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(Seize heures trente-trois minutes)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission permanente du travail se réunit aux fins d'examiner
l'administration et le fonctionnement de la Commission de la santé et de
la sécurité du travail.
Les membres de cette commission sont M. Bisaillon (Sainte-Marie), M.
Cusano (Viau), M. Dean (Prévost), M. Fréchette (Sherbrooke), Mme
Harel (Maisonneuve), M. Lafrenière (Ungava), M. Laplante (Bourassa), M.
Pagé (Portneuf), M. Vaugeois (Trois-Rivières), M. Maltais
(Saguenay), M. Champagne (Saint-Jacques), M. Baril (Arthabaska).
Les intervenants sont M. Sirros (Laurier), M. Champagne
(Mille-Îles), M. Côté (Charlesbourg), M. Leduc (Fabre), M.
Payne (Vachon), M. Polak (Sainte-Anne), M. Proulx (Saint-Jean).
J'aurais besoin que l'on me donne le nom d'un rapporteur pour cette
commission.
M. Fréchette: M. le député d'Ungava.
Le Président (M. Jolivet): M. le député
d'Ungava? M. Lafrenière?
M. Cusano: D'accord, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Merci.
Je dois vous dire que la commission est prête à examiner
l'administration et le fonctionnement de la Commission de la santé et de
la sécurité du travail. Je dois m'excuser auprès des gens
qui sont actuellement entassés et leur dire qu'il était
impossible de faire autrement, compte tenu que la commission doit durer,
normalement, quatre jours et que le salon rouge ne sera pas disponible cette
semaine. On ne pensait pas qu'il y aurait tant de gens présents à
la commission aujourd'hui, de telle sorte qu'on s'excuse si on ne peut faire
entrer tout le monde. Ce sont les seules salles disponibles actuellement.
Je vais donc laisser la parole au ministre et, ensuite, à M. le
député de Viau, en vous rappelant que nous avons une heure trente
à notre disposition. Je vous demanderais donc d'être brefs dans
vos commentaires préliminaires pour laisser la chance à
l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidentés du
Québec de présenter son mémoire et de répondre aux
questions.
Je tiens aussi à vous faire remarquer que nous allons avoir
énormément de travail cette semaine et que, compte tenu de cela,
il va falloir se discipliner quant à la présentation des
mémoires, qui doit durer une vigtaine de minutes. On demande aux
organismes qui se présentent de se limiter à 20 minutes, si
possible. Je prie aussi les membres, de chaque côté de la table,
de respecter la période de 20 minutes réservée au droit de
parole individuel pour chacune des interventions. M. le ministre.
Remarques préliminaires M. Raynald
Fréchette
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Au moment
d'entreprendre notre première période de travail sur
l'administration et le fonctionnement de la CSST, j'aimerais vous livrer
brièvement quelques remarques préliminaires portant, d'une part,
sur la perception que je me fais du travail qui nous attend tous et, d'autre
part, sur la conception que j'entretiens sur la philosophie qui a
entraîné l'adoption de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail ainsi que sur l'organisme responsable de son
administration, la Commission de la santé et de la
sécurité du travail.
M. le Président, quels sont d'abord les motifs qui ont
entraîné la convocation de cette commission parlementaire? Mon
prédécesseur s'était régulièrement
engagé à examiner le fonctionnement et l'administration de la
CSST après quelques années d'exercice. Il était même
allé plus loin en précisant le moment de cet exercice: à
l'occasion, avait-il dit, de l'étude en commission parlementaire de ce
qui était appelé à l'époque la Loi sur la
réparation des lésions professionnelles, qui est maintenant
connue sous le titre de Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles.
À l'occasion de réponses à des questions des
collègues de l'Opposition, j'ai eu l'occasion de réitérer
ce même engagement de tenir une commission parlementaire sur le
fonctionnement et l'administration de la CSST. Sauf qu'en y
réfléchissant davantage, il nous est apparu dangereux de
confondre dans un même exercice l'étude des principes d'une loi et
l'examen de l'administration d'un organisme.
Nous serions, sans doute, tous et toutes sortis de cet exercice un peu
confus en ayant oublié les véritables enjeux de chacune des
questions.
Il nous est apparu plus sage d'examiner dès maintenant le
fonctionnement et l'administration de la CSST afin d'être plus attentifs
aux principes fondamentaux qui animent la nouvelle loi sur les accidents du
travail. Je sais, et cela sera de bonne guerre, que l'Opposition nous dira:
Enfin, vous vous rendez à notre demande. Si cela peut leur faire
plaisir, je veux bien mais, en tenant compte des nuances suivantes.
Chaque fois que l'Opposition criait au scandale, en quelque sorte, j'ai
toujours demandé que l'on m'apporte des preuves, ce qui, dans mon
évaluation, n'a pas été fait jusqu'à maintenant.
Rien dans les affirmations de l'Opposition ne m'amène à penser
qu'il y ait eu abus indus de la part de membres du conseil d'administration ou
de la direction de la CSST.
À toutes les questions posées par l'Opposition, je crois
pouvoir affirmer que nous avons donné - en demandant parfois un temps
d'examen de la question - des réponses qui me paraissent satisfaisantes.
Notre exercice se situe donc plus dans la perspective d'un geste gouvernemental
annoncé depuis longtemps que dans la perspective qu'il y ait un scandale
chaque fois que la Commission de la santé et de la
sécurité au travail agit.
Notre démarche s'inscrit également dans une optique visant
à favoriser l'imputabilité d'une direction d'organisme. La CSST
est un organisme essentiellement paritaire et dont la direction est
assumée par un conseil d'administration et les services administratifs
dirigés par un président-directeur général.
L'équipe ministérielle, en tout cas, voit cette commission
parlementaire comme une activité parlementaire où le principal
objectif sera d'identifier, s'il y a lieu, des problèmes de
fonctionnement ou d'administration, et après identification, les
corriger par la suite, toujours s'il y a lieu.
Nous ne croyons pas qu'aucun organisme ne soit perfectible ni qu'aucune
personne soit parfaite. J'espère, par contre, à l'occasion de
l'audition de groupes, que nous serons tous à la recherche de moyens
d'améliorer le fonctionnement et l'administration de la CSST et non en
quête de preuves à une thèse partisane. Comme, lorsque nous
entendrons le conseil d'administration, j'espère que nous pourrons tous
comprendre les différents niveaux décisionnels qui existent
à la commission. De même - et je sais que mes collègues de
l'Opposition sont impatients - lorsque nous entendrons le
président-directeur général, je crois fermement que notre
dignité de parlementaires au service de la population du
Québec fera qu'il n'y aura ni accusateur, ni accusé mais
des parlementaires soucieux de connaître la vérité. Je
crois que nous pouvons mener ce débat sereinement et je pense que c'est
ainsi que les travailleurs et les employeurs du Québec seront mieux
servis.
Voilà, M. le Président, pour le climat dans lequel, je
vous le suggère respectueusement, cette commission devrait travailler.
Il m'apparaît maintenant important de faire de la Commission de la
santé et de la sécurité du travail un bilan le plus
précis possible, afin que tous autour de la table, nous soyons au
même point et autant que possible sur la même longueur d'onde.
La Loi sur la santé et la sécurité du travail a
pour objet l'élimination à la source des dangers pour la
santé, la sécurité et l'intégrité physique
des travailleurs. Elle établit les mécanismes de participation
des travailleurs et de leurs associations ainsi que des employeurs et de leurs
associations à la réalisation de cet objectif. Elle crée
ainsi un conseil d'administration paritaire décisionnel. Les membres du
conseil d'administration sont nommés par le gouvernement, après
recommandations des différentes associations patronales et syndicales
reconnues. Les politiques, les programmes, la réglementation et les
budgets sont de leur ressort. L'administration et la direction de la commission
sont confiées au président-directeur général qui
est assisté dans ses fonctions par les vice-présidents
nommés par le gouvernement.
Il a fallu, pour la nouvelle commission, vivre une réorganisation
régionale de même que l'engagement et l'intégration d'un
nouveau personnel chargé de faire en sorte que le mandat soit
administré de la même façon, avec la même philosophie
dans toutes les régions. La Loi sur la santé et la
sécurité du travail prévoit que l'inspection du travail
est exercée entièrement par la nouvelle commission. Je rappelle
que les effectifs d'inspection étaient rattachés à quatre
ministères ou organismes différents: le ministère de
l'Environnement, le ministère de l'Énergie et des Ressources, le
ministère du Travail et l'Office de la construction du Québec. La
commission a du, en conséquence, procéder à
l'intégration du personnel de l'OCQ à la fonction publique.
Alors que l'inspection, par la force des choses, était mise en
place sans délai, d'autant plus que c'est une fonction connue dans le
monde du travail, ce n'était pas tout à fait le cas pour la
prévention. C'est un mot très connu que celui de la
prévention, mais de là à en connaître toutes les
articulations possibles dans le domaine du travail et à inciter les
parties patronale et syndicale à regarder ensemble du côté
de la prévention, c'était autre chose.
(16 h 45)
N'ayant aucune tradition, au Québec, au plan de la participation,
tout était à faire. Il n'était pas question, pour le
personnel de la CSST, de se substituer aux parties. Il fallait leur donner le
temps, sinon cette réforme en santé et en sécurité
du travail, qui était le voeu du gouvernement encore une fois, aurait
été impensable. Petit à petit, au rythme de chacun, les
partenaires ont appris, non seulement à travailler ensemble, mais
à se parler et à écouter. Certains secteurs sont plus
avancés que d'autres. Ceux, surtout, qui ont déjà leur
association sectorielle et qui travaillent ensemble à régler les
problèmes communs à leur secteur.
M. le Président, vous le savez, la création d'une
association sectorielle se fait sur une base volontaire selon, bien sûr,
la volonté des deux parties. La loi prévoit, cependant, une
exception pour le secteur de la construction où l'association
sectorielle est obligatoire.
Actuellement, six associations sectorielles sont en place. L'association
sectorielle du secteur des affaires sociales, l'association sectorielle du
secteur du transport et de l'entreposage, l'association sectorielle du secteur
des services automobiles, celle du secteur de l'industrie des textiles
primaires, celle du secteur de l'imprimerie et des activités connexes,
celle du secteur de l'administration publique.
On estime que deux autres associations seront mises en route au
printemps de 1984: celle du secteur des produits en métal et celle de la
fabrication d'équipements de transport et de machinerie.
Par contre, d'autres, dans des secteurs très importants, ne sont
pas encore en place parce que les parties patronale et syndicale ne s'entendent
pas et, dans certains cas, depuis fort longtemps. Compte tenu qu'elles sont
volontaires, il faut donc attendre une entente. Ce sont les secteurs des
affaires municipales, de la forêt, de la scierie, des pâtes et
papiers, des bois et meubles, des aliments et boissons, des mines et de la
première transformation des métaux.
M. le Président, l'expérience des autres pays
démontre qu'il faut un minimum de cinq ans pour mettre une telle mesure
législative en application. Le Québec, croyons-nous, l'aura fait
en trois ans. Il ne reste que 24 articles de la loi à proclamer, ce qui
devrait être fait, nous l'espérons, dans les prochains mois. Il
s'agit des articles sur le représentant à la prévention et
des articles concernant la construction.
Le Québec peut donc être satisfait de la diligence dont ont
fait preuve les autorités de la commission, son conseil et son
comité administratif mais aussi, peut-être surtout, il doit
être fier du fait que les partenaires du monde du travail
réalisent l'importance de prendre leurs problèmes en main et de
trouver ensemble des solutions pour qu'enfin on élimine à la
source les dangers pour la santé, la sécurité et
l'intégrité physique des travailleurs.
Pour éviter de créer, comme c'est le cas en France par
exemple, et sans garantie d'efficacité, un réseau
parallèle de médecine du travail, le gouvernement a prévu,
dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail, une
étroite collaboration avec les départements de santé
communautaire du réseau des affaires sociales. Ceux-ci existant dans
toutes les régions, c'était, évidemment, un avantage de
plus.
La CSST a donc, comme le prévoit la loi, signé des
contrats avec les DSC pour les services nécessaires à la mise en
application des programmes de santé dans les établissements de
leur territoire respectif. 783 postes ont été octroyés aux
DSC pour les besoins de l'application de la Loi sur la santé et la
sécurité des travailleurs.
M. le Président, vous savez déjà que c'est le
médecin responsable des services de santé d'un
établissement qui doit élaborer le programme de santé de
celui-ci et le soumettre au comité de santé et de
sécurité pour approbation. C'est évidemment aussi ce que
je voulais dire quand je parlais de parité à tous les niveaux.
Les décisions ainsi prises au cours d'un processus de cheminement
paritaire sont certainement mieux acceptées et plus facilement mises en
application par les mêmes parties que si ces décisions leur
étaient imposées.
Au début des années quatre-vingt, la récession
économique a obligé la commission à réexaminer son
mode de financement pour alléger les cotisations des employeurs et
permettre de réinjecter dans l'économie autant de millions non
cotisés. La permanence de la commission s'est penchée très
attentivement sur son mode de financement et sur sa capitalisation. C'est ainsi
que, sans toucher à la sécurité des travailleurs qui ont
droit à des prestations ou à des rentes, sans mettre en
péril les réserves de la commission, la permanence a
proposé au conseil d'administration un mode de financement qui, pour les
cinq prochaines années, capitalisera à 90% au lieu de 100% et,
qui pour les cinq années suivantes, reviendra à 100% à
raison de 2% par an. Cette politique assure un taux moyen stable entre 1,70 $
et 1,90 $ et permet de réinjecter 450 000 000 $, au minimum, dans
l'économie du Québec sur une période de dix ans.
Quant à l'effectif de la commission, il était de 1863,
avec 150 occasionnels en 1977, au moment de la régionalisation.
D'ailleurs, celle-ci a été faite sans aucune augmentation
d'effectif, et je pense qu'on ne le dira jamais assez souvent. Au moment de la
naissance de la CSST, celle-ci a obtenu 268 postes pour son mandat de
prévention,
plus un certain nombre d'autres pour la phase d'implantation et le
démarrage; une centaine au système et les autres à
l'administration et au bureau de révision. L'inspection du travail
regroupait 387 postes qui furent aussi affectés à cette nouvelle
commission.
M. le Président, vous savez déjà, puisque cela a
été dit le printemps dernier, que la commission a remis des
postes au Conseil du trésor. D'ailleurs, mon collègue, le
président du Conseil du trésor, écrivait au
président-directeur général, M. Sauvé,
récemment en le félicitant d'une réduction totale de 100
postes au cours des quinze derniers mois. Il s'agit là, écrit le
président du conseil, d'un effort substantiel réalisé par
votre organisme et je ne puis que vous en féliciter.
Les postes autorisés sont maintenant de 2694, y compris les 367
postes de l'inspection. 2558 postes sont occupés, y compris encore une
fois l'inspection. Si l'on soustrait de ce nombre les 367 postes occupés
par l'inspection, la commission compte 2191 postes occupés, soit
exactement 328 personnes de plus qu'en 1977.
Quant à la mécanisation des opérations de la
commission, elle est réalité dans le domaine des finances, de la
réparation, de la prévention et de l'inspection, de la
comptabilité et de la gestion du personnel.
Voilà, M. le Président, un tableau rapidement
brossé de cet organisme qu'on a trop tendance à traiter de grosse
machine inaccessible, ce qui est très facile à faire quand on ne
se renseigne pas ou alors quand on n'est pas intéressé à
écouter ou à entendre les réponses.
En terminant cette première partie de mon exposé, je
voudrais citer les principaux éléments d'un éditorial paru
récemment dans un quotidien de Montréal et qui pose bien le
problème de cette commission parlementaire sur l'administration et le
fonctionnement de la Commission de la santé et de la
sécurité du travail. S'agit-il, disait l'éditorialiste, de
prendre la défense des accidentés du travail victimes
d'injustices? S'agit-il plutôt de faire écho aux revendications du
patronat qui finance entièrement un régime qu'il estime trop
coûteux pour l'entreprise? S'agit-il d'une vendetta personnelle contre
l'ancien secrétaire général de la CSN, sous-ministre du
Travail, puis président de la Commission des services juridiques, que
l'on présente volontiers comme un ambitieux "empire builder"? S'agit-il
de la poursuite de la campagne menée par l'Opposition lors du
débat qui a précédé l'adoption de la Loi sur la
santé et la sécurité du travail? S'agit-il de se porter
à la défense des membres de certaines corporations
professionnelles dont les pratiques ont été remises en question
par le président-directeur général de la CSST? Ou
s'agit-il tout simplement d'un des éléments d'une campagne plus
large visant à discréditer les réalisations du
gouvernement en place? Ou, s'agit-il d'un peu tout cela à la fois et
d'autres choses encore?
J'ajouterais pour terminer que, comme cet éditorialiste, je pense
et je souhaite qu'on puisse évaluer le niveau de maturité et le
sens des responsabilités des membres qui composent cette commission.
Comme lui, je ne peux m'empêcher de souhaiter que cela se fasse sans
scène disgracieuse.
Nous allons, M. le Président, vivre quatre jours ensemble. Je
voudrais - et je suis sûr que c'est le voeu de tous les membres de la
commission - que cela se fasse sereinement et dans un esprit positif.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. William Cussano
M. Cusano: Merci, M. le Président. Je serai très
bref dans mes remarques préliminaires parce qu'il est
présentement 17 heures et que la commission ajournera ses travaux
à 18 heures. Je ne prendrai pas mon plein droit de parole à ce
moment-ci.
Cette commission a été convoquée à la suite
de plusieurs demandes de la part de l'Opposition. Elle a pour but, en ce qui me
concerne, d'examiner très précisément les problèmes
ou même les abus que vivent les gens qui font affaire avec la CSST, soit
du côté des personnes qui ont subi des accidents du travail ou des
personnes qui sont en place au jour le jour.
J'ose espérer que l'on accordera à ces organismes tout le
temps nécessaire pour qu'ils puissent s'exprimer et qu'on ne s'attachera
pas à des règles parlementaires pour leur couper la parole. C'est
pour cela, comme je l'ai dit tout à l'heure, que je serai très
bref dans mes remarques préliminaires.
Lors des débats sur la loi 17, l'Opposition et plusieurs
intervenants ont mis le gouvernement en garde qu'une réforme de
structure... En ce qui nous concerne, la formation de la CSST n'a
été qu'une réforme de structure. Cette réforme,
d'aucune façon n'améliorait le sort des accidentés du
travail. Plutôt que de se lancer - on l'a suggéré dans ce
débat - dans une réforme globale, universelle, le gouvernement,
dans un premier temps, aurait dû déterminer les secteurs
prioritaires d'interventions et y intervenir de façon
adéquate.
L'approche donnée avec les moyens pour parvenir à l'ultime
objectif - je suis d'accord avec le ministre lorsqu'il dit que l'objectif
ultime est la santé, la sécurité et
l'intégrité physique des travailleurs et aussi, la cessation ou
la diminution des accidents à leur source - nous semble ne pas
s'être réalisée. Elle ne s'est pas réalisée
car on remarque, d'après les rapports annuels, que
le nombre d'accidents ou de demandes de prestations n'a fait
qu'augmenter. (17 heures)
Malheureusement, si on peut faire un petit résumé de ce
qui a été dit par l'Opposition et par les intervenants lors du
débat sur la loi 17, ces personnes semblent avoir été des
prophètes. On disait que ce n'était pas une nouvelle structure
qui allait améliorer la situation, et on le vit aujourd'hui.
Cette lourdeur administrative que tout le monde avait reconnue à
l'ancienne Commission des accidents du travail, il nous semble qu'elle se
continue à la CSST. On peut le constater en jetant un coup d'oeil sur
les rapports annuels. On remarque que les frais d'administration
étaient, en 1976, de 30 000 000 $; on s'aperçoit qu'en 1982 ce
chiffre est passé à 95 000 000 $. Les frais de déplacement
du personnel en dedans de la CSST étaient, en 1976, de 763 000 $ et, en
1982, c'est rendu à 4 000 000 $. Les contrats de services et
d'informatique, toutes ces belles machines qui sont censées aider
l'accidenté du travail et expédier son dossier, en 1976, on se
satisfaisait d'un budget de 800 000 $ et, aujourd'hui, on est rendu à un
budget de 8 000 000 $. Les appels téléphoniques, les
télégrammes, les postes et messageries, encore en 1976 on se
contentait de 832 000 $ et aujourd'hui, c'est-à-dire en 1982, parce
qu'on ne sait pas exactement quels seront les coûts en 1983, ce chiffre
est de l'ordre de 5 000 000 $.
Lorsqu'on parle des postes occupés à la CSST, oublie-t-on,
volontairement ou non, les autres postes indirects qui font du travail pour la
CSST? On y reviendra lorsque les intervenants en question seront
présents devant nous.
Alors, les chiffres que j'ai cités et que l'on retrouve dans les
rapports annuels porteraient à première vue à conclure
qu'avec la régionalisation, l'achat d'équipement en informatique,
l'augmentation de l'effectif, tout cela devrait donner un meilleur service
à la clientèle, que ce soit les accidentés, les syndicats
ou les employés.
On aurait pu penser, en examinant tout cela, qu'au Québec il y
aurait une diminution d'accidents. Au contraire, on s'aperçoit que les
accidents n'ont fait qu'augmenter, c'est-à-dire que les demandes de
prestations n'ont fait qu'augmenter depuis que la CSST a été
créée.
J'ose espérer, M. le Président, qu'au cours de cette
commission parlementaire on pourra avoir des réponses complètes,
car les questions qu'on a posées en Chambre, celles qu'on a
posées à l'étude des crédits du ministre du Travail
et lors de la question avec débat, en mai 1983, demeurent pour la
plupart sans réponse. Je pourrais à ce moment-ci souligner que
les brèves réponses à ces questions qu'on a
soulevées, il y a au- delà d'un an, me sont arrivées
à mon bureau ce matin. Je peux vous dire qu'elles ne sont pas exactement
très précises et très concrètes.
Le ministre a dit que c'est son intention de voir à
l'amélioration du fonctionnement de la CSST. C'est justement dans ce but
qu'on a posé des questions très précises. On a
demandé jusqu'où l'objectif établi par le
législateur, qui était justement de diminuer les accidents
à la source même, avait été atteint. On a
demandé aussi de nous donner la ventilation des objectifs qui ont
été établis chaque année. Il me semble que, dans
une saine administration, on se donne des objectifs au commencement de chaque
année. Il est aussi raisonnable qu'à la fin d'une année on
en fasse une évaluation. Cela, M. le Président, c'est encore une
question qui demeure sans réponse.
Des statistiques sur les comités de santé et de
sécurité du travail dans les entreprises. Nous savons très
peu comment cela fonctionne. On nous dit que certains comités
fonctionnent, mais il y en a d'autres qui ne fonctionnent pas. On se
pète un peu les bretelles en disant que tout va bien. Mais je suis
sûr qu'au cours des quatre jours on pourra constater que tout n'est pas
beau et rose.
En parlant des autres groupes qui sont impliqués dans toute cette
démarche, par exemple, le département de santé
communautaire, les centres locaux de services communautaires par région,
nous avons demandé jusqu'où l'action était
intégrée. Est-ce que tout le monde travaillait ensemble ou est-ce
que la CSST de son côté faisait son petit boulot et les autres
faisaient leur boulot de leur côté? On a voulu savoir s'il y avait
un système de coordination. Encore, M. le Président, les
réponses à ces questions ne sont pas très claires.
On a aussi posé des questions concernant les programmes
spéciaux sur des politiques dérogatoires. Selon nos informations,
nous avons pu nous apercevoir qu'il y a une grande variation entre une
région et une autre. Je trouve que ceci est totalement inacceptable.
On a aussi demandé de nous expliquer de façon très
concrète le programme de prise en charge, de nous en donner les
coûts et de nous dire de quelle façon ce programme aidait la
situation des accidentés. Jusqu'à maintenant, M. le
Président, nous demeurons sans réponse.
