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Version finale

41st Legislature, 1st Session
(May 20, 2014 au August 23, 2018)

Thursday, February 26, 2015 - Vol. 44 N° 39

Special consultations and public hearings on Bill 20, An Act to enact the Act to promote access to family medicine and specialized medicine services and to amend various legislative provisions relating to assisted procreation


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Table des matières

Auditions (suite)

Association des médecins d'urgence du Québec (AMUQ)

Conseil du statut de la femme (CSF)

Conseil pour la protection des malades (CPM)

M. Damien Contandriopoulos

M. Paul A. Lamarche

Autres intervenants

M. Marc Tanguay, président

M. Jean Habel, président suppléant

Mme Marie Montpetit, présidente suppléante

M. Gaétan Barrette

Mme Diane Lamarre

M. Jean-François Lisée

M. François Paradis

M. Amir Khadir

*          M. Bernard Mathieu, AMUQ

*          Mme Julie Miville-Dechêne, CSF

*          M. Paul G. Brunet, CPM

*          Mme Marielle Raymond, idem

*          Mme Mélanie Perroux, accompagne M. Damien Contandriopoulos

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures cinquante-huit minutes)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la santé et des services sociaux ouverte. J'invite toutes celles et ceux présents dans la salle à bien vouloir fermer la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 20, Loi édictant la Loi favorisant l'accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Non, M. le Président.

Auditions (suite)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, ce matin, nous recevons les représentants de l'Association des médecins d'urgence du Québec ainsi que, par la suite, le Conseil du statut de la femme. Nous ajournerons nos travaux à 18 heures.

Donc, je souhaite bien évidemment la bienvenue aux représentants de l'Association des médecins d'urgence du Québec. Avant de débuter avec votre présentation, j'aimerais recueillir de consentement des collègues pour terminer au-delà de l'heure prévue, afin d'entendre nos deux groupes ce matin. Y a-t-il consentement? Il y a consentement.

Alors, vous disposez, chers représentants de l'Association des médecins d'urgence du Québec, d'une période de 10 minutes pour faire votre présentation, par la suite s'ensuivra une période d'échange avec les parlementaires. Bien vouloir, s'il vous plaît, pour les fins d'enregistrement, vous identifier ainsi que vos titres ou fonctions. Et, sans plus tarder, la parole est à vous. Merci.

Association des médecins d'urgence du Québec (AMUQ)

M. Mathieu (Bernard) : Merci beaucoup. Bernard Mathieu, président de l'Association des médecins d'urgence du Québec. Et je suis accompagné de M. Louis Fiset, qui est agent de communication à l'association.

M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les parlementaires, merci de votre invitation à venir présenter le mémoire de la l'AMUQ à la commission parlementaire sur le projet de loi n° 20. Dans les 10 minutes qui me sont allouées, je vais extraire les points clés du mémoire que vous avez reçu.

En introduction, il est important de souligner que l'AMUQ est un regroupement volontaire de médecins d'urgence dont la vision est l'excellence de la médecine d'urgence au service des citoyens. Nous n'avons aucune affiliation syndicale et nous regroupons à la fois des médecins spécialistes, des médecins de famille membres de la FMOQ et des résidents. Nous n'avons aucun rôle dans les questions financières telles que la rémunération. Par contre, les questions de qualité du milieu de travail, de formation médicale, des impacts des politiques sur les soins d'urgence et de l'excellence des soins offerts à la population sont au coeur de nos préoccupations.

• (12 heures) •

D'entrée de jeu, nous sommes très au courant des déficiences de la prise en charge en première ligne, une grande proportion de nos patients n'ayant pas de médecin de famille ou étant incapables de les rejoindre en temps voulu. Comme mes collègues et la grande majorité des intervenants du réseau, nous doutons cependant que la méthode employée par le projet de loi n° 20 soit la bonne solution, d'abord et avant tout parce qu'il a été développé sans la contribution des médecins concernés et parce qu'il mise exclusivement sur des méthodes coercitives et punitives pour atteindre son objectif. Un des principes clés de toute réforme d'envergure est d'obtenir la participation et l'engagement des acteurs clés, alors que le projet de loi n° 20 n'a réussi qu'à soulever colère et indignation auprès des médecins.

Quel autre corps de métier se fait autant contrôler que les médecins du Québec? J'ai gradué la même année que le Dr Barrette, comme lui j'ai vu une succession de mesures contraignantes limiter la liberté professionnelle dans les 30 dernières années, les AMP, les PREM, les PEM, et maintenant les quotas, l'assiduité et la nouvelle mouture des AMP que sont les AMF — en fait il s'agit des mêmes activités, mais j'y reviendrai. Qui dans la population s'est déjà fait candidement proposer des baisses de rémunération de 30 %? Selon le ministre, jusqu'à 25 % des médecins seraient coupés, et un autre 50 % auraient à modifier significativement leur travail pour éviter ces coupures. Quel chambardement! D'autant plus que les conditions requises pour être conforme au projet de loi n° 20 sont mal précisées. Nous ne savons pas ce que les règlements contiendront, le ministre retardant leur publication pour se garder toute la latitude pour les imposer une fois que la loi sera adoptée.

Dans notre mémoire, nous soulignons les pouvoirs importants que le ministre se donne. Nous sommes particulièrement inquiets des quatre articles cités que nous avons extraits, qui permettent au ministre de décider unilatéralement des tâches à effectuer, des endroits où nous pourrons travailler et même de modifier les paramètres de rémunération, unilatéralement toujours. En plus, il peut décréter qu'un médecin devra changer de travail, à 90 jours d'avis, à tous les deux ans. De plus, le ministre détiendra ces pouvoirs jusqu'en 2020. On ne retrouve pas ces contraintes pour les autres professions.

Comme si cela n'était pas déjà suffisant, les règlements ne sont pas dans le projet de loi actuel, et on sait que, par définition, ils ne seront pas soumis à négociation. Tout ça résulte en un énorme chèque en blanc au ministre de la Santé. Pourquoi tant de pouvoir? Pourquoi ne pas plutôt chercher à discuter?

Mardi, le Collège des médecins du Québec parlait de maintenir la motivation des médecins; je vois ici plutôt un message très démotivant pour les médecins, privés de toute liberté, à la merci du ministre. Le Collège des médecins du Québec suggère de rechercher collaboration, de soutenir, non de punir. Je ne dis pas que les médecins ne sont pas redevables à la société, ils le sont, ils sont médecins d'abord et avant tout pour le service et le bien-être de leurs patients; je dis que ces articles s'appuient sur une logique de coercition et d'autorité, alors qu'une logique de collaboration serait éminemment plus positive et productive. D'ailleurs, n'a-t-on pas trouvé un médecin de famille à 800 000 Québécois dans les dernières années?

Parlons maintenant des urgences. Premier point clé : Il nous apparaît improbable que l'amélioration à l'accès à un médecin de famille se traduise par une diminution marquée de la demande de soins dans les urgences. Je m'explique. Nous croyons plutôt que le contraire risque d'arriver. Nous anticipons, d'une part, une diminution de l'offre, nous craignons une diminution du nombre de médecins disponibles en raison de changements de pratique vers la prise en charge ou, ce qui serait bien plus grave, de départs pour des retraites anticipées, de migration vers d'autres provinces ou vers le privé, et, d'autre part, le maintien de la demande, à savoir que la lourdeur accrue des patients aux urgences effacera les gains qui résulteront d'une meilleure prise en charge en première ligne. La résultante risque d'être une qualité de soins et une sécurité des patients diminuée dans les urgences.

Deuxième point : Qu'est-ce qu'un médecin d'urgence à temps complet? Un des éléments essentiels de notre mémoire est la reconnaissance du travail d'un médecin d'urgence. En 2009, l'AMUQ a publié une position intitulée Le profil du médecin d'urgence à temps plein, c'est probablement une des meilleures références à ce sujet et la seule qui soit québécoise. Je vous réfère à la page 8 de notre mémoire. En résumé, le médecin d'urgence devrait travailler de 24 à 28 heures cliniques par semaine.

Je veux prendre quelques minutes pour expliquer ceci. La principale différence entre le travail à l'urgence et celui des autres médecins est que les médecins d'urgence travaillent sur des quarts de travail de jour, de soir, de nuit et constamment. Cette rotation de quarts de travail a des impacts physiologiques importants, et, pour qu'un médecin d'urgence soit efficace, performant et qu'il puisse faire une carrière à l'urgence, il lui faut faire un équilibre entre ces horaires et les temps de repos. Nous faisons souvent le parallèle avec les pilotes d'avion, qui sont limités à 100 heures de vol par mois.

Le projet de loi n° 20 exige d'un médecin d'urgence qui veut continuer sa carrière exclusivement à l'urgence, et nous sommes 800 médecins dans cette situation... le projet de loi n° 20, donc, exige 36 heures par semaine de temps clinique. Si on en fait moins, il nous faut prendre des patients à charge, sous peine de pénalités. La prise en charge n'est pas notre choix de carrière. Demanderait-on à un orthopédiste de faire de la chirurgie générale?

Précisons ce qu'est, maintenant, le temps clinique et le temps non clinique. Le temps clinique est le temps où nous sommes en train de faire des consultations à l'urgence, et le temps non clinique comprend tout le reste : préparation des cours, des tâches d'enseignement, de la formation médicale continue, les tâches administratives, la gestion, les comités hospitaliers, la recherche, le développement d'expertises particulières, et j'en passe. Ceci peut varier de quelques heures à presque un demi-temps par semaine. En plus, les quarts se terminent souvent bien plus tard que prévu, cela rajoute encore des heures. Tout inclus, nous disons qu'il est raisonnable qu'un médecin d'urgence travaille environ 32 heures par semaine pour une tâche clinique de 24 à 28 heures par semaine, mais 36 heures de clinique, cela est impossible à faire. Pour reprendre le parallèle avec le pilote d'avion, c'est l'équivalent de 144 heures par mois. D'où le ministre a-t-il pris ce chiffre? Qui vous a conseillé, Dr Barrette? J'aimerais le savoir, car il n'y a aucun endroit en Amérique où une telle charge de travail soit la norme.

Pour les autres médecins d'urgence à temps partiel, et ils sont entre 1 200 et 1 700, le dilemme est énorme : Quitter leur pratique en bureau pour devenir des médecins d'urgence à temps complet? Quitter l'urgence pour se conformer aux exigences de la prise en charge? Quel sera le résultat final de ce grand remue-ménage? Il y a beaucoup trop d'incertitudes, à notre avis, et un grand risque pour la santé de la population si les urgences venaient à se dégarnir.

Troisième point : Les conditions du projet de loi n° 20 sont-elles réalisables? Comme l'Association des jeunes médecins du Québec l'a exposé, les AMP sont un obstacle à la prise en charge, le médecin ne peut être à la fois disponible pour ses patients en cabinet et passer un minimum de 12 heures en établissement. À noter que les AMF du projet de loi n° 20 aggraveront cette exigence, car ce n'est plus 20 ans d'AMP, mais ce sera 25 ans d'AMF. Il y a là contradiction et incohérence. Il nous apparaît beaucoup plus simple et logique de diminuer ou d'abolir les AMP et de laisser ceux qui veulent se consacrer à la prise en charge le loisir de le faire, laisser ceux qui veulent travailler en établissement le loisir de le faire plutôt que d'obliger tout le monde à faire un peu des deux, on aurait des médecins satisfaits et de meilleurs services à la population. De plus, l'expertise est maximisée, et cela ne peut être que positif pour la population.

Dans le journal d'hier, j'ai lu la citation suivante du premier ministre Couillard qui parlait du projet de loi n° 20 : «Est-ce [...] nécessaire de légiférer? On verra [dans quelques semaines].» Dans le même article, Dr Barrette a une nouvelle fois dit, et je cite : «...les gens parlent de solutions [depuis le projet de loi n° 20]. Si ça avait été fait avant, il n'y aurait pas de projet de loi [n° 20].» J'espère que les auditions de la commission autour du projet de loi n° 20 vont clairement démontrer que les solutions existent déjà, et qu'elles peuvent être déployées, et que le projet de loi n° 20, s'il devient loi, va provoquer des chambardements majeurs dont l'issue, à notre avis, ne peut être que négative. Je reprendrais la phrase de Dr Khadir hier à cette même commission, Dr Barrette aurait notre admiration et notre approbation s'il décidait de retirer son projet de loi et de repartir sur un projet plus mobilisateur. J'aimerais poser la question suivante au ministre : Pouvez-vous confirmer que vous retirerez le projet de loi n° 20 si des solutions réelles aux problèmes sont avancées?

Je terminerais avec une citation d'Albert Einstein : «On ne peut solutionner nos problèmes en utilisant les mêmes idées qui les ont créés.» Sortons de la dynamique de la coercition. Merci de votre attention.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. S'ouvre maintenant une période d'échange avec les parlementaires. En ce sens, pour une période de 20 minutes, je cède la parole au ministre de la Santé et des Services sociaux.

• (12 h 10) •

M. Barrette : Merci, M. le Président. Alors, docteur, docteur, bienvenue à cette commission parlementaire qui est une commission où on a le plaisir de recevoir les commentaires et les suggestions des gens qui ont une expertise ou un intérêt particulier pour le dossier qui est à l'étude.

Alors, je vais reprendre... je vais prendre le relais de votre dernier commentaire. Effectivement, Einstein a dit que les mêmes méthodes vont donner les mêmes résultats, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le projet de loi n° 20 existe, puisque la même méthode des 15 dernières années, qui est celle de la négociation, a donné effectivement les mêmes résultats tout le temps, c'est-à-dire une absence d'accès approprié à la population pour ce qui est de la première ligne.

Ceci dit, vous avez fait plusieurs commentaires qui ne sont pas surprenants, là, je n'ai pas de surprise dans les commentaires que vous avez faits, mais je n'ai pas entendu beaucoup de suggestions, par exemple. Alors, la situation actuelle, là... Et vous, Dr Mathieu, s'il y a une personne qui a été présente dans les 15 dernières années dans les médias à propos de la situation des urgences, c'est bien vous. Vous avez probablement été autant dans les médias, peut-être pas de façon aussi flamboyante, puis je le dis de façon humoristique, là, en termes de visibilité que moi, là, mais vous avez été très présent dans les médias, et je vous ai entendu dire à plusieurs reprises que la problématique des urgences se situait en amont et en aval de l'urgence. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous vouliez dire dans le passé et probablement encore aujourd'hui par la solution en amont? Parce qu'en amont, ça veut dire quelque chose. Si la solution est en amont, ça veut dire que vous avez quelque chose à nous exprimer qui pourrait peut-être être des suggestions que je pourrais prendre en compte pour améliorer l'accès.

M. Mathieu (Bernard) : Dr Barrette, effectivement, dans notre mémoire, nous avons parlé de solutions. Juste pour reprendre la citation d'Einstein, moi, je la voyais dans une autre façon, c'est que la coercition avant n'avait pas fonctionné, et on nous offrait encore de la coercition.

Bon, en parlant des solutions, une des solutions en amont, et évidemment ça ne concerne pas directement les urgences, mais c'est sûr que ça a un impact sur les urgences, c'est probablement ce qui est appelé l'accès avancé, l'accès adapté, et ça, en ce qui me concerne, je pense que c'est vraiment une solution, l'interdisciplinarité également. Les groupes de médecins de famille avec une prise en charge de groupe d'une population, ça me semble aussi tout à fait approprié comme solution pour la prise en charge en amont, donc, de ce côté-là, je pense que c'est très important. Peut-être une faiblesse aussi qui contribuerait à améliorer la prise en charge en amont, c'est la question des dossiers médicaux informatisés, du dossier électronique, où le Québec assume un retard important par rapport aux autres provinces. Donc, ces trois solutions sont proposées dans le mémoire que j'ai déposé, et vous pourrez le constater.

M. Barrette : Quand vous me parlez d'accès adapté, vous me parlez donc, évidemment, implicitement, sans la nommer, de la capacité d'offre de services de vos collègues médecins de famille. L'accès adapté, là, tel que vous le concevez, augmenterait l'accès.

M. Mathieu (Bernard) : C'est une question d'organisation des soins aussi. Je pense que le travail de groupe, le GMF, le support d'infirmières dans le groupe de soins... je pense que c'est vraiment une solution et puis je pense que ce n'est pas assez développé. Et je pense que les médecins en ont fait la démonstration depuis quelques semaines, depuis que vous avez déposé ce projet de loi, qu'ils veulent changer leur façon de travailler, et j'espère qu'au moins le projet de loi que vous avez déposé aura ce mérite d'avoir fouetté les troupes et d'avoir justement encouragé les médecins à pousser la...

M. Barrette : Je comprends donc que ce que vous nous dites, c'est que le projet de loi a provoqué un changement dans la réflexion collective médicale de famille.

M. Mathieu (Bernard) : Je pense que oui.

M. Barrette : C'est très bien comme ça, j'en suis heureux.

Maintenant, docteur, j'insiste là-dessus, là. Je sais, puis vous l'avez dit à plusieurs reprises, que, quand vous parlez de la première ligne en amont, les urgentologues que je connais, et j'en ai connu plusieurs, dont vous, puisqu'on pratique dans le même hôpital, vous vous êtes souvent et vous le faites encore... peut-être pas vous personnellement aujourd'hui, mais bien de vos collègues se plaignent du fait que la capacité n'est pas là en amont dans les cabinets. Et, dans cet esprit-là, pouvez-vous nous indiquer, dans votre lecture, s'il est vrai qu'une grande partie des patients qui sont vus à l'urgence... Vous, vous avez fait votre carrière entière à l'urgence de mon hôpital, de notre hôpital. Est-ce que c'est un pourcentage significatif des patients qui sont vus à l'urgence et qui devraient être vus en cabinet?

M. Mathieu (Bernard) : Oui, je l'ai dit au début de mon intervention aujourd'hui, un pourcentage important des patients n'ont pas de médecin de famille. Il y a peut-être une amélioration récente, mais il reste que c'est un problème. D'ailleurs, vous avez dit vous-même que la plupart des patients âgés avaient maintenant un médecin de famille plus facilement, ce qui n'est peut-être pas le cas pour les patients plus jeunes ou qui ont moins de pathologies, mais les clientèles vulnérables, semble-t-il, sont mieux prises en charge qu'elles ne l'étaient auparavant.

Donc, oui, il y a un problème, on ne le nie pas, on l'affirme, nous aussi, mais cependant il faut être conscient aussi du rôle négatif que les AMP ont sur la capacité en tant que telle. Comme vous en parlez, là, la capacité, si on oblige les médecins à faire 12 heures en établissement, et comme l'a démontré Dr Gladu, c'est souvent plus que ça qu'ils vont faire en établissement, eh bien, c'est du temps où ils ne sont pas disponibles pour assumer la prise en charge.

M. Barrette : ...vous entendre là-dessus, Dr Mathieu, ça m'intéresse beaucoup. À votre avis, puisque les AMP sont décrites comme étant une quasi-torture, pourquoi le Dr Gladu et vous-même, vous nous dites que vous constatez que les jeunes médecins en font plus? Est-ce que peut-être que ce serait parce qu'il y a un différentiel de rémunération par rapport au cabinet?

M. Mathieu (Bernard) : Je ne répondrai pas à cette question-là parce que je ne connais pas la rémunération en cabinet, ça ne fait pas partie de mon champ d'expertise du tout. Donc, je ne pourrai pas répondre à cette question-là au niveau de la rémunération.

M. Barrette : Qu'est-ce qui l'explique? Pourquoi une obligation devient, pour une raison x... Vous êtes médecin de famille. Moi, je suis... on me le reproche puis on me le met, là, régulièrement, là : Dr Barrette, vous êtes un médecin spécialiste, vous êtes un radiologiste, vous ne connaissez pas ça. Pourquoi un médecin de famille, là, à qui on demande 12 heures d'AMP en fait 24, 36? C'est quoi, là, sa motivation? Qu'est-ce que je devrais faire, là, pour convaincre le médecin de famille de faire plus de première ligne en cabinet?

M. Mathieu (Bernard) : Je pense que vous devriez justement diminuer cette obligation de prise en... de travail en établissement, parce qu'une fois qu'on a commencé en établissement, 12 heures, faire du demi-temps à gauche et à droite, là, ce n'est pas aussi motivant que d'être impliqué de façon plus importante dans une activité. Et, quand vous commencez à faire de l'hospitalisation, par exemple, bien, 12 heures, c'est beaucoup plus que ça parce que, dans le fond, votre semaine de garde est plus longue, etc., donc il y a un volume, là, qui est difficile à limiter à 12 heures une fois que vous avez commencé.

Et Dr Gladu l'a exprimé aussi. Quand vous demandez un PREM dans un établissement, et que l'établissement a le choix entre un médecin qui offre 12 heures et un médecin qui en offre 24, peut-être qu'il va prendre celui qui en offre 24.

M. Barrette : Mais ce n'est pas une obligation, c'est un choix.

M. Mathieu (Bernard) : Ce n'est pas une obligation, c'est un choix. Mais ce qui se passe avec le projet de loi n° 20, c'est que les choix qui sont offerts sont ingérables. Des AMP, les gens avaient le choix effectivement de choisir d'aller travailler 12 heures ici, faire un peu de CHSLD, il y avait un choix, et la plupart des médecins... En tout cas, moi, je n'en connais pas qui ont été coupés à cause des AMP, qui sont pourtant assorties d'une pénalité de 30 % quand elles ne sont pas respectées. Par contre, avec le projet de loi n° 20, on voit que la coupure, elle est drôlement plus présente et on voit que c'est probablement une pièce maîtresse du projet de loi d'avoir une récupération d'argent, peut-être pour l'obsession du déficit zéro, je ne sais pas, mais il y a ici une motivation qui semble importante de retrouver de l'argent, de reprendre de l'argent qui a été versé aux médecins, et ça, je ne pense pas que ce soit une dynamique favorable à la médecine en général et la prise en charge.

M. Barrette : Bien, Dr Mathieu, la pièce maîtresse du projet de loi n° 20, c'est l'accès pour les patients, vous savez, là, ceux qui attendent dehors, comme aujourd'hui, pour voir un médecin dans un cabinet et de ne pas aller à l'urgence où on attend 17 heures. C'est ça, la pièce maîtresse. Et je comprends de ce que...

M. Mathieu (Bernard) : ...pour le réaliser? Je ne pense pas.

M. Barrette : Bien...

M. Mathieu (Bernard) : Je pense qu'il y a suffisamment d'encre qui a coulé depuis quelques semaines pour que les médecins se bottent le derrière, comme vous avez peut-être dit auparavant, mais c'est...

M. Barrette : Ah bon! Non, non, mais ça, c'est intéressant, là. Si les médecins doivent se botter le derrière, ça veut dire qu'avant la non-vision à l'horizon de la botte faisait que le derrière ne se bougeait pas. Est-ce que c'est ça que je dois comprendre?

M. Mathieu (Bernard) : Bien, je pense qu'on est dans une dynamique où on n'a pas le choix, actuellement, puisqu'il y a un projet de loi qui nous pend au bout du nez. Auparavant, les médecins ont quand même pris en...

M. Barrette : Alors là, aujourd'hui, le projet de loi vient forcer le changement.

M. Mathieu (Bernard) : Auparavant, les médecins ont quand même pris en charge 800 000 patients de plus, ont fait des réorganisations au niveau des urgences pour diminuer le temps d'attente, on n'a pas besoin d'avoir une épée de Damoclès par-dessus la tête. Mais, bon, là on est dans un processus accéléré, si on veut, avec une menace bien réelle qui nous pend au bout du nez, qui est celle des coupures du projet de loi n° 20.

M. Barrette : Je veux juste bien comprendre votre commentaire, Dr Mathieu, là. Ce que vous nous dites, là, essentiellement, vous nous confirmez qu'il y a de la capacité, parce que vous venez de nous dire — puis ça, ça m'intéresse beaucoup puis ça intéresse les gens qui nous écoutent — que, là, vu qu'il y a le risque de perdre de l'argent, ça équivaut à se faire botter le derrière puis à offrir plus de services. Si on offre plus de services, c'est parce qu'il y en a qui n'étaient pas donnés avant. Moi, je trouve ça intéressant, là, comme approche parce que c'est effectivement l'essence du projet de loi n° 20. Je vous remercie de nous le dire parce que vous êtes un médecin de famille qui a une grande expérience, là. On est diplômés de la même année, 1984. Ça en fait pas mal, d'années à regarder le système.

Sur le plan de ce que vous reprochez comme coercition, j'aimerais vous amener sur un autre sujet, un sujet que vous connaissez bien parce que je pense que vous y avez travaillé, de mémoire. Vous rappelez-vous du guide de gestion clinique des urgences?

M. Mathieu (Bernard) : Oui.

M. Barrette : Bon, ça a été, si je ne m'abuse, un cheval de bataille de votre groupe, les médecins d'urgence.

M. Mathieu (Bernard) : Bien, absolument. On en a fait la promotion.

• (12 h 20) •

M. Barrette : Non, moi, je pense que vous pouvez dire que c'était un cheval de bataille, parce que, si vous me dites que ce n'est pas un cheval de bataille, c'est parce que, là, toute ma carrière antérieure, elle ne servait à rien, parce que moi, je me battais contre ça, là.

Pouvez-vous expliquer au public qu'est-ce qu'il y avait là-dedans de mesures que vous sollicitiez, vous, les médecins de famille, dans les urgences en lien, par exemple, avec les consultations demandées aux spécialistes?

M. Mathieu (Bernard) : Bon, dans le projet...

M. Barrette : Si vous voulez, je peux sortir le guide, là.

M. Mathieu (Bernard) : Non, non. Dans le guide de gestion, on donne des barèmes, effectivement, pour la réponse aux consultations des spécialistes dans les urgences.

M. Barrette : C'était quoi?

M. Mathieu (Bernard) : C'est deux heures.

M. Barrette : Deux heures. Alors, si je comprends bien, vous, les médecins d'urgence, vous avez eu des conversations avec le gouvernement pour mettre en place un comité multipartite de médecins d'urgence pour régler la problématique des urgences, qui historiquement, et j'ai toujours été d'accord avec vous dans le passé, va se résoudre par l'amont et l'aval. On vient de parler de l'amont, et, dans l'aval, il y a la relation avec les médecins spécialistes. Et vous, comme groupe — et vous vous en rappelez, vous venez de le dire, là, puis je l'explique pour que les gens comprennent bien — vous avez écrit un guide qui se voulait être un règlement, qui, dans votre volonté à l'époque, aurait dû avoir une force de loi. Est-ce que vous vouliez que ça aille jusque-là, vous auriez voulu, là, que tous les hôpitaux mettent ça en application?

M. Mathieu (Bernard) : Je ne pense pas qu'on aurait exigé d'avoir une force de loi en arrière de ça.

M. Barrette : Non, mais c'était quand même la finalité, c'était le rêve.

M. Mathieu (Bernard) : Non, je ne pense pas, là...

M. Barrette : Donc, vous avez écrit quelque chose qui n'était pas une recommandation utile?

M. Mathieu (Bernard) : C'est une recommandation, c'est une balise, c'est un guide, ça sert à orienter les interventions médicales sur le terrain, mais pas besoin d'une loi pour faire ça.

M. Barrette : O.K., très bien, mais la règle que vous vouliez, que vous avez proposée... Parce que c'était quand même une règle. On peut le sortir, le guide, comme je vous dis, là. Vous proposiez, vous — et c'était ça, la proposition, moi, je m'en rappelle très bien, là — que le mode de fonctionnement, de gestion, hein — guide de gestion clinique de l'urgence, ça, ça veut dire qu'on met des règles — fasse en sorte que le médecin spécialiste fasse sa consultation en dedans de deux heures quand elle vient de l'urgence. Et je vais même aller plus loin, puis corrigez-moi si je me trompe, vous vouliez avoir cette règle-là 24 heures par jour. Moi, je me rappelle des discussions épiques que j'ai eues sur ce sujet-là avec vos membres, deux heures, 24 heures par jour. Ça, dans la catégorie coercition, vous mettez ça où?

M. Mathieu (Bernard) : Ça serait de la coercition s'il y avait une pénalité financière associée à ça. Là, c'est des barèmes, c'est des... mais il n'y a pas personne qui va enlever son permis de pratique à un médecin parce qu'il n'a pas respecté ça. D'ailleurs, c'est difficilement mesurable et ça n'a jamais été vraiment bien mesuré, là, dans les urgences au Québec, donc, ce guide-là qui date de 2006, on ne peut pas dire que cette norme-là soit appliquée.

Par contre, le bénéfice qu'on a eu avec cette indication-là dans le guide de gestion, c'est qu'on a dit aux spécialistes, à ce moment-là, qui venaient après leur journée de travail faire leurs consultations... on leur a dit que ce n'était pas acceptable, que l'urgence avait besoin que les spécialistes se déplacent pendant la journée et qu'ils mettent quelqu'un de garde à l'urgence pour répondre, justement, aux consultations, et ça, c'est le changement positif qu'on a vu là-dedans. Les gens savent maintenant qu'il faut qu'ils priorisent l'urgence dans leur travail.

M. Barrette : Oui, mais est-ce que ce changement-là a été uniformément, aujourd'hui, appliqué? C'est non.

M. Mathieu (Bernard) : Non, ce n'est pas appliqué en tant que tel. Par contre, il y a sûrement eu des progrès importants depuis 2006.

M. Barrette : Il y a eu amélioration, mais, dans la problématique des urgences, le problème de l'aval demeure. Alors, moi, je...

M. Mathieu (Bernard) : Il y a toujours un problème d'aval qui est principalement un problème d'accès aux lits d'hospitalisation.

M. Barrette : Je comprends. Il y a deux problèmes à l'aval, il y a le lit et il y a la consultation, on s'entend tous là-dessus. Mon point, c'est qu'on me reproche bien des choses, mais vous-mêmes l'avez revendiqué, et je dirais même que...

M. Mathieu (Bernard) : ...même façon, Dr Barrette.

M. Barrette : Ah! pas de la même façon, on se comprend, là. C'est clair que ce n'est pas la même façon. Ça, c'est très clair.

M. Mathieu (Bernard) : C'est clair.

M. Barrette : Mais il n'en reste pas moins que vous avez identifié une solution à un problème qui existe encore aujourd'hui qui était, si elle avait été appliquée, mais vous n'avez pas le pouvoir de le faire, et les gouvernements précédents ne l'ont pas fait... c'était une forme de coercition et, je vais vous dire une chose, tellement fondée que je l'ai mise dans le projet de loi. Est-ce que cette mesure-là va vous aider?

M. Mathieu (Bernard) : Bien, écoutez...

M. Barrette : Là, on va faire comme un des partis de l'opposition, je vais vous poser la question de la même formulation : Oui ou non, est-ce que ça va améliorer votre situation?

M. Mathieu (Bernard) : En théorie, oui, mais en pratique non.

M. Barrette : Ah bon!

M. Mathieu (Bernard) : Pourquoi? Parce que, malheureusement, quand on accumule des contraintes, et des règles, et des restrictions, ça devient un système qui est non gérable. Actuellement, comme je vous ai dit tantôt, je ne suis pas capable de mesurer combien de temps ça prend pour un spécialiste pour voir un patient, je ne suis pas capable de le faire, et je ne vois pas comment on va être capable, si le projet de loi devient une loi, de mesurer la même chose, même si vous mettez trois heures dans votre projet de loi actuel. Donc, c'est ingérable. C'est ingérable, donc je ne vois pas qu'est-ce que ça va donner. On a déjà deux heures dans le guide de gestion, vous voulez mettre trois heures en projet de loi. Je ne pense pas que ça va changer...

M. Barrette : Juste à titre indicatif, Dr Mathieu, je peux comprendre que votre secteur d'expertise soit l'urgence, et c'est tout à fait correct, là, et d'ailleurs vous êtes un expert en urgence, là, je le reconnais, puis je suis bien content, comme je vous ai dit tantôt, que vous soyez ici aujourd'hui, mais, la gestion, par exemple, du temps de ceci, du temps de cela, probablement que vous êtes au courant du système que l'on utilise dans les blocs opératoires, où on gère l'entrée dans la salle du chirurgien, de l'anesthésiste, de l'infirmière, la sortie, la sortie de salle. On a tout ça, là, c'est parfaitement faisable, les systèmes qui font ça existent et sont opérationnels dans tous les blocs opératoires du Québec. Et transposer ça à la salle d'urgence, bien c'est une page informatique, tout simplement, supplémentaire à mettre sur la page... sur votre visualiseur que vous avez à l'urgence, ce n'est pas vraiment un problème.

Maintenant, pour l'aval, si on revient à l'aval, est-ce qu'il y a des suggestions, là, du côté de la pratique en cabinet, là? Est-ce qu'il y a des suggestions autres que vous pourriez nous faire?

M. Mathieu (Bernard) : Oui, alors, pour l'aval, je pense que, du côté de la pratique en cabinet, une meilleure liaison avec les centres hospitaliers serait importante, que le médecin de famille soit au courant que son patient est hospitalisé et que le médecin de famille puisse faire le suivi du patient qui a eu son congé de l'hôpital. D'ailleurs, dans certaines juridictions, il y a automatiquement une visite d'infirmière quelques jours en post-congé de l'hôpital pour s'assurer que les patients sont stables et puis qu'ils peuvent répondre à différentes interrogations qu'ils auront au congé de l'hôpital. Je pense que ça, ce sont des interventions qui éviteraient le retour via les urgences et une réhospitalisation.

M. Barrette : Et je ne peux pas m'empêcher de vous poser la question, parce que je connais la réponse, à moins qu'elle ait changé. À Maisonneuve-Rosemont, il n'y a pas ça, hein? Eh voilà! Alors, ça, la réponse à ça, évidemment, c'est le projet de loi n° 10, c'est à ça que ça sert. Je vous remercie de me le dire parce que le projet de loi n° 10, c'est ça. Alors, ils vont le faire dans le futur, c'est ça, le projet de loi n° 10.

Juste un dernier commentaire, M. le Président. Dr Mathieu, vous savez, en 2009‑2010 il y a eu une table de concertation sur la première ligne, et c'est là que ça aurait dû se régler, les choses, mais, la FMOQ, vos représentants ont quitté la table. Aujourd'hui, là, vous me dites que la coercition, les ajustements financiers, ce n'est pas bon, mais qu'est-ce qu'il y a d'autre, qu'est-ce qu'il y a d'autre pour avoir un effet? Là, vous me dites que la menace de la loi botte le derrière. Quoi d'autre?

