer ce dont il a pris connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Par
exemple, pensons à l'information touchant les produits dangereux.
Pensons à la protection de l'environnement. Pensons de façon
encore plus pratique à la santé et à la
sécurité des travailleurs dans une boîte, dans un lieu de
travail ou sur une machine en particulier. Bref, II peut y avoir des
circonstances où, au-delà de ce devoir de loyauté que
l'avant-projet de loi codifie de la façon qu'on connaît, je ne
voudrais pas que les travailleurs ou les travailleuses se sentent dans certains
cas liés par une espèce d'obligation comme celle-là, alors
qu'il est d'intérêt public ou d'ordre public - ce ne sont pas des
notions faciles, bien sûr - de divulguer ces renseignements qui gardent
leur caractère confidentiel.
M. Nadeau: Me Cimon fera des commentaires. Il a participé
à cette sous-commission.
M. Filion: D'accord.
M. Cimon: Nous nous sommes effectivement interrogés sur
cette question. Nous en sommes venus très simplement à la
conclusion que l'ordre public primait absolument une disposition comme
celle-là et que ce n'était certainement pas au Code civil qu'il
fallait introduire des exceptions ou des dispositions en vue de faire une liste
de cas où il pourrait y avoir délation sans contravention au
Code. Il nous semble que notre système de droit fondamental, en ce qui a
trait à la primauté de l'ordre public, était suffisant
pour constituer en soi une exception à une disposition comme
celle-là.
M. Filion: D'accord. C'est ce que je croyais, que l'ordre public
finalement primait. Par contre, le Code civil retient la notion d'ordre public
à d'autres occasions, notamment dans d'autres chapitres du Code civil.
Ce n'est peut-être qu'une référence à l'ordre
public, sans évidemment aller commettre le péché de tenter
de définir ce que c'est.
M. Nadeau: C'est toujours un peu le danger. Si on continue dans
la même veine que lorqu'on a amorcé les travaux, on risque de se
retrouver avec plusieurs articles pour tenter de circonscrire dans quel cas
particulier un employé sera exonéré de son obligation de
confidentialité ou de loyauté. Il y a toujours ce danger. C'est
peut-être mieux de vivre avec la notion sous-jacente d'ordre public et de
laisser les tribunaux faire leur oeuvre, pour une fois.
M. Filion: J'ai une autre question. J'ai le goût de
demander un avis professionnel. Comme législateurs, on ne devrait pas
s'en priver. On a reçu un plaidoyer très vibrant à cette
commission - en tout cas, bien fait en ce qui me concerne - de la part de
l'Ordre des architectes et de la part des architectes en pratique privée
concernant cette responsabilité relativement unique, solidaire, qui
gouverne notre troïka de la construction, c'est-à-dire entrepreneur
- ingénieur - architecte. On s'est fait expliquer de façon
très précise - cela confirme ma connaissance du milieu - comment
les entrepreneurs peuvent s'incorporer et se désincorporer comme ils le
veulent, à tel point que l'avocate du Barreau nous disait que
c'était presque un deuxième métier pour les entrepreneurs
que de trouver la bonne incorporation pour faire tel projet.
Par contre, en ce qui concerne les architectes et les ingénieurs,
ils continuent, selon ce qui nous a été exprimé en
commission parlementaire, non pas de jouir, mais, tout le contraire,
d'être affligés d'une responsabilité datant un peu
de la coutume de Paris et faisant en sorte que ça prend un responsable
quelque part. Or, comme l'architecte est celui qui Incorpore toutes les
notions, si l'immeuble tombe, ça va être lui. Évidemment,
le métier d'architecte a considérablement évolué au
fil des années. Encore une fois, ça nous a été
expliqué en long et en large d'une façon extrêmement
précise par ces architectes.
Le mémoire du Barreau là-dessus pose beaucoup de
questions, plus qu'il n'apporte de réponses. J'aurais le goût de
vous demander, M. le bâtonnier ou à l'un des avocats qui vous
accompagnent si vous seriez d'accord pour que l'article 1688, en
l'espèce, soit modifié, pour faire en sorte que l'architecte ou
l'ingénieur puisse se disculper de cette responsabilité solidaire
qui existe maintenant pour la perte de l'édifice, plus
précisément pour lui permettre de prouver qu'il y a eu force
majeure ou que le défaut de l'immeuble ne résulte pas d'une faute
de l'architecte ou d'une faute dans les plans qu'il a fournis pour la
construction de cet immeuble.
Question pas facile. Peut-être voulez-vous y
réfléchir?
M. Nadeau: Non, non.
M. Filion: Si le Barreau est prêt à nous
éclairer là-dessus, j'aimerais avoir son avis professionnel.
M. Nadeau: Avant de présenter mon bâtonnier,
j'aimerais savoir si vous faites référence à l'article
1688. Vous faites référence à l'article 1688 actuel, si je
comprends bien. J'ajoute que n'importe quel professionnel peut
s'exonérer actuellement s'il prouve qu'il n'a pas commis de faute.
M. Gilbert: Depuis l'arrêt Cargill, il y a eu beaucoup de
chemin parcouru, beaucoup d'assouplissement apporté à l'article
1688, au plan du partage de la responsabilité et même de
l'exonération lorsqu'il serait démontré que la faute est
chez le propriétaire, ou que la connaissance ou la participation du
propriétaire est à l'origine de la perte, de la destruction.
J'aimerais bien glisser, ici, à travers votre question, qu'il est
temps qu'on laisse aux corporations professionnelles le droit de s'incorporer.
Cela réglerait peut-être une autre façade du
problème, et il est urgent qu'on restreigne le temps à
l'intérieur duquel on peut poursuivre les corporations professionnelles
ou les professionnels en raison de manquements à leur profession.
Vous savez que les avocats, incidemment, M. le député,
sont exposés à des poursuites pendant 30 ans, si jamais ils
commettent une faute professionnelle.
M. Filion: Dans le cas des médecins, cela a
été modifié par...
M. Gilbert: Les médecins ont eu la faveur d'une
intervention du législateur. Nous attendons la nôtre!
M. Nadeau: Trois ans. M. Filion: Trois ans!
M. Gilbert: Mais l'article 1688 est déjà bien
assoupli...
M. Filion: Par la jurisprudence.
M. Gilbert: ...dans le contexte actuel. Maintenant, je pense
qu'il y a une distinction à faire. Je ne suis pas l'auteur du rapport;
j'espère que je ne m'en vais pas trop à part du rapport. Il y a
une distinction à faire entre le
propriétaire-commerçant-expert et le propriétaire profane
qui se fait bâtir une maison résidentielle. Je pense que Cargill a
bien fait valoir ces distinctions. (12 h 45)
M. Filion: La corporation faisait valoir également ces
distinctions en ce qui concerne le propriétaire unique.
M. Gilbert: Oui.
M. Filion: En deux mots, celui qui se fait construire un bungalow
quelque part et les propriétaires qui connaissent souvent leur
métier aussi bien que...
M. Gilbert: Et qui interviennent très souvent dans
l'élaboration du devis.
M. Filion: C'est cela.
M. Gilbert: Non seulement du devis, mais du processus de
construction.
M. Filion: Ce que vous nous dites, c'est qu'il y a eu des
modifications jurisprudentielles qui font en sorte que cette
responsabilité, qui peut sembler...
M. Gilbert: La rigueur de l'article 1688 a été bien
atténuée depuis l'arrêt Cargill.
M. Filion: Absolument.
M. Cimon: Cependant, il reste des problèmes très
sérieux auxquels il est certain qu'il faut s'attaquer, que l'on conserve
l'article 1688 actuel ou que l'on adopte l'avant-projet. Quant à nous,
après bien des discussions au sujet de la signification des articles
2183-2184-2185, laquelle n'est pas nécessairement limpide, nous en
avions conclu qu'effectivement le législateur avait voulu introduire ici
le tempérament principal qui est de permettre aux gens de
s'exonérer en prouvant qu'ils ne sont pas responsables. Le
véritable problème était la solidarité, en
l'absence d'une
possibilité de se disculper. Parce qu'il est exact que les
professionnels - ingénieurs ou architectes - se retrouvaient, en
l'absence de faute de leur part, avec une présomption
irréfragable et tenus de payer les dommages, sans possibilité de
se retourner contre l'entrepreneur qui était disparu, avait fait
faillite et avait possiblement repris son métier autrement. À
partir du moment où vous maintenez la solidarité, mais que vous
donnez une possibilité de s'exonérer, il m'apparaît qu'en
pratique, vous réglez une grande partie du problème. il n'en
demeure pas moins que toute présomption de responsabilité dans
notre droit est le pire des systèmes. Il peut être
nécessaire pour répondre à des situations
spécifiques, telles la construction, où on peut quand même
vraiment présumer que ce sont les intervenants qui sont les premiers
connaissants. C'est justement ce tempérament que Cargill est venu
apporter, il y a quelques années. Mais, à compter du moment
où une telle présomption est nécessaire - et l'enlever
nous paraît aller à l'encontre de l'évolution actuelle du
droit; c'était peut-être la première présomption aux
lois sur la protection du consommateur, qui a été adoptée
à l'origine - cela nous paraissait irréaliste de vraiment lancer
un débat pour dire: Nous croyons qu'il sera opportun d'aller à
contre-courant en ce qui concerne l'article 1688. Il nous paraissait falloir
adopter une attitude pratique. Voici nos recommandations. Sous les
réserves qu'il nous semble qu'on ait vraiment, sous certains aspects,
beaucoup trop élongé cette responsabilité par les
définitions qu'on a apportées ou par les distinctions
établies entre les détériorations et les malfaçons,
ce qui fait qu'on rend aujourd'hui les gens responsables pour cinq ans de
simples détériorations et qu'on leur impose une
présomption qui est peut-être beaucoup trop importante quant aux
conséquences, sous ces réserves, il nous paraît qu'on a
fondamentalement gardé l'article 1688 en donnant justement le principal
remède, soit la possibilité de s'exonérer. Ce n'est pas
idéal, mais c'est très certainement une amélioration
importante qui devrait répondre aux abus les plus criants du
système actuel.
M. Filion: Je vous remercie, Me Cimon, c'était très
intéressant. Peut-être une question sur le contrat de
consommation. En ce qui concerne la responsabilité du fabricant et du
vendeur, au chapitre de vos commentaires généraux, aux pages VIII
et IX de votre mémoire - partie rédigée, je pense, par Me
Masse et par votre équipe - vous critiquez les dispositions de
l'avant-projet de loi quant au recours du consommateur contre les fabricants et
contre le vendeur pour vice du bien. Vous proposez d'adopter des recours
identiques à ceux de l'article 53 de la Loi sur la protection du
consommateur, entre autres. À votre avis, est-ce nécessaire pour
le législateur d'ajouter ces recours?
M. Masse: D'ajouter les articles 53, 54, 37 et 38...
M. Filion: Oui.
M. Masse:...à l'avant-projet de loi?
M. Filion: Voilà!
M. Masse: Non, certainement pas. Je pense que le
législateur ou les codificateurs avaient le problème suivant: II
y a eu des avancées considérables dans la Loi sur la protection
du consommateur en matière de responsabilité des vendeurs et des
fabricants, essentiellement aux articles 37, 38, 53 et 54, pour ce qui est des
garanties légales.
On peut noter que, sauf en matière d'automobile, ils ont
été peu appliqués, c'est vrai, et l'introduction de ces
dispositions dans le cadre du Code civil ferait beaucoup pour faire avancer le
droit des consommateurs a cet égard. À mon avis, il était
assez difficile de penser qu'on aurait pu garder ces dispositions dans le titre
3. Donc, il était clair qu'on s'en allait vers une introduction de ces
principes dans le cadre du titre 1 ou 2. Jusque-là, je suis tout
à fait le raisonnement des codificateurs.
Ce qui me pose des problèmes majeurs - et on en a beaucoup
parlé au comité - et à tous les membres du comité,
c'est le fait que l'on nie l'évolution jurisprudentielle et
législative des dernières années avec le projet de loi.
L'évolution est dans le sens suivant: avec l'affaire Kravitz et avec
l'adoption, en 1978, de la Loi sur la protection du consommateur, on a
unifié les bases des régimes de responsabilité des
fabricants et des vendeurs pour pouvoir reprocher au fabricant essentiellement
ce que l'on pouvait reprocher au vendeur, et on a uniformisé ces
régimes pour une meilleure protection des consommateurs.
Or, d'une part, l'avant-projet de loi va à rencontre de cette
évolution, nous fait perdre l'essentiel de l'évolution favorable
depuis Kravitz, et l'article 53 fait reposer la responsabilité du
fabricant sur un concept nouveau qui semble tiré du droit
français, soit le vice de sécurité, et continue de faire
reposer la responsabilité des vendeurs sur la notion de vice
caché.
Deuxièmement, deuxième problème. On multiplie le
problème par le fait qu'on va établir des distinctions, surtout
à l'égard des fabricants, entre la responsabilité pour les
dommages matériels et la responsabilité pour les dommages
corporels. Je vous réfère à l'article - que je persiste
à ne pas comprendre - l'article 1516 en matière d'option ou en
matière de cumul. Cela veut dire ceci en pratique: Paradoxalement, pour
la première fois depuis quinze ans dans l'histoire de notre droit - et
on va convenir que la responsabilité des fabricants, c'est
fichtrement
important pour les consommateurs - le fabricant aura moins de
responsabilités que le vendeur. J'en donne des exemples: l'article 1526,
alinéa 2, qui limite la responsabilité du fabricant pour dommages
matériels uniquement à l'égard des utilisateurs. Il y a
une foule de problèmes pratiques causés par ça. L'autre
exemple, c'est le fait que le fabricant pourra invoquer qu'au moment de la
fabrication du produit, il ne pouvait pas connaître les dangers du
produit, alors qu'une lecture attentive des dispositions en matière de
responsabilité du vendeur oblige le vendeur à répondre de
tout défaut antérieur et postérieur, même sans sa
faute.
Donc, dans la proposition de l'avant-projet de loi, les vendeurs - les
simples intermédiaires entre les fabricants et les consommateurs -
seront, nous semble-t-il, infiniment plus pénalisés que ne le
sont ceux qui sont vraiment responsables de la qualité du produit, soit
les fabricants. Cela nous apparaît être un paradoxe
considérable. De ce côté, la seule façon d'en
sortir, c'est d'adopter conjointement l'approche adoptée par les
articles 37, 38 et 53, en corrigeant, au moment de !a rédaction, une
erreur de différenciation, me semble-t-il, entre les bases de
responsabilité des articles 37, 38 et 53, et en insérant ce
nouveau mécanisme, opposable à la fois au fabricant et au
vendeur, dans le cadre des principes généraux. Autrement, la
situation qui sera faite au fabricant est tout à fait intenable pour les
consommateurs; leur fardeau de preuve, les possibilités
d'exonération des fabricants - et j'en mentionnais une tantôt -
sont trop nombreuses par rapport au poids considérable que l'on fait
reposer sur les petits intermédiaires, souvent les simples vendeurs qui
ne sont même pas des spécialistes.
M. Filion: Je vous remercie, Me Masse. Mme la Présidente,
avec votre permission, je demanderais à Me Pierre Gariépy de
poser une question à nos invités.
La Présidente (Mme Bleau): Me Gariépy.
M. Gariépy (Pierre): Ma question porte sur l'article 2574.
C'est l'article au deuxième alinéa qui traite des frais et
dépens des actions contre les assurés, à savoir que ces
frais et dépens sont à la charge de l'assureur. C'est le texte de
l'article 2605 actuel du Code civil du Bas-Canada.
Dans votre mémoire, à la page 84 du volume 2 sur les
assurances, vous proposez que cette disposition soit modifiée afin qu'il
soit permis de stipuler qu'une partie des frais et dépens soit à
la charge de l'assuré, que ce soit sous forme d'exclusion ou de limite.
La question que je voudrais poser est la suivante: dans l'hypothèse
où la réclamation en assurance-responsabilité serait
égale au montant de l'assurance ou supérieure au montant de
l'assurance, et qu'on aurait, par hypothèse, fixé une limite de
10 000 $ aux frais de l'assureur à titre d'hono- raires extrajudiciaires
pour le procureur choisi par l'assureur, qu'en sera-t-il lorsqu'arrivera le
déroulement en fin de compte du dossier judiciaire? Est-ce que
l'assuré n'aura pas intérêt à ce que l'assureur
règle le dossier, même avant l'émission d'un bref, afin
d'éviter de payer les honoraires extrajudiciaires du procureur de
l'assureur? Est-ce que l'assureur ne serait pas porté à laisser
le dossier - sans nécessairement multiplier les procédures -
aller jusqu'au bout? Parce que, de toute façon, les honoraires
extra-judiciaires, dépassé un certain montant, seraient à
la charge de l'assuré et ceia retarderait le paiement de
l'indemnité. Est-ce qu'il n'y aurait pas de possibilité de
conflit d'intérêts chez le procureur à cette occasion?
M. Nadeau: S'il y a quelque chose, c'est que, traditionnellement,
il y a un conflit au niveau des assureurs qui font affaire dans la province de
Québec en regard de l'article 2605 actuel. Comme vous le savez,
l'assureur doit couvrir pour un montant donné de capital, en plus des
intérêts et des frais, quel que soit le montant des
intérêts et des frais en question. Cela fait l'objet d'un
débat incroyable depuis toujours, parce que, sauf erreur - et mon
bâtonnier est peut-être plus versé que moi sur le sujet -
nous sommes le seul endroit en Amérique du Nord où il n'y a pas
cette limite. Il n'y aucune limite quant aux intérêts et aux frais
qui puissent être acceptables ou insérés dans un contrat
d'assurance dans la province de Québec.
Les assureurs, par différents biais - ou bien directement ou bien
par les représentations faites par leur procureur ou autrement -
essaient depuis de nombreuses années d'obtenir cette possibilité
de mettre un plafond à leur engagement, en ce qui concerne les
intérêts et les frais. Il y a eu beaucoup de résistance et
il continue d'y en avoir. Ce que nous avons fait au comité du Barreau
à ce sujet, c'est ceci: plutôt que d'aller aussi loin que ne !e
souhaitent les assureurs, c'est-à-dire qu'il y ait un plafond dans la
police d'assurance concernant les intérêts et les frais, il puisse
y avoir, néanmoins, une espèce de franchise conventionnelle,
c'est-à-dire qu'on s'entend d'avance avec l'assuré que si les
frais dépassent X montant, il devra absorber la partie qui
dépasse ce montant, de façon à ce que l'assureur puisse
évaluer le risque pour lui.
Or, l'essence du contrat d'assurance, comme vous le savez, c'est que
l'assureur accepte de protéger un assuré dans la mesure où
il sait, où il peut savoir quel est le risque auquel il s'expose, parce
que, évidemment, tout cela est une question d'actuariat et de chiffres.
Ce qui pose un problème majeur aux assureurs, nous dit-on, c'est
d'évaluer que! est leur "exposure". S'il était permis de modifier
légèrement cela par des dispositions conventionnelles, il est
vraisemblable de croire que les primes baisseraient.
Maintenant, jusqu'à quel point les assurés ou certains
groupes d'assurés pourraient-ils être
exclus ou pourraient-ils avoir des problèmes majeurs avec
ça? Belle question! Me LeMay a peut-être un commentaire.
M. LeMay: J'ai peut-être autre chose sur la question des
frais. Lorsqu'on parle de frais, cela inclut une foule de choses qui ne sont
pas des honoraires d'avocat. Vous devez bien réaliser que ce ne sont pas
les honoraires d'avocat qui sont le plus souvent concernés. Ce sont
souvent les honoraires d'experts, parce que frais et dépens incluent
à présent les honoraires d'experts. Dans les causes techniques,
les honoraires d'experts sont très élevés.
Dans une cause récente où le montant en jeu était
d'environ 2 500 000 $, les honoraires d'experts de toutes les parties pendant
un procès d'un mois ont coûté 500 000 $, soit 25 % du
montant qui était en jeu, ce qui est effarant. Mais il y avait quinze ou
seize experts. La partie qui est obligée de payer le montant de la
condamnation doit défrayer un montant considérable de frais.
Alors, les assureurs veulent être en mesure de prévoir un
peu ou de limiter la couverture à ce moment-là, parce que,
souvent, le montant dû à la partie qui gagne, en honoraires
d'experts et en frais judiciaires, mais surtout en honoraires d'experts, va
être effarant. Cela existe ailleurs. Cela existe en Ontario, dans les
autres provinces anglaises, et surtout aux États-Unis. La recommandation
était peut-être d'éviter qu'on fasse bande à part
dans ce domaine et que les assureurs qui font affaire au Québec ne
soient davantage pénalisés que ceux qui font affaire à
l'extérieur.
M. Filion: Vous permettez. Par contre, le problème que
cela pose, pour l'assuré, c'est une incertitude. Deuxièmement,
devant le tribunal, durant l'instance, cela peut aussi signifier une
multiplication des intervenants.
M. LeMay: Oui, sauf que si...
M. Filion: J'imagine le cas, selon le point de vue où l'on
se place. Supposons que la franchise ou le plafond soit à la veille
d'être atteint, il me semble que ça donnerait lieu à une
espèce de situation, même un peu loufoque, en plus du conflit
d'intérêts possible, encore une fois. Je comprends qu'on a un
régime unique, ce n'est pas facile. Je comprends bien ce que vous dites,
également. (13 heures)
M. Nadeau: C'est parce qu'on essaie de choisir le moindre de deux
maux, dans celui-là.
M. Filion: Les assureurs nous ont dit la même chose.
Écoutez, à notre première journée de commission
parlementaire, ou deuxième, je pense, les assureurs nous ont dit:
Écoutez, il faudrait limiter cela. Par contre, dans cette balance, les
inconvénients sont énormes.
M. LeMay: Si vous me permettez, juste un dernier mot
là-dessus. Que c'est pour les gros assurés et non pas pour les
assurés moyens. Parce que ce problème-là ne se posera pas
pour un particulier en général qui va être assuré,
cela va se présenter dans le cas de grandes corporations, de grandes
compagnies qui sont habituées d'avoir des réclamations
importantes s'échelonnant sur de longues périodes. C'est dans ce
cas que le problème va se poser en général et non pas dans
le cas de particuliers.
M. Filion: Merci.
M. Gilbert: Oui. J'aimerais prendre à profit l'exemple que
vous nous présentez pour vous dire: Voici un exemple d'une
fausseté juridique. Qu'est-ce que cela vient faire, cette stipulation
selon laquelle le législateur dit à des contractants: Vous allez
contracter, vous allez accepter, vous allez convenir d'indemniser, advenant un
événement contre lequel vous vous prémunissez moyennant
une prime, vous aviez convenu d'un montant dans la police. Le
législateur dit: Mais vous allez aussi payer autre chose.
L'assureur va dire: Je vais payer n'importe quoi. Je vais vous payer, je
vais payer la terre et la lune mais ce que je veux, par ailleurs, c'est que si
je paie la terre et la lune, il va falloir que j'ajuste mes primes. C'est cela,
c'est un acte de commerce, l'assurance, et les assureurs, il n'y a rien qu'ils
ne prennent moins que des risques, ils veulent tout savoir.
Et un bon assureur connaît un risque d'avance et il l'a tellement
mesuré qu'il sait qu'en fixant sa prime, il a sa marge de profit entre
le risque vécu et la police souscrite. C'est cela. Mais ce qu'il n'aime
pas, c'est ne pas le savoir. Dans notre droit, on a mis cela d'ordre public. On
est intervenus et on a dit aux parties d'un contrat
d'assurance-responsabilité: Non seulement vous allez passer votre
contrat comme vous le voulez, mais quand vous aurez à payer ce que votre
contrat a dit que vous voulez payer, vous allez être obligés aussi
de payer d'autres choses, ce qui déjoue complètement
l'équilibre d'un rapport contractuel.
Que des parties capables de contracter veuillent se soustraire à
cela, cela ne me blesse pas. Cela ne me blesse pas que des parties capables de
contracter disent: Moi, je prends une police d'assurance-responsabilité
professionnelle ou d'assurance-responsabilité civile en
général et je suis couvert pour 1 000 000 $. Et je sais
très bien que s'il arrive une malheureuse situation de laquelle
découle mon obligation d'indemniser, j'ai 1 000 000 $ de capital dans
une police pour alléger mon fardeau. Et qu'un autre assureur lui dise:
Moi, je suis prêt a faire d'autres choses avec vous, je suis prêt
à vous indemniser, non seulement 1 000 000 $, ou non seulement à
porter votre responsabilité pour 1 000 000 $, mais à la porter
avec intérêts et dépens et toutes sortes de choses. Mais la
prime sera plus
chère, M. Gilbert.
Je suis libre, moi, j'espère, de dire: Bon, je la prends quand
même, j'ai les moyens de la prendre, cette police, avec une prime qui
coûte le triple de l'autre. Parce qu'il ne faut pas partir avec
l'Idée qu'on est obligés de s'assurer, on n'est pas
obligés de s'enrichir pour réparer les conséquences de ses
erreurs. Il n'y a pas d'obligation, au contraire, la loi nous a même
donné des moyens de les éviter. La loi sur les faillites est
faite pour cela, pour se soustraire à des obligations d'acquitter ses
obligations commerciales et même, cela s'est étendu à des
obligations civiles.
Voyez-vous, il y a tout un schéma philosophique, on dirait, qui a
été mis de côté et on est entrés dans
d'autres choses, avec le résultat que les assureurs qui viennent au
Québec faire affaire, y viennent les poings fermés. On paie des
primes beaucoup plus cher qu'ailleurs, quand ce n'est pas tout simplement qu'on
se fait refuser le risque qu'on leur présente. Parce que, nous
disent-ils, on ne sait pas que! est votre risque. Alors, je ne sais pas si je
réponds à votre question, mais moi, cela répond à
mon sens, disons, philosophiquement juridique ou juridiquement philosophique
d'une société bien organisée.
Je le sais, je fais affaire avec des assureurs et chaque fois que je me
montre le nez, ils me disent: Oui, mais écoutez, faire affaire chez
vous, on ne sait pas ce qu'on fait. Et ils ont raison, ils ne savent pas ce
qu'ils font.
M. Filion: Cela existe depuis une douzaine d'années...
La Présidente (Mme Bleau): Je m'excuse, M. le
député de Taillon. Votre temps est déjà
terminé depuis deux minutes.
M. Filion: Oui, mais c'était ma dernière question:
Cela existe depuis combien de temps?
M. Gilbert: Cela existe depuis 1974, en tout cas.
M. Fillion: Depuis 1974. Je vous remercie. Cela va, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Bleau): Alors, je passerai maintenant
la parole à M. le ministre de la Justice.
M. Rémillard: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais
peut-être poser une dernière question concernant l'article 1520
sur la responsabilité du gardien. Vous vous opposez, dans votre
mémoire, à ce que le majeur qui est protégé soit
dorénavant tenu responsable de ses actes, plutôt que son gardien;
vous vous opposez à cette mesure. C'est une mesure qu'on sait qui
existe, je pense, depuis plus de vingt ans dans le droit français, sans
causer particulièrement de problème. D'autre part, on peut croire
que c'est une disposition qui pourrait favoriser îa prise en charge du
majeur protégé par un curateur privé, ou pour encourager
la curatelle privée. J'aimerais vous entendre là-dessus. Pourquoi
êtes-vous contre ce principe?
M. Nadeau: Est-ce qu'on peut juste lire le texte - vous m'excusez
une seconde!
