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(Dix heures quatre minutes)
Le Président (M. Rochefort): La commission permanente du
travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu est
réunie ce matin pour discuter de la question avec débat du
député de Jean-Talon au ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre
et de la Sécurité du revenu sur le sujet suivant: les services
essentiels en cas de grève dans les secteurs public et parapublic. La
parole est au député de Jean-Talon.
Exposé du sujet M. Jean-Claude Rivest
M. Rivest: M. le Président, nous posons, selon nos
procédures, la question avec débat autour du problème
extrêmement complexe -il faut en convenir dès le départ -
et extrêmement important aussi pour l'ensemble de la
société de l'exercice du droit de grève dans les secteurs
public et parapublic, bien sûr, traduit en termes des droits fondamentaux
du citoyen, c'est-à-dire la fourniture des services essentiels aux gens
qui ne sont pas directement partie à un conflit de travail dans les
secteurs public et parapublic, mais, qui, par la force de choses, sont
malheureusement entraînés dans la bataille. Si nous le faisons
aujourd'hui et à ce moment, c'est parce que je crois que, de notre
côté à tout le moins, du côté du Parti
libéral et de l'Opposition, nous avons manifesté une patience
vraiment exceptionnelle à l'endroit de cette espèce d'inaction
qui a caractérisé le gouvernement du Parti
québécois sur cette question.
Ma collègue, la députée de L'Acadie, me rappelait
que ce n'est pas la première fois que l'Opposition, sur une question
aussi fondamentale, est amenée à soulever le problème des
services essentiels devant l'Assemblée nationale,
puisqu'elle-même, le 19 octobre 1979, convoquait à ce même
débat le ministre des Affaires sociales d'alors, le Dr Lazure, pour
essayer d'attirer l'attention du gouvernement sur ce très grave
problème qui, encore une fois, n'est pas - j'en conviens volontiers - un
problème du gouvernement péquiste ou du gouvernement
libéral, mais est fondamentalement un problème de
société et un problème important, comme je le
signalais.
Nous le faisons également parce qu'il y a eu, à la suite
du débat de ma collègue en 1979, des engagements et des promesses
assez précises de la part du premier ministre et de la part du ministre
actuel du Travail. Ces engagements ont d'ailleurs été, sauf
erreur, repris d'une façon formelle il y a maintenant plus d'un an, lors
de la campagne électorale puisque je pense que la question des services
essentiels a fait l'objet d'un des engagements du Parti québécois
au moment de la campagne électorale. Il y a eu une commission
parlementaire l'automne dernier, soit maintenant depuis sept mois, où on
a convoqué - on doit le rappeler, je pense -tous les organismes
intéressés, que ce soient les administrateurs des services
publics ou les représentants des travailleurs ou encore des
représentants des usagers. Avec mes collègues de Sainte-Anne, de
L'Acadie ainsi que d'autres de nos collègues, on a participé
à quelque 56 heures de travail en commission parlementaire pour essayer
de comprendre et de saisir l'importance du problème et sa
complexité. Nous avions convenu que cette commission parlementaire
devait être télévisée, justement, pour que l'opinion
publique puisse participer à la réflexion que nous entreprenions
ensemble.
À cette époque, je rappellerai au ministre, s'il le veut
bien, au besoin, qu'il avait quand même pris des engagements. Un des
engagements sur lequel je voudrais attirer l'attention des gens qui nous
écoutent - c'est très important - c'est que, de toute
évidence, le gouvernement, probablement prochainement, d'après ce
qu'on nous dit -on va finir par le croire puisque ça fait tellement de
fois qu'il le promet - est censé arriver avec un projet de loi sur la
question des services essentiels. Enfin, c'est peut-être une question de
jours ou de semaines, je ne sais trop.
La chose extrêmement importante, c'est que tout le monde a convenu
qu'un geste devait être posé pour assurer les services essentiels
en cas de grève dans le secteur public. Tout le monde en convenait,
chacun avait ses orientations - c'est probablement inévitable - mais
tout le monde convenait que ce geste ne devait pas être posé, si
on voulait avoir le minimum de chances qu'il soit suivi, dans un contexte de
négociation ou de prénégociation des conventions
collectives dans les secteurs public et parapublic. Donc, c'est très
important, pour
une discussion aussi fondamentale que celle concernant le maintien des
services essentiels en cas de grève dans les secteurs public et
parapublic, qu'on puisse en discuter en dehors d'un contexte de confrontation
parce que l'État et les services publics ont un certain nombre de
responsabilités et, également, les travailleurs en cause ont un
certain nombre de droits à protéger, des droits syndicaux.
Si on essaie de discuter de cela et d'avancer raisonnablement avec un
projet de loi et qu'on arrive en plein dans le contexte de la bataille du
renouvellement des conventions collectives, on risque, d'abord, de poser des
gestes qui demeureront bien en deçà des besoins de la
société, parce qu'on sera nécessairement beaucoup plus
prudents. Deuxièmement, même le peu de chemin qu'on va faire
risque d'être compromis parce que, de la part du gouvernement ou de la
part des syndicats, cela sera interprété comme un
élément de la stratégie de négociation. La bataille
de négociation risque de s'emparer de ce geste-là et de ne pas
lui donner sa signification première qui doit être une
signification tournée vers l'intérêt public.
Je reproche au ministre et au gouvernement, très fortement - je
pense que c'est un reproche dont il disposera comme il le voudra... Je pense
que le simple bon sens nous amène à conclure que le gouvernement
a manqué à sa responsabilité en retardant
l'échéance du geste qu'il s'apprête à poser dans le
domaine des services essentiels, en la retardant à un point tel que,
maintenant, la bataille du renouvellement des conventions collectives est
déjà engagée - Dieu sait qu'elle l'est - que nous sommes
dans une période de confrontation où les stratégies
syndicales et gouvernementales se déploient. On le sait, les journaux en
sont pleins ces jours-ci. Alors, comment voulez-vous avoir l'assurance que le
geste que s'apprêterait peut-être enfin à poser le
gouvernement puisse avoir une chance de succès? C'est
l'arrière-plan de la question avec débat que nous soulevons.
Sur le fond de la question maintenant -je pense que nous l'avons
toujours dit, mes collègues de Sainte-Anne et de L'Acadie et
moi-même en commission parlementaire -nous disons qu'il s'agit d'un
problème de société. Ce n'est pas un problème du
Parti québécois ou un problème du Parti libéral ou
des centrales syndicales. Je pense que tous les Québécois, tous
les organismes doivent se convaincre que c'est un problème
extrêmement important. Ce problème se situe, bien sûr, dans
l'ensemble des secteurs public et pararapublic. Au moment où on se
parle, certains d'entre vous ont vu cette manchette de la Presse, par exemple:
Grève imminente à la Commission des transports de
Montréal. Si cette grève a lieu, quelles sont les
démarches que le ministre a entreprises pour assurer que, cette fois-ci,
les services essentiels, c'est-à-dire le transport aux heures de pointe
pour les travailleurs, seront assurés? Il n'y a probablement rien eu de
fait. En tout cas, c'est un problème particulier.
Mais le problème majeur qui existe est crucial. C'est dans le
domaine de la santé et des services sociaux. Nous, du Parti
libéral, au cours de la fin de l'automne comme au début de ce
printemps, avons eu de très nombreuses discussions et on a convenu d'une
proposition qui, à nos yeux, ne constitue qu'un minimum. On a
essayé d'être extrêmement prudent, d'être
extrêmement responsable et d'avancer une proposition qui constitue, pour
nous autres, un minimum dégagé de l'expérience de quinze
ans que l'on a vécue avec la grève dans les secteurs public et
parapublic. Et, on s'est dit qu'il aurait été possible - on
commence à en douter, maintenant qu'on est entré dans la ronde de
négociations - de convenir de part et d'autre que pour une
catégorie de bénéficiaires de service public, la
catégorie la plus vulnérable, celle qui est la plus
menacée par les grèves dans les secteurs public et parapublic, on
aurait pensé et on aurait espéré que le gouvernement
puisse convenir avec nous de prendre des dispositions législatives ou
consensuelles, nous en sommes parfaitement conscients, nécessaires pour
assurer et garantir nommément et spécifiquement aux personnes
âgées, aux handicapés, aux personnes souffrant de
déficience mentale, aux malades chroniques, que non seulement le
renouvellement des conventions collectives dans leurs établissements,
non seulement il n'y aura jamais de diminution de ces services pour ces
personnes, parce qu'on croit que compte tenu de leurs conditions, c'est
absolument inadmissible sur le plan strictement humain, qu'il y ait diminution
des services, mais qu'il n'y ait même pas, ce qui est souvent pire dans
leur cas, risques ou menaces répétés d'une diminution des
services à ces personnes... (10 h 15)
Donc, une limitation très claire d'ordre législatif ou
même, on aurait pu certainement rencontrer les syndicats pour voir leur
point de vue là-dessus, une limitation du droit de grève pour
protéger cela. On a, comme Parti libéral et comme Opposition,
lancé publiquement cette démarche qui nous apparaissait un
minimum. Or, au moment où on se parle, à la veille du
renouvellement des conventions collectives, et je pense que ce consensus aurait
pu être fait, en tout cas, il était certainement très
largement fait là-dessus au moins et seulement là-dessus dans
l'ensemble de la société québécoise, quelles que
soient les convictions politiques des uns et des autres, j'en ai la conviction
profonde et même dans les milieux syndicaux également... Au
moment où on se parle, on s'en va dans le processus de
négociation, et les personnes âgées, les handicapés,
les gens qui sont dans les services des hôpitaux, les
établissements psychiatriques, les malades chroniques n'ont pas cette
guarantie.
Je ne connais pas les intentions du gouvernement, si jamais il en a dans
ce domaine. Je dis que, même s'il voulait faire ce geste que nous lui
avons demandé en rendant publique notre position sur ce minimum, je
crois que le contexte actuel de négociation empêchera le
gouvernement et la société de réaliser un progrès
sensible sur ce que tout le monde dit, sur ce que le ministre a dit, sur ce que
nous-mêmes avons dit, sur ce qui se trouve dans le programme
électoral du Parti québécois, comme dans le programme
électoral du Parti libéral, c'est-à-dire l'affirmation et
la consécration du principe de la primauté des droits humains sur
les droits, par ailleurs, reconnus à une catégorie
particulière de nos citoyens, en l'occurrence, les droits des
travailleurs. Cela, c'est vraiment l'argument et la donnée fondamentale
du débat. J'ai très hâte d'entendre le ministre sur ce
sujet.
Bien sûr, il faut également prévoir que si on
restreint le droit de grève, il se trouve des employés - c'est
quand même à près des deux tiers que l'on fait cette
proposition: aux personnes âgées, aux handicapés, aux
déficients mentaux et aux malades chroniques, probablement près
des deux tiers du réseau des établissements de santé et
des services sociaux - il y a un nombre considérable de
travailleurs.
Pour ne pas les pénaliser, nous avons évoqué un
certain nombre d'hypothèses, c'est-à-dire qu'ils ont droit, eux
aussi, ces travailleurs, à la libre négociation. Nous avons
évoqué un nombre d'hypothèses et de modalités, qui
seraient à voir, que nous n'avons pas précisées et sur
lesquelles nous serions prêts à discuter si le gouvernement
voulait nous suivre sur cette voie, qui est, soit l'arbitrage, selon la
dernière offre, ou encore mieux, ce que nous préférerions,
c'est que ces travailleurs qui négocieraient avec l'employeur sans avoir
le droit de grève puissent le faire librement au niveau central par le
représentant, ainsi qu'au niveau local, bien sûr. Comme il n'y
aurait pas de droit de grève, ils négocieraient. Ils en
arriveraient ou non à une entente, avant ou après les autres.
Mais, de toute façon, viendrait un moment où, par exemple, dans
les hôpitaux de soins aigus, les travailleurs qui négocieraient
des conditions de travail avec le droit de grève, en l'exerçant
ou en ne l'exerçant pas, s'il arrivait que ces gens obtenaient plus, en
termes de conditions de travail, que les employés du secteur où
l'on aurait limité le droit de grève, il y aurait des ajustements
techniques et mécaniques. Cela permettrait aux travailleurs du secteur
qui avaient négocié leur convention collective sans l'exercice du
droit de grève de faire les mêmes gains et les mêmes acquis
que ceux, dans des emplois comparables, qui auraient négocié une
convention collective avec la pression du droit de grève. Donc, il y
aurait un traitement de justice pour les travailleurs.
Il y aurait surtout, et c'est là-dessus que je veux insister -
non pas pour le Parti libéral, le Parti québécois ou
quiconque -pour la société québécoise, quelque
chose comme le signe concret d'une maturation de la société,
c'est-à-dire d'une élévation de notre degré de
maturité où on aurait conclu dans un sens, je pense, des valeurs
humaines profondes que l'on partage tous, en disant sur ces valeurs
essentielles, que pour ces clientèles tellement importantes que sont les
personnes âgées, les handicapés, les déficients
mentaux et les malades chroniques, et peut-être même les enfants,
nous ne permettrons plus que le jeu des pressions économiques et
sociales, par ailleurs très légitimes, c'est-à-dire le jeu
des conventions collectives heurte ces gens ou risque de les heurter et les
place, dès lors que commence la ronde des négociations, dans une
situation de crainte en se demandant si demain il y aura grève ou non,
et de voir simplement, et cela est finalement pire que la réalité
elle-même des grèves, ça crée des climats
complètement malsains.