Je termine sur les questions qu'on a posées concernant les
services professionnels. Comment expliquer le programme d'achat de services
professionnels, qui permet à la CSST d'aller chercher un
spécialiste, ou quelque chose qui permet d'engager des agents de bureau?
Pourquoi a-t-on posé ces questions? C'est parce qu'on voulait savoir
exactement
comment cette boîte était administrée et ce qui
permettait justement d'aller chercher indirectement du surplus de personnel qui
n'était pas autorisé.
J'ai dit que je serais très bref pour permettre aux gens de
présenter leur mémoire. C'est donc avec cela que je termine et je
reviendrai plus tard avec d'autres remarques. Merci.
Le Président (M. Jolivet): Je cède la parole au
député de Portneuf.
M. Michel Pagé
M. Pagé: M. le Président, très
brièvement, je voudrais à ce moment-ci, immédiatement,
donner l'assurance aux personnes qui nous visitent cet après-midi et qui
ont déposé leur mémoire, l'Association des travailleurs et
travailleuses accidentés du Québec, qu'on pourra prendre tout le
temps qui sera nécessaire pour les entendre.
Je comprends qu'on a un échéancier, qu'on a un programme,
mais j'ai cru comprendre, par la motion présentée par l'honorable
leader du gouvernement en fin d'après-midi, qu'on ne siégeait pas
ce soir. Les travaux ici en commission parlementaire devant reprendre vers 20
heures, c'est donc dire que la salle doit être libérée vers
19 h 30. Je présume et je crois qu'on pourra prendre le temps qu'il
faudra.
M. Fréchette: ...18 heures.
M. Pagé: Malgré qu'on débordera 18 heures de
quelques minutes.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cela nous prend seulement
le consentement unanime.
M. Pagé: Oui.
Une voix: Consentement.
M. Pagé: Alors il est déjà donné et
acquis.
M. le Président, pourquoi j'interviens à la suite de mon
collègue, M. le député de Viau, qui est le porte-parole de
notre groupe politique dans ce dossier? C'est que j'ai eu l'occasion de
siéger pendant près de 60 jours, si ma mémoire est
fidèle, en 1978 pour entendre les intervenants qui étaient
intéressés par la loi 17, à l'époque, créant
la Commission de la santé et de la sécurité du
travail.
Depuis quelques mois il est exact que notre groupe politique s'est
inquiété de certaines situations. Notre groupe a soulevé
des questions à l'Assemblée, que ce soit lors de la
période de questions, que ce soit en vertu de la procédure de la
question avec débat du vendredi matin, que ce soit enfin lors de
l'étude des crédits du ministère du Travail, fin mai et
début juin dernier.
M. le ministre, vous avez fait référence tout à
l'heure à un article d'un grand journal de Montréal qui posait
des questions, des hypothèses sur la raison d'être d'une telle
commission, ce qu'elle pouvait devenir et ce qu'elle risquait de devenir. Vous
en avez référé à un test de la loi 17 et à
une "vendetta" à l'égard du directeur ou de l'administration. Je
voudrais vous répondre bien clairement, bien précisément,
ceci: En 1978, lorsque les membres de l'Assemblée nationale, lorsque le
Parlement a eu à se pencher sur la question des accidents du travail au
Québec, on avait le malheureux constat devant nous que des milliers et
des milliers de travailleurs et de travailleuses devaient, malheureusement,
subir un accident du travail dans le cadre de leur travail chaque année.
On était à même de constater, par les témoignages
combien éloquents que nous avons entendus à ce moment, comment
les accidents du travail pouvaient être coûteux pour le citoyen qui
avait à subir un tel dommage d'un tel accident, quel traumatisme cela
pouvait impliquer, quel problème concret dans le vécu quotidien
cela pouvait comporter, quel problème de réadaptation au travail,
de réintégration sur le marché du travail. On était
à même d'entendre, à juste titre, je crois, des critiques
fondées sur le fait que l'accidenté est bien isolé, se
sent seul et très dépendant de l'ensemble de ce système,
de ces moyens et de ces méthodes qui lui sont offerts à titre
d'indemnité.
L'objectif, c'était, premièrement, une première
prévention. Tout le monde était animé par une
volonté d'avoir moins d'accidents au Québec. L'objectif
était, par conséquent, une diminution substantielle du nombre
d'accidents au Québec. Un autre objectif, tout à fait louable,
c'était d'introduire une notion de concertation entre les parties
concernées et d'où, l'enclenchement de tous les mécanismes
dans la loi de paritarisme.
L'objectif, c'était une meilleure inspection pour qu'il y ait
moins d'accidents et qu'il y ait moins de gens qui aient à souffrir des
dommages physiques. C'était le droit de refus, l'intégration des
quatre services d'inspection.
L'objectif, c'était que les gens s'asseoient ensemble et
créent, constituent des associations sectorielles pour mieux travailler
ensemble à des objectifs communs de prévention.
L'objectif, c'était une meilleure recherche des causes
d'accidents du travail au Québec afin d'y apporter les correctifs.
C'était tout cela, les objectifs. Et il y aura bientôt cinq
ans qu'on a eu l'occasion de discuter de l'ensemble de ces sujets ici à
l'Assemblée. Il y a quatre ans que la loi est
en vigueur. Vous me répondrez que des pans entiers de la loi ont
été adoptés sur proclamation et que cela est tout
récent. J'en conviens. Cependant, on doit convenir, ceux qui ont la
chance de relire les débats de cette commission, plus
particulièrement des engagements formulés à
l'époque par le gouvernement et plus spécifiquement par
l'honorable ministre du Travail de l'époque, M. Marois, sont à
même de constater les échéanciers et tout ce à quoi
le gouvernement et la commission s'étaient engagés par l'adoption
de cette loi.
Quatre ans plus tard, loi en vigueur, loi adoptée. Efforts
très appréciables déployés par les intervenants
tant patronaux que syndicaux. Capital humain, capital financier très
significatif d'investis à la Commission de la santé et de la
sécurité du travail. Nous sommes en droit de nous asseoir
ensemble et de réfléchir, d'analyser, de scruter et possiblement
de conclure à la fin de nos travaux sur ce qui s'est fait jusqu'à
maintenant.
Malheureusement, on doit vivre aujourd'hui encore une situation qui,
j'en suis persuadé, sera longuement évoquée - ce sera
juste et raisonnable et explicable que des cas aussi pénibles soient
portés à notre attention cet après-midi - par ces dames,
ces hommes, ces gens qui nous visitent aujourd'hui et qui nous visiteront
demain. Il y en a encore trop d'accidents au Québec. Il y a trop de
personnes qui doivent subir et un accident et aussi le traumatisme de cet
accident et les effets de cet accident dans leur sécurité de
revenu et dans leur sécurité personnelle, leur vie durant.
Nous sommes en droit de nous poser des questions. C'est pourquoi la
commission qui amorce ses travaux aujourd'hui, elle est
légitimée, elle est normale, elle est explicable. Nous sommes
justifiés d'avoir demandé cette commission, comme nous acceptons
et nous témoignons notre appréciation à l'égard du
ministre du Travail qui a accepté qu'on puisse siéger ici avant
d'amorcer l'étude et d'entendre les groupes concernés ou
intéressés par le projet de loi 42, en janvier ou en
février prochain.
Je terminerai. La grande question est de savoir... On doit se poser
ensemble la question suivante: Est-ce que la Commission de la santé et
de la sécurité du travail a rempli le mandat qui lui a
été confié par l'adoption de la loi 17 à la fin de
1978, début 1979? C'était non seulement un mandat, c'était
un défi que l'ensemble de la société du Québec se
devait de relever à ce moment. Est-ce que le défi a
été relevé? Jusqu'où a-t-il été
relevé? Et pourquoi n'a-t-il pas été complètement
ou encore mieux relevé depuis? Ce sont les grandes questions qu'on est
en droit de se poser et qu'on se posera. (17 h 15)
Je terminerai en vous indiquant que le rôle de notre groupe est de
s'assurer que tous les moyens, humainement, administrativement, tous ces moyens
pourront être pris dans l'avenir pour que le Québec puisse vivre
une réduction, non seulement substantielle, mais très
significative du nombre des accidentés, de ceux et celles qui ont
à souffrir des préjudices qui seront clairement
évoqués devant cette commission, j'en suis convaincu. Le
rôle de notre groupe, c'est de s'associer à cette démarche;
on va s'y associer. Le rôle de notre groupe n'est pas de faire le
procès de qui que ce soit et d'avoir la tête de quiconque; on
n'est pas particulièrement intéressé par la tête de
quiconque, ni par celle du président-directeur général. Je
peux vous en donner l'assurance, M. le Président. Nous sommes ici pour
remplir le mandat et la responsabilité qui nous incombe de
représenter des citoyens et des citoyennes qui sont en contact avec la
Commission de la santé et de la sécurité du travail. On ne
fait que remplir le boulot qui nous a été confié par le
mandat qu'on a reçu de la part de ceux qui paient notre salaire à
même leurs impôts.
Je voudrais, à cet égard, M. le ministre, porter à
votre attention - et je termine là-dessus... Je voudrais donner une
assurance à M. le juge Sauvé, le président-directeur
général qui, dans sa note du 1er mai 1983 - il y a une note du
bureau du P.-D.G. - disait ceci, à la page 4: "La meilleure façon
de répondre aux critiques, surtout quand elles sont aussi partiales,
biaisées et mal étayées que celles qui illustrent trop
souvent le discours parlementaire en ce qui nous concerne, c'est
d'améliorer sans cesse la qualité de sa gestion."
Je dirai deux choses: Nous sommes d'accord avec le fait que la
Commission de la santé et de la sécurité du travail doit
améliorer sans cesse la qualité de sa gestion. Il est apparu
clairement à la lumière des questions et des faits qui ont
été portés à notre attention que vous avez un bon
bout de chemin à faire dans ce sens et on vous encourage à le
faire. Et tout ce qu'on pourra faire pour vous aider à y arriver, on le
fera. En ce qui concerne le fait que nos critiques seraient partiales,
biaisées et mal étayées, je vous rappelle que nous sommes
ici pour remplir le mandat qui nous est confié, la responsabilité
qui nous incombe, et que, tant que nous serons sensibilisés par des
problèmes vécus par les accidentés comme nous le sommes
dans nos comtés respectifs, nous allons continuer à faire notre
job et ce ne sont pas des critiques comme celles-là qui vont nous
arrêter.
M. le Président, je termine en vous disant que j'ai pris
seulement huit minutes. Nous sommes bien heureux, nous aurons plusieurs groupes
et j'ose espérer, comme le
ministre, que cela pourra se faire dans un climat serein,
dégagé et contributif de part et d'autre.
Avant de terminer, j'apprécierais, si c'est possible pour le
ministre, qu'il nous présente les gens de la Commission de la
santé et de la sécurité du travail qui sont ici pour
répondre à des questions éventuelles. Nous
apprécierions pouvoir les connaître et connaître aussi les
responsabilités qui leur incombent à l'intérieur du
conseil. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Est-ce que M. le ministre
répond à cette question?
M. Fréchette: M. le Président, la motion
adoptée par l'Assemblée nationale prévoyait que les
membres du conseil d'administration et les membres du comité de
direction allaient être à la disposition de la commission. Alors,
il y a, bien sûr, le président-directeur général, M.
Sauvé, M. Lionel Bernier, vice-président à la
réparation, M. Bertrand, vice-président à l'inspection et
à la prévention. Quant aux autres, M. le Président - vous
allez voir que je n'interviens pas souvent... M. Sauvé, oui.
De Québec, M. Tremblay, directeur des ressources humaines, M.
Justin Pilote, directeur de la programmation budgétaire, M. Jean-Claude
Dallaire, directeur des services juridiques, Mme Kerjean, adjointe du
président, M. Fournier, directeur régional de Québec, M.
Boucher, directeur des services financiers à Québec, M.
Bélanger, directeur des services informatiques des systèmes
à Québec, M. Claude Saint-Pierre, directeur de l'hygiène
à la prévention, M. Jean-Claude Dionne, directeur des services
réseaux à la prévention, M. Jean-Guy Lockquell, directeur
des opérations à la réparation.
Le Président (M. Jolivet): Ceci étant dit, avant
d'inviter le premier groupe à se faire entendre, j'aimerais, à
titre de président de la commission, bien établir les faits
puisque nous allons être ici pendant quatre jours. Il est possible qu'un
autre président soit nommé en cours de route, parce que celui que
je remplace ne pouvait être ici aujourd'hui. J'aimerais vous dire que les
règles normales des commissions parlementaires s'appliquent,
c'est-à-dire que nous demandons aux membres qui viennent
présenter des mémoires de s'astreindre à une
période de 20 minutes pour la présentation de leur
mémoire. Ensuite, chacune des personnes doit, en alternance, d'un
côté et de l'autre de cette table, avoir un droit de parole,
incluant les questions et les réponses, de vingt minutes, de
façon qu'on puisse procéder équitablement. Et, aussi, en
tenant compte du fait qu'on vient de m'avertir qu'il y a consentement pour que
les travaux puissent durer plus longtemps que vers 18 heures, afin de finir le
travail avec le groupe qui est ici cet après-midi. On pourra donc
ajourner nos travaux au plus tard à 19 heures ou à 19 h 30, selon
les besoins. On verra à ce moment-là. On peut se donner une heure
de répit, 19 heures. Parce qu'il faut aller souper et recommencer
à 20 heures à d'autres endroits.
On se donne jusqu'à 19 heures et, selon les besoins, on verra si
on ajourne plus tôt ou plus tard.
J'invite donc Mme Marie-Claire Lefebvre, qui est l'une des membres du
comité de coordination de l'Assemblée des travailleurs et
travailleuses accidentés du Québec (ATTAQ), à nous
présenter les personnes qui l'accompagnent et aussi à
procéder à la lecture de leur mémoire.
Auditions ATTAQ
Mme Lefebvre (Marie-Claire): M. le Président,
malgré le peu de temps qui nous est alloué, nous demandons
à cette commission, d'abord, de tenir une minute de silence en
mémoire des travailleurs et des travailleuses victimes d'accidents et de
maladies du travail.
Je vous présente donc un autre membre du comité de
coordination de l'Assemblée des travailleurs et travailleuses
accidentés du Québec (ATTAQ): Mme Hélène D'Arcy, du
comité des travailleurs et travailleuses accidentés de l'Estrie.
Le troisième membre du comité de coordination qui devait venir
ici est le Dr Arnold Aberman. Il en a été empêché
à cause de la température et il sera remplacé, pour la
circonstance, par le Dr. Bernard Chartrand, du CLSC de Saint-Michel-des-Saints,
assis à ma droite.
Ce mémoire présente la position de l'Assemblée des
travailleurs et travailleuses accidentés du Québec qui regroupe
neuf associations d'accidentés du travail. De Montréal, l'Union
des travailleurs accidentés de Montréal (UTAM) et le
Comité des travailleurs et travailleuses d'Hochelaga-Maisonneuve; de
l'Estrie, le Comité des travailleurs accidentés de l'Estrie; de
Valleyfield, le Comité d'appui aux travailleurs accidentés
(CATA); de l'Outaouais, le Comité des accidentés de l'Outaouais
(CTAO); du comté de Berthier, l'Association des travailleurs
accidentés du Petit Brandon et l'Association des travailleurs
accidentés du Mattawin, région de Saint-Michel-des-Saints; de
Joliette, le Comité des travailleurs accidentés de
Joliette-Lanaudière; de Thetford, le Comité d'appui aux
travailleurs et travailleuses accidentés de la région de
l'amiante (CATTARA).
Vous voyez, dans la présentation du mémoire, à la
page sommaire... Nous
interviendrons principalement sur trois grandes questions,
c'est-à-dire sur l'exercice des pouvoirs de la commission en
matière médicale, en matière de réadaptation
sociale et en matière d'appel. Je vais simplement vous dire comment
fonctionne ce mémoire. Vous aurez remarqué qu'il comporte 29
pages seulement comme mémoire. Le reste du texte est un ensemble
d'annexes qui viennent illustrer les affirmations contenues dans le
mémoire. Il est bien important de comprendre que ce ne sont que des
illustrations, des exemples particuliers qui reflètent, selon nous, une
pratique courante. Il était impossible de mettre plus d'exemples.
C'était une question pratique. Ces exemples ne sont pas des exemples
exceptionnels. Ce ne sont pas des exemples particuliers. On aurait pu, pour
chacun d'eux, les accompagner d'une série d'autres exemples de
même nature.
L'administration et le fonctionnement de la CSST: C'est un sujet bien
vaste pour une commission parlementaire de quatre jours, dont deux seront
entièrement consacrés à l'audition des dirigeants et
administrateurs eux-mêmes, c'est-à-dire de ceux qui assurent ou
cautionnent ce fonctionnement.
Pour leur part, les victimes d'accidents et de maladies du travail, dont
le nombre dépasse les 300 000 chaque année, considèrent
qu'on leur laisse bien peu de temps pour soulever le voile sur l'appareil
gigantesque qui statue sur leurs droits et sur leur vie à la suite d'un
accident.
Deux heures pour tout dire sur 50 ans de mépris! On entend
déjà protester: "La CSST n'a pas 50 ans d'existence! À
peine 4 ans! Il ne faut pas confondre CAT et CSST. La commission s'occupe
maintenant d'inspection, de prévention. Son administration repose
aujourd'hui entre les mains des parties. Parlez-nous de la CSST
d'aujourd'hui.
À dire vrai, ces changements ne nous ont pas beaucoup
frappés. La plupart d'entre nous n'ont jamais vu un inspecteur de la
CSST dans leur entreprise où le mot d'ordre patronal de prudence tient
encore lieu de toute prévention.
Quant à la commission elle-même, chargée aussi de
l'indemnisation des victimes d'accidents et de maladies du travail, elle n'a
pas changé de nature en changeant de nom et en changeant de forme. En
tant que mutuelle d'assurance patronale dotée des pleins pouvoirs en
matière de réparation, elle continue, comme la CAT l'a toujours
fait, d'interpréter nos droits en fonction des intérêts de
ses cotisants. À la veille d'un débat public sur un projet de
loi, le projet de loi 42 qui vient consacrer et accroître
démesurément les pouvoirs de cette commission, il est d'une
extrême importance de faire la lumière sur le fonctionnement de la
CSST en matière de réparation.
En tant que regroupement d'accidentés, nous allons nous en tenir
à la section réparation de la CSST; nous n'interviendrons pas sur
l'aspect prévention et inspection. Comment la CSST exerce-t-elle les
pouvoirs qui lui sont confiés en matière de réparation par
le législateur? Au profit et au détriment de qui le fait-elle?
Quels appareils, quels mécanismes a-t-elle mis en place jusqu'ici pour
assurer l'application de ses politiques? Comment traite-t-elle les
accidentés du travail? C'est à l'étude de ces questions
que sera consacré notre mémoire. Nous ne nous arrêterons
pas au fonctionnement quotidien, à la routine technique ou
administrative de chacun des services, tout d'abord parce que ce fonctionnement
subit des modifications à peu près tous les trois mois, ensuite
et surtout parce que ces diverses méthodes de gestion ne sont que des
variantes infinies d'une même politique. Nous concentrerons notre
intervention sur le fonctionnement des appareils dotés de pouvoirs
réels ou jouissant d'une certaine permanence, soit l'appareil
médical, le service de réadaptation et les bureaux de
révision.
Quel est le mandat de la CSST en matière de réparation?
C'est un double mandat: recueillir et administrer les fonds patronaux,
indemniser les victimes d'accidents et de maladies du travail selon les termes
de la loi. Dès sa naissance, la Commission des accidents du travail du
Québec se voyait confier par le législateur tous les pouvoirs lui
permettant de remplir ce double mandat. Cinquante ans plus tard, ses pouvoirs
étaient transférés à la Commission de la
santé et de la sécurité du travail et la CAT se voyait,
à toutes fins utiles, remplacée par la section réparation
de ce gigantesque organisme chargé non seulement de l'application de la
loi mais aussi de son interprétation. Ceux qui sont chargés
d'énoncer les politiques de la commission et d'émettre les
directives pour leur application sont ceux-là mêmes qui
gèrent les fonds patronaux. Dans ces circonstances, il n'est pas
étonnant de constater que les impératifs d'économie aient
toujours prévalu sur le respect des droits des accidentés du
travail. Un système fondé non pas sur le droit de la victime,
mais sur la supposée capacité de payer de l'agresseur aboutit aux
pires aberrations.
Par exemple, pendant 50 ans, profitant de ses pouvoirs
discrétionnaires, la commission s'est permis impunément
d'enfreindre la loi en omettant d'appliquer le paragraphe 4 de l'article 37,
qui est aujourd'hui l'article 38. Cet article statue sur la façon de
fixer le pourcentage d'incapacité permanente d'un accidenté en
tenant compte non seulement de son déficit physique, mais aussi de son
déficit de capacité de travail. Tous les accidentés
pendant 50 ans se sont donc vus privés de la
reconnaissance d'un pourcentage de déficit de capacité de
travail, que la loi leur reconnaissait pourtant en droit, et des
indemnités correspondantes.
Même si la lumière est aujourd'hui faite sur cette
imposture, la commission refuse encore de rouvrir les dossiers des dizaines de
milliers de victimes encore vivantes qui ont subi et subissent encore les
conséquences de ces politiques illégales. Lorsque nous avons
revendiqué la réouverture de ces dossiers, le patronat a
jeté les hauts cris. La commission s'est portée à leur
rescousse prétextant que le patronat actuel n'avait pas à
être pénalisé pour les erreurs dont il n'est pas
responsable. Les accidentés, eux, sont pourtant pénalisés.
Seraient-ils donc les responsables de cette odieuse machination?
À partir de 1980, à la suite d'un bref d'évocation
accordé par la Cour supérieure et confirmé par la Cour
d'appel, la CSST fut obligée d'appliquer dans son
intégralité l'article de loi 38.4 qu'elle n'avait pas
appliqué pendant 50 ans. Toujours soucieuse de ménager les fonds
patronaux, elle a alors mis au point un projet de règlement contenant
une formule d'évaluation à rabais des déficits de
capacité de travail des accidentés. Sur la recommandation du
conseil d'administration de la CSST en juin 1980, ce projet de règlement
paraissait en prépublication à la Gazette officielle du 8 avril
1981. (17 h 30)
Les accidentés, dans tout le Québec, ont
dénoncé avec force la teneur de ce projet de règlement
dont ils ont pris connaissance en décembre 1980 et ont exigé son
retrait immédiat. L'ATTAQ a produit d'ailleurs à cette
époque un autre document portant sur le projet de règlement
A30-80 pour dénoncer les systèmes d'évaluation qui
étaient contenus dans ce projet de règlement.
Les syndicats sont intervenus dans le même sens; le gouvernement
nous donnait finalement raison en retirant le projet. Mais, ironie du sort, la
commission, qui a les pleins pouvoirs d'émettre et d'appliquer ses
propres politiques et directives, continue, encore aujourd'hui, de l'appliquer
à la lettre tant en première instance que dans ses bureaux de
révision. Pour échapper à cette directive interne, les
accidentés doivent se rendre jusqu'au dernier palier d'appel, à
la Commission des affaires sociales qui, elle, s'en tient à
l'application de la loi et des règlements, mais les délais
d'appel à la CAS sont actuellement de deux ans.
Comment expliquer que la CAS, qui ne nous semble pas avoir fait preuve
jusqu'ici d'une générosité excessive, reconnaisse des
pourcentages d'incapacité permanente de 20%, 50%, 80% ou 100% à
des accidentés dont l'incapacité avait été
évaluée par la CSST à 2%, 5%, 15% et 25%?