M. Cimon: Peut-être au moins un premier mot! Ceci ne se
situe pas dans le contexte précis du règlement d'un
problème déterminé qui serait celui du dommage
causé par un mineur, en rapport avec la responsable de son surveillant,
mais doit être vu beaucoup plus dans le cadre des remarques qui ont
été faites tout à l'heure en ce qui a trait à la
responsabilité objective, d'abord, et deuxièmement, à
l'obligation d'une personne non responsable d'acquitter une obligation, non pas
eu égard à un régime de responsabilité, mais eu
égard à sa richesse ou à sa possibilité
financière de le faire.
C'est dans le cadre de ces deux volets qu'il faut comprendre la position
du Barreau.
En soi, cette disposition peut répondre à un besoin, ou
à une croyance en une injustice de fait, mais en théorie, elle
s'oppose dans un nouveau régime de responsabilité objective, non
seulement de responsabilité objective, mais également
d'indemnisation, non seulement sans faute, mais selon la qualité du
mineur en question, ou sa richesse. Et c'est dans l'ensemble des remarques qui
ont été faites non seulement pour cette disposition-là,
mais également, ce qui a été discuté tout à
l'heure en ce qui a trait au mineur non protégé. Ceci me
paraît être la suite logique des remarques qui ont
été faites.
M. Nadeau: Peut-être un autre commentaire aussi. À
la lecture, je réalise que ce qui nous causait des problèmes,
c'était surtout le fait qu'on semblait vouloir enlever le recours d'un
tiers victime contre le gardien de la personne, ou celui qui a la garde
juridique de cette personne qui est dénuée de raison ou de
discernement; ce qui, vous le savez, est le cas actuel sous 1054.
Et ça amène l'autre problème aussi: Comment
pourra-t-on déterminer ce qu'on appelle ici le comportement en
lui-même fautif? Est-ce qu'il va falloir que le juge, objectivement,
décide que le geste posé par la personne protégée
était une faute ou aurait été une faute, s'il avait
été commis par une autre personne que celle-ci, et ensuite
déterminer, selon les moyens financiers de l'auteur qu'il doit ou ne
doit pas indemniser?
Nous trouvons que c'est beaucoup trop complexe. Si on veut rendre
l'indemnisation plus facile, bien, qu'on enlève certains des moyens
d'exonération du gardien de la personne protégée. Mais
actuellement, on poursuit la personne protégée pour un
défaut de sa part, ou une faute de sa part, dans la garde de la personne
dont
elle a la charge. S'il y a faute, s'il y a eu négligence dans
cette garde, cette personne-là est tenue d'indemniser; alors qu'ici,
l'avant-projet mentionne plutôt que c'est la personne
protégée qui doit réparation avec, sous réserve
d'un recours qu'elle a contre son gardien, mais seulement dans le cas de faute
intentionnelle ou lourde, dans l'exercice de la garde. Ce qui est un fardeau
beaucoup plus lourd.
Alors, en somme, ce qu'on veut faire, semble-t-il, c'est imposer d'abord
et avant tout le paiement ou la réparation du préjudice financier
à la personne protégée ou à ses biens, sujets dans
certains cas qui vont devenir très rares à une espèce de
recours en garantie contre le gardien, alors que le système actuel,
c'est le contraire. On poursuit le gardien s'il a fait un défaut dans la
surveillance de la personne et que cette personne protégée a
commis un dommage. C'est le gardien qui avait le contrôle immédiat
sur cette personne et qui a fait défaut de l'exercer en temps utile qui
doit réparation.
Le Président (M. Marcil): M. le ministre.
M. Gilbert: N'est-il pas intéressant ici de faire la
comparaison entre l'étendue du devoir de surveillance qu'ont les parents
vis-à-vis des enfants et l'étendue du devoir de garde d'une
personne à qui est confiée une autre personne démunie de
raison? Les parents se vident de leurs responsabilités, se
dégagent de leurs responsabilités en faisant la preuve qu'ils ont
fait tout ce qui est humainement possible et raisonnablement possible pour bien
éduquer les enfants. N'est-il pas logique de dire: Bien, que le gardien
de la personne fasse lui-même la preuve qu'il a fait une bonne garde,
s'il a fait une bonne garde, je ne vois pas pourquoi le patrimoine de
l'incapable, de la personne qui est démunie de raison, deviendrait
garant de la réparation du préjudice? Il me paraît y avoir
une fausseté philosophique dans cela. Il n'y a pas de faute là.
La personne démunie de raison pose un acte en lui-même fautif.
Cela veut dire que si on le dégage et si on le plaçait dans un
autre contexte, on dirait: Si cela avait été une personne saine
d'esprit qui avait fait cela, on aurait dit qu'elle aurait commis une faute.
Donc, parce que cette personne-là est elle-même incapable de
commettre une telle faute et est quand même l'auteur de cet acte en
lui-même fautif, on lui dit: Paie d'abord, indemnise d'abord la victime.
Ensuite, on dit à cette personne-là qui va être
obligée de s'assortir d'un subrogé tuteur, je suppose, pour aller
contre le premier tuteur ou du curateur: Bon, bien, maintenant, retourne pour
essayer de te renflouer contre le patrimoine de ton gardien, à charge,
toutefois, de la démonstration que ce gardien a fait une mauvaise garde.
Qu'est-ce que c'est, cette affaire-là? Cela devient...
Une voix: Lourd.
M. Gilbert: Oui... lourd, non seulement lourd mais cela part
d'une injustice d'abord. Pourquoi avoir fait payer le patrimoine d'une personne
qui n'est pas capable de commettre de faute alors que la seule
réalité devant laquelle on est placée, c'est qu'il y a eu
une faute commise à l'égard d'un devoir de garde? Si quelqu'un
est victime de la mauvaise éducation donnée par des parents et de
laquelle découle un acte dommageable d'un enfant dont ces
parents-là sont responsables, on va directement contre les parents. On
ne commence pas par aller épuiser le patrimoine de l'enfant incapable de
faute et ensuite dire à l'enfant: Tu te retourneras contre tes parents,
toi, en les blâmant. L'acte de garde a une certaine connotation de devoir
public. C'est un acte de responsabilité envers tout le monde que de bien
garder un animal, un enfant, une personne démunie de raison. Les
élèves doivent être bien gardés par leur
maître, etc. Alors, moi, je trouve qu'on s'est forcés, là,
ici, encore une fois. On s'est donné du mal.
La Présidente (Mme Bleau): Alors, merci, M. le
bâtonnier. Est-ce que vous avez d'autres... Alors, je passerai la parole
à l'Opposition officielle. Est-ce que vous avez une question? Oui, oui,
bien.
M. Dauphin: Je pense qu'il ne reste plus de temps.
La Présidente (Mme Bleau): II reste...
M. Dauphin: Avant de laisser au ministre et collègue de
Taillon de vous remercier.
La Présidente (Mme Bleau): Oui. Alors, le
député de Marquette, s'il vous plaît.
M. Dauphin: Je sais que la période de questions commence
à 14 heures. Mais quand même, une dernière question, si
vous me le permettez, Mme la Présidente, relative à la vente en
bloc ou appelée ici dans l'avant-projet vente d'entreprises. Je sais que
le ministre de la Justice a eu l'occasion de poser une question sur ce sujet
à la Chambre de commerce du Québec, si ma mémoire est
bonne, au début de nos travaux. Vous dites dans votre mémoire que
l'on va un petit peu trop loin dans les règles particulières
relatives justement à cette vente en bloc, la vente d'entreprises.
Alors, j'aimerais que vous énumériez les situations où on
irait un peu trop loin dans l'avant-projet de loi. Le deuxième volet de
ma question, le groupe qui va vous succéder un peu plus tard dans
l'après-midi, la Chambre des notaires du Québec, propose au
contraire que l'on abroge purement et simplement les règles
particulières relatives à la vente en bloc ou la vente
d'entreprises. Alors, j'aimerais vous entendre sur cela. (13 h 15)
M. Nadeau: Je vais devoir vous décevoir parce qu'aucun
d'entre nous ici n'a participé au comité sur la vente. Les gens
qui ont participé à ce comité et qui auraient fort bien pu
répondre à votre question n'ont pas pu venir aujourd'hui. Alors,
si vous nous le permettez, on va être obligés de faire une
réserve là-dessus et revenir éventuellement si vous
insistez que nous répondions à la question. Pour l'instant, sauf
erreur, personne n'est en mesure de répondre exactement à cela,
malheureusement.
Mme Vadboncoeur: Je voudrais d'abord que vous me
référiez à l'article et à la page.
M. Dauphin: Je m'excuse. C'est l'article 1822 de l'avant-projet
de loi et dans votre mémoire c'est à la page 35.
Mme Vadboncoeur: Vous vouliez des exemples, c'est cela?
M. Dauphin: Oui. La première partie de la question c'est
que... Je ne sais pas si vous avez la page?
Mme Vadboncoeur: La page 35, oui.
M. Dauphin: Vous nous dites concernant des règles
particulières de la vente en bloc que vous craignez que l'avant-projet
de loi aille trop loin et englobe des situations qu'il ne convient
peut-être pas de viser. Ma question était de savoir quelles sont
les situations et croyez-vous qu'il faille viser la vente de l'outillage et de
l'équipement de l'entreprise? Le deuxième volet de la question
c'est que la Chambre des notaires du Québec, contrairement à
vous, au lieu de dire qu'on va trop loin, dit, c'est-à-dire dans le
même sens que vous, qu'on devrait abroger purement et simplement ces
règles particulières.
M. Nadeau: J'ai une espèce de précommentaire, si
vous me permettez. Je me souviens que lors de l'étude de ces
dispositions, parce que nous les avons regardées, néanmoins, la
question qui nous troublait beaucoup, c'était qu'il fallait
dénoncer dans la déclaration solennelle ou sous serment
prévue à l'article 1823 les noms et adresses de tous les
créanciers du vendeur. Le scénario que nous avions regardé
était le cas du vendeur qui possédait plusieurs entreprises ou
une entreprise avec plusieurs filiales, l'une faisant de la fabrication,
l'autre du montage, une autre faisant... Dieu sait quoi. Ce qu'on se posait
comme question c'était: Est-ce que le nom de tous les créanciers
de toutes les filiales de cette entreprise-là qui est le vendeur -
encore une fois on se posait la question à savoir qui est le vendeur.
Est-ce que c'est l'individu, l'actionnaire majoritaire ou la compagnie
même qui vend? - doit être dévoilé dans cette
déclaration solennelle ou sous serment? Cela nous posait un gros
problème dans le scénario où, par exemple, le vendeur -
que ce soit l'actionnaire majoritaire, celui qui a le contrôle effectif
ou la compagnie elle-même - ne vend qu'une de ces filiales ou une de ces
divisions. Est-ce que cela doit être, à ce moment, seulement les
créanciers, qui ont trait à ce qui fait l'objet de la vente en
bloc ou si cela doit être tous les créanciers comme cela semble
ressortir de l'article 1823, "tous les créanciers de l'entreprise"?
Quant à la position de la Chambre des notaires du Québec,
n'ayant pas eu le bénéfice de lire leurs commentaires et les
raisons pour lesquelles elle voudrait élargir, je pense que personne
d'entre nous ne peut vous aider à ce stade-ci.
M. Dauphin: Ce n'est pas élargir, c'est enlever
complètement, enlever "des règles particulières".
Mme Vadboncoeur: Je pourrais peut-être donner un
complément de réponse à la lumière du commentaire
que je viens de lire à la page 35. Le Barreau semble faire siens les
commentaires de l'article 411 du rapport de l'office et si je me fie à
ces commentaires, dans l'esprit des auteurs du rapport de l'office, la
définition de la vente de l'entreprise comprenait celle de l'outillage
et de l'équipement. Donc, sans que ce soit forcément nommé
ou désigné de façon formelle, si je me fie aux
commentaires qui sont là, on était d'accord à ce que cela
inclue l'outillage et l'équipement.
M. Dauphin: D'accord.
M. Cimon: Je pense que la remarque principale pour terminer a
trait à, si vous regardez les deux, la recommandation et le texte
même, c'est que lorsqu'on procède à
l'énumération de certains types d'universalités, puisqu'on
a déjà dit auparavant qu'il doit s'agir d'une partie
substantielle du fonds de commerce, si on le complète en disant ensuite
qu'il y a des universalités, on en vient à la conclusion qu'une
vente d'outillage devient une telle universalité et qu'en soi elle
constituait une vente en bloc, ce qui ne serait pas le droit actuel. On peut se
demander s'il est utile d'aller si loin pour obliger les entreprises
lorsqu'elles vendent, ne serait-ce qu'une seule des universalités
qu'elle possède, de passer à travers le processus très
lourd de la vente en bloc surtout dans les situations où on ne vend
qu'un seul commerce, qu'un seul magasin. Cela devient vraiment un
problème. Je comprends fort bien les notaires, leur
responsabilité professionnelle est quotidiennement en jeu dans cette
question parce que, en pratique, ils sont souvent obligés d'y passer
outre et pratiquement de se fermer les yeux parce que demander vraiment une
liste exhaustive des créanciers de l'entreprise, c'est mettre fin
littéralement à la transaction. Alors on se fie probablement
à la solvabilité et à la responsabilité des
gens.
M. Dauphin: D'accord, merci beaucoup.
La Présidente (Mme Bleau): Merci, M. le
député. Je passerai maintenant la parole pour les remarques
finales à l'Opposition.
M. Filion: Je vous remercie, Mme la Présidente, trois
heures qui ont passé aussi rapidement que mon examen du Barreau.
Écoutez, très simplement...
M. Nadeau: II va peut-être falloir en repasser un
autre.
M. Filion: Oui... Des voix: Ha, ha, ha!
M. Filion: Cela m'avait frappé tantôt. Très
simplement, d'abord pour les gens qui nous écoutent, eux n'ont pas eu le
bénéfice - nous avons posé quelques questions et
quelques-unes des questions seulement - évidemment de parcourir
l'ensemble des sept ou huit mémoires que le Barreau a
déposés. Il s'agit là d'une oeuvre tout à fait
magistrale, de conseils de maîtres que cette commission parlementaire a
reçus avec le plus grand intérêt. Encore une fois, autant
en quantité qu'en qualité, l'exercice de réflexion, de
travail, d'analyse, auquel s'est livré le Barreau, si je comprends bien
par comités et sous-comités, etc., c'est tout à l'honneur
du Barreau lui-même, de son service de recherche et c'est un effort
magistral. Et l'ensemble de ces commentaires viendra, bien sûr, alimenter
cette réflexion, ce collimateur qui fonctionne déjà
à plein depuis quelques semaines et qui va continuer à
fonctionner jusqu'au moment où un projet de loi sera
déposé, c'est-à-dire lorsque des décisions auront
été prises.
La tendance, que je qualifierais peut-être de lourde, de vos
représentations, M. le bâtonnier, vous vous êtes fait
l'avocat du "consensualisme". Nous en retenons, à bien des
égards, une série de commentaires qui, quant à nous de
l'Opposition officielle, sont tout à fait fondés et
méritent d'être bien pesés avant d'être
rejetés. On ne peut pas évidemment être d'accord sur tous
les points qui ont été soulevés, j'aurais bien aimé
entamer avec vous une discussion, notamment sur la question d'une limite aux
frais et dépens dans les contrats d'assurance, mais je pense que
l'endroit et le lieu sont mal choisis. Donc, de façon
générale, M. le bâtonnier, Me Martel, Me Cimon, Me
Vadboncoeur, Me Nadeau, Me Masse, Me LeMay, merci, autant de la prestation que
vous avez donnée cet avant-midi, que du mémoire que vous avez
produit.
La Présidente (Mme Bleau): M. le ministre.
M. Rémillard: Oui, Mme la Présidente, je veux
remercier les gens qui sont venus, M. le bâtonnier et les gens qui
l'acccompagnent, d'abord pour la qualité du mémoire, un excellent
mémoire, qu'ils nous ont produit, et aujourd'hui, pendant ces trois
heures et plus où ils ont accepté de répondre à nos
questions, et ce fut extrêmement intéressant. Je sais tout le
temps que cela prend de la part des membres du Barreau pour préparer ces
mémoires. J'ai déjà été membre de ces
groupes, j'ai même eu le plaisir de travailler avec certains d'entre vous
sur des mémoires du Barreau en fonction de certaines lois, et je sais
que ce sont des dimanches et des heures de loisirs qui y passent, et je
voudrais vous en remercier, parce que voilà qui correspond très
bien à une des grandes responsabilités du Barreau, et vraiment
dans ce cas-ci en particulier, je dois vous féliciter pour l'excellent
travail que vous avez fait. Pour ma part, il ne m'a pas été
possible de me joindre à vous dès le début de cette
rencontre, parce que comme ministre de la Justice je suis président du
comité de législation, et je dois vous dire qu'avant la date
fatidique du 15 novembre, le comité est extrêmement occupé.
C'est donc dire que j'ai eu a siéger depuis sept heures ce matin et je
m'excuse de n'avoir pu me joindre à vous dès le début.
Je peux vous dire que vos remarques et commentaires seront pris
très sérieusement en considération. Vous avez fait valoir
des points de vue très importants sur bien des aspects importants et
nous allons en tenir compte. Tout à l'heure j'entendais Me Nadeau vous
dire qu'il faudrait peut-être passer un autre examen. Bien,
écoutez, il faut réaliser que lorsqu'on aura fini notre
opération, avec la prochaine commission parlementaire et la loi qui
suivra, ce seront plus de 3000 articles qui auront changé. Pour nous,
cela veut dire qu'il va falloir se remettre à l'étude.
Là-dessus, j'ai déjà eu l'occasion d'écrire au
bâtonnier, au président de la Chambre des notaires, aux
représentants de la magistrature et aux différents intervenants
pour leur suggérer de travailler ensemble et que, dès maintenant,
on puisse s'asseoir et travailler ensemble à établir des moyens
de concertation, pour que l'on puisse étudier ce droit nouveau. Je vous
remercie d'avance de votre collaboration. Alors, Me Lemay, Me Masse, Me Nadeau,
M. le bâtonnier, Mme Vadboncoeur, M. Cimon et M. Martel, merci beaucoup
de cette participation extrêmement intéressante que vous nous avez
donnée aujourd'hui. Merci.
La Présidente (Mme Bleau): Alors, au nom de la commission,
je vous remercie aussi. Nous attendons avec intérêt les
commentaires que vous nous avez promis sur certains chapitres. Je vous souhaite
un bon voyage de retour. Je suspends les travaux de la commission
jusqu'à 15 heures, alors que nous recevrons la Chambre des notaires.
(Suspension de la séance à 13 h 27)
(Reprise à 15 h 44)
Chambre des notaires du Québec
Le Président (M. Marcil): Nous reprenons nos travaux et
nous allons immédiatement entendre les représentants de la
Chambre des notaires du Québec. Avant de vous laisser la parole, je vais
tout simplement vous rappeler que vous avez environ 60 minutes pour faire
l'exposé de votre mémoire et que nous procéderons
immédiatement après aux questions. Donc, j'aimerais que Me Jean
Lambert, président de la Chambre des notaires, dans un premier temps,
vous nous présentiez vos collaborateurs et, par la suite, vous
procédiez à l'exposé de votre mémoire.
M. Lambert (Jean): Merci, M. le Président. Comme vous m'y
invitez, c'est avec plaisir que je vous présente les notaires qui ont
participé activement au travail du comité relativement à
cet avant-projet qui est à l'étude devant la commission
aujourd'hui. Alors, à ma gauche immédiate, la responsable de la
coordination des travaux et de la rédaction du mémoire, Me
Laurence Charest, du Service de la recherche et de l'information à la
Chambre des notaires, Me Jacques Beaulne, professeur à la Faculté
de droit civil de l'Université d'Ottawa et, à mon extrême
gauche, Me Chantai Roberge, notaire à Québec. À ma droite
immédiate, Me Julien Mackay, directeur du Service de la recherche et de
l'information à la Chambre des notaires, suit Me Roland Vaillancourt,
notaire à Laval et chargé de cours pendant plusieurs
années à la Faculté de droit de l'Université de
Montréal et, à mon extrême droite, Me Robert Lessard,
notaire à Saint-Georges de Beauce et membre du comité de
législation sur le Code civil depuis au moins quatre à cinq
ans.
Alors, M. le Président, voilà les gens qui m'accompagnent
aujourd'hui pour répondre aux questions et m'assister dans la
présentation de notre mémoire. Je voudrais remercier la
commission de nous permettre de nous faire entendre concernant ce projet fort
important. Nous avons l'impression, M. le Président, de participer
à quelque chose de grand, d'exceptionnel. D'ailleurs, depuis qu'il m'a
été donné de participer aux travaux de cette commission,
c'est-à-dire depuis 1984, j'ai noté une absence totale de
partisanerie. C'était vrai avec le gouvernement précédent
et c'est encore vrai avec le gouvernement actuel. C'est le côté
admirable de la politique, M. le Président, et je tiens à le
souligner. J'aimerais que tous les Québécois puissent être
témoins de cette grande qualité de travail qui se passe ici,
devant cette commission, depuis des années. Personnellement, je
considérerai comme un privilège d'avoir été
associé à ces travaux.
M. le Président, vous le savez, il s'agit d'une loi fondamentale.
Même si tout le monde s'accorde pour dire qu'il faut rafraîchir
notre monument législatif de 1866, il est étonnant de constater,
parce que nous avons maintenant un certain recul, combien ce code demeure
encore actuel dans les grandes lignes. C'est le propre d'une loi fondamentale
de durer longtemps. Je crois que c'est l'objectif que le législateur
s'est fixé dans les travaux qu'il a entrepris il y a maintenant une
vingtaine d'années, et plus particulièrement et plus
intensément depuis huit à neuf ans.
Toutefois, il nous semble que le législateur s'écarte de
deux caractéristiques qui ont fait le succès de notre Code civil:
tout d'abord, en judiciarisant beaucoup les rapports contractuels en
s'inspirant largement de la "common law" et en introduisant des dispositions
qui ont une vocation ponctuelle et une expectative de vie plutôt courte
et qui, il me semble, trouveraient meilleure enseigne en logeant dans le droit
statutaire, là où le législateur pourrait le modifier
à souhait pour le faire coller davantage aux habitudes de consommation
qui évoluent rapidement.
Cela m'amène à une première observation. Le
législateur s'inspire largement, croyons-nous, de la "commom law" en
confiant aux juges le soin d'intervenir pour déterminer la règle
de droit malheureusement écrite de façon vague et
imprécise, ou pour corriger ce qui ne correspondra pas au nouvel
objectif de recherche d'équité dans les relations contractuelles.
On y reviendra de façon plus détaillée dans quelques
instants.
Cependant, je voudrais saisir l'occasion des travaux de cette commission
pour émettre une opinion qui cherche à faire contrepoids à
l'attrait que les systèmes de droit anglo-saxons semblent exercer sur
les concepteurs du nouveau code. L'âge d'or du système anglo-saxon
de la "common law", à notre avis, est révolu, alors que la
société de gentlemen, puritaine, ordonnée et très
disciplinée par des valeurs religieuses et morales profondes, a fait
place à un monde très individualisé, avec un
système de valeurs éclatées et où la parole
donnée n'a que peu d'importance. Concrètement, c'est l'inflation
judiciaire et la multiplication des litiges. Cela nous amène à
constater ce qu'est la scène juridique nord-américaine. Par
exemple, aux États-Unis, on compte actuellement un juriste pour 320
habitants, bientôt un pour 250 habitants, et cela comprend les enfants
naissants et les gens qui sont à l'agonie. En Ontario, un juriste pour
quelque 360 habitants; ici au Québec, un pour 430 habitants.
Explosion des litiges. Je n'ai malheureusement que les chiffres de
l'Ontario pour l'exercice de 1986-1987 où il s'est inscrit quelque 3 000
000 de poursuites. Oh! elles n'ont pas toutes abouti devant le juge! Bien au
contraire, la très grande majorité ne s'est pas rendue
jusque-là, mais cela donne une idée du degré de
société litigieuse. Aux États-Unis, dans certains secteurs
de la
fabrication de biens, il faut compter 25 % des coûts de production
que l'on doit consacrer à la judiciarisation. Plusieurs dirigeants de
grandes sociétés américaines doivent maintenant consacrer
jusqu'à 20 % de leur temps à défendre leur entreprise
devant les tribunaux. Jacques Dufresne, dans son document de réflexion
intitulé Le procès du droit, publié il y a à
peu près 18 mois, rapporte, à la page 26, une communication qu'il
a reçue lors de sa recherche, et je cite: "Un correspondant
européen nous a appris que les hommes d'affaires américains sont
les plus procéduriers du monde. Un contrat entre sociétés,
qui ne dépassera pas 15 pages en Europe, s'étendra sur 350 pages,
si l'un des signataires est américain."
Le coût social de ce juridisme débridé est
énorme. Ici, au Canada, la situation tend à se rapprocher de
celle qui prévaut plus au Sud. Ainsi, à propos de quelque chose
qu'on connaît bien, sur chaque dollar de prime payée par les
notaires dans leur régime d'assurance-responsabilité
professionnelle, près de 0,50 $ vont aux frais de dossier, frais
d'avocat et frais judiciaires, ne laissant à peine qu'une moitié
pour la réparation des dommages aux victimes.
Que pensent les Américains de cette situation? Encore
récemment, j'avais l'occasion d'en discuter avec des hommes d'affaires
américains lors d'un congrès à San Francisco. Tous
déploraient d'être captifs de leur "Légal Department" et
d'être lourdement taxés par un légalisme devenu
étouffant. Dans l'édition du 9 novembre 1987 du Time Magazine,
consacrée presque en entier à la crise du leadership
américain et aux causes du krach boursier du 18 octobre 1987, j'ai
relevé une constatation lourde de signification, dans un collectif
intitulé "Who's in Charge?". Je vous livre ici ma propre traduction mais
déposerai, M. le Président, avec votre permission, à la
fin de ces travaux, l'original du texte en langue anglaise. Voici: Les
États-Unis constituent une société très
individualisée mais aussi pluraliste, grouillante de milliers
d'organismes et de groupes d'intérêts sans cesse en concurrence.
Chacun d'eux, il nous semble, est flanqué d'une équipe de
juristes - le terme est "lawyers". Le leadership est alors difficile, dans une
société litigieuse qui exige que tout soit relaté par le
menu dans des contrats. Le légalisme est l'ennemi de l'innovation et de
la créativité. Il est donc évident qu'il sera
extrêmement difficile pour les Américains de faire concurrence sur
les nouveaux marchés mondiaux, à moins qu'ils ne deviennent
meilleurs dans l'innovation et la créativité. Fin de la
traduction. Et j'ajoute: en réprimant les excès de
légalisme qui affligent la société américaine.
Pour saisir tout le sens de ces propos, je rappelle les chiffres
donnés plus haut, auxquels j'en ajoute de nouveaux, pour fins de
comparaison. Aux États-Unis, actuellement, on compte donc un juriste
pour quelque 320 habitants, bientôt un pour 250; ici, un juriste pour 433
habitants; en Europe, un pour 2300 habitants; au Japon, un pour 10 300
habitants. On saisit donc à vue d'oeil l'immense différence qu'on
accorde au légalisme et au juridisme dans des sociétés
qui, pourtant, n'ont rien de l'arrière-garde ou du
sous-développement.
