(Treize heures)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Alors, bon après-midi à tous. Merci de votre présence. Donc, ayant constaté le
quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur l'évolution de la
Loi concernant les soins de fin de vie ouverte.
La commission est réunie aujourd'hui
virtuellement afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions
publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
La Secrétaire : Non,
Mme la Présidente.
Auditions (suite)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, bienvenue à la Pre Georgia Vrakas. Merci d'être avec nous cet
après-midi, d'avoir accepté notre invitation. Vous aurez 20 minutes pour
nous présenter votre exposé, et par la suite nous aurons un échange de
40 minutes avec les membres de la commission. Donc, sans plus tarder, je
vous cède la parole.
Mme Georgia Vrakas
Mme Vrakas (Georgia) : Bonjour.
Merci beaucoup, premièrement, de m'avoir invitée à témoigner dans le cadre de
cette commission spéciale. Vous allez m'excuser, je suis un peu nerveuse, je
n'ai jamais eu à témoigner devant une commission de ce genre, donc...
La
Présidente (Mme Guillemette) :
On va prendre le temps qu'il faut. Prenez votre temps. Il n'y a pas de...
on n'a pas d'enjeu aujourd'hui. On est là
pour écouter ce que vous avez à dire, et c'est important pour nous de vous
entendre.
Mme Vrakas
(Georgia) : Super. Merci
beaucoup. Donc, je me présente, Georgia Vrakas, psychologue clinicienne.
Je suis psychoéducatrice aussi et professeure agrégée au Département de
psychoéducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières, au campus de
Québec. Je suis aussi chercheuse en santé mentale, donc mes domaines
d'expertise sont la santé mentale positive, c'est-à-dire le bien-être, la
maladie mentale ainsi que la prévention du suicide. Je m'intéresse aussi à la
santé mentale des autochtones.
Donc, comme j'ai dit tout à l'heure, je suis
très contente d'être ici, car la question de l'aide médicale à mourir pour seul motif de la maladie mentale
m'interpelle beaucoup. Ça m'interpelle beaucoup comme professionnelle en
santé mentale, évidemment, mais aussi en tant que personne vivant avec une
maladie mentale depuis l'âge de 23 ans à peu près. Je prends une gorgée
d'eau.
(Interruption) Pardon. Je veux tout de suite me
positionner. Donc, je suis contre l'inclusion de la maladie mentale comme seule
condition médicale pour l'aide médicale à mourir. J'aimerais aussi prendre un
moment pour vous expliquer mon propre vécu personnel avec la maladie mentale,
donc mon... j'allais dire mon «séjour», mais ce n'est pas un séjour, c'est mon
expérience, en fait.
Pendant plus de 20 ans, je pensais vivre
avec un trouble dépressif. Donc, j'ai eu trois épisodes, au cours de ces
20 dernières années, qui ont engendré des congés de maladie plus ou moins
longs, donc de quelques semaines à quelques mois, même. Donc, sur cette
période-là, j'ai essayé divers médicaments, donc des antidépresseurs, des
anxiolytiques, des antipsychotiques, et je prends encore tous ces
médicaments-là. C'est que j'ai aussi un trouble obsessionnel compulsif depuis
que j'ai huit ans environ. Donc, je suis, évidemment, encore suivie en psychothérapie.
Ce qui est arrivé, par contre, c'est qu'au mois
de mars, donc, de cette année, j'ai eu ma plus récente rechute. Donc, j'étais,
je vais vous dire bien franchement, j'étais très, très découragée, même
désillusionnée, on va dire, parce que j'ai suivi... j'ai tout fait ce qu'il
fallait faire. Je veux dire, j'ai fait... j'ai pris un traitement
pharmacologique, j'avais une psychiatre, je suis allée à l'hôpital de jour,
j'ai fait les ateliers d'autogestion de la dépression, de l'estime de soi, etc.
Puis, même si je suis psychologue et même si je sais que le processus de
rétablissement, bon, ce n'est pas... il n'est pas linéaire, hein?, c'était...
ça m'a vraiment découragée beaucoup.
Donc, le problème, c'est que ce n'étaient pas
les traitements, c'était que je n'avais pas le bon diagnostic. Donc, il y a à
peine deux semaines, donc au début du mois de mai, là, de cette année, j'ai eu
le bon diagnostic : j'ai un trouble bipolaire de type 2, qui est un
trouble mental considéré comme grave et persistant. Donc, je vais devoir
prendre des médicaments, que je viens de commencer il y a quelques jours, toute
ma vie, fort probablement.
Donc, quand je vous dis que, les mois précédant
le diagnostic, c'est-à-dire le mois de mars et le mois d'avril, ça a été vraiment
très, très, très difficile pour moi parce que je ne comprenais pas ce qui
m'arrivait, j'avais... je ne comprenais pas, j'étais
vraiment très mal. Mes médicaments semblaient empirer la situation. Et j'ai
même pensé sérieusement au suicide, donc dans le sens que j'avais un plan que
j'avais commencé à mettre à exécution, mais, mais,
étant donné que, bon, ça fait 20... plus de 20 ans que je travaille sur la
prévention du suicide, étant donné que je donne même un cours cette
session sur l'intervention auprès de personnes suicidaires, donc j'ai... Évidemment,
je suis, plus que... on va dire, que la moyenne, je suis plus sensible aux
réalités et aux services existants en prévention du suicide, j'ai décidé de
chercher de l'aide, en fait j'ai appelé le 1 866 appelle. Puis
j'ai... Ce qui était difficile pour moi parce que je travaille dans ce milieu,
donc je peux croiser comme... je peux parler à quelqu'un que je connais quand
j'appelle, même chose quand je vais à l'hôpital, je peux croiser des gens que
je connais. Donc, j'ai appelé, tu sais. Puis l'intervenante a été très, très
aidante, puis ça m'a aidé à me raccrocher à la vie. En fait, c'est ça, je suis
encore ici, comme vous voyez, je suis là devant vous.
Donc, pour moi, c'est pour ça qu'on a ce type de
service, pour nous aider à traverser nos moments les plus laids, pour nous
aider à se retrouver et à retrouver même... même si c'est un petit brin
d'espoir dans la noirceur.
Donc, tu
sais, moi, je ne voulais pas mourir, mais je voulais arrêter de souffrir.
C'était ça, là. Et maintenant, avec le
début d'un traitement prometteur, en
tout cas, à suivre, là, j'ai quand même
un grand espoir pour mon rétablissement. Même après 20 années et de
hauts, et de bas, et de rechutes, non seulement je suis en vie, mais je compte
le rester.
Pourquoi je vous raconte tout ça? Oui, c'est mon
histoire personnelle, mais c'est celle de plusieurs autres personnes au Québec.
Je suis loin d'être exceptionnelle : près de 20 % de la population du
Québec, soit une personne sur cinq, souffrira d'une maladie mentale au cours de
sa vie. Je ne suis pas unique là-dedans.
Je vous ai aussi parlé de suicide. Comme vous le
savez, au Québec, bon, le suicide demeure toujours problématique. Je sais très
bien que les chiffres vont en baissant, mais ils demeurent problématiques. Et,
comme vous le savez probablement aussi,
selon la littérature sur le sujet, 90 % des personnes qui décèdent par
suicide avaient un trouble mental. 90 %, c'est énorme, c'est
énorme. Ça nous dit quelque chose, là, qu'on ne peut pas ignorer, là.
Donc, la maladie mentale ainsi que le suicide
sont des problèmes de santé publique qui nécessitent une réponse de santé
publique.
(Interruption) Une petite gorgée. L'inclusion de
la maladie mentale comme seul motif dans la Loi concernant les soins de fin de
vie est une réponse, à mon avis, politique à un problème de santé publique.
Cette loi individualise — je
suis malade, je ne trouve pas d'emploi, je suis stigmatisé, je veux arrêter de
souffrir — à
un problème sociétal, celui où la maladie mentale est encore taboue, encore
stigmatisée, où l'accès aux services en santé mentale est très difficile — on a
juste à voir les listes d'attente, même au privé, actuellement — où la
recherche en psychiatrie est sous-financée, où le financement des programmes de
promotion ou de prévention en santé mentale continue à diminuer.
On sait pourtant ce qu'il faut pour renforcer la
santé mentale populationnelle, on sait ce dont on a besoin pour aider les gens
qui sont déjà malades à aller mieux. Le problème, c'est que nos gouvernements
successifs ont fait des choix, ils ont décidé de ne pas investir dans ce qu'il
nous faut pour améliorer la santé mentale en amont ni dans ce qu'il nous faut
pour nous rétablir quand on est déjà malades.
Pourtant, l'ironie dans tout ça, c'est que le
rétablissement est au coeur du plan d'action en santé mentale, et là on se retrouve à devoir débattre de l'inclusion
des personnes atteintes de maladie mentale à l'AMM pour,
supposément, nous aider à mieux mourir,
quand on n'a même pas accès aux services minimaux pour nous aider à mieux vivre — vivre,
je dis bien «vivre», pas «survivre» — vivre bien et dans la
dignité. Dans ce contexte, en donnant le O.K. à l'AMM pour seul motif la
maladie mentale, on nous donne un signal clair de désengagement face à la problématique
de la santé et la maladie mentale.
• (13 h 10) •
Bon, on pourrait dire qu'il n'y a jamais vraiment
eu un engagement envers la santé mentale au Québec, un engagement clair, mais actuellement
on va... on pousse pas mal plus loin, on lance un message clair aux gens en
disant... bien, des gens comme moi, qu'il n'y en a pas, d'espoir. Mais pourtant
on investit dans la prévention du suicide. Pourtant, on sait que ce n'est pas
la mort mais la fin de la souffrance que les gens, que les personnes cherchent
lorsqu'elles pensent au suicide, lorsqu'elles tentent de se suicider,
lorsqu'elles se suicident. On dit et on le redit je ne sais pas combien de
fois : Le suicide n'est pas une option. C'est ce qu'on dit.
Donc, tu sais, moi, je... la question que je me
pose, c'est : Comment réconcilier l'aide médicale à mourir avec cela en
sachant que 90 % des personnes qui décèdent par suicide ont une maladie
mentale? Comment différencier le désir de mourir par l'aide médicale à mourir
du désir de se suicider? Même des experts en prévention du suicide, là... je
veux dire, c'est mon domaine, là, je ne serais pas capable de le différencier,
là.
On nous dit qu'on ne peut pas exclure la maladie
mentale comme seul motif de l'AMM pour ne pas discriminer contre les personnes
vivant avec une maladie mentale. Ce que je peux dire à ça, c'est
vraiment : Je n'en reviens pas,
premièrement, de cet argument, parce que c'est tout un argument, considérant
que nous sommes discriminés et
stigmatisés dans la vie, au quotidien : accès au logement, à un travail, à
un revenu décent, aux assurances invalidité, aux assurances hypothèque.
Moi, je ne suis pas assurable, au niveau de l'invalidité, pour mon hypothèque,
là, ce n'est pas... c'est impossible, et ça va toujours rester de même parce
que j'ai une maladie mentale.
Étrange, comment ces formes multiples de
discrimination ne font pas l'objet de commission spéciale. Pour moi, l'argument de la discrimination face à la
mort ne peut pas être considéré légitime lorsqu'il y a une
discrimination face à la vie. Pour moi, c'est insultant. Quand j'ai vu cet
argument-là, j'étais comme : Bon, O.K.