Pourquoi ce parti-pris systématique de la CSST
d'interpréter à la baisse, de restreindre le peu de droits
déjà reconnus aux accidentés dans la loi, sinon parce
qu'elle privilégie son mandat de gestionnaire, parce qu'elle s'identifie
aux intérêts de sa vraie clientèle, celle qui verse les
fonds, celle qui cotise le patronat?
Comment le gouvernement peut-il encore se fermer les yeux devant de
telles pratiques et prétendre reconnaître des droits aux victimes
en laissant les pleins pouvoirs entre les mains des gestionnaires, des
agresseurs?
Il est plus que temps qu'on examine comment fonctionne cette commission
toute-puissante, quels systèmes elle a mis en place pour satisfaire de
son mieux aux impératifs patronaux d'économie maximale.
Le premier point qu'on va examiner, c'est l'appareil médical de
la CSST. L'appareil médical dont s'est dotée la commission est
sans contredit le plus efficace, le plus productif, le plus rentable de tous
les appareils qu'elle a pu mettre en place jusqu'ici. Il y a longtemps qu'on ne
se demande plus pourquoi elle y tient tant. Je vous réfère
à l'annexe 0, la première à la suite de la page 29,
où il est fait état d'une étude qui a été
réalisée au bureau de Québec en 1982, en novembre plus
exactement, pour démontrer qu'il est très rentable d'engager un
médecin de plus au bureau médical pour intercepter et rejeter les
demandes, entre autres, pour traitements de physiothérapie, qui y sont
acheminées. On dit dans cette note: À la suite de rencontres
récentes et d'une demande de notre vice-président de faire
l'impossible pour contrôler les coûts de réparation, on en
est arrivé à intensifier nos contrôles, même si nous
avions déjà un bon contrôle de cet aspect important des
dépenses et des réparations. Sur 38 demandes, le médecin
qui était chargé de l'examen de ces demandes en a rejeté
21 sans examen des accidentés, simplement sur examen du dossier. On fait
ensuite le calcul de l'épargne que cela représente: 750 000 $
pour 21 demandes rejetées en l'espace d'un mois seulement.
La conclusion: "Je vous souligne cependant que ce contrôle ne peut
se faire à l'année car, pour le faire, il est absolument
nécessaire d'ajouter un médecin à temps plein dans une
direction régionale comme la nôtre. "Cependant, administrativement
parlant, il me semble qu'un investissement de 40 000 $ pour économiser
au-delà de 750 000 $ semblerait rentable à tout homme d'affaires
sensé."
Le Président (M. Jolivet): Mme
Lefebvre, je suis en train d'examiner le temps qu'il nous reste. Je
voudrais savoir si
vous avez l'intention de lire tout votre document comprenant une
trentaine de pages et de faire des réflexions, comme vous le faites, au
fur et à mesure, car ainsi on ne passera pas à travers.
M. Cusano: M. le Président. M. Pagé: ...
Le Président (M. Jolivet): Je veux seulement le savoir
pour moi. Je m'excuse, M. le député de Portneuf, c'est moi qui
mène ici.
Mme Lefebvre: On a l'intention...
M. Pagé: C'est vous qui menez, M. le Président,
mais je peux vous dire que cela va très bien et que cela va
continuer.
Mme Lefebvre: ...de lire tout le document de 29 pages...
Le Président (M. Jolivet): Non, mais...
Mme Lefebvre: ...et les références aux annexes sont
inégales. Dans certains cas, on ne fera tout simplement que vous y
référer; dans d'autres cas, on pense qu'il est nécessaire
d'examiner le contenu d'une partie au moins de ces annexes.
Le Président (M. Jolivet): Parfait. Je veux juste
m'assurer que vous aurez le temps de le faire dans le temps qu'il nous
reste.
M. Pagé: Continuez, madame.
Mme Lefebvre: Le volet principal de cet appareil, c'est le bureau
médical. Le volet principal de l'appareil médical de la
commission est le bureau médical composé essentiellement de
médecins fonctionnaires, pour une grande part des
généralistes, salariés de la commission, à
l'exception de quelques-uns qui sont à location. Ce bureau
détient les pleins pouvoirs en matière médicale. Il ne
reçoit, ne voit, ni n'examine aucun accidenté. Il juge sur
présentation de dossiers exclusivement.
Des directives internes statuent avec précision sur tous les
types de cas qui doivent lui être soumis avant qu'une autorisation de
paiement ne soit effectuée par l'agent. Ces directives apparaissent au
manuel de la réparation, section 4.1, pages 1 à 10. Pour
résumer, tous les cas de rechute, tous les cas d'aggravation, tous les
cas de maladie professionnelle, tous les cas où la relation peut
être douteuse entre l'accident, les symptômes et la lésion
professionnelle doivent être soumis au bureau médical pour examen
et décision avant qu'un agent n'intervienne pour prendre la
décision de paiement.
Ses pouvoirs sont illimités. C'est le bureau médical qui
décide s'il y a un lien entre le fait accidentel déclaré
et les symptômes ressentis par l'accidenté. C'est lui qui
décide du temps d'arrêt de travail nécessaire à la
guérison de chacun, de la nature et de la durée du traitement
approprié, de la date de retour au travail, de l'acceptation ou du refus
d'une rechute ou d'une aggravation, des restrictions médicales pour un
nouvel emploi, du pourcentage d'incapacité physique permanente, de la
part des séquelles attribuables à une condition personnelle
préexistante, du besoin de réadaptation de l'accidenté et
de son droit d'accéder à ces services. Nous trouvons que c'est
beaucoup pour un médecin qui n'a jamais vu le patient.
Comme le déclarait un membre de ce bureau, le Dr Frenette, dans
le Courier médical du 26 avril 1983, qui est une revue médicale,
il y a des avantages à ne pas rencontrer les accidentés, et je le
cite: "On évite ainsi de tomber dans les pièges du
préjugé à l'endroit de quelqu'un qui nous serait
antipathique." Nous voilà rassurés. Moins il nous voit, plus il
nous aime.
À quoi riment donc tous les droits qui nous sont reconnus dans la
loi si un médecin-mercenaire qui ne nous a jamais vus peut nous les
retirer d'un revers de plume, au gré de ses humeurs et de ses
préjugés? Je vous renvoie ici à l'annexe 1 où une
accidentée a subi une opération à la colonne qui a
été suivie d'une arachnoïdite, qui est un problème
extrêmement important, qui rend en général les gens
pratiquement invalides. Dans les rapports médicaux de cette
accidentée, on dit: discoïdectomie compliquée d'une
arachnoïdite. Dans le rapport du médecin de la commission, on lit:
discoïdectomie compliquée d'un syndrome méditerranéen
chronique. Je ne sais pas si vous savez ce que veut dire l'expression "syndrome
méditerranéen." C'est une accusation pure et simple
d'exagération des symptômes qu'on attribue à des
travailleurs qui viennent des pays alentour de la Méditerranée.
C'est une attitude extrêmement raciste qu'on retrouve très souvent
dans les dossiers de la commission où on qualifie de syndrome
méditerranéen des problèmes graves qui sont reconnus
médicalement.
M. Polak: Pas la Hollande.
Mme Lefebvre: Non. C'est l'Italie, la Grèce, l'Espagne et
le Portugal.
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Pas
d'intervention.
Mme Lefebvre: Dans l'annexe 13, vous retrouvez le même
genre de commentaires. Il s'agit d'un travailleur qui a subi à
différents
moments de son travail trois accidents au niveau lombaire, qui a
été opéré aussi et qui a été
examiné par un médecin en cinq minutes à la CSST qui lui a
prescrit un retour au travail. Le Dr Arsenault, du bureau médical de
Longueuil - c'est la partie encerclée à votre annexe 13 - refuse
le cas et déclare: Si le requérant ne veut pas travailler, ce
n'est pas à nous de payer.
Alors, des remarques comme celles-là ne sont pas des remarques
exceptionnelles. Il y en a dans énormément de dossiers par suite
d'examens et parfois même sans examen de la commission.
Chaque jour, des accidentés se voient privés de leurs
prestations parce que le bureau médical a décidé
unilatéralement et à l'encontre de l'avis de leur médecin
traitant qu'il n'y avait pas de lien entre l'accident qu'ils ont subi et les
symptômes qu'ils ressentent. On ne leur explique même pas comment
on en est arrivé à cette conclusion. Pas tellement surprenant
d'ailleurs, les raisons étant d'ordinaire publiquement
insoutenables.
Dans le dossier d'un travailleur de Canada Packers qui s'était
infligé des douleurs à la colonne cervicale en
déplaçant un quartier de boeuf, on trouve une note de service du
bureau médical "justifiant" le refus de compensation. On dit: "Au cours
de son travail, il n'y a même pas eu aggravation de son état, car
son travail ne se fait qu'avec ses membres et non avec son cou." Signé:
Anthony Gilbert, médecin, bureau médical de Longueil. La science
médicale en prend pour son rhume. C'est l'annexe 2. Vous pourrez lire de
la main du Dr Gilbert cette remarque éminemment scientifique.
On coupe parfois pour des raisons plus simples et tout aussi peu
médicales. Une note de service du bureau médical trouvée
au dossier d'une travailleuse du vêtement réclamant une
compensation pour une maladie professionnelle d'origine posturale, après
dix-huit ans de travail dans une usine de vêtements, une maladie donc
bien documentée par le spécialiste traitant qui prescrivait une
longue période de traitement, s'oppose à la durée du
traitement avec comme seul argument: "Je n'ai pas l'intention de la payer
durant un an; convocation en orthopédie pour possibilité de
retour au travail et traitements. Signé: Jacques Phaneuf, médecin
du bureau médical de Montréal." Je vous rappelle que les
médecins du bureau médical n'ont jamais examiné les
accidentés et jugent sur dossier.
On s'agrippe à la moindre condition personnelle
préexistante pour nier les séquelles permanentes laissées
par nos accidents ou maladies du travail. Pour l'un c'est la minime scoliose
révélée radiologiquement qui viendra justifier tous les
maux de dos consécutifs à l'accident.
Je vous renvoie à l'annexe 4 où une rechute est
refusée à la suite d'un rapport mentionnant une minime scoliose.
Si vous regardez l'annexe 4 B, quand on dit "minime", le rapport dit: "Les
clichés ont été faits en position debout. On note une
très discrète inclinaison de la colonne vers la gauche à
la jonction dorso-lombaire mais il ne s'agit pas vraiment d'une roto-scoliose
mais possiblement d'un vice de position. L'inclinaison est très minime,
de l'ordre de 5 à 10 degrés." Au nom de cette minime scoliose, on
refuse les séquelles liées à l'accident du
travailleur.
Pour l'autre, c'est la découverte d'une tension artérielle
légèrement supérieure à la moyenne chez un membre
de la famille qui viendra justifier la non-reconnaissance d'une haute tension
artérielle chronique sévère due à l'intoxication au
plomb. Je vous renvoie à l'annexe 5 où il s'agit d'un travailleur
de Canada Metal, précisément, qui est retiré du travail
pour intoxication au plomb depuis 1978 et qui se voit refuser le paiement de
ses médicaments pour haute tension artérielle alors qu'il est
reconnu médicalement que cette haute tension est due à son
intoxication au plomb puisque sa plombémie n'est pas descendue depuis
cinq ans qu'il est retiré du travail, sous prétexte que sa soeur
a fait à un moment donné dans sa vie une période de haute
tension artérielle. C'est ce qui est inscrit au dossier.
Donc, c'est sûrement un problème familial et non un
problème lié à l'intoxication au plomb pour la commission.
Après cinq ans de retraite du travail, la commission interdit à
ce travailleur de retourner travailler dans son usine. Il a fait une demande au
bien-être social la semaine dernière parce qu'il a
épuisé toutes ses ressources, tout ce qu'il avait pu accumuler
comme argent. Parce qu'on ne lui reconnaît aucune incapacité
permanente, il n'est pas suffisamment atteint pour que la commission le
reconnaisse, mais elle lui interdit quand même de retourner dans son
usine parce que le plomb serait trop dangereux pour lui.
Leur imagination et leur mauvaise foi n'ont pas de limites. Je vous
renvoie à l'annexe 6 B. Je pense qu'il vaut la peine de le lire. Il
s'agit du cas d'une accidentée qui a été retournée
au travail par un médecin expert de la commission à la suite
d'une expertise qui n'a jamais eu lieu. Vous trouvez au dossier deux pages
d'expertise médicale à la suite d'un examen qui n'a pas eu lieu.
L'accidentée n'a jamais été examinée.
Nous avons protesté auprès de la commission pour dire:
Vous ne pouvez couper les prestations de cette personne, votre médecin
ne l'a même pas examinée, Comment peut-il avoir produit une
expertise de deux pages sans examen? Le Dr Saint-Pierre, chef du bureau
médical de la
commission, a pris la peine d'écrire une note de service pour les
agents qui lui posaient notre question. En page 6 D: "L'allégation de
l'UTAM - l'Union des travailleurs accidentés de Montréal -
à l'effet que notre expert n'a pas examiné la requérante
est fausse. Nous avons vérifié auprès du docteur en
question. Il examine toujours les accidentés. - C'est évident que
le médecin en question ne va pas dire qu'il ne l'a pas examinée,
on s'imagine bien. - Il n'est pas nécessaire d'enlever une robe pour
qu'on puisse apprécier un point douloureux ou une contracture à
la région lombaire. Cela n'empêche pas non plus de prendre des
réflexes, des mensurations, d'apprécier la force musculaire et la
sensibilité. Cela peut se faire même si la patiente garde sa
robe."
Le bureau médical essaie de nous convaincre qu'il y a eu un
examen de la patiente sans qu'elle s'en rende compte alors qu'elle était
tout habillée. On se demande alors comment il se fait que, dans cette
expertise, on ait mis trois pouces de trop à la personne, on lui ait mis
30 livres de trop et qu'en plus on ait évalué à travers sa
robe que la cicatrice était belle! Vous retrouverez cela dans les
documents qui précèdent ou qui suivent celui que je viens de vous
citer. (17 h 45)
Que veut dire pour l'accidenté le droit de choisir son
médecin traitant et son lieu de traitement si un "médecin de
papier" de la commission a seul le pouvoir de statuer sur le diagnostic et le
traitement? Comment justifier qu'une travailleuse accidentée soit
avertie par téléphone, par son agent d'indemnisation, de ne pas
se présenter à l'hôpital pour ses traitements de physio le
lendemain matin, parce que le bureau médical de la CSST vient de mettre
fin unilatéralement à sa période de traitements sans
l'avoir examinée?
Comment justifier que des médecins traitants soient tenus
d'obtenir une autorisation préalable du bureau médical de la CSST
avant d'entreprendre le traitement de leur patient? C'est pourtant ce qui se
passe tous les jours depuis la mise en vigueur d'une directive du 19 août
1983 inscrite au Manuel de la réparation en date du 5 octobre 1983,
section 4,36. Je vous en résume des extraits: "Tout traitement pour les
pathologies vertébrales et les lésions
dégénératrices du système locomoteur dues à
une lésion professionnelle ou aggravées par un accident du
travail, toute reprise du traitement pour une même lésion, toute
prolongation de traitements au-delà de 20 jours d'incapacité
totale temporaire doivent faire l'objet d'une autorisation préalable de
la commission." Vous trouverez le reste des directives concernant cette
question aux annexes 7, D, F, G.
Pourquoi ces mesures d'exception à l'endroit des
accidentés du travail? Pourquoi ne sont-ils pas traités sur le
même pied que tous les citoyens? C'est tout simplement scandaleux qu'un
médecin qui n'a jamais vu le patient détienne le pouvoir de
statuer sur le traitement qui lui convient, et cela, malgré l'opinion
contraire du médecin qui l'a examiné et qui le traite.
Le président et le vice-président de la commission
prétendent publiquement que la commission respecte les diagnostics des
médecins traitants. Tous les jours nous avons la preuve du contraire.
À l'annexe 14, il s'agit d'un accidenté qui a été
vu à plusieurs reprises, à différentes périodes,
par six médecins traitants différents, des spécialistes,
qui ont tous statué sur son incapacité à reprendre le
travail. Le bureau médical a décidé que cet
accidenté était capable, malgré l'avis des six
médecins traitants qui étaient unanimes sur cette question.
Des dizaines de médecins traitants ont témoigné
publiquement de la véracité de nos affirmations; nous y
reviendrons tout à l'heure aux pages 13, 14 et 15 du mémoire. La
CSST prétend pourtant qu'elle respecte la majorité des
diagnostics et traitements prescrits par les médecins traitants. Bien
sûr, il serait difficile pour le bureau médical d'écourter
une période d'arrêt de travail de quelques jours seulement, alors
que l'accidenté a déjà été retourné
au travail par son médecin traitant au moment même où le
dossier lui parvient. C'est le cas de la majorité des
réclamations soumises à la commission. C'est pourquoi la
majorité des réclamations sont acceptées; la
majorité des réclamations représentent de très
courts arrêts de travail que la commission n'a pas le temps de couper
avant que les gens retournent travailler.
Quant aux autres, cette minorité dont on nous parle toujours - on
nous dit qu'on représente une minorité - qui représente
malgré tout des dizaines de milliers d'accidentés chaque
année, c'est-à-dire les gens qui ont des arrêts de travail
de 21 jours et plus - ils étaient 35 000 l'an dernier - les cas de
rechutes et d'aggravation sur lesquels on ne dispose d'aucunes statistiques -
on se demande bien pourquoi - les cas de maladies professionnelles, ils ont
tout intérêt à se trouver des médecins traitants
courageux et tenaces qui ne capitulent pas devant les mesures
d'ingérence pratiquées par le bureau médical de la
commission ni devant les remarques désobligeantes qu'on retrouve
à leur endroit dans les dossiers. À l'annexe 3, dans le cas de la
même travailleuse qui a eu une expertise sans examen, on trouve une
remarque, comme on en retrouve très fréquemment dans les dossiers
d'accidentés, insultante pour le médecin traitant et qui va
vraiment à l'encontre de son diagnostic. C'est l'exemple que je vous
citais tout à l'heure où le
médecin traitant disait qu'elle ne retournerait pas à la
couture d'ici un an. Je n'ai pas l'intention de la payer pendant un an; je vais
la convoquer en orthopédie pour retour au travail. Un peu plus loin, on
dit: "Ce bon docteur n'a jamais digéré - il s'agit toujours du
médecin traitant qui a produit l'expertise - que la commission cesse de
payer les traitements à sa clinique privée. C'est dans ce
contexte-là qu'il faut comprendre sa lettre." C'est un commentaire du
bureau médical; il faut de plus savoir qu'il n'y a aucun autre
commentaire d'ordre médical dans ce dossier. Il n'y a que des
affirmations de ce genre-là.
Dans le dossier no 6, on retrouve encore des accusations à
l'endroit du médecin traitant. Non seulement on ne respecte pas son
diagnostic, mais on dit: "Nous sommes d'avis que la dernière
prescription d'un repos de trois mois par le Dr Décarie n'est pas
justifiée par son rapport médical. C'est une solution de
complaisance et de débarras. Quand on considère le fait
accidentel originel et l'opération injustifiée qui a suivi, ce
dossier est mal parti depuis le début et on exploite le système
à fond. Pour faire taire les critiques injustifiées de l'UTAM,
nous demandons un examen conjoint et leur verdict sera apprécié."
Ce sont les commentaires supposément d'ordre médical du bureau
médical.
Les directives internes de la commission prévoient aussi qu'en
cas de divergence entre le médecin traitant et le bureau médical,
il doit y avoir contact et discussion du cas. À peu près tous les
médecins traitants auprès desquels nous avons
enquêté, nous ont confirmé n'avoir jamais reçu aucun
appel du bureau médical concernant leurs patients, si ce n'est dans
quelques cas simplement pour les aviser de la coupure. Pourtant, tous avaient
déjà eu des patients accidentés dont les prestations
avaient été coupées par le bureau médical. Dans la
région de l'Estrie, le directeur du bureau a même
déclaré devant une trentaine d'accidentés réunis
que jamais il n'appellerait ces médecins en parlant des médecins
signataires de la lettre qui dénonçaient publiquement les
pratiques d'ingérence de la commission et que nous retrouvons aux pages
13, 14 et 15.
Pour en finir avec ce bureau médical sur lequel on aurait encore
tant à dire, soulignons seulement que ses pouvoirs sont à ce
point étendus qu'il peut même se permettre de rejeter, modifier ou
ignorer l'opinion d'un ou même de plusieurs médecins experts ou
médecins évaluateurs de la commission. Vous retrouverez un
exemple du genre à la page 8 où à la fois le diagnostic du
médecin traitant a été refusé et celui du
médecin expert de la commission qui avait examiné, à la
demande de la commission.
Tout cela par le médecin du bureau médical qui n'a jamais
vu l'accidenté.
Ce qui nous amène à parler du deuxième volet de
l'appareil médical de la CSST: les médecins experts. Les
médecins experts de la commission ne sont pas des employés de la
commission. Ce sont pour la plupart des médecins spécialistes
pratiquant librement en milieu hospitalier, en clinique ou en cabinet
privé et qui acceptent, soit à l'occasion, soit sur une base
régulière, de pratiquer des expertises commandées et
payées par la CSST. On leur demande à l'occasion de ces
expertises de statuer, après examen du patient, sur le lien entre les
symptômes et l'accident, sur la part de problèmes attribuables aux
conditions personnelles préexistantes, sur la durée de la
période d'arrêt de travail et de traitement, sur le pourcentage de
déficit physique permanent ou, encore, sur les restrictions liées
à un retour en emploi et les besoins de réadaptation. Notons, en
passant, qu'aucune garantie n'est donnée que leur opinion sera
respectée par le bureau médical.
Alors, à l'annexe 16, vous retrouverez le cas d'un autre
travailleur qui, à la suite d'une opération au dos, est atteint
d'une arachnoïdite. Les experts se prononcent pour dire qu'il ne doit
faire aucun travail, qu'il est impossible pour lui de penser être
recyclé dans aucune forme de travail. Pourtant, le bureau médical
le réfère en réadaptation au programme de recherche
d'emploi. On lui offre deux emplois: gardien de sécurité ou
classeur de ballounes. Ce travailleur n'a jamais pu reprendre et à la
suite d'une contestation, il est en voie d'être reconnu. Mais le bureau
médical avait statué sur le fait que malgré les expertises
des médecins experts de la commission, ce travailleur devait se chercher
à nouveau un emploi.
Ils sont la caution dont le bureau médical a besoin pour mettre
fin aux traitements ou retourner prématurément au travail des
accidentés dont la période d'arrêt de travail est maintenue
par le médecin traitant. C'est ce qu'on a vu dans l'exemple de tout
à l'heure: Je n'ai pas l'intention de la payer pendant un an. Veuillez
convoquer en orthopédie pour retour au travail. Ou encore, pour
évaluer au plus bas les pourcentages de déficit physique
permanent.
Le vice-président de la commission, M. Bernier, prétend
d'ailleurs, même si cela est faux, que jamais le bureau médical ne
se permet de prendre des décisions contraires à celles du
médecin traitant, sans avoir d'abord convoqué l'accidenté
à un examen chez un médecin expert de la commission. Les exemples
que nous avons au dossier démontrent que c'est faux.
Leurs expertises ne durent souvent, lorsqu'il y en a, que cinq à
dix ou quinze minutes. L'examen physique est presque
toujours sommaire et le questionnaire subjectif est souvent
orienté sur les questions personnelles ou familiales: Vous sentez-vous
déprimé? Votre femme travaille-t-elle? Vos
antécédents familiaux? Combien d'enfants à charge? Dans
toutes les régions du Québec, les accidentés se sont dits
étonnés de constater que les médecins experts ne leur
posaient à peu près jamais de questions sur la façon dont
s'était produit leur accident du travail, le mécanisme de la
chute, les circonstances entourant l'événement. Cela ne semble
pas les intéresser beaucoup.
