(Dix heures vingt-sept minutes)
La
Présidente (Mme Hivon) : À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, ayant constaté le quorum, je déclare la
séance de la Commission de la santé et des services sociaux ouverte. Je demande
à toutes les personnes dans la salle, comme à l'habitude, de bien vouloir
éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.
Alors, la commission
est réunie aujourd'hui afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 81,
Loi visant à réduire le coût de certains médicaments couverts par le régime
général d'assurance médicaments en permettant le recours à une procédure
d'appel d'offres.
Alors, M. le secrétaire, y a-t-il des
remplacements?
Le Secrétaire : Non, il n'y a
aucun remplacement.
Auditions
(suite)
La Présidente (Mme Hivon) :
Très bien. Alors, ce matin, nous recevons deux groupes : tout d'abord, le Vérificateur général du Québec, en la personne de
la Vérificatrice générale du Québec, ainsi que Me Mélanie Bourassa
Forcier, professeure à l'Université de Sherbrooke.
Donc, sans
plus tarder, je cède la parole aux représentants et représentantes du
Vérificateur général du Québec, en vous demandant d'entrée de jeu de
bien vouloir vous identifier pour les fins d'enregistrement. Vous disposez
d'une période de 10 minutes, qui va être suivie d'une période d'échange
avec l'ensemble des partis.
Vérificateur général
Mme Leclerc
(Guylaine) : Alors, mon nom est Guylaine Leclerc. Alors, Mme la
Présidente, M. le ministre de la Santé et des Services sociaux, Mmes et
MM. les membres de cette commission, tout d'abord permettez-moi de vous présenter les personnes qui m'accompagnent :
Marcel Couture, vérificateur général adjoint; Véronique Boily,
directrice principale de vérification; et Carole Bédard, directrice de
vérification.
C'est avec
intérêt que je participe à cette séance de la Commission de la santé et des
services sociaux portant sur le projet
de loi n° 81. Le sujet mérite qu'on s'y attarde, compte tenu des montants
en cause et de la recherche du meilleur prix possible. Par contre, il y
a des risques importants à gérer. Le projet de loi n° 81 n'est pas
accompagné d'un règlement détaillant les
mécanismes d'application et la logistique nécessaires pour sa concrétisation.
Il est donc difficile d'évaluer le processus prévu dans son ensemble.
Les observations dont je vous ferai part
aujourd'hui découlent de deux vérifications de l'optimisation des ressources. En novembre dernier, je déposais un
rapport sur les contrats en technologies de l'information. Cette
vérification a été orientée vers les
principaux risques liés à l'intégrité du processus d'acquisition et les
pratiques qui font en sorte que les ministères et les organismes sont
vulnérables à l'apparition de comportements répréhensibles comme la collusion,
la corruption et les conflits d'intérêts, surtout lorsque les sommes en cause
sont considérables.
• (10 h 30) •
Les enjeux
soulevés peuvent s'appliquer à d'autres
types de contrats. Les lacunes relevées dans la composition et le
fonctionnement du comité de sélection pouvaient ne pas toujours entraîner une évaluation
équitable et impartiale des soumissions reçues. De plus, des modalités du
contrat n'étaient pas respectées. La moitié des contrats vérifiés ne contenaient pas de clause de pénalité, et,
lorsqu'il y en avait une, elle était rarement appliquée. Également,
en raison de l'envergure des contrats, la concurrence était limitée et
par conséquent le nombre de fournisseurs, restreints.
En résumé, je
considère que, pour assurer l'intégrité dans les organisations, il est nécessaire
d'obtenir, de la part des différents
acteurs participant au processus contractuel, une meilleure sensibilisation aux
principes visés par la loi et une plus grande responsabilisation à
l'égard de leur rôle.
En 2013‑2014, nous avons effectué une
vérification consacrée à la gestion des médicaments et aux services pharmaceutiques dans les centres hospitaliers. La
vérification a porté notamment sur l'approvisionnement en médicaments. Elle a été réalisée auprès du ministère de la
Santé et des Services sociaux et de cinq établissements. Les observations
faites dans le cadre de cette vérification
concernent les appels d'offres menés auprès de fabricants pour l'acquisition de
médicaments des pharmacies des
établissements de santé. Nos travaux n'ont pas touché les appels d'offres
auprès des grossistes ni ceux reliés à l'approvisionnement des
pharmaciens propriétaires.
Lors de notre
vérification, nous avons examiné l'approvisionnement effectué par deux des
trois groupes d'approvisionnement
desservant les établissements vérifiés. Dans le contexte du projet de loi
n° 81 et de l'éventualité d'un
approvisionnement de la part de ces groupes, il m'apparaît judicieux de
soumettre mes observations à votre attention.
En
tout premier lieu, les groupes d'approvisionnement coordonnaient peu leurs actions.
Ils ne bénéficiaient pas tous du même pouvoir d'achat et ne le mettaient
pas tous en commun. Ainsi, pour l'acquisition de médicaments, nous avons scruté l'ensemble de leurs contrats pour une
année précise. Dans certains cas, même si le fabricant retenu est le même pour les deux groupes, le prix obtenu diffère
de façon si marquante que les questions se posaient et des analyses
auraient dû être réalisées.
Au
31 mars 2014, il existait des disparités importantes quant au prix
payé pour 844 médicaments ayant le même fabricant, dont des écarts de plus de 10 % pour près du tiers
d'entre eux et allant jusqu'à 892 %. Bien que les différentes dates d'appels d'offres puissent justifier une
partie des écarts en raison d'un changement du côté de la concurrence,
aucune analyse n'avait été entreprise pour en déterminer les causes. De plus,
la variation quant au volume demandé n'était pas proportionnelle aux écarts.
Il est à
souligner que le ministère ne fait pas de suivi au sujet des prix des
médicaments payés par les établissements à la suite des contrats conclus
par les groupes d'approvisionnement. La loi ne confère au ministère de la Santé
et des Services sociaux qu'un droit de regard limité sur ces groupes et leur
stratégie d'approvisionnement.
Par ailleurs,
nous avons observé qu'un groupe a conclu un contrat et obtenu un prix pour
certains médicaments, alors que
l'autre n'a pu le faire. Effectivement, pour un même médicament, un fabricant
répond parfois à l'appel d'offres lancé
par un groupe d'approvisionnement, mais ne le fera pas pour l'autre groupe.
Lorsqu'un groupe ne peut négocier une entente
avec un fabricant parce que celui-ci refuse de soumissionner, les
établissements paient alors le prix courant que le fabricant fixe sur le
marché ou le prix inscrit sur la liste du régime public d'assurance
médicaments.
De plus, aucune garantie de prix n'est établie
pour les prochaines années. Selon l'information obtenue, les raisons invoquées par les fabricants pour ne pas
soumissionner ont trait, entre autres, à la garantie d'un prix fixe
exigé par les groupes pour une période de trois ans, aux pénalités en cas de
rupture d'approvisionnement, au resserrement des normes de fabrication par les
autorités gouvernementales et aux intérêts économiques.
Autre constat, pour un même groupe
d'approvisionnement, le prix d'un produit peut augmenter de façon importante d'un contrat à l'autre. Par exemple,
sur une période de deux ans, le prix d'un médicament s'est accru de
429 % lors du dernier renouvellement de contrat du groupe d'approvisionnement,
passant de 6,66 $ à 35,20 $.
Outre la
question du prix, il y a celle des ruptures d'approvisionnement. L'attribution
de contrats à deux fournisseurs est
l'un des moyens disponibles pour minimiser les effets de ces ruptures. Il
s'agit alors de fractionner le volume prévu dans un appel d'offres entre
deux fournisseurs afin d'éviter des situations de monopole à l'égard de
l'approvisionnement en médicaments.
Cependant,
pour qu'une entité procède de cette façon, la Loi sur les contrats des
organismes publics exige qu'elle obtienne préalablement une dérogation
du Conseil du trésor. Également, les groupes d'approvisionnement peuvent imposer des clauses contractuelles aux
distributeurs et aux fabricants afin d'améliorer la continuité de l'approvisionnement.
À cet effet, les deux groupes obligeaient le
fabricant en rupture de stock à payer la différence de prix entre le produit
négocié et celui pouvant servir de substitut lorsqu'il existe un produit
équivalent.
En conclusion, le recours aux appels d'offres
constitue une stratégie pertinente afin de maximiser le pouvoir d'achat et d'obtenir de meilleurs prix, mais des
mécanismes doivent être mis en place pour réduire les risques liés entre
autres aux ruptures, particulièrement dans les cas de médicaments critiques.
Le fait de
réserver l'exclusivité à un fabricant et d'exclure les autres peut certes
permettre une négociation du prix compte tenu du volume d'achat, mais la
sollicitation doit favoriser le libre jeu de la concurrence.
Enfin, un
suivi doit être effectué sur les prix obtenus, tel que nous les recommandions
en juin 2014 au ministère dans notre rapport sur les médicaments et
les services pharmaceutiques. Merci.
La
Présidente (Mme Hivon) : Merci beaucoup. Alors, on va
passer à la période des échanges pour une durée de
20 min 45 s. La parole est au groupe ministériel. Alors, M. le
ministre.
M. Barrette : Merci, Mme la
Présidente. Alors, Mme Leclerc, Mme la vérificatrice, bienvenue.
M. Couture, Mme Boily et Mme Bédard, bienvenue également. Alors,
vous allez m'excuser de mon retard, d'entrée de jeu.
J'ai bien
entendu, évidemment, puis je suis bien content, d'ailleurs, que vous soyez ici
pour nous parler de ce que vous avez vu de l'angle de la vérification
d'appels d'offres que vous avez constatés dans le passé ou que vous avez
analysés dans le passé. Je pense que vous identifiez... En tout cas, moi, je
suis d'accord avec ce que vous identifiez comme risque.
Ceci dit, à
la fin de votre présentation — puis je vais revenir sur votre avant-dernier
paragraphe — vous
dites, là, puis je vais le citer, là : «Le fait de réserver l'exclusivité
à un fabricant et d'exclure les autres peut certes permettre une négociation du
prix compte tenu du volume d'achat — on se comprend
là-dessus — mais
la sollicitation doit favoriser le libre jeu de la concurrence.»
Pouvez-vous rentrer un petit peu plus dans le
détail? Parce que ces deux phrases-là, mises bout à bout, sont comme en collision, je dirais, là. Parce
qu'évidemment on comprend tous que l'exclusivité va, évidemment,
permettre potentiellement, peut-être pas toujours mais potentiellement, d'avoir
un meilleur prix. Mais en même temps vous contrebalancez cette phrase-là, il me
semble, puis c'est peut-être moi qui comprends mal... vous voulez continuer
avec la sollicitation. Alors, vous voulez dire quoi, là, exactement là-dedans?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Ce que je veux dire, c'est que l'exclusivité... Comme
vous l'avez dit, effectivement, lorsqu'on
concède l'exclusivité à un fabricant, bien, on peut s'attendre à négocier un
meilleur prix. D'autre part, si le jeu de
la concurrence ne s'effectue pas adéquatement, bien, il y a un risque, il y a
un risque. Il y a des risques de collusion, par exemple. Donc, je laisse à un fabricant :
Bon, prends cette partie-là, mais, pour un autre fabricant, bien, je vais
prendre l'autre partie. Alors, c'est ce que
nous disons. On doit s'assurer que le libre jeu de la concurrence s'exerce,
bien qu'on tende vers l'exclusivité.
M. Barrette :
Moi, ce sur quoi j'ai accroché, quand vous nous demandez ou vous nous
recommandez de nous adresser ou
d'inclure une forme de sollicitation, vous voulez dire quoi, là, exactement?
C'est vraiment que je ne comprends pas, là, là où vous allez, là.
Mme Leclerc
(Guylaine) : Oui, oui. Sollicitation, c'est s'assurer qu'on ouvre
notre offre a l'ensemble ou à un groupe suffisamment important afin
qu'on ait suffisamment de concurrents qui soient mis en concurrence.
M. Barrette :
Et, comme vous l'avez dit... Je pensais bien que ça allait être ça, là.
Maintenant, quand on revient dans ce
que vous avez constaté, dans votre présentation, vous avez vous-même constaté
que des compagnies choisissaient de
ne pas soumissionner et qui, manifestement, par définition, avaient été au
moins sollicitées par l'appel d'offres. Quelle est l'option que vous
nous suggérez, à ce moment-là?
• (10 h 40) •
Mme Leclerc
(Guylaine) : Bien, il faut être conscients du risque, dans un premier
temps, s'assurer qu'on ouvre notre offre à suffisamment d'intervenants. Dans
votre analyse d'impact réglementaire, vous parlez de peut-être avoir deux ou trois fabricants. Je trouve que
c'est une belle approche, parce que, premièrement, ça peut limiter la
collusion, je vous dirais, dans un premier temps, mais aussi ça peut rassurer
au niveau de l'impact des ruptures.
Et,
je vous dirais, ce qu'on reproche le plus dans notre rapport sur les
médicaments, c'est le suivi qui est fait. Il y a des éléments qui sont aussi évidents de dire... Bien, on a vérifié deux
groupes. Il y avait trois groupes d'approvisionnement, on en a vérifié deux. Et, dans les deux groupes,
ils ne se comparaient pas, les deux, au niveau du prix. Alors, un
pouvait payer plus cher que l'autre. Alors, c'est des éléments élémentaires
qu'on doit tenir compte, donc, effectuer le suivi, s'assurer que le ministère a suffisamment de pouvoirs aussi pour
effectuer les suivis, qu'avec les pouvoirs qu'il a il a les ressources
pour faire ces suivis-là et, finalement, qu'il les fasse.