Nous pensons que sur ce minimum, la société
québécoise, si le gouvernement avait, à notre point de
vue, et je le dis très simplement, mais je le dis vraiment, et comme
moi-même et mes collègues de Sainte-Anne et de L'Acadie le
pensons, si le gouvernement avait pris ses responsabilités, je pense que
cette chose-là, cet avancement-là des droits humains dans notre
société, cette preuve de maturation de la société
québécoise aurait été possible. Je suis certain que
nous aurions pu discuter avec les porte-parole des travailleurs
concernés pour réaliser ensemble un pas important dans cette
direction, non pas que ce problème ait épuisé l'ensemble
du dossier parce qu'il y a bien d'autres secteurs.
On sait qu'il y a eu un geste, et j'en conviens volontiers, en 1978, la
loi no 59, dans le domaine de la santé et des services sociaux où
on a imaginé un conseil du maintien des services essentiels auquel,
encore une fois, et je le rappelle au ministre, parce qu'il a
déjà indiqué qu'il viendrait peut-être pour les
autres secteurs, les hôpitaux de soins aigus, etc., même on
pourrait l'étendre à certains autres services, nommément
les services à Hydro-Québec ou le transport en commun, on sait
que c'est évident à Montréal, on peut en convenir, on
devrait donner un caractère permanent. Mais je signale au ministre,
quand le gouvernement a créé le Conseil sur le maintien des
services essentiels en 1978, ou 1979, il a
fait un certain travail dont je suis prêt à
reconnaître les mérites, mais une des difficultés pour
l'efficacité du travail que ce conseil a eu - parce qu'il a
été énormément critiqué - on a dit: II a
été créé beaucoup trop tard, c'est-à-dire
trop près de la période de négociation, si bien qu'avant
de s'organiser, de se restructurer - c'est cela qui est important - d'envoyer
des gens qui créent des liens et qui se familiarisent avec la nature des
établissements, cela prend un certain temps. Même si le
gouvernement, se refusant à limiter dans le sens que nous l'avons
indiqué le droit de grève - il prendra ses responsabilités
à cet égard - se contentait seulement de remodeler le Conseil sur
le maintien des services essentiels ou de créer un organisme analogue en
lui donnant un caractère permanent, plus de pouvoirs, enfin tout ce qui
a été discuté, je dis que ce conseil, cette structure
risque d'être exposée aux mêmes défauts qu'avait la
structure dans laquelle M. Picard a dû travailler. Parce qu'on est
beaucoup trop près du renouvellement des conventions collectives, ce
conseil ne pourra pas se donner les moyens, en termes de ressources humaines,
en termes d'expertise et en termes de pratique et de connaissance du terrain,
pour jouer un rôle efficace pour garantir à la population les
services essentiels. Nous craignons - je le dis bien franchement au ministre -
de ce côté, parce que ce n'est pas facile de décider de
limiter le droit de grève, d'autant plus que le ministre a pris des
engagements formels à ce sujet, je crois, au niveau de la commission
parlementaire et même de son parti, en disant qu'il n'y aurait aucune
restriction au droit de grève. Ce à quoi vous vous êtes
engagés - le ministre pourra corriger si je me trompe - c'est à
prendre les dispositions nécessaires pour que les services essentiels
soient maintenus.
Je dis qu'il est presque trop tard, malheureusement, pour que le
gouvernement prenne même cette petite disposition qu'il pourrait prendre,
à cause de la proximité du renouvellement des conventions
collectives et à cause du climat où on se trouve actuellement qui
est un climat de négociation. D'ailleurs, je le soupçonne, les
retards du Conseil des ministres à se décider là-dessus
peuvent témoigner de divergences d'opinions au sein même de
l'équipe ministérielle, mais ils témoignent beaucoup plus
d'une crainte, justement, de l'impact que pourrait avoir une décision
ministérielle courageuse à cet égard dans le contexte
actuel des relations entre le gouvernement et les centrales syndicales dans les
secteurs public et parapublic et dans le contexte prochain du renouvellement
des conventions collectives et de toutes les négociations.
Mais, au bout de la ligne - M. le Président, je crois que mon
temps de départ est terminé - je signale que ceux qui,
malheureusement, risquent de payer - je dis "risquent de payer"; je ne veux pas
faire une espèce d'exposé de catastrophe - c'est le public qui
demande aux membres de l'Assemblée nationale un geste concret en vue de
dégager de l'expérience de quinze ans qu'on a vécue comme
société, de quinze ans d'exercice du droit de grève dans
les secteurs public et parapublic, des conclusions. Nous, du Parti
libéral, à tout le moins, nous mettons une conclusion sur la
table, et vous l'apprécierez à son mérite. Pour une
catégorie de personnes, on a exposé quelque chose qui nous
apparaissait aller dans le sens de l'intérêt public, dans le sens
d'une limitation de l'exercice du droit de grève pour des gens qui sont
les plus vulnérables de notre société.
Je vous remercie M. le Président.
Le Président (M. Rochefort): Merci, M. le
député de Jean-Talon. La parole est maintenant au ministre du
Travail. M. le ministre.
Réponse du ministre M. Pierre Marois
M. Marois:. M. le Président, notre règlement
à l'Assemblée nationale prévoit une procédure qui
permet à l'Opposition de convier le gouvernement à
débattre un vendredi matin, pendant un certain nombre d'heures, d'une
question. C'est une procédure qui est prévue dans notre
règlement, c'est une procédure qui est tout à fait
légitime; il est fondamentalement légitime pour l'Opposition d'y
recourir, et, en se servant effectivement de cette procédure,
l'Opposition nous invite ce matin à débattre d'une question qui
est extrêmement importante: Les services essentiels en cas de
grève dans les secteurs public et parapublic.
On me permettra, cependant - et je pense que le député de
Jean-Talon, dans son exposé, a ouvert largement une porte à ce
sujet - dans ces mots d'introduction, d'ouvrir une parenthèse. Il y a
différentes manières de concevoir la façon de pratiquer la
vie politique, d'assumer ses responsabilités, d'assumer les mandats qui
nous sont confiés par les citoyens. Je répète que le sujet
qui est mis sur la table ce matin est un sujet extrêmement important, est
un sujet qui préoccupe les Québécois et les
Québécoises de façon légitime et fondée. Le
mêmes Québécois et Québécoises sont en droit
de s'attendre que des solutions concrètes soient apportées
à des problèmes réels qu'ils vivent en période de
négociation dans les secteurs public et parapublic,
particulièrement dans le secteur des services sociaux et des services de
santé.
Donc, je n'en disconviens pas, bien au contraire. D'ailleurs toutes les
déclarations
que j'ai pu faire à ce jour, les gestes qui ont été
posés par le gouvernement, les gestes que j'ai posés
personnellement, que mon collègue adjoint parlementaire, le
député de Prévost, a posés aussi dans certains
conflits en témoignent, j'espère, concrètement,
largement.
Je vais dire les choses comme je les pense. Cette procédure que
j'ai évoquée, la question avec débat le vendredi matin,
elle existe, elle est légitime, c'est fondé et c'est
peut-être même très habile. Je trouve que c'est très
habile selon une analyse, je dirais, politique traditionnelle; c'est d'une
habileté consommée, c'est d'une finesse remarquable que de
soulever, d'utiliser la procédure de la question avec débat un
vendredi matin pour aborder la question des services essentiels, qui est une
question, encore une fois, qui préoccupe avec beaucoup de jutesse les
Québécois.
Justement, le député de Jean-Talon a évoqué
la négociation, le conflit possible à la Commission de transport
de la Communauté urbaine de Montréal. Je pense que les
Québécois et les Québécoises qui nous regardent et
nous écoutent ce matin - je le dis comme je le pense, sans aucune
espèce d'acrimonie parce que chacun peut avoir sa façon de
concevoir la pratique de la vie politique et la façon d'assumer les
mandats qui nous sont confiés; j'ai la mienne, en tout cas - bon nombre
de Québécois et de Québécoises,
particulièrement ceux de la région métropolitaine,
préféreraient voir ce matin le ministre du Travail et son adjoint
parlementaire dans la région de Montréal rencontrant et mettant
à contribution les équipes, la direction générale
des relations du travail du ministère pour voir tout ce qui pourrait
être humainement fait pour faciliter un rapprochement entre les parties
dans le conflit qui oppose la partie patronale et la partie syndicale et pour
tenter, autant qu'il est humainement possible de le faire, d'éviter que
le pire arrive. Cela, ce n'est pas dans sept mois, ça peut se produire
à partir du 11, à minuit, au moment où la loi 47 prendra
fin. (10 h 30)
Incidemment, soit dit en passant, puisque c'est le député
de Jean-Talon lui-même qui a abordé la question du conflit
à la commission de transport en demandant ce que le gouvernement
entendait faire, le gouvernement fait présentement tout ce qui est
humainement possible pour rapprocher les parties. Quand il s'est produit le
problème en janvier, je pense que tout le monde conviendra, l'Opposition
aussi - les votes en témoignent - que le gouvernement a pris ses
responsabilités pour faire en sorte de donner une période de
refroidissement des esprits, faire en sorte que les délais de
négociation soient prolongés, que la grève soit suspendue.
Je pense que le gouvernement a largement pris ses responsabilités. De la
même façon, quand le conflit a éclaté chez Gaz
Métropolitain, le gouvernement a pris les mesures qui s'imposaient, par
le biais des conciliateurs, des médiateurs, pour rapprocher les parties
afin que les services essentiels soient non seulement convenus par entente
établie, en d'autres termes, non seulement garantis, mais maintenus
durant la période de conflit. Là, on ne parle pas du secteur des
services sociaux et du secteur de la santé, on parle de certains
services publics.
De la même façon, d'ailleurs, quand je dis que les gens
préféreraient qu'on soit sur place, à Montréal, en
fin de semaine dernière, mon collègue, le député de
Prévost et moi avons passé près de 48 heures, jour et
nuit, en contact, sur place, avec les parties patronale et syndicale afin de
favoriser, autant qu'il est humainement possible de le faire, le rapprochement
des parties pour qu'intervienne ce qui est intervenu, Dieu merci! une entente
de principe entre le syndicat représentant les travailleurs de la
construction et la partie patronale pour que n'éclatent pas une
grève et un conflit qui auraient pu impliquer 60 000 travailleurs,
peut-être plus, surtout dans la situation économique, dans la
conjoncture difficile que l'on connaît.
Je trouve cela habile, je reconnais cette habileté, mais, comme
on dit - je vais le dire comme je le pense - je ne marche pas là-dedans.
Ce n'est pas ici, je pense, que je devrais me trouver ce matin. Je le dis,
encore une fois, sans acrimonie, sans aucune espèce de reproche, mais je
le dis comme je le pense. Je reconnais là le député de
Jean-Talon qui a été incapable de cacher, derrière cette
habileté, son honnêteté fondamentale et sa franchise
fondamentale, et qui a d'ailleurs ouvert la porte sur le conflit concernant la
Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal. Il
a aussi, d'ailleurs, mentionné, ce qui indique bien qu'il le sait fort
bien, il est au courant, je crois le citer à peu près
textuellement, que, probablement prochainement - il a même ajouté
que c'est peut-être une question de jours - le gouvernement
présentera un projet de loi à l'Assemblée nationale. Donc,
il sait fort bien - ceux et celles qui nous écoutent, c'est normal et
légitime qu'ils ne soient pas aussi au fait - qu'un projet de loi s'en
vient. J'ai déposé au Conseil des ministres, il y a
déjà quelque temps - on l'a déjà débattu
à l'occasion de deux séances du Conseil des ministres - un projet
de loi concernant la question des services essentiels. Ce projet de loi est
examiné. C'est déjà amorcé par ce qu'on appelle le
comité de législation qui regroupe les juristes chargés de
s'assurer que le texte de loi reflète bien les intentions
gouvernementales. Donc, comme il l'a lui-même évoqué, il y
a un projet de loi qui s'en vient et c'est effectivement une
question de jours, une question de semaines.
Sachant qu'un tel projet de loi s'en vient, l'Opposition a quand
même décidé d'utiliser la procédure de la question
avec débat et nous distribuer un certain nombre de reproches sur
lesquels, bien sûr, nous aurons, dans les minutes et les heures qui
viennent, l'occasion de revenir. Mais je voudrais quand même rappeler,
pour ceux et celles qui nous écoutent, qu'on est là en
débat sur une question. C'est habile. Forcément, l'Opposition
sait très bien que je ne peux pas, au moment où un tel projet de
loi est discuté au Conseil des ministres, entrer dans le détail
des formules que j'ai proposées au Conseil des ministres. C'est le
gouvernement qui décide. Le ministre formule un certain nombre de
propositions. C'est le Conseil des ministres qui décide. D'autant plus
que ce débat intervient alors que, d'une part, l'Opposition - le
député de Jean-Talon l'a lui-même évoqué -
sait fort bien qu'un projet de loi s'en vient et que, par voie de
conséquence, lorsqu'un projet de loi est déposé,
l'Opposition a tous les moyens pour interroger le ministre et le gouvernement,
puis formuler des amendements. Et, au surplus, dans le cadre d'un tel
débat qui, de toute façon, s'en vient incessamment - cela se
déroulera, bien sûr, à l'Assemblée nationale -
l'ensemble des parlementaires étant présents, on a pensé
recourir - c'est légitime; je ne conteste pas du tout la
légitimité - une procédure d'exception. J'aurais
préféré - je le dis comme je le pense - prendre ces
quelques heures pour aller suivre cela d'un peu plus près et apporter ma
contribution sur un certain nombre de choses qui sont importantes pour les
citoyens du Québec, particulièrement pour les citoyens de la
région métropolitaine.
