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Version finale

32nd Legislature, 4th Session
(March 23, 1983 au June 20, 1984)

Monday, December 12, 1983 - Vol. 27 N° 194

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Examen de l'administration et du fonctionnement de la Commission de la santé et de la sécurité du travail


Journal des débats

 

(Seize heures trente-trois minutes)

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente du travail se réunit aux fins d'examiner l'administration et le fonctionnement de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

Les membres de cette commission sont M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Cusano (Viau), M. Dean (Prévost), M. Fréchette (Sherbrooke), Mme Harel (Maisonneuve), M. Lafrenière (Ungava), M. Laplante (Bourassa), M. Pagé (Portneuf), M. Vaugeois (Trois-Rivières), M. Maltais (Saguenay), M. Champagne (Saint-Jacques), M. Baril (Arthabaska).

Les intervenants sont M. Sirros (Laurier), M. Champagne (Mille-Îles), M. Côté (Charlesbourg), M. Leduc (Fabre), M. Payne (Vachon), M. Polak (Sainte-Anne), M. Proulx (Saint-Jean).

J'aurais besoin que l'on me donne le nom d'un rapporteur pour cette commission.

M. Fréchette: M. le député d'Ungava.

Le Président (M. Jolivet): M. le député d'Ungava? M. Lafrenière?

M. Cusano: D'accord, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Merci.

Je dois vous dire que la commission est prête à examiner l'administration et le fonctionnement de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Je dois m'excuser auprès des gens qui sont actuellement entassés et leur dire qu'il était impossible de faire autrement, compte tenu que la commission doit durer, normalement, quatre jours et que le salon rouge ne sera pas disponible cette semaine. On ne pensait pas qu'il y aurait tant de gens présents à la commission aujourd'hui, de telle sorte qu'on s'excuse si on ne peut faire entrer tout le monde. Ce sont les seules salles disponibles actuellement.

Je vais donc laisser la parole au ministre et, ensuite, à M. le député de Viau, en vous rappelant que nous avons une heure trente à notre disposition. Je vous demanderais donc d'être brefs dans vos commentaires préliminaires pour laisser la chance à l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidentés du Québec de présenter son mémoire et de répondre aux questions.

Je tiens aussi à vous faire remarquer que nous allons avoir énormément de travail cette semaine et que, compte tenu de cela, il va falloir se discipliner quant à la présentation des mémoires, qui doit durer une vigtaine de minutes. On demande aux organismes qui se présentent de se limiter à 20 minutes, si possible. Je prie aussi les membres, de chaque côté de la table, de respecter la période de 20 minutes réservée au droit de parole individuel pour chacune des interventions. M. le ministre.

Remarques préliminaires M. Raynald Fréchette

M. Fréchette: Merci, M. le Président. Au moment d'entreprendre notre première période de travail sur l'administration et le fonctionnement de la CSST, j'aimerais vous livrer brièvement quelques remarques préliminaires portant, d'une part, sur la perception que je me fais du travail qui nous attend tous et, d'autre part, sur la conception que j'entretiens sur la philosophie qui a entraîné l'adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ainsi que sur l'organisme responsable de son administration, la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

M. le Président, quels sont d'abord les motifs qui ont entraîné la convocation de cette commission parlementaire? Mon prédécesseur s'était régulièrement engagé à examiner le fonctionnement et l'administration de la CSST après quelques années d'exercice. Il était même allé plus loin en précisant le moment de cet exercice: à l'occasion, avait-il dit, de l'étude en commission parlementaire de ce qui était appelé à l'époque la Loi sur la réparation des lésions professionnelles, qui est maintenant connue sous le titre de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

À l'occasion de réponses à des questions des collègues de l'Opposition, j'ai eu l'occasion de réitérer ce même engagement de tenir une commission parlementaire sur le fonctionnement et l'administration de la CSST. Sauf qu'en y réfléchissant davantage, il nous est apparu dangereux de confondre dans un même exercice l'étude des principes d'une loi et l'examen de l'administration d'un organisme.

Nous serions, sans doute, tous et toutes sortis de cet exercice un peu confus en ayant oublié les véritables enjeux de chacune des questions.

Il nous est apparu plus sage d'examiner dès maintenant le fonctionnement et l'administration de la CSST afin d'être plus attentifs aux principes fondamentaux qui animent la nouvelle loi sur les accidents du travail. Je sais, et cela sera de bonne guerre, que l'Opposition nous dira: Enfin, vous vous rendez à notre demande. Si cela peut leur faire plaisir, je veux bien mais, en tenant compte des nuances suivantes.

Chaque fois que l'Opposition criait au scandale, en quelque sorte, j'ai toujours demandé que l'on m'apporte des preuves, ce qui, dans mon évaluation, n'a pas été fait jusqu'à maintenant. Rien dans les affirmations de l'Opposition ne m'amène à penser qu'il y ait eu abus indus de la part de membres du conseil d'administration ou de la direction de la CSST.

À toutes les questions posées par l'Opposition, je crois pouvoir affirmer que nous avons donné - en demandant parfois un temps d'examen de la question - des réponses qui me paraissent satisfaisantes. Notre exercice se situe donc plus dans la perspective d'un geste gouvernemental annoncé depuis longtemps que dans la perspective qu'il y ait un scandale chaque fois que la Commission de la santé et de la sécurité au travail agit.

Notre démarche s'inscrit également dans une optique visant à favoriser l'imputabilité d'une direction d'organisme. La CSST est un organisme essentiellement paritaire et dont la direction est assumée par un conseil d'administration et les services administratifs dirigés par un président-directeur général. L'équipe ministérielle, en tout cas, voit cette commission parlementaire comme une activité parlementaire où le principal objectif sera d'identifier, s'il y a lieu, des problèmes de fonctionnement ou d'administration, et après identification, les corriger par la suite, toujours s'il y a lieu.

Nous ne croyons pas qu'aucun organisme ne soit perfectible ni qu'aucune personne soit parfaite. J'espère, par contre, à l'occasion de l'audition de groupes, que nous serons tous à la recherche de moyens d'améliorer le fonctionnement et l'administration de la CSST et non en quête de preuves à une thèse partisane. Comme, lorsque nous entendrons le conseil d'administration, j'espère que nous pourrons tous comprendre les différents niveaux décisionnels qui existent à la commission. De même - et je sais que mes collègues de l'Opposition sont impatients - lorsque nous entendrons le président-directeur général, je crois fermement que notre dignité de parlementaires au service de la population du

Québec fera qu'il n'y aura ni accusateur, ni accusé mais des parlementaires soucieux de connaître la vérité. Je crois que nous pouvons mener ce débat sereinement et je pense que c'est ainsi que les travailleurs et les employeurs du Québec seront mieux servis.

Voilà, M. le Président, pour le climat dans lequel, je vous le suggère respectueusement, cette commission devrait travailler. Il m'apparaît maintenant important de faire de la Commission de la santé et de la sécurité du travail un bilan le plus précis possible, afin que tous autour de la table, nous soyons au même point et autant que possible sur la même longueur d'onde.

La Loi sur la santé et la sécurité du travail a pour objet l'élimination à la source des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objectif. Elle crée ainsi un conseil d'administration paritaire décisionnel. Les membres du conseil d'administration sont nommés par le gouvernement, après recommandations des différentes associations patronales et syndicales reconnues. Les politiques, les programmes, la réglementation et les budgets sont de leur ressort. L'administration et la direction de la commission sont confiées au président-directeur général qui est assisté dans ses fonctions par les vice-présidents nommés par le gouvernement.

Il a fallu, pour la nouvelle commission, vivre une réorganisation régionale de même que l'engagement et l'intégration d'un nouveau personnel chargé de faire en sorte que le mandat soit administré de la même façon, avec la même philosophie dans toutes les régions. La Loi sur la santé et la sécurité du travail prévoit que l'inspection du travail est exercée entièrement par la nouvelle commission. Je rappelle que les effectifs d'inspection étaient rattachés à quatre ministères ou organismes différents: le ministère de l'Environnement, le ministère de l'Énergie et des Ressources, le ministère du Travail et l'Office de la construction du Québec. La commission a du, en conséquence, procéder à l'intégration du personnel de l'OCQ à la fonction publique.

Alors que l'inspection, par la force des choses, était mise en place sans délai, d'autant plus que c'est une fonction connue dans le monde du travail, ce n'était pas tout à fait le cas pour la prévention. C'est un mot très connu que celui de la prévention, mais de là à en connaître toutes les articulations possibles dans le domaine du travail et à inciter les parties patronale et syndicale à regarder ensemble du côté de la prévention, c'était autre chose.

(16 h 45)

N'ayant aucune tradition, au Québec, au plan de la participation, tout était à faire. Il n'était pas question, pour le personnel de la CSST, de se substituer aux parties. Il fallait leur donner le temps, sinon cette réforme en santé et en sécurité du travail, qui était le voeu du gouvernement encore une fois, aurait été impensable. Petit à petit, au rythme de chacun, les partenaires ont appris, non seulement à travailler ensemble, mais à se parler et à écouter. Certains secteurs sont plus avancés que d'autres. Ceux, surtout, qui ont déjà leur association sectorielle et qui travaillent ensemble à régler les problèmes communs à leur secteur.

M. le Président, vous le savez, la création d'une association sectorielle se fait sur une base volontaire selon, bien sûr, la volonté des deux parties. La loi prévoit, cependant, une exception pour le secteur de la construction où l'association sectorielle est obligatoire.

Actuellement, six associations sectorielles sont en place. L'association sectorielle du secteur des affaires sociales, l'association sectorielle du secteur du transport et de l'entreposage, l'association sectorielle du secteur des services automobiles, celle du secteur de l'industrie des textiles primaires, celle du secteur de l'imprimerie et des activités connexes, celle du secteur de l'administration publique.

On estime que deux autres associations seront mises en route au printemps de 1984: celle du secteur des produits en métal et celle de la fabrication d'équipements de transport et de machinerie.

Par contre, d'autres, dans des secteurs très importants, ne sont pas encore en place parce que les parties patronale et syndicale ne s'entendent pas et, dans certains cas, depuis fort longtemps. Compte tenu qu'elles sont volontaires, il faut donc attendre une entente. Ce sont les secteurs des affaires municipales, de la forêt, de la scierie, des pâtes et papiers, des bois et meubles, des aliments et boissons, des mines et de la première transformation des métaux.

M. le Président, l'expérience des autres pays démontre qu'il faut un minimum de cinq ans pour mettre une telle mesure législative en application. Le Québec, croyons-nous, l'aura fait en trois ans. Il ne reste que 24 articles de la loi à proclamer, ce qui devrait être fait, nous l'espérons, dans les prochains mois. Il s'agit des articles sur le représentant à la prévention et des articles concernant la construction.

Le Québec peut donc être satisfait de la diligence dont ont fait preuve les autorités de la commission, son conseil et son comité administratif mais aussi, peut-être surtout, il doit être fier du fait que les partenaires du monde du travail réalisent l'importance de prendre leurs problèmes en main et de trouver ensemble des solutions pour qu'enfin on élimine à la source les dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs.

Pour éviter de créer, comme c'est le cas en France par exemple, et sans garantie d'efficacité, un réseau parallèle de médecine du travail, le gouvernement a prévu, dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail, une étroite collaboration avec les départements de santé communautaire du réseau des affaires sociales. Ceux-ci existant dans toutes les régions, c'était, évidemment, un avantage de plus.

La CSST a donc, comme le prévoit la loi, signé des contrats avec les DSC pour les services nécessaires à la mise en application des programmes de santé dans les établissements de leur territoire respectif. 783 postes ont été octroyés aux DSC pour les besoins de l'application de la Loi sur la santé et la sécurité des travailleurs.

M. le Président, vous savez déjà que c'est le médecin responsable des services de santé d'un établissement qui doit élaborer le programme de santé de celui-ci et le soumettre au comité de santé et de sécurité pour approbation. C'est évidemment aussi ce que je voulais dire quand je parlais de parité à tous les niveaux. Les décisions ainsi prises au cours d'un processus de cheminement paritaire sont certainement mieux acceptées et plus facilement mises en application par les mêmes parties que si ces décisions leur étaient imposées.

Au début des années quatre-vingt, la récession économique a obligé la commission à réexaminer son mode de financement pour alléger les cotisations des employeurs et permettre de réinjecter dans l'économie autant de millions non cotisés. La permanence de la commission s'est penchée très attentivement sur son mode de financement et sur sa capitalisation. C'est ainsi que, sans toucher à la sécurité des travailleurs qui ont droit à des prestations ou à des rentes, sans mettre en péril les réserves de la commission, la permanence a proposé au conseil d'administration un mode de financement qui, pour les cinq prochaines années, capitalisera à 90% au lieu de 100% et, qui pour les cinq années suivantes, reviendra à 100% à raison de 2% par an. Cette politique assure un taux moyen stable entre 1,70 $ et 1,90 $ et permet de réinjecter 450 000 000 $, au minimum, dans l'économie du Québec sur une période de dix ans.

Quant à l'effectif de la commission, il était de 1863, avec 150 occasionnels en 1977, au moment de la régionalisation. D'ailleurs, celle-ci a été faite sans aucune augmentation d'effectif, et je pense qu'on ne le dira jamais assez souvent. Au moment de la naissance de la CSST, celle-ci a obtenu 268 postes pour son mandat de prévention,

plus un certain nombre d'autres pour la phase d'implantation et le démarrage; une centaine au système et les autres à l'administration et au bureau de révision. L'inspection du travail regroupait 387 postes qui furent aussi affectés à cette nouvelle commission.

M. le Président, vous savez déjà, puisque cela a été dit le printemps dernier, que la commission a remis des postes au Conseil du trésor. D'ailleurs, mon collègue, le président du Conseil du trésor, écrivait au président-directeur général, M. Sauvé, récemment en le félicitant d'une réduction totale de 100 postes au cours des quinze derniers mois. Il s'agit là, écrit le président du conseil, d'un effort substantiel réalisé par votre organisme et je ne puis que vous en féliciter.

Les postes autorisés sont maintenant de 2694, y compris les 367 postes de l'inspection. 2558 postes sont occupés, y compris encore une fois l'inspection. Si l'on soustrait de ce nombre les 367 postes occupés par l'inspection, la commission compte 2191 postes occupés, soit exactement 328 personnes de plus qu'en 1977.

Quant à la mécanisation des opérations de la commission, elle est réalité dans le domaine des finances, de la réparation, de la prévention et de l'inspection, de la comptabilité et de la gestion du personnel.

Voilà, M. le Président, un tableau rapidement brossé de cet organisme qu'on a trop tendance à traiter de grosse machine inaccessible, ce qui est très facile à faire quand on ne se renseigne pas ou alors quand on n'est pas intéressé à écouter ou à entendre les réponses.

En terminant cette première partie de mon exposé, je voudrais citer les principaux éléments d'un éditorial paru récemment dans un quotidien de Montréal et qui pose bien le problème de cette commission parlementaire sur l'administration et le fonctionnement de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. S'agit-il, disait l'éditorialiste, de prendre la défense des accidentés du travail victimes d'injustices? S'agit-il plutôt de faire écho aux revendications du patronat qui finance entièrement un régime qu'il estime trop coûteux pour l'entreprise? S'agit-il d'une vendetta personnelle contre l'ancien secrétaire général de la CSN, sous-ministre du Travail, puis président de la Commission des services juridiques, que l'on présente volontiers comme un ambitieux "empire builder"? S'agit-il de la poursuite de la campagne menée par l'Opposition lors du débat qui a précédé l'adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail? S'agit-il de se porter à la défense des membres de certaines corporations professionnelles dont les pratiques ont été remises en question par le président-directeur général de la CSST? Ou s'agit-il tout simplement d'un des éléments d'une campagne plus large visant à discréditer les réalisations du gouvernement en place? Ou, s'agit-il d'un peu tout cela à la fois et d'autres choses encore?

J'ajouterais pour terminer que, comme cet éditorialiste, je pense et je souhaite qu'on puisse évaluer le niveau de maturité et le sens des responsabilités des membres qui composent cette commission. Comme lui, je ne peux m'empêcher de souhaiter que cela se fasse sans scène disgracieuse.

Nous allons, M. le Président, vivre quatre jours ensemble. Je voudrais - et je suis sûr que c'est le voeu de tous les membres de la commission - que cela se fasse sereinement et dans un esprit positif.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Viau.

M. William Cussano

M. Cusano: Merci, M. le Président. Je serai très bref dans mes remarques préliminaires parce qu'il est présentement 17 heures et que la commission ajournera ses travaux à 18 heures. Je ne prendrai pas mon plein droit de parole à ce moment-ci.

Cette commission a été convoquée à la suite de plusieurs demandes de la part de l'Opposition. Elle a pour but, en ce qui me concerne, d'examiner très précisément les problèmes ou même les abus que vivent les gens qui font affaire avec la CSST, soit du côté des personnes qui ont subi des accidents du travail ou des personnes qui sont en place au jour le jour.

J'ose espérer que l'on accordera à ces organismes tout le temps nécessaire pour qu'ils puissent s'exprimer et qu'on ne s'attachera pas à des règles parlementaires pour leur couper la parole. C'est pour cela, comme je l'ai dit tout à l'heure, que je serai très bref dans mes remarques préliminaires.

Lors des débats sur la loi 17, l'Opposition et plusieurs intervenants ont mis le gouvernement en garde qu'une réforme de structure... En ce qui nous concerne, la formation de la CSST n'a été qu'une réforme de structure. Cette réforme, d'aucune façon n'améliorait le sort des accidentés du travail. Plutôt que de se lancer - on l'a suggéré dans ce débat - dans une réforme globale, universelle, le gouvernement, dans un premier temps, aurait dû déterminer les secteurs prioritaires d'interventions et y intervenir de façon adéquate.

L'approche donnée avec les moyens pour parvenir à l'ultime objectif - je suis d'accord avec le ministre lorsqu'il dit que l'objectif ultime est la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs et aussi, la cessation ou la diminution des accidents à leur source - nous semble ne pas s'être réalisée. Elle ne s'est pas réalisée car on remarque, d'après les rapports annuels, que

le nombre d'accidents ou de demandes de prestations n'a fait qu'augmenter. (17 heures)

Malheureusement, si on peut faire un petit résumé de ce qui a été dit par l'Opposition et par les intervenants lors du débat sur la loi 17, ces personnes semblent avoir été des prophètes. On disait que ce n'était pas une nouvelle structure qui allait améliorer la situation, et on le vit aujourd'hui.

Cette lourdeur administrative que tout le monde avait reconnue à l'ancienne Commission des accidents du travail, il nous semble qu'elle se continue à la CSST. On peut le constater en jetant un coup d'oeil sur les rapports annuels. On remarque que les frais d'administration étaient, en 1976, de 30 000 000 $; on s'aperçoit qu'en 1982 ce chiffre est passé à 95 000 000 $. Les frais de déplacement du personnel en dedans de la CSST étaient, en 1976, de 763 000 $ et, en 1982, c'est rendu à 4 000 000 $. Les contrats de services et d'informatique, toutes ces belles machines qui sont censées aider l'accidenté du travail et expédier son dossier, en 1976, on se satisfaisait d'un budget de 800 000 $ et, aujourd'hui, on est rendu à un budget de 8 000 000 $. Les appels téléphoniques, les télégrammes, les postes et messageries, encore en 1976 on se contentait de 832 000 $ et aujourd'hui, c'est-à-dire en 1982, parce qu'on ne sait pas exactement quels seront les coûts en 1983, ce chiffre est de l'ordre de 5 000 000 $.

Lorsqu'on parle des postes occupés à la CSST, oublie-t-on, volontairement ou non, les autres postes indirects qui font du travail pour la CSST? On y reviendra lorsque les intervenants en question seront présents devant nous.

Alors, les chiffres que j'ai cités et que l'on retrouve dans les rapports annuels porteraient à première vue à conclure qu'avec la régionalisation, l'achat d'équipement en informatique, l'augmentation de l'effectif, tout cela devrait donner un meilleur service à la clientèle, que ce soit les accidentés, les syndicats ou les employés.

On aurait pu penser, en examinant tout cela, qu'au Québec il y aurait une diminution d'accidents. Au contraire, on s'aperçoit que les accidents n'ont fait qu'augmenter, c'est-à-dire que les demandes de prestations n'ont fait qu'augmenter depuis que la CSST a été créée.

J'ose espérer, M. le Président, qu'au cours de cette commission parlementaire on pourra avoir des réponses complètes, car les questions qu'on a posées en Chambre, celles qu'on a posées à l'étude des crédits du ministre du Travail et lors de la question avec débat, en mai 1983, demeurent pour la plupart sans réponse. Je pourrais à ce moment-ci souligner que les brèves réponses à ces questions qu'on a soulevées, il y a au- delà d'un an, me sont arrivées à mon bureau ce matin. Je peux vous dire qu'elles ne sont pas exactement très précises et très concrètes.

Le ministre a dit que c'est son intention de voir à l'amélioration du fonctionnement de la CSST. C'est justement dans ce but qu'on a posé des questions très précises. On a demandé jusqu'où l'objectif établi par le législateur, qui était justement de diminuer les accidents à la source même, avait été atteint. On a demandé aussi de nous donner la ventilation des objectifs qui ont été établis chaque année. Il me semble que, dans une saine administration, on se donne des objectifs au commencement de chaque année. Il est aussi raisonnable qu'à la fin d'une année on en fasse une évaluation. Cela, M. le Président, c'est encore une question qui demeure sans réponse.

Des statistiques sur les comités de santé et de sécurité du travail dans les entreprises. Nous savons très peu comment cela fonctionne. On nous dit que certains comités fonctionnent, mais il y en a d'autres qui ne fonctionnent pas. On se pète un peu les bretelles en disant que tout va bien. Mais je suis sûr qu'au cours des quatre jours on pourra constater que tout n'est pas beau et rose.

En parlant des autres groupes qui sont impliqués dans toute cette démarche, par exemple, le département de santé communautaire, les centres locaux de services communautaires par région, nous avons demandé jusqu'où l'action était intégrée. Est-ce que tout le monde travaillait ensemble ou est-ce que la CSST de son côté faisait son petit boulot et les autres faisaient leur boulot de leur côté? On a voulu savoir s'il y avait un système de coordination. Encore, M. le Président, les réponses à ces questions ne sont pas très claires.

On a aussi posé des questions concernant les programmes spéciaux sur des politiques dérogatoires. Selon nos informations, nous avons pu nous apercevoir qu'il y a une grande variation entre une région et une autre. Je trouve que ceci est totalement inacceptable.

On a aussi demandé de nous expliquer de façon très concrète le programme de prise en charge, de nous en donner les coûts et de nous dire de quelle façon ce programme aidait la situation des accidentés. Jusqu'à maintenant, M. le Président, nous demeurons sans réponse.