Bon. Si on parle de sauvegarde... (Interruption)
Oups! Pardon, parce que j'avais mon «timer» allumé. Donc, si on parle de
sauvegarde, je vais répéter d'abord, comme je vous ai dit, que je suis contre
l'aide médicale à mourir pour seul motif de la maladie mentale parce que, dans
le contexte actuel, pour moi, ça serait une solution facile, entre guillemets, pour régler un problème complexe, sans
guillemets. On sait ce qu'il faut en réalité pour répondre à ce problème, des
engagements politiques clairs, des investissements financiers importants.
Pour moi, il faut que les éléments suivants
soient mis en place. Sur le plan populationnel, d'abord, si on regarde... je
regarde sur trois plans, le premier, c'est le plan populationnel :
augmentation de services en santé mentale et à l'accès de ceux-ci;
investissement dans la recherche en psychiatrie pour les causes et les
traitements des troubles mentaux; investissement dans les programmes de
promotion en santé mentale pour renforcer nos facteurs de protection et qu'on
travaille aussi sur les déterminants sociaux de la santé mentale et de
prévention des facteurs de risque, incluant la prévention du suicide; ensuite,
investir dans des programmes d'éducation à la santé, à la maladie mentale,
lutte contre la discrimination et stigmatisation, pour la population en
général, mais aussi pour les employeurs et les assureurs. Il faut qu'il y ait
des conséquences réelles, là, tu sais, si on discrimine, bien... et que tout le
monde sait qu'on discrimine, ça ne marche pas, il faut qu'il y ait des
conséquences.
Ensuite, si... sur le plan individuel, donc,
puisque, bon, tu sais, je dois proposer des sauvegardes, lorsqu'une personne
demande l'aide médicale à mourir pour seul motif la maladie mentale, pour moi,
pour être éligible — et,
ça, c'est si... je le dis parce qu'on est là, à la commission, et pas parce que
je suis pour — il
faudrait une évaluation par un psychiatre et un psychologue, pour l'état
psychologique de la personne, ainsi qu'une évaluation de son risque suicidaire,
donc, si la personne cote risque suicidaire élevé ou risque suicidaire, il
faudrait qu'elle ait accès aux services d'une intervention de crise suicidaire,
deux évaluations, une au moment où qu'elle demande l'aide médicale à mourir et
l'autre lorsque, bon, c'est le temps pour recevoir l'aide médicale à mourir;
ensuite d'avoir essayé tous les traitements existants selon les recommandations
du psychiatre, considérant, évidemment, le client aussi, le patient. La
personne doit avoir essayé ces traitements médicamenteux et/ou psychologiques,
dépendamment, et qu'elle trouve qu'aucun ne fonctionne à améliorer ses
symptômes ni diminuer sa souffrance pour être éligible à l'aide médicale à
mourir.
Et, sur le plan de l'acte en soi, donc c'est un
acte médical, que l'AMM soit encadrée et rigoureusement réglementée, comme tout
autre acte médical, par le Collège des médecins, où tout devrait être documenté
rigoureusement et assujetti à une inspection. Donc là, on s'assure, là, que...
Finalement,
j'aimerais terminer sur une note plus personnelle, si vous me le permettez. Je
vais prendre une gorgée.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Allez-y.
Mme Vrakas (Georgia) : Donc, les
20 dernières années, donc c'est la moitié de ma vie, hein, j'ai
44 ans, donc, tu sais, n'ont pas été très faciles pour moi du côté santé
mentale, de toute évidence. Bon, je suis quand même, tout de même... j'ai
réussi à être prof, psychologue, et tout ce que je fais, là, mais les derniers
mois ont été les plus difficiles, je vous dirais. Je commence à peine à aller
mieux. Donc, on se dit : Il y a deux semaines, mais, il y a un mois,
j'avais tellement mal que je voulais en mourir, ou plutôt arrêter de souffrir.
Voyez-vous, je suis là devant vous, je suis encore en vie. Je sais que le
chemin vers mon rétablissement sera parsemé d'embûches, mais j'apprends,
tranquillement, petit pas par petit pas, à me reconstruire.
Ce qu'il faut comprendre, c'est que le
rétablissement ne signifie pas l'élimination de tous nos symptômes ni un retour
à la vie prédiagnostic, c'est plutôt un processus de reconstruction de notre
identité, une identité qui inclut la maladie mentale mais qui n'est pas limitée
à celle-ci. On est plusieurs personnes comme moi, au Québec, à passer par ce chemin cahoteux, où mauvais diagnostic,
mauvais traitement, tu sais, c'est... c'est ça. Mais, plutôt
que de nous arrêter à mi-chemin de notre parcours, donnez-nous une
chance, aidez-nous à avancer dans le processus de rétablissement et à vivre
dans la dignité. Je vous remercie.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Pre Vrakas. Donc, je céderais la parole au
député de Chomedey.
M.
Ouellette : Bon. Le député
de Chomedey. O.K. Mme Vrakas, merci d'être avec nous. Ça a
super bien été. Je salue votre courage.
J'ai juste deux minutes, j'aurai juste une question
à vous poser. Puis probablement que mes collègues vont vous parler du mauvais
diagnostic, là, mais moi, je veux vous ramener il y a 18 mois. Vous avez
pris la peine, publiquement, d'écrire, puis je vous ramène votre dernière
phrase : Nous avons besoin d'outils pour mieux nous... pour nous aider à
mieux vivre et à se rétablir plutôt que d'outils pour nous aider à mourir. Avec
les 18 derniers mois qui viennent de se
passer, le bon diagnostic puis cette période de mouvance qu'il y a,
êtes-vous encore du même avis?
Mme Vrakas (Georgia) : Oui, à 100 %.
Tu sais, même si je suis passée par des moments très difficiles, comme je ne
voulais plus... je voulais juste sortir de mon corps, là, je n'étais plus
capable, mais, oui, je suis toujours d'accord avec ces outils. Parce qu'on a,
de toute évidence, encore besoin d'avoir les bons outils pour diagnostiquer,
pour bien traiter, etc. Donc, mon avis n'a pas changé à ce niveau-là.
M. Ouellette : Là, je vais vous
demander quelque chose de plus personnel. Je vous ai vue, vous référiez à des
notes, puis, à la commission, ça nous aiderait énormément si ça... je vous
dirais, si ça vous tenterait, là, de les envoyer au secrétariat de la
commission, parce que vous avez des suggestions qui sont très importantes.
Et je vous ai dit que je vous parlerais du
diagnostic, puis probablement que mon temps va être écoulé, puis ça va être un
de mes collègues.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Allez-y. Allez-y.
M.
Ouellette : Ça va être un de
mes collègues, parce que, moi, là, ce qui m'a préoccupé dans votre
présentation, c'est que vous vivez depuis plusieurs années avec un faux ou un
mauvais diagnostic. Et là, bon, ça doit être très préoccupant quand on
l'apprend. Et là remettez-vous en question le nouveau diagnostic que vous avez
ou il y a-tu toujours un petit... un signe de prudence, là, qui vous dit :
Oui, c'est-tu vraiment ça, ou ils se sont-tu trompés encore, ou... Comment on
compose avec une situation semblable?
Mme Vrakas (Georgia) : Bien, en
fait, c'est sûr que, quand j'ai... en fait, quand j'ai eu le... quand j'ai
compris, en fait, c'était quoi qu'il m'arrivait, c'était avant d'avoir le
diagnostic officiel. C'était, comme, ma soeur qui a comme remarqué que ça
pourrait être autre chose que la dépression. Puis j'en ai parlé avec ma médecin
de famille, avec ma psychologue, finalement, pour avoir un rendez-vous rapide
avec ma psychiatre parce que... pas parce que je suis spéciale, mais parce que
ma médecin de famille est vraiment extraordinaire puis elle réussit à me faire
voir là au lieu d'être dans un mois.
Et je ne questionne pas ce diagnostic, parce
que, finalement, les choses ont du sens. Comme, quand j'essaie de voir, je suis
comme : Ah, mon Dieu! Mais oui, tu sais, c'est évident, là, je n'étais pas
juste en dépression, puis normale, puis dépression, tu sais, dépression,
«high», là. Donc, les choses, maintenant, ont du sens, c'est juste frustrant
que ça ait pris 20 ans. Mais c'est ça, l'état de la psychiatrie,
actuellement, tu sais, c'est ça, les outils diagnostiques qu'on a, c'est :
on se base sur ce que la personne nous dit de ses symptômes.
M. Ouellette : Merci, Mme la
Présidente.
• (13 h 20) •
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, M. le député. Donc, je céderais la parole maintenant à la députée
de Saint-François.
Mme
Hébert : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Mme Vrakas. Je vous remercie de votre témoignage. Vivre
avec la maladie pendant 20 ans, puis d'avoir un nouveau diagnostic, ça
nous montre à quel point que c'est complexe, la maladie mentale.
Et moi, j'aimerais vous entendre par rapport...
on a eu un autre cas de quelqu'un qui est venu témoigner, qui vivait aussi avec
la maladie mentale. Puis lui, il disait que l'aide médicale à mourir, c'était,
pour lui, un espoir. C'est comme si, pour lui, de savoir que ça existait, sans
nécessairement qu'il y aurait recours, ça le rassurait. Puis, pour vous, ce que j'entends dans votre message
d'élargissement de la loi, c'est que ça va tuer l'espoir. Donc, on est
vraiment à... Est-ce que j'ai bien compris ce que vous vouliez dire?
Mme Vrakas (Georgia) : Oui, oui,
vous avez très bien compris. Et, pour moi, c'est comme... c'est drôle... bien,
c'est «drôle», ce n'est pas drôle du tout, mais, en fait, comme la façon que
vous dites qu'il l'a exprimé, tu sais, on peut l'entendre aussi des gens qui
sont suicidaires ou que, tu sais, le suicide... ils ont connu des suicides dans
leurs familles, ou chez leurs proches, ou bien... ou d'autres personnes, puis
cette option est toujours là, tu sais, comme de... parce qu'ils l'ont vu
arriver à des proches ou ils ont déjà fait une tentative, par exemple. Donc, il
dit : Bien, cette option est toujours là, donc je me sens comme mieux.
Mais, tu sais, ce n'est pas une bonne chose. C'est que la personne, elle ne va
pas bien et elle a besoin d'aide pour ne pas se rendre jusque-là, tu sais.
Parce que c'est pour ça que je dis : C'est
comment qu'on différencie le désir de mourir par la même... et le désir, je
mets désir entre guillemets, de se suicider, tu sais, c'est d'arrêter la
souffrance, en quelque part, tu sais? Il faut
être cohérents aussi au Québec, si on est comme full prévention de suicide, le
suicide n'est pas une option, mais, en même
temps, bien, oui, mais... Tu sais, parce qu'il y a un autre numéro que vous
pouvez appeler, tu sais. Donc, c'est ça, pour moi, ça donne... ça me rappelle vraiment le discours de gens qui
ont l'idée du suicide comme une porte de sortie.
Mme
Hébert : Parfait.
Puis, dans l'option, parce que vous l'avez amenée, dans l'option qu'on le
permettrait dans certaines conditions, vous avez dit que ça prenait deux
évaluations, un psychiatre et un psychologue. Advenant qu'ils n'en arrivent pas
au même consensus, s'il y a un désaccord?
Mme Vrakas (Georgia) : Bien, c'est
parce qu'aussi il faut dire que, comme on disait, la psychiatrie, la psychologie,
tu sais, c'est ça, on se base sur... bien, il y a le jugement clinique,
évidemment, mais on se base sur ce que les gens nous disent et ce qu'on voit de
la personne. Je dis : Psychologues aussi, et pas juste psychiatres, parce
que les psychologues, on est quand même experts aussi de la souffrance humaine.