Le député nous a reproché de ne pas avoir abouti
plus vite, d'une part. D'autre part, tout en disant qu'il ne voulait pas faire
un exposé de catastrophe, il a tenté de relier certains gestes
qui pourraient être posés et qui découleraient de
l'adoption d'une loi à venir à des choses qui s'étaient
présentées par le passé en disant qu'effectivement - et
c'est exact - en 1979, un des reproches qui ont été faits
à l'occasion de la mise sur pied du Conseil sur le maintien des services
essentiels, c'est qu'il avait été mis sur pied trop tard. Je
voudrais tout de même rappeler - je pense que ce sont les faits et chacun
appréciera - que le Conseil sur le maintien des services essentiels
avait été formé en janvier 1979, alors qu'en 1978
prenaient fin des conventions collectives qui concernaient en particulier le
bloc des infirmiers et des infirmières, d'une part. C'était
déjà manifestement tard, c'est à tout le moins ce que l'on
peut dire.
D'autre part, c'était relativement collé, effectivement,
sur la fin des autres blocs de conventions collectives qui sont venues à
terme, si ma mémoire est bonne, à la fin de juin 1979. Donc, il y
avait effectivement un laps de temps extrêmement court. Je pense
qu'effectivement on ne dispose pas d'années devant nous. Il y a des
mois. Les semaines et les mois passent vite; donc, il faut agir rapidement.
Mais la situation ne se compare pas du tout dans les mêmes termes, pas du
tout.
Le député a également rappelé des
engagements et m'a mis, par ailleurs, dans la bouche des choses qui doivent
être, je dirais, un peu, beaucoup, passionnément nuancées.
Effectivement, nous avons pris, comme parti, comme gouvernement d'ailleurs,
l'engagement, d'une part, lors de la dernière campagne
électorale, de tenir une commission parlementaire, d'ouvrir un forum et
un débat de fond, ce qui a été fait. Le
député a rappelé que ce débat a duré tout
près de 56 heures en commission. Cela explique aussi, je crois, le
sérieux, l'importance, l'ampleur et la complexité de la question;
par voie de conséquence aussi, le soin et le temps qu'il faut mettre,
dans la foulée d'une commission comme celle-là, pour scruter,
analyser et examiner l'ensemble des propositions qui ont pu être
formulées pour en arriver à un certain nombre de solutions, en
vue d'atteindre un certain nombre d'objectifs que je voudrais rappeler, parce
que cela aussi, c'est au niveau des engagements. Le député a
laissé entendre que, personnellement, j'avais toujours défendu
cette idée, et je le cite: "Le droit de grève dans les secteurs
public et parapublic, sans aucune restriction". J'utilise ses propres mots. Le
député sait fort bien - on peut relever le journal des
Débats - que ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. Bien au contraire,
voici ce que j'ai dit, et j'arrive au fond de la question. Je pense que le
député conviendra qu'il faut faire très attention quand on
discute de cette question. Il y a déjà suffisamment
d'anxiété, de craintes, d'appréhensions, légitimes
et fondées, qu'il ne faut certainement pas en remettre pardessus. Je
pense que tout le monde en convient. Le député semble situer cela
dans un cadre où, à toutes fins utiles, on serait
déjà en confrontation. Tout le monde sait que ce n'est pas tout
à fait comme cela que les choses se présentent; il y a, à
tout le moins, un certain nombre de nuances à apporter. Je voudrais
rappeler les principes fondamentaux qui nous guident, et, là-dessus, je
crois qu'on se rejoint.
J'ai rappelé en commission parlementaire,
particulièrement, en conclusion des travaux - j'ai eu l'occasion depuis
de le rappeler publiquement - qu'il doit y avoir une échelle de valeurs
dans une société. Si cela fait partie des valeurs, des droits, le
droit de négocier des conditions de travail qui soient convenables et,
par voie de
conséquence, d'exercer le droit de grève, il y a aussi
d'autres valeurs et d'autres droits, dont le droit des citoyens. Qu'on pense
à certains groupes de citoyens qui sont dans des centres pour soins
prolongés, aux malades chroniques, et le reste. Il y a eu d'ailleurs des
témoignages d'un certain nombre de syndiqués en commission
parlementaire. Il y a un principe qui n'est pas seulement un droit, si on
replace les choses dans un ordre de valeurs. J'ai eu l'occasion de le dire - et
je profite de l'occasion qui m'est donnée à nouveau ce matin pour
le réitérer - il faut absolument trouver les formules et les
moyens concrets pour non seulement garantir, mais assurer que s'exerce, dans le
concret la primauté du droit des hommes et des femmes au Québec,
particulièrement ceux et celles qui sont les plus fragiles, d'avoir les
services auxquels ils ont droit. (10 h 45)
À un second niveau, si tant est qu'on veut replacer les choses
dans un ordre de valeurs, il y a ce droit de négocier et, le cas
échéant, d'exercer le droit de grève. En d'autres termes,
on reconnaît qu'il y a un sens des responsabilités des parties
mais, dans le concret, il faut assurer, avant même que soit acquis un
droit de grève, que les citoyens auront les services auxquels ils ont
droit. Donc, il faut absolument mettre un terme à ce qui s'appelait la
responsabilité ultime des syndicats en matière
d'établissement des services essentiels, d'une part, et, d'autre part,
se donner les moyens pour que, avant même que soit acquis le droit de
grève ces services fondamentaux soient assurés. Et si tant est
qu'en cours de route ils ne le soient pas, dans tel ou tel cas - que ce soit en
cours de route ou que ce soit avant - qu'ultimemement, avec certains
mécanismes de filtrage et d'évaluation, le gouvernement puisse
prendre ses responsabilités et que les lois qui seront en vigueur
puissent être appliquées.
Je voudrais - je sais que mon temps est, à toute fin utile,
terminé pour l'exposé préliminaire - en conclusion,
rappeler ce que le premier ministre du Québec, M. Lévesque,
disait, dans le message inaugural, et qui fonde essentiellement l'engagement
que nous tentons dans les discussions que nous avons présentement au
Conseil des ministres et qui se concrétiseront incessamment par un
projet de loi qui soit bien clair. Je voudrais rappeler les propos que tenait
le premier ministre, et je le cite: "Le gouvernement a décidé de
vous proposer certains amendements aux mécanismes de la
négociation, mais aussi et surtout une formule pour assurer une fois
pour toutes la primauté du droit des personnes à recevoir les
services essentiels, particulièrement dans le secteur de la
santé, car il faut bien finir par résoudre ce qui est apparu
jusqu'ici comme la quadrature du cercle, le maintien d'un droit de grève
qui apprenne à s'exercer, lorsqu'il croit devoir le faire, d'une
manière vraiment humaine et civilisée de telle sorte que - je
finis la citation - dans un certain nombre d'établissements, dans un
certain nombre d'unités d'autres types d'établissements, ce
droit-là ne puisse pas dans le concret être autre chose que
purement symbolique si on veut vraiment que cette primauté des citoyens
à leurs services fondamentaux soit quelque chose qui se traduise dans la
réalité."
Le Président (M. Rochefort): Merci, M. le ministre du
Travail. La parole est à Mme la députée de L'Acadie.
Argumentation Mme Lavoie-Roux
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. J'ai
été quelque peu surprise d'entendre la défense que le
ministre du Travail mettait de l'avant en disant qu'il jugeait peut-être
habile politiquement, mais plutôt inopportun que nous apportions ici
à ce moment la question du maintien des services essentiels au moment
des négociations.
J'aimerais lui demander quel est le meilleur moment pour faire une telle
opération. Mon collègue de Jean-Talon rappelait tout à
l'heure qu'au printemps de 1979, non plutôt en novembre 1979, nous avions
tenu ici un débat - octobre 1979, plus précisément - sur
le maintien des services essentiels au cours duquel j'avais posé comme
question, entre autres, au ministre des Affaires sociales du temps, ou avais
fait les remarques suivantes: que les rapports publics du Conseil sur le
maintien des services essentiels était fait avec trop de retard pour
être de quelque utilité, que les rapports faits par le conseil
étaient incomplets, que les rapports faits par le conseil ne
reflétaient pas fidèlement la teneur des observations faites
à l'occasion des conflits de travail. J'avais eu à ce
moment-là l'occasion d'en faire la démonstration à partir
des rapports qui avaient été soumis par les experts, rapports
d'ailleurs que nous avons révisés ou eu l'occasion de revoir au
moment de la commission parlementaire que nous avions tenue en septembre.
Mais, antérieurement à ce débat sur les services
essentiels qui avait été tenu au mois d'octobre 1979, la
population de la ville de Québec se souviendra qu'au printemps de 1979,
durant les mois de mars, avril, mai et juin, c'était presque
quotidiennement que nous posions au ministre des Affaires sociales des
questions quant au maintien des services essentiels dans les hôpitaux de
la région de Québec. Par la suite, nous avons pu, à
partir
des rapports des experts, établir que, dans bien des cas, il y
avait des questions extrêmement sérieuses que nous pouvions nous
poser quant à la qualité des services essentiels qui
étaient maintenus.
J'avais à ce moment-là dit au ministre du Travail et au
ministre des Affaires sociales que, peut-être, nous pourrions profiter de
l'accalmie de l'été pour réviser le fonctionnement du
Conseil sur le maintien des services essentiels. Nous sommes à
l'été 1979 ou au printemps 1979. À ce moment-là, le
gouvernement avait refusé et peut-être avait-il raison,
étant donné que les négociations étaient en cours,
de réviser ce mécanisme. Je pense pourtant qu'on aurait pu
s'appliquer à examiner uniquement le fonctionnement du Conseil sur le
maintien des services essentiels et à apporter déjà des
améliorations qui auraient pu avoir des effets bénéfiques
pour les autres grèves qui ont suivi quand les négociations ont
porté sur l'ensemble des secteurs public et parapublic.
Nous sommes en 1979. Alors que le ministre du Travail, de la
Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu nous dit qu'on n'est
pas plus en retard aujourd'hui qu'on l'était en 1979 ou en 1978, nous
avons le discours inaugural du premier ministre, en novembre 1980, qui dit:
"Les services essentiels, nous n'avons pas encore trouvé collectivement
le moyen, ni de les définir correctement, ni d'en garantir vraiment le
maintien. Il faut profiter de la période qui nous sépare de la
prochaine ronde de négociations pour revoir de fond en comble le
système qui prévaut chez nous depuis une quinzaine
d'années." C'est le premier ministre qui parle. Là, nous avons le
nez sur les négociations; nous avons eu une commission parlementaire en
septembre dernier. Après qu'elle eut été promise par
l'ancien ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu bien avant ce moment-là, on l'a
finalement eue en septembre dernier. Nous approchons le mois de juin et
là le ministre nous dit: Je pense que votre moment est peut-être
mal choisi; je dois déposer un projet de loi dans les jours et les
semaines qui vont suivre. Ce que mon collègue de Jean-Talon a dit, c'est
qu'il était peut-être trop tard et qu'aujourd'hui, je pense qu'il
est important d'appeler le gouvernement et de lui poser des questions
précises. Qu'entend-il faire pour faire respecter les droits des
Québécois et des Québécoises, comme il disait tout
à l'heure, à des services de santé en tout temps et des
services de santé de qualité? Ce sont des dispositions qui sont
dans la Loi sur les services sociaux, M. le Président, ce n'est pas une
fantaisie de l'Opposition.
Qu'est-ce que le gouvernement entend faire? Ce n'est pas suffisant de
nous dire dans quelques jours, quelques semaines. Comment? Prévoit-il
une régie? Prévoit-il un conseil? Comment va-t-il envisager que
le fonctionnement de cette régie ou de ce conseil soit plus efficace que
dans le passé, parce qu'on se trouve encore le nez sur les
négociations? Peut-il nous dire que sera maintenue par les syndicats la
détermination de la liste finale des services essentiels, si on ne
parvient pas à une entente entre la partie patronale et la partie
syndicale à l'intérieur des institutions?
Les témoins que nous avons entendus, au moment de la commission
parlementaire de septembre ou d'octobre dernier, nous ont bien indiqué
qu'il y avait là un point extrêmement névralgique et qui
avait créé des problèmes. Huit mois plus tard, nous ne
savons pas davantage ce que le gouvernement entend faire. Le ministre a le
culot, en plus de cela, de nous laisser entendre qu'il voudrait être
à Montréal pour négocier ou enfin pour voir comment se
déroulent les négociations pour le transport en commun. Un peu
plus, s'il y a une grève le 11 mai, ce sera la faute de l'Opposition,
parce qu'on aura retenu le ministre ici. Je pense que c'est la seule
façon d'interpréter cela.
Si effectivement il y a une grève du transport en commun le 11
mai - Dieu merci, nous espérons qu'il n'y en aura pas; nous
espérons que des solutions seront trouvées avant cette date
ultime - je voudrais demander au ministre s'il a prévu des moyens pour
que les services essentiels soient assurés. Depuis septembre dernier, il
a eu sa commission et nous arrivons à cinq jours d'une
échéance qui pourrait être difficile pour les citoyens.
A-t-il prévu des mécanismes pour assurer des services essentiels?
Les services essentiels dans le domaine de la santé et des services
sociaux nous apparaissent les plus importants, mais là aussi ce sont des
services essentiels importants que même la population remet en question,
du moins une partie de ces services devra être reconnue comme
essentielle, mais nous sommes toujours au même point.
Je trouve assez faible l'espèce de justification que le ministre
a voulu faire de la demande que nous avons faite d'un débat sur les
services essentiels. Ce n'est jamais le bon temps pour le gouvernement, ce
n'est jamais le bon temps pour un gouvernement qui se traîne les pieds.
