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(Neuf heures trente neuf minutes)
Le Président (M. Marcil): Nous allons déclarer la
séance ouverte, tout en rappelant le mandat de la sous-commission,
c'est-à-dire de procéder à une consultation
générale et de tenir des auditions publiques sur l'avant-projet
de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des
obligations. Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements
d'annoncés?
La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Dufour
(Jonquière) est remplacé par M. Gendron (Abitibi-Ouest) et Mme
Harel (Maisonneuve) par M. Filion (Taillon).
Le Président (M. Marcil): Ça va. À titre
d'information, le premier groupe que nous allons entendre ce sont les
représentants de la Centrale de l'enseignement du Québec, suivi
du Conseil du patronat du Québec, et de la Conférence des
associations de créateurs et créatrices du Québec. Cet
après-midi, à partir de 15 heures, nous allons entendre l'Ordre
des architectes du Québec et association des architectes en pratique
privée du Québec, suivi de l'Association coopérative
d'économie familiale du centre de Montréal, et de l'Association
coopérative d'économie familiale du nord de Montréal. De
17 heures à 17 h 30, ce sera l'Association coopérative
d'économie familiale du sud-ouest de Montréal et il y aura un
changement pour ce soir, la CSN s'étant décommandée. Nous
avons placé de 17 h 30 à 18 h 30, la Confédération
des caisses populaires et d'économie Desjardins du Québec, au
lieu de 20 heures à 21 heures. Cela résume l'ordre du jour de
notre journée.
Le premier groupe est la Centrale de l'enseignement. Nous vous
souhaitons la bienvenue à cette commission parlementaire. Vous savez
qu'une durée d'environ 60 minutes nous est allouée et que la
plupart des gens, pour ne pas dire l'ensemble des parlementaires, ont
déjà travaillé votre mémoire. Il y a
déjà des séries de questions de préparées.
Vous avez 20 minutes pour faire votre présentation et, ensuite, on
pourra procéder à l'échange de questions.
Si vous voulez vous présenter, de même que présenter
vos collaborateurs.
Centrale de l'enseignement du Québec
M. Johnston (Raymond): Merci, M. le Président, je suis
Raymond Johnston, vice-président de la centrale. Je voudrais vous
présenter les gens qui m'accompagnent. À l'extrême droite,
Mme Michelle Savard qui est employée à la centrale; à ma
droite immédiate, Jean-Marcel Lapierre, employé de
l'équipe juridique à la centrale; à ma gauche
immédiate,
Mme Solange Provonost, également vice-présidente de la
centrale et qui participera avec moi à la présentation de ce
mémoire, pour une partie; à sa gauche, Jules Johnston,
employé à la CEQ dans le secteur des assurances, en particulier,
et Robert Marois, employé dans le même secteur à la
centrale.
Je voudrais, d'entrée de jeu, vous dire que devant l'ampleur de
l'avant-projet de loi, nous ne nous sommes pas hasardés à faire
un mémoire qui concerne l'ensemble des dispositions. Nous les avons
ciblées autant que possible à partir de nos préoccupations
majeures, comme organisation, en tenant compte du fait que les membres que nous
représentons sont, à la fois régis, pour la
majorité, par le Code civil et par le Code du travail; en tenant compte
aussi de l'histoire de notre organisation en matière d'assurance et
particulièrement d'assurance collective.
Depuis un bon nombre d'années, on a développé des
programmes substantiels en matière d'assurance collective et on croit
qu'il y a là des questions assez importantes à soulever pour
l'avenir du développement de ce type de régime d'assurance. Je
vais donc aborder le plus directement possible les questions, avec le chapitre
sur le contrat de travail, vous signalant d'entrée de jeu nos
préoccupations majeures.
Nous savons tous qu'une réforme du Code civil ne se fait pas
à chaque décennie. Nous savons tous aussi qu'à travers les
dernières décennies en particulier, s'est développé
un champ du droit du travail. Jusqu'à un certain point, ceci s'est fait
à l'encontre ou en marge du Code civil. Nous sommes donc
préoccupés au premier titre par la compatibilité entre les
dispositions du Code civil, sur le contrat de travail et la préservation
des acquis, et celles du champ du droit du travail. À ce titre, je veux
attirer votre attention particulièrement sur le problème que nous
identifions relativement à la définition du terme
"salarié" qui est au coeur, croyons-nous, de la frontière
possible entre le travail dit indépendant et le travail salarié
qui peut donc, jusqu'à un certain point, être au coeur aussi de
l'entrée sous l'empire des lois du travail. Ce que nous voulons vous
signaler à cet égard, c'est que la définition qui est
là va beaucoup plus loin, en termes d'exigence pour la reconnaissance du
statut de salarié, que le développement de la jurisprudence
à travers les dernières décennies. Il y a donc une
possibilité de choc entre le nouvel article 2144 qui est proposé
et le droit du travail tel que développé sur la base de la
jurisprudence actuelle. À cet égard, nous voulons signaler que la
précision dans la définition des mots, l'utilisation des termes
selon les instructions, à l'intérieur de cette définition,
nous apparaît un peu abusif compte tenu de l'évolution de la
jurisprudence
sur la notion de salarié. Cela peut créer une distorsion
importante dans la lecture que les tribunaux feront éventuellement sur
la base de la jurisprudence actuelle. (9 h 45)
Nous suggérons aussi, quant à cette définition, de
faire disparaître la précision de travail matériel et
intellectuel. Je ne détaillerai pas beaucoup cela. Il me semble que
c'est un exercice périlleux que d'essayer de classer maintenant ce qui
est de l'ordre du matériel et ce qui est de l'ordre de l'intellectuel,
d'autant plus que le mot "matériel" ne correspond pas beaucoup au
langage habituel en matière de travail. On utilise plutôt
l'expression "travail manuel". Encore là, si on utilise "travail manuel"
ou "travail intellectuel", il y a une foule d'exemples, beaucoup de fonctions
qui sont réputées comme étant des fonctions de
salariés, où on peut clairement démontrer qu'il y a
combinaison des deux facteurs.
On veut signaler notre satisfaction à l'égard de l'article
2145 sur le devoir de protection de l'employeur et on veut également
vous souligner, du même souffle, que l'article 2146, relatif aux devoirs
de la personne employée, nous semble un peu lourd. On prévoit une
interdiction à la personne employée d'utiliser l'information et
les secrets commerciaux qu'elle obtient dans l'exécution ou à
l'occasion de son travail. Il peut y avoir des bouts là-dedans qui sont
raisonnables dans la mesure où c'est lié à une relation de
loyauté, mais dans cette seule mesure. Nous croyons qu'on devrait
corriger cet article pour faire disparaître les éléments
relatifs à l'usage de l'information acquise pendant l'exercice d'un
travail, alors que cela peut bien ne pas être utilisé de
façon déloyale. Quelqu'un pourrait ainsi utiliser, après
une période de prestations de travail, de l'information acquise pendant
l'exercice du travail et à compter du moment où il n'y a plus de
relation contractuelle, il y a là quelque chose qui pourrait être
un peu abusif.
Je vous signale, par exemple, toute information, que les expressions
elles-mêmes sont larges et susceptibles d'interprétations
très lourdes à l'égard même du salarié qui
est, pendant une période de prestations de travail.
Je voudrais attirer votre attention sur la section 1.4 de notre
mémoire: Le contrat à durée déterminée. Nous
avons deux préoccupations majeures à cet égard. La
première est de s'assurer que les pratiques de congédiements
illégaux ne soient pas contournées par les employeurs de
façon régulière par l'utilisation de contrats à
durée déterminée plutôt que de contrats à
durée indéterminée. À la page 7, on a une grande
liste des cas de congédiements pour des motifs illégitimes qui
ont été implantés dans la loi et à partir de la
page 8, on cite, entre autres, une cause et je vous reporterai à une
cause plus récente, une décision de la Cour d'appel du 22
septembre 1988, l'affaire Moore contre la compagnie Montréal Trust
où cette question était posée en termes de juridiction sur
le fond. La
Cour d'appel, dans ce cas avait statué que l'existence d'un
contrat à durée déterminée n'avait pas pour effet
de permettre à un employeur de se soustraire à des obligations en
termes de comportement par rapport à ses salariés dans les
mesures où c'était défendu par la loi. On pense que cette
décision aurait avantage à être enracinée dans le
nouveau corps législatif pour donner une sécurité
juridique plus évidente pour les parties à des contrats
individuels et même à des contrats collectifs, le cas
échéant.
La deuxième dimension que nous voulons soulever c'est qu'il
faudrait que les contrats à durée déterminée
deviennent une règle quasi-automatique. Nous souhaiterions que le
législateur prenne les dispositions pour que ce type de contrat soit
perçu comme un cas d'exception; en règle générale,
que le contrat d'engagement soit réputé être un contrat
à durée indéterminée sauf stipulation expresse.
Vous retrouverez cela à la page 11 dans notre texte.
Sur l'avis de congé, je vais rapidement vous signaler deux
problèmes: la concurrence entre les dispositions du Code civil qui sont
proposées, l'insuffisance, les motifs qui sont prévus dans
l'évaluation du délai et le problème du droit même
à l'indemnité qui est soumis à des conditions qui nous
apparaissent abusives. S'il doit y avoir un délai, s'il doit y avoir un
avis pour mettre fin à un contrat, l'absence d'avis à lui seul
devrait permettre d'avoir droit à une indemnité. Cela ne veut pas
dire qu'il ne peut pas y avoir d'autre recours en dommages et
intérêts pour d'autres motifs, mais imposer aux salariés,
imposer à l'employé, un fardeau plus lourd que le non-respect du
délai pour avoir droit à l'indemnité, cela nous
apparaît abusif, dans les circonstances.
Rapidement, sur les dispositions relatives à la fin du contrat,
dans la section 1.6 en pages 13 et 14, je vous signale que nous croyons que
cette disposition à l'article 2151, aussi, est un petit peu trop large.
Nous croyons, quant à nous, que l'incapacité totale et
définitive du salarié - totale temporaire, il faut voir là
que ce n'est pas la même chose que totale et définitive - met fin
au contrat. Mais on voudrait qu'il y ait une possibilité d'arrangement
entre le salarié et son employeur, soit sur une base individuelle, soit
sur une base collective, afin de préserver des droits qui autrement
pourraient être perdus - par exemple, le droit de contribuer à un
régime de retraite, le droit d'avoir accès à un
régime de retraite plus tard - s'il y avait donc des possibilités
de réserve à l'égard de la fin de contrat dans ce
cas-là, cela pourrait permettre de régler des cas souvent
difficiles à régler autrement.
Finalement, la disposition qui prévoit que le décès
de l'employeur met fin au contrat, cela nous apparaît un peu large. C'est
rare qu'un employeur n'ait pas d'héritiers. C'est rare aussi que
l'entreprise décède en même temps que l'employeur. Nous
proposons de resserrer cette disposition, pour s'assurer qu'il n'y aurait fin
de
contrat que dans la mesure où l'emploi, en lui même, serait
automatiquement aboli du fait du décès. Il ne faut pas laisser de
porte ouverte à de telles dispositions pour permettre, à
l'occasion du décès d'un employeur, un ménage par la
succession à l'intérieur d'une entreprise, ce qui pourrait
être permis par le Code civil, par les dispositions proposées.
Là-dessus, nous pensons que l'approche que nous vous proposons sur cette
question est parfaitement compatible avec ce qui est proposé à
l'article 2156 par ailleurs - dont nous nous réjouissons - qui est de
l'ordre de la transmission au nouvel employeur des obligations contractuelles
avec chacun des salariés, une revendication que nous avions d'ailleurs
formulée nous-mêmes à quelques reprises.
Je vais arrêter rapidement sur le contrat de travail et la
convention collective. Je passe sur la question de la résiliation du
contrat de travail. Vous pourrez regarder cela, c'est important aussi, mais la
section 1.9 nous apparaît plus importante. L'article 2157 pose un
problème de taille pour nous parce qu'il insérerait, à
toutes fins utiles, le principe que le contrat de travail serait
complété par la convention collective. À notre point de
vue, l'état de la jurisprudence en matière de droit du travail et
en matière de convention collective indique que le contrat de travail
est subordonné à la convention collective. C'est une
différence importante. Cela veut dire que les conditions de travail
négociées remplacent, à toutes fins utiles, les
dispositions du contrat individuel de travail et que les dispositions du
contrat individuel de travail sont mises entre parenthèses tant
qu'existe une convention collective valide et applicable à ce
salarié. La disposition proposée viendrait en quelque sorte
prétendre que ce courant jurisprudentiel n'est pas bon parce que les
deux pourraient se compléter, le contrat de travail pourrait comprendre
des choses que ne comprend pas la convention collective, qui pourraient
perdurer malgré l'existence de la convention collective, donc
créer une poche de multiplication des traitements individuels
malgré l'existence des conventions collectives, ce qui va à
l'encontre des dispositions du Code du travail, qui veulent que la convention
collective s'applique de la même façon à l'ensemble des
salariés. Là-dessus, il y a un certain nombre d'exemples et de
décisions qui sont cités ici.
L'autre question sur laquelle je voudrais attirer votre attention, sur
ce même sujet, c'est la juridiction de l'arbitre de grief sur les cas de
validité du contrat de travail ou les cas de contestation de la
validité du contrat de travail sur les questions liées à
la formation du contrat de travail. On pense qu'il devrait y avoir une assise
quelque part pour qu'un arbitre de grief puisse se saisir par exemple d'un cas
de nullité de contrat parce qu'il y aurait eu une fausse
déclaration du salarié. Sur ce sujet, je vais demander à
Mme Pronovost de passer rapidement sur le dossier des assurances et je
reviendrai pour compléter.
Mme Pronovost (Solange): Au chapitre des assurances, nous
constatons la préoccupation du législateur de ne pas modifier de
façon trop importante les dispositions actuelles. Ce qui, dans le
contexte, nous apparaît tout à fait normal et souhaitable. On
évite donc ainsi de mettre en péril la relative
sécurité juridique qui existe. Cependant, à l'examen des
dispositions cela nous amène à déplorer l'absence de
préoccupation concernant l'assurance collective et à
démontrer que cet objectif de sécurité juridique qu'on
vise doit être atteint non seulement à l'égard de
l'assurance individuelle mais également à l'égard de
l'assurance collective. Alors, nos remarques viseront donc des
éléments qui sont de nature à favoriser
l'amélioration du droit des consommatrices et des consommateurs en
matière d'assurances et, bien sûr, la clarification du droit en
assurance collective et ce, vous l'aurez compris, à la lumière de
notre expérience.
Pour nous, lorsqu'il est question de sécurité juridique en
matière d'assurances cela signifie l'existence réelle du droit de
s'assurer. Cela veut dire également que toute personne doit être
convaincue d'être vraiment assurée et de pouvoir continuer de
s'assurer. En d'autres termes, être en sécurité.
D'où, pour nous, la nécessité de posséder toutes
les informations, de posséder des informations claires, précises
qui font en sorte que chaque partie au contrat sait très bien à
quoi s'en tenir. On pense également que des délais raisonnables
de renouvellement de contrats et des délais prolongés pour fins
de déclarations de sinistre seraient de nature à protéger
les droits des assurés. (10 heures)
De plus, on pense qu'on ne devrait pas permettre l'annulation d'un
contrat, sous prétexte de fausse déclaration ou réticence,
alors que l'invalidité en cause n'a aucun lien direct avec cette fausse
déclaration possiblement ou cette réticence. Il est
également primordial qu'un individu puisse être assuré,
même si une affection se déclare peu de temps après la
signature de la proposition, et dans le même ordre d'idées, il
nous apparaît tout à fait inacceptable qu'une affection non connue
de l'assuré puisse être associée à de la fraude.
Un autre élément sur lequel nous sommes en
désaccord est le fait d'exclure des protections d'assurance des maladies
parce qu'elles représentent trop de risques individuels. Pour nous,
l'assurance est une certaine forme de service collectif dans notre
société. C'est une certaine forme de sécurité
sociale et, de ce fait, nous pensons qu'elle doit être accessible
à toutes et à tous. D'ailleurs, les assureurs l'ont reconnu
lorsqu'ils ont admis que le suicide pouvait faire l'objet de prestations.
Alors, toujours dans notre souci de protéger les droits des
assurés et de leur accorder la sécurité juridique dont
nous parlions précédem-
ment, il nous semble que la suppression de l'article 2499 vient changer
le rapport qui existe entre les parties actuellement. Ce que nous voulons
à l'égard de cette question est une garantie, dans le Code civil,
indiquant que le contrat s'interprète en faveur de l'assuré en
toute matière de protection.
Ce sont là quelques exemples de notre conception de la
sécurité juridique en matière d'assurance, mais
après ces considérations d'ordre général, on va
regarder un peu l'assurance collective et ses particularités. Pour nous,
à la CEQ, qui avons quand même une certaine expérience en
matière d'assurance collective, c'est très difficile de
comprendre comment des dispositions de base comme celles du Code civil peuvent
être aussi loin de la réalité de la vie courante.
L'assurance collective n'est pas à la remorque de l'assurance
individuelle; l'assurance collective est d'une autre nature. Ce qui s'applique
bien en assurance individuelle n'a pas d'applications claires et
précises en assurance collective et pour illustrer cette situation, nous
allons prendre comme exemple les articles 2496 et 2497 qui prévoient que
les protections d'assurance-vie, maladie et accident, prennent effet à
des moments différents et à des conditions
particulières.
Dans les contrats d'assurance collective de la Centrale de
l'enseignement du Québec, voici un peu comment cela s'applique.
L'assurance-vie, l'assurance-maladie et l'assurance-salaire entrent en vigueur
en même temps. L'assureur offre aux membres du groupe le régime
déterminé entre la détentrice ou le détenteur du
contrat-cadre et l'assureur. Les membres décident de prendre ou non le
régime s'il est facultatif. La date de prise d'effet est
déterminée soit par convention collective, soit par entente entre
la détentrice et le détenteur du contrat-cadre et l'assureur, et
ainsi de suite.
En matière de langage, l'avant-projet nous semble porteur
d'ambiguïtés et peut-être même d'incohérences,
parce que les mots ne recouvrent pas les mêmes réalités
d'un type d'assurance à l'autre.
Toujours dans le souci d'établir une sécurité
juridique en matière d'assurance collective, nous trouvons important de
signaler que des particularités ont été omises. Ces
caractéristiques, nous les retrouvons dans le règlement de la Loi
sur les assurances et nous pensons qu'elles devraient être
intégrées au Code civil, afin de constituer la base de tout
contrat collectif. Nous faisons référence ici à la notion
de groupe, aux dispositions relatives aux détenteurs du contrat-cadre,
au droit de transformation et d'autres sont énumérés dans
notre mémoire.
Mais on constate que des problèmes qui sont d'actualité ne
sont cependant pas résolus par la voie de la réglementation. Nous
mentionnerons ici, par exemple, la désignation des
bénéficiaires lors du transfert d'assurance collective. Nous
mentionnerons également l'exclusion d'un sous-groupe, la nullité
de l'exclusion du suicide et le transfert d'assurance collective, le droit de
transformation en assurance de personnes. Ce sont, nous semble-t-il, des
problèmes qui sont à résoudre.
Il y a également d'autres réalités que nous pensons
qu'il soit d'intérêt de considérer pour tenir compte de
l'évolution de la société actuellement et pour
établir une véritable sécurité juridique. On pense
ici à la couverture, sans aucun doute, du conjoint de fait et des
enfants du conjoint de fait. On pense aussi à la définition de la
notion de famille; en 1988, cela a beaucoup changé.
Par ailleurs, compte tenu de l'importante responsabilité du
détenteur du contrat-cadre à l'endroit des nombreuses
adhérentes et adhérents à une assurance collective et
considérant, effectivement, la sécurité qui lui est aussi
nécessaire, on pense que l'assureur devrait obligatoirement aviser le
détenteur du contrat-cadre de l'existence de contrats de
réassurance, qu'il devrait les dénoncer, qu'il devrait informer
du niveau de réassurance et identifier, bien sûr, les
différents traités de réassurance qui sont
applicables.
Le Président (M. Marcil): En conclusion.
Mme Pronovost: Vous avez là, en résumé, les
principales préoccupations de la Centrale de l'enseignement du
Québec en matière d'assurance. Notre mémoire vous en
précisera d'autres. Mais ce qui nous semble vraiment important, c'est
d'atteindre l'objectif d'avoir une véritable sécurité
juridique, tant en matière d'assurance individuelle qu'en matière
d'assurance collective. Sur ce dernier élément, nous pensons
qu'il est véritablement temps d'accorder un statut légal
particulier dans le domaine de l'assurance collective.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Je reconnais
maintenant M. le député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci beaucoup, M. le Président. Le
mémoire qui vient de nous être présenté est
extrêmement intéressant. Le travail qui a été mis
là-dedans est impressionnant et je pense que les points soulevés
sont aussi d'une très grande importance. On note, dans votre
mémoire, que vous faites plusieurs recommandations en ce qui concerne
l'assurance, en particulier. Une grande partie de votre mémoire porte
sur les contrats de travail et c'est un peu normal.
En ce qui concerne les assurances, puisqu'on vient d'en parler, est-ce
que vous avez eu l'occasion d'évaluer les répercussions sur
l'industrie de l'assurance elle-même des recommandations que vous faites?
Est-ce que vous avez pu évaluer, soit par des contacts que vous avez eus
avec eux, soit par votre expérience personnelle, comment pourraient
réagir les compagnies
d'assurances à l'acceptation ou à l'incorporation, dans le
futur code, des recommandations que vous faites actuellement?
Le Président (M. Marcil): M. Johnston ou madame.
M. Johnston (Raymond): Si vous permettez, on n'a pas fait de
vérifications formelles auprès des compagnies d'assurances pour
voir comment elles voyaient l'application de l'ensemble des recommandations que
nous formulons. Cependant, l'expérience que nous avons en matière
d'assurance collective nous amène à croire que la plupart des
recommandations qui sont formulées là pourraient être
vivables par les compagnies d'assurances qui auraient vraiment le respect des
assurés et qui se donneraient les moyens de gestion pour y arriver. Mais
nous, nous l'avons fait sur la base de notre évaluation, à partir
de l'expérience des régimes collectifs d'assurances.
M. Doyon: Vous ne voyez pas d'obstacles majeurs à la mise
en place de mesures semblables?
M. Johnston (Raymond): Les compagnies d'assurances vont
probablement vous dire qu'elles ne partagent pas certaines des analyses ou des
recommandations que nous formulons, mais je pense que c'est à ces
compagnies de venir vous dire ce qu'elles en pensent. Nous vous disons ce que,
nous, nous en pensons sur la base de notre expérience et vous pourrez
faire les évaluations après.
M. Doyon: Oui. Toujours dans le domaine des assurances, vous
demandez dans votre mémoire un délai de renouvellement pour une
police d'assurance de dommages en assurance individuelle ou collective.
Pourriez-vous nous donner une meilleure explication ou, en tout cas,
préciser ce sujet? Quels sont les problèmes que vous
désirez résoudre ou quels sont les problèmes qui se posent
en matière de délai de renouvellement d'assurances? Qu'est-ce que
vous avez à l'idée?
M. Johnston (Raymond): Est-ce que vous êtes en mesure de
préciser à quelle partie du mémoire vous faites
référence et je vais demander à M. Jules Johnston de
répondre à votre question?
M. Doyon: Vous indiquez, je ne sais pas exactement où dans
votre mémoire, que... Les recherchistes qui ont préparé
nos documents nous indiquent que vous mentionnez, dans votre mémoire,
que vous demandez un délai de renouvellement pour une police d'assurance
de dommages en assurance individuelle ou collective et c'est à ce
délai que je me réfère.
M. Johnston (Jules): Actuellement, les seuls délais qui
existent dans les régimes d'assurances générales, en
particulier, sont les délais qui sont prévus dans les polices,
soit au chapitre des polices en assurance automobile où on a un
délai de renouvellement de 30 jours ou soit au gré des assureurs,
selon les hypothèses qu'ils font chez eux et selon les polices qu'ils
établissent. L'expérience que nous avons vécue, en
particulier concernant l'assurance de dommages, nous confirme que les
délais déjà inscrits dans les polices d'assurance
automobile sont, de façon générale, assez peu
respectés et particulièrement dans le cadre de situations
où il y a des baisses de taux en assurance automobile. Cela nous
apparaît important de souligner cet élément et de le rendre
plus impératif parce qu'il nous semble que, à ce
moment-là, l'assuré est celui qui est le plus
pénalisé. Lorsqu'on reçoit un avis de renouvellement 5
jours avant l'entrée en vigueur d'une nouvelle police d'assurance
automobile, par exemple, on est, en général, assez peu en mesure
de faire le magasinage qui est possible. C'est la même situation, mais en
plus grave encore, en assurance-habitation, parce que, de façon
générale, il n'y a pas de délai de renouvellement. Par
contre, en matière d'assurance collective, à cause de l'impact et
de la grosseur des groupes qui sont souvent impliqués, les délais
de renouvellement, les délais juste pour faire le transfert réel
doivent être beaucoup plus longs parce que, autrement, on se trouvera
à la merci d'une compagnie d'assurances qui, elle, est
déjà responsable du contrat qui est en vigueur au moment
où on doit aller faire du magasinage. C'est pourquoi on a
préféré, à ce moment-là, des délais
de 30 jours, pour l'assurance individuelle, et de 90 jours, pour l'assurance
collective.
Je vous rappellerai simplement que nous vivons actuellement, dans notre
régime d'assurance-collective en assurance de dommages, des
délais qui tournent aux alentours de 60 jours, et on peut vivre avec
cela et la compagnie d'assurances peut vivre avec cela.
M. Doyon: Merci. C'est pour permettre, si je comprends bien, la
comparaison entre les taux, entre les prix et avoir l'occasion de trouver des
prix qui conviennent, compte tenu des exigences qui sont les vôtres. Pour
continuer encore brièvement sur l'assurance, même si vous n'avez
pas parlé de cela, aux pages 58 et 59, vous parlez de recours. Je crois
comprendre que vous voyez l'État intervenir à ce sujet-là,
en ce qui concerne les possibilités de recours, et que l'État
devrait assumer un certain nombre de responsabilités pour ce qui est des
recours pour les personnes assurées. Pourriez-vous nous donner une
meilleure idée de ce que vous entendez par là et quelle serait
l'intervention que vous souhaiteriez voir faire par l'État à ce
sujet-là?
M. Johnston (Raymond): Si vous permettez, je vais d'abord vous
signaler que l'ensemble de
ces mesures atterrissent, comme vous pouvez le constater, à la
suite de la présentation de problèmes relatifs à la
protection des droits des assurés, liées au problème de
solvabilité, en particulier, et liée aussi, dans une certaine
mesure, au fait qu'il rentre de plus en plus, de façon significative,
une responsabilité de réassurance dans les régimes... En
tout cas, les compagnies d'assurances font de plus en plus de
réassurance pour répartir les risques sur des grandes masses.
Là-dessus, ce que nous voulons vous signaler, c'est qu'il devrait
y avoir un resserrement important du contrôle par l'Inspecteur
général des institutions financières en ce qui concerne la
solvabilité des compagnies d'assurances. C'est cela que nous signalons
en premier lieu. (10 h 15)
Deuxièmement, dans la mesure où il y a faillite de
l'assureur, cela arrive à l'occasion, et que l'assureur avait, lui, pris
une forme de réassurance, il faut trouver le moyen de faire en sorte que
les assurés individuels ou même collectifs ne soient pas aux
prises avec la recherche du réassureur, ne soient pas aux prises avec
les poursuites contre le réassureur, mais qu'il y ait un
mécanisme qui permette à un organisme gouvernemental d'exercer ce
recours-là auprès du réassureur. Il faut aussi qu'il y ait
un fonds qui, nous pensons, devrait être public. Un fonds auquel les
assureurs participeraient et qui deviendrait une espèce de fonds
d'indemnisation. Il devrait aussi y avoir, corollairement, la mise en place
d'un mécanisme d'indemnisation, un office d'indemnisation qui permette
aux gens de pouvoir exercer des recours sans être obligés de
s'embarquer dans des dédales juridiques assez importants.
Nous croyons aussi, et on le souligne à la page 60, qu'il devrait
y avoir un mécanisme permanent d'arbitrage autant pour les polices
individuelles que pour les polices collectives d'assurances. Et cela repose sur
la nécessité, à notre point de vue, de faire en sorte que
les compagnies d'assurances soient obligées de civiliser leurs rapports.
Il y a tellement de moyens à la fois de segmenter les risques et de les
reporter sur d'autres. Il y a tellement de risques aussi en segmentant les
risques, en matière d'assurances, qu'une compagnie soit prise pour
assumer l'assurance de personnes qui comportent de plus hauts taux de risques.
On sait qu'il y a une évaluation qui se fait en ce qui concerne la
solvabilité des compagnies d'assurances. Il devrait alors y avoir des
signaux allumés quelque part. Il y a des analyses qui sont faites par
une institution indépendante qui classe les compagnies d'assurances
selon leur degré de solvabilité, mais il n'y a pas beaucoup de
monde qui intervient de façon ponctuelle pour forcer des redressements
dans les compagnies d'assurances qui deviennent rapidement, quand elles
prennent la pente descendante, des cas problè- mes.
M. Doyon: Merci, M. Johnston.
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Marquette, adjoint parlementaire du ministre de la Justice.
M. Dauphin: Oui, merci, M. le Président. Alors, dans la
même veine que mon collègue de Louis-Hébert, nous
remarquions à l'intérieur de votre mémoire que vous ne
vous prononcez pas nécessairement sur l'inclusion au Code civil de
dispostions relatives à la protection du consommateur. Je ne sais pas si
vous avez eu la chance, comme centrale syndicale, de vous pencher
là-dessus, à savoir sur le bien fondé de cette inclusion
à l'intérieur de l'avant-projet de loi.
M. Johnston (Raymond): Tout comme je le signalais au point de
départ, on a dû malheureusement, devant un avant-projet qui
comporte quelque 1500 articles, sélectionner nos points d'intervention
et les questions que nous avons à analyser. Malheureusement, on n'a pas
pu procéder à l'examen des dispositions pertinentes auxquelles
vous faites référence, mais je peux vous dire que nous
partageons, à un certain degré, les inquiétudes des
groupes de défense des droits des consommateurs à l'égard
des nouvelles dispositions qui sont présentées, mais on n'a pas
eu l'occasion de raffiner nos analyses sur cette question.
M. Dauphin: D'accord. Si vous me le permettez, j'aurais
peut-être une autre question avant de laisser la parole à notre
collègue d'Abitibi-Ouest. Aux pages 44 et 45 de votre mémoire,
vous vous objectez à l'article 2467 qui traite du contrat de
réassurance. D'ailleurs, cet article reprend l'article 2493 du code
actuel. La question est la suivante: Est-ce que vous pourriez être plus
explicite sur les raisons qui vous motivent dans votre position à cet
article-là?
M. Johnston (Raymond): Je vais demander à M. Jules
Johnston de répondre à cette question.
M. Johnston (Jules): D'abord, il est essentiel de faire la
remarque... L'article 2467 qui est proposé est substantiellement
différent, à notre point de vue, de ce qui existe actuellement
à l'article 2493. C'est en particulier dû au fait que, maintenant,
on n'énonce plus le fait que le contrat de réassurance n'a
d'effet qu'entre les deux parties, soit l'assuré, l'assureur et le
réassureur, premier élément. Même si cela semble
maintenir cette idée, il reste qu'on a des dérogations qui sont
prévues. Pour nous, le recours d'un assuré auprès d'un
réassureur nous apparaît contenir tellement d'embûches et
tellement de difficultés, à la fois en termes juridiques, de
délais, de connaissance, qu'il exige - je devrais dire
nécessairement - l'intervention de gens qui
sont déjà spécialisés dans le droit des
assurances, dans le droit international. Cela nécessite l'intervention
d'actuaires qui sont au courant des différents traités de
réassurance, etc. Toute la question de la réassurance est
très complexe. Un individu qui est pris face à cette situation,
en réalité, pour lui, c'est devenu impraticable. C'est contre
cela que nous en avons et nous ne souhaitons pas que ce genre de contrat se
répande, même si nous savons que cela existe. En particulier, ce
que nous avons pu identifier dans le secteur de la garantie automobile, nous ne
souhaitons pas que cela se répande. S'il y a quelque chose de
très particulier que nous voulons couvrir là-dedans, il y a
peut-être lieu de le circonscrire à ce secteur. Pour nous, en ce
qui concerne les assurés, à cause de la série
d'embûches qu'on a énoncées, il n'y a pas
d'intérêt à introduire cela dans le code actuellement.
M. Dauphin: Merci.
Le Président (M. Marcil): Cela va? M. le
député d'Abitibi-Ouest.
M. Gendron: Oui, très rapidement. D'abord, je voudrais
remercier la Centrale de l'enseignement du Québec pour son intervention.
Même si elle a dit au début que son intervention se situait dans
le cadre de sa mission de promotion des intérêts
socio-économiques professionnels de ses salariés... Je pense que,
par la qualité de son mémoire, elle a raison d'indiquer cela,
mais une chose est certaine, une contribution aussi importante devrait
également aider les dirigeants du gouvernement actuel à se doter
d'un Code civil qui correspond un peu plus à l'évolution de la
société québécoise. Je pense sincèrement que
vous avez là une contribution majeure importante. Ce n'est pas parce que
je connais cela, mais c'est parce que j'ai eu l'occasion de prendre
connaissance d'analyses de votre mémoire faites par des gens qui
connaissent cela. Vous avez au-delà de 44 recommandations sur, comme
vous l'avez mentionné, deux secteurs que vous avez choisi de cibler,
deux secteurs dans lesquels vous disposez d'une expertise valable par votre
d'expérience, que ce soit en ce qui concerne les assurances collectives
- pour vous avoir connus - et, évidemment, le volet sur les contrats de
travail. Bravo, une bonne contribution, même si cela ne doit pas toujours
être facile de contribuer à offrir de la substance sur des choses
aussi techniques et difficiles que sont les modifications au Code civil d'une
société.
Première question. Le contrat de travail. Cela
m'intéresse. Je ne connais rien dans le Code civil - et je le dis comme
je le pense - mais j'ai été étonné de voir que
d'après vous, en particulier pour ce qui est de la primauté de la
convention collective versus le contrat de travail individuel, autrement dit la
recommandation 7 de votre mémoire, faudrait récrire l'article
2157 de l'avant-projet. Je veux seulement rappeler rapidement, vous l'avez bien
situé... D'une façon présomptive, je croyais que
c'était acquis en jurisprudence que, pour tous les salariés
conventionnés, si vous me permettez l'expression, c'est leur convention
collective qui avait priorité sur le contrat de travail. Est-ce à
dire que quand vous demandez une réécriture, c'est que vous
convenez que ce n'est pas ce que cela dit et, qu'en conséquence,
l'avant-projet du Code civil ferait l'inverse de ce que je croyais être
une pratique courante dans les relations de travail, c'est-à-dire que,
là où il y avait des salariés conventionnés, c'est
la convention qui primait sur l'interprétation qu'on peut donner au sens
du contrat de travail dans le Code civil? Qu'est-ce que c'est exactement?
Une voix: La...
M. Johnston (Raymond): La moindre des choses qu'on peut vous dire
là-dessus - et je demanderais à Jean-Marcel de compléter
avec les éléments techniques - c'est que cet article ne tient pas
suffisamment compte de l'évolution de la jurisprudence. La jurisprudence
indique que le contrat de travail est subordonné à la convention
collective, c'est-à-dire que la convention collective prime le contrat
de travail. Nous nous inquiétons du fait que la formulation actuellement
proposée permette, le cas échéant, de dévier de
l'état de la jurisprudence actuelle en permettant que le contrat
individuel de travail puisse contenir des dispositions qui survivraient
malgré la convention collective. Là-dessus, je vais demander
à Jean-Marcel de compléter au plan technique.
M. Lapierre (Jean-Marcel): En fait, je pense qu'on est devant un
problème de compatibilité entre les dispositions du Code civil et
les dispositions du Code du travail. L'article parle de compléter le
contrat de travail par la convention collective. Je pense que le terme
"compléter" implique qu'on ajoute quelque chose au contrat de travail
par la convention collective. Cela va à l'encontre du principe
fondamental établi par la jurisprudence dans le cadre du Code du travail
ou plutôt dans le cadre de la Loi sur les relations ouvrières -
parce que c'était la Loi sur les relations ouvrières au moment de
l'arrêt Paquet - principe qui dit que le contrat de travail est
complètement subordonné à la convention collective. On ne
prétend pas qu'introduire cet article dans le Code civil va renverser
tout le courant jurisprudentiel, mais on pense que cela introduit un
élément de confusion, que cela introduit une disposition qu'on
pourra invoquer à un moment donné pour dévier du principe
fondamental dans une affaire ou l'autre qui sera entendue par les tribunaux.
Alors, on pense que c'est important d'établir une compatibilité,
entre les dispositions du Code du travail et celles du Code civil, d'une
manière très précise.
M. Gendron: Avant de passer à une autre question, d'abord,
je vous remercie. Vous avez signalé que c'est un problème de
taille. Moi, je ne suis pas en mesure de poser un jugement qualitatif, mais une
chose est certaine, vous auriez avantage à ce qu'un texte de
remplacement soit éventuellement offert. Vous avez
réfléchi là-dessus et vous l'avez mentionné
d'ailleurs tantôt, dans la recommandation 7 de votre mémoire,
où vous dites: "Nous proposons de remplacer le texte de l'article 2157
par une nouvelle disposition qui établirait..." Alors, vous avez
expliqué ce que vous voulez et, surtout avec l'explication additionnelle
de M. Lapierre, c'est on ne peut plus clair que vous avez une forte
inquiétude en ce sens que, s'il restait tel quel, il y aurait un danger
de semer un peu de confusion dans la jurisprudence qui existe par rapport
à l'interprétation que vous donnez. Moi, en tout cas, j'aimerais
que, éventuellement, votre réflexion s'accompagne d'un papillon
là-dessus.
Je voudrais continuer dans un autre domaine que je sais que vous
possédez à fond en terme d'expertise, compte tenu que la centrale
a toujours offert à ses salariés des protections assez
importantes dans le domaine de l'assurance... Ma première question
concerne l'intérêt sur les primes. À l'article 2500, tout
comme à l'article 2520 actuel, on stipule que "la prime ne porte pas
intérêt durant le délai de paiement - le délai de
grâce de 30 jours - sauf en assurance collective." À la page 38 de
votre mémoire, à la recommandation 18, vous voulez que cette
dispense d'intérêt s'applique aussi en assurance collective.
Alors, la question est: Est-ce qu'il n'y a pas danger que le preneur ou
l'administrateur du contrat-cadre retarde le paiement dû, qui peut
représenter un montant passablement important, j'en suis sûr, afin
d'obtenir l'intérêt sur ce montant, si on se fie à votre
recommandation 18? (10 h 30)
M. Johnston (Jules): Dans le cadre de ce que nous vivons à
la Centrale de l'enseignement du Québec, le détenteur du
contrat-cadre est la CEQ ou un comité paritaire pour un des
régimes importants que nous détenons. L'administrateur, celui qui
prélève les primes, c'est l'employeur généralement:
les commissions scolaires, les collèges, un certain nombre d'autres
institutions qui ont des délais pour remettre les primes. Ce que nous ne
comprenons pas c'est que, dans ce qui est normalement le délai de
paiement - ce n'est que là-dessus que cela porte - on ait un traitement
différent en matière d'assurance collective qu'en assurance de
personnes. On ne se cachera pas qu'actuellement, l'intérêt sur les
délais de paiement en assurance collective, n'est pas appliqué.
Évidemment, il se peut que, dans certains cas, il y ait des dangers
lorsque le détenteur du contrat est en même temps celui qui paie
la prime. Il y a un problème là, mais ce que nous vivons - et
c'est ce qu'on veut souli- gner - c'est que dans la situation actuelle, si
l'employeur retarde à payer, les assurés doivent payer
l'intérêt du retard que l'employeur a mis à payer les
primes. On trouve cela injustifiable.
M. Gendron: D'accord. J'ai également une autre question
sur la confidentialité des renseignements aux pages 54 et 55 à
votre recommandation no 38. Vous proposez, entre autres, que les renseignements
sur l'assuré provenant de l'assuré lui-même, son
médecin ou des tiers, soient tenus strictement confidentiels. Vous
mentionnez le rapport de la commission de la culture. Alors, mes deux questions
sont les suivantes: Est-ce qu'il y a eu des suites à cela? Et la Loi sur
l'assurance devrait-elle être modifiée pour en faire un devoir,
avec pénalité à l'assureur ou, est-ce plutôt dans le
Code civil qu'on devrait trouver les dispositions à cet effet,
d'après vous?
