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(Onze heures cinquante et une minutes)
Le Président (M. Blouin): À l'ordre s'il vous
plaît;
Messieurs les membres de la commission, mesdames et messieurs qui vous
êtes rendus pour participer à ces travaux, la commission
parlementaire du travail reprend ses travaux. Le mandat de cette commission est
d'entendre certains organismes en regard du projet de loi 17, Loi modifiant le
Code du travail et diverses dispositions législatives.
Les membres de cette commission sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M.
Cusano (Viau), M. Dean (Prévost), M. Johnson (Anjou), Mme Harel
(Maisonneuve), M. Lafrenière (Ungava), M. Leduc (Fabre), M. Fortier
(Outremont), M. Payne (Vachon), M. Paradis (Brome-Missisquoi), M. Scowen
(Notre-Dame-de-Grâce) et M. Rochefort (Gouin).
Les intervenants de cette commission sont: M. Bélanger
(Mégantic-Compton), M. Champagne (Mille-Îles), M. Page (Portneuf),
M. Polak (Sainte-Anne), M. Proulx (Saint-Jean) et M. Vaugeois
(Trois-Rivières).
Je demanderais maintenant aux membres de la commission de
désigner une personne qui fera rapport à l'Assemblée
nationale.
M. Dean: M. le député de Vachon.
Le Président (M. Blouin): Le député de
Vachon est proposé. D'accord. Le député de Vachon sera
rapporteur de cette commission.
Je vais maintenant donner la lecture de l'ordre du jour de cette
commission. Vous savez que nous avons un horaire assez chargé. Nous nous
excusons d'abord du retard à commencer ces travaux; nous avons dû
assister à une importante décision que rendait le
président. Nous devons terminer nos travaux vers minuit ce soir. Nous
avons un certain nombre d'organismes à entendre. Je vais donc demander
à ceux-ci de présenter leur position de la façon la plus
claire évidemment, mais aussi la plus succincte possible pour que nous
puissions, dans une période d'environ 45 minutes, entendre les
différents organismes qui ont manifesté le désir de
présenter des avis sur ce projet de loi.
Je vais donc appeler les organismes et je demanderai aux responsables de
ces organismes de nous faire savoir s'ils sont présents.
Le Conseil du patronat du Québec.
L'Union des municipalités du Québec et l'Union des
municipalités régionales de comté du Québec. Vous y
êtes, oui. Répondez si vous y êtes.
La Fédération des travailleurs du Québec, vous y
êtes.
La Confédération des syndicats nationaux. Ces gens ne sont
pas encore là.
La Centrale des syndicats démocratiques. Ces gens ne sont pas
encore là.
La Fédération des pompiers professionnels du
Québec. Ils ne sont pas là, non plus.
La Fédération des policiers du Québec. Ils sont
là.
La Chambre de commerce de la province de Québec. Les gens sont
là.
L'Association des manufacturiers canadiens. Merci.
La Centrale de l'enseignement du Québec.
Je vous signale d'abord que la Conférence des arbitres du
Québec a finalement décidé de déposer son rapport.
Nous n'aurons donc pas à entendre cet organisme aujourd'hui.
Sans plus tarder, je demanderai au ministre des Affaires sociales de
nous adresser quelques brèves remarques préliminaires.
M. le ministre.
Remarques préliminaires M. Pierre-Marc
Johnson
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je serai très
bref dans mes commentaires. D'une part, j'excuse l'absence de mon
collègue ministre du Travail qui, pour des raisons de santé
transitoires, je crois, va être retenu à l'extérieur de son
ministère comme de l'Assemblée nationale pendant un certain
nombre de jours et peut-être jusqu'à trois semaines.
Par ailleurs, je me réjouis du fait que son adjoint
parlementaire, le député Robert Dean, est sûrement en
mesure de fournir à cette commission, aussi bien au niveau de l'audition
des mémoires que des questions que l'on pourrait poser lors de
l'étude article par article, après la deuxième lecture,
l'expertise nécessaire en plus de tout le bagage historique qu'il a et
de sa connaissance assez profonde de ce dossier. Je
m'en réjouis.
Avant de lui céder la parole, je parlerai sur l'ensemble du
projet de loi. Il a quelques remarques qu'il fera en l'espace, me dit-il, de
cinq à huit minutes. Je me permettrai de parler un peu de la marche de
nos travaux. J'ai eu l'occasion d'en discuter avec mon collègue de
l'Opposition. Nous allons suspendre nos travaux à 12 h 30, à
cause de certaines obligations de celui qui vous parle. Nous reprendrons
à 14 h 15 jusqu'à 18 heures et nous reprendrons par la suite de
20 heures à 24 heures, et possiblement nous pourrons continuer, selon le
cas, si nos collègues sont d'accord, un petit peu au-delà de
minuit.
Nous avons donc devant nous onze groupes qui, normalement, devraient
être entendus. Il y en avait douze, il y en a un de moins, compte tenu du
désistement de la Conférence des arbitres qui a cependant
déposé son mémoire, dont j'ai pris connaissance hier soir.
Nous avons aussi un cadre extrêmement important qui a été
fixé par l'entente intervenue entre les deux leaders. Il y a six
commissions parlementaires qui siègent après la première
lecture, donc qui entendent des groupes. Nous avons donc convenu, avec
l'Opposition, qu'il y aurait une journée d'audition dans chaque cas.
Nous devons donc organiser nos travaux de telle sorte que nous passions
à travers l'ensemble des mémoires et de la période de
questions avec nos invités en l'espace d'environ neuf heures; c'est le
temps que nous avons à notre disposition pour faire ces travaux. Je
crois que c'est possible. Cela donne environ 50 minutes par groupe.
Je dirai, pour ma part, que je souhaite voir les groupes qui nous font
une présentation faire un sommaire de leur position, d'autant plus que
certains d'entre eux ont déjà versé leur mémoire et
que nous en avons pris connaissance; je présume que l'Opposition a pu en
prendre connaissance également. C'est pour permettre aux
députés, le cas échéant, de poser des questions et
leur donner l'occasion d'obtenir des réponses adéquates, tout
cela à l'intérieur d'environ 50 minutes par groupe. Je pense que
nous pouvons y arriver si tout le monde y met un peu du sien.
Je cède donc, M. le Président, la parole à mon
collègue, le député de Prévost, adjoint
parlementaire au ministre du Travail.
M. Robert Dean
M. Dean: M. le Président, la démarche que nous
entreprenons aujourd'hui s'inscrit dans une tradition québécoise,
canadienne et américaine de législation du travail qui s'est
développée depuis les années trente. Depuis ces
années, dans toute l'Amérique du Nord, la législation
ouvrière, la législation du travail, s'est regroupée
autour de quelques droits fondamentaux: le droit fondamental des travailleurs
de se grouper en syndicat pour la défense et la promotion de leurs
droits économiques et sociaux; la reconnaissance de la
négociation collective entre employeurs et employés comme mode de
détermination privilégié par notre société,
de détermination des salaires et des conditions de travail et,
finalement, la question de l'exercice des droits des deux parties en cas de
conflit, grève, lock-out, ou des conflits dans l'interprétation
des conventions collectives. Sans exception, le but de la législation du
travail au Québec, depuis la première loi sur les relations du
travail, en 1944, comme la législation canadienne et américaine
en cette matière, le but de la législation, dis-je, a toujours
été d'encadrer, de baliser, de préciser, de
définir, de nuancer les modes d'exercice de ces droits fondamentaux
reconnus par notre société.
Je veux répéter ou reprendre les déclarations
récentes du ministre du Travail et dire que nous sommes ici,
aujourd'hui, pour se dire, en 1983, au Québec, comment se comportent ces
droits fondamentaux, comment se comporte la réalité de l'exercice
du droit d'association des travailleurs, comment se comporte cette
réalité de la négociation collective et cet exercice des
droits mutuels en cas de conflit. Le gouvernement - cela a été
exprimé dans le discours inaugural et répété
à de nombreuses reprises par le ministre du Travail récemment - a
choisi d'aller au plus pressé avec le projet de loi no 17 et de voir
à pallier, à combler certaines lacunes évidentes dans le
système, le mécanisme actuel d'exercice de ces droits
fondamentaux, et de déclencher dans un deuxième temps une plus
vaste consultation, une plus vaste réflexion sur la possibilité
d'une réforme plus en profondeur du Code du travail où on
reverrait alors, à la lumière de la réalité de
1983, justement l'exercice du droit d'association par les travailleurs,
l'exercice de la négociation collective par les employeurs et les
travailleurs groupés en associations et tous les autres
mécanismes de la loi qui entourent ces droits. C'est dans cet esprit et
dans ce contexte que nous entreprenons cette commission parlementaire.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le
député de Prévost. M. le député de
Brome-Missisquoi, vos remarques préliminaires.
M. Pierre-J. Paradis
M. Paradis: M. le Président, je remercie l'ancien ministre
du Travail d'être présent aujourd'hui en remplacement de son
collègue qui est en repos à cause de la maladie. Je
déplore quand même un peu le cadre dans lequel on se retrouve
aujourd'hui.
Le projet de loi a été déposé le 19 mai
1983. On est au mois de juin, en fin de session, et les onze organismes qui
comparaîtront auront finalement peu de temps, ainsi que les
députés qui ont de nombreuses questions à leur poser.
C'est le cadre qu'a choisi le gouvernement. Nous ne sommes pas à l'aise
dans ce carcan. Je ne pense pas non plus que nos invités le soient. Nous
allons quand même tenter d'apporter le plus de lumière possible
dans ce cadre que le gouvernement nous a fixé.
Je déplore l'ambiguïté gouvernementale dans le
domaine des relations du travail. Je pense que je ne suis pas le seul à
le déplorer. Mes collègues de l'Opposition, le monde patronal et
le monde syndical déplorent le manque d'orientation du gouvernement dans
ce domaine si important, ce domaine économique, ce domaine social. Force
nous est de constater que, depuis la venue au pouvoir du Parti
québécois, du gouvernement péquiste, on a vu passer quatre
ministres comme ministre du Travail. Le premier, Jacques Couture, qui a
été là sept mois; le deuxième, Pierre-Marc Johnson,
qui a été là plus de trois ans; le troisième,
Pierre Marois, qui a été là deux ans et
présentement le député de Sherbrooke et ministre du
Travail, Raynald Fréchette. Celui qui peut-être en a dit le plus
parce qu'il a été là plus longtemps, mais qui n'en a pas
tellement fait plus que les autres, c'est l'ancien ministre du Travail,
Pierre-Marc Johnson.
Je relisais le journal des Débats. C'est toujours inspirant
à la veille d'une commission parlementaire de relire le journal des
Débats et les déclarations du ministre. Pierre-Marc Johnson, lors
du débat de deuxième lecture, le 23 août 1977, du projet de
loi 45, déclarait: "Force nous est de constater que le Code du travail
est un outil qui a besoin d'être un peu rafraîchi et c'est pourquoi
le gouvernement a l'intention de procéder à une refonte de
l'ensemble du droit du travail." Force nous est de constater que le ministre
n'y a pas donné suite, ni son successeur immédiat, ni son
successeur actuel. Il n'y a pas vraiment de refonte en profondeur du Code du
travail qui est envisagée.
Quelles en sont les conséquences? Les conséquences, le
ministre des Finances du gouvernement du Parti québécois nous en
a parlé le 16 novembre 1982. Il nous a parlé des
conséquences sur les milieux d'affaires. M. Parizeau disait ce qui suit:
"Deuxièmement, sur le plan des relations du travail, il y a quelque
chose d'indiscutable, il y a une sorte de flottement chez les hommes d'affaires
à l'heure actuelle qu'il nous faut clarifier assez rapidement." On
était en novembre 1982. "Devant les syndicats qui nous demandent souvent
l'accréditation multipatronale, les milieux patronaux pour qui
l'accréditation multinationale représente une sorte de danger
perçu comme étant mortel et toute une série de formules
intermédiaires, je pense qu'il est très important qu'assez
rapidement nous clarifiions la position gouvernementale à l'égard
de ces questions et qu'on puisse dire aux milieux d'affaires: Voici la
politique que le gouvernement entend suivre. Nous avons là une
responsabilité de clarification et de précision de nos positions.
Je me rends trop bien compte, dans les milieux d'affaires, à quel point
c'est important." C'est une citation du ministre des Finances le 16 novembre
1982.
J'espère que les gens qu'on entendra, qui nous viennent du milieu
patronal, auront des clarifications et que le gouvernement aura pris ses
responsabilités.
Quant aux milieux syndicaux, Gilles Lesage, dans le Soleil du 20 janvier
1982 -on était en novembre avec la déclaration du ministre des
Finances et on retourne en janvier 1982 avec Gilles Lesage - nous dit: "Mais il
faut constater que, même avec son préjugé favorable aux
travailleurs, sinon aux syndicats, il n'a pas réussi - il parle du
gouvernement actuel - loin de là, à susciter le consensus et la
concertation. C'est un constat d'échec dont il faut prendre acte."
M. le Président, si les milieux patronaux et les milieux
syndicaux veulent avoir des clarifications, l'Opposition libérale en
veut également. Est-ce que le projet de loi qu'on étudiera en
deuxième lecture dans peu de temps nous apportera ces clarifications?
J'aimerais que les gens qui viennent nous rendre compte de leurs observations
aujourd'hui nous donnent le fond de leur pensée sur l'action ou le
manque d'action gouvernementale. J'aimerais également que les
intervenants nous disent comment ce qu'on trouve dans le projet de loi qui nous
est soumis par le gouvernement actuel, le projet de loi no 17, va stimuler
l'économie, favoriser le maintien et la création de l'emploi pour
les employeurs et les travailleurs du Québec. Est-ce qu'on a quelque
chose dans ce texte de loi qui favorise la stimulation de l'économie, le
maintien et la création de l'emploi au Québec? C'est un
préavis de question que j'adresserai à tous les intervenants pour
que cela se déroule plus rapidement. Sur ce, on est encadré. Je
laisse la parole au premier groupe d'intervenants.
Auditions
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le
député de Brome-Missisquoi. Je demande donc maintenant aux
représentants du Conseil du patronat, d'abord, de se présenter
pour les fins du journal des Débats et ensuite de nous livrer leur
message. Ils nous ont demandé de procéder à la
période de
questions à la reprise de nos travaux, soit à 14 h 15.
Nous devons suspendre la séance à 12 h 30, alors je
présume que...
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je pense que nous
pourrions entendre ce matin l'exposé du Conseil du patronat et nous
réserver une période de questions pour l'après-midi, mais
peut-être pas au moment de la reprise exactement. Je sais que l'Union des
municipalités du Québec a des problèmes d'horaire,
étant donné qu'elle a une réunion à 15 heures.
Peut-être qu'à la reprise, on pourra entendre le mémoire de
l'union et ensuite prendre le temps qu'il faudra avec le Conseil du
patronat.
Le Président (M. Blouin): D'accord.
Conseil du patronat du Québec
M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président. Je vous
présente mes collègues. À ma droite, Me Edmund Tobin,
directeur des relations de travail chez Domtar Ltée et membre du Conseil
consultatif du travail et de la main-d'oeuvre; M. Alexandre Beaulieu,
président d'Alexandre Beaulieu Inc., une PME, et aussi membre du Conseil
consultatif du travail et de la main-d'oeuvre; à ma gauche, Me Pierre
Gauthier, conseiller en relations de travail au Conseil du patronat, et Me
Jacques Laurin, conseiller juridique chez MacMaster, Meighen.
Le Président (M. Blouin): Pouvez-vous vous identifier?
M. Dufour (Ghislain): Excusez-moi, Ghislain Dufour,
vice-président exécutif au Conseil du patronat.
M. le Président, nous voulons d'abord offrir à M.
Fréchette nos voeux de rétablissement et, en même temps,
vous indiquer que, dans les circonstances, cette commission parlementaire prend
peut-être pour nous une autre orientation. Nous sommes en effet
impliqués dans le dossier avec le ministre, M. Fréchette, depuis
décembre dernier. Nous avons eu l'occasion, tant au Conseil consultatif
du travail et de la main-d'oeuvre qu'en d'autres occasions, de confronter nos
points de vue, d'indiquer nos points d'accord et de désaccord. Notre
mémoire a été rédigé avec ce tableau de fond
et, bien sûr, il ne saurait être question pour nous de le modifier,
même si nous avions un bon nombre de questions de clarification à
adresser au ministre, M. Fréchette.
C'est donc dans la continuité des discussions que nous avons eues
avec M. Fréchette que nous vous présentons notre mémoire.
Avec tout le respect que nous avons pour le ministre, M. Johnson, avec qui nous
avons déjà eu d'ailleurs, lors de l'étude du projet de loi
no 45, l'occasion de discuter un bon nombre des questions que nous
débattrons encore aujourd'hui, nous allons soumettre un mémoire
que nous croyons devoir véhiculer les positions les plus franches
possible du patronat québécois.
Le mémoire, quant à lui, fait 45 pages. Vous l'avez
reçu. On va, bien sûr, le regarder à vol d'oiseau. On a eu,
l'occasion lors du dépôt à l'Assemblée nationale du
projet de loi et à la suite d'une analyse préliminaire de son
contenu, d'indiquer que les amendements qui étaient proposés
traduisent, quant à nous, presque exclusivement les pressions
exercées sur le gouvernement par les syndicats au cours des
dernières années.
Le CPQ résumait sa position en ces termes: C'est la même
histoire qui se répète. Au bout du compte, série
d'amendements après série d'amendements au code. C'est, une fois
de plus, la marge de manoeuvre des entreprises qui se rétrécit.
À cet égard, le conseil déplorait que le projet de loi
resserre davantage encore les dispositions antibriseurs de grève et
confie l'arbitrage d'une première convention collective à un
arbitre unique.
Il disait ne pouvoir souscrire, notamment, à la disparition de la
notion de bonne foi dans la négociation de la première convention
collective, à la protection du code accordée à
l'égard des refus d'embauche, à l'octroi, dorénavant, de
l'accréditation sans qu'une association n'obtienne la majorité
absolue des voix, à l'octroi à un salarié du recours
à la procédure de grief dans les 30 jours de la date des
événements donnant ouverture à un grief, peu importent les
dispositions de la convention collective, etc.
En somme, disions-nous, le projet de loi, même si nous pouvons
souscrire à plusieurs des amendements qu'il propose, se veut surtout une
réponse à des demandes syndicales, en plus de comporter une
série d'amendements techniques qui, loin d'accélérer les
délais, risquent fort d'entraîner beaucoup de litiges tout en
rendant la vie encore plus difficile aux entreprises, notamment les PME qui
sont les plus pénalisées par ce projet. Nous avons depuis fait
une analyse fouillée du projet et nous maintenons plus que jamais cette
position.
Bien plus, nous tenons à rappeler que notre Code du travail est
un des plus contraignants pour l'entreprise en Amérique du Nord et que
toutes les contraintes additionnelles - c'est le cas, notamment, des
dispositions antibriseurs de grève - qui rétrécissent
encore la marge de manoeuvre des entreprises québécoises ne font
qu'aider nos concurrents. Est-ce bien là l'approche à
adopter?
Le CPQ rappelle également que jamais
le gouvernement n'a voulu tenir compte des propositions d'amendements au
code qui lui sont faites par le patronat et les milieux d'affaires. Nous
demandons pourquoi.
Pour le Conseil du patronat, les amendements proposés au code ne
sont ni mineurs, ni neutres. Ils sont même, dans certains cas,
fondamentaux et ils sont, quant à nous, nettement prosyndicaux. Pour
réfuter cette thèse, certains ont allégué que le
législateur avait cédé aux pressions patronales en
n'instituant pas l'accréditation sectorielle ou multipatronale et en ne
donnant pas suite à son projet d'amender les articles 45 et 46 relatifs
à la sous-traitance. Une telle appréciation est inexacte. Dans le
cas, en effet, des articles 45 et 46 sur la sous-traitance, les propositions
d'amendements ne faisaient pas l'affaire des syndicats et, de toute
façon, le dossier sur lequel s'appuyaient les rédacteurs de
l'avant-projet de loi est actuellement devant les tribunaux
supérieurs.
Quant à la négociation sectorielle, il s'agit pour nous
d'un projet tellement inconcevable à sa face même qu'il demeurera
toujours extrêmement gênant de féliciter un gouvernement qui
n'y donnera pas suite.
Notre mémoire, ensuite, fait état, dans un chapitre
complet, de nos positions de principe sur bon nombre de questions qui sont
soulevées. Comme, pour nous, aujourd'hui, notre intention est surtout de
nous référer à des questions de principe beaucoup plus
qu'à des questions de technique, je vais surtout m'attarder à ce
chapitre en parlant d'abord des dispositions antibriseurs de grève.
Dès le dépôt du projet de loi 45, en 1977, le CPQ
avait formulé des objections de fond contre le fait qu'une entreprise
soit forcée, à toutes fins utiles, de suspendre toute production
de biens ou services pour la durée de toute grève survenant dans
son établissement. Le CPQ s'opposait alors aux amendements
proposés au Code du travail, notamment parce qu'il s'agissait là
d'une orientation contraire à toute la philosophie qui inspire nos
relations de travail en Amérique du Nord.
Le législateur est passé outre, à ce
moment-là, aux représentations du monde patronal et il a
doté le Québec d'un Code du travail qui impose aux entreprises de
chez nous, notamment aux PME, des contraintes sans égales dans les
autres provinces canadiennes.
Le CPQ ne peut aujourd'hui que s'opposer vigoureusement à tout
projet d'amendement au code qui vise à réduire encore davantage
les droits de l'entreprise québécoise déjà
sérieusement défavorisée à ce chapitre par rapport
à ses concurrents. (12 h 15)
Nous citons les auteurs Arthurs, Carter et Glasbuk qui disent que,
vraiment, la législation québécoise doit être vue
comme un éloignement tout à fait dramatique de la règle
normale des relations de travail au Canada. Les dispositions actuelles font
déjà figure de proue par rapport aux dispositions en vigueur dans
les autres juridictions. Les modifications proposées qui affectent, je
le répète encore, particulièrement les PME accentueront le
déséquilibre actuel en faveur des grévistes. Elles
imposent la fermeture pure et simple de l'entreprise pendant la grève
sans imposer de contrepartie. Nous réaffirmons donc le principe
fondamental selon lequel toute entreprise a le droit strict de poursuivre ses
activités normales pendant une grève.
Sur le régime d'arbitrage, les amendements proposés font
disparaître la possibilité de recourir à un conseil ou au
tribunal d'arbitrage pour imposer un arbitre unique accompagné
d'assesseurs qui seraient nommés par chacune des parties. Les
assesseurs, contrairement aux arbitres antérieurement nommés par
les parties patronale et syndicale, ne pourraient participer activement
à l'audition ni rédiger une dissidence écrite.
Les dispositions actuelles, qui sont très récentes
d'ailleurs, confient à un conseil d'arbitrage la tâche de fixer
les modalités d'une première convention collective, et cela a
été annoncé par le projet de loi 45. Les deux seules
autres juridictions, la Colombie britannique et le fédéral, qui
ont édicté l'arbitrage obligatoire du contenu d'une
première convention à défaut d'entente entre les parties
confient cette tâche délicate au Conseil des relations de travail.
C'est à bon escient que le législateur québécois a
voulu confier cette responsabilité à un conseil d'arbitrage
plutôt qu'à un arbitre unique.
En effet, les dispositions d'une première convention collective
revêtent une importance capitale et influenceront pendant longtemps la
santé financière de l'entreprise. Une première convention
collective imposée par une personne connaissant peu ou pas les
caractéristiques propres au milieu où évolue une
entreprise risque de contenir certaines dispositions qui pourraient mettre en
péril la survie de cette entreprise. Le contenu d'une première
convention collective est quant à nous trop important pour la vie de
cette entreprise pour être laissé au jugement d'une seule
personne.
Les amendements proposés au chapitre de l'arbitrage constituent
de plus un chambardement du système actuel. Ces propositions auraient
pour but, paraît-il, d'accélérer le processus d'arbitrage.
Pourtant, en ce qui concerne les différends et les premières
conventions collectives, rien n'indique qu'un arbitre unique et ses deux
assesseurs pourraient procéder plus rapidement que ne le feraient trois
arbitres dans le système actuel. De toute façon, il
n'est pas nécessaire de chambarder le système pour
réduire certains des délais.
Si le choix des dates constitue dans certains cas une pierre
d'achoppement pour un tribunal d'arbitrage, pourquoi le même
problème ne se poserait-il pas pour l'arbitre unique et ses deux
assesseurs? Plutôt que de chambarder tout le système actuel, il
faudrait peut-être songer à imposer au président du conseil
ou du tribunal d'arbitrage des délais statutaires - exemple:
procéder à l'audition dans un certain délai -et à
lui donner des pouvoirs contraignants sur les deux autres membres du conseil.
Par exemple, le président pourrait fixer une date à
l'intérieur d'un certain délai. L'arbitre syndical ou patronal
pourrait le cas échéant se faire remplacer, etc. Nous
réalisons que la Conférence des arbitres, dans son mémoire
au niveau de l'arbitrage d'un premier contrat, d'une première convention
collective, prend exactement la même position que nous dans ce
dossier.
Le refus d'embauche prévu selon la modification à
l'article 14 a pour but de favoriser quant à nous l'accès
à la syndicalisation en assurant une meilleure protection du droit
d'association, selon l'expression même des auteurs du document. Les
employeurs s'opposent à ce que les nouvelles dispositions du code
régissent l'embauche. Le critère premier à l'embauche doit
demeurer la compétence. Il suffirait d'avoir exercé un droit
résultant du code et de postuler un emploi pour alléguer le cas
échéant un refus discriminatoire de la part de l'employeur, selon
la rédaction actuelle de l'article 14. Une présomption existerait
alors selon laquelle le refus d'embauche aurait été fondé
sur l'exercice de ce droit par le postulant. Telle que rédigée,
cette proposition risque d'entraîner beaucoup de litiges.
Vous allez nous permettre rapidement deux commentaires sur deux
thèmes qui ne sont pas dans le projet de loi 17 mais qui seront
abordés par certains des intervenants: la sous-traitance et la
négociation sectorielle.
Sur la sous-traitance, nous disons que c'est absolument
nécessaire à une économie dynamique. C'est par ce
système que l'élargissement de la base économique
s'irradie dans une multitude de petites et moyennes entreprises
spécialisées. C'est par ce système encore qu'une structure
économique conserve une souplesse suffisante pour s'adapter constamment
aux situations toujours nouvelles créées par la concurrence
internationale.
Si notre législation comporte pour le système de
sous-traitance des contraintes qui n'existent nulle part ailleurs, nous
risquons vite de nous retrouver avec une structure industrielle
complètement dépassée vis-à-vis de nos
concurrents.
Sur la négociation sectorielle, M. le Président, nous
avons déjà eu l'occasion de soumettre au ministre du Travail, M.
Fréchette, en mars, un mémoire étoffé sur la
négociation sectorielle ou multipatronale. On pourrait reprendre ici
trois conclusions rapides de ce mémoire.
Le patronat considère qu'il n'a pas été
prouvé que l'une ou l'autre des formules de négociation
sectorielle ou multipatronale prônées par le syndicalisme
actuellement pourrait constituer un remède efficace aux maux sociaux et
économiques sur lesquels on prétend agir. Le patronat du
Québec refuserait également d'être conscrit par une
loi-cadre, ou par une autre forme d'intervention autoritaire de l'État,
dans un mécanisme nouveau de relations du travail dont les
résultats économiques et sociaux sont totalement
imprévisibles et qui nous situerait d'un coup, une fois de plus, dans un
cadre tout à fait différent de celui dans lequel vivent les
autres entreprises d'Amérique du Nord. Et finalement, nous affirmons que
le gouvernement s'engagerait dans une impasse s'il mettait de l'avant une
politique visant à encourager de diverses façons une plus grande
centralisation des relations du travail dans l'ensemble de la vie
économique. Au contraire, il est souhaitable, notamment dans le secteur
public, de décentraliser en partie ce qui a été
centralisé au cours des dernières années.
Le deuxième chapitre, M. le Président, est une analyse,
article par article, du projet de loi. Il ne s'agit pas de la reprendre. Je
voudrais tout simplement faire référence à trois
problèmes plus particuliers qui sont l'accréditation sans
majorité absolue, la notion de bonne foi qui est maintenant disparue
dans l'arbitrage de la première convention collective et la question de
la procédure de grief.
Selon la modification qui est suggérée, il serait
maintenant possible, en période de maraudage, d'être
accrédité sans obtenir la majorité absolue des voix des
salariés de l'employeur. Le commissaire devra accréditer, entre
les associations qui sont en lice, celle qui a obtenu le plus grand nombre de
voix. Cette modification, pour nous, déroge à la règle
selon laquelle l'accréditation est accordée à
l'association qui obtient la majorité absolue des voix des
salariés visés par la requête en accréditation.
L'accréditation doit être accordée, selon la règle
actuelle, à l'association qui obtient la majorité des voix des
salariés visés par la requête en accréditation.
Cette dérogation à la règle de la majorité absolue
ne se justifie pas. S'il est regrettable, bien sûr, de constater qu'une
association pourrait se voir refuser l'accréditation parce qu'elle n'a
obtenu que 48% ou 49% des voix, il serait encore plus regrettable
d'accréditer une association qui n'obtiendrait que 29% ou 30%
des voix. Ces modifications ouvrent la porte à des
accréditations à rabais, sans majorité absolue, et
inciteront les syndicats au maraudage ou à la collusion.
Sur la question de la détermination du contenu de la
première convention collective, la modification qui est
suggérée, c'est que l'arbitre pourrait décider de
déterminer le contenu d'une première convention collective s'il
constate qu'il est impossible que les parties s'entendent dans un délai
raisonnable. Or, l'article actuel du code fait référence à
l'article 53 qui oblige les parties à négocier de bonne foi.
Cette référence disparue, alors qu'on nous parle de bonne foi
dans les relations du travail depuis 1934, on peut imaginer des situations
où l'une des parties désireuses de faire imposer les
modalités d'une première convention collective prétendra
ne pouvoir en arriver à la conclusion d'une convention collective dans
un délai raisonnable. Quant à nous, il faut absolument conserver
la notion de bonne foi.
Finalement, un mot sur le problème qui est soulevé quant
à la procédure de grief et le salarié. Selon l'ajout
actuel proposé au code, un salarié pourrait avoir recours
à une procédure de grief dans les 30 jours de la date des
événements donnant ouverture au grief, peu importent les
dispositions de la convention collective. Sans égard au délai
également, une partie peut recourir à l'arbitrage si l'autre
partie refuse de donner suite au règlement intervenu. Ces dispositions
nous sont inacceptables. D'abord, si le code accorde 30 jours au salarié
pour produire son grief, les futures conventions collectives prévoiront
des délais de 45 à 60 jours. Les délais prolongés
sèmeront l'insécurité, d'autant plus que ce qui est
recherché par le projet de loi 17, c'est de raccourcir les
délais, ce n'est pas de les prolonger. Cela va complètement
à l'opposé de la philosophie qui est proposée. L'article
100.0.2 tel que rédigé actuellement détruit
également le mécanisme de la transaction ou du règlement.
La partie qui ne voudrait pas donner suite au règlement devrait
être forcée d'honorer sa parole.
Notre troisième chapitre, M. le Président - et je fais
vite - rappelle au ministre du Travail et au gouvernement les propositions
patronales faites au cours des dernières années et qui n'ont
jamais été retenues par le législateur. Nous revenons sur
des problèmes qui, quant à nous, sont assez simples, des
problèmes de définition, définition de la grève,
par exemple. Avez-vous remarqué qu'au Code du travail, actuellement, il
n'y a même pas de définition du mot "syndicat"? On suggère
des moyens pratiques d'accélérer le processus décisionnel.
Nous suggérons, par exemple, que toutes les plaintes en activité
syndicale faites en vertu de l'article 14 soient dirigées directement au
Tribunal du travail au lieu d'être dirigées au
commissaire-enquêteur.
Nous avons une proposition très concrète pour
accélérer les mécanismes d'accréditation, c'est la
législation que l'on trouve en Nouvelle-Écosse, le vote
instantané dans les cinq jours. Nous considérons que cette
proposition serait beaucoup plus efficace que celle qui nous est
suggérée actuellement dans le code. Nous donnons également
notre aval à la proposition qui a déjà été
faite par le commissaire général du travail à l'effet
d'inclure, au moment d'une requête en accréditation, les cartes
des membres. Quant à nous, cela éviterait beaucoup de
requêtes souvent mal fondées et cela aurait vraiment comme
objectif d'accélérer les délais.
Nous revenons sur notre proposition en ce sens d'avoir un exercice
éclairé du droit de grève davantage compréhensible
et nous faisons un certain nombre de propositions relativement aux pratiques
déloyales.
En conclusion, ce matin, nous vous avons fait circuler un document de
quatre pages. C'est sur celui-ci que je voudrais revenir et sur deux arguments
dans tout le débat. J'imagine que ce document a été
distribué; oui. Deux arguments sont régulièrement
avancés par le ministère du Travail pour justifier les
amendements annoncés au code: premièrement, la
nécessité de déjudiciariser les relations du travail quand
il s'agit de questions qui relèvent du bureau du commissaire
général du travail, puisque la judiciarisation a
entraîné des délais qui se sont accentués par le
grand nombre de recours en révocation à la Cour
supérieure; deuxièmement, la nécessité de
réduire les délais qu'engendre le mécanisme actuel
prévu par le code.
Pour ce qui est du premier problème, cela ne tient pas. Les
statistiques relatives aux décisions contestées du tribunal et
des commissaires du travail pour les années 1980 et 1981 vous sont
données en annexe. Les statistiques révèlent qu'il n'y a
eu, au total, que 31 décisions contestées sur un total de 6575
dossiers en 1980, donc à peine 0,5%. En 1981, il y a eu à peu
près 8400 dossiers et seulement 53 de ceux-ci ont fait l'objet d'une
contestation, donc 0,6%. Quant à nous, il faut éviter de
véhiculer l'idée que les mécanismes mis en place en 1969
ont conduit à une judiciarisation poussée du système, ce
qui n'est, à l'évidence, pas le cas.
Quant au deuxième argument, il est bien évident que
certains amendements au Code du travail pourraient permettre
d'accélérer les délais d'accréditation. Si vous
voulez, cet après-midi, on identifiera des amendements avec lesquels on
est d'accord et qui pourraient faciliter les délais. Mais force nous est
de constater qu'un bon nombre de délais ne sont point imputables au Code
du travail et qu'il incombe aux
responsables du ministère du Travail de résoudre plusieurs
problèmes administratifs, tant au bureau du commissaire
général du travail qu'au Tribunal du travail. Les statistiques
que nous vous présentons permettent de constater en effet au moins deux
choses. Plus de 70% des questions que traitent les commissaires du travail ne
concernent pas l'accréditation parce que le législateur leur a
confié, au cours des années, des problèmes qui ne
relèvent théoriquement pas de leur compétence: la loi 101,
la loi 17, la Loi sur les normes du travail, etc. Actuellement, avec la loi 101
-je ferai cela très court - toutes les requêtes pour simplement
modifier le nom d'un syndicat ou le nom d'une compagnie, en ce qui a trait
à la francisation, font partie de ces 70%.
Finalement, la charge de travail du personnel du bureau du commissaire
général du travail est plus élevée au Québec
que dans les autres juridictions canadiennes et c'est très facile
à démontrer. (12 h 30)
On conclut en posant la question suivante, et nous rejoignons ainsi M.
Paradis: Pour qui a été rédigé le projet de loi 17?
Est-ce que cela va aider des chômeurs? Est-ce que cela va créer
des emplois? Est-ce que cela va surtout aider les PME? On voudrait bien qu'on
réponde à ces questions. Merci.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Dufour. Tel que
convenu, nous allons poursuivre cet échange avec le Conseil du patronat
du Québec au retour, à 14 h 15, une fois que nous aurons pu
disposer de l'Union des municipalités du Québec et de l'Union des
municipalités régionales de comté du Québec. Sur
ce, nous suspendons nos travaux jusqu'à 14 h 15.
(Suspension de la séance à 12 h 31)
(Reprise de la séance à 14 h 21)
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Pour la reprise de nos travaux, nous accueillons les
représentants de l'Union des municipalités du Québec -
s'il vous plaît! -ainsi que les représentants de l'Union des
municipalités régionales de comté du Québec. Je
demanderai donc, tout en leur souhaitant la bienvenue, aux représentants
de ces organismes de se présenter, aux fins du journal des
Débats, et ensuite de nous livrer le contenu de leur mémoire tout
en leur signalant que nous avons un horaire qui est assez strict. Je vous
demanderais, dans la mesure du possible de condenser votre intervention en une
vingtaine de minutes ou moins.
Union des municipalités du
Québec
M. Dufour (Francis): M. le Président, je voudrais en
premier lieu remercier le ministre du Travail, M. Fréchette, qui nous a
invités à exposer notre point de vue à cette commission
parlementaire portant sur le projet d'amendement au Code du travail. Bien
sûr, on comprend que M. Fréchette soit absent pour maladie. Je
voudrais lui souhaiter un prompt rétablissement.
Je voudrais en profiter en même temps pour vous présenter
les gens qui m'accompagnent: à ma droite, Me Alain Bond, de la ville de
Montréal, M. Gilbert Desgagné, directeur des relations de travail
de l'Union des municipalités du Québec, M. Robert Dutil, maire de
Saint-Georges-de-Beauce et président du comité de police de
l'Union des municipalités du Québec, et moi-même, Francis
Dufour, maire de Jonquière et président de l'Union des
municipalités.
L'essentiel de notre intervention, dont nous vous avons remis une
version détaillée, portera sur les propositions du ministre
touchant au régime d'arbitrage des différends chez les policiers
et les pompiers municipaux. Nous nous sommes également attardés
sur les amendements projetés au chapitre des droits de l'employeur au
moment d'un arrêt de travail.
En premier lieu, je me dois de souligner que l'Union des
municipalités du Québec a été extrêmement
déçue des dispositions législatives proposées dans
le but de corriger les lacunes du mécanisme arbitral actuellement en
vigueur. Dans le discours qu'il a prononcé le 30 avril dernier, à
la clôture de notre congrès annuel, le premier ministre
René Lévesque avait pris l'engagement ferme de modifier en
profondeur le système actuel, celui-ci laissant le champ libre, selon
ses propres termes, à des résultats qui sont franchement
aberrants et parfois même ruineux. Les propos du premier ministre, qui
font d'ailleurs office de préface à notre mémoire, nous
avaient fortement réjouis en nous laissant croire à une
véritable volonté gouvernementale de régler le
problème dans les plus brefs délais. Malheureusement, à la
lecture du projet de loi 17, nous avons dû nous rendre à
l'évidence que les changements projetés sont si minimes qu'ils
risquent tout au plus de faire perdurer une situation déjà
intolérable tant pour les administrations locales que pour l'ensemble de
la population.
Cette situation, l'Union des municipalités l'a
dénoncée à plusieurs reprises au cours des
dernières années. Nous estimions, et nous le croyons toujours,
que les hausses salariales démesurées accordées par les
arbitres aux policiers municipaux sont profondément inéquitables
et qu'elles vont carrément à l'encontre des politiques de
restrictions budgétaires prônées et mises en
oeuvre par les différents paliers gouvernementaux.
En novembre 1981, l'Union des municipalités tenait un colloque
sur la police municipale. Dans un document présenté à
cette occasion, M. Jean-Michel Cousineau, professeur à l'École de
relations industrielles de l'Université de Montréal, avait
identifié le système d'arbitrage de différends comme
étant l'une des principales causes de la montée en flèche
des salaires des policiers et pompiers municipaux. Selon le diagnostic
posé par M. Cousineau et qui confirme notre expérience, cette
tendance à la hausse est alimentée par une recherche continuelle
de la parité salariale. À cet égard, écrivait
l'auteur de l'étude, l'arbitrage constitue un mécanisme
privilégié de transmission de la politique salariale syndicale.
M. Cousineau concluait son étude en écrivant: "La progression
salariale des policiers se détermine en dehors de tout contexte
économique environnant pour ne s'appuyer que sur des mécanismes
internes et le marché du travail des policiers est un îlot
très étanche par rapport au monde qui l'entoure."
À la suite du colloque, l'union a mis sur pied un comité
de police qui, pendant plusieurs mois, a tâché de préparer
des formules de rechange au mécanisme d'arbitrage dont les lacunes sont
devenues de plus en plus apparentes. À la fin de l'année 1982,
nous avons remis nos recommandations au ministre de la Justice, M.
Marc-André Bédard. En décembre de la même
année, dans un aide-mémoire remis aux ministres du Travail, des
Affaires municipales et de la Justice, l'Union des municipalités du
Québec réitérait sa proposition, réclamant entre
autres la mise sur pied de tribunaux d'arbitrage permanents composés de
juges spécialisés en matière de salaire des policiers et
pompiers, l'introduction de règles de preuve qui lieraient les juges
dans le prononcé de la sentence, l'assujettissement des arbitres au
respect des critères de décision dans la fixation des
salaires.
Parmi ces critères, la capacité de payer des
municipalités nous apparaissait comme un facteur d'une importance
capitale. Depuis, notre position est demeurée fondamentalement la
même. La situation pour sa part n'a pas changé non plus et des
décisions arbitrales plus récentes n'ont fait que confirmer notre
analyse. Il suffit de se rappeler qu'un arbitre, sous prétexte de
rattrapage, a accordé 51% d'augmentation salariale pour une seule
année aux policiers de Charlemagne. Je tiens également à
souligner qu'en plus d'aboutir le plus souvent à des décisions
favorisant nettement la partie syndicale, l'arbitrage dans sa forme actuelle
est en lui-même un mécanisme très coûteux. Dans la
seule région des Basses-Laurentides, les municipalités ayant fait
face à l'arbitrage au cours de la dernière année ont du
débourser au total pas moins de 165 000 $ en honoraires professionnels
et autres frais connexes à tout le processus d'arbitrage. Encore une
fois, ce sont les contribuables de chacune des municipalités qui,
à la fin, se verront contraints de régler la note.
Pour toutes ces raisons, nous avons accueilli avec beaucoup
d'enthousiasme la déclaration faite par le premier ministre à
l'issue de nos assises. Il nous a semblé que M. Lévesque se
rendait à nos principaux arguments, voulant que le fond du
problème réside dans un manque d'encadrement des arbitres, leur
décision reposant sur les seuls critères de
l'équité et de la bonne conscience et ne tenant aucunement compte
de la situation locale prévalant dans chaque municipalité et de
la capacité de payer de chaque municipalité. Nous ne pouvons donc
que déplorer que le projet de loi 17 n'apporte, à cet
égard, pratiquement rien de nouveau.
Ainsi, l'union croit que le remplacement du conseil tripartite par un
arbitre unique, ainsi que le propose l'article 30 du projet de loi, peut
constituer un facteur d'amélioration du processus d'arbitrage de
différends. Nous n'en sommes pas moins convaincus que la nomination
d'arbitres permanents est nécessaire si on veut assurer
l'impartialité des arbitres. Afin de pallier l'absence d'arbitres
permanents, il nous apparaît judicieux de suggérer que soit
constituée une liste annotée d'arbitres spécialisés
dans l'arbitrage des différends chez les policiers et pompiers
municipaux. La confection de cette liste qui serait sujette à une
révision annuelle devrait s'effectuer en consultation avec les parties
intéressées.
De plus, nous croyons que le ministre devrait envisager la
création d'un secrétariat composé de spécialistes
de différentes disciplines reliées au monde du travail. Le
rôle d'un tel organisme serait de fournir diverses données dont
les arbitres pourraient avoir besoin. Par ailleurs, l'Union des
municipalités est en désaccord avec le principe
énoncé par le ministre, selon lequel la présence
d'assesseurs doit être conditionnelle à une entente
préalable entre les parties. Nous croyons en effet que chaque partie
devrait pouvoir désigner un assesseur, que l'autre le fasse ou pas. Nous
acceptons cependant le principe qu'une telle nomination ne devrait pas retarder
le début et la poursuite des auditions.
Pour ce qui est du fond du problème, l'article 35 du projet de
loi amendant l'article 79 du Code du travail conserve l'obligation faite aux
arbitres d'en référer à leur sens de
l'équité et à leur bonne conscience. Dans un
deuxième paragraphe, le législateur écrit que l'arbitre
peut tenir compte entre autres de certains critères qui
sont détaillés dans les lignes qui suivent. Il n'est pas
nécessaire d'être un légiste averti pour se rendre compte
qu'une telle formulation laisse beaucoup de place à
l'interprétation, qu'il s'agit tout au plus d'une faible mesure
incitative qui ne résisterait pas longtemps à la pratique.
Pourtant, quelques mots, quelques lettres même, suffiraient pour faire de
l'article 79 la pierre angulaire d'un système arbitral renouvelé.
Notre revendication porte à cet égard sur deux points: lier la
décision de l'arbitre à la preuve qui lui est soumise par les
parties, notamment au contexte local et donner au deuxième paragraphe de
l'article 79 un caractère impératif.
L'article 79 du code pourrait donc être libellé comme suit:
L'arbitre doit, avant d'agir, prêter serment de rendre sentence selon
l'équité et la bonne conscience. Je veux attirer votre attention
sur le début de l'autre article. Cela n'est pas écrit dans le
mémoire; on pourra vous faire parvenir un papillon, vous devez
être familiers avec ce genre de décision. Pour rendre sa sentence,
l'arbitre doit tenir compte de la preuve faite lors de l'audition et,
notamment, des conditions de travail applicables aux autres salariés de
l'entreprise. Ces modifications constituent à notre sens la solution la
plus adéquate, la plus réaliste aussi à un problème
qui n'a déjà que trop duré. Le malaise est trop grave pour
que la simple évocation d'un remède puisse en venir à
bout. Cela prend au contraire une action déterminée, efficace et
bien articulée traçant sans aucun flou artistique des balises
à l'intérieur desquelles les arbitres devront rendre leur
sentence.
Devant les tensions industrielles qui résultent du traitement de
faveur dont bénéficient les policiers et pompiers municipaux,
compte tenu du contexte économique actuel, devant les aberrations
auxquelles conduit le système en vigueur, il faut à tout prix
réduire au maximum la part d'arbitraire qu'il peut y avoir dans les
décisions des arbitres. Or, l'amendement proposé ne ferait que
consacrer la pratique actuelle, ainsi que nous le démontrons dans notre
mémoire.
Le deuxième pragraphe de l'article 79, tel qu'il a
été rédigé, ne constitue d'ailleurs ni plus ni
moins qu'un emprunt à l'article 93.6 du Code du travail. Or, c'est
précisément sur cet article 93.6 que se sont appuyés les
arbitres dans leur sentence touchant la ville de Charlemagne. Il nous semble
donc que le projet du ministre n'introduit à cet égard qu'une
modification bidon ne répondant en rien aux demandes maintes fois
formulées par l'Union des municipalités au nom de toutes les
incorporations municipales du Québec.
Dans le projet de loi 17, le ministre propose en outre d'éliminer
l'article 99 du
Code du travail. Cet article établissait une limite - en
l'occurrence, douze mois - au-delà de laquelle une sentence ne pouvait
rétroagir. Nous nous opposons fermement à la disparition de cette
limite et nous trouvons pour le moins étrange que le ministre, tout en
prétendant essayer d'accélérer le processus d'arbitrage,
propose une mesure qui entraînera inévitablement des délais
et des coûts supplémentaires. Nous sommes enfin d'accord avec le
ministre sur sa proposition touchant l'article 92 du Code du travail et visant
à établir à une durée minimale d'un an pour un
maximum de deux ans, le temps de juridiction d'une sentence arbitrale.
En plus de l'ensemble des recommandations touchant à la question
de l'arbitrage de différends, l'Union des municipalités s'oppose
aux modifications projetées à l'article 109.1 du Code du travail.
Ces modifications auraient pour effet de réduire davantage la marge de
manoeuvre des municipalités en cas de grève de leurs
employés ou en cas de lock-out. Les municipalités seraient
particulièrement touchées par les paragraphes a et e de
l'amendement proposé, soit par l'interdiction d'octroyer un contrat de
sous-traitance pendant la durée d'une grève ou d'un lockout et
par l'interdiction pour un employeur de déplacer un employé-cadre
de ses établissements vers un autre établissement dans lequel
sévit une grève.
Nous croyons que les dispositions antibriseurs de grève en
vigueur actuellement sont déjà largement suffisantes et
contraignantes pour les municipaliés dont la vocation première
est, ne l'oublions pas, de veiller au bien-être de leurs citoyens. C'est
pourquoi nous croyons que les employeurs municipaux doivent être en
mesure de maintenir au travail les employés des sous-traitants dont les
contrats précèdent le début d'une grève. Il nous
apparaît également important que les municipalités puissent
conserver le droit d'utiliser les services de leurs employés-cadres pour
l'exécution des tâches municipales les plus urgentes. C'est une
question d'intérêt public. Bref, nous proposons qu'à ce
chapitre le législateur s'en tienne au statu quo et que l'article 109.1
du Code du travail soit conservé dans sa forme actuelle.
En conclusion, j'aimerais revenir sur toute la question de l'arbitrage
de différends qui est, ainsi que je l'ai déjà
souligné, à la source de problèmes particulièrement
aigus pour les municipalités. Dans un texte qui a été
publié dans le journal La Presse en février dernier et que nous
avons annexé à notre mémoire, le vice-président du
comité exécutif du Conseil du patronat du Québec, M.
Ghislain Dufour, a exposé avec maîtrise la position
défendue depuis déjà fort longtemps par l'Union des
municipalités du
Québec.
Brièvement résumée et reformulée pour la
circonstance, cette position pourrait se lire comme suit: Dans sa
décision finale, le législateur doit absolument tenir compte du
fardeau extrêmement lourd que les arbitres ont mis sur les épaules
de certains élus locaux depuis octobre 1982. Les salaires versés
aux policiers représentent une part importante de la masse salariale des
municipalités. La situation actuelle crée, en outre, une
situation d'inéquité au sein des municipalités et il en
résulte des tensions croissantes entre les différents corps
d'employés municipaux.
Encore une fois, cette situation ne peut plus durer. D'ailleurs, nous ne
sommes pas les seuls à mettre en cause l'impact du mécanisme
d'arbitrage dans l'établissement des conditions de travail des
employés du secteur public. En décembre dernier, selon les propos
rapportés par le journal La Presse, le ministre québécois
des Finances, M. Jacques Parizeau, avait affirmé, et je le cite, que:
"L'arbitrage obligatoire est un moyen simple et direct pour ruiner des finances
publiques."
Le ministre des Affaires sociales, M. Pierre-Marc Johnson, avait pour sa
part affirmé dans une entrevue accordée au magazine
L'Actualité que l'arbitrage sur le plan financier lui apparaissait comme
une chose inacceptable. M. Johnson avait posé la question suivante:
Va-t-on laisser à des arbitres le soin de trancher dans 50% du budget de
l'État? Toute proportion gardée, cette même interrogation
s'applique aussi au monde municipal et nous croyons que la réponse
à cette question passe nécessairement par un encadrement aussi
précis que possible de l'action des arbitres dont les décisions
ne peuvent plus faire abstraction de la capacité de payer des employeurs
municipaux.
C'est là en définitive le sens de nos
représentations et je veux vous remercier. En même temps, je
voudrais peut-être vous rappeler que - parce que cela se fait assez
rapidement - à la page 12 de notre mémoire, parce que là
c'est plutôt notre position, à la première ligne de la page
12, c'est: Nous croyons qu'il est tout à fait "inapproprié", au
lieu d'"approprié", d'introduire des mesures additionnelles. Page 12,
à la fin de notre dossier, du mémoire.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Dufour. Est-ce que je
dois comprendre que votre position est également celle de l'Union des
municipalités régionales de comté du Québec? C'est
une simple question...
M. Dufour (Francis): II semble que l'Union des
municipalités régionales de comté va présenter son
propre mémoire. Je ne sais pas si on sera d'accord ou non.
M. Dean: Est-ce que cela veut dire qu'il y a une division du
temps en deux ou est-ce que tout le monde a...
M. Fortier: Écoutez, oui, normalement, on croyait que
c'était un seul mémoire, mais je pense qu'étant
donné l'importance, on devrait se mettre d'accord pour donner...
M. Johnson (Anjou): Et ensuite, les questions aux deux?
M. Fortier: Oui, ensuite.
Le Président (M. Blouin): Nous demanderions à
l'Union des municipalités régionales de comté de
présenter immédiatement sa position et nous pourrions par la
suite procéder à une période d'échanges avec...
M. Fortier: À moins qu'il ne s'agisse...
Le Président (M. Blouin): Est-ce que cela pourrait aller
comme cela?
M. Fortier: Est-ce qu'il s'agit de deux mémoires...
M. Dufour (Francis): Ce sont deux mémoires
complètement différents. Pour nous, on a été
convoqués à la commission parlementaire comme Union des
municipalités.
M. Fortier: D'accord.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, si vous permettez. Vu
qu'à certains égards, ces deux mémoires - et je fais la
distinction entre l'organisme que vous présidez, M. Dufour, et celui que
préside le collègue maintenant à votre gauche, sans
commentaires idéologiques à cet égard... Je pense que,
comme il y a des objets qui sont analogues, tout au moins, dans les deux
mémoires, peut-être qu'on pourrait entendre le mémoire de
l'Union des municipalités régionales de comté et ensuite
procéder à la période de questions adressées
à l'un et à l'autre, dans un cas comme dans l'autre.
Le Président (M. Blouin): Effectivement, il y a des
arguments qui touchent précisément les mêmes objets et qui
ont les mêmes objectifs. Je demanderais, si possible, de pouvoir
très succinctement résumer ces arguments pour que nous ne
reprenions pas inutilement ce qui vient d'être énoncé.
D'accord?
M. Dean: M. le Président.
Le Président (M. Blouin): Oui, M. le
député.
M. Dean: C'est une question de clarification. Je comprenais que
les deux organismes du monde municipal partageaient une heure entre eux. Est-ce
que c'est exact?
Le Président (M. Blouin): C'est également ce que
j'avais saisi.
M. Dufour (Francis): Ce n'est pas le sens de notre convocation,
mais écoutez un peu, vous êtes en train de concrétiser
peut-être dans les faits ce qui devrait exister; nous n'avons pas
d'objections.
Le Président (M. Blouin): Si nécessaire, je crois
que nous pourrons tout de même excéder de quelques minutes le
temps qui était prévu pour nous assurer que nous faisons le tour
des questions très pertinentes que vous avez soulevées.
Je demanderais maintenant au représentant de l'Union des
municipalités régionales de comté de se présenter,
de présenter aussi les gens qui l'accompagnent et de nous livrer, le
plus succinctement possible, le contenu du mémoire.
Union des municipalités
régionales de comté et des
municipalités locales du Québec
M. Moreau (Jean-Marie): Je vous remercie, M. le Président,
et je voudrais aussi remercier le gouvernement de nous avoir permis de nous
faire entendre.
Evidemment, pour l'Union des municipalités régionales de
comté, c'est la première fois que nous intervenons dans le
domaine du travail et c'est aussi parce que la protection policière
s'applique désormais à l'ensemble des municipalités qui
dépassent 5000 personnes.
D'autres questions également en ce qui concerne les MRC
où, dans l'avenir...
Le Président (M. Blouin): Je m'excuse, monsieur. Pour les
fins du journal des Débats, je vous demanderais de bien vouloir vous
identifier et d'identifier les gens qui vous accompagnent.
M. Moreau: Excusez-moi, M. le Président. Mon nom est
Jean-Marie Moreau, président de l'Union des municipalités
régionales de comté.
Les personnes qui m'accompagnent sont: Me Pascal Renaud, recherchiste
à l'union et consultant au niveau juridique, et Me Gaétane
Martel, directrice générale de l'union.
Le Président (M. Blouin): Merci, monsieur.
M. Moreau: Alors que le code ne prévoyait des sanctions
sévères contre l'employeur que lorsqu'il entravait les
démarches d'un groupe de salariés en vue de
l'accréditation, le projet de loi 17 étend ces sanctions.
En effet, dorénavant, toutes représailles ou mesures
discriminatoires prises contre un salarié à cause de l'exercice,
par celui-ci, d'un droit qui résulte du code constitueront des pratiques
déloyales pour lesquelles l'employeur pourra être poursuivi et le
salarié indemnisé (article 2 du projet de loi 17). Cette mesure,
par ailleurs louable, multipliera le nombre de plaintes et engorgera le travail
des commissaires.
Dans un deuxième temps, le projet de loi élargit le champ
des représailles prohibées par les articles où il est
défendu à l'employeur de "congédier, suspendre ou
déplacer un salarié". On ajoute à ces articles où
ces mots apparaissent les mots suivants: "exerce à son endroit des
mesures discriminatoires ou de représailles, ou lui impose toute autre
sanction" (article 3 du projet de loi 17). En fait, par l'expression "toute
autre sanction", le législateur laisse le conseil syndical seul juge de
ce qui constitue une sanction contre un employé. Il est à
craindre que des abus soient commis. La moindre peccadille pourrait faire
l'objet d'une plainte au commissaire général du travail. La vertu
du texte actuel était de circonscrire les motifs de plaintes. Le
législateur n'irait-il pas trop loin?
Les articles 7 et 74 du projet de loi 17 autorisent le commissaire du
travail à ordonner le paiement d'un intérêt sur le quantum
au taux légal à compter du dépôt de la plainte.
À ce taux peut être ajoutée la différence entre le
taux légal et celui fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le
ministère du Revenu. Ceci aura pour effet d'augmenter les sommes
à débourser. Par contre, il est logique qu'une somme due porte
intérêt.
Il est important de noter que l'ordonnance de
réintégration rendue en vertu de l'article 15 sera
dorénavant exécutoire "malgré l'appel". Cette disposition
risque fort d'envenimer considérablement un milieu de travail car la
présence de l'employé réintégré peut
être une provocation constante contre l'employeur. De plus, qu'advient-il
des sommes payées pendant l'appel si, au terme de celui-ci, on en vient
à admettre le bien-fondé du congédiement? Ne serait-il pas
souhaitable, M. le Président, que ces dernières soient
remboursées avec intérêt selon les mêmes
modalités que celles prévues aux articles 7 et 74 du projet de
loi 17?
Ces amendements, s'ils étaient seuls, pourraient à la
rigueur être tolérés, mais, conjugués avec le reste
du projet de loi 17, ils ne peuvent que susciter notre désapprobation.
(14 h 45)
Les articles 10 et 13 du projet de loi 17 consacrent la règle du
premier dépôt,
règle qui rend irrecevable toute requête en
accréditation subséquente. Cette règle, mise en rapport
avec l'article 17, aura des conséquences graves sur l'employeur
municipal. L'effet conjugué de ces trois articles est de réduire
au silence l'employeur et de l'empêcher de se défendre. Voici
comment: dans le cas où l'article 12 du Code du travail n'a pas
été respecté et, de plus, lorsque cette contravention
survient lors d'une première demande d'accréditation.
Le nouvel article 32 empêchera l'employeur de se prononcer sur le
caractère représentatif de l'association requérante.
Ainsi, la corporation municipale non seulement subit les sanctions, mais encore
perd le droit d'être entendue; ceci est inacceptable. Nous appuyons
entièrement la proposition du Conseil du patronat du Québec qui
conteste aussi l'article 17 du projet de loi considérant que l'exclusion
de l'employeur du débat touchant le caractère
représentatif ne pourra qu'envenimer les relations de travail
subséquentes. L'attitude du gouvernement, résolument
prosyndicale, bafoue complètement les droits des employeurs. Nous
considérons que ces amendements méprisent la règle
consacrée dans notre droit: audi alteram partem. Soulignons que
l'amendement à l'article 32 soustrait également les autres
associations de salariés au droit d'être entendu.
Si nous croyons que le gouvernement va trop loin dans les
réformes qui précèdent, il dépasse les bornes par
l'abrogation de l'article 99. Il est difficile de comprendre que le
gouvernement exige des efforts considérables pour assainir les
dépenses publiques en temps de récession économique et
que, en même temps, il enlève aux corporations municipales le
moyen de planifier les impacts d'une sentence arbitrale. Dorénavant, la
municipalité devra payer immédiatement, même si elle n'en a
pas les moyens. L'odieux de cette mesure sera assumé par les élus
qui se verront accuser de mal gérer les finances des
municipalités. Qu'on s'imagine l'impact dans un budget municipal d'une
sentence arbitrale ordonnant une hausse des salaires des policiers de l'ordre
de celle qu'ont à subir les municipalités présentement.
Nous demandons au gouvernement de renoncer à l'abrogation de l'article
99 du Code du travail tel que proposé par l'article 59 de son projet de
loi.
Enfin, l'article 88, qui amende l'article 109.1 du Code du travail,
renforce les dispositions antibriseurs de grève. L'Union des
municipalités régionales de comté et des
municipalités locales du Québec peut comprendre le
bien-fondé de cette disposition du gouvernement, mais, alors, que ce
dernier prouve son véritable désir de rendre plus justes les lois
du travail. Nous exigeons des amendements stipulant que, pour qu'une
grève soit légale, la majorité des membres admissibles au
scrutin s'y déclarent favorables. Cette mesure est nécessaire
pour éviter le genre de grève qu'on connaît à la
CTCUM, par exemple, et partout ailleurs, où 8% ou 10% des membres
inscrits à un syndicat décident la grève pour les 90% qui
restent.