De toute évidence, dans le cas qui nous occupe, le gouvernement n'a pas
agi. Agira-t-il d'ici à quelques semaines? C'est ce que le ministre nous
laisse entendre, mais il est déjà très tard. Si nous avons
demandé ce débat ce matin, c'est pour que la population sache
que, dans ce domaine comme dans bien d'autres, le gouvernement est
frappé de léthargie. Ce n'est pas nous qui accusons le
gouvernement de léthargie. Ce sont tous les observateurs de la
scène politique, ce sont les éditorialistes qui, pas plus tard
qu'hier et avant-hier, se disaient: Y a-t-il encore un gouvernement?
Pour ma part et avec l'appui de mes collègues, je n'ai jamais
cessé depuis 1979 de revenir à la charge sur cette question des
services essentiels. Qu'on ne vienne pas nous dire que c'est un recours de
dernière minute que nous avons. Je pense que c'est vraiment fausser les
faits.
Il y a eu d'autres événements. Au moment de la
grève à Montréal dans les services de santé en
1980, on se souviendra qu'à Rivière-des-Prairies on avait dit: Si
la grève devait durer plus de 48 heures, ce sera catastrophique pour les
bénéficiaires ou les patients de Rivière-des-Prairies. Il
y a eu finalement une loi spéciale qui a été votée
et les choses sont rentrées dans l'ordre. Mais, l'automne dernier, il y
a eu un débrayage de cinq jours dans le même hôpital et nous
étions encore devant l'absence d'une politique cohérente, d'une
volonté du gouvernement d'agir. Finalement, c'est sous la menace d'une
loi spéciale que les choses sont rentrées dans l'ordre.
M. le Président, je pense que c'est important que le gouvernement
réalise que ce n'est pas l'Opposition qui l'a convoqué ici
aujourd'hui, c'est la population qui le convoque aujourd'hui ici. Nous avons
l'expérience de plusieurs années. Nous savons maintenant
là où les problèmes de services essentiels sont les plus
aigus. On devrait normalement pouvoir agir avec plus de diligence, avec une
prévoyance plus grande que nous pouvions le faire au moment où on
a accordé le droit de grève dans les services publics et
parapublics.
Il y a deux questions précises que je veux poser au ministre. Je
sais qu'il va probablement se dire: Bien, écoutez, il y a une loi qui
sera déposée, attendez que la loi soit déposée. Je
veux lui demander quels sont les moyens que le gouvernement entend prendre
concrètement - si cela se concrétise dans une loi, tant mieux,
mais je pense que la population est en droit de savoir à quoi s'en tenir
à quelques mois de la fin des conventions collectives - pour faire
respecter les droits des citoyens et des citoyennes du Québec à
un maintien des services de santé.
Évidemment je sais que si, encore une fois, on manque le bateau,
ce gouvernement-là dira: De toute façon, les services essentiels
ont été fournis. J'en veux pour preuve cette facilité
même avec laquelle le premier ministre m'a répondu dans cette
Chambre pas plus tard qu'avant Pâques. Alors que, justement, je soulevais
la question des services essentiels en fonction des coupures
budgétaires, le premier ministre me disait: Je peux assurer qu'il n'y a
personne dans la population qui a manqué de services essentiels. Le
lendemain, il avait une réponse de la FTQ et, pas plus tard qu'il y a
quinze jours, il avait une réponse des chirurgiens cardiologues qui
disaient que les listes d'attente étaient devenues si longues que
finalement des personnes décédaient avant qu'elles puissent
être admises à l'hôpital pour les interventions
chirurgicales dont elles avaient besoin. On retrouve le même
phénomène du côté des patients souffrant de
cancer.
Je ne veux pas faire digresser le débat sur une autre question,
mais il faut que le gouvernement soit convaincu que les services de
santé, ce sont des services prioritaires, ce sont des services dont la
population ne peut pas se passer. Je pense que non seulement à
l'égard des conflits qui peuvent survenir au moment des
négociations collectives, mais également quant à la
qualité, à la continuité et à
l'accessibilité des services qu'on doit donner à la population
dans le domaine de la santé en tout temps, le gouvernement ne peut plus
se dérober. Le gouvernement doit prendre ses responsabilités.
Alors, je demande au ministre: Comment envisage-t-il de faire respecter
les droits fondamentaux de la population du Québec à des services
de santé? (11 heures)
Une deuxième question plus précise: A-t-il pris une
décision visant à établir par qui sera
déterminée la liste des services essentiels qui devront
être maintenus en cas de conflit dans un établissement de
santé en période de négociation ou même à
l'extérieur des périodes de négociation des conventions
collectives, quand il survient des protestations de la part des personnes qui y
travaillent.
Le Président (M. Rochefort): Merci, Mme la
députée de L'Acadie. La parole est maintenant au
député de Prévost et adjoint parlementaire du ministre du
Travail.
M. Robert Dean
M. Dean: Pour répondre à certaines des questions
les plus immédiates de la députée de L'Acadie, surtout, et
du député de Jean-Talon, je dois répéter que des
décisions sont prises et sont maintenant devant le Conseil des ministres
et un projet de loi sera déposé ici dans quelques jours ou, au
maximum, dans quelques semaines. À ce moment-là, devant les
mêmes caméras de télévision, en Chambre, non pas le
vendredi matin en débat spécial, mais au cours de la semaine, les
deux partis politiques, celui de l'Opposition et le parti ministériel,
auront amplement de temps et la population aura amplement d'heures de
télévision pour apprécier le projet de loi et le
débat autour de ce projet de loi.
Ce serait violer toutes les règles traditionnelles du
système parlementaire que de dire, pendant qu'il est devant le Conseil
des ministres, les détails d'un projet de loi. Au moment où il
sera déposé en Chambre, le débat public sera ouvert et
nous espérons,
avec la collaboration de l'Opposition, l'adopter rapidement.
Je partage le souci de la députée de L'Acadie du bien
public, du droit des citoyens aux services essentiels de santé et
même aux services publics, Hydro-Québec, transports et tout le
reste. D'ailleurs, pour notre parti et le ministère, de par des
déclarations répétées à plusieurs occasions,
lors de la campagne électorale, depuis la campagne électorale,
pendant une longue commission parlementaire où on a entendu 54
mémoires de groupes intéressés à cette question, et
on le répète aujourd'hui, l'intention est de faire en sorte que
le droit des citoyens à des services essentiels prime le droit,
légitime aussi, des travailleurs d'exercer la grève. Le droit des
citoyens aux services essentiels va primer l'exercice du droit de grève.
C'est-à-dire que l'exercice du droit de grève, même
légitime, sera conditionnel au droit des citoyens aux services
essentiels.
Le député de Jean-Talon, surtout, nous a reproché
le temps que ça prend pour accoucher de ce projet de loi. Il a aussi dit
quelque chose de très important, soit que c'était une question
complexe. Il a déjà dit la même chose. C'est un bon diable,
le député de Jean-Talon, tout le monde l'aime; s'il était
péquiste, je dirais que c'est un bon gars, mais, puisqu'il est de
l'Opposition, je dirai que c'est un bon diable, mais, en tout cas, c'est un bon
gars. Il est très honnête dans ses discussions, je dois le
reconnaître également. Mais peut-être que, dans ses deux
commentaires, un commentaire répond à l'autre. Si ça prend
du temps, c'est parce que c'est complexe.
Le droit de grève a été accordé au secteur
public pour la première fois en 1964 par un gouvernement libéral.
Comme syndicaliste, à cette époque, j'applaudissais à
l'exercice de ce droit pour des employés qui, à ce
moment-là, étaient parmi les plus maltraités, au point de
vue des salaires, etc., de tous les secteurs au Québec. Depuis ce temps,
des gouvernements libéraux, de l'Union Nationale et du Parti
québécois ont apporté de modifications au Code du travail
dans le but de raffiner, de modifier, de corriger, de perfectionner les
stipulations du code touchant l'exercice du droit de grève dans le
secteur public Ce n'est sûrement pas aujourd'hui. De nombreuses
modifications ont été apportées ainsi qu'une vingtaine de
lois spéciales, dans les circonstances, par tous ces gouvernements, le
Parti libéral, l'Union Nationale et le Parti québécois,
qui font la preuve concluante qu'effectivement c'est une question très
complexe, très difficile, et qu'il faut revoir la question de fond en
comble pour essayer, cette fois-ci, d'en arriver à une formule qui
puisse le mieux possible concilier et surtout établir la primauté
du droit des citoyens à leurs services contre le droit des
syndiqués à exercer le droit de grève.
Parce que le député de Jean-Talon aime taquiner parfois,
je vais lui remettre la politesse. Je vais dire que c'est peut-être une
chance pour le Parti libéral qu'on n'ait pas agi trop vite, après
la commission parlementaire, parce que si on avait adopté ce projet de
loi en décembre, on aurait empêché le Parti libéral
de changer d'idée. La position que le Parti libéral
défendait à la commission parlementaire, il ne la défend
plus. Il a changé d'idée. Je m'explique.
Que dit le programme du Parti libéral, aux élections de
1981, les élections de l'année dernière, sur la question
du droit de grève dans le secteur public et sur lequel les
députés actuels du Parti libéral se sont fait élire
dans leur comté? Ils ne sont pas nombreux, mais ceux qui sont
élus se sont fait élire à partir de ce programme. C'est le
programme électoral du Parti libéral, à la suite du
conseil général des 17 et 18 janvier 1981. Titre: Relations de
travail. Je cite: "Deux voies sont possibles: le retrait pur et simple du droit
de grève et la mise en oeuvre de moyens visant à civiliser sans
cesse davantage les relations du travail dans le secteur de la santé et
du bien-être. Le retrait pur et simple du droit de grève serait
plus spectaculaire et répondrait sans doute à une attente
très répandue. "Mais, au lieu de s'en remettre, pour atteindre
cet objectif, à des moyens en apparence faciles et simples, mais dont
l'efficacité serait douteuse, le Parti libéral trouve plus
judicieux de poursuivre cet objectif en appliquant et en renforçant les
dispositions qui existent déjà dans nos lois. Le Code du travail
donne déjà, en effet, au gouvernement le pouvoir de suspendre
l'exercice du droit de grève. En plus d'appliquer avec fermeté
les dispositions actuelles du Code du travail, le gouvernement se verra donner
le moyen d'intervenir rapidement toutes les fois que la santé et la
sécurité de la population peuvent être mises en cause dans
les services publics en général. Dans ces secteurs, le
gouvernement se verra donner le pouvoir de suspendre l'exercice du droit de
grève sans avoir à recourir à une injonction en Cour
supérieure. "Conclusion - le "punch" - un gouvernement du Parti
libéral du Québec s'engage à ce que le droit à la
santé et à la sécurité dans les services publics
soit reconnu en tout temps et que l'exercice de ce droit soit assuré
prioritairement à l'exercice de tout autre droit en matière de
relations du travail. Un gouvernement du Parti libéral du Québec
s'engage à ce que le gouvernement puisse suspendre l'exercice du droit
de grève si, à son avis, l'exercice de ce droit compromet ou
risque de compromettre la santé ou la sécurité de la
population dans les services publics."
M. le Président, c'est exactement ce que le gouvernement est en
train de faire dans son projet de loi. Nous sommes en train de respecter ces
principes, qui sont aussi les nôtres, qui sont de perfectionner, de
continuer une évolution de notre loi sur le travail, de partir de ce qui
existe, de l'améliorer et de le perfectionner de façon à
assurer que les citoyens auront droit à leurs services essentiels,
surtout dans le domaine de la santé, prioritairement à l'exercice
du droit de grève des employés.
J'ai mentionné brièvement tantôt cette fameuse
commission parlementaire. Parce qu'on veut aller au fond des choses, on voulait
avoir, au gouvernement, l'opinion, l'éclairage du plus grand nombre non
seulement d'employeurs et de syndiqués impliqués dans ce
problème, mais aussi l'éclairage de citoyens et surtout de
groupes de citoyens importants. On a entendu 54 groupes et voici ce qui est
ressorti de cela, des groupes surtout qui représentent les citoyens, des
groupes qui représentent le monde ordinaire comme l'AFEAS, l'Association
féminine d'éducation et d'action sociale, les parents de la
commission scolaire des Vieilles Forges, l'Association des consommateurs du
Québec. Ce sont des personnes qui avaient vécu des
problèmes comme citoyens, comme citoyennes, comme parents qui avaient
tous vu ces problèmes, vécu ces problèmes. On aurait pu
légitimement croire que ces groupes arrivent et disent: Abolissons le
droit de grève. Mais, non, ces trois groupes et d'autres ont dit non, on
sait que le fait d'abolir le droit de grève n'est pas une solution au
problème. C'était leur opinion. Je pense, je ne peux pas mettre
des paroles dans leur bouche, mais c'était l'opinion exprimée par
des porte-parole du Parti libéral. C'est une fausse solution que
d'abolir purement et simplement le droit de grève.
Finalement, en février de cette année, le Parti
libéral a changé son fusil d'épaule, il a changé
d'idée sur la question et prône maintenant, ce qu'il appelle
l'abolition sélective du droit de grève. Quelle est l'approche
Et, quand on dit sélective, qu'est-ce que cela signifie dans les centres
hospitaliers de soins prolongés et de soins psychiatriques, dans les
centres d'accueil d'hébergement et, notons-le, dans les unités de
services correspondants des établissements hospitaliers?
C'est-à-dire qu'on a des établissements et des centres
hospitaliers où il n'y a que des personnes âgées ou
très incapables, qui sont là en permanence, on dit soins
prolongés. Il y d'autres institutions de soins psychiatriques et il y a
des centres d'accueil pour les personnes âgées. Mais il y a aussi
dans votre coin, dans n'importe quel coin, de ces hôpitaux
généraux, des ailes, des unités de soins, il y a des
étages ou des ailes consacrées aux personnes âgées.