M. Johnston (Raymond): Écoutez, je vais essayer de
répondre aux divers éléments de votre question en
commençant par dire qu'à notre connaissance, le rapport de la
commission parlementaire de juin 1988 "La vie privée, un droit
sacré", n'a pas encore eu de suite. C'est probablement après un
examen qu'on pourra y donner suite. Est-ce à l'intérieur du Code
civil ou si c'est ailleurs qu'on doit prévoir les règles de
protection? Nous pensons qu'à l'égard de la protection des droits
des assurés, il y a peut-être un certain nombre de principes que
le Code civil pourrait comprendre. On n'est pas en mesure d'identifier
jusqu'où on peut aller de ce côté. Mais une chose certaine,
c'est qu'à l'égard de la protection des dossiers des
assurés, c'est plus par le biais d'une intervention législative
en dehors du Code civil que le droit pourrait être précisé
et que les mécanismes d'application, par exemple, l'élargissement
de la juridiction de la Commission d'accès à l'information, c'est
plus par une autre voie que le Code civil qu'on pourrait asseoir l'articulation
de ces principes. Est-il possible de concevoir l'introduction de certains
éléments de principe? Nous pensons que la réflexion
pourrait probablement se poursuivre sur cela, mais que c'est probablement
à l'intérieur d'un corps législatif autre que le Code
civil qu'on pourrait assurer la protection de ces éléments.
M. Gendron: Je vous remercie. M. Gariépy aimerait vous
poser une question.
Le Président (M. Marcil): Oui, allez-y!
M. Gariépy (Pierre): Aux pages 53 et 54 de votre
mémoire, à la recommandation numéro 37 vous traitez de
l'absence de l'article ou d'une disposition similaire à l'article 2499
du Code civil actuel ayant trait à l'interprétation du contrat
d'assurance en ce sens que le contrat d'assurance est interprété
contre l'assureur. Là, vous faites
état que le contrat-cadre entre le titulaire du contrat-cadre et
de l'assureur est un contrat qui, d'après vous, n'est pas un contrat
d'adhésion tel que défini à l'article 1423 de
l'avant-projet. Est-ce que vous voyez un problème concernant le fait -
comme hypothèse de travail - que l'adhérent au contrat-cadre
pourrait voir les dispositions interprétées en sa faveur, ce
serait peut-être un contrat d'adhésion quant à lui, alors
que s'il y avait litige entre l'assureur et le titulaire du contrat-cadre, les
dispositions seraient interprétées comme tout contrat ordinaire?
Est-ce que vous faites une distinction entre l'adhérent au contrat-cadre
et le titulaire du contrat-cadre ou si, pour vous, l'adhérent aurait
aussi une difficulté, laquelle serait d'être privé de
l'interprétation du contrat en sa faveur?
M. Johnston (Raymond): Je demanderai à Jean-Marcel
Lapierre de vous donner les premiers éléments de réponse
et peut-être que Jules aura à compléter, le cas
échéant.
M. Lapierre: Je pense que la difficulté pourra être
à l'adhérent ou au détenteur du contrat-cadre, parce que
le principe établi c'est qu'en dehors du contrat d'adhésion, la
disposition s'interprète contre le créancier. En matière
de prestation, le créancier sera l'adhérent et on pourrait
trouver des situations aussi où le détenteur du contrat-cadre
sera créancier d'une obligation. Alors, cela pourrait
s'interpréter contre eux et compte tenu du caractère des rapports
entre l'assureur et les assurés, on pense que c'est normal que cela
s'interprète, en cas de doute, contre l'assureur, tel que c'est
d'ailleurs prévu dans le Code civil actuellement.
Le Président (M. Marcil): Mme la députée de
Groulx.
Mme Bleau: Je vous remercie aussi. Votre mémoire nous fait
bien connaître vos préoccupations à l'égard de
l'avant-projet de loi. Au sujet de l'article 2146 qui concerne l'information et
les secrets commerciaux, j'ai une question à vous poser. Vous mentionnez
dans votre mémoire à la page 6 qu'il vous apparaît
illusoire et excessif d'interdire ainsi l'utilisation de toute information.
Vous ajoutez qu'une telle obligation est tellement large qu'elle risque de
devenir une sorte d'épée de Damoclès suspendue au-dessus
de la tête de ces personnes. Auriez-vous l'obligeance, pour le
bénéfice des membres de cette commission, d'expliquer davantage
votre opinion sur ce sujet?
M. Johnston (Raymond): Je vais demander à Jean-Marcel
Lapierre de répondre à votre question.
M. Lapierre: Si on reprend les termes de l'article, on dit que
l'employé "doit agir avec loyauté et ne pas faire usage, d'une
manière qui soit préjudiciable à l'employeur, de
l'information et des secrets commerciaux - non seulement les secrets
commerciaux, mais de toute information - qu'il obtient dans l'exécution
ou à l'occasion de son travail." Alors, on trouve que c'est vraiment
extrêmement large: l'employé qui quitte son emploi se retrouve
dans l'impossibilité d'utiliser la moindre information dans un cas
où cela pourrait nuire à son employeur. Les secrets commerciaux
et tous les cas importants sont couverts par l'obligation de loyauté.
D'exiger qu'un employé soit loyal envers son employeur, on pense que
cela peut couvrir toutes les circonstances importantes.
Mme Bleau: Je pense, entre autres, à un laboratoire
où un employé qui quitterait son emploi, si on ne met pas de
restrictions vraiment une par une en recommandant bien à cet
employé de ne pas révéler les secrets, il pourrait y avoir
des fuites et cela nuirait vraiment à la compagnie pour laquelle il
travaillait auparavant.
M. Lapierre: C'est sûr que s'il y avait l'utilisation de
secrets commerciaux, on peut penser que ce serait sûrement à
condamner; mais à notre avis, l'obligation de loyauté couvre ces
cas-là. Il ne faut pas s'embarquer dans une disposition tellement large
qu'on brime la liberté d'expression, la liberté d'utiliser des
informations qu'on a obtenues à l'occasion de son travail.
Mme Bleau: Justement, si ces informations sont importantes pour
la compagnie, afin d'éviter qu'une autre compagnie ne prenne son brevet
ou ne se serve d'une recherche, ne pensez-vous pas qu'à ce
moment-là il faut vraiment tenir l'employé au secret, parce que
s'il commence à répandre un peu les informations sur un
médicament ou sur un projet quelconque, cela pourrait vraiment nuire
à la compagnie et peut-être aussi inciter d'autres personnes
à se servir de ce secret?
M. Lapierre: Ce qu'on dit, c'est que dans le cadre de
l'obligation de loyauté et c'est effectivement couvert. D'accord?
Le Président (M. Marcil): Le temps est terminé. Si
vous voulez conclure, M. l'adjoint parlementaire.
M. Dauphin: M. le Président, j'aimerais profiter,
cependant, de la conclusion pour faire une petite mise au point, si vous me le
permettez, relativement à la page 55 de votre mémoire qui traite
de la protection des renseignements ou informations privées. J'aimerais
seulement vous signaler que dans le projet de loi 20 qui a été
adopté par les membres de l'Assemblée nationale, il y a des
dispositions de prévues qui traitent exactement de vos
préoccupations relativement à la protection des renseignements ou
informations privées.
Dans le projet de loi 20, qui n'est pas en
vigueur, mais qui a été adopté, on traite de vos
préoccupations aux articles 35 et suivants. Il y a un chapitre
précis sur la protection des renseignements privés. Je voulais
simplement faire cette mise au point-là.
M. Johnston (Raymond): Depuis le mois de juin dernier?
M. Dauphin: Excusez-moi?
M. Johnston (Raymond): Adopté depuis le mois de juin
dernier?
M. Dauphin: Adopté en avril 1987.
M. Johnston (Raymond): II me semble qu'il y a une large
différence entre la portée des recommandations de la commission
qui a déposé son rapport au mois de juin et la portée des
dispositions législatives qui existent actuellement. La commission,
elle-même, recommandait une extension de la protection, si vous vous
référez au rapport du mois de juin dernier.
Le Président (M. Marcil): Malheureusement, le temps est
écoulé, M. le député.
M. Dauphin: Nous aimerions remercier la Centrale de
l'enseignement du Québec d'avoir participé à nos travaux
et vous féliciter par la même occasion pour la qualité de
votre mémoire.
Conseil du patronat du Québec
Le Président (M. Marcil): À mon tour. Nous vous
remercions de votre présence à cette commission parlementaire et
nous vous souhaitons un bon voyage de retour. Mais je pense que vous demeurez
tous dans la région de Québec. Alors, ce ne sera pas un
problème. Merci beaucoup. Sans plus tarder, nous allons demander -
compte tenu de notre horaire que nous devons respecter - au Conseil du patronat
du Québec de s'avancer, s'il vous plaît.
M. Dufour, nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission
parlementaire. Si vous voulez nous présenter les personnes qui vous
accompagnent et, ensuite, procéder immédiatement à
l'exposé de votre mémoire, tout en sachant que nous y avons
déjà travaillé.
M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président. Mes deux
collègues sont, à ma gauche, Me Michel Sylvestre qui est du
bureau d'Ogilvy Renault et, à ma droite, Me Claude Martin qui est du
bureau Heenan, Blaikie.
M. le Président, mesdames, messieurs, vous avez
déjà reçu notre mémoire qui est très
technique, soit dit en passant. Alors, je ne vous lirai pas ça au
complet. Je vais surtout lire l'introduction qui résume, pour
l'essentiel, notre position dans ce dossier. (10 h 45)
Vous vous êtes d'abord rendu compte qu'on ne s'est pas
attardés à l'ensemble de la réforme du Code civil. Nous
avons travaillé, par ailleurs, avec d'autres groupes qui viendront ou
qui sont venus devant vous, de la Chambre de commerce de la province, les
concessionnaires d'automobiles, le Bureau d'assurance du Canada, une compagnie
d'assurances sur les personnes, on a travaillé avec eux de façon
plus particulière dans ce dossier. Nous, nous nous sommes
attardés exclusivement aux articles qui réfèrent au
contrat de travail et nous avons réalisé que simplement dans
cette dizaine d'articles, on aurait pu travailler encore très longtemps
et que surtout vous aurez à travailler encore très longtemps pour
rendre davantage acceptables ces articles. Je dois vous dire que, dès le
départ, on exprime un certain malaise face à la teneur de
l'avant-projet de loi, toujours en relation avec ces articles, en raison d'une
diversité de constatations qui, selon nous, remettent en question le
bien-fondé même d'une telle révision, telle révision
s'entendant toujours encore des articles relatifs aux contrats de travail.
Voici les raisons pour lesquelles nous nous interrogeons quant à
la pertinence des quatorze articles en question, pris séparément
ou pris en bloc. Ils ne sont qu'une confirmation ou une codification de la
jurisprudence actuelle. Ils font souvent double emploi avec des lois
existantes. Ils promettent des difficultés d'interprétation. Ils
suggèrent de nouveaux motifs de recours, ce qui alourdirait un processus
judiciaire déjà complexe. Ils ne reconnaissent pas
l'évolution des dernières années dans le domaine du droit
du travail, droit qui a évolué très vite. Ils
représentent des tentatives de compléter des lois d'ordre
statutaire, dont la Loi sur les normes du travail, et la partie III du Code
canadien du travail où ils revêtent un caractère radical
qui ne respecte aucunement la tradition juridique en droit civil au
Québec. Je reprends chacune de ces affirmations pour les appuyer.
Au chapitre de la confirmation ou codification de la jurisprudence
actuelle, par exemple, on peut observer que beaucoup d'éléments
contenus dans les articles 2144, 2146, 2150 et 2153 se retrouvent dans la
jurisprudence actuelle, à savoir, comme exemple, la définition du
contrat de travail, la manière dont un employé doit accomplir son
travail, la question de sa loyauté envers son employeur, le
préavis nécessaire à la résiliation du contrat, le
droit à une indemnité de l'employé dont l'avis de
congé est insuffisant, etc.
Deuxièmement, double emploi avec des lois existantes. Par
exemple, un article - qui est le 2145 - stipule que "l'employeur... doit
prendre toutes les mesures appropriées à la nature du travail, en
vue de protéger la vie, l'intégrité et la dignité
de l'employé" ce qui, de toute évidence, au texte, est une
reproduction du contenu des articles 2 et 9 de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail et même de l'article 4 de la
Charte des droits et des libertés de la personne, même
texte dans deux lois reproduit ou à peu près ici, pour un
amendement possible au code. Autre exemple, le premier alinéa de
l'article 2151 qui stipule que le décès de l'employé met
fin au contrat de travail reprend, quant à lui, l'article 1668 du Code
civil qui précise à peu près la même chose.
Troisième volet, difficultés d'interprétation.
L'avant-projet de loi comporte certaines ambiguïtés tant à
l'égard de certains concepts qui manquent de clarté que du
vocabulaire utilisé. Un exemple encore à l'article 2144, les
termes "sous la direction ou le contrôle" portent à confusion
puisque, dans certains cas, ces deux fonctions peuvent être
exercées par des entités distinctes tandis que le contrat de
travail, selon toute la jurisprudence qui s'est établie depuis les
premiers travaux de l'Office de révision du Code civil en 1978, est "une
entente selon laquelle une personne (un employé) s'engage à
travailler pendant un certain temps pour une autre (qui est l'employeur) sous
sa direction et moyennant rémunération". On peut citer d'autres
articles à cet égard, 2150, 2151 et nous savons
déjà que l'article 45 du Code du travail sur lequel l'article
2156 semble avoir été calqué pose d'énormes
difficultés d'interprétation et nous ne comprenons guère
l'utilité de le reprendre. D'ailleurs je reviendrai sur l'article 45 du
Code du travail avec lequel on a énormément de problèmes
et que l'on retrouve carrément ici. Je vais préciser un peu plus
cela tout à l'heure.
Autre constatation, c'est qu'on a de nouveaux recours. La Commission des
droits de la personne et la Commission de la santé et de la
sécurité du travail administrent déjà des
mécanismes de recours dont un employé peut se prévaloir
s'il se sent lésé dans ses droits en raison du comportement de
son employeur. L'application de l'article 2145 donnerait à
l'employé un nouveau motif de recours et ralentirait sérieusement
le processus de l'administration de la justice pour à peu près
les mêmes préoccupations, les mêmes problèmes.
Autre constatation qui fait référence à
l'évolution du droit du travail. Dans notre optique, l'impression qui
ressort d'une lecture de l'avant-projet au chapitre, toujours, du contrat de
travail est qu'au fond, rien n'aurait encore été fait pour
améliorer et faciliter les relations entre employeurs et
employés, que ce soit sur le plan individuel ou sur le plan collectif.
Or, la Loi sur les normes du travail qui est quand même récente,
elle remonte à environ cinq ans, et la Loi sur la santé et la
sécurité du travail qui remonte à 1982, sont des exemples
concrets que cette amélioration a été faite, et on ne voit
aucun reflet de ces nouvelles lois des cinq, six, sept et huit dernières
années dans cette section relative au contrat de travail.
Autre grande constatation. Complémentarité des lois
d'ordre statutaire. On estime que l'objectif des dispositions du Code civil
relatives au contrat de travail n'est pas de suppléer aux lacunes de nos
lois statutaires existantes ni de les compléter, mais plutôt de
présenter une perspective générale pour en faciliter
l'interprétation, modifiant comme vous le faites, comme
législateur, au fur et à mesure de l'évolution de la
jurisprudence, des problèmes rencontrés et modifiant les lois au
fur et à mesure, comme la loi sur la santé et la loi sur les
normes, la charte, etc.
Nous nous interrogeons donc sur l'utilité d'introduire des
changements qui viennent bouleverser un modus vivendi qui a subi le test des
années et dont l'objet n'est que de compléter nos lois actuelles.
On pense, plus particulièrement ici, aux articles 2150 et 2153 qui nous
apparaissent comme des tentatives de compléter la Loi sur les normes du
travail.
Le caractère radical également des propositions. L'article
2156 qui précise que "l'aliénation, la concession ou la
transmission de tout ou partie de l'entreprise, ou la modification de sa
structure juridique par fusion ou autrement, ne met pas fin au contrat de
travail" revêt pour nous un caractère radical car il renie un
principe fondamental de la jurisprudence selon lequel le contrat de travail
s'établit entre la personne de l'employé et la personne de
l'employeur.
Je voudrais parler un peu de l'article 45 qui est à la page 15 de
notre mémoire. La mise en vigueur de cet article qui est l'article 2156
nous inquiéterait pour plusieurs raisons. Là, on en donne six ou
sept. Je les reprends rapidement. C'est peut-être, pour nous, l'article
le plus important de ce projet de réforme: "Le Code du travail ne va pas
aussi loin que garantir l'emploi; pourquoi le Code civil le ferait-il?"
Deuxièmement, l'article 45 du Code du travail, pour ceux qui sont moins
familiers avec l'article 45 du Code du travail, c'est tout le fameux article
sur la sous-traitance. M. Filion, je sais qu'on peut se parler longtemps de
l'article 45. Donc, l'article 2156 semble avoir été calqué
sur cet article, à la seule différence que ce dernier pourrait
s'appliquer maintenant aux non-syndiqués, aux cadres et absolument
à tout le monde. Bien sûr, compte tenu des difficultés
actuelles qu'on connaît, l'élargissement créerait
d'énormes difficultés. Donc, l'application de cet article
alourdirait le fonctionnement du secteur de la sous-traitance qui, doit-on le
rappeler, est le plus important créateur d'emplois au Québec et
qui subit déjà des perturbations majeures à la suite de
l'application de l'article 45.
Quatrième objection. La modification de la structure juridique
est un élément nouveau apporté par l'article 2156 mais
nous craignons qu'elle ne serve qu'à complexifier les enjeux
afférents à cette disposition. La préoccupation majeure
qu'on a et qu'on identifie au point 5, la vente en justice qui est exclue par
l'article 45 du Code du travail serait assujettie aux dispositions de cet
article du Code civil, ce qui est, quant à nous, inacceptable.
Là, on pourrait poser
toute une série de questions: Pourquoi le fait-on pour les ventes
en justice? Pourquoi ne le fait-on pas pour les faillites? Est-ce que c'est
exclu quand on parle de faillite? Quand une banque, par exemple, devient
créancier bancaire, est-ce qu'elle hérite automatiquement de
toutes les exigences qui existaient chez l'employeur antécédent?
Donc, il n'y a pas de réponse à cela. On ne sait pas si c'est
inclus ou exclu, etc.
Finalement, selon la jurisprudence, le contrat de travail
s'établit entre la personne de l'employé et souvent la personne
de l'employeur. Mais cet article minimise cette réalité ainsi que
le caractère relatif du contrat, en précisant que la personne de
l'employeur peut varier selon la structure juridique ou la
propriété de l'entreprise, sans pour cela mettre fin au contrat
de travail.
Donc, un nouvel employeur - et on sait que dans notre système
aujourd'hui ça se fait très souvent des ventes d'entreprises -
serait dans l'obligation non seulement de s'astreindre aux dispositions de
l'article 45 du code, mais serait, en plus, tenu de respecter des obligations
qu'il n'a d'aucune façon contractées. Finalement, on attire votre
attention sur la façon dont l'article est rédigé. Il y a
des juristes qui regardent ça pour vous, on a l'impression que la
façon dont le texte est fait actuellement, on cherche à
légiférer sur les transmissions d'entreprises de juridiction
fédérale qui surviennent au Québec. Alors, c'est
peut-être prêter au législateur des intentions qu'il n'a
pas, ou il ne cherche peut-être pas à le faire, mais iI n'en
demeure pas moins que la portée, l'effet de toutes les dispositions,
peut être, notamment, de réglementer le contrat de travail
existant entre un employeur et un employé au sein d'une entreprise de
juridiction fédérale oeuvrant au Québec, alors qu'on le
sait très bien - avec la décision qui vient d'être prise
dans le cas de Bell Canada, notamment sur la Loi sur la santé et la
sécurité du travail - il ne faut pas essayer de couvrir des
questions de relations de travail qui sont de juridiction
fédérale. On se fait toujours débouter par les tribunaux
dans ces dossiers.
Alors, je termine en disant qu'on peut se demander si les dispositions
qui sont là sont d'ordre public. Je sais que l'intention du
législateur est sûrement de faire en sorte qu'elles le soient. On
peut prétendre, par ailleurs, que ce n'est pas le cas - parce que quand
on prend un article qui est l'article 2153, au deuxième alinéa,
on prévoit spécifiquement qu'une personne ne peut renoncer au
droit prévu au premier alinéa de cet article - alors, a
contrario, serait-il possible de renoncer aux autres dispositions relatives au
contrat de travail contenues dans ce chapitre? C'est une question de fond. Il
semble bien qu'il y ait juste un deuxième paragraphe qui est d'ordre
public.
En résumé, M. le Président, au chapitre du contrat
de travail, nous estimons que l'avant- projet n'apporte que peu
d'éléments nouveaux valables et, dans son ensemble, ne propose
qu'un double emploi avec des lois existantes, des lois dont on n'a pas tenu
compte et qui sont quand même importantes et qui, au cours des
dernières années, se sont ajoutées à notre
régime des relations de travail. Avec la jurisprudence qui s'est
établi, notamment avec l'article 45 du code au niveau du tribunal du
travail - on propose des ajustements en apparence anodins mais qui
entraîneraient de nouvelles difficultés d'interprétation
dans un domaine - et je le dis après le passage de CEQ - où la
clarté des concepts et des intentions est essentielle. D'ailleurs, vous
avez interrogé une de leurs préoccupations face à un
article où, nous aussi, on s'interroge exactement dans les mêmes
termes à cause de l'ambiguïté que peut présenter
l'interprétation de cet article.
Donc, M. le Président, pour tous ces motifs et en
référence aux quatorze articles, nous ne pouvons appuyer
l'avant-projet, section droit du contrat de travail, dans sa forme
actuelle.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. Dufour.
Maintenant, je veux reconnaître M. le député de Marquette,
adjoint parlementaire au ministre de la Justice.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. Tout d'abord
j'aimerais, au nom du ministre de la Justice du Québec, souhaiter la
bienvenue au Conseil du patronat du Québec, à M. Dufour et aux
deux conseillers juridiques qui l'accompagnent, M. Dufour qui est
spécialiste d'ailleurs dans les commissions parlementaires et qu'on a eu
l'occasion de voir très régulièrement.
Ma première question, évidemment, porte sur votre
énoncé disant que cette révision est un peu
superfétatoire - si vous me permettez l'expression - et selon vos dires
que des lois existantes traitent déjà des sujets qui font
effectivement l'objet du chapitre septième relativement au contrat de
travail. On m'informe et d'ailleurs, en pratique comme député,
j'ai eu l'occasion aussi de me rendre compte que ce n'est pas d'application
générale, c'est que les deux lois dont vous faites état ne
couvrent pas nécessairement tout le monde. À titre d'exemple -
certains travailleurs agricoles, des cadres bien souvent - la Loi sur les
normes minimales du travail ne s'applique pas si un employé n'a pas
travaillé tant d'années chez le même employeur. Alors, ma
première question est la suivante: Est-ce que, relativement à
l'une ou à l'autre des deux lois énoncées tantôt,
vous ne trouvez pas que dans certains cas, elles ne s'appliquent pas
nécessairement? Vous ne trouvez pas qu'il n'y a pas lieu, pour le
législateur justement, de combler ces cas qui ne s'appliquent pas pour
certains employés? (11 heures)
M. Dufour (Ghislain): Je vais demander à Me Martin de
compléter ce que je vais dire. Une
première réaction rapide. Je pense à la loi sur les
normes. Elle couvre à peu près tout le monde. Elle couvre le
cadre. Il y a toute une série de prévisions faites, par exemple,
pour les gardiennes à la maison, pour les femmes de ménage. Il y
a des particularités dans la Loi sur les normes pour un certain nombre
de travailleurs. Pour les travailleurs agricoles, c'est vrai, dans certains
cas, il y a des conditions différentes. Par exemple, on va payer le
temps supplémentaire seulement après 60 heures. On va faire des
étalements. Déjà dans la Loi sur les normes, il y a un
certain nombre de prévisions pour ces travailleurs. Elle est
d'application générale. Mais il y aurait des choses qui ne sont
pas couvertes dans cette loi.
Quant au Code civil, vous ne pouvez pas, parce que vous avez trois
exceptions à aller chercher, couvrir tout le monde. Sinon, cela va
être le désastre. On ne saura jamais à quelle loi on va se
référer. Si on veut se chicaner en relations de travail, M. le
député, on va se chicaner longtemps. On va appliquer une loi, on
va aller s'en chercher une autre. Je ne pense pas qu'on doive - parce qu'il y
aurait peut-être dans certaines lois, dans le Code civil, une ou deux
non-couvertures - pour couvrir tout le monde, chercher de nouveaux concepts,
une nouvelle jurisprudence, alors qu'elle existe déjà. C'est une
réponse de non-juriste. Je vais demander maintenant à un
juriste.
M. Martin (Claude): M. le Président, la question de
l'application conjointe des normes du travail, d'une part, de la Loi sur la
santé et la sécurité du travail, d'autre part, ou encore
de la Charte des droits et libertés de la personne, pose le
problème suivant. Je rejoins un peu ce que M. Dufour a dit, c'est une
question de clarté à l'endroit du justiciable. Chaque loi, quelle
qu'elle soit, qu'il s'agisse du Code civil ou encore des lois
particulières, a en principe ses propres mécanismes de sanction
ou ses propres mécanismes pour faire reconnaître ce droit.
Si le législateur, dans un souci de protéger tout le
monde, crée des recours, des définitions ou des normes qui se
retrouvent dans plusieurs lois, il crée, par le fait même,
d'autant plus de recours. Ce faisant, évidemment, malgré toute sa
bonne volonté et malgré son intention louable, il complique le
domaine des relations de travail. C'est cela la difficulté de la
situation. Par exemple, la Charte des droits et libertés de la personne
reconnaît à l'employeur l'obligation, ni plus ni moins, de
protéger l'intégrité physique du travailleur. Il en est de
même dans la Loi sur la santé et la sécurité du
travail. Si un employé prétend qu'un employeur a failli à
son obligation statutaire de protéger son intégrité
physique en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du
travail, il a droit de recours devant la Commission de la santé et de la
sécurité du travail, ses bureaux de révision, ses
inspecteurs, enfin toute la mécanique qui est en elle-même assez
lourde et assez complexe. Si, par surcroît, on précise que cette
obligation fait partie intégrante du contrat de travail, ce même
justiciable, à la même occasion, pourra s'adresser aux tribunaux
de droit commun pour demander la sanction de cette obligation. Puisque les
recours vont avoir des fondements juridiques différents, l'un
s'ap-puyant, par exemple, sur la Loi sur la santé et la
sécurité du travail, l'autre s'appuyant sur le Code civil, ou
encore sur les dispositions relatives au contrat de travail dans le Code civil,
il n'y aura pas litispendance, car le fondement juridique n'est pas le
même. On pourrait se retrouver dans une situation où un organisme
dit, par exemple: Non, il n'y pas atteinte à la santé ou à
la sécurité du travailleur concerné. Alors qu'un tribunal,
dans une autre circonstance, dira: Oui, il y a atteinte. Ce qui
nécessite, évidemment, une sanction, laquelle pourrait avoir la
forme des dommages et intérêts. C'est la crainte que le Conseil du
patronat et le monde patronal expriment. Je ne vous cache pas que c'est
peut-être une crainte partagée par d'autres intervenants dans le
milieu des relations de travail.
M. Dufour (Ghislain): Si vous me permettez d'ajouter un
élément. La partie de l'argument que vous me donnez, M. le
député de Marquette, en ce sens qu'il y a des gens qui ne
seraient pas couverts par certaines lois. Cela ne peut être le cas de la
Charte des droits et libertés, qui a une application universelle,
où on retrouve vraiment la question de la couverture de santé et
sécurité. S'il y a un problème de non-couverture quelque
part dans la Loi sur les normes du travail, qu'on l'ajoute aux normes. Avec le
consentement de l'Assemblée nationale, on va convenir de ce genre de
choses pour régler un problème, mais qu'on n'ajoute pas des
possibilités de recours, où les gens ne sauront plus où
aller. C'est la même chose pour les lois dont on parle très peu:
la loi 17, Loi sur la santé et la sécurité du travail, la
loi 42, Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles,
qu'on n'a pas citées. Elles sont d'application universelle.
M. Dauphin: À l'article 2151, M. Dufour, relativement
à la fin du contrat de travail, on dit que "le décès de
l'employé met fin au contrat de travail". Justement, l'organisme qui
vous a précédé nous a fait des représentations en
ce sens que le décès ne devrait pas mettre fin au contrat de
travail. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
M. Dufour (Ghislain): Comment ont-ils justifié cela? Je
voudrais comprendre. Pourquoi cela n'y mettrait-il pas fin? Quel est leur
argument?
M. Dauphin: C'est à la page 13 de leur mémoire, je
pense. Ils disent: "Le décès ou l'inaptitude de l'employeur ne
doit, à notre avis,
mettre fin au contrat que dans les cas où ils entraînent
nécessairement la disparition de l'emploi."
M. Dufour (Ghislain): Vous parlez de l'inaptitude...
M. Dauphin: Par exemple, quelqu'un qui a un garage et qui
meurt.
M. Dufour (Ghislain): Inaptitude de l'employé ou de
l'employeur?
M. Dauphin: Je parle de l'employeur. M. Dufour (Ghislain):
Alors, maître...
M. Sylvestre (Michel): On ne voit pas non plus tellement pourquoi
le décès de l'employeur devrait en soi mettre fin au contrat de
travail. C'est pourquoi on partage jusqu'à un certain point le point de
vue de la CEQ. On n'a pas entendu tout ce qu'ils ont dit là-dessus.
Mais, effectivement, l'article 2551 traite, jusqu'à un certain point,
l'inaptitude de l'employé ou de l'employeur ou le décès de
l'employé ou de l'employeur de la même façon, alors qu'on
n'est pas du tout dans la même situation. L'employé peut
très bien continuer à travailler pour l'entreprise, même si
la personne physique de l'employeur est décédée. On ne
voit pas pourquoi l'article 2551 prévoit ce qu'il prévoit
actuellement.
M. Dufour (Ghislain): Évidemment, c'est pour cela que je
vous ai demandé s'il s'agissait de l'employeur ou de l'employé.
On ne voit pas comment l'employé qui est décédé
peut continuer son contrat. Mais, en plus de ce que vient de dire mon
collègue, on ne définit pas, même au plan de l'inaptitude
de l'employé, s'il s'agit d'une inaptitude physique. Cela, c'est facile
à évaluer, surtout dans le cadre de la loi 42, la Loi sur les
accidents de travail et maladies professionnelles, actuellement. Il y a toutes
les notions de consolidation, si la maladie n'est pas consolidée, etc.
Mais si on parle d'inaptitude intellectuelle dans le Code civil, les
juges vont s'amuser. On doit dire que tous ces points, on les présente
d'ailleurs sous forme de questions, pas nécessairement sous forme de
position formelle. Tu veux ajouter?
M. Sylvestre: Si on revient à la question de l'inaptitude,
vous allez provoquer des débats théoriques très
intéressants devant les tribunaux, selon la façon dont votre
projet d'article est formulé. Quand on parle d'inaptitude totale, est-ce
qu'on parle d'inaptitude totale en général ou parle-t-on
d'inaptitude à effectuer le travail qui a été convenu
entre l'employeur et l'employé? Selon nous, cela va provoquer des
débats complètement inutiles devant les tribunaux. Il est
manifeste, me semble-t-il, qu'on parie d'inapti- tude à effectuer le
travail, et non pas d'incapacité permanente à 100 % de la
personne qui est l'employée. Pourquoi ne pas le dire comme on le disait
dans l'article 1668? On ne parle pas du caractère permanent ou
temporaire de l'inaptitude. Est-ce que le fait, pour un employé,
d'être inapte à effectuer le travail pour une période d'un
mois à la suite d'un accident d'auto met fin au travail ou non? Ce n'est
pas précisé dans le projet de loi. La jurisprudence le
précise déjà en appliquant la formulation
différente de l'article 1668. Mais, encore une fois, en changeant la
formulation de façon aussi draconienne, vous allez provoquer des
débats théoriques inutiles devant les tribunaux.
M. Dauphin: D'accord, merci. Avec la permission du
président et l'amabilité de mon collègue de Taillon,
j'aimerais demander à Mme la députée de Groulx de poser
une question.
Mme Bleau: Dans le travail convenu, vous vous opposez au concept
de fournir le travail convenu. Vous prétextez qu'il s'agit là
d'une interdiction et d'un refus de reconnaître le droit de l'employeur
à faire progresser son entreprise et par voie de conséquence, de
modifier le travail, ce qui mènerait à une paralysie possible du
contrat de travail. Ne croyez-vous pas qu'en l'absence d'un tel contexte, un
employeur pourrait tout simplement substituer un travail de qualité
nettement inférieure à celui qui avait été
proposé à l'employé, ce qui pourrait équivaloir
à une mise à pied? Que pouvez-vous nous dire à ce
sujet?
Le Président (M. Marcil): Me Sylvestre.
M. Sylvestre: Je crois que c'est une question de formulation
essentiellement. Si on prend l'exemple de la location de choses ou du bail, on
prévoit une formulation qui est un peu plus proche, je pense, de votre
intention. On prévoit qu'on ne peut pas changer la destination de la
chose louée. Ici, ce que vous voulez dire, je crois, c'est que vous ne
voulez pas changer la nature de l'emploi qui a été convenu entre
les parties, mais d'après la façon dont vous le formulez "fournir
le travail convenu", il va y avoir, encore une fois, des débats
théoriques devant les tribunaux pour savoir s'il faut que ce soit
exactement le travail qui a été convenu. Autrement dit, si on ne
change pas la nature du travail mais qu'on en change certaines
modalités, il y a des gens qui vont prétendre devant les
tribunaux, peut-être avec succès, qu'il y a contravention à
l'article 2145 ou au projet 2145 que vous avez devant vous. Ce n'est pas
tellement sur le principe comme sur la formulation, je crois, que
l'intervention porte.
Le Président (M. Marcil): Cela va! M. le
député de Taillon.
M. Dufour (Ghislain): Si vous me le permettez, je voudrais
seulement ajouter un commentaire à cette intervention, parce que je
pense qu'elle est au centre de toutes nos préoccupations. Dans la
majorité des rejets que l'on fait, ce n'est pas tellement parce qu'on
est en désaccord avec l'objectif poursuivi, mais plutôt avec la
façon dont la rédaction est faite, qui va prêter à
n'importe quelle interprétation. C'est le plus bel exemple, et ce sont
les quatorze articles qui sont comme ce\a.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. Dufour. M. le
député de Taillon.
M. Filion: Bienvenue à M. Ghislain Dufour,
président du Conseil du patronat du Québec ainsi qu'à ses
deux conseillers juridiques, Me Martin et Me Sylvestre.
J'ai écouté attentivement vos propos. J'avais lu votre
mémoire. Je vous avoue que moi aussi - c'est un vieux dada - j'aimerais
faire en sorte que soit regroupé dans un même texte l'ensemble des
conditions qui concernent le travail. J'aurais aimé, à
l'époque, pouvoir avancer, lorsque j'avais peut-être un mot
à dire un peu plus différent au sein du pouvoir exécutif
que maintenant dans ce milieu. On apporte toutes sortes de raisons et
rationnellement, on peut les expliquer. On a la charte. La charte, à
l'article 46, dit: "Toute personne qui travaille a droit, conformément
à la loi..." On pourrait nous dire: Écoutez, c'est un principe
général, c'est au-dessus des lois, mais on se
réfère à la loi, donc, on ne crée pas beaucoup de
droits substantifs. Ensuite, il y a le Code du travail. Le Code du travail
s'applique à des syndiqués. Il ne s'applique pas a des personnes
non syndiquées. On s'en va alors à la Loi sur les normes du
travail, mais celle-ci fixe des normes. Est-ce que, par exemple, on pourrait
inclure tout ce que le législateur veut faire en ce qui a trait à
la stipulation de non-concurrence dans la Loi sur les normes du travail? Il y a
un débat et on pourrait dire oui ou non. Il y aurait des arguments des
deux côtés. Il y a aussi, vous l'avez souligné, la Loi sur
les accidents du travail et la Loi sur la santé et la
sécurité du travail, des blocs importants.
Je souhaiterais, je pense, pour une plus grande clarté, qui est
précisément l'objectif visé par le président du
Conseil du patronat du Québec et qui est aussi celui, grosso modo, des
travailleurs - eux aussi ont besoin de voir clair dans un contrat qui est
essentiel, fondamental, soit le contrat de travail, car on passe une bonne
partie de nos vies à travailler - de regrouper cela comme on le fait
dans d'autres juridictions. Si on regarde dans d'autres pays, on n'a pas
hésité à regrouper l'ensemble des lois du travail dans une
même codification ou dans un même texte. Là aussi on peut
discuter, mais l'important serait de regrouper et d'éviter la
répétition, etc.
Or, est-ce que ce serait possible de faire cela maintenant? Je dis
pourquoi pas? Cela vaudrait la peine qu'on y réfléchisse.
Peut-être qu'il y a des arguments contre, mais, à mon avis, je
souhaiterais qu'au ministère de la Justice, on profite du fait que nous
sommes à l'étape de l'avant-projet de loi pour se poser la
question sérieusement. C'est une suggestion de l'Opposition, laquelle
serait prête à collaborer. Ce serait un travail qui viserait
à revoir pour éviter des redites, pour éviter aussi de
changer de texte de loi. (11 h 15)
Aujourd'hui, juste les conventions collectives de travail sont
difficiles à saisir. Vous aviez comme invité avant moi la CEQ. La
convention collective des enseignants au Québec, le président de
la commission en sait quelque chose, est déjà suffisamment
complexe. Donc, je ferme ma parenthèse d'ouverture là-dessus.
En attendant, le Conseil du patronat nous fait une série de
suggestions et de commentaires sévères dans l'ensemble. Il y a
quand même peu de chose positive dans les articles 2144 et suivants, mais
il y a certains points sur lesquels on ne peut pas dire que c'est
déraisonnable. Concernant le décès de l'employeur, je suis
porté à vous donner raison. C'était bon dans le temps de
Michel-Ange, alors qu'il dirigeait les opérations au plafond de la
chapelle. S'il mourait, évidemment tout le monde arrêtait. On peut
voir que si le plus petit épicier ou même un
ébéniste de Saint-Lambert qui a trois ou quatre employés
meurt, généralement l'entreprise continue quand même. Le
législateur a pris soin de dire "suivant les circonstances", mais il me
semble qu'on va un peu loin là-dessus. Ce serait dangereux, cela
prête à confusion, etc.
Deuxième point, la clause de non-concurrence. Là, je n'ai
pas la solution. Vous dites: Étant donné qu'on crée un
fardeau de la preuve, de raisonnabilité de la clause, ce serait
extrêmement dangereux au chapitre des demandes d'injonctions
interlocutoires et provisoires. Je suis un peu porté à vous
donner raison, parce que lorsque le juge reçoit une demande d'injonction
interlocutoire et provisoire, il fonctionne selon les vieux critères de
balance des inconvénients, prépondérance. Alors, si on
crée une présomption, est-ce qu'à ce moment-là,
pour toutes les clauses de non-concurrence dont un ex-employé voudrait
se débarrasser, il n'y aurait pas lieu de se présenter rapidement
devant un juge et de dire: C'est l'autre qui a le fardeau de la preuve?
Voulez-vous, en attendant, la casser pour que je puisse travailler? Si je
comprends l'idée de renverser le fardeau de preuve, est-ce
nécessaire d'aller aussi loin qu'un renversement total et de
créer une présomption? Je ne le sais pas.
Ma première question porte sur cette clause de non-concurrence.
On sait qu'elle foisonne maintenant. Elle est de plus en plus courante,
notamment en ce qui concerne les cadres des
entreprises. Est-ce que le Conseil du patronat favorise une loi sur ces
clauses de non-concurrence, une intervention du législateur qui codifie
en bonne partie la jurisprudence actuelle ou si le Conseil du patronat nous
dit: Ne vous mêlez pas de ça, laissez les tribunaux continuer de
créer le droit à ce niveau-là?
M. Dufour (Ghislain): M. le Président, j'aimerais
retourner en arrière sur l'intervention préliminaire de Me
Filion. Je dois dire au Parti libéral que nous appuyons cette position
de l'Opposition qui, d'ailleurs, se retrouve dans le rapport de la Commission
Beaudry sur les relations du travail. Il y avait toute une série de
recommandations dans ce rapport avec lesquelles nous n'étions pas
d'accord - dont la création d'une commission des relations du travail -
mais il y avait cette proposition de codification, de façon à ce
que l'on puisse avoir dans ce domaine un volume qui nous dit d'une page
à l'autre tout ce qui doit se passer dans le domaine des relations du
travail: tes rapports individuels, tes rapports collectifs, ta santé et
la sécurité au travail, etc., avec l'objectif aussi d'en arriver
à des définitions de termes - par exemple un salarié - qui
soient les mêmes dans le Code, dans la Loi sur la santé et la
sécurité du travail. D'ailleurs, il y avait eu unanimité
patronale-syndicale à la suite du rapport Beaudry là-dessus.