On peut, bien sûr, reprocher à cette proposition le fait
qu'elle force les individus à se prévaloir du droit de voter sur
l'opportunité d'une grève. On pourrait dire: Que ceux qui s'y
opposent se donnent la peine de se rendre voter. Cependant, nous appuyons notre
position sur les principes suivants: si le législateur modifie la loi
afin de donner encore plus de garantie aux travailleurs dans l'exercice de
leurs droits, que le gouvernement soit juste en haussant d'autant les garanties
pour l'employeur à une application du droit de grève. Les autres
dispositions du projet de loi 17 ne suscitent pas de commentaires de notre
part.
En terminant, nous mettons en garde le gouvernement contre la tentation
de minimiser l'importance du présent mémoire. On pourrait
soutenir que le Code du travail n'influence pas trop la vie de nos membres
puisque peu de municipalités locales ont des employés sous leurs
ordres. N'oublions pas que les municipalités régionales de
comté, dans l'avenir, auront de plus en plus besoin d'engager du
personnel pour jouer le rôle qu'on attend d'elles. Nous déposons
notre mémoire devant cette commission, nous réservant le droit de
le compléter ultérieurement. Merci de votre attention, M. le
Président.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Moreau. Maintenant,
les membres de la commission vont intervenir avec, je l'espère, le plus
de discipline possible pour que nous puissions, en l'espace de trente minutes,
compléter l'ensemble des interrogations qu'ont suscitées vos
positions. Sur ce, je donne la parole au ministre des Affaires sociales. M. le
ministre.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je voudrais remercier
M. Dufour et M. Moreau des exposés qu'ils nous ont donnés,
provenant respectivement de l'Union des municipalités et de l'Union des
municipalités régionales de comté et des
municipalités locales. J'aurais une question à l'égard de
l'abrogation de l'article 99. J'aimerais que peut-être l'un et l'autre
rectifient cette perception que j'ai, qu'à bien des égards, ces
problèmes sont réglés par les arbitres, par des sentences
intérimaires et que l'abrogation de l'article, à toutes fins
utiles, risque de ne pas changer beaucoup de choses, s'il y a beaucoup de
sentences intérimaires, ce qui semble être le cas.
M. Dufour (Francis): Pour l'article 99
qui donne à l'arbitre plus d'un an pour rétroagir, il faut
comprendre que les municipalités sont obligées, par la Loi sur
les cités et villes, de présenter des budgets
équilibrés. On n'a pas le droit de présenter à la
population des budgets déficitaires. À ce moment-là, si la
sentence rétroagit plus d'un an, cela met en danger la santé des
finances municipales, puisqu'on a à aller chercher de l'argent pour les
années passées. Donc, certainement à cause de la Loi sur
les cités et villes qui dit que nous devons présenter des budgets
équilibrés et en plus, cela fait des moyens de pression, à
mon sens, supplémentaires sur les administrateurs municipaux, parce
qu'ils sont toujours dans l'expectative. Je peux vous donner un exemple
où il y a une sentence actuellement qui a été
donnée seulement au mois de décembre par la ville de Chicoutimi
où l'arbitre a donné une partie de sa sentence pour
l'année 1982. Le temps coule pour l'année 1983 et il n'a pas
encore rendu sa sentence. Cela se comprend assez facilement que, si le
législateur permet à un arbitre de rétroagir sur des
années antérieures, cela a pour effet d'hypothéquer
l'avenir de la municipalité au point de vue financier et aussi de faire
vivre les contribuables dans des situations insécures par rapport
à ce qu'ils doivent ou ce qu'ils ne doivent pas. Pour nous, dans la
municipalité, nous payons selon ce que les gens retirent. On n'a pas
d'autre façon de procéder, que je sache.
Le Président (M. Blouin): Merci.
M. Johnson (Anjou): À l'égard du tribunal
d'arbitrage où il y a un arbitre unique, j'ai remarqué, M.
Dufour, dans votre mémoire, à la page 4, que vous dites:
"...l'article 30 du projet de loi peut constituer un facteur
d'amélioration du processus d'arbitrage de différends. Nous n'en
sommes pas moins convaincus que la nomination d'arbitres permanents est
nécessaire si on veut assurer l'objectivité des arbitres." Si je
comprends bien, vous n'évoquez pas l'article 35 qui est les nouvelles
balises données ici aux arbitres, qui vous apparaissent insuffisantes
mais qui vont quand même au-delà du code actuel, mais vous
évoquez le fait que la présence d'un arbitre unique est pour vous
une amélioration. J'aimerais peut-être vous entendre
ajouter...
M. Dufour (Francis): Pour nous, je pense bien qu'on ne dit pas
aussi carrément que c'est une amélioration, mais on pense qu'on
doit faire une tentative. En tout cas, l'opinion de l'Union des
municipalités, c'est que cette tentative peut être de nature et
là, j'insiste sur le mot "peut", parce qu'on a des différences
sur le "peut" et le "doit"... On dit: Cela pourrait amener à aller plus
rapidement. Cela pourrait être une formule qu'on peut tenter d'essayer.
On n'est pas allergique aux changements. Ce qu'on rappelle, par exemple, et ce
sur quoi on insiste, c'est que, si les deux parties peuvent nommer des
assesseurs, il n'est pas question que les parties s'entendent d'avance,
à savoir si moi, j'ai le moyen de m'en payer un et si l'autre partie a
le moyen de s'en payer un ou décident l'une par rapport à
l'autre. Je pense que cela met un fardeau trop grand. On dit: Laissez donc les
règles du jeu et, si les parties veulent se nommer un assesseur,
qu'elles le fassent. Cela ne doit pas entraver le processus d'arbitrage. On dit
l'arbitre unique, parce qu'on apporte, à la page 6 -parce qu'on doit le
relier - toujours le principe que, pour rendre sa sentence, l'arbitre doit, et
non peut, tenir compte de la preuve faite lors de l'audition et notamment des
conditions de travail applicables aux autres salariés de l'entreprise.
C'est dans ce sens que l'arbitre unique... 11 a prêté serment, il
est lié par un encadrement et cela nous semble une tentative raisonnable
pour essayer d'améliorer les choses.
M. Johnson (Anjou): Si on adoptait la formule "doit", si je
comprends bien, dans le cas, par exemple, des pompiers de Montréal, ils
auraient presque automatiquement quelque 12%, compte tenu du fait que c'est
ça que les cols bleus ont obtenu.
M. Dufour (Francis): Je pense que, si on examine très bien
l'article 6 que je rapporte, il n'est pas lié juste à cela parce
qu'on dit: "notamment des conditions de travail".
M. Johnson (Anjou): Si on adoptait votre formulation qui disait:
II doit tenir compte des conditions accordées aux autres employés
du même employeur, à toutes fins utiles...
M. Dufour (Francis): On pourrait laisser parler Me Alain
Bond.
M. Bond (Alain): II est, je pense, M. le ministre, important de
se rappeler que le principe essentiel créé par la proposition est
de lier l'arbitre à la preuve faite devant lui. C'est là le
principe essentiel et c'est là-dessus surtout que l'Union des
municipalités veut insister. Que l'arbitre de différends ne soit
plus uniquement tenu de rendre sentence, compte tenu de l'équité
et de la bonne conscience, mais qu'il soit tenu par la preuve que les deux
parties vont faire devant lui et qu'en quelque sorte tout ce processus
d'arbitrage de différends relève également des parties qui
vont devoir vivre par la suite avec cette sentence arbitrale, donc avec cette
convention collective. C'est là-dessus
que l'on pense qu'il est important d'insister et c'est également
se rappeler qu'un employeur et qu'un groupe de salariés sont
placés dans un marché du travail qui est particularisé
par, entre autres, l'endroit où l'on est situé, par le contexte
économique, par également la capacité de payer du
gouvernement municipal qui les emploie.
Là-dessus, je ferais, jusqu'à un certain point, un petit
lien, si vous le permettez, avec l'amendement ou avec le fait de retirer
l'article 99 du Code du travail. Ce qui est important dans l'article 99 du Code
du travail, c'est qu'il est prévu qu'une sentence arbitrale ayant un
impact quant au devoir de payer d'une municipalité ne peut entrer en
vigueur avant la fin de son année budgétaire. Faire sauter cette
obligation, cette restriction, comme M. Dufour le disait tout à l'heure,
c'est placer les municipalités dans une drôle de situation.
Puisque les municipalités ont proposé un budget
équilibré et qu'elles ont ce devoir légal, c'est aussi
forcer les municipalités à possiblement imposer des surtaxes
spéciales en cours de budget parce que, si l'augmentation salariale
entre en vigueur en cours de budget, cet argent, faut-il encore aller le
chercher quelque part. Où, sinon dans les poches du contribuable?
M. Johnson (Anjou): Je présume que M. Moreau veut ajouter
des choses à cela. Je vous ai vu plus tôt hocher de la
tête.
M. Moreau: Tout ce que je veux mentionner, c'est que les deux
unions ne se sont pas consultées pour la rédaction de ce
mémoire. Comme on le voit, il y a beaucoup de choses qui se recoupent.
On a buté sur les mêmes articles.
M. Johnson (Anjou): Avant d'aborder un dernier sujet, je voudrais
simplement, M. Bond, vous demander si oui ou non la formulation que je retrouve
à la page 6 du mémoire de l'union: Pour rendre sentence,
l'arbitre doit tenir compte - si je comprends bien, vous supprimeriez le
"d'abord" - de la preuve faite lors de l'audition et notamment du contexte
local et des conditions de travail applicables aux autres salariés de
l'entreprise... Je comprends de votre intervention, Me Bond, que vous dites
essentiellement: Pour nous, la notion de la preuve faite, ce qui est
fondamental - les autres sont importants, mais peut-être pas aussi
fondamentaux - si je comprends la formulation qui est là, si elle devait
se retrouver dans le projet de loi - je reviens à ce que cela
représenterait pour la ville de Montréal - cela
représenterait, à toutes fins utiles, à l'égard de
ses policiers et pompiers, environ 12%, avec une formulation comme
celle-là, devant un arbitre. (15 heures)
M. Bond: Pas nécessairement. M. Johnson (Anjou):
Non?
M. Bond: Parce que vous niez, si vous me permettez, le rôle
qu'a l'arbitre de tenir compte de la preuve qui est faite devant lui, cette
preuve qui peut notamment démontrer que les conditions de travail
applicables aux autres salariés de cette même entreprise ne sont
pas nécessairement applicables pour cette catégorie de
salariés.
M. Johnson (Anjou): Est-ce que vous iriez jusqu'à dire
que, dans votre esprit, la notion de tenir compte de la capacité de
payer de la municipalité devrait être un objet
d'appréciation de la part d'un arbitre?
M. Bond: Je tiens premièrement à corriger une
petite chose que vous avez dite, si vous me permettez.
M. Johnson (Anjou): Je vous en prie. On est ici pour cela.
M. Bond: Dans votre question tout à l'heure, vous pariiez
de la ville de Montréal. Je tiens simplement à préciser
que je suis un représentant de la ville de Montréal, mais que je
suis ici avec l'Union des municipalités du Québec. C'est un
mémoire de l'Union des municipalités du Québec que la
ville de Montréal appuie. Ceci étant dit, je m'excuse, j'essaie
de me rappeler votre question...
M. Johnson (Anjou): Ma question portait sur le fait que, à
toutes fins utiles, est-ce qu'on devrait laisser entre les mains d'un arbitre
la notion d'analyser la capacité de payer?
M. Bond: C'est-à-dire que, concernant cette notion
d'analyser la capacité de payer, je pense que le président de
l'Union des municipalités a quelque chose à ajouter
là-dessus. Mais, je pense qu'il y a quand même un
élément de preuve qui est important à faire par les
parties. Et c'est là-dessus, encore une fois, que j'insiste. On se
rattache toujours à l'obligation pour cet arbitre de différends
de rendre sa sentence en étant lié à la preuve faite par
les parties. Ce sera donc à la partie patronale et à la partie
syndicale à faire une preuve à ce sujet.
Le Président (M. Blouin): M. Dufour. M. Johnson
(Anjou): M. Dufour.
M. Dufour (Francis): Je pense que ce que vous avez comme texte -
et je voudrais le souligner de nouveau parce que je pense que c'est important -
c'est qu'on a apporté des corrections, en haut de la page 6, parce qu'on
n'a pas le local. Pour rendre sa sentence, l'arbitre doit tenir compte de
la
preuve faite lors de l'audition et, notamment, des conditions de travail
applicables aux autres salariés de l'entreprise. C'est bien sûr
que, si la municipalité ne met pas en cause sa capacité de payer,
le juge n'aura pas à statuer sur cette question-là. Si la
municipalité se sent en mesure de faire la preuve qu'il y a
incapacité de payer... Et il y en a des preuves: on peut parler de
l'effort fiscal des contribuables, par exemple, dans une municipalité
par rapport à l'ensemble du Québec. La loi sur la
fiscalité municipale, la loi 57, a démontré assez
clairement de quelle façon on analyse l'effort fiscal des contribuables,
le contexte local, régional. Ce sont toutes des balises très
strictes sur lesquelles le juge peut s'appuyer. Je ne pense pas qu'on va les
remettre en cause et je pense qu'on essaie d'être cohérent. C'est
la même chose que dans un tribunal d'arbitrage où l'arbitre est
lié par les preuves faites devant lui. Il n'est pas question pour un
arbitre de différends d'interpréter des choses qui n'ont pas
été dites. Il faut qu'il s'en tienne à la preuve
présentée et, pour nous, il nous semble qu'en toute
équité et bonne conscience, tel qu'il est dit au début du
paragraphe, le juge devrait pouvoir en tenir compte.
M. Johnson (Anjou): Alors, deux remarques et une question. La
première remarque: Je tiens pour acquis, M. Dufour, que vous venez de me
dire que la loi 57 a du bon sens. Deuxièmement, à l'égard
des intérêts, je pense qu'il y a une ambiguïté dans
les perceptions. Vous savez que, sur le plan constitutionnel, le Québec
n'a pas le droit d'agir à l'égard de la notion
d'intérêt légal et qu'il faut passer à travers - je
ne dirai pas cet artifice juridique - cette formule juridique qui permet de se
référer à celui qui est prévu au Code civil, donc
qui antidate 1867, et d'ajouter, par référence au
ministère du Revenu, la différence qu'il y a entre les 5% du Code
civil et, à toutes fins utiles, ce qui est plus ou moins le taux courant
- pour ne pas l'appeler l'intérêt légal - et qu'en ce
sens-là, je pense qu'il y a peut-être eu un problème de
compréhension à l'occasion autour de cette question. Je pense que
ces choses-là ont été évoquées
récemment par vos procureurs et ceux du ministère.
La dernière chose, avant de passer la parole à mon
collègue, ce serait de dire: À l'égard des dispositions
antibriseurs de grève, est-ce que je dois comprendre que, d'après
votre perception de ces articles, dans le cas d'une municipalité, il
serait impossible d'utiliser les services d'un contremaître
affecté à un garage ou à une installation donnée
dans un autre garage ou une installation donnée? Est-ce que c'est cela
votre compréhension de l'article?
M. Dufour (Francis): Cela va plus...
M. Johnson (Anjou): Quand on parle d'établissements.
M. Dufour (Francis): Je dois peut-être répondre
à votre boutade que la loi 57 a du bon sens, mais qu'elle est
incomplète.
M. Johnson (Anjou): C'est déjà quelque chose.
M. Dufour (Francis): Je continue en disant que, dans notre
esprit, c'est clair et selon le texte aussi. Selon nous, il est impossible
d'utiliser les services d'un employé dans un autre établissement,
et on va plus loin. On va jusqu'à dire, à affirmer que si, par
exemple, une municipalité donne à contrat le ramassage des
ordures, même cette entreprise ne pourrait pas ramasser les ordures
ménagères des citoyens parce que le terme "entreprise" n'est pas
défini dans la loi. "Entreprise" pourrait peut-être vouloir dire
le numéro civique de chaque citoyen de la municipalité. La
même chose s'applique à la neige. À ce moment-là, il
faudrait certainement qu'on pense à l'éclaircir comme il faut
parce que, sans cela, on est menotte pour ne pas faire de jeux de mots.
M. Johnson (Anjou): Je vous remercie. Merci, M. Moreau, M.
Dufour.
M. Dufour (Francis): Me Bond veut peut-être continuer.
Le Président (M. Blouin): Si vous me le permettez, je vous
signale que nous devons... Si vous avez un bref commentaire...
M. Bond: Est-ce que je peux négocier avec vous pour une
demi-minute...
Le Président (M. Blouin): II faut vraiment être
très bref.
M. Bond: ...puisqu'on est en droit du travail? Ce qui est
essentiel et ce qu'on veut clairement faire ressortir dans les amendements
proposés à l'article 109.1, c'est qu'il y a clairement des
ambiguïtés dans le texte tel que déposé. Par exemple,
quant à la possibilité d'octroyer des sous-contrats, vous
remarquerez qu'il n'y a aucune balise dans le temps fixé à
l'alinéa b de l'article 109.1, si bien que cela pourrait entraîner
des débats juridiques devant les tribunaux, à savoir quand nous
avons du travail fait en parallèle, une certaine partie par des
employés et une certaine partie en régie. Ces contrats
peuvent-ils être renouvelés pendant une grève? Il n'y a pas
de précision et cela peut entraîner des débats juridiques
devant les tribunaux, des débats juridiques qui ne servent à rien
et qui sont inutiles.
Deuxièmement, quant aux cadres, ce qu'il est important de faire
ressortir, c'est qu'il n'y a aucune définition au Code du travail du mot
"établissement" et que déjà certains organismes
gouvernementaux ont tendance à avoir une interprétation
restrictive du terme "établissement" et à considérer
chaque numéro civique comme étant un établissement. Je
pense entre autres à la Commission de la santé et de la
sécurité du travail.
Le Président (M. Blouin): Merci. M. le
député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis: Merci, M. le Président. M. Dufour, M. Moreau,
comme on se trouve avant la deuxième lecture, c'est-à-dire avant
que les formations politiques s'expriment sur le principe du projet de loi
comme tel, mes questions porteront strictement sur les principes de la loi. Je
laisserai à mes collègues le soin de discuter des
mécanismes d'application. Vous avez, je crois, plusieurs alliés
à la cause que vous défendez, à savoir que les gens des
municipalités du Québec se retrouvent en pleine crise
économique, de plus en plus coincés avec des sentences arbitrales
qui les obligent à payer des services publics à un taux qui est
de plus en plus démesuré avec leur propre gagne-pain, et qui
placent les maires, les conseillers municipaux, les édiles municipaux
dans l'étau vu qu'ils sont obligés d'assumer ce
fardeau-là. On s'est préoccupé à l'Assemblée
nationale, ce n'est pas la première fois qu'on discute du sujet, de
sentences arbitrales qui ont été rendues plus
spécifiquement dans le cas de municipalités suivantes;
Marieville, Saint-Georges-de-Beauce, L'Assomption, Saint-Jérôme,
Châteauguay, Lachute, où on avait des sentences arbitrales qui
prévoyaient des augmentations, sur une période de deux ans, de
20% à 37%.
Je fais référence au journal des Débats du 10 mars
1983 où j'ai adressé au premier ministre, celui qui est le chef
de l'État, une question sur ce sujet. La question se lisait comme
suit... lorsque je vous parle d'alliés, vous allez voir que vous n'en
trouvez pas strictement, sur les principes que vous avancez, du
côté libéral, mais que vous en trouvez également du
côté ministériel. La question était la suivante:
"Comme le ministre du Travail est absent, comme le ministre des Affaires
municipales n'est pas trop au courant du dossier ou disposé à
proposer des mesures concrètes, comme il y a deux ministres
impliqués, est-ce que je pourrais demander au premier ministre ce qu'il
entend faire pour s'assurer que les citoyens de ces municipalités -
celles auxquelles je me suis référé - n'aient pas à
payer, au cours des deux prochaines années, des augmentations de 20%
à 37% et que cela n'arrive pas à des citoyens d'autres
municipalités, en pleine crise économique?"
Voilà votre allié qui vous répond. M. le premier
ministre Lévesque, député de Taillon, répond ce qui
suit: "Pour ce qui est des cas sur lesquels il y a déjà eu des
décisions prises par voie d'arbitrage, il reste à voir comment on
pourrait les soulager, mais une chose est certaine, c'est qu'on a
demandé au ministre du Travail de faire savoir au corps des arbitres -
parce qu'ils sont bien connus -que cela commençait - et je pèse
mes mots dans tous les coins à devenir dangereusement exorbitant. Si on
ne veut pas être obligé de changer certains aspects du
système d'arbitrage traditionnel, il faudra que tout le monde revienne
un peu à la raison. Je suis parfaitement d'accord que les
municipalités ne peuvent pas endurer cela indéfiniment". Ce ne
sont pas les paroles du député de Brome-Missisquoi, ce sont les
paroles du premier ministre du Québec, René Lévesque, en
Chambre, le 10 mars 1983.
Mais comme, entre autres, dans le cas de Marieville et dans le cas
d'autres municipalités, le problème se perpétuait, le 17
mai 1983, le problème est revenu à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale. J'ai posé la question suivante au ministre
du Travail, qui était en Chambre à ce moment-là. Je vous
réfère au journal des Débats du 17 mai 1983: "Le ministre
du Travail est-il intervenu politiquement dans le système d'arbitrage
pour passer un message aux arbitres?" En se référant à la
réponse du premier ministre, on aurait pu croire qu'il y avait eu un
message de transmis aux arbitres. Le ministre du Travail de répondre:
"M. le Président, jamais et en aucune circonstance celui qui vous parle
n'est intervenu dans le système des arbitres, pour utiliser l'expression
du député de Brome-Missisquoi, pour passer quelque message que ce
soit... Je réitère que jamais et en aucune circonstance je ne
suis intervenu dans le sens que suggère le député de
Brome-Missisquoi... Non, M. le Président, d'aucune façon..."
On avait la réponse du premier ministre qui nous disait qu'il
avait demandé au ministre du Travail "de faire savoir au corps des
arbitres - parce qu'ils sont bien connus -que cela commençait - et je
pèse mes mots dans tous les coins à devenir dangereusement
exorbitant".
Le 19 mai 1983, je suis revenu à la charge à
l'Assemblée nationale. Je lis le journal des Débats où le
ministre du Travail a répondu ce qui suit: "En aucune espèce de
façon, ni officiellement, ni officieusement, je ne suis intervenu
auprès du conseil des arbitres. Je ne suis en aucune espèce de
façon intervenu dans le sens que suggère le député
de Brome-Missisquoi. Il me demande maintenant si j'ai, à des individus,
à des arbitres, passé un message de même nature. M. le
Président, je lui dis: Non plus, ni dans ce cas ni dans l'autre." Le
ministre du
Travail a ajouté - toujours parce que le premier ministre nous
avait dit "on a demandé, et qu'on ne savait pas qui l'avait
demandé au ministre du Travail; on a tenté de savoir qui le lui
avait demandé - ce qui suit: "Toujours à l'intérieur de
ces discussions, quelqu'un s'est informé à un moment donné
si la possibilité existait d'intervenir dans le sens que le
suggère encore une fois le député de Brome-Missisquoi.
Lorsque la question m'a été posée, j'ai dit: Non, ce n'est
pas possible d'intervenir et personne, à ma connaissance, n'est
effectivement intervenu."
Un peu plus loin, dans un complément de réponse, le
même jour, le ministre du Travail précise encore une fois sa
réponse: "À un moment donné, il y a eu, au Conseil des
ministres - je présume que l'ex-ministre du Travail, le ministre actuel
des Affaires sociales s'en souviendrait, s'il était présent -une
discussion à propos de la politique des prix administrés du
gouvernement." Cela tombe dans la politique des prix administrés.
"À l'occasion de cette même discussion, la question que
soulève le député de Brome-Missisquoi a également
été amorcée, strictement, par ailleurs, sous l'angle
suivant: des collègues du Conseil des ministres se sont informés,
à savoir si, juridiquement ou autrement, il était impossible
d'intervenir dans le sens, encore une fois, que soulève le
député de Brome-Missisquoi. La réponse de celui qui vous
parle, la réponse d'autres membres du Conseil des ministres a
été strictement: Non, cela n'est pas possible. La discussion
s'est terminée comme cela."
Donc, on a le premier ministre qui nous dit qu'on a demandé au
ministre du Travail d'intervenir. Le ministre du Travail nous dit: Je ne suis
jamais intervenu et, lorsqu'on me l'a demandé, j'ai répondu
immédiatement que c'était impossible. Le premier ministre nous a
dit ceci en Chambre. J'ai la nette impression que je me suis fait avoir. (15 h
15)
En retournant au mémoire de l'Union des municipalités du
Québec, je retrouve un extrait du discours de M. René
Lévesque, premier ministre du Québec, prononcé lors du
banquet de clôture du congrès de l'UMQ, le 30 avril 1983. Je lis
l'extrait qui se trouve dans le mémoire de l'Union des
municipalités. C'est le premier ministre qui parle: "Et puis il y a
également, très spécifique aussi, l'épineuse - et
vous me direz plutôt très coûteuse - question des arbitrages
concernant les policiers et les pompiers, essentiellement. Là-dessus, je
vais vous admettre d'emblée que vous avez parfaitement raison de
soutenir que ces arbitrages risquent trop souvent d'aller au-delà de
l'équité qui est toujours indispensable et de devenir proprement
ruineux pour un bon nombre de municipalités. "En principe d'ailleurs, ce
n'est pas du tout normal qu'à partir des seules balises personnelles, si
louables soient-elles par ailleurs, une personne non élue puisse
affecter à sa guise des tranches aussi importantes des fonds publics
dont c'est vous qui avez la responsabilité. "Alors, je suis d'accord sur
ce point avec mon collègue, le ministre du Travail, et je vous assure
donc, conjointement avec lui, que nous entendons agir dans les plus brefs
délais, dès cette session - et là je rappelle la date, le
30 avril 1983 - pour encadrer ou baliser, enfin on verra concrètement de
quoi il doit s'agir, cette discrétion arbitrale qui est excessive au
point de donner, ça et là, des résultats qui sont
franchement aberrants et parfois même ruineux. Et alors ça, vous
avez notre engagement très concret."
Je me suis fait avoir à l'Assemblée nationale.
Aujourd'hui, vous avez devant vous le projet de loi 17. Est-ce que le projet de
loi 17 répond à l'engagement du premier ministre?
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Brome-Missisquoi, je comprends que vous aviez l'intention de faire une
démonstration et c'est votre droit le plus strict. Je vous signale
cependant que vous avez mis dix minutes à poser votre question et que,
dans les circonstances, si nous acceptons dix minutes pour poser chacune des
questions, compte tenu du nombre d'invités que nous avons, nous ne nous
en tirerons pas aujourd'hui.
M. Paradis: M. le Président.
Le Président (M. Blouin): Je sais que je peux faire appel
à votre collaboration et que les questions subséquentes, vous
saurez les poser de façon plus succincte et que cela ne créera
pas de difficulté.
M. Paradis: Sur la question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Blouin): Vous posez votre question
à M. Dufour?
M. Paradis: Oui.
M. Dufour (Francis): Pour nous, c'est clair et définitif
et je pense que tout le mémoire est dans ce sens-là: on est
déçu du projet de loi 17 parce qu'il ne répond pas
à nos attentes. On dit ce qu'on attendait de cette loi. On explique ce
qu'on voudrait et même on écrit ce qu'on veut. Pour nous, cela ne
répond pas. Je pense bien que, dans la déclaration du premier
ministre, ce qu'on a enlevé, ce sont les endroits où
c'était inscrit: applaudissements. Il y avait 2500
délégués.
M. Paradis: Vous maintenez que vous
enlevez encore les applaudissements.
M. Dufour (Francis): Là, je pense qu'il aurait
été applaudi moins fort.
M. Paradis: Merci.
Le Président (M. Blouin): Merci. M. le
député de Prévost.
M. Dean: M. le Président, je sais qu'il y a un
problème par le fait que je suis député d'un comté
des Basses-Laurentides, où j'ai eu l'occasion de discuter avec au moins
deux maires de mon comté, les yeux dans les yeux, de la situation de
certaines sentences arbitrales des policiers ou pompiers qui peuvent
paraître exagérées.
Il faut souligner, je crois, que c'est difficile dans notre
système de nommer quelqu'un pour exercer une quelconque fonction
judiciaire ou quasi judiciaire ou quelque chose comme cela et après cela
de lui dire à l'avance quoi décider. Je veux surtout dire que
peut-être, sans que le député de Brome-Missisquoi soit
assuré que des messages ont été passés, les faits
que nous avons à la suite d'une recherche au ministère du Travail
semblent dire que le message a passé quelque part.
On constate que, pour 1982, la moyenne pondérée de 24
sentences d'arbitrage de policiers était de 12,43% d'augmentation. Pour
1983, la moyenne pondérée de 17 sentences de policiers est de
7,66%. Les augmentations annuelles pour les grandes conventions collectives
négociées au Québec en 1982 en général sont
passées de 12,8% au premier trimestre à 12,5% au deuxième,
à 10,9% au troisième et à 7,3% au quatrième
trimestre. Donc, nous pouvons constater, au début de 1983, que les
arbitres dans les différends de policiers, selon nos recherches, ont
pris en considération la situation économique probable pour
l'année 1983, puisque le pourcentage moyen d'augmentation a
été ramené à un niveau de 7,66% au début de
1983 alors que les augmentations dans le secteur privé, pour le
quatrième trimestre, sont rendues à 7,3%, donc, presque
identiques.
Il y a quand même un certain bon sens qui semble primer quelque
part dans notre société. Dans la rédaction de l'article 35
du projet de loi 17, qui amende l'article 79, nous avons essayé de
prendre d'abord ce qui existait déjà comme balises dans
l'arbitrage d'une première convention collective et qui semble avoir
fonctionné assez bien et d'ajouter pour les municipalités la
phrase que vous avez bien notée qui dit en plus de tenir compte "des
entreprises semblables ou dans les circonstances similaires ainsi que -
là, on l'ajoute - des conditions de travail applicables aux autres
salariés de l'entreprise". Donc, aux autres salariés de la
même municipalité, des salariés qui peuvent ou non avoir
obtenu leur niveau salarial par la négociation collective, par
l'exercice du droit de grève avec ou sans services essentiels, etc.
J'aimerais savoir si vous avez des commentaires à faire pour
répondre à cette recherche sur les statistiques des sentences
arbitrales. J'aurais peut-être une dernière question. Votre
organisme, M. Dufour, a mentionné une sorte de juges
spécialisés. Est-ce que ce seraient des juges qui fonctionnent
seuls ou qui fonctionnent à trois? C'est juste pour avoir une
explication.
M. Dufour (Francis): Ç'auraient été des
juges qui fonctionnent seuls, avec assesseurs, comme il semble être
écrit. Je ne comprends pas trop. Je vous dis honnêtement que cela
me laisse un peu sceptique et même beaucoup sceptique lorsque vous nous
parlez de moyenne d'augmentation pondérée. Chaque
municipalité est une entité propre. Qu'il y ait 6 ou 50
policiers, pour nous, c'est le même problème. Il faut tenir compte
du contexte. Où il y a six policiers, il y a un besoin de six.
Quand vous parlez de moyenne pondérée, je comprends que,
si une municipalité est chanceuse de s'en tirer avec un petit
pourcentage, cela a pour effet de baisser l'ensemble des municipalités.
J'aurais presque envie de vous répondre que, dans votre propre
comté, il y a des augmentations de 15%. Là, je trouve que ce
n'est pas pondéré. Il faut regarder chaque municipalité.
Dès qu'on joue sur la pondération... Bien sûr, si
Montréal donnait 3% d'augmentation, cela aurait un effet extraordinaire
sur les autres municipalités, mais ça ne change pas le
problème de la ville de Charlemagne où il y a 51%
d'augmentation.
M. Dean: Oui, j'en conviens. Sauf que, quand on parle de moyenne,
j'ai dit au début de mes remarques que je sais qu'il y a des cas
extrêmes dans un sens; peut-être est-ce les cas extrêmes de
l'autre sens qui font une moyenne qui baisse, qui seront peut-être
considérés comme extrêmement bas par les salariés en
question. Le fait demeure que ce qu'on a fait comme recherche depuis ce temps
indique une baisse, indique que les arbitres, en moyenne, tiennent compte des
circonstances économiques. On essaie donc de baliser à nouveau la
clause qui est au moins indicative à l'égard des arbitres de
différends dans le sens de les inciter à faire des comparaisons
avec les autres salariés de leurs propres municipalités qui,
quand même, ont un rapport quelconque avec la capacité de payer de
la municipalité. Je vous remercie.
Le Président (M. Blouin): Merci. M. le
député d'Outremont.
M. Fortien J'ai écouté mon collègue de
Prévost qui cherche à administrer la province avec des
statistiques alors que les gens vivent des problèmes bien réels
dans chacune des municipalités. En examinant le projet de loi - je veux
amener la discussion sur les dispositions antibriseurs de grève - je
pensais surtout à l'industrie manufacturière, en particulier. On
pense toujours, à tort ou à raison, que cela s'applique surtout
là. Mais comme vous en faites mention à la page 7 de votre
mémoire, j'aimerais que vous commentiez, eu égard à mon
ignorance de la situation dans le domaine qui est le vôtre, le paragraphe
où vous dites: "Nous croyons que les dispositions antibriseurs de
grève en vigueur actuellement sont déjà largement
suffisantes et contraignantes pour les municipalités dont la vocation
première est, ne l'oublions pas, de veiller au bien-être de leurs
citoyens."
Pour le bénéfice de notre information, pourriez-vous nous
dire ce qui existe présentement, quelles sont les contraintes que vous
avez à vivre en tant que municipalité et nous expliquer
brièvement dans quelle mesure la nouvelle loi augmenterait ces
contraintes auxquelles vous avez fait allusion tout à l'heure? Ce qui
m'intéresserait, ce serait de savoir quelles sont les contraintes
actuelles, telles qu'elles s'appliquent aux municipalités.
M. Dufour (Francis): Actuellement, on sait qu'on vient d'adopter
la Loi sur les services essentiels et cela a eu pour effet de faire tomber le
droit de lock-out des municipalités. Pour ceux qui ont vécu des
grèves dans le passé, on se rend compte facilement qu'on est
à la merci des syndicats pour assurer l'observance des services
essentiels parce que, même là, on va être obligé de
prendre des injonctions assez souvent et régulièrement pour
être capable d'assurer les services. En tout cas, j'ai vécu une
grève dans mon milieu. Ce n'était pas volontaire, mais je peux
vous dire que, même si on avait une entente entre le syndicat et
l'employeur, il y avait quelques fuites d'eau dans la ville et ce
n'était pas grave, ce n'était pas important et cela pouvait
mettre en danger la sécurité des citoyens parce qu'il y avait de
l'infiltration qui était en train de se faire à travers les bris
d'aqueduc. On parle des grosses municipalités, on a toujours tendance
à parler des grosses municipalités, mais il y a de petites
municipalités où il n'y a pas beaucoup d'employés. Elles
opèrent une usine de filtration et assez souvent, même avec la Loi
sur les services essentiels qui est très nouvelle - on ne peut pas
encore poser de jugement de valeur là-dessus - il est possible que,
lorsqu'il y a des tempêtes de neige, les machineries sortent un peu plus
tard qu'à la normale.
Si nous procédons par une injonction, il faut attendre que le
juge soit sorti. Si quelqu'un est malade et qu'il ne peut pas sortir de sa
maison, cette personne n'attendra pas. Elle va sortir en motoneige ou
autrement. Je ne sais pas quelles seront les façons de procéder.
S'il y a un incendie, on n'attend pas que la tempête soit finie. Encore
là, cela pourrait permettre à la municipalité de pouvoir
agir parce qu'on a des employés qui ne sont pas nécessairement en
grève. Donc, les quelques employés-cadres qui sont dans un
service, d'après le libellé de l'article, seraient
paralysés et on ne pourrait pas les transférer d'un endroit
à un autre. C'est bien sûr qu'on peut essayer de dire: il n'y aura
pas de problème parce que les gens comprennent tout cela. J'ai
déjà eu - pas une grève, même pas une
possibilité de grève - où les gens disaient: On va
répondre pour l'urgence aux incendies... Je ne dis pas qui a mis les
broquettes devant le service d'incendie, mais il y avait à peu
près cinq livres de broquettes pour le camion. Il aurait pu sortir, mais
comment, je ne le sais pas. Qui aurait pu réparer cela?
Ce sont des situations que les municipalités ont vécues.
Là, cela va plus loin. On dit que ceux qui ramassent les vidanges - pour
la plupart, ils sont à contrat - ne pourraient même pas les
ramasser. Qu'est-ce qu'on va faire? Cela veut dire que la municipalité -
tantôt je n'ai pas fait de jeu de mot en disant qu'elle serait
menottée, elle va l'être - ne pourra pas bouger, on ne pourra
faire absolument rien. On va être à la merci de la grève.
Donc, il n'y a plus de droits en fin de compte. Ce n'est plus un droit. On va
être obligé de payer et de régler.
M. Fortier: Juste une question additionnelle, rapidement, pour
collaborer avec notre président. Est-ce que vous avez fait des
représentations dans le passé au gouvernement à ce sujet?
Ici, je vois, à la page 8, que vous recommandez le statu quo. Ma
question est: Est-ce que vous avez fait état de ce problème que
vous avez vécu dans le passé? Est-ce que vous en avez
parlé au gouvernement? Avez-vous fait des recommandations formelles qui
seraient différentes de celles que vous faites à la page 8?
M. Dufour (Francis): À la commission parlementaire, mon
acolyte, M. Desgagné, me rappelle que le maire de Québec, qui est
aussi vice-président de l'Union des municipalités, a fait ses
représentations à une commission semblable.
M. Fortier: Dans quel sens?
M. Dufour (Francis): Dans le même sens que nous...
M. Fortier: De ce que vous avez ici» Je vous remercie.
Le Président (M. Blouin): Merci. M. le
député de Sainte-Anne.
M. Polak: Merci, M. le Président. J'ai juste deux
très courtes questions. D'abord, une remarque préliminaire. Je
veux protester vraiment contre la manière dont on procède parce
que je trouve cela presque insultant vis-à-vis de ceux qui sont
invités à procéder à la dernière minute. On
vient de recevoir le mémoire quand les gens sont devant nous. Ce n'est
pas une manière correcte de procéder. C'est toujours la
même chose; à la fin de la session, au mois de juin, on nous
présente maintenant un projet de loi. Moi, je prends mes études
au sérieux. J'ai étudié le projet de loi 17 en fin de
semaine. Jusqu'à hier soir, j'avais reçu trois mémoires,
pas un de plus. Je pense que nous ne sommes pas sérieux et je pense
qu'on participe à une sorte de farce politique, et je veux le dire. Je
veux m'excuser auprès de ceux qui sont venus parce que ce sont des gens
très importants. Ce sont des gens du monde syndical, du monde patronal,
ceux qui influencent notre vie sur une base quotidienne. (15 h 30)
Quand je réalise que, pour étudier le projet du
cinéma, cela m'a pris cinq jours d'enquête. Je n'ai rien contre la
culture, c'est bien beau, mais venir nous dire: On a une journée, il
faut finir ce soir à minuit, je trouve cela un scandale et je veux que
ce soit enregistré que le député de Sainte-Anne proteste
contre cela. Je vais évidemment obéir à votre directive si
vous nous forcez à compter les minutes; je suis obligé de le
faire. Mais je vais vous dire que je suis tanné de cela, je suis
tanné de cette manière de procéder, et à
l'Assemblée nationale et à la commission parlementaire. Ayant
fait cette petite remarque et m'étant excusé auprès de
tous ceux qui sont venus, je voudrais procéder rapidement parce que mon
temps expire, selon notre système.
L'article 119, M. Moreau, M. Dufour, concerne la sentence arbitrale
où il est très bien expliqué que le texte que vous jugerez
et celui que le gouvernement nous suggère se lit comme suit: "L'arbitre
peut tenir compte". Est-ce que j'ai bien compris ou est-ce que vous m'avez bien
compris quand j'ai dit que cela ne veut rien dire? Parce qu'il n'est pas
obligé. Donc, est-ce un voeu pieux, quelque chose qu'on jette à
manger pour le public? Eh bien! Merci beaucoup, M. le gouvernement, mais, sur
le plan pratique, cela ne veut absolument rien dire et l'arbitre peut rendre
les mêmes sentences qu'auparavant. L'avez-vous compris comme cela, cet
article?
M. Dufour (Francis): C'est pourquoi on suggère un texte
nouveau.
M. Polak: D'accord. Merci. Deuxième et dernière
question, concernant des articles sur les dispositions antibriseurs de
grève, l'article 88 qui amende l'article 109.1. On dit que "pendant la
durée d'une grève, il est interdit à un employeur...".
Ensuite, il y a toute une catégorie de choses qu'il ne peut faire. De la
manière que j'ai lu cela, pourriez-vous me dire ce que l'employeur peut
encore faire dans un cas de grève? J'ai lu cet article et je voudrais le
lire comme suit: au lieu de dire: "il est interdit à l'employeur", je
voudrais dire: "On ordonne à l'employeur de fermer la boutique".
À toutes fins utiles, est-ce cela que cela veut dire ou est-ce qu'il y a
encore des possibilités pour l'employeur de faire quelque chose dans
votre analyse de cet article?
M. Dufour (Francis): Si on répond succinctement, cela veut
dire que l'entreprise doit garder ses employés-cadres dans
l'établissement pratiquement à ne rien faire.
M. Polak: D'accord. Merci.
Le Président (M. Blouin): M. le leader du
gouvernement.
M. Bertrand: Très brièvement, M. le
Président, je voudrais réagir aux propos tenus par le
député de Sainte-Anne relativement à la commission
parlementaire. Je voudrais d'abord lui indiquer que c'est à la demande
de l'Opposition, entre autres choses, que nous avons décidé de
tenir cette commission.
M. Polak: ...il y a une semaine, ce droit.
M. Bertrand: Un instant, un instant. Deuxièmement, je
pense que c'est fort intéressant - et c'est un précédent,
je crois - que nous ayons autant de commissions parlementaires cette semaine
pour entendre des organismes après le dépôt en
première lecture d'un projet de loi. Il y a six commissions
parlementaires qui siègent cette semaine et c'est à la suite
d'une consultation, donc d'une entente avec l'Opposition, que nous avons non
seulement décidé de la tenue de ces commissions parlementaires,
mais que nous avons aussi fixé la liste des organismes qui seraient
entendus en commission parlementaire et, partant, donc, j'imagine, de
s'autodiscipliner pour arriver à faire en sorte que tout le monde puisse
être entendu.
Dans ce contexte, M. le député de Sainte-Anne, je trouve
vos critiques malvenues, étant donné le bon état d'esprit
qui a présidé aux décisions relativement à ces
commissions parlementaires.
M. Polak: Je ne retire rien.
Le Président (M. Blouin): Un instant, s'il vous
plaît! J'ai constaté que le député de Sainte-Anne
avait - tout en insistant pour que ses propos soient enregistrés, mais
ils le sont toujours, M. le député de Sainte-Anne -fait une mise
au point...
M. Polak: Depuis quand voulez-vous prendre en note de ce que je
dis?
Le Président (M. Blouin): ...qui a été
reprise - et nous devons le mentionner - très rapidement et
succinctement par le leader de l'Opposition. Je veux bien qu'il y ait une
brève réaction, encore une fois, par le leader du gouvernement,
je veux bien qu'il y ait une brève réaction du côté
de l'Opposition, mais je veux d'abord et avant tout que nous tenions compte des
groupes qui sont venus ici aujourd'hui pour se faire entendre et que nous ne
partions pas de débat de procédure complètement inutile et
stérile. M. le député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis: En tenant compte de vos remarques, M. le
Président, très brièvement, c'est vrai que c'est à
la demande de l'Opposition que les gens sont entendus avant la deuxième
lecture. C'est une demande fort normale et on remercie le gouvernement d'y
avoir accédé, mais ce n'est pas à la demande de
l'Opposition que le projet de loi a été déposé le
19 mai seulement et ce n'est pas à la demande de l'Opposition non plus
qu'on a attendu le mois de juin, qui est une session intensive, un travail
intensif, pour l'étudier. Ce n'est pas non plus à la demande de
l'Opposition qu'on a réservé une seule journée pour vous
entendre, mesdames et messieurs qui nous visitez aujourd'hui. On aurait
aimé prévoir plus d'une journée, faire un travail beaucoup
plus à fond. C'est là l'essentiel de mes remarques, M. le
Président.
Le Président (M. Blouin): Cela va? Alors, s'il n'y a pas
d'autres questions, je...
M. Scowen: C'est parce que je trouve que cet argument, même
si cela prend un peu de temps, n'est pas inutile ou stérile comme vous
l'avez mentionné.
Le Président (M. Blouin): Enfin...
M. Scowen: Je veux simplement appuyer à 100% les
revendications de mes collègues en vous donnant d'autres exemples. La
semaine dernière, on était devant une...
Le Président (M. Blouin): Si vous... Non. M. le
député de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Scowen: Non?
Le Président (M. Blouin): Je m'excuse, mais nous sommes
ici pour entendre des organismes...
M. Scowen: Oui.
Le Président (M. Blouin): ...en regard du projet de loi
17, Loi modifiant le Code du travail et diverses dispositions
législatives. Il y a eu une intervention du député de
Sainte-Anne qui a été reprise très brièvement par
le leader du gouvernement et qui a été ensuite commentée
par votre collègue de Brome-Missisquoi. Quant à moi, je
considère que l'incident est clos.
M. Scowen: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Blouin): Oui, M. le député
de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Scowen: Est-ce que je peux faire valoir mon droit de
parole?
Le Président (M. Blouin): Vous en avez toujours le droit
si vous croyez que c'est utile et que cela peut faire avancer les travaux.
M. Scowen: Merci. Je veux simplement...
Le Président (M. Blouin): Vous avez terminé?
M. Scowen: Pardon?
Le Président (M. Blouin): Je pensais que vous aviez
terminé.
M. Scowen: Non, non, je commence. Le Président (M.
Blouin): Allez-y.
Une voix: Vous avez le droit de parler en anglais à part
cela.
M. Scowen: Parce que le leader parlementaire a
décidé - il n'est pas membre de cette commission et, normalement,
il n'est pas ici - de faire une réplique exagérée aux
déclarations de mon collègue de Sainte-Anne, je veux simplement
préciser, à l'intérieur des 20 minutes qui m'ont
été accordées, que, depuis une semaine, on se trouve
devant au moins deux projets de loi pour lesquels j'ai une expérience
personnelle: la loi sur la Société des alcools du Québec,
qui a été déposée 48 heures avant qu'on ait
été obligé de l'étudier et de l'adopter en
deuxième lecture; et hier, cela a été exactement la
même chose avec la loi sur SOQUIA, qui nous demandait d'approuver un
investissement de 40 000 000 $.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce, je m'excuse.
M. Scowen: Je trouve cela complètement inacceptable.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce, si vous avez terminé votre intervention, cela
va, mais...
M. Scowen: Oui.
Le Président (M. Blouin): Bon, d'accord. Sur ce, je
remercie les membres de l'Union des municipalités du Québec et de
l'Union des municipalités régionales de comté et des
municipalités locales du Québec.
M. Dufour (Francis): Je veux vous remercier également.
J'espère que la commission et le gouvernement vont tenir compte des
représentations de l'Union des municipalités.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Dufour.
M. Johnson (Anjou): M. Dufour, vous le savez, on est toujours
tout ouïe, nous autres.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Dufour, et merci
à ceux qui vous accompagnent.
M. Dufour (Francis): Souvent, ceux qui sont tout ouïe disent
non. Merci beaucoup.
Le Président (M. Blouin): Tel que nous l'avions convenu,
je demande maintenant aux représentants du Conseil du patronat du
Québec de prendre place à la table des invités afin que,
à la suite de leur intervention et du mémoire qu'ils ont
présenté ce matin, les membres de la commission parlementaire
puissent échanger avec eux.
M. Dufour, je présume qu'il s'agit des mêmes collaborateurs
que ce matin.
M. Dufour (Ghislain): Pardon?
Le Président (M. Blouin): Ce sont les mêmes
collaborateurs que ceux de ce matin qui vous accompagnent?
M. Dufour (Ghislain): Oui. Pour les fins du journal des
Débats, je peux les présenter de nouveau.
Le Président (M. Blouin): D'accord.
M. Dufour (Ghislain): Me Tobin, de chez Domtar; M. Beaulieu, de
chez Alexandre Beaulieu Inc.; M. Pierre Gauthier, du Conseil du patronat; M.
Jacques Laurin, de MacMaster, Meighen; Ghislain Dufour, du
Conseil du patronat.
Le Président (M. Blouin): Très bien. M. le
ministre, vous avez la parole.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je voudrais remercier
les représentants du Conseil du patronat et, notamment, ceux qui, parmi
eux, siègent au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre et
qui, dans certains cas, sont à la veille d'avoir des bronzes
élevés en leur honneur, ainsi que la président de la FTQ
et quelques autres, compte tenu du temps qu'ils y siègent.
Ils ont été à même, M. le Président,
de prendre connaissance des orientations fondamentales qu'on retrouve dans ce
projet, à partir d'une première rédaction que l'on
appelait non pas "projet", mais "proposition législative", qui a fait
l'objet, je crois, de plusieurs réunions du CCTM, lesquelles, il faut
bien le dire, n'ont pas résolu les différents points de vue que
peuvent avoir le monde syndical et le monde patronal à l'égard de
plusieurs des dispositions que l'on retrouve maintenant dans le projet de loi
17.
Je m'attarderai sur trois sujets qui ont fait l'objet des remarques, en
particulier, de M. Dufour qui a semblé insister sur ces sujets. Je
laisserai à mes collègues le soin d'évoquer les autres
sujets.
Si je comprends bien, M. Dufour, votre compréhension du projet de
loi est qu'on pourrait arriver à une situation, dans le cas de
l'accréditation sans majorité absolue, où un syndicat
pourrait obtenir l'accréditation avec moins de 30% des votes. Est-ce
bien votre compréhension du projet de loi dans sa formulation?
M. Dufour (Ghislain): C'est-à-dire qu'on a fait jouer 29%
par rapport à 49%, mais cela peut être 35% par rapport 45%.
C'était pour montrer les deux extrêmes, oui.
M. Johnson (Anjou): C'est cela.
M. Dufour (Ghislain): De toute façon, ce qu'on veut bien
identifier, M. le ministre, c'est l'absence de majorité absolue. Cela
aurait pu être 35% et l'exemple aurait été le
même.
M. Johnson (Anjou): Dans la mesure où il y a une
espèce de double scrutin entre deux associations accréditables,
il doit se dégager, par définition, une majorité, pas
nécessairement une majorité des membres de l'unité car on
ne doit pas présumer que tous vont se prévaloir, par
définition, de leur droit de vote, l'économie du code
étant ce qu'elle est et ne faisant pas l'objet de changements majeurs
à ce stade-ci, mais il reste que, dans la mesure où il y a deux
tours, où il y a une sorte d'élimination, où on a deux
organisations syndicales qui
demandent l'accréditation, on en arrive, par définition,
à une majorité.
M. Dufour (Ghislain): Voulez-vous qu'on réponde
immédiatement?
M. Johnson (Anjou): Oui, s'il vous plaît.
M. Dufour (Ghislain): Écoutez, je vais demander à
Me Laurin de compléter. Bien sûr, cela se situe carrément
dans les cas de maraudage, comme vous venez de l'identifier; cela ne peut
être le cas de la première convention. Le principe qui a toujours
prévalu, dans nos relations de travail au Québec, est celui de la
majorité absolue. Vous nous demandez, à ce moment-ci, d'accepter
un principe qui est tout à fait nouveau. Nous parlons de 29%, parlons de
35%, ce qui est du pareil au même, ce qui veut dire que nous devrons
dorénavant, comme employeur, vivre une convention collective où
seulement 35% des travailleurs d'un établissement, d'une boîte
donnée, auront voté en faveur de ce syndicat.
Quant à nous, nous disons qu'au plan du principe ce n'est pas la
démocratie en marche comme on l'a toujours connue dans le domaine des
relations du travail. Cela peut créer, par ailleurs, un certain nombre
de problèmes techniques et je demande à Me Laurin
d'enchaîner.
M. Laurin (Jacques): M. le Président, M. le ministre,
j'aimerais simplement ajouter qu'effectivement, par l'article 21 du projet de
loi qui ajoute l'article 37.1 au Code du travail, on vient simplement faire
échec au principe général qui est prévu au code,
où une association ne peut être accréditée que dans
la mesure où elle a la majorité absolue des voix des
salariés à l'intérieur de l'unité
proposée.
Bien que la majorité des...
M. Johnson (Anjou): Et non pas des voix exprimées. Je veux
seulement qu'on se comprenne quant au vocabulaire qu'on utilise. Quand vous
parlez de majorité, vous vous référez au fait que... Je ne
dirai pas ce qui vous répugne, mais ce qui vous rebute un peu dans cela,
au niveau du principe, c'est à l'égard de l'expression d'une
majorité qui n'est pas absolue, mais une majorité qui n'est pas
absolue, si on tient compte de l'ensemble des membres susceptibles d'être
couverts par l'unité et non pas des membres qui expriment leur vote.
M. Laurin (Jacques): C'est cela.
M. Johnson (Anjou): On se comprend bien.
M. Laurin (Jacques): C'est exact.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Parfait.
M. Laurin (Jacques): Et qu'une association requérante
pourrait être accréditée alors que l'association qui est
requérante n'a pas la majorité absolue des voix. C'est dans cette
mesure qu'on trouve que cela fait échec au principe
général prévu au code.
M. Johnson (Anjou): À l'égard de la première
convention collective, j'ai été frappé, M. Dufour, par
l'insistance que vous avez mise sur le retrait du critère de jugement de
bonne foi pour permettre à l'arbitre de la première convention
collective de décider de procéder à cette question. Je me
rappelle d'une certaine époque, l'époque du projet de loi 45,
où nous avions évoqué ces principes en fonction de
l'économie générale du code. C'est vrai que cela remonte
aux années quarante, où on se réfère habituellement
à la notion de bonne foi.
Vous me permettrez de citer une cause. Je comprends que ce n'est qu'une
cause parmi d'autres, mais cette notion même de la bonne foi à
l'égard de la conclusion d'une première entente a fait l'objet
d'une cause qui est devenue célèbre, qui est celle de CAE
Electronics Limited contre l'Association des ingénieurs scientifiques de
CAE. Sur la base de la notion même de bonne foi, on est passé de
1978, avec un jugement qui est sorti à la fin de 1982, si je ne me
trompe pas au mois de mai... Cela fait quatre ans. C'est seulement sur la
notion de la détermination de la bonne foi par les tribunaux. (15 h
45)
J'évoque ici également l'appui qu'accorde - non pas du
bout des lèvres, mais très carrément et très
clairement - la Conférence des arbitres du Québec. La bonne foi
qu'on exige de l'arbitre dans le cas d'une première convention
collective, qui porte un jugement, fait qu'à toutes fins utiles,
l'arbitre est dans une position extrêmement difficile. J'aimerais
peut-être vous entendre commenter ce qui a amené le ministre du
Travail à apporter ce projet d'amendement au Code du travail pour faire
en sorte que ce qu'on évalue, à toutes fins utiles, est
l'impossibilité réelle, mesurée par des
probabilités d'un homme sage ou d'une femme sage, pour les parties de
s'entendre. C'est ce qui nous a amenés à faire ce projet de loi.
J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.
M. Dufour (Ghislain): M. le ministre, M. le Président,
c'est bien sûr que vous pouvez nous citer CAE Electronics; il y a des
symboles comme cela, dans le domaine des relations du travail. Vous vous
rappelez qu'au moment du débat sur la loi 45, on a entendu
parler de Canadian Gypsum dont plus personne ne se souvient aujourd'hui.
Il y a des cas symboles dans le domaine des relations du travail. Je voudrais
vous ramener tout simplement au libellé ou au rédigé
actuel de l'article 93.4. Là, nous sommes embarqués dans la
technique et ce n'est pas ce qu'on voulait, cet après-midi. Je pense
qu'il y a des principes qui transcendent ce projet de loi et qui sont beaucoup
plus importants que cela. On dit bien que l'arbitre doit décider de
déterminer le contenu de la première convention collective
lorsqu'il est d'avis qu'il est improbable que les parties puissent en arriver
à la conclusion d'une convention collective dans un délai
raisonnable. S'il y a eu des brefs d'évocation pour les questions de
bonne foi, je pense que vous allez en avoir autant, sinon plus, avec des
questions de délai raisonnable. Pour nous, c'est une notion de base,
dans le domaine des relations du travail, que la notion de bonne foi. Cela nous
apparaît fondamental que cela subsiste. D'autant plus que, si vous
l'enlevez des pouvoirs de l'arbitre dans la détermination du premier
contrat de travail, pourquoi ne l'enlevez-vous pas purement et simplement du
Code du travail? Ce n'est pas ce que vous faites. Entendons-nous bien,
là, au niveau des éléments nouveaux apportés par
l'article 93.4, vous ne réglez pas le problème. Vous ne cadrez
pas l'arbitre, il y a des paramètres qui sont là qui vous
créeront exactement les mêmes problèmes que la situation
actuelle.
M. Johnson (Anjou): C'était le cas de Zellers, des
chargés de cours de l'UGIAM et de Gypsum...
M. Dufour (Ghislain): Oui, bien sûr, mais je vous ai
déjà entendu dire...
M. Johnson (Anjou): C'est cela, et vous me dites qu'on pourrait
en nommer d'autres.
M. Dufour (Ghislain): ...souvent, M. le ministre, qu'on ne
parlait pas des 95% des conventions collectives qui se règlent sans
problème.
M. Johnson (Anjou): Voilà. À l'égard du
délai dans le cas des griefs, j'aimerais vous entendre expliquer un peu
ce que vous avez évoqué ce matin sur la notion des 30 jours et
des difficultés que vous y voyez. M. Tobin, peut-être.
M. Dufour (Ghislain): M. Tobin.
M. Tobin (Edmund): M. le ministre, M. le président, MM.
les membres de la commission, le système qui est proposé
aujourd'hui fait en sorte qu'il y aurait quand même trois personnes qui
pourraient siéger aux auditions et qui pourraient participer à
l'étude, à l'analyse de la preuve. Dans les conventions
collectives, si on regarde la majorité des conventions collectives qui
sont déposées au ministère, les parties, dans certains
cas, ont fait une distinction très nette entre les arbitrages qui
peuvent être entendus à trois et les arbitrages qui
procèdent devant un arbitre unique.
Je pense que la portée principale du mémoire du Conseil du
patronat du Québec que nous présentons aujourd'hui veut que les
parties au cours des années ont pu se tailler, se tisser un
système qui réponde aux dimensions de l'entreprise. Lorsque nous
proposons un changement qui fait que les parties ne peuvent pas ou n'ont pas la
liberté de choisir le processus approprié pour elles, la question
que nous posons est: Pourquoi ce chambardement? Les délais sont un
facteur que nous avons dans toutes les instances décisionnelles. Le
mémoire du Conseil du patronat fait, entre autres suggestions, celle
que, dès la nomination d'un arbitre, il pourrait y avoir un
délai. Je crois que la Conférence des arbitres a mentionné
qu'une fois l'audition terminée, il y aurait un délai fixe pour
une décision définitive.
Nous ne croyons pas que le système proposé dans le projet
de loi 17 réponde nécessairement à la situation de
délai. Il y a d'autres moyens d'expliquer cela sans chambarder le
système qui existe présentement.
M. Dufour (Ghislain): M. le ministre, j'aimerais ajouter que,
pour les 30 jours de la présentation du grief à laquelle vous
avez référé spécifiquement, dans les conventions
collectives actuellement, il y en a très peu. Évidemment, M.
Dean, député de Prévost, nous a déjà dit
que, dans certaines grandes conventions collectives - c'est le cas de GM -
c'est beaucoup plus que cela. Bien sûr, il y a des conventions
collectives où il y a plus que cela. Mais cela a été
négocié par les parties. Tout ce qui s'appelle
négociation, on n'a rien contre cela, sauf que, si vous ne l'avez pas,
que les parties ont convenu de dix ou quinze jours et que c'est dans une
entreprise manufacturière la moindrement grosse où vous avez
beaucoup de mises à pied, voyez-vous l'application de la clause
d'ancienneté avec une question de 30 jours, d'autant plus que cela
devient un plancher? Les conventions collectives vont se négocier
à partir des 30 jours, donc cela sera de 45 à 60 jours. C'est un
peu ce que je disais ce matin. L'objectif du projet de loi est de
réduire les délais. Si vous aviez établi qu'actuellement
la moyenne des conventions collectives, la période pour présenter
un grief est de quinze jours, on se serait entendu pour que vous disiez douze
jours. Vous rapetissez et vous ramenez cela d'une couple de jours. Ce n'est pas
ce que vous faites, vous ramenez cela à 30 jours, pensant
que, maintenant que c'est dans le code, cela va devenir un plancher pour
peut-être le double et, à ce moment-là, vraiment, on ne
raccourcit pas les délais. Alors, c'est une question purement
pratique.