Donc, tu sais, ce n'est pas une question... quand on parle de souffrance
psychique, dans les critères, là, tu sais, ce n'est pas un diagnostic du DSM,
là, tu sais, c'est une souffrance. Donc, tu sais... comme c'est pour ça que je
dis que ça ne peut pas être une évaluation juste médicale de symptômes, mais
plus poussée. Mais, ça pourrait arriver qu'il y ait des... tu sais, dans ce
cas-là, il faudrait avoir : Bien, O.K.,
on fait, tu sais... Moi, je dirais d'avoir un troisième avis, tu sais, quand il
y a deux personnes qui ne sont pas d'accord. Mais ça illustre la
complexité de la chose, tu sais? Ce n'est pas une check-list, là.
Mme
Hébert :
Parfait. Puis, pour vous... parce qu'on le voit, dans votre situation, on parle
de plus de 20 ans, vous êtes vous-même psychologue, alors on voit comment
que ça peut être complexe. Parce que, justement, même vous, avec le premier
diagnostic, ça vous convenait, puis finalement on s'est aperçu que ce n'était
pas le bon diagnostic,
et tout. Alors, dans cette option-là, pour vous, est-ce que c'est concevable de
prévoir qu'il y aurait certaines maladies mentales qui pourraient être
incurables et irréversibles ou, non, il y a toujours possibilité de traitement?
Mme Vrakas
(Georgia) : Bien, en fait, il n'y a aucune recherche qui montre que
c'est... qu'une maladie mentale x, y ou z, on peut prévoir son cours pour
dire : Bien, comme c'est incurable... tu sais, ce n'est pas comme, genre,
des maladies dégénératives où on sait où est-ce que ça s'en va. C'est ça que je
disais tantôt, le rétablissement, c'est un processus, ce n'est pas en ligne
droite, a, b. Il y a a, ça remonte, on descend, on retourne en arrière, on
avance. Tu sais, c'est long et ce n'est pas facile. Je ne dis pas que c'est
facile.
Et, juste pour
revenir à ce que vous avez dit par rapport... mon premier diagnostic, bien,
c'était après le décès de mon père, peu de temps après, bien... bon, en tout
cas, ça a pris le temps de développer en dépression. Je n'étais pas... tu sais,
j'étais jeune, moi, je n'étais pas contente du diagnostic, c'était plus... ou
satisfaite, c'était plus comme : O.K., tu sais, là, je... les médicaments
fonctionnent, et je n'ai plus envie de mourir, donc... tout le temps, tu sais?
C'était comme ça que je me sentais, puis ça avait marché. Mais, c'est ça, c'est
juste qu'à un moment donné ça ne marchait plus, puis on s'est comme rendu
compte pourquoi ça ne marchait plus, mais avec le temps, tu sais?
Puis, c'est ça, la
difficulté avec le trouble bipolaire, entre autres, au niveau de... du
diagnostic, c'est très difficile à diagnostiquer. Il faut voir, sur une assez
longue période de temps aussi, les hauts et les bas vécus par la personne.
C'est ça, la complexité d'une maladie mentale.
Et donc de dire que
quelque chose est incurable... Et dans quel sens, incurable, tu sais? Moi, je
parle de rétablissement. Je ne parle pas de
rémission, élimination des symptômes, je parle de rétablissement, de
reconstruction de soi. Mais, pour ce faire,
il faut que, tu sais, la société, tu sais... je parle de déstigmatiser, tu
sais, il faut être capable de trouver un emploi, il faut avoir un revenu
adéquat, tu sais? Ce n'est pas juste la personne : Bon, je vais me
reconstruire.
Moi,
je suis chanceuse, je suis très chanceuse. Je suis prof d'université,
permanente, tu sais? Je veux dire, j'ai eu plusieurs congés de maladie puis j'ai un département très, très, très
soutenant. Ils m'ont beaucoup aidée cette session, en passant, pour la
finir, j'enseignais deux cours, donc j'ai dû prendre un congé en plein milieu.
Donc, c'est ça, ce n'est pas une question d'on élimine les symptômes
complètement, c'est une question de comment on vit avec ce qu'on a.
Mme
Hébert :
Merci, Mme Vrakas. Merci, Mme la Présidente. Je vais laisser la
parole à mes collègues.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci. Je passerais la parole à la députée de Soulanges.
Mme
Picard : Bonjour. Merci
beaucoup pour votre témoignage. Je seconde mes collègues, il est très
enrichissant pour nous.
Je m'interroge sur le
rôle des proches qui accompagnent des personnes qui ont une maladie mentale,
comment ils pourraient... comment on pourrait plus les impliquer dans ce
processus-là. Comment vous voyez les choses, surtout quand une personne a un
trouble de santé mentale, mais qui a des idées suicidaires, en fait?
Mme Vrakas (Georgia) : Bien, c'est sûr que les proches ont un rôle
important, mais ça dépend, tu sais, il y a des gens, bon, qu'ils ont des
proches, mais les proches sont un facteur de risque, ils ne sont pas un facteur
de protection. Tu sais, il y a des gens qui ne vont pas bien parce que, bon,
ils sont entourés de... bien, tu sais, ça ne va pas bien dans la famille, donc,
dans ce cas-là, ce n'est pas... on ne peut pas trop les impliquer.
Mais, dans le cas où
il y a des proches qui veulent aider, tu sais, c'est de... oui, d'impliquer les
proches, tout en gardant en tête de ne pas, tu sais... comme ne pas mettre un
fardeau trop élevé, tu sais, comme, sur les proches aidants. Tu sais, quand on
pense aux proches aidants, bien, c'est que, tu sais, s'ils ont quelqu'un de
suicidaire, c'est quand même lourd, tu sais, à porter, là, tu sais? Donc, c'est
pour ça, quand je parlais tout à l'heure de suicide, bien, ce que je pense, tu
sais, le 1 866 appelle, il y a des services pour les proches, pour
ceux qui veulent s'impliquer, pour avoir des informations, qu'est-ce que je
fais pour aider mon proche, donc il y a déjà de quoi mis en place pour ça, pour
les personnes suicidaires.
C'est sûr que, quand
on parle plus des soins, et tout ça, bien, on y va de la confidentialité, c'est
ça qui est plus «touchy». Il y a des gens qui ne veulent pas que leurs familles
ne sachent rien. Mais c'est ça, la job du clinicien, d'être assez habile pour
faire avancer la personne, pour lui faire comprendre que ça serait peut-être
bien d'inclure son meilleur ami, ou sa blonde, ou... tu sais, dans le
traitement. Donc, tu sais, les intervenants ou bien les cliniciens, les
psychiatres, les psychologues, et tout ça, notre rôle, c'est... on n'est pas
juste là à donner des médicaments ou à parler, là, tu sais, comme, on est là
pour essayer de faire avancer la personne et de lui faire voir... de lui donner
de l'espoir et de lui faire voir qu'il y a des gens autour qui sont là pour
elle ou lui.
Mme Picard :
Merci beaucoup.
• (13 h 30) •
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci, Mme la députée. Merci d'être avec nous et
de nous offrir généreusement votre témoignage. Vous nous dites,
Pre Vrakas, que, pendant 20 ans, vous avez... vous êtes aux prises
avec des problématiques de santé mentale et que vous aviez un plan, que vous...
qui était pas mal attaché. Et soyez très à l'aise de me répondre : Si
l'aide médicale à mourir avait été légale, avait été possible, disponible,
est-ce que vous en auriez fait la demande à ce moment-là?
Mme
Vrakas
(Georgia) : Bien, voyez-vous, bien, c'est une excellente
question parce que j'en avais comme brièvement parlé dans un texte, je ne me
rappelle plus lequel, là, j'avais dit que je me comptais chanceuse que ça n'était pas possible parce que je ne sais pas, au moment où
que... j'étais dans mon pire moment, en fait, est-ce que... tu sais, est-ce que
j'aurais voulu cette aide-là, mais dans un moment où je me sentais très faible,
et très malheureuse, et très... C'était le désespoir, là, c'était le vrai, le
vrai désespoir, là, je voyais tout noir. Mais sauf que, oui, c'est sûr que
c'est ça, le danger, pour moi, parce qu'en fait je m'en suis sortie.
La crise, elle ne dure pas des mois, là, tu
sais, ça a duré quelques heures. Là, j'en ai parlé, moi, je suis chanceuse
aussi, j'ai... une de mes soeurs est travailleuse sociale en psychiatrie, donc,
tu sais, je peux l'appeler n'importe quand, à toute heure de la nuit, s'il
faut. Puis, tu sais, c'est... c'est ça, c'est de... tu sais? Puis je m'en
rappelle, j'étais comme... bien, il y a un mois où j'étais comme : O.K.,
je ne vais vraiment pas bien, vraiment pas bien, puis là je ne sais pas, puis
je pleurais, puis je pleurais, puis... Puis là j'ai fait, O.K., j'appelle
1 866 APPELLE, là, tu sais, j'ai dit : «Fine», tu sais, «let's
go». En fait, j'ai comme... je me suis dit : Bien, ils sont là pour ça.
Donc, tu sais, je me suis dit : Bon, tu
sais, je vais leur demander de... Puis ça... Et, comme de fait, c'est
temporaire, je veux dire, après ça, j'ai dit merci, je me suis couchée. Le matin,
je ne me sentais pas «top shape», là, mais, tu sais, je me sentais comme, bon,
O.K., là, tu sais? Là, je suis allée... cette fois-là, je suis allée par
moi-même à l'urgence, là. Tu sais, j'avais l'air bien fonctionnelle, et tout,
là, c'était juste pour dire que, tu sais, j'avais des idées suicidaires, puis
j'étais inquiète, puis que je voulais voir quelqu'un, puis... puis c'est ça,
donc...
Donc, c'est ça, c'est sûr que, pour moi, l'aide
médicale à mourir pour seul motif la maladie mentale ou le suicide, tu sais, ça
s'entrecoupe tellement que je dirais, pour moi, c'est la même chose, donc, tu
sais? Et c'est une solution permanente à un problème temporaire, comme on dit
tout le temps. Puis, tu sais, je veux dire, tu sais, moi, c'est mon histoire,
mais, je veux dire, je ne suis pas la seule, tu sais, l'ambivalence, dans le
suicide, l'ambivalence est là, là, tu sais, comme entre la vie et la mort, tu
sais, jusqu'à la toute dernière seconde, tu sais. Je m'excuse, hein, je
m'emporte un peu, mais...
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Non, ça va, mais je me demande, vous... Bon, dans votre cas, la
souffrance a été quand même, bon, plusieurs années, mais vous dites que vous
avez eu quand même des très bons passages, des très bons moments pendant cette
période-là. Mais quelqu'un qui serait toujours dans la souffrance, avec des
périodes, des idées suicidaires récurrentes, à répétition, est-ce que votre point
de vue changerait à ce moment-là? Non plus?