C'est bien évident qu'en faisant l'examen que l'on fait aujourdh'ui, on
ne semble pas du tout s'orienter dans ce sens, parce qu'on veut encore
cristalliser une loi de laquelle un certain nombre de travailleurs essaieront
de se dépêtrer et d'autres dont nous allons essayer de nous
dépêtrer. En tout cas, dans la démarche qui serait reprise,
pas nécessairement par le ministre de la Justice, parce que c'est
peut-être celui du Travail - on ne sait pas - s'il y avait un
coordonnateur qui essayait d'établir la codification, c'est, pour nous,
très important.
Sur la question plus précise de la clause de non-concurrence,
c'est probablement la clause la plus difficile actuellement pour les avocats
qui jouent avec les contrats de travail. Finalement, une grosse partie de leur
"business" est en relation avec ça, lorsqu'il faut agir au niveau des
cadres supérieurs. Dans la réalité, Me Sylvestre peut vous
dire comment cela se fait et pourquoi on s'oppose à la façon dont
c'est présenté ici. Après ça, je pourrai vous
donner, politiquement, notre position sur votre question précise, si
l'on veut que ce soit là ou pas.
Le Président (M. Marcil): Me Sylvestre.
M. Sylvestre: Si on examine attentivement l'article 2148, nous
soumettons que cet article risque de créer beaucoup plus de
problèmes qu'il ne va en régler. Regardons d'abord le
renversement du fardeau de la preuve. C'est très difficile à
accepter du point de vue de l'employeur. Laissez-moi vous donner un exemple
pourquoi on s'y oppose. Tantôt, on parlait des critères de
l'injonction. Mais, allons-y de façon plus précise.
Je vous vends mon entreprise et je vous impute des frais de 1 000 000 $
pour l'achalandage de mon entreprise. Vous m'engagez pour une certaine
période de temps, afin de vous aider à administrer l'entreprise
et je signe une clause de non-concurrence pour ne pas aller chercher
l'achalandage que je viens de vous vendre. À la suite de tous ces
événements, deux mois après, je quitte l'entreprise et je
vous fais concurrence. Je vais rechercher l'achalandage que je viens de vous
vendre pour la somme de 1 000 000 $. En deux mots, c'est du vol, cela.
Vous écrivez dans votre projet de loi à l'article 2148 que
ce serait à la personne qui a été lésée,
à la personne qui a été volée - on vient de lui
voler son achalandage - de prouver que sa clause n'est pas abusive. C'est
très difficle d'accepter un tel renversement du fardeau de la preuve
dans ce contexte. Évidemment, vous allez me dire que toutes les clauses
de non-concurrence ne sont pas stipulées dans le cadre d'une vente
d'entreprise, ce qui est parfaitement vrai. Mais votre article ne fait aucune
distinction.
C'est très difficile de codifier un droit aussi complexe quand on
essaie de le faire en donnant des exemples, comme à l'article 2148.
Votre article serait beaucoup plus acceptable s'il se terminait après le
mot "abusive" à la deuxième ligne. La beauté de l'esprit
législatif civiliste, c'est de codifier des principes
généraux, parce que c'est à peu près impossible de
prévoir toutes les situations qui peuvent se présenter.
Dans votre article 2148, vous écrivez, par exemple, le mot
"notamment". Vous allez introduire un nombre de débats faramineux juste
avec ce mot-là, parce que les critères que vous
énumérez sont tous ceux-là, sont l'ensemble, la
totalité des critères présentement utilisés par les
tribunaux pour décider si les clauses sont abusives ou non.
Alors, les juges et les avocats vont se gratter la tête pour se
demander s'il y en a d'autres et ils vont probablement en inventer d'autres.
Avec votre mot "notamment", vous venez de changer les règles du jeu et
vous ne savez pas exactement comment, parce qu'on ne peut pas prévoir ce
que les tribunaux décideront sur la base de ce mot "notamment", d'ici
dix ans, vingt ans, trente ans.
Alors, il me semble que dans un domaine aussi complexe, si vous voulez
codifier - on n'en voit pas vraiment la nécessité, parce que le
système actuel fonctionne assez bien - codifiez des principes
généraux. Ne donnez pas des exemples qui risquent de se retourner
contre le rédacteur, parce qu'il va y avoir nécessairement des
situations imprévues qui vont être soulevées.
Autre exemple. Le mot "lieu" qui apparaît à la ligne 3.
Généralement parlant, une clause de non-concurrence doit
être limitée dans le temps,
dans l'espace et quant aux activités qui sont visées. Par
contre, les tribunaux ont également jugé que les clauses qui
interdisent la sollicitation de clientèles sont valides, même si
le territoire n'est pas limité, parce qu'on a une limitation implicite
de territoire, la clientèle étant dans un certain territoire.
En mettant le mot "lieu" à la ligne 3, vous venez de faire
disparaître cette jurisprudence. Montesquieu disait qu'il faut manipuler
les lois avec des mains tremblantes. Il me semble que, dans ce domaine, il y
aurait peut-être avantage à trembler un peu plus, parce que vous
allez - je le soumets - sinon changer les règles du jeu, provoquer de
longs et coûteux débats, et cela va coûter de l'argent tant
aux employeurs qu'aux employés, parce qu'on va s'en aller devant la Cour
supérieure. On va débattre de ça pendant trois jours. Deux
ans plus tard, on va se retrouver devant la Cour d'appel. On va débattre
de ça pendant un avant-midi. Après, si la Cour suprême
trouve cela intéressant, on va avoir une autre période de deux
ans et on va se rendre à la Cour suprême du Canada et 30 000 $, 40
000 $, 50 000 $ d'honoraires plus tard, on va se faire dire que la situation
n'a pas changé par rapport à la situation antérieure au
niveau jurisprudentiel ou législatif. Pour résumer, ce serait
beaucoup plus prudent de s'en tenir à un principe général
plutôt que d'aller faire des énumérations qui introduisent
énormément de confusion.
M. Dufour (Ghislain): Mme la Présidente, il y a donc
là la réponse à la question du député de
Taillon. Vous avez vu récemment, dans le cas des ordinateurs Hippocrate,
toute une contestation sur la place publique à cause de - je ne sais pas
- quelqu'un qui, à un moment donné, à propos de
l'invention d'une puce est mis en contestation de façon importante sur
la place publique parce que cela représente peut-être des millions
de dollars. Plus on va vers la haute technologie, plus il aura mobilité
de la main-d'oeuvre et dans des situations technologiques où tous les
problèmes pourraient être soulevés, cela varie d'une
entreprise à l'autre.
Sur le plan politique, Mme la Présidente, je pense que c'est
important de dire que les "notamment", on n'a jamais été d'accord
avec cela, on ne peut pas être plus d'accord ici. Alors, il faut en
rester au principe global et général qui est bien
identifié d'ailleurs dans la première partie de l'article
2148.
M. Filion: Donc, maintien du principe général de
l'article 2148. Laissons les tribunaux poursuivre au lieu de consacrer des
concepts qui pourraient faire l'objet de litiges.
M. Dufour (Ghislain): Ah! Laissons les tribunaux...
M. Filion: Cela va. Je pense que c'est bien entendu.
M. Sylvestre: La raison est simple. Vous ne pouvez pas tout
prévoir et si vous essayez de tout prévoir et que vous manquez
votre coup - et vous allez manquer votre coup, c'est impossible de tout
prévoir - vous allez introduire de la confusion.
M. Filion: D'accord. J'aimerais cela discuter un petit peu avec
vous de l'article 2146, du devoir de loyauté, de quelle façon
l'employé doit se comporter. Cela vaut la peine de lire l'article 2146.
Vous le critiquez d'ailleurs dans votre mémoire sous d'autres aspects.
L'article 2146 dit: "L'employé, outre qu'il est tenu d'exécuter
son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas
faire usage, d'une manière qui soit préjudiciable à
l'employeur, de l'information et des secrets commerciaux qu'il obtient dans
l'exécution ou à l'occasion de son travail." Vous soulevez
plusieurs points dans votre mémoire et ce qui me chicote, je pense, n'a
pas été soulevé, et c'est ceci. Lorsqu'on dit: "...doit
agir avec loyauté et ne pas faire usage de l'information...", on ne dit
pas que c'est une information confidentielle. Même M. Dufour tantôt
parlait, ou dans son mémoire, de "confidentielle". On est portés
à ajouter "confidentielle". Est-ce que c'est dans la façon dont
c'est rédigé? Il ne faudrait pas empêcher, finalement,
l'employé de faire usage de toute l'information, et cela peut aller
loin. D'abord, cela pourrait être une information, disons, de nature tout
à fait courante, c'est-à-dire l'expérience qu'on a acquise
chez quelqu'un. L'information qu'on a obtenue sur un marché, par
exemple. Pensons aux cadres qui travaillent pour une de chaîne
d'alimentation et qui va travailler par la suite pour une autre. Mon Dieu!
l'information dans le sens large, il va l'utiliser. C'est pour cela,
d'ailleurs, que l'autre chaîne l'engage, c'est parce qu'il a de
l'expérience.
M. Dufour (Ghislain): Sur ce premier volet, on vous donne
raison.
M. Filion: D'accord.
M. Dufour (Ghislain): C'est cela l'imprécision de cet
article et c'est pour cela qu'on le met, d'ailleurs, sous forme
interrogative.
M. Filion: D'accord.
M. Dufour (Ghislain): Et l'information, par définition,
fait partie du travail et c'est là que les gens prennent leur
expérience, leur expertise, etc.
M. Filion: Bien oui, c'est cela, mais il y a un problème.
Deuxièmement, supposons que quelqu'un apprend, dans le cours de son
emploi, ou obtient une information de nature sérieuse. Je ne sais pas,
le produit - puisque c'est à la mode d'en parler de ce temps-ci -
utilisé dans l'usine
pour tel matériau est toxique. C'est une information importante
dont il doit faire usage, peut-être pour sauvegarder
l'intérêt public, etc. D'où peut-être le danger
d'essayer de codifier ce qu'est le devoir de loyauté. Je pense que cela
va. (11 h 30)
D'autres questions sur l'aliénation de l'entreprise. Je vous pose
la question bien directement, M. Dufour. L'article 45, même s'il est
contesté, dit essentiellement que le certificat... Peu importe ce que la
Cour suprême va décider, il va rester un principe: c'est que le
certificat d'accréditation, si c'est la même entreprise, doit
suivre. Mais, je l'avoue, n'anticipons pas sur le jugement de la Cour
suprême. Êtes-vous en principe contre le fait que la protection,
peu importe si elle est minime, peu importe si c'est l'hypothèse
"minimaliste" ou "maximaliste" que retient la Cour suprême, soit
exportée aux non-syndiqués dans les cas d'aliénation
d'entreprise?
M. Dufour (Ghislain): Nous ne sommes pas en désaccord avec
le contenu actuel de l'article 45 du code, je veux bien le préciser.
Quand il s'agit vraiment d'une vente: vous me vendez votre entreprise, vous
êtes syndiqués, je sais que la règle de l'article 45 fera
que votre syndicat sera mon syndicat, nous n'avons aucun problème avec
cela. Là où nous avons un problème, c'est sur
l'interprétation qui a été faite par le Tribunal du
travail. Nous critiquons cette interprétation et certains syndicats la
critiquent aussi. On a étendu l'application de l'article 45 à la
sous-traitance. C'est pour cela que nous sommes actuellement devant les
tribunaux pour le dossier de la Commission scolaire régionale de
l'Outaouais. Je vous dis carrément que nous ne sommes pas d'accord avec
cette interprétation, parce que, là, c'est rendu que c'est
transférer des accréditations syndicales d'un sous-traitant
à un sous-traitant. Ce n'est pas du tout ce que le législateur
avait prévu. C'est le tribunal qui a fait cela. Si vous me demandez de
transposer cela pour les cadres et pour votre bonne chez vous, parce que c'est
tout le monde, je dis non, pas d'accord.
M. Filion: À exporter?
M. Dufour (Ghislain): À exporter l'interprétation
qui se fait actuellement...
M. Filion: D'accord.
M. Dufour (Ghislain): ...par le Tribunal du travail de l'article
45 du code. Vous allez me dire: Mais moi je ne te parle pas de cela, je te
parle de ce qu'est le code, mais je suis obligé de vivre avec
l'interprétation qui a été donnée. Cette
interprétation est abusive et je ne suis pas d'accord. Alors, il est
évident que je ne veux pas l'étendre aux cadres et aux
travailleurs couverts par la loi sur les normes.
M. Filion: Mais, vous seriez d'accord pour que les cadres, dans
l'hypothèse "minimaliste", c'est-à-dire dans l'hypothèse
de la protection de l'emploi des syndiqués en dehors des cas de
sous-traitance, au cas où l'aliénation de l'entreprise
demeurerait, bénéficient de cette même protection d'emploi,
mais en dehors des cas de sous-traitance.
M. Dufour (Ghislain): Non, je ne serais pas d'accord. Je ne
serais pas d'accord, par exemple, quand...
M. Filion: ...autres employés?
M. Dufour (Ghislain): Non, non, mais regardez les PME... M. le
député de Taillon, si vous achetez l'entreprise de votre
collègue, allez-vous être d'accord, vous, pour prendre
automatiquement les cadres qu'il avait: son beau-frère, son belle-soeur,
sa belle-mère? Je veux dire, c'est cela, les PME, dans le fond. Mais
là, il y aurait une transmission, une continuité du personnel de
l'entreprise achetée à l'autre entreprise au niveau des cadres.
Je ne pense pas qu'avec la flexibilité et avec la mobilité dont
les PME ont besoin ce serait acceptable. Je suis sûr que vous ne le
feriez pas, vous n'en achèteriez pas l'entreprise.
M. Filion: Mais dans les cas où les cadres ont des
contrats de travail?
M. Dufour (Ghislain): Oui, mais ce sont toujours des
contrats...
M. Filion: Ils ont des contrats de travail en bonne et due forme
avec l'entreprise.
M. Dufour (Ghislain): Oui, oui, mais ce sont toujours des
contrats de travail pour la vie de cette entreprise-là, avec les
conditions dans lesquelles cette PME oeuvre. Ce contrat peut justement
être un contrat du propriétaire à son beau-frère.
Vous savez comment cela marche dans les PME et il y a souvent des contrats...
Cette transmission-là, sur le type de l'article 45, je ne pourrais pas
être d'accord.
M. Filion: Si les Nordiques de Québec - je donne un
exemple, je le pige dans l'actualité - nous sommes en commission
parlementaire ici, nous avons l'immunité à part cela: on peut
dire tout le bien ou tout le mal qu'on pense des Nordiques de Québec,
peu importe... Prenons un exemple dans l'actualité, soit si les
Nordiques de Québec étaient transférés à un
autre propriétaire. Les Nordiques sont liés aux joueurs par des
contrats de travail, d'ailleurs la totalité des joueurs, je pense bien,
ont des contrats de travail. Alors, si je comprends bien ce que vous nous
dites, M. Dufour - et éclairez-moi - c'est que ces contrats de travail
ne devraient pas valoir auprès d'un nouvel acquéreur.
M. Dufour (Ghislain): Ah! Je n'ai pas dit cela. Dans le Code
civil, ces gens-là ont des protections et vont les faire respecter. Je
veux dire que, si j'ai un contrat de travail qui prévoit que je joue
pour le Canadien, pour une année, alors, j'ai un contrat et, même
si de nouveaux propriétaires achètent, je vais faire respecter le
contrat. Je ne pense pas que c'est de ça qu'on parle quand on parle de
l'article 45 qui est une transmission à peu près intégrale
de l'ensemble des contrats dans n'importe quelle situation et qui incorpore -
je dis bien incorpore - la gardienne, la bonne, le cadre. C'est de cela qu'on
parle, de tous les gens qui ne sont pas dans une situation de rapports
collectifs.
M. Filion: Les contrats de travail du personnel non
syndiqué, ma question tournait autour de cela.
M. Dufour (Ghislain): Sûrement pas! En tout cas, tant et
aussi longtemps que la Cour suprême n'aura pas statué sur
l'interprétation vraie qu'on doit donner actuellement à l'article
45 du code. De toute façon, vous savez que l'offre d'achat n'existe
plus. Alors, on pose un autre problème.
M. Filion: C'est un exemple hypothétique comme tous les
exemples qu'on donne en étudiant. Il faut montrer parfois les
répercussions des travaux. Les gens ne donneront pas grand écho
à nos travaux, c'est bien sûr, mais c'est quand même pour
dire l'importance que peut avoir le Code civil dans la vie quotidienne.
Écoutez, je pense que mon temps est expiré.
M. Dufour, je voudrais vous remercier d'avoir pris la peine de regarder
plus particulièrement ces articles qui concernent le contrat de travail.
J'avais oublié que le rapport Beaudry recommandait effectivement la
réunification des textes concernant le droit du travail et je vous
remercie d'avoir rafraîchi ma mémoire. Cela va permettre de
rafraîchir la mémoire du gouvernement à l'occasion et je
pense qu'il y aurait un exercice tout à fait souhaitable. Comme vous le
disiez, que ce soit au ministère du Travail ou au ministère de la
Justice, peu importe, il faudrait, à un moment donné, faire le
point pour bâtir un cadre juridique le plus clair possible.
Deuxièmement, en ce qui concerne vos remarques sur l'ensemble des
dispositions de l'avant-projet de loi relatives au contrat de travail, je peux
vous dire qu'elles alimenteront à coup sûr notre réflexion,
mais surtout celles de ces juristes qui ont en main l'imposante
responsabilité d'arriver avec un projet de code civil cohérent,
moderne, souple également et qui soit un outil adéquat de justice
en 1989, en 1990 ou 1991 au Québec. Je suis convaincu que vos
commentaires et vos réflexions sont tout a fait à propos et
méritent d'être considérés. Donc, au nom de ma
formation politique, je remercie M.
Dufour, Me Sylvestre et Me Martin.
La Présidente (Mme Bleau): Je passerai maintenant la
parole à M. le député de Marquette.
M. Dauphin: Merci, Mme la Présidente. Évidemment,
de notre côté, nous avons apprécié le fait que le
Conseil du patronat du Québec puisse participer à nos travaux et
l'équipe de codificateurs qui m'entoure va prendre en
considération ses représentations. Je vous remercie encore une
fois d'avoir participé à nos travaux.
Conférence des associations de créateurs
et créatrices du Québec
La Présidente (Mme Bleau): Au nom de la commission, je
vous remercie d'abord de votre mémoire et de bien avoir voulu accepter
de nous en parler.
Je demanderais maintenant aux représentantes de la
Conférence des associations de créateurs et créatrices du
Québec de prendre place devant nous, s'il vous plaît. Veuillez
prendre place, s'il vous plaît!
Je voudrais souhaiter la plus cordiale bienvenue à la
Conférence des Associations de créateurs et créatrices du
Québec. Je demanderai à Mme Nicole Lépine, avocate, de
nous présenter les personnes qui l'accompagnent, s'il vous
plaît.
Mme Lépine (Nicole): Je vous référerai
plutôt un membre du comité exécutif de la
CACCQ pour faire cette présentation et je reviendrai par la suite
pour présenter le mémoire.
La Présidente (Mme Bleau): Est-ce que c'est Mme Louise
Page?
Mme Lépine: C'est Mme Jacqueline Lemay.
La Présidente (Mme Bleau): Jacqueline Lemay. Bonjour, Mme
Lemay. Si vous voulez nous présenter vos compagnes.
Mme Lemay (Jacqueline): Bonjour, Mme la Présidente,
madame, messieurs.
Au nom de la Conférence des associations de créateurs et
créatrices du Québec, je vous remercie de nous recevoir. La
conférence qui existe depuis 1982 regroupe quatorze associations de
créateurs. Vous l'avez vu, je crois, dans le mémoire.
La Présidente (Mme Bleau): Excusez-moi, madame. Est-ce que
vous pourriez nous présenter celles qui vous accompagnent?
Mme Lemay: Oui, Mme la Présidente. Comme vous le disiez,
Mme Nicole Lépine est
notre conseillère juridique. À ma gauche, Mme Louise Page
est la présidente du Conseil de la sculpture et la porte-parole des
associations en art visuel. Mme Danièle Faubert est la coordonnatrice de
la conférence. Moi-même, Jacqueline Lemay, je suis directrice
générale de la Société professionnelle des auteurs
et compositeurs du Québec. Je représente le secteur de la
musique. Il y a d'autres personnes dans notre excécutif qui
représentent d'autres secteurs comme les arts d'interprétation et
les écrivains, mais elles ne sont pas ici ce matin.
On ne va pas lire le mémoire, parce que je crois que vous l'avez
lu, vous l'avez reçu. Mme Lépine va le présenter, le
commenter et nous serons certainement à votre disposition pour des
questions.
La Présidente (Mme Bleau): Merci beaucoup, Mme la
directrice. Mme Lépine, vous vous écoutons.
Mme Lépine: Comme vous l'avez sûrement lu, il s'agit
d'un domaine très particulier, qui touche les arts et la culture en
général, qui est affecté par la réforme du Code
civil. Dans ce domaine, étant donné que les auteurs, les
créateurs et les artistes en général sont soumis à
la Loi sur le droit d'auteur, qui est une loi de juridiction
fédérale, et que la réforme du Code civil viendra non pas
chevaucher, mais affecter les relations contractuelles entre plusieurs
créateurs et leurs employés ou, si l'on peut dire, leurs
professionnels ou clients, c'est dans ce sens que nous vous avons
présenté un mémoire, pour vous souligner les
problèmes qui, en cours de pratique, pourraient survenir à la
suite d'une mauvaise interprétation de certains textes.
Je vous référerai, en premier lieu, au contrat de travail
dans la réforme du Code civil et à l'absence d'une clause
touchant tout particulièrement les droits d'auteur. Là-dessus,
à la page 6 de notre mémoire, à titre informel et pour
nous donner sans doute une marge de manoeuvre, nous vous avons mis une clause
qui pourrait servir à la fin de cette section et qui concerne justement
les relations employé-employeur et le cadre où un
créateur, dans sa fonction ou sa relation employeur-employé,
créerait une oeuvre pour laquelle il y a une signature, pour laquelle il
apporte son nom et où adviendrait un problème sur le contenu de
cette oeuvre ou sur l'exploitation qu'on veut faire de cette oeuvre. C'est
cette clause qu'on a trouvée pour pallier tous les problèmes qui
pourraient survenir. (11 h 45)
Elle se lit: "lorsque l'usage ou le contrat le prévoit,
l'employé conserve le droit aux versements des redevances en
contrepartie de l'exploitation économique de l'oeuvre ainsi que le droit
de signature et, en cas de désaccord sur le contenu de l'oeuvre, le
droit de retrait de signature." Cela est en rapport avec l'article 12 de la Loi
sur le droit d'auteur. Je vous réfère à l'article 12,
sous-paragraphe 3, qui dit que, lorsque l'auteur est employé,
l'employeur est le premier titulaire de toute oeuvre que l'employé fera.
Comme l'employeur devient premier titulaire de toute oeuvre, il est sûr
qu'il y a cession du droit d'auteur pour l'employé. Qu'arrive-t-il,
à ce moment-là, si l'employeur fait un mauvais usage de l'oeuvre,
l'envoie aux quatre vents sans même avoir de permission, tout en
disposant de la signature de cet auteur? C'est dans le but de protéger
l'auteur, de protéger le créateur, de protéger celui qui
pourrait inventer des choses dans le cadre de son emploi, c'est dans le but de
lui procurer un droit de regard sur son oeuvre, sur sa création, sur son
invention qu'on a prévu cette clause-là.
Ceci était pour parler du contrat de travail. On en arrive
maintenant au contrat d'oeuvre. Je m'arrêterai là pour le contrat
de travail, parce que les relations qu'il y a entre employeurs et
employés et créateurs se résument à peu près
au seul ajout de cette clause qui pourrait pallier tous les problèmes.
En fait, la relation entre employeurs et employés restera toujours celle
qui existe dans ce genre de relation et prévaudra toujours. Il s'agit
simplement de protéger le créateur, afin qu'on ne fasse pas un
usage abusif et un usage de mauvaise foi de l'oeuvre qu'il pourrait
créer dans le cadre de son emploi. Quant à la partie du contrat
d'oeuvre, celle-ci nous semble beaucoup plus problématique. Cette
section que vous ajoutez au Code civil - que vous n'ajoutez pas, mais que vous
modifiez de façon substantielle dans le Code civil - touche tout
particulièrement les créateurs dans le cas où ils ont des
contrats. Cela les touche tout particulièrement. Je vous
réfère à l'article 2168 où vous mentionnez que le
prix de l'oeuvre est déterminé par le contrat ou par la loi et,
s'il n'est pas ainsi déterminé, il le sera en tenant compte des
frais raisonnables du professionnel, de la valeur des travaux, des biens qu'il
a fournis et du temps qu'il aurait dû normalement consacrer à
l'exécution du contrat.
Tous ces critères, pour un auteur ou un créateur, sont des
problèmes incroyables à déterminer. Ils sont plus ou moins
déterminables par une valeur morale. Il y a des droits moraux qui
entrent en jeu là-dedans. Il y a plus qu'une valeur de temps, il y a une
valeur de culture. Cette valeur de culture, on ne la retrouve pas dans cet
article. Je vous ai référé tantôt à l'article
2168, je parlais plutôt de l'article 2169. On ne parle pas de cette
valeur de culture dans cet article, on parle de la valeur des travaux, de frais
raisonnables, de biens qu'on a fournis et du temps qu'on aurait dû
normalement consacrer à l'exécution d'un contrat. Nous pensons
qu'il est important d'attirer votre attention sur une valeur morale à
donner à l'oeuvre, qui est la valeur de culture. Pour ce prix de
l'oeuvre, on devrait considérer cette valeur à l'intérieur
de cet article.
II y a également l'article 2168 dans lequel vous mentionnez
qu'avant la délivrance le professionnel est tenu de la perte. Mais,
qu'ar-rive-t-il dans les cas où le professionnel fait mauvais usage de
l'oeuvre, la détériore et que cela arrive après
délivrance? Nous avons eu à notre bureau un exemple pratique. Il
s'agissait de la comète de Haley et nous avions un client, un peintre
qui en avait fait des tableaux qu'il avait exposés dans un Cégep.
Lors du transport pour un changement d'endroit d'exposition de ces peintures,
on les a collées face à face. Ces peintures, bien sûr, se
sont détériorées; elles se sont collées entre elles
et ont déteint l'une sur l'autre. Donc, cela a entraîné une
perte partielle de l'oeuvre, une détérioration de l'oeuvre. Ni le
personnel du Cégep, ni le Cégep même n'ont pensé
à consulter l'auteur pour la restauration de l'oeuvre. Ni le
Cégep, ni son personnel n'ont pensé aviser l'auteur ou le
créateur des problèmes qui étaient survenus, de
l'état de ses toiles et on a continué, malgré cette
détérioration partielle, à exposer les oeuvres. C'est
l'auteur lui-même qui, en retournant les voir, les visiter, s'est
aperçu que les oeuvres étaient sérieusement
détériorées et qu'on les avait exposées de cette
façon. Qu'arrive-t-il à ce moment-là pour le
créateur? Quel recours a-t-il alors qu'il a cédé ses
droits sur ses oeuvres? Puisqu'on les a exposées au Cégep, c'est
le Cégep qui est devenu propriétaire de ces oeuvres bien qu'elles
soient signées, bien que le droit d'auteur comme tel ou le droit moral
rattaché à cette oeuvre demeure à l'auteur? Mais celui-ci
n'a-t-il pas droit à un droit de regard? N'a-t-il pas droit de
vérifier si de cette oeuvre cédée on fait un bon usage?
N'a-t-il pas droit de vérifier dans le cadre de son contrat si le
professionnel la traite bien? Je vous réfère à la clause
que l'on avait rédigée pour l'employé. Cette clause
pourrait tout à fait bien s'appliquer dans le cas du créateur et
dans le cas de l'exemple dont je viens de vous faire part. C'est pourquoi on
parlait, et même en cas de désaccord sur le contenu de l'oeuvre,
du droit de retrait de signature. Dans le cas que je viens de vous exposer,
notre client avait tout à fait le droit de retirer les oeuvres de
l'endroit d'exposition. Il aurait eu normalement le droit de retirer sa
signature de cette oeuvre, afin qu'on n'attaque pas sa réputation
à la suite d'une mauvaise exposition et d'une mauvaise utilisation de
son oeuvre.
Je vous réfère également à l'article 2196 de
la partie du contrat d'oeuvre dans lequel vous mentionnez que le client peut
unilatéralement résilier le contrat quoique l'oeuvre soit
déjà entreprise et qu'il devra indemniser le professionnel de ses
frais et dépenses actuels, de la valeur des travaux
exécutés avant la notification de la résiliation ainsi que
de la valeur des biens déjà fournis. Je trouve cela injuste pour
les créateurs et les auteurs, parce que vous laissez au client toute la
latitude voulue pour résilier le contrat quand il le voudra. Bien
sûr, à charge d'indemniser!
Je vous répète encore que, dans le cas des
créateurs et des auteurs, la valeur morale d'un contrat et d'une
création est immensément plus valable que souvent une valeur
financière. Et dans la réforme du Code civil vous ne traitez pas
de cette valeur. Vous n'en tenez compte d'aucune façon. Vous accordez
toute la latitude voulue au client de résilier le contrat sans tenir
compte de l'énergie, du temps et de cette valeur morale donnée
par le créateur à son oeuvre ou à l'auteur à ses
oeuvres.
Je pense que cette valeur, la réforme de la Loi sur le droit
d'auteur l'a reconnue. Les droits moraux maintenant sont reconnus. Il y avait
lieu de reconnaître ce droit, puisqu'il s'agissait d'une valeur qui
était rattachée à la création, à l'oeuvre
des auteurs et des créateurs en général. On en a tenu
compte pour cette raison et c'est pour cette raison qu'on vous demande dans la
réforme sur le Code civil d'en tenir compte également. Accorder
au client le pouvoir unilatéral de résilier le contrat est,
à notre avis, un pouvoir immense et c'est un pouvoir qui ne tient pas
compte du créateur ou de l'auteur de l'oeuvre et de l'énergie
qu'il y a mise.
Je vous référerai à certaines de mes partenaires
pour qu'elles vous donnent des exemples concrets de ce que je viens de vous
énoncer et des exemples de la pratique et du vécu de tous les
jours; ceci nous permettra de vous illustrer ce que je viens de mentionner.
Alors, je vous référerai en tout premier lieu à Mme Louise
Page.
Mme Page (Louise): J'aurais peut-être attendu un peu vos
questions. Ce qui arrive souvent dans le cas de contrats entre les artistes et
quels que soient les intervenants du milieu, c'est que souvent les contrats
sont faits de façon verbale. De plus en plus, autant à la
conférence qu'au Conseil de la sculpture et à tous les autres
regroupements d'artistes professionnels, on conseille fortement aux artistes de
se lier par contrat et de prévoir toutes les clauses possibles et
impossibles qui peuvent arriver, sauf que ce n'est pas toujours évident.
Ce ne sont pas tous les artistes qui sont sensibles à cela. Souvent,
c'est leur grand copain qui leur refile un contrat et en fin de compte ne le
respecte pas. C'est à ce moment-là que le seul recours qu'il nous
reste, c'est le Code civil puisqu'un contrat peut être verbal.
Pour ce qui est des exemples, cela m'est arrivé personnellement
d'avoir l'amie d'une amie qui vient me voir et qui me dit: C'est le "fun" tes
affaires. J'aimerais utiliser une de tes sculptures pour mettre sur la page
couverture d'une revue qui fait un numéro spécial sur les femmes.
Alors, j'étais bien d'accord avec ça, elle devait me
rémunérer; ce qu'elle n'a pas fait. Le numéro a paru et
à cette époque je n'étais pas liée par écrit
évidemment et je n'avais pas les moyens d'engager une avocate ou de
m'adresser
au système juridique finalement pour pouvoir prendre les actions
requises pour bénéficier de mes droits.
Alors, si le Code civil prévoit différentes clauses qui
protègent les artistes, finalement, cela leur donne une
accessibilité à la justice beaucoup plus simple qu'on peut le
penser. Le contrat verbal pourrait effectivement avoir une force beaucoup plus
grande que l'utilisation qui en a été faite préalablement.
Merci. J'attendrais peut-être plus les questions.
Mme Lemay: Merci.
Mme Lépine: Je pourrais tout simplement souligner
également une clause qui pourrait s'avérer nécessaire dans
le cadre du contrat d'oeuvre. Ainsi, si l'on prévoyait que l'auteur de
l'oeuvre ou le créateur de l'oeuvre a le droit exclusif sur son oeuvre
concernant son entretien et non pas la cession. La cession serait faite dans
les normes et respecterait en toute conformité l'article 2158, soit le
contrat d'oeuvre. Elle ne viendrait pas limiter cet article, mais on
accorderait à l'auteur ou au créateur le droit exclusif à
l'entretien de son oeuvre, afin que celle-ci soit protégée et que
cette oeuvre ne soit pas altérée ou
détériorée par l'incompétence de gens qui souvent
achètent mais n'entretiennent pas.
Mme Lemay: Est-ce que je pourrais dire quelque chose?
Le Président (M. Marcil): Oui. Mme Lépine:
Bien sûr.
Le Président (M. Marcil): II vous reste environ deux
minutes.
Mme Lemay: Combien de temps?
Le Président (M. Marcil): Environ deux minutes.
Mme Lemay: Alors, en quinze secondes, je voudrais dire que, par
exemple, dans le domaine de la musique, nous avons ici notre coordonatrice,
Danièle Faubert, qui est aussi une auteure de chansons et qui a un
exemple - si tu peux l'expliquer en 23 secondes.
Mme Faubert (Danielle): Je ne pourrai pas tenir en quinze
secondes.
Mme Lemay: Tu ne peux pas résumer un peu? Enfin...
Le Président (M. Marcil): Allez-y, il y a consentement des
deux partis.
Mme Lemay: C'est quand même un exemple qui donne bien un
portrait de la situation dans le domaine musical qu'on connaît un peu
moins. Parce qu'on voit toujours les vedettes à la
télévision, on pense que tout est simple, mais pour celui qui
écrit, qui travaille dans l'ombre et qui est juste le créateur,
il est très démuni pour faire valoir ses droits, et je trouve que
son exemple est très pertinent. (12 heures)
Mme Faubert: Voici ce qui m'est arrivé. J'ai eu une
commande d'une grosse compagnie pour faire des chansons qui devaient
accompagner un jouet, une petite poupée. Donc, je me rends au studio, je
donne les chansons. Sur ce, on s'entend verbalement. On me dit aussi que les
chansons vont passer à la télévision fort probablement et
vont faire partie de commerciaux et tout cela. Elles vont probablement jouer en
France. Donc, je vais être payée par la suite, quand ça va
jouer.
Alors, là, on me paie un premier montant pour le travail que je
fais, qui accompagne la cassette et tout. Six mois plus tard, j'ouvre la
télévision et, coup classique, l'émission joue, la chanson
joue. Je regarde les crédits et mon nom n'est pas inscrit. C'est comme
si cela avait été fait par je ne sais pas quel pur esprit. J'ai
essayé de communiquer avec la personne qui m'avait engagée
à l'époque. Je n'ai jamais pu la rejoindre à sa compagnie.
J'ai eu son numéro personnel. J'ai fini par communiquer avec lui. Il m'a
dit: Si tu as remarqué, tu n'avais pas de contrat, donc, ce n'est que
verbal. Même s'il y avait des témoins, c'est votre parole contre
la mienne et, puis alors, bonne chance. Si jamais il se passe quelque chose
avec ça, tu n'auras pas de chance devant les tribunaux et tout. Je
n'avais pas les moyens financiers d'entamer une procédure. Alors, c'est
resté comme tel depuis ce temps. L'émission joue, elle continue
à jouer et je change de poste. C'est ça.
Mme Lépine: Pour cet exemple, j'attirerai également
votre attention sur le fait que le problème des auteurs ne se limite pas
nécessairement à une loi. C'est sûr que dans le cas que
l'on vient de vous donner, il y a la Loi sur le droit d'auteur. Seulement les
auteurs et créateurs font beaucoup plus appel aux règles du
contrat, en général, soit aux règles civiles qu'à
une loi fédérale qui leur est souvent difficile d'accès,
difficile de compréhension, alors que le contrat est simple, civil et
facilement accessible à la plupart des auteurs et créateurs.
J'attirerais seulement à la toute fin, votre attention sur ce que
je viens de vous dire.
Le Président (M. Marcil): Cela va? Mme Lépine:
J'ai terminé.
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la Justice.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. Tout d'abord,
j'aimerais souhaiter la bienvenue à la conférence. Je crois que,
l'an dernier, vous vous étiez présentées aussi en
matière de sûreté et je me souviens que c'était
très intéressant de vous entendre et de savoir les
problèmes particuliers que vous vivez. Au nom de mes collègues
ministériels et de l'équipe de réforme du Code civil, nous
sommes très heureux de vous recevoir encore cette année, cette
fois-ci, en matière d'obligations. On a préparé quelques
questions pour vous.
La première est la suivante. On prévoit dans les
dispositions générales des articles, notamment, celui sur la
lésion. On a introduit la lésion comme motif de vice de
consentement. On prévoit également des dispositions quant aux
clauses abusives. Est-ce que vous ne trouvez pas qu'avec ces articles qui sont
de droit nouveau cela ne va pas aider les créateurs et créatrices
par la même occasion?
Mme Lépine: À mon avis, cela ne réglera pas
le problème. Ce que je viens de vous mentionner comme clauses, en fait,
ce ne sont pas des clauses de lésion, ce ne sont pas des clauses de
résiliation de contrat, ce ne sont pas des clauses d'annulation de
contrat, ce sont des clauses de protection d'un droit. Ce sont des clauses de
droit de regard sur une oeuvre cédée. On ne demande pas la
résiliation du contrat, parce que je viens de vous demander les
modifications que je viens de vous énumérer.
Elles ne visent pas, à mon avis, la lésion. Elles visent
tout simplement à faire reconnaître un droit de l'auteur ou du
créateur sur son oeuvre et un droit de regard. Je ne pense pas que ce
droit de regard donnerait lieu à lésion comme tel. Il donnerait
lieu à résiliation à demande d'annulation, mais non pas
à lésion comme telle. Il y a cession de cette oeuvre. La seule
chose qu'on demande, c'est que le professionnel, le client ou peu importe de
quel côté on se place, prenne soin de cette oeuvre en bon
père de famille, y accorde toute l'attention voulue et, s'il a besoin
pour apporter cette attention du soutien de l'auteur ou du créateur,
qu'il y fasse appel et c'est de cela qu'on vous parle.
Je ne pense pas que ce motif donne lieu à lésion. Je pense
qu'il donne lieu à dommages et intérêts, qu'il ne donne
même pas lieu à résiliation. Il n'y a pas lieu à
résiliation là-dedans. Il y a lieu à un droit de retrait
de signature, on ne vous dit pas de l'oeuvre, un retrait de signature ou un
droit de regard de l'auteur sur l'entretien. C'est dans ce sens qu'on vous le
dit. Je ne pense pas que la lésion, pour moi, s'applique dans les
clauses que je viens de vous mentionner. Et même dans l'article que je
vous dis, dans la clause que je vous suggère: lorsque l'usage ou le
contrat le prévoit, l'employé conserve le droit aux versements
des redevances ou encore le droit de signature et en cas de désaccord au
retrait de signature, je ne pense pas que cela donne lieu ici à la
lésion.
M. Dauphin: Hum!
Comme autre question, vous soulignez dans votre mémoire que les
règles du contrat de travail telles qu'énoncées ont pour
effet de transférer automatiquement tous les droits d'auteur à
l'employeur. Pour le bénéfice des membres de cette commission,
est-ce que vous pourriez expliciter davantage ce point?
Mme Lépine: En vertu de la Loi sur le droit d'auteur et en
vertu de la réforme du Code civil. Vous mentionnez là-dedans que
le contrat de travail est celui par lequel une personne, l'employé,
s'oblige moyennant rémunération à effectuer selon les
instructions et sous la direction ou le contrôle d'une autre personne,
l'employeur, un travail matériel ou intellectuel. Cette clause est
générale et il est vrai que l'employeur engage une personne pour
qu'elle effectue un travail, soit matériel ou intellectuel, et à
la condition qu'il rémunérera cette personne. Alors, cet article
est général et laisse l'application de base de l'article 12 de la
Loi sur le droit d'auteur qui mentionne que lorsque l'auteur est employé
par une autre personne en vertu d'un contrat de louage de services ou
d'apprentissage et que l'oeuvre est exécutée dans l'exercice de
cet emploi, l'employeur est, à moins de stipulation contraire, le
premier titulaire du droit d'auteur sur l'oeuvre. Mais lorsque l'oeuvre est un
article ou autre - c'est sûr que là, l'auteur, on vient
restreindre cela - pour des articles de journaux, l'auteur aura le droit d'en
interdire la publication.
