Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.
(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Rancourt): À l'ordre, s'il vous
plaîti
Nous allons reprendre les travaux de la commission élue
permanente du travail qui a pour mandat d'entendre les représentations
des personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42, Loi
sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Les membres, aujourd'hui, sont M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Cusano
(Viau), M. Dean (Prévost), M. Fréchette (Sherbrooke), Mme Harel
(Maisonneuve), M. Lafrenière (Ungava), M. Lavigne (Beauharnois), M.
Doyon (Louis-Hébert), M. Léger (Lafontaine), M. Mathieu
(Beauce-Sud), M. Polak (Sainte-Anne), M. Baril (Arthabaska).
Les intervenants sont M. Champagne (Saint-Jacques), M. Fortier
(Outremont), M. Leduc (Fabre), M. Pagé (Portneuf), M. Payne (Vachon), M.
Proulx (Saint-Jean), M. Vaugeois (Trois-Rivières).
Aujourd'hui, nous recevons comme premier groupe l'Association des
manufacturiers canadiens. Je demanderais au vice-président
exécutif de bien vouloir s'approcher et de nous présenter les
membres qui l'accompagnent.
Association des manufacturiers canadiens
M. Dessureault (Claude): M. le Président, M. le ministre,
mesdames, messieurs, mon nom est Claude Dessureault, vice-président
exécutif de l'Association des manufacturiers canadiens. J'aimerais vous
présenter les membres de notre délégation. À ma
droite, M. Gérard Lesage, président de Les pianos Lesage;
ensuite, M. Pierre Comtois, conseiller juridique chez General Motors Canada
Ltd; M. Sarto Paquin, notre directeur des relations industrielles à
l'AMC division du Québec; M. Mario Lavoie, notre président du
comité de législation à l'AMC division du Québec;
M. Gilles Lemieux, secrétaire, conseiller juridique des Laboratoires
Ayerst; M. Jean-Paul Lacoursière, ingénieur, directeur de la
santé et de la sécurité chez Union Carbide. Tous ces
messieurs sont membres de notre comité de législation et je
demanderais à M. Paquin de faire la présentation au nom de
l'AMC.
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin, vous avez la
parole.
M. Paquin (Sarto G.): Merci, M. le Président. M. le
ministre, MM. les députés. Bien sûr que mes
premières paroles seront pour remercier les membres de cette commission
de nous recevoir ici. Vous allez me permettre, M. le Président, de lire
une partie du mémoire; on en sautera quelques paragraphes. Et, bien
sûr, nous sommes prêts et disposés à répondre
à toutes les questions que vous voudrez bien nous formuler.
Un bref rappel des origines de la division du Québec de
l'Association des manufacturiers canadiens. Cela remonte à l'union de
l'Association des manufacturiers de Montréal avec l'Association des
manufacturiers canadiens de Toronto, en 1900, et avec l'Association des
manufacturiers de la ville de Québec, en 1902. Notre association
regroupe des entreprises de fabrication de toutes tailles et de tous genres
situées dans les régions les plus diverses du Québec.
Composée uniquement de manufacturiers de tous les secteurs de
l'industrie, son effectif représente plus de 75% de la production
manufacturière globale du Québec. Enfin, l'AMC représente
également 90% de la grande entreprise et 75% de ses
sociétés membres appartiennent à ce que nous appelons la
petite et moyenne entreprise.
M. le Président, dans le cadre de sa préoccupation
constante vis-à-vis de l'importance des ressources humaines, nous tenons
à préciser que l'AMC souscrit au principe fondamental de
l'indemnisation des travailleurs victimes d'un accident ou atteint d'une
maladie professionnelle. Effectivement, l'AMC a contribué à
l'instauration de certains de ces régimes, il y a plusieurs
années, dans d'autres provinces canadiennes. Et si vous me permettez
d'ouvrir une petite parenthèse, M. le ministre, je me suis laissé
dire, car c'est bien avant votre temps et bien avant le mien, que dans les
années 1925 à 1930 l'AMC-Québec, sans doute la seule
association patronale du temps, a contribué largement à la
création individuelle de ce que nous avons appelé en 1931 la
Commission des accidents du travail. C'est donc dire que c'est un sujet auquel
nous sommes vraiment intéressés.
M. le ministre, le secteur industriel admet qu'il lui incombe de verser
une compensation adéquate aux travailleurs qui se blessent au travail.
Cependant, ce qu'il importe aujourd'hui d'analyser, c'est l'équilibre
entre cette obligation et la
nécessité de contrôler les coûts pour pouvoir
d'abord être en mesure de créer des emplois. (10 h 15)
M. le Président, nous voudrions porter une attention tout
à fait particulière aux coûts. Je sais que plusieurs
associations avant nous en ont discuté ici, mais nous aimerions
possiblement amener des éléments nouveaux. Nous tenons donc
à vous faire part de la préoccupation que nous cause la
montée vertigineuse du coût d'indemnisation des accidents du
travail. En 1980, ce coût direct ou cotisation pour les employeurs
québécois, en sus des revenus de placement et
intérêt engendrés par les versements de ces mêmes
employeurs, était d'environ 540 000 000 $. Pour 1984, ce montant
représentera près de 1 000 000 000 $.
La montée en flèche de ces coûts, ajoutée
à d'autres programmes statutaires, comme l'assurance-chômage, les
pensions publiques, etc., affecte gravement la compétitivité des
industries manufacturières québécoises. Elle se produit au
moment où nos manufacturiers ont à subir une concurrence de plus
en plus intense sur les marchés nationaux et également sur les
marchés étrangers. La hausse des cotisations affecte non
seulement la compétitivité des entreprises pour le marché
québécois, mais augmente le coût des produits, ce qui les
rend plus difficiles à exporter et, en conséquence, diminue notre
compétitivité sur les marchés étrangers.
M. le ministre, contrairement à certaines croyances, nous sommes
d'avis que rares sont les fabricants qui, aujourd'hui, sont en mesure de faire
absorber, même partiellement, ces hausses de coûts par leurs
clients. Conséquemment, ces contributions diminuent
considérablement la rentabilité de nos entreprises et leurs
moyens d'investir à des fins d'expansion et de création
d'emplois. Ces coûts étant cachés, le travailleur et le
public en général ne se rendent pas compte de leurs effets.
Selon le Bureau de la statistique du Québec, près de 20%
du produit intérieur brut québécois provient de nos
exportations. Il y a quelque temps, comme vous le savez, le gouvernement
québécois créait le ministère du Commerce
extérieur. N'est-il pas ironique de constater que, d'une part, le
gouvernement dépense des millions pour aider les entreprises à
commercialiser leurs produits et ainsi augmenter leurs exportations pendant
que, d'autre part, il sape leur pouvoir concurrentiel en leur imposant des
augmentations substantielles au chapitre du coût de la main-d'oeuvre?
Examinons, si vous le voulez bien, quelques causes d'augmentation des
coûts. Aujourd'hui, le problème no un et une des causes des
hausses de coûts sont les changements législatifs visant les
prestations. Vous conviendrez sûrement que l'on ne saurait tenir
l'entreprise directement et entièrement responsable des coûts de
l'évolution sociale et économique.
Le plafond du salaire admissible. Des plafonds de plus en plus
élevés pèsent lourdement sur les coûts et se
traduisent par des prestations d'indemnisation trop coûteuses pour les
moyens de l'industrie manufacturière québécoise. Il n'y a
pas si longtemps, alors que la performance économique était
beaucoup plus vigoureuse, nous pensions tous que c'était possible. La
réalité d'aujourd'hui, c'est que nous ne pouvons plus penser en
ces termes. Il est clair que nous ne pouvons consentir à ces bonds
arbitraires et que notre priorité doit consister à restaurer la
croissance économique en améliorant la
compétitivité industrielle.
Au mieux, le plafond devrait équivaloir au salaire industriel
moyen et rester à ce niveau. Ainsi, les normes internationales parce
qu'il ne faut pas oublier encore une fois que l'on concurrence dans le village
terrestre - seraient respectées et l'indemnisation des travailleurs
serait semblable aux autres régimes auxquels l'entreprise est tenue de
contribuer, par exemple, l'assurance-chômage.
Quelques mots sur les régimes d'assurance-santé et
d'assurance-hospitalisation. Un pourcentage très élevé
d'employeurs paient la plus grande partie, sinon la totalité, des primes
des régimes d'assurance-santé et d'assurance-hospitalisation pour
leurs employés.
Si seulement des soins médicaux sont nécessaires dans le
cas d'une blessure ou d'une maladie professionnelle, ces frais devraient
être payés par le régime provincial et non puisés
à même le fonds des accidents du travail, comme c'est
habituellement le cas. Voici pourquoi: Les employeurs paient une double prime,
c'est-à-dire, d'une part, leur contribution à la CSST et, d'autre
part, les primes d'assurance-santé pour finalement n'obtenir qu'un seul
service.
Ces exemples, M. le ministre, M. le Président, vous donnent une
idée des sérieux problèmes qu'il y a lieu d'examiner dans
le domaine de l'indemnisation des travailleurs et nous n'avons pas encore
parlé des abus, des manques de contrôle et du recours croissant
à ce régime en tant que programme de sécurité
sociale apparenté à l'assurance-chômage.
Cédant trop souvent, selon nous, aux pressions constantes du
monde syndical et de la main-d'oeuvre, les politiciens ont changé et
continuent de changer la Loi sur l'indemnisation des travailleurs au point
où cette dernière dépasse maintenant l'esprit initial.
J'aimerais bien qu'on en revienne à un certain moment du fameux contrat
social auquel on fait référence dans les années trente.
Nous nous retrouvons donc dans un système qui ressemble davantage
à un
coûteux régime de bien-être social.
Enfin, répétons qu'il ne s'agit ici que des coûts
directs qui ne représentent, selon nous, que 25% du coût total des
accidents industriels. Le coût réel pour l'employeur se traduit
par une perte de productivité comprenant le temps consacré au
recyclage, aux dommages matériels, à la qualité du produit
fini, etc. Pour l'employé victime d'une lésion professionnelle,
nous sommes conscients que cela peut représenter une perte de motivation
et d'habilité. Je pense que nous nous devons de résoudre ensemble
autant ce problème humain que le problème des coûts.
Le projet de loi 42. Quelques commentaires généraux.
D'abord, au sujet de la rédaction du texte, tous nos membres
consultés sont d'avis que le texte du projet de loi n'a pas
été inspiré par la maxime de Boileau à savoir que
les choses que l'on sait s'énoncent clairement. L'AMC-Québec ne
peut admettre qu'une loi aussi importante soit rédigée de
façon aussi confuse et ambiguë. Le texte semble être un
cafouillis de principes, d'exceptions, de règles de procédure et
de directives administratives mêlés les uns aux autres dans un
pot-pourri inextricable.
L'AMC-Québec recommande fortement qu'une révision
complète du texte soit faite de façon à établir une
structure claire et simple, à rédiger les principes de
façon ordonnée et à regrouper les exceptions à
ceux-ci afin que nul ne soit ignorant de la loi.
À cet effet, M. le Président, M. le ministre,
permettez-nous de vous faire la suggestion suivante: le comité de
législation de l'association est prêt à vous offrir son
entière collaboration dans le but de rédiger beaucoup plus
clairement et de façon beaucoup plus précise plusieurs sections
de ce présent projet de loi.
Le point d'accord. En janvier 1982, l'AMC-Québec prenait
publiquement position lors d'un colloque sur une réforme
éventuelle concernant la Loi sur les accidents du travail. En effet,
l'AMC supportait le principe de remplacement du revenu par un montant
forfaitaire afin de régler les problèmes occasionnés par
le fameux article 38.4 de la loi. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire
de revenir sur tout le problème de l'article 38.4 puisqu'on en a
parlé longuement. Cependant, l'AMC rejetait toute autre bonification du
système actuel. Or, nous constatons à regret que le
législateur entend par le projet de loi 42 réécrire en
entier le livre sur la question des accidents du travail et des maladies
professionnelles, y ajoutant de nombreux principes qui ont pour seul effet de
bonifier le système.
M. le ministre, nous disions dans notre mémoire, lorsque nous
l'avons rédigé, qu'il était bien difficile pour nous
d'évaluer le coût de cette législation. J'ai, pour ma part,
obtenu hier après-midi, alors que je siégeais ici au conseil
d'administration de la CSST, le rapport, qui a sans doute été
commandé par le ministère, sur les implications
financières de ce projet de loi. M. le ministre, nous vous disons, sous
réserve bien sûr - vous allez comprendre que nous n'avons pas fait
l'étude complète de ce document assez imposant quand même -
que nous sommes des plus sceptiques quant aux chiffres qu'on y retrouve,
à savoir une économie supposée ou une supposée
économie de 18 000 000 $. J'aimerais pouvoir expliciter davantage mon
idée lorsque viendra la période des questions.
Attardons-nous quelques instants sur quelques points du projet de loi
42, entre autres, la nouvelle notion d'accident du travail. Le deuxième
paragraphe des notes explicatives mentionne: "Ce projet de loi définit
la lésion professionnelle comme étant une blessure ou une maladie
qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou
une maladie professionnelle;..."
Cependant, on constate que le projet de loi modifie de façon
substantielle la notion d'accident du travail en élargissant le nombre
d'événements accidentels indemnisables en vertu de la Loi sur les
accidents du travail et les maladies professionnelles. Cet élargissement
des événements accidentels donnant droit à indemnisation,
car on ne peut plus réellement parler d'accident du travail, se fait de
façon très subtile, tout au long du projet, par des omissions ou
des ajouts. Nous vous citons quelques exemples: l'omission du mot
"imprévu", l'ajout d'une nouvelle présomption à l'effet
que la blessure qui arrive sur les lieux du travail est présumée
être une lésion professionnelle, l'ajout du principe que le
réclamant a droit aux indemnités sans égard à sa
responsabilité, enfin, l'ajout à la notion d'accident du travail
donnant droit aux indemnités pour toute blessure, maladie à
l'occasion de ou en l'absence de soins ou de traitements prescrits.
Selon l'AMC, cet élargissement à multiples volets ne peut
se justifier surtout lorsqu'on considère les autres mesures
administratives introduites par le projet de loi. Quoique l'effet cumulatif de
ces élargissements soit principalement à craindre, chaque volet,
permettez-le-nous, mérite d'être commenté.
L'omission du mot "imprévu". La loi actuelle sur les accidents du
travail stipule qu'un accident est un événement imprévu et
soudain attribuable à toute cause, etc. Le projet de loi 42 omet le
terme "imprévu" dans la définition d'accident du travail,
à l'article 2.
Cette modification, en apparence mineure, s'attaque néanmoins
à la notion même d'accident telle que généralement
acceptée, non seulement par les employeurs,
mais par la société en général. En effet, un
dictionnaire qu'on connaît tous, un dictionnaire usuel, le Petit Robert,
définit le terme "accident" comme étant un
événement fortuit, imprévisible, ou encore comme un
événement imprévu et soudain qui entraîne des
dégâts, des dangers, etc., et on parle d'accident de personnes,
d'accident du travail. Le terme "accident" tire donc son sens véritable
tant de l'imprévisibilité de l'événement que de sa
soudaineté.
L'omission de ce terme par le législateur sera fort probablement
considérée par les tribunaux comme l'expression d'une
volonté de changement radical quant au type d'événement
accidentel à être considéré et ce,
indépendamment des autres modifications.
Certains argumenteront que des gestes aussi dramatiques que le suicide
ou l'automutilation se produisant sur les lieux du travail serait
désormais compensables et ce, même si ces événements
sont en soi prévisibles par leurs auteurs. Nous alléguons que ce
changement aura pour effet d'empêcher les manufacturiers d'argumenter que
certaines situations prévisibles ne sont pas de véritables
accidents du travail et, à ce titre, permettez-nous de vous donner un
exemple vécu.
L'exemple est le suivant: un employé constate une diminution sur
son chèque de paie et demande des explications à son
contremaître. Ce dernier, après vérification, confirme
qu'il n'y a pas d'erreur. L'employé, alors en furie, frappe le bureau du
contremaître de son poing se causant ainsi des blessures sur les lieux du
travail. Cet événement, considéré comme un accident
du travail par la Commission des affaires sociales, est contesté devant
un tribunal supérieur, notamment au motif que la lésion subie
était prévisible par son auteur et qu'en conséquence elle
n'était pas un accident du travail. Sont également
prévisibles les lésions subies par deux belligérants
à la suite d'une bousculade ou une bagarre mineures sur les lieux du
travail. M. le Président, cela arrive dans nos usines, on doit
l'admettre. De telles lésions, prévisibles sinon
souhaitées, ne doivent pas donner ouverture à une indemnisation,
en vertu d'une loi sur les accidents du travail. L'AMC-Québec ne voit
aucune, mais vraiment aucune justification pour cette omission,
l'imprévisibilité étant un élément essentiel
à la notion même d'accident. D'autres exemples pourraient vous
être fournis pour illustrer ce fait.
Un deuxième élément contribue également
à l'élargissement substantiel de la notion d'accident du
travail.
Tout d'abord, le texte du projet omet de reproduire l'exclusion qui
apparaît à l'article 3.1 de la loi actuelle à savoir:
"L'employé n'a pas droit aux indemnités si la lésion est
imputable uniquement à son imprudence grossière et volontaire,
à moins qu'elle n'entraîne son décès ou lui cause
une incapacité grave." De tels événements
prévisibles devraient être exclus de la loi.
Nous croyons, M. le ministre, non seulement que le terme
"imprévu" devrait être réintroduit dans la
définition, mais les situations abusives déjà
expérimentées sous la loi actuelle, devraient être
spécifiquement exclues de la notion d'accident du travail.
Examinons, pendant quelques instants, la présomption sur les
lieux du travail. Le deuxième volet à l'élargissement
substantiel de la notion d'accident du travail se retrouve à l'article
26 du projet qui stipule qu'une blessure qui arrive sur les lieux du travail
est présumée être une lésion professionnelle.
On argumentera sans doute que cette présomption n'est que
l'inclusion dans la loi d'une situation de fait clairement établie par
la pratique de la CSST. L'AMC-Québec soumet que cette présomption
reflète de fait l'approche de facilité introduite par certains
niveaux de la CSST, laquelle est nuisible à la saine administration du
régime. (10 h 30)
Les tribunaux supérieurs ont pourtant développé des
critères pour venir compléter ou définir la portée
de termes tels que "lieu de travail" et "à l'occasion du travail". Une
blessure qui arrive sur les lieux du travail n'est considérée
comme un accident du travail donnant droit aux indemnités prévues
par la loi que lorsqu'elle est le résultat de l'accomplissement d'une
tâche concomitante, nécessaire et profitable aux
intérêts de l'employeur qui exerçait alors une forme de
surveillance. Il faut donc l'existence d'un lien réel, même s'il
n'est qu'indirect, entre l'exécution du travail et l'activité
exercée lors de l'accident, cette dernière activité
étant sous le contrôle et la subordination directs ou indirects de
l'employeur.
Nous soumettons respectueusement que ces critères ont
été développés par les tribunaux par un souci
certain d'équité qu'ils se doivent d'exercer dans le cadre de
leurs fonctions judiciaires. Cette équité peut, à
l'occasion, et de bon droit, favoriser l'employeur manufacturier. La
présomption telle que proposée dans le projet de loi aurait pour
effet de présumer comme accident du travail des événements
tels qu'une brûlure survenue alors que l'employé est dans sa
voiture dans l'aire de stationnement des lieux du travail; une crise cardiaque,
alors que l'employé retourne à son travail en provenance de la
cafétéria ou d'un autre restaurant; des lésions
causées à l'occasion d'une bagarre mineure entre deux
employés.
Il est important de vous souligner que ces autres critères
jurisprudentiels mentionnés ci-haut sont loin d'imposer une
barrière infranchissable aux véritables accidentés. Ainsi,
par exemple, cette exigence n'a pas empêché la Commission des
affaires sociales de conclure qu'un mécanicien ayant un accident
dans l'aire de stationnement réservée aux employés une
heure avant le début de son travail aurait effectivement subi un
accident du travail puisque la barrière d'accès au stationnement
est surveillée et l'accès est limité aux employés.
Le mécanicien se trouvait, dès lors, sous le contrôle de
son employeur selon la commission.
L'encadrement législatif d'une telle présomption ne pourra
qu'entraîner une plus grande abdication de responsabilité de la
part de certains agents d'indemnisation et de bureaux régionaux lors de
la soumission d'une réclamation. Dès que le réclamant
alléguera que l'événement accidentel s'est produit sur les
lieux du travail, la présomption sera établie et l'agent sera
justifié sans autre enquête à accorder la
réclamation et même avancer les versements puisque la
réclamation sera fondée à sa face même au sens de
l'article 117 du projet de loi. La reconsidération administrative ne
comportant pas nécessairement enquête non plus, les faits quant
à l'existence d'un véritable accident du travail ne seront
vérifiés qu'au dernier niveau d'appel prévu, soit à
la Commission des affaires sociales, ce qui nous semble également
inadmissible.
L'article 26 du projet de loi, enfin, consacre le fameux principe du
bénéfice du doute que la CSST a toujours accordé à
un travailleur. Aussi bien dire que la version d'un travailleur est plus
crédible que celle d'un employeur. Pour l'ensemble de ces raisons, M. le
ministre, la nouvelle présomption mentionnée à l'article
26 se doit d'être retirée du projet de loi.
Finalement, à ce chapitre, l'ajout des blessures ou maladies
à l'occasion ou en l'absence de soins ou à l'occasion de
traitements prescrits. Ce dernier volet à l'élargissement du
terme "accident du travail" est prévu à l'article 27 du projet de
loi. Ainsi, sera un accident du travail - c'est intéressant - toute
nouvelle blessure ou maladie contractée, premièrement, à
l'occasion de soins reçus, deuxièmement, à la suite de
l'omission de certains soins et, troisièmement, à l'occasion de
tout traitement prescrit. Ainsi, si un professionnel de la santé omet de
prescrire certains soins, l'employeur serait également responsable.
Cette erreur professionnelle que l'on qualifie de nouvel
événement accidentel devient un accident du travail. Il en va de
même pour l'employé qui se fait prescrire, dans le cadre de son
traitement, certains exercices à la maison ou un peu de jogging, par
exemple. Toute nouvelle maladie contractée ou blessure subie à
ces occasions seront dorénavant considérées comme des
accidents du travail.
L'employeur, n'ayant aucun contrôle sur les agissements des
travailleurs en dehors de son entreprise, n'ayant aucun contrôle sur
l'administration de la CSST et n'ayant non plus aucun contrôle sur les
soins que reçoit un travailleur, vous comprendrez que
l'élargissement de la portée de la définition d'accident
du travail ne peut que permettre un abus qui, au lieu d'être
particularisé comme sous l'ancienne loi, pourra être facilement
généralisé.
La portée de cette disposition, à sa face même,
déborde largement du cadre de la notion d'accident du travail.
L'employeur québécois se voit donc imposer le fardeau de financer
une nouvelle mesure sociale qui s'apparente beaucoup plus à l'assurance
tous risques.
Le principe, tel que rédigé, a une portée beaucoup
trop générale pour couvrir les quelques situations
légitimes - nous le reconnaissons - qui pourraient se présenter.
De plus, d'autres mesures d'indemnisation sont souvent disponibles pour couvrir
ces circonstances particulières et la responsabilité est alors
imputée plus justement à la source de ce nouveau fait accidentel.
Cet ajout à la notion d'accident du travail, tel que proposé
à l'article 27, est, selon nous, totalement inapproprié et doit
être retiré.
En conclusion à ce chapitre, l'AMC-Québec soumet que la
nouvelle notion d'accident du travail proposée par le projet de loi doit
être révisée à la lumière des commentaires
sus-mentionnés. Nous recommandons fortement que les changements suivants
soient apportés au projet: 1° réintroduire le terme
"imprévu" dans la définition d'accident du travail; 2°
exclure de façon spécifique de la notion d'accident du travail
les circonstances précisées par les tribunaux supérieurs
comme ne pouvant constituer un accident du travail; 3 réintroduire le
concept que, si la lésion est imputable uniquement à l'imprudence
grossière et volontaire du travailleur, l'accidenté ne peut
être indemnisé tant et aussi longtemps que les employeurs seront
seuls à défrayer les coûts de cette loi; 4 éliminer
la présomption voulant qu'un événement accidentel se
produisant sur les lieux du travail soit un accident du travail, à
l'article 26, ainsi que les dispositions de l'article 27.
Les maladies professionnelles. La liste des maladies professionnelles
reconnues par le projet de loi correspond à celle du Bureau
international du travail, mais elle n'est pas présentée de la
même façon dans le projet de loi. Les experts internationaux ont
fait précéder cette liste d'un préambule déclarant
- et je cite - que "la symptomatologie des affections d'origine professionnelle
n'est généralement pas spécifique et qu'en principe, en ce
qui concerne la relation de cause à effet, l'on devrait s'attacher aux
symptômes valides d'une maladie définie." Il
apparaît donc nécessaire, aux yeux de ces experts,
"d'établir clairement la relation causale entre l'agent chimique,
physique ou biologique du milieu de travail et l'atteinte à la
santé du travailleur."
Le projet de loi 42 qui nous est soumis aussi bien que la loi actuelle,
d'ailleurs, font fi de cette prémisse fondamentale. Il suffit de lire
l'article 28 du projet de loi pour voir que c'est exactement le contraire.
L'article 28 est donc à bannir parce qu'il donne lieu à des
injustices extrêmement coûteuses. En revanche, par contre,
l'article 29 correspond au préambule du BIT et c'est lui seul que l'on
devrait retrouver dans la loi si on veut respecter la pensée des experts
internationaux qui se sont prononcés au BIT. S'il y a relation de cause
à effet dans une maladie donnée, il sera toujours possible de le
démontrer sans l'aide d'une présomption acquise d'abord au
réclamant.
M. le Président, M. le ministre, au sujet de la
réassignation, le Conseil du patronat du Québec et d'autres
associations se sont prononcés longuement sur ce sujet. C'est, bien
sûr, un sujet qui nous préoccupe grandement. Quand on lit
l'article 78, on doit comprendre qu'il s'agit d'un emploi -lorsqu'on parle de
retour - qui ne comporte pas de danger pour sa santé, sa
sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.
C'est donc ce qu'on appelle la fameuse norme de risque zéro, ce qui est,
selon nous, irréaliste et on vous invite à relire les passages du
mémoire du CPQ ainsi que celui de l'Association des mines d'amiante qui
vous ont été présentés.
L'article 80, M. le ministre, vient couronner cette situation en donnant
à la CSST les pouvoirs de déterminer les conditions de travail en
cas de réassignation, un rôle que la CSST avait pour les
bénéficiaires de la LIVAS mais qu'elle n'a jamais exercé.
Nous sommes en face d'un ensemble d'articles qui font que la
réassignation est carrément utopique dans le cadre du projet de
loi et, pis encore, en vertu de l'article 78, elle peut devenir impossible
aussi bien pour les accidentés que pour les malades.
Le cadre de réassignation proposé par le projet de loi 42
est donc totalement irréaliste. Nous croyons que l'employeur avec son
médecin constituent l'équipe disposant des meilleurs moyens pour
prévoir la réassignation des personnes touchées par
accident, maladie, imprégnation ou signes précoces d'affections.
La réassignation doit se faire autant que possible dans
l'établissement.
Ce n'étaient que quelques commentaires et, à ce sujet,
nous demandons avec insistance que les articles 30, 31, 48, 78 et 80 soient
modifiés à la fois pour corriger la situation actuelle et pour
rendre la réassignation réalisable.
L'indemnité de remplacement du revenu. Le principe
général, comme vous le savez, se retrouve à l'article 48.
Il nous semble que le travailleur victime d'une lésion professionnelle a
droit à une indemnité de remplacement du revenu tant et aussi
longtemps qu'il est incapable de travailler en raison de sa lésion, dans
les limites stipulées à l'article 56.
Par ailleurs, l'article 53 stipule que l'employeur doit verser au
travailleur victime d'une incapacité 90% de son salaire net
régulier pendant les quatorze jours complets suivant le début de
l'incapacité. La commission rembourserait ce montant à
l'employeur. Toutefois, dans le cas où la réclamation serait
refusée, dit le projet de loi, la commission demanderait un
remboursement au travailleur. À ce sujet bien précis, nous vous
invitons à lire attentivement - et nous savons que vous le ferez - le
mémoire de la General Motors du Canada Ltée.
Le paiement de l'indemnité des quatorze premiers jours par
l'employeur est inacceptable, selon l'AMC-Québec. Nous sommes conscients
que près de 80% des réclamations sont pour des indemnités
de un à quatorze jours seulement. Toutefois, nous savons pertinemment
que bon nombre de travailleurs reçoivent des prestations pour cinq
jours, prétextant un malaise dont on ne peut vérifier le
bien-fondé. Nous faisons référence ici, entre autres, aux
douleurs dorsales.
Si on accepte une indemnité de quatorze jours payée par
l'employeur, on encourage des abus plus considérables que ceux qui
sévissent déjà dans le présent système
administratif de la CSST.
Enfin, l'AMC propose donc de conserver l'article 44 de la loi actuelle
et d'y ajouter l'obligation du travailleur à rembourser les
indemnités à l'employeur en cas de rejet de la
réclamation.
M. le ministre, si vous me le permettez, j'ai une dernière
remarque à faire sur ce sujet. Je vous disais que nous sommes
extrêmement conscients des fameux 80% de réclamation que la CSST
rembourse pour la période de un à quatorze jours. Je peux vous
dire très honnêtement qu'en tant qu'administrateur de la CSST, ce
fut pour moi un dilemme. D'une part, en tant qu'administrateur, je me dis:
Bravo! Si je peux lester la CSST de 80% d'une bonne partie du travail. Nous y
avons réfléchi très longuement, mais je dois admettre
qu'après consultations, et, croyez-moi, plusieurs consultations
auprès de nos membres qui, eux, sont dans le champ, nous en arrivons
malheureusement à la conclusion que même si, d'une part, nous
épargnions des sommes d'argent à la CSST, ce qui, en tant
qu'administrateur, fait mon affaire, nous en arriverions toutefois à la
conclusion que cela va nous coûter plus cher de l'autre côté
à
cause des abus que cela pourrait occasionner.
Par exemple, pourquoi un travailleur est-il toujours prêt à
revenir au travail le lundi matin? Pourquoi pas le vendredi matin? Pourquoi le
travailleur, bien souvent - et je ne vous dis pas que c'est
nécessairement sa faute, le système le permet - pour des maladies
ou des accidents qui autrefois duraient deux ou trois jours dans les
années soixante-dix requiert-il, aujourd'hui cinq jours? Ce que l'on
craint, M. le ministre, c'est que cela devienne ce qu'on pourrait
peut-être appeler de l'automatisme. Sans vouloir porter préjudice
à aucune profession, et on s'entend, on craint, et quand je vous dis
qu'on craint, je vous parle vraiment au nom des membres que nous
représentons, que cela devienne de l'automatisme. Alors, nous ne croyons
pas que ce serait une économie pour la CSST.
Le travail exécuté par les étudiants. M. le
Président, voici un exemple parfait de bonification du système
auquel nous nous référions au début. On vous en a
longuement entretenus, nous en sommes conscients, et nous nous limiterons tout
simplement à vous dire que l'AMC-Québec ne peut être
d'accord avec la portée de cet article et le principe qu'il soutient.
Quel sera le coût pour l'entreprise de l'indemnité à
laquelle l'étudiant aura droit pour compenser la perte d'un emploi qu'il
n'aurait possiblement d'ailleurs jamais occupé? Quoi qu'il en soit, si
l'étudiant devait rester avec des séquelles importantes - c'est
le message principal qu'on veut vous laisser ici - d'un accident du travail ou
autre, nous croyons que la Loi sur les personnes handicapées devrait
couvrir une telle éventualité, si ce n'est pas déjà
prévu. (10 h 45)
Au niveau de l'indemnisation, en tant qu'employeurs, nous ne pouvons
qu'être d'accord avec le principe énoncé au premier
alinéa de l'article 75. Toutefois, je pense que tous, dans cette salle,
conviendront que les alinéas 2, 3 et 4 de cet article ne brillent pas
par leur clarté.
L'AMC-Québec est prête à endosser le principe s'il a
uniquement pour objet d'offrir une indemnisation équivalente. Cependant,
si l'article a pour objet d'offrir une gratification aux travailleurs
accidentés, l'AMC s'y oppose vigoureusement. Le législateur doit
énoncer clairement ce qu'il veut. Je peux vous dire que nous avons
travaillé très fort à essayer de comprendre l'article 75
et je vous dis bien honnêtement qu'on n'est pas certain qu'on l'a
compris.
Sur le retour au travail. Jointe à l'article 48, la section
relative au retour au travail - articles 145 à 170 - concrétise
le droit du travailleur à son emploi. À la lecture de ces
articles, on retient que le droit du travailleur à son emploi signifie
le droit pour le travailleur accidenté de réintégrer le
travail précis avec toutes ses caractéristiques et son
environnement que le travailleur occupait au moment de son accident.
Évidemment, cette notion fige dans le temps les caractéristiques
du poste occupé par le travailleur accidenté. M. le ministre, on
ne comprend pas cela. Le principe tel qu'énoncé ne permet pas de
modifications au poste. Ce n'est pas possible, M. le ministre. Au surplus,
cette fixation devrait durer pendant un an si l'établissement comptait
20 travailleurs ou moins. Pourquoi 20? Enfin! Doit-on conclure que les postes
des travailleurs accidentés ne pourraient changer pendant un an? Mais si
l'établissement comptait 20 travailleurs au plus - 21 par exemple -
cette obligation devrait durer pendant deux ans. Où est la logique? On
la cherche encore. Pourquoi, M. le ministre?
Il semble que la flexibilité nécessaire à
administrer les entreprises a donné place au privilège du
travailleur accidenté de conserver son emploi sans changement autre que
l'abolition du poste pendant une ou deux années. À l'heure du
virage technologique et de l'encouragement à la productivité par
tous les moyens, il est fort étonnant de constater que cette
législation exige que l'employeur gèle les postes de tout
travailleur qui a trois mois de service continu dans le même
établissement et ce, pendant de longues périodes.
D'ailleurs, le principe énoncé dans cette section peut
créer de graves injustices tant aux accidentés qu'aux employeurs.
En effet, qu'advient-il du travailleur qui, avant son accident, avait
travaillé pendant dix ans à l'établissement A de
l'employeur mais qui, au moment de son accident, était
transféré depuis un mois à l'établissement B?
Qu'est-ce qu'on fait? On ne sait pas.
Par ailleurs, qu'advient-il si un poste devient disponible à
l'établissement B mais que l'accidenté travaillait à
l'établissement A qui est situé tout près? Nous n'avons
pas la réponse.
Encore une illustration de l'omniprésence de la
législation dans les prises de décision les plus simples du
milieu du travail. On ne fait plus confiance à l'intelligence des
parties et à leur intention et intérêt à
régler la difficulté à partir d'un principe. Le
législateur doit tout légiférer avec le résultat
que les parties sont encarcanées dans un système qui leur cause
mutuellement préjudice. Il nous semble, d'ailleurs, que cet état
de fait se ressent tout au long du texte du projet de loi.
Sur le même thème, nous notons de plus que le
législateur a omis d'insérer le corollaire à l'obligation
de réintégrer le travailleur dans son emploi, à savoir
l'obligation pour le travailleur de retourner au travail. L'article 153 fait un
effort dans cette direction - nous le reconnaissons -mais s'arrête
à mi-chemin. Le travailleur qui, sans raison valable, fait défaut
de
réintégrer son emploi dans les cinq jours de la date
indiquée par la CSST est présumé renoncer à son
droit. Cette présomption est qualifiée de juris tantum puisque le
texte ne dit pas que le travailleur a renoncé à son droit. Que
doit donc faire l'employeur? Peut-il accorder le poste en permanence à
un autre travailleur? Doit-il attendre une décision finale du
travailleur accidenté ou de la CSST?
Une autre situation aberrante à l'article 159. En effet non
seulement cet article institutionnalise le "bumping", mais il le fait sans
tenir compte des catégories d'emplois. Ainsi, le travailleur
accidenté qui ne peut réintégrer son emploi pourrait alors
occuper n'importe quel poste y compris un poste de gérance - pourquoi
pas - ou, à la limite, un poste de haute direction. Comment l'en
empêcher? Il suffit que le poste soit disponible et que la CSST estime
que le travailleur est capable de l'exercer, aucun autre critère n'est
requis par le projet de loi. Puisqu'en vertu des articles 146 et 147, le
travailleur peut attendre deux ans avant de réintégrer son
emploi, il peut, selon notre compréhension du texte, refuser tout emploi
que son employeur aura réussi à adapter à ses
restrictions. Cette approche soulève toute la question du travail
léger. À ce sujet, je vous dis que l'AMC partage la position
prise par le CPQ et nous vous référons à son
mémoire. N'avons-nous pas vécu assez longtemps avec les
difficultés posées par la loi actuelle à ce sujet?
L'article 154. À cet article, le législateur traite d'"un
autre emploi disponible". Doit-on comprendre qu'il s'agit d'un emploi vacant?
À ce chapitre, comme au titre de la période de protection
-l'article 147 - doit-on comprendre que ces dispositions font échec aux
clauses similaires existant dans les conventions collectives? Par exemple, si
une convention prévoit plus que la loi, est-ce la loi ou la convention
qui s'applique? Ne pourrait-on pas préciser que les dispositions des
conventions en vigueur seront maintenues du moins jusqu'à leur
expiration?
Enfin, l'article 155 requiert que l'employeur informe le travailleur et
la CSST de tout emploi qui devient disponible dans l'établissement.
Cette disposition est tout à fait inconciliable avec le droit
fondamental de l'employeur de gérer son entreprise - on fait
référence à nos droits de gérance. L'AMC du
Québec s'oppose formellement à cette proposition. À la
limite, le travailleur accidenté - il pourrait s'agir de n'importe quel
travailleur avec plus de trois mois de service - pourrait requérir
n'importe quel poste disponible afin de choisir celui qui lui convient le
mieux, peu importent les aptitudes du travailleur et les exigences du
poste.
L'AMC du Québec admet le droit du travailleur accidenté
à retourner au travail et favorise d'ailleurs son retour dans les
meilleurs délais. À la rigueur, ce droit de retour au travail
pourrait s'exercer dans l'emploi qu'il occupait au moment de son accident pour
autant que l'employeur n'est pas obligé de geler toutes les
caractéristiques du poste et de l'environnement pendant la
période où l'accidenté n'est pas au travail. En d'autres
termes, l'employeur doit maintenir son droit de modifier lescaractéristiques du poste de travail selon les besoins de
l'entreprise. Il est impensable que les employeurs soient contraints de
maintenir sans modification aucun des postes de travail des travailleurs
accidentés.
À ce stade, j'aimerais vous donner deux petites illustrations.
Une va peut-être vous faire sourire, mais, selon la compréhension
du texte, voici des exemples qu'on aimerait vous formuler. Supposons qu'un
député de l'Assemblée nationale dans son comté
décide d'aller faire un discours quelque part. Malheureusement, il tombe
en bas de l'estrade. Cela pourrait sans doute être qualifié
d'accident du travail et ce serait certainement qualifié d'accident du
travail. Le point que je veux faire, c'est qu'on peut geler le poste pendant
trois mois. C'est bien sûr que le député ne pourra revenir
à un poste de sous-député. On n'a pas de ces postes, mais,
à la rigueur, s'il était ministre et que le poste de premier
ministre, pour une raison quelconque, était disponible, je ne suis pas
sûr que le ministre ne pourrait pas dire: Je suis capable de remplir le
poste de premier ministre.
Un exemple un peu plus réaliste, si vous me permettez
l'expression: prenons le cas d'un fonctionnaire, et sans aucun
préjudice. Un fonctionnaire avec un accident du travail, c'est
malheureux, mais vous pouvez sans doute beaucoup plus facilement geler le poste
d'un fonctionnaire et encore plus s'il est sur une tablette. C'est bien
sûr que vous pouvez geler son poste six mois, un an, mais ce qu'on veut
vous dire, c'est que, dans l'industrie manufacturière, cela n'est pas
possible. On ne peut absolument pas geler de postes. Vous allez nous
empêcher de faire fonctionner nos usines, comme on a le droit fondamental
de le faire. Je pense que c'est un droit que tout le monde reconnaît.
Je pense que ces exemples vous font comprendre... à moins qu'on
n'ait rien compris dans le texte, mais je ne suis pas sûr qu'on n'ait
rien compris. Encore une fois, on vous réitère notre invitation
de tantôt. Tout ce chapitre - je pense que ce sont les articles 145
à 170 - on vous offre notre collaboration totale pour vous aider, avec
vos écrivains, à les rendre un peu plus clairs pour qu'on puisse
les comprendre. Si les trois exemples que je vous relate sont bons, on a un
problème.
Enfin, l'AMC recommande que le droit
de retour au travail pour le travailleur accidenté soit
limité au travailleur qui justifie un an de service continu chez
l'employeur. Enfin, l'AMC considère que la distinction faite à
l'article 147 entre les établissements comptant 20 travailleurs ou moins
et ceux comptant plus de 20 travailleurs est discriminatoire, arbitraire et
sans fondement. Si le législateur estime qu'il est nécessaire de
déterminer une période durant laquelle le travailleur peut
exercer le retour au poste qu'il occupait au moment de son accident, nous
recommandons que cette période soit égale pour tous les
travailleurs peu importe dans quel établissement ils travaillent et, en
conséquence, nous recommandons que cette période soit d'au plus
un an.
Le processus de reconsidération et d'appel. Je pense qu'il est
très important de consacrer quelques minutes à ce sujet. D'abord,
la reconsidération administrative. L'adoption du projet de loi aura pour
effet d'abolir les bureaux de révision actuellement en place. Ces
bureaux, composés uniquement d'employés de la CSST,
révisent, par voie d'appel, la décision rendue par un autre
employé du même bureau régional. Cependant, cette
révision se fait par une nouvelle enquête et auditions des
parties.
Le projet de loi propose en lieu et place un système de
reconsidération administrative. Il est à noter que certains
bureaux régionaux de la CSST ont déjà commencé
à appliquer le système de reconsidération administrative
proposé par le projet de loi.
L'article 245 stipule qu'une personne peut demander ou la CSST peut
procéder à une reconsidération administrative, mais aucun
autre article de ce projet ne vient préciser les modalités ou la
portée de cette reconsidération. On peut donc légitimement
se poser les questions suivantes: 1) La même personne qui a rendu la
première décision pourra-t-elle la reconsidérer? 2) La
décision peut-elle être révisée par une personne du
même niveau que celle qui a rendu la décision originale? 3) Les
parties pourront-elles soumettre des arguments? Le projet de loi ne semble pas
l'indiquer. 4) La personne qui reconsidère le dossier
procédera-t-elle à une nouvelle enquête? Doit-elle, au
moins, consulter l'ensemble du dossier ou seulement la décision? 5) La
reconsidération peut-elle être faite d'office par cette personne,
et ce, à l'insu des parties impliquées?
Le délai de 90 jours pour demander la reconsidération est
extrêmement long alors que l'on veut les réduire.
L'AMC-Québec ne peut que constater l'inutilité de cette
procédure de reconsidération administrative telle que
proposée. Aucune nouvelle expertise n'est ajoutée, le dossier
n'est pas plus approfondi et les personnes impliquées ne sont
appelées à faire part de leurs prétentions ni même
présenter des éléments qui mériteraient
d'être considérés. Le processus tel que proposé ne
fait que répéter, une deuxième fois, et de façon
encore moins parfaite, ce qui doit d'abord être fait à la
première étape.
Dans l'intérêt de l'accidenté, de l'employeur et de
l'administration de la CSST, il y a lieu d'éliminer les étapes
inutiles ou répétitives dans tout processus de révision.
Conséquemment, l'AMC-Québec recommande fortement l'abolition de
cette étape de reconsidération administrative. Que le dossier de
l'accidenté soit soumis dans les plus brefs délais aux niveaux
qui pourront vraiment faire une révision utile et complète.
À défaut par le législateur d'abolir cette
reconsidération administrative, permettez-nous de vous suggérer
le libellé suivant: "La partie qui se croit lésée par une
décision d'un agent d'indemnisation de la commission pourrait, dans les
30 jours de la notification de cette décision, demander soit une
reconsidération médicale, soit une reconsidération
administrative."
La distinction est la reconsidération médicale. Cette
reconsidération médicale s'inspire généralement de
l'expérience des comités conjoints. Elle serait faite par un
médecin choisi par la CSST auquel se joignent deux autres
médecins choisis à même une liste approuvée, par
exemple, par le Collège des médecins.
La décision du comité de reconsidération
médicale est celle de la majorité de ses membres.
Le comité devrait nécessairement procéder à
un examen médical de l'accidenté et se prononcer sur un minimum
de questions précises établies par règlement telles que:
a) l'état médical du travailleur; b) l'existence ou la
non-existence d'une incapacité; c) la nature et l'étendue de
l'incapacité; d) s'il y a incapacité, la cause ou les causes de
celle-ci et dans quelle proportion sont-elles responsables de
l'incapacité; e) s'il y a incapacité, la durée
appropriée de celle-ci et une date de retour au travail s'il y a lieu.
f) s'il y a incapacité partielle permettant un retour au travail,
quelles sont les restrictions appropriées.
Ce comité pourrait considérer toute question qu'il juge
appropriée incluant celles soumises par écrit par la commission,
par le médecin traitant ou expert du travailleur ou par le
médecin de l'employeur.
Avant de procéder à l'examen du travailleur et à la
reconsidération médicale du dossier, chaque partie doit
être avisée de la possibilité de soumettre, dans un certain
délai, toute expertise médicale pertinente au dossier.
La décision du comité doit être rendue par
écrit, être motivée et s'appuyer sur l'expertise conjointe.
Toute dissidence doit également être motivée.
Enfin, la décision du comité peut être portée
en appel par l'une ou l'autre des parties à un tribunal administratif
indépendant de la CSST. (11 heures)
La reconsidération administrative. À ce sujet, la
reconsidération administrative ne serait possible que dans les
circonstances où seuls les aspects administratifs, juridiques ou
factuels mais non médicaux seraient à reconsidérer. Elle
serait alors faite par un membre de la CSST d'un échelon
supérieur à celui qui a pris la décision originale, ayant
une expérience certaine dans le domaine administratif ou juridique. La
demande de reconsidération administrative doit également
être faite dans les 30 jours de la notification de la décision
initiale. Cette demande doit être accompagnée d'un exposé
complet des événements administratifs, juridiques ou factuels
à être reconsidérés selon le requérant. Copie
de cette demande est transmise par la commission à l'autre partie qui
doit avoir l'occasion de soumettre par écrit ses commentaires et ce,
dans un certain délai. Copie de ces commentaires est soumise par la
commission au requérant qui a alors un droit de soumettre une
réplique dans un délai, cette fois maintenant plus court.
La commission peut considérer tout autre élément
jugé approprié et référer le dossier à la
reconsidération médicale si elle le juge approprié. Enfin,
une décision écrite et motivée doit être rendue par
la personne procédant à cette révision administrative. Il
y a appel par l'une ou l'autre des parties à un tribunal administratif,
encore une fois, indépendant de la CSST.