La très grande majorité de ces expertises concluent, sous
n'importe quel prétexte, à une absence de lien entre le fait
accidentel et les symptômes, à une absence de DAP (Déficit
anatomo- physiologique) -c'est le pourcentage de déficit physique
reconnu à l'accidenté - ou une évaluation minimale de ce
DAP. Alors, en annexe 9, vous retrouverez l'exemple d'un travailleur qui a fait
une chute d'un ascenseur d'une vingtaine de pieds. Vous avez tous les documents
expliquant l'ensemble des atteintes, des lésions qui ont
été portées à ce travailleur. La commission avait
évalué par son expert qui l'avait examiné qu'il avait une
perte de 29% de déficit physique. À la suite d'une expertise par
un médecin traitant, un médecin expert auquel a fait appel
l'accidenté, on s'est aperçu que la commission avait tout
simplement oublié 32% de déficit neurologique dans son
évaluation. À la suite d'une contestation et d'un appel en
révision, ces 32% ont été reconnus. C'est un oubli de
taille.
Il arrive même que lors de ces visites en expertise, les
médecins experts fixent la date de retour au travail et préparent
le papier de retour au travail de l'accidenté avant même qu'ils ne
l'aient examiné. Il arrive même parfois que la soi-disant
expertise à laquelle la CSST convoque certains accidentés se
déroule sans qu'aucun examen physique ne soit pratiqué. Et on a
eu plusieurs plaintes d'accidentés à ce sujet, de médecins
qui ne les avaient tout simplement pas examinés - pas des examens
sommaires avec leurs vêtements, mais pas d'examen du tout. Ce qui
n'empêche nullement ces médecins d'inventer de toutes
pièces ou de puiser au dossier les données relatives à ce
soi-disant examen et de produire leur rapport écrit. Je vous
réfère aux annexes qui sont là et que je vous ai
relatées tout à l'heure. Plusieurs de ces expertises font une
large place aux appréciations subjectives des experts: remarques
subjectives sur le patient, sur ses médecins traitants. Tout à
l'heure, il s'agissait des médecins du bureau médical qui
passaient des remarques désobligeantes sur les médecins
traitants; maintenant, il s'agit des remarques des médecins experts.
À l'annexe 10, on retrouve en introduction: "Les médecins
sérieux - il est question d'une accidentée du travail
examinée par un médecin de la commission -la retournent au
travail le 13 janvier 1980. Le médecin "anti-tout" la garde en
incapacité totale temporaire et est à la recherche d'un
chirurgien explorateur" - le médecin "anti-tout" étant le Dr
Arnold Aberman qui, normalement, aurait dû être ici aujourd'hui,
mais qui n'a pas pu se présenter. Et c'est suivi de remarques à
l'endroit de l'accidentée. Dans l'encerclé, vous retrouvez... En
fait, on reproche trois fautes à cette accidentée. On dit:
"Malgré un retour au travail prescrit par l'expertise conjointe - c'est
celle de la CSST - pour le 13 janvier 1980, la patiente fait une rechute le 26
janvier - elle n'avait pas le droit, elle ne le savait pas - elle abandonne le
travail et consulte de plus le Dr Arnold Aberman." Alors, ce sont les trois
péchés qu'il ne fallait pas commettre.
On retrouve aussi dans ces expertises des opinions médicales non
documentées, un étalage de préjugés à
l'endroit des accidentés examinés, comme le "syndrome
méditerranéen" dont on parlait tout à l'heure: "patient
bronzé, générosité excessive de la commission". On
soupçonne les accidentés d'exagérer les symptômes.
Les conceptions dont il est fait état dans certains de ces rapports
d'experts ressemblent étrangement à celles qu'on retrouve
fréquemment étalées dans les rapports ou la correspondance
des médecins de compagnies. Pour nous, cela a une extrême
importance, parce que les rapports qu'on retrouve... comme ceux de l'annexe 13,
où le médecin de la commission tient pour acquis que le
travailleur ne veut pas travailler, même s'il a été
examiné par des experts, même si ces experts statuent sur son
incapacité de retour au travail... On dit: "Si le requérant ne
veut pas travailler, ce n'est pas à nous de payer". C'est toujours le
même préjugé qu'on retrouve à l'intérieur des
rapports, que ce soit du bureau médical ou des médecins experts.
Et pour nous, cela se rapproche beaucoup de la philosophie qui est
exposée dans la correspondance de médecins de compagnies.
Je tiens à vous lire l'annexe 11, une lettre qui, à mon
avis, résume l'ensemble de ces préjugés qu'on retrouve par
petits morceaux dans les dossiers des médecins de la commission. Il
s'agit d'un médecin de la compagnie Price qui écrit au
médecin traitant à propos d'un accidenté du travail. Il
dit: "Vous m'avez souligné que nous devrions donner un travail plus
léger à ce monsieur parce qu'il souffre de
spondylolisthésis au premier degré. Monsieur charge les meules
à la compagnie Price et, pour exécuter ce travail, il n'a besoin
que d'un biceps modérément développé. Vous ignorez,
ou vous n'ignorez pas qu'à la compagnie Price, le travail est toujours
léger - bien entendu.
"Une simple visite à notre papeterie - c'est le médecin de
compagnie, on croirait que c'est le gérant - chose que nous aimerions
beaucoup, vous en prouverait l'évidence. Tout ce que nous exigeons
à l'examen d'embauchage d'un candidat, c'est qu'il ait une
intégrité physique, c'est-à-dire qu'il soit assez fort
pour se transporter lui-même sur ses jambes dans l'usine. Tous et chacun
de nous, en travaillant sur nos parterres l'été, ou en pelletant
notre neige l'hiver, faisons des efforts plus considérables que chacun
d'eux. Nos employés sont si peu entraînés à l'effort
que, dès qu'ils en font un, la myalgie s'installe dans le muscle
concerné. Dans ces cas, le repos souvent prescrit par les
orthopédistes, ou encore par les médecins en
général - les médecins traitants - qui ne font pas de
médecine industrielle, nous cause beaucoup d'amertume et ne nous semble
pas la meilleure façon de redonner à nos travailleurs une forme
physique convenable. Nous allons vers la décadence. Et ce que nos jeunes
demandent, c'est du pain et des jeux, comme le faisaient les anciens Romains
avant d'entrer dans leur période d'atrophie graisseuse - ce n'est pas
moi qui l'invente. "Nous, médecins, sommes complices d'un tel
état de choses de façon non négligeable. Je m'arrête
ici, mon cher docteur, car ces réflexions m'amèneraient trop loin
- je considère qu'il est déjà rendu assez loin - Je sais
que votre temps est très précieux. (18 heures) "Si ce monsieur
souffre de spondylolisthésis au premier degré, je crois qu'il
ferait mieux de se trouver un travail ailleurs. Voilà la solution, qu'on
le congédie! "Vu que cet état n'est pas le fait d'un accident
survenu à son travail, pour lequel la compagnie n'a pas de
responsabité, avec cette petite infirmité, monsieur constituera
un risque assez important d'accident pouvant entraîner une
invalidité, à court ou à moyen terme, pour laquelle, cette
fois, la compagnie devra assumer les coûts. "Les lombalgies,
particulièrement, et vous êtes en mesure de l'avoir
constaté maintes fois, constituent une plaie majeure dans toutes les
industries et cette pathologie, avec ou non lésion vertébrale,
coûte de plus en plus cher. Il n'est pas toujours facile de dire si oui
ou non ces lombalgies sont attribuables vraiment au travail. Le blessé
n'a pas toujours cette franchise qu'on aimerait et, souvent, des fois, il s'est
blessé pendant les seize heures de loisir que sa condition lui procure
quotidiennement."
La conception de l'accidenté étalée par ce
médecin de compagnie, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, on
la retrouve en bribes, en pièces détachées dans les
dossiers de la commission.
Tous les médecins experts de la commission ne correspondent pas,
heureusement, au portrait exact que nous en traçons ici. Quelques-uns
savent encore faire preuve d'objectivité. Mais si nous insistons sur ces
caractéristiques, c'est qu'on les retrouve dans un très grand
nombre d'expertises, la commission faisant plus souvent appel à
ceux-là qu'aux autres, et cela est aussi vrai en région
qu'à Montréal. Un des médecins experts de la CSST,
témoignant lors d'une audition du bureau de révision où il
faisait face à une accusation de production d'expertise sans examen,
nous a confirmé que la commission lui cédulait quinze expertises
par jour, une fois aux deux semaines.
Un bref calcul nous permet de conclure que ce petit
à-côté représente un supplément de revenu
d'environ 45 000 $ par année. Il est lui-même
chirurgien-orthopédiste, pratiquant dans un grand hôpital de
Montréal et en bureau privé. Il reconnaissait, du même
souffle, qu'il est très possible de faire une expertise en cinq minutes
quand on a de l'expérience. Cela correspond, en tout point, aux
témoignages nombreux des accidentés ayant vécu cette
malheureuse expérience.
Depuis longtemps, les accidentés réclament de la CSST
qu'elle rende publique la liste de ses médecins experts ou qu'elle les
oblige à prévenir les accidentés qui leur sont
référés en milieu hospitalier ou en bureau privé,
à titre de médecin traitant, à les prévenir du fait
qu'ils sont aussi des médecins experts de la commission, et cela pour
une raison bien simple. Il arrive fréquemment que certains de ces
médecins agissent comme médecins traitants des accidentés
et certains d'entre eux sont appréciés en tant que tels. Les
problèmes surgissent le jour où la CSST convoque ces
accidentés chez un autre médecin expert qui, lui, met fin
à leur arrêt de travail ou à leur traitement malgré
l'opinion contraire du médecin traitant, qui est aussi médecin
expert de la CSST à ses heures.
Il est très rare, dans ce genre de situation, que ces
médecins acceptent de soutenir leur diagnostic ou leurs traitements et
de s'opposer à un autre médecin expert de la commission.
L'accidenté qui a encore besoin de traitements se retrouve alors sans
défenseur. De telles situations sont fréquentes et ont des
conséquences graves pour les accidentés concernés.
L'accidenté devrait pouvoir choisir son médecin traitant
en pleine connaissance de cause, mais la commission a toujours refusé de
rendre publiques ses listes de médecins experts et n'a jamais
incité ces derniers à s'identifier comme tels auprès de
leurs patients accidentés.
Nous aurions encore beaucoup à dire sur l'appareil médical
de la commission. Les quelques exemples que nous vous avons soumis devraient
cependant vous permettre de comprendre les raisons qui amènent à
revendiquer la disparition pure et simple de
cet appareil et le respect du diagnostic et du traitement prescrit par
le médecin traitant.
Comment penser que l'objectivité puisse être le moindrement
préservée lorsqu'on fait du payeur le seul juge de la situation?
Ce système et ces pratiques sont indéfendables et causent le plus
grand préjudice aux accidentés et à leurs médecins
traitants. Des dizaines d'entre eux ont d'ailleurs pris position sur cette
question et sont intervenus publiquement en avril dernier pour dénoncer
les pratiques d'ingérence de la commission. Nous désirons faire
entendre leur témoignage à cette commission. Ce témoignage
sera lu par le Dr Bernard Chartrand.
Le Président (M. Jolivet): Un instant! C'est la question
que j'ai posée tout à l'heure. Je suis obligé, comme
président de cette commission, de voir à l'aménagement des
travaux. J'ai fait mention plus tôt qu'il y avait 29 pages à votre
document, avec tout ce qui en était. Je crois comprendre que vous allez
prendre plus de temps pour l'expliquer de telle sorte qu'il y aura moins de
temps pour les questions. C'est la question que je me pose au moment où
l'on se parle. J'ai l'impression qu'il reste encore 17 pages, plus celles qu'on
vient de passer, et cela fait plus de 20 minutes, si vous remarquez bien
l'horloge comme moi. Cela fait 40 minutes. Je vous pose la question. Si vous
voulez...
Mme Lefebvre: Cela fait 50 ans qu'on ne nous a pas entendus.
Le Président (M. Jolivet): Je le sais, chère
madame, sauf que nous avons aussi... Je peux laisser passer ces mouvements
d'émotion, je les comprends très bien. Chère madame, ce
que je vous dis, c'est que j'ai des obligations ici comme président de
permettre à chacun autour de la table de vous poser des questions d'ici
à 19 heures ou 19 h 30 au maximum. C'est simplement de cela que je veux
m'assurer. Cela ne me dérange en aucune façon que vous preniez
deux heures pour présenter votre mémoire, mais vous vous
apercevrez qu'il n'y aura pas beaucoup de questions puisque je serai
obligé d'ajourner, à un certain moment. C'est simplement cela que
je veux dire, en demandant si possible à M. Chartrand de bien
présenter le mémoire, mais le plus rapidement possible, afin
qu'on puisse poser des questions. Allez.
Mme Lefebvre: II y a seulement deux pages.
M. Chartrand (Bernard): M. le Président, mesdames et
messieurs. Je voudrais lire une lettre qu'une centaine de médecins ont
déjà signée. Vous avez déjà la liste des
médecins; cette lettre est déjà parue dans les journaux.
Je suis médecin traitant, comme on l'a dit, à
Saint-Michel-des-Saints, une région forestière. Nous sommes tous
des médecins traitants, généralistes ou
spécialistes, pratiquant soit dans des hôpitaux, soit dans des
CLSC ou encore dans des cliniques ou bureaux privés. Certains de nos
patients sont des accidentés du travail. Nous pensons que ces patients
devraient avoir le droit d'être traités sur un pied
d'égalité avec tous nos autres patients et de recevoir en
conséquence tous les soins nécessaires à une
guérison la plus complète possible.
Or, malgré tous nos efforts pour dispenser à ces patients
victimes du travail les soins les plus appropriés, nous constatons que
ce droit élémentaire des accidentés à des soins de
santé adéquats subit des entorses sévères qui se
sont sérieusement aggravées au cours des derniers mois ou au
cours des dernières années.
La CSST s'ingère de façon injustifiée dans le
traitement de nos patients accidentés et bafoue de façon
inacceptable notre droit de médecin traitant de pratiquer une
médecine libre.
Nous tenons à protester contre certaines pratiques de la CSST
qui, en sa qualité de payeur, s'arroge le droit de priver de traitements
certains de nos accidentés, de retarder l'accès aux traitements
dans le cas de certains autres et, ce qui est le plus fréquent, de
mettre fin aux traitements d'un grand nombre d'entre eux à une date que
nous jugeons prématurée, compromettant ainsi la
possibilité d'atteindre la meilleure guérison possible et
occasionnant ainsi dans certains cas des rechutes ou des aggravations qui
pourraient être évitées.
En tant que médecins traitants, nous revendiquons le respect de
notre droit de juger nous-mêmes des soins requis pour la guérison
de nos patients. En tant que médecins traitants, nous croyons être
mieux en mesure de juger de l'état de nos patients que quiconque devant
porter jugement sur la base d'un seul examen ou parfois même sans autre
examen que celui du dossier. C'est ce que Mme Lefebvre vous expliquait tout
à l'heure.
Si la CSST, à qui le gouvernement a confié le pouvoir et
l'obligation de payer les compensations aux accidentés du travail et les
sommes dues pour traitements aux professionnels de la santé,
considère que nous ne savons pas pratiquer convenablement la
médecine, que nous ne sommes pas en mesure de juger adéquatement
des soins que requièrent nos patients, elle n'a qu'à porter
plainte devant les organismes compétents, légalement et
dûment mandatés pour juger de notre pratique médicale.
En tant que médecins traitants, nous n'avons aucun
intérêt à prolonger indûment
les traitements, ni à prescrire des arrêts de travail
inutiles. Nous n'en tirerions aucun profit. Nos patients accidentés du
travail ne nous rapportent pas plus que les autres, au contraire. Les
tracasseries administratives de la CSST, ses retards démesurés
dans le paiement des actes médicaux, ses interventions
injustifiées dans notre pratique médicale, les limites qu'elle
nous impose dans le choix des lieux de traitement, en particulier pour la
physiothérapie, l'obligation qu'elle nous impose de justifier et de
défendre la moindre intervention dans le dossier de nos propres
patients, ont plutôt été, jusqu'ici, des facteurs
susceptibles de décourager nombre de nos confrères et consoeurs
d'intervenir dans le dossier des accidentés du travail. Si nous
continuons à le faire, c'est strictement par conscience professionnelle
et par souci de justice élémentaire à l'endroit des hommes
et des femmes qui sont victimes d'accidents et de maladies du travail et
à qui nous reconnaissons le droit d'être traités en toute
égalité.
Nous ne pouvons que souscrire à la revendication mise de l'avant
par les associations d'accidentés du Québec, réunies dans
l'ATTAQ, qui exigent que les diagnostics et les prescriptions de traitement des
médecins traitants des accidentés aient un caractère
décisionnel pour la CSST - ce qui n'est pas le cas actuellement - qu'on
mette fin aux pratiques interventionnistes de cette commission dans l'exercice
d'une médecine libre, supposément en vigueur au Québec, et
qu'on reconnaisse enfin aux accidentés du travail les mêmes droits
qu'on reconnaît à tous les citoyens.
En tant que médecins, nous visons tous la plus grande
objectivité possible. C'est justement ce souci d'objectivité qui
nous amène aujourd'hui à prendre position publiquement en faveur
d'une partie dont les droits sont souvent trop bafoués.
Mme Lefebvre: C'est la fin de la partie médicale, qui
était la plus longue. Nous abordons maintenant la deuxième
partie, qui est le fonctionnement de la commission en matière de
réadaptation. Cela n'est pas moins important cependant, même si
c'est plus court.
La CSST prétend certains jours - et, en d'autres occasions, elle
affirme le contraire -que la réadaptation est maintenant un droit du
travailleur. Dans son intervention au CA de la CSST, le 19 juin 1980, M. Lionel
Bernier déclarait: "Fin 1978, le gouvernement modifiait la Loi sur les
accidents du travail: la réadaptation sociale devenait un droit du
travailleur." M. Bernier faisait ici allusion aux modifications
apportées par le projet de loi 114 à la Loi sur les accidents du
travail, modifications établissant les pouvoirs de la commission en
matière de réadaptation des accidentés.
Dans la mesure où la commission est tenue ou doit faire tout ce
qu'elle peut pour assurer la réadaptation des travailleurs à la
suite de leur accident, on doit reconnaître que ces ajouts à la
loi de 1931 constituent tout au moins une reconnaissance implicite de ce
droit.
Mais, encore une fois, le texte de loi, statuant du point de vue des
pouvoirs de la commission et non du point de vue des droits de
l'accidenté, il est impossible à ce dernier de savoir à
quoi il a droit. Ce qui laisse pleine latitude à la commission pour
définir elle-même ses obligations dans le cadre très large
de ses pouvoirs. Et elle s'en donne à coeur joie dans
l'interprétation.
Même si ces modifications à la loi ne sont entrées
en vigueur qu'en janvier 1979, la commission reconnaît elle-même
dans le dossier sur la réadaptation remis par M. Bernier au CA de la
CSST, en août 1980, que c'est l'année 1977 qui marque la date
charnière où s'est concrétisé réellement son
souci de réadaptation par la mise sur pied d'un réel service de
réadaptation et l'allocation des budgets correspondants. On peut se
demander pourquoi à ce moment-là. M. Bernier nous l'explique dans
le procès-verbal du CA de la CSST le 19 juin 1980: "Jusqu'en 1977, les
allocations de réadaptation étaient un privilège et non un
droit. En 1977, le gouvernement a transféré la compétence
exclusive de la commission à la Commission des affaires sociales. Depuis
lors, la CAS applique l'article 38.4, celui dont on parlait au tout
début sur les pourcentages d'incapacité, d'après un
barème américain plus généreux que celui de la
commission, mais arbitraire et qui ne tient aucun compte des
possibilités de réadaptation du bénéficiaire,
d'où une avalanche d'appels depuis la fin de 1978. "Fin 1978, le
gouvernement modifiait la Loi sur les accidents du travail: la
réadaptation sociale devenait un droit du travailleur."
L'aveu est intéressant. Ce que le vice-président à
la réparation nous confirme dans cet exposé, c'est que le souci
de réadaptation de la commission est né, non pas du désir
de répondre à un besoin des accidentés, mais du souci
d'économiser. En effet, le pourcentage de déficit de
capacité de travail que reconnaîtra en dernier appel la Commission
des affaires sociales à un accidenté sera d'autant plus
élevé que ce dernier n'aura profité d'aucune mesure de
réadaptation. En d'autres termes, il en coûterait moins cher
d'offrir des services limités de réadaptation que de compenser
pleinement les incapacités permanentes. Donc, la commission a
intérêt à offrir des programmes de réadaptation
qu'elle établira et contrôlera elle-même par directives
internes.
C'est donc elle qui décide, en matière de
réadaptation, unilatéralement de qui y a droit, à partir
de quel moment, pendant combien de temps, à quelles conditions et dans
quel programme.
Y ont donc droit tous les accidentés que le bureau médical
- toujours le même bureau dont on parlait tout à l'heure qui ne
voit personne - reconnaît inaptes à reprendre le travail
antérieur à l'accident. Encore une fois, c'est le bureau
médical qui décide sans avoir vu l'accidenté et souvent
à l'encontre de l'opinion du médecin traitant et même du
médecin expert de la commission. Je vous renvoie à l'annexe 16
dont on a parlé tout à l'heure où, justement, à la
suite d'une expertise d'un médecin expert de la commission qui
recommandait que cet accidenté ne soit référé
à aucun travail, le bureau médical décide de
référer en réadaptation pour recherche d'emploi.
À partir de quel moment a-t-on droit à la
réadaptation? Encore une fois, c'est le bureau médical qui, avec
ou sans convocation au médecin expert, et sans avoir à tenir
compte de l'avis du médecin traitant, décide
unilatéralement du moment où le passage doit se faire entre
l'arrêt de travail pour traitements médicaux et la prise en charge
par le service de la réadaptation.
En faisant ce transfert de la section médicale à la
section réadaptation, d'un service à l'autre, on peut ainsi, dans
bien des cas, écourter la période de traitement compensable et
transférer ainsi les coûts de compensation au budget de
réadaptation sociale, tout en obligeant l'accidenté à
entreprendre prématurément la recherche d'un emploi ou, dans de
rares cas, une période de formation, alors que ses traitements
médicaux ne sont pas encore terminés. (18 h 15)
Les avantages de ce système ne sont pas négligeables pour
la commission. Cela lui permet, d'une part, d'afficher son souci
"évident" de réadaptation en démontrant, statistiques en
mains, que les coûts de réadaptation augmentent
considérablement d'une année à l'autre - je vous renvoie
au rapport annuel de 1982, tableaux 27 et 30, pages 82 et 84, où les
coûts de réadaptation ont doublé - et surtout
d'économiser des sommes importantes en faisant assumer par les
contribuables - par le chômage et la formation de la main-d'oeuvre - une
grande partie des coûts afférents aux programmes de recherche
d'emploi et de formation. C'est-à-dire qu'on décide un jour,
à la suite d'un examen du dossier par le bureau médical, qu'un
accidenté a fini sa période de traitement, qu'il est prêt
à être pris en charge par la réadaptation sociale, qu'on
continuera à le payer, mais à ce moment, il sera payé par
la réadaptation sociale. Cela veut dire qu'il ne sera pas payé
beaucoup par la commission, puisque la réadaptation soustraira des
prestations de réadaptation sociale ce qu'il va recevoir du
chômage à ce moment et ce qu'il peut recevoir d'autres
régimes. Ce qui fait une économie considérable pour la
CSST.
Sans compter que les compensations auxquelles ont droit les
accidentés inscrits en réadaptation sont souvent plus basses que
celles qu'ils touchaient au moment où ils étaient en
médical, la base de salaire établissant ces compensations
étant celle du moment de l'accident, sans indexation aucune.