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Nous allons maintenant céder la parole à notre collègue. Vous pourriez peut-être rapidement, si elle le désire, répondre à la question. Pour 11 min 30 s, notre collègue de Taillon a la parole.

• (12 h 30) •

Mme Lamarre : Merci, M. le Président. Alors, bienvenue. Merci d'être là, Dr Mathieu, M. Fiset.

Moi, j'entends le ministre dire : Je n'ai pas de solution, dans ce projet, je demande aux gens de me donner des solutions. Moi, depuis le début de la semaine, je les entends, ces solutions, les gens nous les donnent. On parle toujours d'informatisation du réseau, ça revient continuellement dans chacun... établir des meilleurs liens, la communication, l'interdisciplinarité revient systématiquement, l'accès adapté revient aussi systématiquement, mais ce sont des solutions que le ministre ne veut pas entendre parce que ce ne sont pas les siennes, ce n'est pas lui qui les a inventées, ce n'est pas lui qui les a imposées. Alors, il ne veut pas les entendre, mais tout le monde, vous nous dites que ça passe par ça et que c'est ça dont on aurait besoin.

Ce que j'entends aussi, c'est qu'il y a un problème dans la détermination des nombres d'heures d'activité médicale particulière. Le ministre vous dit, 12 sur 36 : Pourquoi les jeunes médecins en font plus? Bien, il y a des dynamiques que vous avez évoquées qui sont tout à fait justes, c'est qu'à un moment donné, si on en travaille 12, il nous reste 24, on a des frais de bureau, on a une désorganisation, on se répartit... donc on aime mieux concentrer un certain nombre d'heures au même endroit. Et il y a effectivement des incitatifs financiers à travailler à l'hôpital, ça donne un peu plus. Si on transférait ces incitatifs-là à l'hôpital en soutien à domicile, peut-être qu'on aurait d'autres transitions, mais ça, ça ne fait pas partie ni du projet de loi n° 10, ni projet de loi n° 20, ni de ce qu'on entend du ministre.

Alors, il y en a, des solutions, il y en a, des mesures claires qui ne nécessiteraient pas de déstabiliser tout le système, qui donneraient tout simplement des indicatifs un peu plus précis sur la façon d'y arriver.

Donc, moi, je pense qu'il y a dans votre mémoire des pistes de solution tout à fait intéressantes. Je vous avoue qu'en le lisant j'ai été intéressée aussi par les chiffres que vous avez mis. Vous dites qu'il y a 150 médecins spécialistes en médecine d'urgence, qu'il y a 800 médecins de famille qui ont une pratique exclusive en urgence. Est-ce que vous savez combien de médecins de famille n'ont pas une pratique exclusive en urgence? Parce qu'il y a un certain nombre de médecins qui ne sont pas obligés d'en faire. Avez-vous une idée de ce...

M. Mathieu (Bernard) : ...comme c'est mentionné, entre 1 200 et 1 700 médecins.

Mme Lamarre : 1 200 et 1 700. O.K.

M. Mathieu (Bernard) : C'est difficile d'avoir un chiffre précis parce qu'au ministère on n'a pas colligé ces chiffres-là, donc la DNU, la Direction nationale des urgences, n'a pas ces chiffres-là. Et nous, comme on est une association volontaire, on n'est pas comme l'association des spécialistes qui est un organisme syndical, donc, on n'a pas l'obligation d'avoir tout le monde qui fait de l'urgence dans notre association.

Mme Lamarre : Donc, ce serait entre 1 200 et 1 700, plus les 800 qui sont à temps complet, là, on s'entend, là. Et on...

M. Mathieu (Bernard) : Plus les 800. Donc, c'est ça, grosso modo 2 000 à 2 500 médecins pratiquent dans les urgences.

Mme Lamarre : Donc, on se rend compte que la contribution qui est demandée aux médecins de famille par rapport aux urgences, elle est énorme et elle est différente. En Ontario, on ne demande pas ça aux médecins de famille. Qui fait les urgences en Ontario?

M. Mathieu (Bernard) : Ce sont des médecins formés pour ça principalement, donc les médecins qui vont faire soit la spécialité — la spécialité a été reconnue en Ontario bien avant qu'au Québec — ou des médecins de famille qui ont fait une troisième année de spécialité. Donc, la plupart des centres universitaires ont des médecins de ces deux types-là exclusivement. Par contre, dans les milieux plus ruraux, ce sont encore des médecins de famille qui n'ont pas nécessairement une formation complémentaire.

Mme Lamarre : Donc, la formation à laquelle vous faites référence, c'est un peu celle des 800 médecins qui ont suivi l'année supplémentaire et qui...

M. Mathieu (Bernard) : Bien, les 800 médecins, il y en a peut-être 30 % qui ont suivi une année supplémentaire.

Mme Lamarre : Qui ont fait l'année supplémentaire, mais on a aussi cette option-là ici.

M. Mathieu (Bernard) : On a aussi cette option-là.

Mme Lamarre : Est-ce que vous diriez que, dans ce cas-là, ça nous prendrait plus de médecins spécialistes, plus d'urgentologues au Québec?

M. Mathieu (Bernard) : Bien, je pense qu'il y a une tendance vers une augmentation. On en a moins au Québec qu'il n'y en a dans les autres provinces. Cependant, au niveau des programmes universitaires, on a vu plutôt, l'année dernière, une tendance vers la réduction, que ce soit le nombre de postes de spécialiste ou le nombre e certificats pour la troisième année de médecine d'urgence, ces postes-là ont été réduits l'année dernière. Donc, nous, de notre côté, on considère que l'expertise et la formation sont une contribution importante et puis nous, on a milité contre une réduction de ces postes-là.

Mme Lamarre : Donc, vous dites qu'il y a quand même beaucoup d'interventions qui ne sont actuellement peut-être pas bien synchronisées. Dans le fond, ce qu'on constate, là, c'est qu'il y a différents choix qui sont faits et il y a un effet de cascade. Si on manque de médecins spécialistes, on va chercher des médecins de famille, ces médecins de famille là qu'on pensait demander pour 12 heures sur 36, dans le fond, en font plus, et tout ça, ça draine toujours, systématiquement le nombre de médecins qui sont vraiment disponibles auprès des patients.

Maintenant, ce qu'on déplore dans le projet de loi n° 20, c'est que, là, on va refaire ce travail-là mais sans avoir de données populationnelles, c'est-à-dire qu'on va donner la possibilité aux médecins de choisir encore des menus et d'avoir des points bonis sur certains sous-types de pratique mais sans s'assurer que la population d'un CISSS, puisqu'on va avoir des CISSS et que le ministre fait référence au projet de loi n° 10, va être, encore une fois... qu'on sera sûr d'être capable d'avoir du potentiel d'offrir des services de santé avec des infirmières, avec des pharmaciens, avec des médecins de famille au bon endroit au bon moment. On ne fait pas cet exercice-là. On repart des prérogatives médicales et on veut encore jouer avec ces ratios-là en mettant des éléments de coercition à l'intention des médecins.

M. Mathieu (Bernard) : Oui. Et, comme je disais tantôt, pour les médecins qui sont à temps partiel, admettons que les AMP sont diminuées, s'ils sont obligés quand même d'aller faire de la prise en charge à la hauteur de 1 000 patients, par exemple, bien ils n'auront plus le temps de faire de l'urgence. Alors, qu'est-ce qu'il va arriver aux effectifs dans les urgences? On a identifié qu'à peu près 92 % des médecins qui travaillent dans les urgences sont des médecins de famille, les spécialistes étant seulement 150, là. Donc, surtout en région, où les gens ont justement une pratique un peu plus multifacette, là, la multifacette, ça peut être dramatique, ces mouvements de quelques médecins à gauche à et à droite. Quand on a un département de médecine d'urgence qui comprend seulement 12 médecins, s'il y en a deux qui s'en vont, ça fait un impact important. Donc, les régions sont particulièrement inquiètes de voir qu'est-ce qui va arriver au lendemain d'un projet de loi n° 20, comment les médecins vont sauver leur peau, et qu'est-ce que ça va donner sur la qualité des soins, et qu'est-ce qui va rester dans les urgences.

Mme Lamarre : Merci. Je vais laisser la parole à mon collègue député de Rosemont.

Le Président (M. Tanguay) : Oui. Alors, collègue député de Rosemont.

M. Lisée : Oui, bonjour, bienvenue. Ce matin, un ancien ministre libéral de la Santé, M. Claude Castonguay, a publié dans un quotidien, dans La Presse, un extrait d'un ouvrage à paraître où il assimile les propositions de réforme de son successeur actuel à des changements apportés... «...ses projets de loi s'inspirent [...] de pays comme la Chine et l'URSS. Ils procèdent d'une pensée autoritaire hiérarchique, une orientation vouée à l'échec.» Je ne vous demanderai pas de commenter cette partie, mais je vais demander de commenter la conclusion. Il explique que, puisque les réformes proposées ne conduiront pas à davantage d'accès, comme dans ces régimes, les citoyens vont quand même tenter d'«obtenir les services nécessaires de la part de médecins désengagés, par favoritisme et au moyen d'expédients de toutes sortes». Et il conclut : «Ce processus est d'ailleurs malheureusement déjà engagé.» Est-ce que c'est également votre lecture?

M. Mathieu (Bernard) : Je ne sais pas comment répondre à votre question. C'est certain qu'actuellement les médecins sont quand même engagés envers leur clientèle et tout. Ce qui me fait plus peur, moi, c'est qu'est-ce que ça va avoir l'air dans quelques semaines, là, ou quelques mois, qu'est-ce qu'on va faire avec cette loi n° 20 si elle devient une réalité, c'est ça qui m'inquiète beaucoup plus.

Actuellement, je pense qu'il y a des progrès au niveau de l'accessibilité, il y a des progrès au niveau des interventions multidisciplinaires et tout, là, on voit que ça a aidé quand même beaucoup, là, tous ces nouveaux médecins qui sont arrivés sur le marché du travail depuis une dizaine d'années, au point même que les AMP, qui étaient créées pour résoudre un problème de pénurie de médecins aiguë dans les urgences, ce n'est plus vraiment le problème, sauf peut-être dans les régions où, justement, il y a moins de médecins. C'est pour ça que nous, on voit d'un oeil favorable que les AMP soient modifiées, diminuées et peut-être même abolies carrément, dépendamment des structures régionales.

M. Lisée : Vous avez indiqué que le dépôt du projet de loi crée quand même un contexte d'accélération de la discussion publique, y compris de la part des médecins. Vous avez cité le premier ministre qui évoque la possibilité de ne pas légiférer alors qu'on est en train de discuter d'un projet de loi.

À votre avis, si le ministre décidait de créer une table ronde, ou des états généraux, ou de dire : Bon, bien on va se réunir, on va faire un appel de propositions, qu'à coût nul on va essayer de trouver la solution aux 2 millions de Québécois qui n'ont pas accès à des médecins de famille, croyez-vous qu'un processus comme celui-là pourrait arriver à une entente consensuelle d'ici juin?

M. Mathieu (Bernard) : Oui, j'en suis convaincu. Je pense que c'est ça que les médecins demandent depuis un certain temps déjà, un dialogue, quelque chose de constructif, et on peut mettre plus de choses sur la table et on peut discuter de questions de rémunération, on peut discuter de toutes sortes de choses dans un travail collaboratif dans des états généraux, ce qu'on ne peut pas faire avec une loi, et puis un projet de loi, et des commissions parlementaires.

M. Lisée : Comme contribuables, on a quand même l'impression, et c'est vrai pour les spécialistes puis c'est vrai pour les médecins généralistes, que, bon, vous êtes formés pour rendre les services, vous êtes dévoués, vous travaillez très fort, vous êtes formés pour ça, vous êtes bien payés, et que constamment on doit vous donner des primes pour faire ce qui doit être fait, on a constamment cette impression-là, et que les sommes sont considérables. Et effectivement il y a eu des éléments de coercition, comme pour les AMP, qui ont toujours suscité beaucoup de résistance. Est-ce que vous pensez que la profession médicale a une part de responsabilité dans le fait que l'offre de services n'est pas optimale en ce moment?

M. Mathieu (Bernard) : Écoutez, je pense que tout le monde est responsable quelque part, c'est certain qu'on ne peut pas nécessairement se laver les mains et puis dire : C'est la faute à l'autre, là. Je pense que justement l'essence même d'un travail de collaboration, c'est de rechercher les éléments positifs dans chacun des corps de métier pour solutionner le problème d'accès. Ça fait que, de ce côté-là, moi, je pense que tout le monde doit travailler main dans la main là-dessus, là.

M. Lisée : Très bien.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, vous avez respecté tout à fait le temps. Je cède maintenant la parole au collègue député de Lévis pour 7 min 30 s.

• (12 h 40) •

M. Paradis (Lévis) : Merci, M. le Président. Merci, Dr Mathieu, d'être ici, et M. Fiset. Moi aussi, je suis du genre à avoir entendu à travers votre mémoire et lu à travers votre mémoire des pistes de solution, bizarrement, parce qu'on dit qu'il y en a peu. Je sais que vous avez échangé, le ministre et vous, sur les débuts de vos carrières respectives puis sur les échanges professionnels et votre vision d'un monde idéal en médecine, mais on revient, parce qu'on est en 2015, sur le p.l. n° 20, et j'en vois, moi, des pistes de solution. Et je lis surtout des inquiétudes également puis je vais aussi vous donner l'occasion d'en citer quelques-unes, dans la mesure où le projet serait adopté dans sa forme actuelle, parce que vous en manifestez.

Mais je reviens juste avant sur un dossier important, celui des AMP, parce que vous le décrivez comme étant une solution potentielle. D'ailleurs, je vous dirai qu'à ce chapitre-là le ministre se rappellera qu'en 2012 il était partie prenante de cette solution-là. Je pourrais lui demander s'il s'en rappelle, oui ou non, mais je pense qu'il dirait oui. Merci.

Dr Mathieu, les gens craignent, quand on parle d'une abolition potentielle des AMP progressivement, la difficulté potentielle pour des régions, c'est-à-dire qu'on craint la découverture, par exemple. Pourriez-vous développer un peu sur ce thème-là? Parce que vous dites aussi que c'est faisable. Vous nous dites également... et vous me corrigerez, mais moi, je comprends qu'actuellement des médecins omnipraticiens qui travaillent en urgence, même si on abolissait cette obligation-là, choisiraient de continuer à travailler en urgence, il y en a qui en font leur pratique et désirent continuer à en faire leur pratique, et, si je comprends aussi vos propos, le fait de les maintenir et d'obliger un quota met mal à l'aise aussi des urgentologues, qui se sentent mal pris d'être obligés de faire du bureau alors qu'ils sont dissociés de cet environnement-là depuis longtemps.

Revenons sur les régions. Est-ce que cette crainte, elle est légitime pour les régions? Et comment vous voyez ça dans une abolition potentielle des activités médicales particulières?

M. Mathieu (Bernard) : Oui. Effectivement, comme je l'ai mentionné tantôt, les régions sont peut-être un endroit plus sensible à l'effet des AMP. C'est pour ça qu'il faudrait être prudent, lorsqu'on va vouloir réduire les AMP, puis voir où est-ce que c'est facilement applicable et où est-ce que ce ne l'est pas.

Dans les établissements à Montréal — c'est ceux que je connais le mieux — en général c'est plutôt le contraire qu'on a en ce moment, on a plutôt des médecins qui cherchent à travailler dans l'hôpital, mais il n'y a pas plus de place, les postes sont tous comblés, et donc, tu sais, le besoin d'une coercition pour faire travailler plus de médecins, les jeunes médecins gradués dans les hôpitaux n'est plus vraiment là. Par contre, en région, je pense que c'est encore quelque chose d'important à garder en tête, donc il va falloir moduler ça. Et puis ça ne peut pas être mur à mur venant d'en haut, qu'on décide boum! c'est comme ça. Il faut que ce soit modulé selon les différentes régions et selon les besoins spécifiques des clientèles.

M. Paradis (Lévis) : Alors, revenons et gardons votre vision des choses, parce que c'est une des solutions, et il y en a d'autres, là, que vous présentez. Comment on corrige ou on évite la problématique dont vous me parlez? Puis qu'est-ce qui fait que, de fait, si à Montréal il n'y a plus de place, en région un jeune médecin qui serait obligé de faire de l'établissement ne décide pas de faire de la pratique en établissement sa pratique primordiale ou première?

M. Mathieu (Bernard) : Bien là, il peut y avoir des questions de préférences personnelles. Puis c'est ça qu'on n'a pas, on n'a pas cette possibilité-là dans les AMP actuelles. On ne peut pas décider que moi, j'ai gradué en médecine familiale, j'aime la pratique en bureau et je vais faire exclusivement du bureau, on ne peut pas faire ça en ce moment avec les lois actuelles, il faut faire de l'établissement. De la même façon, quelqu'un qui finit, qui dit : Ah! moi, je veux faire juste de l'urgence à Rivière-Rouge ou ailleurs, il peut le faire parce que c'est en établissement, mais l'inverse n'est pas vrai pour celui qui veut faire de la prise en charge. Et puis ils se retrouvent aussi, en région, avec des problèmes dans les établissements, mais ils ont des problèmes d'accès en première ligne aussi, là. C'est important, il y a beaucoup de patients qui n'ont pas de médecin de famille également en région.

Donc, si on n'essayait pas de contraindre tout le monde à faire un petit peu à gauche, un petit peu à droite, puis qu'on laissait un petit peu plus... un peu plus de liberté, les gens iraient là où ils ont des affinités. Puis ça permettrait une prise en charge maximale, une expertise maximale aussi, parce que, quand vous éparpillez vos expertises, bien forcément vous en avez un peu moins. Et ça permettrait sûrement, je pense, d'avoir une meilleure satisfaction au niveau des médecins, et donc une meilleure satisfaction au travail, et donc une meilleure qualité de soins.

M. Paradis (Lévis) : Et, compte tenu des effectifs, parce qu'on en a beaucoup parlé, on est à 9 200 quelques médecins omnipraticiens pour presque 10 000 médecins spécialistes, et que cette couverture-là, ce nombre de médecins là qui a grimpé fait en sorte qu'en principe il ne devrait pas y avoir de problème d'accessibilité, êtes-vous en train de me dire que, si on laissait la liberté aux médecins de gérer leur pratique avec les solutions que vous apportez, on n'aurait pas besoin d'un projet de loi n° 20, que vous jugez être extrêmement punitif et coercitif?

M. Mathieu (Bernard) : Je vais commencer avec votre dernière phrase. Je pense qu'on n'a pas besoin d'un projet de loi n° 20.

Maintenant, je vais juste revenir un petit peu en arrière. Les AMP, ce n'est pas la même chose que les plans régionaux d'effectifs médicaux, O.K., donc il y a une nuance ici. Les AMP vous disent établissement par rapport à la première ligne ou au bureau. Les PREM vont dire : Bien, vous allez aller dans la région de Mauricie—Bois-Francs, par exemple, ou la région de la Capitale-Nationale. Ça, c'est les PREM. Donc, c'est deux choses différentes. Alors, les PREM vont servir à la répartition régionale des médecins pour que justement des régions ne soient pas appauvries en médecins, alors que les AMP vont dire : Bien, vous travaillez là ou là dans la même région. Donc, je pense que c'est deux éléments qui jouent différemment dans l'équilibre.

M. Paradis (Lévis) : Mais dans les deux cas il y a des choses à revoir.

M. Mathieu (Bernard) : Oui, probablement. Écoutez, les PREM, c'est important, là, on ne peut pas non plus dire que les régions doivent être déshabitées pour que tout le monde travaille à Montréal ou à Québec, je pense que c'est important. Mais, d'un autre côté, dans les nouveaux médecins, j'en connais beaucoup qui sont intéressés à aller travailler à Maria, à Dolbeau, et tout ça. Donc, ce n'est pas... Tu sais, je pense que partout il y a un bénéfice d'avoir eu un grand nombre de gradués dans les dernières années.

M. Paradis (Lévis) : Je reviens sur des éléments parce qu'à travers ceux qui nous regardent ou nous écoutent il y a aussi des usagers qui souhaitent voir un médecin, qui se rendent aux urgences, qui souhaitent vous rencontrer, etc., ils ont des préoccupations en fonction d'un projet de loi parce que l'accueil de ceux qui devront le mettre en pratique, des médecins, est important. Et vous parlez même de qualité de soins et de sécurité des patients. Vous dites qu'il y a des médecins d'urgence qui sont inquiets parce qu'ils se sentent mal à l'aise avec la prise en charge en bureau. Vous parlez du nombre d'heures d'activité en clinique minimal par rapport au travail que vous avez à faire. Vous avez même dit que vous craignez que des médecins délaissent la formation continue ou en tout cas soient moins attentifs parce qu'on n'aura plus ni la motivation ni le temps de le faire. C'est important.

M. Mathieu (Bernard) : C'est important, parce que, là, quand on veut contraindre les médecins...

Le Président (M. Tanguay) : ...secondes encore. Merci.

M. Mathieu (Bernard) : Pardon?

Le Président (M. Tanguay) : Pour 30 secondes encore.

M. Mathieu (Bernard) : 30 secondes. Le 36 heures, c'est la norme que M. Barrette a mise sur papier pour dire que 36 heures, c'est le minimum que vous devez faire pour ne pas être obligé de faire de la prise en charge. Alors, nous, les médecins d'urgence à temps complet qui ne faisons pas de prise en charge et qui ne voulons pas en faire, comment on va s'en sortir? 36 heures, c'est invivable, on ne peut pas faire 36 heures de temps clinique. Et, si on fait ça, bien on ne fait plus rien d'autre, c'est ça que ça veut dire.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Merci. Nous cédons maintenant la parole à notre collègue de Mercier pour trois minutes.

M. Khadir : Merci, M. le Président. Je ne sais pas comment aborder ce sujet, mais je prends quand même un risque. Les personnes qui sont très compétentes, qui ont beaucoup de capacités puis en plus un succès, parfois il y a un danger qui les guette, ils en viennent à croire qu'ils ont la réponse à tout et parfois envers et contre tous, que tout le monde a tort et qu'ils sont les seuls à avoir raison, et ça complique la possibilité d'accepter des solutions qui viennent d'ailleurs.

On a entendu le ministre récemment, à travers un article de journal, dire qu'à date, dans tout ce que j'ai entendu, il n'y a personne sauf moi qui a proposé des solutions pour régler le problème d'accessibilité. Ma collègue en a fait mention, pourtant nous avons beaucoup, beaucoup, beaucoup entendu de solutions. Le ministre dit : Si ça devait marcher, ça aurait fonctionné, mais le problème... Ce n'est pas parce qu'il y a eu des solutions que les gens ont faites puis que ça a été appliqué que ça n'a pas marché, c'est exactement le contraire. C'est que, depuis 1998, il y a eu au moins cinq réformes de la santé mais toujours imposées par le ministre, qui pensait avoir raison, qui pensait avoir la solution. Bien que des associations comme les Médecins québécois pour le régime public, l'association québécoise des médecins de famille, La Coalition des médecins pour la justice sociale, dont l'actuel premier ministre comme moi était membre, on a fait des solutions... Oui, oui, je vous... Mon cher collègue, tu n'es pas au courant.

Le Président (M. Tanguay) : Sans s'interpeller, collègue de Mercier.

• (12 h 50) •

M. Khadir : Oui, très bien. Ce que je veux dire : Depuis 15 ans, on fait des propositions, mais, les ministères, en fait, ce qui aujourd'hui fait que l'adage d'Einstein s'applique, c'est qu'en fait toutes ces réformes-là ont été appliquées par en haut, seulement en consultant les fédérations médicales, qui avaient des intérêts financiers, et leur dialogue tournait alentour de la question salariale et certaines conditions de confort des médecins et non pas axé sur les besoins d'accès aux premières lignes. Donc, c'est sûr que, si le ministre répète la même erreur, c'est-à-dire applique sa solution sans mobiliser les meilleurs acteurs, sans mettre ensemble tout le monde, sans trouver des solutions qui ont fait leurs preuves ailleurs, bien ça va être encore un autre échec, le principe d'Einstein va s'appliquer, parce que ce ministre s'entête à appliquer exactement la même recette que toutes les autres, quatre autres réformes qui ont été appliquées depuis maintenant, quoi, tout près de 15 ans.

Je voudrais, dans le temps qu'il nous reste, que vous nous disiez si les... Bien, c'est parce que, là, le ministre essaie de vous faire dire que, dans le fond, nos solutions n'en sont pas juste parce que lui, il ne veut pas les entendre, hein? Je ne veux pas lui imputer d'intentions, mais c'est ce qu'il a dit dans le journal, c'est qu'il n'y a aucune autre proposition que les siennes. Bien là, dites-moi votre solution principale, répétez-le-nous avant la fin de votre intervention.

Le Président (M. Tanguay) : Cinq secondes.

M. Mathieu (Bernard) : L'accès avancé en première ligne, les groupes de médecins de famille, l'informatisation du réseau, ce sont les trois choses qui vont aider au niveau de...

Le Président (M. Tanguay) : Merci. Merci beaucoup, merci beaucoup. Alors, nous vous remercions, représentants de l'Association des médecins d'urgence du Québec.

Nous suspendons quelques instants.

(Suspension de la séance à 12 h 51)

(Reprise à 12 h 53)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous poursuivons nos consultations et nous recevons ce matin les représentantes du Conseil du statut de la femme. Alors, bienvenue à votre Assemblée nationale. Vous disposez d'une période 10 minutes pour faire votre présentation, s'ensuivra une période d'échange avec les parlementaires, et nous vous demandons de bien vouloir vous identifier pour les fins d'enregistrement, de vous nommer ainsi que de nous mentionner vos fonctions. Alors, la parole est à vous.

Conseil du statut de la femme (CSF)

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Merci. Merci beaucoup. Donc, Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme. À ma gauche, Sarah Jacob-Wagner, qui est chercheuse au Conseil du statut de la femme, et, à ma droite, Marie-Andrée Lefebvre, qui est adjointe exécutive à mon bureau. Donc, merci de nous avoir invitées à cette commission parlementaire.

Je commencerai en disant que, de notre point de vue, le manque d'accès des malades aux médecins de famille est criant. Nous jugeons aussi que le statu quo est totalement inacceptable et on pense que le gouvernement doit intervenir au nom des malades, qu'on n'entend pas beaucoup.

Donc, je vais passer vite sur les problèmes d'accessibilité aux médecins de famille, je pense que vous les connaissez. On a plus de médecins, par exemple, qu'en Ontario, mais il y a moins de Québécois qui ont un médecin de famille, et surtout il y a moins de Québécois qui sont capables de voir leurs médecins de famille, ce qui est quand même une donnée importante quand on est malade. Nos résultats sont mauvais, sont les pires dans les études du Commonwealth Fund et les pires au Canada. Donc, le portrait est peu reluisant. Et on s'y est intéressés parce que cet accès assez mauvais aux médecins de famille a un impact particulièrement négatif sur les femmes. Pourquoi, allez-vous me dire? Pour plusieurs raisons, mais notamment parce que les femmes sont plus que les hommes les proches aidantes, à 60 % en général, mais à 75 % ce sont des femmes quand on parle de principal aidant, proche aidante. Donc, quand il manque de médecins, que se passe-t-il, quand, c'est-à-dire, on n'a pas accès à un médecin de famille? Ça veut dire que la proche aidante qui s'occupe de son proche doit passer des heures d'attente dans des cliniques sans rendez-vous, des heures d'attente à l'urgence. Et, pendant qu'elle fait ça, elle ne travaille pas, elle ne s'occupe pas de sa famille. Bref, il y a des conséquences en cascade à ce manque d'accès aux médecins de famille, et évidemment, pour les femmes proches aidantes, stress, fatigue, tout le reste suit.

Donc, on considère que c'est un problème important. Pour cela, nous sommes en accord avec deux des grandes orientations de la réforme proposée par le gouvernement, soit l'exigence de la prise en charge réelle d'un certain nombre de patients et l'incitatif à modifier les pratiques afin de favoriser ce que vous appelez... moi, ce que j'appelle un accès ouvert aux médecins de famille, surtout pour les patients les plus vulnérables. Bref, quand on a un médecin de famille, il faudrait pouvoir le voir dans des délais raisonnables, et des délais raisonnables, c'est de un à trois jours. Tout comme les autres travailleuses et travailleurs de la santé, les médecins doivent avoir la responsabilité de prendre en charge un certain nombre de patients. Les médecins ne sont pas de véritables travailleurs autonomes, de notre point de vue, puisqu'ils sont à 100 % rémunérés par l'État, leur emploi est garanti, et, en échange de revenus stables et élevés — on parle ici de revenus moyens de 264 000 $ pour l'ensemble de la profession — nous croyons que le corps médical doit s'assurer de donner aux patients des rendez-vous à l'intérieur de délais raisonnables.

Bien sûr, comme l'a dit l'opposition, il y a beaucoup d'inconnues en ce moment dans ce projet de loi. Nous allons être très intéressés par, justement, ce fameux règlement parce que, de notre point de vue, il est important que la pondération et la rémunération tiennent compte, ce qui n'est pas le cas actuellement, pas assez en tout cas, de la complexité des cas et de la vulnérabilité des patients, parce qu'en effet, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, un cas complexe nécessite plus de temps et devrait donc être pondéré à plus qu'un cas moins complexe. Et tout cela serait évidemment pour éviter ce qu'on a en ce moment, c'est que des médecins, pour justifier qu'ils prennent en charge les patients, leur donnent rendez-vous une fois par année pour faire un examen général. Or, on le sait, les études montrent que ce type de pratique de médecine n'améliore pas de façon générale la santé. Donc, on voudrait que ça soit plus payant de soigner des patients très malades, et notamment les patients à domicile. Et je précise ce point-là parce que nous sommes une société vieillissante, les femmes meurent moins vite ou vieillissent plus longtemps que les hommes, donc éventuellement il faudrait aller voir ces femmes à domicile si on ne veut pas qu'elles remplissent nos institutions. Et en plus les gens veulent mourir chez eux, donc encore faut-il qu'il y ait des médecins qui aillent les voir, pas seulement des infirmières.

Je vais vous parler d'une question plus délicate qui est venue à notre attention parce qu'on est le Conseil du statut de la femme. Nous avons reçu beaucoup de courriels et de demandes de médecins femmes pour nous prononcer sur la réforme de M. Barrette. On a réfléchi beaucoup à cette question, parce que vous imaginez bien que, pour un conseil féministe, ce n'est pas une question facile, et voici l'objet de notre réflexion.

Il est vrai que les femmes médecins gagnent en moyenne 79 % du salaire des hommes... pas du salaire, du revenu, donc leurs revenus sont plus faibles, ce qui est à peu près vrai dans beaucoup de professions au Québec. On parle d'une différence de 174 000 $ en moyenne pour les femmes et de 220 000 $ pour les hommes. Pourquoi cette différence de revenus? Plusieurs hypothèses, bien sûr, mais l'une d'entre elles, qui est plutôt réaliste, est que les femmes portent les enfants et donc arrêtent après, avant, ça dépend des situations, donc travaillent moins d'heures à cause des charges familiales et pas seulement parce qu'elles portent les enfants, parce que la société est toujours ainsi faite que les femmes consacrent plus de temps que les hommes aux tâches familiales et domestiques. On essaie, bien sûr, de changer ça, au conseil.

Donc, on se demande aussi si les femmes médecins orientent leur pratique différemment, mais je vous avoue qu'on n'a pas forcément les chiffres, on a essayé de les avoir, pour être capables de documenter cela. Mais ce qui est clair, c'est que, si les femmes travaillent moins d'heures, il est à craindre que le modèle proposé par le gouvernement, soit les quotas, pénalise davantage les femmes médecins que les hommes. Donc, d'un point de vue féministe, on ne peut que déplorer ce fait.

• (13 heures) •

Idéalement, la possibilité d'effectuer moins d'heures rémunérées sans pénalité, surtout pour des raisons d'articulation famille-travail, devrait être possible pour l'ensemble des travailleuses et des travailleurs, mais malheureusement ce n'est pas le cas en ce moment, ni dans le secteur privé ni dans le secteur public les femmes n'ont le droit d'exiger de leur employeur de travailler à temps partiel après leur congé de maternité. Au contraire, je pense notamment dans le cas des infirmières, le travail de nuit ou de fin de semaine fait partie de la donne. Donc, comment trancher? Après mûre réflexion, le conseil choisit de prioriser un meilleur accès des femmes aux services de santé en première ligne plutôt que de défendre le droit d'un certain groupe professionnel gagnant des revenus élevés de réduire substantiellement ses heures de travail. Par contre, et ça, je tiens à le dire, nous voulons que le 12 mois de congé de maternité de même que les congés de maladie des hommes et des femmes soit pris en compte dans ces fameux calculs qui vont permettre d'y aller pour l'assiduité.

Est-ce que j'ai fait mon 10 minutes? Je peux continuer?

Le Président (M. Tanguay) : Non, vous poursuivez, je vous en prie, il vous reste plus de deux minutes.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Procréation assistée, rapidement sur cette question-là. Vous le savez, historiquement le Conseil du statut de la femme a beaucoup travaillé sur cette question, notamment dans les années 80, quand Francine McKenzie était la présidente, et on a toujours eu, au conseil, pas mal de réticences face à ces techniques à cause des dérives possibles, à cause de l'utilisation du corps de la femme. Bref, on a pris un certain recul, mais je veux vous citer une phrase de Mme McKenzie qui dit bien encore où on se situe sur ces questions-là : «Nous souscrivons au désir d'enfants mais pas à l'idée du droit à l'enfant, qui impliquerait que la science, la technique et l'État ont l'obligation de produire un enfant.» Donc, pour cela, le conseil n'est pas opposé à l'idée de mettre fin à la gratuité dans la procréation médicalement assistée. On l'a dit il y a deux ans, on le répète, il y a sans doute d'autres priorités, pour nous, qui sont plus pressantes. Nous pensons notamment aux femmes vieillissantes chez elles, à différents problèmes de santé aigus qui devraient sans doute avoir la priorité, étant donné que les budgets diminuent.