M. le Président, nous avons cru déceler dans la
réforme de notre Code civil, particulièrement dans le volet
à l'étude actuellement, un net glissement vers la "common law" et
un accroissement de la judiciarisation. Nous avons beaucoup de mal à
comprendre pourquoi le législateur québécois remettrait en
cause les principes civilistes de son droit, c'est-à-dire la rigueur de
l'écrit précis. Pour s'inspirer d'un système de droit qui
se dirige, selon certains, vers l'étouffement collectif, notre avis est
clair. En s'inspirant de la "common law" et de ses lois apparentées, on
puise dans le passé chez une puissance dont le déclin est certain
et causé en partie par le déraillement de son système
juridique. Permettez-moi de vous signaler que les sociétés
humaines montantes, tant en Asie qu'en Europe, sont gouvernées par un
droit de type civiliste qui, tout en respectant la liberté du
consensualisme, recourt au formalisme en matière contractuelle là
où il faut assurer une meilleure justice. Le recours aux tribunaux est
alors vu comme exceptionnel. Nous invitons donc le législateur à
repousser la judiciarisation de notre droit privé en s'inspirant
davantage des sources civilistes et en utilisant plus fréquemment les
instruments qu'il possède déjà; par exemple, l'acte
authentique et l'intervention de cet officier public original qu'est le
notaire.
J'en arrive maintenant à des observations d'ordre
général quant à la forme de l'avant-projet. D'abord, nous
avons noté l'utilisation d'un nouveau vocabulaire. Cet avant-projet
n'est accompagné d'aucun commentaire ou note explicative, ce qui en rend
l'étude très fastidieuse. Nous avons noté la reformulation
de règles. S'agit-il d'une reformulation pour le simple plaisir de les
reformuler ou s'agit-il effectivement de modifier la règle de droit? Et
comment cette reformulation risque-t-elle d'être
interprétée par les tribunaux?
On a relevé également certaines incohérences en ce
qui concerne le vocabulaire. Par exemple, certains termes n'ont pas la
même signification selon qu'on les trouve dans une partie ou dans l'autre
de l'avant-projet. Je pense, entre autres, au terme "professionnel". Nous ne
sommes pas les premiers à attirer l'attention de la commission sur
l'usage très large et imprécis qu'on fait du terme
"professionnel" et nous faisons nôtres les remarques qui ont
été formulées par ceux qui nous ont
précédés, à savoir de réserver le terme
"professionnel" à ceux qui sont visés par le Code des
professions. Également, le mot "entreprise" est un concept non
défini. En ce qui concerne l'architecture, on a relevé une
certaine difficulté que causent les
nombreux renvois, particulièrement dans le cas du louage,
l'article 1952, la Loi sur la protection du consommateur qui est incluse, les
dispositions qui sont incluses dans le code, l'article 2178 et les suivants,
les sociétés et associations. Pour ce dernier point, en passant,
nous aimerions attirer l'attention du législateur sur le projet de loi
54, la Loi sur le registre des associations et entreprises, qui ne semble pas
décoller. Pourtant, cette loi devrait entrer en vigueur dans les
meilleurs délais et toute l'économie du nouveau code
présuppose que cette loi soit adoptée. (16 heures)
Tout ceci nous amène à nous poser la question: Est-ce que
ce code sera davantage accessible aux justiciables? Même pour les
professionnels du droit, sera-t-il une source de de confusion?
En ce qui a trait au fond, nous avons traité, dans notre
préambule, de la judiciarisation que nous avons crue déceler.
D'une façon précise, nous voulons tout d'abord affirmer que le
but du législateur de rechercher une plus grande équité en
matière contractuelle est un but louable, mais dans cette matière
comme dans d'autres, il s'agit, à un moment donné, d'adopter une
position qui sera la meilleure, compte tenu des avantages que chaque
extrême représente. Cela nous amène à parler de la
lésion, ce concept qu'on élargit dans l'avant-projet. Nous nous
posons la question suivante: Pourquoi ce principe deviendrait-il un principe
général et universel? Nous croyons que ce principe de
lésion entre majeurs devrait être rejeté, pour des raisons
d'instabilité contractuelle. Et si le législateur devait retenir
la lésion, II devrait la confiner à des secteurs très
précis, comme il l'a fait dans le passé, notamment dans le
domaine du crédit et dans la Loi sur la protection du consommateur.
Les clauses abusives, la réduction des obligations, le
consentement réfléchi sont également, d'après nous,
des sources de litiges et de procès éventuels. Une certaine
philosophie veut que le tribunal soit la norme ou le lieu souhaitable pour
rétablir l'équité entre les justiciables. Je reprends ici
des propos que tenait l'actuel bâtonnier du Québec, qui affirmait
récemment, dans un de ses éditoriaux publiés dans le
Journal du 3arreau, qu'en fait, 20 % des citoyens peuvent approcher le
tribunal: 10 % d'entre eux sont ceux qui bénéficient de l'aide de
l'État par l'Aide juridique, et les autres 10 %, les très bien
nantis qui peuvent s'offrir ce luxe, alors que 80 %, c'est-à-dire la
majorité de nos concitoyens, laissent tomber, ou abandonnent des
recours, ou de toute autre façon tentent d'éviter le tribunal.
Donc, nous croyons que, dans les faits, le recours au tribunal n'est pas
souhaitable et doit demeurer exceptionnel.
Nous croyons que la prévention peut, avec avantage, se retrouver
dans le formalisme, là où, effectivement, il s'agit de
rétablir l'équilibre entre les parties, et ceci aurait pour effet
d'amoindrir les coûts de l'appareil judiciaire pour l'État.
Nous nous interrogeons sur les débats que feront naître
l'imprécision de termes tels que stipulations accessoires" à
l'article 1457, le mot "substantiellement" à l'article 1493, le mot
"principalement" aux articles 1557 et 2160, l'expression "règles de
conduite" à l'article 1515, qui semble remplacer les critères de
prudence et de diligence que nous retrouvons actuellement aux articles 1053 et
suivants. Que signifie "attentes légitimes" à l'article 1621 au
lieu de "qualité marchande", concept bien défini dans notre
droit? Dans le contrat d'oeuvre, on trouve l'expression "nécessairement"
à l'article 2172, et l'expression "demande répétitive".
Qu'est-ce qu'une demande répétitive? La deuxième, la
troisième, la dixième? Non précisé, le tribunal
décidera, d'après ce qu'on peut voir.
Par ailleurs, à l'article 2703, dans le cadre de l'arbitrage et
du pouvoir de transiger la transaction, nous proposons au législateur
d'élargir les possibilités en permettant que les aspects
économiques du droit familial puissent faire l'objet de la
transaction.
Nous en arrivons au contrat nommé. Nous nous sommes
interrogés sur les limitations. Je m'excuse juste un instant, je vais
prendre le texte. Je vais faire un saut, je vais continuer juste un peu avant
de trouver ce bout-là. On retrouve, à la vente à
réméré, la présomption d'hypothèque qui
n'avait pas été retenue par les rédacteurs de
l'avant-projet de loi sur les sûretés réelles. Nous nous
posons la question suivante: Pourquoi introduire cette présomption dans
la vente à réméré?
Je reviens à la vente, particulièrement à l'article
1772. Il est dit: "Le vendeur d'un immeuble se porte garant envers l'acheteur
de toute violation aux limitations de droit public qui grèvent le bien
et qui échappent au droit commun de la propriété..." Nous
nous posons la question suivante: Pourquoi ne serait-ce pas l'acheteur qui
devrait vérifier ces limitations? Nous nous demandons d'ailleurs,
comment ces divulgations devraient être faites. Par exemple, lorsqu'un
immeuble est assujetti aux nombreuses limitations édictées par la
Loi sur la protection du territoire agricole, sera-t-il suffisant de dire dans
un contrat que l'immeuble est tout simplement assujetti à la Loi sur la
protection du territoire agricole ou faudra-t-il procéder à
l'énumération en détail des limitations que fixent cette
loi à l'immeuble en question?
Pour ce qui est de l'intention de l'acheteur, lorsque celui-ci destine
l'immeuble à un usage donné, il semble que, dans l'avant-projet
de loi, le vendeur soit tenu de garantir que les limitations de droit public
n'affectent pas l'usage qu'entend faire l'acquéreur. Nous croyons plus
simple et plus correct de redonner cette responsabilité à
i'acheteur qui devra lui-même vérifier si l'usage auquel il entend
destiner l'immeuble est bien en accord avec les limitations de droit
public sur cet immeuble. Dans le concret, ceux qui doivent offrir une
sécurité dans les transactions sur titre, les notaires, manquent
d'outils pour effectuer ces recherches. Par exemple, existe-t-il des registres
municipaux fiables faisant état et nomenclature des limitations?
Pourquoi ne pas requérir tout simplement des municipalités
quelles émettent un certificat de conformité sur les immeubles,
comme cela se fait à d'autres endroits?
La vente d'immeubles. Dans notre mémoire, dans la partie de
l'analyse article par article, nous revenons avec la faculté de
dédire. Nous avions, il y a plusieurs années, attiré
l'attention du législateur sur le fait que l'acheteur d'un immeuble
n'avait pas la possibilité de réfléchir à l'achat,
sans doute, le plus important de sa vie, celui de sa résidence, alors
que celui qui achetait un aspirateur ou une encyclopédie se voyait
octroyer un certain délai de réflexion. Dans l'avant-projet
soumis à l'étude, le législateur retient cette
faculté de dédit, mais uniquement pour la vente d'une maison
neuve par un constructeur ou un promoteur. Nous croyons en effet que cette
faculté de dédit devrait également s'étendre
à tout consommateur qui signe une offre d'achat par
l'intermédiaire de ce qu'on pourrait appeller un professionnel de la
vente, c'est-à-dire un courtier, un agent ou le mandataire d'un
constructeur. Nous croyons que l'environnement réel est le même et
que le consommateur, qui a signé peut-être un peu trop à la
hâte une offre d'achat sur un immeuble déjà bâti,
peut également bénéficier d'un délai de
réflexion.
En ce qui concerne les donations, l'avant-projet ne conserve
l'obligation de recourir à l'acte notarié que si la donation
porte sur un immeuble. Plusieurs praticiens vous diront qu'il faut conserver
l'obligation de l'intervention du notaire pour toute donation autre que celle
du don manuel, donc de retenir la loi actuelle. En de nombreuses occasions,
nous avons permis à certaines personnes, souvent âgées,
d'éviter de se dépouiller à la suite de pressions intenses
de leurs proches et, à cet égard, l'intervention du juriste est
partiale. L'obliger, par son devoir de conseil, à bien informer et
à rechercher l'équilibre dans le contrat est tout à fait
judicieux et mérite d'être conservé.
Nous avions dit au début, M. le Président, dans une
première observation, que nous avions noté un accroissement de la
judiciarisation dans l'avant-projet. La deuxième observation touche des
dispositions législatives qui, à notre avis, se retrouveraient
mieux dans des lois statutaires. À cet égard, nous soumettons que
tout ce qui touche à la protection du consommateur et au louage, dont le
bail, devrait se retrouver dans des lois statutaires, que le législateur
pourra modifier fréquemment, comme il l'a fait dans le passé,
sans nécessairement toucher à l'édifice législatif
fondamental que constitue le Code civil.
Dans notre mémoire, nous faisons état du contrat d'oeuvre
et nous savons que plusieurs intervenants en ont discuté devant vous.
Nous avions émis le principe, lors de l'étude du volet sur les
sûretés, que l'industrie de la construction devrait, à
l'instar de toutes les autres industries, assurer elle-même son propre
financement et, en corollaire, que le consommateur ne puisse être
appelé, en aucune occasion, à subir les aléas de la
santé financière de son promoteur-constructeur. À cet
égard, nous suggérons au législateur d'éliminer
toute la question des privilèges pour les fournisseurs de
matériaux et les fournisseurs d'ouvrage, pour le constructeur et
l'architecte et nous suggérons, pour en tenir lieu, que le principe
d'une déclaration assermentée, semblable à celle qui
existe actuellement dans la vente en bloc, soit effectuée avec
responsabilité personnelle du déclarant, par le promoteur ou le
constructeur, donnant, à l'occasion de la vente, la liste
détaillée des créanciers, afin que le prix de vente puisse
être distribué à tous les créanciers. (16 h 15)
Par ailleurs, si cette suggestion n'était pas retenue par le
législateur, puisqu'elle n'offre peut-être pas assez de garanties
aux créanciers du domaine de la construction, alors nous soumettons
qu'il appartient à cette industrie de régler elle-même ses
problèmes de financement, comme le font d'ailleurs les
promoteurs-constructeurs de gros ouvrages qui ont déjà mis au
point des mécanismes qui assurent le financement et les paiements par
étape des grands projets, nous soumettons donc que la construction
résidentielle, là où nous retrouvons les véritables
problèmes de privilège, devrait s'autofinancer. Néanmoins,
si le législateur ne devait pas retenir la première suggestion,
nous lui suggérons d'avoir recours au notaire qui sera alors
désigné par le promoteur-constructeur comme étant celui
qui détiendra les capitaux que lui remettront les
promettants-acquéreurs - donc l'entrepreneur ne pourra pas toucher ces
sommes - et à qui devront être dénoncées par avis,
les créances de ceux qui auront fourni de l'ouvrage ou des
matériaux pour la construction. Le notaire, à la signature de
l'acte de vente, qui ne devra pas intervenir avant la fin des travaux telle que
définie par les critères jurisprudentiels, procédera alors
à la distribution des sommes parmi les créanciers, à la
remise du solde au promoteur-contracteur, ou à défaut, fera une
distribution au prorata des créanciers, tout comme il est actuellement
prévu dans la vente en bloc, et ceci sera absolument libératoire
pour l'acquéreur. Si le législateur devait retenir
l'hypothèse d'avoir recours à l'enregistrement des
créances, nous estimons à ce moment-là que celui-ci
devrait être limité ou effectué avant la date de la
signature de la vente et que tout enregistrement ultérieur serait nul,
et qu'il n'aurait pour effet que d'effectuer le déboursé ou la
distribution du prix de vente parmi les créanciers dans les dix jours
suivant la
signature de l'acte de vente, et la radiation de ces privilèges
serait effectuée sur simple certificat du notaire à l'effet que
ces créanciers auront reçu la somme qui leur revenait.
L'une ou l'autre de ces trois propositions, M. le Président, met
de côté la création de cette double fiducie que l'on
retrouve dans l'avant-projet, qui nous semble lourde et coûteuse. Ce que
nous proposons, dans le fond, n'est rien d'autre que ce qui se fait
actuellement dans la majorité des cas, c'est-à-dire qu'on utilise
les services du notaire, officier public, bien réglementé, dont
d'ailleurs la comptabilité en fidéicommis fait l'objet d'une
surveillance absolument stricte, et où le public est bien
protégé. Il s'agit donc d'utiliser ce qui existe pour, à
la fois faciliter le financement et la distribution à qui de droit, et
également protéger le consommateur.
Un dernier point, M. le Président, avant de procéder
à la période de questions, nous est arrivé il y a deux
jours à peine, mais correspondait à une discussion que nous
avions eue entre nous, à l'occasion, des séances de travail du
comité de législation sur le volet actuel. Mais, il traite
surtout d'une question vue à l'occasion du projet de loi 20, dont il
touche d'ailleurs les articles 297 et 301.
Avec votre permission, M. le Président, je distribuerai aux
membres de la commission une copie de cette lettre qui m'a été
adressée par un groupe qui se définit comme la Table de
concertation des aînés d'Anjou et qui a publié un court
document de travail intitulé La curatelle et les aînés.
Dans cette lettre, ce groupe de concertation sollicite l'appui de plusieurs
intervenants dans notre société à ce document de travail
qui vise l'humanisation des services à la personne âgée. Ce
document reflète un sentiment d'inquiétude et de
dépossession chez la personne qui se voit subir la curatelle publique.
Il y a dix attendus à quatre propositions formulées dans ce
document. Je vous en fais grâce puisque, avec votre permission, je vous
remettrai le document. Je n'en relève que trois où on manifeste
le regret que l'État prenne immédiatement en charge les biens
d'une personne frappée d'incapacité, s'il n'y a pas de curateur
privé. On déplore, dans ce document - alors là, on parle
de judiciarisation - le coût de l'obtention d'une curatelle
privée. La perception que les gens ont, c'est que le gouvernement
attache peu d'importance à la famille et que les droits de l'interdit
sont bafoués. Je vous dis bien que c'est une perception. Il ne s'agit
pas de discuter le fait de savoir si la perception est fondée ou non,
mais c'est bien une perception que l'on retrouve dans le document.
Finalement, ce document se termine par un désir de prolonger les
effets de la procuration au delà de la constatation de l'état
mental déficient. Cela nous amène à reformuler - ce qu'on
aurait fait plutôt, peut-être en janvier ou février -une
suggestion au législateur voulant que la personne, lorsqu'elle signe une
procuration ou un mandat notarié avec la stipulation expresse que ce
mandat doit demeurer en force après constatation d'un état
d'incapacité mentale du mandant, que cette procuration puisse donc
continuer a être valide, qu'elle habilite le mandataire à agir au
nom de la personne déficiente et que le tribunal n'intervienne que s'il
y a des problèmes dans la gestion, et ce, sur demande des personnes de
la famille ou d'un intéressé. Ce qui aurait pour effet, d'une
part, de diminuer le coût pour l'État de toute cotte gestion et,
d'autre part, de diminuer aussi le coût que le justiciable doit assumer
lorsqu'il doit s'engager dans le processus de la curatelle privée.
Alors, voilà, M. le Président, c'est un court survol des
points que nous tenions à souligner d'une façon
particulière. Nous sommes maintenant à la disposition des membres
de la sous-commission pour répondre à leurs questions.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Jean Lambert,
président de la Chambre des notaires du Québec, de cet
exposé. Sans plus tarder, nous allons procéder à la
période de discussion. Je reconnais M. le ministre de la Justice.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Merci, M.
Lambert. Merci à vous qui accompagnez le président de la Chambre
des notaires. Merci de ce mémoire particulièrement
intéressant, très consistant et qui soulève des points
très pertinents. Nous avons plusieurs questions à vous poser et
je crois que toutes les questions que nous allons vous poser et la discussion
qui pourra s'ensuivre vont nous être d'une très grande
utilité pour la rédaction du projet de loi, puisque nous en
sommes à un avant-projet de loi - c'est pour ça qu'il n'y a pas
de commentaires. Mais, lorsque nous aurons un projet de loi comme tel, nous
allons pouvoir bénéficier, dans notre rédaction, de votre
mémoire, bien sûr, mais aussi de la discussion qui pourra suivre
maintenant.
En ce qui regarde l'article 1668, quand à la possibilité
d'attribuer des dommages-intérêts provisionnels à la
victime d'un préjudice corporel, vous vous objectez à cela, comme
l'a aussi fait le Barreau. On nous a proposé de scinder en deux le
procès: une partie, la première, pourrait servir à la
détermination de la responsabilité et, la seconde, à
l'attribution de l'indemnité. Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Lambert: Je vais demander au notaire Charest de
répondre à cette question et, s'il y a lieu d'ajouter des
commentaires, peut-être au notaire Beaulne.
Mme Charest (Laurence): Je ne sais pas si l'idée de
scinder le procès pour établir la responsabilité et les
dommages, est une bonne cho-
se. Nous ne sommes pas spécialistes en matière de
responsabilité et de cette procédure devant les tribunaux.
Cependant, à la lecture de cet article, ce qui nous a frappés,
c'est qu'on préjugeait, finalement, de la responsabilité. Nous ne
sommes pas d'accord avec ce principe. Tant que la responsabilité d'un
individu n'est pas reconnue, on estime que le tribunal ne devrait être
autorisé à accorder aucun dommage. Je pense que l'intervention du
Barreau, ce matin, était à cet effet, c'est-à-dire qu'il
disait aussi que, si la responsabilité n'est pas contestée mais
qu'il y a uniquement contestation sur le quantum des dommages, à ce
moment-là, on pourrait admettre des dommages avant l'issue
complète du procès.
M. Rémillard: D'accord. Si vous me permettez, une autre
question. En ce qui regarde le bail commercial, nous avons reçu, lors
d'une précédente commission qui portait sur la réforme du
droit des biens, plusieurs représentations de commerçants qui
nous ont fait valoir qu'ils subissent très souvent des préjudices
importants à la fin d'un bail, lorsqu'ils doivent mettre fin à
leur bail ou tout simplement à la fin du bail naturel, qu'ils subissent
donc des préjudices quant aux améliorations qu'ils ont dû
apporter au local qu'ils ont loué, à savoir que ces
améliorations ne leur sont pas remboursées. Par contre, dans
votre mémoire, vous dites qu'il est très dangeureux de
généraliser le droit à l'indemnisation de tel cas,
à savoir que, lorsqu'on termine un bail, on puisse avoir cette
règle qui permettrait au commerçant de demander une
indemnité pour les améliorations qu'il a apportées au
local. Est-ce que vous pourriez préciser ce point, s'il vous
plaît?
M. Lambert: Oui, M. le ministre. Je vais demander au notaire
Lessard.
M. Lessard (Robert): Alors, voici. La première
réflexion que nous avons eue en lisant cet article, c'est qu'on s'est
d'abord demandé si cette règle était impérative,
dans le Code civil. Est-ce que le locateur est tenu de payer au locataire une
indemnité pour les travaux faits? C'est la première question
qu'on s'est posée: Est-ce que c'est impératif ou est-ce qu'on
peut passer à côté de cette règle? On
considère que, dans les baux commerciaux, cela se règle
habituellement dans le contrat de bail. Alors, on est d'accord, par exemple,
dans le cas des centres commerciaux, si les propriétaires de centres
commerciaux se réservent habituellement la possibilité de faire
changer le local d'un locataire. (16 h 30)
On est, à ce moment-là, d'accord que le locateur doit
payer une indemnité au locataire pour changer de local,
c'est-à-dire toutes les améliorations locatives qu'il a
apportées au local qui lui permettent de se replacer, de
déménager son local ailleurs. On trouve que c'est tout à
fait normal, mais habituellement, c'est réglé dans le contrat. Si
vous mettez dans la loi une obligation de payer une indemnité, je pense
qu'on vient à rencontre de l'autonomie des volontés. En fait,
c'est le contrat qui règle ça. Je pense qu'en
général ça se règle à l'occasion du contrat
et non par l'intervention du législateur.
M. Rémillard: Évidemment, vous savez que
très souvent, je prends l'exemple des grands centres commerciaux
où le locataire très souvent n'est pas en mesure de
préciser ces dispositions dans un bail de location au départ.
Vous ne voyez quand même pas un certain besoin de protéger
lé locataire quant à ses améliorations et ses
aménagements qu'il aurait faits pour pouvoir occuper le local?
M. Lambert: S'il n'est pas déplacé, à
l'expiration du bail, il doit quitter. À ce moment-là, lorsqu'il
a fait ses investissements, il devait anticiper que cet investissement couvrait
la période du bail et normalement, au point de vue comptable, ils ont
été amortis pour cette période. Je pense que là
où il faut faire attention, c'est lorsqu'il y a relocalisation
forcée; mais généralement les baux dont nous avons eu
connaissance tiennent compte de ce fait. Par ailleurs, obliger les locateurs
à payer pour des améliorations qui ne leur seront d'aucune
utilité, nous avons de la difficulté à en saisir la
logique. Je crois qu'en matière commerciale, les gens sont
généralement avertis et, s'ils font des dépenses
importantes comme ils le font, généralement ils le font pour la
période du bail. On voit aujourd'hui que ces améliorations sont
appelées à être modifiées sur une base de moyen
terme; à tous les sept et huit ans, on refait généralement
des améliorations d'une façon importante. Alors, est-ce qu'il y a
effectivement un nombre important de personnes qui ont subi des
préjudices dans de tels cas au point qu'il faille en faire une
règle générale là-dessus? Je l'ignore. C'est
sûr que, s'il y avait plusieurs cas rapportés d'abus flagrants, je
crois que ça pourrait peut-être autoriser, mais encore là,
il faudrait avoir la possibilité de s'en dégager. Peut-être
qu'à ce moment-là, exiger une présentation graphique
importante qui attire bien l'attention du locataire lorsqu'il signera son
dégagement.
M. Rémillard: Très bien, je vous remercie.
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la Justice.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. J'aimerais
m'entretenir avec la Chambre des notaires relativement au contrat de
consommation. Dans votre mémoire, vous vous opposez à l'inclusion
du contrat de consommation dans le Code civil.
Ma question est la suivante: Ne croyez-vous pas, étant
donné que la très grande majorité des contrats concernent
justement un consommateur, la consommation qui de par sa nature est du domaine
du droit privé, qu'il serait normal de les viser dans un code qui vise
à régir les rapports de droit privé? Et le deuxième
volet de ma question, si vous me le permettez, M. Lambert, c'est qu'on comprend
bien que certains contrats, telle la vente de véhicules usagés ou
le contrat d'épanouissement de la personne peuvent paraître, pour
certains, trop particuliers pour être intégrés dans le Code
civil, mais la question est la suivante: Seriez-vous favorable, cependant,
à ce que les principes généraux, eux, soient inclus dans
le Code civil quitte à ce que le reste soit conservé dans une Loi
sur la protection du consommateur remaniée, mais que les principes
soient inclus dans le Code civil du Québec?
M. Lambert: Je vais demander au notaire Charest de
compléter l'esquisse de réponse que je vais vous donner. Je pense
que vous avez très bien cerné la problématique. Le Code
civil est une loi fondamentale et on doit y retrouver les grands principes.
Lorsque l'extension de ces principes doit aussi trouver une expression
législative, mais qui est appelée à être
modifiée fréquemment parce que les habitudes changent, parce que
le contexte social change, parce que l'économie change, à ce
moment-là, je crois qu'il faut insérer ces dispositions dans une
loi statutaire qui peut commodément être modifiée par le
législateur sans nécessairement toucher l'édifice de la
loi fondamentale. Notaire Charest.
Mme Charest: Je pense effectivement qu'on pourrait conserver
à l'intérieur du Code civil les grands principes et les grandes
règles du contrat de consommation. On ne voit pas d'objection à
cela sauf que là, on se ramasse avec 162 articles en matière de
consommation intégrés au Code civil. Là, on regarde cela
et on dit: Le législateur veut certainement revaloriser le contrat de
consommation. Il est vrai également que le contrat de consommation est
un contrat qui, à la limite, sort en plus grand nombre que les autres
contrats. C'est conclu à tous les jours par des centaines et des
milliers de consommateurs. Vu sous cet angle, ce serait effectivement normal
qu'on retrouve les dispositions au Code civil. Par contre, ce qui arrive, c'est
qu'il faut peut-être revenir finalement à la base de notre Code
civil, à l'idée de base qui guide le Code civil. Le Code civil
est censé contenir des règles de droit fondamental. Là, on
trouve curieux qu'on en arrive justement à traiter à
l'intérieur d'un Code civil qui veut que les règles soient
générales, soient stables, également, dans une certaine
mesure - cela ne veut pas nécessairement dire que jamais elles ne seront
modifiées, mais à la limite, disons que ce sont des règles
stables et générales - et retrouver, par exemple, qu'on parte de
lessiveuses, de réfrigérateurs, de cuisi- nières ou
encore, de véhicules d'occasion dont les contrats sont
réglementés dans leurs moindres détails. Aussi, ce qu'on a
trouvé à l'examen de ces 162 articles de consommation, c'est que
cela rendait difficile l'accès au consommateur. Je pense que le
législateur veut rendre le code plus accessible aux citoyens.
Maintenant, quand on en arrive en matière de consommation, là, on
se ramasse...
