(Onze heures quarante et une
minutes)
Le
Président (M. Tanguay) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de
la Commission
de la santé et des services sociaux
ouverte. Je demande à toutes les personnes présentes dans la salle de
bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission
est réunie afin de procéder aux consultations
particulières et auditions publiques
sur le projet de loi n° 20, Loi édictant la Loi
favorisant l'accès aux services de médecine de famille et de médecine
spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière
de procréation assistée.
M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le Secrétaire : Non, M. le
Président.
Auditions (suite)
Le
Président (M. Tanguay) :
Alors, ce matin, nous recevrons les représentants de la Fédération médicale étudiante du Québec ainsi que les représentants de la Fédération
interprofessionnelle de la santé du
Québec. Nous ajournerons nos travaux à 18 heures.
Alors,
bienvenue à vous. Bienvenue en votre Assemblée nationale. Vous disposez d'une
période de présentation de
10 minutes. Par la suite, nous ouvrirons les échanges avec les
parlementaires. Lors de votre présentation, s'il vous plaît, prenez le soin, pour les fins de l'enregistrement,
de bien vouloir vous identifier ainsi que préciser vos fonctions. Alors,
sans plus tarder, la parole est à vous.
Fédération médicale
étudiante du Québec (FMEQ)
M.
Keverian (Serge) : Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes et MM.
les parlementaires membres de la commission,
je me nomme Serge Keverian, président de la Fédération médicale étudiante
du Québec. Je suis accompagné, à ma
droite, d'Alexis Rompré-Brodeur, délégué aux affaires politiques de la
fédération; à sa droite, de Jessica Ruel-Laliberté, présidente du regroupement des étudiants en
médecine de l'Université Laval; et, à ma gauche, d'Ariane Veilleux
Carpentier, présidente de
l'Association des étudiantes et étudiants en médecine de l'Université de
Montréal. J'aimerais souligner le travail
des personnes qui m'accompagnent aujourd'hui, de même que celui de
Philippe Giguère et Alexandre Rolland-Déry pour leur
contribution au mémoire que nous vous soumettons aujourd'hui.
M. le
Président, je souhaite vous remercier personnellement de nous offrir
l'opportunité de venir ici exprimer le point
de vue des étudiants en médecine. Nos étudiants et confrères sont conscients
que l'adoption d'un tel projet de loi viendrait
changer radicalement la pratique de la médecine au Québec, et particulièrement
celle de la médecine familiale. Selon
les projections du ministère, dans moins de deux ans, ce sera 55 % de nos
étudiants finissants qui se verront offrir des postes de résidence en
médecine familiale. Les inquiétudes des étudiants en médecine du Québec, que
nous vous présenterons aujourd'hui, portent
sur la qualité et l'accessibilité des soins aux patients, sur la dévalorisation
de la carrière en médecine familiale,
sur la qualité de l'enseignement ainsi que sur le sort des femmes que nous
côtoyons, qu'elles soient étudiantes ou médecins.
En premier lieu, ce projet de loi est en
dissonance avec les valeurs véhiculées tout au long de notre formation
médicale. Laissez-moi ici expliquer pourquoi. Les mesures inscrites au projet
de loi ont mené à un fort sentiment de dévalorisation de la carrière en
médecine familiale, dont tous ont entendu des échos. Deuxièmement, il ne faut
pas sous-estimer l'impact que les quotas
prévus auront sur la qualité des soins aux patients. Plusieurs intervenants
l'ont mentionné dans ces murs, ici,
si les quotas limitent la pratique de la médecine familiale, le nombre de
patients vus en une journée explosera, et le temps qui leur sera
consacré sera fortement réduit.
Sachez que
les médecins de famille qui travaillent à haut débit et qui valorisent peu la
relation patient-médecin sont
présentés dans la littérature scientifique comme des contremodèles de la
pratique en médecine familiale. Tout au contraire, des entretiens attentifs, qui valorisent la
relation patient-médecin, permettent aux patients d'être des partenaires de
leurs propres soins, et cela donne
les meilleurs résultats sur les indices de santé populationnelle. M. le
Président, à viser sur un format où
priment les quotas, les taux d'assiduité et autres notions comptables, les
étudiants ne souhaitent pas devenir ces
contremodèles de la pratique médicale où l'entretien et la relation avec le
patient sont mis au second plan. Pourquoi? Parce que ce sont les
patients qui en paieront directement le prix.
En deuxième
lieu, nous ne pourrons jamais assez souligner l'importance de la médecine
familiale et des services de première
ligne. Les omnipraticiens sont la porte d'entrée dans le réseau de la santé
pour la population. Ils ont un rôle autant préventif que dispensateur de soins. Le ministère de la Santé et des
Services sociaux a toujours été conscient de cette réalité et du besoin vital en
médecine de famille dans le système de la santé. C'est pourquoi, de concert
avec la FMRQ, la FMOQ, et la FMEQ, et
le Collège québécois des médecins de famille, le ministère avait mis sur pied,
en 2009, le Groupe de travail sur l'attractivité et la valorisation de
la carrière en médecine familiale.
Ce groupe a
établi une série de stratégies et de recommandations, publiées en 2010, et on
porte... en augmentant à la fois le
nombre de postes comblés en médecine familiale ainsi que l'intérêt des
étudiants pour cette carrière. Donc, pour
préciser mes propos, je vous reporte ici aux figures n° 1 et n° 2 de
notre mémoire. Donc, premièrement : en 2007, seulement 74 % des postes de résidence en médecine
familiale étaient comblés, alors que ce chiffre a grandi, au courant des
années qui suivaient, pour atteindre 86 % au jumelage de 2013 et même
90 % à celui de 2014.
Deuxièmement,
alors que 30 % des étudiantes, en 2007, avaient placé la médecine familiale
en premier choix, c'est désormais
38 % des étudiants qui ont fait ce choix en 2014. Force est d'admettre que
les efforts de ce groupe ont porté
fruit. Cependant et contrairement à cette tendance, ce qui est mis de l'avant
avec ce projet de loi fait marche arrière et tendra à renverser la vapeur en ce qui à trait à la valorisation de
la carrière en médecine familiale. À la FMEQ, nous demandons alors : Pourquoi il est nécessaire
de bouleverser ces efforts, alors que nous commençons à peine à en voir les
effets? La question que nous posons au ministre est la suivante : Pourquoi
changer ce qui fonctionnait déjà?
Avec
l'adoption de son projet de loi n° 20, le Québec sera la première province
à imposer des mesures coercitives et contraignantes à la pratique de la
médecine familiale. LA FMEQ est d'avis que cela pourrait pousser nos finissants
à se tourner préférentiellement vers
des pratiques en spécialité ou encore choisir des pratiques de médecine dans
les autres provinces canadiennes.
Comme nous
l'avons vu en Angleterre, nous craignons que l'application de pareilles
contraintes nuise directement à l'objectif principal de ce projet de
loi : l'accessibilité aux soins. En effet, suite à l'application de
multiples mesures contraignantes à la
pratique de la médecine familiale visant aussi à améliorer l'accessibilité,
l'Angleterre a fait face à des départs
massifs vers la retraite de même qu'à un désintérêt marqué des étudiants pour
la médecine familiale. Au final, l'Angleterre
se retrouvera avec un problème encore plus grand d'accessibilité aux soins.
C'est précisément ce que nous craignons voir apparaître au Québec.
En troisième lieu, nous redoutons fortement que
le projet de loi réduise la qualité de l'enseignement de la médecine. En effet, cet enseignement dépend des
omnipraticiens. Avec l'application des mesures contraignantes du projet de loi n° 20, ces médecins n'auront plus
assez de temps à consacrer pour enseigner aux étudiants du préclinique comme
de l'externat. La démission d'un bon nombre
de professeurs est attendue dans les prochains mois sur tous les campus si ce
projet de loi est adopté. Précisément, il nous semble impensable de maintenir
un enseignement dans les campus régionaux — Trois-Rivières et
Chicoutimi — où
les médecins de famille constituent les piliers de l'enseignement.
Ce qui est
présentement proposé dans les règlements associés au projet de loi 20 est
qu'une heure d'enseignement dans une
faculté de médecine équivaut à un patient. Cette équivalence est loin d'être
suffisante pour la complexité et la diversité des tâches d'enseignement
prodiguées dans les programmes de médecine.
M. le
Président, est-ce que nos facultés ont été consultées afin de dresser un
tableau réaliste des exigences en temps nécessaire pour les différentes
tâches d'enseignement, autant en milieu hospitalier, communautaire que
facultaire? Dernièrement, M. le Président,
savez-vous que nous comptons au Québec approximativement 60 % des femmes
étudiant la médecine? Cette
proportion prend d'autant plus d'importance — jusqu'à 70 % — lorsque nous regardons les cohortes de
résidences en médecine familiale.
Nous jugeons aussi important de vous mentionner
que nous craignons les effets néfastes que les mesures prévues au projet de loi auront sur nos collègues. Alors que certains
seraient tentés de comparer strictement en termes du nombre d'actes facturés pour expliquer la
différence de salaire d'environ 40 000 $ entre les hommes et les
femmes médecins, la littérature
scientifique québécoise nous informe que nos collègues de sexe féminin ont des
meilleurs résultats en termes
d'indicateurs de qualité de soins. Peut-être qu'elles facturent moins d'actes à
la RAMQ, mais elles assurent une prise en charge globale des patients,
associée à un nombre réduit de visites superflues.
Comme l'a
remarqué le Conseil du statut de la femme, les mesures du projet de loi, et
particulièrement les quotas ainsi que
les taux d'assiduité, pénaliseraient davantage les femmes que les hommes en
médecine familiale. En 2015 et alors
que le Québec a connu plus de 50 ans de lutte pour l'égalité
hommes-femmes, cette réalité, pour nous, était absolument inconcevable.
• (11 h 50) •
À la lumière des différentes interventions
publiques, la Fédération médicale étudiante du Québec propose les
recommandations suivantes pour améliorer l'accessibilité. Tout d'abord, nous
recommandons le retrait du projet de loi n° 20 et que soient considérées
les solutions proposées par les différents intervenants du milieu de la santé
en vue d'améliorer l'accessibilité aux soins.
Il est faux de penser que la première ligne n'est constituée que de médecins.
Nous sommes d'ailleurs certains que
les autres professionnels de la santé, comme les infirmières,
physiothérapeutes, psychologues, pharmaciens et autres, sont aussi bien
placés pour adresser la question de l'accessibilité.
Aussi, nous
recommandons que la partie II du projet
de loi n° 20 concernant un sujet distinct, soit la procréation
médicalement assistée, fasse partie d'un projet distinct.
De plus, nous proposons de miser sur
l'implantation définitive du dossier médical électronique au Québec. Par la suite, nous pensons qu'il est essentiel de
favoriser le modèle d'accès adapté dans les cliniques médicales. Ensuite,
nous proposons de poursuivre l'implantation massive des GMF à travers la
province avec cependant l'application de mesures sanctionnelles prévues au
contrat établi avec les GMF, notamment relativement aux heures d'ouverture.
Advenant
la mise en dépôt du projet de loi n° 20, la FMEQ s'engage à promouvoir
auprès des facultés l'implantation de cours dans le cursus médical ayant
pour objectif la sensibilisation aux surdiagnostics et à une conduite clinique économiquement viable, ainsi que l'implantation
d'un programme de valorisation de la productivité chez nos étudiants.
Advenant
que le gouvernement décide d'aller de l'avant et d'adopter le projet de loi
n° 20, la FMEQ souhaite formuler les recommandations suivantes :
Nous
proposons que le ministère de la Santé et des Services sociaux démontre,
chiffres à l'appui, que les quotas des
patients imposés aux médecins de famille n'auront pas d'effets délétères sur la
nature de la clientèle suivie par les médecins
de famille. Aussi connu sous le nom de «cherry picking», ce type de phénomène tend
à la sélection de patients basée sur
leurs caractéristiques dans le but d'atteindre des quotas plutôt que de
répondre aux besoins de la population à desservir.
Nous
recommandons aussi une reconnaissance adéquate et juste des tâches
d'enseignement dans ce projet de loi et
dans les projets de loi futurs. Nous demandons une équivalence plus importante
dans chaque heure d'enseignement afin d'inciter
les médecins à conserver ce rôle essentiel et aussi une reconnaissance de tout
type d'enseignement, c'est-à-dire les cours donnés en milieu
hospitalier, dans les facultés, et toute autre forme d'enseignement clinique.
En
guise de conclusion, M. le Président, je souhaite remercier une fois de plus le
sérieux du travail de la présente commission parlementaire qui a le
devoir de travailler sur une pièce législative dont les effets se feront sentir
sur la population québécoise et dans le
réseau de la santé entièrement. Nous espérons que le fruit de notre travail de
même que les recommandations que nous avons émises ici aujourd'hui
auront su retenir votre attention et que nous aurons pu contribuer au débat.
Je
vous remercie, M. le Président, et je terminerai avec une citation tirée de
notre mémoire : «Il ne faudrait pas que ces quelques pas pris vers l'avant depuis 2009 soient suivis de
vingt pas vers l'arrière en 2015.» Merci beaucoup.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, à la demande du
ministre, vous avez pu conclure donc votre présentation qui a excédé
d'une minute.
Une voix :
...
Le Président (M.
Tanguay) : Oui, pardon?
Mme Lamarre :
...déroulement des travaux, je suis informée qu'on va avoir à quitter pour un
vote.
Le Président (M.
Tanguay) : Oui.
Mme Lamarre :
Compte tenu qu'on a déjà un temps qui avait été raccourci, est-ce qu'on peut
prolonger d'au moins 15 minutes?
Le
Président (M. Tanguay) : Oui. Pour ça, j'ai besoin du consentement et,
devançant vos désirs, nous avions fait
une tournée et, semble-t-il, que nous n'aurions pas le consentement, ce qui
n'est évidemment pas un jugement, mais parfois
les collègues ont d'autres obligations, dont les caucus. Alors, je vous invite
à peut-être poursuivre notre dialogue, mais
à moins que j'aie un consentement. Si ce n'est pas le cas, je nous invite à poursuivre
notre dialogue, mais je ne crois pas que l'on ait le consentement pour
l'instant.
Alors, M. le
ministre, vous avez un temps de 10 min 15 s, ayant permis une
minute additionnelle pour qu'ils terminent évidemment, nos représentants de la
Fédération médicale étudiante du Québec, leur présentation. Alors, le ministre
est à vous, 10 min 15 s.
M.
Barrette : Merci, M. le Président. Alors, M. Keverian, Mme Carpentier,
Mme Ruel-Laliberté et M.
Rompré-Brodeur, bienvenue. On n'a pas beaucoup de temps, alors je vais aller
directement aux questions que j'aimerais
vous poser. Je n'ai pas bien saisi, puis j'aimerais ça que vous me clarifiiez
votre position sur votre... Vous avez fait
référence à l'Angleterre assez... J'ai perçu ça négativement, là. Est-ce que
vous voulez reprendre ça, ce bout-là? Parce que vous avez pris
l'Angleterre comme un mauvais... un exemple à ne pas faire.
M.
Keverian (Serge) : Oui, certainement, M. le ministre. Et, pour cette
question, je référerais à Alexis Rompré-Brodeur pour compléter sur la
question.
M.
Rompré-Brodeur (Alexis) : Oui. La nature de notre position par rapport
à la situation en Angleterre se rapporte à des articles que nous avons
pu trouver dans des journaux sérieux, tels que la BBC, qui citaient des
problèmes liés à l'accessibilité et à la formation en médecine familiale en
Angleterre.
Il
faut comprendre que ce qui vient limiter pour les étudiants — qui est quelque chose que nous avons
souhaité et présenté dans le
mémoire — l'intérêt
pour la médecine familiale, un des critères qui est important est la quantité
des mesures, qu'elles soient
bureaucratiques ou simplement qu'elles viennent encadrer de manière rigide la
pratique de la médecine familiale...
vient décourager les étudiants entrant dans cette carrière. C'est des travaux
qui avaient d'ailleurs été reproduits
au Canada par l'un des chercheurs de l'Université de Toronto. Il s'agit de
Jonathan Kerr qui parlait d'une liste
de certains éléments venant décourager les élèves à poursuivre ce type de
carrière vers la médecine familiale, et
les mesures bureaucratiques plus nombreuses qui visaient aussi, tel que
le projet de loi n° 20 le fait, en Angleterre donc d'augmenter
l'accessibilité aux soins de santé avaient eu des effets délétères par rapport
à l'intérêt des étudiants en médecine pour la médecine familiale.
M. Barrette : Est-ce que
ça vous a... Avez-vous croisé, dans la littérature scientifique, les effets...
Je comprends que vous nous présentez
votre collection de données sur les effets délétères sur l'intérêt ou les
contraintes de la pratique en
médecine familiale en Angleterre. Mais avez-vous croisé une littérature...
parce qu'elle existe, là, et elle est extrêmement abondante. Même que l'Angleterre est un modèle
pour la planète, un des modèles, pas le seul, mais un des modèles, et en
plus d'être un modèle, c'est un des plus
étudiés. C'est parce que, du côté de l'angle de la population, c'est exactement
le contraire, là, parce que, là, vous
opposez le bien-être des médecins aux besoins de la population, là. Du côté de
la population, là, c'est assez difficile de critiquer l'Angleterre.
M.
Rompré-Brodeur (Alexis) : Effectivement, je pense qu'il y a plusieurs
acteurs qui peuvent citer l'Angleterre comme
un modèle ayant eu certaines réussites. L'Angleterre a travaillé sur différents
projets pilotes qui lui ont permis effectivement
des avancées, qui ont permis peut-être des avancées qui ont satisfait les
patients. Cependant, et à titre de la Fédération
médicale étudiante du Québec, le message que nous voulons transmettre
aujourd'hui, c'est qu'il ne faut pas négliger
le désintérêt que ça peut avoir pour les étudiants de choisir cette spécialité-là.
Ce que je souhaite pour le Québec, suite
à l'application de tout projet de loi en matière de santé, c'est
qu'effectivement les personnes qui en viennent à prendre une carrière où la notion de responsabilité
sociale et de dévouement personnel est aussi importante que la médecine
familiale, eh bien, que ce soient nos
meilleurs étudiants, nos étudiants les plus motivés qui puissent entreprendre
cette carrière-là. S'il y a des
facteurs qui, pour nous, viendraient défavoriser le choix de pareille carrière,
il s'agit de notre rôle, à titre de Fédération médicale étudiante, de
venir vous en avertir.
M.
Barrette : Je comprends, mais c'est aussi... vous allez probablement
convenir avec moi que c'est aussi le rôle de l'État de mettre en place des
paramètres qui garantissent l'accès aux services. Peut-être que vous ne le
savez pas, mais, à un moment donné,
en Angleterre, le vendredi, c'était la liberté totale pour les médecins et, le
lundi suivant, c'était, disons, une
gestion assez contrôlée de la pratique médicale, tant dans la quantité que la
qualité, que la géographie, et c'est ce qui a fait de l'Angleterre ce
qu'elle est aujourd'hui en termes de première ligne.
M.
Keverian (Serge) : Donc, je répondrais, M. le ministre, pour cette
question, en disant que, oui, on est d'accord que le problème d'accessibilité est un problème qui est primordial et
qu'on doit adresser absolument, mais c'est de notre avis que ce n'est pas en approchant avec un projet
de loi coercitif, qui met des mesures réglementaires, que nous allons réussir à arriver à ce résultat-là. Notre avis est
qu'il faut absolument consulter les différents intervenants qui sont impliqués
dans le système de la santé, tels que ceux
qu'on avait nommés auparavant, pour arriver à des solutions concrètes, des
solutions qui ne sont pas faciles,
qui ne seront pas réglées avec un projet de loi, mais qui seront apportées avec
plusieurs, plusieurs consultations avec les personnes qui sont
concernées.
M. Barrette :
O.K. Juste de même, par curiosité, vous voulez que le ministre ou le
gouvernement, telle l'expression que vous
avez utilisée, mette en place des conditions qui évitent ce que vous avez
appelé le «cherry picking». Vous me proposez quoi, vous, pour éviter le
«cherry picking»? Parce que ça se fait déjà.
M.
Keverian (Serge) : Donc, c'est une question qui est très... c'est une
très bonne question, puis c'est difficile d'adresser cette question en tant qu'étudiant en médecine, en tant que
fédération. C'est très difficile pour nous d'adresser cette question. C'est certain que, présentement,
avec les banques de données que nous disposons au niveau de la RAMQ, c'est difficile d'arriver à une solution concrète,
mais c'est certain que c'est un travail qui relève du ministère de la Santé.
M.
Barrette : O.K., je comprends. Maintenant, pouvez-vous nous expliquer
ou expliquer à ceux qui ne sont pas familiers
avec ça, ça inclut nos collègues parlementaires, le cheminement, ce qui est
disponible pour un étudiant en médecine qui arrive à la fin de son doctorat? À partir du moment où... Je vous
mets en situation, là. Quand on finit notre doctorat, c'est-à-dire le
cours de médecine, à la fin, on doit évidemment choisir une carrière; il y a
deux branches, comment ça marche? Expliquez-nous ça.
• (12 heures) •
M.
Keverian (Serge) : Bien, ça me ferait plaisir de l'expliquer. En fait,
il y a deux grandes branches de choix que
nos étudiants font aujourd'hui. Donc, on a les choix en termes de... en
médecine communautaire, médecine familiale, puis, par la suite, il y a des choix en médecine de spécialités qui sont
disposés... en fait, de médecine plus interne, qu'on appelle, puis, par
la suite, les médecines chirurgicales.
Donc,
c'est les choix que nous avons présentement, et c'est certain que, pour nous,
en tant qu'étudiants en médecine, quand
on fait ce choix-là, il y a beaucoup de facteurs qui influencent notre décision. Et
notre déception face à ce projet
de loi, présentement, c'est que le ton négatif et coercitif qui est
amené à ce projet de loi décourage fortement nos étudiants. Pas présentement...
probablement qu'ils ont fait le choix
récemment, mais les nouvelles cohortes et les personnes qui sont en train de faire leur choix, qui n'ont pas tout à fait décidé quelle carrière qu'ils veulent entreprendre, leur opinion est
fortement influencée par le ton qui est adopté par ce projet de loi présentement.
M.
Barrette : Mais, dans les
faits, là, vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez, et, dans les faits, corrigez-moi si je me trompe, mais la moitié doit aller d'un bord ou de l'autre.
C'est une partie, un choix, mais c'est aussi une partie, une obligation,
parce que vous n'avez pas le choix total, là.
M.
Keverian (Serge) : J'entends vos points, M. le ministre, mais avec
certaines réserves, puisque, oui, il y a des quotas qui sont... il y a des chiffres, des pourcentages, des primes,
qu'on appelle, qui sont déterminées pour les postes de résidence en médecine
familiale, qui sont... qui s'en vont vers 55 %, comme on l'a déjà
mentionné. Par contre, ce n'est pas
en obligeant nos étudiants de faire la médecine familiale qu'on veut leur
apporter vers cette carrière, c'est... Comme mon collègue l'a déjà mentionné, on veut des étudiants qui sont motivés,
qui sont dévoués vers la médecine familiale, qui ont des rôles de modèles pour bien représenter la pratique, et c'est
ainsi qu'on voudrait qu'ils abordent leur future carrière en médecine
familiale.
Le
Président (M. Tanguay) : ...beaucoup. Ceci met fin à l'échange, avec
le réajustement de temps. Je cède maintenant la parole à notre collègue
de Taillon pour 5 min 30 s.
Mme
Lamarre : ...Président. Alors, M. Keverian, Mme Carpentier, Mme
Ruel-Laliberté et M. Alexis Rompré-Brodeur, bienvenue. Merci d'avoir pris le temps, malgré vos cours, de produire ce
mémoire et de venir présenter. Ça témoigne d'un grand engagement envers
votre profession, mais aussi envers les Québécois, la société. Alors, je vous
félicite.
Rapidement,
écoutez, on a très peu de temps, dans votre mémoire, vous demandez au ministre
de démontrer... puis j'aime ça, parce
qu'on est dans un domaine de données probantes, quand on travaille en médecine,
en pharmacie, en santé, donc de
démontrer que les quotas n'affecteront pas le choix des patients. Donc, ce
qu'on présumait et ce qu'on présume
encore, c'est que, dans le modèle des quotas, ça peut amener certains médecins
à faire des choix de patients. Mais en
plus, ce qu'on vit ce matin avec les interruptions volontaires de grossesse,
c'est qu'on se rend compte que, même quand des médecins seraient
intéressés à prendre certains sous-groupes de population qui ont besoin de
soins particuliers, les quotas pourraient
empêcher aussi les médecins de faire ça. Donc, deux dimensions, dans un sens
comme dans l'autre. Pouvez-vous nous parler un peu de vos préoccupations
par rapport à ça?
M.
Keverian (Serge) : Oui. En fait, je céderais la parole à M.
Rompré-Brodeur pour répondre à cette question.
M.
Rompré-Brodeur (Alexis) : C'est sûr qu'on a plusieurs préoccupations
suite à ça. Je reviendrai un peu sur la notion du «cherry picking» puis l'atteinte des quotas qui, pour moi, est
la première limitation. Cette limitation-là, comment elle opère, c'est
qu'un médecin, pour remplir ses quotas, qui vont être calculés de manière
trimestrielle, tel qu'on le comprend par les
règlements qui ont été affichés récemment, en viendrait à faire une sélection
d'une population qui lui permettrait, lui, à titre de médecin,
d'atteindre ses quotas afin de ne pas recevoir de pénalité financière. Il est
connu dans la pratique médicale à savoir quel type de population peut demander
un suivi qui est plus fréquent et plus long, habituellement, dans les
rencontres.
Lorsqu'on
fait une évaluation, par exemple, d'un travailleur qui a eu un accident de
travail et qu'on doit faire des réévaluations,
c'est des choses qui se font relativement rapidement. Il s'agit d'une épaule
luxée ou d'un autre problème qui peut
être adressé facilement. Cependant, lorsqu'on parle de réinsertion au travail
suite à une dépression majeure ou suite
à un burnout, comme on appelle, c'est des rencontres qui prennent plus de
temps, où il faut intégrer le vécu biopsychosocial
du patient, puis c'est quelque chose qui, à notre sens, à titre de fédération,
pourrait amener une sélection négative
de ce type de patients là, qui simplement prennent plus de temps, mais pour qui
le problème est tout aussi important, et qui nécessitent en ce moment,
là, cet accès-là aux soins.
Je reviendrai
encore sur cet exemple-là. Au Québec, on a un manque flagrant de psychologues
au sein du système public. Si ces
patients-là ne peuvent pas être suivis par les psychologues au public et que
les médecins de famille, ensuite, viendraient
à défavoriser dans les listes des patients qu'ils devraient suivre, eh bien,
c'est des personnes qui vont tomber entre
deux chaises. Et c'est quelque chose qui, à long terme aussi, je me permets de
le rappeler, finit par coûter très cher à l'État, qu'est l'absentéisme
au travail.
Pour ce qui
est de la deuxième question, pour toutes les activités particulières, comme
l'interruption volontaire de
grossesse, à laquelle vous faisiez mention, c'est effectivement pour nous
quelque chose de préoccupant que de voir qu'il y a des médecins de famille qui, en ce moment, disposent d'une
expertise certaine, avec plusieurs années de travail accompli, que ce soit pour les interruptions
volontaires de grossesse, mais aussi pour la notion d'hospitalisation, pour les soins palliatifs... C'est une expertise
que le Québec viendrait perdre envers ses patients, et, pour nous, c'est tout à
fait déplorable.
Mme
Lamarre : Écoutez,
moi, je retiens beaucoup «démontrer». Et je pense qu'on est en train de
faire une réforme majeure dans le système de santé, et le ministre nous dit qu'il a fait des consultations, il a parlé à deux, trois personnes, il a évalué certaines choses. Et là, on le voit, il n'y a pas rien de
solide sur lequel il peut démontrer que ces quotas ont été faits de façon rigoureuse et vont nous garantir
que l'ensemble de la population du Québec va être capable d'être soignée, d'être
prise en charge, parce que l'exercice, il a été fait en fonction des médecins.
Et déjà, depuis jeudi, on a...
(Interruption)
Le Président (M. Tanguay) : On doit
finir.
Mme Lamarre : ...deux
exceptions : les soins palliatifs et les interruptions volontaires de
grossesses, alors deux sujets sur lesquels
on a un peu creusé. On a essayé de documenter un peu mieux, puis on se rend
compte que ça ne tient pas la route.
Vous parlez de santé mentale. C'est évident que c'est un enjeu important.
On peut parler de la toxicomanie. Il
y a un petit ajustement de ratio,
mais très peu. Comment on peut être sûrs, sur quelles données vraiment
démontrées... Parce que là on est en train de baser notre système de santé, la rémunération des médecins... Mais de donner des promesses
d'accès sur une base
aussi aléatoire, aussi émotive... Parce
que le ministre n'aime pas qu'on
parle de ça, mais là ça semble être beaucoup, beaucoup intuitif, son
affaire.
M. Rompré-Brodeur (Alexis) : En
réponse, pour nous, pour être capable de produire ce type de données là probantes, je pense qu'une mesure
prudente serait de procéder effectivement à des projets
pilotes pour voir comment on est capables de suivre ce type de population
là sans avoir un impact sur le suivi de ces populations-là. Ce genre de
projet là n'a ni été proposé ni même, je
crois, été dans les carnets du ministère jusqu'à maintenant. Pour nous, ce serait une manière
pertinente et posée que de pouvoir adresser la question.