Donc, nous avons par contre demandé la gratuité de ces techniques pour les moins nantis, les plus pauvres, le projet de loi répond en partie à cette demande. Toutefois, nous avons deux grandes réserves face à ce projet de loi. Tout d'abord, la séquence dans laquelle ces différentes techniques doivent être données, nous trouvons que c'est un peu arbitraire, il y a plusieurs parcours, de notre point de vue, quand on rentre en procréation médicalement assistée. Et la stimulation ovarienne, notamment, doit-elle ou non venir avant l'insémination artificielle? Bref, plusieurs solutions, plusieurs parcours, et nous trouvons que ce n'est pas le gouvernement mais plutôt les médecins qui doivent décider du meilleur parcours pour les femmes, parce qu'il y a des cas un peu absurdes qui pourraient se passer : exiger une période minimale de relations sexuelles pour les femmes dont les trompes de Fallope sont complètement obstruées, pour les femmes célibataires et finalement pour les couples de femmes. Ça peut être long, faire un enfant, quand on est un couple de femmes, donc...

Finalement, l'interdiction de la fécondation in vitro pour les femmes de 42 ans et plus, là-dessus nous ne comprenons pas tout à fait la logique du gouvernement. Nous sommes d'accord avec le fait que le gouvernement a tout à fait le droit de ne pas rembourser les femmes de 42 ans et plus qui tiennent à faire l'essai de la fécondation in vitro puisqu'on le sait, ces essais-là sont beaucoup moins susceptibles de donner des résultats, un bébé, en l'occurrence, que quand elles sont plus jeunes. Toutefois, nous trouvons que cette limite absolue est inacceptable dans la mesure où à 42 ans il y a encore des possibilités d'être enceinte, et, de notre point de vue, il faut laisser aux femmes le droit d'aller en médecine privée quand elles veulent obtenir cette technique de la même façon que les hommes et les femmes ont le droit d'aller se faire poser une hanche en médecine privée au Québec.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, avec l'accord du ministre, nous vous avons permis d'excéder d'une minute le temps alloué, alors de 19 minutes maintenant je cède la parole pour 18 minutes à un échange entre vous et le ministre. Merci.

M. Barrette : Alors, merci, M. le Président. Alors, Mme Charron, Mme Jacob-Wagner et Mme Miville-Dechêne, merci d'être ici aujourd'hui. Et je vous dirai d'emblée que vous nous faites une présentation assez extraordinaire, au sens où vous avez manifestement réfléchi abondamment à la problématique et vous l'abordez d'une façon extrêmement intéressante et, je vous dirais, je vous le dis spontanément, là, surprenante. Et je trouve ça vraiment très intéressant, puis là je regrette d'avoir juste 17 minutes. Alors, je vais aller directement aux questions ou commentaires que soulève votre présentation.

Juste peut-être un ou deux commentaires, là. Pour ce qui est des relations sexuelles, évidemment, là, on parle ici des gens qui n'ont pas un diagnostic d'obstruction tubaire, là, puis les couples de même sexe, là, ça allait de soi, mais je comprends que peut-être que notre texte n'était suffisamment clair, et il sera clarifié, on le vérifiera pour la PMA. Mais je reviendrai à la PMA en premier... en deuxième, je reviendrai dans le même ordre que vous avez fait votre présentation, parce que vous avez abordé des éléments qui sont assez intéressants.

Évidemment, quand vous dites que vous visez une prise en charge réelle, est-ce que je comprends que réelle, ce que vous signifiez, ce n'est pas juste une inscription, il faut voir le patient?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Ah! tout à fait. Il y a une très grande différence. Je l'ai moi-même expérimenté, nous avons fait une recherche en 2013 sur cette question. La prise en charge réelle, ça ne veut pas seulement dire qu'on inscrit le patient, mais ça veut dire qu'on peut le voir, en tout cas de la façon dont on le comprend, en accès ouvert, c'est-à-dire que, si le patient est malade, on le voit. Et la définition de l'accès ouvert, c'est de un à trois jours, si je me rappelle bien, ce qui veut dire un changement de pratique énorme pour les médecins parce que, plutôt que «booker», comme on dit en anglais, d'avance leurs rendez-vous pendant des jours, des semaines, des mois, ils sont obligés de laisser de grandes plages ouvertes pour pouvoir voir les malades qui sont malades le matin même. Parce qu'on ne peut pas prévoir sa maladie. C'est tout le problème de cette pratique qui est basée sur une prise de rendez-vous des mois d'avance, ça ne marche pas. Alors, effectivement, il faut qu'ils changent leur pratique.

C'est sûr que c'est une pratique plus complexe, moins confortable, parce qu'on arrive le matin, puis il y a juste la moitié de notre journée qui est remplie, mais c'est ce genre de flexibilité dont on a besoin pour que les patients malades ne se retrouvent pas dans les cliniques sans rendez-vous, où ils voient des médecins qui ne sont pas les leurs, qui ne connaissent pas leurs prescriptions, ou alors carrément à l'urgence. Pour nous, ça nous semble faire du sens, et particulièrement, comme je vous le dis, parce que, comme on parle au nom, entre guillemets, ou pour les femmes, comme elles consultent davantage à cause du fait que ce sont elles qui portent les enfants et parce qu'elles vieillissent plus, il y a encore une différence d'âge dans la mortalité, elles sont au premier chef concernées par cette accessibilité. Et en plus elles s'occupent des proches vieux, malades, compliqués qu'il faut amener voir le médecin, alors c'est plus simple d'avoir un rendez-vous pour amener son proche chez le médecin de famille que d'aller attendre des heures quelque part. Donc, oui, on demande un changement de pratique.

Et, entendons-nous — je veux faire des nuances — l'accès ouvert existe déjà dans un certain nombre de cliniques, mais il n'existe pas partout. Et particulièrement je vous dirais que, dans les GMF, c'est assez incroyable d'en voir où il n'y a pas de service offert le soir, la fin de semaine. Malheureusement, les gens travaillent, la journée en particulier, donc il faut que les médecins s'entendent pour avoir des rotations pour couvrir les plages horaires.

M. Barrette : Bien, d'abord, je vous remercie de me rappeler à l'ordre sur le plan linguistique, parce que j'utilise toujours «accès adapté» parce que c'est le mot utilisé par les médecins couramment, mais, vous avez raison, le bon terme en français, c'est plutôt «accès ouvert», vous avez tout à fait raison. Et on en fait la promotion, et je suis d'accord avec vous. Et même que j'irais plus loin : C'est très, très, très peu exercé, même si c'est une façon de faire la médecine qui remonte aux années 40, 50, imaginez. Mais le corps médical, malheureusement, ne l'a jamais adoptée, et là je pense que ça devrait être comme le temps.

Et vous m'avez beaucoup, beaucoup surpris en affirmant... Et là je comprends que c'est vraiment une position que vous prenez, que le rendez-vous périodique, l'annuel, là, ça... Là, je suis d'accord avec vous, hein, je veux juste...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Oui, mais nos réflexions ne sont pas basées sur des opinions, là...

M. Barrette : Non, non, je comprends. Oui, oui.

• (13 h 10) •

Mme Miville-Dechêne (Julie) : ...nous avons des études en 2013 qui disent que ce type de médecine, c'est-à-dire de voir quelqu'un une fois par année pour renouveler ses prescriptions, ça ne change rien à l'état de santé des patients. D'ailleurs, c'est aussi vrai... aussi on a des études qui montrent que ce n'est pas parce qu'on voit un patient plus longtemps que ça a un effet forcément sur la santé, c'est des études larges, là, et l'inverse non plus, ce n'est pas parce qu'on voit un patient plus souvent que ça a aussi un effet sur la santé, alors c'est difficile de prendre des études pour essayer de prouver ce qu'on veut prouver.

M. Barrette : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Vous avez aussi... Et ça, c'était impressionnant de la manière que vous l'avez dit, puis je voudrais qu'on revienne un peu là-dessus. Vous avez parlé de la pondération et, de la manière que vous en avez parlé, vous en avez parlé d'une telle manière que, pour vous, là, pondérer, dans une pratique, ce n'est pas vraiment un problème, ça se fait.

Maintenant, sur la faisabilité de la pondération ou plutôt les pondérations elles-mêmes, est-ce que vous avez des suggestions à nous faire? Parce que, quand on dit «pondération», évidemment, on considère qu'un patient peut-être comme vous et moi, là... Je présume que vous êtes en santé, et que nous n'avez pas de maladie chronique, et que... Vous m'avez l'air en forme. Maintenant, versus une personne qui est grabataire, là, on a une pondération. Est-ce que vous avez des commentaires ou une réflexion qui vous a menés à des commentaires... pas des commentaires mais des suggestions plus spécifiques de pondération? Ça m'intéresse beaucoup.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bon, je ne suis pas médecin, là, et on n'est pas des experts tout à fait dans ce domaine-là.

M. Barrette : ...quand même je vois que vous avez réfléchi pas mal.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : D'abord, je veux quand même préciser que, quand je parle des médecins et des femmes médecins, on ne doit jamais généraliser. On a un problème large parce qu'on a un manque d'accès, mais il y a évidemment des médecins qui déjà sont en accès ouvert, qui déjà font ces pratiques-là. Donc, on parle en moyenne ici, je voulais préciser cette chose.

Par ailleurs, la pondération, c'est extrêmement important, parce qu'on a vu dans le passé que les médecins répondent notamment à des critères de rémunération pour changer leur pratique. Le cas des AMP est un cas vraiment intéressant, où on a vu, justement, qu'il y a des médecins qui en faisaient 12 heures, puis là, tout à coup, ils n'en faisaient plus 12 heures, ils en faisaient 26, 36, tant et aussi bien qu'à Montréal les jeunes spécialistes ne trouvent pas de job parfois dans les hôpitaux parce que les médecins généralistes y sont et aiment ça. Alors, c'est très bien, sauf que, comme ils sont là, ils ne sont pas en cabinet, et on a moins de médecins de famille. Je schématise, là, mais il y a un peu de ça à Montréal.

Donc, oui, on doit avoir une pondération spécifique. Et je pense notamment aux visites à domicile, parce qu'on le sait, quand les médecins font des visites à domicile, il faut qu'ils se déplacent d'un endroit à l'autre, ils rentrent dans l'intimité des gens, parfois c'est plus complexe, la famille est là, donc je considère que la pondération actuelle défavorise grandement les visites à domicile. Et malheureusement je dois vous dire que, un peu comme ce qui a été dit tantôt, le fait que les fédérations... que vous donniez une enveloppe budgétaire plutôt énorme aux fédérations et que toutes ces pondérations sont décidées par la fédération, il me semble qu'il est plus que temps de revoir cela, parce que la fédération me semble parfois en conflit d'intérêts entre l'intérêt du public et l'intérêt des personnes qu'elle représente, c'est-à-dire les médecins. Donc, oui, c'est plus compliqué, faire des visites à domicile, c'est moins agréable, on entre dans des endroits qui ne sont pas toujours d'une grande salubrité, qui peuvent être difficiles, on sort de sa zone de confort, mais, oui, il faut que les médecins, comme dans beaucoup d'autres pays au monde, aillent à domicile voir les patients qui ne peuvent pas se déplacer. C'est ça, la médecine. Ça devrait être ça, ça a déjà été ça, et on pourrait, avec une pondération ou une rémunération, remettre ce genre de pratique, entre guillemets, à la mode, parce que maintenant, vraiment, les jeunes médecins qui sortent des facultés ne veulent pas faire cette pratique.

M. Barrette : Écoutez, un peu pour aller dans votre sens, parce que vous avez des questionnements, puis je pense que vous vous attendez à avoir un peu des réponses du ministre, là, de moi en particulier, moi, je suis d'accord avec vous et je pense qu'il doit y avoir des pondérations très significatives pour ce type de clientèle là et, je dirais, entre autres les clientèles très vulnérables, soins palliatifs, fin de vie, perte d'autonomie. Et ça peut aller jusqu'à un pour 25, là. Par exemple, moi, j'ai visité un milieu où on applique ça à la lettre, ce comportement-là d'accès ouvert et de prise en charge, qui est le CLSC Verdun—Sud-Ouest, en conjugaison avec les activités hospitalières, et c'est le modèle, hein, pour moi, là, c'est un modèle à disséminer dans le réseau. Et moi, je pense comme vous qu'il doit y avoir une pondération. Moi, je peux compter pour un, mais une personne en fin de vie ne peut pas compter pour un, là, il faut que cette personne-là compte pour beaucoup plus, et ça permet, à ce moment-là, aux médecins d'adapter leur pratique... même pas d'adapter leur pratique, de reconnaître dans leur pratique sans être pénalisés en quota. Alors, on comprend que, si j'avais une pondération — là, je dis des chiffres comme ça, là — de un pour 10, bien, si on en demande 1 000, bien ça en prend 100, de ces patients-là, pour répondre aux critères. Ça, le principe de pondération, je comprends de votre commentaire que vous voyez ça comme étant faisable et nécessaire de façon à ce qu'on reconnaisse ça. Moi, je suis tout à fait d'accord avec vous.

Puis je veux juste vous donner une information. Dans la loi, il y a une provision dont personne ne parle, évidemment, parce que c'est plus facile de parler des règlements que de cet élément-là. Vous avez raison sur un point, mais vous avez vraiment raison : la problématique des fédérations, c'est que parfois elles refusent de payer correctement certains profils de pratique parce que c'est la dictature de la majorité, et c'est la problématique du paiement du service à domicile dans les situations de fin de vie, qui sont très, très, très mal payés. Et à un moment donné le ministre doit avoir la possibilité d'intervenir, si la négociation ne règle pas le problème, et force est de constater, si vous connaissez des gens qui ont cette pratique-là, que les derniers 15 ans n'ont pas réglé le problème. Alors, à un moment donné, le ministre doit avoir le pouvoir de faire cette intervention-là pour le bénéfice du citoyen, parce qu'au bout de la ligne c'est quand même le citoyen pour lequel on fait ce travail-là. Alors, je suis tout à fait en accord avec ce que vous venez de dire.

J'aimerais revenir maintenant sur les femmes en médecine. Vous savez, vous avez dit beaucoup de choses à date que, si elles étaient sorties de ma bouche, j'aurais été taxé de mépris, là, mais je suis content que vous soyez là pour les dire. Maintenant, pour ce qui est des femmes, vous êtes le Conseil du statut de la femme et là vous avez abordé certains éléments. Je comprends de votre propos, puis j'aimerais que vous me le confirmiez, là, que vous ne considérez pas que le projet de loi n° 20 est une attaque contre les femmes médecins.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : ...pas tout à fait ça. Puis je ne suis pas sûre que les mots que j'ai utilisés seraient perçus quand même comme du mépris, s'ils étaient utilisés par un homme, parce que j'ai vraiment choisi mes mots avec beaucoup de soin.

M. Barrette : Ce n'est pas dans ce sens-là.

• (13 h 20) •

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Mais je vous reprends sur cette question-là, là, de l'attaque. C'est clair qu'en faisant un système de quotas, en disant que le temps partiel ou de travailler moins d'heures il y aura une pénalité... On ne sait pas encore quelle elle sera, mais on sait... les chiffres ont circulé, on a parlé de 30 %, là, je ne sais pas si ce sera ça. C'est clair qu'en faisant ça, d'un point de vue parfaitement objectif, les femmes seront davantage pénalisées par cette mesure que les hommes, puisque les chiffres montrent qu'elles travaillent moins d'heures déjà. Et en général, en sociologie, on sait que les femmes s'occupent davantage des enfants, bien que les choses progressent. Elles les ont, d'une part, ensuite elles prennent en majorité le congé de maternité ou le congé parental, et ensuite elles s'en occupent plus en termes d'heures par jour. Donc, clairement, elles vont être plus défavorisées par votre projet de loi que les hommes médecins.

Mais ce qu'on dit après ça, c'est qu'on ouvre un petit peu notre réflexion en disant : Oui, mais nous, comme Conseil du statut de la femme, on a ici les intérêts d'une portion de femmes dans la population qui sont médecins et qui veulent avoir le droit de décider de leurs heures en fonction de leurs enfants, mais ce droit-là n'existe pas pour plein d'autres travailleuses et travailleurs qui sont des salariés et qui après leur congé de maternité doivent revenir au travail et ne peuvent pas dire : Attention, moi, je veux travailler quatre jours ou trois jours-semaine. Évidemment, comme conseil, on aimerait que la société... on aimerait qu'il y ait une évolution un peu comme dans les pays scandinaves, où l'idée de travailler moins d'heures par semaine soit la norme pour des parents, mais on n'est pas là au Québec. Et nous, on se dit : Est-ce que, nous, c'est notre rôle de prendre parti, donc, pour une petite portion de la population, les femmes médecins, qui, bien sûr, gagnent de bons revenus, plutôt que de défendre l'accès des femmes et des hommes malades à des médecins? Parce qu'on ne peut pas produire des médecins comme on fait des crêpes, ça prend du temps. Donc, en ce moment, il y a un nombre x de médecins, et là ce qu'on a, c'est des intérêts contradictoires de deux groupes de femmes. Et, comme Conseil du statut de la femme, en 2015, on essaie d'arbitrer ou de voir quel est celui... l'intérêt dominant, ou le plus important, ou le plus pressant, et, de notre point de vue, c'est l'intérêt des femmes malades. Alors, imaginez-vous qu'il y a eu pas mal de discussions autour de ça, ce n'est pas simple comme...

M. Barrette : J'en suis convaincu, j'en suis convaincu. D'ailleurs, Mme Miville-Dechêne, je vous fais un commentaire puis je vous pose la question qui est la question la plus difficile à laquelle... peut-être pas la plus difficile mais une des plus difficiles à laquelle on peut avoir à répondre, et particulièrement pour vous, vous allez voir.

Je peux vous dire une chose, premier commentaire, vous y avez fait référence : Il n'est pas question, dans les statistiques, de ne pas prendre en considération les congés de maternité ou congés parentaux, hommes ou femmes, ça sera pris en considération. Même que, dans nos statistiques, on enlève les gens qui sont en congé pour ne pas fausser la donnée.

Là, je vous pose la question difficile : Est-ce qu'on est rendus... C'est une question, là, je n'annonce rien, là, évidemment, là. Avez-vous fait une réflexion sur la pertinence d'imposer en faculté de médecine, dans les années futures, un ratio 50-50 hommes-femmes à l'entrée, compte tenu du fait que les facultés de médecine sont très contingentées, et la gestion des effectifs se fait en fonction des besoins, et il y a des biais qu'on n'avait pas vus dans le passé puis qu'on voit aujourd'hui? Est-ce que vous avez fait une réflexion là-dessus?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : On n'a pas fait de réflexion, mais je peux vous dire que, même si on la faisait — je crois que ma prédécesseure en a parlé — je crois que nous serions totalement contre ce genre de quota parce qu'il faut placer l'avancement des femmes dans l'histoire. De la même façon que les hommes ne se sont jamais fait interdire d'être à 95 % dans telle ou telle profession, il n'y a aucune raison que les femmes se voient interdire de dominer en termes de chiffres. Pour l'instant, c'est moitié-moitié, d'après ce que je comprends, dans la profession.

M. Barrette : C'est 75-25. Et la raison...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Non, pour les finissants, mais dans la profession en général c'est 50-50.

M. Barrette : Oui, dans la profession en général, vous avez raison, mais en bas de 50 ans ça va jusqu'à même 80-20.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien sûr, mais les femmes...

M. Barrette : Et la raison pour laquelle je vous pose la question, c'est parce que des femmes médecins me parlent de ça, et ça m'étonne toujours, et je me suis dit que je vous poserais la question si...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : ...comment, les femmes médecins?

M. Barrette : Il y a beaucoup de femmes médecins qui m'abordent en me disant : Écoutez, Dr Barrette, on est rendus là, il faudrait que ce soit 50-50 hommes-femmes.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Pourquoi?

M. Barrette : Bien, parce que... Et la raison, elle est très simple, c'est qu'elles aussi voient un différentiel, là. Et là, compte tenu des gardes, des ci, des ça, souvent les hommes, pas toujours, là, vont être plus enclins, pour des raisons familiales que vous avez soulevées très clairement...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien non. Non, non, non, c'est le début de la fin.

M. Barrette : Non, non, mais je...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Si on commence ça, c'est le début de la fin. Nous...

Le Président (M. Tanguay) : Merci. On va passer maintenant la parole à notre collègue de Taillon, vous pourrez peut-être revenir sur le sujet.

M. Barrette : ...question, hein, ce n'était pas une annonce.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : O.K.

Le Président (M. Tanguay) : Ce n'était pas une annonce. Alors, collègue de Taillon pour 11 min 30 s.

Mme Lamarre : Merci, M. le Président. Alors, bonjour, Mme Miville-Dechêne. Bonjour, Mme Jacob-Wagner et Mme Lefebvre. Très intéressant. Je pense que vous avez fait une analyse très réfléchie, très mûrie sur des enjeux qui sont importants.

Je retiens aussi parmi vos recommandations le besoin d'avoir un peu plus d'information sur la pondération. Et je pense que l'élément clé de la pondération, ça peut nous amener dans une dimension d'improvisation complète où on peut même se retrouver à donner trop d'équivalences et à faire en sorte que notre patient normal, notre femme âgée de 70 ans, qui correspond à un grand nombre de nos patients, se retrouve encore défavorisée et sans accès à un médecin de famille parce qu'on va avoir donné beaucoup de... Alors, je n'entends pas le ministre et je ne vois pas... et je demande qu'on nous dépose ces pondérations et ces équivalences, elles sont essentielles pour qu'on puisse déterminer si l'équilibre sera juste ou non.

Pour ce qui est de la condition des femmes, vous avez certainement vu dans les médias aujourd'hui aussi où le ministre a déposé son changement et le projet de loi n° 20 sur la base d'une information, celle où 60 % des médecins qui faisaient le moins d'heures, dans le fond, travaillaient seulement 117 jours par année, et cet argument-là a été le seul élément déclencheur objectif qu'on a eu pour dire : Ça justifie qu'on impose des quotas, des pénalités aux quotas, et tout ça. On a eu aussi l'Association des jeunes médecins qui est venue nous dire que, dans le fond, quand eux faisaient l'ensemble des médecins, on arrivait à 247 jours. Nous, on s'est repenchés un peu aussi sur les mémoires et sur l'information qui nous a été donnée, et il y a quand même des caractéristiques qui rejoignent particulièrement les femmes dans les mesures qui sont faites. Donc, dans le 117 jours, effectivement, on n'a pas exclu les femmes médecins enceintes. Alors, on nous dit qu'il y en a 300 quelques, ça fait quelques jours de différence, mais on ne les a pas exclues, alors déjà il y a un élément qui m'apparaît être de nature un peu discriminatoire.

Un autre élément : dans les calculs du 117 jours, le ministre ne compte pas les journées de travail de sept heures ou moins. Alors, on sait que, si la femme médecin travaille six heures, ça ne compte pas, ça n'a pas compté dans les 117 jours. C'est majeur. Ensuite, dans le calcul qui a été fait par le ministre, les journées de 14 heures, par exemple, ne comptaient que pour une journée de travail, alors qu'elles comptent, dans le fond, normalement pour une journée et deux tiers, elles devraient au moins compter pour ça.

Alors, on voit qu'il y a des choix qui ont été faits qui peut-être reflètent beaucoup la pratique des femmes médecins et qui contribuent à donner cette image vraiment très péjorative de la pratique médicale en général et d'un grand nombre de médecins de famille.

Ceci étant dit, je suis tout à fait d'accord que... et vous le savez, là, j'en fais vraiment la promotion, et ça ne fait pas juste depuis que je suis députée, ça fait déjà plusieurs années que je dis : Il faut travailler autrement pour améliorer l'accès. Et il y en a beaucoup, de façons pour améliorer l'accès concrètement et rapidement, mais le ministre ne les choisit pas. Et donc je dis : Il y a quand même, dans ces messages, quelque chose qui est étonnant, et j'aimerais vous entendre réagir là-dessus.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Alors, c'est justement pour ça, vous avez sans doute vu que nous n'utilisons aucun chiffre d'heures travaillées, parce qu'on a bien vu que ça donnait lieu à une bataille rangée, et je ne suis pas sûre, effectivement, que ce soit la meilleure façon de mesurer comment les choses se passent. Nous avons choisi, nous, de mesurer l'accès à un médecin de famille en se basant sur ce qui se fait dans d'autres provinces et dans d'autres pays, et là encore l'accès aux médecins ici est moins grand qu'ailleurs, même si on a plus de médecins. Alors, peut-être le nombre d'heures n'est pas la meilleure façon de le mesurer et en effet il faut tenir compte des congés de maternité pour faire toute mesure.

Mais je vous dirais qu'effectivement il faut être prudent dans une profession où il y a autant de femmes, effectivement, mais il me semble... il nous semble qu'il y a aussi un changement générationnel chez les médecins et donc que les jeunes pères, ou les jeunes mères, ou les jeunes médecins hommes qui veulent aller faire du sport, là, je ne sais pas qui trop parlait de la conciliation loisirs-travail, là, il y en a plus qu'avant. Il y a plein de médecins qui considèrent que la qualité de vie, ce n'est pas forcément travailler jour et nuit dans son cabinet.

Alors, je veux préciser ici que, nous, ce qu'on demande, c'est un nombre d'heures réaliste. On n'est pas des spécialistes, on ne peut pas vous dire quel serait le nombre d'heures correct, mais on a l'impression qu'en exigeant l'accès ouvert, notamment, on pourrait s'assurer que les patients soient vus, parce que la difficulté, c'est... Tout le monde est pour la vertu, alors tout le monde dit : Bien oui, ça va aller mieux, ça va s'améliorer et tout, mais, si l'accès ouvert n'est pas la norme, si les patients qui sont pris en charge ne peuvent pas être vus, qu'est-ce qu'on aura changé? Donc, vraiment, nous, vous l'avez vu, on fait cette analyse davantage du point de vue des patientes et des patients que, bien sûr, des conditions de travail des médecins, c'est notre parti pris.

• (13 h 30) •

Mme Lamarre : L'accès ouvert ou l'accès adapté dont on a beaucoup parlé, qui consiste à garder des rendez-vous disponibles à chaque jour pour des patients qui viendraient et qui auraient besoin d'une façon plus urgente... souvent ça fait partie des activités que vous avez décrites, qui sont négociées par les fédérations comme méritant une bonification de la rémunération, et donc on peut avoir aussi une façon d'orienter son travail en augmentant ses plages de disponibilité là mais sans les rendre disponibles le soir ou les fins de semaine, on pourrait très bien, par exemple, mettre des rendez-vous ouverts de jour et ne pas nécessairement offrir... Parce que je voyais que, dans votre mémoire, à plusieurs endroits vous parlez d'heures pratiques pour les patients et pour les proches et non pas seulement d'heures pratiques pour le médecin. Alors, comment vous voyez que ça pourrait se concrétiser?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien là, vous parlez de bonus pour avoir l'accès ouvert. Écoutez, encore là, on a beaucoup essayé dans le passé, par la rémunération, de changer les choses, puis c'est clair qu'aujourd'hui on se rend compte que ce n'est pas suffisant, parce que dans les dernières années il y a eu des hausses importantes de rémunération, mais il reste des problèmes importants d'accès.

L'accès ouvert, c'est-à-dire que si effectivement on demande une certaine assiduité à des... Je ne sais pas exactement, et c'est pour ça qu'il faut absolument voir les règlements, mais, si la demande d'assiduité existe, si on est capable de calculer sur des programmes informatiques que tel patient va voir son médecin de famille au moins les trois quarts du temps ou je ne sais pas quoi, ça nous donne une idée de l'accès qu'il a à son médecin. Parce que la difficulté, c'est un peu comme quand on a donné des primes aux médecins qui prenaient beaucoup de patients. C'était formidable combien ils avaient de patients, mais, si on ne les voit pas, à quoi ça sert? Donc, c'est délicat, je comprends votre question dans la mesure où c'est un équilibre extrêmement délicat qu'il faut trouver pour arriver à ne pas, par les systèmes de rémunération et de pondération, fausser encore plus le système. Mais, ceci dit, nous répétons que le statu quo nous apparaît inacceptable.

Mme Lamarre : Nous sommes d'accord mais pas à n'importe quel changement. Merci. Je vais passer la parole à mon collègue de Rosemont.

Le Président (M. Habel) : M. le député de Rosemont.

M. Lisée : Merci. Merci, bienvenue. Content de vous voir. C'est intéressant, ce que vous dites, parce que vous avez eu un arbitrage à faire entre les femmes médecins et les patients, les citoyens, et en particulier les citoyennes, qui sont plus sollicitées que d'autres notamment par la présence des aidants naturels, qui sont majoritairement des femmes. Et on voit aussi qu'une partie de la question de l'accès — une partie seulement, mais c'est une partie — vient du mode de vie, des choix de conciliation travail-famille et loisirs-famille plus prévalents chez les femmes que les hommes, les femmes médecins que les hommes médecins, et que la proportion de femmes médecins dans l'ensemble des médecins augmente parce que parmi les diplômés, bon, comme le ministre le disait tout à l'heure, c'est 75 % qui sont des femmes, et vous dites de façon très logique : Bien, fut un temps où c'était 100 % des hommes, alors il n'est pas question maintenant, disons avant un siècle ou deux, là, où on aura rétabli l'équilibre séculaire... Lui, il dit deux siècles, le ministre suggère... bon, c'est une annonce : Dans deux siècles 50 %, demain dans la presse.

Mais donc... Je vais juste venir à la fin de cette logique. Et donc ce que vous dites, c'est : Écoutez, ces médecins-là ne sont pas des travailleurs autonomes, en fait ils sont en situation de monopole, ils sont bien payés par l'État, il y a de la demande infinie. Et en plus, moi, j'ajoute, ils sont formés au Québec de façon très subventionnée par l'État social-démocrate, et donc ça leur coûte moins cher que s'ils étaient formés à Toronto ou à New York. Et donc il y a une obligation de rendre le service. Et ce que vous dites, c'est que, bien, les primes, ça n'a pas vraiment marché, et, parmi les solutions, il faut exiger qu'ils rendent le service à la population, y compris dans les plages horaires de soir et de fin de semaine.

Et donc je vous pose la question : Mais est-ce que vous pensez qu'il faut, comme le propose le ministre, pénaliser de façon monétaire ceux qui ne répondent pas à cette demande qu'on leur fait?

Le Président (M. Habel) : En 30 secondes.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, je vous dirais d'abord que, dans votre long exposé, je ne suis pas forcément d'accord avec le fait que seules les femmes refusent de travailler le soir ou la fin de semaine, chez les médecins, on ne le sait pas exactement. On sait qu'il y a des négociations dans les GMF et que finalement il y en a beaucoup qui préfèrent ne pas travailler le soir et les fins de semaine, donc c'est plutôt, je vous dirais, la norme. Donc, c'est pour ça que c'est une situation complètement, comment dire... sans beaucoup d'équivalents, que des...

Le Président (M. Habel) : Merci beaucoup. Malheureusement, il manque de temps, je vais passer à la deuxième opposition.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Je n'ai pas fini, je suis désolée.

Le Président (M. Habel) : Mais, si vous voulez compléter et que la deuxième opposition vous le permet, c'est possible, là.

M. Paradis (Lévis) : Merci, M. le Président. Bonjour. Bienvenue, Mme Miville-Dechêne, Mme Jacob-Wagner, Mme Lefebvre. Oui, oui, je vais me permettre de vous laisser du temps, parce que c'est intéressant, puis j'ai comme l'impression et la même vision que vous un peu, celle que vous amorciez, parce que, cette tendance-là, je pense que tous sexes confondus, maintenant, l'horaire que l'on souhaitera être le meilleur pour soi ne se limite pas seulement à la femme médecin ou à l'homme médecin. Alors, continuez votre explication, et je vous poserai des questions par la suite.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, la question précise, votre question précise était : Est-ce que nous pensons qu'il doit y avoir non seulement des incitatifs, mais aussi une méthode plus coercitive? Bien, les incitatifs ont été tentés pendant pas mal d'années, et nous ne sommes pas, encore une fois, des experts pour savoir quelle est la meilleure méthode, mais c'est clair qu'on a vu que les médecins réagissaient quand leurs revenus sont en cause, et donc une des façons de faire changer les comportements et les mentalités est effectivement, entre guillemets, de punir les comportements qu'on ne veut pas.

Ceci dit, je suis consciente comme vous l'êtes que ce sont des questions extrêmement difficiles et je pense que franchement ces règlements vont être difficiles à écrire.

M. Paradis (Lévis) : Des règlements que vous auriez souhaité voir comme nous aurions aussi souhaité les voir pour être capables de discuter plus longuement sur leur application faisable ou pas.

À travers ce que vous nous dites... Et vous avez dit tout à l'heure, en tout début de rencontre : Les femmes nous ont téléphoné, les femmes nous ont écrit, et c'est intéressant, votre approche, parce qu'elle est aussi près des usagers. Vous ne parlez pas seulement des professionnels de la santé, vous parlez de patients, de femmes qui s'inquiètent. Plusieurs sont venus ici exprimer les risques de la mise en application du projet de loi n° 20 pour ce qu'on en connaît, le fait qu'éventuellement on pourrait peut-être... et je ne dis pas que ça se fera, mais des gens ont exprimé la crainte qu'on fasse des consultations plus écourtées pour arriver à atteindre les quotas mentionnés, qu'on puisse revoir les patients inscrits pour tenter de privilégier ceux qui sont plus en santé que ceux qui sont, et vous nous en parlez, des cas plus lourds, que l'on puisse éventuellement répéter des rendez-vous avec des médecins pour, encore une fois, arriver à ces chiffres et à répondre à la demande sans avoir de pénalité.

J'aimerais savoir, à travers tous ceux qui vous ont écrit, vous ont contactés, quelles sont les craintes les plus importantes et les risques qui ont été identifiés de la voix même de celles pour qui vous parlez.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Donc, du point de vue des femmes médecins, elles nous ont dit... Elles, elles parlaient essentiellement beaucoup de leurs conditions de travail en disant qu'elles trouvaient injuste d'avoir une pénalité, par exemple, de 30 % si elles ne prennent pas soin d'un certain nombre de patients. Ce sont essentiellement des femmes médecins qui nous ont appelés, parce qu'on n'a pas eu de téléphone de malades. Comme je vous l'ai dit au début de cet exposé, les malades sont moins bien organisés, s'expriment moins, n'achètent pas de pleine page dans les journaux, donc c'est pour ça qu'on trouvait important, nous, ici, de venir parler des femmes malades.