L'appel. Le projet de loi, à l'article 250, confirme le monopole
que la CSST entend maintenir et même agrandir sur toute décision
ayant trait à un accident du travail. On pourrait croire, à la
lecture de cet article, que les auteurs ont été inspirés
par la bulle décrétant l'infaillibilité pontificale. Dans
les faits, les paragraphes 1 et 3 de l'article 250 permettront à la
commission, de sa propre initiative ou grâce à une demande d'une
partie, de reprendre contrôle du dossier et modifier toute
décision que l'organisme d'appel indépendant aurait pu rendre au
détriment de la CSST. La partie qui n'aura pas gain de cause en appel
aura sûrement l'intérêt et la perspicacité suffisante
pour recommencer le processus ainsi que la commission lorsqu'elle aura
l'impression qu'une de ses sacro-saintes directives administratives n'est pas
respectée par le tribunal extérieur. Les motifs aux paragraphes 1
et 3 sont suffisamment vagues pour permettre la réouverture en toute
occasion désirée. Ce sera notamment très facile de
prétendre qu'une preuve inconnue lors de la décision initiale a
maintenant été découverte et que ceci ne pouvait
être fait avec toute la diligence raisonnable. Considérant que la
CSST a déjà décidé que le fait d'être en
vacances pour un représentant du travailleur alors que le délai
d'appel courait ou que le travailleur n'avait pas réussi à
contacter son conseiller syndical ne constituait par une absence de diligence
et justifiait l'extension des délais, on peut facilement
présumer, M. le ministre, de l'interprétation libérale que
fera la commission ou la partie perdante des dispositions de ces deux
paragraphes. Le processus peut se répéter à l'infini
jusqu'à l'épuisement de l'une des parties. Seul le tribunal
administratif qui a rendu la décision finale pourrait se permettre
d'annuler sa décision et procéder à une nouvelle audition
dans le cas de production de faux documents ou lorsque la production a
été empêchée par le fait d'une des parties.
La loi actuelle stipule que toute personne qui se croit
lésée par une décision rendue par un bureau de
révision peut interjeter appel de cette décision à la
Commission des affaires sociales qui en dispose. Cette approche semble
parfaitement légitime permettant à la partie lésée
d'obtenir une révision de cette décision par des personnes autres
que de la CSST. Le projet de loi porte atteinte à cette approche
légitime en limitant la possibilité d'obtenir un appel à
l'extérieur de la CSST aux seuls trois cas mentionnés au premier
paragraphe de l'article 247.
Cette nouvelle phraséologie devra être
interprétée par ce tribunal administratif et les tribunaux
supérieurs afin d'en déterminer la portée, ce qui va
entraîner des litiges parfaitement inutiles. Pour ces raisons, l'AMC
considère que le premier paragraphe de l'article 247 doit être
amendé afin de reprendre le libellé de la loi actuelle.
Le tribunal administratif d'appel. En ce qui concerne la nature du
tribunal administratif d'appel, l'AMC considère que ce tribunal doit
néanmoins respecter les critères minimaux suivants: être
totalement indépendant de la CSST et non lié par les directives
administratives de celle-ci; avoir juridiction complète sur la
totalité des questions qui peuvent être soulevées par la
décision en reconsidération administrative ou médicale;
avoir une expertise appropriée dans le domaine des accidents du travail,
principalement sur le plan médical et juridique; enfin, avoir un nombre
suffisant de
décideurs et le personnel administratif et de soutien
nécessaire pour éviter des délais indus.
De plus, l'article 247 du projet devrait être amendé, selon
nous, afin de tenir compte du minimum mentionné au paragraphe b.
En raison de la spécialisation requise et du volume actuel et
à venir des appels en matière d'accidents du travail, l'AMC
considère, M. le ministre, qu'il serait approprié de remplacer la
Commission des affaires sociales par un autre tribunal administratif
indépendant ayant juridiction uniquement sur les accidents du travail.
Cette approche permettrait, selon nous, fort probablement d'éliminer ou
de réduire les délais à ce niveau d'appel.
Les tribunaux supérieurs. L'intervention des tribunaux
supérieurs doit, à notre avis, être permise. Sur des
questions de principe et afin de permettre tant aux parties qu'à la CSST
de réorienter leurs politiques, directives ou pratiques sur la foi d'une
autorité compétente détachée des contraintes du
milieu, l'AMC recommande l'inclusion d'un droit d'appel à un tribunal de
droit commun, sur permission seulement, sur des questions de droit ou des
questions de fait et de droit.
L'AMC soumet que ce droit d'appel ne conduira pas nécessairement
à une judiciarisation outrancière du système puisque cet
appel ne pourra être accordé que sur permission. Par contre, elle
permettra aux parties et à la CSST d'obtenir des interprétations
ou directives appropriées afin de corriger des situations de principe et
ce, dans l'intérêt de la meilleure administration du régime
d'indemnisation.
En conclusion, M. le Président, malgré le temps
considérable que nous avons consacré à l'étude de
ce projet de loi, son ampleur et la qualité de sa rédaction nous
ont fait perdre un temps énorme et nous n'avons pu préciser
davantage d'autres points essentiels. Nous vous référons donc au
mémoire du CPQ qui traite de plusieurs de ces éléments et,
entre autres, à ses études article par article car nous y avons
participé très étroitement.
Le projet de loi 42 se veut le deuxième volet de la grande
réforme entreprise en 1979 concernant tout le domaine de la santé
et de la sécurité du travail. La Loi sur la santé et la
sécurité du travail en constituait la première
étape et ses effets sont loin d'être pleinement connus.
Rares sont les employeurs québécois qui n'ont pas
quotidiennement un doute raisonnable de croire qu'un certain nombre de leurs
employés ont bénéficié des largesses du
système d'indemnisation. Nous ne voulons pas insinuer, M. le
Président, que les travailleurs sont malhonnêtes. Cependant, nous
croyons pouvoir affirmer qu'un contrôle plus adéquat du
système d'indemnisation doit être institué afin de mieux
contrôler les coûts. Le législateur, selon nous, n'est pas
justifié d'ouvrir davantage la porte aux abus tout en laissant aux
employeurs le soin d'en défrayer totalement le coût.
Rien dans le projet de loi nous aidera à atteindre les buts
visés par la Loi sur la santé et la sécurité du
travail, à savoir l'élimination à la source des dangers
pour la santé, la sécurité et l'intégrité
physique des travailleurs. Absolument rien!
L'AMC n'accepte, dans ce projet de loi, que l'introduction de la notion
de remplacement du revenu pendant une certaine période pour ensuite
verser un montant forfaitaire à l'accidenté victime d'une
lésion professionnelle, le tout sujet à l'acceptation par le
législateur des contrôles et modalités exprimés par
le patronat à ce sujet.
M. le Président, nous pouvons vous garantir que les membres de
l'AMC veulent eux aussi éliminer à la source les abus et les
largesses du système actuel. Nous croyons qu'ensemble,
c'est-à-dire employés, employeurs et législateurs, nous
devons coordonner nos efforts afin d'assurer l'essort économique du
Québec en permettant à l'entreprise de devenir plus
concurrentielle dans le village terreste. Selon nous, le projet de loi 42 va
carrément à l'encontre de cet objectif.
M. le Président, voilà, en résumé, les
propos que nous voulions tenir à cette Assemblée. Nous sommes,
comme je vous le disais au tout début, disposés à
répondre à vos questions. Vous allez sans doute me permettre de
déférer certaines questions aux collègues qui m'entourent.
Merci M. le Président, merci M. le ministre.
M. Fréchette: Bien sûr.
Le Président (M. Rancourt): Bien sûr. Merci, M.
Paquin.
M. le ministre du Travail.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Mes premiers
mots seront pour dire mon appréciation à l'Association des
manufacturiers canadiens d'avoir consacré le temps qu'elle y a
consacré à la préparation des suggestions qu'elle voulait
nous faire dans le cadre de l'étude de la loi 42. Sous réserve de
la conclusion finale de votre rapport, je comprends que vous souhaitez que nous
puissions, ce matin, établir des échanges, un dialogue, en
relation avec les aspects particuliers que vous avez soulevés. Je veux
profiter aussi de l'occasion qui nous fait nous rencontrer ce matin pour dire
publiquement combien cette association est toujours très
intéressée à toutes nos lois du travail, à toute la
réglementation qui touche le domaine des relations du travail. Je vous
signale également que sa collaboration a
toujours été acquise. Je pense qu'il était
important de le signaler publiquement.
Ce préambule étant fait, il est un premier aspect sur
lequel j'apprécierais entendre nos invités. Il concerne
globalement le principe même de la loi. J'ai noté - on le retrouve
d'ailleurs dans votre mémoire - à un moment donné, que
vous faites un genre d'association entre le régime de la Loi sur les
accidents du travail et un programme de sécurité sociale
apparenté à l'assurance-chômage. Vous nous avez dit, M.
Paquin, que vous aviez participé étroitement à la
préparation du mémoire du Conseil du patronat et, à
l'intérieur de son mémoire, le Conseil du patronat nous dit
vouloir lancer un débat public quant à l'opportunité ou
à l'inopportunité que l'on songe maintenant à demander aux
travailleurs de participer à la cotisation du régime des
accidents du travail et des maladies professionnelles.
Je veux bien que l'on lance le débat sur la place publique, qu'on
entreprenne ce débat, qu'on l'alimente, cela ne peut que faire avancer
la discussion, mais je vous signale que, jusqu'à maintenant, en tout
cas, je n'ai pas été convaincu qu'il faille arriver à
cette décision ou à cette conclusion. Je souhaiterais pouvoir
connaître ce que pense votre association de cette suggestion à
partir, évidemment, des deux principes qui ont été retenus
par les deux parties au début des années trente, ce que M. Paquin
a appelé le contrat social de l'époque, les travailleurs
renonçant au recours de droit commun et les employeurs acceptant de
cotiser, du moins sur le plan strictement économique, pour compenser les
accidents du travail. Est-ce que vous avez à cet égard des
réflexions à nous transmettre?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: M. le ministre, vous allez me permettre d'essayer de
vous convaincre. Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites - on va
employer le terme, si vous voulez, de contrat social - qu'en 1930 et 1931, il y
a eu effectivement un contrat social, ce qu'on pourrait appeler un "deal", qui
s'est fait entre les employés et les employeurs. Vous l'avez bien
résumé en disant que les employeurs, d'une part, payaient la
prime. Par contre, ils ne pouvaient se faire poursuivre. D'autre part, les
employés bénéficiaient de ce qu'on appelait à
l'époque de l'indemnisation. Donc, la balance était
équilibrée selon nous en 1931. Mais, regardons - enfin, je ne
passerai pas année par année parce que je vous l'ai dit, c'est
avant votre temps, c'est avant le mien - brièvement ce qui s'est
passé depuis ce temps, depuis 53 ans. On a quand même connu une
évolution extraordinaire. Je pense que vous allez convenir avec nous, M.
le ministre, qu'on a changé radicalement les règles du jeu. On a
changé radicalement le "deal" initial. On a ajouté des clauses au
contrat social, si vous me permettez l'expression. On a, par exemple,
ajouté tout l'aspect de la prévention. On a ajouté tout
l'aspect de la réadaptation. On a ajouté, permettez-moi,
l'Institut de recherche en santé et sécurité du travail.
On a ajouté le paritarisme avec les pouvoirs de décision. Enfin,
on a ajouté un paquet d'affaires. (11 h 15)
Ce qui fait, selon nous, en d'autres mots, qu'aujourd'hui, la balance
qui était équilibrée n'est certainement plus
équilibrée; cela penche plus d'un bord que de l'autre. On vous
suggère de revenir au "deal" de 1931 - on a signé le contrat,
enfin, nos prédécesseurs l'ont fait - c'est-à-dire de
rééquilibrer la balance. Maintenant, de quelle façon le
fait-on? Vous allez convenir qu'il y a un tas de possibilités. J'ai
été très intéressé par les propos de la FTQ,
par les propos de M. Laberge et j'y étais, dans cette salle, non, je
m'excuse, je n'y étais pas, parce qu'il n'y avait pas assez de place,
mais j'ai suivi la séance religieusement à la
télévision. Je suis très intéressé quand M.
Laberge parle de certaines responsabilités de la société.
Pour moi, la société, c'est nous tous y compris les travailleurs.
Bien sûr que, quand vous posez la question à la FTQ, et je ne
m'attendais pas à autre chose: Êtes-vous d'accord pour que les
travailleurs contribuent? Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais la
réponse est venue vite: Non. Mais il y a quand même eu une
ouverture d'esprit, à mon avis, fort intéressante. Je ne veux pas
faire dire à M. Laberge des choses qu'il n'a pas dites, mais quand il
parle de responsabilités de la société,
j'interprète cela comme étant une ouverture
intéressante.
Cela dit, dans le but de rééquilibrer et de revenir
à notre contrat social qu'on a tous signé en 1931, je pense que
nous sommes légitimement autorisés aujourd'hui à vous dire
qu'on doit regarder cela de près. Et je pense que le législateur
ne devrait pas, dans un premier temps, se fermer complètement à
l'idée. D'ailleurs, vous n'êtes pas fermés à
l'idée, puisque vous préconisez la discussion.
Un deuxième élément possible qu'on peut ajouter
à la discussion, c'est qu'en 1931, M. le ministre - selon ce qu'on me
dit - la compétitivité de nos entreprises n'était pas
celle d'aujourd'hui. On pratique la concurrence dans le village terreste; on ne
fait plus concurrence au voisin d'en face. Et je vous jure que ceux qui font
les verres ici font concurrence aux gens de l'Europe, de l'Asie et d'un peu
partout. Toute augmentation de nos coûts fait que, finalement, vous
ajoutez à la main-d'oeuvre, on devient moins compétitif et on ne
peut plus "compétitionner", pour prendre un terme
global. L'important, selon nous, aujourd'hui, c'est une
responsabilité de la société, ce n'est pas seulement et
uniquement à cause des employeurs si l'indice du coût de la vie a
augmenté de façon phénoménale. Je pense que
personne dans cette salle peut dire que c'est strictement notre faute.
Écoutez, si vous me permettez une analogie, une comparaison, c'est un
exemple que je donne; je ne veux pas qu'on prenne cela comme une proposition
concrète. Supposez pour un instant que tous les travailleurs au
Québec, vous et moi inclus - parce que nous sommes des travailleurs - on
contribue en donnant 1 $ par semaine. À 2 000 000 de travailleurs, cela
fait 100 000 000 $ par année. Si je calcule vite, c'est à peu
près cela. C'est un beau fonds de relance, M. le ministre.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: Remarquez que je ne voulais qu'alimenter un
peu le débat, savoir à quelle enseigne vous logiez à cet
égard. Je ne voudrais pas qu'on prenne tout notre temps et qu'on le
consacre exclusivement à cette discussion, parce qu'il y a d'autres
aspects que vous avez touchés sur lesquels je voudrais revenir.
M. Paquin: Je voulais vous convaincre, M. le ministre.
M. Fréchette: Mais je prends bonne note de votre
observation. M. Paquin, comme plusieurs autres intervenants - je vous signale
que ce sont autant des intervenants issus des milieux syndicaux que des milieux
patronaux - vous avez mis beaucoup d'insistance sur ce qu'on est convenu
d'appeler un pouvoir-réglementaire discrétionnaire, un pouvoir
discrétionnaire, des pouvoirs administratifs exorbitants. Enfin, les
termes peuvent varier, mais j'ai carrément l'impression qu'on revient
toujours au même phénomène. Je voudrais bien que l'on sache
- vous qui êtes au conseil d'administration allez peut-être en
convenir - que ce n'est pas précisément pour le plaisir de la
chose que ces dispositions sont dans les lois. En d'autres mots, il faut bien
que quelqu'un, quelque part, amorce un processus, décide de quelque
chose à un moment donné, si on veut que le système
lui-même fonctionne raisonnablement bien. Et dans ce processus, il est
inévitable qu'à une étape ou l'autre, quelqu'un va se
sentir frustré et ne sera pas heureux des décisions qui seront
prises. Alors, je vous signale sans aucune réserve que ce n'est ni celui
qui vous parle, ni les gens qui travaillent à la Commission de la
santé et de la sécurité du travail qui vont s'opposer
à ce que les pouvoirs discrétionnaires - qu'on les qualifie de la
façon qu'on voudra - qu'on retrouve actuellement dans la loi en sortent,
mais en aucune espèce de façon. Cependant, la question
fondamentale est: Qu'est-ce qu'on fait avec tout cela? Ou bien il n'y en a pas
du tout, mais je pense qu'ensemble on va convenir que c'est pousser la
situation à l'absurde. Personne ne conviendra qu'il faille ouvrir les
vannes à tout vent. À ce sujet, on va facilement et rapidement
s'entendre. Ou alors, l'alternative, et on a un peu amorcé la discussion
là-dessus hier, tout pouvoir qu'on identifie actuellement comme
discrétionnaire devient incorporé directement dans la loi, puis
on vit avec après. Par exemple, hier soir, on parlait des politiques de
réadaptation et on nous disait que cela faisait problème au
niveau de l'interprétation. Faudrait-il retenir qu'on incorporera dans
la loi ce que sont actuellement les politiques administratives en termes de
réadaptation? C'est effectivement préoccupant comme processus. Je
vous signale, par exemple, qu'actuellement il y a 20 règlements
adoptés sous l'empire de la loi actuelle sur les accidents du travail
qui ont été incorporés dans le projet de loi 42. C'est un
des motifs pour lesquels la loi est maintenant d'environ 300 articles. À
partir de ce phénomène très pratique qu'on peut constater,
il nous faut déboucher sur la conclusion suivante: chaque fois qu'un
pouvoir discrétionnaire doit disparaître, on va l'incorporer dans
la loi, ce qui implique nécessairement que chaque fois aussi la loi va
engraisser à tous égards.
Alors, je suis tout à fait disposé qu'on envisage cette
hypothèse-là. Je vous réitère que ce n'est pas
nécessairement par plaisir que c'est là parce que les gens qui
doivent l'administrer sont quotidiennement aux prises avec des conflits de
toutes sortes. Ils sont aux prises avec des gens insatisfaits des
décisions rendues. Donc, si on les incorpore dans la loi, cela
évitera ce genre de situation. Cela va éviter sans doute de
longues discussions au conseil d'administration, mais cela va
considérablement, encore une fois, engraisser la loi. À ce sujet,
je suis ouvert à considérer les hypothèses que vous avez
à mettre sur la table.
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: M. le Président, si vous me le permettez,
j'aimerais passer la parole à Me Comtois.
Le Président (M. Rancourt): Me Comtois.
M. Comtois (Pierre): M. le ministre, vous avez abordé dans
la même envolée deux points: la réglementation comme telle
et l'aspect des pouvoirs discrétionnaires accordés à la
CSST dans le cadre du projet de loi. D'abord, au niveau de la
réglementation, le problème n'est pas unique
au Québec, c'est évident. On regarde le problème,
la déréglementation, si vous me permettez l'expression, dans
l'industrie aéronautique aux États-Unis et les avantages et les
désavantages que cela peut créer. On ne pourra jamais
éviter totalement d'accorder des pouvoirs réglementaires à
un organisme gouvernemental afin de pouvoir administrer une loi. Une des
positions de l'AMC à ce sujet-là, c'est que le pouvoir
réglementaire doit être quand même précis. On donne
à l'organisme gouvernemental le pouvoir de réglementer, mais pas
le pouvoir de légiférer. Une des dispositions du projet de loi 42
permet à la CSST d'adopter tout règlement que l'organisme peut
juger approprié dans le cadre de l'application de la loi. Ce n'est plus
qu'un pouvoir réglementaire à ce moment-là. On donne une
discrétion illimitée. C'est le rôle d'incorporer les
mesures législatives qu'on veut prendre dans la loi pour qu'elles soient
débattues par les personnes appropriées devant les forums
appropriés. C'est sûr que cela implique, M. le Président,
des lois un peu plus lourdes. C'est le prix à payer, je crois, et il est
important de l'incorporer, à ce niveau, pour s'assurer que le
débat entre les parties et la société se fasse sur ces
différentes mesures. On ne peut pas tout incorporer dans la loi. C'est
pourquoi nous reconnaissons qu'il y a un certain pouvoir réglementaire
qui doit être accordé, une certaine discrétion, mais que
celle-ci soit encadrée afin que l'organisme sache l'orientation à
prendre.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: Cela va, cela répond très
précisément à la question que je posais. C'est
évident que c'est sous cet angle que l'évaluation va se faire par
rapport aux représentations qui nous ont été soumises
depuis le début. D'ailleurs, ce n'est pas nécessairement à
l'occasion de la commission parlementaire qu'on a été
sensibilisé à ce genre de choses.
Vous avez également, dans votre argumentation, M. Paquin,
commenté la politique de droit de retour au travail et vous nous avez
invités à faire une lecture attentive du mémoire de
General Motors. Je dois vous dire, quant à moi, que cette lecture est
déjà faite et que les représentations qu'on retrouve dans
le mémoire de General Motors nous apparaissent très
sérieuses. Il va effectivement falloir y jeter un coup d'oeil de
très près parce que General Motors met le doigt sur des processus
. d'application qui pourraient effectivement faire problème. Il n'y a
aucune espèce d'hésitation à regarder cela dans le sens
que vous le suggérez.
Il y a un chapitre sur lequel - me semble-t-il, en tout cas, c'est ma
première réaction - nous allons nous entendre sans aucune
espèce d'hésitation, c'est la suggestion que l'on retrouve
à votre mémoire, à la page 28, qui concerne le processus
de reconsidération et d'appel. Si on s'était assis ensemble, M.
Paquin ou M. Dessureault, à une même table pour écrire un
texte, on n'aurait pas pu mieux s'entendre. D'ailleurs, cela aussi, c'est
constamment revenu dans les préoccupations de tous ceux et de toutes
celles qu'on a entendus jusqu'à maintenant. L'objectif lorsqu'on a
inscrit, dans la loi, une disposition dont l'effet aurait été de
faire disparaître les bureaux de révision, était uniquement
un processus pour accélérer l'appel compte tenu du fait que la
moyenne du délai pour se retrouver devant le bureau de révision,
actuellement, est d'à peu près six mois, qu'il y a, devant ce
bureau, maintenant, des débats juridiques qui s'engagent et qui ont
comme effet de retarder, parfois considérablement, des décisions
que tout le monde attend, c'était l'objectif que nous visions en
suggérant la disparition des bureaux de révision. Sur cela, les
opinions sont très partagées. Les uns concourant à la
suggestion qui est faite, les autres disant: Non. On veut garder ce processus,
cette institution d'appel. Ce sur quoi, cependant, tout le monde s'entend,
c'est que le bureau de révision, par la force des choses et dans
l'état actuel des choses, étant politiquement, au sens large du
terme, directement relié à la commission elle-même, cela
crée des réserves sérieuses chez bien des gens. Quand vous
faites la suggestion de procéder à la mise sur pied d'une
commission d'appel - en matière de santé et
sécurité au travail - qui serait complètement
indépendante de la commission elle-même avec les
éléments dont vous parlez quant à son fonctionnement, en
ajoutant et en y modifiant peut-être certains des éléments
auxquels vous nous référez, sur le plan du principe, au moment
où on se parle, cela ne m'apparaît faire de problème. Je
vous dis que c'est mon opinion à ce stade-ci. Nous avons encore huit
jours d'audition, nous allons demander aux autres parties qui doivent venir
témoigner quelle est leur appréciation de la suggestion et,
ensuite, nous allons arrêter une décision. Je vous signale que
c'est une suggestion à laquelle je n'ai aucune difficulté
à concourir. Comme je vous le signale, il faudra attendre et voir
comment les autres parties apprécient et évaluent la suggestion.
Les autres me semblent tout à fait disposées aussi à y
concourir, mais retenons pour le moment que cela fait son chemin. (11 h 30)
Une autre situation où une espèce de... enfin, est-ce
qu'on peut appeler cela un consensus? où une rencontre d'idées
est en train de se faire, c'est sur le processus de
l'assistance médicale. Il y a actuellement dans la loi - la loi
42 contient des dispositions semblables - des mécanismes qui font en
sorte qu'à un moment donné la commission doit prendre certaines
décisions. Cela a aussi comme conséquence de créer des
embêtements dans bien des milieux et à l'endroit de bien des
personnes.
La suggestion a initialement été faite par la
Fédération des médecins spécialistes du
Québec. Elle a été reprise par plusieurs autres organismes
qui sont venus. Ce qui semble être en train de se dégager
maintenant, ce serait - je n'aime pas utiliser le terme "tribunal" dans ce
genre d'opération. Mais, pour les fins de la discussion, parlons de
commission, d'arbitrage ou... Enfin. N'allons pas perdre notre temps dans
l'identification.
Mais le mécanisme de cette institution pourrait être le
suivant: demander à la Corporation professionnelle des médecins
de fournir une liste de 100, 150, 200 professionnels qui seraient
disposés à agir comme personnes habilitées à
trancher des litiges d'ordre médical. À partir des suggestions
qui nous seraient faites, nous pourrions demander une espèce
d'accréditation, si vous me prêtez l'expression, ou bien au
Conseil consultatif du travail ou alors au conseil d'administration de la
commission elle-même, qui retiendrait parmi les noms
suggérés un certain nombre de noms de gens agréés
par les parties et qui accepteraient de fournir ces services professionnels et
qui seraient l'instance décisionnelle en matière
médicale.
En d'autres mots, toute décision quant à l'état de
santé - l'état de santé s'entendant au sens le plus large
du terme -d'un travailleur ou d'une travailleuse accidenté serait
dévolue à des professionnels de la santé.
Là-dessus, il y a aussi très clairement, sinon unanimité,
une opinion très majoritaire qui se dégage vers l'adoption d'une
semblable politique. À moins qu'en cours de route, il nous arrive des
objections telles qu'on nous convainque que cela ne doit pas être fait;
je pense pouvoir vous dire ce matin qu'à cet égard, nous
cheminons très rapidement vers une décision qui satisferait
à votre suggestion.
Est-ce que mon temps est terminé, M. le Président?
Le Président (M. Rancourt): II vous reste environ une
minute.
M. Fréchette: Alors, s'il me reste une minute, je
n'entreprendrai pas d'autre sujet. J'espère avoir le temps de revenir
avant 13 heures. Je vais passer la parole à mon collègue du
comté de Viau.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. On parle beaucoup de
contrôle de coûts et je crois que c'est une préoccupation
assez importante. Vous, de l'association, lorsque vous parlez de contrôle
de coûts, est-ce que vous parlez du contrôle sur l'administration
de la CSST, qui est souvent accusée d'être très
généreuse? Parlez-vous d'un contrôle ou d'un manque de
contrôle sur la CSST, qui commet une multitude d'erreurs administratives,
ceci résultant du fait que des sommes déboursées ne sont
pas récupérées? Parlez-vous de mesures sociales qui ne
devraient pas être imputées aux employeurs? Parlez-vous de
l'indemnisation à 90% qui serait peut-être trop
élevée? Pourriez-vous nous faire un commentaire très
précis sur cet aspect des coûts?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: Je ne sais pas si je vais tout couvrir car, comme vous
le dites, M. le député, vous avez beaucoup
d'éléments dans votre question. Lorsque l'on parle des
coûts, si vous me le permettez, on pourrait essayer de regarder cette
question de façon globale. Commençons, si vous le voulez bien,
par les coûts que pourrait éventuellement engendrer le projet de
loi que l'on nous soumet. M. le ministre a fait état mardi du fait que
le projet de loi 42 ferait économiser un montant d'environ 18 000 000 $;
c'est-à-dire que cela diminuerait d'autant les cotisations actuelles des
employeurs. Vous allez comprendre que nous n'avons pas eu le temps - je vous
admets bien honnêtement que je ne suis pas un actuaire - mais...
M. Cusano: Pas plus que nous, de notre côté,
d'examiner l'étude, M. Paquin.
M. Paquin: Vous allez donc comprendre qu'on n'a pas eu le temps
de regarder ce document. Je peux vous dire qu'on va le regarder et qu'on vous
fera part de nos commentaires. Le commentaire que j'aimerais vous apporter
à ce stade-ci est le suivant. Le hasard ou les circonstances ont voulu
que nous ayons un conseil d'administration de la CSST hier. À ce
conseil, sans doute guidées par la prudence et par l'expérience
que nous avons - j'y suis depuis 1980 - sur le plan de l'administration les
parties ont convenu de ne pas diminuer, au moment où on se parle, le
taux moyen de cotisation que nous avions prévu un peu plus tôt
dans l'année. Je comprends qu'au point de vue technique, ce
n'était pas possible.
Laissez-moi vous expliquer ceci, si vous me le permettez. Le taux de
cotisation moyen des employeurs au Québec en 1983 était de 2,05
$, comme vous le savez. Au cours de l'année - c'est une décision
unanime du conseil de modifier tout le système de capitalisation de la
CSST, mais je ne veux
pas entrer dans ces détails - notre taux, qu'on le veuille ou
non, tombait automatiquement à 1,79 $. Quand est venu le temps de
préparer le budget, une des premières questions que nous avons
posées -le projet de loi 42 s'en venait - était la suivante:
Est-ce qu'on a prévu quelque chose en termes de coût dans le
projet de loi 42? On nous a dit: Oui, on a prévu 0,10 $, ce qui fait que
l'on prévoit en 1984 un taux moyen de 1,89 $. Donc, on s'est
donné un coussin avec les 0,10 $, en termes populaires, dans le projet
de loi 42.
Pour votre information, 0,01 $, à la CSST, cela est
l'équivalent de 4 000 000 $ ou 4 500 000 $. On prévoit 40 000 000
$ ou 45 000 000 $ de coussin. En plus de cela, par prudence, je ne crois pas
que le conseil serait avisé d'enlever ces 0,10 $ si, techniquement, il
pouvait le faire - je fais abstraction pour un instant aux problèmes
techniques - mais cela me surprendrait énormément. Enfin, du
côté patronal, on ne serait pas prêt à le faire. On
ne serait pas du tout avisé, si on pouvait techniquement le faire,
d'enlever les 0,10 $, puis encore 0,05 $, ce qui représente 18 000 000
$. C'est 0,10 $, puis 0,05 $ pour un total de 0,15 $; soit 60 000 000 $. On
parle de 60 000 000 $ et 65 000 000 $.
C'est pour cela qu'on est sceptique face à l'étude
commandée par le ministère du Travail, sans doute.
L'expérience nous dit que - ce n'est pas scientifique, ce que je vais
vous dire - même si on était bien heureux à la fin de
l'année d'avoir 18 000 000 $ de moins, on en doute beaucoup. Le
contrôle des coûts, bien sûr qu'on déplore qu'il fasse
défaut, par exemple au niveau de l'indemnisation. Je ne veux pas refaire
le débat qui a pu se faire à la commission parlementaire du mois
de décembre. Nous croyons qu'il serait possible de contrôler
davantage les coûts; permettez-moi de reformuler une demande qui avait
été faite au mois de décembre lors de la commission
parlementaire: donnez-nous au moins la chance de pouvoir dire à nos
membres de l'AMC, que c'est un peu plus contrôlé parce que,
maintenant, on a un comité de vérification interne. Donnez-nous
au moins cet argument-là, car on ne l'a pas encore; on n'a pas voulu
accéder à cette demande.
Vous faites également référence, M. Cusano, aux
mesures sociales. Je pense qu'on en a un exemple frappant dans le projet de loi
42 avec la question des étudiants. Vous n'êtes pas sans savoir que
les employeurs engagent des étudiants. Les employeurs sont d'accord pour
protéger les étudiants en cas d'accident du travail. Mais on vous
dit qu'à partir du moment où on a un projet de loi qui nous
suggère une possibilité de compenser en fonction de ce que
pourrait devenir un étudiant en médecine ou en architecture, si
c'est une décision politique, je suis bien d'accord avec celle-ci, mais
on va admettre que c'est une mesure sociale qui ne doit pas être
imputée aux employeurs.
Vous avez aussi la situation de la femme enceinte au travail. Bien
sûr, nous sommes prêts à la protéger, nous ne nous
posons même pas la question, quitte à ouvrir un petit volet. On
parle de femme enceinte au travail en fonction de la loi 126, la Loi sur les
normes minimales du travail; on en parle en fonction de la Loi sur la
santé et la sécurité du travail; on en parle possiblement
en fonction d'autres choses. C'est une mesure sociale qu'on accepte. Si c'est
relié strictement au fait, qu'il y a, comme on l'expliquait un peu dans
le mémoire, un lien entre le travail qu'elle fait et le fait qu'elle
soit enceinte, bien sûr qu'on est prêt à prendre nos
responsabilités. Mais on dépasse une certaine frontière
qu'on peut qualifier de mesures sociales. Si ces mesures sociales sont une
volonté politique, on est bien d'accord pour les accepter, mais on est
moins d'accord que ce ne soit qu'un segment de la population qui paie, à
savoir les industries qu'on représente.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: M. Paquin, juste une petite précision.
Lorsqu'on parle de la capitalisation à 90%, c'est seulement remettre
à plus tard le vrai coût des accidents. Est-ce que je me
trompe?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: Non, vous ne vous trompez pas. Nous sommes d'avis que
le fait d'avoir accepté cette capitalisation, à l'effet de
baisser immédiatement les taux, une génération future
devra les payer effectivement.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci. Vous dites aussi -plusieurs autres l'ont
indiqué - que si on accepte dans le projet de loi le fait que
l'employeur soit tenu de payer les quatorze premiers jours au lieu des cinq
premiers jours, il y a déjà des abus sur la question des cinq
jours, parce que des individus prétextent une maladie dont on ne peut
pas vérifier le bien-fondé. Vous vous inquiétez du fait
que ces maladies qui ne sont pas fondées pour cinq jours s'allongeront
jusqu'à quatorze jours. Avez-vous des statistiques ou des études
qui démontrent la relation directe entre le nombre de jours payables par
l'employeur et le nombre de jours d'accidents mineurs?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin. (11 h 45)
M. Paquin: J'aimerais clarifier un point immédiatement, si
vous me le permettez, M. Cusano. Le fait de passer de cinq à quatorze
jours ouvrables - si je l'ai dit, j'aimerais corriger une chose, si c'est ce
que vous avez compris - je ne dis pas que ça va automatiquement
permettre aux employés de dire: D'accord, maintenant je peux en avoir
dix, je vais m'en aller à dix. Ce qu'on dit, c'est que ça va
inciter drôlement nos employés ou d'autres personnes à
accepter le fait que maintenant c'est dix jours. Ça me surprend toujours
de constater que les employés reviennent au travail le lundi matin.
Pourquoi pas le jeudi après-midi ou le vendredi matin?
Vous me demandez un exemple d'abus. J'aimerais vous donner un exemple et
vous allez comprendre que je ne peux vous donner trop de précisions.
Nous avons l'exemple d'une compagnie qui a environ 300 employés, qui a
un excellent record d'accidents, qui a annoncé dernièrement la
fermeture de son usine à cause de la loi 126 et de beaucoup d'autres
choses. On accepte que des préavis se donnent, etc. Ce qui nous fatigue
un peu, c'est que pendant une courte période de temps il y a eu à
peu près 160 demandes à la CSST. Il y en a sûrement qui
sont fondées, mais je ne peux pas m'empêcher de croire qu'il n'y a
pas quelque chose qui ne marche pas là-dedans.
Aujourd'hui, à cause du chômage, à cause de nos
conditions économiques, à cause de beaucoup de facteurs, c'est
tentant pour le travailleur qui se voit un jour face à la situation de
se dire: J'ai le choix entre 66% de mon salaire à
l'assurance-chômage ou à 90% du net. Je n'accuse personne, mais
l'exemple que je vous donnais tantôt commence à me fatiguer.
J'aurais bien voulu pouvoir vous amener des statistiques sur des abus,
mais vous allez comprendre qu'il est difficile de compiler les abus.
M. Cusano: Non, pas nécessairement des abus.
M. Paquin: Si vous me permettez M. Cusano, à ce sujet,
j'aimerais passer la parole à M. Comtois.
Le Président (M. Rancourt): Me Comtois.
M. Comtois: M. le Président, M. le député,
un seul point pour démontrer de façon encore plus concrète
l'incitation que crée cette avance de cinq jours ou de quatorze jours
lorsqu'on parle et on la relie au calcul de 90% du revenu net du travailleur.
Je vous réfère à la partie 1 du mémoire du Conseil
du patronat du Québec où vous avez trois tableaux très
concrets démontrant trois situations familiales différentes
où il est clair que l'avantage du travailleur est substantiel en partant
sur le régime d'avance à 90% du net, il retire un revenu
supérieur à son revenu net que s'il était au travail.
C'est tout.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci. Toujours sur la question des coûts, on
est préoccupé par la productivité et la concurrence que le
Québec doit faire avec d'autres provinces canadiennes et nos amis du
Sud. Pouvez-vous nous faire une comparaison, si c'est possible, entre une
industrie du Québec semblable à celle de l'Ontario qui produit
exactement le même produit fini, à savoir quels sont les
coûts de l'employeur au Québec par rapport à celui de
l'Ontario?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: À ce sujet, M. le Président, c'est bien
sûr qu'il y a des coûts qui sont répétitifs d'une
province à l'autre. À ma connaissance, les primes
d'assurance-chômage sont les mêmes partout. Il est dangereux et
pour le moins délicat de répondre à cette question pour
une des raisons suivantes. Par exemple, je pourrais vous dire qu'une fonderie
au Québec paie un taux de X dollars des 100 $ pour la CSST, alors que
cette même fonderie en Ontario paie moins ou plus, peu importe, disons,
moins pour le moment. En 1984, ce sera probablement plus, mais c'est pour
l'exemple. Le danger, c'est qu'on risque de comparer des pommes avec des
bananes.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: C'est pour ça que j'ai dit: Si elles sont
comparables.
M. Paquin: Je dirais qu'à plusieurs égards ce n'est
pas comparable parce que, encore une fois - je me permets l'expression - on
compare des pommes avec des bananes. Bien sûr, il y en a d'autres qu'on
peut comparer, que ce soit, comme je vous le disais, l'assurance-chômage
ou les régimes de retraite, etc. Si vous me permettez d'ajouter à
votre question: les employeurs qui nous contactent, qui nous appellent, qui
nous rencontrent, je peux vous dire qu'ils sont drôlement
préoccupés par les coûts, et c'est normal, les coûts
globaux, ce qu'il en coûte de venir s'installer au Québec, c'est
bien sûr, et ils font la même chose dans les autres provinces.
Remarquez bien, ils s'informent. Il y a autre chose qui s'ajoute à cela
aussi: par exemple, quel est le climat des relations du
travail au Québec? Enfin, tous les sujets que vous connaissez
auxquels on fait référence occasionnellement, que ce soient les
droits successoraux ou autres. Je peux vous dire que cela les préoccupe
beaucoup. À tort ou à raison - c'est malheureux et nous le
déplorons - bien souvent, il y a des choses qui sont mal dites et il y a
des choses qui sont mal rapportées qui font que cela ne nous aide pas en
termes d'investissement.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci. Vous dites, à la page 21 de votre
mémoire, que vous ne voulez pas que la CSST vienne gérer vos
entreprises. Vous dites que les caractéristiques d'un poste peuvent
changer lorsqu'on parle de retour au travail. J'ai de la difficulté
à comprendre cela. Dans le domaine de la construction, je comprends
cela. Dans vos entreprises, vos manufactures, et particulièrement sur
les chaînes de production, je ne peux pas concevoir que ces
caractéristiques d'emploi vont changer d'un jour à l'autre, d'un
mois à l'autre, d'une année à l'autre. Je crois que le
changement se fait sur une période assez longue. Quels sont vos
commentaires sur cela?
M. Paquin: J'aimerais passer la parole à Me Lavoie.
Le Président (M. Rancourt): Me Lavoie.
M. Lavoie (Mario): M. le Président, la réponse
à cela, est que cela change plus vite qu'on ne le croit. Il y a des
chaînes de montage qui sont très spécialisées. Les
entreprises font appel à des robots. Les entreprises font appel à
de nouveaux appareils. La tâche d'un travailleur qui était, il y a
quelques années, égale, identique jour après jour, mois
après mois, année après année change
énormément. C'est cela le danger que l'on voit dans cette partie
du texte. C'est qu'on ne nous donne pas la possibilité justement, dans
l'éventualité où les caractéristiques du poste
changeraient... Hypothèse: vous installez une nouvelle machine qui fait
une nouvelle tâche. Elle est là. Est-ce qu'on peut le faire,
est-ce qu'on ne peut pas le faire? Ce n'est pas précisé dans le
texte. Ce que je tente de vous dire, finalement, c'est que ce que l'on a
mentionné à la page 21 du texte, c'est le vécu de nos
membres. C'est cela que nos membres nous disent. C'est cela la situation dans
les entreprises. Ce qu'on croyait voir, il y a 10, 15 ou 20 ans, des postes qui
ne changent plus d'une année à l'autre, cela existe de moins en
moins, de là le commentaire que l'on faisait à la page 21.
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin, comme
complément de réponse.
M. Paquin: Me Comtois aimerait compléter cette
réponse.
Le Président (M. Rancourt): D'accord. Me Comtois.
M. Comtois: M. le Président, juste un aspect
complémentaire. Dans plusieurs entreprises, les parties à
l'entreprise, le syndicat, les travailleurs et les employeurs, se sont
négocié déjà des systèmes afin de
prévoir une certaine réassignation dans les cas d'accidents du
travail. Ces parties ont réussi à adapter un mécanisme
suivant leurs fonctions, leur donnant une certaine flexibilité propre
aux caractéristiques de l'entreprise. Une des craintes de l'AMC, c'est
que le projet de loi, dans ce domaine, va venir purger ces systèmes du
jour au lendemain parce qu'ils ne pourront se conformer à la lettre de
la loi et il y a le risque encore que ce soient les dispositions du projet de
loi sur la réassignation qui... Honnêtement, après une
lecture attentive, je ne la comprends pas cette disposition. Nous en avons
discuté en comité à plusieurs reprises avec des juristes
et des non-juristes et nous ne sommes pas capables de la voir mise en pratique
cette disposition.
La crainte que je vous exprime, c'est que, oui, la réassignation
est possible dans le cadre des chaînes de montage et des usines de ce
type, sauf que ce n'est pas aussi facile qu'on peut le croire à
l'extérieur à cause des changements technologiques. Si je me
permets encore d'insister, c'est qu'il est important de laisser aux parties du
milieu le soin de déterminer quel est le processus approprié
à leur entreprise et non de dicter quelque chose de
l'extérieur.
Le Président (M. Rancourt): Bien. M. le
député de Viau.
M. Cusano: Une chose qui m'inquiète dans le projet de loi
et qui est reliée un peu à ce que M. Paquin disait tout à
l'heure, c'est la question des étudiants. Au moment où une
maladie professionnelle est diagnostiquée, la commission, selon le
projet de loi, doit tenter de distribuer la responsabilité de cette
maladie professionnelle entre les entreprises où l'individu a
occupé un poste auparavant. J'ai une crainte de ce
côté-là et j'aimerais avoir vos commentaires. Prenons le
cas d'une personne âgée de 45 ou 50 ans qui
bénéficie de l'assurance-chômage, qui n'a pas eu d'accident
de travail ni de maladie professionnelle détectée; elle est
simplement en chômage. Elle va frapper à la porte d'une compagnie
pour se faire engager. Ce que je crains - peut-être que ma question
devrait plutôt être adressée au ministre qu'à
vous,
M. Paquin - c'est que, non seulement on exigerait de cet individu un
examen médical, mais on lui demanderait de passer quatre ou cinq jours
dans un hôpital pour s'assurer qu'il n'y a rien dans son sang ou dans son
corps qui pourrait être, un jour, imputé à l'entreprise
telle quelle. Quels sont vos commentaires là-dessus?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: Vous apportez deux aspects. D'abord, les
étudiants. Pour être bien honnête avec vous, nous avons une
crainte fondée à ce propos parce que l'interprétation que
nous faisons du projet de loi actuel concernant la question des
étudiants pourrait donner le résultat suivant: un employeur qui
engagerait un étudiant pour une période de deux semaines ou pour
une période d'une semaine ou peut-être d'un mois et que cet
étudiant subirait un accident, on va facturer cela à qui,
d'autant plus si c'est un accident grave, s'il y a une mutilation, par exemple?
La question qu'on se pose: Est-ce qu'il est équitable - dans le sens que
parce que c'est vraiment un employé à temps partiel, ou vraiment
temporaire pour une période bien déterminée, versus un
employé qui travaille pour nous depuis 5 ans, 10 ans, 15 ans ou 20 ans -
est-ce qu'il est vraiment correct, en somme, de faire supporter par
l'employeur, pour le reste de la vie de l'entreprise, les coûts qui
seraient occasionnés par un accident grave chez un étudiant?
Comme je le disais tantôt, bien sûr que nous comprenons le principe
de protéger. Je vais donner l'exemple classique: l'étudiant qui
est en troisième année de médecine, qui va obtenir son
diplôme dans six mois, qui vient chez nous, qui se blesse
sérieusement et qui ne peut plus pratiquer la médecine. Je
comprends qu'il y a mis beaucoup d'efforts et je formule l'hypothèse
que, s'il avait continué ses études, il serait devenu
médecin. Je veux bien embarquer dans le jeu, mais ce que je vous dis,
c'est que, selon nous, il s'agit d'une mesure sociale qu'on ne rejette pas
totalement, mais on n'est pas prêt à l'assumer en tant
qu'employeur. Je pense que, si tel est le désir du législateur et
du gouvernement, c'est une responsabilité de la
société.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau. (12 heures)
M. Cusano: Ma deuxième question -peut-être que vous
ne l'avez pas saisie -portait sur le fait que la loi prévoit, pour la
maladie professionnelle, qu'au moment où elle est
détectée, le coût de cette maladie professionnelle serait
imputé aux employeurs précédents. Ma crainte, comme je le
disais, c'est que si on prend quelqu'un qui est en chômage, qui a 45 ou
50 ans, ses chances de se faire employer quelque part peuvent diminuer dans le
sens que ce ne sera pas un simple examen médical pour voir si la
pression est bonne, si la vision est bonne, si le coeur bat comme il devrait.
Je crains de ce côté-là qu'on pourrait se ramasser avec la
situation que l'employeur, avant d'engager l'individu, va l'envoyer une semaine
à l'hôpital pour passer tous les tests possibles sur toutes les
maladies possibles avant qu'il soit engagé.
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: Vos craintes sont partagées, M. le
député.
M. Cusano: Une dernière question.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: On nous a souvent dit que les employeurs ont pris les
dispositions nécessaires pour éliminer les accidents à la
source. Je crois que les accidents majeurs ont diminué depuis quelques
années. Tout le monde est préoccupé par les accidents
considérés comme mineurs. Je me demande si des membres de votre
association ont tenté des expérimentations comme il s'en fait
dans certains pays où il y a des mesures incitatives à la
prévention, c'est-à-dire, premièrement, on va afficher un
calendrier quelque part et on dira: À cet endroit, cela fait dix jours
qu'il n'y a pas eu d'accidents, ou cela fait quinze jours, ou cela fait vingt
jours. Ce programme est relié à une somme qui sera
distribuée par après aux employés dans l'usine au complet
ou dans un secteur particulier de l'usine. Cette expérience a-t-elle
été tentée? Si elle n'a pas été
tentée, est-il possible de l'envisager?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: M. le député, vous avez raison lorsque
vous dites qu'il y a eu effectivement depuis quelques années diminution
d'accidents graves, mais au détriment toutefois d'une certaine
augmentation au profit des accidents qu'on pourrait appeler mineurs. Il y a
plusieurs années, il était fréquent de voir des employeurs
adopter ce que vous appelez des mesures incitatives. On met des grands tableaux
et on dit: Cela fait 114 jours qu'on n'a pas eu d'accident et cela va bien.