On a une philosophie de base. Dans tout ce qui peut être
laissé entre les mains des parties, intervenez le moins possible comme
législateur. Alors, cela n'existe pas actuellement. De toute
façon, on ne peut pas signer une convention collective sans
établir une procédure de grief et un délai pour le
présenter à la première étape. Laissez cela
à la négociation libre.
M. Johnson (Anjou): M. Dufour, j'ai une dernière question
à vous poser ou aux gens qui vous accompagnent. Si vous aviez à
évoquer la nomenclature des droits exercés en vertu du code qui
doivent donner ouverture à la protection additionnelle qu'on accorde en
vertu de l'article 17 - je parle ici des articles 14, 15 et autour - quels
seraient les droits que vous évoqueriez? Dans votre mémoire vous
citez un cas, mais auriez-vous une nomenclature plus abondante?
M. Dufour (Ghislain): Oui. Je vais poser la question aux avocats.
D'ailleurs, on se demande... Je vais y aller d'un principe et Me Laurin
répondra à votre question pratique et concrète.
On avait compris dans les discussions avec le ministre du Travail que
cette notion disparaîtrait. Quand on regarde, d'ailleurs, le projet de
mars et le projet d'aujourd'hui, vous aviez l'article 17.1 où il y avait
cette protection qui était donnée à l'embauche, en vertu
du Code du travail. C'est parti. D'ailleurs, c'est ce que le ministre nous
avait dit: Cela sera enlevé. Effectivement, cela l'a été.
Ce qu'on ne comprend pas, à moins que ce ne soit une erreur, c'est
comment il se fait que cela a été conservé dans l'article
14, parce que l'article 14 donne exactement dans son libellé actuel ce
qu'il y avait dans l'article 17.1. Ce matin, je disais: On aurait voulu poser
des questions très concrètes à M. Fréchette. Cela
en est une. Pourquoi l'a-t-on enlevé dans l'article 17.1 et l'a-t-on
gardé dans l'article 14? C'est peut-être une erreur de
rédaction purement et simplement.
Quant aux problèmes concrets que cela peut créer, en voici
quelques-uns.
M. Laurin (Jacques): M. le Président, M. le ministre, bien
que l'objectif soit louable et que l'on veuille empêcher qu'il y ait
quelque discrimination que ce soit à l'égard d'un salarié
qui se présente chez un employeur pour obtenir un emploi, nous craignons
qu'il puisse y avoir des abus. Abus de la part de personnes qui, possiblement,
pour motif d'incompétence ou autres, ne pourraient être
embauchées et qui prétendraient lors de l'embauche qu'elles
exerçaient un droit prévu au code et que c'est pour ce motif que
l'employeur a refusé de les embaucher. Ce qui voudrait dire, dans tous
ces cas, que l'employeur aurait l'obligation de se présenter devant un
commissaire du travail et de se décharger du fardeau de la preuve,
puisqu'il y a un renversement du fardeau de la preuve prévu au projet de
loi, et de démontrer qu'effectivement ce n'est pas en raison de
l'exercice d'un droit prévu au code que l'individu n'a pas
été embauché, mais en raison d'un facteur de
compétence ou un autre, ce qui crée un fardeau financier
considérable pour l'employeur et ce qui pourrait mener à des abus
significatifs de la part de certaines personnes qui ne pourraient être
embauchées par l'entreprise.
M. Johnson (Anjou): Je laisse à mes collègues le
soin de vous poser d'autres questions.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Dufour. Merci, M. le
ministre. M. le député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis Oui, M. le Président, j'aurais quelques
questions. Ce matin, dans des remarques préliminaires, j'ai fait
allusion à l'orientation du projet de loi. Le préavis de
questions que j'ai adressé, finalement, était le suivant: Est-ce
que cela stimule l'économie? Est-ce que cela contribue au maintien et
à la création d'emplois au Québec?
Après avoir lu votre mémoire ainsi que le
résumé du mémoire qu'on a reçu, le 1MA, pourquoi -
suivant votre organisme - le projet de loi 17 est-il économiquement si
contestable? J'aimerais que vous tentiez de me résumer les principaux
arguments.
M. Dufour (Ghislain): M. le député de
Brome-Missisquoi, il y aura deux volets de réponse à cette
question. M. Beaulieu fera le deuxième volet.
Rapidement, en synthèse, le premier volet est le suivant: Depuis
que sont arrivées les modifications au Code du travail en 1977 avec la
loi 45, nous avons établi qu'il s'agit d'une des législations les
plus avant-gardistes en Amérique du Nord. Cela, d'ailleurs, ce n'est pas
nous qui le disons, c'est le premier ministre lui-même qui l'a
répété à maintes occasions en disant qu'on avait
maintenant une des législations les plus avancées en
Amérique du Nord.
On vient ajouter encore avec ce projet de loi. Ce qui veut dire que, au
plan de la législation du travail, quand les investisseurs ont à
comparer ce qui se passe ici et ce qui se passe ailleurs, ils sont encore
confrontés avec une législation qui est davantage
avant-gardiste.
Quant à la répercussion comme telle sur l'économie
ou quant à son impact, je demande à M. Beaulieu, justement - je
l'ai identifié ce matin comme membre du Conseil consultatif du travail
et de la main-d'oeuvre, donc il vit ces problèmes, mais il est aussi
identifié au Conseil du patronat dans un secteur drôlement
important qui est le secteur de nos PME - de réagir au nom de son
association et en son nom personnel.
M. Beaulieu (Alexandre): M. le Président, ce matin ou
hier, on a appris que le ministre était malade et que c'était M.
Johnson qui le remplacerait. On a eu d'excellentes relations avec M. Johnson
dans le temps où il était ministre du Travail. On n'était
pas toujours d'accord. Mais c'est difficile d'attaquer directement et on va
prendre garde.
Ici, on écoute des spécialistes, des avocats, des gens qui
sont dans le domaine des relations du travail, mais je voudrais vous donner une
voix d'entreprise, une voix qui représente les employeurs, en tout cas
une des voix qui représentent les employeurs. C'est bien sûr qu'on
aurait aimé mieux perdre notre temps aujourd'hui à étudier
de la déréglementation. On est fatigué de voir vos
inspecteurs, vos contrôleurs. Ils entrent dans nos petits bureaux. On est
achalé. Il faut répondre à toutes sortes de choses. Mais
vous avez décidé de nous envoyer un projet de loi et ce projet de
loi avait pour but -au conseil du travail, c'est ce qu'on nous avait dit, je
vais le lire pour ne pas me tromper - de déjudiciariser le
système. On vous a prouvé ce matin que cette affaire
n'était pas vraie.
Que retrouve-t-on dans le projet de loi? Je vais le résumer; il y
a quatre sujets: les antibriseurs de grève, le refus d'embauche, la
sous-traitance et l'arbitrage des premières conventions. Ce qu'on fait,
dans mon optique, c'est qu'on visse un peu plus les syndicats dans les
bâtisses et pas avec n'importe quel "screw", on met des vis de "stainless
steel". (16 heures)
Les petites entreprises, tantôt, pour fonctionner... Et pas
tantôt! maintenant, et encore plus après cela, cela leur prendra
un comptable, évidemment, qui est conseiller fiscal en même temps,
un avocat et un conseiller en relations industrielles, parce que, quand tu vas
embaucher un gars, tu ne sauras même pas si le gars ne te fera pas un
grief si tu refuses de l'embaucher. Tu ne sauras pas cela. Il va falloir que tu
aies un conseiller en relations industrielles pour te dire: Écoute, il
faut que tu fasses attention à cela, etc. En plus, si cela va mal, un
"tarla" - et ils ne sont pas tous de même dans les syndicats et je ne
suis pas antisyndical, mon ami Louis peut en témoigner - avec votre loi
antibriseurs de grève, peut décider que vous fermez les portes.
Vous n'avez pas d'autres choses à faire que de vous taire puis c'est
fini et le système est bloqué. Nous, on n'a pas
l'Assemblée nationale pour adopter des lois pour les remettre à
la raison ou les mettre en tutelle, ces "tarlas-là". Il faut les
supporter, on crève et on est ignoré dans cette masse-là,
puis ni vu ni connu, c'est un autre qui le remplacera.
Je reviens à la question de M. Paradis. Alors, on se dit, dans
une période économique difficile où cela va moins bien,
encore moins bien qu'on essaierait de dire que la reprise ce n'est pas si vrai
que cela, j'ai le goût de vous dire: Fichez-nous donc la paix et
laissez-nous donc travailler. C'est cela que j'ai envie de vous dire. Ce n'est
pas d'être antisyndical pour le moment que de nous laisser faire un peu,
d'essayer de créer des jobs.
On va encore être pris avec toutes sortes de choses et on ne saura
pas comment en sortir. Je pense que je vais aller jusque-là. Si on
sondait les coeurs et les reins des entrepreneurs - et je dis cela au ministre,
peut-être qu'il me comprendra - savez-vous ce qu'on a envie de faire
présentement? C'est de maudire notre camp. Ce n'est plus vivable. Je
n'essaie pas de dramatiser, mais, pour la PME que vous semblez vouloir aider,
vous nous mettez des tracasseries et cela ne finit plus. Possiblement qu'il y a
des grandes idéologies en arrière de cela que je ne connais pas.
Nous, on sait une chose. Ce qui est important, c'est qu'on ne veut pas
être des fossoyeurs de jobs, mais on veut essayer d'en créer.
Laissez-nous faire un peu, aidez-nous un petit peu.
Je ne sais pas si je réponds à votre question, mais je
donne un sentiment d'un employeur qui en a ras le bol de tous ces projets de
loi inventés dans des officines en arrière que, des fois, les
ministres sont obligés de défendre; ce n'est même pas
sûr. Laissez-nous travailler le temps que cela va mal. Quand on sera
riche, qu'on sera du bon monde ensemble et qu'on aura bien de l'argent, ce sera
le temps de faire ces choses-là et on va les étudier. Pour le
moment, ce serait la réaction d'un employeur présentement
à votre question. Je pense que cela n'ajoute rien et cela ne fait que
créer des embêtements à l'entreprise. Cela n'apporte pas
des résultats comme on en espère, deux ou trois accesseurs, des
30 jours et des choses comme cela. Cela n'apporte pas grand-chose
présentement.
Une voix: En relations industrielles puis en
comptabilité.
M. Beaulieu: Oui, c'est cela, mais il en faut passablement plus
que cela pour réduire le chômage. Je pense que les
universités n'en font pas tant que cela.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Beaulieu. M. le
député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis: Merci, M. Beaulieu. M. Dufour ou quelques autres
personnes qui vous accompagnent, vous dites dans votre mémoire qu'il
s'agit de problèmes administratifs plutôt que de problèmes
reliés au Code du travail. Est-ce que vous pourriez, dans une
réponse assez brève, m'expliquer quel est le fondement de cette
argumentation qu'a le Conseil du patronat?
M. Dufour (Ghislain): Pour nous, c'est un problème
très sérieux et on en discute au CCTM depuis des années ou
presque. On s'attarde ici surtout au plan du commissaire du travail, mais on
pourrait dire la même chose et citer les mêmes statistiques pour le
Tribunal du travail. Me Tobin vous résume cela en quelques phrases.
M. Tobin: M. le Président et membres de la commission, les
chiffres les plus éloquents sont probablement les chiffres qui sont
publiés chaque mois par le bureau du commissaire général
du travail. Comme membre du Conseil consultatif du travail et de la
main-d'oeuvre, du côté patronal, mes vis-à-vis du
côté syndical et gouvernemental, nous avons tous ces chiffres
chaque mois.
Il y a présentement, à la fin de mars, il y avait
au-dessus de 3000 requêtes qui étaient en suspens, de toute
nature, selon les chiffres que le commissaire général publie.
Selon le mémoire du CPQ, si on regarde la liste des diverses
requêtes qui sont pendantes ou qui l'étaient à la fin du
mois de mars, on constate, premièrement, que les commissaires, qui sont
probablement déjà débordés de travail à
cause d'une surcharge si on compare à d'autres juridictions,
reçoivent aussi d'autres mandats en vertu d'autres lois qui viennent
s'ajouter à leur fonction première qui est d'adjuger en vertu de
leur juridiction du Code du travail. Le mémoire du CPQ, que
présentait ce matin M. Dufour, illustrait assez bien, quant à
nous, que le problème de délais est probablement, pour une grande
part, un problème de surcharge à cause des juridictions qui
viennent s'ajouter aux commissaires du travail et à tout le processus
décisionnel. Il y a certains endroits où le mémoire du CPQ
propose des façons de raccourcir des délais. Et je pense que nous
l'avons dit carrément dans notre mémoire. Mais les chiffres
à la base qui illustrent bien la mécanique retardataire sont les
chiffres qu'on voit chaque mois au CCTM.
M. Dufour (Ghislain): M. le Président, si vous me
permettez d'ajouter seulement une chose sur la question des délais. Bien
sûr, les centrales syndicales peuvent se plaindre des délais en
accréditation, c'est leur droit. Mais, remarquez bien que ce n'est pas
plus intéressant pour un employeur qui reçoit une plainte en
vertu de l'article 14, une plainte de congédiement pour activités
syndicales, et qui doit réembaucher le gars ou la personne un an
après, et payer une pleine rétroactivité. Nous aussi, on a
vraiment intérêt - tout comme les centrales qui, elles, ont
peut-être des objectifs différents - on a tout à fait
intérêt à ce que, justement, le processus du
commissaire-enquêteur, notamment, soit rapide. Dans les chiffres qu'on
vous a donnés ce matin, les ratios personnel-requêtes sont
très impressionnants. Et je cite une statistique, pour le rappeler: Au
Québec, en 1981, on avait 89 employés au bureau du Commissaire du
travail; on faisait 7300 requêtes; c'était le ratio de 100. Au
gouvernement fédéral, il y avait 90 employés pour 1030
requêtes, soit 19,5 comme ratio. Et, rarement, M. le ministre, vous nous
avez entendus suggérer des additions de personnel dans la fonction
publique et parapublique. Mais, dans ce cas très précis, nous
avons dit au CCTM: Voici un cas où il faut vraiment y aller en termes
d'analyse coûts-bénéfices et nous sommes prêts
à regarder cela.
Le Président (M. Blouin): Très bien.
M. Paradis: M. Dufour, on parle beaucoup, dans le concept du
projet de loi qui est devant l'Assemblée nationale, de
déjudiciarisation des relations de travail. Est-ce que, à votre
avis, le projet qui est déposé présentement règle
ce problème-la?
M. Dufour (Ghislain): Non. Et cela va être une
réponse très rapide, parce qu'on a démontré ce
matin que cet argument qui est souvent invoqué, à savoir que les
employeurs ou les syndicats vont souvent en Cour supérieure avec des
brefs d'évocation, ce n'est pas exact, comme cela a été
démontré ce matin. Pourquoi cela ne peut pas
déjudiciariser - ce sera une réponse très brève -
c'est que vous modifiez tellement le Code du travail par les propositions qui
sont là que vous allez être obligés de
réétablir toute une nouvelle jurisprudence par rapport à
ces approches nouvelles. Et, à ce moment-là, cela prend deux ans,
trois ans. On a à peine une jurisprudence nouvelle à partir de ce
qu'on a eu avec la loi 45. Alors, cela ne peut pas déjudiciariser. Vous
venez, encore là, de légaliser davantage le processus.
Légalisant davantage le processus, vous vous orientez carrément
vers une judiciarisation du système.
M. Paradis: Je pense que ma question va s'adresser à peu
près à n'importe lequel d'entre vous, sauf à M. Beaulieu,
parce qu'il a dit: Le projet de loi, oublions cela, foutez-
nous la paix. Mais, on a des problèmes pratiques à
affronter à l'Assemblée nationale. Si vous aviez des articles
à retenir comme étant acceptables de votre point de vue, du point
de vue de votre organisme, dans le projet de loi 17, quels seraient les moins
mauvais de ces articles-là?
M. Dufour (Ghislain): On pourrait vous laisser une liste,
après la commission parlementaire; on l'a faite. On est prêt
à regarder tous les articles qui concernent carrément les
délais. J'en exprime rapidement deux avec lesquels on est d'accord.
Actuellement, la copie de la requête en accréditation, par
exemple, est envoyée à l'employeur par le syndicat. Là, il
est proposé que ce soit le commissaire-enquêteur qui l'envoie.
Bien sûr, cela va accélérer le processus. On est
entièrement d'accord avec cela. Il y a toute une série de
propositions d'ordre très concret comme cela, mais purement techniques,
qui ne mettent pas en cause des principes avec lesquels on peut être
d'accord. Si vous reteniez, par exemple, notre suggestion d'inclure les cartes
des membres au moment d'un dépôt de requête en
accréditation, qui est la suggestion du commissaire-enquêteur en
chef, il est bien sûr que cela accélérerait le
processus.
Je m'attarde davantage à l'autre volet de votre question,
à savoir ce qui peut être le plus négatif pour les
employeurs dans ce projet. Comme c'est un projet qui a pour objectif de
réduire les délais, on devrait, mais de façon automatique,
laisser tomber les dispositions additionnelles quant aux antibriseurs de
grève. C'est l'aspect le plus mal reçu par le monde patronal.
Deuxièmement, la formule de l'arbitre unique pour la première
convention collective. Troisièmement, le refus à l'embauche, tel
qu'exprimé actuellement dans l'article 14. Finalement, je reviens
à la question que posait tout à l'heure le ministre des Affaires
sociales, soit la fameuse question de la majorité simple par rapport
à la majorité absolue. Ce sont les quatre volets qui nous
permettraient de regarder les amendements au code, pour ce qui est des
délais, de façon plus positive.
M. Paradis: J'ai une dernière question. Vous avez fait des
suggestions au gouvernement. On ne les retrouve pas dans le projet de loi comme
tel. Est-ce que vous pourriez nous indiquer - parce que vous devez certainement
avoir eu des négociations - suivant votre expérience des
négociations que vous avez eues avec le gouvernement, pourquoi ces
suggestions n'ont pas été retenues? Quelles sont principalement
ces suggestions?
M. Dufour (Ghislain): Je ne peux vous répondre pourquoi,
M. le Président. Nous-mêmes, nous nous demandons pourquoi.
Pourquoi ne retient-on pas les propositions patronales? Cela fait des
années qu'on en exprime. Il y en a une à laquelle il n'est pas
difficile de souscrire. C'est celle de l'accréditation d'une association
d'employeurs, lorsqu'elle le demande. Pourquoi ne donne-ton pas suite à
cela? Pourquoi ne donne-t-on pas suite au fait que les plaintes pour
activités syndicales, en vertu de l'article 14, soient maintenant
envoyées au Tribunal du travail? Ce n'est pas un drame à
régler pourtant. Peut-être que, lorsqu'on parle de
démocratie syndicale, c'est plus compliqué. Mais il y a des
questions tout à fait d'ordre technique auxquelles on n'a jamais
donné suite. Pourquoi n'a-t-on jamais défini des termes tels que
"arrêt de travail", "grève", "syndicat", etc.? Voilà toute
une série. Je ne peux pas vous répondre parce que c'est nous qui
posons la question du pourquoi. Pourquoi ne donne-t-on jamais cela?
M. Paradis: Merci.
Le Président (M. Blouin): Très bien. M. le
député de Vachon.
M. Bisaillon: M. le Président...
Le Président (M. Blouin): Oui, M. le député
de Sainte-Marie.
M. Bisaillon: M. le Président, je vous avais
demandé la parole.
Le Président (M. Blouin): Le député de
Vachon avait demandé la parole bien avant vous.
M. Bisaillon: M. le Président, vous me forcez à
faire ce que je ne voulais pas faire, finalement. Je soulève une
question de règlement, M. le Président.
M. Scowen: Je pense qu'il y a un ordre. Cela fait...
M. Bisaillon: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Blouin): Oui, M. le député
de Sainte-Marie.
M. Bisaillon: M. le Président, je vais poser ma question
de règlement en vous indiquant que cette décision a
déjà été prise à la fois par la
présidence en commission parlementaire et à la fois par la
présidence à l'Assemblée nationale. Il existe,
malheureusement pour le député de Vachon, une troisième
voix à l'Assemblée nationale: il y a un député
indépendant. Il serait normal, lorsqu'on parle d'alternance dans le
débat -c'est évident - que cela aille en termes de
pour ou contre. Par exemple, si je suis pour ou si je suis contre un
projet de loi, je peux être considéré d'un
côté ou de l'autre, selon que je suis pour ou contre le projet de
loi en question. À ce moment-là, je subirais l'alternance de la
façon que vous venez de l'appliquer, c'est-à-dire parti
ministériel, Opposition, parti ministériel. Sauf que, dans le cas
qui nous concerne, lorsqu'il s'agit d'entendre des mémoires, il n'est
évidemment pas question d'être ni pour ni contre; il s'agit
d'entendre des gens qui viennent se prononcer devant nous. À ce
moment-là, il a été clairement établi que,
normalement, je passais en troisième. Surtout, M. le Président,
qu'il s'agit là d'un débat limité. S'il ne s'agissait pas
d'un débat limité dans le temps, il est évident que je
n'aurais aucune objection à ce que l'on procède autrement. Mais
comme les groupes qui sont entendus ont un temps limite pour le faire,
forcément, les parlementaires ont aussi un temps limite pour poser des
questions et faire leurs propres commentaires sur les mémoires qui ont
été présentés.
Dans ce sens-là, l'alternance telle que vous l'appliquez, M. le
Président, ou le fait de donner le droit de parole comme vous le faites
pourrait m'empêcher éventuellement d'exercer le droit de parole
auquel je pense avoir droit.
M. Payne: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Sainte-Marie, je vais vous rassurer tout de suite. Évidemment, il n'y a
pas de temps limité au sens strict. C'est-à-dire que nous
essayons de demeurer à l'intérieur de limites de temps
raisonnables, compte tenu du nombre d'invités que nous avons. Nous
tenons compte également - je pense que cela vient tout naturellement et
tout spontanément -d'abord de l'ordre dans lequel les groupes se font
entendre ainsi que de la voix qu'ils représentent. Dans le cas des
grandes centrales syndicales ou du Conseil du patronat, pour un projet de loi
comme celui-ci, vous comprendrez qu'il est normal que nous excédions un
peu la limite de temps qui nous avait été fixée. Je puis
vous assurer que vous aurez l'occasion de poser les questions que vous voulez
poser. En ce sens-là, votre droit de parole et d'expression ne sera
aucunement brimé et, quant à moi... (16 h 15)
M. Bisaillon: M. le Président, pour autant que je suis
assuré de cet élément et pour autant aussi que ce n'est
pas considéré comme une décision qui renverse celles qui
sont déjà prises au moment où il y aurait des cas
litigieux, cela ne me fait évidemment rien d'attendre et de laisser le
député de Vachon prendre la parole. Je ne voudrais surtout pas
qu'on considère que c'est une décision rendue par la
présidence quant à l'alternance, alors qu'il y en a
déjà eu d'autres. Si c'est pour permettre un débat plus
serein et qui se déroule mieux, cela me va pour autant que j'ai
l'assurance que je pourrai poser les questions que j'ai à poser.
Le Président (M. Blouin): J'essaie de contraster avec ce
qui se passe à l'extérieur.
M. Bisaillon: Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Vachon.
M. Payne: On a exercé aussi une certaine patience parce
qu'on n'a pas encore pris la parole de toute la journée, c'est
compréhensible.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Vachon, vous avez la parole.
M. Payne: Compte tenu de la vigueur avec laquelle le Conseil du
patronat du Québec s'est opposé à la disposition sur les
briseurs de grève, on ne s'attend guère que le même conseil
ne montre pas les mêmes angoisses concernant l'exclusion des personnes
morales. Je comprends les compagnies engagées en sous-traitance ainsi
que les personnes physiques.
Par contre, après quatre ans, je pense que le Conseil du patronat
pourrait peut-être nous faire part de son expérience de cet
article de la loi de 1977 et nous expliquer de quelle façon cela
continue ou de quelle façon cela produit le cauchemar dont vous avez
parlé en 1977. Dans votre mémoire, par exemple, vous dites: "Elle
impose la fermeture pure et simple de l'entreprise pendant la grève sans
imposer de contrepartie comparable aux grévistes." Je trouve que cela
montre un certain simplisme, mais si cela montre un certain simplisme, vous
avez soi-disant enquêté auprès des PME depuis quatre ou
cinq ans. J'aimerais d'abord avoir vos commentaires là-dessus.
M. Dufour (Ghislain): Écoutez, on est confronté
avec un nouveau projet de loi. Nos remarques dans le mémoire s'adressent
surtout au nouveau projet de loi et au resserrement qu'il y a là-dedans.
Vous vous rappelez, M. Payne, que, lors du débat sur le projet de loi
45, nous en avons fait une question de principe, en dehors même de tout
résultat éventuel dans son application. Cela nous était -
vous vous en souviendrez aussi - présenté à ce moment au
nom d'une certaine violence qu'il fallait tenter d'éviter dans le
domaine des relations du travail. Je retournerais carrément la question
au législateur: Est-ce que la violence n'existe plus dans le domaine des
relations du travail
à cause de cela?
M. Payne: Alors, je viens...
M. Dufour (Ghislain): Je pense que nous allons plutôt
regarder le problème qui nous est posé de façon
concrète par l'affirmation des nouvelles dispositions et on va vous
l'illustrer par un cas très concret. D'accord? Lorsque M. Beaulieu
tantôt a parlé des sous-contrats, j'ai vu réagir le
député de Prévost en disant: Cela n'y est pas. M. Beaulieu
se référait justement à l'absence maintenant possible de
"contractingin", vous savez, de ne plus avoir un sous-traitant qui vient
à l'intérieur de l'entreprise en vertu des nouvelles dispositions
antibriseurs de grève. C'est la sous-traitance à laquelle se
référait M. Beaulieu. M. Laurin va vous expliquer dans un cas
très concret où cela peut nous conduire.
M. Laurin (Jacques): M. le Président, M. le
député de Vachon, cette disposition antibriseurs de grève
avait pour but évident d'éviter la violence et d'assainir le
climat de relations du travail dans le cas d'une grève ou d'un conflit
ouvrier. La disposition, telle qu'elle était, permettait dans une
certaine mesure à l'employeur de pallier certains inconvénients
qui lui étaient causés par la grève et de sauver les
meubles dans une certaine mesure, c'est-à-dire de s'occuper de ses
inventaires, de voir à acheminer la production qui était en cours
lors du déclenchement du conflit et possiblement de voir à
régler des situations d'urgence.
Un cas pratique que j'ai vécu est celui du chantier de la
Baie-James où il y a eu, à un moment donné, une
grève, je crois, des gens qui fournissaient les services de
cafétéria et où, à toutes fins utiles, en raison de
la lacune qui existe dans la loi actuelle ou de l'article 109 actuel de la loi,
on pouvait sous-traiter afin de nourrir les employés qui étaient
sur le chantier à la Baie-James et finir certains travaux qui
étaient en cours. Ce que vous prévoyez maintenant dans la
nouvelle disposition est d'empêcher toute forme de sous-traitance ou
d'empêcher que toute personne morale exécute du travail qui est
normalement effectué par un salarié qui appartient à
l'unité qui est en grève. Ce qui voudrait donc dire que, dans le
cas que nous avons vécu, où il y a eu grève chez
J.À. Hubert et Crawley-McCracken à la Baie-James, à toutes
fins utiles, avec cette disposition-là, on fermerait le chantier de la
Baie-James complètement plutôt que de permettre à une autre
entreprise qui fournit des services de cafétéria d'aller nourrir
les employés qui sont sur place et possiblement régler les
situations qui sont urgentes.
Il faudrait également voir dans quelle mesure l'interdiction de
recourir à une personne morale pour faire effectuer du travail ne
causera pas des problèmes énormes dans les secteurs public et
parapublic. Il pourrait y avoir des difficultés là où un
syndicat déposerait une liste de services essentiels qui serait
laconique et où il y aurait interdiction complète chez
l'employeur, dans un centre hospitalier, de recourir à un sous-traitant
pour fournir des services qui sont normalement effectués par des
salariés qui sont en grève. La disposition se trouverait à
empêcher un employeur de sauver les meubles et de régler certaines
situations qui sont urgentes, qui sont pressantes, dans l'intérêt
public. Il faut quand même noter - et on le souligne dans le
mémoire du Conseil du patronat aux pages 5, 6 et 7 - que ces
dispositions, déjà dans la loi telle qu'elle existe et telle que
resserrée par le projet de loi 17, sont vraiment des dispositions
d'exception sur l'échelle nord-américaine. On vient, dans une
certaine mesure, subjuguer l'employeur à l'égard des demandes qui
sont faites par les syndicats et on le met à la merci des demandes
formulées lors d'une négociation par la partie syndicale.
M. Payne: Je m'étonne qu'il n'y ait pas de recherche sur
les PME et l'effet de cette disposition de la loi. Je ne sais pas si vous avez
pris connaissance de l'étude qui est publique déposée
à la Bibliothèque nationale du Québec. Je peux lire un
petit paragraphe: "Une des impressions qui se dégagent de cette
étude, c'est la conclusion que, bien qu'incomplètes, les
dispositions ont eu un impact certain sur les relations du travail au
Québec. Les indices globaux sur les conflits de travail nous montrent
que la durée moyenne en jours ouvrables des conflits a diminué de
1976 à 1979. Le fait que les dispositions antibriseurs de grève
existent depuis 1978 n'est sûrement pas la seule cause de cette
diminution, mais ce facteur n'y est pas complètement étranger.
Une moyenne de 99,4 jours ouvrables en 1976 et de 32,8 en 1979." Je continue:
"Nous constatons aussi que l'enquêteur a un rôle -cela a
été critiqué tout à l'heure par le conseil, si j'ai
bien compris - prépondérant à jouer. Bien que le code
mentionne uniquement que ce dernier doit enquêter et faire rapport, il en
est autrement dans la réalité. En effet, l'enquêteur a un
rôle qui, selon nous, se définit en trois points:
préventif, dissuasif et indicatif."
M. Dufour (Ghislain): M. le Président, est-ce qu'on peut
réagir à cela tout de suite?
Le Président (M. Blouin): Oui.
M. Dufour (Ghislain): C'est l'article qui a été
publié dans la revue Québec-Travail.
Est-ce à cela que vous vous référez?
M. Payne: La référence est différente. Cela
a été déposé à la bibliothèque.
M. Dufour (Ghislain): Oui, mais je veux dire que c'est la revue
Québec-Travail, c'est l'analyse des chercheurs du
ministère...
M. Payne: Voulez-vous la référence?
M. Dufour (Ghislain): ...qu'on connaît bien. Cela nous est
confirmé, d'ailleurs, à l'arrière. Il faut prendre cette
analyse-là dans sa globalité. Le nombre de jours-hommes perdus au
Québec depuis environ deux ans a drôlement baissé aussi -
il faut faire les deux courbes en même temps -parce que la situation
économique nous conduit à cela actuellement. Ce qu'on vous a
toujours dit aussi, c'est l'autre volet de la réponse possible dans
cette analyse des chercheurs du ministère du Travail, c'est qu'une PME
ne pouvait pas déménager sa production. Elle ne le pourra jamais
sauf que la grande entreprise le peut, ailleurs dans un entrepôt. Cela
aussi compte dans les jours-hommes perdus. Or, il y a une critique qui a
été faite de cet article publié dans la revue du
ministère du Travail. Nous en enverrons la critique.
M. Payne: J'aimerais porter votre attention à la page 75.
Cela pourrait vous intéresser de voir le rôle de l'enquêteur
et la façon dont il peut remplir sa tâche. C'est
intéressant de voir qu'il y a 17% des conflits qui sont
réglés pendant une enquête. Il y a certaines influences qui
sont positives depuis 1977. Cela pourrait être dans
l'intérêt du conseil de le souligner de temps à autre. Je
ne vois pas les visions cauchemardesques que vous avez
préconisées en 1977 pour cet article.
M. Dufour (Ghislain): C'est la même réponse.
Le Président (M. Blouin): Alors, M. le
député de Sainte-Marie.
M. Bisaillon: M. le Président, j'ai quelques brèves
questions. M. Dufour, sur la question de la majorité, vous avez
prétendu, à bon droit, je pense, que cela modifiait la pratique
de la majorité absolue. Ce principe de la majorité absolue visait
à identifier l'unité et l'accréditation,
c'est-à-dire le syndicat représentatif. Peu importent les calculs
qu'on peut faire, les amendements du projet de loi visent davantage à
identifier la volonté des travailleurs d'être
représentés par une organisation syndicale, dans un premier
temps, et, dans un deuxième temps, on trouve un mécanisme pour
choisir quel groupe syndical les représentera. Alors, peu importent les
calculs que vous faites, ne pensez-vous pas que le fait de procéder
différemment par rapport à ce qu'on faisait autrefois, cela nous
permet, en tout cas, d'identifier clairement la volonté d'être
représenté par une organisation syndicale? Ce qui me semble
maintenu dans le projet de loi actuel, même si, à certains
moments, un syndicat donné ne représentera pas au départ
la majorité absolue des travailleurs, mais il pourra quand même
répondre aux besoins des travailleurs d'être
représentés par une organisation syndicale et convenir d'une
convention collective avec l'employeur.
M. Dufour (Ghislain): On a en partie répondu à cela
tout à l'heure en faisant l'argument sur la majorité absolue par
rapport à la majorité simple. Je n'ai pas grand-chose à
reprendre. On situe bien, M. Bisaillon, que c'est dans un cas de maraudage, ce
n'est pas au premier contrat. Dans le premier contrat, il se sera
exprimé de façon automatique. Même si le vote est
déclenché avec seulement 35% des cartes, il devra exprimer une
majorité absolue. À un moment donné, il y a un syndicat de
la FTQ qui est accrédité, en période de maraudage, par la
CSN. Il peut - non, mais par la CSD, c'est peu fréquent - arriver que
vous ayez les 32% et 33% dont on parlait tantôt et dont on parle dans
notre mémoire. Cela va donc contre le principe - je me
répète - de la règle absolue. Cela ne peut pas faire
autrement que de situer au départ un problème de relations du
travail difficile. Vous avez 32% ou 33% des gens, comme hypothèse CSN,
qui ont pris le dossier par rapport à un autre groupe qui était
quasiment aussi gros à l'intérieur de l'entreprise. Pour nous,
cela peut créer au départ un problème de relations du
travail. Cela me permet d'ajouter, si vous me permettez, un petit
détail...
M. Bisaillon: En quoi et comment cela vous pose-t-il un
problème de relations du travail particulier?
M. Dufour (Ghislain): Je vais en identifier un. S'il y a eu
beaucoup de militantisme syndical, par exemple, de part et d'autre, il y en a
probablement qui ne prendront pas la défaite de façon facile.
Alors, je veux dire qu'il y a un groupe qui est constitué et un autre
groupe qui est à l'intérieur et qui probablement continuera
à exprimer un certain militantisme. Alors, ce que l'entreprise cherche
une fois que sa convention collective est signée, c'est la paix
industrielle. On ne peut pas, en toute hypothèse, se placer dans une
situation comme celle-là.
M. le Président, si vous me permettez de revenir à la
question du député, nous proposons que, lorsqu'il y a un vote de
ce
genre - et cela, c'est majeur pour nous, disons qu'il y a deux ou trois
centrales d'impliquées - on suggère dans notre mémoire
qu'il y ait un troisième ou un quatrième petit carreau qui dise:
Aucun syndicat.
M. Bisaillon: M. le Président.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Sainte-Marie. (16 h 30)
M. Bisaillon: Avant de poser ma deuxième question, je
ferais un bref commentaire. Il me semble que...
M. Dufour (Ghislain): M. Tobin voudrait ajouter quelque
chose.
M. Tobin: La continuation de la position énoncée
par M. Dufour, je pense, nous amène nécessairement à
regarder le taux de syndicalisation, actuellement, au Québec. En
d'autres mots, si on regarde, à travers le Canada, les dernières
statistiques publiées par Statistique Canada démontrent un taux
de syndicalisation d'environ 37%. Ce sont les derniers chiffres que nous avons
consultés il y a environ trois mois. Les chiffres, au Québec, ne
sont pas du tout inférieurs à la moyenne à travers le
Canada. En d'autres mots, le système canadien, le système
nord-américain a voulu, pour faire une distinction avec ce qui
prévaut en Europe où il y a multiplicité syndicale, qu'il
y ait majorité syndicale. Cela fait en sorte que, au Québec,
aujourd'hui, on ne peut pas dire que le mouvement syndical est perdant par
rapport au mouvement syndical ailleurs au Canada. Les chiffres sont
là.
L'argument que vous soulevez en est un où on est obligé de
revenir et de dire: Est-ce que, finalement, on veut changer notre
système de représentativité syndicale et aller vers un
modèle européen où nous avons, à toutes fins
utiles, une mosaïque d'idéologies syndicales, où, quel que
soit le pourcentage, il y aura quand même voix au chapitre?
Jusqu'à maintenant, en Amérique du Nord, au Québec, nous
n'avons pas adopté ce mode.
Je pense que le point que soulevait tantôt Ghislain en est un,
pour nous, fondamental. C'est que, effectivement, la majorité syndicale
a permis à l'entreprise de se baser sur un courant majoritaire
d'adhésion des travailleurs. Si on est pour changer le système
maintenant, à ce moment-là, la mosaïque d'idéologies
syndicales multipartite devra ramener une étude de fond
complète.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Sainte-Marie.
M. Bisaillon: Je ferai un bref commentaire avant de poser ma
deuxième question, qui sera la dernière, M. le Président.
Est-ce que vous ne pensez pas qu'il en va de la représentation syndicale
comme de la représentation politique? Autrement dit, pendant longtemps,
on a attaché de l'importance au fait qu'une majorité absolue de
syndiqués se prononcent pour un syndicat en ne tenant pas compte de - je
débouche sur un vieux dossier - la volonté d'être
représentés par une organisation syndicale. Autrement dit, pour
moi, ce qui est important, c'est qu'une majorité de travailleurs dans
une entreprise se déclarent intéressés à être
représentés par une organisation syndicale de la même
façon que la population se déclare prête à
être représentée par une organisation politique qu'elle met
au pouvoir, souvent de façon minoritaire.
Nous, comme députés élus individuellement, ne
recueillons pas une majorité absolue des voix, de même que les
partis politiques. Est-ce que le parallèle ne peut pas être fait?
On ne parle pas d'absence de démocratie au niveau du Parlement. Est-ce
que vous dites que notre Parlement n'est pas démocratique? Si notre
Parlement est démocratique, pourquoi cela serait-il différent
dans les organisations syndicales? Autrement dit, pourquoi exigerait-on dans
les organisations syndicales une démocratie différente de celle
qu'on pratique à tous les jours?
Le Président (M. Blouin): M. Dufour.
M. Dufour (Ghislain): Vous avez dit que c'était un
commentaire, que ce n'était pas une question.
M. Bisaillon: Ma deuxième... Une voix: Très
bien.
M. Bisaillon: ...et dernière question concerne les
arbitrages de première convention collective en particulier. On discute
beaucoup des critères qu'il faudrait mettre de l'avant ou qu'il ne
faudrait pas mettre de l'avant pour en arriver à l'arbitrage d'une
première convention collective. Quelles objections auriez-vous
-évidemment, on parle toujours de première convention collective
- à ce que cet arbitrage soit automatique? C'est-à-dire que,
à partir du moment où un délai normal qui pourrait
être prévu dans la loi est passé, l'arbitre nommé
par le ministre conclut ou propose une convention collective dès le
départ. Pourquoi faudrait-il qu'il y ait des critères de bonne
foi, de mauvaise foi, ou d'autres types de critères ou un jugement
particulier porté par l'arbitre? Quelles objections auriez-vous à
ce qu'il y ait un arbitrage automatique et la mise sur pied d'une convention
collective? On parle
toujours d'une première convention collective.
M. Dufour (Ghislain): Écoutez, on n'a peut-être pas
tellement d'objections de fond à votre proposition, parce qu'on en
retrouve certains éléments dans la nôtre. Ce qu'on dit,
c'est que, quand vous faites disparaître la notion de bonne foi pour lui
substituer des notions de temps raisonnable ou d'improbable ou des choses comme
celles-là, vous êtes loin d'avoir amélioré le
problème finalement. En tout cas, il faudrait en débattre
davantage parce qu'il y a des éléments là-dedans, parce
que nous aussi on s'oriente dans la solution du problème beaucoup plus
vers des délais. On dit: Au lieu de chambarder le système actuel
qui a trouvé finalement, qui a fait ses preuves dans certains cas - il y
aura toujours des cas problèmes - pourquoi ne pas imposer à
l'arbitre patronal ou à l'arbitre syndical des délais et, s'ils
ne sont pas nommés ou s'ils ne sont pas là, l'arbitre
procède sur une base unique? Donc, on vous rejoint en partie sur la
question d'imposition des délais.
M. Bisaillon: Quand vous me parlez d'arbitre, vous me parlez
d'arbitre de grief.
M. Dufour (Ghislain): Non, je vous parle de première
convention collective. On le dit très bien dans notre mémoire. Si
les arbitres des parties, par exemple, n'ont pas été
nommés à l'intérieur d'un délai X, que la loi
s'applique, un mois, deux mois, on n'en suggère pas.
Cette notion de délai nous plaît, plutôt que de
chambarder le système. La difficulté que vous allez avoir, c'est
de dire: Est-ce qu'on laisse aller les choses six mois ou un an et là,
de façon automatique, il y a un arbitrage de première convention
collective? Cela ne se tranche pas nécessairement au couteau. Il y a des
cas qui sont faciles et il y en a d'autres qui sont difficiles.
Je regardais l'Union des municipalités tantôt exposer son
problème. C'est un dossier qui est difficile. Dans d'autres cas
où il y a dix employés, c'est peut-être beaucoup plus
facile. Quant au fond, M. Bisaillon, on ne rejette pas ce que vous dites.
M. Bisaillon: Je terminerais avec un bref commentaire, M. le
Président, qui n'est pas une question.
M. Beaulieu, je pense, a dit qu'il ne voulait pas dramatiser inutilement
les difficultés que rencontreraient les entreprises à la suite
des amendements qui sont proposés actuellement. Je voudrais rappeler
à M. Dufour son intervention au moment où on a voté, par
exemple, la loi sur la sécurité au travail. Je ne sais pas si M.
Dufour peut se rappeler des commentaires qu'entre autres le monde patronal
avait passés sur la clause d'arrêt de travail volontaire, en
présentant cela comme étant ce qui était pour
empêcher de fonctionner à peu près toutes les entreprises
au Québec. Or, au moment de l'étude des crédits de cette
année, j'ai posé la question et le président de la CSST me
dit qu'il y a à peine une cinquantaire de cas d'arrêt de travail
et qu'il n'y a pas d'augmentation sensible d'année en année,
même qu'il y a une tendance à une diminution et qu'à peu
près 50% de. ces arrêts de travail sont confirmés par un
enquêteur par la suite. Il me semble que, dans le cas de cette loi qui
devait soi-disant nous amener toutes sortes de difficultés, on doit se
rendre compte avec la pratique qu'il n'y en a pas eu, en tout cas pas celles
qu'on relevait à ce moment-là.
Je me demande jusqu'à un certain point si, dans le milieu des
relations du travail et en particulier en regard des amendements qui sont
présentés devant nous, on n'assistera pas effectivement au
même résultat.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le
député de Sainte-Marie.
M. Dufour (Ghislain): Écoutez, je voudrais juste dire
à M. Bisaillon que, s'il me cite, je voudrais qu'il me cite au texte. Ce
n'est pas possible que j'aie dit qu'on fermerait toutes les entreprises du
Québec là-dessus, parce que je savais très bien qu'un bon
nombre de syndicats n'utiliseraient pas leur droit de refus de travailler et
qu'ils négocieraient avec l'employeur avant. Sauf que déjà
les statistiques que vous a données M. Sauvé en commission
parlementaire des crédits du ministère du Travail, ici même
ou en tout cas en bas, pour nous sont drôlement importantes parce que la
seule fermeture d'une entreprise pour refus de travail, pour nous, c'est
déjà majeur.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Dufour. Merci, M. le
député de Sainte-Marie. M. le député
d'Outremont.
M. Fortier: M. le Président, une question que j'aimerais
poser à M. Dufour. Il a fait état des recommandations qu'il a
faites au gouvernement dans le passé. Le gouvernement est venu, il y a
trois ans, je crois, avec un projet de loi. On en a un nouveau aujourd'hui.
Une question d'ordre général que j'aimerais poser puisque
le gouvernement nous a promis une révision globale du Code du travail.
De quelle façon voyez-vous la dynamique de ces modifications qui
viennent à la pièce à tous les deux ou trois ans et de
quelle façon cela modifie-t-il quand même assez substantiellement
le Code du travail? Même s'il y avait une révision globale du Code
du travail qui nous est promise pour l'automne, comment cela peut-il handicaper
ou améliorer le processus qui permettrait une
révision globale du Code du travail et qui serait dans le
meilleur intérêt et de l'entreprise et des travailleurs?
M. Dufour (Ghislain): Écoutez, la question globale de la
réforme du Code du travail est une question drôlement difficile
à répondre parce que je n'ai pas l'impression que l'on parle de
la même chose quand on parle de la réforme du Code du travail.
Avant le sommet de La Malbaie, nous-mêmes parlions d'une réforme
en profondeur du Code du travail; comme Conseil du patronat, nous l'avions
recommandée. Cela avait des contenus très précis. Nous
demandions, par exemple, un Code du travail différent pour le secteur
public et pour le secteur privé. C'était une partie de la
réforme. Nous demandions d'intéger peut-être la loi 290 de
la construction au Code du travail. C'était aussi une partie de la
réponse.
Ce matin, si le ministre M. Fréchette avait été
là, nous lui aurions justement demandé ce qui est proposé
comme réforme à l'automne. Si la réforme, c'est de
remettre sur la table le débat de la négociation sectorielle, de
reprendre le débat sur les articles 45 et 46, sur la sous-traitance,
c'est évident qu'on ne marche pas. S'il s'agit de deux codes du travail,
il s'agit d'une réforme drôlement majeure - public par rapport
à privé - et on ne sait plus ce que veulent dire les termes.
Alors, sur cette question, nous ne sommes pas prêts, à ce
moment-ci, à nous prononcer.
M. Fortier: Je voudrais faire état d'une de vos
recommandations. Vous pensiez qu'une révision pourrait amener un code du
travail pour le secteur privé et un autre pour le secteur public. Tout
à l'heure, M. Beaulieu faisait allusion aux problèmes de la
petite entreprise. Est-ce que le Conseil du patronat a fait des études
sur ce qui peut exister dans d'autres pays? Bien sûr, très
bientôt, selon le ministre des Affaires intergouvernementales, on sera
associé à la France et peut-être que c'est le Code du
travail français qui s'appliquera ici.
Or, sans aller jusque-là - peut-être qu'on peut s'inspirer
d'autres pays comme le Japon - est-ce qu'il y a des études que le
Conseil du patronat aurait faites permettant de concevoir un code du travail
pour la grande entreprise qui, elle, a les moyens de se défendre, et un
code du travail très restreint et beaucoup plus limité pour la
petite entreprise, eu égard aux difficultés auxquelles faisait
allusion M. Beaulieu? Cela assurerait justement une dynamique de
création d'emplois pour lui permettre de se lancer. Il faudrait arriver
à un moment où il s'agirait de définir la dimension de
cette entreprise, où l'entreprise serait devenue d'une certaine
envergure et aurait donc les moyens de se défendre. On pourrait adopter
un code du travail plus contraignant et, comme elle serait plus dynamique,
ayant plus de ressources humaines et financières, elle aurait les moyens
d'assumer les responsabilités qu'on veut imposer, sans aucune
discrimination, à une grande entreprise comme General Motors ou l'Alcan
et à une petite entreprise comme celle de M. Beaulieu.
Est-ce que vous avez fait des études de ce
côté-là et est-ce une recommandation que vous aviez
déjà faite ou, du moins, est-ce une possibilité à
laquelle les législateurs devraient penser?
M. Dufour (Ghislain): Je pense qu'au Conseil du patronat, de
façon générale, on ne fait pas de distinction entre
General Motors et Alexandre Beaulieu Inc. On doit avoir un système de
relations du travail cohérent et vivable pour les entreprises
québécoises. Ce système, qui s'applique aux grandes
entreprises, ne doit pas être plus contraignant au Québec qu'il ne
l'est à l'extérieur. Dans ce sens-là, oui, on a fait des
analyses comparatives. C'est le cas, par exemple, des dispositions antibriseurs
de grève. Je vous rappelle que vous ne retrouvez cela nulle part en
Amérique du Nord, sauf en Colombie britannique où vous avez ce
qu'on appelle des "professional strike breakers". Jamais, nous, on a dit que,
pour les "professional strike breakers", on était d'accord.
Quand vous parlez de distinction entre des PME et des soi-disant grandes
entreprises, où va être la frontière? Le nombre
d'employés, les actifs? Le nombre d'employés ne veut plus rien
dire parce que, plus on s'en va vers la haute technologie, moins on a
d'employés. C'est le débat qu'il faudrait peut-être faire,
mais nous, on n'est pas capable de se prononcer là-dessus, sauf que - je
termine là-dessus, M. le Président -il faut toujours faire
attention pour ne pas comparer des systèmes qui ne se comparent pas. Le
système européen ne se compare pas du tout avec le système
canadien ou avec le système québécois. On est au niveau de
l'établissement alors que là-bas... Quelqu'un a dit ce matin que,
de toute façon, dans nos lois du travail, l'établissement n'est
jamais défini de la même façon. On a des définitions
différentes partout, au niveau des normes de la CSST, etc. - on ne sait
pas de quoi on parle - alors qu'en Europe vous avez la négociation
sectorielle; ce ne sont pas des monopoles. Alors, ce n'est ni la même
structure, ni la même idéologie.
M. Fortier: En fait, ce que vous dites, c'est que votre principe
n'est pas tellement de définir un code du travail pour la petite ou pour
la grande entreprise.
M. Dufour (Ghislain): Non.
M. Fortier: Ce que vous soulignez, c'est une concurrence par
rapport aux autres provinces...
M. Dufour (Ghislain): Voilà.
M. Fortier: ...ou aux États américains...
M. Dufour (Ghislain): Voilà.
M. Fortier: ...qui nous sont limitrophes, dans un climat de
concurrence pour le développement de l'entreprise et pour la venue de
nouvelles entreprises ici.
M. Dufour (Ghislain): Ce n'est pas, en somme, une distinction
entre une grande et une petite entreprise qui nous ferait accepter des
dispositions antibriseurs de grève. C'est clair.
M. Fortier: Alors, l'aspect de la concurrence avec les provinces
voisines ou les États voisins est un facteur beaucoup plus important
pour vous. Est-ce que vous avez fait des analyses sur les différents
sujets dont vous faites état ici?
M. Dufour (Ghislain): Oui, oui.
M. Fortier: Est-ce que ces études sont disponibles?
M. Dufour (Ghislain): Oui, oui, il y a la question, par exemple,
des dispositions antibriseurs de grève, d'arbitre unique, cette
comparaison, en quoi notre législation québécoise est plus
avancée que les législations des autres provinces. Oui, on peut
mettre ces études à la disposition de quiconque les veut.
M. Fortier: Je vous remercie. (16 h 45)
Le Président (M. Blouin): Merci. Je signale aux membres de
la commission qu'il est presque 16 h 45, qu'il y a trois autres intervenants
qui m'ont demandé la parole et que nous devrons, malgré tout -
qu'on en soit satisfait ou pas, c'est la réalité avec laquelle
nous devrons vivre - d'ici à minuit ce soir, avoir entendu l'ensemble
des intervenants ou encore suspendre les travaux de la commission sans avoir pu
entendre tous les intervenants qui se sont déplacés et qui ont
fait des efforts pour venir émettre les opinions qu'ils désirent
émettre devant les membres de cette commission.
Je fais appel à la collaboration des membres de la commission,
d'abord pour intervenir sur des sujets qui n'ont pas encore été
soulevés, afin de pouvoir connaître les opinions de nos
invités sur des sujets qu'ils n'ont pas encore traités. Sinon,
évidemment, si tous les membres ne collaborent pas, nous ne pourrons
certainement pas entendre tous les organismes qui se sont
déplacés aujourd'hui. Je crois que l'objectif est de les entendre
tous. C'est pourquoi je demande aux membres de la commission, et
particulièrement aux trois intervenants qui ont demandé la
parole, de bien vouloir le faire succinctement, dans la mesure du possible. M.
le député de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Scowen: Écoutez, succinctement... Je vais poursuivre
sur la question de mon collègue d'Outremont. Vous avez dit, M. Dufour,
à la page 2 de votre mémoire: "Notre Code du travail est l'un des
plus contraignants pour l'entreprise en Amérique du Nord." C'est
vraiment une question qui m'intéresse beaucoup. Mon collègue vous
a posé la question en partie. Il a demandé si vous aviez des
études pour prouver cela. Vous avez répondu: Oui, dans le cas des
briseurs de grèves, cela existe. Je vous demande simplement ceci: Est-il
possible qu'il ne soit pas vrai que notre système en soit est un des
plus contraignants? Je pense que vous acceptez, comme moi, que l'État
est obligé d'intervenir dans le domaine du travail. Prenons, à
titre d'exemple, l'article 14. Je pense que vous serez d'accord, comme moi,
qu'il y a des petites et moyennes entreprises, des grandes aussi, qui parfois
refusent un emploi à une personne non pas à cause de sa
compétence, mais parce qu'elles pensent que cette personne peut leur
causer des problèmes sur le plan syndical. Les droits individuels de
cette personne sont brimés par cette décision. Cela peut arriver,
j'imagine. Je ne crois pas que vous prétendrez que cela ne puisse pas
exister. Ce sont de tels abus, constatés à plusieurs reprises,
qui ont incité le gouvernement à agir.
Ce qui m'intéresse, c'est qu'on ne peut pas essayer de mettre fin
à toutes les injustices du monde en faisant abstraction de ce qui se
fait à côté de nous. Parfois, on fait des revendications ou
des déclarations qui ne sont pas basées sur les faits. Cela
devient un peu du folklore. La semaine dernière, j'avais l'intention de
demander au ministre des Finances s'il est vrai que les PME sont
sous-capitalisées. Cela fait aussi partie de notre folklore. Je n'ai pas
été étonné de découvrir qu'il n'existe
aucune étude, dans l'histoire du Québec ou du Canada, pour faire
la démonstration que les PME d'ici sont sous-capitalisées. Mais
tout le monde le dit.
Le Code du travail du Québec est un ensemble de mesures. Il n'y a
pas seulement l'aspect antibriseurs de grève, il y a un paquet de
choses. J'aimerais voir, un jour, une espèce de preuve en ce sens que,
oui, dans l'ensemble, nous ne sommes pas concurrentiels. Je me demande si une
étude globale a déjà été faite ou si nous
sommes, dans ce cas-ci comme dans l'affaire des PME
dont j'ai parlé, ce que quelqu'un a dit, qui a été
renforcé et enrichi par toutes sortes d'anecdotes, en arrivant au point
ou c'est tenu pour acquis, même si ce n'est pas vrai. Quelle est la
situation d'un employeur de New York qui a le choix de s'implanter dans un ou
deux des endroits, soit à Montréal ou à Toronto? Il
demande à son directeur de personnel de lui donner une analyse sur les
avantages et inconvénients des deux, sur le plan du Code du travail.
Est-ce que cette analyse existe?
M. Dufour (Ghislain): De façon globale, en termes
d'inventaire global, article du code par article du code, commission des
normes, vacances, congés, etc., je ne sais pas. Sauf que chez nous, oui,
on a un certain nombre de comparaisons, et sur la loi 126 et sur la loi 17 et
sur le code. Vous n'avez pas besoin, M. Scowen, de parler avec plusieurs
entrepreneurs qui viennent de Toronto ou d'ailleurs pour vous le faire dire,
nonobstant les statistiques. Je veux dire qu'on n'a pas besoin de grandes
recherches et de sondages CROP là-dessus, les gens vont carrément
exprimer ce problème. Parfois ce sont beaucoup plus des questions de
sensibilité au problème que des questions de statistiques.
Ce que nous disons, c'est que c'est bien sûr qu'on ne retrouve
peut-être pas la disposition arbitrage de première convention
collective par un arbitre unique dans l'ensemble des neuf provinces et le
fédéral. Sauf que ce cas, on l'a peut-être en Colombie.
Mais ce qu'on a fait au Québec, c'est qu'on a ramassé tout ce
qu'il y avait de meilleur dans toutes les législations de toutes les
provinces et du fédéral, et on s'est fait un code avec cela.
C'est là le problème. Quand on fait un "building-up", un
ensemble, on commence à avoir un problème.
À la première question, vous dites: Est-ce que le
travailleur ne peut pas avoir un recours en vertu de l'article 14 pour un refus
à l'embauche? Je vous dirai purement et simplement que l'État
législateur et l'État employeur auront probablement plus de
problèmes que le secteur privé dans ce dossier et que, de toute
façon, il y a une Charte des droits et libertés de la personne
qui existe, et c'est prévu. Il y a un recours actuellement pour le
travail dans un dossier comme cela. D'ailleurs, on veut éviter, si vous
lisez le mémoire... On soulève tout cela, toutes les
possibilités d'aller en convention collective, d'aller devant le
commissaire-enquêteur, d'aller devant la Commission des droits de la
personne, une série de possibilités, un dossier qui devrait
également, dans votre inventaire, M. Scowen, être
clarifié.
M. Scowen: Est-ce que vous croyez que l'article 14 qui existe va
déjà trop loin dans le sens de protections additionnelles au-
dessus du Code civil?
M. Dufour (Ghislain): Je ne pourrais répondre. Est-ce
qu'il est standard par rapport aux autres législations? Je ne pourrais
le dire, sauf qu'on fait une demande qui est fondamentale. C'est que les
articles, en vertu de l'article 14, qui mettent en cause du droit et non pas
purement des questions administratives - parce qu'il s'agit souvent de
réembaucher un travailleur un an après, avec tout ce que cela
impose -devraient quant à nous être réglés par un
tribunal et non pas par le commissaire du travail.
M. Scowen: Une dernière question à M. Beaulieu.
Dans le cas des petites et moyennes entreprises au Québec, est-ce que
vous avez l'impression que le Code du travail, pour les petites et moyennes
entreprises, est plus contraignant ici qu'en Ontario? Est-ce que les gens de
ces compagnies, les homologues de Cornwall ont plus ou moins de
problèmes avec leurs propres inspecteurs et leur propre Code de travail
que nous?
M. Beaulieu: Je pense que si. Mais ce n'est pas ce genre de
discussion ou de réponse. On ne va pas sur la place publique pour dire
cela. Si vous voulez avoir des investissements au Québec et des
employeurs qui vont venir s'installer au Québec, vous ne commencez pas
à vous discréditer. Peut-être qu'un jour il faudra dire
certaines vérités, mais, pour le moment, on essaie de dire que ce
n'est pas pire qu'ailleurs. Mais, si on fait des analyses et si on voit les
gens s'en aller en Ontario plutôt qu'ici, il y a des réponses
à cela.
M. Scowen: Je vous pose la question parce que je veux que vous me
disiez avec chiffres ou détails à l'appui qu'on n'est pas
concurrentiels parce que, pour moi, on doit avoir ici un système qui est
concurrentiel. Mais il me semble que, si on n'est pas certain de nos faits,
c'est bien difficile d'aller de l'avant dans un projet de changer le
système ici. Il faut que les hommes d'affaires sachent être
concurrentiels.
M. Dufour (Ghislain): M. Scowen, ce sont des choses que vous ne
pouvez...
M. Scowen: Mais il faut d'abord comprendre et avoir
confiance.
M. Dufour (Ghislain): Ce sont des choses que vous ne pouvez
quantifier. Comment voulez-vous quantifier ces choses? Ce n'est pas
quantifiable. C'est-à-dire que, quand on a huit congés
chômés au Québec par rapport à sept en Ontario, on a
une journée de plus et, si on a deux semaines de
vacances au lieu d'une, cela se quantifie, mais comment peut-on
quantifier des choses comme le refus à l'embauche? Cela ne se quantifie
pas.
M. Scowen: Je n'insiste pas pour que ce soit quantifié,
mais je pense qu'on doit insister pour que ce soit évalué et
comparé quand même parce qu'on fait des déclarations disant
que le Code du travail est plus contraignant ici qu'ailleurs. On fait ces
déclarations.
M. Dufour (Ghislain): Si c'est là le sens de votre
question, et là non quantifié, est-ce que c'est plus
contraignant? Oui. M. Laurin.
