(Onze heures cinquante-huit
minutes)
Le Président (M. Tanguay) : Alors, à
l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission
de la santé et des services sociaux ouverte.
J'invite toutes celles et ceux présents dans la salle à bien vouloir
fermer la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission est réunie afin de procéder aux consultations
particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 20, Loi
édictant la Loi favorisant l'accès aux services de médecine de famille et de
médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière
de procréation assistée.
M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le Secrétaire : Non, M. le
Président.
Auditions (suite)
Le Président (M. Tanguay) : Alors,
ce matin, nous recevons les représentants de l'Association des médecins d'urgence du Québec
ainsi que, par la suite, le Conseil du
statut de la femme. Nous ajournerons
nos travaux à 18 heures.
Donc, je
souhaite bien évidemment la bienvenue aux représentants de l'Association
des médecins d'urgence du Québec. Avant de débuter avec votre
présentation, j'aimerais recueillir de consentement des collègues pour terminer
au-delà de l'heure prévue, afin d'entendre nos deux groupes ce matin. Y a-t-il consentement?
Il y a consentement.
Alors, vous disposez, chers représentants de
l'Association des médecins d'urgence du Québec, d'une période de 10 minutes pour faire votre présentation,
par la suite s'ensuivra une période d'échange avec les parlementaires. Bien vouloir, s'il vous plaît, pour les fins d'enregistrement,
vous identifier ainsi que vos titres ou fonctions. Et, sans plus tarder, la parole
est à vous. Merci.
Association des
médecins d'urgence du Québec (AMUQ)
M. Mathieu
(Bernard) : Merci beaucoup. Bernard Mathieu, président de l'Association des médecins
d'urgence du Québec. Et je suis accompagné de M. Louis Fiset, qui est
agent de communication à l'association.
M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les parlementaires, merci de votre
invitation à venir présenter le mémoire de la l'AMUQ à la commission parlementaire sur
le projet de loi n° 20. Dans les 10 minutes qui me sont allouées,
je vais extraire les points clés du mémoire que vous avez reçu.
En
introduction, il est important de souligner que l'AMUQ est un regroupement
volontaire de médecins d'urgence dont
la vision est l'excellence de la médecine d'urgence au service des citoyens.
Nous n'avons aucune affiliation syndicale et nous regroupons à la fois des médecins spécialistes, des médecins de
famille membres de la FMOQ et des résidents. Nous n'avons aucun rôle dans les questions financières telles que la
rémunération. Par contre, les questions de qualité du milieu de travail, de formation médicale, des impacts des
politiques sur les soins d'urgence et de l'excellence des soins offerts
à la population sont au coeur de nos préoccupations.
• (12 heures) •
D'entrée de jeu, nous sommes très au courant des
déficiences de la prise en charge en première ligne, une grande proportion de nos patients n'ayant pas de médecin de famille ou étant incapables de les rejoindre en temps voulu. Comme mes collègues et la grande majorité des intervenants du réseau, nous doutons cependant que la méthode employée par le projet
de loi n° 20 soit la bonne
solution, d'abord et avant tout parce
qu'il a été développé sans la contribution des médecins concernés et
parce qu'il mise exclusivement sur des méthodes coercitives et punitives pour
atteindre son objectif. Un des principes
clés de toute réforme d'envergure est d'obtenir la participation et
l'engagement des acteurs clés, alors que le projet de
loi n° 20 n'a réussi qu'à soulever colère et indignation auprès des
médecins.
Quel autre corps de métier se fait autant
contrôler que les médecins du Québec? J'ai gradué la même année que le Dr Barrette, comme lui j'ai vu une
succession de mesures contraignantes limiter la liberté professionnelle dans
les 30 dernières années, les AMP, les PREM, les PEM, et maintenant les
quotas, l'assiduité et la nouvelle mouture des AMP que sont les AMF — en
fait il s'agit des mêmes activités, mais j'y reviendrai. Qui dans la population
s'est déjà fait candidement proposer des
baisses de rémunération de 30 %? Selon le ministre, jusqu'à 25 % des
médecins seraient coupés, et un autre
50 % auraient à modifier significativement leur travail pour éviter ces
coupures. Quel chambardement! D'autant plus que les conditions requises
pour être conforme au projet de loi n° 20 sont mal précisées. Nous ne
savons pas ce que les règlements
contiendront, le ministre retardant leur publication pour se garder toute la
latitude pour les imposer une fois que la loi sera adoptée.
Dans notre mémoire, nous
soulignons les pouvoirs importants que le ministre se donne. Nous sommes
particulièrement inquiets des quatre articles cités que nous avons extraits,
qui permettent au ministre de décider unilatéralement
des tâches à effectuer, des endroits où nous pourrons travailler et même de
modifier les paramètres de rémunération, unilatéralement toujours. En
plus, il peut décréter qu'un médecin devra changer de travail, à 90 jours d'avis, à tous les deux ans. De plus, le ministre
détiendra ces pouvoirs jusqu'en 2020. On ne retrouve pas ces contraintes
pour les autres professions.
Comme si cela n'était pas déjà suffisant, les
règlements ne sont pas dans le projet de loi actuel, et on sait que, par définition, ils ne seront pas soumis à négociation.
Tout ça résulte en un énorme chèque en blanc au ministre de la Santé.
Pourquoi tant de pouvoir? Pourquoi ne pas plutôt chercher à discuter?
Mardi, le
Collège des médecins du Québec parlait de maintenir la motivation des médecins;
je vois ici plutôt un message très
démotivant pour les médecins, privés de toute liberté, à la merci du ministre.
Le Collège des médecins du Québec
suggère de rechercher collaboration, de soutenir, non de punir. Je ne dis pas
que les médecins ne sont pas redevables à la société, ils le sont, ils sont médecins d'abord et avant tout pour
le service et le bien-être de leurs patients; je dis que ces articles s'appuient sur une logique de coercition
et d'autorité, alors qu'une logique de collaboration serait éminemment
plus positive et productive. D'ailleurs,
n'a-t-on pas trouvé un médecin de famille à 800 000 Québécois dans les
dernières années?
Parlons maintenant des urgences. Premier point
clé : Il nous apparaît improbable que l'amélioration à l'accès à un médecin de famille se traduise par une
diminution marquée de la demande de soins dans les urgences. Je
m'explique. Nous croyons plutôt que le contraire risque d'arriver. Nous
anticipons, d'une part, une diminution de l'offre, nous craignons une diminution du nombre de médecins disponibles en raison de
changements de pratique vers la prise en charge ou, ce qui serait bien
plus grave, de départs pour des retraites anticipées, de migration vers
d'autres provinces ou vers le privé, et,
d'autre part, le maintien de la demande, à savoir que la lourdeur accrue des
patients aux urgences effacera les gains
qui résulteront d'une meilleure prise en charge en première ligne. La
résultante risque d'être une qualité de soins et une sécurité des
patients diminuée dans les urgences.
Deuxième point : Qu'est-ce qu'un médecin
d'urgence à temps complet? Un des éléments essentiels de notre mémoire est la
reconnaissance du travail d'un médecin d'urgence. En 2009, l'AMUQ a publié une
position intitulée Le profil du médecin d'urgence à temps plein, c'est
probablement une des meilleures références à ce sujet et la seule qui soit québécoise. Je vous réfère à la
page 8 de notre mémoire. En résumé, le médecin d'urgence devrait
travailler de 24 à 28 heures cliniques par semaine.
Je veux prendre quelques minutes pour expliquer
ceci. La principale différence entre le travail à l'urgence et celui des autres
médecins est que les médecins d'urgence travaillent sur des quarts de travail
de jour, de soir, de nuit et constamment. Cette rotation de quarts de travail a
des impacts physiologiques importants, et, pour qu'un médecin d'urgence soit
efficace, performant et qu'il puisse faire une carrière à l'urgence, il lui
faut faire un équilibre entre ces horaires
et les temps de repos. Nous faisons souvent le parallèle avec les pilotes
d'avion, qui sont limités à 100 heures de vol par mois.
Le projet
de loi n° 20 exige d'un
médecin d'urgence qui veut continuer sa carrière exclusivement à l'urgence, et nous sommes 800 médecins dans
cette situation... le projet de loi n° 20, donc, exige 36 heures
par semaine de temps clinique. Si on en fait
moins, il nous faut prendre des patients à charge, sous peine de pénalités. La
prise en charge n'est pas notre choix de carrière. Demanderait-on à un
orthopédiste de faire de la chirurgie générale?
Précisons ce
qu'est, maintenant, le temps clinique et le temps non clinique. Le temps
clinique est le temps où nous sommes
en train de faire des consultations à l'urgence, et le temps non clinique
comprend tout le reste : préparation des cours, des tâches d'enseignement, de la formation médicale continue, les
tâches administratives, la gestion, les comités hospitaliers, la recherche, le développement d'expertises particulières,
et j'en passe. Ceci peut varier de quelques heures à presque un demi-temps par semaine. En plus, les
quarts se terminent souvent bien plus tard que prévu, cela rajoute
encore des heures. Tout inclus, nous disons
qu'il est raisonnable qu'un médecin d'urgence travaille environ 32 heures
par semaine pour une tâche clinique de 24 à 28 heures par semaine,
mais 36 heures de clinique, cela est impossible à faire. Pour reprendre le
parallèle avec le pilote d'avion, c'est l'équivalent de 144 heures par
mois. D'où le ministre a-t-il pris ce chiffre? Qui vous a conseillé, Dr Barrette?
J'aimerais le savoir, car il n'y a aucun endroit en Amérique où une telle
charge de travail soit la norme.
Pour les
autres médecins d'urgence à temps partiel, et ils sont entre 1 200 et
1 700, le dilemme est énorme : Quitter leur pratique en bureau pour devenir des médecins d'urgence à temps
complet? Quitter l'urgence pour se conformer aux exigences de la prise en charge? Quel sera le résultat final de ce grand
remue-ménage? Il y a beaucoup trop d'incertitudes, à notre avis, et un
grand risque pour la santé de la population si les urgences venaient à se
dégarnir.
Troisième
point : Les conditions du projet de loi n° 20 sont-elles
réalisables? Comme l'Association des jeunes médecins du Québec l'a exposé, les AMP sont un obstacle à la prise en
charge, le médecin ne peut être à la fois disponible pour ses patients
en cabinet et passer un minimum de 12 heures en établissement. À noter que
les AMF du projet de loi n° 20
aggraveront cette exigence, car ce n'est plus 20 ans d'AMP, mais ce sera
25 ans d'AMF. Il y a là contradiction et incohérence. Il nous
apparaît beaucoup plus simple et logique de diminuer ou d'abolir les AMP et de
laisser ceux qui veulent se consacrer à la
prise en charge le loisir de le faire, laisser ceux qui veulent travailler en
établissement le loisir de le faire plutôt que d'obliger tout le monde à
faire un peu des deux, on aurait des médecins satisfaits et de meilleurs
services à la population. De plus, l'expertise est maximisée, et cela ne peut
être que positif pour la population.
Dans le journal d'hier, j'ai lu la citation
suivante du premier ministre Couillard qui parlait du projet de loi n° 20 : «Est-ce [...]
nécessaire de légiférer? On verra [dans quelques semaines].» Dans le même
article, Dr Barrette a une nouvelle fois dit, et je cite : «...les
gens parlent de solutions [depuis le projet de loi n° 20]. Si ça
avait été fait avant, il n'y aurait pas de projet de loi [n° 20].»
J'espère que les auditions de la commission autour du projet de
loi n° 20 vont clairement démontrer que les
solutions existent déjà, et qu'elles peuvent être déployées, et que le projet
de loi n° 20, s'il devient loi, va provoquer des chambardements majeurs
dont l'issue, à notre avis, ne peut être que négative. Je reprendrais la phrase de Dr Khadir hier à
cette même commission, Dr Barrette aurait notre admiration et notre
approbation s'il décidait de retirer son
projet de loi et de repartir sur un projet plus mobilisateur. J'aimerais poser
la question suivante au ministre : Pouvez-vous confirmer que vous
retirerez le projet de loi n° 20 si des solutions réelles aux
problèmes sont avancées?
Je
terminerais avec une citation d'Albert Einstein : «On ne peut solutionner
nos problèmes en utilisant les mêmes idées qui les ont créés.» Sortons de
la dynamique de la coercition. Merci de votre attention.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. S'ouvre maintenant une
période d'échange avec les parlementaires.
En ce sens, pour une période de 20 minutes, je cède la parole au ministre
de la Santé et des Services sociaux.
• (12 h 10) •
M. Barrette : Merci, M. le
Président. Alors, docteur, docteur, bienvenue à cette commission parlementaire qui est une commission où on a le plaisir de
recevoir les commentaires et les suggestions des gens qui ont une
expertise ou un intérêt particulier pour le dossier qui est à l'étude.
Alors, je
vais reprendre... je vais prendre le relais de votre dernier commentaire.
Effectivement, Einstein a dit que les mêmes méthodes vont donner les
mêmes résultats, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le projet de
loi n° 20 existe, puisque la même
méthode des 15 dernières années, qui est celle de la négociation, a donné
effectivement les mêmes résultats
tout le temps, c'est-à-dire une absence d'accès approprié à la population pour
ce qui est de la première ligne.
Ceci dit,
vous avez fait plusieurs commentaires qui ne sont pas surprenants, là, je n'ai
pas de surprise dans les commentaires que vous avez faits, mais je n'ai
pas entendu beaucoup de suggestions, par exemple. Alors, la situation actuelle, là... Et vous, Dr Mathieu, s'il y a une personne qui a été présente dans
les 15 dernières années dans les médias à propos de la situation
des urgences, c'est bien vous. Vous avez probablement été autant dans les
médias, peut-être pas de façon aussi
flamboyante, puis je le dis de façon humoristique, là, en termes de visibilité que moi, là, mais vous avez été très présent dans les médias, et je vous ai entendu dire à plusieurs
reprises que la problématique des urgences se situait en amont et en aval de l'urgence. Pouvez-vous nous expliquer ce
que vous vouliez dire dans le passé et probablement encore aujourd'hui par la solution en amont? Parce qu'en amont, ça veut dire quelque chose. Si
la solution est en amont, ça veut
dire que vous avez quelque chose à nous exprimer qui pourrait peut-être être
des suggestions que je pourrais prendre en compte pour améliorer
l'accès.
M. Mathieu
(Bernard) : Dr Barrette,
effectivement, dans notre mémoire, nous avons parlé de solutions. Juste
pour reprendre la citation d'Einstein, moi,
je la voyais dans une autre façon, c'est que la coercition avant n'avait pas
fonctionné, et on nous offrait encore de la coercition.
Bon, en parlant des solutions, une des solutions
en amont, et évidemment ça ne concerne pas directement les urgences, mais c'est sûr que ça a un impact sur
les urgences, c'est probablement ce qui est appelé l'accès avancé,
l'accès adapté, et ça, en ce qui me
concerne, je pense que c'est vraiment une solution, l'interdisciplinarité
également. Les groupes de médecins de
famille avec une prise en charge de groupe d'une population, ça me semble aussi
tout à fait approprié comme solution
pour la prise en charge en amont, donc, de ce côté-là, je pense que c'est très
important. Peut-être une faiblesse aussi
qui contribuerait à améliorer la prise en charge en amont, c'est la question
des dossiers médicaux informatisés, du dossier
électronique, où le Québec assume un retard important par rapport aux autres
provinces. Donc, ces trois solutions sont proposées dans le mémoire que
j'ai déposé, et vous pourrez le constater.
M.
Barrette : Quand vous me parlez d'accès adapté, vous me parlez donc,
évidemment, implicitement, sans la nommer, de la capacité d'offre de
services de vos collègues médecins de famille. L'accès adapté, là, tel que vous
le concevez, augmenterait l'accès.
M. Mathieu
(Bernard) : C'est une
question d'organisation des soins aussi. Je pense que le travail de groupe,
le GMF, le support d'infirmières dans le groupe de soins... je pense que c'est
vraiment une solution et puis je pense que ce
n'est pas assez développé. Et je pense que les médecins en ont fait la
démonstration depuis quelques semaines, depuis que vous avez déposé ce projet de loi, qu'ils veulent changer leur
façon de travailler, et j'espère qu'au moins le projet de loi que vous avez
déposé aura ce mérite d'avoir fouetté les troupes et d'avoir justement
encouragé les médecins à pousser la...
M.
Barrette : Je comprends donc que ce que vous nous dites, c'est que le
projet de loi a provoqué un changement dans la réflexion collective
médicale de famille.
M. Mathieu (Bernard) : Je pense que
oui.
M. Barrette : C'est très bien comme
ça, j'en suis heureux.
Maintenant,
docteur, j'insiste là-dessus, là. Je sais, puis vous l'avez dit à plusieurs
reprises, que, quand vous parlez de
la première ligne en amont, les urgentologues que je connais, et j'en ai connu
plusieurs, dont vous, puisqu'on pratique dans le même hôpital, vous vous êtes souvent et vous le faites encore...
peut-être pas vous personnellement aujourd'hui, mais bien de vos collègues se plaignent du fait que la capacité n'est
pas là en amont dans les cabinets. Et, dans cet esprit-là, pouvez-vous nous indiquer, dans votre lecture, s'il
est vrai qu'une grande partie des patients qui sont vus à l'urgence... Vous, vous avez fait
votre carrière entière à l'urgence de mon hôpital, de notre hôpital. Est-ce que
c'est un pourcentage significatif des patients qui sont vus à l'urgence
et qui devraient être vus en cabinet?
M. Mathieu (Bernard) : Oui, je l'ai dit au début de mon intervention
aujourd'hui, un pourcentage important des patients n'ont pas de médecin de famille. Il y a peut-être une
amélioration récente, mais il reste que c'est un problème. D'ailleurs,
vous avez dit vous-même que la plupart des patients âgés avaient maintenant un
médecin de famille plus facilement, ce qui
n'est peut-être pas le cas pour les patients plus jeunes ou qui ont moins de
pathologies, mais les clientèles vulnérables, semble-t-il, sont mieux
prises en charge qu'elles ne l'étaient auparavant.
Donc,
oui, il y a un problème, on ne le nie pas, on l'affirme, nous aussi, mais
cependant il faut être conscient aussi du
rôle négatif que les AMP ont sur la capacité en tant que telle. Comme vous en
parlez, là, la capacité, si on oblige les médecins à faire 12 heures en établissement, et comme l'a démontré
Dr Gladu, c'est souvent plus que ça qu'ils vont faire en
établissement, eh bien, c'est du temps où ils ne sont pas disponibles pour
assumer la prise en charge.
M. Barrette :
...vous entendre là-dessus, Dr Mathieu, ça m'intéresse beaucoup. À votre
avis, puisque les AMP sont décrites comme
étant une quasi-torture, pourquoi le Dr Gladu et vous-même, vous nous
dites que vous constatez que les
jeunes médecins en font plus? Est-ce
que peut-être que ce serait parce qu'il y a un différentiel de rémunération par rapport au cabinet?
M. Mathieu (Bernard) : Je ne répondrai pas à cette question-là parce que
je ne connais pas la rémunération en cabinet, ça ne fait pas partie de
mon champ d'expertise du tout. Donc, je ne pourrai pas répondre à cette question-là
au niveau de la rémunération.
M.
Barrette : Qu'est-ce qui l'explique? Pourquoi une obligation
devient, pour une raison x... Vous êtes médecin de famille. Moi, je
suis... on me le reproche puis on me le met, là, régulièrement, là :
Dr Barrette, vous êtes un médecin spécialiste,
vous êtes un radiologiste, vous ne connaissez pas ça. Pourquoi un médecin de
famille, là, à qui on demande 12 heures d'AMP en fait 24, 36? C'est
quoi, là, sa motivation? Qu'est-ce que je devrais faire, là, pour convaincre le
médecin de famille de faire plus de première ligne en cabinet?
M. Mathieu (Bernard) : Je pense que vous devriez justement diminuer
cette obligation de prise en... de travail en établissement, parce
qu'une fois qu'on a commencé en établissement, 12 heures, faire du
demi-temps à gauche et à droite, là, ce n'est pas aussi motivant que d'être impliqué
de façon plus importante dans une activité. Et, quand vous commencez à faire de l'hospitalisation, par
exemple, bien, 12 heures, c'est beaucoup plus que ça parce que, dans le
fond, votre semaine de garde est plus
longue, etc., donc il y a un volume, là, qui est difficile à limiter à
12 heures une fois que vous avez commencé.
Et
Dr Gladu l'a exprimé aussi. Quand vous demandez un PREM dans un
établissement, et que l'établissement a le choix entre un médecin qui offre 12 heures et un médecin qui en offre
24, peut-être qu'il va prendre celui qui en offre 24.
M. Barrette :
Mais ce n'est pas une obligation, c'est un choix.
M. Mathieu
(Bernard) : Ce n'est pas une obligation, c'est un choix. Mais ce qui
se passe avec le projet de loi n° 20,
c'est que les choix qui sont offerts sont ingérables. Des AMP, les gens avaient
le choix effectivement de choisir d'aller
travailler 12 heures ici, faire un peu de CHSLD, il y avait un choix, et
la plupart des médecins... En tout cas, moi, je n'en connais pas qui ont
été coupés à cause des AMP, qui sont pourtant assorties d'une pénalité de
30 % quand elles ne sont pas
respectées. Par contre, avec le projet de loi n° 20, on voit que la
coupure, elle est drôlement plus présente et on voit que c'est
probablement une pièce maîtresse du projet de loi d'avoir une récupération
d'argent, peut-être pour l'obsession du
déficit zéro, je ne sais pas, mais il y a ici une motivation qui semble
importante de retrouver de l'argent, de reprendre de l'argent qui a été versé aux médecins, et ça, je ne pense
pas que ce soit une dynamique favorable à la médecine en général et la
prise en charge.
M. Barrette :
Bien, Dr Mathieu, la pièce maîtresse du projet de loi n° 20,
c'est l'accès pour les patients, vous savez,
là, ceux qui attendent dehors, comme aujourd'hui, pour voir un médecin dans un
cabinet et de ne pas aller à l'urgence où on attend 17 heures.
C'est ça, la pièce maîtresse. Et je comprends de ce que...
M. Mathieu
(Bernard) : ...pour le réaliser? Je ne pense pas.
M. Barrette :
Bien...
M. Mathieu (Bernard) : Je pense qu'il y a suffisamment d'encre qui a
coulé depuis quelques semaines pour que les médecins se bottent le
derrière, comme vous avez peut-être dit auparavant, mais c'est...
M. Barrette :
Ah bon! Non, non, mais ça, c'est intéressant, là. Si les médecins doivent se
botter le derrière, ça veut dire qu'avant la
non-vision à l'horizon de la botte faisait que le derrière ne se bougeait pas.
Est-ce que c'est ça que je dois comprendre?
M.
Mathieu (Bernard) : Bien, je pense qu'on est dans une dynamique où on
n'a pas le choix, actuellement, puisqu'il y a un projet de loi qui nous pend au
bout du nez. Auparavant, les médecins ont quand même pris en...
M. Barrette :
Alors là, aujourd'hui, le projet de loi vient forcer le changement.
M. Mathieu (Bernard) : Auparavant, les médecins ont quand même pris en charge 800 000 patients de plus, ont fait des réorganisations au niveau des urgences
pour diminuer le temps d'attente, on n'a pas besoin d'avoir une épée de Damoclès par-dessus la tête. Mais, bon, là on est
dans un processus accéléré, si on veut, avec une menace bien réelle qui
nous pend au bout du nez, qui est celle des coupures du projet de
loi n° 20.
M. Barrette :
Je veux juste bien comprendre votre commentaire, Dr Mathieu, là. Ce que
vous nous dites, là, essentiellement, vous
nous confirmez qu'il y a de la capacité, parce que vous venez de nous
dire — puis ça,
ça m'intéresse beaucoup puis ça
intéresse les gens qui nous écoutent — que, là, vu qu'il y a le risque de perdre de
l'argent, ça équivaut à se faire
botter le derrière puis à offrir plus de services. Si on offre plus de
services, c'est parce qu'il y en a qui n'étaient pas donnés avant. Moi,
je trouve ça intéressant, là, comme approche parce que c'est effectivement
l'essence du projet de loi n° 20. Je vous remercie de nous le dire
parce que vous êtes un médecin de famille qui a une grande expérience, là. On
est diplômés de la même année, 1984. Ça en fait pas mal, d'années à regarder le
système.
Sur
le plan de ce que vous reprochez comme coercition, j'aimerais vous amener sur
un autre sujet, un sujet que vous connaissez bien parce que je pense que
vous y avez travaillé, de mémoire. Vous rappelez-vous du guide de gestion
clinique des urgences?
M. Mathieu
(Bernard) : Oui.
M. Barrette :
Bon, ça a été, si je ne m'abuse, un cheval de bataille de votre groupe, les
médecins d'urgence.
M. Mathieu
(Bernard) : Bien, absolument. On en a fait la promotion.
• (12 h 20) •
M.
Barrette : Non, moi, je pense que vous pouvez dire que c'était un
cheval de bataille, parce que, si vous me dites que ce n'est pas un cheval de bataille, c'est parce que, là, toute ma
carrière antérieure, elle ne servait à rien, parce que moi, je me battais
contre ça, là.
Pouvez-vous expliquer
au public qu'est-ce qu'il y avait là-dedans de mesures que vous sollicitiez,
vous, les médecins de famille, dans les urgences en lien, par exemple, avec les
consultations demandées aux spécialistes?
M. Mathieu (Bernard) :
Bon, dans le projet...
M. Barrette :
Si vous voulez, je peux sortir le guide, là.
M. Mathieu (Bernard) : Non, non. Dans le guide de gestion, on donne des
barèmes, effectivement, pour la réponse aux consultations des
spécialistes dans les urgences.
M. Barrette :
C'était quoi?
M. Mathieu
(Bernard) : C'est deux heures.
M. Barrette :
Deux heures. Alors, si je comprends bien, vous, les médecins d'urgence, vous
avez eu des conversations avec le
gouvernement pour mettre en place un comité multipartite de médecins d'urgence
pour régler la problématique des
urgences, qui historiquement, et j'ai toujours été d'accord avec vous dans le
passé, va se résoudre par l'amont et
l'aval. On vient de parler de l'amont, et, dans l'aval, il y a la relation avec
les médecins spécialistes. Et vous, comme
groupe — et vous
vous en rappelez, vous venez de le dire, là, puis je l'explique pour que les
gens comprennent bien — vous avez écrit un guide qui se voulait être
un règlement, qui, dans votre volonté à l'époque, aurait dû avoir une force
de loi. Est-ce que vous vouliez que ça aille jusque-là, vous auriez voulu, là,
que tous les hôpitaux mettent ça en application?
M. Mathieu
(Bernard) : Je ne pense pas qu'on aurait exigé d'avoir une force de
loi en arrière de ça.
M. Barrette :
Non, mais c'était quand même la finalité, c'était le rêve.
M. Mathieu
(Bernard) : Non, je ne pense pas, là...
M. Barrette :
Donc, vous avez écrit quelque chose qui n'était pas une recommandation utile?
M. Mathieu
(Bernard) : C'est une recommandation, c'est une balise, c'est un
guide, ça sert à orienter les interventions médicales sur le terrain, mais pas
besoin d'une loi pour faire ça.
M.
Barrette : O.K., très bien, mais la règle que vous vouliez, que vous
avez proposée... Parce que c'était quand même une règle. On peut le sortir, le guide, comme je vous dis, là. Vous
proposiez, vous — et
c'était ça, la proposition, moi, je
m'en rappelle très bien, là — que le mode de fonctionnement, de gestion,
hein — guide de
gestion clinique de l'urgence, ça, ça
veut dire qu'on met des règles — fasse en sorte que le médecin spécialiste
fasse sa consultation en dedans de deux heures quand elle vient de
l'urgence. Et je vais même aller plus loin, puis corrigez-moi si je me trompe,
vous vouliez avoir cette règle-là
24 heures par jour. Moi, je me rappelle des discussions épiques que j'ai
eues sur ce sujet-là avec vos membres, deux heures, 24 heures par
jour. Ça, dans la catégorie coercition, vous mettez ça où?
M. Mathieu (Bernard) : Ça serait de
la coercition s'il y avait une pénalité financière associée à ça. Là, c'est des barèmes, c'est des... mais il n'y a pas
personne qui va enlever son permis de pratique à un médecin parce qu'il
n'a pas respecté ça. D'ailleurs, c'est
difficilement mesurable et ça n'a jamais été vraiment bien mesuré, là, dans les
urgences au Québec, donc, ce guide-là qui date de 2006, on ne peut pas
dire que cette norme-là soit appliquée.
Par contre,
le bénéfice qu'on a eu avec cette indication-là dans le guide de gestion, c'est
qu'on a dit aux spécialistes, à ce moment-là, qui venaient après leur
journée de travail faire leurs consultations... on leur a dit que ce n'était
pas acceptable, que l'urgence avait besoin
que les spécialistes se déplacent pendant la journée et qu'ils mettent
quelqu'un de garde à l'urgence pour
répondre, justement, aux consultations, et ça, c'est le changement positif
qu'on a vu là-dedans. Les gens savent maintenant qu'il faut qu'ils
priorisent l'urgence dans leur travail.
M. Barrette : Oui, mais est-ce que
ce changement-là a été uniformément, aujourd'hui, appliqué? C'est non.
M. Mathieu
(Bernard) : Non, ce n'est
pas appliqué en tant que tel. Par contre, il y a sûrement eu des progrès
importants depuis 2006.
M.
Barrette : Il y a eu amélioration, mais, dans la problématique des
urgences, le problème de l'aval demeure. Alors, moi, je...
M. Mathieu (Bernard) : Il y a
toujours un problème d'aval qui est principalement un problème d'accès aux lits
d'hospitalisation.
M.
Barrette : Je comprends. Il y a deux problèmes à l'aval, il y a le lit
et il y a la consultation, on s'entend tous là-dessus. Mon point, c'est qu'on me reproche bien des choses, mais vous-mêmes
l'avez revendiqué, et je dirais même que...
M. Mathieu (Bernard) : ...même
façon, Dr Barrette.
M. Barrette : Ah! pas de la même
façon, on se comprend, là. C'est clair que ce n'est pas la même façon. Ça,
c'est très clair.
M. Mathieu (Bernard) : C'est clair.
M. Barrette : Mais il n'en reste pas
moins que vous avez identifié une solution à un problème qui existe encore aujourd'hui qui était, si elle avait été
appliquée, mais vous n'avez pas le pouvoir de le faire, et les gouvernements
précédents ne l'ont pas fait... c'était une forme de coercition et, je vais
vous dire une chose, tellement fondée que je l'ai mise dans le projet de loi.
Est-ce que cette mesure-là va vous aider?
M. Mathieu (Bernard) : Bien, écoutez...
M. Barrette : Là, on va faire comme
un des partis de l'opposition, je vais vous poser la question de la même
formulation : Oui ou non, est-ce que ça va améliorer votre situation?
M. Mathieu (Bernard) : En théorie,
oui, mais en pratique non.
M. Barrette : Ah bon!
M. Mathieu
(Bernard) : Pourquoi? Parce que, malheureusement, quand on accumule des contraintes, et des règles, et des restrictions, ça devient un système qui est
non gérable. Actuellement, comme je vous ai dit tantôt, je ne suis
pas capable de mesurer combien de temps ça
prend pour un spécialiste pour voir un patient, je ne suis pas capable de le
faire, et je ne vois pas comment on va être
capable, si le projet de loi devient une loi, de mesurer la même chose, même
si vous mettez trois heures dans
votre projet de loi actuel. Donc,
c'est ingérable. C'est ingérable, donc je ne vois pas qu'est-ce que ça
va donner. On a déjà deux heures dans le guide de gestion, vous voulez mettre
trois heures en projet de loi. Je ne pense pas que ça va changer...
M. Barrette : Juste à titre
indicatif, Dr Mathieu, je peux comprendre que votre secteur d'expertise soit l'urgence, et c'est tout à fait correct, là, et
d'ailleurs vous êtes un expert en urgence, là, je le reconnais, puis je suis
bien content, comme je vous ai dit tantôt,
que vous soyez ici aujourd'hui, mais, la gestion, par exemple, du temps de
ceci, du temps
de cela, probablement que vous êtes au courant du système que l'on utilise dans
les blocs opératoires, où on gère l'entrée dans la salle du chirurgien,
de l'anesthésiste, de l'infirmière, la sortie, la sortie de salle. On a tout
ça, là, c'est parfaitement faisable, les
systèmes qui font ça existent et sont opérationnels dans tous les blocs
opératoires du Québec. Et transposer
ça à la salle d'urgence, bien c'est une page informatique, tout simplement,
supplémentaire à mettre sur la page... sur votre visualiseur que vous
avez à l'urgence, ce n'est pas vraiment un problème.
Maintenant,
pour l'aval, si on revient à l'aval, est-ce qu'il y a des suggestions, là, du
côté de la pratique en cabinet, là? Est-ce qu'il y a des suggestions
autres que vous pourriez nous faire?
M. Mathieu
(Bernard) : Oui, alors, pour
l'aval, je pense que, du côté de la pratique en cabinet, une meilleure
liaison avec les centres hospitaliers serait importante, que le médecin de
famille soit au courant que son patient est hospitalisé et que le médecin de
famille puisse faire le suivi du patient qui a eu son congé de l'hôpital.
D'ailleurs, dans certaines juridictions, il
y a automatiquement une visite d'infirmière quelques jours en post-congé de
l'hôpital pour s'assurer que les
patients sont stables et puis qu'ils peuvent répondre à différentes
interrogations qu'ils auront au congé de l'hôpital. Je pense que ça, ce
sont des interventions qui éviteraient le retour via les urgences et une
réhospitalisation.
M.
Barrette : Et je ne peux pas m'empêcher de vous poser la question,
parce que je connais la réponse, à moins qu'elle ait changé. À Maisonneuve-Rosemont, il n'y a pas ça, hein? Eh
voilà! Alors, ça, la réponse à ça, évidemment, c'est le projet de loi n° 10, c'est à ça que
ça sert. Je vous remercie de me le dire parce que le projet de
loi n° 10, c'est ça. Alors, ils vont le faire dans le futur,
c'est ça, le projet de loi n° 10.
Juste un dernier commentaire, M. le Président.
Dr Mathieu, vous savez, en 2009‑2010 il y a eu une table de concertation sur la première ligne, et c'est là
que ça aurait dû se régler, les choses, mais, la FMOQ, vos représentants
ont quitté la table. Aujourd'hui, là, vous
me dites que la coercition, les ajustements financiers, ce n'est pas bon, mais
qu'est-ce qu'il y a d'autre, qu'est-ce qu'il
y a d'autre pour avoir un effet? Là, vous me dites que la menace de la loi
botte le derrière. Quoi d'autre?
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Nous allons maintenant céder
la parole à notre collègue. Vous pourriez
peut-être rapidement, si elle le désire, répondre à la question. Pour
11 min 30 s, notre collègue de Taillon a la parole.
• (12 h 30) •
Mme Lamarre : Merci, M. le
Président. Alors, bienvenue. Merci d'être là, Dr Mathieu, M. Fiset.
Moi,
j'entends le ministre dire : Je n'ai pas de solution, dans ce projet, je
demande aux gens de me donner des solutions.