Quant à ce contrat de travail employeur-employé, il est
sûr que la Loi sur le droit d'auteur vient dire à ce
moment-là, que l'employeur sera titulaire de l'oeuvre et votre clause
est assez générale pour ne pas prévoir que
l'employé aura droit à des redevances, ou aura droit de regard
sur son oeuvre ou aura droit à une certaine partie de l'exploitation
économique. À ce moment-là, quand on verra cette clause,
on dira: Oui, mais la Loi sur le droit d'auteur, qui est une loi plus
particulière, prévoit que dans ce cas-là
précisément l'auteur cède ses droits à son
employeur. Et c'est lui qui en possède tous les droits. Alors, l'auteur
et le créateur ne sont pas protégés, parce que
là-dedans ils n'ont aucun droit de regard, ils n'ont aucun droit aux
redevances économiques, Et, quand je parle de redevances
économiques, nous parlons souvent de pourcentage très minime. Il
n'a même pas droit à la protection de son oeuvre ou à la
protection du droit de création de son oeuvre, puisqu'il n'y a aucune
signature et que l'employeur a le droit de faire de cette oeuvre ce qu'il veut
et sans mentionner d'aucune façon qui en est l'inventeur ou le
créateur. C'est tout.
Je pense que, dans ce sens, les auteurs et les créateurs ne sont pas protégés. Ils devraient
avoir une certaine... Ils sont un domaine très particulier de
notre société. C'est sûr qu'on ne peut pas prévoir
pour eux un contrat de travail similaire à un employé ou un
employeur tout à fait ordinaire. Il s'agit là d'un domaine tout
à fait particulier et dans lequel on doit les protéger. Souvent
d'ailleurs, j'en ai plusieurs, ce sont tous des contrats et, malheureusement,
vous le savez tout aussi bien que moi, le rapport entre l'employeur et
l'employé dans le cas des auteurs en général, ou le
rapport contractant-contracté est tout à fait de dominant
à dominé. Il y a souvent déséquilibre très
grand et souvent l'employeur ou le professionnel sont les personnes les plus
avantagées et l'auteur ne peut pas se payer les recours qu'il pourrait
avoir s'il était sur un pied d'égalité avec l'employeur ou
le contractant. C'est dans ce sens que je vous dis que l'auteur et le
créateur ne sont pas protégés. Il y a une situation de
déséquilibre en partant et elle restera là tout le
temps.
M. Dauphin: Merci beaucoup. Justement, on en discutait
tantôt. Le problème constitutionnel, je me demande si vous vous
êtes penchées là-dessus.
Mme Lépine: On s'est penchées là-dessus. Je
vous en ai...
M. Dauphin: Vous en parlez dans votre mémoire.
Mme Lépine: C'est un fait.
M. Dauphin: On se demandait si effectivement nous avons
juridiction pour légiférer dans ces domaines-là. Avec le
fédéral?
Mme Lépine: Je ne pense pas que vous ayez juridiction pour
légiférer sur le droit d'auteur comme tel, mais il faut quand
même considérer que les contrats sont de juridiction provinciale
et non fédérale: toute la partie civile du contrat. Et du
côté pratique, il faut quand même dire que les auteurs et
créateurs font souvent appel à des contrats soit
d'édition, soit de commande. Ils ont toujours des contrats. C'est la
partie civile à ce moment-là qui s'applique.
Ce qu'on vous demande, ce n'est pas d'aller ajouter une clause dans le
chapitre 7 qui se lirait: lorsque l'auteur crée une oeuvre dans le cadre
de son emploi, il aura un droit de regard, des redevances, etc. C'est bien
sûr que là vous allez empiéter sur une juridiction
fédérale qui touche au droit d'auteur. Ce qu'on dit, c'est de
prévoir dans les chapitres 7 et 8 des clauses tout à fait
modulées, appropriées aux auteurs et créateurs sans
empiéter sur la juridiction fédérale. Vous pouvez le
faire. La clause qu'on vous a citée, pour cela, s'applique très
bien. On prévoit que l'employé conserve le droit aux versements
de redevances en contrepartie de l'exploitation économique de l'oeuvre.
C'est un contrat entre employeur et employé. Ce contrat implique des
conséquences. Dans les conséquences, quelle est la
possibilité d'empiéter sur une juridiction fédérale
en mentionnant que l'employé aura un certain droit de regard sur son
oeuvre, pourra être en désaccord quant au contenu de cette oeuvre
et pourra recevoir une certaine partie de son exploitation économique?
N'est-ce pas là une forme de rémunération qui pourrait
être tout à fait prévue par un contrat de travail? C'est en
ce sens qu'on vous le mentionne.
On ne peut pas empiéter sur la loi fédérale, sur la
Loi sur le droit d'auteur, mais je pense qu'il y a lieu et qu'il y a
possibilité de prévoir dans la réforme au Code civil des
clauses particulières quant aux auteurs et aux créateurs.
Mme Page: J'aimerais dire quelque chose.
Le Président (M. Marcil): Oui, allez-y, madame.
Mme Page: Comme vous le disiez si bien tantôt, nous sommes
venues en commission parlementaire sur les sûretés réelles
et la publicité des droits. Nous avions tenté d'expliquer ce
qu'était la propriété intellectuelle. Évidemment,
c'est toujours difficile à cerner, la propriété
intellectuelle. C'est la responsabilité de l'ensemble des utilisateurs
des oeuvres d'art de respecter cette propriété. C'est comme si je
faisais une sculpture et qu'on décidait de lui mettre un chapeau ou de
cacher une de ses parties parce qu'on trouve qu'elle est indécente.
Finalement, ce n'est plus mon oeuvre, elle est modifiée. C'est une
propriété beaucoup plus intellectuelle que matérielle,
puisque je peux avoir vendu cette oeuvre. Je pense que l'ajout au Code civil de
choses très précises au niveau du contrat dit au moins que je
peux retirer mon oeuvre de là. Cela donnerait vraiment une
facilité aux artistes de se prévaloir des lois. Quand on parle de
droit d'auteur, on parle d'Ottawa, on tombe dans une autre juridiction beaucoup
plus complexe que le Code civil du Québec, finalement, où on a un
accès facile, où les lois sont simples. Le début est
très valable. Toute la première partie qui a été
rédigée dans le projet de réforme est très valable,
mais on trouve que ça devrait être un petit peu plus
détaillé pour pouvoir nous permettre au Québec, sans
être obligées d'aller à Ottawa, de faire valoir nos droits
qui sont beaucoup plus des droits de propriété intellectuelle.
(12 h 15)
Mme Lépine: Mme Page parle de la Cour
fédérale, bien sûr, même s'il y en a une à
Montréal, c'est quand même plus difficile de
compréhension.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup.
M. Dauphin: Peut-être une dernière ques-
tion, si vous me le permettez, M. le Président, et avec
l'amabilité constante de mon collègue de
Taillon. À l'article 2197, vous en avez parlé
tantôt.
Mme Lépine: L'article 2196 et l'article 2197 par la
même occasion.
M. Dauphin: Précisément, quelle est la
justification fondamentale du privilège que vous réclamez dans le
cadre de cet article? On fait référence aussi à
l'architecte et à l'ingénieur qui sont également des
créateurs et eux sont soumis à ces règles-là.
Mme Lépine: Oui, je comprends ça, sauf que, si je
fais référence à votre article de base qui est l'article
2158, on dit: "Le contrat d'oeuvre est celui par lequel une personne,
entrepreneur ou fournisseur de services, appelée le professionnel,
s'oblige envers une autre personne, le client, à exécuter une
oeuvre, soit en réalisant un ouvrage, soit en procurant un service,
moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer." Le professionnel
est celui qui s'oblige à exécuter l'oeuvre. Le client est celui
qui reçoit cette oeuvre. Il peut la résilier ce contrat à
tout moment. Il peut décider quand il le voudra qu'il pourra le
résilier sans tenir compte que le professionnel qui a agi, qui l'a
fourni, a donné de son énergie, a investi et surtout quand on
parle - encore là, je vous souligne que tout ce que je vous dis
maintenant c'est dans le cadre très restreint des auteurs et
créateurs et dans le cadre très restreint également des
applications qu'on peut leur attribuer. Il s'agit d'un article qui ne tient pas
compte de ce qu'on a tenté de vous expliquer, la propriété
intellectuelle, qui ne tient pas compte du droit moral de cette oeuvre.
On commande une oeuvre, on demande à l'artiste, au
créateur et à l'auteur d'y mettre beaucoup d'énergie,
alors qu'on accorde tous les pouvoirs à une partie seulement de
résilier ce contrat et de dire à tout moment qu'on décide
de le résilier. Il y a l'article 2197 qui parle d'indemnité,
d'indemniser. Quels sont les dommages et intérêts pour un auteur?
C'est vrai qu'il y a des dommages et intérêts pour le service
rendu, pour les frais et dépenses actuels, pour la valeur des travaux
exécutés, pour les biens fournis, les matériaux, etc. Mais
on ne tient pas compte de cette valeur morale qu'attache l'auteur ou le
créateur à cette oeuvre. C'est sûr que pour un architecte
et un ingénieur... Je vous comprends, mais ce n'est pas plus facile pour
eux. Vous comprenez? C'est une oeuvre autant que pour les auteurs et les
créateurs, et ce n'est pas plus facile pour eux. Je ne vous dis pas que
cela ne s'applique qu'aux auteurs. Je vous dis qu'on ne tient pas compte de
cette valeur morale dans les dommages et intérêts et je pense
qu'on devrait en tenir compte. C'est toujours assurer le
déséquilibre. Il y aura toujours déséquilibre dans
ce cadre, à moins qu'on en tienne compte et que le Code civil le
prévoie.
Mme Page: C'est peut-être comme l'exemple de Picasso qui,
un bon jour, était sur le bord de la route en train de peindre un petit
coin de bois. Il y a un monsieur qui passe avec sa fille et qui dit:
Pourriez-vous faire un petit croquis rapide de ma fille. Picasso dit: Bien
sûr. Il fait un petit croquis très rapide. Le monsieur demande:
C'est combien? C'est 200 000 $. Il dit: Voyons donc, cela vous a pris deux
minutes pour le faire? Picasso a dit: Je m'excuse, monsieur, cela m'a pris 30
ans à le faire. C'est peut-être un peu le parallèle de
paiement qu'on essaye d'expliquer quand on parle de propriété
intellectuelle et de valeur morale des artistes.
M. Dauphin: Merci beaucoup.
Le Président (M. Marcil): Merci. M. le
député de Taillon.
M. Filion: Oui. Je voudrais féliciter la Conférence
des associations de créateurs et créatrices du Québec.
Personnellement, je dois vous dire très honnêtement que j'ignorais
l'existence de la conférence. Je trouve que c'est une excellente chose
que la quinzaine d'organismes qui sont membres de la conférence, aient
jugé bon de se regrouper et de bâtir une expertise dans ce secteur
qui est la protection des créateurs et créatrices du
Québec. Cela fait combien de temps que votre association existe?
Mme Lemay: Depuis 1982.
M. Filion: 1982. Je pense que c'est une initiative tout à
fait louable et le mémoire que vous déposez à cette
commission ainsi que votre présence à cette commission
constituent de belles preuves de l'utilité, pour ne pas dire de la
nécessité, d'une conférence comme la vôtre.
Évidemment, dans le secteur du droit d'auteur et de la création,
ce n'est pas facile. D'abord, il y a peu d'avocats qui s'y retrouvent.
Imaginez-vous, des créateurs et des créatrices! Eux ou elles se
concentrent généralement à créer l'inspiration et
l'expertise nécessaire à produire des oeuvres de plus en plus
belles dans tous les secteurs et n'ont pas nécessairement cet esprit qui
consiste à "digérer" toutes règles commerciales,
juridiques, etc. pour en arriver à faire un bon contrat. D'où,
peut-être, la nécessité pour les législateurs
d'être particulièrement prudents dans ce secteur et de voir
à entendre, à créer une protection valable. Cela
soulève des problèmes. Vous avez soulevé la question
constitutionnelle, vous en êtes conscients, Ottawa, Québec, tout
le monde est de bien bonne foi... Dans ce sens, ma première question
serait la suivante. En juin 1988, le Parlement canadien a adopté...
Est-ce qu'on peut appeler sa nouvelle loi sur le droit d'auteur?
Mme Lépine: C'est le projet de loi C-60 dans lequel il
faisait une réforme du droit d'auteur qui était partielle.
M. Filion: Est-ce que c'est en vigueur?
Mme Lépine: C'est en vigueur depuis juin 1988.
M. Filion: Bon. Cela règle une partie des
problèmes.
Mme Lépine: Cela règle une partie des
problèmes...
M. Filion: Notamment...
Mme Lépine: Au niveau fédéral.
M. Filion: Oui, mais le niveau fédéral, c'est le
coeur du droit d'auteur.
Mme Lépine: Pardon?
M. Filion: Le fédéral lui-même a pleine
juridiction sur le droit d'auteur qui est une bonne partie de la
problématique que vous soulevez.
Mme Lépine: II n'y a aucun problème à la
juridiction fédérale. Ce que je vous mentionnais tantôt,
c'est simplement que les artistes, les auteurs et les créateurs font de
plus en plus de contrats dans le cadre de leurs relations.
M. Filion: Oui, bon.
Mme Lépine: Et c'est dans le cadre du contrat, bien
sûr, que ce soit verbal ou tout autre, que ce soit écrit en bonne
et due forme, les auteurs et artistes sont de plus en plus au courant de ces
droits-là, en profitent et essaient de les utiliser à bon
escient, sauf que cela ne fonctionne pas toujours à cause du fameux
déséquilibre que je vous mentionnais. Je vous donnerai comme
exemples les auteurs que j'ai comme clients. Vous savez, quand on fait affaire
avec une grosse maison d'édition comme Libre Expression, comme Les
Éditions de l'homme de M. L'Espérance, où il y a une
inégalité totale pour le petit auteur qui commence et qui
désire publier un volume de 600 pages; ce déséquilibre ne
se réglera pas demain matin. À moins qu'il ne soit un auteur
connu et à succès, ce qui est rare ici au Québec, il devra
accepter ce déséquilibre. Il n'est pas protégé
parce qu'il devra conclure, bien souvent, des contrats à son
désavantage pour publier son volume. C'est là le problème,
parce qu'il y a un déséquilibre. Comme les forces ne sont pas
égales d'un côté comme de l'autre, il devra souvent publier
son livre avec des obligations incroyables comme d'en publier dix autres ou
d'avoir 5 % de redevances - c'est incroya- ble - ou de céder ses droits
totalement à la compagnie d'édition, sans qu'il puisse avoir des
comptes. Avec la faillite récente de Leméac, bien des auteurs ont
perdu énormément de redevances, et il s'agissait de contrats!
Mme Lemay: Je vais donner un exemple à propos de...
M. Filion: Je vous en prie, Mme Lemay. La lésion, oui.
Mme Lemay: Pardon?
M. Dauphin: La lésion, justement.
M. Filion: C'est-à-dire, la lésion...
M. Dauphin: On en a parlé tantôt, ça
prévoit cela.
M. Filion: La lésion dont le député de
Marquette parlait tantôt, l'article 1440, c'est-à-dire...
Mme Lépine: Oui, c'est cela.
M. Filion: ...les cas où il y aurait une telle
disproportion entre ce que vous évoquez, une telle disproportion...
Mme Lépine: Oui, pour la lésion, il n'y a
pas...
M. Filion: ...qu'il y a l'exploitation.
Mme Lépine: C'est pour cela que, dans les exemples que je
vous donnais tantôt, je vous ai répondu à une question du
domaine particulier des auteurs, c'est pour cela que je ne vous en ai pas
parlé. En partie, la lésion règle ce
problème-là. A ce moment-là, par le
déséquilibre des forces, on pourrait vraiment régler par
le rappel de cet article. Ce que je vous disais tantôt, c'est que le
déséquilibre qui peut exister entre un auteur et la compagnie
d'édition existe d'autant plus face à l'auteur ou le
créateur, face à son client ou son professionnel ou face à
la commande. C'est là-dessus qu'on veut les protéger. Moi, ce que
je vous ai proposé dans cela, ce que la Conférence des
associations de créateurs et créatrices du Québec vous
propose en fait dans cette réforme, n'est pas vraiment de prévoir
la résiliation. Ce n'est pas cela, c'est tout simplement d'accorder un
droit de regard, d'accorder un droit de redevance économique, que ce
soit à l'employé, que ce soit à l'auteur ou face à
son oeuvre. C'est-à-dire que dans les contrats bien souvent, on ne
prévoit pas ce genre de clause. On ne mentionne pas la
détérioration de l'oeuvre, on ne mentionne pas la perte partielle
de l'oeuvre.
Ce qu'on vous dit c'est que, étant donné que vous avez
touché le contrat d'oeuvre, étant
donné que cette partie vient affecter indirectement le droit
d'auteur ou la création ou l'oeuvre en partie, pourquoi à ce
moment ne pas prévoir que la perte partielle de l'oeuvre, même
après sa délivrance, pourra toujours donner lieu à
l'implication - si je peux appeler cela comme cela - de l'auteur? Pourquoi dans
cette réforme, ne prévoit-on pas que, même si le client
acquiert l'oeuvre, il devra tout de même consulter l'auteur, quant
à son entretien, quant à son lieu d'exposition? Pourquoi ne pas
le dire? L'auteur a quand même signé l'oeuvre; il a quand
même un droit de regard sur cette oeuvre. Bien sûr, là je
vous parle d'un cadre de peinture, je vous l'ai donné comme exemple,
parce que c'est celui qui est le plus frappant. Mais cela peut s'appliquer aux
arts visuels, cela peut s'appliquer à un tas d'autres choses. Cela peut
s'appliquer même à l'exemple des chansons que donnait tantôt
Mme Faubert. Cela peut s'appliquer à un tas d'affaires. Il devrait y
avoir un droit de regard de donné au créateur sur son oeuvre.
C'est dans ce sens. Quant au reste, le contrat d'oeuvre, je pense que les
artistes, en sont généralement satisfaits. Vous voulez parler,
Mme Lemay?
Mme Lemay: Je vais juste dire quelque chose. Quand vous parliez
de la juridiction et de la Loi sur le droit d'auteur, je veux seulement donner
un exemple. Nous, dans la musique, avec la première étape de la
révision de la Loi sur le droit d'auteur, on a obtenu l'abolition de la
licence obligatoire, ce qui signifie en gros que, depuis 1924, on a
été payés 0,02 $ par chanson et que là on va
peut-être pouvoir avoir 0,05 $. Donc, la Loi sur le droit d'auteur nous
aide dans ce principe de base mais, maintenant il reste toute la question: Le
producteur va-t-il le payer ces 0,05 $? Va-t-il envoyer ses rapports de vente
de disques? C'est là que cela tombe dans une autre...
Mme Lépine: Ce sont les contrats.
Mme Lemay: Je voudrais juste dire un petit mot que je ne dirai
pas à la fin - pendant que j'y pense - je crois que tout le monde est
à peu près d'accord pour dire que le créateur est un des
citoyens les plus démunis pour défendre ses droits. Il n'a jamais
les moyens de poursuivre. Il est toujours mal placé pour faire des
poursuites. Donc, voilà une excellente occasion de lui donner un outil
et je vous encouragerais à penser à cela.
M. Filion: Un des problèmes des créateurs aussi
c'est que leur oeuvre... Évidemment ils donnent le meilleur
d'eux-mêmes pour produire leur oeuvre, mais une fois cette
oeuvre-là entre les mains d'autres personnes, c'est là qu'elle
prend des valeurs diverses et même souvent des valeurs augmentées.
Souvent, l'artiste ne réalise pas la pleine valeur de son oeuvre, comme
des fois elle peut aussi s'imaginer que la valeur de son oeuvre est bien
au-delà de la réalité. Or, bref, c'est cette espèce
d'évaluation qui ne sera jamais possible parce que c'est une oeuvre
d'art par définition, et pour la plupart des gens de vos
associations.
J'ai trouvé cela intéressant votre notion de droit de
retrait de signature. C'est quoi exactement? Je sais que ça irait un peu
avec le droit de regard dont vous parliez tantôt.
Mme Lemay: Oui.
M. Filion: Quelle forme pourrait prendre ce droit de retrait?
Mme Lemay: Si ce n'est que de passer un coup de pinceau sur la
signature en bas d'une oeuvre, ça peut aller jusque-là. C'est
d'enlever finalement le nom de l'auteur de l'oeuvre. Dans le cas que
j'apportais tantôt en exemple, l'auteur aurait bien eu envie de se rendre
au cégep avec un peu de peinture et d'aller rayer ce qui était
lisible, c'est-à-dire son nom, afin de ne pas être
identifié à cette oeuvre qui était
détériorée et exposée au su et au vu de tout le
monde... (12 h 30)
M. Filion: Bien oui...
Mme Lépine: ...et c'était aberrant. Cela a
duré un an avant que monsieur ne s'en aperçoive. Alors, je trouve
cela incroyable. Ce qu'on nous apporte dans ce temps-là, c'est qu'on
n'est pas des experts en la matière, mais je comprends que les
cégeps ou les clients ne sont pas des experts en la matière et
c'est pour cela qu'on veut accorder un droit de regard de l'oeuvre à
l'auteur ou au créateur; c'est pour cette raison, parce qu'ils ne sont
pas des experts. Voyez, il ne faut pas la tête à Papineau pour ne
pas coller deux peintures face à face, l'une contre l'autre, mais on l'a
fait; les employés ne connaissaient pas cela. Alors on les a
changées de place et on les a collées.
Je pense que l'auteur a subi là-dedans une perte beaucoup plus
morale que pécuniaire. C'est une perte qui n'est pas évaluable.
On a exposé une oeuvre dans laquelle il a investi beaucoup
d'énergie et on l'a détériorée pendant un certain
temps. C'est incroyable. Je pense que ces abus ne devraient pas exister. On
devrait essayer de protéger ces auteurs-là en leur accordant un
droit de regard, un droit d'entretien parce que ce droit est quand même
très limité. C'est un droit de regard, c'est un droit
d'entretien. Si, par exemple, le client décidait de faire une autre
exploitation de cette oeuvre, comme prendre une sculpture, la photographier et
l'envoyer aux quatre vents, je me demande alors pourquoi l'auteur n'aurait pas
droit à des redevances. Pourquoi? C'est ce droit de regard qu'on veut
protéger, c'est le droit pour l'auteur d'aller vérifier ce qu'on
fait de son oeuvre, de vérifier si son oeuvre est bien entretenue
puisque son
nom y apparaît et que sa réputation est en jeu.
Le Président (M. Marcil): Cela va?
M. Filion: Et dans le même sens d'ailleurs, on a vu, il n'y
a pas tellement longtemps un reportage à la télévision sur
l'état de détérioration de certaines sculptures qui
avaient été laissées finalement sans entretien. Je me
souviens que les auteurs interviewés, à ce moment-là,
tenaient à peu près votre langage, d'une façon encore plus
crue parce que cela venait du coeur.
M. le Président, avec la permission de mes collègues de la
commission, j'aimerais demander à notre conseiller juridique de
l'Opposition, Me Gariépy, de vous adresser une dernière question
pour notre côté.
Le Président (M. Marcil): Allez-y.
M. Gariépy: Juste une première remarque, dans la
nouvelle modification à la Loi sur le droit d'auteur, les droits moraux
qui ont été reconnus dans la loi semblent couvrir beaucoup de
points que vous avez mentionnés, le droit à l'anonymat, le droit
de sévir contre ceux qui utiliseraient l'oeuvre, qui est le bien, dans
une cause qu'on n'aimerait pas. Il y a beaucoup de choses qui sont dites et
qu'il est peut-être difficile de faire avec un droit de suite, de
prévoir dans le Code civil comme étant un droit de suite sur
l'oeuvre. Ma question est tout autre: je me demandais si vous aviez
regardé les dispositions du contrat d'oeuvre du point de vue d'un
contrat entre le propriétaire d'une galerie et peut-être une
artiste qui ferait des statues ou des oeuvres sculptées. Je crois que,
dans les usages des contrats d'approvisionnement, où un artiste jeune
s'engage envers une galerie à donner toute sa production pour un certain
temps, moyennant un cachet, un forfait ou un pourcentage... Je me demandais si
vous aviez eu l'occasion de regarder les résiliations du contrat
d'oeuvre qui pourraient trouver une application pour ce contrat ou cette
entente avec certains propriétaires de galerie.
Mme Lépine: Quant à moi, je ne l'ai pas
examiné personnellement, mais cependant, je pourrais peut-être
laisser Louise répondre à votre question étant
donné qu'elle est présidente...
Mme Page: ...du Conseil de la sculpture... Mme Lépine:
...du Conseil de la sculpture.
Mme Page: C'est que je n'ai pas fait finalement, l'analyse
exhaustive de l'amendement, de la réforme, mais je pense que le fait de
retirer une oeuvre parce qu'on l'a repeinte d'une couleur qui n'avait pas de
rapport, ce n'est pas nécessairement évident. En tout cas, ce
n'est pas de lecture facile. Je l'ai lu, je n'ai pas lu tous les chapitres, je
suis allée lire seulement le contrat d'oeuvre, évidemment. Pour
moi, il n'était pas clair que le retrait de la signature était
possible ou qu'on puisse carrément enlever l'oeuvre. Le retrait de la
signature, jusqu'à un certain point, je ne sais pas, peut-être que
le client de Mme Lépine était d'accord pour mettre de la peinture
sur son nom, mais je peux dire que, pour nous, ce ne sont pas des pratiques
courantes, ce n'est pas tout à fait le moyen qu'on tient à
prendre pour faire respecter soit nos droits d'auteur ou le statut de l'artiste
qui font l'objet d'une nouvelle loi.
J'aimerais d'ailleurs ajouter là-dessus qu'autant le droit
d'auteur que le statut de l'artiste ou la prochaine version du statut de
l'artiste qui couvrira les arts visuels et qui sera déposée
bientôt, sont des volontés politiques. Ce sont des lois qui sont
là, mais elles doivent s'imbriquer dans toutes les autres lois qu'on
doit adopter comme une reconnaissance d'une certaine catégorie
d'individus, sauf qu'il faut être présent et aller où
ça concerne des contrats, voir à ce que ce soit conforme à
ces lois, autant aux lois fédérales qu'aux lois provinciales qui
peuvent être adoptées.
Je pense que c'est de s'insérer un peu partout pour voir si tout
est conforme dans l'avis, dans la politique ou dans tout ce qui est juridique,
si on a notre place. En fait, c'est un grand travail et je pense qu'à ce
titre, c'est un peu pour ça qu'on fait l'étude de certaines
réformes de projet de loi sur différents plans, pour voir si on a
bien prévu ce qui nous touchait, si on est bien protégés,
parce que ce sont des lois qui sont un peu chapeaux, si on parle, par exemple,
du droit d'auteur et qu'on pense à Ottawa, aux subventions, aux
organismes qui accordent des subventions à des galeries, à des
musées, à toutes sortes de gens qui, avec ces subventions ne
respectent même pas les droits, le droit d'auteur, par exemple.
Donc, on doit retourner dans le contenu de la demande de subvention et
dire: Est-ce que c'est prévu dans la nouvelle loi qui vient d'être
adoptée? On aimerait que vous respectiez cette subvention et que vous la
donniez sous condition. Je pense qu'on doit souvent revenir à la charge
à l'égard de différentes lois. Je n'ai pas répondu
vraiment à toute votre question, mais...
Mme Lépine: Pour répondre à votre question,
à mon avis, si je lis bien l'article 2158, je pense que ce serait
très applicable, en tout cas, le contrat d'oeuvre à une galerie
et le rapport avec le sculpteur, l'artiste ou peu importe qui fait l'oeuvre.
C'est sûr que l'artiste qui fait une oeuvre et dans la mesure où
cet artiste fait une oeuvre et la cède à quelqu'un d'autre, il la
cède pour vente. Dans la mesure où le sculpteur donne
sa sculpture ou son oeuvre à la galerie, il la cède. Il la
cède pour vente, mais il la cède et la galerie peut la vendre
à qui elle veut. Ce droit de regard de l'artiste, il ne l'a plus. Dans
la mesure où la galerie a vendu son oeuvre, il ne lui appartient
plus.
Le Président (M. Marcil): Cela va?
M. Filion: Au nom, M. le Président, de l'Opposition
officielle, je voudrais remercier la conférence d'avoir pris le temps de
rédiger ce mémoire et de s'être déplacée pour
nous faire valoir ce point de vue. Nul doute que vos réflexions
alimenteront les réflexions plus générales portant sur
l'ensemble du projet de loi. Je pense que vos préoccupations sont les
nôtres. Ce ne sera jamais facile, cependant, ne serait-ce qu'à
cause de la distinction qui existe du fait que vous vendez le bien, mais pas le
droit de le reproduire, que le bien a une valeur dans la mesure où vous
l'avez créé, etc. Ce n'est pas un secteur facile, mais j'ai
l'impression qu'il y a des pistes importantes qui ont été
évoquées aujourd'hui.
Mme Lemay: Je pense, de toute façon, qu'il n'y a pas
beaucoup de risque à aider les créateurs parce que s'il y a eu de
l'exploitation dans le passé, cela a toujours été du
même bord.
M. Filion: Cela, c'est vrai.
Mme Lemay: Alors, pour une fois, on peut faire un effort
carrément sur un bord et on ne se trompera pas, je crois. On vous
remercie infiniment de nous avoir reçus.
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: La même chose du côté du
gouvernement du Québec. Les collègues ministériels vous
diraient à quel point nous avons été heureux de vous
recevoir et satisfaits de voir que vous voyez à vos
intérêts. Au nom de l'équipe de la réforme du Code
civil qui nous accompagne, premièrement on vous remercie.
Deuxièmement, on va prendre en considération vos recommandations
dans la limite de nos compétences législatives,
évidemment, et nous sommes heureux...
Mme Lemay: Merci beaucoup. Mme Lépine: Merci
beaucoup.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Nous allons
suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 40)
(Reprise à 15 h 23)
Ordre des architectes et Association des architectes
en pratique privée du Québec
Le Président (M. Marcil): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Nous allons reprendre nos travaux et entendre en premier lieu l'Ordre
des architectes du Québec et l'Association des architectes en pratique
privée du Québec, représentés par M.
Paul-André Tétreault, président de l'Ordre des architectes
du Québec.
Nous vous souhaitons la bienvenue à cette sous-commission
parlementaire. Si vous voulez nous présenter les personnes qui vous
accompagnent et procéder immédiatement à l'explication de
votre mémoire tout en sachant qu'il a déjà
été examiné et analysé ici. Donc, si vous
préférez laisser plus de temps à un échange de
questions, libre à vous. Donc, je vous laisse le temps de
présenter vos personnes et d'entamer immédiatement la
discussion.
M. Tétreault (Paul-André): À ma gauche, se
trouve Me Nicole Duval Hesler et immédiatement à ma droite, M.
Pierre-Louis Rivest, président de l'Association des architectes en
pratique privée du Québec et M. Raimondo Averna, président
ex-officio de l'Association des architectes en pratique privée du
Québec.
M. le Président, distingués membres de cette commission,
l'Ordre des architectes du Québec et l'Association des architectes en
pratique privée du Québec sont heureux de l'occasion qui leur est
offerte de faire valoir leur point de vue concernant la réforme
proposée au Code civil du Québec du droit des obligations.
L'Ordre des architectes est une corporation professionnelle qui regroupe 2300
architectes. Les architectes utilisent un titre réservé et
exercent des actes exclusifs. Tous les architectes sont actifs dans le domaine
de la construction. Pour sa part, l'Association des architectes en pratique
privée est un organisme à adhésion volontaire regroupant
354 bureaux d'architectes oeuvrant, comme son nom l'indique, en pratique
privée. Les bureaux membres comptent en moyenne 3 architectes chacun.
L'ordre et l'association ont conjugué leurs efforts en vue de la
présentation d'un mémoire qui traite exclusivement du chapitre
huitième de l'avant-projet de loi. Ce mémoire reflète la
position de tous les architectes.
M. le Président, il n'est pas facile de s'adresser à cette
sous-commission pour présenter une position différente de celle
proposée par la réforme. Il serait évidemment plus commode
pour nous de l'accepter telle quelle mais, en tant que représentant des
architectes du Québec, je ne puis souscrire à une telle approche.
La profession d'architecte n'a pas toujours été encadrée
comme elle l'est présentement. En 1866, n'importe qui pouvait
s'improviser architecte, la notion d'architecte étant assimilée
à celle de bâtisseur. La rè-
gle de l'art était empirique plutôt que scientifique et
l'éventail des matériaux et techniques était
limité. Puisque les vices affectant la solidité des
bâtiments étaient souvent lents à apparaître, le
législateur a cru nécessaire de codifier une garantie
suffisamment étendue en vue de protéger le public. Le
siècle dernier nous a démontré à quel point la
technologie pouvait évoluer rapidement, sans pour autant que le Code
civil ne soit adapté en conséquence. L'utilisation de nouveaux
matériaux ainsi que le développement de nouvelles techniques de
vérification de la résistance des structures ont permis un
degré de connaissance et de spécialisation difficilement
prévisible en 1986. La technologie permet aujourd'hui d'évaluer,
même en cours de construction, les matériaux et la construction
elle-même. À titre d'exemple, la thermographie fournit un outil de
vérification immédiate de l'enveloppe du bâtiment.
En lisant l'avant-projet de loi, nous avons été fort
étonnés de constater la perception qu'a le législateur de
l'industrie de la construction. Les dispositions de cet avant-projet indiquent
une conception archaïque des relations et des processus de cette
importante activité économique. C'est comme si, M. le
Président, le législateur avait une peur bleue des
conséquences de l'acte de construire. Incapable de départager les
rôles et responsabilités de chaque intervenant, il les place dans
un immense sac noir solidement ficelé et promet au public que, si
quelque chose ne tourne pas rond, il tirera au hasard du sac un intervenant
susceptible de réparer les dégâts. Or, la construction
n'est pas une loterie ni un jeu de hasard. Les architectes croient, au
contraire, que chaque intervenant a un rôle précis à jouer,
auquel se rattachent des responsabilités tout aussi précises et
limitées. La preuve que la construction est une loterie pour le
législateur, c'est qu'il appelle tous les intervenants des
professionnels, qu'ils soient architectes, ingénieurs ou entrepreneurs.
Le groupe anonyme est encore plus élargi au moment de la
solidarité, puisqu'on y ajoute le sous-entrepreneur et tout autre
collaborateur qui conçoit, dirige ou surveille la réalisation de
l'ouvrage, y incluant le promoteur qui vend l'ouvrage. Le législateur
augmente encore plus le nombre des cibles possibles en y incluant le
concepteur, même s'il n'a jamais été retenu pour surveiller
les travaux.
Deux autres illustrations de ce phénomène ont trait aux
règles extrêmement strictes contenues dans les articles 2166 et
2171. En effet, quant aux biens fournis par le client, la responsabilité
de l'architecte devrait se limiter aux vices apparents, sans plus. Par exemple,
quand on construit une station de métro à Montréal, le
client fournit les systèmes d'escaliers mobiles, et l'architecte n'a
qu'à les regarder passer. En ce qui concerne la règle des 10 %
lorsqu'un prix approximatif est donné, le législateur s'immisce
à outrance dans les relations contractuelles qui ne regardent que les
parties concernées. Qui sait, peut-être qu'un jour les tribunaux
jugeront cet article d'ordre public. Et quelles restrictions pour une industrie
qui doit s'adapter constamment à des cas particuliers!
Nous disons archaïque aussi, puisque le législateur semble
n'imaginer qu'un seul type de client dans son avant-projet de loi. Bien
sûr, l'acheteur de maison existe, mais il n'y a pas que lui qui utilise
les services professionnels de l'architecte. Il ne faut pas oublier que le
client de l'architecte peut être tout aussi expert ou connaisseur en
construction que le professionnel qu'il engage. Saviez-vous qu'en 1987, 64 %
des réclamations dirigées contre les architectes provenaient des
gouvernements, les municipalités étant à l'origine de plus
de la moitié de ces réclamations. (15 h 30)
Nous croyons qu'en 1988 le client a souvent l'avantage économique
sur l'architecte et n'est plus démuni de connaissances techniques
précises. Pensons aux stations de métro, où le client est
l'expert et donne les directives à l'architecte. Dans cette optique,
nous avons peine à comprendre, entre autres, pourquoi l'architecte doit
être présumé responsable en vue de la protection du public.
Cette protection n'est-elle pas assurée par la présence des
corporations professionnelles qui contrôlent l'exercice des professions
par leurs membres et assurent un niveau de compétence qui réponde
aux besoins de la société? Nous le croyons.
Les champs d'exercice exclusifs qui sont dévolus à 21
corporations professionnelles au Québec ne doivent pas être
attribuables à une présomption de responsabilité.
D'ailleurs, les architectes, à l'instar des ingénieurs, sont les
seuls à être dotés d'un tel fardeau. Certes, l'architecte
est un professionnel, mais pourquoi doit-il faire classe à part
contrairement à tous les autres professionnels du Québec et
même à ceux de l'Amérique du Nord? Par un souci
d'équité cependant, les architectes sont prêts à
être présumés responsables vis-à-vis du petit
consommateur de résidence. Encore faudra-t-il définir qui est ce
petit consommateur, et ce qu'englobe la notion de résidence. De telles
dispositions pourraient se retrouver dans une loi particulière ou encore
former un chapitre distinct du Code civil.
Bien sûr, nous sommmes prêts à collaborer afin que
cette proposition devienne réalité. La position des architectes
n'est pas d'éluder la responsabilité professionnelle qui leur
incombe; au contraire, ils sont prêts à l'assumer, dans la mesure
où une faute peut leur être imputée de la part du client
expert.
M. le Président, je cède maintenant la parole à Me
Nicole Duval Hesler, qui vous entretiendra des aspects légaux de nos
préoccupations.
Mme Duval Hesler (Nicole): M. le Président, je vais
commencer par vous citer des paroles qui sont attribuées, dans la
dernière édition du
journal de l'Association du Barreau canadien, au sous-ministre de la
Justice du Québec, Me Jacques Chamberland, qui est ici avec nous -
j'ignorais qu'il serait ici, mais c'est une coïncidence heureuse - parce
qu'il a indiqué, dans cet article, que la réflexion en profondeur
qui est à se faire sur l'ensemble du Code civil avait certains buts,
qu'elle visait à harmoniser le code à l'évolution de notre
société, qu'elle visait à régler des conflits
d'interprétation, qu'elle visait à nous donner des outils
juridiques modernes, à nous mettre à l'heure des tendances
modernes et à refléter davantage l'état d'avancement du
droit en incorporant au code des théories développées par
la doctrine ou des règles dégagées par la jurisprudence.
Avec respect, ce que vous nous soumettez, ce que vous nous proposez au chapitre
huitième, ne répond pas à ces objectifs. Et je vais vous
expliquer pourquoi.
On a parlé - le président de l'Ordre des architectes en a
parlé - de l'évolution qui se produit au niveau de la pratique de
l'architecture. Je pense que le facteur majeur de cette évolution est la
surspécialisation. On ne construit plus les bâtiments comme on les
construisait. Les bâtiments sont maintenant un ensemble de
systèmes. Il est sûr que l'architecte voit au tout. Il est
sûr que l'architecte est le généraliste du bâtiment,
mais il demeure que le bâtiment a évolué au point où
on ne peut plus parler d'un bâtiment qui soit la conception unique de
l'architecte. C'est une notion qui est dépassée. Ce que
l'architecte fait, c'est qu'il intègre une foule de systèmes. Il
est absolument vrai de dire que le client normal de l'architecte n'est pas le
petit consommateur. Si vous voulez protéger le petit consommateur, il y
a moyen de le faire. Il y a moyen d'assurer une garantie de cinq ans quelque
part ailleurs, soit dans une section spéciale du Code civil, soit dans
une loi sur la protection du consommateur, mais il serait erroné de
tenir pour acquis, au départ, que les parties dont vous voulez
régler, si on veut, les relations contractuelles, vont être
l'architecte, d'une part, et le consommateur, de l'autre. Parce que le
consommateur des services de l'architecte, à 75 % maintenant, est
lui-même un expert du bâtiment, est lui-même un expert de la
construction. Qu'on parle d'un client gouvernemental, qu'on parle d'un
"développeur" de projets industriels, de projets commerciaux, de projets
résidentiels, la réalité demeure: le client de
l'architecte n'est plus le petit consommateur.
Cette réalité-là, avec respect, est ignorée
dans l'avant-projet. Qu'est-ce qu'on fait? On maintient une présomption
de responsabilité, une garantie qui est unique à la profession
d'architecte et d'ingénieur dans la construction, qui leur est unique.
N'y a-t-il pas des préoccupations de santé publique, des
préoccupations de sécurité dans d'autres domaines?
Pourtant, on n'exige pas du tout de l'avocat ni du médecin qu'il ait
cette obligation de résultat, de garantie, si on veut, de son
travail.