M. Laurin (Jacques): M. Scowen, sans qu'on ait de statistiques
élaborées sur la question, tout ce qu'on peut dire, c'est que,
lorsqu'un client nous consulte et nous demande quelle est la situation si on
établit une entreprise au Québec, si cette entreprise est captive
et n'a qu'un établissement au Québec, comparativement à la
même entreprise qui aurait son entrepôt à Cornwall, face aux
dispositions antibriseurs de grève, force nous est de conclure que le
client serait beaucoup mieux d'établir son entrepôt à
Cornwall puisque, dans une telle situation, il pourrait continuer de produire,
en dépit des dispositions antibriseurs de grève, d'acheminer sa
marchandise et de remplir les commandes de ses clients au Québec.
Devant une telle situation, c'est donc dire que l'entreprise
québécoise, qui est captive, qui est ici, est en position
concurrentielle nettement désavantageuse par rapport à la
même entreprise qui aurait son établissement à Cornwall ou
en Ontario.
M. Scowen: J'aimerais terriblement poursuivre cette discussion,
mais je pense que, par respect du désir du président, je vais
arrêter.
Le Président (M. Blouin): Je crois que vous
réagissez davantage par respect pour nos invités qui se sont
déplacés. M. le député de Viau.
M. Cusano: M. le Président, mes collègues ont
souligné la frustration que nous éprouvons ici très
souvent devant l'empressement d'adopter des lois à la vapeur à la
fin d'une session. C'est peut-être normal que le gouvernement ne fasse
pas connaître ses intentions à l'Opposition, mais j'ose
espérer, M. Dufour, que le ministre ou le ministère vous a
traité différemment et que, dans le passé - justement
avant qu'il arrive avec ce projet de loi - il vous a consulté. Je fais
la distinction entre la consultation, qui est un échange d'idées,
et simplement vous transmettre des informations. Pour se servir du langage de
l'adjoint parlementaire, le député de Prévost, lorsqu'il a
donné la différence entre consultation et information, pour
employer son langage, parce qu'il est un expert en moyenne
pondérée, pourriez-vous nous dire combien de vos recommandations
ont été retenues, dans ce projet de loi?
M. Dufour (Ghislain): Je dois dire que le ministre du Travail
nous a non pas informés, mais consultés dans ce dossier.
Dès le mois de décembre, à l'intérieur d'une
instance qui s'appelle le Conseil consultatif du travail et de la
main-d'oeuvre, le ministre nous a projeté ses grandes orientations. Nous
avons eu l'occasion de les débattre carrément. Nous avons
même eu l'occasion, les parties syndicales et patronales membres du CCTM,
de déposer un premier mémoire sur ce qu'on appelait un
avant-projet, pour ne pas vous voler votre projet de loi. Nous avons
été aussi consultés après le dépôt de
nos propres mémoires, ce qui nous avait permis, quant à nous,
d'aller dans le champ et de faire vraiment la consultation. Je ne dirai pas que
le ministre ne nous a pas consultés. Il y a eu une démarche - et
je pense que les collègues en témoigneront ici -à
l'intérieur d'une instance, qui est le CCTM, où il y a un certain
sceau de confidentialité et où on ne peut pas faire les grands
débats publics comme on les fait aujourd'hui, sinon cela ne donnerait
rien vis-à-vis des centrales syndicales ou du ministère du
travail. C'est une règle qu'on respecte.
Votre deuxième question est beaucoup plus difficile: Combien de
nos suggestions ont été retenues?
M. Cusano: Une moyenne pondérée.
M. Dufour (Ghislain): Non, je pense que, si vous le dites
à la blague vis-à-vis de vos collègues, je pourrais me
faire reprocher la même chose. Je ne le pondérerai pas. Je prends
un cas très, très particulier: le refus à l'embauche. On
avait l'impression, dans nos consultations avec tout le monde, au
ministère du Travail, que l'article 17.1, qui avait fait l'objet de
consultations, avait été enlevé et que, finalement, tout
ce droit qui est nouveau n'existait plus. C'est encore dans l'article 14. On
pose la question carrément: Est-ce que c'est un oubli? Si c'est un
oubli, bravol la consultation a eu un effet positif. Malheureusement, il y a
des choses qu'on n'a pas obtenues: les briseurs de grève, la
première convention collective, les 30 jours dont on parlait
tantôt, etc. Je suis incapable de faire un bilan.
Le Président (M. Blouin): Très bien. M. le
député de Sainte-Anne. (17 heures)
M. Polak: Merci, M. le Président. J'ai une question
à poser à Me Tobin, qui est en
charge des relations du travail à la compagnie Domtar
Ltée. J'ai lu le mémoire du Conseil du patronat. Peut-on en
conclure qu'une compagnie comme Domtar Ltée est du même avis
concernant les conséquences néfastes de ce projet de loi? Domtar
en subirait-elle en même temps les mêmes conséquences, si le
projet de loi était adopté tel quel?
M. Tobin: Je pense que la position que le Conseil du patronat
véhicule aujourd'hui est la position patronale globale. Il y a eu un
consensus au niveau de la délégation patronale au conseil
consultatif du travail, dont je suis membre depuis plusieurs années et
même depuis avant mon association à la compagnie Domtar. Sur ce
point, je n'ai pas changé d'avis. Les représentations que nous
vous faisons aujourd'hui au nom de l'entreprise - grande, moyenne et petite, si
on veut - auraient probablement été les mêmes il y a cinq
ou dix ans. En d'autres mots, ce n'est pas relié à une entreprise
en particulier ou à un régime politique en particulier. Ce sont
des droits fondamentaux de gestion qui sont à la source,
malheureusement, de nos difficultés aujourd'hui qui nous amènent
à vous faire nos représentations. Un exemple: la
possibilité d'agir en temps de grève aurait amené la
même réaction il y a cinq, dix, quinze ans, pour les mêmes
raisons économiques de base.
M. Polak: M. le Président, j'ai cru comprendre que les
petites entreprises vont être affectées plus sérieusement.
Si c'est vrai, ce qu'on peut lire dans le mémoire du Conseil du
patronat, toutes ces conséquences néfastes, une petite entreprise
peut vraiment faire faillite à cause de ces conséquences. Est-ce
que j'ai bien vu: le risque pour la petite entreprise est beaucoup plus grand
que pour la grande entreprise?
M. Tobin: M. Beaulieu a très bien présenté
les problèmes auxquels lui et d'autres font face quotidiennement avec un
régime semblable. Le député d'Outremont posait la
question: Est-ce qu'il serait concevable que nous ayons un régime
différent pour la grande entreprise par rapport à la PME? Je
pense que, si on regarde les mêmes statistiques que je citais
tantôt, c'est-à-dire les statistiques de Statistique Canada, on
voit que la progression des grands syndicats à travers le Canada est en
fonction de l'accroissement de la population canadienne. En d'autres mots, la
population s'accroît et les grands syndicats s'accroissent. J'ai
l'impression que l'autre réalité qui, probablement, répond
un peu à l'intervention de M. Fortier, c'est: où il y a
généralement la grande entreprise, il y a en face un grand
syndicat. En d'autres mots, les forces, si on veut, s'ajustent. Je pense
personnellement qu'il ne faut pas actuellement dramatiser la situation
où il y a un équilibre de forces, c'est-à-dire plus une
partie est forte, plus l'autre partie s'équipe en conséquence.
Les parties entre elles, par leurs négociations de conventions
collectives, se font leur propre code du travail pour cette
boîte-là.
Mais, pour revenir à l'intervention du député de
Sainte-Anne, en ce qui nous concerne, et c'est justement le point dont
parlaient tantôt M. Beaulieu et M. Dufour, c'est qu'effectivement, la
situation est dramatique là où il n'y a pas cet équilibre:
la petite ou la moyenne entreprise qui fait face à un syndicat d'une
force complètement supérieure se voit vraiment en situation
d'infériorité et même, dans certains cas, dans
l'impossibilité d'exploiter face à l'asphyxie.
M. Polak: Merci.
Le Président (M. Blouin): Merci. M. le ministre.
M. Johnson (Anjou): M. Dufour, M. Beaulieu, Me Tobin, Me Laurin
et Me Gauthier, je vous remercie de votre mémoire et de votre
témoignage.
M. Dufour (Ghislain): M. le Président, merci.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Brome-Missisquoi.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, puis-je
suggérer que nous suspendions nos travaux pour cinq minutes pour
l'hygiène mentale de tout le monde?
Le Président (M. Blouin): Très bien. Alors, les
travaux de la séance sont suspendus pour cinq minutes.
(Suspension de la séance à 17 h 05)
(Reprise de la séance à 17 h 14)
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît!
J'invite les membres de la commission à prendre place et les
invités également à regagner leur siège car nous
allons reprendre nos travaux.
Nous recevons maintenant les représentants de la
Fédération des travailleurs du Québec. Pour les fins du
journal des Débats, j'inviterais les responsables de l'organisme
à s'identifier et à identifier également ceux qui les
accompagnent et ensuite à nous livrer le contenu de leur
mémoire.
Fédération des travailleurs du
Québec
M. Laberge (Louis): Je m'excuse, M. le Président.
Le Président (M. Blouin): Cela va.
M. Laberge: Je vais essayer d'approcher mon micro afin que vous
m'entendiez bien et que vous ne soyez pas obligé de faire ce que je fais
quand vous parlez, c'est-à-dire tendre une oreille attentive.
Le Président (M. Blouin): J'ai compris le message.
M. Laberge: M. le Président, je suis accompagné de
quelques vice-présidents de la FTQ; à ma gauche, M. Claude
Laramée, qui est le directeur au Québec, mon grand "chum", oui;
M. Claude Ducharme, qui est le directeur des Travailleurs unis de l'automobile
au Québec et vice-président de la FTQ; M. Aimé Gohier,
directeur de l'Union des employés de services et vice-président
de la FTQ; M. Claude Morriseau, qui est directeur au Québec du Syndicat
canadien de la fonction publique et vice-président de la FTQ. D'ici
quelques secondes, il y aura aussi parmi nous M. Jean Lavallée, qui est
le président de la nouvelle FTQ-Construction, à ne pas confondre,
et vice-président de la FTQ.
M. le président, M. le ministre, M. l'adjoint parlementaire, MM.
les membres de la commission, la Fédération des travailleurs du
Québec veut ici manifester son accord avec toute modification ayant pour
effet de rendre plus réel l'exercice des droits reconnus par le Code du
travail. Cependant, comme nous avons eu plusieurs fois l'occasion de le faire
dans le passé, nous déplorons à nouveau l'absence d'une
réforme en profondeur, seule mesure susceptible de corriger l'injustice
qui est faite aux centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs qui
n'ont pas accès au syndicalisme.
Est-il besoin de vous rappeler que, même en améliorant de
façon substantielle le processus d'accréditation, tant qu'on
emprisonnera les unités de négociation dans les
établissements et qu'on ne permettra pas la syndicalisation
multipatronale, plus de 75% des salariés du secteur privé
n'auront pas véritablement accès au moyen efficace de
défense collective qu'est un syndicat?
Nous regrettons encore que le gouvernement n'ait pas jugé bon de
s'attaquer au problème des injonctions qui constituent, dans bien des
cas, des négations de droits dûment reconnus par le Code du
travail. On a aussi évité de donner aux commissaires du travail
le pouvoir d'émettre des ordonnances, ce qui aurait donné tout
leur poids à leurs décisions.
Les mesures antibriseurs de grève demeurent encore bien
insuffisantes, malgré les quelques changements qui leur sont
apportés. D'ailleurs, j'aurai l'occasion tantôt de faire de brefs
commentaires à ce sujet. S'il y en a qui voient là-dedans une
menace sérieuse, franchement, il faut regarder cela à la loupe en
"vlimeux"! Leur faiblesse continuera d'être une entrave au libre exercice
du droit de grève et continuera de pousser les travailleurs au
désespoir ou à la violence.
Il aurait fallu avoir le courage d'intégrer dans la juridiction
du code le secteur de la construction, toujours considéré comme
un secteur à part. Là encore, le statut d'exception que subissent
les travailleurs leur est préjudiciable. Il a surtout une incidence
négative sur leur droit à la négociation, la
multiplicité des parties affaiblissant grandement leur rapport de
forces.
Néanmoins, il est évident que tout changement facilitant
l'exercice de droits déjà existants ne saurait être
rejeté du revers de la main. C'est pourquoi, dans les pages qui suivent,
vous trouverez nos commentaires détaillés sur ces divers
amendements. Malheureusement, toute bonification du Code du travail risque
d'avoir des effets bien réduits si le gouvernement continue
lui-même de violer l'esprit et la lettre de sa propre législation.
En effet, les lois spéciales et les décrets des derniers mois
déprécient à l'avance toute amélioration du code.
Pourquoi, en effet, les employeurs privés s'astreindraient-ils à
se conformer à des règles du jeu que l'État employeur
écarte avec une telle désinvolture, lorsque bon lui semble?
Nous espérons donc un changement d'attitude profond à ce
niveau. Ce qui fait la valeur d'un texte de loi, c'est non seulement son
contenu, mais aussi la crédibilité que lui reconnaissent les
divers intervenants sociaux. Le gouvernement, s'il est désireux de
fonder la paix sociale sur des rapports plus justes, devra amender en
profondeur le Code du travail et s'engager à le respecter lui-même
comme employeur.
Au tout début, M. le Président, nous voudrions vous parler
très brièvement de l'article 2 qui mentionne une exception pour
les travailleurs en forêt qui sont employés par une
coopérative. Il s'agirait tout simplement de faire disparaître le
dernier alinéa qui fait en sorte que les salariés membres d'une
coopérative faisant des travaux d'exploitation forestière ne
puissent pas bénéficier du droit d'association
Nous vivons ces expériences non pas à tous les jours, mais
très souvent alors que des employeurs, par le truchement, le biais des
coopératives d'exploitation forestière, réussissent
à empêcher les travailleurs de se syndiquer selon le code.
Article 14. Nous sommes entièrement d'accord.
Article 15. Dans le premier projet de loi, le commissaire du travail
pouvait ordonner à l'employeur de réintégrer un
salarié dans le cas ou lors d'une imposition d'une sanction
disciplinaire. L'employeur ajoutait à une sanction... C'est
malheureusement disparu. Nous croyons que cela devrait être
rajouté.
On avait donné au commissaire, toujours dans le premier projet,
juridiction pour pouvoir accorder des dommages dans le cas de mesures autres
qu'un congédiement, une suspension ou un déplacement.
Il y a aussi des mesures discriminatoires qui ne veulent pas
nécessairement dire une perte de salaire, mais nous croyons que le
commissaire devrait avoir juridiction pour imposer un certain
dédommagement.
À notre grand regret, le projet de loi 17 ne reprend pas les
modifications proposées dans le premier projet de loi, soit de donner
juridiction au commissaire pour décider d'un cas où un employeur
ou une association d'employeurs ont refusé d'employer une personne
à titre de salarié à cause de l'exercice par cette
personne d'un droit lui résultant du présent code. Pourtant la
loi canadienne ainsi que la loi ontarienne donnent expressément ce
pouvoir et il n'y a rien qui justifie que cela n'apparaisse pas dans le
présent projet de loi.
Nous sommes d'accord avec l'article 16, avec l'article 17. Nous sommes
d'accord pour abroger l'article 18. Nous sommes d'accord avec l'article 19 qui
parle d'intérêt. Nous croyons que c'est juste. Nous sommes
d'accord avec l'article 20 tel que proposé. Nous sommes d'accord avec
l'article 23.1. Nous sommes d'accord avec l'article 27.1. Pour nous, c'est
peut-être l'amendement le plus important qui va dans le sens de
réduire les délais épouvantables, éhontés
que nous connaissons.
Je vais vous décrire brièvement le scénario. J'ai
écouté attentivement les représentations faites par le
Conseil du patronat et pourtant, lorsqu'on discutait de ces questions au
Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, il semblait être
d'accord avec nous. Le scénario est le suivant: Un syndicat
dépose une requête en accréditation; automatiquement
l'employeur conteste l'unité visée, ce qui lui permet de gagner
un délai de trois ou quatre mois. Il a le temps de foutre à la
porte trois, quatre ou cinq des leaders qui ont réussi à obtenir
une majorité de travailleurs ou de travailleuses. Cela lui fait gagner
encore trois ou quatre mois. Cela lui donne tout le loisir voulu, par le
truchement d'avocats qui sont devenus des spécialistes, des avocats
patronaux, de mettre sur pied un syndicat de boutique, ce qui lui fait gagner
encore trois ou quatre mois. Ce qui fait que, pour une requête en
accréditation pour de petits groupes de travailleurs - il ne reste pas
beaucoup de grosses entreprises à syndiquer au Québec; il y en a
encore quelques-unes, mais il n'y en a pas beaucoup - que cela soit pour 25
travailleurs, 50 travailleurs, cela prend neuf mois, cela prend dix mois, cela
prend douze mois. C'est la négation du droit d'association.
Ce que nous suggérons comme article 27, c'est ceci: Lorsqu'une
requête est déposée à l'égard d'un groupe de
salariés qui n'est pas représenté par une association
accréditée, une requête subséquente à
l'égard de la totalité ou d'une partie des salariés
visés par la première requête ne peut être
reçue qu'après décision finale sur la première
requête - cela est tel que dans le projet de loi, sauf que le reste pour
nous est très important - à moins que cette dernière ne
soit présentée par une association dominée au sens de
l'article 12. En d'autres mots, il ne faudrait pas non plus que le code
permette à tous les employeurs de se mettre sur pied un beau petit
syndicat de boutique, ce qui empêcherait un syndicat bona fide de pouvoir
déposer une requête en accréditation.
Si on peut démontrer - il faudra le démontrer - que c'est
une association dominée, cette requête devrait tomber et on
devrait pouvoir déposer une requête.
Nous sommes d'accord avec l'article 28. Nous sommes d'accord avec
l'article 29. À l'article 32, dans le premier projet, il y avait une
obligation de tenir une enquête. Cela est restauré avec le projet
de loi 17. Quant au second alinéa qui traite notamment du calcul des
effectifs de l'association requérante, il faudrait reprendre l'article
32 du premier projet de loi où le calcul des effectifs se faisait
à la date du dépôt de la requête. Là encore,
le Conseil du patronat parlait de déposer les cartes en même temps
que la requête. Nous sommes entièrement d'accord. Mais il faudrait
que le commissaire, quand il fait son calcul des effectifs, le fasse à
la date du dépôt de la requête. On dépose la
requête, on dépose les cartes. Il n'y a plus de "fligne-flagne".
Il peut très rapidement se rendre compte si oui. ou non le syndicat est
majoritaire. Ce n'est malheureusement pas repris dans le projet actuel.
À l'article 37, paragraphe 1, nous voulons vous faire une
suggestion qui est peut-être un peu nouvelle. Ce n'était pas dans
notre premier mémoire, je dois le reconnaître, mais ce n'est pas
quelque chose de nouveau. Nous en avons déjà discuté
amplement, en ce qui concerne le CCTM. Je ne dirai pas qu'il y avait
unanimité, mais on en a discuté amplement. C'est que, lorsqu'il y
a un syndicat en place et qu'un autre syndicat dépose une requête,
le syndicat en place ne devrait jamais perdre son
accréditation sans qu'il y ait un vote. Cela peut éviter
des longueurs interminables. Est-ce qu'il y a eu assez de démissions
pour réduire les effectifs du syndicat en bas de la majorité?
S'il y a des questions, il y a un vote, et cela se termine là.
Le Code du travail prévoit actuellement que, s'il y a trois
syndicats en place, il y a un vote. Le syndicat qui arrive en dernier
débarque et il y a un autre vote entre les deux syndicats en place.
Il est arrivé quelquefois, non pas chaque fois, malheureusement,
où, parmi les deux syndicats en place, l'un peut recueillir environ 49%
des votes et l'autre environ 47% des votes. Aucun n'est majoritaire. Les deux
syndicats sont donc dehors et c'est à recommencer. Si vous aviez eu
devant vous de vrais employeurs, ils vous auraient dit qu'ils ne voulaient pas
être soumis à un deuxième, à un troisième et
à un quatrième vote. Je crois que ce n'est à l'avantage de
personne, même pas des employeurs, parce qu'il manquait un petit
pourcentage, comme le code ne le prévoyait pas avant, on pouvait
désaccréditer le syndicat. Je tiens à vous dire que
là encore, la loi canadienne prévoit cela. Le syndicat qui est en
place, même s'il n'obtient pas une majorité, demeure en place.
L'amendement proposé dit: S'il y a deux syndicats, il y a certainement
une majorité évidente, comme vous en aviez parlé
tantôt, M. le député. Il y a une manifestation
évidente que la majorité des travailleurs et des travailleuses
veulent être syndiqués. Celui qui obtient une majorité,
qu'il l'emporte, une pluralité.
L'article 41, c'est le dépôt des cartes. Je l'ai dit
tantôt, nous sommes d'accord.
On a laissé tomber l'article 45 et nous sommes d'accord avec cela
parce qu'il y a un tas de causes devant les tribunaux. C'est loin d'être
clair.
L'article 53, nous sommes d'accord.
L'article 93.4. Nous sommes d'avis que le texte proposé est
insatisfaisant, en ce sens qu'il donne à l'arbitre une discrétion
pour évaluer s'il est probable ou non que les parties vont en arriver
à la conclusion d'une convention collective dans des délais
raisonnables. J'ai écouté sur cela les remarques faites par le
Conseil du patronat. Je suis d'accord avec M. Dufour que le raisonnable n'est
pas beaucoup mieux que la bonne foi. Ce sont tous des termes que les avocats
adorent parce que cela leur permet toujours de prendre des causes et de gagner
des délais. Ce sont des termes dont on devrait se débarrasser. Il
faut vous dire que l'arbitre n'a pas à prendre la décision
politique. (17 h 30)
Est-ce qu'il devrait y avoir un arbitre de nommé dans le cas
d'une première convention collective? C'est le ministre responsable qui
a cette responsabilité. Si le ministre décide de nommer un
arbitre dans un cas où il y a conflit pour une première
convention collective, il a la responsabilité politique de cette
décision. Est-ce que les deux parties essaient depuis déjà
plusieurs mois, est-ce qu'ils ont négocié de bonne foi, de
mauvaise foi, avec diligence, sans diligence? Encore une fois, c'est tout du
verbiage, des mots. Le fait est que cela fait des mois que cela dure; il y a un
conflit, il n'y a pas de possibilité, il nomme un arbitre. Nous croyons
que le délai raisonnable doit être tranché de façon
très nette. Nous disons que l'arbitre prend en dedans de 30 jours; il
voit qu'il ne peut rapprocher les parties et il impose une première
convention collective.
Soit dit en passant, je ne sais pas si l'adjoint au ministre du Travail
ou si le ministre lui-même ont vu des statistiques. C'est édifiant
de voir à qui s'est adressée l'imposition d'une première
convention collective. Des groupes de trois, de sept, de neuf, de douze, de
quinze, je n'en croyais pas mes yeux lorsque j'ai vu la nomenclature. Je pense
que, dans tout le groupe, il y a peut-être deux exceptions. Il y en a une
pour 200 et l'autre pour 500. Je ne sais pas d'où elle sort.
Mais on ne peut plus vivre ce qu'on a vécu alors que le ministre
prend la décision, nomme un arbitre, l'arbitre s'en va sur place comme
chez Zeller's, par exemple, à Lachute -le conflit durait
déjà depuis quinze mois -l'arbitre décide que le rapport
de forces n'a pas encore eu le temps de jouer. Cela faisait quinze mois que 62
femmes étaient en grève à Lachute. Il a attendu une autre
période de six mois et, finalement, un autre arbitre a été
nommé après beaucoup de demandes, beaucoup de démarches et
cet arbitre a convoqué les parties; là, l'assesseur patronal a
démisionné et le patron n'a pas nommé d'autre assesseur.
Cela a duré six autres mois. Il y a eu une première convention
collective imposée au bout de 34 mois. Il faut le faire.
Alors, quand on nous parle d'assesseur au lieu d'un arbitre unique,
c'est dans le seul but de gagner du temps, dans le seul but... On est aussi
bien de le dire vu qu'on parle d'arbitrage. Pour l'arbitrage de grief, cela n'a
plus aucun sens. Le moindre petit grief pour la plus petite des sections
locales, il n'y a pas un grief qui coûte en bas de 1200 $, 1300 $, 1500 $
pour aller à l'arbitrage. Cela n'a plus de sens.
Conseil d'arbitrage, cela veut dire trois personnes et - ce n'est pas
une critique vis-à-vis d'un côté plutôt que de
l'autre - c'est toujours plus difficile pour trois personnes siégeant
à un tribunal d'arbitrage ou un conseil d'arbitrage de s'entendre sur
des dates, en plus des dates qui font l'affaire des deux parties. C'est ce qui
fait que les griefs coûtent des sommes astronomiques et qu'on n'a
quasiment plus le moyen d'aller à
l'arbitrage. Nous sommes d'accord avec les modifications du code qui
font un arbitre unique dans le cas d'arbitrage de grief, un arbitre unique dans
le cas d'une première convention collective. J'avais malheureusement
donné au ministre du Travail une information qui s'est
révélée inexacte; j'avais rencontré des pompiers
qui semblaient être d'accord avec un arbitre unique, même pour les
différends, mais j'ai eu le plaisir et le privilège de rencontrer
la Fédération des pompiers professionnels du Québec. J'ai
aussi eu le privilège de rencontrer la Fédération des
policiers du Québec qui s'opposent à ce qu'un seul arbitre soit
obligé de trancher dans les différends parce qu'il y a là
une question d'horaire du travail, il y a toutes sortes de chiffres
compliqués là-dedans et nous croyons que l'arbitre a besoin d'un
assesseur, que c'est mieux un assesseur que trois arbitres. C'est mieux un
arbitre et deux assesseurs parce que cela permet aux parties d'avoir des gens
qui connaissent un peu mieux le problème et cela leur permet de mieux
éclairer l'arbitre.
L'article 100.0.1. Nous sommes d'accord à ce qu'il y ait une
période de 30 jours pour qu'un travailleur ou une travailleuse puisse
porter son grief à l'arbitrage. C'est un amendement qui est vraiment
anodin, mais cela peut, dans plusieurs cas, donner une meilleure chance
à des travailleurs de déposer un grief. Ce n'est pas la fin du
monde. J'ai écouté les représentations là-dessus.
Cela ne sape pas à la base le régime de relations.
Nous sommes évidemment d'accord avec l'article 109, les clauses
antibriseurs de grève. Nous croyons que cela ne va pas assez loin, mais
au moins nous sommes d'accord avec l'amendement proposé. On a tous un
peu tendance à avoir la mémoire courte. Il y en a qui ont la
mémoire plus courte que d'autres. Je ne sais pas si vous vous souvenez,
mais il y a quelques années à peine, quand cette mesure a
été adoptée, discutée, le projet de loi 45, il y a
eu des holà. Tout le monde criait juste avant cela, le climat au
Québec était épouvantable. Je suis d'accord avec cela;
c'est vrai que le climat était épouvantable. Il n'y avait pas de
grève qui durait un peu où il n'y avait pas de violence parce
qu'il y a des employeurs -est-ce que je pourrais vous rappeler des noms? -
Commonwealth Plywood, Robin Hood qui engageaient des bandits avec des fusils
-vous le savez, vous avez lu ces rapports-là -ils engageaient des
briseurs de grève. Il y avait de la violence de façon
épouvantable sur les lignes de piquetage.
Les mesures antibriseurs de grève ont mis fin à cela.
Essayez de me trouver des conflits, depuis que ces mesures-là ont
été adoptées, où il y a vraiment eu de la violence
sur les lignes de piquetage. Vous pouvez peut-être en trouver, mais il
n'y en a certainement pas beaucoup. Il y a eu une amélioration sensible.
Sauf qu'avec le temps, évidemment, les employeurs ont trouvé le
moyen de détourner cela. Au lieu d'engager des personnes physiques, ils
engagent des personnes morales. C'est vraiment immoral de jouer avec l'esprit
du code de cette façon-là. Nous sommes d'accord avec l'amendement
proposé. Nous trouvons que cela ne va pas assez loin, mais enfin... On
nous dit qu'un jour on sera obligé de réviser le Code du travail.
Je pense que le Conseil du patronat est d'accord avec cela. Je pense qu'ils
sont prêts à se mettre à l'oeuvre pour réviser le
Code du travail pendant trois ou quatre ans.
En fait, j'ai essayé de faire vite, M. le Président, parce
que je sais que vous en avez tellement d'autres à rencontrer. On s'est
fait jouer un petit tour par le Conseil du patronat qui a permis à
l'Union des municipalités de s'intercaler entre nous deux. Je ne crie
pas au scandale. Nous sommes habitués à ces petits tours du
Conseil du patronat. J'ai essayé de faire le plus vite, le plus concis
possible. Vous avez déjà reçu copie de tous les
mémoires, de toute façon. Je sais que la plupart d'entre vous
êtes des membres aguerris des commissions parlementaires. Vous allez
pouvoir vous y retrouver facilement. Si vous avez des questions, il me fera
plaisir d'essayer d'y répondre.
Le Président (M. Blouin): M. le ministre.
M. Johnson (Anjou): M. Laberge, merci. Je ne dirai pas que j'ai
un sentiment de déjà vu. Peut-être que, lorsque vous vous
présentez en commission, mais pas nécessairement sur le
même sujet... Je vous remercie de votre exposé:
premièrement, pour sa clarté; deuxièmement, pour sa
concision, troisièmement je comprends que, dans l'ensemble, vous
êtes d'accord avec le projet de loi, vous avez été assez
explicite à cet égard.
J'aurais quelques questions qui touchent l'embauche et l'arbitrage,
entre autres. Je laisserai à mes collègues le soin de poser
d'autres questions. Sur l'embauche, comment réagissez-vous à la
proposition du Conseil du patronat de faire en sorte que ce soit le Tribunal du
travail qui soit saisi des cas où on invoque l'exercice antérieur
d'un droit découlant du code comme critère de discrimination au
moment de l'embauche? M. Dufour nous disait qu'il considérait que ce
genre de choses-là ne devrait pas être décidé par le
commissaire du travail mais par le tribunal.
M. Laberge: En principe, je n'ai aucune objection, mais les
délais sont pires au Tribunal du travail qu'ils ne le sont au
commissaire. En fait, on a vu des lettres dernièrement du
conseil...
M. Johnson (Anjou): Si je comprends bien, vous me diriez oui
à la condition de nommer six juges de plus...
M. Laberge: Je ne voudrais pas que vos enregistrements
démontrent qu'un jour je vous ai suggéré de nommer
d'autres juges, mais il pourrait y avoir plus de commissaires aussi.
M. Johnson (Anjou): Vous ne voyez pas là d'objection de
principe. Pour vous, c'est une question pratique. Vous dites que, dans la
mesure où les délais du tribunal sont plus longs, cela ne vous
intéresse pas. En principe, le fait que ce soit le tribunal par
opposition au commissaire qui y ait juridiction, vous n'y voyez pas de
problème majeur.
M. Laberge: En fait, il faut se rappeler que le Tribunal du
travail servait en quelque sorte de Cour d'appel pour les décisions des
commissaires. S'il devait prendre des décisions en première
instance, où serait l'appel?
M. Johnson (Anjou): Cela risque d'être en Cour
supérieure. À l'égard de l'arbitrage, M. Laberge,
j'aimerais qu'on puisse clarifier la position de votre centrale sur cela. Ce
qu'on propose, à toutes fins utiles, c'est de mettre fin à la
notion de conseil d'arbitrage; que ce soit à l'égard des griefs
ou de ceux qui sont régis par des dispositions particulières,
comme les policiers, les pompiers, de mettre fin au tribunal tel qu'il existait
et même aux autres arbitrages de différends qui peuvent être
prévus. Je comprends que, chez certains, cela soulève des
objections, selon qu'on parle de changer le statu quo, et même,
d'après ce que j'ai compris, des municipalités qui, en principe,
se disaient d'accord, aimeraient cependant que chacune des parties puisse
nommer un assesseur, indépendamment du consentement de l'autre partie.
Elles s'en prenaient un peu à la formulation du projet qui dit: Dans la
mesure où les parties s'entendent, il y a des assesseurs.
M. Laberge: Pourvu, évidemment, que les assesseurs
puissent être couverts pour leurs salaires et leurs dépenses,
comme les arbitres l'étaient. En fait, vous allez reconnaître, je
crois bien, que c'est plus facile, pour une municipalité, de
décider qu'elle va engager un assesseur que pour le local des pompiers
de La Tuque où il peut y avoir 15 membres, ou le local des policiers
d'une autre petite ville où il peut y avoir 22 membres. C'est cela, le
problème.
M. Johnson (Anjou): En soi, j'essaie de les prendre l'un
après l'autre, dans le cas de l'arbitrage des griefs; pour vous, c'est
un arbitre unique, c'est clair.
M. Laberge: D'accord. N'importe quoi qui va nous faire
économiser du temps et de l'argent, on est d'accord.
M. Johnson (Anjou): Dans le cas des policiers et des pompiers, on
entendra les représentants des uns et des autres, je pense qu'ils sont
en général relativement satisfaits du système tel qu'il
existe en ce moment. Comme vous n'avez pas de membres chez les policiers et les
pompiers...
M. Laberge: Je vous demande infiniment pardon.
M. Johnson (Anjou): Pardon?
M. Laberge: La Fédération des pompiers
professionnels est affiliée à la FTQ, M. le Président.
M. Johnson (Anjou): Je m'excuse. Je pensais aux policiers. Je
suis préoccupé par les propos habituels de M. Nadon.
M. Laberge: Les policiers, c'en sont d'autres qu'on n'a pas
forcés trop trop. Ne le leur dites pas.
M. Johnson (Anjou): C'est cela. Dans le cas des policiers, vous
n'avez pas d'affiliés par définition. Alors, dans le cas des
pompiers, est-ce que je pourrais vous demander si, entre le statu quo et ce qui
est proposé par le ministère dans le projet de loi 17, il y a
quelque chose d'intéressant, ou auriez-vous plutôt tendance
à rejoindre un peu l'approche des policiers et des pompiers?
M. Laberge: Pas rien qu'un peu, nous sommes entièrement
d'accord avec la position que vont vous expliquer les pompiers et les
policiers.
M. Johnson (Anjou): Dans leur cas.
M. Laberge: Oui, parce qu'un différend, c'est un peu
compliqué. Les horaires de travail, par exemple, chez ces
employés, c'est quelque chose. Enfin, pour un arbitre qui n'est pas trop
familier avec cela, il aurait besoin des judicieux conseils d'un assesseur
syndical. Si la municipalité veut avoir un assesseur, elle pourrait s'en
servir aussi, je suppose.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Quant aux dispositions antibriseurs
de grève, je dois vous avouer que je suis un peu étonné,
pas surpris, mais un peu étonné de vous entendre dire que cela ne
va pas assez loin. Auriez-
vous des suggestions?
M. Laberge: Bien oui.
M. Johnson (Anjou): Ah oui?
M. Laberge: Je vais vous donner un petit exemple. On n'a fait
grand état des clauses antibriseurs de grève que pour la petite
et la moyenne entreprise. C'était la fin du monde, l'apocalypse. Vous
savez, je sais, le Conseil du patronat sait et tout le monde sait que les
travailleurs et les travailleuses de la petite entreprise ne sont pas
syndiqués. La très très, très vaste majorité
d'entre eux ne le sont pas. Il y en a, bien sûr qu'il y en a. On
réussit une fois de temps en temps, mais il n'y en a quasiment pas. (17
h 45)
Je vais vous donner un petit exemple de ce qui se passe: Ici,
l'employeur, Place Québec, filiale de Trizec, 30 employés en
grève. Aucun problème, on a décidé de mettre la
hache là-dedans et on a donné le parking à un
sous-traiteur, personne morale. Cela, franchement, c'est immoral. C'est une
grève légale. Les travailleurs ont pris soin de respecter le Code
du travail, de respecter tous les délais. Ils sont en grève
légale et ils sont Gros-Jean comme devant. Il faut empêcher cela,
parce que, autrement - on a déjà oublié ce qui se passait
auparavant - il pourrait y avoir des accrochages très durs et de la
violence sur les lignes de piquetage. On y reviendra. On ne peut pas endurer
ces choses-là. Encore une fois, c'est immoral. Cela ne fera pas
mourir...
D'ailleurs, j'ai une copie de la lettre pour vous, M. le ministre, que
je vous remettrai. Vous remettrez cela à l'adjoint parlementaire.
D'abord, je suppose qu'en le donnant à l'un, l'autre le verra. Mais cela
ne répond pas tout à fait à la question que vous m'aviez
posée, n'est-ce pas? C'est parce que j'avais oublié de mentionner
cela tantôt. Quelle était la question?
Ce n'est pas seulement sur la loi antibriseurs. Nous aurions aimé
que, dès que le ministre nomme un inspecteur, l'inspecteur aille voir
sur les lieux et qu'il se fasse accompagner d'un représentant syndical,
parce qu'un inspecteur ne sait pas - je ne sais pas, disons qu'il y a une
grève dans un restaurant, dans un hôtel - si ce sont des cadres
qui travaillent ou si ce sont des gens que l'employeur a engagés. S'il
se fait accompagner d'un représentant syndical, il pourra le voir.
L'inspecteur devrait avoir le pouvoir de régler cela sur place.
Il y a une violation de la loi. Le Code du travail - je pense que vous le savez
- est la seule loi où le gouvernement ne prend pas les mesures pour la
faire respecter, sauf quand c'est nous qui la violons. Quel que soit le
gouvernement - je ne parle pas seulement de ce gouvernement - il n'y a jamais
eu un gouvernement qui a poursuivi un employeur qui avait violé le Code
du travail. Pourtant, c'est une loi comme une autre. Dans le cas des mesures
antibriseurs de grève, nous avons les plus beaux rapports d'un tas
d'inspecteurs qui nous arrivent quatre mois après que tout est
terminé. Ou bien on n'a plus de syndicat, parce que, évidemment,
les gens se découragent et s'en vont ailleurs, ou bien la grève
est réglée tant bien que mal et on a un beau rapport
après, disant qu'en effet il y a eu violation du Code du travail. C'est
nous qui devrions prendre les poursuites contre l'employeur, mais, si on a
réglé la convention collective, il est inutile de vous dire qu'on
ne veut pas détériorer davantage le climat et on ne prend pas de
poursuite, évidemment. Mais il reste que le code est violé. Je
n'ai jamais vu une déclaration, ni du conseil, ni de la Chambre de
commerce, incitant les employeurs à respecter le code.
Il y aurait aussi d'autres mesures; par exemple, que le code permette
vraiment à la multiplicité de travailleuses et de travailleurs au
Québec de pouvoir se syndiquer s'ils le veulent. Bien sûr, on a
fait toutes sortes d'exagérations là-dessus. On a dit: C'est du
syndicalisme obligatoire. Ce n'est absolument pas cela. D'ailleurs, cela existe
au Québec, les décrets. On parle d'accréditation
multipatronale. Il y aurait probablement quelques amendements à faire
à la loi sur les décrets et on pourrait assez bien se rapprocher
de... Ce qu'on veut, tout simplement, c'est que les employeurs, dans les
entreprises où les travailleurs sont les plus en difficulté...
Vous avez une vaste majorité de travailleuses, ce sont elles qui sont
dans les ghettos, dans les endroits les plus mal payés, qui ont les
conditions de travail les pires. Comment voulez-vous réussir à
syndiquer, par exemple, les employés des postes d'essence? Il y a deux
ou trois employés par poste d'essence. C'est impossible. C'est
impossible lorsque cela nous prend douze mois pour obtenir une requête en
accréditation. Cela coûte aussi cher pour faire des
représentations pendant douze mois pour 3, 4 ou 5 travailleurs que cela
en coûte pour 500. C'est le même temps et ce sont les mêmes
représentations.
M. Johnson (Anjou): Ma question, M. Laberge, a trait à une
demande répétée du Conseil du patronat. Je voudrais vous
entendre un peu là-dessus. Est-ce que vous vous opposeriez à ce
que demande le Conseil du patronat, soit la reconnaissance des associations
d'employeurs et l'accréditation des associations d'employeurs? Vous ne
vous opposeriez pas à cela?
M. Laberge: Absolument pas. D'ailleurs, je pense que le principe
est déjà contenu
dans le code. Il y a une possibilité. Vous vous souviendrez
qu'à la FTQ, en tout cas, on a toujours préconisé qu'il y
ait un Conseil du patronat fort et représentatif. On a toujours
préconisé que, dans l'industrie de la construction, il y ait une
association d'entrepreneurs vraiment représentative. On aurait
espéré, en même temps, vous convaincre qu'il devrait y
avoir une association syndicale vraiment représentative. Mais,
apparemment, vous n'êtes pas encore prêts. Dieu sait que,
malheureusement, de la façon que cela s'en va, s'il fallait que, dans
chaque comté, il y ait cinq candidats, il y a des chances qu'il n'y en
ait pas un qui ait une majorité. Avec cinq centrales syndicales dans la
construction, il y a encore des chances qu'aucune n'obtienne une
majorité. Encore là, il n'y aura pas d'association syndicale
représentative pouvant négocier et le gouvernement va être
encore obligé d'imposer... Ce n'est peut-être pas dans les
conditions les plus faciles. Ce serait plus facile d'avoir une espèce de
pourcentage là-dedans - c'est déjà reconnu dans le Code du
travail et ce n'est pas un principe scandaleux - et un syndicat qui
n'obtiendrait pas le pourcentage ne serait plus là. Les autres en place
pourraient former, on en est convaincu, une association vraiment
représentative qui pourrait négocier.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Laberge.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le ministre et M.
Laberge. M. le député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis: M. Laberge, concernant la question dont j'ai
donné un long préavis -dans votre cas, plus le temps passe plus
le préavis va être long - quelles sont les mesures, dans le projet
de loi 17 qui est devant nous, qui sont susceptibles de stimuler
l'économie, de favoriser le maintien et la création
d'emplois?
M. Johnson (Anjou): ... ajouter de permettre au Québec
l'avènement à l'indépendance.
M. Laberge: Je pense que je peux répondre à la
question, M. le Président, si vous me le permettez, car je ne voudrais
pas...
M. Paradis: Bien, voyons donc! Elle est recevable.
M. Laberge: Je pense que les mesures prévues dans le
projet de loi sont des mesures, justement, qui seraient susceptibles de
développer l'économie en gardant et en améliorant le
climat social. Encore une fois, apparemment, on a la mémoire courte. La
pire affaire qui pouvait nous arriver au
Québec, c'était le climat social des syndicats trop
militants, trop turbulents; le climat social étant terrible, cela
faisait fuir les capitaux.
Je pense que tout le monde va reconnaître que le climat social au
Québec s'est grandement amélioré. Bien sûr, il y a
eu accrochage dernièrement dans le secteur public, mais même cette
accrochage-là a été beaucoup moins dur, beaucoup moins
violent, même s'il y a des lois qui ont été assez dures et
assez violentes... Je parle d'accrochage physique. Le climat social s'est
grandement amélioré au Québec.
Mais s'il n'y a pas d'amendements d'apportés au Code du travail,
et de façon assez urgente, le climat va se détériorer.
Cela n'a plus de sens, attendre douze, quatorze et quinze mois pour obtenir une
accréditation. Dépenser 1500 $ pour régler un grief de
rien du tout, bien souvent. N'oubliez pas, on n'a pas le choix d'accepter de
défendre le grief à l'arbitrage. Dans le Code du travail, il est
prévu qu'un travailleur ou une travailleuse peut se plaindre que son
syndicat ne l'a pas défendu jusqu'au bout. Même si on est en train
de se vider financièrement, on est obligé d'amener le petit grief
de rien à l'arbitrage parce que le travailleur peut faire une plainte
contre nous. Cela n'a pas de sens.
Je vous dis bien sincèrement et sans aucun jeu de mots que ces
amendements-là, qui à notre point de vue ne vont pas assez loin,
ce sont des amendements qui vont maintenir le climat actuel, qui vont
empêcher qu'il ne se détériore et qui vont
certainement favoriser le développement économique du
Québec. D'ailleurs, c'est un peu en ayant l'assurance que cela va se
faire qu'on a décidé de s'impliquer directement dans la relance
de l'économie, comme vous le savez fort bien.
M. Paradis: Dans votre mémoire, au paragraphe de
l'introduction, qui se lit comme suit: "Les mesures antibriseurs de
grève demeurent encore bien insuffisantes, malgré les quelques
changements qui leur sont apportés", vous avez dit: Je reviendrai avec
des commentaires...
M. Laberge: ... l'inspecteur d'aller sur place dès qu'il a
une plainte, de se faire accompagner d'un représentant syndical, d'avoir
le pouvoir d'agir immédiatement s'il trouve qu'il y a des gens qui ont
été engagés et qui n'auraient pas dû l'être.
Avoir le pouvoir de dire à l'employeur: Sors-le. C'est tout cela.
M. Paradis: À la page 2, il y a trois paragraphes sur
lesquels on est passé rapidement, mais sur lesquels j'aimerais revenir:
"Malheureusement, toute bonification du Code du travail risque d'avoir des
effets
bien réduits si le gouvernement continue lui-même de violer
l'esprit et la lettre de sa propre législation", et vous concluez en
disant: "Le gouvernement, s'il est désireux de fonder la paix sociale
sur des rapports plus justes, devra amender en profondeur le Code du travail et
s'engager à le respecter lui-même comme employeur." À
quelle violation faisiez-vous référence?
M. Laberge: Celle que vous avez déjà notée.
Enfin, vous savez ce qui s'est passé, la loi 70, la loi 105, la loi 111,
la loi qui a décrété qu'une convention collective qui
devait expirer a été prolongée... Bon, enfin, c'est cela
qu'on veut dire. On essayait de le dire assez gentiment.
M. Paradis: C'était peut-être la question
maîtresse, mais voici une sous-question: On est souvent aux prises, et de
plus en plus, avec des lois spéciales à l'Assemblée
nationale lorsque cela touche des services - et on peut se rappeler des
expériences récentes, dans le transport en commun, etc. Quelle
est la position de votre centrale syndicale? Est-ce que, selon vous, le
législateur devrait refuser d'intervenir dans ces cas-là ou
doit-il intervenir?
M. Laberge: En fait, le gouvernement, je pense, a
déjà annoncé ses couleurs en disant qu'il voulait
dès maintenant regarder le régime de négociations dans les
secteurs public et parapublic. Nous avons dit tout de suite: Nous sommes
prêts à regarder cela dans une révision du Code du travail.
Il ne devrait pas y avoir cinq codes du travail; il devrait y en avoir un,
incluant même les travailleurs de la construction, avec une section
différente pour les travailleurs de la construction et une section
probablement différente pour les travailleurs des secteurs public et
parapublic; un seul Code du travail. Et nous sommes prêts à
regarder cela. On sait fort bien qu'il faut qu'il arrive quelque chose parce
que nous sommes d'accord sur le fait que ce sont des situations qui deviennent
de plus en plus difficiles.
M. Paradis: En ce qui concerne l'article 2, lorsque vous parlez
des travailleurs forestiers qui sont en coopérative, comment
juxtaposez-vous le raisonnement que ces gens-là devraient être
syndiqués, suivant les représentations que vous faites dans votre
mémoire, avec le fait que ces gens-là sont en même temps de
véritables coopérateurs, de véritables
propriétaires de l'entreprise?
M. Laberge: C'est loin d'être toujours vrai. Nous avons eu
l'occasion de négocier avec des compagnies de papier, par exemple, et on
a vu toutes sortes de choses. Les compagnies aident ces travailleurs-là
en leur laissant leurs outils et en faisant semblant qu'ils sont
propriétaires de la machinerie et de tout le reste. Ils forment une
coopérative et on ne peut plus leur toucher. Et ces
travailleurs-là eux-mêmes s'en plaignent, mais ils ont le choix:
ou ils acceptent cette suggestion gentille faite par l'employeur, ou ils sont
dehors.
M. Paradis: Quels sont les mécanismes - et je vais
peut-être un peu loin en vous le demandant - mais vous proposez une
modification à l'article 2...
M. Laberge: Qu'ils soient membres d'une coopérative ou
membres d'un employeur, pourquoi ne seraient-ils pas syndicables? Dans le
mouvement coopératif, les travailleurs sont syndiqués, dans les
caisses Pop, les fédérations, un peu partout. Il ne devrait pas y
avoir d'exception. D'ailleurs, il n'y a personne, je pense, qui se souvient
pourquoi cette exception avait été incluse dans le code dans le
temps.
M. Paradis: Je reviens à votre réponse. Vous ne
faites plus de distinction entre la vraie coopérative qui est née
d'une volonté des travailleurs de créer leur propre entreprise,
d'y participer, etc., et la coopérative qui a été
humblement suggérée, comme vous le mentionnez. Vous ne faites
plus cette distinction. Autrement dit, vous voudriez que cela s'applique
à toutes les coopératives, aux vraies coopératives, pour
utiliser une expression que vous avez prononcée, comme aux
pseudo-coopératives.
M. Laberge: L'un des cancers que nous relevons aujourd'hui, ce
sont ces travailleurs autonomes. Je m'excuse, mais c'est un cancer dans
l'industrie de la construction. Vous avez des problèmes énormes
dans le camionnage en vrac, par exemple. Les employeurs essaient de se
débarrasser du fardeau au point de vue de la santé et de la
sécurité des camionneurs en vrac en disant: Ils sont des
artisans, ils devraient prendre soin d'eux-mêmes. On sait fort bien que,
si cela arrive, ce n'est pas cela qui va se passer. Ils ne prendront pas soin
d'eux-mêmes, ils ne se couvriront pas. Cela va être la Régie
de l'assurance automobile qui va être prise pour payer les factures et
cela, ce sont tous les citoyens. C'est devenu un cancer. S'il y a des
employeurs qui se mettent ensemble et qui lancent quelque chose, nous n'avons
jamais été intéressés à représenter
des employeurs et nous ne le sommes pas plus aujourd'hui. Mais, donner la
possibilité à une compagnie, pour se soustraire à ses
obligations, selon le code, de faire semblant de mettre sur pied une
coopérative, cela ne devrait pas exister.
Le Président (M. Blouin): M. le député, M.
Laberge, il est presque 18 heures. Nous
allons donc poursuivre nos travaux au-delà de 18 heures, avec le
consentement des membres.
Cela va, on poursuit.
Une voix: Vous apprenez beaucoup.
Une voix: Est-ce que je dois donner mon consentement?
M. Paradis: C'est votre consentement, M. le
député.
Une voix: Jusqu'à quand?
M. Paradis: Jusqu'à 18 h 15, parce que j'ai des gens...
(18 heures)
M. Fortier: On peut demander à M. Laberge s'il est
disponible pour revenir après le souper, si on avait d'autres questions
ou si vous voulez finir...
M. Laberge: Évidemment, si vous me disiez que vous avez
encore plusieurs questions très importantes, on se rendra disponible,
malgré que cela retardera les autres.
Le Président (M. Blouin): Vous avez bien saisi la
dynamique, M. Laberge.
M. Laberge: Je vous laisse seuls juges de cela.
M. Fortier: On vous admire pour votre esprit
démocratique.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Brome-Missisquoi.
M. Paradis: Avec le consentement, jusqu'à 18 h 15.
Le Président (M. Blouin): D'accord. Allez-y.
M. Paradis: À l'article 27 de la loi, vous avez
ajouté ou vous suggérez l'ajout de trois lignes: "À moins
que cette dernière ne soit présentée par une association
dominée, au sens de l'article 12..." Dans le sens de votre
argumentation, vous le présentez dans le but de raccourcir les
délais. Mais cela porte toujours à évaluation et ce qui
porte à évaluation peut porter à adjudication. Vraiment,
est-ce que cette modification raccourcira les délais?
M. Laberge: Non. Cela ne peut pas raccourcir les délais,
mais elle est absolument essentielle. Si elle n'est pas là-dedans,
dès qu'un employeur entendra des rumeurs en ce sens qu'il y a des
représentants syndicaux qui se promènent alentour, il mettra sur
pied son syndicat de boutique et il déposera; ce qui gèlera et ce
qui empêchera un syndicat de déposer une autre requête.
D'ailleurs, cette suggestion que nous faisons n'est pas nouvelle. Il y avait eu
la formation d'un comité de députés, il y a deux ans de
cela, je pense, et cela faisait partie des représentations qu'on avait
faites à ce moment-là. C'est essentiel. Cela peut vouloir dire un
délai de deux ou trois semaines. Évidemment. Mais c'est
essentiel.
M. Paradis: Merci beaucoup.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le
député. M. le député de Prévost et adjoint
parlementaire au ministre du Travail.
M. Dean: M. Laberge, j'ai quelques petites questions à
vous poser. Par exemple, il y a un représentant d'une autre centrale
syndicale qui est venu à mon bureau de comté, il y a quelques
semaines, pour me dire que, dans la région au nord de Montréal,
depuis deux ans, sur 17 requêtes en accréditation, sa centrale
n'avait obtenu aucune accréditation. Est-ce que c'est une chose rare ou
est-ce que vous pouvez évoquer un peu les mêmes statistiques
concernant votre centrale?
M. Laberge: Nous avons la prétention d'être un peu
plus efficaces, mais cela arrive. Cela arrive très souvent.
Écoutez, quand vous réussissez à syndiquer les
travailleurs et les travailleuses, surtout ceux d'une petite place, disons une
trentaine de travailleurs et de travailleuses, il se passe plusieurs mois sans
qu'on soit capable de leur donner de nouvelle. C'est dans les mains du
commissaire. Il se fait un peu de pression. Bien souvent, il y a un ou deux
leaders qui sont mis à la porte. Évidemment, la plupart du temps,
les autres se disent: Bien, mon Dieu Seigneur, on était peut-être
mieux de rester comme avant, même si on n'était pas satisfait. Par
les temps qui courent, les travailleurs font attention à leurs emplois,
évidemment. Perdre son emploi, par les temps qui courent, ce n'est pas
quelque chose de réjouissant le diable.
M. Dean: Deuxième question. Un autre cas dans ma
région. Il semble un cas d'horreur, mais je veux encore savoir si c'est
aussi rare que cela. Un groupe de travailleurs déposent une
requête. Cela va au commissaire du travail, au Tribunal du travail.
Contestation et congédiement. Ordonnance de réembauche des
travailleurs congédiés. Refus de l'employeur d'obtempérer
à l'ordonnance. Le syndicat obtient des injonctions de la Cour
supérieure qui, à mon avis, sont assez rares pour un syndicat.
L'employeur fait fi de l'injonction et il y a des amendes de 100 $ par
injonction. Est-ce
que c'est un cas rare ou est-ce que votre centrale subit le même
genre d'expérience?
M. Laberge: Je vous remercie d'avoir posé cette question
puisque, cet après-midi, avec le Conseil du patronat, il en a
été question. Quand on parle de déjudiciarisation du
système, on nous a dit qu'il n'y avait rien là. Sur 8000
plaintes, il n'y a eu que 53 appels. C'est vrai. Mais ce n'est pas ce qu'on
appelle le système qui est devenu judiciarisé. Ce sont toutes les
avocasseries qui se font pendant des mois et des mois où on trouve
toutes sortes de moyens pour obtenir des délais. Ce ne sont pas
seulement les appels devant les tribunaux. C'est ce qu'il faudrait changer.
C'est ce qui est à la base du système. Si on ne respecte pas
cela...
Oui, ces choses arrivent. Je pourrais vous nommer une petite compagnie.
M. Dufour est bien au courant, car je l'avais appelé pour lui demander
de voir s'il n'y avait pas moyen qu'il fasse quelque chose là-dedans.
Nous avons gagné tellement de causes contre cet employeur que, s'il
fallait que nous les fassions toutes appliquer, jamais de sa vie, il ne
pourrait payer tout ce qu'il doit. Cela n'a pas d'allure. Cela fait trois ans
et demi et il n'y a pas de syndicat. Cela a coûté combien à
notre syndicat de prendre action par-dessus action et cela n'est pas
réglé encore. Je parle de M. Dufour parce qu'il sait que cela
existe. Vu que je lui en ai parlé, il pourrait vous confirmer cela.
M. Dean: Une dernière question dans le domaine des
antibriseurs de grève et de la durée des grèves, il y a
encore un dossier dans mon comté, une entreprise de quinze
employés qui était en lock-out. Cela va très mal merci
dans le domaine du droit d'association des travailleurs de mon comté;
cela va très mal merci grâce à tous les trous dans le Code
du travail. Je suis bien d'accord avec vous. Je vous nomme une entreprise qui a
fait un lock-out. Il s'agit de quinze employés. Il y avait quelques
briseurs de grève. On a demandé une enquête.
L'enquêteur arrive et l'employeur dit: Ce ne sont pas des antibriseurs de
grève, ce sont mes amis qui sont venus prendre un café.
L'enquêteur a fait son rapport: Après tout, on ne peut pas
empêcher des amis de venir prendre un café avec l'employeur. Donc,
il n'a même pas fait une recommandation dans le sens qu'il y avait une
violation de la loi. Toujours est-il que, quelques mois après - il y
avait quinze employés au début - il y a quinze amis qui viennent
huit heures par jour pour prendre du café chez cet employeur; il y a un
camion-remorque qui part à la fin de chaque journée pour
transporter des produits finis.
Une voix: Et les tasses de café.
M. Dean: Et probablement les tasses de café vides.
M. Laberge: Ce ne sont pas des gars qui n'aiment pas le
café.
M. Dean: Des tasses de café vides à pleine
vanne.
On demande l'arbitrage de la première convention et cela prend
cinq mois au tribunal à décider qu'il y a mauvaise foi et
d'imposer. Lorsqu'on décide d'imposer, l'employeur refuse de reprendre
les employés. Lorsque le tribunal d'arbitrage décide d'imposer,
on est censé mettre fin à la grève ou au lock-out.
L'employeur refuse et, jusqu'à aujourd'hui, malgré tout ce qui
existe comme législation, ces travailleurs sont sur le carreau et les
ordonnances selon nos lois ne sont pas respectées.
Un deuxième volet, une entreprise un peu plus grande; pour ne pas
la nommer, le Château Mirabel qui fait partie des hôtels du
Pacifique Canadien, lequel fonctionne à plein rendement actuellement
malgré une grève légale de ses employés. Il y a des
briseurs de grève de toutes sortes. Est-ce que ce genre de cas, encore
une fois - une grande et une petite entreprise - est-ce que ce sont des cas
d'exception ou est-ce que ce sont des cas nombreux dans votre...
M. Laberge: On en a souvent. M. Aimé Gohier pourrait vous
en nommer plusieurs de chez lui: des foyers et des choses semblables où
exactement la même chose s'est passée. Cela prend des mois et des
mois et cela prend toutes sortes de procédures.
Encore une fois, ce qui me fait peur dans cela... Rappelons-nous
pourquoi cela a été adopté. Cela a été pour
clarifier le climat des relations industrielles au Québec. Cela a
été réussi jusqu'à un certain point. Mais, avec ce
qui se passe actuellement, si on n'a pas des amendements au code pour venir
boucher ces trous béants, il y a danger qu'on retombe dans la même
poutine. Encore une fois, j'espère qu'on se souvient de ce que
c'était.
M. Dean: Merci, M. Laberge.
Le Président (M. Blouin): Merci. M. le
député de Sainte-Marie.
M. Bisaiilon: M. le Président, je vais céder mon
droit de parole. J'avais des questions à poser sur l'arbitrage et le
président de la FTQ y a déjà répondu. Alors, je
vais donner ma place à d'autres.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le
député de Sainte-Marie.
M. le député de Vachon.
M. Bisaiilon: M. le Président, sauf que
j'aimerais savoir de la part du député et adjoint
parlementaire à combien de temps remontent les exemples dont il nous a
parlé, qui se sont passés dans son comté? Est-ce que ce
sont des exemples récents? C'est juste pour ma bonne
compréhension.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Sainte-Marie.
M. Dean: Les deux derniers cas, c'est actuellement.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Vachon.
Oui, d'accord. Le député de Sainte-Marie a passé
son tour pour respecter le principe de l'alternance. J'accorderai la parole
plutôt au député d'Outremont.
M. Fortier: Bon, c'est à mon tour.
M. le Président, je voulais poser des questions à M.
Laberge sur la loi antibriseurs de grève. Je crois que vous étiez
ici ce matin lorsque les municipalités ont fait état de leurs
problèmes, qui sont différents, j'imagine, de ceux de
l'entreprise manufacturière ou de l'entreprise en général.
Elles nous disaient que, pour maintenir certains services, essentiels à
leurs yeux, la loi n'était pas acceptable. Par ailleurs, le Conseil du
patronat faisait allusion à l'exemple qui constitue peut-être une
exception, mais à l'exemple de la Baie-James. Ces gens disaient: Si la
loi, telle que rédigée maintenant, avait existé il y a
quelques années lorsque les cuisiniers de la Baie-James ont fait la
grève, à ce moment, on aurait dû fermer tout le
chantier.
Vous avez dit que la loi n'allait pas assez loin, du moins en ce qui
concerne les municipalités ou les chantiers éloignés, ou
je ne sais pas. Quels sont vos commentaires par rapport aux remarques de
l'Union des municipalités en particulier?