M. Barrette :
O.K. Donc, vous avez constaté que nous, comme État, ne faisions pas un bon
suivi.
Mme Leclerc
(Guylaine) : Dans ce qui est dans notre mandat, au niveau des
médicaments, oui, dans les établissements.
M. Barrette :
O.K. Êtes-vous d'accord, puis là c'est une question théorique, là, êtes-vous
quand même d'accord... Bien, ce n'est
pas une question d'être d'accord ou pas d'accord. Avez-vous observé que la
double adjudication ou le fait d'avoir plus qu'un finaliste ou un
gagnant, si vous me le permettez, a quand même un effet contraire, en termes de
potentiel d'économies? Un, l'exclusivité va
aller potentiellement chercher l'économie maximale, mais la double ou la
triple adjudication va diminuer cet effet-là, on s'entend, j'imagine,
là-dessus, là.
Mme Leclerc
(Guylaine) : Bien, tout vient dans l'application par la suite, O.K.? À
partir du moment où on dit : Bien, si
on va y aller avec deux ou trois fournisseurs, après ça il y a différents
modèles qui peuvent exister sur comment on les met, eux, à l'intérieur
d'une compétition, là.
Alors,
il y a différents modèles qui existent puis je pense qu'on n'est pas rendus là
dans le projet, là, mais c'est à évaluer.
Comment on peut s'assurer, pour pallier à la rupture de stock, de faire en
sorte qu'on s'assure d'avoir suffisamment de fournisseurs qui vont pallier à ça? Et il y a toujours, comme je vous
le disais, le risque d'ententes entre... Parce que c'est quand même des sommes extrêmement importantes.
Alors, il faut pallier le risque d'ententes. Il n'y a pas de systèmes
qui sont parfaits, et puis je vous dirais
que c'est par la vérification et par les suivis qui vont être faits par le
ministère qu'on va peut-être réussir à pallier à ces lacunes-là.
M. Barrette :
Je vais vous avouer que je suis bien d'accord avec tout ce que vous dites, en
termes de risque, là. Je pense que vous avez
parfaitement raison. Mais vous m'ouvrez la porte sur la question, là, ou la
présence de plusieurs modèles. Est-ce
que je dois conclure que vous avez regardé plusieurs modèles, peut-être dans
d'autres secteurs d'activité, là? Et,
si c'est le cas, est-ce que vous avez des recommandations à nous faire sur ce
plan-là du modèle? Je suis d'accord avec
vous que le projet de loi tel qu'il est écrit ne rentre pas dans le modèle
réglementaire... c'est-à-dire il ne rentre pas dans le règlement et ne propose donc pas un modèle
définitif, parce que c'est mon opinion qu'il n'y a aura probablement pas
de modèle absolu et définitif. Alors, y a-t-il d'autres modèles auxquels vous
pourriez nous référer ou que vous pouvez comparer?
Puis
la raison pour laquelle je vous pose la question, c'est que les gens... Je ne
sais pas si vous avez suivi un peu les travaux
de la commission, si vous avez eu le temps, parce que vous êtes très occupée,
là, mais les gens qui sont venus nous voir,
beaucoup de gens, beaucoup de groupes, surtout ceux qui sont intéressés par les
appels d'offres, mentionnent, en général,
tous... ou insistent sur l'utilité d'avoir en même temps plus qu'un modèle.
Puis là je fais référence, par exemple, à deux groupes qui sont venus dans les derniers jours, qui nous
indiquaient que le fait d'avoir à la fois un appel d'offres et à la fois la méthode du barème dégressif des prix
nous permettaient d'arriver à une meilleure destination. Qu'est-ce que
vous en pensez?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Je ne peux pas répondre à ça, on n'a pas fait de travail
sur ce volet-là, et l'aspect contractuel des
médicaments, c'était tellement particulier. Puis le seul travail qu'on a fait
au niveau des médicaments, c'est dans
les établissements, qui est quand même assez différent, hein, de ce qu'on propose ici. Alors, je ne pourrais
pas vous proposer, actuellement, des modèles, mais, comme toujours, il fera plaisir au Vérificateur général de travailler avec le ministère
dans l'éventualité où vous voulez regarder différents modèles. Ça nous fera
plaisir de travailler avec vous.
M. Barrette : Merci. À la page 9 de votre présentation,
vous avez soulevé, vous avez évoqué des constats que vous avez faits,
qui m'ont beaucoup étonné. Moi, ça fait depuis 2001 que je travaille
étroitement avec les groupes d'approvisionnement
dans mon secteur d'activité, et c'est les mêmes groupes d'approvisionnement,
là, qui font les appels d'offres ou ces démarches-là dans le médicament,
c'est les mêmes gens.
Et là vous avez
évoqué, dans vos commentaires, des différences substantielles d'un groupe à
l'autre. Ça, ça m'étonne beaucoup.
Puis je vais vous dire la raison pour laquelle ça m'étonne, puis je voudrais
juste voir si c'est ça que vous avez
vu, vous. Dans les stratégies d'appel d'offres auxquelles j'ai participé dans
le passé, souvent — pas toujours, mais souvent — on a
fonctionné par vagues. Alors, on commençait par faire un appel d'offres d'un
petit groupe en volume, suivi d'un appel
d'offres similaire pour un plus gros groupe, un plus gros volume, suivi du
final, le troisième, qui était le
groupe, le plus gros groupe. Et là ça, ça faisait en sorte que le prix baissait
un petit peu au début, tout le monde se regardait, l'objectif étant de dire au marché : Regardez-vous, là,
vous savez où est-ce que vous vous en allez pour gagner; la deuxième
fois, les prix baissaient encore; puis, la troisième fois, les prix baissaient
énormément.
Est-ce
que c'est ça que vous avez vu ou vous avez vu une méthode qui n'était pas
celle-là, mais simplement, là, des
appels d'offres similaires dans le temps, non séquentiels, qui donnaient des
résultats avec des différences substantielles? Parce que c'est ça qui m'impressionne dans votre affaire. Dépendamment
de la méthode utilisée, c'est normal d'avoir une différence. Mais, si ce n'est pas cette méthode-là, il y a quelque chose
qui n'a pas marché. Puis, si c'est ça, qu'est-ce c'est que vous avez vu
qui ne marchait pas?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Votre question est très spécifique, alors je vais
demander à la directrice, Carole Bédard, qui était sur place et qui a
fait ce travail-là, de vous répondre pour avoir une meilleure qualité de
réponse.
Mme Bédard (Carole) : Écoutez, ce qu'on a fait, nous autres, c'est qu'on
a pris, pour une année... Vous comprenez que les appels d'offres ne
venaient pas en groupe, ils venaient d'une année à l'autre, donc on a pris une
année pour un groupe puis une autre année pour l'autre groupe. Et ce que les
groupes faisaient, en fait, c'est qu'ils allaient en appel d'offres, le même
fabricant soumissionnait une année, ne soumissionnait pas pour l'autre année. Puis
ce n'est pas parce qu'il ne retournait pas en appel d'offres. Il retournait une
puis deux fois, puis le fabricant ne soumissionne pas.
M. Barrette :
O.K., je comprends. O.K., donc c'est lié au comportement du fabricant. Parce
que, dans l'exemple que moi, je vous
ai donné, quand on le fait séquentiellement et que tout le monde soumissionne,
bien là on voit la baisse, alors que, là, c'est comportemental de la
part du fabricant, là, manifestement.
Mme Bédard
(Carole) : C'est ce qu'on a observé, comme je vous disais.
M. Barrette :
Et ça, bon, je ne le qualifierai pas ici, là, mais on va dire que c'est
particulier et c'est un risque, évidemment, qui est significatif.
Avez-vous un antidote à ça?
Mme Bédard
(Carole) : Un antidote?
M. Barrette :
Bien, en fait, avez-vous une suggestion d'antidote?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Bien, je vous dirais que, ce risque-là, on peut
l'identifier dans plusieurs secteurs au niveau gouvernemental à cause de
l'ampleur des contrats qui sont octroyés, et on le voit autant en technologies
de l'information qu'en... C'est un risque qui est généralisé.
Alors,
je vous dirais qu'il y a la préparation de l'appel d'offres, O.K., ça part de
là, là, O.K., donc préparer un appel d'offres
qui est adéquat, d'avoir un comité de sélection qui est adéquat, d'avoir
l'information qui est adéquate, après ça, dans les choix qu'on fait, d'effectuer les suivis, de comprendre pourquoi
certains n'ont pas appliqué par rapport à d'autres qui ont appliqué.
Mais je vous dirais qu'il n'existe pas d'antidote, comme il n'existe pas de
médicament contre l'ensemble des cancers, là.
M. Barrette :
Vous avez bien raison.
Mme Leclerc
(Guylaine) : Pardon?
M. Barrette :
J'ai dit : Vous avez bien raison.
Mme Leclerc
(Guylaine) : C'est ça. Alors, il faut être vigilants. C'est ce
pourquoi nous disons : Oui, d'aller en appel d'offres, ça ne peut qu'être une bonne pratique parce que ça ouvre
le marché, là, mais, d'autre part, on doit s'assurer qu'il y a une saine
concurrence qui s'exerce.
M. Barrette :
Vous avez fait référence, à la
page 11 aussi dans votre document... Bon, c'est facile, là, je pense que
vous avez raison... Bien, c'est sûr que vous avez raison, là, sur ce que vous
relatez, là, ce n'est pas du tout ça qui est en question, mais est-ce
que vous allez jusqu'à nous suggérer
de revoir la loi pour ce qui est de la problématique
d'avoir toujours à retourner au Trésor pour avoir telles, telles circonstances?
• (10 h 50) •
Mme Leclerc
(Guylaine) : Bien, si vous voulez vous simplifier la vie, là, ce qu'on
dit : Il faut le prévoir. Il faut prévoir
qu'à partir du moment où on souhaite avoir plus d'un fournisseur à qui on
octroie le mandat, bien, ou on modifie la loi ou on va à chaque fois au
Secrétariat du Conseil du trésor.
M. Barrette :
Dans vos analyses, là, que vous avez faites, là — c'est peut-être un petit peu plus pointu,
là, mais ça a, pour moi, un grand
intérêt, puis je ne sais pas si vous avez la réponse — la durée, entre guillemets, d'exclusivité,
là, qu'il y ait un ou deux adjudicateurs, là,
peu importe, là, la durée de validité de l'appel d'offres et la question du
fractionnement du territoire, ensemble ou séparément, sont-ils, pour vous, des
enjeux majeurs? Les impacts sont-ils positifs? À la condition de quoi, dans
votre lecture, là?
Mme Leclerc (Guylaine) : Je ne
suis pas en mesure de répondre.
M. Barrette :
O.K. Non, mais, à la lecture de ce que vous avez vu, là, est-ce que ce que vous
avez vu dans les analyses que vous avez faites... pouvait me montrer que
trop long, c'est un problème, trop court, c'est un problème, fractionner ou non
le territoire, et ainsi de suite?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Il n'y a rien de parfait. Déjà, là, il n'y a rien de
parfait, puis effectivement la durée se doit d'être examinée adéquatement parce qu'effectivement trop court...
peuvent ne pas être intéressés à y aller. D'autre part, ça permet à un autre fabricant de dire :
Bien, la prochaine fois, ce sera mon tour, et garder la production. Si c'est
trop long, bien, ça se peut qu'on décourage certains fabricants.
Alors, il y a
cet enjeu-là. Je pense que les gens au ministère sont plus qualifiés que moi
pour déterminer la période optimale, là. Et c'est la même chose pour...
géographiquement.
M. Barrette :
En terminant, peut-être, est-ce que je me trompe si je conclus qu'un appel
d'offres bien construit et bien suivi, pour vous, vu de l'angle de la
vérificatrice, c'est quelque chose qui est sain pour un gouvernement?
Mme Leclerc (Guylaine) : Je
vous dirais que, comme pour n'importe quelle acquisition ou achat au niveau du gouvernement, à partir du moment où on met en compétition
des fournisseurs, une saine compétition avec un bon suivi et une
préparation adéquate, ça ne peut qu'être favorable.
M. Barrette : Et là je vais
terminer vraiment là-dessus parce que ça, c'est peut-être plus long, la
réponse, là, vous y avez fait référence à
plusieurs reprises, et là je veux juste bien comprendre ce à quoi vous faites
référence. Quand vous parlez de
suivi, là, qu'est-ce que vous avez vu de problématique? Parce que moi, j'en ai,
des exemples de suivis qui sont mal
faits, là. J'en ai, je peux vous en donner, là. Mais, quand on parle de suivi,
pour le bénéfice de tout le monde, là, évidemment,
dans mon esprit et de ce que j'ai vu, moi, dans mon expérience, c'est qu'il y a
un appel d'offres qui est fait, il y a donc un marché qui est offert à
un fabricant, il y a un prix, et là, si on fait un suivi, bien, des fois on
constate que ce qui a été conclu n'arrive
pas et même que des fois c'est un autre joueur qui vient vendre dans le milieu
en question. C'est-u ça que vous avez vu, vous aussi?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Bien, c'est déjà... par exemple, si on regarde au niveau
des technologies de l'information,
des pénalités qui ne sont pas appliquées ou on ne prévoit pas des pénalités
dans le contrat, O.K.? Donc, première chose, il faut prévoir des
pénalités. Si on en prévoit, bien, s'assurer qu'elles sont appliquées. Alors,
c'est le genre de suivi.
Dans le cas
du rapport sur les médicaments, on avait trois groupes. Alors, ça aurait été
très facile pour un groupe d'aller
voir quel prix son voisin paie le médicament ou pour le ministère de s'assurer
qu'à l'intérieur des trois groupes, bon, bien, il y a quelque chose d'équitable ou d'identifier certains cycles.