Le
Président (M. Tanguay) :
Pour les 30 secondes ou quelques qu'il reste, terminez, collègue,
je vous en prie.
Mme
Lamarre : D'accord.
Donc, moi, en tout cas, je retiens beaucoup votre demande de dire
au ministre qu'il nous
démontre sur quoi il s'est basé pour faire ces courbes, ces ratios-là. Il y a
des études temps-mouvements, il y a une moyenne,
il y a des patients qui prennent plus de temps à une première visite. Mais,
sur un ensemble de prises en charge, il devrait avoir la rigueur de nous
démontrer ça. Et je pense que vous avez mis le doigt... Et, dans votre
présentation, vous avez fait beaucoup
de documentation, vous avez une bibliographie, vous avez donné le ton de la
façon dont on doit, quand on présente
un projet, être rigoureux, et on attend cette rigueur-là, parce que
c'est toute la population du Québec
qui est concernée par ce projet de loi là.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, je vous prie de rester sur place. Nous revenons après le
vote et nous poursuivrons les échanges avec les parlementaires. Alors, je
suspends nos travaux quelques instants.
(Suspension de la séance à 12 h 8)
(Reprise à 12 h 23)
Le
Président (M. Tanguay) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous poursuivons donc nos travaux. Et la parole
est maintenant au collègue de Lévis pour 3 min 30 s.
M. Paradis (Lévis) : Merci, M. le
Président. Merci d'être avec nous, M. Keverian, Mme Carpentier, Mme Ruel-Laliberté, M. Rompré-Brodeur.
Vous abordez beaucoup de choses : vous abordez le surdiagnostic, l'informatisation, l'accès adapté. Vous avez parlé de GMF. Vous avez aussi parlé de la
problématique et de l'impact sur l'avenir de la pratique des femmes. Je pense que c'est un élément
important. M. le Président, vous me permettrez de donner la parole à ma
collègue députée de Saint-Hyacinthe sur cet élément.
Mme
Soucy : Bonjour. Vous mentionnez que vous êtes inquiets au sujet de
l'avenir des femmes dans la pratique. On sait que les omnipraticiennes
en ce moment, vous mentionnez qu'elles gagnent déjà 40 000 $ de moins
que leurs collègues masculins, pour
différentes raisons que vous invoquez, dont, bon, les responsabilités
familiales, mais également le type de
patients qu'elles prennent en charge, dont les patients diabétiques, qui
prennent plus de temps. Ça peut être le suivi de la CSST. Et d'ailleurs, par, peut-être, leurs particularités,
elles sont peut-être plus méticuleuses, puisqu'elles ont de meilleurs
résultats au bout des suivis.
Alors, j'aimerais peut-être ça que vous
élaboriez un petit peu sur le fait... Est-ce que vous pensez que le fait
d'instaurer des quotas, comme M. le ministre veut le faire... Pensez-vous que
cela aurait pour effet de décourager les femmes?
Parce que, déjà, qu'elles partent avec 40 000 $ de moins que leurs
collègues masculins, si elles ne l'atteignent pas, la cible, alors l'écart va être encore plus grand. Vous pensez que
ça peut décourager les femmes à opter pour cette pratique-là?
M.
Keverian (Serge) : Merci d'avoir adressé cette question. Nous sommes
très contents de pouvoir vous répondre là-dessus.
Et je laisserai la parole à ma collègue, qui serait mieux placée pour répondre
à cette question, Mme Veilleux Carpentier.
Mme Veilleux
Carpentier (Ariane) : Merci pour la question. C'est une très bonne
question, puis, en effet, je pense
que c'est le danger. La médecine familiale, actuellement, comporte... Il y a
plus de femmes qui choisissent la médecine familiale; il y a déjà plus de femmes qui choisissent la médecine en
général, ce qui est très positif. Mais là ce qu'on voit, c'est que ce projet de loi là nuit à l'égalité
hommes-femmes, nuit à l'égalité hommes-femmes dans le sens où les femmes font des choix de conciliation travail-famille,
puis, dans une société où l'égalité hommes-femmes serait parfaite, on
compenserait ces choix-là.
Mais non
seulement il y a ces choix-là qui sont pris, mais, comme vous l'avez dit, il y
a les actes médicaux qui sont mieux
faits, peut-être, qui prennent plus de temps, des populations qui ont... En
fait, l'étude que vous nommez, qui est
dans notre mémoire, ce qui est discuté, c'est que les femmes font des suivis
plus complets avec les patients, et donc ça, ça améliore l'accessibilité en amont. Donc, ça, on ne peut pas dire que
c'est... Un meilleur traitement en aval va certainement améliorer l'accessibilité en amont. Donc, cette
pratique-là ne nuit pas à l'accessibilité et, au contraire, l'améliore. Et donc
ce serait très dommageable pour la société québécoise de perdre des femmes
médecins de famille parce qu'elles sont démotivées,
parce qu'elles vont être les premières atteintes. Et 40 000 $, c'est
un nombre très conservateur. En fait, ça peut aller jusqu'à 70 000 $, selon le
nombre d'années de pratique, de différence de salaire avec leurs collègues
masculins. Donc, on voit que cet
écart-là est très important. Et donc, si on fait le calcul rapidement, avec le
nombre d'actes médicaux, c'est les
premières qui vont perdre leur 10 %, 20 %, 30 % de salaire avec
ça. Donc, ce serait effectivement très dommage pour l'ensemble de la
population québécoise.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci. Encore 10 secondes, peut-être,
collègue de Saint-Hyacinthe? Ça complète? Je vous remercie beaucoup.
Mme Soucy : Merci.
Le Président (M. Tanguay) : Alors,
nous cédons la parole pour deux minutes au collègue de Mercier.
M. Khadir : Merci, M. le
Président. Bienvenue. Bravo pour l'excellent mémoire que vous avez préparé! Je voulais juste mentionner qu'il a été fait mention
du système britannique. Je n'ai pas encore reçu les documents que j'avais
demandés à mon équipe, mais il y a des analyses qui sont disponibles, au niveau
international, qui s'appellent Health Systems
in Transition. C'est préparé par
l'Organisation mondiale de la santé. Il y en a un sur l'Angleterre, publié en
2011 par l'expert international en la
matière. Aux pages 379 à 384, vous retrouverez une analyse sur
l'accessibilité, qui s'est améliorée
en Grande-Bretagne. Mais tous les éléments qui expliquent l'amélioration de
l'accessibilité, tels qu'analysés et
produisant des effets favorables, il n'y en a aucuns qui sont présents dans le
projet de loi, je vous prie de me croire. Si je dis le contraire, je prie l'équipe du ministère de me dénoncer
dans la prochaine séance. Vous allez voir qu'aucun des éléments qui expliquent, notamment les
quotas... Les quotas, en Angleterre, ce n'est pas individuel, c'est des groupes
de médecins. Donc, il est erroné de
prétendre que, si, en Angleterre, ça fonctionne bien, bien, que juste les
quotas, de la manière proposée par le projet de loi, vont régler quelque
chose.
Est-ce que,
pour le «cherry picking», que vous avez déploré et qui risque d'être aggravé
par le projet de loi du ministre, la capitation pourrait être une
solution, si vous avez une idée là-dessus?
M.
Rompré-Brodeur (Alexis) : Je vais me permettre de répondre à cette
question-ci. La capitation — ou, si ma définition correspond à la vôtre, définit à ce qu'un groupe de médecins
puisse prendre une population donnée, sur un secteur donné de pratique, et qu'ensemble ils se divisent
effectivement tous les patients qui se retrouvent dans ce secteur-là — pour nous, pourrait représenter une solution qui viendrait diminuer, si on la
compare aux quotas qui sont présentement proposés dans le projet de loi, l'impact du «cherry
picking», étant donné que la capitation vient avec une obligation de suivre
tous les patients compris dans la population à desservir. Donc, en ce sens, si
on se dit qu'un groupe de médecins doit travailler ensemble pour traiter tous les patients d'une
population, l'effet «cherry picking» pourrait simplement se changer en un
effet où les médecins suivraient une clientèle qui correspond plus à leur
expertise ou simplement à leur désir.
Le Président (M. Tanguay) : Merci
beaucoup. Alors, ceci met fin à l'échange.
Je vais
suspendre, mais très rapidement, très peu de temps, pour permettre au prochain
groupe de prendre place, rapidement. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 29)
(Reprise à 12 h 31)
Le
Président (M. Tanguay) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous poursuivons nos travaux et nous accueillons
maintenant les représentantes, représentants de la Fédération
interprofessionnelle de la santé du Québec.
Vous disposez
d'une période de présentation de 10 minutes. Bien prendre le soin de vous
présenter ainsi que de nous préciser vos fonctions, et la parole est à
vous.
Fédération
interprofessionnelle
de la santé du Québec (FIQ)
Mme Bédard
(Nancy) : Alors, bonjour, M. le Président, MM. les députés et M. le ministre. Je vais me présenter : Nancy Bédard, je suis vice-présidente à la FIQ. Je présente à ma droite Thérèse Laforest, conseillère au
secteur Tâche et organisation du
travail et pratique professionnelle de la fédération, ainsi que Jean
Villeneuve, qui est du même secteur, Christine Laliberté, qui est une
infirmière praticienne spécialisée de première ligne, et Marie-Eve Viau, qui
est aussi conseillère au secteur Tâche et organisation du travail et pratique
professionnelle de la fédération.
Je tiens tout
d'abord à vous dire que Mme Régine Laurent, la présidente de la fédération,
s'excuse de ne pas être avec nous aujourd'hui. Elle a malheureusement
perdu sa mère hier soir, donc vous comprendrez les circonstances.
Donc, je vais débuter en vous disant que vous
comprendrez que la Fédération interprofessionnelle de la santé représente, comme vous le savez, 65
professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires de la province de
Québec, infirmières, infirmières
auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes, donc tous des témoins
privilégiés du système de santé au
quotidien. Elles sont toutes à même de constater qu'il existe au Québec un
sérieux problème d'accessibilité et
de continuité des soins généré particulièrement par l'offre de soins en
première ligne et la demande de soins grandissante de la population québécoise. À cette fin, la FIQ y
propose non seulement une vision, mais des solutions concrètes, prometteuses
et mobilisatrices qui interpellent tous les
intervenants du réseau à collaborer et à coopérer pour accroître tant
l'accessibilité aux soins et aux
services de santé que leur continuité, leur sécurité et leur qualité. La FIQ
propose des pistes de solution gagnantes
pour toutes les parties prenantes : une équipe de première ligne forte
composée de professionnelles en soins et
du corps médical qui s'entraident et se complètent pour donner des soins de
santé en première ligne de haut niveau pour tous les patients du Québec.
Donc,
dans ce mémoire, la FIQ expose neuf leviers d'optimisation, appuyés par 35
recommandations, pour améliorer l'accès
et les services de soins. Ces leviers visent à optimiser le fonctionnement de
l'ensemble de l'équipe de soins et non pas
uniquement à optimiser l'offre des ressources médicales. C'est clair pour la
FIQ que l'accès aux soins ne passe pas uniquement
par la pratique médicale, mais certainement par celle des professionnels en
soins, et c'est avec cette conviction que nous nous permettons de
proposer des solutions globales et intégrées aux maux du réseau.
Voici
donc les conditions gagnantes à mettre en place : donc, transformer
l'organisation du travail pour permettre aux professionnelles en soins de pleinement exercer leur rôle; créer des
ordonnances collectives nationales, mais surtout assouplir et diminuer les barrières d'application actuelles; augmenter
le pouvoir et la portée du droit de prescription des infirmières; accentuer le déploiement des nouveaux
rôles des professionnelles en soins; renforcer l'interdisciplinarité et la
collaboration interprofessionnelle au sein
des équipes de soins; établir et consolider des mécanismes de coordination des
soins et des services de première ligne,
particulièrement au niveau des maladies chroniques; faire davantage appel à des
outils et à des pratiques cliniques émergeant des avancées technologiques;
mettre en place des mesures structurantes d'attraction
et de rétention destinées aux professionnelles en soins, afin d'assurer la
présence d'équipes de soins stables et suffisantes; et puis, finalement,
renforcer et accroître les lieux de pratique de première ligne
extrahospitaliers.
Et
maintenant je vais céder la parole à Christine Laliberté,
IPS de première ligne, et c'est avec beaucoup d'honneur que cette dernière vous proposera une nouvelle approche prometteuse,
basée sur des applications concrètes de plusieurs des leviers qu'on vient de vous présenter.
Mme
Laliberté (Christine) :
Alors, bonjour. Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui ici pour pouvoir
vous présenter ce projet. Le projet
s'appelle la Clinique Archimède. Alors, c'est un projet dont le principe
directeur est d'utiliser les
compétences optimales de chacun des intervenants impliqués dans la clinique. On
propose un accès aux professionnels priorisé
dans l'ordre, soit les infirmières, infirmières cliniciennes, les infirmières
praticiennes et finalement les médecins, dans un travail de collaboration complet en équipes interdisciplinaires, et c'est
les compétences respectives de chacun qui vont orienter la prise en
charge. On ne parle pas de hiérarchie mais bien de compétences complémentaires.
Alors,
les avantages, c'est : d'optimiser la gestion du temps de ressources
disponible; optimiser le nombre d'actes posés par chaque professionnel — on
veut éviter de dédoubler les actes, que les patients passent au sans rendez-vous pour être pris en charge à
nouveau par une praticienne, à la
suite, pour compléter les soins qui n'ont pas pu être faits dans une
première visite; optimiser le travail de collaboration interdisciplinaire, mais
aussi intradisciplinaire entre nous, les infirmières;
avoir une répartition efficace des raisons de consultations qui vont passer au
sans rendez-vous, qui ne sont pas
justifiées ou qui vont aller à l'urgence; et finalement dans un objectif de
réduire les coûts pour le système de la santé.
Alors,
le parcours du client se divise en deux étapes : on a le parcours du
client au sans rendez-vous, le parcours du client dans la clinique. Concernant le sans rendez-vous, c'est une
porte d'entrée, pour nous dans le projet, pour les patients qui n'ont pas de médecin de famille. À prime
abord, il va déjà y avoir un premier tri qui va se faire par un système optimal
informatisé ou téléphonique, par lequel le
patient qui se présente pour un renouvellement de médication, pour un bilan
de santé ou parce qu'il a un problème de santé chronique, qu'il n'a plus de
médecin de famille, va être pris en charge immédiatement
par les infirmières de la Clinique Archimède et ne passera pas au sans
rendez-vous. Les autres patients vont
passer au sans rendez-vous tel qu'habituel, mais pour les vraies raisons de
consultation de sans rendez-vous. Une infirmière
clinicienne va faire, à prime abord, l'évaluation et le travail va se répartir
à la suite entre trois intervenants mais selon la compétence de chacun, soit entre une infirmière clinicienne,
une praticienne ou un médecin, dans un but d'offrir un service qui va
empêcher le dédoublement d'actes, là, dans la prise en charge du patient.
À
la suite, à la sortie du sans rendez-vous, il y a des patients pour qui il n'y
aura pas d'offre de services, évidemment. Ils vont pouvoir retourner à domicile. Je pense à une otite, entre
autres. Il y a des patients qu'on va garder, qu'on va prendre en charge dans la clinique immédiate, soit pour un
suivi à plus ou moins long terme, et évidemment bien c'est sûr qu'il y a des patients qui vont peut-être devoir être
dirigés à l'urgence ou être hospitalisés. C'est ce qu'on espère ne pas voir,
mais ça va se produire aussi, évidemment.
Concernant
l'infirmière clinicienne, son travail va aller au maximum de ses compétences,
soit en fonction de la loi des infirmiers et infirmières du Québec ou
par des ordonnances collectives. L'infirmière praticienne va optimiser le potentiel de ses fonctions en fonction des lignes
directrices provinciales existantes à l'heure actuelle, et, quand il va y avoir
une demande obligatoire de consulter le
médecin, ça va se faire d'emblée. Donc, le médecin, en bout de ligne, va
travailler en collaboration pour répondre aux besoins des patients, en
lien avec les infirmières et les infirmières praticiennes, et lui-même va voir des patients, pour lesquels il va
avoir toute la compétence nécessaire, évidemment, étant le maître d'oeuvre
dans le suivi, et qu'il va s'occuper des
suivis qui nécessitent une intervention médicale obligatoire. L'infirmière
praticienne va répondre à tous les
besoins des infirmières cliniciennes, des infirmières présentes dans la
clinique, dans un premier temps, et,
si elle ne peut pas répondre, le médecin va répondre à l'ensemble des besoins
des infirmières présentes dans la clinique.
On propose, au sans rendez-vous, d'avoir à la fois sur place une infirmière
auxiliaire, deux infirmières cliniciennes, une praticienne et un
médecin.
Pour ce qui
de l'accès téléphonique... Je m'excuse, je vous ai déjà donné l'information. Je
voulais juste ajouter qu'on propose
l'accès adapté, autant pour les infirmières et les médecins dans la clinique,
pour s'assurer qu'on soit capables de répondre aux rendez-vous dans un
délai raisonnable.
Le parcours du client qui va être dans
la clinique avec rendez-vous, donc dans la Clinique Archimède en soi, va
être associé à la fois soit à un médecin ou
à une infirmière praticienne et toujours aussi à une infirmière clinicienne.
Donc, le patient va toujours avoir un
accès téléphonique à quelqu'un dans la clinique pour ses besoins, pour éviter
de se ramasser à l'urgence ou au sans rendez-vous par manque d'information. On
parle de faire une prise en charge d'équipe. Donc, pour ce qui est du suivi à l'interne, on propose des
suivis temporaires, des suivis permanents et des prises en charge
occasionnelles.
• (12 h 40) •
Pour
ce qui est de la prise en charge permanente, c'est des rendez-vous toujours
planifiés. On fait appel, entre autres, aux patients qui souffrent de
problèmes de santé chroniques, dont on sait qu'ils vont avoir besoin de
quelques visites ou plusieurs visites dans
l'année. Par contre, dans un processus
interdisciplinaire tel qu'on le propose, la prise en charge va rendre le patient le plus autonome
possible face à son état de santé, donc on vise éventuellement une diminution du nombre de
consultations par «empowerment» du patient envers son état de santé.
Pour
ce qui est des prises en charge temporaires, on pense, entre autres, à la prise
en charge des patientes enceintes. On
pense aussi aux patients dépressifs, les troubles d'adaptation, des personnes
qui ont besoin, dans un court laps de temps, d'un suivi plus prononcé, qui éventuellement vont nécessiter moins de
prise en charge, moins de suivi essentiel, et dans un objectif d'augmenter notre accessibilité en ne
bloquant pas un «caseload» en disant : Toi, tu vas avoir 500 patients
dans ton «caseload», «that's it, that's
all», puis là, là-dedans, il y a plein de patients qui n'ont pas besoin de nous
pendant un certain temps. Donc, on va
pouvoir gérer le type de problèmes de santé des patients et augmenter
l'accessibilité globale. On parle
d'une prise en charge d'équipe et non pas de prise en charge individuelle d'un
médecin mais bien d'une clinique : des inscriptions à un médecin, une infirmière praticienne à une clinique
en lien avec des infirmières cliniciennes, donc vraiment globales.
Encore une fois,
l'accès adapté va faire partie de notre façon de fonctionner pour la prise en
charge des rendez-vous. On vise à couvrir
l'ensemble des problèmes de santé chroniques, tels qu'on le sait
actuellement — diabète,
hypertension et autres — pour s'assurer, là, d'offrir une prise en
charge intense auprès de la clientèle dans un objectif donc, comme on le disait plus tôt, qu'ils
connaissent bien leurs problèmes de santé, qu'ils sachent quand consulter et
qui. Et on souhaite aussi avoir des
ressources complémentaires pour que notre équipe interdisciplinaire soit
agrandie avec des nutritionnistes, kinésiologues, ergos, physios, etc.,
là, tous les intervenants qu'on pourrait avoir besoin pour s'assurer d'offrir
un service optimal.
Les heures
d'ouverture...
Le
Président (M. Tanguay) : ...temps écoulé. On vous demanderait de
conclure en 30 secondes, sinon vous n'aurez pas le temps de... vous n'aurez pas le temps d'échanger avec les
parlementaires, et c'est ce que l'on souhaite tous. Alors, en 30
secondes, s'il vous plaît.
Mme
Laliberté (Christine) : Pour les résultats attendus, donc on s'attend
d'augmenter l'accessibilité parce qu'on répartit les suivis parmi les
intervenants et on offre l'accès adapté. L'accès aux ressources les plus
pertinentes au bon moment va permettre d'augmenter l'efficacité et de réduire
les coûts. La bonne raison de consultation au bon endroit. La clientèle va être
bien dirigée. On passe par une réduction du nombre de consultations par année
par client au sans rendez-vous, à l'urgence,
en suivi pour l'ensemble de la clientèle. Donc, on s'attend à une réduction des
coûts pour le système de santé. Merci.
Le Président (M.
Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, pour le 7 min 30 s qu'il reste, M.
le ministre.
M.
Barrette : Merci, M. le Président. Alors, sans vous nommer une par
une, pour sauver du temps, bienvenue, et
on va aller directement à ce qui nous intéresse, et ce qui vous intéresse
aussi, et ce qui intéresse certainement la population.
Je
vais quand même prendre un instant pour vous demander de transmettre nos
condoléances à Mme Laurent, qui vit
des moments évidemment difficiles. J'essaierai de la contacter personnellement
cet après-midi. Je l'apprends de vous,
là, je ne le savais pas,
malheureusement. Mais on peut comprendre que ce soit difficile pour elle et
qu'elle ne soit pas là.
Mais
c'est tout aussi intéressant de vous avoir, évidemment, parce que vous êtes sur
le terrain. Juste pour bien comprendre, là, SABSA et Archimède, ce n'est
pas la même chose, là?
Mme Laliberté
(Christine) : C'est complémentaire, en fait...
Une voix :
...
Mme
Laliberté (Christine) : Oui. C'est ça. Archimède est une clinique dans
le centre-ville de Québec aussi, en basse-ville,
avec des médecins présents sur place. Dans notre projet, on veut avoir des
médecins qui sont présents. On veut
vraiment faire un travail de collaboration pour aller au maximum de notre
travail immédiatement, pour éviter que le patient ait besoin de
retourner consulter à un autre endroit.
M.
Barrette : Et la clinique, là, je ne veux pas vous interrompre plus
long, c'est juste pour réussir à aller au bout de l'affaire, parce que
ça m'intéresse beaucoup, ce n'est pas un GMF, hein, cette clinique-là?
Mme Laliberté
(Christine) : Oui, à l'heure actuelle, c'est un GMF.
M. Barrette : Alors, le ratio...
Mme Laliberté
(Christine) : On vous propose de changer le modèle.
M.
Barrette : Le ratio que vous avez mis de l'avant, là, c'était... Parce
que vous avez un ratio par médecin, mais le ratio total de la clinique,
c'est combien?
Mme Laliberté (Christine) : Il y a
six médecins, à l'heure actuelle, il y a deux infirmières et une infirmière praticienne tel qu'il est actuellement dans le
modèle GMF. Et, nous, ce qu'on propose, c'est de renverser le ratio pour avoir
davantage d'infirmières présentes dans la
clinique et d'infirmières praticiennes pour travailler en collaboration avec le
nombre de médecins qui est présent dans notre clinique actuellement.
M.
Barrette : Vous proposez... Parce qu'inverser le ratio, là, vous êtes
six pour trois. Vous ne proposez pas d'être 12 pour six?
Mme
Laliberté (Christine) : Non. Ce qu'on propose... En fait, à l'heure
actuelle, on se questionne à savoir le nombre total efficace pour répondre à
des heures d'ouverture adéquates de la clinique. Donc, on s'était dit
initialement que, s'il y avait six
cliniciennes, trois praticiennes avec nos médecins présents, on pourrait
commencer à faire le... On propose un
projet pilote, en fait, et d'observer comment vont se manifester les demandes
et les heures d'ouverture dans un objectif
éventuel de pouvoir combler toutes les heures d'ouverture et, pour ça,
éventuellement, évidemment, ça va prendre un peu plus d'infirmières cliniciennes et praticiennes pour couvrir
l'ensemble des heures d'ouverture selon ce qu'on va nous demander, là,
comme heures d'ouverture globales.
M.
Barrette : Quand vous parlez de ratio... Je ne veux pas m'étendre
là-dessus, là, c'est vraiment... Là, je pense que je prends du temps pour rien, mais quand même, vous, c'est une
question de couverture, ce n'est pas une question de ratio sur place, en
même temps, là?
Mme Laliberté (Christine) : Non.
C'est plus pour les heures d'ouverture.
M. Barrette : C'est ça.
Mme Laliberté (Christine) : Oui,
parce qu'avec...
M. Barrette : Mais en même temps
c'est quoi, le ratio?
Mme Laliberté (Christine) : Le ratio
qu'on souhaite avoir?
M. Barrette : Oui, que vous
souhaitez avoir.
Mme Laliberté
(Christine) : Si on allait dans un meilleur des mondes, ce serait bien
si on avait 10 infirmières, cinq, six praticiennes pour au moins trois
ou quatre médecins.
M. Barrette : Là, ça fait pas mal de
monde, là.
Mme
Laliberté (Christine) : Oui. Par contre, si on regarde les grosses
cliniques actuelles, on a plusieurs médecins qui sont présents sur place. En réduisant les ratios, l'équilibre
budgétaire risque de se faire par la bande de par l'ensemble du groupe qui est présent dans la clinique. Les
infirmières sont déjà dans le réseau. Les médecins sont déjà dans le réseau.
On veut plutôt rassembler dans des modèles
novateurs qui permettent de donner une accessibilité, sans nécessairement
dire qu'on va engager des gens supplémentaires dans le réseau. On va plutôt
mobiliser différemment.
M. Barrette : Parlez-moi donc de
SABSA. Bien, êtes-vous disposés à en parler? Avez-vous l'information?
Mme
Laliberté (Christine) : Oui. Alors, SABSA est une clinique qui est
près de chez nous, qui répond à un besoin de clientèle pour lequel c'est difficile d'avoir des intervenants qui
vont accepter de prendre le type de clientèle difficile du quartier Basse-Ville—Saint-Sauveur, donc, et complémentaire aux
services actuellement. Dans le poste que moi, j'occupe, j'ai une clientèle qui est quand même aussi assez
lourde, entre guillemets, et, dans la clinique SABSA, ils vont chercher les personnes encore avec de plus grands besoins
de ressources, qui ont de la difficulté à se mobiliser vers le réseau de la
santé. Donc, ils vont aller les approcher
aussi dans leur milieu, ils vont les amener dans leur clinique et on les emmène
ensuite vers le système davantage. Donc, ils
ont une clientèle qui est plus marginalisée, qui a besoin de services. Ils ont
aussi des gens qui ont besoin juste
d'accessibilité. Alors, ce qu'on veut offrir, c'est une complémentarité, puis
nous aussi, on veut offrir une accessibilité. Et on a des liens aussi, des
échanges, des discussions par rapport à la clientèle pour s'offrir du
service, du support mutuellement, à l'heure actuelle.
M.
Barrette : Si je comprends bien, vous êtes liés à une clinique qui est
un GMF, je pense, et donc vous avez un lien
direct avec eux, et même... je ne sais pas si vous avez une entente, mais vous
avez vraiment une collaboration étroite, là. C'est un peu comme si vous
étiez ensemble physiquement, mais vous êtes dans deux endroits séparés.
Mme
Laliberté (Christine) : ...dans un endroit séparé, mais moi, je suis
avec l'équipe de médecins dans le GMF.
Une voix : ...
Mme Laliberté (Christine) : Oui.
M.
Barrette : Quelle est la proportion de gens qui passent de... je ne
sais pas si vous l'appelez la clinique SABSA, là, vers le GMF? Parce que c'est
comme si vous étiez en même place fonctionnellement, là, c'est comme si vous
travailliez dans le même local, mais
vous ne l'êtes pas, mais vous arrivez à donner les services sans avoir, à tous
les jours, pour chaque patient, à
avoir une supervision directe ou un transfert avec le médecin. C'est quoi, la
proportion qui doit passer au médecin?
Mme
Laliberté (Christine) : C'est
très rare que les clients de SABSA passent à la clinique. Je pense que ce
serait mieux que... Oui, hein? Vas-y, Marie-Eve.
Mme Viau
(Marie-Eve) : Donc, dans... Le projet SABSA, en fait, c'est un projet
pilote de clinique dirigé par une
infirmière praticienne, où il y a des infirmières et des intervenantes
psychosociales aussi qui interviennent. Donc, depuis octobre dernier, il y a eu environ 1 000
visites et il y a environ 5 %, là, des personnes qui ont été référées vers
un médecin, un médecin partenaire, et
quelques cas, je pense, deux ou quatre cas, vers les urgences. Donc, c'est
assez marginal. C'est une clientèle avec un bassin d'accessibilité aux
services de santé, là, qui est visée par ce projet pilote là.
M.
Barrette : Et cette clientèle-là, est-ce qu'il y en a, une partie de
cette clientèle-là, qui est déjà comme inscrite selon nos standards au
GMF en question?