Mais la venue de la loi 17, Loi sur la santé et la
sécurité du travail, a au moins eu un effet
bénéfique. Enfin, il y en a eu plusieurs, mais il y en a eu au
moins un. C'est d'éveiller tout le monde à l'importance à
accorder à la santé et à la sécurité de tout
le monde. Je ne vous dis pas qu'il ne s'en faisait pas avant. Cela a, en somme,
sensibilisé tout le
monde à l'importance de cette chose-là. Je pense
qu'aujourd'hui les employeurs, et quitte à ce qu'on complète ici,
ont plutôt adopté l'attitude suivante: mettre beaucoup d'effort au
niveau de la prévention et de l'élimination des dangers à
la source ou des conditions dangereuses. C'est prouvé par le fait qu'on
a eu, comme vous le disiez tantôt, une diminution de nos accidents
graves, par contre, au profit d'une augmentation d'accidents mineurs.
Là, il faudrait peut-être se poser la question: pourquoi? Je
serais porté à vous dire qu'il est à ce stade-ci,
même si la loi 17 est en vigueur depuis 1980, peut-être encore un
peu trop tôt pour évaluer vraiment ce que cela a donné,
finalement, la loi 17 en termes de résultats et de buts poursuivis. Je
pense qu'on s'en va toutefois dans la bonne direction. Mais, pour
répondre finalement à votre question, je pense qu'il est de moins
en moins populaire pour les employeurs d'adopter des programmes comme, par
exemple: Si tu n'as pas d'accident pendant un an, je vais te donner une dinde
pour Noël. Enfin, c'est un exemple un peu charrié. Je pense qu'on
laisse cette mentalité qui existait auparavant au profit, par contre, de
sensibiliser davantage nos travailleurs à la prévention. Les
employeurs, croyez-moi, y mettent les efforts et l'argent, et ce sont des
coûts indirects. Je pense qu'on s'en va dans la bonne voie. Je ne crois
pas, quitte à ce que je me fasse dédire par mes confrères,
qu'il serait de bon augure de dire: Voici, on va vous donner une carotte
à la fin de l'année si vous n'avez pas d'accident. D'abord,
l'employé, le premier, n'est pas intéressé à en
avoir un.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Prévost.
M. Dean: Merci, M. le Président.
M. Paquin, brièvement, en réponse aux questions de mon
collègue, vous avez parlé d'un coussin de 0,10 $ entre 1,79 $ et
1,89 $. Est-ce que ce coussin n'était pas gardé aussi dans
l'hypothèse - à ce moment, c'était l'acceptation par le
monde patronal -d'une augmentation des coûts de 25 000 000 $?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: D'accord. Il y avait une telle hypothèse, si on
se réfère au projet de loi 42. Cela ne contredit pas ce que je
disais tantôt; les employeurs ont toujours été d'accord
pour accepter le principe du remplacement du revenu, etc. Selon les
évaluations de l'époque - parce qu'il y en a eu plusieurs -
à un certain moment, le fait de modifier la Loi sur les accidents du
travail pouvait représenter un montant d'environ 25 000 000 $, comme
vous le dites. Les employeurs ont toujours été prêts
à payer cela. Ces 25 000 000 $, cela peut représenter à
peu près 0,04 $ ou 0,05 $, mais il y avait quand même 0,05 $
additionnels.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Prévost.
M. Dean: Dans la définition de l'accident, avec les mots
"imprévu" ou "soudain", etc., cela semble être accepté dans
la jurisprudence non seulement au Québec, mais ailleurs, qu'il existe
des conditions de diminution de la santé ou de l'intégrité
physique des travailleurs attribuables à des gestes
répétitifs pendant une longue période de temps, de gestes
qui impliquent la force, les vibrations d'outillage, la position de torsion du
corps qui ne provoquent pas un incident soudain ou imprévu, mais qui
produisent quand même une diminution incontestable de
l'intégrité physique du travailleur. Par vos remarques, est-ce
que vous nous indiquez que vous niez l'existence d'un tel
phénomène en ce qui regarde le débat autour de la
définition de l'accident?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: Non, M. Dean. Bien sûr, je ne nie pas ce que
vous venez de dire en ce sens qu'à un certain moment - je ne veux pas
reprendre vos paroles - un travail répétitif peut faire qu'une
condition quelconque se développe et que cela devienne un accident du
travail. Ce n'est pas ce que l'on veut dire. Par exemple, tu ne deviens pas
sourd du jour au lendemain, ce n'est pas possible, c'est parce que tu as
travaillé ailleurs, c'est parce que tu as travaillé longtemps
chez vous, enfin, il y a un paquet de facteurs. Dans les explications qu'on
vous a données sur toute la notion d'accident du travail, avec ce qu'on
a enlevé et ce qu'on a ajouté, on ne veut pas enlever ou
minimiser cet aspect de la question.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Prévost.
M. Dean: M. Prévost, député de Dean.
Le Président (M. Rancourt): Bien sûr, on pourrait
faire des échanges.
M. Dean: Comme vous, j'aime jouer avec les textes,
peut-être pour les mêmes raisons, une expérience des
relations du travail. Je vous poserai une question très
hypothétique qui ne représente aucunement un engagement ou une
indication d'engagement de la part du ministre ou du gouvernement. Si on
définissait l'accident simplement par le fait ou l'occasion de
l'accident et qu'on laissait au dictionnaire et à la
jurisprudence le soin de déterminer ou de préciser le sens
à donner à un accident du travail, est-ce que c'est quelque chose
qui vous sourirait ou si vous préférez vous tenir plus
près de ce qui existe actuellement?
Le Président (M. Rancourt): Me Comtois.
M. Comtois: M. le Président, M. Dean, ce ne serait pas
préférable pour la raison suivante. Il y a déjà une
définition d'incorporée depuis moultes années dans le
cadre de la loi. Les tribunaux supérieurs ont dû se pencher sur
cette définition incluant le mot "imprévu"; des sommes d'argent
et des énergies ont été dépensées, tant par
les travailleurs que par l'appareil gouvernemental et les employeurs, afin de
cerner ces définitions. En modifiant la définition comme elle est
proposée dans le projet de loi 42 ou comme vous le suggérez, vous
repartez le processus de réinterprétation de cette nouvelle
définition d'accident ou de cette absence de définition
d'accident.
Je ne crois pas qu'il soit approprié de rouvrir l'ensemble du
débat à ce niveau. Par contre, il nous semble approprié de
codifier ce que les tribunaux supérieurs ont déjà
interprété dans ce sens, dans la mesure où c'est
approprié, et de l'incorporer, ne serait-ce que pour l'avoir dans un
seul texte au lieu de faire référence à dix textes
différents. C'est dans ce sens que la recommandation de l'AMC
s'exprime.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Prévost.
M. Dean: Seulement pour préciser une chose dans ce
débat. N'est-il pas vrai que certaines des interprétations d'un
accident du travail que le monde patronal semble déplorer sont
plutôt le résultat de décisions des tribunaux
supérieurs et non des décisions d'application ou d'administration
de la part de la CSST ou de la Commission des accidents du travail du
passé?
Le Président (M. Rancourt): Me Comtois.
M. Comtois: M. le Président, M. Dean, là-dessus je
pense avoir une différente opinion. Les décisions qui nous
semblent plus ou moins bizarres à ce niveau de la définition
d'accident proviennent d'organismes administratifs et, plus rarement, des
tribunaux judiciaires de droit commun. Est-ce attribuable au fait qu'ils sont
un peu plus distants des contraintes du milieu? Ils déterminent avec des
principes qui permettent de guider des employeurs par la suite et les
travailleurs. Je ne crois pas que ce soient les tribunaux supérieurs qui
ont créé les problèmes d'interprétation. Au
contraire, ils en ont éliminé plusieurs.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Prévost.
M. Dean: M. Comtois a répondu en bonne partie tantôt
à une question que je voulais poser en ce qui regarde le retour au
travail et son implication sur les clauses d'ancienneté et les doutes
qu'on peut avoir quant à l'interprétation à donner aux
articles du projet de loi. J'ai déjà eu la même
réflexion du monde syndical, soit que l'interprétation à
donner à ces textes peut prêter à plusieurs conflits
d'interprétation.
Vous avez aussi évoqué le fait qu'il existe dans de
nombreuses conventions collectives des clauses négociées par les
parties qui prévoient d'une façon ou d'une autre une
réhabilitation, la possibilité d'une entente patronale-syndicale
pour réaffecter les travailleurs, blessés ou souffrant d'une
incapacité partielle, à d'autres travaux et comment on arrime
cela avec les clauses d'ancienneté dans l'entreprise en question.
D'après vos conseillers juridiques, M. Paquin, si on essayait de trouver
une formule par laquelle la loi consacrerait le principe de l'obligation... du
droit de retour au travail -je sais que vous aimeriez l'obligation; c'est un
lapsus...
M. Paquin: C'est bien. C'est bien.
M. Dean: Si la loi encadrait clairement le droit de retour au
travail, mais incitait ou obligeait les parties, par négociation
collective ou par convention patronale-syndicale de légiférer en
quelque sorte les modalités de l'exercice de ce droit selon les
conditions applicables à l'entreprise, pensez-vous qu'une telle approche
soit possible?
Le Président (M. Rancourt): Me Comtois.
M. Comtois: M. le Président, M. le député,
c'est un concept qui mérite certainement notre attention et notre
intérêt. C'est nettement préférable à ce que
le projet de loi 42 prévoit actuellement. Tel qu'exprimé plus
tôt par M. Paquin, l'AMC se ferait un plaisir de s'asseoir avec vos
représentants et représentantes du gouvernement afin de
travailler sur une telle hypothèse plus avant, parce que nous croyons
qu'elle mérite une attention définitive.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Prévost.
M. Dean: Dans son mémoire, l'autre jour, la
Fédération des travailleurs du Québec a
évoqué une question - c'est le premier groupe à
l'évoquer dans le contexte
de nos discussions sur ce projet de loi -celle de l'alcoolisme et son
impact dans le monde du travail. On note avec intérêt que votre
organisation, votre association, représente 1700 entreprises
manufacturières au Québec et 9500 au Canada. Ma question comprend
deux volets: Est-ce que votre association a déjà effectué
des travaux d'évaluation, de recherche sur cette question de
l'alcoolisme et de son impact dans le milieu du travail? Sinon, seriez-vous
prêts à contribuer à un tel effort de recherche dont le
ministre a dit l'autre jour, en réponse à la FTQ, qu'il
était disposé à le susciter dans notre milieu
québécois? (12 h 15)
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: M. Dean, le hasard veut que j'aie effectivement
travaillé dans une distillerie pendant six ans.
M. Dean: Vous en êtes sorti debout?
M. Paquin: Une petite anecdote: après avoir
encouragé les gens à prendre un peu de boisson, je suis
allé dans le domaine pharmaceutique où je les ai
encouragés à prendre des pilules. Maintenant, je suis dans une
association pour essayer de les réhabiliter.
Ceci dit, M. le ministre, la remarque que je me permettrai de vous faire
est la suivante: pour votre information, alors que je siégeais comme
représentant de ma compagnie au sein d'une association de distillateurs
canadiens, je peux vous assurer -je ne pense pas que cela ait changé
depuis ce temps - que toutes les distilleries, que je sache, ont des programmes
intensifs pour combattre l'alcoolisme chez elles. Vous allez comprendre que
c'est un bel endroit pour en prendre, pour ceux qui le veulent.
En complément à votre réponse, j'ai pris
connaissance du discours du ministre Fréchette tout dernièrement
à ce sujet - je vais oublier la tribune où vous étiez, M.
le ministre. Je peux vous dire que l'AMC est prête à contribuer
à une telle étude sur l'alcoolisme et les effets que cela peut
avoir sur le travail. On est prêt à y collaborer, d'autant plus
que presque tous les distillateurs canadiens, sinon tous, sont membres de notre
association. Je suis sûr qu'on pourrait même rendre service
à toutes les autres provinces si on faisait une excellente
étude.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Prévost.
M. Paquin: M. le Président, M. Dessureault pourrait
compléter, si vous le lui permettiez.
Le Président (M. Rancourt): Bien sûr, M.
Dessureault, en complément de réponse.
M. Dessureault: Un commentaire à deux volets, M. le
Président: pendant qu'on parle d'accidents du travail, il y a beaucoup
plus de jours d'absence causés par les accidents à
l'extérieur du travail. C'est une grande préoccupation des
employeurs. À ce niveau, l'absentéisme est causé non
seulement par l'accident, mais aussi par ces maladies dont l'alcoolisme, les
drogues, etc. Je suis certain que, si on faisait oeuvre de concertation
à ce niveau et des travaux de recherche... L'AMC a déjà un
document qu'on pourrait mettre à votre disposition sur
l'absentéisme. Peut-être que mes confrères ne l'ont pas
encore regardé, mais on va le mettre à votre disposition. Nous
sommes aussi à votre disposition pour faire ce genre d'étude ou
de recherche pour en arriver à des solutions qui permettront
d'éliminer ou de diminuer l'absentéisme qui est un fléau,
non seulement au Québec, mais partout en Amérique du Nord et
peut-être partout dans le monde, qui réduit
énormément la productivité de nos entreprises, non
seulement les entreprises manufacturières, mais aussi les entreprises
commerciales et les services. Si on peut travailler à augmenter notre
productivité pour assurer notre essor économique, on fera
vraiment oeuvre de concertation utile.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Prévost.
M. Dean: Merci. D'ici à la fin de mes 20 minutes,
j'aimerais qu'on discute un peu de cette question des coûts comparatifs
qui me fatigue toujours et autour de laquelle, je pense, il y a - à
défaut de recherches précises - beaucoup de charriage, même
s'il y a un fond de vérité. Il faut être aveugle, surtout
dans la situation économique mondiale d'aujourd'hui, pour ne pas
prétendre que l'existence même de nos industries, de nos emplois,
de nos profits dépend beaucoup de notre compétitivité
internationale. On n'a aucun doute que l'efficacité et la qualité
de notre production au meilleur prix possible est un facteur important de
création et de maintien d'emplois pour toute notre vie
économique.
Je sais que c'est très difficile de couvrir tous les
éléments d'études de coûts comparatifs. Je le sais
pour avoir essayé de le faire et m'être fait dire par des
actuaires et des économistes très réputés que
c'était très difficile. Comme vous l'avez dit tantôt,
comparer des pommes avec des oranges n'est pas toujours facile. Il me semble
que notre discussion des coûts comparatifs est beaucoup influencée
par le fait qu'on essaie de comparer des lois avec d'autres lois ou une absence
de loi dans d'autres provinces ou dans d'autres États voisins, mais
peut-être pas les coûts totaux d'avantages sociaux
donnés par des lois ou fournis dans les faits par les entreprises
à leurs employés.
Il y a un chiffre qui semble incontestable et dont j'ai entendu parler
dans l'industrie automobile que vous me pardonnerez de connaître un peu;
on a égalité d'équipement, de productivité,
d'outillage; à outillage égal et à équipement
égal, à organisation du travail égale, les chiffres dont
je dispose indiquent à salaire et à avantages sociaux
égaux, dans les entreprises multinationales de l'automobile -je ne leur
en veux pas, cela nous favorise, tant mieux - il y a une différence
d'environ 5 $ l'heure dans les coûts de production entre le Canada et les
États-Unis. La moitié de cette différence est due au taux
de change et l'autre moitié est due au fait que justement la somme des
avantages sociaux au Canada, à cause de nos lois, réduit
substantiellement le coût pour l'entreprise de donner des avantages
d'assurance collective ou de régime de retraite. Ces faits ne sont
peut-être pas les mêmes dans chaque industrie. Il peut y avoir des
différences d'outillage ou d'équipement, mais j'aimerais que vous
nous disiez quelques mots en réplique à mes remarques.
En terminant mes remarques à ce sujet, je fais
référence au document de l'Association des manufacturiers
canadiens que j'estime beaucoup. Tout en étant très
intéressé au quatrième volet qui touche les ressources
humaines, je n'ai pas omis de lire les volets 1, 2 et 3 où l'Association
des manufacturiers canadiens a fait l'espèce de confession publique
très louable que beaucoup de problèmes de l'industrie canadienne
étaient sûrement dus aux défauts de financement, de
technologie, d'administration et de gestion des entreprises. Je pense qu'on se
trouve sur le même terrain ou autour d'une même table de
discusssion sur ce point.
Je voulais savoir si vous pourriez préciser ou infirmer les
affirmations que je fais sur cette question de coûts comparatifs entre
les provinces et les États voisins.
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: Je vais commencer avec la dernière remarque du
député de Prévost, M. Dean. Vous faites
référence à la publication que nous avons sortie il y a un
an, un an et demi et qui s'intitulait La concurrence dans le village terrestre,
où vous dites que les employeurs canadiens et, par conséquent,
les employeurs québécois ont fait un genre de confession
publique. Vous pouvez le cataloguer, lui donner ce titre-là; on ne le
refuse pas. Le message que...
Le Président (M. Rancourt): Je m'excuse. M. le
député de Prévost.
M. Dean: Je veux préciser, je ne voulais aucunement que ma
remarque soit interprétée comme une critique ou une condamnation.
C'est peut-être ma terminologie qui fait défaut mais...
M. Paquin: Ce n'est pas...
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin, vous avez la
parole.
M. Paquin: Je voulais ajouter à ceci, M. Dean, vous
connaissez maintenant assez bien, je pense, l'Association des manufacturiers
canadiens pour savoir que depuis plusieurs années nous prônons ce
que nous appelons la concertation, la collaboration avec tous les milieux
intéressés. À la suite de cette référence
que vous faites de confession publique, je souhaite - je peux vous dire que
plusieurs et même la majorité de nos membres souhaitent la
même chose -que tous les intervenants fassent cette même confession
publique. Peut-être ainsi serons-nous assis à une table
égale et il sera agréable de parler de collaboration.
En réponse à vos remarques initiales, je pense que c'est
la Chambre de commerce de la province de Québec qui, au tout
début, mardi, vous faisait part de coûts de main-d'oeuvre. Je
pense qu'on citait les chiffres de 3 000 000 000 $ ou 3 500 000 000 $. Je ne
voudrais pas tomber dans un cas particulier, à savoir le cas de
l'automobile au Québec. Vous avez sans doute raison mais je pense qu'il
y a des personnes ici plus habilitées que moi pour y répondre. Je
voudrais simplement garder le sujet dans un ensemble global, en ce sens que je
pense qu'il est de l'intérêt de tous, tout en s'assurant d'une
protection juste et adéquate pour tout le monde, que ce soient les
travailleurs, nos employeurs, nos compagnies... On doit tous travailler
ensemble et voir à ce que - je m'excuse du terme - ce soit "le fun" ici.
C'est possible de faire ça, si on peut s'asseoir et commencer à
regarder tout ça ensemble.
Sur la question des coûts, je pense que vous seriez le premier
surpris - et je ne voudrais pas vous voir tomber de votre chaise et vous
blesser - si on ne vous disait pas, à toutes les fois qu'une loi nous
coûte quelque chose: Essayez donc d'en diminuer les coûts un petit
peu!
Si je reviens aux coûts de la santé et de la
sécurité au Québec, partant du principe qu'on accepte tous
les objectifs - je pense que vous nous connaissez assez pour savoir que,
lorsqu'on dit quelque chose, "we mean it" - le fait demeure qu'on est rendu
à un point où, en 1984, ça va coûter 1 000 000 000
$, quand on prend tous les revenus. On dit: C'est déjà pas mal.
Il y a, bien sûr, des choses dans le projet de loi 42 qu'on pourrait
faire éventuellement, mais on
vous dit aussi que ce n'est peut-être pas le temps de le faire. On
commence à sortir du tunnel, économiquement parlant. C'est
d'ailleurs un peu le même discours qu'on vous tenait en septembre 1979,
lors de la commission parlementaire sur la loi 17. On vous disait: N'y allez
pas trop vite! On a eu une certaine écoute. On sait qu'on y va
progressivement, mais on sait aussi ce que ça coûte de
façon directe. Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est ce que
ça coûte de façon indirecte.
Quand on vous dit, dans le mémoire, que la santé et la
sécurité du travail, de façon directe, coûte
à peu près 1 000 000 000 $, on figure que c'est à peu
près 25% du coût. Cela commence à s'additionner, à
un certain moment. Je ne sais pas si on peut résumer sur cette question
des coûts, M. le Président, mais je peux vous dire que vous pouvez
être assuré qu'on va toujours être ici, si on y est
invité, pour parler de coûts. L'important, il ne faut pas
l'oublier, c'est qu'on le dit dans un contexte de maintien d'abord et de
création d'emplois après. C'est ce petit bout qu'il ne faut pas
oublier.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: Merci, M. le Président. M. Paquin, je voudrais
justement parler des coûts. Vous avez fait référence, au
début de votre exposé, à ce rapport qu'on a reçu
hier ou avant-hier. Au début des travaux, mardi, l'élément
des coûts a été mentionné très
fréquemment. On commençait par des estimations très
vagues. Personne n'était au courant à savoir combien ça
pouvait coûter. À un moment donné, le ministre nous annonce
l'heureuse nouvelle, avec le rapport des actuaires, une autre brique - on
compare le projet de loi 42 avec la situation actuelle - "Messieurs, il n'y a
pas d'augmentation, il y a une réduction." On a économisé
18 100 000 $. Je ne suis pas actuaire, mais je sais une chose. Les actuaires
sont comme les avocats. Vous demandez une opinion à trois avocats et
vous avez trois opinions différentes. Le ministre est au courant, il y a
même des lois où le gouvernement est avisé que
légalement la loi est parfaite, c'est ridicule d'attaquer ça et,
un an ou deux plus tard, c'est décrété inconstitutionnel.
Il faut être prudent aussi avec les actuaires.
J'ai commencé à lire un peu ce rapport de l'actuaire pour
voir que ça ne tient pas debout. J'ai lu le projet de loi et ma
première réaction a été qu'il faut que ça
coûte plus que ça m'en coûte maintenant. J'étais
très surpris d'en arriver à cette conclusion.
Je reviens à votre mémoire. Ce matin, vous avez
parlé - aux pages 7 et 11 de votre mémoire - de la nouvelle
définition du mot "accident". C'est très important. Pour moi, la
conclusion est qu'on élargit la définition et, par le fait
même, on élargit le nombre de ceux qui vont devenir des victimes
ou des personnes qui peuvent réclamer en vertu de la loi. (12 h 30)
Vous avez parlé des ajouts de blessures aux pages 11 et 12. C'est
un tout nouveau concept et ça va sans doute encore ajouter,
peut-être pas au nombre d'accidentés, mais à la
définition et au point de vue des paiements qu'on doit faire.
On a parlé des maladies professionnelles. L'article 266 du projet
de loi donne le droit à la commission d'ajouter à la
catégorie des maladies professionnelles. On a parlé ce matin de
la catégorie des étudiants. J'ai regardé dans ce rapport
d'actuaires et je me dis: Est-ce qu'ils ont fait une étude sur tous les
éléments de nouveauté dans le projet de loi, soit par
l'élargissement des définitions, comme vous l'avez dit, ou
d'autres domaines? Je vais vous lire un passage de la page 3 de l'annexe A de
cette brique des actuaires, où on dit: Les données des
années 1976 à 1982 ont constitué la base des
données servant à projeter le nombre de victimes pour 1984. Ils
le disent carrément: on a pris les données de 1976 à 1982
et on a pris cela comme base pour déterminer le nombre
d'accidentés pour 1984.
Ils disent: Nous avons fait l'hypothèse que la nouvelle
définition du terme "lésion professionnelle" - et j'ajoute
"accident" parce que le terme "lésion professionnelle" fait
référence à la définition du mot "accident"
-n'aurait pas d'impact sur le nombre de victimes. Donc, l'actuaire dit: Selon
nous, cela n'a pas d'impact sur le nombre de victimes. Je ne suis pas d'accord
avec cela du tout. J'aimerais savoir de vous, parlant de la nouvelle
définition de "accident", "catégories d'étudiants",
"maladies professionnelles"... Aux avantages sociaux, par exemple, l'actuaire
dit clairement: C'est un coût qui a été pris directement
par l'employeur. Cela veut dire que ce sont des avantages sociaux qui sont
payés dans le cas de l'exercice du droit de retour au travail. On admet
que cela n'est pas inclus dans les calculs. C'est le seul
élément. Tous les autres éléments s'y trouvent.
Avez-vous d'autres renseignements à donner, M. Paquin, concernant une
étude qui existe ou qui a été commandée
auprès de la CSST sur les nouveautés dans le projet de loi 42, le
coût de toutes ces nouveautés?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: À ma connaissance, M. le député,
je n'ai pas d'information, à savoir si d'autres études ont
été faites sur le genre
de coût que pourraient présenter les hypothèses que
vous venez de formuler. Je ne sais pas, je ne dis pas qu'il n'y en a pas, mais,
non, à ma connaissance, la CSST n'aurait pas commandé une telle
étude.
J'aimerais, par contre, si vous me le permettez, ajouter ceci: si, en
1980, juste un peu avant le début du processus de la CSST, on avait dit
qu'en 1980 il en coûtait 500 000 000 $ et que quatre ans plus tard il en
coûterait 1 000 000 000 $, je ne suis pas sûr que la
réaction aurait été la même de la part de plusieurs
personnes. L'étude que nous avons actuellement sur les implications
financières des dispositions du projet de loi 42, encore sous
réserve du fait que je ne l'ai pas analysé en détail... je
ferai remarquer également qu'il y avait des hypothèses
formulées, à savoir que, bon, on n'a pas tenu compte de telle et
telle chose. Il va falloir un jour qu'on en tienne compte. S'il n'y a pas
d'étude de faite, que ce soit par la CSST, par le ministère, par
nous ou par d'autres organismes pour évaluer cette chose, ce qu'on sait,
c'est que cela va être au moins plus cher. De combien? Je pense que votre
boule de cristal est aussi bonne que la mienne: 25 000 000 $, 50 000 000 $, 75
000 000 $, on ne le sait pas.
En 1980, au meilleur de ma souvenance, je pense que personne en
commission parlementaire, fin 1979, début 1980, n'a dit: Cela va
coûter à peu près 500 000 000 $ tout de suite et 1 000 000
000 $ quatre ans plus tard. Là, je ne vous dis pas qu'en 1984 c'est 1
000 000 000 $ et qu'en 1988 cela va être 2 000 000 000 $, mais on ne le
sait pas. Cela nous inquiète énormément. On déplore
énormément le fait - j'insiste là-dessus - que nous
n'ayons pas eu le temps, avant d'arriver en commission parlementaire, de
pouvoir jeter un coup d'oeil sérieux là-dessus et, de ce fait, si
on avait pu le faire, on aurait peut-être pu vous arriver nous autres
aussi avec des chiffres, mais on n'a pas pu.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: Est-ce que vous appuyez la demande de M. Dufour qui
disait ou qui réclamait justement une telle étude qui vraiment
essaie, au meilleur des possibilités, d'estimer l'impact financier de
tous ces changements. Et plus on entend des mémoires, plus on en trouve.
Je n'avais jamais réalisé, par exemple, que la définition
du mot "accident" avait un tel impact, mais, de la manière que vous
expliquez cela dans votre mémoire, il n'y a pas de doute qu'avec la
nouvelle définition du mot "accident", il y aura augmentation du nombre
de réclamants. On a probablement des dizaines d'exemples. Est-ce que
votre organisme appuie une telle étude pour savoir quel serait le
coût réel, approximatif, de ces nouveautés, de ces
changements?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: Le Conseil du patronat, comme vous le disiez,
réclamait une étude et bien sûr nous sommes d'accord. Je
vais essayer de vous donner un élément additionnel à ce
qu'il aurait pu apporter comme argument. Au moment où on se parle,
malgré le fait que la loi 17 existe depuis quatre ans, on
découvre encore des choses et on n'en connaît pas l'impact
réel. Par exemple, combien vont coûter les comités de
santé et de sécurité qui entrent en vigueur et qui sont
entrés en vigueur depuis quelque temps? Je n'ouvre pas un débat
pour savoir si on en veut ou non. Cela va coûter combien tantôt des
représentants à la prévention? Il y a des statistiques,
des chiffres qui ont été publiés là-dessus. On nous
les a soumis, mais je ne suis pas sûr que ces chiffres sont bons. Sans
être péjoratif vis-à-vis de ceux qui les ont produits, je
ne suis pas certain qu'on a tout considéré. Qu'est-ce que cela
coûte à un employeur de réunir son comité de
santé et de sécurité pendant deux heures chaque semaine?
Multipliez cela par les 145 000 employeurs qu'on cotise.
Je reviens à votre question. Il serait, selon moi, primordial -
je vous fais une suggestion - de donner le mandat au conseil d'administration
de la CSST d'étudier en profondeur les coûts de cela avant d'aller
trop loin dans l'adoption du projet de loi 42. Cela dit, je vous dis tout de
suite que l'article 38.4, demain matin, si vous le voulez, on est prêt
à le régler. Mais, quant à toute autre bonification qui
peut susciter des coûts, avant de vous dire qu'on ne veut rien savoir, on
aimerait pouvoir vous dire: Voici ce que cela va coûter. Je pense
qu'à ce titre-là il serait des plus sage, si le
législateur - et c'est une suggestion que je vous fais; elle
méritera votre attention ou non... Peut-être que le conseil
d'administration devrait avoir le mandat de regarder de près les
implications financières de cette chose-là.
M. Polak: Dernière question.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: Merci, M. le Président. À propos du
problème du droit de retour au travail, de la manière que j'ai lu
le texte du projet de loi, c'était vraiment un droit que le travailleur
avait de reprendre sa fonction. Quand j'ai questionné M. Laberge
à ce sujet, j'ai été surpris qu'il dise non et que, selon
lui, c'était seulement au cas où l'emploi était encore
disponible. Je lui ai posé la
question: Qu'est-ce qui arrive dans un cas où l'emploi doit
être rempli par un nouvel employé? Est-ce qu'il y a un "bumping"
de celui qui prend la place? Donc, j'imagine qu'au point de vue syndical c'est
un peu difficile de promouvoir l'idée que l'ancien va remplacer
forcément quelqu'un qui a peut-être autant le droit de travailler.
Donc, M. Laberge faisait la distinction, à savoir que c'est seulement
dans le cas où l'emploi était encore disponible.
Le Président (M. Rancourt): Me Lavoie.
M. Polak: Je voudrais savoir, après avoir lu votre
mémoire, de quelle manière vous accepteriez ce droit de retour au
travail ou bien si vous dites que c'est impossible de travailler avec cette
formule.
Le Président (M. Rancourt): Me Lavoie.
M. Lavoie: Merci, M. le Président. En ce qui a trait
à la première partie de votre question, je suis un peu
étonné des commentaires qu'a faits M. Laberge. En lisant les
articles 145 à 170 du projet de loi, il semble clair, quant à
moi, que ce droit n'existe pas uniquement dans le cas où l'emploi est
toujours disponible puisqu'on crée un droit à son emploi.
Ensuite, on nous dit, à l'article 147, par exemple, que cet emploi, il
pourra l'occuper pendant une période ou qu'il pourra retourner à
cet emploi dans l'année qui suit, si c'est dans un établissement
de 20 travailleurs ou moins, ou dans les deux ans qui suivent, si c'est un
établissement de 20 travailleurs ou plus. De plus, je vous avoue que
nous étions plusieurs pour examiner tout cet aspect de la loi et que
nous nous sommes posé un grand nombre de questions dont seulement
quelques-unes sont reflétées dans notre mémoire. Il semble
à première vue qu'il y a beaucoup d'ambiguïtés qui
mériteraient d'être éclaircies. De là la suggestion
que M. Paquin faisait tout à l'heure que l'on révise tout cet
aspect du retour au travail. Comme vous l'avez constaté dans notre
mémoire, nous ne nions pas ce droit, tout ce que l'on dit, c'est que la
façon dont il est articulé et la façon dont on veut que
les gens retournent à leur travail, c'est loin d'être clair et
facile à comprendre. Il nous semble qu'il y a peut-être d'autres
façons de procéder. Pour ce faire, il faudrait qu'on ait une
espèce de concertation. C'est la première partie de votre
question.
La deuxième partie de votre question, le "bumping". En lisant
l'article 159, je regrette, mais je le vois le "bumping" dans l'article 159,
à moins qu'on nous donne une autre interprétation qui serait
différente. Mais, s'il y a deux interprétations
différentes, comme on est au stade du projet de loi, pourquoi ne pas
l'éclaircir? Pourquoi ne pas écrire clairement ce que l'on veut
dire?
M. Polak: Merci bien.
Le Président (M. Rancourt): Vous avez terminé, M.
le député de Sainte-Anne?
M. Polak: Oui, parce que je voudrais laisser la chance au
député de Louis-Hébert de parler.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci, M. le Président. Le mémoire qui
nous est présenté aujourd'hui à cette commission
parlementaire nous permet de mettre le doigt sur de nombreuses lacunes qui sont
soulignées de façon très claire. Il nous permet de nous
poser des questions qui sont, finalement, des questions fondamentales. Je
retiens, en autres choses, que l'Association des manufacturiers canadiens
s'inquiète du fait qu'elle ne voit dans le projet de loi 42 aucune
disposition qui soit de nature directement et d'une façon prouvable
à améliorer la santé et la sécurité du
travail. C'est quelque chose d'important. On a devant nous un projet de loi qui
s'intitule Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
On devrait retrouver en filigrane partout, dans ce projet de loi, la traduction
d'une volonté précise par des mesures précises d'augmenter
la santé et la sécurité du travail. Cela ne me semble pas
être facilement vérifiable dans le projet de loi que nous avons
devant nous.
L'inquiétude que vous manifestez et le scepticisme, devrais-je
dire, que vous manifestez concernant l'économie présumée
de 18 000 000 $ ou 20 000 000 $ avec l'application du régime qui nous
est proposé dans le projet de loi me laisse fort songeur aussi. Pour
pouvoir faire une projection de ce que va engendrer ce genre de projet de loi,
il faut se référer au passé. À la page 5 ou 6 de
votre mémoire, je note l'augmentation fulgurante des coûts qui
sont passés de 1980 de 550 000 000 $, je crois, à 1 000 000 000
$. Ce que je voudrais savoir de vous, et c'est là ma première
question: Vous avez examiné ce qui s'est passé par un calcul des
chiffres que vous aviez en main entre l'année 1980 et l'année
1983. Faisons abstraction du projet de loi qu'on a entre les mains. Quels
auraient été les coûts? Qu'est-ce qu'on aurait
retrouvé comme coûts dans deux ans, par exemple, pour
l'administration du régime de protection ou de sécurité et
de santé au travail qu'on a actuellement? En avez-vous une vague
idée? Est-ce que la projection qu'on a et que vous avez
identifiée entre 1980 et 1984 se serait poursuivie au même rythme,
ou à peu près,
ou si vous n'avez pas eu l'occasion de regarder ce qui se serait
produit? (12 h 45)
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: Avec toutes les précautions que cela prend
quand on parle de projection, puisqu'on formule quand même des
hypothèses, pour être honnête, il faut quand même dire
ceci. Si je ne l'ai pas dit tantôt, c'était un blanc de
mémoire, et non pas un oubli volontaire. Bien sûr, quant à
la progression de 540 000 000 $ à 1 000 000 000 $ dont je fais mention
dans le mémoire, il ne faut pas oublier qu'on est quand même dans
un processus d'implantation d'autres lois, ce qu'on appelle la loi 17 sur la
santé et la sécurité du travail. Ces mesures
d'implantation font qu'au niveau des montants qu'on va investir dans les DSC,
les CLSC, etc., pour toute la question de la santé, on s'attend que cela
augmente un petit peu. Il faut implanter ce qui est d'abord dans la loi 17.
Lorsqu'on dit, dans notre mémoire, que ce projet de loi 42 ne
fait absolument rien en termes de santé et de sécurité du
travail, il faut aussi dire que c'est un peu normal parce que c'est cette loi
qui établit des mécanismes pour pouvoir administrer l'autre. En
somme, c'est cette loi qui nous dit comment payer, etc. Le but de cette loi, ce
n'est pas nécessairement de protéger la santé et la
sécurité, mais on disait dans notre mémoire que cela va
nous occasionner encore beaucoup de coûts. Ces coûts ne pourront
pas être affectés à la santé et à la
sécurité des travailleurs; c'est dans ce sens qu'il faut le
prendre.
Quant aux projections pour les années à venir, ce qu'on
peut dire - là, il faut y mettre toutes les réserves quand on
parle de projections - c'est que ce sont des hypothèses que l'on
formule. Bien sûr, il reste encore un degré d'implantation, il y a
encore une période d'implantation, dois-je dire, pour l'autre loi, la
loi 17. On n'en connaît pas encore les coûts exacts. Je vous disais
tantôt, en réponse à une des questions, qu'on ne
connaît même pas encore les coûts exacts, par exemple, des
comités de santé et de sécurité, des
représentants en prévention et un paquet d'autres choses.
De notre part, ce qu'on peut souhaiter - c'est un souhait que l'on
formule en espérant qu'il se réalise - c'est que la progression
de 1980 à 1984 ne soit pas aussi forte entre 1984 et 1988. C'est un
souhait qu'on formule et on espère qu'il va se réaliser. Mais ce
qu'on sait, c'est que le projet de loi 42, adopté tel qu'il est
maintenant, va certainement ajouter à la progression que nous aurions
normalement connue si on ne "dealait" - si vous me permettez l'expression -
qu'avec la loi 17.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: Pour continuer de parler de coûts, une question
vous a été posée tout à l'heure par le
député de Prévost. Je me demande si ce n'était pas
plutôt mon collègue de Viau qui a fait une comparaison. Il vous a
demandé s'il y avait moyen de procéder à une comparaison
avec l'Ontario. Vous avez dit que c'était extrêmement difficile,
qu'on comparait très souvent des pommes et des oranges et que,
finalement, il était difficile de tirer des conclusions de telles
comparaisons.
Si vous me permettez, je vais présenter la question d'une autre
façon. De la même manière qu'on peut établir que le
fardeau fiscal québécois par rapport au fardeau fiscal ontarien
s'établit dans telle proportion de revenu qui est supérieure
à celle qui est versée en Ontario, on a établi - le
ministre des Finances l'a lui-même reconnu - que cela
représentait, grosso modo, 13%. Il reconnaissait que tout pris ensemble
dans une espèce de "package", si l'on faisait le tour de tout, cela nous
coûtait 13% de plus en taxes au Québec. Il apportait toutes sortes
d'explications à cela.
De votre côté, est-ce qu'on pourrait avoir une idée
à savoir s'il y a un désavantage et, si c'était le cas,
dans quelle proportion il serait concernant les coûts de la nature de
ceux qui sont impliqués pour fins de santé et
sécurité au travail? Là il me semble qu'il y aurait un
calcul qui serait possible à faire si on prend le produit national brut
de l'Ontario et le montant qui y est consacré pour fins de protection de
la santé et de la sécurité des travailleurs et qu'on en
arrive à un tel montant - ce n'est peut-être pas la bonne
façon, je suis loin d'être un expert - mais qu'on prenne aussi le
produit national brut québécois et qu'on dise: Pour cela, nous
donnons un montant X du produit national brut. On pourrait faire à ce
moment-là une comparaison. Est-ce que ce genre de calcul a
été fait par vous de façon qu'on puisse savoir si, au
Québec, pour finalement accorder une protection... Il faudrait
peut-être discuter à savoir si la protection est semblable. C'est
là une autre question. Laissons de côté qu'elle soit
semblable ou non. Quelle est la proportion de notre produit national brut que
nous consacrons à la santé et à la sécurité
au travail par rapport à la proportion qui est consacrée,
à titre d'exemple, à la province soeur qui est l'Ontario?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin.
M. Paquin: M. le Président, je n'ai pas de statistiques
précises dans le sens que M. le député de
Louis-Hébert le mentionne, à savoir le produit national brut
contre les
montants qu'on y consacre pour la santé et la
sécurité au travail.
Au risque de me répéter, il est dangereux de faire des
statistiques. Mais ce que je sais et ce que nous regardons, c'est ce que cela
coûte au Québec. C'est ce qui nous intéresse ici. Je
comprends qu'on est une association nationale mais on est ici,
AMC-Québec.
C'est bien sûr que je pourrais vous dire qu'à certains
égards, possiblement, dans la province de la Colombie britannique ou nos
voisins de gauche quand on regarde en face en Ontario... Possiblement qu'ils
ont des choses plus avantageuses, peut-être qu'ils en ont moins. Ce qui
me dérange un peu c'est ce qui se passe au Québec en termes de
coûts. Si nos voisins d'à côté, du Sud ou à
l'autre bout du pays veulent des mesures qui vont leur coûter cher, ce
sera leur problème. Ce que je vous dis, c'est qu'on semble
dénoter de plus en plus une difficulté de faire concurrence
à cause de nos coûts. Je ne parle pas seulement des coûts de
santé et de sécurité. Je parle de tous les coûts.
Surtout, dans le contexte où on peut admettre qu'on n'est plus en 1931
et qu'on a fait un bon bout de chemin depuis ce temps.
M. Doyon: M. le Président...
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: Pour poursuivre un peu dans la même veine et
pour... Je comprends que c'est peut-être un travail qui n'a pas
été fait. Je me demande si ce serait trop demander à
l'Association des manufacturiers de se pencher sur cette question et
peut-être d'informer cette commission... Ce qui m'amène à
cela - M. Dessureault a quelque chose à dire; dans deux minutes, si vous
permettez - c'est qu'on a l'occasion, à différentes commissions
parlementaires, de discuter de coût, parce qu'on en vient toujours
là. À un moment donné, on discute du coût de
l'éducation. Pour éclairer notre lanterne, on se demande, pour
éduquer un enfant, quel est le prix en Ontario, et quel est le prix au
Québec. Cela nous permet de nous guider un peu. Ce n'est pas une base
infaillible, mais cela nous permet de nous guider.
On fait un peu la même chose quand on discute de coût
général de santé dans la province de Québec. On
dit: Voici les hôpitaux de l'Ontario et ceux du Québec pour des
services qui, somme toute, semblent donner relativement satisfaction à
la population puisque les gouvernements sont réélus, qu'il n'y a
pas de révolution, pas de révolte. Alors, les gens s'accommodent
de ces services. On arrive très souvent, nous, avec des constatations,
à savoir que, malheureusement, avec un produit national brut moins
élevé au Québec, avec une richesse moins grande, on
consacre une plus forte proportion de cette richesse moindre aussi bien aux
fins de l'éducation qu'aux fins de la santé.
Je me demandais si, comme on a pu faire ces calculs pour ces domaines,
votre association pouvait, pour le bénéfice de cette commission -
c'est le moment ou jamais, bien sûr - se pencher sur cette question et
nous amener des coûts comparatifs.
Le Président (M. Rancourt): M. Dessureault.
M. Dessureault: Sur la question des coûts, j'aimerais faire
un recul et vous suggérer ceci: lorsqu'un manufacturier décide
d'investir une somme d'argent pour produire un produit ou pour construire une
manufacture, il s'est posé la question: Est-ce que j'ai le moyen de le
faire? Lorsqu'au gouvernement, dans un ministère donné, on
décide de dépenser une somme d'argent, on se pose la question:
Est-ce qu'on a le moyen de le faire comme gouvernement? J'aimerais, si le
gouvernement le pouvait, poser la question: Est-ce que l'employeur a le moyen?
La clé de la question est là.
Si on nous propose une nouvelle loi, par exemple, sur la santé et
la sécurité, et qu'on nous dise: Cela va vous coûter, pour
25% du coût, 1 000 000 000 $ et, pour 75% du coût, 3 000 000 000 $
de plus en coûts indirects, on sait que cela coûte 4 000 000 000 $.
Si on nous propose dans un autre domaine un nouveau régime quelconque et
qu'on nous dise que cela va coûter seulement un demi-sou, si on pouvait,
au gouvernement, avoir une personne responsable pour faire la coordination de
tous ces coûts à l'employeur, pour faire l'addition de toutes ces
nouvelles lois qu'on a connues depuis dix ans et tenter d'évaluer ce
qu'il en coûte à l'employeur et, si on faisait la même chose
dans toutes les provinces, on pourrait peut-être avoir des chiffres pour
comparer. La première responsabilité incombe à ceux qui
peuvent, autour d'une table, se poser la question avant même que le
projet de loi soit présenté. On aimerait bien se concerter avec
les législateurs, avec les employés et essayer de
déterminer - c'est beau, on est tous pour la vertu - combien il en
coûtera. Combien pour l'employé? Combien pour le gouvernement?
Combien pour l'employeur? Et, ensuite, est-ce qu'on a le moyen de se permettre
cette dépense?
Le Président (M. Rancourt): Merci beaucoup. M. le
député de Louis-Hébert, le temps qui vous était
alloué - 20 minutes -est écoulé.
M. le ministre, votre dernier commentaire.
M. Doyon: Mes 20 vingt minutes ne sont pas vraiment
écoulées, mais je me rends...
Le Président (M. Rancourt): Le partage du temps.
M. le ministre.
M. Fréchette: M. le Président, je voudrais
simplement tenter de faire valider des chiffres qui concernent le secteur
manufacturier en relation avec l'incidence de la possible ou éventuelle
augmentation du nombre d'accidents quand on parle des quatorze jours. Le motif
pour lequel on arrive à la conclusion qu'augmenter à quatorze
jours pourrait avoir une incidence sur l'augmentation du nombre d'accidents,
c'est évidemment à partir du phénomène qui s'est
produit au moment où les cinq jours ont été
incorporés dans la loi.
À cet égard, je vous signale qu'il est exact que dans les
mois qui ont suivi l'adoption des cinq jours il y a eu effectivement une
recrudescence d'absences pour une période de cinq jours et moins.
Cependant, il semble aussi - cela pourrait être à vérifier
- que quelques mois, une année après l'introduction de cette
mesure, l'incidence des accidents de moins de cinq jours a diminué. J'ai
des chiffres ici qui concernent le secteur manufacturier, qui sont tirés
des statistiques de la commission elle-même à partir des dossiers
qu'elle a traités, des dossiers qui lui ont été soumis. Je
vais vous les soumettre rapidement et j'aimerais entendre votre
évaluation de la page 3-3. J'en ai fait le résumé ici sur
une feuille à part, M. Paquin; je vais prendre cette feuille-là,
si vous me le permettez.
Dans le secteur manufacturier au Québec - je prends les
années 1981-1982 -en 1981, la main-d'oeuvre totale était de 535
000. Elle a diminué, en 1982, à 471 000; donc, une diminution de
12%.
Si on regarde le tableau de la fréquence des lésions
professionnelles et de leur durée dans le même secteur pour les
mêmes années, en 1981, dans le secteur manufacturier, il y aurait
eu 42 717 accidents obligeant de un à cinq jours d'absence et, en 1982,
31 531, ce qui nous amènerait à une diminution de 26%, la
relation étant faite entre 1981 et 1982. De six à dix jours,
toujours d'après nos chiffres, il y aurait eu 15 326 accidents en 1981
et, en 1982, 11 792, pour une diminution de 23%. Onze jours et plus: 1981, 2404
et 1982, 19 951. Tout ça nous amène à un total de 82 047
en 1981, 63 274 en 1982, soit une diminution de 23%. Or, ce qui attire
particulièrement mon attention, c'est que la proportion de diminution la
plus marquée se retrouverait, si les chiffres dont je me sers sont
exacts, au chapitre des accidents de cinq jours et moins. Est-ce que vous
êtes en mesure de valider, d'infirmer et de commenter ces
chiffres-là? Comment doit-on se situer par rapport au tableau que je
viens de vous brosser rapidement?