Pourquoi c'est tel fournisseur qui soumissionne là puis il ne
soumissionne pas à l'autre, mais finalement c'est l'inverse lorsque c'est une
autre situation? Donc, ça, c'est des systèmes. Essayer d'identifier des
systèmes... mais ça, c'est de l'effort, naturellement, c'est du contrôle, mais
c'est ce qu'on demande.
M. Barrette : Vous avez tout à
fait raison. Juste pour vous égayer, dans une vie antérieure j'ai déjà constaté
des appels d'offres où il y avait eu un
soumissionnaire qui avait gagné pour un groupe d'institutions, puis
l'institution n'achetait pas du gagnant,
achetait du voisin pareil. Là, c'est dans la catégorie suivi, là... Mais ça,
c'est avant mon ère, on va dire. Mais voilà.
Bien,
écoutez, je vous remercie beaucoup. Je trouve que c'est très éclairant, on va
prendre bien note de ça. Puis j'espère
que vos vérifications ultérieures seront positives, bref, que vous n'allez voir
que des bons coups. Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Hivon) : Merci. Alors, nous allons passer
à la période d'échange avec l'opposition officielle. Pour une période de
12 min 30 s, je cède la parole à M. le député de Rosemont.
M. Lisée :
Merci, Mme la Présidente. Mme la Vérificatrice générale, bonjour,
M. Couture, Mme Boily, Mme Bédard.
Je comprends bien que, là, votre travail n'a
porté que sur l'approvisionnement des établissements publics, l'évolution des
appels d'offres. D'abord, il y avait 11 groupes qui faisaient ces appels
d'offres. Comme vous le dites, l'information
passait très mal entre ces 11 groupes là, vous avez constaté des écarts de
prix allant jusqu'à 872 % entre le prix qu'un des groupes avait obtenu par un appel d'offres. Et, l'autre,
vous indiquez que, maintenant qu'il y a trois groupes d'approvisionnement, ces écarts de prix se sont
réduits, mais ils se sont réduits à combien? Qu'est-ce que vous
constatez comme écart de prix entre les trois groupes?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Ce qu'on a
vérifié, c'est deux groupes. Et l'écart de prix passe de... peux-tu me
préciser?
Mme Bédard
(Carole) : De 10 % à
872 %, là, comme vous le disiez, là. En fait, c'est qu'on avait
844 médicaments, O.K., et on les
a comparés entre les deux groupes d'approvisionnement, et on a vu que le tiers,
il y avait des écarts de plus de 10 % entre les deux contrats, puis
ça allait aussi élevé que ce que vous disiez, là.
M. Lisée : Vous dites
que le 872 %, c'est dans la comparaison de deux des trois groupes
Mme Bédard (Carole) : Tout à
fait.
M. Lisée : Donc c'est la
situation actuelle?
Mme Bédard
(Carole) : En fait, c'est la
situation qu'on a vu quand on a fait notre mandat de vérification en
2014.
M. Lisée : Donc, vous
avez des raisons de penser que ça continue, en ce moment, à ce niveau d'écart
là ou est-ce que certaines des recommandations que vous aviez faites en 2014
ont été appliquées depuis avec des effets?
Mme Bédard
(Carole) : En fait, je ne
pourrais pas répondre à la question parce qu'on recommande puis on fait
un suivi quelques années plus tard. Donc, pour l'instant, je ne pourrais pas
vous dire.
M. Lisée :
Et la cause principale de ces écarts... Bon, par exemple, 872 %, est-ce
que c'est arrivé une fois ou c'est arrivé... ou des écarts de plus de
100 % étaient fréquents?
Mme Bédard
(Carole) : En fait, comme je
vous disais, le tiers avait plus de 10 % d'écart, ce qu'on
considérait quand même assez important.
Donc, bon, c'est sûr que c'est un cas, là, 872 %, là, mais c'est quand
même assez important, là, qu'il y ait une différence, là. On en a vu,
là, plus que 10 %, là, ce n'est pas juste 10 %, là.
M. Lisée :
Bon, vous avez dit que, dans un des cas, c'est que le fabricant n'avait pas
participé à une soumission. Mais quels sont les facteurs d'explication
de ces écarts?
Mme Bédard
(Carole) : Il y a
différentes explications, là, selon ce que les groupes nous ont parlé. Des
fois, c'est des territoires qu'ils ne
veulent pas couvrir, des fois il n'y a pas vraiment d'explication. Mais, comme
Mme Leclerc le disait, les
groupes, entre eux, ils se rencontrent, oui, à l'occasion, mais ils ne parlent
pas de stratégie de prix, ils ne se comparent pas entre eux autres.
Essayez d'expliquer pourquoi, justement, vous le
dites, dans un cas, on soumissionne, dans l'autre cas, on ne soumissionne pas. On a même vu des cas où est-ce
qu'il y avait plusieurs fabricants sur le marché puis il y avait juste
un fabricant qui soumissionnait ou il n'y en avait pas du tout. Donc là, tu
sais, il y a vraiment une analyse puis un suivi à faire. Puis le ministère
aussi devrait être impliqué là-dedans pour avoir une vision d'ensemble, du
tout.
M. Lisée : Qu'est-ce qui
se passe lorsqu'il n'y a aucun fabricant qui soumissionne pour un médicament?
Mme Bédard (Carole) : À ce
moment-là, il paie le prix du marché.
M. Lisée : Il paie le
prix du marché, O.K., et donc, là, les fabricants peuvent décider qu'ils
préfèrent ne pas soumissionner parce qu'à la fin il va avoir le prix du marché.
Mme Bédard
(Carole) : Il n'aura pas
besoin non plus d'avoir une garantie de prix pendant trois ans, là,
pendant la durée du contrat.
M. Lisée : Est-ce que
c'est fréquent?
Mme Bédard (Carole) : On en a
vu. Comme je vous le disais, il y a vraiment des cas où est-ce qu'ils soumissionnent à un endroit puis, l'autre cas, ils
ne soumissionnent pas. Mais, dans la plupart des cas, je vous dirais, dans la majorité
des cas, ils vont en appels d'offres, je vous dirais, dans 70 %, 75 %
des cas, ils réussissent à signer un contrat, là.
• (11 heures) •
M. Lisée : O.K.
Donc, dans 70 % des cas, le système de soumission fonctionne, mais dans le
reste des cas, dans 30 % des
cas, la stratégie du fabricant, c'est de dire : Je préfère prendre la
chance que personne ne soumissionne et avoir le prix du marché sans avoir à donner une garantie de prix. C'est une
stratégie d'affaires, c'est légal, ils peuvent le faire.
Mme Leclerc
(Guylaine) : C'est sa stratégie.
Mme Bédard
(Carole) : C'est ça, tout à fait.
M. Lisée : Et donc, Mme la vérificatrice, vous dites
que les risques de collusion, à ce
moment-là, sont importants parce
que ça ne fonctionne que si personne ne soumissionne.
Mme Leclerc
(Guylaine) : Un système d'appel d'offres fonctionne bien lorsque le
libre marché s'opère parfaitement. Alors,
c'est pour ça qu'il faut s'assurer qu'on met en place tous les éléments qui
vont favoriser le libre marché.
M. Lisée : Et donc vous dites que, s'il y avait un meilleur flux d'information entre
les trois groupes d'achats sur les prix que chacun a obtenu, etc., ça
aiderait, mais ça n'aiderait pas. Ce n'est pas un antidote, comme dit le
ministre, au comportement des fabricants.
Mme Leclerc
(Guylaine) : Bien, je vous dirais que c'est minimal.
M. Lisée :
Minimal?
Mme Leclerc
(Guylaine) : C'est minimal parce qu'il y a peut-être des raisons qui
font en sorte que le prix le plus cher
pour un groupe d'achats par rapport à un autre... Il y a une question
régionale. Donc, si un fournisseur ne préfère faire affaire qu'avec la région de Montréal par rapport
à Québec, ça peut être un facteur. Il y a la période aussi. Donc, si un groupe d'achats est allé en appel d'offres à une
période donnée et que l'autre, c'est à une autre période, bien, le
marché peut avoir évolué. Donc, ça peut être justifié qu'il y ait des écarts
très importants. Mais, d'autre part, il faut au moins se parler pour pouvoir
poser les questions puis voir quels sont les motifs.
M. Lisée :
Donc, passer de 11 à trois... Il y a une hypothèse qui circule de passer de
trois à un. Est-ce que ça serait une bonne chose, une mauvaise chose?
Quels sont les avantages et les inconvénients de n'avoir qu'un seul acheteur?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Bien, comme dans n'importe quoi, il y a plusieurs
avantages, inconvénients, et ce n'est pas quelque chose qu'on a regardé.
Par contre, d'entrée de jeu, si le un est très efficace et compétent, ça
pourrait être rassurant, hein, parce qu'il a
l'entièreté de l'information, mais à trois, bien, ça permet au moins d'avoir
une comparaison de l'un par rapport à l'autre.
M. Lisée :
Un chercheur qu'on va entendre tout à l'heure, Mme Mélanie Bourassa
Forcier, dans une étude récente, donc de
janvier dernier, a dit : «Plusieurs intervenants avec lesquels nous nous
sommes entretenus craignent cette éventualité [d'un seul acheteur],
arguant notamment que des produits cesseront d'être commercialisés, pour le
motif que ceux-ci ne pourront être produits
en quantité suffisante pour subvenir au volume exigé pour les établissements de
santé de la province.» Qu'est-ce que vous en pensez?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Bien, ce qu'on a constaté, c'est qu'effectivement il y a
un risque de rupture de stock, puis c'est d'ailleurs
ce qu'on a constaté aussi dans notre rapport sur les médicaments. Donc, c'est
un risque qui est réel. Il faut s'assurer qu'on pallie à ce risque-là.
M. Lisée :
D'accord. Donc, pour ce qui est des établissements, les appels d'offres sont
faits à la fois pour les fabricants et pour
les distributeurs. Et les distributeurs nous ont dit : Bien, oui, mais ça va parce que
c'est assez simple de livrer aux établissements de santé. Le ministre
propose, dans ce projet de loi, d'étendre le système d'appel d'offres pour l'approvisionnement de l'ensemble
des pharmacies du Québec pour les fabricants et pour les distributeurs. Et
les distributeurs nous ont dit : Écoutez, c'est logistiquement impossible parce
qu'aucun distributeur n'a la capacité, s'il gagnait
l'appel d'offres pour les 1 800 pharmacies, de livrer aux
1 800 pharmacies. Et donc ils nous l'ont dit plusieurs
fois : Nous ne participerons pas à ces
appels d'offres parce que ça nous obligerait à tripler notre flotte de camions
pour un appel d'offres, et ensuite ne
pas les avoir pour l'appel d'offres suivant si nous le perdons. Et comment vous
voyez cet argument?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Je ne suis pas en mesure de commenter. L'aspect
distribution, ce n'est pas quelque chose qu'on a regardé, alors je ne
suis pas en mesure...
M. Lisée :
Est-ce que vous pensez que... Quand vous dites que le suivi du ministère de la
Santé, pour l'instant, malgré vos
recommandations en 2014, à votre connaissance, est déficient, est-ce qu'on ne
devrait pas attendre d'avoir un suivi
correct pour expliquer les écarts dans l'expérience qui est en cours et encore
assez jeune avant de faire le pas suivant, qui est d'élargir à
l'ensemble des achats de médicaments au Québec?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Bien, un, je ne suis pas en mesure de vous dire si actuellement
le ministère fait adéquatement son suivi parce que
la façon dont on procède, c'est qu'on émet un rapport, on émet des recommandations,
il y a par la suite un suivi des recommandations qui est fait par l'entité. Et le rapport est
encore trop jeune pour faire le suivi
des recommandations. Ce que nous disons, c'est que... Ce qu'on nous
dit dans notre rapport, c'est que le ministère n'a qu'un droit de regard, hein, alors il y a quand même un contrôle
limité. Donc, il faut s'assurer qu'ou le ministère ou quelque agence que
ce soit, là, ait suffisamment de pouvoir pour pouvoir faire les suivis
adéquats.
M. Lisée :
Bien, écoutez, j'ai hâte de voir votre prochaine vérification pour voir si le
ministère fait un suivi adéquat parce qu'il me semble que c'est une
condition... C'est un énorme changement qui est proposé, pour faire les appels d'offres. Et, si, pour l'instant, nous
n'avons pas correctement tiré les leçons des appels d'offres des
établissements eux-mêmes, le risque
d'échouer dans une phase plus vaste est plus grand, il me semble. Et donc on
sera très attentifs à vos futurs
travaux, que nous espérons les plus rapides possible. Je vous remercie beaucoup
pour ce que vous avez fait ce matin.
La
Présidente (Mme Hivon) : Merci. Alors, on va maintenant
passer aux échanges avec la seconde opposition pour une période de
8 min 15 s. Je cède donc la parole à M. le député de Lévis.
M. Paradis (Lévis) : Merci, Mme la Présidente. Mme Leclerc,
Mme Boily, Mme Bédard, M. Couture, merci d'être là. C'est intéressant, vous tracez un portrait
puis vous partagez votre regard, vos inquiétudes potentielles, vos
recommandations pour éviter... en
tout cas, pour faire en sorte que les choses aillent bien. En même temps,
dites-moi si je me trompe, à travers ce que vous nous avez dit jusqu'à maintenant, vous dites que vous avez
constaté une problématique dans l'étude que vous avez faite sur les groupes que vous avez analysés, mais en même
temps, on l'a dit, il n'y a pas d'antidote, il n'y a pas de réponse automatique à ça. Ce sont des pratiques,
ce sont des façons d'agir. Je comprends bien, quand vous nous dites...