Mme Viau (Marie-Eve) : On a été
assez surpris de constater qu'il y avait environ 50 % de la clientèle qui consultait la clinique SABSA qui est inscrite
auprès d'un médecin de famille dans un GMF, par contre, qui ne réussit pas
à voir son médecin dans un délai qui est
approprié. Donc, c'est pour ça qu'on considère que c'est important d'avoir une
première ligne forte avec des professionnels
en soins qui jouent pleinement leur rôle, pour avoir des services
complémentaires aux services médicaux. Pour nous, le médecin, ce n'est
pas la seule porte d'entrée aux services en première ligne.
M.
Barrette : Il n'y a pas juste ça, c'est qu'en plus vous arrivez à
donner quantité significative de services, et je comprends qu'il y a une partie qui est peut-être services sociaux puis
une partie qui est plus clinique, au sens général du terme, mais vous arrivez à
donner des services sans que ce soit nécessaire pour le médecin d'intervenir et
vous référez quand c'est nécessaire.
C'est quasiment une bonne affaire que vous ne soyez pas dans les mêmes lieux.
Vous dites oui?
Mme Laliberté (Christine) : Oui.
Moi, je dis oui. Oui, parce que ça permet d'offrir des services à d'autres
clientèles puis d'augmenter l'accessibilité globale. Donc, je pense que oui.
M.
Barrette : Et vous êtes dans un mode de sans rendez-vous, ou vous êtes
dans un mode de rendez-vous, ou un mix, un mélange?
Mme Laliberté (Christine) : Moi...
M. Barrette : Non, mais dans SABSA?
Mme Laliberté (Christine) : Ah! dans
SABSA.
Mme Viau (Marie-Eve) : Dans le
modèle de la clinique SABSA, en fait, il y a des plages ouvertes sans rendez-vous, mais il y a aussi des plages avec
rendez-vous et des visites à domicile, là, au besoin, qui sont faites
également.
M. Barrette : Il n'y a pas
d'attente, à toutes fins utiles?
• (12 h 50) •
Mme Viau
(Marie-Eve) : Il y en a très peu pour l'instant, donc l'équipe sur
place, là, est très efficace et puis
réussit à avoir un délai d'attente qui est très raisonnable.
Le Président (M. Tanguay) : Merci.
M. Barrette : ...
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, je cède la parole à notre collègue de Taillon
pour cinq minutes.
Mme
Lamarre : Merci, M. le Président. Alors, bonjour. Mme Bédard, Mme Laforest, Mme
Viau, M. Villeneuve et Mme Laliberté,
bienvenue. Ce qui me frappe dans votre modèle, entre autres, Clinique
Archimède, et dans votre façon de
présenter les choses, c'est que vous partez du parcours du client, vous partez
d'où est le patient et vous dites : Sans rendez-vous, à la clinique,
mais vous lui donnez une porte d'entrée. Et donc ça, je pense
que c'est comme ça qu'on doit définir notre système de santé pour optimiser, donc améliorer l'accès, mais
également diminuer les coûts, parce qu'on optimise vraiment les
résultats quand on travaille de cette façon-là.
Alors, j'ai quelques
questions. Je vous les envoie en rafale pour que vous puissiez y répondre.
Quelles sont vos heures d'ouverture,
les heures d'ouverture, là, de disponibilité? Est-ce que vous travaillez avec
d'autres professionnels? Et combien
de patients par jour voyez-vous? Et vous pouvez les diviser, là, dans les trois
catégories que vous aviez dites tout à l'heure.
Mme
Laliberté (Christine) : Les heures d'ouverture. En fait, à l'heure
actuelle, le projet Archimède n'est pas débuté, parce qu'on n'est pas assez d'infirmières pour le faire, mais,
dans le meilleur des mondes, les heures d'ouverture proposées sur semaine étaient de 8 heures à 21
heures pour le sans rendez-vous, la fin de semaine 8 heures-midi ou 8 heures-16 heures, si c'est ce qui devient une
obligation. Pour les cliniques rendez-vous, on a mis 8 heures à 20 heures
sur semaine, et la fin de semaine on ne
faisait pas de... avec rendez-vous. On propose de donner des rendez-vous à
l'intérieur de 15 jours pour un premier rendez-vous, à l'intérieur
d'un mois pour la prise en charge permanente.
Le contact
avec les autres professionnels. À
l'heure actuelle, donc je travaille
avec des infirmières cliniciennes au
GMF, des médecins dans la clinique, et il
y a collaboration
interprofessionnelle avec les... au besoin avec des physios, des
pharmaciens et autres, aussi des contacts avec le CLSC, avec SABSA au besoin ou
avec d'autres ressources communautaires quand c'est nécessaire.
Le nombre de
patients par jour. À l'heure actuelle, je suis à faire des modifications moi-même. Il a fallu que je fasse
une adaptation sur le nombre de clients, parce que, souvent, les
premières années d'une infirmière praticienne, on a des clients à
l'heure. Alors là, à l'heure actuelle, dans les dernières semaines, j'ai validé,
j'ai regardé, j'ai vu entre 12 et 16
patients. Ce n'est pas du commun. Ça dépend si c'est des suivis ou des nouvelles
prises en charge. J'ai eu des journées plus longues aussi qu'habituellement. Donc, c'est sûr qu'une infirmière praticienne a un horaire de 35
heures et elle doit s'y conformer.
C'est très difficile pour elle de récupérer tout ce qui sort de son
35 heures — involontairement
de la part de l'infirmière praticienne, évidemment — alors elle essaie de
rentrer son travail dans les 35 heures.
Donc, ce
qu'on essaie de faire, à l'heure
actuelle, on a des rendez-vous pour
des premières prises en charge, des suivis
de grossesse. Première visite, c'est des rendez-vous d'une heure. Les enfants,
souvent, c'est du 45 minutes, puis les
suivis en 30 minutes. On essaie d'ajuster. Puis c'est pour ça aussi, le projet
Archimède, c'est qu'on souhaite évaluer le nombre de visites, la nécessité de la répétition, l'enseignement qui pourrait être fait, qui pourrait faire qu'on va réduire mais
qu'on va toujours optimiser le temps
qu'on va accorder à la clientèle. Mais c'est certain que ça ne risque pas
d'être des rendez-vous de 15 minutes,
parce que, dans un rendez-vous de 15 minutes, pour l'avoir
essayé, le patient n'a pas le temps
de parler, c'est moi qui parle. Donc, ce n'est pas ça que je veux, je veux
l'entendre, je veux l'écouter. On veut une prise en charge globale. On veut les avoir, les besoins psychosociaux,
puis je veux savoir pourquoi il a une dépression puis un trouble
d'adaptation, puis, pour ça, j'ai besoin du temps pour lui parler. À l'heure
actuelle...
Mme
Lamarre : ...vous poser une
question, juste parce qu'il nous reste 1 min 45 s. Qu'est-ce que vous pensez des quotas qui
sont imposés par le ministre? Qu'est-ce
que ça va donner comme impact sur
les patients et — on
l'a vu aussi ce matin, là — avec les interruptions volontaires de
grossesse? Comment vous voyez ce modèle-là?
Mme
Laliberté (Christine) : En
fait, pour y avoir réfléchi, mais c'est une réponse personnelle que je vous
donne, je pense qu'on peut avoir des quotas mais pas des quotas par
débit, des quotas par approche d'équipe. Là, on va être capables de répondre. Des approches par débit, à un moment donné, on va être aux trois minutes puis aux cinq minutes, puis finalement
le patient, il va dire : J'ai mal au ventre. O.K., va faire ça. Tu sais,
ça ne marche plus.
Mme Lamarre : ...là, vous avez
besoin d'un peu de temps pour établir le lien de confiance...
Mme Laliberté (Christine) : Oui, on
a besoin de temps.
Mme Lamarre : ...obtenir l'information
juste, hein? Les gens ne se confient pas spontanément.
Mme Laliberté (Christine) : Oui.
Donc, c'est dans une approche d'équipe qu'on pourrait y arriver, oui.
Mme Bédard
(Nancy) : Moi, j'ajouterais,
par rapport à la fédération, que, pour nous, n'agir que sur
la variable des quotas ne va pas
régler du tout le problème d'accessibilité. Alors, il faut vraiment avoir comme porte
d'entrée l'ensemble des
professionnels et certainement pas seulement, uniquement le corps médical. Alors, pour nous, c'est clair,
là, que cette variable-là en soi, unique, ne va surtout pas régler les
problèmes d'accessibilité actuellement.
Mme
Lamarre : Puis, dans votre
expérience, au niveau des interruptions volontaires de grossesse, est-ce que
vous considérez qu'il y a
un besoin croissant de demandes pour ça? Est-ce que les gens se
présentent? Parce que, là, les quotas qui sont faits aussi sont faits en temps d'aujourd'hui et on n'a pas du tout de latitude, là, pour progresser dans un sens comme dans
l'autre, là. Donc, ça, comment vous voyez cette intervention-là?
Mme
Laliberté (Christine) : Pour
moi, c'est difficile de répondre à cette question-là, je n'en ai pas suffisamment dans ma pratique pour me positionner pour un ensemble
de personnes, donc je ne pourrai pas répondre à cette question.
Merci.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Maintenant, la parole au
collègue de Lévis pour 3 min 30 s.
M. Paradis (Lévis) : Merci,
M. le Président. Mme Bédard, Mme
Laforest, Mme Viau, Mme Laliberté, M. Villeneuve, merci d'être là. Intéressant. Puis vous parlez
de qualité, hein, je trouve c'est important, vous parlez beaucoup de patient à
travers la dimension, et c'est axé sur lui, la qualité, le temps de comprendre,
le temps d'agir et de réagir également. Ça
fait du bien d'entendre ça. Ça fait des années qu'on parle de la nécessité
d'implanter l'interdisciplinarité, hein, et Dieu sait que plusieurs la souhaitent, mais pas facile à atteindre. Également,
concrètement, de la mettre en place et de devenir efficace, ce n'est pas
évident.
Quelle
est la piste de solution pour arriver à atteindre ce modèle-là, cette
interdisciplinarité qui est essentielle à la réussite de ce dont vous
nous parlez?
Mme Bédard (Nancy) : Pour nous, les pistes de solution qui sont proposées dans le mémoire
sont facilement... On peut facilement
les mettre en place. Ça prend une bonne volonté du ministre et ça prend
d'abolir certaines difficultés et règles
qui en font certains carcans, mais c'est assez simple. Alors, les solutions
qu'on a mises là... et c'est pour ça qu'on est contents d'avoir Mme Laliberté avec nous, parce qu'eux sont prêts déjà demain matin à
concrétiser ce projet-là qui, dans nos solutions, correspond en grande
partie à tous les leviers qu'on vous a exposés.
M. Paradis (Lévis) : Je vais essayer d'y aller, puis le temps file
vite, mais c'est important, ce que vous venez de dire. Il y a des
règles qui font en sorte que c'est un frein à arriver à cette solution idéale.
Est-ce qu'on peut les identifier? C'est quoi, ces freins-là?
Mme Bédard (Nancy) : Je pourrais vous donner l'exemple des ordonnances collectives. Alors,
les ordonnances collectives,
actuellement, il y a tout un processus dans un établissement pour que
finalement on puisse donner l'ouverture aux professionnels en soins pour
qu'ils puissent prescrire des médicaments et appliquer leurs champs de
pratique, là, pour pouvoir donner des soins
aux patients. Alors, nous, ce qu'on dit, c'est : Abolissez et assouplissez
le processus dans un établissement
pour pouvoir appliquer les ordonnances collectives, faire des ordonnances
collectives nationales qui soient applicables partout dans les
établissements et enlever les barrières certainement qui laissent à chacun des
CMDP de chacun des établissements décider si, oui ou non, cette portée-là va
être donnée aux professionnels en soins.
M. Paradis (Lévis) : Oui, il me reste encore 45 secondes. Bon, vous avez un modèle. Vous
avez un but à atteindre. Vous avez
des objectifs. Vous me parlez de freins. Est-ce que, en tout cas, ce qui vous empêche d'avancer davantage ou ce qui empêche le système de se
modifier à ce niveau-là... Sentez-vous une volonté politique d'arriver à ce que
vous souhaiteriez? Est-ce que les médecins sont ouverts aussi à emprunter le
chemin dont vous nous parlez?
Mme Bédard
(Nancy) : Écoute, on est conscients que c'est un changement
d'approche, c'est un changement culturel,
mais on sent de plus en plus d'approbation et d'appui du corps médical pour
aller dans ce sens-là. La Clinique Archimède, c'est un bel exemple, la clinique SABSA, même si
c'est une clinique seulement d'infirmières, elle est quand même en collaboration avec des médecins, ce qui fait en sorte que, de
plus en plus, on sent cette approche appuyée par les médecins.
Le
Président (M. Tanguay) :
Alors, nous cédons maintenant la parole au collègue de Mercier
pour deux minutes.
M. Khadir : Merci, mesdames, d'être là. Merci. En fait, bravo
pour l'initiative d'innovation en matière d'accessibilité et d'organisation des soins! C'est le genre
d'innovation qu'on aurait souhaité voir dans une réforme du système de la santé et dans un effort concerté
d'amélioration d'accès, qui n'est pas dans le projet de loi n° 20. Mais ce
n'est pas grave, on y arrive, parce que vous êtes... En fait, j'ai rarement vu
une telle unanimité. Les infirmières, les médecins
qui sont un peu corporatistes, je le dis très ouvertement, dans les fédérations
corporatistes de médecins spécialistes, omnipraticiens, comme à l'époque où c'était dirigé par le ministre actuel,
mais aussi les médecins dévoués, engagés pour la réforme du système, les jeunes médecins, les jeunes étudiants, tout
le monde dit que ce qu'il faut pour l'accessibilité n'est pas dans le projet de loi. Vous, vous
dites : Il faut que ça soit — je l'ai vu à plusieurs reprises — pensé autrement qu'axé sur le
médecin. Vous en faites une belle démonstration.
Vous
nous dites maintenant qu'il faut une démonstration. Ça, ça pourrait être de ne
pas conditionner les ordonnances collectives
à l'approbation dans chaque centre, comme c'est le cas actuellement. Qu'est-ce
que vous faites pour des trucs concrets
qui ne relèvent pas du médecin, parce que ça représente pour les bureaux de
médecin jusqu'à 30 %, parfois 50 % de la clientèle, les problèmes psychologiques? Actuellement, à qui les
référez-vous puisque, j'imagine, les autres médecins à qui vous les
référez, ce n'est pas leur orientation? La psychologie, qu'est-ce que vous en
faites?
• (13 heures) •
Mme
Laliberté (Christine) : ...à
l'accueil social des CLSC. Quand les patients ont des assurances, on va référer
aux psychologues du réseau de la santé, Programme d'aide aux employés, centres
de crise. Ça dépend de chaque patient. Des
fois, on se sent limités parce que les patients n'ont pas d'argent, auraient besoin
de consulter davantage; le PAE
est terminé, Programme d'aide aux employés, ils ne peuvent plus consulter. Ça,
c'est une limitation, là, qui est difficile à vivre, et on va
accompagner nos patients au meilleur... par rapport à ça.
Mme Bédard
(Nancy) : J'ajouterais que
notre approche n'est pas exclusivement pour les infirmières, infirmières
auxiliaires et inhalothérapeutes. Dans nos cliniques, dans notre vision, c'est
de s'adjoindre l'ensemble des professionnels de la santé, travailleur
social, psychologue, dans un même lieu pour offrir cette dispensation de soins
là.
Le Président (M. Tanguay) : Merci
beaucoup. Le temps est écoulé. Alors,
nous vous remercions, représentantes, représentants de la Fédération
interprofessionnelle de la santé du Québec.
Compte tenu de
l'heure, je suspends les travaux jusqu'à 15 heures. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à
13 h 1)
(Reprise à 15 h 14)
La
Présidente (Mme Montpetit) :
À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux et je demande à toutes
les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs
téléphones cellulaires.
Nous
allons poursuivre les consultations
particulières et auditions publiques
sur le projet de loi n° 20,
loi édictant la Loi favorisant l'accès aux services de médecins de
famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions
législatives en matière de procréation assistée.
Je souhaite la bienvenue à notre invitée,
Dre Vania Jimenez, de La Maison bleue. Et, pour les fins d'enregistrement,
je vous demande de bien vouloir vous
présenter. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour faire
votre présentation, et par la suite nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.
La Maison bleue
Mme
Jimenez (Vania) : Bonjour. Je suis Vania Jimenez. Je suis médecin de
famille et cofondatrice de La Maison bleue.
Alors,
je remercie la Commission de la santé et des services sociaux de m'offrir cette
opportunité de présenter La Maison
bleue comme un exemple, qui peut être reproduit, d'organisation professionnelle permettant, sans coercition,
l'atteinte des objectifs de la loi n° 20.
Il y a
huit ans, trois médecins de famille accoucheurs du CSSS de la Montagne, une
infirmière, une sage-femme et
moi-même avons voulu mettre en place notre propre loi n° 10, apporter un remède à la fragmentation
tout en travaillant sur le terrain, les deux mains dans l'intervention.
L'épigénétique
l'avait amplement et indubitablement démontré : la grossesse est un temps
unique pour influencer une
trajectoire de vie. Nous, médecins, suivions des grossesses en CLSC, les
accouchions à l'Hôpital général juif, mais la tristesse de certaines situations nous affectaient terriblement. Et
les données de l'épigénétique nous faisaient perdre le sommeil.
Il y eut la femme que
j'aidais à accoucher de son cinquième; cinq pères différents, tous en prison;
deux des quatre plus vieux autistes. Il y
eut la réfugiée d'un pays d'Afrique, son mari assassiné là-bas, seule ici comme
un veau, à son accouchement, pleurant
silencieusement lorsqu'elle eut le nouveau-né dans ses bras. Les autres,
réfugiés, demandeurs d'asile, bébés
fruits de viols, implication de la DPJ, toxicomanie, problèmes de santé
mentale, situation économique très précaire, présence d'un autre enfant
en difficulté.
Certaines
des femmes que nous accouchions pendant nos gardes n'avaient eu aucun suivi de
grossesse, évitant les institutions,
terrorisées à l'idée d'un signalement à la DPJ qui, peut-être à tort ou à
raison, leur avait retiré un enfant. La
trajectoire du nouveau tout-petit était tristement prévisible, loin d'être
optimale. Après l'accouchement, les nouvelles mères, les couples retournaient chez eux, le poupon dans les bras,
personne à qui le montrer fièrement, dans des maisons insalubres, les
mères souvent seules. Vraiment pas dans l'amour.
Nous ne les revoyions
que trop tard, nous les échappions dans la nature, comme on dit. Pour nous,
pourtant médecins en CLSC,
l'interdisciplinaire était trop laborieux, pas tant par manque de volonté des
divers professionnels, mais à cause
de la grosseur du système, les distances entre les bureaux, et, disons-le, une
certaine lourdeur bureaucratique. Rappelons-le, notre système de santé a
été pensé en termes de programmes en silo.
Il
nous fallait, un, améliorer l'offre de services dans un système de santé qui
manquait d'intégration, mais qui devait rester public, donnée non
négociable. B, il nous fallait une enveloppe, un lieu, une gestion souple à
taille humaine, à proximité des familles
matériellement et socialement défavorisées. C'est ainsi que, proposée par une
éducatrice spécialisée en gestion,
s'est cristallisée l'idée d'un OSBL, organisme sans but lucratif, coquille
contenant des services intégrés et publics relevant d'un GMF et d'un
CSSS.
L'OSBL
finance et gère les immobilisations — parce qu'en fait il y a deux maisons
maintenant — le
secrétariat, la coordination et la
direction, dans une maison à taille humaine. Des familles vulnérables se l'approprient,
se rencontrent, se côtoient, se
découvrent des forces, amorcent une intégration dans la société québécoise,
échangent des services, font de la cuisine ensemble, des liens secrets. L'OSBL
existe par un montage financier qui comprend des levées de fonds et une
subvention de base du CSSS.
La Maison bleue est
une vraie famille où ces femmes enceintes et leurs familles ont accès à un
médecin, une sage-femme, infirmière, travailleur social, psychoéducateur,
éducateur spécialisé, pour une prise en charge globale et intégrée de toute la
famille, préventive, curative quand nécessaire.
Les
résultats d'une recherche évaluative — le rapport est déposé, j'en ai des copies
depuis quelques jours — sont éloquents. Ils démontrent pertinence, efficience et efficacité
de La Maison bleue, et productivité des médecins, M. le ministre. Il s'agit ici d'un effet de la collectivisation de la
responsabilité; médecins et autres professionnels ensemble, interdépendants. On pourrait, dans certains
modèles socialement responsables, insinuer qu'on y fait de la qualité mais
pas de la quantité. Ce n'est pas le cas à La Maison bleue. Il s'agit des deux.
Nous
avons un nombre de dossiers actifs en Maison bleue qui atteint amplement les
quotas de la loi n° 20. Avec moins
d'un temps plein médecin, 160 nouvelles grossesses, par entente avec le CSSS,
sont suivies chaque année, accouchées soit à l'Hôpital général juif soit
à la maison de naissance.
• (15 h 20) •
Selon le
dernier rapport d'activité, datant quand même d'un an, parce que ça a augmenté
certainement, 2 157 cas ont déjà
été inscrits et suivis, retransférés au GMF général lorsque ça va mieux — il n'y aurait pas de place, sinon — et 1 251 dossiers non pondérés
sont actifs aujourd'hui.
Comment est-ce qu'on y arrive : équipes multidisciplinaires, interdisciplinaires; la
subsidiarité dont fait état le rapport
de recherche; et la gestion légère par l'OSBL; plus précisément, la spécificité
des médecins. À La Maison bleue, le médecin de famille fait de la médecine familiale, déléguant sans hésitation certains suivis
normaux à la sage-femme. Il est là
pour suivre des grossesses vulnérables, soigner des malades et être le médecin
de toute la famille. Attention : cela ne le relègue pas à un rôle de technologue. Vu la complexité des cas,
une courte réunion d'équipe précède chaque clinique, informant le
médecin des développements significatifs dans les vies de ces patients.
Il y a
une forme de capitation, M. le
ministre. Les médecins font partie
d'un GMF qui doit rendre des comptes en
termes de patients inscrits. Pour
avoir sa subvention annuelle, qui constitue pour le moment un financement partiel de l'OSBL, La Maison bleue a un contrat clair avec le
CSSS : un minimum de 160 nouvelles grossesses par année, 80 à 100 par Maison bleue — nous en avons deux pour le moment. Sans en
être une, c'est une amorce de capitation. Cette gestion privée sans but lucratif est l'incitatif, tant pour les médecins
que le reste de l'équipe, permettant à chacun, libéré des contraintes bureaucratiques lourdes qui
démotivent les équipes, les sclérosent, de donner le meilleur de lui-même,
en équipe et dans le plaisir, malgré des histoires crève-coeur. C'est ça, le
grand paradoxe de La Maison bleue.
C'est un
exemple d'utilisation du privé lorsque c'est avantageux... laisse une place à
l'autonomie et à l'investissement d'énergie
et de ressources, tant du système public que des fondations, que des compagnies
privées, que des individus dans une coquille privée non lucrative.
Mais il y a
plus important, M. le ministre. Rappelons que 90 % des bébés prématurés ou
de petit poids développent des
problèmes d'adaptation s'ils vivent dans un milieu défavorisé. La recherche a
souligné une tendance lourde qui nous enchante,
qui m'enchante particulièrement : chez les familles suivies à La Maison
bleue, la moyenne des bébés de petit poids
est inférieure à la moyenne québécoise de... Elle est à 3,9 % à La Maison
bleue. Si on prend en compte l'indice de Pampalon, elle devrait être de
7,3 %.
La moyenne
des naissances prématurées, on parle de la prématurité tardive, 34 à 37 — la prématurité précoce, il n'y a pas grand-monde qui fait
grand-chose — la
moyenne à La Maison bleue est inférieure à la moyenne québécoise :
6,3 % à La Maison bleue. Le pourcentage, avec l'indice de Pampalon,
devrait être de 8,7 %.
Les gains
tangibles pour le système, avec ce modèle, sont de trois ordres : un,
l'économie dans la gestion et les immobilisations;
deux, la productivité de l'équipe; trois, la prévention des problèmes futurs.
Ça coûte pas mal moins cher que de ramasser les dégâts plus tard.
La clientèle
de La Maison bleue est spécifique mais très lourde et elle existe partout au
Québec. De partout au Québec, on est
venus nous transmettre le besoin et le souhait de développer des Maison bleue
dans leur territoire. Nous proposons que, pour répondre aux objectifs de
réingénierie et d'intégration des services ainsi qu'aux objectifs de la loi n° 20, toute grossesse psychosocialement
vulnérable soit suivie par une Maison bleue, elle-même en GMF, en partenariat
avec un CISSS ou un CIUSSS et des
sages-femmes, travailleurs sociaux, infirmières, éducateurs, le tout géré par
l'OSBL Maison bleue.
En
conclusion, la réforme vise à assurer un meilleur accès, et elle peut être un
succès, mais à une condition : il faut
mobiliser les médecins en cherchant qu'est-ce qui rallume leur flamme, les
considérer comme faisant partie de la solution, non comme le problème.
Ce modèle d'intégration et de gestion pourrait être garant de nourrir la
passion des médecins pour d'autres
clientèles : itinérance, toxicomanie, santé mentale. Ce qui a rallumé la
flamme des médecins des Maison bleue,
qui l'a maintenue, fut, a été et l'est toujours, la grossesse vulnérable, ayant
pour effet l'effet secondaire inattendu,
étincelant, chez les médecins qui se sont joints à l'équipe médicale initiale,
fondatrice de La Maison bleue : un
engagement sans réserve et une productivité améliorée. À La Maison bleue, nous
parlons d'«empowerment» de la clientèle. Il s'y est produit une sorte de contagion miraculeuse :
l'«empowerment» des médecins et des autres professionnels. La Maison
bleue a réussi et continue à nourrir notre feu sacré, M. le ministre. Merci de
votre attention.
La Présidente (Mme Montpetit) :
Merci, Dre Jimenez, de votre présentation. Donc, nous allons maintenant
débuter la période d'échange avec la partie ministérielle pour une durée de 20
minutes.
M.
Barrette : Merci, Mme la Présidente. Dre Jimenez, merci d'être
venue aujourd'hui. Votre réputation vous précède parce qu'évidemment ce
que vous faites non seulement est reconnu, mais, je dirais, est remarquable, et
aujourd'hui on a beaucoup à apprendre de
vous et de votre organisation. C'est vrai, là, ce que je vous dis. Je souscris,
sans l'avoir... Vous m'avez invité
pour aller visiter; malheureusement, mon agenda, à date, ne m'a pas permis de
pouvoir le faire, mais, à un moment donné, je vais le faire avec le plus
grand des plaisirs.
Vous avez...
parce que vous êtes plusieurs, peut-être pas Maison bleue, mais il y a des
îlots, dans le Québec, de gens bien organisés qui arrivent à faire
quasiment des miracles, là, avec les investissements qui sont chez vous ou les sommes gérées par une organisation comme la vôtre.
J'aimerais rentrer un petit peu dans le détail, parce que ça m'intéresse
évidemment au plus haut point, ce que vous
avez dit. Et je sais que c'est désagréable, dans une certaine mesure, de
ramener ça à ça, mais faites-nous
cheminer un peu dans votre organisation quotidienne pour qu'on comprenne bien
les ressources qui sont en place pour une journée typique donnée, là.
Mme Jimenez
(Vania) : Une journée typique.
M. Barrette : Dans une Maison bleue.
Je comprends que vous en avez deux, mais prenez-en une, là.
Mme
Jimenez (Vania) : Je vais vous donner ma dernière clinique, en fait,
jeudi, jeudi passé. Je peux vous dire ce que moi, je fais, mais je peux
aussi vous parler de comment ça se passe pour une femme enceinte vulnérable.
Les références nous viennent de plus en plus
personnelles. Au début, c'était beaucoup le CSSS de la Montagne qui nous les
référaient, les médecins qui... D'ailleurs,
nous pratiquons dans les deux. Quand je parle d'un équivalent temps plein, nous
sommes neuf médecins maintenant qui faisons
chacun une demi-journée, donc il y a toujours une présence médicale dans
l'une ou l'autre des Maison bleue, mais on
ne fait chacun qu'une demi-journée. Ce que je veux dire aussi, c'est que la
flamme rallumée permet qu'on retourne finalement dans le GMF général, et on
fait tout ce qui est autre chose que la grossesse vulnérable aussi.
Ce qui est
intéressant dans le modèle de La Maison bleue, M. le ministre, c'est que la
femme vulnérable qui se présente et
est prise en charge à La Maison bleue vient de se gagner un médecin de famille.
Donc, lorsqu'elle va mieux et qu'on
la retransfère au GMF général — GMF, UMF — je reste son médecin. Les autres, les neuf
autres médecins aussi restent son médecin, d'où les chiffres que je vous
donnais.
M. Barrette : Et, je m'excuse de
vous interrompre, et vous les suivez à long terme à ce moment-là?
Mme Jimenez (Vania) : Je suis leur
médecin de famille pour toujours.