Au tout début, il y a l'article 2718, alinéa 2, qui nous
dit: "Ces règles, auxquelles le contrat de consommation est assujetti,
sont impératives; elles s'ajoutent à toute autre règle
législative qui accorde un droit ou un recours au consommateur, et,
lorsqu'elles lui confèrent un droit, celui-ci ne peut y renoncer que
dans la mesure permise par la loi." Alors, on se demande quelles sont ces
règles impératives, quelles sont ces autres règles
impératives qui ne sont pas comprises à l'intérieur du
titre 3. Ce sont des points d'interrogation. Finalement, on en arrive à
dire: Pour pouvoir se retrouver à l'intérieur de ces
règles, le consommateur va devoir examiner tout d'abord les
règles du titre 3, ensuite, examiner les règles des titres 1 et 2
et finalement, avoir recours à la Loi sur la protection du consommateur
parce que malgré le fait qu'on insère les règles
particulières du contrat de consommation à l'intérieur du
code, la Loi sur la protection du consommateur va demeurer et également
toute la réglementation. Donc, je pense que ce n'est pas vraiment un
service qu'on rend au consommateur en voulant revaloriser ou peu importe, le
contrat de consommation et d'inclure cela au Code civil.
M. Dauphin: Donc, vous seriez d'accord à l'inclusion des
principes tout en conservant...
Mme Charest: Absolument. M. Dauphin: ...l'accessoire, les
détails... Mme Charest: Le contrat de consommation. M.
Dauphin: ...dans une loi particulière.
Mme Charest: Absolument. Pour les grands principes, mais pas les
règles en détail.
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Taillon.
M. Filion: Vous aviez une question? M. Dauphin: Je
reviendrai tantôt. M. Filion: Oui, si vous le voulez.
M. Dauphin: J'en ai plusieurs, mais on peut revenir
tantôt.
M. Filion: C'est à mon tour de souhaiter la bienvenue aux
représentants de la Chambre des notaires, Me Lambert, Me Mackay, en
particulier,
avec qui j'ai déjà eu l'occasion de discuter dans une
commission précédente.
Me Lambert, vous avez souligné le caractère exceptionnel
de l'exercice dont la présente consultation constitue finalement un
chaînon. Vous avez tout à fait raison. Quand on regarde les dates,
1866, vers 1980, par la suite, évidemment, cela va être l'an 2000
à un moment donné. Je pense, effectivement, qu'il y a un
caractère tout à fait exceptionnel, presque merveilleux, à
cet exercice de révision de notre Code civil et en particulier,
évidemment, du droit des obligations qui constitue au moins la clef de
voûte d'une partie de nos rapports collectifs.
Je voudrais revenir sur une partie de vos commentaires du début
et que j'ai trouvés particulièrement intéressants, en ce
qui concerne le caractère litigieux de notre société. Les
statistiques que vous avez citées à partir d'une comparaison avec
les autres sociétés, normalement, devraient avoir l'effet
escompté, en tout cas, l'effet de nous faire réfléchir sur
les tendances de notre société. Non pas que les gens qui
travaillent dans le milieu du droit soient improductifs, mais il faut quand
même se rendre compte que dans le produit national brut, les bonnes
chicanes qu'on a au palais de justice ne rapportent pas
énormément à la société en
général. En ce sens-là, nos voisins du sud, vous l'avez
illustré éloquemment, eux, ont déjà cette
tendance-là à la judiciarisation. Quant à nous, nous
sommes déjà latins, je le dis souvent, on est un peuple chicanier
de nature. En plus de cela, on produit de plus en plus d'avocats chaque
année. Il faudrait chercher à éviter le litige.
D'ailleurs, le Barreau nous a souligné, ce matin, l'importance
d'éviter des litiges. Leurs commentaires allaient dans le sens,
d'ailleurs, d'une rédaction ta plus claire possible du droit des
obligations pour éviter le nombre de litiges.
À ce sujet-là, vos comparaisons avec les
sociétés européennes, les sociétés
japonaises, sont tout à fait importantes. Je ne sais pas maintenant
quelle sorte de mesures - parce que cela est beau d'en prendre conscience -
mais encore faudrait-il commencer à jeter l'amorce, le commencement
d'une série de mesures visant à empêcher la
société québécoise d'évoluer encore plus
vers une société litigieuse. Dans l'ensemble des recommandations
que vous faites, il y en a une particulièrement - je ne dis pas que les
autres ne sont pas valables - c'est ce que vous appelez l'information
précontractuelle. L'information, qu'on informe encore plus les gens,
avant d'adhérer à un contrat, des conséquences de leur
adhésion à tel ou tel contrat. C'est simple, l'information, je
pense que cela a beaucoup aidé au Québec de faire en sorte que
les Québécoises et Québécois sont mieux
informés de leurs droits. Étant mieux informés de leurs
droits, le nombre de litiges normalement devrait diminuer à un moment
donné.
Alors, en ce sens-là, je me fais un peu le porte-parole d'une
partie de votre suggestion pour inviter mon collègue, le ministre de la
Justice, peut-être avec son équipe, à
réfléchir sur cette problématique très
sérieuse, en tout cas, qui me préoccupe. Quand on sait que les
Japonais d'une courbette vont transiger sur des montants tout à fait
faramineux, on peut s'interroger sur les 350 pages qui accompagnent à
peu près n'importe quelle transaction, maintenant, au Québec. Je
vois que le ministre, de sa courbette, agrée à mes propos. Alors,
il restera donc peut-être à voir... Ce n'est pas facile, on ne
peut pas empêcher les gens. Les gens ont le droit d'aller devant les
tribunaux et de faire valoir leur point de vue. Mais, je pense qu'en ce qui
concerne l'information, il y a matière à réfléchir
sur les ressources que notre société investit au chapitre de
cette nécessaire information aux citoyens, d'une part.
Deuxièmement, je voudrais féliciter la Chambre des
notaires de son travail qui porte non seulement sur la partie contractuelle
mais sur l'ensemble de la théorie des obligations, y compris ce qui
concerne les notions de responsabilité qui, on le sait, affectent
beaucoup plus les avocats que les notaires. Je pense que cette sensibilisation
des notaires, cette autre partie du Code civil, est tout à fait à
leur mérite. (16 h 45)
Alors, je voudrais diriger la première question sur des sujets
où l'expertise notariale est peut-être particulière.
D'abord, en premier lieu, vous proposez, aux pages 203 et 204 de votre
mémoire, que les époux ou ex-époux puissent transiger en
matière familiale sur les questions évidemment à
caractère économique. Vous prenez bien soin, c'est tout à
fait normal, de restreindre cette possibilité de transaction sur la
question économique et non sur la garde des enfants ou autre
matière d'intérêt public. Cependant, je transforme mon
commentaire en question: N'y a-t-il pas un danger, finalement, étant
donné la relation qui existe entre le caractère économique
d'une transaction et dans certains cas, le bien-être des enfants, par
exemple, la pension alimentaire? Est-ce que ça n'a pas une
conséquence au bien-être des enfants? Alors, n'y a-t-il pas un
danger de "court-cicuiter", si on veut, le contrôle judiciaire qui existe
en matière matrimoniale sur tout projet d'accord?
M. Lambert: Je pense qu'on a mentionné dans nos propos
introductifs que l'aspect économique de la relation pourrait faire
l'objet de transaction, ce qui n'est pas permis actuellement dans
l'avant-projet. Mais, par contre, lorsqu'on en arrive aux questions
extrapatrimoniales, là-dessus on a peut-être adopté une
position conservatrice. Mais je pense qu'on a reconnu que ces questions
devraient être traitées par le tribunal parce qu'il s'agit de
relations qui importent beaucoup à la société; l'effet
n'est pas purement économique et on sait aujourd'hui combien la
société est là pour essuyer les conséquences de ces
mauvaises relations qui ne
touchent pas le patrimoine. Que ce soit l'effet psychologique
désastreux sur des enfants qui ne s'inséreront que très
difficilement dans la société plus tard, etc. Donc, c'est un
sujet qui touche au coeur même des préoccupations de la
société, et là-dessus on a conservé l'option, que
ce soit le tribunal qui en dispose, mais on opine, par ailleurs, qu'on doive
permettre la transaction sur les aspects économiques.
M. Filion: Notaire Charest, je veux compléter ma
réponse.
Une voix: Allez-y.
Mme Charest: En fait, je pense que si on regarde entre les droits
économiques des conjoints, il y a actuellement la prestation
compensatoire et on se demande pourquoi il serait impossible à deux
conjoints, qui en conviennent, de soumettre le différend quant au
montant de la prestation compensatoire, quant à l'arbitrage. Même
à la limite, dans certains cas, en édictant des dispositions
comme celles-là où l'on empêche de transiger sur des
questions en matière familiale, ça empêche également
la possibilité de le prévoir par contrat. Par exemple, dans un
contrat de mariage, pourquoi empêcherait-on les époux de convenir
qu'advenant un divorce après X années de mariage, s'il y a
entente entre les conjoints que la femme reste à la maison, que le
couple veut avoir des enfants et que la femme va s'occuper de
l'éducation des enfants, pourquoi empêcherait-on les conjoints de
convenir à l'avance du montant de la prestation compensatoire en
établissant même des normes dépendamment du nombre
d'années de la relation que ces gens ont eue?
Dans cette optique, on était d'avis que tout ce qui concerne les
rapports économiques entre les conjoints pouvaient finalement être
soumis soit à la transaction ou à l'arbitrage sans pour autant
que personne en subisse des préjudices réels.
M. Filion: D'accord. Je vous remercie Me Lambert et Me Charest.
On a évoqué tantôt, le ministre évoquait le contrat
de consommation. Outre ce que vous avez dit sur le contrat, notamment qu'il ne
devrait pas être introduit au Code civil, vous êtes contre
l'idée que le contrat de consommation s'applique aux professionnels dont
les notaires, bien sûr, et vous signalez à ce moment-là
qu'il ne faudrait pas que les dispositions législatives fassent double
emploi avec le Code des professions. Finalement, le Code des professions vise
des mesures, disons réparatoires, ou, en tout cas, des conclusions qui
sont d'un tout autre ordre que les conclusions que l'on pourrait rechercher
dans une poursuite intentée en vertu de nos règles civiles. Par
exemple, si le contrat de consommation s'appliquait aux professionnels, les
consommateurs pourraient bénéficier d'autres recours tels que la
résiliation du con- trat, la réduction de ses obligations ou
l'obtention de dommages exemplaires ou, en somme, de toute une
variété de mesures qui ne font pas partie du Code des
professions. J'ai ici le dernier article du Code des professions, l'article
156, où le comité de discipline peut imposer différentes
mesures, mais ne peut pas imposer cette variété de mesures que
l'on retrouverait dans le Code civil s'il s'appliquait aux professionnels. Je
ne sais pas si vous pourriez réagir à mes propos. Est-ce qu'il y
a une erreur dans mes prémisses?
M. Lambert: Non, je pense qu'on a établi clairement qu'il
ne devrait pas y avoir deux régimes. C'est une opinion. On essaie de
voir le cas où, effectivement, l'ensemble des mécanismes de
protection qui existent à l'intérieur du système
professionnel ne pourraient pas suffire. Il y a l'indemnisation en cas de
fraude. M y a évidemment tous les recours criminels si un professionnel
a fraudé. Il y a également la discipline pour le cas où le
consommateur a été mal servi. Alors, déjà, le
recours disciplinaire est, je pense, une mesure préventive forte.
Nonobstant ceci, cela ne prive pas le consommateur de ses recours. Le monde
professionnel a de telles choses comme le fonds d'indemnisation qui, justement,
vient à la rescousse. On ne trouvait pas cela dans d'autres secteurs
ailleurs que dans le monde professionnel. Il y a
l'assurance-responsabilité professionnelle obligatoire dans presque
toutes les professions qui, encore là, vient s'assurer que le
consommateur qui a été mal servi par un professionnel puisse
avoir une réparation, sans nécessairement se buter à
l'insolvabilité ou à la faillite comme on le retrouve dans
d'autres secteurs. C'est pour cela qu'on essaie de voir ce qui, en dehors de
cette panoplie, manque pour que le consommateur soit bien
protégé.
En juin dernier, l'Assemblée nationale a adopté une loi
qui, en ce qui regarde les honoraires professionnels, permet au consommateur de
pouvoir, nonobstant le fait qu'il a payé, rediscuter après
paiement du compte d'honoraires pour, peut-être, justement
éliminer cette possibilité qu'il y avait où le
professionnel exerçait une rétention s'il n'était pas
payé et le consommateur, ayant payé, ne pouvait plus avoir de
recours. Alors donc, les lois professionnelles ont été
modifiées dans ce sens encore. Alors, on se dit finalement que le
service est généralement rendu. Il est difficile de revenir en
arrière après. Il s'agit, dans le fond, de réparer ce qui
a été mal fait ou de compenser s'il y a eu abus ou fraude. Alors,
c'est pour cela qu'on pense que l'ensemble des règles est suffisant.
Mme Charest: II y aurait aussi une autre chose qu'il serait
important de souligner en regard de l'emploi du terme "professionnel". C'est
qu'en employant ce terme, le législateur a voulu élargir la
protection offerte au consommateur, en fait. En même temps, il retirait
du
même coup une protection dont certains professionnels, entre
guillemets, bénéficiaient au terme de la loi actuelle. Je
m'explique. Actuellement, un professionnel, par exemple, notaire, avocat,
comptable, architecte, ingénieur, etc., qui achète de
l'équipement pour son bureau, qui achète un ordinateur, sera
considéré comme un consommateur lors de l'acquisition de ce bien.
Si on le considère comme professionnel, étant donné que le
bien va servir en partie à ses activités professionnelles, si on
l'inclut là-dedans, il ne bénéficiera plus de la
protection offerte par la Loi sur la protection du consommateur. C'est la
même chose pour l'achat d'une automobile. Si un professionnel acquiert
une automobile et s'en sert pour les fins de son travail, cet achat n'est plus
assujetti aux règles de la protection du consommateur. En employant le
terme "professionnel", le législateur, à notre avis, fait perdre
du même coup cette protection à certaines personnes qui en
bénéficient actuellement. C'est la même chose pour les
agriculteurs et les artisans. Actuellement, un agriculteur qui se procure une
moissonneuse ou un tracteur peut bénéficier des règles de
la Loi sur la protection du consommateur. Maintenant, tel que formulé,
d'après notre étude il ne pourrait plus bénéficier
de cette protection. Il y a peut-être un danger qu'il faut aussi
souligner concernant l'emploi du terme "professionnel".
M. Lambert: C'est un autre volet de la question.
Mme Charest: Exactement, c'est tout à fait
différent.
M. Lambert: On saisit mal pourquoi le professionnel qui acquiert
un véhicule et l'utilise à 100 % pour ses fins personnelles se
voit offrir une protection, alors que s'il utilise ce véhicule à
20 % ou 25 % pour son travail, soudainement, je ne sais pas si c'est par la
vertu du Saint-Esprit, il n'a plus besoin de protection. Là-dessus, on
avait de la misère à rabouter les concepts. Mais c'est vraiment
un autre volet que celui que vous n'avez pas...
M. Beaulne (Jacques): Je voudrais ajouter quelque chose
concernant le double emploi que feraient la Loi sur la protection du
consommateur et le Code des professions au niveau des corporations
professionnelles. Il faut concevoir que les corporations professionnelles,
c'est un petit gouvernement qui régit ses membres dans tous les aspects
de leurs activités. Cela réglemente, par exemple, l'accès
à la profession; cela réglemente leur conduite
générale, par exemple, vous n'avez pas de code de
déontologie pour les vendeurs d'aspirateurs, mais vous avez cela pour
chacune des corporations professionnelles. Je pense que la
réglementation, au plan des corporations professionnelles, va même
au-delà de la Loi sur la protection du consommateur dans divers secteurs
parce que cela réglemente l'activité des professionnels, non
seulement leur conduite professionnelle comme telle, mais même l'image
qu'ils peuvent donner de leur profession vis-à-vis du public. Les
corporations professionnelles ont intérêt à voir à
ce que leurs membres travaillent efficacement parce que leur statut en
dépend. Dans la mesure où tous les membres d'une corporation
professionnelle agiront bien, la corporation maintiendra son statut. Je pense
que cela assure encore plus la protection du public.
M. Filion: Je vous remercie de ces éclaircissements.
Maintenant, en ce qui concerne la vente d'immeubles résidentiels par
intermédiaire, je pense que c'est Me Lambert qui disait tantôt que
la plupart des acheteurs bénéficiaient d'un délai pour
changer d'idée quand ils achetaient un aspirateur, ou je ne sais pas
quel autre exemple vous donniez...
Une voix: Une encyclopédie.
M. Filion: ...une encyclopédie, voilà, et qu'en ce
qui concernait l'achat d'une maison, qui est un achat extrêmement
important, on le sait, probablement l'achat important dans la vie d'une bonne
proportion de la population, il n'y avait pas cette espèce de
faculté de dédire. Là-dessus, vous suggérez un
délai de dix jours. L'idée est intéressante.
D'abord, en ce qui concerne l'acheteur, il n'y a que des avantages. Pour
lui, il n'y a pas beaucoup d'inconvénients à un délai de
dix jours pour lui permettre de réfléchir davantage. C'est pour
le vendeur, le problème. Je le vois un peu de la façon suivante
et j'aimerais que vous réagissiez, non pas que ces désavantages
soient dirimants, mais bien plutôt parce qu'il faut mesurer le pour et le
contre de cette suggestion que vous avancez. Premièrement, pour le
vendeur, cela gèle son immeuble pendant dix jours, il a promesse et il
ne peut pas bouger; deuxièmement, cela permet aussi une pratique
à laquelle une autre corporation, je pense que c'est la corporation de
l'immeuble, nous a sensibilisés, je connais le terme anglais et je ne
connais pas le terme français, c'est-à-dire le "flipping". On
achète l'immeuble, on a une promesse de vente ou une promesse d'achat
acceptée, peu importe, et on profite du délai de dix jours pour
aller transiger sur le marché notre promesse. Évidemment, c'est
de la spéculation à l'état pur qui est tout à fait
nuisible, je pense. Alors, c'est un deuxième désavantage. Le
troisième désavantage, c'est la stabilité du marché
immobilier. Je suis convaincu que la Chambre réfléchit
également aux inconvénients et aux avantages de cette formule.
Est-ce que vous voulez réagir aux conséquences de cette
suggestion au sujet de l'équilibre entre les parties? (17 heures)
M. Lambert: En ce qui concerne le gel de l'immeuble, je crois
premièrement que déjà, dans
les transactions actuelles, il y a une période de gel. Peu
d'immeubles, en effet, sont vendus sans qu'il y ait une condition quant
à l'établissement d'un financement approprié. Alors, il y
a des délais et si on ne trouve pas chez un premier, on doit reformuler
une seconde demande et une troisième, et après cela, le vendeur
se réserve la possibilité de faire lui-même une demande.
Déjà là, il s'écoule un nombre de jours.
Deuxièmement, dans ce domaine comme dans d'autres, il s'agit
d'établir des règles claires au départ et, après
cela, je pense que les gens savent se gouverner. Quand vous transigez sur un
immeuble, sur une maison résidentielle, on s'entend bien, on parle du
résidentiel, on ne croit pas qu'une période de dix jours soit
dérangeante à ce point. Généralement, les gens qui
vendent planifient ces achats et à ce moment-là, je pense que
rien n'empêche qu'une offre additionnelle soit souscrite sur un immeuble
sur lequel il y en a une première, en disant: conditionnelle à ce
que l'autre soit défaite. Ce sont des choses qu'on voit
réellement.
Alors, je pense que !a question du gel n'est pas une raison
sérieuse. On propose d'ailleurs un choix. On dit que si l'offre d'achat
est faite par acte notarié, à ce moment-là, la
faculté de dédit tombe. Pourquoi? Parce que par l'intervention du
notaire, il y a ce qu'on appelle une période de refroidissement. Dans le
fond, on cherche à éviter que, sous l'impulsion du moment,
habilement exploité par un professionnel de la vente, entre guillements,
un consommateur se retrouve avec un achat qui devienne désastreux pour
lui. C'est vraiment le cas que l'on vise. Or, si les gens décident de
transiger sur les lieux, comme cela se fait, à ce moment-là, il y
aura une faculté de dédit pour une période de dix jours.
Mais si, par contre, les parties disent. Très bien, demain ou
après-demain, on se rend chez le notaire et on signe une offre d'achat,
il y a d'abord une période de refroidissement et, ensuite le notaire, en
vertu de son devoir de conseiller, de son impartialité et de la
recherche de l'équilibre des forces au contrat, fournira toute
l'information et s'assurera que, là, le consommateur sait très
bien ce qu'il fait et si c'est le cas, à ce moment-là il n'y a
plus de raison d'avoir de dédit. Donc, il y aura un choix si, dans
certains cas précis, les gens veulent procéder rapidement.
Quant à ce qu'on pourrait appeler, nous, dans notre jargon, des
passes, ce que vous avez appelé du "flipping", cela se fait
actuellement, puis ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de possibilité de
dédit. Ce qu'on fait, c'est qu'on stipule des conditions dont on sait
très bien qu'on pourra se dégager facilement, donc, qu'on fera
tomber, notamment concernant le financement. On met un taux
d'intérêt irréaliste, trop bas, qu'on ne trouvera pas, ou
encore une somme tellement importante en termes de pourcentage
d'équité qu'il n'y a pas un créancier qui voudra et on
s'en sort. Alors, quelqu'un qui veut vraiment faire des passes le peut et je ne
crois pas que le fait qu'il y ait possibilité de dédit
l'encourage.
Quant à l'instabilité, la réponse aux deux autres
désavantages, c'est que je vois ma! l'instabilité, d'autant plus
que l'achat d'une résidence est un achat qui est beaucoup plus
sérieux que celui d'un bien de consommation, par exemple, un aspirateur.
Je pense que les gens qui s'engagent dans ces achats s'engagent d'une
façon sérieuse. Il s'agit d'assurer à des personnes qui
n'ont pas d'expérience en semblable matière la possibilité
de contracter avec les meilleures chances de succès.
M. Filion: Je vous remercie de ces éclaircissements quant
à une possibilité, je pense qu'elle devient de plus en plus
intéressante. En tout cas, on va laisser réfléchir
l'équipe du ministère de la Justice là-dessus. De mon
côté, je pense que vous avez peut-être apaisé les
préoccupations que soulevait une innovation de cette nature dans le
secteur résidentiel. Et encore une fois, d'autant que vous la
réduisez aux ventes, si j'ai bien compris, avec intermédiaire,
c'est-à-dire lorsqu'il y a un courtier, donc, un personnage qui est
susceptible de presser un peu plus fort, de tourner un bras un petit peu plus
fort ou de séduire un peu plus facilement.
Je pense que je vais laisser la parole au député de
Marquette après cette dernière question que j'avais
également adressée à vos collègues du Barreau, ce
matin. Et le notaire est présent à peu près à tous
les stades de la construction d'immeubles. C'est très utile aussi au
promoteur qui cherche du financement, il préside ou il officie pour les
transactions quant au terrain, il est également présent lors de
la vente des immeubles qui ont été construits sur ce terrain, de
sorte que vous avez une expertise toute particulière dans le secteur de
la responsabilité ou dans le secteur, devrais-je dire, de la
réalité vécue par les entrepreneurs, les ingénieurs
et les architectes.
Peut-être voyez-vous venir ma question. J'aimerais avoir votre
opinion, savoir ce que vous pensez de la proposition qui nous a
été faite par les représentants des architectes,
proposition visant essentiellement à jouir d'un régime de
responsabilité plus ordinaire, entre guillemets, c'est-à-dire
n'être responsable que si la faute est prouvée et ne pas
être lié à une responsabilité solidaire avec des
entrepreneurs qui sont, ou en faillite, ou disparus, ou peu importe,
réorganisés sous d'autres compagnies ou d'autres raisons
sociales.
J'aimerais peut-être que vous nous fassiez part de votre point de
vue là-dessus, compte tenu de votre expérience dans ce
secteur.
M. Lambert: Si j'ai bien saisi le sens de votre question, vous
voulez connaître notre opinion sur la responsabilité
professionnelle des
intervenants, tels que les architectes ou les ingénieurs, par
exemple.
Nous croyons que lorsqu'un professionnel pose un geste dans son domaine,
en accord avec son expertise, il doit évidemment assumer la
responsabilité qui en découle. Il y a eu un débat,
à savoir: Est-ce que l'architecte ou l'ingénieur sera responsable
vis-à-vis, appelons-le, du consommateur, donc celui qui
bénéficiera de l'ouvrage, ou l'ingénieur ou l'architecte
sera-t-il responsable uniquement envers celui qui aura retenu ses services,
c'est-à-dire l'entrepreneur?
Il s'agit donc de discuter: Y aura-t-il responsabilité solidaire
et conjointe de tous les intervenants à la construction de
l'édifice? N'y aura-t-il qu'une seule responsabilité
vis-à-vis du bénéficiaire de l'ouvrage, donc du
propriétaire, qui serait celle de l'entrepreneur ou du promoteur, ou y
aura-t-il un lien entre le consommateur et l'architecte ou
l'ingénieur?
Donc, c'est le débat. Je vais demander au notaire Charest de le
formuler, puisqu'on a eu une discussion, justement, ce midi, là-dessus,
mais elle a à l'esprit une façon très claire de le
formuler. Si vous voulez y aller.
Mme Charest: Je pense qu'en résumé, après en
avoir discuté, on en est finalement arrivés à la
conclusion qu'étant donné que l'entrepreneur, l'ingénieur
et l'architecte travaillaient et collaboraient ensemble, on devrait maintenir
une responsabilité conjointe. Il arrive souvent... En tout cas, dans
bien des cas, il serait difficile pour le client de savoir qui il va
poursuivre. Est-ce que l'erreur vient des plans ou ne provient-elle pas
plutôt d'une mauvaise exécution des plans qui ont
été faits par l'entrepreneur? À ce moment-là, on
pense que pour une véritable protection du client, la
responsabilité devrait être conjointe entre l'entrepreneur,
l'architecte et l'ingénieur.
On n'est pas d'accord, par exemple, pour inclure avec tout ce beau monde
les sous-entrepreneurs, de même que les autres collaborateurs. Les
sous-entrepreneurs qui ne participent pas vraiment à toute la
réalisation des travaux, on voit mal comment ils pourraient engager leur
responsabilité, du moins en ce qui concerne la garantie de cinq ans.
Cela nous apparaît difficilement conciliable qu'on n'ait pas fait de
distinction. Je ne sais pas si le législateur voulait viser strictement
les défauts cachés dont il est question à 2184, les vices
ou malfaçons garantis contre lesquels il donne une garantie d'un an, ou
encore, s'il voulait vraiment couvrir tous les vices majeurs de construction
qu'on retrouve à 2183, avec la garantie de cinq ans.
De toute façon, pour nous, étant donné qu'on ne
faisait pas la distinction, on a présumé qu'il s'agissait de la
garantie, également quinquennale, et à ce moment-là, on ne
voyait pas l'utilité d'inclure les sous-entrepreneurs et autres
collaborateurs dont il est question à l'article 2185. Parce qu'on
imagine facilement les consé- quences économiques qu'il y aurait
pour, par exemple, celui qui aurait posé la plomberie ou encore
l'électricité, d'être responsable de l'ensemble du projet.
Il nous semble que ça serait bizarre.
Alors on estime qu'il serait préférable de limiter
ça strictement à l'entrepreneur, l'ingénieur et
l'architecte, tel que ça existe actuellement dans le Code civil,
à l'article 1688.
Maintenant, on est parfaitement en accord avec l'article 2185,
alinéa 2, qui prévoit que dans la mesure où l'un des
participants à l'ouvrage, et toujours mon entrepreneur, architecte ou
ingénieur, puisse se dégager de ses responsabilités s'il
prouve que son travail n'a rien à voir avec le vice qui est
reproché, il peut s'exonérer de toute responsabilité, en
prouvant que le vice ou la malfaçon de l'ouvrage reproché ne
résulte pas d'une erreur que lui a commise. Et je pense qu'il faut
conserver cette disposition-là.