Le Président (M. Rancourt): M. Paquin, en
considérant que la commission devait suspendre ses travaux à 13
heures, je vous laisse quand même l'autorisation de poursuivre. (13
heures)
M. Paquin: Merci, M. le Président. Très
brièvement, je pense que vous faites référence, M. le
ministre, à la page 3-13. C'est un cahier d'information que nous avons
quand même eu assez dernièrement. Je ne voudrais ni vous dire que
les chiffres sont bons, ni vous dire qu'ils ne sont pas bons. Ils sont
probablement bons, mais on aimerait les regarder de plus près. Vous avez
quand même dit une chose fort intéressante qui se doit de ne pas
être oubliée. Vous avez dit, à juste titre d'ailleurs, que
dans les premiers mois où on a changé, il y a eu recrudescence
quant au nombre de jours indemnisés. Je vous rappellerai qu'à
cette période - je pense qu'on fait référence à
1976, 1977 ou à peu près - nous n'étions absolument pas
dans le contexte économique actuel avec une crise de chômage
à 14%. Je souhaite, M. le ministre, que du fait de changer de cinq
à dix, ou de six à quatorze, s'il y a recrudescence il n'y aura
pas recrudescence pour des périodes d'année au lieu de
périodes de mois. Vous savez, c'est tentant de se faire payer d'autant
plus qu'il n'y a pas de maximum assurable pendant ces quatorze premiers jours.
C'est tentant. Je pense qu'on pourrait en parler jusqu'à demain matin et
seule l'expérience va nous dire finalement ce qui va arriver.
Si vous me le permettez, M. le Président, il est
déjà 13 h 01, ce sera mon dernier commentaire, si on ne me pose
pas d'autres questions. J'aimerais, au nom de tous ceux qui sont autour de
cette table, remercier tout le monde de son attention. Je voudrais remercier
spécialement le ministre de son ouverture d'esprit évidente lors
des discussions que nous avons eues. Nous ne pouvons que réitérer
notre désir d'aller nous asseoir avec vous, de vous aider - on ne dit
pas que vous n'êtes pas capable - peut-être de vous faire profiter
de notre expérience parce que les personnes qui m'entourent ont
l'expérience du vécu. Si vous décidiez dans votre sagesse
de donner suite à d'autres choses dans votre projet de loi que le
remplacement du revenu, nous sommes tout à fait prêts, "on call"
comme on dit en bon français, à aller vous rencontrer avec vos
acolytes, avec vos adjoints, avec vos amis, dans le but de vous aider à
mettre cela un peu plus clair parce qu'il y a beaucoup de choses qu'on ne
comprend pas. Je vous remercie.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: M. Paquin, je vous remercie
également...
Le Président (M. Rancourt): Avant de vous laisser terminer
pour vrai, il y a M. le député de Viau qui voudrait aussi
remercier très rapidement. M. le député de Viau.
M. Cusano: Si vous voulez, M. le ministre, vous pouvez remercier
avant moi, mais selon la tradition...
M. Fréchette: Allez.
M. Cusano: M. Paquin, messieurs, j'aimerais vous remercier au nom
de ma formation politique. Je vous inviterais, comme vous avez dit que vous
allez le faire, à étudier la brique actuarielle et
j'apprécierais, en tant que membre de cette commission, que vos
commentaires sur cette brique soient envoyés aux membres de la
commission pour qu'on puisse en prendre connaissance et comparer avec nos
propres études.
Je ne peux pas ne pas le dire: cette étude a été
promise le 10 mai dernier et elle a été déposée le
15 février 1984, le lendemain du début de nos travaux.
En terminant - parce qu'on a dépassé l'heure - je tiens
encore à vous remercier de votre collaboration.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre du Travail.
M. Fréchette: M. le Président, je me suis
juré, au moment où nous avons commencé nos travaux en
commission, de ne mordre à aucun hameçon. Et je vais garder cette
ligne de conduite jusqu'à la fin pour éviter que cela tourne en
un genre de situation que personne ne souhaite, finalement.
Je veux simplement m'associer au député de Viau pour vous
remercier, d'abord du temps que vous avez consacré à la
préparation de ce mémoire, des explications additionnelles que
vous nous avez soumises ce matin, et de votre offre de collaboration qui ne
fait que confirmer ce qu'on a toujours senti chez vous. Et nous aurons
très certainement l'occasion de nous revoir bientôt.
Le Président (M. Rancourt): Merci. Cela termine la
présentation du mémoire de l'Association des manufacturiers
canadiens. Nos travaux sont suspendus jusqu'à 15 heures et à ce
moment, nous accueillerons l'Assemblée des travailleurs et des
travailleuses accidentés du Québec. Merci.
(Suspension de la séance à 13 h 6)
(Reprise de la séance à 15 h 8)
Le Président (M. Rancourt): À l'ordre, s'il vous
plaît! Nous allons reprendre les travaux de la commission élue
permanente du travail, qui a pour mandat d'entendre les représentations
des personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42, Loi
sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Voici l'ordre du jour de cet après-midi. À 15 heures - il
est 15 h 8 - nous devons entendre, en premier lieu, l'Assemblée des
travailleurs et travailleuses accidentés du Québec; ce sera
suivi, sans interruption, par le Conseil conjoint no 91 des Teamsters du
Québec et par le Conseil régional de développement de
l'Abitibi-Témiscamingue. Donc, j'invite l'Assemblée des
travailleurs et travailleuses accidentés du Québec à bien
vouloir prendre place à la table.
M. Lafrance (Roch): M. le Président, on aimerait...
Le Président (M. Rancourt): Oui?
M. Lafrance: ...peut-être un petit délai parce qu'il
y a encore des gens, qui sont censés venir à la table pour lire
le mémoire, qui sont en bas. Ce qui fait qu'on ne peut pas commencer
tant que ces gens ne sont pas rentrés.
Le Président (M. Rancourt): Donc, il y a consentement pour
que nous suspendions jusqu'à l'arrivée de ces personnes? Dans
combien de temps?
M. Lafrance: Bien, cela ne dépend pas de nous.
Mme Lefebvre (Marie-Claire): On vient de nous dire qu'ils
auraient reçu ordre de monter.
Le Président (M. Rancourt): Cela veut dire combien de
personnes à la table?
Mme Lefebvre: II reste deux personnes.
Le Président (M. Rancourt): D'accord. Nous allons
suspendre...
M. Fréchette: Pour cinq minutes.
Le Président (M. Rancourt): ...pour cinq minutes, afin de
leur permettre de prendre place.
(Suspension de la séance à 15 h 9) (Reprise de la
séance à 15 h 17)
Le Président (M. Rancourt): À l'ordre, s'il vous
plaît! Après cette suspension de
quelques minutes pour permettre justement de recevoir à la table
les personnes qui doivent présenter le mémoire, nous accueillons
maintenant l'Assemblée des travailleurs et travailleuses
accidentés du Québec. Je demanderais au porte-parole officiel de
présenter les membres qui l'accompagnent et de les nommer, s'il vous
plaît.
ATTAQ
Mme Lefebvre: D'accord. À ma droite, M. Roch Lafrance, du
comité des travailleurs accidentés de l'Estrie; à ma
gauche, M. Denis Bourdeau, du comité d'appui aux travailleurs
accidentés de Valleyfield, et, à l'extrême gauche, Mme
Ginette Champoux, du comité des travailleurs accidentés de
Saint-Michel-des-Saints. Je m'appelle Marie-Claire Lefebvre, de l'Union des
travailleurs accidentés de Montréal.
Le Président (M. Rancourt): D'accord. Mme Lefebvre, est-ce
que vous présentez le mémoire?
Mme Lefebvre: Oui, je vais le présenter en partie et une
autre partie sera présentée par chacune des personnes.
Le Président (M. Rancourt): Vous pouvez
débuter.
Mme Lefebvre: D'accord, je vous remercie. Ce mémoire
présente la position de l'Assemblée des travailleurs et
travailleuses accidentés du Québec, l'ATTAQ, qui regroupe neuf
associations d'accidentés du travail: de Montréal, l'Union des
travailleurs accidentés de Montréal et le Comité des
travailleurs et travailleuses d'Hochelaga-Maisonneuve; de l'Estrie, le
Comité des travailleurs accidentés de l'Estrie; de Valleyfield,
le Comité d'appui aux travailleurs accidentés; de l'Outaouais, le
Comité des accidentés de l'Outaouais; du comté de
Berthier, l'Association des travailleurs accidentés du Petit Brandon et
l'Association des travailleurs accidentés du Matawin; de Joliette, le
Comité des travailleurs accidentés de Joliette-Lanaudière,
et de Thetford, le Comité d'appui aux travailleurs et travailleuses
accidentés de la région de l'amiante.
Ce n'est pas avec un grand enthousiasme ni une confiance sans borne que
les accidentés de l'ATTAQ se présentent aujourd'hui . devant vous
en commission parlementaire. Nous sommes ici par obstination et nous
interviendrons ici avec la ténacité des victimes qui ne se
résignent pas parce qu'elles ont la conviction ferme que leur cause est
juste et que tous les moyens doivent être pris pour que justice leur soit
faite.
En nous présentant devant cette instance parlementaire, nous
sommes conscients que nous nous adressons à des personnes qui, à
des degrés divers, souffrent d'une maladie dont l'origine
professionnelle n'a pas encore été prouvée, quoiqu'elle ne
fasse plus de doute pour nous, et que nous pourrions appeler la surdité
unilatérale due, non pas au bruit, mais à l'exercice ou à
la convoitise du pouvoir. Cette maladie n'atteint qu'une des deux oreilles,
celle qui est affectée à l'écoute du point de vue des
revendications des travailleurs, des accidentés, de la population
ordinaire, l'autre étant grande ouverte et fort sensible au moindre
bruissement provenant du patronat, de l'entreprise, d'une minorité
économiquement puissante.
Cette maladie, qui ne figure pas à l'annexe A du projet de loi 42
et que, par conséquent, la CSST n'indemnise pas, n'en est pas moins
compensée cependant de bien d'autres manières. Malgré
cela, nous intervenons ici en misant sur le fait que votre surdité n'est
peut-être pas encore totale et qu'elle puisse parfois céder au
martèlement continu; parce que cette tribune nous permet aussi de faire
connaître à toute la population la justesse et la
légitimité de nos revendications, produisant ainsi en retour un
effet de pression qui pourra, nous l'espérons, constituer un traitement
efficace, quoique temporaire, de votre maladie.
En votant la Loi sur les accidents du travail, en 1931, le
législateur confirmait, en l'institutionnalisant, un principe qui avait
déjà fait son chemin depuis quelques années, celui de la
responsabilité patronale en matière d'accidents du travail.
C'était un pas important, pour les travailleurs et travailleuses de
l'époque, que de voir leurs patrons, qui détenaient et
détiennent encore un droit de gérance exclusif sur l'entreprise,
sur les conditions de travail qui leur sont imposées, obligés par
la loi de cotiser à un fonds d'indemnisation collectif dont la
gérance était confiée à une commission
chargée d'en garantir les bénéfices aux victimes
éventuelles.
En même temps qu'elle reconnaissait ce principe de
responsabilité patronale, cette loi de 1931 en réduisait, du
même coup, la portée en imposant, de fait, un second principe
contradictoire, celui de la pénalité pour la victime.
L'indemnisation garantissait ni le plein salaire - à l'époque,
c'étaient 75% du brut, la première journée n'était
pas payée, le salaire était gelé au moment de l'accident,
il y avait un maximum assurable -ni les avantages sociaux: assurance, pension,
vacances, ni le retour à l'emploi, ni la réadaptation sociale.
Elle ne prévoyait pas non plus les mécanismes nécessaires
à l'application équitable des droits reconnus.
n'a pas la même signification, ne veut pas dire la même
chose pour le patron et pour le travailleur. Notre travail est, pour les
employeurs, une source de profit avant tout, la seule façon de
rentabiliser leurs investissements, et, depuis trois jours, ils sont venus nous
le dire. Pour nous, c'est l'unique moyen de gagner notre vie. Nous n'avons donc
aucun intérêt à la risquer, à la perdre ni à
en amoindrir la valeur. Nous ne pouvons pas en dire autant d'eux. Et les
risques qu'ils nous forcent à prendre leur rapportent beaucoup dans
l'ensemble, malgré les coûts élevés des accidents
qui en résultent, dans un certain nombre de cas.
Pour toutes ces raisons, nous affirmons leur responsabilité
pleine et entière et nous exigeons qu'ils assument la totalité
des coûts qui en résultent. Vous nous direz: c'est
déjà fait, c'est cela le fonds d'indemnisation. C'est
partiellement vrai, mais ce fonds d'indemnisation fonctionne à rabais et
nous n'acceptons pas de rabais sur la valeur de nos vies. Nous en venons donc
au second principe que nous voulons voir inscrit et concrétisé
dans cette loi, le principe de non-pénalité pour les
accidentés.
Perdre au travail sa santé, son intégrité physique,
sa vie même est déjà suffisamment pénalisant pour
les victimes. Pas besoin d'y ajouter des pénalités
supplémentaires. Le salaire et les avantages que nous nous sommes
gagnés au travail, le statut social, la qualité de vie qui y sont
rattachés, rien de tout cela ne doit être touché, amoindri
à la suite d'un accident ou d'une maladie du travail. Nous n'accepterons
jamais, après des années de dur labeur au profit de nos
employeurs, qu'on nous traite comme des fainéants, des fraudeurs, des
profiteurs qu'il faudrait pénaliser, priver de leur dû, forcer
à retourner au travail.
Nous n'acceptons pas davantage qu'on joue sur nos faibles revenus, sur
nos immenses besoins insatisfaits, pour nous attirer insidieusement vers un
retour au travail prématuré qui ne garantirait aucunement une
réelle réhabilitation. Je parle ici de l'incitatif sur lequel on
reviendra un peu plus loin dans le mémoire. Nous tenons à nos
vies, à notre santé, à notre travail, à notre
autonomie. Nous ne sommes pas responsables des accidents et maladies qui
surviennent dans des conditions que nous ne contrôlons pas. Nous voulons
tout simplement être soignés convenablement, être
payés équitablement et être recyclés au besoin. Nous
voulons le droit de réintégrer notre emploi sans condition, sans
restriction, ou un emploi garantissant les mêmes avantages si notre
handicap nous empêche de le conserver. Nous voulons le droit de vivre
décemment si nos capacités de travail nous ont
été définitivement enlevées. Rien de tout cela ne
nous est reconnu, ni dans la loi actuelle, ni dans le projet de loi. En
passant, je voudrais souligner - parce que j'ai entendu beaucoup d'intervenants
du côté patronal dire que le projet de loi 42 avait ceci de bon
qu'il permettait de régler l'article 38,4 - à cette commission
que l'article 38,4 n'est nullement réglé par la
présentation du projet de loi, dans le sens où toutes les
victimes de cette illégalité pendant 50 ans, il n'y a absolument
rien de prévu pour leur accorder un déficit de capacité de
travail. La pénalisation des victimes est un principe que nous
n'accepterons jamais. La plus élémentaire justice l'interdit.
Le troisième principe: des droits fondés sur la justice et
l'équité envers la victime et non sur la capacité de payer
de l'agresseur. C'est le troisième principe que nous voulons voir
reconnu à la base de cette loi. Nous en avons assez d'être
traités comme des marchandises, des produits dont on décide de la
qualité en fonction du coût de revient. Vous pourrez toujours
consulter la première déclaration à l'annexe V qui traite
de la qualité de la main-d'oeuvre en fonction de la qualité du
produit.
On nous instruit plus ou moins selon les besoins de l'entreprise en
main-d'oeuvre plus ou moins qualifiée. À la suite d'un accident,
on nous expédie à l'atelier de réparation où des
évaluateurs médicaux et comptables décident
unilatéralement de réparer ou de "scrapper", selon le cas. C'est
la plus basse soumission qui l'emporte.
C'est assez. Nous ne sommes pas des produits de consommation. Nous
sommes des producteurs, c'est-à-dire des hommes et des femmes qui
exigent que leurs droits soient établis et reconnus sur la base de ce
que notre société considère juste de satisfaire comme
besoins pour l'ensemble de ses citoyens, sans distinction de race, de sexe, de
statut social ou d'âge.
Nous n'accepterons jamais que nos droits fluctuent selon la
supposée capacité de payer de nos employeurs, que les
inégalités déjà existantes soient encore
amplifiées à la suite d'un accident ou d'une maladie du
travail.
On nous dira, bien sûr, que nous manquons de réalisme, que
si nous exigeons trop, les entreprises feront faillite et fermeront. On nous
l'a dit à plusieurs reprises depuis mardi.
Nous croyons qu'une entreprise qui ne peut pas fonctionner sans tuer,
mutiler ou "scrapper" ses travailleurs ne devrait pas avoir le droit d'exister.
Nous pensons aussi qu'un gouvernement qui cautionne une économie, qui ne
peut garantir à ses producteurs leurs droits fondamentaux au travail,
à la santé, au respect de leur vie, court inévitablement
à la faillite, de toute façon.
Nous avons assisté depuis trois ans à la production de
plusieurs versions successives d'un projet de réforme de la loi
actuelle. À
chaque version, l'étude des coûts entraînait la
disparition de certains de nos droits.
Le patronat avait dicté l'objectif à ne pas
dépasser. On nous a rappelé, avant-hier et hier, que
c'était autour de 25 000 000 $. Le gouvernement n'avait plus qu'à
jouer avec ces chiffres et à modifier les articles de loi
énonçant nos droits. Par exemple, on décidait de retirer
les rentes aux veuves, prévues dans la huitième version, pour
épargner 10 700 000 $ la première année; de réduire
progressivement les indemnités à partir de 65 ans et
épargner ainsi 39 200 000 $, toujours la première année;
de maintenir à 90% plutôt qu'à 100% l'IRR, après
cinq ans, une mesure contenue dans la huitième version, et
d'épargner ainsi 12 600 000 $ la première année. Et on
voudrait que nous acceptions un tel marchandage.
Les travailleurs et travailleuses du Québec font
déjà vivre et, dans bien des cas grassement, l'ensemble des
entreprises dont d'autres qu'eux et elles assument le contrôle et tirent
les profits. C'est la moindre des choses qu'une partie de ces profits soit
consacrée au respect de leurs droits fondamentaux.
Si les coûts semblent trop élevés au patronat,
peut-être cela lui servira-t-il d'incitatif à la
prévention, à l'élimination des dangers à la
source? Ce principe ne devrait-il pas être à la base non seulement
de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, mais
aussi de la Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles?
C'est donc sur la base de ces principes que nous allons maintenant
aborder en cinq chapitres l'analyse des cinq grandes questions soulevées
par la réforme de la Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles: le système d'indemnisation; le droit au retour au
travail et à la réadaptation; les pouvoirs de décision en
matière médicale; les maladies professionnelles versus les
maladies du travail et le droit d'appel.
On va d'abord présenter nos critiques à l'égard du
système actuel et mettre en présence les dispositions du projet
de loi 42 ainsi que les revendications que nous avons pour ce qui a trait
à la future Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles.
Je vais céder la parole à M. Roch Lafrance, du
Comité des travailleurs accidentés de l'Estrie, pour la
présentation du chapitre sur le système d'indemnisation.
M. Lafrance: Pour ce qui est du système d'indemnisation,
la situation actuelle est la suivante. Le système actuel d'indemnisation
prévoit deux formes d'indemnités au travailleur accidenté:
une indemnité temporaire non revalorisable, mais dont la durée
n'est pas limitée en droit, qui ne couvre que partiellement la perte de
revenus occasionnée par l'incapacité totale de travailler; une
indemnité permanente versée sous forme de rente viagère et
dont le pourcentage est établi à partir de deux types de
déficit, soit le déficit physique et le déficit de
capacité de travail. L'indemnité temporaire et l'indemnité
permanente s'excluent mutuellement, les deux ne pouvant être
cumulées en même temps. Ce système est extrêmement
pénalisant pour les victimes. Elles sont, premièrement,
privées, dès le départ, de 10% de leur revenu net; elles
sont privées aussi de tous les avantages sociaux à court et
à long terme, comme l'assurance-chômage, le fonds de retraite, les
vacances, le Régime de rentes du Québec, l'ancienneté,
etc.; elles sont privées de toute augmentation de salaire ou indexation
pendant toute la durée de leur arrêt de travail. Ce gel du salaire
pénalise très durement les travailleurs les plus gravement
blessés.
La détermination de la base de salaire servant au calcul de la
compensation est bien peu souple, pénalisant ainsi
considérablement certaines catégories de travailleurs. On peut
regarder l'annexe III où il y a l'exemple d'un travailleur d'usine
gagnant un salaire nettement au-dessus de la moyenne, qui, pendant une
période de mise à pied collective, est allé travailler en
forêt comme bûcheron et s'est vu compenser, à la suite d'un
accident survenu quelques jours après son embauche dans ce
deuxième emploi, sur la base du salaire minimum, la CSST
prétextant qu'elle ne pouvait inclure dans la base salariale annuelle le
salaire gagné dans le premier emploi puisqu'il ne s'agissait pas, dans
les deux cas, du même employeur et du même emploi.
On compense donc sur la base du salaire minimum un travailleur
accidenté dont le revenu habituel dépasse les 30 000 $. De telles
situations sont inadmissibles et nous tenons à ce que le projet de loi
rende ces injustices impossibles.
Le système actuel prive également les accidentés de
leur rente pour déficit corporel pendant tout le temps que dure
l'incapacité totale temporaire. Ils sont particulièrement
pénalisés pendant la durée de la réadaptation
sociale.
Lorsqu'ils sont inscrits à des programmes de recherche d'emploi
ou de formation, ils doivent assumer à même les 90% de leur ancien
salaire net gelé les dépenses relatives à ces programmes:
transport ou matériel scolaire.
Lorsqu'ils sont inscrits au programme de stabilisation sociale ou
allocation long terme, ils voient leur revenu gelé pour de bon à
90% du salaire net au moment de l'accident et ce, y inclus le déficit
permanent et la rente d'invalidité de la Régie des rentes du
Québec, c'est-à-dire que le revenu se détériore
chaque année et
conduit inévitablement, à plus ou moins long terme,
à l'assistance sociale qui soustraira, bien sûr, le montant de
l'allocation des prestations qu'elle versera.
Lorsqu'ils sont inscrits au programme appelé paradoxalement
allocation financière pour perte de revenu, plus communément
appelé complément de revenu, au moment où ils retournent
en emploi à un salaire moindre, ils sont privés de leur rente
pour déficit physique et déficit de capacité de travail,
qui est soustraite, de même que le nouveau salaire, de 90% du salaire net
gagné au moment de l'accident, le résultat de cette soustraction
constituant le complément de revenu versé par la CSST, quand il
reste quelque chose.
Si l'arrêt de travail dure assez longtemps, ces victimes perdent
aussi leur admissibilité au régime de rente invalidité de
la RRQ pour n'avoir pu cotiser cinq ans au cours des dix dernières
années.
Le déficit pour dommages corporels est calculé sur la base
d'un barème très incomplet et nettement insuffisant.
Quant au déficit de capacité de travail prévu au
paragraphe 4 de l'article 38, la CAT en a privé complètement les
accidentés pendant 50 ans et cela, illégalement, et la CSST qui
s'est vue obligée d'en tenir compte a établi, hors la loi - comme
on l'a entendu plusieurs fois pendant la présente commission
parlementaire et la dernière au mois de décembre - un
barème d'évaluation ridicule qui assure un traitement injuste
pour tous.
Les conjointes et les conjoints des travailleurs et travailleuses
décédés sont, sans contredit, les plus injustement
traités. La loi, telle que modifiée en décembre 1978 par
l'adoption du projet de loi 114, ne leur assure qu'une mince rente
représentant un pourcentage infime de la compensation déjà
étriquée qu'aurait reçue l'accidenté s'il avait
survécu, renvoyant un grand nombre d'entre elles à l'assistance
sociale qui déduit leur rente ridicule de ses prestations,
naturellement. (15 h 45)
Voilà le tableau très incomplet des pertes de revenu
considérables que subissent les accidentés aujourd'hui, sans
compter la perte de leur emploi, la difficulté, sinon
l'impossibilité d'en trouver un autre, les brimades et l'humiliation que
la CSST leur fait subir, la diminution de la qualité de vie qui viennent
s'ajouter aux douleurs et à la diminution des capacités physiques
et cela, pour la vie.
En résumé, ce système a le mérite et, en
même temps, le défaut de reconnaître et de nier pratiquement
ce droit, en raison du pouvoir discrétionnaire de la CSST, à une
indemnité de remplacement de revenu très incomplète et non
revalorisée, à durée non limitée en droit,
même si, en fait, elle est retirée prématurément en
raison des pouvoirs décisionnels d'évaluation exclusifs à
la CSST, organisme payeur; aussi à une indemnité permanente
versée sous forme de rente à vie pour dommages corporels, mais
comme nous l'avons vu, les pourcentages sont trop bas, et soustraits de
l'incapacité totale temporaire. Le barème aussi est très
incomplet. À une indemnité permanente, versée sous forme
de rente à vie pour déficit de capacité de travail - dans
les faits, ou bien elle n'a jamais été versée ou bien elle
est scandaleusement sous-estimée par la CSST; et, finalement, une rente
à vie pour les veuves d'accidentés - ces rentes sont partielles,
beaucoup trop basses, souvent inférieures aux prestations d'aide
sociale, et soumises à des restrictions discriminatoires liées
à l'âge et à l'état civil. Ce régime se
révèle très injuste, dans les faits, à l'endroit de
l'ensemble des accidentés.
Alors, comment le projet de loi 42 va-t-il modifier la situation des
victimes d'accidents et de maladies du travail? Le système
d'indemnisation qu'il propose est-il plus juste? Le système
proposé dans le projet de loi 42 prévoit aussi deux formes
d'indemnité. La première est une indemnité de remplacement
de revenu temporaire, à durée limitée en droit,
revalorisable annuellement, qui ne couvre que partiellement la perte de revenu
occasionnée par l'incapacité totale de travailler et qui peut
continuer d'être versée sous une forme réduite, dans
certaines circonstances définies par la loi, mais que seule la CSST a le
pouvoir d'évaluer.
Aussi, une indemnité forfaitaire très basse pour dommages
corporels permanents, douleur, préjudice esthétique et perte de
jouissance de la vie, versée en bloc dès la fin de l'arrêt
de travail ou, au plus tard, deux ans après l'accident.
L'indemnité pour déficit de capacité de travail
disparaît, sous sa forme de rente à vie, pour s'intégrer
à l'indemnité de remplacement de revenu, sous sa forme
réduite, et dont le montant est fixé par la CSST qui a le pouvoir
exclusif de l'évaluer.
Le système proposé rend-il davantage justice aux
accidentés? Il a certes le mérite d'affirmer le principe que le
revenu du travailleur doit être compensé par la CSST, à la
suite d'un accident du travail, et qu'en conséquence, son
indemnité doit faire l'objet d'une revalorisation annuelle. Mais, il a
le défaut de prévoir toutes les modalités d'application
qui garantiront le non-respect de ce principe. Ce système est, tout
autant que le régime actuel, animé par le principe de
pénalité pour l'accidenté.
Cela se manifeste de diverses façons pour les victimes qui se
verront attribuer au départ une indemnité inférieure de
10% de leur salaire net, ne bénéficieront pas, en cours de route,
des augmentations de salaire de leur milileu de travail, supérieures
à
l'indice des prix à la consommation, ne pourront pas
déterminer à leur avantage la base de salaire devant servir au
calcul de leur indemnité de remplacement de revenu, se verront
privées du revenu du deuxième emploi qui leur était
assuré avant l'accident, se verront privées de leur
indemnité de remplacement de revenu complète, déjà
réduite de 10%, après trois ans, qu'elles soient ou non
rétablies, à moins d'être reconnues invalides à vie
à 100% par la CSST; verront, dès qu'elle le jugera opportun, la
CSST réduire leur indemnité d'un montant égal au salaire
qu'elle juge qu'elles pourraient gagner si elles occupaient un emploi qu'elle
les juge capables d'accomplir et cela, qu'elles soient vraiment
rétablies ou non et que cet emploi soit disponible ou non; verront aussi
leur indemnité réduite de 25% par année, à partir
de 65 ans, ou avant s'il y a préretraite, et retirée
complètement à 68 ans, même si elles sont encore en
traitement médical à la suite de leur accident; perdront aussi
tous les avantages sociaux auxquels elles auraient normalement souscrit,
à moins d'avoir elles-mêmes versé leurs cotisations
à même leur revenu net; devront se contenter d'un montant
forfaitaire ridicule en compensation des dommages corporels subis et pour
lesquels aucune rente à vie ne leur sera versée malgré le
caractère permanent de cette invalidité. Je vous
réfère à l'annexe IV. On a ici deux exemples. On aurait pu
faire des calculs à l'infini de cette proposition qui est contenue dans
le projet de loi 42. On a regardé deux petits exemples de ce que cela
donne, le projet de loi 42, à comparer avec ce que l'on a actuellement.
Bon, c'est pour un travailleur de 38 ans et, l'autre exemple, c'est pour un
travailleur de 25 ans. On a choisi un salaire brut de 20 000 $, qui est
à peu près la moyenne au Québec. Là, on a mis des
taux d'incapacité, un à 8%, l'autre à 20%; on a
regardé ce que cela donnait concrètement, le projet de loi 42,
par rapport à ce que l'on a actuellement.
À 38 ans, quelqu'un qui a 8% d'incapacité, actuellement, a
droit à une rente mensuelle, ce qui lui donnerait 98 $ par mois; ce qui
fait une capitalisation de 14 000 $ par année. Quand on regarde le
projet de loi 42, on s'aperçoit que le montant forfaitaire qui lui est
accordé lui donnerait 3148 $, ce qui fait quand même une petite
différence, c'est-à-dire 11 170 $ d'économie pour la CSST.
Si on met ce travailleur accidenté à 20% d'incapacité,
cela lui donne une rente mensuelle actuellement de 245 $, la capitalisation
donne 36 000 $; le montant forfaitaire accordé serait de 7872 $, soit
une économie encore pour la CSST de 28 484 $. On va regarder cela
à tous les âges, dans toutes les situations. Il y a des pertes
partout. On regarde à 25 ans, encore pour les mêmes pourcentages.
Il y a des économies de 12 000 $ et de 30 000 $. Plus le salaire va
être élevé, naturellement plus les économies de la
CSST vont augmenter. Ces économies-là peuvent atteindre dix fois
la rente actuelle. Ce qui est quand même une petite
différence.
Quand on regarde la rente pour les veuves qui est prévue dans la
loi actuelle et le forfaitaire qui est proposé dans le projet de loi 42,
on peut prendre le cas d'une veuve de 40 ans qui est sans enfant et qui
pourrait décéder à 70 ans. Voici ce que cela pourrait
donner si le salaire brut du travailleur décédé
était de 20 000 $; la rente mensuelle qu'elle aurait actuellement serait
de 8036 $, c'est-à-dire 55% du salaire; le total de la rente,
c'est-à-dire si l'on fait la capitalisation, c'est 241 000 $. Le projet
de loi 42, avec son forfaitaire, propose 60 000 $, ce qui est une
économie assez appréciable de 181 000 $ pour la CSST.
Continuons dans les pénalités. Après ces montants
forfaitaires ridicules, les accidentés devront se soumettre aussi au
diktat de la CSST quant à la date de retour au travail prescrite,
à la nature de ce travail, cela même si leur traitement
médical n'est pas terminé; se verront aussi privés,
après trois ans ou peut-être même avant, de toute prestation
pour réadaptation sociale à moins que le plan de
réadaptation ne se réalise après le retour au travail et
sur les heures de travail. Cela est contenu à l'article 54 du projet de
loi; se verront privés des prestations de la rente d'invalidité
du Régime de rentes du Québec malgré qu'ils y aient
cotisé toute leur vie à même leur salaire.
Quant aux veuves d'accidentés, comme on vient de le voir, elles
devront se contenter du forfaitaire qui leur sera dévolu et n'auront
droit à aucune indemnité de remplacement du revenu du conjoint
décédé. Qui donc oserait encore parler de justice pour les
accidentés avec un tel système? Ce système rogne en
partant 10% de nos revenus; nous interdit d'être malades plus de trois
ans; ne nous garantit aucune indemnité de réadaptation; nous
prive de rentes à vie pour dommages corporels permanents et pour
décès; redonne à la CSST des pouvoirs plus
considérables encore pour couper nos indemnités quand elle le
veut sur la base des critères qu'elle détermine et du montant
qu'elle juge approprié.
Non seulement ce système n'améliorera pas la condition
actuelle des accidentés, mais il leur garantit la
détérioration de ces conditions. À quoi sert-il de
revaloriser le salaire de base d'un accidenté encore sous traitement
médical alors qu'on le privera du même coup de la majeure partie
de l'indemnité qui en découle sous prétexte que la CSST
aura jugé qu'il devrait, selon elle, être capable maintenant
d'effectuer tel ou tel travail? À quoi sert d'accélérer
le
versement de l'indemnité pour dommages corporels, si le
corollaire de cette accélération est de recevoir une
indemnité trois, cinq ou dix fois plus petite? Pourquoi dire que la CSST
versera une indemnité de remplacement de revenu quand toutes les
dispositions sont mises en place et tous les pouvoirs accordés à
la commission pour refiler à l'assistance sociale ses
bénéficiaires les plus gravement atteints? Par quoi le
gouvernement veut-il donc remplacer le revenu d'un travailleur à la
suite d'un accident? Par une aumône? Par l'assistance sociale?
Nous ne voulons rien savoir d'un tel régime qui nous garantit
moins encore que les miettes auxquelles nous avons droit présentement.
Nous ne sommes pas contre le principe d'une indemnité de remplacement de
revenu, en soi, mais à condition qu'elle fasse ce qu'elle dit,
c'est-à-dire qu'elle remplace notre revenu au complet.
Nous revendiquons un système d'indemnisation basé sur les
principes énoncés plus haut, qui nous reconnaisse le droit:
1° à une indemnité complète de remplacement du revenu
que nous aurions touché normalement si nous n'avions pas eu d'accident
ou de maladie du travail, c'est-à-dire 100% du salaire net de l'emploi
ou de la totalité des emplois assurables que nous aurions normalement
continué d'occuper, ajustée selon les augmentations en vigueur
dans notre milieu de travail et, si cela est impossible, par exemple, à
cause de fermeture et d'abolition de poste, revalorisée annuellement
selon l'indice des prix à la consommation, et cela pendant toute la
durée de l'arrêt de travail relative à l'accident, telle
que prescrite par notre médecin traitant.
Si notre handicap permanent nous empêche de reprendre le
même travail, que cette indemnité de remplacement de revenu
complète continue de nous être versée tant que nous
n'aurons pas été complètement réadapté et
n'aurons pas repris un autre travail approprié à notre condition,
selon l'avis du médecin traitant, et présentant des conditions
équivalentes. Si les conditions ne sont pas équivalentes, que la
CSST comble la différence entre le nouveau salaire et l'ancien salaire
ajusté ou revalorisé, de même qu'elle verse en argent
l'équivalent des bénéfices non recouvrables liés
à l'ancien emploi, c'est-à-dire les vacances, les primes pour
travail de nuit, etc. Dans le cas où le salaire à verser n'est
pas clairement établi, que la détermination de la base de salaire
servant au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu se fasse
à l'avantage de l'accidenté, soit le contrat de travail ou
salaire horaire, mensuel ou annuel et qu'il soit tenu compte au besoin de tous
les emplois exercés dans l'année qui précède.
Je vous réfère encore à l'annexe 3.
L'article 73 du projet de loi 42 qui permet à la commisison de
"déterminer le revenu d'un travail d'une manière autre que celle
que prévoient les articles 63 à 72, si elle le croit plus
équitable..." ne nous offre pas de garanties suffisantes. Nous demandons
que ce pouvoir de la commission soit transformé en devoir pour la
commission et en droit pour l'accidenté. En conformité avec le
principe de non-pénalité pour la victime, l'accidenté
devrait avoir la garantie que son indemnité de remplacement de revenu
remplacera réellement le salaire qu'il aurait gagné s'il n'avait
pas eu d'accident et que la base de salaire déterminée par la
CSST le sera à son avantage et en tenant compte, contrairement à
l'article 66, de tous les revenus d'emploi dont il est privé à la
suite de l'accident et qu'il toucherait ou qu'il aurait normalement
touchés sans cet accident quelles que soient la nature de l'emploi et
l'identité de l'employeur. (16 heures)
Le droit du travailleur accidenté au remplacement du revenu
complet ne doit en rien être affecté par les contraintes
administratives qu'entraînerait la répartition des coûts
entre les employeurs.
Ce que nous demandons aussi, c'est qu'une indemnité de
remplacement du revenu réduite soit effectuée à chaque
changement de revenu d'emploi du travailleur, que ce soit à la hausse ou
à la baisse; qu'aucun emploi non occupé réellement par
l'accidenté ne donne à la CSST le droit de réduire
l'indemnité de remplacement du revenu, c'est-à-dire de retirer
les conditionnels des articles 75 et 79; qu'aucune limite de temps ne soit
arbitrairement fixée à la durée des traitements
médicaux ni à celle de la réadaptation sociale; que tous
les avantages pour lesquels nous cotisons, directement ou indirectement avant
l'accident, soient obligatoirement maintenus tels quels par l'employeur sans
que ne soit, en aucune façon, diminuée l'indemnité de
remplacement du revenu égale au revenu net que nous recevons. Quand on
parle de ces avantages, on parle évidemment de
l'assurance-chômage, de la régie des rentes, du fonds de retraite,
etc.
Nous revendiquons que nous soit reconnu le droit à une
indemnité permanente pour le déficit de capacité de
travail dans certains cas où l'indemnité de remplacement du
revenu serait difficilement applicable. Par exemple, un pourcentage de
déficit de capacité de travail devrait être automatiquement
évalué et versé à vie, sous forme de rente
mensuelle, pour tout travailleur ayant déjà été
recyclé à la suite de son accident et ayant repris un travail
régulier, c'est-à-dire non subventionné, depuis plus d'un
an, qui se voit à nouveau privé de son travail pour des raisons
autres que son handicap physique, c'est-à-dire fermeture, licenciement
collectif, etc. Dans tous les autres cas -
perte d'emploi en raison du handicap, emploi subventionné,
durée de l'emploi non subventionné inférieure à un
an - nous exigeons que la CSST reprenne en charge ce travailleur et que
l'indemnité de remplacement du revenu soit à nouveau
versée aux mêmes conditions que l'indemnité initiale de
remplacement du revenu.
Nous revendiquons aussi le droit à une rente à vie,
capitalisable à volonté, pour compenser la perte
d'intégrité physique, la douleur, la perte de jouissance de la
vie et les préjudices esthétiques.
Nous revendiquons, en cas de décès, le droit à une
indemnité complète de remplacement du revenu ajusté ou
revalorisé, selon le cas, et ce, durant toute la vie du conjoint
survivant, sans aucune restriction liée à son âge ou
à son état civil. Qu'on ait tout au moins la décence de
garantir au conjoint ou à la conjointe survivante qui se remarie ou
cohabite avec un nouveau conjoint, son droit à l'indemnité de
remplacement du revenu complète ou réduite, selon le cas, pendant
toute la période ultérieure de sa vie où le revenu de ce
dernier ne remplacera pas ou ne remplacera que partiellement le revenu du
conjoint décédé. À cela, devrait s'ajouter un
montant forfaitaire compensant pour le décès du conjoint de
même que le remboursement de tous les frais occasionnés par ce
décès.
Nous demandons que nous soit reconnu, dans tous les cas, le droit
à toute autre indemnité à laquelle devraient nous donner
droit normalement les cotisations ou contributions que nous avons
versées au cours de notre vie. On parle encore de
l'assurance-chômage, du régime des rentes, du fonds de retraite,
etc.
En résumé, nous exigeons que le système
d'indemnisation mis en place respecte notre droit à une indemnité
complète de remplacement du revenu que nous aurions gagné si nous
n'avions pas eu d'accident ainsi que notre droit à une indemnité
à vie pour la perte d'intégrité physique et les dommages
corporels permanents liés à cet accident.
Où est l'exagération? Nous voulons tout simplement
être traités sur un pied d'égalité avec tous les
autres travailleurs qui ont eu la chance d'échapper aux accidents et aux
maladies que nos conditions de travail rendent inévitables.
Nous ne demandons ni cadeau, ni surplus, ni privilège, seulement
une indemnisation juste et équitable pour salaire, avantages et
capacité perdus au travail.
Mme Lefebvre: Le chapitre suivant vous sera
présenté par M. Denis Bourdeau, du Comité d'appui aux
travailleurs accidentés de Valleyfield.
Le Président (M. Rancourt): M. Bourdeau, vous avez la
parole.
M. Bourdeau (Denis): Merci, M. le Président. Le droit au
retour au travail et à la réadaptation. D'abord, la situation
actuelle. La loi actuelle ne prévoit absolument rien à ce
chapitre. En se taisant, elle incite les employeurs à se
débarrasser en douce du maximum de travailleurs et travailleuses
à la suite d'un accident du travail.
Dans les milieux non syndiqués l'avis de congédiement
précède bien souvent la sortie de l'hôpital. La CSST n'a
jamais cru bon de tenir des statistiques sur le nombre d'accidentés qui
perdent leur emploi à la suite d'un accident, mais on sait qu'ils sont
légion.
Les gouvernements successifs n'ont absolument rien fait jusqu'ici pour
obliger les patrons à maintenir à leur emploi les victimes des
mauvaises conditions de travail qu'ils imposent quotidiennement à leur
main-d'oeuvre. Ce laisser-faire reconnu à la libre entreprise constitue,
sans aucun doute, la plus grave pénalité pour un
accidenté, surtout si son accident laisse des séquelles
permanentes parce qu'il se voit ainsi privé de la possibilité de
gagner sa vie, même une fois rétabli. Pourquoi embaucher un
handicapé quand le libre marché des chômeurs permet de
sélectionner les plus endurants, les plus productifs?
Non seulement la loi actuelle n'oblige pas l'employeur à
reprendre le travailleur accidenté mais elle n'oblige même pas la
CSST à réadapter, à recycler ce travailleur, à le
prendre en charge une fois son handicap physique stabilisé. Depuis 1978,
la loi modifiée reconnaît tout au plus à la CSST le pouvoir
de le faire, mais cette disposition ne se traduit aucunement pour le
travailleur par le droit de l'exiger. À la suite des pressions du
mouvement ouvrier et des accidentés, la commission a donc mis en place,
par directive, un simulacre de réadaptation, un ensemble de programmes
limités dans le temps et en termes d'avantages aussi il va sans dire,
qu'elle met généreusement à la disposition de ceux et
celles qu'elle déclare élligibles, selon ses critères.
Un programme de recherche d'emploi d'une durée maximale d'un an,
période pendant laquelle elle oblige les accidentés à coup
de menaces de coupures à se chercher eux-mêmes un emploi à
un rythme que même la CEI, qui en paie la plus grande partie, n'a jamais
eu l'audace d'imposer aux chômeurs en santé. Dans certains cas,
elle intervient en cours de route pour faire à l'accidenté une
offre qu'il ne peut pas refuser, sous peine de voir définitivement
fermer son dossier pour refus de collaborer à sa réadaptation.
C'est ainsi qu'elle alimente en main-d'oeuvre à bon marché un
certain nombre d'agences de sécurité, de gardiens de nuit et de
personnel volant d'entretien ménager. Elle appelle cela de la
réadaptation.
Un programme dit de complément de revenu qui,
prétend-elle, permettra à l'accidenté de combler le
salaire perdu s'il accepte un emploi moins rémunérateur. Cela
paraît équitable à première vue. Mais cela ne comble
que la différence entre le nouveau salaire et 90% du salaire net
gagné au moment de l'accident, c'est-à-dire parfois deux, trois,
cinq ans auparavant. Toute déduction faite de la rente mensuelle pour
dommages corporels et déficit de capacité de travail. Elle
appelle aussi cela de la réadaptation, obliger quelqu'un à
accepter n'importe quel emploi associé à un gel rétroactif
de son salaire en le privant en plus d'une rente pour incapacité
physique permanente à laquelle la loi lui reconnaît le droit.
Un programme de formation qu'elle dispense très
parcimonieusement, d'une durée maximale de trois ans et auquel elle peut
mettre fin à volonté, en tout temps, ce qui crée un
état de stress permanent chez les accidentés qui y sont inscrits
et qui n'ont, de plus, aucune garantie de la CSST qu'elle leur fournira les
conditions minimales assurant le retour en emploi.
Un programme de stabilisation sociale ou allocation long terme, 90% du
salaire net au moment de l'accident, y inclus le pourcentage d'IPP et le RRQ,
que la CSST accorde à ceux et celles qu'elle considère inaptes
à tout travail en raison de leur accident et qu'il lui coûterait
beaucoup plus cher de reconnaître invalides à 100%, la rente
mensuelle pour IPP étant indexable.
Un programme de subventions aux employeurs par lequel la CSST encourage
un certain nombre de patrons à embaucher des accidentés qui,
pendant des mois, ne leur coûteront presque rien en salaires puisque la
CSST en assumera la plus grande partie, sans aucune garantie bien sûr,
qu'ils les maintiendront en emploi, une fois la subvention terminée.
Voilà comment la CSST définit aujourd'hui notre droit
à la réadaptation, le mot "droit" étant bien entendu, ici,
comme un privilège, une générosité
supplémentaire de la CSST qu'elle peut, à volonté, nous
retirer n'importe quand. D'ailleurs, n'étant pas un vrai droit, la
réadaptation ne peut pas être objet d'appel en dehors de la
CSST.
Le gouvernement dit reconnaître le bien-fondé de notre
revendication concernant le droit de retour en emploi et le droit à la
réadaptation. Déplorant la situation actuelle, extrêmement
pénalisante pour les accidentés du travail et se fondant sur le
principe que la meilleure façon de minimiser les conséquences
d'un accident du travail, c'est d'assurer le retour en emploi de la victime, il
a introduit dans son projet de loi de nouvelles dispositions et, pour la
première fois, énoncé ce droit. Voyons ce que cela
donne.
Chapitre VI, la réinsertion sociale et professionnelle du
travailleur. La section 1 porte sur la réadaptation. Elle s'ouvre,
à l'article 138, sur l'affirmation d'un nouveau droit. C'est bien. "Le
travailleur a droit à la réadaptation que requiert son
état en raison d'une lésion professionnelle en vue de sa
réinsertion sociale et professionnelle."
On se dit: Enfin, il était temps. Comme, par expérience,
on a appris à se méfier de la façon dont la CSST
interprète ou applique la loi, on cherche quelque part dans le chapitre
et dans celui qui porte sur nos droits d'appel, l'article qui nous permettra
d'en appeler, advenant le non-respect de ce droit auquel on tient tant, et on
ne trouve rien. Ou plutôt si; on trouve, à l'article 247, la
négation de ce droit d'appel. L'appel à la Commission des
affaires sociales ne pouvant porter que sur le droit à une
indemnité ou sur le montant ou le recouvrement d'une
indemnité.
Comment peut-on prétendre nous reconnaître un droit si on
nous refuse le droit d'en appeler sur son application? C'est de la
supercherie.