Il y a des ailes consacrées, dans certains cas, à des soins
psychiatriques, dans une même institution ou dans d'autres ailes, il y a
un service d'obstétrique, un service de soins intensifs, tous les
services qu'on connaît dans les centres hospitaliers.
Alors, le Parti libéral parle d'abolition sélective du
droit de grève. Que veut-il dire par cela, qu'est-ce que cela veut dire?
Les centres hospitaliers de soins prolongés et les centres d'accueil
d'hébergement comptent pour la moitié des établissements
du réseau. Si on ajoute les établissements dont certaines
unités seraient touchées par l'abolition, cette proportion passe
au deux tiers et comprendrait 90% des établissements syndiqués.
Quelles sont les conséquences? On peut imaginer l'effet néfaste,
le climat de relations du travail qu'aurait une telle abolition
sélective, en l'appelant sélective: 90% des établissements
syndiqués affectés par un abolition totale ou sélective,
cela équivaut au retrait du droit de grève, retrait
considéré comme très dangereux par l'ensemble des
intervenants en commission parlementaire, y compris le Parti libéral.
C'est un retrait total du droit de grève caché sous de belles
paroles. L'abolition du droit de grève, on l'a vu dans d'autres
provinces et d'autres pays, pourrait provoquer des réactions importantes
qui se manifesteraient par des grèves illégales, sans maintien de
services essentiels. Il n'y a rien dans une grève illégale qui
assure le maintien de services essentiels, le maintien de services essentiels,
que ce soit forcé ou volontaire, implique que ceux qui assurent ces
services restent là. (11 h 15)
Quand on débraye, quand on fait une grève sauvage, une
grève illégale, assez souvent, on n'est pas d'humeur à
fournir des services essentiels. De plus, dans les hôpitaux de soins
généraux, de soins aigus, qui ont des ailes de psychiatrie,
l'abolition sélective du droit de grève poserait de graves
problèmes d'application, dans une même unité
d'accréditation: une partie des salariés aurait droit de
grève, l'autre ne l'aurait pas. Cela chambarderait l'économie du
Code du travail où le droit de grève est accordé à
l'unité d'accréditation et non aux individus. Vous voyez la
situation: le centre hospitalier X avec, sur un étage, des salles
d'urgence, des soins ordinaires, des salles de spécialisation de
différentes sortes, des soins intensifs et, dans un autre coin, des
salles, des étages ou des parties d'étages consacrés soit
à des patients psychiatriques ou à des patients de soins
prolongés. Donc, avec l'approche du Parti libéral, une partie des
travailleurs, dans une aile ou dans un demi-étage, n'aurait pas le droit
de grève et une autre partie de l'hôpital aurait le droit de
grève. Quelle confusion, quel fouillis! Surtout que dans bien
des cas, par exemple pour les infirmières, on peut, dans
certaines situations, s'interchanger les infirmières d'un service
à l'autre.
Si on prend à la lettre la proposition du Parti libéral
sur l'abolition sélective, il propose, dans ce même hôpital,
d'enlever le droit de grève a priori aux unités de soins
prolongés, de personnes âgées ou en psychiatrie. Mais on
est parfaitement silencieux, du côté de nos amis d'en face, sur
les autres ailes de ce même hôpital, où il y a des patients
en phase terminale, des unités d'urgence, la salle d'urgence, des soins
intensifs, etc. On propose d'enlever le droit de grève pour les
personnes âgées dans une même unité, mais on ne parle
même pas de phase terminale, d'urgence, de soins intensifs, de
cardiologie, d'obstétrique et tout cela.
Ce que propose le Parti libéral, d'abord, c'est l'abolition
totale déguisée et un système qui n'a aucun sens, non
plus. Nous soumettons, du côté gouvernemental, que, aussi, dans
les salles d'urgence, dans l'obstétrique, dans les unités de
soins terminaux et autres, on peut prévoir la nécessité
d'assurer des services essentiels et/ou l'implication des parties, même
si ces parties ont eu des défauts dans certaines situations. Leur
implication est encore nécessaire, même si le rôle du
gouvernement et de sa loi est de pousser la surveillance et la coercition un
peu plus loin pour que les services minimaux essentiels soient assurés.
Donc, la position d'abolition sélective du Parti libéral, en plus
d'être un virage par rapport à leur opinion au mois d'octobre
devant la commission parlementaire, est une solution qui, en soi, ne
résiste pas à l'examen et n'assure pas ce qu'elle veut
assurer.
En terminant, M. le Président, je voudrais toucher deux des
questions précises que la députée de L'Acadie a
touchées en passant. Elle a parlé de la grève à
Rivière-des-Prairies, l'automne dernier. Je souligne, avec toute la
considération et le respect que j'ai pour Mme la députée
de L'Acadie, qu'il s'agissait là d'une grève illégale.
Tout ce qu'on prévoit dans la loi, et même dans les amendements
qu'on veut présenter pour l'améliorer et toucher la
généralité des choses, touche des grèves
légales. Une grève illégale, c'est justement, par
définition, une grève qui n'est pas permise par la loi, qui n'est
pas légitime. Il existe aujourd'hui et il existera toujours des moyens
à prendre pour régler et éliminer ces grèves
illégales le plus rapidement possible. Ces mesures ont été
prises dans le cas de Rivière-des-Prairies. Il y a l'arme de
l'injonction dans les cas de grèves illégales. Il y a les mesures
disciplinaires contre ceux qui fomentent une telle grève et il y a des
recours pénaux. Dans le cas de cette grève illégale
à Ri-vière-des-Prairies, l'année dernière, il y
avait l'injonction. Il y a eu des congédiements par la suite, et c'est
le cas dans toute grève illégale, c'est cela les moyens
prévus par la loi, ce qu'on discute ici et ce qu'on discutera
bientôt, c'est d'amender la loi pour réglementer l'exercice de
grèves légales; il y a déjà dans les lois civiles
et criminelles des mesures à prendre dans le cas de grèves
illégales.
Pour ce qui est de la CTCUM et Gaz Métro, la même situation
existe. Le Code du travail actuel ne couvre pas, sous le régime de la
commission des services essentiels, des grèves à la CTCUM ou au
Gaz Métro, mais je souligne en terminant qu'au mois de janvier le
gouvernement, malgré que la loi générale ne couvrait pas
la situation de la CTCUM, a pris ses responsabilités en face de
l'absence de stipulations du Code du travail pour réglementer
efficacement cette situation et adopter une loi spéciale.
Dans le cas du Gaz Métro, on n'a pas une loi pour
réglementer ou assurer le maintien des services essentiels. Gaz
Métro est en grève depuis quelques semaines. Grâce à
la pression du ministère du Travail et à la conscience, la
responsabilité des travailleurs en cause, on a négocié le
maintien des services essentiels dans ce cas-là, et ces services sont
effectivement maintenus, de façon que le public ne subit pas d'effets
trop sérieux de cette situation de grève.
Le mieux qu'on pourrait faire dans tout projet de loi qui s'en vient
serait justement de toucher à ces lacunes de la loi existante de la
façon qu'on a fait un peu de facto dans ces deux cas de grève
à la CTCUM et Gaz Métro, qui ne sont pas touchés par la
loi. Quelle que soit la solution législative qu'on trouve, il est
sûr et certain qu'il faut une continuation de l'évolution, de la
maturité et des travailleurs et des employeurs au Québec, une
évolution de cette pensée de la confrontation vers un esprit de
collaboration et de concertation surtout dans des secteurs aussi humains et
nécessaires que les services de santé, mais dans tout le domaine
de la société en général. Même si on n'est
pas arrivé à la terre promise, on peut constater une
évolution. Cela, aidé par des lois de plus en plus
adaptées, peut continuer à évoluer, et c'est la solution
ultime et finale.
Le Président (M. Rochefort): Merci, M. l'adjoint
parlementaire. La parole est maintenant au député de
Sainte-Anne.
M. Maximilien Polak
M. Polak: Merci, M. le Président. M. le Président,
d'abord quelques commentaires sur une remarque du ministre. Au tout
début de son discours, j'ai été un peu surpris, je me
sentais un peu comme un écolier. Il a dit: Vous autres, vous êtes
bien habiles, vous montrez de la finesse pour avoir ces débats
du vendredi, vous avez le droit de les avoir, c'est vrai selon notre
règlement, mais vous n'auriez pas dû faire cela. Moi, comme
ministre, j'aurais beaucoup préféré être dans la
région de Montréal à travailler à la solution du
conflit à la CTCUM. Donc, je me sentais un peu comme un écolier
qu'on critiquait. Mon vieux, qu'est-ce qu'on a fait?
Mais, savez-vous, M. le Président, le ministre au moins il n'a
pas dit: Vous autres, il y a grève la semaine prochaine à
Montréal encore, c'est vous qui êtes responsables, les
libéraux. Au moins, il n'a pas dit cela. Donc, je me sentais un peu
culpabilisé, mais savez-vous, M. le ministre, pourquoi on est venu?
Parce que nous sommes tout de même positifs dans notre approche, et on
voulait avoir ce débat justement pour présenter des suggestions
positives dans le projet de loi que vous considérez, je ne sais depuis
combien de temps. Lorsque vous dites: J'aurais dû être à
Montréal, je dois vous répondre - et là je vous parle un
peu comme si vous étiez l'écolier, moi le professeur: M. le
ministre, tout de même, au tout début de janvier, on était
ici, on a adopté cette loi extraordinaire, spéciale, et qu'est-ce
qui est arrivé de janvier jusqu'à maintenant? Ce n'est pas
aujourd'hui qu'il faut aller à Montréal pour régler ce
problème quand on sait que la loi spéciale sera expirée au
début de la semaine prochaine.
Donc, soyons sérieux. Vous avez dit: II y a des
Québécois et des Québécoises qui nous
écoutent et qui vont dire: Le ministre aurait dû être
à Montréal, et ce n'est pas tout à fait correct de la part
de l'Opposition. Peut-être que les mêmes gens, M. le ministre -
parce que moi j'ai rencontré des Québécois, des
Québécoises - auraient dit: Qu'est-ce qui se passe depuis
septembre? M. le député de Sainte-Anne, j'ai travaillé
pendant cinq jours, jour et nuit. Poussez donc le gouvernement. Où est
le projet de loi? C'est pour cela que nous sommes venus ici pour en
discuter.
Rapidement, M. le Président, je vais faire l'historique de cette
affaire. Le 5 novembre 1980 - cela remonte à un an et demi - qu'est-ce
que le premier ministre, M. Lévesque, a dit, dans son message inaugural?
La première fois que j'ai entendu le message inaugural, je me suis dit:
c'est important; le premier ministre parle; il promet certaines lois; je suis
mieux de prendre note de ce qu'il dit exactement. Je n'étais pas ici
à ce moment là, mais je l'ai lu. Il a dit: "Un sujet, l'exercice
du droit de grève, que nous avons le devoir, nous comme nous y sommes
engagés, de discuter à fond comme société." Je suit
tout à fait d'accord. Le 5 novembre 1980, il y a un an et demi, il a
dit: "II faut profiter de la période qui nous sépare de la
prochaine ronde de négociations pour revoir de fond en comble le
système qui prévaut chez nous depuis une quinzaine
d'années." Il avait parfaitement raison, il y a un an et demi, mais
qu'est-ce qui est arrivé depuis? Pour cette fameuse ronde de
négociations, au mois de décembre, cette année, tout devra
être terminé et on n'a même pas encore commencé
à discuter.
Ensuite, on a eu cette fameuse commission parlementaire à
laquelle j'étais très fier d'assister, au mois de septembre. On
est venu là, je pense, de part et d'autre, pour entendre ceux qui
venaient présenter leur mémoire. Des organismes de partout sont
venus et, pendant cinq jours, on les a écoutés afin de trouver
une solution. Il y a tout de même un problème très grave,
un dilemme dans lequel le ministre se trouve. C'est bien connu, une
grève, pour être efficace, pour réussir, doit faire du mal.
C'est bien connu. Je ne blâme pas les grévistes parce qu'ils
savent que quand il doit y avoir une grève, il ne faut pas trop penser
aux intérêts de ceux qui vont en être les victimes, parce
que, pour leur intérêt, la grève doit faire du mal.
D'autre part, il y a le principe de protéger les droits des
usagers. C'est le grand débat sur le problème. Cette commission a
siégé pendant cinq jours. Au-delà de cinquante organismes
sont venus témoigner devant nous. C'est peut-être bon que la
population se rappelle qu'ils sont tout de même venus. Combien de ces
mémoires avons-nous entendus? Dans le secteur de la santé et des
affaires sociales - on vient de parler des hôpitaux - seize organismes
sont venus, des gens responsables, des administrateurs, des syndiqués,
tout le monde. Dans le secteur de l'éducation, nous avons entendu sept
groupes. Dans le secteur général, les villes, les
municipalités, on en a entendu neuf; dans celui de la fonction publique,
cinq. C'étaient tous des organismes avec de longs mémoires. On a
discuté et on a pris note de ce qu'ils ont dit afin de trouver une
solution pour le bénéfice de tout le monde.