Mme
Vrakas
(Georgia) : Non plus, il ne changerait pas parce que, je veux
dire, moi, je crois que, même si c'est à répétition... Moi, je peux parler pour
moi, que, oui, ça a été à répétition. Tu sais, je veux dire, ça fait plus de
20 ans où que, tu sais, j'ai vécu des moments difficiles d'idéation, des
idées noires, comme je vous dis, des idées suicidaires. Mais, tu sais, il y a
toujours... tu sais, il y a toujours l'espoir. Et c'est parce que c'est là
que... et on ne le dit pas assez, c'est là que le rôle des intervenants en
prévention du suicide ou les intervenants en santé mentale, qu'ils soient dans
le communautaire ou dans le réseau public, c'est... Il faut faire confiance en
leur capacité de donner comme... d'aider la personne, même si c'est comme
donner un petit peu, une... Tout ce qu'il faut, c'est de trouver une raison de
vivre pour avancer un autre jour, et un autre jour, et un autre jour, petit pas
par petit pas, tu sais? Je ne dis pas que c'est un... c'est magique, que le
lendemain on se réveille... Comme je dis, je ne me suis pas réveillée le
lendemain : yé!, la vie est belle, là. Ce n'était pas ça du tout, mais
j'étais encore là, comme que... puis j'ai dit : Bon, bien, il faut... Tu
sais, j'avais appelé, évidemment, ma soeur, mes amis, et tout ça, puis... bien,
je suis là devant vous, devant la commission, tu sais?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Oui, on se considère très chanceux d'entendre votre témoignage ce matin. Puis
tantôt vous disiez... bon, une question qui vous a été posée, s'il y a deux
médecins qui ne sont pas d'accord, vous dites : Bien, on demandera à un
troisième médecin. Est-ce qu'on ne devrait pas plutôt dire : Bien, s'il
n'y a pas consensus, on ne va pas là?
Mme
Vrakas
(Georgia) : Bien, c'est une excellente proposition. En fait, s'il
n'y a pas de consensus, pour moi... En fait, c'est vraiment une très bonne
réflexion, parce que, s'il n'y a pas consensus, ça montre que ce n'est pas
clair, il n'y a pas... tu sais, ce n'est pas limpide, ce n'est pas clair. Puis
ça, on ne parle pas de, tu sais, administrer un antibiotique, là, tu sais, on
parle de l'aide médicale à mourir, tu sais, il faut qu'il y ait quelque chose
qui soit comme assez clair pour procéder plus loin. Donc, plutôt que de
rajouter, moi, j'irais avec votre suggestion.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Il ne me reste plus beaucoup de temps, 1 min 30 s, mais
je ne peux pas m'empêcher de vous demander : Quels mécanismes on pourrait
mettre en place au cas où il y aurait une demande anticipée ou il y aurait...
Quels mécanismes on pourrait mettre en place, outre le consensus des médecins,
là? Est-ce qu'il y aurait un laps de temps, de dire : Bon, bien, pour les
problèmes de santé mentale, la demande doit être faite, mais elle sera
exécutoire trois mois, six mois après? Avoir un processus.
Mme
Vrakas
(Georgia) : Bien, ça, c'est difficile à répondre parce que
comment déterminer d'un temps x quand, tu sais, on ne sait pas trop comment
évolue la maladie, tu sais? Tu sais... puis avec un cancer, par exemple, si on sait que... bon, disons, on nous dit : Bien,
tu as cinq mois pour vivre, à peu près, plus ou moins, puis je sais qu'ils
ne sont pas toujours... tu sais, ce n'est pas toujours 100 % comme ça,
mais, tu sais, ça nous donne de meilleures balises.
Ici, c'est plus difficile. Et en plus, c'est
pour ça que je parlais tantôt des listes d'attente pour avoir des services,
dans certains cas, tu sais, c'est, quoi, six à 24 mois pour avoir des
services. Mais, si on a trois mois pour passer à l'aide médicale à mourir... La
façon que la loi est écrite en ce moment, là, n'importe qui... j'aurais une dépression puis je
pourrais avoir... une dépression... première dépression, je suis triste,
j'appelle pour voir une psychologue dans
18 mois, mais je pourrais avoir l'accès à l'aide médicale à mourir dans
90 jours, tu sais, c'est un petit peu illogique.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Merci encore de votre générosité aujourd'hui. Et je passerais la
parole à ma collègue de Maurice-Richard.
Mme Montpetit : Merci, Mme la
députée. Bonjour, Mme Vrakas. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Merci de
nous livrer un témoignage aussi, je vous dirais, franc, vrai, tellement
authentique, tellement puissant aussi, tellement clair. C'est ça, on entend...
vous savez, on entend des opinions très diversifiées depuis le début de nos
commissions, mais, je pense, c'est justement ce qui alimente vivement nos
réflexions, parce que tous les points de vue qui nous sont apportés, que ce
soient des experts qui le font de... qui accompagnent ou des gens qui l'ont
vécu, comme vous, ça nous amène à requestionner beaucoup de choses aussi, puis
ça nous fait vraiment évoluer là-dessus. Donc, je vous remercie de le faire
avec autant de générosité, c'est très apprécié.
Je voulais... d'entrée de jeu, je voulais
revenir... puis ma collègue vous a posé une question tout à l'heure, puis vous
cherchiez l'endroit, justement, où vous en aviez parlé, de... si ça avait été
accessible, est-ce que vous auriez demandé l'aide médicale à mourir, puis
c'était justement... je voulais... Moi, ça m'avait beaucoup touchée quand
j'avais lu cette lettre-là que vous aviez publiée, c'était une lettre ouverte
que vous aviez publiée au début de l'année 2020. Puis vous aviez dit, je
vous cite, là, parce que je trouvais ça très, très puissant, vous aviez fini
sur cette phrase-là, justement, dans votre lettre, en disant : «La
prochaine fois que je suis aux prises avec un épisode dépressif, j'espère que
ce choix ne me sera pas présenté.» Donc, c'était quand même assez fort aussi
comme affirmation, puis je pense qu'on peut bien le comprendre aussi.
En même temps, je me demandais si... Parce qu'il
y a des psychiatres, il y a différents experts qui sont venus, justement, dans
les derniers jours puis qui nous ont mis en garde de situations, justement, où
quelqu'un peut être dans un épisode de crise, peut être dans un épisode
dépressif, peut avoir très mal, peut avoir une souffrance qui est très, très
douloureuse et qui peut venir... je ne sais pas si «biaiser» son jugement est
le bon terme, mais peut venir justement remettre en question des choses qu'il
ne remettrait pas dans une situation où la personne est plus stable. Puis,
justement, on nous disait : C'est pour ça qu'il faut absolument éviter...
il faut mettre des barrières en place, si d'aventure on devait aller de
l'avant, pour éviter des décisions impulsives, pour s'assurer, justement, que
quelqu'un qui est dans un creux ou dans une crise ne prenne une décision
rapidement, donc, nous disait, bon, justement : Il faut que ce soit fait
sur une certaine période de temps pour pouvoir venir valider et revalider
l'intention de la personne, et idéalement le faire, justement, dans une
situation où elle est dans un état stable. Est-ce que ça, ça ne vous apparaît
pas, justement, des barrières de sécurité qui peuvent... qui pourraient être
mises en place puis éviter ce à quoi vous nous sensibilisez, justement?
• (13 h 40) •
Mme
Vrakas
(Georgia) : Bien, honnêtement... Bien, O.K., je sais que je
vais réitérer le fait que je suis contre l'aide médicale à mourir pour la
maladie mentale seulement, mais cette question est intéressante parce qu'en
fait il faudrait au moins que ce psychiatre-là ou ces psychiatres-là me disent
et viennent me montrer comment ils sont capables de différencier la souffrance
psychique ou... parce que ce terme-là... en tout cas, souffrance psychique,
psychologique, peu importe, en quoi elle est différente chez quelqu'un qui est
suicidaire? On peut être suicidaire sans être en crise. Tu sais, je n'ai pas
besoin d'être en crise, là, pour être suicidaire. Tu sais, moi, je connais des
gens dans le Grand Nord, où les taux de suicide sont faramineux, qui pensent au
suicide tout le temps, mais ils sont fonctionnels puis, tu sais, ils font ce
qu'ils ont à faire, mais, tu sais, l'idée du suicide est toujours là. Donc,
comment différencier, comment évaluer de façon rigoureuse, de façon valide la
souffrance psychique de la personne qui n'est pas en crise et qui dit :
Bien, moi, je veux l'aide médicale à mourir parce que, bon, je vis avec un
trouble bipolaire depuis 20 ans puis je ne veux plus vivre de même, ou
quelqu'un qui est en souffrance et qui dit que, «bien, je vais me pendre dans
mon garde-robe», tu sais, je veux dire, tu sais, j'y pense depuis des mois? Tu
sais, ce n'est pas... le suicide, ce n'est pas nécessairement aussi... il ne
faut pas oublier que le suicide n'est pas nécessairement un geste impulsif, tu
sais, ça peut l'être, la personne peut, tu sais, avoir pris un coup puis
dire : O.K., là, là, je vais le faire, mais ça fait un bout que ça
trame... ça se trame, puis c'est...
Moi, il faudrait que ces psychiatres-là soient
capables de m'expliquer comment qu'ils font pour différencier les deux, surtout
étant donné que, bon, tu sais, pour certains troubles, avoir des idéations
suicidaires, c'est des symptômes. Même quelqu'un qui a une schizophrénie peut
aussi avoir une dépression en même temps, tu sais. Donc, c'est tellement
complexe comme problématique que d'arriver avec des propositions comme ça, pour
moi, ce n'est pas des barrières, ce n'est pas des sauvegardes, parce qu'ils ne
seraient pas capables de m'expliquer la différence, à mon avis, là. On pourrait
en parler, là, avec un psychiatre, je pourrais en parler, mais c'est trop...
Comme je dis, les gens... je pourrais être suicidaire, puis ce n'est pas écrit
sur mon front, là, tu sais, je continue à travailler, je fais mes trucs, mais,
tu sais, il y a un plan qui se trame, tu sais? Donc, c'est juste ça, pour moi,
que la complexité est telle que... c'est tellement complexe que d'avoir... des
sauvegardes de ce genre ne sont pas suffisantes.
Mme Montpetit : O.K. Merci. C'est
très... Puis je le redis, mais je vous remercie encore, parce qu'autant vous
êtes très, très claire, justement, dans la posture que vous avez prise, en nous
disant... vous êtes contre un élargissement, vous êtes contre quand c'est un
cas seulement de santé mentale, autant je trouve que vous êtes arrivée avec des
propositions aussi qui sont intéressantes, tu sais? Donc, je trouve que c'est
très... en tout cas, c'est tout à votre honneur d'arriver avec cette
approche-là.
Justement, dans les
recommandations, vous visiez... puis vous disiez : Il faudrait que
l'évaluation soit faite... Dans la présentation que vous avez faite au départ,
vous aviez dit : Il faudrait que l'évaluation soit faite par un psychiatre et un psychologue. J'étais curieuse de
savoir pour quelle raison vous recommandiez, justement, les deux types
de professionnels, de votre point de vue.
Mme
Vrakas
(Georgia) : Bien, parce que les deux, c'est des experts en
santé mentale, sauf que le psychiatre est plus axé sur, évidemment, bien, tu
sais, la médication, comment... et les symptômes, la symptomatologie, tandis
que le psychologue... bien, comme moi, moi, je travaille en santé mentale
spécifiquement, tu sais, dépression, anxiété, bipolarité, et tout ça. Et, je
veux dire, tout ce qui touche le suicide, tu sais, cette souffrance-là, tu
sais, je sais comment l'évaluer. Tu sais, je ne dis pas que je serais capable
d'évaluer la différence entre les deux types, comme j'ai dit, pour moi, ils
sont pareils, là. Mais moi, je pense qu'il ne faudrait pas que ça soit juste, O.K.,
comme, O.K., c'est un acte médical, il faudrait aller chercher l'expertise de
plus qu'un type de spécialiste pour... c'est trop important, trop... c'est
comme je dis, ce n'est pas administrer un antibiotique, là, tu sais?