Pour ce qui est des consultations écourtées et des risques du projet de loi n° 20, évidemment, si le règlement est mal fait, oui, il y a des risques, mais je vous dirais qu'il ne faut pas non plus croire que le statu quo, c'est formidable. Parce que vous avez peut-être déjà expérimenté ça, mais c'est assez régulier : quand on va dans un sans rendez-vous et qu'on a plusieurs pathologies, on commence à parler, on parle d'un premier problème, et, quand on arrive au deuxième ou au troisième, on dit : Non, vous repassez pour ça, pour toutes sortes de raisons. Donc, il y a déjà des vices dans le système.

Et, le fait d'avoir ou non des rendez-vous écourtés, bien je pense qu'il faut se fier au professionnalisme des médecins. Dans le sans-rendez-vous, ce n'est pas particulièrement long, les rendez-vous, donc il y a déjà dans le système tout ça. Il y a des médecins qui voient plus longtemps leurs patients, il y a des médecins qui les voient moins longtemps, et les études ne montrent pas de rapport absolu de cause à effet entre une bonne médecine et le nombre de minutes qu'on voit un patient.

Donc, on parle en termes collectifs en disant : Ce qui est important aujourd'hui, c'est que les malades aient accès à un médecin. C'est ça, pour nous, la priorité, et c'est pour ça qu'on est obligés de mettre un peu de côté d'autres enjeux qui sont fort intéressants mais qui, pour nous, ne peuvent pas être prioritaires.

• (13 h 40) •

M. Paradis (Lévis) : Je comprends. Puis la position n'est pas facile, celle que vous devez porter, je présume, parce que vous dites également : Les femmes médecins nous ont téléphoné, parlent de conciliation de vie de femme, de leur choix d'horaire, de travail-famille, bon, etc., en même temps vous dites : Le statu quo n'est pas une option. Nous en sommes, nous en sommes tous, ceux qui nous regardent en sont également, parce qu'on veut tous une meilleure accessibilité. Ce qu'on remettra en cause probablement puis à travers tous ceux qui nous parlent, c'est les moyens pour arriver à ça, bien sûr. Et ces mêmes femmes médecins qui s'adressent à vous se sentent, à travers des règlements qu'on ne connaît pas, mais... en tout cas voient les choses venir puis disent : On sera pénalisées. La coercition en fonction de leurs pratiques, dans leurs têtes à elles, n'est assurément pas une option, elles ne vont pas dire : Bon, tant mieux, soyez punitifs, vous nous obligerez à mieux travailler.

Comment réagissent-elles à ce spectre de coercition et de punition potentielle en regard de leurs pratiques?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, dans les échanges que j'ai eus, c'était vraiment plutôt au niveau de leurs droits qu'elles se jugeaient attaquées. Or, dans les réponses que nous avons faites, nous avons parlé d'autres professions — je pense aux infirmières — où le travail de nuit puis le travail de soir existent aussi. Les droits, soit, mais les droits ne sont pas absolus. Et ce qu'on dit, nous, en ce moment, et on s'entend : En ce moment, étant donné la situation, étant donné qu'il y a tant de femmes et d'hommes malades qui n'ont pas de médecin de famille qu'ils puissent voir dans un délai raisonnable, nous ne pouvons pas, en ce moment, nous mettre, comment dire... faire pression pour un groupe particulier de femmes qui se sent lésé. Nous comprenons ce qu'elles disent, nous jugeons effectivement que le projet de loi va les pénaliser davantage que les hommes, mais nous disons que, nous, comme Conseil du statut de la femme, il faut qu'on puisse défendre les femmes plus vulnérables, plus malades et plus en difficulté que les femmes médecins.

M. Paradis (Lévis) : Et ces femmes plus vulnérables, plus en difficulté dont vous me parlez ne se sont pas véritablement manifestées au conseil, c'est...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : C'est ce qu'on appelle la majorité silencieuse.

M. Paradis (Lévis) : Exactement. Mais c'est dramatique en soi, parce que ces femmes-là dont vous me parlez qui sont des patientes, des... Vous m'avez parlé de proches aidantes également, et elles sont légion, et on le sait. Et, si on ne les avait pas, je vous dirai, Mme Miville-Dechêne, et vous le savez, je veux dire, on aurait un immense problème. Alors, ces femmes-là qui elles-mêmes s'épuisent souvent à aider le jeune, le mari, le conjoint, le...

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup, merci beaucoup.

M. Paradis (Lévis) : Bref, on en reparlera.

Le Président (M. Tanguay) : Merci. Nous cédons maintenant la parole à notre collègue député de Mercier pour trois minutes.

M. Khadir : Merci, M. le Président. Merci, mesdames, d'être là.

Alors, Mme Miville-Dechêne, est-ce que le Conseil du statut de la femme a été consulté par le ministère avant l'introduction de ce projet de loi?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Pas du tout.

M. Khadir : Pour un projet de loi qui a des conséquences aussi importantes à la fois sur les femmes qui travaillent comme médecins mais à la fois sur le réseau de santé où les femmes du Québec ont autant de difficultés à avoir accès à des médecins, est-ce que vous pensez que ça aurait été souhaitable que le Conseil du statut de la femme soit consulté?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : On m'a déjà posé aussi la question pour les garderies. Il n'est pas dans la tradition des gouvernements de consulter en amont le Conseil du statut de la femme, dans la mesure où nous, on doit garder un esprit critique sur le résultat final, ce qui ne veut pas dire que les gouvernements peuvent se passer de faire de l'analyse différenciée selon les sexes.

M. Khadir : Est-ce que vous pensez qu'il en a été fait dans ce projet de loi?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Je ne pense pas.

M. Khadir : Vous ne pensez pas. Très bien.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Est-ce qu'il y en a eu, de l'ADS, dans ce projet de loi, l'analyse différenciée selon les sexes?

M. Khadir : Le ministre pourra répondre lorsque ce sera son temps.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : O.K., pardon. Non, non, mais je ne pense pas.

M. Khadir : Oui, je ne pense pas. Nous, on est quand même... vous savez qu'on est un parti féministe, puis c'est une des premières loupes qu'on met sur n'importe quoi ne serait-ce que pour critiquer les ministres libéraux, puis ici il n'y en a pas.

Je voudrais aussi vous dire que tous les groupes... Je ne parle pas des fédérations de spécialistes ou de fédérations d'omnipraticiens, qui sont des syndicats corporatistes dont l'angle... puis le ministre actuel le connaît très bien, il l'a présidé, l'angle de leur vision est uniquement le profil de pratique qui correspond le mieux en matière de rémunération et de conditions de travail, qui profite le mieux aux médecins, et je l'ai toujours dénoncé. J'étais à votre place en mars 2006, l'actuel premier ministre était ministre de la Santé, il était assis à la place du ministre, et nous faisions, dans notre mémoire sur le financement de la santé, exactement les mêmes recommandations que vous pour arriver à améliorer l'accessibilité, dont le partage de garde, donc le travail multidisciplinaire.

Est-ce que vous pensez que dans le projet de loi actuel il y a de la place pour ça? Est-ce que les quotas sont imposés en groupe ou individuellement, selon vous?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Oh là là!

M. Khadir : C'est individuel. Donc, le partage de garde n'est pas induit, il n'y a rien dans ce projet de loi pour ça. Est-ce que vous êtes conscients de ça?

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, je crois que mon expertise s'arrête là, c'est-à-dire que de décider s'il faudrait que ça soit en équipe versus individuellement...

M. Khadir : O.K., non, mais...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : C'est sûr que, si c'était en équipe, il y a un peu de pression dans l'équipe, j'imagine, entre les différents médecins pour essayer d'avoir une émulation et de rendre le service...

M. Khadir : Voilà, pour... Exact.

Mme Miville-Dechêne (Julie) : ...mais je dois vous dire que, quand on a fait notre avis, en 2013, on n'a pas abordé cette question.

M. Khadir : ...visites à domicile, êtes-vous conscients qu'il n'y a rien dans le projet de loi pour le promouvoir, médecine à...

Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, j'imagine que, dans la pondération... Moi, je m'attendais à ce que ça soit dans la pondération.

M. Khadir : Oui, mais il n'y a rien. Révision de la rémunération, ça, c'était une de mes propositions maîtresses en 2006, révision de la rémunération pour agir sur le profil de pratique de médecin de manière à correspondre aux besoins de la population et non des médecins. Il n'y a rien dans le projet de loi pour ça. Est-ce que vous êtes conscients de ça?

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup, merci beaucoup. Alors, ceci met fin à l'échange. Alors, merci beaucoup, M. le député de Mercier.

Une voix : ...

Le Président (M. Tanguay) : M. le député de Mercier, quand je dis que votre temps est épuisé, j'aimerais que vous respectiez la présidence, et elle vous le retournera au centuple. Merci beaucoup.

Alors, nous remercions les représentantes du Conseil du statut de la femme pour votre présentation.

Et, compte tenu de l'heure, je suspends les travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 46)

(Reprise à 15 h 6)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Nous allons poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 20, Loi édictant la Loi favorisant l'accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée.

Nous avons maintenant le privilège de recevoir les représentants du Conseil pour la protection des malades. Bienvenue à votre Assemblée nationale. Vous disposez d'une période de 10 minutes de présentation, par la suite vous aurez un échange avec les parlementaires. Pour les fins d'enregistrement, je vous prierais de bien vouloir vous nommer et peut-être préciser vos fonctions au sein de l'organisme. Alors, la parole est à vous.

Conseil pour la protection des malades (CPM)

M. Brunet (Paul G.) : Bonjour, M. le Président, M. le ministre. Merci de nous accueillir, messieurs dames les membres de l'Assemblée nationale. Paul Brunet, je suis le président et porte-parole du Conseil pour la protection des malades. Je suis accompagné de Mme Marielle Raymond, qui est membre du comité des usagers et membre du conseil d'administration du CSSS de Rivière-du-Loup.

Comme vous le savez, le Conseil pour la protection des malades a en son sein plus de 200 comités d'usagers et de résidents affiliés à travers les établissements de soins de santé du Québec. Rappelons-nous que c'est Claude Brunet, au début des années 80, qui fit incorporer à la loi sur la santé le concept des comités de bénéficiaires, dont, je pense, nous profitons tous aujourd'hui, particulièrement les patients et les proches de ceux-ci. En effet, le Conseil pour la protection des malades fête ses 40 ans d'existence, ce n'est pas peu dire pour un organisme à but non lucratif. Et nous tenons encore une fois à remercier la commission de nous avoir invités pour faire nos commentaires sur le projet de loi n° 20 que vous avez identifié tantôt.

Très rapidement, parce que le temps est compté et surtout beaucoup de gens ont dit beaucoup de choses sur le projet de loi, quand je vais parler des médecins, je vais particulièrement parler de leurs fédérations, de leurs grands syndicats, et les commentaires iront dans ce sens-là. J'ai compris que, le but de la loi, beaucoup plus de gens y étaient favorables que les moyens qui semblaient y être pris, et, pour ne pas être qualifiés de commentateurs, nous ne commenterons pas la mécanique qui est proposée dans le projet de loi, mais nous croyons respectueusement, après toutes ces années d'«advocacy» au nom des malades québécois, que nous pouvons porter le cri du coeur des patients, des citoyens québécois et surtout dire ce que les citoyens nous disent quand ils nous appellent, parce qu'au Conseil pour la protection des malades nous recevons les appels des gens, les gens nous appellent, se plaignent parfois du régime même de plainte qui existe dans le réseau de la santé et parfois en regard des services qu'ils reçoivent ou ne reçoivent pas de la part du réseau de la santé.

Convenons tout de suite que nous sommes conscients que les médecins ne sont pas les seuls problèmes du réseau de la santé. Nous croyons en effet qu'une réforme en profondeur du réseau de la santé... pas nécessairement par le moyen qui est proposé par le projet de loi n° 10, mais à tout le moins qu'une réforme en profondeur est due, est nécessaire pour que nous améliorions l'efficacité, l'efficience et surtout qu'enfin les citoyens québécois aient accès à un médecin quand ils en ont besoin. J'entendais un des avocats du CPM ce matin, il disait : Les gens, le peu de gens, les 30 %... les 70 % des Québécois qui ont un médecin de famille le voient quand ils sont bien, mais, quand ça ne va pas bien, ils n'ont pas le temps de le voir, ils ne peuvent pas le voir, il n'est pas accessible. Alors, on n'est pas bien, bien plus avancé quand on a besoin de voir son médecin.

Nous ne commenterons pas non plus les dispositions reliées à la procréation assistée. Nous ne croyons pas que cela était, pour nous, une question que nous devions traiter ici aujourd'hui.

Pour le texte, j'attire votre attention sur les articles 3, 4, 9 et 12, où nous proposons, en regard du concept ou de la notion de suivi médical ou de prise en charge, que peut-être le ministre et les gens qui l'entourent pourraient mieux documenter... à moins que ces notions-là soient déjà comprises dans le milieu, nous ne sommes pas dans le milieu médical, mais j'ai fait un peu de recherche et je n'ai pas trouvé d'appui documenté sur ce que voulait dire réellement le suivi médical, la prise en charge d'un patient. Assurons-nous que ces choses-là sont claires pour qu'entre autres certains abus dont on a pu entendre parler dans le passé ne fassent pas la manchette dans les journaux.

Je voulais aussi dire qu'à l'article 22 du chapitre III le terme «reddition de comptes» est un peu gonflé, à notre avis. Nous prétendons qu'il n'est pas question, à cet article-là, d'une reddition de comptes mais plutôt d'une obligation de transmettre des informations. Le concept de reddition de comptes a été galvaudé à peu près à tous les endroits où j'ai pu le voir dans la législation, c'est un concept très important en matière d'imputabilité, et nous croyons que ce titre-là, pour l'article 22, est inapproprié pour ce qui est demandé aux gens et aux établissements à qui l'obligation s'adresse.

À ce stade-ci, je vais céder la parole à ma collègue, Mme Raymond, membre de notre conseil d'administration, pour vous dire quelques mots sur sa propre expérience et en regard du projet de loi.

• (15 h 10) •

Mme Raymond (Marielle) : M. le Président, M. le ministre, je suis une femme de terrain, je suis une femme qui est bénévole depuis de nombreuses années au niveau de la santé, dans les CHSLD aussi, en plus d'être à la retraite. La retraite, c'était un grand mot il y a 17 ans, mais depuis ce temps-là que je travaille à plein temps.

Je vais vous dire une chose. Moi, j'ai remarqué puis je pense que peut-être que vous allez être capables de comprendre ce que je vous dis... Quand on va dans les CHSLD, eh bien, on a des médecins qui viennent voir les patients, mais très souvent les médecins ne viennent pas voir les patients, ils vont voir l'infirmière au poste de garde, puis là on prescrit les pilules pour M. Michaud puis parce qu'il fait de l'anxiété, madame, elle a peut-être une petite crème à avoir, et on ne voit pas vraiment qu'est-ce qui se passe. Et ce qui arrive, on a des patients qu'on les échappe, à un moment donné, hein, les patients qui sont là, les usagers qui sont là, ils sont tellement... usagers qu'on ne les a pas vus par le médecin lui-même et on a fait du ouï-dire. Bien, je pense qu'être médecin par ouï-dire, c'est un petit peu difficile.

Aussi, je voudrais porter à votre attention que moi, je pense que le calcul des médecins... Parce qu'étant à un conseil d'administration, on était, les CSSS, comme le CISSS probablement sera imputé dans ça de faire le calcul des médecins qui sont allégués par région ou par CSSS... il est fait non du un pour un... J'entends ici que quelquefois on a droit à 45 médecins, et par contre on a cinq médecins qui pratiquent à temps partiel et on les compte pour un, donc on aurait besoin quelquefois de peut-être 48 médecins pour faire vraiment le temps de 45 médecins à temps plein, et c'est là qu'on vient que des personnes n'ont pas de médecin, de médecin de famille, parce qu'on manque de médecins. Les médecins sont en congé maladie ou encore sont en congé maternité, je n'ai rien contre, mais, pendant qu'ils ne sont pas là, effectivement, ils sont là, comptabilisés, mais non effectivement. Je pense que vous me comprenez. Et ça, je pense qu'il y aura peut-être une petite chose à voir dans ça puis comment le faire.

Et j'ai une chose, une petite remarque. C'est que moi, je suis une personne qui est tenante des techniques béhaviorales. Les techniques béhaviorales, c'est la récompense et non la punition. Donc, je pense que vous pourriez peut-être trouver des moyens de faire des récompenses pour ceux qui vont performer et non des punitions pour ceux qui ne performeront pas. Je vous remercie.

M. Brunet (Paul G.) : Merci, Mme Raymond. Je continue les commentaires du mémoire. Évidemment, encore une fois, je ne répéterai pas ce qui a déjà dit, mais je remarque, hein, que, dans les années 80, M. Legault, alors ministre de la Santé, avait fait un sondage; plus de 80 % des gens qui avaient reçu des soins étaient contents des soins qu'ils avaient reçus. Cela a baissé beaucoup, les derniers chiffres parlent plutôt d'autour de 60 % de satisfaction des patients en courte durée. On s'entend, et là-dessus je rejoins le ministre, à l'effet que le statu quo est inacceptable. Cela ne peut pas continuer, on est en train de perdre notre régime public si on ne le rend pas plus efficient, plus humain et plus conséquent avec l'argent qu'on y met et tout ce que l'on dit qu'on veut y faire.

J'ai été réconforté par un propos de Stephen Jarislowsky, qui est un milliardaire, un homme d'affaires, qui dans une entrevue dans la revue Actualité, en 2007, disait qu'il ne comprenait pas que les médecins et tous ceux qui étaient impliqués, y compris le gouvernement, ne cherchent pas à s'asseoir comme amis, à chercher et trouver ensemble des solutions de façon altruiste et désintéressée. Je n'ai pas entendu, sauf respect pour elles, les grandes fédérations de médecins parler avec altruisme et de façon désintéressée des problèmes du réseau de la santé, des problèmes d'accès et surtout des solutions. Et, sans vouloir être complaisant, le seul que j'ai entendu parler, ces dernières années, et je pense qu'il était de bonne foi et je continue de croire qu'il l'est... le Dr Barrette a dit quelques fois, parce qu'il m'est arrivé de prendre ses citations parce que nous avons eu quelques échanges : Il faut qu'on travaille même comme médecins, même comme grands syndicats de médecins à trouver les meilleures solutions possibles pour que les patients québécois reçoivent les meilleurs soins. On n'a pas le droit, on n'a plus le droit de faire autre chose. Et j'ai hâte que ces grandes fédérations-là, un peu comme les pharmaciens l'ont fait, les infirmières l'ont fait, les grands syndicats de professionnels et d'employés... tendre la main au gouvernement, s'asseoir pour trouver des solutions. Rappelons-nous, en 2007 la CSN s'était assise avec la Direction générale des relations de travail au ministère de la Santé pour trouver des solutions pour former les préposés aux bénéficiaires. Ça serait intéressant d'entendre ces propos-là. Malheureusement, on a entendu plus souvent qu'autrement les grandes fédérations se plaindre qu'ils n'étaient pas assez bien payés que de véritablement trouver et vouloir trouver ensemble des solutions.

L'Institut Fraser, vous le savez, en 2011 rapportait que la plupart des difficultés qu'éprouve le système de santé ont généralement pour cause le processus de prestation, qui est axé sur les professionnels plutôt que sur les patients; l'étude des HEC que tout le monde connaît maintenant, qui indique que 30 % seulement des Québécois ont un médecin de famille, alors que la moyenne, en Ontario, c'est 9 % et ailleurs au Canada c'est 15 %. Pourquoi alors, depuis une dizaine d'années, ministres qui se sont succédé, ministères, fédérations de médecins, tous ces gens fort instruits, fort connaissant du réseau de la santé, hein — ce ne sont pas des commentateurs, ces gens-là, ce sont des gens qui connaissent leur affaire et généralement, convenons-en, bien rémunérés — n'ont-ils toujours pas solutionné le principal problème du réseau de la santé, celui que les patients nous disent qui est le plus important pour eux, pour leurs enfants, pour leurs parents, celui de l'accès à un médecin?

Ce que je ne comprends pas toujours, peut-être m'éclairera-t-on sur le sujet : Pourquoi le gouvernement du Québec, lorsqu'il négocia le rattrapage de la rémunération des médecins à celle des médecins des autres provinces, n'en a-t-il pas profité dès ce moment pour exiger qu'un rattrapage au niveau des prises en charge et des suivis médicaux se fasse aussi à la hauteur de ce qui se fait dans les autres provinces et qu'on a dû attendre à aujourd'hui le projet de loi n° 20 pour proposer que les choses s'améliorent?

Le Président (M. Tanguay) : Me Brunet, je vous inviterais à conclure rapidement. Vous avez déjà excédé le temps, et on est sur le temps de l'échange que vous aurez avec le ministre.

M. Brunet (Paul G.) : D'accord. En un mot, la balle est dans le camp des fédérations de médecins et certainement du gouvernement pour qu'ensemble ces gens très importants qui sont responsables des dépenses du réseau de la santé trouvent une solution avant que le projet de loi n° 20 soit adopté. Merci.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, de 10 minutes la présentation aura été de 12 minutes, c'est parfait. À la demande du ministre, donc, nous allons réduire son temps de deux minutes. Donc, vous aurez un échange maintenant, et je lui cède la parole pour 19 min 30 s, avec le ministre de la Santé et des Services sociaux. Alors, la parole est à vous.

• (15 h 20) •

M. Barrette : Merci, M. le Président. Alors, bonjour, madame. Bonjour, monsieur. Merci d'avoir pris le temps de préparer ce mémoire-là et de venir nous le présenter aujourd'hui, parce que c'est extrêmement important. Je citerai votre homologue du RQCU, qui était très heureux de voir qu'on commençait avec les usagers. Et je peux vous dire que, si vous nous l'aviez demandé, on vous aurait mis à la queue leu leu, parce que je pense que, dans ce dossier-là, on parle beaucoup de chiffres, on parle beaucoup de mesures, mais il faut se rappeler toujours que, si on propose le projet de loi n° 20, c'est pour les patients.

Et je vous rejoins terriblement dans ce que... intensément, je dirais plutôt, hein, dans ce que vous dites, puis je vais me citer moi-même, pour ce qui est de la citation à laquelle vous faisiez référence. J'ai toujours dit et je le dis encore ici, dans ma nouvelle position, qu'un coup que la question de l'argent est réglée il faut s'occuper d'organisation des soins, parce que, comme vous l'avez dit avec justesse, on a implicitement... même si ce n'est pas écrit nulle part dans des contrats, là, les médecins ont implicitement la responsabilité de donner des soins aux patients. La société dépense des sous en quantités substantielles. Les anglophones ont, je trouve, un meilleur terme pour parler des revenus, ils parlent de «compensation», une compensation. Les médecins sont bien payés parce qu'on leur accorde une valeur et on compense la lourdeur, le temps, la responsabilité par une rémunération, mais la rue, comme ils disent, doit aller dans les deux sens, avec la compensation doit venir le service, et à un moment donné on doit faire des analyses.

On entend souvent critiquer les chiffres. Ce matin, j'entendais ma collègue parler des chiffres, et c'était amusant de constater qu'elle ne se rappelait pas que les chiffres que je cite et qui ont été présentés à l'opposition dans des séances de breffage étaient les chiffres demandés et préparés par le gouvernement précédent lorsqu'il était au pouvoir, et ce sont des chiffres de l'opposition que j'utilise, que j'ai mis à niveau.

Et puis je vais répondre à une question tout de suite, parce qu'elle va peut-être être soulevée. Les chiffres en question, on, effectivement, ne prenait pas en considération les congés parentaux. Et, si on les prend, la passe, là, l'analyse a été refaite, et ça augmente le 117 jours d'un chiffre astronomique de 2,4 jours. C'est normal parce que, sur 8 000 médecins, là, il y en a quelques-unes, là, qui sont en congé de maternité ou quelques-uns qui sont en congé parental, là, il n'y en a pas 2 000, là, il y en a quelques-uns, alors ça a un effet, là, mais qui est marginal. Le 117, il passe à 119,4 jours.

Une voix : ...

M. Barrette : Hein?

M. Lisée : On avance.

M. Barrette : Bien, on avance... Je veux dire, il fallait poser la question. Si vous l'aviez posée...

Le Président (M. Tanguay) : ...à nos invités, s'il vous plaît.

M. Barrette : Alors donc... Et là j'en viens... pas «j'en viens», mais je m'adresse à votre présentation pour avoir quelques précisions. Vous, du côté des usagers, vous nous avez dit que 80 % des gens et même maintenant 60 % étaient vus quand ils étaient bien. Est-ce que ça, c'est une méta-analyse de la littérature ou c'est quelque chose que vous avez sondé puis qui est le Québec, là?

M. Brunet (Paul G.) : En fait, là, c'est plus de 80 %. Je réfère à deux sondages, un en 2003...

M. Barrette : De sondages que vous avez faits, vous, là?

M. Brunet (Paul G.) : Non. Non, celui-ci, c'est M. Legault quand il était ministre de la Santé, en 2003.

M. Barrette : O.K., d'accord.

M. Brunet (Paul G.) : En 2003, il avait sondé les patients qui sortaient de l'hôpital, et c'était près de 90 %. On avait certaines réserves, mais ça donnait une tendance, puis effectivement, jusqu'à il n'y a pas si longtemps, les gens pouvaient nous confirmer qu'une fois qu'ils avaient été admis puis avaient reçu des soins ils en étaient satisfaits.

Le dernier sondage CROP sur le même sujet nous montre que les gens sont beaucoup moins satisfaits, même comme patient qui a reçu des soins, qu'autrefois. Alors, pour nous, ça nous envoie un message à l'effet qu'il faut faire quelque chose avec le réseau de la santé, parce que, là, même quand on reçoit des soins, jusqu'à un certain point, il y a des choses qui ne tournent pas nécessairement rond, et on est moins satisfait qu'autrefois.

Et ça, c'est un sondage que nous avons recensé, mais celui que nous, on a fait auprès de nos patients, parce qu'on fait des «focus groups», on fait des sondages, c'est une priorité pour la majorité des patients québécois de trouver un médecin quand ils en ont besoin. Alors, c'est, pour nous, le fer de lance de toutes nos revendications. Et celle-ci tombe à point nommé avec le projet de loi n° 20, parce que, si on ne trouve pas une façon d'améliorer l'accès aux soins, les gens vont continuer à être de moins en moins satisfaits du réseau public. Et moi, j'y crois, au réseau public, comme vous. Avec l'argent qu'on dépense, j'espère qu'on va l'améliorer.

M. Barrette : Oui, je suis d'accord avec vous. Mais donc je peux comprendre que, de façon répétitive, votre clientèle, vos membres, les gens que vous sondez qui sont chez vous, qui sont du public, hein, ils n'ont pas d'intérêt autre que de recevoir des soins de façon appropriée, c'est une grande préoccupation, l'accès, là?

M. Brunet (Paul G.) : Oui. Absolument, M. le ministre. C'est près de 50 % des gens qu'on a sondés dans quatre «focus groups» à travers le Québec et dans un sondage Internet de plus de 1 000 personnes qui nous disent ces jours-ci, ces mois-ci : C'est une priorité pour nous, trouver un médecin quand on en a besoin.

M. Barrette : Et là je me tourne vers vous, Mme Raymond. Vous m'avez beaucoup étonné parce que vous, vous êtes sur le...

Mme Raymond (Marielle) : Moi, le comité des usagers, et je suis au conseil d'administration du CSSS à Rivière-du-Loup.

M. Barrette : Du CSSS en plus.

Mme Raymond (Marielle) : Oui.

M. Barrette : Mais, quand vous nous parlez aujourd'hui, là, comme... Vous m'avez beaucoup étonné, je vais vous dire pourquoi, parce que tantôt vous avez pris un exemple de temps partiel. Est-ce que je dois comprendre que vous, en dehors de votre rôle de membre ou présidente du conseil d'administration du CSSS, vous voyez à ce point-là le temps partiel?

Mme Raymond (Marielle) : Bien, c'est parce que, quand je...

M. Barrette : Non, non, mais c'est étonnant, là.

Mme Raymond (Marielle) : Oui. C'est que, quand je suis au conseil d'administration, on accorde des privilèges aux médecins, hein, vous savez. Dans les CSSS, bon, bien, dans les CSSS qui existaient, on accordait des privilèges aux médecins. Et, à un moment donné, on avait, mettons, 43 médecins omnipraticiens qu'on avait droit chez nous, mais par contre, si on regardait, il y avait des médecins qui étaient à temps partiel, et on les comptabilisait dans les 43. Donc, ce n'étaient pas 43 temps-pleins, c'étaient 43 mais à temps partiel, quelques-uns, là. Si vous en avez cinq à temps partiel, vous n'êtes plus rendu à 43 dans la pratique. Et ces gens-là ne peuvent pas prendre de patients, donc on a au-dessus de 2 000 usagers chez nous qui n'ont pas de médecin, et ils ne peuvent pas... C'est comptabilisé, mais ils ne sont pas effectivement sur le terrain.

M. Barrette : C'est intéressant parce que vous êtes la première, je vais dire, de l'administration qui nous dit ça avec autant de franchise. Et, pour les gens qui nous écoutent, les gens ne réalisent pas... Parce que les gens pourraient dire, ceux qui ne sont pas habitués, que le CSSS, c'est l'hôpital, mais un CSSS, ce n'est pas juste l'hôpital, ça inclut l'extérieur.

Mme Raymond (Marielle) : Non, c'est ça.

M. Barrette : Et donc, quand vous dites : Ils sont à temps partiel, on ne peut pas invoquer que, oui, on est à temps partiel à l'hôpital, mais on est à temps partiel aussi, puis ça fait un temps plein, à l'extérieur, là, c'est vraiment la région.

Mme Raymond (Marielle) : Oui, mais c'est le problème de ne pas avoir effectivement les 45 médecins, disons, qu'on aurait droit.

M. Barrette : Vous avez raison.

Mme Raymond (Marielle) : Puis là, bien, il y a des trous, là, les gens n'ont pas de médecin de famille parce qu'on n'a pas vraiment ce à quoi l'agence régionale nous accordait, parce que c'est l'agence régionale qui disait : Bien, dans votre CSSS chez vous, vous avez 45 médecins.

M. Barrette : Oui. Bon, là, ça va être un CISSS, là, mais je comprends bien ce que vous dites. Mais, à votre avis... Est-ce qu'il y a des raisons que vous voyez, là? Parce que, si c'est aussi visible que ça, est-ce que les raisons du temps partiel le sont aussi?

Mme Raymond (Marielle) : Je ne sais pas pourquoi c'était comme ça. Vraiment, là, on posait des questions quelquefois à des agences qu'on avait chez nous, et les réponses étaient nébuleuses.

M. Barrette : Nébuleuses. Bon, O.K.

Mme Raymond (Marielle) : Bon. Donc, vous savez, c'est difficile, à un moment donné, d'avoir toujours la bonne réponse.

M. Barrette : Ah oui! Oui, ça, c'est vrai. Puis des fois on avance des choses puis on se faire dire que ce n'est pas vrai, mais, quand on creuse, c'est vrai. Mais ça, c'est la vie.

Mme Raymond (Marielle) : Il y a une petite chose que je voulais vous faire remarquer aussi. Quand on dit que les gens sont moins satisfaits peut-être des soins qu'on donne, je vais vous donner un exemple. Quand on a des personnes qui sont en résidence, peu importe la résidence, ça peut être la Résidence du Havre à L'Isle-Verte, vous en avez assez entendu parler probablement, là, puis moi aussi, parce que je connaissais la moitié des gens qui étaient là, donc vous savez que ça me tenait à coeur, ces gens-là, là...

M. Barrette : C'était dramatique.

Mme Raymond (Marielle) : Ils avaient des gens qu'on envoie à l'hôpital, on les soigne. Je n'ai rien à ce qu'on garde des gens inutilement dans un centre hospitalier, parce que ça se détériore quelquefois, leur situation, là, mais, quand on les renvoie trop vite dans une résidence où il n'y a pas d'infirmière ou des choses chose comme ça, on fait une chirurgie puis on renvoie ça, qu'est-ce qui arrive souvent, trois, quatre jours après on est obligé de reprendre cette personne-là qui a été hospitalisée, qui s'est détériorée parce qu'on n'avait pas les soins appropriés dans les résidences.

Donc, les personnes âgées, vous savez, ça ne prend pas de temps que ça descend, et moi, je me dis : Il faudrait peut-être avoir une attention particulière pour nos personnes âgées qui sont dans les résidences et ne pas les envoyer dans ces résidences-là. Si on a un personnel infirmier, il n'y a pas de problème, parce qu'on va s'occuper d'eux, mais, quand on n'a pas de personnel pour s'occuper d'eux, souvent ils reviennent dans le centre hospitalier trois, quatre jours après puis en plus mauvais état que quand ils sont partis.

M. Barrette : Je comprends. Et vous, M. Brunet, est-ce que la situation que décrit Mme Raymond, c'est quelque chose que vous voyez qu'on peut extrapoler à la grandeur du réseau de façon raisonnable?

M. Brunet (Paul G.) : Vous parlez de la situation, M. le ministre, dans les CHSLD, des gens qu'on retourne trop vite en...

M. Barrette : Non, dans le CSSS. La problématique du temps partiel.

M. Brunet (Paul G.) : Je n'ai pas cette vision très proche comme Mme Raymond et les autres membres de notre conseil d'administration ont, parce qu'ils siègent, eux autres, aussi sur des CSSS. Alors, moi, je ne siège pas à des CSSS, en tant que tel, je n'ai pas cette finesse de l'information.

D'ailleurs, on s'est bien gardés aujourd'hui de commenter la mécanique que vous proposez parce que, comme vous l'avez déjà dit, nous ne sommes que des commentateurs.