M. Laberge: Je pense que l'Union des municipalités
mélange deux lois très différentes. Si la loi sur les
services essentiels n'est pas efficace selon elle, il devrait y avoir des
amendements à cette loi. Cela n'a rien à voir avec les mesures
antibriseurs de grève. Nous croyons aux services essentiels. Chaque fois
que nous avons eu l'occasion de nous présenter devant une commission
parlementaire, chaque fois qu'il y a eu menace, nous avons toujours pris
position carrément. Il faut que les services essentiels soient
maintenus. Il peut y avoir désaccord évidemment sur ce qui,
à nos yeux et aux yeux des autres, constitue des services
essentiels.
On a essayé plusieurs formules qui n'ont pas toutes
été très heureuses. Par exemple, on a déjà
nommé un commissaire qui avait décidé que, comme services
essentiels en temps de conflit, cela prenait exactement 112% des
employés qu'il y avait en temps normal. Je reconnais que vous ne lui
avez pas donné de médaille de l'efficacité, mais il reste
que ce genre de choses nous rend la vie impossible. Les services essentiels
doivent être maintenus. Si l'Union des municipalités veut faire
amender la loi sur les services essentiels, nous reviendrons en commission pour
étudier cela. Maintenant, l'affaire de la Baie-James. Si, un jour ou
l'autre, il y a grève dans l'industrie de la construction, pas un seul
entrepreneur ne voudra y aller, même si vous lui en donnez la
possibilité. Dans la construction, on sait au moins une chose: les
entrepreneurs sont des gens aussi carrés, aussi francs et aussi durs que
le sont les travailleurs. Mais s'il y a eu négociation de bonne foi et
que, à un moment donné, il n'y a pas entente et qu'il y a
grève légale, les entrepreneurs qui essaient de jouer
là-dessus sont assez rares. Je pense que c'est un très mauvais
exemple.
M. Fortier: En ce qui concerne les services essentiels, les
exemples qu'on a eus à Montréal en particulier n'ont
malheureusement pas été très valorisants...
M. Laberge: ...vous dites?
M. Fortier: ...en ce qui concerne les services essentiels.
M. Laberge: Oui, oui. Dans quoi?
M. Fortier: Je veux dire que les exemples qu'on a connus dans le
transport à Montréal et dans... Malheureusement, je crois qu'on
doit constater que cette loi... Je ne sais pas si le gouvernement a d'autres
idées en tête pour l'améliorer, mais, jusqu'à
maintenant, force nous est de constater que, même si vous dites qu'il
faudrait la modifier, dans plusieurs cas, jusqu'à maintenant, pour des
raisons X, Y, Z, on n'a pas eu des résultats très heureux de ce
côté.
C'est pour cela que, lorsque l'Union des municipalités nous
disait qu'en particulier lorqu'il y a des fuites dans le réseau
d'aqueduc, cela pouvait mettre en danger la santé publique et tout
cela... Enfin, pour certaines personnes, cela peut ne pas être un service
essentiel, mais ces gens disent: Pour pouvoir maintenir ce service ou pour
l'enlèvement de la neige en hiver, c'est sûr, à ce moment,
que cela donne une importance prédominante au syndicat qui
déciderait de déclencher une grève en hiver, en
particulier lorsqu'il y a une tempête de neige.
M. Laberge: Je pense que tout le monde va se rendre à
l'évidence que, pour qu'une loi soit respectée, il faut d'abord
que les parties se respectent et il faut que tout
le monde soit d'accord sur le fait que c'est une loi respectable, que ce
soit l'Union des municipalités, une commission de transport ou... Quand
bien même vous auriez la plus belle loi au monde sur les services
essentiels - je sais qu'il y a eu des arrêts de travail illégaux -
il y a des pays où ils ont enlevé le droit de grève et
cela n'a pas empêché les grèves.
Quand il y a des conditions assez mauvaises qui font que les
travailleurs ne peuvent plus endurer la situation, il y aura grève,
qu'ils aient le droit de la faire ou non et rappelez-vous - j'ai toujours
été de cette opinion - que, lorsqu'une grève est
légale, lorsqu'une grève est faite selon les normes, il devrait y
avoir une très grande différence afin que nous ayons les moyens
d'encourager nos gens à subir les délais, à se conformer
aux complexités de la loi afin qu'ils puissent voir la différence
entre une grève légale et une grève illégale.
M. Fortier: Vous avez dit, tout à l'heure, que ce qui
restait à syndiquer au Québec, c'étaient plutôt des
petites compagnies, je devrais dire des petits groupes. Vous avez dit...
M. Laberge: ...
(18 h 15)
M. Fortier: Vingt, cinquante ou une centaine de personnes.
À ce sujet-là, j'essayais de faire la relation avec certains de
vos commentaires, surtout en ce qui concerne les briseurs de grève. Vous
faisiez allusion à un hôtel en particulier. Vous parliez de la
violence et j'avais de la difficulté à concilier les deux parce
que, dans de petits endroits, j'imagine que... Vous dites ici dans votre texte
- vous parlez des mesures antibriseurs de grève - "Leur faiblesse
continuera d'être une entrave au libre exercice du droit de grève
et continuera de pousser les travailleurs au désespoir ou à la
violence." Dans ces petits groupes-là, par définition, c'est
assez rare que la violence s'installe. On parle plutôt de plus grosses
compagnies...
M. Laberge: Vous avez raison, c'est assez rare.
M. Fortier: À ce moment-là, à moins que la
violence ne vienne d'ailleurs ou qu'elle ne s'organise...
M. Laberge: Vous avez raison, c'est assez rare. Il faut une
compagnie qui a pas mal d'argent pour engager des professionnels briseurs de
grève. Pour votre information, on les paie deux ou trois fois plus cher
que les travailleurs normaux. Il faut que les compagnies aient de l'argent pour
engager ces gens-là.
M. Fortier: Vous ne croyez pas que cela puisse arriver des deux
côtés?
M. Laberge: Enfin, je ne connais pas de syndicat qui a assez
d'argent pour en engager. Habituellement, on n'en a pas besoin.
M. Fortier: Malheureusement, on doit suspendre les travaux. Je
veux juste terminer par une question.
Le Président (M. Blouin): M. le député
d'Outremont, si l'ensemble des membres de la commission est d'accord, il reste
trois autres intervenants qui m'ont indiqué que leur intervention
était très brève; alors, nous pourrions terminer vers 18 h
30 et revenir à 20 heures avec un autre groupe.
M. Fortier: On parlait du climat social, de la violence, en
particulier. Je crois que cela est vrai en ce qui concerne les grèves et
le climat social. Je crois que, ces dernières années, le climat
social, le nombre de grèves ou le nombre de jours perdus est moins
considérable dans le secteur privé que dans le secteur public. Je
crois qu'on l'oublie de façon trop générale. Le
gouvernement ayant l'autorité législative, il fait ses propres
règles et on extrapole à partir de cela pour imposer d'autres
règles au secteur privé.
La question que j'aimerais vous poser concerne la violence, en
particulier. Vous avez entendu le Conseil du patronat nous dire que, quant
à lui, les mesures que nous avons au Québec sont beaucoup plus
rigoureuses que celles qui existent dans d'autres provinces, à
l'exception peut-être de la Colombie britannique où il y a quelque
chose de semblable. Selon l'expérience que vous avez, après avoir
visité les autres provinces, est-ce que nous avons un potentiel de
violence plus aigu que celui d'autres provinces? Comment se fait-il que, dans
les autres provinces, si elles n'ont pas une loi semblable, elles puissent s'en
tirer avec une violence moindre? Est-ce que votre conclusion là-dessus
n'était pas un peu hâtive? J'ai de la difficulté à
concilier les deux.
M. Laberge: Non, je pense qu'il y a des chiffres très
éloquents. En Colombie britannique, en Ontario - ce sont des provinces
qui se comparent quand même un peu au Québec - il doit y avoir six
à sept fois moins de renvois pour activités syndicales qu'au
Québec. Il doit y avoir six à sept fois moins de briseurs de
grève. Allez faire un tour en Colombie britannique. Quand une
grève est légale, c'est fermé. On ne joue pas avec cela.
Si c'est vrai que le mouvement syndical au Québec a peut-être
été un peu plus turbulent que le mouvement syndical ailleurs, je
pense qu'il y a peut-être
eu plus de provocation de la part des employeurs du Québec qu'il
n'y en a eu ailleurs.
M. Fortier: Là, vous...
M. Laberge: En Colombie britannique ou en Ontario, les chiffres
sont très éloquents.
M. Fortier: Si ce que vous dites est vrai, je l'accepte. Vous
voyez la situation dans laquelle cela nous met sur le plan du
développement économique. Je dois admettre que la réponse
que vous nous avez donnée tout à l'heure ne m'a pas satisfait
personnellement, parce qu'on veut tous avoir des investissements au
Québec, pas seulement des Québécois, mais aussi de ceux
qui peuvent venir de l'extérieur. Le gouvernement parle avec raison du
virage technologique. Cela veut dire qu'il y a des industries à haute
technologie - je suis sûr que mon collègue de Brome-Missisquoi
parlerait de Bromont avec IBM et tout cela - et si, à ce
moment-là, des gens sont habitués à aller dans d'autres
provinces canadiennes où il n'y a pas ces lois-là, ils ont un
choix à faire entre venir au Québec et aller ailleurs. Ils
s'aperçoivent que nos lois, pour les raisons que vous venez d'indiquer
et les pressions que vous mettez vous-mêmes sur le gouvernement, doivent
être plus contraignantes. J'espère que vous comprenez que, pour
ces investisseurs potentiels, cela aura un effet plutôt négatif
sur la possibilité de leur venue au Québec. Je me demandais si
votre commentaire était que ce genre de loi que vous demandez - de toute
évidence, vous avez fait beaucoup de pression sur le gouvernement pour
l'avoir -va améliorer notre développement économique alors
qu'on se rend compte qu'avec le chômage que nous avons et le virage
technologique que nous voulons assurer, nous avons besoin des investisseurs du
Québec et que nous avons peut-être aussi besoin d'investisseurs de
l'étranger. S'ils voient que nos lois sont plus contraignantes, cela
peut avoir un effet négatif. J'aimerais avoir vos commentaires
là-dessus.
M. Laberge: En fait, à la FTQ, je peux vous dire que, par
le truchement de nos affiliés, nous avons assurément le plus de
conventions collectives avec ce qu'on appelle les multinationales, avec des
employeurs pancanadiens. Sauf quelques rares exceptions, c'est avec eux qu'on a
le moins de problèmes. Ils ne trouvent pas cela plus contraignant de
négocier avec le syndicat de l'automobile au Québec qu'avec le
syndicat de l'automobile en Ontario. Je peux vous dire avec assurance que c'est
nous qui avons la vaste majorité des conventions collectives avec les
employeurs pancanadiens ou les multinationales. Il y a eu une exception
notable, la United Aircraft, mais elle a des difficultés pires à
Hartford, Connecticut. Ce n'est pas parce qu'elle était au Québec
qu'elle avait des problèmes, elle avait des problèmes pires
là-bas.
M. Fortier: Enfin, on ne parle certainement pas aux mêmes
personnes, parce que, lorsqu'on parle aux gens de l'Association des
manufacturiers canadiens, qui vont venir ici ce soir, et aux gens qui ont des
entreprises en Ontario et au Québec, ils nous disent que cette
loi-là, en particulier, les fait beaucoup hésiter.
J'apprécierais vos commentaires à ce sujet.
M. Laberge: Je suis bien convaincu qu'ils ne vont pas venir ici
pour dire qu'ils vont applaudir parce qu'il y a des amendements
d'apportés au code. Je ne suis pas prêt à vous dire non
plus qu'ils vont augmenter leurs investissements à cause de cela. Mais
vous savez, quand on veut s'opposer à quelque chose, il faut bien qu'on
trouve des arguments. En fait, quand vous regardez les amendements, il faut
prendre une loupe très puissante pour trouver quelque chose
d'extraordinairement contraignant là-dedans.
M. Fortier: Ce que je retiens de ce que vous avez dit, c'est que
notre comportement syndical et patronal nous a amenés peut-être
là où on est et qu'il y aurait moyen d'éviter cela. En
tout cas, je laisse la parole à d'autres intervenants. Je vous
remercie.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Fortier.
M. Laberge: En fait, encore une fois, on pourrait vous envoyer
une copie de nos conventions collectives. Vous verriez que ce que je vous
affirme, c'est la pure vérité. On a des conventions collectives
et cela va bien. On a rarement d'accrochage.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Vachon.
M. Payne: Je vais être très bref. J'aurais plusieurs
questions, mais je vais m'en tenir aux dispositions antibriseurs de
grève, parce que le Conseil du patronat a été farouchement
contre, encore une fois, comme en 1977. C'était compréhensible,
donc il n'a pas changé d'avis depuis, malgré le fait que j'aie
sollicité une admission qu'au moins le climat s'est
amélioré. En ce qui concerne l'Opposition, elle est très
intéressée à "ploguer", si vous voulez, l'idée que
le climat économique va être affecté par ces propositions.
Mais, si on regarde les trous qui ont été créés
avec le jugement sur Shell, n'est-ce pas vrai, M. Laberge, que des situations
comme celle-là, répétées
maintenant avec Hilton et les raffineries de l'Est, c'est quelque chose
qui va sûrement être exploité de plus en plus à
l'avenir? C'est bien cela, j'imagine, à moins que je ne me trompe.
Voyant la société québécoise comme n'importe quelle
autre société, c'est quelque chose qui va aggraver terriblement
le climat. L'objet de la modification de 1977 était d'améliorer
cela.
Si le Conseil du patronat n'est pas assez honnête pour admettre
cela devant la commission parlementaire, je ne sais pas quels seront vos
commentaires là-dessus.
M. Laberge: Je ne trouve pas grand-chose à redire à
vos commentaires.
Le Président (M. Blouin): Cela va, M. le
député de Vachon?
M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Scowen: J'ai deux questions. La première concerne cette
partie sur les briseurs de grève. Je comprends que, dans une
grève, on recherche une espèce de rapport de forces entre les
deux parties. Les travailleurs paient déjà chèrement
pendant une grève parce qu'ils perdent leur emploi et qu'ils ne sont pas
payés. La compagnie, par contre, y perd aussi parce qu'elle n'est pas
capable de continuer à fonctionner. Vous avez dit, par exemple, que vous
ne trouviez pas normal - moi non plus - que la compagnie Trizec - c'est
l'exemple que vous avez cité, je pense que c'est un stationnement - ait
simplement remplacé les personnes en grève par d'autres personnes
et ait réussi à continuer de fonctionner très bien mercil
pendant que les employés se trouvaient sans emploi. C'était un
exemple que vous aviez soulevé pour justifier l'amendement que vous
proposez.
Il y a deux éléments que je ne comprends pas qui vont de
l'autre côté et sur lesquels j'aimerais avoir des explications.
Premièrement, c'est en ce qui a trait à cette idée qu'il
est possible qu'une grève d'une unité syndicale, à
l'intérieur d'une opération qui déborde de l'unité,
puisse créer de graves problèmes pour les autres travailleurs.
L'exemple qui a été cité aujourd'hui est celui du syndicat
de la cafétéria à La Grande qui s'est mis en grève
et, parce qu'on n'était pas capable de remplacer les travailleurs, il y
avait un paquet de gens dans les autres syndicats qui n'étaient pas
capables de travailler. Je me demande si ce n'est pas un autre
élément qui va dans l'autre sens, dans le sens où le
rapport de forces est peut-être brimé.
Le deuxième élément est - je vais vous donner les
deux aspects de cette première question en même temps - que je
connais personnellement des expériences où les travailleurs en
grève, parce que rien ne les empêche de chercher des emplois
pendant qu'ils sont en grève...
M. Laberge: Actuellement, il y a beaucoup de choses qui les
empêchent de faire cela.
M. Scowen: Excusez-moi, dans la plupart des cas, c'est
très difficile. Premièrement, dans le contexte actuel, c'est
extrêmement difficile, à part cela, très souvent, ce n'est
pas facile de trouver un emploi convenable a court terme. Cependant, il existe
des cas où des gens, surtout des gens avec des connaissances et des
compétences un peu plus élevées, peuvent facilement
trouver de l'emploi temporaire. Rien dans la loi ne les empêche de le
faire. Il est interdit pour la compagnie de remplacer les grévistes,
mais il n'est pas interdit pour les grévistes de chercher un autre
emploi. Ce sont simplement deux aspects de cette recherche d'équilibre
dans le rapport des deux forces qui m'inquiètent un peu. J'aimerais, si
vous le pouvez, que vous les justifiiez.
M. Laberge: Actuellement, il y a environ 80 000 à 100 000
travailleurs et travailleuses, chez nous, qui cherchent des emplois depuis un
an et demi.
M. Scowen: Je ne parle pas de...
M. Laberge: La possibilité, pour un gréviste...
M. Scowen: Non, mais je...
M. Laberge: ...de se trouver un emploi, pour le moment, est assez
limitée.
M. Scowen: Mais je ne m'attends pas que la crise reste
indéfiniment.
M. Laberge: D'accord. Maintenant, en ce qui concerne votre autre
considération, je vais essayer de vous expliquer cela de cette
façon: La grève la plus efficace serait une grève sauvage,
sans avis, sans délai, rien. Tu n'as pas besoin de mesures antibriseurs
de grève; tu n'as besoin de rien, parce que l'employeur n'a pas eu le
temps de se préparer. C'est la grève la plus efficace.
D'un autre côté, si on est pour avoir des lois et si on est
pour essayer de demander à tout le monde de respecter la loi - c'est un
peu ce que je disais tantôt - il faut qu'il y ait une différence
marquée entre une grève légale et une grève qui ne
l'est pas. Une des différences marquées, c'est justement cela,
parce que, pour une grève légale, vous êtes obligés
d'aviser. L'employeur vous voit venir 90 jours à l'avance. Il a le temps
de se préparer. Il a le temps de se trouver des personnes morales pour
vous remplacer si, à un moment donné,
il y a grève et s'il se produit des accrochages sur les lignes de
piquetage.
Laissez-moi vous conter une petite anecdote. C'était la Compagnie
Paquet, je pense, ici, à Québec, où il y avait eu deux
grèves; c'est cela? Il y a eu une grève avant que la loi 45 soit
adoptée et l'autre après. J'étais allé sur la ligne
de piquetage avec les femmes qui travaillaient à la compagnie de
Québec. Même moi, j'ai eu peur, et je ne suis pas du genre
peureux, mais j'ai eu peur. J'ai eu peur. C'était terrible, parce que
ces femmes étaient au désespoir et il n'y a rien de pire que des
gens qui deviennent désespérés, parce qu'elles voyaient
que leur emploi était foutu. Il y avait des briseurs de grève.
Ils faisaient fonctionner la compagnie. À ce moment-là, c'est
très difficile pour un représentant syndical qui est vraiment
responsable d'essayer de maintenir le climat calme et serein. Après
l'adoption de la loi 45, je suis retourné sur la ligne de piquetage - il
y avait eu une autre grève - et il y avait un choeur de chant absolument
magnifique. Tout s'est réglé dans la paix. Je n'essaie pas de
vous faire croire que, en adoptant l'amendement, nous serons au paradis. Je
pense qu'on n'est pas encore tout à fait au paradis au Québec. Il
y a votre collègue, vous êtes près du paradis, cela va.
C'est probablement le plus près que vous allez vous rendre. (18 h
30)
M. Scowen: Je n'ai pas besoin de vous dire que j'ai un paquet
d'amis qui sont à l'autre place aussi.
M. Laberge: Oui, j'en connais.
Le Président (M. Blouin): Oui, M. le
député.
M. Scowen: Vous avez répondu à mon anecdote par une
autre. Je vais vous poser la question très directe. Est-ce que vous
croyez que, dans le cas du concessionnaire pour la cafétéria
à la Baie-James, la compagnie, soit la SEBJ ou Crawley & McCracken,
doit avoir le droit de remplacer les personnes en grève légale
pour éviter que des centaines ou des milliers d'autres personnes dans
les autres unités affectées par cette grève ne soient
obligées d'arrêter de travailler?
M. Laberge: C'est une chose assez particulière. Je suis
bien heureux que vous me posiez la question. On n'a jamais eu besoin de parler
d'une loi pour les services essentiels dans le secteur privé. Je ne
connais aucun machiniste qui, avant de partir en grève, ne voyait pas
à huiler sa machine, à la couvrir pour être bien sûr
que, lorsqu'il reviendrait, la machine serait prête à fonctionner.
Cela s'est toujours fait. Il n'y a jamais eu de débat, que je connaisse,
dans un syndicat pour qu'il y ait des travailleurs qui entrent pour s'assurer
que le chauffage continuait de fonctionner pendant la grève. Cela s'est
toujours fait de façon automatique. C'est la même chose chez les
entrepreneurs en construction. Il n'y a jamais eu besoin d'une loi sur les
services essentiels dans le secteur privé.
M. Scowen: Vous avez le droit de ne pas répondre à
ma question, j'en conviens, mais je vais la répéter. Dans le cas
de personnes qui fournissent des services d'alimentation à des centaines
et des milliers d'autres personnes, est-ce que vous pensez qu'il doit y avoir
des dispositions dans la loi qui permettent à ces personnes fournissant
ces services essentiels - je pense que c'est essentiel de manger quand vous
êtes à la Baie-James comme ici - de continuer indéfiniment,
pendant la durée de la grève légale, de remplacer les
personnes qui fournissent ce service?
M. Laberge: Là, vous avez vraiment une bonne question.
Vous m'avez quasiment.
M. Scowen: Merci.
M. Laberge: Nous avons vécu l'expérience - Yves
Paré est dans le coin -il y a quatre, cinq ou six ans, alors que les
employés de Crawley & McCracken parlaient de déclencher la
grève. Il y a eu un phénomène assez extraordinaire. Comme
vous le dites, à la Baie-James, ce n'est pas comme le restaurant du coin
qui ferme à Québec. Les gens peuvent aller dans un autre
restaurant. À la Baie-James, si la cafétéria ferme, il n'y
a plus personne pour nourrir les travailleurs. De deux choses l'une: ou bien
ils trouvent quelqu'un pour continuer, ou bien le chantier doit fermer.
Cela avait été assez extraordinaire. Les travailleurs de
la construction disaient aux employés de Crawley & McCracken: Si
vous sortez, on vous appuie. On aura beau faire venir d'autres gens, on ne
restera pas. C'est assez extraordinaire. On ne restera pas et on ne se fera pas
nourrir par des "scabs". J'ai trouvé cela assez extraordinaire. Il faut
vous dire que là-bas, cuisine, chantier, c'est un tout. On ne peut pas
les diviser. C'est indivisible et là-dessus vous avez parfaitement
raison.
M. Scowen: Plutôt que de poser ma deuxième question,
je vais revenir à la charge une dernière fois sur la
première question parce que l'exemple de la Baie-James est très
clair. Il arrive assez souvent, même à Montréal, qu'une
compagnie fournisse un service unique. C'est, à toutes fins utiles, le
monopole peut-être pour un article qui est inutilisé dans une
autre usine, à titre d'exemple, où il n'y a pas d'autre
fournisseur possible. L'effet d'une grève légale dans la
compagnie À a l'effet d'obliger la compagnie B à cesser ses
activités.
M. Laberge: C'est déjà arrivé.
M. Scowen: Alors, c'est dans ces cas-là que je suis
préoccupé par cette égalité du rapport de forces.
Il y a des gens qui ne sont pas en cause et qui sont affectés parce que
la compagnie en grève légale n'est pas capable de continuer de
fournir ses clients qui ont besoin de cela et qui n'ont pas d'autre choix.
M. Laberge: Je vais essayer de répondre plus clairement
à votre question. C'est arrivé et pas seulement une fois. C'est
tellement arrivé que, dans les constitutions, les statuts de nos
syndicats, tel le syndicat de l'automobile, celui des machinistes, celui des
employés de... Enfin, je pourrais vous nommer plusieurs de nos
syndicats. Les travailleurs empêchés de travailler parce qu'un
autre groupe est en grève peuvent recevoir des bénéfices
de grève de leur syndicat comme si c'étaient eux qui
étaient en grève. Nous avons cela dans nos statuts. C'est pour
vous montrer que c'est arrivé.
M. Scowen: Mais la compagnie - il y a les deux parties - est
affectée.
M. Laberge: Évidemment.
M. Scowen: Est-ce que le syndicat n'ira pas aussi loin que de
dire qu'il va garantir les profits de la compagnie qui est affectée? Je
pense...
M. Laberge: Je m'excuse, je n'ai pas saisi.
M. Scowen: Merci, je pense que j'ai la réponse, même
si vous ne répondez pas.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Sainte-Anne, vous avez la parole, en conclusion.
M. Polak: M. le Président, je ne veux pas prendre l'odieux
d'être celui qui retarde l'affaire. Alors, ma question va être
très courte. J'aurais eu beaucoup plus de choses à dire si j'en
avais eu le temps.
M. Laberge, l'histoire se répète. Je me souviens que, la
première fois où je vous ai rencontré, il y avait cette
enquête parlementaire sur les services essentiels. Lorsque je vous ai
rencontré la deuxième fois, on a fait la grève ensemble;
vous vous souvenez que, lorsque vous marchiez contre le gouvernement,
j'étais avec vous? C'était il n'y a pas longtemps.
Mais, aujourd'hui, après avoir entendu le mémoire du
côté patronal et ensuite celui du côté syndical, je
me demande où est la vérité. Je trouve que, si on regarde
le côté patronal, avec ce projet de loi-là, cela va
être la fin de toutes les petites entreprises, cela va être
très dangereux pour l'économie québécoise. Si on
écoute votre point de vue, il n'y a rien là. C'est seulement un
début et vraiment, vous cherchez beaucoup plus que cela. On
espère que le gouvernement est objectif; par la question du
député de Prévost, je ne pense pas qu'il soit bien
objectif, mais disons qu'il l'est. Seriez-vous prêt... Si c'est vrai, du
côté patronal, il y a tout de même un certain danger. Le mot
"Cornwall" - je ne suis pas hystérique, mais tout de même - cela
me fait un peu peur de perdre des emplois, etc. Seriez-vous prêt à
faire quelques concessions? Sur le point de vue du délai, je suis
d'accord avec vous: c'est scandaleux, et ce n'est pas cela qui va nuire
à l'économie. Mais, sur d'autres choses qui peuvent affecter
l'aspect économique, seriez-vous prêt à faire des
concessions?
M. Laberge: Vous allez être d'accord avec moi que toute
législation contraignante quelque peu, que ce soient la Loi sur la
santé et la sécurité du travail, que ce soit les normes
minimales de travail, cela peut toujours servir d'excuse en disant: Cela va
être un frein aux investissements. C'est bien sûr que c'est vrai
que le Québec n'est pas un paradis où un employeur peut arriver
et s'attendre à ramasser l'argent à la pelletée. Il y a
des contraintes qu'il lui faut respecter. C'est un fait. Je ne suis pas
prêt à dire que les employeurs nous mentent quand ils le disent,
et cela peut avoir comme effet de faire peur à certains investisseurs.
C'est possible, mais quelle serait la solution? "Scrapper" le Code du travail,
la loi 17?
M. Polak: Je voudrais savoir si, à un moment donné,
chacun devait mettre un peu d'eau dans son vin, si vous seriez prêt
à le faire?
M. Laberge: S'il y a un doute entre les deux, vous savez que les
représentants du peuple - vous en êtes, nous en sommes -c'est nous
qui avons la vérité.
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Polak: Donc, je peux répondre... Ma dernière
question...
Une voix: II n'a pas compris, il n'écoute pas.
M. Polak: Quelqu'un de mon comté de Sainte-Anne m'a
demandé: Voulez-vous poser une question à M. Laberge, parce qu'il
est honnête? C'est ce qu'on m'a dit dans le
comté de Sainte-Anne. Est-ce que le projet de loi 17 est un
cadeau du gouvernement péquiste à M. Laberge? Les gens m'ont
demandé de vous poser cette question. Qu'allez-vous répondre?
M. Laberge: Si c'était cela, je serais obligé de
vous dire qu'il n'est pas bien généreux.
Des voix: Ah! Ah! Ah!
Le Président (M. Blouin): Je remercie les
représentants de la FTQ au nom de tous les membres de la commission. M.
le ministre.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Laberge et messieurs les
vice-présidents, merci de votre présence.
Le Président (M. Blouin): Sur ce, nous ajournons nos
travaux.
M. Laberge: M. le Président, on remercie les membres de la
commission. M. le ministre, je veux vous remettre cette lettre et...
M. Polak: ...votre correspondance privée.
M. Laberge: Certainement.
Le Président (M. Blouin): Je signale que nous entendrons
la Confédération des syndicats nationaux à 20 heures et
sur ce, nous suspendons nos travaux.
(Suspension de la séance à 18 h 40)
(Reprise de la séance à 20 h 10)
Le Président (M. Blouin): La commisson élue
permanente reprend ses travaux et déjà les représentants
de la Confédération des syndicats nationaux ont pris place
à la table des invités. J'invite donc les responsables de cette
centrale, pour les fins du journal des Débats, à s'identifier et
ensuite à nous livrer le contenu de leur mémoire.
Confédération des syndicats
nationaux
M. Mercille (Pierre): Merci beaucoup. M. le Président, M.
le ministre, messieurs et madame les députés, au début, je
voudrais vous informer que je suis accompagné du responsable du service
d'organisation de la CSN, M. Clermont Bergeron, à ma gauche, et aussi du
responsable du service juridique de la CSN, M. Clément Groleau. S'il y a
quelques questions concernant la question juridique ou des questions
particulières concernant la pratique, Clermont ou Clément
répondront à des questions pertinentes. Je voudrais aussi vous
présenter le président du syndicat Menasco qui est en lock-out
depuis neuf mois, M. Charles Levasseur, qui nous a accompagnés pour
assister à cette commission parlementaire sur la réforme du Code
du travail.
Pour débuter, M. le Président, au niveau de notre
mémoire...
Le Président (M. Blouin): Voulez-vous vous identifier
vous-même?
M. Mercille: Je suis Pierre Mercille, vice-président,
responsable du service d'organisation, du service des grèves et du
service juridique de la CSN.
Le Président (M. Blouin): Très bien.
M. Mercille: En déposant le 19 mai le projet de loi 17 en
première lecture à l'Assemblée nationale, le ministre du
Travail a déclaré vouloir répondre à certaines
urgences, mais, dès l'automne prochain, un processus de révision
en profondeur du Code du travail sera entamé. C'est cette réforme
en profondeur qui nous intéresse davantage parce qu'il y a urgence
à adopter un régime d'accréditation et de
négociation pouvant permettre d'augmenter la syndicalisation dans
certains secteurs faiblement syndiqués et de déjudiciariser les
relations de travail, d'accélérer le processus
d'accréditation. "Dans l'état actuel de la législation, le
droit d'association ne constitue souvent qu'une illusion pour des milliers de
travailleurs québécois et travailleuses qui, majoritairement,
décident de se constituer en syndicats. Souvent, des embûches
légales et des délais interminables découragent
l'accomplissement de cette volonté." Bien qu'elle pourrait facilement
nous être attribuée, cette déclaration n'est pas de nous,
mais du ministre du Travail lui-même, lors de la présentation de
son projet de loi 17.
En effet, nous savons par notre expérience quotidienne que les
obstacles à l'exercice de ce droit sont de plus en plus nombreux, de
plus en plus difficiles à surmonter. Il nous apparaît utile de
rappeler que le droit d'association, s'il est la pierre angulaire du Code du
travail, est aussi un des fondements principaux de toute société
démocratique. Nous croyons que le bill 17 contient des modifications
intéressantes auxquelles nous apportons une critique portant sur
certains articles. Toutefois, la viabilité des modifications nous
apparaît fragile; en conséquence, nous proposons un Code du
travail qui, à nos yeux, répondrait davantage aux
déficiences du code actuel. Ce code est inspiré largement du
premier projet élaboré au ministère du Travail.
Depuis quelques années, le patronat a considérablement
raffiné ses tactiques pour élargir les mailles du filet et
restreindre encore davantage les possibilités d'accès à la
syndicalisation. À un point tel que nous avons pris l'habitude de dire
que le droit d'association est un droit qui doit encore s'exercer dans la
clandestinité. Le scénario de plus en plus fréquent
rencontré dans l'organisation d'un nouveau syndicat se résume
ainsi: dépôt de la requête en accréditation du
syndicat CSN; objection de l'employeur sur l'unité de négociation
demandée, ce qui entraîne automatiquement une audition devant le
commissaire du travail et conséquemment un sursis pour l'employeur;
congédiement ou mise à pied sélective ou massive des
militants et militantes du syndicat; intervention d'un syndicat de boutique;
abus des lenteurs administratives du ministère du Travail et des
procédures juridiques, ce qui a pour effet de décourager les
membres encore au travail et de permettre à l'employeur de
répandre sa propagande et ses pressions en faveur d'un syndicat de
boutique; ordonnance du vote par le commissaire du travail plusieurs mois plus
tard et souvent, à cause des désaffectations
entraînées par tous ces délais, le syndicat n'est pas
accrédité.
Un autre scénario utilisé fréquemment par les
employeurs consiste à s'opposer à l'unité de
négociation visée par un syndicat authentique, alors qu'il donne
son accord à l'unité de négociation demandée par un
syndicat de boutique. À cet égard, nous croyons que les
modifications proposées par le projet de loi 17, article 28c du code,
devraient sensiblement modifier cette pratique déloyale. Mais, plus
important encore, nous croyons que la meilleure façon de contrer cette
tactique patronale est d'inscrire, au Code du travail, une présomption
de pertinence de l'unité demandée par le syndicat
requérant, sauf évidemment si le commissaire du travail estime
qu'à sa face même une telle unité ne pourrait permettre la
réalisation des objectifs décrits par ce code.
Nous présumons que le ministre cherche effectivement à
juguler cette plaie en introduisant dans le code une disposition qui rend
irrecevable, dans le cas d'un groupe non syndiqué, une deuxième
requête en accréditation. Nous soumettons que l'intention
visée a de fortes chances d'être très facilement
évitée par les employeurs si le texte de l'article 27.1 reste le
même que celui déposé en première lecture. En effet,
il nous apparaît important que ce gel du recrutement et des
procédures qui s'ensuivent ne s'applique que dans les cas où la
première requête est appuyée par un caractère
représentatif de 50% plus un des salariés compris dans
l'unité de négociation demandée.
Les congédiements pour activités syndicales demeurent une
arme favorite des employeurs pour contrer une tentative d'organisation par une
centrale syndicale. Cette pratique déloyale est d'ailleurs tellement
répandue que nous avons pris l'habitude, au service d'organisation de la
CSN, de prévenir ceux et celles qui viennent nous voir pour se syndiquer
qu'ils risquent fortement d'être victimes de congédiement. Encore
là, nous croyons voir dans certaines modifications proposées par
le ministre une certaine volonté de réduire ces pratiques
déloyales. L'expérience quotidienne nous démontre que
l'objectif premier de l'employeur qui congédie la militante ou le
militant qu'il soupçonne d'être favorable à la formation du
syndicat, c'est purement et simplement en vue d'intimider les autres
employés et de leur donner une leçon. De plus, l'exclusion de
l'entreprise de ces militants et de ces militantes qui, à toutes fins
utiles, constituent le lien entre l'organisation syndicale et les membres,
permet à l'employeur de priver ceux-ci de leurs leaders syndicaux.
La majorité des employeurs savent fort bien que le fait de ne pas
respecter ces règles ne peut leur entraîner de condamnation avant
plusieurs mois et qu'il peut leur être davantage profitable de la violer
maintenant, quitte à payer plus tard. C'est ainsi que la plupart
n'hésite guère à se placer dans la plus parfaite
illégalité en congédiant la ou les personnes dont la
crédibilité et l'engagement syndical sont gages de
réussite dans la formation du syndicat. Leur seul risque est de devoir
éventuellement verser une indemnité, réduite des gains
faits ailleurs par la victime de congédiement. La plupart
considère que le risque en vaut la chandelle. Nous n'avons absolument
pas la conviction que d'ajouter des intérêts à cette
indemnité ou de menacer les contrevenants de la possibilité de
peine pénale contre eux les en dissuadera. La seule véritable
protection pour les salariés consisterait en l'application d'une
règle de statu quo ante.
La vente ou l'aliénation d'une entreprise ou d'une partie de
l'entreprise constitue un autre moyen efficace dont dispose l'employeur pour
faire obstacle à la syndicalisation. L'octroi de sous-contrat est devenu
un moyen utilisé par les employeurs pour diviser les travailleurs et les
travailleuses, multiplier les certificats d'accréditation, multiplier le
nombre des négociations et donc diminuer les rapports de forces.
La Cour d'appel, dans la cause de Roy C. Adam a décidé
qu'un nouvel employeur lié par le certificat d'accréditation en
vertu de l'article 45 n'était cependant pas lié par une
décision ordonnant la réintégration d'un ou des
employés congédiés par l'ex-employeur.
Comme vous vous en doutez, il est devenu facile pour un employeur de
congédier et de vendre son entreprise et cette dernière est
dégagée de toute responsabilité pour ses
congédiements illégaux. Voilà un exemple d'un autre trou
béant de notre Code du travail. La lettre l'emporte sur l'esprit.
Nous estimons que la réforme en profondeur promise par le
ministre devra résoudre cet aspect important des relations du travail et
permettra une véritable protection du droit d'association.
Ceci nous amène à parler d'une autre source importante de
délai et d'incohérence juridique: le pouvoir d'intervention des
tribunaux de droit commun dans le processus d'accréditation. Les
employeurs qui en ont les moyens ne se gênent pas pour en abuser,
même si parfois ces moyens proviennent de la poche des contribuables
comme c'est le cas à l'Université de Montréal. Cela
crée des situations pour le moins surprenantes et très farfelues.
Prenez le cas du syndicat de Simpsons qui attend encore son certificat
d'accréditation plus de sept ans après avoir déposé
sa requête majoritaire. Cela crée aussi des incohérences,
pour ne pas dire des loufoqueries, comme la suivante. Dans la même cause
de Simpsons, la Cour d'appel a donné la permission à l'employeur
d'examiner les cartes d'adhésion au syndicat, malgré une
interdiction expresse à cet effet dans le Code du travail, tandis que,
dans le cas des chargés de cours de l'Université de
Montréal, la Cour supérieure vient d'invalider le certificat
d'accréditation accordé par le Tribunal du travail, parce que le
syndicat, en accord avec le commissaire du travail au dossier, a eu la liste de
ceux qui, à une date précise, n'avaient pas encore
retourné leur bulletin de vote par courrier. Autrement dit, la Cour
d'appel a permis, à la faveur de l'employeur, la violation de la
confidentialité de l'adhésion syndicale prévue à
l'article 36 du Code du travail, tandis que la Cour supérieure a puni le
syndicat, en plus de renverser les décisions des instances
spécialisées en droit du travail, parce qu'il avait pris les
moyens de faire respecter l'article 38 de ce même Code du travail.
Il faut également noter que ce pouvoir interventionniste s'exerce
de plus en plus aveuglément par les juges de la Cour supérieure
et de la Cour d'appel du Québec, lesquels considèrent davantage
siéger en appel des décisions du commissaire du travail et du
Tribunal du travail ou des arbitres de griefs et évacuent ainsi leur
véritable rôle qui est de surveiller le respect des juridictions
de ces tribunaux inférieurs. Ce vaste pouvoir se fait également
dans le mépris des juridictions spécialisées en droit du
travail, comme nous avons pu le constater dans l'affaire Simpsons et des
chargés de cour, de l'Université de Montréal.
Pour terminer sur cet aspect, soulignons que, récemment, la Cour
d'appel a refusé la requête pour permission d'en appeler dans la
cause des chargés de cours de l'Université de Montréal,
nous disant qu'il ne s'agissait pas d'une affaire exceptionnelle et que l'on
devait, par conséquent, procéder au mérite devant la Cour
supérieure, ce qui signifie un délai additionnel d'une autre
année.
Ces deux exemples illustrent assez bien le genre d'embûches que
les travailleurs et travailleuses doivent surmonter lorsqu'ils veulent faire
reconnaître leur droit à négocier collectivement leurs
conditions de travail.
Nous tenons à préciser notre point de vue sur certains
articles du projet de loi 17.
Article 1. Nous croyons nécessaire d'élargir la notion de
salarié pour inclure un entrepreneur indépendant, comme le
prévoit d'ailleurs déjà le code canadien. Cette notion
devrait s'appliquer aux pigistes ou à tous les travailleurs et
travailleuses qui doivent fournir un équipement: livreurs en camion,
travailleurs forestiers qui possèdent un équipement lourd. C'est
le même exemple qui avait été donné par M. Laberge
cet après-midi concernant les travailleurs forestiers.
Article 3. La déduction du salaire qu'une personne
congédiée ou suspendue a pu gagner dans une autre entreprise est
source d'iniquité pour les salariés et est une
échappatoire pour les employeurs. Il faudrait, par conséquent, ne
pas déduire ces gains de l'indemnité accordée par le
commissaire. En effet, dans certaines circonstances, un congédié
s'étant expatrié à la Baie-James, par exemple, pourrait
voir son indemnité considérablement réduite ou même
devenir nulle à cause d'un salaire plus élevé. En outre,
certains dommages identifiables, comme le fait de devoir se déplacer, de
travailler de soir ou de nuit, devraient être compensés par une
indemnité majorée.
À l'article 5, le seul dépôt de la plainte devrait
constituer l'établissement de la présomption et obliger, en
conséquence, l'employeur à démontrer qu'il a satisfait
à son obligation en congédiant ou en suspendant pour une autre
cause juste et suffisante, compte tenu de toutes les circonstances de
l'affaire.
À l'article 7, nous croyons qu'il serait plus sain de reprendre
ici la formulation de l'article 100.15 de l'actuel Code du travail.
À l'article 11, il est essentiel d'ajouter au texte, pour
préciser, que le commissaire général peut dessaisir "pour
cause" un commissaire d'une affaire.
À l'article 12, les lenteurs administratives - nous recevons
actuellement des accusés de réception qui datent jusqu'à
trois semaines - ne doivent pas être assumées par les travailleurs
et travailleuses ni leurs organisations. Cela irait à l'encontre de la
volonté de réduire les délais. Nous
demandons donc le maintien de la disposition actuelle du code.
À l'article 13, nous estimons essentiel de préciser que
cet article ne puisse avoir effet qu'en faveur d'une association
requérante qui possède le caractère représentatif,
c'est-à-dire 50% plus un. Car autrement, une association
requérante représentant plus de 80% des salariés
visés devrait subir un délai du seul fait d'un dépôt
antérieur fait par 10% des salariés visés. En
conséquence, l'article 40 du code actuel, en ce qui a trait au
délai de carence de trois mois, doit être modifié pour ne
pas pénaliser une association requérante. L'article 32 devrait
également être modifié pour spécifiquement exclure
le deuxième requérant du débat.
Le texte devrait préciser si c'est en termes de jour ou d'heures
que s'applique cette règle. Quant à nous, nous croyons
nécessaire d'établir que c'est en termes de journées que
cette règle devrait s'appliquer. Quant au deuxième alinéa,
il faut absolument ajouter: "ou à la date de la mise à la poste
par courrier recommandé". Car personne ne contrôle la
réception, au bureau du commissaire général. Cette
règle établit un déséquilibre à l'avantage
des régions proches des bureaux du commissaire général.
Également, un patron pourrait embaucher d'autres salariés entre
l'envoi et la réception d'une requête en accréditation, ou
encore un autre syndicat requérant pourrait aller déposer une
requête. Enfin, une requête peut toujours être perdue par un
tiers alors que le reçu de poste laisse une preuve écrite entre
les mains des requérants.
À l'article 14, cet article devrait comprendre l'obligation pour
l'employeur d'expliciter les raisons en détail et d'en transmettre copie
au syndicat requérant.
À l'article 16, nous préférons que l'article
établisse clairement que le commissaire "doit" plutôt que "peut
d'office et en tout temps soulever le non-respect de l'article 12."
À l'article 18, cet article devrait comprendre le pouvoir du
commissaire de refuser une intervention lorsqu'elle apparaît être
faite pour des fins dilatoires.
À l'article 20, l'association accréditée ne devrait
participer au vote qu'à la condition de représenter encore au
moins 35% des salariés visés.
À l'article 22, nous ne comprenons pas la suppression du
deuxième alinéa qui a son utilité et qui, parfois,
raccourcit les délais.
À l'article 25, nous nous opposons à cet article, car il
crée l'équivalent d'un appel sans délai. Sur simple
modification administrative, l'employeur pourra constamment retourner devant le
commissaire. De plus, le Code du travail actuel prévoit
déjà un mécanisme d'appel au Tribunal du travail. De
telles requêtes permises par le code canadien, qui ne comprend pas
d'appel à une autre instance, ont été strictement
limitées par une décision du conseil canadien qui a fixé
un délai de 30 jours d'une décision pour demander une
révision. Agir autrement ferait en sorte qu'il n'y aurait plus jamais de
situation finale. Il faudrait ajouter à l'énumération
apparaissant à l'article 49 du Code du travail les cas où le
commissaire aurait omis de convoquer une partie.
À l'article 27, nous croyons l'article 308 du Code de
procédure civile suffisamment limitatif. Toutefois, si cet amendement
était retenu, il faudrait à tout le moins exclure les cas
où le conciliateur est responsable de la rédaction d'une clause
de convention collective ou d'une recommandation.
Nouvel article: l'article 59 devrait être amendé pour dire
clairement que cette disposition protège toutes les conditions de
travail. En effet, plusieurs arbitres ont tendance a diminuer la portée
de l'article en jugeant que les modifications ne sont pas suffisamment
significatives. Le code devrait interdire, sauf dans les cas de force majeure,
toute modification sans le consentement écrit de toute association
requérante et de l'association accréditée, le cas
échéant. Il faudrait définir la notion de conditions de
travail de façon que celle-ci comprenne le maintien, la modification ou
l'abolition du lien d'emploi.
De l'arbitrage de différends. Nous nous opposons à la
modification de fond de ce chapitre. Pour établir une convention
collective, nous croyons important de maintenir un conseil constitué de
trois arbitres.
À l'article 49, nous demandons que le conseil ait
également le pouvoir d'établir les conditions de retour au
travail, le cas échéant. En effet, son intervention met fin au
conflit, mais souvent les séquelles du conflit persistent et ce n'est
pas une solution que de se référer à un autre arbitre qui
décidera plus tard de cette question qui pose un problème dans
l'immédiat.
Le chapitre sur l'arbitre de griefs. Nous exprimons notre accord sur
l'ensemble de ce chapitre. Toutefois, le code devrait prévoir, lorsque
les deux parties sont d'accord, la constitution d'un conseil composé
d'un président et de deux assesseurs. En conséquence, l'article
100 du projet de loi 17 devrait être modifié.
Et nous ajoutons ceci, qui n'est pas dans le texte: II pourrait y avoir
une autre formule. Par loi où l'on consacre que la règle, c'est
l'arbitre unique, cependant que, dans les quinze jours de la soumission
à l'arbitrage, les parties peuvent s'entendre pour nommer leur
assesseur. C'est-à-dire qu'on est prêt à formuler deux
propositions concernant les conseils d'arbitrage.
Toutefois, à l'article 74, nous croyons nécessaire
d'ajouter au paragraphe f de renvoi, de mise à pied ou de toute autre
fin d'emploi. De plus en plus, certains arbitres prétendent voir dans
une mise à pied ou un congédiement administratif autre chose
qu'un congédiement déguisé.
Enfin, une disposition devrait prévoir qu'une démission
n'est pas opposable, sauf si elle est rendue par écrit et dans la forme
prescrite par la convention collective, s'il y a lieu. (20 h 30)
À l'article 88, le paragraphe a devrait prévoir
l'interdiction d'utiliser une personne physique pour remplir les fonctions, en
totalité ou en partie, d'un salarié. En effet, certains juges
rétrécissent cette interdiction en exigeant que les fonctions
accomplies par cette personne soient substantielles. Il faudrait
également ajouter, lorsque cette personne a été
embauchée, ou lorsque ses services ont été
utilisés, pour prévoir tous les cas où, sans formellement
procéder à l'embauche, certaines personnes comme les
bénévoles sont utilisées. Le paragraphe b devrait
être modifié en supprimant "dans l'établissement où
la grève ou le lock-out a été déclaré".
D'abord, il n'est pas normal que certains employeurs, qui peuvent faire
produire en partie à l'extérieur de leur établissement,
puissent se soustraire à une obligation de la loi, "pool" de
secrétaires, services téléphoniques, etc.
Certaines fonctions de salariés ne s'exercent pas dans un
établissement, comme dans le cas de livreurs, de vendeurs à
domicile, de réparateurs. Il faudrait ajouter à la personne
morale toute société ou toute association pour éviter
toute ambiguïté éventuelle.
L'article 109.4 devrait comprendre l'obligation pour l'enquêteur
de se faire accompagner par des représentants du syndicat. Il devrait
également prévoir le droit pour des représentants du
syndicat de visiter les lieux de travail quotidiennement.
À l'article 100, nous soulignons que le fait de dire "une
convention collective signée" a pour effet d'exclure de l'application de
cette disposition plus de 300 000 salariés de la fonction publique et
parapublique.
À l'article 104, le congé de maternité ne devrait
pas diminuer le paiement du congé annuel. Celui-ci devrait être
complet, comme si la salariée avait été au travail toute
l'année.
Quant à la loi des normes minimales, la CSN estime qu'elle
devrait être révisée. Par exemple, le droit de grief
après cinq ans de travail paraît minime lorsque comparé au
code canadien qui le prévoit après un an de travail.
En conclusion, nous rappelons l'urgence de procéder à une
révision en profondeur du
Code du travail afin d'établir dans la réalité le
droit d'association, le droit de négociation et le droit de grève
pour tous les travailleurs et travailleuses. À cette fin, nous
déposons en annexe un projet de Code du travail que nous soumettons pour
étude.
Je voudrais aussi, M. le Président, souligner que la CSN se rend
à l'idée du ministre du Travail et par conséquent nous
sommes prêts à participer au "task force" qu'il a proposé
afin d'en arriver à une réforme en profondeur du Code du travail.
Il est essentiel que le mandat soit clairement défini et
précisé et que son rapport soit soumis dans un délai assez
court.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, M. Mercille. M.
le ministre.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Mercille, de votre exposé
très clair et fort bien fouillé. Je pense qu'il est de nature
à éclairer les membres de la commission, même si sa
présentation en termes juridiques ne nous rend pas les choses faciles au
fur et à mesure qu'on suit. On aura quand même quelques jours
devant nous pour en faire l'analyse.
À l'égard de l'arbitrage, vous vous opposez - si je
comprends bien - au principe de base de la réforme du conseil
d'arbitrage. Est-ce que vous pourriez expliciter un peu ce qui vous
amène comme centrale à vous opposer à ce qu'on passe -
dans le cas d'arbitrage de différends, j'entends, et non pas l'arbitrage
de griefs, je pense que vous faites la distinction entre les deux très
clairement - à l'arbitrage unique?
M. Mercille: Nous croyons, pour l'arbitrage des différends
durant un conflit de travail, pour une première convention collective ou
pour des secteurs en particulier, qu'il est préférable que le
conseil soit constitué de trois arbitres afin d'avoir tous les
éléments d'information et de connaissance du milieu et aussi pour
avoir une meilleure idée de toute la conjoncture des différends.
Les expériences du passé nous ont démontré - parce
que nous avons eu affaire à un certain nombre de conseils d'arbitrage de
cette nature - que cette proposition que nous voulons maintenir ici avait une
valeur dans la pratique que nous avons constituée dans le passé.
C'est pour cela que nous voulons maintenir cette proposition à cause de
la pratique vécue dans le passé concernant un conseil d'arbitrage
de trois personnes.
M. Johnson (Anjou): À l'égard du problème
des délais qui est soulevé, une des raisons qui ont amené
le ministre du Travail à proposer l'arbitrage unique, c'est celle
d'essayer de faire en sorte que, plutôt que d'avoir à joindre les
horaires de la partie
syndicale, de la partie patronale et de deux autres personnes, au moins
il y en ait deux de moins dans le décor pour faire un horaire. On sait
que les délais sont parfois extrêmement longs. C'est
sûrement de bonne foi de la plupart des gens, parce que ce sont des gens
occupés, que ce soient les permanents syndicaux qui siègent ou
que ce soient les représentants patronaux ou leurs procureurs. Comment
répondez-vous à cette question des délais, si on devait
maintenir l'arbitrage de différends avec un tribunal complet de trois
membres?
M. Groleau (Clément): Je pense, M. le ministre, que, si on
fixe un délai maximal pour rendre une décision, pour une
convention collective, quand il s'agit d'arbitres, et même si deux
arbitres sont nommés là-dessus, respectivement par chacune des
parties, il n'en demeure pas moins qu'ils ont une fonction judiciaire et quasi
judiciaire à remplir et que, s'il y a un délai fixé pour
rendre cette décision, on peut répondre à ce
problème à ce moment-là.
De toute façon, même s'il y a un arbitre unique et que
l'arbitre unique tente de fixer des horaires avec les procureurs de chacune des
parties, le même problème peut se poser. J'ajouterais à ce
que M. Mercille a dit tantôt que, quand les parties négocient face
à face et qu'elles ont une convention collective à appliquer
pendant deux ans ou trois ans, l'avantage de pouvoir négocier face
à face, surtout pour les problèmes d'interprétation, est
que souvent on se réfère à l'intention des parties quand
cela a été négocié. Si c'est un arbitre unique,
l'intention derrière la clause que l'arbitre unique aurait écrite
pourrait être assez difficile à déceler. Alors que, s'il y
a un tribunal à trois, comme ce sont des personnes nommées par
les représentants, je pense qu'une des parties peut se
référer à son arbitre pour savoir dans quel contexte, dans
quel esprit cette clause a été adoptée. Je pense qu'au
niveau de l'application de la convention collective, au cours des
années, cela me paraît extrêmement différent d'une
sentence arbitrale qu'on a à appliquer sur un sujet
déterminé, précis et concis.
M. Johnson (Anjou): Une question technique. À la page 9 de
votre mémoire, à l'égard de l'article 13 et quant à
l'article 32 du code, au deuxième alinéa, si je comprends bien,
vous suggérez que, plutôt que la réception, l'on
prévoie la date de la mise à la poste par courrier
recommandé. Je trouve cela intéressant. Y voyez-vous des
difficultés? Peut-être pourriez-vous m'éclai-rer sur les
inconvénients? Parfois, les postes canadiennes ne fonctionnent pas,
mais...
M. Groleau: Mais ce qui fonctionne peut-être encore moins, c'est
quand il faut partir de Chibougamau pour aller livrer une requête au
ministère du Travail. Peut-être que les postes canadiennes ne
fonctionnent pas parfois, mais, même si les gens de Chibougamau
n'utilisent pas le transport en commun, cela prend quand même un certain
temps pour se rendre à Montréal ou à Québec, pour
déposer une requête. Je pense que cela a un avantage aussi, comme
cela s'applique au niveau des congédiements pour activités
syndicales, la mise à la poste; et même dans les requêtes en
accréditation, le système actuel est quand même celui de la
mise à la poste qui est considéré. Cela a un avantage.
C'est que nous, comme syndicat, cela nous permet de savoir à quel moment
notre requête est présumée reçue au bureau du
commissaire général du travail. Cela permet de pouvoir
déterminer avec précision quand il y a eu l'envoi d'une
deuxième requête. Si on demande des précisions en termes
d'heures ou de jours, comme dans le texte proposé à l'heure
actuelle, cela laisse une ambiguïté... Si je la dépose
à 15 h 45 et que l'autre la dépose à 16 heures,
sera-t-elle antérieure ou pas, alors que c'est la même
journée? On a le problème au niveau des démissions au
moment où on se parle aujourd'hui. Il y a eu plusieurs décisions
du tribunal. Pour éviter cela, on devrait parler en termes de
journées aussi, dans le sens de ne pas en faire une question d'heure.
Que tu la déposes à 22 h 55 le soir ou à 8 heures le
matin, quand c'est un dépôt fait dans la même
journée, il ne faudrait pas en faire une question de minutes ou de
demi-heure ou de trois quarts d'heure. Je pense qu'il faudrait préciser
cela, comme cela l'est au niveau du caractère représentatif. Je
pense qu'il y a un trou là-dedans qui pourrait drôlement
être utilisé, surtout si la requête est envoyée au
bureau du commissaire général du travail.
M. Johnson (Anjou): C'est plus long. Oui, évidemment. Mais
si vous avez deux requêtes qui sont envoyées le même jour,
du même endroit et pour la même unité?
M. Groleau: À ce moment-là, il y aura
probablement...
M. Johnson (Anjou): Je ne veux pas faire de législation
fiction, mais c'est un genre de problème qui peut se poser très
concrètement. Vous savez comment cela fonctionne, là où il
y a, disons, une certaine éebullition syndicale, un conflit entre deux
centrales ou un maraudage important, comment voyez-vous cela se trancher?
M. Groleau: II est évident qu'il me paraît qu'il ne
peut pas y avoir de système qui bouche tous les trous possibles.
D'accord. Concernant le système actuel face à notre
proposition, le problème se pose quand même, de toute
façon. On va tenter de le limiter le plus possible et, lorsqu'il restera
uniquement la question d'heure ou de jour... Quand on aura deux
dépôts la même journée, habituellement,
l'organisation, comme nous le disons, se fait d'une façon assez
secrète et le moment où la requête est
déposée, on ne le crie pas sur les toits non plus. Si on sait
qu'un autre syndicat va la déposer, on va peut-être se
dépêcher pour la déposer plus vite. Si on le fait en
question d'heure, le même problème va se présenter. Il y
aura toujours un problème de délai, soit de minutes, d'heures ou
de jours. Si on ne la met pas par courrier recommandé, il est
évident qu'il y aura encore un délai de quatre ou cinq jours
additionnels.
M. Johnson (Anjou): J'allais dire que cela dépend
peut-être de la dimension du village et du respect de la
confidentialité du maître de poste. Je me demandais comment vous
réussiriez à l'introduire, mais, à la page 13 à
2.22 au sujet de l'article 5, j'ai compris que vous aviez trouvé une
occasion de nous faire savoir certaines choses.
Il reste les dispositions antibriseurs de grève. J'aimerais
peut-être vous entendre là-dessus, un petit peu en termes
généraux. Tel que le projet est rédigé, en tout
cas, à ma connaissance, il n'existe pas de précédent
ailleurs. Je ne vois pas vraiment ce qu'il peut contenir de plus, à
moins que vous n'ayez des suggestions sur lesquelles vous pourriez
élaborer à l'égard des dispositions antibriseurs de
grève.
M. Mercille: À l'article 109, à propos des briseurs
de grève, la proposition faite dans la loi 17, nous sommes d'accord en
grande partie avec ce qui est proposé. Ce que nous constatons dans les
faits... Si je prends l'exemple de Menasco à Montréal, une partie
de la proposition de la loi 17 aiderait parce que, actuellement, il y a des
employés de bureau, il y a des cadres qui travaillent à la
production. Cependant, cette compagnie donne aussi des sous-contrats. Il y
avait déjà des sous-contrats avant le conflit, il y a neuf mois.
Avec ces sous-contrats qu'ils avaient avant le conflit, il y a neuf mois, c'est
maintenant les sous-traitants qui sont attachés à cette compagnie
qui ont augmenté le nombre de salariés qui travaillent et ils
font maintenant la production de cette compagnie en grande partie alors qu'elle
était faite par les travailleurs de Menasco. Je pourrais vous donner
d'autres exemples. On croit que toute l'action de la production de
l'entreprise... Donc, à ce moment-là, le rapport de forces qui
était dans une négociation normale est complètement
dilué. Ces travailleurs sont rendus dans une situation de
désespoir parce que le travail qu'ils faisaient est maintenant
redistribué chez les sous-traitants avec qui l'entreprise faisant
affaires auparavant.
Nous croyons que la question de la sous-traitance a une grande
importance dans le cas de l'article 109 du Code du travail, sauf que nous
sommes d'accord avec ce qui est proposé, mais cela ne règle pas
tous les problèmes.
Si vous prenez le cas du Château Mirabel. Il y a des briseurs de
grève à l'intérieur de l'hôtel actuellement. Des
plaintes ont été produites au ministère du Travail
à l'égard de l'article du Code du travail. Cependant, Mirabel,
pour ses banquets, utilise maintenant du personnel de l'extérieur. C'est
tout un problème qui amène une provocation au niveau des
travailleurs et cela peut amener - comme d'autres le disaient - des
réactions malheureuses au niveau des lignes de piquetage ou ailleurs
durant les conflits de travail. Le rapport de forces est complètement
diminué, les conflits de travail ne se règlent pas et les
employeurs ne veulent pas négocier dans des cas comme
ceux-là.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Mercille.
Le Président (M. Bloiin): Merci, M. le ministre. M. le
député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis: M. Mercille, à vous-même et à
tous vos collaborateurs, des félicitations pour un mémoire
fouillé et recherché. Vous vous êtes appliqués au
niveau de chacun des articles et, comme législateurs, on
l'apprécie car cela nous éclaire.