Moi, depuis le début de la semaine, je les entends, ces solutions, les gens
nous les donnent. On parle toujours d'informatisation du réseau, ça
revient continuellement dans chacun... établir des meilleurs liens, la
communication, l'interdisciplinarité revient
systématiquement, l'accès adapté revient aussi systématiquement, mais ce sont
des solutions que le ministre ne veut
pas entendre parce que ce ne sont pas les siennes, ce n'est pas lui qui les a
inventées, ce n'est pas lui qui les a imposées. Alors, il ne veut pas
les entendre, mais tout le monde, vous nous dites que ça passe par ça et que
c'est ça dont on aurait besoin.
Ce que
j'entends aussi, c'est qu'il y a un problème dans la détermination des nombres
d'heures d'activité médicale particulière. Le ministre vous dit, 12 sur
36 : Pourquoi les jeunes médecins en font plus? Bien, il y a des
dynamiques que vous avez évoquées qui sont
tout à fait justes, c'est qu'à un moment donné, si on en travaille 12, il nous
reste 24, on a des frais de bureau,
on a une désorganisation, on se répartit... donc on aime mieux concentrer un
certain nombre d'heures au même
endroit. Et il y a effectivement des incitatifs financiers à travailler à
l'hôpital, ça donne un peu plus. Si on transférait ces incitatifs-là à l'hôpital en soutien à domicile,
peut-être qu'on aurait d'autres transitions, mais ça, ça ne fait pas
partie ni du projet de loi n° 10, ni projet de loi n° 20,
ni de ce qu'on entend du ministre.
Alors, il y
en a, des solutions, il y en a,
des mesures claires qui ne nécessiteraient
pas de déstabiliser tout le système, qui donneraient tout simplement des
indicatifs un peu plus précis sur la façon d'y arriver.
Donc, moi, je
pense qu'il y a dans votre mémoire des pistes de solution tout à fait
intéressantes. Je vous avoue qu'en le
lisant j'ai été intéressée aussi par les chiffres que vous avez mis. Vous dites
qu'il y a 150 médecins spécialistes en médecine d'urgence, qu'il y
a 800 médecins de famille qui ont une pratique exclusive en urgence.
Est-ce que vous savez combien de médecins de
famille n'ont pas une pratique exclusive en urgence? Parce qu'il y a un certain
nombre de médecins qui ne sont pas obligés d'en faire. Avez-vous une idée de ce...
M. Mathieu (Bernard) : ...comme
c'est mentionné, entre 1 200 et 1 700 médecins.
Mme Lamarre : 1 200 et
1 700. O.K.
M. Mathieu (Bernard) : C'est
difficile d'avoir un chiffre précis parce qu'au ministère on n'a pas colligé
ces chiffres-là, donc la DNU, la Direction
nationale des urgences, n'a pas ces chiffres-là. Et nous, comme on est une
association volontaire, on n'est pas comme
l'association des spécialistes qui est un organisme syndical, donc, on n'a pas
l'obligation d'avoir tout le monde qui fait de l'urgence dans notre
association.
Mme
Lamarre : Donc, ce serait
entre 1 200 et 1 700, plus les 800 qui sont à temps complet, là, on
s'entend, là. Et on...
M. Mathieu (Bernard) : Plus les 800.
Donc, c'est ça, grosso modo 2 000 à 2 500 médecins pratiquent
dans les urgences.
Mme Lamarre :
Donc, on se rend compte que la contribution qui est demandée aux médecins de
famille par rapport aux urgences, elle est
énorme et elle est différente. En Ontario, on ne demande pas ça aux médecins de
famille. Qui fait les urgences en Ontario?
M. Mathieu
(Bernard) : Ce sont des
médecins formés pour ça principalement, donc les médecins qui vont faire
soit la spécialité — la spécialité a été reconnue en Ontario bien
avant qu'au Québec — ou des
médecins de famille qui ont fait une
troisième année de spécialité. Donc, la plupart des centres universitaires ont
des médecins de ces deux types-là exclusivement.
Par contre, dans les milieux plus ruraux, ce sont encore des médecins de
famille qui n'ont pas nécessairement une formation complémentaire.
Mme Lamarre :
Donc, la formation à laquelle vous faites référence, c'est un peu celle des
800 médecins qui ont suivi l'année supplémentaire et qui...
M. Mathieu (Bernard) : Bien, les
800 médecins, il y en a peut-être 30 % qui ont suivi une année
supplémentaire.
Mme Lamarre : Qui ont fait l'année
supplémentaire, mais on a aussi cette option-là ici.
M. Mathieu (Bernard) : On a aussi
cette option-là.
Mme
Lamarre : Est-ce que vous diriez que, dans ce cas-là, ça nous
prendrait plus de médecins spécialistes, plus d'urgentologues au Québec?
M. Mathieu (Bernard) : Bien, je
pense qu'il y a une tendance vers une augmentation. On en a moins au Québec qu'il n'y en a dans les autres provinces.
Cependant, au niveau des programmes universitaires, on a vu plutôt,
l'année dernière, une tendance vers la
réduction, que ce soit le nombre de postes de spécialiste ou le nombre e
certificats pour la troisième année de médecine d'urgence, ces postes-là
ont été réduits l'année dernière. Donc, nous, de notre côté, on considère que l'expertise et la formation sont une
contribution importante et puis nous, on a milité contre une réduction
de ces postes-là.
Mme Lamarre : Donc, vous dites qu'il
y a quand même beaucoup d'interventions qui ne sont actuellement peut-être pas
bien synchronisées. Dans le fond, ce qu'on constate, là, c'est qu'il y a
différents choix qui sont faits et il y a un
effet de cascade. Si on manque de médecins spécialistes, on va chercher des
médecins de famille, ces médecins de famille là qu'on pensait demander
pour 12 heures sur 36, dans le fond, en font plus, et tout ça, ça draine
toujours, systématiquement le nombre de médecins qui sont vraiment disponibles
auprès des patients.
Maintenant,
ce qu'on déplore dans le projet de loi n° 20, c'est que, là, on va
refaire ce travail-là mais sans avoir de données populationnelles, c'est-à-dire qu'on va donner la possibilité
aux médecins de choisir encore des menus et d'avoir des points bonis sur certains sous-types de
pratique mais sans s'assurer que la population d'un CISSS, puisqu'on va
avoir des CISSS et que le ministre fait
référence au projet de loi n° 10, va être, encore une fois... qu'on sera
sûr d'être capable d'avoir du potentiel d'offrir des services de santé
avec des infirmières, avec des pharmaciens, avec des médecins de famille au bon endroit au bon moment. On ne fait
pas cet exercice-là. On repart des prérogatives médicales et on veut
encore jouer avec ces ratios-là en mettant des éléments de coercition à
l'intention des médecins.
M. Mathieu
(Bernard) : Oui. Et, comme
je disais tantôt, pour les médecins qui sont à temps partiel, admettons
que les AMP sont diminuées, s'ils sont
obligés quand même d'aller faire de la prise en charge à la hauteur de
1 000 patients, par exemple, bien ils n'auront plus le temps de faire
de l'urgence. Alors, qu'est-ce qu'il va arriver aux effectifs dans les urgences? On a identifié qu'à peu près 92 %
des médecins qui travaillent dans les urgences sont des médecins de
famille, les spécialistes étant seulement
150, là. Donc, surtout en région, où les gens ont justement une pratique un peu
plus multifacette, là, la
multifacette, ça peut être dramatique, ces mouvements de quelques médecins à
gauche à et à droite. Quand on a un
département de médecine d'urgence qui comprend seulement 12 médecins, s'il
y en a deux qui s'en vont, ça fait un
impact important. Donc, les régions
sont particulièrement inquiètes de voir qu'est-ce qui va arriver au lendemain d'un projet de
loi n° 20, comment les médecins vont sauver leur peau, et qu'est-ce
que ça va donner sur la qualité des soins, et qu'est-ce qui va rester dans les
urgences.
Mme Lamarre : Merci. Je vais laisser
la parole à mon collègue député de Rosemont.
Le Président (M. Tanguay) : Oui.
Alors, collègue député de Rosemont.
M.
Lisée : Oui, bonjour, bienvenue. Ce matin, un ancien ministre
libéral de la Santé, M. Claude Castonguay, a publié dans un quotidien, dans La Presse,
un extrait d'un ouvrage à paraître où il assimile les propositions de
réforme de son successeur actuel à des
changements apportés... «...ses projets de loi s'inspirent [...] de pays comme
la Chine et l'URSS. Ils procèdent
d'une pensée autoritaire hiérarchique, une orientation vouée à l'échec.» Je ne
vous demanderai pas de commenter cette partie, mais je vais demander de
commenter la conclusion. Il explique que, puisque les réformes proposées ne conduiront pas à davantage d'accès, comme dans ces
régimes, les citoyens vont quand même tenter d'«obtenir les services nécessaires de la part de
médecins désengagés, par favoritisme et au moyen d'expédients de toutes
sortes». Et il conclut : «Ce processus est d'ailleurs
malheureusement déjà engagé.» Est-ce que c'est également votre lecture?
M. Mathieu
(Bernard) : Je ne sais pas comment répondre à votre question. C'est
certain qu'actuellement les médecins sont
quand même engagés envers leur clientèle et tout. Ce qui me fait plus peur,
moi, c'est qu'est-ce que ça va avoir l'air dans quelques semaines, là,
ou quelques mois, qu'est-ce qu'on va faire avec cette loi n° 20 si
elle devient une réalité, c'est ça qui m'inquiète beaucoup plus.
Actuellement, je
pense qu'il y a des progrès au niveau de l'accessibilité, il y a des progrès au
niveau des interventions multidisciplinaires
et tout, là, on voit que ça a aidé quand même beaucoup, là, tous ces nouveaux
médecins qui sont arrivés sur le marché du
travail depuis une dizaine d'années, au point même que les AMP, qui étaient
créées pour résoudre un problème de
pénurie de médecins aiguë dans les urgences, ce n'est plus vraiment le
problème, sauf peut-être dans les
régions où, justement, il y a moins de médecins. C'est pour ça que nous, on
voit d'un oeil favorable que les AMP soient modifiées, diminuées et
peut-être même abolies carrément, dépendamment des structures régionales.
M. Lisée :
Vous avez indiqué que le dépôt du projet de loi crée quand même un contexte
d'accélération de la discussion publique, y
compris de la part des médecins. Vous avez cité le premier ministre qui évoque
la possibilité de ne pas légiférer alors qu'on est en train de discuter
d'un projet de loi.
À
votre avis, si le ministre décidait de créer une table ronde, ou des états
généraux, ou de dire : Bon, bien on va se réunir, on va faire un appel de propositions, qu'à coût nul on va
essayer de trouver la solution aux 2 millions de Québécois qui n'ont pas accès à des médecins de famille,
croyez-vous qu'un processus comme celui-là pourrait arriver à une
entente consensuelle d'ici juin?
M. Mathieu (Bernard) : Oui, j'en suis convaincu. Je pense que c'est ça
que les médecins demandent depuis un certain temps déjà, un dialogue,
quelque chose de constructif, et on peut mettre plus de choses sur la table et
on peut discuter de questions de
rémunération, on peut discuter de toutes sortes de choses dans un travail
collaboratif dans des états généraux, ce qu'on ne peut pas faire avec
une loi, et puis un projet de loi, et des commissions parlementaires.
M. Lisée :
Comme contribuables, on a quand même l'impression, et c'est vrai pour les
spécialistes puis c'est vrai pour les
médecins généralistes, que, bon, vous êtes formés pour rendre les services,
vous êtes dévoués, vous travaillez très
fort, vous êtes formés pour ça, vous êtes bien payés, et que constamment on
doit vous donner des primes pour faire ce qui doit être fait, on a constamment cette impression-là, et que les
sommes sont considérables. Et effectivement il y a eu des éléments de coercition, comme pour les AMP, qui
ont toujours suscité beaucoup de résistance. Est-ce que vous pensez que la profession médicale a une part de
responsabilité dans le fait que l'offre de services n'est pas optimale en ce
moment?
M. Mathieu
(Bernard) : Écoutez, je pense que tout le monde est responsable
quelque part, c'est certain qu'on ne peut
pas nécessairement se laver les mains et puis dire : C'est la faute à
l'autre, là. Je pense que justement l'essence même d'un travail de
collaboration, c'est de rechercher les éléments positifs dans chacun des corps
de métier pour solutionner le problème d'accès. Ça fait que, de ce côté-là,
moi, je pense que tout le monde doit travailler main dans la main là-dessus,
là.
M. Lisée :
Très bien.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, vous avez respecté
tout à fait le temps. Je cède maintenant la parole au collègue député de
Lévis pour 7 min 30 s.
• (12 h 40) •
M. Paradis (Lévis) : Merci, M. le Président. Merci, Dr Mathieu, d'être ici, et
M. Fiset. Moi aussi, je suis du
genre à avoir entendu à travers votre
mémoire et lu à travers votre mémoire des pistes de solution, bizarrement, parce qu'on dit qu'il y en a peu. Je sais que vous avez échangé, le ministre et vous,
sur les débuts de vos carrières respectives puis sur les échanges
professionnels et votre vision d'un monde idéal en médecine, mais on revient,
parce qu'on est en 2015, sur le p.l. n° 20, et j'en vois, moi, des
pistes de solution. Et je lis surtout des inquiétudes également puis je vais
aussi vous donner l'occasion d'en citer
quelques-unes, dans la mesure où le projet serait adopté dans sa forme
actuelle, parce que vous en manifestez.
Mais
je reviens juste avant sur un dossier important, celui des AMP, parce que vous
le décrivez comme étant une solution
potentielle. D'ailleurs, je vous dirai qu'à ce chapitre-là le ministre se
rappellera qu'en 2012 il était partie prenante de cette solution-là. Je
pourrais lui demander s'il s'en rappelle, oui ou non, mais je pense qu'il
dirait oui. Merci.
Dr Mathieu,
les gens craignent, quand on parle d'une abolition potentielle des AMP
progressivement, la difficulté potentielle pour des régions,
c'est-à-dire qu'on craint la découverture, par exemple. Pourriez-vous
développer un peu sur ce thème-là? Parce que
vous dites aussi que c'est faisable. Vous nous dites également... et vous me
corrigerez, mais moi, je comprends qu'actuellement des médecins
omnipraticiens qui travaillent en urgence, même si on abolissait cette obligation-là, choisiraient de continuer à
travailler en urgence, il y en a qui en font leur pratique et désirent
continuer à en faire leur pratique, et, si je comprends aussi vos
propos, le fait de les maintenir et d'obliger un quota met mal à l'aise aussi
des urgentologues, qui se sentent mal pris d'être obligés de faire du bureau
alors qu'ils sont dissociés de cet environnement-là depuis longtemps.
Revenons sur les régions. Est-ce que cette
crainte, elle est légitime pour les régions? Et comment vous voyez ça dans une
abolition potentielle des activités médicales particulières?
M. Mathieu
(Bernard) : Oui. Effectivement, comme je l'ai mentionné tantôt, les
régions sont peut-être un endroit plus
sensible à l'effet des AMP. C'est pour ça qu'il faudrait être prudent,
lorsqu'on va vouloir réduire les AMP, puis voir où est-ce que c'est
facilement applicable et où est-ce que ce ne l'est pas.
Dans les
établissements à Montréal — c'est ceux que je connais le mieux — en général c'est plutôt le contraire qu'on a en ce moment, on a plutôt des médecins qui
cherchent à travailler dans l'hôpital, mais il n'y a pas plus de place,
les postes sont tous comblés, et donc, tu sais, le besoin d'une coercition pour
faire travailler plus de médecins, les jeunes
médecins gradués dans les hôpitaux n'est plus vraiment là. Par contre, en
région, je pense que c'est encore quelque chose d'important à garder en
tête, donc il va falloir moduler ça. Et puis ça ne peut pas être mur à mur
venant d'en haut, qu'on décide boum! c'est comme ça. Il faut que ce soit modulé
selon les différentes régions et selon les besoins spécifiques des clientèles.
M. Paradis (Lévis) : Alors, revenons
et gardons votre vision des choses, parce que c'est une des solutions, et il y en a d'autres, là, que vous présentez.
Comment on corrige ou on évite la problématique dont vous me parlez?
Puis qu'est-ce qui fait que, de fait, si à
Montréal il n'y a plus de place, en région un jeune médecin qui serait obligé
de faire de l'établissement ne décide pas de faire de la pratique en
établissement sa pratique primordiale ou première?
M. Mathieu
(Bernard) : Bien là, il peut
y avoir des questions de préférences personnelles. Puis c'est ça qu'on
n'a pas, on n'a pas cette possibilité-là dans les AMP actuelles. On ne peut pas
décider que moi, j'ai gradué en médecine familiale,
j'aime la pratique en bureau et je vais faire exclusivement du bureau, on ne
peut pas faire ça en ce moment avec les lois actuelles, il faut faire de
l'établissement. De la même façon, quelqu'un qui finit, qui dit : Ah! moi,
je veux faire juste de l'urgence à
Rivière-Rouge ou ailleurs, il peut le faire parce que c'est en établissement,
mais l'inverse n'est pas vrai pour celui
qui veut faire de la prise en charge. Et puis ils se retrouvent aussi, en
région, avec des problèmes dans les établissements, mais ils ont des
problèmes d'accès en première ligne aussi, là. C'est important, il y a beaucoup
de patients qui n'ont pas de médecin de famille également en région.
Donc, si on
n'essayait pas de contraindre tout le monde à faire un petit peu à gauche, un
petit peu à droite, puis qu'on
laissait un petit peu plus... un peu plus de liberté, les gens iraient là où
ils ont des affinités. Puis ça permettrait une prise en charge maximale, une expertise maximale aussi, parce que, quand
vous éparpillez vos expertises, bien forcément vous en avez un peu moins. Et ça permettrait sûrement,
je pense, d'avoir une meilleure satisfaction au niveau des médecins, et
donc une meilleure satisfaction au travail, et donc une meilleure qualité de
soins.
M. Paradis (Lévis) : Et, compte tenu
des effectifs, parce qu'on en a beaucoup parlé, on est à 9 200 quelques médecins omnipraticiens pour presque
10 000 médecins spécialistes, et que cette couverture-là, ce nombre
de médecins là qui a grimpé fait en
sorte qu'en principe il ne devrait pas y avoir de problème d'accessibilité,
êtes-vous en train de me dire que, si
on laissait la liberté aux médecins de gérer leur pratique avec les solutions
que vous apportez, on n'aurait pas
besoin d'un projet de loi n° 20, que vous jugez être extrêmement
punitif et coercitif?
M. Mathieu (Bernard) : Je vais
commencer avec votre dernière phrase. Je pense qu'on n'a pas besoin d'un projet
de loi n° 20.
Maintenant, je vais juste revenir un petit peu
en arrière. Les AMP, ce n'est pas la même chose que les plans régionaux
d'effectifs médicaux, O.K., donc il y a une nuance ici. Les AMP vous disent établissement
par rapport à la première ligne ou au
bureau. Les PREM vont dire : Bien, vous allez aller dans la région de Mauricie—Bois-Francs, par exemple, ou la région de la Capitale-Nationale. Ça, c'est les PREM. Donc, c'est deux choses différentes. Alors, les
PREM vont servir à la répartition régionale
des médecins pour que justement des régions ne soient pas appauvries en
médecins, alors que les AMP vont dire :
Bien, vous travaillez là ou là dans la même région. Donc, je pense que c'est
deux éléments qui jouent différemment dans l'équilibre.
M. Paradis (Lévis) : Mais dans les
deux cas il y a des choses à revoir.
M. Mathieu (Bernard) : Oui, probablement.
Écoutez, les PREM, c'est important, là, on ne peut pas non plus dire que les régions doivent être déshabitées
pour que tout le monde travaille à Montréal ou à Québec,
je pense que c'est important.
Mais, d'un autre côté, dans les nouveaux médecins, j'en connais beaucoup
qui sont intéressés à aller travailler à Maria, à Dolbeau, et tout ça.
Donc, ce n'est pas... Tu sais, je pense que partout il y a un bénéfice d'avoir
eu un grand nombre de gradués dans les dernières années.
M. Paradis
(Lévis) : Je reviens sur des
éléments parce qu'à travers ceux qui
nous regardent ou nous écoutent il y a aussi
des usagers qui souhaitent voir un médecin, qui se rendent aux urgences, qui
souhaitent vous rencontrer, etc., ils ont des préoccupations en fonction
d'un projet de loi parce que l'accueil de ceux qui devront le mettre en
pratique, des médecins, est important. Et vous parlez même de qualité de soins
et de sécurité des patients. Vous dites qu'il y a des médecins d'urgence qui sont inquiets parce qu'ils se sentent mal à
l'aise avec la prise en charge en bureau. Vous parlez du nombre d'heures
d'activité en clinique minimal par rapport au travail que vous avez à faire.
Vous avez même dit que vous craignez que des
médecins délaissent la formation continue ou en tout cas soient moins attentifs
parce qu'on n'aura plus ni la motivation ni le temps de le faire. C'est
important.
M. Mathieu (Bernard) : C'est
important, parce que, là, quand on veut contraindre les médecins...
Le
Président (M. Tanguay) : ...secondes encore. Merci.
M. Mathieu
(Bernard) : Pardon?
Le Président (M.
Tanguay) : Pour 30 secondes encore.
M. Mathieu
(Bernard) : 30 secondes. Le 36 heures, c'est la norme que
M. Barrette a mise sur papier pour dire
que 36 heures, c'est le minimum que vous devez faire pour ne pas être
obligé de faire de la prise en charge. Alors, nous, les médecins
d'urgence à temps complet qui ne faisons pas de prise en charge et qui ne
voulons pas en faire, comment on va s'en
sortir? 36 heures, c'est invivable, on ne peut pas faire 36 heures de
temps clinique. Et, si on fait ça, bien on ne fait plus rien d'autre,
c'est ça que ça veut dire.
Le Président (M.
Tanguay) : Merci beaucoup. Merci. Nous cédons maintenant la parole à
notre collègue de Mercier pour trois minutes.
M. Khadir :
Merci, M. le Président. Je ne sais pas comment aborder ce sujet, mais je prends
quand même un risque. Les personnes qui sont très compétentes, qui ont beaucoup
de capacités puis en plus un succès, parfois il y a un danger qui les guette,
ils en viennent à croire qu'ils ont la réponse à tout et parfois envers et
contre tous, que tout le monde a tort et qu'ils sont les seuls à avoir raison,
et ça complique la possibilité d'accepter des solutions qui viennent
d'ailleurs.
On a entendu le
ministre récemment, à travers un article de journal, dire qu'à date, dans tout
ce que j'ai entendu, il n'y a personne sauf moi qui a proposé des solutions
pour régler le problème d'accessibilité. Ma collègue en a fait mention, pourtant nous avons beaucoup, beaucoup, beaucoup
entendu de solutions. Le ministre dit : Si ça devait marcher, ça aurait fonctionné, mais le problème...
Ce n'est pas parce qu'il y a eu des solutions que les gens ont faites
puis que ça a été appliqué que ça n'a pas marché, c'est exactement le
contraire. C'est que, depuis 1998, il y a eu au moins cinq réformes de la santé mais toujours imposées par le ministre, qui
pensait avoir raison, qui pensait avoir la solution. Bien que des
associations comme les Médecins québécois pour le régime public, l'association
québécoise des médecins de famille, La
Coalition des médecins pour la justice sociale, dont l'actuel premier ministre
comme moi était membre, on a fait des solutions... Oui, oui, je vous...
Mon cher collègue, tu n'es pas au courant.
Le Président (M.
Tanguay) : Sans s'interpeller, collègue de Mercier.
• (12 h 50) •
M. Khadir :
Oui, très bien. Ce que je veux dire : Depuis 15 ans, on fait des
propositions, mais, les ministères, en fait,
ce qui aujourd'hui fait que l'adage d'Einstein s'applique, c'est qu'en fait
toutes ces réformes-là ont été appliquées par en haut, seulement en consultant les fédérations médicales, qui avaient
des intérêts financiers, et leur dialogue tournait alentour de la question salariale et certaines
conditions de confort des médecins et non pas axé sur les besoins
d'accès aux premières lignes. Donc, c'est
sûr que, si le ministre répète la même erreur, c'est-à-dire applique sa
solution sans mobiliser les meilleurs
acteurs, sans mettre ensemble tout le monde, sans trouver des solutions qui ont
fait leurs preuves ailleurs, bien ça
va être encore un autre échec, le principe d'Einstein va s'appliquer, parce que
ce ministre s'entête à appliquer exactement la même recette que toutes
les autres, quatre autres réformes qui ont été appliquées depuis maintenant,
quoi, tout près de 15 ans.
Je voudrais, dans le
temps qu'il nous reste, que vous nous disiez si les... Bien, c'est parce que,
là, le ministre essaie de vous faire dire
que, dans le fond, nos solutions n'en sont pas juste parce que
lui, il ne veut pas les entendre, hein? Je ne veux pas lui imputer d'intentions, mais c'est ce qu'il a dit dans le
journal, c'est qu'il n'y a aucune autre proposition que les siennes.
Bien là, dites-moi votre solution principale, répétez-le-nous avant la fin de
votre intervention.
Le Président (M.
Tanguay) : Cinq secondes.
M. Mathieu (Bernard) : L'accès avancé en première ligne, les groupes de médecins de famille, l'informatisation
du réseau, ce sont les trois choses qui vont aider au niveau de...
Le Président (M.
Tanguay) : Merci. Merci beaucoup, merci beaucoup. Alors, nous vous
remercions, représentants de l'Association des médecins d'urgence du Québec.
Nous suspendons
quelques instants.
(Suspension de la séance à 12 h 51)
(Reprise à 12 h 53)
Le Président (M.
Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous poursuivons nos
consultations et nous recevons ce matin les
représentantes du Conseil du statut de la femme. Alors, bienvenue à votre
Assemblée nationale. Vous disposez d'une période 10 minutes pour
faire votre présentation, s'ensuivra une période d'échange avec les parlementaires, et nous vous demandons de bien
vouloir vous identifier pour les fins d'enregistrement, de vous nommer
ainsi que de nous mentionner vos fonctions. Alors, la parole est à vous.
Conseil
du statut de la femme (CSF)
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Merci. Merci beaucoup. Donc, Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme. À ma gauche,
Sarah Jacob-Wagner, qui est chercheuse au Conseil du statut de la femme, et, à
ma droite, Marie-Andrée Lefebvre, qui est adjointe exécutive à mon bureau.
Donc, merci de nous avoir invitées à cette commission parlementaire.
Je
commencerai en disant que, de notre point
de vue, le manque d'accès des malades
aux médecins de famille est criant. Nous jugeons aussi que le statu quo est totalement
inacceptable et on pense que le gouvernement doit intervenir au nom des malades, qu'on
n'entend pas beaucoup.
Donc, je vais passer vite sur les problèmes d'accessibilité
aux médecins de famille, je pense que vous les connaissez. On a plus de médecins, par exemple, qu'en Ontario,
mais il y a moins de Québécois qui ont un médecin de famille, et surtout il y a moins de Québécois
qui sont capables de voir leurs médecins
de famille, ce qui est quand même une donnée importante quand on est malade. Nos résultats sont mauvais,
sont les pires dans les études du Commonwealth Fund et les pires au Canada. Donc, le portrait est peu reluisant. Et on s'y
est intéressés parce que cet accès assez mauvais aux médecins de
famille a un impact particulièrement négatif sur les femmes. Pourquoi,
allez-vous me dire? Pour plusieurs raisons, mais notamment parce que les femmes
sont plus que les hommes les proches aidantes, à 60 % en général, mais à 75 % ce sont des femmes quand
on parle de principal aidant, proche aidante. Donc, quand il manque de médecins, que se passe-t-il, quand, c'est-à-dire,
on n'a pas accès à un médecin de famille? Ça veut dire que la proche aidante qui s'occupe de son proche doit passer des heures d'attente dans des
cliniques sans rendez-vous, des heures d'attente à l'urgence. Et, pendant qu'elle fait ça, elle ne
travaille pas, elle ne s'occupe pas de sa famille. Bref, il y a
des conséquences en cascade à ce
manque d'accès aux médecins de famille, et évidemment, pour les femmes
proches aidantes, stress, fatigue, tout le reste suit.
Donc, on
considère que c'est un problème important. Pour cela, nous sommes en accord
avec deux des grandes orientations de la réforme proposée par le gouvernement, soit l'exigence de la prise en charge réelle d'un certain
nombre de patients et l'incitatif à modifier
les pratiques afin de favoriser ce que vous appelez... moi, ce que j'appelle un
accès ouvert aux médecins de famille, surtout pour les patients les plus
vulnérables. Bref, quand on a un médecin de famille, il faudrait pouvoir le voir dans des délais raisonnables, et des délais
raisonnables, c'est de un à trois jours. Tout comme les autres travailleuses et travailleurs de la santé, les médecins doivent avoir la responsabilité de prendre en charge un certain nombre de patients. Les médecins
ne sont pas de véritables travailleurs autonomes, de notre point de vue,
puisqu'ils sont à 100 % rémunérés par
l'État, leur emploi est garanti, et, en échange de revenus stables et
élevés — on parle
ici de revenus moyens de
264 000 $ pour l'ensemble de la profession — nous croyons que le corps médical doit
s'assurer de donner aux patients des rendez-vous à l'intérieur de délais
raisonnables.
Bien sûr,
comme l'a dit l'opposition, il y a beaucoup d'inconnues en ce moment dans ce
projet de loi. Nous allons être très intéressés par, justement, ce
fameux règlement parce que, de notre point de vue, il est important que la pondération et la rémunération tiennent compte, ce
qui n'est pas le cas actuellement, pas assez en tout cas, de la
complexité des cas et de la vulnérabilité des patients, parce qu'en effet, que
ce soit pour les hommes ou pour les femmes, un cas complexe nécessite plus de
temps et devrait donc être pondéré à plus qu'un cas moins complexe. Et tout
cela serait évidemment pour éviter ce qu'on a en ce moment, c'est que des
médecins, pour justifier qu'ils prennent en charge les patients, leur donnent rendez-vous une fois par année pour faire un
examen général. Or, on le sait, les études montrent que ce type de pratique de médecine n'améliore pas
de façon générale la santé. Donc, on voudrait que ça soit plus payant de
soigner des patients très malades, et
notamment les patients à domicile. Et je précise ce point-là parce que nous
sommes une société vieillissante, les femmes
meurent moins vite ou vieillissent plus longtemps que les hommes, donc
éventuellement il faudrait aller voir ces
femmes à domicile si on ne veut pas qu'elles remplissent nos institutions. Et
en plus les gens veulent mourir chez eux, donc encore faut-il qu'il y
ait des médecins qui aillent les voir, pas seulement des infirmières.
Je vais vous
parler d'une question plus délicate qui est venue à notre attention parce qu'on
est le Conseil du statut de la femme. Nous avons reçu beaucoup de
courriels et de demandes de médecins femmes pour nous prononcer sur la réforme
de M. Barrette. On a réfléchi beaucoup à cette question, parce que vous
imaginez bien que, pour un conseil féministe, ce n'est pas une question facile,
et voici l'objet de notre réflexion.
Il est vrai
que les femmes médecins gagnent en moyenne 79 % du salaire des hommes...
pas du salaire, du revenu, donc leurs
revenus sont plus faibles, ce qui est à peu près vrai dans beaucoup de professions
au Québec. On parle d'une différence de 174 000 $ en moyenne
pour les femmes et de 220 000 $ pour les hommes. Pourquoi cette
différence de revenus? Plusieurs hypothèses, bien sûr, mais l'une d'entre
elles, qui est plutôt réaliste, est que les femmes portent les enfants et donc arrêtent après, avant, ça
dépend des situations, donc travaillent moins d'heures à cause des
charges familiales et pas seulement parce
qu'elles portent les enfants, parce que la société est toujours ainsi faite que
les femmes consacrent plus de temps que les hommes aux tâches familiales
et domestiques. On essaie, bien sûr, de changer ça, au conseil.
Donc, on se demande aussi si les femmes médecins
orientent leur pratique différemment, mais je vous avoue qu'on n'a pas forcément les chiffres, on a essayé
de les avoir, pour être capables de documenter cela. Mais ce qui est
clair, c'est que, si les femmes travaillent
moins d'heures, il est à craindre que le modèle proposé par le gouvernement,
soit les quotas, pénalise davantage les femmes médecins que les hommes.
Donc, d'un point de vue féministe, on ne peut que déplorer ce fait.
• (13 heures) •
Idéalement, la possibilité d'effectuer moins
d'heures rémunérées sans pénalité, surtout pour des raisons d'articulation famille-travail, devrait être
possible pour l'ensemble des travailleuses et des travailleurs, mais malheureusement ce n'est pas le cas en ce moment, ni dans le
secteur privé ni dans le secteur public les femmes n'ont le droit d'exiger
de leur employeur de travailler à temps
partiel après leur congé de maternité. Au contraire, je pense
notamment dans le cas des infirmières, le travail de
nuit ou de fin de semaine fait partie de la donne. Donc, comment trancher?
Après mûre réflexion, le conseil choisit de
prioriser un meilleur accès des femmes aux services de santé en première ligne
plutôt que de défendre le droit d'un
certain groupe professionnel gagnant
des revenus élevés de réduire substantiellement ses heures de travail. Par contre, et ça, je tiens à le dire,
nous voulons que le 12 mois de congé de maternité de même que les
congés de maladie des hommes et des femmes
soit pris en compte dans ces fameux calculs qui vont permettre d'y aller pour
l'assiduité.
Est-ce que j'ai fait mon 10 minutes? Je
peux continuer?
Le Président (M. Tanguay) : Non,
vous poursuivez, je vous en prie, il vous reste plus de deux minutes.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Procréation assistée, rapidement sur cette question-là. Vous le savez,
historiquement le Conseil du statut
de la femme a beaucoup travaillé sur cette question, notamment dans les
années 80, quand Francine McKenzie était la présidente, et on a
toujours eu, au conseil, pas mal de réticences face à ces techniques à cause
des dérives possibles, à cause de
l'utilisation du corps de la femme. Bref, on a pris un certain recul, mais je
veux vous citer une phrase de
Mme McKenzie qui dit bien encore où on se situe sur ces
questions-là : «Nous souscrivons au désir d'enfants mais pas à l'idée du droit à l'enfant, qui
impliquerait que la science, la technique et l'État ont l'obligation de
produire un enfant.» Donc, pour cela, le
conseil n'est pas opposé à l'idée de mettre fin à la gratuité dans la
procréation médicalement assistée. On
l'a dit il y a deux ans, on le répète, il y a sans doute d'autres priorités,
pour nous, qui sont plus pressantes. Nous
pensons notamment aux femmes vieillissantes chez elles, à différents problèmes
de santé aigus qui devraient sans doute avoir la priorité, étant donné
que les budgets diminuent.
Donc, nous avons par contre demandé la gratuité
de ces techniques pour les moins nantis, les plus pauvres, le projet de loi
répond en partie à cette demande. Toutefois, nous avons deux grandes réserves
face à ce projet de loi. Tout d'abord, la
séquence dans laquelle ces différentes techniques doivent être données, nous
trouvons que c'est un peu arbitraire, il y a plusieurs parcours, de
notre point de vue, quand on rentre en procréation médicalement assistée. Et la
stimulation ovarienne, notamment, doit-elle ou non venir avant l'insémination
artificielle? Bref, plusieurs solutions, plusieurs
parcours, et nous trouvons que ce n'est pas le gouvernement mais plutôt les
médecins qui doivent décider du meilleur
parcours pour les femmes, parce qu'il y a des cas un peu absurdes qui
pourraient se passer : exiger une période minimale de relations sexuelles pour les femmes dont les trompes de
Fallope sont complètement obstruées, pour les femmes célibataires et
finalement pour les couples de femmes. Ça peut être long, faire un enfant,
quand on est un couple de femmes, donc...