M. Barrette : Pour toujours. O.K.
Mme
Jimenez (Vania) : Tout à fait. C'est ça. La Maison bleue, elle,
s'engage jusqu'à ce que le dernier enfant ait cinq ans. Alors, je dois vous dire qu'il arrive qu'on est rendu au
troisième, déjà, là, enfant, mais, depuis huit ans que nous sommes là, donc des fois on se demande :
Est-ce qu'on a des petits pour rester à La Maison bleue? Parce que l'assiduité
est telle que les femmes ne veulent pas
quitter La Maison bleue. Et, quand on leur dit : Mais là ça va mieux, il
va falloir que vous alliez... il faut
laisser la place à une autre qui est aussi mal prise, c'est un peu difficile
des fois de leur demander d'aller dans le système général.
Alors, pour répondre à votre question, la
journée habituelle commence un matin, on arrive, et il y a une petite réunion d'équipe rapide. La sage-femme est là,
l'infirmière est là, la travailleuse sociale est là, et l'éducateur
spécialisé... non, en fait,
l'éducateur... oui, l'éducateur spécialisé. On a une psychoéducatrice qui
couvre les deux Maison bleue. Les réunions du matin, c'est les quatre
professionnels et le médecin qui fait sa clinique, et on fait le tour des cas
pour la journée que j'ai. Alors, j'en
avais... Par exemple, la dernière clinique, j'avais huit rendez-vous bookés
pour l'avant-midi. On m'a mis au fait
de ce qu'est-ce qu'il était arrivé dans la vie de ces personnes-là, que, la
semaine passée, telle affaire, la DPJ est intervenue, on a eu une telle
rencontre, etc.
Alors, après
ça, on démarre. Je fais la clinique ordinaire. J'ai un bureau où on fait tout.
C'est un petit bureau, mais tout à fait confortable. Je pose un
stérilet, par exemple, ou je fais un suivi de grossesse, ou alors, par exemple,
je vois qu'il y a, dans mes rendez-vous, un
enfant qui est malade. Je le vois, je l'examine, je fais le diagnostic, je le
traite, etc. Pendant ce temps, l'infirmière, elle, à côté, aussi a ses
rendez-vous. Elle vient me trouver s'il y a... Par exemple, tout récemment, elle me dit : Bon, bien, la
petite, elle ne bouge pas son bras, est-ce que tu peux regarder? Je regarde, je
fais... et c'est une petite subluxation, j'ai arrangé le coude. C'était
réglé.
• (15 h 30) •
Quand vous me posez la question, ma dernière
clinique, j'ai vu donc, dans cette petite période là, finalement, 10 patients relativement lourds, mais tous en
interaction, dont, par exemple, la sage-femme qui vient me trouver pour me
dire : Je viens d'avoir un appel, il y
a une grossesse extrêmement compliquée, la grossesse n'est pas viable, le papa
est bouleversé, est-ce que tu peux
leur parler? Ça se fait tout le long,
tout le long, pendant qu'on est là, et c'est tout le temps. C'est la
fluidité qui fait... La travailleuse sociale — et c'est la porte à côté de la mienne — lorsque j'ai une patiente que je
trouve que vraiment ça ne va pas ou que, bon, il y a eu un épisode de
violence conjugale, il y a eu quelque
chose qui est arrivé avec la DPJ, je ne laisserai pas de
message dans son... Je vais aller frapper à sa porte, elle va la voir, on va se
parler, on va se voir ensemble. C'est cette
proximité, cette taille humaine qui fait que je vois, par exemple, ce fameux jeudi, 10 cas
très lourds, on va dire, dans le système, sans fatigue. Je ne suis pas seule là-dedans,
c'est la force de l'équipe. On discute, on en parle. Nous avons aussi de
l'information.
On a eu 53 stagiaires de médecine qui sont
passés par La Maison bleue l'année passée : internes, résidents, externes, fellows, juste médecine. On a eu aussi
une vingtaine de stagiaires dans d'autres disciplines : travailleurs
sociaux, sages-femmes, infirmières. Ils
viennent goûter à ce qu'est la vraie interdisciplinarité. Je dois dire, ça fait
longtemps que je
roule ma bosse dans le système, c'est la seule place où l'interdisciplinarité se
fait vraiment. Peut-être en soins palliatifs aussi, aux deux extrêmes de la vie. Mais je
n'avais pas réussi à avoir ce sentiment d'être ensemble à porter des histoires
épouvantables. Vraiment, on ne s'en rend pas
compte, à quel point il y a de la misère puis il y a du besoin de cette
sorte d'approche là.
Mais je ne
fais pas la travailleuse sociale; je fais mon travail de médecin quand je suis
là et je délègue. Et aujourd'hui, si je suis ici, la sage-femme va voir les
grossesses, va les suivre pour moi aussi, et ainsi de suite. Les vaccins,
c'est l'infirmière qui va les faire. Mais la
personne qui choisit et qui est acceptée à La Maison bleue, elle est prise en
charge complètement. Il n'y
a pas de dédoublement qui se fait.
Elle ne peut pas garder un médecin à l'extérieur puis venir voir la travailleuse sociale. C'est vraiment une prise en charge
globale. Et un autre sine qua non aussi, c'est qu'il faut qu'elle
accepte de participer à des groupes. Donc, il y a
toute une... et les groupes se font ensemble, les groupes de préparation
prénatale : médecin-sage-femme,
infirmière-sage-femme, médecin-travailleur social. Tout est fait, toujours,
en interdisciplinaire.
M. Barrette :
Oui, allez-y. Vous avez terminé?
Mme
Jimenez (Vania) : Oui. Je
pourrais vous raconter... Je pense que je pourrais continuer jusqu'à
demain matin.
M.
Barrette : Ah! non, mais on
va y revenir sûrement. Je vais vous donner l'occasion de pouvoir nous en dire
plus.
Quand
vous nous dites, vous, que vous avez vu... Puis c'est intéressant, ce que vous
nous dites, parce que... En quelque
part, vous ne nous dites quasiment
pas tout parce que vous ne voyez pas juste des patientes, vous voyez
des fois les enfants aussi. Ça fait que vous en voyez...
Mme Jimenez
(Vania) : Ah! oui, oui. Les papas aussi. Oui, oui. Parmi mes 10...
M. Barrette :
Alors, ça arrive que, dans une demi-journée, peut-être que vous aviez
10 patientes assignées, mais vous en avez vu 12, 13, 14, là, si on inclut
les enfants puis les parents.
Mme
Jimenez (Vania) : Si
l'infirmière a besoin que je voie la personne... Bon, parmi ces personnes
assignées là, une des mamans enceintes est arrivée avec le papa et le
petit qui a un an et demi, malades de la grippe, bon, alors très inquiets, etc. Ça va, l'infirmière a fait le
triage, j'ai été voir pendant que je vais... Ça a pris trois minutes, tout le monde était heureux et soulagé. Le petit a eu besoin d'antibiotiques, le papa,
non. Trois personnes; il y avait une personne qui était inscrite. Mais tout
est dans la vraie vie, il n'y a pas de barrière, il n'y a pas de cloisonnement.
M.
Barrette : C'est une façon
performante de travailler, puis je vous souligne simplement que vous en faites
plus que ce que vous dites, ce qui est à votre honneur, évidemment.
Quand on regarde, là...
quand vous m'expliquez ce que vous me dites, dans une journée, est-ce que je
dois comprendre que la sage-femme, ou
l'infirmière, ou le travailleur social ont eux aussi leurs, entre guillemets, «caseloads», ou ce
sont des gens qui passent chez vous d'abord, qui vont chez elles ensuite, ou c'est deux
avenues qui peuvent se croiser, mais, au départ, il y a deux listes?
Mme
Jimenez (Vania) : Bonne question.
Les personnes qui arrivent à La Maison bleue sont toutes assignées à un
médecin ou à l'autre, à un des neuf médecins. Par contre, la porte d'entrée, il
y a un appel, mais... Je vous donne l'exemple
classique, c'est l'infirmière du CLSC qui rencontre une femme qui vient
d'arriver. Elle dépiste une situation
de violence conjugale, bon, ou les... Ce que
nous avons beaucoup, c'est les bébés fruits de viols. Bon, elle
dit : Je pense que c'est un cas
Maison bleue, appelle, la secrétaire prend l'appel : Oui... Dépendant, d'ailleurs... Nous avons des quotas parce
qu'on ne peut pas les prendre tous
non plus. On essaie d'en faire huit, accouchements, donc, par mois. Ça fait à peu près une centaine, finalement. Et il y a
un appel, et l'infirmière
rencontre... La porte d'entrée, c'est l'infirmière, finalement, qui fait la prise en charge, qui fait l'évaluation
initiale. Elle rencontre la sage-femme qui, aussi, fait l'évaluation. Donc,
l'infirmière fait l'évaluation de la
famille, comment ça se passe. La sage-femme rencontre... Et le médecin va être
sollicité au moins une fois, va
rencontrer la personne et va suivre la grossesse le plus possible, suivant les
désirs de la femme aussi, parce qu'on
donne le choix. Quand la maman arrive enceinte, on lui donne le choix :
Est-ce que tu souhaites accoucher avec un médecin ou avec une
sage-femme?
Alors,
étant donné la clientèle que nous suivons, la grande majorité préfère accoucher
avec un médecin. C'était un peu la
raison de la mise sur pied de La Maison bleue, qui est juste, en fait... Quand
vous viendrez, M. le ministre, vous verrez :
on est dans le parking de la maison de naissance, en fait, qui... Finalement,
les maisons de naissance n'arrivaient pas
à faire leur rôle communautaire. C'était beaucoup les gens en moyens,
finalement, qui allaient à la maison de naissance. Alors, ce qui est arrivé, curieusement, c'est que,
pour la clientèle qu'on dessert, voir le médecin, c'est un peu un luxe, alors que, pour aller voir une sage-femme... C'est
les gens pauvres, dans leur pays, qui allaient aux sages-femmes, donc
elles préfèrent voir...
Par
contre, le suivi est conjoint. Elles vont voir la sage-femme à un moment donné
et elles s'apprivoisent à l'idée de
la sage-femme. Et nous avons maintenant un taux d'accouchement avec
sages-femmes plus haut que le taux du Québec, parce qu'elles commencent
à voir : Mais ce n'est pas mal, finalement, oui, ça serait bien que
j'accouche avec une sage-femme. Et celles
qui choisissent depuis le début, en entrant : Non, moi, je veux une
sage-femme, doivent voir aussi le médecin quelques fois pendant la
grossesse. C'est vraiment interdisciplinaire : elles goûtent aux deux
approches, finalement. Et, bien sûr, dès
qu'il y a un problème, c'est le médecin qui intervient : hypertension ou
autre problème qui survient pendant la grossesse.
M.
Barrette : Le personnel qui est là, est-ce que... Bon, la sage-femme,
c'est une formation de sage-femme, le travailleur social... Mais
l'infirmière, est-ce... Quelles sont les qualifications que...
Mme Jimenez
(Vania) : Infirmières cliniciennes. Infirmières cliniciennes.
M. Barrette : Cliniciennes, donc ce
n'est pas nécessaire... Ou serait-ce nécessaire que ce soit une praticienne
spécialisée ou, ça va, c'est amplement suffisant, une clinicienne?
Mme
Jimenez (Vania) : À date, pour les deux Maison bleue, c'est deux
infirmières cliniciennes.
M.
Barrette : Bien, en fait, ma question, c'est : Est-ce que c'est
par... Si vous aviez le choix, parce qu'on sait qu'il n'y en a pas beaucoup, de praticiennes spécialisées... Est-ce que
c'est suffisant, sans faire de jugement de valeur, là?
Mme Jimenez
(Vania) : Est-ce qu'on préférerait... C'est très suffisant pour le
moment. Ça va très bien.
M.
Barrette : Et, dans votre mode de gestion, vous me disiez que vous
existiez parce qu'il y avait une subvention du CSSS et des levées de
fonds.
Mme
Jimenez (Vania) : C'est-à-dire que oui. Alors, l'OSBL La Maison bleue,
qui est la coquille, finalement, coûte,
pour l'ensemble, par Maison bleue, 200 000 $ à 220 000 $
par année. Ça, ça comprend la maison, le loyer, l'électricité, le chauffage, etc., les bureaux, toute l'infrastructure,
finalement, la direction, la coordination et le secrétariat de La Maison
bleue.
Pourquoi
est-ce qu'on a choisi ce modèle-là? Effectivement, c'était un peu pour sortir
du fait que... Pour tout vous dire,
dans l'institution, si j'avais envie, moi, de mettre la photo de mes enfants
avec des punaises sur le mur, bien, je n'avais pas le droit. Alors, on avait comme envie d'être un peu chez nous, et, à
La Maison bleue, c'est instantané. La chaise ne fait pas? Bien, ça ne
passera pas 25 paliers, là, avant qu'on nous donne une chaise qui fait ou
un bureau qui fitte.
Quand
on arrive le matin, la coordination, la gestion fait que les ordinateurs sont
ouverts, les dossiers sont préparés. Il
n'y a pas tout le... Comment je vous dirais bien? Effectivement, c'est la
lourdeur bureaucratique qui est très peu nécessaire quand on travaille avec une clientèle comme celle
de La Maison bleue. C'est impensable, avec la lourdeur des cas que nous voyons et la tristesse des cas que nous
voyons, qu'on pense, à un moment donné, être retardés dans notre travail parce
que des détails matériels ne fonctionnent pas. Et c'est ce que l'OSBL
permet : c'est cette espèce de souplesse dans l'organisation. Ça, c'est
une chose.
Et
les levées de fonds. Parce que, dans le système général... Il y a Jean Coutu
qui nous aident, par exemple, qui nous
donnent... qui donnent un montant, qui appuie chaque année, toujours à
renouveler, bien sûr, avec une reddition de comptes. Et il y a le CSSS de la Montagne qui a accepté de relever le
défi, parce qu'on n'y arriverait jamais, avec nos petites levées de fonds, à 220 000 $ par
année. Donc, on a une subvention, bon an, mal an, d'à peu près
100 000 $ du CSSS.
• (15 h 40) •
M.
Barrette : Alors, au total,
ça fait un budget opérationnel, parce que vous êtes un OBNL, là, c'est des
rapports publics, ça, j'imagine, là?
Mme Jimenez
(Vania) : Pardon?
M. Barrette :
J'imagine que vos états financiers, c'est des états publics, là?
Mme Jimenez
(Vania) : Ah! oui, oui. Le vérificateur... C'est vérifié.
M.
Barrette : Je ne vous
demande pas de révéler des choses que vous n'avez pas le droit de révéler.
C'est que votre budget d'opération est de combien au total?
Mme Jimenez (Vania) :
Alors, c'est le 200 000 $, 220 000 $ par Maison bleue, donc
de l'OSBL, plus...
M. Barrette :
Les salaires?
Mme
Jimenez (Vania) : Donc,
c'est à peu près, je vous dirais, 400 000 $,
500 000 $ pour les deux Maison bleue ensemble actuellement.
M. Barrette :
Et ça inclut les salaires?
Mme Jimenez
(Vania) : Non, non, non. Ça, c'est...
M. Barrette :
O.K., parfait.
Mme Jimenez
(Vania) : Les salaires sont...
M. Barrette :
Sont coupés à charge par le CSSS. O.K.
Mme
Jimenez (Vania) : C'est ça.
C'est parce que c'est des salaires qui — c'est
tout un montage créatif qui a été fait, finalement — qui
viennent du GMF en partie aussi, parce qu'on a reçu quand même des montants
pour des salaires de GMF. On est un gros
GMF, le GMF du Village Santé, qu'il s'appelle maintenant, UMF aussi, parce
que nous avons quand même 32 résidents que nous formons à l'UMF du
CSSS.
M.
Barrette : Si maintenant
on suit le cheminement de vos patientes et que, là, à ce moment-là, on se retrouve
au GMF-U... Vous êtes un GMF-U ou UMF, là,
là? Vous êtes dans quel genre de mode de fonctionnement? Parce que là je
vois qu'en termes de
performance vous performez beaucoup, à La Maison bleue, mais avec une clientèle
très particulière. J'imagine qu'à ce moment-là vous avez un mélange de
types de patients différents au GMF?
Mme
Jimenez (Vania) : Tout à fait, bien sûr, c'est-à-dire que la cliente — je vous donne un exemple — qui
venait d'arriver, qui ne parlait pas la langue, qui était seule, qui
était enceinte, dont le papa était encore au pays, il avait des problèmes d'immigration, etc., qui finalement
a son bébé, le papa arrive, la famille se reforme, ça va bien, ça, c'est la
cliente classique à qui on va
dire : On va te référer maintenant à moi, finalement. Elle reste ma patiente, mais je ne la verrai
plus à La Maison bleue; je vais la
voir dans des visites ordinaires en GMF, en CLSC. Elle prend ses rendez-vous comme tout le monde, mais elle
n'a plus besoin de la recette Maison Bleue, mais je vais continuer à la voir.
M. Barrette :
Elle est plus intégrée et stabilisée. Socialement, j'entends, là.
Mme
Jimenez (Vania) : C'est ça. Ça va bien. Socialement, ça va bien. Papa
a trouvé un travail, tu sais, ça... Elle a atteint... Elle a gradué,
d'une certaine façon, de La Maison bleue, donc elle peut aller au GMF.
M. Barrette :
Je suis obligé de vous poser la question ou deux questions qui sont connexes.
Vous écoutant, j'imagine que toute la famille s'en vient chez vous, au GMF?
Mme Jimenez
(Vania) : Bien sûr, oui, oui, oui, tout à fait. Dès...
M. Barrette :
Et là vous avez combien de patients à charge, là, quand vous additionnez tout
ça?
Mme Jimenez
(Vania) : À La Maison bleue?
M. Barrette :
Non, au GMF.
Mme
Jimenez (Vania) : Au GMF, on est actuellement, tout additionné, un GMF
qui tourne autour de 23 000, là. Je
pense qu'avec les trois sites, là, parce qu'on a comme... Tout le monde a
embarqué GMF, les trois sites : Côte-des-Neiges, Métro et Parc-Extension On tourne autour... Si les
additions... Ça vient d'arriver, cet amalgame-là, là. À Côte-des-Neiges,
on était à 15 000, mais, en additionnant les autres groupes, on est rendus
entre 22 000 et 23 000 maintenant.
M. Barrette :
Combien de médecins?
Mme Jimenez
(Vania) : On est à peu près 20 temps plein. Ça revient à peu près à 20
temps plein.
M. Barrette :
Et pour une clientèle lourde, parce que, d'après ce que vous...
Mme
Jimenez (Vania) : Non. Le GMF général, c'est un GMF général. C'est
comme si on a détaché la lourdeur...
M. Barrette :
Ah! vous l'avez envoyée à La Maison bleue, là.
Mme Jimenez
(Vania) : À La Maison bleue. Mais on pourrait faire la même chose pour...
M. Barrette :
Mais vous l'incluez dans votre 23 000, par exemple.
Mme Jimenez
(Vania) : Oui, oui, oui, c'est ça.
M. Barrette :
Puis vous allez à l'hôpital.
Mme Jimenez
(Vania) : C'est-à-dire pour les accouchements, oui.
M.
Barrette : C'est ça. En GMF, est-ce que vous avez le même
environnement, en termes de support, d'infirmières et de travailleurs
sociaux, et ainsi de suite?
Mme
Jimenez (Vania) : Non, non. On a, bien sûr, le support infirmier du
GMF, il y a le cadre de gestion qui s'en vient, qui, selon moi, est tout à fait, tout à fait... nous donne
espoir, là. Mais pas pour le moment, non. On a les infirmières qui
travaillent avec nous. Bon. Je ne peux pas dire... C'est bien, mais ce n'est
pas vraiment de l'interdisciplinaire. L'interdisciplinaire,
c'est avec des travailleurs sociaux que ça se fait, pour un médecin.
L'infirmière, c'est presque la même chose.
M. Barrette :
Vu qu'il ne me reste pas beaucoup de temps, quels sont les ratios que vous avez
en termes de professionnels avec vous que
vous considérez, donc, sous-optimaux? Et quels devraient-ils être, selon
vous, dans la partie GMF?
Mme Jimenez (Vania) : Les
professionnels qu'on a avec nous?
M.
Barrette : Oui, parce que... bien là, ça devient souvent une question
de ratio, là. Vous, l'idéal, ce serait quoi?
Mme
Jimenez (Vania) : C'est-à-dire que là, actuellement, dans le GMF, nous avons... Nous avions... Je
pense qu'on était à 15 002. On en a eu d'autres...
La
Présidente (Mme Montpetit) :
Malheureusement, je suis désolée, Dre Jimenez, je vais
devoir vous interrompre, le temps
accordé au ministre est interrompu. Vous aurez peut-être
l'occasion, si la députée de Taillon souhaite poursuivre
dans cette voie...
Donc, Mme la députée de Taillon, pour
12 minutes.
Mme Lamarre : 12 minutes?
La Présidente (Mme Montpetit) : Oui.
Mme Lamarre : Alors, merci beaucoup,
Mme la Présidente. Bonjour, Mme Jimenez. Oui, je vous donnerais quelques secondes pour terminer, parce que
j'ai quand même quelques questions aussi en lien avec le projet de loi n° 20, mais, si
vous voulez terminer votre réponse, je vous donnerai quelques secondes.
Mme
Jimenez (Vania) : Tout simplement, c'est qu'on est à peu près,
maintenant, je pense, avec les nombres, là, rendus... C'est tout récent, hein, l'expansion finalement du GMF, l'UMF.
C'est qu'on a les deux infirmières GMF, on a une infirmière UMF, il y en a une autre qui s'est ajoutée de par
l'annexion de Parc-Extension. Donc, GMF, UMF, ça en fait quatre déjà, mais on n'a pas de travailleurs
sociaux, par exemple, pour le moment qui sont dans le modèle, mais je pense
que ça s'en vient avec le cadre de gestion, puis là on va vraiment faire de
l'interdisciplinaire.
Mme
Lamarre : Alors, merci. Merci d'avoir complété cette réponse. Merci
aussi parce que je pense que ce que vous
traduisez depuis le début de votre présentation et dans votre mémoire, c'est
vraiment la distinction entre donner des soins et prendre soin, et je
pense que vraiment vous prenez soin de vos patientes, et de leurs enfants, et
par ricochet probablement de l'ensemble de
leurs familles, et ça, je pense que c'est ce qui donne les meilleurs résultats,
qui donne des résultats au niveau de l'accès,
mais qui donne aussi des résultats, comme vous le dites, des résultats
cliniques, c'est-à-dire que les
enfants qui naissent sont en meilleure santé, ont donc moins de prématurité et
vraiment des conditions qui sont très,
très souhaitables. C'est ce qu'on recherche quand on veut s'impliquer,
s'engager comme vous le faites dans la natalité et la périnatalité.
J'essaie de
voir un peu, dans le modèle que vous venez de nous présenter, est-ce que vous
avez eu l'occasion de regarder un peu les orientations réglementaires du
projet de loi n° 20? Parce que, dans ces orientations, on a prévu un facteur de pondération de deux pour un pour un
suivi de grossesse, pour une femme enceinte, et donc je me demandais si
vous aviez essayé d'extrapoler à votre pratique ce que ça représenterait comme
changement.
Mme
Jimenez (Vania) : Merci pour la question. C''est une bonne question.
J'y ai réfléchi dans le sens que le deux pour un, dans un milieu comme
La Maison bleue, je pense que c'est bon, c'est convenable parce qu'on est en
interdisciplinaire, parce qu'on n'a pas besoin d'avoir une pondération beaucoup
plus forte.
Ce que je crains par exemple, et ça, en fait,
c'est une grosse crainte que j'ai, c'est de décourager, que cette pondération pas très forte décourage la pratique
de l'obstétrique en médecine familiale, parce que ça prend du temps quand
même de faire un accouchement, de faire de
la garde à l'hôpital. Alors, je vous avoue que je vais... Je trouve que, pour
les cabinets privés, par exemple, qui font
aussi des suivis de grossesse et qui font des accouchements, c'est très bas. Je
vous dirais probablement que si, M. le
ministre, vous approuvez finalement le développement de Maison bleue partout où il y a de la grossesse vulnérable, bien là, il
n'y en aura plus, de problème, et, oui, à ce moment-là, oui, deux, mais c'est
peut-être un peu vite maintenant parce qu'on risque de perdre la main-d'oeuvre
des accoucheurs médecins de famille si on
ne les encourage pas à continuer dans ce... On peut être passionné de ça comme
nous autres, là, mais il y en a peut-être qui vont souhaiter... Et ce serait assez désastreux, je vous dirais. Le
Québec est tellement vaste, il y a peu de sages-femmes. Qui va attraper les bébés? Actuellement, les
généralistes font 46 % des accouchements au Québec, et c'est une
augmentation parce qu'ils n'en faisaient que 37 % il y a quelques
années. Donc, il y a quand même...
Et il y a la
question de la formation, c'est-à-dire que moins on en fait, moins on forme et
moins nous avons des résidents qui
n'ont pas la trouille au ventre de partir en région et de faire des
accouchements normaux. Alors, en ce sens-là, je dirais que j'inverserais
le temps, je mettrais des Maison bleue partout pour la grossesse vulnérable
ou... et même la grossesse normale en interdisciplinaire, et là, oui, d'accord,
on pourrait peut-être baisser la pondération, que je comprends, et c'est en GMF seulement qu'elle était pondérée. Je viens de parler à Dr Groulx, je n'avais pas compris
que c'était juste en
GMF qu'elle était pondérée à 6,5 ou 7 et qu'elle ne comptait pas, finalement, dans les cabinets. Je vous dirais,
c'est le point qui m'inquiéterait en
termes d'encourager les médecins de famille qui font de l'obstétrique à
continuer à en faire.
• (15 h 50) •
Mme Lamarre : Parce que vous avez
mis beaucoup l'emphase, dans votre présentation, sur l'importance de l'équipe, et, quand on regarde les résultats que
vous obtenez avec l'équivalent d'un demi-équivalent temps plein de médecin,
une sage-femme, une travailleuse sociale, un
éducateur spécialisé, une infirmière et un demi-équivalent temps complet
de psychoéducateur, c'est ce qui vous permet, dans le fond, de réussir ce que
vous faites.
Mme
Jimenez (Vania) : Absolument. C'est ça.
Mme
Lamarre : Si vous pensez à un médecin de famille, par exemple — je vois ma collègue de la Côte-Nord — qui aurait un certain nombre de
travail à faire, parce qu'il aurait, selon ses années, du temps à faire en
activité médicale particulière et il aurait
à suivre un certain nombre de patientes... Vous, vous contribuez à
l'accouchement de combien de femmes dans l'année, si je prends
l'équivalent du demi-médecin, là, que vous mettez ici?
Mme Jimenez
(Vania) : En fait, chaque Maison Bleue s'engage, par entente avec le
CSSS, à prendre 80 à 100 nouvelles
grossesses. C'est 80, mais, en réalité, on n'en refuse pas. Quand il y a des
histoires crève-coeur, on les prend. Donc,
on fait, bon an, mal an, 90 nouvelles grossesses et accouchements par
Maison Bleue. Par contre, les médecins de famille accoucheurs des Maison bleue font tous partie de l'équipe des
accoucheurs de l'hôpital juif, en médecine familiale.
Mme Lamarre :
Compte tenu que vous avez toute cette équipe autour de vous...
Mme Jimenez
(Vania) : Absolument.
Mme Lamarre :
...vous réussissez à faire les 80-90, mais avec toute cette équipe.
Mme Jimenez
(Vania) : Tout à fait. L'équipe interdisciplinaire.
Mme Lamarre :
Donc, un médecin qui se retrouverait seul en région...
Mme
Jimenez (Vania) : Impossible, il ne pourrait pas. Je ne pense pas.
Avec une pondération qui est trop basse, je craindrais une démotivation, puis une tendance, je pense — ça a été dit assez souvent — plutôt à suivre autre chose que des grossesses, qui prennent quand même une
douzaine de visites au moins, sinon plus en fin de parcours. À la fin de la
grossesse, il faut qu'elles soient vues chaque semaine. Et il pourrait y avoir
toutes les complications aussi. Donc, je craindrais,
à deux, que, dans les cabinets ordinaires, ça décourage la pratique en médecine
familiale, qui est hautement souhaitable,
parce qu'il y a moins d'interventions, parce que le médecin de famille en fait
est celui qui continue à suivre la famille, d'ailleurs, les sages-femmes
étant des spécialistes de la grossesse normale et de l'accouchement normal.
Mme
Lamarre : Donc, c'est quelque chose qui vous préoccupe dans cette
capacité-là de continuer à rendre ça attrayant,
d'autant plus qu'il y a des gardes. Quand on est en obstétrique, vous êtes de
garde, et c'est sûr que c'est une pratique
qui comporte plus de risques aussi en termes d'interventions par rapport à
soigner des conditions mineures plus simples.
Si vous aviez le choix entre avoir un patient qui vaut 0,8, mais qui n'est pas
malade, et une femme enceinte qui vaut 2 et qui comporte quand même
certaines responsabilités...
Mme Jimenez (Vania) :
Il y a un risque. Il y a définitivement un risque. Je pense que, si on veut
vraiment encourager la pratique de l'obstétrique, pas juste du suivi de
grossesse, mais de l'obstétrique, de l'accouchement, en médecine familiale, il y aurait intérêt à attendre la mise sur place de
toutes les équipes interdisciplinaires, la réorganisation finalement du
système, avant la pondération. Réorganiser et, quand ce sera tout réorganisé,
bien là allons-y avec une pondération telle qu'elle est proposée.