Alors, nous disons: Pourquoi placez-vous l'architecte dans une classe
à part? Pourquoi lui, comme professionnel, ne serait-il pas astreint aux
devoirs d'un professionnel et quels sont les devoirs d'un professionnel? C'est
de suivre les règles de son art au mieux de ses connaissances, de son
habileté et selon les principes reconnus de sa profession. Cela devrait
être ça. Créer une présomption de
responsabilité n'a pas sa raison d'être. Il n'y a pas de soutien
doctrinal à cette création qu'on maintient dans le nouveau
projet, je dirais, par inertie plutôt que par autre chose. Finalement, on
va créer des problèmes d'interprétation. On étend
la garantie, on y ajoute la détérioration, on songe à
l'avance aux années de jurisprudence que cela va provoquer. C'est vrai,
vous pouvez me dire, que dans un sens, la détérioration par la
jurisprudence a été amenée dans une certaine mesure sous
le cadre de l'article 1688; mais il reste que c'est une
détérioration qui équivaut à la ruine du
bâtiment. Alors là, on introduit une détérioration,
un nouveau terme qu'il faudra interpréter. Évidemment, ce qui
ressort de tout ceci, c'est que loin de démarginaliser l'architecte par
rapport aux autres professionnels, on augmente sa marginalisation.
Alors, ce n'est pas une réforme qui s'inscrit dans le contexte
moderne. Nous avons également souligné dans le mémoire que
c'est une situation unique au Québec, en Amérique du Nord, et
finalement vis-à-vis de tous leurs collègues de l'Amérique
du Nord, les architectes ici sont encore une fois marginalisés. Cela n'a
pas de raison d'être, on n'a avancé nulle part de justification.
C'est ce que nous vous soumettons avec respect concernant le maintien de cette
présomption de responsabilité.
Prenons un exemple: le cas des études du sol. Les architectes de
nos jours ne font pas d'étude du sol. Pourquoi y aurait-il une
présomption au départ qui les rend responsables, s'il y a un
problème de vice de sol? L'autre anomalie, si on veut, c'est le maintien
de la responsabilité conjointe et solidaire. Encore une fois, seul le
Québec retient ce régime et ce régime de
responsabilité conjointe et solidaire en matière non
délictuelle est un régime d'exception. Quelle est la
justification de placer encore une fois les architectes dans un régime
d'exception? On ne peut pas deviner le motif sous-jacent à ceci mais,
encore une fois, à ce niveau, ce n'est pas une avance, c'est un recul
par rapport à la situation actuelle.
Il est à noter que les architectes, à l'heure actuelle -
c'est quelque chose qu'ils souhaitent évidemment voir se modifier
à l'avenir - n'ont pas le droit de s'incorporer. Nous soutenons au
départ, que d'imposer la solidarité à des parties qui ne
sont pas soumises nécessairement au même régime
légal, dont une peut limiter sa responsabilité - et je pense
surtout évidemment à l'entrepreneur - et l'autre, non. Nous vous
disons qu'il y a une injustice derrière cela et
que cela ne devrait pas être prévu dans le Code civil.
Encore une fois, ce n'est pas nécessaire, cela y est, pensons-nous, par
inertie.
L'approche proclient de l'avant-projet dont nous vous parlons à
partir de la page 7. Ce n'est pas que nous soyons contre l'approche proclient,
mais nous vous disons qu'elle n'est pas justifiée dans le contexte d'un
Code civil. Le Code civil s'adresse à tous les justiciables. Si vous
voulez adopter des dispositions particulières aux consommateurs,
particuliers aux clients consommateurs, insérez-les dans une section
spéciale qui ne s'applique qu'à eux, mais ne faites pas des
règles de droit qui tiennent pour acquis au départ que c'est le
client prédominant ou c'est le client omniprésent, parce que ce
n'est pas la réalité d'aujourd'hui.
Si vous voulez, dans une telle loi, dans une loi sur la protection du
consommateur ou dans une section spéciale si l'on veut sur la
construction du bâtiment résidentiel, protéger le client,
sur ce plan, les architectes sont prêts à accepter que la
présomption de garantie de cinq ans demeure, mais dans ce
contexte-là uniquement. Il n'y a pas de raison de créer une
présomption lorsque le client de l'architecte est lui-même un
expert. C'est le cas, comme je vous le disais, de plus en plus souvent.
À partir de la page 9 de l'avant-projet, nous vous avons fait
part de certaines parties qui nous paraissent inadéquates au point de
vue de la rédaction. Je vous fais remarquer ici, et vous l'avez
sûrement constaté, qu'il y a également une analyse
ponctuelle, article par article, qui se retrouve à l'annexe 1 de
l'avant-projet. Il serait évidemment fastidieux de reprendre tous ces
termes. Il y en a plusieurs qui vous ont déjà été
mentionnés. Le mot "professionnel" par exemple, le mot
"détérioration", le mot "réception avec réserve".
Nous vous disons également que souvent la rédaction n'ajoute
rien. L'article 2164 par exemple, ce n'est pas le titre attribué
à un contrat qui en détermine la portée juridique, mais
bien son contenu obligationnel; c'est cela qu'il faudra regarder à tout
événement. Nous vous disons également que la
rédaction ne reflète pas la réalité. Nous vous
citons comme exemple l'article 2161 qui impose aux professionnels
d'exécuter personnellement le contrat, alors que nous savons qu'avec la
nouvelle définition du "professionnel" qu'on envisage dans la
réforme du Code civil, le professionnel sera souvent une personne
morale.
Nous avons également fait des commentaires sur la notion de
contrat d'oeuvre. Nous ne croyons pas qu'il soit heureux de vouloir regrouper
deux types de contrats qui, bien qu'ils soient tous deux
caractérisés par l'absence d'un lien de subordination,
prévoient, par ailleurs, des obligations de nature différente,
soit l'obligation de résultat dans le cas du contrat d'entreprise et
l'obligation de moyens ou de diligence dans le cas du contrat de services.
D'ailleurs, cette distinction, fondée sur la nature
intellectuelle ou matérielle de l'oeuvre, nous paraît très
ténue et très difficile à appliquer, et je pense que nous
ne sommes pas les seuls à avoir ce point de vue.
Nous vous avons également parlé de la
responsabilité des architectes: obligation de moyens ou de
résultat. C'est un point que nous développons à partir de
la page 18. Comme je sais que vous avez lu le mémoire, je ne
m'étendrai pas là-dessus et je vais tout simplement passer
à nos recommandations principales sur la rédaction du chapitre
huitième.
La première: maintenir la distinction traditionnelle entre le
contrat d'entreprise et le contrat de services. J'ajouterai que tout le monde,
à notre connaissance, semble d'accord pour que cette distinction soit
maintenue.
La deuxième: restreindre l'utilisation du mot "professionnel"
à l'architecte et à l'ingénieur et utiliser le mot
"entrepreneur" dans les dispositions qui ne sont pas applicables aux contrats
de services professionnels, mais qui visent plutôt d'autres
intéressés, tels l'entrepreneur ou le promoteur immobilier.
Là-dessus, je note que les entrepreneurs sont flattés de se faire
appeler professionnels mais, par contre, qu'ils sont d'accord avec nous pour ne
pas être définis comme professionnels. Alors, je pense que cela
fait l'unanimité. L'usage du mot "professionnel" entraînera de la
confusion. Pourquoi ne pas éviter ce problème dès le
départ et appeler les gens par le nom qui leur convient?
Nous recommandons de définir l'obligation de l'architecte comme
étant une obligation de moyens, parce que l'architecte est le conseiller
du client sur le travail accompli par l'entrepreneur. Ce n'est pas l'architecte
qui réalise la construction du bâtiment.
Nous recommandons de ne pas assujettir l'architecte à la limite
de 10 % sur le prix approximatif de la construction. Notre analyse ponctuelle
explique très bien pourquoi.
Nous recommandons de conserver la notion de fin des travaux comme
élément déterminant du moment du paiement, de la
levée des garanties et du point de départ de la prescription. Il
y a un consensus concernant l'ambiguïté des termes introduits par
le projet de réforme. Ce sont les termes "réception",
"délivrance", "réception avec réserve", "réception
sans réserve". Alors, pourquoi ne pas conserver une notion sur laquelle
il existe une abondante jurisprudence? Pourquoi encourager, encore une fois,
des années d'incertitude et de flottement en attendant que la
jurisprudence soit fixée sur ces nouveaux termes, alors que la notion de
fin des travaux existe, est pratique et, somme toute, fonctionne? (15 h 45)
Nous recommandons d'éliminer la présomption légale
de responsabilité de l'article 2183 de l'avant-projet. Nous remarquons
que cette recommandation, qui est la sixième, est la seule, avec la
troisième qui lui est reliée, sur laquelle il n'y a pas
unanimité. Sur le reste de nos recomman-
dations, il semblerait que nous ayons un consensus. Même sur ces
deux recommandations, je pense que nous avons des appuis partiels importants
dans la position d'autres intervenants qui sont venus vous faire des
représentations ou qui vont venir vous en faire.
Nous recommandons de ne pas assujettir l'architecte à la garantie
de parfait achèvement parce que son rôle en est un de conseiller
et d'intermédiaire entre le client et l'entrepreneur. Encore une fois,
ce n'est pas lui qui réalise le bâtiment.
Nous recommandons d'éliminer la responsabilité conjointe
et solidaire de l'architecte avec l'ingénieur et l'entrepreneur en
soulignant qu'il n'existe aucun lien contractuel entre eux. Le lien contractuel
est avec le propriétaire et c'est lui qui choisit l'entrepreneur,
l'architecte et l'ingénieur. Alors pourquoi à ce moment-là
décréter une solidarité entre ces gens?
Finalement, nous recommandons d'inclure dans une loi sur la protection
du consommateur les dispositions qui sont nécessaires pour
protéger le client qui n'est pas un expert du bâtiment.
En résumé, nous soulignons que les architectes oeuvrent
à une échelle sûrement nord-américaine et même
mondiale. Cela est connu. La planète se rapetisse. C'est un
phénomène qui se produit et qu'on ne peut pas ignorer. Alors, on
ne doit pas marginaliser l'architecte dans ce contexte. Il faut donc que les
architectes soient soumis au même régime que ceux de tous leurs
collègues nord-américains et qu'ils soient astreints à une
obligation de moyens comme leurs collègues nord-américains.
Enfin, il faut que les architectes soient responsables des conseils
qu'ils donnent, mais pas du travail de l'entrepreneur et des tiers. Alors,
c'est notre mémoire.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, maître.
Compte tenu que nous avions 30 minutes pour chacun des groupes à venir,
vous avez à peine cinq minutes pour vos questions. Donc, je recevrai une
question de part et d'autre.
M. Filion: Je suis consentant, M. le Président, à
ce qu'on puisse prendre le temps qu'il nous faut, surtout pour un
mémoire très bien fait et très intéressant. Alors,
il y a consentement. On prendra le temps qu'il nous faut...
M. Dauphin: Sur le même sujet...
M. Filion: ...mais tout en gardant à l'esprit
évidemment que nous aurons d'autres groupes cet après-midi.
M. Dauphin: Sur le même sujet, M. le Président,
effectivement, je pense qu'on peut déborder.
Le Président (M. Marcil): D'accord. Je vais
reconnaître le député de Marquette, adjoint parlementaire
du ministre de la Justice.
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. Au nom du
ministre de la Justice du Québec et des collègues
ministériels, nous aimerions souhaiter la bienvenue à l'Ordre des
architectes du Québec et à l'Association des architectes en
pratique privée du Québec, et les remercier de participer
à nos travaux. J'aimerais aussi les féliciter pour la
préparation et la présentation de leur mémoire,
mémoire qui est quand même direct, précis, clair et
réfléchi. Ceci m'amène d'ailleurs à vous poser la
première question.
Évidemment, vous dénoncez le fait que l'avant-projet de
loi maintient la présomption légale de responsabilité dans
l'article 1688 actuel. Vous dites qu'il faut repousser la présomption
légale de solidarité, ce qui est une dérogation au
régime général de droit commun, et que la
solidarité est foncièrement contraire aux impératifs de
justice et d'équité. J'aimerais vous entendre sur le
deuxième alinéa de l'article 2185 de l'avant-projet de loi qui
prévoit que le professionnel peut se décharger de cette
responsabilité. Alors, Me Duval Hesler.
Mme Duval Hesler: Quoi de plus normal que d'avoir le droit de se
défendre! Finalement, c'est tout ce que l'article 2185 dit. Il donne le
droit de se défendre avec les moyens habituels de défense qu'on a
dans toute action. Il est reconnu que, quand on s'adresse à une cour de
justice, la partie qui demande le changement du statu quo a le fardeau de la
preuve et c'est ce qui n'existe pas dans le cas des architectes. Il existe une
présomption, le fardeau de la preuve est déplacé vers la
demande à la défense. La demande n'a même pas, sauf d'une
façon limitée, à établir le reproche - si on veut -
qu'elle adresse à l'architecte; il lui suffit d'établir que
certaines choses se sont passées et c'est à l'architecte de se
débrouiller avec l'affaire et, lui, d'aller trouver le vrai coupable. Ce
que nous vous disons, c'est que ce ne sont pas là les règles qui
s'appliquent normalement dans toute action intentée devant nos cours de
justice. C'est une dérogation au droit commun dans ce
sens-là.
L'article 2185 dit: Vous avez le droit de vous défendre. Belle
affaire! Nous, ce qu'on vous dit c'est: Pourquoi est-ce que, non seulement on a
le droit de se défendre, mais pourquoi lorsqu'on s'adresse à nous
sous l'article 2185 n'a-ton pas le fardeau de prouver le reproche qui nous est
adressé? Alors, c'est notre réponse: C'est une dérogation
au droit commun, il n'y a aucun doute là-dessus. Tous les auteurs le
reconnaissent. Je ne connais pas d'auteurs québécois qui
favorisent le maintien de cette présomption et c'est pourquoi je me suis
permis de vous dire: Je pense qu'elle est là par inertie.
M. Dauphin: Merci beaucoup. Ma question
s'adresserait peut-être à M. Tétreault. Dans la
pratique courante dans votre profession, comme architecte, est-ce que cela se
produit souvent que l'entrepreneur, par exemple, fasse faillite et que la
responsabilité étant solidaire, évidemment c'est
l'architecte ou l'ingénieur qui écope? Je ne sais pas si vous
pourriez nous parler de ce qui se produit en pratique.
M. Tétreault: Vous touchez un point bien important. Cela
ne se produit peut-être pas très souvent mais la plupart du temps
quand il y a un litige cela se produit parce que l'entrepreneur peut
disparaître à un court avis, il fait cession de ses biens ou
change de nom. On a souvent des entrepreneurs qui changent
régulièrement de nom, ils passent les biens et, finalement, ils
ne passent pas la responsabilité. Le problème pour les
architectes c'est d'être seuls devant les poursuites. Il est solidaire
avec l'entrepreneur mais l'entrepreneur n'est plus là. C'est un des
problèmes majeurs et l'architecte ne peut pas se défiler de ces
causes-là. Je ne sais pas si Me Duval Hesler veut rajouter un peu
là-dessus.
Mme Duval Hesler: Le point fondamental, c'est que pour
l'entrepreneur c'est facile d'opérer une réorganisation
corporative. C'est l'enfance de l'art. Il y en a même, je dirais, dont
c'est le deuxième métier. Ha, ha, ha! C'est tout aussi important
pour eux, si on veut, que de faire du bâtiment. Alors, c'est là
que la solidarité devient inique parce que vous avez deux parties qui ne
sont pas susceptibles d'avoir les mêmes recours à des
réorganisations du genre pour limiter leurs responsabilités. Les
architectes - je ne perds pas cela de vue - ont demandé, effectivement,
d'acquérir le droit de s'incorporer mais, là encore, non pas pour
échapper à leurs responsabilités professionnelles, mais
tout simplement pour fonctionner plus facilement, comme beaucoup de
professionnels souhaitent pouvoir s'incorporer de nos jours. Donc, vous avez
une partie qui, elle, a la possibilité d'échapper facilement
à ses responsabilités professionnelles et vous en avez une autre
qui est présumée responsable pour le même travail qu'elle
n'a pas réalisé et qui, finalement, va être la seule, comme
on dit en anglais, "holding the bag". Quand on vous parle du sac noir, ce qui
se produit exactement, c'est ça dans la réalité des
choses. Il faut regarder les conséquences pratiques et concrètes
des dispositions législatives qu'on adopte. Et, la conséquence
pratique et concrète de cette présomption, c'est qu'elle est
inéquitable vis-à-vis de l'architecte et, finalement ce que je
n'ai pas encore compris, c'est la raison d'être de cette
présomption aujourd'hui, dans le contexte de 1988. J'aimerais que
quelqu'un me dise pourquoi c'est nécessaire, par opposition à
tous les autres domaines où l'on aurait besoin d'assurer la
sécurité du public.
M. Dauphin: Ce qui m'amène, si vous per- mettez, M. le
Président, à une deuxième question sur le terme
"professionnel". Plusieurs organismes nous ont fait des représentations
quant à l'utilisation du terme "professionnel", notamment au niveau du
contrat d'oeuvre: certains allèguent que ce terme est
réservé, en vertu du Code des professions, aux seuls
professionnels visés audit code; d'autres allèguent que le terme
est trop flou. Cependant, dans le langage généralement
parlé, on retrouve souvent ce terme utilisé dans un tout autre
contexte, par exemple, un sportif professionnel ou un professionnel de la
santé, etc. Alors, auriez-vous une suggestion à apporter pour
remplacer, finalement, le terme professionnel?
Mme Duval Hesler: Je pense que la solution serait d'appeler les
gens par leur nom. Les professionnels, les appeler "professionnels", et les non
professionnels, les entrepreneurs, les appeler "entrepreneurs". Pourquoi
insister pour mettre absolument tout le monde dans le même panier? Cela
va régler quoi, finalement? Nous nous sommes livrés à un
exercice qui était de remplacer, chaque fois qu'on voyait un article de
l'avant-projet, le mot "professionnel" soit par le mot "architecte", soit le
mot "entrepreneur". Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de dispositions
n'ont vraiment trait qu'à l'entrepreneur, l'architecte n'étant
aucunement visé. Alors, ce que nous disons, c'est: Appelons les gens par
leur nom, faisons des lois claires, parlons du professionnel quand vraiment il
s'agit d'un professionnel. Je suis d'accord avec vous pour dire que, dans le
langage courant, on utilise le mot "professionnel" pour autre chose que les
gens qui sont visés par le Code des professions, c'est vrai. Mais, le
fait est qu'il faut s'attarder à essayer de pondre des textes
législatifs clairs, et le fait est que l'usage du mot "professionnel"
dans ce contexte-ci va mener à la confusion. Tout le monde le
décèle, tout le monde le voit, tout le monde voit le danger.
Donc, il me semble qu'il serait simple et une partie du problème serait
résolue si on n'insistait pas pour fondre en un seul contrat le contrat
d'oeuvre, le contrat de services professionnels et le contrat d'entreprise. Si
on maintenait cette distinction entre le contrat d'entreprise, qui consiste
à réaliser une oeuvre matérielle et le contrat de
services, on réglerait une grande partie de la confusion qui va
inévitablement s'installer. Alors, je pense que la solution est
là. Il faut à la fois retenir les deux types de contrat. Cela
donne quoi, est-ce si important, de toute façon, d'appeler ça
"contrat d'oeuvre"? C'est de la terminologie. Est-ce si important d'en
éliminer un? Il y en a déjà tellement de contrats dans
notre code, il y a tellement de contrats innommés, pourquoi faut-il
absolument se débarasser des mots "contrat de services", ou "contrat
d'entreprise" pour refondre cela en "contrat d'oeuvre" et essayer d'englober
les deux? Quel est l'objectif qu'on réalise avec ça? Il ne faut
pas tomber
dans le nominalisme, appelons les choses par leur nom, c'est un contrat
d'entreprise? C'est un contrat d'entreprise. C'est un contrat de services?
C'est ce que c'est. Vous allez voir qu'il y a une grande partie de la confusion
au sujet des professionnels qui va disparaître en même temps.
M. Dauphin: Très intéressant. Merci. Je crois que
ma collègue de Groulx aurait également une question avec la
permission du député de Taillon.
Le Président (M. Marcil): J'espère que M. le
sous-ministre prend bonne note des remarques de madame. Mme la
députée de Groulx.
Mme Bleau: Nous sommes là pour leur rappeler cela, quand
même. Pour l'article 2160 de l'avant-projet de loi, vous affirmez
à la page 18 de votre mémoire que l'obligation de résultat
imposée aux architectes est discriminatoire face aux autres professions
qui n'ont qu'une obligation de moyen. Or, les autres professionnels, lorsqu'ils
accomplissent une oeuvre principalement matérielle, sont aussi soumis
à une obligation de résultat. Je pense ' entre autres au dentiste
qui fait l'obturation d'une dent et qui doit certainement produire un
résultat. Ne croyez-vous pas qu'il soit normal de s'attendre à un
résultat dans un tel cas?
Mme Duval Hesler: Je dois vous avouer que je suis en
désaccord avec vous là-dessus. Le dentiste n'a pas une obligation
de résultat. Vous pouvez, pour une raison quelconque qui vous est
particulière, présenter une difficulté extraordinaire pour
l'obturation de votre dent et, malgré ses efforts, sa diligence, son
talent, son habileté, ses connaissances, ses compétences, il va
finir par être obligé de vous dire que vous allez perdre votre
dent. Il n'a pas l'obligation de sauver votre dent. Il n'a que l'obligation de
faire de son mieux. Moi je n'ai pas l'obligation de gagner ma cause, Dieu
merci, s'il fallait que je ne sois payée que lorsque je gagne mes
causes, je vivrais pauvrement.
Des voix: Ha, ha, ha.
Mme Duval Hesler: Ce que nous disons c'est que le médecin
n'a pas l'obligation de guérir son patient. Pourquoi dans le cas de
l'architecte, qui ne réalise même pas l'oeuvre, au plan
matériel, lui imposez-vous l'obligation que l'édifice se tienne
debout? Je reconnais que c'est souhaitable que l'édifice se tienne
debout, c'est ce que nous voulons tous. Les édifices vont se tenir
debout si vous faites de bons architectes, bien formés et que les
licences ne soient pas données à des incompétents. C'est
ce qui fera que les édifices se tiendront debout, mais ce n'est pas en
imposant une fiction légale qu'on règle un problème de
compétence ou de sécurité du public. Alors ce n'est pas
vrai de dire que le dentiste a une obligation de résultat, il a une
obligation de moyen. Mais l'architecte, lui, a une obligation de
résultat. (16 heures)
Mme Bleau: Mais si, à un certain moment, l'entrepreneur
peut prouver que c'est à cause des plans de l'architecte que la maison
ne tient pas debout, à ce moment-là est-ce qu'il y aura quand
même des moyens de se retourner vers l'architecte?
Mme Duval Hesler: Absolument, nous voulons que l'architecte
demeure responsable de ses fautes, c'est essentiel. Nous ne voulons pas que
l'architecte jouisse d'une exonération totale de ces obligations
contractuelles et légales. Tout ce que nous voulons c'est qu'il soit
astreint au même régime juridique que n'importe quel justiciable,
qu'en partant il ne se voie pas automatiquement chargé du fardeau de la
preuve qu'il est architecte. C'est tout, mais si vous pouvez démontrer
que les plans sont mal faits, il paiera la note. Il est prêt à
payer la note mais ça sera déterminé selon les
règles habituelles et non selon un régime particulier qui le
marginalise. D'ailleurs on me dit, mais j'avoue n'en avoir aucune connaissance
personnelle, que dans les seuls autres pays où on retrouve ce genre de
dispositions, ce sont des pays de droit civil, pas tous, en passant, et ils
n'ont pas la solidarité pour la plupart. Ils peuvent avoir la
présomption légale de responsabilité mais ils n'ont pas de
solidarité avec l'entrepreneur, ce qui est très important parce
que les deux dispositions jouent ensemble pour créer une situation qui
est particulièrement inique dans le cas d'acheter. Mais on me dit que
ça crée des problèmes dans les pays de droit civil et que,
finalement, les architectes deviennent marginalisés par rapport au bois
spécialisé de construction et au bois spécialisé de
bâtiment. Est-ce que c'est ça que vous voulez? Je ne le pense pas.
Je pense qu'au contraire le législateur doit essayer de grandir le
rôle de l'architecte qui, somme toute, est le protecteur du client
vis-à-vis de l'entrepreneur. C'est ça qu'on devrait favoriser et
non l'inverse, pas nous mettre dans le même sac que l'entrepreneur.
On devrait veiller à ce qu'il exerce de façon efficace son
rôle de conseiller du client. Souvent, il le fait. Souvent l'architecte
est en conflit directement ou indirectement avec l'entrepreneur. Ce que je dis,
c'est que finalement, il y a une inversion de rôle qui est curieuse et
qui n'a pas sa raison d'être.
Le Président (M. Marcil): Cela va. M. le
député de Taillon.
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. M.
Tétreault, messieurs et Me Duval, je voudrais vous remercier pour votre
mémoire qui représente sûrement un mémoire parmi les
mieux faits que nous ayons reçus. Il est extrêmement
fouillé, fait le tour de la question qui vous concerne
évidemment, plus directement la question des architectes qui est, d'une
façon, quand même supérieure. Je pense qu'on doit
l'admettre. Votre mémoire contient d'abord quelques
énoncés au niveau des principes de responsabilité et
également plusieurs remarques spécifiques sur telle ou telle
partie de l'avant-projet de loi.
Alors, mes remarques et questions porteront sur les principes
généraux que vous avez évoqués. La
démonstration reste assez séduisante, je pense qu'il faut le
dire. L'obligation de résultats, en ce qui concerne les professionnels,
à ma connaissance, je ne connais pas d'autres professionnels qui sont
soumis à une obligation de résultat. Par contre, tantôt
vous posiez la question à Mme Duval Hesler, pourquoi les architectes
auraient cette obligation de résultat alors qu'elle n'existe pas
ailleurs? Je dis souvent qu'on ne devrait pas se faire l'avocat du diable. Il
est suffisamment bien représenté dans notre
société, mais pour répondre à votre question, je me
ferai un peu l'avocat du diable. J'ai l'impression que le législateur
n'a pas voulu que ça arrête quelque part. Si le pont tombe, on
voudrait que les gens qui auraient le droit de s'imaginer que le pont
était de sécurité relative, puissent avoir un recours
quelque part.
Si un édifice tombe, c'est un édifice public parce
qu'évidemment une partie de vos travaux est publique. On restaure
beaucoup d'édifices, on en construit des neufs, les gens se
promènent dedans, l'accès est public. Sans avoir fait
d'étude poussée, mon impression est qu'à un moment
donné les législateurs à l'époque ont voulu qu'on
statue quelque part, sinon les gens se promèneraient un peu partout dans
les endroits publics. Ici, ma foi, au parlement, le plafond nous tombait sur la
tête, on aimerait savoir à qui s'adresser pour être
indemnisé. Vous les premiers.
Il convient de se poser la question: Est-ce qu'en 1988 ce type de
responsabilité, qui est nettement supérieure, bien que
l'avant-projet de loi, vous l'admettrez, constitue une amélioration, il
demeure que pour vous cette responsabilité confie un fardeau qui est
beaucoup trop lourd et qui, je pense, ne convient pas non plus à la
réalité de votre métier où l'architecte agit
auprès de clients qui connaissent pas mal bien tous les
minisystèmes ou les microsystèmes qui rentrent dans
l'édifice?
Ma question s'adresserait peut-être à Me Duval et prendrait
la forme suivante. Ce citoyen veut être protégé à un
moment donné et si l'architecte n'a qu'une obligation de moyens, si
l'architecte peut aussi s'incorporer comme l'entrepreneur, on risquera de
frapper dans le vide. Alors, j'aimerais que vous puissiez réagir
à ces propos un peu diaboliques, mais volontairement diaboliques.
Mme Duval Hesler: II faut replacer les choses dans leur contexte.
Je me suis demandé pourquoi cela existait effectivement la
présomption de responsabilité, la garantie de cinq ans. Il faut
songer que notre Code civil nous vient, tout le monde le sait, du Code
français et il faut songer que le Code français est une
codification de la coutume existante. Donc, on remonte loin. On ne vous parle
pas de l'ère moderne. C'est la codification d'une coutume qui existait
alors que l'architecte était le bâtisseur, alors que la profession
d'architecte n'existait même pas. Donc, c'était normal, on voulait
que cela arrête quelque part. C'était une oeuvre
matérielle, c'était le bâtisseur. On lui disait: Ton
édifice va se tenir debout. Cela vient de là.
Ce que je vous dis aujourd'hui, c'est que la situation a
évolué. Vous ne pouvez pas, en 1988, prétendre que
l'architecte est encore le bâtisseur. En connaissez-vous un seul? Moi je
n'en connais pas. L'argument dit "la sécurité du public". La
thalidomide, cela a été grave au point de vue de la
sécurité du public. Il n'y avait pas de présomption contre
le fabricant du médicament. Si c'est une question de
responsabilité du public, vous allez créer des
présomptions à gauche et à droite et partout. Il va y
avoir une présomption pour Saint-Basile-le-Grand. Il va y avoir une
présomption pour la MIUF, il va y avoir une présomption pour un
tas de choses. C'est sûr qu'on le voudrait, mais il n'y a pas d'assureur
universel en ce bas monde. Cela n'existe pas. Cela ne cadre pas avec la
réalité. Pourquoi, dans le cas de l'architecte, voulez-vous qu'il
soit l'assureur universel des usagers d'un bâtiment? C'est à peu
près cela.
M. Filion: En vous écoutant parler, je suis convaincu que
la majorité des professionnels ont subi, au cours des dernières
années, des augmentations de prime d'assurance assez faramineuses. Comme
votre situation légale est celle qui est fort bien décrite par Me
Duval, est-ce que le président de l'ordre pourrait me donner une
idée de ce que pourrait être actuellement, l'ordre de grandeur
d'une prime d'une police d'assurance pour un architecte actif dans le milieu
des édifices publics?
M. Tétreault: C'est très élevé. Le
seul exemple que je peux vous donner concrètement, c'est ma propre
prime. Vous n'aimerez pas entendre cela. Mon principal client c'est le
gouvernement de la province de Québec et ses filiales,
c'est-à-dire les hôpitaux, etc. Je payais, il y a trois ans, une
prime de 0,9 % des honoraires gagnés. En un an, pour avoir la même
protection, la prime est passée à 7 %. Ceci, parce que j'ai un
client difficile. Je n'ai jamais eu de réclamation en 20 ans, mais j'ai
un client qui est gouvernemental. On me dit: Parce que vous avez un client
gouvernemental, votre prime est 7 %. Cela vous donne un exemple. Pierre-Louis
peut vous donner plus d'exemples, parce qu'il a eu affaire à cela.
M. Rivest (Pierre-Louis): À titre de président des
350 bureaux que je représente, les architectes en pratique privée
du Québec, on a fait une enquête auprès de nos membres.
Comme l'a dit M. Tétreault tout à l'heure, chez nos membres, en
moyenne, les pourcentages facturés par les assureurs varient entre 1,3 %
et 5,4 % du chiffre d'affaires brut des bureaux. On parle donc avant
impôt. Si vous avez un bureau qui fait 200 000 $ d'affaires, vous
calculez jusqu'à 5,4 %. J'empiète un peu sur un autre sujet,
lorsque c'est le bureau d'architectes qui retient les services d'autres
professionnels, par exemple, d'ingénieurs-conseils ou d'autres experts
conseils, les compagnies d'assurances à ce moment calculent même
les primes. Donc, c'est l'architecte qui paie une surprime sur même des
honoraires qu'il ne touche pas, des honoraires qu'il verse. Toujours le
même exemple avec les 200 000 $, s'il a eu 50 000 $ d'honoraires qui
devront être versés à d'autres professionnels, les 5,4 %
sont calculés tout de même sur cela. C'est exorbitant, je pense
que nous sommes l'une des professions les plus taxées par rapport
à l'assurance professionnelle.
M. Filion: Donc, en ce qui nous concerne, je voudrais au nom de
l'Opposition officielle remercier les représentants de l'Ordre des
architectes du Québec et l'Association des architectes en pratique
privée du Québec. J'ai remarqué dans le document que vous
n'avez pas hésité à faire des comités pour
préparer le mémoire, donc à faire le tour de vos membres
pour aller chercher des conseils juridiques appropriés. Cela a
donné un excellent mémoire. Il y a un dialogue, en ce qui me
concerne, qui est fort fructueux. Il reste à savoir quelle saveur aura
le projet de loi lui-même qui modifiera le Code civil. Nul doute que vos
commentaires de cet après-midi sauront alimenter la réflexion de
l'équipe du ministère de la Justice. Merci. Cela va.
M. Dauphin: M. le Président, je crois qu'avant de vous
remercier, avec le consentement des membres de la commission, M. Rivest aurait
une petite conclusion de deux minutes à nous faire.
Le Président (M. Marcil): Oui, allez-y.
M. Rivest: Si vous le permettez, M. le Président. Deux
minutes au maximum. M. Tétreault a parlé au nom de l'ensemble des
architectes. Je parle, comme j'ai dit tout à l'heure, au nom de 350
bureaux d'architectes en pratique privée du Québec. Comme on
vient de vous l'exposer, être architecte, c'est beaucoup plus qu'imaginer
l'apparence de nos édifices. L'architecte est l'un des principaux
intervenants du domaine de la construction. Son rôle dans l'industrie est
sans égal et son intervention se veut globale. Il produit des plans et
devis, non seulement à l'image des besoins de ses clients, mais aussi en
conformité au code et à la réglementation en vigueur. Il
est préoccupé de la sécurité des utilisateurs
actuels et futurs du bâtiment. Les architectes sont très
conscients de la nécessité de protéger le client en
matière de construction. Sur ce plan, dans la pratique quotidienne, les
architectes jouent d'abord et avant tout un rôle de protecteurs du
consommateur auprès de l'entrepreneur, du promoteur ou du client. Le
milieu de la construction est fort complexe et mérite, nous croyons, une
législation claire, libre de toute ambiguïté. L'écart
créé entre le rôle de l'architecte et les dispositions
actuelles du Code civil rend la situation intolérable et le deviendra
davantage advenant l'adoption de l'avant-projet tel que proposé. Il
suffit de penser à la responsabilité conjointe et solidaire de
l'architecte, de l'ingénieur et de l'entrepreneur dont on a parlé
abondamment.
Comme vous le savez sans doute, une construction fait appel à une
multitude d'intervenants qui sont normalement choisis un à un par le
client. L'architecte n'exerce aucun contrôle, ni sur ce choix, ni sur les
méthodes de travail de ces intervenants. De plus, chacun d'eux
fonctionne selon un statut juridique différent, comme on en a
parlé. Certains ne peuvent même pas s'incorporer.
À notre avis, il est démesuré que ces intervenants
soient solidairement responsables entre eux puisque aucun ne choisit avec qui
il collaborera. D'ailleurs, nous comprenons que d'autres représentants
du domaine de la construction, ayant présenté des
mémoires, sont unanimes sur ce point.
L'évolution technologique a permis à l'architecte
d'innover. Il serait ironique que le législateur, en tentant de
moderniser le Code civil, impose à l'architecte des contraintes
tellement sévères qu'il confine ce dernier à un
conservatisme démodé et ce, au détriment de la
qualité de vie des utilisateurs de ses services. Dans sa forme actuelle,
l'avant-projet de loi ne tient aucunement compte de la réalité de
cette fin de siècle et impute aux architectes une responsabilité
démesurée, une responsabilité aujourd'hui accrue qui
échappe à leur contrôle effectif. L'avant-projet de loi
est, à plusieurs égards, inéquitable pour les architectes
et nous ne voyons pas en quoi les Québécois seraient mieux servis
ou protégés par des dispositions largement impraticables ou
irréalistes. Les architectes veulent assumer la responsabilité
professionnelle qui leur incombe. Nulle part ailleurs en Amérique du
Nord avons-nous décelé des obligations aussi lourdes
imposées aux architectes. En effet, nos confrères
nord-américains sont tenus à des obligations de moyens et leurs
clients s'en portent très bien. Les architectes souhaitent trouver un
réel équilibre des responsabilités dans un Code civil
révisé, un code où ils seront responsables de leurs actes
professionnels et non
de ceux posés par des tiers. Les architectes demandent donc au
législateur d'examiner minutieusement les mémoires
présentés cet après-midi et discutés et d'apporter
le plus rapidement possible les modifications qui s'imposent.
M. le Président, mesdames et messieurs les membres de la
commission, je vous remercie beaucoup de nous avoir entendus. (16 h 15)
M. Dauphin: Encore une fois, au nom du ministre de la Justice, de
mes collègues ministériels ainsi que de l'équipe de
réforme du Code civil qui nous accompagne, on aimerait vous remercier
encore une fois pour votre participation et vous dire, comme mon
collègue de Taillon vous l'a mentionné, que c'est un avant-projet
de loi. Alors, cela fera encore l'objet d'études attentives et vous
pouvez être assurés que vos représentations seront
étudiées avec beaucoup d'intérêt. Merci de votre
participation.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Une voix:
Merci, M. le Président.
Association coopérative d'économie
familiale du centre de Montréal
Le Président (M. Marcil): Je demanderais maintenant aux
membres de l'Association coopérative d'économie familiale du
centre de Montréal de prendre place à l'avant. Cela va? Me Diane
Girard et Mme Louise Rozon, représentantes de l'Association
coopérative d'économie familiale du centre de Montréal,
nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission parlementaire.
Nous avons une période de 30 minutes pour vous écouter et
vous questionner, tout en sachant, à l'avance, que votre mémoire
a déjà été travaillé et analysé par
les membres de cette commission. Si vous voulez procéder
immédiatement pour dix minutes d'exposé. Ensuite, on pourra en
discuter.
Mme Girard (Diane): D'accord. Merci beaucoup. Je voudrais
seulement présenter brièvement l'ACEF du centre de
Montréal qui est un organisme sans but lucratif qui offre des services
d'aide et de médiation aux consommateurs. À l'intérieur de
notre travail, nous sommes quotidiennement appelés à travailler
avec la Loi sur la protection du consommateur. Notre position par rapport
à l'avant-projet de loi repose essentiellement sur le maintien de
l'acquis actuel de la Loi sur la protection du consommateur. Nous estimons
également que le gouvernement pourrait profiter de cette occcasion de la
réforme en cours pour légiférer dans certains secteurs
d'activités qui ne sont pas couverts par la Loi sur la protection du
consommateur présentement. Nous comprenons que la réforme du Code
civil vise à harmoniser les règles de droit par rapport à
la modernisation de notre société.
Alors, c'est sans doute dans cet esprit que le gouvernement nous propose
dans son avant-projet de loi que soit incorporées désormais au
Code civil toutes les règles relatives aux droits de consommation qui
sont présentement dans la Loi sur la protection du consommateur. Donc,
pour nous, c'est reconnaître que dans notre société, la
très grande majorité des contrats sont des contrats de
consommation qui couvrent une multitude de biens et de services.
Cependant, nous voulons émettre certaines réserves par
rapport à l'effet que l'avant-projet de loi pourrait avoir sur l'acquis
actuel de la loi. Nous considérons que l'intégration des deux
tiers de la Loi sur la protection du consommateur, soit toute la partie qui
concerne les contrats de biens et services au Code civil du Québec, cela
ne doit pas se faire au détriment du consommateur et constituer un recul
non plus. En particulier, nous insistons beaucoup pour que la notion d'ordre
public qui est conférée à l'actuelle Loi sur la protection
du consommateur subsiste intégralement dans l'avant-projet de loi, parce
que, par ce principe, c'est protéger le consommateur et c'est faire en
sorte qu'on ne puisse déroger à la loi même par convention
particulière.
Or, nous voudrions vous faire remarquer que dans l'avant-projet de loi,
au chapitre de la vente, il est permis au consommateur d'abandonner ses droits
au sujet de la garantie légale des vices cachés, ce qui
représente pour nous un net recul par rapport à la situation
actuelle. Quant aux recours offerts au consommateur, nous considérons
que l'avant-projet de loi ne lui apporte pas une protection similaire à
celle qui est accordée présentement dans la loi. Pour nous, il
s'agit d'une perte de pouvoir pour le consommateur. Alors, actuellement, si un
commerçant manque à une obligation qui lui est imposée par
la loi, par exemple le défaut d'apposer une étiquette sur un
véhicule d'occasion, le consommateur peut exercer le remède de
son choix. Donc, il peut demander l'annulation, la résiliation ou la
résolution du contrat. Il peut demander également la
réduction de son obligation, des dommages-intérêts, des
dommages-intérêts exemplaires, etc.
Avec l'avant-projet de loi, les seuls recours dont disposerait un
consommateur dans une telle situation seraient les suivants: II pourrait
demander l'exécution en nature de l'obligation, il pourrait
l'exécuter à la place du commerçant et il pourrait
demander des dommages-intérêts. Dans le premier cas, il est tout
à fait inutile de faire apposer une étiquette à un
véhicule qui est déjà acheté; dans le second cas,
il est tout à fait dérisoire également que le consommateur
appose lui-même l'étiquette à son véhicule. Donc, il
ne lui resterait que l'éventualité des
dommages-intérêts. Alors, il s'agit d'une diminution inacceptable
des recours qui existent déjà dans la loi. Donc, nous demandons
au gouvernement de maintenir intégralement les recours qui s'offrent
au consommateur dans la loi actuelle.