La façon de faire, ce sera de suivre,
d'analyser parce qu'au-delà de ça on ne peut pas imposer une pratique à des
fabricants de soumissionner, ou de ne pas soumissionner, ou, bon, etc. Tout est
dans le suivi, dans un élément comme celui qu'on aborde aujourd'hui.
Mme Leclerc (Guylaine) : Bien, il faut comprendre, dans un premier temps,
que les fabricants sont en affaires. Alors, je pense qu'à partir du moment où on a un groupe qui veut vendre des
produits puis que le canal de passage, c'est par un processus, bien, normalement, on va passer par ce
processus-là. Ce que nous disons, c'est que ce processus-là, à partir du moment où on prend pour acquis que les
fabricants sont en affaires puis qu'ils veuillent vendre leurs produits, bien,
assurons-nous que le processus mis en place pour que le
canal qui va faire en sorte qu'on va choisir les fournisseurs... qu'on va
identifier les produits qu'ils nous offrent, qu'on va
s'assurer que l'offre est faite adéquatement, que les contrats sont faits
adéquatement, qu'il y a des pénalités
en cas de rupture, en cas de non-conformité, qu'il y a un suivi qui est
effectué. C'est ce que nous disons.
M. Paradis (Lévis) : Je présume que vous l'avez fait à travers votre
vision du dossier... Il y a eu analyse d'impact réglementaire, qui a été intéressante. On l'a reçue avant puis on a pu
déjà jeter un oeil là-dessus. Avez-vous analysé cette analyse de l'impact réglementaire? Plusieurs ont
dit : Il y a des zones obscures, il y a des réponses que l'on
souhaiterait avoir qui ne sont pas
nécessairement là. Il y a des risques qui sont identifiés, mais, je veux dire,
c'est un risque. Il y a des économies potentielles que l'on souhaite,
mais il n'y a pas non plus de modèle ou d'évaluation pour tenter de savoir ça
peut être à peu près combien. Est-ce que vous estimez qu'il y a beaucoup de zones
grises, même dans l'analyse d'impact? Est-ce
que, dans votre analyse, vous en avez fait? Est-ce qu'il y a des
questionnements qui vous surprennent? L'analyse aurait-elle dû donner
davantage d'informations que ce que vous y avez trouvé?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Je ne suis pas en mesure de vous dire si l'analyse qui
est présentée aurait dû présenter plus d'informations. Ce que j'ai dit,
d'ailleurs, d'entrée dans mon discours, c'est que c'est par la réglementation
qui va être mise en place qu'on va voir dans
quelle mesure c'est suffisant ou pas. Et c'est par cette réglementation-là
qu'on va pouvoir dire : Bien, O.K., les
contrôles sont suffisants. Ce sera des éléments qu'on pourra considérer. Mais,
pour ma part, oui, je l'ai lue, l'analyse, mais c'est par la
réglementation qu'on va voir dans quelle mesure c'est suffisamment fort.
M. Paradis
(Lévis) : D'où l'importance, et plusieurs l'ont mentionné, d'avoir ce
cadre réglementaire très rapidement parce que tout tient véritablement à ça,
au-delà des articles du projet de loi.
• (11 h 10) •
Mme Leclerc
(Guylaine) : C'est ce que nous avons mentionné, que le cadre
réglementaire est important. Et actuellement, ne l'ayant pas, il est difficile
pour nous de pouvoir juger.
M. Paradis (Lévis) : Le ministère de la Santé a un droit de regard
dans les appels d'offres des hôpitaux, mais, avec le projet de loi n° 81, c'est lui qui va
gérer tout le processus maintenant, d'où l'importance de ce que vous dites.
Dans les notions de suivi, dans le cadre réglementaire, dans la préparation des
appels d'offres, dans la façon dont ça se fera, dans les pénalités, etc., il y
a beaucoup de travail à faire, là, pour que ce soit très clair.
L'Ordre des
pharmaciens recommandait la création d'un groupe d'experts pour surveiller les
appels d'offres. C'est-à-dire que ça ne peut
pas rien que se faire de la part du ministère, il doit y avoir des gens qui
surveillent tout ça, qui préparent tout ça, des professionnels aussi qui
se joindront pour faire en sorte qu'on ait la bonne façon de faire. À la
lumière de l'expérience dans les hôpitaux, en fonction, justement, du fait de
bien préparer tout ça, de bien choisir les molécules, le nombre de molécules, bon,
comment on fait tout ça? Vous voyez ça comment, la façon de mettre en place le
processus?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Mais ça me préoccupe un peu, je vous dirais, parce que,
lorsqu'on a fait l'analyse des contrats
octroyés dans le cadre des technologies de l'information, une des lacunes qu'on
a identifiées, c'est qu'il y avait des parties
prenantes qui pouvaient participer à l'élaboration de l'appel d'offres, et
c'est là qu'un jeu de la saine concurrence peut ne pas s'exercer. Alors, il faut s'assurer que ceux qui participent
à la préparation de l'appel d'offres sont des personnes qui sont connaissantes, d'accord, mais qui sont
aussi indépendantes et qui n'ont pas un intérêt dans l'appel d'offres,
et c'est là le défi. C'est la même chose dans plusieurs autres secteurs
complexes gouvernementaux, dont les technologies de l'information. Il faut
s'assurer que les personnes qui vont participer à la préparation de l'appel
d'offres ne seront pas des experts ou de ceux de la firme qui va gagner l'appel
d'offres.
M. Paradis
(Lévis) : Et je reviens à ma
question, parce que l'Ordre des pharmaciens disait... puis ils n'étaient
pas les seuls, plusieurs nous ont dit :
Les pharmaciens, parties prenantes de l'exercice, doivent faire partie du
comité d'experts. Et, si j'élargis,
je prends les propos dans son sens large, si on dit : Ça prend des gens
qui n'ont pas la possibilité de faire une différence parce que partie prenante des décisions qui seront prises.
Pensons seulement aux pharmaciens. Le pharmacien, qui fait aussi partie
de l'équation, a-t-il sa place sur un comité d'experts pour arriver à la mise
en place du modèle?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Ce que je vous dis, c'est : Que ce soit quelque
profession que ce soit, il est important que la personne qui va participer soit indépendante. Donc, s'il est
pharmacien et qu'il a un intérêt avec un fabricant ou un distributeur,
bien, il faut s'assurer de connaître qu'il a cet intérêt-là et, d'autre part,
s'il a un intérêt, s'assurer qu'il ne participe pas.
M. Paradis
(Lévis) : Dans ce que vous
avez étudié, dans ce qui se fait présentement dans les établissements,
dans les hôpitaux, parce que vous êtes
partie de cette structure-là, et vous nous donnez des chiffres, et vous vous
étonnez de certaines choses qui sont,
de fait, étonnantes, est-ce que cette problématique-là et cette inquiétude que
vous manifestez, elle se vit actuellement dans les établissements
hospitaliers?
Mme Leclerc (Guylaine) : Je
vais poser la question à Mme Bédard. Je n'ai pas...
Mme Bédard
(Carole) : Ce n'est pas un
élément qu'on a regardé au niveau des comités de sélection, là. C'est
les groupes qui sont en charge, là, comme on
le mentionnait, des appels d'offres. Ce n'est pas un élément qu'on a
regardé dans le dossier des médicaments.
M. Paradis
(Lévis) : Je reviens sur la
notion de l'importance de la préparation. Puis c'est à sa base, hein, ce
qu'on est en train de se dire là, le comité
qui va mener à... c'est là que ça part, hein, c'est le début du marathon.
Alors, ou on part mal ou on part bien. Je pense que ça a toute sa
signification.
Est-ce qu'il
faut que je comprenne qu'à la lumière... puis je ne veux pas mettre des mots
dans la bouche, mais, à la limite, pharmacien propriétaire, ce ne
serait, genre, peut-être pas idéal; pharmacien salarié, moins dans le processus
d'affaires, ça aurait du bon sens?
Mme Leclerc
(Guylaine) : Je vous dirais : Je ne suis pas certaine, parce que,
s'il est salarié, bien, un, il est salarié de qui, là? Est-ce qu'il est salarié de la bâtisse, hein, de la
pharmacie, ou il est salarié de la bannière, ou il est salarié... Donc,
ça dépend salarié de qui, là. Alors, c'est là qu'il faut regarder
l'indépendance.
M. Paradis (Lévis) : Je
comprends, il y a des...
La
Présidente (Mme Hivon) : Je vous remercie.
Malheureusement, c'est tout le temps que nous avons. Alors, je vous
remercie beaucoup et je remercie toute l'équipe de la Vérificatrice générale
d'être venue nous présenter ces observations ce matin.
Alors, je vais suspendre, le temps que notre
prochaine invitée, Me Mélanie Bourassa Forcier, prenne place.
(Suspension de la séance à 11 h 15)
(Reprise à 11 h 18)
La
Présidente (Mme Hivon) : Je tiens à souhaiter la bienvenue parmi nous à Me Mélanie Bourassa
Forcier. Je vous rappelle que vous
disposez d'une période de 10 minutes pour faire votre présentation. Et peut-être,
d'entrée de jeu, nous
présenter la personne qui vous accompagne. Le tout sera suivi des échanges avec
les différents partis. Alors, la parole est à vous.
Mme Mélanie
Bourassa Forcier
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Merci, Mme la Présidente. M. le
ministre de la Santé et des Services sociaux, mesdames messieurs,
membres de cette commission, donc mon nom est Mélanie Bourassa Forcier, je suis
avocate, professeure agrégée à la Faculté de
droit de l'Université de Sherbrooke, où je codirige les programmes de maîtrise
en droit et politiques de la santé. Je suis aussi
chercheuse fellow auprès du groupe de recherche le CIRANO. Je suis aujourd'hui accompagnée de Me Alexandra Foucher, auxiliaire de
recherche et coauteure du rapport que nous avons publié avec le CIRANO relativement au processus
d'approvisionnement en médicaments au sein des centres hospitaliers du
Québec. Cette étude est indépendante. Elle a
débuté en 2014 à la suite de la publication du rapport du Vérificateur général
par intérim. Elle a été financée en
partie par l'Association canadienne du médicament générique. L'objectif de
notre rapport était de mettre en lumière
le fonctionnement, les avantages, les désavantages du processus d'appel
d'offres au sein des établissements de santé, processus qui existe
maintenant depuis plusieurs années, comme vous le savez.
Je pourrais
vous parler en détail de ce rapport, mais, à mon avis, les représentants des
pharmaciens d'établissement ainsi que
la Vérificatrice générale vous ont bien fait ressortir ces principaux éléments.
Il faut toutefois retenir, selon moi, qu'il
est évident que les appels d'offres permettent de baisser le prix des
médicaments génériques, mais qu'ils représentent certainement la possibilité de générer des problèmes de pénurie en
matière de médicaments génériques. Heureusement, considérant le fait que
les établissements de santé regroupent des ressources humaines variées
permettant de gérer les pénuries, leur impact est de moins en moins important
sur les patients dans les établissements de santé.
• (11 h 20) •
Par ailleurs, il est indéniable que le recours à
un processus de double adjudication ainsi que l'imposition de pénalités de plus
en plus sévères aux fabricants en situation de rupture d'approvisionnement a
permis une meilleure stabilité de l'offre. L'ampleur de ces pénalités a cependant
un impact sur le marché, seuls les fabricants en excellente position financière
osent maintenant s'engager dans ce processus. Cette situation, si elle se
produit dans le milieu communautaire, pourra générer, comme Me Fernet vous
l'indiquait dans sa présentation, une mondialisation de l'offre — ou je
dirais peut-être plutôt une multinationalisation de l'offre — et pourra donc avoir pour effet de
supprimer les plus petits fabricants locaux
au Québec. Je m'arrêterais ici quant au compte rendu de notre rapport.
Évidemment, je vous invite à nous poser des questions, le cas échéant.
En fait, je souhaite aujourd'hui profiter de
l'occasion pour vous faire part de mes réflexions et interrogations quant aux
impacts possibles du projet de loi n° 81 en considérant qu'il s'inscrit ou
qu'il devrait s'inscrire dans notre Politique
du médicament. Comme vous le savez, l'article 51 de la Loi sur l'assurance
médicaments impose au ministre d'adopter
une politique qui doit tendre à atteindre quatre principaux objectifs sur
lesquels je reviendrai dans quelques instants.
Depuis la
publication de La politique du médicament en 2007, certaines des mesures
qui y étaient prévues ont été supprimées,
comme vous le savez, par exemple la règle des 15 ans et bientôt le plafond
des allocations professionnelles aux pharmaciens. À ce sujet, il est
important de rappeler que ce plafonnement avait été instauré à la suite d'une
série de décisions judiciaires, notamment une décision de la Cour suprême en
2006 où il avait été déterminé que l'absence de plafond générait des abus et que cette absence de plafond avait un
impact certain sur le prix des médicaments, et donc un impact négatif
pour le contribuable québécois.
Le
plafonnement des allocations professionnelles a fort probablement contribué au
développement des ententes de fabrication
entre un fabricant que je qualifierais de réel ou de primaire et un fabricant
de marques privées. Ces ententes comportent assurément des économies
dont profitent directement grossistes, bannières, franchisés. Et ces économies profitent possiblement indirectement au client,
souvent un patient, qui peut bénéficier d'excellents services au sein de
sa pharmacie. Mais dans quelle mesure le
patient bénéficie-t-il de ces économies par rapport à un patient d'une
pharmacie en Ontario, qui ne reconnaît pas
les marques privées, une province où, par ailleurs, la propriété d'une
pharmacie n'a pas à être exclusive aux pharmaciens? C'est peu clair, et
je vous dirais que la question mérite certainement d'être étudiée.