Mme
Lamarre : Bien, ce que vous dites a été rapporté aussi par des
chercheurs et des gens qui sont considérés comme des experts, c'est-à-dire que le modèle de la pondération et des
quotas, c'est peut-être plus viable quand on le confie à une équipe, mais, quand on confie et qu'on
impose ça sur une base individuelle à des médecins seuls, individuellement,
ça devient très difficile, ça comporte
certains risques que les médecins choisissent certains patients ou que, même
quand ils décident de vouloir suivre
des patients plus spécialisés, comme ce que vous faites ou comme on a vu ce
matin, avec les interruptions
volontaires de la grossesse ou les soins palliatifs, eh bien, que là le quota
vienne les obliger à diviser leurs pratiques, alors qu'il y a quand même
une expertise qui est nécessaire dans certains champs de pratique.
Mme
Jimenez (Vania) : Dans le fond, je vais vous dire, moi, mon champ,
vraiment, c'est la périnatalité, puis ce que je craindrais, c'est qu'il y ait comme un clivage, qu'on sépare la
notion de suivi de grossesse de celle de l'accouchement, parce que c'est quand même quelque
chose qui se fait. Il y a
des médecins qui font du suivi de grossesse jusqu'à 28 semaines
puis qui réfèrent. Ce n'est pas mal, mais ce qui est souhaitable, c'est qu'il y
ait vraiment cette continuité.
Puis
on sait que la continuité, même d'équipe, ne serait-ce qu'une continuité
d'équipe et pas le médecin lui-même personnellement...
Et, tous les travaux de Barbara Stanfield le démontrent, on arrive à des économies
et on arrive à des succès, finalement,
grâce à la continuité. Donc, ne pas cliver entre le suivi de grossesse et
l'accouchement. Il faut prendre en compte l'ensemble de l'épisode
de grossesse dans l'esprit de la médecine familiale.
Mme
Lamarre : Est-ce que,
dans votre équipe, là, quand vous parlez d'un demi-équivalent temps complet...
Le reste du temps, les médecins qui
travaillent dans votre groupe, là, vous parlez d'une vingtaine de médecins,
comment ils répartissent leur temps entre l'obstétrique et la pratique
générale?
Mme
Jimenez (Vania) :
C'est-à-dire que, sur les... On est à
peu près une quarantaine de médecins
en têtes de pipe, là, au GMF général. De ces 40 là, il y en a neuf qui
font de l'obstétrique. Et ces neuf-là sont les neuf qui se retrouvent à La Maison bleue, qui font chacun une
demi-journée à La Maison bleue pour la clientèle enceinte vulnérable et
les familles vulnérables, mais on parle toujours du même bassin de...
Mme Lamarre :
Les mêmes neuf médecins, dans le fond.
Mme Jimenez
(Vania) : Les neuf qui font de l'obstétrique en font au GMF général et
à La Maison bleue.
Mme Lamarre :
Et les 31 autres, eux, ils font autre chose.
Mme Jimenez
(Vania) : Ils font d'autres choses. Alors, on a des dominantes, il y
en a qui font plus de santé mentale, il y en a d'autres qui font plus des
maladies chroniques. Et on est une UMF, donc tout le monde est aussi impliqué dans la supervision des médecins, des
résidents, étudiants, etc., au GMF général, mais aussi à La Maison bleue.
Mme
Lamarre : Parce qu'il y a une proportion, là, qui serait intéressante à faire,
c'est-à-dire que, si ces neuf médecins obstétriciens
là, qui font de l'obstétrique aussi, là, font finalement actuellement deux jours-semaine, mais qu'au rythme ou au nombre de patients que vous dites par jour... qu'il y a
à peu près une dizaine, ça ne leur permet pas de compenser
suffisamment un nombre important de patients, et que ça les oblige à voir quand même,
par exemple, selon leur année de diplomation, 1 000 patients à l'externe, est-ce que
ça pourrait décourager certains médecins de s'intéresser à l'obstétrique,
même dans un contexte comme celui que vous avez?
La
Présidente (Mme Montpetit) :
Je vous remercie. Malheureusement, le temps est écoulé. Nous allons donc
poursuivre avec le député de Lévis pour une période de huit minutes.
M. Paradis (Lévis) : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Jimenez, et ne vous surprenez
pas, je vous laisse continuer sur votre lancée, la question est intéressante.
Mme
Jimenez (Vania) : Bien,
c'est-à-dire qu'effectivement ce qui risque d'arriver, c'est que ces
médecins-là ne fassent que de La
Maison Bleue, délaissent l'obstétrique ordinaire telle qu'elle se fait, parce que
ce n'est pas nécessaire de... la pondération est... Grâce à l'équipe et à
la gestion OSBL, ça fonctionne à La Maison bleue. La Maison bleue est
comme un microclimat de ce à quoi on essaie d'arriver.
Maintenant, comment
ça va se passer dans le GMF général? C'est-à-dire que, quand même, le GMF-UMF,
on fait, finalement, à l'équipe... Il y a 500 accouchements par année à
l'hôpital juif, donc ce n'est pas juste les 160 de La Maison bleue, là. Il y a quand même... il y a 300 autres
accouchements qui sont des grossesses qui ne sont pas aussi vulnérables
que celles-ci.
M. Paradis (Lévis) : Vous décrivez un beau modèle. Vous le souhaiteriez plus étendu, milieu
de vie préventif à l'enfance. Vous parlez de... et vous apportez la
dimension humaine avec une clientèle particulière qui demande de l'investissement de temps, de la qualité de
pratique, mais aussi de l'investissement de temps pour l'humain que vous
traitez.
Dites-moi,
Dre Jimenez, dans votre cas à vous, comme celui des neuf médecins qui vous
accompagnent dans cette réalité
qu'est La Maison bleue, le projet de loi n° 20, dans sa forme actuelle, à
la lumière de ce que vous en avez vu et en savez, est-ce que ça compromet l'action de ces médecins-là? Est-ce que
vous faites... Est-ce que vous remplissez la demande du projet de loi n° 20 à la lumière de votre
pratique en établissement, en Maison Bleue, au GMF, vous et vos collègues,
ou ça compromet l'excellent travail que vous faites, travail très différent,
très axé sur le client?
• (16 heures) •
Mme
Jimenez (Vania) : Je peux... Comme je vous disais, ça ne comprenait
pas La Maison bleue. À La Maison
bleue, grâce à l'interdisciplinarité et
cette gestion légère, ça va, on atteint, parce que, et c'est ça, mon
message, en fait... C'est qu'on a
réussi à avoir la passion des médecins qui travaillent là. Mon message, c'est
que, si on pouvait, par contagion, en
fait, faire la même chose pour d'autres clientèles... parce que
les médecins ont des passions, hein, la toxicomanie, c'est la passion de certains, les personnes âgées, les... mais qu'on leur donnait le genre de support que La Maison bleue
donne, je crois qu'on n'aurait pas
besoin ni de quota ni de rien du tout, là, on y arriverait, comme La Maison
bleue arrive, par la passion des médecins qui y sont, qui s'engagent
corps et âme là.
Maintenant,
je parle surtout pour La Maison bleue. Je ne me prononcerai pas nécessairement...
Je pense qu'il y
a eu amplement de
présentations des universités pour les résidents, etc. Effectivement, je pense
qu'il y a beaucoup de discussions à avoir,
là, au sujet des pondérations, pour quand c'est un résident, etc., et la
supervision. Mon focus, c'est vraiment La Maison bleue et la
périnatalité vulnérable.
M. Paradis (Lévis) : Vous souhaitez la contagion, que, dans le cas de La Maison bleue,
l'épidémie se propage.
Mme Jimenez
(Vania) : Oui.
M. Paradis (Lévis) : Le problème, c'est que ce n'est pas ça maintenant, c'est-à-dire que le
modèle dont vous nous parlez, tout
aussi attirant soit-il, ce n'est pas... il y en a deux, hein, vous le
constatez. Il faudrait qu'il y en ait davantage. La réalité, pour demain, après l'adoption du projet de loi n° 20
dans sa forme bonifiée, ce n'est pas des Maison bleue partout. Alors, vous voyez comment, à la lumière de votre
expérience, vos qualités humaines, l'obstétrique, qui est votre rôle de
médecin, collé sur le patient, parce que...
Mme
Jimenez (Vania) : Si, par une baguette magique, je pouvais mettre des
Maison bleue pour la grossesse vulnérable,
des maisons jaunes pour la toxicomanie, des maisons vertes pour l'itinérance,
des maisons jaunes... ou orange pour la santé mentale, le projet de loi
n° 20, là, on n'en aurait même pas besoin. Je veux dire, ça se ferait,
tout ça ensemble. Et ce que je propose
aussi, c'est que, si, par magie, on pouvait faire ces bulles de vulnérabilité,
de les sortir du système général...
Parce que ce n'est pas tout le monde qui a envie de s'occuper de la
vulnérabilité. Et ce que je comprends
aussi, c'est qu'il y a des médecins qui atteignent facilement, en fait, les
1 500, 2 000 patients, mais qui ne sont pas des patients vulnérables, en cabinet, c'est ce
qu'on me dit aussi. Si on pouvait les dégager, dégager la vulnérabilité
et la prendre en soi et la traiter en soi, on réglerait le problème.
M. Paradis (Lévis) : Vous me parlez de maisons bleues, jaunes, orange, rouges, c'est un bel
arc-en-ciel, hein...
Mme Jimenez
(Vania) : ...la vulnérabilité. Pas juste la vulnérabilité en...
M. Paradis
(Lévis) : Je comprends.
Mme
Jimenez (Vania) : On le sait aussi, de toute façon, d'ailleurs, ça a
été prouvé dans d'autres... Aux États-Unis, ils ont... Bon, il y a un de mes collègues qui m'a passé un
article — les
itinérants, par exemple — un de mes collègues qui
fait de l'hospitalisation, qui me dit, par exemple, qu'il y a à peu près
1 % à 2 % des lits qui sont occupés par des jeunes qui ont des problèmes d'itinérance, qui ont des
problèmes de maison. On pourrait leur trouver une maison et on sauverait
énormément d'argent. S'ils passent la moitié
de l'année dans la rue et la moitié de l'année à l'hôpital, ça coûte
1 million. Mais, si on lui
achète une maison et qu'on lui paie 100 000 $, et qu'il arrête de
faire ça, on vient de régler le problème aussi.
M. Paradis
(Lévis) : Ce que je comprends, Dre Jiminez, de ce que vous nous
racontez, c'est qu'il existe des solutions,
c'est qu'il y en a, tout ne doit pas passer... puis être réglementé, puis passé
nécessairement par un projet de loi pour
faire en sorte qu'on bonifie, qu'on améliore un système. Il existe donc des
pistes de solution, et vous en proposez. Et vous dites qu'à travers tout
ça la base puis l'essence même, c'est l'interdisciplinarité. Il faut apprendre
à travailler ensemble pour faciliter la
tâche des uns et des autres puis arriver, en bout de course, avec un succès au
profit du patient et de la clientèle.
Et, vous l'avez dit, pas seulement celle qui vit la grossesse, mais le papa,
les enfants, et vous direz... et vous nous dites qu'ils deviennent par
la suite vos patients à vous, ceux à qui vous prenez le temps de parler.
Ce
n'est pas partout qu'on a cette notion-là et qu'on arrive à faire de
l'interdisciplinarité. Ça semble n'être pas nécessairement facile.
Comment appliquer ça au-delà de La Maison bleue pour que partout on adopte
cette pratique?
Mme
Jimenez (Vania) : En fait,
c'est deux choses. Mon message, c'est : Réorganiser, réorganiser de la
même manière qu'on fait réorganiser
le système; former des équipes autour de clientèles
vulnérables; et, en même temps, allumer le feu des médecins, rallumer leur feu. Et, la conscience sociale, je vous
dirais que la majorité des médecins l'ont, la majorité des
médecins ont ça dans leur ADN, quelque
part. Où est-ce que
c'est passé? Je ne sais pas. Je préfère ne pas me prononcer là-dessus, mais un vrai médecin aime se sentir utile, a besoin de se sentir utile. Il faut
l'aider en cela. Il faut lui permettre de retourner à ce pour quoi il est entré en médecine, et c'est ça
qu'on redécouvre, à La Maison bleue, et c'est pour ça qu'on tient tant à
avoir des stagiaires. Ils repartent, ils repartent les yeux éblouis de nouveau,
et on espère que ça continue.
La
Présidente (Mme Montpetit) :
Je vous remercie. Nous allons poursuivre avec le député de
Mercier pour une durée de trois minutes.
M. Khadir : Merci,
Mme la Présidente. Dre Jimenez,
bienvenue à la commission. Si vous me permettez quelques
instants, je dépose donc à la commission
un document qui est intitulé Health Systems in Transition.
C'est une revue de l'observatoire
européen sur les systèmes de santé, en Europe, et qui fait le bilan 2011 du système
britannique. Il en existe à peu près pour tous les pays. Et il vient de s'en produire
une, revue, aussi, sur le système canadien, par le Pr Marchildon, de l'Université
de Régina. On le retrouve sur les sites.
On
a parlé ce matin de la performance du système britannique, son accessibilité, les ingrédients
qui ont fait que l'accessibilité s'était améliorée. Je ne veux pas que les gens de
la commission me croient sur parole; je les réfère au chapitre
sur l'accessibilité. D'ailleurs, ça rejoint pas mal ce que Dre Jimenez a
dit. Ça rejoint à peu près ce que l'ensemble des intervenants, médecins, infirmières, tout
le monde est venu dire, avec des mots parfois directs, parfois indirects, plus courtois, au ministre : Écoutez, votre projet
de loi est peut-être mal ficelé. Certains, même, ont en fait demandé de
l'abandonner, disaient, un peu comme
vous l'avez dit : Réorganisons, on n'aura pas besoin de quotas. Réorganisons
en tenant compte, comme vous avez
dit, qu'il y a des patients vulnérables que, si on s'en occupe de manière
focussée, ceux-là constituent à peu
près 7 % de la population qui consomme 80 % des services médicaux, on
aura dégagé le système, et ça va mieux couler.
Je
ne veux pas vous faire dire des choses que vous ne voulez pas dire. Dans votre
conclusion, vous revenez sur l'importance
des médecins de famille, de reconnaître que c'est dans leur ADN, la conscience
sociale, le sens des responsabilités, que la désorganisation des
services éteint leur passion. Puis là, à un endroit, vous dites : Il faut
réformer, et que la réforme vise à assurer
un meilleur accès. Ça peut être un succès, mais à une condition : il faut
mobiliser les médecins en cherchant ce
qui rallume leur flamme. Alors, je vous laisse encore continuer là-dessus, je
voudrais vous entendre : Comment réorganiser, au-delà de ce qu'on a
dit, pour rallumer leur flamme?
Mme
Jimenez (Vania) : Écoutez, avant moi, il y a quelques semaines, il y a
M. Contandriopoulos qui est venu présenter
son mémoire, et je dois vous dire que c'est à la suite de l'avoir écouté et de
l'avoir lu que je me suis dit : Je vais présenter La Maison bleue aussi. Alors, je pense
qu'il y a énormément de pistes, dans ce que Damien Contandriopoulos a présenté, qui donnent vraiment les assises de
comment est-ce qu'on pourrait réfléchir le système de santé. Il y a eu des
erreurs, je dois dire, dans l'ingénierie finalement de... Pour vous dire aussi,
lorsque... J'ai assez roulé ma bosse que j'étais là lorsque l'assurance maladie est entrée en vigueur. Il y a eu
énormément de critiques à l'époque. Il y a eu même une grève, à
l'époque, tellement on était contre. Or, ça marche.
La Présidente (Mme Montpetit) :
Dre Jimenez, malheureusement, je vais devoir vous interrompre. Je suis
désolée, tout le temps accordé est écoulé.
Donc, je vous remercie pour votre présentation ainsi que les échanges avec les parlementaires, et je vais suspendre les travaux pour quelques instants, et
j'invite le prochain groupe à prendre place.
(Suspension de la séance à 16 h 9)
(Reprise à 16 h 15)
La
Présidente (Mme Montpetit) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite la bienvenue à nos invités de
l'Association médicale canadienne
et de l'Association médicale du Québec. Pour les fins d'enregistrement, je vous
demande de bien vouloir vous
présenter. Je vous rappelle que vous disposez d'une période de 10 minutes pour
faire votre exposé, et, par la
suite, nous procéderons à la période d'échange avec les parlementaires. La
parole est à vous.
Association médicale
canadienne (AMC) et
Association médicale du Québec (AMQ)
M. Marcoux
(Laurent) : Merci, Mme la
Présidente et distingués membres de
la Commission de la santé et des
services sociaux. Merci de permettre à l'Association médicale du Québec et à
l'Association médicale canadienne de comparaître
devant vous pour exprimer notre point
de vue préliminaire sur le projet de loi n° 20. Je me présente,
je suis Dr Laurent Marcoux, président de l'Association médicale du
Québec, et je suis accompagné ici aujourd'hui de mon collègue, Dr Pierre
Harvey, porte-parole de l'Association médicale canadienne.
Je parle de point de vue préliminaire, car nous
aurions souhaité une plus grande transparence de la part du gouvernement en début de processus, alors que les
orientations réglementaires mathématiques et arbitraires n'ont été rendues
publiques que le 19 mars. Il semble bien ici que Descartes ait remplacé
Hippocrate.
Nous vous
convions aujourd'hui à une première historique avec le dépôt d'un mémoire
conjoint de nos deux organisations.
C'est vous dire l'inquiétude que ce sujet de loi soulève pour l'ensemble de la
profession médicale au Québec et pour
les 80 000 médecins que nous représentons dans l'ensemble du Canada. Je
vais demander au Dr Harvey de nous donner l'heure juste sur l'accès
et la productivité des médecins au Québec et au Canada. Dr Harvey.
M. Harvey
(Pierre) : Merci, Dr Marcoux. Il est donc vrai de dire que les
médecins canadiens sont inquiets des retombées
du projet de loi n° 20, qui pourrait avoir des conséquences sur la
profession médicale, et surtout, mais surtout, sur les soins aux
patients.
Mais
traçons d'abord le portrait réel de l'accès aux médecins au Québec puis nous
nous tournerons vers des solutions mises
en oeuvre dans d'autres provinces pour régler ce problème. Je rappelle au
ministre qu'il n'est jamais réducteur et toujours profitable d'apprendre des autres. Statistique Canada indique
qu'en 2013 la moyenne nationale de personnes sans médecin régulier au Canada se situait à
15,5 %. Le Québec, avec une moyenne de 25 %, force le constat que les
Québécois ont raison de se sentir
frustrés. Et il est vrai que la profession médicale porte une partie de la
responsabilité de cette situation.
Nos deux organisations, qui, rappelons-le, n'ont
pas d'attache syndicale ou corporative, ont une connaissance approfondie du milieu de la santé, au Québec, au
Canada et à l'international. Nous sommes d'avis que le statu quo n'est pas une option valable et qu'il faut s'attaquer au
problème. Par contre, nous ne croyons pas que l'imposition de quotas de patients aux médecins soit la solution à
privilégier. Le plus récent Sondage national des médecins, rendu public en 2014,
décembre 2014, permet, au moyen d'une étude
longitudinale, de relativiser la productivité des médecins québécois par
rapport à celle de leurs collègues des autres provinces. On y apprend des
choses intéressantes, par exemple que l'écart entre les heures consacrées en services directs aux patients, par
semaine, se rétrécit entre les médecins québécois par rapport à leurs collègues des autres provinces;
aujourd'hui, cet écart est à peine de plus d'une heure par semaine. Cependant,
les médecins de famille québécois passent en moyenne 40 % de leur
temps en milieu hospitalier plutôt qu'en pratique communautaire, soit le double de ce que vivent leurs collègues
canadiens. Il est réductionniste d'utiliser le nombre d'actes transposés en jours de travail facturés à la RAMQ
comme mesure de productivité. Cette association revient à ignorer, entre
autres, la compassion envers nos patients.
Maintenant,
les données du sondage national démontrent que le nombre d'heures travaillées
par les médecins en services directs
aux patients est en baisse, en moyenne, de 10 % dans les autres provinces,
entre 2004 et 2014. Comment se
fait-il qu'en travaillant moins, partout ailleurs au Canada, on assiste à une
meilleure accessibilité aux services de santé? La réponse est
simple : l'innovation et la pleine collaboration entre les gouvernements
et les médecins.
Notre mémoire
contient diverses histoires de réussites, mais laissez-moi vous parler
brièvement de l'expérience de Taber,
une petite collectivité de l'Alberta. En 2000, le Taber Integrated Primary
Healthcare Project a été mis sur pied pour
améliorer la prestation des services de santé au moyen de l'intégration des
services par un groupe de médecins et la région sanitaire de Chinook. Un plan alternatif de
paiement a été implanté pour préciser les attentes quant aux services et à leur productivité. Ce plan mise aussi sur
l'interdisciplinarité entre les professionnels, ce qui permet aux médecins de
déléguer. Les médecins sont maintenant rémunérés à forfait pour des services
précis, mais toutefois certains services continuent
d'être payés à l'acte. Il y a une réduction du paiement au groupe quand un
patient inscrit reçoit des soins de l'extérieur du groupe de médecins.
J'insiste sur le fait que la pénalité est collective et non pas individuelle
comme le prévoit le projet de loi
n° 20, et le résultat est probant. Au début des années 2000, il fallait attendre une trentaine de jours avant
d'avoir accès à un médecin, mais il n'y a plus aucune attente depuis 2006 déjà.
Les services des médecins ont augmenté de 10 % et ceux des autres professionnels, de
50 %. Les patients visitent moins leur médecin : une réduction
de plus de 60 % par rapport aux autres
régions. Et on note une nette diminution des visites à l'urgence et de
l'utilisation des tests de
laboratoire. Un succès sur toute la ligne, un succès de collaboration. Le
ministre serait certainement avisé de s'inspirer de ce modèle.
• (16 h 20) •
M. Marcoux
(Laurent) : Merci,
Dr Harvey. J'aimerais revenir au coeur du projet de loi qui consiste à
imposer des quotas de patients aux
médecins. Nous croyons que cela pourra avoir des effets pervers et inciter les
médecins à adopter une pratique axée
sur le volume au détriment de la qualité. Elle pourrait conduire tout droit au
surdiagnostic. Faire plus ne veut pas toujours dire faire mieux.
Les
améliorations significatives constatées ailleurs au pays, et qui sont
documentées dans notre mémoire, partagent trois conditions environnementales qui sont à la portée du gouvernement
québécois. En premier lieu, le dossier médical électronique. L'accès au dossier médical électronique est la pierre
angulaire de l'amélioration de la productivité. Or, à cet égard, le Québec a failli lamentablement. Le
projet de Dossier santé Québec promis pour 2011 à un coût de 543 millions
de dollars est, selon le ministre de la
Santé lui-même, un échec retentissant. Il a déclaré récemment que le
gouvernement québécois prévoit livrer
ce projet pour 2021, pour un coût de 1,6 milliard de dollars. Voilà bien
un retard et un dépassement de coûts qu'on ne pourra plus jamais
attribuer aux médecins.
Deuxièmement,
l'organisation du travail. Beaucoup plus qu'au Québec les autres provinces
mettent à contribution les autres
catégories de professionnels. Nous constatons que le problème d'accessibilité
aux soins de première ligne est en train
de se résorber dans la plupart des provinces canadiennes. Des solutions sont
élaborées et mises en place par le biais d'une collaboration entre les membres de la profession médicale et le
gouvernement. Il faut organiser le travail de façon à confier à d'autres
membres de l'équipe de soins des tâches pour lesquelles ils ont la formation et
la compétence.
Troisièmement,
les modes de rémunération. Les données de l'assurance maladie du Québec de 2013
démontrent que près de 80 % de
la rémunération totale pour les médecins du Québec est faite en fonction du
mode de rémunération à l'acte.
Ailleurs au pays, un mode de rémunération alternatif semble faire la
différence. Ce mode facilite l'implantation du concept de la responsabilité populationnelle, qui comprend l'accès à
des services de qualité et la participation pleine et entière de tous
les acteurs. Il est donc clair que l'implantation du concept de responsabilité
populationnelle ne peut réussir qu'à l'aide d'une approche collective.
Dans le
modèle Kaiser Permanente, bien connu du ministre, comme dans l'expérience de
Taber dont le Dr Harvey vient de
nous décrire, on retrouve certaines conditions de succès que nous
préconisons : la responsabilité populationnelle, l'utilisation des
dossiers médicaux électroniques et l'interdisciplinarité. Sans ces trois
éléments, on ne peut faire cette approche populationnelle et arriver à nos
fins.
Or, le mode
de rémunération actuel des médecins du Québec va à l'encontre de la stratégie
employée dans ces modèles où
l'équipe — je dis
bien l'équipe — reçoit
un budget fixe pour prendre soin d'une population donnée. C'est aussi pourquoi nous croyons que le projet de loi
n° 20 fait fausse route en individualisant les cibles de patients à
traiter plutôt qu'en les collectivisant.
Toutes les
améliorations dans le système de santé se sont bâties dans un climat d'échange
et de collaboration, et il ne fait aucun doute que les médecins partagent
l'objectif du projet de loi d'améliorer l'accès aux soins de santé, mais, là
où le bât blesse, c'est que les moyens
retenus ne sont pas les bons. L'imposition de quotas n'est certainement pas la
solution. Nous gardons espoir que le
gouvernement abandonnera sa dynamique d'affrontement et acceptera de s'asseoir
avec les médecins pour discuter de la meilleure façon d'améliorer les
soins de santé au Québec. Au début des années 2000, le gouvernement a eu recours au subpoena pour forcer les médecins de
famille à couvrir les hôpitaux; aujourd'hui, on veut recourir aux quotas
pour les en ressortir. Où est la logique? Où s'en va-t-on avec ça?
Pour
conclure, un changement de ton est souhaitable. Et si on mettait fin à ce
climat de confrontation pour vraiment innover
et collaborer de manière à apporter des changements nécessaires? Et si on
bâtissait ensemble notre propre modèle de
réussite? Loin d'être le problème, les médecins québécois font partie de la
solution. Merci. Et nous sommes maintenant prêts à répondre à vos
questions.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous entamons
maintenant une période d'échange avec les parlementaires. Et, pour une période de 18 minutes, je cède maintenant
la parole au ministre de la Santé et des Services sociaux.
M.
Barrette : Merci, M. le Président. Alors, Dr Marcoux, Dr Harvey,
bienvenue. Il me fait plaisir de vous revoir. Ce n'est pas évidemment la première fois, on s'est vus au projet de loi
n° 10 et dans d'autres circonstances. Ça me fait plaisir de vous entendre. Je m'attendais à ce que
vous teniez les propos que vous tenez aujourd'hui. Je suis surpris que
vous me disiez que le Québec terrorise le reste du Canada. C'est nouveau. Mais
ce n'est pas nécessairement mauvais.
Et là je
prendrais une des données que vous avez citées, c'est-à-dire les sondages
nationaux, mais les sondages nationaux,
je vous rappellerai qu'ils montrent aussi que les médecins du reste du Canada
ont une tendance à diminuer leurs heures de disponibilité. Alors, je peux
comprendre que les médecins du reste du Canada soient inquiets de ce qui
se passe au Québec, parce que, s'ils suivent
le même chemin que nous, ils vont peut-être finir par avoir le même remède,
mais ils n'en sont pas là. Mais je comprends que ça puisse générer une certaine
anxiété ailleurs au Canada.
Je vous rappellerai
aussi que la donnée la plus... parmi les données que vous évoquiez pour
justifier vos commentaires, vous utilisez
des données qui sont à partir de sondages, à l'exception de Taber. Alors,
Taber, là, on va en parler un
instant, là, Dr Harvey, parce qu'évidemment ce qui a été dit sur Taber a
occulté un élément qui était très important et qui le demeure encore aujourd'hui. Mais au moins je vous donne le
mérite de l'avoir abordé; vous êtes le seul. Tous ceux qui ont parlé de Taber à date, dans les médias ou
dans les émissions d'affaires publiques, et ainsi de suite, ont occulté un des
éléments essentiels, qui n'est pas le paiement alternatif, mais bel et bien la
pénalité financière induite par le fait que des
patients allaient voir d'autres médecins que les médecins qui étaient assignés,
les médecins qui participaient au projet de Taber, ce qui est la définition expresse de l'assiduité, hein? On
évacue toujours du débat l'élément moteur. Le paiement alternatif, là, c'est bien, mais il n'en reste pas
moins que l'élément moteur a été aussi... peut-être pas le seul, mais certainement significatif, la pénalité qui venait
avec la non-assiduité des patients dans la région, ce qui vient changer la
façon d'apprécier le succès de Taber, qui, soit dit en passant, en a été un.
Maintenant,
je vais reprendre essentiellement, tranquillement, pas vite, là, tous les
éléments que vous avez abordés comme
étant des conditions de succès, en commençant par une question : Est-ce
que vous me confirmez quand même qu'ailleurs...
ou êtes-vous capables de me confirmer que, dans le reste du Canada, la moyenne
de patients vus par jour — par manifestement des médecins non compassionnés, parce que
vous avez opposé les quotas à la compassion — bien, la moyenne d'ailleurs
dans le Canada, là, c'est 30-35 patients par jour. Bien ça, c'est archiconnu,
là. Vous allez me dire qu'il y a des
équipes, et ainsi de suite, mais ce n'est pas grave, les équipes ne justifient
pas ces chiffres-là à elles seules. Alors,
que la moyenne de patients par jour, c'est, au Québec, 14, pouvez-vous
m'expliquer, là, à quel niveau les médecins canadiens hors Québec sont à ce point si incompassionnés, manquent de
compassion par rapport à leur clientèle, alors que, nous, c'est l'autre
extrême? Expliquez-moi ça. J'ai bien de la misère à vous suivre là-dessus.