De plus, nous nous sommes interrogés sur l'absence, dans
l'avant-projet de loi, de la notion de dommages-intérêts
exemplaires. Pour nous, ce principe devrait subsister. L'avant-projet de loi
reproduit la notion de dommages-intérêts compensatoires qui visent
uniquement à compenser une personne pour un préjudice subi, alors
que les dommages-intérêts exemplaires visent, eux, à
dissuader les commerçants fautifs à récidiver. Cela
représente aussi une incitation importante pour un consommateur à
poursuivre un commerçant fautif. Par exemple, un consommateur qui aurait
été lésé pour une somme de 50 $ se donnera rarement
la peine d'intenter des poursuites, de perdre une journée de travail,
pour récupérer ce montant minime. Donc, les
dommages-intérêts exemplaires, cela peut lui permettre de
compenser la perte de temps et de salaire qu'il aura à subir pour
défendre ses droits et cela l'incitera à poursuivre les
commerçants.
Maintenant, le fait d'intégrer au Code civil une partie
importante de la Loi sur la protection du consommateur, selon nous, aura pour
effet de réduire considérablement les pouvoirs de l'Office de la
protection du consommateur, si ces pouvoirs ne sont pas préservés
par un amendement à la Loi sur la protection du consommateur qui devra
donc subsister. Alors, pour nous, toute réduction des pouvoirs de
l'office est inacceptable. La Loi sur la protection du consommateur donne un
mandat précis à l'office: celui-ci doit surveiller l'application
de la loi, informer les consommateurs de leurs droits, recevoir des plaintes et
enquêter concernant tout sujet relatif à la loi. Avec la
réforme, seules vont subsister des dispositions relatives aux pratiques
de commerce, aux comptes en fiducie et aux agents de crédit. Donc, le
mandat de l'office sera réduit à la surveillance de ces
dispositions. De même, son pouvoir d'enquête ne pourra plus porter
sur toutes les règles qui régissent les contrats de biens et
services. Ayant perdu l'essentiel de son pouvoir de surveillance de la loi,
l'office ne pourra désormais plus agir comme intermédiaire entre
un commerçant fautif et un consommateur qui se plaindrait.
En conclusion, nous demandons que le gouvernement nous confirme que tous
les pouvoirs de l'Office de la protection du consommateur seront
préservés. Nous aimerions que le mandat de l'office soit
confirmé dans toutes les dispositions de la Loi sur la protection du
consommateur qu'on se propose d'intégrer au Code civil, sinon les
consommateurs sortiront perdants de cette réforme. Enfin, je voudrais
juste rappeler qu'avec cette réforme, le fait de contrevenir à
une disposition qui régit les contrats de biens et services ne pourra
plus constituer une infraction telle qu'elle existe dans la Loi sur la
protection du consommateur. Nous aimerions que le gouvernement préserve
cette disposition et qu'il identifie des infractions précises dans la
Loi sur la protection du con- sommateur, pour la partie du Code civil qui
traite des contrats de biens et services, de sorte que l'office conservera son
pouvoir de recommandation auprès du Procureur général.
Je cède la parole à Mme Rozon pour terminer
brièvement.
Mme Rozon (Louise): D'accord. Nous aimerions souligner
également l'importance d'apporter une réglementation dans le
domaine de la location d'autos à long terme. Depuis près de deux
ans, l'ACEF du centre de Montréal a reçu de nombreuses plaintes
concernant ce marché et nous avons fait l'étude de plus d'une
vingtaine de contrats. Il faut préciser que ce nouveau mode de
consommation est de plus en plus populaire. Selon les statistiques de la
Régie de l'assurance automobile du Québec, en 1985 on retrouvait
seulement 4251 voitures neuves de promenade louées à long terme
par des consommateurs. Or, ce nombre est passé à 24 078 en 1987,
ce qui représente une augmentation importante de 566 % en deux ans.
Les contrats de location d'autos à long terme ne font pas l'objet
d'une réglementation spécifique, contrairement aux contrats de
crédit qui, eux, sont réglementés depuis le début
des années soixante-dix par la Loi sur la protection du consommateur.
Or, dans l'avant-projet de loi, aucune règle juridique ne vient encadrer
spécifiquement ce marché. Ainsi, cette lacune doit être
corrigée, compte tenu des problèmes importants auxquels les
consommateurs se heurtent en signant de tels contrats et compte tenu de la
grande popularité de ce marché. À l'heure actuelle,
l'industrie profite de cette absence de réglementation et tire son
épingle du jeu. Dans les contrats qui sont actuellement sur le
marché, il y a, de toute évidence, un partage inéquitable
des responsabilités. Le locateur se donne tous les droits alors que
toutes les responsabilités incombent au consommateur. Ainsi, les
conséquences de ce vide juridique sont énormes pour les
consommateurs.
Concernant les clauses de bris de contrat, lorsqu'un consommateur met
fin prématurément à son contrat de location, il se voit
imposer de fortes pénalités. Il y a plusieurs raisons qui peuvent
amener un consommateur à mettre fin à son contrat de location:
s'il y a perte du véhicule à la suite d'un accident ou d'un vol,
ou principalement parce qu'un consommateur n'est plus en mesure,
financièrement, de respecter ses obligations. Le plus souvent, dans ces
conditions, le locateur, soit le bailleur, exige du consommateur une somme
égale à la différence entre le solde qui est dû en
vertu de son contrat et le montant perçu des assurances, dans le cas
d'un vol ou d'un accident, ou le prix de la revente du véhicule. Cette
somme peut facilement excéder les 5000 $. La somme exigée est
élevée parce que le mode de calcul pour évaluer le solde
est souvent obscur et avantage de beaucoup les locateurs au détriment
des consommateurs.
Certaines compagnies de location vont même jusqu'à exiger
la somme des loyers qui sont dus en vertu du contrat, additionnée
à la valeur résiduelle. Donc, le consommateur se trouve à
payer tous les intérêts, même s'il paie avant terme son
contrat.
Dans le domaine des contrats de crédit, ce genre d'abus ne peut
pas survenir, puisque le solde de l'obligation correspond uniquement au capital
qu'il reste à verser en vertu du contrat, sans aucuns autres frais
additionnels. De plus, dans le cas de la vente à tempérament, un
consommateur qui a payé plus de la moitié de son obligation peut
demander au tribunal, s'il est en difficultés financières, que la
remise de son véhicule éteigne son obligation; ainsi, il n'a
aucune pénalité à verser au créancier. La somme
exigée en cas de bris de contrat est également
élevée, parce que rien n'oblige le bailleur à revendre le
véhicule saisi ou remis volontairement par le consommateur dans un
délai raisonnable et au meilleur prix possible.
Un autre problème qui subsiste dans le domaine de la location
d'auto à long terme, c'est la notion de l'usure normale du
véhicule. Lorsque le consommateur remet son véhicule au terme du
contrat, il est tenu de le remettre en bon état, à défaut
de quoi il devra débourser le montant des réparations
nécessaires. Or, l'usure normale est une notion très vague et son
interprétation laisse place à des abus.
Concernant les reprises de possession, la plupart des contrats
contiennent une clause permettant au locateur de reprendre possession du
véhicule sans recourir aux tribunaux, lorsque le consommateur est en
défaut. On va même jusqu'à reprendre possession du
véhicule sans même l'envoi d'un préavis de 30 jours, ou 20
jours dans certains contrats. L'ACEF-centre suit ce dossier depuis près
de deux ans et constate jour après jour les abus dont sont victimes les
consommateurs. Nous demandons donc au gouvernement de réglementer ces
contrats au même titre que les contrats de crédit. Ainsi, pour que
les abus soient évités l'avant-projet de loi doit établir
des règles précises dans le mode de calcul qui prévaut en
cas de bris de contrat; la notion d'usure normale et les modalités de
reprise de possession d'un véhicule loué doivent également
être précisées. Avant de reprendre possession d'un
véhicule loué, tout bailleur devrait être tenu de fournir
au consommateur un préavis minimum de 30 jours. D'une façon
générale, les contrats de location d'autos à long terme
devraient contenir tous les renseignements nécessaires pour que les
consommateurs puissent faire un choix éclairé, ce qui n'est pas
le cas présentement.
Je voudrais souligner un autre point qu'on a présenté dans
notre mémoire: c'est concernant les retraits préautorisés.
Depuis quelques années, les innovations technologiques ont
carrément transformé les opérations bancaires. Dans ce
domaine, les institutions financières et les commerçants imposent
leurs règles du jeu au consommateur. C'est ce qui se passe dans le cas
où un consommateur effectue un paiement par retrait
préautorisé. C'est une méthode de paiement simple mais qui
comporte de grands risques pour les consommateurs, à l'heure actuelle.
Cette méthode consiste à faire signer au consommateur un
formulaire par lequel il autorise l'entreprise à prélever les
paiements directement dans son compte. Cette formule est de plus en plus
offerte aux consommateurs dans le cas des paiements répétitifs,
comme ceux que l'on doit faire pour s'acquitter d'un abonnement. Or, profitant
d'une absence de réglementation sur les transferts électroniques
de fonds, les institutions financières ne se donnent pas la peine de
vérifier les autorisations de paiement avant d'effectuer un retrait. De
plus, elles se dégagent de toute responsabilité en cas d'erreur
dans le traitement d'un retrait préautorisé. (16 h 30)
Les commerçants, quant à eux, se contentent parfois d'une
autorisation verbale. Même lorsqu'ils font signer une autorisation
écrite, celle-ci est habituellement très générale
et ne spécifie ni la durée, ni le montant, et ni la date des
retraits. Alors, des consommateurs se sont plaints à l'ACEF du centre de
Montréal qu'un même montant avait été
prélevé plusieurs fois dans le même mois, qu'un
commerçant avant effectué le retrait plus tôt que la date
convenue au contrat, ou encore que les retraits furent prélevés
au-delà de la date autorisée. Et, si le consommateur ne se rend
pas compte de ces erreurs, bien, personne ne va y mettre un terme.
Compte tenu de la popularité grandissante de ce mode de paiement,
l'ACEF-centre réclame du gouvernement qu'il précise un cadre
législatif au sujet des retraits préautorisés. Nous
recommandons que les commerçants soient tenus d'obtenir l'autorisation
écrite d'un consommateur pour pouvoir percevoir un paiement par retrait
préautorisé. Au moins, le contrat d'autorisation devrait
préciser le numéro de compte, le montant des retraits, les dates
auxquelles ils seront effectués ainsi que la durée de
l'autorisation qui devra être limitée à un an. Le
consommateur devrait conserver le droit de révoquer en tout temps son
autorisation et une clause d'annulation devrait également être
comprise dans le contrat.
Finalement, l'ACEF-centre réclame que l'institution
financière fasse signer un contrat d'autorisation au consommateur avant
qu'une entreprise ne puisse prélever un montant dans son compte.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Je vais
reconnaître immédiatement le député de Marquette,
adjoint parlementaire du ministre des... de la Justice.
M. Dauphin: De la Justice, c'est bien cela, M. le
Président. Alors, j'aimerais... Des Finances, ce sera peut-être
dans un autre mandat.
M. Filion: Peut-être un jour, M. le Président.
M. Dauphin: C'est bien gentil de votre part, M. le
député de Taillon.
M. Filion: Non, c'est la réalité, M. le
député.
M. Dauphin: Alors, vous voyez qu'il y a une belle collaboration
avec l'Opposition dans nos travaux et j'en suis fier, d'ailleurs.
J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue à l'ACEF du centre
de Montréal et la féliciter pour son mémoire. Tout
d'abord, j'aurais une remarque semblable à celle que j'ai faite à
d'autres groupes. J'aimerais vous rassurer au sujet des dispositions incluses
dans l'avant-projet de loi en matière de protection du consommateur: ce
n'est pas l'intention du gouvernement d'affaiblir ou de diluer les mesures de
protection; bien au contraire, ce qui ne sera pas inclus dans le Code civil
sera conservé dans la Loi sur la protection du consommateur, qui va
continuer d'exister, qui va être remaniée. Ladite loi comprendra
aussi, évidemment, les règlements: les règles relatives
aux pratiques de commerce, les sanctions pénales et administratives, les
annexes, ainsi que toutes les règles qui ont trait à
l'organisation de l'Office de la protection du consommateur et à ses
mandats.
Ceci étant dit, il reste que certaines de vos inquiétudes
à l'égard des aspects qui ont été
intégrés au code nous surprennent un peu. Vous soulignez, aux
pages 9 à 11 de votre mémoire, que certains des recours civils
qui s'offrent actuellement au consommateur ne se retrouvent plus dans
l'avant-projet. Vous faites référence, notamment, aux recours en
nullité, résiliation, résolution, réduction des
obligations ou dommages exemplaires. Pourtant, ces recours font bel et bien
partie de l'avant-projet de loi, dans les règles
générales, plus particulièrement aux articles 1450, 1488
à 1492, 1677 à 1680. Alors, j'aimerais vous entendre
là-dessus. Est-ce à dire que ces recours sont insuffisants?
Mme Girard: Je voudrais préciser que ce que nous voulions
dire à l'intérieur du mémoire, c'est ce qui existe
à l'article 272 de la Loi sur la protection du consommateur. Il est
évident que, dans la troisième partie, il y a un recours en
annulation qui est offert au consommateur pour un vice de forme ou un
défaut de forme et qui existe aussi dans la Loi sur la protection du
consommateur, sauf que l'article 272 dit que lorsqu'un commerçant manque
à une obligation imposée par la loi... Donc, il s'agit d'une
obligation légale. Si je regarde l'article 1488, il nous parle du
manquement à une obligation contractuelle. Pour nous, ce n'est pas
nécessairement évident que, rédigé de cette
façon, il veut dire à peu près la même chose.
Concernant le second recours qui est offert au consommateur, au
début de l'avant-projet de loi, si je ne me trompe pas, l'article 1647
nous dit effectivement que lorsqu'une personne n'exécute pas
entièrement une obligation, on a certains recours, mais il s'agit d'un
recours en exécution en nature, une exécution en lieu et place du
commerçant et des dommages-intérêts. Cela ne remplace pas
intégralement toute la panoplie de recours offerts au consommateur
à l'article 272.
M. Dauphin: Merci beaucoup. Comme d'autres organismes avant vous,
plusieurs nous ont parlé du contrat de location à long terme, en
matière d'automobile. D'ailleurs, je tiens à vous dire
qu'actuellement, cela fait l'objet, au sein du ministère de la Justice,
d'études très sérieuses afin, justement, que l'on apporte
une solution à ça en collaboration avec l'Office de la protection
du consommateur, dont des membres sont ici avec nous, d'ailleurs, et suivent
nos travaux depuis le début, et je tenais à vous le dire.
Par contre, et je trouve cela intéressant, vous êtes les
premières à nous faire part des problèmes qui entourent la
pratique des retraits préautorisés. Il s'agit de problèmes
liés à l'absence de réglementation concernant les
transferts électroniques de fonds, auxquels le gouvernement est
sensible. Vous faites état à la page 19 de votre mémoire,
du fait que certains retraits préautorisés se font après
une simple entente verbale entre le commerçant et le consommateur,
entente qui n'est par la suite aucunement vérifiée par
l'institution financière. Nous aimerions vous entendre davantage
concernant cette pratique, qui nous semble très surprenante. Est-ce
qu'elle est fréquente et comment se présente-t-elle dans les
faits?
Mme Rozon: Les plaintes que nous avons reçues à ce
sujet-là concernent les abonnements à Vidéotron. Si un
consommateur est intéressé à s'abonner à cette
compagnie, celle-ci suggère au consommateur, par
téléphone, de donner son numéro de compte pour qu'elle
puisse prélever automatiquement le montant de l'abonnement de son compte
bancaire. On ne sait pas l'étendue de cette pratique, mais c'est quand
même une entreprise importante qui procède de cette
façon-là.
Pour ce qui est des institutions financières, dans le cadre d'une
enquête que nous avons menée pour la revue S'en sortir, que
nous publions cinq fois par année, nous avons communiqué avec
plusieurs institutions financières pour leur demander quelles
étaient leurs responsabilités lorsqu'un consommateur autorisait
une entreprise à prélever un montant dans son compte bancaire.
Toutes nous ont confirmé qu'elles n'assumaient aucune
responsabilité et que ni le montant ni la durée n'étaient
vérifiés lorsqu'un paiement était retiré d'un
compte.
Il y aussi des consommateurs qui se sont plaints qu'une erreur
s'était glissée, par exemple,
dans un abonnement à Nautilus: deux versements avaient
été prélevés d'un compte bancaire dans le
même mois. Or, quand la personne s'est rendu compte qu'il y avait
effectivement une erreur, elle dit à sa caisse: Est-ce que vous pouvez
corriger l'erreur? L'institution financière a alors
précisé à ce consommateur qu'il devait s'adresser au
commerçant, puisqu'elle n'avait aucune responsabilité en ce sens.
Nous trouvons qu'il est inadmissible qu'une institution financière
n'assume pas sa responsabilité dans le cas d'un paiement
préautorisé.
M. Dauphin: Très intéressant. Merci beaucoup. Je
vais laisser la parole à mon collègue de Taillon.
M. Filion: Je voudrais à mon tour souhaiter la bienvenue
aux gens de l'ACEF du centre de Montréal. Leur mémoire est
très intéressant, et j'aurais un commentaire et une question. Le
commentaire, c'est un peu à la suite de ce que disait le
député de Marquette, c'est-à-dire que les recours civils
prévus sont reproduits, mais à une exception près,
à savoir que le droit aux dommages-intérêts exemplaires,
qui correspondait aux dommages punitifs de l'avant-projet, n'est accordé
que quand la loi le prévoit. Donc, à moins que la nouvelle loi
sur la protection du consommateur ne l'accorde ou que l'article 1677 de
l'avant-projet ne soit modifié par l'ajout du contrat de consommation,
le consommateur perd un recours civil. C'est ce que me signalent, vous l'aurez
compris, nos conseillers juridiques de ce côté-ci.
Ma question porte également sur les retraits
préautorisés. Le député de Marquette et moi avions
peut-être le même flair. C'est la première fois que c'est
soulevé, donc, on vous remercie de nous avoir sensibilisés
à cet état de choses qui ne peut que prendre de plus en plus
d'ampleur. D'autre part, pour les commerçants avec qui les consommateurs
font affaire, évidemment c'est la gloire totale. On leur dit: Oui, vous
pouvez piger dans nos comptes de banque, et eux ne se gênent pas pour le
faire; s'ils pigent deux fois, là il faut se battre pour savoir à
qui l'erreur. La banque va nous dire d'aller voir le commerçant et le
commerçant va nous dire d'aller voir la banque. C'est nous qui faisons
les démarches souvent dans des entreprises où ce n'est pas facile
de s'y retrouver parce que le service à la clientèle passe en
troisième lieu et non en premier lieu.
Vous soulevez également dans votre mémoire une suggestion
intéressante. En tout cas, je souhaite ardemment, de ce
côté-ci de la table, que les légistes se penchent sur
l'élaboration d'un certain cadre juridique à l'exercice de ces
pratiques de paiements préautorisés. Et si, effectivement, le
projet de loi retient cette approche, j'aime beaucoup la formule qui est
suggérée dans votre mémoire, à savoir, qui soient
limités dans le temps les paiements préautorisés,
peut-être même le nombre, quitte à ce qu'on les renouvelle,
qu'on nous envoie les formulaires. Vous le signalez à juste titre, ce
devrait être fait par écrit, bon Dieu! ils pigent dans nos comptes
de banques! D'accord, ce ne sont pas de gros montants, mais c'est pour
ça qu'ils pigent dedans et c'est pour ça que les erreurs sont
plus difficiles à repérer. Donc, qu'une autorisation soit
écrite, ça va de soi. L'exemple que vous avez donné
tantôt - pour ne pas reprendre celui d'une compagnie de câble bien
populaire au Québec - je l'ai vécu. Cela s'est passé
exactement comme vous l'avez dit. Je n'ai jamais signé quoi que ce soit.
Ils m'ont appelé, ils m'ont dit: Voulez-vous ça? J'ai dit oui et
depuis ce temps-là, ils pigent dans mon compte. Quand on
déménage, par exemple, c'est nous qui sommes obligés de
courir pour faire rectifier la situation! Comme l'a bien souligné le
député de Marquette, vous suggérez une série de
choses à la page 2 de votre mémoire: que ça soit
écrit, que les dates soient mentionnées, de même que le
numéro de compte; la durée maximale, je trouve cela absolument
nécessaire; le droit de résiliation du consommateur, je pense que
c'est important, autrement on est à la merci, du commerçant.
Est-ce que tout ça serait suffisant ou est-ce que ça
devrait faire partie d'un règlement? En somme, est-ce qu'il y a d'autres
idées qui pourraient venir s'ajouter pour la protection duconsommateur, concernant ces paiements préautorisés qui
vont devenir une mode? Si ce n'est déjà fait, ça va
devenir une mode. Je ne sais pas si vous y avez réfléchi, en
particulier Me Girard, mais ici on peut difficilement légiférer
sur les pratiques bancaires. On peut légiférer sur le contrat,
par exemple, entre le consommateur et le commerçant.
Mme Girard: C'est cela. C'est exactement ce que nous
suggérons. En fait, on sait très bien que le Parlement n'a pas
juridiction pour amender la Loi sur les banques, sauf qu'on se dit que s'il y a
un minimum de règles d'introduites dans l'avant-projet de loi,
concernant le contrat qui lie les utilisateurs du retrait
préautorisé, à ce moment-là, ça crée
une nouvelle situation. Ça crée des nouvelles obligations envers
les parties, parce qu'il y a trois parties ici: il y a un consommateur, un
commerçant et un banquier. Alors, chacun devrait se conformer de
façon minimale aux prescriptions du mandat ou du contrat. Actuellement,
il n'y a aucune règle qui oblige un commerçant ni un banquier
à avoir une autorisation écrite.
M. Filion: Est-ce que ça existe ailleurs? Est-ce que vous
avez eu l'occasion de vérifier? Peut-être pas.
Mme Girard: Malheureusement pas.
M. Filion: Je ne vous en blâme pas.
Donc, je vous remercie de toutes ces
précisions sur votre mémoire. Quant à nous, pour
que ce soit bien clair, ce n'est pas nécessaire que ce soit dans le Code
civil, M. le député de Marquette, ça pourrait être
dans la Loi sur la protection du consommateur, c'est à vérifier.
Un règlement constituerait peut-être un outil plus souple que la
loi, je ne sais pas. Je laisse ça à votre réflexion, mais
c'est clair qu'on ne peut plus laisser ce secteur-là - j'allais dire -
sans surveillance. (16 h 45)
La Présidente (Mme Bleau): Sans protection.
M. Filion: Oui.
M. Dauphin: Au nom des collègues ministériels et de
l'équipe de la réforme du Code civil, je voudrais vous remercier
et vous féliciter. C'est un mémoire très
intéressant, avec des bons points; nous allons étudier cela
attentivement. Je tiens à le répéter, il n'est pas
question de diluer ou d'atténuer les mesures de protection du
consommateur, au contraire, c'est de les augmenter. Merci beaucoup de votre
participation.
La Présidente (Mme Bleau): Mme Girard, Mme Rozon, au nom
de la commission, je vous remercie de votre mémoire et de votre
présence ici. Bon voyage de retour.
Mme Rozon: Merci.
Association coopérative d'économie
familiale du nord de Montréal
La Présidente (Mme Bleau): Nous appellerons maintenant
l'Association coopérative d'économie familiale du nord de
Montréal.
Nous vous saluons, M. Ronald O'Narey et M. Robert Lamarche; c'est bien
cela?
Une voix: Oui.
La Présidente (Mme Bleau): Nous avons une demi-heure en
tout pour votre présentation et les questions. Si vous voulez être
assez gentils de nous présenter vos collègues et commencer
à lire votre mémoire. Merci beaucoup.
M. Lamarche (Robert): Je suis Robert Lamarche. M. O'Narey est
à ma droite; Mme Ninette Piou, qui est de l'ACEF du nord
également, nous accompagne pour présenter ce mémoire. Nous
sommes de l'ACEF du nord de Montréal qui est une association de
protection des consommateurs. Je pense que ce n'est pas la première ACEF
qui passe à la commission parlementaire. Nous sommes responsables du
dossier de la location d'autos à long terme dont, semble-t-il, vous avez
déjà entendu parler plusieurs fois déjà et dont
vous veniez d'entendre parler avec l'ACEF centre.
Pour nous, de l'ACEF du nord, la réforme du Code civil tombe
à point. Non seulement servira-t-elle à épurer nos textes
de loi de leurs anachronismes mais elle servira également à fixer
les droits et les obligations de chacun dans de nombreux nouveaux secteurs de
l'activité sociale et économique du Québec. Un de ces
nouveaux secteurs, c'est la location d'autos à long terme et, selon
nous, ce nouveau secteur a bien besoin d'être réglementé
dans les plus brefs délais. Pour ceux d'entre vous qui ne
connaîtraient pas en détail ce qu'est la location, en gros c'est
d'abord et avant tout une transaction entre un consommateur et une agence de
location ou un concessionnaire, par laquelle le consommateur loue, durant une
période de deux, trois ou quatre ans, un véhicule automobile
généralement neuf, avec ou sans option d'achat. Mais, bien plus
qu'une simple pratique de commerce, ce fut il y a quelques années aux
États-Unis, peut-être une dizaine ou une douzaine d'années,
et c'est, depuis à peu près deux ans au Québec, une
nouvelle façon pour l'industrie automobile de mettre en marché
ses voitures neuves. Par une publicité qu'on pourrait qualifier de
très dynamique, pas toujours complète, à notre sens, pas
toujours légale, même, puisqu'il y a eu des poursuites par
l'Office de la protection du consommateur et des condamnations de certains
concessionnaires qui enfreignaient la Loi sur la protection du consommateur en
matière de publicité de location automobile, l'industrie a
amené ce nouveau mode d'acquisition d'une voiture neuve. Qu'on pense
seulement à la publicité de Ford cette année, qui disait:
Pourquoi changer de pneus? Changez plutôt de voiture tous les deux ans.
C'est un peu l'esprit de la publicité de la location automobile qui
vante vraiment l'acquisition d'une automobile par le truchement de la location
et non plus de l'achat.
Aux États-Unis, cette publicité et le développement
du marché ont fait en sorte qu'il y a à peu près 30 % des
voitures américaines, présentement sur le marché qui sont
louées à long terme plutôt que d'être
achetées. C'est un marché qui existe dans ce pays depuis beaucoup
plus longtemps qu'ici, où c'est vraiment depuis deux ans qu'on observe
une recrudescence de la location d'autos à long terme. Le marché
a cru considérablement au Québec depuis deux ans. En 1985, il y
avait à peu près 4000 voitures neuves qui étaient
louées à long terme, en 1986, à peu près 18 000 et
en 1987, 24 000. Si on fait le total de tout cela, compte tenu que les contrats
de location durent deux, trois ou quatre ans, cela fait à peu
près 50 000 voitures louées à long terme qui circulent
actuellement sur les routes du Québec. On ne parle pas des voitures
louées par des entreprises, mais bien uniquement par des consommateurs.
Donc, c'est l'usage pour la promenade. D'ailleurs, vous pourrez trouver
à l'annexe 1 de notre mémoire les chiffres fournis en 1987, les
statistiques fournies par la Régie de l'assurance automobile du
Québec faisant état du
nombre de voitures louées que je viens de vous mentionner. Le
marché a crû considérablement. Plus de consommateurs sont
locataires d'une voiture neuve et, des professionnels qui louaient des voitures
en 1985, de plus en plus maintenant, ce sont de simples consommateurs,
c'est-à-dire des gens comme vous et moi qui louent des voitures à
long terme, surtout des gens qui sont attirés par les mensualités
moins élevées de la location comparées à l'achat.
C'est une mécanique de la location qui prévoit une valeur
résiduelle à la fin du contrat si le consommateur rachète
son véhicule, ce qui fait que les mensualités, dans le cas de la
location, sont moins élevées qu'à l'achat. Donc, les
mensualités moins élevées amènent une
clientèle plus vulnérable financièrement qui est heureuse
de pouvoir se procurer un véhicule neuf sans avoir à l'acheter et
à payer les paiements d'achat qui sont beaucoup plus
élevés que les paiements de location. Donc, c'est une
clientèle qui est plus susceptible de subir les contrecoups de contrats
qui ne sont pas réglementés par les lois
québécoises.
On a fait un bref relevé des articles qui pouvaient s'appliquer
à la location automobile, en termes de juridiction, en termes de
législation. Dans le Code civil du Québec, "l'ancien code", comme
on pourrait dire, entre guillemets, puisqu'il est toujours en vigueur, il y a
la notion de crédit-bail qu'on a tenté de faire appliquer au
contrat de location automobile, à un moment donné, sauf qu'on
s'est aperçus que la notion de crédit-bail était surtout
entre entreprise et une autre entreprise qui loue des véhicules. Alors,
on a laissé cela de côté puisque dans le cas qui nous
préoccupe, la location automobile est une transaction entre un
consommateur qui est un individu et une compagnie de location.
En ce qui concerne la Loi sur la protection du consommateur, on a
tenté de voir par toutes sortes de biais de quelle façon la Loi
sur la protection du consommateur pourrait s'appliquer au contrat de location
automobile. D'une part, l'Office de la protection du consommateur, après
étude des contrats, en est arrivé au résultat que ce
n'étaient pas des contrats de crédit. Or, la Loi sur la
protection du consommateur légifère pour les contrats de
crédit ou les contrats assortis d'un crédit.
Évidemment, il y a les dispositions générales de la
Loi sur la protection du consommateur qui s'appliquent au contrat de location
sauf qu'on a toutes sortes de problèmes finalement à voir de
quelle façon on pourrait se servir de ces articles pour résoudre
les difficultés qu'on rencontre avec la location automobile. Je pense,
entre autres, à l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur
qui dit qu'on ne peut pas abuser dans l'ensemble d'un consommateur. Alors,
essayer de faire appliquer cet article qui est très
général, c'est plus ou moins efficace, semble-t-il, selon les
juristes que nous avons consultés.
Nous comptions beaucoup sur l'avant-projet de loi lorsque nous l'avons
reçu. Nous avons constaté qu'il n'y avait pas de dispositions ou
de réglementation concernant la location automobile qui s'ajoutaient au
Code civil qui existait déjà et à la Loi sur la protection
du consommateur. Nous avons remarqué qu'il y avait des articles
concernant le logement et certaines dispositions concernant le louage de
choses, mais qu'encore là cela s'appliquait surtout au logement.
Certaines dispositions pouvaient s'appliquer à la location d'autos
à long terme, notamment au chapitre des garanties et, si je me souviens
bien, des assurances également, mais rien qui venait répondre aux
attentes que nous avions, c'est-à-dire que la location d'autos à
long terme soit réglementée par voie de législation, donc
qu'il y ait un chapitre dans une loi au Québec, peu importe quelle loi,
que ce soit la Loi sur la protection du consommateur ou le Code civil du
Québec, mais quelque chose qui prévoit une réglementation
claire définissant les droits et obligations des parties dans le domaine
de la location automobile et répondant, encore une fois, au
problème que nous avons rencontré avec l'étude de ce
marché.
Donc, en tant qu'association de consommateurs depuis deux ans, l'ACEF du
nord de Montréal a décidé de traiter les plaintes des
consommateurs qui avaient des problèmes avec la location automobile. Je
dis bien les plaintes parce que nous en avons eu énormément
depuis deux ans. Évidemment, nous avons travaillé en
collaboration avec d'autres associations, dont l'ACEF du centre de
Montréal, qui vient de passer, dans le traitement de ces plaintes. Le
traitement de ces plaintes nous a amenés à une étude...
Pardon?
La Présidente (Mme Bleau): Excusez-moi, il vous reste une
minute...
M. Lamarche: Ah oui!
La Présidente (Mme Bleau): ...pour votre
présentation, à moins que...
M. Filion: Consentement, Mme la Présidente.
M. Lamarche: D'accord. Ce que je peux peut-être faire,
c'est d'aller un peu plus rapidement. Laissez-moi cinq minutes encore et je
fais le tour.
La Présidente (Mme Bleau): Bien. La période de
questions sera un peu moins longue à ce moment-là.
M. Lamarche: D'accord. Bon, nous avons procédé
à l'étude des plaintes et à une étude des contrats
des principaux chefs de file dans ce domaine, c'est-à-dire Ford, GM,
Chrysler, Tilden et Location Desjardins, qui était auparavant Location
Pierre Lafleur. Nous avons conclu que
tous les droits appartenaient au bailleur, c'est-à-dire à
la compagnie de location, et toutes les obligations, au consommateur. Nous
avons également compris ou déduit que de nombreuses clauses
abusives apparaissaient dans ces contrats-là, dont l'application causait
préjudice au consommateur. Alors, ces clauses abusives que nous avons
relevées, les voici: des pénalités abusives pour bris de
contrat lorsqu'il y a vol ou accident avec perte totale de la voiture, pour
l'usure anormale du véhicule à l'expiration du contrat. Je
m'explique rapidement pour chacun de ces points. Lorsqu'il y a bris de contrat,
la mesure qui s'applique, c'est que le concessionnaire demande au consommateur
de payer tous les montants dus en vertu du contrat, moins le prix obtenu de la
revente du véhicule. Alors, dans certains cas, cela donne des montants
de 5000 $ pour des sous-compactes ou des voitures compactes. Ce n'est pas pour
des BMW.
Lorsqu'il y a, par exemple, un accident ou un vol de la voiture et que
la voiture est une perte totale dans le cas de l'accident, encore une fois, le
consommateur est tenu de payer la différence entre le montant qui sera
perçu des assurances et ce qui restait à payer en vertu du
contrat. Dans certains cas, cela monte à des montants de 3000 $, comme
nous l'avons vu. Lorsqu'il y a usure anormale du véhicule à
l'expiration du contrat, et je précise bien que l'usure anormale n'est
encadrée par aucune loi au Québec, donc les différents
contrats et les différentes compagnies arrivent avec des
définitions tout à fait différentes de ce qu'est l'usure
anormale d'un véhicule. Par exemple, je vous pose la question: Est-ce
que la rouille est une usure anormale après deux, trois ou quatre ans?
Qui peut y répondre? Cela aurait peut-être besoin d'être
encadré. Alors, les gens se font demander des montants qui vont parfois
jusqu'à 3000 $ pour usure anormale du véhicule à
l'expiration du contrat. Ils n'ont même pas la possibilité de
demander une contre-expertise par un garage indépendant de ces
réparations.
Nous avons également noté dans les contrats de location
des procédures abusives. Tantôt, l'ACEF du centre de
Montréal parlait des saisies sans avis des véhicules loués
a long terme, ce qui amène de nombreux problèmes à de
nombreux consommateurs qui, du jour au lendemain, n'ont plus leur
véhicule, croient même que leur véhicule a
été volé. Non, il n'a pas été volé,
il a été saisi par la compagnie de location à la suite
d'un défaut de paiement d'un ou deux jours ou, parfois, un peu plus
long, mais sans qu'ils aient jamais reçu d'avis, des avis qui devraient,
selon nous, être de 30 jours, un peu comme dans le cas des contrats de
crédit ou assortis d'un crédit.
Il y a également les offres de location. Les compagnies font
signer des offres de location sans nécessairement indiquer que c'est un
contrat. Or, comme la Loi sur la protection du consommateur ne s'applique pas
aux offres de location, mais bien seulement aux offres d'achat, les gens se
trouvent à avoir signé un contrat de location alors qu'ils
pensent avoir signé seulement une offre de location. Je mentionne
également la non-divulgation du taux de crédit implicite. Il y a
des intérêts dans la location, mais les gens ne savent pas
à quel taux de crédit ils s'engagent. Il y a de nombreuses autres
clauses dans les contrats de location. Je crois que le temps me presse. Je ne
les mentionnerai pas, ces clauses sont mentionnées en partie dans le
mémoire que nous avons déposé et dans le guide Louer ou
acheter que nous avons produit cette année au printemps, et qui fait
le tour de certains aspects de la location automobile également, au
chapitre des garanties, entre autres, des cas de force majeure, etc.
De façon globale, nous recommandons que tous les aspects de ce
nouveau marché, les contrats, les pratiques commerciales et la
publicité soient encadrés par le Code civil du Québec, tel
que revu par la commission et le gouvernement. En particulier, nous vous
recommandons de lire bien attentivement les recommandations que nous faisons
aux pages 7 et 8 du mémoire, que vous avez probablement
déjà lues. Je mentionne qu'il existe déjà aux
États-Unis, depuis 1976, des réglementations qui touchent le
domaine de la location d'autos à long terme, d'une part, les contrats
avec option d'achat et, d'autre part, les contrats sans option d'achat. Je
crois qu'au Canada, et au Québec en particulier, la location est plus
récente. Compte tenu de sa popularité grandissante, des
problèmes et des contrats abusifs, comme nous l'avons mentionné,
il sera peut-être nécessaire de réglementer ce
marché dans les plus brefs délais. Nous tenons à
mentionner que nous demeurons disponibles pour collaborer à
l'élaboration d'une loi dans ce domaine. (17 heures)
La Présidente (Mme Bleau): Nous vous remercions. Je
céderai maintenant la parole au député de Marquette,
adjoint parlementaire du ministre de la Justice.
M. Dauphin: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Tout
d'abord, j'aimerais souhaiter la bienvenue à l'ACEF du Nord de
Montréal et féliciter ses représentants pour leur
mémoire qui est très bien fait, bien étoffé, avec
de bonnes références et qui touche un domaine important.
D'ailleurs, d'autres groupes de défense des automobilistes sont
également venus plaider dans ce sens, soit de voir à
légiférer sur ce genre de contrat. Je peux tout de suite leur
dire que l'Office de la protection du consommateur se penche là-dessus
actuellement et va proposer prochainement des correctifs législatifs qui
seront soit dans la loi particulière, c'est-à-dire la Loi sur la
protection du consommateur, soit inclus dans le Code civil, mais probablement
dans la loi particulière.
Je voudrais vous demander si vous avez
plusieurs plaintes par rapport à ce genre de...
M. Lamarche: On a accumulé depuis deux ans autour de 60
à 70 plaintes, seulement à l'ACEF du nord de Montréal.
M. Dauphin: Quels sont les abus les plus flagrants?
M. Lamarche: Je dirais que l'abus le plus flagrant, c'est bien le
bris de contrat. Lorsque les gens ont des problèmes pour payer les
mensualités auxquelles ils se sont engagés en vertu du contrat,
ils doivent briser leur contrat de location et remettre le véhicule. Il
y a saisie du véhicule sans avis, comme je le disais, mais c'est un
autre point. Les pénalités peuvent aller jusqu'à 4000 $ et
5000 $. C'est le problème le plus important que nous avons. Il y a comme
une contradiction. Les gens ne sont plus capables de payer leur
mensualité de 200 $ ou de 300 $ par mois et là, on vient les
assommer avec un montant de 5000 $ pour bris de contrat. Finalement, ils ne
peuvent pas plus payer ce montant. Et comme, sur le plan juridique,
présentement, il n'y a pas de recours, rien de clair, c'est tout un
problème que d'aller se défendre lorsqu'on est poursuivi pour de
tels montants. C'est principalement de ce côté que nous avons des
plaintes et que nous voyons des abus.
M. O'Narey (Ronald): Je voudrais ajouter que, dans la situation
actuelle, les locateurs ont tout intérêt à maintenir la
valeur résiduelle du véhicule très élevée,
au-delà de la valeur réelle que le véhicule aura à
l'échéance parce que cela permet de réduire les versements
mensuels. Donc, cela devient plus attrayant pour les consommateurs d'avoir un
contrat à 200 $ avec une valeur résiduelle très
élevée. C'est à ce point un problème que les
Américains, nos voisins, ont décidé de limiter les
pénalités qui pouvaient être exigées lors de la
revente du véhicule. Lors de la revente, si le véhicule est
déprécié beaucoup plus que la valeur résiduelle qui
a été prévue au contrat, c'est la différence qui
est réclamée au consommateur, donc des montants très
élevés. Alors, les Américains, pour résoudre ce
problème, ont fixé à une limite de 20 % de la valeur
résiduelle le montant qui pouvait être réclamé.
Donc, si la différence est de 3000 $ sur un montant de valeur
résiduelle de 5000 $, le commerçant ne peut pas réclamer
plus que 1000 $. Il y a une pénalité qui est attribuable au
consommateur justement à cause de la dépréciation, mais
elle est quand même limitée. Et la plupart des plaintes qu'on
rencontre actuellement, c'est parce que ce montant est vraiment exorbitant
à cause de l'intérêt pour l'entreprise de fixer le montant
de la valeur résiduelle à un taux très
élevé.
M. Dauphin: Comme vous le disiez, c'est une pratique de plus en
plus courante.
M. O'Narey: Effectivement.
M. Dauphin: Vous l'avez peut-être dit tantôt, mais je
n'ai pas saisi. Quel serait à peu près le pourcentage de
consommateurs qui empruntent ce mode de contrat?
M. Lamarche: En pourcentage, ce serait plus difficile à
évaluer. Aux États-Unis, c'est rendu à 30 %,
semble-t-il.