Finalement, l'interdiction de la fécondation in
vitro pour les femmes de 42 ans et plus, là-dessus nous ne comprenons pas
tout à fait la logique du gouvernement. Nous sommes d'accord avec le fait que
le gouvernement a tout à fait le droit de ne
pas rembourser les femmes de 42 ans et plus qui tiennent à faire l'essai
de la fécondation in vitro puisqu'on le sait, ces essais-là sont
beaucoup moins susceptibles de donner des résultats, un bébé, en l'occurrence, que quand elles sont plus jeunes. Toutefois, nous
trouvons que cette limite absolue est inacceptable dans la mesure où à 42 ans il y a encore des possibilités d'être
enceinte, et, de notre point de vue, il faut laisser aux femmes le droit
d'aller en médecine privée quand elles
veulent obtenir cette technique de la même façon que les hommes et les femmes
ont le droit d'aller se faire poser une hanche en médecine privée au
Québec.
Le Président (M. Tanguay) : Merci
beaucoup. Alors, avec l'accord du ministre, nous vous avons permis d'excéder d'une minute le temps alloué, alors de
19 minutes maintenant je cède la parole pour 18 minutes à un
échange entre vous et le ministre. Merci.
M.
Barrette : Alors, merci, M. le Président. Alors, Mme Charron, Mme Jacob-Wagner
et Mme Miville-Dechêne, merci
d'être ici aujourd'hui. Et je vous dirai d'emblée que vous nous faites
une présentation assez
extraordinaire, au sens où vous avez manifestement réfléchi abondamment
à la problématique et vous l'abordez d'une façon extrêmement intéressante et,
je vous dirais, je vous le dis spontanément, là, surprenante. Et je trouve ça vraiment
très intéressant, puis là je regrette
d'avoir juste 17 minutes. Alors, je vais aller directement aux questions
ou commentaires que soulève votre présentation.
Juste peut-être un ou deux commentaires, là.
Pour ce qui est des relations sexuelles, évidemment, là, on parle ici des gens qui n'ont pas un diagnostic
d'obstruction tubaire, là, puis les couples de même sexe, là, ça allait de soi,
mais je comprends que peut-être que notre
texte n'était suffisamment clair, et il sera clarifié, on le vérifiera pour la
PMA. Mais je reviendrai à la PMA en
premier... en deuxième, je reviendrai dans le même ordre que vous avez fait
votre présentation, parce que vous avez abordé des éléments qui sont
assez intéressants.
Évidemment,
quand vous dites que vous visez une prise en charge réelle, est-ce que je
comprends que réelle, ce que vous signifiez, ce n'est pas juste une
inscription, il faut voir le patient?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Ah! tout à fait. Il y a une très grande différence. Je l'ai moi-même
expérimenté, nous avons fait une recherche
en 2013 sur cette question. La prise en charge réelle, ça ne veut pas seulement
dire qu'on inscrit le patient, mais ça veut dire qu'on peut le voir, en
tout cas de la façon dont on le comprend, en accès ouvert, c'est-à-dire que, si le patient est malade, on le
voit. Et la définition de l'accès ouvert, c'est de un à trois jours, si je
me rappelle bien, ce qui veut dire un
changement de pratique énorme pour les médecins parce que, plutôt que «booker»,
comme on dit en anglais, d'avance leurs rendez-vous pendant des jours, des
semaines, des mois, ils sont obligés de laisser de grandes plages ouvertes pour pouvoir voir les
malades qui sont malades le matin même. Parce qu'on ne peut pas prévoir sa maladie. C'est tout le problème de cette
pratique qui est basée sur une prise de rendez-vous des mois d'avance, ça
ne marche pas. Alors, effectivement, il faut qu'ils changent leur pratique.
C'est sûr que c'est une pratique plus complexe,
moins confortable, parce qu'on arrive le matin, puis il y a juste la moitié de notre journée qui est remplie,
mais c'est ce genre de flexibilité dont on a besoin pour que les
patients malades ne se retrouvent pas dans
les cliniques sans rendez-vous, où ils voient des médecins qui ne sont pas les
leurs, qui ne connaissent pas leurs prescriptions, ou alors carrément à
l'urgence. Pour nous, ça nous semble faire du sens, et particulièrement, comme je vous le dis, parce que, comme on parle au
nom, entre guillemets, ou pour les femmes, comme elles consultent
davantage à cause du fait que ce sont elles qui portent les enfants et parce
qu'elles vieillissent plus, il y a encore
une différence d'âge dans la mortalité, elles sont au premier chef concernées
par cette accessibilité. Et en plus elles
s'occupent des proches vieux, malades, compliqués qu'il faut amener voir le
médecin, alors c'est plus simple d'avoir un rendez-vous pour amener son
proche chez le médecin de famille que d'aller attendre des heures quelque part.
Donc, oui, on demande un changement de pratique.
Et, entendons-nous — je veux faire des
nuances — l'accès
ouvert existe déjà dans un certain nombre de cliniques, mais il n'existe pas
partout. Et particulièrement je vous dirais que, dans les GMF, c'est assez
incroyable d'en voir où il n'y a pas de
service offert le soir, la fin de semaine. Malheureusement, les gens
travaillent, la journée en particulier, donc il faut que les médecins
s'entendent pour avoir des rotations pour couvrir les plages horaires.
M.
Barrette : Bien, d'abord, je vous remercie de me rappeler à l'ordre
sur le plan linguistique, parce que j'utilise toujours «accès adapté» parce que c'est le mot utilisé par les médecins
couramment, mais, vous avez raison, le bon terme en français, c'est
plutôt «accès ouvert», vous avez tout à fait raison. Et on en fait la
promotion, et je suis d'accord avec vous. Et
même que j'irais plus loin : C'est très, très, très peu exercé, même si
c'est une façon de faire la médecine qui remonte aux années 40, 50,
imaginez. Mais le corps médical, malheureusement, ne l'a jamais adoptée, et là
je pense que ça devrait être comme le temps.
Et vous
m'avez beaucoup, beaucoup surpris en affirmant... Et là je comprends que c'est
vraiment une position que vous prenez, que le rendez-vous périodique,
l'annuel, là, ça... Là, je suis d'accord avec vous, hein, je veux juste...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Oui,
mais nos réflexions ne sont pas basées sur des opinions, là...
M. Barrette : Non, non, je
comprends. Oui, oui.
• (13 h 10) •
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
...nous avons des études en 2013 qui disent que ce type de médecine, c'est-à-dire
de voir quelqu'un une fois par année pour
renouveler ses prescriptions, ça ne
change rien à l'état de santé des patients. D'ailleurs, c'est aussi vrai... aussi on a des études qui
montrent que ce n'est pas parce qu'on voit un patient plus longtemps que
ça a un effet forcément sur la santé, c'est des études larges, là, et l'inverse
non plus, ce n'est pas parce qu'on voit un patient plus souvent que ça a aussi
un effet sur la santé, alors c'est difficile de prendre des études pour essayer
de prouver ce qu'on veut prouver.
M.
Barrette : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Vous avez aussi...
Et ça, c'était impressionnant de la manière que vous l'avez dit, puis je voudrais qu'on revienne un peu là-dessus.
Vous avez parlé de la pondération et, de la manière que vous en avez parlé, vous en avez parlé d'une
telle manière que, pour vous, là, pondérer, dans une pratique, ce n'est
pas vraiment un problème, ça se fait.
Maintenant, sur la faisabilité de la pondération
ou plutôt les pondérations elles-mêmes, est-ce que vous avez des suggestions à nous faire? Parce que, quand on
dit «pondération», évidemment, on considère qu'un patient peut-être comme vous et moi, là... Je présume que vous êtes
en santé, et que nous n'avez pas de maladie chronique, et que... Vous
m'avez l'air en forme. Maintenant, versus une personne qui est grabataire, là,
on a une pondération. Est-ce que vous avez des commentaires ou une réflexion
qui vous a menés à des commentaires... pas des commentaires mais des
suggestions plus spécifiques de pondération? Ça m'intéresse beaucoup.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bon,
je ne suis pas médecin, là, et on n'est pas des experts tout à fait dans ce
domaine-là.
M. Barrette : ...quand même je vois
que vous avez réfléchi pas mal.
Mme Miville-Dechêne (Julie) :
D'abord, je veux quand même préciser que, quand je parle des médecins et des
femmes médecins, on ne doit jamais généraliser. On a un problème large parce
qu'on a un manque d'accès, mais il y a
évidemment des médecins qui déjà sont en accès ouvert, qui déjà font ces
pratiques-là. Donc, on parle en moyenne ici, je voulais préciser cette
chose.
Par ailleurs, la pondération, c'est extrêmement
important, parce qu'on a vu dans le passé que les médecins répondent notamment
à des critères de rémunération pour changer leur pratique. Le cas des AMP est
un cas vraiment intéressant, où on a vu,
justement, qu'il y a des médecins qui en faisaient 12 heures, puis là,
tout à coup, ils n'en faisaient plus
12 heures, ils en faisaient 26, 36, tant et aussi bien qu'à Montréal les
jeunes spécialistes ne trouvent pas de job parfois dans les hôpitaux parce que
les médecins généralistes y sont et aiment ça. Alors, c'est très bien, sauf
que, comme ils sont là, ils ne sont
pas en cabinet, et on a moins de médecins de famille. Je schématise, là, mais
il y a un peu de ça à Montréal.
Donc, oui, on doit avoir une
pondération spécifique. Et je pense notamment aux visites à domicile, parce
qu'on le sait, quand les médecins font des visites à domicile, il faut qu'ils
se déplacent d'un endroit à l'autre, ils rentrent dans l'intimité des gens, parfois c'est plus complexe, la famille est là,
donc je considère que la pondération actuelle défavorise grandement les visites à domicile. Et
malheureusement je dois vous dire que, un peu comme ce qui a été dit tantôt, le
fait que les fédérations... que vous donniez une enveloppe budgétaire plutôt
énorme aux fédérations et que toutes ces pondérations
sont décidées par la fédération, il me semble qu'il est plus que temps de
revoir cela, parce que la fédération me semble parfois en conflit d'intérêts entre l'intérêt du public et
l'intérêt des personnes qu'elle représente, c'est-à-dire les médecins. Donc, oui, c'est plus compliqué, faire
des visites à domicile, c'est moins agréable, on entre dans des endroits
qui ne sont pas toujours d'une grande salubrité, qui peuvent être difficiles,
on sort de sa zone de confort, mais, oui, il faut
que les médecins, comme dans beaucoup d'autres pays au monde, aillent à
domicile voir les patients qui ne peuvent pas se déplacer. C'est ça, la
médecine. Ça devrait être ça, ça a déjà été ça, et on pourrait, avec une
pondération ou une rémunération, remettre ce genre de pratique, entre
guillemets, à la mode, parce que maintenant, vraiment, les jeunes médecins qui
sortent des facultés ne veulent pas faire cette pratique.
M.
Barrette : Écoutez, un peu pour aller dans votre sens, parce que vous
avez des questionnements, puis je pense que vous vous attendez à avoir un peu des réponses du ministre, là, de
moi en particulier, moi, je suis d'accord avec vous et je pense qu'il
doit y avoir des pondérations très significatives pour ce type de clientèle là
et, je dirais, entre autres les clientèles très vulnérables, soins palliatifs,
fin de vie, perte d'autonomie. Et ça peut aller jusqu'à un pour 25, là. Par exemple, moi,
j'ai visité un milieu où on applique ça à la lettre, ce comportement-là d'accès
ouvert et de prise en charge, qui est
le CLSC Verdun—Sud-Ouest, en
conjugaison avec les activités hospitalières, et c'est le modèle, hein, pour
moi, là, c'est un modèle à disséminer
dans le réseau. Et moi, je pense comme vous qu'il doit y avoir une pondération.
Moi, je peux compter pour un, mais
une personne en fin de vie ne peut pas compter pour un, là, il faut que cette
personne-là compte pour beaucoup plus, et ça permet, à ce moment-là, aux
médecins d'adapter leur pratique... même pas d'adapter leur pratique, de
reconnaître dans leur pratique sans être pénalisés en quota. Alors, on comprend
que, si j'avais une pondération — là, je dis des chiffres comme ça,
là — de
un pour 10, bien, si on en demande 1 000, bien ça en prend 100, de ces patients-là, pour répondre aux
critères. Ça, le principe de pondération, je comprends de votre
commentaire que vous voyez ça comme étant faisable
et nécessaire de façon à ce qu'on reconnaisse ça. Moi, je suis tout à fait
d'accord avec vous.
Puis je veux juste
vous donner une information. Dans la loi, il y a une provision dont personne ne
parle, évidemment, parce que c'est plus
facile de parler des règlements que de cet élément-là. Vous avez raison sur un
point, mais vous avez vraiment raison : la problématique des fédérations,
c'est que parfois elles refusent de payer correctement certains profils de pratique parce que c'est la dictature de la
majorité, et c'est la problématique du paiement du service à domicile dans les situations de fin de vie, qui
sont très, très, très mal payés. Et à un moment donné le ministre doit
avoir la possibilité d'intervenir, si la négociation ne règle pas le problème,
et force est de constater, si vous connaissez des gens qui ont cette pratique-là, que les derniers 15 ans n'ont pas
réglé le problème. Alors, à un moment donné, le ministre doit avoir le pouvoir de faire cette
intervention-là pour le bénéfice du citoyen, parce qu'au bout de la ligne c'est
quand même le citoyen pour lequel on fait ce travail-là. Alors, je suis tout à
fait en accord avec ce que vous venez de dire.
J'aimerais revenir
maintenant sur les femmes en médecine. Vous savez, vous avez dit beaucoup de
choses à date que, si elles étaient sorties
de ma bouche, j'aurais été taxé de mépris, là, mais je suis content que vous
soyez là pour les dire. Maintenant, pour ce qui est des femmes, vous
êtes le Conseil du statut de la femme et là vous avez abordé certains éléments. Je comprends de votre propos,
puis j'aimerais que vous me le confirmiez, là, que vous ne considérez
pas que le projet de loi n° 20 est une attaque contre les femmes
médecins.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : ...pas tout à fait ça. Puis je ne suis pas
sûre que les mots que j'ai utilisés seraient perçus quand même comme du mépris,
s'ils étaient utilisés par un homme, parce que j'ai vraiment choisi mes mots
avec beaucoup de soin.
M. Barrette :
Ce n'est pas dans ce sens-là.
• (13 h 20) •
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Mais je vous reprends sur cette question-là,
là, de l'attaque. C'est clair qu'en faisant
un système de quotas, en disant que le temps partiel ou de travailler moins
d'heures il y aura une pénalité... On ne sait pas encore quelle elle
sera, mais on sait... les chiffres ont circulé, on a parlé de 30 %, là, je
ne sais pas si ce sera ça. C'est clair qu'en
faisant ça, d'un point de vue parfaitement objectif, les femmes seront
davantage pénalisées par cette mesure
que les hommes, puisque les chiffres montrent qu'elles travaillent moins
d'heures déjà. Et en général, en sociologie, on sait que les femmes s'occupent davantage des enfants, bien que les
choses progressent. Elles les ont, d'une part, ensuite elles prennent en
majorité le congé de maternité ou le congé parental, et ensuite elles s'en
occupent plus en termes d'heures par jour.
Donc, clairement, elles vont être plus défavorisées par votre projet de loi que
les hommes médecins.
Mais ce qu'on dit après ça, c'est qu'on ouvre un
petit peu notre réflexion en disant : Oui, mais nous, comme Conseil du
statut de la femme, on a ici les intérêts d'une portion de femmes dans la
population qui sont médecins et qui veulent
avoir le droit de décider de leurs heures en fonction de leurs enfants, mais ce
droit-là n'existe pas pour plein d'autres
travailleuses et travailleurs qui sont des salariés et qui après leur congé de
maternité doivent revenir au travail et ne peuvent pas dire :
Attention, moi, je veux travailler quatre jours ou trois jours-semaine.
Évidemment, comme conseil, on aimerait que
la société... on aimerait qu'il y ait une évolution un peu comme dans les pays
scandinaves, où l'idée de travailler moins
d'heures par semaine soit la norme pour des parents, mais on n'est pas là au
Québec. Et nous, on se dit : Est-ce
que, nous, c'est notre rôle de prendre parti, donc, pour une petite portion de
la population, les femmes médecins, qui,
bien sûr, gagnent de bons revenus, plutôt que de défendre l'accès des femmes et
des hommes malades à des médecins? Parce qu'on ne peut pas produire des
médecins comme on fait des crêpes, ça prend du temps. Donc, en ce moment, il y a un
nombre x de médecins, et là ce qu'on a, c'est des intérêts contradictoires de
deux groupes de femmes. Et, comme Conseil du statut de la femme, en
2015, on essaie d'arbitrer ou de voir quel est celui... l'intérêt dominant, ou
le plus important, ou le plus pressant, et, de notre point de vue, c'est
l'intérêt des femmes malades. Alors, imaginez-vous qu'il y a eu pas mal de
discussions autour de ça, ce n'est pas simple comme...
M. Barrette : J'en suis convaincu,
j'en suis convaincu. D'ailleurs, Mme Miville-Dechêne, je vous fais un commentaire puis je vous pose la question
qui est la question la plus difficile à laquelle... peut-être pas la plus
difficile mais une des plus difficiles à laquelle on peut avoir à répondre, et
particulièrement pour vous, vous allez voir.
Je peux vous dire une chose, premier
commentaire, vous y avez fait référence : Il n'est pas question, dans les statistiques, de ne pas prendre en considération
les congés de maternité ou congés parentaux, hommes ou femmes, ça sera pris en considération. Même que, dans nos
statistiques, on enlève les gens qui sont en congé pour ne pas fausser la
donnée.
Là, je vous
pose la question difficile : Est-ce qu'on est rendus... C'est une
question, là, je n'annonce rien, là, évidemment, là. Avez-vous fait une
réflexion sur la pertinence d'imposer en faculté de médecine, dans les années
futures, un ratio 50-50 hommes-femmes à l'entrée, compte tenu du fait que les
facultés de médecine sont très contingentées,
et la gestion des effectifs se fait en fonction des besoins, et il y a des
biais qu'on n'avait pas vus dans le passé puis qu'on voit aujourd'hui?
Est-ce que vous avez fait une réflexion là-dessus?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : On n'a
pas fait de réflexion, mais je peux vous dire que, même si on la faisait — je crois que ma prédécesseure en a
parlé — je crois
que nous serions totalement contre ce genre de quota parce qu'il faut placer l'avancement des femmes dans
l'histoire. De la même façon que les hommes ne se sont jamais fait
interdire d'être à 95 % dans telle ou telle profession, il n'y a aucune
raison que les femmes se voient interdire de dominer en termes de chiffres.
Pour l'instant, c'est moitié-moitié, d'après ce que je comprends, dans la
profession.
M. Barrette : C'est 75-25. Et la
raison...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Non,
pour les finissants, mais dans la profession en général c'est 50-50.
M. Barrette : Oui, dans la
profession en général, vous avez raison, mais en bas de 50 ans ça va jusqu'à
même 80-20.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien
sûr, mais les femmes...
M. Barrette : Et la raison pour
laquelle je vous pose la question, c'est parce que des femmes médecins me
parlent de ça, et ça m'étonne toujours, et je me suis dit que je vous poserais
la question si...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : ...comment,
les femmes médecins?
M.
Barrette : Il y a beaucoup de femmes médecins qui m'abordent en me
disant : Écoutez, Dr Barrette, on est rendus là, il faudrait
que ce soit 50-50 hommes-femmes.
Mme Miville-Dechêne (Julie) :
Pourquoi?
M. Barrette :
Bien, parce que... Et la raison, elle est très simple, c'est qu'elles aussi
voient un différentiel, là. Et là, compte tenu des gardes, des ci, des
ça, souvent les hommes, pas toujours, là, vont être plus enclins, pour des
raisons familiales que vous avez soulevées très clairement...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien
non. Non, non, non, c'est le début de la fin.
M. Barrette : Non, non, mais je...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Si on
commence ça, c'est le début de la fin. Nous...
Le Président
(M. Tanguay) : Merci. On va passer maintenant la parole à notre
collègue de Taillon, vous pourrez peut-être revenir sur le sujet.
M. Barrette : ...question, hein, ce
n'était pas une annonce.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : O.K.
Le Président (M. Tanguay) : Ce
n'était pas une annonce. Alors, collègue de Taillon pour
11 min 30 s.
Mme Lamarre : Merci, M. le
Président. Alors, bonjour, Mme Miville-Dechêne. Bonjour, Mme Jacob-Wagner
et Mme Lefebvre. Très intéressant. Je pense que vous avez fait une analyse
très réfléchie, très mûrie sur des enjeux qui sont importants.
Je retiens aussi
parmi vos recommandations le besoin d'avoir un peu plus d'information sur la
pondération. Et je pense que l'élément clé
de la pondération, ça peut nous amener dans une dimension d'improvisation
complète où on peut même se retrouver
à donner trop d'équivalences et à faire en sorte que notre patient normal,
notre femme âgée de 70 ans, qui
correspond à un grand nombre de nos patients, se retrouve encore défavorisée et
sans accès à un médecin de famille
parce qu'on va avoir donné beaucoup de... Alors, je n'entends pas le ministre
et je ne vois pas... et je demande qu'on nous dépose ces pondérations et
ces équivalences, elles sont essentielles pour qu'on puisse déterminer si
l'équilibre sera juste ou non.
Pour
ce qui est de la condition des femmes, vous avez certainement vu dans les
médias aujourd'hui aussi où le ministre a déposé son changement et le
projet de loi n° 20 sur la base d'une information, celle où 60 %
des médecins qui faisaient le moins
d'heures, dans le fond, travaillaient seulement 117 jours par année, et
cet argument-là a été le seul élément déclencheur objectif qu'on a eu
pour dire : Ça justifie qu'on impose des quotas, des pénalités aux quotas,
et tout ça. On a eu aussi l'Association des
jeunes médecins qui est venue nous dire que, dans le fond, quand eux
faisaient l'ensemble des médecins, on arrivait à 247 jours. Nous, on s'est
repenchés un peu aussi sur les mémoires et sur l'information qui nous a été
donnée, et il y a quand même des caractéristiques qui rejoignent
particulièrement les femmes dans les mesures
qui sont faites. Donc, dans le 117 jours, effectivement, on n'a pas exclu
les femmes médecins enceintes. Alors,
on nous dit qu'il y en a 300 quelques, ça fait quelques jours de différence,
mais on ne les a pas exclues, alors déjà il y a un élément qui
m'apparaît être de nature un peu discriminatoire.
Un
autre élément : dans les calculs du 117 jours, le ministre ne compte
pas les journées de travail de sept heures ou moins. Alors, on sait que, si la femme médecin travaille six heures, ça
ne compte pas, ça n'a pas compté dans les 117 jours. C'est majeur. Ensuite, dans le calcul qui a été
fait par le ministre, les journées de 14 heures, par exemple, ne
comptaient que pour une journée de travail, alors qu'elles comptent, dans le
fond, normalement pour une journée et deux tiers, elles devraient au moins
compter pour ça.
Alors,
on voit qu'il y a des choix qui ont été faits qui peut-être reflètent beaucoup
la pratique des femmes médecins et
qui contribuent à donner cette image vraiment très péjorative de la pratique
médicale en général et d'un grand nombre de médecins de famille.
Ceci
étant dit, je suis tout à fait d'accord que... et vous le savez, là, j'en fais
vraiment la promotion, et ça ne fait pas juste depuis que je suis
députée, ça fait déjà plusieurs années que je dis : Il faut travailler
autrement pour améliorer l'accès. Et il y en a beaucoup, de façons pour
améliorer l'accès concrètement et rapidement, mais le ministre ne les choisit
pas. Et donc je dis : Il y a quand même, dans ces messages, quelque chose
qui est étonnant, et j'aimerais vous entendre réagir là-dessus.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Alors, c'est justement pour ça, vous avez
sans doute vu que nous n'utilisons aucun chiffre d'heures travaillées, parce
qu'on a bien vu que ça donnait lieu à une bataille rangée, et je ne suis pas sûre, effectivement, que ce soit la meilleure
façon de mesurer comment les choses se passent. Nous avons choisi, nous,
de mesurer l'accès à un médecin de famille
en se basant sur ce qui se fait dans d'autres provinces et dans d'autres pays,
et là encore l'accès aux médecins ici est
moins grand qu'ailleurs, même si on a plus de médecins. Alors, peut-être le
nombre d'heures n'est pas la meilleure façon de le mesurer et en effet il faut
tenir compte des congés de maternité pour faire toute mesure.
Mais je vous dirais
qu'effectivement il faut être prudent dans une profession où il y a autant de
femmes, effectivement, mais il me semble...
il nous semble qu'il y a aussi un changement générationnel chez les médecins et
donc que les jeunes pères, ou les jeunes
mères, ou les jeunes médecins hommes qui veulent aller faire du sport, là, je
ne sais pas qui trop parlait de la
conciliation loisirs-travail, là, il y en a plus qu'avant. Il y a plein de
médecins qui considèrent que la qualité de vie, ce n'est pas forcément
travailler jour et nuit dans son cabinet.
Alors, je veux
préciser ici que, nous, ce qu'on demande, c'est un nombre d'heures réaliste. On
n'est pas des spécialistes, on ne peut pas
vous dire quel serait le nombre d'heures correct, mais on a l'impression qu'en
exigeant l'accès ouvert, notamment,
on pourrait s'assurer que les patients soient vus, parce que la difficulté,
c'est... Tout le monde est pour la vertu,
alors tout le monde dit : Bien oui, ça va aller mieux, ça va s'améliorer
et tout, mais, si l'accès ouvert n'est pas la norme, si les patients qui sont pris en charge ne peuvent pas être vus,
qu'est-ce qu'on aura changé? Donc, vraiment, nous, vous l'avez vu, on fait cette analyse davantage du
point de vue des patientes et des patients que, bien sûr, des conditions
de travail des médecins, c'est notre parti pris.
• (13 h 30) •
Mme Lamarre :
L'accès ouvert ou l'accès adapté dont on a beaucoup parlé, qui consiste à
garder des rendez-vous disponibles à chaque
jour pour des patients qui viendraient et qui auraient besoin d'une façon plus
urgente... souvent ça fait partie des activités que vous avez décrites, qui
sont négociées par les fédérations comme méritant une bonification de la
rémunération, et donc on peut avoir aussi une façon d'orienter son travail en
augmentant ses plages de disponibilité là
mais sans les rendre disponibles le soir ou les fins de semaine, on pourrait
très bien, par exemple, mettre des
rendez-vous ouverts de jour et ne pas nécessairement offrir... Parce que je voyais que, dans votre
mémoire, à plusieurs endroits vous parlez d'heures pratiques pour les
patients et pour les proches et non pas seulement d'heures pratiques pour le
médecin. Alors, comment vous voyez que ça pourrait se concrétiser?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien
là, vous parlez de bonus pour avoir l'accès ouvert. Écoutez, encore là, on a beaucoup
essayé dans le passé, par la rémunération, de changer les choses, puis c'est
clair qu'aujourd'hui on se rend compte que ce n'est pas suffisant, parce que dans les dernières
années il y a eu des hausses importantes de rémunération, mais il reste
des problèmes importants d'accès.
L'accès
ouvert, c'est-à-dire que si effectivement on demande une certaine assiduité à des... Je ne
sais pas exactement, et c'est pour ça qu'il faut absolument
voir les règlements, mais, si la demande d'assiduité existe, si on est capable
de calculer sur des programmes informatiques que tel patient va voir son
médecin de famille au moins les trois quarts
du temps ou je ne sais pas quoi, ça nous donne une idée de l'accès qu'il a à
son médecin. Parce que la difficulté, c'est
un peu comme quand on a donné des primes aux médecins qui prenaient beaucoup
de patients. C'était formidable combien
ils avaient de patients, mais, si on ne les voit pas, à quoi ça sert? Donc,
c'est délicat, je comprends votre question dans la mesure où c'est un
équilibre extrêmement délicat qu'il faut trouver pour arriver à ne pas, par les
systèmes de rémunération et de pondération, fausser encore plus le système.
Mais, ceci dit, nous répétons que le statu quo nous apparaît inacceptable.
Mme
Lamarre : Nous sommes d'accord
mais pas à n'importe quel changement. Merci. Je vais passer la parole à
mon collègue de Rosemont.
Le Président (M. Habel) : M. le
député de Rosemont.
M. Lisée : Merci. Merci,
bienvenue. Content de vous voir. C'est intéressant, ce que vous dites, parce
que vous avez eu un arbitrage à faire entre
les femmes médecins et les patients, les citoyens, et en particulier les
citoyennes, qui sont plus sollicitées que
d'autres notamment par la présence des aidants naturels, qui sont majoritairement des femmes. Et on voit aussi qu'une partie de la question de
l'accès — une
partie seulement, mais c'est une partie — vient du mode de vie, des choix de conciliation travail-famille et
loisirs-famille plus prévalents chez les femmes que les hommes, les
femmes médecins que les hommes médecins, et
que la proportion de femmes médecins dans l'ensemble des médecins
augmente parce que parmi les diplômés, bon,
comme le ministre le disait tout à l'heure, c'est 75 % qui sont des
femmes, et vous dites de façon très
logique : Bien, fut un temps où c'était 100 % des hommes, alors il
n'est pas question maintenant, disons avant un siècle ou deux, là, où on aura rétabli l'équilibre séculaire... Lui,
il dit deux siècles, le ministre suggère... bon, c'est une
annonce : Dans deux siècles 50 %, demain dans la presse.
Mais donc...
Je vais juste venir à la fin de cette logique. Et donc ce que vous dites,
c'est : Écoutez, ces médecins-là ne
sont pas des travailleurs autonomes, en fait ils sont en situation de monopole,
ils sont bien payés par l'État, il y a de la demande infinie. Et en
plus, moi, j'ajoute, ils sont formés au Québec de façon très subventionnée par
l'État social-démocrate, et donc ça leur
coûte moins cher que s'ils étaient formés à Toronto ou à New York. Et donc il y
a une obligation de rendre le
service. Et ce que vous dites, c'est que, bien, les primes, ça n'a pas vraiment
marché, et, parmi les solutions, il faut exiger qu'ils rendent le
service à la population, y compris dans les plages horaires de soir et de fin
de semaine.
Et donc je
vous pose la question : Mais est-ce que vous pensez qu'il faut, comme le
propose le ministre, pénaliser de façon monétaire ceux qui ne répondent
pas à cette demande qu'on leur fait?
Le Président (M. Habel) : En
30 secondes.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Bien, je vous dirais d'abord que, dans votre long exposé, je ne suis pas
forcément d'accord avec le fait que seules
les femmes refusent de travailler le soir ou la fin de semaine, chez les
médecins, on ne le sait pas
exactement. On sait qu'il y a des négociations dans les GMF et que finalement
il y en a beaucoup qui préfèrent ne pas travailler le soir et les fins de semaine, donc c'est plutôt, je vous
dirais, la norme. Donc, c'est pour ça que c'est une situation
complètement, comment dire... sans beaucoup d'équivalents, que des...
Le
Président (M. Habel) : Merci
beaucoup. Malheureusement, il manque de temps, je vais passer à la
deuxième opposition.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Je
n'ai pas fini, je suis désolée.
Le Président (M. Habel) : Mais, si
vous voulez compléter et que la deuxième opposition vous le permet, c'est
possible, là.
M. Paradis
(Lévis) : Merci, M. le Président. Bonjour. Bienvenue,
Mme Miville-Dechêne, Mme Jacob-Wagner, Mme Lefebvre. Oui,
oui, je vais me permettre de vous laisser du temps, parce que c'est
intéressant, puis j'ai comme l'impression et la même vision que vous un peu,
celle que vous amorciez, parce que, cette tendance-là, je pense que tous sexes confondus, maintenant, l'horaire que
l'on souhaitera être le meilleur pour soi ne se limite pas seulement à
la femme médecin ou à l'homme médecin.
Alors, continuez votre explication, et je vous poserai des questions par la
suite.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Bien, la question précise, votre question précise était : Est-ce que nous
pensons qu'il doit y avoir non seulement des
incitatifs, mais aussi une méthode plus coercitive? Bien, les incitatifs ont
été tentés pendant pas mal d'années, et nous ne sommes pas, encore une
fois, des experts pour savoir quelle est la meilleure méthode, mais c'est clair qu'on a vu que les médecins réagissaient quand
leurs revenus sont en cause, et donc
une des façons de faire changer les
comportements et les mentalités est effectivement, entre guillemets, de punir
les comportements qu'on ne veut pas.
Ceci dit, je suis consciente comme
vous l'êtes que ce sont des questions extrêmement difficiles et je pense
que franchement ces règlements vont être difficiles à écrire.
M. Paradis (Lévis) : Des règlements que vous auriez souhaité voir comme nous aurions aussi
souhaité les voir pour être capables de discuter plus longuement sur
leur application faisable ou pas.
À
travers ce que vous nous dites... Et vous avez dit tout à l'heure, en tout
début de rencontre : Les femmes nous ont téléphoné, les femmes nous
ont écrit, et c'est intéressant, votre approche, parce qu'elle est aussi près
des usagers. Vous ne parlez pas seulement
des professionnels de la santé, vous parlez de patients, de femmes qui
s'inquiètent. Plusieurs sont venus ici exprimer les risques de la mise
en application du projet de loi n° 20 pour ce qu'on en connaît, le
fait qu'éventuellement on pourrait peut-être...
et je ne dis pas que ça se fera, mais des gens ont exprimé la crainte qu'on
fasse des consultations plus écourtées pour
arriver à atteindre les quotas mentionnés, qu'on puisse revoir les patients
inscrits pour tenter de privilégier ceux qui sont plus en santé que ceux
qui sont, et vous nous en parlez, des cas plus lourds, que l'on puisse éventuellement répéter des rendez-vous
avec des médecins pour, encore une fois, arriver à ces chiffres et à
répondre à la demande sans avoir de pénalité.
J'aimerais savoir, à
travers tous ceux qui vous ont écrit, vous ont contactés, quelles sont les
craintes les plus importantes et les risques qui ont été identifiés de la voix
même de celles pour qui vous parlez.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Donc, du point de vue des femmes médecins,
elles nous ont dit... Elles, elles parlaient
essentiellement beaucoup de leurs conditions de travail en disant qu'elles
trouvaient injuste d'avoir une pénalité, par exemple, de 30 % si elles ne prennent pas soin d'un certain
nombre de patients. Ce sont essentiellement des femmes médecins qui nous ont appelés, parce qu'on n'a pas
eu de téléphone de malades. Comme je vous l'ai dit au début de cet exposé, les malades sont moins bien organisés,
s'expriment moins, n'achètent pas de pleine page dans les journaux, donc
c'est pour ça qu'on trouvait important, nous, ici, de venir parler des femmes
malades.
Pour
ce qui est des consultations écourtées et des risques du projet de
loi n° 20, évidemment, si le règlement est mal fait, oui, il y a des risques, mais je vous
dirais qu'il ne faut pas non plus croire que le statu quo, c'est formidable.