• (16 h 30) •
M. Marcoux (Laurent) : Oui. D'abord, les médecins en dehors du Canada, oui, ils voient un
nombre plus important de patients en
moyenne. Je ne peux pas vous donner tort là-dessus, c'est la réalité. Et il y a
moins de problèmes d'accessibilité. Mais, s'ils arrivent à avoir cette
productivité-là, c'est parce qu'ils ont les outils pour leur aider. Si un médecin au Québec passe dans sa journée plusieurs
heures à chercher des rapports, à chercher des dossiers, à chercher des rapports d'examens, c'est du temps perdu à sa
productivité. Si le médecin au Québec n'a pas l'assistance de l'infirmière,
n'a pas l'assistance d'autre personnel dans
l'offre de services, il perd de la productivité. Et ce qu'il pourrait faire faire par quelqu'un — je
l'ai donné dans mon texte — aussi
compétent, une infirmière, dans certains domaines, c'est lui qui doit le
faire, parce qu'on ne peut pas laisser le patient sans ces soins-là.
Donc,
l'informatique, l'interdisciplinarité
sont des outils. Et ma collègue et amie Dre Jimenez l'a très bien mentionné, parce que, quand elle a dit : À La
Maison bleue, ça va, deux pour un, parce que j'ai les outils pour donner
ces services-là, mais, quand j'arrive dans
un bureau normal où je dois tout faire, je n'arrive pas... Et ici, au Québec,
le manque de productivité... On n'a
pas qu'à tourner la clé pour dire : La chaîne de montage va aller plus
vite. Non, il faut donner les outils
aux gens qui y travaillent, au système de santé, pour qu'ils soient capables
d'être efficaces et productifs. C'est ça, l'objet de notre présentation.
M.
Barrette : J'ai bien compris quel était l'objet de votre présentation.
Je ne fais que mettre le... relativiser les choses. Alors, on va les relativiser. La FMOQ, dans ses propres
documents publics, estime que, par quatre heures de travail clinique,
contact patient, ça doit inclure 45 minutes de travail
médicoadministratif — les
papiers auxquels vous faites référence — ce qui, sur une journée, représente
essentiellement 1 h 15 min. Ce n'est pas des heures ça, c'est
1 h 15 min. Alors,
cette heure et quart là, faisons les transpositions purement mathématiques.
Comment on fait pour être si compassionné et avoir 14 patients par jour,
alors que les autres arrivent à 35? C'est une équation qui ne marche pas.
M. Marcoux (Laurent) : Là, il y a le côté administratif, mais je ferais
remarquer qu'il y a aussi le côté support professionnel qui est là aussi
et qui est important.
M. Barrette :
Ah! bon.
M. Marcoux (Laurent) : Et, dans les moyennes que vous mentionnez, si les
médecins du Québec passent beaucoup plus
de temps dans les établissements à faire du travail qui n'est pas de la
première ligne, pendant ce temps-là, ça vient baisser leur moyenne quand
ils sont au bureau, là.
M. Barrette :
La réponse évidemment est non à ça. Et je vous donne un exemple qui est bien
connu chez les médecins de famille. Je
prends l'exemple de Le Gardeur, que je prends à tour de bras, là, parce qu'il
est très représentatif de la réalité des médecins de famille. Il y a
trois ans, à Le Gardeur, les médecins de famille ont fait une menace de démission en bloc, parce que leur charge était
trop grande. Ils ont demandé de passer de 30 à 20 par jour à hôpital. Et des
jeunes médecins sont venus ici, en
commission parlementaire, pour nous dire essentiellement qu'eux autres,
leur charge à l'hôpital était 25. Et
Dre Jimenez tantôt, qui a une pratique ultralourde, puis je peux vous
assurer qu'elle est ultralourde, pour
la connaître, puisque cette clientèle-là, c'est à côté de mon quartier, sur un
rythme quotidien, elle en fait une vingtaine, et c'est ses propos à elle. Alors, à un moment donné, il y a quelque
chose qui ne fonctionne pas dans l'équation, mais, étant donné que je ne
veux pas qu'on ait un débat de perception l'un à l'autre, là... Mais,
manifestement, là, il y a un argumentaire qui, à sa face même, la face de la
réalité, ne tient pas la route.
Il y a un autre élément,
Dr Marcoux. Expliquez-moi pourquoi le DME, qui est un produit commercial,
qui est la responsabilité du
médecin... C'est lui, là, qui décide de se mettre informatique ou non. Pourquoi
il ne le fait pas? Pourquoi seulement
35 % des médecins actuellement... même pas 35 % des médecins se
branchent au DSQ, qui est une donnée informatisée
accessible, qui sauve du temps, mais qu'en plus c'est encore moins qui sont
numérisés? Pourquoi les médecins ne le font pas? En quoi c'est la
responsabilité du gouvernement?
M. Marcoux
(Laurent) : Le dossier patient doit être disponible pour le médecin
pour qu'il se branche à ce dossier-là. On
parle du DSQ, c'est une chose, mais il est incomplet actuellement. Plusieurs
pharmaciens ne se sont pas encore
branchés au DSQ. Je dirais aussi que le DCI, le dossier clinique informatisé,
qui appartient à l'établissement, n'est pas disponible, et c'est pour ça que les médecins... Pourquoi qu'ils se
brancheraient à quelque chose qui n'existe pas? La responsabilité du dossier patient, c'est la responsabilité du
gouvernement. Quand Info-Santé... quand Inforoute Canada a mis les budgets, ils n'ont pas mis les budgets
aux médecins pour installer l'informatique, ils l'ont donné au gouvernement.
Ils ont dit : Donnez l'outil, formez l'outil du dossier patient pour que
les médecins puissent se connecter. On les a, les iPad, dans nos
bureaux, on les a, les logiciels, mais il faut avoir quelque chose à quoi se
brancher, et c'est ça qui manque.
M.
Barrette : Quand vous parlez de productivité, Dr Marcoux, là, je
suis désolé, là, mais ce n'est pas exact, ce que vous dites. À l'hôpital, la donnée, elle est pas mal numérique
partout et est localement disponible. En cabinet, c'est vrai que toute la donnée n'est pas là, mais c'est
entre 85 % et 100 % de la donnée qui est disponible, ce qui fait
qu'entre 85 % et 100 % du
temps le médecin a accès à la donnée numérique. Et le DME, qui est le dossier
médical, mais dans lequel on écrit
nos notes, là, bien, ça, c'est un produit commercial que le médecin a la
responsabilité d'acheter. Pourquoi
il ne l'achète pas? Je comprends, là,
que ce n'est pas parfait. Mais moi, si j'avais un outil qui était 85 % du temps efficace, là, je le gérerais comme ça. Puis, dans ma pratique,
dans mon monde, il y a eu des moments comme ça où j'avais devant moi une partie numérique et devant moi, à côté,
une partie analogue. Puis, à chaque fois que j'avais une chance de m'en aller sur le numérique pour être plus productif,
j'y allais. C'est quoi, là, il faut que ça soit parfait pour que ce soit
acceptable? Alors, le gain de
productivité est disponible. Pourquoi les gens ne le font pas? D'ailleurs,
c'est vous, là, qui... vos membres. Pourquoi vos membres ne le font pas?
M. Marcoux (Laurent) : La connectivité entre le dossier électronique
qu'on a dans notre bureau et le système
gouvernemental, pour des raisons de confidentialité, de sécurité, de disponibilité, elle n'est pas
suffisante pour que les médecins puissent s'y fier et l'intégrer dans
leur dossier médical.
M. Barrette :
Confidentialité. Pouvez-vous me préciser, Dr Marcoux? J'aimerais que vous
précisiez pour la confidentialité. Là, vous m'étonnez beaucoup.
Vous dites que, pour des raisons de confidentialité, on ne s'en sert pas? C'est une clé qui
demande un mot de passe, qui garantit la sécurité, et là ça serait un frein à
l'accès?
M. Marcoux
(Laurent) : C'est ce que j'ai dit, M. le ministre.
M. Barrette :
Bien là, expliquez-moi ça, là. Je ne comprends pas.
M.
Harvey (Pierre) :
M. Barrette, moi, je travaille... je suis un infectiologue dans un hôpital
à Rivière-du-Loup, et on dessert les hôpitaux environnants. Et, il y a
deux semaines, j'ai un patient dans mon bureau, je prends ma clé, je la mets dans mon ordinateur puis je dis au
patient : Bien, écoutez, c'est vos taxes, je vais vous montrer le DSQ. Ça fait
que je rentre son numéro d'assurance maladie. Ah! sa pharmacie n'est pas
branchée. Et, si sa pharmacie avait été branchée, la seule chose que j'aurais eue, après 400...
563 millions de dollars, là — vous-même, vous avez dit que c'était un
fiasco — bien
la seule chose à laquelle j'aurais eu accès,
là, c'est son profil pharmaceutique. S'il est dans un autre hôpital, je n'ai
pas accès à ses résultats de laboratoire, aux examens radiologiques, via
le DSQ.
Alors,
vous dites... je parle... Il est faux de prétendre que les médecins font la
sourde oreille au dossier médical électronique.
Moi, chez moi, j'ai une télécommande et puis je m'en sers pour mon téléviseur,
parce que ça fonctionne bien. Le DSQ,
il n'est pas à point, il a des... On
a eu beaucoup de problématiques dans mon institution pour... Écoutez, le patient venait au CLSC, qui est dans notre
CSSS, et à ce moment...
M. Barrette :
Mais, Dr Harvey, si vous me permettez de vous interrompre...
M.
Harvey (Pierre) : ...et,
s'il avait... il pouvait décider qu'on n'avait pas accès à ses données. Vous
comprenez que...
M.
Barrette : Mais vous avez
raison, Dr Harvey, pour ce qui
est de Rivière-du-Loup, là, qui est
l'endroit où vous travaillez. Mais,
en ville, quand on dit que c'est 85 %
à 100 % fait, évidemment c'est que c'est l'effet de beigne habituel, là, de toutes les grandes organisations :
centralement, c'est plus fait qu'en région. Prenons l'exemple de là où sont 80 % des gens au Québec,
là : c'est là. Alors, pourquoi les gens ne font pas... En général,
l'argument qui sort : C'est trop lent. O.K., c'est trop lent, mais
c'est quand même plus rapide que le faire papier puis de prendre le téléphone.
M.
Harvey (Pierre) : Je doute que les médecins, dans leur majorité,
boudent le... par mauvaise foi. Et il est clair...
M. Barrette : Je n'ai pas dit que
c'était de la mauvaise foi, Dr Harvey, là.
M. Harvey (Pierre) : En fait, la raison de notre présence ici, c'est
de pouvoir s'inspirer de ce qui s'est fait de bien ailleurs,
pas sur des bases théoriques, mais sur des réussites. Il y en a
eu, des réussites, au Québec et ailleurs. Ma présence est de pouvoir vous informer, partager avec la commission les réussites ailleurs
au Canada, et c'est dans un milieu qui nous
ressemble. Et on se base sur des faits, sur de la science, et, sur ce plan-là,
la science, au Canada, dans le reste du Canada, est la même science qu'au Québec.
• (16 h 40) •
M.
Barrette : Alors, très bien.
Parlons de la science, de ce que vous appelez la science, parce que
ce n'est pas nécessairement de la
science au sens scientifique du terme, là, ce sont des observations. Je vous
dis, moi, que le comportement moyen,
l'implication moyenne du médecin ailleurs au Canada est différente de celle d'ici. Je ne vous dis
pas que c'est de la mauvaise pratique au Québec,
ce n'est pas ça que je dis, là; je dis que l'implication en termes de services, elle est différente.
Je
vais vous donner un exemple. Vous avez fait référence tantôt aux équipes
multidisciplinaires. Il y a des gens, là, qui sont venus ici, en commission
parlementaire, avec lesquels on a eu
des conversations, et il y en a qu'on a à l'extérieur de cette commission
parlementaire qui nous confirment clairement
qu'il y a une problématique en termes d'utilisation de la
partie de l'honoraire qui est censée être dirigée vers les coûts d'opération des cabinets, par exemple, hein? En français, là, ça
signifie que, si on dit que 30 %
de l'honoraire doit payer les frais de cabinet, il y a tellement de compétition
que c'est une fraction de ça qui se
paie. Et l'autre fraction, au lieu d'aller dans l'investissement du personnel
de soutien ou d'interdisciplinarité, il va ailleurs. Est-ce normal? Moi,
je peux vous sortir, dans les réseaux sociaux, des gens qui m'écrivent et qui me disent — et ça, j'espère que vous allez faire le
parallèle avec ce qui se fait ailleurs au Canada : Moi, maintenant, là, dans mon GMF, on est rendus à un
ratio d'une infirmière pour deux médecins, parce que le volume que ça a généré nous permet, dans notre honoraire
opérationnel, de générer assez de revenus pour se payer un ratio d'une
infirmière pour deux médecins. Et
vous savez bien tous les deux, là, que, si tout le monde faisait ça, ça
roulerait pas mal dans les GMF. C'est
ça, l'interdisciplinarité. Les tarifs sont là pour le permettre, et ça ne se
fait pas, alors c'est qui qui est responsable de ça?
M. Marcoux
(Laurent) : Est-ce que c'est en mettant des quotas de plus de patients
qu'on va arriver à ça?
M.
Barrette : Ah! très bien, mais vous avez fait référence,
Dr Marcoux, vous avez fait référence abondamment à ce qui se passe dans les autres provinces. Dans
les autres provinces, c'est vrai, ce que vous dites, parce que je les connais
très bien, comme vous le savez. Vous savez
très bien, là, que la collaboration a eu lieu dans les autres provinces, vous
savez très bien que les médecins eux-mêmes se sont assis avec le gouvernement
pour eux-mêmes induire, initier la conversation nécessaire pour régler les
problèmes d'accès. C'est quand, la dernière fois que c'est arrivé au Québec?
M. Marcoux
(Laurent) : Bien, il y a quelques...
M. Barrette :
Pouvez-vous me citer un moment, là, dans les médias ou...
M. Marcoux (Laurent) : Il y a quelques moments où l'Association médicale
du Québec s'est assise et a invité le
ministre à avoir des discussions et des réflexions sur l'accessibilité, sur le
surdiagnostic. On nous a dit : Ce n'est pas de vos affaires. Et pourtant, nous sommes des médecins. Nous
représentons 10 000 médecins au Québec. Et c'est cette volonté de vouloir changer les choses qu'on a
apportée sur la table. Et on s'est fait bouder, on s'est fait retourner en
disant : Ce n'est pas vos
affaires. Oui, c'est nos affaires. On a un congrès prochainement, il va porter
sur le professionnalisme, une
réflexion que, les médecins, nous avons à faire actuellement. Le gouverneur
général du Canada va être là. Il va venir s'adresser à nos membres pour donner comment c'est important le
professionnalisme dans le domaine médical. Est-ce que notre ministre va
être là? Vous avez été invité. Je ne connais pas votre agenda, mais vous êtes
le bienvenu.
M.
Barrette : On ne débattra pas de mon agenda, Dr Marcoux, mais une
chose est certaine, vous avez dit tantôt que vous ne représentiez pas les médecins sur le plan de la négociation
avec les organisations. C'est quand que les organisations ont eu ces
discours-là?
Je vais vous donner
un exemple, là, qui est une belle image. Vous me répondrez là-dessus. Benoît
Morin, le chroniqueur de pharmacie à 98,5 à Montréal,
en réponse à une question qui était posée, comment ça se fait que le
médecin n'était pas disponible, il
répond : Bien, vous savez, un médecin
de famille, là, pour lui, une fin de semaine, ça commence le jeudi soir
puis ça se termine le mardi matin. Ça, là, c'est sur l'Internet. Vous pouvez
aller l'écouter. On fait quoi avec ça?
M. Marcoux
(Laurent) : ...anecdote, M. le ministre. Je m'excuse.
M. Barrette :
Ah! O.K., c'est correct.
M. Marcoux (Laurent) : Je connais beaucoup de médecins, je suis
médecin moi-même, et on a une réflexion à faire sur notre professionnalisme. Puis un des
objectifs, un des déterminants du professionnalisme,
c'est de faire passer les intérêts de notre patient avant les nôtres. Et
je pense que les médecins ont cette réflexion-là à faire.
M. Barrette :
...projet de loi n° 20.
M. Harvey
(Pierre) : M. Barrette,
moi... c'est parce que nous ne sommes pas un syndicat,
et évidemment on ne joue
pas le même rôle. La raison de notre présence ici, c'est de trouver les
conditions idéales pour servir le patient, servir la population. C'est la raison d'être de l'AMQ et de l'AMC. Et
ce que l'on vient vous dire, c'est qu'il
y a des expériences où on
s'est servi de la collaboration, de la discussion, de l'innovation, comme
Kaiser Permanente, Cleveland Clinic. Cleveland Clinic, les trois présidents de
l'AMC y étaient...
Le Président (M. Tanguay) : Merci.
Je dois maintenant vous arrêter, le temps est écoulé, malheureusement. Peut-être
que, sur les autres échanges, vous aurez l'occasion de compléter. Je suis
désolé. Je dois céder la parole à notre collègue de Taillon pour 11
minutes.
Mme
Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bonjour, Dr Harvey. Bonjour,
Dr Marcoux. Je reconnais dans
votre mémoire, et parce
que les gens ne vous connaissent peut-être
pas, l'Association médicale canadienne
et l'Association médicale du Québec,
mais effectivement vous êtes une organisation qui n'est pas une fédération
médicale, qui n'est pas un ordre, qui a comme priorité de chercher des
alternatives. Vous regroupez à la fois des résidents en médecine, des étudiants en médecine, des généralistes et des
spécialistes. Et donc vous réfléchissez. Et j'ai eu l'occasion de
participer à plusieurs de vos colloques, et vous êtes toujours à la recherche
de solutions innovatrices. Et vous avez même
été à l'origine de missions auxquelles le ministre et moi avons contribué,
avons participé dans d'autres vies, ce qui
témoigne votre ouverture à être en lien avec les fédérations médicales et également
avec les autres professions, et je
vous remercie de ça. Mais je veux
simplement repositionner votre organisation et la perspective dans laquelle vous
intervenez.
Je dois dire
que la situation actuelle, qui est décriée par le ministre,
elle est beaucoup la conséquence de certaines négociations auxquelles le ministre actuel a
participé intensément. Mais je ne reviendrai pas... je ne m'étirerai pas
là-dessus. Je veux revenir sur vos
trois options, parce que je pense qu'il y a quelque chose de très positif dans
ça, et c'est en fait la différence
entre punir et faire en sorte qu'on essaie de trouver ensemble des
collaborations. Et les solutions gagnantes, c'est quand il y a de la bonne foi puis quand il y a de la confiance
mutuelle, et ça, c'est sûr, c'est vrai entre les fédérations et leurs membres, c'est vrai entre le gouvernement
et les membres, entre le gouvernement et les fédérations et les membres.
Et je pense que, quand on a la chance
d'avoir des associations qui jouent un rôle un peu plus neutre, comme celui que
vous avez, qui n'ont pas d'intérêt direct
dans la rémunération, qui avez comme priorité la performance dans le système,
bien, je pense qu'il faut saisir cette occasion-là.
Et ce que
vous dites, c'est qu'il y a des problèmes au niveau de l'informatique, et ça,
je trouve ça dommage, je pense que le
ministre, dans les contraintes économiques qu'il s'est données, n'a pas les
moyens de faire ce qu'il voudrait faire
au niveau de l'informatisation. Il devrait tout simplement le dire comme ça, ce
serait plus facile, mais de nier que l'informatique
est adaptée aux pratiques médicales, pharmaceutiques, soins infirmiers,
hospitaliers, CLSC... Les systèmes ne
se parlent pas, les cahiers de charges n'ont pas été bien coordonnés, il y
avait beaucoup de choses à faire. Mais vous avez tout à fait raison.
Donc, vous pourrez m'en reparler, mais, pour moi, je suis déjà convaincue.
Il y a quand
même deux autres éléments sur lesquels vous insistez. Et le deuxième, et les
deux mots sont importants, c'est
«organisation interdisciplinaire». Et je pense qu'on a eu un peu une pensée
magique, au Québec, en disant... en faisant la promotion de l'interdisciplinarité, en pensant qu'en mettant des gens
ensemble ça marcherait. Or, ça prend une organisation, ça prend une coordination et ça prend une
planification de tout ça, et ça, c'est absent. Et là aussi je pense que c'est
le rôle certainement du ministre et du ministère d'aider à planifier, à
prévoir et à coordonner.
Et le
troisième élément, ce sont les modes de rémunération qui favoriseraient la
responsabilité populationnelle, et
ça, je peux vous dire que je suis tellement convaincue de ça. Et je pense que,
dans une ligne, là, il y a deux extrêmes : il y a les quotas et les taux d'assiduité, qui mettent des punitions et
qui imposent une vision un par un, et, à l'autre bout, il y a dire à des gens : Vous êtes
responsables d'une ville, d'une région, d'une sous-région; faites en sorte que
ces gens-là aillent moins souvent à
l'hôpital, qu'ils obtiennent des bons soins, qu'ils fassent de la prévention et
qu'ils soient bien traités.
Alors, sur
les deux éléments, organisation interdisciplinaire et responsabilité
populationnelle, j'aimerais vraiment... Il me reste sept minutes, je vous les laisse pour que vous puissiez
vraiment nous donner votre vision et nous parler de ce que vous avez
observé ailleurs et qui fonctionne.
M. Marcoux (Laurent) : L'exemple qui
a été donné chez Taber est un exemple éloquent, où, en une dizaine d'années, on a réglé les problèmes rapidement,
parce qu'on n'a pas juste mis les gens ensemble en silo, on a mis les gens
ensemble en interaction. Le médecin fait les
choses qui regardent sa compétence, mais il laisse toutes les autres choses
qui sont de compétence infirmière, pharmaceutique...
Je vais vous
donner un exemple très précis, qui illustre bien comment Taber, lorsqu'on met
les gens ensemble... Et on peut faire
ça ici, au Québec, les gens... les médecins ont cette responsabilité, ont cette
volonté de faire les choses, et non pas d'être conduits un à un comme on
veut le faire actuellement. Il y avait, chez Taber, après qu'ils se soient installés... Il restait un problème. Les patients
avec des maladies pulmonaires, les maladies respiratoires, continuaient à
engorger leur système à la hauteur d'au-delà de 300 consultations par année
dans ce groupe-là. Ils se sont dits... Et ils continuaient
à être hospitalisés davantage. On n'avait pas réussi à diminuer pour eux
autres. Et ils continuaient aussi à accéder à l'urgence, parce qu'ils
étaient en difficulté respiratoire. Ils se sont concertés. D'abord, avec leur
système électronique, ils connaissaient très
bien... ils pouvaient très bien diagnostiquer ce qui allait et ce qui n'allait
pas dans leur système. Parce qu'un
système informatique, ce n'est pas seulement pour avoir le rapport de la
glycémie de la veille, ça, c'est
trop... ce n'est pas nuisible, mais ce n'est pas suffisant, ça permet à bien
connaître la population qu'on veut desservir et qu'est-ce qu'on va lui administrer comme traitement, et qu'est-ce qu'on
va faire pour corriger ça. Ils ont décidé ensemble qu'ils investissaient...
• (16 h 50) •
Mme Lamarre :
Pour définir les besoins.
M. Marcoux
(Laurent) : C'est ça. Ils
investissaient dans une inhalothérapeute pour faire de l'enseignement, de la
prévention, impliquer le patient dans le plan de traitement, parce que
le patient est aussi important, ce n'est pas un objet qu'on manipule, il doit être impliqué, motivé. Et
ils ont vu des choses changer totalement : baisse radicale des hospitalisations pour ces gens-là, ils
n'allaient plus à l'urgence; ils consultaient beaucoup moins au rendez-vous. Donc, ils avaient mis dans l'organisation interdisciplinaire — vous
avez raison de dire que c'est une organisation interdisciplinaire — l'élément clé
qui manquait pour cet endroit-là. Peut-être que, dans une autre région à côté, ce n'est pas
là-dessus qu'il fallait qu'ils visent.
C'est peut-être en santé mentale qu'ils avaient besoin
d'infirmières de liaison. Laissons les gens qui sont compétents pour faire la médecine faire la médecine en leur
donnant les moyens, et non pas en accélérant la chaîne de montage. Je pense que c'est simple... Même Henry Ford, là, en
1904, quand il voulait produire plus, il a accéléré la chaîne de montage,
ça a tout démoli. Il a compris qu'il fallait
qu'il donne des outils aux gens pour être capables de mieux agir, et après ça
la chaîne de montage a pu aller un peu plus vite.
On nous
traite comme des mécaniciens, là. On accélère les choses : Tu vas en voir
20. On peut en voir 20, on peut en
voir 30, si vous voulez, des patients par jour, prescrire des examens, va vite,
pas écouter leurs problèmes psychosociaux puis passer au suivant pour ne pas être pénalisé, pour pouvoir... mais
les gens ne veulent pas travailler pour ça. C'est pour ça que les
médecins sont si...
Mme Lamarre : ...pas nécessairement,
les résultats... les bénéfices des patients.
M. Marcoux
(Laurent) : Les résultats de
qualité ne sont pas là, puis faire de la médecine de pas de qualité, c'est
aussi bien de ne pas en faire.
Mme
Lamarre : Qu'est-ce que vous pensez des quotas avec les interruptions volontaires de grossesse,
là? Vous connaissez peut-être
des médecins dans votre association qui en font. Comment on peut gérer des
quotas et dire que ça vaut deux patients pour un ou...
M. Marcoux (Laurent) : Bien,
j'espère qu'on ne retournera pas en arrière là-dessus, mais je vais laisser au Dr Harvey le soin de... parce que
c'est un sujet qui me provoque trop de passion, là. Pour les interruptions
volontaires de grossesse, de mettre des quotas? Ça veut dire, c'est...
M. Harvey
(Pierre) : Les quotas... La
médecine, là, c'est aider, hein? On parlait tantôt avec Dre Jimenez, là,
de ce pour quoi les gens vont en
médecine. Sauf exception, là, les gens vont là dans un esprit de rendre service
et d'aider, et les «success stories» n'ont jamais été basées sur la
coercition puis le contrôle, etc.
Là où
notre... Ce qu'on vient vous dire, c'est que, oui, il y a
des endroits où ça fonctionne, et ça fonctionne par la collaboration, pas par des quotas. Les quotas vont permettre
une chose, vont permettre au ministre de dire : J'ai augmenté l'accès. Je vais avoir plus de patients qui vont
voir des médecins. Par contre, on va aussi augmenter les coûts, parce que la
visite va durer... elle va être beaucoup plus courte, le médecin n'aura pas le temps de
faire le travail nécessaire et il va compenser
en faisant plus d'examens. Il va peut-être l'hospitaliser, parce qu'il n'est pas certain,
et conséquemment la qualité va diminuer.
On augmente
les coûts, on diminue la qualité, et la profession des professionnels de la
santé, c'est basé sur le don de soi,
puis ça, ce n'est pas dans une convention
collective, c'est dans un contexte de
travail approprié. Et, nous, ce qui nous préoccupe beaucoup, c'est qu'à nous contraindre de cette façon-là,
tous les professionnels, c'est impossible qu'on arrive à une solution qui va permettre d'améliorer la
qualité des soins au Québec. Et, moi, ma préoccupation, c'est mon
patient, c'est mon voisin, et je sais
pertinemment que j'ai besoin du temps nécessaire pour... à consacrer à mes patients. Le président
de la Fédération des médecins spécialistes, il y a plusieurs années, avait
reconnu ce point-là. Il avait dit : Je dois... Je vais vous donner un contexte pour travailler
adéquatement. À la place de voir 60 patients par jour, vous allez en voir 10,
12, 15, mais vous allez voir des vrais patients malades.
Et il y a une
chose qu'on a oubliée : on ne peut pas, on ne peut pas résoudre le
problème du réseau de la santé à la pièce
avec des lois, des règlements, des quotas. Il faut arriver avec une solution
intégrée, où on parle, oui, de rémunération, on parle de productivité, mais on parle aussi de reddition de comptes,
mais tout ça se fait dans une solution intégrée. On ne peut pas... Actuellement, tout sort... C'est
comme une... Le lapin sort du chapeau à chaque projet de loi; on ne sait pas
vraiment où on s'en va. Et pour nous, de la
communauté médicale, et avec nos autres collègues professionnels de la santé,
c'est très insécurisant de dire : Oui,
on est tout à fait en accord avec le ministre, il y a un problème d'accès, mais
on ne sait pas où il s'en va. Et à
date, ce qu'on en connaît, c'est des quotas et puis des chiffres arbitraires
décidés par le ministre et son équipe, et non pas par la communauté
professionnelle en santé au Québec, sur ce que ça vaut, un patient qui a
tel ou tel problème.