M. Barrette : J'ai dit ça, moi?

M. Brunet (Paul G.) : Oui, vous m'avez dit ça une fois.

M. Barrette : Bien là, vous êtes des observateurs, j'ai choisi un mauvais mot.

M. Brunet (Paul G.) : Très bien. Bien, merci. On remonte, on remonte tranquillement.

• (15 h 30) •

M. Barrette : Vous avez fait référence... Mais là je sais que vous ne voulez pas commenter la mécanique, mais je n'ai pas le choix de vous poser la question quand même parce que ça va nous orienter peut-être dans l'ajustement de certains critères, là. Quand vous avez fait référence à 3, 4, 9 et 12, vous avez parlé d'abus potentiels. Pouvez-vous élaborer là-dessus? Parce que ça m'intrigue beaucoup, là, ce que vous... parce que des fois... Vous savez que moi, je suis à la chasse à ça en général, mais on ne voit pas tout, dans la vie, là.

M. Brunet (Paul G.) : Non. Bien, en fait, ce qu'on essayait de dire — puis vous le savez, je suis juriste de formation — c'est que, pour nous, cette notion-là, dans le texte de loi, ne semble pas appuyée sur une définition dans le projet de loi lui-même. Je n'ai pas trouvé non plus de définition dans la loi sur la santé. J'en ai vu un peu sur Internet peut-être, quelques références au Code de déontologie des médecins, mais, pour éviter... Parce qu'apparemment qu'il y a des gens qui en auraient abusé, de ces concepts de prise en charge là et d'une certaine bonification de la rémunération dans le passé, qui n'était pas trop... assez récent, et on veut éviter que des gens demandent une bonification de la rémunération au motif qu'ils auraient pris en charge un certain nombre de patients alors qu'ils ne les auraient pas vus ou qu'ils ne les verraient pas. C'est ça dont on veut se prémunir.

M. Barrette : Vous avez raison. Et la raison pour laquelle ce n'est pas dans le projet de loi, c'est que je n'ai pas besoin du projet de loi pour m'adresser à ça, parce que ce à quoi vous faites référence, c'est tout ce qui rentre dans la catégorie des primes à la prise en charge, peu importe le terme qu'on utilise. Et je suis d'accord avec vous, il n'y a pas de lien de causalité entre l'inscription et la visite. Et ça, on s'entend tout à fait là-dessus, et je n'ai aucune hésitation à le répéter, là, je le dis publiquement, les jours sont comptés de ce genre de mesure là.

Je sais que vous me dites que vous ne voulez pas vous adresser à la mécanique. Je vais faire des pressions sur vous quand même, là. Compte tenu de la problématique de base que l'on connaît dans le réseau, est-ce que vous avez quand même... Je sais que vous ne voulez pas en faire, mais est-ce que vous pensez qu'on est dans le champ gauche? Est-ce qu'on est au moins dans le stade?

M. Brunet (Paul G.) : Écoutez, nous l'avons écrit, nous avons fait une revue documentaire, on a essayé de trouver tout ce qui avait été dit ou écrit sur le sujet, directement ou indirectement, et ce dont on est certains, c'est qu'il y a un problème d'accès depuis au moins 15 ans, je pense qu'on a appuyé notre propos sur suffisamment de documentation. Et, encore une fois, puisque nous n'avons pas entendu... Peut-être êtes-vous mieux placé que moi pour nous le dire, nous n'avons pas entendu et vu ou lu sur des efforts des grandes fédérations de médecins pour véritablement s'asseoir avec les différents ministres qui se sont succédé depuis 15 ans pour trouver une solution à l'accès. Vous-même, vous nous avez dit, à un moment donné, quand vous étiez à la fédération, que vous avez fait des tests en oncologie ou en radiologie, vous avez dit : Ça peut marcher, ça peut être plus efficace, et je n'ai pas compris pourquoi on ne l'étendrait pas, ce secret-là ou cette solution-là, à tout le monde, à toutes les spécialités, et je ne comprends pas que les autres présidents d'association de médecins spécialistes ne vous aient pas suivi ou qu'on ne suggère... à qui on ne suggérerait pas d'aller dans le sens des solutions que vous-même aviez dit que vous aviez trouvées. Pourquoi on n'a rien fait depuis 15 ans, puis là c'est le scandale sur cette mécanique ou cette façon de faire? On peut avoir des réserves sur la façon que vous proposez, mais vous l'avez dit, vous aussi, est-ce qu'il y en a d'autres qu'on a proposées sérieusement au réseau de la santé pour en venir à bout? Moi, je n'en ai pas vu beaucoup d'autres, là. On a mis beaucoup d'argent, vous l'avez dit, puis je ne veux pas vous répéter.

Il y a une affaire aussi importante que vous avez dite, et moi, je commente le réseau de la santé depuis madame...

M. Barrette : Lavoie-Roux.

M. Brunet (Paul G.) : Non, non, ça, c'est mon frère qui était là. Mme Marois, excusez-moi.

M. Barrette : O.K. On n'était pas loin.

M. Brunet (Paul G.) : Depuis que Mme Marois est là, O.K., ça fait qu'on en a vu passer, des ministres. Vous êtes le seul qui avez dit, quand vous êtes arrivé... Et ça, je sais qu'on n'est pas toujours sur la même longueur d'onde, mais vous avez dit : Si les patients, à la fin de l'exercice, ne s'aperçoivent pas d'une différence, on aura échoué. Je n'ai jamais entendu un ministre dire ça. Il y a une lucidité là-dedans avec laquelle on doit composer et pour laquelle je vous en suis gré, M. le ministre.

M. Barrette : Je vous remercie. Puis je vais le répéter : Si on ne voit pas de différence à la fin de ça, on a échoué. Je suis tout à fait d'accord.

Pour répondre à votre question pourquoi jamais personne ne le fait... Je pense que vous étiez à la table de concertation en 2010, là, la réunion, là, qu'il y avait, on était en pelures d'oignon, là, on était en carré, là. Vous vous rappellerez que c'était un sommet, hein? Il y a bien des gens qui nous demandent de faire des sommets, mais c'en était un, sommet, ça. Je vois Mme Raymond sourire, je pense que vous étiez peut-être là en quelque part, là. Mais c'était un sommet, puis je me rappelle que vous étiez là, puis c'était un sommet là-dessus, et on se rappellera que la FMOQ, à l'époque, avait quitté la table, et elle avait quitté la table en disant : On est ciblés. Bien, c'est sûr. Le problème, il est là, là. Et la raison que j'ai dite à plusieurs reprises, vous vous en rappellerez, là, c'est une autre citation, là, je vais me citer moi-même, j'ai souvent dit qu'il y a des décisions qui ne peuvent pas se prendre ailleurs que par la personne qui est assise sur le siège du ministre. Les solutions existent, mais, les fédérations, spontanément, que ce soit celle que j'ai déjà présidée ou celle qui est celle des médecins de famille, les présidents sont pris dans certaines contraintes de représentation, on va dire, et là, à un moment donné, s'il n'y a pas un acteur de changement, un agent de changement extérieur, le changement n'arrive pas.

Je ne sais pas si vous avez écouté ce matin la comparution de l'association des médecins urgentologues, je vais les citer : Oui, ça va changer maintenant parce que le projet de loi n° 20 nous botte le derrière, on n'a pas le choix de faire quelque chose. Je peux vous dire que je l'ai enregistrée, celle-là, là, puis il n'y a pas un journaliste devant lequel je passe depuis ce matin à qui je ne dis pas : Avez-vous entendu, là? Alors, c'est ça qui se passe. Et ce qui se passe, c'est qu'à un moment donné quelqu'un doit générer le changement.

Il ne me reste pas beaucoup de temps, mais là-dessus, aujourd'hui, là... C'est vrai qu'on n'est pas toujours sur la même longueur d'onde, mais aujourd'hui on l'est, par exemple, ça, c'est très clair. Il me reste 1 min 30 s à peu près. Je serais surpris que vous n'ayez pas des commentaires à faire sur la partie PMA.

M. Brunet (Paul G.) : Honnêtement, M. le ministre, je ne crois pas que nous ayons la compétence et l'expertise, et je n'ai pas fait de recherche suffisamment pour avoir l'air intelligent puis vous parler de ça aujourd'hui.

M. Barrette : O.K., je comprends. O.K., c'est bien correct. Bien, globalement, à 32 000 pieds, là, vous ne voyez pas de problème majeur, là? Je comprends qu'il y a des problématiques, on va dire, éthiques, intellectuelles, philosophiques du 42 ans, là, mais, à part ça, vous, en tout cas vos gens sur le terrain que vous représentez, vous n'êtes pas inondés de téléphones, là?

M. Brunet (Paul G.) : Non, mais, comme êtres humains, nous pouvons tous et toutes penser que n'importe qui qui a un problème pour avoir un enfant devrait avoir cette assistance-là.

M. Barrette : Tout à fait d'accord. Tout à fait. Une dernière question peut-être, parce qu'il me reste juste 30 secondes à peu près, là. Notre approche, je sais que vous ne voulez pas la commenter, mais, la question des ratios, là, pensez-vous que c'est une avenue que vous considérez comme étant valable, juste comme ça, là?

M. Brunet (Paul G.) : Encore une fois, c'est un peu dans la mécanique...

M. Barrette : Vous ne voulez pas, hein? C'est correct.

M. Brunet (Paul G.) : ...mais ce dont on peut convenir, c'est que c'est sûr que les profils sont différents dans la pratique, puis assurons-nous, M. le ministre... J'ai fait beaucoup de réorganisation dans ma propre organisation, dans des municipalités où j'ai oeuvré, parfois avec 400 employés, et ça prend des alliés, pour faire une réforme, parce que, si on est tout seul à avoir raison, des fois on peut l'échapper puis on peut échouer. Et ça, c'est ce que je souhaite, que vous ayez le plus d'alliés possible et à qui vous allez expliquer le plus possible votre projet, parce que je sais que vous êtes bien intentionné, mais assurez-vous d'avoir des alliés, parce que vous ne pourrez pas faire ça tout seul, c'est clair.

Le Président (M. Tanguay) : Merci.

M. Barrette : Peut-être en une seconde, pour paraphraser la présidente du Conseil du statut de la femme, il y a une majorité silencieuse.

Le Président (M. Tanguay) : Ceci met fin à l'échange. Je cède maintenant la parole à notre collègue députée de Taillon pour 13 minutes.

• (15 h 40) •

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue. Bienvenue, Mme Raymond. Bienvenue, M. Brunet. Très contente que vous soyez là et que, Mme Raymond, vous soyez là aussi pour représenter tout particulièrement les malades, les gens qui ont besoin de ces services.

Vous le savez, le dossier de l'accessibilité aux soins, à notre système de santé, c'est une préoccupation majeure. J'étais des premières rencontres en 2009 qui devaient régler la situation, le Québec a la situation la plus catastrophique en termes d'accès. Quand on va dans d'autres pays, même des pays en développement, puis qu'on dit qu'on a 25 % des Québécois qui n'ont pas accès à un médecin de famille, les gens ne nous croient pas, ils ne comprennent pas. Alors, c'est important de faire des changements, mais c'est important de faire les bons changements et de faire en sorte qu'on parte du bon niveau pour être capable d'arriver et d'être sûr d'avoir les bons résultats. Donc, je pense que tout le monde est de bonne volonté, tout le monde est de bonne foi autour de cette table-ci, le ministre certainement aussi, mais on est là pour l'accompagner, et bonifier, et peut-être lui donner des alertes, des mises en garde. Alors, c'est un petit peu ça qu'on va faire.

J'aime beaucoup aussi et je reconnais bien, M. Brunet, votre concision et la priorité sur des sujets. Vous en retenez deux, recommandations, dans le fond. Il y en a une qui me frappe vraiment, vous dites : On devrait remplacer les mots «reddition de comptes» par «obligation de transmettre des informations». Et je pense qu'on touche là un point important. Vous avez parlé de plusieurs réformes; il y avait certainement du bon dans chacune de ces réformes-là, mais on avait mis des balises et on ne s'est pas assuré que les gens redonnaient les balises qu'on avait mises. Je donne des exemples : les GMF, pour lesquels on avait des obligations d'heures d'ouverture, de nombre de patients inscrits, puis on a mis beaucoup d'argent dans ça, puis on n'a pas eu le retour, puis on n'a toujours pas, semble-t-il, la volonté de faire en sorte que là, là, ce soit respecté. Le contrat a été signé, l'entente a été faite, l'argent a été versé. Il faut que ces engagements-là...

Alors là, on s'en va vers un système où on va avoir des engagements individuels avec chacun des médecins. Alors, si on ne suit pas clairement, précisément, quotidiennement les résultats, si on prend trois ou quatre ans avant de revérifier si les équilibres, les pondérations ont été bien respectés, on n'aura peut-être pas mieux parce que, la nature humaine étant faite comme elle est, bien on choisit à travers les méandres ce qui nous convient le mieux puis parfois on oublie l'ensemble de la population et l'ensemble des malades.

Alors, dans l'obligation de transmettre des informations, pouvez-vous me dire comment vous voyez ça et peut-être les écarts que vous avez pu observer de ne pas avoir eu ce suivi, cette rigueur par rapport à l'obligation de transmettre des informations? Avez-vous des exemples?

M. Brunet (Paul G.) : Bien, en fait, tout ce que je voulais signaler ici, Mme la députée, c'est que le concept de reddition de comptes n'a rien à voir avec ce que l'article 22 prescrit. L'article 22 oblige des établissements, des agences à fournir des renseignements. Une reddition de comptes, c'est quelqu'un qui rend des comptes parce qu'il a eu l'autorité déléguée de faire ce qu'il avait convenu qu'il ferait avec les moyens qu'il a choisi de les faire. La reddition de comptes fait partie de quatre éléments que la littérature identifie dans le domaine de l'imputabilité. Quand on est imputable, on rend des comptes; quand on n'est pas imputable, on ne rend pas de comptes.

Alors, ici, l'article 22 parle littéralement de fournir de l'information. Je proposais simplement de changer le titre parce que ce n'est pas ça, une reddition de comptes. Une reddition de comptes, c'est de rendre des comptes parce qu'on s'est vu déléguer une autorité, un pouvoir d'agir sur le comment, et par la suite en répondre. Ce n'est pas ce que l'article 22 dit.

Alors, je ne voulais pas entrer plus dans ce sujet-là que pour dire que le titre n'était peut-être pas bon. On retrouve le titre dans la loi sur la santé. Encore une fois, ce n'est pas de la reddition de comptes, malgré ce que des gens très sérieux ont pu écrire dans la loi sur la santé. Je trouve ça triste qu'on ait galvaudé le principe de la reddition de comptes parce que c'est un beau... c'est magnifique de lire là-dessus, j'ai fait une maîtrise sur l'imputabilité dans la fonction publique, mais arrêtez de l'écrire partout, ce n'est pas ça que vous faites.

On n'a jamais eu de monde imputable dans le réseau de la santé. Des directeurs généraux d'hôpitaux me l'ont dit, on n'a jamais congédié un directeur général d'hôpital ou une directrice générale parce qu'il ou elle n'est pas imputable parce que tout est concentré. On a déconcentré l'autorité en 1990 avec la loi n° 120, on ne l'a pas décentralisée. Vous faites le plan d'hygiène, mais c'est moi qui l'autorise, puis je vais dire quoi mettre dedans. Tu ne peux pas rendre personne imputable, et personne ne peux-tu obliger de rendre des comptes quand il n'a pas décidé ni du quoi ni du comment dans ce que tu lui as demandé de faire.

Mme Lamarre : Vous avez aussi comme témoigné de ce que les malades vivent, et j'aimerais ça qu'on puisse... En fait, moi, ce que je pense qui est un peu risqué, dans ce projet qu'on a actuellement sur le... et parce qu'on n'a pas aussi tous les aspects de la pondération et des équivalences, c'est qu'on pourrait très bien arriver avec énormément de pondération et d'équivalences, qui ferait que très peu de médecins seraient, finalement, obligés de prendre les 1 250 patients, parce que tout le monde aurait eu des exemptions de prendre ce grand volume de patients là, et qu'on se retrouverait encore avec une masse critique de gens qui n'auraient pas de médecin de famille mais avec cette fois-ci une caution qui dirait que le médecin est très bien capable de démontrer qu'il remplit parfaitement les obligations qui sont prévues au projet de loi n° 20. Alors, je ne sais pas si vous avez une observation à faire sur ça. Puis je vais laisser la parole ensuite à mon collègue de Rosemont.

M. Brunet (Paul G.) : Je suis convaincu que la grande majorité des médecins sont de bonne volonté puis veulent faire bien. J'entendais Mme Roy, de la CAQ, que j'ai croisée tantôt, qui me racontait que dans sa région il y a un gros GMF de 14 cliniques; il y en a juste une qui est ouverte le soir pour rencontrer les heures, puis tout le monde profite de la bonification de la rémunération. Ce n'est pas ça qu'on voulait faire, mais il y a des gens qui sont coquins puis qui réussissent. Ils le faisaient avant, ils le font maintenant, puis probablement qu'ils vont trouver des «loops» dans le projet du ministre. Ce qu'on veut, c'est que les médecins soient accessibles aux patients. Combien de fois on a reçu des appels de gens qui ont besoin d'un spécialiste pour leur enfant puis qui se font dire que ça va être dans 11 mois? Il va être trop tard, cet enfant-là va être hypothéqué pour le restant de sa vie, puis il va être sur le bien-être social, puis on va payer pour lui. C'est inacceptable. Le statu quo ne peut pas durer.

Comment cela va s'articuler? Je l'ai dit, je ne commenterai pas sur la mécanique, mais il y a quelque chose qu'il faut être fait. Et je suis peiné que les fédérations ne soient pas plus impliquées. Je ne sais pas si elles l'ont été avant, mais, dans la revue documentaire que j'ai faite, je n'ai pas vu ça. Je n'ai pas vu ça, Mme la députée, je n'ai pas vu ça autant que je l'ai vu de la part de l'Ordre des pharmaciens, de l'association des pharmaciens propriétaires, qui se sont penchés depuis 10 ans sur les questions de médicaments, sur la pharmacie, sur... Combien de fois vous avez tendu la main — c'est comme ça que je vous ai connue — à l'Ordre des pharmaciens, pour améliorer le système? Le projet de loi n° 41 est supposé d'amener... de permettre 1 million d'heures-médecin de plus de soins pour que les pharmaciens fassent leur job pour laquelle ils sont plus compétents des fois que les médecins, ça, c'est pour faire avancer l'accès, mais je n'ai pas entendu, je n'ai pas vu cette main tendue de la part des grandes fédérations, à part des fois où ils ont revendiqué leur rémunération. Ça serait le fun qu'ils s'assoient avec le gouvernement, trouver ensemble des... Écoutez, ils sont responsables de la moitié des dépenses dans le réseau de la santé, je ne comprends pas qu'ils ne se soient jamais sentis impliqués dans le solutionnement des problèmes. Je ne les ai pas entendus. Je les ai côtoyés quelques fois, mais je ne les ai pas entendus. J'ai hâte que ça se passe. Peut-être qu'il est encore le temps. Le ministre semble vouloir donner un petit peu d'oxygène dans le dénouement, le déroulement du projet de loi. Peut-être qu'il y a encore une chance. J'espère, parce qu'on ne le fera pas sans eux, tu sais... bien je ne pense pas. Et j'ai peur à certaines actions que des grandes fédérations de médecins ont pu vouloir poser dans le passé, que la Cour d'appel a sanctionnées récemment.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup, Me Brunet. On va céder maintenant la parole au collègue de Rosemont pour encore quatre minutes.

M. Lisée : Merci, Mme Raymond, M. Brunet. Effectivement, donc, on a cette discussion sur la nécessité du changement, le statu quo n'est pas acceptable, et comment arriver à ce changement. Alors, on a un ministre qui dit : Bien, ça prend un agent extérieur de changement, parce que lui-même était président d'une fédération de spécialistes. Et vous dites : Bien, où ils étaient tout ce temps-là pour nous dire de trouver des solutions? Ils défendaient très bien leurs intérêts corporatistes. Ça, il n'y a aucun doute là-dessus, les résultats sont là pour le prouver.

Et dans votre mémoire, à la fin, vous dites que vous vous demandez pourquoi, depuis toutes ces années, «d'autres solutions que celles maintenant inscrites au projet de loi n° 20 ne semblent pas avoir été discutées, convenues, essayées par les médecins — et sans doute vous incluez les spécialistes là-dedans — en accord avec le ministère de la Santé. Pourquoi, à l'aube de l'adoption de la loi, qui sera fort probablement soumise aux tribunaux par les fédérations de médecins, les médecins se disent pris par surprise, choqués par les intentions annoncées du ministre de la Santé?»

Alors, ce que vous nous dites, c'est, bon, puis tout le monde est d'accord autour de la table : Le statu quo n'est pas acceptable. Ça prend un agent de changement déclencheur. Bon, on l'a, hein, le ministre actuel est un agent de changement déclencheur, c'est sûr.

Maintenant, vous n'êtes pas le premier à venir nous dire : Mais, vous savez, si on adopte ce projet de loi là, ensuite les fédérations vont aller au-devant des tribunaux, et les coquins, je vous cite, qui trouvent des façons de contourner vont trouver des façons de contourner, et ce serait tellement mieux si les gens agissaient comme altruistes, c'est votre terme. Vous dites : Bien, ce serait peut-être le temps, par altruisme, et aussi parce que le changement est en cours et là les gens ont peur du type de changements qui viendront... Est-ce qu'il y a un espace politique, social qui est créé maintenant pour dire : Bon, bien on réessaie le sommet, on réessaie le sommet, sachant qu'il y a cette épée de Damoclès à la fin? Le ministre n'est pas enclin à ça, mais, s'il y a assez de gens ici qui nous disent : Écoutez, est-ce qu'on peut mettre ça de côté, cette épée de Damoclès qui va être soumise à des contestations légales, c'est certain, et dont on n'est pas certain aussi de l'applicabilité, là, hein? Je sais que le ministre y croit, mais ça a l'air plus compliqué qu'il ne le pense peut-être. Et, les effets pervers, on les a déjà vus avant, ce serait mieux que ce soit consensuel, et finalement c'est ce que vous dites. Puis l'appel que vous faites, bien vous le faites un peu au ministre mais aussi aux médecins puis aux fédérations de médecins. Ça, ce serait la solution idéale, selon vous.

• (15 h 50) •

M. Brunet (Paul G.) : Écoutez, je le disais tantôt, j'ai géré des organisations municipales de 400 employés pendant 30 ans et je disais à mes syndicats : Vous êtes capables du pire et du meilleur. Quand vous décidez de barrer des quatre roues, comme on dit, c'est l'enfer, vous allez tout détruire. Si vous décidez de vous asseoir avec nous, le patron, puis d'organiser quelque chose, une convention collective puis une desserte des services à la population, vous êtes des champions.

Si on ne les a pas avec nous, c'est sûr que ça n'augurera pas bien, je veux dire, on est obligés de dire que l'expérience nous a enseigné... Que ce soient des médecins ou des cols bleus, je sais, en tout cas avec les cols bleus, que, par expérience, s'ils décident que ça ne se passera pas, ça va aller mal. Alors, on peut imposer des choses, on peut punir, mais je demeure convaincu que les gens qui s'entendraient... Et je suis convaincu, parce que M. le ministre est un homme intelligent, qui comprend cet aspect-là du dossier, que, si les médecins décident de ne pas embarquer puis que tout se met à mal aller... je ne suis pas sûr qu'on va y trouver notre compte au bout parce que... Tout le monde comprend ça. Mais parfois de sympathiquement provoquer des choses et des discussions, bien peut-être que cela peut provoquer, encore une fois, des discussions et une solution. Espérons-le, parce que je continue de dire, par expérience puis par formation de maîtrise, que la littérature nous enseigne que, quand on brasse, bien il faut être prêt à brasser, puis ça prend des alliés. Moi, c'est ça qui m'inquiète le plus.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Merci. Alors, nous cédons maintenant la parole à notre collègue de Lévis pour une période de 8 min 30 s.

M. Paradis (Lévis) : Merci, M. le Président. Merci de votre présence, Mme Raymond, M. Brunet. Vous y êtes, hein, depuis longtemps puis... et là je ne parle pas d'âge, je parle de l'organisation et votre vision des choses, hein, depuis 1973, là, le Conseil pour la protection des malades, M. Brunet, auparavant M. Brunet, maintenant madame... Vous êtes là, je le sais. Je vous entends et je vous ai vus à plusieurs reprises.

Vous disiez il y a deux instants, avant de vous poser des questions plus précises, que le ministre est le premier, M. Brunet, à dire que les patients pourront le juger sur les résultats et que vous trouviez ça à propos. Je vous dirai cependant que Jean Charest avait fait la même chose en 2003 en une de La Presse, en disant : Je m'engage à revoir le système de santé, c'était en 2003, et qu'il avait dit, écrit noir sur blanc : Les gens me jugeront sur les résultats. Aujourd'hui, on est encore à 16 h 30 min d'attente moyenne, hein, je veux dire, et vous le savez aussi. Alors, la pression est lourde.

Et puis le statu quo, vous avez raison, le statu quo n'est pas une option, mais il y en a aussi, des solutions, les gens nous le disent, je veux dire, il y a des pistes de solution. Et je comprends que vous vous demandiez : Comment se fait-il qu'on ne trouve pas entente?, et que quelque part, assurément, la collaboration est beaucoup plus productive que la confrontation, et ce, dans à peu près n'importe quoi. Des propositions, on en a parlé, là, et je sais que vous n'embarquez pas dans la mécanique, mais on en a proposé, puis ça a été ramené par des gens, des modes de rémunération différents pour faire en sorte qu'on ait un phénomène de prise en charge, les AMP, là, sans tomber dans la mécanique, mais, si on les abolissait graduellement, ça pourrait donner une chance pour aussi faire du travail en cabinet, on a parlé de travail multidisciplinaire également, et ça, vous l'abordez, bon, à travers tout ça.

Alors, il y en a, des solutions, puis effectivement on se demande qu'est-ce qui se passe. Puis honnêtement je vous poserais la question quand même : À la lumière de ce qu'on se dit maintenant et de cette bonne volonté dont vous nous parlez, que vous souhaitez, est-ce qu'on pourrait réussir à faire en sorte que le système change — vous le réclamez — sans avoir nécessairement besoin de passer par un projet de loi tel que celui dont vous parlez aujourd'hui?

M. Brunet (Paul G.) : Écoutez, je ne connais pas assez le discours des fédérations. Ce que je sais, c'est qu'on ne les a pas entendues parler souvent de solutions, mais ça serait bien qu'elles décident de s'asseoir.

Il est peut-être un peu tard, ça fait 15 ans que les patients attendent et disent qu'il y a un problème d'accès. En fait, ça fait plus longtemps que ça. Rappelez-vous que M. Desgroseillers, un ancien P.D.G. d'agence, disait en 2001, lors d'un congrès, du colloque du Conseil de la santé et du bien-être, qu'il n'en revenait pas que les recommandations du rapport Rochon faisaient l'objet d'un constat d'échec dans le rapport Clair en 2001. Je veux dire, on est loin, là, tu sais. Comment ça se fait qu'on n'est pas plus avancés et que pourtant ailleurs au Canada et en Ontario ce n'est pas aussi long que ça, c'est plus facile d'avoir accès à un médecin? Il y a plusieurs raisons, on pourrait en parler longtemps, mais je pense que les médecins, leurs fédérations puis le gouvernement sont les principaux acteurs pour solutionner cette question-là et je demeure convaincu qu'ils peuvent ensemble régler la question. Et peut-être que de provoquer un débat ou un changement peut apporter, je l'espère, une ouverture de la part des fédérations.

M. Paradis (Lévis) : Vous n'avez pas tort, M. Brunet, dans la mesure où vous parlez des rapports, mais Castonguay-Nepveu, Rochon, Clair apportaient des solutions, notamment et encore une fois à travers les modes de rémunération. Les modifications, il y a des choses qui ont été proposées, et on est en train de dire : Est-ce qu'il faut passer par du coercitif ou du punitif?

Je vous pose une question avant de m'adresser à Mme Raymond. La perception des gens que vous représentez... Parce qu'on a beaucoup parlé de jours de travail, du travail des médecins et de voir davantage de patients. La perception sur le terrain de ceux à qui vous parlez, que vous représentez, est-ce que les gens que vous représentez pensent que les médecins ne travaillent pas assez? Quelle est la perception?

M. Brunet (Paul G.) : Ça dépend des endroits. Ce que j'entends, puis Mme Raymond va répondre de son côté, ce que j'entends, c'est que les gens veulent voir un médecin. Ils ne savent pas ce qu'ils font, les médecins, mais ils en ont besoin d'un. Ils veulent voir un médecin pour leurs enfants, pour leurs proches, pour eux-mêmes, pour leurs parents plus âgés; ils n'en ont pas. Ce que j'entends des membres du conseil d'administration, c'est qu'en région ils les connaissent plus, les médecins, puis ils proposent que mon discours soit un peu moins dur envers les médecins parce qu'on en a besoin, on les connaît, puis ils sont dévoués. Alors, je n'ai aucun doute que la très grande majorité des médecins sont dévoués, sauf qu'à un moment donné les statistiques sont là. À moins qu'ils nous disent qu'on est dans l'erreur. D'ailleurs, ça aurait été le fun d'entendre la FMOQ, par exemple, dire : Les médecins ont tort parce que, voici, au Québec c'est 80 % des gens qui ont accès à un médecin et non pas 70 %, tu sais, que quelqu'un arrive avec des chiffres puis prouve le contraire, mais ce contraire-là n'a pas été prouvé, à mon avis. Alors, il y a un problème, et c'est eux. La solution est dans leurs mains et certainement dans celles du gouvernement.

Mme Raymond (Marielle) : Moi, je pense que nos médecins... en tout cas la plupart de nos médecins travaillent bien. J'en vois, moi, dans les CSSS, là, puis, je vais vous dire une chose, je leur lève mon chapeau, parce qu'ils sont là quelquefois, dans les hôpitaux, de sept heures du matin, il est 11 heures le soir, puis je les rencontre encore quand je suis sur le terrain. Donc, bravo! La plupart qui sont là font un bon travail.

Il manque peut-être des médecins à des endroits. Ça, c'est sûr qu'il en manque à quelque part. Pourquoi? Pourquoi il en manque? Parce que peut-être le calcul a mal été fait. Mais il y a une petite chose que je pense que je vais vous dire. Vous savez, on m'a toujours dit qu'un bon général d'armée, quand il s'en va sur le terrain, il faut qu'il regarde tranquillement en arrière, voir si les troupes suivent, parce que, si les troupes ne suivent pas, il va avoir un sérieux problème à un moment donné. Et moi, j'ai toujours pensé ça quand j'étais un chef syndical, j'ai regardé si mes troupes me suivaient, parce qu'à part de ça, je vais vous dire une chose, je me serais ramassée au front puis je me serais fait mitrailler. Donc, je pense que c'est peut-être bon de voir si nos troupes suivent.

Donc, les troupes, moi, ce que je veux dire, ce sont les médecins. Allez les chercher, allez les chercher, vous allez en avoir qui vraiment vont vous aider, et il s'agit de les trouver. Parce que moi, je fais une étude comparative sur les systèmes de santé du Québec, de l'Ontario et du nord des États-Unis, j'en suis à faire mon doctorat, à mon âge, pas pour prendre un poste de ministre, pas pour prendre autre chose non plus mais pour essayer de faire avancer les choses. Donc, allez-y.

M. Paradis (Lévis) : ...être recrutée, qui sait, vous savez que le général Barrette aussi s'y intéresse. Parce que vous me parliez de soldats.

M. Brunet (Paul G.) : M. Paradis, j'aimerais ça qu'on règle la question de l'accès et que cette question-là ne soit plus une chose sur laquelle on va lancer la serviette comme les couches en CHSLD. Rappelez-vous, quand vous êtes admis en CHSLD on vous met une couche, que vous soyez incontinent ou pas. Ça, là, ça fait 30 ans que ça dure. Je ne sais pas... Là, vous autres, vous vous en venez en CHSLD bientôt, vous allez voir c'est quoi, là. On va vous mettre une couche parce que votre mobilité va être réduite puis on va vous dire : On n'a pas le temps de vous amener aux toilettes. Ça, j'espère que ça va se régler comme l'accès à un médecin.

M. Paradis (Lévis) : ...ça, M. Brunet, sachez que je suis très sensible à ça, à travers les combats que vous menez, puis on les mènera de front.

Madame, c'est intéressant, vous dites : Je fais un doctorat et je compare les systèmes. Manifestement, le nôtre est à la remorque, là. Bien, qu'est-ce qu'ils ont choisi puis qu'est-ce qu'ils ont trouvé ailleurs? Parce que vous dites que vous faites du comparatif avec l'Ontario. Qu'est-ce qu'ils ont de mieux? Pourquoi ça marche mieux là puis que ça ne marche pas ici?

La Présidente (Mme Montpetit) : En conclusion. Il reste une trentaine de secondes.

• (16 heures) •

Mme Raymond (Marielle) : Bien, j'ai malheureusement le malheur de dire que, les agences régionales, moi, ça fait longtemps qu'au Québec je les aurais en tout cas descendues un peu, peut-être pas les enlever complètement. Il y en avait six en Ontario pour 13,5 millions, puis on en avait 18 au Québec pour 7 millions, donc il y avait quelque chose un petit peu qui n'allait pas tout à fait, là. Bon, vous savez, ce sont des choses comme ça qui font que... Peut-être qu'il y a trop de monde en haut, pas assez sur le terrain. Vous savez, les bonnes troupes, là, c'est sur le terrain, là. Quand bien même que j'aurais un lot de généraux en haut, ce n'est pas lui qui va faire la guerre. Donc, c'est sur le terrain que vous avez à avoir des gens.

Puis là, M. Barrette, j'ai un petit reproche à vous faire, parce que moi, je suis en train de travailler, là, sur ça, là, sur mes documents, puis là, dans le moment, avec votre réforme, là, je suis bloquée, là, je suis obligée d'attendre qu'est-ce qui va se passer, ça fait que je vous en veux un petit peu.

La Présidente (Mme Montpetit) : Mme Raymond, je suis désolée, je vais être obligée de vous interrompre. Mme Raymond, Me Brunet, je vous remercie pour votre présentation.

Je vais suspendre les travaux quelques instants et inviter le prochain groupe à s'installer.