Parce que vous avez peut-être déjà
expérimenté ça, mais c'est assez régulier : quand on va dans un sans
rendez-vous et qu'on a plusieurs pathologies, on commence à parler, on
parle d'un premier problème, et, quand on arrive au deuxième ou au troisième, on dit : Non, vous repassez pour
ça, pour toutes sortes de raisons. Donc, il y a déjà des vices dans le
système.
Et, le fait d'avoir
ou non des rendez-vous écourtés, bien je pense qu'il faut se fier au
professionnalisme des médecins. Dans le
sans-rendez-vous, ce n'est pas particulièrement long, les rendez-vous, donc il
y a déjà dans le système tout ça. Il
y a des médecins qui voient plus longtemps leurs patients, il y a des médecins
qui les voient moins longtemps, et les
études ne montrent pas de rapport absolu de cause à effet entre une bonne
médecine et le nombre de minutes qu'on voit un patient.
Donc, on parle en
termes collectifs en disant : Ce qui est important aujourd'hui, c'est que
les malades aient accès à un médecin. C'est
ça, pour nous, la priorité, et c'est pour ça qu'on est obligés de mettre un peu
de côté d'autres enjeux qui sont fort intéressants mais qui, pour nous,
ne peuvent pas être prioritaires.
• (13 h 40) •
M. Paradis (Lévis) : Je comprends. Puis la
position n'est pas facile, celle que vous devez porter, je présume, parce
que
vous dites également : Les femmes médecins nous ont téléphoné, parlent
de conciliation de vie de femme, de leur choix d'horaire, de travail-famille, bon, etc., en même temps vous dites : Le statu quo n'est pas une option. Nous en
sommes, nous en sommes tous, ceux qui nous
regardent en sont également, parce
qu'on veut tous une meilleure
accessibilité. Ce qu'on remettra en cause probablement puis à travers
tous ceux qui nous parlent, c'est les moyens pour arriver à ça, bien sûr. Et ces mêmes femmes médecins qui s'adressent à
vous se sentent, à travers des règlements qu'on ne connaît pas, mais... en
tout cas voient les choses venir puis disent : On sera pénalisées. La
coercition en fonction de leurs pratiques, dans leurs têtes à elles,
n'est assurément pas une option, elles ne vont pas dire : Bon, tant mieux,
soyez punitifs, vous nous obligerez à mieux travailler.
Comment
réagissent-elles à ce spectre de coercition et de punition potentielle en
regard de leurs pratiques?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, dans les échanges que j'ai eus, c'était vraiment
plutôt au niveau de leurs droits qu'elles se jugeaient attaquées. Or, dans
les réponses que nous avons faites, nous avons parlé d'autres professions — je pense aux infirmières — où le
travail de nuit puis le travail de soir existent aussi. Les droits, soit, mais
les droits ne sont pas absolus. Et ce qu'on dit, nous, en ce moment, et on
s'entend : En ce moment, étant donné la situation, étant donné qu'il
y a tant de femmes et d'hommes
malades qui n'ont pas de médecin de famille qu'ils puissent voir dans un
délai raisonnable, nous ne pouvons pas, en ce moment, nous mettre, comment dire... faire pression pour un groupe particulier de femmes qui se
sent lésé. Nous comprenons ce qu'elles disent, nous jugeons effectivement que
le projet de loi va les pénaliser davantage
que les hommes, mais nous disons que, nous, comme Conseil du statut de la
femme, il faut qu'on puisse défendre les femmes plus vulnérables, plus
malades et plus en difficulté que les femmes médecins.
M. Paradis
(Lévis) : Et ces femmes plus vulnérables, plus en difficulté dont vous
me parlez ne se sont pas véritablement manifestées au conseil, c'est...
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : C'est ce qu'on appelle la majorité
silencieuse.
M. Paradis (Lévis) : Exactement. Mais c'est dramatique en soi, parce que ces femmes-là dont
vous me parlez qui sont des patientes, des... Vous m'avez parlé de
proches aidantes également, et elles sont légion, et on le sait. Et, si on ne les avait pas,
je vous dirai, Mme Miville-Dechêne, et vous le savez, je veux dire, on
aurait un immense problème. Alors, ces femmes-là qui elles-mêmes
s'épuisent souvent à aider le jeune, le mari, le conjoint, le...
Le Président (M.
Tanguay) : Merci beaucoup, merci beaucoup.
M. Paradis
(Lévis) : Bref, on en reparlera.
Le Président (M.
Tanguay) : Merci. Nous cédons maintenant la parole à notre collègue
député de Mercier pour trois minutes.
M. Khadir :
Merci, M. le Président. Merci, mesdames, d'être là.
Alors,
Mme Miville-Dechêne, est-ce que le Conseil du statut de la femme a été
consulté par le ministère avant l'introduction de ce projet de loi?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Pas du tout.
M. Khadir :
Pour un projet de loi qui a des conséquences aussi importantes à la fois sur
les femmes qui travaillent comme médecins
mais à la fois sur le réseau de santé où les femmes du Québec ont autant de
difficultés à avoir accès à des
médecins, est-ce que vous pensez que ça aurait été souhaitable que le Conseil
du statut de la femme soit consulté?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : On m'a déjà posé aussi la question pour les
garderies. Il n'est pas dans la tradition des gouvernements de consulter en amont le Conseil du statut de la
femme, dans la mesure où nous, on doit garder un esprit critique sur le résultat final, ce qui ne veut pas dire que les
gouvernements peuvent se passer de faire de l'analyse différenciée selon
les sexes.
M. Khadir :
Est-ce que vous pensez qu'il en a été fait dans ce projet de loi?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Je ne pense pas.
M. Khadir :
Vous ne pensez pas. Très bien.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Est-ce qu'il y en a eu, de l'ADS, dans ce
projet de loi, l'analyse différenciée selon les sexes?
M. Khadir :
Le ministre pourra répondre lorsque ce sera son temps.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : O.K., pardon. Non, non, mais je ne pense
pas.
M. Khadir :
Oui, je ne pense pas. Nous, on est quand même... vous savez qu'on est un parti
féministe, puis c'est une des premières
loupes qu'on met sur n'importe quoi ne serait-ce que pour critiquer les
ministres libéraux, puis ici il n'y en a pas.
Je
voudrais aussi vous dire que tous les groupes... Je ne parle pas des
fédérations de spécialistes ou de fédérations d'omnipraticiens, qui sont des syndicats corporatistes dont l'angle...
puis le ministre actuel le connaît très bien, il l'a présidé, l'angle de
leur vision est uniquement le profil de pratique qui correspond le mieux en
matière de rémunération et de conditions de
travail, qui profite le mieux aux médecins, et je l'ai toujours dénoncé.
J'étais à votre place en mars 2006, l'actuel premier ministre était
ministre de la Santé, il était assis à la place du ministre, et nous faisions,
dans notre mémoire sur le financement de la santé, exactement les mêmes
recommandations que vous pour arriver à améliorer l'accessibilité, dont le
partage de garde, donc le travail multidisciplinaire.
Est-ce
que vous pensez que dans le projet de loi actuel il y a de la place pour ça?
Est-ce que les quotas sont imposés en groupe ou individuellement, selon
vous?
Mme Miville-Dechêne
(Julie) : Oh là là!
M. Khadir :
C'est individuel. Donc, le partage de
garde n'est pas induit, il n'y a rien dans ce projet de loi pour ça. Est-ce que vous êtes conscients de ça?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, je
crois que mon expertise s'arrête là, c'est-à-dire que de décider s'il
faudrait que ça soit en équipe versus individuellement...
M. Khadir :
O.K., non, mais...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : C'est sûr
que, si c'était en équipe, il y a un peu de pression dans l'équipe,
j'imagine, entre les différents médecins pour essayer d'avoir une émulation et
de rendre le service...
M. Khadir : Voilà, pour...
Exact.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
...mais je dois vous dire que, quand on a fait notre avis, en 2013, on n'a pas
abordé cette question.
M. Khadir : ...visites à domicile, êtes-vous
conscients qu'il n'y a rien dans le projet de loi pour le promouvoir,
médecine à...
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Bien, j'imagine que, dans la pondération... Moi, je m'attendais à ce que ça
soit dans la pondération.
M. Khadir : Oui, mais il n'y
a rien. Révision de la rémunération, ça, c'était une de mes propositions maîtresses en 2006, révision de la rémunération
pour agir sur le profil de pratique de médecin de manière à correspondre
aux besoins de la population et non des médecins. Il n'y a rien dans le projet
de loi pour ça. Est-ce que vous êtes conscients de ça?
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup, merci beaucoup. Alors, ceci
met fin à l'échange. Alors, merci beaucoup, M. le député de Mercier.
Une voix : ...
Le
Président (M. Tanguay) : M. le député de Mercier, quand je dis que
votre temps est épuisé, j'aimerais que vous respectiez la présidence, et
elle vous le retournera au centuple. Merci beaucoup.
Alors, nous remercions les représentantes du
Conseil du statut de la femme pour votre présentation.
Et, compte tenu de l'heure, je suspends les
travaux jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 13 h 46)
(Reprise à 15 h 6)
Le
Président (M. Tanguay) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Je demande à toutes
les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de
leurs téléphones cellulaires.
Nous allons
poursuivre les consultations
particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 20, Loi
édictant la Loi favorisant l'accès aux
services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant
diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée.
Nous avons maintenant le privilège de recevoir
les représentants du Conseil pour la protection des malades. Bienvenue à votre Assemblée nationale. Vous
disposez d'une période de 10 minutes de présentation, par la suite
vous aurez un échange avec les parlementaires. Pour les fins d'enregistrement,
je vous prierais de bien vouloir vous nommer et peut-être préciser vos
fonctions au sein de l'organisme. Alors, la parole est à vous.
Conseil pour la
protection des malades (CPM)
M. Brunet (Paul G.) : Bonjour, M. le
Président, M. le ministre. Merci de nous accueillir, messieurs dames les membres de l'Assemblée nationale. Paul Brunet,
je suis le président et porte-parole du Conseil pour la protection des malades. Je suis accompagné de Mme Marielle
Raymond, qui est membre du comité des usagers et membre du conseil
d'administration du CSSS de Rivière-du-Loup.
Comme vous le savez, le Conseil pour la
protection des malades a en son sein plus de 200 comités d'usagers et de résidents affiliés à travers les
établissements de soins de santé du Québec. Rappelons-nous que c'est Claude
Brunet, au début des années 80, qui fit
incorporer à la loi sur la santé le concept des comités de bénéficiaires, dont,
je pense, nous profitons tous
aujourd'hui, particulièrement les patients et les proches de ceux-ci. En effet,
le Conseil pour la protection des malades
fête ses 40 ans d'existence, ce n'est pas peu dire pour un organisme à but
non lucratif. Et nous tenons encore une fois à remercier la commission
de nous avoir invités pour faire nos commentaires sur le projet de
loi n° 20 que vous avez identifié tantôt.
Très rapidement, parce que le temps est compté
et surtout beaucoup de gens ont dit beaucoup de choses sur le projet de loi,
quand je vais parler des médecins, je vais particulièrement parler de leurs
fédérations, de leurs grands syndicats, et
les commentaires iront dans ce sens-là. J'ai compris que, le but de la loi,
beaucoup plus de gens y étaient favorables
que les moyens qui semblaient y être pris, et, pour ne pas être qualifiés de
commentateurs, nous ne commenterons pas la mécanique qui est proposée
dans le projet de loi, mais nous croyons respectueusement, après toutes ces
années d'«advocacy» au nom des malades
québécois, que nous pouvons porter le cri du coeur des patients, des citoyens
québécois et surtout dire ce que les
citoyens nous disent quand ils nous appellent, parce qu'au Conseil pour la
protection des malades nous recevons
les appels des gens, les gens nous appellent, se plaignent parfois du régime
même de plainte qui existe dans le réseau
de la santé et parfois en regard des services qu'ils reçoivent ou ne reçoivent
pas de la part du réseau de la santé.
Convenons tout de suite que nous sommes
conscients que les médecins ne sont pas les seuls problèmes du réseau de la santé. Nous croyons en effet qu'une
réforme en profondeur du réseau de la santé... pas nécessairement par le
moyen qui est proposé par le projet de
loi n° 10, mais à tout le moins qu'une réforme en profondeur est due,
est nécessaire pour
que nous améliorions l'efficacité, l'efficience et surtout qu'enfin les
citoyens québécois aient accès à un médecin quand ils en ont besoin. J'entendais un des avocats du CPM ce matin, il
disait : Les gens, le peu de gens, les 30 %... les
70 % des Québécois qui ont un médecin de famille le voient quand ils sont
bien, mais, quand ça ne va pas bien, ils n'ont pas le temps de le voir, ils ne peuvent pas le voir, il n'est pas accessible.
Alors, on n'est pas bien, bien plus avancé quand on a besoin de voir son
médecin.
Nous ne
commenterons pas non plus les dispositions reliées à la procréation assistée.
Nous ne croyons pas que cela était, pour nous, une question que nous
devions traiter ici aujourd'hui.
Pour le
texte, j'attire votre attention sur les articles 3, 4, 9
et 12, où nous proposons, en regard du concept ou de la notion de
suivi médical ou de prise en charge, que peut-être le ministre et les gens qui
l'entourent pourraient mieux documenter... à
moins que ces notions-là soient déjà comprises dans le milieu, nous ne sommes
pas dans le milieu médical, mais j'ai
fait un peu de recherche et je n'ai pas trouvé d'appui documenté sur ce que
voulait dire réellement le suivi médical, la prise en charge d'un patient. Assurons-nous que ces choses-là sont claires pour qu'entre autres
certains abus dont on a pu entendre parler dans le passé ne fassent pas
la manchette dans les journaux.
Je voulais
aussi dire qu'à l'article 22 du chapitre III le terme «reddition de comptes» est un peu gonflé, à
notre avis. Nous prétendons qu'il n'est pas question, à cet article-là, d'une reddition
de comptes mais plutôt d'une obligation de transmettre
des informations. Le concept de reddition de comptes a été galvaudé
à peu près à tous les endroits où j'ai pu le voir
dans la législation, c'est un concept très important en matière d'imputabilité,
et nous croyons que ce titre-là, pour l'article 22, est inapproprié pour
ce qui est demandé aux gens et aux établissements à qui l'obligation s'adresse.
À ce
stade-ci, je vais céder la parole à ma collègue, Mme Raymond, membre de
notre conseil d'administration, pour vous dire quelques mots sur sa
propre expérience et en regard du projet de loi.
• (15 h 10) •
Mme Raymond (Marielle) : M. le
Président, M. le ministre, je suis une femme de terrain, je suis une femme qui est bénévole depuis de nombreuses années au
niveau de la santé, dans les CHSLD aussi, en plus d'être à la retraite.
La retraite, c'était un grand mot il y a 17 ans, mais depuis ce temps-là
que je travaille à plein temps.
Je vais vous dire une chose. Moi, j'ai remarqué
puis je pense que peut-être que vous allez être capables de comprendre ce que je vous dis... Quand on va dans
les CHSLD, eh bien, on a des médecins qui viennent voir les patients,
mais très souvent les médecins ne viennent pas voir les patients, ils vont voir
l'infirmière au poste de garde, puis là on
prescrit les pilules pour M. Michaud puis parce qu'il fait de l'anxiété,
madame, elle a peut-être une petite crème à avoir, et on ne voit pas
vraiment qu'est-ce qui se passe. Et ce qui arrive, on a des patients qu'on les
échappe, à un moment donné, hein, les patients qui sont là, les usagers qui
sont là, ils sont tellement... usagers qu'on ne les a pas vus par le médecin
lui-même et on a fait du ouï-dire. Bien, je pense qu'être médecin par ouï-dire,
c'est un petit peu difficile.
Aussi, je
voudrais porter à votre attention que moi, je pense que le calcul des
médecins... Parce qu'étant à un conseil d'administration, on était, les CSSS, comme le CISSS probablement sera
imputé dans ça de faire le calcul des médecins qui sont allégués par
région ou par CSSS... il est fait non du un pour un... J'entends ici que
quelquefois on a droit à 45 médecins,
et par contre on a cinq médecins qui pratiquent à temps partiel et on les
compte pour un, donc on aurait besoin quelquefois
de peut-être 48 médecins pour faire vraiment le temps de 45 médecins
à temps plein, et c'est là qu'on vient que des personnes n'ont pas de médecin, de médecin de famille, parce qu'on
manque de médecins. Les médecins sont en congé maladie ou encore sont en congé maternité, je n'ai rien contre, mais,
pendant qu'ils ne sont pas là, effectivement, ils sont là,
comptabilisés, mais non effectivement. Je pense que vous me comprenez. Et ça,
je pense qu'il y aura peut-être une petite chose à voir dans ça puis comment le
faire.
Et j'ai une chose, une petite remarque. C'est
que moi, je suis une personne qui est tenante des techniques béhaviorales. Les
techniques béhaviorales, c'est la récompense et non la punition. Donc, je pense
que vous pourriez peut-être trouver des moyens de faire des récompenses pour
ceux qui vont performer et non des punitions pour ceux qui ne performeront pas.
Je vous remercie.
M. Brunet
(Paul G.) : Merci,
Mme Raymond. Je continue les commentaires du mémoire. Évidemment,
encore une fois, je ne répéterai pas ce qui
a déjà dit, mais je remarque, hein, que, dans les années 80, M. Legault,
alors ministre de la Santé, avait
fait un sondage; plus de 80 % des gens qui avaient reçu des soins étaient
contents des soins qu'ils avaient reçus. Cela a baissé beaucoup, les
derniers chiffres parlent plutôt d'autour de 60 % de satisfaction des
patients en courte durée. On s'entend, et
là-dessus je rejoins le ministre, à l'effet que le statu quo est inacceptable.
Cela ne peut pas continuer, on est en
train de perdre notre régime public si on ne le rend pas plus efficient, plus
humain et plus conséquent avec l'argent qu'on y met et tout ce que l'on
dit qu'on veut y faire.
J'ai
été réconforté par un propos de Stephen Jarislowsky, qui est un milliardaire,
un homme d'affaires, qui dans une entrevue dans la revue Actualité,
en 2007, disait qu'il ne comprenait pas que les médecins et tous ceux qui
étaient impliqués, y compris le gouvernement, ne cherchent pas à s'asseoir
comme amis, à chercher et trouver ensemble des solutions de façon altruiste et
désintéressée. Je n'ai pas entendu, sauf respect pour elles, les grandes fédérations
de médecins parler avec altruisme et de
façon désintéressée des problèmes du réseau de la santé, des problèmes d'accès
et surtout des solutions. Et, sans vouloir
être complaisant, le seul que j'ai entendu parler, ces dernières années, et je pense qu'il était de bonne foi et je continue de croire qu'il l'est... le
Dr Barrette a dit quelques fois, parce
qu'il m'est arrivé de prendre ses citations parce que nous avons eu
quelques échanges : Il faut qu'on travaille même comme médecins, même comme grands syndicats de médecins à trouver les
meilleures solutions possibles pour que les patients québécois reçoivent
les meilleurs soins. On n'a pas le droit, on
n'a plus le droit de faire autre chose. Et j'ai hâte que ces grandes
fédérations-là, un peu comme les pharmaciens
l'ont fait, les infirmières l'ont fait, les grands syndicats de professionnels
et d'employés... tendre la main au gouvernement, s'asseoir pour trouver
des solutions. Rappelons-nous, en 2007 la CSN s'était assise avec
la Direction générale des relations de travail au ministère de la Santé pour
trouver des solutions pour former les préposés
aux bénéficiaires. Ça serait intéressant d'entendre ces propos-là.
Malheureusement, on a entendu plus souvent qu'autrement les grandes
fédérations se plaindre qu'ils n'étaient pas assez bien payés que de
véritablement trouver et vouloir trouver ensemble des solutions.
L'Institut
Fraser, vous le savez, en 2011 rapportait que la plupart des difficultés
qu'éprouve le système de santé ont généralement pour cause le processus
de prestation, qui est axé sur les professionnels plutôt que sur les patients; l'étude des HEC que tout le monde connaît
maintenant, qui indique que 30 % seulement des Québécois ont un
médecin de famille, alors que la moyenne, en
Ontario, c'est 9 % et ailleurs au Canada c'est 15 %. Pourquoi alors,
depuis une dizaine d'années,
ministres qui se sont succédé, ministères, fédérations de médecins, tous ces
gens fort instruits, fort connaissant du réseau de la santé, hein — ce ne sont pas des commentateurs, ces
gens-là, ce sont des gens qui connaissent leur affaire et généralement, convenons-en, bien rémunérés — n'ont-ils toujours pas solutionné le
principal problème du réseau de la santé,
celui que les patients nous disent qui est le plus important pour eux, pour
leurs enfants, pour leurs parents, celui de l'accès à un médecin?
Ce que je ne
comprends pas toujours, peut-être m'éclairera-t-on sur le sujet : Pourquoi
le gouvernement du Québec, lorsqu'il négocia le rattrapage de la rémunération
des médecins à celle des médecins des autres provinces, n'en a-t-il pas profité dès ce moment pour exiger qu'un rattrapage au
niveau des prises en charge et des suivis médicaux se fasse aussi à la hauteur de ce qui se fait dans
les autres provinces et qu'on a dû attendre à aujourd'hui le projet de
loi n° 20 pour proposer que les choses s'améliorent?
Le Président (M.
Tanguay) : Me Brunet, je vous inviterais à conclure rapidement.
Vous avez déjà excédé le temps, et on est sur le temps de l'échange que vous
aurez avec le ministre.
M. Brunet (Paul G.) : D'accord. En un mot, la balle est dans le camp des fédérations de
médecins et certainement du
gouvernement pour qu'ensemble ces gens très importants qui sont responsables
des dépenses du réseau de la santé trouvent une solution avant que le
projet de loi n° 20 soit adopté. Merci.
Le Président (M.
Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, de 10 minutes la présentation
aura été de 12 minutes, c'est parfait.
À la demande du ministre, donc, nous allons réduire son temps de deux minutes.
Donc, vous aurez un échange maintenant, et je lui cède la parole pour
19 min 30 s, avec le ministre de la Santé et des Services
sociaux. Alors, la parole est à vous.
• (15 h 20) •
M.
Barrette : Merci, M. le Président. Alors, bonjour, madame. Bonjour,
monsieur. Merci d'avoir pris le temps de préparer ce mémoire-là et de venir nous le présenter aujourd'hui, parce
que c'est extrêmement important. Je citerai votre homologue du RQCU, qui était très heureux de voir
qu'on commençait avec les usagers. Et je peux vous dire que, si vous nous l'aviez demandé, on vous aurait mis à la
queue leu leu, parce que je pense que, dans ce dossier-là, on parle
beaucoup de chiffres, on parle beaucoup de mesures, mais il faut se rappeler
toujours que, si on propose le projet de loi n° 20, c'est pour les
patients.
Et
je vous rejoins terriblement dans ce que... intensément, je dirais plutôt,
hein, dans ce que vous dites, puis je vais me citer moi-même, pour ce qui est de la citation à laquelle vous
faisiez référence. J'ai toujours dit et je le dis encore ici, dans ma nouvelle position, qu'un coup que la
question de l'argent est réglée il faut s'occuper d'organisation des
soins, parce que, comme vous l'avez dit avec
justesse, on a implicitement... même si ce n'est pas écrit nulle part dans des
contrats, là, les médecins ont implicitement
la responsabilité de donner des soins aux patients. La société dépense des sous
en quantités substantielles. Les
anglophones ont, je trouve, un meilleur terme pour parler des revenus, ils
parlent de «compensation», une compensation.
Les médecins sont bien payés parce qu'on leur accorde une valeur et on compense la lourdeur, le temps, la
responsabilité par une rémunération, mais la rue, comme ils disent, doit aller dans
les deux sens, avec la compensation doit venir le service, et à un
moment donné on doit faire des analyses.
On
entend souvent critiquer les chiffres. Ce matin, j'entendais ma collègue
parler des chiffres, et c'était amusant de constater qu'elle ne se rappelait pas que les chiffres que je cite et
qui ont été présentés à l'opposition dans des séances de breffage
étaient les chiffres demandés et préparés par le gouvernement précédent lorsqu'il
était au pouvoir, et ce sont des chiffres de l'opposition que j'utilise, que
j'ai mis à niveau.
Et puis je vais
répondre à une question tout de suite, parce qu'elle va peut-être être
soulevée. Les chiffres en question, on,
effectivement, ne prenait pas en considération les congés parentaux. Et, si on
les prend, la passe, là, l'analyse a été
refaite, et ça augmente le 117 jours d'un chiffre astronomique de
2,4 jours. C'est normal parce que, sur 8 000 médecins, là, il y en a quelques-unes, là, qui sont en congé
de maternité ou quelques-uns qui sont en congé parental, là, il n'y en a
pas 2 000, là, il y en a quelques-uns, alors ça a un effet, là, mais qui
est marginal. Le 117, il passe à 119,4 jours.
Une voix :
...
M. Barrette :
Hein?
M. Lisée :
On avance.
M. Barrette :
Bien, on avance... Je veux dire, il fallait poser la question. Si vous l'aviez
posée...
Le Président (M. Tanguay) : ...à nos
invités, s'il vous plaît.
M. Barrette : Alors
donc... Et là j'en viens... pas «j'en viens», mais je m'adresse à votre
présentation pour avoir quelques
précisions. Vous, du côté des usagers, vous nous avez dit que 80 % des
gens et même maintenant 60 % étaient vus quand ils étaient bien. Est-ce que ça, c'est une méta-analyse de la
littérature ou c'est quelque chose que vous avez sondé puis qui est le
Québec, là?
M. Brunet (Paul
G.) : En fait, là, c'est plus de 80 %. Je réfère à deux sondages,
un en 2003...
M. Barrette :
De sondages que vous avez faits, vous, là?
M. Brunet (Paul
G.) : Non. Non, celui-ci, c'est M. Legault quand il était
ministre de la Santé, en 2003.
M. Barrette :
O.K., d'accord.
M. Brunet (Paul G.) : En 2003, il avait sondé les patients qui sortaient de l'hôpital, et
c'était près de 90 %. On avait certaines réserves, mais ça donnait
une tendance, puis effectivement, jusqu'à il n'y a pas si longtemps, les gens
pouvaient nous confirmer qu'une fois qu'ils avaient été admis puis avaient reçu
des soins ils en étaient satisfaits.
Le dernier sondage
CROP sur le même sujet nous montre que les gens sont beaucoup moins satisfaits,
même comme patient qui a reçu des soins,
qu'autrefois. Alors, pour nous, ça nous envoie un message à l'effet qu'il faut
faire quelque chose avec le réseau de la
santé, parce que, là, même quand on reçoit des soins, jusqu'à un certain point,
il y a des choses qui ne tournent pas nécessairement rond, et on est
moins satisfait qu'autrefois.
Et
ça, c'est un sondage que nous avons recensé, mais celui que nous, on a fait
auprès de nos patients, parce qu'on fait des «focus groups», on fait des
sondages, c'est une priorité pour la majorité des patients québécois de trouver
un médecin quand ils en ont besoin. Alors,
c'est, pour nous, le fer de lance de toutes nos revendications. Et celle-ci
tombe à point nommé avec le projet de
loi n° 20, parce que, si on ne trouve pas une façon d'améliorer
l'accès aux soins, les gens vont
continuer à être de moins en moins satisfaits du réseau public. Et moi, j'y
crois, au réseau public, comme vous. Avec l'argent qu'on dépense,
j'espère qu'on va l'améliorer.
M. Barrette :
Oui, je suis d'accord avec vous. Mais donc je peux comprendre que, de façon
répétitive, votre clientèle, vos membres,
les gens que vous sondez qui sont chez vous, qui sont du public, hein, ils
n'ont pas d'intérêt autre que
de recevoir des soins de façon appropriée, c'est une grande préoccupation,
l'accès, là?
M. Brunet (Paul
G.) : Oui. Absolument, M. le ministre. C'est près de 50 % des
gens qu'on a sondés dans quatre «focus groups» à travers le Québec et dans un
sondage Internet de plus de 1 000 personnes qui nous disent ces
jours-ci, ces mois-ci : C'est une priorité pour nous, trouver un médecin quand
on en a besoin.
M. Barrette :
Et là je me tourne vers vous, Mme Raymond. Vous m'avez beaucoup étonné parce
que vous, vous êtes sur le...
Mme Raymond
(Marielle) : Moi, le comité des usagers, et je suis au conseil
d'administration du CSSS à Rivière-du-Loup.
M. Barrette :
Du CSSS en plus.
Mme Raymond
(Marielle) : Oui.
M. Barrette :
Mais, quand vous nous parlez aujourd'hui, là, comme... Vous m'avez beaucoup
étonné, je vais vous dire pourquoi, parce
que tantôt vous avez pris un exemple de temps partiel. Est-ce que je
dois comprendre que vous, en dehors de votre rôle de membre ou présidente du
conseil d'administration du CSSS, vous voyez à ce point-là le temps partiel?
Mme Raymond
(Marielle) : Bien, c'est parce que, quand je...
M. Barrette :
Non, non, mais c'est étonnant, là.
Mme Raymond (Marielle) : Oui. C'est que, quand je suis au conseil
d'administration, on accorde des privilèges aux médecins, hein, vous savez. Dans les CSSS, bon, bien, dans les CSSS
qui existaient, on accordait des privilèges aux médecins. Et, à un moment donné, on avait, mettons, 43 médecins
omnipraticiens qu'on avait droit chez nous, mais par contre, si on regardait, il y avait des médecins
qui étaient à temps partiel, et on les comptabilisait dans les 43. Donc,
ce n'étaient pas 43 temps-pleins,
c'étaient 43 mais à temps partiel, quelques-uns, là. Si vous en avez cinq à
temps partiel, vous n'êtes plus rendu à 43 dans la pratique. Et ces
gens-là ne peuvent pas prendre de patients, donc on a au-dessus de
2 000 usagers chez nous qui n'ont pas de médecin, et ils ne peuvent
pas... C'est comptabilisé, mais ils ne sont pas effectivement sur le terrain.
M. Barrette : C'est intéressant
parce que vous êtes la première, je vais dire, de l'administration qui nous dit
ça avec autant de franchise. Et, pour les
gens qui nous écoutent, les gens ne réalisent pas... Parce que les gens
pourraient dire, ceux qui ne sont pas habitués, que le
CSSS, c'est l'hôpital, mais un CSSS, ce n'est pas juste l'hôpital, ça inclut
l'extérieur.
Mme Raymond (Marielle) : Non, c'est
ça.
M.
Barrette : Et donc, quand vous dites : Ils sont à temps partiel,
on ne peut pas invoquer que, oui, on est à temps partiel à l'hôpital, mais on est à temps partiel aussi, puis ça fait un
temps plein, à l'extérieur, là, c'est vraiment la région.
Mme
Raymond (Marielle) : Oui,
mais c'est le problème de ne pas avoir effectivement les 45 médecins,
disons, qu'on aurait droit.
M. Barrette : Vous avez raison.
Mme
Raymond (Marielle) : Puis
là, bien, il y a des trous, là, les gens n'ont pas de médecin de famille parce
qu'on n'a pas vraiment ce à quoi l'agence
régionale nous accordait, parce que c'est l'agence régionale qui disait :
Bien, dans votre CSSS chez vous, vous avez 45 médecins.
M.
Barrette : Oui. Bon, là, ça va être un CISSS, là, mais je comprends
bien ce que vous dites. Mais, à votre avis... Est-ce qu'il y a des raisons que vous voyez, là? Parce que, si c'est
aussi visible que ça, est-ce que les raisons du temps partiel le sont
aussi?
Mme Raymond (Marielle) : Je ne sais
pas pourquoi c'était comme ça. Vraiment, là, on posait des questions
quelquefois à des agences qu'on avait chez nous, et les réponses étaient
nébuleuses.
M. Barrette : Nébuleuses. Bon, O.K.
Mme Raymond (Marielle) : Bon. Donc,
vous savez, c'est difficile, à un moment donné, d'avoir toujours la bonne
réponse.
M.
Barrette : Ah oui! Oui, ça, c'est vrai. Puis des fois on avance des
choses puis on se faire dire que ce n'est pas vrai, mais, quand on
creuse, c'est vrai. Mais ça, c'est la vie.
Mme
Raymond (Marielle) : Il y a
une petite chose que je voulais vous faire remarquer aussi. Quand on dit
que les gens sont moins satisfaits peut-être
des soins qu'on donne, je vais vous donner un exemple. Quand on a des
personnes qui sont en résidence, peu importe
la résidence, ça peut être la Résidence du Havre à L'Isle-Verte, vous en avez
assez entendu parler probablement,
là, puis moi aussi, parce que je connaissais la moitié des gens qui étaient là,
donc vous savez que ça me tenait à coeur, ces gens-là, là...
M. Barrette : C'était dramatique.
Mme Raymond (Marielle) : Ils avaient
des gens qu'on envoie à l'hôpital, on les soigne. Je n'ai rien à ce qu'on garde des gens inutilement dans un centre
hospitalier, parce que ça se détériore quelquefois, leur situation, là,
mais, quand on les renvoie trop vite dans
une résidence où il n'y a pas d'infirmière ou des choses chose comme ça, on
fait une chirurgie puis on renvoie ça, qu'est-ce qui arrive souvent,
trois, quatre jours après on est obligé de reprendre cette personne-là qui a été hospitalisée, qui s'est
détériorée parce qu'on n'avait pas les soins appropriés dans les
résidences.
Donc, les
personnes âgées, vous savez, ça ne prend pas de temps que ça descend, et moi,
je me dis : Il faudrait peut-être
avoir une attention particulière pour nos personnes âgées qui sont dans les
résidences et ne pas les envoyer dans ces résidences-là. Si on a un personnel infirmier, il n'y a pas de problème,
parce qu'on va s'occuper d'eux, mais, quand on n'a pas de personnel pour s'occuper d'eux, souvent ils
reviennent dans le centre hospitalier trois, quatre jours après puis en
plus mauvais état que quand ils sont partis.
M.
Barrette : Je comprends. Et vous, M. Brunet, est-ce que la situation
que décrit Mme Raymond, c'est quelque chose que vous voyez qu'on peut
extrapoler à la grandeur du réseau de façon raisonnable?
M. Brunet (Paul G.) : Vous parlez de
la situation, M. le ministre, dans les CHSLD, des gens qu'on retourne trop vite
en...
M. Barrette : Non, dans le CSSS. La
problématique du temps partiel.
M. Brunet
(Paul G.) : Je n'ai pas
cette vision très proche comme Mme Raymond et les autres membres de
notre conseil d'administration ont, parce qu'ils siègent, eux autres, aussi sur
des CSSS. Alors, moi, je ne siège pas à des CSSS, en tant que tel, je n'ai pas
cette finesse de l'information.
D'ailleurs,
on s'est bien gardés aujourd'hui de commenter la mécanique que vous proposez
parce que, comme vous l'avez déjà dit, nous ne sommes que des
commentateurs.
M.
Barrette : J'ai dit ça, moi?
M. Brunet (Paul
G.) : Oui, vous m'avez dit ça une fois.
M. Barrette :
Bien là, vous êtes des observateurs, j'ai choisi un mauvais mot.
M. Brunet (Paul
G.) : Très bien. Bien, merci. On remonte, on remonte tranquillement.
• (15 h 30) •
M.
Barrette : Vous avez fait référence... Mais là je sais que vous ne
voulez pas commenter la mécanique, mais je n'ai pas le choix de vous
poser la question quand même parce que ça va nous orienter peut-être dans
l'ajustement de certains critères, là. Quand
vous avez fait référence à 3, 4, 9 et 12, vous avez parlé d'abus potentiels.