La question dont tout le monde a eu le préavis, c'est le projet
de loi 17 - si vous étiez présent ce matin - au niveau de la
relance économique, au niveau du maintien et de la rétention
d'emplois. De quelle façon cela vient-il en aide au développement
économique, au maintien et à la création d'emplois?
M. Mercille: La CSN a un certain nombre de propositions qui ont
été faites auprès du ministère du Travail,
auprès du ministère de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme et
auprès du premier ministre, il y a un certain nombre de mois, concernant
des propositions de création d'emplois. Nous ne pensons pas que la
question de la création d'emplois doit aller à l'encontre du
droit d'association et du droit de négociation, du droit de
négocier un contrat de travail. (20 h 45)
Comme, uniquement dans le secteur privé, il y a environ 22%
à 23% des travailleurs et des travailleuses qui sont syndiqués au
Québec, nous croyons que l'accès à la syndicalisation est
un droit fondamental. Nous ne croyons pas que cela va brimer les employeurs, au
contraire. S'il y
avait l'accréditation multipatronale, il y a un certain nombre
d'employeurs nous le disent lorsqu'on va négocier, ils aimeraient aussi
que leurs concurrents puissent négocier à cause de la concurrence
qui se fait dans des entreprises du même secteur et du même style.
C'est pour cela que nous disons que plus il y aura d'augmentation du taux de
syndicalisation - si vous regardez cela purement sur le plan économique
- plus cela pourrait créer un meilleur équilibre
économique, alors qu'un concurrent n'est pas syndiqué et que
celui qui est syndiqué a des problèmes par rapport à celui
qui ne l'est pas. Alors, nous croyons que, sur le plan économique, cela
n'est pas un empêchement au développement économique; au
contraire, cela a une stabilité économique même s'il y a
une association à l'intérieur de l'entreprise.
M. Paradis: D'accord. Maintenant...
M. Mercille: Les multinationales dans l'histoire se sont
développées avec des syndicats et cela ne les a pas
empêchées de se développer sur le plan
particulièrement québécois dans le passé.
M. Paradis: Maintenant, votre chapitre qui touche le pouvoir de
contrôle des tribunaux supérieurs, que vous retrouvez aux pages 5
et suivantes de votre mémoire, m'amène à une question
spontanée, parce que je ne sais pas dans quel sens cela a
été rédigé. Est-ce que c'est une critique de
l'appareil judiciaire, des tribunaux de droit commun ou est-ce une critique
adressée au législateur? Je voudrais saisir parce que cela me
semble un peu ambigu.
M. Groleau: Je ne sais pas s'il faut mettre un nom en
arrière de la critique. Ce que je pourrais tout simplement dire et
constater, c'est que cela a des conséquences très graves et
très sérieuses au niveau de l'accès à la
syndicalisation ainsi que les droits qui en découlent, de
négociation, etc. C'est une source de délais incroyables et c'est
une méconnaissance ou un défaut de reconnaître la
spécialisation des tribunaux ou organismes chargés d'appliquer
des lois plus particulières qui dérogent à ce qu'on
pourrait appeler le droit commun.
Le pouvoir d'intervention des tribunaux supérieurs, qui doit
s'exercer dans le cadre -tout le monde le sait - strictement d'excès de
juridiction ou de règles de justice naturelle, est porté à
aller au-delà de cela. Je peux vous donner un exemple assez
précis. Vous arrivez sur un problème, par exemple, un grief, qui
met en cause la moralité, et je ne vous nommerai pas l'endroit ni le
juge, etc. La question qui nous est posée avant même qu'on plaide
parce qu'il a lu la requête est: Si c'était votre fille,
qu'auriez-vous fait? Le problème ne se pose pas, l'arbitre a jugé
au niveau des faits. D'accord? Il a à décider si l'arbitre a
excédé ou non sa juridiction.
Ce que nous vous disons, c'est que les pouvoirs accordés au
commissaire du travail et, dans la réforme que nous proposons, à
la commission ne sont pas suffisamment étendus. C'est
délimité de façon assez précise par des textes
très précis qui font en sorte que les tribunaux supérieurs
- donc il y a une partie de législation - ont une possibilité
d'intervenir parce qu'on peut facilement dire si un texte a été
modifié, si on a rajouté ou si on a abrogé un texte. Mais
s'il y avait des pouvoirs plus généraux accordés au
commissaire du travail et au Tribunal du travail, nous pensons que ce pouvoir
d'intervention de la Cour supérieure ou de la Cour d'appel ou des
tribunaux de droit commun serait réduit. Nous pensons qu'il est
essentiel de réduire, tant en termes de délais qu'autre chose,
ces... Les brefs d'évocation, par exemple, ont augmenté de
façon tout à fait astronomique au cours des deux dernières
années, à peu près sur tout et il en résulte
énormément de coûts, il va sans dire. Alors il y a
là un problème; je ne sais pas s'il y a un problème que je
pourrais qualifier d'accaparer des juridictions ou de jalousie ou peu importe
le terme utilisé, mais il y a un problème sérieux dont le
législateur doit être conscient, à mon avis, pour le climat
social, etc. Parce que vous vous imaginez un grief de congédiement
gagné au bout de huit mois, un an, et que la personne est
réintégrée après une décision finale de la
Cour d'appel cinq ans plus tard. Cela ne fait pas de très bonnes
relations de travail à l'intérieur, cela coûte
extrêmement cher pour l'employeur aussi et ce n'est rien pour assainir le
climat de travail ou le climat social.
M. Paradis: Mais est-ce que vous remettez en question, par votre
texte, le pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour
supérieure par rapport aux articles 33 et 846 et suivants du Code de
procédure civile?
M. Groleau: Nous ne remettons pas en question le pouvoir de
contrôle, nous le disons d'ailleurs là-dessus. Comme il est dit,
c'est un pouvoir de surveillance vis-à-vis de quatre paramètres
exprimés aux articles 846 et suivants: Excès de juridiction,
règles de justice naturelle, irrégularités graves,
partialité. Qu'on s'en tienne à ces quatre critères, ces
quatre paramètres, mais, à partir du moment où on a inclus
la notion de décision déraisonnable, cela fait appel à un
critère tellement subjectif que tout juge étant aussi un
être humain, pour l'exemple que je vous donnais tantôt, c'est
déraisonnable qu'un arbitre, s'il avait eu une fille de cet âge,
n'aurait certainement pas
rendu cette décision. Qu'il ait eu le pouvoir de juger ou
d'apprécier les faits, c'est une chose.
M. Paradis: Cela me semble être un principe quand
même assez important et je suis d'accord avec vous que tout juge est un
être humain, tout commissaire également est un être humain,
tout assesseur est un être humain. C'est pour cela qu'il y a des cours
d'appel avec plus d'un juge qui siègent habituellement sur ce genre de
dossier, qu'il y a une Cour suprême et qu'on peut, lorsqu'il y a une
erreur de droit grave commise par un tribunal, fût-il un honorable juge
de la Cour supérieure, en référer à d'autres
honorables juges. Le processus permet de corriger les erreurs humaines. Je
voulais m'assurer que, par votre mémoire, le pouvoir de surveillance et
de contrôle n'est pas attaqué finalement. On peut améliorer
les clauses privatives, si c'est le choix du législateur. On peut
améliorer ces choses dans le sens que vous le souhaitez.
M. Groleau: C'est-à-dire qu'ici je peux vous donner un
exemple pour la connaissance que j'en ai. La Cour d'appel
fédérale par rapport au conseil canadien est beaucoup plus
restrictive dans son intervention. Elle exerce les mêmes pouvoirs
d'intervention, mais les exerce de façon beaucoup plus concise, il y a
une politique. Il y a des exemples que je vais vous donner. Le Tribunal du
travail, au cours des dernières années, a tenté de
restreindre ou de détailler de façon plus précise les
motifs d'appel, une requête en permission d'appeler. Ce sont des erreurs
de droit ou des erreurs manifestes en soi et il restreint l'utilisation pour
éviter que cela devienne un appel de piano, de plein droit, automatique.
Il y a eu un jugement de la Cour d'appel qui a renversé cela et qui fait
en sorte qu'il lie le Tribunal du travail et que maintenant on peut avoir
pratiquement des appels de piano.
Cela ne fait qu'augmenter les délais alors que l'article sur
lequel... Donc, je pense qu'il y a plus un problème entre les
différents paliers de tribunaux qu'un problème
d'interprétation de texte. Je pense que le législateur est en
droit à l'occasion, soit par texte législatif ou par
conférence ou rencontre, de préciser certaines choses qui ne font
que favoriser l'esprit du Code du travail, par exemple. Je ne remets pas en
cause le pouvoir de surveillance ou de contrôle de la Cour
supérieure.
M. Johnson (Anjou): Si on me permet sur ce sujet, qui est le
domaine absolument fascinant du droit administratif, je pense que je
n'apprendrai rien au dernier intervenant en disant que le problème
fondamental, c'est l'incapacité juridictionnelle et constitutionnelle
pour le Québec de se constituer des tribunaux de juridiction, un
tribunal dont le rôle serait de trancher les conflits de juridiction. Il
est bien clair que, si on avait cette capacité de trancher ces
problèmes de conflits de juridiction, je pense que cela ne prendrait pas
de temps qu'on en créerait un et c'est très clair qu'un domaine
comme celui du droit du travail deviendrait un domaine assez large. Simplement
et indépendamment des dimensions politiques, d'autres provinces ont
tenté de le faire à travers la notion de "cease and desist
order", dans la mesure où les commissions de relations de travail ont
pu, et la Cour suprême a été bien gentille, dans le cas de
la Nouvelle-Écosse en particulier, pour interpréter très
largement la notion du "cease and desist order" et, à toutes fins
utiles, accorder à ces commissions de relations de travail provinciales
l'équivalent ou presque d'un pouvoir d'émission d'ordonnance
comme à la Cour supérieure.
Je pense qu'on comprend bien. Ce n'est pas parce que le
législateur québécois est paresseux. C'est parce qu'il a
eu beau essayer avec les clauses privatives, pendant des années,
à travers le Code de procédure et d'autres éléments
du droit statutaire qui est aux prises avec une Cour supérieure qui a
une tendance expansive comme c'est un peu normal.
M. Groleau: Vous me permettrez quand même de vous
suggérer, M. le ministre, qu'il y a peut-être moyen
d'améliorer nos textes, ce qui va faire en sorte que les tribunaux
supérieurs interviendront moins.
M. Paradis: Le ministre m'a ouvert une porte de grange. Il a fait
référence à l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique. Les décisions rendues par des juges de la Cour
supérieure au Québec, même s'ils sont nommés par le
gouvernement fédéral, même si c'est une juridiction
fédérale... Ils sont quand même des Québécois
et on se rend compte à tous les paliers que, lorsqu'on fait face
à des décisions d'un juge, des fois on les aime, des fois on ne
les aime pas, qu'on soit dans le système de droit commun, qu'on soit
à la Cour provinciale, qu'on soit au tribunal d'arbitrage, qu'on soit
même à l'Assemblée nationale du Québec des fois,
lorsque le président tranche. Quant à vos commentaires, il faut
les accepter en toute gentilhommerie.
M. Johnson (Anjou): En deuxième lecture.
M. Paradis: À l'article 1, MM. les représentants de
la CSN, vous dites: Nous croyons nécessaire d'élargir la notion
de salarié pour inclure un entrepreneur indépendant, comme le
prévoit d'ailleurs déjà le code canadien. Cette notion
devrait
s'appliquer aux pigistes et à tous les travailleurs et
travailleuses qui doivent fournir un équipement: livreurs en camion,
travailleurs forestiers qui possèdent un équipement lourd, etc.
Cela m'amène à me poser un paquet de questions. Je suis
représentant d'une circonscription rurale ou semi-rurale. J'ai beaucoup
de camionneurs en vrac, ou j'en avais beaucoup, il en disparaît un peu
tous les jours à cause du manque de travail au Québec et dans le
comté. Ces gens ne se voient plus - c'est la compréhension que
j'en ai - comme des entrepreneurs. Ils se regroupent en associations,
l'Association des camionneurs, etc. Vous visez à changer le statut de
ces gens par cet article?
M. Groleau: Non, M. le député. C'est que la notion
de salarié telle que définie au Code du travail, moyennant
rémunération, demeure. Les composantes de la définition
d'un salarié, le lien de subordination et la rémunération
demeurent. Cela dépend si c'est un entrepreneur indépendant - le
mot le dit - ou si c'est un entrepreneur dépendant. Donc, il y a un
lien, une dépendance économique ou une dépendance de lien
de subordination.
Prenons le bel exemple des travailleurs forestiers pour illustrer ce
qu'on veut éviter. Le forestier est obligé de se former en
compagnie pour pouvoir acheter sa débusqueuse, pour avoir son
prêt, question de nantissement commercial et autres. Une fois qu'il a sa
débusqueuse, il lui faut nécessairement quelqu'un qui coupe le
bois. Or, le concessionnaire engage la compagnie, le forestier qui, lui, est
obligé d'engager quelqu'un pour couper son bois ou pour conduire sa
débusqueuse. Il faut qu'ils travaillent à deux. Cette personne a
une dépendance économique, parce qu'elle est payée
à la corde.
Deuxièmement, il y a aussi une autre dépendance, parce
qu'elle ne coupe pas du bois où elle veut. C'est le concessionnaire qui
lui dit à quel endroit couper. C'est le concessionnaire qui lui dit
également à quel moment couper.
Tous ces liens de subordination sont les mêmes que pour les
livreurs d'huile de Pétrole Irving de Chicoutimi, il y a quelques
années, lorsque la compagnie leur a fait acheter leur camion, sauf que
leur horaire -excusez-moi l'expression - leur "run" était
déterminée par l'employeur. Le Tribunal du travail a
considéré que le lien de subordination économique, aussi
bien qu'en termes d'autorité, et la rémunération
demeuraient. Il a donné une définition large.
Quand on en arrive aux pigistes, c'est le même
phénomène qui se produit. Que ce soit un photographe qui
travaille pour un journal, à la pige, ce n'est pas véritablement
un entrepreneur indépendant qui fait ce qu'il veut et qui, une fois
qu'il aura produit ses photos, les vendra au plus offrant. C'est quelqu'un qui
prend un contrat précis avec un journal, qui a une marchandise à
livrer et qui a un montant pour le faire. La seule latitude qu'il a, c'est
peut-être de se promener en Vokswagen plutôt qu'en Cadillac. Mais
à part cela, il est dans la même situation que n'importe quel
autre travailleur qui n'aurait pas à fournir son appareil photo. C'est
ce qu'on entend par entrepreneur dépendant.
Cela existe au fédéral, dans le code canadien, pour ceux
qui sont appelés à fournir un véhicule pour le travail
qu'ils ont à exécuter, mais qui n'ont pas cette
indépendance économique de pouvoir changer d'employeur du jour au
lendemain, de prendre des contrats à la semaine ou au mois.
M. Paradis: Au prix de l'essence, il peut devenir plus
indépendant que celui qui se promème en Cadillac, à un
moment donné.
Au sujet de l'article 3, vous parlez de la déduction de salaire
lorsqu'une personne est congédiée ou suspendue et de la
déduction du salaire qu'elle a pu gagner ailleurs. Je comprends votre
principe; c'est pour éviter, finalement, des congédiements
où l'employeur dit: C'est aussi bien de le congédier, dans le
pire des cas, cela ne me coûtera pas beaucoup plus cher.
Mais, d'un autre côté, j'ai de la difficulté avec le
principe que cette personne, même s'il a fallu qu'elle s'expatrie
à la Baie-James - supposons que cela fonctionne - ou ailleurs,
recueillera un double salaire. Est-ce que vous ne considérez pas que
c'est une indemnité très importante? (21 heures)
M. Groleau: On pourrait peut-être changer la philosophie
qu'il y a derrière un congédiement pour activités
syndicales et, par exemple, dire que, lorsqu'un congédiement est
injuste, les préjudices ou les pertes subies, comme n'importe quel
accident ou dommage que vous subissez à votre propriété,
sont compensés. Les dommages physiques sont compensés en
même temps que les dommages moraux. Prenez le cas d'un travailleur qui a
été obligé de faire 20 milles de plus, soir et matin, pour
aller travailler.
M. Paradis: Je comprends une certaine indemnité, mais,
lorsqu'on parle de double rémunération, cela devient une
indemnité certaine.
M. Groleau: II y a deux possibilités. J'ai vu, pour
l'avoir plaidé moi-même, le. cas d'un travailleur qui un peu plus
en remboursait à l'employeur, même s'il avait travaillé
trois mois de moins, parce qu'il gagnait plus cher et qu'il faisait du
temps
supplémentaire étant donné qu'il était loin
de sa femme. Il était à 600 milles. La seule chose qu'il avait
à faire, c'était de travailler le samedi et le dimanche. Parce
qu'il a travaillé le samedi et le dimanche, un peu plus il était
obligé de rembourser à l'employeur pour avoir été
congédié illégalement.
M. Paradis: Non, je cherche une balance entre les excès
d'une partie comme de l'autre. Mon temps s'écoule, alors je passe
à l'avant-dernière question qui est importante. À
l'article 5, vous parlez de l'établissement d'une présomption. Le
seul dépôt de la plainte devrait constituer l'établissement
de la présomption et obliger, en conséquence, l'employeur
à démontrer qu'il a satisfait à son obligation en
congédiant ou en suspendant pour cause juste et suffisante, etc.
Demandez-vous cette présomption-là parce que vous avez eu des
problèmes d'application?
M. Groleau: II y a un problème constant d'application.
Lorsqu'on est obligé d'établir une présomption, une
présomption en soi, cela ne peut pas être très fort ou
très mince. Cela existe ou cela n'existe pas. Tu l'as ou tu ne l'as pas.
Tu ne peux pas avoir une bonne, une moyenne ou une mauvaise présomption.
Tu as exercé un droit ou tu ne l'as pas exercé. La valeur du
droit, ou l'importance, ou les conséquences du droit ne sont pas
différentes. Ce que je veux dire par là, c'est que, si tu as une
présomption parce que tu es président ou présidente d'un
syndicat, c'est une présomption plus forte que si tu es simple membre.
C'est une chose complètement illogique parce qu'il n'y aurait pas de
président s'il n'y avait pas de membres. Le droit d'être membre
est aussi important et aussi fort que le droit d'être président ou
présidente.
Ce qui arrive cependant, en pratique, c'est que les commissaires ont
tendance a faire un rapprochement entre la présomption que tu as
établie en termes d'activités syndicales et la cause que
l'employeur invoque. Le code canadien a réglé ce problème.
On n'a pas de présomption à établir. Le code canadien
prévoit que le seul dépôt de la plainte constitue la preuve
de la violation d'un article et que c'est à l'employeur de faire une
autre cause juste et suffisante, ce que nous vous suggérons de rajouter,
compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire. Ici, on fait
référence à l'arrêt de Commercial Photo, une
décision de la Cour suprême qui dit qu'interpréter une
cause juste et suffisante égale prétexte. Pour le travailleur qui
aurait été simple membre, non pas président, ni
vice-président, etc., et qui serait arrivé en retard cinq fois en
l'espace de deux mois, il y a une cause. Alors, si on fait la balance
présomption et cause juste et suffisante, le commissaire aura tendance
à dire: La présomption n'étant pas forte, la cause devient
plus juste et plus suffisante.
Or, il faut enlever cette notion de présomption bonne ou non,
moyenne ou faible ou forte et donner le pouvoir au commissaire
d'apprécier la cause juste et suffisante, compte tenu de toutes les
circonstances de l'affaire et non pas compte tenu de la présomption
établie. Cela veut dire une chose, des circonstances atténuantes,
bref, tout ce qui peut s'appliquer dans un cas. Par exemple, si quelqu'un
arrive en retard trois fois en deux mois, est-ce que cela mérite la
peine capitale qui s'appelle le congédiement? C'est ce qu'on veut dire
par "compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire." Mais quand on
l'additionne à la valeur et au degré de la présomption,
cela perd tout son sens.
Le Président (M. Blouin): M. le député, en
concluant, s'il vous plaît!
M. Paradis: J'ai une dernière question. À l'article
100, nous soulignons que le fait de dire une convention collective
signée a pour effet d'exclure de l'application de cette disposition les
plus de 300 000 salariés de la fonction publique et parapublique.
Jusqu'à quel degré la CSN et son président, M. Donatien
Corriveau, et les gens qui les représentent ici tiennent-ils à ce
que ce soit inclus dans cette modification?
M. Mercille: Toute convention collective, selon nos règles
de droit et le Code du travail passé, présent et futur, doit
être négociée et signée entre les parties. C'est
pour cela que nous en avons fait la remarque à l'article 100 dans le
projet de loi 17. Nous avons souligné que les 300 000 travailleurs des
secteurs public et parapublic n'ont pas eu la chance d'avoir une convention
collective signée selon les normes et les règles du droit du
travail au Québec reconnues depuis un certain nombre de
décennies.
M. Paradis: Je vous remercie, M. Mercille. Merci, Me Groleau.
Le Président (M. Blouin): Merci. Mme la
député de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. J'aurais d'abord une
remarque à faire. Je ne sais pas si, à force de se faire
répéter la même réponse à la même
question, le député de Brome-Missisquoi va finir par convenir
qu'un plus grand accès à la syndicalisation est un facteur
d'ordre économique et social dans une société industrielle
et non pas un facteur de désordre.
Cette remarque étant faite, je voudrais
pouvoir...
M. Paradis: Je vous en remercie.
Mme Harel: ...profiter de votre expérience, M. Groleau,
pour vous demander quelque chose. Vous étiez sans doute ici cet
après-midi. Vous avez peut-être assisté à certaines
interventions qui semblaient vouloir nous faire comprendre que l'adoption de
certaines des modifications du présent projet de loi aurait pour effet
de créer une situation particulière au Québec, inexistante
dans d'autres provinces canadiennes. Donc, une situation
particulièrement désavantageuse pour l'entreprise. C'est un peu
ce caractère presque exclusif qui serait le cas de certaines
dispositions qui semblaient, pour les personnes qui intervenaient, pouvoir
avoir un effet très désavantageux.
Vous faites beaucoup allusion, dans votre mémoire, au code
canadien, aux notions qui y sont contenues, notamment la notion d'entrepreneur
indépendant. La Fédération des travailleurs du
Québec qui vous a précédés a aussi fait
fréquemment allusion au code canadien, à certaines de ses
dispositions qui, en fait, semblaient être assez favorables à la
syndicalisation.
Je voudrais vous poser des questions sur des cas précis. Prenons,
par exemple, le cas de l'antibriseur de grève, donc, de toutes les
dispositions qui concernent la cessation d'activités dans le cas d'une
grève ou d'un lock-out. Dans quelle mesure y a-t-il des dispositions qui
sont déjà en vigueur, qui existent - ou pourraient exister, tout
au moins - et qui ont un effet qui peut être plus, moins ou aussi
contraignant que ce qui existe au Québec?
M. Groleau: Vous voulez parler du code canadien au niveau des
dispositions antibriseurs de grève ou "scabs". Il n'existe pas de telles
dispositions dans le code canadien. Il en existe. Il y a les "cease and desist
order" qui sont une autre dimension de pouvoir donné au conseil
canadien.
Cependant, je sais que, depuis fort longtemps, il y a des demandes, il y
a des pressions qui sont faites pour inclure ces dispositions dans le code
canadien. Vous n'avez qu'à vous rappeler, au Québec, le dossier
de la Banque Royale à Chicoutimi qui a fait énormément de
violence, de poursuites au criminel et autres, parce que, justement, on avait
établi que la Banque Royale, à l'époque, payait quatre
fois le prix d'un salaire régulier, parce qu'elle faisait venir en
avion, chaque semaine, des centaines de travaileurs de Montréal ou
d'ailleurs.
Cela existe en Colombie britannique, certaines dispositions antibriseurs
de grève. Je ne pourrais pas vous préciser exactement la
dimension ou jusqu'à quel point cela peut intervenir ou s'appliquer.
Dans d'autres codes, en Nouvelle-Écosse ou en Ontario, il
n'existe pas non plus de dispositions précises d'antibriseurs de
grève, pour répondre à votre question
là-dessus.
Mme Harel: Quand vous parlez du "cease and desist", est-ce que
cela donne le pouvoir d'ordonnance dans le cas d'arrêt de travail
où il y a continuation des opérations?
M. Groleau: Oui, il y a le pouvoir de "cease and desist order",
qui est le pendant d'un injonction. C'est une ordonnance, une capacité
d'ordonner qui est donnée à un conseil, à une commission,
pour faire appliquer un code ou des dispositions d'une loi. Cela va tellement
loin, dans certains cas, que c'est même le pouvoir. Par exemple, prenons
le cas de Rimouski, le conseil canadien, a une demande de syndicalisation dans
une banque, dans une région où il y a 5 ou six succursales.
L'employeur, qui était la Banque Nationale, a fermé la succursale
la plus militante. Or, il y a eu un "cease and desist" ordonnant de
réintégrer tous ces employés dans les autres succursales
pour éviter de faire échec à la syndicalisation.
Ici à Québec, vous avez aussi des cas patents où
l'on a ordonné à la banque de verser 150 000 $ pour favoriser
l'accès à la syndicalisation à la suite d'une plainte de
pratiques déloyales.
Lorsqu'on dit que le code québécois est contraignant et
que cette situation pourrait nuire à l'aspect économique, je peux
vous dire qu'il existe des contraintes dans des codes canadiens ou autres qui
sont, à mon avis, supérieurs à ce qui existe au code
québécois.
Le Président (M. Blouin): Cela va? Mme Harel: Cela
va.
Le Président (M. Blouin): Très bien. Maintenant, M.
le député de Sainte-Marie.
M. Bisaillon: M. le Président, j'ai 4 ou 5 questions que
je vais poser en vrac, si on me le permet. On pourra me répondre par la
suite; cela vous obligera peut-être à les noter, mais c'est plus
efficace de cette façon avec la présidence.
Ma première question porte sur les arbitrages. En réponse
à une question du ministre, vous avez parlé de votre position sur
le maintien des tribunaux d'arbitrage tels qu'on les connaît
présentement, au moins en ce qui concerne l'arbitrage de
différends. À cet égard, il y a la question des
délais et la question de fond ou d'attitude du tribunal d'arbitrage.
J'ai vécu les deux situations, c'est-à-dire le tribunal
d'arbitrage avec deux arbitres, dont l'un patronal et l'autre
syndical, et un tribunal à trois, mais comprenant deux
assesseurs. Je me suis rendu compte - et c'est là-dessus que je voudrais
que vous réagissiez - que les délais n'intervenaient pas
tellement au niveau de l'audition d'une cause, mais que les délais
commençaient dans les cas où l'on devait délibérer.
C'était au moment des délibérés surtout que les
délais étaient les plus fréquents, les plus longs et
où les reports de rencontres étaient le plus souvent
demandés par l'arbitre qui, dans le fond, avait l'impression - à
la suite de l'audition de la cause - qu'il était pour perdre sa cause.
Sa réaction normale était de faire au moins traîner les
choses et souvent c'est là qu'on assistait à des délais
assez nombreux. C'était différent au moment où il y avait
des assesseurs parce que les assesseurs ne concourant pas à la
décision, étant là uniquement pour conseiller le
président ou pour présenter l'éclairage de la partie
syndicale ou de la partie patronale, les délais n'existaient plus
à ce moment. Comme ils ne concourent pas à la décision, le
président peut quand même siéger pour
délibérer sur l'audition qu'il a faite en l'absence de l'un des
deux assesseurs si celui-là ne se présente pas.
Il y a peut-être une amélioration des délais
possibles à ce niveau, quoique, même dans les conventions
collectives où des délais étaient prévus pour un
arbitre quand au rendement de son jugement - j'ai vu plusieurs cas de
conventions collectives qui disaient, par exemple, que l'arbitre doit rendre sa
sentence dans les 60 jours - elles aient été très rares
les circonstances où -même si c'était dans le code, je n'ai
pas l'impression que cela serait différent - j'ai vu ces délais
respectés par les arbitres, même les arbitres uniques. Parce que
les parties ne sont évidemment pas pour brusquer l'arbitre en prenant
des procédures contre lui quand son jugement n'est pas rendu. Il me
semble que c'est humain. Tu ne prends pas les moyens pour indisposer celui qui
va se prononcer sur ta cause. Alors, forcément, malgré tous les
délais qu'on insère dans les textes de loi aussi bien que dans
les textes de conventions collectives, il arrive fort souvent qu'on est
quand même obligé d'attendre l'arbitre, parce qu'on ne le brusque
pas et qu'on préfère attendre qu'il nous donne raison
plutôt que de courir le risque qu'il nous donne tort dans son jugement
parce qu'il aura été brusqué. (21 h 15)
Au niveau de l'attitude, j'aimerais aussi vous entendre vous exprimer
sur le principe des assesseurs qui apportent un éclairage au
président de tribunal et qui ne concourent pas à la
décision, tout en les rendant plus responsables moralement de
présenter le point de vue qui a été défendu par
l'une ou l'autre des parties au moment de l'audition.
Ce principe leur permet, d'après moi, plus de largeur dans la
discussion. Comme je vous l'ai dit, j'ai vécu le système des
assesseurs et souvent les mêmes personnes avec qui j'avais fait des
arbitrages et qui étaient des arbitres de la partie patronale, à
partir du moment où elles devenaient assesseurs, il y avait un certain
nombre de choses qu'elles acceptaient beaucoup plus facilement parce qu'il
s'agissait de personnes habituées au milieu des relations du travail,
qui acceptaient beaucoup plus facilement parce qu'elles n'étaient pas
obligées de signer. Donc, elles ne se faisaient pas ramasser par leurs
mandataires à la fin de la cause. C'était l'arbitre qui rendait
son jugement, mais cela leur permettait au moins de ne pas allonger le
débat au moment des délibérés. J'aimerais que vous
réagissiez à cela parce qu'il me semble que, même si on
maintenait un tribunal, il y aurait peut-être une possibilité
d'explorer davantage la question des assesseurs plutôt que celle des
arbitres.
Deuxième question. À la page 8, à l'article 11,
vous suggérez d'ajouter au texte que le commissaire
général peut, pour cause, dessaisir un commissaire d'une affaire.
Je voudrais savoir si votre recommandation repose sur des faits précis.
Est-ce que vous avez des faits précis qui justifient cette demande?
Troisième question. Vous avez parlé de difficultés
au moment des congédiements, par exemple, d'un entrepreneur qui
congédie ses employés et qui vend son entreprise deux ou trois
semaines après. Il n'y a pas de prise pour le syndicat afin de faire
réintégrer ces employés. On suppose, évidemment,
qu'il s'agit de congédiement pour activités syndicales. Est-ce
que vous voyez d'autres mesures que le "statu quo ante" pour régler
cette question du congédiement dans les cas dont vous parliez?
Quatrièmement, les mesures antibriseurs de grève. Il y a
un certain nombre d'amendements qui sont apportés au projet de loi
actuel concernant les mesures antibriseurs de grève. Est-ce qu'il y en a
qui n'existent pas dans le projet de loi, mais qu'à partir de votre
expérience, à partir de faits vécus, vous trouveriez
essentiel que le projet de loi renferme immédiatement? Autrement dit, il
y a peut-être des choses qui peuvent attendre la réforme globale,
mais il y en a peut-être d'autres qui, en fonction de l'expérience
vécue, sont essentielles pour maintenant. Si oui, quels sont ces
amendements qui seraient essentiels et à partir de quelle
expérience vécue pouvez-vous nous en parler?
Dernière question. Vous avez mentionné que, de plus en
plus, les employeurs utilisaient toutes sortes de méthodes pour
contourner l'application du Code du travail. Vous avez donné plusieurs
exemples dont,
entre autres, l'utilisation des syndicats de boutique, des syndicats
dominés. On sait que la preuve à faire devant un tribunal de la
domination par un employeur d'un groupe de salariés n'est pas toujours
facile à faire, c'est le moins qu'on puisse dire. Est-ce qu'il y a des
mesures concrètes, à votre avis, qui pourraient nous amener ou
bien à assouplir la façon dont on traite cette question des
syndicats de boutique dans le code actuel ou des amendements à apporter
au Code du travail qui donneraient davantage de garanties au syndicat
reconnu?
M. Groleau: J'ai pratiquement envie de commencer par la
dernière question, cela va me venir plus facilement. Quant à la
question de la domination, les syndicats dominés ou les syndicats de
boutique dominés, une des façons de régler le
problème est que l'agent d'accréditation qui fait une
enquête en fasse une beaucoup plus poussée, qu'il fasse un rapport
beaucoup plus précis, beaucoup plus complet. Cela se sent, si le
syndicat de boutique est dominé. Les preuves exigées, au moment
où on se parle, sont tellement fortes qu'il est extrêmement
difficile de faire une preuve qui mène a la conclusion de la domination.
Il faut pratiquement faire la preuve d'une aide financière. J'ai un
exemple précis à l'esprit: dans le bout de Val-d'Or, a un moment,
on en a fait la preuve, sauf qu'on n'a pas pu identifier la couleur de
l'hélicoptère du représentant du syndicat de boutique.
Cela a été suffisant pour perdre par manque de preuve.
Je pense que ce serait le rôle de l'agent d'accréditation.
La syndicalisation doit être indépendante, ce doit être un
syndicat indépendant de l'employeur. Je pense qu'il appartient au
législateur de faire appliquer son code dans ce sens; c'est par le biais
des agents d'accréditation qui font des enquêtes qu'ils peuvent
identifier si, effectivement, il y a des malaises ou pas. Ce rapport
d'enquête devrait être à la disposition des parties, qu'il
soit déposé comme preuve. Cela nous paraît important, cela
réglerait beaucoup de problèmes. Il aurait, à ce
moment-là, l'enquêteur, l'agent d'accréditation, beaucoup
plus de pouvoirs que nous pour pénétrer le milieu, pour
interroger les gens, pour faire son enquête. Cela pourrait
résoudre passablement de problèmes si l'agent
d'accréditation poussait plus à fond son enquête, si son
rapport était déposé au dossier et faisait la preuve de ce
qu'il a été chercher. Cela nous paraît important.
En ce qui concerne les mesures antibriseurs de grève, il nous
paraît important d'étendre la question des sous-contrats ailleurs
que dans l'établissement. Cela devient un peu illusoire de le limiter
à l'établissement. Quand on remplace un service
téléphonique d'employés de bureau par l'agence TAS, on ne
parle plus de rapport de forces des employés de bureau, que ce soit
prendre les appels téléphoniques pour aller réparer les
téléviseurs, les frigidaires, les laveuses et sécheuses.
Quand il y a uniquement des appels téléphoniques à
prendre, que les employés de bureau sont en grève et qu'on fait
affaires avec une agence téléphonique comme TAS, on ne parle plus
de rapport de forces. Cela n'est pas un sous-contrat dans
l'établissement.
Si on veut donner un véritable esprit à la loi
antibriseurs de grève, il est important, si on permet aux cadres qui
font partie de l'établissement de travailler et qui ont
été embauchés avant l'avis de négociation, qu'on
limite cela aux cadres.
Je pense que cela ne fait pas mal, dans la mesure où les
sous-contrats avaient été donnés ailleurs pour un travail
différent de celui des employés, qu'eux continuent à
demeurer. On ne parle que d'utiliser les sous-traitants, dans
l'établissement ou ailleurs, pour faire le travail d'employés
qu'ils faisaient. C'est cela qu'on vise.
Il nous apparaît important aussi... La FTQ suggérait, cet
après-midi, que l'enquêteur ait le pouvoir de régler le
problème, de rendre les décisions. Cela peut poser un
problème juridique. Pour solutionner cela, nous proposons... Les
travailleurs ont le droit de se promener dans la "shop" quand ils travaillent;
quand ils sont en grève, c'est un droit reconnu, les
représentants du syndicat devraient avoir le droit de visiter les lieux
durant le jour. On a un problème de preuve. L'enquêteur ne peut
pas être là à tous les jours. On reconnaît un droit
au travailleur dans son milieu de travail, un droit de faire appliquer le code,
non pas de prendre les décisions; qu'on laisse au moins recueillir les
éléments qui nous permettraient, en attendant de modifier cela en
profondeur, soit d'aller requérir une injonction ou de faire des
plaintes pénales. Je parle plus en termes d'injonction, car les plaintes
pénales, souvent, on les passe quand la grève est finie. Alors,
cela m'apparaît extrêmement important ce droit au travailleur de
visiter son lieu de travail, indépendamment de la présence de
l'enquêteur.
Quant à la question de la vente de l'entreprise, il faut modifier
l'article 45 actuel où on parle de transfert d'accréditation et
de procédure d'accréditation et de convention collective. Alors,
les juges ont interprété que, le congédiement pour
activité syndicale étant une plainte personnelle, il n'est pas
relié à l'accréditation. Donc, il n'y a pas de transfert.
Or, cela m'apparaît illogique, lorsqu'il y a une convention collective et
qu'un employé est congédié; l'ordonnance de
réintégration, le nouvel employeur est lié par cette
ordonnance de réintégration quand il
s'agit d'un congédiement injuste fait en vertu d'une convention
collective; et lorsqu'il y a un congédiement pour activité
syndicale, fait en vertu de la loi, qui est le Code du travail, le nouvel
employeur n'est pas lié. Nous en avons des exemples à l'heure
actuelle. Nous sommes obligés de faire des recherches parce que les
administrateurs sont rendus en Floride. Je donne comme exemple Métalco
et Manco à Sherbrooke. On est incapable d'obliger le nouvel employeur
à réintégrer les anciens employés qui avaient
été congédiés par Métalco et qui ont tous
gagné leur congédiement pour activité syndicale. Ils ont
été remplacés par des nouveaux. Alors, je pense, qu'il
faut absolument modifier l'article 45 et inclure accréditation, ou
procédure de congédiement, ou suspension.
La question de "pour cause"; si on demande de rajouter cela, c'est que
pour nous il est important que les commissaires du travail, même s'ils
relèvent, en termes de coordination du travail, d'un commissaire
général du travail, aient une indépendance dans l'exercice
de leurs fonctions. Ils exercent, quand même, des fonctions judiciaires
qui sont soumises à la surveillance de la Cour supérieure - on en
a parlé tout à l'heure. Je pense que c'est important que ces
commissaires continuent, comme les arbitres, à avoir une
indépendance. Cela n'existe pas la démission des arbitres ou le
pouvoir de les dessaisir d'un dossier. Je demande pourquoi cela existerait pour
les commissaires. Nous sommes d'accord à inclure le "pour cause" pour
éviter que cela soit la Cour supérieure qui les démette
lorsqu'il y a une cause réelle, soit de partialité ou autre, mais
"pour cause" s'entend pour les motifs que tout le monde connaît:
partialité, conflit d'intérêts, incapacité d'agir,
maladie, etc. Pour d'autres raisons que cela, je pense qu'un commissaire
général ne devrait pas avoir le pouvoir de dessaisir un
commissaire d'une affaire.
Enfin, quant à la question des assesseurs plutôt que des
arbitres, effectivement, ils accomplissent leur rôle de façon
différente. Le fait qu'un arbitre ait à signer la convention
collective ou ait a signer la décision lui donne une importance dans le
sens qu'il est obligé de participer activement à la
décision et d'en assumer aussi les conséquences s'il ne se
comportait pas comme il le faut. Un assesseur-conseil est l'arbitre unique. Il
rend sa décision. Il ne m'apparaît pas que le fait d'avoir des
assesseurs plutôt que des arbitres raccourcisse à ce point les
délais qu'il vaille la peine de troquer les arbitres pour des assesseurs
dans le cas de l'imposition d'une première convention collective ou des
cas spécifiques comme les pompiers ou les policiers.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Prévost.
M. Dean: M. Mercille, j'ai noté, à la
première page de votre document, que vous citiez les paroles du
ministre, qui est malheureusement absent pour cause de maladie, dans un texte
qui se lit comme suit: "Dans l'état actuel de la législation, le
droit d'association ne constitue souvent qu'une illusion pour des milliers de
travailleurs québécois qui, majoritairement, décident de
se constituer en syndicats." Je partage cet avis de mon ministre.
Récemment, un représentant de votre centrale m'a fait
part, dans ce contexte, que vous dites à l'avance maintenant aux groupes
de travailleurs qui manifestent l'intérêt de se syndiquer, le
désir de se syndiquer, toutes les horreurs qui peuvent les attendre et
que, si les travailleurs embarquent dans une campagne de recrutement et qu'il y
a une requête, c'est parce qu'ils y croient. Cela semble contredire des
sondages publiés par certains indiquant que les travailleurs
québécois ne sont pas intéressés à se
syndiquer.
Deuxièmement, j'ai entendu parler d'un autre cas un peu unique
qui touche votre centrale où un groupe de travailleurs,
déjà en syndicat de boutique, aurait fait appel à un de
vos représentants à titre privé, à titre "un peu en
dessous de la couverte", pour qu'il monte une autre association de boutique. Il
a eu une accréditaion presque dans un temps record. Je ne sais pas si
vous êtes au courant. C'est le premier volet de ma question, à
savoir si vous êtes au courant et si vous pouvez nous parler un peu plus
de ce cas.
Le deuxième volet concerne la question de l'arbitrage des
différends. J'avoue que je suis un peu surpris malgré vos
explications, parce que, même si la loi dit que les arbitres ont 60
jours, on sait que la moyenne actuelle pour rendre une sentence avec des
prolongations successives de mandat est de 180 jours, ce qui fait six mois pour
une sentence arbitrale. Il nous semble que l'utilisation d'assesseurs qui sont
peut-être moins rigidement impliqués dans le processus que les
arbitres patronaux et syndicaux pourrait éviter une partie de ces
délais.
Troisième point, vous avez dit, en parlant de la deuxième
phase, de la question d'une plus grande réflexion pour une
réforme en profondeur du code, que la CSN était prête,
comme centrale, à participer au "task force" dont on discute.
J'aimerais, ce soir, que vous nous donniez très brièvement vos
idées sur le mandat de ce "task force".
Le Président (M. Blouin): M. Mercille.
M. Mercille: Effectivement, pour répondre à votre
dernière question, pour nous, un "task force" sera composé de
représentants des différentes organisations syndicales et
patronales du Québec et de représentants du gouvernement. Nous
espérons qu'il puisse se mettre à l'oeuvre le plus tôt
possible pour regarder l'ensemble du Code du travail et aussi son application
et qu'on puisse voir ensemble comment on pourrait en arriver à une
réforme du Code du travail.
Nous tenons à vous faire remarquer, M. le Président de
cette commission, que le projet que nous avons préparé ici est
basé à 80% sur une proposition faite par le ministre du Travail
du temps, M. Marois. Nous considérons que ces propositions qui ont
été déposées au CTM l'automne dernier
amèneraient une réforme en profondeur du Code du travail. Il est
sûr que nous avons aussi fait un certain nombre de suggestions. Avec
comme base de discussion les différentes organisations syndicales et le
gouvernement, partant de la réflexion qui s'est faite au
ministère du Travail et à laquelle nous avons participé il
y a deux ans - vous faisiez partie d'un comité de députés
- nous croyons que nous pourrions y arriver dans un court délai avec
comme base de discussion le projet de Code du travail qui avait
été présenté par le ministre du Travail au
CCTM.
(21 h 30)
Pour l'avant-dernière question, à savoir si on a
déjà organisé un syndicat de boutique qui voulait sortir
d'une autre association, je vous dis franchement que je ne suis pas au courant.
Je ne sais pas si mes camarades sont au courant de cette question, mais je ne
suis pas au courant. Habituellement, on organise des syndicats. Les syndicats
indépendants, on les affilie quand on peut les affilier, ou quand on
peut marauder un syndicat de boutique, on le maraude plutôt. Vous
connaissez notre pratique à ce chapitre. Ce n'est pas dans nos
habitudes, à ma connaissance, d'organiser des syndicats
indépendants, loin de là. Je jure cela. C'est-à-dire dans
les circonstances financières actuelles de la CSN.
Oui, on a hâte aussi que l'économie reparte, en passant,
pour répondre au député libéral, parce que vous
savez qu'avec 10 000 membres cotisant à la CSN, on a aussi des
problèmes financiers.
À votre première question, à savoir si on informe
les travailleurs, quand ils viennent nous rencontrer, sur tous les obstacles de
la syndicalisation, nous disons que nous devons être francs et
honnêtes envers les travailleurs et les travailleuses qui veulent
organiser un syndicat. Il y a un très grand nombre d'obstacles, il faut
le leur dire parce qu'ils nous demandent combien de temps cela prendra. Ils ne
se syndiquent pas pour une accréditation, il ne faut jamais oublier
cela. Les travailleurs et les travailleuses se syndiquent pour négocier
une convention collective et négocier leurs conditions de travail. On
est obligé, selon les règles actuelles des relations du travail,
par le Code du travail, d'informer les gens qui veulent s'organiser des
délais, parce qu'ils nous demandent combien de temps cela leur prendra
pour obtenir leur accréditation. Vous comprendrez que l'on est
obligé de le leur dire. Connaissant les différents milieux et les
différents secteurs, on leur dit une moyenne qui peut arriver. Nous
devons mettre au courant ces militants et ces militantes qui peuvent être
congédiés pour activité syndicale. Bien sûr, nous
les informons qu'il y aura plainte de congédiement pour activité
syndicale et qu'on va les aider dans la défense. Cependant, vous allez
comprendre qu'on doit les informer de toutes les procédures, pour les
mettre au courant afin qu'ils sachent dans quoi ils s'embarquent. Malgré
cela, en 1982, nous avons organisé plus de 15 000 travailleurs
accrédités. Aussi, nous en avons actuellement plus de 10 000 en
instance d'accréditation. Il faut être honnête et franc
envers les travailleurs et travailleuses qu'on organise. Nous espérons
que les propositions qui sont faites par le gouvernement du Québec
actuellement apporteront une amélioration concernant les
accréditations pour ce qui est des délais.
Un des articles importants, si vous me le permettez, M. le
Président, c'est que l'employeur est obligé de nous informer sur
quoi il sera d'accord comme unité d'accréditation. Lorsqu'on
faisait notre demande d'accréditation, pendant les années que
j'ai vécues dans l'organisation syndicale, l'employeur disait: Je
m'oppose à l'unité d'accréditation, et on s'en allait en
audition. Après cette proposition, l'employeur doit nous faire une
contre-proposition. Quelle sorte d'unité d'accréditation veut-il
avoir? À ce moment-là, on échange sur les règles de
négociations, sur l'unité d'accréditation. On peut alors
en arriver à une entente. Nous croyons que cette proposition qui est
faite par l'article 17 va améliorer les délais pour
l'unité d'accréditation.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Mercille.
M. Mercille: Je voudrais terminer par la Baie-James, tout ce
qu'on appelle les chantiers isolés. Avant la construction de la
Baie-James, nous avions dit aux représentants du Parti libéral,
qui était au pouvoir, que les chantiers fermés et
éloignés devraient être considérés à
part, concernant les relations de travail. Nous avions eu une expérience
dans le passé au chantier de la Manic, où la question
s'était posée des travailleurs de la cuisine par rapportaux travailleurs de la construction, aux agents de sécurité,
aux pompiers et à tous les autres services. Si on avait
considéré dans ces années la
proposition qui avait été faite par M. Marcel Pepin, un
chantier comme la Baie-James, c'était une question d'unité
d'accréditation. La Baie-James aurait été
considérée comme une unité d'accréditation.
À ce moment-là, tous les travailleurs qui travaillaient à
la Baie-James auraient eu un syndicat pour représenter l'ensemble des
travailleurs et le problème, à savoir les services essentiels...
Je termine là-dessus, mais nous croyons que, si cette proposition avait
été retenue dans le temps, cela aurait été
différent entre les travailleurs de la cuisine et ceux qui travaillaient
à la construction. Il n'y aurait pas eu de règlement de
saccage.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Mercille. N'ouvrez pas
cette porte-là, s'il vous plaît! On veut essayer de terminer ce
soir.
M. Johnson (Anjou): Faites attention à
celui-là.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Viau.
M. Cusano: M. le Président, pour respecter vos voeux, je
serai très bref. Aux pages 4 et 5 de votre mémoire, vous
mentionnez que la facilité pour l'entreprise, d'être vendue, en
tout ou en partie, est un autre moyen efficace pour empêcher la
syndicalisation.
Je dois vous avouer que j'ai eu plusieurs cas, dans mon comté,
d'individus qui, je crois, n'étaient peut-être pas tout à
fait préoccupés par le syndicat. Toutefois, des gens qui
travaillaient pour des entreprises qui ont été vendues, en tout
ou en partie, se voyaient offrir le même emploi, à des taux
inférieurs à ce qu'ils gagnaient, dans d'autres entreprises.
Ma question - je ne sais pas si vous avez les statistiques en main, ce
que j'apprécierais - est à savoir si vous avez effectué
des recherches et si vous possédez des statistiques qui nous
permettraient d'évaluer la gravité de cette situation.
M. Groleau: C'est que le problème ne se pose pas
uniquement pour la vente. L'on aurait dû ou l'on aurait pu aussi
mentionner la question de la sous-traitance parce que le problème est
identique.
Or, pour ce qui est de statistiques sur le nombre de
congédiements ou le nombre de ventes qui ont eu lieu pendant le
dépôt d'une requête en accréditation, l'on peut vous
dire que, dans les petites entreprises, cela arrive assez
régulièrement. Que ce soit dans les garderies privées, que
ce soit dans ce genre d'entreprises qu'on nomme petites entreprises, ce sont
des situations très fréquentes où l'on arrive devant le
commissaire et où l'on cherche le nom du véritable employeur.
Des requêtes ont d'ailleurs été perdues pour cette
raison parce que nous n'avions pas le bon nom de l'employeur. Il y a eu des
problèmes sérieux touchant certaines garderies de la
région de Montréal seulement à cause du nom de
l'employeur, parce qu'il y a un nom qui figure sur le chèque de paie, un
nom sur la boîte et un sous-contrat qui a été
accordé.
Je prends l'exemple des Floralies qui est une résidence
privée. À partir du moment où il y a eu dépôt
de requête en accréditation, il y a six sous-contrats qui ont
été accordés. Avant que ces contrats soient donnés,
il y a eu 8 mises à pied sur 40 employés.
Nous avons fait autant d'articles 45... Nous avons eu une injonction
provisoire parce que les conditions de travail avaient été
complètement modifiées. Au niveau de l'injonction interlocutoire,
nous avons perdu parce qu'on n'avait pas fait de plaintes pénales pour
violation du code. Mais ce qui est arrivé là-dedans, c'est que
certains employés n'ont pu réintégrer leur emploi
malgré qu'on ait fait des articles 45. Cela signifie, pour 40
employés, autant de négociations qu'il y a d'employeurs.
Lorsqu'on parle de multiplicité d'employeurs, c'est quand
même un peu différent de l'accréditation multipatronale.
Encore là, cela existe au code canadien et cela pourrait être une
suggestion pour éviter ce genre d'abus. Je qualifie cette situation
d'abus de droits.
Le Président (M. Blouin): Au nom de tous les membres de la
commission, je remercie les représentants de la
Confédération des syndicats nationaux. Sur ce, j'invite les
représentants de la Centrale des syndicats démocratiques à
venir s'asseoir à la table des invités et à
présenter le contenu de leur mémoire.
J'invite le principal responsable à se présenter et
à présenter les collaborateurs qui l'accompagnent, pour les fins
du journal des Débats.
Centrale des syndicats démocratiques
M. Hétu (Jean-Paul): M. le Président, je voudrais
vous présenter la délégation qui compose le groupe CSD ici
à cette table.
Tout d'abord, à ma gauche, M. Roland Meunier et un
représentant de la CSD de la région de Montréal.
À ma droite, M. Jos. Caron, près de moi, qui
représente la région de la Mauricie, et M. Pierre-Yvon Ouellet,
du Centre de recherche de la CSD.
Le Président (M. Blouin): Et vous êtes M.
Hétu?
M. Hétu: C'est exact. Et vous?
Le Président (M. Blouin): M. Blouin.
M. Hétu: M. le Président, je vous remercie.
Nous croyons que la politique gouvernementale en matière de
syndicalisation qui est déposée devant nous est
d'intérêt secondaire parce qu'elle cherche à corriger un
certain nombre d'abus mineurs qui sont de nature procédurière et
juridique. Quant à nous, elle évite le débat fondamental
quant à l'accès des travailleurs et travailleuses à la
syndicalisation. Ce projet de loi qu'on étudie ce soir n'ose même
pas réformer le juridisme vicieux qui a envahi les relations de travail
primaires, c'est-à-dire au niveau du droit à la syndicalisation
et au niveau du droit à l'accréditation.
Depuis plus d'un an, M. le Président, le gouvernement a
changé de cible, tout au moins dans ses intentions par rapport au Code
du travail. Il parlait alors de déjudiciariser le système. Des
consultations ont même été faites auprès de
différents groupes pour en arriver à cette fin. Aujourd'hui, il
n'en est plus question car il préfère maintenir le statu quo sur
toute la problématique juridique et procédurière du Code
du travail. Il y a là une incohérence qu'on ne peut passer sous
silence, M. le Président.
Par ailleurs, la CSD souscrit à la proposition du ministre du
Travail qui consiste à ouvrir un débat public - M. Dean parlait
d'un "task force" tantôt - sur le Code du travail dans le secteur
privé, particulièrement sur l'accès des travailleurs et
travailleuses à la syndicalisation.
Je voudrais aborder, M. le Président, trois questions. La
première a trait à l'accès à la syndicalisation; la
deuxième, aux briseurs de grève et la troisième, bien
sûr, aux dispositions du projet de loi relatives à l'arbitrage des
griefs et des différends. Avant d'aborder le chapitre relatif à
l'accès à la syndicalisation, j'aimerais vous faire part du fait
que, lors d'une rencontre avec le ministre du Travail, nous lui avons dit que
nous acceptions les amendements qu'il proposait actuellement.
J'aimerais donner un exemple qui illustre le bien-fondé de notre
position, en particulier relativement à l'article 27.1 qui est
proposé dans le code. Mon énumération sera sans doute
fastidieuse, mais je dois la faire parce qu'elle a trait à une
expérience concrète. En date du 3 mars 1982, nous...
M. Polak: À quelle page?
M. Hétu: Cela n'est pas dans le mémoire.
M. Polak: D'accord. C'est parfait.
M. Hétu: Ce n'est pas dans le mémoire. Vous avez
bien fait d'intervenir.
Le Président (M. Blouin): Est-ce que je peux quand
même vous...
M. Hétu: Pardon?
Le Président (M. Blouin): Vous êtes quand même
au courant des limites à l'intérieur lesquelles nous devons
naviguer. Je vous demande, comme je l'ai demandé aux autres intervenants
qui ont réussi ce tour de force quand même avec grande
distinction, de présenter votre mémoire en une vingtaine de
minutes. Si vous ouvrez plusieurs...
M. Hétu: Je vous prie de croire, M, le Président,
que je vais satisfaire à la requête.
Le Président (M. Blouin): Très bien.
Merci.
M. Hétu: Nous déposions, en date du 3 mars 1982,
une requête en accréditation. Nous avons reçu
l'accusé de réception du ministère sur le dossier Untel.
Le 15 du quatrième mois de 1982, un rapport sommaire de l'agent
d'accréditation était soumis et on apprenait que l'employeur
n'avait pas donné son accord sur l'unité d'accréditation.
Le 26 avril 1982, nous recevions un avis de convocation pour audition devant le
commissaire Campeau. Cependant, en date du 17 mai, il n'y avait pas eu
d'entente et l'audition qui était prévue pour le 28 mai a
été remise au 15 juin. Le 14 juin 1982, il y a un syndicat
indépendant qui déposait une première requête en
accréditation. En date du 15 juin 1982, le syndicat indépendant
déposait une deuxième requête en accréditation. Le
21 juin 1982, nous recevions avis que notre requête en
accréditation était en conflit avec celle du syndicat
indépendant qui avait déposé deux requêtes. Le 18
octobre 1982, le syndicat indépendant dépose une troisième
requête en accréditation. Le 20 octobre 1982, nous recevions un
avis de convocation pour audition devant le commissaire Campeau pour telle
date. Et, par la suite, le 4 novembre 1982, nous recevions un nouvel avis de
convocation pour une audition devant se tenir le 27 janvier 1983. Le 16
février 1983, on reçoit un avis de convocation pour audition
devant le commissaire. Et, bien sûr, on est accrédité le 18
mars 1983. Ce n'est pas fini. Le 31 mars 1983, nous recevons une copie de la
requête en 49 qui avait été déposée par le
syndicat indépendant. Le 4 mai 1983, le commissaire rend sa
décision et rejette la requête en 49 du syndicat
indépendant. Le 30 mai 1983, il y a un bref d'évocation qui est
déposé et il y a une
audition qui est prévue en date du 13 juin 1983. Tout ce que je
veux dire, c'est que l'article 27.1 va permettre d'éliminer au moins une
partie du problème que nous avons vécu. (21 h 45)
Cependant, nous croyons que - et là, je reviens au mémoire
- les amendements qui sont apportés au Code du travail ne favorisent pas
du tout l'accès à la syndicalisation et que les moyens
proposés pour réduire les délais abusifs n'obtiendront pas
tous les effets d'efficacité escomptés.
Les propositions d'amendements aux articles 14, 15 et 16, entre autres,
ne sont pas des moyens qui visent à assurer le développement de
la syndicalisation. En d'autres termes, ces moyens n'ont pas pour but, ni dans
leurs intentions, ni dans leurs mesures concrètes, d'élargir le
droit des travailleurs et des travailleuses d'accéder à la
syndicalisation.
Quels sont alors les buts qui sont fixés? On peut les
résumer dans un objectif qui est d'accroître la protection
individuelle à une personne qui subit des représailles ou des
mesures discriminatoires contraignant ainsi la dite personne à
s'abstenir ou à cesser un droit résultant du Code du travail.
On accroît la protection individuelle par ces articles parce qu'on
veut étendre cette protection à des champs plus grands que ce que
la loi actuelle permet. On veut passer du champ couvert par menace de renvoi
à toutes les autres mesures discriminatoires. Cette mesure nouvelle
recourt à une subtilité juridique pour éviter sans aucun
doute les avocasseries qui empêchent la plénitude d'un droit
reconnu de s'exprimer. Par cette proposition, on veut aussi que ce qui revient
ou échoit au travailleur lésé, en vertu d'un droit, lui
soit attribué. C'est une mesure juridique positive, mais elle n'a pas
pour effet direct de rehausser, si vous voulez, la protection consentie
actuellement au droit d'association.
Aussi généreux soient-ils au premier abord, ces
amendements ne s'appliqueront pas aussi facilement qu'un coup de ciseau. Ils
s'appliqueront plutôt par suite de débats devant le commissaire du
travail, par suite de retards et, bien sûr, des procédures
dilatoires pour être finalement tranchés par le Tribunal du
travail. Car il s'agit d'un nouvel article de loi qu'il faudra tester et
clarifier par la caste juridique. Mais rien ne sera changé pour le
travailleur lésé car il devra sûrement attendre
jusqu'à - et nous ne le souhaitons pas - deux ans avant que justice soit
faite.
Sont-ce des propos pessimistes? Ce sont plutôt des propos
réalistes tirés d'une expérience de dix ans à la
CSD où les membres de notre centrale ont investi plus d'unmillion de dollars en frais juridiques pour défendre le droit des
travailleurs à la syndicalisation. Par ailleurs, les amendements au Code
du travail qui ont trait à la réduction des délais abusifs
ne modifient en rien - et cela, il faut en avoir conscience -les règles
du jeu qui sont à l'origine de ce que j'appelais au tout début le
juridisme vicieux, et qui agit selon une stratégie patronale
étapiste consistant à frapper à toutes les phases du
processus d'accréditation. À cause des faiblesses chroniques du
Code du travail, le juridisme devient un outil à utiliser pour camoufler
d'abord les agissements antidémocratiques du patronat, s'il se confine
à certaines limites qui ne violent pas grossièrement la loi, et
ensuite pour abuser des procédures afin de prolonger les délais
d'accréditation.
Le modèle patronal consiste à être bien
appuyé par un avocat et c'est ainsi que l'employeur qui désire
contrer la syndicalisation de son personnel pourra recourir invariablement au
même arsenal qui consiste à frapper à toutes les phases du
processus d'accréditation.
Avant le dépôt de la requête, nous avons même
vu des cas de menace de fermeture d'entreprises - je ne parlerai pas non plus
des menaces d'intimidation et de harcèlement - et aussi de modifications
de conditions de travail. Après le dépôt de la
requête, avant l'enquête, évidemment tout le monde sait
qu'il y a énormément d'objections liées à
l'unité d'accréditation. Lors de l'enquête, refus de
l'accès au lieu du travail à l'enquêteur. Nous avons des
témoignages qui illustrent même cette attitude patronale.
Après l'enquête, objections à l'unité
d'accréditation, congédiements, modifications des conditions de
travail, entrée en lice d'un syndicat de boutique; et devant le
commissaire du travail, multiplication des requêtes pour remise
d'audition, objections surprises; après l'accréditation devant le
Tribunal du travail, appel de la décision du commissaire pour exploiter
à profit la lenteur de l'appareil judiciaire.