À tout
événement, je poursuis avec le constat qu'aujourd'hui nous nous retrouvons dans
un contexte où, d'une part, le marché
s'est adapté au plafonnement des allocations professionnelles, limitant ainsi
l'impact positif de la mesure sur le
prix des médicaments génériques. Et, d'autre part, dans un contexte où ces
allocations seront bientôt déplafonnées malgré l'expérience passée qui nous a démontré que cette situation avait
un impact négatif non seulement sur l'indépendance du pharmacien, mais aussi sur le prix des médicaments
génériques, il y a lieu, selon moi, ici de nous inquiéter. À moins que l'intention véritable sous-jacente à l'adoption du
projet de loi n° 81 soit celle de mettre fin de façon indirecte aux
ententes entre fabricants ainsi qu'aux
allocations professionnelles, qui devraient, fort probablement, en situation
d'appel d'offres, être appelées à prendre
une forme, à mon avis, plutôt théorique. Les économies pourraient alors servir
à accroître l'honoraire des pharmaciens qui pourront alors poursuivre
leurs bons services auprès de leurs clients. Est-ce là l'intention réelle qui motive l'adoption du projet de loi n° 81? En
fait, M. le ministre, je vous pose la question : Est-ce que poser la
question, c'est y répondre?
À tout événement, il est indéniable que notre
Politique du médicament comprend plusieurs mesures désuètes. Ne serait-il pas prudent, avant d'amender notre
régime d'assurance médicaments à la pièce, de d'abord le repenser et
ainsi d'assurer la pertinence et la synergie des mesures qu'il comporte par
rapport à l'atteinte des principaux objectifs qui lui sont dictés par la loi?
À ce sujet,
relativement à l'adoption du projet de loi n° 81, qui, je l'ai indiqué,
s'inscrit — ou
devrait, selon moi, s'inscrire — au sein de notre politique québécoise du
médicament, il y a lieu de se demander si ce projet de loi permettra à
notre politique de rencontrer ses objectifs.
Son premier
objectif doit être, comme vous le
savez, d'assurer un accès équitable et raisonnable aux médicaments à l'ensemble
des assurés du régime. Avec respect, je soumets que le projet de loi n° 81 comporte notamment, comme vous l'indiquaient les représentants des assureurs
privés, le risque de faire en sorte que les pharmaciens rattrapent leurs
pertes en augmentant leurs honoraires pour la vente de médicaments aux assurés
du secteur privé.
Son deuxième
objectif doit être celui de favoriser un usage optimal des médicaments. Il a
beaucoup été question de l'autonomie des pharmaciens au sein de cette
commission. Si cette autonomie est actuellement partiellement limitée par
entente, il est indéniable que l'adoption du projet de loi n° 81 l'affectera
d'autant plus.
Par
ailleurs, vous savez possiblement que plusieurs de mes travaux de recherche ont
porté sur l'importance d'améliorer nos politiques publiques afin d'optimiser
l'utilisation des médicaments, ceci dans le but de générer des économies, mais principalement dans le but
d'améliorer la santé des patients. Car là n'est-ce pas l'objectif primaire
lorsque nous investissons en santé? À quand le suivi des dossiers des patients
par les pharmaciens? À quand la mention d'indication
thérapeutique sur les prescriptions? À quand l'optimisation de notre politique
d'offre de tests diagnostiques? À
quand la révision par des pairs des pratiques de prescription des médecins?
Tant de sujets qui devraient être abordés dans le cadre de la révision
de notre Politique du médicament.
Par ailleurs,
celle-ci doit avoir un troisième objectif, qui est celui d'assurer un
renforcement des activités d'information et
de formation auprès de la population à des professionnels de la santé. Les
économies résultant du projet de loi
seront-elles en partie dirigées vers la réalisation de cet objectif, comme son
adoption risque de supprimer les allocations professionnelles qui sont
notamment utilisées à cette fin? Je pose la question.
Enfin,
son quatrième objectif est celui d'assurer l'efficacité et l'efficience de ces
stratégies. Le projet de loi n° 81 représente-t-il la stratégie la
plus efficace et efficiente pour que la politique puisse atteindre ses
objectifs? La réponse à cette question doit,
selon moi, découler d'une analyse économique avec une perspective sociétale,
une analyse où n'est pas seulement
considéré l'impact de la mesure sur un budget donné d'un ministère donné, mais
bien l'impact de la mesure sur la gestion globale du budget d'un État
ainsi que sur l'ensemble des particuliers et des gens qui contribuent à sa
santé économique.
En fait, je vous
dirais que les retombées sociétales nettes du projet de loi n° 81 sont
loin d'être certaines. Premièrement, le
Québec s'est récemment joint à l'Alliance pancanadienne pharmaceutique, enfin.
Comme vous le savez, cette alliance
négocie de façon de plus en plus agressive le prix des médicaments génériques.
Est-ce possible d'obtenir des prix
plus bas? Bonne question. Il est certain que, contrairement à l'alliance,
mettre en place un processus d'appel d'offres permettra d'octroyer, ou de conférer, ou d'assurer un certain volume à
un fabricant, ce qui n'est pas possible présentement au sein de
l'alliance. Et, d'autre part, nous pourrons supprimer de façon certaine les
allocations professionnelles aux pharmaciens.
La Présidente
(Mme Hivon) : Je vais vous inviter à conclure.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) : Tout à fait. Par ailleurs, vous savez que les
appels d'offres comportent des risques de générer des pénuries
importantes...
La
Présidente (Mme Hivon) : Excusez-moi. Le ministre me dit
que vous pouvez poursuivre sur son temps, donc, quand même concis.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) : J'apprécie, merci beaucoup. Donc, deuxièmement,
vous savez que les appels d'offres,
on vous l'a démontré tout au long de cette commission, comportent des risques
importants de générer des pénuries.
Troisièmement,
l'adoption du projet de loi, on vous l'a indiqué, nécessitera des ressources
humaines additionnelles, notamment des ressources humaines
indépendantes. Quand pourrons-nous nous doter de ces ressources humaines? Parce
que, présentement, ces dernières sont tellement limitées qu'il est impossible
d'assurer une inscription rapide de certains médicaments.
Finalement,
les appels d'offres en milieu communautaire réalisés dans d'autres pays — et la littérature est assez évidente à cet effet — ont eu pour effet de transformer l'industrie
du médicament générique et d'inciter son déplacement. Est-ce ce que nous
souhaitons? Il importe de prendre une décision collective à cet effet.
Compte tenu de
l'ensemble de ces incertitudes, je postule qu'il serait judicieux, avant
d'adopter le projet de loi n° 81, de
mettre à jour notre Politique du médicament, de procéder à une analyse
économique approfondie des retombées sociétales
du projet de loi n° 81 et d'évaluer si l'atteinte de son résultat
souhaité, qui est la baisse du prix des médicaments génériques, puisse
se réaliser de façon plus efficiente. Je vous remercie.
La Présidente
(Mme Hivon) : Merci beaucoup, Me Bourassa Forcier.
Alors, nous allons maintenant passer à la
période d'échange avec la partie ministérielle pour une période de
22 min 30 s Donc, je cède la parole au ministre de la
Santé et des Services sociaux.
• (11 h 30) •
M. Barrette :
Merci, Mme la Présidente. Alors, Me Bourassa Forcier, Me Foucher, bienvenue à cette
commission parlementaire. On s'est déjà rencontrés précédemment sur le même
sujet. Je suis convaincu, aujourd'hui, que vous allez faire grandement plaisir à notre collègue de l'opposition officielle, puisque votre intervention est en droite ligne
avec l'intérêt que mon collègue
a manifesté depuis le début de cette commission
parlementaire ci, qui est évidemment
de ne pas traiter, ou le moins possible, du projet de loi n° 81
mais plus de la Politique du médicament.
Ceci
dit, la Politique du médicament, je pense que ça a un grand
intérêt, mais ce n'est pas l'objet, évidemment, du projet de loi n° 81, c'est une réalité. On sait que les projets de loi sont déposés, les projets de
loi, en soi, ont une finalité,
c'est leur objet. Et ça ne veut pas dire que
ça exclut d'autres éléments, mais la portée du projet de loi, son objet
demeure, existe et a une certaine limitation
conceptuelle et juridique. Et ici, évidemment, on parle des achats, des offres d'achat, des
appels d'offres, des achats de groupe. Et, même si — vous
avez tout à fait raison — il y a un intérêt à traiter de l'ensemble
de l'oeuvre, la portée du projet de loi n'y est pas. Mais je suis sûr que mon collègue va être heureux
d'élaborer sur ce sujet et vous permettre d'entrer plus dans le détail,
et j'en suis fort aise.
Ceci dit, vous avez quand même fait état d'une
grande expertise dans le domaine de l'achat des médicaments et vous avez énoncé
un certain nombre de choses sur lesquelles je vais revenir. Par vos
recherches... bien, par les commentaires que vous avez
faits, des commentaires que je conclus être le fruit de vos recherches et
observations, vous avez été très affirmative
lorsque vous avez mentionné — ce n'est pas le mot que vous avez utilisé le
premier — que l'histoire
des allocations professionnelles, qui, à un moment donné, s'appelaient des
ristournes, avaient été jusqu'à — et ça, c'est votre mot — abusives
puis vous avez même dit que c'est allé, je pense, jusqu'en Cour suprême. Vous
parlez de quelle période?
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : C'est
une décision de la Cour suprême de 2006, Pharmascience contre Binet.
M. Barrette : Donc, dans cette
période-là, vous constatez, vous nous rappelez que les ristournes avaient un
caractère abusif.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
C'est effectivement, je vous dirais, un obiter que l'on peut lire dans la décision de la Cour suprême, quoique la décision
portait plutôt sur le pouvoir du syndic d'agir, dans un cas comme ça,
pour obtenir des données auprès de la compagnie pharmaceutique, mais on en
retire cette conclusion, oui.
M. Barrette :
Et évidemment ce caractère abusif là a été corrigé par un plafonnement des
ristournes, puis elles ont changé de nom.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Tout à fait.
M. Barrette : Bon.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
20 % au départ.
M. Barrette : Pardon?
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
On parlait de 20 % dans la Politique du médicament.
M. Barrette : De 20 % au
départ. Vous avez été aussi très affirmative sur le fait, et ça, c'est
corroboré par quelques... bon,
l'association, elle-même, des pharmaciens propriétaires et les chercheurs,
d'autres chercheurs comme vous, qui nous ont dit à diverses ampleurs, je
dirais, que le manque à recevoir — je ne dirais pas «gagner», je vais dire
«le manque à recevoir» — en argent, compte tenu du plafonnement,
avait été transféré chez les assureurs privés. Je pense que vous y avez fait assez clairement référence vous aussi,
là, et vous êtes une autre personne qui... vous nous confirmez que ça
s'est fait et ça se fait encore.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Difficile d'identifier de façon spécifique où le manque à gagner a été recouvré, mais je vous dirais qu'il y a deux
éléments : il y a possiblement une augmentation des honoraires lors de
vente de médicaments auprès des assurés du
secteur privé et il y a possiblement le fait que des ententes entre fabricants
aient été générées à la suite du plafonnement.
M. Barrette : Bon. Donc là, il
y a un problème certainement sociétal. Si le prix baisse d'un bord puis qu'il augmente de l'autre bord, il y en a un des deux
groupes, là, qui fait peut-être une économie, mais l'autre a un impact
qu'on peut qualifier de négatif sur le plan économique.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Oui.
M. Barrette :
L'assureur privé, là, il... L'assuré privé, pardon, pas l'assureur, mais
l'assuré privé, lui, il passe à la caisse, là, et ça, ça fait des
années.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Et ce n'est qu'une des inéquités parmi d'autres qui, malheureusement, sont présentes, qui découlent de notre régime. Et
en fait il faut comprendre de cette expérience-là
que le marché s'adapte. Le marché est
en mouvance, puis, quand on impose quelque chose à un endroit, bien, il y a un
transfert à quelque part parce qu'évidemment...
M. Barrette : C'est la nature
humaine, on pourrait dire.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Pardon?
M. Barrette : On pourrait
quasiment dire que c'est la nature humaine, là.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Bien oui, à mon avis, c'est la nature humaine. Donc, en fait, ce que moi, j'essaie de vous dire, c'est que ma crainte,
c'est qu'en mettant en place un système d'appel
d'offres le marché s'adapte et
qu'en bout de ligne le consommateur, le patient québécois, bien, il ne
pourra pas nécessairement aller bénéficier des économies qui étaient anticipées. Donc, il faut penser au
fait que le marché s'adapte toujours, on est en présence
d'entrepreneurs.
M. Barrette :
Oui, parce que c'est une relation qui est conceptuellement et commercialement
adversariale. Puis on n'est pas de personne à personne, là, mais
l'intérêt d'un n'est pas nécessairement l'intérêt de l'autre, et tout le monde essaie de s'adapter. Et je comprends de
votre propos que cette mécanique-là de transfert que d'aucuns ont
qualifié d'interfinancement, ça existe, ça, là, depuis 2006, là, puis c'est
connu, là, dans le milieu, là.