Je termine sur les questions qu'on a posées concernant les services professionnels. Comment expliquer le programme d'achat de services professionnels, qui permet à la CSST d'aller chercher un spécialiste, ou quelque chose qui permet d'engager des agents de bureau? Pourquoi a-t-on posé ces questions? C'est parce qu'on voulait savoir exactement

comment cette boîte était administrée et ce qui permettait justement d'aller chercher indirectement du surplus de personnel qui n'était pas autorisé.

J'ai dit que je serais très bref pour permettre aux gens de présenter leur mémoire. C'est donc avec cela que je termine et je reviendrai plus tard avec d'autres remarques. Merci.

Le Président (M. Jolivet): Je cède la parole au député de Portneuf.

M. Michel Pagé

M. Pagé: M. le Président, très brièvement, je voudrais à ce moment-ci, immédiatement, donner l'assurance aux personnes qui nous visitent cet après-midi et qui ont déposé leur mémoire, l'Association des travailleurs et travailleuses accidentés du Québec, qu'on pourra prendre tout le temps qui sera nécessaire pour les entendre.

Je comprends qu'on a un échéancier, qu'on a un programme, mais j'ai cru comprendre, par la motion présentée par l'honorable leader du gouvernement en fin d'après-midi, qu'on ne siégeait pas ce soir. Les travaux ici en commission parlementaire devant reprendre vers 20 heures, c'est donc dire que la salle doit être libérée vers 19 h 30. Je présume et je crois qu'on pourra prendre le temps qu'il faudra.

M. Fréchette: ...18 heures.

M. Pagé: Malgré qu'on débordera 18 heures de quelques minutes.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Cela nous prend seulement le consentement unanime.

M. Pagé: Oui.

Une voix: Consentement.

M. Pagé: Alors il est déjà donné et acquis.

M. le Président, pourquoi j'interviens à la suite de mon collègue, M. le député de Viau, qui est le porte-parole de notre groupe politique dans ce dossier? C'est que j'ai eu l'occasion de siéger pendant près de 60 jours, si ma mémoire est fidèle, en 1978 pour entendre les intervenants qui étaient intéressés par la loi 17, à l'époque, créant la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

Depuis quelques mois il est exact que notre groupe politique s'est inquiété de certaines situations. Notre groupe a soulevé des questions à l'Assemblée, que ce soit lors de la période de questions, que ce soit en vertu de la procédure de la question avec débat du vendredi matin, que ce soit enfin lors de l'étude des crédits du ministère du Travail, fin mai et début juin dernier.

M. le ministre, vous avez fait référence tout à l'heure à un article d'un grand journal de Montréal qui posait des questions, des hypothèses sur la raison d'être d'une telle commission, ce qu'elle pouvait devenir et ce qu'elle risquait de devenir. Vous en avez référé à un test de la loi 17 et à une "vendetta" à l'égard du directeur ou de l'administration. Je voudrais vous répondre bien clairement, bien précisément, ceci: En 1978, lorsque les membres de l'Assemblée nationale, lorsque le Parlement a eu à se pencher sur la question des accidents du travail au Québec, on avait le malheureux constat devant nous que des milliers et des milliers de travailleurs et de travailleuses devaient, malheureusement, subir un accident du travail dans le cadre de leur travail chaque année. On était à même de constater, par les témoignages combien éloquents que nous avons entendus à ce moment, comment les accidents du travail pouvaient être coûteux pour le citoyen qui avait à subir un tel dommage d'un tel accident, quel traumatisme cela pouvait impliquer, quel problème concret dans le vécu quotidien cela pouvait comporter, quel problème de réadaptation au travail, de réintégration sur le marché du travail. On était à même d'entendre, à juste titre, je crois, des critiques fondées sur le fait que l'accidenté est bien isolé, se sent seul et très dépendant de l'ensemble de ce système, de ces moyens et de ces méthodes qui lui sont offerts à titre d'indemnité.

L'objectif, c'était, premièrement, une première prévention. Tout le monde était animé par une volonté d'avoir moins d'accidents au Québec. L'objectif était, par conséquent, une diminution substantielle du nombre d'accidents au Québec. Un autre objectif, tout à fait louable, c'était d'introduire une notion de concertation entre les parties concernées et d'où, l'enclenchement de tous les mécanismes dans la loi de paritarisme.

L'objectif, c'était une meilleure inspection pour qu'il y ait moins d'accidents et qu'il y ait moins de gens qui aient à souffrir des dommages physiques. C'était le droit de refus, l'intégration des quatre services d'inspection.

L'objectif, c'était que les gens s'asseoient ensemble et créent, constituent des associations sectorielles pour mieux travailler ensemble à des objectifs communs de prévention.

L'objectif, c'était une meilleure recherche des causes d'accidents du travail au Québec afin d'y apporter les correctifs.

C'était tout cela, les objectifs. Et il y aura bientôt cinq ans qu'on a eu l'occasion de discuter de l'ensemble de ces sujets ici à l'Assemblée. Il y a quatre ans que la loi est

en vigueur. Vous me répondrez que des pans entiers de la loi ont été adoptés sur proclamation et que cela est tout récent. J'en conviens. Cependant, on doit convenir, ceux qui ont la chance de relire les débats de cette commission, plus particulièrement des engagements formulés à l'époque par le gouvernement et plus spécifiquement par l'honorable ministre du Travail de l'époque, M. Marois, sont à même de constater les échéanciers et tout ce à quoi le gouvernement et la commission s'étaient engagés par l'adoption de cette loi.

Quatre ans plus tard, loi en vigueur, loi adoptée. Efforts très appréciables déployés par les intervenants tant patronaux que syndicaux. Capital humain, capital financier très significatif d'investis à la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Nous sommes en droit de nous asseoir ensemble et de réfléchir, d'analyser, de scruter et possiblement de conclure à la fin de nos travaux sur ce qui s'est fait jusqu'à maintenant.

Malheureusement, on doit vivre aujourd'hui encore une situation qui, j'en suis persuadé, sera longuement évoquée - ce sera juste et raisonnable et explicable que des cas aussi pénibles soient portés à notre attention cet après-midi - par ces dames, ces hommes, ces gens qui nous visitent aujourd'hui et qui nous visiteront demain. Il y en a encore trop d'accidents au Québec. Il y a trop de personnes qui doivent subir et un accident et aussi le traumatisme de cet accident et les effets de cet accident dans leur sécurité de revenu et dans leur sécurité personnelle, leur vie durant.

Nous sommes en droit de nous poser des questions. C'est pourquoi la commission qui amorce ses travaux aujourd'hui, elle est légitimée, elle est normale, elle est explicable. Nous sommes justifiés d'avoir demandé cette commission, comme nous acceptons et nous témoignons notre appréciation à l'égard du ministre du Travail qui a accepté qu'on puisse siéger ici avant d'amorcer l'étude et d'entendre les groupes concernés ou intéressés par le projet de loi 42, en janvier ou en février prochain.

Je terminerai. La grande question est de savoir... On doit se poser ensemble la question suivante: Est-ce que la Commission de la santé et de la sécurité du travail a rempli le mandat qui lui a été confié par l'adoption de la loi 17 à la fin de 1978, début 1979? C'était non seulement un mandat, c'était un défi que l'ensemble de la société du Québec se devait de relever à ce moment. Est-ce que le défi a été relevé? Jusqu'où a-t-il été relevé? Et pourquoi n'a-t-il pas été complètement ou encore mieux relevé depuis? Ce sont les grandes questions qu'on est en droit de se poser et qu'on se posera. (17 h 15)

Je terminerai en vous indiquant que le rôle de notre groupe est de s'assurer que tous les moyens, humainement, administrativement, tous ces moyens pourront être pris dans l'avenir pour que le Québec puisse vivre une réduction, non seulement substantielle, mais très significative du nombre des accidentés, de ceux et celles qui ont à souffrir des préjudices qui seront clairement évoqués devant cette commission, j'en suis convaincu. Le rôle de notre groupe, c'est de s'associer à cette démarche; on va s'y associer. Le rôle de notre groupe n'est pas de faire le procès de qui que ce soit et d'avoir la tête de quiconque; on n'est pas particulièrement intéressé par la tête de quiconque, ni par celle du président-directeur général. Je peux vous en donner l'assurance, M. le Président. Nous sommes ici pour remplir le mandat et la responsabilité qui nous incombe de représenter des citoyens et des citoyennes qui sont en contact avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail. On ne fait que remplir le boulot qui nous a été confié par le mandat qu'on a reçu de la part de ceux qui paient notre salaire à même leurs impôts.

Je voudrais, à cet égard, M. le ministre, porter à votre attention - et je termine là-dessus... Je voudrais donner une assurance à M. le juge Sauvé, le président-directeur général qui, dans sa note du 1er mai 1983 - il y a une note du bureau du P.-D.G. - disait ceci, à la page 4: "La meilleure façon de répondre aux critiques, surtout quand elles sont aussi partiales, biaisées et mal étayées que celles qui illustrent trop souvent le discours parlementaire en ce qui nous concerne, c'est d'améliorer sans cesse la qualité de sa gestion."

Je dirai deux choses: Nous sommes d'accord avec le fait que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit améliorer sans cesse la qualité de sa gestion. Il est apparu clairement à la lumière des questions et des faits qui ont été portés à notre attention que vous avez un bon bout de chemin à faire dans ce sens et on vous encourage à le faire. Et tout ce qu'on pourra faire pour vous aider à y arriver, on le fera. En ce qui concerne le fait que nos critiques seraient partiales, biaisées et mal étayées, je vous rappelle que nous sommes ici pour remplir le mandat qui nous est confié, la responsabilité qui nous incombe, et que, tant que nous serons sensibilisés par des problèmes vécus par les accidentés comme nous le sommes dans nos comtés respectifs, nous allons continuer à faire notre job et ce ne sont pas des critiques comme celles-là qui vont nous arrêter.

M. le Président, je termine en vous disant que j'ai pris seulement huit minutes. Nous sommes bien heureux, nous aurons plusieurs groupes et j'ose espérer, comme le

ministre, que cela pourra se faire dans un climat serein, dégagé et contributif de part et d'autre.

Avant de terminer, j'apprécierais, si c'est possible pour le ministre, qu'il nous présente les gens de la Commission de la santé et de la sécurité du travail qui sont ici pour répondre à des questions éventuelles. Nous apprécierions pouvoir les connaître et connaître aussi les responsabilités qui leur incombent à l'intérieur du conseil. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Est-ce que M. le ministre répond à cette question?

M. Fréchette: M. le Président, la motion adoptée par l'Assemblée nationale prévoyait que les membres du conseil d'administration et les membres du comité de direction allaient être à la disposition de la commission. Alors, il y a, bien sûr, le président-directeur général, M. Sauvé, M. Lionel Bernier, vice-président à la réparation, M. Bertrand, vice-président à l'inspection et à la prévention. Quant aux autres, M. le Président - vous allez voir que je n'interviens pas souvent... M. Sauvé, oui.

De Québec, M. Tremblay, directeur des ressources humaines, M. Justin Pilote, directeur de la programmation budgétaire, M. Jean-Claude Dallaire, directeur des services juridiques, Mme Kerjean, adjointe du président, M. Fournier, directeur régional de Québec, M. Boucher, directeur des services financiers à Québec, M. Bélanger, directeur des services informatiques des systèmes à Québec, M. Claude Saint-Pierre, directeur de l'hygiène à la prévention, M. Jean-Claude Dionne, directeur des services réseaux à la prévention, M. Jean-Guy Lockquell, directeur des opérations à la réparation.

Le Président (M. Jolivet): Ceci étant dit, avant d'inviter le premier groupe à se faire entendre, j'aimerais, à titre de président de la commission, bien établir les faits puisque nous allons être ici pendant quatre jours. Il est possible qu'un autre président soit nommé en cours de route, parce que celui que je remplace ne pouvait être ici aujourd'hui. J'aimerais vous dire que les règles normales des commissions parlementaires s'appliquent, c'est-à-dire que nous demandons aux membres qui viennent présenter des mémoires de s'astreindre à une période de 20 minutes pour la présentation de leur mémoire. Ensuite, chacune des personnes doit, en alternance, d'un côté et de l'autre de cette table, avoir un droit de parole, incluant les questions et les réponses, de vingt minutes, de façon qu'on puisse procéder équitablement. Et, aussi, en tenant compte du fait qu'on vient de m'avertir qu'il y a consentement pour que les travaux puissent durer plus longtemps que vers 18 heures, afin de finir le travail avec le groupe qui est ici cet après-midi. On pourra donc ajourner nos travaux au plus tard à 19 heures ou à 19 h 30, selon les besoins. On verra à ce moment-là. On peut se donner une heure de répit, 19 heures. Parce qu'il faut aller souper et recommencer à 20 heures à d'autres endroits.

On se donne jusqu'à 19 heures et, selon les besoins, on verra si on ajourne plus tôt ou plus tard.

J'invite donc Mme Marie-Claire Lefebvre, qui est l'une des membres du comité de coordination de l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidentés du Québec (ATTAQ), à nous présenter les personnes qui l'accompagnent et aussi à procéder à la lecture de leur mémoire.

Auditions ATTAQ

Mme Lefebvre (Marie-Claire): M. le Président, malgré le peu de temps qui nous est alloué, nous demandons à cette commission, d'abord, de tenir une minute de silence en mémoire des travailleurs et des travailleuses victimes d'accidents et de maladies du travail.

Je vous présente donc un autre membre du comité de coordination de l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidentés du Québec (ATTAQ): Mme Hélène D'Arcy, du comité des travailleurs et travailleuses accidentés de l'Estrie. Le troisième membre du comité de coordination qui devait venir ici est le Dr Arnold Aberman. Il en a été empêché à cause de la température et il sera remplacé, pour la circonstance, par le Dr. Bernard Chartrand, du CLSC de Saint-Michel-des-Saints, assis à ma droite.

Ce mémoire présente la position de l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidentés du Québec qui regroupe neuf associations d'accidentés du travail. De Montréal, l'Union des travailleurs accidentés de Montréal (UTAM) et le Comité des travailleurs et travailleuses d'Hochelaga-Maisonneuve; de l'Estrie, le Comité des travailleurs accidentés de l'Estrie; de Valleyfield, le Comité d'appui aux travailleurs accidentés (CATA); de l'Outaouais, le Comité des accidentés de l'Outaouais (CTAO); du comté de Berthier, l'Association des travailleurs accidentés du Petit Brandon et l'Association des travailleurs accidentés du Mattawin, région de Saint-Michel-des-Saints; de Joliette, le Comité des travailleurs accidentés de Joliette-Lanaudière; de Thetford, le Comité d'appui aux travailleurs et travailleuses accidentés de la région de l'amiante (CATTARA).

Vous voyez, dans la présentation du mémoire, à la page sommaire... Nous

interviendrons principalement sur trois grandes questions, c'est-à-dire sur l'exercice des pouvoirs de la commission en matière médicale, en matière de réadaptation sociale et en matière d'appel. Je vais simplement vous dire comment fonctionne ce mémoire. Vous aurez remarqué qu'il comporte 29 pages seulement comme mémoire. Le reste du texte est un ensemble d'annexes qui viennent illustrer les affirmations contenues dans le mémoire. Il est bien important de comprendre que ce ne sont que des illustrations, des exemples particuliers qui reflètent, selon nous, une pratique courante. Il était impossible de mettre plus d'exemples. C'était une question pratique. Ces exemples ne sont pas des exemples exceptionnels. Ce ne sont pas des exemples particuliers. On aurait pu, pour chacun d'eux, les accompagner d'une série d'autres exemples de même nature.

L'administration et le fonctionnement de la CSST: C'est un sujet bien vaste pour une commission parlementaire de quatre jours, dont deux seront entièrement consacrés à l'audition des dirigeants et administrateurs eux-mêmes, c'est-à-dire de ceux qui assurent ou cautionnent ce fonctionnement.

Pour leur part, les victimes d'accidents et de maladies du travail, dont le nombre dépasse les 300 000 chaque année, considèrent qu'on leur laisse bien peu de temps pour soulever le voile sur l'appareil gigantesque qui statue sur leurs droits et sur leur vie à la suite d'un accident.

Deux heures pour tout dire sur 50 ans de mépris! On entend déjà protester: "La CSST n'a pas 50 ans d'existence! À peine 4 ans! Il ne faut pas confondre CAT et CSST. La commission s'occupe maintenant d'inspection, de prévention. Son administration repose aujourd'hui entre les mains des parties. Parlez-nous de la CSST d'aujourd'hui.

À dire vrai, ces changements ne nous ont pas beaucoup frappés. La plupart d'entre nous n'ont jamais vu un inspecteur de la CSST dans leur entreprise où le mot d'ordre patronal de prudence tient encore lieu de toute prévention.

Quant à la commission elle-même, chargée aussi de l'indemnisation des victimes d'accidents et de maladies du travail, elle n'a pas changé de nature en changeant de nom et en changeant de forme. En tant que mutuelle d'assurance patronale dotée des pleins pouvoirs en matière de réparation, elle continue, comme la CAT l'a toujours fait, d'interpréter nos droits en fonction des intérêts de ses cotisants. À la veille d'un débat public sur un projet de loi, le projet de loi 42 qui vient consacrer et accroître démesurément les pouvoirs de cette commission, il est d'une extrême importance de faire la lumière sur le fonctionnement de la CSST en matière de réparation.

En tant que regroupement d'accidentés, nous allons nous en tenir à la section réparation de la CSST; nous n'interviendrons pas sur l'aspect prévention et inspection. Comment la CSST exerce-t-elle les pouvoirs qui lui sont confiés en matière de réparation par le législateur? Au profit et au détriment de qui le fait-elle? Quels appareils, quels mécanismes a-t-elle mis en place jusqu'ici pour assurer l'application de ses politiques? Comment traite-t-elle les accidentés du travail? C'est à l'étude de ces questions que sera consacré notre mémoire. Nous ne nous arrêterons pas au fonctionnement quotidien, à la routine technique ou administrative de chacun des services, tout d'abord parce que ce fonctionnement subit des modifications à peu près tous les trois mois, ensuite et surtout parce que ces diverses méthodes de gestion ne sont que des variantes infinies d'une même politique. Nous concentrerons notre intervention sur le fonctionnement des appareils dotés de pouvoirs réels ou jouissant d'une certaine permanence, soit l'appareil médical, le service de réadaptation et les bureaux de révision.

Quel est le mandat de la CSST en matière de réparation? C'est un double mandat: recueillir et administrer les fonds patronaux, indemniser les victimes d'accidents et de maladies du travail selon les termes de la loi. Dès sa naissance, la Commission des accidents du travail du Québec se voyait confier par le législateur tous les pouvoirs lui permettant de remplir ce double mandat. Cinquante ans plus tard, ses pouvoirs étaient transférés à la Commission de la santé et de la sécurité du travail et la CAT se voyait, à toutes fins utiles, remplacée par la section réparation de ce gigantesque organisme chargé non seulement de l'application de la loi mais aussi de son interprétation. Ceux qui sont chargés d'énoncer les politiques de la commission et d'émettre les directives pour leur application sont ceux-là mêmes qui gèrent les fonds patronaux. Dans ces circonstances, il n'est pas étonnant de constater que les impératifs d'économie aient toujours prévalu sur le respect des droits des accidentés du travail. Un système fondé non pas sur le droit de la victime, mais sur la supposée capacité de payer de l'agresseur aboutit aux pires aberrations.

Par exemple, pendant 50 ans, profitant de ses pouvoirs discrétionnaires, la commission s'est permis impunément d'enfreindre la loi en omettant d'appliquer le paragraphe 4 de l'article 37, qui est aujourd'hui l'article 38. Cet article statue sur la façon de fixer le pourcentage d'incapacité permanente d'un accidenté en tenant compte non seulement de son déficit physique, mais aussi de son déficit de capacité de travail. Tous les accidentés pendant 50 ans se sont donc vus privés de la

reconnaissance d'un pourcentage de déficit de capacité de travail, que la loi leur reconnaissait pourtant en droit, et des indemnités correspondantes.

Même si la lumière est aujourd'hui faite sur cette imposture, la commission refuse encore de rouvrir les dossiers des dizaines de milliers de victimes encore vivantes qui ont subi et subissent encore les conséquences de ces politiques illégales. Lorsque nous avons revendiqué la réouverture de ces dossiers, le patronat a jeté les hauts cris. La commission s'est portée à leur rescousse prétextant que le patronat actuel n'avait pas à être pénalisé pour les erreurs dont il n'est pas responsable. Les accidentés, eux, sont pourtant pénalisés. Seraient-ils donc les responsables de cette odieuse machination?

À partir de 1980, à la suite d'un bref d'évocation accordé par la Cour supérieure et confirmé par la Cour d'appel, la CSST fut obligée d'appliquer dans son intégralité l'article de loi 38.4 qu'elle n'avait pas appliqué pendant 50 ans. Toujours soucieuse de ménager les fonds patronaux, elle a alors mis au point un projet de règlement contenant une formule d'évaluation à rabais des déficits de capacité de travail des accidentés. Sur la recommandation du conseil d'administration de la CSST en juin 1980, ce projet de règlement paraissait en prépublication à la Gazette officielle du 8 avril 1981. (17 h 30)

Les accidentés, dans tout le Québec, ont dénoncé avec force la teneur de ce projet de règlement dont ils ont pris connaissance en décembre 1980 et ont exigé son retrait immédiat. L'ATTAQ a produit d'ailleurs à cette époque un autre document portant sur le projet de règlement A30-80 pour dénoncer les systèmes d'évaluation qui étaient contenus dans ce projet de règlement.

Les syndicats sont intervenus dans le même sens; le gouvernement nous donnait finalement raison en retirant le projet. Mais, ironie du sort, la commission, qui a les pleins pouvoirs d'émettre et d'appliquer ses propres politiques et directives, continue, encore aujourd'hui, de l'appliquer à la lettre tant en première instance que dans ses bureaux de révision. Pour échapper à cette directive interne, les accidentés doivent se rendre jusqu'au dernier palier d'appel, à la Commission des affaires sociales qui, elle, s'en tient à l'application de la loi et des règlements, mais les délais d'appel à la CAS sont actuellement de deux ans.

Comment expliquer que la CAS, qui ne nous semble pas avoir fait preuve jusqu'ici d'une générosité excessive, reconnaisse des pourcentages d'incapacité permanente de 20%, 50%, 80% ou 100% à des accidentés dont l'incapacité avait été évaluée par la CSST à 2%, 5%, 15% et 25%?

Pourquoi ce parti-pris systématique de la CSST d'interpréter à la baisse, de restreindre le peu de droits déjà reconnus aux accidentés dans la loi, sinon parce qu'elle privilégie son mandat de gestionnaire, parce qu'elle s'identifie aux intérêts de sa vraie clientèle, celle qui verse les fonds, celle qui cotise le patronat?

Comment le gouvernement peut-il encore se fermer les yeux devant de telles pratiques et prétendre reconnaître des droits aux victimes en laissant les pleins pouvoirs entre les mains des gestionnaires, des agresseurs?