(Suspension de la séance à 16 h 1)

(Reprise à 16 h 4)

La Présidente (Mme Montpetit) : À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, je souhaite la bienvenue à nos invités. Pour les fins d'enregistrement, je vous demande de bien vouloir vous présenter, nom et fonctions. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé, et par la suite nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

M. Damien Contandriopoulos

M. Contandriopoulos (Damien) : Damien Contandriopoulos, de l'Université de Montréal.

Mme Perroux (Mélanie) : Mélanie Perroux, de l'Université de Montréal aussi.

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous laisse y aller.

M. Contandriopoulos (Damien) : Merci beaucoup pour l'invitation. La présentation que je vais faire aujourd'hui est une synthèse d'un mémoire qui a été déposé. Ce mémoire a été produit par une équipe, donc je voudrais simplement mentionner les gens : Astrid Brousselle, Arnaud Duhoux, Mylaine Breton, Mélanie Perroux et Geneviève Champagne. Donc, c'est un travail collectif.

Notre analyse du projet de loi n° 20 est généralement favorable au projet de loi n° 20, avec un certain nombre de réserves, mais ces réserves-là sont essentiellement des ajustements destinés à assurer l'atteinte des objectifs du projet de loi. Donc, c'est un oui mais au projet de loi n° 20. Le mais est formulé de façon aussi constructive que possible à l'intérieur de 20 recommandations très opérationnelles. Ces recommandations-là visent à essayer, donc, d'atteindre les objectifs du projet de loi.

On ne va pas revenir sur les problèmes du système de santé québécois, je pense que beaucoup de gens les ont documentés devant la commission. Le projet de loi, notre interprétation, c'est qu'il repose sur trois choses fondamentales.

La première : beaucoup de débats publics sur la productivité des médecins. Or, je pense que c'est une fausse cible. Je pense que le problème de l'accès aux soins de santé au Québec n'est pas un problème de manque de productivité, c'est que la main-d'oeuvre médicale n'est pas utilisée de façon optimale là où elle devrait être. Il ne s'agit pas tant d'augmenter la productivité des médecins que de mieux arrimer la pratique médicale avec le système de santé, avec ses institutions et avec les besoins de la population. Là-dessus, le projet de loi propose des choses intéressantes.

Deuxième élément intéressant : une redéfinition de l'imputabilité. Le Code de déontologie des médecins, au Québec, mentionne déjà que les médecins ont une imputabilité plus large envers la population, mais ça a été très peu opérationnalisé ou mis en oeuvre. Le projet de loi, donc, étend l'imputabilité au-delà de la responsabilité du médecin face à son patient mais bien à la responsabilité des médecins à répondre aux besoins de la population, et là encore c'est quelque chose qui est nouveau par rapport à la législation au Québec et qui est quelque chose d'intéressant et de désirable.

Troisième élément du projet de loi, pour nous, structurant : une régulation essentiellement par standardisation des résultats. On fixe des cibles et on pénalise ceux qui ne les atteignent pas. Ce n'est pas une approche qui est absurde. C'est une approche qui, par contre, va se heurter à un certain nombre de limites pratiques. Ce n'est pas facile d'arriver à structurer le comportement des gens simplement par une standardisation des résultats. Si on regarde la standardisation par les résultats, ça va impliquer deux choses, ça va impliquer... D'une part, il va falloir sophistiquer les cibles et, d'autre part, il va falloir essayer de mobiliser d'autres leviers de coordination de l'action collective que simplement fixer des cibles.

En termes de sophistiquer les cibles, il y a trois éléments à regarder. Quand on essaie de standardiser le comportement des gens par des cibles, il faut s'assurer que les cibles soient réalistes, qu'elles soient difficiles à pervertir et qu'elles soient bien liées aux comportements qu'on veut ultimement atteindre. Par des cibles réalistes, il va falloir faire très attention, si on tient les médecins imputables de suivre un nombre de patients, que ce nombre de patients là soit finement pondéré avec le travail réel que demande le suivi de ces patients-là. Trois éléments là-dedans qu'on voudrait mettre en valeur.

Il va probablement falloir ajuster pour les maladies chroniques, mais aussi pour les diagnostics de santé mentale et de toxicomanie, et aussi pour le niveau socioéconomique. La pondération va être réellement importante parce que, si on ne pondère pas correctement, on va voir les médecins écrémer leurs panels de patients des personnes les plus lourdes, les plus vulnérables et celles qui ont le plus besoin de services, donc c'est un élément qui est fondamental de la mécanique. La même chose peut être dite sur les taux d'assiduité. Le taux d'assiduité n'est pas une mauvaise mesure, mais là encore il va falloir faire très, très attention sur le détail de la façon dont on le calcule.

Les cibles doivent être difficiles à pervertir. Si on demande aux gens à la fois de désigner qui est vulnérable et de les récompenser pour le suivi des vulnérables, on va voir un surdiagnostic de la vulnérabilité et des maladies chroniques, probablement un surtraitement, ce qui n'est pas quelque chose qu'on vise.

Troisième élément lié à l'objectif ultime, ça a été mentionné devant la commission, mais dans le passé on a incité les médecins à enregistrer les patients, on ne les a jamais incités à les suivre. Ce qu'on a vu, c'est que les médecins ont enregistré des patients, mais trop souvent ils ne les ont pas suivis. Or, l'objectif n'était pas d'enregistrer, l'objectif était de suivre. Si on met la cible sur quelque chose qui n'est pas ce qu'on vise ultimement, on va avoir des comportements déviants, ce qui n'est pas ce qu'on veut.

Donc, la sophistication des cibles est un élément réellement important de la mécanique du projet de loi, et là-dessus on a essayé d'être constructifs en proposant 20 recommandations qui sont une opérationnalisation d'un certain nombre de cibles.

Deuxième chose : élargir les leviers d'action. Si on fait juste fixer des cibles, on va être incapable de contrôler finement le comportement des gens, asymétrie de l'information et la complexité du travail médical. On peut faire beaucoup de choses en mobilisant le contrôle par les pairs. Si au lieu de viser les médecins chacun individuellement on essaie d'opérationnaliser les choses sur la base d'équipes, le contrôle par les pairs que les médecins vont exercer au sein des équipes peut être un levier puissant de modification de la pratique. Personne ne sait aussi bien à quoi ressemble la pratique d'un médecin que ses collègues qui travaillent à côté de lui. Ça permet un contrôle plus fin. Ça permet de laisser au médecin le contrôle sur les activités cliniques, l'autonomie clinique qui est fondamentale à son travail, et ça permet d'encourager les processus collectifs. La production de soins n'est pas une activité individuelle, ce n'est pas un docteur face à un patient, c'est bien une équipe qui permet de travailler collectivement à produire les soins. Si on fixe des cibles individuelles, on n'encourage pas le travail d'équipe. Or, le travail d'équipe va être fondamental.

• (16 h 10) •

On peut voir ça à deux niveaux. Je vais faire quelques commentaires sur les médecins omnipraticiens mais aussi sur les médecins spécialistes. On voit beaucoup le débat public se centrer sur les médecins omnipraticiens. Or, la prise en charge et l'accessibilité, c'est autant le travail des omnipraticiens que des spécialistes.

Médecins omnipraticiens, faire en sorte que ce soit un travail en équipe. Les médecins vont devoir choisir un lieu de pratique; ce lieu de pratique devrait être un groupe, une équipe. Dans cette équipe-là, il devrait y avoir d'autres professionnels non médicaux. Le lien, en termes de panel de patients, doit être un lien non pas entre un patient et un médecin, mais entre un patient et une équipe. Et là encore on peut régler un paquet de problèmes parce qu'on va avoir un suivi, une accessibilité aux soins qui va être beaucoup plus large. Il n'y a aucun médecin à qui on peut demander de travailler sept jours par semaine, 10 heures par jour, mais on peut demander à une équipe d'offrir des services sept jours par semaine, 12 heures par jour.

Donc, l'assiduité, c'est la même chose, l'assiduité devrait être calculée au niveau des équipes et l'assiduité devrait inclure le travail des professionnels non médecins. Et là encore ça va être très important. Si on inclut dans le taux d'assiduité le travail des professionnels non médecins, on encourage les équipes à déléguer et à travailler de façon interprofessionnelle. Et, si on regarde la littérature, il y a des preuves très robustes à l'effet que, si on va de l'avant vers une imputabilisation d'équipes de soins responsables de populations, il y a beaucoup de sens à les financer par capitation, au moins pour une partie de la rémunération de ces équipes-là. La formule de capitation devrait tenir compte de la composition globale des équipes en termes d'effectif.

Médecins spécialistes, trop peu discuté sur la place publique par rapport au projet de loi n° 20, mais il y a des choses intéressantes. Entre autres, la deuxième ligne devrait être au service de la première ligne. La notion de hiérarchisation, la deuxième ligne devrait s'assurer de répondre aux demandes des médecins et des patients qui se font référer. Le projet de loi est une opportunité en or de structurer ce processus de référence. Trop souvent, au Québec, la référence est... on sort du cabinet de son médecin avec un petit papier et le nom de quelques spécialistes, aucune structuration au niveau des hôpitaux ou des CISSS pour s'assurer que le patient ait un cheminement cohérent. Il est possible de demander aux CISSS d'organiser des guichets uniques par spécialité, de s'assurer de monitorer ces guichets uniques, de s'assurer que la contribution de chacun des médecins spécialistes aux trajectoires des patients dans ces guichets uniques soit optimisée, de pénaliser des médecins qui décideraient de continuer à gérer eux-mêmes leur liste d'attente ou leur liste de patients ou de ne pas contribuer à la prise en charge des patients référés par la première ligne, essentiellement d'opérationnaliser concrètement dans les règlements les dispositions qui sont prévues sur le fait que les médecins spécialistes doivent répondre aux demandes de la première ligne. Si on veut encourager, là encore, utiliser le levier de contrôle par les pairs des pools de pratique, c'est un levier très efficace; même pour un petit montant, dire que les médecins spécialistes en établissement doivent avoir un 10 % de leur rémunération qui est mis dans un pool, ce 10 % est redistribué à l'ensemble du pool en fonction de critères de performance — ces critères peuvent être laissés à l'appréciation des médecins du pool, devraient être laissés à l'appréciation des médecins du pool — obliger les CISSS à fournir une rétroaction aux médecins : Voici un profil de votre pratique, voici la pratique en moyenne de vos collègues, voici ultimement la pratique en moyenne de la province. Cette rétroaction devrait aussi inclure des informations sur la pertinence des soins qui sont donnés.

Et la question de la pertinence, c'est la dernière chose que je voudrais aborder. Il existe dans la loi n° 20 actuelle une tendance inflationniste, c'est un projet de loi qui a probablement comme effet d'augmenter la quantité totale de soins offerts et ultimement d'augmenter les coûts. À ce niveau-là, je pense qu'il y a trois choses à regarder. Il faut s'assurer de favoriser la pertinence des soins, s'assurer que, si on augmente la quantité de soins, chacun des soins qui est offert bénéficie à la santé de quelqu'un, pas le volume pour le volume, le volume pour la santé de la population. Deuxième chose, il va falloir qu'il y ait un suivi. Le chapitre V, il y a plusieurs dispositions dans la loi qui permettent au ministre d'intervenir pour s'assurer de contrôler les coûts, il va falloir que la mise en oeuvre du projet de loi n° 20 soit monitorée de façon à ce que les coûts dans leur ensemble restent à l'intérieur des enveloppes qui sont prévues. Et, de façon globale, il va falloir qu'il y ait un travail provincial pour soutenir la pratique médicale de façon à éviter le surtraitement, rentrer... soutenir les mouvements comme Choisir avec soin et des guides de pratique au niveau provincial pour, encore une fois, s'assurer que les services offerts bénéficient à la santé de la population.

La Présidente (Mme Montpetit) : Juste sur le temps. Je vous remercie pour votre présentation. Donc, nous allons débuter la période d'échange avec M. le ministre pour une période de 21 min 30 s.

M. Barrette : Merci, Mme la Présidente. Voilà mon chronomètre. Alors, M. Contandriopoulos, bienvenue, et, Mme Perroux, bienvenue. Nous vivons ensemble un rapprochement continu de rencontre en rencontre. Ceux qui connaissent nos échanges dans le passé, ils ne pourront pas dormir ce soir, là.

Ceci dit, bien, écoutez, je suis très content de la façon dont vous abordez les choses. J'ai votre mémoire ici à côté de moi, je ne peux pas faire autrement que de dire qu'à vol d'oiseau on s'entend sur 80 % des choses, à peu près, là, mais il y a un ou deux éléments sur lesquels... pas qu'on ne s'entend pas mais sur lesquels je pense que c'est assez difficile d'avoir... Puis là je vais vouloir avoir votre opinion là-dessus.

J'ai pris des notes dans la façon dont vous avez proposé ça. Il y a un élément sur lequel on ne se rejoint pas, puis ce n'est pas grave qu'on ne se rejoigne pas parce qu'on se rejoint sur le fond, et c'est celui de la capacité. Ce que vous avez appelé la productivité, là, souvent les gens... C'est parce que c'est le plus sensible des sujets, c'est la capacité. Moi, je suis convaincu, avec les statiques que l'on a, qu'il y a une capacité non exploitée, il faut aller la chercher. Après, j'arrive au même niveau que vous, l'organisation des soins et la façon de livrer ça, et ça, ça veut dire qu'il y a deux façons d'aller chercher de l'accès. Il y a si la capacité ne change pas l'organisation des soins, comme vous l'avez décrit, puis je suis d'accord, mais en plus, si en plus on va chercher une capacité additionnelle, et je suis convaincu qu'elle existe, la conjugaison des deux, bien ça résout l'accès, là. Je pense que vous allez être d'accord pour dire qu'on a assez de médecins au Québec que, si on allait chercher et la capacité et l'organisation, il n'y en a pas, de problème d'accès. Est-ce qu'on s'entend là-dessus?

M. Contandriopoulos (Damien) : Sur l'adéquation des effectifs, c'est difficile de dire le contraire, il y a plus de médecins omnipraticiens au Québec par habitant que ce qu'il y en a dans la majorité des autres provinces canadiennes. Sur la taille des panels, combien de patients sont associés à un médecin? Le chiffre qui a été mentionné dans les médias : autour de 1 000. Quand on fait une recherche sur ce qui se passe ailleurs au Canada, le chiffre n'est pas absurde. En fait, il y a des endroits, comme en Ontario, où le panel moyen va être au-delà de 1 000.

Ce qui est intéressant, je pense, en termes de compréhension de la réponse aux besoins, c'est que, pour un médecin qui travaille en solo, qui essaie de répondre lui tout seul à l'ensemble des besoins de son panel et qui travaille avec une clientèle qui est lourde, je pense qu'on peut très bien voir le 1 000 patients comme étant un objectif quasi inatteignable. Ce qui est à réformer là-dedans, c'est : Si ce médecin-là prend en charge son panel de patients en travaillant en collaboration avec des travailleurs sociaux, avec des infirmières, avec d'autres professionnels, le 1 000 patients, tout d'un coup, devient beaucoup plus réaliste. On voit la même chose en Ontario, où on dit : Il y a 1 300 patients pour un médecin mais 1 800 si le médecin travaille avec une IPS. Là encore, il y a une possibilité de multiplier les petits pains.

Et il y a beaucoup de choses à faire. C'est possible qu'on puisse aller chercher une productivité additionnelle. La difficulté, c'est d'arriver à pousser les gens à aller dans cette direction-là et les pousser en encourageant l'idée d'un partage des responsabilités, d'un travail d'équipe. Il y a probablement un bénéfice là-dedans.

M. Barrette : Ça, je suis d'accord avec vous. D'ailleurs, je retiens votre recommandation, parce que je pense que vous en faites une formelle, de faire nos appréciations, nos calculs ou nos pondérations en fonction d'un groupe plutôt que par individu, puis je suis bien d'accord avec vous. Et la raison pour laquelle ce n'est pas spontanément comme ça dans le projet de loi, c'est que malheureusement on constate que, dans un GMF de 10 personnes aujourd'hui, c'est 10 personnes indépendantes qui sont dans un GMF au lieu d'être 10 personnes qui travaillent en équipe. C'est un obstacle supplémentaire. Et je vous dirais qu'il fallait commencer en quelque part, alors on commence là pour qu'à un moment donné les gens spontanément réalisent que, bon, bien ce serait pas mal plus profitable pour tout le monde si on travaillait en équipe. Alors, je vous rejoins à 100 %, et comme je vous rejoins quand vous dites qu'on ne peut pas demander à un médecin de prendre en charge 1 000 patients très lourds, ce n'est pas possible, là, d'où les pondérations.

Et vous-même, là, quand vous faites référence à la sophistication des cibles par, entres autres, des cibles réalistes, par, entres autres, une mécanique de pondération, pouvez-vous élaborer sur le type de pondération que vous envisageriez, qui vous apparaîtrait raisonnable? Par exemple, vous avez fait référence, là : On ne peut pas pondérer... on ne peut pas compter pour un un patient qui a une maladie chronique sérieuse, là. Parce qu'une maladie chronique, ça ne veut pas dire que c'est vulnérable, là, on s'entend là-dessus, j'imagine, maladie mentale, la toxicomanie, et ainsi de suite. Avez-vous des exemples de pondérations qui vous apparaîtraient réalistes?

• (16 h 20) •

M. Contandriopoulos (Damien) : Il y a, des suggestions concrètes, quelque chose qui s'appelle l'indice de Charlson, qui est une mesure prédictive relativement validée de la morbidité associée aux maladies chroniques, par contre ça exclut des maladies chroniques la santé mentale. Mais, pour ce qui est des maladies chroniques classiques, là, diabète, hypertension, etc., c'est un indice qui est validé et qui est facile à calculer à partir des données qui sont disponibles à la RAMQ, ce qui est une de ses forces. Donc, c'est un indice qui se calcule sur pas simplement la déclaration que les médecins font mais bien sur les services qui ont été reçus. Cet indice-là devrait être complété par une prise en compte des maladies mentales.

Quand on regarde le portrait de qui actuellement, un, a été laissé pour compte de façon très, très dominante dans les GACO, les médecins sont allés chercher donc dans les guichets d'accès aux clientèles orphelines un certain nombre de profils de clientèle. Malgré les incitatifs à prendre en charge des patients lourds, les patients lourds y sont beaucoup plus restés que les patients légers. Et, quand on regarde parmi les patients lourds qui a été clairement délaissé, on voit les profils de gens avec des profils de santé mentale relativement importants, double diagnostic aussi santé mentale et toxicomanie. C'est clair que, là, ce n'est pas simplement une volonté des médecins de ne pas suivre ces clientèles-là puis que ce n'est pas rentable, c'est, je pense, pour beaucoup de médecins, une incapacité à offrir les services, les gens se sentent incertains de savoir quels services sont nécessaires pour ces populations-là. Donc, il va falloir trouver une formule qui tienne compte du fait que c'est des populations qui demandent beaucoup de soins, probablement aussi des équipes spécialisées, dans plusieurs régions, pour les clientèles qui ont vraiment le profil de double diagnostic ou des problèmes de santé mentale significatifs.

L'autre élément, c'est la défavorisation socioéconomique. Un patient à profil clinique identique, quand cette personne-là est analphabète, quand cette personne-là a des problèmes de défavorisation socioéconomique importants, demande, là encore, un encadrement qui est plus demandant pour les équipes. Et c'est quelque chose qui a été créé au Québec, là, l'indice de Pampalon, qui est calculable encore facilement, qui existe... on peut l'associer au code postal. C'est quelque chose qui permet de pondérer pour les médecins qui vont avoir des clientèles largement défavorisées.

M. Barrette : Ça, je suis d'accord avec vous, et, dans les pondérations, qu'on publiera incessamment parce qu'on va les publier quand on aura eu un certain nombre de suggestions, vous êtes le premier groupe qui avez des suggestions un petit peu concrètes, là, on l'a pris en considération. C'est essentiel, on ne peut pas avoir la même charge dans Hochelaga-Maisonneuve ou dans le Centre-Sud qu'à Terrebonne ou à Sainte-Julie. Et ça, on est tout à fait d'accord là-dessus, et la pondération doit le prendre en compte.

Et là je vais vous poser une question qui est peut-être osée, là, osée au sens administratif du terme, là : Est-ce que vous pensez qu'on devrait, nous, inscrire plutôt que laisser le médecin inscrire via un guichet, par exemple? Vous avez raison, quand on regarde les statistiques dans les GACO pour les clientèles orphelines, ceux qui sont laissés pour compte tout le temps et systématiquement sont les clientèles que vous avez nommées, mais, en même temps, ceux qui ne sont pas inscrits, il y a bien des gens qui ne sont pas inscrits dans les plus jeunes. Mais, quand je dis «plus jeunes», c'est souvent les couples avec des jeunes enfants, là. Alors, c'est les deux extrêmes qui sont orphelins. L'extrême plus jeune ne semble pas connaître le GACO, et l'autre clientèle connaît le GACO, mais elle est systématiquement laissée pour compte. Est-ce que l'État ne devrait pas, lui, inscrire — c'est une question que je vous pose — de façon à s'assurer que la charge du médecin, ce que vous appelez le panel, c'est bien ça auquel vous faites référence, le panel, pour employer votre expression, soit représentatif de la population en général avec une pondération socioéconomique? Alors, est-ce que vous nous recommanderiez d'aller aussi loin que de, nous, faire l'inscription?

M. Contandriopoulos (Damien) : La réponse courte est non. Il y a des endroits qui l'ont fait, l'Angleterre l'a fait. La difficulté, ce n'est pas tant qu'on attribue les patients à des médecins, le problème ne me semble pas au niveau des médecins mais au niveau des patients. Il y a un élément fondamental qui est la relation de confiance entre un individu et son médecin ou l'équipe qui le suit, et donc il est important que les patients conservent le droit de choisir par qui ils veulent être soignés, auprès de quelle équipe ils veulent être enregistrés.

Je pense que les effectifs sont suffisants pour couvrir toute la population. Si on mettait en place les bonnes pratiques, vous l'avez mentionné plusieurs fois, mais l'accès avancé, l'accès adapté, en français, en est une, la pratique interprofessionnelle en est une autre, de pousser les gens à réellement suivre les patients qu'ils inscrivent, je pense qu'au bout de quelques années on pourrait voir disparaître, à toutes fins pratiques, la notion d'un patient qui n'est suivi par personne. Il y a des endroits dans lesquels c'est fait, on pourrait mentionner des GMF ou des sous-régions dans lesquelles virtuellement il n'y a pas de patients qui sont orphelins, il y a une prise en charge qui est excellente. Ce n'est pas vrai à Montréal, mais c'est vrai à plusieurs endroits au Québec parce que les gens se sont organisés, ce n'est pas forcément parce que les effectifs sont plus grands.

Là-dessus, c'est, je pense, réellement important de conserver pour la population la notion de liberté. Je veux être soigné par quelqu'un que j'ai choisi.

M. Barrette : Bien, ce n'était pas une annonce, là, je vous posais la question pour la poser, parce que, bon, le député de Mercier, à un moment donné dans cette commission, disait qu'il n'y a personne qui avait des quotas dans le monde, ça n'existait pas. Bon, en Angleterre, c'est ce qu'ils ont fait, là, on assignait la population à des médecins, et, vous le savez comme moi, évidemment, ils ont arrêté pour permettre aux gens de choisir, et finalement ça a fonctionné pareil, tout le monde a un médecin, puis en réalité on leur donne le choix entre trois médecins. Mais on leur donne quand même un choix limité, hein, ça, je pense que vous êtes au courant de ça, mais ils n'inscrivent plus directement comme c'était auparavant, là. Même s'il y a des gens qui disent que ça ne se fait pas, ça se fait.

Donc, vous ne le recommandez pas comme tel, là, vous ne voyez pas ça comme étant une nécessité. Vous, ce que vous dites, c'est un peu comme nous, là, on dit que, si la pratique est adaptée correctement, les gens vont trouver leur place.

M. Contandriopoulos (Damien) : Je pense que c'est cohérent comme calcul.

M. Barrette : Mais malgré tout je maintiens — puis là je fais exprès de le redire, là, je ne veux pas vous challenger — je maintiens qu'il faut quand même que la capacité soit là. Si la capacité n'est pas là, ça ne peut pas fonctionner.

M. Contandriopoulos (Damien) : C'est clair. Je pense que la raison pour laquelle je ne mets pas l'accent sur la capacité, c'est que quand on regarde notre effectif médical il est clairement suffisant et qu'on devrait être capables, avec l'effectif actuel, d'offrir les soins.

M. Barrette : O.K., d'abord, je vais vous challenger. Ce n'est pas méchant, vous allez voir. Si la capacité n'est pas là, là, c'est-à-dire... Là, je vais prendre un extrême, O.K., ce n'est pas ça, là, je n'accuse personne, attention, ne me traitez pas de méprisant, s'il vous plaît, personne. Si, mettons, tout le monde travaille à un jour-semaine, O.K., ce n'est pas ça, là, ça n'existe pas, mais, si 100 % des médecins travaillent un jour-semaine, on a beau avoir les meilleurs modes de pratique, on a beau avoir la pratique la plus interdisciplinaire possible, on a beau avoir tout le personnel de soutien possible, il y a une question de capacité quand même, là.

M. Contandriopoulos (Damien) : Sur la mécanique qui est mise de l'avant, de dire qu'il y aura un nombre minimal de patients qui est suivi par professionnel, cette mécanique-là semble suffisante pour permettre d'atteindre l'accessibilité, à mon sens.

M. Barrette : J'aimerais ça qu'on aborde... Parce que je suis le plan de votre présentation, là, vous avez abordé l'assiduité en affirmant que ce n'était pas... je pense que vous avez dit que ce n'était pas absurde, là, mais je pense que vous vouliez dire que ça avait quand même un certain sens. Et, je rappellerai à tous ceux qui suivent ce genre de dossier là, il y avait eu un article dans La Presse à propos d'une petite région qui s'appelle... bien la clinique, c'est le projet Taber, en Alberta, et évidemment qu'on avait omis de rapporter, dans la série d'articles, qu'il y avait l'assiduité avec des pénalités. Alors, l'assiduité, tel qu'on la définit, est-ce que, par rapport à la littérature que vous connaissez, les paramètres que l'on y met sont des paramètres qui sont viables?

M. Contandriopoulos (Damien) : À partir du moment où le système repose sur le fait que les médecins reçoivent un encouragement à inscrire des patients, il est impératif qu'on s'assure que non seulement ils inscrivent, mais ils suivent. Ce qu'on a fait au Québec dans les dernières années a démontré très clairement que c'est insatisfaisant de simplement pousser à inscrire sans s'assurer qu'on suit.

M. Barrette : C'est clair.

M. Contandriopoulos (Damien) : Le taux d'assiduité est une mesure cohérente, simple à calculer du fait que les médecins qui inscrivent des patients répondent aux besoins des patients qu'ils ont inscrits. Je pense que l'idée d'instaurer un taux d'assiduité, de le monitorer et d'avoir un système de pénalité pour ceux qui ont un taux d'assiduité qui est insatisfaisant est correct, à condition que le taux d'assiduité soit calculé pour une équipe. Là encore, ça permet de s'assurer que... Par exemple, un médecin peut... quelqu'un peut être en congé de maternité. Clairement, les patients de cette personne-là doivent continuer à avoir des services, et cette personne-là ne peut pas être pénalisée pour ne pas être capable de les offrir pendant son congé.

M. Barrette : Tout à fait. C'est ça. Et d'où l'importance de l'appliquer à un groupe plutôt qu'à un individu.

M. Contandriopoulos (Damien) : Et là-dedans, si on est vraiment dans les détails, si on veut, là encore, augmenter l'accès, si on permet de rentrer au numérateur du calcul de l'assiduité les patients qui sont vus dans une clinique mais ne sont pas enregistrés dans cette clinique, ça va permettre de faire en sorte que les cliniques qui ont des patients enregistrés mais qui acceptent aussi d'aller voir des patients qui sont hors de leur région, qui sont insatisfaits des services qu'ils reçoivent ailleurs, ça rentre au numérateur, donc ça va améliorer le taux d'assiduité. Ça permet de faire en sorte qu'on va encourager les gens à offrir un accès large. Donc, c'est un des exemples qui permettraient, là encore, de sophistiquer le taux d'assiduité.

Même chose, il y a des régions dans lesquelles actuellement le système marche suffisamment bien pour que les médecins se plaignent que leurs patients vont à l'urgence simplement parce que... Leur clinique est ouverte, mais l'attente à l'urgence est à ce point courte que les médecins vont quand même à l'urgence. On pourrait imaginer la possibilité pour un médecin urgentologue de pouvoir cocher une case dans sa visite en disant : Ce patient-là n'aurait pas dû se présenter, donc je l'exclus de la pénalité associée à l'assiduité de la clinique de première ligne, soit parce que j'estime qu'il s'est présenté de façon adéquate à l'urgence ou, s'il estime qu'il ne s'est pas présenté de façon adéquate, là, effectivement, ça rentre dans le calcul du taux d'assiduité.

Il y a plein de petits détails mécaniques comme ça juste pour s'assurer qu'on met exactement l'incitation au bon endroit, qu'on n'a pas des gens qui sont pénalisés par une mécanique qui en fait les pénalise pour des choses qui sont correctes.

• (16 h 30) •

M. Barrette : Je suis d'accord avec vous. Je suis de ceux qui pensent que certaines mesures simples ont un effet systémique très grand, et il faut juste choisir les mesures correctement. Et là-dessus je suis bien d'accord avec vous.

Là, je vais vous poser une question théorique, puis votre réponse va être intéressante parce que vous êtes un observateur externe. Vous ne pratiquez pas la médecine, mais vous l'observez de façon étroite et vous avez toutes sortes d'informations qui n'ont pas le biais de celle de l'appréciation d'un médecin de sa propre pratique. Parce que c'est le principe d'incertitude de Heisenberg, là : quand on s'auto-observe, on se perturbe. J'ai choisi mes mots correctement, là, pour ne pas faire de lapsus.

Alors, pourquoi, à votre avis... Et à l'inverse, si vous voulez, je peux vous poser la question dans l'autre sens : Qu'est-ce qui fait ou qu'est-ce qui ferait que ça se ferait? Le mur de laisser l'infirmière donner des services, poser des gestes que le médecin peut faire, dans une équipe où les infirmières sont dans le même lieu physique que les médecins, qu'est-ce qu'on peut faire, selon vous, pour le briser? Dit différemment, là, dans un monde idéal, comme dans certains systèmes... Vous savez comme moi qu'il y a des systèmes où les médecins, s'ils font du travail qui devrait être fait par une infirmière praticienne, par exemple, sont pénalisés, ça existe, ça. Dans notre système à nous, là, vous le voyez comment? Où est le levier? Puis je vais vous faire un aveu, là, même pour moi il est difficile, ce levier-là, à sélectionner.

M. Contandriopoulos (Damien) : Pourtant, il me semble que la perche est assez largement tendue. Le paiement à l'acte, à partir du moment où les médecins sont individuellement récompensés pour chaque acte qu'ils font, chaque fois qu'un médecin va délaisser un acte simple qui est à l'intérieur du champ de pratique d'une infirmière il va diminuer son revenu. Et, à l'inverse, quand les infirmières sont...

M. Barrette : Bien oui, mais le paiement à l'acte, à ce moment-là, c'est un désincitatif à déléguer.

M. Contandriopoulos (Damien) : Le paiement à l'acte est, au Québec actuellement, le désincitatif au travail en équipe en première ligne, je pense que c'est très net, et de là la recommandation d'arriver avec une formule de capitation pour au moins une portion du travail des équipes de première ligne et que cette formule de capitation tienne compte de la totalité de la composition de l'équipe, donc inclue la rémunération des professionnels non médecins qui font partie des équipes.

M. Barrette : Dans mon expérience, tous les systèmes de capitation ont fini, au bout de la ligne, par générer moins de productivité.

M. Contandriopoulos (Damien) : Ça dépend comment on regarde la productivité, là encore, mais il y a des systèmes...

M. Barrette : Bien, regardons-le, si vous me permettez, dans l'angle du patient, qui est l'accès aux services et à la quantité requise de services pour une population donnée.

M. Contandriopoulos (Damien) : La quantité de services, c'est possible. La qualité de la prise en charge, et même pour l'accessibilité, je ne pense pas qu'on puisse dire que la capitation est associée à une moins bonne accessibilité ou une moins bonne qualité de prise en charge.

Et ce qu'il faut voir, c'est que c'est certain que, si on met en place des mécanismes de capitation sans avoir de levier comme un taux d'assiduité, sans avoir, donc, un certain nombre de balises pour s'assurer que les gens ne font pas simplement recevoir la capitation mais qu'ils offrent les services qui vont avec... C'est clair qu'on a une meilleure prise en charge. Ce qu'il faut voir dans la rémunération à l'acte, puis ça a été mentionné plusieurs fois, c'est qu'il y a un volume, actuellement, de soins qui sont défrayés par l'État qui sont probablement inutiles ou répétitifs, on a des visites annuelles qui sont probablement avec une très faible validité clinique, on a...

M. Barrette : Qui ne servent à rien, qui ne servent à rien.

M. Contandriopoulos (Damien) : ... — exactement — on a des médecins qui sont largement surqualifiés pour poser un certain... beaucoup d'interventions, en fait, qui pourraient être à meilleur coût et probablement avec même une qualité supérieure déléguées à d'autres professionnels.

M. Barrette : Mon jury intérieur n'est pas encore convaincu, là, mais je comprends votre point. Mais ça, vous savez que là-dessus on n'est pas exactement sur la même longueur d'onde.

Bon, le temps file, et puis il faut que j'aborde les deux autres sujets que vous avez abordés. Un des... Le deuxième élément sur lequel je ne vous rejoins pas, c'est que vous voulez que la médecine spécialisée... Puis là les gens vont dire que j'ai un biais, là, mais ce n'est pas un biais que j'ai, là. La médecine spécialisée a une vie intrinsèque, elle ne peut pas être entièrement au service de la première ligne. Elle peut l'être partiellement, et dans le projet de loi n° 20 c'est ce que l'on vise, on vise une portion de la pratique de médecine spécialisée intrinsèque. Un chirurgien, là, qu'est-ce que vous voulez, il faut qu'il opère, là, il opère, on ne peut pas mettre le chirurgien cardiaque au service de la première ligne — là, je prends un exemple extrême, évidemment, là — ou même le chirurgien général. Par contre, on peut mettre une fraction de sa pratique au service de la première ligne, et c'est l'optique que l'on a choisie dans le projet de loi. Ça, j'aimerais ça que vous me disiez ce que vous en pensez, d'une part.