Pouvez-vous élaborer là-dessus? Parce
que ça m'intrigue beaucoup, là, ce que vous... parce que des fois... Vous savez
que moi, je suis à la chasse à ça en général, mais on ne voit pas tout, dans
la vie, là.
M. Brunet (Paul
G.) : Non. Bien, en fait, ce qu'on essayait de dire — puis
vous le savez, je suis juriste de formation — c'est que, pour nous, cette
notion-là, dans le texte de loi, ne semble pas appuyée sur une définition dans le projet
de loi lui-même. Je n'ai pas trouvé
non plus de définition dans la loi sur la santé. J'en ai vu un peu sur
Internet peut-être, quelques références au Code de déontologie des médecins,
mais, pour éviter... Parce
qu'apparemment qu'il y a des gens qui
en auraient abusé, de ces concepts de prise en charge là et d'une certaine
bonification de la rémunération dans le passé, qui n'était pas trop... assez récent, et on veut éviter que des
gens demandent une bonification de la rémunération au motif qu'ils
auraient pris en charge un certain nombre de patients alors qu'ils ne les
auraient pas vus ou qu'ils ne les verraient pas. C'est ça dont on veut se
prémunir.
M.
Barrette : Vous avez raison. Et la raison pour laquelle ce n'est pas
dans le projet de loi, c'est que je n'ai pas besoin du projet de loi pour m'adresser à ça, parce que ce à quoi
vous faites référence, c'est tout ce qui rentre dans la catégorie des primes à la prise en charge, peu importe le terme
qu'on utilise. Et je suis d'accord avec vous, il n'y a pas de lien de causalité entre l'inscription et la
visite. Et ça, on s'entend tout à fait là-dessus, et je n'ai aucune
hésitation à le répéter, là, je le dis publiquement, les jours sont comptés de
ce genre de mesure là.
Je sais que vous me
dites que vous ne voulez pas vous adresser à la mécanique. Je vais faire des
pressions sur vous quand même, là. Compte tenu de la problématique de base que
l'on connaît dans le réseau, est-ce que vous avez quand même... Je sais que
vous ne voulez pas en faire, mais est-ce que vous pensez qu'on est dans le
champ gauche? Est-ce qu'on est au moins dans le stade?
M. Brunet (Paul G.) : Écoutez, nous l'avons écrit, nous avons fait une revue documentaire, on
a essayé de trouver tout ce qui avait été dit ou écrit sur le sujet,
directement ou indirectement, et ce dont on est certains, c'est qu'il y a un problème d'accès depuis au moins 15 ans, je
pense qu'on a appuyé notre propos sur suffisamment de documentation. Et,
encore une fois, puisque nous n'avons pas entendu... Peut-être êtes-vous mieux
placé que moi pour nous le dire, nous n'avons
pas entendu et vu ou lu sur des efforts des grandes fédérations de médecins
pour véritablement s'asseoir avec les différents
ministres qui se sont succédé depuis 15 ans pour trouver une solution à
l'accès. Vous-même, vous nous avez dit, à un moment donné, quand vous
étiez à la fédération, que vous avez fait des tests en oncologie ou en
radiologie, vous avez dit : Ça peut
marcher, ça peut être plus efficace, et je n'ai pas compris pourquoi on ne
l'étendrait pas, ce secret-là ou cette
solution-là, à tout le monde, à toutes les spécialités, et je ne comprends pas
que les autres présidents d'association de médecins spécialistes ne vous
aient pas suivi ou qu'on ne suggère... à qui on ne suggérerait pas d'aller dans
le sens des solutions que vous-même aviez
dit que vous aviez trouvées. Pourquoi on n'a rien fait depuis 15 ans, puis
là c'est le scandale sur cette
mécanique ou cette façon de faire? On peut avoir des réserves sur la façon que
vous proposez, mais vous l'avez dit,
vous aussi, est-ce qu'il y en a d'autres qu'on a proposées sérieusement au
réseau de la santé pour en venir à bout? Moi, je n'en ai pas vu beaucoup d'autres, là. On a mis beaucoup
d'argent, vous l'avez dit, puis je ne veux pas vous répéter.
Il
y a une affaire aussi importante que vous avez dite, et moi, je commente le
réseau de la santé depuis madame...
M. Barrette :
Lavoie-Roux.
M. Brunet (Paul
G.) : Non, non, ça, c'est mon frère qui était là. Mme Marois,
excusez-moi.
M. Barrette :
O.K. On n'était pas loin.
M. Brunet (Paul G.) : Depuis que Mme Marois est là, O.K., ça fait qu'on en a vu passer,
des ministres. Vous êtes le seul qui
avez dit, quand vous êtes arrivé... Et ça, je sais qu'on n'est pas toujours sur
la même longueur d'onde, mais vous
avez dit : Si les patients, à la fin de l'exercice, ne s'aperçoivent pas
d'une différence, on aura échoué. Je n'ai jamais entendu un ministre
dire ça. Il y a une lucidité là-dedans avec laquelle on doit composer et pour
laquelle je vous en suis gré, M. le ministre.
M.
Barrette : Je vous remercie. Puis je vais le répéter : Si on ne
voit pas de différence à la fin de ça, on a échoué. Je suis tout à fait
d'accord.
Pour répondre à votre question pourquoi jamais
personne ne le fait... Je pense que vous étiez à la table de concertation en
2010, là, la réunion, là, qu'il y avait, on était en pelures d'oignon, là, on
était en carré, là. Vous vous rappellerez que c'était un sommet, hein? Il y a bien des gens qui nous
demandent de faire des sommets, mais c'en était un, sommet, ça. Je vois Mme Raymond sourire, je pense que vous
étiez peut-être là en quelque part, là. Mais c'était un sommet, puis je
me rappelle que vous étiez là, puis c'était un sommet là-dessus, et on se rappellera
que la FMOQ, à l'époque, avait quitté la
table, et elle avait quitté la table en disant : On est ciblés. Bien,
c'est sûr. Le problème, il est là, là. Et la raison que j'ai dite à
plusieurs reprises, vous vous en rappellerez, là, c'est une autre citation, là,
je vais me citer moi-même, j'ai souvent dit
qu'il y a des décisions qui ne peuvent pas se prendre ailleurs que par la
personne qui est assise sur le siège
du ministre. Les solutions existent, mais, les fédérations,
spontanément, que ce soit celle que j'ai déjà présidée ou celle qui est celle des médecins de famille,
les présidents sont pris dans certaines contraintes de représentation, on va dire, et là, à un moment donné, s'il n'y a pas un
acteur de changement, un agent de changement extérieur, le changement
n'arrive pas.
Je ne sais pas si vous avez écouté ce matin la
comparution de l'association des médecins urgentologues, je vais les citer : Oui, ça va changer
maintenant parce que le projet de loi n° 20 nous botte le derrière,
on n'a pas le choix de faire quelque
chose. Je peux vous dire que je l'ai enregistrée, celle-là, là, puis il n'y a
pas un journaliste devant lequel je passe
depuis ce matin à qui je ne dis pas : Avez-vous entendu, là? Alors, c'est
ça qui se passe. Et ce qui se passe, c'est qu'à un moment donné
quelqu'un doit générer le changement.
Il ne me
reste pas beaucoup de temps, mais là-dessus, aujourd'hui, là... C'est vrai
qu'on n'est pas toujours sur la même
longueur d'onde, mais aujourd'hui on l'est, par exemple, ça, c'est très clair.
Il me reste 1 min 30 s à peu près. Je serais surpris que vous n'ayez pas des commentaires à faire
sur la partie PMA.
M. Brunet
(Paul G.) : Honnêtement, M.
le ministre, je ne crois pas que nous ayons la compétence et
l'expertise, et je n'ai pas fait de recherche suffisamment pour avoir l'air
intelligent puis vous parler de ça aujourd'hui.
M.
Barrette : O.K., je comprends. O.K., c'est bien correct. Bien,
globalement, à 32 000 pieds, là, vous ne voyez pas de problème majeur, là? Je comprends qu'il y a
des problématiques, on va dire, éthiques, intellectuelles,
philosophiques du 42 ans, là, mais, à part ça, vous, en tout cas vos gens
sur le terrain que vous représentez, vous n'êtes pas inondés de téléphones, là?
M. Brunet
(Paul G.) : Non, mais, comme
êtres humains, nous pouvons tous et toutes penser que n'importe qui qui
a un problème pour avoir un enfant devrait avoir cette assistance-là.
M. Barrette : Tout à fait d'accord.
Tout à fait. Une dernière question peut-être, parce qu'il me reste juste 30 secondes à peu près, là. Notre approche,
je sais que vous ne voulez pas la commenter, mais, la question des ratios,
là, pensez-vous que c'est une avenue que vous considérez comme étant valable,
juste comme ça, là?
M. Brunet (Paul G.) : Encore une
fois, c'est un peu dans la mécanique...
M. Barrette : Vous ne voulez pas,
hein? C'est correct.
M. Brunet
(Paul G.) : ...mais ce dont
on peut convenir, c'est que c'est sûr que les profils sont différents
dans la pratique, puis assurons-nous, M. le
ministre... J'ai fait beaucoup de réorganisation dans ma propre organisation,
dans des municipalités où j'ai
oeuvré, parfois avec 400 employés, et ça prend des alliés, pour faire une
réforme, parce que, si on est tout
seul à avoir raison, des fois on peut l'échapper puis on peut échouer. Et ça,
c'est ce que je souhaite, que vous ayez le plus d'alliés possible et à
qui vous allez expliquer le plus possible votre projet, parce que je sais que
vous êtes bien intentionné, mais assurez-vous d'avoir des alliés, parce que
vous ne pourrez pas faire ça tout seul, c'est clair.
Le Président (M. Tanguay) : Merci.
M.
Barrette : Peut-être en une seconde, pour paraphraser la présidente du
Conseil du statut de la femme, il y a une majorité silencieuse.
Le
Président (M. Tanguay) : Ceci met fin à l'échange. Je cède maintenant
la parole à notre collègue députée de Taillon pour 13 minutes.
• (15 h 40) •
Mme
Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue.
Bienvenue, Mme Raymond. Bienvenue, M. Brunet. Très contente que vous soyez là et que,
Mme Raymond, vous soyez là aussi pour représenter tout particulièrement
les malades, les gens qui ont besoin de ces services.
Vous le
savez, le dossier de l'accessibilité aux soins, à notre système de santé, c'est
une préoccupation majeure. J'étais
des premières rencontres en 2009 qui devaient régler la situation, le Québec a
la situation la plus catastrophique en termes d'accès. Quand on va dans
d'autres pays, même des pays en développement, puis qu'on dit qu'on a 25 %
des Québécois qui n'ont pas accès à un
médecin de famille, les gens ne nous croient pas, ils ne comprennent pas.
Alors, c'est important de faire des
changements, mais c'est important de faire les bons changements et de faire en
sorte qu'on parte du bon niveau pour être capable d'arriver et d'être
sûr d'avoir les bons résultats. Donc, je pense que tout le monde est de bonne volonté, tout le monde est de bonne foi
autour de cette table-ci, le ministre certainement aussi, mais on est là
pour l'accompagner, et bonifier, et
peut-être lui donner des alertes, des mises en garde. Alors, c'est un petit peu
ça qu'on va faire.
J'aime beaucoup aussi et
je reconnais bien, M. Brunet, votre concision et la priorité sur des
sujets. Vous en retenez deux,
recommandations, dans le fond. Il y en a une qui me frappe vraiment, vous
dites : On devrait remplacer les mots «reddition de comptes» par
«obligation de transmettre des informations». Et je pense qu'on touche là un
point important. Vous avez parlé de plusieurs
réformes; il y avait certainement du bon dans chacune de ces réformes-là,
mais on avait mis des balises et on ne s'est pas assuré que les gens
redonnaient les balises qu'on avait mises. Je donne des exemples : les GMF, pour lesquels on avait des obligations d'heures
d'ouverture, de nombre de patients inscrits, puis on a mis beaucoup d'argent dans ça, puis on n'a pas eu le retour,
puis on n'a toujours pas, semble-t-il, la volonté de faire en
sorte que là, là, ce soit respecté. Le
contrat a été signé, l'entente a été faite, l'argent a été versé. Il faut que
ces engagements-là...
Alors là, on
s'en va vers un système où on va avoir des engagements individuels avec
chacun des médecins. Alors, si on ne
suit pas clairement, précisément, quotidiennement les résultats, si on prend
trois ou quatre ans avant de revérifier si les équilibres, les pondérations ont été bien respectés, on
n'aura peut-être pas mieux parce que, la nature humaine
étant faite comme elle est, bien on choisit
à travers les méandres ce qui nous convient le mieux puis parfois on oublie
l'ensemble de la population et l'ensemble des malades.
Alors, dans l'obligation de transmettre des
informations, pouvez-vous me dire comment vous voyez ça et peut-être les écarts
que vous avez pu observer de ne pas avoir eu ce suivi, cette rigueur par
rapport à l'obligation de transmettre des informations? Avez-vous des exemples?
M. Brunet
(Paul G.) : Bien, en fait,
tout ce que je voulais signaler ici, Mme
la députée, c'est que le concept
de reddition de comptes n'a rien à voir avec
ce que l'article 22 prescrit. L'article 22 oblige des établissements, des agences à fournir des renseignements. Une reddition de comptes, c'est quelqu'un
qui rend des comptes parce qu'il a eu
l'autorité déléguée de faire ce qu'il avait
convenu qu'il ferait avec les moyens qu'il a choisi de les faire. La reddition
de comptes fait partie de quatre
éléments que la littérature identifie dans le domaine de l'imputabilité. Quand
on est imputable, on rend des comptes; quand on n'est pas imputable, on
ne rend pas de comptes.
Alors, ici,
l'article 22 parle littéralement de fournir de l'information. Je proposais
simplement de changer le titre parce
que ce n'est pas ça, une reddition de comptes. Une reddition de comptes, c'est
de rendre des comptes parce qu'on s'est vu déléguer une autorité, un
pouvoir d'agir sur le comment, et par la suite en répondre. Ce n'est pas ce que
l'article 22 dit.
Alors, je ne
voulais pas entrer plus dans ce sujet-là que pour dire que le titre n'était
peut-être pas bon. On retrouve le titre
dans la loi sur la santé. Encore une fois, ce n'est pas de la reddition de
comptes, malgré ce que des gens très sérieux ont pu écrire dans la loi sur la santé. Je trouve ça triste qu'on ait
galvaudé le principe de la reddition de comptes parce que c'est un beau... c'est magnifique de lire là-dessus,
j'ai fait une maîtrise sur l'imputabilité dans la fonction publique, mais
arrêtez de l'écrire partout, ce n'est pas ça que vous faites.
On n'a jamais
eu de monde imputable dans le réseau de la santé. Des directeurs généraux
d'hôpitaux me l'ont dit, on n'a
jamais congédié un directeur général d'hôpital ou une directrice générale parce
qu'il ou elle n'est pas imputable parce
que tout est concentré. On a déconcentré l'autorité en 1990 avec la
loi n° 120, on ne l'a pas décentralisée. Vous faites le plan
d'hygiène, mais c'est moi qui l'autorise, puis je vais dire quoi mettre dedans.
Tu ne peux pas rendre personne imputable, et
personne ne peux-tu obliger de rendre des comptes quand il n'a pas décidé ni du
quoi ni du comment dans ce que tu lui as demandé de faire.
Mme Lamarre :
Vous avez aussi comme témoigné de ce que les malades vivent, et j'aimerais ça
qu'on puisse... En fait, moi, ce que
je pense qui est un peu risqué, dans ce projet qu'on a actuellement sur le...
et parce qu'on n'a pas aussi tous les
aspects de la pondération et des équivalences, c'est qu'on pourrait très bien
arriver avec énormément de pondération et
d'équivalences, qui ferait que très peu de médecins seraient, finalement,
obligés de prendre les 1 250 patients, parce que tout le monde aurait eu des exemptions de prendre
ce grand volume de patients là, et qu'on se retrouverait encore avec une
masse critique de gens qui n'auraient pas de
médecin de famille mais avec cette fois-ci une caution qui dirait que le
médecin est très bien capable de démontrer qu'il
remplit parfaitement les obligations qui sont prévues au projet de
loi n° 20. Alors, je ne
sais pas si vous avez une observation à faire sur ça. Puis je vais laisser la
parole ensuite à mon collègue de Rosemont.
M. Brunet
(Paul G.) : Je suis convaincu
que la grande majorité des médecins sont de bonne volonté puis veulent faire bien. J'entendais Mme Roy, de la CAQ,
que j'ai croisée tantôt, qui me racontait que dans sa région il y a un
gros GMF de 14 cliniques; il y en a juste une qui est ouverte le soir pour
rencontrer les heures, puis tout le monde profite de la bonification de la
rémunération. Ce n'est pas ça qu'on voulait faire, mais il y a des gens qui
sont coquins puis qui réussissent. Ils le
faisaient avant, ils le font maintenant, puis probablement qu'ils vont trouver des «loops» dans le
projet du ministre. Ce qu'on veut, c'est que les médecins
soient accessibles aux patients. Combien de fois on a reçu des appels de
gens qui ont besoin d'un spécialiste pour
leur enfant puis qui se font dire que ça
va être dans 11 mois? Il va être
trop tard, cet enfant-là va être hypothéqué pour le restant de sa vie, puis il va
être sur le bien-être social, puis on va payer pour lui. C'est
inacceptable. Le statu quo ne peut pas durer.
Comment cela va s'articuler? Je l'ai dit, je ne
commenterai pas sur la mécanique, mais il y a quelque chose qu'il faut être fait. Et je suis peiné que les
fédérations ne soient pas plus impliquées. Je ne sais pas si elles l'ont été
avant, mais, dans la revue documentaire que j'ai faite, je n'ai pas vu ça. Je
n'ai pas vu ça, Mme la députée, je n'ai pas vu ça autant que je l'ai vu de la part de l'Ordre des pharmaciens, de
l'association des pharmaciens propriétaires, qui se sont penchés depuis
10 ans sur les questions de médicaments, sur la pharmacie, sur... Combien
de fois vous avez tendu la main — c'est comme ça que je vous ai
connue — à
l'Ordre des pharmaciens, pour améliorer le système? Le projet de loi n° 41 est supposé d'amener... de
permettre 1 million d'heures-médecin de plus de soins pour que les
pharmaciens fassent
leur job pour laquelle ils sont plus compétents des fois que les médecins, ça,
c'est pour faire avancer l'accès, mais je n'ai pas entendu, je n'ai pas vu cette main tendue de la part des
grandes fédérations, à part des fois où ils ont revendiqué leur rémunération. Ça serait le fun qu'ils s'assoient
avec le gouvernement, trouver ensemble des... Écoutez, ils sont
responsables de la moitié des dépenses dans
le réseau de la santé, je ne comprends pas qu'ils ne se soient jamais sentis
impliqués dans le solutionnement des
problèmes. Je ne les ai pas entendus. Je les ai côtoyés quelques fois, mais je
ne les ai pas entendus. J'ai hâte que
ça se passe. Peut-être qu'il est encore le temps. Le ministre semble vouloir
donner un petit peu d'oxygène dans le dénouement,
le déroulement du projet de loi. Peut-être qu'il y a encore une chance.
J'espère, parce qu'on ne le fera pas sans eux, tu sais... bien je ne pense pas. Et j'ai peur à certaines actions
que des grandes fédérations de médecins ont pu vouloir poser dans le
passé, que la Cour d'appel a sanctionnées récemment.
Le Président (M. Tanguay) : Merci
beaucoup, Me Brunet. On va céder maintenant la parole au collègue de
Rosemont pour encore quatre minutes.
M. Lisée : Merci,
Mme Raymond, M. Brunet. Effectivement, donc, on a cette discussion
sur la nécessité du changement, le statu quo
n'est pas acceptable, et comment arriver à ce changement. Alors, on a un
ministre qui dit : Bien, ça prend
un agent extérieur de changement, parce que lui-même était président d'une
fédération de spécialistes. Et vous dites : Bien, où ils étaient
tout ce temps-là pour nous dire de trouver des solutions? Ils défendaient très
bien leurs intérêts corporatistes. Ça, il n'y a aucun doute là-dessus, les
résultats sont là pour le prouver.
Et dans votre
mémoire, à la fin, vous dites que vous vous demandez pourquoi, depuis toutes ces années,
«d'autres solutions que celles maintenant
inscrites au projet de
loi n° 20 ne semblent pas
avoir été discutées, convenues, essayées par les médecins — et sans doute vous incluez les spécialistes là-dedans — en
accord avec le ministère de la Santé. Pourquoi, à l'aube de l'adoption
de la loi, qui sera fort probablement soumise aux tribunaux par les fédérations
de médecins, les médecins se disent pris par surprise, choqués par les
intentions annoncées du ministre de la Santé?»
Alors, ce que
vous nous dites, c'est, bon, puis tout le monde est d'accord autour de la
table : Le statu quo n'est pas acceptable.
Ça prend un agent de changement déclencheur. Bon, on l'a, hein, le ministre
actuel est un agent de changement déclencheur, c'est sûr.
Maintenant,
vous n'êtes pas le premier à venir nous dire : Mais, vous savez, si on
adopte ce projet de loi là, ensuite les fédérations vont aller au-devant
des tribunaux, et les coquins, je vous cite, qui trouvent des façons de contourner vont trouver des façons de contourner,
et ce serait tellement mieux si les gens agissaient comme altruistes,
c'est votre terme. Vous dites : Bien,
ce serait peut-être le temps, par altruisme, et aussi parce que le changement
est en cours et là les gens ont peur
du type de changements qui viendront... Est-ce qu'il y a un espace politique,
social qui est créé maintenant pour
dire : Bon, bien on réessaie le sommet, on réessaie le sommet, sachant
qu'il y a cette épée de Damoclès à la fin? Le ministre n'est pas enclin
à ça, mais, s'il y a assez de gens ici qui nous disent : Écoutez, est-ce
qu'on peut mettre ça de côté, cette épée de
Damoclès qui va être soumise à des contestations légales, c'est certain, et
dont on n'est pas certain aussi de
l'applicabilité, là, hein? Je sais que le ministre y croit, mais ça a l'air
plus compliqué qu'il ne le pense peut-être. Et, les effets pervers, on les a déjà vus avant, ce serait
mieux que ce soit consensuel, et finalement c'est ce que vous dites.
Puis l'appel que vous faites, bien vous le
faites un peu au ministre mais aussi aux médecins puis aux fédérations de
médecins. Ça, ce serait la solution idéale, selon vous.
• (15 h 50) •
M. Brunet (Paul G.) : Écoutez, je le
disais tantôt, j'ai géré des organisations municipales de 400 employés
pendant 30 ans et je disais à mes syndicats : Vous êtes capables du
pire et du meilleur. Quand vous décidez de barrer des quatre roues, comme on dit, c'est l'enfer, vous allez tout détruire.
Si vous décidez de vous asseoir avec nous, le patron, puis d'organiser
quelque chose, une convention collective puis une desserte des services à la
population, vous êtes des champions.
Si on ne les a
pas avec nous, c'est sûr que ça n'augurera pas bien, je veux dire, on est
obligés de dire que l'expérience nous
a enseigné... Que ce soient des médecins ou des cols bleus, je sais, en
tout cas avec les cols bleus, que, par expérience, s'ils décident que ça
ne se passera pas, ça va aller mal. Alors, on peut imposer des choses, on peut
punir, mais je demeure convaincu que les
gens qui s'entendraient... Et je suis convaincu, parce que M. le ministre est
un homme intelligent, qui comprend cet aspect-là du dossier, que, si les
médecins décident de ne pas embarquer puis que tout se met à mal aller... je ne suis pas sûr qu'on va y trouver notre compte au
bout parce que... Tout le monde comprend ça. Mais parfois de sympathiquement provoquer des choses et
des discussions, bien peut-être que cela peut provoquer, encore une
fois, des discussions et une solution. Espérons-le, parce que je continue de
dire, par expérience puis par formation de maîtrise,
que la littérature nous enseigne que, quand on brasse, bien il faut être prêt à
brasser, puis ça prend des alliés. Moi, c'est ça qui m'inquiète le plus.
Le
Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Merci. Alors, nous cédons
maintenant la parole à notre collègue de Lévis pour une période de
8 min 30 s.
M. Paradis
(Lévis) : Merci, M. le
Président. Merci de votre présence, Mme Raymond, M. Brunet. Vous y
êtes, hein, depuis longtemps puis... et là
je ne parle pas d'âge, je parle de l'organisation et votre vision des choses,
hein, depuis 1973, là, le Conseil
pour la protection des malades, M. Brunet, auparavant M. Brunet,
maintenant madame... Vous êtes là, je le sais. Je vous entends et je
vous ai vus à plusieurs reprises.
Vous
disiez il y a deux instants, avant de vous poser des questions plus précises,
que le ministre est le premier, M. Brunet,
à dire que les patients pourront le juger sur les résultats et que vous
trouviez ça à propos. Je vous dirai cependant que Jean Charest avait fait la même chose en 2003
en une de La Presse, en disant : Je m'engage à revoir
le système de santé, c'était en 2003, et qu'il avait dit, écrit noir sur
blanc : Les gens me jugeront sur les résultats. Aujourd'hui, on est encore
à 16 h 30 min d'attente moyenne, hein, je veux
dire, et vous le savez aussi. Alors, la pression est lourde.
Et puis le statu quo,
vous avez raison, le statu quo n'est pas une option, mais il y en a aussi, des
solutions, les gens nous le disent, je veux dire, il y a des pistes de
solution. Et je comprends que vous vous demandiez : Comment se fait-il qu'on ne trouve pas entente?, et que
quelque part, assurément, la collaboration est beaucoup plus productive
que la confrontation, et ce, dans à peu près
n'importe quoi. Des propositions, on en a parlé, là, et je sais que vous
n'embarquez pas dans la mécanique, mais on
en a proposé, puis ça a été ramené par des gens, des modes de rémunération
différents pour faire en sorte qu'on ait un phénomène de prise en charge, les
AMP, là, sans tomber dans la mécanique, mais, si on les abolissait graduellement,
ça pourrait donner une chance pour aussi faire du travail en cabinet, on a
parlé de travail multidisciplinaire également, et ça, vous l'abordez, bon, à
travers tout ça.
Alors, il y en a, des
solutions, puis effectivement on se demande qu'est-ce qui se passe. Puis
honnêtement je vous poserais la question quand même : À la lumière de ce
qu'on se dit maintenant et de cette bonne volonté dont vous nous parlez, que
vous souhaitez, est-ce qu'on pourrait réussir à faire en sorte que le système
change — vous
le réclamez — sans avoir nécessairement besoin de passer
par un projet de loi tel que celui dont vous parlez aujourd'hui?
M. Brunet (Paul G.) : Écoutez, je ne connais pas assez le discours des fédérations. Ce que je
sais, c'est qu'on ne les a pas entendues parler souvent de solutions,
mais ça serait bien qu'elles décident de s'asseoir.
Il
est peut-être un peu tard, ça fait 15 ans que les patients attendent et
disent qu'il y a un problème d'accès. En fait, ça fait plus longtemps que ça. Rappelez-vous que M. Desgroseillers,
un ancien P.D.G. d'agence, disait en 2001, lors d'un congrès, du colloque du Conseil de la santé et du
bien-être, qu'il n'en revenait pas que les recommandations du rapport
Rochon faisaient l'objet d'un constat d'échec dans le rapport Clair en 2001. Je
veux dire, on est loin, là, tu sais. Comment
ça se fait qu'on n'est pas plus avancés et que pourtant ailleurs au Canada et
en Ontario ce n'est pas aussi long que ça,
c'est plus facile d'avoir accès à un médecin? Il y a plusieurs raisons, on
pourrait en parler longtemps, mais je pense que les médecins, leurs fédérations puis le gouvernement sont les principaux
acteurs pour solutionner cette question-là et je demeure convaincu qu'ils peuvent ensemble régler la question. Et
peut-être que de provoquer un débat ou un changement peut apporter, je
l'espère, une ouverture de la part des fédérations.
M. Paradis
(Lévis) : Vous n'avez pas tort, M. Brunet, dans la mesure où vous
parlez des rapports, mais Castonguay-Nepveu, Rochon, Clair apportaient des
solutions, notamment et encore une fois à travers les modes de rémunération.
Les modifications, il y a des choses qui ont été proposées, et on est en train
de dire : Est-ce qu'il faut passer par du coercitif ou du punitif?
Je vous pose une question avant de m'adresser à
Mme Raymond. La perception des gens que vous représentez... Parce
qu'on a beaucoup parlé de jours de travail, du travail des médecins et de voir
davantage de patients. La perception sur le terrain de ceux à qui vous parlez, que vous représentez, est-ce que
les gens que vous représentez pensent que les médecins ne travaillent
pas assez? Quelle est la perception?
M. Brunet (Paul G.) : Ça dépend des endroits. Ce que j'entends, puis Mme Raymond va
répondre de son côté, ce que
j'entends, c'est que les gens veulent voir un médecin. Ils ne savent pas ce
qu'ils font, les médecins, mais ils en ont besoin d'un. Ils veulent voir un médecin pour leurs enfants, pour leurs
proches, pour eux-mêmes, pour leurs parents plus âgés; ils n'en ont pas. Ce que j'entends des membres du conseil
d'administration, c'est qu'en région ils les connaissent plus, les médecins, puis ils proposent que mon discours
soit un peu moins dur envers les médecins parce qu'on en a besoin, on les connaît, puis ils sont dévoués. Alors, je n'ai
aucun doute que la très grande majorité des médecins sont dévoués, sauf qu'à un moment donné les statistiques sont là. À
moins qu'ils nous disent qu'on est dans l'erreur. D'ailleurs, ça aurait
été le fun d'entendre la FMOQ, par exemple,
dire : Les médecins ont tort parce que, voici, au Québec c'est 80 %
des gens qui ont accès à un médecin
et non pas 70 %, tu sais, que quelqu'un arrive avec des chiffres puis
prouve le contraire, mais ce
contraire-là n'a pas été prouvé, à mon avis. Alors, il y a un problème, et
c'est eux. La solution est dans leurs mains et certainement dans celles
du gouvernement.
Mme Raymond (Marielle) : Moi, je pense que nos médecins... en tout cas la
plupart de nos médecins travaillent bien.
J'en vois, moi, dans les CSSS, là, puis, je vais vous dire une chose, je leur
lève mon chapeau, parce qu'ils sont là quelquefois,
dans les hôpitaux, de sept heures du matin, il est 11 heures le soir, puis
je les rencontre encore quand je suis sur le terrain. Donc, bravo! La
plupart qui sont là font un bon travail.
Il manque peut-être
des médecins à des endroits. Ça, c'est sûr qu'il en manque à quelque part.
Pourquoi? Pourquoi il en manque? Parce que peut-être le calcul a mal été fait.
Mais il y a une petite chose que je pense que je vais vous dire. Vous savez, on m'a toujours dit qu'un bon général
d'armée, quand il s'en va sur le terrain, il faut qu'il regarde tranquillement en arrière, voir si les
troupes suivent, parce que, si les troupes ne suivent pas, il va avoir un
sérieux problème à un moment donné. Et moi,
j'ai toujours pensé ça quand j'étais un chef syndical, j'ai regardé si mes
troupes me suivaient, parce qu'à part de ça,
je vais vous dire une chose, je me serais ramassée au front puis je me serais
fait mitrailler. Donc, je pense que c'est peut-être bon de voir si nos
troupes suivent.
Donc,
les troupes, moi, ce que je veux dire, ce sont les médecins. Allez les
chercher, allez les chercher, vous allez en avoir qui vraiment vont vous
aider, et il s'agit de les trouver. Parce que moi, je fais une étude
comparative sur les systèmes de santé du
Québec, de l'Ontario et du nord des États-Unis, j'en suis à faire mon doctorat,
à mon âge, pas pour prendre un poste de ministre, pas pour prendre autre
chose non plus mais pour essayer de faire avancer les choses. Donc, allez-y.
M. Paradis (Lévis) : ...être recrutée, qui sait, vous savez que le
général Barrette aussi s'y intéresse. Parce
que vous me parliez de soldats.
M. Brunet (Paul G.) : M. Paradis, j'aimerais ça qu'on règle la question
de l'accès et que cette question-là ne soit plus une chose sur laquelle on
va lancer la serviette comme les couches en CHSLD. Rappelez-vous, quand vous
êtes admis en CHSLD on vous met une couche,
que vous soyez incontinent ou pas. Ça, là, ça fait 30 ans que ça dure. Je
ne sais pas... Là, vous autres, vous vous en
venez en CHSLD bientôt, vous allez voir c'est quoi, là. On va vous mettre une
couche parce que votre mobilité va être réduite puis on va vous dire : On
n'a pas le temps de vous amener aux toilettes. Ça, j'espère que ça va se régler
comme l'accès à un médecin.
M. Paradis (Lévis) : ...ça, M. Brunet, sachez que je suis très sensible à ça, à travers
les combats que vous menez, puis on les mènera de front.
Madame,
c'est intéressant, vous dites : Je fais un doctorat et je
compare les systèmes. Manifestement, le nôtre est à la remorque, là. Bien, qu'est-ce qu'ils ont choisi puis qu'est-ce
qu'ils ont trouvé ailleurs? Parce que
vous dites que vous faites du comparatif avec l'Ontario. Qu'est-ce qu'ils
ont de mieux? Pourquoi ça marche mieux là puis que ça ne marche pas ici?
La Présidente (Mme
Montpetit) : En conclusion. Il reste une trentaine de secondes.
• (16 heures) •
Mme Raymond (Marielle) : Bien, j'ai malheureusement le malheur de
dire que, les agences régionales, moi, ça fait longtemps qu'au Québec je les aurais en tout cas descendues un peu,
peut-être pas les enlever complètement. Il y en avait six en Ontario pour 13,5 millions,
puis on en avait 18 au Québec pour 7 millions, donc il y avait quelque
chose un petit peu qui n'allait pas tout à fait, là. Bon, vous
savez, ce sont des choses comme ça qui font que... Peut-être qu'il y a trop de monde en haut,
pas assez sur le terrain. Vous savez, les bonnes troupes, là, c'est sur le
terrain, là. Quand bien même que j'aurais un
lot de généraux en haut, ce n'est pas lui qui va faire la guerre. Donc, c'est sur le terrain que vous avez à
avoir des gens.
Puis là, M. Barrette,
j'ai un petit reproche à vous faire, parce que moi, je suis en train de
travailler, là, sur ça, là, sur mes documents, puis là, dans le moment, avec
votre réforme, là, je suis bloquée, là, je suis obligée d'attendre qu'est-ce
qui va se passer, ça fait que je vous en veux un petit peu.
La Présidente (Mme
Montpetit) : Mme Raymond, je suis désolée, je vais être obligée
de vous interrompre. Mme Raymond, Me Brunet, je vous remercie pour
votre présentation.
Je vais suspendre les
travaux quelques instants et inviter le prochain groupe à s'installer.
(Suspension de la séance à
16 h 1)
(Reprise à 16 h 4)
La
Présidente (Mme Montpetit) : À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, je
souhaite la bienvenue à nos invités. Pour les fins d'enregistrement, je vous demande de bien vouloir vous
présenter, nom et fonctions. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour faire votre
exposé, et par la suite nous procéderons à la période d'échange avec les
membres de la commission. La parole est à vous.
M. Damien Contandriopoulos
M.