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Eh bien la raison pour laquelle, justement, on a
mis en lumière le fait qu'il y avait
des problématiques avec cela en... En fait, ce que je vous dis, c'est qu'on a
réalisé qu'il y avait effectivement des problématiques, et c'est votre gouvernement qui a précisément mis en
place des plafonds en 2007, les premiers plafonds à 20 %. Donc, par
la suite on a réduit. Mais surtout je vous dirais que non seulement on a mis en
place un plafond des allocations
professionnelles, mais en plus on a demandé à ce qu'il y ait une transparence à
cet effet là, ce qui limite de beaucoup,
à partir de ce moment-là, les abus qui avaient été, en fait, considérés comme
des abus dans le passé. Parce que ce n'est pas seulement le fait de
recevoir une allocation professionnelle élevée, en fait, ce n'est pas ce
fait-là qui est problématique, c'est
beaucoup aussi le fait que ce soit tout à fait non transparent et que la
direction prise par ces allocations, à
l'époque, n'était pas celle que l'on voulait qu'elles prennent. Donc, à partir
de 2007 — ce qui
est, finalement, une très bonne chose
qui a été faite — on a
demandé à ce que les allocations soient utilisées à des fins précises et donc
qu'elles ne pouvaient plus être utilisées pour, par exemple, s'acheter une
piscine. Donc, il y a eu des effets bénéfiques dès 2007, et je vous dirais que,
par la suite...
M. Barrette : Il y a eu une
adaptation.
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Par la
suite, en fait, on a peut-être continué, effectivement, à augmenter les honoraires du côté du privé, mais ces
honoraires-là ont continué à augmenter, je veux dire, pas nécessairement à
cause du plafonnement, à cause notamment de baisses du prix des génériques à
25 %.
M. Barrette : Mais on peut
dire, là, raisonnablement, là, qu'à partir du moment où notre gouvernement, à l'époque, en 2007, a plafonné, ça a été le point
de départ du transfert d'une facture, d'un manque à recevoir du côté des
assurés privés à diverses ampleurs. C'était connu, ça, dans le milieu, là, à
partir de 2007.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
...
M. Barrette : Oui, la réponse
est oui. O.K. Parfait.
Maintenant, vous avez... Non, mais c'est
intéressant parce que c'est un point qui a été beaucoup d'actualité récemment. Est-ce que ces choses-là étaient sues?
Vous, comme chercheure et comme personne très impliquée, vous nous
indiquez que c'était connu dans cette période-là de 2007 à maintenant. C'est
une confirmation, là, que j'apprécie.
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : En fait,
je désire préciser que c'est après 2007 que les effets se sont fait
sentir.
M. Barrette : Oui, oui, tout à
fait, tout à fait.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Donc, en 2007, on n'a pas vu ces effets-là tout de suite.
M. Barrette : Non, non, mais
après 2007, ça s'est fait sentir.
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Oui,
mais je vous dirais que récemment... bien, en fait, dans les dernières années, ça m'est souvent arrivé de mettre en
contact mes étudiants avec les médias et... en fait, c'est-à-dire de leur
faire prendre conscience de tout ce qui se disait dans les médias, et ça fait
des années — depuis
même 2011, il y a eu énormément de dossiers sur le sujet — où
l'on dit que les pharmaciens tentent de rattraper leurs pertes, en raison
d'honoraires limités au public, du côté du privé. Donc, ça fait des années
qu'on en parle, et malheureusement on n'a jamais
adressé le problème de façon directe. Et j'ai l'impression qu'aujourd'hui, avec
le projet de loi n° 81, on tente de l'adresser, ce problème-là, mais de façon indirecte. On tente de donner
un coup de massue au système pour l'ébranler au complet, pour ébranler
l'ensemble de ses acteurs alors que peut-être il y a certaines mesures qui nous
amènent des impacts peut-être plus identifiables et précis, qui pourraient être
mises, dans un premier temps, en place.
• (11 h 40) •
M. Barrette :
Alors, vous savez quoi, là? Même si ce n'est pas l'objet du projet de loi, là,
je ne conteste pas ce que vous dites,
mais il n'en reste pas moins que, dans ce système-là que vous évoquez, il faut
quand même le donner, ce coup de massue là. Puis vous le connaissez très bien,
vous n'avez même pas eu besoin de suivre les travaux, parce que vous n'avez pas dû apprendre
grand-chose, là, dans les travaux.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
...
M. Barrette : Non, hein? Mais
on a constaté que, dans ce système-là, là, il y a plein de sous-systèmes qui
viennent induire à la hausse, un impact à la hausse du prix, hein, on s'entend là-dessus.
Vous-même, là, vous avez fait référence... puis je comprends pas mal puis
j'aimerais ça que vous élaboriez là-dessus. Vous avez parlé, là, de
l'intégration verticale, les marques privées, vous avez parlé de l'espèce
d'interdépendance où les associations entre les fabricants... tous des éléments, là, qui
viennent avoir un impact sur le prix du médicament. Pouvez-vous élaborer
un petit peu? Par exemple, l'intégration
verticale, quel est l'impact, là, la marque privée, là? Écoutez, là, vous
l'avez peut-être entendu, là, mais il y a des gens qui se sont présentés
devant nous, là, puis : Ce n'est pas compliqué, là, ça, c'est le meilleur des mondes, c'est parfait pour la
société, pour les patients, pour le gouvernement, mais je ne pense pas que
vous êtes de cet avis-là, là.
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : C'est
mitigé, en fait. Je vais donner un exemple vraiment familier. Vous savez, si vous allez à l'épicerie puis vous
achetez un sac de chips sans nom, vous allez, normalement, le payer moins
cher que le sac de chips de marque... je ne sais pas, je ne veux pas...
M. Barrette : ...commerciale.
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) :
...connue, oui, voilà. Vous le paierez moins cher parce que c'est une
marque sans nom ou une marque Métro ou IGA.
Il y a eu certainement un contrat de fabrication qui a été généré entre le
fabricant connu ou primaire et le fabricant du produit sans nom, qui n'est pas
un fabricant réel, qui est un fabricant de marque privée. Et c'est le consommateur, en fait, qui bénéficie de ce contrat
de fabrication là parce qu'il a un prix moins élevé.
Quand vous
allez dans une pharmacie, si vous achetez un produit... puis, encore une fois,
je m'excuse, là, je ne veux pas du tout faire la promotion ou la
dépromotion de certains produits, mais lorsque vous achetez un médicament, par
exemple, de marque Pro Doc, bien, vous n'allez pas le payer moins cher que
si vous prenez l'Apo quelque chose qui est
fabriqué par Apotex, mais peut-être que c'est Apotex qui a fabriqué le produit
Pro Doc. Et donc il y a une entente de fabrication entre les deux. Donc, pourquoi on ne paie pas moins cher,
nous, comme consommateurs? Bien, c'est parce qu'on impose, au Québec, un
seul prix, en fait. Donc, nécessairement, l'économie reste à quelque part.
Maintenant, cette économie-là... Je veux dire,
vous avez entendu les représentants du Groupe Jean Coutu, il semble assez clair, selon eux, que l'économie qui
reste dans le système permet une bonne santé financière de notre
industrie, permet la création d'emplois,
permet des services excellents auprès des clients. Je ne le sais pas, moi, si
c'est vrai ou pas, je ne sais pas
dans quelle mesure ces économies-là, effectivement, ont des retombées
économiques nettes, positives pour le contribuable.
Ce que je vous dis, c'est qu'il faut le vérifier, il faut le savoir. Puis, s'il
y a un problème, il faut adresser ce problème-là. Il faut, par exemple,
ne pas reconnaître les marques privées. Je ne suis pas certaine... C'est
évident qu'avec l'adoption du projet de
loi... Parce que, bien que ce ne soit pas l'objet du projet de loi, bien, il
demeure que ce projet de loi là a un
impact à l'égard des ententes entre fabricants, à l'égard des honoraires des
pharmaciens, donc je pense que c'est intrinsèquement lié. Donc, si le
projet de loi, en fait, vise à bénéficier de l'économie qui reste dans le
système, ma question est : Compte tenu des risques associés aux appels
d'offres, est-ce que ce n'est pas mieux d'adresser le problème directement et
donc de s'assurer qu'il n'y ait pas soit d'ententes entre fabricants ou qu'il
n'y ait pas de reconnaissance des marques privées?
M. Barrette :
Alors, je vais vous répondre, parce que vous posez une question, puis je vais
vous répondre. Avons-nous les moyens de nous adresser à la problématique
au complet? Et là je vais reprendre un peu vos propos en les synthétisant, puis
corrigez-moi si je fais une synthèse inappropriée. Quand vous parlez d'économie
qui reste dans le système et quand vous
faites allusion... bien, ou même pas allusion, quand vous évoquez les ententes
entre les fabricants, et ainsi de
suite, là, on pourrait quasiment rephraser ça en disant : Notre système
actuel subventionne les intermédiaires.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Bien, effectivement.
M. Barrette :
Voilà, bon. Alors, si on subventionne les intermédiaires, ça veut dire que
quelqu'un fait un profit qui, théoriquement,
devrait peut-être être dans la catégorie circulation de l'argent, là, aller
dans le système plutôt que dans la poche d'un intermédiaire. Je vais le dire différemment, mieux, je pense :
Il n'y a pas de valeur ajoutée à ces intermédiaires-là ni pour le
patient ni pour l'État.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Bien, ce que je vous dis, c'est que j'aimerais ça le savoir...
M. Barrette : Parfait.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
...parce que ce qu'on semble dire, c'est qu'il y a... L'argent est dans le
système, donc elle bénéficie ou... il bénéficie, pardon, il bénéficie.
M. Barrette :
«On semble dire», c'est ce que vous semblez dire, vous aussi, là,
Me Forcier. Vous semblez le dire, vous
aussi. Alors, il y a de l'argent dans le système, et ce n'est pas les deux
extrêmes qui en bénéficient, là, ce n'est pas le patient, ce n'est pas
l'État, c'est clair que ce n'est pas nous autres, mais il y a de l'argent dans
le système.
Je vous renvoie un peu la balle, là. Pour le
voir, comme vous le dites, il faudrait avoir une espèce de baguette magique ou légale, un des deux, qui nous
permettrait de voir les livres. Et ça, il n'y a personne ici... Puis j'ai tendu
la perche à à peu près tout le monde qui est passé, là, et, vous l'avez
remarqué, on a eu des réponses souvent contradictoires, mais on ne l'a jamais,
la réponse, les gens ne s'ouvrent pas. C'est comme ça qu'on le saurait.
Si on n'est pas
capables d'ouvrir les livres légalement, bien, la seule manière pour aller voir
l'affaire, elle est indirecte. Et n'est-ce
pas que l'appel d'offres est une bonne manière — qui devient très directe,
quoiqu'indirecte — pour aller chercher cette information-là? Et, si
l'appel d'offres est construit correctement, bien, on minimise les risques
auxquels vous faites référence.
Je
ne me rappelle pas le terme que vous avez utilisé il y a un instant, là, vous
avez dit que... Comment vous avez dit ça? On brassait le système, là, ou
on... Bon, essentiellement, je suis d'accord avec vous, là, que le projet de
loi n° 81 ébranle les colonnes du
temple. Ça, là, je suis bien d'accord. Mais ça a la finalité que vous
recherchez : savoir. Pour trouver le juste milieu, il faut savoir.
Quand vous nous dites
qu'il y a un intérêt à la Politique du médicament, j'en suis... et j'en suis,
point, mais c'est un des éléments de
l'oeuvre globale du médicament dans ces éléments-là. Et moi, je vous dirais
qu'idéalement, si nous pouvions agir
partout, et j'aimerais bien agir partout, c'est ce qu'il faudrait faire, mais
agir partout, c'est la sommation de l'action
dans chacun des éléments, et un des éléments, c'est l'appel d'offres. Ça
n'exclut pas une action ailleurs. Mais ce que je viens de dire là,
est-ce que ça vous sied?
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Non, en fait. Je vous dirais qu'à mon avis il ne
s'agit pas d'aller nécessairement voir les
livres ou l'ampleur des transactions qui s'effectuent entre fabricants, je
pense qu'il faut partir de la prémisse
qu'il existe de la marge. C'est évident qu'il existe de la marge. Puis moins il
y a de marge, moins il risque d'avoir un
intérêt pour créer des ententes entre fabricants. Ce que je vous dis, c'est que
j'ai l'impression qu'on n'a pas d'abord évalué nos autres options avant de mettre en place un projet de loi qui,
je ne crois pas, aura la finalité qui est souhaitée. En fait, je vous
dirais...
M. Barrette :
Je vais vous arrêter là-dessus. Je comprends, mais à ce moment-là comment
pouvez-vous concilier votre position avec l'expérience d'autres pays qui
a été relatée ici, là? Là, évidemment, je vais prendre l'exemple extrême, là,
qui est celui de la Nouvelle-Zélande ou celui de l'Allemagne, ainsi de suite,
là, qu'on connaît tous, vous connaissez,
vous aussi, là. Mais comment peut-on concilier les deux? Ils ont fait ça, les
autres, là. Mon collègue de Mercier, là,
lui, sa position, là, c'est ça. Lui, sa position, c'est la Nouvelle-Zélande,
c'est son cheval de bataille. Et, lui, quand il s'exprime, là, c'est
indiscutable : Hors de la Nouvelle-Zélande, point de salut, là.
• (11 h 50) •
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) : Vous savez, moi, j'ai fait une maîtrise en
politique internationale de la santé avec
une concentration en économie de la santé au London School avec les professeurs
Elias Mossialos, Panos Kanavos, qui
publient beaucoup sur le sujet du prix de l'offre, de l'accès aux médicaments,
puis, s'il y a une chose qui nous a été enseignée dans le cadre de ces
études, c'était qu'il faut toujours faire très attention lorsqu'on veut
importer, dans nos politiques publiques, des
modèles étrangers. Il y a beaucoup de modèles étrangers qui semblent
intéressants, que ce soit dans le milieu de la santé ou dans le milieu
de l'éducation. À la limite, le système de santé cubain, à certains égards,
peut paraître intéressant, mais est-ce qu'on veut l'importer?
M. Barrette :
Il fait chaud là-bas.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) : Bon, je vous laisse tirer vos conclusions. Je ne
suis pas certaine qu'on voudra négocier le salaire des médecins à cet
égard-là si on l'importe.