Et, quand on
regarde de façon objective la littérature médicale et les rapports de
succès — Kaiser,
Cleveland Clinic, Intermountain, à
Seattle — tout ça,
c'est basé sur la collaboration, où les médecins, là, sont salariés, pour une
bonne partie.
Le Président (M. Tanguay) : Merci
beaucoup.
M. Harvey
(Pierre) : Il y a 10 applicants pour un poste. Pourquoi le médecin...
Ils sont plus civilisés? Ils ont plus de compassion, les médecins de ces
endroits-là? Non, on leur donne un environnement adéquat, où on offre...
Le Président (M. Tanguay) :
Merci beaucoup. Je dois maintenant céder la parole à notre collègue de Lévis
pour une période de 7 min 30 s.
M. Paradis (Lévis) : Merci, M. le Président. Dr Harvey, Dr Marcoux, merci et
bienvenue. Je vous laisse compléter. C'est important, je vous laisse
compléter la...
M.
Harvey (Pierre) : Bien, pour moi, là, ça fait école partout dans le
monde que ces modèles-là nous permettent d'offrir des meilleurs soins à moindre coût. Et je n'en vois pas...
C'est possible que ce soit dans son plan de match, mais on ne le connaît pas, le plan de match du
ministre. On y va un projet après l'autre. Voyez-vous, les règlements en lien
avec les orientations réglementaires du
projet de loi n° 20 viennent de sortir. À ma connaissance, il n'y a pas eu
de consultation avec la communauté
médicale. Et là on parle de fonctionnaires qui ont déterminé ce que ça vaut,
telle maladie. Et moi, ça me préoccupe beaucoup. Le rôle du...
M. Paradis (Lévis) : ...de vous interrompre, mais allons-y puis centrons là-dessus avant de
passer à autre chose, par exemple sur
cette grille de pondération, ces orientations réglementaires, avec ces
équivalences. À la lumière de ce que vous avez vu, depuis que c'est
sorti, il y a une inquiétude. Ça ne tient pas la route?
M.
Harvey (Pierre) : En fait, j'ai... Voyez-vous, si on fait l'analogie
entre un ministre puis un conseil d'administration,
un conseil d'administration ne fait pas de la microgestion. Ça va s'assurer que
les gens compétents font les bonnes
choses. Et, à mon avis, ce genre de mandat là, de définir ce que vaut une
condition clinique, ce n'est pas un fonctionnaire
du ministère, ça, qui doit faire ça. Il doit y avoir une concertation. Et le
ministre est le chef d'orchestre de cette démarche-là, mais ce n'est pas
à lui personnellement à la faire avec son équipe.
Et,
nous, ce que l'on offre, c'est : On va s'asseoir à la même table. L'AMQ,
c'est ça, sa force, et l'AMC, on dit : Venez, M. le ministre,
venez, les fédérations, venez, les autres professionnels. On va être une sorte
de forum pour discuter ensemble de comment peut-on aborder la situation
pour offrir à nos citoyens des meilleurs soins?
M. Paradis (Lévis) : Je continue là-dessus, sur la même veine. Cette grille-là, ces
orientations réglementaires, à votre
avis, à la lumière de ce que vous voyez également, est-ce que c'est gérable? On
a l'impression, et certains nous ont
dit qu'au jour le jour il va falloir revoir les pondérations, que tout est en
évolution. Est-ce qu'il risque d'y avoir des coûts et de la bureaucratie
initiés par ces règlements-là?
M. Marcoux (Laurent) : Il n'y a aucun modèle au monde qui gère aussi
mécaniquement la santé. De plus en plus,
les gens vont sur les résultats. On a des professionnels de la santé qui
offrent des services, et on les gratifie, on les rémunère selon les
résultats attendus. C'est ce que fait Kaiser, c'est ce que font tous ces
modèles-là. Les gens ont des objectifs, et,
à mesure qu'ils avancent puis qu'ils sont capables de les réaliser, ils les
mettent un peu plus importants, leurs objectifs, et ils travaillent avec
l'équipe, l'organisation interdisciplinaire pour arriver à ces objectifs-là.
Et
là les gens se sentent considérés comme de vrais professionnels, et non pas
menés comme des ouvriers de basse classe,
en disant : Tu vas faire ça, sinon je vais te punir. C'est certain que,
dans ces modèles-là, il y a des formes de reddition de comptes sous forme de punition, entre
guillemets, mais pas sur l'individu. C'est le groupe qui cherche la solution
pour être plus performant, et performant
dans leurs résultats, pour que la population soit plus en santé, et non
pas : Tu vas en voir 15 ou 18. Il n'y a aucune valeur ajoutée sur
le nombre.
M. Paradis
(Lévis) : À la page 6 de votre mémoire, vous dites qu'en 2014 les
médecins de famille d'ici «rapportaient
devoir se plier chaque semaine à des tâches administratives de 23 %
supérieures à celles» du reste du Canada, pour le travail du médecin. Je reviens encore une fois sur l'orientation
réglementaire. Avez-vous l'impression qu'on alourdit la bureaucratie
avec des règlements comme ceux-là? Est-ce qu'on peut provoquer des explosions
de coûts?
• (17 heures) •
M. Marcoux (Laurent) : Il va falloir que tout ça soit comptabilisé, et
le médecin va réagir à cette comptabilisation-là en accélérant son travail, parce qu'il... Qu'est-ce qui l'incite à avoir
plus de qualité quand on l'invite à voir plus? On ne dit pas... Plus, ce n'est pas mieux, là. C'est
faire les bonnes choses, les choses pertinentes. Puis les patients ne sont pas
tous catalogués. Il y en a qui sont... Un
sidéen, c'est un sidéen, on peut dire : Il vaut deux patients ordinaires,
mais il y a des gens qui ont des
problèmes de vie personnelle, des problèmes de santé mentale, des problèmes
passagers dans leur famille. Un
adolescent qui va mal dans une famille, comment qu'on va calculer ça puis dire : Aïe, toi, tu n'es pas
calculé dans les deux pour un, donc
tu vas avoir juste une unité de mon temps et non pas deux unités? C'est
dynamique, la pratique médicale, c'est humain, et ça varie constamment.
M.
Harvey (Pierre) :
M. Paradis, moi, je suis reconnu pour prendre du temps avec mes patients,
et là j'accepte de... parce que
je suis payé à l'acte, alors j'accepte de gagner moins pour prendre plus de
temps. Mais, si, en plus, je suis pénalisé, il y a un non-sens, là. Vous
comprenez que ce n'est pas en y allant à la pièce comme ça...
Les
médecins du Québec ne sont pas différents des médecins du reste du Canada puis d'ailleurs dans le monde. Donnez-leur
un contexte approprié et des outils pour travailler, ils ont la même conscience
professionnelle que le reste de la société. Ce ne sont pas des paresseux qui ne pensent qu'à
leurs poches plus... Ce sont des humains, et mettez-les dans des
conditions où ils n'ont pas de reddition de comptes à faire, des redditions de
comptes que j'appelle appropriées, matures,
comme on voit dans d'autres systèmes qui fonctionnent, bien, tous les humains vont se
comporter de la même façon
quand on les laisse aller.
M.
Paradis (Lévis) : J'entends
le ministre qui dit tout
à l'heure que, bon, il n'y en a pas, de solution, qu'on ne se parle pas, que les médecins, en tout cas à travers
ce que je comprends, ne sont pas à la table pour faire avancer les choses,
et pourtant j'ai comme l'impression que vous proposez des pistes de solution.
Vous l'avez
abordé rapidement, j'y reviens : les activités médicales particulières
sont-elles un frein? Devrait-on... Est-il
possible d'envisager l'abolition progressive des activités médicales
particulières sans mettre en péril ce qui se passe en établissement
présentement si on le fait progressivement?
M. Marcoux
(Laurent) : On a fonctionné
pendant des années sans les obligations d'activités médicales particulières. Il est arrivé des problèmes majeurs
à Shawinigan, il y a eu un malheur, et on a envoyé des subpoenas, puis
on a dit : Ah! maintenant pour régler
ça, on va obliger les médecins à le faire, ça fait que, comme ça, on va avoir
la masse suffisante de médecins pour les faire.
Mais, si on
va par un travail d'équipe et une approche populationnelle, les médecins, là,
vont considérer qu'il faut qu'il y
ait des gens à l'urgence, qu'il faut qu'il y ait des gens sur les étages, ils
vont conjuguer avec leurs collègues spécialistes pour savoir qui peut faire le meilleur travail au meilleur moment. Pas
juste le médecin avec l'inhalothérapeute et l'infirmière; c'est les médecins entre eux, les médecins avec
les spécialistes. On peut organiser ceci si on nous met dans un contexte
de responsabilité et de reddition de comptes.
Le problème
des activités médicales particulières a eu ses effets très pervers. Il y a des
gens qui ont développé des spécialités
à l'urgence, à l'hospitalisation et qui ne sont plus retournables en activités
de première ligne. Et il faut laisser les gens dans la liberté de
choisir ce qu'ils veulent faire, on est des professionnels libres.
M. Paradis
(Lévis) : Vous avez dit, et
ce sera ma dernière question, on a beaucoup parlé, et le ministre a remis en
question, remis en doute le Sondage national
des médecins quant au travail des médecins. Il a dit avoir pesé fort sur le
crayon lorsqu'on dit qu'au Québec on
travaille 47 heures-semaine; au Canada, 48. Vous avez vérifié ces
chiffres, vous avez validé les chiffres, vous avez entendu le ministre.
Est-ce que ces chiffres sont valides et stables?
M. Marcoux
(Laurent) : Ces chiffres
sont valides. Ces chiffres ont été faits sur plusieurs années. Ça veut dire le
collège royal, le Collège des médecins de
famille du Canada, et l'Association médicale du Canada qui fait ces
enquêtes-là, ces prises de données là.
Le Président (M. Tanguay) : Merci
beaucoup.
M. Marcoux
(Laurent) : Et ils ont été
vérifiés, et, sur une façon longitudinale, il n'y a pas de bris dans la ligne,
et ces chiffres nous apparaissent absolument corrects.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, je suspends le temps
que nous allions voter, et nous reviendrons avec le collègue de Mercier
pour son trois minutes. Alors, je suspends.
(Suspension de la séance à 17 h 4)
(Reprise à 17 h 29)
Le
Président (M. Tanguay) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous poursuivons nos travaux et nous en étions
à l'échange avec notre collègue de Mercier pour trois minutes.
M. Khadir : Merci, M. le Président. Mes salutations aux Drs Marcoux et Harvey,
Dr Harvey d'ailleurs, qui est un collègue. Il était résident 5 quand j'ai commencé ma résidence en
médecine, et reconnu pour être un bourreau de travail. Je ne sais pas pourquoi maintenant
il est devenu un fainéant qui passe beaucoup de temps avec ses patients, à les écouter
patiemment, mais, bon, ça, c'est une autre histoire, une boutade que le
ministre comprendra.
• (17 h 30) •
Je comprends,
dans les échanges que j'ai vus tout à
l'heure, que j'ai entendus entre le
ministre, et l'AMQ, et l'AMC, maintenant pourquoi le ministre, malgré le fait que ça fait
trois ou quatre fois qu'en commission il revient là-dessus, répète
continuellement : Comment ça se fait que, dans le passé, les médecins n'ont
proposé aucune solution pour régler les problèmes d'accès? C'est que là je comprends que, dans le
fond... Parce que j'ai posé la question et je suis allé voir sur votre site, ça fait au moins depuis 10 ans
que vous avez plusieurs documents que vous présentez en commission parlementaire ou dans des tribunes publiques, dans des forums
publics, pour proposer des solutions. Puis là votre mémoire, ça en est un
exemple parmi d'autres.
J'ai vérifié
aussi, puis je l'avais déjà rappelé au ministre, s'il veut bien m'entendre, que
ce n'est pas la première fois que des
médecins prennent le pas. Peut-être que la Fédération des médecins spécialistes n'a
rien fait, peut-être que la Fédération
des médecins omnipraticiens n'a rien fait, quoique j'en doute, mais que ça soit
La Coalition des médecins pour la
justice sociale... Je lui en ai parlé. Son chef était membre de cette
coalition-là, en 2000, 2002, avait des propositions. En 2006, je suis venu faire des propositions ici.
Les Médecins québécois pour le régime public, en 2006, en 2009, j'ai
retrouvé les mémoires, ont présenté des
solutions aux problèmes d'accès. La Coalition Solidarité Santé, qui regroupe
des infirmières, qui regroupe d'autres intervenants en santé, le font
depuis au moins 15 ans. Deux forums en juin et en novembre 2014, auxquels le ministre a été
convié, dans lesquels se trouvaient des médecins, des infirmières, différents
intervenants de santé se sont réunis pour réfléchir sur des solutions aux
problèmes d'accès. Et là le ministre nous dit qu'avant
moi c'était le déluge, après moi, j'y... avant moi, il n'y avait rien, c'était
le désert, personne n'avait de solution, et là, tout d'un coup, on fait des solutions. J'espère qu'il fait une
distinction entre les fédérations corporatistes et beaucoup d'autres médecins qui ont des
solutions.
J'aimerais savoir : Quelle est, selon vous,
la raison pour laquelle, par exemple, la Fédération des médecins spécialistes, pendant tant d'années, s'est opposée
à l'élargissement des compétences et des pouvoirs des pharmaciens, des
sages-femmes, des infirmières pour en faire de véritables acteurs centraux de
la première ligne?
Le Président (M. Tanguay) : En
quelques secondes. Il ne reste que quelques secondes.
M. Marcoux
(Laurent) : Parce que ce
sont des syndicats, et nous, on est là pour plaider pour la profession. Ça
fait que c'est toute la différence. Peut-être qu'un syndicat veut protéger ses
avoirs.
Le Président (M. Tanguay) : Merci
beaucoup.
M. Harvey (Pierre) : C'est ce qui
fait notre force, on cherche le bien du patient, pas du médecin.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci met fin à l'échange. Nous vous remercions beaucoup pour votre présence, et je
suspends quelques instants.
(Suspension de la séance à 17 h 33)
(Reprise à 17 h 34)
Le
Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux. Nous avons maintenant l'honneur de rencontrer les représentantes de l'Association des
infirmières praticiennes spécialisées du Québec. Bienvenue à votre
Assemblée nationale.
Vous disposez
d'une période de 10 minutes de présentation. Par la suite, vous aurez
l'occasion d'échanger avec les parlementaires. Pour les fins
d'enregistrement, nous vous demandons de bien vouloir vous identifier, préciser
vos fonctions, et, sans plus tarder, la parole est à vous.
Association des infirmières
praticiennes
spécialisées du Québec (AIPSQ)
Mme Fortin (Chantal) : Merci.
Le
Président (M. Tanguay) :
Excusez-moi. Je vais d'abord demander — mon erreur — aux
collègues un consentement pour terminer à 18 h 15, pour vous
laisser le temps...
Des voix : ...
Le Président (M. Tanguay) :
Consentement. La parole est à vous.
Mme Fortin (Chantal) : Bonjour. Je
suis Chantal Fortin. Je suis présidente de l'Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec. Je suis
infirmière praticienne spécialisée en néphrologie à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Je suis accompagnée de Mme Isabelle
Levasseur, infirmière praticienne en soins de première ligne, vice-présidente de l'association de l'UMF de la Cité de la santé de Laval. On veut
remercier la commission de pouvoir nous permettre d'exprimer notre
point de vue dans le dossier du projet de loi.
L'Association
des infirmières praticiennes est un OSBL sans attache syndicale ou
corporatiste. Nous n'avons que pour
mission d'assurer le développement du rôle des infirmières praticiennes au Québec
afin de répondre aux besoins de la population
québécoise à notre égard. L'adhésion à notre organisme est
volontaire de la part des infirmières praticiennes et représente plus de
75 % d'entre elles dans toutes les spécialités confondues.
Nous voulons
vous parler aujourd'hui d'impacts non souhaités du projet de loi pour
l'organisation de l'accès à des soins
ainsi que proposer certaines pistes alternatives pour éviter ces écueils. Les
infirmières praticiennes contribuent déjà efficacement à augmenter la
capacité d'accès à des services de première ligne et spécialisés offerts à la
population du Québec. Pour pouvoir continuer à le faire, elles ont besoin de
conditions systémiques favorables à la collaboration interprofessionnelle. Le projet de loi n° 20 nuit à la
collaboration et au déploiement des infirmières praticiennes. Nous sommes
convaincus que la santé d'une population ne repose pas seulement sur l'accès à
un médecin de famille, mais plutôt
sur l'accès à des équipes de soins constituées de professionnels comprenant,
entre autres, des infirmières praticiennes bien formées, en mesure
d'exercer la pleine étendue de leur champ de pratique.
Il existe une
très grande interdépendance du travail des infirmières praticiennes avec leurs
collègues médecins, qui origine des
multiples zones de chevauchement de la pratique. Le projet de loi intervient
dans un système complexe où des cibles individualistes transforment l'objectif commun centré sur
le patient vers les services des médecins pour éviter des pénalités. Pour que le partenariat soit sain,
le travail d'une professionnelle comme une infirmière praticienne ne doit
pas être influencé par le salaire personnel
de ses collègues médecins. Inévitablement, des modifications importantes,
telles que celles envisagées ici,
comportent des risques élevés de réaction non favorable à la collaboration, qui
ont un effet domino sur le terrain.
Les partenariats IPS-médecins sont menacés et, par le fait même, la capacité
d'accès aux services de santé pour la population.
Depuis
l'annonce du projet de loi, en réaction à des documents sur les orientations
réglementaires qui circulent, des
partenariats auparavant très fonctionnels sont en cours de modification. La
prise en charge de clientèles par l'infirmière praticienne en première ligne dépend actuellement de l'inscription à un
médecin. Les médecins se retirent des partenariats de différentes façons, soit en refusant
soudainement d'inscrire de la nouvelle clientèle avec son infirmière
praticienne, alors que cette dernière a la capacité d'en accueillir un plus
grand nombre, soit en décidant unilatéralement de changer des modèles de prise en charge qui seront
comptabilisés de façon plus favorable dans son quota individuel. En médecine
spécialisée, nous anticipons également des
réactions défavorables qui pourraient aller jusqu'à l'abolition ou éviter la
création de postes d'infirmière
praticienne, encore une fois, suite à cet effet domino de réorganisation
centrée sur l'évitement de pénalités.
Une autre
forme de réaction indésirable à ce projet de loi est de faire pression sur les
infirmières praticiennes pour prendre
en charge un plus grand nombre de clientèles. Sachez que les infirmières
praticiennes souhaitent contribuer au maximum de leurs capacités.
Rappelons aussi que les médecins ne sont pas en lien hiérarchique avec les
infirmières praticiennes, qui sont, depuis
l'adoption de la loi n° 30, des employées des établissements, salariées de
l'État, avec des contrats de travail
balisés par conventions collectives. Les gestionnaires du réseau ont déjà peine
à s'adapter aux exigences très
différentes des responsabilités professionnelles des infirmières praticiennes.
La charge de travail d'une IPS, comme celle
d'un médecin, varie grandement. Donc, la majorité des IPS se retrouve coincée
dans un carcan rigide d'horaires. Il est
donc plus que temps de régler ce problème pour permettre d'augmenter le nombre
de patients pris en charge par les infirmières praticiennes.
Pour
améliorer l'accès, il faut que chacun puisse contribuer au maximum de ses
compétences. Dans une prise en charge
d'équipe, le fournisseur principal de soins médicaux peut être un médecin ou
une infirmière praticienne, selon l'état de santé et les besoins de la personne. Les modalités d'inscription à la
RAMQ doivent identifier le fournisseur principal de soins. En Ontario, le virage a été clairement fait : le guichet
d'accès soins, cousin de nos GACO, offre à la population de leur trouver un fournisseur de soins de santé
familiale qui peut être soit un médecin de famille soit une IPS. Idéalement,
ces personnes travaillent en groupe et
modulent leurs rapports mutuels aux soins en réponse aux besoins fluctuants de
la clientèle.
• (17 h 40) •
De plus, pour
améliorer l'accès par l'infirmière praticienne, il faut qu'elle puisse
contribuer selon les attentes. Les
lignes directrices encadrant les modalités de pratique des activités médicales
des IPSquébécoises sont les plus contraignantes au Canada. Cette situation
augmente inutilement les demandes de consultation obligatoires avec les médecins
partenaires, ce qui a un impact négatif direct sur l'efficience du travail des
infirmières praticiennes.
L'IPS québécoise
est la mieux formée au Canada; cependant, elle est plus limitée dans sa pratique clinique.
Dans la plupart des provinces, les
IPS diagnostiquent une maladie, un problème ou une condition. Elles prescrivent
des examens diagnostiques et des
médicaments sans règlements complexes et restrictions significatives. Elles
effectuent des techniques invasives
pour lesquelles elles ont été formées. Elles réfèrent d'autres professionnels
de la santé, y compris aux médecins spécialistes, et peuvent admettre
les patients et donner congé de l'hôpital.
Dans le
contexte où les attentes du ministère et de la population quant au nombre de patients pris en charge par
les infirmières praticiennes sont calquées
sur les statistiques des provinces voisines, les IPS peuvent difficilement
répondre à cette demande de volume
dans le cadre de pratique actuel. Nous sommes étonnées qu'aucune disposition à ce sujet ne soit mentionnée
dans un projet ayant pour objectif d'augmenter l'accès aux soins de santé pour la population.
Sommes-nous distincts à ce point?
Pour
atteindre le nombre souhaité pour le gouvernement de 2 000 infirmières
praticiennes d'ici 10 ans, l'offre de stages devrait être bonifiée rapidement. L'implication des médecins et
des IPS superviseurs sera grandement sollicitée. Nous sommes inquiètes du fait que la contrainte de quotas de clientèle
et le déplacement des activités cliniques des médecins spécialistes
limitent la disponibilité des médecins pour s'investir dans la supervision des
stagiaires. Dans le cas où ils accepteraient
de le faire, la pression de débit influencera indéniablement le temps
nécessaire à la qualité de l'enseignement offert.
Nous ne reprendrons pas ici en détail les
excellentes alternatives proposées à cette commission par plusieurs groupes. Nous appuyons la transition vers l'accès
adapté, l'informatisation, une meilleure coordination au sein de la première
ligne entre les cliniques médicales et les
établissements ainsi qu'une meilleure coordination des services de première et
deuxième ligne qui incluent des infirmières praticiennes dans leurs trajectoires de services.
La responsabilité de prise en charge collective de la part d'un groupe de professionnels nous apparaît
une solution nécessaire pour permettre de répondre aux besoins réels des patients. L'assiduité
individuelle plutôt qu'en groupe dans son ensemble est incontournable et fait
écho au discours du ministre
évoqué au congrès de l'ordre en 2014 : L'intervention de la bonne personne
au bon moment.
Des équipes
se sont démarquées pour faciliter l'accès aux soins pour la population, par exemple, le succès du CSSS de Verdun, misant sur la triangulation infirmières clinicienne,
praticienne et médecin pour l'accès. Le projet a été repris par la direction de la santé publique... et a
élaboré un guide nommé Guide Priorité Santé basé sur ce modèle, et est
déjà considéré une norme par l'ordre
des infirmières. Aussi, de nouveaux modèles de clinique émergent aussi avec des
ratios plus élevés d'infirmières et
d'IPS par rapport aux médecins, permettant ainsi à chacun d'exercer
ensemble un rôle central de première ligne auprès de la population. La coop SABSA, à Québec, des cliniques de
proximité dans Lanaudière et le modèle
de clinique Archimed proposé ce matin par ma collègue Mme Laliberté sont
des projets inspirants qui font partie des solutions.
En conclusion, le projet de loi n° 20, dans sa forme actuelle, a un impact négatif
direct sur l'offre de service, la formation
et la capacité de déploiement des infirmières praticiennes. L'accès de la population
aux services des IPS est limité par conséquence du projet de loi. Nous privilégions un processus de changement concerté et collectif. La
pierre angulaire d'une réforme de
santé devrait reposer d'abord sur l'accessibilité à des soins efficients fournis par des
professionnels qui se complètent et travaillent en interdisciplinarité.
Le mode
d'inscription de la clientèle doit pouvoir reconnaître la contribution
spécifique des infirmières telles que les
infirmières praticiennes. Nous souhaitons que le gouvernement actuel ait le
courage politique de faciliter l'adoption des modalités de
pratique pour les infirmières praticiennes qui se conforment à ce qui se passe ailleurs
au Canada. L'étendue de la pratique des IPS doit être optimisée pour rencontrer minimalement
les normes canadiennes. Nous voulons offrir aux Québécois l'accès aux soins
dont ils ont besoin. Il faut nous permettre de le faire adéquatement. Des initiatives intéressantes émergent
dans le réseau en proposant de nouveaux modèles. Il faut s'en inspirer pour
l'améliorer de façon pérenne. Merci de votre écoute.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous en sommes maintenant rendus à une période d'échange avec le ministre.
Pour une période de 13 minutes, la parole est à vous.
M. Barrette : Merci, M. le Président.
Mme Fortin, Mme Levasseur, bienvenue. Vous êtes le dernier groupe à venir devant nous, et, dans le cas — on va utiliser l'adage bien connu — définitivement pas le moindre, surtout pas dans les circonstances contextuelles actuelles. Bon.
Malheureusement, vous avez compris qu'à cause du vote que l'on a eu, on a moins de temps qu'on aurait normalement, même
si on a accepté de dépasser l'heure permise normalement à notre commission. Alors, je vais aller directement à
certains éléments que vous avez abordés, particulièrement parce que vous
êtes les premières à l'aborder, et ça
m'étonne un peu, ça m'étonne en partie, mais j'aimerais avoir des précisions sur
ce que vous venez de dire.
Tous les
groupes qui viennent ici ont leurs appréhensions et leurs critiques, c'est
normal. Vous avez les vôtres, et je
ne suis pas du tout, du tout surpris ni offusqué de la chose, au contraire.
Mais, par contre, vous avez été très spécifiques... Bien, du moins, vous avez été très précises dans
la catégorisation de certains effets. J'aimerais ça, sans divulguer des choses
que vous ne pouvez pas faire... Puis
peut-être que, si vous ne vous pouvez pas le faire ici, il faudra qu'on se
parle, là, mais continuez donc à...
élaborez donc, s'il vous plaît, sur les exemples que vous nous dites, voire sur
le terrain, en termes de changements
de comportements médicaux vis-à-vis vous, liés à l'inscription. Là, là, j'ai
besoin que vous me donniez un petit
peu plus de détails. Puis soyez bien confortables, si vous ne pouvez pas le
faire ici, il va falloir qu'on le fasse ailleurs, parce que, s'il y a
des choses qui ne sont pas défendables, bien, il faudra les empêcher.
Mme Fortin
(Chantal) : Merci. En fait,
ce qu'on voit sur le terrain, c'est que, déjà avant que vous nommiez les
ratios, les quotas ou les panels que vous avez identifiés la semaine dernière,
il avait circulé qu'un patient inscrit à la RAMQ
compterait pour 0,2 s'il était pris sous la tutelle d'une infirmière
praticienne. Alors, tout être humain, quand il se sent menacé, a tendance à prendre des mesures qui
vont le rendre plus sécure. Alors, sans nommer aucun organisme en particulier, ce qui est arrivé, comme je le
mentionne dans le mémoire, c'est qu'il y a différents types d'attribution de la
clientèle selon le modèle de consultation
qui est utilisé dans les milieux. Donc, ce qui est arrivé et ce qui arrive,
c'est que certains médecins ont
rapatrié la clientèle qui avait été soit octroyée à l'infirmière praticienne
pour le remettre dans son panel à lui
ou ils vont refuser d'inscrire une nouvelle clientèle à l'infirmière
praticienne, la laissant finalement sans utilisation optimale, ou soit
qu'ils ne veulent pas qu'elle en inscrive de nouvelles. Est-ce que j'en ai...
M.
Barrette : J'ai de la difficulté à... Vous, vous êtes... ou vos
membres sont avec ces gens-là, là? Je vois mal leurs avantages.
Mme Fortin
(Chantal) : Ça augmente
leurs nombres totaux. Quand ils ont entendu le 0,2, là, ils se sont mis à
paniquer, là.
M. Barrette : Si je comprends bien,
là — bien,
j'ai compris, mais je veux juste être certain d'avoir compris, là — alors, eux autres, là, ils pensaient, là,
que, si vous aviez un patient inscrit à vous et que mettons qu'ils le voyaient
quand même, il ne serait pas compté à eux,
il serait compté exclusivement à vous et qu'ils perdaient donc un compte?
Mme Fortin
(Chantal) : Bien, en fait,
c'est que pour le même patient qui était compté pour un à la RAMQ, de le
voir rationné à moindre, disons qu'ils ne trouvaient pas le projet intéressant.
M.
Barrette : Alors donc, ils pensaient qu'à leurs noms, parce qu'ils
étaient chez vous, il serait compté à 0,2?
Mme Fortin (Chantal) : Exact.
M.
Barrette : Bien là, je peux vous dire quand même tout de suite ça, là,
rassurez-vous, là, je ne sais pas d'où ça sort, ça ne vient pas de chez
nous, et...
Mme Fortin (Chantal) : Il y a quand même des conséquences, c'est que
chacune des décisions qui sont prises, qui
ont une influence sur la pratique clinique immédiate, si ça a un impact sur un,
c'est évident que ça va avoir un impact sur l'autre. On a trop de
promiscuité pour ça.