Contandriopoulos (Damien) : Damien Contandriopoulos, de l'Université
de Montréal.
Mme Perroux
(Mélanie) : Mélanie Perroux, de l'Université de Montréal aussi.
La Présidente (Mme
Montpetit) : Je vous laisse y aller.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Merci beaucoup pour l'invitation. La
présentation que je vais faire aujourd'hui est une synthèse d'un mémoire qui a été déposé. Ce mémoire a été produit
par une équipe, donc je voudrais simplement mentionner les gens : Astrid Brousselle, Arnaud Duhoux, Mylaine
Breton, Mélanie Perroux et Geneviève Champagne. Donc, c'est un travail
collectif.
Notre
analyse du projet de loi n° 20 est généralement favorable au projet
de loi n° 20, avec un certain nombre de réserves, mais ces
réserves-là sont essentiellement des ajustements destinés à assurer l'atteinte
des objectifs du projet de loi. Donc, c'est un oui mais au projet de
loi n° 20. Le mais est formulé de façon aussi constructive que
possible à l'intérieur de 20 recommandations
très opérationnelles. Ces recommandations-là visent à essayer, donc,
d'atteindre les objectifs du projet de loi.
On ne va pas revenir
sur les problèmes du système de santé québécois, je pense que beaucoup de gens
les ont documentés devant la commission. Le projet de loi, notre interprétation, c'est qu'il repose sur trois choses
fondamentales.
La première : beaucoup
de débats publics sur la productivité des médecins. Or, je pense que c'est une
fausse cible. Je pense que le problème de
l'accès aux soins de santé au Québec n'est pas un problème de manque de
productivité, c'est que la main-d'oeuvre médicale n'est
pas utilisée de façon optimale là où elle devrait être. Il ne s'agit pas tant d'augmenter la productivité des médecins que de
mieux arrimer la pratique médicale avec le système de santé, avec
ses institutions et avec les besoins de la population. Là-dessus, le projet de
loi propose des choses intéressantes.
Deuxième élément
intéressant : une redéfinition de l'imputabilité. Le Code de déontologie
des médecins, au Québec, mentionne déjà que les médecins ont une imputabilité
plus large envers la population, mais ça a été très peu opérationnalisé ou mis en oeuvre. Le projet de loi, donc, étend
l'imputabilité au-delà de la responsabilité du médecin face à son patient mais bien à la responsabilité des
médecins à répondre aux besoins de la population, et là encore c'est
quelque chose qui est nouveau par rapport à la législation au Québec et qui est
quelque chose d'intéressant et de désirable.
Troisième
élément du projet de loi, pour nous, structurant : une régulation
essentiellement par standardisation des résultats. On fixe des cibles et
on pénalise ceux qui ne les atteignent pas. Ce n'est pas une approche qui est
absurde. C'est une approche qui, par contre,
va se heurter à un certain nombre de limites pratiques. Ce n'est pas facile
d'arriver à structurer le comportement des
gens simplement par une standardisation des résultats. Si on regarde la
standardisation par les résultats, ça va
impliquer deux choses, ça va impliquer... D'une part, il va falloir
sophistiquer les cibles et, d'autre part, il va falloir essayer de mobiliser d'autres leviers de coordination de
l'action collective que simplement fixer des cibles.
En
termes de sophistiquer les cibles, il y a trois éléments à regarder. Quand on
essaie de standardiser le comportement
des gens par des cibles, il faut s'assurer que les cibles soient réalistes,
qu'elles soient difficiles à pervertir et
qu'elles soient bien liées aux comportements qu'on veut ultimement atteindre.
Par des cibles réalistes, il va falloir faire très attention, si on
tient les médecins imputables de suivre un nombre de patients, que ce nombre de
patients là soit finement pondéré avec le
travail réel que demande le suivi de
ces patients-là. Trois éléments là-dedans qu'on voudrait mettre en valeur.
Il va probablement
falloir ajuster pour les maladies chroniques, mais aussi pour les diagnostics
de santé mentale et de toxicomanie, et aussi
pour le niveau socioéconomique. La pondération va être réellement
importante parce que, si on ne pondère pas correctement, on va voir les médecins écrémer leurs panels de patients des personnes
les plus lourdes, les plus
vulnérables et celles qui ont le plus besoin de services, donc c'est un élément
qui est fondamental de la mécanique. La même chose peut être
dite sur les taux d'assiduité. Le taux d'assiduité n'est pas une mauvaise
mesure, mais là encore il va falloir faire très, très attention sur le détail
de la façon dont on le calcule.
Les
cibles doivent être difficiles à pervertir. Si on demande aux gens à la fois de
désigner qui est vulnérable et de les récompenser pour le suivi des
vulnérables, on va voir un surdiagnostic de la vulnérabilité et des maladies
chroniques, probablement un surtraitement, ce qui n'est pas quelque chose qu'on
vise.
Troisième
élément lié à l'objectif ultime, ça a été mentionné devant la commission,
mais dans le passé on a incité les
médecins à enregistrer les patients, on ne les a jamais incités à les suivre.
Ce qu'on a vu, c'est que les médecins ont enregistré des patients, mais trop souvent ils ne les ont pas suivis.
Or, l'objectif n'était pas d'enregistrer, l'objectif était de suivre. Si on met la cible sur quelque
chose qui n'est pas ce qu'on vise ultimement,
on va avoir des comportements déviants, ce qui n'est pas ce qu'on veut.
Donc,
la sophistication des cibles est un élément réellement important
de la mécanique du projet de loi, et là-dessus
on a essayé d'être constructifs en proposant 20 recommandations qui sont
une opérationnalisation d'un certain nombre de cibles.
Deuxième
chose : élargir les leviers d'action. Si on fait juste fixer des
cibles, on va être incapable de contrôler finement le comportement des gens, asymétrie de l'information et la complexité du travail médical. On peut
faire beaucoup de choses en mobilisant le contrôle par les pairs. Si au
lieu de viser les médecins chacun individuellement on essaie d'opérationnaliser
les choses sur la base d'équipes, le contrôle par les pairs que les médecins
vont exercer au sein des équipes peut être
un levier puissant de modification de la pratique. Personne ne sait aussi bien
à quoi ressemble la pratique d'un médecin que ses collègues qui
travaillent à côté de lui. Ça permet un contrôle plus fin. Ça permet de laisser
au médecin le contrôle sur les activités cliniques, l'autonomie clinique qui
est fondamentale à son travail, et ça permet d'encourager
les processus collectifs. La production de soins n'est pas une activité
individuelle, ce n'est pas un docteur face à un patient, c'est bien une
équipe qui permet de travailler collectivement à produire les soins. Si on fixe
des cibles individuelles, on n'encourage pas le travail d'équipe. Or, le
travail d'équipe va être fondamental.
• (16 h 10) •
On
peut voir ça à deux niveaux. Je vais faire quelques commentaires sur les
médecins omnipraticiens mais aussi sur les
médecins spécialistes. On voit beaucoup le débat public se centrer sur les
médecins omnipraticiens. Or, la prise en charge et l'accessibilité,
c'est autant le travail des omnipraticiens que des spécialistes.
Médecins
omnipraticiens, faire en sorte que ce soit un travail en équipe. Les médecins
vont devoir choisir un lieu de pratique; ce
lieu de pratique devrait être un groupe, une équipe. Dans cette équipe-là, il devrait y avoir
d'autres professionnels non médicaux. Le lien, en termes de panel de patients,
doit être un lien non pas entre un patient et un médecin, mais entre un patient et une équipe. Et là encore on peut
régler un paquet de problèmes parce
qu'on va avoir un suivi, une accessibilité
aux soins qui va être beaucoup plus large. Il n'y a aucun médecin à qui on peut
demander de travailler sept jours par
semaine, 10 heures par jour, mais on peut demander à une équipe d'offrir
des services sept jours par semaine, 12 heures par jour.
Donc, l'assiduité,
c'est la même chose, l'assiduité devrait être calculée au niveau des équipes et
l'assiduité devrait inclure le travail des professionnels
non médecins. Et là encore ça va être très important. Si on inclut dans le
taux d'assiduité le travail des professionnels non médecins, on encourage les
équipes à déléguer et à travailler de façon interprofessionnelle.
Et, si on regarde la littérature, il
y a des preuves très robustes à
l'effet que, si on va de l'avant vers une imputabilisation d'équipes de
soins responsables de populations, il y a beaucoup de sens à les financer par
capitation, au moins pour une partie de la rémunération de ces équipes-là. La
formule de capitation devrait tenir compte de la composition globale des
équipes en termes d'effectif.
Médecins
spécialistes, trop peu discuté sur la place publique par rapport au projet de
loi n° 20, mais il y a des choses intéressantes. Entre autres, la deuxième ligne devrait être au service
de la première ligne. La notion de hiérarchisation, la deuxième ligne devrait s'assurer de répondre aux
demandes des médecins et des patients qui se font référer. Le projet de loi est une opportunité en or de structurer ce
processus de référence. Trop souvent, au Québec, la référence est... on
sort du cabinet de son médecin avec un petit
papier et le nom de quelques spécialistes, aucune structuration au niveau des
hôpitaux ou des CISSS pour s'assurer que le
patient ait un cheminement cohérent. Il est possible de demander aux CISSS
d'organiser des guichets uniques par
spécialité, de s'assurer de monitorer ces guichets uniques, de s'assurer que la
contribution de chacun des médecins
spécialistes aux trajectoires des patients dans ces guichets uniques soit
optimisée, de pénaliser des médecins qui décideraient de continuer à
gérer eux-mêmes leur liste d'attente ou leur liste de patients ou de ne pas contribuer à la prise en charge des patients
référés par la première ligne, essentiellement d'opérationnaliser
concrètement dans les règlements les
dispositions qui sont prévues sur le fait que les médecins spécialistes doivent
répondre aux demandes de la première
ligne. Si on veut encourager, là encore, utiliser le levier de contrôle par les
pairs des pools de pratique, c'est un levier très efficace; même pour un
petit montant, dire que les médecins spécialistes en établissement doivent
avoir un 10 % de leur rémunération qui
est mis dans un pool, ce 10 % est redistribué à l'ensemble du pool en
fonction de critères de performance — ces critères peuvent être
laissés à l'appréciation des médecins du pool, devraient être laissés à l'appréciation des médecins du pool — obliger les CISSS à fournir une rétroaction
aux médecins : Voici un profil de votre pratique, voici la pratique en moyenne de vos collègues, voici
ultimement la pratique en moyenne de la province. Cette rétroaction
devrait aussi inclure des informations sur la pertinence des soins qui sont
donnés.
Et la
question de la pertinence, c'est la dernière chose que je voudrais aborder. Il
existe dans la loi n° 20 actuelle une tendance inflationniste, c'est un projet de loi qui a probablement comme
effet d'augmenter la quantité totale de soins offerts et ultimement
d'augmenter les coûts. À ce niveau-là, je pense qu'il y a trois choses à
regarder. Il faut s'assurer de favoriser la
pertinence des soins, s'assurer que, si on augmente la quantité de soins,
chacun des soins qui est offert bénéficie à la santé de quelqu'un, pas
le volume pour le volume, le volume pour la santé de la population. Deuxième
chose, il va falloir qu'il y ait un suivi.
Le chapitre V, il y a plusieurs dispositions dans la loi qui permettent au
ministre d'intervenir pour s'assurer de contrôler les coûts, il va
falloir que la mise en oeuvre du projet de loi n° 20 soit monitorée
de façon à ce que les coûts dans leur
ensemble restent à l'intérieur des enveloppes qui sont prévues. Et, de façon
globale, il va falloir qu'il y ait un
travail provincial pour soutenir la pratique médicale de façon à éviter le
surtraitement, rentrer... soutenir les mouvements comme Choisir avec
soin et des guides de pratique au niveau provincial pour, encore une fois,
s'assurer que les services offerts bénéficient à la santé de la population.
La
Présidente (Mme Montpetit) : Juste sur le temps. Je vous remercie pour
votre présentation. Donc, nous allons débuter la période d'échange avec
M. le ministre pour une période de 21 min 30 s.
M. Barrette : Merci, Mme la
Présidente. Voilà mon chronomètre. Alors, M. Contandriopoulos, bienvenue,
et, Mme Perroux, bienvenue. Nous vivons ensemble un rapprochement continu de
rencontre en rencontre. Ceux qui connaissent nos échanges dans le passé, ils ne
pourront pas dormir ce soir, là.
Ceci dit,
bien, écoutez, je suis très content de la façon dont vous abordez les choses.
J'ai votre mémoire ici à côté de moi,
je ne peux pas faire autrement que de dire qu'à vol d'oiseau on s'entend sur
80 % des choses, à peu près, là, mais il y a un ou deux éléments
sur lesquels... pas qu'on ne s'entend pas mais sur lesquels je pense que c'est
assez difficile d'avoir... Puis là je vais vouloir avoir votre opinion
là-dessus.
J'ai pris des notes dans la façon dont vous avez
proposé ça. Il y a un élément sur lequel on ne se rejoint pas, puis ce n'est pas grave qu'on ne se rejoigne pas parce
qu'on se rejoint sur le fond, et c'est celui de la capacité. Ce que vous
avez appelé la productivité, là, souvent les gens... C'est parce que c'est le
plus sensible des sujets, c'est la capacité. Moi, je suis convaincu, avec les statiques que l'on a, qu'il y a une capacité
non exploitée, il faut aller la chercher. Après, j'arrive au même niveau
que vous, l'organisation des soins et la façon de livrer ça, et ça, ça veut
dire qu'il y a deux façons d'aller chercher
de l'accès. Il y a si la capacité ne change pas l'organisation des soins, comme
vous l'avez décrit, puis je suis d'accord, mais en plus, si en plus on
va chercher une capacité additionnelle, et je suis convaincu qu'elle existe, la
conjugaison des deux, bien ça résout
l'accès, là. Je pense que vous allez être d'accord pour dire qu'on a assez de
médecins au Québec que, si on allait chercher et la capacité et l'organisation,
il n'y en a pas, de problème d'accès. Est-ce qu'on s'entend là-dessus?
M.
Contandriopoulos (Damien) :
Sur l'adéquation des effectifs, c'est difficile de dire le contraire, il y a
plus de médecins omnipraticiens au Québec
par habitant que ce qu'il y en a dans la majorité des autres provinces
canadiennes. Sur la taille des panels,
combien de patients sont associés à un médecin? Le chiffre qui a été mentionné
dans les médias : autour de
1 000. Quand on fait une recherche sur ce qui se passe ailleurs au Canada,
le chiffre n'est pas absurde. En fait, il y a des endroits, comme en
Ontario, où le panel moyen va être au-delà de 1 000.
Ce qui est intéressant, je pense, en termes de
compréhension de la réponse aux besoins, c'est que, pour un médecin qui travaille en solo, qui essaie de
répondre lui tout seul à l'ensemble des besoins de son panel et qui
travaille avec une clientèle qui est lourde, je pense qu'on peut très bien voir
le 1 000 patients comme étant un objectif quasi inatteignable. Ce qui est à réformer là-dedans,
c'est : Si ce médecin-là prend en charge son panel de patients en
travaillant en collaboration avec des travailleurs sociaux, avec des
infirmières, avec d'autres professionnels, le 1 000 patients, tout d'un coup, devient beaucoup plus réaliste. On
voit la même chose en Ontario, où on dit : Il y a 1 300 patients
pour un médecin mais 1 800 si le médecin travaille avec une IPS. Là
encore, il y a une possibilité de multiplier les petits pains.
Et il y a beaucoup de
choses à faire. C'est possible qu'on puisse aller chercher une productivité
additionnelle. La difficulté, c'est
d'arriver à pousser les gens à aller dans cette direction-là et les pousser en
encourageant l'idée d'un partage des responsabilités, d'un travail
d'équipe. Il y a probablement un bénéfice là-dedans.
M.
Barrette : Ça, je
suis d'accord avec vous. D'ailleurs, je retiens votre recommandation, parce
que je pense que vous en faites une
formelle, de faire nos appréciations, nos calculs ou nos
pondérations en fonction d'un groupe plutôt que par individu, puis je suis bien d'accord avec vous. Et la raison pour
laquelle ce n'est pas spontanément comme ça dans le projet de loi, c'est que malheureusement on constate que, dans un GMF de 10 personnes
aujourd'hui, c'est 10 personnes indépendantes qui sont dans un GMF au lieu d'être
10 personnes qui travaillent en équipe. C'est un obstacle supplémentaire.
Et je vous dirais qu'il fallait commencer en quelque part, alors on commence là
pour qu'à un moment donné les gens spontanément réalisent que, bon, bien ce
serait pas mal plus profitable pour tout le monde si on travaillait en équipe. Alors, je vous rejoins à 100 %, et comme je
vous rejoins quand vous dites qu'on ne peut pas demander à un médecin de
prendre en charge 1 000 patients très lourds, ce n'est pas possible,
là, d'où les pondérations.
Et vous-même,
là, quand vous faites référence à la sophistication des cibles par, entres
autres, des cibles réalistes, par,
entres autres, une mécanique de pondération, pouvez-vous élaborer sur le type
de pondération que vous envisageriez, qui
vous apparaîtrait raisonnable? Par
exemple, vous avez fait référence,
là : On ne peut pas pondérer... on ne peut pas compter pour un un patient qui a une maladie
chronique sérieuse, là. Parce qu'une maladie chronique, ça ne veut pas
dire que c'est vulnérable, là, on s'entend là-dessus,
j'imagine, maladie mentale, la toxicomanie, et ainsi de suite. Avez-vous
des exemples de pondérations qui vous apparaîtraient réalistes?
• (16 h 20) •
M. Contandriopoulos (Damien) : Il y
a, des suggestions concrètes, quelque chose qui s'appelle l'indice de Charlson, qui est une mesure prédictive
relativement validée de la morbidité associée aux maladies chroniques, par contre ça exclut des maladies chroniques la santé mentale. Mais, pour ce qui est
des maladies chroniques classiques, là, diabète, hypertension, etc., c'est un indice qui est validé et qui est facile à
calculer à partir des données qui sont disponibles à la RAMQ, ce qui est une de ses forces. Donc, c'est un
indice qui se calcule sur pas simplement la déclaration que les médecins
font mais bien sur les services qui ont été
reçus. Cet indice-là devrait être complété par une prise en compte des
maladies mentales.
Quand on regarde le portrait de qui actuellement,
un, a été laissé pour compte de façon très, très dominante dans les GACO, les médecins sont allés chercher
donc dans les guichets d'accès aux clientèles orphelines un certain
nombre de profils de clientèle. Malgré les
incitatifs à prendre en charge des patients lourds, les patients lourds y sont
beaucoup plus restés que les patients
légers. Et, quand on regarde parmi les patients lourds qui a été clairement
délaissé, on voit les profils de gens
avec des profils de santé mentale relativement importants, double diagnostic
aussi santé mentale et toxicomanie. C'est
clair que, là, ce n'est pas simplement une volonté des médecins de ne pas
suivre ces clientèles-là puis que ce n'est pas rentable, c'est, je pense, pour
beaucoup de médecins, une incapacité à offrir les services, les gens se sentent
incertains de savoir quels services sont
nécessaires pour ces populations-là. Donc, il va falloir trouver une formule
qui tienne compte du fait que c'est des populations qui demandent beaucoup
de soins, probablement aussi des équipes spécialisées, dans plusieurs régions,
pour les clientèles qui ont vraiment le profil de double diagnostic ou des
problèmes de santé mentale significatifs.
L'autre élément, c'est la défavorisation
socioéconomique. Un patient à profil clinique identique, quand cette
personne-là est analphabète, quand cette personne-là a des problèmes de
défavorisation socioéconomique importants, demande,
là encore, un encadrement qui est plus demandant pour les équipes. Et c'est quelque
chose qui a été créé au Québec, là,
l'indice de Pampalon, qui est calculable encore facilement, qui existe... on
peut l'associer au code postal. C'est quelque chose qui permet de
pondérer pour les médecins qui vont avoir des clientèles largement défavorisées.
M.
Barrette : Ça, je suis d'accord avec vous, et, dans les pondérations,
qu'on publiera incessamment parce qu'on va les publier quand on aura eu un certain nombre de suggestions, vous
êtes le premier groupe qui avez des suggestions un petit peu concrètes,
là, on l'a pris en considération. C'est essentiel, on ne peut pas avoir la même
charge dans Hochelaga-Maisonneuve ou dans le Centre-Sud qu'à Terrebonne ou à
Sainte-Julie. Et ça, on est tout à fait d'accord là-dessus, et la pondération
doit le prendre en compte.
Et là je vais
vous poser une question qui est peut-être osée, là, osée au sens administratif
du terme, là : Est-ce que vous
pensez qu'on devrait, nous, inscrire plutôt que laisser le médecin inscrire via
un guichet, par exemple? Vous avez raison,
quand on regarde les statistiques dans les GACO pour les clientèles orphelines,
ceux qui sont laissés pour compte tout
le temps et systématiquement sont les clientèles que vous avez nommées, mais,
en même temps, ceux qui ne sont pas inscrits,
il y a bien des gens qui ne sont pas inscrits dans les plus jeunes. Mais, quand
je dis «plus jeunes», c'est souvent les
couples avec des jeunes enfants, là. Alors, c'est les deux extrêmes qui sont
orphelins. L'extrême plus jeune ne semble pas connaître le GACO, et
l'autre clientèle connaît le GACO, mais elle est systématiquement laissée pour
compte. Est-ce que l'État ne devrait pas,
lui, inscrire — c'est
une question que je vous pose — de façon à s'assurer que la charge du
médecin, ce que vous appelez le panel, c'est
bien ça auquel vous faites référence, le panel, pour employer votre
expression, soit représentatif de la population en général avec une pondération
socioéconomique? Alors, est-ce que vous nous recommanderiez d'aller aussi loin
que de, nous, faire l'inscription?
M.
Contandriopoulos (Damien) : La réponse courte est non. Il y a des
endroits qui l'ont fait, l'Angleterre l'a fait. La difficulté, ce n'est pas tant qu'on attribue les patients à des
médecins, le problème ne me semble pas au niveau des médecins mais au niveau des patients. Il y a un
élément fondamental qui est la relation de confiance entre un individu
et son médecin ou
l'équipe qui le suit, et donc il est important que les patients conservent le
droit de choisir par qui ils veulent être soignés, auprès de quelle
équipe ils veulent être enregistrés.
Je pense que les effectifs sont suffisants pour
couvrir toute la population. Si on mettait en place les bonnes pratiques, vous l'avez mentionné plusieurs fois,
mais l'accès avancé, l'accès adapté, en français, en est une, la
pratique interprofessionnelle en est une autre, de pousser les gens à
réellement suivre les patients qu'ils inscrivent, je pense qu'au bout de quelques années on pourrait voir
disparaître, à toutes fins pratiques, la notion d'un patient qui n'est
suivi par personne. Il y a des endroits dans
lesquels c'est fait, on pourrait mentionner des GMF ou des sous-régions dans
lesquelles virtuellement il n'y a pas de patients qui sont orphelins, il y a
une prise en charge qui est excellente. Ce n'est pas vrai à Montréal, mais c'est vrai à plusieurs endroits
au Québec parce que les gens se sont organisés, ce n'est pas forcément
parce que les effectifs sont plus grands.
Là-dessus, c'est, je pense, réellement important
de conserver pour la population la notion de liberté. Je veux être soigné par
quelqu'un que j'ai choisi.
M.
Barrette : Bien, ce n'était pas une annonce, là, je vous posais la
question pour la poser, parce que, bon, le député de Mercier, à un moment donné dans cette
commission, disait qu'il n'y a personne qui avait des quotas dans le
monde, ça n'existait pas. Bon, en Angleterre, c'est ce qu'ils ont fait, là, on
assignait la population à des médecins, et, vous le savez comme moi, évidemment, ils ont arrêté pour permettre aux gens de
choisir, et finalement ça a fonctionné pareil, tout le monde a un médecin, puis en réalité on leur donne le choix entre
trois médecins. Mais on leur donne quand même un choix limité, hein, ça,
je pense que vous êtes au courant de ça, mais ils n'inscrivent plus directement
comme c'était auparavant, là. Même s'il y a des gens qui disent que ça ne se
fait pas, ça se fait.
Donc, vous ne le recommandez pas comme tel, là,
vous ne voyez pas ça comme étant une nécessité. Vous, ce que vous dites, c'est
un peu comme nous, là, on dit que, si la pratique est adaptée correctement, les
gens vont trouver leur place.
M. Contandriopoulos (Damien) : Je
pense que c'est cohérent comme calcul.
M. Barrette : Mais malgré tout je
maintiens — puis
là je fais exprès de le redire, là, je ne veux pas vous challenger — je
maintiens qu'il faut quand même que la capacité soit là. Si la capacité n'est
pas là, ça ne peut pas fonctionner.
M.
Contandriopoulos (Damien) : C'est clair. Je pense que la raison pour
laquelle je ne mets pas l'accent sur la capacité, c'est que quand on regarde notre effectif médical il est
clairement suffisant et qu'on devrait être capables, avec l'effectif
actuel, d'offrir les soins.
M.
Barrette : O.K., d'abord, je vais vous challenger. Ce n'est pas
méchant, vous allez voir. Si la capacité n'est pas là, là, c'est-à-dire... Là, je vais prendre un
extrême, O.K., ce n'est pas ça, là, je n'accuse personne, attention, ne me
traitez pas de méprisant, s'il vous plaît,
personne. Si, mettons, tout le monde travaille à un jour-semaine, O.K., ce
n'est pas ça, là, ça n'existe pas, mais, si 100 % des médecins
travaillent un jour-semaine, on a beau avoir les meilleurs modes de pratique, on a beau avoir la pratique la plus
interdisciplinaire possible, on a beau avoir tout le personnel de
soutien possible, il y a une question de capacité quand même, là.
M. Contandriopoulos (Damien) : Sur
la mécanique qui est mise de l'avant, de dire qu'il y aura un nombre minimal de
patients qui est suivi par professionnel, cette mécanique-là semble suffisante
pour permettre d'atteindre l'accessibilité, à mon sens.
M.
Barrette : J'aimerais ça qu'on aborde... Parce que je suis le plan de
votre présentation, là, vous avez abordé l'assiduité en affirmant que ce n'était pas... je pense que vous avez
dit que ce n'était pas absurde, là, mais je pense que vous vouliez dire que ça avait quand même un certain
sens. Et, je rappellerai à tous ceux qui suivent ce genre de dossier là,
il y avait eu un article dans La Presse
à propos d'une petite région qui s'appelle... bien la clinique, c'est le projet
Taber, en Alberta, et évidemment qu'on avait
omis de rapporter, dans la série d'articles, qu'il y avait l'assiduité avec des
pénalités. Alors, l'assiduité, tel qu'on la définit, est-ce que, par rapport à
la littérature que vous connaissez, les paramètres que l'on y met sont des
paramètres qui sont viables?
M.
Contandriopoulos (Damien) : À partir du moment où le système repose
sur le fait que les médecins reçoivent un encouragement à inscrire des
patients, il est impératif qu'on s'assure que non seulement ils inscrivent,
mais ils suivent. Ce qu'on a fait au Québec dans les dernières années a
démontré très clairement que c'est insatisfaisant de simplement pousser à
inscrire sans s'assurer qu'on suit.
M. Barrette : C'est clair.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Le taux d'assiduité est une mesure
cohérente, simple à calculer du fait que les médecins qui inscrivent des patients répondent aux besoins des patients
qu'ils ont inscrits. Je pense que l'idée d'instaurer un taux
d'assiduité, de le monitorer et d'avoir un système de pénalité pour ceux qui
ont un taux d'assiduité qui est insatisfaisant
est correct, à condition que le taux d'assiduité soit calculé pour une équipe.
Là encore, ça permet de s'assurer que... Par exemple, un médecin peut... quelqu'un
peut être en congé de maternité. Clairement, les patients de cette personne-là doivent continuer à avoir des
services, et cette personne-là ne peut pas être pénalisée pour ne pas être
capable de les offrir pendant son congé.
M. Barrette :
Tout à fait. C'est ça. Et d'où l'importance de l'appliquer à un groupe plutôt
qu'à un individu.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Et là-dedans, si on est vraiment dans les
détails, si on veut, là encore, augmenter l'accès, si on permet de rentrer au numérateur du calcul de l'assiduité
les patients qui sont vus dans une clinique mais ne sont pas enregistrés dans cette clinique, ça va permettre
de faire en sorte que les cliniques qui ont des patients enregistrés
mais qui acceptent aussi d'aller voir des patients qui sont hors de leur
région, qui sont insatisfaits des services qu'ils reçoivent ailleurs, ça rentre au numérateur, donc ça va améliorer le
taux d'assiduité. Ça permet de faire en sorte qu'on va encourager les gens à offrir un accès large. Donc,
c'est un des exemples qui permettraient, là encore, de sophistiquer le
taux d'assiduité.
Même
chose, il y a des régions dans lesquelles actuellement le système marche
suffisamment bien pour que les médecins
se plaignent que leurs patients vont à l'urgence simplement parce que... Leur
clinique est ouverte, mais l'attente à l'urgence est à ce point courte
que les médecins vont quand même à l'urgence. On pourrait imaginer la
possibilité pour un médecin urgentologue de pouvoir cocher une case dans sa
visite en disant : Ce patient-là n'aurait pas dû se présenter, donc je l'exclus de la pénalité
associée à l'assiduité de la clinique de première ligne, soit parce que
j'estime qu'il s'est présenté de façon
adéquate à l'urgence ou, s'il estime qu'il ne s'est pas présenté de façon
adéquate, là, effectivement, ça rentre dans le calcul du taux
d'assiduité.
Il
y a plein de petits détails mécaniques comme ça juste pour s'assurer qu'on met
exactement l'incitation au bon endroit,
qu'on n'a pas des gens qui sont pénalisés par une mécanique qui en fait les
pénalise pour des choses qui sont correctes.
• (16 h 30) •
M. Barrette :
Je suis d'accord avec vous. Je suis de ceux qui pensent que certaines mesures
simples ont un effet systémique très grand,
et il faut juste choisir les mesures correctement. Et là-dessus je suis bien
d'accord avec vous.
Là, je vais vous
poser une question théorique, puis votre réponse va être intéressante parce que
vous êtes un observateur externe. Vous ne pratiquez pas la médecine,
mais vous l'observez de façon étroite et vous avez toutes sortes d'informations
qui n'ont pas le biais de celle de l'appréciation d'un médecin de sa propre
pratique. Parce que c'est le principe
d'incertitude de Heisenberg, là : quand on s'auto-observe, on se perturbe. J'ai
choisi mes mots correctement, là, pour ne pas faire de lapsus.
Alors,
pourquoi, à
votre avis... Et à l'inverse, si vous
voulez, je peux vous poser la question dans l'autre sens : Qu'est-ce qui
fait ou qu'est-ce qui ferait que ça se ferait? Le mur de laisser l'infirmière
donner des services, poser des gestes que le
médecin peut faire, dans une équipe où les infirmières sont dans le même lieu
physique que les médecins, qu'est-ce
qu'on peut faire, selon vous, pour le briser? Dit différemment, là, dans un
monde idéal, comme dans certains systèmes...
Vous savez comme moi qu'il y a des systèmes où les médecins, s'ils font du
travail qui devrait être fait par une infirmière
praticienne, par exemple, sont pénalisés, ça existe, ça. Dans notre système à
nous, là, vous le voyez comment? Où est le levier? Puis je vais vous
faire un aveu, là, même pour moi il est difficile, ce levier-là, à
sélectionner.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Pourtant, il me semble que la perche est
assez largement tendue. Le paiement à l'acte,
à partir du moment où les médecins sont individuellement récompensés pour
chaque acte qu'ils font, chaque fois qu'un
médecin va délaisser un acte simple qui est à l'intérieur du champ de pratique
d'une infirmière il va diminuer son revenu. Et, à l'inverse, quand les
infirmières sont...
M. Barrette :
Bien oui, mais le paiement à l'acte, à ce moment-là, c'est un désincitatif à
déléguer.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Le paiement à l'acte est, au Québec
actuellement, le désincitatif au travail en équipe en première ligne, je pense que c'est très net, et de là la
recommandation d'arriver avec une formule de capitation pour au moins une portion du travail des équipes
de première ligne et que cette formule de capitation tienne compte de la
totalité de la composition de l'équipe, donc inclue la rémunération des
professionnels non médecins qui font partie des équipes.
M. Barrette :
Dans mon expérience, tous les systèmes de capitation ont fini, au bout de la
ligne, par générer moins de productivité.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Ça dépend comment on regarde la
productivité, là encore, mais il y a des systèmes...
M.
Barrette : Bien, regardons-le, si vous me permettez, dans l'angle du
patient, qui est l'accès aux services et à la quantité requise de
services pour une population donnée.
M.
Contandriopoulos (Damien) : La quantité de services, c'est possible.
La qualité de la prise en charge, et même pour l'accessibilité, je ne pense pas qu'on puisse dire que la
capitation est associée à une moins bonne accessibilité ou une moins
bonne qualité de prise en charge.
Et ce qu'il faut voir, c'est que c'est certain
que, si on met en place des mécanismes de capitation sans avoir de levier comme
un taux d'assiduité, sans avoir, donc, un certain nombre de balises pour
s'assurer que les gens ne font pas simplement recevoir la capitation mais qu'ils offrent les
services qui vont avec... C'est clair qu'on a une meilleure prise en charge. Ce qu'il faut voir dans la
rémunération à l'acte, puis ça a été mentionné plusieurs fois, c'est qu'il y a
un volume, actuellement, de soins qui sont
défrayés par l'État qui sont probablement inutiles ou répétitifs, on a des
visites annuelles qui sont probablement avec une très faible validité clinique,
on a...
M. Barrette : Qui ne servent à rien,
qui ne servent à rien.
M.
Contandriopoulos (Damien) : ... — exactement — on a des médecins qui sont largement
surqualifiés pour poser un certain...
beaucoup d'interventions, en fait, qui pourraient être à meilleur coût et probablement
avec même une qualité supérieure déléguées à d'autres professionnels.
M.
Barrette : Mon jury intérieur n'est pas encore convaincu, là, mais je
comprends votre point. Mais ça, vous savez que là-dessus on n'est pas
exactement sur la même longueur d'onde.
Bon, le temps
file, et puis il faut que j'aborde les deux autres sujets que vous avez
abordés. Un des... Le deuxième élément
sur lequel je ne vous rejoins pas, c'est que vous voulez que la médecine
spécialisée... Puis là les gens vont dire que j'ai un biais, là, mais ce n'est pas un biais que j'ai, là. La
médecine spécialisée a une vie intrinsèque, elle ne peut pas être entièrement au service de la première ligne.
Elle peut l'être partiellement, et dans le projet de loi n° 20 c'est
ce que l'on vise, on vise une portion
de la pratique de médecine spécialisée intrinsèque. Un chirurgien, là,
qu'est-ce que vous voulez, il faut
qu'il opère, là, il opère, on ne peut pas mettre le chirurgien cardiaque au
service de la première ligne — là, je prends un exemple extrême, évidemment, là — ou même le chirurgien général. Par contre,
on peut mettre une fraction de sa pratique
au service de la première ligne, et c'est l'optique que l'on a choisie dans le
projet de loi. Ça, j'aimerais ça que vous me disiez ce que vous en
pensez, d'une part.