Un accidenté qui, jusqu'à l'été 1982,
où existait cette indexation, avait vu accroître des compensations
d'année en année par l'indexation, au moment où on
l'envoie en réadaptation retombe à une compensation basée
sur le salaire du moment de l'accident, de laquelle on soustrait son
pourcentage d'incapacité, de laquelle on soustrait les prestations de
chômage, etc.
Pendant combien de temps a-t-on droit à la réadaptation?
Chaque programme créé par la commission a une durée
maximale fixée par directive, et cela quelle que soit la condition de
l'accidenté à la fin du processus. De plus, la commission peut
mettre fin unilatéralement à n'importe quel de ces programmes en
cours de réalisation. Je vous renvoie à l'annexe 17 où on
explique par écrit qu'un accidenté ne doit pas considérer
qu'il a des droits acquis dans ce domaine, que la commission peut n'importe
quand réévaluer le processus de réadaptation et y mettre
fin ou le modifier.
Dans quel programme? Notons d'abord que ce n'est pas l'accidenté
qui choisit le programme dans lequel il sera inscrit mais bien l'agent qui
détermine celui qui lui conviendra le mieux, bien souvent sans
même l'informer de l'existence des autres programmes.
Les programmes existant actuellement sont: le programme de recherche
d'emploi, qui est un programme d'une durée maximale d'un an pendant
lequel on oblige l'accidenté d'abord à aller chercher ses
prestations de chômage, et la Commission de la santé et de la
sécurité ne paie que la différence. C'est donc les
contribuables qui paient pour la réadaptation d'un handicapé du
travail; ensuite, le programme de formation, qui est un programme d'une
durée maximale de trois ans et qui est très parcimonieusement
donné aux accidentés. Il y en a très peu qui participent
à ce programme; le programme de subventions au employeurs, qui est un
programme de placement en industrie. On subventionne l'employeur pour 66 2/3%
ou 85% du salaire pendant six mois ou un an, selon qu'il y a ou non une
formation inscrite à l'intérieur de ce placement;
le programme de complément de revenu ou de stabilisation
économique où on verse à l'accidenté la
différence entre le salaire qu'il gagne dans un nouvel emploi moins
rémunéré que son ancien emploi et 90% du salaire qu'il
gagnait au moment de son accident, sans aucune forme d'indexation.
C'est-à-dire qu'au moment où il participe à ce programme
il a une baisse de revenu; le programme de stabilisation sociale ou allocation
à long terme, qui est un programme prévu pour les
accidentés qu'on reconnaît totalement inaptes à travailler,
mais à qui on n'a pas donné le pourcentage d'incapacité
permanente correspondant à cette inaptitude; le programme de support
psychosocial, qui est un programme d'une durée maximale d'un an aussi et
qui s'adresse à une minorité de travailleurs qui ont besoin de
traitements psychologiques avant le retour à l'emploi.
Nous n'avons ni le temps ni l'espace nécessaires pour exposer ici
toutes les pratiques odieuses de la commission dans l'application de chacun de
ces programmes. Nous tenons cependant à dénoncer les pratiques
qui portent le plus préjudice aux accidentés et qui nous semblent
contraires à l'esprit même de la loi et au strict respect des
victimes d'accidents et de maladies du travail: la Les coûts de
réadaptation sont en grande partie assumés par les contribuables:
chômage, centre de main-d'oeuvre pour ce qui est des programmes de
recherche d'emploi et de formation; Régime de rentes du Québec,
pour ce qui est du programme de statilisation sociale, et assistance sociale
pour ce qui est de tous les accidentés arbitrairement
déclarés guéris ou réadaptés par la CSST.
Ces accidentés ne sont pas guéris par décret. Ils
continuent d'être malades et s'en vont sur ce qu'on appelle le
bien-être social. Cette pratique prive en fin de compte un grand nombre
d'accidentés du droit à leurs prestations, de la part de
régimes auxquels ils ont cotisé, comme le chômage, et
épargne aux employeurs des frais qu'ils devraient assumer. 2. Dans la
plupart des cas, les accidentés n'ont pas un mot à dire sur le
choix de leur programme de réadaptation. La très grande
majorité se voit projetée en recherche d'emploi, la plupart du
temps sans soutien et se voit imposer des exigences qui ne tiennent absolument
pas compte de leur condition physique et de leurs capacités. Quand on
demande à des accidentés qui marchent encore avec deux cannes de
se chercher deux emplois par jour, de prendre les transports en commun pour le
faire, nous ne trouvons pas qu'il s'agit là de conditions qui
correspondent aux capacités des accidentés. À l'annexe 15,
vous avez un autre cas - c'est le genre de cas qui se présente assez
souvent - où on voit les contradictions. Il s'agit d'un ancien boulanger
qui, à la suite d'une accident, d'une maladie professionnelle ne peut
plus faire le métier de boulanger. Il demande à la commission
qu'on lui accorde un programme de formation de cuisinier qui est un
métier connexe dans lequel la formation serait assez courte. La
commission refuse de lui accorder ce programme de formation; elle dit que cela
n'est pas pertinent parce qu'il s'agit encore d'une tâche trop lourde
pour lui, pour l'état de son bras qui est atteint de maladie
professionnelle. Elle le met plutôt en recherche d'emploi et elle lui
suggère de rechercher de l'emploi dans les secteurs suivants: cuisinier
et d'autres secteurs ensuite. Il n'est pas apte à recevoir un programme
de formation pour devenir cuisinier mais il est apte à se chercher de
l'emploi comme cuisinier. 3. On oblige pratiquement les accidentés
à renoncer à tous leurs acquis antérieurs et à
accepter à peu près n'importe quel emploi, à n'importe
quelle condition, sans leur garantir une compensation convenable pour les
pertes encourues. Le complément de revenu, comme je vous l'ai dit tout
à l'heure, ne compense que pour la différence entre le nouveau
salaire gagné qui est presque toujours le salaire minimum et 90% du
salaire net gagné au moment de l'accident non indexé, et ne
prévoit aucune compensation pour les acquis abandonnés. De plus,
c'est le bureau médical de la commission, et non le médecin
traitant, qui statue sur les restrictions médicales pour le retour au
travail et sur la capacité de chaque accidenté d'occuper tel ou
tel emploi.
Quatrièmement, on n'exerce à peu près aucun
contrôle sur les employeurs subventionnés par la CSST qui
profitent des programmes de la commission pour exploiter une main-d'oeuvre
à très bon marché et s'en débarrasser, à la
fin des subventions, sous toutes sortes de prétextes, postulant peu de
temps après auprès de la CSST pour obtenir de nouveaux
accidentés dont le salaire sera à nouveau remboursé en
grande partie par la commission. De plus, la réadaption refuse
très souvent de reprendre en charge un accidenté qui a ainsi
été congédié, prétextant qu'il l'a
été pour des raisons étrangères à son
handicap et que, pour sa part, elle considère le processus de
réadaptation terminé. La réadaptation place des gens en
industrie. Le patron trouve que c'est une méthode intéressante;
ça ne coûte pas cher de salaire puisqu'il est subventionné
à 66% ou à 85% par la commission pour employer cet
accidenté; il le congédie et il ne dira pas sur son papier de
cessation d'emploi que c'est pour condition physique. Il le congédie
sous prétexte d'un manque de travail et quelques jours plus tard, on
retrouve une demande pour un nouvel
accidenté sous ce même régime. L'accidenté
n'a pas été réadapté, puisque la seule raison pour
laquelle on a lui a trouvé du travail c'est qu'on a payé
l'employeur pour le faire; il n'est pas plus réadapté qu'il ne
l'était auparavant et très souvent, en première instance,
on doit aller devant les bureaux de révision pour exiger que ces
accidentés soient repris en charge par la réadaptation parce
qu'ils ne sont pas du tout réadaptés même s'ils ont
occupé un emploi pendant six mois. 5. On se sert du programme de
stabilisation sociale, communément appelé programme d'allocations
à long terme, pour éviter de reconnaître le droit à
une rente d'invalidité totale permanente à des accidentés
qu'on juge dans les faits inaptes à tout travail à la suite de
leur accident. Les rentes étant indexables annuellement, contrairement
aux allocations de réadaptation et les prestations de la Régie
des rentes du Québec faisant l'objet, depuis l'été 1982,
d'une soustraction honteuse, on épargne ainsi l'essentiel des
coûts engendrés par la reconnaissance d'une incapacité
totale permanente. Je vous réfère à l'annexe 18 où
il a été reconnu par la commission qu'une accidentée
était totalement incapable de tout travail; il y a plusieurs expertises
au dossier qui le démontrent. Au lieu de lui reconnaître 100%
d'invalidité qui devrait couvrir son déficit physique et son
déficit de capacité de travail, on lui reconnaît à
titre de déficit de capacité de travail 10% qui s'ajoutent
à 15% de déficit physique pour un total de 25%. On lui dit: De
toute façon, vous n'aurez pas à vous plaindre puisqu'on va vous
inscrire à un programme d'allocations à long terme. On applique
encore, pour évaluer le déficit de capacité de travail, le
barème qui n'a pas été retenu par le gouvernement comme
projet de règlement; ce barème continue à être
appliqué par la commission et donne des résultats identiques
à ceux qu'on prévoyait quand on l'a dénoncé: des
évaluations à rabais des accidentés.
Ces pratiques de la commission en matière de réadaptation
sociale prouvent une fois de plus qu'il y a une marge énorme entre ce
qu'elle fait et ce qu'elle proclame, par exemple, que l'objectif de la
réadaptation est "de redonner à l'accidenté une autonomie
comparable à celle qu'il avait avant son accident" ou encore que "la
réadaptation est devenue un droit du travailleur." La pratique
quotidienne montre, au contraire, que la réadaptation sociale est pour
la commission un moindre mal, une façon d'économiser sur les
prestations d'incapacité médicale et les rentes
d'invalidité, une façon de se donner bonne conscience à
bon compte et de transférer aux contribuables une partie des coûts
qui devraient être entièrement assumés par les employeurs
cotisants. En cette matière, elle profite d'autant plus du champ libre
qu'aucun appel ne peut être logé sur ces questions en dehors de
ses murs. On ne peut en appeler des décisions de réadaptation
devant la Commission des affaires sociales parce que, tout simplement, le droit
à la réadaptation n'est pas, comme tel, formellement inscrit dans
la loi. Ce qui est inscrit, ce sont simplement les pouvoirs de la commission en
matière de réadaptation et non les droits des travailleurs.
Le troisième point que nous allons aborder, c'est le
fonctionnement de la commission en matière de révision. La loi et
les règlements prévoient qu'un accidenté qui n'est pas
satisfait d'une décision de première instance à
l'indemnisation peut en appeler dans les délais prescrits - 30 ou 90
jours, selon le cas - de cette décision devant un bureau de
révision constitué à cette fin. Ce bureau a pour mandat
d'entendre les parties et de juger selon la justice et l'équité.
Ce sont les termes mêmes de l'ancien règlement 59, qui a
été refondu il y a peu de temps.
Selon nous, qui agissons comme représentants des
accidentés devant ces bureaux dans des centaines de cas, juger selon la
justice et l'équité, cela devrait vouloir dire: être
entendu dans des délais raisonnables; être jugé selon la
loi et les règlements et non selon les politiques et les directives
internes de la commission; être jugé sur la base de la preuve et
des éléments contenus au dossier; être en mesure de
soumettre cette preuve sans être continuellement interrompu ou
intimidé; être entendu par des agents capables de juger par
eux-mêmes de la valeur de l'argumentation, de la preuve soumise et ayant
une attitude impartiale et réceptive; avoir le droit d'exiger une
décision motivée dans des délais raisonnables; être
assuré que les frais encourus par l'accidenté dans l'exercice de
son droit d'appel seront remboursés par la commission. Or, ce n'est pas
du tout ce qui se passe.
Les délais s'écoulant entre la contestation de
l'accidenté et son audition ont été, cette année,
d'environ huit mois. Lorsqu'un accidenté en appelle d'une
décision de première instance, lui refusant par exemple le droit
à la compensation, c'est-à-dire à 90% de son salaire, les
conséquences d'un tel délai sont extrêmement graves. Cela
veut dire que pendant un an - puisque, à ces délais de huit mois,
il faut ajouter les délais pour signifier la décision qui
étaient, en général, de trois ou quatre mois cette
année - ce travailleur se retrouvera sans aucun revenu et parfois
même sans traitement médical. Le fait d'être payé
rétroactivement, une fois la cause gagnée, ne satisfait
aucunement aux critères de justice et d'équité.
Pourquoi des délais aussi longs? Il va sans dire que les
politiques de coupures
systématiques de la commission pratiquées en
première instance, en particulier depuis l'été 1982, de
même que l'impossibilité pratique pour l'accidenté de se
faire entendre en première instance - puisque tous les pouvoirs sont au
bureau médical, dont l'accès est très limité pour
les agents d'indemnisation - y sont pour quelque chose. Les appels sont plus
nombreux parce que les décisions défavorables sont plus
nombreuses. L'insuffisance du personnel peut aussi expliquer en partie ces
délais. Mais il y a autre chose.
Depuis environ un an, la commission, prévoyant l'adoption
imminente du projet de loi 42 déposé récemment et qui
instaure, en remplacement des bureaux de révision, un processus de
reconsidération administrative, a pris la décision de s'exercer
à ce processus avant l'heure. Du même coup, les délais
d'audition sont passés de trois ou quatre mois à huit mois.
Selon la commission, ce processus administratif visait à
réduire le nombre d'auditions en permettant d'éliminer tous les
cas où la décision aurait pu être modifiée par
simple réexamen des pièces au dossier, effectué par un
fonctionnaire désigné. L'intention avouée paraît
bonne. Toutefois, le problème des refus de première instance
n'étant pas principalement un problème d'erreur administrative,
mais un problème lié à l'application de politiques
internes restrictives, l'objectif avoué est raté. Pourquoi le
médecin du bureau médical qui a rendu une décision
négative en première instance changerait-il de point de vue
lorsque le dossier lui est à nouveau soumis au cours du processus de
reconsidération administrative? Ni ses préjugés, ni les
politiques et directives restrictives qu'il applique n'ont changé
entre-temps. Résultat? L'accidenté, à la suite de la
demande d'audition en bonne et due forme qu'il avait logée,
reçoit, trois ou quatre mois plus tard, une nouvelle décision
négative, souvent accompagnée de commentaires lui
démontrant que ses chances d'obtenir gain de cause sont pratiquement
nulles et accompagnée aussi parfois d'une formule de désistement
qu'il n'aura qu'à signer et à retourner s'il désire
abandonner son appel. (18 h 30)
Le procédé est scandaleux. Pendant des années, les
accidentés ont réclamé de la commission qu'elle leur
facilite la démarche d'appel que plusieurs d'entre eux ont beaucoup de
mal à effectuer. Jamais la commission n'a préparé ni
expédié aux accidentés de formulaires d'appel de
contestation qui auraient pu accompagner une décision qui leur
était défavorable, mais, quand il s'agit de leur faciliter la
tâche en vue de se désister, elle ne ménage ni l'effort ni
le papier.
Il nous a fallu ensuite protester pendant des mois pour qu'à la
suite de la réception de cette décision de reconsidération
administrative, l'accidenté ne soit pas tenu par la commission de loger
à nouveau son appel devant le bureau de révision. Pourtant, rien
dans la loi n'autorisait la CSST à exiger des accidentés cette
démarche supplémentaire. À la suite de ce détour
administratif que représente la reconsidération administrative,
à condition que l'accidenté n'ait pas succombé au
découragement ou à l'incitation, verbale ou écrite,
à renoncer à l'audition qu'il a demandée depuis plusieurs
mois, l'appel est enfin dirigé au bureau de révision où il
attend son tour. Le dossier complet de l'accidenté ne lui est
acheminé que quelques mois plus tard, avec son avis d'audition fixant la
date et l'heure où il sera entendu, ne lui laissant parfois que deux
semaines pour s'y préparer, les délais variant selon les bureaux
régionaux. À Montréal, les délais sont d'un mois;
à Sherbrooke, ils sont d'environ deux semaines.
Le bureau de révision, la loi et les directives internes de la
commission. On devrait normalement s'attendre devant une instance d'appel
à être jugé selon la loi et les règlements. Oh!
surprise, ce n'est pas ce qui se passe. Il ne faut pas oublier que les agents
de révision sont nommés par la CSST. Aussi la politique qu'ils
ont adoptée est-elle de s'en tenir scrupuleusement à
l'application des politiques et des directives internes de la commission, avec
tout ce que cela comporte de restrictions.
Par exemple, même si la directive A-3080 - c'est le numéro
de la résolution que représentait son adoption; c'est la
directive sur les déficits de capacité de travail -même si
cette directive concernant l'évaluation à rabais des
déficits de capacité de travail n'a jamais reçu
l'approbation du gouvernement et n'a reçu aucune sanction légale,
le bureau de révision l'applique scrupuleusement en toute injustice. Ce
qui donne lieu à des décisions aberrantes où la preuve
établissant l'incapacité totale permanente de l'accidenté
débouche sur l'attribution d'un pourcentage de déficit de
capacité de travail de 5%, 10% ou 15%.
Par la suite, ces accidentés sont souvent admis en allocation
à long terme par la réadaptation sociale, en plus d'être
reconnus totalement invalides par le Régime des rentes du Québec,
ce qui constitue la confirmation qu'on aurait dû leur reconnaître,
selon l'article 38.4, un pourcentage d'incapacité permanente égal
à 100% - je vous réfère à l'annexe 18 dont je vous
ai parlé tout à l'heure. Ces cas sont en général
reconnus comme tels à 100% deux ans plus tard par la Commission des
affaires sociales, à condition toujours que l'accidenté ne se
soit pas découragé entre-temps d'en appeler par manque
d'information, de
ressources humaines ou financières.
En matière médicale, même procédé. La
plupart des agents de révision, et la politique du bureau de
révision n'est pas uniforme sur cette question, s'en tiennent à
l'application des politiques de la commission, c'est-à-dire du bureau
médical. Le diagnostic et l'opinion du médecin traitant et du
médecin expert de l'accidenté sont souvent mis de
côté, lorsqu'ils ne sont pas carrément ridiculisés
ou tout simplement ignorés par l'agent de révision. Alors, on
accuse les gens de se présenter avec des diagnostics fourre-tout, quel
que soit le spécialiste qui ait produit l'expertise.
Plusieurs agents n'accordent que bien peu d'importance à
l'argumentation médicale de chacune des parties et ne jugent que sur le
titre de l'intervenant ou sur le nombre, en dehors de toute appréciation
scientifique. On voit des agents jeter de côté des expertises
médicales faites par des généralistes, même si elles
sont appuyées sur des rapports de spécialistes, sur des examens
spécifiques qui ont été faits par des spécialistes.
On les voit régulièrement mettre de côté ces
expertises en disant: Cela n'a pas de valeur puisqu'il y a un
spécialiste qui s'est prononcé en sens inverse dans votre
dossier. Souvent même, la décision ne fait aucune mention de la
preuve médicale soumise par l'accidenté ou ne présente
aucune contre-argumentation justifiant une décision contraire à
la preuve.
Je ne vous lirai pas l'annexe 19, mais je vous invite, si vous voulez
savoir si on dit la vérité, à lire au complet l'annexe 19
par vous-mêmes où vous trouverez la décision
complète d'un bureau de révision portant sur une cause
d'accidenté où il a été soumis à ce
même bureau de révision une expertise médicale que vous
trouverez en annexe aussi et dont il n'est fait aucun état dans la
décision du bureau de révision, comme si l'accidenté
n'avait présenté aucune preuve.
Pour ce qui est de la reconnnaissance des maladies professionnelles, on
exige des preuves là où la présomption devrait suffire -
par exemple, dans le cas de la liste des maladies professionnelles reconnues
par règlement, entre autres dans les cas de surdité
professionnelle - et on refuse dans les autres cas le principe même de la
preuve par présomption. On refuse même dans certains cas
d'entendre des témoins susceptibles de renforcer par leur
témoignage cette présomption. On exige des preuves hors de tout
doute. On se croirait au criminel, sauf qu'ici, c'est la victime qui est
condamnée si la preuve hors de tout doute fait défaut.
Le déroulement de l'audition et la décision. Les agents de
révision sont des fonctionnaires désignés par la
commission, parfois médecins, parfois avocats, parfois ni l'un ni
l'autre. Selon nous, plusieurs d'entre eux ne sont pas habilités
à rendre des décisions sur la base de la preuve soumise et des
éléments contenus au dossier. La preuve en est qu'il est de
pratique courante au bureau de révision d'effectuer des consultations
extérieures postaudition. On ne rend donc pas les décisions
à partir de la preuve, mais sur la base du jugement d'une autre personne
qui n'a même pas assisté à la présentation de la
preuve. Tel agent ira consulter le bureau médical, tel autre, un autre
agent de révision ou encore, on renverra la cause à un nouveau
médecin expert de la commission au jugement duquel on se soumettra pour
prendre une décision finale. Vous pouvez trouver cet exemple à
l'annexe 20 où, dans ce dossier, l'agent de révision n'a pas
retenu l'opinion médicale contenue dans l'expertise du médecin
expert de l'accidenté - en passant, c'était un médecin
expert de la commission aussi, à ses heures - et la décision
s'appuie sur une expertise faite postérieurement à l'audition et
sans que le représentant de l'accidenté en fût
informé, sans proposer de reprise d'audition où il aurait
été possible d'intervenir sur la nouvelle expertise, la nouvelle
preuve. Ces procédés sont inqualifiables et contraires aux
principes élémentaires de justice naturelle.
Il arrive aussi de plus en plus souvent que l'agent de révision,
à l'occasion d'une audition portant sur un aspect bien précis du
dossier, en profite pour rendre de nouvelles décisions concernant une
autre partie du dossier qui n'est objet d'appel de la part d'aucune des
parties. Vous trouverez à l'annexe 22 une situation semblable où
une travailleuse a eu un accident de travail renconnu par la commission -
c'est-à-dire que c'était plutôt une maladie professionnelle
reconnue pour laquelle la commission a reconnu deux rechutes successives - et
lorsqu'elle a fait une demande de compensation pour une troisième
rechute, la commission lui a refusé cette troisième rechute. La
travailleuse est allée en appel et, lors de l'audition, elle a soumis
des documents médicaux démontrant que la troisième rechute
devait être compensable, selon les termes de la loi. La décision
qui a été rendue non seulement ne lui reconnaît pas le
droit à la compensation pour cette troisième rechute mais annule
son droit à la compensation pour la deuxième rechute pour
laquelle elle avait déjà été payée et pour
laquelle une décision avait déjà été rendue,
alors qu'il n'a absolument pas été question de cette
période et qu'elle n'a été aucunement l'objet d'appel, de
la part d'aucune des parties.
Comme se plaît à le dire sans pudeur un agent de
révision du bureau du Montréal, le Dr Roch Pronovost: Moi, quand
je fais une révision, je révise tout le dossier. Il faut vraiment
jouir de pouvoirs discrétionnaires absolus pour proclamer ouvertement de
telles
grossièretés.
L'accidenté qui se présente en audition devant un bureau
de révision devrait aussi être en droit de s'attendre à
être entendu par un juge impartial, tout au moins dans son attitude. Or,
il arrive fréquemment que ce préposé au jugement se
transforme en procureur de l'une des parties. Devinez laquelle.
L'accidenté et son représentant doivent fréquemment
subir les interruptions, les invectives, l'intimidation même, de certains
agents de révision qui, oubliant le rôle que la loi leur
confère, se transforment pour l'occasion en véritables procureurs
de la compagnie. C'est à s'y méprendrel Vous voyez à
l'annexe 23, c'est une situation qu'on retrouve de plus en plus
fréquemment, qui était beaucoup moins fréquente il y a
quelques années et qui tend à se généraliser.