Il est plus que temps qu'on examine comment fonctionne cette commission toute-puissante, quels systèmes elle a mis en place pour satisfaire de son mieux aux impératifs patronaux d'économie maximale.

Le premier point qu'on va examiner, c'est l'appareil médical de la CSST. L'appareil médical dont s'est dotée la commission est sans contredit le plus efficace, le plus productif, le plus rentable de tous les appareils qu'elle a pu mettre en place jusqu'ici. Il y a longtemps qu'on ne se demande plus pourquoi elle y tient tant. Je vous réfère à l'annexe 0, la première à la suite de la page 29, où il est fait état d'une étude qui a été réalisée au bureau de Québec en 1982, en novembre plus exactement, pour démontrer qu'il est très rentable d'engager un médecin de plus au bureau médical pour intercepter et rejeter les demandes, entre autres, pour traitements de physiothérapie, qui y sont acheminées. On dit dans cette note: À la suite de rencontres récentes et d'une demande de notre vice-président de faire l'impossible pour contrôler les coûts de réparation, on en est arrivé à intensifier nos contrôles, même si nous avions déjà un bon contrôle de cet aspect important des dépenses et des réparations. Sur 38 demandes, le médecin qui était chargé de l'examen de ces demandes en a rejeté 21 sans examen des accidentés, simplement sur examen du dossier. On fait ensuite le calcul de l'épargne que cela représente: 750 000 $ pour 21 demandes rejetées en l'espace d'un mois seulement.

La conclusion: "Je vous souligne cependant que ce contrôle ne peut se faire à l'année car, pour le faire, il est absolument nécessaire d'ajouter un médecin à temps plein dans une direction régionale comme la nôtre. "Cependant, administrativement parlant, il me semble qu'un investissement de 40 000 $ pour économiser au-delà de 750 000 $ semblerait rentable à tout homme d'affaires sensé."

Le Président (M. Jolivet): Mme

Lefebvre, je suis en train d'examiner le temps qu'il nous reste. Je voudrais savoir si

vous avez l'intention de lire tout votre document comprenant une trentaine de pages et de faire des réflexions, comme vous le faites, au fur et à mesure, car ainsi on ne passera pas à travers.

M. Cusano: M. le Président. M. Pagé: ...

Le Président (M. Jolivet): Je veux seulement le savoir pour moi. Je m'excuse, M. le député de Portneuf, c'est moi qui mène ici.

Mme Lefebvre: On a l'intention...

M. Pagé: C'est vous qui menez, M. le Président, mais je peux vous dire que cela va très bien et que cela va continuer.

Mme Lefebvre: ...de lire tout le document de 29 pages...

Le Président (M. Jolivet): Non, mais...

Mme Lefebvre: ...et les références aux annexes sont inégales. Dans certains cas, on ne fera tout simplement que vous y référer; dans d'autres cas, on pense qu'il est nécessaire d'examiner le contenu d'une partie au moins de ces annexes.

Le Président (M. Jolivet): Parfait. Je veux juste m'assurer que vous aurez le temps de le faire dans le temps qu'il nous reste.

M. Pagé: Continuez, madame.

Mme Lefebvre: Le volet principal de cet appareil, c'est le bureau médical. Le volet principal de l'appareil médical de la commission est le bureau médical composé essentiellement de médecins fonctionnaires, pour une grande part des généralistes, salariés de la commission, à l'exception de quelques-uns qui sont à location. Ce bureau détient les pleins pouvoirs en matière médicale. Il ne reçoit, ne voit, ni n'examine aucun accidenté. Il juge sur présentation de dossiers exclusivement.

Des directives internes statuent avec précision sur tous les types de cas qui doivent lui être soumis avant qu'une autorisation de paiement ne soit effectuée par l'agent. Ces directives apparaissent au manuel de la réparation, section 4.1, pages 1 à 10. Pour résumer, tous les cas de rechute, tous les cas d'aggravation, tous les cas de maladie professionnelle, tous les cas où la relation peut être douteuse entre l'accident, les symptômes et la lésion professionnelle doivent être soumis au bureau médical pour examen et décision avant qu'un agent n'intervienne pour prendre la décision de paiement.

Ses pouvoirs sont illimités. C'est le bureau médical qui décide s'il y a un lien entre le fait accidentel déclaré et les symptômes ressentis par l'accidenté. C'est lui qui décide du temps d'arrêt de travail nécessaire à la guérison de chacun, de la nature et de la durée du traitement approprié, de la date de retour au travail, de l'acceptation ou du refus d'une rechute ou d'une aggravation, des restrictions médicales pour un nouvel emploi, du pourcentage d'incapacité physique permanente, de la part des séquelles attribuables à une condition personnelle préexistante, du besoin de réadaptation de l'accidenté et de son droit d'accéder à ces services. Nous trouvons que c'est beaucoup pour un médecin qui n'a jamais vu le patient.

Comme le déclarait un membre de ce bureau, le Dr Frenette, dans le Courier médical du 26 avril 1983, qui est une revue médicale, il y a des avantages à ne pas rencontrer les accidentés, et je le cite: "On évite ainsi de tomber dans les pièges du préjugé à l'endroit de quelqu'un qui nous serait antipathique." Nous voilà rassurés. Moins il nous voit, plus il nous aime.

À quoi riment donc tous les droits qui nous sont reconnus dans la loi si un médecin-mercenaire qui ne nous a jamais vus peut nous les retirer d'un revers de plume, au gré de ses humeurs et de ses préjugés? Je vous renvoie ici à l'annexe 1 où une accidentée a subi une opération à la colonne qui a été suivie d'une arachnoïdite, qui est un problème extrêmement important, qui rend en général les gens pratiquement invalides. Dans les rapports médicaux de cette accidentée, on dit: discoïdectomie compliquée d'une arachnoïdite. Dans le rapport du médecin de la commission, on lit: discoïdectomie compliquée d'un syndrome méditerranéen chronique. Je ne sais pas si vous savez ce que veut dire l'expression "syndrome méditerranéen." C'est une accusation pure et simple d'exagération des symptômes qu'on attribue à des travailleurs qui viennent des pays alentour de la Méditerranée. C'est une attitude extrêmement raciste qu'on retrouve très souvent dans les dossiers de la commission où on qualifie de syndrome méditerranéen des problèmes graves qui sont reconnus médicalement.

M. Polak: Pas la Hollande.

Mme Lefebvre: Non. C'est l'Italie, la Grèce, l'Espagne et le Portugal.

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Pas d'intervention.

Mme Lefebvre: Dans l'annexe 13, vous retrouvez le même genre de commentaires. Il s'agit d'un travailleur qui a subi à différents

moments de son travail trois accidents au niveau lombaire, qui a été opéré aussi et qui a été examiné par un médecin en cinq minutes à la CSST qui lui a prescrit un retour au travail. Le Dr Arsenault, du bureau médical de Longueuil - c'est la partie encerclée à votre annexe 13 - refuse le cas et déclare: Si le requérant ne veut pas travailler, ce n'est pas à nous de payer.

Alors, des remarques comme celles-là ne sont pas des remarques exceptionnelles. Il y en a dans énormément de dossiers par suite d'examens et parfois même sans examen de la commission.

Chaque jour, des accidentés se voient privés de leurs prestations parce que le bureau médical a décidé unilatéralement et à l'encontre de l'avis de leur médecin traitant qu'il n'y avait pas de lien entre l'accident qu'ils ont subi et les symptômes qu'ils ressentent. On ne leur explique même pas comment on en est arrivé à cette conclusion. Pas tellement surprenant d'ailleurs, les raisons étant d'ordinaire publiquement insoutenables.

Dans le dossier d'un travailleur de Canada Packers qui s'était infligé des douleurs à la colonne cervicale en déplaçant un quartier de boeuf, on trouve une note de service du bureau médical "justifiant" le refus de compensation. On dit: "Au cours de son travail, il n'y a même pas eu aggravation de son état, car son travail ne se fait qu'avec ses membres et non avec son cou." Signé: Anthony Gilbert, médecin, bureau médical de Longueil. La science médicale en prend pour son rhume. C'est l'annexe 2. Vous pourrez lire de la main du Dr Gilbert cette remarque éminemment scientifique.

On coupe parfois pour des raisons plus simples et tout aussi peu médicales. Une note de service du bureau médical trouvée au dossier d'une travailleuse du vêtement réclamant une compensation pour une maladie professionnelle d'origine posturale, après dix-huit ans de travail dans une usine de vêtements, une maladie donc bien documentée par le spécialiste traitant qui prescrivait une longue période de traitement, s'oppose à la durée du traitement avec comme seul argument: "Je n'ai pas l'intention de la payer durant un an; convocation en orthopédie pour possibilité de retour au travail et traitements. Signé: Jacques Phaneuf, médecin du bureau médical de Montréal." Je vous rappelle que les médecins du bureau médical n'ont jamais examiné les accidentés et jugent sur dossier.

On s'agrippe à la moindre condition personnelle préexistante pour nier les séquelles permanentes laissées par nos accidents ou maladies du travail. Pour l'un c'est la minime scoliose révélée radiologiquement qui viendra justifier tous les maux de dos consécutifs à l'accident.

Je vous renvoie à l'annexe 4 où une rechute est refusée à la suite d'un rapport mentionnant une minime scoliose. Si vous regardez l'annexe 4 B, quand on dit "minime", le rapport dit: "Les clichés ont été faits en position debout. On note une très discrète inclinaison de la colonne vers la gauche à la jonction dorso-lombaire mais il ne s'agit pas vraiment d'une roto-scoliose mais possiblement d'un vice de position. L'inclinaison est très minime, de l'ordre de 5 à 10 degrés." Au nom de cette minime scoliose, on refuse les séquelles liées à l'accident du travailleur.

Pour l'autre, c'est la découverte d'une tension artérielle légèrement supérieure à la moyenne chez un membre de la famille qui viendra justifier la non-reconnaissance d'une haute tension artérielle chronique sévère due à l'intoxication au plomb. Je vous renvoie à l'annexe 5 où il s'agit d'un travailleur de Canada Metal, précisément, qui est retiré du travail pour intoxication au plomb depuis 1978 et qui se voit refuser le paiement de ses médicaments pour haute tension artérielle alors qu'il est reconnu médicalement que cette haute tension est due à son intoxication au plomb puisque sa plombémie n'est pas descendue depuis cinq ans qu'il est retiré du travail, sous prétexte que sa soeur a fait à un moment donné dans sa vie une période de haute tension artérielle. C'est ce qui est inscrit au dossier.

Donc, c'est sûrement un problème familial et non un problème lié à l'intoxication au plomb pour la commission. Après cinq ans de retraite du travail, la commission interdit à ce travailleur de retourner travailler dans son usine. Il a fait une demande au bien-être social la semaine dernière parce qu'il a épuisé toutes ses ressources, tout ce qu'il avait pu accumuler comme argent. Parce qu'on ne lui reconnaît aucune incapacité permanente, il n'est pas suffisamment atteint pour que la commission le reconnaisse, mais elle lui interdit quand même de retourner dans son usine parce que le plomb serait trop dangereux pour lui.

Leur imagination et leur mauvaise foi n'ont pas de limites. Je vous renvoie à l'annexe 6 B. Je pense qu'il vaut la peine de le lire. Il s'agit du cas d'une accidentée qui a été retournée au travail par un médecin expert de la commission à la suite d'une expertise qui n'a jamais eu lieu. Vous trouvez au dossier deux pages d'expertise médicale à la suite d'un examen qui n'a pas eu lieu. L'accidentée n'a jamais été examinée.

Nous avons protesté auprès de la commission pour dire: Vous ne pouvez couper les prestations de cette personne, votre médecin ne l'a même pas examinée, Comment peut-il avoir produit une expertise de deux pages sans examen? Le Dr Saint-Pierre, chef du bureau médical de la

commission, a pris la peine d'écrire une note de service pour les agents qui lui posaient notre question. En page 6 D: "L'allégation de l'UTAM - l'Union des travailleurs accidentés de Montréal - à l'effet que notre expert n'a pas examiné la requérante est fausse. Nous avons vérifié auprès du docteur en question. Il examine toujours les accidentés. - C'est évident que le médecin en question ne va pas dire qu'il ne l'a pas examinée, on s'imagine bien. - Il n'est pas nécessaire d'enlever une robe pour qu'on puisse apprécier un point douloureux ou une contracture à la région lombaire. Cela n'empêche pas non plus de prendre des réflexes, des mensurations, d'apprécier la force musculaire et la sensibilité. Cela peut se faire même si la patiente garde sa robe."

Le bureau médical essaie de nous convaincre qu'il y a eu un examen de la patiente sans qu'elle s'en rende compte alors qu'elle était tout habillée. On se demande alors comment il se fait que, dans cette expertise, on ait mis trois pouces de trop à la personne, on lui ait mis 30 livres de trop et qu'en plus on ait évalué à travers sa robe que la cicatrice était belle! Vous retrouverez cela dans les documents qui précèdent ou qui suivent celui que je viens de vous citer. (17 h 45)

Que veut dire pour l'accidenté le droit de choisir son médecin traitant et son lieu de traitement si un "médecin de papier" de la commission a seul le pouvoir de statuer sur le diagnostic et le traitement? Comment justifier qu'une travailleuse accidentée soit avertie par téléphone, par son agent d'indemnisation, de ne pas se présenter à l'hôpital pour ses traitements de physio le lendemain matin, parce que le bureau médical de la CSST vient de mettre fin unilatéralement à sa période de traitements sans l'avoir examinée?

Comment justifier que des médecins traitants soient tenus d'obtenir une autorisation préalable du bureau médical de la CSST avant d'entreprendre le traitement de leur patient? C'est pourtant ce qui se passe tous les jours depuis la mise en vigueur d'une directive du 19 août 1983 inscrite au Manuel de la réparation en date du 5 octobre 1983, section 4,36. Je vous en résume des extraits: "Tout traitement pour les pathologies vertébrales et les lésions dégénératrices du système locomoteur dues à une lésion professionnelle ou aggravées par un accident du travail, toute reprise du traitement pour une même lésion, toute prolongation de traitements au-delà de 20 jours d'incapacité totale temporaire doivent faire l'objet d'une autorisation préalable de la commission." Vous trouverez le reste des directives concernant cette question aux annexes 7, D, F, G.

Pourquoi ces mesures d'exception à l'endroit des accidentés du travail? Pourquoi ne sont-ils pas traités sur le même pied que tous les citoyens? C'est tout simplement scandaleux qu'un médecin qui n'a jamais vu le patient détienne le pouvoir de statuer sur le traitement qui lui convient, et cela, malgré l'opinion contraire du médecin qui l'a examiné et qui le traite.

Le président et le vice-président de la commission prétendent publiquement que la commission respecte les diagnostics des médecins traitants. Tous les jours nous avons la preuve du contraire. À l'annexe 14, il s'agit d'un accidenté qui a été vu à plusieurs reprises, à différentes périodes, par six médecins traitants différents, des spécialistes, qui ont tous statué sur son incapacité à reprendre le travail. Le bureau médical a décidé que cet accidenté était capable, malgré l'avis des six médecins traitants qui étaient unanimes sur cette question.

Des dizaines de médecins traitants ont témoigné publiquement de la véracité de nos affirmations; nous y reviendrons tout à l'heure aux pages 13, 14 et 15 du mémoire. La CSST prétend pourtant qu'elle respecte la majorité des diagnostics et traitements prescrits par les médecins traitants. Bien sûr, il serait difficile pour le bureau médical d'écourter une période d'arrêt de travail de quelques jours seulement, alors que l'accidenté a déjà été retourné au travail par son médecin traitant au moment même où le dossier lui parvient. C'est le cas de la majorité des réclamations soumises à la commission. C'est pourquoi la majorité des réclamations sont acceptées; la majorité des réclamations représentent de très courts arrêts de travail que la commission n'a pas le temps de couper avant que les gens retournent travailler.

Quant aux autres, cette minorité dont on nous parle toujours - on nous dit qu'on représente une minorité - qui représente malgré tout des dizaines de milliers d'accidentés chaque année, c'est-à-dire les gens qui ont des arrêts de travail de 21 jours et plus - ils étaient 35 000 l'an dernier - les cas de rechutes et d'aggravation sur lesquels on ne dispose d'aucunes statistiques - on se demande bien pourquoi - les cas de maladies professionnelles, ils ont tout intérêt à se trouver des médecins traitants courageux et tenaces qui ne capitulent pas devant les mesures d'ingérence pratiquées par le bureau médical de la commission ni devant les remarques désobligeantes qu'on retrouve à leur endroit dans les dossiers. À l'annexe 3, dans le cas de la même travailleuse qui a eu une expertise sans examen, on trouve une remarque, comme on en retrouve très fréquemment dans les dossiers d'accidentés, insultante pour le médecin traitant et qui va vraiment à l'encontre de son diagnostic. C'est l'exemple que je vous citais tout à l'heure où le

médecin traitant disait qu'elle ne retournerait pas à la couture d'ici un an. Je n'ai pas l'intention de la payer pendant un an; je vais la convoquer en orthopédie pour retour au travail. Un peu plus loin, on dit: "Ce bon docteur n'a jamais digéré - il s'agit toujours du médecin traitant qui a produit l'expertise - que la commission cesse de payer les traitements à sa clinique privée. C'est dans ce contexte-là qu'il faut comprendre sa lettre." C'est un commentaire du bureau médical; il faut de plus savoir qu'il n'y a aucun autre commentaire d'ordre médical dans ce dossier. Il n'y a que des affirmations de ce genre-là.

Dans le dossier no 6, on retrouve encore des accusations à l'endroit du médecin traitant. Non seulement on ne respecte pas son diagnostic, mais on dit: "Nous sommes d'avis que la dernière prescription d'un repos de trois mois par le Dr Décarie n'est pas justifiée par son rapport médical. C'est une solution de complaisance et de débarras. Quand on considère le fait accidentel originel et l'opération injustifiée qui a suivi, ce dossier est mal parti depuis le début et on exploite le système à fond. Pour faire taire les critiques injustifiées de l'UTAM, nous demandons un examen conjoint et leur verdict sera apprécié." Ce sont les commentaires supposément d'ordre médical du bureau médical.

Les directives internes de la commission prévoient aussi qu'en cas de divergence entre le médecin traitant et le bureau médical, il doit y avoir contact et discussion du cas. À peu près tous les médecins traitants auprès desquels nous avons enquêté, nous ont confirmé n'avoir jamais reçu aucun appel du bureau médical concernant leurs patients, si ce n'est dans quelques cas simplement pour les aviser de la coupure. Pourtant, tous avaient déjà eu des patients accidentés dont les prestations avaient été coupées par le bureau médical. Dans la région de l'Estrie, le directeur du bureau a même déclaré devant une trentaine d'accidentés réunis que jamais il n'appellerait ces médecins en parlant des médecins signataires de la lettre qui dénonçaient publiquement les pratiques d'ingérence de la commission et que nous retrouvons aux pages 13, 14 et 15.

Pour en finir avec ce bureau médical sur lequel on aurait encore tant à dire, soulignons seulement que ses pouvoirs sont à ce point étendus qu'il peut même se permettre de rejeter, modifier ou ignorer l'opinion d'un ou même de plusieurs médecins experts ou médecins évaluateurs de la commission. Vous retrouverez un exemple du genre à la page 8 où à la fois le diagnostic du médecin traitant a été refusé et celui du médecin expert de la commission qui avait examiné, à la demande de la commission.

Tout cela par le médecin du bureau médical qui n'a jamais vu l'accidenté.

Ce qui nous amène à parler du deuxième volet de l'appareil médical de la CSST: les médecins experts. Les médecins experts de la commission ne sont pas des employés de la commission. Ce sont pour la plupart des médecins spécialistes pratiquant librement en milieu hospitalier, en clinique ou en cabinet privé et qui acceptent, soit à l'occasion, soit sur une base régulière, de pratiquer des expertises commandées et payées par la CSST. On leur demande à l'occasion de ces expertises de statuer, après examen du patient, sur le lien entre les symptômes et l'accident, sur la part de problèmes attribuables aux conditions personnelles préexistantes, sur la durée de la période d'arrêt de travail et de traitement, sur le pourcentage de déficit physique permanent ou, encore, sur les restrictions liées à un retour en emploi et les besoins de réadaptation. Notons, en passant, qu'aucune garantie n'est donnée que leur opinion sera respectée par le bureau médical.

Alors, à l'annexe 16, vous retrouverez le cas d'un autre travailleur qui, à la suite d'une opération au dos, est atteint d'une arachnoïdite. Les experts se prononcent pour dire qu'il ne doit faire aucun travail, qu'il est impossible pour lui de penser être recyclé dans aucune forme de travail. Pourtant, le bureau médical le réfère en réadaptation au programme de recherche d'emploi. On lui offre deux emplois: gardien de sécurité ou classeur de ballounes. Ce travailleur n'a jamais pu reprendre et à la suite d'une contestation, il est en voie d'être reconnu. Mais le bureau médical avait statué sur le fait que malgré les expertises des médecins experts de la commission, ce travailleur devait se chercher à nouveau un emploi.

Ils sont la caution dont le bureau médical a besoin pour mettre fin aux traitements ou retourner prématurément au travail des accidentés dont la période d'arrêt de travail est maintenue par le médecin traitant. C'est ce qu'on a vu dans l'exemple de tout à l'heure: Je n'ai pas l'intention de la payer pendant un an. Veuillez convoquer en orthopédie pour retour au travail. Ou encore, pour évaluer au plus bas les pourcentages de déficit physique permanent.

Le vice-président de la commission, M. Bernier, prétend d'ailleurs, même si cela est faux, que jamais le bureau médical ne se permet de prendre des décisions contraires à celles du médecin traitant, sans avoir d'abord convoqué l'accidenté à un examen chez un médecin expert de la commission. Les exemples que nous avons au dossier démontrent que c'est faux.

Leurs expertises ne durent souvent, lorsqu'il y en a, que cinq à dix ou quinze minutes. L'examen physique est presque

toujours sommaire et le questionnaire subjectif est souvent orienté sur les questions personnelles ou familiales: Vous sentez-vous déprimé? Votre femme travaille-t-elle? Vos antécédents familiaux? Combien d'enfants à charge? Dans toutes les régions du Québec, les accidentés se sont dits étonnés de constater que les médecins experts ne leur posaient à peu près jamais de questions sur la façon dont s'était produit leur accident du travail, le mécanisme de la chute, les circonstances entourant l'événement. Cela ne semble pas les intéresser beaucoup.