M.
Barrette : Mais ça, je suis d'accord. Si c'est ça que les médecins
font comme calcul, que j'apprends aujourd'hui, moi, là, je peux vous dire deux choses : la première, c'est que ça
n'existe pas dans nos livres à nous, donc ça n'arrivera pas, et qu'évidemment on ne va pas mettre en place une
mécanique qui va faire ça. Je comprends que, s'ils font ce raisonnement-là,
et vu votre angle aussi, c'est pénalisant,
parce qu'évidemment, là, à ce moment-là, on vous évacue pour des raisons de
bénéfice... pas du tout marginal, là, c'est
un bénéfice direct pour eux autres, et c'est délétère, ça n'a aucun sens. Ce
n'est exactement pas ça qu'il faut
faire, vous avez tout à fait raison. Est-ce qu'il y a d'autres choses comme ça
que vous avez vues?
• (17 h 50) •
Mme Fortin
(Chantal) : Bien, c'est sûr que le projet de loi n° 20 ébranle
tout le monde, là, mais on a parlé beaucoup
d'interdisciplinarité, mais le projet de loi, dans la forme où il est
actuellement, vise des individus en particulier. Alors, c'est difficile
de travailler en collaboration quand on a le couteau sous la gorge, là.
M.
Barrette : Je vais vous
avouer que, lorsque les... peut-être pas vous avouer, mais essayer de vous persuader
que, lorsque les médecins comprendront la
mécanique ou l'auront réfléchi, là, y auront réfléchi, je l'expliquais hier
soir, en fin de commission parlementaire, c'est le contraire. Normalement, les médecins
devraient y voir leurs avantages, parce que plus ils sont en interdisciplinarité, plus ils favorisent leur
assiduité, et donc plus ils sont favorisés ou, si vous préférez, moins ils sont pénalisés. Parce que l'assiduité,
techniquement, elle est chez le médecin, mais indirectement elle est dans
l'équipe. On pourrait la mettre par équipe,
ça serait la même chose, mais ils ont un intérêt, normalement, là, s'ils
comprennent bien la patente, à travailler plus avec vous.
Il y a un
autre élément, toujours dans le même ordre d'idées, que je veux aborder
avec vous. Je ne suis pas convaincu
que vous faites la distinction — ce n'est pas un reproche, mais je vous
demande un éclaircissement de votre angle
à vous — entre la
médecine spécialisée et la médecine de famille, parce qu'en médecine
spécialisée il n'y a pas de...
je ne vois pas de circonstances qui favoriseraient une décision chez le médecin
spécialiste à ne plus travailler avec vous, parce qu'il n'y a pas de
quota, là, il n'y a pas ce genre de choses là, là.
Mme Fortin
(Chantal) : Bien, il n'y a pas de quota, mais ils ont une obligation
de répondre en dedans de quatre heures aux
nouvelles consultations à l'urgence puis de diminuer leur temps d'attente pour
les nouveaux cas qui proviennent de la première ligne en dedans de trois
mois.
Actuellement, les
infirmières praticiennes en spécialité travaillent en surspécialisation. Donc,
ils sont, pour la plupart, soit aux soins
intensifs néonatals soit en clinique ultraspécialisée d'insuffisance cardiaque,
de greffe rénale, et j'en passe.
Alors, si les médecins spécialistes sont occupés, puis surtout dans le CIUSSS,
où ils vont être amenés à travailler dans
d'autres établissements que celui où on est là, si nous, on est occupées dans
les cliniques ambulatoires à faire le suivi de la clientèle, quand je vais avoir besoin de lui pour un conseil, pour
une prescription qui sort de mon champ, bien, ça va peut-être être un
petit peu plus difficile d'en avoir accès.
M. Barrette :
Là-dessus, j'ai de la misère, encore une fois, à suivre la logique, là, parce
que, prenons votre exemple, vous êtes IPS en
néphrologie dans l'hôpital où je pratiquais précédemment, bon, là, ça va
devenir un CIUSSS, et on demande aux
néphrologues de réserver des plages dans leur horaire normal, habituel, aux
médecins de famille. Pour lui, dans
son univers de clinique externe, dans sa journée de clinique externe au centre
ambulatoire de Maisonneuve-Rosemont, où
vous êtes, vous aussi, périodiquement, que le patient vienne de sa propre
clientèle ou qu'il vienne de la première ligne, ça ne change rien dans
le fonctionnement quotidien.
Mme Fortin (Chantal) : Bien, pour vous citer l'exemple du poste aboli à
Chicoutimi de l'infirmière praticienne en néphrologie, en hémodialyse,
aussitôt qu'il y a eu une augmentation des effectifs médicaux, le poste a été
aboli.
M.
Barrette : Ça, ça n'a rien à
voir avec la loi n° 20. Bien là, je ne veux pas qu'on fasse... qu'on
retourne dans le détail de ce cas-là
parce que vous l'avez nommé, mais les considérations qui ont mené à l'abolition
du poste ne sont pas en lien avec la
loi ni n° 10 ni n° 20, là; c'est en lien avec certains autres
intérêts, on va le dire comme ça, pour ne pas nous mettre, vous et moi,
dans un embarras juridique.
Mme Fortin (Chantal) : Bien, en fait, ce n'est pas par manque de
volonté, là, mais il y a beaucoup de médecins qui sont campés dans une pratique médicale, là, il y a
comme une espèce de... comment je pourrais appeler ça, de coutume où, en fin de carrière, les médecins vont plutôt
se camper dans une surspécialisation puis ils vont aller moins aux étages
et à l'urgence, pour toutes sortes de
raisons, bonnes ou moins bonnes. Alors, quand on implique des infirmières
praticiennes dans les secteurs où ils
aimeraient finir leur carrière ou ont moins d'intérêt pour l'hospitalisation,
bien, à ce moment-là, la clientèle,
c'est un bassin, c'est un panel qui appartient à tout le monde... Donc, si on
voit 80 % de la clientèle, comment il va pouvoir justifier le
20 % qu'il reste? Là, il va être obligé d'aller ailleurs.
M.
Barrette : C'est là, vous le
dites comme ça, là, je comprends très bien ce que vous me dites, mais ça, ça
n'a rien à voir avec la loi, ça a à
voir avec la compétition entre les professionnels pour avoir accès à un revenu,
on va dire ça comme ça. Mais je comprends ce que vous me dites, là, et
je vous dis même que ce que vous me dites est théoriquement très possible, mais
ça n'a pas de lien avec la loi n° 10 ni avec la loi n° 20, là.
Mais, ici, quand je vous pose cette
question-là, je suis un peu désolé qu'on s'en aille à Chicoutimi, là, puis je
ne vous le reproche pas, mais, en
soi, là, si on oublie l'exemple de Chicoutimi, en médecine spécialisée, il n'y a
pas vraiment de problème, c'est plus en première ligne où vous
décrivez très bien un comportement potentiellement compétitif si les
balises ne sont pas faites correctement.
Vous
avez... Je veux juste qu'on... Parce qu'il ne reste tellement pas de temps et
que je veux vous poser une autre question,
là. Je sais que vous, dans votre association, vous voulez vraiment travailler
en interdisciplinarité, là, ça, c'est clair,
je n'ai pas de doute là-dessus, là, et il y a historiquement des obstacles.
C'est moins vrai en médecine spécialisée, c'est parfois vrai mais pas
toujours en première ligne, et vous avez fait référence à plusieurs reprises à
l'importance d'introduire de nouvelles
façons de faire, mais elles ne viennent pas spontanément. Pouvez-vous nous
parler — et je ne
parle pas de vous, là, je parle du milieu en
général — des
obstacles que vous voyez et des solutions à franchir ces obstacles-là
pour que l'interdisciplinarité arrive?
Je
ne sais pas si vous étiez là un petit peu plus tôt dans les présentations,
Dre Jimenez, elle est venue aujourd'hui nous parler d'une génération spontanée d'interdisciplinarité, puis elle
a raison, là, parce que son milieu, là, c'est exactement ça puis c'est exceptionnel dans tous les sens du
terme, mais c'est aussi exceptionnel dans le sens où ça n'arrive pas souvent
puis ça demande des conditions... Vous avez
fait référence vous-même au CLSC Sud-Ouest de Verdun que je connais comme milieu aussi. Ça aussi, là, ce n'est pas du
tout, du tout la moyenne au Québec, là. C'est comme s'il fallait... pas la
tempête parfaite, mais l'embellie parfaite
pour que ça arrive. Mais, dans la moyenne, où sont les obstacles auxquels vous
pensez qu'on devrait s'adresser pour finalement briser ce mur-là, franchir ce
mur-là, pardon?
Mme Fortin (Chantal) : Bien, moi, je vais parler peut-être plus de la
partie en médecine spécialisée puis je laisserai Isabelle pour la partie de la première ligne, mais les obstacles à la
collaboration en médecine spécialisée, des fois, c'est des guerres, par exemple, entre les médecins entre
eux. Il peut y avoir aussi des conflits qui peuvent survenir entre nous et eux
parce qu'on n'est pas capable de pratiquer pleinement notre champ d'expertise,
parce que, pour être capable de prescrire,
on passe dans un processus extrêmement complexe, par à peu près cinq niveaux
d'accréditation dans le CMDP, en
finissant par le CMDP puis le C.A. de l'hôpital, ce qui fait qu'en n'étant pas
utilisées à notre plein potentiel, bien, à un moment donné, ça crée des conflits. Tu te dis : Écoute, là, tu veux
travailler, mais tu peux à moitié travailler. Donc, au niveau de la
médecine spécialisée, c'est plus au niveau des règles d'utilisation des
médicaments, des règles de soins médicaux
puis certaines pratiques de coutumes, de façons de faire, qui peuvent ou non
être ébranlées. Ça fait que je ne sais pas si tu veux compléter avec...
Le
Président (M. Tanguay) : Quelques secondes, peut-être réserver votre
réponse pour... et je laisserai la collègue vous le confirmer, mais je me dois, pour le temps qui reste, de céder
maintenant la parole à notre collègue de Taillon pour huit minutes.
Mme
Lamarre : Alors, bonjour. Bienvenue, Mme Fortin,
Mme Levasseur, et puis merci pour votre présentation et votre
mémoire.
D'emblée
je voudrais voir, est-ce que vous avez été consultées sur le projet de loi
n° 20? Parce que, on le voit, vous
êtes intimement influencées quand il y a des mesures qui touchent l'exercice,
autant par les médecins de famille que par les médecins spécialistes.
Avez-vous été consultées? D'accord.
Sur
les quotas en général ou de façon particulière, aujourd'hui, on a beaucoup
parlé des quotas en lien avec les interventions et les interruptions
volontaires de grossesse. Je sais qu'on voit aussi une place pour les
infirmières praticiennes spécialisées en
première ligne dans les CHSLD. Vous voyez un peu qu'il y a des mesures, là.
Est-ce qu'à travers ces quotas-là
vous voyez des opportunités pour vous ou des risques? À date, vous nous avez
plus parlé de risques, là, mais est-ce que vous pouvez en voir d'autres
par rapport à ceux que vous avez présentés dans votre mémoire?
• (18 heures) •
Mme
Levasseur (Isabelle)
: En fait, peut-être pour faire du pouce
sur le mémoire un peu, les quotas qui sont exigés pour les médecins de famille font qu'ils vont être
beaucoup moins disponibles pour travailler en interdisciplinarité avec nous. Actuellement, le champ de pratique des
infirmières praticiennes est excessivement limité versus ce qui se fait
ailleurs, que ce soit au Canada ou aux États-Unis, par exemple. Donc, cela
amène qu'on doit travailler en étroite collaboration et on se doit souvent de se référer à nos médecins
partenaires que nous appelons. Donc, actuellement, ils ont un certain quota
de clientèle, ils ont un certain panel déjà.
Donc, s'ils doivent l'augmenter et que moi aussi, je l'augmente parce que je
suis en début de pratique et je prends de
plus en plus de nouveaux patients, bien, à un moment donné, il va manquer de
temps pour qu'on puisse travailler ensemble.
Donc, pour nous, finalement, le quota n'est pas une option. Puis aussi on
pense que, même nous, nous pourrions prendre beaucoup plus de patients à notre
charge si nos lignes directrices étaient beaucoup moins restrictives et
si elles étaient beaucoup plus élargies.
Mme Lamarre :
Quand on met la rémunération à l'acte avec les quotas, c'est sûr aussi qu'une
des premières craintes qu'on avait, nous, à la première lecture du projet de
loi n° 20, c'était qu'il y ait une forme d'incitatif des médecins à choisir des cas parfois un peu plus simples ou des cas de première ligne que vous pouvez traiter et pour
lesquels vous faites une forme de
triage et puis vous réservez les cas un
peu plus lourds. Mais là est-ce que
vous pensez que ça va plutôt créer l'effet inverse, c'est-à-dire
que le médecin va avoir en tout cas une... le mode de rémunération et le taux
d'assiduité vont probablement inciter le médecin à aller chercher ces cas plus
légers, à moins vous les confier?
Mme Fortin
(Chantal) : On ne peut pas
les inventer, cette situation-là existe, là, en fait. Sans parler de surfacturation, là, parce que c'est un terrain dans
lequel on ne voulait pas aller, mais il
y a des milieux où ils vont garder les cas les plus
légers et ils vont attribuer les cas les plus lourds, parce qu'ils savent que, comme ça dépasse le champ d'exercice, elle va venir
le consulter, ça fait qu'ils vont pouvoir facturer deux fois la clientèle.
Mme Lamarre :
C'est intéressant. On n'a pas beaucoup de temps. Juste dans les promesses
vraiment et les engagements formels en santé
que le ministre avait pris en campagne électorale, il y en avait deux : il
y avait la création de cliniques médicales privées, mais il y avait
aussi 2 000 postes d'infirmières praticiennes spécialisées.
Je
me souviens qu'à l'étude des crédits l'an dernier, puisque demain, c'est le
budget, le ministre s'était engagé à poser des gestes concrets
là-dessus. Or, on sait, actuellement, le taux de diplomation, c'est autour de
40 infirmières praticiennes spécialisées par
année. Donc, pour arriver à 2 000 dans 10 ans, il faudrait qu'il y en ait
200. On a déjà une année de retard, et il faut augmenter les cohortes
dans les universités, donc changer les programmes universitaires.
Vous voyez ça dans quelle perspective, la
possibilité d'arriver à 2 000? Et comment on peut expliquer que nous,
on n'y arrivera pas, alors que l'Ontario l'a déjà depuis plusieurs années?
Mme Fortin (Chantal) : Bien, entre autres à cause du champ de pratique,
là, parce que, pendant qu'on... On ne peut
pas se concentrer optimalement sur la formation de nos étudiantes parce que,
même si tu l'accompagnes, il faut toujours que tu ailles te référer à ton médecin partenaire, parce que tu es
limitée dans ta pratique. Et puis, pour y arriver, déjà avec le 40, là, on a eu
des problématiques assez intenses de trouver des milieux de stage pour pouvoir
former des infirmières praticiennes. Il y avait une espèce de
compétitivité pour les milieux performants entre les médecins résidents puis
les infirmières praticiennes. Je dois dire
qu'on a eu des rencontres avec les gens du ministère et les universités pour
essayer de régler la problématique,
là. C'est donc moins criant pour les 40. Mais, pour absorber les 200, si on a
besoin... on va avoir besoin d'aide pour la supervision des étudiants. S'ils
sont pris dans leur obligation de quotas, on ne pourra pas les former à
nous autres toutes seules, là.
Mme Lamarre :
Donc, c'est un autre dommage collatéral?
Mme Levasseur
(Isabelle)
: Exactement. Le temps qu'on doit consacrer à former
une infirmière praticienne spécialisée pour
le stage... Le stage est très court, il a une durée de six mois. Bon, il est
plus long que dans d'autres provinces, mais
c'est quand même très court, six mois. Donc, il y a une intensité à y mettre,
et il y a beaucoup, beaucoup de supervision à faire, il y a beaucoup d'accompagnement au jour le jour.
Malheureusement, la rémunération ne suit pas nécessairement non plus
toujours en lien avec ça, donc il y a une difficulté dans plusieurs milieux à
prendre des stagiaires, en fait, infirmières
praticiennes. Donc, effectivement, l'augmentation des quotas va faire que les
médecins omnipraticiens vont devoir voir encore plus de patients dans
leur journée et avoir encore moins de temps à consacrer à la supervision des infirmières praticiennes en stage. Et, comme Mme
Fortin l'a mentionné, on ne peut pas absorber toutes seules toutes les
nouvelles stagiaires qui vont arriver dans nos milieux.
Mme Fortin (Chantal) : Les milieux performants, là, c'est les milieux
comme les CLSC en milieu rural où les médecins
travaillent déjà à forfait. C'est dans ces milieux-là qu'on voit que la
collaboration se fait de façon plus aisée.
Mme
Lamarre : Le mode de rémunération est déterminant. Et, comme on
introduit des nouvelles modalités de rémunération basées sur la pondération, et sur les quotas, et sur les taux
d'assiduité, ça n'encouragera pas nécessairement à augmenter la supervision. Tantôt, vous avez parlé de votre pratique en
surspécialité, par exemple en néphro, en dialyse. Moi, j'ai bien compris votre intervention en
termes d'impact, mais je pense que ce serait bien que vous la répétiez, parce
que le ministre semblait dire qu'en
surspécialité ça ne changeait rien pour vous, et il me semble que ce que vous
avez dit avec le projet de loi
n° 10 et le fait que le médecin spécialiste avait à circuler dans deux hôpitaux,
par exemple, ça pouvait changer des choses pour vous. Pouvez-vous le
réexpliquer?
Mme Fortin
(Chantal) : Effectivement, là, nous, dans notre milieu, là, par
exemple, les néphrologues ont à couvrir...
avec le nouveau CIUSSS, là, ils vont avoir à couvrir trois organisations
différentes. Donc, s'ils sont là-bas, ils ne peuvent pas être avec moi
dans la clinique ambulatoire. Dans les milieux où il y a un nombre critique
d'infirmières praticiennes, on peut absorber
une bonne charge de clientèle, mais actuellement, en surspécialité, on est
plutôt en électrons libres, là. On
est assez éparses au travers le Québec. Alors, une des craintes exprimées par
mes collègues ouvertement, là, c'est :
Bon, bien, c'est sûr, si on prend plus d'infirmières praticiennes pour couvrir
la dialyse, par exemple, bien là je vais être poigné pour aller faire de l'urgence. Puis je ne pensais jamais
dans ma carrière me faire dire par mes collègues, qui sont des gens dévoués, qui se sont débattus pour
leur rôle : Finalement, là, quand tu vois tel, tel, tel patient, là, tu me
coûtes cher parce que tel patient, telle visite est facturée à tel
prorata.
Le Président (M.
Tanguay) : Je vais maintenant céder la parole à notre collègue de
Lévis pour 5 min 30 s.
M. Paradis (Lévis) : Merci, M. le Président. Mme Fortin, Mme Levasseur, j'ai envie que vous
continuiez, de vous laisser aller un peu là-dessus également. C'est une
problématique, et je sais qu'à quelque part à travers la volonté et ce que vous donnez à votre pratique,
dans un sens, à quelque part, cette vision-là vous dérange. Je vous laisse aller
encore un peu là-dessus, cette réalité à laquelle vous faites face.
Mme Fortin
(Chantal) : Bien, je ne sais
pas, là, si tu veux rajouter. Mais, en fait, la promiscuité avec les médecins
est tellement grande, les zones de
chevauchement sont tellement grandes qu'aussitôt qu'il y a une décision qui est
prête qui va le viser directement, par ricochet,
c'est sûr qu'il va y avoir un impact sur nous. Je ne vous dis pas que tous les médecins sont mercantiles. Je ne vous dis pas que
tous vont changer leurs pratiques, mais certains vont le faire, et puis ça peut avoir un impact sur l'abolition ou la
création de nouveaux postes. Puis ça, ça nous préoccupe beaucoup parce qu'on
met beaucoup d'efforts à attirer les
infirmières dans la profession puis à les former. Pour vous donner un ordre
d'idées, là, on les prend de niveau
peut-être externe 1 puis il faut les rendre résident 3 en dedans de six à neuf
mois. Donc, ça peut vous donner une idée de l'intensité des activités
qui sont nécessaires pour qu'on arrive à ce niveau-là.
M. Paradis
(Lévis) : Cette réalité à laquelle vous faites face, en tout cas que
vous mentionnez, avez-vous l'impression
qu'elle touche davantage cette vision-là, cette façon de faire des médecins qui
sont davantage en fin de carrière, un peu plus âgés, ou des nouveaux
médecins qui arrivent dans la profession?
Mme Fortin (Chantal) : Bien, je pense que c'est juste une question de
culture, comment ils ont été éduqués à l'université,
s'ils ont eu à faire plus de formation en collaboration. Il y a des universités
qui se sont adaptées plus à intégrer des
infirmières dans la formation. C'est comme si c'était... ça n'existait pas
avant. Maintenant, on est impliquées, nous, comme infirmières à aller former les médecins résidents. Puis moi-même,
je forme des aides à la formation de résidents. Donc, cette nouvelle
culture là favorise grandement l'interdisciplinarité.
Mme
Levasseur (Isabelle)
: Effectivement, moi, je travaille dans un
milieu d'UMF, qu'on appelle, d'unité de médecine familiale, et, depuis que j'y suis, donc les résidents avec qui
je travaille sont vraiment formés à l'interdisciplinarité. Malheureusement, avec les changements de...
exemple, bien, on parle de d'autres choses, mais le cadre GMF-U, certains
de nos professionnels ont dû être coupés, donc déjà on voit un impact sur
l'interdisciplinarité aussi, là.
M. Paradis (Lévis) : Mais je comprends donc, à la lumière de ce que vous dites, que les
nouvelles cohortes, que les nouveaux médecins ont déjà cette
ouverture-là que vous souhaitez toujours plus grande et plus importante.
Mme Fortin (Chantal) : Mais les anciens... C'est vraiment individu
dépendant, là, parce qu'il y a des anciens médecins qui sont des
exemples d'interdisciplinarité, là, on s'entend.
M. Paradis (Lévis) : Je comprends. Mais on parle de... Tu sais, on fait un portrait général,
on fait ça général.
Vous
aviez parlé, en tout début, de cette notion du 0,2 patient qui avait circulée.
Vous venez d'entendre que, bon, ça ne
fait pas partie des orientations réglementaires. Est-ce que ce qui a circulé,
parce qu'on n'était pas au courant de ce dont allait être composé le projet de loi n° 20 au niveau des
règlements, a déjà causé des torts? Est-ce qu'actuellement vous subissez
les contrecoups de cette vision-là qui n'est pas celle dont on vous parle
aujourd'hui?
Mme
Levasseur (Isabelle)
: Tout à fait. Tout à fait, certains
milieux, là, dès l'annonce du projet de loi n° 20 où les quotas de
0,2 patient, là, par IPS qui ont circulé... pas moi personnellement, mais dans
plusieurs milieux au Québec, les médecins
partenaires ne voulaient plus que les infirmières praticiennes prennent de
nouveaux cas, et certains ont rapatrié des cas qu'ils avaient déjà
octroyés à l'infirmière praticienne dans leur panel.
• (18 h 10) •
M. Paradis
(Lévis) : Est-ce que, depuis que les orientations réglementaires sont
connues — ça
ne fait pas longtemps, c'était jeudi dernier — bon, vous avez un senti une
espèce de rétablissement à ce chapitre-là?
Mme Fortin
(Chantal) : Puis un effet de choc, là.
M. Paradis
(Lévis) : Vous êtes actuellement... Vous vivez le choc
post-traumatique du projet de loi n° 20?
Mme Fortin
(Chantal) : Tout à fait.
M. Paradis (Lévis) : On parlait tout à l'heure de formation d'infirmières praticiennes
spécialisées avec un objectif de
2 000 sur 10 ans, 200 par année. Bon, vous nous avez dit que c'est... et
je vous le fais redire, ce que vous avez déjà dit : Est-ce que c'est réaliste de promettre 200 nouvelles
infirmières praticiennes spécialisées par année sur une période de 10
ans? Sur le terrain, est-ce que c'est possible?
Mme Fortin
(Chantal) : Pas dans les modalités de pratique actuellement.
M. Paradis
(Lévis) : Dites-m'en davantage.
Mme Fortin (Chantal) : Bien, il
y a encore... Comme je vous l'ai dit,
là, il y a une espèce de compétitivité entre les milieux de stage. Il y a
des médecins qui ne sont pas intéressés non plus à la formation,
là, ça, c'est évident. Il y a encore des
poches de résistance au rôle qui fait qu'on a de la difficulté
à trouver des milieux de stage ou même de pouvoir attribuer des postes d'infirmières praticiennes dans ces
milieux-là, en plus d'avoir toute la restriction du cadre de pratique dont
j'ai fait mention, là, les modalités de pratique.
M. Paradis (Lévis) : Est-ce
que je comprends que le projet dans
sa forme actuelle, à vos yeux, à la lumière de ce que vous en
connaissez, ce que vous avez vu, risque de ne pas améliorer la situation,
bien au contraire, de maintenir cet état de fait là?
Mme Fortin (Chantal) : On pense même qu'on pourrait diminuer dans les acquis qu'on a
durement gagnés dans les 10 dernières années.
M. Paradis
(Lévis) : D'accord.
Le
Président (M. Tanguay) :
Bon, alors, ceci met fin à l'échange avec notre collègue de Lévis.
Je cède maintenant la parole
pour 2 min 30 s à notre collègue de Mercier.
M. Khadir :
2 min 30 s?
Le Président (M.
Tanguay) : 2 min 30 s.
M. Khadir : Oui. Juste... Je voudrais rectifier quelque chose, parce que, lorsque vous avez présenté votre mémoire, nous... enfin moi qui étais proche de vous, j'ai
entendu dire, sur la question des mesures de résultat en termes d'assiduité
individuelle, que ça fait donc sens dans ce
contexte, alors que, dans votre mémoire, ce que je lis, et je le dis pour... je
ne sais pas s'il y a
moyen de rectifier le verbatim, que ce qui est dans le mémoire, c'est donc que
les mesures de résultat en termes d'assiduité individuelle, telles que
contenues dans le projet de loi actuel, ne font aucun sens.
Mme Fortin
(Chantal) : Exact.
M. Khadir : Dans le contexte de la nécessité d'un travail
d'équipe, et vous dites tout de suite après que l'assiduité au groupe, et pas seulement au groupe de
médecins, mais à l'ensemble du groupe de praticiens incluant les IPS, c'est
comme ça, c'est par cette manière-là.
Et vous l'avez illustré de nombreuses manières, notamment le fait que, dans
les milieux où les médecins sont à
forfait, sont à salaire, ça marche mieux. Lorsqu'il y a des questions
de quota individuel à l'acte, bien c'est sûr qu'il y a un transfert, que
vous ne faites pas juste craindre, c'est déjà en place.
Vous
avez parlé donc de la nécessité de
privilégier des solutions concertées collectives, que la pierre angulaire,
ce serait que l'accessibilité soit réfléchie
en termes de soins fournis par des professionnels qui se complètent et non pas
comme le projet de loi. Là, il n'y a rien
sur les ordres professionnels, c'est : Comment on règle le problème de
l'accessibilité en modifiant les éléments qui touchent à la fourniture
de soins par les médecins?
Qu'est-ce
qui empêche actuellement la reconnaissance des ordonnances collectives pour que
ce soit simplifié, que... La FIQ aussi
en a mentionnées, là, les ordonnances collectives se buttent à tous les
échelons que vous avez mentionnés. Selon vous, là, il suffirait de quoi
pour que...
Mme Fortin (Chantal) : Bien, en fait, les infirmières praticiennes ne
sont pas régies par des ordonnances collectives. En soins de première
ligne, ce sont un listing de médicaments qu'elles peuvent prescrire. Donc,
aussitôt qu'il y a une nouvelle molécule...
Puis ce listing-là fait que les pharmaciens — on avait déjà invité Mme Lamarre à un
congrès sur la collaboration, d'ailleurs,
puis on avait eu un discours là-dessus — c'est qu'il y a deux formes de pratique.
Donc, il y en a pour la première ligne sous forme de listing, il y en a en
surspécialité où chaque établissement décide quelle molécule peut être
prescrite par l'infirmière praticienne.
Le Président (M.
Tanguay) : En conclusion, s'il vous plaît.
M. Khadir :
...
Mme Fortin (Chantal) : C'est à la pièce. Donc, ça menace la sécurité des
patients, parce que j'ai des pharmaciens qui ont arrêté la prednisone, parce que la ligne directrice, c'est cinq
jours chez un greffé frais du rein après une semaine, là.
Le Président (M.
Tanguay) : Merci beaucoup.
Mme Fortin
(Chantal) : Donc, ça augmente des risques d'erreur pour la population.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous remercions les
représentantes de l'Association des infirmières praticiennes
spécialisées du Québec.
Mémoires
déposés
Avant
d'ajourner les travaux, je dépose les mémoires des personnes et des organismes
qui n'ont pas été entendus en consultation.
Compte
tenu de l'heure, je lève la séance, et la commission, ayant accompli son
mandat, ajourne ses travaux au vendredi 27 mars, à 10 heures, où elle
entreprendra un autre mandat. Merci beaucoup.
(Fin de la séance à 18 h 15)