M. le Président, je me rappelle très bien quand M. Brunet,
celui qui était un patient dans un hôpital, nous a parlé du
traumatisme, non pas du traumatisme pendant la grève mais du traumatisme
qui précède la grève. L'angoisse! Y aura-t-il une
grève ou non? Le changement d'attitude: Un bonne infirmière
s'occupe de ses patients et, à un certain moment, une grève se
prépare et l'atmosphère change. Je me rappelle très bien
du Dr Jutras. C'est un médecin d'un hôpital d'Arthabaska, je
pense. Il nous a décrit cela. Il a parlé de cas d'enfants qui
étaient dans une ambulance. On a été obligé
d'ouvrir l'ambulance pour voir si vraiment il n'y avait pas quelqu'un de
caché là-dedans pour passer la ligne de piquetage. Je me rappelle
très bien que tout le monde était très
impressionné. On a vu l'importance de cet élément de
traumatisme et d'angoisse.
C'était en septembre 1981; on a été ici cinq
jours.
En novembre, deux mois plus tard, il y eu encore le discours inaugural
du premier ministre, M. Lévesque. Cette fois-là, j'étais
ici. Je l'ai écouté. Je savais qu'un discours inaugural,
c'était très important. Qu'est-ce qu'il a dit? M.
Lévesque, le premier ministre de la province de Québec a dit: "Le
gouvernement a décidé de proposer certains amendements aux
mécanismes sur les négociations, mais aussi et surtout une
formule pour assurer, une fois pour toutes, la primauté du droit des
personnes à recevoir les services essentiels, particulièrement le
secteur si névralgique de la santé." Ses paroles étaient
claires. On a eu la commission en septembre. (11 h 30)
Là, je vous parle du discours du premier ministre au mois de
novembre: On va vous présenter un projet de loi pour régler ce
problème une fois pour toutes. On a attendu, on a posé des
questions ici et on a demandé où en était ce projet?
Quelles étaients ses idées? Il n'avait aucune idée de ce
qu'il voulait. Nous sommes aujourd'hui au mois de mai, sept mois après
la commission parlementaire. Encore ce matin, le ministre nous dit: C'est en
préparation, c'est à l'étude, cela peut devenir une
question de jours ou de semaines. Mais quatre semaines, c'est un mois. Six
mois, c'est une demi-année. On continue comme cela depuis 1979.
Je pense qu'on avait parfaitement raison de demander ce débat, ce
matin, pour essayer de trouver quelque chose à ce projet de loi, parce
que tout de même, il ne faut pas se placer sur un plan de politique
partisane. Nous cherchons une solution pour le bénéfice de tous
les Québécois et de toutes les Québécoises. On peut
coopérer aussi, vous savez, mais il faut que vous nous écoutiez,
parce qu'on a de bonnes idées.
Mais qu'est-il arrivé lors de cette commission parlementaire
quant à la pensée du ministre? Parce que tout de même, il a
donné ses idées au début de la commission et à la
fin, en septembre. Je cite les propos du ministre qui est ici devant nous. Il a
tenu, le 23 septembre, ce propos tiré du journal des Débats: Peu
importe le nombre ou la quantité, on pourra toujours discuter des
chiffres, mais il faut assurer, par voie de conséquence, ce droit
fondamental essentiel des hommes et des femmes du Québec à avoir
accès à des services aux soins de santé.
C'est bien clair, s'applique pour lui le droit de l'usager à ces
services essentiels. Tant qu'on veut le garantir et qu'on veut prendre les
moyens, il va de soi, que le statu quo ne pourra pas être maintenu et
qu'il va devoir être changé. On commence déjà
à penser dans la direction que suggère l'Opposition. Que dit-il
ensuite? Voici: Cela supposera des changements législatifs, on en verra
l'ampleur et la portée. Au moins, le statu quo n'accepte pas; il semble
être d'accord: priorité des droits des usagers à leurs
services essentiels. On était content, mais il a continué
à parler parce que le lendemain il a dit: Par ailleurs, je crois qu'il
est important de dire, à ce moment-là, que le gouvernement n'a
pas l'intention de retirer le droit de grève.
C'est ça son dilemme. Je me rappelle très bien quand une
loi était présentée, le ministre d'une manière
très habile et très polie a remercié les gens de leur
mémoire. Il a posé des questions. Quand c'était un groupe
de syndicats il dit: Vous avez soulevé de très bons points et je
respecte le droit de grève; évidemment on n'a pas l'intention de
toucher à cela. À un moment donné, quand il y avait un
autre groupe qui venait, il disait: On veut abolir ce droit de grève
dans notre secteur, il faut faire quelque chose de plus que des belles paroles.
Le ministre disait: Vous avez raison, il faut bien penser à la
primauté des services essentiels, il faut protéger le public, la
population. C'est un problème, c'est un dilemme. Donc cela prend une
solution, non pas seulement patiner, mais avoir le courage de nos convictions
et prendre une mesure qui n'est peut-être pas populaire parmi certaines
classes de gens, mais qui peut plaire et qui peut satisfaire les désirs
de la population.
Pour vous aider, M. le ministre, je vais vous faire part d'un sondage du
Journal de Québec à la fin du mois de mars 1982. Cela, c'est
juste pour connaître ce que pense l'opinion publique, et tout de
même cela compte aussi. Nous sommes tous élus par le public, et le
public parle, il a une opinion. Que dit-il? Êtes-vous d'accord ou non
avec le droit de grève, etc, etc.? Transport en commun, une classe? Ils
ont répondu: Désaccord. Cela, c'est le public qui a
répondu, désaccord à 71% et 25% était d'accord. Les
hôpitaux, même question, contre le droit de grève. En faveur
de le limiter ou de l'abolir. Les hôpitaux, le public a répondu.
83% a répondu de ne pas permettre ce droit de grève, de le
limiter. 83% dans le secteur des hôpitaux. Est d'accord, 14%. Ensuite, le
domaine de l'éducation, contre: 70% disait qu'il ne faut pas que les
enfants deviennent les otages de ces grèves. En faveur, 21%. Cela
démontre quelque chose. Ce sondage a été mené il y
a un mois.
Cela ne veut pas dire qu'il va toujours réagir sous la pression
de l'opinion publique. Je comprends bien cela, il faut prendre ses
responsabilités, mais tout de même, c'est intéressant de
voir ce que le public pense vraiment de cette situation. Est-ce que ce n'est
pas l'obligation du gouvernement de prendre ses responsabilités et de
dire que l'on va soumettre un projet de loi, on arrête
de patiner, on essaye de plaire à tout le monde? Vous, messieurs
les syndiqués, continuez, vous aurez votre droit de grève. On ne
lui touche pas. Ce droit de grève vous l'avez acquis, on ne peut pas
enlever de droits acquis. Vous, les usagers, on va vous garantir les services
essentiels. C'est bien connu que ça ne fonctionne pas ainsi. Les chefs
syndicaux qui sont venus ici en septembre ont dit carrément: Si vous
essayez même de jouer avec la fameuse liste syndicale, on va
interpréter cela comme le début du processus d'abolition du droit
de grève. On veut que vous ne touchiez à rien. On a une liste
syndicale et, si vous voulez toucher à cette liste, si vous voulez la
changer, pour nous, cela équivaut à abolir le droit de
grève. N'oubliez pas, ils l'ont dit carrément; j'étais
là.
Pour terminer, M. le Président, on a parlé de notre
position. Notre position est claire et elle était claire en septembre.
En septembre, on est venu pour se renseigner. Je ne connaissais pas ce dossier,
je n'étais pas dans ce domaine auparavant. J'ai étudié les
mémoires pendant l'été et je suis venu pour
écouter. Je me suis dit: II faut trouver une solution acceptable
à la population, une solution avec laquelle on peut vivre tout le monde,
tous les Québécois et les Québécoises, les
travailleurs et les travailleuses.
Je n'entrerai pas dans tous les détails parce qu'on a, tout de
même, un chef d'équipe qui est responsable du dossier, mais
j'étais fier de travailler dans cette équipe. On a eu beaucoup de
réunions après les débats du mois de septembre. On s'est
rencontré un petit groupe, avec les autres députés, on a
discuté de tout cela, on a analysé les mémoires et voici
ce qu'on suggère. Nous suggérons, premièrement, de
garantir et de maintenir les services essentiels dans tous les secteurs. Il
faut que ce soit fait, qu'on n'ait plus les problèmes qu'on a connus
auparavant avec la liste syndicale; il faut que ce soit changé. On a eu
le courage - on ne se gêne pas du tout de le dire et on le dit encore ce
matin - de suggérer au gouvernement d'abolir ce droit de grève ou
de le restreindre pour qu'il ne puisse plus s'exercer dans les centres
hospitaliers, les centres de soins prolongés, de soins psychiatriques,
les centres d'accueil et on a donné d'autres exemples.
On a constaté, à cause de la preuve qui a
été faite devant nous au mois de septembre, que ce sont des
secteurs où c'est même tout à fait impossible d'avoir le
droit de grève, mitigé ou pas. On ne peut pas. Le droit de
grève, il faut l'abolir dans ce secteur. On n'a pas touché les
autres secteurs parce que nous sommes très reconnaissants du fait qu'il
existe un droit de grève et on veut le respecter. Cela a
été accordé dans le passé; il faut bien le
respecter, mais il y a une limite tout de même. Si on lit notre position,
on n'a pas besoin de citer le petit livre publié par le Parti
libéral dans le temps, parce qu'il n'y a pas de contradiction. On a
parlé de principes de base et, ensuite, on est devenu un peu plus
raffiné et on a fait la distinction entre différents
secteurs.
Peut-être est-ce moins grave d'avoir le droit de grève dans
une école que dans un hôpital psychiatrique. C'est notre position,
on en est fier et on n'a rien à cacher. On a fait des distinctions et on
a une réponse. On vous fait part de cette position. Malheureusement,
quand l'Opposition s'est présentée devant les journalistes,
c'était la journée où le leader parlementaire a
démissionné. Donc, la presse n'est pas venue couvrir cette
position, mais je peux vous dire qu'elle est connue. Vous en avez une copie.
Servez-vous de notre position, vous pourrez l'inscrire dans votre projet de
loi; on va la défendre ensemble pour prendre une décision qui
plaira à la population, à ceux qui parlent au ministre, et
à ceux qui parlent avec moi. C'est ça qu'on cherche, une solution
positive pour le bénéfice de tout le monde, non pas de dire: Cela
ne vaut rien parce que vous vous contredisez. On ne se contredit pas du tout.
Quand on arrive avec un argument positif, vous pouvez vous en servir et on en
sera très fier.
Une autre chose - je pense que mon temps est presque terminé - je
trouve bizarre que, chaque fois qu'on a un problème sur le plan
constitutionnel, il y a un projet de loi, deux semaines plus tard, tout
imprimé devant nous, exprimant la position du parti. On a eu cette
affaire à Ottawa, à la fin du mois d'avril, lorsque le
rapatriement de la constitution est arrivé et, le lendemain, il y a eu
une réunion d'urgence du Conseil des ministres, avec commentaires; on
prépare un projet de loi, nos légistes sont là-dessus pour
émettre des avis juridiques. Il y a trois jours déjà que
le projet de loi est devant nous, je vais l'étudier en fin de
semaine.
Quand il s'agit d'une chose comme les services essentiels dans les
secteurs public et parapublic, les hôpitaux, tous ces problèmes
graves pour le citoyen ordinaire, on se pose des questions. Cela ne tient pas
debout! En septembre, vous étiez ici. Même moi, comme
libéral, on me critique: Comment se fait-il qu'il ne se passe rien?
Mettez donc de la pression. Je dis: Bon, on va tenir un débat, je vais
demander à mon chef d'équipe d'y participer. Encore aucun projet
de loi. Mais, concernant la constitution, vous êtes rapides, je peux vous
l'assurer, vous êtes prêts: tout de suite, les grands principes. Je
vous dis: S'il vous plaît, ne soyons pas négatifs.
Je termine avec une question au ministre, seulement une. M. le ministre,
êtes-vous prêt à arrêter de patiner? Avez-vous le
courage de prendre une décision, qui
ne serait peut-être pas sympathique pour une certaine
clientèle que vous avez toujours pensé être la vôtre,
ce n'est plus le cas non plus, pour le bénéfice de tous les
Québécois et de toutes les Québécoises?
Le Président (M. Rochefort): Merci, M. le
député de Sainte-Anne. La parole est à Mme la
députée de L'Acadie.
Répliques
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je ne reviendrai
pas sur la question de notre programme auquel l'adjoint parlementaire du
ministre a fait allusion tout à l'heure. Je pense qu'on a rien à
renier de notre programme. Au contraire, on disait que, pour nous, le droit aux
services essentiels devait être assuré en tout temps. À ce
moment-là, la disposition qu'on prévoyait, c'était la
possibilité pour le gouvernement de suspendre le droit de grève,
et l'adjoint parlementaire a reconnu que c'était quand même une
bonne position puisqu'il nous a laissé entendre que le projet de loi que
le gouvernement prépare irait dans ce sens. Comme l'a signalé mon
collègue de Sainte-Anne, nous avons assisté aux audiences du mois
de septembre et même, à ce moment-là, je pense que -
déjà, l'adjoint parlementaire du ministre le reconnaît -
nous avions laissé entendre qu'il faudrait des restrictions au droit de
grève.
L'adjoint parlementaire s'est mis à analyser, finalement, la
position que nous avons rendue publique il y a maintenant un mois ou deux en
essayant de la décortiquer. C'est de bonne guerre. Il y a des points
qu'il a soulevés, par exemple, la possibilité de la restriction
de l'exercice du droit de grève dans un hôpital de soins aigus
pour certains départements. Je pense qu'il s'agit là d'un
mécanisme d'application qui pourrait être trouvé
facilement. On sait fort bien que, même déjà, à
l'heure actuelle, dans certains hôpitaux de soins aigus, au moment de la
préparation de la liste des services essentiels, patrons et
syndiqués s'entendent pour dire: Écoutez! Dans cette unité
pour malades de soins prolongés, tous les services sont essentiels.