La très grande majorité de ces expertises concluent, sous n'importe quel prétexte, à une absence de lien entre le fait accidentel et les symptômes, à une absence de DAP (Déficit anatomo- physiologique) -c'est le pourcentage de déficit physique reconnu à l'accidenté - ou une évaluation minimale de ce DAP. Alors, en annexe 9, vous retrouverez l'exemple d'un travailleur qui a fait une chute d'un ascenseur d'une vingtaine de pieds. Vous avez tous les documents expliquant l'ensemble des atteintes, des lésions qui ont été portées à ce travailleur. La commission avait évalué par son expert qui l'avait examiné qu'il avait une perte de 29% de déficit physique. À la suite d'une expertise par un médecin traitant, un médecin expert auquel a fait appel l'accidenté, on s'est aperçu que la commission avait tout simplement oublié 32% de déficit neurologique dans son évaluation. À la suite d'une contestation et d'un appel en révision, ces 32% ont été reconnus. C'est un oubli de taille.

Il arrive même que lors de ces visites en expertise, les médecins experts fixent la date de retour au travail et préparent le papier de retour au travail de l'accidenté avant même qu'ils ne l'aient examiné. Il arrive même parfois que la soi-disant expertise à laquelle la CSST convoque certains accidentés se déroule sans qu'aucun examen physique ne soit pratiqué. Et on a eu plusieurs plaintes d'accidentés à ce sujet, de médecins qui ne les avaient tout simplement pas examinés - pas des examens sommaires avec leurs vêtements, mais pas d'examen du tout. Ce qui n'empêche nullement ces médecins d'inventer de toutes pièces ou de puiser au dossier les données relatives à ce soi-disant examen et de produire leur rapport écrit. Je vous réfère aux annexes qui sont là et que je vous ai relatées tout à l'heure. Plusieurs de ces expertises font une large place aux appréciations subjectives des experts: remarques subjectives sur le patient, sur ses médecins traitants. Tout à l'heure, il s'agissait des médecins du bureau médical qui passaient des remarques désobligeantes sur les médecins traitants; maintenant, il s'agit des remarques des médecins experts.

À l'annexe 10, on retrouve en introduction: "Les médecins sérieux - il est question d'une accidentée du travail examinée par un médecin de la commission -la retournent au travail le 13 janvier 1980. Le médecin "anti-tout" la garde en incapacité totale temporaire et est à la recherche d'un chirurgien explorateur" - le médecin "anti-tout" étant le Dr Arnold Aberman qui, normalement, aurait dû être ici aujourd'hui, mais qui n'a pas pu se présenter. Et c'est suivi de remarques à l'endroit de l'accidentée. Dans l'encerclé, vous retrouvez... En fait, on reproche trois fautes à cette accidentée. On dit: "Malgré un retour au travail prescrit par l'expertise conjointe - c'est celle de la CSST - pour le 13 janvier 1980, la patiente fait une rechute le 26 janvier - elle n'avait pas le droit, elle ne le savait pas - elle abandonne le travail et consulte de plus le Dr Arnold Aberman." Alors, ce sont les trois péchés qu'il ne fallait pas commettre.

On retrouve aussi dans ces expertises des opinions médicales non documentées, un étalage de préjugés à l'endroit des accidentés examinés, comme le "syndrome méditerranéen" dont on parlait tout à l'heure: "patient bronzé, générosité excessive de la commission". On soupçonne les accidentés d'exagérer les symptômes. Les conceptions dont il est fait état dans certains de ces rapports d'experts ressemblent étrangement à celles qu'on retrouve fréquemment étalées dans les rapports ou la correspondance des médecins de compagnies. Pour nous, cela a une extrême importance, parce que les rapports qu'on retrouve... comme ceux de l'annexe 13, où le médecin de la commission tient pour acquis que le travailleur ne veut pas travailler, même s'il a été examiné par des experts, même si ces experts statuent sur son incapacité de retour au travail... On dit: "Si le requérant ne veut pas travailler, ce n'est pas à nous de payer". C'est toujours le même préjugé qu'on retrouve à l'intérieur des rapports, que ce soit du bureau médical ou des médecins experts. Et pour nous, cela se rapproche beaucoup de la philosophie qui est exposée dans la correspondance de médecins de compagnies.

Je tiens à vous lire l'annexe 11, une lettre qui, à mon avis, résume l'ensemble de ces préjugés qu'on retrouve par petits morceaux dans les dossiers des médecins de la commission. Il s'agit d'un médecin de la compagnie Price qui écrit au médecin traitant à propos d'un accidenté du travail. Il dit: "Vous m'avez souligné que nous devrions donner un travail plus léger à ce monsieur parce qu'il souffre de spondylolisthésis au premier degré. Monsieur charge les meules à la compagnie Price et, pour exécuter ce travail, il n'a besoin que d'un biceps modérément développé. Vous ignorez, ou vous n'ignorez pas qu'à la compagnie Price, le travail est toujours léger - bien entendu.

"Une simple visite à notre papeterie - c'est le médecin de compagnie, on croirait que c'est le gérant - chose que nous aimerions beaucoup, vous en prouverait l'évidence. Tout ce que nous exigeons à l'examen d'embauchage d'un candidat, c'est qu'il ait une intégrité physique, c'est-à-dire qu'il soit assez fort pour se transporter lui-même sur ses jambes dans l'usine. Tous et chacun de nous, en travaillant sur nos parterres l'été, ou en pelletant notre neige l'hiver, faisons des efforts plus considérables que chacun d'eux. Nos employés sont si peu entraînés à l'effort que, dès qu'ils en font un, la myalgie s'installe dans le muscle concerné. Dans ces cas, le repos souvent prescrit par les orthopédistes, ou encore par les médecins en général - les médecins traitants - qui ne font pas de médecine industrielle, nous cause beaucoup d'amertume et ne nous semble pas la meilleure façon de redonner à nos travailleurs une forme physique convenable. Nous allons vers la décadence. Et ce que nos jeunes demandent, c'est du pain et des jeux, comme le faisaient les anciens Romains avant d'entrer dans leur période d'atrophie graisseuse - ce n'est pas moi qui l'invente. "Nous, médecins, sommes complices d'un tel état de choses de façon non négligeable. Je m'arrête ici, mon cher docteur, car ces réflexions m'amèneraient trop loin - je considère qu'il est déjà rendu assez loin - Je sais que votre temps est très précieux. (18 heures) "Si ce monsieur souffre de spondylolisthésis au premier degré, je crois qu'il ferait mieux de se trouver un travail ailleurs. Voilà la solution, qu'on le congédie! "Vu que cet état n'est pas le fait d'un accident survenu à son travail, pour lequel la compagnie n'a pas de responsabité, avec cette petite infirmité, monsieur constituera un risque assez important d'accident pouvant entraîner une invalidité, à court ou à moyen terme, pour laquelle, cette fois, la compagnie devra assumer les coûts. "Les lombalgies, particulièrement, et vous êtes en mesure de l'avoir constaté maintes fois, constituent une plaie majeure dans toutes les industries et cette pathologie, avec ou non lésion vertébrale, coûte de plus en plus cher. Il n'est pas toujours facile de dire si oui ou non ces lombalgies sont attribuables vraiment au travail. Le blessé n'a pas toujours cette franchise qu'on aimerait et, souvent, des fois, il s'est blessé pendant les seize heures de loisir que sa condition lui procure quotidiennement."

La conception de l'accidenté étalée par ce médecin de compagnie, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, on la retrouve en bribes, en pièces détachées dans les dossiers de la commission.

Tous les médecins experts de la commission ne correspondent pas, heureusement, au portrait exact que nous en traçons ici. Quelques-uns savent encore faire preuve d'objectivité. Mais si nous insistons sur ces caractéristiques, c'est qu'on les retrouve dans un très grand nombre d'expertises, la commission faisant plus souvent appel à ceux-là qu'aux autres, et cela est aussi vrai en région qu'à Montréal. Un des médecins experts de la CSST, témoignant lors d'une audition du bureau de révision où il faisait face à une accusation de production d'expertise sans examen, nous a confirmé que la commission lui cédulait quinze expertises par jour, une fois aux deux semaines.

Un bref calcul nous permet de conclure que ce petit à-côté représente un supplément de revenu d'environ 45 000 $ par année. Il est lui-même chirurgien-orthopédiste, pratiquant dans un grand hôpital de Montréal et en bureau privé. Il reconnaissait, du même souffle, qu'il est très possible de faire une expertise en cinq minutes quand on a de l'expérience. Cela correspond, en tout point, aux témoignages nombreux des accidentés ayant vécu cette malheureuse expérience.

Depuis longtemps, les accidentés réclament de la CSST qu'elle rende publique la liste de ses médecins experts ou qu'elle les oblige à prévenir les accidentés qui leur sont référés en milieu hospitalier ou en bureau privé, à titre de médecin traitant, à les prévenir du fait qu'ils sont aussi des médecins experts de la commission, et cela pour une raison bien simple. Il arrive fréquemment que certains de ces médecins agissent comme médecins traitants des accidentés et certains d'entre eux sont appréciés en tant que tels. Les problèmes surgissent le jour où la CSST convoque ces accidentés chez un autre médecin expert qui, lui, met fin à leur arrêt de travail ou à leur traitement malgré l'opinion contraire du médecin traitant, qui est aussi médecin expert de la CSST à ses heures.

Il est très rare, dans ce genre de situation, que ces médecins acceptent de soutenir leur diagnostic ou leurs traitements et de s'opposer à un autre médecin expert de la commission. L'accidenté qui a encore besoin de traitements se retrouve alors sans défenseur. De telles situations sont fréquentes et ont des conséquences graves pour les accidentés concernés.

L'accidenté devrait pouvoir choisir son médecin traitant en pleine connaissance de cause, mais la commission a toujours refusé de rendre publiques ses listes de médecins experts et n'a jamais incité ces derniers à s'identifier comme tels auprès de leurs patients accidentés.

Nous aurions encore beaucoup à dire sur l'appareil médical de la commission. Les quelques exemples que nous vous avons soumis devraient cependant vous permettre de comprendre les raisons qui amènent à revendiquer la disparition pure et simple de

cet appareil et le respect du diagnostic et du traitement prescrit par le médecin traitant.

Comment penser que l'objectivité puisse être le moindrement préservée lorsqu'on fait du payeur le seul juge de la situation? Ce système et ces pratiques sont indéfendables et causent le plus grand préjudice aux accidentés et à leurs médecins traitants. Des dizaines d'entre eux ont d'ailleurs pris position sur cette question et sont intervenus publiquement en avril dernier pour dénoncer les pratiques d'ingérence de la commission. Nous désirons faire entendre leur témoignage à cette commission. Ce témoignage sera lu par le Dr Bernard Chartrand.

Le Président (M. Jolivet): Un instant! C'est la question que j'ai posée tout à l'heure. Je suis obligé, comme président de cette commission, de voir à l'aménagement des travaux. J'ai fait mention plus tôt qu'il y avait 29 pages à votre document, avec tout ce qui en était. Je crois comprendre que vous allez prendre plus de temps pour l'expliquer de telle sorte qu'il y aura moins de temps pour les questions. C'est la question que je me pose au moment où l'on se parle. J'ai l'impression qu'il reste encore 17 pages, plus celles qu'on vient de passer, et cela fait plus de 20 minutes, si vous remarquez bien l'horloge comme moi. Cela fait 40 minutes. Je vous pose la question. Si vous voulez...

Mme Lefebvre: Cela fait 50 ans qu'on ne nous a pas entendus.

Le Président (M. Jolivet): Je le sais, chère madame, sauf que nous avons aussi... Je peux laisser passer ces mouvements d'émotion, je les comprends très bien. Chère madame, ce que je vous dis, c'est que j'ai des obligations ici comme président de permettre à chacun autour de la table de vous poser des questions d'ici à 19 heures ou 19 h 30 au maximum. C'est simplement de cela que je veux m'assurer. Cela ne me dérange en aucune façon que vous preniez deux heures pour présenter votre mémoire, mais vous vous apercevrez qu'il n'y aura pas beaucoup de questions puisque je serai obligé d'ajourner, à un certain moment. C'est simplement cela que je veux dire, en demandant si possible à M. Chartrand de bien présenter le mémoire, mais le plus rapidement possible, afin qu'on puisse poser des questions. Allez.

Mme Lefebvre: II y a seulement deux pages.

M. Chartrand (Bernard): M. le Président, mesdames et messieurs. Je voudrais lire une lettre qu'une centaine de médecins ont déjà signée. Vous avez déjà la liste des médecins; cette lettre est déjà parue dans les journaux. Je suis médecin traitant, comme on l'a dit, à Saint-Michel-des-Saints, une région forestière. Nous sommes tous des médecins traitants, généralistes ou spécialistes, pratiquant soit dans des hôpitaux, soit dans des CLSC ou encore dans des cliniques ou bureaux privés. Certains de nos patients sont des accidentés du travail. Nous pensons que ces patients devraient avoir le droit d'être traités sur un pied d'égalité avec tous nos autres patients et de recevoir en conséquence tous les soins nécessaires à une guérison la plus complète possible.

Or, malgré tous nos efforts pour dispenser à ces patients victimes du travail les soins les plus appropriés, nous constatons que ce droit élémentaire des accidentés à des soins de santé adéquats subit des entorses sévères qui se sont sérieusement aggravées au cours des derniers mois ou au cours des dernières années.

La CSST s'ingère de façon injustifiée dans le traitement de nos patients accidentés et bafoue de façon inacceptable notre droit de médecin traitant de pratiquer une médecine libre.

Nous tenons à protester contre certaines pratiques de la CSST qui, en sa qualité de payeur, s'arroge le droit de priver de traitements certains de nos accidentés, de retarder l'accès aux traitements dans le cas de certains autres et, ce qui est le plus fréquent, de mettre fin aux traitements d'un grand nombre d'entre eux à une date que nous jugeons prématurée, compromettant ainsi la possibilité d'atteindre la meilleure guérison possible et occasionnant ainsi dans certains cas des rechutes ou des aggravations qui pourraient être évitées.

En tant que médecins traitants, nous revendiquons le respect de notre droit de juger nous-mêmes des soins requis pour la guérison de nos patients. En tant que médecins traitants, nous croyons être mieux en mesure de juger de l'état de nos patients que quiconque devant porter jugement sur la base d'un seul examen ou parfois même sans autre examen que celui du dossier. C'est ce que Mme Lefebvre vous expliquait tout à l'heure.

Si la CSST, à qui le gouvernement a confié le pouvoir et l'obligation de payer les compensations aux accidentés du travail et les sommes dues pour traitements aux professionnels de la santé, considère que nous ne savons pas pratiquer convenablement la médecine, que nous ne sommes pas en mesure de juger adéquatement des soins que requièrent nos patients, elle n'a qu'à porter plainte devant les organismes compétents, légalement et dûment mandatés pour juger de notre pratique médicale.

En tant que médecins traitants, nous n'avons aucun intérêt à prolonger indûment

les traitements, ni à prescrire des arrêts de travail inutiles. Nous n'en tirerions aucun profit. Nos patients accidentés du travail ne nous rapportent pas plus que les autres, au contraire. Les tracasseries administratives de la CSST, ses retards démesurés dans le paiement des actes médicaux, ses interventions injustifiées dans notre pratique médicale, les limites qu'elle nous impose dans le choix des lieux de traitement, en particulier pour la physiothérapie, l'obligation qu'elle nous impose de justifier et de défendre la moindre intervention dans le dossier de nos propres patients, ont plutôt été, jusqu'ici, des facteurs susceptibles de décourager nombre de nos confrères et consoeurs d'intervenir dans le dossier des accidentés du travail. Si nous continuons à le faire, c'est strictement par conscience professionnelle et par souci de justice élémentaire à l'endroit des hommes et des femmes qui sont victimes d'accidents et de maladies du travail et à qui nous reconnaissons le droit d'être traités en toute égalité.

Nous ne pouvons que souscrire à la revendication mise de l'avant par les associations d'accidentés du Québec, réunies dans l'ATTAQ, qui exigent que les diagnostics et les prescriptions de traitement des médecins traitants des accidentés aient un caractère décisionnel pour la CSST - ce qui n'est pas le cas actuellement - qu'on mette fin aux pratiques interventionnistes de cette commission dans l'exercice d'une médecine libre, supposément en vigueur au Québec, et qu'on reconnaisse enfin aux accidentés du travail les mêmes droits qu'on reconnaît à tous les citoyens.

En tant que médecins, nous visons tous la plus grande objectivité possible. C'est justement ce souci d'objectivité qui nous amène aujourd'hui à prendre position publiquement en faveur d'une partie dont les droits sont souvent trop bafoués.

Mme Lefebvre: C'est la fin de la partie médicale, qui était la plus longue. Nous abordons maintenant la deuxième partie, qui est le fonctionnement de la commission en matière de réadaptation. Cela n'est pas moins important cependant, même si c'est plus court.

La CSST prétend certains jours - et, en d'autres occasions, elle affirme le contraire -que la réadaptation est maintenant un droit du travailleur. Dans son intervention au CA de la CSST, le 19 juin 1980, M. Lionel Bernier déclarait: "Fin 1978, le gouvernement modifiait la Loi sur les accidents du travail: la réadaptation sociale devenait un droit du travailleur." M. Bernier faisait ici allusion aux modifications apportées par le projet de loi 114 à la Loi sur les accidents du travail, modifications établissant les pouvoirs de la commission en matière de réadaptation des accidentés.

Dans la mesure où la commission est tenue ou doit faire tout ce qu'elle peut pour assurer la réadaptation des travailleurs à la suite de leur accident, on doit reconnaître que ces ajouts à la loi de 1931 constituent tout au moins une reconnaissance implicite de ce droit.

Mais, encore une fois, le texte de loi, statuant du point de vue des pouvoirs de la commission et non du point de vue des droits de l'accidenté, il est impossible à ce dernier de savoir à quoi il a droit. Ce qui laisse pleine latitude à la commission pour définir elle-même ses obligations dans le cadre très large de ses pouvoirs. Et elle s'en donne à coeur joie dans l'interprétation.

Même si ces modifications à la loi ne sont entrées en vigueur qu'en janvier 1979, la commission reconnaît elle-même dans le dossier sur la réadaptation remis par M. Bernier au CA de la CSST, en août 1980, que c'est l'année 1977 qui marque la date charnière où s'est concrétisé réellement son souci de réadaptation par la mise sur pied d'un réel service de réadaptation et l'allocation des budgets correspondants. On peut se demander pourquoi à ce moment-là. M. Bernier nous l'explique dans le procès-verbal du CA de la CSST le 19 juin 1980: "Jusqu'en 1977, les allocations de réadaptation étaient un privilège et non un droit. En 1977, le gouvernement a transféré la compétence exclusive de la commission à la Commission des affaires sociales. Depuis lors, la CAS applique l'article 38.4, celui dont on parlait au tout début sur les pourcentages d'incapacité, d'après un barème américain plus généreux que celui de la commission, mais arbitraire et qui ne tient aucun compte des possibilités de réadaptation du bénéficiaire, d'où une avalanche d'appels depuis la fin de 1978. "Fin 1978, le gouvernement modifiait la Loi sur les accidents du travail: la réadaptation sociale devenait un droit du travailleur."

L'aveu est intéressant. Ce que le vice-président à la réparation nous confirme dans cet exposé, c'est que le souci de réadaptation de la commission est né, non pas du désir de répondre à un besoin des accidentés, mais du souci d'économiser. En effet, le pourcentage de déficit de capacité de travail que reconnaîtra en dernier appel la Commission des affaires sociales à un accidenté sera d'autant plus élevé que ce dernier n'aura profité d'aucune mesure de réadaptation. En d'autres termes, il en coûterait moins cher d'offrir des services limités de réadaptation que de compenser pleinement les incapacités permanentes. Donc, la commission a intérêt à offrir des programmes de réadaptation qu'elle établira et contrôlera elle-même par directives internes.

C'est donc elle qui décide, en matière de réadaptation, unilatéralement de qui y a droit, à partir de quel moment, pendant combien de temps, à quelles conditions et dans quel programme.

Y ont donc droit tous les accidentés que le bureau médical - toujours le même bureau dont on parlait tout à l'heure qui ne voit personne - reconnaît inaptes à reprendre le travail antérieur à l'accident. Encore une fois, c'est le bureau médical qui décide sans avoir vu l'accidenté et souvent à l'encontre de l'opinion du médecin traitant et même du médecin expert de la commission. Je vous renvoie à l'annexe 16 dont on a parlé tout à l'heure où, justement, à la suite d'une expertise d'un médecin expert de la commission qui recommandait que cet accidenté ne soit référé à aucun travail, le bureau médical décide de référer en réadaptation pour recherche d'emploi.

À partir de quel moment a-t-on droit à la réadaptation? Encore une fois, c'est le bureau médical qui, avec ou sans convocation au médecin expert, et sans avoir à tenir compte de l'avis du médecin traitant, décide unilatéralement du moment où le passage doit se faire entre l'arrêt de travail pour traitements médicaux et la prise en charge par le service de la réadaptation.

En faisant ce transfert de la section médicale à la section réadaptation, d'un service à l'autre, on peut ainsi, dans bien des cas, écourter la période de traitement compensable et transférer ainsi les coûts de compensation au budget de réadaptation sociale, tout en obligeant l'accidenté à entreprendre prématurément la recherche d'un emploi ou, dans de rares cas, une période de formation, alors que ses traitements médicaux ne sont pas encore terminés. (18 h 15)

Les avantages de ce système ne sont pas négligeables pour la commission. Cela lui permet, d'une part, d'afficher son souci "évident" de réadaptation en démontrant, statistiques en mains, que les coûts de réadaptation augmentent considérablement d'une année à l'autre - je vous renvoie au rapport annuel de 1982, tableaux 27 et 30, pages 82 et 84, où les coûts de réadaptation ont doublé - et surtout d'économiser des sommes importantes en faisant assumer par les contribuables - par le chômage et la formation de la main-d'oeuvre - une grande partie des coûts afférents aux programmes de recherche d'emploi et de formation. C'est-à-dire qu'on décide un jour, à la suite d'un examen du dossier par le bureau médical, qu'un accidenté a fini sa période de traitement, qu'il est prêt à être pris en charge par la réadaptation sociale, qu'on continuera à le payer, mais à ce moment, il sera payé par la réadaptation sociale. Cela veut dire qu'il ne sera pas payé beaucoup par la commission, puisque la réadaptation soustraira des prestations de réadaptation sociale ce qu'il va recevoir du chômage à ce moment et ce qu'il peut recevoir d'autres régimes. Ce qui fait une économie considérable pour la CSST.

Sans compter que les compensations auxquelles ont droit les accidentés inscrits en réadaptation sont souvent plus basses que celles qu'ils touchaient au moment où ils étaient en médical, la base de salaire établissant ces compensations étant celle du moment de l'accident, sans indexation aucune.

Un accidenté qui, jusqu'à l'été 1982, où existait cette indexation, avait vu accroître des compensations d'année en année par l'indexation, au moment où on l'envoie en réadaptation retombe à une compensation basée sur le salaire du moment de l'accident, de laquelle on soustrait son pourcentage d'incapacité, de laquelle on soustrait les prestations de chômage, etc.