Toutes ces tactiques visent un seul objectif: bloquer le processus
d'accréditation afin de maintenir le statu quo dans l'entreprise. D'une
part, les agissements illégaux d'une certaine nature ont une incidence
directe sur la ferveur militante du personnel. La seule réponse
syndicale pour contrer ces tactiques donne lieu à une autre guerre
judiciaire d'usure. Le processus judiciaire est encore trop lent pour corriger
les abus. Ce que nous en retenons, c'est que la lenteur de l'appareil
judiciaire et la nature même des recours ne peuvent aucunement corriger
à temps l'impact des tactiques patronales.
On constate donc grosso modo que l'employeur qui sait manoeuvrer
à l'intérieur de certaines limites et en exploitant toutes les
ficelles de la procédure, peut agir à sa guise et rendre la loi
totalement inefficace
quant à l'expression du droit démocratique de se
syndiquer.
Nous vous soumettons, à l'annexe À, dix-huit
témoignages vécus par des travailleurs et des permanents
syndicaux qui illustrent concrètement les diverses tactiques
utilisées que j'ai décrites très rapidement. Selon notre
expérience pratique, ce juridisme conduit les travailleurs et les
travailleuses à deux voies d'évitement.
Première voie, c'est l'écoeurement des travailleurs et des
travailleuses. Nous constatons ce phénomème à
l'égard des femmes, entre autres, à l'emploi de petites
entreprises qui, victimes de ce juridisme, en sortent tellement
écoeurées, même si le syndicat a obtenu gain de cause,
qu'elles renoncent au syndicat et vont même jusqu'à quitter leur
employeur. Pour elles, aucune victoire judiciaire ne pourrait enterrer leurs
désillusions.
Deuxième voie, bien sûr, c'est l'incapacité de se
syndiquer. Dans d'autres cas, la lutte des travailleurs ne conduit nulle part
même après deux ou trois tentatives de syndicalisation. On
pourrait vous citer de nombreux cas illustrant cela.
Favoriser, quant à nous, l'accès à la
syndicalisation, c'est procéder à l'éclatement des limites
dans lesquelles le droit d'association est poigné, c'est libérer
ce droit des entraves juridiques, c'est établir les conditions qui vont
contribuer au développement du syndicalisme. En d'autres mots, c'est
élargir le droit ou les droits à la syndicalisation. Comment
faire?
Tout d'abord, la première règle pratique doit être
articulée, hélas'. - on ne retrouve pas cela dans le projet de
loi qui est déposé devant nous - à partir du droit
d'expression du travailleur ou de la travailleuse sur les lieux du travail ou
le droit du salarié de s'exprimer au travail sur le syndicat, les choses
syndicales et ce, en tout temps sans exception. Aujourd'hui, comme on le sait,
il est interdit à un travailleur qui veut se syndiquer de s'exprimer sur
les heures du travail. Il n'a pas le droit de signer sa carte d'adhésion
sur les heures de travail. On lui reconnaît néanmoins ce droit
pendant la pause-santé ou la pause-café. Cela est inacceptable
parce qu'il y a dans cette problématique une aberration mentale qui
fausse toute la base des rapports sociaux entre les travailleurs et le patron.
L'origine des représailles, des menaces, de l'intimidation, de la
discrimination ou de la peur avouée ou inavouée du travailleur
provient de cette absence de droit et de cette inégalité devant
la loi, entre patron et salarié, qui s'est inscrite - il faut le dire
-depuis des générations dans les moeurs des travailleurs. Les
travailleurs savent que le patron est antisyndical. Les travailleurs savent que
ce droit d'expression n'est pas reconnu. Les travailleurs savent que, s'ils
s'expriment sur les lieux du travail en faveur du syndicat, ils seront punis
d'une manière ou de l'autre dans le bien le plus précieux qu'ils
possèdent, c'est-à-dire le droit au travail. C'est une
contradiction fondamentale qu'on n'a pas résolu depuis plus de 40 ans.
On reconnaît au syndicat le droit de s'exprimer en société,
on reconnaît le droit au syndicat de s'exprimer dans l'entreprise quand
il est accrédité mais on ne reconnaît pas le droit de
s'exprimer au travailleur qui veut se syndiquer sur les heures de travail.
Toute mesure de protection individuelle, en particulier comme celle que propose
le ministre du Travail, ne peut être validée,
légitimée tant et aussi longtemps qu'on ne reconnaîtra pas
ce droit d'expression aux salariés sur les lieux du travail.
Le droit de s'exprimer, comme vous le savez, est le contraire de
dissimuler et de cacher. Mais a-t-on réalisé qu'aujourd'hui, dans
les années quatre-vingt, on doit, comme on l'a dit tantôt, se
syndiquer en cachette, discrètement, secrètement? C'est l'envers
du bon sens. Comment des travailleurs peuvent-ils se dissimuler dans une
entreprise après que le syndicat eut déposé sa
requête d'accréditation au ministère du Travail? Comment,
dans un tel contexte, des salariés, M. le député de
Brome-Missisquoi, peuvent-ils travailler en paix dans l'entreprise? Comment
peuvent-ils maintenir un taux de productivité - c'est en liaison avec
votre question sur la relance - normal quand la majorité d'entre eux
savent qu'ils sont syndiqués mais qu'ils doivent le dissimuler au patron
alors que le patron le sait, sans savoir pour autant dans certains cas qui a
signé sa carte, sans savoir qui en est l'instigateur? N'est-ce pas
ridicule?
Cette situation conduit le gouvernement actuel à vouloir amender
l'article 36 du Code du travail pour obliger au secret les juges des tribunaux
supérieurs, parce que l'acte de se syndiquer ou l'appartenance à
une association syndicale doit être entourée de secret!
À cause du temps qui passe rapidement, je vais passer
sommairement à la loi sur les briseurs de grève. Disons que,
quant à nous, la loi antibriseurs de grève n'existe pas encore.
On l'attend toujours. Cela n'a pas de maudit bon sens. Même les
changements qui vont être apportés ne résoudront pas pour
autant le problème fondamental dans lequel on est pris. On cite des
témoignages concrets d'un cas qui a duré au-delà de deux
ans. Il y avait des briseurs de grève, mais à cause de toute la
procédurite, à cause des retards, des remises... Enfin, il y a eu
700 plaintes dans ce cas. On en a plaidé environ 260 et finalement on a
réglé. Savez-vous pourquoi? On a passé devant un juge -
son nom m'échappe - oui il dirigeait le procès qui avait eu lieu
au sujet d'une émeute et il a
ordonné aux deux avocats de ne plus revenir devant lui. Il leur
donnait trois jours pour résoudre le problème. C'est de cette
façon que cela s'est réglé. Ce n'est pas compliqué,
cela s'est réglé de cette façon. Tout le monde avait un
fusil juridique à la gorge et on a dit: Réglez, sinon on serait
encore à plaider les 300 ou 400 autres causes. Les travailleurs seraient
encore en grève. Cela n'a pas de bon sens.
C'est pour cela qu'on dit que la loi antibriseurs de grève,
même avec ces amendements, nous estimons que cela ne résoudra pas
le problème. Ce n'est pas compliqué. Pour que la loi antibriseurs
de grève soit efficace il faut qu'on arrête de produire, point. Je
pense que ce n'est pas compliqué à faire dans une loi. Quand
j'entends la partie patronale dire que, par ces amendements au code, on
concède beaucoup aux syndicats, je le répète, au niveau de
l'accès à la syndicalisation, c'est mineur, et au niveau de la
loi antibriseurs de grève - ce n'est pas antiparlementaire, mais, vu que
je ne suis pas député, je peux le dire - ce sont des "peanuts",
et elles ne sont même pas digestibles.
Enfin, nous appuyons les dispositions relatives à l'arbitrage des
différends et des griefs qui constituent, quant à nous, un
moindre mal, dans l'attente d'un changement profond du Code du travail. Quand
nous donnons cet appui, nous savons qu'au niveau de l'arbitrage des
différends, même avec les changements qui sont proposés
avec assesseurs, avec certains types d'avocats qui mériteraient
d'être rayés du barreau, lorsque l'assesseur va siéger, on
va avoir encore des problèmes à n'en plus finir.
M. le Président, j'espère que j'ai satisfait à
votre requête parce que je sais que vous en avez encore beaucoup à
entendre. Je suis donc prêt à répondre aux questions.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, M. Hétu.
M. le ministre. (22 heures)
M. Johnson (Anjou): M. Hétu, je vous remercie de votre
exposé. Je devrais peut-être dire votre plaidoyer, M. Hétu,
que j'entends une fois de plus. Je pense que vous le livrez avec une certaine
constance depuis un certain nombre d'années au Québec dans les
différents forums. C'est un plaidoyer qui est un appel à la fin
des préjugés, une volonté de voir s'installer une
tolérance patronale et un appel essentiellement à des attitudes
différentes. Encore une fois, je pense qu'il faut rendre hommage
à votre constance, à votre persistance, pour ne pas dire à
votre entêtement à tenir ce discours jusqu'à ce qu'on y
parvienne un jour. Il n'en demeure pas moins que nous avons devant nous,
cependant, un projet de loi dont nous reconnaissons les limites à
l'égard des grands objectifs que vous évoquez et qui ne se
prétend pas non plus être une réforme finale ou
définitive qui, c'est vrai, tarde.
J'ai donc à vous poser quelques-unes des questions que j'ai
posées à vos collègues des autres centrales ou même
à des gens représentant la partie patronale. Je vais commencer
par la fin de votre exposé à l'égard de l'arbitrage des
griefs et des différends.
Est-ce que vous considérez qu'il faut faire une distinction entre
l'arbitrage de griefs et l'arbitrage de différends quant à la
composition du tribunal d'arbitrage? Ou est-ce que, pour vous, l'ensemble est
identique? Ce sont des situations analogiques. Je remarque que vous semblez les
identifier à la fin. Je vais peut-être vous donner une chance de
parler un peu plus là-dessus.
M. Hétu: Première remarque générale
concernant les commentaires que vous avez faits relativement à notre
appel par rapport à la tolérance patronale. Nous estimons que
c'est un voeu pieux et qu'il faut que le gouvernement, s'il ne le fait pas
à ce stade-ci., procède à une refonte majeure du Code du
travail. Je pense qu'il y a tout l'aspect législatif qui va, pour une
part, corriger le problème actuellement effarant que le Code du travail
soulève, soit le développement des syndicats de boutique. Si je
ne me trompe pas, dans les statistiques, au cours de l'année
dernière, les requêtes en accréditation pour les syndicats
de boutique équivalent sinon dépassent les requêtes
provenant du mouvement syndical. Il faut, d'une part, qu'il y ait une refonte
majeure de la législation. Cette refonte majeure, évidemment,
comme vous l'avez proposé, va se faire dans un autre temps, mais nous
souhaitons que le gouvernement procède véritablement à
cette réforme du Code du travail avant de procéder aux
élections. Qu'il n'y ait pas un gros "task force" qui soit fait et que
ce soit remis aux calendes grecques sous prétexte qu'on va en
élection. Je trouve cela capital.
Il est évident que la réforme du Code du travail,
cependant, ne sera pas, même en profondeur, une solution magique à
la syndicalisation, parce que la partie patronale a développer des
nouvelles politiques, non pas en utilisant l'appareil judiciaire ni la
législation, mais des politiques sociales jusqu'à un certain
point, ou qui donnent l'illusion de la dimension sociale, afin d'empêcher
la syndicalisation. Cela est un autre problème qui relève des
syndicats et c'est aux syndicats à prendre leurs responsabilités
à ce niveau. Il y a un troisième volet, il est évident,
c'est tout le problème de l'image, mais qui aujourd'hui ne souffre pas
de ce problème d'image? Quant à l'arbitrage des griefs et
l'arbitrage des différends, il est évident que ce sont deux
mesures différentes. Quant à l'arbitrage des
différends, l'objectif qui est visé, c'est de tenter de
résoudre le problème d'une première convention
collective.
Actuellement, nous souffrons à ce niveau de procédurite
et, dans certains cas, c'est affreux. Là, je fais
référence à une expérience concrète que nous
vivons; nous faisons face à l'employeur qui a recours à un
représentant qui siège au niveau de l'arbitrage des
différends et à l'avocat qui plaide. C'est l'avocat sur le
plancher qui représente la partie patronale. Quand il est
essoufflé, quand il ne vient pas à bout de l'argumentation
syndicale, c'est le représentant patronal, au niveau de l'arbitrage du
conseil, qui intervient et qui fait la guerre. C'est une guerre d'usure et cela
n'aboutit pas. Dans ce cas, je pense qu'il vaudrait mieux tout simplement
débrayer, ce n'est pas compliqué, et faire la grève sans
utiliser cet arbitrage. C'est pour cela que la mesure proposée par le
gouvernement, on se dit que c'est un moindre mal. On se dit: On va l'essayer
parce que, dans certains cas, comme je vous le disais, cela ne mène
nulle part. En tout cas, cela retarde, cela en est effarant.
Quant à l'arbitrage de griefs, il est évident que
l'arbitre unique est une mesure indispensable qui a pour objectif
d'éliminer les recours qui sont déjà encore trop longs au
niveau des griefs.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Hétu.
M. Johnson (Anjou): Avant de terminer, je pense qu'on est un peu
moins pressé dans le temps pour des raisons que mon collègue
pourra évoquer.
M. Bertrand: Je peux le faire tout de suite.
M. Johnson (Anjou): Je peux peut-être lui permettre
d'évoquer certaines choses pour libérer certaines personnes.
Le Président (M. Blouin): M. le leader du
gouvernement.
M. Bertrand: M. le Président, je voudrais simplement
indiquer qu'après en avoir discuté avec mon collègue, le
ministre responsable du Comité ministériel permanent de
développement social, avec l'adjoint parlementaire du ministre du
Travail, le député de Prévost, et avec le
député de Brome-Missisquoî, comme nous avons convenu, de
part et d'autre, de terminer nos travaux à minuit, nous entendrions,
après la Centrale des syndicats démocratiques, la
Fédération des pompiers professionnels du Québec et la
Fédération des policiers du Québec. Pour que tout puisse
se dérouler dans un contexte qui facilite la discussion, nous voudrions
aviser immédiatement les représentants de la Chambre de commerce
de la province de Québec, l'Association des manufacturiers canadiens et
la Centrale de l'enseignement du Québec, qui ont été
requis d'être présents avec nous aujourd'hui, que nous
poursuivrons fort probablement - je ne peux pas donner une indication
définitive, formelle - ces travaux jeudi. Tout cela reste à
déterminer demain matin. Je pourrai en aviser nos collègues de
cette commission parlementaire et aussi, bien sûr, les
représentants de la Chambre de commerce de la province de Québec,
de l'Association des manufacturiers canadiens et de la Centrale de
l'enseignement du Québec.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le leader du
gouvernement.
M. Bertrand: M. le Président, on m'indique qu'il pourrait
y avoir certaines difficultés pour l'un ou l'autre des groupes qui ont
été invités à venir devant la commission
parlementaire. Nous en tiendrons compte aussi dans l'évaluation du
moment qui serait le plus approprié pour poursuivre les travaux de la
commission parlementaire.
Le Président (M. Blouin): Très bien. M. le ministre
des Affaires sociales.
M. Johnson (Anjou): Avant de continuer et avec nos excuses
auprès de ces trois groupes d'invités...
M. Fortier: M. le Président... Le Président (M.
Blouin): Oui.
M. Fortier: ...juste avant que le leader parte, on m'indique que
l'un des groupes ne pourra pas venir jeudi.
M. Bertrand: Oui, c'est exact, c'est l'Association des
manufacturiers.
M. Fortier: Peut-être que ce serait aussi bien de reporter
la séance à lundi de la semaine prochaine.
M. Bertrand: Ouf! Je vous dirai très franchement, M. le
député d'Outremont, que j'aimerais beaucoup qu'on puisse avoir
terminé cette semaine l'audition des groupes des six commissions
parlementaires qui font ce travail après le dépôt des
projets de loi en première lecture. Il y aura ensuite le travail en
deuxième lecture et en commission parlementaire, lors de l'étude
article par article, qui pourrait prendre un certain temps. Dans ce contexte,
on va tenter de trouver le meilleur moyen qui nous permette d'entendre les
groupes cette semaine. On verra, demain matin, à déterminer le
jour exact et les heures.
M. Johnson (Anjou): Avec mes excuses auprès de ces trois
groupes, je ne dirais pas qu'on va tenter d'aider, mais qui nous feront
l'honneur, j'en suis sûr, de nous aider, étant donné que
cette commission est quelque peu exigeante.
M. Hétu, juste une parenthèse avant de vous poser une
question sur certains des objets concrets que vous avez évoqués
et qui sont dans le projet de loi. Quand je vous entends parler de syndicat de
boutique, j'ai l'impression de vous entendre parler en même temps de
syndicat dominé. Je présume qu'il y a une distinction à
faire entre les deux, dans la mesure suivante, en étant parfaitement
conscient que je m'adresse à quelqu'un du mouvement syndical qui se
distingue en tant que tel, des efforts de syndicalisation locaux qui peuvent
être faits par des individus. S'il est vrai que, souvent, les syndicats
de boutique sont, à toutes fins utiles, des syndicats dominés, au
sens du code, il faut voir aussi à certains endroits, je pense, puisque
j'ai été témoin de cela a l'occasion, un effort
très spécifique des travailleurs, localement, pour s'arranger, je
ne dirais pas dans un contexte de vision autogestionnaire, mais sûrement
de prise de responsabilité à leur propre égard, pour
s'organiser avec... C'est un problème d'image, comme vous
l'évoquiez vous-même, dans certains cas, une appréhension
devant les structures du mouvement syndical, reliée à la mauvaise
presse ou à une mauvaise expérience dans une ville donnée
- cela s'est déjà vu - des travailleurs identifiant une
période particulièrement catastrophique à la
présence, à une époque donnée très
précisément, d'une partie du mouvement syndical, d'une des
centrales.
Cela dit, il reste qu'en termes de développement, je pense que la
syndicalisation connaîtra d'autant plus de succès dans la
recherche de son expansion que, effectivement, les centrales syndicales, donc
le mouvement syndical, seront impliquées là-dedans. Mais je
voulais faire la nuance. Je pense qu'il y a des syndicats, qu'on appelle
à l'occasion "des syndicats de boutique", qui sont bâtis par du
monde bien planté, qui sait ce qu'il veut et qui ne veut rien savoir,
pour une raison ou pour une autre, du mouvement syndical, parce qu'il a
peut-être eu une mauvaise expérience; je pense que c'est vrai dans
certains endroits. Je ne dis pas que cela ne fait pas l'affaire des employeurs
dans certains cas.
Je reviens à la question des mesures antibriseurs de
grève. Est-ce que vous auriez des commentaires, puisque vous avez
été assez avare de commentaires sur cette question? Est-ce que
vous auriez des commentaires à ajouter sur les mesures antibriseurs de
grève?
M. Hétu: J'en aurais à faire à la suite de
vos remarques, M. le ministre, si vous n'avez pas objection.
M. Johnson (Anjou): Cela fait longtemps qu'on ne s'est pas vu, M.
Hétu.
M. Hétu: Quand vous parlez des syndicats de boutique,
dominés, vous faites allusion à des syndicats
indépendants. Je pense qu'il est rare, au Québec, de trouver des
syndicats indépendants qui ne soient pas dominés. C'est rare.
Dans la très grande majorité des syndicats indépendants,
à l'origine, dans leur vie quotidienne, dans le développement de
leur action, soit de négociation, etc., il y a un lien de cause à
effet en vertu de la loi - cela a été dit
précédemment - c'est difficile de démontrer qu'ils sont
dominés. Je pense qu'il faut réformer cette disposition dans le
fond car, quant à nous, elle est pratiquement inefficace. Celle qui
existe dans le Code du travail. Il faut modifier toute cette philosophie du
code qui permet le développement des syndicats indépendants, de
boutique, etc. Pour faire la preuve, il faudrait pratiquement être
à la place de ceux qui y sont à l'origine. Bien sûr, il
faudrait que ces personnes accouchent, mais c'est là tout le hic. C'est
toute la question de base. Je ne connais absolument pas de syndicat... (22 h
15)
Quand on parle de syndicat de boutique, on peut parler du Trait d'union,
d'un type d'association. Je pourrais donner un exemple bien précis. Un
des responsables majeurs de cette association de boutique, qui s'appelle le
Trait d'union, est un propriétaire de taverne. Il ne faut pas se
raconter d'histoire. Il travaille avec un Cri. On pourrait décrire tout
cela. Mais ils ont obtenu des accréditations. Comment démontrer
qu'un propriétaire de taverne, qui reçoit des gars chez lui,
etc., comment démontrer qu'il a un lien avec le patron? Sauf qu'on va le
découvrir par la suite, quand arrive le temps, parce qu'on a
créé de l'espoir chez ces travailleurs. Ils vont tenter tout
simplement de faire appliquer la disposition relative au salaire. Même si
elle est collée au taux du salaire minimum, ils ne pourront même
pas la faire appliquer. Ces gens sont tellement dominés ou
dépendants qu'ils n'oseront même pas utiliser la loi que leur
donnent les normes pour leur permettre de faire appliquer la convention qui ne
fait que toucher les normes. J'ai rencontré de ces travailleurs.
C'était pénible. Tu ne pouvais pas, ils étaient
enchaînés. C'est un cas et on pourrait en raconter d'autres. Ici,
M. Jos. Caron pourrait vous raconter l'expérience qu'il vit dans une
scierie. Combien de fois tu as tenté de la syndiquer?
M. Caron (Jos.): Trois fois.
M. Hétu: Trois fois. À chaque fois, il s'est
formé un comité de boutique, il a disparu après la
première convention, on a recommencé encore et le comité
de boutique est venu au monde trois fois. Je vous assure qu'on va les avoir,
mais cela n'a pas de maudit bon sens. Que voulez-vous? On n'est pas capable de
faire la preuve, mais on le sait. Alors, il y a bien sûr des syndicats
indépendants actuellement qui sont séparés des centrales
syndicales et qui ont démontré qu'ils n'étaient pas des
syndicats de boutique, et qui ont fait des grèves importantes. Cela, il
y en a. C'est un critère au moins qu'ils ne sont pas dominés,
tout au moins dans la négociation collective. Pourquoi? Parce qu'il y
avait des traditions syndicales, mais ces traditions vont-elles demeurer? Cela,
c'est une autre histoire. Alors, c'est un aspect fort important. Il faut
à tout prix qu'il y ait cette réforme majeure du Code du travail,
sinon c'est l'ensemble de la crédibilité, j'oserais même
dire du gouvernement et de l'Opposition, qui sera en cause. Tu as une loi que
tu n'appliqueras pas. Les travailleurs savent que ce n'est vrai qu'ils ont un
droit de se syndiquer. Ils le savent, je vous prie de me croire. Il y a une
question qui a été posée à un représentant
tantôt, à savoir si on leur donne de l'information. Ils le savent.
J'ai même fait du recrutement, à un moment donné. Il nous
manquait deux cartes dans un cas. On expliquait à la femme que
c'était secret cette affaire, elle ne voulait pas signer, elle avait
peur de signer. Elle savait qu'elle se ferait poigner. En d'autres termes, elle
ne nous croyait pas et elle ne croyait pas les représentants du
gouvernement parce qu'elle a dit: II va voir les cartes, etc. Cela va loin.
Cela va jusqu'à une sorte de méfiance vis-à-vis de la loi.
C'est ce que cela veut dire dans le fond. Cela veut dire que, dans le fond, il
y a des citoyens qui n'ont plus confiance en notre régime. Cela va
jusque-là. Mais cela ne veut pas dire qu'ils vont partir sur un "fly"
pour tout faire. Ce n'est pas cela. Ils vont essayer de se dépanner tout
seuls, mais ce n'est pas cela qui est visé par la loi sur les normes et
par l'ensemble du droit du travail. Ce sont des outils pour leur permettre
d'assurer une certaine protection. Cependant...
Le Président (M. Blouin): Oui, sur le...
M. Hétu: Oui, mais, M. le Président, vous direz
cela à votre ministre. Il nous pose des questions grosses comme le
monde...
M. Johnson (Anjou): Je l'ai provoqué pour l'entendre.
M. Hétu: ...qui ont un fondement qui est vrai. Quand il
parle des syndicats de boutique, je pensais qu'il était pour dire que ce
n'était pas faisable, prouvez-le, mais il voulait que je le dise, je
présume.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je voulais surtout
que M. Hétu le dise avec sa faconde habituelle pour peut-être
l'illustrer auprès de mes collègues à votre gauche.
M. Polak: Je comprends mieux...
M. Fortier: Attendez qu'on pose des questions, vous allez voir
qu'on a compris plus que vous ne le pensez.
Le Président (M. Blouin): Le ministre avait
également évoqué la possibilité que vous
émettiez des commentaires...
M. Johnson (Anjou): Les dispositions antibriseurs de
grève.
Le Président (M. Blouin): ...succincts sur les
dispositions antibriseurs de grève. Succinctement, s'il vous
plaît!
M. Hétu: Succinctement, je répète que, pour
nous, la loi antibriseurs est à venir. Il n'y a qu'un moyen
législatif à prendre, c'est de fermer les boîtes lorsqu'il
y a une grève déclarée. Pourquoi? Parce que l'objectif,
c'est d'empêcher qu'il y ait violence. C'est cela l'objectif, c'est
d'avoir la paix sociale pendant les grèves qui est recherchée. Je
vous réfère au document des derniers témoignages d'un
organisateur - il l'a même signé - qui explique que cette violence
existe encore même avec la loi antibriseurs. Il n'y a rien à
faire, il y a des gars qui ont été condamnés. Que
voulez-vous que je vous dise? Nous autres, nous ne croyons pas à cette
disposition du Code du travail. Qu'on n'essaie pas de nous faire croire que
c'est une concession majeure au syndicalisme, écoutez'. Ne le dites
surtout pas, M. le ministre. Ce n'est pas une concession du tout. Vous avez
fait un effort, on l'a pratiqué, on a tenté de le mettre en
oeuvre, mais les résultats nous démontrent qu'on n'atteint pas
l'objectif. Est-ce que j'ai été succinct?
Le Président (M. Blouin): Oui, c'est très bien,
c'est très clair.
M. Hétu: Ah! Bon, une chancel Vous n'avez qu'à me
regarder!
Le Président (M. Blouin): C'est d'ailleurs très
clair.
M. Hétu: Très bien, je vous remercie. M. le
ministre, ça va?
M. Johnson (Anjou): Cela va, M. le Président.
Le Président (M. Blouin): Très bien. M.
le député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis: Oui, M. Hétu. C'est un mémoire d'un
style différent de celui de la CSN qui était technique.
M. Johnson (Anjou): Cela fait longtemps que c'est
différent, la CSD et la CSN.
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Paradis: Vous parlez des principes, vous vous attaquez
à quelques grands principes dont celui de pouvoir syndiquer les gens en
toute lumière, en toute clarté. C'est à la page 12 de
votre mémoire qu'on retrouve en partie une réponse à la
question traditionnelle que je pose: Qu'est-ce qu'il y a, dans le projet de loi
17, pour stimuler l'économie, pour maintenir l'emploi, pour créer
l'emploi? Vous avez attiré mon attention, à juste titre, sur le
passage suivant: "Comment, dans un tel contexte, des salariés
peuvent-ils travailler en paix dans l'entreprise? Comment peuvent-ils maintenir
un taux de productivité normal quand la majorité d'entre eux
savent qu'ils sont syndiqués, mais ils doivent le dissimuler au patron,
alors que le patron le sait, sans pour autant savoir qui a signé sa
carte, sans savoir qui en est l'instigateur?"
Est-ce qu'il y a d'autres éléments, dans le projet de loi
17 qui, suivant votre centrale syndicale, sont là pour aider à
stimuler l'économie, le maintien et la création de l'emploi ou si
vous n'en trouvez pas? Vous dites, finalement, que le projet de loi 17 ne fait
rien pour que cela se fasse en toute clarté et en toute liberté
d'association.
M. Hétu: C'est une question importante que vous soulevez,
M. le député. Elle mérite une réponse claire et je
vais vous la donner.
Le Président (M. Blouin): Et succincte?
M. Hétu: Et succincte, vous allez voir cela. Quand je dis
claire et succincte, c'est bien cela.
Le syndicalisme est un outil pour assurer la relance dans le contexte
actuel. Quand il y a un syndicat dans une boîte, un syndicat ne peut pas
négocier des salaires -vous me direz s'il y a quelque chose - s'il n'y a
pas accroissement de productivité. C'est clair, ça. Bien
sûr, là, il y a du chômage. Il y a aussi du chômage
technologique. Cela n'aide pas les choses, il y a une baisse de
productivité. Fondamentalement, le travailleur, le syndicat a une
responsabilité là-dedans. Mais le problème est que le Code
du travail, par sa définition relative à une entente collective,
à une convention collective, tout au moins dans son
interprétation juridique, exclut le syndicat comme étant un agent
responsable pour accroître cette productivité. C'est cela, le
problème.
Là, je vais me référer spécifiquement
à un des premiers articles de la convention collective qui traite des
droits de gérance. On exclut, on enlève ce droit au travailleur
sous prétexte que c'est l'administration qui a ce pouvoir et cette
compétence; on exclut le savoir-faire du travailleur pour qu'il y ait un
accroissement de productivité en tenant compte de certaines
règles de base: la santé, etc. La loi sur les normes le confirme
de manière juridique en disant que l'employé est
subordonné juridiquement. Cela répond à toute une
conception qui est dépassée et c'est pour cela qu'on plaide en
faveur d'une réforme majeure. Tant et aussi longtemps qu'on va rester
dans ce cadre juridique et que, par exemple, ce qu'on retrouve dans toutes les
lois du travail, tout ce qui est consacré notamment, comme on parle du
code, à la définition d'une convention collective, il est
évident qu'on ne peut pas, à moins que l'employeur ne soit
d'accord pour travailler sur la base de la concertation... Qu'est-ce que je
veux dire par là? Je termine, pour apaiser les inquiétudes du
président.
Voici ce qu'on a vécu, au cours de l'année, dans nos
négociations collectives. Cinquante employeurs nous ont ouvert leurs
livres, non pas parce qu'ils étaient en faillite, non! Ils ont ouvert
leurs livres pour des motifs... On a étudié toute cette question
parce que c'est vital dans le contexte que l'on sait. Je veux dire que la
législation ne permet pas ces choses-là. Si les parties patronale
et syndicale n'oeuvrent pas dans un contexte de concertation, mais avec, par
exemple, l'information économique, comptable... Quant à d'autres
critères ce n'est pas le lieu de les déterminer, il est
évident que votre question sera négative.
Il est évident que le Code du travail ne permettra pas cela en
totalité, mais ce ne sont pas uniquement les mesures législatives
qui vont permettre cela. Il y a aussi l'évolution dans les moeurs. Vous
savez que, au niveau patronal, il s'est développé une tendance
idéologique qui est aussi agressive. Qu'on regarde le nombre de lock-out
qui s'est accru. Cela a également un effet sur la productivité et
sur la création des emplois. C'est dans ce contexte qu'il faut le
situer.
M. Paradis: Peut-être une dernière question. On a un
Code du travail finalement, si je suis votre texte et l'analyse que vous en
faites, qui est basé sur la confrontation. On remet cela dans les mains
du pouvoir judiciaire et là, les interprétations, etc. On s'en va
de dédale en dédale, finalement. Est-ce que le projet de loi 17,
qui est devant nous, va vraiment accélérer les processus
d'accréditation ou de
règlement de griefs, etc.? Est-ce que, en introduisant de
nouvelles notions juridiques, cela n'amènera pas des ralentissements?
Parce qu'il va falloir aller devant le processus judiciaire, étant
donné qu'il n'y a rien de changé à ce niveau, pour faire
redéfinir les nouvelles notions juridiques que le législateur va
adopter la semaine prochaine.
M. Hétu: Disons que les amendements qui sont
proposés sont un moindre mal, à ce niveau. Dans certains cas,
l'objectif visé peut être un objectif qui vise à diminuer
un certain nombre de délais. Dans certains cas. C'est la pratique qui va
nous le montrer. Mais je pense qu'il faut vraiment déjudiciariser le
Code du travail. Cela n'a pas de maudit bon sens. J'écoutais
tantôt le représentant de la CSN et nous ne souscrivons pas
à ce point de vue-là. Lui, il va dans un autre sens. Il veut
judiciariser. Nous sommes vraiment opposés à cela. Il faut
plutôt qu'on déjudiciarise le code. Cela n'a pas de bon sens,
comme il est là. Cela n'a pas de bon sens'. D'un bord ou de l'autre, il
faut le déjudiciariser. Il y a toute une conception juridique qu'on peut
vraiment mettre en oeuvre sans que l'appareil judiciaire soit là. C'est
évident.
M. Paradis: Je pensais que c'était ma dernière
question, mais il m'en est venu une autre en écoutant votre
réponse.
M. Hétu: Allez-y.
M. Paradis: D'après votre expérience à la
tête du syndicat, à chaque fois que l'on modifie le Code du
travail, même lorsque les intentions sont bonnes de raccourcir les
délais, même avec l'intention de le déjudiciariser - on
voit que ce n'est peut-être pas ce qui nous arrive avec le projet de loi
17 - est-ce que le nouveau vocabulaire juridique, la nouvelle terminologie
juridique a eu pour effet de raccourcir ou d'allonger, parce qu'il fallait
faire interpréter? D'allonger?
M. Hétu: Oui.
Le Président (M. Blouin): Très bien, merci. Alors,
rapidement, M. le député d'Outremont.
M. Fortier: Oui, M. le Président. En écoutant M.
Jean-Paul Hétu et, plus tôt, la CSN et la FTQ, comme
législateur, je pense que j'avais un sentiment d'humilité.
Peut-être que le gouvernement, qui est le législateur proposeur,
devrait avoir un sentiment d'humilité encore plus considérable,
parce qu'il m'a semblé devoir identifier deux phénomènes.
Vous me corrigerez, M. Hétu, si ma perception est mauvaise.
Le premier est que vous avez parlé d'un système judiciaire
vicieux. J'ai l'impression qu'on est dans un cercle vicieux. Autrement dit,
l'histoire a voulu, sous la pression des syndicats, j'imagine, et selon
l'histoire patronale-syndicale que nous avons au Québec, que les lois
soient devenues plus contraignantes. Enfin, si on écoute les milieux
patronaux, ils nous disent qu'elles sont devenues plus contraignantes. Eux, ils
se sont engagé les meilleurs avocats. Ils ont trouvé des
façons de passer à côté des exigences plus
contraignantes que le législateur avait proposées. Maintenant, on
revient en commission parlementaire et on regarde la situation. On se dit que
cela n'a pas de bon sens, parce qu'il faudrait que le code soit encore plus
contraignant. Dans une certaine mesure, c'est ce que vous décrivez dans
votre mémoire. Vous dites qu'on s'en va d'un code contraignant à
un code un peu plus contraignant à un autre encore plus contraignant.
J'imagine que tout et chacun va s'engager encore les meilleurs avocats pour
s'assurer qu'il est possible de passer à côté de la lettre
de la loi. J'ai l'impression qu'on n'en sortira jamais. (22 h 30)
D'après ce que vous nous dites, au fond, dans peu de mots, le
seul résultat est que tout cet effort des lois antibriseurs de
grève, etc., est un fiasco. Dans une certaine mesure, je crois que vous
nous dites que l'efficacité de la législation est à peu
près ridicule. Mais d'un autre côté, les patrons nous
disent que cela nous donne une mauvaise réputation à
l'étranger, quoique, dans les faits, il semble que, pour autant que vous
êtes concernés, vous nous dites que cela ne donne pas les
résultats escomptés.
Mais on va aller encore un peu plus loin. J'imagine que, dans un an ou
deux, on va se retrouver encore avec une commission parlementaire pour encore
ajouter à cela. Cela va encore nous donner une plus mauvaise
réputation en dehors de la province et cela ne vous donnera pas de
meilleurs résultats. Au fond, ce que vous proposez est de reprendre le
débat et changer les attitudes. Il faudrait reprendre cela sous une
autre forme. Ce processus judiciaire vicieux nous amène dans un cercle
vicieux qui ne mène nulle part. Enfin, c'est un peu le langage que vous
avez tenu.
Il y a une autre chose que vous n'avez pas dite, lorsque vous parlez des
conflits patronaux-syndicaux. Il m'a semblé aussi, sans que les
différents syndicats le disent ouvertement, qu'il y a également
des guerres entre les différents syndicats. Là-dessus, je ne vous
demande pas de vous exprimer, mais, encore là, étant donné
que le développement économique au Québec est très
restreint, les trois grandes familles syndicales se battent pour un
marché qui est de plus en plus restreint. Encore là, il y a un
système
judiciaire qui peut favoriser les luttes de ce
côté-là.
Si c'est le scénario marché restreint, luttes
intersyndicales et une législation plus poussée pour obtenir du
gouvernement des formules sur papier de plus en plus audacieuses, qui ne
donnent rien en pratique, on est pris, au Québec, avec un mouvement qui
ne mènera jamais nulle part. C'est un peu le scénario que vous
avez décrit. Est-ce que j'exagère un peu dans ce que j'ai
essayé de décrire d'une façon succincte?
Le Président (M. Blouin): M. Hétu.
M. Hétu: Sur le plan juridique, je pense que vous avez
compris notre message et celui des autres aussi. J'ai l'impression que, tout le
monde le sait, l'on fait partie, tout au moins au niveau de
l'accréditation, d'un cadre juridique. Il faut mettre fin au cercle
vicieux qui est là. Là-dessus, je pense que vous avez très
bien compris le message.
L'autre question relative au maraudage, je pense qu'on peut la
régler simplement. Il y a des dispositions qui devraient être
prises, mais qui n'existent pas dans le Code du travail. À un moment
donné, lors du débat public sur la syndicalisation, nous avons
l'intention d'aborder cette question de fronts, clairement. On va expliquer des
choses qui ne sont pas connues. On va expliquer des choses qui sont graves. On
se reparlera de cette partie parce que ce n'est pas l'objet de la discussion.
Les amendements ne traitent pas de cela. On fera le débat en temps et
lieu. C'est pour cela que l'on souscrit entièrement à la position
gouvernementale qui parle de faire, soit un "task force" ou un débat sur
toute cette question. Vraiment, c'est essentiel et nous appuyons cela
fortement. Je pense que la clé du problème que vous avez
résumé est là. Je pense qu'il faut être d'accord
là-dessus. Que le débat se fasse et qu'on nettoie
l'écurie, pour prendre une expression que mon grand-père
utilisait.
Fondamentalement, il est vraiment important de saisir que le
syndicalisme, dans son évolution moderne, est issu de choix politiques
qui sont faits. Le développement syndical... Vous permettez, M. le
Président? Parce qu'il fait des commentaires généraux, lui
aussi, et il m'embête avec cela. Mais je suis obligé de lui
répondre clairement. D'accord. Si le ministre est d'accord, cela
marche.
Le Président (M. Blouin): Allez-y!
M. Hétu: Donc, la question de base, dont je veux parler,
est que, fondamentalement...
Le Président (M. Blouin): Je vous rappelle cependant que
le mandat de la commission est d'entendre des organismes comme le vôtre
en regard du projet de loi 17.
M. Hétu: Ah! Je vais le relier à cela.
Le Président (M. Blouin): Je comprends, mais nous avons
également deux autres groupes à entendre ce soir. Il est 10 h 35
et je crois qu'en toute déférence pour les deux groupes que nous
avons à entendre...
M. Hétu: D'accord.
Le Président (M. Blouin): ... ils n'auront pas plus de
trois quarts d'heure chacun, alors que vous avez quand même
bénéficié d'une période de temps respectable.
M. Fortier: M. le Président, je dois vous dire que ma
question se réfère directement au projet de loi. Ce qu'on est en
train de discuter ou ce que la CSD est en train de nous dire, c'est qu'on a
beau légiférer de plus en plus, où s'en va-t-on? Je pense
que c'est une question fondamentale. À un moment donné, il faut
regarder d'où l'on vient et où l'on va. C'est dans ce sens. Je
crois qu'on est en plein dans le vif du sujet.
Le Président (M. Blouin): Je pense qu'on se comprend. Je
n'entrerai pas dans un débat de cette nature, mais je vous rappelle que
nous devrions normalement étudier les conséquences de la loi
modifiant le Code du travail et les diverses dispositions législatives
que le projet de loi 17 modifie. Quant au débat beaucoup plus large,
plusieurs y ont fait allusion, mais je crois que ce n'est pas le moment,
présentement, d'entreprendre des débats fondamentaux, qui sont
évidemment très importants, mais ce n'est ni le moment, ni le
lieu pour le faire ce soir.
M. Fortier: Succinctement, allez-y.
M. Hétu: Brièvement, je veux tout simplement dire
qu'il y a eu deux étapes majeures dans l'histoire moderne de la
législation. La première, c'est celle qui était
liée aux choix politiques. Lorsque le Québec, après la
deuxième guerre mondiale, s'est industrialisé, il y a eu ce qu'on
a appelé le syndicalisme industriel qui s'est installé. Dans les
années soixante, lorsqu'on a fait ce qu'on a appelé la
révolution tranquille, le syndicalisme s'est développé du
côté des cols blancs. Là, on arrive à un
troisième virage majeur: Quels choix politiques seront faits pour
permettre à la société de vivre dans la paix sociale? On
est vraiment rendu à un tournant vital. C'est pour cela que la position
gouvernementale de faire ce débat-là, nous y croyons fermement.
Il faut que cela se fasse et il faut que cela se passe, sinon on va être
placé devant des culs-de-sac
parce que le projet de loi 17 - et là, je fais mon rapprochement
- ne permettra pas de débloquer ni de répondre aux nouvelles
exigences de la société d'aujourd'hui qui est marquée en
particulier par la technologie nouvelle qui s'en vient, etc. Cela est un
défi, le syndicalisme et la législation doivent être
connectés à cela.
Le Président (M. Blouin): Très bien. M. le
député de Sainte-Anne.
M. Polak: Comme toujours, M. le Président, juste une
dernière question. M. Hétu, je me souviens de la première
fois que je vous ai entendu - j'ai dit la même chose tout à
l'heure à M. Laberge - à une commission parlementaire sur les
services essentiels et le droit de grève dans les hôpitaux. Ce qui
m'a frappé, à l'époque, c'est que la position de la CSD -
je ne connaissais rien du monde syndical - était très
raisonnable. Je trouvais votre attitude semblable à celle des syndicats
de l'Ouest de l'Europe. Quand j'ai lu votre mémoire, j'ai vu que vous
étiez devenus pas mal militants, peut-être pour de très
bonnes raisons. Vous donnez toutes sortes de témoignages du mauvais
fonctionnement. Mais vous n'avez pas fait de commentaires sur la position des
patrons. Nous avons entendu aujourd'hui les mémoires de plusieurs qui
ont parlé de conséquences néfastes si ce projet de loi 17
est adopté. On a mentionné Cornwall, en Ontario, où tout
le monde a toujours un peu peur que les compagnies quittent. Je ne dis pas que
ce sont des menaces, mais il semble exister vraiment une inquiétude
à ce point de vue. Pourriez-vous faire des commentaires
là-dessus? Je sais que l'attitude de votre syndicat, comme je l'ai
comprise et comme, d'ailleurs, vous l'avez répétée
verbalement, en est une de concertation pour trouver d'autres formules
plutôt que d'adopter toujours cette position de confrontation,
d'adversaires. Je veux bien suivre votre pensée. Comment pourriez-vous
commenter, en quelques mots, les mémoires de l'autre côté
qui contiennent de grandes inquiétudes? Quelle est votre
réaction?
M. Hétu: Le projet de loi 17 ne pousserait pas des
compagnies à se sauver. Si c'est cela, je pense qu'il faudrait que vous
fassiez une commission d'enquête auprès de ces
compagnies-là pour connaître les vraies raisons. Vraiment, si cela
fait peur à du monde, j'ai l'impression que ce sont beaucoup plus les
préjugés qui s'expriment. Je pense qu'il va falloir qu'on fasse
la part des choses entre les préjugés et la
réalité. Les propositions relatives à
l'accréditation ne font que tenter de diminuer, d'atténuer un
tant soit peu les procédures devant lesquelles on est placé et
qui retardent indûment les accréditations, etc.
M. Polak: Les mesures antibriseurs de grève, pour une
petite compagnie, peuvent-elles rendre la situation presque impossible? Est-ce
qu'on peut briser une compagnie, disons?
M. Hétu: Telles quelles, ces mesures sont favorables au
patronat. C'est cela que je veux vous dire. C'est clair. Elles sont favorables
au patronat, ce n'est pas compliqué. On a changé... On a
parlé de la personne morale, de la personne physique. Qu'est-ce que cela
va régler? On n'est pas, j'allais dire, des caves, mais c'est cela.
M. Fortier: ... pour des avocats.
M. Hétu: Excusez-moi, M. le Président.
M. Polak: Vous seriez capable de donner des consultations sur la
manière de contourner encore la loi avec cela? Cela semble pas
mal...
M. Hétu: Absolument pas. Le problème qu'on a est
justement de résoudre les conflits, d'empêcher et de retenir les
travailleurs pour qu'ils ne fassent pas de bêtise parce qu'ils voient du
travail qui s'exécute d'une manière ou de l'autre. Une
grève dure - je vais vous raconter le cas, si vous voulez plus de
détails - à Drummondville et le travail se fait pareil. La
production se fait pareil. Elle ne se fait pas à l'usine, mais elle se
fait ailleurs. Ce n'est pas compliqué et la grève dure. Qu'est-ce
qui va se passer? L'objectif de paix sociale qui est visé par cette
mesure antibriseurs de grève... Je pense que tous les syndicats au
Québec passent leur temps à retenir et à faire attention.
Je ne veux pas expliciter ces choses, c'est tellement évident.
M. Polak: Merci.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Hétu. Merci, M.
le député de Sainte-Anne.
M. Dean: Je voudrais remercier M. Hétu et les
représentants de la CSD de leur participation à notre
commission.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, M. Hétu
et vos collaborateurs. Sur ce, j'inviterais les représentants de la
Fédération des pompiers professionnels du Québec à
venir nous présenter leur mémoire. Je rappelle cependant aux deux
associations que des contingences incontrôlables nous obligent à
terminer nos travaux à minuit. Il reste donc un peu plus d'une heure et
quart pour entendre les deux prochaines fédérations, la
Fédération des pompiers professionnels du Québec et la
Fédération des policiers du Québec. Je vous signale
cependant que je présume que vos opinions
ont des préoccupations très spécifiques et
probablement communes. Je me demande si on ne pourrait pas procéder
d'une façon très simple qui m'a été
suggérée par les membres de la commission, c'est-à-dire
d'entendre successivement les deux rapports et ensuite de demander aux membres
de la commission d'adresser à l'une et à l'autre des
fédérations les questions, les commentaires et les remarques
qu'ils désirent vous adresser. Est-ce que cela vous conviendrait?
M. Nadon (André): M. le Président, je suis
André Nadon, président de la Fédération des
policiers du Québec. Après vous avoir entendu parler -
évidemment, la guillotine est à minuit, on peut comprendre les
impératifs de la commission et le temps qui s'est écoulé -
on demanderait à la commission de bien vouloir ne nous entendre
qu'à la reprise de la commission jeudi. Nous demandons d'avoir à
notre disposition le même temps que celui de l'Union des
municipalités du Québec parce que, comme le stipule le projet de
loi à différents endroits, nous sommes visés par ce projet
de loi et nous aimerions avoir suffisamment de temps pour pouvoir exposer notre
point de vue.
M. Paradis: M. le Président, sur la question...
Le Président (M. Blouin): Oui, sur le consensus, M. le
député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis: Sur la question que vous avez soulevée, je
pense que cela fait appel à un principe de justice naturelle, audi
alteram partem. Il y a des décisions importantes qui doivent se prendre,
mais là, on a un problème de programme de fin de session. Je
serais porté à vous donner le même temps, comme
représentant de l'Opposition; ce serait mon sentiment naturel. (22 h
45)
M. Dean: Je suis porté à faire de même, sauf
avec un avertissement à l'avance. On est tous autour de cette table
à la merci d'horaires déterminés par d'autres que nous,
nos leaders respectifs, etc. Le danger que je vois, c'est que, si on nous
trouve une demi-journée quelque part d'ici à vendredi, minuit,
à cinq groupes, on n'est pas sûr de pouvoir faire beaucoup plus
que ce qu'on pourra faire ce soir.
Le Président (M. Blouin): M. Nadon, ce qui peut arriver,
c'est que la commission se réunisse une seconde fois, comme cela
arrivera - le leader l'a indiqué - que nous n'ayons pas encore une fois
le temps d'entendre tous les organismes au cours de cette reprise des travaux
et qu'à ce moment-là les travaux de la commission soient
reportés sine die. Il est possible que les mémoires qui n'auront
pu être entendus soient simplement déposés. C'est le risque
que vous courez, j'aime autant vous en prévenir.
M. Nadon: M. le Président, comme je l'ai dit tantôt,
je pense que les amendements qui sont prévus dans le code ont pour effet
de nous viser de façon très pertinente et très directe.
À ce niveau, l'UMQ a eu l'occasion de pouvoir expliciter son point de
vue. Il y a trois ou quatre autres organismes et je pense qu'il serait tout
à fait équitable et normal de nous accorder le même temps,
pour les mêmes raisons que les autres organismes qui nous ont
précédés. Je dois vous dire que nous avons eu à
procéder de façon très rapide à la
préparation de notre mémoire et je vous demanderais tout
simplement l'amabilité de nous accorder ce privilège.
Le Président (M. Blouin): M. Nadon, est-ce que vous seriez
d'accord pour le compromis suivant: que nous entendions dans un premier temps
les deux mémoires et qu'ensuite nous procédions à la
période des questions? À minuit, nous pourrons évaluer
s'il est nécessaire de poursuivre les travaux à une date
ultérieure. Comme cela, vous aurez toute la latitude de présenter
vos positions selon que les membres désireront approfondir certains
sujets, si cela est nécessaire. D'accord?
M. Nadon: Cela nous laisse dans une situation de contraintes et
nous amène un peu à accélérer la
présentation de nos arguments et de notre mémoire. Je dois vous
dire que nous allons être dans une situation très inconfortable.
Je pense, comme je l'ai dit tantôt, vu la teneur des amendements
proposés... Je regrette d'insister auprès de vous, M. le
Président, mais il serait très bien accepté que vous vous
rendiez à notre demande.
Le Président (M. Blouin): Nous allons tout d'abord
entendre la Fédération des pompiers professionnels du
Québec. Nous pourrons ensuite voir comment les choses vont se
dérouler et nous tenterons dans toute la mesure du possible de
satisfaire à vos demandes, M. Nadon.
M. Nadon: Oui, mais la seule chose dont je veux m'assurer, en
terminant... Vous prévoyez d'abord qu'il y aura une reprise de la
commission jeudi, n'est-ce pas?
Le Président (M. Blouin): Oui, il y en aura une.
M. Nadon: Nous serions évidemment les premiers
intervenants. Je peux vous assurer que nous allons tenter, dans la mesure
du
possible, d'être le plus concis, le plus succinct possible, tout
en tentant de ne pas empiéter sur le temps de ceux qui auront à
intervenir.
Le Président (M. Blouin): M. Nadon, si, d'abord, nous
terminions notre travail avec la Fédération des pompiers
professionnels du Québec, nous pourrions avoir le temps d'entendre votre
mémoire et, ensuite, à la reprise des travaux, nous vous
laisserions tout le temps nécessaire pour répondre aux
différentes questions que vous adresseront les membres de la commission.
Nous pourrions ainsi prendre un peu d'avance sur l'horaire de jeudi et comme
cela nous aurions davantage de chances d'entendre tout le monde jeudi. Vous
aurez un avantage objectif, vous aurez deux jours pour présenter vos
arguments, mais le même temps que les autres organismes. D'accord?
M. Nadon: Pour autant que cela ne crée pas de pressions
indues sur les pompiers, pour qu'ils puissent exposer leur mémoire avec
toute la latitude voulue, très bien, nous allons patienter.
Le Président (M. Blouin): Alors, si vous me le permettez,
nous allons maintenant demander à la Fédération des
pompiers professionnels du Québec de prendre place. Pour les fins du
journal des Débats, je demanderais aux représentants de
s'identifier et, ensuite, de nous présenter leur mémoire selon
les contraintes qu'ils connaissent.
Fédération des pompiers professionnels
du Québec
M. Morin: (Alfred): Merci, M. le Président. Mon nom est
Alfred Morin, président de la Fédération des pompiers
professionnels du Québec. J'aimerais vous présenter les membres
de notre bureau: à l'extrême gauche, M. Yvon Dumas,
secrétaire-trésorier, Me Suzanne Bourque, avocate permanente
à notre bureau, trois vice-présidents, MM. René Payette,
Gilles Cardin et Gilles Raymond.
M. le Président, la Fédération des pompiers
professionnels du Québec remercie le président et les membres de
cette commission de lui fournir l'occasion de faire valoir son point de vue sur
le projet de loi 17 proposant des amendements au Code du travail.
La Fédération des pompiers professionnels du
Québec, FPPQ, est constituée de 34 associations de pompiers.
Chacune de ces associations est accréditée pour
représenter les pompiers professionnels à l'emploi d'une
municipalité du Québec. La FPPQ regroupe donc tous les pompiers
professionnels du Québec, à l'exception de ceux de la ville de
Montréal. Elle existe depuis 1945 et elle est affiliée à
la
Fédération des travailleurs du Québec. Elle
maintient des liens constants avec les organismes syndicaux représentant
les pompiers professionnels à l'extérieur du Québec.
Depuis sa fondation, une des fonctions principales de la FPPQ a
été d'aider et de représenter les associations qui en sont
membres, dans le cadre de l'arbitrage des différends. Elle
témoigne donc, à cet égard, d'une très longue
expérience.
Nous voulons donc, dans ce mémoire, limiter nos commentaires au
régime de l'arbitrage des différends pour nous en remettre, quant
aux autres aspects du projet de loi, aux positions défendues par la
Fédération des travailleurs du Québec, positions que nous
endossons d'emblée.
Ce mémoire comprendra deux parties et traitera d'abord des
amendements proposés par le projet de loi au régime de
l'arbitrage des différends. Il discutera, en deuxième partie, des
autres amendements qui, selon nous, devraient être apportés au
régime et dont le projet ne fait pas état.
Partie I: Commentaires sur les amendements proposés par le projet
de loi 17 au régime de l'arbitrage des différends. La FPPQ entend
soumettre son point de vue sur cinq questions précises, tout en
insistant d'une façon plus particulière sur le remplacement du
conseil d'arbitrage par un arbitre unique.
Le remplacement du conseil d'arbitrage par un arbitre unique. La FPPQ
considère que le changement proposé est tout à fait
inopportun et elle demande qu'on maintienne l'existence du conseil d'arbitrage
dans sa forme actuelle. Malgré l'existence de certains problèmes,
le régime s'est en effet avéré satisfaisant dans les
résultats obtenus et, dans l'ensemble, nous estimons qu'il a fait preuve
d'efficacité.
Ce sont, quant à nous, des raisons suffisantes pour maintenir la
formule actuelle. Mais il y a plus. En effet, les résultats
satisfaisants obtenus sont, dans une très large mesure, attribuables au
caractère tripartite du conseil d'arbitrage. Son remplacement par un
arbitre unique risque donc sérieusement de compromettre
l'efficacité du régime.
Pour apprécier les dangers des amendements proposés, il
faut s'arrêter un instant sur la philosophie du régime et sur la
façon dont il est vécu chez les pompiers et les policiers. Pour
des raisons dites d'intérêt public, on ne permet pas aux pompiers
et aux policiers d'avoir recours à la grève. On les prive donc
d'un droit reconnu à tous les autres travailleurs. Pourquoi faudrait-il,
en plus, qu'on les prive du droit de participer pleinement à
l'établissement de leurs conditions de travail par un tiers? Ce
même intérêt public, dont on se réclame pour
interdire la grève, commande au contraire
que, par l'intermédiaire d'un représentant au sein du
tribunal, les pompiers et les policiers puissent participer à la
décision qui déterminera leurs conditions de travail. Les
pompiers et les policiers sont déjà privés du droit
à la libre négociation. Nous demandons donc qu'on leur laisse au
moins le droit à une certaine forme de négociation.
Fondamentalement, c'est en effet le droit à une certaine forme de
négociation que les amendements proposés risquent de faire
disparaître. À cause, précisément, de la
présence des représentants des parties en qualité de
membres du conseil et du rôle qu'ils peuvent y jouer, l'arbitrage
constitue souvent un prolongement de la négociation entreprise entre les
parties, un peu de la même façon que les négociations
doivent normalement se poursuivre pendant une grève ou un lock-out.
Dans les faits, les séances de délibéré se
transforment souvent et facilement en séances de conciliation ou de
médiation, favorisant la recherche de compromis et de consensus. Par
l'intermédiaire de leurs représentants au sein du conseil, les
parties se trouvent donc à prendre une part active, importante et
parfois décisive, dans l'établissement de ce qui deviendra la
convention collective. Celle-ci apparaît donc un peu moins comme ayant
été imposée et un peu plus comme ayant été
négociée. De ce fait, le régime de l'arbitrage obligatoire
devient moins odieux et cela favorise dans l'ensemble l'établissement et
le maintien de saines relations de travail.
Cette participation active des parties à l'établissement
de la convention collective, par une représentation adéquate au
sein du conseil d'arbitrage, permet d'autre part au président de
celui-ci de rendre une décision éclairée dans le cas
où il doit trancher, c'est-à-dire choisir. Le président
n'a généralement qu'une connaissance fragmentaire du milieu
particulier de travail pour lequel il est appelé à rendre une
décision. Les représentants des parties viennent combler cette
lacune inévitable en indiquant et expliquant ce qui peut envenimer les
problèmes plutôt que les régler ou en créer de
nouveaux. Il faut se rappeler qu'un conseil d'arbitrage peut être
appelé à rendre une décision sur des questions complexes:
méthode de travail, horaire de travail, exécution des
tâches, effectifs, ancienneté, avantages sociaux, santé et
sécurité, procédure de règlement des griefs,
salaires, etc. Sans la participation adéquate des représentants
des parties qui peuvent l'éclairer et le guider, l'arbitre peut
très bien, en toute bonne foi, décréter des conditions qui
ne seront souhaitées par aucune des parties, qui se
révéleront inefficaces, et même nuisibles, et ce sont les
parties qui devront vivre avec les conséquences de ces erreurs. On nous
objectera sans doute que le projet de loi propose la présence
d'assesseurs et que cette formule peut répondre aux
préoccupations que nous exprimons. Nous ne le croyons pas.
L'assesseur n'est pas un membre du tribunal et, par voie de
conséquence, il ne peut y jouer le rôle de participant qui est
présentement dévolu au représentant des parties. Bien sur,
l'assesseur peut informer l'arbitre des réalités du milieu au
même titre que les membres du conseil d'arbitrage, mais ce genre de
statut élimine, à notre avis, toute possibilité
sérieuse de négociation. En effet, l'arbitre, du fait que les
assesseurs ne participeront pas à la décision, sera moins
porté à favoriser la recherche de compromis et de consensus.
La raison principale pour laquelle le régime des assesseurs
risque de compromettre l'efficacité du système réside
toutefois dans son caractère volontaire. On peut prévoir
déjà que pour des raisons de tous ordres l'une ou l'autre des
parties refusera son consentement a la nomination d'assesseurs. Cela signifie
qu'en pratique une partie, par pur caprice, peut priver l'autre partie du droit
à une certaine forme de négociation. Cette perspective est
d'autant plus probable que la décision devra être prise à
un moment où les parties sont en profond désaccord puisque l'une
d'entre elles aura demandé que le différend soit soumis à
l'arbitrage. Cet état de désaccord entre les parties peut,
à lui seul, dans bien des cas, amener l'une d'entre elles à
refuser toute forme d'entente avec l'autre, y compris celle de désigner
des assesseurs.
Par la nature même des choses, c'est la partie syndicale qui, plus
souvent qu'autrement, réclame des modifications aux conditions de
travail existantes. C'est donc elle qui a d'abord intérêt à
être représentée adéquatement au sein du conseil
d'arbitrage, non seulement pour faire valoir ses demandes, mais pour s'assurer
qu'elles sont bien comprises de la part du président. Compte tenu de
cette réalité, nous avons de bonnes raisons de croire qu'il sera
généralement difficile d'obtenir de la part des
municipalités le consentement requis pour la nomination d'assesseurs.
C'est donc d'abord et avant tout le droit des travailleurs à une
certaine forme de négociation qui risque d'être compromis
davantage par les décisions unilatérales de leur employeur.
À l'extrême limite, si notre demande de maintenir le
tripartisme tel qu'il existe présentement n'était pas retenu,
nous suggérons que la formule proposée soit en quelque sorte
renversée en ce sens que la présence des assesseurs soit
obligatoire, à moins d'entente à l'effet contraire entre les
parties.