M. Dauphin: À 30 % de...
M. Lamarche: À 30 %. De 25 % à 30 %, selon les
informations obtenues ce matin de Me Pierre Valois de l'Office de la protection
du consommateur. On s'en doutait, sauf que là, c'est
précisé. Au Québec, il y a des analystes qui affirment que
cela pourrait devenir aussi important qu'aux États-Unis. 50 000 voitures
louées à long terme actuellement au Québec,
comparativement au parc automobile qui est peut-être de 2 000 000 de
voitures, ce n'est pas un pourcentage énorme, sauf que c'est un
marché qui est en expansion depuis deux ans seulement. On peut
prévoir qu'en 1988 les montants seront encore plus élevés
et que, subséquemment, ce sera encore beaucoup plus
élevé.
M. Dauphin: Ce qui est attirant là-dedans, je
présume, c'est le fait d'avoir des mensualités,
évidemment, et pas d'emprunt à faire. Ils se disent: On donne 200
$à300 $ par mois et...
M. Lamarche: II y a quand même une enquête de
crédit qui est faite sur les gens qui désirent louer sauf que
c'est beaucoup plus accessible à des gens qui ont moins de revenus et
qui, autrement, auraient acheté une voiture d'occasion. Sauf que
là ils peuvent se permettre une voiture neuve compte tenu de la question
de la valeur résiduelle dans la location, ce qui fait baisser les
mensualités. C'est quand même un montant présent au contrat
et les consommateurs s'engagent pour la valeur totale du contrat.
M. O'Narey: Je voudrais compléter en disant
qu'effectivement c'est un marché qui s'est développé tout
d'abord aux États-Unis puisque les grands de l'industrie ont
pénétré ce marché-là en premier lieu et qui
s'est transposé du côté du Canada anglais également.
Les statistiques actuelles Indiquent que le taux de pénétration
de ce mode d'acquisition d'une automobile est autour de 20 % du
côté des autres provinces canadiennes. Le Québec
étant le troisième maillon de la chaîne, actuellement le
taux n'est pas aussi élevé mais on peut prévoir facilement
que cette formule va connaître un grand succès et que les
consommateurs, au fur et à mesure qu'ils vont se retrouver avec
l'échéance du contrat, vont avoir de plus en plus de plaintes
à porter.
M. Dauphin: Excusez-moi. Aviez-vous terminé?
M. Lamarche: Oui, il y a la question d'usure anormale. Vous
mentionniez les problèmes qu'on rencontrait. C'est un problème
qu'on ne rencontre pas encore beaucoup puisque la majorité des contrats
sont encore assez récents. Ils ne sont pas encore venus à
expiration. La question d'usure anormale n'est absolument pas encadrée
par les lois québécoises et elle serait assez difficile à
encadrer. J'imagine qu'il y aurait moyen de préciser certains
mécanismes qui feraient en sorte que les consommateurs, à
l'expiration de leur contrat, n'auraient pas à payer des sommes
astronomiques pour usure anormale et qu'il pourrait y avoir des recours pour
ces consommateurs-là de façon à ce qu'ils puissent faire
faire par un garage indépendant une contre-expertise des
réparations qui leur sont demandées.
Il existe d'ailleurs par le Club automobile, le CAA, version
Québec, une définition de l'usure anormale à l'expiration
du contrat puisque le CAA a une entente avec la société Avis qui
loue des voitures à long terme. Avant de signer l'entente, ils ont
négocié avec Avis une espèce de code d'éthique, si
on peut dire, quant à l'usure anormale à l'expiration du contrat.
Je crois que c'est souhaitable d'en venir à ça aussi un moment
donné.
La Présidente (Mme Bleau): Je m'excuse, M. le
député de Marquette, il vous reste une minute.
M. Dauphin: Une minute! Je vais alors poser mes deux questions en
dix secondes. Que pensez-vous de l'introduction du droit de la consommation
à l'intérieur du Code civil? Première question.
M. Lamarche: Voulez-vous dire la Loi sur la protection du
consommateur?
M. Dauphin: C'est-à-dire les principes
généraux qui seraient introduits dans le Code civil.
M. Lamarche: S'ils demeurent applicables de la même
façon qu'ils le sont dans la Loi sur la protection du consommateur,
c'est-à-dire si ça demeure obligatoire que de façon
générale ces articles-là soient respectés il n'y a
pas d'objection majeure. Mais nous n'avons pas fait l'étude en
détail de ce point.
M. Dauphin: Comme je le mentionnais tantôt il n'est pas
question de rien affaiblir, au contraire.
M. Lamarche: Entre autres, on a entendu les interventions
précédentes.
M. Dauphin: Ce qui ne sera pas dans le code sera dans la loi. Ma
dernière question;
Pensez-vous que l'article 1484 qui parle de clauses abusives va
être intéressant pour les consommateurs?
M. Lamarche: Comme du code?
M. Dauphin: Avez-vous l'avant-projet de loi avec vous?
M. Lamarche: Oui, je l'ai ici. Vous dites l'article 1484?
M. Dauphin: Les clauses abusives. La clause abusive dans un
contrat d'adhésion est nulle et dans les autres cas aussi on donne la
définition.
M. Lamarche: C'est dur pour moi de me prononcer là-dessus.
Je n'y suis pas nécessairement préparé. Est-ce que vous
faites référence au domaine de la location automobile en me
posant cette question?
M. Dauphin: Pas nécessairement. Pour les consommateurs,
généralement parlant. Ils vont pouvoir utiliser cette
disposition-là lorsqu'il...
M. Lamarche: Qu'ils sont...
M. Dauphin: ...y a disproportion ou qu'ils se font - je ne dirai
pas d'autres mots - berner?
M. Lamarche: C'est un peu comme les dispositions
générales de la Loi sur la protection du consommateur qui
s'appliquent un peu à tous les contrats sans s'appliquer à aucun
contrat en particulier. Je crois que la location d'autos à long terme,
un peu comme on le dit dans le mémoire et comme je viens de le
mentionner, doit faire l'objet d'un chapitre d'une loi quelconque, que ce soit
le Code civil ou la Loi sur la protection du consommateur, où tous ces
aspects seraient réglementés. Essayer par le biais d'articles de
loi déjà existants de couvrir le domaine de la location
automobile, ça m'apparaît non souhaitable. Je crois que, vraiment,
compte tenu de la popularité que connaîtra ce marché dans
les prochaines années, il faudra en venir à une
réglementation spécifique par voie de législation
précise. Merci.
M. O'Narey: Je voudrais ajouter que, selon nous et selon ma
vision aussi, l'avantage d'inclure d'importants aspects de la Loi sur la
protection du consommateur dans le Code civil, c'est donner davantage de poids
à la Loi sur la protection du consommateur parce que, comme association,
on se retrouve devant des situations où, très souvent, les juges
jugent secondaire la Loi sur la protection du consommateur et rendent des
jugements qui ne tiennent même pas compte de la loi comme telle. On sent
déjà qu'il y a un niveau différent. L'intégration,
pour nous autres, est sûrement souhaitable.
Une voix: Que l'actuelle loi 3.
M. O'Narey: Exactement. De la même manière, on a vu
des articles très précis de la Loi sur la protection du
consommateur ne pas être appliqués, les articles
généraux davantage que des articles particuliers.
M. Dauphin: Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Bleau): Merci, M. le
député de Marquette.
Je donnerai la parole à M. le député de
Taillon.
M. Filion: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais à
mon tour remercier les représentants de l'ACEF du nord de
Montréal qui, manifestement, ont fait une concertation assez remarquable
sur tout le problème de la location à long terme. Je remarque
même qu'on nous a distribué, sous la cote 2MA, ce que je crois
être une revue finalement...
M. Lamarche: C'est un guide que nous avons produit l'année
dernière. On constatait que la location d'automobiles, un de ses
principaux problèmes, c'était d'être inconnue par les
consommateurs. Les gens ne savaient pas ce que c'était et, permettez-moi
l'expression, ce n'est pas l'industrie qui aurait renseigné les gens sur
ce que c'est. On a vraiment décidé d'agir sur plusieurs facettes
de ce dossier, notamment en demandant une loi et en avertissant les
consommateurs qu'il y avait des problèmes auxquels ils pourraient faire
face. C'est pourquoi on a produit ce guide.
M. Filion: Je vous en félicite. M. Lamarche:
Merci.
M. Filion: Effectivement, c'est un secteur qui était peu
connu. J'ai l'impression que l'ACEF du nord de Montréal a
développé une expertise dans ce secteur. En tout cas, la revue
est fort bien faite. J'en ai même découpé
l'éditorial ou la conclusion où vous dites: Sur la location
à long terme, mieux vaut être prudent. Je n'ose pas vous citer
comme tel. Je ne sais pas si vous pensez encore ce que dit la conclusion:
Éviter la location à long terme.
M. Lamarche: On le pense plus que jamais.
M. Filion: Pardon?
M. Lamarche: Plus que jamais.
M. Filion: Plus que jamais.
M. Lamarche: Dans la mesure où les gens ne sont pas
protégés dans ce marché-là, qu'il arrive un
pépin de n'importe quel ordre, par exemple, dans le cas d'un accident
avec pertes totales ou le vol de la voiture, vous n'êtes absolument pas
responsable de ces choses-là. Vous êtes locataire du
véhicule. On vous demande de payer la différence entre les
assurances et ce que vous devez en vertu du contrat. Il y a vraiment des
aberrations.
M. Filion: D'accord. Le député de Marquette a
posé toute une série de questions qui m'intéressaient:
l'élimination des clauses abusives, le préavis de 30 jours et non
pas le "pré Avis" de 30 jours, la notion d'usure anormale, la clause de
dégagement aux responsabilités, la mention obligatoire dans le
contrat, les normes sur la publicité. Ça, évidemment,
c'est plus administratif. Cela doit s'adresser directement à l'Office de
la protection du consommateur.
M. Lamarche: On a travaillé là-dessus
d'ailleurs.
M. Filion: Indépendamment du fait que si la solution
retenue est d'incorporer des dispositions dans la Loi sur la protection du
consommateur ou dans le Code civil, il va toujours demeurer qu'en ce qui
concerne la publicité, ces suggestions-là devront être
acheminées à l'Office de la protection du consommateur où,
de toute façon, je suis convaincu que vous avez déjà de
nombreux contacts.
M. Lamarche: Oui.
M. Filion: Je pense que le député de Marquette, en
ce qui me concerne, a posé les questions qui m'intéressaient. Par
contre, Me Gariépy, qui est conseiller juridique de ma formation
politique, aimerait, avec la permission de mes collègues, Mme la
Présidente, vous adresser une question ou deux. (17 h 15)
La Présidente (Mme Bleau): Me Gariépy.
M. Gariépy: Dans votre mémoire, vous recommandez
que la loi ou la réglementation oblige le commerçant à
divulguer les frais de crédit, disons le taux de l'intérêt.
Je voudrais avoir des précisions sur votre recommandation. Est-ce que
c'est pour inciter le consommateur à comparer avec une autre option de
financement ou si c'est pour avoir une idée de ce qu'il lui en
coûterait si jamais il lui arrivait un accident - disons durant un
contrat de location de trois ans, s'il avait un accident, que sa voiture
était complètement endommagée et que l'indemnité
d'assurance ne suffisait pas à rembourser au complet, quelle serait son
obligation financière - et, si oui - excusez-moi si la question est un
peu longue - est-ce que le consommateur, avec une indication du taux de
crédit, ne saurait pas le montant exact de son obligation? Serait-il
alors préférable d'ajouter au taux de crédit, une sorte de
table de résiliation à court terme où le
consommateur pourrait savoir clairement ce qu'il lui en coûterait?
Il pourrait y avoir des chiffres qui indiqueraient, après une certaine
durée du contrat, quel montant il lui en coûterait s'il y avait
résiliation.
M. Lamarche: Je vois que vous avez déjà
étudié le dossier parce que ces trois choses que vous mentionnez
sont très importantes à notre avis, à savoir, d'une part,
que le taux de crédit implicite dans le cas de la location d'auto
à long terme, soit mentionné au consommateur pour qu'il puisse
comparer. Je pense que c'est un minimum quand on magasine ou quand on s'engage
dans un contrat, que ce soit un contrat de crédit ou un contrat de
location, de savoir à quel taux de crédit on le fait à ce
moment-là, de façon à prendre le moins
élevé. D'autre part, lorsqu'il y a, comme vous dites, accident
ou, finalement, lorsque le contrat de location permet une espèce, si on
peut dire, de valeur résiduelle - on parle du montant qui est à
l'expiration du contrat - mais la valeur résiduelle décroît
du début du contrat jusqu'à la fin pour atteindre ce montant de
valeur résiduelle qu'on peut payer et qui constitue l'option d'achat si
on rachète le véhicule. Je crois que le consommateur aurait
intérêt à ce que cela soit clair et à ce qu'une
réglementation dans ce domaine établisse que les gens qui
s'engagent dans un contrat de location d'automobile soivent savoir où
ils en sont dans leurs paiements, combien d'intérêts ils ont
payés déjà, combien de capital ils ont payé. Je ne
sais pas si je réponds à votre question.
Pour nous, cet aspect est clair. Nous en avons aussi discuté avec
l'Office de la protection du consommateur et ça semblait être
clair de son côté, le fait que les gens devraient savoir où
ils en sont dans leurs paiements.
M. O'Narey: Je voudrais juste ajouter qu'on rencontre
effectivement des consommateurs qui négocient la remise du
véhicule; le commerçant leur dit alors: Effectivement, je vous
accorde un rabais d'intérêts, sauf que, nulle part dans les
contrats, on ne parie de taux ou de tables qui comprennent le capital et la
remise sur les intérêts. C'est donc impossible pour le
consommateur de vérifier le calcul qui a été fait en
rabais d'intérêts sur la remise du véhicule. Je pense que
ces informations sont essentielles pour que le consommateur puisse vraiment
évaluer la situation dans laquelle il se trouve.
M. Lamarche: Je crois que les contrats auraient également
intérêt à mentionner de quelle façon les
intérêts sont calculés, de quelle façon la valeur
résiduelle est calculée, de quelle façon les
pénalités s'appliquent en cas de bris de contrat, les
mécanismes, etc. Il y a présentement une confusion dans les
contrats de location d'automobiles. Même les avocats qui se penchent sur
ces contrats ne comprennent pas nécessaire- ment les implications des
différentes clauses qui s'entrecoupent et se contredisent. C'est un
imbroglio.
M. O'Narey: Je voudrais ajouter un dernier point, si j'en ai le
temps. C'est un point très court. Dans les contrats actuels de
prêts personnels ou de ventes à tempérament - les ventes
à tempérament pouvant effectivement affecter les ventes
d'automobiles - on retrouve une clause qui permet l'annulation, dans un
délai de deux jours, de ces contrats-là, à cause du
montant important qu'ils peuvent représenter. Dans les contrats de
location d'automobiles à long terme qui représentent
également des sommes importantes, il serait souhaitable que les
consommateurs puissent bénéficier d'un délai de deux jours
pour pouvoir annuler leur contrat. On a vu plusieurs cas de ce genre où
des gens ne savaient pas exactement à quoi ils s'étaient
engagés et qui ont, par la suite, voulu annuler, mais c'était
impossible.
La Présidente (Mme Bleau): Je vous remercie. Avez-vous un
dernier mot à dire?
M. Filion: Non, cela va. Au nom de ma formation politique, M.
O'Narey et M. Lamarche, on voudrait vous remercier pour le travail que vous
avez accompli dans ce secteur toujours grandissant de la location à long
terme, pour la qualité de votre mémoire et la qualité des
représentations verbales que vous avez faites durant ces auditions.
La Présidente (Mme Bleau): Un dernier mot, M. le
député de Marquette.
M. Dauphin: Oui, Mme la Présidente. La même chose du
côté gouvernemental. Votre mémoire est très bien
fait. Il fera l'objet d'étude autant par l'équipe de la
réforme du Code civil que par les représentants de l'Office de la
protection du consommateur qui sont ici avec nous. Nous vous remercions de
votre participation.
M. Lamarche: Merci.
Association coopérative d'économie
familiale du sud-ouest de Montréal
La Présidente (Mme Bleau): Au nom de la commission, M.
O'Narey, M. Lamarche, Mme Piou, merci de votre présence.
Nous appellerons immédiatement, puisque le temps nous presse,
l'Association coopérative d'économie familiale du sud-ouest de
Montréal, représentée par M. Philippe Dorais.
Nous vous prions de reprendre vos places, s'il vous plaît.
Nous saluons M. Philippe Dorais qui représente l'Association
coopérative d'économie familiale du sud-ouest de Montréal.
Nous avons
30 minutes à consacrer, M. Dorais, à votre
présentation et à la période des questions.
M. Dorais (Philippe): Merci. Mme la Présidente, MM. les
députés, je ne vous embêterai pas inutilement avec tout le
contenu de mon mémoire. Mais disons que j'aimerais signaler, en premier
lieu, que l'Association coopérative d'économie familiale du
sud-ouest situe son intervention surtout au niveau de l'endettement, parce
qu'on touche une population dont une grande partie est à faible revenu
et n'est pas toujours bien informée des pièges de la
consommation. C'est dans cette perspective, d'ailleurs, qu'on a effectué
une recherche à l'automne 1987 sur la question de location d'appareils
électroménagers et vidéos. On s'est rendu compte, à
un moment donné, en effectuant des consultations budgétaires, que
ce problème n'était pas abordé dans la loi actuelle. En
tout cas, en ce qui concerne la Loi sur la protection du consommateur, il y a
très peu de choses qui ont été dites là-dessus.
Nous désirons profiter de notre intervention à cette
commission pour soulever quelques points, très brièvement.
J'aimerais dire aussi qu'évidemment, la location d'appareils
électroménagers et d'appareils vidéos, ça peut
paraître assez anodin à prime abord, mais ça
représente un marché assez intéressant pour les locateurs.
Je peux vous donner un exemple: si on prend les différents types de
contrats qui sont disponibles actuellement chez les marchands, la location
simple, c'est-à-dire une location où on fait des paiements
mensuels, au bout d'un an, ça représente 50 % en moyenne du
coût d'achat d'un appareil. C'est la même chose dans le cas d'une
option d'achat et si on parle de location-achat ou de ce que certains appellent
le crédit-bail, à ce moment-là, ça
représente 150 % du coût d'achat au terme du contrat.
Malgré ce que ça peut avoir l'air, ce ne sont vraiment pas des
peccadilles tout ça.
J'aimerais que vous portiez votre attention surtout sur la question des
contrats de location-achat, justement. Cela me semble l'élément
le plus problématique, à mon avis, dans le domaine de la
location. C'est que ces contrats comportent des caractéristiques
similaires aux contrats de vente à tempérament, dans la mesure
où on trouve là-dedans un contrat assorti d'un crédit,
incluant un taux d'intérêt annuel et des paiements
étalés sur plusieurs mois. Comme dans la vente à
tempérament, le consommateur ne devient propriétaire
qu'après avoir acquitté toutes les obligations inscrites au
contrat. Selon les renseignements qu'on a obtenus de l'Office de la protection
du consommateur, il n'existe pas vraiment de jurisprudence actuellement qui
permette d'établir un lien entre la location-achat et une vente à
tempérament. Sauf qu'évidemment, si on attend un jugement
hypothétique sur ce plan, on risque d'attendre un certain temps.
C'est pour ça qu'une des recommandations qu'on fait, c'est que
des amendements soient apportés à la loi afin que les contrats de
location-achat soient soumis aux mêmes règles que les contrats de
vente à tempérament. C'est-à-dire que ce qui se passe
actuellement, c'est que, dans les contrats de location-achat, il n'y a pas de
distinction qui est faite entre le prix de location et les taux
d'intérêt. Nous avons constaté qu'il y a des taux
d'intérêt qui sont cachés et qui sont souvent très
élevés, c'est-à-dire qui varient entre 16 % et 28 %. Ce
n'est pas négligeable et c'est pour ça qu'on veut justement qu'on
tienne compte de ce fait, actuellement, dans la révision du Code civil,
en tout cas.
Nous avons également constaté, en ce qui concerne les
contrats de location en général, qu'il n'existe aucune clause
permettant au consommateur d'annuler ou de briser son contrat. Celui-ci est
soumis au bon vouloir du commerçant, ce qui engendre souvent une
situation arbitraire. Nous recommandons que les contrats de location comportent
une clause de résolution et que le consommateur puisse se
prévaloir des clauses de déchéance du
bénéfice du terme, qui sont incluses aux articles 105 à
110 de l'actuelle Loi sur la protection du consommateur.
En ce qui touche la publicité, ce que l'ACEF a constaté,
c'est que dans le domaine de la location d'appareils
électroménagers, il n'y a pas de problème majeur en tant
que tel. Sauf que, quand on lit attentivement la publicité sur ce type
de pratique commerciale, on se rend compte qu'il y a des omissions importantes
en ce qui concerne, par exemple, les frais d'administration.
C'est-à-dire que, quand il s'agit, par exemple, d'une location-achat,
normalement, on devrait indiquer le coût global, le prix de vente de
l'appareil, mais ce n'est pas fait. Cela contrevient, en principe, à
l'article 228 de la Loi sur la protection du consommateur. (17 h 30)
Ce qu'on a pu constater, également, c'est que la publicité
portant sur la location-achat d'appareils électroménagers et
vidéos ne mentionne pas - comment pourrais-je dire cela? -les frais
d'administration. C'est-à-dire qu'on ne dit pas au consommateur: Cela va
vous coûter 20 $ pour ouvrir un dossier. On ne vous dit pas non plus que
vous avez à acheter une assurance pour vous protéger en cas de
bris, de vol ou de perte; on ne vous dit pas non plus que vous avez à -
comment dirais-je? - payer des frais de livraison, par exemple, s'il y a lieu.
C'est pour cela qu'on recommande que les contrats de location-achat indiquent
les frais d'administration ou de livraison concernant les services et que ceci
soit inscrit dans la publicité.
En conclusion, ce qu'on aimerait dire, c'est que dans nos
recommandations, ce ne sont pas des changements majeurs qu'on demande, c'est
plutôt que soient apportées des précisions
législatives qui sont actuellement inexistantes. Cela permettrait de
régir plus efficacement les contrats de location d'appareils
électroménagers
et vidéos qui, rappelons-le, échappent actuellement au
contrôle de la loi. L'ACEF croit que ses recommandations revêtent
une certaine importance parce qu'évidemment, cela représente un
marché assez lucratif; en même temps, cela pourrait
protéger les catégories de consommateurs à revenu modeste
susceptibles de se laisser tenter par la location d'appareils
électroménagers et vidéos.
Finalement, j'espère que ces brèves recommandations seront
étudiées attentivement car, à notre avis, elles
permettraient de colmater certaines brèches dans la loi. J'en profite
pour remercier les membres de la commission pour l'attention qu'ils porteront
à notre mémoire. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Bleau): Alors, merci M.
Dorais. Je passerai maintenant la parole au député de
Marquette, adjoint parlementaire du ministre de la Justice.
M. Dauphin: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, au
nom du gouvernement du Québec et, plus précisément, du
ministère de la Justice, nous aimerions vous féliciter et vous
remercier pour votre participation à cette sous-commission qui a pour
mandat de faire des consultations sur la réforme du code en
matière d'obligations.
Vous parlez de plusieurs sujets, notamment de l'assimilation au contrat
de vente à tempérament. Vous recommandez aussi l'insertion
obligatoire, dans ce genre de contrat de location-achat de biens meubles, d'une
clause permettant au consommateur de mettre fin unilatéralement au
contrat. Vous recommandez aussi que le consommateur puisse se prévaloir
du régime des règles applicables aux clauses
d'échéance du terme prévues dans la Loi sur la protection
du consommateur. Vous parlez aussi de publicité. Ce qui est
intéressant, c'est que vous êtes le seul organisme qui a
abordé ces problèmes de location-achat d'appareils
électroménagers et vidéos. On vous en remercie.
La question que j'aimerais vous poser, c'est: Quelles sont un peu - j'ai
posé la même question au groupe qui vous a
précédé - les principales difficultés
rencontrées, les cas flagrants en matière de location-achat
d'appareils électroménagers?
M. Dorais: Disons qu'on ne peut pas dire qu'on a reçu
énormément de plaintes à ce sujet, sauf qu'on constate,
actuellement, que les consommateurs n'ont pas les moyens de se plaindre parce
que tout ce qui existe dans le domaine de la location-achat, par exemple
à long terme, tout est soumis à l'arbitraire du
commerçant. Il n'y a aucun moyen de se défendre par rapport
à ce que le commerçant indique dans le contrat. Or, ce qu'on dit,
c'est qu'on peut toujours espérer que des consommateurs vont se lever
d'un bloc pour réclamer les amendements, mais je crois qu'on ne doit pas
attendre que cela se produise. Ce qu'on veut soumettre ici, c'est tout
simplement qu'il existe un vide juridique dans la Loi sur la protection du
consommateur et dans ce que pourrait devenir, dans un avenir rapproché,
dans l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil. On a des cas,
mais on ne peut pas vous les empiler les uns par-dessus les autres, c'est
sûr. Nous disons que nous devons plutôt voir à colmater une
brèche, afin de donner possiblement, à notre avis, des moyens au
consommateur justement de se défendre vis-à-vis de clauses qui
nous paraissent quelquefois abusives.
M. Dauphin: Vous avez indiqué au début que,
évidemment, dans votre secteur, il y a une classe
défavorisée importante si l'on considère l'aspect de
l'endettement. Je m'en doute un peu, mais qu'est-ce qui motive les
consommateurs à procéder de cette façon-là,
à louer un poêle, par exemple, ou un
réfrigérateur?
M. Dorais: En ce qui me concerne, disons, ce que j'ai pu
constater, c'est qu'il y a une publicité très agressive
actuellement, non seulement actuellement, mais depuis un certain nombre
d'années. Le marché de la location est de plus en plus
répandu. Il y a de plus en plus de commerçants qui font de la
publicité sur la location. Dans le cas des appareils
électroménagers et vidéos, également de plus en
plus répandu. Quand j'ai examiné la publicité, c'est
quelque chose qui semble très alléchant à prime abord,
parce qu'on indique des montants qui sont très minimes, des conditions
qui m'apparaissent comme miraculeuses. Nous disons que les gens qui peuvent
être tentés par ce type de contrat-là s'embarquent dans des
choses qui peuvent avoir des implications en ce qui concerne l'endettement.
C'est-à-dire que, quand on embarque dans un contrat de location-achat,
on se rend compte qu'à un moment donné, il peut arriver des
circonstances où, comme consommateur, on peut se dire: Bon, je n'ai plus
les moyens de respecter mon contrat. Je n'ai plus les moyens de remplir
certaines obligations qui y sont inscrites. Malheureusement, ce qui doit
être constaté, c'est qu'actuellement, il n'y a aucun recours.
Alors, c'est pour cela que nous disons: Avant qu'on se fasse pointer du doigt,
on devrait tout simplement prévenir ces choses-là.
M. Dauphin: Vous avez clairement indiqué que vous avez
déjà saisi l'Office de la protection du consommateur de ces
problèmes que vous nous mentionnez. Tout ce que je peux vous dire en
terminant, c'est que l'Office de la protection du consommateur a
été saisi de cela, étudie la question et y apportera des
correctifs législatifs prochainement. Alors, pour moi, je n'ai pas
d'autre question.
La Présidente (Mme Bleau): M. le député.
M. Filion: Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Dorais de
l'ACEF du sud-ouest de Montréal pour votre mémoire qui se
concentre sur toute la problématique de la location des appareils
électroménagers. Vous mentionnez le problème relatif
à la publicité autant en ce qui concerne les indications
obligatoires pour les frais d'administration, de livraison, de services, les
indications du taux d'intérêt également. Mais comme je l'ai
mentionné tantôt, ces représentations, évidemment,
seront traduites, le cas échéant, dans le règlement
plutôt que dans la loi. À ce moment-là, votre interlocuteur
privilégié - je pense à l'office - est bien placé
pour étudier le mérite de ces propositions-là. Vous
recommandez cependant, en ce qui concerne la location, certaines
modalités, des règles identiques aux contrats de vente à
tempérament, la possibilité de résiliation par le
consommateur et le remboursement par anticipation. Ma question porte sur la
résiliation par le consommateur. Je pense que c'est un secteur
important. Ce droit de résiliation n'existe pas dans la loi actuelle ni
dans l'avant-projet. Je voudrais savoir d'abord, par exemple, si on prend les
locations de téléviseurs - en tout cas, c'est ce que j'ai vu de
plus fréquent, bien plus que la location de poêles ou de
réfrigérateurs, je sais que cela existe, mais la location de
téléviseurs, on voit cela assez fréquemment - est-ce que
dans ces contrats, il existe des clauses pénales? Qu'arrive-t-il si, au
bout de deux mois... Comment cela fonctionne-t-il? Je n'ai jamais
regardé ces contrats.
M. Dorais: Ce qu'on a pu constater, c'est qu'il existe des
clauses qui ne sont pas nécessairement des clauses pénales, mais
le marchand peut s'approprier le droit de saisie sans préavis. Il peut
aller directement à l'adresse du consommateur et saisir tout simplement
le bien sans préavis, sans jugement ou quoi que ce soit.
M. Filion: D'accord.
M. Dorais: C'est une des choses qu'il peut faire. Comme je vous
l'ait dit, le commerçant, ici, a tous les droits. Il n'a aucune
restriction. Évidemment, le consommateur le moindrement futé peut
toujours prendre les conseils d'un avocat, mais je pense que, dans le cas qui
nous préoccupe, cela nous apparaît comme une exception. Autrement
dit, ce qu'on dit, c'est que le consommateur là-dedans a très peu
de moyens de se défendre et le commerçant, au contraire, prend
tous les moyens à sa disposition pour protéger son droit.
M. Filion: Généralement, est-ce que ces contrats
sont d'une durée fixe ou si ce sont des contrats qui sont
renouvelables?
M. Dorais: La plupart des contrats sont, effectivement, d'une
durée minimale d'un an et sont souvent renouvelables. On a
constaté que ce sont les commerçants qui encouragent cette
pratique surtout dans le domaine de la location-achat parce que c'est plus
payant, évidemment. Comme je l'ai dit tantôt, quand vous louez,
supposons un appareil de télévision de 800 $, au bout de trois
ans, cela vous coûte 1200 $. Alors, vous venez d'augmenter vos
dépenses de 50 %. C'est sûr que les commerçants de location
ont intérêt à ce que les consommateurs renouvellent leur
contrat.
M. Filion: Bien. Donc, M. Dorais, à mon tour et au nom de
l'Opposition officielle, du parti politique que je représente, je
voudrais vous remercier d'avoir étudié ce secteur-là, cet
avant-projet de loi, et de nous avoir fait connaître vos commentaires de
qualité sur cet avant-projet. Merci.
M. Dorais: Merci.
La Présidente (Mme Bleau): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Même chose du côté gouvernemental,
nous aimerions remercier l'ACEF du sud-ouest de Montréal qui est un beau
territoire comme vous savez - c'est chez nous - et peut-être que les
plaignants ou les plaignantes qui s'adressent à vous, vous pouvez leur
conseiller d'aller à leur caisse populaire - d'ailleurs il y a des gens
en arrière qui peuvent vous donner leur carte d'affaires - afin
d'emprunter au lieu de louer cela.
M. Dorais: C'est ce que j'ai dit, d'ailleurs, dans mon rapport de
recherche. J'y ai indiqué que c'est, effectivement, plus
intéressant d'aller faire un emprunt à une caisse populaire que
de le louer.
M. Dauphin: C'est vrai. Merci de votre participation.
M. Dorais: Merci.
Confédération des caisses populaires et
d'économie Desjardins du Québec
La Présidente (Mme Bleau): La commission vous remercie M.
Dorais et bon voyage de retour. Nous appelons maintenant la
Confédération des caisses populaires et d'économie
Desjardins du Québec
Je vous souhaite la bienvenue et je demanderais à Me Dionne de
nous présenter les personnes qui l'accompagnent. Est-ce que c'est Me
Dionne qui est le porte-parole ce soir? C'est cela. Alors, bienvenue.
M. Dionne (Daniel): Mme la Présidente, mon nom est Daniel
Dionne. Je suis coordonnateur en matière de législation à
la Confédération des
caisses populaires et d'économie Desjardins du Québec. M.
Denis Frenière, premier vice-président des ressources humaines et
financières, devait représenter notre organisme devant cette
sous-commission, mais il a été retenu à l'extérieur
et m'a demandé de prendre sa place. il vous prie de l'excuser de son
absence. À ma gauche, Me Guylaine Fortier, conseillère juridique
à la confédération; à mon extrême gauche, Me
Gaétan Cantin, vice-président aux affaires juridiques à
l'Assurance-vie Desjardins et, à ma droite, M. Jean-Pierre Thomassin,
conseiller en crédit commercial à la
confédération.
Vu que notre mémoire contient des commentaires sur la plupart des
sujets traités par cet avant-projet de loi, vous me permettrez d'entrer
immédiatement dans le vif du sujet et de n'aborder que certaines
questions de fond. Nous serons toutefois à l'entière disposition
des membres de la commission pour répondre à toutes leurs
questions, même si elles portent sur des commentaires plus
techniques.
Au chapitre du contrat, nous exprimons notre inquiétude quant aux
conséquences pratiques que pourrait engendrer une nouvelle règle
indiquant que le consentement devrait être éclairé et
réfléchi. En effet, nous craignons l'impact qu'une règle
aussi générale pourrait avoir sur les activités courantes
de ceux qui, en raison de la nature de leurs activités, signent
quotidiennement une quantité considérable de contrats. Car il ne
suffira pas de respecter cette exigence, il faudra également être
en mesure de prouver en tout temps qu'elle a été respectée
dans tous les cas. Par ailleurs, cela affectera sensiblement la
stabilité des contrats, leur valeur intrinsèque, la confiance
qu'on leur accorde habituellement, ce qui ne nous paraît pas souhaitable,
pour toutes sortes de raisons, comme la multiplicité des procès,
la difficulté d'évaluer les comptes à recevoir d'une
entreprise qu'on veut acheter ou financer, etc. Certaines lois, comme la Loi
sur la protection du consommateur, imposent des formalités
précises pour s'assurer que le signataire d'un contrat a donné un
consentement éclairé et réfléchi. La divulgation
des frais de crédit est un bon exemple. Nous n'avons aucune
hésitation à respecter ces formalités, car nous savons
précisément en quoi elles consistent et nous pouvons prouver en
tout temps qu'elles ont été respectées. Mais il en sera
tout autrement avec une règle générale comme celle
proposée. (17 h 45)
En d'autres mots, nous sommes entièrement d'accord avec
l'objectif poursuivi, mais nous croyons que, si on veut le consacrer dans une
loi et prévoir des sanctions en cas de non-respect, on ne doit pas le
faire au moyen d'une règle aussi générale.
Concernant la forme des contrats, nous suggérons de retirer
l'article 1457 qui exige que les modifications aux contrats nécessitant
une forme particulière soient faites sous la même forme. Cet
article risque, en effet, d'entraîner une augmentation importante des
frais que devront assumer les consommateurs et les entreprises lors de telles
modifications.
En ce qui a trait aux articles 1483 et 1484 portant sur les contrats
d'adhésion, nous suggérons d'enlever les mots "personne
raisonnable" et les mots "la prive de ses attentes légitimes", parce
qu'ils introduisent trop de subjectivité dans ces articles et qu'ils
ouvrent la porte à toutes sortes de contestations. Nous croyons
d'ailleurs qu'ils ne sont pas essentiels et que les objectifs poursuivis
peuvent être atteints malgré leur absence.
Quant aux dispositions relatives au droit de rétention, nous
suggérons de restreindre ce droit à des cas précis et de
prévoir qu'il ne soit pas opposable aux tiers qui veulent exercer un
recours sur le bien, quitte à accorder au créancier
bénéficiant de ce droit un hypothèque légale ou une
créance prioritaire lui permettant d'être payé de sa
créance.
En ce qui a trait aux règles relatives aux paiements, nous nous
réjouissons que l'avant-projet de loi énumère des modes de
paiement en usage depuis de nombreuses années et surtout qu'il
reconnaisse si rapidement de nouvelles méthodes qui sont en train de
devenir de plus en plus populaires. Nous suggérons toutefois de
mentionner également un des modes de paiement les plus courant,
c'est-à-dire le chèque non certifié, sans toutefois
obliger le créancier à l'accepter. Nous abordons également
la question du caractère libératoire des autres modes de
paiement.
Concernant l'action en inopposabilité, nous suggérons
certaines modifications destinées à combler les vides
laissés par les dispositions actuelles et celles proposées. En
effet, les créanciers sont parfois dépourvus de recours efficaces
devant certaines attitudes frauduleuses de leurs débiteurs.
En ce qui a trait aux cessions de créances, nous croyons que les
règles relatives à l'opposabilité aux tiers et aux
débiteurs doivent être précisées ou revues, selon le
cas, particulièrement en ce qui a trait à la cession d'une
universalité de créances. En effet, il devrait être clair
que l'article 1695 s'applique également à une telle cession, car
ce n'est pas évident. De plus, l'enregistrement ne devrait être
nécessaire que pour rendre la cession opposable aux tiers. En ce qui a
trait aux débiteurs des créances cédées, la cession
devrait leur être opposable dès qu'elle leur a été
signifiée ou dès qu'ils y ont acquiescé.
Quant à la publication d'un avis dans un journal, il devrait
être possible d'y recourir non seulement lorsqu'un débiteur est
introuvable, mais également lorsque le cessionnaire ignore le nom d'un
ou de plusieurs débiteurs. Cela risque d'être plus fréquent
dans le cas d'une hypothèque grevant une universalité de
créances mais cela peut également se produire à
l'occasion,
dans le cas de la cession d'une universalité de créances
présentes ou futures.
Au chapitre de la vente, nous nous interrogeons sur l'opportunité
de faire disparaître les dispositions protégeant l'acheteur
lorsqu'il achète un bien d'un "commerçant en semblable
matière", ou lorsqu'il s'agit d'une affaire commerciale. Quant à
la possibilité pour l'une ou l'autre des parties de considérer la
vente comme étant résolue lorsque le bien n'est pas livré,
payé ou récupéré dans un délai raisonnable,
ou lorsqu'il est atteint d'un vice, nous croyons que ce droit devrait recevoir
un meilleur encadrement.
En ce qui a trait à la vente à tempérament, nous
demandons le retrait de certaines dispositions qui ne nous paraissent pas
justifiées. Quant à la vente à
réméré, nous demandons de ne pas considérer les
ventes de créances avec droit de rachat comme des ventes à
réméré, ou de ne pas leur appliquer certaines des
règles proposées. Nous utilisons parfois la vente de
créances avec droit de rachat pour combler nos besoins de
liquidité et dans le but d'être en mesure de répondre
adéquatement aux besoins de nos membres, et nous croyons que personne ne
subirait de préjudice si le droit de rachat des créances
cédées n'était pas limité à cinq ans.
Concernant les ventes d'entreprises, nous croyons que les règles
proposées devraient s'appliquer non seulement lorsque les biens vendus
représentent la totalité ou la quasi-totalité des biens de
l'entreprise, mais également une partie importante de ces biens, comme
la vente des biens d'une succursale. Nous sommes également d'avis que
les créanciers détenant une hypothèque ouverte ne
devraient pas être considérés comme des créanciers
chirographaires. De plus, on devrait prévoir que les créanciers
garantis doivent également être payés pour la valeur de
leur sûreté, à moins qu'ils n'acceptent une assumation de
leur créance par l'acheteur.
Quant à la possibilité d'éliminer
complètement les règles sur la vente en bloc, tel
qu'envisagé lors des premières journées d'audition, nous
n'y sommes pas favorables, mais nous croyons qu'il serait possible d'en limiter
l'application aux situations où les montants en jeu sont
élevés, car c'est dans de tels cas que la perte des
créanciers peut être importante.
En ce qui a trait au crédit-bail, nous croyons que cette
technique de financement ne devrait pas être réservée
exclusivement à ceux qui exploitent une entreprise, quitte à ce
qu'elle soit encadrée d'un certain formalisme lorsque l'utilisateur du
bien est un consommateur.
Au chapitre des sociétés et des associations, nous nous
réjouissons que les règles actuelles régissant les
sociétés en nom collectif aient été revues et qu'on
leur accorde la personnalité juridique. Nous suggérons cependant
certaines précisions ou modifications de nature à permettre aux
tiers de mieux savoir de quelle façon ils doivent traiter avec ces
sociétés.
Nous suggérons également de modifier les articles 2279 et
2305 qui traitent de la responsabilité des sociétaires et des
commandités à l'égard des obligations de la
société envers les tiers. Nous croyons en effet que ces articles
ne protègent pas suffisamment les tiers et qu'ils les inciteront
à faire cautionner les sociétaires dans le cas d'une
société en nom collectif, ainsi que les commandités dans
le cas d'une société en commandite.
En ce qui a trait aux associations, nous nous réjouissons qu'on
ait décidé d'inclure au Code civil une section complète
à leur sujet. En effet, l'absence de règles adéquates les
régissant nous empêche de les servir comme nous le souhaiterions.