La Présidente (Mme Bleau): Une autre question?
M. Filion: Non; je pense que je vais garder ma prochaine question
pour tantôt et laisser la parole à M. le député de
Marquette.
La Présidente (Mme Bleau): Nous allons passer la parole au
député de Marquette.
M. Dauphin: Oui, Mme la Présidente. Peut-être une ou
deux questions, puis ensuite un de nos codificateurs, le professeur Jean
Pineau, aurait des observations à faire.
J'aimerais vous référer à l'article 1841 de
l'avant-projet de loi qui parle de la circulaire d'information,
c'est-à-dire lorsque la vente porte sur une fraction d'une
copropriété, divise ou indivise, et qu'il y a au moins cinq
unités de logement. Certains groupes qui sont venus, comme
invités, nous ont dit que d'exiger une circulaire d'information dans le
cas de cinq unités était peut-être un peu lourd. Ils nous
suggéraient, peut-être, d'augmenter le nombre.
Alors comme praticien du droit, pour nous éclairer, j'aimerais
demander l'opinion de la Chambre sur cet article-là, je ne sais pas si
vous avez eu l'occasion de l'étudier de façon précise?
M. Lambert: Alors le bien-fondé de la circulaire, je pense
que là-dessus, on le reconnaît. Il est évident que dans
certains cas, dans certains projets immobiliers, des consommateurs
achètent parce qu'on leur fait des représentations
précises quant à des accessoires, quant à l'environnement
immédiat de l'unité qui est achetée, et je pense que
ça fait partie du contrat. Tout probablement que ces consommateurs
n'auraient pas consenti s'ils avaient su que les représentations qu'on
leur faisait n'étaient que l'expression de voeux, que ça se
réaliserait peut-être, peut-être pas. À ce mo-
ment-là, je pense que le consentement n'aurait peut-être
pas été donné.
Et que le législateur trouve ou suggère une façon
de sanctionner en facilitant la preuve, parce que la circulaire, dans le fond,
c'est ça, ça facilite la preuve que les représentations
ont bel et bien été faites, je pense que c'est fort souhaitable.
Dans la discussion qu'on a eue, on trouvait que le terme de cinq unités
de logement, était un peu imprécis, en ce sens que si,
effectivement, un entrepreneur érige deux maisons sur une rue, en
érige trois sur la rue attenante, et une sixième, de l'autre
côté de cette deuxième rue, est-ce qu'automatiquement il
devrait y avoir une circulaire alors qu'aucune représentation n'est
faite à ceux qui achètent, qui considèrent uniquement
l'unité qu'il a représentée, sans penser qu'il y a des
accessoires, sans qu'on fasse des représentations concernant les
accessoires, tels que piscines ou terrains de récréation communs,
stationnements ou autres, qu'il n'y a rien de cela qui est fait? Est-ce que
c'est purement une question de nombre? Nous ne le croyons pas, et c'est ce qui
nous amenait à avoir une certaine réticence sur cette
façon-là, qui rejoint sans doute leur préoccupation.
Allez-y donc, notaire Charest. (17 h 15)
Mme Charest: En somme, il faudrait peut-être définir
ce que le législateur entend par projet immobilier, parce que je pense
que c'est là qu'est le problème. Qu'est-ce qu'un projet
immobilier de cinq résidences et plus? Nous nous sommes posé des
questions, nous n'avons pas formulé de commentaires comme tels dans
notre mémoire; par contre, étant responsable du comité de
législation, je sais que cela a fait l'objet d'une grande discussion au
sein du comité. Il y aurait peut-être avantage, parce que j'ai eu
également l'occasion de lire différents travaux qui avaient
été faits ici, en sous-commission, de différents
intervenants, et on sentait très bien que les gens ne savaient pas
précisément en quoi consistait le fameux projet immobilier dont
il est question à l'article 1841.
Il y a une autre chose aussi que l'on concevrait très bien, ce
serait que ces dispositions, ces règles particulières à la
vente d'immeubles résidentiels, soient incluses dans la Loi sur la
protection du consommateur. D'ailleurs on connaît déjà une
nouvelle réglementation en matière de pratique de commerce
immobilier dans la Loi sur la protection du consommateur, qui vient
d'être mise en vigueur, et on concevrait facilement que ces dispositions,
qui visent à protéger le consommateur immobilier, soient
intégrées dans la Loi sur la protection du consommateur, qu'on
fasse un volet spécial sur le consommateur immobilier, tout simplement.
Et ce serait peut-être plus facile, j'imagine, que le contenu de la
circulaire d'information puisse, par exemple, être établi par
règlement, et à ce moment, au fur et à mesure que des
pratiques se développeraient, on pourrait facilement modifier la
réglementation ou l'ajuster de même que la loi statutaire.
M. Dauphin: Merci, j'aurais une autre question concernant la
vente d'entreprises. Aux pages 36 à 44 de votre mémoire, vous
étudiez l'opportunité de conserver un régime particulier
pour la vente d'entreprises, et finalement vous concluez que ce régime
n'a plus sa raison d'être. Ne croyez-vous pas que les problèmes en
cette matière viennent du fait que la loi actuelle est
inadéquate, par exemple, son champ d'application restreint, et la
réforme ne tente-t-elle pas de corriger cette situation?
M. Lambert: Je vais demander au notaire Roland Vaillancourt de
répondre à votre question.
M. Dauphin: D'accord.
M. Lambert: Me Vaillancourt.
M. Vaillancourt (Roland): II est exact que la loi actuelle manque
de clarté et que ce soit la source de beaucoup de problèmes, mais
si on creuse un peu plus profondément et si on se demande pourquoi elle
existe, pourquoi on retrouve au Code civil ces dispositions sur la vente en
bloc, on remonte à la fin du XIXe siècle, à une
époque où la loi de faillite n'existait pas, où les
propriétaires de fonds de commerce avaient une réputation,
semble-t-il, sensiblement moins bonne que ceux que l'on connaît
aujourd'hui semblent avoir. Et pour avoir été en pratique un bon
nombre d'années jusqu'à maintenant, que je sache, les
propriétaires et vendeurs de fonds de commerce ne sont pas plus
malhonnêtes, ni plus croches que le reste de la population et il me
paraît anormal qu'on les classe dans une catégorie spéciale
et qu'on leur dise: Si toi, propriétaire du fonds de commerce tu le
vends, tu ne touches pas ton prix de vente, on l'isole, tu nous donnes une
liste de tes créanciers et on va les payer. Quand le notaire sert cette
explication à un vendeur de fonds de commerce, ce dernier est des plus
surpris et il tombe en bas de sa chaise, il l'apprend. Et quand on dit au
même vendeur: Attention vendeur, tu dois me donner dans ton affidavit non
seulement les dettes relatives à ton commerce, mais aussi toutes tes
dettes personnelles: ta maison, tes cartes de crédit, tes comptes de
Bell Canada et d'Hydro-Québec. Il retombe en bas de sa chaise. Ce que je
veux exprimer par là, c'est que le public ne comprend pas les raisons
profondes qui sous-tendent ces dispositions spéciales. C'est ce qui nous
amène finalement à conclure que nous n'aurions aucune objection
à ce qu'elles soient tout simplement enlevées du Code civil
comme, semble-t-il, à certains endroits, on pense le faire, maintenant
qu'on a une loi de faillite relativement bien faite, maintenant que les
créanciers des propriétaires de fonds de commerce
bénéficient de sûretés qui n'existaient pas
aupa-
ravant, les nantissements commerciaux, sessions de biens en stock, il y
a toute une panoplie de sûretés qui leur sont données, le
crédit est mieux organisé, les fournisseurs sont
généralement des grandes sociétés qui suivent bien
leurs clients. Et que je sache, il n'y a pas de problèmes de
crédit plus criants là qu'ailleurs dans d'autres domaines. Et
c'est pour cela qu'on ne serait pas malheureux de voir les dispositions
supprimées complètement.
M. Dauphin: Merci. J'ai d'autres questions, mais peut-être
qu'à ce stade-ci, M. le Président, on pourrait autoriser le
professeur Jean Pineau à vous poser une question ou à faire une
observation.
M. Pineau: Si vous le permettez, M. le Président, ce n'est
pas une question, c'est un simple commentaire sur des commentaires
généraux ou certains commentaires généraux qui ont
été faits au début de cette séance et ce matin par
le Barreau.
On reproche à l'avant-projet son style et ce que j'appellerais sa
manière, qui sont qualifiés l'un et l'autre d'anglo-saxons et on
y voit la pénétration de la "common law", notamment par la
judiciarisation - c'est un bien vilain mot - du droit.
On se porte au secours, c'est ce qu'on a entendu ce matin, de la culture
juridique française et du génie de la langue française.
J'applaudis à cela, je suis particulièrement touché par
cette attention, mais si on ouvre le Code civil français aujourd'hui,
aux pages nouvelles en matière de régimes matrimoniaux, de
filiation, de tutelle et de curatelle, de divorce, de succession, de projets
à venir, eh bien, on se rend compte que la rédaction du XXe
siècle est tout à fait différente de celle du XIXe
siècle.
Et on se rendra compte que l'écriture du doyen Carbonnier, qui
est l'auteur des nouvelles parties du code français, est totalement
différente du style ou de la rédaction de Portalis, n'est-ce pas?
Ce n'est plus la même chose. On se rendra compte que les règles du
code n'ont plus la concision de jadis car les situations sont de plus en plus
complexes et cette complexité des situations, due aux relations
nouvelles entre les particuliers, conduit à des lois
nécessairement plus complexes et plus volumineuses.
Et on se rendra compte, en lisant les nouvelles dispositions du code
français, que l'intervention judiciaire est de plus en plus
fréquente. D'ailleurs, ce n'est pas nouveau car si on prend l'article
1053 du Code civil du Bas-Canada, c'est bien là le modèle
même de cette règle dite simple, claire et concise, règle
dite à la française par opposition à la règle dite
à l'anglo-saxonne et cependant, des milliers de pages ont
été écrites et publiées sur l'article 1053 ou les
articles correspondants 1382-1384 du Code civil français, des milliers
de pages de jugements ont été rédigées par les
juges lorsqu'il s'est agi d'appliquer cette règle.
Alors, c'est bien dire qu'il n'est pas aisé d'énoncer des
règles qui ne soient pas susceptibles de discussions, qui ne soient pas
susceptibles d'interprétation et qui soient susceptibles d'éviter
les recours aux juges. J'attire particulièrement l'attention de la
Chambre des notaires, comme d'ailleurs celle du Barreau, relativement à
ces problèmes. Nous ne sommes plus au XIXe siècle et les
règles concises du XIXe siècle sont insuffisantes à
régler toutes les situations. On nous dit ensuite qu'on trouve dans le
Code civil les règles fondamentales. Mais qu'est-ce que c'est que les
règles fondamentales, en définitive? On pourrait se contenter
d'une théorie générale des obligations. Mais pourquoi, en
1866, a-t-on éprouvé le besoin d'énoncer des règles
sur les contrats nommés? Elles sont déjà dans le Code
civil du XIXe siècle. Donc, il ne faut pas s'étonner qu'un code
civil nouveau, qu'un projet de code civil énonce des règles
particulières dans le cadre des contrats nommés, et que ces
règles visent des situations qui ne se présentaient pas au
législateur ou au codificateur de 1866. Je vous remercie, M. le
Président.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. Pineau. Je vais
reconnaître M. le ministre de la Justice.
M, Rémillard: Je vous remercie, M. Pineau, pour ces
remarques très pertinentes. Vous me permettrez, M. le Président,
de poser une question concernant les contrats de louage.
M. le président Lambert, à la page 95 de votre
mémoire, vous vous dites d'accord avec l'interdiction faite au locateur
d'user de harcèlement, de harceler un locataire pour le contraindre
à quitter les lieux. Cependant, vous vous opposez à ce que le
locataire puisse demander justice, condamnation à des dommages et
intérêts punitifs à la suite d'un harcèlement.
Est-ce que vous ne voyez pas quand même une relation importante qu'on
doit faire entre cette possibilité pour le locataire de s'adresser
à la justice pour des dommages et intérêts punitifs dans la
mesure où on sait très bien que, très souvent, c'est la
seule façon dont le locataire peut vraiment obtenir compensation pour le
harcèlement dont il a été victime? Est-ce que vous avez
des commentaires là-dessus?
M. Lambert: On a mentionné tantôt qu'on
suggérait que tout ce qui concerne le louage soit sorti et mis dans une
loi statutaire. Dans cet endroit, il y aura peut-être plus de logique
à y voir telles choses que des dommages punitifs. Je pense qu'on avait
de la difficulté avec le concept dans le Code civil d'avoir des dommages
punitifs. Qu'il y ait des dommages si, effectivement, le harcèlement a
causé un préjudice, mais des dommages punitifs, on a
peut-être plus de difficulté. Me Charest.
Mme Charest: C'est-à-dire que le concept
des dommages punitifs, tel qu'on le prévoit au chapitre de la
responsabilité, où le demandeur ne toucherait pas personnellement
les dommages punitifs, on est d'accord avec cette proposition. Sauf qu'ici, si
on lit l'article, il semble que ce serait le locataire qui toucherait les
dommages punitifs. À ce moment-là, c'est peut-être une
disposition davantage à caractère pénal. Cela se
concevrait peut-être facilement dans une loi statutaire, mais voir cela
dans le Code civil, cela surprend un petit peu.
M. Rémillard: Très bien. Pour le moment...
Le Président (M. Marcil): Cela va? Oui M. le
Président.
M. Lambert: J'aimerais revenir un peu sur les propos du
professeur Pineau. On comprend - et on n'a rien contre - l'utilisation de la
langue de Molière dans notre Code civil, loin de là. Toutefois,
on se pose la question sur certaines phrases où on voit soudainement de
nouvelles portes laissées entrouvertes pour de l'interprétation
judiciaire. Par exemple, si on regarde l'article 1457: "Lorsqu'une forme
particulière est exigée comme condition nécessaire...", il
y a donc des conditions qui ne sont pas nécessaires et d'autres qui le
sont. Qui apprécie le caractère de la nécessité de
la condition? Ouverture. Si on regarde l'article 1493 parlant de l'exception
d'inexécution: "Lorsque les obligations résultant d'un contrat
synallagmatique sont exigibles par l'une et l'autre des parties et que l'une
d'elles n'exécute pas substantiellement la sienne..." Tiens, avant on
exécutait ou on n'exécutait pas; maintenant on peut
exécuter, mais pas substantiellement. Qu'est-ce que c'est, cela? C'est
nouveau, c'est de l'imprécision, du vague, encore une fois, de
l'interprétation judiciaire. (17 h 30)
On peut aller aux articles 1557 et 2160, avec le mot "principalement".
Qu'est-ce que cela veut dire, "principalement"? "Règles de bonne
conduite" à l'article 1515. Avant, on avait un concept de prudence et
d'exigence, maintenant on parle de règles de bonne conduite. "Des
attentes légitimes", à l'article 1621. Encore là,
qu'est-ce qu'une attente légitime, plutôt que le critère de
la qualité marchande qu'on a actuellement? Alors, on voit qu'on a un
souci d'ouvrir davantage à l'interprétation, de laisser flotter
davantage les concepts et c'est là-dessus qu'on en est. On se dit: Ce
sont finalement les tribunaux qui vont définir le droit. C'est dans ce
sens-là qu'on trouve que c'est une incursion de la "common law",
plutôt que de définir avec plus de rigueur. Mais, peut-être
que le professeur Pineau a raison, peut-être sommes-nous maintenant dans
un monde où il faut laisser flotter le droit.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. le Président.
M. le député de Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. J'aimerais tout
d'abord dire aux représentants de la Chambre: Lorsque vous vous
référez au projet de loi 20 relatif à la Curatelle
publique, vos suggestions sont extrêmement intéressantes et,
effectivement, le ministère va sûrement y donner suite.
Maintenant, j'aurais une question, non pas sur la Curatelle, mais sur le
formalisme contractuel. Plusieurs groupes nous ont mentionné que
l'avant-projet de loi contenait un formalisme protecteur au détriment,
justement, de la liberté contractuelle. La Chambre des notaires
suggère plutôt le recours à l'acte notarié en
matière de donation de biens meubles, voire le recours aux services d'un
notaire pour la gestion de fiducie en matière de vente d'immeubles
résidentiels et de contrats d'oeuvre. Comment concilier vos suggestions
de recourir, autant que faire se peut, à l'acte authentique, à
l'acte notarié, avec le voeu de ces organismes-là qui nous
disent: Arrêtez de formaliser et de protéger, laissez-nous la
liberté.
M. Lambert: Cela, c'est tout le débat. Doit-on être
formalistes avant ou après? Nous, on préconise d'être
formalistes avant. On dit même qu'il faut aller plus loin. On sait
d'expérience que notre intervention a prévenu des situations
conflictuelles dans une foule de rapports contractuels. En d'autres termes, si
le recours au notaire n'avait pas été soit la norme, soit
souhaité par les parties à l'occasion d'une transaction, il y
aurait eu à coup sûr une essence de litige. Je faisais
référence tantôt à la donation. On voit
régulièrement des gens âgés qui se sont fait
convaincre de se dépouiller au bénéfice de proches de leur
famille. Alors, sous la pression ou par captation, on pouvait simplement
consigner cette donation sur un petit papier, sur le coin de la table de
chevet. Imaginez combien la personne est vulnérable. Alors que, si vous
la sortez de son contexte où elle subit des pressions, et que vous lui
expliquez les conséquences, par exemple, et les dangers de se
dépouiller en faveur d'une personne, qui peut être un proche de
bonne foi mais qui pourrait être dans une aventure financière ou
économique, le donateur n'ayant pas apprécié cet
aspect-là, l'intervention du notaire, à ce moment-là, est
tout à fait préventive, elle évite.
C'est la même chose au niveau de lavant-contrat. On sait, par
exemple, que beaucoup de gens qui administrent - entre guillemets - les
avant-contrats sont des gens qui sont dans le milieu pour à peu
près deux ou trois ans. La proportion des gens qui tournent à
l'intérieur de trois ans est à peu près de 80 %. Donc, ce
ne sont pas des gens qui s'enracinent dans une profession à long terme.
Ce sont des gens mus par un désir légitime de faire de l'argent.
Donc, les considérations vis-à-vis de l'acheteur sont
différentes. Il est important que cette vente soit
conclue, par exemple pour régler une fin de mois. Ce sont des
choses qu'on voit. Cela, c'est de la pratique régulière et
quotidienne. Si vous replacez l'acheteur dans un contexte plus froid où
le juriste notaire explique toutes les conséquences du geste à
l'acheteur, il est possible à ce moment-là qu'une situation de
conflit soit évitée. En d'autres termes, le consommateur
réalise que, mon Dieu, il est loin de faire une bonne affaire et qu'il a
peut-être donné son consentement préalablement parce que le
contexte était échauffé et qu'il avait été
un peu l'objet de pressions.
Devant cette commission, en août 1987, on a eu le plaisir d'avoir
un notaire parisien, docteur en droit, qui justement expliquait que sur 5 000
000 d'actes notariés en France l'année précédente,
moins d'une centaine avaient donné lieu à une inscription en
litige et que, en réalité, à peu près une vingtaine
avaient vraiment une quelconque justification et un nombre mineur avait
effectivement donné lieu à une poursuite parce que l'acte...
C'est donc dire que des millions de transactions n'ont donné lieu
à aucun litige parce que, préalablement, il y a eu une
espèce d'arbitrage, il y a eu cette recherche de l'équilibre, ce
devoir de conseil. Le notaire ne représente pas une partie, il agit pour
l'ensemble des parties. C'est une institution qui existe; elle a
été adoptée par le Japon, probablement parce que ce pays y
a vu beaucoup d'avantages. Une société, par exemple, qui ne peut
s'offrir le luxe d'un système judiciaire aussi sophistiqué que
nous, la Chine populaire, a adopté le notariat et en fait la promotion.
Pourquoi? Parce qu'il est absolument capital pour cette société
de régler autant que possible, préalablement, que de bâtir
un système judiciaire dont on peut réaliser les dimensions quand
on a une population de 1 100 000 000 d'habitants. Donc, là où le
notariat existe dans le monde, où il a une fonction et là
où le droit civil, parce que c'est une institution typique du droit
civil qui utilise cette forme, on voit que l'effet préventif est certain
et mesurable.
Nous disons tout simplement que, dans certaines occasions, par exemple
lorsqu'une personne se présente chez un notaire, donc qui n'est l'objet
d'aucune captation et qui dit: Moi, notaire, je fais une procuration... Et on
voit cela régulièrement dans nos bureaux. Je commence et,
quelquefois, j'en oublie des bouts. C'est cela qu'ils nous disent. J'aimerais
que ma fille ou mon garçon s'occupe de mes affaires. Là, on lui
dit: Oui, mais vous savez, quand vous ne serez plus capable, la procuration ne
sera plus valable. Là, les gens sont vraiment... Lorsque ce désir
est formulé, après que le notaire a expliqué vraiment
toutes les dimensions de la question, pourquoi à ce moment-là
n'offrirait-on pas au justiciable ce moyen simple, mais à la fois
solennel avec l'intervention d'un officier qui, je le répète,
demeure responsable de ses actes? Quand je parle du devoir de conseil, de la
recherche de l'équi- libre et de l'impartialité, ce ne sont pas
des fleurs de rhétorique; il y a énormément de jugements
qui sont là pour les étayer. Un jugement récent a
trouvé responsable un notaire de ne pas avoir informé une
personne, lors d'une transaction, sur la valeur économique d'une
hypothèque de troisième rang qui a été
cédée en paiement d'un prix de vente. Voyez-vous jusqu'où
cela va? Cela va très loin.
Je pense que le législateur, à l'occasion de cette
réforme devrait regarder tous les avantages que l'institution notariale
offre et l'utiliser là où cela pourrait avantageusement
éliminer des recours devant les tribunaux. Oui, notaire Beaulne.
Le Président (M. Marcil): Oui, si vous voulez
compléter.
M. Beaulne: Peut-être pour poursuive dans le sens du
formalisme, on a un exemple actuellement avec les testaments. Actuellement, les
gens ont le choix de la forme d'un testament. Ils peuvent opter pour le
testament notarié ou pour le testament anglais ou olographe. J'enseigne
le cours des testaments à l'université. On passe quatre heures
à étudier les formalités du testament notarié.
Évidemment, les étudiants me disent: C'est beaucoup de
formalisme, c'est très méticuleux; à quoi tout cela
sert-il? Il s'agit de vérifier dans la jurisprudence pour voir le nombre
de testaments notariés qui se rendent devant les tribunaux par
opposition au nombre de testaments olographes, testaments anglais. La
présence d'un formalisme, d'un officier public va assurer, par exemple,
que le testament est complet en soi. Combien rencontre-t-on de testaments
olographes ou anglais où les gens lèguent les biens qu'ils ont au
moment où ils font le testament, sans prévoir pour l'avenir! J'ai
déjà réglé une succession où on faisait face
à un testament olographe dans lequel le testateur avait dit: Je
lègue mon batteur à oeufs à mon gendre. Cela nous a pris
une bonne enquête pour nous rendre compte que le batteur à oeufs
dont on parlait était un moteur hors bord d'une force et demie qu'il
avait toujours désigné comme étant son batteur à
oeufs.
Dans ce cas particulier, ça n'a pas débouché devant
les tribunaux, mais ça laisse tout de même voir que l'absence de
juriste où moment de la signature, s'il n'a pas été
là pour éclairer la partie, ça va laisser un énorme
potentiel de conflits ultérieurs. Par exemple, dans le cas d'un
testament, les conflits vont nécessairement survenir au moment où
celui qui a fait l'acte n'est plus là pour s'expliquer. C'est d'autant
plus important qu'on s'assure qu'au moment où l'acte a été
fait... Le formalisme est peut-être lourd, il est peut-être
sévère, mais il est là pour une excellente raison, qui est
justement d'éviter les ambiguïtés qu'on pourrait rencontrer
au moment où l'acte va recevoir exécution.
M. Lambert: Peut-être pour compléter, M. le
Président.
Le Président (M. Marcil): M. Lambert.
M. Lambert: II est certain que le formalisme est parfois un peu
agaçant, mais il y a un choix à faire. Ou on laisse un
superlibéralisme, les gens contractent comme ils veulent, n'importe
comment, et on dit: Nous de l'État, en payant un système
judiciaire sophistiqué et coûteux, nous allons accrocher les
balles après, c'est-à-dire que si ça ne va pas, vous
viendrez nous voir. Je pense qu'il y a un choix à faire. Il n'est pas
question d'éliminer le système judiciaire, je pense qu'il est
là pour rester, mais il s'agit peut-être de mettre un frein
à son développement s'il y a d'autres façons d'atteindre
la justice contractuelle.
Je pense qu'on a mentionné tantôt qu'on a dans notre droit,
justement, cet acte Infiniment supérieur qu'est le testament
notarié, et c'est curieux, ça ne donne lieu à aucun
problème. S'il y a un acte important dans la vie d'un individu, c'est
bien celui de rédiger ses dernières volontés, puisqu'il ne
sera pas là par la suite pour vérifier si elles sont
respectées. Je pense que la très grande confiance que les gens
ont dans ce testament notarié prouve justement que cette forme est
souhaitable.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Lambert. Je
reconnais maintenant le député de Taillon.
M. Filion: Avec la permission de mes collègues, j'aimerais
demander au conseiller juridique de l'Opposition, Me Pierre Gariépy, de
poser une question à nos invités.
M. Gariépy: À la page 175 de votre mémoire,
vous commentez l'innovation qu'est l'article 2426, qui est l'interdiction de la
renonciation d'avance au bénéfice de la subrogation. Vous
commentez avec approbation parce que vous répétez le même
texte dans votre recommandation. Ma question porte sur ceci. J'ai toujours
trouvé intéressante cette innovation parce que ça mettait
peut-être fin à l'invitation, pour certains créanciers,
à négliger l'exercice de leur recours à des garanties au
moment où le prêt viendrait à échéance.
Beaucoup de mémoires ont critiqué cet ajout qu'est l'interdiction
de renoncer d'avance au bénéfice de subrogation. Je veux juste
vous lire une partie du mémoire de l'Association des banquiers canadiens
qui dit ceci, concernant le deuxième alinéa de l'article 2426. Je
serai bref. On dit: "Nous nous expliquons mal la position prise ici par le
législateur et nous réclamons un retour au droit actuel en vertu
duquel il est toujours permis de renoncer au bénéfice de
subrogation. Advenant le maintien de cette interdiction, le créancier
devra toujours se prévaloir de ses autres sûretés sur les
actifs, ce qui entraînera des frais plus élevés qui se
répercuteront en fin de compte sur la caution."
Vous, vous êtes favorables à l'innovation, et j'aimerais
que vous répondiez aux arguments et peut-être que vous en
discutiez, que vous les commentiez, si vous pouvez le faire. (17 h 45)
Mme Charest: Nous, on n'a pas vu de problème quand on a
examiné cette disposition et on n'en voit pas encore. Le fait qu'on
interdise la caution de renoncer à l'avance au droit à
l'information et au bénéfice de subrogation, je ne vois pas
comment on pourrait... Parce que !e bénéfice à la
subrogation ne survient que lorsque la caution paie finalement au nom du
débiteur. Je m'explique mal comment il se fait que l'Association des
banquiers... en tout cas, ils sont d'avis, eux, que finalement cela
coûterait plus cher, si j'ai bien compris ce que vous m'avez !u, en ce
qui concerne les frais de crédit.