Alors, cela ne veut pas dire que tous les services sont toujours assumés
par les mêmes personnes, mais il n'y a aucune coupure de services pendant
une grève. Il s'agit d'un mécanisme qui pourrait être
facilement trouvé.
En terminant, M. le Président, je voudrais simplement faire un
dernier appel au gouvernement. Ils n'ont pas voulu - peut-être que c'est
correct - nous dire ce que le projet de loi contiendra. On sait que, parfois,
il y a des ministres qui sont moins discrets quant à leurs intentions.
On pourrait parler du ministre de l'Éducation, qui aime bien faire
couler les choses, et de certains autres ministres. Enfin, là n'est pas
le problème. L'appel que je voudrais faire au gouvernement, dans le
projet de loi qu'il va présenter, qu'il ne se contente pas de
demi-mesures à l'égard d'une population extrêmement
vulnérable qui est la population qui se retrouve dans les centres
hospitaliers de soins prolongés, qu'il s'agisse de patients qui sont si
physiquement atteints qu'ils sont en perte presque totale, sinon totale
d'indépendance ou d'autonomie, ou de ceux qui se retrouvent dans nos
grands hôpitaux psychiatriques. C'est la même chose pour nos
personnes qui se retrouvent en centres d'accueil, qu'il s'agisse d'enfants
particulièrement vulnérables au plan psychologique, au plan
physique, au plan mental, ou qu'il s'agisse de centres d'accueil qui
reçoivent des adultes ou des personnes âgées.
M. le Président, toutes ces personnes, enfants et adultes, sont
des personnes extrêmement dépendantes, extrêmement
vulnérables et captives; elles sont tout ce que j'appelle une population
captive, c'est-à-dire que leur nouveau foyer, leur nouveau chez-soi,
c'est devenu le centre d'accueil, c'est devenu le centre hospitalier. À
ce moment-là, à cause de leur dépendance, de leurs
nombreux problèmes de toutes catégories, on ne peut pas se
contenter de demi-mesures. (11 h 45)
On ne peut plus continuer à dire, on en a fait
l'expérience... L'adjoint parlementaire au ministre, tout à
l'heure, disait: Écoutez! Cela a évolué depuis le moment
où on a accordé le droit de grève. Les gens montrent plus
de maturité, plus de responsabilité. Les lois ont
également évolué. On a l'expérience derrière
nous. Mais il y a une expérience qu'on a faite. On ne peut pas exposer
inutilement, même si on ne peut pas toujours quantifier que deux et deux
font quatre, à quelque risque que ce soit, toutes ces populations que je
viens de décrire, que je viens de définir, par une loi qui
n'assurerait pas qu'à elles, en tout temps, les services soient
continuellement assurés. C'est le message que je fais au gouvernement -
son projet de loi n'est pas encore achevé puisqu'on nous dit que son
dépôt est prévu dans quelques semaines - de le revoir, si
possible, et vraiment s'appliquer à retourner consulter. Il est capable
de le faire rapidement, comme le disait mon collègue de Sainte-Anne.
Qu'il retourne consulter au besoin.
Je voudrais, en terminant, simplement faire référence au
mémoire de l'Ordre des infirmiers et infirmières du
Québec, qui ne s'est pas présenté à la commission
parlementaire, mais qui nous a envoyé, en mars 1982 - je suis certaine
que le ministre l'a - un mémoire dans lequel l'Ordre des infirmiers et
infirmières du Québec dit et je
cite: "Le bureau de l'ordre, guidé par son mandat d'assurer la
protection du public, se prononce contre le retrait des services dans le
domaine de la santé."
Alors, l'opposition va beaucoup plus loin encore que la nôtre. Si
nous croyons que, dans un premier temps, il faut protéger les
populations les plus vulnérables, j'espère que ce premier geste
permettra quand même aussi de réévaluer des choses chez les
membres des syndicats, chez les administrateurs ou les corps patronaux, pour
qu'éventuellement on ne soit pas obligé d'arriver à une
telle chose. Dans la mesure du possible, qu'on respecte ce qui est aussi un
droit fondamental, le droit des travailleurs à exercer le droit de
grève s'ils sont administrés par des conventions collectives.
Mais, une dernière fois, c'est un problème important,
c'est un problème dont, un jour ou l'autre, un membre de notre famille,
sinon nous-même, devra subir les conséquences. Strictement au
point de vue de la dignité et du respect de la dignité de la
personne humaine, on ne peut pas permettre que des personnes, qui sont dans un
état de totale dépendance ou de presque totale dépendance,
soient soumises à des conditions qui sont totalement en dehors de leur
pouvoir d'intervenir. Et c'est à ces catégories
particulières de citoyens, qui sont des membres à part
entière de notre société, comme nous et les autres qui
sont en bonne santé à l'intérieur de cette enceinte, c'est
à ces personnes que je voudrais que le gouvernement
réfléchisse et on ne peut pas, pour elles, prévoir de
demi-mesures.
Merci M. le Président.
Le Président (M. Rochefort): Merci, Mme la
députée de l'Acadie.
M. l'adjoint parlementaire.
M. Dean: M. le Président, avec le consentement de
l'Opposition, j'aimerais dire quelques mots.
Le Président (M. Rochefort): Consentement, allez-y.
M. Dean: M. le Président, avant d'être homme ou
femme, avant d'être libéral ou péquiste ou de l'Opposition
au gouvernement, patron ou employé, nous sommes tous des êtres
humains. Nous partageons d'emblée un souci profond pour les êtres
humains malades, vieux, âgés, handicapés, fragiles d'une
façon ou d'une autre. Nous partageons d'emblée ce souci de
l'être humain. Nous partageons aussi le principe que les services
essentiels dont les êtres humains ont besoin doivent primer sur
l'exercice du droit de grève, même à la défense des
revendications les plus légitimes. Nous sommes d'accord, la commission
parlementaire l'a établi, en 1979, cela allait beaucoup mieux. Mais nous
sommes d'accord aussi que cette commission a mis en lumière des cas
inadmissibles d'abus. Même si c'était une minorité des cas,
chacun de ces cas était inadmissible. Le but de notre loi sera
d'éliminer - et je souligne éliminer - ces cas inadmissibles et
assurer de placer la situation dans sa perspective humaine.
Maintenant, encore peut-être pour taquiner, je vois un peu plus
clair dans la stratégie de nos amis de l'Opposition de soulever ce
débat. Ils savent que la loi doit accoucher, même que le
bébé va venir au monde dans quelques jours. Ils vont nous aider
à faire cet accouchement, même ils vont nous applaudir parce
qu'ils sont d'accord sur les principes et sur les solutions visés. Je ne
suis pas sûr qu'ils nous applaudiront dans deux semaines, sauf que c'est
de bonne guerre aussi, sur le plan politique. Ils vont dire: C'est grâce
à nous, ce vendredi matin, 7 mai, que la loi est présentée
et c'est grâce à nous si la loi a du bon sens. Je souligne que le
bon sens n'est pas le monopole du parti de l'Opposition. Nous aussi, nous
sommes, je pense, intelligents et surtout humains; nous partageons cela
d'emblée avec le parti de l'Opposition. Peut-être que je dois le
souligner parce qu'on veut que le ministre réponde à une question
sur le patinage, mais le patinage se fait en hiver. J'ai été
appelé, pendant un petit bout de l'hiver, à patiner à sa
place pour des raisons humaines primordiales.
Une voix: Vous étiez meilleur.
M. Dean: Vous ne me le diriez pas si c'était le contraire,
mais en tout cas. Je suis personnellement impliqué dans
l'élaboration de ce projet de loi et je peux mettre toute mon
intégrité en jeu pour dire à la population, comme à
nos amis d'en face, qu'on a travaillé sur ce projet de loi, mais c'est
très compliqué. Justement, pour satisfaire à certains
principes que nous partageons avec le parti de l'Opposition et les arrimer
à ce projet de loi, c'est très compliqué. Il y a des
solutions, des hypothèses; il faut travailler, il faut refaire certains
bouts et cela prend du temps, surtout si on veut bien faire le travail. Sur le
plan mécanique, ce n'est aucunement par intention, sûrement pas
par paresse que ce projet de loi n'est pas prêt. Je vous assure que cela
va venir. On sait que les amis d'en face n'agissent pas toujours à
l'unanimité depuis quelque temps, mais je suis sûr qu'au moins les
représentants du parti de l'Opposition qui sont ici présents vont
applaudir avec nous ce nouveau projet de loi quand il viendra au monde. Merci,
M. le Président.
Le Président (M. Rochefort): Merci, M.
l'adjoint parlementaire. Avant de mettre un terme à nos travaux,
j'accorderai 10 minutes au député de Jean-Talon pour conclure au
nom de sa formation et, finalement, 10 minutes au ministre pour conclure au nom
du gouvernement. M. le député de Jean-Talon.
Conclusions M. Jean-Claude Rivest
M. Rivest: M. le Président, je voudrais remercier mon
collègue de Sainte-Anne et ma collègue de L'Acadie, ainsi que le
ministre et l'adjoint parlementaire d'avoir participé à ce
débat. Je pense qu'on peut tout de suite dire, très amicalement,
à l'adjoint parlementaire que, si jamais - je le souhaite et je suis
sûr que la population le souhaite aussi - le gouvernement, finalement,
arrivait avec un projet de loi qui correspondrait aux objectifs que nous avons
essayé, je pense, le plus sobrement possible, mais avec beaucoup de
conviction, d'exposer au cours de ce débat, je suis prêt à
convenir que nous ne dirons pas que c'est à cause de nous que le
gouvernement est arrivé à une solution aussi équitable. Je
vous redonne, dès maintenant, tout le mérite que vous aurez
gagné de vos labeurs. La chose ne m'intéresse pas. Je l'ai dit:
Le Parti libéral ou le Parti québécois, dans la tenue de
ce débat ce matin, pour moi, ce sont des choses qui n'existent pas. J'ai
placé le sujet au niveau d'un problème de société,
d'un problème de maturation de la société
québécoise. Cela fait 15 ans que l'on vit ce problème. Je
pense que mes collègues et moi serons de petits atomes dans l'ensemble
de la population du Québec pour applaudir à quelque mesure que le
gouvernement se décidera enfin à prendre pour régler un
problème aussi fondamental de notre société; cela, j'en
conviens immédiatement.
Voici l'objectif de ce débat parlementaire. C'est peut-être
un des rôles les plus nobles de l'Opposition d'utiliser les institutions
parlementaires, que ce soit l'Assemblée nationale ou les
règlements, pour exercer, pour contrôler les gestes de
l'administration, et Dieu sait qu'actuellement il y a matière à
contrôle dans une foule de domaines avec le gouvernement actuel, mais
aussi pour exercer une pression sur le gouvernement pour l'inciter à
prendre ses responsabilités à l'égard d'une situation
particulière. C'est l'essence de ce débat.
Le petit discours de celui que mon collègue a qualifié de
petit professeur Marois s'adressant à ses petits élèves
libéraux nous a plus ou moins reproché d'avoir quelque peu
bousculé l'horaire au début des travaux, ce n'est pas ce qu'on a
essayé de faire. On a essayé de prendre et de valoriser
l'institution de l'Assemblée nationale pour dire: II y a un
problème dans la société. C'est notre rôle, dans
l'Opposition, de dire au gouvernement: II me semble que vous avez
retardé, vous n'avez pas pris vos responsabilités; en tout cas,
vous avez certainement mis bien du temps à les prendre, et vous nous
promettez que dans quelques jours et dans quelques semaines vous allez les
prendre.
Ce qui m'étonne un peu et peut-être qui me
déçoit... je comprends les contraintes gouvernementales, c'est en
discussion, il y a des gens qui pensent comme ceci, il y a des gens qui pensent
comme cela, il y a des modalités techniques comme l'adjoint
parlementaire le disait; tout cela on comprend cela, mais ça n'excuse
pas les délais, je pense que nous l'avons établi, la
députée de L'Acadie, le député de Sainte-Anne et
moi-même, le gouvernement s'est traîné les pieds
là-dedans, c'est évident.
Il y a une demande très forte de l'opinion publique. Ce qui me
déçoit un peu du débat, c'est qu'on n'a pas eu beaucoup
d'indications; le député parlait de votre
sévérité lorsqu'il s'agit des méchantes personnes
qui sont à Ottawa, lorsqu'il s'agit de leur légiférer des
choses, c'est une chose qui vous caractérise, mais par ailleurs
lorsqu'il s'agit aussi d'autres questions qui sont des problèmes
importants, le gouvernement donne, laisse entrevoir ses couleurs. Ma
collègue a parlé du ministre de l'Éducation qui dans le
domaine de la restructuration scolaire laissait aller quelques fuites, histoire
de voir la longueur qu'elles auraient ou la durée de leur
survivance.
Il y en a un en ce moment, vous le savez, dans le domaine des
négociations dans les secteurs public et parapublic avec les
difficultés budgétaires absolument invraisemblables dans
lesquelles vous nous avez menés; vous savez, on a dit des
hypothèses, il y a des documents qui sont écrits par le
président du Conseil du trésor sur les coupures, le programme,
sur le gel des effectifs, sur les 17 000 qui devraient être partis dans
le secteur public, et cela ça devient dans le langage du gouvernement
actuel, non pas des fuites, non pas des hypothèses de travail, mais des
illustrations. C'est du nouveau vocabulaire, ils sont assez habiles ces
gens-là pour nous fournir du vocabulaire.