Avant de conclure sur ce premier aspect des amendements proposés,
on nous
permettra quelques remarques additionnelles au sujet du but apparemment
visé par le changement envisagé. Selon les notes explicatives
accompagnant le texte du projet, l'amendement aurait pour but
d'accélérer l'arbitrage.
Il est exact que l'arbitrage de différends est un processus
généralement assez lent et que le caractère tripartite du
conseil est partiellement responsable de cette situation. Quant à cette
part de responsabilité, il faut bien comprendre par ailleurs que ce
n'est pas le nombre de personnes qui ralentit le processus, mais beaucoup plus
leur identité: choix par les parties d'un président
expérimenté et compétent, retenu également par
beaucoup d'autres parties, et offrant, en conséquence, moins de
disponibilité, choix de procureurs dont les agendas sont
surchargés, etc.
L'amendement proposé n'aura pas pour effet de rendre l'arbitre et
les procureurs plus disponibles. Il n'aura pas pour effet non plus de changer
les comportements des parties qui, très souvent, sont les seules
responsables de la longueur des délais: accord tacite pour ne pas
procéder rapidement, mesures dilatoires par l'une ou l'autre des
parties, nombre élevé de questions soumises au conseil
d'arbitrage, préparation inadéquate ou tardive de la preuve
à offrir, longueur de la preuve, etc. En matière de délai,
il n'y a pas de vertu inhérente au fait que le tribunal n'est
composé que d'une seule personne. Il suffit de s'adresser à
certains tribunaux pour s'en rendre compte. En résumé, nous
estimons qu'il n'y a aucune commune mesure entre les inconvénients
majeurs qui résulteraient du changement proposé et l'avantage
très marginal qui pourrait en découler sur
l'accélération du processus. (23 heures)
Les notes explicatives mettent à cet égard sur un
même pied l'arbitrage des différends et l'arbitrage des griefs. Ce
sont pourtant des régimes complètement différents
obéissant à des règles et à des traditions qui ne
sont pas du tout les mêmes. En matière de grief, l'arbitre ne fait
qu'interpréter la convention collective. Il ne fait que dire le droit
et, à ce titre, la présence des parties au sein du tribunal n'est
pas plus requise qu'elle ne l'est au sein des autres tribunaux judiciaires ou
quasi judiciaires, sauf à de rares exceptions. Le conseil d'arbitrage
des différends, par contre, crée des droits et impose des
obligations. Son rôle est celui d'un législateur et, comme tout
organisme qui légifère, il nous apparaît impérieux
qu'il puisse compter en son sein des représentants de ceux à qui
cette législation s'appliquera. Il nous semble que ce principe
fondamental dans toute société démocratique doit continuer
de s'appliquer en partie dans le cadre d'un régime qui restreint
déjà considérablement les droits d'un groupe particulier
de citoyens. Nous demandons donc, à l'instar de ce qui existe ailleurs
au Canada, que la composition du conseil d'arbitrage de différends ne
soit pas modifiée.
Les facteurs dont l'arbitre peut tenir compte. L'article 35 du projet
propose d'incorporer à l'article 79 du code un certain nombre de
facteurs dont l'arbitre peut tenir compte pour rendre sa sentence. Bien qu'une
partie de ce nouveau texte ait été emprunté a l'article
93.6 du code, nous nous interrogeons sérieusement sur la raison
d'être de l'amendement. Jusqu'ici, ce texte ne s'appliquait que dans le
cas d'une première convention collective et nous avions toujours compris
qu'il avait alors pour but de rassurer les employeurs qui craignaient
d'être défavorisés par rapport à leurs
compétiteurs. Le "déménagement" de cette disposition dans
la section I la rend maintenant applicable dans tous les cas d'arbitrage de
différends. Le législateur n'étant pas censé parler
pour ne rien dire, nous devons en conclure que la démarche vise à
modifier les règles du jeu chez les pompiers et les policiers. Cette
conclusion s'impose d'autant plus facilement qu'on a pris le soin d'ajouter un
facteur additionnel, soit celui des conditions de travail applicables aux
autres salariés de l'entreprise.
Cet article a de toute évidence pour but de fournir aux
municipalités un argument de plus pour tenter de convaincre les arbitres
de décréter chez les pompiers et les policiers les mêmes
conditions de travail que celles applicables aux autres employés de la
municipalité, alors que les conseils d'arbitrage de différends
ont à peu près toujours considéré qu'il fallait
plutôt établir les conditions de travail d'un groupe de
salariés en fonction de celles prévalant chez les groupes de
salariés exerçant les mêmes fonctions. On a donc
comparé des pompiers avec des pompiers, des policiers avec des policiers
et non pas avec des électriciens, des opérateurs, des
secrétaires ou des comptables. Il n'existe aucune raison valable
à nos yeux pour que les législateurs tentent aussi subrepticement
de modifier la jurisprudence arbitrale sur une question aussi importante.
D'autre part, nous voyons mal l'utilité d'une disposition qui se
veut habilitante mais qui laisse de c5té d'autres facteurs importants
comme celui de la comparaison avec des groupes similaires, celui de
l'évolution des prix à la consommation, du rattrapage salarial
qui peut être nécessaire, etc. Les interrogations que
soulève cette disposition et les ambigu'ités qu'elle comporte
rendent nécessaire son élimination du Code du travail.
L'équité et la bonne conscience qui sont imposées au
conseil d'arbitrage par le même article 79 sont
suffisamment larges pour permettre à celui-ci de tenir compte de
tous les facteurs pertinents et de toutes les circonstances sans qu'il soit
nécessaire de se lancer dans une énumération
incomplète et inappropriée.
Le secret du délibéré. L'article 38 du projet veut
modifier l'article 82 du code de façon à prévoir pour les
membres du conseil d'arbitrage l'obligation de garder le secret du
délibéré jusqu'à la date de la sentence. C'est une
extension de la règle qui est imposée depuis 1977 aux membres
d'un tribunal d'arbitrage de griefs. L'amendement de 1977 était
justifié dans une large mesure, mais celui proposé cette
année est tout à fait inacceptable et va même
carrément à l'encontre de la philosophie fondamentale de
l'arbitrage d'un différend. Comme nous l'avons mentionné
précédemment, le conseil d'arbitrage de différends est un
législateur et les représentants des parties qui y siègent
se doivent, s'ils veulent remplir adéquatement leur mandat, de demeurer
en contact étroit avec la partie qu'ils représentent pour la
conseiller ou lui demander des instructions. Comment pouvons-nous concilier le
secret du délibéré avec cette caractéristique
importante du régime qui en fait un prolongement de la
négociation entre les parties?
Si un tel amendement est adopté, il en résultera
inévitablement une détérioration sérieuse de
l'efficacité du régime ou une violation systématique de
l'obligation imposée, non seulement parce qu'elle est fondamentalement
contraire à la réalité vécue, mais parce qu'elle
est incompatible avec la nature même de la tâche confiée aux
membres du conseil d'arbitrage.
Notre expérience est que la communication entre la partie et son
représentant a largement contribué au bon fonctionnement du
système. Si, de façon occasionnelle, cette communication a pu
provoquer des résultats moins heureux, cela est certainement attribuable
aux personnes concernées et non pas au phénomène de la
communication comme tel. Il n'y a pas de lieu de modifier un régime
parce que quelques personnes en quelques rares occasions ont pu mal s'en
servir.
L'amendement de la sentence arbitrale par les parties. L'amendement
apporté à l'article 93.8 du code par l'article 52 du projet
risque de soulever de sérieuses questions quant aux pouvoirs des parties
de modifier le contenu de la sentence arbitrale dans le cas où il ne
s'agit pas de l'arbitrage de la première convention collective. Pour
éviter toute ambiguïté, nous proposons d'abroger l'article
93.8 du code et de transporter aux articles 92 ou 93 le texte reconnaissant aux
parties le droit de modifier la sentence arbitrale. La disposition s'appliquera
alors dans tous les cas d'arbitrage de différends. L'article 93
précise déjà que la sentence a l'effet d'une convention
collective signée par les parties. Il est donc normal que, dans tous les
cas, celles-ci puissent amender la sentence comme elles peuvent le faire dans
le cas d'une convention collective.
La sentence comportant un effet rétroactif. L'article 59 du
projet propose d'abroger l'article 99 du code. Nous nous en réjouissons
et nous invitons le législateur à persister dans cette bonne
voie. Toutefois, l'abrogation pure et simple de l'article 99 comporte
l'inconvénient de faire disparaître du code la confirmation du
pouvoir d'un conseil d'arbitrage de rendre une sentence comportant un effet
rétroactif.
Étant donné que la notion de rétroactivité
soulève toujours des questions complexes et étant donné
certaines expériences vécues dans le cas de l'arbitrage d'une
première convention collective, nous demandons que soit formellement
reconnu dans le code le pouvoir d'un conseil d'arbitrage de rendre une
décision comportant un effet rétroactif. Une telle
précision permettra fort probablement d'éviter un long et douteux
débat judiciaire.
D'autre part, certaines questions ont déjà
été soulevées au sujet de la rétroactivité
d'une sentence arbitrale en regard de la durée maximale de deux ans
prévue à l'article 92 du code. Afin d'éviter d'inutiles
débats, nous proposons de préciser au texte de l'article 92 que
la période d'application rétroactive est nécessairement
comprise dans la durée d'une sentence arbitrale.
Finalement, soulignons en passant qu'il serait opportun de
prévoir en même temps qu'une sentence peut lier les parties pour
plus de deux ans pourvu que celles-ci soient d'accord. Compte tenu des
remarques qui précèdent et de l'article 65 du code, nousproposons que l'article 92 soit remplacé par le suivant: La sentence
lie les parties, pour une durée d'au moins un an et d'au plus deux ans.
Toutefois, sur accord des parties le conseil d'arbitrage peut rendre une
sentence dont la période d'application excède deux ans sans
toutefois dépasser trois ans.
Aux fins du paragraphe précédent, on doit tenir compte de
toute période d'application rétroactive de la sentence ou de
l'une de ses dispositions.
La partie II: Les autres amendements qui devraient être
apportés au régime de l'arbitrage des différends. Compte
tenu des propos tenus par le ministre du Travail lors du dépôt du
projet de loi, en ce sens qu'une réforme en profondeur du Code du
travail sera entreprise à l'automne, nous nous limiterons ici à
traiter d'un seul sujet à cause de l'urgence d'apporter un amendement au
code.
Il s'agit du pouvoir des parties et, par extension, du conseil
d'arbitrage d'établir des
dispositions sur les régimes de retraite et d'assurances. Le
gouvernement est pleinement conscient du problème puisqu'il avait
proposé les correctifs nécessaires dans l'avant-projet de loi
soumis à l'étude du Conseil consultatif du travail et de la
main-d'oeuvre. On peut toutefois le résumer en quelques mots. Alors que
pour l'ensemble des travailleurs, des conditions de travail aussi fondamentales
que les régimes de retraite et d'assurances sont négociables au
même titre que les autres, la situation est pour le moins confuse en ce
qui concerne les employés municipaux et plus particulièrement les
pompiers et les policiers.
À la suite d'une vigoureuse contestation de la part des
municipalités, plusieurs conseils d'arbitrage de différends ont
statué qu'ils n'avaient pas le pouvoir de rendre une sentence comportant
des dispositions relatives aux régimes de retraite et d'assurances. La
question est encore pendante devant les tribunaux, bien que la Cour
supérieure ait reconnu l'"arbitrabilité" de ces questions et que
la Cour suprême du Canada ait fait de même sous l'empire de la
législation d'une autre province. Il est urgent que législateur
reconnaisse clairement et une fois pour toutes aux pompiers et aux policiers,
de même qu'aux autres employés municipaux, des droits égaux
à ceux qui sont conférés aux autres travailleurs quant
à ces deux questions.
Nous demandons donc instamment que le projet de loi 17 soit
complété de façon à prévoir qu'une
convention collective et une sentence arbitrale puissent contenir des
dispositions relatives à des conditions de travail qui peuvent
être établies par un règlement d'une corporation municipale
ou d'une régie intermunicipale.
Conclusion: Avant de terminer, nous voulons nous assurer que les
positions prises par la FPPQ ne seront pas considérées comme
étant l'expression d'une satisfaction complète et totale à
l'endroit du régime d'arbitrage des différends. Il comporte un
certain nombre de faiblesses et de lacunes auxquelles il faudra s'attaquer lors
de la réforme annoncée du Code du travail. Nous avons voulu
surtout empêcher par notre intervention que le régime ne se
détériore davantage ou perde certains de ses aspects
positifs.
Nous vous remercions, messieurs les membres de la commission.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, M. Morin:. M. le
ministre.
M. Johnson (Anjou): M. Morin:, je m'excuse d'être
arrivé en retard, au début de votre exposé. Je me suis
permis d'essayer de me rattraper par la lecture et en vous écoutant
d'une autre oreille. Je dois vous dire que votre exposé est absolument
limpide, clair. Je ne vous dis pas qu'on est entièrement d'accord avec
tout ce que vous dites. Je pense que vos demandes et votre façon de vous
adresser à la commission sont extrêmement claires et nous verrons
dans quelle mesure nous pouvons en tenir compte. Je n'ai même pas de
questions à l'égard ni des motifs, ni des raisons ou même
de l'articulation. C'est un texte qui parle par lui-même. Je pense que
vous l'avez démontré. À cet égard, je vous
remercie.
Le Président (M. Blouin): Merci. M. le
député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis: Rapidement, j'opine dans le même sens que le
ministre. Le texte est assez clair. J'aurais peut-être une question
d'opinion. À la page 10 de votre mémoire, vous parlez des
facteurs dont l'arbitre peut tenir compte. J'ai senti, des interventions de
l'Union des municipalités ainsi que de l'Union des municipalités
régionales de comté, que ces parties voulaient que ce soient des
facteurs dont l'arbitre "doit" tenir compte. Le gouvernement a tranché
en disant: "peut" tenir compte.
Suivant votre expérience, les salaires versés ou les
conditions de travail quant à la rémunération totale,
globale versée aux pompiers dans les milieux où ils oeuvrent se
comparent de quelle façon - parce que c'est un service à la
population quand même -avec le salaire moyen des gens qui paient ce
salaire? J'ai vu vos comparaisons. Vous dites que vous ne voulez pas être
comparés avec des salaires de secrétaires, mais, lorsqu'on parle
de salaire moyen, on prend les plus haut rémunérés, les
plus bas et on fait une moyenne. C'est un service public qu'on s'offre, c'est
même un service essentiel. Vous avez des risques dans le travail que vous
accomplissez qu'on ne retrouve pas et qui se doivent d'être
rémunérés dans d'autres travaux. Selon vous, comment cela
se compare-t-il?
M. Morin: (Alfred): D'accord. Dans la pratique et si on regarde
la jurisprudence qui est établie en forme de tribunal d'arbitrage, les
conseils ont toujours retenu les unités comparables: les villes de
même grosseur, de même dimension, pour un même travail
exercé dans une ville ou dans une autre et, à l'occasion, on peut
prendre une région économique. On appelle cela des capitales
régionales dans bien des cas - je prends Sherbrooke comme exemple,
Trois-Rivières ou d'autres endroits; Québec pourrait
peut-être devenir... - sans nécessairement qu'il y ait d'autres
corps de métiers ou de fonction de pompier dans l'arrondissement
immédiat.
Habituellement, on compare toujours des municipalités de
même ordre, de même grandeur. C'est à peu près
là-dessus que la jurisprudence se base et cela a toujours donné
des résultats fort intéressants au point
de vue pratique. Je ne vous dis pas qu'il n'y a pas des décisions
qu'on n'a pas mises à l'écart. On a cherché une moyenne
globale aussi; je prends, entre autres, la région métropolitaine.
Bien souvent, on va prendre le West Island - c'est un exemple - pour faire une
espèce de pondération ou une moyenne des salaires payés
dans ce secteur. C'est la pratique actuellement qui, pour nous, est
satisfaisante. Elle répond à des critères
satisfaisants.
C'est sûr qu'on parle de l'équité et de la bonne
conscience, mais les arbitres sont tenus de le faire. Maintenant, de là
à être obligé d'être comparé avec ce que les
collets blancs ont accepté, on n'est pas d'accord avec cela.
M. Paradis: D'accord. La comparaison avec les autres
employés municipaux, c'est le critère qui vous inquiète le
plus?
M. Morin: (Alfred): On ne voit pas de dispositions autres que...
Actuellement, dans la loi, le mécanisme est prévu dans
l'équité et la bonne conscience. Est-ce qu'on l'utilise de
façon satisfaisante? C'est sûr que, pour la partie perdante, les
critères ne sont pas acceptables, mais la partie qui, elle,
reçoit sera satisfaite des décisions.
Je dis qu'actuellement cela est un critère. Ce n'est pas
nécessairement le seul critère. Il peut aussi y avoir des
comparaisons qui peuvent être faites avec d'autres provinces, avec,
encore la, des municipalités d'un ordre aussi important. Mais je pense
que ce qu'il est important de retenir dans l'ensemble, c'est que les arbitres
ont cette possibilité et aussi l'expérience. C'est pour cela
qu'on en parlait, les arbitres sont recherchés pour leur
expérience; ils arrivent à déterminer et à donner
des décisions qui semblent justes. (23 h 15)
M. Paradis: Revenons au texte de l'article 35 qui parle de
l'article 79 où on dit: Pour rendre sa sentence, l'arbitre peut tenir
compte, entre autres, des conditions de travail qui prévalent dans des
entreprises semblables - on aura peut-être des difficultés avec
les pompiers - ou dans des circonstances similaires ainsi que des conditions du
travail applicables aux autres salariés de l'entreprise." La disposition
qui vous inquiète le plus est celle qui dit "aux autres salariés
de l'entreprise", dans votre cas?
Le Président (M. Blouin): C'est cela? M. Morin:
(Alfred): Oui.
Le Président (M. Blouin): Très bien. Cela va? M. le
député de Prévost.
M. Dean: M. le Président, M. Morin, moi aussi, j'avais une
série de questions au début, mais, en lisant votre
mémoire, j'ai presque toutes les réponses que je cherche, sauf
peut-être une information. Avez-vous des statistiques qui indiquent dans
combien de cas, chez les pompiers, il y a règlement de la convention
collective par négociation et sans arbitrage?
M. Morin: (Alfred): Je n'ai pas de statistiques avec moi, mais je
peux vous dire que, dans les années 1981, 1982 et 1983, selon ma
mémoire, je pense que 2 sections sur 34 sont allées en arbitrage.
J'exclus 1983, je parle de 1981 et 1982. Il y a eu une multitude de
règlements qui ont été faits pour trois ans en 1980, 1981
et 1982, avec des dispositions qu'on pourrait appeler des clauses d'indexation.
Ces règlements ont amené un très grand nombre de
règlements. L'arbitrage des différends, il y en a eu un dans la
ville de Hampstead en 1982, à ma connaissance. Cela a été
fort important. Je dois vous dire que, pour l'année 1983, ce n'est pas
de même augure.
Le Président (M. Blouin): Très bien. Cela va.
M. Morin: (Alfred): À Anjou, cela fait depuis 1979.
Le Président (M. Blouin): M. le député
d'Outremont.
M. Fortier: Je voudrais seulement avoir une information d'ordre
général. La Fédération des pompiers professionnels
du Québec aide - comme vous le dites dans le texte - les
différentes associations dans différentes localités
à travers la province, j'imagine. Pourriez-vous me dire si les
tâches remplies par les pompiers de différentes
municipalités - elles sont identiques en partie peuvent différer
considérablement ou seulement partiellement? Est-ce que certains
pompiers dans certaines localités sont appelés à remplir
d'autres tâches, comme le contrôle des foules, ou si on s'entend
sur une tâche qui serait à 99,9% identique dans presque toutes les
localités du Québec?
M. Morin (Alfred): D'accord. À 99,9%, le travail est
identique, à quelques exceptions près. C'est un
phénomène nouveau qui est apparu chez les pompiers,
récemment, dans trois municipalités: de plus en plus, on
s'implique dans le système paramedic. D'accord? Je pense entre autres
aux villes de Westmount, Pointe-Claire et Dollard-des-Ormeaux où on a
commencé à former le personnel et où un service nouveau
est offert à la population.
Dans les autres municipalités, le travail est parfaitement
identique. C'est le même travail, les mêmes sommes, c'est la
même
chose, mais avec une différence du nombre de personnes
permanentes. Il y a une multitude de municipalités qui vont utiliser ce
qu'on appelle un corps composé, c'est un groupe de pompiers permanents
avec un groupe de pompiers à temps partiel, mais, dans la
majorité des villes de l'agglomération de Montréal, le
travail ne se limite qu'à faire de la prévention d'incendie, du
combat d'incendies, de l'extinction.
M. Fortier: ...certaine évolution de ce côté.
Ce que vous dites, c'est l'état de fait. Est-ce qu'il y a des demandes
de la partie patronale dans le sens de modifier ou de faire faire de nouvelles
tâches? Ce que je voulais savoir, c'est s'il y a une tendance dans les
demandes, étant donné que c'est considéré comme
étant un fardeau financier, à développer cette fonction
dans d'autres domaines.
M. Morin: (Alfred): Oui. Actuellement, on fait face à un
assaut de la part de la partie patronale dans le sens de faire des pompiers des
patrouilleurs, des personnes qui pourraient donner des contraventions ou faire
respecter des règlements municipaux; c'est ce qu'on appelle un peu une
police parallèle. Il est bien sûr qu'on s'oppose à ce genre
de travail. On ne croit pas que le métier qu'on exerce nous donne
l'habileté et la compétence de devenir patrouilleur. En plus, si
on est sur la route, à l'extérieur, à faire des
vérifications qui n'entrent pas dans nos fonctions, cela risque fort de
compromettre l'efficacité du service.
M. Fortier: Je vous remercie. Cela répond à ma
question.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, M. Morin:. Sur
ce, je remercie les représentants de la Fédération des
pompiers professionnels du Québec de leur intervention.
J'invite maintenant la Fédération des policiers du
Québec à prendre place à la table des invités.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Morin:. Merci à vos
collègues.
M. Nadon: M. le Président et MM. les membres de la
commission, je réitère ma demande de tantôt. Il reste
à peine 40 minutes pour nous entendre et je dois vous dire tout
simplement que les amendements proposés, ce n'est pas nous qui les avons
demandés; alors, je pense qu'il serait tout à fait
équitable que vous nous donniez la possibilité quand même
de donner toutes les explications aux questions que vous auriez aimé
nous poser, mais, faute de temps, évidemment...
Le Président (M. Blouin): Nous avons un ordre de
l'Assemblée nationale pour siéger jusqu'à 24 heures ce
soir. Il reste 40 minutes sur le temps que nous avions à notre
disposition aujourd'hui. Je vous signale que vous avez amplement le temps de
présenter votre mémoire et de recevoir même un certain
nombre de questions de la part des intervenants de la commission. Je peux vous
assurer déjà que, si les membres n'ont pas entièrement
terminé de soulever les préoccupations qu'ils souhaitent soulever
avec votre organisme, nous poursuivrons jeudi. Vous aurez tout le temps
nécessaire pour vider la question. À cet égard, je crois
que ce traitement est parfaitement équitable. En conséquence, je
vous demande de présenter les gens qui vous accompagnent et de
procéder à la présentation de votre mémoire.
Fédération des policiers du
Québec
M. Nadon: M. le Président, nous nous plions aux exigences
et au désir de la commission. Mon nom est André Nadon,
président de la Fédération des policiers du Québec.
J'ai le plaisir de vous présenter, à ma droite immédiate,
M. Guy Marcil, directeur exécutif de la fédération, et Me
Guy Bélanger, procureur, qui est à l'emploi de la
fédération. Sans plus tarder, nous allons commencer à
faire l'exposé de notre mémoire. M. le Président, nous
tenons à vous remercier de la possibilité que vous nous donnez
d'exprimer notre position sur le projet de loi 17 modifiant le Code du
travail.
La Fédération des policiers du Québec est un
organisme syndical représentant les policiers municipaux du
Québec, à l'exception de ceux de la Communauté urbaine de
Montréal, et regroupant quelque 4000 membres. Compte tenu du peu de
temps dont nous disposions entre le dépôt du projet de loi et les
auditions de la commission parlementaire, et pour répondre
également à une demande qui nous a été faite, le
présent mémoire ne constitue qu'un bref exposé de la
position de la fédération vis-à-vis des amendements
proposés dans le projet de loi 17, et plus spécifiquement
à l'égard de ceux touchant les dispositions particulières
du Code du travail affectant les policiers et les pompiers.
Arbitrage de différends. Comment le gouvernement en est-il venu
à vouloir modifier le régime des relations du travail actuel nous
régissant depuis une trentaine d'années qui, malgré les
imperfections de tout le système, a su donner au cours des années
des résultats acceptables? Ce n'est certes pas notre intention de
glorifier le système actuel, qui n'est sûrement pas la
panacée à tous nos maux, mais nous allons toutefois réagir
vigoureusement devant la
possibilité d'une détérioration de
l'équilibre des rapports entre les parties et qui aurait pour effet de
nous défavoriser.
Ce n'est pas nous qui avons demandé ce qui est contenu dans le
projet de loi. Les policiers ont appris à vivre avec le système
actuel, à présenter devant les conseils d'arbitrage la meilleure
preuve à l'intérieur de dossiers bien étoffés et
à accepter les bonnes et les mauvaises décisions. Dans le cas
où nous n'obtenions pas satisfaction, nous nous reprenions a
l'expiration de la convention collective dans l'espoir d'obtenir un meilleur
règlement.
Ce sont les municipalités qui, depuis un an environ, sont
constamment aux abois devant chaque sentence arbitrale qui dépasse la
norme arbitraire et aléatoire des 6% et 5%, énoncée en
août 1982 par le gouvernement fédéral. Même du temps
de la défunte loi 64 sur le contrôle des prix et des salaires, les
augmentations de traitements pouvaient excéder largement les normes
lorsqu'on réussissait à démontrer un lien historique.
Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui alors que la norme des 6% et 5%
n'est tout au plus qu'une politique gouvernementale et non une loi?
Donc, les municipalités ont entrepris une offensive, pour ne pas
dire une guérilla sans précédent, à l'endroit des
tribunaux d'arbitrage, attaquant d'une manière inqualifiable les
décisions rendues en équité et bonne conscience par les
conseils d'arbitrage.
L'Union des municipalités du Québec a tellement nourri
auprès de la population, par l'entremise des médias, une
propagande délirante et "distorsionnée" de la situation que
plusieurs s'interrogeaient, y compris le premier ministre, sur la
crédibilité des conseils d'arbitrage.
Et toutes les attaques étaient permises, même celle du
président de l'UMQ, M. Dufour, maire de Jonquière, où il
déclarait dans le journal La Presse du 11 décembre 1982, annexe
1, voir une certaine collusion entre les présidents de tribunaux
d'arbitrage et le gouvernement pour accorder aux policiers de bonnes sentences
arbitrales, en prétendant honteusement, par des insinuations
malveillantes, qu'il fallait bien traiter les policiers, si on voulait compter
sur eux à l'approche des grèves appréhendées dans
le secteur public. Les municipalités ont, en plus, multiplié
leurs pèlerinages à Québec, en exerçant
auprès des différents ministres un lobbying soutenu où
elles étaient d'ailleurs considérées comme des partenaires
privilégiées alors qu'en ce qui nous concerne, on ne nous a pas
consultés. La fédération avait cependant cru à une
plus grande circonspection du gouvernement face aux revendications des
municipalités. Le gouvernement, par son projet de loi 17, donne
l'impression d'avoir cédé aux larmoiements opportunistes des
municipalités, lesquelles ont exploité abusivement la psychose
collective de la population en rapport avec le contexte économique.
À l'instar du gouvernement qui réglait les conditions de travail
de ses employés par décret, elles brûlaient d'envie et ont
profité d'un "timing" exceptionnel pour vouloir changer les
règles du jeu. Le système actuel d'arbitrage n'établit
aucun pattern et il ne fait que suivre l'évolution des conditions de
travail des policiers appartenant aux deux plus importants corps de police au
Québec qui sont la Sûreté du Québec et la
Communauté urbaine de Montréal, en diminuant, mais tout en
maintenant, des disparités salariales encore substantielles dans
certains cas avec d'autres corps policiers que nous représentons. Nous
l'avons déjà dit publiquement, à plusieurs reprises, et
nous le réitérons, qu'à travail, formation,
critères d'embauche égaux, salaires égaux. Pourquoi en
serait-il différent? Nous citons ci-après un extrait du rapport
Saulnier dont je vais vous faire grâce, qui endosse, en fait, notre
prétention.
Donc, ce n'est pas le système d'arbitrage qui révolutionne
les tendances au niveau de nos conditions de travail, mais plutôt le
gouvernement, en fixant la rémunération de ses propres policiers.
Il en est ainsi pour les policiers de la Communauté urbaine de
Montréal qui ont, depuis 1969, renoncé au recours à
l'arbitrage.
Comme nous le mentionnions un peu plus haut, l'arbitrage de
différends a surtout eu pour effet d'amenuiser les écarts avec
les deux grands corps policiers en province. Bref, consentir une certaine forme
de rattrapage, voilà tout au plus les effets bénéfiques du
système.
En ce qui concerne le fonds de retraite, je tiens à vous dire
qu'il n'y a aucune commune mesure entre les avantages prévus aux
régimes de caisse de retraite des policiers de la Sûreté du
Québec et ceux des municipalités, à l'exclusion de ceux de
la Communauté urbaine de Montréal.
La majorité des policiers municipaux que nous représentons
n'ont pas ou ont très peu de conditions relatives aux régimes
d'avantages sociaux. Et ici, j'aimerais tout simplement ouvrir une
parenthèse où à un certain moment, à la suite de
décisions arbitrales qui avaient été rendues alors que les
tribunaux avaient déclaré ne pas avoir juridiction pour se
prononcer là-dessus, étant donné qu'il s'agissait de
règlements municipaux et qu'à ce moment-là, se prononcer
sur la question des fonds de pension aurait eu pour effet d'excéder leur
juridiction...
On avait remis - moi, à titre de président des policiers
de Laval à l'époque, je pense que c'était en 1978 - lors
de l'ouverture de la Cité de la santé à Laval,
un mémoire, c'est-à-dire un document, au premier ministre
alors qu'il s'apprêtait à inaugurer la Cité de la
santé pour qu'il jette éventuellement un coup d'oeil
là-dessus pour essayer de nous sortir de ce genre de bourbier juridique
qui faisait que nous ne pouvions, à ce moment, négocier ce qui
constitue sûrement notre principale condition de travail qui est le fonds
de retraite.
Nous n'en avons pas entendu parler par la suite. Nous avons
évidemment fait des démarches aussi auprès du ministre de
la Justice, auprès d'autres organismes pour qu'il y ait
éventuellement des amendements, qu'il y ait des provisions à
l'intérieur de la loi qui puissent nous permettre effectivement de
négocier le fonds de retraite. On ne retrouve rien de cela,
évidemment, dans le projet de loi 17. Ce qu'on retrouve surtout,
évidemment, ce sont les revendications de l'Union des
municipalités du Québec. (23 h 30)
On avait même demandé, à différentes
occasions, pour les policiers qui n'ont pas de fonds de retraite ou qui ont des
conditions très défavorables à ce niveau, d'instituer une
caisse provinciale du genre RREGOP, laquelle est accordée à la
majorité des employés du secteur public et sur laquelle, encore
là, à l'Union des municipalités, à un moment
donné, au niveau d'une table de concertation, on s'était mis
d'accord. Par la suite, il y a eu volte-face par rapport à sa position
originale. Je dis que ces mêmes conseils d'arbitrage qui font aujourd'hui
l'objet d'agressions impensables des municipalités ont depuis
décliné toute juridiction se rapportant à ces conditions
de travail.
Nous aurions cependant souhaité que le gouvernement profite de
l'occasion qui lui était offerte, par le dépôt du projet de
loi, pour corriger cette inéquité rendant descriminatoire la
situation faite aux policiers et aux pompiers par rapport aux autres
travailleurs et que lui recommandait, d'ailleurs, le groupe de travail sur
l'arbitrage des différends chez les policiers et les pompiers. En fait,
vous avez la conclusion. C'est un groupe de travail qui avait été
présidé par le Me Viateur Larouche et c'est en décembre
1980 qu'on faisait paraître le rapport.
D'ailleurs, dans son avant-projet de loi, le ministre avait pourtant
souscrit à cette recommandation. À la page 26, on y lit:
L'article 62 de ce code est modifié par l'addition de l'alinéa
suivant: "Elle peut également contenir une disposition relative à
des conditions de travail qui peuvent être établies par un
règlement d'une corporation municipale ou d'une régie
intermunicipale." Le gouvernement ne pouvait non plus être taxé
d'incursion dans le pouvoir de réglementation des municipalités
puisque, d'une part, la Cour supérieure, en novembre 1981, s'est
déjà prononcée à ce sujet dans la cause de la
Fraternité des policiers de Laval contre la ville de Laval. D'autre
part, récemment, la Cour suprême du Canada, dans la cause de
Durham Regional Police Association contre... Aidés par une telle
jurisprudence, nous ne doutons pas, évidemment, d'obtenir gain de cause
à la Cour d'appel du Québec et, si nécessaire, à la
Cour suprême du Canada. Mais pourquoi retarder, par des procédures
dilatoires, la reconnaissance d'un droit fondamental, alors que le gouvernement
a tous les éléments juridiques et politiques pour finalement
agir.
Au niveau de la Cour d'appel, la cause va probablement être
entendue cet automne et, à ce moment-là, on peut prévoir
des délais. Si la municipalité de Laval décide de
poursuivre la cause jusqu'en Cour suprême, on peut prévoir un
autre délai de deux à trois ans. Pendant tout ce temps-là,
évidemment, ce sont des économies réalisées sur le
dos des policiers.
On va parler des coûts de la police. Depuis quelques
années, il s'est dit beaucoup de chose sur les coûts de la police
au Québec. La raison pour laquelle nous abordons cette question, c'est
qu'il est bien évident que celle-ci est à l'origine des
amendements proposés. Il faudrait bien, un jour, qu'un débat
entourant cette question ait lieu, du moins en ce qui regarde toutes les
municipalités du Québec maintenant un corps policier, exception
faite de la Sûreté du Québec et la Communauté
urbaine de Montréal. Ce débat pourrait se faire dans le cadre
d'un mini-sommet sur la police, ce qui permettrait à la population de
juger la valeur des arguments lancés à gauche et à droite
et galvaudés par les municipalités.
On pourrait y apprendre certains faits, par exemple, qu'il y a 1 600 000
Québécois qui ne paient pas de taxes municipales pour la police,
étant desservis gratuitement par la Sûreté du Québec
et qui se traduit par une répartition très inéquitable du
fardeau fiscal de l'ensemble des Québécois. Donc, si chaque
Québécois payait sa quote-part, il en résulterait
sûrement une réduction des coûts pour les contribuables des
municipalités qui ont un corps policier.
On y apprendrait, aussi, que, dans plusieurs de nos
municipalités, le policier municipal a pour fonction, en plus de faire
respecter les lois fédérales et provinciales et les
règlements municipaux, d'agir également comme pompier. Ce
dédoublement de fonction chez un policier est quasiment unique au monde
à l'exception d'une ville que nous connaissons et qui est située
en banlieue de Victoria, la petite ville d'Esquimalt, où les policiers
sont les mieux rémunérés en Colombie britannique en raison
d'une surprime de 7% qui s'ajoute à leur salaire pour tenir compte de
cette tâche additionnelle.
Que le pourcentage du budget des
municipalités affecté à la police n'a
progressé, au cours des sept dernières années, que de
0,59%, de 11,16% qu'il était en 1976 à 11,75% pour l'année
1982, que le coût de revient par policier municipal, excluant la CUM, en
1982, est de 8146 $ inférieur à celui d'un agent de la SQ et de
5143 $ à celui du policier de la CUM.
Il est à signaler néanmoins que le système
d'arbitrage actuel n'a jamais influencé les salaires des policiers de la
SQ et de la CUM et, ironiquement, c'est à l'endroit de ceux qui sont les
parents pauvres de la profession que l'on veut remettre en cause le
système. Pour mieux illustrer cet énoncé, nous avons
préparé un tableau - le numéro 2 - sur la progression des
salaires des 150 services de policiers municipaux comparativement à
celle des policiers de la SQ et de la CUM et, de façon plus
spécifique, nous avons établi sur la même base de
comparaison l'évolution des salaires des policiers des
Basses-Laurentides. Les maires de cette région se sont concertés
pour lancer à l'égard du système leurs attaques les plus
virulentes et vous comprendrez pourquoi nous avons trouvé
intéressante la confection d'une étude particulière pour
cette région. Le tableau numéro 2, intitulé: Progression
des salaires, démontre l'évolution salariale chez les policiers
de la Sûreté du Québec, de la Communauté urbaine de
Montréal et des 150 services de policiers municipaux.
L'augmentation des salaires des policiers de la CUM au cours des sept
dernières années a presque été le reflet exact de
l'augmentation du coût de la vie pour la même période. En
effet, l'enrichissement collectif n'a été, pour cette
période, que de 2,92%. Il serait bon de souligner que l'augmentation de
1977 pour les policiers de la CUM n'a été que de 2,06%
inférieur au coût de la vie, la Fraternité de la CUM
préférant à ce moment-là aller chercher des
améliorations au niveau du fonds de retraite.
L'évolution des salaires de la Sûreté du
Québec s'est effectuée au cours des années par voie de
compraison avec différents corps policiers canadiens tels la GRC, l'OPP,
Métro Toronto et la CUM. À cet effet, on peut d'ailleurs noter,
à l'aide du tableau, la fluctuation des augmentations salariales par
rapport aux policiers de la CUM avec qui ils obtiendront une parité
salariale à compter de 1980.
Les policiers de la Sûreté du Québec n'ont jamais,
au cours des quinze dernières années, soit depuis leur
reconnaissance syndicale, eu recours à un tribunal quelconque dans la
fixation de leurs salaires. Quant à la progression des salaires des 150
corps policiers municipaux du Québec, le tableau démontre que
l'écart de 1976, qui était de 63 $, s'est accentué avec la
Sûreté du Québec, pour passer à 71 $ en 1982, alors
que la différence avec la CUM régressait: de 75 $ qu'elle
était en 1976, elle passait à 71 $ en 1982. Durant cette
période, les policiers se sont adressés, à plus de 200
reprises, aux tribunaux d'arbitrage de différends pour la fixation de
leurs salaires. On peut certainement conclure, quand on constate au tableau
l'écart salarial qui s'est maintenu au cours des années, que ces
tribunaux n'ont d'aucune façon établi des patterns salariaux et
que l'attaque de l'UMQ était injustifiée à l'endroit de
ces conseils.
Dans la région des Basses-Laurentides, nous remarquons,
malgré les 23 arbitrages qui ont déterminé les conditions
de salaire et de travail de ces policiers, que l'écart a
rétréci de quelques dollars avec les policiers de la
Sûreté du Québec et de 16 $ avec ceux de la CUM.
Le tableau numéro 3 démontre que l'attaque de l'UMQ et des
maires des Basses-Laurentides était injustifiée à
l'endroit du système d'arbitrage et que seuls des impératifs
à rentabilité électorale pouvaient expliquer
l'intensité de leurs critiques sur la place publique. Ce qui est
regrettable, c'est qu'ils ont réussi à créer des doutes
à l'endroit du système et à jeter le discrédit sur
les personnes qui ont eu à agir à titre de présidents des
tribunaux d'arbitrage.
Nous pourrions poursuivre cette dialectique encore un bon moment pour
vous indiquer que toute la question est essentiellement économique et
que l'Union des municipalités du Québec, avant de recourir
à des arguments de cet ordre pour lancer des pierres à l'endroit
des conseils d'arbitrage, devrait plutôt s'assurer qu'elle n'habite pas
une maison de verre.
Il ne faut quand même pas prendre les présidents pour des
imbéciles, incapables d'agir à l'intérieur de la notion
d'équité et de bonne conscience. Pensé
différemment, il faudrait peut-être prévoir des balises au
sujet de l'arbitrage de griefs, car ce sont bien souvent les mêmes
personnes qui agissent en qualité d'arbitres de griefs et, si leurs
décisions sont farfelues au niveau des différends, pourquoi en
serait-il autrement en ce qui concerne les griefs où, parfois, des
sommes d'argent considérables peuvent faire l'objet d'un litige?
Nous annexons ci-après une résolution adoptée
unanimement, dont je vous fais grâce de la lecture, par 150
délégués à une assemblée
générale spéciale de la Fédération des
policiers du Québec, tenue le 12 mars 1983, laquelle s'explique
d'elle-même et qui traduisait, à l'époque, assez
fidèlement la position de la fédération vis-à-vis
du régime d'arbitrage de différends.
En conclusion, M. le Président, nous invitons le gouvernement
à faire preuve de beaucoup de discernement avant de
légiférer défavorablement à l'égard des
policiers et
des pompiers. Étant donné que le législateur nous a
confinés dans un régime d'exception par rapport aux autres
travailleurs, encore faut-il qu'il s'assure en conscience que nous soyons
traités avec équité.
Pour l'autre partie du mémoire, nous avons préparé
quelques tableaux et je vais laisser le soin à M. Marcil de vous en
donner les explications. Pour ce qui est de la deuxième partie qui
touche plus particulièrement les aspects techniques des amendements, je
vais laisser Me Guy Bélanger vous en faire l'exposé.
M. Marcil (Guy): L'explication a été donnée
dans les pages précédentes, mais simplement pour illustrer un peu
à l'aide du tableau l'évolution des sommes impliquées dans
les services de police - ces sommes sont tirées du rapport annuel de la
Commission de police qui est déposé en Chambre par le ministre de
la Justice annuellement - on voit qu'en 1972, les sommes investies au niveau
des services de police étaient de 17 649 $ pour la Sûreté
du Québec et, pour le service de la CUM, de 18 532 $ alors qu'elles
étaient de 13 098 $ pour les services de police à l'exclusion de
la CUM et de la Sûreté du Québec. On regarde cette
évolution des coûts investis chez les policiers. On voit qu'en
1982, les sommes investies à la Sûreté du Québec
sont de 55 000 $; à la CUM, elles sont de 52 000 $. On voit que les
sommes investies dans les autres corps de police sont d'environ 47 000 $.
Évidemment, ces coûts n'ont pas augmenté au niveau des
années, en fait, au niveau des pourcentages. L'écart qui existait
entre ces différents services de police en 1972 était de 5000 $;
on retrouve un écart qui s'est accentué un peu plus en 1982.
Au niveau des budgets en pourcentage, j'ai ici une analyse
budgétaire pour l'année 1971-1972 pour les municipalités
du Québec. C'est une brochure qui est publiée par le
gouvernement. On voit que, même en 1971-1972, le pourcentage
affecté au service de police était supérieur à
celui qui existe présentement. Sur le tableau qu'on a - et c'est
tiré du rapport annuel de la Commission de police - on voit qu'à
la CUM les coûts étaient de 15% en 1976; ils ont diminué
à 13,99% en 1982. Pour les corps de police desservant une population de
5000 habitants et plus, à l'exclusion de la CUM, ces coûts
étaient de 11,16% en 1976 et ils ont augmenté à 11,75%,
soit environ 0,50% sur une période de six ans.
Le tableau suivant, c'est peut-être celui où on a dit que
le système d'arbitrage avait faussé les règles du jeu. Les
salaires au Québec sont déterminés par deux corps de
police, soit la CUM et la Sûreté du Québec. On voit tout de
même qu'en 1976, le coût de la vie au Canada était de 6,5%
alors que les salaires obtenus en pourcentage à la
Sûreté du Québec et à la CUM ont
été de 10%. En 1977, on voit que le coût de la vie
était de 8,34% alors qu'à la CUM on a accepté - comme on
l'a dit dans les pages précédentes - 6,28%,
préférant axer une partie de l'augmentation prévue au
régime de retraite ce qui, soit dit en passant, n'a été
obtenu par aucun service de police au Québec. Si les policiers du
Québec ont en fait obtenu à peu près le même
pourcentage que la CUM, il reste que ces 2% d'écart que les policiers de
la CUM ont mis sur leur fonds de retraite, les autres policiers n'ont jamais pu
avoir une majoration de leur fonds de retraite comme celle-là. Si on
regarde en 1978-1979, cela a été le coût de la vie, 1980,
1981, 1982. Comme on le disait auparavant, les policiers de la CUM, le dernier
arbitrage auquel ils sont allés est en 1969. Ils ne sont jamais
retournés en arbitrage. La Sûreté du Québec n'est
jamais allée en arbitrage. Cela ne peut pas être le système
des arbitres ou de l'arbitrage qui a créé les patterns. (23 h
45)
Quand vous regardez le tableau un peu plus bas, vous voyez la moyenne
des salaires des 150 autres corps policiers au Québec qui était
de 269 $ en 1976 par rapport à 332 $ et à 344 $, soit un
écart de 63 $ par rapport à la Sûreté du
Québec et de 75 $... En pourcentage, c'est 23%, 27%. Vous regardez en
1982, l'écart est encore de 71 $. On est allé 200 fois en
arbitrage. Comment se fait-il que ce soient les patterns, les
négociations qui sont intervenues entre la Sûreté du
Québec et le gouvernement... Soit dit en passant, je fais une
parenthèse, il faut tout de même reconnaître que les
salaires accordés à la Sûreté du Québec ou
les conditions de travail n'ont jamais été sur la place publique,
que les gouvernements antérieurs n'ont jamais fait de reproches, n'ont
jamais fait de commentaires disgracieux à l'endroit des policiers de la
Sûreté du Québec. La population a tout de même
gardé un respect, alors que, dans notre cas, simplement essayer de
garder en dollars absolus... Depuis un an on a eu des commentaires sur les
arbitres, sur les policiers, ce qui, au niveau du moral, au niveau de
l'implication des policiers parmi la population, a eu un effet très
négatif.
Quand vous regardez effectivement en 1976, on avait une
différence de 63 $ avec la Sûreté et de 75 $. Cet
écart est monté à 71 $ en 1982 avec la CUM aussi. Soit dit
en passant, la grande majorité des policiers du Québec ne partent
pas avec une pension à 45 ans. Je suis parti de Montréal avec une
pension à 45 ans. Après 25 ans de service et à l'âge
de 45 ans, je suis parti. La grande majorité des policiers du
Québec, c'est 60 ou 65 ans. Vous avez 70 corps policiers qui sont aussi
pompiers. Pourquoi l'Union des municipalités, pourquoi les maires ne
sont-ils
pas allés sur la place publique pour expliquer ce travail, qui
est unique au monde, au lieu de faire de la petite politique sur notre dos et,
évidemment, inviter le gouvernement à adopter une loi qui,
à notre point de vue, va certainement à l'encontre des droits
fondamentaux que le législateur nous a donnés il y a plus de 30
ans.
Le dernier tableau, c'est celui qui a peut-être fait le plus
d'éclat. Vous avez même eu, de la part des maires des
Basses-Laurentides, des mémoires qui vous ont été
présentés. On a regardé cela de 1976 à 1982. Sur
une période de six ans, on voit que le salaire, en haut à gauche,
à la Sûreté du Québec, était de 332 $ et de
344 $ à la CUM. La moyenne pour toutes les villes des Basses-Laurentides
était de 283 $, ce qui laissait un écart de 48 $ par rapport a la
Sûreté du Québec et de 61 $ par rapport à la CUM. On
se retrouve six ans après, l'écart est de 45 $ par rapport
à la Sûreté du Québec et de 45 $ par rapport
à la CUM. On est allés là-dessus 20 fois en arbitrage. Ce
n'est certainement pas le système d'arbitrage qui nous a permis
d'obtenir la parité. N'oubliez pas qu'on n'a pas négocié
de régime de retraite depuis quatre ans. La Sûreté du
Québec a négocié son régime de retraite il y a
environ deux ans avec le gouvernement. Les policiers de la CUM, il y a
déjà cinq ans. Je peux vous dire que, dans notre cas, on n'a pas
eu cet avantage parce que les tribunaux ont rendu des décisions,
à savoir que les fonds de retraite et les assurances ne pouvaient pas...
en fait, que les tribunaux d'arbitrage n'avaient pas juridiction d'arbitrer ces
conditions de travail.
On a parlé ce matin de Lachute. Je ne sais pas si c'est le
député de Brome-Missisquoi qui a posé la question quant
à Lachute. Personnellement, au niveau du différend,
j'étais arbitre. C'est que la ville de Lachute, effectivement, a pris
comme procureur un type qui n'avait aucune expérience dans les relations
de travail au niveau du différend. L'arbitre patronal n'avait aucune
expérience au niveau des différends, sinon son expérience
antérieure à Lachute.
La preuve qui a été soumise au tribunal par la partie
patronale, cela a été exactement trois feuilles de papier, alors
que la partie syndicale avait soumis une preuve très substantielle - je
pourrais vous dire une preuve qui avait peut-être un pied de haut. Quand
le tribunal est arrivé pour rendre une décision, lorsqu'il a
regardé la preuve de l'employeur par rapport à la preuve du
syndicat... Évidemment qu'il y a eu un rattrapage assez marqué
dans le cas de Lachute. N'oubliez pas que le type qui représentait la
ville de Lachute, en fait, le procureur de la ville de Lachute, était
accompagné du chef de police. Il n'y avait pas de membre du conseil, ni
le maire, ni la gérance, ni le directeur du personnel. Il faut donner
tous les faits quand on dit qu'à Lachute il s'est rendu telle
décision. Il faut aussi comprendre que le contexte de l'arbitrage a
permis, selon la preuve qui a été fournie par la partie
syndicale, le règlement que les policiers de Lachute ont eu et qui,
malgré tout, les laisse encore avec un écart d'environ 35 $
à 40 $ par rapport à la CUM.
On a aussi parlé de Saint-Jérôme. Je dois vous dire
qu'à Saint-Jérôme autant on a essayé d'avoir la
parité avec Laval - dans les Basses-Laurentides, la ville voisine qui
est d'importance, c'est la ville de Laval - on ne l'a pas obtenue, car
l'écart des Basses-Laurentides par rapport à la ville de Laval
est encore de 30 $ et 35 $. Ce qui est remarquable, quand vous avez
parlé des cols blancs et des cols bleus, c'est que les cols blancs de
Saint-Jérôme gagnent plus cher que les cols blancs de la ville de
Laval. Les cols blancs de Saint-Jérôme travaillent 30 heures par
semaine en comparaison avec 35 ou 40 heures à Laval, ce qui permet, sur
un taux horaire, à un col blanc de Saint-Jérôme d'avoir un
salaire supérieur à celui de Laval.
En fait, quant aux explications des tableaux, on pourra peut-être,
à la période des questions tantôt, ajouter d'autres
commentaires, mais l'explication de ces tableaux termine ma partie.
Le Président (M. Blouin): Merci. Avant de vous inviter
à compléter votre intervention initiale, je vous signale qu'il
est de tradition que les présentations des mémoires soient
résumées, dans la mesure du possible, en une vingtaine de
minutes. L'association qui a pris le plus de temps pour expliquer son
mémoire a pris 23 minutes aujourd'hui. Vous avez déjà une
demi-heure d'entamée et je vous demanderais donc de compléter
votre présentation en une dizaine de minutes.
M. Bélanger (Guy): Ce sera suffisant, d'autant plus que je
n'ai pas l'intention de lire comme telle la partie 2, mais de vous la
résumer.
Pour ce qui est de l'accès à la syndicalisation,
évidemment, ce n'est pas un problème qui nous touche plus
particulièrement, mais c'est un problème auquel nous sommes quand
même assez sensibilisés. Dans les amendements qui sont
proposés, nous avons cru comprendre, après avoir entendu les
centrales syndicales et après avoir étudié le projet de
loi, que ce qui était visé, en fait, c'était
d'éliminer les longs délais qui pouvaient être
causés par le dépôt de requêtes d'associations
dominées. On se demande si on ne transposera pas le problème
à un autre niveau, si, par exemple, en voulant éliminer les
associations dominées,
on va créer des problèmes au niveau des différentes
associations de bonne foi qui pourraient présenter des requêtes,
comme cela se fait dans la pratique courante. C'est à se demander si,
par exemple, une majorité de travailleurs qui seraient sympathiques
à une association qui a présenté sa requête en
deuxième lieu, devront attendre que tout le processus soit
terminé au niveau de la première requête pour, finalement,
faire passer le syndicat de leur choix. On n'insiste pas plus
particulièrement là-dessus. On s'en remet plutôt aux
centrales qui sont plus concernées.
Pour ce qui est du droit d'association des policiers municipaux, chaque
fois ils reviennent à la charge avec cette question. On invoque, cette
fois, la Charte des droits et libertés de la personne qui
reconnaît, à l'article 3, que le droit d'association est une
liberté fondamentale, sans faire d'exception comme telle. On dit,
à l'égard des policiers municipaux, que c'est une discrimination
que de ne pas leur permettre un droit d'association plein et entier, comme cela
existe pour d'autres associations. Si vous considérez
sérieusement la question, vous allez voir qu'il n'y a pas de
véritable raison pour maintenir une telle discrimination à
l'égard des policiers, qu'ils soient de Grand-Mère, de Shawinigan
ou de n'importe quelle ville. On parle quand même de 150
associations.
Je ne vois pas pourquoi, par exemple, les policiers municipaux ne
pourraient pas regrouper dans leur association les répartiteurs qui
prennent les appels au poste de police. En fait, si on parle de l'unité
appropriée en matière d'unité de négociation, je
pense qu'un commissaire du travail conclurait que les répartiteurs
pourraient faire partie de l'unité appropriée qui est celle des
policiers. Avec les dispositions actuelles, évidemment, on en est
empêché.
Quant au secret professionnel du conciliateur, tel que proposé
par l'article 27 du projet de loi, évidemment, ce n'est pas une
disposition qui va changer grand-chose, je pense, sauf que nous voulons attirer
votre attention sur la notion de tribunal, à savoir que, à notre
avis, de la manière que vous l'avez rédigé, cela vise
seulement un organisme ou une personne qui exerce des fonctions judiciaires ou
quasi judiciaires. Donc, un conseil d'arbitrage de différends n'est pas
un organisme qui exerce des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de
même qu'une commission d'enquête. Est-ce à dire, à ce
moment-là, qu'un conciliateur serait tenu de témoigner devant une
commission d'enquête, par exemple, comme l'enquête Jutras qu'on a
connue?
Pour ce qui est du contenu de la convention, je veux reprendre seulement
l'aspect technique que cela peut représenter. M. Nadon a
déjà discuté là-dessus, à savoir qu'il y
avait dans l'avant-projet de loi une disposition en ce sens qu'on pouvait
négocier des fonds de retraite alors que vous avez abandonné,
dans le projet de loi final, cette disposition. Si on lit les commentaires qui
accompagnaient l'avant-projet de loi, ils visaient à clarifier le droit.
Je pense que tout le monde convient que, effectivement, on est dans une
question ambiguë sur le plan juridique. L'amendement proposé dans
l'avant-projet, enfin, mettait un terme à cet imbroglio juridique et il
nous permettait de négocier, comme l'ont dit les autres associations, ce
qui fait partie des conditions de travail de tous les travailleurs.
Pour ce qui est du règlement des différends, il faut noter
que le gouvernement a proposé ces amendements au niveau du changement
des conseils d'arbitrage à trois par des assesseurs, visant ainsi
à diminuer les délais. Par les diverses interventions -vous allez
voir ce que contiennent les mémoires qui vont suivre - vous verrez que
tous veulent que les assesseurs soient obligatoires et, en fait, que la
règle soit inversée; que les assesseurs soient obligatoires
à moins que les parties ne . conviennent du contraire. Vous allez
régler quoi, au niveau des délais? Que ce soient des assesseurs
ou des arbitres, ils devront quand même se rencontrer et
délibérer.
Compte tenu du fait que tout le monde demande de maintenir cette
participation des parties au niveau du processus décisionnel, vous
êtes devant une situation où je me demande vraiment ce que vous
allez changer par les amendements proposés. Une distinction a
été faite au niveau du tribunal d'arbitrage de différends
qui crée un droit par rapport à un tribunal d'arbitrage de griefs
qui décide du droit qui existe déjà, qui exerce vraiment
des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires. Si on fait un parallèle
avec l'Assemblée nationale, où vous êtes à peu
près 100 - cela dit bien respectueusement -pour faire et adopter des
lois, il n'en demeure pas moins que des coquilles se glissent parfois. Vous
pouvez vous imaginer de ce qui pourrait résulter si un arbitre unique,
laissé à lui-même, établissait la loi des parties.
Je pense que cela ne tient pas, à mon avis, face à ce que
constitue un conseil d'arbitrage de différends, tout cet aspect qui
représente la continuation des négociations, tout cet aspect qui
a été mis en parallèle par les pompiers et qui
paraît dans notre mémoire, sur lequel je n'ai pas insisté,
parce que cela a déjà été dit, mais sur lequel je
vous demande de vous pencher de façon très sérieuse. Vous
allez enlever tout ce côté, toute cette partie où l'arbitre
de différends joue souvent le rôle de médiateur. Il y en a
qui ont fait des miracles dans le milieu. Il est évident, que si
l'arbitre de différends ne règle pas tous les points, il en
règle plusieurs par la médiation.
II ne lui reste finalement qu'à trancher les points sur lesquels
il n'a pas réussi à faire le consensus.
Il est important aussi, pour répondre à ce que M.
Bisaillon disait, que les points de désaccord soient exprimés par
les assesseurs ou par les représentants des parties. Je pense que c'est
gênant pour un représentant des parties de penser que, parce qu'il
n'a pas à signer, il sera moins tenace. C'est ce que j'ai cru comprendre
des propos de M. Bisaillon. À mon avis, ce qui va arriver, c'est que ces
personnes vont plutôt lui demander: Qu'est-ce que tu as fait? Qu'est-ce
qui est arrivé? Elles vont demander beaucoup plus d'explications. Je
pense que c'est important qu'il ait eu l'occasion d'exprimer son
désaccord, que son désaccord paraisse à la sentence sur
les points sur lesquels se situe son désaccord.
Je veux aussi souligner la position de la CSD là-dessus qui
semble être la seule à dire qu'elle est d'accord avec les
amendements proposés au niveau du tribunal d'arbitrage des
différends. Pour la CSD, elle n'entrevoit, elle, que ce qui la concerne
au niveau de la première convention collective. Elle se dit, en plus,
que c'est un moindre mal. Elle se dit aussi que, de toute façon, si
ça ne fait pas son affaire, elle ne s'en servira pas. Pour nous, ce
n'est pas cela, c'est plus sérieux, c'est quelque chose avec lequel on
compose tous les jours, on en fait une cinquantaine par année. Je pense
que cela mérite d'être étudié plus
profondément.
Un autre aspect qu'il ne faut pas négliger non plus, ce sont les
dépenses que peut représenter le changement de système que
vous proposez. Les associations de policiers sont composées de cinq,
dix, quinze, vingt ou vingt-cinq membres; ce sont de toutes petites
associations. Elles n'auront pas les moyens d'absorber les coûts
supplémentaires que va représenter le système
d'assesseurs.
Un autre point que je désire souligner plus
particulièrement se situe au niveau des coûts. Cela touche les
policiers, c'est la question de la Commission de police. Souvent, cela fait
double emploi avec les tribunaux d'arbitrage. J'ai déjà vu des
cas où les policiers devaient se défendre devant des tribunaux
criminels et avaient, en même temps, à répondre devant la
Commission de police et un tribunal d'arbitrage. Subir son procès une
fois devrait suffire. On n'a pas le temps de s'étendre là-dessus,
mais il y aurait peut-être lieu de se pencher sur cette question,
(minuit)
Pour ce qui est de l'équité et de la bonne conscience, les
arguments ont déjà été apportés par les
autres parties. Je ne veux que souligner que ce n'est pas seulement la question
des conditions de travail applicables aux autres salariés d'entreprise
qui nous fatigue, c'est toute cette invitation aux arbitres de
différends à considérer des critères qui, comme
tels, n'ont pas de rapport nécessairement avec l'équité et
la bonne conscience. Je pense qu'on devrait laisser les dispositions telles
qu'elles sont actuellement.
Je me sens pressé. Je vais lire le reste du mémoire,
quitte, si on revient à une période de questions, à
expliciter plus amplement les autres aspects qui étaient
développés dans le mémoire.
Le Président (M. Blouin): II est presque minuit. Alors, je
crois que, tel que convenu, nous avons pu procéder à la
présentation de votre mémoire, et également au moment
où nous reprendrons nos travaux selon l'avis qui vous sera transmis par
le Secrétariat des commissions, vous aurez tout le loisir de pouvoir
être interrogés par les membres de la commission qui ont,
d'ailleurs, plusieurs questions à vous poser. Sur ce, je vous remercie
d'être venus ce soir et je vous invite à revenir sur l'invitation
du secrétariat.
La commission élue permanente du travail ajourne ses travaux sine
die.
(Fin de la séance à 0 h 02)