Pendant combien de temps a-t-on droit à la réadaptation? Chaque programme créé par la commission a une durée maximale fixée par directive, et cela quelle que soit la condition de l'accidenté à la fin du processus. De plus, la commission peut mettre fin unilatéralement à n'importe quel de ces programmes en cours de réalisation. Je vous renvoie à l'annexe 17 où on explique par écrit qu'un accidenté ne doit pas considérer qu'il a des droits acquis dans ce domaine, que la commission peut n'importe quand réévaluer le processus de réadaptation et y mettre fin ou le modifier.

Dans quel programme? Notons d'abord que ce n'est pas l'accidenté qui choisit le programme dans lequel il sera inscrit mais bien l'agent qui détermine celui qui lui conviendra le mieux, bien souvent sans même l'informer de l'existence des autres programmes.

Les programmes existant actuellement sont: le programme de recherche d'emploi, qui est un programme d'une durée maximale d'un an pendant lequel on oblige l'accidenté d'abord à aller chercher ses prestations de chômage, et la Commission de la santé et de la sécurité ne paie que la différence. C'est donc les contribuables qui paient pour la réadaptation d'un handicapé du travail; ensuite, le programme de formation, qui est un programme d'une durée maximale de trois ans et qui est très parcimonieusement donné aux accidentés. Il y en a très peu qui participent à ce programme; le programme de subventions au employeurs, qui est un programme de placement en industrie. On subventionne l'employeur pour 66 2/3% ou 85% du salaire pendant six mois ou un an, selon qu'il y a ou non une formation inscrite à l'intérieur de ce placement;

le programme de complément de revenu ou de stabilisation économique où on verse à l'accidenté la différence entre le salaire qu'il gagne dans un nouvel emploi moins rémunéré que son ancien emploi et 90% du salaire qu'il gagnait au moment de son accident, sans aucune forme d'indexation. C'est-à-dire qu'au moment où il participe à ce programme il a une baisse de revenu; le programme de stabilisation sociale ou allocation à long terme, qui est un programme prévu pour les accidentés qu'on reconnaît totalement inaptes à travailler, mais à qui on n'a pas donné le pourcentage d'incapacité permanente correspondant à cette inaptitude; le programme de support psychosocial, qui est un programme d'une durée maximale d'un an aussi et qui s'adresse à une minorité de travailleurs qui ont besoin de traitements psychologiques avant le retour à l'emploi.

Nous n'avons ni le temps ni l'espace nécessaires pour exposer ici toutes les pratiques odieuses de la commission dans l'application de chacun de ces programmes. Nous tenons cependant à dénoncer les pratiques qui portent le plus préjudice aux accidentés et qui nous semblent contraires à l'esprit même de la loi et au strict respect des victimes d'accidents et de maladies du travail: la Les coûts de réadaptation sont en grande partie assumés par les contribuables: chômage, centre de main-d'oeuvre pour ce qui est des programmes de recherche d'emploi et de formation; Régime de rentes du Québec, pour ce qui est du programme de statilisation sociale, et assistance sociale pour ce qui est de tous les accidentés arbitrairement déclarés guéris ou réadaptés par la CSST. Ces accidentés ne sont pas guéris par décret. Ils continuent d'être malades et s'en vont sur ce qu'on appelle le bien-être social. Cette pratique prive en fin de compte un grand nombre d'accidentés du droit à leurs prestations, de la part de régimes auxquels ils ont cotisé, comme le chômage, et épargne aux employeurs des frais qu'ils devraient assumer. 2. Dans la plupart des cas, les accidentés n'ont pas un mot à dire sur le choix de leur programme de réadaptation. La très grande majorité se voit projetée en recherche d'emploi, la plupart du temps sans soutien et se voit imposer des exigences qui ne tiennent absolument pas compte de leur condition physique et de leurs capacités. Quand on demande à des accidentés qui marchent encore avec deux cannes de se chercher deux emplois par jour, de prendre les transports en commun pour le faire, nous ne trouvons pas qu'il s'agit là de conditions qui correspondent aux capacités des accidentés. À l'annexe 15, vous avez un autre cas - c'est le genre de cas qui se présente assez souvent - où on voit les contradictions. Il s'agit d'un ancien boulanger qui, à la suite d'une accident, d'une maladie professionnelle ne peut plus faire le métier de boulanger. Il demande à la commission qu'on lui accorde un programme de formation de cuisinier qui est un métier connexe dans lequel la formation serait assez courte. La commission refuse de lui accorder ce programme de formation; elle dit que cela n'est pas pertinent parce qu'il s'agit encore d'une tâche trop lourde pour lui, pour l'état de son bras qui est atteint de maladie professionnelle. Elle le met plutôt en recherche d'emploi et elle lui suggère de rechercher de l'emploi dans les secteurs suivants: cuisinier et d'autres secteurs ensuite. Il n'est pas apte à recevoir un programme de formation pour devenir cuisinier mais il est apte à se chercher de l'emploi comme cuisinier. 3. On oblige pratiquement les accidentés à renoncer à tous leurs acquis antérieurs et à accepter à peu près n'importe quel emploi, à n'importe quelle condition, sans leur garantir une compensation convenable pour les pertes encourues. Le complément de revenu, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, ne compense que pour la différence entre le nouveau salaire gagné qui est presque toujours le salaire minimum et 90% du salaire net gagné au moment de l'accident non indexé, et ne prévoit aucune compensation pour les acquis abandonnés. De plus, c'est le bureau médical de la commission, et non le médecin traitant, qui statue sur les restrictions médicales pour le retour au travail et sur la capacité de chaque accidenté d'occuper tel ou tel emploi.

Quatrièmement, on n'exerce à peu près aucun contrôle sur les employeurs subventionnés par la CSST qui profitent des programmes de la commission pour exploiter une main-d'oeuvre à très bon marché et s'en débarrasser, à la fin des subventions, sous toutes sortes de prétextes, postulant peu de temps après auprès de la CSST pour obtenir de nouveaux accidentés dont le salaire sera à nouveau remboursé en grande partie par la commission. De plus, la réadaption refuse très souvent de reprendre en charge un accidenté qui a ainsi été congédié, prétextant qu'il l'a été pour des raisons étrangères à son handicap et que, pour sa part, elle considère le processus de réadaptation terminé. La réadaptation place des gens en industrie. Le patron trouve que c'est une méthode intéressante; ça ne coûte pas cher de salaire puisqu'il est subventionné à 66% ou à 85% par la commission pour employer cet accidenté; il le congédie et il ne dira pas sur son papier de cessation d'emploi que c'est pour condition physique. Il le congédie sous prétexte d'un manque de travail et quelques jours plus tard, on retrouve une demande pour un nouvel

accidenté sous ce même régime. L'accidenté n'a pas été réadapté, puisque la seule raison pour laquelle on a lui a trouvé du travail c'est qu'on a payé l'employeur pour le faire; il n'est pas plus réadapté qu'il ne l'était auparavant et très souvent, en première instance, on doit aller devant les bureaux de révision pour exiger que ces accidentés soient repris en charge par la réadaptation parce qu'ils ne sont pas du tout réadaptés même s'ils ont occupé un emploi pendant six mois. 5. On se sert du programme de stabilisation sociale, communément appelé programme d'allocations à long terme, pour éviter de reconnaître le droit à une rente d'invalidité totale permanente à des accidentés qu'on juge dans les faits inaptes à tout travail à la suite de leur accident. Les rentes étant indexables annuellement, contrairement aux allocations de réadaptation et les prestations de la Régie des rentes du Québec faisant l'objet, depuis l'été 1982, d'une soustraction honteuse, on épargne ainsi l'essentiel des coûts engendrés par la reconnaissance d'une incapacité totale permanente. Je vous réfère à l'annexe 18 où il a été reconnu par la commission qu'une accidentée était totalement incapable de tout travail; il y a plusieurs expertises au dossier qui le démontrent. Au lieu de lui reconnaître 100% d'invalidité qui devrait couvrir son déficit physique et son déficit de capacité de travail, on lui reconnaît à titre de déficit de capacité de travail 10% qui s'ajoutent à 15% de déficit physique pour un total de 25%. On lui dit: De toute façon, vous n'aurez pas à vous plaindre puisqu'on va vous inscrire à un programme d'allocations à long terme. On applique encore, pour évaluer le déficit de capacité de travail, le barème qui n'a pas été retenu par le gouvernement comme projet de règlement; ce barème continue à être appliqué par la commission et donne des résultats identiques à ceux qu'on prévoyait quand on l'a dénoncé: des évaluations à rabais des accidentés.

Ces pratiques de la commission en matière de réadaptation sociale prouvent une fois de plus qu'il y a une marge énorme entre ce qu'elle fait et ce qu'elle proclame, par exemple, que l'objectif de la réadaptation est "de redonner à l'accidenté une autonomie comparable à celle qu'il avait avant son accident" ou encore que "la réadaptation est devenue un droit du travailleur." La pratique quotidienne montre, au contraire, que la réadaptation sociale est pour la commission un moindre mal, une façon d'économiser sur les prestations d'incapacité médicale et les rentes d'invalidité, une façon de se donner bonne conscience à bon compte et de transférer aux contribuables une partie des coûts qui devraient être entièrement assumés par les employeurs cotisants. En cette matière, elle profite d'autant plus du champ libre qu'aucun appel ne peut être logé sur ces questions en dehors de ses murs. On ne peut en appeler des décisions de réadaptation devant la Commission des affaires sociales parce que, tout simplement, le droit à la réadaptation n'est pas, comme tel, formellement inscrit dans la loi. Ce qui est inscrit, ce sont simplement les pouvoirs de la commission en matière de réadaptation et non les droits des travailleurs.

Le troisième point que nous allons aborder, c'est le fonctionnement de la commission en matière de révision. La loi et les règlements prévoient qu'un accidenté qui n'est pas satisfait d'une décision de première instance à l'indemnisation peut en appeler dans les délais prescrits - 30 ou 90 jours, selon le cas - de cette décision devant un bureau de révision constitué à cette fin. Ce bureau a pour mandat d'entendre les parties et de juger selon la justice et l'équité. Ce sont les termes mêmes de l'ancien règlement 59, qui a été refondu il y a peu de temps.

Selon nous, qui agissons comme représentants des accidentés devant ces bureaux dans des centaines de cas, juger selon la justice et l'équité, cela devrait vouloir dire: être entendu dans des délais raisonnables; être jugé selon la loi et les règlements et non selon les politiques et les directives internes de la commission; être jugé sur la base de la preuve et des éléments contenus au dossier; être en mesure de soumettre cette preuve sans être continuellement interrompu ou intimidé; être entendu par des agents capables de juger par eux-mêmes de la valeur de l'argumentation, de la preuve soumise et ayant une attitude impartiale et réceptive; avoir le droit d'exiger une décision motivée dans des délais raisonnables; être assuré que les frais encourus par l'accidenté dans l'exercice de son droit d'appel seront remboursés par la commission. Or, ce n'est pas du tout ce qui se passe.

Les délais s'écoulant entre la contestation de l'accidenté et son audition ont été, cette année, d'environ huit mois. Lorsqu'un accidenté en appelle d'une décision de première instance, lui refusant par exemple le droit à la compensation, c'est-à-dire à 90% de son salaire, les conséquences d'un tel délai sont extrêmement graves. Cela veut dire que pendant un an - puisque, à ces délais de huit mois, il faut ajouter les délais pour signifier la décision qui étaient, en général, de trois ou quatre mois cette année - ce travailleur se retrouvera sans aucun revenu et parfois même sans traitement médical. Le fait d'être payé rétroactivement, une fois la cause gagnée, ne satisfait aucunement aux critères de justice et d'équité.

Pourquoi des délais aussi longs? Il va sans dire que les politiques de coupures

systématiques de la commission pratiquées en première instance, en particulier depuis l'été 1982, de même que l'impossibilité pratique pour l'accidenté de se faire entendre en première instance - puisque tous les pouvoirs sont au bureau médical, dont l'accès est très limité pour les agents d'indemnisation - y sont pour quelque chose. Les appels sont plus nombreux parce que les décisions défavorables sont plus nombreuses. L'insuffisance du personnel peut aussi expliquer en partie ces délais. Mais il y a autre chose.

Depuis environ un an, la commission, prévoyant l'adoption imminente du projet de loi 42 déposé récemment et qui instaure, en remplacement des bureaux de révision, un processus de reconsidération administrative, a pris la décision de s'exercer à ce processus avant l'heure. Du même coup, les délais d'audition sont passés de trois ou quatre mois à huit mois.

Selon la commission, ce processus administratif visait à réduire le nombre d'auditions en permettant d'éliminer tous les cas où la décision aurait pu être modifiée par simple réexamen des pièces au dossier, effectué par un fonctionnaire désigné. L'intention avouée paraît bonne. Toutefois, le problème des refus de première instance n'étant pas principalement un problème d'erreur administrative, mais un problème lié à l'application de politiques internes restrictives, l'objectif avoué est raté. Pourquoi le médecin du bureau médical qui a rendu une décision négative en première instance changerait-il de point de vue lorsque le dossier lui est à nouveau soumis au cours du processus de reconsidération administrative? Ni ses préjugés, ni les politiques et directives restrictives qu'il applique n'ont changé entre-temps. Résultat? L'accidenté, à la suite de la demande d'audition en bonne et due forme qu'il avait logée, reçoit, trois ou quatre mois plus tard, une nouvelle décision négative, souvent accompagnée de commentaires lui démontrant que ses chances d'obtenir gain de cause sont pratiquement nulles et accompagnée aussi parfois d'une formule de désistement qu'il n'aura qu'à signer et à retourner s'il désire abandonner son appel. (18 h 30)

Le procédé est scandaleux. Pendant des années, les accidentés ont réclamé de la commission qu'elle leur facilite la démarche d'appel que plusieurs d'entre eux ont beaucoup de mal à effectuer. Jamais la commission n'a préparé ni expédié aux accidentés de formulaires d'appel de contestation qui auraient pu accompagner une décision qui leur était défavorable, mais, quand il s'agit de leur faciliter la tâche en vue de se désister, elle ne ménage ni l'effort ni le papier.

Il nous a fallu ensuite protester pendant des mois pour qu'à la suite de la réception de cette décision de reconsidération administrative, l'accidenté ne soit pas tenu par la commission de loger à nouveau son appel devant le bureau de révision. Pourtant, rien dans la loi n'autorisait la CSST à exiger des accidentés cette démarche supplémentaire. À la suite de ce détour administratif que représente la reconsidération administrative, à condition que l'accidenté n'ait pas succombé au découragement ou à l'incitation, verbale ou écrite, à renoncer à l'audition qu'il a demandée depuis plusieurs mois, l'appel est enfin dirigé au bureau de révision où il attend son tour. Le dossier complet de l'accidenté ne lui est acheminé que quelques mois plus tard, avec son avis d'audition fixant la date et l'heure où il sera entendu, ne lui laissant parfois que deux semaines pour s'y préparer, les délais variant selon les bureaux régionaux. À Montréal, les délais sont d'un mois; à Sherbrooke, ils sont d'environ deux semaines.

Le bureau de révision, la loi et les directives internes de la commission. On devrait normalement s'attendre devant une instance d'appel à être jugé selon la loi et les règlements. Oh! surprise, ce n'est pas ce qui se passe. Il ne faut pas oublier que les agents de révision sont nommés par la CSST. Aussi la politique qu'ils ont adoptée est-elle de s'en tenir scrupuleusement à l'application des politiques et des directives internes de la commission, avec tout ce que cela comporte de restrictions.

Par exemple, même si la directive A-3080 - c'est le numéro de la résolution que représentait son adoption; c'est la directive sur les déficits de capacité de travail -même si cette directive concernant l'évaluation à rabais des déficits de capacité de travail n'a jamais reçu l'approbation du gouvernement et n'a reçu aucune sanction légale, le bureau de révision l'applique scrupuleusement en toute injustice. Ce qui donne lieu à des décisions aberrantes où la preuve établissant l'incapacité totale permanente de l'accidenté débouche sur l'attribution d'un pourcentage de déficit de capacité de travail de 5%, 10% ou 15%.

Par la suite, ces accidentés sont souvent admis en allocation à long terme par la réadaptation sociale, en plus d'être reconnus totalement invalides par le Régime des rentes du Québec, ce qui constitue la confirmation qu'on aurait dû leur reconnaître, selon l'article 38.4, un pourcentage d'incapacité permanente égal à 100% - je vous réfère à l'annexe 18 dont je vous ai parlé tout à l'heure. Ces cas sont en général reconnus comme tels à 100% deux ans plus tard par la Commission des affaires sociales, à condition toujours que l'accidenté ne se soit pas découragé entre-temps d'en appeler par manque d'information, de

ressources humaines ou financières.

En matière médicale, même procédé. La plupart des agents de révision, et la politique du bureau de révision n'est pas uniforme sur cette question, s'en tiennent à l'application des politiques de la commission, c'est-à-dire du bureau médical. Le diagnostic et l'opinion du médecin traitant et du médecin expert de l'accidenté sont souvent mis de côté, lorsqu'ils ne sont pas carrément ridiculisés ou tout simplement ignorés par l'agent de révision. Alors, on accuse les gens de se présenter avec des diagnostics fourre-tout, quel que soit le spécialiste qui ait produit l'expertise.

Plusieurs agents n'accordent que bien peu d'importance à l'argumentation médicale de chacune des parties et ne jugent que sur le titre de l'intervenant ou sur le nombre, en dehors de toute appréciation scientifique. On voit des agents jeter de côté des expertises médicales faites par des généralistes, même si elles sont appuyées sur des rapports de spécialistes, sur des examens spécifiques qui ont été faits par des spécialistes. On les voit régulièrement mettre de côté ces expertises en disant: Cela n'a pas de valeur puisqu'il y a un spécialiste qui s'est prononcé en sens inverse dans votre dossier. Souvent même, la décision ne fait aucune mention de la preuve médicale soumise par l'accidenté ou ne présente aucune contre-argumentation justifiant une décision contraire à la preuve.

Je ne vous lirai pas l'annexe 19, mais je vous invite, si vous voulez savoir si on dit la vérité, à lire au complet l'annexe 19 par vous-mêmes où vous trouverez la décision complète d'un bureau de révision portant sur une cause d'accidenté où il a été soumis à ce même bureau de révision une expertise médicale que vous trouverez en annexe aussi et dont il n'est fait aucun état dans la décision du bureau de révision, comme si l'accidenté n'avait présenté aucune preuve.

Pour ce qui est de la reconnnaissance des maladies professionnelles, on exige des preuves là où la présomption devrait suffire - par exemple, dans le cas de la liste des maladies professionnelles reconnues par règlement, entre autres dans les cas de surdité professionnelle - et on refuse dans les autres cas le principe même de la preuve par présomption. On refuse même dans certains cas d'entendre des témoins susceptibles de renforcer par leur témoignage cette présomption. On exige des preuves hors de tout doute. On se croirait au criminel, sauf qu'ici, c'est la victime qui est condamnée si la preuve hors de tout doute fait défaut.

Le déroulement de l'audition et la décision. Les agents de révision sont des fonctionnaires désignés par la commission, parfois médecins, parfois avocats, parfois ni l'un ni l'autre. Selon nous, plusieurs d'entre eux ne sont pas habilités à rendre des décisions sur la base de la preuve soumise et des éléments contenus au dossier. La preuve en est qu'il est de pratique courante au bureau de révision d'effectuer des consultations extérieures postaudition. On ne rend donc pas les décisions à partir de la preuve, mais sur la base du jugement d'une autre personne qui n'a même pas assisté à la présentation de la preuve. Tel agent ira consulter le bureau médical, tel autre, un autre agent de révision ou encore, on renverra la cause à un nouveau médecin expert de la commission au jugement duquel on se soumettra pour prendre une décision finale. Vous pouvez trouver cet exemple à l'annexe 20 où, dans ce dossier, l'agent de révision n'a pas retenu l'opinion médicale contenue dans l'expertise du médecin expert de l'accidenté - en passant, c'était un médecin expert de la commission aussi, à ses heures - et la décision s'appuie sur une expertise faite postérieurement à l'audition et sans que le représentant de l'accidenté en fût informé, sans proposer de reprise d'audition où il aurait été possible d'intervenir sur la nouvelle expertise, la nouvelle preuve. Ces procédés sont inqualifiables et contraires aux principes élémentaires de justice naturelle.

Il arrive aussi de plus en plus souvent que l'agent de révision, à l'occasion d'une audition portant sur un aspect bien précis du dossier, en profite pour rendre de nouvelles décisions concernant une autre partie du dossier qui n'est objet d'appel de la part d'aucune des parties. Vous trouverez à l'annexe 22 une situation semblable où une travailleuse a eu un accident de travail renconnu par la commission - c'est-à-dire que c'était plutôt une maladie professionnelle reconnue pour laquelle la commission a reconnu deux rechutes successives - et lorsqu'elle a fait une demande de compensation pour une troisième rechute, la commission lui a refusé cette troisième rechute. La travailleuse est allée en appel et, lors de l'audition, elle a soumis des documents médicaux démontrant que la troisième rechute devait être compensable, selon les termes de la loi. La décision qui a été rendue non seulement ne lui reconnaît pas le droit à la compensation pour cette troisième rechute mais annule son droit à la compensation pour la deuxième rechute pour laquelle elle avait déjà été payée et pour laquelle une décision avait déjà été rendue, alors qu'il n'a absolument pas été question de cette période et qu'elle n'a été aucunement l'objet d'appel, de la part d'aucune des parties.

Comme se plaît à le dire sans pudeur un agent de révision du bureau du Montréal, le Dr Roch Pronovost: Moi, quand je fais une révision, je révise tout le dossier. Il faut vraiment jouir de pouvoirs discrétionnaires absolus pour proclamer ouvertement de telles

grossièretés.

L'accidenté qui se présente en audition devant un bureau de révision devrait aussi être en droit de s'attendre à être entendu par un juge impartial, tout au moins dans son attitude. Or, il arrive fréquemment que ce préposé au jugement se transforme en procureur de l'une des parties. Devinez laquelle.

L'accidenté et son représentant doivent fréquemment subir les interruptions, les invectives, l'intimidation même, de certains agents de révision qui, oubliant le rôle que la loi leur confère, se transforment pour l'occasion en véritables procureurs de la compagnie. C'est à s'y méprendrel Vous voyez à l'annexe 23, c'est une situation qu'on retrouve de plus en plus fréquemment, qui était beaucoup moins fréquente il y a quelques années et qui tend à se généraliser.