Lors de l'audition devant le bureau de révision, l'agent de
révision suggère à la partie patronale de retirer sa
demande de remise, laissant entendre qu'une remise serait inutile puisqu'elle
pourrait avoir gain de cause dès maintenant. Il s'agit d'une audition
où l'accidenté se présente avec de nouveaux rapports
médicaux expliquant sa situation et expliquant son droit à la
compensation. Devant la présentation de ces nouveaux documents, la
partie patronale, comme c'est son droit, demande une remise d'audition et
l'agent convainc la partie patronale de ne pas demander cette remise puisque
cela ne sert à rien puisque, de toute façon, on peut gagner
aujourd'hui étant donné que ces rapports sont sans grande valeur.
Ce sont des rapports de généralistes, ils n'ont absolument pas
été examinés par l'agent. Ils ne jugent absolument pas sur
l'argumentation contenue au rapport, mais sur le titre de l'intervenant. La
partie patronale est restée et elle a gagné.
Après avoir subi ce traitement, plusieurs accidentés se
promettent bien de ne plus jamais en appeler, tellement ils trouvent
l'épreuve pénible. Est-ce là l'effet recherché? On
est parfois tenté de le croire. Quant aux décisions rendues par
ces instances, elles ne nous arrivent bien souvent que trois ou quatre mois
plus tard à cause, principalement, du manque de personnel affecté
au secrétariat. Et, si elles s'avèrent défavorables, elles
seront suivies d'un nouvel appel à la CAS et il faudra encore deux ans
d'attente pour y être entendus. Cela fait beaucoup de gens sur le
bien-être social.
L'inégalité des parties devant l'exercice du droit de
révision. Dans le cas où une décision est rendue en faveur
de l'accidenté, la loi et les règlements prévoient que les
frais encourus pour cette audition seront remboursés par la commission.
Mais, voilà, c'est la CSST elle-même qui fixe, par directives, les
montants qu'elle remboursera. Ces montants sont nettement inférieurs aux
prix du marché. L'accidenté doit donc encourir des frais
énormes qu'il n'est pas toujours en mesure d'assumer pour obtenir le
strict respect de ses droits. On prétend ainsi traiter les parties sur
un pied d'égalité sans tenir compte aucunement de
l'inégalité de fait la plus évidente. Qu'on ne vienne pas
nous dire que ce sont les médecins experts des accidentés qui
sont en tort et qui font payer trop cher pour leurs expertises. Les compagnies
paient très cher pour les leurs parce qu'elles ont les moyens de se les
payer. Les médecins experts des accidentés prennent des heures
à faire ces expertises. Il ne prennent pas cinq ou dix minutes comme les
médecins de la commission le font avec des formules entièrement
préparées d'avance ou même sans examen.
Les compagnies n'hésitent pas, elles, à recourir aux
services des avocats et des experts les plus coûteux, parce qu'elles en
ont les moyens. On force pratiquement les accidentés à rivaliser
sur ce plan avec un adversaire qui jouit des moyens démesurément
inégaux.
Cette injustice au départ est sérieusement aggravée
par le fait que les bureaux de révision ont tendance à juger
davantage en fonction des titres et du prestige social des témoins qu'en
fonction de l'argumentation ou de la preuve soumises, ce qui oblige souvent,
par exemple, les accidentés à défrayer les coûts de
la présence d'un spécialiste en audition, ou le coût de son
expertise, là où un médecin généraliste
compétent aurait très bien pu soutenir la preuve.
Il est inadmissible que des accidentés soient forcés de
renoncer à leur droit d'appel ou condamnés à l'endettement
pour pouvoir l'exercer. La commission devrait être tenue d'assumer tous
les frais d'audition du travailleur, devant tous les paliers d'appel, si on
veut continuer à parler de justice et d'équité.
Comment expliquer cette situation? Le fonctionnement actuel des bureaux
de révision de la commission est inacceptable et contraire aux principes
élémentaires de la justice naturelle. La raison principale qui
explique cet état de fait nous semble d'une évidence aveuglante.
Ces bureaux n'ont aucune indépendance à l'égard de la
commission qui en nomme les agents et leur impose ses politiques et directives
internes et, par le fait même, ses intérêts et ses
conceptions.
Comment peut-on croire qu'une compagnie d'assurances patronale pourra
juger en toute impartialité, justice et équité d'une cause
dans laquelle ses cotisants sont impliqués?
Comment peut-il être question de justice et d'équité
pour un accidenté quand la partie qu'il confronte est doublement
représentée comme partie et comme juge?
Ce n'est pas l'institution d'un processus de reconsidération
administrative interne à la commission qui viendra régler le
problème. Nous tenons au maintien de ce palier d'appel dont la fonction
devrait être de garantir à l'accidenté d'être entendu
dans des délais rapides et par un tribunal impartial.
Retirer au payeur le pouvoir de nommer et de réglementer ce
tribunal d'appel nous apparaît la condition essentielle au strict respect
des droits des accidentés.
En conclusion, le manque de temps nous oblige à interrompre ici
le tableau très incomplet des pratiques inadmissibles de la
commission.
Comme vous le constatez, nous n'avons pas parlé de
l'inaccessibilité des agents; des heures passées à
écouter de la musique au bout du fil en tentant vainement de rejoindre
la commission; des coupures de personnel qui affectent le service et les
travailleurs concernés; de la soi-disant "humanisation" de la CSST par
l'introduction d'ordinateurs et d'écrans de toutes sortes; des
statistiques déformées ou absentes; de l'information
biaisée faite aux accidentés par la commission; du mépris
avec lequel on les traite quotidiennement; et de bien d'autres choses...
Nous nous en sommes tenus à ce qui constitue pour nous le fond du
problème: l'exercice par cette commission des pouvoirs qui lui sont
conférés dans les matières qui touchent directement
à l'interprétation des droits qui nous sont reconnus dans la
loi.
La conclusion à laquelle en arrive notre organisation,
après consultation, enquête et discussion auprès de ses
neuf associations membres, après discussion aussi avec des syndicats,
des groupes d'intervenants de toutes les régions du Québec, des
accidentés non organisés, des avocats, des médecins
impliqués dans la défense des accidentés, est claire et
sans équivoque. L'expérience nous démontre que la CSST
bafoue quotidiennement les droits des accidentés, qu'elle fait preuve
d'une partialité aveuglante qui ne tient pas de l'exception, mais de la
règle.
Ses abus de pouvoir ne sont pas l'effet d'erreurs de parcours, de
méthodes techniquement inadéquates qu'on pourrait corriger
facilement par des mesures de gestion plus saine ou de contrôle mieux
exercé.
Tout son fonctionnement - l'établissement des directives
internes, l'appareil médical, juridique et bureaucratique dont elle
s'est dotée - est en parfaite adéquation avec les objectifs
qu'elle poursuit réellement de par sa nature même et en
conformité avec les pouvoirs qui lui sont conférés. (18 h
45)
Le patronat pourra toujours hurler son mécontentement sur la
mauvaise administration interne de la commission, sur les frais que cela lui
occasionne, sur la qualité des administrateurs qui la dirigent. Nous lui
laissons le champ libre tant qu'il ne s'attaque pas à la teneur ni
à l'exercice de nos droits. Qu'ils choisissent ensemble la marque de
leurs ordinateurs ou la date de tombée des versements de leurs
cotisations nous laisse complètement froids. Cette commission leur
appartient, c'est leur compagnie d'assurances. Mais il se trouve que de par la
loi c'est nous qui en sommes les bénéficiaires en tant que
victimes et nous n'accepterons jamais que cette compagnie d'assurances
patronale ait le moindre mot à dire quant à la teneur, à
l'interprétation et à l'exercice de nos droits.
Nous pensons avoir suffisamment démontré jusqu'à
quel point l'attribution de pouvoirs discrétionnaires à une telle
commission donne lieu à des pratiques systématiquement
préjudiciables aux victimes d'accidents et de maladies du travail.
Aucune justice ne peut être espérée pour ces
victimes tant qu'on n'aura pas retiré à cette comission ses
pleins pouvoirs dans les matières qui nous concernent.
Bien sûr, nous savons que la direction de cette commission est
assurée par des personnes bien précises. Mais, contrairement aux
orthopédistes, par exemple, nous ne demandons pas la tête de
Sauvé ni celle de Bernier. Nous ne saurions pas quoi en faire.
Même si nous sommes convaincus qu'ils portent l'entière
responsabilité des pratiques inqualifiables de la commission, nous
pensons qu'il serait facile de leur trouver des remplaçants qui
endosseraient à leur tour la responsabilité des mêmes
injustices.
Nous croyons qu'une réforme en profondeur s'impose et qu'elle
exige plus qu'une substitution des personnages. Il faut de toute urgence
retirer à cette compagnie d'assurances patronale les pouvoirs de
décision en toute matière concernant l'interprétation de
la loi, en matière médicale de même qu'en matière de
réadaptation et d'appel.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. J'ai peur que
nous nous retrouvions dans la situation que vous avez prévue au moment
où nous avons commencé nos travaux. Il est bien évident
qu'à l'heure où nous sommes, nous n'aurons pas le loisir de poser
des questions autant que nous l'aurions voulu.
Je vais simplement faire des remarques rapides et d'ordre
général quant au mémoire que nous venons d'entendre. Je
vous signalerai ce que je pense, comme je le pense. Il s'agit d'un
mémoire qui est bien présenté, un mémoire qui
contient de la substance. Je ne suis pas en train de vous
dire que je suis d'accord avec tout ce que révèle votre
mémoire et que je suis disposé tout de go à accepter
toutes les conclusions que vous tirez, mais c'est un mémoire
étoffé.
C'est un mémoire étoffé et appuyé sur des
expériences particulières auxquelles vous nous avez
référés non seulement verbalement mais aussi par des
annexes que vous avez incorporées à votre évaluation et
à votre appréciation de l'ensemble de la commission. C'est un
mémoire étoffé. C'est un mémoire - on l'aura
compris en l'écoutant - qui est rempli de phrases et d'expressions-choc
qui attirent l'attention, et je présume que c'est l'objectif que vous
visiez en nous le soumettant.
Vous allez comprendre, M. le Président, que je n'entreprendrai
pas à ce stade-ci ni de relever, ni non plus de poser des questions sur
tous les aspects particuliers que contient le mémoire de l'ATTAQ.
Cependant, je suis tout à fait disposé à reconnaître
que ces dossiers particuliers auxquels on a fait référence, les
exemples qu'on a donnés, les situations auxquelles on nous a
référés vont très certainement nous être
utiles pour la poursuite de l'ensemble de nos travaux.
Vu l'heure, M. le Président, j'éviterai donc de poser des
questions sur des particularités du mémoire. Je me limiterai
à deux ou trois questions d'ordre très général et
sur lesquelles j'apprécierais que Mme Lefebvre ou le Dr Chartrand nous
donnent leur appréciation.
J'ai cru comprendre - je voudrais bien, à cet égard, qu'on
me corrige si je faisais erreur - que le mémoire qui vient de nous
être soumis, au-delà des questions particulières auxquelles
on fait référence, remet en quelque sorte tout le système
lui-même en cause. J'ai cru comprendre, dans l'argumentation qui nous a
été soumise, qu'autant la Commission des accidents du travail
depuis qu'elle existe, il y a maintenant plus de 50 ans, que la Commission de
la santé et de la sécurité du travail telle qu'on la
connaît maintenant depuis un peu plus de trois ans, ne répond pas
aux objectifs que poursuivent les accidentés du travail, du moins ceux
que nous avons devant nous cet après-midi.
Ma première question, M. le Président. Si mon
appréciation est exacte, si cette première conclusion à
laquelle j'en arrive est exacte, je souhaiterais que ceux qui nous ont
présenté le mémoire nous disent, nous explicitent par quel
genre d'autre organisme il faudrait remplacer celui qui a existé, celui
qui existe maintenant si, dans votre évaluation, l'un et l'autre se sont
montrés inadéquats, inefficaces, inopérants et, à
toutes fins utiles, présentant plus d'obstacles et
d'inconvénients que d'avantages. Si j'ai bien compris, encore une fois,
entendons-nous bien. Si ce n'est pas la conclusion à laquelle vous en
arrivez, je présume que vous allez me le dire. Si vous n'acceptez pas
tout le système en soi - "in se" si vous me passez l'expression - comme
vous n'avez pas accepté la Commission des accidents du travail - et vous
le dites expressément dans votre mémoire - ce sera l'objet de ma
première question, par quoi faudrait-il donc remplacer cet
organisme?
Le Président (M. Jolivet): Mme
Lefebvre.
Mme Lefebvre: Nous formulons un peu autrement la question,
c'est-à-dire que nous concevons très bien qu'il existe une
commission chargée de recueillir les fonds patronaux pour
l'indemnisation des victimes d'accidents et de maladies du travail. Ce que nous
disons, c'est qu'il nous apparaît anormal qu'on confie à cette
commission qui est, dans les faits, une compagnie d'assurances, le pouvoir
d'interpréter la loi par directives internes et qu'on lui confie des
pouvoirs aussi grands en toute matière concernant l'application des
droits qui nous sont reconnus dans la loi. On ne dit pas qu'il ne doit exister
aucune commission ou que cette commission-là ne doit pas exister. On dit
qu'il n'est pas normal qu'on lui laisse des pouvoirs d'interprétation de
la loi et des pouvoirs en matière médicale qui est le point
principal d'intervention de la commission. Quand on dit l'appareil
médical, c'est son appareil le plus productif, le plus rentable; c'est
cet appareil qui décide de tout. Que ce soit confié à un
autre organisme indépendant de celui qui a la charge de percevoir les
fonds, cela nous semble une condition essentielle pour le respect des droits
des accidentés.
M. Fréchette: Alors, de votre observation, Mme Lefebvre,
est-ce que je fais bien d'interpréter qu'il ne faudrait pas que cet
organisme, que ce soit l'actuelle commission, l'organisme qui l'a
précédée ou un autre qui éventuellement pourrait la
remplacer, ait quelque pouvoir réglementaire que ce soit et que toutes
les décisions administratives devraient se retrouver dans la loi
elle-même et ne laisser, sur le plan de l'administration, aucune
initiative, aucun pouvoir décisionnel à quelque organisme que ce
soit?
Mme Lefebvre: Cela dépend de ce qu'on entend par
administration. S'il s'agit de décider comment le personnel doit
être réparti, comment doit s'acheminer le dossier ou des
décisions de cet ordre-là, elles peuvent très bien
être prises par une commission telle que la CSST. Quand il s'agit de
déterminer si les gens sont malades et ce qui va donner lieu à
compensation ou non-compensation, c'est-à-dire à
l'application
de loi pour tel ou tel accidenté, il s'agit d'un aspect de
l'administration qui a une importance autre que l'administration courante,
savoir comment on va traiter un dossier.
M. Fréchette: C'est ma dernière question. Il
faudrait prévoir, par mesures législatives, les modalités,
les paramètres de la prévention, de la réparation et de la
réadaptation et laisser au corps administratif le seul et unique soin de
prendre des décisions en matière administrative quotidienne.
C'est un autre organisme ou alors la loi qui devrait prévoir tout le
reste en matière de prévention, de réparation et de
réadaptation?
Mme Lefebvre: II y aurait peut-être des solutions
différentes à envisager selon les différents pouvoirs.
Qu'on pense simplement qu'en matière d'appel il y a un tribunal d'appel
qui a été créé en 1977, auquel on a reconnu le
droit d'intervenir dans les décisions concernées par la Loi sur
les accidents du travail; c'est la Commission des affaires sociales. On
s'aperçoit déjà - même si on n'est pas sans critique
à l'égard de ce tribunal; il peut y avoir des problèmes
aussi - on s'aperçoit déjà que les décisions sont
très différentes à la Commission des affaires sociales et
à la Commission de la santé et de la sécurité du
travail. Disons qu'en matière d'appel, on a déjà
trouvé des éléments de solution pour sortir de la
commission le plein pouvoir, le plein pouvoir étant "appelable" ensuite
devant une instance supérieure.
On pourrait trouver des solutions au niveau médical et au niveau
de la réadaptation de la même façon: d'une part, en
inscrivant davantage le droit dans la loi et de façon plus
précise et, d'autre part, en reconnaissant certains droits. Nous, ce que
nous revendiquons, entre autres, c'est le respect du diagnostic et du
traitement du médecin traitant. Ce sont des choses qui pourraient
être reconnues par voie législative et qui n'exigeraient pas tout
un appareil. Le seul appareil qui resterait à déterminer serait
celui pour traiter les cas litigieux de désaccord entre médecins
traitants. Et il ne serait pas du tout nécessaire que ce qu'on pourrait
concevoir pour régler ces problèmes soit sous la
dépendance de la CSST.
M. Fréchette: Merci. Cela répond à ma
question.
Une deuxième question m'est suggérée par le
troisième paragraphe de la page 4 de votre mémoire, la
première page 4; je comprends qu'il y en a deux: "Pourquoi ce parti-pris
systématique de la CSST d'interpréter à la baisse, de
restreindre le peu de droits déjà reconnus aux accidentés
dans la loi, sinon parce qu'elle privilégie son mandat de gestionnaire,
parce qu'elle s'identifie aux intérêts de sa vraie
clientèle, celle qui verse les fonds, qui cotise, le patronat"? Mme
Lefebvre, ce n'est certainement pas à vous que je vais apprendre la
composition du conseil d'administration de la Commission de la santé et
de la sécurité du travail. Vous savez mieux que moi qu'il est
composé de sept représentants patronaux et de sept
représentants syndicaux. Est-ce qu'alors il faut comprendre de ce
troisième paragraphe de la page 4 de votre mémoire que, lorsque
vous vous exprimez de la façon dont vous le faites, vous incorporez dans
votre réflexion, dans votre évaluation, la partie syndicale qui
siège au conseil d'administration?
Mme Lefebvre: L'expérience nous amène à
croire jusqu'à maintenant, l'expérience de ce conseil
d'administration nous amène à comprendre, que les pouvoirs de la
commission ne sont pas entre les mains de ce conseil d'administration, mais
bien entre les mains du comité de direction. Jusqu'à maintenant,
on n'a vu aucune différence dans les décisions. Qu'on prenne
l'exemple, qu'on cite dans le mémoire d'ailleurs, du projet de
règlement qui correspond à la résolution du CA
précisément, la résolution A-3080. Ce projet de
règlement a été conçu par la direction de la
commission - je ne parle pas du conseil d'administration - la vraie direction
de la commission; il a été conçu par cette direction; il a
été présenté au CA comme étant une chose
très belle et le CA a adopté une résolution à
savoir de faire publier à la Gazette officielle ce projet de
règlement. Pourtant, les centrales syndicales se sont prononcées
contre le projet de règlement, ce qui a amené le gouvernement
à le retirer aussi. Ce n'est pas à nous de statuer sur qui doit
être là ou non, quel rôle il devrait avoir. Ce dont on se
rend compte dans la pratique, c'est que ce n'est pas ce conseil
d'administration qui décide. Il estampille, à notre avis mais il
ne décide pas; les vraies politiques sont tracées par le
comité de direction de la commission, par l'appareil qui...
M. Fréchette: Bon, cela va. J'ai une dernière
question. Je vais y aller le plus rapidement possible. Elle s'adresse autant
à vous qu'au Dr Chartrand. J'espère que je ne me trompe pas cette
fois-ci, M. le Président.
Est-ce qu'il faudrait comprendre de vos deux interventions - et
là, vous allez, évidemment, deviner tout de suite que je fais
référence à l'aspect de votre mémoire qui traite du
traitement médical - que votre objectif serait de faire en sorte qu'il
soit interdit, à toutes fins utiles, à la commission, et dans
tous les cas, de faire procéder à une évaluation
médicale par un
médecin qu'elle aurait elle-même choisi? En d'autres mots,
est-ce que ce que vous plaidez devant nous cet après-midi, c'est qu'il
ne doit y avoir qu'une seule évaluation médicale, celle du
médecin traitant et cela, dans tous les cas, qu'il s'agisse de cas
d'accidentés graves qui vont subir un préjudice important pour le
restant de leurs jours ou alors d'accidentés qui ont moins de
séquelles, qui vont être absents pour une courte période de
leur travail? Est-ce qu'il faut interpréter de votre argumentation qu'en
aucune espèce de circonstance la commission ne devrait faire
procéder à une évaluation médicale? (19 heures)
Mme Lefebvre: Cette question nous semble un peu une question
piège. D'abord, il faut regarder qui sont les médecins experts de
la commission. Ce sont des médecins traitants. Ils ne tombent pas du
ciel les médecins experts de la commission. Ils pratiquent dans les
hôpitaux, ils pratiquent dans les cliniques privées. Donc, s'ils
sont capables de se prononcer lorsque la commission leur commande une
expertise, pourquoi ne sont-ils plus capables de se prononcer quand ils
agissent comme médecins traitants? Ce qu'on reconnaît et qui nous
apparaît même, dans certains cas, une nécessité,
c'est qu'il y ait des consultations médicales qui soient faites sur des
cas compliqués, qu'on puisse exiger qu'un accidenté soit vu par
tel genre de spécialiste concerné par le type de lésion
qu'il a, par quelqu'un qui est spécialiste de la question. Mais pourquoi
faudrait-il que la commission choisisse le spécialiste?
Si vous retournez aux exemples qu'on vous a fournis, dans ces exemples,
on retrouve justement des médecins traitants d'accidentés qui ont
soutenu des diagnostics, qui ont été refusés par des
médecins experts de la commission. Or, il se trouve que ces
médecins traitants étaient aussi des médecins experts de
la commission. Commment se fait-il que, lorsqu'ils deviennent médecins
traitants, lorsqu'ils agissent en tant que médecins traitants, la
commission ne leur reconnaît plus le pouvoir de juger alors que, le
lendemain, elle convoque ces médecins comme médecins experts pour
juger de la cause d'un accidenté qui a été soigné
par un autre médecin traitant qui, la veille, était le
médecin expert? Alors, ce qu'on dit, c'est que ce n'est pas la
commission qui doit avoir les pouvoirs discrétionnaires en
matière médicale. Pourquoi ce serait le médecin de la
commisison qui aurait raison? On ne s'oppose pas au fait qu'il y ait
confrontation de diagnostics médicaux, qu'il y ait vérification
de diagnostics médicaux; cela nous semble normal, il y a des cas qui
sont compliqués. Ce n'est pas une question de dire: On veut à
tout prix que le premier qui passe ait raison. Ce n'est pas cela. C'est tout
simplement que ces évaluations complémentaires, ces
évaluations qui peuvent être nécessaires dans certains cas,
puissent être faites, qu'on indique dans quelle spécialité
on juge que ces cas soient expertisés et que l'accidenté puisse
s'adresser à l'expert de son choix.
M. Fréchette: Finalement, c'est plus la modalité
que le fond qui est contesté.
Mme Lefebvre: C'est-à-dire que le fond, c'est la question
du pouvoir de la commission de choisir l'expert en question et le rôle
qu'elle fait jouer à cet expert.
M. Fréchette: M. le Président, on pourrait
continuer notre dialogue. Ce serait sans doute intéressant, mais je suis
convaincu qu'il y a des collègues autour de la table qui ont aussi le
goût de poser des questions à Mme Lefebvre. Je veux lui
réitérer nos remerciements, de même qu'au groupe qui
l'accompagne.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier
Mme Lefebvre et l'ATTAQ pour leur document qui est très
étoffé.
Au début, je me suis un peu inquiété lorsque vous
avez parlé du syndrome méditerranéen. Étant
né en Italie, on m'a déjà dit que j'avais une
fièvre familiale méditerranéenne. Celle-là ne
m'inquiète pas trop, parce qu'il paraît que c'est la fièvre
d'amour, mais le syndrome méditerranéen commence à
m'inquiéter.
À la page 25, vous parlez de la question des coûts de
l'accidenté. Pour qu'il puisse étoffer son dossier, avoir une
expertise médicale, une consultation légale et ainsi de suite,
afin qu'il puisse se défendre, vous dites que les coûts sont
énormes. Est-ce que vous pouvez les chiffrer ces coûts?