Malgré cela, on se dit que, peut-être, la loi va au moins
préciser ce droit. Et tout ce qu'on peut lire, de l'article 138 à
l'article 144 inclusivement, c'est l'énoncé des pouvoirs de la
CSST. On n'en a rien à faire des pouvoirs de la CSST. Elle ne les a
jamais exercés à notre avantage. Nous pensons vous l'avoir assez
bien démontré lors de la commission parlementaire de
décembre 1983.
Il y a cependant une exception. L'article 140 commence, semble-t-il, par
l'énoncé d'une obligation: "La Commission doit..." Que doit-elle
donc faire? "Donner accès à des services de
réadaptation..." C'est vague. "Adopter une politique...", en trois
paragraphes. Trois paragraphes pour expliquer une seule chose, que la CSST est
tenue, obligée par la loi, contrainte de décider elle-même,
en toute liberté, de nos droits, de la façon dont elle exercera
ses pleins pouvoirs en la matière. Il fallait y penser.
Elle n'est même pas tenue de nous verser une indemnité de
remplacement du revenu pendant la période où elle exercera
librement sur nous ses pleins pouvoirs, sauf, bien entendu, si on se
réadapte en travaillant. C'est elle qui, de plus, décide de
l'admissibilité d'un travailleur à la réadaptation. Quelle
garantie, sans droit d'appel, bien sûr.
Dans ces conditions, il serait plus honnête d'effacer l'article
138 qui tient plus de l'insulte que du droit. M. le ministre, êtes-vous
à ce point ignorant ou aveugle pour penser un instant que ce chapitre
nous donne droit à quelque chose?
La section II du chapitre VI porte sur le droit de retour au travail.
Cette section est un peu moins trompeuse que la
précédente. Elle a tout au moins le mérite
d'énoncer assez clairement les limites et les restrictions
inhérentes à l'exercice du droit qu'elle proclame et les
conditions d'application et d'appel pour le travailleur. L'article 150
énonce ce droit "de réintégrer son emploi avec le salaire
et les avantages dont il bénéficierait s'il avait continué
à l'exercer". La reconnaissance de ce principe est extrêmement
importante pour l'ensemble des travailleurs accidentés. Malheureusement,
ce droit ne s'applique pas à l'ensemble des travailleurs et des
travailleuses, mais à une partie d'entre eux et d'entre elles seulement,
pénalisant ainsi ceux et celles qui sont le plus gravement atteints, qui
sont déjà, au départ, les plus pénalisés.
(16 h 15)
Ce droit est refusé à toutes les victimes d'accident ou de
maladie du travail qui ont un contrat de travail de durée
déterminée, qui n'ont pas trois mois de service continu dans le
même établissement au moment de l'accident, dont l'accident
occasionne une absence d'un an, dans les cas de 20 travailleurs et moins, et de
deux ans, pour plus de 20 travailleurs; qui ne peuvent reprendre le travail
dans les cinq jours ou dans les quatorze jours pour un autre emploi, suivant la
date fixée par la CSST et cela, quel que soit leur état de
santé et l'avis de leur médecin traitant, qu'ils soient ou non en
appel de cette décision.
Ces restrictions sont inadmissibles et injustes à l'endroit des
accidentés et pénalisent un très grand nombre d'entre eux
et d'entre elles, sur la base de critères qui nous apparaissent
injustifiables. Nous n'acceptons pas que nos droits soient établis sur
la base de critères strictement économiques: trois mois de
service ou selon la capacité de payer de chaque catégorie
d'employeurs: absence d'un an ou de deux ans, selon la taille de l'entreprise.
Nous acceptons encore moins que ce soit la CSST, par son appareil
médical mercenaire, qui compromette notre droit de retour au travail en
fixant elle-même le moment de notre rétablissement. Nous
connaissons tous les pratiques d'évaluation médicale abusives de
la commission, l'utilisation économique qu'elle fait de cet appareil, et
nous savons, à l'avance, comment, sous la pression des employeurs, elle
fera usage de ce pouvoir pour compromettre notre exercice de ce droit.
Nous qualifions de superflu dangereux l'incitatif de retour au travail
proposé par le projet de loi 42. Ce concept, en plus d'être
méprisant pour l'accidenté, qu'on suppose au départ
récalcitrant à un retour au travail, constitue, par les promesses
de gains supplémentaires qu'il comporte, une tentation vicieuse pour
l'accidenté de retourner au travail prématurément avant
que la guérison ne soit complète. Les accidentés n'ont
jamais demandé de privilège pour retourner au travail. Ce qu'ils
veulent, c'est le droit de le faire sans pénalité.
On va faire référence à l'annexe II, qui va
être lue par mon camarade.
Le Président (M. Rancourt): M. Lafrance.
M. Lafrance: On peut se demander pourquoi le gouvernement
introduit dans la loi un incitatif pécuniaire au retour au travail pour
l'accidenté. Il semble que ce soit pour résoudre le
problème de la durée des périodes d'arrêt de travail
des accidentés. On a fait de petits calculs et on a regardé aussi
un peu des exemples. Je pourrais vous référer à l'exemple
B de l'annexe: un travailleur touche, avant son accident, un salaire brut de 20
000 $, ce qui donne 16 000 $ net, et, par exemple, après deux ans
d'arrêt de travail, se trouve un nouvel emploi de 15 000 $ brut, ce qui
donne 13 000 $ net.
On regarde l'autre petit tableau, ce que cela peut donner. Ce sont des
petits chiffres quand même assez intéressants. Pour ce qui est de
la période de deux ans ou moins, cela dépend de
l'échéance, selon l'article 75 ou 77, la personne va avoir une
différence à la hausse sur son ancien salaire - salaire net,
naturellement - d'environ 1000 $, 1129 $, ce qui représente une
augmentation de 7%.
Cela semble nous arriver comme cela, comme un cadeau, pendant deux ans.
Pourquoi un cadeau comme cela? C'est que, lorsque l'on regarde après
cette belle période de deux ans, cela disparaît à un moment
donné; là, le travailleur se retrouve face à la
réalité et s'aperçoit que, pendant le restant de sa vie,
et non pendant un an ou deux, il devra subir une perte de 10% par rapport
à son ancien salaire. Cette perte, on la prend de façon globale;
c'est sûr qu'il peut y avoir des modifications selon l'indice des prix
à la consommation. Mais, pour tous les exemples, après
l'incitatif des deux ans, cela arrive toujours à 10%. Ce qui fait que,
lorsque l'on dit que l'indemnité de remplacement de revenu remplace le
revenu, on se rend compte que, même après le retour au travail, le
travailleur ou la travailleuse va subir une perte de revenu pour le restant de
sa vie. On a mis des exemples selon le salaire avant l'accident et le salaire
après l'accident. Ces exemples s'appliquent à des personnes ayant
deux dépendants. Vous pouvez regarder, ce sont des chiffres très
intéressants. On peut aussi remarquer que l'épargne pour la CSST,
quand on retourne ces gens-là au travail, est très importante,
très intéressante comme on le voyait tout à l'heure aussi
pour les indemnités forfaitaires. Ce sont des montants qui sont assez
énormes. Après cela, on se demandera pourquoi cet incitatif
existe. C'est peut-être
plus clair avec les petits tableaux.
Le Président (M. Rancourt): M. Bourdeau.
M. Bourdeau: Merci. En résumé, nous soulignons
comme un point positif l'apparition de ce droit dans le projet de loi 42 mais
nous dénonçons les limites et restrictions qui l'accompagnent et
qui priveront de fait un très grand nombre de travailleurs et de
travailleuses accidentés de sa jouissance, en particulier ceux et celles
qui en auront le plus besoin. En effet, les travailleurs et les travailleuses
qui sont, dans les faits, le plus lésés par l'absence de ce droit
aujourd'hui sont justement ceux et celles qui font l'objet des restrictions et
limites inhérentes à ce nouveau droit.
Le projet de loi ne vient donc, dans bien des cas, que consacrer un
état de fait en y ajoutant quelques garanties supplémentaires:
modalités, droit d'appel. Du même coup, il vient, par ses
restrictions, sanctionner le congédiement de ceux et celles qui sont
exclus de son application et nier la reconnaissance des trois principes de
pleine responsabilité de l'employeur, de non-pénalité pour
l'accidenté et des droits fondés sur la justice et
l'équité.
Ce que nous revendiquons en matière de réadaptation, c'est
le droit à une indemnité et à des services de
réadaptation sans limite dans la durée et pour tous les
travailleurs et travailleuses ayant perdu leur emploi par suite de leur
accident, avec ou sans déficit permanent reconnu, garantissant une
indemnité complète de remplacement de revenu pendant toute la
durée de la réadaptation jusqu'au retour en emploi; une
indemnité de remplacement de revenu réduite du montant du salaire
gagné dans un nouveau emploi moins rémunérateur, à
laquelle s'ajouterait l'équivalent en argent des avantages perdus qui
étaient liés à l'ancien emploi: vacances plus longues,
primes de travail de nuit, régime de retraite, etc.
Nous revendiquons des services de réadaptation devant satisfaire
aux exigences suivantes: assurer au travailleur le retour en emploi dans des
conditions de travail comparables; assurer à l'accidenté qu'il
aura son mot à dire dans le choix du plan ou des formes de
réadaptation et que ce programme sera adapté à ses
conditions physiques et ou psychiques; prendre tous les moyens possibles pour
adapter le poste de travail anciennement occupé pour favoriser le retour
au même emploi; assurer que tous les moyens de support et de recyclage
ont été pris pour garantir au travailleur accidenté le
maintien de la qualité de vie et du degré d'autonomie dont il
jouirait normalement s'il n'avait pas eu d'accident.
Nous revendiquons le droit à une reprise en charge
complète par la réadaptation, c'est-à-dire l'IRR et ses
services, de tout travailleur mis à pied pour quelque raison que ce soit
par un employeur subventionné par la CSST ou par un employeur chez
lequel le travailleur a effectué son retour au travail depuis moins d'un
an.
Nous revendiquons le droit, pour tout travailleur réadapté
et retourné en emploi depuis plus d'un an chez un employeur non
subventionné et qui se voit congédié pour des raisons
étrangères à son déficit physique permanent,
à un pourcentage de déficit de capacité de travail qui
s'ajoutera à son pourcentage de déficit physique et qui lui sera
versé sa vie durant sous forme de rente mensuelle avec option de
capitalisation.
Nous revendiquons le droit à vie, pour tout travailleur qui en a
besoin à la suite de son accident, à une assistance
financière pour adaptation de poste de travail ou de résidence ou
à toute autre forme d'assistance financière permettant sa plus
complète réinsertion sociale et le maintien de sa qualité
de vie.
Seules ces conditions dans leur ensemble peuvent assurer un réel
droit à la réadaptation pour les accidentés. Nous
insistons en particulier sur le fait que la réadaptation n'a aucun sens
si elle ne satisfait pas aux objectifs énoncés plus haut à
1b, à savoir redonner à l'accidenté, non seulement son
salaire, mais aussi l'autonomie et la qualité de vie qu'il avait
acquises au cours de ses années de travail. Un droit d'appel à
tous les paliers d'appel institués par la loi concernant toutes les
décisions rendues par la CSST en matière de réadaptation,
admissibilité, droit et montant d'indemnité, durée,
évaluation des services offerts ou réadmissibilité.
Les accidentés veulent retourner au travail. C'est un droit
qu'ils revendiquent depuis des années, mais ils ne veulent pas qu'on les
oblige à le faire prématurément ni dans n'importe quelles
conditions. C'est un droit qu'ils réclament et ils ne veulent pas que ce
droit soit assorti d'obligations qui seraient contraires à l'esprit
même de la loi.
Par exemple, une clause spéciale devrait prévoir qu'un
accidenté puisse aussi refuser de retourner à son ancien emploi
en raison du traumatisme, du choc que représente pour lui l'accident
dont il a été victime. Il ne faudrait pas que le droit qu'on lui
reconnaît enfin prenne l'allure d'une obligation risquant, si elle n'est
pas remplie, de le priver de ses droits.
À cet effet, nous dénonçons les dispositions
contenues à l'article 122, paragraphe 2d, qui autorise la CSST à
refuser une indemnité à un travailleur qui, sans raison valable -
la validité relève de la compétence de la CSST - omet ou
refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation mises à
sa disposition.
Concernant le droit de retour en emploi, nous exigeons que la loi oblige
tout employeur à reprendre à son emploi un travailleur ou une
travailleuse, qui a été accidenté ou rendu malade dans son
entreprise, au même poste qu'il occupait avant son accident si son
état physique le lui permet, selon son avis et celui de son
médecin traitant, avec adaptation du poste de travail, si
nécessaire; à un autre poste qui, de l'avis de l'accidenté
et de son médecin traitant, convient à ses capacités
résiduelles; que priorité lui soit accordée à ce
poste tout en respectant les clauses d'ancienneté prévues
à la convention; que, dans un cas comme dans l'autre, le salaire et les
avantages auxquels il aurait eu droit s'il n'avait pas été
accidenté lui soient garantis et lui soient versés par
l'employeur, dans le premier cas, et par la CSST dans le second, la loi ne
devant en aucune façon intervenir dans l'interprétation et
l'application des contrats de travail ou conventions collectives.
Nous exigeons qu'aucune limite ou restriction n'accompagne
l'énoncé de cette obligation pour l'employeur et de ce droit pour
le travailleur, sauf les deux restrictions suivantes: si le travailleur
décide librement de ne pas réintégrer l'entreprise
où il a été accidenté, auquel cas il doit
être entièrement pris en charge par la réadaptation
-section précédente, page 23, dernier paragraphe - et si le
travailleur ou la travailleuse n'est pas en état, selon son
médecin traitant, de reprendre quelqu'emploi que ce soit dans
l'entreprise, auquel cas il peut être éligible au droit à
la réadaptation, tel que défini plus haut, ou à l'IRR
complète permanente et à la rente d'invalidité totale.
Nous exigeons qu'un droit d'appel lui soit reconnu concernant toutes les
dispositions permettant d'appliquer ce droit. On peut biffer ce qui
apparaît entre parenthèses; c'est une erreur.
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: Le troisième chapitre concerne les pouvoirs
de décision en matière médicale. Un bref retour sur la
situation actuelle. La loi actuellement en vigueur reconnaît à
l'accidenté, comme c'est reconnu à tout citoyen, le droit de
choisir son médecin traitant de même que l'établissement
dans lequel les soins lui seront dispensés. Elle prévoit aussi
que les frais d'assistance médicale engendrés par l'accident du
travail seront assumés par le fonds d'indemnisation auquel cotisent les
employeurs. Mais elle reconnaît aussi, paradoxalement à la
commission, les pleins pouvoirs en matière médicale,
c'est-à-dire le pouvoir de juger du bien-fondé d'une
réclamation, de la pertinence, de la nature, de la durée des
traitements, de la durée de l'arrêt de travail, du pourcentage de
déficit permanent engendré par l'accident ou la maladie du
travail. (16 h 30)
Autrement dit, on peut toujours choisir son médecin, mais ce
dernier ne décide rien. C'est le bureau médical de la CSST qui
décide tout en fonction des intérêts économiques de
la commission, qui se retrouve en cette matière, encore une fois, juge
et partie. Nous avons abondamment décrit, avec de multiples exemples
à l'appui, les abus quotidiens auxquels donne lieu ce système
dans le mémoire de l'ATTAQ présenté le 12 décembre
1983 à la commission parlementaire sur le fonctionnement et
l'administration de la CSST.
Nous nous contentons donc, ici, d'en résumer les données.
Le diagnostic et la prescription de traitement du médecin traitant ne
sont pas respectés par le bureau médical qui décide, bien
souvent, sans examen du patient ou après un examen sommaire du
médecin évaluateur. Les traitements sont interrompus avant terme.
De nombreux accidentés sont retournés au travail
prématurément, occasionnant des souffrances inutiles aux victimes
et des rechutes qui pourraient être évitées. Des
diagnostics de condition personnelle préexistante sont portés
sans examen ou sans vérification du dossier. Des coupures sont
régulièrement pratiquées à tort dans les
indemnités des accidentés. Des autorisations de traitement sont
retardées ou refusées sans justification. Les pourcentages
d'incapacité permanente sont régulièrement
sous-évalués ou refusés. Depuis des années, nous
dénonçons cette situation et nous avons déjà
démontré au ministre les préjudices graves qui sont
causés aux accidentés.
Nos revendications, sur ce chapitre, ont été clairement
formulées. Pourtant la situation ne cesse de se détériorer
et chaque nouvelle saison voit surgir une nouvelle série de directives
de la CSST visant à restreindre encore plus nos droits et ceux de nos
médecins traitants. En cas d'accidents et de maladies du travail, la
question des droits et des pouvoirs, en matière médicale, n'est
pas une question secondaire, elle est au coeur du problème. C'est
là que se décide notre droit à une indemnité, c'est
là que se joue notre droit à la santé.
Nous étions donc en droit de nous attendre à des
modifications majeures en cette matière dans le projet de loi 42.
À la lecture du chapitre V sur l'assistance médicale, les
articles 125 à 137 inclusivement, nous constatons que rien n'a
changé. Le travailleur a toujours droit, à l'article 129, aux
soins de l'établissement de santé du professionnel de la
santé de son choix. C'est la moindre des choses. Mais c'est encore,
à l'article 132, la commission qui décide de la
nécessité, de la nature, de la suffisance ou de la
durée de l'assistance médicale qui est décrite à
l'article 126. Ce seul article 132, par les pouvoirs qu'il confère
à l'organisme payeur et à l'appareil médical qu'il a mis
en place compromet la reconnaissance et infirme la valeur de tous les autres
droits énoncés dans ce projet de loi.
Par exemple, le droit à l'IRR, fût-elle revalorisée,
ne veut plus rien dire pour celui ou celle que le bureau médical a
déclaré guéri envers et contre tous ses médecins
traitants. Le droit de retour en emploi ne veut plus rien dire pour celui ou
celle que son médecin traitant maintient en arrêt de travail et en
traitement pendant plus de cinq jours après la date de retour au
travail, fixée arbitrairement par le médecin de la commission. Le
droit à l'IRR réduite ne veut plus rien dire non plus pour
l'accidenté que le bureau médical de la commission a
déclaré apte à faire un travail que la commission juge
aussi rémunérateur que son ancien travail. Le droit à une
indemnité forfaitaire pour dommages corporels ou pour
décès ne donne plus rien à celui ou celle que le bureau
médical de la CSST a déclaré atteint ou
décédé des suites d'une condition personnelle
préexistante. Ces verdicts ne sont pas exceptionnels.
Nous avons longuement expliqué, dans notre mémoire de
décembre 1983, comment le rôle de juge et partie joué par
la CSST mène inévitablement à ces abus
généralisés, que les accidentés ne peuvent
espérer aucune justice tant que les pleins pouvoirs seront entre les
mains de l'organisme payeur, surtout en matière médicale. Non
seulement le projet de loi remet le pouvoir de décider de notre
santé entre les mains du personnel médico-comptable de la CSST,
mais il réitère l'obligation, assortie de
pénalités, pour l'accidenté de se soumettre lui-même
à l'examen du médecin de l'employeur et du médecin de la
CSST.
Article 133: "Le travailleur qui réclame une prestation doit,
à la demande de son employeur ou de la commission, se soumettre à
l'examen d'un professionnel de la santé choisi et payé par
l'employeur ou la commission, selon le cas, relativement à la
lésion professionnelle dont il a été victime", comme si
c'était un tort pour la victime que de réclamer. Si tu ne
réclames rien, ton médecin traitant est assez compétent
pour s'occuper de toi seul, mais si tu réclames, c'est autre chose. Le
médecin de la compagnie et celui de la CSST doivent s'en mêler.
Qui donc ces médecins gestionnaires se proposent-ils d'examiner, le
réclamant ou la victime? De quel droit impose-t-on aux victimes
d'accident et de maladie du travail d'être examinées par un
médecin qu'elles n'ont pas librement choisi? Pourquoi devrions-nous
aller voir des médecins qui n'ont aucunement pour objectif de nous
soigner, de nous guérir, mais qui ont pour seule fonction de soigner les
intérêts de l'entreprise ou de la compagnie d'assurance qui les
paie. Nous ne payons pas le médecin qui nous soigne. Pourquoi nos
patrons et la CSST auraient-ils le droit d'en payer un ou plusieurs pour qu'ils
statuent sur notre état de santé et sur nos droits? Je vous
demanderais de vous reporter à l'annexe V: Les affirmations qu'on fait
quand on parle des médecins de compagnie, des médecins de la
commission qui sont des médecins gestionnaires, ne sont pas des phrases
en l'air. À l'annexe V, il est question des médecins de compagnie
en tant que gestionnaire.
Les médecins de compagnie ont beau se camoufler sous le titre
honorable de médecins du travail, c'est une déclaration du Dr Guy
Paquet dans l'Actualité médicale du 13 janvier 1982, et
réclamer à ce titre des pouvoirs accrus d'intervention et de
décision, il n'en demeure pas moins ce qu'ils ont toujours
été, des gentionnaires de l'entreprise avant tout. C'est
d'ailleurs ainsi que s'exprimait le Conseil du patronat du Québec dans
un exposé rapporté par la Presse du 13 novembre 1978 et
commentant les politiques du livre blanc sur la santé et la
sécurité du travail. Je cite la déclaration du Conseil du
patronat: Les services de santé au travail ne seront plus sous la
responsabilité financière et administrative directe de
l'employeur. "C'est à propos des discussions autour du projet de loi 17
du livre blanc. Pour l'entreprise, cette orientation est irréaliste
à plusieurs points de vue. Par exemple, les entreprises se fixent des
normes de qualité de la main-d'oeuvre en fonction de la qualité
du produit ou des services à rendre. Ces normes font partie de la
planification et de l'administration de l'entreprise. Dans ce contexte, le
médecin d'entreprise est un gestionnaire au même titre qu'un autre
gestionnaire. Vouloir alors nationaliser les services de santé des
entreprises serait amputer les entreprises d'un service qui leur est essentiel
et dont on n'a jamais pu faire la preuve qu'il soit préjudiciable au
travailleur, bien au contraire" dit le conseil du patronat.
Les représentants de l'industrie minière s'expriment dans
le même sens et vont encore plus loin dans une déclaration
rapportée par le Devoir quelques jours plus tard. "Le gouvernement du
Québec devra faire des acrobaties pour offrir à ses
médecins des salaires équivalents aux surprimes
considérables que versent les compagnies des régions
éloignées. Il n'arrivera pas à recruter des
médecins d'entreprises neutres nommés par les comités
paritaires et payés par l'État." Ce n'est pas nous qui le disons.
"En effet, les médecins du travail actuels n'hésiteront pas
à accpeter des postes de médecin conseil chargé de
défendre les
intérêts des compagnies qui auront les moyens de se payer
un tel service. Les médecins de compagnie doivent rester des cadres des
entreprises où ils travaillent et il serait dangereux d'en faire de
simples surveillants extérieurs à la structure d'autorité
interne". Quelle franchise!
Deux ans plus tard, la compagnie Alcan y va de ses
révélations elle aussi dans le Devoir du 5 novembre 1980. Elle se
vante à son tour de ses recherches poussées sur les dangers du
bruit dans ses usines d'affinage de l'aluminium, qui lui permettent maintenant,
non pas de réduire le bruit, mais de prédire avec
précision lesquels de ses employés deviendront assez sourds pour
obtenir une indemnisation de la CSST et quels en seront les coûts. "Cela
permet à nos médecins, a dit M. Coté, représentant
de l'Alcan, de mieux contester les demandes des travailleurs qui, selon nos
critères, n'ont pas été exposés à une dose
de bruit suffisante pour avoir droit à une indemnisation." Voilà
à quoi servent les médecins de compagnie. Les exemples ne
manquent pas.
Le juge Sauvé lui-même, dans un document adressé au
ministre Marois et dont la Presse fait état le 12 décembre 1980
dénonce les pratiques moyenâgeuses de plusieurs compagnies dont
principalement les compagnies forestières. "Parmi ces pratiques
administratives illégales et toutes préjudiciables aux
travailleurs, dit-il, il est fait mention que certains médecins
d'entreprise entretiennent des systèmes particuliers, renvoient au
travail des accidentés qui auraient dû être au repos, font
des ententes avec des hôpitaux pour que leurs comptes, au lieu
d'être envoyés à la commission pour paiement, selon la loi,
soient chargés strictement à l'employeur". Le juge Sauvé
affirme aussi dans une lettre adressée au Dr Augustin Roy,
secrétaire général de la Corporation professionnelle des
médecins du Québec: "On a pu constater que certains rapports
médicaux de travailleurs de la Consolidated Bathurst se retrouvaient
dans les dossiers administratifs et étaient accessibles à
plusieurs personnes non autorisées à en prendre connaissance.
J'ai des raisons de croire, dit le juge Sauvé, que cette situation n'est
pas unique et qu'elle se répète dans d'autres entreprises." Pour
une fois, notre expérience nous amène à la même
conclusion que le juge Sauvé.
Tout récemment encore, soit le 9 novembre 1983, le Conseil
canadien de la médecine du travail tenait à Toronto son premier
congrès national sur la santé au travail. Le Dr Bertrand,
spécialiste en oto-rhino-laryngologie et médecin de compagnie
bien connu au Québec, a fourni aux participants des chiffres
éloquents tirés de son expérience et plaidant en faveur de
l'embauche par les compagnies de médecins spécialistes dont la
rentabilité, selon ses dires, ne saurait être remise en doute.
Après avoir longuement dénoncé les coûts exorbitants
que doivent assumer les compagnies concernant la surdité industrielle,
il a cité, en exemple, une compagnie qui n'a pas craint d'investir 63
000 $ en coût de contestation de maladie industrielle et qui en a
tiré un revenu de 710 000 $. Comment douter ensuite du haut taux de
rentabilité de ces gestionnaires que sont les médecins de
compagnie, en particulier quand ils sont spécialistes?
Quant aux médecins de la CSST, nous croyons que ce sont des
gestionnaires aussi. La CSST qui a osé, en 1980, dénoncer les
pratiques injustifiables de certains médecins de compagnie, accepte pour
son propre compte des pratiques de même nature. Gestionnaire du Fonds
d'indemnisation des entreprises, elle dicte elle-même les politiques
économiques que son bureau médical a pour rôle d'appliquer.
Ces médecins de papier sont des gestionnaires extrêmement
rentables. On vous renvoie au mémoire du mois de décembre qui
contenait plusieurs exemples. Entre autres, un rapport du chef de service de la
réparation de la CSST, région de Québec, en date du 20
décembre 1982 fait état de l'indéniable rentabilité
des médecins coupeurs ou contrôleurs du bureau médical.
Partant de l'analyse des coupures effectuées pendant un mois seulement
et par un seul médecin employé à cet effet, M.
Côté, du bureau régional de Québec, en arrive
à démontrer qu'en appliquant les politiques de la CSST en
matière médicale, ce seul médecin a épargné
en un mois 63 630 $. En reportant ces chiffres sur un an, il conclut: "Je vous
souligne cependant que ce contrôle ne peut se faire à
l'année, car pour le faire, il est absolument nécessaire
d'ajouter un médecin à temps plein dans une direction
régionale comme la nôtre. Cependant - dit M. Côté
-administrativement parlant, il me semble qu'un investissement de 40 000 $ pour
économiser au-delà de 750 000 $ semblerait rentable à tout
homme d'affaires sensé."
En effet, si on compare ces chiffres à ceux qu'a fournis le Dr
Bertrand, on doit même reconnaître que le taux de
rentabilité d'un médecin généraliste de la CSST est
même plus élevé que celui d'un médecin de compagnie,
fut-il spécialiste.
De quoi les compagnies se plaignent-elles donc? Elles devraient rendre
hommage à l'appareil qui dessert si bien leurs intérêts.
Quant aux médecins experts de la commission qui sont aussi, d'autre
part, des médecins traitants pratiquant librement la médecine
dans le réseau public, ils pratiquent ces expertises dans des conditions
qui nous amènent à douter de leur impartialité. Choisis
par la CSST, payés par elle, ils peuvent difficilement échapper
à son contrôle.
Un de ces médecins spécialistes pratiquant aussi dans un
grand hôpital de Montréal et en clinique, témoignant sous
serment il y a quelques mois, lors d'une audition du Bureau de révision,
nous a confirmé que la CSST lui demandait quinze expertises par jour,
une fois aux deux semaines. Un bref calcul nous permet de conclure que ce petit
à côté représente un supplément de revenu
d'au moins 45 000 $ par année. Il reconnaissait du même souffle
qu'il est très possible de faire une expertise en cinq minutes. En
effet, qu'est-ce qu'on ne pourrait pas faire à ce prix-là? Qu'on
ne vienne pas nous dire en tout cas que ce système favorise
l'impartialité et la conscience professionnelle.
Citons, pour terminer, le témoignage du Dr Gaston Ostiguy, chef
du service de médecine de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont et
président d'un comité d'experts sur les pneumoconioses à
la CSST. Ayant eu à examiner les dossiers des cas douteux d'amiantose et
à se prononcer sur ces cas, il affirme, dans le Courrier médical
du 13 septembre 1983: "Nous n'avions à notre disposition que le dossier
du travailleur et les radiographies. Je ne recommencerais pas une telle
expérience. La prochaine fois, je demanderai à examiner
moi-même le malade."
Le Dr Ostiguy prétend que les experts appelés à
trancher sur un diagnostic d'amiantose ont en général des
préjugés qui les prédisposent à donner un
diagnostic positif lorsque l'histoire clinique démontre une exposition
répétée aux fibres d'amiante pendant plusieurs
années, mais qu'ils sont conscients de ce danger et sont très
circonspects avant de poser un diagnostic. Il souligne qu'il faut être
conscient des pressions exercées d'un côté par les
compagnies et de l'impact de la décision sur la santé de la
personne impliquée. Pour rassurer ceux qui s'inquiéteraient de
leur préjugé favorable, il reconnaît enfin que lorsqu'un
diagnostic est posé, c'est sur l'existence d'anomalies suffisantes pour
nous permettre de le poser.
Pourquoi faudrait-il donc avoir affaire au Dr Ostiguy,
médecin-expert de la CSST? Ne suffirait-il pas de consulter le Dr
Ostiguy, médecin spécialiste à l'hôpital
Maisonneuve-Rosemont pour savoir ce qu'il en est de ses poumons? En tant que
médecin traitant, on serait sûr au moins que le Dr Ostiguy se
donnerait la peine d'examiner non seulement le dossier mais aussi le patient.
(16 h 45)
Ce que nous revendiquons en matière médicale: Nous pensons
qu'il y a un moyen de mettre fin au système d'abus
généralisés qui a cours présentement et qui cause
aux accidentés les plus graves préjudices. Encore une fois, nous
ne réclamons aucun privilège, seulement le droit d'être
traités sur un pied d'égalité avec tous les autres
citoyens. Nous voulons que la loi oblige la CSST, premièrement, à
reconnaître le diagnostic et le traitement du médecin traitant.
Nous voulons aussi que la loi retire à l'employeur et à sa
mutuelle d'assurance de la CSST le droit d'exiger de nous un examen
médical de la part de leur médecin. Nous pensons que le
médecin le mieux placé pour statuer sur notre état de
santé est le médecin qui nous traite.
Si la CSST ou l'employeur jugent que nos médecins,
c'est-à-dire ceux qui pratiquent librement la médecine dans le
réseau médical public québécois, sont
incompétents ou malhonnêtes, qu'ils portent plainte auprès
des organismes compétents légalement constitués et
prévus à cet effet. Ils rendront ainsi service à
l'ensemble des citoyens dont la santé serait aussi mise en danger par
ces médecins incompétents ou malhonnêtes.
Si nous exigeons que la loi reconnaisse un caractère
décisionnel au rapport et à l'opinion du médecin traitant,
ce n'est pas parce que nous croyons que tous les médecins traitants sont
infaillibles ou spécialistes chevronnés en toute matière.
Aussi, nous ne nous opposons pas à toute forme de vérification ou
de confrontation de leur diagnostic par un autre médecin,
spécialiste si nécessaire. Mais, nous ne voyons aucune
justification à ce que ce soit l'employeur ou la CSST qui le choisisse.
De quel droit l'exigerait-il?
Rien n'empêcherait la CSST, à la suite du rapport du
médecin traitant, généraliste ou spécialiste,
d'examiner ce rapport et de juger s'il contient les éléments
nécessaires à une prise de décision; d'exiger du
médecin traitant qu'il le complète, s'il est insuffisant;
d'exiger, au besoin, si cela n'a pas été fait et lui semble
opportun, que l'accidenté soit examiné par un spécialiste
choisi par lui, en accord avec son médecin traitant, qui devra, à
son tour, faire rapport en tant que médecin traitant ou consultant; de
prendre une décision fondée sur ce rapport. Dans le cas de
divergence entre deux médecins traitants, d'exiger que
l'accidenté consulte un autre spécialiste choisi par lui qui
puisse permettre de trancher la question.
Nous exigeons aussi que la loi oblige la CSST à donner
accès aux accidentés du travail, à tous les lieux de
traitement accessibles déjà à l'ensemble des citoyens, ce
qui n'est pas le cas actuellement, en particulier pour les soins de
physiothérapie. Encore une fois, l'argument évoqué par la
CSST pour réduire l'accès aux lieux de traitement est
indéfendable. Nous ne voyons pas pourquoi on confierait à la CSST
le devoir de nous surprotéger. Si certaines cliniques sont mal tenues ou
ne répondent pas à certains critères de qualité,
qu'on porte plainte et qu'on les fasse fermer. C'est
un service à rendre à tous les citoyens ordinaires qui,
eux, s'y font soigner.
Ce chapitre de la loi est, pour nous, le plus important et notre
revendication, "donner un caractère décisionnel au diagnostic et
à la prescription de traitement de notre médecin traitant", est
notre principale revendication. Pourquoi? Parce que nous croyons que c'est la
seule façon de mettre fin à un système d'injustice
organisé, institutionnalisé, un système fondé sur
des intérêts et axé sur des objectifs strictement
économiques et partisans. La preuve en a été faite
à maintes occasions.
De quoi avez-vous peur? Que tous les médecins traitants du
Québec se transforment en médecins complaisants pour les
travailleurs accidentés? Le risque est bien minime. Et nous sommes les
premiers à reconnaître que, même si cette revendication est
satisfaite demain, la justice sera loin d'être assurée aux
victimes d'accident et de maladie du travail, parce qu'un très grand
nombre de médecins sont profondément marqués par des
préjugés rétrogrades à l'endroit des travailleurs
en général et des accidentés en particulier; parce que
leur formation a suscité ces préjugés et leur statut
social privilégié ne favorise pas tellement les remises en
question; parce que les limites actuelles aux connaissances médicales
empêchent bien souvent de faire apparaître, ou de soupçonner
même, le lien qui existe entre nos symptômes et les traumatismes,
accidents et maladies, de toutes sortes que nos conditions de travail
occasionnent. Parce que beaucoup de médecins, dans le doute face
à nos problèmes de santé, choisiront de défendre
leur crédibilité, fondée sur le respect de ce qui est bien
établi et reconnu médicalement, plutôt que de s'aventurer
dans des hypothèses qui ne sont pas encore entièrement
vérifiables à court terme et qui risqueraient de les
marginaliser.
Quant à la complaisance liée à des
intérêts immédiats, ce n'est pas notre médecin
traitant qu'elle risque de frapper. Nous ne le payons pas et il n'a aucun
intérêt à être complaisant à l'endroit d'un
accidenté. Cela ne lui rapporte rien sauf des ennuis. On ne peut pas en
dire autant des médecins de compagnie ou les médecins
évaluateurs de la CSST. Quant aux rares exceptions qui, à
l'encontre de leurs intérêts propres, se livreraient à des
pratiques complaisantes, incompétentes ou malhonnêtes, nous
n'avons aucun intérêt à ce qu'ils soient maintenus en
poste, et rien ni personne ne vous empêchera de porter plainte contre
eux. À eux seuls, ils ne justifieront jamais qu'on maintienne en place
un système fondé lui-même en entier sur la complaisance
généralisée à l'endroit des agresseurs. C'est dans
ce contexte qu'il faut situer notre revendication, non pas qu'elle nous assure,
si elle est satisfaite, d'une justice parfaite, loin de là, mais nous
n'avons pas d'autres choix. C'est le moins pire que nous ayons trouvé et
cela a au moins le mérite de placer les accidentés sur le
même pied que tous le citoyens face au système de santé que
s'est donné notre société.
Les maladies professionnelles ou maladies du travail. Ce n'est pas un
chapitre seulement, mais un mémoire entier qu'il faudrait consacrer
à cette question tellement la situation est grave concernant d'abord
leur existence, leur prolifération, ensuite leur non-reconnaissance par
la CSST. Nous essayerons donc de nous limiter à quelques données
essentielles concernant ce dernier aspect.
La situation actuelle. La loi actuelle, tout en reconnaissant
formellement les mêmes droits aux bénéfices de la
réparation aux victimes des maladies du travail qu'aux victimes
d'accidents, ne contient aucune des dispositions garantissant ou même
favorisant cette égalité devant la loi.
En remettant à la CSST les pleins pouvoirs de décision en
matière de reconnaissance des maladies du travail, le législateur
a consacré une inégalité de fait qui tient à
plusieurs aspects de la réalité. Beaucoup de maladies du travail
ne sont même pas inventoriées à l'heure actuelle et on ne
connaît pas les effets néfastes sur l'organisme humain d'un
très grand nombre de produits ou d'instruments utilisés en milieu
industriel. Même dans le cas de maladies médicalement
identifiées, les symptômes que plusieurs d'entre elles
occasionnent ne sont pas spécifiques et rendent plus incertain le
diagnostic et la détermination de la cause. La formation médicale
en vigueur dans nos universités accorde bien peu de place - et pendant
longtemps n'en accordait aucune - à la transmission des connaissances en
cette matière, mettant ainsi sur le marché une majorité de
médecins incapables de les détecter.
Les médecins de compagnie, témoins des conditions de
travail déplorables imposées aux travailleurs victimes de ces
maladies, sont plus en mesure que quiconque de les déceler rapidement
mais ont mis jusqu'ici toutes leurs énergies à les camoufler,
à en nier l'existence, à tromper les travailleurs -en leur
cachant leur maladie, en les trompant sur sa cause, en refusant de les
déclarer à la CSST ou en les contestant devant elle - et à
les pénaliser au besoin en favorisant le congédiement pur et
simple de ces travailleurs avant que l'évidence se manifeste
publiquement et que l'employeur ne s'en voie attribuer les coûts.
Il n'est pas surprenant que la médecine patronale ait
montré plus d'acharnement encore contre les victimes de maladies
professionnelles qu'elle ne l'a fait contre les victimes d'accidents du
travail. En effet, en
tant que gestionnaires de l'entreprise, les médecins de compagnie
sont parfaitement conscients de l'ampleur des coûts que représente
la reconnaissance de ces maladies qui, étant liées aux conditions
de travail dans un milieu généralement insalubre, atteignent
collectivement, c'est-à-dire par groupes importants, un nombre toujours
croissant de travailleurs et travailleuses.
La CSST elle-même, par son appareil médical, a mis toutes
ses énergies à rendre extrêmement long et compliqué,
voire inhumain le processus menant à la reconnaissance de ces maladies -
exigence de biopsies, d'autopsies, d'études
épidé-miologiques inaccessibles à l'accidenté et
interminables, de toute façon décourageant ainsi les victimes
démunies de produire toute réclamation. Combien meurent de ces
maladies avant que leur réclamation n'ait abouti? Au besoin, elle a
émis des directives comportant toutes les restrictions permettant de
limiter l'accès à la compensation et de préserver ainsi
les fonds consacrés à leur indemnisation.
Par exemple, la surdité industrielle n'est compensable
qu'à partir d'une perte de 25 décibels. On reconnaît
pourtant qu'on est sourd avant cela. Le saturnisme chronique est reconnu
seulement sur la base du critère d'insuffisance rénale. Les
pneumoconioses sont reconnues seulement si tous les tests sont positifs, encore
avec des exigences de biopsies ou d'autopsies. Elle n'hésite pas,
d'ailleurs, à décerner de fait des certificats
d'incompétence à tous les médecins, même
spécialistes, qui sont étrangers aux tentacules de son propre
appareil médical - comités de pneumoconiose,
médecins-évaluateurs de la CSST.
Dans les cas où la preuve hors de tout doute est impossible
à faire, et c'est la majorité des cas, elle n'accepte la
présomption ou le doute raisonnable que lorsque tous ses doutes ont
été définitivement écartés ou
démentis. En bref, même quand elle reconnaît la maladie,
elle a une fort tendance à ne pas reconnaître le malade. Et cette
affirmation concerne tout autant les maladies professionnelles apparaissant
à l'annexe A que celles qui n'y sont pas. On se demande parfois si cette
liste, si incomplète soit-elle, n'a pas été faite
strictement pour se donner bonne conscience.
Si on ajoute à cela le fait qu'elle ne fait aucune
prévention ni information dans le milieu de travail concernant ces
maladies, l'élimination des conditions qui les engendrent et les dangers
qu'elles représentent; si on tient aussi compte du fait qu'un grand
nombre de travailleurs qui déclarent ces maladies et réclament
compensation risquent plus un congédiement pur et simple qu'une
réelle indemnisation, il n'est pas surprenant qu'il y ait chaque
année si peu de réclamations pour maladie professionnelle qui
soient adressées à la CSST. Ce qui frappe davantage, c'est qu'un
aussi grand nombre d'entre elles soient refusées.
Le projet de loi 42. La nouvelle politique que nous propose le ministre
du Travail concernant spécifiquement les maladies professionnelles,
tient entièrement en huit articles et une annexe. Nous en concluons que,
à l'exception des articles 30 et 31 dont nous parlerons
séparément, il est satisfait de la situation actuelle et qu'il a
pour objectif qu'elle se perpétue pendant plusieurs années
encore.
Nous ne reprendrons pas point par point ce qui fait défaut dans
ce point de vue, vous n'avez qu'à vous reporter aux pages
précédentes. Nous examinerons plutôt les articles 30 et 31.
Cette supposée nouveauté introduite dans la loi nous semble
plutôt un succédané dilué d'une directive
adoptée par la CAT et reconduite par la CSST très exactement le 5
juin 1975 à Québec lors d'une occupation des bureaux de la CAT et
votée sous les yeux d'une trentaine de travailleurs accidentés
par les commissaires de l'époque, MM. Tessier, Bellemare, Jodoin. Nous
nous en souvenons bien parce que nous y étions. Pour la première
fois, les accidentés du Québec réussissaient à se
faire indemniser par la CSST, du moins temporairement, sur la base du
diagnostic de leur médecin traitant, dans les circonstances
décrites par cette directive qui portait le no 3.30. Cela ne s'oublie
pas. Nous avons même obtenu qu'elle s'applique rétroactivement au
1er janvier 1974, permettant ainsi, entre autres, de réparer une partie
des torts injustement causés à nos camarades intoxiqués au
plomb de la Carter White Lead qui, en 1974, s'étaient vus brutalement
éloignés de la source contaminante par un lock-out ou un
simulacre de fermeture d'usine. Cette directive se lisait comme suit:
"Travailleur exposé à un toxique. Lorsqu'un médecin, au
point de vue prévention, croit nécessaire d'exiger qu'un
travailleur ne soit plus exposé à un toxique et qu'à cause
de cet état de fait, il y a perte de salaire. En conséquence la
commission décide qu'il y a matière à indemnisation et
à assistance médicale à compter du jour de la cessation du
travail. La présente décision prend effet à compter du 1er
janvier 1974." C'était le 5 juin 1975.
Cela veut dire que la commission reconnaissait au médecin
traitant le droit de décider si un travailleur devait, lorsqu'il
présentait certains symptômes compatibles avec l'exposition
à un produit toxique, être retiré immédiatement du
travail, c'est-à-dire le jour même de l'examen médical, et
que la commission s'engageait, si tel était le cas, à lui verser
la compensation dès le premier jour de l'arrêt de travail prescrit
par ce médecin. Or, votre article 30 représente un recul par
rapport à cet acquis. D'abord parce
qu'il ne garantit plus qu'un travailleur pourra être
indemnisé s'il est retiré du travail sur-le-champ,
c'est-à-dire dès la constatation des symptômes par le
médecin, soit bien avant que la CSST n'ait pris connaissance du
rapport.
Deuxièmement, parce qu'il retire au médecin traitant et
confie à la CSST le pouvoir de juger de la pertinence d'un retrait pour
investigation ou traitement ou d'un changement d'affectation ou de poste, parce
que, étant donné ces deux restrictions, il pêche
sérieusement contre l'esprit même de la prévention en
obligeant, pour ainsi dire, le travailleur malade à continuer de
s'intoxiquer en attendant que la commission n'intervienne. C'est vrai, il y a
du nouveau dans ces articles, un nouveau recul dont on aurait bien pu se
passer.
Quant aux articles 32 à 35 concernant la constitution des
comités de pneu-moconiose, la consécration de leurs pouvoirs,
partagée avec la CSST et leur modus operandi de chapelle close
bénie et payée par la commission, vous ne serez pas surpris
d'apprendre que nous en contestons l'opportunité pour les mêmes
raisons que nous vous avons longuement expliquées au chapitre III du
présent mémoire.
Nous avons ajouté une section sur la Loi sur l'indemnisation des
victimes d'amiantose ou de silocose dans les mines et les carrières et
le projet de loi 42. Nous tenons à intégrer à ce chapitre
quelques remarques concernant les reculs que représenterait pour les
travailleurs actuellement couverts par la loi 52, l'adoption du projet de loi
42. Ces travailleurs atteints de maladie professionnelle non régressive
et affectant des fonctions vitales de l'organisme, se verraient imposer les
mêmes exigences que tous les travailleurs accidentés dont la
réadaptation physique est réalisable.
Ils pourraient donc se voir obligés par la CSST de retourner au
travail après avoir été reconnus silicosés ou
amiantosés. Même si leur médecin traitant s'oppose à
cette mesure, ils se verraient alors attribuer une IRR réduite d'un
montant égal au salaire qu'ils gagneraient s'ils étaient au
travail. C'est tout simplement scandaleux. De plus, comme un grand nombre
d'entre eux, vu les difficultés énormes à faire
reconnaître leur maladie par la commission et les délais
interminables, se voient forcés de se retirer du travail avant
l'âge de la retraite et d'accepter les régimes de
pré-retraite désavantageux auxquels ils sont maintenant
éligibles, tous ces travailleurs seront gravement
pénalisés à nouveau par l'application du paragraphe 3 de
l'article 57 qui prévoit que la réduction de 25% par année
de l'IRR s'applique dans ces circonstances. (17 heures)
En 1975 on reprochait - c'était Camille Laurin qui le faisait -
avec raison au gouvernement d'alors de ne pas reconnaître les mêmes
droits à tous les travailleurs présentant des conditions
similaires, les amiantosés des mines et carrières versus ceux des
usines.
En 1984 on se voit obligé, encore une fois, de reprocher à
l'actuel gouvernement d'imposer les mêmes conditions, cette fois à
des travailleurs présentant des conditions fort différentes,
c'est-à-dire l'obligation de retour en emploi, qu'on ait perdu un doigt
ou deux ou qu'on ait perdu ses poumons. Dans un cas comme dans l'autre, c'est
illogique et déraisonnable mais ça coûte moins cher.