Donc, le modèle de la
Nouvelle-Zélande, c'est un modèle intéressant. Et d'ailleurs j'ai fait une...
M. Barrette :
Vous faites un éditorial politique, là. Vous faites plaisir à mon collègue.
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Je dois vous avouer que ça me tentait.
M. Barrette :
Vous montrez votre allégeance, là. Ça vient de tout teinter, là.
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Je reviens au modèle néo-zélandais, qui est un
modèle, effectivement, intéressant. Puis je
pense que le président de Pharmac l'a rendu aussi intéressant, quoiqu'il y a quand même
des éléments de sa présentation qui
pouvaient susciter certaines craintes chez nous. Le modèle néo-zélandais... Il
faut se replacer dans le contexte. Il faut penser que ce modèle-là a été
créé dans un contexte où il y avait quand même... bien, en fait, où il n'y a
pas d'industrie ni de génériques ni de novateurs réellement, dans
un contexte, si je me souviens bien, à la fin des années 97, où la prescription des médicaments
génériques, partout au monde, n'était pas particulièrement intéressante, donc les volumes de ventes n'étaient pas intéressants. Donc, il y avait
un intérêt à mettre en place un processus d'appel
d'offres pour susciter, finalement, des volumes de ventes et donc une réduction des prix. Donc, ça, c'est
plein d'éléments qu'on doit prendre en compte lorsqu'on regarde le
modèle néo-zélandais.
Par ailleurs, c'est intéressant, parce que mon collègue et ami, d'ailleurs, Marc-André Gagnon vous a dit que ce
modèle-là était, et comme le dit Amir Khadir, très, très, très intéressant et
que nous devrions le suivre. Mais, dans ce modèle-là, vous savez qu'il y a
beaucoup d'ententes confidentielles qui sont négociées entre le gouvernement et
des fabricants de médicaments génériques, alors il faut faire attention.
Moi, je suis tout à
fait... Vous savez, vous connaissez, d'ailleurs, ma position relativement aux
ententes d'inscription. C'est dans ce
contexte-là, d'ailleurs, qu'on s'était déjà rencontrés. Moi, je pense qu'il y a
des bénéfices à négocier, mais il
faut prendre en compte le fait que ce modèle-là n'implique pas seulement des
appels d'offres. Et par ailleurs ce modèle-là, il implique maintenant
des appels d'offres pour énormément de médicaments.
La Présidente (Mme Hivon) :
Je vais vous inviter à conclure.
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Donc, je conclus sur ça.
La Présidente
(Mme Hivon) : Merci. On va passer la parole à
l'opposition. M. le député de Rosemont.
M. Lisée :
Merci, Mme la Présidente. Me Bourassa Forcier, Me Foucher, merci
beaucoup de votre présentation. Effectivement,
vous êtes la dernière personne à présenter, mais vous êtes une des très
nombreuses personnes à avoir dit au ministre
qu'il prend le bébé par le siège et qu'il aurait fallu commencer par la tête,
avec se faire une tête sur la Politique du médicament. Vous l'avez dit, le Commissaire à la santé et au bien-être
l'a dit, la coalition sur le cancer, l'AQPP, l'Ordre des pharmaciens, enfin, je me demande s'il y a
quelqu'un qui ne l'a pas dit. Et le ministre dit : Ah! vous savez, un
projet de loi, ça a une limitation
conceptuelle. Bien, ça a la limitation conceptuelle de son rédacteur. Et
absolument rien n'empêchait le ministre, s'il ne voulait pas...
Le
ministre est toujours pressé. Ce n'est pas nécessairement un défaut, mais il
aurait pu dire : Bien, moi, avoir une politique du médicament et
des consultations sur la politique, etc., c'est trop long pour moi. Et il
aurait très bien pu dire : Bon, bien,
écoutez, il y a 10 mesures essentielles à introduire, les voici. De toute
façon, le Commissaire à la santé et au bien-être
lui a dit, en mars dernier, un certain nombre de choses. Il pouvait lui-même
faire la mise à jour de la politique de son prédécesseur, qui est maintenant premier ministre, et il aurait pu
nous arriver avec un projet de loi avec 15 mesures puis un petit
texte à côté en disant : De façon réglementaire, je vais faire ces huit
autres-là, et on aurait entendu les mêmes personnes.
Il aurait pu introduire, bien sûr, les appels d'offres là-dedans. On aurait
entendu les mêmes personnes, qui nous auraient donné des recommandations
plus précises sur l'ensemble des mesures, et on aurait, d'ici un mois et demi,
un projet de loi avec une politique du
médicament beaucoup plus large, beaucoup plus efficace. Et c'est le choix du
ministre de perdre le temps de la société québécoise sur ce sujet-là, tout
simplement.
Mais
il fait un coup de massue. Vous l'avez dit, il l'a confirmé, un coup de massue.
Il aime ça, les coups de massue. Il
en a fait un cette semaine, d'ailleurs, sur un autre sujet, sur une autre
personne, et tout le monde a remarqué que c'était très déplacé. Maintenant, le coup de massue qu'il
donne sur le système du médicament, le problème, c'est que des fois un coup de massue, ça permet de replacer des choses,
puis parfois ça fait très mal. On a vu que son refus de respecter son engagement auprès des pharmaciens sur le
déplafonnement fait en sorte qu'en ce moment il y a une réduction de
l'accès à des pharmacies au Québec,
1 000 personnes ont perdu leur emploi dans les pharmacies du Québec
et, s'il n'agit pas, une pharmacie sur quatre serait en bas du point de
rentabilité.
Et là, dans ce projet
de loi, il dit : On va aller en appel d'offres, et ce qui aura — et
vous l'avez dit — comme
conséquence de retirer, pour chaque appel
d'offres, les ristournes, les allocations professionnelles. Il y a quelqu'un
qui nous a fait ici une estimation que ça
valait à peu près 200 millions par année pour les pharmaciens du Québec.
Je ne sais pas si vous êtes d'accord avec cette estimation, mais en tout
cas, si c'est vrai, ça veut dire qu'en plus de leur enlever 133 millions,
là ils enlèveraient 200 millions de plus, donc 333 millions par
année, et là ce n'est pas une pharmacie sur
quatre qui fermerait, c'est beaucoup plus. Ça, c'est le coup de massue, hein?
La limitation conceptuelle du projet de loi, c'est ça.
Alors,
vous, vous nous dites, bien, évidemment, comme tout le monde : Ça
prendrait une politique du médicament. Puis
moi, j'ai encore un très, très léger espoir que, lorsqu'il reviendra, le
ministre, avec ses amendements, il introduira un certain nombre d'idées
comme celles dont vous avez parlé. Alors, je vais vous poser des questions sur
ces idées-là, entre autres la révision par les pairs des pratiques de
prescription des médecins. Comment ça marcherait? Pourquoi ça n'existe pas
déjà?
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : C'est une bonne question. Mon Dieu, ça doit faire
depuis le début des années 2000, où on
a mis en place, dans certaines juridictions, des pratiques de révision par les
pairs. Ça peut prendre différentes
formes. Donc, normalement, idéalement, il devrait y avoir des groupes de pairs
qui soient formés pour pouvoir évaluer les pratiques de prescription de
leurs collègues. Vous savez, la RAMQ a un certain pouvoir de révision des
pratiques des médecins, et, lorsqu'il y a un comité de révision qui est créé, il
y a un comité de pairs qui est créé. Et malheureusement un processus de la
sorte est très rare et ponctuel parce que ça découlera d'une demande de
révision des pratiques des médecins.
Donc, idéalement,
selon moi, il faudrait instaurer un continuum de vérification des pratiques des
médecins, particulièrement au niveau de la prescription, pour s'assurer que la
prescription est optimale, tout simplement.
M. Lisée :
Est-ce que les fédérations syndicales de médecins sont favorables à cette
pratique?
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) : Bien, en fait, ce qui découle de mes recherches,
c'est qu'on n'a jamais réussi à obtenir,
finalement, l'adhésion de ces groupes, malheureusement, alors que ça s'est fait ailleurs, tout comme, en
fait, la mention de l'indication thérapeutique sur les prescriptions. Ça
fait en sorte qu'on a, nous, au Québec, une difficulté réelle à déterminer si
on a des bonnes pratiques de prescription et on se compare où par rapport à
d'autres.
M. Lisée :
Expliquez-nous ce que c'est, ça, l'indication thérapeutique sur la
prescription.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) : Donc, c'est d'indiquer sur la prescription la
raison pour laquelle le médicament x est
prescrit. Puis M. le ministre pourra certainement ajouter à
cet égard-là, il sait certainement mieux la réponse que moi. On a déjà allégué que ça pouvait
atteindre l'autonomie du médecin, mais ça se fait ailleurs.
M. Lisée : Donc, le médecin a plaidé, donc les fédérations
syndicales de médecins ont plaidé qu'ils ne voulaient pas inscrire sur
la prescription la raison pour laquelle ils prescrivaient ce médicament parce
que ça aurait un impact sur leur autonomie.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
C'est des arguments qui ont été déjà allégués, pas de façon claire et nette parce qu'on n'a jamais mis en place cette
idée, en fait, on n'a jamais demandé à ce que ce soit quelque chose qui soit existant au sein de notre système. Donc, c'est des
échos ici et là, donc, malheureusement... Il faudrait, en fait, qu'on ait des
discussions plus sérieuses à ce sujet.
M. Lisée : Est-ce qu'évidemment d'avoir la raison pour laquelle le médicament est
prescrit sur la prescription permettrait aussi au pharmacien soit de
substituer un autre médicament ou de voir s'il y a des contre-indications dans
le cocktail du médicament du patient, compte tenu de sa connaissance de l'objectif
du médecin?
• (12 heures) •
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) :
Normalement, le pharmacien devrait, dans le cadre de ses fonctions,
s'assurer de connaître le profil de son
patient, donc la pathologie de son patient, et donc, à partir du dossier... Une
chance, de plus en plus, les dossiers
sont bien informatisés, donc il y a de plus en plus d'éléments dans un dossier
patient. Donc, normalement, il
devrait être capable de dresser le profil du patient à partir des médicaments
qui figurent dans le système. Mais évidemment, pour un nouveau
médicament, pour un nouveau patient, ça sera plus difficile de le faire. Mais présentement, à mon avis, c'est quelque
chose qui est possible pour les
pharmaciens. Il y a déjà beaucoup de substitutions qui se font. Par ailleurs, il
faut faire attention avec la
substitution pour des médicaments qui ne sont pas bioéquivalents. C'est la raison pour laquelle aussi notamment
l'ordre recommandait qu'il n'y ait
pas d'appel d'offres pour des biosimilaires, parce qu'ils ne sont pas bioéquivalents, parce qu'il y a certainement un
risque de responsabilité, là, pour les pharmaciens.
M. Lisée : Donc, ce que
vous nous dites, c'est que, dans d'autres juridictions à l'extérieur du Québec,
les fédérations médicales ont accepté, ou se
sont fait imposer, ou peut-être proposer ces innovations-là, et ce n'est pas le
cas au Québec, et donc on est en retard
là-dessus à cause du manque d'adhésion de gens qui sont à la direction de ces
syndicats de médecins, dont un est
maintenant ministre de la Santé et qui n'était pas prédisposé, pendant
plusieurs années, à faire ça. Et maintenant qu'il est ministre de la Santé,
il devrait se contredire, disons, pour y arriver.
On sait qu'il y a plus de prescripteurs
maintenant, donc les pharmaciens peuvent prescrire, les infirmières
professionnelles peuvent prescrire. Le Commissaire à la santé nous disait qu'il
serait utile d'avoir des profils de prescription
entre médecins pour faire des comparaisons et faire des comparaisons régionales
aussi. Est-ce que ce serait une bonne idée, selon vous?
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Certainement. Je suis tout à fait d'accord avec cette recommandation du
commissaire.
M. Lisée : Est-ce que,
par exemple, de faire en sorte que... Une chose qui serait assez simple à
mettre dans le projet de loi, c'est la
révision thérapeutique par le pharmacien. Là, j'ai souvent demandé : Est-ce
qu'il y a des études sur l'impact économique? On connaît l'impact
thérapeutique. Il est certain qu'un pharmacien qui revoit le cocktail de médicaments de chaque patient de façon régulière,
ça ne peut qu'avoir un impact positif sur la médication, sur ses effets secondaires et donc d'éviter aussi
l'hospitalisation à cause de la malassignation du traitement. Mais vous qui
êtes spécialiste en économie de la santé, est-ce que vous savez s'il y a
des études qui ont démontré les économies générées par le MedsCheck?
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Je n'ai
pas, malheureusement, effectué de recherche au niveau des retombées
économiques du MedsCheck, par exemple s'il était mis en place au Québec. Je
pense que des intervenants ici sont venus,
finalement, répondre à cette question-là de façon directe ou indirecte, à tout
le moins en vous disant qu'il est certain qu'il y aurait des économies qui pourraient découler d'un MedsCheck.
Chose certaine, c'est que, dans d'autres juridictions, les pharmaciens sont rémunérés pour le faire. Et
nécessairement, si on a choisi de les rémunérer, c'est certainement
parce qu'il y a des retombées positives qui compensent le coût de la
rémunération.
M. Lisée : ...pourquoi
le ministre de la Santé ne veut pas de ça?
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Je ne le
sais pas, en fait. Et par ailleurs les assureurs privés devraient aussi avoir un intérêt parce que ça pourrait
certainement avoir un impact sur l'ampleur des primes qui sont payées par les
assurés du secteur privé et, en fait, les
employeurs. Donc, il y a le gouvernement et les assureurs privés qui devraient
avoir un intérêt à rémunérer les pharmaciens pour assurer un suivi du
dossier du patient.