Et, d'autre
part, pour que vous puissiez avoir le temps de me répondre, pour ce qui est de
la partie inflationniste, là, la
pertinence des actes, c'est la chose la plus difficile, parce que la
pertinence, c'est très difficile à sélectionner prospectivement. Allez-y
sur les deux parce qu'il ne reste pas beaucoup de temps.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Tout à fait d'accord avec vous. Quand il
s'agit de mettre la deuxième ligne au service de la première ligne, je
pense que ça devrait être reformulé, il s'agit de s'assurer que la deuxième
ligne offre à la première ligne un support
suffisant pour que la trajectoire des patients soit optimisée. On s'entend tout
à fait que...
M. Barrette : Et c'est ce que le
projet de loi fait, là.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Je pense que c'est l'objectif du projet
de loi. Encore une fois, vous le
savez mieux que moi, les règlements
ne sont pas encore totalement disponibles. Donc, il y a un certain nombre de
paramètres qui pourraient être opérationnalisés pour s'assurer que ce soit le
cas.
Puis je pense qu'on voit actuellement les
médecins de famille réagir de façon très, très...
M. Barrette : Viscérale.
M.
Contandriopoulos (Damien) :
...viscérale, exactement, au projet
de loi. Je pense
que c'est beaucoup parce qu'il y
a des choses qui ont transpiré sur des règlements qui touchent la médecine de première ligne, peu
de choses sur les règlements sur les médecins spécialistes.
Or, il y a dans ce projet de loi un potentiel
d'optimiser ces trajectoires de soins, et, si on est mauvais dans
l'accessibilité aux soins primaires, on est aussi très mauvais dans la
continuité entre la première et la deuxième ligne.
M. Barrette : Vous avez raison.
M.
Contandriopoulos (Damien) :
On voit là-dessus des gens qui meurent actuellement parce que leurs soins oncologiques ont pris beaucoup plus de temps que ce qui était cliniquement nécessaire
parce qu'ils se sont perdus entre les deux lignes. Là-dessus,
il y a quelque chose à faire qui semble fondamental.
M.
Barrette : J'espère que vous
allez avoir la chance de parler de la pertinence, parce que
c'est un autre angle qui est très, très difficile pour moi.
La Présidente (Mme Montpetit) : Je
vous remercie. On va enchaîner avec la députée de Taillon pour une période de
13 minutes.
Mme
Lamarre : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Contandriopoulos. Bonjour, Mme Perroux. Toujours très, très intéressant de vous entendre.
Vous aviez fait un travail aussi très réfléchi dans le projet de
loi n° 10, et je vois que vous l'avez fait également bien documenté
aussi mais avec une analyse et des pistes de solution réelles.
Il
y a certains éléments qui ont été évoqués par le ministre à la fin que j'avais
aussi notés. C'est sûr que, quand vous parlez
de gérer, par exemple, les quotas en fonction d'équipes, ça fait du sens. Et,
pour dans le quotidien, par exemple, dans une même année avoir eu un médecin qui décède puis un médecin qui prend
sa retraite, il faut voir comment, quand ces gens-là travaillent en silo, c'est impossible de les remplacer. Et ça,
je ne sais pas comment on peut le faire, parce qu'on a encore... là,
actuellement, on a 258 GMF, mais on a encore un nombre important de
médecins qui travaillent en équipes de
deux, trois, qui ne sont pas dans des GMF. Comment on peut... Parce que le
problème qu'on a, c'est qu'on a plein de bonnes idées, je trouve, depuis 10 ou 15 ans, mais on ne réussit
jamais à les appliquer en fonction de l'accès par rapport à la
population. On définit toujours nos modèles en fonction des médecins ou des
structures, comme les GMF ou des hôpitaux,
mais il faut partir des patients puis de la population parce que, nos patients
qui sont orphelins de ce médecin qui décède
ou de ce médecin qui prend sa retraite, les guichets, là, ne fournissent plus.
Puis, quand on va avoir, au bout d'un an ou deux, atteint le niveau d'équilibre... Parce qu'il faut bien
comprendre que, comme il y a des pénalités dans le projet de loi n° 10, on va atteindre rapidement un
état d'équilibre, là, les médecins vont tous tenter d'atteindre les cibles pour
ne pas être pénalisés. Donc, qu'est-ce qui
arrive dans un an, deux ans, quand on a tout à coup 1 300 patients
qui ne sont pas pris en charge puis qui viennent d'un médecin qui
travaillait en solo?
M.
Contandriopoulos (Damien) : Sur le modèle des GMF, je pense,
clairement le modèle des GMF peut s'intégrer
dans la mécanique du projet de loi n° 20. Il me semble que dans plusieurs
endroits on a des groupes qui ne sont pas
des GMF parce qu'ils n'atteignent pas la taille limite, donc le nombre minimum
de médecins pour devenir un GMF. Ce
n'est probablement pas absurde d'avoir une réflexion à savoir : Est-ce
qu'il existe un modèle qui n'est peut-être pas celui du GMF mais qui permettrait à ces médecins-là d'avoir un soutien
d'autres professionnels? Encore une fois, on veut encourager le travail
interprofessionnel, c'est là où on peut faire des gains importants. Est-ce que
ça serait possible d'imaginer un modèle de micro-GMF, là encore, qui
permettrait d'avoir d'autres professionnels?
Sur
le travail en équipe, c'est sûr que, le travail en équipe, il y a ce gain,
donc, de pouvoir partager les patients, il y a cette possibilité pour les
patients d'avoir toujours quelqu'un qui répond à leurs besoins. Il y a aussi
l'élément de contrôle par les pairs. Même
s'il n'est pas dominant, le profil du médecin qui a une pratique à temps très
partiel parce que le reste de son
temps il fait du golf, ou il va voyager, ou il fait autre chose de sa vie
existe. À partir du moment où on tient une équipe imputable de
l'atteinte d'un certain nombre de paramètres, ses collègues, à ce médecin-là,
là, celui qui part quatre mois en voyage,
vont probablement lui parler dans le blanc des yeux en lui disant : Tu es
drôle, mais concrètement, quand tu
n'es pas là, nous, on assume. Et il y a une dynamique, là, de voir comment les
gens s'organisent entre eux pour atteindre
un certain nombre de cibles, se partagent le travail, et il y a au sein de la
profession médicale, même parmi les omnipraticiens,
des préférences, des spécialités, des gens qui sont bons dans le suivi d'une
clientèle particulière. Là encore, le
fait de travailler en équipe, on peut très bien imaginer que des gens ne vont
pas inscrire le même nombre de patients, mais tant que l'équipe atteint ses quotas, s'il y a quelques personnes dans
l'équipe qui se spécialisent sur des clientèles très lourdes, très marginales, ça a du sens comme
modèle collectif. Donc, la collectivisation est vraiment un outil qui,
pour l'instant, est sous-utilisé et qui a un potentiel.
• (16 h 40) •
Mme
Lamarre : Je comprends le concept et je suis tout à fait d'accord,
mais je me dis... Moi, j'ai connu l'époque où les médecins étaient propriétaires de leurs cliniques médicales, et
là on n'avait pas besoin de générer des incitatifs ou des désincitatifs. Quand il y en a un qui partait en vacances, les autres prenaient automatiquement la relève, parce qu'on
disait : On va garder nos patients, on
ne veut pas qu'ils aillent ailleurs. Mais on n'est plus du tout dans cette dynamique-là. Même la dynamique des GMF ne suscite pas l'appropriation nécessairement
de nouveaux patients, on n'est pas en mode de concurrence où on essaie
d'acquérir des patients.
Et,
quand les médecins... Puis, je le répète, le modèle va nous faire acquérir rapidement...
les médecins vont très rapidement se
conformer aux quotas, mais ces quotas-là ne nous donneront plus de latitude. Et
on l'a vu dans la région de Cowansville,
à un moment donné les GMF, dans le fond, occupaient tous les médecins du
territoire, chaque médecin
rencontrait ses cibles de patients, patients vulnérables, et tout ça, puis il
restait encore 10 000 ou 20 000 patients qui n'avaient
pas de médecin de famille.
Alors,
comment éviter de retomber dans cette situation-là avec un modèle où on va de
façon arbitraire déterminer la pondération, la valeur de certains actes
ou de certains types de pratique par rapport à d'autres? Il existe peut-être des
modèles, là, mais...
M.
Contandriopoulos (Damien) : Il y a
trois leviers qui peuvent être mobilisés. Un, ça va être la cible
générale, combien, effectivement, de patients on va accorder à chacune des équipes en fonction de quels critères, donc, pour s'assurer qu'il y ait une couverture
globale. De façon plus micro, il y a les plans d'effectifs
médicaux, s'assurer qu'effectivement on incite les médecins à aller
s'établir dans les régions où les besoins sont les plus grands.
Le
troisième élément, ça n'a pas été
abordé, c'est la mécanique des activités médicales particulières. On a
trop souvent tendance à associer AMP avec pratique hospitalière. Or, les AMP
sont un levier intéressant pour améliorer l'adéquation
entre le travail médical, les effectifs médicaux et les besoins de la
population, mais on ne devrait pas faire une adéquation automatique
entre AMP et travail en établissement. Les AMP peuvent être mobilisées... Si,
par exemple, il y a effectivement une région
dans laquelle les besoins en suivi de clientèle sont largement sous la normale,
les besoins de la population
dépassent l'offre, on devrait pouvoir dire aux médecins : Vous pouvez
aller faire vos AMP en suivi. Et donc,
à partir du moment où on peut jouer avec cette marge des AMP, avec les effectifs
régionaux et en fixant des cibles générales
pour que normalement tous les Québécois soient suivis, on a, je pense, des
leviers suffisants pour que globalement on n'ait pas une région dans
laquelle les gens n'aient pas de service.
Mme
Lamarre : Vous avez parlé de l'imputabilité. Moi aussi, je pense que
c'est une des grosses lacunes de notre système.
Est-ce
que l'imputabilité, elle doit être validée par les pairs, par l'autorité — ça
pourrait être le ministre, le ministère — par des cibles? Quelles sont les formules
les plus gagnantes? Puis ensuite je laisse la parole à mon collègue
député de Rosemont.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Je pense qu'il y a besoin d'avoir des
cibles qui sont des cibles provinciales, qui touchent donc sur les grands paramètres. Par contre, il faut que les cibles soient transférées à
des équipes, en tout cas pour la première
ligne, et qu'on laisse les équipes avec beaucoup de marge sur savoir
comment ils s'organisent à l'interne pour atteindre les cibles.
Mais,
les équipes qui n'atteignent pas les cibles, il va falloir qu'il y ait
une pénalisation. On l'a vu dans le modèle GMF, pendant trop longtemps on a toléré des GMF qui ne respectaient pas leurs
contrats et qui n'étaient pas pénalisés. La notion d'imputabilité implique
que les équipes qui n'atteignent pas les cibles sont pénalisées.
Mme
Lamarre : J'aurais pu poser
une question, mais je ne suis pas sûre qu'on a les systèmes
informatiques pour suivre et notifier
les cibles, on est loin, loin, loin de ça. Et, oui, théoriquement, tout ça, ça fait du sens, mais on n'a même pas de dossier santé pour savoir, quand un patient est
admis à l'urgence la nuit, qu'est-ce
qu'il prend comme médicaments.
Là, on va être capable de codifier et de
suivre les médecins? C'est très préoccupant parce que c'est cette notion
d'imputabilité là qui nous fait échouer à chaque fois.
M.
Contandriopoulos (Damien) :
Si vous mentionnez les systèmes informatiques auxquels on a accès actuellement
au Québec, vous allez me faire sangloter devant tout le monde.
La Présidente (Mme
Montpetit) : M. le député de Rosemont.
M.
Lisée : On ne veut
pas ça, M. Contandriopoulos, on veut pouvoir avoir accès à vos lumières sans
passer par l'écran lacrymal. Mme Perroux, merci d'être là aussi.
Votre
mémoire est extraordinairement pratique. Vous étiez très opposé au projet de loi n° 10. Vous disiez que le projet de loi n° 20,
ça pourrait fonctionner à condition que... et la principale condition que vous
avancez, c'est celle du travail d'équipe.
Vous dites : Si on installe le système de guillotine, de coupure de 30 % de revenus du ministre sur les individus, ils vont réussir à «gamer» le système
d'une façon ou d'une autre, et il va y avoir de la sélection
opportuniste de la clientèle si la
pondération n'est pas correctement faite, mais, au contraire, si on l'applique aux groupes, et qu'on force l'interdisciplinarité,
et qu'on force le monitoring d'équipe, et même, dites-vous, si on répartit
au-delà de 10 % d'une partie des revenus sur l'ensemble du groupe
plutôt qu'individuellement, là on va être dans un cercle vertueux qui pourra
fonctionner correctement.
Le
ministre nous dit : Bien, il faut commencer quelque part, en ce moment
c'est des individus. Mais est-ce que cet écueil-là est surmontable? Dans
la façon dont sont organisés la santé et les revenus des médecins, est-ce qu'il
est possible d'envisager une application collective du mécanisme qui est
proposé?
M.
Contandriopoulos (Damien) : Je pense qu'on ne va pas avoir le choix.
Est-ce que ça va être facile? Non. Ça va demander une réforme profonde
de la façon dont les médecins de première ligne fonctionnent.
Par contre, quand on
regarde depuis 42 ans notre système de santé, les commissions ont toutes posé
le même diagnostic, les problèmes ont été persistants à travers le temps, et il
y a un certain nombre de causes fondamentales là-dedans.
L'incitatif de la rémunération à l'acte, du travail individuel et de
l'autonomie totale de savoir qui travaille quand à faire quoi en première ligne est un élément de
dysfonction profond de notre système de santé, c'est un élément de
dysfonction qui fait en sorte que la performance de notre système semble
réellement moins bonne que les autres et qui crée une insatisfaction dans
l'opinion publique qui est à ce point préoccupante que je pense qu'elle met en
péril la pérennité du système de santé.
Donc,
à savoir est-ce que ça va être difficile, clairement. Est-ce qu'on peut se
permettre de ne pas le faire? Mon avis est qu'on ne peut pas se le
permettre.
M. Lisée :
Très bien, mais le projet de loi ne propose pas des mécanismes de
transformation de l'individu au collectif
qui permettraient la réussite du phénomène. Parce que tout ce que vous dites,
là, sur l'introduction d'une part de capitation,
le calcul par groupes, etc., ce n'est pas dans le projet de loi, ce n'est pas
proposé dans le projet de loi, ce ne sera pas dans les règlements puis ce n'est pas dans les principes. Alors, ce
que vous nous dites, c'est qu'il en manque un grand bout dans le projet
de loi pour que le mécanisme proposé puisse fonctionner par groupes.
M.
Contandriopoulos (Damien) : Le projet de loi, bon, vous le savez mieux
que moi, est très sommaire sur les détails,
et les règlements d'application sont inconnus pour l'instant. Je pense qu'on
pourrait faire de grands morceaux de collectivisation
de l'opérationnalisation du projet de loi dans les règlements. Je n'ai aucune
expertise dans la rédaction de projet
de loi, mais il me semble que, la façon dont le projet de loi est écrit, les
leviers qui sont mis là, donc qu'il y ait une pénalisation des revenus
mais que les cibles à atteindre sont toutes par règlement, que les cibles
soient collectives devrait déjà suffire.
M. Lisée :
...que les règlements réécrivent certaines des conventions avec les fédérations
médicales?
M.
Contandriopoulos (Damien) : Là encore, ça fait partie des choses qui
sont dans ce projet de loi, ce pouvoir ministériel
de revenir sur des ententes. Je pense que ça va donner lieu à toutes sortes de
débats publics intéressants. Si cet article-là doit servir à quelque
chose, il pourrait servir à ça.
M. Lisée :
L'autre question qui... Je vous vois dire : Bon, bien il faudra être très
ciblé dans les pondérations, il faudra
être très ciblé dans les répartitions dans le groupe, il faudra permettre aux
médecins qui font les AMP de cocher, mais il me semble que la paperasse
que ça va générer et la difficulté de surveillance de ça... Est-ce que ça ne va
pas s'écrouler sous son propre poids?
M. Contandriopoulos (Damien) : Ça va
demander une infrastructure informationnelle. Mme Lamarre l'a mentionné, on est sous-équipé actuellement en
termes de capacité de traiter en temps réel l'information sur la
pratique médicale et non médicale, même du
fonctionnement de notre système de santé. On parle de financement à l'activité
qui va demander une énorme machine de
contrôle, le projet de loi n° 20 implique aussi une mécanique de
contrôle. On est sous-équipé. Pour
que ça fonctionne, il va falloir qu'on s'équipe, il va falloir qu'on
s'organise. Ça ne me semble pas insurmontable, mais, pour l'instant,
effectivement, on ne l'a pas. Quant à savoir est-ce que c'est de la paperasse
additionnelle...
La Présidente (Mme Montpetit) : Je
vous remercie. Le temps est écoulé, malheureusement. Donc, on va enchaîner avec
le député de Lévis pour une période de 8 min 30 s.
• (16 h 50) •
M. Paradis
(Lévis) : Merci, Mme la
Présidente. C'est sûr qu'il y a des choses qui ont été dites par le
ministre, des questions qui vous ont été adressées, M. Contandriopoulos,
Mme Perroux — merci
d'être là — par
les collègues de l'opposition également,
puis je vais faire du chemin là-dessus puis je vais continuer. Je ne patinerai
pas en ligne droite, je vais aller à
droite, à gauche, parce qu'on va profiter de vos connaissances et de votre
vision. Et, ma foi, c'est extrêmement intéressant puis extrêmement
éclairant, ce que vous apportez comme coup d'oeil, et je continuerai là-dessus
histoire de vous faire compléter.
Poursuivre
tout ça, c'est-à-dire être en mesure de compléter le travail et de bien arrimer
tout ça, évidemment, ça va prendre des outils. Vous parlez beaucoup
d'organisation du travail, ça va probablement prendre des gens. Ça peut
susciter, ça peut provoquer effectivement de la paperasse, du temps requis pour
faire cette analyse-là.
Est-ce que ça fait partie de vos craintes, que l'application du projet de
loi n° 20 puisse, entre
guillemets, échouer dans ce segment-là, c'est-à-dire de provoquer davantage
de bureaucratie et davantage de coûts pour analyser tout ça?
M.
Contandriopoulos (Damien) :
La réponse courte est non. Les coûts administratifs
actuels au Québec, quand on prend
ministère, RAMQ, sont parmi les coûts qui sont très faibles au niveau
international, on dépense peu pour administrer, actuellement, notre système. Et, quand on pense à la rémunération
médicale, c'est quand même 6 milliards de dollars par an, c'est des sommes majeures. Même des petits gains
en termes de, là encore, éviter des soins inutiles, s'assurer que le bon
professionnel soit au bon endroit permettent
de sauver beaucoup plus d'argent que ce que ça peut coûter de
fonctionnaires additionnels pour faire travailler la machine.
Là où le bât
blesse, c'est réellement sur les capacités informationnelles actuelles. Nos
systèmes informatiques sont mauvais,
sont mal organisés, et ça ne se fait pas du jour au lendemain, de les mettre...
d'arriver au niveau où on devrait être. Il y a un défi là, c'est un défi
réel.
M. Paradis (Lévis) : Alors là, il y
a deux choses intéressantes dans ce que vous dites, parce que le défi
organisationnel, les outils d'information, et plusieurs nous l'ont dit, là,
c'est un balbutiement, on commence à peine, on
n'a pas le suivi des patients, on n'a pas l'historique, on n'a rien là-dedans,
il y a bien des gens qui ont questionné ce système-là, et vous dites : Bien, il sera essentiel. À ce
chapitre-là, si on n'a pas cette ressource essentielle là en termes
d'outil, est-ce qu'on est voué à l'échec dans l'application d'un projet comme
celui-là?
M.
Contandriopoulos (Damien) : Je ne pense pas qu'on soit voué à l'échec.
Je pense que les éléments qui sont réellement
nécessaires pour le mettre en oeuvre dès le départ, la formation nécessaire
pour calculer un taux d'assiduité entre autres, sont déjà présents dans les bases de données, ça ne demandera
pas un calcul additionnel. Les gens qui disent : Ah! ce calcul du
taux d'assiduité, c'est quelque chose de majeur, ce n'est pas vrai. C'est une
programmation qui va être essentiellement
automatisée à partir des facturations qui sont faites par les médecins, donc ce
n'est pas un élément majeur.
Là où on est
très sous-équipé, c'est si on regarde au niveau des CISSS, si on veut donner à
chaque médecin un profil de rétroaction sur sa pratique, si on veut
allouer... Puis, je pense, c'est un élément qui n'a pas été discuté jusqu'à maintenant mais qui est important, que les
médecins spécialistes aient une portion de leurs revenus qui soit réallouée
en fonction de critères de performance. Ces critères de performance là vont
devoir être calculés sur des indicateurs intrahospitaliers,
et les systèmes hospitaliers sont mal équipés pour permettre d'avoir, au niveau
de l'établissement, les indicateurs
en temps réel. Et il y a encore moins d'intégration entre ces indicateurs
d'établissement et le niveau provincial, là il y a vraiment quelque chose à construire. Est-ce que c'est possible
d'y aller par petits pas? Est-ce que c'est possible de commencer avec ce qu'on a comme information, et,
au fur et à mesure qu'on développe les systèmes, on sophistique la
mesure? Je pense que c'est ce qu'on devrait faire. On n'y arrivera pas du jour
au lendemain.
M. Paradis
(Lévis) : Dans votre
mémoire, vous faites des comparatifs. Vous avez parlé, évidemment, du
travail en équipe, de la prise en charge,
bon, globale. Vous avez aussi... Et à un moment donné vous parlez de l'Ontario
et des modèles de
rémunération, le mode à salaire, par exemple, et tout ça, et vous avez dit tout
à l'heure : Il faudra revoir des choses, le mode de rémunération à
l'acte risque de causer problème.
Est-ce que le projet de loi n° 20,
sans une réforme du mode de rémunération, peut fonctionner?
M. Contandriopoulos (Damien) : Il va
produire des effets. Est-ce que ces effets-là vont être à la mesure des
ambitions qu'il y a derrière ce projet de loi là? Je ne pense pas.
Je pense que
de repenser la façon dont on rémunère les médecins doit réellement faire partie
de l'agenda ou de la réflexion sur
l'accessibilité et la continuité. Quand on regarde, là encore l'Ontario a, au
niveau des provinces canadiennes, clairement les meilleurs indicateurs
en termes d'accessibilité et continuité, et c'est une province qui, au cours
des 10 dernières années, a profondément
repensé la façon dont ils rémunèrent les médecins en première ligne, et c'est
difficile de ne pas voir une causalité. Le
ministre, tantôt, a mentionné Taber; en Ontario c'est la même chose, on a des
équipes qui ont été mises en place avec une
redéfinition de la façon dont les gens sont pensés et on voit des résultats.
C'est difficile de ne pas faire un lien de cause à effet.
M. Paradis
(Lévis) : Et là je me
permettrai d'aller plus loin parce qu'il y a beaucoup de modes de
rémunération qui ont été présentés, et on
parle de rémunération à l'acte chez nous avec un gros pourcentage, de
rémunération basée sur la prise en
charge, d'équilibrer l'un et l'autre pour faire en sorte qu'on puisse avoir un
résultat optimal. Est-ce qu'un mode de rémunération par rapport à un
autre... Est-ce qu'un équilibre est souhaité, à la lumière de ce que vous voyez
et de ce qui se fait ailleurs?
M.
Contandriopoulos (Damien) : La meilleure recette semble être des modes
mixtes. Les modes mixtes doivent être
adaptés au type de pratique. La première ligne, un financement avec une grosse
composante de capitation, probablement plus
que 50 % de capitation, centré sur des équipes semble être le modèle le
plus performant; en établissement, une portion d'acte importante avec une portion de salaire. Si on repense aux
vieilles histoires d'honoraires modulés qui ont été produits dans les
années 80, ça a beaucoup de sens. On regarde des systèmes très performants,
Kaiser, beaucoup de salariat.
Et, si on
passe à un financement à l'activité des établissements, penser qu'une
composante salariale des médecins soit
incluse dans le financement à l'activité de l'établissement a un gros potentiel
de contrôler pour la logique inflationniste non pertinente de faire beaucoup d'actes, de multiplier à l'infini les visites de suivi parce que
tchik-a-tchik et d'éviter cette logique-là
en se centrant sur la qualité des soins et la nécessité clinique. Là-dessus, la composante de salaire est
intéressante.
M. Paradis (Lévis) :
M. Contandriopoulos, vous avez également parlé d'une pondération fine
importante en tout début. Vous avez mis
beaucoup d'emphase là-dessus également en disant : Ce sera un élément
aussi majeur, tenir compte des
clientèles, et pas seulement des maladies chroniques, vous l'avez dit, de la
santé mentale, de la toxicomanie, etc.
À votre
connaissance, est-ce qu'une pondération fine à l'image de ce que vous
souhaiteriez existe déjà ailleurs, à travers vos analyses, sur laquelle
on pourrait calquer, par exemple, une expérience?
M. Contandriopoulos
(Damien) : Les Anglais ont fait pas mal de choses avec des mesures
relativement simples mais qui ont
suivi le... qui ont survécu au test du temps, et je pense que ça, c'est quelque
chose qui est fondamental. Quelle que
soit la formule qu'on utilise, on va constater qu'elle est inadéquate à
certains égards, et il va falloir avoir une logique proactive, de se dire : On implante une
formule, on monitore ses effets et, quand on voit des effets qui sont
indésirables, des populations qui sont laissées
pour compte, des comportements opportunistes, on réajuste la formule pour
essayer de la sophistiquer. Et c'est un jeu de chat et de la souris. On
n'aura jamais une formule parfaite, c'est un exercice continu d'amélioration de
l'adéquation entre la façon dont on incite les gens et les besoins de la
société.
M. Paradis
(Lévis) : Vous avez dit, en
complétant, que... bon, mode de rémunération, pondération fine
importante, vous avez aussi parlé rapidement
des AMP, suggéré aussi de faire en sorte que sur une période, par exemple,
graduelle on puisse éventuellement les abolir, permettant aux omnipraticiens de
quitter les établissements; pour ceux qui veulent, bon, ils y resteront, on nous dit que plusieurs souhaitent ce type de
pratique, mais, pour les autres, retourner en cabinet.
Est-ce que c'est une avenue qui vous semble
importante dans l'application du projet de loi?
M. Contandriopoulos (Damien) : Bien,
je ne pense pas avoir dit d'abolir les AMP. En fait, je pense...
M. Paradis
(Lévis) : ...est-ce qu'on
devrait aller vers ça? Est-ce que c'est trop radical? Est-ce que vous en
êtes?
M. Contandriopoulos (Damien) : Je
pense qu'on ne pourra pas atteindre les objectifs d'accessibilité, d'efficience tant qu'on va penser que la simple
loi du marché va faire en sorte que les médecins vont traiter le bon
patient au bon endroit au bon moment. Il
faut qu'il y ait une vision systémique, il faut qu'à quelque part il y ait un
régulateur qui dise : Les besoins de la population sont ça, la
main-d'oeuvre médicale doit y répondre.
Les AMP sont un levier intéressant pour
s'assurer que l'offre de services médicaux correspond aux besoins de la société. Là où les AMP sont encore plus
intéressantes, c'est si on considère qu'on peut mettre dans les AMP des choses qui correspondent réellement aux besoins
régionaux. Les AMP vont devoir être modulées en fonction de chacun des territoires de CISSS, et il doit y avoir une
participation des médecins de DRMG pour s'assurer que la façon dont on structure la pratique médicale, ce qu'on demande
au médecin de faire de façon prioritaire corresponde réellement aux
besoins les plus prioritaires d'un territoire.
La Présidente (Mme
Montpetit) : Merci, M. Contandriopoulos, Mme Perroux. Je
vous remercie pour votre présentation.
Je vais donc suspendre les travaux pour quelques
instants, et j'inviterais le prochain groupe à prendre place.
(Suspension de la séance à 16 h 58)
(Reprise à 17 h 1)
La Présidente (Mme Montpetit) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite la bienvenue à notre invité, M. Paul
Lamarche, de l'Institut de recherche en
santé publique de l'Université de
Montréal. Pour les fins de l'enregistrement, je vais vous redemander de vous présenter, comme c'est la procédure. Je
vous rappelle que vous disposez d'une période de 10 minutes pour nous faire votre exposé, et par la suite nous
procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. La
parole est à vous.
M. Paul A. Lamarche
M.
Lamarche (Paul A.) : Avec
plaisir. Merci, madame. Mon nom est Paul Lamarche, je suis au
Département d'administration de la santé à
l'École de santé publique à l'Université de Montréal. Mme la Présidente, je
veux remercier la commission de
m'avoir invité à présenter mon point de vue sur le projet de
loi n° 20. Je veux aussi la remercier de me permettre
d'échanger avec les membres de cette commission sur ce sujet.
J'ai déposé un mémoire qui, à mon avis, résume
assez clairement la position que j'ai par rapport au projet de loi n° 20. Ce mémoire développe quatre
points. Premièrement, il résume les objectifs du projet de loi et explicite la
logique d'intervention sur laquelle il repose, la logique d'intervention et la
rationalité par lesquelles les moyens suggérés sont perçus comme devant atteindre les objectifs visés. Deuxièmement, il
présente une autre logique d'intervention qui reflète, à mon avis,
beaucoup mieux la dynamique des organisations de santé. Sur la base de cette
autre logique, cette partie-là explicite
pourquoi et comment les moyens proposés dans le projet de loi sont susceptibles
de produire des effets inverses à ceux
recherchés. Troisièmement, il présente la forme de gouverne de la pratique
médicale que ce projet de loi là introduit. Par la suite, il présente une forme alternative de gouverne, encore là,
plus compatible et plus conforme à la dynamique des organisations de
santé et plus susceptible, à mon avis, de générer les résultats escomptés. Sur
la base de cette autre forme de gouverne, la
quatrième partie présente des approches alternatives qui permettraient
d'atteindre davantage les objectifs
visés par le projet de loi n° 20. Dans les 10 minutes qui me
sont accordées, je me limiterai à résumer l'essentiel des trois premiers
points, laissant pour la période d'échange la discussion sur les approches
alternatives.
La finalité du projet de loi est claire,
précise, pertinente et justifiée, il faut améliorer, au Québec, l'accès aux
médecins de famille et, à un degré moindre, l'accès aux médecins spécialistes.
Pour
atteindre ces objectifs, le projet de loi propose des moyens qui reposent sur
une logique d'intervention que je qualifierais
de mécanique. Selon cette logique, les autorités en haut de la structure
hiérarchique décident comment doivent se
comporter les acteurs en bas de la structure hiérarchique. Deuxièmement, les
acteurs en bas de la structure hiérarchique doivent se conformer aux volontés des autorités en haut de la structure
hiérarchique, sous peine de sanctions et de pénalités importantes. Le projet de loi repose sur une telle
logique d'intervention. Cette logique-là est explicitée dans le mémoire.
S'il y a un type d'organisation dans lequel la
logique mécanique d'intervention ne s'applique pas, c'est bien les organisations de santé. Ces organisations sont
reconnues comme l'exemple type d'organisations professionnelles. Une organisation professionnelle est une organisation
dont les acteurs en bas de la structure hiérarchique ont la compétence,
le pouvoir et la légitimité de définir
eux-mêmes le contenu de leur travail. Ces
acteurs ont la capacité de s'auto-organiser pour répondre le mieux possible aux acteurs avec qui ils sont en relation,
incluant évidemment les patients mais aussi les autres professionnels avec
qui ils travaillent. C'est cette auto-organisation-là qui caractérise le mieux
la dynamique des organisations de santé.
Le corollaire
de l'auto-organisation, c'est la coévolution. La coévolution, c'est la réaction
posée par les autres acteurs...
excusez, c'est la réaction des acteurs suite aux actions posées par d'autres
acteurs avec qui ils sont en relation. Toute
action engendre nécessairement une coévolution qui peut être soit positive soit
négative à l'atteinte des objectifs visés.
Pour moi, les moyens prévus dans le projet de loi vont aussi générer de la
coévolution de la part des médecins. Je crains que cette coévolution soit généralement négative, c'est-à-dire susceptible de produire des effets contraires à ceux recherchés.
Il y a
au moins cinq coévolutions possibles et probables au projet de loi. Chacune
d'elles a comme conséquence de diminuer
et non d'accroître l'accès aux médecins. Chacune de ces cinq coévolutions-là
sont décrites dans le mémoire.
Le projet de loi introduit une forme de gouvernance
de la pratique des médecins qui peut être qualifiée d'autoritaire et, je dirais, avec un brin de penchant vers le
despotisme. Une gouvernance autoritaire est définie comme une gouvernance qui impose et fait sentir son autorité
d'une manière absolue, sans tolérer la contradiction. Le despotisme est
une forme de gouvernance dans laquelle une seule personne détient tous les
pouvoirs.
Le projet de
loi donne le pouvoir à des instances de décréter le nombre minimal de patients
que doit suivre... et le nombre
minimum d'heures d'activité que chacun des médecins omnipraticiens doit
consacrer à des activités médicales autorisées.
Il est vrai que les activités médicales autorisées sont établies par l'agence
régionale à partir des recommandations du
département de médecine générale, cette implication de la base est en
concordance avec la dynamique des organisations de santé, mais il est surtout vrai que le ministre dicte les règles que
doivent suivre les agences pour établir les activités médicales
disponibles ainsi que le nombre d'heures pouvant être autorisées, que le ministre
peut décréter tout autre service médical que doivent offrir les médecins, que le ministre peut déterminer unilatéralement de nouvelles conditions que
devront remplir les médecins, que le ministre peut déterminer unilatéralement
des modalités de rémunération applicables
aux médecins qu'il juge nécessaires, et enfin que toutes les modalités concrètes
d'application de ce projet de
loi sont définies par le Conseil des ministres, donc exemptées de débat public.
Il y a
au moins deux effets pervers associés à une utilisation intensive d'une
gouverne autoritaire sur la pratique des
médecins. Le premier effet est de procurer un incitatif accru aux médecins
d'opter pour l'une ou l'autre des cinq coévolutions possibles auxquelles
j'ai fait allusion tantôt. Le deuxième effet pervers, c'est l'accroissement de
la bureaucratie. La bureaucratie est
l'instrument par lequel une gouvernance autoritaire exerce son autorité. Cette
bureaucratie est requise pour définir les
comportements escomptés des acteurs au bas de la structure hiérarchique, pour
surveiller le degré avec lequel les
comportements observés sont conformes à ceux exemptés, pour identifier les
individus déviants, pour imposer des sanctions et pour vérifier
l'application appropriée et le respect de ces sanctions-là.
Dans le projet de loi, pour l'identification des
comportements souhaités de la part des médecins de famille, six étapes doivent être franchies. Pour assurer le
respect des engagements pris par les médecins de famille, six étapes
doivent aussi être franchies. La surveillance du respect des engagements
s'effectue trimestriellement, quatre fois par année, pour près de
20 000 médecins.
En conclusion, la finalité du projet de loi est
claire, précise, pertinente et justifiée, mais, compte tenu que les fondements théoriques de ce projet de loi sont incompatibles avec les caractéristiques du milieu auquel il entend
s'appliquer, compte tenu de sérieuses... que
les moyens utilisés par le projet de
loi produiront des effets inverses à
ceux recherchés et compte tenu de son
rejet unanime par ceux visés, sa mise en oeuvre, à mon avis, soulève
d'importantes questions éthiques. Si l'intention du gouvernement est de poursuivre avec ce projet de loi
sans y apporter des modifications mineures, il doit au minimum en faire l'expérience dans une région de
taille moyenne. Cette expérience permettrait de vérifier empiriquement si les moyens suggérés produisent effectivement les effets escomptés. Elle permettrait aussi de préciser les
conditions à mettre en place pour
l'obtention des effets escomptés. Sans une telle expérience, le gouvernement
prend tout le Québec pour un groupe expérimental, et ce, sans groupe contrôle.