Nous revendiquons: 1. Que la définition même des "maladie
professionnelle", qu'on voudrait voir dénommées "maladie du
travail", soit assouplie permettant ainsi d'y inclure toutes les maladies
occasionnées par le travail. Une maladie n'a pas besoin d'être
caractéristique d'un travail ni reliée directement aux risques
particuliers de ce travail pour être une maladie du travail. Par exemple,
un menuisier effectuant des travaux de menuiserie juste au-dessus d'un
réservoir d'arsenic peut tout autant être intoxiqué par les
fumées qui s'en dégagent que le soudeur affecté à
la réparation de ce réservoir. Croyez-le ou non, c'est ce genre
d'objection qu'on nous sert pour ne pas reconnaître certaines maladies
professionnelles actuellement. Il paraît que ce n'est pas
caractéristique des travaux de menuiserie, des expositions à des
produits toxiques. 2. Que toutes ces maladies soient reconnues sur la base du
diagnostic du médecin traitant, la CSST pouvant exiger que ce
médecin soit un spécialiste, mais choisi par l'accidenté.
On nous objectera que tous les médecins n'ont pas la compétence
nécessaire en cette matière. C'est vrai, et la conséquence
principale de cette insuffisance n'est justement pas qu'ils en détectent
trop mais plutôt qu'ils ne les détectent pas.
Vous savez aussi bien que nous qu'aucun médecin
spécialiste au Québec ne mettra en jeu sa
crédibilité professionnelle en affirmant qu'il se trouve en
présence d'une maladie professionnelle X ou Y s'il n'a pas les
éléments suffisants pour en défendre tout au moins la
présomption. 3. Que la présomption s'applique dans tous les cas
de maladie professionnelle reconnue où il y a compatibilité entre
les symptômes diagnostiqués et les conditions d'exposition ou
d'exécution d'un travail. 4. Que le bénéfice du doute
s'applique en faveur de l'accidenté dans tous les cas où deux
causes de la maladie, dont l'une reliée aux conditions du travail, sont
identifiées comme causes possibles de la maladie. 5. Qu'une distinction
soit faite, quant au droit de la victime d'abandonner définitivement
tout travail rémunérateur, avec garantie d'IRR complète,
entre les
maladies du travail non régressives, affectant des fonctions
vitales de l'organisme, comme les pneumoconioses, et les autres maladies,
surdité ou toute autre forme d'intoxication, qui n'affectent pas les
fonctions vitales de l'organisme, les premiers devant faire l'objet de
dispositions particulières garantissant absolument ce droit au
travailleur qui en est atteint. 6. Que le décès survenant
à un travailleur reconnu atteint d'une maladie professionnelle affectant
des fonctions vitales de l'organisme soit automatiquement reconnu comme
occasionné par cette maladie à moins d'évidence contraire
et qu'en conséquence le conjoint survivant soit éligible à
l'IRR complète sa vie durant. Je vous réfère aux
revendications sur l'indemnisation. 7. Que tout employeur soit tenu de laisser
pénétrer dans son établissement -c'est très
important - toute personne mandatée par l'accidenté et/ou son
médecin traitant et/ou la CSST pour y prélever les
échantillons ou y faire les vérifications nécessaires
à l'établissement du lien entre les symptômes
identifiés par le médecin et les conditions de travail de la
victime. Actuellement, en l'absence de cette mesure, de nombreuses
réclamations sont refusées ou suspendues pendant des mois
à la commission sous prétexte que l'employeur n'a pas fourni les
données nécessaires, échantillons de produits, composition
exacte, prélèvement et mesures de toutes sortes permettant de
compléter l'enquête industrielle.
La satisfaction de ces revendications ne garantira pas à toutes
les victimes un juste traitement de leur cas, mais elle constituerait un
sérieux pas en avant par rapport à la situation actuelle en
matière de réparation, sans compter qu'elle serait aussi à
coup sûr un excellent incitatif pour les employeurs à
éliminer les dangers à la source.
Le chapitre sur les droits d'appel vous sera présenté par
Ginette.
Le Président (M. Rancourt): Mme Champoux.
Mme Champoux (Ginette): Le chapitre V concerne le droit d'appel.
La situation actuelle...
Le Président (M. Rancourt): Je m'excuse, madame.
Voulez-vous vous approcher du micro ou approcher le micro de vous, s'il vous
plaît?
Mme Champoux: La loi actuelle reconnaît aux victimes
d'accident et de maladie du travail le droit d'en appeler d'une décision
de la CSST et conséquemment d'être entendues par l'instance
concernée et cela, à deux niveaux: l'un interne à la
commission, l'autre externe, c'est-à-dire le bureau de révision
et la Commission des affaires sociales. Si on en juge pour le nombre important
d'appels logés à la Commission des affaires sociales et par
l'importance et la teneur des décisions qui y sont rendues, et cela
malgré les délais interminables et les coûts que
représente l'utilisation de ce dernier palier d'appel, la
nécessité de ce dernier ne fait plus de doute pour personne.
Pendant près de 50 ans, les accidentés ont été
réduits à un droit d'appel interne à l'organisme qui avait
rendu la première décision et qui est de plus l'organisme payeur,
représentant collectif d'une des parties en cause.
Cela leur a causé le plus grand préjudice. Ce n'est qu'en
1977, après l'avoir réclamé pendant des années que
nous obtenions le droit d'en appeler à la Commission des affaires
sociales de certaines décisions dont le nombre est limité, mais
dont l'importance est capitale. Nous tenons fermement à ce droit acquis,
malgré qu'il doive s'exercer actuellement dans des délais
irraisonnables, ce qui pourrait être corrigé. Les problèmes
actuels que vivent les accidentés ne tiennent pas principalement
à ce palier d'appel, mais plutôt au premier, au bureau de
révision. Nous avons longuement expliqué, dans notre
mémoire de décembre 1983, les récriminations à
l'endroit de cette instance d'appel. Nous vous y reportons et nous nous
contentons ici d'en rappeler les données essentielles. Les membres de
ces bureaux sont nommés par la CSST elle-même, à la fois
juge et partie, et n'offrent donc pas la garantie minimale d'objectivité
et d'impartialité qui doit être le propre d'un tribunal d'appel.
Ces bureaux n'entendent pas leurs causes dans un délai raisonnable. Dans
la région de Montréal les délais d'audition étaient
de huit mois à un an en 1983. Ils ne jugent pas selon la loi et les
règlements, mais selon les politiques et directives internes de la
commission. Ils ne jugent pas toujours sur la base de la preuve soumise, tant
en matière légale que médicale, et des
éléments contenus au dossier, mais ils ont souvent recours
à des consultations postauditions sur lesquelles les parties n'ont aucun
droit de regard et/ou d'intervention.
Ils se permettent de rendre des décisions sur des questions qui
n'ont été portées en appel par aucune des parties. Le
personnel qui les compose s'avère souvent incapable de juger par
lui-même de la valeur de l'argumentation ou de la preuve soumise et n'a
pas toujours l'attitude impartiale, objective qui doit être le propre
d'un tribunal d'appel. Leurs décisions ne sont pas rendues dans des
délais raisonnables et ne sont pas toujours motivées.
L'accès à ces bureaux est compromis par une politique interne de
la commission limitant de façon déraisonnable le droit de
l'accidenté au remboursement des frais encourus.
Le projet de loi 42, loin d'améliorer la situation en corrigeant
les lacunes et les abus de ce premier palier d'appel, nous impose un recul en
faisant tout simplement disparaître cette instance d'appel et en la
remplaçant par un processus de reconsidération administrative
qui, en plus de garantir la reproduction des mêmes lacunes et abus qui le
caractérisent, abolit son mérite le plus évident: celui de
garantir l'audition des parties. La reconsidération administrative n'est
pas un processus nouveau qui nous est étranger. La commission nous le
fait expérimenter de force depuis un an environ et cette
expérience est bien loin de s'avérer utile dans la
majorité des cas. Ce processus consistant en un réexamen des
pièces au dossier effectué par un fonctionnaire
désigné, en vue de corriger les erreurs qui auraient pu se
glisser lors du processus de prise de décision de première
instance, n'est pas mauvais en soi, mais en aucun cas, on ne peut accepter
qu'il vienne remplacer une instance d'appel où on puisse être
entendu et présenter sa preuve.
Le projet de loi 42 réduit donc le droit d'appel de
l'accidenté au droit d'être entendu seulement en dernier appel, un
dernier appel qui serait aussi le premier et le seul. C'est un recul
inacceptable qui place les accidentés sur un pied
d'inégalité avec les autres citoyens. Qu'on ne vienne pas nous
dire qu'il existe d'autres lois sociales où le
bénéficiaire n'a droit qu'à un seul palier d'appel ou doit
se contenter d'un droit d'appel qui ne peut s'exercer qu'à
l'intérieur des institutions ou organismes mandatés pour
appliquer la loi. Les victimes d'accident et de maladie du travail sont dans
une situation bien différente. Ils doivent affronter en audition une
partie extrêmement puissante et dont les intérêts directs
dans l'aboutissement de la cause ne font plus de doute pour personne. Il ne
faut pas oublier que c'est cette partie, au plus haut point
intéressée, qui fournit la totalité des montants au fonds
d'indemnisation et, qu'en conséquence, elle investit le temps,
l'énergie, l'expertise, l'agressivité et l'argent
nécessaires à la contestation de nos droits.
Nous n'avons pas trop de deux paliers d'appel pour avoir la moindre
chance de les faire respecter, surtout si on tient compte de l'ignorance dans
laquelle ont été maintenues les victimes quant à leurs
droits, quant à la procédure d'appel; de l'inexpérience
qui les caractérise concernant le fonctionnement d'un tribunal et du
fait que plusieurs d'entre elles doivent assumer elles-mêmes leur
représentation devant ces tribunaux.
Ce projet de loi 42 vient aussi consacrer et reconduire des limites
importantes inhérentes à la loi actuelle, concernant l'appel,
l'objet d'appel ou la juridiction du tribunal d'appel. En effet, l'article 247
limite le droit d'appel devant le Commission des affaires sociales à une
décision portant "sur le droit à une indemnité ou sur le
montant ou le recouvrement d'une indemnité". Cette restriction est
inadmissible, en particulier en ce qui concerne notre supposé droit
à la réadaptation (article 138) que nous ne pourrons
considérer comme un droit réel que lorsqu'il sera assorti d'un
droit d'appel devant un tribunal extérieur à la CSST.
De plus, le projet de loi reste muet sur la question des délais
d'audition et de décision. Les détails actuels qui nous sont
imposés enfreignent pourtant sérieusement les principes
élémentaires de justice naturelle.
Un mot en terminant sur l'ineffable article 250 du projet de loi 42 qui
vient renchérir, encore une fois, sur les pouvoirs déjà
presque illimités de l'organisme payeur. Voilà maintenant qu'on
lui donne la permission de réviser, de sa propre initiative, une
décision finale de la Commission des affaires sociales. C'est ce qu'on
appelle réinventer la roue. Aucun autre tribunal ne s'est jamais vu
accorder une telle initiative.
Donc, nous revendiquons: Que la loi garantisse aux accidentés les
deux paliers d'appel, tous deux indépendants de la CSST, organisme
payeur, respectant ainsi le principe élémentaire de justice
interdisant que le juge soit aussi partie dans une cause.
Que ces deux paliers d'appel auront juridiction pour entendre les appels
portant sur toutes les décisions rendues en première instance par
la commission, en particulier sur le droit à la réadaptation.
Que ces deux paliers d'appel respecteront le principe audi alteram
partem et auront mandat de juger sur la base de la loi et des
règlements, excluant toute référence à des
directives internes, des politiques ou des interprétations
établies par l'organisme qui a rendu la décision de
première instance.
Que ces deux paliers d'appel seront composés d'un personnel
offrant des garanties minimales d'impartialité et faisant preuve d'une
compétence suffisamment grande dans les matières
concernées pour juger adéquatement de la preuve soumise, sans
avoir recours à des ressources extérieures après
audition.
Qu'ils auront 90 jours pour en appeler de toute décision devant
chacun des deux paliers.
Qu'ils seront avisés de la date d'audition et recevront leur
dossier complet au moins 30 jours à l'avance.
Que le délai d'audition ne dépassera pas 90 jours, sauf si
une remise est demandée par l'accidenté.
Que le délai de décision, après audition, sera de
30 jours au maximum.
Que tous les frais encourus par la victime pour une audition seront
entièrement
remboursés par la commission et qu'ils pourront être
représentés par la personne de leur choix.
Que les deux paliers d'appel seront tenus de rendre des décisions
motivées et de rendre publique et accessible la jurisprudence
établie par leurs tribunaux respectifs.
Que soient élargis les motifs permettant d'exiger une
prolongation de délais pour les accidentés.
Que les procédures d'appel soient formulées, au recto de
la lettre de décision, dans un langage clair et accessible à
toutes et à tous et que cette décision soit accompagnée
d'un formulaire d'appel que l'accidenté n'aurait qu'à remplir,
signer et retourner s'il désire en appeler.
Qu'un système de traduction soit disponible, aux frais de la CSST
pour les victimes dont la langue maternelle n'est pas le français.
Qu'on maintienne une possibilité pour l'accidenté de
recourir, dans un premier temps, à un processus de
reconsidération administrative.
Que ce processus vienne s'ajouter, et non se substituer, à l'un
ou l'autre des deux paliers d'appel exigés plus haut et qu'il soit
optionnel pour l'accidenté, c'est-à-dire que seul
l'accidenté ait le droit d'y recourir et qu'il ait le choix d'y recourir
ou pas, et qu'un délai maximum de décision soit fixé
à 30 jours pour ce processus administratif. (17 h 15)
Que soit supprimé l'article 250 du projet de loi 42 dans son
esprit et sa lettre, autorisant la CSST à réviser, en toute
circonstance, une décision relevant de quelque instance d'appel que ce
soit qui aurait statué sur sa décision de première
instance.
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: En conclusion, nous pensons avoir
démontré, à travers les cinq chapitres contenus dans ce
mémoire, que le projet de loi 42 va à l'encontre des principes
élémentaires qui devraient être à la base de toute
loi relative à l'indemnisation des victimes d'accident et de maladie du
travail. Nous vous rappelons ces principes de base: la reconnaissance de la
pleine et entière responsabilité patronale en matière
d'accident et de maladie du travail, le principe de non-pénalité
pour les victimes, la reconnaissance de droits fondés sur la justice et
l'équité envers la victime et non sur la capacité de payer
de l'agresseur.
Le gouvernement actuel prétend, du moins dans son discours
publicitaire, s'être appuyé sur ces principes dans
l'élaboration de ce projet de loi, tout au moins faire de la
réalisation de ces principes un objectif à atteindre. Suivant ces
affirmations, on serait en droit de s'attendre que le projet de loi 42
contienne des dispositions permettant d'avancer vers leur réalisation.
Or, on y trouve beaucoup plus de recul que de pas en avant. Dans certains cas,
on y trouve même des dispositions garantissant le non-respect pratique
des acquis en droit qui y sont énoncés, par exemple, le droit
à la réadaptation sans droit d'appel, les pleins pouvoirs
à la commission en matière médicale ou quant à la
détermination de l'IRR réduite.
Cela ne peut s'expliquer que d'une seule façon. Nous ne
soupçonnons aucunement les auteurs de ce projet de loi d'être
porteurs d'incapacité ou de faiblesse intellectuelle, congénitale
ou acquise, affectant leur capacité de raisonner selon les règles
élémentaires de la logique. Il paraît évident que ce
projet de loi a été conçu et rédigé par des
gens qui tentent désespérément de contourner ces principes
en les déformant, de les concilier avec des principes contraires aux
intérêts des victimes. On affirme la responsabilité
patronale, oui, mais on voudrait en même temps que la victime partage
cette responsabilité. Le principe de non-pénalité pour la
victime, oui, mais on voudrait le concilier avec la capacité de payer de
l'agresseur. Le principe du droit fondé sur la justice et
l'équité pour la victime, oui, mais on voudrait aussi que le
pouvoir de juger soit laissé entre les mains du gérant de
l'agresseur. Cela ne marche pas. On ne concilie pas l'inconciliable. Des
principes, cela ne se trafique pas. On peut en discuter
l'interprétation, les délais d'application, mais on ne peut pas
les nier sans que cela paraisse, mine de rien. Quand on n'arrive pas à
invalider les principes, on se rabat en vitesse sur le caractère
supposément impraticable de nos revendications. Face aux plus
légitimes d'entre elles, comme la reconnaissance du caractère
décisionnel du diagnostic du médecin traitant, on brandit
l'épouvantail de la fraude ou de la complaisance, comme si
c'était le risque de l'heure, le problème numéro un que
nous avions à résoudre aujourd'hui.
Nous ne nions pas que certains abus soient possibles. Aucun
système n'en est exempt, mais la CSST elle-même reconnaît
que ces abus sont minimes et ne se produisent que dans une très infime
partie des réclamations. D'ailleurs, depuis quand le gouvernement
refuse-t-il de reconnaître un droit à l'ensemble d'un groupe sous
prétexte que quelques-uns en abuseront? Le gouvernement aurait-il
l'intention de retirer à l'ensemble des entreprises du Québec le
droit de faire des profits sous prétexte qu'il reconnaît que
certaines d'entre elles font des profits excessifs? Cela nous étonnerait
beaucoup. Les grands magasins empêcheront-ils la libre circulation des
clients sous prétexte qu'il y a des gens qui emportent la
marchandise sur leur dos sans payer? Non. Dans un cas comme dans
l'autre, on recourt au système pénal pour juger et châtier
ces coupables. Pourquoi alors priverait-on l'ensemble des accidentés de
droits reconnus à tous les citoyens au cas ou quelques-uns en
abuseraient? Y aurait-il deux poids, deux mesures?
Le projet de loi 42 tel que déposé nous paraît une
tentative du gouvernement de se débarrasser en douce de sa
responsabilité politique. En refusant d'inscrire dans la loi les
garanties nécessaires au respect de nos droits, en remettant à la
CSST les pleins pouvoirs en toute matière, il tente de se mettre
à l'abri des pressions politiques directes. Il se lave les mains en
faisant semblant de ne pas se rendre compte que l'eau n'est pas propre. Ce
projet de loi met en place les mesures nécessaires pour garantir au
patronat que les coûts d'application seront limités et qu'une
partie importante de ces derniers seront assumés par les fonds publics:
Régime de rentes, assistance sociale, assurance-maladie, chômage,
par l'ensemble des contribuables. Il atténue ainsi la
responsabilité du patronat en matière d'accidents et de maladies
du travail, cautionne sa négligence et ne l'incite aucunement à
la prévention.
En déposant ce projet de loi, le gouvernement a fait un choix. Il
a choisi l'intérêt de l'agresseur contre celui de la victime.
C'est pourquoi nous pensons que le gouvernement, plutôt que de tenter
d'amender de toute part ce projet de loi pour le rendre présentable,
devrait plutôt faire amende honorable en le retirant immédiatement
et en s'attaquant à une double tâche: premièrement, en
écrire rapidement un nouveau qui tienne compte cette fois de nos
revendications; deuxièmement, et dans l'immédiat, adopter
très rapidement, comme il a su le faire en maintes autres occasions,
dès l'ouverture de la Chambre, un amendement à la loi actuelle
qui viendrait, pendant ce délai, corriger une injustice flagrante
à l'endroit des accidentés privés de l'indexation de leurs
prestations depuis juillet 1982 et d'indemnités égales à
leur salaire depuis toujours.
En inscrivant, en amendement à la loi actuelle, le droit à
l'indexation annuelle des prestations pour incapacité totale temporaire
rétroactivement à juillet 1982 et le droit à des
indemnités temporaires égales à 100% du salaire net
à partir de la date d'adoption de ce mini-projet de loi, le gouvernement
ferait ainsi preuve d'un minimum de bonne foi à l'endroit des
travailleurs accidentés. Vous comprendrez qu'après avoir
étudié attentivement le projet de loi 42 nous avions plus que
jamais besoin de cette preuve.
En terminant, nous avons produit un appendice à ce mémoire
sur des questions qui sont peut-être de moindre importance par rapport
à la portée des questions qui ont été
traitées dans le mémoire, mais sur lesquelles on aimerait attirer
votre attention, en particulier sur la couverture du personnel domestique. On
est heureux de constater que dans ce projet de loi, on prévoit enfin la
couverture du personnel domestique. On n'est cependant pas d'accord sur les
modalités de cette couverture. Nous n'acceptons pas qu'une distinction
soit faite dans la définition même du domestique, entre ceux et
celles qui habitent et ceux et celles qui n'habitent pas le logement du
particulier qui les emploie. Nous n'acceptons pas que ces travailleurs et
travailleuses soient tenus personnellement ou à travers leur association
de payer leur cotisation comme s'ils étaient des employeurs ou des
administrateurs.
Nous savons tous que le personnel domestique constitue la couche de
travailleurs et de travailleuses la plus mal payée, la moins
protégée, la moins organisée et conséquemment la
moins informée de ses droits, quand on lui en reconnaît. Nous
n'acceptons pas que les particuliers qui embauchent ce personnel domestique
doivent automatiquement échapper au statut et surtout à la
responsabilité d'employeur sous le seul prétexte que ces
travailleurs ont pour tâche de répondre à leurs besoins
particuliers. Nous pensons que les dispositions prévues dans ce projet
pour la couverture du personnel domestique constitue une non-reconnaissance de
fait du droit à la couverture pour une majorité de travailleurs
et travailleuses domestiques. Qu'on ne nous dise pas qu'il serait trop
compliqué de recueillir les cotisations de tous les particuliers
employeurs parce qu'ils sont trop nombreux. On nous a déjà
répondu cela. Ils ne sont sûrement pas plus nombreux que le
personnel qu'ils emploient.
Nous pensons que le projet de loi doit prévoir la constitution,
à même le fonds d'indemnisation, d'un fonds spécial
assurant la couverture du personnel domestique, tout au moins le temps de
mettre en place les mesures permettant d'organiser la perception des
cotisations de ces particuliers employeurs.
Les protestations indignées du patronat qui ne manqueront pas de
s'élever contre cette mesure que nous réclamons ne nous ferons
pas douter de sa justesse. Il serait étonnant que les employeurs au sens
de la loi ne constituent pas une proportion importante de ces particuliers
employeurs de personnel domestique.
Quant aux travailleurs accidentés hors frontières, on
n'est pas en mesure de formuler toutes les dispositions exactes qu'on voudrait
voir inscrites dans le projet de loi sur cette question très complexe.
On constate, cependant, que beaucoup de travailleurs québécois
sont aux prises avec des problèmes insurmontables actuellement et
sont injustement traités lorsqu'ils ont le malheur d'être
accidentés au travail en dehors des frontières du
Québec.
Il ne nous semble pas normal qu'un travailleur québécois
forcé, à cause du taux de chômage élevé,
d'aller gagner sa vie temporairement dans une autre province se retrouve sans
protection aucune à la suite d'un accident du travail survenu pendant
cette période. Le fait qu'il soit couvert par la loi des accidents du
travail de cette autre province n'est aucunement une garantie du respect de ses
droits et cela, pour une raison bien simple: même si certains droits lui
sont reconnus par la loi de cette autre province, il n'a aucunement les moyens,
dans les faits, une fois à distance - une fois accidenté, il
revient chez lui - de les faire respecter, de les défendre et de se
soumettre aux exigences de cette autre loi: convocations à la commission
de cette autre province, visites médicales dans la province voisine,
auditions.
Nous pensons que les ententes interprovinciales devraient permettre un
transfert de ces dossiers et un traitement dans la province où vit le
travailleur accidenté au moment de sa réclamation, ce qui
n'empêcherait nullement ques les coûts soient assumés par le
fonds d'indemnisation des employeurs concernés.
Quant à la responsabilité de la déclaration
d'accident, le projet de loi 42 prévoit que, dorénavant, pour que
son droit s'applique, le travailleur, et non l'employeur, aura la
responsabilité de la déclaration adressée à la
CSST, à la suite d'un accident ou d'une maladie du travail et que
l'employeur aura 20 jours pour déclarer un accident à la
commission et réclamer un remboursement du montant correspondant aux 14
premiers jours d'absence au travail.
Nous nous opposons à cette mesure. Nous revendiquons que
l'employeur soit, comme c'est le cas actuellement, tenu de fournir à la
commission l'avis d'accident et de réclamation dans les délais
les plus brefs - deux ou trois jours - et que le travailleur ait le droit et
non l'obligation de réclamer lorsque son employeur refuse ou omet de le
faire, comme c'est le cas actuellement.
Toutes autres mesures risqueraient de compromettre sérieusement
le respect des droits des travailleurs et constitueraient dans bien des cas un
encouragement ou tout au moins une tolérance à l'égard des
pratiques illégales et/ou répressives de certains employeurs qui
tentent encore de camoufler les accidents qui surviennent dans leur entreprise.
Ce n'est pas chose du passé.
Cette mesure est d'autant plus inquiétante qu'elle pourrait
constituer un pas vers la reconnaissance du principe de responsabilité
partagée, énergiquement réclamée par le Conseil du
patronat. Ce discours délirant du patronat concernant le partage de la
responsabilité en matière d'accident et de maladie du travail se
mérite malgré tout une oreille intéressée du
gouvernement et de la CCST, qui rêvent peut-être d'étendre
le "no fault" à tous les malheurs de l'existence: c'est la faute de
personne, donc c'est la faute de tout le monde.
Les employeurs qui décident et profitent à l'année
longue de l'état déplorable des conditions de santé et de
sécurité de leurs entreprises ne doivent être soustraits
à aucune de leurs responsabiltés ni à aucune des
obligations qui en découlent.
M. Dufour, qui, lors de la commission parlementaire de décembre
1983 nous a longuement expliqué, ce qui n'était d'ailleurs pas
faux, la différence entre le CA et le comité de direction de la
CCST - cela en vue de se soustraire aux critiques et accusations portées
contre la commission -en s'appuyant sur les propos du ministre Marois au CA de
mars 1980, serait bien mal venu aujourd'hui de s'appuyer sur le
pseu-doparitarisme inhérent à la CCST pour exiger un partage des
coûts.
Le partage des coûts existe déjà depuis longtemps
malgré nous, à la commission et dans la société.
Les patrons y mettent la plus grande partie des fonds, mais il faut aussi tenir
compte des pénalités financières subies par les
accidentés. Nous y mettons notre vie et notre santé. Le compte
est déjà bien inégal.
Il y a aussi deux autres articles sur lesquels on voudrait faire des
remarques. À l'article 172 - c'est peut-être un détail,
mais cela a de l'importance dans beaucoup de cas d'accident - on prévoit
à l'alinéa 5 que l'employeur doit transmettre à la
commission les nom et adresse du médecin traitant. Nous pensons que cet
aliéna devrait être supprimé. Cela ne le regarde tout
simplement pas: le travailleur ne devrait en aucun cas être tenu d'aviser
son employeur de l'identité du médecin qu'il a choisi de
consulter.
L'article 175 paragraphe 2 prévoit que le travailleur devra
apposer sa signature dans le registre de l'employeur pour attester l'exactitude
de l'inscription faite par l'employeur au sujet de sa lésion
professionnelle. Cette remarque nous a été soumise aussi par la
FTQ. Elle nous semble dangereuse et les employeurs s'en servent souvent pour
tenter d'invalider toutes autres déclarations plus complètes
fournies ultérieurement par l'accidenté. Nous pensons que ce
paragraphe devrait être retiré et remplacé par l'obligation
pour l'employeur de fournir aux travailleurs une attestation écrite
confirmant l'inscription de son accident au registre de la commission.
Le Président (M. Rancourt): Merci, Mme Lefebvre. Avant de
donner la parole à
M. le ministre, je vais faire remarquer aux deux groupes parlementaires
que, dû à la longueur de la lecture du mémoire, 2 heures et
15 minutes, et compte tenu que nous avons aussi décidé au
début de la rencontre qu'il n'y aurait pas suspension à 18
heures, nous allons partager le temps entre les deux groupes parlementaires
d'ici à 18 heures. M. le ministre du Travail.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je voudrais
remercier Mme Lefebvre, Mme Champoux, M. Lafrance et M. Bourdeau, des
représentations qu'ils nous ont soumises cet après-midi.
Le mémoire réfère de façon très
précise à ce que je pourrais identifier comme cinq grands
chapitres, à l'intérieur desquels vous identifiez des situations
que vous voudriez voir redresser. Ces chapitres sont les suivants: Les
indemnités, le droit à la réadaptation et au retour au
travail, l'assistance médicale, les maladies professionnelles et le
droit d'appel. Évidemment, au plan économique, au plan des
indemnités, vos positions sont très clairement illustrées
dans le mémoire et sont généralement accompagnées
par des exemples pour faire une espèce de corollaire entre ce que vous
appréciez que serait le projet de loi 42 adopté dans son texte
actuel et la loi actuelle. La preuve est maintenant clairement faite depuis
mardi dernier, selon que l'on entend les uns ou les autres, les analyses
à cet égard varient à peu près de tout à
rien et ce n'est que normal qu'il en soit ainsi. (17 h 30)
Compte tenu du très peu de temps que nous avons à notre
disposition et compte tenu également que Mme Lefebvre a suivi avec
beaucoup d'assiduité tous les travaux depuis le début de la
commission, je vais donner des commentaires et souhaiter en obtenir sur trois
ou quatre des cinq chapitres que vous avez identifiés.
D'abord les politiques de réadaptation, le droit à la
réadaptation. Vous le saviez déjà sans doute avant de
l'entendre, Mme Lefebvre, que beaucoup d'organismes qui représentent des
travailleurs et des travailleuses qui font affaires avec la commission en
matière de réadaptation, sont un peu inquiets de ce qui est
convenu d'appeler des pouvoirs discrétionnaires, les pouvoirs
administratifs et ainsi de suite. Je ne veux pas reprendre l'argumentation que
j'ai développée ce matin, pour tenter d'expliquer pourquoi
c'était là. Je voudrais y aller de façon plus directe et
vous demander: Est-ce que vous êtes d'avis que, pour éviter des
interprétations régulières, qui risquent de varier suivant
les circonstances, l'on devrait effectivement inscrire dans le projet de loi
les politiques de réadaptation, en tenant compte que lorsqu'elles y
seront, c'est avec ça qu'il faudra travailler, en tenant compte
également que s'il arrivait que dans la loi des choses ne donnent pas
satisfaction, il faudra enclencher le processus législatif plutôt
qu'administratif pour arriver à la correction de certaines situations
que vous avez identifiées. À cet égard-là, quelle
est la position de votre association?
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: Enclencher le processus législatif
plutôt qu'administratif, cela ne nous fait pas tellement peur parce que
le processus administratif, pour changer les choses, s'est avéré
tellement long jusqu'à maintenant.
Pour répondre plus directement à votre question, on pense
qu'il devrait y avoir un minimum de choses inscrites à
l'intérieur de ce chapitre sur la réadaptation. Un minimum qui
n'y est pas actuellement. On affirme le droit et ensuite on donne des
pouvoirs.
On pense qu'il y a des critères d'admissibilité qui
devraient faire partie de la loi et on les définit dans nos
revendications.
On pense aussi qu'il y a des objectifs que devrait poursuivre la
réadaptation, des cibles qui devraient être inscrites dans le
projet de loi et que même ce minimum, accompagné d'un droit
d'appel, servirait de balise à la commission dans l'attribution des
plans de réadaptation que je vais distribuer à tout le monde. Il
devrait y avoir aussi des énoncés de principe quant au droit du
travailleur de participer à l'élaboration de son plan de
réadaptation. Donc, le droit de refuser certaines clauses qu'il
considère qui ne lui conviennent pas. Bien sûr, ceci aussi
étant sujet au droit d'appel.
Je pense qu'on ne pourrait pas dire: On va prendre tout ce qu'il y a
actuellement comme directives internes - de toute façon surtout pas
celles qui sont là - et on va les inscrire dans le projet de loi. Ce
serait pratiquement impossible mais il y a quand même un minimum et je
pense qu'il faudrait s'attarder à définir ce minimum. Je pense
que de notre côté, on a fait un effort, entre autres des questions
sur les objectifs que doit viser la réadaptation. Cela devrait
être dans le projet de loi. On devrait pouvoir en appeler sur
l'interprétation de ça, c'est-à-dire que lorsqu'on
considère, par exemple, que la commission n'aurait pas fait les efforts
nécessaires pour garantir au travailleur accidenté le maintien de
la qualité de vie et du degré d'autonomie dont il jouissait avant
l'accident, ça s'interprète, bien sûr, mais si on en
appelle de ça on devrait pouvoir être en mesure de faire une
preuve sur ces questions-là.
C'est certain que c'est un domaine dans lequel il est très
difficile de définir toutes
les composantes, mais il devrait y en avoir un minimum qui nous
permettent, avec le droit d'appel, de justifier ce qu'on réclame.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: En fait, ce sont les grands principes de la
réadaptation que vous souhaiteriez voir inclus dans la loi. Je m'excuse
de l'expression, mais les "guidelines", si je vous comprends bien, tout cela,
tout ce mécanisme devrait pouvoir être sujet à appel
même quand il s'agit d'une interprétation qui n'est pas
acceptée par l'une ou l'autre des deux parties.
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: C'est cela. Au fond, c'est qu'il nous semble
vraiment impossible, ce ne serait juste pour personne que d'écrire le
détail de tout ce qui est possible de faire en réadaptation.
C'est impossible. Une solution qui peut paraître la plus juste pour
quelqu'un, par exemple, la formation ou le recyclage académique, peut
être complètement inadéquate pour un autre type
d'accidenté. C'est évident qu'on ne veut pas voir dans la loi: la
commission est obligée de fournir de la formation pendant tant de temps
à tout le monde. C'est aberrant. Pas plus que la commission s'engage
à envoyer tout le monde en recherche d'emploi, c'est aberrant aussi.
Qu'il y ait certains guides qui permettent de dire si nos droits en fonction de
ces objectifs ont été respectés, oui ou non, et qui
nous permettent de faire la preuve qu'ils ne l'ont pas été, quand
ils ne l'ont pas été, et d'obtenir justice.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: C'est davantage vrai quand on
considère l'objectif qui est poursuivi, d'obtenir un dossier
personnalisé de réadaptation. Il est évident qu'on ne peut
pas, à l'intérieur d'une loi, établir tous les
critères qui devraient alors s'appliquer.
Cela va là-dessus. Maintenant, je ne vous cache pas que je suis
un peu étonné de votre argumentation quant à la politique
d'incitatif de retour au travail que l'on retrouve dans la loi. Je pense que je
vais devoir me faire une idée à cet égard parce que
l'autre association syndicale que nous avons entendue partage la même
opinion que vous et arrive à la même conclusion. La
Fédération des travailleurs du Québec taxe l'incitatif de
retour au travail de régime odieux, alors que de votre côté
vous utilisez le terme générosité, mais entre
parenthèses, ce qui est fort significatif. En fait, cela rejoint
passablement ce que la FTQ a dit.
Ce que nous avons dit à la FTQ, mardi soir ou mercredi dernier,
et que nous vous réitérons, c'est que le seul objectif qui
était derrière cela, c'était de prendre en
considération le fait qu'une personne accidentée et qui se
retrouve pendant une longue période de temps en réadaptation
-vous le savez, Mme Lefebvre, vers quelle argumentation je m'en vais - sans
travail et qui a besoin de toutes ses énergies pour
récupérer tant physiquement qu'à tout autre égard,
qui se sent en quelque sorte très souvent dévalorisée
à cause de tout ce qu'elle a vécu, cela nous paraissait
être une espèce d'"encouragement" - entre guillemets - aussi
à un retour au travail.
Maintenant, vous nous dites: II y a un risque sérieux, il y a un
risque important. Cela pourrait aussi devenir un incitatif de retour au
travail, mais de retour prématuré au travail, ce qui pourrait
occasionner des conséquences encore plus graves, en termes strictement
économiques, encore que le paiement de cet incitatif.
Écoutez, vous nous demandez, de façon très claire,
la FTQ l'a fait aussi, de retirer purement et simplement cet incitatif. Je vous
suggère que l'on termine la commission, on va voir comment les autres
associations de représentants de travailleurs et de travailleuses
accidentés, les autres associations syndicales, évaluent cette
situation, cette disposition de la loi et, évidemment, si c'est le voeu
de toutes les personnes que nous avons entendues là-dessus que l'on
retire cet incitatif, c'est évidemment sans aucune hésitation que
nous le ferons.
Vous avez aussi consacré un chapitre, et c'était important
de le faire, à l'assistance médicale. Votre principale
préoccupation est en relation directe, me semble-t-il, avec l'article
132 de la loi. C'est de là que naissent toutes vos
préoccupations. Je suis d'accord avec vous que l'article 132, quand on
le lit dans son texte actuel, porte à une réflexion, une
réflexion qui nous amène à essayer d'évaluer les
conclusions d'interprétation de cet article. Vous savez aussi, Mme
Lefebvre, que depuis le début des auditions, une avenue a
été envisagée. Elle a été soumise à
tous les organismes que nous avons entendus quant à la
possibilité de faire en sorte que la décision finale à
tous égards en matière syndicale soit effectivement remise
à des professionnels de la santé. Je sais qu'on ne se rejoint pas
totalement encore. Je suis tout à fait conscient de cela. Vous exigez,
quant à vous, que le médecin qui, en dernière instance,
serait appelé à trancher un éventuel litige entre deux
autres médecins devrait être celui que le salarié
lui-même choisit. Je sais que c'est le fond même de votre
réclamation ou de vos revendications. Je vous avoue que
là-dessus, j'ai un peu de
difficulté à concourir à la revendication que vous
nous faites, mais puisque vous parlez souvent de moins pire situation,
êtes-vous disposée à regarder le mécanisme que
pourrait prendre la situation dont on parle depuis quelques jours,
c'est-à-dire de demander à la Corporation professionnelle des
médecins de faire des suggestions quant à une liste de
médecins, spécialistes ou omnipraticiens? Cette liste serait
accréditée, comme je l'ai dit à d'autres qui vous ont
précédée, par le Conseil consultatif du travail ou par le
conseil d'administration de la CSST et c'est à ce groupe, en oubliant
pour le moment les technicités qui pourraient entourer son
fonctionnement, que la situation médicale d'un dossier serait remise et
ce serait à lui de se prononcer. Je comprends, encore une fois, que cela
ne rejoint pas complètement votre requête, mais par rapport aux
craintes que suscite l'article 132, il me semble - et évidemment, je
vous le dis pour appréciation - que c'est un bout de chemin important de
fait par rapport aux dispositions de l'actuel article 132. J'aimerais entendre
votre appréciation là-dessus.
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: D'accord. C'est sûr que si vous me demandez
si cette proposition est moins pire que la situation actuelle, je pense que je
vais vous dire probablement que oui, cela va être moins pire, au
départ, en tout cas, peut-être pas à l'arrivée, mais
au début. Ce qui nous intrigue, c'est... On se pose la question
suivante: Qu'est-ce que vous trouvez de pas correct à notre
revendication à nous? On se pose cette question-là. Je vais quand
même continuer de répondre à la question et si vous en avez
l'occasion, j'aimerais bien que vous nous répondiez après. Tout
d'abord, nos préoccupations ne naissent pas de l'article 132 en
lui-même. Elles naissent de la pratique. Nos préoccupations
à l'égard de l'article 132 naissent de la pratique. On voit le
gâchis actuel et on n'a pas envie qu'il se perpétue. C'est vrai
que la Fédération des médecins spécialistes du
Québec a fait une proposition et je voudrais seulement faire remarquer
que la proposition qu'a faite la fédération ne ressemble pas
beaucoup à celle que vous nous rapportez.
Une voix: ...
Mme Lefebvre: Elle se raffine? Ah oui, elle se raffine. En tout
cas, je préférerais la leur à la vôtre.
Cette proposition visait - et je pense qu'elle avait un caractère
assez conservateur qui s'explique par la nature même de la
fédération - à ce que la corporation soit l'organisme qui
nomme les médecins nécessaires pour juger de telle ou telle cause
qui est en litige devant la CSST sur le plan médical. Il n'était
ni question de liste de médecins, de permanence des postes,
d'accréditation de qui que ce soit dans la proposition de la FMSQ et,
à ce titre-là, sa proposition était moins pire que la
vôtre. Bon! (17 h 45)
Le Président (M. Rancourt): S'il vous plaît! Mme
Lefebvre, je vais être obligé de vous interrompre, puisque je dois
protéger le temps des deux groupes parlementaires. Je devais passer la
parole au député de Viau, mais je veux faire remarquer à
la salle qu'elle n'a droit à aucune manifestation d'approbation ou de
désapprobation. Donc, M. le député de Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. Puisque le temps est
limité, j'aimerais poursuivre avec cette question du médecin. Je
comprends certaines appréhensions lorsqu'on parle d'un médecin ou
de toute autre personne qui se trouve sous l'influence d'un patron. Sans aller
dans certains détails, ici même, au salon rouge, il n'y a pas
très longtemps, le premier ministre lui-même a dit - et on a
entendu les témoins - à certaines gens: Réglez - juron -
ou bien je règle. Et c'est un peu cela, lorsqu'on parle du bureau
médical des médecins de la CSST: vous nous laissez avec
l'impression que, puisque il y a des pressions pour couper les dépenses,
les médecins ont tendance à se faire influencer et à
couper vers le bas.
Le ministre vient de dire qu'il avait peut-être une suggestion
meilleure. J'en ai une, moi aussi, et je ne sais pas comment vous allez la
considérer. Dans l'hypothèse où l'on permettrait à
l'accidenté de choisir non un médecin, mais deux médecins
de son choix pour faire une expertise - non un, mais deux - cela est
basé, je pense, sur les expériences. Tous, à certains
moments de notre vie, nous avons vécu, nous avons consulté un
médecin parce que nous nous sentions mal; si on n'était pas
satisfait avec lui on allait en voir un autre pour se rassurer. En prenant
cette hypothèse, à ce moment-ci, je pense qu'il faudrait
l'élaborer, et que les frais de ces expertises - parce qu'on sait
combien cela coûte - soient assumés par la CSST, est-ce que cela
vous irait comme remplacement au système actuel?
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: Pour nous, la question n'est pas de savoir s'il
faut en voir un ou deux. D'ailleurs, dans nos revendications à la page
29, on dit d'abord exiger un premier rapport de spécialiste, si la
commission en veut un; s'il y a des litiges, en exiger un deuxième.
Quant à nous, les accidentés ont
l'habitude d'aller voir des médecins; ce n'est pas une
nouveauté pour eux. S'il en faut deux pour donner un caractère
plus objectif à la décision, ce n'est pas l'objet de notre refus
par rapport aux autres propositions. L'important, c'est que quelqu'un d'autre
que l'accidenté ne décide pas à sa place qui il va aller
voir.
Il ne faut pas se faire d'illusion: cela ne veut pas dire que les
accidentés pensent qu'ils vont toujours tomber sur le médecin
super qui va comprendre tous leurs problèmes. Ils vont peut-être
mal le choisir parfois. C'est pour cela qu'on dit que, même si
c'était satisfait, la justice ne serait pas garantie pour tout le monde.
Mais, on ne voit pas pourquoi il faudrait que quelqu'un d'autre, et de quel
droit, ce serait le payeur qui déciderait à notre place qui va
nous examiner et qui va statuer sur notre état de santé. C'est
cela qu'on n'accepte pas.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Voici l'autre point que je vais essayer d'expliquer
très brièvement et qui a attiré mon attention. À la
page 22 de votre mémoire 1-B, vous dites, en matière de
réadaptation, que l'accidenté n'a pas un mot à dire dans
son choix, au plan des formes de réadaptation et des programmes, ainsi
de suite. On a entendu, depuis quelques jours, du côté patronal,
la suggestion de revoir un peu cette question de financement de la CSST. On
nous a dit ce matin que 1 $ par semaine, par travailleur, cela fait des
millions par année. Encore, dans l'hypothèse où il y
aurait un paritarisme - parce qu'il y a une chance que le paritarisme soit
accepté - est-ce qu'il y aurait un fonds qui serait formé par une
contribution du travailleur -je ne parle pas de l'accidenté, je parle de
celui qui travaille - avec une "contribution" égale de la part de
l'employeur? Il serait possible de créer un fonds pour la
réadaptation, je pense, et que ce fonds soit dirigé
peut-être pas par les accidentés eux-mêmes, mais par des
personnes choisies par les accidentés. Vos commentaires.
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: Je trouve cette proposition inouïe. Pourquoi
faudrait-il qu'on paie pour attirer les membres qu'on s'est fait enlever au
travail dans des conditions qu'on ne contrôle pas? Ce n'est pas la
question du 1 $, si tout le monde est capable de le payer ou tout cela. C'est
une question de principe. Si les accidentés ont besoin de
réadaptation, c'est qu'ils ont été accidentés, ils
ont perdu une partie de leur intégrité physique, ils ont perdu
leur emploi à cause de leur accident parce qu'ils ne contrôlent
pas leurs conditions de travail. Je trouve que c'est assez odieux d'envisager
même l'idée que les travailleurs qui ne contrôlent
absolument rien de leurs conditions de travail et dont la santé est mise
en jeu quotidiennement dans les entreprises soient tenus de cotiser à
quelque fonds que ce soit pour la réadaptation.
M. Cusano: Merci.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci, M. le Président. Je veux remercier les
représentants de l'Assemblée des travailleurs et des
travailleuses du Québec d'être venus devant cette commission. Leur
mémoire constitue un survol impressionnant de leurs revendications. Ce
qui me frappe dans cela au-delà - et je le dis tout bonnement comme cela
ayant eu l'occasion de participer quand même à plusieurs
commissions parlementaires - du ton du mémoire qui me fait m'interroger
un peu et me fait voir jusqu'à quel point vous pouvez être
à bout de patience, c'est un peu comme cela que je l'explique, je ne
crois pas que vous vouliez vraiment donner toute la véritable
signification littérale aux mots que vous employez quand, par exemple,
vous qualifiez les employeurs d'une façon générale
d'agresseurs. J'espère qu'il y a moyen de discuter d'un problème
aussi sérieux qui est celui qui est devant nous devant cette commission
sans employer des termes semblables tout comme je n'accepterais pas que la
partie patronale vienne employer à l'égard des ouvriers, à
l'égard des employés, des travailleurs et des travailleuses des
termes qui seraient des termes qu'ils ne mériteraient pas ou qui ne sont
pas des termes qui sont des termes employés normalement... Je souligne
ici en passant que je vois plutôt dans l'utilisation des termes que vous
avez faite un signe de l'impatience vis-à-vis d'un certain processus
dont vous êtes finalement les victimes. Vous avez apporté la
preuve que, du côté de la CSST, il y a une façon de faire
les choses. Il y a une perception qui est la vôtre de la façon
dont la CSST procède qui fait que vous ne vous sentez pas partie
prenante de tout ce processus et que vous êtes un peu comme
laissés de côté, qu'on vous traite comme étant des
pions ou des jetons purement et simplement. On fait des petits tas et on essaie
que cela balance à la fin de l'année. Je suis le premier à
déplorer cela. J'explique de la même façon le début
de votre mémoire où vous dites que les politiciens qui sont
autour de cette table sont atteints de maladie professionnelle, de
surdité unilatérale. Je vous assure, madame, que je parle
véritablement non seulement en mon nom personnel mais au nom de mes
collègues, j'en suis convaincu. Le travail qui se fait ici se
fait de bonne foi. Nous n'avons peut-être pas l'oreille aussi fine que
vous voudriez qu'on l'ait, mais comme nous devons entendre beaucoup de choses,
il faut éviter aussi l'assourdissement, ce qui fait que nous essayons de
trouver un moyen terme. Je vous assure que, de la même façon cela
n'est pas facile pour vous, ce n'est parfois pas facile pour nous. Ce que je
voudrais savoir plus précisément et ce sera la seule question que
je vais vous poser: les revendications que vous faites dans votre
mémoire et que vous étayez à votre satisfaction, à
vous en tout cas, est-ce que vous avez eu l'occasion de procéder
à une évaluation des coûts de la réalisation de ces
revendications? Il faut quand même toujours parler de coût. Je
pense que personne ne serait plus avancé dans la société
québécoise si, par impossible, par miracle, le ministre disait:
Je prends votre mémoire, je le confie à mes rédacteurs
législatifs et traduisez-moi cela en projet de loi, et qu'une fois le
projet de loi ratifié, sanctionné par le lieutenant-gouverneur,
on soit dans l'impossibilité de l'appliquer parce que la
société québécoise n'en aurait pas les moyens.