Lors de l'audition devant le bureau de révision, l'agent de révision suggère à la partie patronale de retirer sa demande de remise, laissant entendre qu'une remise serait inutile puisqu'elle pourrait avoir gain de cause dès maintenant. Il s'agit d'une audition où l'accidenté se présente avec de nouveaux rapports médicaux expliquant sa situation et expliquant son droit à la compensation. Devant la présentation de ces nouveaux documents, la partie patronale, comme c'est son droit, demande une remise d'audition et l'agent convainc la partie patronale de ne pas demander cette remise puisque cela ne sert à rien puisque, de toute façon, on peut gagner aujourd'hui étant donné que ces rapports sont sans grande valeur. Ce sont des rapports de généralistes, ils n'ont absolument pas été examinés par l'agent. Ils ne jugent absolument pas sur l'argumentation contenue au rapport, mais sur le titre de l'intervenant. La partie patronale est restée et elle a gagné.

Après avoir subi ce traitement, plusieurs accidentés se promettent bien de ne plus jamais en appeler, tellement ils trouvent l'épreuve pénible. Est-ce là l'effet recherché? On est parfois tenté de le croire. Quant aux décisions rendues par ces instances, elles ne nous arrivent bien souvent que trois ou quatre mois plus tard à cause, principalement, du manque de personnel affecté au secrétariat. Et, si elles s'avèrent défavorables, elles seront suivies d'un nouvel appel à la CAS et il faudra encore deux ans d'attente pour y être entendus. Cela fait beaucoup de gens sur le bien-être social.

L'inégalité des parties devant l'exercice du droit de révision. Dans le cas où une décision est rendue en faveur de l'accidenté, la loi et les règlements prévoient que les frais encourus pour cette audition seront remboursés par la commission. Mais, voilà, c'est la CSST elle-même qui fixe, par directives, les montants qu'elle remboursera. Ces montants sont nettement inférieurs aux prix du marché. L'accidenté doit donc encourir des frais énormes qu'il n'est pas toujours en mesure d'assumer pour obtenir le strict respect de ses droits. On prétend ainsi traiter les parties sur un pied d'égalité sans tenir compte aucunement de l'inégalité de fait la plus évidente. Qu'on ne vienne pas nous dire que ce sont les médecins experts des accidentés qui sont en tort et qui font payer trop cher pour leurs expertises. Les compagnies paient très cher pour les leurs parce qu'elles ont les moyens de se les payer. Les médecins experts des accidentés prennent des heures à faire ces expertises. Il ne prennent pas cinq ou dix minutes comme les médecins de la commission le font avec des formules entièrement préparées d'avance ou même sans examen.

Les compagnies n'hésitent pas, elles, à recourir aux services des avocats et des experts les plus coûteux, parce qu'elles en ont les moyens. On force pratiquement les accidentés à rivaliser sur ce plan avec un adversaire qui jouit des moyens démesurément inégaux.

Cette injustice au départ est sérieusement aggravée par le fait que les bureaux de révision ont tendance à juger davantage en fonction des titres et du prestige social des témoins qu'en fonction de l'argumentation ou de la preuve soumises, ce qui oblige souvent, par exemple, les accidentés à défrayer les coûts de la présence d'un spécialiste en audition, ou le coût de son expertise, là où un médecin généraliste compétent aurait très bien pu soutenir la preuve.

Il est inadmissible que des accidentés soient forcés de renoncer à leur droit d'appel ou condamnés à l'endettement pour pouvoir l'exercer. La commission devrait être tenue d'assumer tous les frais d'audition du travailleur, devant tous les paliers d'appel, si on veut continuer à parler de justice et d'équité.

Comment expliquer cette situation? Le fonctionnement actuel des bureaux de révision de la commission est inacceptable et contraire aux principes élémentaires de la justice naturelle. La raison principale qui explique cet état de fait nous semble d'une évidence aveuglante. Ces bureaux n'ont aucune indépendance à l'égard de la commission qui en nomme les agents et leur impose ses politiques et directives internes et, par le fait même, ses intérêts et ses conceptions.

Comment peut-on croire qu'une compagnie d'assurances patronale pourra juger en toute impartialité, justice et équité d'une cause dans laquelle ses cotisants sont impliqués?

Comment peut-il être question de justice et d'équité pour un accidenté quand la partie qu'il confronte est doublement représentée comme partie et comme juge?

Ce n'est pas l'institution d'un processus de reconsidération administrative interne à la commission qui viendra régler le problème. Nous tenons au maintien de ce palier d'appel dont la fonction devrait être de garantir à l'accidenté d'être entendu dans des délais rapides et par un tribunal impartial.

Retirer au payeur le pouvoir de nommer et de réglementer ce tribunal d'appel nous apparaît la condition essentielle au strict respect des droits des accidentés.

En conclusion, le manque de temps nous oblige à interrompre ici le tableau très incomplet des pratiques inadmissibles de la commission.

Comme vous le constatez, nous n'avons pas parlé de l'inaccessibilité des agents; des heures passées à écouter de la musique au bout du fil en tentant vainement de rejoindre la commission; des coupures de personnel qui affectent le service et les travailleurs concernés; de la soi-disant "humanisation" de la CSST par l'introduction d'ordinateurs et d'écrans de toutes sortes; des statistiques déformées ou absentes; de l'information biaisée faite aux accidentés par la commission; du mépris avec lequel on les traite quotidiennement; et de bien d'autres choses...

Nous nous en sommes tenus à ce qui constitue pour nous le fond du problème: l'exercice par cette commission des pouvoirs qui lui sont conférés dans les matières qui touchent directement à l'interprétation des droits qui nous sont reconnus dans la loi.

La conclusion à laquelle en arrive notre organisation, après consultation, enquête et discussion auprès de ses neuf associations membres, après discussion aussi avec des syndicats, des groupes d'intervenants de toutes les régions du Québec, des accidentés non organisés, des avocats, des médecins impliqués dans la défense des accidentés, est claire et sans équivoque. L'expérience nous démontre que la CSST bafoue quotidiennement les droits des accidentés, qu'elle fait preuve d'une partialité aveuglante qui ne tient pas de l'exception, mais de la règle.

Ses abus de pouvoir ne sont pas l'effet d'erreurs de parcours, de méthodes techniquement inadéquates qu'on pourrait corriger facilement par des mesures de gestion plus saine ou de contrôle mieux exercé.

Tout son fonctionnement - l'établissement des directives internes, l'appareil médical, juridique et bureaucratique dont elle s'est dotée - est en parfaite adéquation avec les objectifs qu'elle poursuit réellement de par sa nature même et en conformité avec les pouvoirs qui lui sont conférés. (18 h 45)

Le patronat pourra toujours hurler son mécontentement sur la mauvaise administration interne de la commission, sur les frais que cela lui occasionne, sur la qualité des administrateurs qui la dirigent. Nous lui laissons le champ libre tant qu'il ne s'attaque pas à la teneur ni à l'exercice de nos droits. Qu'ils choisissent ensemble la marque de leurs ordinateurs ou la date de tombée des versements de leurs cotisations nous laisse complètement froids. Cette commission leur appartient, c'est leur compagnie d'assurances. Mais il se trouve que de par la loi c'est nous qui en sommes les bénéficiaires en tant que victimes et nous n'accepterons jamais que cette compagnie d'assurances patronale ait le moindre mot à dire quant à la teneur, à l'interprétation et à l'exercice de nos droits.

Nous pensons avoir suffisamment démontré jusqu'à quel point l'attribution de pouvoirs discrétionnaires à une telle commission donne lieu à des pratiques systématiquement préjudiciables aux victimes d'accidents et de maladies du travail.

Aucune justice ne peut être espérée pour ces victimes tant qu'on n'aura pas retiré à cette comission ses pleins pouvoirs dans les matières qui nous concernent.

Bien sûr, nous savons que la direction de cette commission est assurée par des personnes bien précises. Mais, contrairement aux orthopédistes, par exemple, nous ne demandons pas la tête de Sauvé ni celle de Bernier. Nous ne saurions pas quoi en faire. Même si nous sommes convaincus qu'ils portent l'entière responsabilité des pratiques inqualifiables de la commission, nous pensons qu'il serait facile de leur trouver des remplaçants qui endosseraient à leur tour la responsabilité des mêmes injustices.

Nous croyons qu'une réforme en profondeur s'impose et qu'elle exige plus qu'une substitution des personnages. Il faut de toute urgence retirer à cette compagnie d'assurances patronale les pouvoirs de décision en toute matière concernant l'interprétation de la loi, en matière médicale de même qu'en matière de réadaptation et d'appel.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Fréchette: Merci, M. le Président. J'ai peur que nous nous retrouvions dans la situation que vous avez prévue au moment où nous avons commencé nos travaux. Il est bien évident qu'à l'heure où nous sommes, nous n'aurons pas le loisir de poser des questions autant que nous l'aurions voulu.

Je vais simplement faire des remarques rapides et d'ordre général quant au mémoire que nous venons d'entendre. Je vous signalerai ce que je pense, comme je le pense. Il s'agit d'un mémoire qui est bien présenté, un mémoire qui contient de la substance. Je ne suis pas en train de vous

dire que je suis d'accord avec tout ce que révèle votre mémoire et que je suis disposé tout de go à accepter toutes les conclusions que vous tirez, mais c'est un mémoire étoffé.

C'est un mémoire étoffé et appuyé sur des expériences particulières auxquelles vous nous avez référés non seulement verbalement mais aussi par des annexes que vous avez incorporées à votre évaluation et à votre appréciation de l'ensemble de la commission. C'est un mémoire étoffé. C'est un mémoire - on l'aura compris en l'écoutant - qui est rempli de phrases et d'expressions-choc qui attirent l'attention, et je présume que c'est l'objectif que vous visiez en nous le soumettant.

Vous allez comprendre, M. le Président, que je n'entreprendrai pas à ce stade-ci ni de relever, ni non plus de poser des questions sur tous les aspects particuliers que contient le mémoire de l'ATTAQ. Cependant, je suis tout à fait disposé à reconnaître que ces dossiers particuliers auxquels on a fait référence, les exemples qu'on a donnés, les situations auxquelles on nous a référés vont très certainement nous être utiles pour la poursuite de l'ensemble de nos travaux.

Vu l'heure, M. le Président, j'éviterai donc de poser des questions sur des particularités du mémoire. Je me limiterai à deux ou trois questions d'ordre très général et sur lesquelles j'apprécierais que Mme Lefebvre ou le Dr Chartrand nous donnent leur appréciation.

J'ai cru comprendre - je voudrais bien, à cet égard, qu'on me corrige si je faisais erreur - que le mémoire qui vient de nous être soumis, au-delà des questions particulières auxquelles on fait référence, remet en quelque sorte tout le système lui-même en cause. J'ai cru comprendre, dans l'argumentation qui nous a été soumise, qu'autant la Commission des accidents du travail depuis qu'elle existe, il y a maintenant plus de 50 ans, que la Commission de la santé et de la sécurité du travail telle qu'on la connaît maintenant depuis un peu plus de trois ans, ne répond pas aux objectifs que poursuivent les accidentés du travail, du moins ceux que nous avons devant nous cet après-midi.

Ma première question, M. le Président. Si mon appréciation est exacte, si cette première conclusion à laquelle j'en arrive est exacte, je souhaiterais que ceux qui nous ont présenté le mémoire nous disent, nous explicitent par quel genre d'autre organisme il faudrait remplacer celui qui a existé, celui qui existe maintenant si, dans votre évaluation, l'un et l'autre se sont montrés inadéquats, inefficaces, inopérants et, à toutes fins utiles, présentant plus d'obstacles et d'inconvénients que d'avantages. Si j'ai bien compris, encore une fois, entendons-nous bien. Si ce n'est pas la conclusion à laquelle vous en arrivez, je présume que vous allez me le dire. Si vous n'acceptez pas tout le système en soi - "in se" si vous me passez l'expression - comme vous n'avez pas accepté la Commission des accidents du travail - et vous le dites expressément dans votre mémoire - ce sera l'objet de ma première question, par quoi faudrait-il donc remplacer cet organisme?

Le Président (M. Jolivet): Mme

Lefebvre.

Mme Lefebvre: Nous formulons un peu autrement la question, c'est-à-dire que nous concevons très bien qu'il existe une commission chargée de recueillir les fonds patronaux pour l'indemnisation des victimes d'accidents et de maladies du travail. Ce que nous disons, c'est qu'il nous apparaît anormal qu'on confie à cette commission qui est, dans les faits, une compagnie d'assurances, le pouvoir d'interpréter la loi par directives internes et qu'on lui confie des pouvoirs aussi grands en toute matière concernant l'application des droits qui nous sont reconnus dans la loi. On ne dit pas qu'il ne doit exister aucune commission ou que cette commission-là ne doit pas exister. On dit qu'il n'est pas normal qu'on lui laisse des pouvoirs d'interprétation de la loi et des pouvoirs en matière médicale qui est le point principal d'intervention de la commission. Quand on dit l'appareil médical, c'est son appareil le plus productif, le plus rentable; c'est cet appareil qui décide de tout. Que ce soit confié à un autre organisme indépendant de celui qui a la charge de percevoir les fonds, cela nous semble une condition essentielle pour le respect des droits des accidentés.

M. Fréchette: Alors, de votre observation, Mme Lefebvre, est-ce que je fais bien d'interpréter qu'il ne faudrait pas que cet organisme, que ce soit l'actuelle commission, l'organisme qui l'a précédée ou un autre qui éventuellement pourrait la remplacer, ait quelque pouvoir réglementaire que ce soit et que toutes les décisions administratives devraient se retrouver dans la loi elle-même et ne laisser, sur le plan de l'administration, aucune initiative, aucun pouvoir décisionnel à quelque organisme que ce soit?

Mme Lefebvre: Cela dépend de ce qu'on entend par administration. S'il s'agit de décider comment le personnel doit être réparti, comment doit s'acheminer le dossier ou des décisions de cet ordre-là, elles peuvent très bien être prises par une commission telle que la CSST. Quand il s'agit de déterminer si les gens sont malades et ce qui va donner lieu à compensation ou non-compensation, c'est-à-dire à l'application

de loi pour tel ou tel accidenté, il s'agit d'un aspect de l'administration qui a une importance autre que l'administration courante, savoir comment on va traiter un dossier.

M. Fréchette: C'est ma dernière question. Il faudrait prévoir, par mesures législatives, les modalités, les paramètres de la prévention, de la réparation et de la réadaptation et laisser au corps administratif le seul et unique soin de prendre des décisions en matière administrative quotidienne. C'est un autre organisme ou alors la loi qui devrait prévoir tout le reste en matière de prévention, de réparation et de réadaptation?

Mme Lefebvre: II y aurait peut-être des solutions différentes à envisager selon les différents pouvoirs. Qu'on pense simplement qu'en matière d'appel il y a un tribunal d'appel qui a été créé en 1977, auquel on a reconnu le droit d'intervenir dans les décisions concernées par la Loi sur les accidents du travail; c'est la Commission des affaires sociales. On s'aperçoit déjà - même si on n'est pas sans critique à l'égard de ce tribunal; il peut y avoir des problèmes aussi - on s'aperçoit déjà que les décisions sont très différentes à la Commission des affaires sociales et à la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Disons qu'en matière d'appel, on a déjà trouvé des éléments de solution pour sortir de la commission le plein pouvoir, le plein pouvoir étant "appelable" ensuite devant une instance supérieure.

On pourrait trouver des solutions au niveau médical et au niveau de la réadaptation de la même façon: d'une part, en inscrivant davantage le droit dans la loi et de façon plus précise et, d'autre part, en reconnaissant certains droits. Nous, ce que nous revendiquons, entre autres, c'est le respect du diagnostic et du traitement du médecin traitant. Ce sont des choses qui pourraient être reconnues par voie législative et qui n'exigeraient pas tout un appareil. Le seul appareil qui resterait à déterminer serait celui pour traiter les cas litigieux de désaccord entre médecins traitants. Et il ne serait pas du tout nécessaire que ce qu'on pourrait concevoir pour régler ces problèmes soit sous la dépendance de la CSST.

M. Fréchette: Merci. Cela répond à ma question.

Une deuxième question m'est suggérée par le troisième paragraphe de la page 4 de votre mémoire, la première page 4; je comprends qu'il y en a deux: "Pourquoi ce parti-pris systématique de la CSST d'interpréter à la baisse, de restreindre le peu de droits déjà reconnus aux accidentés dans la loi, sinon parce qu'elle privilégie son mandat de gestionnaire, parce qu'elle s'identifie aux intérêts de sa vraie clientèle, celle qui verse les fonds, qui cotise, le patronat"? Mme Lefebvre, ce n'est certainement pas à vous que je vais apprendre la composition du conseil d'administration de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Vous savez mieux que moi qu'il est composé de sept représentants patronaux et de sept représentants syndicaux. Est-ce qu'alors il faut comprendre de ce troisième paragraphe de la page 4 de votre mémoire que, lorsque vous vous exprimez de la façon dont vous le faites, vous incorporez dans votre réflexion, dans votre évaluation, la partie syndicale qui siège au conseil d'administration?

Mme Lefebvre: L'expérience nous amène à croire jusqu'à maintenant, l'expérience de ce conseil d'administration nous amène à comprendre, que les pouvoirs de la commission ne sont pas entre les mains de ce conseil d'administration, mais bien entre les mains du comité de direction. Jusqu'à maintenant, on n'a vu aucune différence dans les décisions. Qu'on prenne l'exemple, qu'on cite dans le mémoire d'ailleurs, du projet de règlement qui correspond à la résolution du CA précisément, la résolution A-3080. Ce projet de règlement a été conçu par la direction de la commission - je ne parle pas du conseil d'administration - la vraie direction de la commission; il a été conçu par cette direction; il a été présenté au CA comme étant une chose très belle et le CA a adopté une résolution à savoir de faire publier à la Gazette officielle ce projet de règlement. Pourtant, les centrales syndicales se sont prononcées contre le projet de règlement, ce qui a amené le gouvernement à le retirer aussi. Ce n'est pas à nous de statuer sur qui doit être là ou non, quel rôle il devrait avoir. Ce dont on se rend compte dans la pratique, c'est que ce n'est pas ce conseil d'administration qui décide. Il estampille, à notre avis mais il ne décide pas; les vraies politiques sont tracées par le comité de direction de la commission, par l'appareil qui...

M. Fréchette: Bon, cela va. J'ai une dernière question. Je vais y aller le plus rapidement possible. Elle s'adresse autant à vous qu'au Dr Chartrand. J'espère que je ne me trompe pas cette fois-ci, M. le Président.

Est-ce qu'il faudrait comprendre de vos deux interventions - et là, vous allez, évidemment, deviner tout de suite que je fais référence à l'aspect de votre mémoire qui traite du traitement médical - que votre objectif serait de faire en sorte qu'il soit interdit, à toutes fins utiles, à la commission, et dans tous les cas, de faire procéder à une évaluation médicale par un

médecin qu'elle aurait elle-même choisi? En d'autres mots, est-ce que ce que vous plaidez devant nous cet après-midi, c'est qu'il ne doit y avoir qu'une seule évaluation médicale, celle du médecin traitant et cela, dans tous les cas, qu'il s'agisse de cas d'accidentés graves qui vont subir un préjudice important pour le restant de leurs jours ou alors d'accidentés qui ont moins de séquelles, qui vont être absents pour une courte période de leur travail? Est-ce qu'il faut interpréter de votre argumentation qu'en aucune espèce de circonstance la commission ne devrait faire procéder à une évaluation médicale? (19 heures)

Mme Lefebvre: Cette question nous semble un peu une question piège. D'abord, il faut regarder qui sont les médecins experts de la commission. Ce sont des médecins traitants. Ils ne tombent pas du ciel les médecins experts de la commission. Ils pratiquent dans les hôpitaux, ils pratiquent dans les cliniques privées. Donc, s'ils sont capables de se prononcer lorsque la commission leur commande une expertise, pourquoi ne sont-ils plus capables de se prononcer quand ils agissent comme médecins traitants? Ce qu'on reconnaît et qui nous apparaît même, dans certains cas, une nécessité, c'est qu'il y ait des consultations médicales qui soient faites sur des cas compliqués, qu'on puisse exiger qu'un accidenté soit vu par tel genre de spécialiste concerné par le type de lésion qu'il a, par quelqu'un qui est spécialiste de la question. Mais pourquoi faudrait-il que la commission choisisse le spécialiste?

Si vous retournez aux exemples qu'on vous a fournis, dans ces exemples, on retrouve justement des médecins traitants d'accidentés qui ont soutenu des diagnostics, qui ont été refusés par des médecins experts de la commission. Or, il se trouve que ces médecins traitants étaient aussi des médecins experts de la commission. Commment se fait-il que, lorsqu'ils deviennent médecins traitants, lorsqu'ils agissent en tant que médecins traitants, la commission ne leur reconnaît plus le pouvoir de juger alors que, le lendemain, elle convoque ces médecins comme médecins experts pour juger de la cause d'un accidenté qui a été soigné par un autre médecin traitant qui, la veille, était le médecin expert? Alors, ce qu'on dit, c'est que ce n'est pas la commission qui doit avoir les pouvoirs discrétionnaires en matière médicale. Pourquoi ce serait le médecin de la commisison qui aurait raison? On ne s'oppose pas au fait qu'il y ait confrontation de diagnostics médicaux, qu'il y ait vérification de diagnostics médicaux; cela nous semble normal, il y a des cas qui sont compliqués. Ce n'est pas une question de dire: On veut à tout prix que le premier qui passe ait raison. Ce n'est pas cela. C'est tout simplement que ces évaluations complémentaires, ces évaluations qui peuvent être nécessaires dans certains cas, puissent être faites, qu'on indique dans quelle spécialité on juge que ces cas soient expertisés et que l'accidenté puisse s'adresser à l'expert de son choix.

M. Fréchette: Finalement, c'est plus la modalité que le fond qui est contesté.

Mme Lefebvre: C'est-à-dire que le fond, c'est la question du pouvoir de la commission de choisir l'expert en question et le rôle qu'elle fait jouer à cet expert.

M. Fréchette: M. le Président, on pourrait continuer notre dialogue. Ce serait sans doute intéressant, mais je suis convaincu qu'il y a des collègues autour de la table qui ont aussi le goût de poser des questions à Mme Lefebvre. Je veux lui réitérer nos remerciements, de même qu'au groupe qui l'accompagne.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier Mme Lefebvre et l'ATTAQ pour leur document qui est très étoffé.

Au début, je me suis un peu inquiété lorsque vous avez parlé du syndrome méditerranéen. Étant né en Italie, on m'a déjà dit que j'avais une fièvre familiale méditerranéenne. Celle-là ne m'inquiète pas trop, parce qu'il paraît que c'est la fièvre d'amour, mais le syndrome méditerranéen commence à m'inquiéter.

À la page 25, vous parlez de la question des coûts de l'accidenté. Pour qu'il puisse étoffer son dossier, avoir une expertise médicale, une consultation légale et ainsi de suite, afin qu'il puisse se défendre, vous dites que les coûts sont énormes. Est-ce que vous pouvez les chiffrer ces coûts?