Mme Montpetit : Parfait. Ça amène
différentes perspectives professionnelles aussi, puis posture, paradigme, et
tout, là. Bien, je vous remercie beaucoup, j'ai mon collègue de D'Arcy-McGee
aussi qui souhaitait échanger avec vous. Merci énormément.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. M. le député, la parole est à vous.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Pre Vrakas, pour le courage ainsi que la lucidité de
vos propos et des mises en garde, qu'on est mieux de retenir avec grande
attention. Je me permets de poursuivre le genre de scénario qu'a proposé ma
collègue. Dans un premier temps, une des balises profondément importantes que je
retiens de votre discussion, avec le plus grand respect, c'est que, dans aucune
circonstance, quelqu'un qui aurait vécu ce que vous aurez vécu devrait être,
selon les critères éventuels, éligible à l'AMM. Je comprends, c'est épisodique,
tellement sérieux et difficile, par contre, l'horizon... et la possibilité
d'être mieux, dans sa vie, après, est toujours là. Alors, je prends comme mise
en garde qu'il faut que quelque balise que ce soit fasse en sorte que quelqu'un
qui aurait vécu ce que vous avez vécu ne serait pas éligible.
Par contre, je veux poursuivre, si je peux, le
scénario de ma collègue : si on parlait de quelqu'un atteint d'un grave,
grave cas de schizophrénie, qui n'a jamais réussi, dans sa vie, de faire un
lien important avec une autre personne, qui a peut-être même menacé ou se
sentait menacé toute sa vie par sa propre famille, qui ne sort pas de son
appartement depuis 20 ans, qui a de la difficulté à se faire à manger, qui
s'est soumis, par contre, à toutes sortes de traitements et qui est jugé apte
par son psychiatre qui l'accompagne, par un psychologue qui l'aurait
accompagné, qui, tous les deux, ne sont pas en mesure de prévoir, avec toute
leur expertise, qu'il va s'améliorer, que sa souffrance va se pallier. Je vous
soumets que des cas de cet ordre existent.
Pourquoi... deux choses, pourquoi, pour cette
personne-là, son autonomie est moins difficile à respecter et à comprendre
dans une telle situation? Et, deuxièmement, comment le fardeau, dans ce cas-là sur les
médecins, professionnels, psychiatres ou autres professionnels en santé
mentale, le fardeau d'accompagner un tel individu est moins grand que dans un
cas de grande souffrance établie, physique?
Mme
Vrakas
(Georgia) : O.K., donc, si je comprends
bien, on regarde d'abord le cas d'une personne atteinte de schizophrénie, très,
très, très malade mais apte, selon son médecin. Et là vous parlez... fardeau
sur les professionnels qui l'aident?
M. Birnbaum : Mais j'ai deux
questions. J'aimerais comprendre si vous êtes contre la possibilité que cette
personne ait recours au AMM. Et aussi, si le fardeau n'est pas... c'est très
difficile, mais le fardeau sur les médecins accompagnants,
en quoi c'est différent que sur l'oncologue qui suit un patient devant une
maladie très grave de cancer?
Mme
Vrakas
(Georgia) : O.K. Bien, pour la première
partie de la question, bien, ça tombe bien parce que j'ai fait ma thèse de
doctorat sur le suicide chez les personnes atteintes de schizophrénie. Donc, ce
que je peux dire, c'est que, donc, c'étaient des suicides, en fait, mes
participants, en fait, c'étaient des personnes décédées par suicide, puis on
faisait les entrevues avec les proches. Donc, ce qui semble ressortir... tu
sais, je fais un lien avec ça pour répondre à votre question, ce qui semblait
ressortir vraiment comme qu'est-ce qui était fortement associé au suicide était
le fait qu'ils n'acceptaient pas leur maladie. C'est souvent dans les
10 premières années suivant le diagnostic, parce que c'est dur de... tu
sais, «my God», j'ai une schizophrénie, puis ma vie va avoir changé. Puis donc
on n'accepte pas, on ne prend pas nos médicaments, etc., donc, tu sais, c'est
une boule... c'est un cercle vicieux, en fait.
Donc, pour moi, une personne qui a... C'est sûr
que la schizophrénie, c'est un trouble mental très, très grave et persistant,
et je comprends la souffrance que vit la personne. Et on ne peut pas savoir,
justement... mais vous l'avez dit, on ne peut pas savoir si ça va s'améliorer
ou s'empirer. Ça peut être... tu sais, le pronostic peut être bon s'il est
dépisté, diagnostiqué plus jeune, tu sais, puis c'est ça, là où il faut du
dépistage, et, tu sais, l'argent, il faut qu'il soit investi dans... Tu sais,
l'adulte qui se retrouve là en train de souffrir puis en train de dire :
Je veux mourir, il ne sort pas de nulle part, là, il y a tout un cheminement
qui mène où est-ce qu'il s'est rendu. Donc, plus tôt on est diagnostiqué, plus
tôt on est traité, meilleur est le pronostic. C'est ça, donc, ça dépend...
bien, c'est ça, il faut qu'on soit traité. Donc, pour moi, c'est... la question
est vraiment, comme : on ne peut pas savoir à 100 % où est-ce que la personne va se rendre, et elle va peut-être... tu sais, il
va y avoir des hauts et des bas. Je ne dis pas que la personne va être
100 % de santé mentale optimale, là, ce n'est pas ça que je dis. Donc,
pour moi, ça serait aussi non, comme pour l'aide médicale à mourir.
Mais pour répondre... pour votre question...
• (13 h 50) •
La Présidente (Mme Guillemette) : On
n'a malheureusement plus de temps pour notre intervenant. Donc, je céderais la
parole au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Vrakas.
Merci beaucoup de votre témoignage aujourd'hui. Vous avez dit une phrase
qui est commune dans le domaine de la prévention du suicide, vous avez
dit : La mort, dans le fond, c'est une solution permanente à un problème
temporaire.
Mme
Vrakas
(Georgia) : Oui.
M. Nadeau-Dubois : ...débat entre
les psychologues qui sont venus devant la commission. Certains nous disent que
les problèmes de santé mentale ne sont jamais permanents et qu'il y a toujours
espoir de rétablissement. D'autres psychiatres sont venus nous dire : Non,
il y a certains cas exceptionnels, mais qui existent, desquels on peut vraiment
dire que c'est permanent et qu'il n'y a pas d'espoir de rémission, et c'est
dans ces cas-là et seulement ces cas-là qu'on devrait permettre l'aide médicale
à mourir.
Comment vous vous situez, vous, dans ce
débat-là? Est-ce que, selon vous, c'est possible, des maladies mentales
absolument incurables, ou est-ce qu'il y a nécessairement toujours espoir de
rémission? C'est ma première question, puis je vais en avoir une deuxième après.
Mme Vrakas (Georgia) : O.K. Bien,
pour réponde à cette question, comme j'ai dit tout à l'heure, c'est ça, on
parle de deux choses différentes, peut-être les psychiatres et les
psychologues... On parle... moi, je parle de rétablissement et non de rémission.
C'est sûr qu'il y a des troubles mentaux très graves. Et, comme le trouble que
j'ai, là, tu sais, je veux dire, là, je suis au début de mon traitement. Dans
deux semaines, je ne sais pas comment je vais être, tu sais, comme je viens de
commencer. C'est un trouble mental grave et persistant aussi. Donc, c'est que,
si le focus c'est sur je veux réduire mes symptômes pour qu'il n'y en ait
plus, bien là, c'est sûr qu'en psychiatrie on n'est pas rendu là, là, tu sais.
Là, le focus doit être sur le rétablissement, tel qu'il est dans le plan
d'action en santé mentale du Québec, où on travaille à se reconstruire et avec
l'aide de notre équipe traitante, O.K., se reconstruire, se refaire notre identité et avoir une vie comme...
bon, on va dire «digne», là, mais dans le sens... Tu sais, ça, ça ne se
fait pas tout seul, ce n'est pas... c'est pour ça, je dis, ce n'est pas un
problème individuel. Puis ça, je l'ai dit tout à l'heure...
M.
Nadeau-Dubois : Juste pour qu'on se comprenne bien : Est-ce que,
selon vous, ce processus de rétablissement là, il est toujours possible
dans tous les...
Mme
Vrakas
(Georgia) : Oui, il est toujours possible, il est toujours
possible. C'est sûr que, si le psychiatre, comme, pense que ce n'est pas
possible puis que l'équipe pense que ce n'est pas possible, bien, le message qu'on
envoie à la personne, c'est que ce n'est pas possible. Tu sais, c'est ça.
M. Nadeau-Dubois : Ma deuxième question...
Je suis désolé, j'ai peu de temps, je suis obligé de vous bousculer un petit
peu. Ma deuxième question, vous nous avez dit puis vous avez écrit également
dans votre lettre ouverte : On ne peut pas ouvrir la porte à la mort
médicalement assistée pour les gens qui ont des problèmes de santé mentale si
on n'a pas d'abord tout fait pour s'assurer qu'ils puissent vivre dans la
dignité.
Des gens qui sont venus devant la commission
nous ont mis en garde contre cet argument-là en disant : C'est un peu un
faux dilemme, on pourrait et on devrait faire les deux en même temps, c'est-à-dire
ouvrir la porte à l'aide médicale à mourir pour ne pas discriminer les gens qui
ont des problèmes de santé mentale et, en même temps, en parallèle, construire
ce qu'il y a à construire sur le plan des soins en santé mentale, donner les
services qui ne sont pas encore disponibles.
Qu'est-ce que vous répondez, vous, là, à cet
argument-là?
Mme
Vrakas
(Georgia) : Je répondrais, genre : Grrr! Je répondrais,
là... c'est, comme, non, non, non. Non. C'est parce qu'en même temps, attends,
comment ça que, là, on se réveille pour dire : O.K., bien là, il faudrait
mettre en place les programmes qu'il faut pour aider ces gens, et diminuer la
discrimination face à eux dans la vie de tous les jours, et leur donner accès à
des soins et des services? C'est comme... ça fait tellement longtemps qu'on le
sait, là, que ce problème existe. C'est comme on se réveille, là, tout à
coup : Ah! bien non, mais il ne faut pas discriminer devant la mort, donc,
bien, on va dire qu'en même temps on va faire des choses pour aider leur vie,
là, tu sais, c'est... Pour moi, c'est vraiment un argument... Je m'excuse, mais
je m'emporte, là, parce que, quand on parle de discrimination, ça vient me
chercher, parce que c'est comme j'ai envie de dire aux gens : Vous ne vous
en faites jamais pour la discrimination dans
la vraie vie, comme, de ces personnes qui sont discriminées, qui n'ont pas
accès aux bases, à un revenu, une job, etc., mais là, tout à coup, c'est
comme il faudrait qu'on ne discrimine pas devant la mort.
Puis, surtout, comme, pour moi, ce n'est pas une
question de discrimination, c'est vraiment une question de, genre... avec la maladie mentale, c'est tellement
complexe, avec la souffrance psychologique, c'est tellement complexe que ça ne devrait pas être inclus dans l'aide médicale à
mourir pour seul motif la maladie mentale. Je ne parle pas de, tu sais, s'il y
a d'autres trucs, là, mais je parle de seul motif la maladie mentale. Désolée,
je me suis emportée.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup. C'est tout le temps que nous avions, M. le député. Je cède la
parole à la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui.