Cependant, nous croyons que les associations immatriculées au registre
des associations et entreprises devraient avoir la personnalité
juridique, comme le recommandait l'Office de révision du Code civil.
Autrement, cela causera à leurs représentants de sérieux
problèmes lorsqu'ils voudront contracter avec des tiers au nom de leur
association. La situation actuelle nous permet d'en arriver à cette
conclusion.
Au chapitre du prêt, nous croyons qu'il n'est pas opportun que le
tribunal puisse déterminer de nouvelles modalités
d'exécution d'un prêt, surtout s'il est assorti d'une
sûreté parce que l'amortissement est souvent
déterminé en fonction de la rapidité de
dépréciation du bien.
Concernant les règles relatives au cautionnement, nous demandons
que l'article 2415 soit modifié de façon que les héritiers
de la caution soient tenus non seulement aux dettes existantes au moment du
décès, mais également à celles nées avant
que le créancier n'ait été informé du
décès. Dans le cas d'une marge de crédit garantie par
cautionnement hypothécaire, par exemple, c'est souvent la
présence de ce cautionnement qui permet au prêteur de faire des
avances. Si le cautionnement ne couvre plus les avances faites après le
décès de la caution, même si le prêteur n'est pas
informé du décès, celui-ci risque de perdre les avances
qu'il consentira après le décès, ce qui ne nous
paraît pas justifié.
Quant à l'obligation du créancier de divulguer à la
caution les faits qu'il connaît et qui peuvent porter préjudice
à la caution, elle peut entrer en conflit avec son obligation de
confidentialité à l'égard du débiteur principal. Il
y aurait donc lieu de préciser ce que doit faire le créancier
dans un tel cas.
Au chapitre de la rente, nous demandons de préciser que l'on doit
tenir compte, lors du calcul de la partie insaisissable d'une rente ou du
capital accumulé à cette fin, des autres revenus du crédit
rentier.
Concernant les assurances, nous suggérons de revoir la
présomption prévue à l'article 2484 indiquant qu'en
matière d'assurances terrestres, l'agent ou le courtier d'assurances est
présumé être le représentant de l'assureur.
Finalement, en ce qui a trait aux règles particulières au
contrat de consommation, nous
demandons que l'on puisse indiquer le coût d'une assurance
souscrite par l'emprunteur dans un contrat séparé, par exemple le
formulaire d'adhésion à l'assurance. Nous demandons
également que soient assouplies certaines exigences qui, à notre
avis, briment plus qu'il n'est nécessaire la liberté des
consommateurs, par exemple le délai pour le premier paiement, la
fréquence des paiements, etc. Dans la même optique, nous demandons
qu'il soit possible, pour répondre à la demande de nombreux
consommateurs, de consentir des prêts dont le capital serait remboursable
en totalité à une date déterminée et
l'intérêt payable mensuellement.
En ce qui a trait à l'article 2843, qui traite de la
collaboration régulière entre le commerçant et le
prêteur, nous considérons important de signaler qu'il
défavorise souvent les consommateurs au lieu de les avantager car il
incite les prêteurs à refuser de conclure avec des
commerçants des ententes qui seraient favorables aux consommateurs, par
exemple, des ententes qui prévoient une réduction du taux
d'intérêt.
Enfin, on semble avoir laissé tomber, dans l'avant-projet de loi,
l'article 100.1 de la Loi de la protection du consommateur qui donnait
ouverture à l'octroi de prêts à taux fluctuant. Pour les
motifs exposés dans notre mémoire, nous considérons
important que cette disposition soit reprise dans l'avant-projet de loi et
qu'elle soit mise en vigueur le plus rapidement possible.
Mme la Présidente, cela complète notre exposé
concernant l'avant-projet de loi sur les obligations. Nous tenons toutefois
à ajouter que, malgré les nombreux commentaires contenus dans
notre mémoire, nous avons été impressionnés par la
qualité du travail des artisans de cet avant-projet de loi et des autres
qui l'ont précédé. La réforme du Code civil est une
entreprise colossale et même s'il est possible d'améliorer les
avant-projets ici et là, on ne peut s'empêcher d'admirer le
travail accompli jusqu'à maintenant et d'encourager tous ceux qui
travaillent à cette réforme à continuer dans la même
veine. Le Mouvement Desjardins est heureux de pouvoir collaborer à ce
travail d'envergure et espère que ses commentaires et suggestions seront
utiles à ceux qui ont pour mandat d'achever ce travail gigantesque.
Merci.
La Présidente (Mme Bleau): Merci, Me Dionne. Vous avez
fait ça dans un temps record. Je passerai maintenant la parole au
député de Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la
Justice.
M. Dauphin: Merci, Mme la Présidente. Me Dionne, on peut
vous laisser le loisir de prendre un verre d'eau, si vous le voulez, avant de
poser nos questions. Alors, au nom du ministre de la Justice du Québec,
j'aimerais souhaiter la bienvenue à la Confédération des
caisses populaires et d'économie Desjardins du Québec. Nous avons
d'ailleurs eu l'occasion de recevoir Me
Dionne, il y a moins d'un mois, à l'occasion de l'étude du
document de travail sur les droits économiques des conjoints. Nous
sommes heureux de voir que le Mouvement Desjardins s'intéresse vivement
à la législation. C'est compréhensible considérant
le nombre de membres qui adhèrent au Mouvement Desjardins. On parle de 4
000 000 de membres, je crois. C'est un organisme des plus importants au
Québec. Je suis heureux de constater, à la lecture de leur
mémoire, qu'ils émettent des commentaires non seulement sur les
dispositions visant à protéger les créanciers, mais ils
émettent également des commentaires favorables sur des
dispositions visant à protéger les consommateurs. Nous en sommes
quand même très fiers. On a préparé une série
de questions que vous me permettrez de vous lire, étant donné
l'heure tardive, je n'oserais pas improviser.
Certaines associations vouées à la protection du
consommateur nous ont souligné l'existence de problèmes que pose
la pratique des retraits pré-autorisés, d'ailleurs un groupe
avant vous nous a longuement parlé de cela, entre autres le
défaut par les institutions financières de vérifier les
autorisations de paiement avant d'effectuer un retrait et le dégagement
de toute responsabilité de ces dernières dans le traitement de
ces retraits. On souligne le fait qu'assez souvent un même montant soit
prélevé plusieurs fois dans le même mois ou encore que le
commerçant effectue un retrait plus tôt qu'à la date
convenue ou même au-delà de la date à laquelle prenait fin
l'abonnement. Nous aimerions évidemment connaître votre
réaction à ce problème et savoir si c'est une pratique
utilisée avec le Mouvement Desjardins dans les caisses populaires.
M. Dionne: Ce que vous avez souligné est une chose qu'on
doit tous déplorer. C'est la première fois que j'entends parler
de ce problème. Je ne sais pas si mes collègues ont
été sensibilisés à cette situation. Je dois vous
dire que votre question me surprend. Malheureusement, je n'ai pas de
réponse. Chose certaine en tout cas, si cela se produit, il y aurait
lieu de le corriger effectivement.
M. Dauphin: On a entendu plusieurs groupes - d'ailleurs un groupe
juste avant vous - qui nous en ont parlé et des groupes de protection
des consommateurs.
M. Dionne: Évidemment, on ne peut pas empêcher des
erreurs de se produire de temps à autre quand on manipule beaucoup de
transactions, sauf que, si jamais il y avait un débit fait quelques
jours avant la date prévue, il s'agirait pour le membre d'en aviser son
institution financière. J'imagine que la situation serait
corrigée rapidement. Je ne sais pas si quelqu'un d'autre veut
ajouter...
Mme Fortier (Guylaine): Peut-être, avec votre permission,
Mme la Présidente. Je sais qu'à
une certaine époque il y a effectivement eu des problèmes
relatifs à la vérification de la pièce comme telle. Il
fallait absolument que, par exemple, si le montant soit exact, sinon le
système informatique laissait passer l'ordre de débit,
l'arrêt de paiement qu'il avait était de 11,14 $, et que le
marchand présentait un débit autorisé de 11,13 $. Je sais
qu'à l'heure actuelle, on développe des corrections pour le
système informatique comme tel, mais je ne suis pas vraiment en mesure
de vous dire jusqu'à quel point et quand cela pourra vraiment être
corrigé. C'était vraiment un problème de
système.
M. Dauphin: D'accord. Mais vous n'avez pas eu plus d'appels ou de
pressions que cela à ce sujet? Pas à votre connaissance?
M. Dionne: Je n'avais jamais été sensibilisé
au problème, le cas échéant. Mais il y a une chose qui est
certaine, en tout cas, c'est qu'advenant le cas où cela
pénaliserait un membre d'une caisse, il serait dédommagé
par la caisse à ce moment-là. C'est évident, je pense.
M. Dauphin: D'accord. Ma deuxième question concerne les
transferts électroniques de fonds. Vous semblez d'accord avec la
codification proposée par l'avant-projet de loi des moyens de paiement
que sont les cartes de crédit et le recours à tout autre moyen
faisant appel à un système de transfert électronique de
fonds. Pourtant, certains organismes, dont l'Association des banquiers
canadiens qui sont venus au tout début de nos travaux, s'opposent
à une telle codification prétextant qu'elle est
prématurée et trop dangereuse à l'heure actuelle. Est-ce
que nous pourrions avoir votre position là-dessus?
M. Dionne: Je pense que l'objectif de l'article en question vise
à faire en sorte que le débiteur d'une somme d'argent ne soit pas
obligé en fait de remettre du numéraire, qu'il puisse donc
utiliser d'autres techniques qui sont aussi bonnes ou presque, dans le fond.
Par exemple, il serait anormal qu'une personne qui doit 1 000 000 $ soit tenue
d'arriver avec ce montant en liquide. C'est normal qu'on puisse lui permettre
de payer par chèque certifié, entre autres choses. C'est
également normal, avec l'utilisation qu'on fait actuellement de la carte
de crédit, qu'une personne qui doit de l'argent, par exemple, à
la suite d'un achat qu'elle a effectué, puisse s'acquitter de cette
obligation de le payer au moyen d'une carte de crédit si elle l'a sur
elle, si les montants disponibles sont là. (18 heures)
Dans le fond, c'est le but que vise l'article: permettre à des
débiteurs de s'acquitter de leur obligation de payer non seulement avec
du numéraire, mais d'autres façons. Bientôt, on va avoir la
carte de débit. Elle commence même à être
utilisée. Alors, je ne vois pas pourquoi on s'opposerait à un
article qui vient dire qu'un débiteur peut s'acquitter de ses
obligations d'une autre façon qu'avec du numéraire. S'il peut le
faire avec une carte de débit, pourquoi pas? Moi, j'ai un peu de
difficulté à comprendre la position de l'Association des
banquiers canadiens qui s'oppose au fait qu'on le prévoie dans le Code
civil. Toutefois, ce qu'on dit, c'est qu'il faudrait peut-être s'assurer
que l'article protège le créancier de l'obligation, dans le sens,
si jamais il arrivait... Il faut penser que cet article vise, par exemple, une
carte de crédit émise par une institution financière
étrangère. Si le débiteur acquitte son obligation avec sa
carte de crédit, s'il fait un achat, qu'il acquitte avec sa carte de
crédit et que par hasard, l'institution financière
étrangère fait faillite le lendemain et que le commerçant
n'est pas capable d'être remboursé de cette somme, ce qu'on dit,
c'est que le commerçant devrait être capable de dire à
l'acheteur: Je n'ai pas pu me faire payer la pièce que tu m'as
signée, donc je te la remets, tu me donnes l'équivalent en
numéraire et, de toute façon, tu ne te feras jamais
réclamer le montant en question par l'institution financière qui
a émis ta carte puisque moi, de toute façon, je n'ai pas
été capable de me faire rembourser cet achat. C'est dans ce
sens-là qu'on dit qu'il y aurait peut-être lieu... Ce sont des cas
exceptionnels, évidemment, mais il reste qu'il n'est pas impossible que
cela arrive. Si vous regardez l'article en question, quand on parle des autres
modes que le chèque certifié, on ne parle pas d'institutions
financières faisant affaire au Québec, donc cela peut être
une carte de crédit émise par n'importe quelle autre institution
financière et même par des corporations qui ne sont pas des
institutions financières.
M. Dauphin: Merci. Si vous me permettez, Mme la
Présidente, la suivante a trait à la vente d'immeubles
résidentiels. Vous ne semblez aucunement remettre en question le
principe avancé justement par la réforme, à l'effet de
protéger l'acheteur d'un immeuble résidentiel. Pourtant, la
même association celle que j'ai mentionnée tantôt,
l'Association des banquiers canadiens, s'oppose à l'introduction au Code
civil de règles protectrices à cet effet ou, à tout le
moins, recommande de limiter leur application aux constructions neuves, aux
nouvelles constructions. De plus, elle allègue que si ces mesures sont
maintenues, elles entraîneront des délais et des coûts
additionnels pour les parties lors de l'octroi des prêts
hypothécaires. Est-ce qu'on pourrait avoir votre réaction face
à cette position?
M. Dionne: Écoutez, on a regardé les dispositions
en question et on n'est pas allés jusqu'à savoir si cela
retarderait l'octroi de nos prêts hypothécaires. Donc, on n'est
pas contre le fait d'inclure des dispositions protégeant les acheteurs
de résidence, au contraire. Je dois vous dire qu'on a quelques
commentaires sur les
dispositions visant la protection des consommateurs, mais on n'est pas
contre cela, en principe. Au contraire, on est favorables, peu importe le
domaine dans le fond, à ce qu'il y ait des dispositions qui
protègent le consommateur, que ce soit dans le Code civil ou dans une
autre loi. Évidemment, ce qui est important pour nous, c'est qu'elles
n'aillent pas trop loin, dans le sens que des dispositions peuvent
paraître fort louables à première vue, mais elles
engendrent tellement de frais ou d'inconvénients par rapport aux
avantages qu'elles rapportent que, dans ces cas-là, on souligne qu'on
n'est pas tout à fait d'accord; ou, en tout cas, on se dit que ce sont
nos membres qui paient, finalement, si on passe des heures de plus à
préparer des contrats à cause de certains articles d'une loi qui
débordent le nécessaire, je dirais. Ce sont nos membres qui
paient la note parce qu'on doit mettre plus de ressources à cette
tâche ou on doit consacrer plus de temps à celle-ci. Alors, c'est
dans ce sens qu'on a parfois des commentaires qui peuvent sembler aller
à l'encontre de la protection du consommateur, mais ce n'est pas notre
objectif. On est favorables à toute forme de protection, peu importe le
domaine.
M. Dauphin: Merci. J'aimerais vous poser une question. Justement,
Me Cossette, qui est directeur du droit civil au ministère de la
Justice... J'aimerais vous référer à l'article 1841, qui
traite de la circulaire d'information. Plusieurs organismes nous ont dit que
c'était peut-être trop lourd lorsqu'on parle d'au moins cinq
unités de logement. Nous serions intéressés a avoir votre
opinion sur l'article 1841, au sujet de la circulaire d'information. Nous
sommes en matière des règles particulières à la
vente d'immeubles résidentiels. Je ne sais pas si vous vous êtes
penchés là-dessus, je ne veux pas non plus...
M. Dionne: Pas vraiment, pour être honnête avec vous.
Maintenant, plutôt que de vous répondre incorrectement, si vous
désirez avoir notre point de vue, on peut examiner la disposition en
question et vous faire parvenir dans les jours qui suivent ce qu'on en
pense.
M. Dauphin: On l'apprécierait.
M. Dionne: Je dois vous dire qu'on a regardé toutes les
dispositions du code, on l'a lu d'un bout à l'autre sauf
l'hypothèque maritime, je pense, et on n'a pas accroché sur cet
article. Cela fait quand même plusieurs mois qu'on l'a regardé,
alors c'est...
M. Dauphin: Je retiens votre suggestion. On l'apprécierait
si vous pouviez communiquer avec nous.
Le Président (M. Marcil): II faudrait, par contre, que ce
soit envoyé ici, à la sous-commission. Nous nous occuperons de le
faire parvenir au ministre de la Justice. Merci.
M. Dauphin: Est-ce qu'on a encore le temps?
Le Président (M. Marcil): Oui.
M. Dauphin: Aux articles 1822 et suivants, certains ont
suggéré de ne plus réglementer la vente en bloc ou la
vente d'entreprise. Comment dit-on cela... le "Bulk Sales Act"? C'est la
Colombie britannique qui a supprimé cela, le "Bulk Sales Act". Que
pensez-vous de cette suggestion?
M. Dionne: La vente en bloc, en fait, qui s'appelle
dorénavant la vente d'entreprise. J'admets que j'ai lu un petit peu vite
tout à l'heure, mais j'ai abordé la question dans
l'exposé. D'ailleurs, je dois vous dire que je voyais l'heure tardive
alors c'est la raison pour laquelle j'ai procédé rapidement.
M. Dauphin: On l'a compris.
M. Dionne: On y a répondu dans le sens qu'on croit que ces
dispositions visent à protéger les créanciers. Quand on
parle de créanciers, les gens souvent pensent que ce sont uniquement des
institutions financières, mais ce ne sont pas uniquement des
institutions financières. Cela peut être aussi des petits
commerçants, qui ont fourni de la marchandise à une grosse
entreprise qui est vendue. Cela peut être, des fois même, des
particuliers qui ont une créance contre une entreprise; cela arrive. Les
dispositions visent à protéger les créanciers.
Évidemment, on est, au départ, en désaccord avec
l'idée de les abolir.
Maintenant, je peux comprendre la position d'autres organismes,
c'est-à-dire les professionnels qui ont à faire des transactions.
Parfois, ils trouvent cela peut-être un peu lourd et je les comprends si
le prix de vente d'une entreprise, par exemple, est de 15 000 $ ou de 20 000 $.
Dans ces cas-là, je pense qu'il pourrait y avoir une exemption du
respect des règles de la vente en bloc ou de la vente d'entreprise.
Quand, par contre, il s'agit de 1 000 000 $ ou de 2 000 000 $, je pense que
c'est une tout autre chose. C'est peut-être là que se trouverait
la solution, c'est-à-dire de prévoir que les règles de la
vente en bloc ou de la vente d'entreprise ne s'appliquent pas
nécessairement dans tous les cas, mais s'appliquent dans le cas
où le préjudice peut être important pour les
créanciers, advenant le cas où le vendeur ne se servirait pas du
produit de la vente pour payer ses créanciers et s'en servirait à
d'autres fins ou disparaîtrait du décor avec l'argent. Il n'est
pas impossible que cela arrive. Je me suis occupé de dossiers où,
heureusement, il y avait eu non-respect de la vente en bloc et, en
conséquence, on a pu contester ou éviter une perte qu'on aurait
subie autrement. Alors si nous avons pu l'éviter,
d'autres, comme je le disais tout à l'heure, des petits
commerçants, des agriculteurs, peuvent profiter de ces
dispositions-là.
M. Dauphin: Merci beaucoup. Peut-être une dernière
question. Vous suggérez que le crédit-bail s'applique non
seulement aux entreprises mais également à toute personne voulant
y recourir. On aimerait vous entendre sur les avantages que vous y voyez et si,
dans votre esprit, cela couvrirait également certaines opérations
de location-achat de biens de consommation.
M. Dionne: D'abord, je pense qu'on peut dire qu'en soi il n'y a
aucune technique de financement qui est mauvaise. Si on prend la vente à
tempérament, par exemple, on peut l'encadrer d'un certain formalisme,
mais en soi ce n'est pas une technique qui est mauvaise. Il y a même des
consommateurs qui y trouvent de grands avantages quand le taux offert par
l'institution financière ou le concessionnaire, par exemple, comme on a
vu dans la publicité, à des taux de 4 %... Je n'aurais aucune
hésitation à recommander à quelqu'un d'acheter un
véhicule à tempérament si le taux de financement est de 4
%. Il est même mieux de faire cela que d'emprunter auprès d'une
institution financière. Donc, il n'y a aucune technique qui est mauvaise
en soi. Le crédit-bail en est une autre qui est différente. Je
pense qu'il ne faut pas la rejeter du revers de la main, et le fait qu'on la
limite aux entreprises, je me dis qu'il y a peut-être des consommateurs
qui apprécieraient de pouvoir le faire comme cela. Je pense que ce qui
est important, c'est de l'encadrer de règles qui les protègent.
Si cela est fait par des dispositions, comme actuellement la vente à
tempérament est régie par la Loi sur la protection du
consommateur, les consommateurs sont protégés. Si on fait la
même chose pour le crédit-bail, je ne verrais pas pourquoi un
consommateur n'aurait pas la possibilité de choisir entre un prêt
auprès d'une institution financière et un crédit-bail
auprès de la même institution financière, s'il y voit des
avantages. Alors, c'est dans ce sens... Je ne sais pas si mes collègues
ont des choses à ajouter.
Une voix: Non.
M. Dauphin: Merci. Avec la permission de la présidence et
des collègues, j'aimerais demander à Me Cossette, qui est
directeur du droit civil au ministère de la Justice, de vous poser une
question.
M. Cossette (André): Merci, M. le Président. Je
voudrais référer notre comparant à l'article 1457. Vous ne
semblez pas être d'accord avec la proposition faite. Pour faciliter la
considération du problème, partons d'un exemple bien
précis. Il s'agirait d'une hypothèque, par exemple. Alors, on
dit: "Lorsqu'une forme particulière est exigée comme condition
nécessaire à la formation du contrat, elle doit être
observée". Cela va. Puis: "de même, elle doit l'être pour
toute modification apportée à un tel contrat". Mais, il y a un
"à moins" que l'on considère comme important et, justement, on a
pensé à vous autres lorsqu'on a écrit le "à moins".
On sait particulièrement que, quand vous modifiez le taux
d'intérêt d'une hypothèque, vous le faites par acte sous
seing privé, et on ne voulait pas vous obliger, par ailleurs, à
adopter la forme authentique pour faire une petite convention modifiant le
terme ou le taux d'intérêt. Mais, vous avez dit que vous
n'étiez pas satisfaits de cela. Qu'est-ce que vous voulez?
M. Dionne: D'abord, M. Cossette, je partage entièrement
votre point de vue dans le sens qu'en ce qui me concerne personnellement, je
crois qu'on pourrait toujours continuer à faire nos renouvellements
d'hypothèque sous seing privé. Je dois ajouter que c'est à
l'avantage des consommateurs parce que, lorsqu'ils sont sous seing
privé, ils ne coûtent rien ou très peu, alors que s'ils
sont faits par acte authentique, c'est différent. Sauf que cela n'est
pas l'interprétation de tout le monde. Il y a des questions qui se
posent. Il est possible qu'ailleurs ce soit interprété
différemment et qu'en conséquence il y ait des institutions
financières qui se mettent à exiger que leurs hypothèques
soient dorénavant renouvelées sous forme authentique. Donc, en
fait, ce ne sont pas tous les juristes qui croient que les mots "à moins
que" règlent le problème. C'est dans ce sens qu'on s'est dit: II
n'y a pas d'article actuellement. Je ne crois pas que ce soit un
problème. On s'est dit: S'il n'y a pas de problème actuellement
sans article, pourquoi en mettre un? C'est un peu notre position finalement. Je
ne sais pas si je réponds à votre question.
M. Cossette: C'est une réponse, oui. Des voix: Ha,
ha, ha!
M. Cossette: Mais cela ne m'éclaire pas davantage. Merci
quand même.
Le Président (M. Marcil): Est-ce que vous voulez
compléter, madame, Maître?
M. Dionne: Pardon?
Mme Fortier: Non, cela va. Merci.
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Taillon.
M. Filion: Oui. M. le député de Beauharnois est
président de cette commission?
À mon tour d'abord de féliciter le Mouvement Desjardins
pour son implication - on serait
presque porté à dire son engagement - vis-à-vis de
son rôle social qui est de surveiller, de faire des commentaires sur
toute législation de nature à affecter des citoyens du
Québec. Je remarque également que vos commentaires sont
dégagés en ce sens qu'ils ne portent pas seulement sur les
opérations commerciales du Mouvement Desjardins, mais portent sur
l'intérêt, le bien-être de l'ensemble des membres du
Mouvement Desjardins qui, si on se réfère à la statistique
donnée tantôt par le député de Marquette, constitue
la majorité de la population au Québec. Or, dans ce
sens-là et au nom de l'Opposition officielle, mes félicitations
pour le travail que vous faites.
J'ai choisi d'aborder avec vous deux questions. Les autres de nature
peut-être un peu plus technique, je vais les laisser à Me Pierre
Gariépy qui est conseiller juridique de l'Opposition. (18 h 15)
J'ai déjà évoqué ces deux questions à
cette commission parlementaire. L'une porte sur l'introduction des
qualités du consentement requis pour la formation d'un contrat, de ce
nouvel élément qui est un élément de
réflexion. Cela m'a fait sourire, cela a fait sourire Me Gariépy.
À la page 5 de votre mémoire vous commentez le fait que le
consentement doit être libre, éclairé et
réfléchi, et vous commentez longuement aux pages 5 et 6 les
conséquences de l'introduction de ce concept, pour conclure, à la
toute fin, en disant: "En résumé, l'introduction d'une
disposition à l'effet que le consentement doit être
éclairé et réfléchi peut sembler souhaitable
à première vue, mais elle risque d'être lourde de
conséquences et de créer plus d'inconvénients, souvent
coûteux, que les avantages qu'elle pourra rapporter. Comme c'est
probablement l'ensemble de la population qui en assumera indirectement les
coûts, elle mérite, à notre avis, de faire de nouveau
l'objet d'une réflexion". J'ai trouvé cela intéressant,
parce que vous renvoyez à la réflexion cet élément
de réflexion que l'avant-projet de loi introduit dans notre droit.
Alors, ma question: Est-ce que vous prévoyez, finalement, par
votre expérience, un foisonnement ou, en tout cas, une propension un peu
plus grande à des recours en annulation de contrat, advenant
l'introduction d'un qualificatif comme celui-là dans la théorie
générale des obligations?
M. Dionne: II est certain, pour nous, qu'il va y avoir une
augmentation... c'est-à-dire que cet article va être
invoqué dans un certain nombre de dossiers, évidemment. Je lisais
les débats des jours précédents, je pense que c'est la
Commission des services juridiques qui disait qu'elle ne prévoyait pas,
elle, qu'il y aurait énormément d'augmentation de litiges sur
cette question; mais il n'en demeure pas moins que c'est un argument qui peut
être invoqué en supplément à d'autres et qui oblige
à ce moment-là l'autre contractant à établir une
preuve qui n'est pas facile, et cela peut être un moyen dilatoire. Est-ce
qu'il y aura une multitude de procès de plus? C'est difficile à
évaluer. Chose certaine, ce n'est pas tellement cela qui est notre
principale question, mais c'est plutôt la question de savoir comment on
mettra cela en pratique. Moi, il me faut écrire, par exemple, et nous
tous, ici, aurons à expliquer à nos caisses dans quelques mois le
nouveau Code civil. Comment leur dira-t-on de mettre en pratique le
consentement éclairé et réfléchi? Cela ne sera pas
tellement facile de leur donner des explications qui vont les assurer que leur
contrat sera valide par après, de dire combien de temps ils vont devoir
laisser réfléchir le consommateur. C'est un aspect auquel il faut
penser, je crois, mais, évidemment, il y aura sûrement aussi une
augmentation des litiges; selon moi, c'est évident. Est-ce que cela sera
astronomique? Je pourrais difficilement le prévoir.
M. Filion: D'ailleurs, votre mémoire souligne le
caractère subjectif de ce qu'est ou n'est pas une réflexion. Cela
ne fait pas partie de notre droit, sauf que vous avez mentionné, dans
votre présentation, que cela existait, ou est-ce que vous avez
mentionné, dans votre présentation, que cet élément
de réflexion n'existait pas dans d'autres types de...
M. Dionne: Dans la Loi sur la...
M. Filion: Dans la Loi sur la protection...
M. Dionne: ...protection du consommateur, il y a effectivement
des dispositions qui prévoient, à tout le moins, que le
consentement doit être éclairé. Par exemple, on mentionnait
la divulgation des frais de crédit. C'est une disposition qui vise
à faire en sorte que le consommateur soit éclairé, et on
n'a rien contre cela; au contraire, on trouve cela tout à fait correct.
Mais, là, on sait quoi faire, on sait qu'il faut divulguer les frais, on
sait qu'il s'agit de prendre notre système et de calculer, et puis de
donner le montant. Mais si cela devient général, comme c'est
écrit dans le code actuellement, là, cela devient beaucoup plus
difficile à gérer. Par exemple, actuellement, les membres de nos
caisses souhaiteraient que, quand ils nous demandent un prêt, ils l'aient
le plus tôt possible. Est-ce qu'on va leur dire d'attendre au moins une
journée pour être certains que leur consentement sera
éclairé? Le cas échéant, est-ce qu'il faudra noter
qu'on leur a laissé une journée pour réfléchir?
Pour nous, cela peut engendrer un certain nombre de difficultés, mais il
y a bien d'autres domaines où cela ne sera pas facile à mettre en
application non plus. Parce que, quand une loi est adoptée, nous, nous
essayons de la respecter. Quelquefois, nous ne sommes pas toujours d'accord
avec son contenu, mais on essaie de la respecter au maximum, puis on Incite nos
caisses à le faire aussi. Mais il faut que cela soit aussi vivable,
finalement.
L'objectif, je le répète, est tout à fait louable,
mais on pense qu'il y a peut-être des choses qui sont louables mais qui
ne doivent pas nécessairement faire l'objet de législation. C'est
un peu le message, finalement, qu'on veut laisser.
M. Filion: D'accord. Message reçu. Deuxième point:
en ce qui concerne l'article 1666 qui donnerait un pouvoir exceptionnel au
tribunal de réduire dans certains cas les dommages-intérêts
qui auraient été accordés, votre mémoire...
Une voix: Page 24.
M. Filion: C'est cela. ...à la page 24 est
particulièrement éloquent sur cela. Bon, il reste que, grosso
modo, l'objectif d'une mesure comme celle-là est un objectif
d'équité sociale, si l'on veut. On pourrait même imaginer
l'exemple suivant, pour vous permettre de réagir. Supposons une
condamnation pour une somme de 20 000 $. Manifestement, le défendeur n'a
pas les sous. Sa seule alternative, c'est la faillite. Est-ce qu'à ce
moment-là cette mesure d'équité sociale qui, à
première vue, semblerait ne favoriser que le débiteur d'une
obligation, mais, étant donné son caractère exceptionnel,
est-ce que cela n'aurait pas finalement du sens? J'aimerais peut-être que
vous réagissiez sur cela.
M. Dionne: Oui, d'accord. En fait, on a traité cette
question-là du point de vue purement juridique, dans le sens que c'est
un élément qui devient très subjectif, et on s'est dit,
comme juristes finalement, tout simplement, de quelle façon cela va-t-il
se régler devant les tribunaux? Cela fait un peu drôle de voir ces
règles-là auxquelles on n'est pas habitués. Alors, c'est
une réponse plutôt juridique, ou notre commentaire est d'ordre
plutôt juridique, parce que, sur le plan de l'objectif, encore une fois,
moi, je partage entièrement l'objectif dans ce cas-là comme dans
bien d'autres. On a tout simplement souligné que cela faisait un petit
peu étrange. On n'est pas habitués à ces
dispositions-là. On essaie de regarder le nouveau code de façon
non conservatrice, dans le sens qu'on veut essayer de s'adapter au maximum
à ce qui est proposé mais, ici, on a accroché un petit
peu, pas plus que cela en fait. Je pense qu'au ministère et à la
commission, vous êtes en mesure de juger tout simplement notre
commentaire sur cela qui est d'ordre plutôt juridique que social, si on
veut. Mais je suis d'accord avec vous qu'en soi, l'objectif est louable, c'est
bien certain.
M. Filion: Même si ce n'est pas facile à formuler
pour garder un cadre objectif, c'est ce que vous dites essentiellement.
M. Dionne: Exactement. La gêne, encore une fois, c'est
l'état d'âme d'une personne. On n'est pas habitués à
ce genre de chose dans notre Code civil à tout le moins.
M. Filion: Bon, alors...
M. Dionne: Je tiens à vous répéter que ce
n'est pas un article sur lequel on insiste. On a fait un petit commentaire,
mais...
M. Filion: D'accord. Alors, avec votre permission, M. le
Président, et celle de mon collègue, je voudrais demander
à Me Gariépy de vous adresser quelques questions bien
spécifiques sur votre mémoire.
M. Gariépy: Excusez-moi, à cette heure-ci, je vais
lire fa question pour être sûr que j'ai tous les
éléments. Je voudrais discuter de l'effet de l'action en
inopposabilité. Vous en parlez à la page 27 de votre
mémoire. En fin de compte, cela concerne le résultat de l'action
en inopposabilité, l'article 1690. À la page 27 de votre
mémoire, vous suggérez que l'avant-projet pourrait facilement
introduire un certain recours prévu dans la Loi sur la faillite; c'est
l'article 78. Vous mentionnez que cela réglerait la question où
si le bien qu'on réclame - dont on demande dans l'action en
inopposabilité à ce qu'il revienne dans le patrimoine du
débiteur - a été altéré, perdu ou est
simplement déprécié, vous voudriez avoir un recours contre
le tiers acquéreur. Vous mentionnez que, s'il y avait un tel recours
comme l'article 78 de la Loi sur la faillite, cela réglerait ces
problèmes-là. Ce que j'aimerais vous demander, c'est qu'il y a
dans l'avant-projet les articles 1746 à 1754 qui traitent, dans le
chapitre de la restitution, qui offrent des solutions assez
intéressantes qui se rapprochaient de ce que vous entendez. Les articles
1746 à 1754. Par exemple, à l'article 1748, on traiterait du cas
de la revente du bien; à l'article 1749, de la perte du bien. Ce que je
me demandais si, dans ces articles, vous n'auriez pas la solution qui est
équipollente ou équivalente au recours de la Loi sur la faillite.
Ou, et j'attire votre attention si c'est sur le texte même de l'article
1746. Se peut-il que le texte de l'article 1746, si vous le commentez,
d'après vous, à cause du mot "soit" puis de
l'énumération qui suit, soit restreint et serait inapplicable
dans l'action en inopposabilité?
M. Dionne: Cela ressemble à un examen du Barreau.
Écoutez, je dois vous dire que ça fait à peu près
trois ou quatre mois qu'on a regardé cette partie du code. Donc, je ne
suis pas en mesure de juger si, effectivement, ça répondrait
à cette suggestion. Si vous me le permettez, je vous offrirais la
même chose que tout à l'heure, c'est-à-dire de
répondre par écrit dans les jours qui suivent à la
question, pour bien pouvoir la mûrir plutôt que de vous induire en
erreur. Je préférerais y aller de cette façon-là.
Mais, encore une fois, je répète un élément que
j'ai mentionné tout à l'heure. Parfois, ce ne sont pas toujours
les institutions financières qui exercent ces recours, ce peuvent
être des particuliers, par
exemple, qui ont été fraudés par une autre
personne. Alors, ça peut être aussi avantageux, quand on fait
cette suggestion, elle peut être aussi avantageuse pour eux que pour tout
autre créancier qui a été victime d'un comportement
frauduleux de la part de son débiteur.
M. Gariépy: Avec votre permission... À l'article
1847, à la page 59 de votre mémoire, vous traitez de l'annulation
de trois ans; c'est dans les immeubles résidentiels. Vous demandez
à ce qu'il soit ajouté que c'est "sous réserve des droits
des créanciers hypothécaires", que, s'il y a annulation de la
vente, cette annulation soit faite sous les droits des créanciers
hypothécaires. J'attire votre attention à l'article 1755. Je veux
juste savoir si l'article 1755, premier alinéa, ne répondrait pas
à vos appréhensions, et s'il ne répond pas, pourquoi
pas?
M. Dionne: C'est possible que ça réponde. Encore
une fois, c'est un peu le même problème que tout à l'heure.
Ce sont des dispositions qu'on a examinées il y a longtemps, et je
préférerais, toujours dans la même optique, répondre
un petit peu plus tard à moins que mes collègues aient une
réponse précise là-dessus. Souvent, effectivement dans
notre mémoire, on fait des suggestions parce qu'on n'a pas tout à
fait la réponse, on n'est pas certains que la réponse se trouve
dans le code. SI c'est effectivement le cas, à ce moment-là,
notre commentaire n'a plus sa pertinence. Mais comme on n'avait pas de notes
explicatives sur les articles, il était parfois impossible de trouver la
réponse juste. On sait qu'il est possible qu'elle puisse effectivement
exister ailleurs dans une autre partie du code. On va examiner la question et
on va y répondre en même temps.
M. Gariépy: Une dernière question. C'est en
assurance de personnes, concernant le paiement de la lettre de change lorsque
le tireur décède. Évidemment, la lettre de change ne sera
pas honorée par l'institution financière vu le
décès de celui qui a tiré la lettre de change. À la
page 95 de votre mémoire, vous proposez qu'il y ait une réserve -
parce qu'on dit, je pense, si je me rappelle le texte de l'article 2499 - c'est
que la police demeure en vigueur. C'est le cas particulier de l'article 2499.
Vous proposez qu'il y ait un délai de 30 jours pour le paiement de la
prime. Tout ce que je voulais vous demander, c'est du côté
pratique. Si le tireur est décédé, je présume que
les héritiers et la famille immédiate n'auraient pas assez de
temps de réagir dans un délai si court de 30 jours pour ouvrir le
courrier du défunt, voir si le chèque est revenu et faire en
sorte que le paiement ou la lettre de change soit honoré. Puis le
deuxième aspect, est-ce que 2504, qui permet à l'assureur de
retenir sur la prestation le paiement de la prime, ne serait pas la solution,
en fin de compte, à vos appréhensions?
M. Dionne: Tout d'abord, pour ce qui est du délai de 30
jours, je me souviens, lorsque nous en avons discuté, nous avons mis un
délai de 30 jours comme cela, mais ce pourrait être un
délai plus long. Si je ne me trompe pas, je vais demander à mon
confrère de répondre plus spécifiquement à la
question, mais, de mémoire, nous ne suggérions pas
nécessairement 30 jours. C'est un délai raisonnable,
effectivement, pour que le chèque ou le paiement de la prime soit
ultérieurement payé. Gaétan?
M. Cantin (Gaétan): La remarque faite était tout
simplement pour permettre à l'assureur de toucher la prime à
laquelle il avait droit. Il ne fallait pas que le code ou le nouveau code
empêche l'assureur de percevoir la prime. Le délai, comme le dit
mon confrère, n'est vraiment pas de pertinence.
M. Dionne: C'est-à-dire qu'il pourrait être
prolongé. Nous avons fait une suggestion de 30 jours, en fait, mais
c'est peut-être un peu court.
M. Cantin: Quand vous parlez de l'article 2504, il faut faire
attention. C'est que le bénéficiaire n'est pas
nécessairement dans la succession. Alors le bénéficiaire
pourrait se voir privé d'un montant, et c'est lui qui aura recours
contre la succession qui n'aurait pas acquitté la dite prime. Il faut
faire attention pour ne pas faire payer une chose par une autre personne.
M. Filion: En terminant... Vous alliez ajouter quelque chose?
Une voix: Non.
M. Filion: En terminant, je voudrais féliciter et
remercier les représentants du Mouvement Desjardins qui nous ont
livré le fruit de leur labeur. Et si certaines questions avaient l'air
d'un examen du Barreau, je dois vous dire que je pense que vous vous
étiez préparés comme si c'en était un, parce que
votre mémoire est extrêmement bien fait et votre prestation,
autant écrite que verbale, ici, cet après-midi, a
été largement impressionnante.
Donc, au nom de l'Opposition officielle, on vous remercie, et
peut-être au revoir si le projet de loi est déposé. Vous
avez parlé de quelques mois tantôt, quant au moment où vous
allez aviser vos caisses pop, les membres de votre mouvement qu'il y a un
nouveau Code civil en vigueur. Moi, j'aimerais bien que ce soit d'ici quelques
mois pour certaines parties du Code civil, mais je dois vous dire que, d'un
autre côté, il ne semble pas que vous deviez vous préparer
à envoyer de très grandes circulaires sur un nouveau Code civil
d'ici quelques mois.
Alors, je vous remercie.
M. Dauphin: Du côté gouvernemental - et je comprends
très bien les remarques de mon
collègue de Taillon - évidemment, nous parlons du Code
civil; nous ne parlons pas d'une loi de 10 articles, mais bien au contraire de
la pièce maîtresse de notre droit, et nous considérons
important de faire des consultations et de retravailler nos documents. Disons
que cela prend un peu de temps, en fin de compte; cela ne se règle pas
du jour au lendemain. Mais pour revenir au sujet, du côté de
l'équipe de réforme du Code civil, nous pouvons vous dire que
votre mémoire sera analysé davantage, étudié, et
nous aimerions encore une fois vous féliciter pour la qualité de
celui-ci.
Merci de votre participation.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup et bon voyage de
retour.
Nous allons ajourner les travaux à mardi, 10 heures.
(Fin de la séance à 18 h 34)