Mme Lefebvre: Certainement. Actuellement, dans la région de Montréal et ce n'est pas tellement différent dans les régions du Québec, il peut y avoir de petites variantes - les expertises des spécialistes en orthopédie, en physiatrie et en neurochirurgie vont de 300 $ à 600 $ en général. Cela peut être un peu moins, parfois un peu plus, mais, en général, cela se situe dans cette échelle. Cela c'est pour une expertise que l'accidenté doit faire faire même si, déjà, au dossier, il y a trois ou quatre spécialistes qui se sont prononcés clairement sur son problème et qui ont donné toutes les indications nécessaires à la reconnnaissance de sa lésion. Il doit les fournir tout simplement parce qu'un médecin expert de la commission ou parfois même parce qu'un médecin du bureau médical qui

ne l'a jamais vu, lui, considère qu'il n'y a pas de lien, ou que sa rechute n'est pas une rechute de l'accident, ou qu'il n'y a pas de lien entre ses symptômes et son accident. Alors, tout simplement, pour faire reconnaître ce qui est déjà présent au dossier, il doit encourir ces frais. Cela, c'est pour les frais médicaux pour un premier appel. Parfois, il doit se rendre en deuxième appel quand le bureau de révision ne le reconnaît pas et, si la situation a évolué, produire une nouvelle expertise actuelle.

Il y a aussi les frais encourus par les procureurs. Il y a des accidentés qui recourent à des associations d'accidentés, comme ceux qui sont présents ici. Cela ne leur coûte rien. Mais il y a des accidentés qui recourent à leur syndicat. Il y a énormément d'accidentés qui sont non syndiqués. Ce sont ceux qui sont, en général, dans les situations financières les plus déplorables, qui se retrouvent devant aucune forme de défense et qui ont recours à des avocats qui leur chargent les prix que chargent les avocats, un minimum de 75 $ l'heure. Quand on sait le nombre d'heures qu'il faut passer sur un dossier d'accidenté, surtout quand ce dossier a trois ou quatre pouces d'épais, pour arriver à déchiffrer les situations à l'intérieur de cela, faire produire les expertises nécessaires... Cela coûte des petites fortunes. Il y a des avocats qui chargent aussi au pourcentage du montant perçu. Tout cela, simplement pour faire reconnaître un droit qui devrait leur être reconnu dès le départ.

M. Cusano: À la page 22, vous dites qu'il y a des retards avant que l'accidenté puisse recevoir ses cotisations. Vous dites que, même s'il est payé rétroactivement... Que fait-il pendant ce temps, c'est-à-dire lorsqu'il n'a pas de salaire? Où se dirige-t-il? Est-ce que c'est à la caisse populaire pour un prêt? Est-ce que c'est...

Mme Lefebvre: Au bien-être social. M. Cusano: Au bien-être social.

Mme Lefebvre: La plupart des accidentés aboutissent là. Cela nous étonne, qu'il n'y ait aucune statistique de produite sur le nombre d'assistés sociaux qui sont des anciens accidentés du travail. Il doit y en avoir un très grand nombre. C'est là que nous les voyons se diriger régulièrement.

L'accidenté pour qui la commission met fin aux traitements, cela ne veut pas dire qu'il est guéri. Dans le meilleur des cas, s'il tombe sûr un hôpital qui n'a pas un nombre de places trop limité pour les accidentés du travail ou qui n'est pas trop surchargé pour le reste des citoyens, il va pouvoir poursuivre ses traitements. Dans certains cas, cela veut dire une interruption de traitements aussi, en plus de l'arrêt des compensations. Quand c'est un accidenté d'un certain âge, très souvent il a accumulé des économies pendant sa vie, il essaie de vivre de ses économies pendant les mois d'attente. Mais il arrive un temps, quand c'est jusqu'à la Commission des affaires sociales, où ses économies sont grugées et il se retrouve sur l'assistance sociale. Il n'y a pas de miracle qui se produit, il attend. Cela veut dire perdre sa maison, cela veut dire, souvent, la destruction de la cellule familiale. Cela a des conséquences énormes sur les accidentés, d'attendre aussi longtemps pour que justice leur soit rendue, quand justice leur est rendue.

M. Cusano: Merci. Sur le programme de recherche d'emploi, certains de mes électeurs sont venus me rencontrer à mon bureau et ils m'ont fait une description des cours qui se donnent à la CSST pour la recherche d'emplois. Je n'ai pas le document tel quel avec moi, mais il y a certains paragraphes dans ce programme qui m'inquiètent un peu - un peu beaucoup -lorsqu'on suggère à l'accidenté de se présenter devant un employeur et de cacher son incapacité. Pouvez-vous commenter cela, madame?

Mme Lefebvre: Exactement. C'est une pratique courante. Dans les cours que les accidentés reçoivent des services connexes à la réadaptation - ce souvent des entreprises extérieures à contrat avec la commission qui donnent ces cours - on leur conseille régulièrement de ne pas dire qu'ils sont accidentés du travail lorsqu'ils cherchent un emploi parce que cela diminuerait trop leurs chances de se trouver un emploi. C'est une pratique très courante, c'est régulier, c'est le conseil qu'on leur donne, de cacher leur accident de travail. Une chose est certaine, c'est que, dans certains cas, cela ne se cache pas. Quelqu'un qui arrive avec sa canne ne se cache pas, quelqu'un qui arrive en boitant, cela ne se cache pas non plus. Dans d'autres cas, cela peut se cacher mais ce que cela donne comme résultat, c'est que, dès qu'il y a une complication au travail, d'abord l'employeur peut - et cela est très facile pour lui - vérifier par le numéro d'assurance sociale si les gens qu'il embauche sont des accidentés; d'une part, c'est inefficace. Même si cela est efficace à court terme, à plus ou moins long terme cela joue contre l'accidenté qui peut se faire congédier pour ne pas avoir déclaré le fait qu'il était dans cet état au départ.

M. Cusano: Merci. Une autre question, Mme Lefebvre, concernant un fait qui m'a été souligné encore dans le comté, en ce sens que certains agents d'indemnisation demanderaient à des accidentés du travail de

signer des formules non remplies, des formules en blanc. Est-ce que c'est une pratique que vous avez vécue?

Mme Lefebvre: La pratique que nous connaissons là-dessus, ce sont des formules d'autorisation de communiquer les renseignements médicaux. Effectivement, on a eu connaissance à plusieurs reprises que des agents faisaient signer plusieurs formules d'autorisation sous prétexte que cela éviterait des délais lorsqu'on aurait à faire venir des papiers médicaux à tel ou tel endroit; alors, ils faisaient signer ces formules en leur demandant de ne pas les dater. On sait que dans les hôpitaux, lorsqu'une formule d'autorisation de communiquer des rapports médicaux parvient, elle est valide pendant 30 jours. Elle est en tout cas considérée comme valide pendant 30 jours par les hôpitaux. Il y a des accidentés qui, comme cela, sont appelés à signer plusieurs formules à l'avance. Le problème -c'est sûr qu'il peut y avoir une question pratique de ne pas faire revenir l'accidenté chaque fois qu'on veut ravoir un dossier médical - c'est que cela peut donner lieu à des abus, c'est-à-dire qu'on peut utiliser beaucoup plus tard ces formules pour des questions qui ne sont pas relatives à l'accident.

M. Cusano: Merci. Ma dernière question, Mme Lefebvre. J'ai vu certaines de vos déclarations dans les journaux et j'aimerais savoir, depuis l'existence de votre association, combien de fois et par quel moyen vous avez communiqué avec le président de la CSST ou bien avec le ministre qui a été chargé du dossier.

Mme Lefebvre: Combien de fois? Je ne saurais vous dire combien de fois on a essayé de les rejoindre, mais disons qu'on a eu une rencontre avec le président de la CSST en septembre 1982, où étaient présents une trentaine d'accidentés, et qui n'a donné le goût à personne de le rencontrer à nouveau. Il nous a quittés au beau milieu de la discussion en remettant ses papiers dans sa serviette et en partant sans que cela soit terminé ou sans qu'il ait indiqué d'une façon ou de l'autre que cela devait se terminer. Il n'est pas d'un accueil particulièrement chaleureux. Cela ne nous incite pas beaucoup à aller le rencontrer. Cette journée-là, on l'avait rencontré à propos des coupures qui étaient pratiquées depuis juillet 1982 à la commission. Pendant deux heures, il a soutenu que les coupures n'existaient pas. On avait en main les directives signées de sa main pour ces coupures, il y avait 100 accidentés dans la salle, dont une grande partie étaient victimes de ces coupures, et il continuait de soutenir que cela n'existait pas. Devant quelqu'un qui ne reconnaît pas la réalité à ce point, on est tenté de communiquer plus directement avec les gens qui s'occupent directement des accidentés, qui sont soit les agents, soit les chefs d'équipe, soit les chefs de secteur. Ce sont des gens avec qui on communique régulièrement à la commission pour exposer les problèmes; on n'est pas tellement tenté de communiquer avec la direction. Pour ce qui est du ministre, on l'a aussi rencontré l'an dernier. Cela a pris plusieurs mois avant qu'on obtienne une rencontre, qu'on a eue finalement en janvier 1983.

M. Cusano: Merci.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Sainte-Anne.

M. Polak: M. le Président, je ne sais pas combien de temps on a exactement. Quant à moi, j'ai des questions à poser pendant des heures; ce qui a été dit - je ne parle pas des exemples comme le ministre l'a dit - représente une accusation très grave vis-à-vis de la CSST. Mme Lefebvre a dit tout à l'heure qu'on a attendu pendant 50 ans; on vous doit peut-être 5 fois 50 minutes. En tout cas, je ne sais pas ce qui se passe exactement, il est 19 heures...

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! J'ai laissé passer tout à l'heure des mouvements d'émotion, mais je ne voudrais pas qu'on profite des circonstances... Ordinairement, ce sont les gens autour de la table qui ont le droit de manifester quoi que ce soit. Je vous comprends très bien, je ne veux pas vous dire que je ne vous comprends pas, mais je suis là pour appliquer des directives qui me sont données par l'Assemblée nationale. La commission elle-même est maîtresse de ses travaux, mais elle l'est au maximum jusqu'à 20 heures ce soir. Qu'on le veuille ou non, il y a une autre commission qui sera ici tout à l'heure à 20 heures. Je n'ai pas le choix, comme président, de vous donner une autre réponse que celle-là.

Quant à l'autre fait, c'est-à-dire s'il fallait prolonger à un autre moment, cette décision ne m'appartient pas comme président au moment où je vous parle.

M. Polak: En tout cas, je voudrais juste dire que, quant à moi, le mémoire représente une accusation très grave. Comme j'ai dit, si on arrête à 19 h 30 et qu'on les envoie dans leurs différentes régions, ce serait un geste scandaleux. J'aimerais vraiment qu'on puisse questionner ce groupe. En prenant leur mémoire de 28 pages auquel toutes sortes de documents sont attachés, ce ne sont pas des paroles vagues. (19 h 15)

Le Président (M. Jolivet): M. le député

de Sainte-Anne, comme la commission est quand même maîtresse de ses travaux, mais qu'elle doit rester dans les normes prévues pour les commissions, adoptées par une décision de l'Assemblée nationale, le ministre a peut-être quelque chose à ajouter avant que vous continuiez.

M. Fréchette: M. le Président, l'entendement que j'en ai est le suivant. Je ne sais pas si mon collègue de Viau va concourir à cette explication ou l'infirmer.

Au moment où l'Assemblée nationale a accepté, avec amendement, la motion qu'a soumise le député de Viau, celui-ci a suggéré une liste d'organismes qui, d'après lui, voulaient être entendus à la commission. Nous avons accepté intégralement la liste que le député de Viau nous a soumise. À partir du fait que quelques autres organismes avaient manifesté le désir d'être entendus, nous avons tenté d'établir ce qu'en cour on appellerait un "rôle" pour faire en sorte qu'à l'intérieur des quatre jours qui nous sont alloués nous arrivions à entendre chacun des organismes qui en avaient manifesté le désir. Cela nous amenait à une période de temps d'une heure pour chacun des organismes, soit 20 minutes ou à peu près pour soumettre son mémoire et le reste de l'heure pour procéder à des échanges par voie de questions et réponses.

Nous avons débuté cet après-midi vers 16 h 30. Il était entendu que nous n'avions pas d'objection à déborder l'heure qui était normalement prévue pour les témoins qui sont devant nous, compte tenu du fait qu'un organisme qui devait être entendu ce soir s'est désisté. Mais, M. le Président, il en est de cette commission-ci comme de n'importe quelle autre commission. Il est évident qu'avec le matériel qu'on nous a mis sur la table, nous pourrions passer les quatre jours avec les témoins qui sont devant nous. C'est évident. Mais l'Assemblée nationale nous a donné un mandat et nous essayons - je comprends très bien qu'il puisse y avoir des gens frustrés de part et d'autre - de travailler à l'intérieur du mandat qui nous a été confié.

Je veux bien qu'on déborde carrément l'heure qui était assignée ou enfin qui était prévue pour chacun des organismes, mais si on le fait pour les autres qui sont déjà sur la liste cela va risquer de déborder largement les quatre jours qui sont déjà prévus.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Viau.

M. Cusano: M. le Président, lorsqu'il y a eu consentement il ne faut pas oublier aussi qu'il avait été question des mémoires qui seraient présentés. Vu l'importance du problème qui nous est exposé, je peux vous dire que nous, du côté de l'Opposition, serions favorables à ce que le mandat de la commission déborde les jours prévus et, si nécessaire, à retourner en Chambre et demander...

Une voix: Consentement.

M. Cusano: S'il y a consentement ici, M. le ministre, il n'y a aucun problème. Sinon on pourrait toujours retourner en Chambre.

Le Président (M. Jolivet): D'une façon ou d'une autre, pour ce soir c'est quand même impossible de dépasser 20 heures. Je ne peux accepter aucun consentement à la commission puisqu'il y a trois autres commissions qui siègent à partir de 20 heures. M. le député de Sainte-Anne.

M. Fréchette: M. le Président, le...

Le Président (M. Jolivet): Si on pouvait régler cela autrement, M. le ministre, parce qu'on va parler seulement de ce problème et le député de Sainte-Anne n'aura pas le temps de poser ses questions.

M. Polak: M. le Président, je suis très heureux de la suggestion du député de Viau parce qu'il y a tellement de matière ici, c'est incroyable, et de la matière très sérieuse...

Je vais me limiter rapidement à cause du système et des quelques minutes qui nous restent. C'est un peu ridicule mais je vais poser mes questions rapidement. Mme Lefebvre, vous avez parlé du bureau médical qui décide sans avoir vu l'accidenté. Avez-vous un pourcentage des cas où cela se produit? Est-ce dans la majorité des cas ou si ce sont des exceptions? Rapidement.

Mme Lefebvre: Les statistiques ne nous appartiennent pas. Elles appartiennent à la commission et la commission ne nous a jamais fourni de statistiques. Elle prétend que le bureau médical ne décide que selon le diagnostic du médecin traitant ou selon l'avis du médecin expert. Tout ce qu'on peut dire c'est qu'elle ment quand elle fait cette affirmation. On ne peut dire dans quel pourcentage des cas parce qu'on ne représente pas tous les accidentés du Québec.

M. Polak: Mais pour les cas dont vous vous occupez. Vous n'êtes pas seuls, vous êtes tout de même neuf organismes répartis à travers la province et il y en a d'autres aussi qui existent. D'après votre expérience, quel est le pourcentage des cas dont vous vous occupez où vraiment vous avez eu des plaintes?

Mme Lefebvre: On n'a pas fait de statistiques là-dessus. Tout ce qu'on peut dire c'est que c'est très fréquent qu'on reçoive une décision. À ce moment, on communique avec l'accidenté en lui demandant: Est-ce qu'il y a eu un examen? Et la lettre qu'il reçoit concorde avec le témoignage de l'accidenté, c'est-à-dire à la suite d'un examen de votre dossier par le bureau médical il a été décidé que - cela est très fréquent - je suis incapable de vous donner une proportion, on n'a pas le personnel nécessaire pour fournir ces statistiques.

M. Polak: Une autre question très rapide. Je suis content, vous répondez vite parce que cela aide tout le monde.

Le Président (M. Jolivet): Posez votre question, ne perdez pas de temps.

M. Polak: J'ai vu très souvent la valeur du médecin traitant. Je suis avocat, je pratiquais encore quand on plaidait à la cour la cause des accidents d'automobiles, des incapacités et très souvent on constatait que celui qui connaissait le mieux le dossier de l'accidenté c'était le médecin traitant. C'est bien beau d'avoir des experts qui sont spécialisés mais celui qui vit avec l'accidenté, c'est lui qui est en mesure d'établir vraiment le degré d'incapacité. Est-ce que cela est votre expérience qu'on commence à négliger de plus en plus le médecin traitant, qui est très important et qu'on se fie à un spécialiste qui n'a pas vu la victime en question.

Mme Lefebvre: Je crois que cela est tout à fait vrai mais ce qu'il faut souligner aussi, c'est que quand on parle de médecin traitant, on ne parle pas seulement des généralistes. On parle du médecin traitant spécialiste dont les diagnostics sont tout autant bafoués que ceux des médecins traitant généralistes. Dans la plupart des cas, pour les cas d'accident du travail assez sérieux, il s'agit toujours de spécialistes. Puisque les gens doivent être vus soit en orthopédie, en neurochirurgie, en physiatrie pour n'importe quel problème, ils sont vus par des spécialistes de toute façon qui sont leur médecin traitant. Les diagnostics, qu'ils viennent de généralistes ou de spécialistes traitants ne sont pas reconnus par la commission.

M. Polak: Ma dernière question. Vous savez, en vertu de l'article 141 de la loi, qu'il y a sept membres du conseil qui représentent l'association syndicale la plus représentative. J'ai vu la liste, ils sont assez représentatifs du monde syndical. Est-ce que, comme représentant des travailleurs et travailleuses accidentés, vous avez parlé de ces problèmes avec ces sept personnes pour voir ce qui se passe, si elles peuvent vous aider?

Mme Lefebvre: On en a rencontré quelques-uns déjà qui siégaient au conseil d'administration de la CSST et ils se sont eux-mêmes retirés de ce conseil d'administration. C'est-à-dire, vous me dites qu'ils sont assez représentatifs mais je vous ferai remarquer que ni la CSN, ni la CEQ ne siège au conseil d'administration. Elles y siégeaient au départ et elles s'en sont retirées. Je pense que ce serait intéressant de leur poser la question: Pourquoi se sont-elles retirées?

M. Polak: Je ne voudrais pas...

Mme Lefebvre: Nous avons déjà fait des représentations auprès du conseil d'administration; c'est-à-dire qu'on a essayé d'aller voir les membres un peu par surprise, une journée, et ils n'ont pas voulu nous recevoir sauf, que les représentants syndicaux, qui siégaient à ce conseil, les représentants de la CSN, de la CEQ de même que M. Bernier, vice-président ont participé à cette rencontre.

M. Polak: Je vais me restreindre, M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Dans ce cas, donnez...

M. Polak: ...quitte plus tard, avoir le droit de continuer, j'espère.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Vous pouvez passer mon collègue avant.

Le Président (M. Jolivet): D'accord. M. le député de Saint-Jacques.

M. Champagne (Saint-Jacques): Une petite question, M. le Président. Vous dites, Mme Lefebvre, à la page 27 de votremémoire, que nous n'avons pas parlé du mépris avec lequel on les traite quotidiennement. Avez-vous des exemples, des cas précis et quel genre de mépris cela peut être?

Mme Lefebvre: Je pense qu'on vous a déjà fourni à l'intérieur du dossier, des annexes, un certain nombre d'exemples. Quand un accidenté se fait dire: Écoute, on n'est pas le bien-être social ici, retourne travailler. Quand un accidenté qui est en traitement, qui a des douleurs à longueur de journée, qui ne dort pas la nuit parce qu'il est malade, se fait dire par la commission,

tu n'as pas à venir quêter ici... Seulement les choses qu'on vous a montrées dans les rapports sur le bureau médical, la façon dont les dossiers sont traités, il n'y a pas de plus grande forme de mépris que cela que de dire à quelqu'un qui est malade qu'il ne l'est pas, que cela est dans sa tête, que c'est un syndrome méditerranéen, que s'il ne veut pas travailler, ce n'est pas à la commission de payer, que la commission ce n'est pas le bien-être social. Ce sont des choses que les accidentés se font dire.

Il y a deux ans, il y avait dans les cours de réadaptation, les cours qu'on donnait aux travailleurs en recherche d'emploi... On leur faisait passer des tests pour voir s'ils avaient bien compris. On leur faisait passer des "vrai ou faux". Alors, les accidentés inscrits à ces cours, après une certaine période de cours se voyaient remettre un petit questionnaire. On leur demandait: "Vrai ou faux, la commission continuera de me payer indéfiniment, même si je ne reprends jamais le travail et que je ne suis pas malade" ou quelque chose du genre. S'il n'y a pas de mépris là-dedans, de penser qu'au départ les travailleurs sont des stupides qui vont aller croire qu'il y a un organisme quelque part qui va les payer quand ils ne sont pas malades, quand ils ne travaillent pas, seulement parce qu'ils veulent arrêter de travailler. On trouve cela vraiment très méprisant. C'est vraiment prêter aux accidentés, d'une part, une conception et ensuite leur prêter une attitude de fraude que les travailleurs accidentés n'ont pas. Les travailleurs accidentés qu'on rencontre chaque jour, ce sont des gens qui font tout pour retourner au travail. Ce qu'ils veulent le plus, c'est de retrouver leur situation antérieure, c'est d'être capables de retourner au travail et de faire vivre leur famille. Il y en a même qui y retournent trop vite au travail et qui ont des rechutes à cause de cela.

La situation généralisée, ce n'est pas l'attitude de fraude des accidentés; ce sont des gens qui veulent guérir, qui font tous les efforts pour le faire et qui se font arrêter leur traitement en cours de route parce que la commission juge qu'ils ont été suffisamment traités, même si le médecin et les accidentés se rendent bien compte qu'ils ne sont pas capables de retourner à l'emploi dans ces conditions.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: M. le Président, Mme Lefebvre, mesdames et messieurs qui vous accompagnent. C'est certainement avec beaucoup d'intérêt qu'on prend connaissance du document que vous produisez aujourd'hui, des commentaires que vous formulez à l'égard des griefs que vous soulevez, et aussi des annexes contenant des cas troublants et inquiétants que vous portez à notre attention et qui contribueront certainement, quant à nous... Ces cas-là concrets et spécifiques de problèmes, de vécu quotidien de travailleurs ou de travailleuses accidentés, avec la commission, ces cas-là, dis-je, vont certainement s'ajouter aux nombreux cas analogues que nous connaissons, qui ont été portés à notre connaissance et pour lesquels on aura certainement à traiter avec l'honorable juge Sauvé, le P.-D.G. de la commission, lorsqu'il témoignera devant nous jeudi prochain.