Bonjour, Mme Vrakas. Merci beaucoup de votre témoignage. Moi aussi, j'ai
peu de temps. Et, en passant, je vous dis juste que ce serait très intéressant
un jour que vous plaidiez devant des juges ce qu'est la discrimination, parce
que, si on est devant vous aujourd'hui, c'est parce que le critère de fin de
vie a sauté, et c'est ce qui fait qu'on ouvre à la possibilité des troubles
mentaux, donc ce serait intéressant d'entendre votre plaidoirie. Bref, fin de
ma parenthèse.
Je veux poursuivre un petit peu dans la même
veine que mes précédents collègues. Les psychiatres qui sont venus, notamment l'association des psychiatres du
Québec, ils sont venus nous dire que ce serait très, très exceptionnel,
que ce serait vraiment dans des cas de chronicité, de situations absolument
sans issue et pas dans des épisodes de crise parce que, justement, ça les
disqualifierait, parce que, quand on regarde les critères, il ne pourrait pas y
avoir une rencontre de tous les critères, à ce moment-là. Et il y a des cas,
là, c'est ça, mon collègue de D'Arcy-McGee en a dit un, on vous a parlé d'une
autre personne qui, pendant 30 ans, a un trouble obsessif compulsif
ingérable, et a eu des idées suicidaires, a passé à travers ça, et donc est
dans un état beaucoup plus calme, mais qu'il en discute avec sa famille, de
cette option-là, parce qu'il estime que sa vie n'a juste pas de sens, compte
tenu de l'ampleur de ça.
Et, en fait, moi, ce sur quoi je veux vous amener,
c'est qu'on a eu le même débat quand on a fait l'aide médicale à mourir en lien
avec les soins palliatifs. Donc, il y en a qui nous disaient : Il faut
avoir des soins palliatifs parfaits avant de pouvoir penser à ça. Puis là,
finalement, la réalité, c'est qu'on nous dit : 80 % des gens qui ont l'aide médicale à mourir avaient des soins
palliatifs, mais il y a des limites, et on est dans un autre cas, là, physique,
fin de vie, pas la même chose, mais il y a des limites à toute science. Et donc
c'est là-dessus que je veux vous entendre.
Est-ce que, selon vous, la psychiatrie ou la
psychologie n'a pas de limite, et donc ce serait la science qui nous
permettrait de toujours pouvoir quelque chose, contrairement à d'autres
sciences où il y a toujours des limites?
Mme
Vrakas (Georgia) : Qu'est-ce que vous voulez dire que... Ah! tu veux
dire... je m'excuse, vous voulez dire...
Mme
Hivon : Bien, des limites dans le sens qu'il y a des gens
qu'on n'arrive pas à soulager, autant physiques, en fin de vie, ou on va
les soulager, mais avec des conséquences tellement intolérables, avec des
effets secondaires qui sont pour eux intolérables. Donc, c'est un peu ça que je
veux entendre. Parce que l'argument qu'on nous amène pour l'ouverture, c'est
celui de la non-discrimination, puis j'ai bien entendu votre point, mais c'est
aussi de dire : En maladie mentale, comme en maladie physique, il y a des
limites et il y a des cas qu'on n'arrive pas à soulager.
• (14 heures) •
Mme
Vrakas (Georgia) :
C'est sûr qu'il y a des limites, on est limités, mais, contrairement aux
maladies physiques, où la recherche est beaucoup, beaucoup plus avancée, comme
pour, par exemple, un cancer, on fait des biopsies, on voit exactement :
Ah! O.K., bon, il y a un cancer là-bas, on ne peut pas faire la même chose pour
ce qui touche la maladie mentale, il n'y a pas de test sanguin magique, il n'y
a pas de... peu importe. Les limites sont plus importantes, je trouve. Donc,
c'est beaucoup comme je dis : Par rapport avec la médication, on est des
cobayes. Moi, j'ai commencé un traitement. Je ne sais pas si ça va... tu sais, peut-être
dans un mois, bien, ce n'est pas le traitement que je vais continuer, parce
qu'il nous manque tellement d'information.
Et on peut dire : Bien oui, mais on ne peut
pas attendre d'avoir toute la... la recherche, qu'elle avance, pour, tu sais,
penser à l'aide médicale à mourir. Mais, pour moi, c'est comme, bien, pourquoi
pas? Je veux dire, pourquoi pas? Pourquoi on n'attend pas de... Parce qu'on est
tellement en retard, pas juste au niveau de la recherche, au niveau des
services, des soins, l'accès aux... Tu sais, on sait que c'est le parent pauvre
du réseau de la santé. Donc, pourquoi on ne pourrait pas attendre à ce qu'on ait
quand même des services? Et je ne parle pas palliatifs, évidemment, mais je
parle des services pour aider les gens suffisamment, comme, adéquats, je ne
parle même pas magnifiques, je parle adéquats, là, minimums.
Mme
Hivon : En fait, c'est parce que vous... me permettre
d'intervenir, c'est parce que vous, vous estimez que c'est sûr qu'à toute souffrance psychiatrique il y aurait
nécessairement moyen de trouver une solution. Et, moi, c'est
ça, au-delà du débat de société, c'est ça que je trouve difficile à admettre,
puisqu'en santé physique on le sait, qu'il y a des limites, on le sait, qu'il y a des gens qu'on n'arrive pas à
soulager, je dirais, dans des conséquences acceptables, là.
Mme
Vrakas
(Georgia) : Oui, je suis d'accord avec vous, dans le cas que...
oui, oui, oui, il y a des maladies où que, tu sais, la personne peut être...
avoir une schizophrénie très lourde, très difficile, les symptômes... on prend
des médicaments, là, il y a des symptômes qui restent, ça, je le sais, mais,
encore une fois, tu sais, on focusse sur les symptômes. Tu sais, c'est pour ça
que je parle toujours de rétablissement plutôt que de rémission ou de — c'est
quoi, le mot — faire disparaître, tu sais, là, la maladie,
là. Tu sais, c'est vraiment qu'est-ce qu'on fait avec. O.K., la
médication fonctionne plus ou moins, «fine».
On fait quoi maintenant? C'est ça, le but. L'équipe clinique, c'est ça, son
travail, dire on fait quoi
maintenant pour aider cette personne à trouver, même, une raison pour avancer.
Puis on va la soutenir là-dedans. Donc, c'est ça que je veux dire, que
c'est possible. Je ne dis pas que la schizophrénie... Wo! Tu sais, comme, je ne
suis pas... il n'y a pas de pilule magique, malheureusement.
Mme
Hivon :
Vous voulez dire qu'on peut diminuer la souffrance.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci.
Mme
Hivon : Merci.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Mme la députée. Merci beaucoup, Pre Vrakas, de
votre témoignage aujourd'hui. Et nous vous remercions tous pour votre
contribution à la commission.
Nous suspendons les travaux quelques instants
pour accueillir nos nouveaux invités.
(Suspension de la séance à 14 h 03)
(Reprise à 14 h 10)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, nous sommes de retour. Bienvenue, Pre Carole Sénéchal et
Pr Serge Larivée. Merci d'avoir accepté notre invitation aujourd'hui et de
nous partager votre expertise. Donc, vous avez 20 minutes pour nous
présenter votre exposé. Il y aura un échange de 40 minutes avec les
membres de la commission. Donc, sans plus tarder, je vous cède la parole.
Mme Carole Sénéchal et M. Serge Larivée
Mme
Sénéchal
(Carole) : Bien, bonjour. Mon nom est Carole Sénéchal. Je suis
psychologue. Je suis professeure associée au Département de psychologie de
l'Université de Montréal et professeur titulaire à l'Université d'Ottawa. Je
vous présente mon collègue, monsieur... le Pr Serge Larivée.
M.
Larivée
(Serge) : Bonjour. Donc, je suis professeur titulaire à l'École de psychoéducation. Outre ma spécialité première en intelligence
humaine, c'est moi qui donne les cours sur l'éthique de l'intervention à la
maîtrise et l'éthique de la recherche au doctorat. Donc, je m'amuse beaucoup.
Mme Sénéchal
(Carole) : Bon, excellent. Alors, ce pour quoi nous nous intéressons à
l'aide médicale à mourir, c'est que nous avons rédigé des articles, deux
articles au moins, sur le thème. Et aujourd'hui, donc, pour le temps que nous
avons, je vais prendre quelques minutes pour soulever des points qui me
semblent très importants, et je laisserai la parole par la suite au
Pr Larivée, qui va compléter dans la deuxième partie. Puisque nous n'avons
que 20 minutes et que, quand on est professeur, on a l'habitude de parler
longtemps, longtemps, et de répéter souvent la même chose, alors on va essayer
de faire ça d'une façon succincte.
Alors, un des points... une des
questions, en fait, qu'on s'est posées quand on a écrit les articles sur l'aide
médicale à mourir, on s'est d'abord intéressés davantage : Devrait-on
accepter les demandes d'une aide médicale à mourir quand les troubles mentaux
constituent la condition médicale invoquée? Alors, ça a vraiment été une réflexion qui nous a amenés à consulter les
banques de données. Et puis il y a eu des auteurs qui se sont penchés là-dessus
puis qui ont fait des méta-analyses ou, en fait, des recherches importantes.
Entre autres, Arsenault-Lapierre, et al., en 2017 déjà,
avaient écrit que 87 % des personnes qui se sont suicidées avaient
reçu un diagnostic de trouble mental, dont 43 % avaient un trouble
affectif.
Donc,
ça, ça nous a amenés, vraiment, à une réflexion assez importante, et puis là on
a vraiment argumenté, en lisant,
puis on s'est dit : Bien, écoute, un des arguments qui étaient centraux
contre l'aide médicale à mourir... Parce qu'on se demandait pourquoi,
donc, l'aide médicale à mourir était réservée, n'était pas possible pour les
personnes ayant une maladie mentale. Donc,
on a regardé les arguments des personnes qui étaient contre l'aide à mourir et
puis on s'est dit : Le trouble
mental, finalement, rend-elle la personne... ou le trouble mental rend-il la
personne inapte à prendre une telle décision?
Puis là ça nous a amenés à
regarder le côté éthique, finalement. Puis on s'est dit qu'aider les personnes
qui pensent au suicide est certes une obligation éthique pour respecter les
libertés individuelles, et laisser les personnes responsables de la façon dont
elles choisissent, finalement, de mener à terme leur vie nous apparaît
également une obligation éthique. Alors, c'est d'accompagner, oui, certes, ces
personnes qui ont un problème de santé mentale, mais, lorsque la situation est
tellement souffrante pour ces personnes-là et que même les traitements qu'on
leur prodigue, finalement, n'ont pas les résultats escomptés, je pense, à ce
moment-là, qu'on devrait peut-être ouvrir une porte qui est plus grande auprès
de ces personnes-là pour les aider, finalement, et les soulager. Alors donc, on
s'est dit : Pourquoi on accorderait plus de poids à la souffrance physique
qu'à la souffrance psychologique?
Et finalement on s'est dit que,
pour accepter, donc, les demandes d'aide médicale à mourir pour les patients qui souffrent uniquement de troubles mentaux, il
faudrait, à notre avis, intégrer des recommandations supplémentaires.
Alors, voici, j'en propose quatre : un, cibler les troubles mentaux
réfractaires aux traitements, évidemment, parce qu'il y en a qui prennent une
médication et que ça fonctionne très, très bien puis qu'ils voient leur vie,
finalement, redevenir presque normale, ça, c'est très bien, mais il y en a pour
qui ce n'est pas le cas ; donc, deuxièmement, augmenter le délai minimal,
donc, pour le traitement de la demande ; trois, ajouter une évaluation par
un spécialiste de la santé mentale, ça, ça pourrait être intéressant ; et,
finalement, impliquer les proches dans le processus, ça aussi, ça pourrait être
une recommandation qui nous semble intéressante.