Alors, nous aurions aimé, ce matin, que vous nous donniez
quelques illutrations de ce que vous entendez faire pour régler le
problème des services essentiels, et nous-mêmes, pas pour nous,
mais pour l'opinion publique, je pense que malheureusement on est un peu
à court d'illustrations ce matin sur ce plan. Est-ce que la liste
syndicale, par exemple, va demeurer? Est-ce que vous allez vous engager d'une
façon ou de l'autre à refaire le Conseil sur le maintien des
services essentiels? Est-ce que vous allez le faire d'une façon
impérative ou en recherchant les consensus? Est-ce que vous allez aussi
élargir
le Conseil sur le maintien des services essentiels à d'autres
domaines du secteur public? On sait les difficultés
qu'Hydro-Québec le transport en commun causent à la population;
enfin, d'autres aussi. Au terme de ce débat, à moins que le
ministre, en fin de course de ce court débat, s'amende dans ce sens et
nous donne quelque indication, s'il ne peut pas le faire, mais comme on a
attendu depuis deux ans, on peut attendre encore deux mois, un mois ou quelques
semaines. Je ne sais pas quels seront vos délais, mais ce que je veux
dire en terminant, M. le Président, c'est que je suis convaincu qu'il
fallait faire ce débat. De toute façon, on l'avait fait en 1979.
Sur la même question, ma collègue, la députée de
L'Acadie, avait dit que c'était une chose importante. C'est cela au fond
finalement. C'est bien beau les déclarations du ministre ou du premier
ministre qu'on a citées de ce côté et que nos
collègues de l'autre côté ont également
citées, mais il y a une commission qui a été
créée en 1977, qui a remis un rapport en 1978 - la commission
Martin-Bouchard - sur cette question. Elle tirait, à propos de
l'exercice du droit de grève et de la détermination des services
essentiels, une conclusion qui m'a toujours paru assez évidente,
malgré la complexité de la question. Analysant le pour et le
contre, la difficulté de déterminer les services essentiels,
comment il fallait procéder et tout cela - c'est un peu le sens du
débat qu'on a voulu faire - elle disait à la page 123: "Seul un
choix véritablement politique peut résorber la difficulté
que la société québécoise rencontre", et un choix
politique dans le sens le plus noble du terme, c'est-à-dire une
volonté politique que nous, de l'Opposition, nous ne pouvons avoir -
nous n'avons pas la responsabilité du gouvernement - et que les quelque
50 intervenants qui sont venus à la commission parlementaire ne peuvent
avoir, malgré la valeur vraiment très grande de leurs
témoignages. Malgré toutes les autres occupations du ministre du
Travail - on en conviendra volontiers - lui seul et le gouvernement peuvent
avoir cette volonté politique. Ce sont eux qui ont la
responsabilité d'exprimer cette volonté politique de
régler ce problème, en tout cas d'aller dans la direction d'un
règlement définitif du problème du droit de grève
dans les secteurs public et parapublic. C'est leur responsabilité et
leur responsabilité est à l'égard de toutes les
clientèles.
(12 heures)
Comme ma collègue de L'Acadie et mon collègue de
Sainte-Anne l'ont rappelé et comme le Parti libéral l'a
souligné - parce que l'essentiel de notre position touche à cela
- on demande au moins au gouvernement qu'il fasse le minimum. Le minimum, c'est
pour les gens les plus vulnérables de notre société. Notre
position, on peut la regarder sur le plan technique, on en convient, mais il y
a au moins une démarche dans ce sens. Notre débat, ce matin,
c'est cela, ce n'est pas autre chose que cela, un appel simple, je pense,
loyal, franc et direct au gouvernement. On dit: Vous avez une
responsabilité que vous avez tardé à assumer, on vous
demande de l'assumer dans l'intérêt général de la
société. Que ce soit le Parti libéral ou le Parti
québécois qui l'ait dit le premier, je m'en fous
complètement, mais l'immense majorité de nos concitoyens, ainsi
que les travailleurs en cause dans le secteur, ce qui les intéresse,
c'est que le problème du droit de grève dans les secteurs public
et parapublic, on le regarde en face et qu'on prenne les décisions qui
s'imposent pour essayer de faire avancer, dans le sens de la primauté
des drois humains, la société québécoise. C'est un
objectif qu'on partage, tout le monde le partage, mais un chose qu'on ne peut
pas partager, c'est la responsabilité de ceux qui sont au gouvernement
et qui ont la responsabilité de décider.
Vous avez à décider, on vous l'a rappelé par notre
débat. Notre demande est bien simple, c'est maintenant le temps d'agir
pour vous.
Le Président (M. Rochefort): Merci M. le
député de Jean-Talon.
M. le ministre, en guise de conclusion.
M. Pierre Marais
M. Marois: On pourra retenir du débat de ce matin -
d'ailleurs, je l'avais signalé parce que cela ne se voit pas tous les
jours. Quand je le pense, je tiens à le dire - ce n'est pas tous les
jours que des hommes et les femmes politiques réussissent à
s'élever au-dessus d'une certaine petite partisanerie politique - ce
matin, la preuve a été faite que, dans certains cas, c'est
possible - pour aborder des questions fondamentales, qui touchent au niveau des
choses les plus essentielles: les citoyens et les citoyennes du Québec.
Je pense que, même si je maintiens mes remarques préliminaires et
de départ, cela s'est à nouveau traduit dans la
réalité. Dans ce sens, c'est toujours agréable, comme le
signalait mon collègue le député de Prévost, de
pouvoir aborder un certain nombre de problèmes avec les
collègues, ici présents en Chambre ce matin, se faisant les
porte-parole de l'Opposition, avec, en plus, toujours la couleur et l'humour
qu'y ajoute le député de Sainte-Anne.
Seulement, professeur pour professeur, le
député-professeur de Sainte-Anne a relevé mes propos
concernant la CTCUM. Je ne m'amusais pas. J'ai dit simplement et franchement ce
que je pensais. Je pense ce que j'ai dit: j'aurais préféré
être à Montréal, non pas pour régler tout - on n'est
pas le
département des miracles par définition -mais pour essayer
de donner un coup de main pour faire avancer les choses. Il y a des moments
où il peut être utile qu'interviennent un adjoint parlementaire et
un ministre. On l'a vu dans le cas du conflit de la construction. Il ne faut
pas abuser de ce genre d'intervention mais il y a des moments où il faut
le faire. Cela touche le monde aussi. Le transport en commun à
Montréal, je pense que l'Opposition en convient parfaitement bien, il y
a des moments où c'est extrêmement important. Mais il va de soi
que je donne aussi ma parole que ce n'est certainement pas moi, si tant est
qu'il y a des problèmes, que tout le monde veut éviter, je pense
bien, de bonne foi, des problèmes qui se posent à nouveau
concernant le transport en commun, ce n'est certainement pas moi qui me
lèverai en Chambre pour dire: C'est la faute de l'Opposition qui nous a
retenus à l'Assemblée nationale vendredi matin. J'ai simplement
dit, comme c'est mon droit le plus légitime - ce n'est peut-être
pas la façon habituelle de faire de la politique, chacun la fait et la
pratique de la façon qu'il la conçoit profondément - j'ai
simplement dit ce que je pensais.
Le député de Sainte-Anne a relevé les plus
récents sondages. J'avais, d'ailleurs, rappelé les sondages, je
pense qu'il en conviendra, au début des travaux de notre commission
parlementaire.
Les sondages sont là. Ces sondages nous indiquent, je crois,
profondément, non seulement les préoccupations, mais les demandes
fondamentales des citoyens, les traduisant à leur façon. J'ai eu,
pour des raisons qui me sont très personnelles, dans les plus
récentes semaines, à fréquenter de façon
régulière, jour après jour, nuit après nuit, un
hôpital général de Montréal pour visiter une
patiente qui était en phase terminale. Ce ne sont pas des
périodes faciles, quelqu'un de l'Opposition l'a évoqué
d'une façon fondée, surtout quand ça nous touche de
façon très proche. On ne peut pas être insensible à
des choses aussi fondamentales que les revendications humaines les plus
essentielles, si ces mots ont encore un sens.
J'ai eu l'occasion, à nouveau, de parler avec des membres du
personnel et aussi avec des patients. Au fond, qu'est-ce qu'il y a
derrière les sondages? Qu'est-ce que les Québécois et les
Québécoises nous disent par les sondages quand ils disent:
Abolissez cela? Pour moi, le message, dans le fond, est bien simple. À
toutes fins utiles, on nous dit: Est-ce qu'on pourrait avoir la paix? Est-ce
qu'on pourrait avoir nos services? C'est ça que les gens nous disent,
c'est ça que les gens demandent.
Je pense que là-dessus, de part et d'autre de cette Chambre, on
s'entend sur cet objectif essentiel. Il s'agit de voir comment on y arrive,
comment on peut y arriver. Le député professeur de Sainte-Anne
dit: Que le ministre arrête de patiner et qu'il aboutisse, son projet est
toujours en préparation. Le projet n'est plus en préparation, il
est rendu au Conseil des ministres. Le projet, je le rappelle, est
présentement au comité de législation. Je ne suis pas le
gouvernement, mais je peux vous garantir une chose, c'est que je ferai tout ce
qui est humainement possible parce que, en conscience, je suis convaincu, comme
mon collègue, que ce ne sont pas seulement des
réaménagements du statu quo, ce sont des changements fondamentaux
qu'il faut faire pour faire en sorte que ce qui s'appelle, si tant est, ce que
le député appelait un dilemme... Il n'y a plus de dilemme,
à mon avis, à partir du moment où on replace les valeurs
dans leur ordre véritable, le droit des citoyens, d'abord, au premier
chef, d'avoir ces services essentiels. Dans une deuxième temps, le droit
des parties de négocier est là.
Si tant est, dans ce contexte, que le droit de grève sent le
besoin de s'exercer, dans certains cas, cela ne pourra pas être autre
chose que symbolique. En d'autres termes, très concrètement, il y
a là le sens normal dans le cadre d'une maturation de
responsabilités des parties, syndicales et patronales. Mais ce sens des
responsabilités ne pourra plus être autre chose qu'une
responsabilité ultimement surveillée pour faire en sorte qu'avant
que les dégâts se produisent le gouvernement puisse, par un
certain nombre de mécanismes, ultimement intervenir, avant même
que le droit de grève, le cas échéant, soit acquis, dans
les cas où cela se présente de cette façon. Il y a des
témoignages, encore une fois, qu'on a entendus en commission
parlementaire où c'était très clair. Des syndiqués
nous ont dit que, dans certains types d'unités et de départements
- je me souviens très bien d'un témoignage en particulier
où on parlait de certaines unités de façon très
précise - à toutes fins utiles, pour donner les services aux
gens, cela signifiait quelque chose qui est collé ou pas loin de 100%.
Donc, le sens des responsabilités est là, mais cela ne pourra pas
être autre chose qu'un sens des responsabilités extrêmement
surveillé.
Dans ce sens-là, je voudrais aussi rappeler, parce que je le
partage profondément, ce que le député de Jean-Talon avait
dit pendant les travaux de notre commission parlementaire. Je le cite
textuellement: "Bien sûr, ni le gouvernement, ni même
l'Assemblée nationale ne peuvent légiférer sur les
attitudes et les comportements des parties à ces négociations."
C'est vrai, il a raison. Mais, comme c'est vrai, il faut absolument s'assurer
que, même dans le cadre d'une loi,
lorsque des mentalités - en faisant en sorte que ce soit à
la marge, donc, que l'essentiel ait été sauvé avant
même que soit acquis le droit de grève - s'expriment d'une
façon telle que c'est complètement à l'opposé du
principe fondamental de la primauté du droit des citoyens, on dispose
des mécanismes pour faire en sorte que les choses rentrent dans l'ordre
et rapidement. Il va falloir aussi s'assurer qu'une fois pour toutes les
citoyens et les citoyennes - on l'a largement et longuement discuté en
commission parlementaire - disposent vraiment, pleinement de toute
l'information.
On pourra me reprocher ad nauseam, le député de Jean-Talon
l'a fait à nouveau dans son mot de conclusion, de ne pas dévoiler
dans le détail et même dans les grandes lignes certains
éléments des formules que mon collègue l'adjoint
parlementaire et moi proposons au Conseil des ministres. Mais je sais que le
député de Jean-Talon a beaucoup d'expérience et il a
lui-même vécu près d'un premier ministre.
Vous ne pouvez pas en quelque sorte, aller vous installer dans deux nids
en même temps. Vous ne pouvez pas faire des reproches aux uns quand il y
a des fuites, calculées ou pas, et aux autres quand il n'y a pas de
fuite. Je pense profondément que, quand un projet de loi est en
discussion devant le Conseil des ministres - en tout cas c'est ma façon
de voir les choses - c'est là que cela se discute. J'ai formulé
des recommandations très précises, très claires avec des
mécanismes pour faire l'impossible pour atteindre cet objectif que ceux
et celles qui y ont droit puissent obtenir que se concrétise dans la vie
de tous les jours, en période de préconflit ou en période
de conflit, la primauté des services essentiels. C'est-à-dire, je
pèse mes mots, non seulement la garantie des services essentiels, mais
la garantie et le maintien des services auxquels les citoyens sont en droit de
s'attendre.
On aura à nouveau l'occasion, dans un forum plus élargi,
incessamment, d'en discuter à nouveau dans le cadre du projet de loi qui
sera déposé dans les meilleurs délais.
Le Président (M. Rochefort): Merci, M. le ministre. Notre
mandat étant maintenant rempli, j'ajourne les travaux de notre
commission sine die.
(Fin de la séance à 12 h 13)