Est-ce que c'est une préoccupation qui vous paraît
négligeable ou si tout simplement, d'après vous, cela ne vous
regarde pas? J'aimerais savoir si vous avez eu l'occasion de faire une
recherche quelconque en ce qui concerne ce que coûterait la mise en
oeuvre de vos revendications et de vos propositions.
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: Je vais essayer de vous répondre dans des
termes clairs et que vous comprendrez bien. Vous vous êtes sans doute
rendu compte que la CSST a mis beaucoup de temps à produire son
étude de coûts. Elle est pourtant très bien outillée
pour le faire. Cela me paraît plus drôle qu'autre chose qu'on nous
demande si on a procédé à une évaluation des
coûts quand on sait qui on représente et les moyens dont on
dispose. C'est évident qu'on n'a pas procédé à une
étude des coûts. Non pas qu'on pense que les coûts sont
complètement en dehors de la réalité, mais jusqu'à
maintenant ils sont toujours allés en diminuant. D'ici au jour où
on verra que nos revendications sont prises en considération, cela
servirait absolument à rien de regarder les coûts qu'elles
représentent. Il y a des gens qui s'occupent des coûts à
longueur d'année. On n'a même pas actuellement un minimum de
choses qui correspondent aux revendications qu'on a, qui nous fassent la preuve
de cette bonne foi à l'égard de nos revendications.
Si cette démarche était faite, si les revendications qu'on
a étaient prises en considération, inscrites quelque part, et,
comme vous le dites, par la suite qu'on s'aperçoive qu'il manque de
l'argent pour y arriver, cela serait un point de départ pour la
discussion: qu'est-ce qui manque, où, qui doit payer et comment. On
n'est même pas arrivé à ce point-là puisque ce qu'on
nous propose, ce sont des diminutions de coûts et de droits.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: Pour continuer dans la même veine, est-ce que
vous avez - cela pourrait éclairer en même temps la commission...
Vous regroupez des gens qui sont touchés par l'application de la loi.
Vous connaissez le vécu, comment cela se passe et les
conséquences que cela implique, etc. Est-ce que vous êtes en
mesure de dire à cette commission si vous avez été en
contact avec d'autres groupements, d'autres associations semblables dans
d'autres provinces canadiennes? Comment se situe le Québec au niveau
législatif, au niveau de la protection par rapport à d'autres
provinces canadiennes? Vous en avez brièvement fait mention tout
à l'heure en disant qu'éventuellement un accidenté du
travail qui subit un accident à l'extérieur du Québec, qui
doit revenir au Québec et qui n'est pas capable de faire valoir ses
droits à l'extérieur... Vous n'avez pas élaboré, et
ce n'était pas le but de votre propos non plus, sur la véritable
comparaison entre ce que le Québec accorde comme compensation, aussi
insatisfaisante soit-elle, pour les gens qui sont victimes d'accident du
travail par rapport à ce qui se fait dans la province soeur de
l'Ontario.
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: Effectivement, nous avons des contacts avec les
associations d'accidentés du travail de l'Ontario qui,
étrangement, réclament les mêmes choses que nous et qui
sont aux prises avec les mêmes problèmes que nous. Il y a une loi
qui doit être déposée prochainement en Ontario à la
suite d'une très longue enquête, d'une très longue
commission parlementaire qui a aussi siégé sur cette question.
Leurs revendications ressemblent beaucoup aux nôtres et leurs
inquiétudes sont les nôtres. C'est la constatation qu'on a faite
en particulier lors d'une toute dernière rencontre il y a quelques
semaines.
M. Cusano: Vous voulez poser une question? Allez-y, Mme
Harel.
Le Président (M. Rancourt): Mme la députée
de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Simplement pour
reprendre à l'intervention de mon collègue de Jean-Talon... (18
heures)
M. Doyon: De Louis-Hébert.
Mme Harel: Excusez-moi, de Louis-Hébert. Hier, dans la
journée, on a - Mme Lefebvre était présente -
fréquemment entendu l'expression "abuseur" qui faisait allusion aux
utilisateurs que sont les victimes d'accident de travail. J'imagine que c'est
dans ce contexte qu'on reprend à l'inverse l'usage du mot "agresseur",
d'une certaine façon. On ne s'en sort pas. Voici ce que je vais vous
demander très simplement. Dans la société
québécoise, on a vu se développer beaucoup la notion des
usagers, à savoir leur présence et leur participation dans les
services publics qui les concernaient. Je pense, entre autres, à
l'ensemble des services sociaux ou de santé. Encore dernièrement,
une nouvelle réglementation prévoyait la mise en place de
comités de bénéficiaires dans les centres d'accueil et
dans les hôpitaux. On sait très bien la présence des
usagers déjà dans les CLSC. On le voit dans le domaine de
l'éducation avec des dispositions qui sont à venir sur la
participation dite des usagers, à savoir autant les parents, les
associations étudiantes elles-mêmes, au niveau secondaire, et les
enseignants. Je me pose la question suivante au niveau de la Commission de la
santé et de la sécurité du travail et la présence
d'organisations syndicales et patronales: Serait-il intéressant ou non,
selon vous, qu'on envisage la mise en place de comités dits de
bénéficiaires, d'usagers, c'est-à-dire
d'accidentés? Quelle que soit la rédaction finale de ce projet de
loi, quelles que soient les modifications qui puissent y être
apportées - tout en souhaitant des modifications - il demeure que dans
l'application il y aura - et vous êtes bien là pour en
témoigner, d'ailleurs - toujours à prendre en
considération la réalité des accidentés
eux-mêmes. Que pensez-vous de cette hypothèse de faire appel aussi
à des comités de bénéficiaires qui, au même
titre que la participation des usagers dans les autres services publics,
feraient valoir le point de vue de ceux qu'ils représentent?
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: Je ne serais pas en mesure de répondre
à cette question. C'est une question dont on n'a pas du tout
discuté et je ne voudrais pas prendre à mon propre compte
d'engager l'ensemble des associations que je représente aujourd'hui en
tant que porte-parole. Je pense que c'est une question qui peut être
intéressante, mais dont on devrait discuter avant de prendre position
sur une telle chose.
Le Président (M. Rancourt): Mme la députée
de Maisonneuve.
Mme Harel: Je voudrais simplement vous demander, Mme Lefebvre, si
vous-même ou les gens que vous représentez se sentent
représentés au sein du conseil d'administration de la CSST.
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: Je ne sais pas très bien ce que cela veut
dire "représenté", étant donné les fonctions
même et ce qu'est le conseil d'administration de la CSST. C'est certain
qu'on ne sent pas que le conseil d'administration de la CSST est le garant de
nos droits. Par expérience, depuis le temps qu'il existe, on voit bien
que ce n'est pas cela. Qu'est-ce que cela veut dire, être
représenté à un conseil d'administration qui a les
fonctions et qui a le type de pouvoirs qu'il a? Non, je ne le pense pas. On ne
se sent pas particulièrement représenté en tant
qu'accidenté et je ne pense pas que les fonctions qui sont
attribuées au conseil d'administration sont celles de
représentation des accidentés.
Le Président (M. Rancourt): Mme...
Mme Harel: Et les organisations syndicales qui y siègent
sont en liaison directe avec vous?
Le Président (M. Rancourt): Mme Lefebvre.
Mme Lefebvre: Oui, on a des contacts avec les organisations
syndicales.
Mme Harel: En liaison au sens où elles reprennent vos
revendications et votre point de vue?
Mme Lefebvre: II y a beaucoup de revendications communes qui sont
mises de l'avant par les centrales syndicales et par les associations
d'accidentés. C'est tout à fait normal puisque ce sont des
organisations de travailleurs et qu'elles font face aux mêmes
problèmes. Il y a énormément de points communs dans les
revendications des centrales syndicales et des associations
d'accidentés. On espère qu'ils seront tous communs un jour.
Le Président (M. Rancourt): Mme la députée
de Maisonneuve.
Mme Harel: ...
Le Président (M. Rancourt): Donc, le
mot de remerciement habituel, M. le député de Viau.
M. Cusano: Oui, merci, M. le Président. Au nom de ma
formation politique, je tiens à vous remercier. S'il y a quelque chose
qu'on peut dire, c'est que vous avez quelque chose en commun avec les patrons,
vous présentez un très bon mémoire. Merci.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre du Travail.
M. Fréchette: M. le Président, je veux simplement
ajouter mes remerciements à ceux que vient de faire le
député de Viau et concourir à la remarque qu'il vient de
faire quant au contenu du mémoire. Je veux remercier également
les représentants de l'association et tous les membres qui
étaient présents. Merci.
Le Président (M. Rancourt): Je remercie donc le groupe qui
représentait l'Assemblée des travailleurs et travailleuses
accidentés du Québec de leur collaboration. À la demande
des deux groupes parlementaires, je suspens les travaux de la commission pour
cinq minutes.
(Suspension de la séance à 18 h 6)
(Reprise de la séance à 18 h 20)
Le Président (M. Rancourt): À l'ordre, s'il vous
plaît! Veuillez prendre place. Reprise après cette suspension de
quelques minutes pour entendre le mémoire du Conseil conjoint no 91 des
teamsters du Québec. Je demanderais aux représentants de ce
groupe de bien vouloir prendre place à la table et demander au
président de se présenter et de présenter ceux qui
l'accompagnent.
Conseil conjoint no 91 des teamsters du
Québec
M. Lacroix (Louis): M. le ministre, Louis Lacroix,
président du Conseil conjoint no 91 des teamsters. À ma droite,
M. Pierre Soucisse, conseiller syndical pour le conseil conjoint. Au bout de la
table, M. Pierre Deschamps, vice-président du Conseil conjoint no 91 des
teamsters.
Le Président (M. Rancourt): D'accord. Le mémoire
sera lu par qui?
M. Lacroix: M. Pierre Soucisse va faire la présentation du
mémoire.
Le Président (M. Rancourt): D'accord. Je reconnais M.
Pierre Soucisse.
M. Soucisse (Pierre): Bonjour. M. le ministre, pour nous, le
projet de loi est un net recul pour l'ensemble des travailleurs concernant
l'indemnisation des accidentés du travail et des victimes de maladie
professionnelle. Un recul au niveau purement financier. L'énoncé
du livre blanc, qui date de 1978, par lequel le gouvernement s'engage à
indemniser adéquatement et complètement les travailleurs et les
travailleuses pour les conséquences humaines et financières des
accidents du travail et des maladies professionnelles est plutôt
décevant. Cette façon d'indemniser à la baisse un
travailleur et une travailleuse en réadaptation sociale; cette
façon de terminer les indemnités à 65 et 68 ans en
crescendo, comme si le travailleur ou la travailleuse gravement atteint cessait
de vivre ou de subir les conséquences sociales des suites d'un accident
à cet âge; cette façon de limiter un temps de
guérison, disons, à trois ans; cette façon de donner une
valeur plus grande à un bras amputé à 20 ans qu'à
un bras de 60 ans; cette façon de s'ingérer dans les relations de
travail; cette façon de laisser la discrétion d'application
à la commission sur certains points majeurs; cette façon de
donner accès à l'employeur aux dossiers médicaux des
accidentés; cette façon de promulguer la loi en partie seulement
dans un espace de temps imprécis, c'est sur ces quelques points que nous
limiterons notre intervention.
L'indemnisation pendant l'arrêt médical. Avant toute chose,
la victime d'un accident est en droit de recevoir tous les soins
nécessaires jusqu'à sa guérison complète ou
jusqu'à l'atteinte d'un plateau dans le processus de guérison,
que le droit au choix du médecin traitant ne soit pas nié par des
décisions souvent farfelues et contradictoires émanant de la
bureaucratie médicale de la commission. La majorité des
décisions de la commission contestées concerne des
décisions d'ordre médical, du moins en ce qui nous concerne. En
certains cas, il s'agit d'une question de relations. Tantôt ce sera le
manque de détails sur les rapports médicaux et, en d'autres
circonstances, il s'agira d'attribuer la responsabilité d'un traumatisme
sur la considération de "l'état préexistant", un terme
utilisé abusivement par la bureaucratie médicale de la commission
pour mettre fin à des paiements d'indemnités.
La durée des traitements prescrite par les praticiens est
également remise en cause par la médecine électronique de
la commission. Or, le présent projet de loi ne règle aucun de ces
problèmes. Au contraire. La discrétion de la commission, par
l'article 132, nie les droits accordés à l'article 129, en plus
de décider de la durée, de la nature, de la
nécessité de l'assistance. À partir du moment qu'un
travailleur, une travailleuse choisit un médecin et que ce dernier peut
se faire dicter à tout moment par la commission la
nécessité de lui prodiguer des
soins, la nature, la suffisance et la durée des soins à
prescrire, que reste-t-il au professionnel de la santé praticien? Que
reste-t-il au droit de choisir le professionnel de la santé de son choix
quand ce dernier est contrôlé par la médecine
bureaucratique de la commission, selon l'article 132? De deux choses l'une: Ou
tous les médecins praticiens sont incompétents concernant le
traitement adéquat à des accidentés du travail, ou le
contrôle attribué à la commission par l'article 132 est
d'ordre purement économique. On veut bien que les travailleurs et les
travailleuses accidentés reçoivent les soins nécessaires,
mais pas à n'importe quel prix, semble-t-il.
Si le législateur, par l'article 132, entend contrôler les
abus possibles ou/et s'il prévoit que certains médecins n'ont pas
prescrit les bons remèdes, les bons traitements ou des traitements de
trop longue durée ou inadéquats, alors, dans ces cas, que la
commission en fasse la preuve et intente des poursuites devant les tribunaux,
puisque de toute façon le présent projet de loi entend
considérer les erreurs médicales comme faisant partie des suites
de l'accident, donc, indemnisables au même titre. Qu'il évite
à tout prix de placer l'accidenté entre deux décisions
médicales contradictoires lesquelles le place devant le dilemme de
poursuivre ses traitements sans indemnité ou retourner travailler avant
la fin des traitements prescrits. Ce genre de situation est vécu par des
centaines d'accidentés à tous les jours. Le présent projet
de loi, loin de régler ce type de problème, l'amplifie en
précisant la discrétion de la commission qui aura autorité
pour trancher et en ne reconnaissant expressément pas dans ce projet de
loi, en accord avec l'article 129, l'opinion, les diagnostics, les soins et la
durée des soins prescrits à un accidenté du travail par
les médecins spécialistes praticiens.
Les dispositions de l'article 132 sont donc, à notre avis,
abusives et méprisantes pour les médecins spécialistes
praticiens. Encore dernièrement, dans un cas litigieux et complexe, la
commission, après avoir choisi, à deux reprises, trois
médecins de trois spécialités différentes pour
trancher sur une question de relation, a décidé, à
l'encontre des médecins spécialistes qu'elle a elle-même
choisis, de refuser une réclamation qui fut, deux ans plus tard, devant
la Commission des affaires sociales, renversée. Entre-temps, le
travailleur avait perdu sa maison. Voir le dossier. Nous pourrions
élaborer longuement sur d'autres cas tout aussi aberrants.
Nous sommes en présence d'une dictature médicale
émanant de la commission dont les fondements de nombreuses
décisions sont, pour le moins, discutables. L'article 132 confirme ce
pouvoir de dictature où il n'y a plus de place à la
discussion.
La durée des traitements. Prévoir qu'un accidenté
pourra être indemnisé pour une période maximale de trois
ans, c'est la preuve sublime selon laquelle ce projet de loi n'est pas
d'indemniser les travailleurs et travailleuses accidentés
adéquatement, mais plutôt de planifier, de contrôler et
d'administrer les dépenses découlant des accidents du travail et
des maladies professionnelles.
Nous aimerions que soit confirmé, dans le présent projet
de loi, que le travailleur ou la travailleuse accidenté sera pleinement
indemnisé, aussi longtemps qu'il ou qu'elle sera sous traitement
médical.
Indemnités de remplacement. Les articles 79 et 80 laissent une
discrétion en indemnisant selon des situations purement
hypothétiques. Le texte de loi devrait s'en tenir à un emploi
réel ou un emploi existant que le travailleur ou la travailleuse aurait
refusé sans raison valable. En accordant une indemnité
basée sur des situations hypothétiques, on peut imaginer les
distorsions d'application selon la région, l'âge, le sexe, le
degré d'instruction, etc., bref, objet à discrimination selon une
appréciation purement subjective.
Indemnités pour dommages corporels. L'annexe B établissant
les montants octroyés pour les séquelles permanentes nous semble
à la fois insuffisante et discriminatoire. Insuffisante, partant du fait
que l'on est présentement dans un régime où cette
évaluation donne lieu à des rentes, la vie durant dans certains
cas, et des montants forfaitaires beaucoup plus élevés que ceux
proposés dans le présent projet de loi. Il y aurait lieu
d'augmenter d'une façon significative ces montants forfaitaires tout en
réalisant des économies substantielles, compte tenu de
l'élimination des coûts actuariels imposés par le
régime actuel.
D'autre part, les montants correspondant aux pourcentages
accordés selon le barème doivent être refaits de
façon à se rapprocher du montant que la loi actuelle accorde aux
travailleurs en utilisant un âge moyen de 35 ans et le montant maximal
assurable utilisé comme salaire pour construire le tableau des montants
forfaitaires tout en limitant à 100% l'évaluation égale
à 100 000 $.
Compte tenu que ces montants sont un dédommagement pour des
séquelles permanentes, donc une façon de dédommager et non
d'indemniser ou de guérir, un travailleur ou une travailleuse recevrait
le même montant pour une même séquelle, sans égard
à son revenu annuel, sans égard à son âge ou
à sa situation familiale. L'indemnité forfaitaire correspondrait
au dédommagement non réparable autrement. Dans cette perspective,
le bras d'un travailleur au salaire minimum aurait la même valeur de
séquelles que le bras d'un travailleur ayant
un revenu de 35 000 $ par année; le bras d'un jeune travailleur
aurait la même valeur que celui d'un travailleur plus âgé.
On pourrait retrouver, par exemple, un D.A.P., c'est-à-dire, 1%
égale 2000 $, de la réadaptation sociale. 50% équivalent
à 100 000 $ et de 51% à 100% égalent 100 000 $. C'est pour
reconnaître, selon une jurisprudence actuelle, qu'à partir de 50%
d'incapacité, un travailleur ou une travailleuse est, à toutes
fins utiles, reconnu généralement, par la Régie des rentes
du Québec, comme complètement handicapé. À partir
de 50%, il n'y a plus grand-nuance entre être handicapé à
50% ou l'être à 100%. (18 h 30)
De la réadaptation sociale. À l'article 143 du projet de
loi, on retrouve un plan de réadaptation pouvant comporter plusieurs
programmes. Nous aimerions retrouver une disposition privilégiant la
réadaptation du travailleur ou de la travailleuse au sein de la
même entreprise et dans sa même fonction en adaptant son poste de
travail lorsque c'est possible. Lorsque cette solution est impossible,
favoriser, en deuxième priorité, la formation en vue de
réintégrer le travailleur ou la travailleuse dans une fonction
différente, dans la même entreprise. Lorsque ces deux solutions
sont impossibles à réaliser, préparer un plan de
réadaptation selon l'article 143. En accordant priorité à
la réintégration du travailleur ou de la travailleuse dans le
même entreprise, les conséquences financières et sociales
des accidentés sont amoindries. L'adaptation des postes de travail est
une action concrète de prévention.
Dans cet esprit, le droit de retour au travail prévu à la
section II, soit les articles 145 et suivants, ne devrait pas comporter de
délais d'absence prévus à l'article 147,
c'est-à-dire la limite de deux ans pour avoir droit de retourner au
travail au sein de la même entreprise. Dans le même sens, en
éliminant les délais, cette section devrait s'appliquer à
tous les travailleurs et travailleuses puisque, selon les termes de l'article
145, cette section s'appliquerait uniquement aux travailleurs et travailleuses
sans convention collective. C'est seulement dans des conditions semblables que
l'on pourrait qualifier cette section de véritable droit de retour au
travail.
La limite d'absence maximale de un ou deux ans, selon le cas, pour
bénéficier de l'application de la section II est sans rapport
avec la possibilité de réintégrer le même emploi ou
un autre emploi au sein de la même entreprise. Il s'agit plutôt de
l'appréciation des séquelles en regard des exigences d'emploi du
travailleur ou de la travailleuse, ou de l'emploi disponible dans l'entreprise.
L'article 149 devrait également être corrigé en biffant le
149, 2°: "cesse d'accumuler des jours de vacances et de congé de
maladie". Cette prévision va à l'en- contre d'un privilège
déjà accordé dans la loi des normes minimale du travail
concernant les jours de vacances accumulés. Concernant les congés
de maladie, les règles établies dans l'entreprise doivent
prévaloir, qu'il y ait convention ou non, en présumant que la
présente section s'applique à tous les travailleurs et
travailleuses.
Appel des décisions. Au moment où les décisions des
bureaux de révision de la commission font preuve d'une certaine
efficacité - trois ou quatre mois de délai -plus de la
moitié des cas solutionnés en faveur des accidentés, le
législateur semble préférer engorger davantage les appels
devant la Commission des affaires sociales où le rôle
présentement se situe à deux ans d'attente. De nombreux cas sont
réglés par des témoignages. Or, la révision
administrative proposée et en vigueur présentement ne nous
épate pas outre mesure puisque ce sont, semble-t-il, les mêmes
médecins qui révisent leurs propres opinions. Nous demandons de
maintenir les bureaux de révision à cause de l'augmentation de
leur efficacité particulièrement au cours des deux
dernières années.
D'autre part, nous demandons que l'article 247 soit modifié afin
de donner pleine juridiction à la Commission des affaires sociales pour
réviser toute décision rendue par la commission en vertu de la
présente loi.
À l'article 250, troisième alinéa, où l'on
énumère les conditions pour réviser une décision
finale: "lorsque, depuis la décision, il a été
découvert une preuve et qu'il appert: "a) que si elle avait
été apportée à temps, la décision eût
probablement été différente; "b) qu'elle n'était
connue d'aucune partie; et "c) qu'elle ne pouvait pas, avec toute la diligence
raisonnable, être découverte en temps utile." Les paragraphes b)
et c) devraient être biffés puisque la condition dictée en
a) est juste et raisonnable.
Proclamation de la loi, article 364. Le projet de loi tel que
rédigé est inacceptable pour les travailleurs et travailleuses:
la très large discrétion laissée à la commission
pour l'application de la loi, les nombreux éléments
discriminatoires en raison d'âge, un droit de retour au travail pouvant
servir à se débarrasser plus facilement d'un accidenté
après un an ou deux ans, un régime servant uniquement à
budgétiser les coûts des accidents du travail.
Cependant, ce projet de loi serait acceptable en apportant les
modifications qui s'imposent pour indemniser les accidentés d'une
façon juste et équitable. À tous égards, nous
demandons avec insistance que ce projet de loi, après modifications,
devienne en vigueur dans tout son ensemble à une même date.
On n'entend pas ici les articles de concordance avec d'autres lois.
Nous blâmons le présent gouvernement pour sa façon
de promulguer ses lois, c'est-à-dire en partie seulement. Les quelques
articles de la Loi sur la santé et la sécurité du travail,
la loi 17, qui intéressent les travailleurs et les travailleuses, soit
les articles concernant les comités de santé et le
représentant à la prévention ne sont toujours pas en
vigueur. Tous savent combien cette loi a été publicisée.
Quel outil précieux ce devait être pour les travailleurs et
travailleuses! La Loi sur l'accès aux documents des organismes publics
et sur la protection des renseignements personnels, la même chose, il n'y
a pas la moitié de ses articles promulgués.
Le Président (M. Rancourt): M. Soucisse...
M. Saucisse: M. le Président, si vous me le permettez.
Nous avons ajouté des modifications d'ordre technique. On pourrait vous
en faire part puisque c'est très court.
Le Président (M. Rancourt): Bien sûr, allez-y.
M. Soucisse: Cela concerne les articles 141, 142 et 143.
L'imprécision concernant ces articles en termes de critère
d'admissibilité, de durée des programmes et du choix du
travailleur et de la travailleuse à un programme nous laisse dans
l'incertitude. Nous n'avons aucune raison de croire ou, plutôt, nous
avons toutes les raisons de croire que les critères
d'admissibilité pourront varier selon la discrétion de la
commission et que la durée des programmes et leur contenu seront
également modifiables à la discrétion de la commission. De
la façon dont la commission agit présentement, en volant, entre
autres, les indemnités d'assurance-chômage, en refusant
l'accès à de l'information à de nombreux
accidentés, on ne peut imaginer par quelles transformations la
commission effectuera de la véritable réadaptation. À
l'article 44, modifier "de même qu'une personne qu'il autorise
expressément à cette fin" par "de même qu'à son
représentant", L'article 44, c'est la transmission des rapports
médicaux, l'obtention d'un dossier médical par
l'accidenté. À l'article 44, on spécifie "de même
qu'une personne qu'il autorise expressément à cette fin". Nous
suggérons de le remplacer par "de même qu'à son
représentant". Ceci est admis par d'autres tribunaux administratifs - la
CAS, entre autres - dans le but d'éviter de surcharger la bureaucratie
déjà lourde.
Les articles 45 et 46 devraient être abrogés. Le dossier
médical d'un accidenté doit demeurer confidentiel et l'employeur
devrait avoir accès à ces dossiers seulement dans les cas de
contestation. Dans le même ordre d'idée, à l'article 133,
le législateur devrait spécifier que les rapports d'examens
médicaux faits à la demande d'un employeur doivent être
transmis au travailleur, à la travailleuse et à la
commission.
Le Président (M. Rancourt): Terminé?
M. Soucisse: Oui.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Nos
invités nous ont présenté un mémoire fort concis en
même temps qu'en termes très clairs. Je vais essayer de suivre
l'exemple que vous venez de nous donner pour y aller aussi rapidement que
possible.
J'apprécierais, M. Soucisse, que vous nous disiez en quoi
l'article 145 du projet de loi ferait en sorte que le droit de retour au
travail ne s'appliquerait que là où il n'y a que des conventions
collectives.
M. Soucisse: Où il n'y a pas de convention collective.
M. Fréchette: Je m'excuse, c'est cela, où il n'y a
pas de convention collective. J'essaie de voir dans le texte... Si c'est ce que
le texte veut dire, il est bien évident qu'il va falloir procéder
à...
M. Soucisse: On l'a peut-être mal interprété,
remarquez. À l'article 145, on peut lire: "La présente section -
la section II - s'applique...
M. Fréchette: Oui.
M. Soucisse: ...au travailleur victime d'une lésion
professionnelle dont le contrat de travail est pour une durée
indéterminée...
M. Fréchette: C'est cela.
M. Soucisse: ...et qui compte dans le même
établissement au moins trois mois de service continu au sens de la Loi
sur les normes du travail."
M. Fréchette: Bon! Je vais essayer d'expliquer l'intention
du législateur à partir d'un exemple. La situation qui est
visée par cette disposition pourrait être la suivante: à
supposer, par exemple, qu'un travailleur ou qu'une travailleuse est
engagé chez un employeur X et qu'ils conviennent tous les deux, au
moment de l'engagement, que les services sont retenus pour un mois, c'est un
contrat de travail à durée déterminée et,
là, vous avez raison de dire que l'article 145 ne
s'appliquerait pas, mais, quand il y a des conventions collectives, il
n'y a pas - me semble-t-il, en tout cas - de dispositions qui font en sorte que
la prestation de travail est pour une durée déterminée. En
tout cas, je vous soumets cela et c'est peut-être, encore une fois, une
façon d'interpréter ou d'évaluer la disposition. Si vous
avez des inquiétudes à cet égard, n'hésitez pas
à les faire évaluer et à nous le dire, parce que c'est
clair que l'objectif ou l'intention, c'est de faire en sorte que la loi
s'applique là où il y a aussi des conventions collectives, c'est
évident. C'est l'intention. S'il y a une erreur, encore une fois, dans
la rédaction du texte et que l'interprétation peut être
douteuse, nous allons faire en sorte de corriger le texte en question.
Vous avez aussi manifesté des inquiétudes quant à
l'article 132 du projet de loi, qui est celui qui prévoit les
modalités d'application de l'assistance médicale. Je vous signale
que, depuis que les auditions de la commission parlementaire ont
été amorcées mardi matin, tous les groupes qui sont
passés en audition ont manifesté la même inquiétude.
Que ce soit du côté patronal ou du côté syndical,
tout le monde a attiré notre attention sur la rédaction de cet
article et, au fur et à mesure que nous entendons des
représentations, nous nous convainquons de la nécessité de
procéder à des modifications. Ce qui retient
particulièrement notre attention jusqu'à maintenant, c'est la
possibilité de faire en sorte qu'une décision finale, en
matière médicale, soit rendue par des médecins, des
professionnels de la santé, de sorte que l'article serait amendé
en conséquence. On ne lirait pas l'article de la même
façon. Cela aussi est une représentation qui est retenue. Il ne
nous reste qu'à voir de quelle façon nous allons, par ailleurs,
coucher, dans un texte de loi, les suggestions qui, jusqu'à maintenant,
nous ont été faites.
Je voudrais aussi essayer d'avoir un peu plus de précisions de
votre part quand vous dites, dans les conclusions de votre mémoire, que
les quelques articles de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail, la loi 17 qui intéressent les
travailleurs et les travailleuses, soit les articles concernant les
comités de santé, le représentant à la
prévention, etc., ne sont pas encore en vigueur. Il me semble qu'ils le
sont dans les deux cas. Dans le cas de la formation des comités de
santé et de sécurité, l'avis a même
été publié dans la Gazette officielle. Dans le cas des
représentants à la prévention, cela a aussi
été prépublié, non pas publié pour adoption,
mais prépublié pour permettre à ceux qui ont des
objections à formuler de pouvoir le faire. Je ne sais pas si vous avez
d'autres motifs ou des motifs de croire que ce ne serait pas en vigueur
actuellement.
Le Président (M. Rancourt): M. Soucisse.
M. Soucisse: Ces articles de loi concernant les comités de
santé, les règlements concernant les comités de
santé sont entrés en vigueur par ordre de priorité de
secteur. C'est exact. C'est un peu ce qu'on exprimait dans le sens que, pour
nous, un travailleur de la construction ou un travailleur qui travaille dans la
guenille, autrement dit, un mort qui travaille dans un job de guenille ou dans
l'alimentation doit avoir la même importance qu'un travailleur de la
construction. Le projet de loi est très "focussé" sur la
construction. Nous sommes entièrement d'accord que le niveau d'accidents
et de gravité d'accidents, dans ce secteur, est très
élevé. Par contre, il n'y a rien qui empêcherait de donner
la même prérogative à tous les travailleurs de s'offrir,
par la loi, des comités de santé. C'est le reproche qu'on fait de
fonctionner par étapes.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: Si, effectivement, ce à quoi vous
faites référence dans les conclusions de votre mémoire,
c'est la mise en application par secteur, là-dessus, je vais convenir
avec vous que vous avez raison.
M. Soucisse: Par secteur et au moment où la loi 17
même est entrée en vigueur par partie. À notre avis ce
n'était pas toujours justifié dans le sens que, même les
comités de santé, la loi étant en vigueur, ils sont venus
par après. Je veux dire, seulement sur le principe d'avoir un texte de
loi et d'avoir la surprise, par la suite, qu'il y a une certaine partie de ces
articles que du monde attend qui viennent en vigueur deux ans après,
cela retarde... Si on avait su, voilà quatre ans, que ces articles
viendraient en vigueur plus tard, on aurait prévu des choses en
conséquence dans les conventions collectives. Il y a déjà
certaines de nos conventions qui prévoient d'appliquer ces articles de
la loi qui ne sont pas encore en vigueur en attendant qu'ils le deviennent.
Donc, cela a créé une espèce d'ambiguïté sur
une période de deux ou trois ans de dire: Est-ce qu'ils viennent en
vigueur bientôt? On nous promet dans six mois, un an. Cette
ambiguïté, c'est le reproche qu'on fait et c'est ce qu'on voudrait
éliminer par l'application de la présente loi. Si, par exemple,
les articles concernant la réadaptation sociale devaient entrer en
vigueur un an et demi après l'application de la loi, ce serait
légèrement frustrant. Si vous comprenez.
Le Président (M. Rancourt): M. le
ministre.
M. Fréchette: Oui, je vous comprends très bien. Je
vous signale que les explications que vous venez de nous donner contribuent
aussi à clarifier la situation à laquelle vous avez fait
référence. Dernière observation quant à moi, M. le
Président. Dans votre mémoire, vous semblez privilégier
l'efficacité des bureaux de révision davantage que
l'efficacité de la Commission des affaires sociales. Est-ce que j'ai mal
lu? (18 h 45)
M. Soucisse: Vous avez mal lu. En tout cas, vous avez mal
interprété, si vous avez bien lu. Dans votre projet de loi, les
bureaux de révision actuels de la commission sont abolis. C'est
remplacé, à toutes fins utiles, c'est même en vigueur dans
les bureaux de la commission, par un type de révision administrative.
Pour nous, cette démarche supplémentaire de révision
administrative, cela ressemble à quelqu'un qui reprend le travail de
l'autre et qui regarde s'il est bien fait ou mal fait. Ça se limite un
peu à ça. Autrement dit, ce n'est pas nécessaire de mettre
dans un projet de loi qu'un supérieur révise le travail d'un
subalterne pour voir s'il a bien pris la bonne décision. À toutes
fins utiles, pour nous, la révision administrative, c'est ça. On
ne veut pas abolir l'appel devant la Commission des affaires sociales, mais, en
abolissant le Bureau de révision de la CSST qui élimine une bonne
partie des cas, c'est-à-dire qui ne se rendent pas à la
Commission des affaires sociales, on dit que la révision administrative
n'éliminera pas autant de cas parce qu'il n'y a pas d'audition. C'est
une question administrative plus qu'autre chose. Si 90% des cas
contestés se présentent devant la Commission des affaires
sociales, l'engorgement sera double devant ladite commission. On prétend
que la révision administrative n'élimine pas de cas d'appel
autant que le Bureau de révision actuellement peut en
éliminer.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: C'est ma dernière question. À
supposer qu'on fasse une évaluation globale de tous les
mécanismes d'appel, tant au niveau de l'efficacité administrative
en termes de délai, de préoccupation de rendre vite les
décisions, prenons tout ce qui existe actuellement comme
mécanisme. Si on suggérait, par exemple, que le Bureau de
révision et la Commission des affaires sociales soient remplacés
par une espèce d'autre commission - on n'est pas capable de l'identifier
pour le moment et de lui donner une appellation très précise -
qui serait habilitée à entendre toutes les matières
contentieuses ou litigieuses qu'actuellement autant le Bureau de
révision que la Commission des affaires sociales décident, mais
cette possible nouvelle commission serait complètement
indépendante à tous égards de la Commission de la
santé et de la sécurité du travail, indépendante
à tous égards, indépendante politiquement dans le sens que
ce ne serait pas la Commission de la santé et de la
sécurité qui paierait pour un organisme comme celui-là,
qui pourrait être régionalisé, à l'intérieur
duquel on retrouverait le personnel suffisant et compétent pour
procéder rapidement aux auditions des litiges, est-ce que c'est le genre
de chose que vous êtes disposés à regarder?
Le Président (M. Rancourt): M. Soucisse.
M. Soucisse: En ce qui nous concerne présentement, les
deux paliers d'appel nous plaisent beaucoup dans le sens que le premier palier
d'appel, le bureau de révision, éclaircit souvent une question.
Il indique quelle précision supplémentaire il faut.Souvent, ce qui se règle au bureau de révision de la
commission de la santé et de la sécurité, au fond, c'est
un manque d'information que la CSST n'a pas été chercher et,
devant le bureau de révision, avec cette information-là, la
décision se prend à la face même du dossier sans même
discuter.
Il nous est arrivé dans certains cas, devant le Bureau de
révision de la CSST, de présenter un papier sans dire un mot et,
à la lecture du papier, se lever tous et dire: Merci, bonjour. Bref, un
travail qui aurait dû être fait au niveau de l'indemnisation, un
travail mal fait. Travail mal fait... disons que je retiens cette parole.
M. Fréchette: Soyez bien à l'aise, vous
n'êtes pas ici depuis le début, M. Soucisse.
M. Soucisse: On constate surtout que la médecine de la
commission est une médecine très passive. La médecine de
la commission va analyser selon ce qu'elle a au dossier. Elle ne fera pas
d'efforts supplémentaires -ce qu'on remarque de plus en plus - de dire:
Procurez-moi tel papier, voyez si, décrivez-moi le travail de la
personne, ce qui se fait dans un bureau de révision et ce qui se fait
devant les affaires sociales pour expliquer les choses.
Lorsqu'on traite la CSST de bureaucratique, d'informatisée, les
termes qu'on emploie ne sont pas seulement des termes de couleur pour imager un
document. Dans la médecine électronique dont on parle, c'est que
le paiement d'un dossier est arrêté après 30 jours et c'est
la machine qui dit: Cela fait 30 jours qu'il est en arrêt de travail,
posez-vous des questions, docteur? Il a eu tel mal, 30 jours c'est
suffisant,
retournez-le au travail. C'est comme cela que cela fonctionne à
la commission. Ce qu'il faudrait comprendre, c'est qu'on ne peut pas arriver et
présenter un texte de loi qui technocratise encore plus, qui place dans
une rigidité les traitements, qui traitent les accidentés dans un
cadre technique, dans un but de planifier les choses, dans un but de planifier
les budgets. L'idée de planifier les coûts et les dépenses
qu'une commission peut avoir dans un an, c'est une chose. Je veux dire que cela
peut se concevoir en termes d'administration. Un autre aspect qui en mange un
coup c'est que, dans des cas d'accident du travail, un accident, un cas, c'est
une chose. Chaque cas est bien différent. La même blessure
à un monsieur de 56 ans, ce n'est pas la même chose qu'à un
autre de 25 ans. Ce n'est pas la même chose selon le travail qu'il fait
et ce n'est pas la même chose selon un tas de facteurs finalement.
Le Président (M. Rancourt): Merci.
M. Soucisse: Le projet de loi n'est pas orienté dans ce
sens. Il n'est pas orienté de façon à traiter les
accidentés d'une façon individuelle et d'une façon globale
surtout. Notre principal reproche, si on peut en faire un global sur le projet
de loi, c'est cet aspect. Le projet de loi déshumanise encore plus
l'indemnisation des accidentés du travail.
M. Fréchette: Cela va, cela me donne satisfaction, M.
Soucisse, je vous remercie.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. Encore une fois, je
vais suivre la question du ministre en ce qui touche justement la question
médicale. J'ai posé une question à l'organisme qui vous a
précédés et je vais vous poser la même question. Je
ne sais pas si vous étiez ici dans la salle. Les commentaires que nous
entendons envers les médecins de la CCST sont peut-être bien
fondés. C'est seulement l'individu qui a affaire à eux qui peut
vraiment l'affirmer. J'ai proposé à l'autre organisme qui vous a
précédés, puisque la loi dit que l'accidenté a le
droit au choix de son médecin, la possibilité de justement donner
à l'accidenté le choix d'aller voir son médecin, d'avoir
une expertise médicale puisqu'on nous dit que souvent les expertises
médicales, selon les médecins, peuvent varier. J'ajouterais un
autre élément où on demanderait à
l'accidenté de se choisir deux médecins pour avoir une expertise
médicale. Les frais de ces expertises qui sont très
élevés seraient défrayés par la CCST et que ces
deux expertises médicales soient considérées. Est-ce que
cela irait? De votre côté est-ce acceptable une telle
proposition?
Le Président (M. Rancourt): M. Soucisse.
M. Soucisse: En termes de solution, vous voulez dire un litige
entre médecins. C'est ce que vous...
M. Cusano: Non, non, c'est-à-dire, à partir du
point où la personne est accidentée, elle choisit son
médecin. Deuxièmement, pour établir s'il y a un
déficit tel quel à la suite de l'accident, que
l'évaluation de tout ce processus soit faite par deux médecins
choisis par l'accidenté.
M. Soucisse: Votre question à propos des médecins,
est-ce que cela touche seulement l'évaluation des déficits ou les
traitements accordés par un médecin?
M. Cusano: Les traitements et déficits.
M. Soucisse: C'est très différent en termes de
réponse ce que...
M. Cusano: Vous pouvez répondre à l'un et à
l'autre.
M. Soucisse: En termes de déficit pour évaluation,
il y a des sommités dans le milieu de reconnues et il y en a qui sont
moins reconnues. J'ai l'impression que les sommités et les livres qui
existent dans cela, autrement dit les débats qu'il y a en termes
d'évaluation physique, les désaccords, tout cela finit toujours
par se régler aux Affaires sociales, si les désaccords persistent
et si les désaccords sont grands et flagrants, etc. Sur cela il peut y
avoir des opinions. Le barème si on le regarde comme il faut, il y a des
écarts de pourcentage et des jeux quelques fois. Je crois qu'il y a des
médecins qui savent comment faire l'évaluation et d'autres qui le
savent moins. Je pense que c'est aussi clair que ça.
En termes de choix de médecin pour le traitement, la
durée, etc., il ne faut pas se faire d'illusions. Les accidentés,
les travailleurs, lorsqu'ils sont blessés, ne choisissent pas leur
médecin tant que ça. Il ne faudrait pas s'illusionner en disant
que l'accidenté de la construction ou un camionneur choisit un
médecin. S'il n'est pas satisfait, il va aller en voir un autre, dans le
sens de ce qu'on appelle, dans le langage du milieu, il va "shopper", il va en
passer quatre ou cinq avant de trouver quelqu'un qui soit satisfaisant.
Au fond de tout ça, selon la région, quelqu'un qui est
à Rouyn-Noranda ne "shoppera" pas longtemps son médecin. Il y a
deux orthopédistes et peut-être un seul à Rouyn. Il ne
faudrait pas insister trop dans le sens qu'il choisit son médecin. Il
prend
celui qui passe, il est satisfait de lui ou carrément
insatisfait.
On a des problèmes sur le bord des frontières, par
exemple, du côté de Hull. On a vu encore, tout
dernièrement, des accidentés... L'orthopédiste de Hull ne
veut pas l'opérer, l'orthopédiste d'Ottawa veut l'opérer
et, parce qu'il préfère se faire opérer, il va voir
l'orthopédiste d'Ottawa. Il y a là un problème de paiement
de médecin, un problème d'acceptation par la commission. Ils ne
se prononcent pas parce qu'ils ont peur de la facture, etc. Où est-il
son choix de médecin? Est-ce que la limite, pour son choix de
médecin, s'arrête à Ottawa ou à Hull? Le
problème du choix de médecin, c'est un petit peu ça.
Ça peut aller très loin le choix du médecin, cela
peut-être aussi simple que la compatibilité de caractère
entre le médecin et le patient. La personne a beau avoir le plus grand
orthopédiste de Montréal, s'il y a incompatibilité de
caractère, au départ, et que ça ne marche pas, ça
aussi, ça fait partie du choix de médecin. Le choix de
médecin, ça peut être très complexe sauf qu'on se
rend compte, dans le projet de loi, que le médecin choisi -que ce soit
l'un ou l'autre - par l'accidenté n'est absolument pas respecté
par la commission dans le projet de loi. C'est comme s'il n'y en avait pas,
c'est comme si cet article n'existait pas. C'est ce qu'on dit. L'article est
nié par un autre qui est renforcé par l'article 132. Si c'est
tout le corps médical qui est fautif dans ça, il faudrait
peut-être faire le ménage dans tout l'ensemble de la
médecine au Québec. C'est tout le système. Lorsqu'on fait
une admission à l'article 129, il ne faudrait pas la nier à
l'article 132.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Ma deuxième question est celle-ci. Vous dites
que la table, à l'annexe B, pour les montants forfaitaires devrait
être révisée. Si je vous ai bien compris, vous dites que si
cette table est révisée selon les montants mentionnés,
vous trouvez que c'est acceptable de laisser tomber les indemnités
à vie en compensation avec un montant plus élevé.
Dans l'éventualité que le gouvernement décide de ne
pas changer la table B s'il n'y a pas d'amendements, est-ce que vous
préférez le projet de loi sur les accidents de travail actuel ou
celui qui nous est proposé?
Le Président (M. Rancourt): M. Soucisse.
M. Soucisse: Vous parlez du projet de loi actuel, de la loi
actuelle?
M. Cusano: Oui, de la loi actuelle versus le projet de loi s'il
n'y a pas d'amendement.
(19 heures)
M. Soucisse: S'il n'y a pas d'amendement, on
préfère, et de loin, la loi actuelle. Quand on dit d'augmenter
les montants forfaitaires, au fond, c'est une espèce de compromis, une
espèce d'admission de dire: C'est vrai que ça coûte cher,
c'est vrai que les coûts les plus gros dans n'importe quel organisme, ce
sont les coûts basés d'une façon actuarielle,
c'est-à-dire un régime de retraite, par exemple. Ça grimpe
et on ne voit plus la fin, à un moment donné. On a conscience de
ça, sauf que c'est changer un éléphant pour une souris. Ce
sont les deux extrêmes. On enlève les régimes de retraite
et, en plus, on donne des miettes à la place. On demande une
espèce d'équité, c'est simplement l'équité.
Même en acceptant une échelle comme celle qu'on propose,
c'est-à-dire 2000 $ pour 1% jusqu'à 100 000 $ à partir de
50%, on est convaincu qu'il y a déjà de très grandes
économies sur l'enlèvement des pensions que la commission donne
actuellement.
M. Cusano: Je vous remercie.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Prévost.
M. Dean: M. le Président, les syndicats de la construction
nous ont fait part que leurs conditions particulières de travail dans le
secteur industriel font en sorte que l'article 145 les exclurait presque de la
possibilité d'avoir un droit de retour au travail en raison du fait que
les chantiers sont habituellement de très courte durée et que
grand nombre de travailleurs ne travaillent pas toujours pour le même
employeur ni dans le même établissement. Ils sont mobiles. Je vois
que vous représentez de 27 000 à 30 000 membres; c'est pas mal de
monde. Vous êtes un syndicat qui roule sur quatre roues. Je voulais poser
la question, et c'est ma seule: Est-ce que dans les secteurs industriels que
vous représentez - il y en a toute une gamme - il y a des conditions
semblables aux conditions qui s'appliquent dans l'industrie de la construction
qui feraient en sorte que l'article 145 rende illusoire pour vos membres le
droit de retour au travail?
Le Président (M. Rancourt): M. Soucisse.
M. Soucisse: Je ne crois pas que cela s'applique dans le sens que
vous le dites dans la construction. J'admets que dans notre document on dit que
cela s'appliquerait seulement... C'est une mauvaise interprétation
sûrement de notre part dans le sens qu'on pensait à des contrats
collectifs.