Donc, au
niveau éthique, par exemple, je reviens là-dessus — je termine puis je laisse la parole à mon collègue, qui va renchérir — on devrait, à notre avis, ne pas prendre
en considération... on devrait prendre en considération le choix ou le désir de la personne à dire :
Écoute, moi, mes souffrances, je les ai assez vécues, c'est suffisant, il n'y
a pas d'autres alternatives, alors de les aider plutôt que de les laisser
faire des gestes cruels, comme par exemple le suicide, qui sont beaucoup plus, disons, drastiques et qui ont des
conséquences beaucoup plus importantes pour la communauté, pour
leur communauté, pour leurs proches, etc. Mon collègue va poursuivre, et je lui
laisse la parole, et nous revenons par la suite.
M.
Larivée
(Serge) : Rebonjour. Alors, vous allez... vous avez compris que
nous étions du même avis, Mme Sénéchal et moi, hein? Bien. Alors, élargir l'aide
médicale à mourir aux personnes souffrant de maladie mentale, c'est respecter
leur autodétermination et leur désir d'autonomie. Bref, peut-on leur donner le
droit de mourir en paix, hein? C'est mon premier point, voilà. Lorsqu'on a tout
essayé, traitements psychologiques, traitements médicaux, et qu'il n'y a rien qui marche, et que la personne n'en peut
plus de souffrir, bien, ces souffrances persistantes là, c'est
invivable. Je défie n'importe qui d'entre vous de le vivre, les souffrances qui
sont persistantes, hein? Bon, moi, j'ai des
exemples en tête, là, de personnes que j'ai bien connues, là, bon, mais ça,
c'est sûr, je ne vous conterai pas ça ici.
Bon, certains objectent que les traitements
actuels ne sont peut-être pas efficaces, mais il n'est pas exclu qu'un remède
efficace soit découvert ultérieurement. C'est vrai, c'est vrai, mais il
faudrait qu'on m'explique alors pourquoi les opposants à l'aide médicale à
mourir pour les personnes ayant des troubles mentaux n'appliquent pas le même
raisonnement pour les maladies physiques, hein? Bon, on a décidé que les
souffrances physiques étaient insupportables. Bon, alors pourquoi on ne ferait
pas la même chose pour les maladies mentales? Il faut avoir côtoyé des
personnes affligées de maladies mentales incurables pour comprendre leur
souhait de mourir.
Permettez-moi ici de vous rappeler une recherche
faite en Belgique en 2015. Je vais nommer le nom du premier auteur, mais, s'il y a des Belges parmi vous, pardonnez-moi, hein?
Alors, le prénom, Lieve, et le nom de famille, Thienpont. Bon, voilà. Et
donc ils ont pris 23 hommes et 77 femmes entre 21 et 80 ans, une
moyenne de 47 ans, et 90 % d'entre eux étaient atteints de plus d'un
trouble mental. Bon, après examen, 52 ont été refusés à l'aide médicale à
mourir, mais 48 ont été acceptés. Donc, parmi ces 48 là, 35 ont eu accès à l'aide
médicale à mourir, deux se sont suicidés avant la procédure, et 11 — écoutez
bien, c'est très important — 11
ont choisi de reporter ou d'annuler leur demande, hein? Puis, parmi ceux-là,
huit ont révélé que savoir qu'elles avaient la chance de... qu'un jour on
pourrait leur permettre l'aide médicale à mourir, ça leur a donné de l'espoir
dans la vie. C'est intéressant, non, hein? Tu sais, on n'avait pas pensé à ça
avant. Donc, ça, c'était le deuxième... non, ça, c'était le troisième. Bien.
Bon, les opposants à l'aide médicale à mourir ne
semblent guère préoccupés par ce qui est souvent la seule alternative : le
suicide. Ma collègue, tantôt, vous en a parlé, on sait tous que le deuil à la
suite d'un suicide d'un proche, c'est nettement plus difficile à vivre qu'un
accompagnement dans le cadre de l'aide médicale à mourir. Tu réunis tous ceux
que tu aimes puis tous ceux qui t'aiment, là, tu leur dis : Ciao! Je m'en
vais, et tout le monde le vit ensemble et se supporte. Moi, j'ai eu la chance
de vivre cette expérience-là avec une de mes soeurs, dans le temps que l'aide
médicale à mourir n'existait pas, mais elle s'était organisée, hein? Bon, ça,
n'en parlez à personne surtout, hein? Bon, donc, c'est beaucoup plus facile
quand, tous ensemble, on s'autosupporte puis on va reconduire dans l'autre
monde la personne qui n'en peut plus, hein?
Bon, il y a une dernière remarque que j'aimerais
faire avant de répondre à vos questions, c'est le concept de vie accomplie. Il
y a certaines personnes, en bonne santé physique, en bonne santé mentale, qui
disent : Écoutez, j'aimerais ça mourir parce que, là, j'ai accompli ma
vie, hein, je suis trop vieux, j'ai de la difficulté à marcher, je n'ai plus de
plaisir, et surtout je ne veux pas être un poids pour ceux qui vont s'occuper
de moi, moi, je suis prêt à partir. Pourquoi on ne respecterait pas ça? Et moi,
je suis allergique à la surprotection, hein?
Bon, je me permets une parenthèse. Je pense que,
maintenant, on surprotège nos enfants, qui n'ont plus de système immunitaire
psychologique pour combattre les obstacles, disons. Mais on peut-u, pour les
adultes, leur laisser le choix de vivre, de mourir comme ils veulent? Voilà,
voilà, c'est ce que j'avais à vous dire pour le moment. On est prêts pour les questions.
• (14 h 20) •
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Merci beaucoup, Pr Larivée. Merci, Pre Sénéchal. Donc,
je céderais la parole à mon collègue de Mégantic.
M. Jacques : Bien, merci, Mme la
Présidente. Pr Larivée, Pre Sénéchal, c'est un plaisir de vous
accueillir ici aujourd'hui. Vous avez parlé... en début, là, Dre Sénéchal
a parlé, là, des problèmes physiques versus les problèmes psychiques, les
troubles... elle a parlé des troubles mentaux réfractaires, dans le fond, qui
ne réagissent plus à aucun traitement. Quand qu'on
parle de traitement, vous parlez d'un traitement, deux traitements, cinq
traitements, on recommence? C'est quoi, le... Qu'est-ce qui fait qu'il
n'y a plus aucun traitement qui fonctionne?
M.
Larivée (Serge) : Parce que c'est des choses qui arrivent, c'est un
phénomène connu, il y a des médicaments qui fonctionnent pour certaines
personnes qui ne fonctionnent pas pour d'autres, par exemple. Alors, on n'y
peut rien, c'est ça, la vie. Je pense que ça ne vous satisfait pas comme
réponse, ça.
M. Jacques : J'aimerais ça en avoir
un peu plus, parce que, tu sais, bon, il y a un médicament qui ne fonctionne plus... Bon, mettons, il y a quelqu'un
qui prend un médicament pendant 10 ans, le médicament, il
fonctionne très bien. Au bout de 10 ans, il y a une déréglementation du
système, le médicament ne fonctionne plus, donc on va essayer
un nouveau traitement pour essayer de trouver une solution au niveau
psychologique, là. Mais est-ce que c'est lorsque le traitement finit son effet,
après 10 ans, qu'on dit que c'est terminé puis qu'on peut passer à l'aide
médicale à mourir?
Mme
Sénéchal
(Carole) : Bien, en fait, moi, ce que je pense, c'est que c'est
sûr que la personne, elle, qui se voit prendre une médication puis qui change
encore une fois de médication et que, finalement, ça devient une montagne
russe, à un moment donné elle n'en peut plus de vivre ça, ce genre de montagne
russe là, et elle en arrive à un point tel que, souvent, avec le médecin ou
avec les gens de son entourage, elle ne désire plus continuer à vivre comme ça.
Et c'est là...
Chaque cas est un cas d'espèce. Ce n'est pas une
question de dire : Bon, bien, j'en prends pendant cinq ans, 10 ans,
15 ans, ou encore : On ne sait pas l'avenir, dans cinq ans,
10 ans, quelle sera la science. Mais, de ce qu'on connaît aujourd'hui, on
sait très bien qu'il y a des médications, des médicaments qui ne fonctionnent
pas de façon uniforme chez tous les patients. C'est vraiment du cas par cas,
mais il y a... pour certaines personnes qui sont nées comme ça, avec une problématique x,
y, z, et que, au bout de 20 ans, 30 ans, 40 ans, ils n'en
peuvent tout simplement plus, et ça devient une souffrance intolérable. Alors,
même s'ils ont essayé beaucoup de choses, ils ont été hospitalisés, ils ont
parfois été, de longues durées même, en internement, il n'en demeure pas moins
que la qualité de vie, elle est altérée. Ces gens-là, ça devient un combat sans
cesse qu'ils ne veulent plus continuer à vivre. Puis ils ne veulent plus non
plus essayer encore de nouvelles médications, au cas où ça fonctionnerait
peut-être plus ou moins. Alors, c'est dans ce sens-là. Puis je trouve que c'est
très important de respecter le choix de la personne et de voir, au cas par cas,
où est-ce qu'elle en est rendue.
C'est comme une souffrance physique. Pour
certaines personnes, ils vivent une souffrance physique pendant des années puis
ils sont capables de la supporter jusqu'à la mort, alors que, d'autres, la
souffrance devient intolérable. Alors, ça, je pense que c'est difficile de
mettre un chiffre ou des barèmes très restrictifs. Mais la maladie mentale, ça
ne se mesure pas nécessairement avec un thermomètre, là, vous savez, on est
rendu à 70°, ça fait que... ou à 90°, alors c'est ce qui fait que je pense que
c'est du cas par cas. Mais, quand la personne en arrive à un point tel où ça
devient ça ou le suicide, bien, je pense qu'il vaut mieux l'accompagner vers la
mort correctement que de la retrouver morte. Et les chiffres sont quand même
très éloquents, ils sont très, très parlants, d'après les recherches.
M. Jacques : O.K. Je pourrais faire
un parallèle, là. Je vais aller à l'autre question puis je reviendrai, là, sur
le parallèle avec ce que vous dites par rapport à la mort violente, là, puis
tout ça.
Vous parlez d'impliquer les proches dans le
processus de soins de fin de vie pour les personnes, de santé mentale.
J'aimerais ça avoir... savoir de quelle façon vous pensez que les proches
peuvent accompagner ou peuvent dire un peu leur vision par rapport à ça. Moi,
j'ai une inquiétude, une forte inquiétude des proches dans le processus, puis
je vais vous expliquer. Bon, souvent, vous parlez des gens qui se suicident,
mais il y a une pression des proches aussi sur ces gens-là. Il y en a qui vont
dire que c'est un fardeau, il y en a qui vont se sentir un fardeau, il y en a
qui vont les inciter à aller vers un soin de fin de vie parce qu'ils ne voient
pas le bout, les parents, des frères et soeurs. Vous ne pensez pas que la
famille peut alimenter une discussion qui n'est peut-être pas la bonne pour le
patient?
M.
Larivée
(Serge) : Bien sûr, bien sûr que ça se peut, mais on n'y peut
rien, les gens sont libres de leur vie.