M. Gariépy: En fait, "se répercuteront en fin de
compte sur la caution" des coûts plus élevés. Ce sont les
pages 172 et 173 de leur mémoire.
Mme Charest: Malheureusement, je n'ai pas pris connaissance de
ces pages-là. En tout cas, il me semble que... Nous...
M. Gariépy: D'après vous, cela
apparaît...
Mme Charest: Bien non, je ne pense pas, parce que la caution, au
moment où elle va être subrogée dans les droits du
créancier, cela va être au moment du paiement uniquement.
M. Gariépy: Merci.
Le Président (M. Marcil): Ça va? M. le
député de Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. J'ai seulement une
dernière question. D'ailleurs, j'en parlais justement au directeur du
droit civil qui est également notaire, Me Cossette. À l'article
1860 de l'avant-projet de loi, on rend nulle toute clause de dation en
paiement. Seriez-vous d'accord pour que l'on prohibe, pour qu'on fasse la
même chose pour la vente à réméré?
M. Lambert: En d'autres termes, il s'agirait d'éliminer la
vente à réméré? La faire sauter?
M. Dauphin: C'est cela. Faire sauter la vente à
réméré. On me dit que... Je connais certains notaires qui,
en 25 ans, n'ont jamais fait cela.
M. Lambert: Oui, effectivement. Ce n'est pas un instrument qui
est fréquemment utilisé, mais...
M. Mackay (Julien S.): Le seul cas où j'ai
eu à l'utiliser, c'était pour un prêt qui
n'était pas gros, mais qui supposait que l'acquéreur à
réméré assumait la première hypothèque et
devenait personnellement responsable. C'est une des raisons pour laquelle on ne
recommandait pas à un prêteur qui pensait avoir une meilleure
garantie en se faisant céder le bien à
réméré: Vous devez assumer la première
hypothèque existante qui, elle, est généralement
d'envergure. Cette assumation était bonne tant que le prêt
n'était pas remboursé. S'il ne l'assumait
qu'hypothécairement, souvent l'acte d'hypothèque originaire
disait qu'il y avait perte de bénéfice du terme si l'assumation
n'était qu'hypothécaire. C'est pour cela que ce n'était
pas pratique généralement comme mode de financement.
M. Dauphin: Nous conseilleriez-vous de conserver cela dans le
Code civil? Non, d'accord.
M. Lambert: Je crois qu'on s'était prononcé contre
la disparition de la clause de dation en paiement par contre l'an dernier.
M. Dauphin: Dans votre mémoire.
M. Lambert: Je ne voudrais pas l'associer. Mot, j'ai toujours
considéré que la vente à réméré
serait là et qu'un jour, peut-être, à un moment
donné, on lui trouverait une nouvelle utilité, une nouvelle vie.
Je me disais que ça ne nuisait pas que ce soit là.
M. Dauphin: Sur la dation en paiement, voulez-vous
préciser? Vous vous êtes prononcés contre le fait qu'on
rend nulle une clause de dation en paiement.
M. Lambert: Oui. L'an dernier, je me rappelle qu'on avait
apporté une critique, assez complète, je crois, en ce qui
concerne les recours qu'on réservait aux créanciers
hypothécaires. Je pense qu'on avait formulé le désir de
maintenir la dation en paiement, d'ailleurs qui était maintenue sous une
autre forme, qui était la prise en paiement, si je me rappelle bien.
Le Président (M. Marcil): Cela va? M. Dauphin:
D'accord. Merci.
Le Président (M. Marcil): S'il n'y a plus de question, on
va...
M. Filion: J'ai peut-être une petite question. Dans votre
mémoire, a la page 11, je crois, vous traitez de la question
d'accessibilité à la justice, un souci qui vous honore, de vous
préoccuper de cette question d'accessibilité à la justice,
qui nous préoccupe également tous autour de cette table. Vous
dites au conditionnel, je pense, dans votre résumé de
mémoire à la page 11, pages 11 ou 12, vous dites 80 %... Je vais
vous citer au texte.
M. Lambert: On reprenait les propos de M. le bâtonnier Guy
Gilbert, propos qu'il avait tenu déjà...
M. Filion: Juste pour me laisser terminer, pour le Journal des
débats: 80 % "de nos concitoyens" et concitoyennes "qui ne peuvent
avoir accès à la justice". Là, vous dites: "Selon Me Guy
Gilbert", après cela. Mais le chiffre de 80 % vient des propos de Me
Gilbert, c'est cela?
M. Lambert: Oui. J'ai présumé qu'il était
bien informé.
M. Filion: Ha, ha, ha! Donc, ça va, M. le
Président. Je pense, que de notre côté, on aurait pu
poursuivre ce dialogue pendant fort longtemps étant donné que nos
invités ont évidemment l'expertise pour faire en sorte que cet
entretien soit fructueux. De notre côté, M. le Président,
nous remercions Me Lessard, Me Vaillancourt, Me Mackay, le président Me
Lambert, Me Charest, Me Beaulne et Me Roberge non seulement de ce qui est
apparent de leur performance, ici, cet après-midi, mais également
de tout le travail d'excavation, de préparation, de lecture, etc., qui a
été fait au sein de la Chambre des notaires. Je ne doute pas
qu'il y ait eu sûrement des centaines, probablement des milliers
d'heures, qui ont été investies par la Chambre des notaires pour
faire en sorte que vos représentations, cet après-midi, et votre
mémoire soient à la fine pointe de ce que vous croyez être
la façon dont le droit des obligations devrait être
rédigé. Vous avez dit au début de votre intervention, Me
Lambert, que cet exercice était exceptionnel, et, à mon tour, au
nom de l'Opposition officielle, je dois vous dire que la contribution de la
Chambre des notaires est également exceptionnelle. Merci.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. le
député de Taillon. M. le député de Marquette.
M. Dauphin: À notre tour, au nom du ministre de la
Justice, qui est ici mais qui s'est absenté quelques minutes, et des
collègues ministériels, et de l'équipe de réforme
du Code civil, nous aimerions remercier et féliciter la Chambre des
notaires du Québec pour la préparation et la présentation
de son mémoire, mémoire d'ailleurs, comme le disait mon
collègue de Taillon, qui est très bien étoffé,
très bien structuré. Encore une fois, c'est un avant-projet de
loi, et je peux vous assurer, au nom du ministre, que l'équipe de la
réforme du Code civil va analyser attentivement toutes vos
recommandations afin de bonifier cet avant-projet de loi et
éventuellement de déposer un projet de loi. Encore une fois,
merci beaucoup de votre participation active à nos travaux.
Le Président (M. Marcil): Oui, Me Lambert.
M. Lambert: M. le Président, permettez-moi
de remercier les membres de la sous-commission de la grande patience
qu'ils ont de nous avoir écoutés et interrogés avec
pertinence. Une simple demande en terminant, M. le Président, c'est que
j'ai, lors de mon allocution, mentionné la remise de documents et, pour
ce faire, j'ai besoin de votre autorisation. Merci.
Le Président (M. Marcil): Oui, nous allons à
accepter le dépôt de ces documents que nous allons ensuite
reproduire et faire parvenir à tous les députés et membres
de cette commission parlementaire.
Au nom de cette commission, nous vous remercions de vous être
prêtés à cette discussion qui saura sûrement porter
fruit.
Nous allons suspendre nos travaux et les reprendre à 20 heures.
Merci.
(Suspension de la séance à 17 h 53)
(Reprise à 20 h 12)
Fédération des notaires du
Québec
Le Président (M. Marcil): Nous reprenons nos travaux et
nous allons entendre la Fédération des notaires du Québec.
Nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission parlementaire. Vous
êtes le dernier groupe que nous recevons parmi les dizaines de groupes
que nous avons rencontrés jusqu'à maintenant. Je voudrais, Me
Pierre Lafortune, vous qui en êtes le président, que vous nous
présentiez les gens qui vous accompagnent. Vous avez 15 à 20
minutes pour faire la présentation de votre mémoire. Sachez qu'il
a été lu et étudié par tout le monde. Cela va?
M. Lafortune (Pierre): D'accord. Le Président (M.
Marcil): Allez-y.
M. Lafortune: J'ai à mes côtés, à mon
extrême droite, à votre gauche, le directeur de la
fédération, M. Normand Chagnon, et, à ma droite
immédiate, Me François Crête, notaire, ici à
Québec.
M. Crête (François): Si vous voulez, nous allons
débuter sans tarder.
La Fédération des notaires du Québec est heureuse
de vous soumettre ce soir des commentaires sur l'avant-projet de loi sur les
obligations. Étant donné l'ampleur du projet de loi et le peu de
temps qui nous est alloué, nous nous limiterons à certains points
précis qui concernent davantage la profession que nous
représentons. Contrairement à la Chambre des notaires du
Québec et au Barreau du Québec, la fédération a le
mandat de défendre ies intérêts socio-économiques
des notaires en pratique privée. C'est pourquoi notre approche va
sembler être plus concrète et refléter la pensée des
notaires de pratique privée. Avant de débuter, nous aimerions
apporter nos félicitations à l'équipe des juristes qui a
participé de près ou de loin à l'élaboration de ce
projet de loi. Nous savons que ce n'est pas facile de préparer des
projets de loi et que cela demande souvent un travail énorme.
Dans un premier temps, nous attirons votre attention sur la question de
l'offre d'achat ou promesse de vente d'un immeuble. Nous suggérons que
ces contrats soient assortis d'une clause de dédit permettant à
l'acquéreur de pouvoir annuler son offre, qui a été
acceptée par le vendeur, dans un délai de dix jours. L'achat d'un
immeuble représente une obligation importante pour le consommateur et
peut-être même l'obligation la plus onéreuse de sa vie. !!
serait donc souhaitable de lui accorder une période de réflexion
pour pouvoir annuler unilatéralement, sans aucun motif approuvé,
l'offre d'achat d'un immeuble qu'il ne désire plus acquérir. Il
faudrait étendre ce principe non seulement aux immeubles
résidentiels de moins de cinq logements construits ou à
construire, faits par le constructeur de l'immeuble ou par un promoteur, mais
aussi aux immeubles résidentiels de moins de cinq logements vendus par
des particuliers ou des compagnies. Il faudrait, de plus, prévoir qu'il
soit impossible à l'acheteur de renoncer à ce délai.
Cependant, nous proposons que l'acheteur puisse renoncer à ce
délai en acceptant de signer l'acte de vente notarié de
l'immeuble avant que le délai soit expiré.
Pour que le projet de loi soit en harmonie avec celui des
sûretés réelles et de la publicité des droits, il
faudrait prévoir, comme principe général, que tout contrat
affectant un droit réel ou un droit mobilier susceptible d'être
enregistré devrait être fait sous forme authentique. Nous avons
déjà démontré en d'autres occasions aux membres du
service de législation du ministère de la Justice toute
l'importance et toute la valeur de l'acte authentique. Pourquoi ne pas obliger
clairement les parties à procéder par acte authentique pour la
conclusion d'un contrat ayant pour objet un droit réel ou un droit
mobilier qui est soumis à l'enregistrement? De cette façon, les
parties seraient mieux protégées et le tout faciliterait la
publication de ces droits.
Le législateur a le devoir de prévoir des lois qui servent
à la protection des parties et qui créent un système
juridique qui diminue les risques de conflit ou les litiges futurs. L'acte
authentique doit être lu et expliqué aux parties. On
éviterait avec celui-ci le problème posé par l'article
1482 du projet de loi où on demande de faire la preuve d'une clause
externe au contrat d'adhésion liant les parties et que l'autre partie
prouve que l'adhérent en avait connaissance à cette
époque. De même, l'acte authentique éviterait l'application
de l'article 1483 du projet, car le contrat d'adhésion authentique, par
son
essence même, ne pourrait être illisible ou
incompréhensible, et il n'y aurait plus de preuve à faire que les
clauses du contrat d'adhésion ont été portées
à l'attention de l'adhérent et que toutes les explications
suffisantes sur sa nature et sur son étendue lui ont été
données.
Nous comprenons que ces principes doivent demeurer pour
rééquilibrer l'équité dans un contrat
d'adhésion, mais en obligeant les parties à avoir recours pour
les contrats d'adhésion importants et authentiques on éviterait
beaucoup de problèmes d'interprétation des contrats tout en
permettant à l'adhérent de recevoir toutes les informations et
les explications nécessaires pour l'amener à donner un
consentement valable. De plus, l'autre partie n'aurait plus besoin de prouver
que l'adhérent était bien au courant et qu'on lui avait
donné toutes les explications suffisantes.
Nous n'insisterons jamais assez sur la valeur de l'acte authentique et
le législateur devrait exiger plus souvent qu'on l'utilise pour des
actes importants. De cette façon, on éviterait bien des
problèmes aux parties.
Relativement à la résolution ou résiliation du
contrat, l'article 1491 établit que le principe de la résolution
ou de la résiliation du contrat peut avoir lieu sans qu'il soit besoin
de poursuite judiciaire lorsque le débiteur est en demeure de plein
droit d'exécuter son obligation ou qu'il ne l'a pas
exécutée dans te délai fixé par la mise en demeure.
Nous croyons que nous pourrions étendre ce principe en donnant une force
exécutoire à certains contrats. Nous pensons, entre autres, qu'il
serait très intéressant d'accorder une force exécutoire
à l'acte d'hypothèque qui permettrait au créancier de
reprendre, en paiement de ce qui lui est dû, les biens grevés du
débiteur, pour autant que ce dernier ait été mis en
demeure de remédier au défaut, que le délai soit
expiré et que le défaut persiste toujours.
Tout cela pourrait se faire sans qu'il soit besoin de poursuite
judiciaire, mais pour autant que le créancier puisse conserver les
prestations qu'il a déjà reçues en vertu de ce contrat et
qu'il s'engage à remettre au débiteur le profit net
réalisé lors de la liquidation de la garantie après le
remboursement de ce qui lui est dû.
Lors des auditions publiques sur l'avant-projet de loi sur les
sûretés réelles et la publicité des droits, la
Chambre des notaires du Québec avait fait un brillant exposé sur
la question. Nous ne tenons pas à reprendre ce débat ici, mais
nous tenons à mentionner qu'advenant que cette idée soit retenue
par le législateur il y aurait lieu d'adapter le présent projet
de loi en conséquence.
Au sujet des offres réelles, à l'article 1632, nous notons
que les offres réelles peuvent être constatées par acte
notarié en minute ou par une déclaration judiciaire dont il est
donné acte. On mentionne également qu'elles peuvent être
constatées par un autre écrit ou faites de toute autre
manière, sauf, en ce cas, à en rapporter la preuve. Pourquoi ne
pas créer l'obligation que les offres réelles soient
constatées par acte notarié en minute? Pourquoi ne pas exiger
l'authenticité, la meilleure preuve possible? Nous savons tous que,
quand nous devons faire des offres réelles, c'est qu'il y a un
désaccord entre le débiteur et le créancier et, plus
souvent qu'autrement, nous aurons besoin d'apporter la meilleure preuve devant
le tribunal. Le notaire est l'officier public tout désigné, le
témoin du conflit qui peut apporter au tribunal la meilleure preuve dans
les circonstances. Alors, pourquoi ne pas requérir ses services pour
éviter des problèmes aux parties concernées?
Au chapitre de la consignation, l'article 1641 prévoit la
consignation par le dépôt de la part du débiteur de la
somme d'argent ou de la valeur mobilière qu'il doit au bureau
régional de dépôts pour le Québec ou auprès
d'une société de fiducie ou au greffe du tribunal. Pourquoi la
consignation ne pourrait-elle pas se faire par le dépôt, de la
part du débiteur, de la somme d'argent qu'il doit dans un compte en
fiducie détenu par un notaire? Il arrive fréquemment dans la
pratique que certaines parties, devant un litige, s'entendent pour
déposer une somme d'argent dans un compte en fiducie d'un notaire
jusqu'au règlement du conflit. Le notaire peut alors,
conformément aux règlements de la Loi sur le notariat, prendre un
certificat de dépôt soit dans une banque, une caisse populaire ou
une compagnie de fiducie, portant intérêt en faveur des parties et
contrôler le déboursé des fonds selon l'entente obtenue
entre les parties. Nous vous demandons donc de modifier l'article 1641 du
projet pour prévoir la possibilité de faire le dépôt
pour une consignation dans un compte en fiducie détenu par un
notaire.
Au niveau de l'action en inopposabilité, l'article 1690 traite du
cas de l'inopposabilité de certains contrats qui permet aux
créanciers de faire saisir et vendre le bien qui en est l'objet et
d'être payés par préférence dans la distribution du
prix, sous la seule réserve des droits des créanciers qui
détiennent une hypothèque sur le bien saisi. Nous aimerions
ajouter que le tout devrait être également sujet aux règles
d'enregistrement pour qu'un tiers de bonne foi ne puisse être
pénalisé par un contrat qui aurait été
enregistré et qui serait déclaré inapplicable par la suite
à un créancier. Sinon, nous ne pourrions plus nous fier au
registre et, dès qu'il y aurait un acte qui pourrait être
assimilé à une donation, nous ne pourrions certifier le titre
qu'après un délai de trois ans.
Au chapitre de la subrogation, nous connaissons certains
problèmes pratiques. Actuelle ment, de plus en plus de débiteurs
changent de créancier hypothécaire en demandant à leur
ancien créancier de signer une quittance subrogatoire en faveur du
nouveau créancier, afin d'éviter les frais d'un nouveau contrat
de prêt hypothécaire et d'une quittance de l'ancien
prêt.
Cette nouvelle façon de procéder peut comporter certains
dangers que le débiteur ignore parfois.
Certains prêteurs attirent les emprunteurs à venir
emprunter auprès de leur institution en faisant valoir des frais
d'administration peu élevés de leur part que le débiteur
aura à payer. On ne mentionne pas que l'ancien prêteur peut exiger
également avant de consentir à la subrogation certains frais
d'administration additionnels que le débiteur aura à
débourser. De plus, le débiteur bénéficie parfois
d'une assurance-hypothèque ou d'une assurance-invalidité à
un taux avantageux et, en changeant de créancier, le débiteur
peut perdre le bénéfice de telles assurances et être
obligé d'en négocier de nouvelles, souvent à un taux plus
élevé. De plus, nous avons été témoins de
différents problèmes vécus par le nouveau prêteur
quant aux procédures d'enregistrement à être
effectuées lors de la signature de ces quittances subrogatoires.
C'est pourquoi nous demandons, pour que le projet de loi respecte celui
des droits des sûretés réelles et de la publication des
droits, que toute quittance subrogatoire qui transfère des droits
susceptibles d'enregistrement ou des droits qui proviennent d'un acte
authentique soit faite obligatoirement sous forme authentique. De cette
façon, toutes les parties impliquées seraient mieux
protégées et le tout respecterait mieux les règles
d'enregistrement proposées par le législateur. C'est pourquoi le
législateur devrait modifier l'article 1707 du projet en
conséquence.
Au chapitre de la confusion, aux articles 1734 et suivants, nous nous
demandons s'il n'y a pas lieu de prévoir le cas où un prêt
hypothécaire est effectué au débiteur à même
des fonds accumulés dans un régime enregistré
d'épargne-retraite autogéré pour que cette
hypothèque ne puisse s'éteindre par confusion. Car, le REER
n'étant qu'un mode de placement, les fonds ainsi placés ne
demeurent-ils pas la propriété de leur détenteur, tandis
que l'institution financière concernée n'est que leur
dépositaire? Comme un prêteur ne peut se consentir un prêt
à lui même, on peut s'interroger sérieusement sur la
validité d'un prêt effectué à même le REER de
l'emprunteur.
Pour ce qui est de la vente, au chapitre de la délivrance lors de
la vente d'un immeuble, l'article 1773 prévoit que le vendeur a
l'obligation de remettre à l'acheteur une copie de son acte
d'acquisition. Nous croyons que cette obligation devient essentielle, lorsque
nous pensons aux nouvelles règles d'enregistrement des droits
réels envisagées dans la réforme du Code civil.
Comme le législateur prévoit que nous procéderons
à l'enregistrement par bordereau, il devient essentiel d'obtenir une
copie du titre d'acquisition du vendeur. Pour s'assurer que le vendeur sera
toujours en mesure de remplir son obligation, le législateur devrait
exiger que tout acte d'aliénation immobilière soit fait sous
forme authentique pour toujours être en mesure d'ob- tenir une copie de
l'acte d'acquisition, car si cet acte avait été fait sous seing
privé, il y a de très grands risques de perte et que l'on ne
puisse en obtenir une copie. Il n'est pas nécessaire ici de
démontrer toute la valeur de l'acte authentique, mais vous comprendrez
facilement que l'acte authentique est conservé par le notaire ou son
dépositaire et que l'on peut toujours en avoir une copie
authentique.
Au chapitre de la vente d'entreprise, l'article 1823 prévoit que
le vendeur est tenu de faire une déclaration solennelle ou sous serment
qui énonce le nom et l'adresse de tous ses créanciers. En
pratique, nous aurions aimé que le législateur prévoie que
le vendeur soit tenu de déclarer seulement toutes les créances se
rapportant directement ou indirectement au commerce qu'il entend vendre.
Pourquoi mêler à cette vente de fonds de commerce le prêt
hypothécaire que le vendeur détient sur sa résidence
familiale, ou le prêt automobile qu'il a obtenu pour sa voiture
personnelle, ou le montant qu'il doit sur sa carte de crédit
personnelle?
Nous croyons qu'il y aurait lieu d'y apporter des modifications qui
refléteront le but visé par cette déclaration solennelle.
Nous apprécions que le vendeur soit tenu d'indiquer les
sûretés se rattachant à ses créances, pour
être en mesure de mieux faire valoir les privilèges de chacun des
créanciers et de les payer selon leur ordre de collocation.
L'article 1827 du projet de loi prévoit que l'acheteur et le
vendeur désignent, dans l'acte de vente, une personne à qui
l'acheteur devra remettre pour distribution aux créanciers le prix de
vente ou la partie de ce prix payable au comptant, il est important que cette
personne soit neutre et impartiale, qu'elle agisse dans l'intérêt
des deux parties et soit en mesure de voir au paiement des dettes relatives au
commerce, selon les règles prévues à la loi et être
en mesure d'obtenir les quittances ou mainlevées qui s'imposent. C'est
pourquoi nous recommandons au législateur d'exiger, étant
donné que la vente d'une entreprise est souvent une transaction
financière importante, que les parties requièrent les services
d'un notaire, conseiller juridique des plus adéquats dans les
circonstances.
Vu l'article 1831, nous sommes persuadés que les parties seront
beaucoup mieux protégées par l'intervention du notaire qui
n'hésite pas à prendre ses responsabilités et est en
mesure d'assurer l'efficacité des services professionnels qu'il
rend.
Au chapitre de la donation, l'article 1875 du projet de loi
prévoit les cas des donations faites par une personne
hébergée au propriétaire ou à l'administrateur ou
à l'employé de l'établissement de santé ou de
services sociaux. (20 h 30)
Nous appuyons la position du législateur dans ce domaine, mais
nous croyons qu'il y aurait lieu de faire exception à cette règle
quant
à une personne qui se trouve à être
hébergée dans un établissement de santé depuis
plusieurs années, qui se retrouve parfois sans aucun parent ou ami et
qui désire donner ou léguer des biens aux personnes
mentionnées ci-dessus. À ce moment-là, pour des donations
de valeur importante, le législateur pourrait exiger que la donation se
fasse devant notaire pour que ce dernier puisse constater que le donateur donne
un consentement libre et éclairé et que cette donation se fasse
vraiment en respectant la volonté du donateur, sans aucune fraude ou
influence de la part du donataire.
Nous appuyons la volonté du législateur d'exiger à
l'article 1883 du projet de loi que la donation d'un bien Immeuble s'effectue,
à peine de nullité, par acte notarié portant minute. Il
est important à ce moment-là de vérifier auprès du
donateur si cette donation est purement gratuite ou si ce dernier désire
se conserver un droit de retour ou un droit d'habitation dans l'immeuble
donné. Également, le notaire sera en mesure d'informer les
parties de toutes les conséquences juridiques, économiques ou
fiscales de la donation.
Au chapitre des ouvrages immobiliers, l'article 2190 prévoit que
le professionnel peut retirer les sommes détenues en fiducie 30 jours
après avoir remis au client un certificat garantissant
l'exécution de ces obligations ou 30 jours après la remise d'un
certificat attestant que les travaux sont substantiellement terminés et
seulement après que ceux qui ont participé à la
construction ou à la rénovation de l'immeuble résidentiel
n'ont pas enregistré d'hypothèque légale sur l'immeuble.
Comme le processus d'enregistrement s'effectue parfois avec quelques jours de
retard dans certains bureaux, pour être certain qu'il n'y a pas
d'hypothèque légale d'enregistrée contre l'immeuble dans
le délai de 30 jours, nous croyons qu'il serait plus sécuritaire
de porter le délai à 35 jours, ce qui diminuerait le risque
d'erreur pour le professionnel dans un cas semblable.
Au chapitre du séquestre, les articles 2373 et suivants
établissent les règles qui gouvernent le séquestre. Nous
tenons à vous souligner que les notaires du Québec sont les
personnes toutes désignées pour agir dans le cas de
séquestre. De par sa formation, le notaire a toute la compétence
et l'habilité pour agir à titre de personne neutre et impartiale
entre les parties et a le souci de bien conseiller les parties sur leurs droits
et obligations. C'est pourquoi le législateur ne devrait pas
hésiter de par la loi à recommander un notaire comme
séquestre.
Au sujet du bail à rente, l'article 2438 prévoit que le
bail à rente qui affecte la propriété d'un immeuble est
régi principalement par les règles du contrat de vente. Comme ce
genre de contrat est susceptible d'enregistrement, il y aurait lieu de
requérir la forme authentique. Cela rendrait plus facile son
opposabilité aux tiers. C'est pourquoi, afin de mieux protéger
l'intérêt des parties, le législateur devrait imposer la
forme notariée pour le bail à rente lorsque le
débitrentier s'oblige au service de la rente moyennant le transfert de
la propriété d'un immeuble.
Au chapitre du contrat de consommation, l'article 2723 du projet de loi
exclut de l'application des règles de ce chapitre les contrats de
consommation qui doivent être constatés dans un écrit et
qui sont faits par acte notarié portant minute. Le législateur
vient donc reconnaître la sécurité accordée aux
parties par l'acte notarié. Le notaire, en tant que conseiller
juridique, doit bien faire comprendre aux parties la portée et les
conséquences juridiques et économiques des contrats qu'elles
signent devant lui. Ces contrats, en recevant l'authenticité, doivent
refléter l'intention des parties et le notaire doit s'assurer que les
parties comprennent bien le sens de leurs actes.
De plus, l'article 2719 du projet de loi, au paragraphe premier, exclut
de l'application des règles de ce chapitre les contrats relatifs
à la vente, au louage ou à la construction d'un immeuble. Comme
une très grande majorité des actes relatifs à l'immeuble
passe par l'intermédiaire d'un notaire, le législateur a cru bon,
à juste titre, d'exclure ces actes de l'application des règles de
ce chapitre vu que le notaire est là à titre de conseiller
juridique pour bien aviser chacune des parties. C'est pourquoi le
législateur ne doit pas hésiter à recourir à l'acte
authentique pour accorder une meilleure protection aux consommateurs.
En ce qui concerne le chapitre du compte en fidéicommis, les
articles 2738 et suivants du projet de loi prévoient les règles
relatives à l'obligation du professionnel de tenir des comptes en
fidéicommis. Ces règles s'appliqueront-elles aux notaires du
Québec qui sont déjà assujettis à la Loi sur le
notariat ainsi qu'à ses règlements? En cas de conflit, est-ce que
les règles édictées par le projet de loi auront
priorité, ou celles édictées par la Loi sur le notariat
auront-elles préséance?