Mme Lefebvre: Certainement. Actuellement, dans la région
de Montréal et ce n'est pas tellement différent dans les
régions du Québec, il peut y avoir de petites variantes - les
expertises des spécialistes en orthopédie, en physiatrie et en
neurochirurgie vont de 300 $ à 600 $ en général. Cela peut
être un peu moins, parfois un peu plus, mais, en général,
cela se situe dans cette échelle. Cela c'est pour une expertise que
l'accidenté doit faire faire même si, déjà, au
dossier, il y a trois ou quatre spécialistes qui se sont
prononcés clairement sur son problème et qui ont donné
toutes les indications nécessaires à la reconnnaissance de sa
lésion. Il doit les fournir tout simplement parce qu'un médecin
expert de la commission ou parfois même parce qu'un médecin du
bureau médical qui
ne l'a jamais vu, lui, considère qu'il n'y a pas de lien, ou que
sa rechute n'est pas une rechute de l'accident, ou qu'il n'y a pas de lien
entre ses symptômes et son accident. Alors, tout simplement, pour faire
reconnaître ce qui est déjà présent au dossier, il
doit encourir ces frais. Cela, c'est pour les frais médicaux pour un
premier appel. Parfois, il doit se rendre en deuxième appel quand le
bureau de révision ne le reconnaît pas et, si la situation a
évolué, produire une nouvelle expertise actuelle.
Il y a aussi les frais encourus par les procureurs. Il y a des
accidentés qui recourent à des associations d'accidentés,
comme ceux qui sont présents ici. Cela ne leur coûte rien. Mais il
y a des accidentés qui recourent à leur syndicat. Il y a
énormément d'accidentés qui sont non syndiqués. Ce
sont ceux qui sont, en général, dans les situations
financières les plus déplorables, qui se retrouvent devant aucune
forme de défense et qui ont recours à des avocats qui leur
chargent les prix que chargent les avocats, un minimum de 75 $ l'heure. Quand
on sait le nombre d'heures qu'il faut passer sur un dossier d'accidenté,
surtout quand ce dossier a trois ou quatre pouces d'épais, pour arriver
à déchiffrer les situations à l'intérieur de cela,
faire produire les expertises nécessaires... Cela coûte des
petites fortunes. Il y a des avocats qui chargent aussi au pourcentage du
montant perçu. Tout cela, simplement pour faire reconnaître un
droit qui devrait leur être reconnu dès le départ.
M. Cusano: À la page 22, vous dites qu'il y a des retards
avant que l'accidenté puisse recevoir ses cotisations. Vous dites que,
même s'il est payé rétroactivement... Que fait-il pendant
ce temps, c'est-à-dire lorsqu'il n'a pas de salaire? Où se
dirige-t-il? Est-ce que c'est à la caisse populaire pour un prêt?
Est-ce que c'est...
Mme Lefebvre: Au bien-être social. M. Cusano: Au
bien-être social.
Mme Lefebvre: La plupart des accidentés aboutissent
là. Cela nous étonne, qu'il n'y ait aucune statistique de
produite sur le nombre d'assistés sociaux qui sont des anciens
accidentés du travail. Il doit y en avoir un très grand nombre.
C'est là que nous les voyons se diriger régulièrement.
L'accidenté pour qui la commission met fin aux traitements, cela
ne veut pas dire qu'il est guéri. Dans le meilleur des cas, s'il tombe
sûr un hôpital qui n'a pas un nombre de places trop limité
pour les accidentés du travail ou qui n'est pas trop surchargé
pour le reste des citoyens, il va pouvoir poursuivre ses traitements. Dans
certains cas, cela veut dire une interruption de traitements aussi, en plus de
l'arrêt des compensations. Quand c'est un accidenté d'un certain
âge, très souvent il a accumulé des économies
pendant sa vie, il essaie de vivre de ses économies pendant les mois
d'attente. Mais il arrive un temps, quand c'est jusqu'à la Commission
des affaires sociales, où ses économies sont grugées et il
se retrouve sur l'assistance sociale. Il n'y a pas de miracle qui se produit,
il attend. Cela veut dire perdre sa maison, cela veut dire, souvent, la
destruction de la cellule familiale. Cela a des conséquences
énormes sur les accidentés, d'attendre aussi longtemps pour que
justice leur soit rendue, quand justice leur est rendue.
M. Cusano: Merci. Sur le programme de recherche d'emploi,
certains de mes électeurs sont venus me rencontrer à mon bureau
et ils m'ont fait une description des cours qui se donnent à la CSST
pour la recherche d'emplois. Je n'ai pas le document tel quel avec moi, mais il
y a certains paragraphes dans ce programme qui m'inquiètent un peu - un
peu beaucoup -lorsqu'on suggère à l'accidenté de se
présenter devant un employeur et de cacher son incapacité.
Pouvez-vous commenter cela, madame?
Mme Lefebvre: Exactement. C'est une pratique courante. Dans les
cours que les accidentés reçoivent des services connexes à
la réadaptation - ce souvent des entreprises extérieures à
contrat avec la commission qui donnent ces cours - on leur conseille
régulièrement de ne pas dire qu'ils sont accidentés du
travail lorsqu'ils cherchent un emploi parce que cela diminuerait trop leurs
chances de se trouver un emploi. C'est une pratique très courante, c'est
régulier, c'est le conseil qu'on leur donne, de cacher leur accident de
travail. Une chose est certaine, c'est que, dans certains cas, cela ne se cache
pas. Quelqu'un qui arrive avec sa canne ne se cache pas, quelqu'un qui arrive
en boitant, cela ne se cache pas non plus. Dans d'autres cas, cela peut se
cacher mais ce que cela donne comme résultat, c'est que, dès
qu'il y a une complication au travail, d'abord l'employeur peut - et cela est
très facile pour lui - vérifier par le numéro d'assurance
sociale si les gens qu'il embauche sont des accidentés; d'une part,
c'est inefficace. Même si cela est efficace à court terme,
à plus ou moins long terme cela joue contre l'accidenté qui peut
se faire congédier pour ne pas avoir déclaré le fait qu'il
était dans cet état au départ.
M. Cusano: Merci. Une autre question, Mme Lefebvre, concernant un
fait qui m'a été souligné encore dans le comté, en
ce sens que certains agents d'indemnisation demanderaient à des
accidentés du travail de
signer des formules non remplies, des formules en blanc. Est-ce que
c'est une pratique que vous avez vécue?
Mme Lefebvre: La pratique que nous connaissons là-dessus,
ce sont des formules d'autorisation de communiquer les renseignements
médicaux. Effectivement, on a eu connaissance à plusieurs
reprises que des agents faisaient signer plusieurs formules d'autorisation sous
prétexte que cela éviterait des délais lorsqu'on aurait
à faire venir des papiers médicaux à tel ou tel endroit;
alors, ils faisaient signer ces formules en leur demandant de ne pas les dater.
On sait que dans les hôpitaux, lorsqu'une formule d'autorisation de
communiquer des rapports médicaux parvient, elle est valide pendant 30
jours. Elle est en tout cas considérée comme valide pendant 30
jours par les hôpitaux. Il y a des accidentés qui, comme cela,
sont appelés à signer plusieurs formules à l'avance. Le
problème -c'est sûr qu'il peut y avoir une question pratique de ne
pas faire revenir l'accidenté chaque fois qu'on veut ravoir un dossier
médical - c'est que cela peut donner lieu à des abus,
c'est-à-dire qu'on peut utiliser beaucoup plus tard ces formules pour
des questions qui ne sont pas relatives à l'accident.
M. Cusano: Merci. Ma dernière question, Mme Lefebvre. J'ai
vu certaines de vos déclarations dans les journaux et j'aimerais savoir,
depuis l'existence de votre association, combien de fois et par quel moyen vous
avez communiqué avec le président de la CSST ou bien avec le
ministre qui a été chargé du dossier.
Mme Lefebvre: Combien de fois? Je ne saurais vous dire combien de
fois on a essayé de les rejoindre, mais disons qu'on a eu une rencontre
avec le président de la CSST en septembre 1982, où étaient
présents une trentaine d'accidentés, et qui n'a donné le
goût à personne de le rencontrer à nouveau. Il nous a
quittés au beau milieu de la discussion en remettant ses papiers dans sa
serviette et en partant sans que cela soit terminé ou sans qu'il ait
indiqué d'une façon ou de l'autre que cela devait se terminer. Il
n'est pas d'un accueil particulièrement chaleureux. Cela ne nous incite
pas beaucoup à aller le rencontrer. Cette journée-là, on
l'avait rencontré à propos des coupures qui étaient
pratiquées depuis juillet 1982 à la commission. Pendant deux
heures, il a soutenu que les coupures n'existaient pas. On avait en main les
directives signées de sa main pour ces coupures, il y avait 100
accidentés dans la salle, dont une grande partie étaient victimes
de ces coupures, et il continuait de soutenir que cela n'existait pas. Devant
quelqu'un qui ne reconnaît pas la réalité à ce
point, on est tenté de communiquer plus directement avec les gens qui
s'occupent directement des accidentés, qui sont soit les agents, soit
les chefs d'équipe, soit les chefs de secteur. Ce sont des gens avec qui
on communique régulièrement à la commission pour exposer
les problèmes; on n'est pas tellement tenté de communiquer avec
la direction. Pour ce qui est du ministre, on l'a aussi rencontré l'an
dernier. Cela a pris plusieurs mois avant qu'on obtienne une rencontre, qu'on a
eue finalement en janvier 1983.
M. Cusano: Merci.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: M. le Président, je ne sais pas combien de temps
on a exactement. Quant à moi, j'ai des questions à poser pendant
des heures; ce qui a été dit - je ne parle pas des exemples comme
le ministre l'a dit - représente une accusation très grave
vis-à-vis de la CSST. Mme Lefebvre a dit tout à l'heure qu'on a
attendu pendant 50 ans; on vous doit peut-être 5 fois 50 minutes. En tout
cas, je ne sais pas ce qui se passe exactement, il est 19 heures...
Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! J'ai
laissé passer tout à l'heure des mouvements d'émotion,
mais je ne voudrais pas qu'on profite des circonstances... Ordinairement, ce
sont les gens autour de la table qui ont le droit de manifester quoi que ce
soit. Je vous comprends très bien, je ne veux pas vous dire que je ne
vous comprends pas, mais je suis là pour appliquer des directives qui me
sont données par l'Assemblée nationale. La commission
elle-même est maîtresse de ses travaux, mais elle l'est au maximum
jusqu'à 20 heures ce soir. Qu'on le veuille ou non, il y a une autre
commission qui sera ici tout à l'heure à 20 heures. Je n'ai pas
le choix, comme président, de vous donner une autre réponse que
celle-là.
Quant à l'autre fait, c'est-à-dire s'il fallait prolonger
à un autre moment, cette décision ne m'appartient pas comme
président au moment où je vous parle.
M. Polak: En tout cas, je voudrais juste dire que, quant à
moi, le mémoire représente une accusation très grave.
Comme j'ai dit, si on arrête à 19 h 30 et qu'on les envoie dans
leurs différentes régions, ce serait un geste scandaleux.
J'aimerais vraiment qu'on puisse questionner ce groupe. En prenant leur
mémoire de 28 pages auquel toutes sortes de documents sont
attachés, ce ne sont pas des paroles vagues. (19 h 15)
Le Président (M. Jolivet): M. le député
de Sainte-Anne, comme la commission est quand même maîtresse
de ses travaux, mais qu'elle doit rester dans les normes prévues pour
les commissions, adoptées par une décision de l'Assemblée
nationale, le ministre a peut-être quelque chose à ajouter avant
que vous continuiez.
M. Fréchette: M. le Président, l'entendement que
j'en ai est le suivant. Je ne sais pas si mon collègue de Viau va
concourir à cette explication ou l'infirmer.
Au moment où l'Assemblée nationale a accepté, avec
amendement, la motion qu'a soumise le député de Viau, celui-ci a
suggéré une liste d'organismes qui, d'après lui, voulaient
être entendus à la commission. Nous avons accepté
intégralement la liste que le député de Viau nous a
soumise. À partir du fait que quelques autres organismes avaient
manifesté le désir d'être entendus, nous avons tenté
d'établir ce qu'en cour on appellerait un "rôle" pour faire en
sorte qu'à l'intérieur des quatre jours qui nous sont
alloués nous arrivions à entendre chacun des organismes qui en
avaient manifesté le désir. Cela nous amenait à une
période de temps d'une heure pour chacun des organismes, soit 20 minutes
ou à peu près pour soumettre son mémoire et le reste de
l'heure pour procéder à des échanges par voie de questions
et réponses.
Nous avons débuté cet après-midi vers 16 h 30. Il
était entendu que nous n'avions pas d'objection à déborder
l'heure qui était normalement prévue pour les témoins qui
sont devant nous, compte tenu du fait qu'un organisme qui devait être
entendu ce soir s'est désisté. Mais, M. le Président, il
en est de cette commission-ci comme de n'importe quelle autre commission. Il
est évident qu'avec le matériel qu'on nous a mis sur la table,
nous pourrions passer les quatre jours avec les témoins qui sont devant
nous. C'est évident. Mais l'Assemblée nationale nous a
donné un mandat et nous essayons - je comprends très bien qu'il
puisse y avoir des gens frustrés de part et d'autre - de travailler
à l'intérieur du mandat qui nous a été
confié.
Je veux bien qu'on déborde carrément l'heure qui
était assignée ou enfin qui était prévue pour
chacun des organismes, mais si on le fait pour les autres qui sont
déjà sur la liste cela va risquer de déborder largement
les quatre jours qui sont déjà prévus.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. Cusano: M. le Président, lorsqu'il y a eu consentement
il ne faut pas oublier aussi qu'il avait été question des
mémoires qui seraient présentés. Vu l'importance du
problème qui nous est exposé, je peux vous dire que nous, du
côté de l'Opposition, serions favorables à ce que le mandat
de la commission déborde les jours prévus et, si
nécessaire, à retourner en Chambre et demander...
Une voix: Consentement.
M. Cusano: S'il y a consentement ici, M. le ministre, il n'y a
aucun problème. Sinon on pourrait toujours retourner en Chambre.
Le Président (M. Jolivet): D'une façon ou d'une
autre, pour ce soir c'est quand même impossible de dépasser 20
heures. Je ne peux accepter aucun consentement à la commission puisqu'il
y a trois autres commissions qui siègent à partir de 20 heures.
M. le député de Sainte-Anne.
M. Fréchette: M. le Président, le...
Le Président (M. Jolivet): Si on pouvait régler
cela autrement, M. le ministre, parce qu'on va parler seulement de ce
problème et le député de Sainte-Anne n'aura pas le temps
de poser ses questions.
M. Polak: M. le Président, je suis très heureux de
la suggestion du député de Viau parce qu'il y a tellement de
matière ici, c'est incroyable, et de la matière très
sérieuse...
Je vais me limiter rapidement à cause du système et des
quelques minutes qui nous restent. C'est un peu ridicule mais je vais poser mes
questions rapidement. Mme Lefebvre, vous avez parlé du bureau
médical qui décide sans avoir vu l'accidenté. Avez-vous un
pourcentage des cas où cela se produit? Est-ce dans la majorité
des cas ou si ce sont des exceptions? Rapidement.
Mme Lefebvre: Les statistiques ne nous appartiennent pas. Elles
appartiennent à la commission et la commission ne nous a jamais fourni
de statistiques. Elle prétend que le bureau médical ne
décide que selon le diagnostic du médecin traitant ou selon
l'avis du médecin expert. Tout ce qu'on peut dire c'est qu'elle ment
quand elle fait cette affirmation. On ne peut dire dans quel pourcentage des
cas parce qu'on ne représente pas tous les accidentés du
Québec.
M. Polak: Mais pour les cas dont vous vous occupez. Vous
n'êtes pas seuls, vous êtes tout de même neuf organismes
répartis à travers la province et il y en a d'autres aussi qui
existent. D'après votre expérience, quel est le pourcentage des
cas dont vous vous occupez où vraiment vous avez eu des plaintes?
Mme Lefebvre: On n'a pas fait de statistiques là-dessus.
Tout ce qu'on peut dire c'est que c'est très fréquent qu'on
reçoive une décision. À ce moment, on communique avec
l'accidenté en lui demandant: Est-ce qu'il y a eu un examen? Et la
lettre qu'il reçoit concorde avec le témoignage de
l'accidenté, c'est-à-dire à la suite d'un examen de votre
dossier par le bureau médical il a été
décidé que - cela est très fréquent - je suis
incapable de vous donner une proportion, on n'a pas le personnel
nécessaire pour fournir ces statistiques.
M. Polak: Une autre question très rapide. Je suis content,
vous répondez vite parce que cela aide tout le monde.
Le Président (M. Jolivet): Posez votre question, ne perdez
pas de temps.
M. Polak: J'ai vu très souvent la valeur du médecin
traitant. Je suis avocat, je pratiquais encore quand on plaidait à la
cour la cause des accidents d'automobiles, des incapacités et
très souvent on constatait que celui qui connaissait le mieux le dossier
de l'accidenté c'était le médecin traitant. C'est bien
beau d'avoir des experts qui sont spécialisés mais celui qui vit
avec l'accidenté, c'est lui qui est en mesure d'établir vraiment
le degré d'incapacité. Est-ce que cela est votre
expérience qu'on commence à négliger de plus en plus le
médecin traitant, qui est très important et qu'on se fie à
un spécialiste qui n'a pas vu la victime en question.
Mme Lefebvre: Je crois que cela est tout à fait vrai mais
ce qu'il faut souligner aussi, c'est que quand on parle de médecin
traitant, on ne parle pas seulement des généralistes. On parle du
médecin traitant spécialiste dont les diagnostics sont tout
autant bafoués que ceux des médecins traitant
généralistes. Dans la plupart des cas, pour les cas d'accident du
travail assez sérieux, il s'agit toujours de spécialistes.
Puisque les gens doivent être vus soit en orthopédie, en
neurochirurgie, en physiatrie pour n'importe quel problème, ils sont vus
par des spécialistes de toute façon qui sont leur médecin
traitant. Les diagnostics, qu'ils viennent de généralistes ou de
spécialistes traitants ne sont pas reconnus par la commission.
M. Polak: Ma dernière question. Vous savez, en vertu de
l'article 141 de la loi, qu'il y a sept membres du conseil qui
représentent l'association syndicale la plus représentative. J'ai
vu la liste, ils sont assez représentatifs du monde syndical. Est-ce
que, comme représentant des travailleurs et travailleuses
accidentés, vous avez parlé de ces problèmes avec ces sept
personnes pour voir ce qui se passe, si elles peuvent vous aider?
Mme Lefebvre: On en a rencontré quelques-uns
déjà qui siégaient au conseil d'administration de la CSST
et ils se sont eux-mêmes retirés de ce conseil d'administration.
C'est-à-dire, vous me dites qu'ils sont assez représentatifs mais
je vous ferai remarquer que ni la CSN, ni la CEQ ne siège au conseil
d'administration. Elles y siégeaient au départ et elles s'en sont
retirées. Je pense que ce serait intéressant de leur poser la
question: Pourquoi se sont-elles retirées?
M. Polak: Je ne voudrais pas...
Mme Lefebvre: Nous avons déjà fait des
représentations auprès du conseil d'administration;
c'est-à-dire qu'on a essayé d'aller voir les membres un peu par
surprise, une journée, et ils n'ont pas voulu nous recevoir sauf, que
les représentants syndicaux, qui siégaient à ce conseil,
les représentants de la CSN, de la CEQ de même que M. Bernier,
vice-président ont participé à cette rencontre.
M. Polak: Je vais me restreindre, M. le Président...
Le Président (M. Jolivet): Dans ce cas, donnez...
M. Polak: ...quitte plus tard, avoir le droit de continuer,
j'espère.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Portneuf.
M. Pagé: Vous pouvez passer mon collègue avant.
Le Président (M. Jolivet): D'accord. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Champagne (Saint-Jacques): Une petite question, M. le
Président. Vous dites, Mme Lefebvre, à la page 27 de votremémoire, que nous n'avons pas parlé du mépris avec
lequel on les traite quotidiennement. Avez-vous des exemples, des cas
précis et quel genre de mépris cela peut être?
Mme Lefebvre: Je pense qu'on vous a déjà fourni
à l'intérieur du dossier, des annexes, un certain nombre
d'exemples. Quand un accidenté se fait dire: Écoute, on n'est pas
le bien-être social ici, retourne travailler. Quand un accidenté
qui est en traitement, qui a des douleurs à longueur de journée,
qui ne dort pas la nuit parce qu'il est malade, se fait dire par la
commission,
tu n'as pas à venir quêter ici... Seulement les choses
qu'on vous a montrées dans les rapports sur le bureau médical, la
façon dont les dossiers sont traités, il n'y a pas de plus grande
forme de mépris que cela que de dire à quelqu'un qui est malade
qu'il ne l'est pas, que cela est dans sa tête, que c'est un syndrome
méditerranéen, que s'il ne veut pas travailler, ce n'est pas
à la commission de payer, que la commission ce n'est pas le
bien-être social. Ce sont des choses que les accidentés se font
dire.
Il y a deux ans, il y avait dans les cours de réadaptation, les
cours qu'on donnait aux travailleurs en recherche d'emploi... On leur faisait
passer des tests pour voir s'ils avaient bien compris. On leur faisait passer
des "vrai ou faux". Alors, les accidentés inscrits à ces cours,
après une certaine période de cours se voyaient remettre un petit
questionnaire. On leur demandait: "Vrai ou faux, la commission continuera de me
payer indéfiniment, même si je ne reprends jamais le travail et
que je ne suis pas malade" ou quelque chose du genre. S'il n'y a pas de
mépris là-dedans, de penser qu'au départ les travailleurs
sont des stupides qui vont aller croire qu'il y a un organisme quelque part qui
va les payer quand ils ne sont pas malades, quand ils ne travaillent pas,
seulement parce qu'ils veulent arrêter de travailler. On trouve cela
vraiment très méprisant. C'est vraiment prêter aux
accidentés, d'une part, une conception et ensuite leur prêter une
attitude de fraude que les travailleurs accidentés n'ont pas. Les
travailleurs accidentés qu'on rencontre chaque jour, ce sont des gens
qui font tout pour retourner au travail. Ce qu'ils veulent le plus, c'est de
retrouver leur situation antérieure, c'est d'être capables de
retourner au travail et de faire vivre leur famille. Il y en a même qui y
retournent trop vite au travail et qui ont des rechutes à cause de
cela.
La situation généralisée, ce n'est pas l'attitude
de fraude des accidentés; ce sont des gens qui veulent guérir,
qui font tous les efforts pour le faire et qui se font arrêter leur
traitement en cours de route parce que la commission juge qu'ils ont
été suffisamment traités, même si le médecin
et les accidentés se rendent bien compte qu'ils ne sont pas capables de
retourner à l'emploi dans ces conditions.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Portneuf.
M. Pagé: M. le Président, Mme Lefebvre, mesdames et
messieurs qui vous accompagnent. C'est certainement avec beaucoup
d'intérêt qu'on prend connaissance du document que vous produisez
aujourd'hui, des commentaires que vous formulez à l'égard des
griefs que vous soulevez, et aussi des annexes contenant des cas troublants et
inquiétants que vous portez à notre attention et qui
contribueront certainement, quant à nous... Ces cas-là concrets
et spécifiques de problèmes, de vécu quotidien de
travailleurs ou de travailleuses accidentés, avec la commission, ces
cas-là, dis-je, vont certainement s'ajouter aux nombreux cas analogues
que nous connaissons, qui ont été portés à notre
connaissance et pour lesquels on aura certainement à traiter avec
l'honorable juge Sauvé, le P.-D.G. de la commission, lorsqu'il
témoignera devant nous jeudi prochain.