Et, d'autre part, pour que vous puissiez avoir le temps de me répondre, pour ce qui est de la partie inflationniste, là, la pertinence des actes, c'est la chose la plus difficile, parce que la pertinence, c'est très difficile à sélectionner prospectivement. Allez-y sur les deux parce qu'il ne reste pas beaucoup de temps.

M. Contandriopoulos (Damien) : Tout à fait d'accord avec vous. Quand il s'agit de mettre la deuxième ligne au service de la première ligne, je pense que ça devrait être reformulé, il s'agit de s'assurer que la deuxième ligne offre à la première ligne un support suffisant pour que la trajectoire des patients soit optimisée. On s'entend tout à fait que...

M. Barrette : Et c'est ce que le projet de loi fait, là.

M. Contandriopoulos (Damien) : Je pense que c'est l'objectif du projet de loi. Encore une fois, vous le savez mieux que moi, les règlements ne sont pas encore totalement disponibles. Donc, il y a un certain nombre de paramètres qui pourraient être opérationnalisés pour s'assurer que ce soit le cas.

Puis je pense qu'on voit actuellement les médecins de famille réagir de façon très, très...

M. Barrette : Viscérale.

M. Contandriopoulos (Damien) : ...viscérale, exactement, au projet de loi. Je pense que c'est beaucoup parce qu'il y a des choses qui ont transpiré sur des règlements qui touchent la médecine de première ligne, peu de choses sur les règlements sur les médecins spécialistes.

Or, il y a dans ce projet de loi un potentiel d'optimiser ces trajectoires de soins, et, si on est mauvais dans l'accessibilité aux soins primaires, on est aussi très mauvais dans la continuité entre la première et la deuxième ligne.

M. Barrette : Vous avez raison.

M. Contandriopoulos (Damien) : On voit là-dessus des gens qui meurent actuellement parce que leurs soins oncologiques ont pris beaucoup plus de temps que ce qui était cliniquement nécessaire parce qu'ils se sont perdus entre les deux lignes. Là-dessus, il y a quelque chose à faire qui semble fondamental.

M. Barrette : J'espère que vous allez avoir la chance de parler de la pertinence, parce que c'est un autre angle qui est très, très difficile pour moi.

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie. On va enchaîner avec la députée de Taillon pour une période de 13 minutes.

Mme Lamarre : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Contandriopoulos. Bonjour, Mme Perroux. Toujours très, très intéressant de vous entendre. Vous aviez fait un travail aussi très réfléchi dans le projet de loi n° 10, et je vois que vous l'avez fait également bien documenté aussi mais avec une analyse et des pistes de solution réelles.

Il y a certains éléments qui ont été évoqués par le ministre à la fin que j'avais aussi notés. C'est sûr que, quand vous parlez de gérer, par exemple, les quotas en fonction d'équipes, ça fait du sens. Et, pour dans le quotidien, par exemple, dans une même année avoir eu un médecin qui décède puis un médecin qui prend sa retraite, il faut voir comment, quand ces gens-là travaillent en silo, c'est impossible de les remplacer. Et ça, je ne sais pas comment on peut le faire, parce qu'on a encore... là, actuellement, on a 258 GMF, mais on a encore un nombre important de médecins qui travaillent en équipes de deux, trois, qui ne sont pas dans des GMF. Comment on peut... Parce que le problème qu'on a, c'est qu'on a plein de bonnes idées, je trouve, depuis 10 ou 15 ans, mais on ne réussit jamais à les appliquer en fonction de l'accès par rapport à la population. On définit toujours nos modèles en fonction des médecins ou des structures, comme les GMF ou des hôpitaux, mais il faut partir des patients puis de la population parce que, nos patients qui sont orphelins de ce médecin qui décède ou de ce médecin qui prend sa retraite, les guichets, là, ne fournissent plus. Puis, quand on va avoir, au bout d'un an ou deux, atteint le niveau d'équilibre... Parce qu'il faut bien comprendre que, comme il y a des pénalités dans le projet de loi n° 10, on va atteindre rapidement un état d'équilibre, là, les médecins vont tous tenter d'atteindre les cibles pour ne pas être pénalisés. Donc, qu'est-ce qui arrive dans un an, deux ans, quand on a tout à coup 1 300 patients qui ne sont pas pris en charge puis qui viennent d'un médecin qui travaillait en solo?

M. Contandriopoulos (Damien) : Sur le modèle des GMF, je pense, clairement le modèle des GMF peut s'intégrer dans la mécanique du projet de loi n° 20. Il me semble que dans plusieurs endroits on a des groupes qui ne sont pas des GMF parce qu'ils n'atteignent pas la taille limite, donc le nombre minimum de médecins pour devenir un GMF. Ce n'est probablement pas absurde d'avoir une réflexion à savoir : Est-ce qu'il existe un modèle qui n'est peut-être pas celui du GMF mais qui permettrait à ces médecins-là d'avoir un soutien d'autres professionnels? Encore une fois, on veut encourager le travail interprofessionnel, c'est là où on peut faire des gains importants. Est-ce que ça serait possible d'imaginer un modèle de micro-GMF, là encore, qui permettrait d'avoir d'autres professionnels?

Sur le travail en équipe, c'est sûr que, le travail en équipe, il y a ce gain, donc, de pouvoir partager les patients, il y a cette possibilité pour les patients d'avoir toujours quelqu'un qui répond à leurs besoins. Il y a aussi l'élément de contrôle par les pairs. Même s'il n'est pas dominant, le profil du médecin qui a une pratique à temps très partiel parce que le reste de son temps il fait du golf, ou il va voyager, ou il fait autre chose de sa vie existe. À partir du moment où on tient une équipe imputable de l'atteinte d'un certain nombre de paramètres, ses collègues, à ce médecin-là, là, celui qui part quatre mois en voyage, vont probablement lui parler dans le blanc des yeux en lui disant : Tu es drôle, mais concrètement, quand tu n'es pas là, nous, on assume. Et il y a une dynamique, là, de voir comment les gens s'organisent entre eux pour atteindre un certain nombre de cibles, se partagent le travail, et il y a au sein de la profession médicale, même parmi les omnipraticiens, des préférences, des spécialités, des gens qui sont bons dans le suivi d'une clientèle particulière. Là encore, le fait de travailler en équipe, on peut très bien imaginer que des gens ne vont pas inscrire le même nombre de patients, mais tant que l'équipe atteint ses quotas, s'il y a quelques personnes dans l'équipe qui se spécialisent sur des clientèles très lourdes, très marginales, ça a du sens comme modèle collectif. Donc, la collectivisation est vraiment un outil qui, pour l'instant, est sous-utilisé et qui a un potentiel.

• (16 h 40) •

Mme Lamarre : Je comprends le concept et je suis tout à fait d'accord, mais je me dis... Moi, j'ai connu l'époque où les médecins étaient propriétaires de leurs cliniques médicales, et là on n'avait pas besoin de générer des incitatifs ou des désincitatifs. Quand il y en a un qui partait en vacances, les autres prenaient automatiquement la relève, parce qu'on disait : On va garder nos patients, on ne veut pas qu'ils aillent ailleurs. Mais on n'est plus du tout dans cette dynamique-là. Même la dynamique des GMF ne suscite pas l'appropriation nécessairement de nouveaux patients, on n'est pas en mode de concurrence où on essaie d'acquérir des patients.

Et, quand les médecins... Puis, je le répète, le modèle va nous faire acquérir rapidement... les médecins vont très rapidement se conformer aux quotas, mais ces quotas-là ne nous donneront plus de latitude. Et on l'a vu dans la région de Cowansville, à un moment donné les GMF, dans le fond, occupaient tous les médecins du territoire, chaque médecin rencontrait ses cibles de patients, patients vulnérables, et tout ça, puis il restait encore 10 000 ou 20 000 patients qui n'avaient pas de médecin de famille.

Alors, comment éviter de retomber dans cette situation-là avec un modèle où on va de façon arbitraire déterminer la pondération, la valeur de certains actes ou de certains types de pratique par rapport à d'autres? Il existe peut-être des modèles, là, mais...

M. Contandriopoulos (Damien) : Il y a trois leviers qui peuvent être mobilisés. Un, ça va être la cible générale, combien, effectivement, de patients on va accorder à chacune des équipes en fonction de quels critères, donc, pour s'assurer qu'il y ait une couverture globale. De façon plus micro, il y a les plans d'effectifs médicaux, s'assurer qu'effectivement on incite les médecins à aller s'établir dans les régions où les besoins sont les plus grands.

Le troisième élément, ça n'a pas été abordé, c'est la mécanique des activités médicales particulières. On a trop souvent tendance à associer AMP avec pratique hospitalière. Or, les AMP sont un levier intéressant pour améliorer l'adéquation entre le travail médical, les effectifs médicaux et les besoins de la population, mais on ne devrait pas faire une adéquation automatique entre AMP et travail en établissement. Les AMP peuvent être mobilisées... Si, par exemple, il y a effectivement une région dans laquelle les besoins en suivi de clientèle sont largement sous la normale, les besoins de la population dépassent l'offre, on devrait pouvoir dire aux médecins : Vous pouvez aller faire vos AMP en suivi. Et donc, à partir du moment où on peut jouer avec cette marge des AMP, avec les effectifs régionaux et en fixant des cibles générales pour que normalement tous les Québécois soient suivis, on a, je pense, des leviers suffisants pour que globalement on n'ait pas une région dans laquelle les gens n'aient pas de service.

Mme Lamarre : Vous avez parlé de l'imputabilité. Moi aussi, je pense que c'est une des grosses lacunes de notre système.

Est-ce que l'imputabilité, elle doit être validée par les pairs, par l'autorité — ça pourrait être le ministre, le ministère — par des cibles? Quelles sont les formules les plus gagnantes? Puis ensuite je laisse la parole à mon collègue député de Rosemont.

M. Contandriopoulos (Damien) : Je pense qu'il y a besoin d'avoir des cibles qui sont des cibles provinciales, qui touchent donc sur les grands paramètres. Par contre, il faut que les cibles soient transférées à des équipes, en tout cas pour la première ligne, et qu'on laisse les équipes avec beaucoup de marge sur savoir comment ils s'organisent à l'interne pour atteindre les cibles.

Mais, les équipes qui n'atteignent pas les cibles, il va falloir qu'il y ait une pénalisation. On l'a vu dans le modèle GMF, pendant trop longtemps on a toléré des GMF qui ne respectaient pas leurs contrats et qui n'étaient pas pénalisés. La notion d'imputabilité implique que les équipes qui n'atteignent pas les cibles sont pénalisées.

Mme Lamarre : J'aurais pu poser une question, mais je ne suis pas sûre qu'on a les systèmes informatiques pour suivre et notifier les cibles, on est loin, loin, loin de ça. Et, oui, théoriquement, tout ça, ça fait du sens, mais on n'a même pas de dossier santé pour savoir, quand un patient est admis à l'urgence la nuit, qu'est-ce qu'il prend comme médicaments. Là, on va être capable de codifier et de suivre les médecins? C'est très préoccupant parce que c'est cette notion d'imputabilité là qui nous fait échouer à chaque fois.

M. Contandriopoulos (Damien) : Si vous mentionnez les systèmes informatiques auxquels on a accès actuellement au Québec, vous allez me faire sangloter devant tout le monde.

La Présidente (Mme Montpetit) : M. le député de Rosemont.

M. Lisée : On ne veut pas ça, M. Contandriopoulos, on veut pouvoir avoir accès à vos lumières sans passer par l'écran lacrymal. Mme Perroux, merci d'être là aussi.

Votre mémoire est extraordinairement pratique. Vous étiez très opposé au projet de loi n° 10. Vous disiez que le projet de loi n° 20, ça pourrait fonctionner à condition que... et la principale condition que vous avancez, c'est celle du travail d'équipe. Vous dites : Si on installe le système de guillotine, de coupure de 30 % de revenus du ministre sur les individus, ils vont réussir à «gamer» le système d'une façon ou d'une autre, et il va y avoir de la sélection opportuniste de la clientèle si la pondération n'est pas correctement faite, mais, au contraire, si on l'applique aux groupes, et qu'on force l'interdisciplinarité, et qu'on force le monitoring d'équipe, et même, dites-vous, si on répartit au-delà de 10 % d'une partie des revenus sur l'ensemble du groupe plutôt qu'individuellement, là on va être dans un cercle vertueux qui pourra fonctionner correctement.

Le ministre nous dit : Bien, il faut commencer quelque part, en ce moment c'est des individus. Mais est-ce que cet écueil-là est surmontable? Dans la façon dont sont organisés la santé et les revenus des médecins, est-ce qu'il est possible d'envisager une application collective du mécanisme qui est proposé?

M. Contandriopoulos (Damien) : Je pense qu'on ne va pas avoir le choix. Est-ce que ça va être facile? Non. Ça va demander une réforme profonde de la façon dont les médecins de première ligne fonctionnent.

Par contre, quand on regarde depuis 42 ans notre système de santé, les commissions ont toutes posé le même diagnostic, les problèmes ont été persistants à travers le temps, et il y a un certain nombre de causes fondamentales là-dedans. L'incitatif de la rémunération à l'acte, du travail individuel et de l'autonomie totale de savoir qui travaille quand à faire quoi en première ligne est un élément de dysfonction profond de notre système de santé, c'est un élément de dysfonction qui fait en sorte que la performance de notre système semble réellement moins bonne que les autres et qui crée une insatisfaction dans l'opinion publique qui est à ce point préoccupante que je pense qu'elle met en péril la pérennité du système de santé.

Donc, à savoir est-ce que ça va être difficile, clairement. Est-ce qu'on peut se permettre de ne pas le faire? Mon avis est qu'on ne peut pas se le permettre.

M. Lisée : Très bien, mais le projet de loi ne propose pas des mécanismes de transformation de l'individu au collectif qui permettraient la réussite du phénomène. Parce que tout ce que vous dites, là, sur l'introduction d'une part de capitation, le calcul par groupes, etc., ce n'est pas dans le projet de loi, ce n'est pas proposé dans le projet de loi, ce ne sera pas dans les règlements puis ce n'est pas dans les principes. Alors, ce que vous nous dites, c'est qu'il en manque un grand bout dans le projet de loi pour que le mécanisme proposé puisse fonctionner par groupes.

M. Contandriopoulos (Damien) : Le projet de loi, bon, vous le savez mieux que moi, est très sommaire sur les détails, et les règlements d'application sont inconnus pour l'instant. Je pense qu'on pourrait faire de grands morceaux de collectivisation de l'opérationnalisation du projet de loi dans les règlements. Je n'ai aucune expertise dans la rédaction de projet de loi, mais il me semble que, la façon dont le projet de loi est écrit, les leviers qui sont mis là, donc qu'il y ait une pénalisation des revenus mais que les cibles à atteindre sont toutes par règlement, que les cibles soient collectives devrait déjà suffire.

M. Lisée : ...que les règlements réécrivent certaines des conventions avec les fédérations médicales?

M. Contandriopoulos (Damien) : Là encore, ça fait partie des choses qui sont dans ce projet de loi, ce pouvoir ministériel de revenir sur des ententes. Je pense que ça va donner lieu à toutes sortes de débats publics intéressants. Si cet article-là doit servir à quelque chose, il pourrait servir à ça.

M. Lisée : L'autre question qui... Je vous vois dire : Bon, bien il faudra être très ciblé dans les pondérations, il faudra être très ciblé dans les répartitions dans le groupe, il faudra permettre aux médecins qui font les AMP de cocher, mais il me semble que la paperasse que ça va générer et la difficulté de surveillance de ça... Est-ce que ça ne va pas s'écrouler sous son propre poids?

M. Contandriopoulos (Damien) : Ça va demander une infrastructure informationnelle. Mme Lamarre l'a mentionné, on est sous-équipé actuellement en termes de capacité de traiter en temps réel l'information sur la pratique médicale et non médicale, même du fonctionnement de notre système de santé. On parle de financement à l'activité qui va demander une énorme machine de contrôle, le projet de loi n° 20 implique aussi une mécanique de contrôle. On est sous-équipé. Pour que ça fonctionne, il va falloir qu'on s'équipe, il va falloir qu'on s'organise. Ça ne me semble pas insurmontable, mais, pour l'instant, effectivement, on ne l'a pas. Quant à savoir est-ce que c'est de la paperasse additionnelle...

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie. Le temps est écoulé, malheureusement. Donc, on va enchaîner avec le député de Lévis pour une période de 8 min 30 s.

• (16 h 50) •

M. Paradis (Lévis) : Merci, Mme la Présidente. C'est sûr qu'il y a des choses qui ont été dites par le ministre, des questions qui vous ont été adressées, M. Contandriopoulos, Mme Perroux — merci d'être là — par les collègues de l'opposition également, puis je vais faire du chemin là-dessus puis je vais continuer. Je ne patinerai pas en ligne droite, je vais aller à droite, à gauche, parce qu'on va profiter de vos connaissances et de votre vision. Et, ma foi, c'est extrêmement intéressant puis extrêmement éclairant, ce que vous apportez comme coup d'oeil, et je continuerai là-dessus histoire de vous faire compléter.

Poursuivre tout ça, c'est-à-dire être en mesure de compléter le travail et de bien arrimer tout ça, évidemment, ça va prendre des outils. Vous parlez beaucoup d'organisation du travail, ça va probablement prendre des gens. Ça peut susciter, ça peut provoquer effectivement de la paperasse, du temps requis pour faire cette analyse-là.

Est-ce que ça fait partie de vos craintes, que l'application du projet de loi n° 20 puisse, entre guillemets, échouer dans ce segment-là, c'est-à-dire de provoquer davantage de bureaucratie et davantage de coûts pour analyser tout ça?

M. Contandriopoulos (Damien) : La réponse courte est non. Les coûts administratifs actuels au Québec, quand on prend ministère, RAMQ, sont parmi les coûts qui sont très faibles au niveau international, on dépense peu pour administrer, actuellement, notre système. Et, quand on pense à la rémunération médicale, c'est quand même 6 milliards de dollars par an, c'est des sommes majeures. Même des petits gains en termes de, là encore, éviter des soins inutiles, s'assurer que le bon professionnel soit au bon endroit permettent de sauver beaucoup plus d'argent que ce que ça peut coûter de fonctionnaires additionnels pour faire travailler la machine.

Là où le bât blesse, c'est réellement sur les capacités informationnelles actuelles. Nos systèmes informatiques sont mauvais, sont mal organisés, et ça ne se fait pas du jour au lendemain, de les mettre... d'arriver au niveau où on devrait être. Il y a un défi là, c'est un défi réel.

M. Paradis (Lévis) : Alors là, il y a deux choses intéressantes dans ce que vous dites, parce que le défi organisationnel, les outils d'information, et plusieurs nous l'ont dit, là, c'est un balbutiement, on commence à peine, on n'a pas le suivi des patients, on n'a pas l'historique, on n'a rien là-dedans, il y a bien des gens qui ont questionné ce système-là, et vous dites : Bien, il sera essentiel. À ce chapitre-là, si on n'a pas cette ressource essentielle là en termes d'outil, est-ce qu'on est voué à l'échec dans l'application d'un projet comme celui-là?

M. Contandriopoulos (Damien) : Je ne pense pas qu'on soit voué à l'échec. Je pense que les éléments qui sont réellement nécessaires pour le mettre en oeuvre dès le départ, la formation nécessaire pour calculer un taux d'assiduité entre autres, sont déjà présents dans les bases de données, ça ne demandera pas un calcul additionnel. Les gens qui disent : Ah! ce calcul du taux d'assiduité, c'est quelque chose de majeur, ce n'est pas vrai. C'est une programmation qui va être essentiellement automatisée à partir des facturations qui sont faites par les médecins, donc ce n'est pas un élément majeur.

Là où on est très sous-équipé, c'est si on regarde au niveau des CISSS, si on veut donner à chaque médecin un profil de rétroaction sur sa pratique, si on veut allouer... Puis, je pense, c'est un élément qui n'a pas été discuté jusqu'à maintenant mais qui est important, que les médecins spécialistes aient une portion de leurs revenus qui soit réallouée en fonction de critères de performance. Ces critères de performance là vont devoir être calculés sur des indicateurs intrahospitaliers, et les systèmes hospitaliers sont mal équipés pour permettre d'avoir, au niveau de l'établissement, les indicateurs en temps réel. Et il y a encore moins d'intégration entre ces indicateurs d'établissement et le niveau provincial, là il y a vraiment quelque chose à construire. Est-ce que c'est possible d'y aller par petits pas? Est-ce que c'est possible de commencer avec ce qu'on a comme information, et, au fur et à mesure qu'on développe les systèmes, on sophistique la mesure? Je pense que c'est ce qu'on devrait faire. On n'y arrivera pas du jour au lendemain.

M. Paradis (Lévis) : Dans votre mémoire, vous faites des comparatifs. Vous avez parlé, évidemment, du travail en équipe, de la prise en charge, bon, globale. Vous avez aussi... Et à un moment donné vous parlez de l'Ontario et des modèles de rémunération, le mode à salaire, par exemple, et tout ça, et vous avez dit tout à l'heure : Il faudra revoir des choses, le mode de rémunération à l'acte risque de causer problème.

Est-ce que le projet de loi n° 20, sans une réforme du mode de rémunération, peut fonctionner?

M. Contandriopoulos (Damien) : Il va produire des effets. Est-ce que ces effets-là vont être à la mesure des ambitions qu'il y a derrière ce projet de loi là? Je ne pense pas.

Je pense que de repenser la façon dont on rémunère les médecins doit réellement faire partie de l'agenda ou de la réflexion sur l'accessibilité et la continuité. Quand on regarde, là encore l'Ontario a, au niveau des provinces canadiennes, clairement les meilleurs indicateurs en termes d'accessibilité et continuité, et c'est une province qui, au cours des 10 dernières années, a profondément repensé la façon dont ils rémunèrent les médecins en première ligne, et c'est difficile de ne pas voir une causalité. Le ministre, tantôt, a mentionné Taber; en Ontario c'est la même chose, on a des équipes qui ont été mises en place avec une redéfinition de la façon dont les gens sont pensés et on voit des résultats. C'est difficile de ne pas faire un lien de cause à effet.

M. Paradis (Lévis) : Et là je me permettrai d'aller plus loin parce qu'il y a beaucoup de modes de rémunération qui ont été présentés, et on parle de rémunération à l'acte chez nous avec un gros pourcentage, de rémunération basée sur la prise en charge, d'équilibrer l'un et l'autre pour faire en sorte qu'on puisse avoir un résultat optimal. Est-ce qu'un mode de rémunération par rapport à un autre... Est-ce qu'un équilibre est souhaité, à la lumière de ce que vous voyez et de ce qui se fait ailleurs?

M. Contandriopoulos (Damien) : La meilleure recette semble être des modes mixtes. Les modes mixtes doivent être adaptés au type de pratique. La première ligne, un financement avec une grosse composante de capitation, probablement plus que 50 % de capitation, centré sur des équipes semble être le modèle le plus performant; en établissement, une portion d'acte importante avec une portion de salaire. Si on repense aux vieilles histoires d'honoraires modulés qui ont été produits dans les années 80, ça a beaucoup de sens. On regarde des systèmes très performants, Kaiser, beaucoup de salariat.

Et, si on passe à un financement à l'activité des établissements, penser qu'une composante salariale des médecins soit incluse dans le financement à l'activité de l'établissement a un gros potentiel de contrôler pour la logique inflationniste non pertinente de faire beaucoup d'actes, de multiplier à l'infini les visites de suivi parce que tchik-a-tchik et d'éviter cette logique-là en se centrant sur la qualité des soins et la nécessité clinique. Là-dessus, la composante de salaire est intéressante.

M. Paradis (Lévis) : M. Contandriopoulos, vous avez également parlé d'une pondération fine importante en tout début. Vous avez mis beaucoup d'emphase là-dessus également en disant : Ce sera un élément aussi majeur, tenir compte des clientèles, et pas seulement des maladies chroniques, vous l'avez dit, de la santé mentale, de la toxicomanie, etc.

À votre connaissance, est-ce qu'une pondération fine à l'image de ce que vous souhaiteriez existe déjà ailleurs, à travers vos analyses, sur laquelle on pourrait calquer, par exemple, une expérience?

M. Contandriopoulos (Damien) : Les Anglais ont fait pas mal de choses avec des mesures relativement simples mais qui ont suivi le... qui ont survécu au test du temps, et je pense que ça, c'est quelque chose qui est fondamental. Quelle que soit la formule qu'on utilise, on va constater qu'elle est inadéquate à certains égards, et il va falloir avoir une logique proactive, de se dire : On implante une formule, on monitore ses effets et, quand on voit des effets qui sont indésirables, des populations qui sont laissées pour compte, des comportements opportunistes, on réajuste la formule pour essayer de la sophistiquer. Et c'est un jeu de chat et de la souris. On n'aura jamais une formule parfaite, c'est un exercice continu d'amélioration de l'adéquation entre la façon dont on incite les gens et les besoins de la société.

M. Paradis (Lévis) : Vous avez dit, en complétant, que... bon, mode de rémunération, pondération fine importante, vous avez aussi parlé rapidement des AMP, suggéré aussi de faire en sorte que sur une période, par exemple, graduelle on puisse éventuellement les abolir, permettant aux omnipraticiens de quitter les établissements; pour ceux qui veulent, bon, ils y resteront, on nous dit que plusieurs souhaitent ce type de pratique, mais, pour les autres, retourner en cabinet.

Est-ce que c'est une avenue qui vous semble importante dans l'application du projet de loi?

M. Contandriopoulos (Damien) : Bien, je ne pense pas avoir dit d'abolir les AMP. En fait, je pense...

M. Paradis (Lévis) : ...est-ce qu'on devrait aller vers ça? Est-ce que c'est trop radical? Est-ce que vous en êtes?

M. Contandriopoulos (Damien) : Je pense qu'on ne pourra pas atteindre les objectifs d'accessibilité, d'efficience tant qu'on va penser que la simple loi du marché va faire en sorte que les médecins vont traiter le bon patient au bon endroit au bon moment. Il faut qu'il y ait une vision systémique, il faut qu'à quelque part il y ait un régulateur qui dise : Les besoins de la population sont ça, la main-d'oeuvre médicale doit y répondre.

Les AMP sont un levier intéressant pour s'assurer que l'offre de services médicaux correspond aux besoins de la société. Là où les AMP sont encore plus intéressantes, c'est si on considère qu'on peut mettre dans les AMP des choses qui correspondent réellement aux besoins régionaux. Les AMP vont devoir être modulées en fonction de chacun des territoires de CISSS, et il doit y avoir une participation des médecins de DRMG pour s'assurer que la façon dont on structure la pratique médicale, ce qu'on demande au médecin de faire de façon prioritaire corresponde réellement aux besoins les plus prioritaires d'un territoire.

La Présidente (Mme Montpetit) : Merci, M. Contandriopoulos, Mme Perroux. Je vous remercie pour votre présentation.

Je vais donc suspendre les travaux pour quelques instants, et j'inviterais le prochain groupe à prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 58)

(Reprise à 17 h 1)

La Présidente (Mme Montpetit) : À l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite la bienvenue à notre invité, M. Paul Lamarche, de l'Institut de recherche en santé publique de l'Université de Montréal. Pour les fins de l'enregistrement, je vais vous redemander de vous présenter, comme c'est la procédure. Je vous rappelle que vous disposez d'une période de 10 minutes pour nous faire votre exposé, et par la suite nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

M. Paul A. Lamarche

M. Lamarche (Paul A.) : Avec plaisir. Merci, madame. Mon nom est Paul Lamarche, je suis au Département d'administration de la santé à l'École de santé publique à l'Université de Montréal. Mme la Présidente, je veux remercier la commission de m'avoir invité à présenter mon point de vue sur le projet de loi n° 20. Je veux aussi la remercier de me permettre d'échanger avec les membres de cette commission sur ce sujet.

J'ai déposé un mémoire qui, à mon avis, résume assez clairement la position que j'ai par rapport au projet de loi n° 20. Ce mémoire développe quatre points. Premièrement, il résume les objectifs du projet de loi et explicite la logique d'intervention sur laquelle il repose, la logique d'intervention et la rationalité par lesquelles les moyens suggérés sont perçus comme devant atteindre les objectifs visés. Deuxièmement, il présente une autre logique d'intervention qui reflète, à mon avis, beaucoup mieux la dynamique des organisations de santé. Sur la base de cette autre logique, cette partie-là explicite pourquoi et comment les moyens proposés dans le projet de loi sont susceptibles de produire des effets inverses à ceux recherchés. Troisièmement, il présente la forme de gouverne de la pratique médicale que ce projet de loi là introduit. Par la suite, il présente une forme alternative de gouverne, encore là, plus compatible et plus conforme à la dynamique des organisations de santé et plus susceptible, à mon avis, de générer les résultats escomptés. Sur la base de cette autre forme de gouverne, la quatrième partie présente des approches alternatives qui permettraient d'atteindre davantage les objectifs visés par le projet de loi n° 20. Dans les 10 minutes qui me sont accordées, je me limiterai à résumer l'essentiel des trois premiers points, laissant pour la période d'échange la discussion sur les approches alternatives.

La finalité du projet de loi est claire, précise, pertinente et justifiée, il faut améliorer, au Québec, l'accès aux médecins de famille et, à un degré moindre, l'accès aux médecins spécialistes.

Pour atteindre ces objectifs, le projet de loi propose des moyens qui reposent sur une logique d'intervention que je qualifierais de mécanique. Selon cette logique, les autorités en haut de la structure hiérarchique décident comment doivent se comporter les acteurs en bas de la structure hiérarchique. Deuxièmement, les acteurs en bas de la structure hiérarchique doivent se conformer aux volontés des autorités en haut de la structure hiérarchique, sous peine de sanctions et de pénalités importantes. Le projet de loi repose sur une telle logique d'intervention. Cette logique-là est explicitée dans le mémoire.

S'il y a un type d'organisation dans lequel la logique mécanique d'intervention ne s'applique pas, c'est bien les organisations de santé. Ces organisations sont reconnues comme l'exemple type d'organisations professionnelles. Une organisation professionnelle est une organisation dont les acteurs en bas de la structure hiérarchique ont la compétence, le pouvoir et la légitimité de définir eux-mêmes le contenu de leur travail. Ces acteurs ont la capacité de s'auto-organiser pour répondre le mieux possible aux acteurs avec qui ils sont en relation, incluant évidemment les patients mais aussi les autres professionnels avec qui ils travaillent. C'est cette auto-organisation-là qui caractérise le mieux la dynamique des organisations de santé.

Le corollaire de l'auto-organisation, c'est la coévolution. La coévolution, c'est la réaction posée par les autres acteurs... excusez, c'est la réaction des acteurs suite aux actions posées par d'autres acteurs avec qui ils sont en relation. Toute action engendre nécessairement une coévolution qui peut être soit positive soit négative à l'atteinte des objectifs visés. Pour moi, les moyens prévus dans le projet de loi vont aussi générer de la coévolution de la part des médecins. Je crains que cette coévolution soit généralement négative, c'est-à-dire susceptible de produire des effets contraires à ceux recherchés.

Il y a au moins cinq coévolutions possibles et probables au projet de loi. Chacune d'elles a comme conséquence de diminuer et non d'accroître l'accès aux médecins. Chacune de ces cinq coévolutions-là sont décrites dans le mémoire.

Le projet de loi introduit une forme de gouvernance de la pratique des médecins qui peut être qualifiée d'autoritaire et, je dirais, avec un brin de penchant vers le despotisme. Une gouvernance autoritaire est définie comme une gouvernance qui impose et fait sentir son autorité d'une manière absolue, sans tolérer la contradiction. Le despotisme est une forme de gouvernance dans laquelle une seule personne détient tous les pouvoirs.

Le projet de loi donne le pouvoir à des instances de décréter le nombre minimal de patients que doit suivre... et le nombre minimum d'heures d'activité que chacun des médecins omnipraticiens doit consacrer à des activités médicales autorisées. Il est vrai que les activités médicales autorisées sont établies par l'agence régionale à partir des recommandations du département de médecine générale, cette implication de la base est en concordance avec la dynamique des organisations de santé, mais il est surtout vrai que le ministre dicte les règles que doivent suivre les agences pour établir les activités médicales disponibles ainsi que le nombre d'heures pouvant être autorisées, que le ministre peut décréter tout autre service médical que doivent offrir les médecins, que le ministre peut déterminer unilatéralement de nouvelles conditions que devront remplir les médecins, que le ministre peut déterminer unilatéralement des modalités de rémunération applicables aux médecins qu'il juge nécessaires, et enfin que toutes les modalités concrètes d'application de ce projet de loi sont définies par le Conseil des ministres, donc exemptées de débat public.

Il y a au moins deux effets pervers associés à une utilisation intensive d'une gouverne autoritaire sur la pratique des médecins. Le premier effet est de procurer un incitatif accru aux médecins d'opter pour l'une ou l'autre des cinq coévolutions possibles auxquelles j'ai fait allusion tantôt. Le deuxième effet pervers, c'est l'accroissement de la bureaucratie. La bureaucratie est l'instrument par lequel une gouvernance autoritaire exerce son autorité. Cette bureaucratie est requise pour définir les comportements escomptés des acteurs au bas de la structure hiérarchique, pour surveiller le degré avec lequel les comportements observés sont conformes à ceux exemptés, pour identifier les individus déviants, pour imposer des sanctions et pour vérifier l'application appropriée et le respect de ces sanctions-là.

Dans le projet de loi, pour l'identification des comportements souhaités de la part des médecins de famille, six étapes doivent être franchies. Pour assurer le respect des engagements pris par les médecins de famille, six étapes doivent aussi être franchies. La surveillance du respect des engagements s'effectue trimestriellement, quatre fois par année, pour près de 20 000 médecins.