Une telle façon de procéder soulève aussi d'importantes questions éthiques.
Enfin, j'aimerais faire une suggestion à la commission.
Le Québec a la chance de compter parmi ses citoyens l'une des sommités
mondiales en gestion des organisations. Il a écrit plusieurs articles et
plusieurs livres sur le sujet, incluant les
organisations de santé. Il a reçu des prix honorifiques nationaux et
internationaux pour son oeuvre. Je pense que la commission devrait inviter le Dr Henry Mintzberg,
professeur de la Faculté de management de l'Université McGill, pour
l'entendre sur ce qu'il pense du projet de loi n° 20. Merci.
• (17 h 10) •
La
Présidente (Mme Montpetit) :
Je vous remercie, M. Lamarche, pour votre présentation. Nous allons
donc débuter la période d'échange avec la banquette ministérielle. M. le
ministre.
M.
Barrette : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lamarche. Bienvenue à cette commission parlementaire.
Je vais faire
un commentaire immédiatement parce que je pense qu'il est important. Je pense
que vous avez déjà été sous-ministre.
M. Lamarche (Paul A.) : Oui.
M.
Barrette : Et donc vous êtes bien au fait que le salon rouge est un
endroit de débat public, et qu'évidemment, à partir du moment où on fait des audiences où les gens peuvent venir
exposer leur point de vue, je pense qu'on peut dire qu'il y a un débat
public, d'une part. Et, d'autre part, pour vous, d'affirmer que le projet de
loi n° 20 est exempté d'un débat public, ça m'apparaît être un peu
exagéré, d'une part.
D'autre part, pour ce qui est de M. Mintzberg,
dont je connais bien les travaux, vous savez bien aussi que le projet de
loi n° 20 a été déposé il y a un certain temps, et c'était possible
pour lui de se faire entendre comme vous l'avez fait vous-même.
Maintenant,
je ne suis évidemment pas vraiment d'accord avec votre position selon laquelle
le Québec est pris en otage et devient un sujet d'expérimentation. Et je prends à mon compte
les nombreuses interventions qui ont été faites dans les trois derniers jours par un certain nombre de
groupes d'experts, dont de vos collègues, il y a une heure maintenant,
qui viennent de la même université que vous
et qui nous ont tenu un discours que je peux qualifier globalement d'opposé
au vôtre. Maintenant, c'est ça qui est
la beauté du débat basé sur la science, des fois les scientifiques peuvent ne
pas s'entendre. Mais il n'en reste
pas moins que manifestement, suite à l'exposé et aux échanges qu'il y a eu avec
le groupe précédent, M. Contandriopoulos et sa collègue, force est
de constater que la lecture de la situation n'est pas la même.
Maintenant,
vous avez fait état de concepts théoriques qui sont assez clairs. En
pratique, vous n'avez pas avancé sur ce
terrain-là, le réservant pour la période d'échange, et nous y sommes. Alors, je
vous inviterais à nous faire part de
vos suggestions pour accéder à la résolution de la problématique que l'on
connaît dans notre système de santé,
et dont la finalité vous apparaît tout à fait justifiée, puisque vous venez de
dire que la finalité du projet de loi est tout à fait appropriée. Alors,
je vous laisse la parole.
M.
Lamarche (Paul A.) : Je
conçois très bien qu'une commission parlementaire est effectivement une
instance démocratique. Ce n'était pas sur la
commission parlementaire, les qualificatifs que j'ai utilisés, c'était sur la
proposition du projet de loi tel qu'il est. Si effectivement la commission
parlementaire a comme effet de modifier substantiellement le projet de loi, je serai le premier à reculer
sur ce que je viens de dire, mais, si effectivement la commission parlementaire
confirme l'élément, bien je vais effectivement conserver un tout petit peu les
points là-dessus.
J'apprécie beaucoup que...
puis j'aimerais qu'on regarde des alternatives. Ce qui me semble être quelque
chose excessivement intéressant à regarder un tout petit peu sur la façon de le
voir... Est-ce que je réponds bien à la question, M. le ministre, ou non?
M. Barrette : Tout à fait.
M.
Lamarche (Paul A.) : Là-dessus,
le premier élément que je vous dirais, ce qui me semble être
excessivement important, c'est que le projet de loi contienne une vision très claire de ce qu'il veut atteindre, dans le
fond, actuellement, l'accent est
mis... puis je pense que, dans cette vision-là, l'accent devrait être mis très
clairement sur les résultats qu'on veut
atteindre plutôt que sur les moyens qu'on veut prendre là-dessus.
Comment voulez-vous que les acteurs au bas de la structure hiérarchique s'auto-organisent pour la réalisation du projet
collectif quand le projet collectif n'est pas là ou quand, dans le fond, la définition claire de ce qu'est le projet collectif n'est pas là? On
parle d'améliorer l'accès — quant
à ça, M. le ministre, vous allez le reconnaître, qu'il s'est amélioré.
Comment quelqu'un peut dire : Moi, j'ai atteint l'objectif
qui était voulu là-dedans?
Je pense que, si on respecte la dynamique
intrinsèque au système de santé, de connaître clairement quel est l'objectif en termes de résultat qu'on veut
atteindre me semble être fondamental. Aussi longtemps qu'on va tout
simplement donner les pénalités puis les
sanctions qui existent, c'est une vision excessivement négative et ça ne permet
pas aux gens de dire... Parce que
normalement... Moi, je pars du postulat, M. le ministre, puis ça fait assez
longtemps que je suis dans le domaine,
que globalement les gens veulent se conformer à des choses correctes, puis en
termes de collectif, et surtout dans le
domaine de la santé, mais il faut leur dire c'est quoi, puis je pense que le
projet de loi devrait insister beaucoup moins sur les pénalités et les
sanctions, tout simplement de dire c'est quoi, la vision de l'accessibilité,
c'est quoi, la vision d'amélioration sur ces
éléments-là. Pour moi, c'est un élément qui est important, non pas pour
sanctionner, mais pour permettre aux
gens de dire : Oui, moi, je veux embarquer dans la réalisation du projet
collectif. Ça me prend une bonne connaissance là-dessus, puis je vais...
Le deuxième
élément que je vous dirais, c'est l'alignement des incitatifs, il faut qu'il y
ait un lien entre les incitatifs procurés aux acteurs puis les
incitatifs à l'atteinte du résultat du projet collectif là-dedans. Ce que je
trouve vraiment surprenant dans le projet de loi, M. le ministre... ou Mme la
Présidente, c'est qu'il ne reconnaît pas que le mode de rémunération à l'acte n'incite pas puis n'incitera jamais à contribuer à
atteindre les objectifs du projet de loi. Ce que la rémunération à l'acte incite, puis très justement,
c'est la production d'un nombre d'actes de plus en plus grand, soit pour
augmenter la rémunération ou soit pour
atteindre la rémunération cible dans un laps de temps plus grand, mais
prendre en charge des populations, prendre
en charge des patients, non. Même plus que ça, le mode de rémunération à l'acte
est un contre-incitatif à prendre en
charge des clientèles lourdes et un contre-incitatif à prendre en charge les
maladies chroniques. Et, quand ils
prennent en charge des maladies chroniques, vous le savez très bien, si ça
prend trop de temps, ils le réfèrent à d'autres. Ils vont le référer à
des spécialistes, ils vont le référer pour des examens. Aussi longtemps qu'on
n'aura pas l'alignement des incitatifs sur une prise en charge de patients ou
une prise en charge d'une population, jamais on ne réussira à atteindre
l'objectif là-dedans.
Mon troisième
point, c'est que toute la responsabilité dans le projet de loi, puis ça a été
soulevé par les acteurs puis ceux qui
sont venus précédemment, c'est essentiellement une responsabilité individuelle
avec des incitatifs individuels. Jamais ça ne va permettre des
collaborations entre les secteurs, jamais. Donc, pour nous, il serait important
que la responsabilité soit collectivisée de
plus en plus, soit collectivisée, et les incitatifs soient aussi collectivisés.
À titre d'exemple, 90 % de la
population d'un territoire devrait avoir un médecin de famille, aucun patient
ne devrait attendre dans ce territoire-là
plus que trois jours pour avoir une visite du médecin de famille. L'incitatif
est donné au groupe, et c'est le groupe qui contrôle comment s'assume la
responsabilité. Ce que le central fait, c'est qu'il monitore l'atteinte de
cette finalité-là.
Dans le fond,
quand vous regardez le projet de loi tel qu'il est là, il ne suscite même pas
la collaboration entre les spécialistes puis les médecins de famille.
Même, si la collaboration prend du temps des médecins spécialistes, c'est susceptible de diminuer la collaboration entre les
deux. Puis vous savez très bien que, pour une bonne pratique de première
ligne, ça prend un excellent support de la
deuxième et de la troisième ligne là-dessus. Donc, ma troisième approche
c'est fondamentalement de le voir de façon collectivisée sur ces éléments-là.
Le quatrième
point que je voudrais mentionner effectivement aussi, c'est l'information.
Écoutez, on veut rendre les gens responsables de l'atteinte de
responsabilités que vous mentionnez. Il faudrait que régulièrement le ministère
puisse publier quels sont les progrès qu'on
a faits dans la réalisation du projet collectif, autant au plan national qu'au
plan régional, mais, plus que ça, que chacun
des groupes connaisse très bien son degré de contribution à l'atteinte de ce
projet collectif là, non pas pour les sanctionner, pour qu'ils puissent
se rencontrer puis dire : Woups! on n'est pas trop bons, il faudrait
s'améliorer; pour que ça puisse susciter l'auto-organisation.
Le cinquième point que je voulais mentionner,
c'est reconnaître des succès. Tout le projet de loi est orienté vers la
punition des échecs. Pas diable comme orientation, ça. Il y a penchant
excessivement négatif. Il devrait changer complètement d'orientation et
s'orienter vers la reconnaissance puis la récompense des succès, qui contribue
le plus à améliorer l'accès d'une population donnée sur ces éléments-là. Puis
la reconnaissance de ce succès-là sert deux fins. La première fin, c'est que ça
reconnaît puis ça récompense ceux qui réussissent...
• (17 h 20) •
Le Président (M. Tanguay) : M. Lamarche,
on entend les cloches. Les députés doivent s'absenter momentanément pour aller voter, mais nous allons revenir et nous
pourrons continuer l'échange avec les parlementaires.
M. Lamarche (Paul A.) : La
démocratie.
Le
Président (M. Tanguay) : Alors, nous vous demandons de bien vouloir
nous excuser.
Je suspends quelques
instants.
(Suspension de la séance à
17 h 21)
(Reprise à 17 h 36)
Le
Président (M. Tanguay) : À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre,
donc, notre travail, notre audition de M. Paul Lamarche,
représentant de l'Institut de recherche en santé publique de l'Université de
Montréal.
Donc,
avant de suspendre, l'échange avec le ministre était clos. Et je cède
maintenant la parole à notre collègue députée de Taillon pour une
période de 13 minutes.
Mme Lamarre :
Merci beaucoup, M. le Président. Bienvenue, M. Lamarche.
M. Lamarche (Paul
A.) : Merci.
Mme
Lamarre : Merci pour votre analyse plus globale et pour les enjeux que
vous réussissez à regrouper sous un certain thème. On voit que vous avez
une expérience en gouvernance et en analyse de projets de cette nature-là.
Je
vous avoue qu'une des choses que vous évoquez dans la structure et les
conséquences, c'est le phénomène des coévolutions,
et ces coévolutions-là, on les a entendues mais un petit peu parcimonieusement,
chacun en évoquait une ou deux, mais vous, vous avez le mérite de mettre
les cinq tout à fait appropriées. Je vais vous laisser nous en parler, parce
qu'elles sont vraiment bien catégorisées.
M. Lamarche (Paul A.) : O.K., merci. Possiblement définir c'est quoi, une
coévolution, au point de départ, là. Souvent,
on a l'impression qu'on prend une décision puis que tout le monde obéit. Or,
dans la réalité, ce n'est pas vrai, chaque
acteur va réagir à une décision qui est prise à sa façon, et souvent relié à
ses intérêts, à ses croyances, à tous ces éléments-là. Et ce qui peut
arriver, c'est que la coévolution peut être très positive, hein? Si les acteurs
sont d'accord avec ce qui est mentionné, ils
peuvent accélérer le processus par lequel les objectifs vont exister, mais il
peut y avoir une coévolution
complètement inverse, c'est que les acteurs peuvent adopter des comportements
qui vont complètement à l'encontre des objectifs visés, et ce sont ces
éléments-là que j'ai fait ressortir dans mon document.
Dans
le fond, premièrement, le projet de loi s'applique aux médecins qui participent
au régime d'assurance maladie du
Québec. Les médecins qui ne veulent pas être soumis à ces contraintes-là
peuvent tout simplement sortir de l'assurance maladie et pratiquer complètement dans le privé. Et, selon ce que
j'entends, c'est déjà commencé, ces éléments-là, ça serait effectivement
à vérifier sur ce point-là, mais ce qui est surprenant là-dedans, là, si c'est
le cas, si jamais ça arrive, le projet de
loi va avoir comme effet d'accroître l'accès aux médecins qui pratiquent en
privé puis de réduire l'accès aux médecins qui pratiquent dans le régime
d'assurance maladie du Québec, donc ça devient complètement contraire.
Le
deuxième, c'est que le projet de loi oblige les médecins omnipraticiens à
assurer le suivi d'un nombre minimum de
patients. Donc, une deuxième coévolution, c'est le choix de patients, c'est de
prendre des patients qui sont plus légers pour être capable de
satisfaire le nombre et de laisser à d'autres ou de délaisser la notion des
maladie chronique ou de la clientèle lourde.
Le troisième, le projet
de loi, c'est qu'il oblige les médecins à faire un nombre minimal d'heures
d'activités médicales autorisées. Il peut très bien arriver que, dans certaines
circonstances, des médecins ne peuvent pas ou ne veulent pas pratiquer à plein temps. Puis, dans le fond, ce que je vous
dirais, deux exemples, ce sont des médecins qui sont à la mi-retraite. Avec ces éléments-là, ils risquent de se retirer
complètement, donc on va perdre une petite capacité de production. Ou bien, de façon temporaire, c'est
une femme qui vient d'avoir un enfant puis qui veut pratiquer de façon
demi-temps pendant un certain bout de temps; elle risque de ne pas pratiquer du
tout, du tout, du tout. Donc, ceux qui participent à temps partiel, pour
employer cet élément-là, on risque de les perdre avec ce projet-là.
• (17 h 40) •
Le quatrième point,
c'est que le projet de loi s'applique aux médecins spécialistes qui ont une
nomination permettant d'exercer leur
pratique dans un centre hospitalier. Les médecins qui veulent se soustraire au
projet de loi ne pratiqueront plus en
centre hospitalier, ils risquent de se retirer et de pratiquer en cabinet
privé. Encore là, c'est paradoxal. Le
projet de loi risquerait donc d'accroître l'accès aux médecins qui pratiquent
en cabinet privé et de diminuer l'accès aux médecins qui pratiquent en
centre hospitalier, ce qui est l'inverse des objectifs poursuivis par le projet
de loi.
Le cinquième point,
c'est que le projet de loi s'applique uniquement aux médecins dont la
spécialité est visée par règlement. J'ose
croire que les spécialités visées par règlement vont être celles dont
l'accessibilité est la plus difficile. Or,
il peut très bien arriver que des médecins qui veulent se soustraire de ce
projet de loi là choisissent de se former dans des spécialités non
visées par un règlement. Donc, le projet de loi aurait comme effet d'accroître
l'accessibilité à des spécialités déjà accessibles et de diminuer
l'accessibilité à des spécialités encore moins accessibles.
Puis
il pourrait y en avoir d'autres, madame. Ce que je peux vous dire, c'est quand
même une lecture relativement rapide,
mais le message, c'est moins le détail que de penser que parce qu'on édicte
quelque chose tout le monde va obéir, c'est
faux. Il faut fondamentalement tenter de prévoir ça peut être quoi, les formes
de coévolution que les acteurs peuvent prendre pour se soustraire au
projet de loi. Si c'est énorme, bien là je vous dirais que le projet de loi
risque d'aller à l'encontre des objectifs visés, de procurer les moyens pour
aller à l'encontre des objectifs visés. C'était ça, la notion de coévolution.
Mme
Lamarre : Bien, c'est tout à fait clair, et je pense que les cinq
exemples que vous avez évoqués sont des choses possibles. On ne les
souhaite pas, mais je pense qu'on doit vraiment s'assurer de non pas seulement...
C'est qu'on se rend compte aussi, avec ce
que vous nous dites, que, même si on ajoute des balises, c'est l'intention de
base qui n'est pas... c'est la
participation, la contribution volontaire et motivée de professionnels de la
santé, dans le fond, qui ne sera pas au rendez-vous et qui donc
contreviendrait à n'importe quel projet, dans le fond, de réforme, c'est...
M. Lamarche (Paul A.) : J'ai
l'impression que, si le projet de loi récompensait les bons comportements, il
risquerait d'y avoir une coévolution positive et non pas une coévolution
négative.
Mme Lamarre : Bien, je vais faire
l'avocat du diable. Je vous dirais qu'on a déjà, dans notre système actuel, récompensé, là, on a donné des primes pour des
patients vulnérables, on a donné des primes pour des patients un peu
moins vulnérables, puis on n'a pas eu le résultat.
Donc, quels
sont les modes de récompense ou peut-être le moment où on donne la récompense
qui sont gagnants, selon les modèles de gouvernance que vous connaissez?
M.
Lamarche (Paul A.) : C'est
qu'à mon avis, puis c'est mon deuxième point, c'est ce que j'appelle
l'alignement des intérêts. On ne peut pas
espérer un comportement quand les incitatifs financiers incitent à d'autres
comportements. Le mode de rémunération à
l'acte n'incitera jamais à prendre des clientèles lourdes, jamais, donc il faut
trouver une nouvelle... Ce qu'il faut
rémunérer, c'est justement une prise de clientèle. Ça peut être une capitation,
ça peut être une population ajustée, je pense que, vous savez, il y a eu
des expériences de ces éléments-là.
L'autre
élément que je vous dirais : Malheureusement, le mode de rémunération
idéal n'existe pas, O.K., il y a toujours
des plus puis des moins. Puis, dans le fond, ce que je vous dirais : De
miser sur un seul mode de rémunération pour toute la province de Québec,
c'est peut-être jouer au 6/49. Plutôt que de tenter de mouler les modes de
rémunération dépendant des clientèles, dépendant des choses comme ça, pour moi,
il faut jouer avec cet élément-là beaucoup en fonction des acteurs en présence
puis en fonction des contextes dans lesquels on est.
Dans le fond,
certaines études disent... Le meilleur moyen pour atteindre l'objectif,
savez-vous c'est quoi? C'est le moyen sur lequel les gens s'entendent
que, oui, ils veulent le faire. Donc, la notion de consensus est un prédicteur énorme de l'efficacité des moyens. Un moyen qui ne
fait pas consensus ou, pire, dont les acteurs impliqués vont contre, l'atteinte de l'objectif ne se fera jamais. Donc,
pour moi, c'est une notion relativement différente pour ça. Donc,
quelles responsabilités on veut? Si on veut une responsabilité clientèle et une
responsabilité populationnelle, il faut financer clientèle et population.
L'autre
élément, c'est que ça ne peut plus être individuel, il faut que la
responsabilité soit collective, la responsabilité doit être collective.
Et j'ose croire que la responsabilité va dépasser les médecins, que la
responsabilité peut aller au niveau d'une
équipe multidisciplinaire. Je donne ça comme étant un exemple là-dessus. Ça va
inciter à la pratique en équipe et ça va inciter à la
multidisciplinarité.
Donc, je
reviens à deux choses. Il faut savoir qu'est-ce qu'on veut payer, il faut donc
payer en fonction des objectifs qu'on
veut, et je pense que, dans le projet de loi, par rapport aux objectifs, ça
prendrait un incitatif plus prise en charge clientèle, prise en charge population, et non pas à l'acte. Et l'autre
élément : responsabilité plus collective que responsabilité
individuelle.
Mme Lamarre : Exactement. Donc, il y
a une notion de prise en charge mais peut-être de ne pas seulement donner l'argent au moment où on dit qu'on prend en
charge mais d'aller mesurer certains indicateurs de cette prise en charge là. Mais aussi ce qu'on a beaucoup vu et
entendu, c'est beaucoup de médecins de bonne volonté qui disent :
On prend bien soin de nos patients, mais,
s'il y en a 2 millions qui sont aux portes de nos cliniques médicales, ça,
ce n'est pas de notre faute, c'est la
faute de l'organisation. Alors, il faut trouver aussi la façon d'induire une
responsabilité populationnelle, et ça, vous dites que la rémunération à
l'acte n'est pas favorable à ça.
J'aurais
voulu aussi vous entendre parler de votre projet pilote ou vitrine, mais, s'il
reste quelques minutes, je laisse la parole à mon collègue.
M. Lisée : Merci. Écoutez, ce
que vous nous dites recoupe ce que plusieurs autres intervenants nous ont dit
sur les effets pervers de la rémunération à l'acte, sur la nécessité d'un
travail d'équipe, sur la nécessité de l'adhésion à la norme pour la faire fonctionner parce que la résistance à la norme
induit l'échec de la norme, et en ce moment on voit énormément de
résistance à la norme, donc tout ça est vrai.
Maintenant, vous êtes à l'Institut de recherche
en santé publique de l'Université de Montréal, vous voyez des étudiants depuis longtemps. Moi, je vous pose une
question plus générale, là : En ayant admis tout ça... Et vous nous
dites : Bon, bien, si la norme change
et qu'il n'y a pas de consensus, il va y avoir des choix de carrière pour
éviter les obligations qui sont
créées, il va y avoir des effets pervers, etc. Mais tout ça, même s'il faudrait
éviter ces effets pervers, ce n'est pas une bonne idée de faire une norme non consensuelle, etc., mais ça reporte
quand même à un nombre significatif d'étudiants en médecine et de médecins qui n'ont comme motivation que le gain et non
pas la mission. Dans votre parcours d'une personne qui avez vu des
cohortes et des cohortes d'étudiants, est-ce qu'on est à voir une augmentation
de l'appât du gain comme seul prédicteur du comportement des futurs médecins?
M. Lamarche (Paul A.) : Je suis peut-être très biaisé, M. le Président.
J'ai enseigné aux externes et, dans le fond, je vous dirais que la très
grande majorité, ils veulent desservir la population, ils ont vraiment une
vision que je dirais très
altruiste, très sociale. Je pense que c'est la... et je reviens au mode de
rémunération à l'acte comme étant un exemple, la pratique les incite à
se convertir avec le gain, comme tel.
Encore
là, je reviens. Si jamais la responsabilité était populationnelle, et c'était
le succès : Bravo! vous desservez bien votre population, on
renforcerait, à mon avis, les motivations initiales des étudiants en médecine
là-dedans. Actuellement, regardez c'est
quoi — puis
j'étais pour aller avec des exemples, mais je vais arrêter là — donc regardez un tout petit peu c'est quoi, la logique. Quelqu'un
qui s'en va vers ça, il n'est pas valorisé, les incitatifs sont
complètement contre ces éléments-là, d'où ma notion d'alignement des
incitatifs, d'aligner les incitatifs qui récompensent les comportements qui
contribuent à l'atteinte de l'objectif.
Et
moi, je pense que, pour les externes, non, moi, je vous dirais que la très
grande majorité des étudiants sont là avec un service à la population,
un service à l'humanité, un bon service pour les patients, comme tel. Je pense
que la pratique, telle qu'elle est faite, et
là j'implique beaucoup le mode de rémunération à l'acte, c'est évident que ça
change avec les années. Je ne sais pas combien de temps que ça prend et je
pense que le temps que ça prend peut varier.
M.
Lisée : ...de la part de la Fédération des médecins
spécialistes, des médecins omnipraticiens sur la façon dont ça
fonctionne et qui induit un comportement qui n'est pas aussi altruiste que
celui qui était à l'origine de leur vocation.
M. Lamarche (Paul
A.) : Je vous laisse la parole.
Le Président (M.
Tanguay) : Merci beaucoup. Il reste 15 secondes. Non?
M. Lisée :
On vous les donne.
Le Président (M.
Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous cédons maintenant la parole à
notre collègue de Lévis pour 8 min 30 s.
• (17 h 50) •
M. Paradis (Lévis) : Merci, M. le Président. Merci, M. Lamarche. Merci d'être là et de
nous faire part de vos connaissances et de vos visions, c'est très
instructif également.
Et
je reviens sur... Parce que vous l'avez répété à plusieurs reprises, hein, vous
avez parlé du mode de rémunération puis
vous dites : Écoutez, le mode de rémunération à l'acte, c'est ce qu'il y a
de plus désincitatif possible, et vous dites qu'il n'y a pas non plus de
mode de rémunération parfait, mais, dans le contexte actuel, dans la mesure où
il faut choisir et modifier pour faire en
sorte qu'on retrouve cet altruisme dont vous venez de me parler, le mieux à choisir,
quel est-il? Quel est le ratio entre,
je ne sais pas, la prise en charge, par exemple, avec un ratio de rémunération
à l'acte, un... Parce que vos collègues, également, ont aussi abordé
cette notion-là avec des données très précises de pourcentage, en disant :
De cette façon-ci, on pourrait maximiser, en tout cas être plus efficace. Vous
voyez ça comment, avec l'expérience que vous avez?
M. Lamarche (Paul
A.) : Dans le fond, il faut savoir qu'est-ce qu'on veut payer. Si on
veut payer une responsabilité clientèle, il faut payer clientèle. Avant tout, il
faut décider qu'est-ce qu'on paie. Et, dans le mode de rémunération à l'acte, on
payait la production des actes. Là, je
pense qu'on trouve qu'il y a
des effets pervers, et on le sait. Puis on parle de prise en charge de
clientèle, prise en charge de population. Si c'est ça, il faut donc orienter
vers ces éléments-là.
Moi,
ce que je connais là-dessus, c'est qu'on peut avoir une capitation
individuelle, et ça, c'est un per capita ajusté. Ni plus ni moins ce que ça veut dire, concrètement, là, c'est qu'un
médecin de famille s'engage à offrir tous les services à un patient avec
des caractéristiques données pour un montant annuel fixe, c'est ça qu'est la
capitation, et, dans le fond... mais la
capitation est ajustée selon l'âge, le sexe et le statut socioéconomique du
patient, parce que c'est relié à l'utilisation des services de santé.
Ça, c'en est un, mode.
L'autre
mode, c'est ce qu'ils appellent le per capita ajusté mais au niveau collectif,
et, dans le fond, l'Angleterre fait ça,
c'est qu'ils rémunèrent puis ils paient un ensemble de médecins par rapport à
la population donnée. Encore là, le per capita est ajusté en fonction de la structure d'âge, le sexe puis de la
situation socioéconomique de la collectivité. Ce que ça fait, quand
c'est collectif, c'est quoi? C'est que, s'il y en a un qui ne fait pas sa job,
là, les autres disent : Attends une minute,
là, fais ta job, parce que sinon c'est nous autres qui allons être pénalisés.
Donc, on collectivise, avec ces éléments-là, le comportement et on fait en sorte qu'il y a une autorégulation à
l'interne. Les HMO, aux États-Unis, «health maintenance organizations»,
fonctionnent beaucoup sur ces éléments-là.
Donc,
la notion de dynamique, ce que je vous dirais... Puis là, actuellement, il y a
une grosse mode : la rémunération mixte. Moi, les études puis
l'expérience que j'ai, quand l'acte accapare plus que 10 % de la
rémunération, c'est l'acte qui détermine la dynamique, ce n'est pas le reste,
là-dessus. Donc, encore là, ça peut peut-être varier. Moi, ce que j'ai vu, c'est que, quand il y a acte et, par
exemple, rémunération horaire, rémunération horaire est utilisée pour les
réunions, l'acte pour voir le patient. Donc,
cet élément-là, je ne suis pas sûr. Mais ça, comme je vous dis, il faudrait que
je revoie, je n'ai pas fait ces...
Mais, personnellement, je ne suis pas un adepte de la rémunération mixte aussi
longtemps qu'on n'aura pas plus
d'évidence que le mixte est bon sur... parce que plus que 10 % ou
15 %, c'est l'acte qui détermine la dynamique, c'est clair, clair,
clair. Mais, encore là, je reviens. La première décision, c'est :
Qu'est-ce qu'on veut payer?
Le
pire, c'est d'essayer d'arranger l'acte pour desservir une population. Bien là,
ça va donner les coévolutions que
j'ai mentionnées. C'est le caractère de punition, c'est le caractère de
négatif, c'est le caractère de ces éléments-là.
M. Paradis (Lévis) : Vous nous dites, M. Lamarche, deux choses
relativement à ça. Vous parlez de collectiviser la responsabilité en
fonction de l'atteinte des objectifs, manifestement, là, c'est un but à
atteindre. Qu'est-ce qu'on fait pour y arriver? Parce qu'il y a une démarche,
ce ne sera pas un automatisme.
M. Lamarche (Paul A.) : O.K. Si je vous disais... Puis encore là je
reviens avec qu'est-ce qu'on paie. Si je vous disais que, dans le fond, on paie les médecins d'un territoire donné en
fonction des services requis par la population de son territoire et on dit maintenant aux médecins du
territoire : Vous devez, pour cet argent-là... 90 % de la population
doit avoir un médecin de famille, maximum de trois jours — puis
là j'invente, là — maximum
de trois jours pour voir un médecin de
famille, et on le fixe collectivement? Le ministère surveille l'atteinte de ces
éléments-là, mais il n'a pas besoin de
faire des obligations à 20 000 médecins individuellement puis de les
surveiller trimestriellement, c'est collectivement que ça va se faire
sur ces éléments si on donne la responsabilité collective. Puis je
reviens : La notion de capitation, la notion de donner à des groupes, sur
ces éléments-là, devient fondamentale.
Encore
là, je vous dirais, je n'ai pas la solution. Pourquoi on ne l'expérimente pas?
Pourquoi on n'essaie pas? À mes
étudiants, ce que je dis : Quand on ne le sait pas, on essaie, mais peu,
petit et varié. On ne le sait pas. Varié, c'est qu'on essaie deux, trois choses. S'il y en a une qui
marche, on le consolide puis on laisse les autres. Puis ce que je dis
souvent, pourquoi petit et varié : Je
préfère un petit succès qu'un gros échec. De miser... une seule mesure partout
pour le Québec, je pense que c'est
très à risque. On est mieux d'essayer des choses différentes et, si jamais ça
fonctionne, là, effectivement, on le
consolide, justement parce qu'il n'y a pas de mode idéal, puis ça dépend des
contextes, ça dépend des acteurs, ça dépend des gens. Qu'on essaie puis
qu'on adapte ces éléments-là.
M. Paradis
(Lévis) : Vous êtes ici, M. Lamarche, pour exprimer votre vision
des choses et vous le faites bien, et c'est pour ça qu'on est là, pour vous
entendre et ensuite tirer profit de ce que vous voyez. Eu égard à votre connaissance
et votre expérience, vous dites : Il va falloir qu'on travaille aussi à la
reconnaissance des succès, hein? Alors, il y a le punitif puis il y a la
récompense, hein, qui est un incitatif. La forme que ça peut prendre sur
l'atteinte d'objectifs qui seront évalués trimestriellement, collectivement, ça...
M. Lamarche (Paul A.) : Ce que je vous dirais, c'est de savoir c'est
quoi, un succès, O.K.? Moi, je me souviens, quand j'étais au bureau d'Europe de l'OMS, on avait identifié, on
faisait la liste des succès, quel pays qui réussissait bien dans tel
domaine donné. Quand les autres pays nous téléphonaient pour dire : Qui
c'est qui a réussi en prévention des accidents
de véhicule moteur?, je vous dis ça comme un exemple, on était capables de
donner l'exemple d'un pays avec un nom puis un numéro de téléphone. Moi,
je trouve qu'on devrait faire la même chose. Quels sont les médecins d'un territoire donné qui ont réussi à atteindre
l'accès? Puis on est capables de le mesurer. D'une part, on peut leur donner
une récompense, mais la récompense n'est pas nécessairement financière, la
récompense pour dire : Le meilleur groupe de médecins du Québec cette
année, c'est un tel, je donne ça comme étant un exemple. Ce que ça fait, c'est
que ça récompense le succès, mais, plus que ça, c'est que les acteurs qui
veulent réussir vont leur donner des coups de fil puis ils vont dire :
Comment vous avez fait ça, vous autres, pour réussir? J'aurais tendance à
mettre plus l'accent sur le succès et sur la récompense.
Je
vais vous donner un petit exemple. C'est comme un papa qui rencontre son fils
aîné puis qui dit : Tu vas être gentil avec ta petite soeur, mais
la seule chose qu'il dit, c'est les punitions qu'il va avoir s'il n'est pas
gentil, jamais il ne définit c'est quoi, gentil. Comment vous voulez que
l'enfant définisse son comportement pour être gentil pour sa petite soeur? Je
trouve que c'est un peu comme ça dans lequel on est. Il va falloir définir
c'est quoi, gentil.
M. Paradis
(Lévis) : Il va falloir dire aux médecins : Vous devriez être
gentils avec vos patients, et définir c'est quoi, la gentillesse.
M. Lamarche (Paul
A.) : Et définir «gentil».
M. Paradis (Lévis) : Et peut-être le dire aussi au ministre, comment être gentil aussi avec
les acteurs dont vous nous parlez depuis le début. Sourire, M. le
ministre.
M. Lamarche,
à travers ce que vous avez vu et avez constaté, est-ce qu'il y a un modèle
idéal ailleurs? Vous étudiez, vous comparez et vous regardez.
M. Lamarche (Paul A.) : Chose certaine que je ne ferais pas, je ne
transposerais pas tel quel le modèle d'ailleurs, je l'appliquerais au Québec puis je l'adapterais au Québec, là-dessus.
C'est évident que des modèles... Puis là je reviens. Des modèles, pour moi, le modèle capitation pour
la première ligne mais le modèle salariat pour les médecins spécialistes
en établissement, c'est des mixtes qui peuvent être relativement intéressants,
là-dedans il y a plusieurs pays qui existent. Encore
là, il n'y a pas de modèle idéal, j'insiste. On peut très bien voir comment ça
fonctionne par rapport à ces éléments-là, mais j'aurais tendance à ne pas miser sur un seul modèle, j'aurais
tendance à varier puis en fonction de ce que les acteurs sur le terrain
fait. Mais je fixerais clairement c'est quoi, le succès, c'est quoi, être
gentil...
Le Président (M.
Tanguay) : Merci beaucoup.
M. Lamarche (Paul
A.) : ...puis je monitorerais «être gentil» puis je le dirais comme
tel — je
m'excuse.
Le Président (M.
Tanguay) : Merci beaucoup, M. Lamarche, donc, représentant à
l'Institut de recherche en santé publique de l'Université de Montréal.
Compte tenu de l'heure, la commission ajourne
ses travaux jusqu'au mardi 17 mars, à 10 heures. Merci.
(Fin de la séance à 17 h 58)