J'ai seulement cela dans la tête. D'autre part, cela
n'enlève rien au reste des changements qu'on propose sur cette section.
La section telle qu'écrite actuellement s'applique à tous les
travailleurs. Telle qu'elle est là, elle apporte beaucoup de
problèmes d'application surtout dans le secteur du transport puisque,
même si ce ne sont pas des emplois temporaires, le personnel par
ancienneté peut choisir son travail. On peut choisir son voyage, on peut
choisir... Que se passe-t-il avec l'application de la section II dans ce sens
pour un retour au travail? On n'est pas d'accord de passer par-dessus les
conventions collectives pour appliquer la section II telle qu'elle dans ce
sens. Un travailleur âgé de 60 ans et qui choisit son ouvrage
parce qu'il est le plus ancien et qu'il est le premier à choisir se
verrait, selon la section II, se faire prendre un travail plus facile qu'il
mérite, rendu à cet âge, parce que quelqu'un qui a deux ans
d'ancienneté a eu un accident de travail. La convention est faite pour
favoriser les plus âgés, finalement, et cela est normal. Autrement
dit, on va mettre le travailleur plus âgé dans un plus grand
péril d'accidents pour favoriser un accidenté, par
hypothèse, plus jeune.
M. Dean: Merci.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: J'ai terminé, M. le Président.
J'ai eu les renseignements que je souhaitais avoir.
Le Président (M. Rancourt): Ce qui conclut la
présentation du Conseil conjoint no 91 des teamsters du Québec.
Merci beaucoup.
M. Soucisse: Merci.
Le Président (M. Rancourt): Comme je viens de le dire,
nous accueillons maintenant le Conseil régional de développement
de l'Abitibi-Témiscamingue. Si vous voulez bien vous présenter et
nous indiquer la personne qui vous accompagne.
Conseil régional de développement de
l'Abitibi-Témiscamingue
M. Julien (Roméo): Bonsoir. Je me présente:
Roméo Julien, président du Conseil régional de
développement de l'Abitibi-Témiscamingue, et voici M. Denis
Dufour, directeur général. Vous m'excuserez d'être un peu
énervé en arrivant pour commencer, M. le ministre. J'ai
demandé à Quebecair de faire un peu plus vite parce que le
ministre du Travail m'attendait, mais ils n'ont rien voulu savoir. J'ai
dîné voisin du ministre des
Finances. Je lui en ai parlé et lui non plus ne voulait rien
savoir.
M. le Président, M. le ministre, MM. et Mmes les membres de la
commission, le Conseil régional de développement de
l'Abitibi-Témiscamingue, le CRDAT, est un organisme voué au
développement régional. Il est, de par son mandat,
l'interlocuteur privilégié du gouvernement du Québec en
matière de développement économique de
l'Abitibi-Témiscamingue.
Oeuvrer pour le développement économique régional,
c'est s'ouvrir sur une multitude de composantes reliées à une
ligne directrice qu'est l'intérêt économique d'une
société. Cet intérêt économique se manifeste
par un état d'esprit visant à l'esprit d'entreprise et à
la mise sur pied d'un climat social favorable et constructif. En d'autres
termes, l'intérêt économique d'une société
peut se résumer par une question d'attitude humaine, positive et
volontaire. C'est dans cet état d'esprit que le CRDAT entend
présenter ce mémoire dans le cadre de l'étude en
commission parlementaire du projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail
et les maladies professionnelles. Le CRDAT tient à remercier le
président et les membres de cette commission parlementaire de lui avoir
permis de s'exprimer sur cet important projet de loi.
L'intervention du CRDAT sera divisée en deux parties: la
première concerne le principe d'un tel projet de loi sur les accidents
du travail et les maladies professionnelles, alors que la deuxième
partie du mémoire regroupe des commentaires sur certains articles du
projet de loi.
La notion de santé et de sécurité du travail a subi
une mutation depuis le début du siècle. L'évolution des
moeurs sociales et politiques a fait que les travailleurs et les travailleuses
se sentent de plus en plus en sécurité du travail. Les
gouvernements occidentaux ont mis en place des structures réglementant
la santé et la sécurité du travail. Le but de toutes ces
réformes est d'éliminer les causes d'accidents du travail
à la source.
En 1980, le gouvernement du Québec a introduit une nouvelle loi
créant la Commission de la santé et de la sécurité
du travail. Cette nouvelle loi avait pour but d'éliminer les accidents
du travail à la source en associant les employeurs et les travailleurs
au processus décisionnel. La mise sur pied de la CSST devait permettre
une coordination des efforts des employeurs et des travailleurs visant à
appliquer les fondements de la nouvelle loi. Le principe de cette nouvelle loi
voulait que les employeurs et les travailleurs prennent en main la santé
et la sécurité du travail et cela, dans chaque
établissement.
En vigueur depuis le 1er janvier, la loi actuelle sur la santé et
la sécurité du travail
a certes contribué à faire progresser la notion
d'élimination des accidents du travail à la source. De plus, le
législateur a voulu donner une plus grande protection au travailleur en
lui facilitant les recours à une juste indemnisation.
Partant de ce principe, le législateur a cependant mis sur pied
une superstructure appelée Commission de la santé et de la
sécurité du travail. Comme toute superbureaucratie, le
fonctionnement de la CSST coûte très cher aux contribuables et
principalement aux employeurs cotisants. Les relations entre les dirigeants de
la CSST et les employeurs sont la cause de plusieurs désaccords quant
à l'application de ce régime de santé et de
sécurité du travail. Les coûts de l'application du
programme et sa permissivité envers les travailleurs suscitent beaucoup
de commentaires de la part des employeurs. L'application des programmes de
prévention au sein des entreprises est également la cause de
certaines frictions entre les employeurs et les fonctionnaires de la CSST.
Toutes ces remarques furent soulevées lors d'une
journée-rencontre entre les employeurs et la CSST de
l'Abitibi-Témis-camingue, tenue le 18 novembre 1983 à Noranda.
Organisée par le CRDAT, cette journée-rencontre se voulait
être un dialogue sur l'application du programme de santé et de
sécurité de travail, de l'administration de la CSST, mais aussi
sur le principe même du programme. Quelque 110 personnes ont
participé à cette journée-rencontre. Les
délibérations de cette rencontre ont incité le CRDAT
à se présenter devant vous, membres de la commission
parlementaire élue du travail.
Les principes du programme actuel de la santé et de la
sécurité du travail au Québec sont une
préoccupation importante du Conseil régional de
développement de l'Abitibi-Témiscamingue. L'universalité
de l'indemnisation juste et raisonnable des accidentés de travail sont
les grands fondements de ce programme et, plus particulièrement, du
projet de loi 42.
Lors de la rencontre employeurs-CSST de l'Abitibi-Témiscamingue,
il fut abondamment question de l'indemnisation des accidentés et des
coûts rattachés à ce programme. Tous les intervenants
présents à cette rencontre partagent le principe d'une
indemnisation juste et raisonnable pour les véritables accidentés
du travail. Cependant, ni la loi actuelle et ses règlements ni le projet
de loi 42 ne prévoient de véritables mesures pour empêcher,
sinon diminuer, le nombre de réclamations non justifiées.
Lors de cette journée-rencontre, plusieurs intervenants ont
démontré les failles dans la législation et la
réglementation concernant l'indemnisation des accidentés.
À titre d'exemple, le représentant de l'Association des mines de
métaux du Québec avait indiqué, à cette
journée-rencontre, que des entreprises minières de
l'Abitibi-Témiscamingue voyaient une augmentation annuelle des
réclamations de prestations pour des accidents de travail lors de la
période de chasse à l'orignal.
Dans plusieurs cas, une simple déclaration assermentée
d'un employé et l'obtention d'un papier d'un médecin suffisent
pour verser ces prestations à un employé. Les surcharges
administratives des employés de la CSST les empêchent souvent de
vérifier, de par eux-mêmes ou à la suite d'une plainte d'un
employeur, la véracité d'une réclamation d'un
employé.
Ces quelques réflexions incitent le CRD de
l'Abitibi-Témiscamingue à se poser des questions sur
l'encadrement de l'État dans une mesure sociale et économique
comme la santé et la sécurité du travail. Le Conseil
régional de développement de l'Abitibi-Témiscamingue
demande au gouvernement du Québec d'agir avec une extrême prudence
avant de présenter toute nouvelle législation et
réglementation concernant la santé et la sécurité
du travail. De plus, le CRDAT invite le gouvernement à une
réflexion fondamentale sur le régime actuel de la santé et
de la sécurité du travail.
Le but de cette réflexion n'est pas de remettre en cause la
notion de santé et de sécurité du travail. Mais,
malgré l'instauration du régime, plusieurs critiques demeurent en
place. Pour un grand nombre de travailleurs réellement
accidentés, les délais pour recevoir les prestations sont trop
longs. Lors de sa législation, le gouvernement du Québec a mis en
place une structure appelée CSST ainsi qu'une nouvelle approche qui
coûtent extrêmement cher aux contribuables.
La santé, surtout la vie d'un travailleur et d'une travailleuse,
sont des valeurs trop précieuses pour ne pas s'en préoccuper.
Cependant, il faut qu'un régime de santé et de
sécurité du travail tienne compte de la capacité de payer
des cotisants. Mais il est important de se demander si c'est le principe de la
santé et de la sécurité du travail qui est coûteux
ou les lois et réglementations instaurant une structure administrative
lourde et un contrôle inapproprié sur l'application
législative. (19 h 15)
Le Conseil régional de développement de
l'Abitibi-Témiscamingue demande donc au gouvernement de revoir sa
philosophie d'intervention en matière de sécurité et de
santé du travail.
Étant donné que ce dossier est complexe, le CRDAT n'a pas
de solution toute faite à offrir. L'organisme croit cependant que
l'adoption de règlements coercitifs et la superbureaucratie qu'elle
entraîne ne représentent pas nécessairement
la vraie voie à suivre dans ce dossier.
La vraie voie à suivre représente un défi de taille
pour l'ensemble des intervenants en matière de santé et de
sécurité du travail. Le défi est d'assurer la plus grande
justice envers les réels accidentés et la capacité de
payer des employeurs. En Abitibi-Témiscamingue, la direction
régionale de la CSST a reçu, depuis un an, au-delà de 10
000 demandes de prestations. Il y a eu environ 322 demandes qui furent
jugées irrecevables. En 1982, les déboursés, dans la
région, s'élevaient à 28 000 000 $. Au chapitre de
l'assistance médicale, de l'incapacité temporaire et de la
réadaptation, la direction régionale de la CSST a versé la
somme de 15 400 000 $, soit une augmentation de 27% par rapport à
l'année précédente.
Au niveau du Québec, les coûts d'accidents ont
progressé de 52%, passant de 386 000 000 $, en 1979, à 585 000
000 $, en 1982.
Les coûts d'administration du régime actuel ont
augmenté davantage, car ils sont passés de 44 000 000 $, en 1979,
à 116 000 000 $, en 1983, soit une augmentation de 162%.
Lors de la journée-rencontre employeurs-CSST du 18 novembre
dernier, à Noranda, les représentants de la CSST ont
expliqué l'augmentation sensible des coûts par la mise sur pied du
régime actuel. Mais, à l'allure actuelle des nouvelles lois et
réglementations, tant par le gouvernement que par la CSST
elle-même, la mise sur pied du régime risque d'être
très longue et très coûteuse. Le projet de loi 42,
malgré certains points intéressants, ne résoudra pas ce
problème de capitalisation extrême. Dans son programme de relance,
le gouvernement du Québec a oublié certains groupes d'entreprises
devant faire face à une augmentation sensible du régime de
santé et de sécurité du travail.
Au lieu de présenter ce projet, le gouvernement du Québec
aurait dû revoir tout ce programme et vérifier la coïncidence
entre les résultats du régime actuel de santé et de
sécurité du travail et les coûts rattachés à
ce programme.
Comme l'organisme le disait auparavant, ce qui coûte le plus cher,
ce n'est pas l'indemnisation des accidentés, mais l'administration de la
CSST.
Compte tenu de ce gouffre financier qu'est la CSST et les plaintes
souvent répétées des véritables accidentés,
n'y aurait-il pas lieu que le gouvernement encourage davantage une plus grande
collaboration entre les employeurs et les travailleurs? Il existe, dans le
monde du travail, un climat malsain, un climat "western", c'est-à-dire
les bons employeurs contre les mauvais travailleurs et vice versa. Même
pour un organisme comme le CRDAT, il est difficile de venir témoigner
devant cette commission. À notre retour en région, on se
demandera de quel côté est le CRDAT. Est-il du côté
des bons ou des méchants?
Cette ironie exagère à peine la situation réelle.
Voilà pourquoi le système de santé et de
sécurité du travail est en mauvaise santé. Le
problème ne peut se résoudre par de la réglementation.
C'est pourquoi le CRDAT réitère sa demande auprès du
gouvernement du Québec, auprès des employeurs et des
travailleurs, d'une réflexion plus approfondie du système
actuellement en place.
Les parties en présence doivent avoir le courage politique de se
parler, de laisser de côté leur vanité et essayer de mieux
comprendre les problèmes des autres.
Les effectifs de la CSST devraient être au minimum. La
santé et la sécurité du travail est peut être
l'affaire de tous, mais elle est surtout celle des employeurs et des
travailleurs. Pour cela, il faudra que notre société se
guérisse du mal du siècle qu'est la bureaucratie,
l'interventionnisme accru de l'État et, surtout, la peur morbide des
citoyens à prendre leurs responsabilités. Car c'est de cette peur
morbide dont il faut remettre en cause les effets négatifs. Cette peur
qui fait que l'on demande à l'État de réglementer
très fortement les relations de travail et, par le fait même, les
responsabilités partagées des employeurs et des employés
en matière de sécurité et de santé du travail. Un
tel climat complique très sérieusement le fonctionnement des
entreprises et cela, surtout dans les secteurs économiques ayant un
risque plus grand d'accidents du travail.
La vie économique d'une région comme
l'Abitibi-Témiscamingue se ressent doublement de ces problèmes.
Les secteurs névralgiques de l'économique régionale,
forêt, mines, construction et agriculture, sont des activités
ayant un plus grand risque d'accidents du travail et cela, de par leur nature
même.
Que peut-on faire pour améliorer la situation? Le CRDAT ne croit
pas que la solution réside en un plus grand pouvoir de
réglementation venant de la CSST. Malgré la
représentativité des représentants syndicaux et patronaux
au sein du conseil d'administration de cette commission, il semble que la CSST
soit l'organisme le plus surveillé et le plus contesté au
Québec. Les associations patronales et syndicales ont des comités
de surveillance de la CSST. Compte tenu du comportement de cet organisme et du
climat actuel, la présence de ces comités de surveillance
s'explique facilement. Le trop grand pouvoir de réglementation de la
CSST force les parties à agir ainsi. À bien y penser, tous ces
efforts de surveillance nécessaires actuellement représentent
un
gaspillage humain et financier considérable.
Bien des dirigeants d'entreprises et d'organisations syndicales
préféreraient occuper plus de temps à leurs entreprises et
organisations plutôt que de passer de longues heures à surveiller
les faits et gestes de la CSST. Afin d'améliorer le climat, le CRDAT
croit que le ministre du Travail, le gouvernement du Québec et les
députés de l'Assemblée nationale ont la
responsabilité d'inciter les parties en présence à de
meilleures relations. Une mesure sociale comme la santé et la
sécurité du travail est une mesure importante et les entreprises
doivent y participer pleinement. Loin d'être des anti-sociaux, les
dirigeants d'entreprises veulent prendre une part plus active à
l'élaboration des programmes de santé et de
sécurité du travail. Les dirigeants syndicaux doivent avoir le
même traitement et c'est pourquoi le CRDAT suggère une plus grande
participation mutuelle des parties à la fois organisationnelle et
financière.
Il est bien entendu que les intérêts des entreprises et des
syndicats ne sont pas tous communs. Certains théoriciens et
théoriciennes parlent encore, en 1984, de la lutte des classes. Ne
pourrait-on pas laisser de côté cette lutte des classes lorsqu'il
s'agit de la santé et de la sécurité du travail, et de la
capacité financière des entreprises? La lutte des classes,
lorsqu'une entreprise est fermée et que des travailleurs sont en
chômage, ne donne pas grand-chose.
En conformité avec les principes énoncés
précédemment dans ce mémoire, le CRDAT désire
certains changements dans les articles contenus dans le projet de loi 42. Au
niveau de l'indemnisation, le CRDAT désire que le gouvernement du
Québec permette aux entreprises d'avoir le choix entre les programmes de
la CSST ou ceux d'une assurance privée. En d'autres termes, il serait
bon de laisser aux parties en présence le choix administratif de
l'indemnisation tout en fixant des critères communs aux deux types
d'organisation. Un tel choix pourrait amener une plus grande flexibilité
administrative tout en incitant la CSST à mieux rentabiliser son
administration et ses effectifs. Il faudra s'assurer que les travailleurs ne
soient pas pénalisés par une telle restructuration.
Dans le cas des travailleurs autonomes, le CRDAT suggère qu'ils
soient considérés à la fois comme des employeurs et des
travailleurs, et qu'ils aient à payer des cotisations à la CSST.
Cette formule simplifierait l'application de la loi pour ces personnes tout en
leur permettant de bénéficier des programmes actuels.
À l'instar d'autres programmes tels que l'assurance-chômage
et la Régie des rentes, le CRDAT suggère que les employés
aient à défrayer une partie des cotisations au programme de
santé et de sécurité du travail. Bon nombre d'accidents du
travail sont causés par l'employé lui-même, soit par
distraction ou par négligence. Cette mesure ferait prendre conscience
aux employés des coûts réels du régime actuel et
pourrait, du même coup, inciter les employés à ne pas
abuser du système. Dans le cas de maladies industrielles non imputables
à l'employé, le CRDAT suggère que les cotisations de ce
dernier lui soient remboursées.
Dans le cas où un employé est victime d'une maladie
industrielle et que cette maladie l'empêche d'exercer le travail qu'il
effectuait auparavant mais pouvant effectuer un autre travail pour le
même employeur, le CRDAT suggère que ses cotisations lui soient
remboursées jusqu'à la date du diagnostic de sa maladie.
Actuellement, l'employeur verse à l'employé
accidenté une indemnisation pour les cinq premières
journées ouvrables. Par l'article 53 de ce projet de loi, le ministre du
Travail suggère d'étendre cette clause à quatorze jours
complets. Lors de la rencontre d'une journée employeurs-CSST, il fut
question d'exemples où des employés recevaient automatiquement
des congés de maladie de cinq jours injustifiés. En
conséquence, le CRDAT demande le maintien de la période de cinq
jours.
L'article 104 du projet de loi 42 stipule que l'accidenté se fait
rembourser les frais de déplacement et de séjour engagés
pour recevoir des soins, subir des examens médicaux ou participer
à un programme de réadaptation. Le CRDAT suggère que ces
frais soient remboursés à l'employé lorsque des soins
professionnels de même qualité ne sont pas disponibles dans la
localité où réside cet employé. Cette mesure vise
à éliminer certains abus de voyages et de frais
supplémentaires. De plus, cette suggestion devrait s'appliquer aux
services de santé offerts par des entreprises situées loin des
centres urbains. À titre d'exemple, la compagnie les Mines Selbaie offre
des services infirmiers à ses travailleurs car la mine est
éloignée des centres urbains de la région. Malgré
cela, certains travailleurs préfèrent se diriger, aux frais du
régime, vers ces centres pour des services semblables.
Dans bien des cas, il appartient à l'employeur de
présenter le fardeau de la preuve lorsque ce dernier désire
contester une décision de la CSST. Le CRDAT suggère que les deux
parties en présence, employeur, employé et/ou la CSST, puissent
se partager le fardeau de la preuve. En d'autres termes, le CRDAT demande
qu'une décision soit prise en se basant sur les recommandations des
différentes parties.
Le CRDAT demande une modification de l'article 266 du présent
projet de loi visant à mieux contrôler des pouvoirs de
réglementation de la CSST. Le CRDAT suggère que toute nouvelle
réglementation de
la CSST doit être obligatoirement approuvée par le
gouvernement et qu'un délai de 60 jours soit requis avant l'approbation
de cette réglementation. Cette mesure permettrait aux différentes
parties concernées de mieux faire valoir leurs opinions vis-à-vis
des règlements de la CSST. De plus, il est important d'enlever à
la CSST un droit de vie ou de mort sur les entreprises. Les dirigeants et les
employés de la CSST nient cette affirmation mais de nombreux cas
d'embêtement prouvent cette affirmation.
Bien que le Conseil régional de développement de
l'Abitibi-Témiscamingue ait présenté certaines
modifications au projet de loi, l'organisme considère cependant que le
gouvernement québécois doit revoir en profondeur le régime
actuel de santé et de sécurité du travail. Le but de cette
révision ne serait pas d'enlever des droits fondamentaux aux
travailleurs ou travailleuses mais bien de revoir le système et de mieux
l'intégrer à la réalité économique
québécoise. En présentant ce mémoire, le CRDAT
n'avait pas la prétention de trouver des solutions miracles mais
d'apporter aux membres de la commission parlementaire quelques
éléments de réflexion.
Le Président (M. Rancourt): Merci, M. Julien. M. le
ministre du Travail.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. M. le
président, M. le directeur général, je veux prendre le
temps de vous remercier d'avoir acheminé la réflexion que vous
avez faite et d'être partis de votre belle région, même avec
les inconvénients dont vous nous avez parlé, pour venir nous la
livrer. Je comprends qu'on est un peu responsable du chambardement de l'horaire
mais vous aurez eu l'occasion de venir vous exprimer. (19 h 30)
Votre mémoire, dans sa première partie et sa majeure
partie, nous invite à une réflexion générale, une
réflexion globale sur toute la politique de santé et de
sécurité au Québec.
À la fin, en conclusion, vous faites des suggestions quant
à des amendements que vous souhaiteriez voir incorporés dans le
projet de loi. Mais mon attention est davantage attirée par la
première partie de votre mémoire qui, de toute façon,
débouche sur les recommandations que vous faites au chapitre des
amendements. Je comprends d'ailleurs que vous ayez mis l'emphase ou l'accent
sur cette considération, cette analyse générale, compte
tenu de la vocation très spécifique de votre organisme.
Je m'attarde une seconde à la conclusion de votre mémoire
et je vous dirai que, en terminant notre semaine de travail, cette conclusion
constitue une espèce de confirmation de la réflexion que nous
nous faisons depuis que les travaux sont amorcés.
Vous dites: "En présentant ce mémoire, le CRDAT n'avait
pas la prétention de trouver des solutions miracles, mais d'apporter aux
membres de la commission parlementaire quelques éléments de
réflexion." On est un peu dans la même situation que celle que
vous décrivez vous-mêmes. Nous entendons, depuis mardi matin, des
représentations, des mémoires qui nous viennent d'organismes
intéressés directement par le projet de loi 42, par les
mécanismes que l'on va y retrouver. Je ne vous étonnerai pas en
vous disant que les positions vont d'un extrême à l'autre, suivant
les vocations très précises que les groupes nous
présentent. Mais c'est normal que ce soit comme cela.
Je voudrais - le plus rapidement possible - voir, avec vous,
quelques-uns des commentaires que contient votre mémoire. Par exemple,
à la page 4, à l'avant-dernier paragraphe, vous nous dites: "Les
surcharges administratives des employés de la CSST empêchent
souvent de vérifier, de par eux-mêmes ou par la suite d'une
plainte d'un employeur, la véracité d'une réclamation d'un
employé." Si je comprends bien le sens de l'affirmation que vous faites,
cela m'amène à la conclusion que les employés de la CSST
ont des surcharges administratives. Cela m'amène également
à la conclusion que, pour répondre à ces
exigences-là, il faudrait peut-être qu'il y ait plus de personnel
qu'il n'y en a actuellement. Pourtant, à la page 7 de votre
mémoire, vous dites: "Les effectifs de la CSST devraient être au
minimum." Vous mettez très précisément la main - le doigt,
c'est-à-dire; peut-être la main au complet aussi - sur une
situation qui est difficile à concilier. Je vous vois lever la main
et...
M. Julien: J'aimerais vous répondre, M. le ministre.
Le Président (M. Rancourt): M. Julien.
M. Julien: J'ai l'avantage d'être industriel, de faire
partie de l'AEC et d'être sur la surveillance de l'administration de
l'AEC sur la CSST; j'ai l'avantage d'être président du CRDAT en
plus d'être un Québécois qui est venu au monde dans la
région du Nord-Ouest, où on sent beaucoup de besoins. Quand on a
fait notre colloque sur la CSST, cela avait été demandé
par la région, lors de l'assemblée annuelle du CRDAT. À
cette occasion, on avait l'avantage d'avoir, avec nous, les gens du domaine
minier, du domaine forestier, du domaine industriel ordinaire, secondaire si
vous voulez, ou primaire. Ce sont des réflexions qui nous sont venues de
toutes les salles.
Bien sûr, à travers notre groupe, on n'avait pas les
syndicats parce qu'ils n'étaient pas présents par leur
abstention, parce que, nous, quand on a tenu le colloque,
c'était pour toute la région. Je peux vous dire ceci en
tant qu'industriel. Il peut y avoir une certaine planification de travail qui
fait que, même si on n'a pas plus d'employés, on peut faire un
meilleur travail. D'ailleurs, en industrie, si on ne faisait pas cela, on
serait déficitaire tous les jours de la semaine, M. le ministre.
Peut-être qu'il y a une planification meilleure à faire à
la direction, sans vouloir dire que la planification n'est pas extraordinaire,
en tant qu'industriel, je me dois de vous répondre de cette façon
parce que, chez nous, dans les moments de crise économique des
dernières années, cela ne nous a pas empêchés de
continuer à survivre et même à passer à travers des
crises économiques assez difficiles, vous l'avez constaté
vous-même en étant ministre du Travail. On est passé
à travers en planifiant et ayant moins de gens dans notre administration
tout en continuant à travailler. Je pense que cela doit aussi être
possible pour la CSST d'avoir une administration plus saine avec le
système d'ordinateurs qu'on a aujourd'hui dans notre organisation. Je
présume que la CSST a la même chose que nous avons dans nos
industries sans être obligée d'avoir une administration plus
forte. Une planification fait une grosse différence en administration,
M. le ministre.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: Je comprends fort bien le sens de votre
argumentation et, de façon plus précise maintenant, le sens que
vous vouliez aussi donner à ce qu'on retrouve dans le mémoire. Je
vous poserai une seule question. À la page 5 de votre mémoire,
vous dites, au deuxième paragraphe: "De plus, le CRDAT invite le
gouvernement à une réflexion fondamentale sur le régime
actuel de la santé et de la sécurité du travail." Je fais
une relation directe, à tort ou à raison - vous me le direz -
avec la troisième recommandation que l'on trouve à la page 10 de
votre mémoire, parce que cette recommandation, effectivement, touche
très précisément à la philosophie fondamentale du
système lui-même. Votre organisme soutient la position
exprimée par le Conseil du patronat et certains autres organismes, dont
l'Association des manufacturiers canadiens, qui plaident qu'à peu
près 50 ans après l'adoption de la première loi ce serait
peut-être maintenant le temps de réévaluer cette
philosophie fondamentale et de demander aux travailleurs de cotiser au
régime de la santé et de la sécurité. Quand
l'argumentation nous est soumise, je fais un retour en arrière, un
retour sur notre histoire, et je rappelle qu'en 1930 ou 1931, au début
des années trente, les employeurs et les travailleurs avaient convenu
ensemble de ce mécanisme, les travailleurs renonçant, d'une part,
à poursuivre les employeurs devant les tribunaux de droit commun et les
employeurs, eux, acceptant de cotiser pour la compensation. Votre
réflexion est-elle qu'effectivement il faudrait maintenant que les
travailleurs soient appelés à cotiser à leur
système général ou à leur régime
général de santé et de sécurité? Est-ce la
réflexion de votre organisme qui vous conduit à cette
conclusion?
Le Président (M. Rancourt): M. Julien.
M. Julien: M. le ministre, par expérience, étant
employeur depuis une trentaine d'années... Les années trente,
c'est un peu éloigné pour moi, malgré que je sois d'un
certain âge sans être d'un âge certain. Je n'étais pas
en fonction à cette époque pour être en mesure de vous
répondre, mais je peux vous dire ceci: Je crois que vous avez
certainement eu l'occasion de constater, étant ministre au gouvernement
du Québec, que la seule bonne façon de réglementer quelque
chose, c'est d'être obligé de payer une partie du coût.
Prenez le domaine des accidents qui arrivent aujourd'hui en automobile avec la
nouvelle loi qui a été adoptée par le gouvernement du
Québec. Il y a eu beaucoup de changements. En tout cas, on nous dit que
cela coûte pas mal meilleur marché dans les accidents parce
qu'aujourd'hui on est cotisé plus sérieusement directement sur
nos plaques d'immatriculation. J'ai l'impression que celui qui paie la facture,
il réfléchit pas mal plus avant de dépenser de l'argent.
Si celui qui paie la facture était cotisé n'importe où,
où qu'il aille travailler, selon ce que cela a coûté comme
dépenses pour ses accidents, il aurait beaucoup moins de
problèmes de mal de dos, entre autres. Je crois que de cette
façon ce serait plus équitable pour celui qui n'est jamais
malade, parce qu'il pourrait avoir une cotisation, exactement la même que
celle qu'on a pour l'employeur, plus cher pour celui qui est souventefois
accidenté et moins cher pour celui qui l'est moins. Je crois que c'est
juste et équitable que, si on paie une assurance, on la paie pour les
accidents qu'on a. Celui qui n'a pas d'accident a toujours un meilleur taux.
C'est un peu la position du CRDAT là-dedans. On dit que celui qui paie,
il y pense deux fois avant d'y aller pour rien parce que, si vous remarquez, on
vous a dit tantôt que chez nous, en tout cas, dans le Nord-Ouest, la
chasse à l'orignal, c'est épouvantable les accidents qui
arrivent. Quand on ne veut pas dire à nos employés qu'ils ont le
droit d'aller à la chasse à l'orignal pour prendre des vacances,
c'est extraordinaire comme il y a des accidents, des maux de dos et toutes
sortes de choses durant la chasse à l'orignal.
On pourrait vous donner des exemples multiples que la chasse à
l'orignal, c'est la partie la plus accidentée de tout le temps de
l'année dans le Nord-Ouest québécois.
Pourquoi y aurait-il plus d'accidents durant la période de la
chasse? Parce que justement, c'est extrêmement facile, M. le ministre,
d'avoir une petite carte du médecin nous disant qu'on est
accidenté pour une semaine. Je pourrais vous en faire la preuve
n'importe quand. Si demain matin vous avez le temps, je pourrais aller voir un
docteur avec vous, j'aurais un mal de dos demain matin, si cela vous
intéresse. Je crois que là-dessus il y aurait quelque chose
à vérifier. C'est pour cela que je dis: Si on payait tous les
deux, il y aurait une grosse différence.
M. Fréchette: Je vous remercie, M. Julien. On pourrait
continuer à discuter longuement parce que c'est un sujet fort
intéressant, mais je vais laisser mes collègues maintenant
continuer l'échange d'opinions.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci. Je suis sûr que, si demain matin, le
ministre et même les membres de cette commission allaient voir un
médecin, on pourrait certainement avoir un certificat pour un mal de
dos. En regardant votre mémoire et le dialogue que vous avez tenu avec
le ministre, je me pose certaines questions spécialement lorsque vous
demandez au gouvernement d'agir avec une extrême prudence avant de
présenter une nouvelle loi. Est-ce que je dois interpréter cela
comme d'autres l'ont fait déjà ici devant cette commission, qu'il
est nécessaire d'avoir une enquête en ce qui concerne
l'administration, le fonctionnement de la CSST ou dois-je comprendre de votre
mise en garde envers le gouvernement que la loi qui nous est
présentée, le projet de loi 42, va avoir tellement de
résultats néfastes dans votre région qu'il devrait
peut-être la mettre de côté?
Le Président (M. Rancourt): M. Julien.
M. Cusano: Cela peut être oui aux deux, vous savez, la
réponse.
M. Julien: Si c'était pour vérifier
l'administration de la CSST, je dois vous avouer que je me fie sur le ministre
du Travail. S'il n'avait pas la capacité, on ne lui aurait pas
donné le titre. Normalement, c'est ce qui se fait. En tout cas, j'ai
extrêmement confiance dans le ministre du Travail. J'ai eu l'occasion de
le rencontrer à d'autres reprises où je n'étais pas
toujours d'accord avec lui, mais il reste que, sur le point de
l'administration, je crois que c'est le domaine du ministre du Travail de le
regarder. S'il y a des vérifications à faire, il devra les faire.
Dans le Nord-Ouest québécois, ce qu'il faut faire en tant que
Conseil régional de développement de
l'Abitibi-Témiscamingue, c'est de protéger les industries qu'on a
présentement parce que quand vous parlez de chômage dans les
régions ordinaires de 10%, 12% ou 15% et que les gens pensent que cela a
de l'allure, chez nous, dans le Nord-Ouest, on parle de 20% et 25%.
Pour nous autres, la survie des entreprises est extrêmement
intéressante. Il y a des développements qui se font surtout dans
le domaine minier. Je peux vous dire qu'à l'occasion du colloque CSST
qu'on avait eu, il y avait 18 représentants du gouvernement qui
s'étaient présentés. Je présume que c'est
intéressant ce qu'on présentait cette fois-là. Sur 110
personnes, il y en avait 18 qui étaient du gouvernement. Il y avait
quelque chose d'intéressant. Vous devez savoir que
l'Abitibi-Témiscamingue, c'est 75% des richesses naturelles de toute la
province de Québec. C'est intéressant de parler d'une
région comme la nôtre. Quand on a eu notre colloque, on a eu dans
le domaine minier certaines personnes qui sont venues et qui étaient
prêtes à nous donner le nom des gens qui à 87 ans avaient
eu une pension de la CSST pour surdité. Nous autres, en tout cas, on
s'est posé des questions extrêmement sérieuses. Si dans le
domaine minier on se permet d'avoir des pensions à 87 ans pour
surdité, il y a certainement quelque chose qui cloche à la CSST
parce que normalement, à 87 ans, quelqu'un qui manque un peu
d'entendement à l'oreille, cela peut provenir de plusieurs choses autres
que son travail. Ce sont des choses comme cela qu'on aimerait bien que le
ministre surveille et qu'il y ait une collaboration assez intéressante
entre les employeurs et la CSST de façon que, lorsqu'on donne quelque
chose à quelqu'un qui est réellement un accidenté de
travail, on le paie parce qu'on est d'accord sur cela. Dans
l'exagération, on aimerait mieux qu'on n'y soit pas. (19 h 45)
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Je présume aussi que vous voulez qu'elle
surveille la chasse à l'orignal! C'est seulement un commentaire.
J'en viens à ma deuxième et dernière question. Vous
dites aussi au gouvernement que les entreprises devraient avoir le choix entre
la CSST d'un côté et les compagnies d'assurances privées.
Par le fait même, vous le mentionnez dans votre mémoire, si, tout
d'un coup, la CSST se trouvait en concurrence avec un autre organisme, cela
aurait peut-être l'effet de rentabiliser ses opérations. Sur ce
principe, je suis d'accord.
C'est un peu le même principe de l'école publique et de
l'école privée. J'aimerais savoir, puisque vous parlez de
question d'assurances privées, si vous avez poussé l'étude
pour savoir quelle serait la différence des coûts... Si on prend
une couverture semblable, peut-être que vous ne l'avez pas fait sur le
projet de loi 42 qui nous est présenté, mais peut-être sur
la présente Loi sur les accidents de travail et les maladies
professionnelles en prenant toute la couverture qui est offerte par la
présente loi, y aurait-il des économies d'après vous en
allant chez une compagnie d'assurances privée?
Le Président (M. Rancourt): M. Julien.
M. Julien: M. le député, vous savez ce que la
concurrence peut faire, à partir du moment où il y aurait
concurrence dans un domaine qui est ni plus ou moins que de l'assurance. En
industrie, quand on veut assurer quelque chose, on fait la demande à au
moins trois et souvent cinq compagnies. Quand le gouvernement du Québec
veut faire quelque chose de spécial, il va en soumission. S'il croyait
prendre seulement une personne pour faire tout le travail, il n'irait jamais en
soumission. La raison d'une soumission, c'est d'avoir le meilleur prix possible
pour la meilleure qualité possible. Pourquoi n'est-ce pas comme cela
pour les accidents? Pour moi, c'est une question épouvantable à
poser, c'est Même presque gênant. Ayant été un
industriel toute ma vie, je sais par expérience qu'il y a un seul moyen
de travailler, c'est avec une concurrence. Je ne pourrais pas dire et je ne
voudrais jamais dire que la CSST ne serait pas concurrentielle la
journée où il y aurait un concurrent averti autour d'elle.
À partir de ce moment, celui qui dirige la CSST aurait la même
obligation que moi, en étant président-directeur
général de deux ou trois compagnies chez nous. Si je ne suis pas
concurrentiel, je perds les contrats, tout simplement. À partir de ce
moment, on aurait l'avantage d'avoir quelque chose qui se construit comme une
compagnie ordinaire, dans une entreprise privée. On a l'avantage chez
nous d'avoir quelque chose de très pressant qu'on peut vous expliquer,
c'est qu'on a la compagnie Louvem, qui est gouvernementale, qui est venue
s'établir chez nous avec son conseil d'administration. Je peux vous dire
que vous allez voir les réalisations d'ici les années qui s'en
viennent en ce sens que cette compagnie qui, pourtant est gouvernementale, vous
prouvera la qualité de la concurrence en vous donnant quelque chose de
très spécial, chose qu'on voit seulement en concurrence. Je ne
crois pas que, d'ici un an ou deux, si on allait en concurrence avec
l'entreprise privée, l'entreprise privée en assurances serait
meilleure que la CSST. Je crois cependant que la CSST serait royalement
meilleure qu'elle ne l'est présentement, parce qu'à partir du
moment où on a un défi à relever, on n'a pas le choix. Il
faut changer un peu notre administration et c'est normal pour tout le monde. Si
vous donnez un contrat et que vous dites: C'est le "cost" plus 10%, cela va
certainement coûter cher. On a bâti la Baie-James et ce
n'était pas le "cost" plus 10%, mais c'était le meilleur offrant.
Si on donnait cet avantage à n'importe lequel employeur, je crois que la
CSST aurait une structure pas mal meilleure.
M. Cusano: Merci.
Le Président (M. Rancourt): M. le député
d'Ungava.
M. Lafrenière: M. Julien, tout à l'heure, dans
votre mémoire, vous avez parlé d'encourager de meilleurs rapports
entre les travailleurs et les employeurs pour minimiser la fréquence des
accidents. Je sais qu'à votre colloque à Noranda, pour en avoir
entendu parler avant la commission parlementaire, il y avait 110 personnes.
Connaissant la débrouillardise des gens de l'Abitibi, je me demande s'il
n'est pas sorti de bonnes idées pour faire ce rapprochement. Vous devez
certainement en avoir en tête. Est-ce qu'on pourrait les entendre?
Le Président (M. Rancourt): M. Julien.
M. Julien: Je peux vous dire que - M. le ministre, cela me fait
plaisir de vous le dire parce que vous êtes celui qui est le plus proche
de la question du travail, présentement, et de la CSST, bien sûr -
lorsque nous avons décidé de tenir ce colloque, on a royalement
excité les gens de la CSST, chez nous. Ils ont même
prétendu que c'était un désastre et qu'on voulait surtout
les détruire. Mais ce n'était pas ce qu'on faisait.
C'était une priorité qui nous avait été faite
à l'assemblée annuelle du Conseil régional de
développement, qui regroupe tout de même 500 membres officiels qui
font partie du CRDAT. C'est probablement le CRDAT le plus fort de tout le
Québec, présentement, sans être vaniteux, parce que je suis
un président qui passe et, dans un an, cela en sera un autre. Mais je
peux vous dire que lorsqu'on a eu notre rencontre, les gens de la CSST
étaient présents et cela nous a fait réellement plaisir de
voir que le gouvernement avait pensé qu'il valait la peine, dans la
région du Nord-Ouest où on est à peu près 170 000
de population, d'avoir 18 représentants de la CSST pour venir
écouter ce qui se dirait par les employeurs. Il n'y a pas eu d'employeur
à cette réunion qui a détruit la CSST par elle-même.
On a trouvé que, dans les nouveaux programmes de
sécurité à l'intérieur de l'usine, il y
avait des failles extraordinaires parce qu'on demandait à certains
employeurs de dépenser quelque chose comme 200 000 $ pour être
réaliste à ce qui était demandé par la CSST.
Vous savez que, dans le système économique qu'on a
vécu, pendant les dernières années, 200 000 $, pour une
petite PME, c'est beaucoup d'argent à investir pour la
sécurité. Ces mêmes compagnies, qui venaient se
défendre n'étaient pas celles où il y avait le plus
d'accidents, mais leur programme de sécurité était
extrêmement exagéré parce qu'il s'appliquait dans des
domaines extrêment difficiles, comme la soudure. Vous savez ce que c'est
la soudure; on soude de l'aluminium, on soude toutes sortes de métaux,
ce qui provoque des émanations de gaz. C'est extrêmement difficile
d'avoir une sécurité à l'intérieur de l'usine
abordable, en tout cas, dans le domaine que la CSST demandait.
Celui qui est venu nous faire une représentation
là-dessus, c'est un de nos bons entrepreneurs de chez nous qui a
même été jusqu'à faire de l'exportation hors
Québec et hors Canada et même en Europe. Cela le détruisait
dans son contexte parce qu'il fallait qu'il dépense trop d'argent dans
un système qui, pour lui, était impossible à
réaliser parce qu'il n'y avait rien qu'il pouvait adapter à son
usine et il n'y avait personne à la CSST ni ailleurs qui pouvait lui
fournir des solutions à ses problèmes. Alors, quand on vous dit
qu'il y a des émanations de gaz, que vous n'avez rien pour
éliminer cela, même si vous demandiez à la personne de
faire des efforts considérables, cela était impossible pour
lui.
Il y avait des choses comme celles-là qui se sont produites avec
la CSST, malgré que je doive vous avouer honnêtement qu'il n'y a
pas eu de grands dilemmes où cela a été
controversé. Bien sûr, tout le monde a dit que la CSST
coûtait extrêmement cher en administration. Étant
administrateur, je suis obligé d'avouer que, selon moi, tout le monde
avait raison parce que si, chez nous, dans les entreprises que je dirige depuis
une trentaine d'années - je voudrais dire au ministre que j'ai
commencé à 20 ans, pour ne pas qu'il pense que je suis trop vieux
-j'administrais comme la CSST est administrée, cela fait longtemps que
je serais en faillite.
Le Président (M. Rancourt): M. le député
d'Ungava.
M. Lafrenière: Juste une remarque en passant. S'il y avait
dix personnes de la CSST, c'est peut-être bien une des raisons pour
laquelle cela coûte cher: déplacer tant de monde! S'il y avait 18
personnes de la CSST qui se sont rendues à Rouyn, cela fait
déjà un bon montant. C'est peut-être bien une des raisons
pourquoi cela coûte cher.
M. Julien: C'étaient des gens de la région,
remarquez.
M. Lafrenière: De la région.
M. Julien: II n'y avait rien... C'était des gens de la
région et qui travaillaient dans la région. On ne peut pas dire
qu'ils ne sont pas compétents dans leur travail. Mais il reste au
ministre du Travail à décider ce que la CSST devrait faire. Les
gens de chez nous, on ne nie pas leurs compétences parce qu'ils agissent
en vertu de directives qui viennent de hauts lieux. Ils font très bien
leur travail.
Le Président (M. Rancourt): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. M. Julien et M. Dufour,
au nom de ma formation politique, j'aimerais vous remercier.
Comme le ministre l'a dit tantôt, on s'excuse si Quebecair et
nous-mêmes vous avons causé certains inconvénients. Nous
avons apprécié votre franchise et les éléments que
vos apportez concernant le projet de loi 42. Nous vous en remercions.
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre du Travail.
M. Fréchette: Je veux simplement, M. le Président,
réitérer les remerciements que mon collègue du
comté de Viau vient de transmettre à nos invités. Il a
indiqué que vous aviez, très franchement, exprimé vos
opinions. On les retrouve, d'ailleurs, dans le mémoire lui-même.
Je vous en remercie et j'espère que nous aurons l'occasion de nous
revoir, peut-être à la saison de chasse, M. Julien.
M. Julien: M. le ministre...
Le Président (M. Rancourt): M. Julien.
M. Julien: ...le directeur général du CRDAT aurait
quelques questions à vous poser, s'il vous plaît!
M. Dufour (Denis): Rapidement, M. le Président...
Le Président (M. Rancourt): M. Dufour.
M. Dufour: M. le Président, si vous me permettez de poser
au ministre un point d'éclaircissement concernant un article du projet
de loi 42. C'est l'article 10 concernant les contrats d'entreprise, à
savoir l'interprétation qu'on peut faire de cet article...
M. Fréchette: Quel article est-ce?
M. Dufour: L'article 10.
M. Fréchette: L'article 10?
M. Dufour: ...qui dit que l'employeur qui accorde un contrat
d'entreprise est considéré l'employeur des travailleurs de
l'entrepreneur tant que celui-ci n'a pas fait les déclarations
prescrites par la présente loi. Est-ce que cela veut dire qu'il est
responsable?
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: M. Dufour, est-ce qu'on peut ensemble
convenir d'un processus qui ferait qu'on puisse se voir immédiatement
après que les travaux de la commission seront terminés? Vous
allez comprendre que, s'il fallait entreprendre, à l'occasion de cette
commission, de donner une interprétation des quelque 300 articles qu'on
y retrouve, cela pourrait devenir long et je ne pourrais pas non plus prendre
le risque de donner des interprétations sur l'ensemble d'un projet de
loi à ce stade-ci, mais je n'ai pas d'objection à ce qu'on se
voie immédiatement après et qu'on en reparle.
Le Président (M. Rancourt): M. Dufour.
M. Dufour: D'accord.
M. Cusano: Cela sera certainement réécrit.
Le Président (M. Rancourt): M. Dufour, avez-vous d'autres
questions?
M. Dufour: L'autre intervention est simplement une invitation
à ceux qui n'auraient pas pris connaissance du compte rendu de la
rencontre CSST-employeur. Des copies sont disponibles à nos bureaux.
J'ai vérifié cet après-midi et tous les
députés ne l'ont pas reçu. Il nous fera plaisir d'en
remettre des copies.
M. Fréchette: Est-ce que vous pourriez...
Le Président (M. Rancourt): M. le ministre.
M. Fréchette: ...en envoyer, M. Dufour, au
secrétariat des commissions en nombre suffisant pour que ce soit
retransmis à tous les membres de la commission. Il serait vraiment
intéressant de voir le procès-verbal de cette séance de
travail que vous avez tenue chez vous. Merci.
M. Dufour: Cela me fera plaisir.
Le Président (M. Rancourt): D'accord. Nous remercions le
Conseil régional de développement de
l'Abitibi-Témiscamingue, qui clôt en fait l'ordre du jour
d'aujourd'hui, le 17 février 1984. Nous allons souhaiter à nos
invités un bon retour.
Nous ajournons nos travaux jusqu'à lundi, 10 heures. À
chacun d'entre vous, bonne fin de semaine.
(Fin de la séance à 19 h 58)