Je voudrais aborder un aspect de la question qui a été soulevée par le ministre. Vous remettez en cause le droit pour la commission - parce que, entre guillemets, vous la définissez comme étant "une compagnie d'assurances appartenant à celui qui paie les cotisations, c'est-à-dire l'employeur" - vous remettez en cause le droit pour cette commission de juger de vos droits. C'est beaucoup. C'est, somme toute, remettre en cause l'ensemble de la loi, de l'opération, des moyens et des méthodes que le législateur a établis pour définir ce qui arriverait dans le cas d'accidents du travail.

Dans votre mémoire, à la première page, vous signalez, à juste titre, que ce sont des centaines de milliers de réclamations qui sont présentées à la commission chaque année. Je comprends qu'il y a des abus et des excès. Je comprends qu'il y a des choses pas correctes qui se font dans la commission. On retient qu'il y a des cas de préjudices graves qui sont causés à des accidentés, compte tenu de politiques ou de décisions, peu importe pour quel motif elles sont prises. Mais il y a quand même un nombre probablement appréciable, qu'on ne peut pas quantifier à ce moment-ci, de cas portés à la connaissance de la commission et pour lesquels il y a une réponse adéquate.

Ne croyez-vous pas qu'il serait plus utile pour une meilleure protection des droits des travailleurs et des travailleuses accidentés de substituer au bureau de révision actuel, qui est somme toute la continuation de la commission, de substituer à la Commission d'appel des affaires sociales, qui n'a pas de spécialité en telle matière, un véritable tribunal indépendant de la commission où siégeraient des juges affectés à temps plein à des causes de cette nature, où pourrait se développer une jurisprudence continuelle, lequel tribunal aurait le droit et les pouvoirs de s'appuyer en termes d'expertise sur les expertises autres que celles commandées par la Commission de la santé et de la sécurité du travail? Ne croyez-vous pas que des modifications à la structure actuelle dans ce sens seraient de nature à sécuriser les droits des travailleurs et des travailleuses?

Je résume, en terminant, sur cette

première question. Ce serait donc dire que la Commission de la santé et de la sécurité du travail, tel qu'elle fonctionne actuellement... prendre le bureau de révision, abolir les bureaux de révision, abolir les recours à la Commission d'appel des affaires sociales, qui une journée peut décider d'un cas d'aide sociale refusée et le lendemain d'un cas d'accident du travail, et faire créer un véritable tribunal des accidents du travail au Québec qui serait habilité à siéger, juger et agir uniquement et exclusivement dans des causes relevant de cette loi, avec des juges qui ne siégeraient évidemment pas, qui ne seraient pas partie du tout de la commission et qui pourraient aller demander des expertises à l'extérieur et développer leur propre tradition d'interprétation de la loi?

Mme Lefebvre: Je peux essayer de répondre partiellement à cette question. Ce n'est naturellement pas une question à laquelle je suis préparée dans le sens qu'actuellement on part de la situation telle qu'elle est, qui est trois paliers de décision pour les accidentés du travail. Une chose sur quoi on a statué dans nos organisations, c'est sur le fait qu'on tient à maintenir ces trois paliers de décision, c'est-à-dire un premier palier qui est celui de la commission actuellement et d'avoir la possibilité de deux appels. On pense que n'importe quel citoyen devant n'importe quelle cour a toujours la possibilité d'interjeter appel au moins deux fois. On ne voit pas pourquoi ce serait différent pour les accidentés et qu'on leur donne un seul recours. Alors, on tient à ce qu'il y ait deux paliers. (19 h 30)

On n'a pas formulé de récrimination à l'endroit de la Commission des affaires sociales parce que ce n'était pas l'objet de cette commission parlementaire et aussi parce que nos critiques à l'égard de la Commission des affaires sociales ne sont évidemment pas de même nature que celles que l'on porte à l'endroit de la CSST, parce que les accidentés n'y sont pas du tout traités de la même façon.

D'abord, on ne tient pas à ce que la Commission des affaires sociales disparaisse. On trouve qu'il y a des choses à améliorer dedans. Si jamais il y a une commission parlementaire là-dessus, on pourra toujours venir le dire, mais on pense qu'il y a une différence majeure entre la façon dont sont traités les accidentés devant les bureaux de révision et devant la Commission des affaires sociales.

M. Pagé: Je crois comprendre que vous êtes mieux traités devant la Commission des affaires sociales.

Mme Lefebvre: Vous avez bien compris.

M. Pagé: Merci. Je voulais que vous le disiez pour le bénéfice du journal des Débats, pour ceux qui vont nous lire au temps des fêtes pour corriger ces lois.

Mme Lefebvre: C'est cela. Donc, on tient à ce qu'il y ait deux paliers d'appel. Je ne peux pas m'opposer comme tel à la création d'un tribunal qui serait spécialisé dans les accidents du travail, à condition qu'il soit indépendant de ce qu'on appelle, je crois à juste titre, la compagnie d'assurances qui, qu'on le veuille ou non, en tant que compagnie d'assurances semble donner la couleur de la commission, si on en juge par ce qui sort de ses jugements.

M. Pagé: Toujours concernant...

Mme Lefebvre: II y a aussi, si vous me permettez, la question des délais. On trouve important qu'il y ait un premier palier où on puisse être entendu, mais de façon rapide. Si on regarde du côté de la Commission des affaires sociales, les délais sont de deux ans. Imaginez les ravages que cela peut produire dans la vie de quelqu'un, que ses droits à la compensation ne soient pas reconnus pendant plus de deux ans! II peut toujours gagner après, mais tout est déjà détruit au moment où il gagne. On trouve important qu'il y ait une façon rapide. Ce qui nous a été proposé jusqu'à maintenant, c'est de remettre complètement cela entre les mains de la commission, une reconsidération administrative. C'est la pire des choses, on n'a pas besoin de cela. La commission juge déjà sur les dossiers en première instance; on veut être entendu. On s'aperçoit qu'il y a une différence majeure dans les décisions qui sont rendues, quand on se fait entendre et quand on ne se fait pas entendre. Ce n'est pas la même chose.

Même par des tribunaux sur lesquels on a tellement de critiques à faire, comme les bureaux de révision actuellement, il y a des choses qu'on ne peut pas gagner à l'indemnisation parce qu'on ne peut pas être entendu et qu'on peut encore aller chercher au bureau de révision parce qu'on y est entendu. On a parlé des problèmes sérieux qu'il y avait aux bureaux de révision, on n'a pas dit que tous les agents étaient à ce point partiaux à l'intérieur des décisions. On dit tout simplement que la formule actuelle permet ces abus des agents de révision.

Donc, s'il y avait une autre forme de tribunal qui puisse permettre d'être entendu rapidement, dans des délais très courts et qui soit indépendant de la commission, c'est sûr qu'on serait d'accord avec le fait qu'existe ce tribunal, ce qui n'empêcherait pas qu'on continue de souhaiter qu'il y ait deux paliers d'appel pour les accidentés du travail.

M. Pagé: Merci, Mme Lefebvre, là-dessus. Vous avez abordé, dans votre commentaire, le deuxième aspect de ma question, les délais. On sait que les délais sont assez longs pour qu'un accidenté puisse être entendu, faire valoir ses droits et qu'une décision s'ensuive.

Dans les cas où le délai porte strictement sur une question financière, cela est grave mais c'est probablement moins grave que dans d'autres cas où le bureau de révision ou la commission a à statuer sur un traitement que devrait recevoir un accidenté et je m'explique.

J'ai eu dans mon comté deux cas de travailleurs qui se voyaient prescrire, par leur médecin traitant, spécialiste, des opérations chirurgicales. La Commission de la santé et de la sécurité du travail, par la voie de son expert soutenait que les deux travailleurs accidentés n'avaient pas à subir une telle intervention chirurgicale. Les travailleurs se sont pourvus en révision, mais pendant toute cette période, l'intervention chirurgicale qui était requise ou ordonnée par leur médecin traitant n'a pas été effectuée.

Je n'ai pas porté à la connaissance du président de la commission ces deux cas, quand ils m'ont été connus, dans le cadre des procédures qu'on a entreprises depuis un an, parce que j'avais seulement deux cas, de crainte que celui-ci ne traite ou considère mon intervention comme étant une intervention biaisée et partisane. Est-ce que vous avez eu des cas comme cela, vous autres? Pourriez-vous nous préparer un dossier?

Mme Lefebvre: On a beaucoup de cas en attente de traitements ou en attente d'opérations parce que les orthopédistes qui traitent ces accidentés attendent une autorisation de la commission pour procéder. Pour nous, la responsabilité principale de cet état de fait doit être mise sur le compte de la commission. On sait quelle attitude la commission a eue au moment où le litige est apparu publiquement entre les médecins et la commission. Elle a accusé, en particulier, les orthopédistes de faire des interventions injustifiées et le moyen de pression que les orthopédistes ont choisi pour répondre à cette accusation a été de dire: Dorénavant, puisque nous ne pouvons pas juger, nous demanderons l'autorisation au juge Sauvé avant d'opérer nos patients. Un certain nombre de médecins appliquent cette façon de procéder actuellement, demandent des autorisations.

Dans d'autres cas, cela ne tient aucunement aux médecins, cela tient aux directives de la commission directement. Dans les cas de physiothérapie, comme nous avons mentionné dans le mémoire, il y a des directives précises qui exigent qu'une autorisation soit donnée avant que ne débute le traitement. Ou bien pour le médecin ou pour l'hôpital en question, cela veut dire enfreindre la directive et, à ce moment-là, en subir les conséquences, c'est-à-dire, si la commission refuse cette autorisation, l'hôpital ne sera pas payé pour les traitements qu'il a donnés; ou encore, cela veut dire, en attendant, transférer les patients sur la liste des citoyens RAMQ, faire en sorte que les places réservées à la commission ne soient pas occupées par les accidentés et que ces accidentés-là occupent des places qui devraient être réservées aux autres patients.

M. Pagé: Là-dessus, Mme Lefebvre, je comprends très bien la situation dans laquelle vous vous trouvez. Vous êtes, par les associations qui forment votre groupe, en contact régulier et constant avec les accidentés. Nous, de notre côté, nous sommes ici, nous ne sommes pas dans le vécu quotidien où vous êtes. Lorsqu'on porte des questions comme celles-là à la connaissance de la commission, il est peut-être facile pour la commission de nous répondre qu'il n'y a pas de problème. Mais, lorsqu'on nous répond qu'il n'y a pas de problème, vous comprenez que nous sommes placés dans une position délicate et difficile parfois pour soutenir le contraire, quand, par surcroît, on a seulement quelques cas à leur signaler. Pourriez-vous - peut-être que le Dr Chartrand pourrait ajouter, c'est un aspect qui m'apparaît très important dans la question des délais - faire parvenir un document à la commission ou encore à ses membres, pour fins de réflexion et aussi pour ajouter au débat, sur des cas analogues à ceux auxquels j'ai référé?

Mme Lefebvre: Oui, on peut toujours le faire, cela dépend des délais que vous nous donnerez pour le faire parce que vous comprendrez qu'on est des associations qui vivent de subventions non gouvernementales et nos ressources...

M. Pagé: Ce n'est pas un mal.

Mme Lefebvre: ...sont très restreintes. Il y a tellement d'appels que les trois quarts de nos énergies sont occupées à faire de la représentation d'accidentés devant les bureaux de révision. Il y a énormément de nos membres qui, aujourd'hui, ne sont pas ici parce qu'ils sont devant ces tribunaux d'appel pour défendre les accidentés. Et c'est sûr que le temps qu'on met à constituer des dossiers de plus grande envergure, on ne peut pas le consacrer à défendre des accidentés. C'est ce qui fait qu'il y a peut-être une production très inférieure à ce que l'on voudrait de documents, d'analyses provenant de nos associations. Ce n'est pas parce qu'on n'a rien à dire, c'est qu'on n'a pas le temps

de les produire parce qu'on n'a pas les ressources financières pour les produire. Mais on peut essayer de vous rassembler un certain nombre de cas de cet ordre-là et vous les faire parvenir.

M. Pagé: On l'apprécierait.

Le Président (M. Jolivet): Simplement pour les besoins de la cause, si jamais ce document était préparé, on le fera parvenir au Secrétariat des commissions qui le fera parvenir à chacun des membres de la commission.

Mme Lefebvre: D'accord.

M. Pagé: Vous avez touché, à la suite d'une question du ministre, la notion de paritarisme. On se rappelle qu'en 1978, lorsqu'on a étudié cette loi, le fait de pouvoir asseoir ensemble et les représentants des employeurs et les travailleurs constituait, pour certains autour de la table, la meilleure des garanties de résultat qu'on pouvait espérer dans des délais assez brefs. Cela s'est traduit dans les comités à l'intérieur des entreprises, dans les associations sectorielles et aussi au conseil d'administration. Le dossier que vous déposez aujourd'hui parle par lui-même et il parle beaucoup; il dit beaucoup de choses. Vous représentez neuf associations. Mme Lefebvre, est-ce que vous avez la conviction ou tout au moins l'impression que vous êtes représentés au conseil d'administration?

Mme Lefebvre: Nous ne le sommes pas assez. Je ne pense pas que le point de vue des accidentés soit défendu à l'intérieur des instances de direction de la commission. Je ne le crois pas; en tout cas, on n'en voit pas les effets. S'il est représenté, on n'en voit pas les effets. D'abord, on n'a pas accès aux documents qui sortent du conseil d'administration; on ne nous envoie pas cela. On ne peut pas savoir ce qui s'est dit. Ce qu'on voit c'est la pratique courante, et la pratique courante nous démontre que le fait qu'il y ait un conseil d'administration composé de qui que ce soit ne change rien à la situation des accidentés actuellement. C'est de cela qu'on part parce qu'on n'a pas accès à autre chose; on ne sait pas ce qui se passe là.

M. Pagé: Les accidentés étant des travailleurs, est-ce que les travailleurs que vous représentez se sentent représentés par le fait d'avoir le président de la Fédération des travailleurs du Québec, M. Laberge, et M. Lavallée, de la FIPOE?

Mme Lefebvre: Ce que je peux vous dire c'est que les accidentés ne nous disent pas qu'ils se sentent représentés à ce conseil d'administration. J'aimerais ajouter quelque chose. Vous parlez de paritarisme. Il y a plusieurs façons de pratiquer le paritarisme. On parle du paritarisme dans les entreprises où on organise des comités de sécurité moitié-moitié, sauf que le droit de gérance en matière de sécurité reste à l'employeur. On a l'impression qu'on se sert de nous dans le paritarisme. On met le même nombre de personnes de chaque côté de la table mais le droit de gérance, le vrai droit de décision est ailleurs dans la pièce à côté. À ce moment-là, on pense que ces comités... Dans la pratique, on voit que des choses sont discutées, mais soit qu'elles ne donnent pas lieu à un consensus ou même lorsqu'elles donnent lieu à un consensus autour de la table paritaire, quand arrive l'organisme de direction qui doit prendre les décisions et qui a la gérance de l'entreprise, on s'aperçoit que cela ne se réalise pas. On se pose des questions sur cette forme de paritarisme.

M. Pagé: Les comités de santé et de sécurité dans les industries ont un pouvoir décisionnel limité à des champs bien spécifiques...

Mme Lefebvre: Quelle sorte de masque, quelle sorte de bottines...

M. Pagé: C'est cela; la grandeur des bottines. C'est quand même assez limité.

Mme Lefebvre: La couleur des habits...

M. Pagé: Merci pour le paritarisme. Cela répond sensiblement à notre question. J'aurais une autre question pour le Dr Chartrand. Vous pratiquez la médecine dans un milieu forestier. Selon l'expérience que vous avez du milieu, est-ce que vous pourriez m'indiquer les progrès... On se rappellera qu'en 1978, l'argumentation soutenue par l'autre côté de la table était que le législateur, au lieu d'embrasser une grande réforme de structures, de décentralisation, d'associations sectorielles, de comités paritaires, d'ordinateurs, de bureaux régionaux - mettons-en parce qu'il y en a eu en masse depuis 1978 - devrait obliger la CSST à intervenir sur une base prioritaire. Quand on dit prioritaire, ce n'est pas en 1983, c'était en 1979, et les secteurs qu'on identifiait à ce moment-là étaient: premièrement, le secteur de la forêt; deuxièmement, le secteur minier; troisièmement, le secteur de la construction. Ces secteurs nous apparaissaient comme des secteurs où le risque d'accidents du travail était très élevé. Qu'y a-t-il eu de fait depuis 1978 dans le domaine forestier? Est-ce que ce qui s'est fait est concret? Est-ce que c'est une véritable priorité ou encore si la priorité ne vient pas seulement d'être identifiée par la CSST?

M. Chartrand: Vous me demandez de commenter tout l'aspect de la prévention, toute la question du médecin responsable et de la mise en application des programmes de prévention. À Saint-Michel-des-Saints, ce n'est pas... Je sais ce qui se passe mais je ne viens pas ici à ce titre-là. Je viens plutôt à titre de...

M. Pagé: Raison de plus pour nous le dire, si vous savez ce qui se passe.

M. Chartrand: Je viens ici à titre de médecin traitant qui a vu plusieurs accidentés parce que ce sont des bûcherons, et il s'agit d'un travail assez difficile, très difficile même. Je ne sais pas si je peux parler de tout cela parce que je viens ici comme médecin traitant. Si je mets à parler de leurs conditions de travail et de programmes de prévention qui devraient se faire et qui ne se font pas... (19 h 45)

M. Pagé: On vous invite à le faire.

M. Chartrand: Oui. Je pense que dans le secteur prioritaire, c'est quand même commencé, quoique dans la région chez nous, la mise en application des programmes de prévention n'est pas... Les décisions ont été prises, mais les gens n'ont pas encore été engagés. C'est dans la région de Lanaudière. Cela n'est pas fait encore dans cette région. Je sais qu'ailleurs au Québec, cela se fait. Mais quant à savoir si tout cela va changer quelque chose, je ne peux pas vous le dire.

M. Pagé: La loi 17 est en application depuis juin...

M. Chartrand: Mais cela commence. M. Pagé: Oui, mais...

M. Chartrand: Chez nous, cela commence.

M. Pagé: ...la loi 17 a été votée ici au Parlement le 22 décembre 1979. Il y aura quatre ans bientôt. Si la loi avait prévu que les secteurs prioritaires d'intervention, c'était cela, avec des délais impartis, qu'on puisse s'asseoir ensemble et vérifier les résultats, peut-être que vous seriez plus avancés chez vous. Mais la loi, selon nous - et vous pourrez commenter, si vous le jugez opportun - lorsqu'elle fut adoptée, a convié tout le monde, tous les intervenants et surtout les gens de la commission et de la direction de la commission à donner suite à cette réforme globale de structure. Pour nous, on a l'impression qu'ils ont embrassé beaucoup et que finalement... Encore cette année, malheureusement, dans le secteur de la forêt, comme dans le secteur de la construction, on doit vivre de malencontreux accidents qui font mal, non seulement à l'individu, mais à la société en général et à la famille. Êtes-vous satisfait de la loi 17 jusqu'à maintenant?

M. Chartrand: Non, pas du tout. M. Pagé: Merci.

M. Chartrand: Tout ce que je peux vous dire, c'est que je suis à Saint-Michel-des-Saints depuis bientôt trois ans. Je ne crois pas que le taux des accidents - quoique ce soit une impression personnelle - mais je ne pense pas que les accidents subis par les bûcherons aient diminué. Je ne pense pas que leur traitement par la CSST ait changé. Je pense qu'ils sont encore... C'est un peu tout ce qu'on vous a décrit. On ne respecte pas nos diagnostics; on ne peut pas choisir l'endroit du traitement. Si on pense qu'un tel hôpital ne nous convient pas, on ne peut pas référer ces gens-là à Montréal parce que la commission... Si on veut les envoyer à un spécialiste dont on pense qu'il est le meilleur, c'est impossible; la commission ne défraiera pas le coût du transport pour l'accidenté; elle ne voudra pas qu'il aille... Enfin, selon mon expérience personnelle, je ne pense pas que les accidents du travail aient diminué depuis trois ans.

M. Pagé: Vous savez, les gens de la commission sont dans les bureaux et nous, on est au Parlement. Vous, vous êtes sur le terrain, monsieur, et on vous fait confiance. Pour ma part, je vous remercie.

Le Président (M. Jolivet): Pour terminer la séance de cet après-midi, je demanderais au député de Viau de conclure et ensuite au ministre.

M. Cusano: Merci, M. le Président. Encore une fois, j'aimerais remercier Mme Lefebvre et les gens qui se sont déplacés. Cela nous a certainement beaucoup éclairés. On voit certains cas dans les comtés. Mais, comme mon collègue, le député de Portneuf, le disait: Vous vivez tous les jours ces problèmes. Et, comme mon collègue de Portneuf vous a invités à faire parvenir des dossiers à la commission, je vous inviterais aussi, puisque plus tard cette semaine, certaines personnes de d'autres groupes, ainsi que le conseil d'administration et le conseil de direction de la CSST viendront sûrement répondre à toutes les questions que vous avez posées... Dans ce cas, je vous invite, puisque je ne sais pas si on aura la possibilité de vous réinviter... C'est-à-dire qu'on pourrait le faire à propos du projet de loi 42, certainement. Mais on aimerait connaître vos réactions aux réponses qui seront données plus tard cette semaine. Et

compte tenu de l'heure, je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Fréchette: M. le Président, très brièvement aussi. C'est évident que je vais m'associer au député de Viau pour remercier Mme Lefebvre, le Dr Chartrand et tous ceux et celles qui les accompagnent, d'avoir déposé ce rapport cet après-midi. Il est évident que nous allons le scruter très attentivement. Il y a certainement là des choses qui vont être utiles pour l'avenir. Je l'ai dit dans mes notes d'introduction: Il n'y a pas de choses qui ne soient pas perfectibles, des choses qui ne peuvent pas s'améliorer, il n'en existe pas; tout peut s'améliorer. Nous avons commencé un exercice qui doit s'échelonner sur une période de quatre jours. Nous allons, évidemment, avoir l'occasion aussi de faire respecter le principe de l'audi alteram partem. Vous avez une version, vous avez des faits précis, vous référez à des instances décisionnelles, vous référez même à des personnes. Vous allez comprendre que ces personnes-là auront aussi le droit de venir s'exprimer par rapport aux faits que vous soulevez dans votre mémoire.

Et c'est à la fin de ces quatre jours-là que nous pourrons, à partir des analyses qui auront été faites par tous et chacun, discerner, disséquer le genre de choses qu'il faudra retenir pour, éventuellement, prendre des décisions.

Alors, je vous remercie également, M. le Président, et à demain, si je comprends bien.

Le Président (M. Jolivet): C'est cela. Je vous remercie Mme Lefebvre et M. Chartrand, ainsi que tous les autres qui les ont accompagnés. On se souhaite un retour demain, après la période des questions, aux affaires du jour. J'ajourne sine die.

(Fin de la séance à 19 h 51)

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