En conclusion, la finalité du projet de loi est claire, précise, pertinente et justifiée, mais, compte tenu que les fondements théoriques de ce projet de loi sont incompatibles avec les caractéristiques du milieu auquel il entend s'appliquer, compte tenu de sérieuses... que les moyens utilisés par le projet de loi produiront des effets inverses à ceux recherchés et compte tenu de son rejet unanime par ceux visés, sa mise en oeuvre, à mon avis, soulève d'importantes questions éthiques. Si l'intention du gouvernement est de poursuivre avec ce projet de loi sans y apporter des modifications mineures, il doit au minimum en faire l'expérience dans une région de taille moyenne. Cette expérience permettrait de vérifier empiriquement si les moyens suggérés produisent effectivement les effets escomptés. Elle permettrait aussi de préciser les conditions à mettre en place pour l'obtention des effets escomptés. Sans une telle expérience, le gouvernement prend tout le Québec pour un groupe expérimental, et ce, sans groupe contrôle. Une telle façon de procéder soulève aussi d'importantes questions éthiques.

Enfin, j'aimerais faire une suggestion à la commission. Le Québec a la chance de compter parmi ses citoyens l'une des sommités mondiales en gestion des organisations. Il a écrit plusieurs articles et plusieurs livres sur le sujet, incluant les organisations de santé. Il a reçu des prix honorifiques nationaux et internationaux pour son oeuvre. Je pense que la commission devrait inviter le Dr Henry Mintzberg, professeur de la Faculté de management de l'Université McGill, pour l'entendre sur ce qu'il pense du projet de loi n° 20. Merci.

• (17 h 10) •

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie, M. Lamarche, pour votre présentation. Nous allons donc débuter la période d'échange avec la banquette ministérielle. M. le ministre.

M. Barrette : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lamarche. Bienvenue à cette commission parlementaire.

Je vais faire un commentaire immédiatement parce que je pense qu'il est important. Je pense que vous avez déjà été sous-ministre.

M. Lamarche (Paul A.) : Oui.

M. Barrette : Et donc vous êtes bien au fait que le salon rouge est un endroit de débat public, et qu'évidemment, à partir du moment où on fait des audiences où les gens peuvent venir exposer leur point de vue, je pense qu'on peut dire qu'il y a un débat public, d'une part. Et, d'autre part, pour vous, d'affirmer que le projet de loi n° 20 est exempté d'un débat public, ça m'apparaît être un peu exagéré, d'une part.

D'autre part, pour ce qui est de M. Mintzberg, dont je connais bien les travaux, vous savez bien aussi que le projet de loi n° 20 a été déposé il y a un certain temps, et c'était possible pour lui de se faire entendre comme vous l'avez fait vous-même.

Maintenant, je ne suis évidemment pas vraiment d'accord avec votre position selon laquelle le Québec est pris en otage et devient un sujet d'expérimentation. Et je prends à mon compte les nombreuses interventions qui ont été faites dans les trois derniers jours par un certain nombre de groupes d'experts, dont de vos collègues, il y a une heure maintenant, qui viennent de la même université que vous et qui nous ont tenu un discours que je peux qualifier globalement d'opposé au vôtre. Maintenant, c'est ça qui est la beauté du débat basé sur la science, des fois les scientifiques peuvent ne pas s'entendre. Mais il n'en reste pas moins que manifestement, suite à l'exposé et aux échanges qu'il y a eu avec le groupe précédent, M. Contandriopoulos et sa collègue, force est de constater que la lecture de la situation n'est pas la même.

Maintenant, vous avez fait état de concepts théoriques qui sont assez clairs. En pratique, vous n'avez pas avancé sur ce terrain-là, le réservant pour la période d'échange, et nous y sommes. Alors, je vous inviterais à nous faire part de vos suggestions pour accéder à la résolution de la problématique que l'on connaît dans notre système de santé, et dont la finalité vous apparaît tout à fait justifiée, puisque vous venez de dire que la finalité du projet de loi est tout à fait appropriée. Alors, je vous laisse la parole.

M. Lamarche (Paul A.) : Je conçois très bien qu'une commission parlementaire est effectivement une instance démocratique. Ce n'était pas sur la commission parlementaire, les qualificatifs que j'ai utilisés, c'était sur la proposition du projet de loi tel qu'il est. Si effectivement la commission parlementaire a comme effet de modifier substantiellement le projet de loi, je serai le premier à reculer sur ce que je viens de dire, mais, si effectivement la commission parlementaire confirme l'élément, bien je vais effectivement conserver un tout petit peu les points là-dessus.

J'apprécie beaucoup que... puis j'aimerais qu'on regarde des alternatives. Ce qui me semble être quelque chose excessivement intéressant à regarder un tout petit peu sur la façon de le voir... Est-ce que je réponds bien à la question, M. le ministre, ou non?

M. Barrette : Tout à fait.

M. Lamarche (Paul A.) : Là-dessus, le premier élément que je vous dirais, ce qui me semble être excessivement important, c'est que le projet de loi contienne une vision très claire de ce qu'il veut atteindre, dans le fond, actuellement, l'accent est mis... puis je pense que, dans cette vision-là, l'accent devrait être mis très clairement sur les résultats qu'on veut atteindre plutôt que sur les moyens qu'on veut prendre là-dessus. Comment voulez-vous que les acteurs au bas de la structure hiérarchique s'auto-organisent pour la réalisation du projet collectif quand le projet collectif n'est pas là ou quand, dans le fond, la définition claire de ce qu'est le projet collectif n'est pas là? On parle d'améliorer l'accès — quant à ça, M. le ministre, vous allez le reconnaître, qu'il s'est amélioré. Comment quelqu'un peut dire : Moi, j'ai atteint l'objectif qui était voulu là-dedans?

Je pense que, si on respecte la dynamique intrinsèque au système de santé, de connaître clairement quel est l'objectif en termes de résultat qu'on veut atteindre me semble être fondamental. Aussi longtemps qu'on va tout simplement donner les pénalités puis les sanctions qui existent, c'est une vision excessivement négative et ça ne permet pas aux gens de dire... Parce que normalement... Moi, je pars du postulat, M. le ministre, puis ça fait assez longtemps que je suis dans le domaine, que globalement les gens veulent se conformer à des choses correctes, puis en termes de collectif, et surtout dans le domaine de la santé, mais il faut leur dire c'est quoi, puis je pense que le projet de loi devrait insister beaucoup moins sur les pénalités et les sanctions, tout simplement de dire c'est quoi, la vision de l'accessibilité, c'est quoi, la vision d'amélioration sur ces éléments-là. Pour moi, c'est un élément qui est important, non pas pour sanctionner, mais pour permettre aux gens de dire : Oui, moi, je veux embarquer dans la réalisation du projet collectif. Ça me prend une bonne connaissance là-dessus, puis je vais...

Le deuxième élément que je vous dirais, c'est l'alignement des incitatifs, il faut qu'il y ait un lien entre les incitatifs procurés aux acteurs puis les incitatifs à l'atteinte du résultat du projet collectif là-dedans. Ce que je trouve vraiment surprenant dans le projet de loi, M. le ministre... ou Mme la Présidente, c'est qu'il ne reconnaît pas que le mode de rémunération à l'acte n'incite pas puis n'incitera jamais à contribuer à atteindre les objectifs du projet de loi. Ce que la rémunération à l'acte incite, puis très justement, c'est la production d'un nombre d'actes de plus en plus grand, soit pour augmenter la rémunération ou soit pour atteindre la rémunération cible dans un laps de temps plus grand, mais prendre en charge des populations, prendre en charge des patients, non. Même plus que ça, le mode de rémunération à l'acte est un contre-incitatif à prendre en charge des clientèles lourdes et un contre-incitatif à prendre en charge les maladies chroniques. Et, quand ils prennent en charge des maladies chroniques, vous le savez très bien, si ça prend trop de temps, ils le réfèrent à d'autres. Ils vont le référer à des spécialistes, ils vont le référer pour des examens. Aussi longtemps qu'on n'aura pas l'alignement des incitatifs sur une prise en charge de patients ou une prise en charge d'une population, jamais on ne réussira à atteindre l'objectif là-dedans.

Mon troisième point, c'est que toute la responsabilité dans le projet de loi, puis ça a été soulevé par les acteurs puis ceux qui sont venus précédemment, c'est essentiellement une responsabilité individuelle avec des incitatifs individuels. Jamais ça ne va permettre des collaborations entre les secteurs, jamais. Donc, pour nous, il serait important que la responsabilité soit collectivisée de plus en plus, soit collectivisée, et les incitatifs soient aussi collectivisés. À titre d'exemple, 90 % de la population d'un territoire devrait avoir un médecin de famille, aucun patient ne devrait attendre dans ce territoire-là plus que trois jours pour avoir une visite du médecin de famille. L'incitatif est donné au groupe, et c'est le groupe qui contrôle comment s'assume la responsabilité. Ce que le central fait, c'est qu'il monitore l'atteinte de cette finalité-là.

Dans le fond, quand vous regardez le projet de loi tel qu'il est là, il ne suscite même pas la collaboration entre les spécialistes puis les médecins de famille. Même, si la collaboration prend du temps des médecins spécialistes, c'est susceptible de diminuer la collaboration entre les deux. Puis vous savez très bien que, pour une bonne pratique de première ligne, ça prend un excellent support de la deuxième et de la troisième ligne là-dessus. Donc, ma troisième approche c'est fondamentalement de le voir de façon collectivisée sur ces éléments-là.

Le quatrième point que je voudrais mentionner effectivement aussi, c'est l'information. Écoutez, on veut rendre les gens responsables de l'atteinte de responsabilités que vous mentionnez. Il faudrait que régulièrement le ministère puisse publier quels sont les progrès qu'on a faits dans la réalisation du projet collectif, autant au plan national qu'au plan régional, mais, plus que ça, que chacun des groupes connaisse très bien son degré de contribution à l'atteinte de ce projet collectif là, non pas pour les sanctionner, pour qu'ils puissent se rencontrer puis dire : Woups! on n'est pas trop bons, il faudrait s'améliorer; pour que ça puisse susciter l'auto-organisation.

Le cinquième point que je voulais mentionner, c'est reconnaître des succès. Tout le projet de loi est orienté vers la punition des échecs. Pas diable comme orientation, ça. Il y a penchant excessivement négatif. Il devrait changer complètement d'orientation et s'orienter vers la reconnaissance puis la récompense des succès, qui contribue le plus à améliorer l'accès d'une population donnée sur ces éléments-là. Puis la reconnaissance de ce succès-là sert deux fins. La première fin, c'est que ça reconnaît puis ça récompense ceux qui réussissent...

• (17 h 20) •

Le Président (M. Tanguay) : M. Lamarche, on entend les cloches. Les députés doivent s'absenter momentanément pour aller voter, mais nous allons revenir et nous pourrons continuer l'échange avec les parlementaires.

M. Lamarche (Paul A.) : La démocratie.

Le Président (M. Tanguay) : Alors, nous vous demandons de bien vouloir nous excuser.

Je suspends quelques instants.

(Suspension de la séance à 17 h 21)

(Reprise à 17 h 36)

Le Président (M. Tanguay) : À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre, donc, notre travail, notre audition de M. Paul Lamarche, représentant de l'Institut de recherche en santé publique de l'Université de Montréal.

Donc, avant de suspendre, l'échange avec le ministre était clos. Et je cède maintenant la parole à notre collègue députée de Taillon pour une période de 13 minutes.

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Bienvenue, M. Lamarche.

M. Lamarche (Paul A.) : Merci.

Mme Lamarre : Merci pour votre analyse plus globale et pour les enjeux que vous réussissez à regrouper sous un certain thème. On voit que vous avez une expérience en gouvernance et en analyse de projets de cette nature-là.

Je vous avoue qu'une des choses que vous évoquez dans la structure et les conséquences, c'est le phénomène des coévolutions, et ces coévolutions-là, on les a entendues mais un petit peu parcimonieusement, chacun en évoquait une ou deux, mais vous, vous avez le mérite de mettre les cinq tout à fait appropriées. Je vais vous laisser nous en parler, parce qu'elles sont vraiment bien catégorisées.

M. Lamarche (Paul A.) : O.K., merci. Possiblement définir c'est quoi, une coévolution, au point de départ, là. Souvent, on a l'impression qu'on prend une décision puis que tout le monde obéit. Or, dans la réalité, ce n'est pas vrai, chaque acteur va réagir à une décision qui est prise à sa façon, et souvent relié à ses intérêts, à ses croyances, à tous ces éléments-là. Et ce qui peut arriver, c'est que la coévolution peut être très positive, hein? Si les acteurs sont d'accord avec ce qui est mentionné, ils peuvent accélérer le processus par lequel les objectifs vont exister, mais il peut y avoir une coévolution complètement inverse, c'est que les acteurs peuvent adopter des comportements qui vont complètement à l'encontre des objectifs visés, et ce sont ces éléments-là que j'ai fait ressortir dans mon document.

Dans le fond, premièrement, le projet de loi s'applique aux médecins qui participent au régime d'assurance maladie du Québec. Les médecins qui ne veulent pas être soumis à ces contraintes-là peuvent tout simplement sortir de l'assurance maladie et pratiquer complètement dans le privé. Et, selon ce que j'entends, c'est déjà commencé, ces éléments-là, ça serait effectivement à vérifier sur ce point-là, mais ce qui est surprenant là-dedans, là, si c'est le cas, si jamais ça arrive, le projet de loi va avoir comme effet d'accroître l'accès aux médecins qui pratiquent en privé puis de réduire l'accès aux médecins qui pratiquent dans le régime d'assurance maladie du Québec, donc ça devient complètement contraire.

Le deuxième, c'est que le projet de loi oblige les médecins omnipraticiens à assurer le suivi d'un nombre minimum de patients. Donc, une deuxième coévolution, c'est le choix de patients, c'est de prendre des patients qui sont plus légers pour être capable de satisfaire le nombre et de laisser à d'autres ou de délaisser la notion des maladie chronique ou de la clientèle lourde.

Le troisième, le projet de loi, c'est qu'il oblige les médecins à faire un nombre minimal d'heures d'activités médicales autorisées. Il peut très bien arriver que, dans certaines circonstances, des médecins ne peuvent pas ou ne veulent pas pratiquer à plein temps. Puis, dans le fond, ce que je vous dirais, deux exemples, ce sont des médecins qui sont à la mi-retraite. Avec ces éléments-là, ils risquent de se retirer complètement, donc on va perdre une petite capacité de production. Ou bien, de façon temporaire, c'est une femme qui vient d'avoir un enfant puis qui veut pratiquer de façon demi-temps pendant un certain bout de temps; elle risque de ne pas pratiquer du tout, du tout, du tout. Donc, ceux qui participent à temps partiel, pour employer cet élément-là, on risque de les perdre avec ce projet-là.

• (17 h 40) •

Le quatrième point, c'est que le projet de loi s'applique aux médecins spécialistes qui ont une nomination permettant d'exercer leur pratique dans un centre hospitalier. Les médecins qui veulent se soustraire au projet de loi ne pratiqueront plus en centre hospitalier, ils risquent de se retirer et de pratiquer en cabinet privé. Encore là, c'est paradoxal. Le projet de loi risquerait donc d'accroître l'accès aux médecins qui pratiquent en cabinet privé et de diminuer l'accès aux médecins qui pratiquent en centre hospitalier, ce qui est l'inverse des objectifs poursuivis par le projet de loi.

Le cinquième point, c'est que le projet de loi s'applique uniquement aux médecins dont la spécialité est visée par règlement. J'ose croire que les spécialités visées par règlement vont être celles dont l'accessibilité est la plus difficile. Or, il peut très bien arriver que des médecins qui veulent se soustraire de ce projet de loi là choisissent de se former dans des spécialités non visées par un règlement. Donc, le projet de loi aurait comme effet d'accroître l'accessibilité à des spécialités déjà accessibles et de diminuer l'accessibilité à des spécialités encore moins accessibles.

Puis il pourrait y en avoir d'autres, madame. Ce que je peux vous dire, c'est quand même une lecture relativement rapide, mais le message, c'est moins le détail que de penser que parce qu'on édicte quelque chose tout le monde va obéir, c'est faux. Il faut fondamentalement tenter de prévoir ça peut être quoi, les formes de coévolution que les acteurs peuvent prendre pour se soustraire au projet de loi. Si c'est énorme, bien là je vous dirais que le projet de loi risque d'aller à l'encontre des objectifs visés, de procurer les moyens pour aller à l'encontre des objectifs visés. C'était ça, la notion de coévolution.

Mme Lamarre : Bien, c'est tout à fait clair, et je pense que les cinq exemples que vous avez évoqués sont des choses possibles. On ne les souhaite pas, mais je pense qu'on doit vraiment s'assurer de non pas seulement... C'est qu'on se rend compte aussi, avec ce que vous nous dites, que, même si on ajoute des balises, c'est l'intention de base qui n'est pas... c'est la participation, la contribution volontaire et motivée de professionnels de la santé, dans le fond, qui ne sera pas au rendez-vous et qui donc contreviendrait à n'importe quel projet, dans le fond, de réforme, c'est...

M. Lamarche (Paul A.) : J'ai l'impression que, si le projet de loi récompensait les bons comportements, il risquerait d'y avoir une coévolution positive et non pas une coévolution négative.

Mme Lamarre : Bien, je vais faire l'avocat du diable. Je vous dirais qu'on a déjà, dans notre système actuel, récompensé, là, on a donné des primes pour des patients vulnérables, on a donné des primes pour des patients un peu moins vulnérables, puis on n'a pas eu le résultat.

Donc, quels sont les modes de récompense ou peut-être le moment où on donne la récompense qui sont gagnants, selon les modèles de gouvernance que vous connaissez?

M. Lamarche (Paul A.) : C'est qu'à mon avis, puis c'est mon deuxième point, c'est ce que j'appelle l'alignement des intérêts. On ne peut pas espérer un comportement quand les incitatifs financiers incitent à d'autres comportements. Le mode de rémunération à l'acte n'incitera jamais à prendre des clientèles lourdes, jamais, donc il faut trouver une nouvelle... Ce qu'il faut rémunérer, c'est justement une prise de clientèle. Ça peut être une capitation, ça peut être une population ajustée, je pense que, vous savez, il y a eu des expériences de ces éléments-là.

L'autre élément que je vous dirais : Malheureusement, le mode de rémunération idéal n'existe pas, O.K., il y a toujours des plus puis des moins. Puis, dans le fond, ce que je vous dirais : De miser sur un seul mode de rémunération pour toute la province de Québec, c'est peut-être jouer au 6/49. Plutôt que de tenter de mouler les modes de rémunération dépendant des clientèles, dépendant des choses comme ça, pour moi, il faut jouer avec cet élément-là beaucoup en fonction des acteurs en présence puis en fonction des contextes dans lesquels on est.

Dans le fond, certaines études disent... Le meilleur moyen pour atteindre l'objectif, savez-vous c'est quoi? C'est le moyen sur lequel les gens s'entendent que, oui, ils veulent le faire. Donc, la notion de consensus est un prédicteur énorme de l'efficacité des moyens. Un moyen qui ne fait pas consensus ou, pire, dont les acteurs impliqués vont contre, l'atteinte de l'objectif ne se fera jamais. Donc, pour moi, c'est une notion relativement différente pour ça. Donc, quelles responsabilités on veut? Si on veut une responsabilité clientèle et une responsabilité populationnelle, il faut financer clientèle et population.

L'autre élément, c'est que ça ne peut plus être individuel, il faut que la responsabilité soit collective, la responsabilité doit être collective. Et j'ose croire que la responsabilité va dépasser les médecins, que la responsabilité peut aller au niveau d'une équipe multidisciplinaire. Je donne ça comme étant un exemple là-dessus. Ça va inciter à la pratique en équipe et ça va inciter à la multidisciplinarité.

Donc, je reviens à deux choses. Il faut savoir qu'est-ce qu'on veut payer, il faut donc payer en fonction des objectifs qu'on veut, et je pense que, dans le projet de loi, par rapport aux objectifs, ça prendrait un incitatif plus prise en charge clientèle, prise en charge population, et non pas à l'acte. Et l'autre élément : responsabilité plus collective que responsabilité individuelle.

Mme Lamarre : Exactement. Donc, il y a une notion de prise en charge mais peut-être de ne pas seulement donner l'argent au moment où on dit qu'on prend en charge mais d'aller mesurer certains indicateurs de cette prise en charge là. Mais aussi ce qu'on a beaucoup vu et entendu, c'est beaucoup de médecins de bonne volonté qui disent : On prend bien soin de nos patients, mais, s'il y en a 2 millions qui sont aux portes de nos cliniques médicales, ça, ce n'est pas de notre faute, c'est la faute de l'organisation. Alors, il faut trouver aussi la façon d'induire une responsabilité populationnelle, et ça, vous dites que la rémunération à l'acte n'est pas favorable à ça.

J'aurais voulu aussi vous entendre parler de votre projet pilote ou vitrine, mais, s'il reste quelques minutes, je laisse la parole à mon collègue.

M. Lisée : Merci. Écoutez, ce que vous nous dites recoupe ce que plusieurs autres intervenants nous ont dit sur les effets pervers de la rémunération à l'acte, sur la nécessité d'un travail d'équipe, sur la nécessité de l'adhésion à la norme pour la faire fonctionner parce que la résistance à la norme induit l'échec de la norme, et en ce moment on voit énormément de résistance à la norme, donc tout ça est vrai.

Maintenant, vous êtes à l'Institut de recherche en santé publique de l'Université de Montréal, vous voyez des étudiants depuis longtemps. Moi, je vous pose une question plus générale, là : En ayant admis tout ça... Et vous nous dites : Bon, bien, si la norme change et qu'il n'y a pas de consensus, il va y avoir des choix de carrière pour éviter les obligations qui sont créées, il va y avoir des effets pervers, etc. Mais tout ça, même s'il faudrait éviter ces effets pervers, ce n'est pas une bonne idée de faire une norme non consensuelle, etc., mais ça reporte quand même à un nombre significatif d'étudiants en médecine et de médecins qui n'ont comme motivation que le gain et non pas la mission. Dans votre parcours d'une personne qui avez vu des cohortes et des cohortes d'étudiants, est-ce qu'on est à voir une augmentation de l'appât du gain comme seul prédicteur du comportement des futurs médecins?

M. Lamarche (Paul A.) : Je suis peut-être très biaisé, M. le Président. J'ai enseigné aux externes et, dans le fond, je vous dirais que la très grande majorité, ils veulent desservir la population, ils ont vraiment une vision que je dirais très altruiste, très sociale. Je pense que c'est la... et je reviens au mode de rémunération à l'acte comme étant un exemple, la pratique les incite à se convertir avec le gain, comme tel.

Encore là, je reviens. Si jamais la responsabilité était populationnelle, et c'était le succès : Bravo! vous desservez bien votre population, on renforcerait, à mon avis, les motivations initiales des étudiants en médecine là-dedans. Actuellement, regardez c'est quoi — puis j'étais pour aller avec des exemples, mais je vais arrêter là — donc regardez un tout petit peu c'est quoi, la logique. Quelqu'un qui s'en va vers ça, il n'est pas valorisé, les incitatifs sont complètement contre ces éléments-là, d'où ma notion d'alignement des incitatifs, d'aligner les incitatifs qui récompensent les comportements qui contribuent à l'atteinte de l'objectif.

Et moi, je pense que, pour les externes, non, moi, je vous dirais que la très grande majorité des étudiants sont là avec un service à la population, un service à l'humanité, un bon service pour les patients, comme tel. Je pense que la pratique, telle qu'elle est faite, et là j'implique beaucoup le mode de rémunération à l'acte, c'est évident que ça change avec les années. Je ne sais pas combien de temps que ça prend et je pense que le temps que ça prend peut varier.

M. Lisée : ...de la part de la Fédération des médecins spécialistes, des médecins omnipraticiens sur la façon dont ça fonctionne et qui induit un comportement qui n'est pas aussi altruiste que celui qui était à l'origine de leur vocation.

M. Lamarche (Paul A.) : Je vous laisse la parole.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Il reste 15 secondes. Non?

M. Lisée : On vous les donne.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous cédons maintenant la parole à notre collègue de Lévis pour 8 min 30 s.

• (17 h 50) •

M. Paradis (Lévis) : Merci, M. le Président. Merci, M. Lamarche. Merci d'être là et de nous faire part de vos connaissances et de vos visions, c'est très instructif également.

Et je reviens sur... Parce que vous l'avez répété à plusieurs reprises, hein, vous avez parlé du mode de rémunération puis vous dites : Écoutez, le mode de rémunération à l'acte, c'est ce qu'il y a de plus désincitatif possible, et vous dites qu'il n'y a pas non plus de mode de rémunération parfait, mais, dans le contexte actuel, dans la mesure où il faut choisir et modifier pour faire en sorte qu'on retrouve cet altruisme dont vous venez de me parler, le mieux à choisir, quel est-il? Quel est le ratio entre, je ne sais pas, la prise en charge, par exemple, avec un ratio de rémunération à l'acte, un... Parce que vos collègues, également, ont aussi abordé cette notion-là avec des données très précises de pourcentage, en disant : De cette façon-ci, on pourrait maximiser, en tout cas être plus efficace. Vous voyez ça comment, avec l'expérience que vous avez?

M. Lamarche (Paul A.) : Dans le fond, il faut savoir qu'est-ce qu'on veut payer. Si on veut payer une responsabilité clientèle, il faut payer clientèle. Avant tout, il faut décider qu'est-ce qu'on paie. Et, dans le mode de rémunération à l'acte, on payait la production des actes. Là, je pense qu'on trouve qu'il y a des effets pervers, et on le sait. Puis on parle de prise en charge de clientèle, prise en charge de population. Si c'est ça, il faut donc orienter vers ces éléments-là.

Moi, ce que je connais là-dessus, c'est qu'on peut avoir une capitation individuelle, et ça, c'est un per capita ajusté. Ni plus ni moins ce que ça veut dire, concrètement, là, c'est qu'un médecin de famille s'engage à offrir tous les services à un patient avec des caractéristiques données pour un montant annuel fixe, c'est ça qu'est la capitation, et, dans le fond... mais la capitation est ajustée selon l'âge, le sexe et le statut socioéconomique du patient, parce que c'est relié à l'utilisation des services de santé. Ça, c'en est un, mode.

L'autre mode, c'est ce qu'ils appellent le per capita ajusté mais au niveau collectif, et, dans le fond, l'Angleterre fait ça, c'est qu'ils rémunèrent puis ils paient un ensemble de médecins par rapport à la population donnée. Encore là, le per capita est ajusté en fonction de la structure d'âge, le sexe puis de la situation socioéconomique de la collectivité. Ce que ça fait, quand c'est collectif, c'est quoi? C'est que, s'il y en a un qui ne fait pas sa job, là, les autres disent : Attends une minute, là, fais ta job, parce que sinon c'est nous autres qui allons être pénalisés. Donc, on collectivise, avec ces éléments-là, le comportement et on fait en sorte qu'il y a une autorégulation à l'interne. Les HMO, aux États-Unis, «health maintenance organizations», fonctionnent beaucoup sur ces éléments-là.

Donc, la notion de dynamique, ce que je vous dirais... Puis là, actuellement, il y a une grosse mode : la rémunération mixte. Moi, les études puis l'expérience que j'ai, quand l'acte accapare plus que 10 % de la rémunération, c'est l'acte qui détermine la dynamique, ce n'est pas le reste, là-dessus. Donc, encore là, ça peut peut-être varier. Moi, ce que j'ai vu, c'est que, quand il y a acte et, par exemple, rémunération horaire, rémunération horaire est utilisée pour les réunions, l'acte pour voir le patient. Donc, cet élément-là, je ne suis pas sûr. Mais ça, comme je vous dis, il faudrait que je revoie, je n'ai pas fait ces... Mais, personnellement, je ne suis pas un adepte de la rémunération mixte aussi longtemps qu'on n'aura pas plus d'évidence que le mixte est bon sur... parce que plus que 10 % ou 15 %, c'est l'acte qui détermine la dynamique, c'est clair, clair, clair. Mais, encore là, je reviens. La première décision, c'est : Qu'est-ce qu'on veut payer?

Le pire, c'est d'essayer d'arranger l'acte pour desservir une population. Bien là, ça va donner les coévolutions que j'ai mentionnées. C'est le caractère de punition, c'est le caractère de négatif, c'est le caractère de ces éléments-là.

M. Paradis (Lévis) : Vous nous dites, M. Lamarche, deux choses relativement à ça. Vous parlez de collectiviser la responsabilité en fonction de l'atteinte des objectifs, manifestement, là, c'est un but à atteindre. Qu'est-ce qu'on fait pour y arriver? Parce qu'il y a une démarche, ce ne sera pas un automatisme.

M. Lamarche (Paul A.) : O.K. Si je vous disais... Puis encore là je reviens avec qu'est-ce qu'on paie. Si je vous disais que, dans le fond, on paie les médecins d'un territoire donné en fonction des services requis par la population de son territoire et on dit maintenant aux médecins du territoire : Vous devez, pour cet argent-là... 90 % de la population doit avoir un médecin de famille, maximum de trois jours — puis là j'invente, là — maximum de trois jours pour voir un médecin de famille, et on le fixe collectivement? Le ministère surveille l'atteinte de ces éléments-là, mais il n'a pas besoin de faire des obligations à 20 000 médecins individuellement puis de les surveiller trimestriellement, c'est collectivement que ça va se faire sur ces éléments si on donne la responsabilité collective. Puis je reviens : La notion de capitation, la notion de donner à des groupes, sur ces éléments-là, devient fondamentale.

Encore là, je vous dirais, je n'ai pas la solution. Pourquoi on ne l'expérimente pas? Pourquoi on n'essaie pas? À mes étudiants, ce que je dis : Quand on ne le sait pas, on essaie, mais peu, petit et varié. On ne le sait pas. Varié, c'est qu'on essaie deux, trois choses. S'il y en a une qui marche, on le consolide puis on laisse les autres. Puis ce que je dis souvent, pourquoi petit et varié : Je préfère un petit succès qu'un gros échec. De miser... une seule mesure partout pour le Québec, je pense que c'est très à risque. On est mieux d'essayer des choses différentes et, si jamais ça fonctionne, là, effectivement, on le consolide, justement parce qu'il n'y a pas de mode idéal, puis ça dépend des contextes, ça dépend des acteurs, ça dépend des gens. Qu'on essaie puis qu'on adapte ces éléments-là.

M. Paradis (Lévis) : Vous êtes ici, M. Lamarche, pour exprimer votre vision des choses et vous le faites bien, et c'est pour ça qu'on est là, pour vous entendre et ensuite tirer profit de ce que vous voyez. Eu égard à votre connaissance et votre expérience, vous dites : Il va falloir qu'on travaille aussi à la reconnaissance des succès, hein? Alors, il y a le punitif puis il y a la récompense, hein, qui est un incitatif. La forme que ça peut prendre sur l'atteinte d'objectifs qui seront évalués trimestriellement, collectivement, ça...

M. Lamarche (Paul A.) : Ce que je vous dirais, c'est de savoir c'est quoi, un succès, O.K.? Moi, je me souviens, quand j'étais au bureau d'Europe de l'OMS, on avait identifié, on faisait la liste des succès, quel pays qui réussissait bien dans tel domaine donné. Quand les autres pays nous téléphonaient pour dire : Qui c'est qui a réussi en prévention des accidents de véhicule moteur?, je vous dis ça comme un exemple, on était capables de donner l'exemple d'un pays avec un nom puis un numéro de téléphone. Moi, je trouve qu'on devrait faire la même chose. Quels sont les médecins d'un territoire donné qui ont réussi à atteindre l'accès? Puis on est capables de le mesurer. D'une part, on peut leur donner une récompense, mais la récompense n'est pas nécessairement financière, la récompense pour dire : Le meilleur groupe de médecins du Québec cette année, c'est un tel, je donne ça comme étant un exemple. Ce que ça fait, c'est que ça récompense le succès, mais, plus que ça, c'est que les acteurs qui veulent réussir vont leur donner des coups de fil puis ils vont dire : Comment vous avez fait ça, vous autres, pour réussir? J'aurais tendance à mettre plus l'accent sur le succès et sur la récompense.

Je vais vous donner un petit exemple. C'est comme un papa qui rencontre son fils aîné puis qui dit : Tu vas être gentil avec ta petite soeur, mais la seule chose qu'il dit, c'est les punitions qu'il va avoir s'il n'est pas gentil, jamais il ne définit c'est quoi, gentil. Comment vous voulez que l'enfant définisse son comportement pour être gentil pour sa petite soeur? Je trouve que c'est un peu comme ça dans lequel on est. Il va falloir définir c'est quoi, gentil.

M. Paradis (Lévis) : Il va falloir dire aux médecins : Vous devriez être gentils avec vos patients, et définir c'est quoi, la gentillesse.

M. Lamarche (Paul A.) : Et définir «gentil».

M. Paradis (Lévis) : Et peut-être le dire aussi au ministre, comment être gentil aussi avec les acteurs dont vous nous parlez depuis le début. Sourire, M. le ministre.

M. Lamarche, à travers ce que vous avez vu et avez constaté, est-ce qu'il y a un modèle idéal ailleurs? Vous étudiez, vous comparez et vous regardez.

M. Lamarche (Paul A.) : Chose certaine que je ne ferais pas, je ne transposerais pas tel quel le modèle d'ailleurs, je l'appliquerais au Québec puis je l'adapterais au Québec, là-dessus. C'est évident que des modèles... Puis là je reviens. Des modèles, pour moi, le modèle capitation pour la première ligne mais le modèle salariat pour les médecins spécialistes en établissement, c'est des mixtes qui peuvent être relativement intéressants, là-dedans il y a plusieurs pays qui existent. Encore là, il n'y a pas de modèle idéal, j'insiste. On peut très bien voir comment ça fonctionne par rapport à ces éléments-là, mais j'aurais tendance à ne pas miser sur un seul modèle, j'aurais tendance à varier puis en fonction de ce que les acteurs sur le terrain fait. Mais je fixerais clairement c'est quoi, le succès, c'est quoi, être gentil...

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup.

M. Lamarche (Paul A.) : ...puis je monitorerais «être gentil» puis je le dirais comme tel — je m'excuse.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup, M. Lamarche, donc, représentant à l'Institut de recherche en santé publique de l'Université de Montréal.

Compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses travaux jusqu'au mardi 17 mars, à 10 heures. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 58)

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