Les notaires auront-ils à informer le président de
l'Office, de la protection du consommateur de l'endroit où leur compte
en fidéicommis est tenu, de même que du numéro de ce
compte, ou les déclarations faites à ce sujet à la Chambre
des notaires du Québec, corporation professionnelle qui
représente l'État, seront-elles suffisantes?
En conclusion, la Fédération des notaires du
Québec, au nom de tous les notaires de pratique privée du
Québec, a été heureuse d'apporter son point de vue pour
que ce projet de loi soit le plus harmonieux avec la vie juridique quotidienne.
Nous sommes conscients que ce n'est qu'un avant-projet de loi et qu'il y a
beaucoup de choses encore à modifier, mais nous savons que ce projet de
loi va toucher tous les Québécois et toutes les
Québécoises dans leur vie de tous les jours. Il ne sera pas
facile pour chacun d'entre
nous de bien comprendre le sens et la portée de tous ces articles
de loi, vu les nouvelles idées mises de l'avant par le projet de loi, vu
un vocabulaire souvent nouveau, mais nous pouvons vous assurer que les notaires
du Québec se feront un devoir d'être à fa fine pointe de
l'actualité juridique pour être en mesure de bien conseiller leurs
clients.
C'est pourquoi, pour les actes juridiques importants, le
législateur doit, pour mieux protéger l'intérêt de
chacune des parties, pour diminuer les recours aux tribunaux, inciter les gens
à recourir à un conseiller juridique neutre et impartial qui sera
en mesure de respecter la volonté de chacune des parties à la
lumière des lois nouvelles. Et nous croyons sincèrement que tous
y seront gagnants.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Maintenant, je
vais reconnaître M. le ministre de la Justice.
M. Rémillard: Oui. Merci, M. le Président. Merci,
M. Crête de cet exposé. Merci pour votre mémoire et d'avoir
accepté de venir nous le présenter ce soir. Vous faites valoir
des points particulièrement intéressants sur lesquels nous devons
nous pencher. Notre tâche n'est pas facile comme législateurs de
revoir des règles aussi fondamentales que celles que nous avons dans
notre Code civil et qui gouvernent les relations des citoyens entre eux dans
tous les éléments de la vie sociale ou économique. Dans ce
contexte, vous êtes certainement des intervenants qui venez nous apporter
un éclairage intéressant par votre expertise très pratique
des situations que vous vivez, vous, tous les jours. Vous pouvez donc nous
apporter une dimension qui est particulièrement importante pour nous et
je veux vous en remercier.
Je vous entendais tout à l'heure et j'avais un certain nombre de
questions, à la suite aussi de la lecture de votre mémoire,
à vous poser. Il y en a une qui attirait particulièrement mon
attention. C'est en ce qui regarde les offres ou promesses d'achat d'un
immeuble. On sait, évidemment, qu'acheter un immeuble, une
résidence, en particulier pour un citoyen ou une citoyenne, est un des
actes économiques les plus importants dans sa vie. C'est un
déboursé important. C'est pour cette personne un effort
économique souvent très important et, par conséquent, les
conséquences de son geste sont bien là et vont être
là pour plusieurs années. Vous recommandez dans votre
mémoire que toute offre ou toute promesse d'achat d'un immeuble soit
assortie d'une faculté de dédit permettant à l'acheteur de
retirer son offre ou sa promesse dans un certain délai, même...
C'est cet aspect qui a soulevé beaucoup mon attention, mon
intérêt si vous voulez - même après l'acceptation du
vendeur, étant donné l'importance de l'acte de cet achat pour la
majorité de la population.
D'une part, évidemment, vous reconnaissez l'importance de ce
geste d'achat de la part du consommateur, de l'acheteur ou du citoyen, mais,
d'autre part, vous reconnaissez aussi, même s'il y a eu consentement
entre le vendeur et l'acheteur, échange de consentements qui devrait
normalement, selon nos principes, aboutir au contrat et qu'il y a donc une
acceptation d'une offre, qu'il pourrait y avoir quand même
désistement, comme vous dites, dans un certain délai par
l'acheteur. Pour moi, cela m'amène à bien des interrogations et
je vois des complications pratiques qui pourraient survenir. Par exemple, en ce
qui regarde le vendeur, celui-ci ne sera pas sûr de sa vente tant qu'il
n'aura pas passé ce délai ou peut-être même jusqu'au
moment où le notaire pourra certifier la vente. C'est un petit peu cela
qui existe mais, dans la pratique, il reste que, lorsqu'on a une offre qui est
acceptée, il y a ià un lien juridique important. Pourriez-vous,
Me Crête, expliquer un peu ce point?
M. Crête: C'est sûr qu'à première vue
nous venons un peu en contradiction avec les principes mêmes du droit,
mais, en pratique, nous rencontrons régulièrement des gens qui
viennent nous consulter, qui ont signé une offre d'achat qui a
été acceptée et qui désirent se retirer. Ils ont
mal évalué, disons, leurs moyens financiers ou c'est pour toutes
sortes de raisons qui sont parfois valables, mais surtout parce que les
conditions n'ont pas été mises dans l'offre d'achat. Souvent ces
gens sont victimes de pressions de la part d'un agent ou d'un courtier qui
donne l'impression de travailler pour l'acheteur ou le vendeur mais qui, en
fait, agit plus pour que la transaction ait lieu. C'est devant ces faits, c'est
cette réalité-là qui nous amène à faire
cette suggestion. Pourquoi un consommateur qui achète un bien de
consommation peut-il facilement, après 48 heures ou dans un certain
délai, en vertu de la Loi sur la protection du consommateur, annuler son
contrat et ne pourrait pas le faire pour l'investissement de sa vie? Dans la
pratique, ce qui se passe souvent, c'est que les offres sont faites
conditionnellement à l'obtention d'un prêt ou conditionnellement
à telle ou telle chose. À ce moment-là, il s'ensuit un
"patinage" pour que la condition ne se réalise pas.
Nous croyons que le vendeur ne serait pas plus mal dans sa situation.
Cela ne l'empêcherait pas de recevoir une offre d'achat d'une autre
personne pendant ce délai, sujette à ce que la première
offre soit refusée. Il y aurait encore moyen de négocier.
M. Rémillard: C'est justement la conséquence que je
voyais: le vendeur pourrait être privé d'accepter une autre offre,
parce que vous dites bien qu'il peut accepter l'offre mais à la
condition, bien sûr, que la première tombe. Or, si la
première est toujours là, ii refuse d'autres offres qui peuvent
être même plus alléchantes
que la première.
M. Crête: Oui, mais il peut accepter ces autres
offres-là sujettes à l'acceptation par l'acheteur de la
première offre. Souvent vous allez rencontrer dans la pratique des
offres qui sont conditionnelles à la vente: l'acheteur signe une offre
d'achat d'un immeuble, conditionnelle à la vente de son immeuble.
À ce moment-là, il y a une clause, qu'on appelle de 48 heures,
qui permet, advenant qu'un autre acheteur se présente, d'exercer
l'option ou pas. Nous croyons que, en réalité, le vendeur ne
serait pas plus mal placé qu'il ne l'est actuellement et ce délai
permettrait à l'acheteur de vraiment réfléchir sur l'acte
qu'il a posé parce que, souvent, ces transactions se font sous pression,
se font rapidement. Nous le vivons tous les jours. (20 h 45)
M. Rémillard: Vous permettrez une autre question. Des
intervenants, de petits commerçants sont venus nous dire ici à
quelques reprises qu'ils se trouvaient dans des situations souvent difficiles.
Je pense aux petits commerçants dans un centre commercial, par exemple,
qui ont une boutique, un petit magasin, qui se trouvent dans des situations
difficiles lorsqu'ils terminent leur bail, parce qu'ils ont dû faire des
améliorations, des aménagements importants pour tenir commerce.
Ils cessent de tenir commerce dans ce local, le bail se termine et ils sont
pénalisés, parce qu'ils n'ont pas de recouvrement possible de ces
sommes d'argent qu'ils ont dû investir pour l'aménagement du
local. Vous considérez comme exorbitante l'idée d'une
indemnité qui pourrait être accordée aux locataires
à la fin du bail pour des dépenses qu'ils auraient faites pour
aménager leur local loué. Vous vous interrogez sur les
retombées que ce principe pourrait créer pour le locataire et
même sur la hausse des loyers possible. J'avoue que j'ai un petit peu de
difficulté à cerner votre cheminement à ce sujet.
M. Crête: Si ce principe est retenu, est-ce qu'il va
s'appliquer aux baux qui ont déjà été signés
dans le passé? Nous croyons que non; je pense que cela ne serait pas
juste. Face à ce nouveau principe, nous croyons, à ce
moment-là, que le locateur propriétaire, se voyant pris pour
rembourser au locataire le coût de son installation, va
nécessairement augmenter le coût du loyer pour prévoir ce
coût-là. Il va le refiler au locataire et je ne crois pas que le
locataire va être gagnant au bout de cela. Je pense qu'il faut laisser le
contrat, la convention des parties s'établir. Je pense que le locataire
doit être conscient, au moment où il signe un bail, qu'il aura un
montant d'argent à débourser pour installer son commerce et,
à ce moment-là, il devrait prévoir un bail à long
terme pour amortir le coût de cette installation. Souvent, pour des baux
où le bailleur, le propriétaire, demande au locataire de changer
de local - cela arrive dans les centres commerciaux - à ce
moment-là le bailleur s'engage à payer les frais de
réinstallation et ainsi de suite. Mais, dans le cas où le
locataire décide à la fin de son bail de quitter les lieux, je
crois qu'il sait que cela a été prévu ainsi au
début, que c'est comme cela que cela a été
négocié et je ne vois pas pourquoi on appliquerait ce
principe.
Moi, je pense que le locataire va se voir refiler la facture de toute
façon et que ce ne sera pas tellement plus avantageux. Il ne faut pas
oublier non plus que, dans les baux commerciaux, le locataire est souvent une
puissance plus grande que le locateur. Quand on pense à ces grandes
compagnies, des compagnies multinationales, qui louent des locaux dans des
centres commerciaux, eh bien, souvent ce sont elles qui vont faire la
stipulation des clauses en leur faveur. Donc, je ne crois pas que le
législateur doive intervenir ici. Je pense qu'on peut laisser à
chacune des parties le soin de négocier le bail, tout simplement.
M. Rémillard: Je vous remercie.
M. Crête: Cela me fait plaisir, M. le ministre.
Le Président (M. Marcil): Cela va, M. le ministre?
M. Rémillard: Très bien, M. le
Président.
Le Président (M. Marcil): Oui, M. le député
de Marquette?
M. Filion: Comme vous le vouiez.
M. Dauphin: Une ou deux, juste une ou deux questions.
Le Président (M. Marcil): Allez-y.
M. Dauphin: Alors, j'aimerais vous entretenir de l'actuel article
1688 du Code civil mais, dans l'avant-projet de loi qui nous concerne,
l'article 2185 relativement à la présomption légale de
responsabilité pour l'entrepreneur, l'architecte, l'ingénieur.
Certains groupes intéressés, notamment l'Ordre des architectes
ainsi que l'Ordre des ingénieurs, sont venus comme invités
témoigner du fait que ces articles qui traitent de la présomption
légale de responsabilité sont, évidemment pour eux,
exorbitants. Ils vivent des situations et nous transmettent la même
opinion, soit que les primes d'assurance, pour leurs membres, ont atteint des
coûts astronomiques. Comme notaires praticiens, comme
Fédération des notaires, j'aimerais, si vous me le permettez, M.
le président, obtenir votre opinion sur l'article 2185 de l'avant-projet
de loi, où il est prévu, d'ailleurs, à l'alinéa 2,
que le professionnel peut se dégager de cette responsabilité s'il
fait la preuve, évidemment, qu'il n'a commis aucune faute. J'aimerais
vous entendre sur cette pré-
somption de responsabilité.
M. Crête: Dans le domaine de la construction, nous
rencontrons beaucoup d'entrepreneurs qui fonctionnent sous le couvert d'une
compagnie. On crée une compagnie par projet, une fois que le projet est
fini, la compagnie disparaît et l'acheteur se retrouve devant un
entrepreneur qui n'est plus là. C'est pourquoi l'acheteur a souvent
recours à la responsabilité des architectes ou des
ingénieurs. Je crois que ce sont des professionnels et je crois qu'ils
doivent assumer leurs responsabilités comme nous, les notaires, devons
assumer nos responsabilités. Quand nous faisons un acte notarié,
nous en prenons la responsabilité, et pour trente ans. Je pense que si
ces derniers réussissent à prouver qu'ils n'ont pas commis de
faute ou qu'ils ont agi selon les règles de l'art, leur
responsabilité ne sera pas plus difficile qu'elle ne l'est pour nous. Je
ne vois pas, autrement, comment l'acheteur ou le consommateur ne pourrait pas
avoir de recours contre un architecte ou un ingénieur qui aurait mal
fait son travail. Je pense qu'on doit laisser aller les principes de base. Je
comprends très bien leur situation, parce que nous vivons la même
situation à un autre niveau. Je pense que cela fait partie de la vie
juridique.
M. Dauphin: Eux nous demandaient justement qu'il n'y ait aucune
solidarité, c'est-à-dire que la responsabilité ne soit que
contractuelle, soit avec la personne qui les engage.
M. Crête: C'est difficile de partager: est-ce l'architecte
ou l'ingénieur? C'est difficile. À ce moment-là, en
mettant cela conjoint, chacun pourra débattre sa position et, à
ce moment-là, on verra celui qui sera responsable et qui devra acquitter
la note. S'ils sont tous les deux responsables, ils paieront.
M. Dauphin: Merci beaucoup. J'aurais une autre question, si vous
me le permettez, M. le président, concernant l'article 1841 qui parle de
la circulaire d'information. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de vous
attarder sur cet article. Certains groupes nous ont dit que l'exigence d'au
moins cinq unités de logement, c'était peut-être un peu
trop lourd. On nous a proposé d'augmenter le nombre d'unités de
logement, autrement dit que le promoteur n'ait pas à fournir la
circulaire d'information à moins que ce ne soit 20 ou 25 unités
de logement. J'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Crête: Nous nous sommes penchés sur cette
question et, en principe, nous sommes d'accord avec une circulaire
d'information. Nous avions arrêté notre remarque sur le fait qu'on
demandait un résumé, une déclaration de
copropriété. Pour nous, il semblait un peu ridicule de demander
un résumé d'un document qui n'existe pas encore. Vous savez comme
moi que la déclaration de copropriété sera faite
après que l'immeuble sera construit, qu'on aura les plans de
l'arpenteur-géomètre et son rapport qui va établir la
quote-part de chacune des parties et les règles d'application. À
ce moment-là, on trouvait un peu onéreux de demander de remettre
un résumé de la déclaration de copropriété,
on ne trouvait pas ça logique. Mais, quant à l'obligation de
donner une circulaire d'information, nous sommes d'accord avec ce principe.
Quant à savoir s'il faut que ce soit moins de cinq unités de
logement ou plus de cinq unités de logement, c'est sûr, à
un moment donné, qu'il faut mettre une démarcation.
Quant à nous, c'est sûr que, si on met dix unités,
ils vont construire des neuf logements, ils vont organiser leur projet pour
passer en dessous. Je pense que ceux qui ont préparé le projet
ont dû étudier la question plus que nous, et je serais d'accord
pour le laisser tel quel.
Le Président (M. Marcil): Cela va? M. Dauphin:
D'accord.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. M. le
député de Taillon.
M. Filion: Merci, M. le Président. À mon tour, je
voudrais souhaiter la bienvenue aux représentants de la
Fédération des notaires. J'aurais peut-être trois
questions, rapidement. Premièrement, en ce qui concerne l'article 1491,
c'est-à-dire la force exécutoire de l'acte authentique, si nous
avons bien saisi votre mémoire aux pages 9 et 10,
particulièrement, ce que vous recommandez, finalement,
équivaudrait à donner au créancier le loisir de prendre
possession de l'immeuble de son débiteur par dation en paiement, sans
que le tribunal en contrôle le processus de réalisation, et cela
en donnant une force exécutoire à l'acte authentique. À ce
moment-là, si mon interprétation est la bonne... Je pense,
d'ailleurs, dans les discussions que j'ai eues sur les sûretés,
qu'il y a eu des commentaires semblables d'amenés par certains
intervenants. À ce moment-là, s'il nie l'un ou l'autre des
éléments nécessaires à la réalisation de la
clause de dation en paiement, comment le débiteur qui est
lésé pourra-t-il contester cette dation en paiement?
M. Crête: Je crois que vous n'étiez pas
présent à la commission parlementaire sur l'avant-projet de loi
sur les sûretés et l'enregistrement des droits réels. Je
n'aimerais pas reprendre ici un débat qui a été fait
à ce moment-là. La Chambre des notaires avait fait venir - je ne
me souviens pas du nom du notaire français - un docteur en droit qui
nous avait fait un exposé - je pense que votre confrère, le
député de Marquette, s'en souvient - sur la force
exécutoire de l'acte d'hypothèque. C'est une chose qui se fait
beaucoup dans d'autres
pays. Souvent, on a tendance à laisser au créancier le
pouvoir de réaliser sa garantie, par contre en conservant le principe
qu'il doit agir à titre d'administrateur du bien d'autrui. En reprenant
l'immeuble, il agit comme administrateur du bien d'autrui et, en liquidant cet
immeuble, il doit, advenant un surplus, remettre cette somme au
débiteur.
M. Filion: Cela ne répond pas à ma question.
M. Crête: Votre question était: Quel recours a-t-il?
Le débiteur peut toujours prendre un recours...
M. Filion: Non. Comment le débiteur peut-il
contester...
M. Crête: II peut contester.
M. Filion: ...l'un ou l'autre des éléments
nécessaires à la réalisation de la clause de dation en
paiement?
M. Crête: II peut toujours contester, avoir un recours
devant le tribunal. Il peut contester le recours de son créancier s'il
l'a lésé et s'il a des raisons valables de le faire.
M. Filion: À ce moment-là, ce sera un
contrôle a posteriori de l'appareil judiciaire après la
réalisation de la clause de dation en paiement. Est-ce que c'est ce que
vous me dites?
M. Crête: Oui. En réalité, dans la pratique,
on le voit régulièrement, le créancier obtient un jugement
par défaut. La majorité des jugements que les créanciers
obtiennent en dation en paiement sont obtenus par défaut. Le
débiteur ne se présente même pas.
M. Filion: Oui, mais il y a un contrôle judiciaire quand
même.
M. Crête: Oui.
M. Filion: Même si c'est par défaut. Si le
débiteur choisit de ne pas présenter de défense, c'est
parce qu'il n'y en a pas ou qu'il choisit de ne pas en présenter. Mais,
dans les deux cas au moins il y a un contrôle judiciaire. Autrement, si
on donne une force exécutoire à l'acte... J'essaie de comprendre
cela indépendamment des opinions des juristes français. Vous
voulez donner un caractère exécutoire à un acte
authentique. Je suis créancier d'une hypothèque. Je voudrais
réaliser ma clause de dation en paiement. Je m'en vais et je prends
possession. Il me semble qu'il y a un côté un peu "cow-boy" - si
vous me permettez l'expression - à l'exécution, à donner
une force aussi puissante à l'acte authentique.
M. Crête: Je comprends votre scepticisme face...
M. Filion: Pardon?
M. Crête: Je comprends vos interrogations quant à
cet état de choses, parce qu'on n'est pas habitués à
procéder de cette façon ici. Si on regarde ce qui se fait en
Ontario au chapitre des nantissements ou de telles choses, la banque reprend le
bien et le revend, point final. Comprenez-vous? De plus en plus on essaie de ne
pas avoir recours aux tribunaux, et c'est dans cette optique-là. Il est
sûr qu'au point de départ... Par contre, quand vous signez une
hypothèque, quand vous signez un acte dans lequel il y a une clause de
dation en paiement, vous savez que si vous ne payez pas on peut vous donner un
avis de 60 jours et qu'à l'expiration des 60 jours le créancier
peut redevenir propriétaire et garder l'immeuble. Actuellement, c'est
cela. Tandis que là, par la reprise en paiement, en donnant une force
exécutoire, le créancier ne serait pas obligé de passer
par le tribunal. Par contre, le débiteur aurait toujours la
possibilité de contester ou de prendre un recours contre le tribunal
s'il voit qu'il est lésé dans tout cela, s'il n'est pas
d'accord.
M. Filion: Une autre question qui concerne l'article 1875. Ce
n'est pas une révolution, l'article 1875 reprend l'actuel article 155 de
la Loi sur les services de santé et les services sociaux et fait en
sorte que les dirigeants ou les employés d'un centre d'accueil - pour
être plus précis - ne peuvent ni solliciter ni accepter un don ou
un legs d'une personne hébergée dans un centre d'accueil. Cela
peut même être un hôpital pour personnes âgées.
Dans votre mémoire, à la page 34, vous nous dites:
Écoutez, si cette donation a été faite par acte
authentique, il y aurait peut-être lieu de la soustraire, finalement,
à cette interdiction-là. Est-ce que je vous saisis bien? (21
heures)
M. Crête: Exactement, oui.
M. Filion: L'idée du législateur - cela a dû
être introduit au début des années soixante-dix - n'est pas
que la donation, disons que le consentement puisse être constaté
par un officier, c'était plus pour faire en sorte qu'il n'y ait pas,
entre les dirigeants et le personnel d'une part et les personnes
hébergées d'autre part, de contact de nature autre que les soins
à être accordés, en deux mots qu'il n'y ait pas de
motivation pécunière directe ou indirecte. Je ne sais pas si vous
me saisissez beaucoup plus.
M. Crête: Oui.
M. Filion: Je pense, plutôt que de voir si la personne est
bien consentante à donner à l'infirmière qui a pris soin
d'elle, etc.
M. Crête: D'ailleurs, dans le droit actuel, la personne
pourrait faire la donation ou le testament en faveur de cette personne. Si
personne ne conteste le don ou le legs, elle peut le garder. Comprenez-vous?
Mais, on a vu, dans la pratique, des gens qui vivent dans des foyers et qui se
retrouvent à un moment donné sans aucun parent, sans aucun ami.
Ils sont les derniers de la lignée, comme on dit, et ils veulent laisser
cela aux gens qui ont pris soin d'eux. À ce moment-là, on leur
soulève cette question, que ceux-ci ne peuvent pas accepter. C'est pour
cela que, pour certaines situations, il faut prévoir une exception. Je
crois que si le notaire sst capable de voir que le consentement donné
par le donateur est valable, que c'est bien cela qu'il veut, sans aucune
influence, pourquoi pas?
M. Filion: Alors, vous aimeriez que le consentement soit
constaté?
M. Crête: C'est cela. Comme cela, on éviterait la
fraude, on éviterait la pression que le donataire peut faire sur le
donateur pour obtenir ses biens.
M. Filion: D'accord.
M. Crète: Je pense qu'on respecterait le but visé
par la loi.
M. Filion: Je vous remercie, Me Crête, de cette
explication. Une dernière question qui concerne l'article 1996. Ici,
c'est une combinaison des pages 40 et 62 de votre mémoire. D'abord,
quelle est la position de la fédération? Est-ce que vous dites
que le nouvel acquéreur d'un immeuble à logements devrait pouvoir
prendre possession du logement tel que prévu à l'article 1944?
Est-ce que cela impliquerait l'éviction des locataires?
M. Crête: Excusez-moi, je comprends mal votre question.
M. Filion: À la page 62 de votre mémoire,
peut-être pour vous y référer, à l'article 1996.
M. Crête: Page 62, d'accord.
M. Filion: Est-ce que je dois comprendre, finalement, que la
position de la fédération est la suivante: lorsqu'il y a un
nouvel acquéreur d'un immeuble à logements, ce nouvel
acquéreur peut prendre possession et procéder à
l'éviction des locataires? Non, ce n'est pas cela.
M. Crête: II peut le faire, mais en donnant un avis de six
mois avant la fin du bail.
M. Filion: II doit donc respecter les baux.
M. Crête: Oui, oui, il doit respecter. C'est notre position
qu'il doit respecter le...
M. Filion: Le bail courant.
M. Crête: ...le bail tel quel. Disons que cela, est en
accord avec...
M. Filion: Vous respectez pour six mois, est-ce cela?
M. Crête: II y a un délai de six mois à
donner avant la fin du bail et, si le bail est d'une durée de plus de
douze mois, je pense que l'avis doit être... Excusez-moi, je ne m'en
souviens pas exactement, je pense que c'est douze mois également.
M. Filion: Oui, c'est cela. Alors, il y aurait quand même,
par rapport aux règles actuelles, une éviction des locataires,
éviction qui n'a pas lieu actuellement en vertu des règles en
vigueur. Est-ce que je comprends bien votre suggestion? Est-ce que c'est
là la portée de votre suggestion?
M. Crête: Actuellement, le propriétaire peut
reprendre... Quelqu'un qui achète une maison...
M. Filion: Pour son propre bénéfice, en vertu des
règles.
M. Crête: C'est cela, exactement.
M. Filion: Ah! c'est uniquement dans ces cas-là que vous
le suggérez...
M. Crête: Oui, oui.
M. Filion: ...et non pas dans les cas... M. Crête:
Non, non, on garde le statu quo. M.Filion: Vous gardez le
statu quo. M. Crête: Oui, oui.
M. Filion: Je n'étais pas sûr d'avoir bien
compris.
M. Crête: On garde le statu quo là-dessus.
M. Filion: C'est bien.
M. Crête: La seule chose qu'on avait là-dessus,
c'est que, à un moment donné, on disait, en cas de
décès du locataire, que le liquidateur avait un délai d'un
mois et, à un moment donné, on se rend compte qu'il faut annuler
et que cela prend un délai de trois mois. Il semblait y avoir confusion
dans les délais.
M. Filion: Alors, de notre côté, M. le
Président, je veux remercier Me Crête, Me Chagnon et Me Lafortune
qui l'accompagnent de leur mémoire, d'avoir pris la peine de dresser
ce
mémoire qui est quand même bien étoffé, qui
fait part des préoccupations de la fédération.
Au nom de la formation politique que je représente, je veux vous
remercier, pour une jeune fédération quand même qui n'a
pas... Quel âge avez-vous comme fédération?
M. Crête: On a dix ans.
M. Filion: C'est déjà pas mal. Il s'agit là
d'un travail qui a dû vous demander beaucoup d'heures.
M. Crête: Je tiens simplement à vous mentionner que
la fédération est un organisme qui existe depuis dix ans. Nous
n'avons pas les moyens financiers du Barreau ni de la Chambre des notaires,
parce que nous sommes un mouvement volontaire de la part des notaires et nous
présentons humblement ce rapport en tenant compte de nos moyens.
Nous tenons à remercier cette commission d'avoir accepté
que nous soyons entendus, parce que nous savons que plusieurs organismes ont
présenté des mémoires et qu'ils n'ont pas
été entendus. Quant à nous, nous tenons à vous
remercier de nous avoir entendus, car nous avons l'impression de jouer le
rôle qui nous revient auprès de nos membres. Je vous remercie.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. M. le
ministre.
M. Rémillard: M. le Président, je veux aussi
remercier très sincèrement Me Crête, Me Chagnon et Me
Lafortune pour la présentation de leur mémoire et cette
discussion qui a pu suivre la présentation de leur mémoire, on a
touché des points très importants; et pour nous c'était
intéressant, puisqu'on a entendu aujourd'hui le Barreau, la Chambre des
notaires et nous vous entendons ce soir. Il est intéressant de pouvoir
discuter avec vous sur des points qui auront des conséquences
certainement importantes en ce qui regarde cette réforme du Code civil.