Je voudrais aborder un aspect de la question qui a été
soulevée par le ministre. Vous remettez en cause le droit pour la
commission - parce que, entre guillemets, vous la définissez comme
étant "une compagnie d'assurances appartenant à celui qui paie
les cotisations, c'est-à-dire l'employeur" - vous remettez en cause le
droit pour cette commission de juger de vos droits. C'est beaucoup. C'est,
somme toute, remettre en cause l'ensemble de la loi, de l'opération, des
moyens et des méthodes que le législateur a établis pour
définir ce qui arriverait dans le cas d'accidents du travail.
Dans votre mémoire, à la première page, vous
signalez, à juste titre, que ce sont des centaines de milliers de
réclamations qui sont présentées à la commission
chaque année. Je comprends qu'il y a des abus et des excès. Je
comprends qu'il y a des choses pas correctes qui se font dans la commission. On
retient qu'il y a des cas de préjudices graves qui sont causés
à des accidentés, compte tenu de politiques ou de
décisions, peu importe pour quel motif elles sont prises. Mais il y a
quand même un nombre probablement appréciable, qu'on ne peut pas
quantifier à ce moment-ci, de cas portés à la connaissance
de la commission et pour lesquels il y a une réponse
adéquate.
Ne croyez-vous pas qu'il serait plus utile pour une meilleure protection
des droits des travailleurs et des travailleuses accidentés de
substituer au bureau de révision actuel, qui est somme toute la
continuation de la commission, de substituer à la Commission d'appel des
affaires sociales, qui n'a pas de spécialité en telle
matière, un véritable tribunal indépendant de la
commission où siégeraient des juges affectés à
temps plein à des causes de cette nature, où pourrait se
développer une jurisprudence continuelle, lequel tribunal aurait le
droit et les pouvoirs de s'appuyer en termes d'expertise sur les expertises
autres que celles commandées par la Commission de la santé et de
la sécurité du travail? Ne croyez-vous pas que des modifications
à la structure actuelle dans ce sens seraient de nature à
sécuriser les droits des travailleurs et des travailleuses?
Je résume, en terminant, sur cette
première question. Ce serait donc dire que la Commission de la
santé et de la sécurité du travail, tel qu'elle fonctionne
actuellement... prendre le bureau de révision, abolir les bureaux de
révision, abolir les recours à la Commission d'appel des affaires
sociales, qui une journée peut décider d'un cas d'aide sociale
refusée et le lendemain d'un cas d'accident du travail, et faire
créer un véritable tribunal des accidents du travail au
Québec qui serait habilité à siéger, juger et agir
uniquement et exclusivement dans des causes relevant de cette loi, avec des
juges qui ne siégeraient évidemment pas, qui ne seraient pas
partie du tout de la commission et qui pourraient aller demander des expertises
à l'extérieur et développer leur propre tradition
d'interprétation de la loi?
Mme Lefebvre: Je peux essayer de répondre partiellement
à cette question. Ce n'est naturellement pas une question à
laquelle je suis préparée dans le sens qu'actuellement on part de
la situation telle qu'elle est, qui est trois paliers de décision pour
les accidentés du travail. Une chose sur quoi on a statué dans
nos organisations, c'est sur le fait qu'on tient à maintenir ces trois
paliers de décision, c'est-à-dire un premier palier qui est celui
de la commission actuellement et d'avoir la possibilité de deux appels.
On pense que n'importe quel citoyen devant n'importe quelle cour a toujours la
possibilité d'interjeter appel au moins deux fois. On ne voit pas
pourquoi ce serait différent pour les accidentés et qu'on leur
donne un seul recours. Alors, on tient à ce qu'il y ait deux paliers.
(19 h 30)
On n'a pas formulé de récrimination à l'endroit de
la Commission des affaires sociales parce que ce n'était pas l'objet de
cette commission parlementaire et aussi parce que nos critiques à
l'égard de la Commission des affaires sociales ne sont évidemment
pas de même nature que celles que l'on porte à l'endroit de la
CSST, parce que les accidentés n'y sont pas du tout traités de la
même façon.
D'abord, on ne tient pas à ce que la Commission des affaires
sociales disparaisse. On trouve qu'il y a des choses à améliorer
dedans. Si jamais il y a une commission parlementaire là-dessus, on
pourra toujours venir le dire, mais on pense qu'il y a une différence
majeure entre la façon dont sont traités les accidentés
devant les bureaux de révision et devant la Commission des affaires
sociales.
M. Pagé: Je crois comprendre que vous êtes mieux
traités devant la Commission des affaires sociales.
Mme Lefebvre: Vous avez bien compris.
M. Pagé: Merci. Je voulais que vous le disiez pour le
bénéfice du journal des Débats, pour ceux qui vont nous
lire au temps des fêtes pour corriger ces lois.
Mme Lefebvre: C'est cela. Donc, on tient à ce qu'il y ait
deux paliers d'appel. Je ne peux pas m'opposer comme tel à la
création d'un tribunal qui serait spécialisé dans les
accidents du travail, à condition qu'il soit indépendant de ce
qu'on appelle, je crois à juste titre, la compagnie d'assurances qui,
qu'on le veuille ou non, en tant que compagnie d'assurances semble donner la
couleur de la commission, si on en juge par ce qui sort de ses jugements.
M. Pagé: Toujours concernant...
Mme Lefebvre: II y a aussi, si vous me permettez, la question des
délais. On trouve important qu'il y ait un premier palier où on
puisse être entendu, mais de façon rapide. Si on regarde du
côté de la Commission des affaires sociales, les délais
sont de deux ans. Imaginez les ravages que cela peut produire dans la vie de
quelqu'un, que ses droits à la compensation ne soient pas reconnus
pendant plus de deux ans! II peut toujours gagner après, mais tout est
déjà détruit au moment où il gagne. On trouve
important qu'il y ait une façon rapide. Ce qui nous a été
proposé jusqu'à maintenant, c'est de remettre complètement
cela entre les mains de la commission, une reconsidération
administrative. C'est la pire des choses, on n'a pas besoin de cela. La
commission juge déjà sur les dossiers en première
instance; on veut être entendu. On s'aperçoit qu'il y a une
différence majeure dans les décisions qui sont rendues, quand on
se fait entendre et quand on ne se fait pas entendre. Ce n'est pas la
même chose.
Même par des tribunaux sur lesquels on a tellement de critiques
à faire, comme les bureaux de révision actuellement, il y a des
choses qu'on ne peut pas gagner à l'indemnisation parce qu'on ne peut
pas être entendu et qu'on peut encore aller chercher au bureau de
révision parce qu'on y est entendu. On a parlé des
problèmes sérieux qu'il y avait aux bureaux de révision,
on n'a pas dit que tous les agents étaient à ce point partiaux
à l'intérieur des décisions. On dit tout simplement que la
formule actuelle permet ces abus des agents de révision.
Donc, s'il y avait une autre forme de tribunal qui puisse permettre
d'être entendu rapidement, dans des délais très courts et
qui soit indépendant de la commission, c'est sûr qu'on serait
d'accord avec le fait qu'existe ce tribunal, ce qui n'empêcherait pas
qu'on continue de souhaiter qu'il y ait deux paliers d'appel pour les
accidentés du travail.
M. Pagé: Merci, Mme Lefebvre, là-dessus. Vous avez
abordé, dans votre commentaire, le deuxième aspect de ma
question, les délais. On sait que les délais sont assez longs
pour qu'un accidenté puisse être entendu, faire valoir ses droits
et qu'une décision s'ensuive.
Dans les cas où le délai porte strictement sur une
question financière, cela est grave mais c'est probablement moins grave
que dans d'autres cas où le bureau de révision ou la commission a
à statuer sur un traitement que devrait recevoir un accidenté et
je m'explique.
J'ai eu dans mon comté deux cas de travailleurs qui se voyaient
prescrire, par leur médecin traitant, spécialiste, des
opérations chirurgicales. La Commission de la santé et de la
sécurité du travail, par la voie de son expert soutenait que les
deux travailleurs accidentés n'avaient pas à subir une telle
intervention chirurgicale. Les travailleurs se sont pourvus en révision,
mais pendant toute cette période, l'intervention chirurgicale qui
était requise ou ordonnée par leur médecin traitant n'a
pas été effectuée.
Je n'ai pas porté à la connaissance du président de
la commission ces deux cas, quand ils m'ont été connus, dans le
cadre des procédures qu'on a entreprises depuis un an, parce que j'avais
seulement deux cas, de crainte que celui-ci ne traite ou considère mon
intervention comme étant une intervention biaisée et partisane.
Est-ce que vous avez eu des cas comme cela, vous autres? Pourriez-vous nous
préparer un dossier?
Mme Lefebvre: On a beaucoup de cas en attente de traitements ou
en attente d'opérations parce que les orthopédistes qui traitent
ces accidentés attendent une autorisation de la commission pour
procéder. Pour nous, la responsabilité principale de cet
état de fait doit être mise sur le compte de la commission. On
sait quelle attitude la commission a eue au moment où le litige est
apparu publiquement entre les médecins et la commission. Elle a
accusé, en particulier, les orthopédistes de faire des
interventions injustifiées et le moyen de pression que les
orthopédistes ont choisi pour répondre à cette accusation
a été de dire: Dorénavant, puisque nous ne pouvons pas
juger, nous demanderons l'autorisation au juge Sauvé avant
d'opérer nos patients. Un certain nombre de médecins appliquent
cette façon de procéder actuellement, demandent des
autorisations.
Dans d'autres cas, cela ne tient aucunement aux médecins, cela
tient aux directives de la commission directement. Dans les cas de
physiothérapie, comme nous avons mentionné dans le
mémoire, il y a des directives précises qui exigent qu'une
autorisation soit donnée avant que ne débute le traitement. Ou
bien pour le médecin ou pour l'hôpital en question, cela veut dire
enfreindre la directive et, à ce moment-là, en subir les
conséquences, c'est-à-dire, si la commission refuse cette
autorisation, l'hôpital ne sera pas payé pour les traitements
qu'il a donnés; ou encore, cela veut dire, en attendant,
transférer les patients sur la liste des citoyens RAMQ, faire en sorte
que les places réservées à la commission ne soient pas
occupées par les accidentés et que ces
accidentés-là occupent des places qui devraient être
réservées aux autres patients.
M. Pagé: Là-dessus, Mme Lefebvre, je comprends
très bien la situation dans laquelle vous vous trouvez. Vous êtes,
par les associations qui forment votre groupe, en contact régulier et
constant avec les accidentés. Nous, de notre côté, nous
sommes ici, nous ne sommes pas dans le vécu quotidien où vous
êtes. Lorsqu'on porte des questions comme celles-là à la
connaissance de la commission, il est peut-être facile pour la commission
de nous répondre qu'il n'y a pas de problème. Mais, lorsqu'on
nous répond qu'il n'y a pas de problème, vous comprenez que nous
sommes placés dans une position délicate et difficile parfois
pour soutenir le contraire, quand, par surcroît, on a seulement quelques
cas à leur signaler. Pourriez-vous - peut-être que le Dr Chartrand
pourrait ajouter, c'est un aspect qui m'apparaît très important
dans la question des délais - faire parvenir un document à la
commission ou encore à ses membres, pour fins de réflexion et
aussi pour ajouter au débat, sur des cas analogues à ceux
auxquels j'ai référé?
Mme Lefebvre: Oui, on peut toujours le faire, cela dépend
des délais que vous nous donnerez pour le faire parce que vous
comprendrez qu'on est des associations qui vivent de subventions non
gouvernementales et nos ressources...
M. Pagé: Ce n'est pas un mal.
Mme Lefebvre: ...sont très restreintes. Il y a tellement
d'appels que les trois quarts de nos énergies sont occupées
à faire de la représentation d'accidentés devant les
bureaux de révision. Il y a énormément de nos membres qui,
aujourd'hui, ne sont pas ici parce qu'ils sont devant ces tribunaux d'appel
pour défendre les accidentés. Et c'est sûr que le temps
qu'on met à constituer des dossiers de plus grande envergure, on ne peut
pas le consacrer à défendre des accidentés. C'est ce qui
fait qu'il y a peut-être une production très inférieure
à ce que l'on voudrait de documents, d'analyses provenant de nos
associations. Ce n'est pas parce qu'on n'a rien à dire, c'est qu'on n'a
pas le temps
de les produire parce qu'on n'a pas les ressources financières
pour les produire. Mais on peut essayer de vous rassembler un certain nombre de
cas de cet ordre-là et vous les faire parvenir.
M. Pagé: On l'apprécierait.
Le Président (M. Jolivet): Simplement pour les besoins de
la cause, si jamais ce document était préparé, on le fera
parvenir au Secrétariat des commissions qui le fera parvenir à
chacun des membres de la commission.
Mme Lefebvre: D'accord.
M. Pagé: Vous avez touché, à la suite d'une
question du ministre, la notion de paritarisme. On se rappelle qu'en 1978,
lorsqu'on a étudié cette loi, le fait de pouvoir asseoir ensemble
et les représentants des employeurs et les travailleurs constituait,
pour certains autour de la table, la meilleure des garanties de résultat
qu'on pouvait espérer dans des délais assez brefs. Cela s'est
traduit dans les comités à l'intérieur des entreprises,
dans les associations sectorielles et aussi au conseil d'administration. Le
dossier que vous déposez aujourd'hui parle par lui-même et il
parle beaucoup; il dit beaucoup de choses. Vous représentez neuf
associations. Mme Lefebvre, est-ce que vous avez la conviction ou tout au moins
l'impression que vous êtes représentés au conseil
d'administration?
Mme Lefebvre: Nous ne le sommes pas assez. Je ne pense pas que le
point de vue des accidentés soit défendu à
l'intérieur des instances de direction de la commission. Je ne le crois
pas; en tout cas, on n'en voit pas les effets. S'il est
représenté, on n'en voit pas les effets. D'abord, on n'a pas
accès aux documents qui sortent du conseil d'administration; on ne nous
envoie pas cela. On ne peut pas savoir ce qui s'est dit. Ce qu'on voit c'est la
pratique courante, et la pratique courante nous démontre que le fait
qu'il y ait un conseil d'administration composé de qui que ce soit ne
change rien à la situation des accidentés actuellement. C'est de
cela qu'on part parce qu'on n'a pas accès à autre chose; on ne
sait pas ce qui se passe là.
M. Pagé: Les accidentés étant des
travailleurs, est-ce que les travailleurs que vous représentez se
sentent représentés par le fait d'avoir le président de la
Fédération des travailleurs du Québec, M. Laberge, et M.
Lavallée, de la FIPOE?
Mme Lefebvre: Ce que je peux vous dire c'est que les
accidentés ne nous disent pas qu'ils se sentent
représentés à ce conseil d'administration. J'aimerais
ajouter quelque chose. Vous parlez de paritarisme. Il y a plusieurs
façons de pratiquer le paritarisme. On parle du paritarisme dans les
entreprises où on organise des comités de sécurité
moitié-moitié, sauf que le droit de gérance en
matière de sécurité reste à l'employeur. On a
l'impression qu'on se sert de nous dans le paritarisme. On met le même
nombre de personnes de chaque côté de la table mais le droit de
gérance, le vrai droit de décision est ailleurs dans la
pièce à côté. À ce moment-là, on pense
que ces comités... Dans la pratique, on voit que des choses sont
discutées, mais soit qu'elles ne donnent pas lieu à un consensus
ou même lorsqu'elles donnent lieu à un consensus autour de la
table paritaire, quand arrive l'organisme de direction qui doit prendre les
décisions et qui a la gérance de l'entreprise, on
s'aperçoit que cela ne se réalise pas. On se pose des questions
sur cette forme de paritarisme.
M. Pagé: Les comités de santé et de
sécurité dans les industries ont un pouvoir décisionnel
limité à des champs bien spécifiques...
Mme Lefebvre: Quelle sorte de masque, quelle sorte de
bottines...
M. Pagé: C'est cela; la grandeur des bottines. C'est quand
même assez limité.
Mme Lefebvre: La couleur des habits...
M. Pagé: Merci pour le paritarisme. Cela répond
sensiblement à notre question. J'aurais une autre question pour le Dr
Chartrand. Vous pratiquez la médecine dans un milieu forestier. Selon
l'expérience que vous avez du milieu, est-ce que vous pourriez
m'indiquer les progrès... On se rappellera qu'en 1978, l'argumentation
soutenue par l'autre côté de la table était que le
législateur, au lieu d'embrasser une grande réforme de
structures, de décentralisation, d'associations sectorielles, de
comités paritaires, d'ordinateurs, de bureaux régionaux -
mettons-en parce qu'il y en a eu en masse depuis 1978 - devrait obliger la CSST
à intervenir sur une base prioritaire. Quand on dit prioritaire, ce
n'est pas en 1983, c'était en 1979, et les secteurs qu'on identifiait
à ce moment-là étaient: premièrement, le secteur de
la forêt; deuxièmement, le secteur minier; troisièmement,
le secteur de la construction. Ces secteurs nous apparaissaient comme des
secteurs où le risque d'accidents du travail était très
élevé. Qu'y a-t-il eu de fait depuis 1978 dans le domaine
forestier? Est-ce que ce qui s'est fait est concret? Est-ce que c'est une
véritable priorité ou encore si la priorité ne vient pas
seulement d'être identifiée par la CSST?
M. Chartrand: Vous me demandez de commenter tout l'aspect de la
prévention, toute la question du médecin responsable et de la
mise en application des programmes de prévention. À
Saint-Michel-des-Saints, ce n'est pas... Je sais ce qui se passe mais je ne
viens pas ici à ce titre-là. Je viens plutôt à titre
de...
M. Pagé: Raison de plus pour nous le dire, si vous savez
ce qui se passe.
M. Chartrand: Je viens ici à titre de médecin
traitant qui a vu plusieurs accidentés parce que ce sont des
bûcherons, et il s'agit d'un travail assez difficile, très
difficile même. Je ne sais pas si je peux parler de tout cela parce que
je viens ici comme médecin traitant. Si je mets à parler de leurs
conditions de travail et de programmes de prévention qui devraient se
faire et qui ne se font pas... (19 h 45)
M. Pagé: On vous invite à le faire.
M. Chartrand: Oui. Je pense que dans le secteur prioritaire,
c'est quand même commencé, quoique dans la région chez
nous, la mise en application des programmes de prévention n'est pas...
Les décisions ont été prises, mais les gens n'ont pas
encore été engagés. C'est dans la région de
Lanaudière. Cela n'est pas fait encore dans cette région. Je sais
qu'ailleurs au Québec, cela se fait. Mais quant à savoir si tout
cela va changer quelque chose, je ne peux pas vous le dire.
M. Pagé: La loi 17 est en application depuis juin...
M. Chartrand: Mais cela commence. M. Pagé: Oui,
mais...
M. Chartrand: Chez nous, cela commence.
M. Pagé: ...la loi 17 a été votée ici
au Parlement le 22 décembre 1979. Il y aura quatre ans bientôt. Si
la loi avait prévu que les secteurs prioritaires d'intervention,
c'était cela, avec des délais impartis, qu'on puisse s'asseoir
ensemble et vérifier les résultats, peut-être que vous
seriez plus avancés chez vous. Mais la loi, selon nous - et vous pourrez
commenter, si vous le jugez opportun - lorsqu'elle fut adoptée, a
convié tout le monde, tous les intervenants et surtout les gens de la
commission et de la direction de la commission à donner suite à
cette réforme globale de structure. Pour nous, on a l'impression qu'ils
ont embrassé beaucoup et que finalement... Encore cette année,
malheureusement, dans le secteur de la forêt, comme dans le secteur de la
construction, on doit vivre de malencontreux accidents qui font mal, non
seulement à l'individu, mais à la société en
général et à la famille. Êtes-vous satisfait de la
loi 17 jusqu'à maintenant?
M. Chartrand: Non, pas du tout. M. Pagé: Merci.
M. Chartrand: Tout ce que je peux vous dire, c'est que je suis
à Saint-Michel-des-Saints depuis bientôt trois ans. Je ne crois
pas que le taux des accidents - quoique ce soit une impression personnelle -
mais je ne pense pas que les accidents subis par les bûcherons aient
diminué. Je ne pense pas que leur traitement par la CSST ait
changé. Je pense qu'ils sont encore... C'est un peu tout ce qu'on vous a
décrit. On ne respecte pas nos diagnostics; on ne peut pas choisir
l'endroit du traitement. Si on pense qu'un tel hôpital ne nous convient
pas, on ne peut pas référer ces gens-là à
Montréal parce que la commission... Si on veut les envoyer à un
spécialiste dont on pense qu'il est le meilleur, c'est impossible; la
commission ne défraiera pas le coût du transport pour
l'accidenté; elle ne voudra pas qu'il aille... Enfin, selon mon
expérience personnelle, je ne pense pas que les accidents du travail
aient diminué depuis trois ans.
M. Pagé: Vous savez, les gens de la commission sont dans
les bureaux et nous, on est au Parlement. Vous, vous êtes sur le terrain,
monsieur, et on vous fait confiance. Pour ma part, je vous remercie.
Le Président (M. Jolivet): Pour terminer la séance
de cet après-midi, je demanderais au député de Viau de
conclure et ensuite au ministre.
M. Cusano: Merci, M. le Président. Encore une fois,
j'aimerais remercier Mme Lefebvre et les gens qui se sont
déplacés. Cela nous a certainement beaucoup
éclairés. On voit certains cas dans les comtés. Mais,
comme mon collègue, le député de Portneuf, le disait: Vous
vivez tous les jours ces problèmes. Et, comme mon collègue de
Portneuf vous a invités à faire parvenir des dossiers à la
commission, je vous inviterais aussi, puisque plus tard cette semaine,
certaines personnes de d'autres groupes, ainsi que le conseil d'administration
et le conseil de direction de la CSST viendront sûrement répondre
à toutes les questions que vous avez posées... Dans ce cas, je
vous invite, puisque je ne sais pas si on aura la possibilité de vous
réinviter... C'est-à-dire qu'on pourrait le faire à propos
du projet de loi 42, certainement. Mais on aimerait connaître vos
réactions aux réponses qui seront données plus tard cette
semaine. Et
compte tenu de l'heure, je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: M. le Président, très
brièvement aussi. C'est évident que je vais m'associer au
député de Viau pour remercier Mme Lefebvre, le Dr Chartrand et
tous ceux et celles qui les accompagnent, d'avoir déposé ce
rapport cet après-midi. Il est évident que nous allons le scruter
très attentivement. Il y a certainement là des choses qui vont
être utiles pour l'avenir. Je l'ai dit dans mes notes d'introduction: Il
n'y a pas de choses qui ne soient pas perfectibles, des choses qui ne peuvent
pas s'améliorer, il n'en existe pas; tout peut s'améliorer. Nous
avons commencé un exercice qui doit s'échelonner sur une
période de quatre jours. Nous allons, évidemment, avoir
l'occasion aussi de faire respecter le principe de l'audi alteram partem. Vous
avez une version, vous avez des faits précis, vous référez
à des instances décisionnelles, vous référez
même à des personnes. Vous allez comprendre que ces
personnes-là auront aussi le droit de venir s'exprimer par rapport aux
faits que vous soulevez dans votre mémoire.
Et c'est à la fin de ces quatre jours-là que nous
pourrons, à partir des analyses qui auront été faites par
tous et chacun, discerner, disséquer le genre de choses qu'il faudra
retenir pour, éventuellement, prendre des décisions.
Alors, je vous remercie également, M. le Président, et
à demain, si je comprends bien.
Le Président (M. Jolivet): C'est cela. Je vous remercie
Mme Lefebvre et M. Chartrand, ainsi que tous les autres qui les ont
accompagnés. On se souhaite un retour demain, après la
période des questions, aux affaires du jour. J'ajourne sine die.
(Fin de la séance à 19 h 51)