M. Lisée :
Quand on regarde l'écosystème, là, le ministre dit : Je vais faire un gros
coup de massue qui va avoir un impact
sur les prix, on l'espère. Maintenant, ça n'a pas de sens sur les grossistes,
ça, j'espère qu'il l'a compris, mais ça va avoir un impact très négatif sur la survie même des pharmacies. Mais il
aurait des solutions pour ça, dire : O.K., je vais vous enlever vos allocations professionnelles. Il y a
plein de gens qui ont dit : Ce n'est pas normal que ça existe, ça ne
devrait pas être là. Il faut les remplacer
par quelque chose si on ne veut pas que les pharmacies ferment. Il pourrait
décider simultanément de rémunérer
les pharmaciens pour faire la vérification thérapeutique, pour leur faire faire
de la vaccination et trois ou quatre autres choses supplémentaires, puis
dire : Bon, bien, voilà, vous allez faire plus de gestes cliniques pour
lesquels je vais vous rémunérer, puis je
vais essayer de vous rémunérer à peu près à la hauteur de ce que je vous
enlève. Est-ce que ça ferait sens, selon vous?
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Selon
moi, oui, parce qu'en fait j'ai toujours dit qu'un investissement en prévention et dans l'utilisation optimale des
médicaments générait, à long terme... malheureusement pas à court terme,
donc c'est difficile pour un gouvernement
parfois d'adopter des politiques qui génèrent des effets positifs à long terme,
mais qu'un investissement à cet égard-là générait des effets positifs à long
terme pour un système de santé.
La Présidente (Mme Hivon) :
Il reste une minute.
M. Lisée : Merci. Le
président de l'AQPP disait : Bien, écoutez, laissez-nous vacciner,
laissez-nous faire le MedsCheck, et en
dedans de trois mois il va y avoir des économies pour l'ensemble du système de
santé, pas nécessairement spécifiquement pour la pharmacie, mais pour
l'ensemble du système de santé. Est-ce que c'est exact, selon vous?
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Je ne
pourrais pas vous dire si le trois mois est exact, mais il faudrait à ce moment-là vérifier, effectivement, s'il y a une
corrélation, par exemple, avec le taux d'hospitalisation lié à une
mauvaise consommation des médicaments qui aurait pu être évitée à la suite d'un
MedsCheck, mais oui, possiblement, dans certaines situations. Tant mieux.
M. Lisée : Je ne sais pas qui nous disait, au Commissariat à la santé ou quelqu'un d'autre, que,
si on reporte le coût de
l'hospitalisation générée par un mauvais traitement de médicaments aux
États-Unis au Québec, c'est au total à peu près 700 millions par année d'hospitalisations générées par une
mauvaise utilisation des médicaments. C'est beaucoup d'argent à aller
chercher en prescrivant mieux et en vérifiant la médication.
La
Présidente (Mme Hivon) : Alors, sur ce commentaire, nous
allons passer aux échanges avec la deuxième opposition pour une période
de neuf minutes. Alors, la parole est au député de Lévis.
M. Paradis
(Lévis) : Merci, Mme la
Présidente. Bienvenue, Mme Bourassa Forcier, Mme Foucher. Je pense
que je comprends plus globalement, là. Je pense
que c'est assez clair dans votre démonstration, le projet de loi n° 81,
c'est quelque chose, mais, dans le meilleur des mondes, vous auriez souhaité
qu'on s'adresse à la problématique de façon beaucoup plus large, vous me
corrigerez si j'interprète mal votre vision.
Vous nous dites aussi, vous venez de le
dire : Sur le plan strictement économique, il y a déjà des gains qu'on aurait pu et qu'on pourrait faire en modifiant les
pratiques ou, en tout cas, en adoptant certaines pratiques, vous venez
tout juste d'en parler avec le collègue. Vous dites, au surplus, puis je
résume, que, dans une notion comme celle-là, il y a vraiment des dossiers importants. Tout n'est pas que mathématique et
économique, il y a aussi l'aspect sociétal. Je pense que vous avez fait
un grand bout de chemin là-dessus.
À travers
tous ceux qui sont venus nous voir, revenons au dossier économique, plusieurs
personnes ont présenté l'industrie comme un écosystème extrêmement
fragile. C'est presque l'effet papillon, là, un coup d'aile peut faire en sorte que tout se démolisse et tout se débâtisse.
Certains ont même dit que, si c'était adopté dans sa forme actuelle, ça
pourrait même menacer la survie à ce point fragile qu'il y a des gens, là, qui
ne survivront pas à ça.
À la lumière
de vos analyses — parce
que vous faites des analyses de faits, vous faites probablement aussi,
dans ce cadre-là, de la projection — est-ce que vous sentez cette fragilité, ce
danger-là, dans la gestion de risques, là, d'ébranler à ce point cet
écosystème que certains n'en survivent pas?
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
En fait, ce que je peux vous dire, c'est ce qui découle de l'étude qu'on a réalisée. En fait, il faut comprendre que cette
étude-là, on l'a réalisée notamment parce que ça nous préoccupait, cette
différence de prix entre groupes
d'approvisionnement et aussi la décision de fabricants de ne pas soumettre dans
le cadre d'appels d'offres. On
voulait comprendre pourquoi des fabricants décideraient de ne pas soumettre.
Et, dans le cadre de cette étude-là,
donc, de fil en aiguille, on a réalisé, à la suite de rencontres avec
différents intervenants, qu'effectivement, dans certaines situations, les appels d'offres avaient pour effet de
supprimer du marché certains fabricants, de ne pas créer d'intérêt pour
certains fabricants de produire, par exemple, dans un domaine spécialisé où il
y a des appels d'offres, à cause des appels d'offres. Donc, c'est ce que je
peux vous dire.
C'est très
difficile de faire des projections. C'est très difficile pour moi qui suis
d'abord et avant tout juriste de savoir
quel serait l'impact d'un processus d'appel d'offres au Québec tel qu'il est
présenté dans le projet de loi parce qu'on ne sait pas quelle forme il
prendra. On ne sait pas si on ne va faire qu'un seul appel pour plusieurs
produits, on ne sait pas s'il pourrait y avoir des appels différents pour
différentes catégories de produits. Certains ont déjà proposé qu'il y ait des
régionalisations d'appels. Donc, on ne sait pas quelle forme prendra l'appel
d'offres.
Il y a
l'analyse d'impact qui a été publiée par le ministère, et je suis très heureuse
que cette analyse ait été rendue publique parce que ça aurait été
difficile de comprendre quelle était la portée du projet de loi, mais il
demeure que cette analyse, c'est un document d'orientation. Vous savez, on est
très loin du document explicatif de 2004 qui était sous-jacent à la politique
québécoise et on est même loin, maintenant, de la politique. Donc, dans quelle
mesure ce document-là nous dit réellement quelle forme prendront les appels
d'offres au Québec? On ne le sait pas.
• (12 h 10) •
M. Paradis
(Lévis) : Il y a beaucoup d'inconnu, là.
Mme Bourassa Forcier (Mélanie) :
Beaucoup, trop.
M. Paradis
(Lévis) : Je veux dire, à un
moment donné, si tu ne connais pas les ingrédients, pas facile de
compléter la recette, là. Même si tu as dans
ta tête de compléter sur quelque chose, il y a beaucoup d'inconnu. D'ailleurs,
les gens l'ont dit, tu sais : On aurait aimé ça avoir une espèce de
vision, ne serait-ce que mathématique, puis elle n'est pas là.
Est-ce que je
dois cependant comprendre... bien que vous soyez juriste, je
l'avais dit, mais je sais que les notions économiques font aussi partie de vos connaissances. Est-ce qu'on
peut dire que les fabricants les moins compétitifs, donc, à la lumière de ce que vous dites, pourraient être à
risque? Mais il y a aussi le marché de l'exportation. Ce qu'on fait
chez nous actuellement, c'est qu'on vend pour chez nous, qui est un volume que
l'on connaît, mais il y a aussi des volumes d'exportation
qui sont importants pour nos entreprises établies qui sont,
nous l'a-t-on rappelé, extrêmement
importantes, l'industrie pharmaceutique
étant chez nous, au Québec, une industrie florissante mais menacée, nous
disaient-ils. Est-ce que ça pourrait compenser? Est-ce que ça amenuise
les risques encourus?
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Bien, en
fait, c'est certain que de faire un appel
d'offres qui est ouvert à tout
fabricant reconnu comme fabricant par Santé Canada, ça
ouvre le marché international. Donc, c'est évident qu'à l'international il y a possiblement des
compagnies qui sont beaucoup plus en mesure de remplir les termes d'un appel
d'offres au niveau du volume, au niveau des garanties d'approvisionnement. Comme on le mentionne dans notre rapport, l'ampleur des
pénalités exigées... Puis ça, c'est un incontournable, on n'a pas le choix
d'exiger des pénalités en cas de rupture d'approvisionnement pour ne pas être pris pour payer, finalement, les coûts qui découlent
des pénuries. Donc, tout ça, ça fait
en sorte que les plus petits fabricants locaux pourraient ne pas pouvoir
compétitionner. En effet, je
pense qu'on n'a pas besoin, en fait, de formation poussée en économie pour le
voir.
Et certains vous ont dit ici qu'en fait le
marché pourrait être quand même assez protégé dû au fait que les comprimés ici
doivent avoir la même forme et la même couleur que les comprimés des produits
novateurs, et c'est inexact, en fait. En
fait, on recommande qu'il y ait une
même forme, une même couleur, mais il n'y a pas d'exigence à cet
égard-là. Et même, dans certaines situations, il y a eu des décisions
judiciaires en matière de propriété intellectuelle où on a exigé que les fabricants de médicaments génériques modifient la
forme ou la couleur de leurs comprimés pour des raisons de marque de
commerce. Donc, cet argument-là est peu solide, à mon avis.
M. Paradis
(Lévis) : Mais on pourrait
exiger, cependant, certaines... Dans la mise en place des processus
d'appel d'offres, il y a toutes ces notions-là qui peuvent être exigibles pour
aller chercher le soumissionnaire qui voudra bien soumissionner, on se comprend. M. Gagnon est venu nous rencontrer
hier et parlait... bon, finalement, je vois le marché global de 1,2 milliard de vente de médicaments génériques, 150 millions
d'économies, selon lui, quand il fait le parallèle avec le modèle néo-zélandais. Son application, le
principe d'appel d'offres, c'est à peu près ce que ça pourrait nous
donner ici, un ratio d'à peu près 12,5 %, similaire à peu près à celui des
hôpitaux, hein, on parle de 15 %. On dit que ce n'est peut-être pas optimal, mais en tout cas c'est à
peu près une économie de 15 % si ce n'est pas toujours optimal,
efficient. Il reste que... Est-ce que vous appuyez ces données-là? Les
confirmez-vous? Est-ce que c'est un scénario possible?
Mme Bourassa
Forcier (Mélanie) : Ah mon
Dieu! Je vous dirais qu'on a, moi et ma collègue, tenté d'essayer de
déterminer quelles pourraient être les économies. Et puis il y a plein de
chiffres qui sont sortis tout au long de cette commission, et c'est assez
difficile de savoir d'où les chiffres originent. On a demandé, justement, la
question à M. Gagnon d'où originait ce
150 millions là, et il semble dire qu'il origine de la considération du
fait qu'il n'y aurait plus de ristournes
de 15 %, et en fait de la combinaison de cet élément-là avec différentes
études qui portent plutôt sur le marché canadien, à partir desquelles il
fait une méta-analyse pour arriver à un 150 millions.
Donc,
malheureusement, c'est très difficile de vous dire quelles seraient les
économies. Même les représentants, si mon souvenir est bon, des
pharmaciens propriétaires vous disaient plutôt, eux, qu'ils avaient fait le
calcul, que, pour les 10 principales
molécules, s'il n'y avait plus de ristournes de 15 %, on était à
36 millions. Et, quand on regarde, par exemple, le dernier rapport de SigmaSanté de 2014‑2015, en ce qui
concerne les établissements, là on parle plutôt d'une économie environ de 4 %. Lorsqu'on regarde
Bussières et ses collègues, qui ont publié assez fortement sur le sujet
des appels d'offres dans les établissements,
mais avant la baisse importante des prix des médicaments génériques, on
parle de 10 % à 25 % d'économies.
Et, comme M. Khadir le disait dans une de ses répliques lors d'une
présentation, dans certaines situations on peut aller chercher du
40 %.
Donc, c'est
très difficile, mais, chose certaine, si on fait des appels d'offres,
effectivement, on pourra bénéficier, d'une
part, de l'économie qui découle de la suppression des allocations professionnelles,
donc c'est déjà un 15 %, et fort probablement de la marge qui
existe entre fabricants lorsqu'un contrat de fabrication est conclu. Donc, à
mon avis, on va bénéficier à tout le moins
du 15 %. Donc, plutôt que ce soient les compagnies de médicaments
génériques qui le paient, nous, en fait, nous allons bénéficier de cette
réduction.
M. Paradis (Lévis) :
...permettre...
La
Présidente (Mme Hivon) : Merci. Je suis désolée de vous arrêter dans votre élan, c'est tout le temps dont nous disposions. Alors, je tiens à vous remercier sincèrement, Me Bourassa Forcier et Me Foucher, d'être venues
présenter vos observations ce matin.
Mémoires
déposés
Avant de terminer, je dépose les mémoires des
personnes et organismes qui n'ont pas été entendus lors des auditions.
Et, compte tenu de l'heure, je lève la séance de
la commission, et, celle-ci ayant accompli son mandat, nous ajournons les
travaux sine die.
(Fin de la séance à 12 h 16)