Donc, merci de vous être déplacés, merci pour ce
mémoire et je veux vous assurer que nous prendrons en
considération en réfléchissant très
sérieusement aux commentaires que vous nous faites valoir dans votre
mémoire. Je vous remercie.
M. Crête: Je vais profiter de l'occasion de la
présence du ministre de la Justice pour lui offrir toute notre
collaboration. Dans le passé, nous avons siégé à
des comités en commission parlementaire et nous tenons à vous
dire que nous sommes encore présents et que nous désirons
toujours collaborer auprès du gouvernement dans l'élaboration de
ses projets de loi.
M. Rémillard: Je vous en remercie.
Dépôt de mémoires, documents et
lettres
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup de vous
être présentés à cette commission parlementaire.
Nous vous souhaitons un bon voyage de retour.
Avant de procéder aux remarques finales, nous allons accepter le
dépôt des mémoires dont nous n'avons pu entendre les
personnes et qui ont demandé que leur mémoire soit reçu et
déposé à cette commission parlementaire. Donc, les
mémoires pour dépôts seulement sont les mémoires de
l'Association des corporations financières canadiennes, Bélanger,
Sauvé, avocats, Commission des droits de la personne,
Confédération des syndicats nationaux, Encon Insurance Managers
inc, Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec.
À cela aussi nous allons accepter le dépôt des
lettres des organismes suivants: lettre provenant du Service d'aide au
consommateur, de la fédération des ACEF du Québec, de
l'Association des consommateurs du Québec, du Conseil diocésain
de pastorale de l'archidiocèse de Sherbrooke qui appuient la
Fédération nationale des associations de consommateurs du
Québec dans ses démarches visant à abolir la vente
itinérante dans les domaines des préarrangements
funéraires. Donc, tous ces documents, mémoires et lettres ont
été acceptés comme dépôts.
Maintenant nous arrivons aux remarques finales et je vais inviter
immédiatement le porte-parole de l'Opposition officielle à
prendre le temps qui lui est accordé pour faire ses remarques
finales.
M. Filion: Combien avait-on prévu de temps, M. le
Président?
Le Président (M. Marcil): Vous avez environ 30 minutes
allouées à chacune des parties.
Remarques finales M. Claude Filion
M. Filion: Je ne pense pas les utiliser, les épuiser en
entier, Mme la députée de Groulx. Je vais quand même en
prendre une petite partie, parce que, veux veux pas, on a consacré une
quarantaine d'heures à ces travaux de consultation et auditions
publiques. Nous avons reçu 40 mémoires, nous avons entendu 34
organismes, la salle est vide mais il y a 34 organismes qui sont venus à
chaque fois avec leurs procureurs, ou dans la majorité des cas avec
leurs procureurs, leurs avocats pour nous expliquer leur point de vue. Je pense
qu'il est plutôt rare qu'on puisse entendre une diversité
d'intervenants plus grande que cela.
Donc c'est un travail colossal de consultation que nous avons fait et
qui s'inscrit bien dans ce qui avait été amorcé par
l'Office de
révision du Code civil et également par les
rédacteurs de l'avant projet de loi.
Quelques remarques: de façon générale, je dois vous
dire qu'il m'a semblé que l'ensemble des intervenants était
relativement satisfait de lavant-projet de loi. Quant à nous de
l'Opposition, nous l'avons dit également lors de nos remarques
introductives, nous l'avons dit aussi en cours de commission, de façon
générale, je pense qu'on peut dire que cet avant-projet de loi
qui couvre tous les secteurs du droit des obligations reçoit, je dirais,
un accueil relativement chaleureux des intervenants.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de critiques, s'il n'y avait pas
de critiques on pourrait s'inquiéter, mais, chose certaine, cet
accueil-là, quant à nous, nous inspire qu'il ne faudrait
peut-être pas changer de fréquence pour ce qui est de la
rédaction du projet de loi. Faire une fine modulation, sûrement,
je pense que tous les intervenants vous convient, l'équipe du
ministère de la Justice, à cette opération de fine
modulation, mais sûrement pas un changement de fréquence; la
longueur d'onde, à mon avis, semble être la bonne, même si
parfois les critiques paraissent sévères. Donc, c'est la
première réflexion.
Deuxième réflexion, la résistance au changement.
Évidemment nous sommes dans un milieu où il y a des groupes
d'intérêt, qui ont bâti, au fil des années, leur
rapport de forces avec d'autres groupes d'intérêt, et ils ont
chacun leur procureur, qui, au fil de la jurisprudence, a argumenté,
développé son point de vue et chacun est à l'aise avec les
gants de boxe de 12 onces, et l'arène comme ceci, etc. Alors comme il y
a une résistance au changement, quant on leur demande d'intégrer
de nouveaux concepts, bien sûr il y a une résistance et c'est
normal, mais à notre avis cela ne devrait pas empêcher
l'équipe, et éventuellement le législateur d'innover dans
certains secteurs.
Finalement les codificateurs français, c'est au début du
siècle dernier, en 1804 - me disent mes recherchistes, je ne savais pas
cela - mais en 1804, avaient bâti le Code civil français, à
partir des ordonnances royales, des coutumes des pays de droit coutumier et de
la jurisprudence des pays de droit écrit fondé sur le droit
romain. À partir de cette diversité, en 1804 on a bâti le
Code civil français, cette unification se fit en poursuivant comme but,
entre autres, la rédaction de textes concis, clairs et un langage
familier de façon à ce que le tout soit compréhensible par
tous les citoyens et citoyennes du Québec. C'est en 1804, cela a
été repris en 1866. Bon, 1804 à 1988, cela fait presque
200 ans, et en ce sens-là, quitte à reprendre certaines des
expressions du professeur Pineau cet après-midi ou ce matin - je dois
lui dire que mes notes étaient quand même rédigées
avant qu'il n'intervienne cet après-midi - je suis forcé de
constater que près de 200 ans plus tard les réalités ont
changé et qu'il n'est peut-être pas aussi facile d'ériger
des règles simples, claires, accessibles à tous et d'application
universelle à tous les citoyens. La situation n'est plus la même,
le commerce et les gens ont évolué, par exemple l'identité
des justiciables est un nouveau facteur, l'incorporation des entreprises
publiques, des entreprises de services et même de personnes seules - qui
est devenue presque la règle - alors qu'à l'époque de la
rédaction du Code Napoléon et du Code civil, l'incorporation
c'était l'exception. (21 h 15)
Deuxièmement, la qualité des justiciables, les mêmes
personnes, qu'elles achètent un bien pour leur commerce ou pour leur
foyer, c'est discutable, mais cela reste une réalité. Mais
qu'elles louent un bien de consommation, un logement ou une pièce
d'équipement, elles s'attendent et réclament des statuts
différents, même parmi les gens qui sont intervenus devant nous,
et s'attendent à des règles particulières dépendant
de leur qualité de justiciables.
Troisième facteur, la fréquence des transactions. Le fait
qu'une transaction soit isolée ou répétée suffira
à qualifier ou non, par exemple, une personne de commerçant. La
nature du bien, les distinctions sur les biens entre meubles et immeubles ne
suffisent plus. Si c'est une universalité, on applique les règles
de la vente d'entreprise. Si c'est un véhicule d'occasion, une
motocyclette, un appareil domestique, alors, sa vente ou sa réparation
obéira à des règles particulières. J'ouvre une
parenthèse à ce sujet-là. Lorsqu'on nous a dit que le
contrat de consommation ne devrait pas être incorporé au Code
civil qui lui est un texte fondamental, le contrat de consommation est un acte
fondamental maintenant. Or, il y a plusieurs intervenants qui nous ont mis en
garde. Ce n'est pas mon avis. Le contrat de consommation est un acte on ne peut
plus fondamental maintenant en 1988.
Également, toujours dans la nature du bien, si c'est un immeuble
résidentiel de moins de cinq logements, les règles seront
différentes comme on l'a vu dans l'avant-projet de loi. Il y a le statut
des personnes qui est discutable aussi; mais quant au statut des personnes, aux
mineurs, aux incapables, au consommateur s'ajouterait maintenant, avec la
lésion, l'individu agissant pour des fins non commerciales. Bref, on
constate que la diversité des intervenants, selon le contrat, le bien ou
le but poursuivi, nécessite des règles différentes. Par
nécessité donc, le nouveau code contiendra des règles plus
diverses, plus complexes que le premier, étant le reflet même de
ce qu'est notre société, de sa diversité et de sa
complexité.
Un mot sur les innovations contenues dans l'avant-projet de loi. Ici, je
ne voudrais pas que mes commentaires soient considérés comme
étant exhaustifs. J'ai fait quelques commentaires durant cette
commission parlementaire. Je le dis uniquement pour éclairer
possiblement la lanterne de ceux qui ont la responsabilité de voir
à ce que toutes ces règles soient cohérentes et se
tien-
nent debout. Je n'ai pas cette prétention, quant à moi.
Quand même, grosso modo, les innovations suivantes m'ont frappé:
d'abord, l'exigence du consentement réfléchi qui est
sévèrement critiqué dans plusieurs mémoires,
caisses Desjardins. Moi-même, j'ai eu l'occasion de faire quelques
commentaires là-dessus. Deuxièmement, l'introduction du concept
de dommages punitifs qui, à mon avis, fait généralement
consensus quant aux modalités qui ont été
discutées. Je pense que c'est une innovation extrêmement
intéressante. La lésion entre majeurs, le problème est
posé et je pense que les discussions ont été très
viriles, dirait le ministre de l'Éducation. Mais comme c'est sexiste
d'employer ce qualificatif, disons que les discussions ont été
musclées autour de l'introduction de ce nouveau concept de lésion
entre majeurs.
À mon avis bien personnel, et je livre peut-être ici une
expérience de praticien, lorsque les juges ont en face d'eux une
situation d'exploitation indue à cause d'une disproportion dans les
prestations des deux parties, je vais vous dire qu'ils trouvent
généralement une façon de régler le
problème. En deux mots, encore une fois, ce n'est pas un commentaire de
juriste, mais de praticien, en général, il faut faire confiance
aux juges. Ils n'ont pas toujours besoin d'un texte de loi leur ouvrant une
porte qui, par ailleurs, pourrait s'ouvrir trop grande pour trouver dans les
faits qui sont devant eux et dans le droit existant... À l'occasion, la
Cour suprême le fait. Les juges de première instance font encore
plus que débroussailler les règles de droit s'appliquant à
une situation d'exploitation pour en trouver peut-être la justification
d'un jugement qui, en fin de compte, redresserait une situation
carrément injuste.
La notion de solidarité imparfaite qui a été
critiquée par le Barreau. Je n'ai pas de commentaires là-dessus.
Certaines notions subjectives, telles, par exemple, les attentes
légitimes du créancier, me sont apparues... C'est le mot
"légitime" qui semblait causer des problèmes.
La réduction du quantum du jugement dans les cas où la
pleine condamnation pourrait placer le débiteur dans la gêne. Je
pense que cela a été soulevé par plusieurs intervenants.
Moi-même, j'ai peut-être lancé le débat sur cela au
tout début de nos travaux, sans savoir ce qui viendrait
nécessairement par la suite.
Le paiement par cartes de crédit qui est accepté par
presque tous m'apparaît une innovation extrêmement
intéressante.
Le vice de sécurité du bien, la responsabilité du
fabricant et du vendeur professionnel, ces notions semblent faire l'objet d'une
certaine incompréhension ou de difficultés
d'interprétation. Il y a le jugement Kravitz qu'on nous a servi à
ce sujet-là.
La vente d'entreprises, il n'y a pas, en tout cas, d'unanimité
sur la nécessité de règles spéciales.
Sur la vente d'immeubles résidentiels, deux choses.
Premièrement, la circulaire d'information me semble faire consensus et,
également, j'ai trouvé intéressante cette suggestion
relative à une faculté de dédit. Il y a des arguments pour
et contre, mais il me semble que, dans la balance, les arguments pour ont
pesé bien lourd.
Le crédit-bail, dont les dispositions sont, peut-être,
à revoir selon certains.
L'Association du camionnage nous a parlé du contrat de transport.
Je suis convaincu que ce mémoire-là sera
étudié.
Sur le contrat de travail, bon, moi, j'avais cru suggérer, M. le
ministre, une codification unique de nos lois du travail. Ce n'est
peut-être pas facile à achever, mais cela m'apparaîtrait
souhaitable. C'est un désir des intervenants depuis très
longtemps. Tous les intervenants du milieu du travail sont en faveur d'une
codification unique, ce n'est pas nécessaire de parler de refonte, mais
une codification unique, c'est une chose.
Deuxièmement, en ce qui concerne le devoir de loyauté, je
pense avoir, ainsi que plusieurs intervenants, souligné la
nécessaire qualification de l'information qui devrait être
protégée.
Et, enfin, en ce qui concerne les cas d'aliénation de
l'entreprise, particulièrement à la lueur des
représentations du Conseil du patronat, c'est-à-dire les
représentations du Conseil du patronat, quant à moi, n'ont fait
que renforcer la nécessité de garder des dispositions
prévues dans l'avant-projet de loi.
Bon, le contrat d'oeuvre, on se souviendra des représentations de
la construction, des professionnels, des architectes, bien sûr. Un mot
sur les mécanismes de fiducie que j'ai trouvés, en tout cas,
extrêmement intéressants.
En ce qui concerne la société et association, uniquement
le Barreau a soulevé le problème. Évidemment, il faudrait
voir si la critique du Barreau est fondée ou pas.
En ce qui concerne les assurances, j'aurais aimé pouvoir, en tout
cas... que les auditions puissent justifier une modification en ce qui a trait
aux conséquences des fausses déclarations et des
réticences pour éviter l'annulation de tout le contrat lorsque la
réticence ou la fausse déclaration ne porte que sur une partie.
Le débat est là. Je ne sais pas si nécessairement les
arguments ont été concluants. Il y a les remarques du BAC, par
contre, en ce qui concerne les assurances qui sont intéressantes.
En ce qui concerne la consommation, diverses recommandations des ACEF,
des organismes regroupant les consommateurs, de la Commission des services
juridiques doivent être étudiées sérieusement. Mais,
notamment, la question de la location de la voiture à long terme, la
question des paiements préautorisés, des
prélèvements bancaires préautorisés tels que
suggérés par l'ACEF, entre autres. Il y avait les
représentations originales de l'APA sur les véhicules citrons. On
nous a parlé même de la loi citron. Ce n'est pas la loi
elle-même qui est
citron, mais c'est une loi qui portait sur les véhicules citrons.
C'est original. I! y a une réalité-là. Il y a
également la possibilité d'Inclure les magnétoscopes, les
télévisions.
Bref, tout cela signifie que le travail n'est certainement pas
terminé. Je pense bien qu'il n'y a personne autour de la table
d'ailleurs qui a cette prétention-là. Quant à nous, il
était de notre devoir, M. le Président, d'entendre les
représentations, ce que nous avons fait durant plus de 40 heures. Il
appartiendra maintenant à l'équipe du ministère de la
Justice de tenir compte des commentaires, des critiques de ceux qui ont pris le
temps et la peine de nous faire valoir leurs recommandations sur cette partie
du Code civil évidemment si capitale qu'est le droit sur les
obligations.
Pour conclure, et je n'ai nul doute que ce sera fait, mais soyons
soucieux de tendre autant que possible à une simplicité des
concepts, des mécanismes juridiques. Code de procédure civile. La
réforme de 1966 était une opération tout à fait
souhaitable: simplicité des concepts, simplicité des
mécanismes juridiques, simplicité du langage afin que ce monument
qu'est le Code civil ne devienne pas un labyrinthe tant pour le plaideur que
pour le justiciable. Voilà, M. le Président.
Quelques remerciements en terminant. D'abord, au personnel de la
commission et, au premier chef, Me Giguère, notre secrétaire, qui
a su agencer l'ensemble des contraintes de tous ces intervenants, ainsi que les
gens autour de la table, pour nous construire un calendrier de consultation qui
n'était pas facile à bâtir de façon
cohérente. Mais je pense qu'on a réussi, c'était
agréable; on a même réussi à concentrer les
intervenants dans un même secteur. Il y a des journées un peu plus
fatiguantes que d'autres mais, ça, c'est la vie en commission
parlementaire... surtout les mercredis soir!
Deuxième série de remerciements accompagnés de
voeux de bonne chance à l'équipe du ministère de la
Justice: M. le juge Chasse, M. le professeur Pineau, Me Marie-José
Longtin, M. le sous-ministre Cossette. Ce sont eux qui nous ont livré la
matière brute et... peut-être que je viens de lui accorder une
promotion? Elle est bien méritée, M. le ministre. Je m'excuse, je
n'en étais pas sûr, je croyais que vous étiez
sous-ministre. Donc, une série de remerciements mais, tout de suite
après, mes voeux de bonne chance pour la deuxième série de
l'opération.
Mes remerciements également à Me Pierre Gariépy qui
m'a accompagné tout au long de cette commission parlementaire
malgré certains problèmes de santé occasionnels, Me Claude
Melançon et Me Marmet qui m'ont accompagné à l'occasion,
et enfin à tous les intervenants, c'est-à-dire tous ceux qu'on a
entendus, à vous M. le Président, au député de
Marquette avec qui c'est si plaisant de travailler en commission parlementaire,
à M. le ministre de la Justice. Je comprends aisément qu'il n'a
pu être avec nous durant l'ensemble de ces travaux.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. le
député de Taillon. Maintenant je vais reconnaître M. le
ministre de la Justice.
M. Gil Rémillard
M. Rémillard: Oui, M. le Président, vous me
permettrez tout d'abord, moi aussi, de bien remercier ceux qui ont
participé à cette commission et en tout premier lieu vous, M. le
Président, pour votre travail particulièrement efficace. Je sais
que ça n'a pas été le lieu où on a dû
discuter très très très vigoureusement, mais on l'a fait
d'une façon particulièrement intéressante, et vous avez
fait en sorte qu'on puisse poursuivre en respectant l'horaire. Je pense que
vous avez fait un très bon travail et je vous en remercie. Mme la
secrétaire, Mme Giguère, bien sûr, comme il est de son
habitude de faire un travail très efficace pour l'agencement de tous ces
intervenants.
Je voudrais remercier les députés qui ont participé
à cette commission. Tout d'abord, le député de Marquette,
adjoint parlementaire au ministre de la Justice. Je tiens à le remercier
très sincèrement pour m'avoir secondé si efficacement dans
tous ces travaux. Je n'ai pas pu assister du début à la fin, bien
sûr, à cause des autres obligations que j'ai; en particulier en
cette période de l'année, il y a le comité de
législation qui demande beaucoup d'attention. Je voudrais le remercier
car il a su vraiment faire un travail extrêmement efficace. Je voudrais
remercier d'une façon toute spéciale Mme la députée
de Groulx qui, du début à la fin, a participé d'une
façon très active, M. le Président, à cette
commission, toujours soucieuse de veiller à ce que nos principes collent
à la réalité, et on a pu voir par ces questions cherchant
la réalité... et c'est ça qui est intéressant
à cette commission parlementaire, M. le Président, de voir les
gens qui sont venus témoigner et qui nous expliquaient les situations
qu'ils avaient à vivre dans la vraie vie. La députée de
Groulx les interrogeait toujours pour savoir si les principes qu'on
avançait collaient à la réalité. Je voudrais la
remercier très sincèrement pour cette collaboration, remercier le
député de Taillon qui, pour l'Opposition, a aussi offert une
collaboration très efficace. (21 h 30)
Cela a été une commission qui nous a tous unis en fonction
des mêmes objectifs, et je pense que les objectifs ont été
atteints. Le député de Taillon était bien
préparé, et je sais qu'il y avait Me Gariépy qui pouvait
bien le préparer, Me Marmet qui a été mon assistante
à l'université, qui a été membre de mon cabinet
comme ministre des Affaires intergouvernementales et des Affaires
internationales. Je suis donc en mesure de dire que je suis certain que le
député de Taillon était bien préparé et que
le travail qu'il
a fait était efficace, bien sûr, pour
l'intérêt public.
Je veux remercier ceux qui, au ministère, ont travaillé
à la préparation de cet avant-projet et qui auront maintenant
à se mettre à leur table de travail pour colliger tous ces
commentaires, et chercher l'équilibre parce que c'est vraiment le mot
qu'on doit employer dans les circonstances. Les gens du comité de
réforme du Code civil: M. le juge Chassé, le professeur Pineau,
M. le notaire André Cossette et Mme Marie-Josée Longtin auront
donc cette tâche avec l'équipe du ministère: Me Pierre
Charbon-neau, Me Louise Garon, Me Louise Ringuette, Me Denise McManimam, Me
France Fradette ces gens auront à travailler très fort dans les
prochaines semaines, les prochains mois, pour tenter de nous préparer un
projet de loi qui saura coller à cette réalité que nous
avons comme société québécoise et de le
préparer en fonction, bien sûr, des commentaires que nous avons
reçus de tous ces intervenants.
Mes derniers remerciements vont, bien sûr, à ces
intervenants qui sont venus nous présenter ces quelque 40
mémoires, qui sont venus discuter avec nous du contenu de ces
mémoires.
On s'aperçoit, par le nombre d'intervenants que nous avons eus,
M. le Président, que tous ont réalisé l'importance de cet
avant-projet de loi, l'importance de cette démarche que nous faisons en
fonction d'une pièce majeure de notre Code civil. Tous les milieux
intéressés ont été représentés devant
cette commission. Je pense au secteur des institutions financières, au
secteur de la construction ou à celui du transport maritime et routier,
au secteur des locataires, de la consommation, sans oublier les associations
directement liées au milieu juridique comme le Barreau du Québec,
la Chambre des notaires et la Fédération des notaires, que nous
avons entendus ce soir.
Le rôle actif de tous les organismes qui ont participé
à cette commission et aussi la qualité des analyses et des
commentaires qui nous ont été soumis, voilà qui nous
permettra certainement de mieux connaître la réalité dans
laquelle nous évoluons tous, et cette réalité qui doit
nous servir de base à l'élaboration des principes du droit des
obligations. Je ne veux pas m'attarder sur tous les aspects abordés par
l'avant-projet et discuter devant vous, dans le cadre de cette commission, de
tous ces aspects qu'on a fait valoir ensemble.
Cependant, il m'apparaît important de souligner que dans la
foulée des objectifs poursuivis, plusieurs points de vue sur les
équilibres nécessaires que l'on doit mettre en place pour assurer
une véritable justice contractuelle ont été abordés
par divers intervenants. Ainsi, en matière d'obligations, je prends
bonne note des réticences exprimées par certains milieux quant
à des propositions qui, au premier abord, paraissent trop favoriser
certaines parties ou qui, pour d'autres, paraissent insuffisantes. En effet, je
dénote de l'ensemble des mémoires soumis deux principes qui sont
mis en opposition, soit la liberté contractuelle des parties par rapport
à la protection du consommateur. Certains organismes déplorent le
caractère protectionniste du nouveau Code civil face aux consommateurs,
et ce, au détriment de la liberté contractuelle des parties ou de
la sécurité des transactions. Mais je pense notamment au nouveau
principe de la lésion entre majeurs, je pense aux clauses abusives des
contrats d'adhésion, à la protection accordée aux
consommateurs en matière de construction et de vente d'immeubles
résidentiels. Toutefois, M. le Président, il faut dire que
plusieurs intervenants nous félicitent de ces orientations visant
à donner au consommateur une juste protection. Les nombreux arguments
avancés de part et d'autre nous permettront de réévaluer
les impacts de ces principes et d'étudier la possibilité de
concilier les points de vue de chacun.
Je suis par ailleurs conscient que la recherche d'un équilibre en
ces matières doit tenir compte de tous les intérêts en
présence, prenant en considération les forces respectives des
parties sans oublier la possibilité de protéger les petites et
moyennes entreprises. Sur le plan particulier des contrats, M. le
Président, le milieu de la construction nous a brossé, par le
biais de ses organismes, un tableau fort intéressant des
problèmes vécus dans ce domaine. On nous a apporté des
solutions de rechange à celles proposées dans l'avant-projet de
loi, en matière de contrat d'oeuvre et de vente d'immeubles
résidentiels, par exemple. Ces solutions seront attentivement
étudiées. En ce sens, il a été
particulièrement intéressant que certains organismes nous
rappellent la qualité des plans de garantie qu'ils ont
élaborés pour la protection des consommateurs et qui sont offerts
par le biais de leurs membres entrepreneurs.
Quant au contrat de travail, plusieurs nous ont rappelé
l'importance de tenir compte des règles élaborées par les
lois particulières dans la Loi sur les normes du travail. Même en
l'absence d'incompatibilité entre ces dispositions, nous retenons qu'il
est important d'unifier les concepts en ces matières. Cependant, il est
aussi important de souligner le caractère supplétif du Code civil
dans le domaine du travail, en ce qu'il constitue le fondement des autres lois
qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger.
En matière de louage, nous évaluerons avec soin, à
la lumière des recommandations soumises, la nécessité
d'apporter une protection supplémentaire aux locataires, tel qu'il nous
fut proposé par certains groupes. Nous tiendrons aussi compte des
solutions apportées par les offices municipaux d'habitation, qui ont
pour but de permettre de mieux atteindre l'objectif des logements publics qui
est de venir en aide aux ménages à faible revenu.
Dans le domaine des assurances, les moyens
pour assurer une meilleure communication entre les assureurs, les
intermédiaires et les assurés pourront être
réévalués.
Enfin, quant au contrat de consommation, nous retenons que quelques
transactions spécifiques méritent une attention
particulière parce qu'elles semblent être sources d'abus
sérieux au détriment des consommateurs. Je pense, M. le
Président, à la location d'automobiles à long terme,
à la location-achat d'appareils électroménagers ou
vidéos, de même qu'au retrait préautorisé.
En fait, bien que je ne puisse m'arrêter sur tous les points
soulevés devant cette commission, je tiens à rappeler la
très grande qualité des mémoires qui ont été
déposés et commentés. Ils nous donnent une vision fort
intéressante de la réalité pratique et des enjeux de la
réforme. Tous les commentaires qui nous ont été soumis
feront l'objet d'une étude approfondie préalablement à la
rédaction finale du projet de loi.
Pour terminer, M. le Président, je me permets de rappeler aux
intervenants que nous aurons encore besoin d'eux et de leurs précieux
apports dans les prochaines étapes de la réforme, notamment lors
des auditions qui se tiendront au début de 1989 sur le droit de la
preuve, de la prescription et du droit international privé.
Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le ministre.
C'est à mon tour, comme président de cette sous-commission, de
remercier tous les députés, autant ceux de l'Opposition que ceux
du parti ministériel, de leur précieuse collaboration et de leur
assiduité, ainsi que tout le personnel de soutien, le personnel
technique et juridique, qui a bien voulu apporter sa collaboration et son
support afin de rendre intéressant ce magnifique travail qui, soit dit
en passant, n'est pas nécessairement facile pour les membres de cette
commission qui n'ont pas cette formation juridique qu'on rencontre chez la
plupart de ses membres. Mais ce fut très intéressant. Ce n'est
pas le premier chapitre que l'on voit en sous-commission et je reste convaincu
que la réforme du Code civil est une pièce maîtresse et
qu'on n'a pas fini de recevoir des gens en consultations pour terminer ce
magnifique travail qui s'impose présentement.
Je certifie que la sous-commission a rempli son mandat et fera rapport
à la commission dans les meilleurs délais.
J'ajourne les travaux sine die.
(Fin de la séance à 21 h 40)