Mme
Sénéchal
(Carole) : Mais c'est la même chose, par exemple, pour les
problèmes de santé physique. En fait, c'est la même chose, ce n'est pas plus
important, ce que vous dites, en fonction des gens qui ont des problèmes de
santé mentale. Je pense que les proches qui voient quelqu'un, un membre de la
famille, un proche souffrir à ce point de problèmes de santé mentale sont très
sensibles, dans la plupart du temps, d'accompagner ces gens-là et de les
respecter dans leurs décisions, même s'ils ne comprennent pas toujours ce qu'il
en est. Je pense que ça peut être des amis, des gens de la famille.
En fait, on peut... ces gens-là peuvent se
retrouver avec des gens qui ne partagent pas toujours l'avis, l'opinion, parce
qu'on a peur, en fait. Tu sais, perdre quelqu'un, c'est toujours souffrant,
mais en même temps c'est ça de respecter la liberté de celui qui veut mourir
dans la dignité, justement, hein? Et, quand on aime des gens qui sont proches
de nous, il arrive souvent qu'on n'est pas toujours d'accord avec les choix
qu'ils font, mais, par amour, par soutien, parce qu'on veut les respecter, je pense qu'on
laisse à d'autres, à d'autres professionnels aussi d'accompagner ces
gens-là.
M. Jacques : O.K. Puis, dans tout
ça, là, vous voyez... Les gens ont le droit de choisir, là, mais, dans tout ça,
c'est quoi, le rôle de l'État?
M.
Larivée (Serge) : Bien là, écoutez, si vous me posez la question
à moi, la réponse, c'est : Hé! l'État peut-u laisser décider les
gens de leur propre vie, d'assumer les conséquences de leurs gestes? Tu sais, écoutez...
M.
Jacques : Donc, ce que vous
me dites, là, c'est : Je pars en auto, et, si je décide d'aller à
150 kilomètres-heure puis d'aller frapper une autre, tu sais...
Comment je le prends...
• (14 h 30) •
M.
Larivée
(Serge) : Non, non. Les gens sont libres, dans le respect des
règles de vie en société, de décider de comment ils veulent vivre. Par exemple,
moi, je ne prends pas de drogue. Bien, c'est une décision personnelle. D'ailleurs, je ne sais
pas fumer, bon, ça règle le problème. Mais donc on essaie... l'État doit cesser
d'être un surprotecteur puis d'enlever aux gens leur liberté de prendre
des décisions pour eux. Et ça, c'est très, très important, sinon on a affaire à
une gang de petits suiveux qui disent tous, là... Non. Laissons les gens
décider de leur vie, bien sûr dans les limites des règles de l'État, là, des
règlements, bien sûr.
M. Jacques : Puis je vais revenir,
là, vous avez dit : Respecter les droits de mourir en paix plutôt que...
vous parliez des suicides. Moi, je vais vous ajouter toutes les morts subites :
infarctus, accident de la route, bon, tous ces facteurs-là, c'est des deuils
qui sont plus durs à vivre. Et un accompagnement... je suis tout à fait
d'accord avec ce que vous dites, là, par
rapport à l'accompagnement des gens en fin de vie, de prendre le temps de
s'exprimer, de parler à ses proches, de... puis, tu sais, là, on peut
être divergents sur certaines... ou je peux vous amener à quelque part. Par
contre, quand vous nous dites ça, là, je suis tout à fait d'accord avec vous,
j'essaie juste de voir comment qu'on peut l'amener au niveau de la santé
mentale. C'est plutôt ça, là.
Mme
Sénéchal (Carole) : Bien, en fait, tantôt, je vous avais parlé des
recommandations, par exemple, je pense que ça donnait des pistes, en tout cas, qu'on voyait lorsqu'on a écrit
ça. Je pense que ça demande un accompagnement qui est beaucoup plus, peut-être,
soutenu, puisque c'est un problème de santé mentale. Quand je parlais, par
exemple, qu'on devrait peut-être déployer plus de services, d'avoir un médecin
spécialiste aussi qui... un comité qui se penche auprès de ces gens-là pour les
écouter, pour mieux les encadrer, pour mieux voir avec eux... de soupeser le
pour, le contre. Et je sais que, jusqu'à la fin, ils peuvent changer d'avis
aussi sur le fait... qu'ils décident de changer d'avis à la dernière minute.
Et ce n'est pas un processus qu'on devrait
accélérer. Je pense qu'on devrait se donner le temps, un six mois, un an ou
plus, si c'est nécessaire. Mais, en fait, c'est de ne pas fermer la porte
immédiatement mais d'accompagner la réflexion avec ce patient-là qui est en
souffrance importante. Moi, c'est surtout ça qui m'intéresse, et de dire :
Écoute, c'est une possibilité, mais il y a des comités, à l'hôpital, qui
peuvent être formés de psychologues, de psychiatres, de médecins, etc., qui
peuvent, à la suite, bon, de rencontres, de médication qui n'a pas fonctionné...
et de voir si la détresse que vit cette personne-là, il n'y a pas d'autre
alternative à celle proposée par l'aide médicale à mourir. Mais, lorsqu'il n'y
en a plus, à ce moment-là, bien, c'est un comité qui devrait faire une
recommandation, et cette recommandation-là devrait être entérinée par une
équipe multidisciplinaire.
M. Jacques : Parfait. Je vais juste...
bien, je vous remercie, là, je vais laisser la parole à mes collègues, là, parce
que j'ai pris un petit peu plus de temps que je devais prendre, là.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.
Merci, M. le député. Je cède la parole, maintenant, à la députée
d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci,
Mme la Présidente. Mme Sénéchal, M. Larivée, merci pour ce beau
témoignage. J'aimerais vous entendre parler... Vous avez parlé de souffrance.
Comment on peut évaluer une souffrance physique, psychologique? Et j'aimerais
vous entendre, lorsqu'un patient est en fin de vie, qu'est-ce que la dignité pour vous. Comment partir en dignité, être
digne de choisir et de partir? J'aimerais que vous élaboriez sur ce
sujet.
M.
Larivée
(Serge) : Ah! c'est une très belle question que vous posez là.
Moi, je pense que — en
fait, je me répète, là — c'est
de respecter le choix de la personne tout simplement, tout simplement. Ça veut
dire, on s'entend avec elle : Qu'est-ce que tu souhaites faire? Moi, là,
c'est de tout simplement faire ce respect-là. Écoutez, toutes les personnes sont majeures et vaccinées, donc on
devrait les laisser décider du choix de leur vie et du choix de leur
mort.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Mais,
lorsqu'on est diagnostiqué avec un problème de santé mentale, souvent ce n'est
pas la même opinion médicale lors d'une fin de vie.
M.
Larivée
(Serge) : Oui, ça, j'en suis très, très conscient. Mais, quand
la personne souffre et dit : Je n'en peux plus, moi... je l'ai entendu,
là, à quelques reprises, des personnes comme ça, là, qui n'en peuvent plus,
O.K., puis ma première question, c'était : Est-ce que tu as l'intention de
te suicider? Puis là la personne : Hein? Mais j'ai dit : Tu as l'air
tellement tannée de vivre. Là, c'est un moyen de vérifier avec elle, et puis,
si... là, de l'accompagner, parce que je ne veux pas qu'elle se suicide, je
veux qu'on l'accompagne dignement dans sa fin de vie.
Mme
Sénéchal
(Carole) : Moi, j'ajouterais que c'est vrai qu'il est très...
pour répondre à votre question, madame, c'est vrai ce que vous dites, c'est
difficile de vérifier l'intensité d'une décision que peut prendre une personne
qui souffre de troubles mentaux, puis est-ce qu'elle est apte, finalement, tu
sais, ou, à ce moment-là, de dire : Bien, moi, j'en ai assez, je veux
avoir l'aide médicale à mourir. Ce n'est pas comme une maladie dont on sait...
physique, incurable et que la personne porte et vit depuis de nombreuses
années. Ça, je suis d'accord avec vous.
Cependant, lorsque, la personne, par exemple, ça
fait plusieurs années qu'elle est en traitement psychiatrique, de nombreuses
années, et qu'elle a eu de nombreuses tentatives de suicide, et qu'elle se fait
suivre, et que vraiment, vraiment, là, elle est... comme on dit, elle est à bout de
souffle, et que finalement les tentatives de suicide se succèdent
souvent, à ce moment-là je pense qu'on doit s'interroger, je pense que le
professionnel, les professionnels de la santé doivent non seulement accompagner
la personne... Ce n'est pas une option n° 1. Moi, en
fait, je ne le vois pas comme ça. Ce n'est pas une option
n° 1, dire : Écoutez, là, hein, on t'offre ça,
je pense que c'est bon pour toi. Non. Je pense qu'on doit accompagner, on doit
faire tout ce qu'il faut pour la personne qui a un problème de santé mentale,
tout comme on le fait pour les personnes qui ont un problème physique, d'ordre
physique. Mais, lorsque la situation est à ce point, disons, critique, grave, presque
irrévocable, je dirais, à ce
moment-là, l'équipe médicale — l'équipe
médicale, pas une personne, je dis l'équipe médicale — devrait
tout au moins discuter avec le patient, discuter et de voir avec lui d'abord
comment il voit les choses, comment il voit son avenir, quelles sont les possibilités
et, dans ce processus-là, finalement, hein, qu'on laisse la porte ouverte, mais
qu'on n'insiste pas, mais qu'on laisse la porte ouverte. On regarde les
différentes alternatives, et, si, à la fin, c'est vraiment la seule et qu'il
n'y a pas d'autre alternative, bien, plutôt que de le retrouver dans une situation,
disons, difficile, on dit... on parle de suicide, mais... bien, à ce moment-là,
je pense que c'est plus sain de l'accompagner, quoi, et de voir avec
l'entourage, s'il y a lieu, les parents proches, tout ça. Parce que l'opinion
des parents, ou du conjoint, ou des gens proches, peut aussi éclairer les
professionnels autour, justement, pour essayer de trouver des solutions qui
seraient autres, évidemment.
Alors, ces gens-là, ils sont parfois fragilisés
par ce qui leur arrive, et c'est souvent les souffrances qu'ils ne veulent plus
vivre, hein, ce n'est pas tellement qu'ils veulent en finir avec la vie, mais
c'est les souffrances qu'ils ne veulent plus vivre. Mais parfois il arrive
qu'ils n'ont plus d'autre option non plus. Alors, je pense que c'est vraiment
du cas par cas, et c'est difficile de faire une loi, dire : Voici la loi
générale pour tout le monde. Elle doit être bien encadrée, je pense.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Je vous
remercie beaucoup.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci beaucoup. Donc, je passerais la parole au député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Pre Sénéchal et le Dr Larivée, pour votre exposé.
Je vais admettre de me sentir un petit peu... d'être un petit peu perplexe. Je
comprends, vous postulez des arguments sur la primauté de l'autonomie de
l'individuel, de son autodétermination. Dr Larivée, vous avez donné
l'exemple de quelqu'un qui témoigne que «j'ai eu une belle vie, ça suffit». En
même temps, vous nous offrez plusieurs balises importantes et intéressantes
pour établir l'état de la personne, l'état de sa possibilité d'avoir une
guérison, une vie qui continue. Est-ce que c'est une ou l'autre? Avec le plus
grand respect, je dois comprendre si la primauté de l'autonomie, pour vous,
nous invite à élargir de façon dramatique, mais dramatique, l'accès à l'aide
médicale à mourir ou est-ce qu'il faut obligatoirement que ça soit balisé,
entre autres par quelques suggestions très intéressantes que vous avez
offertes.
• (14 h 40) •
M.
Larivée
(Serge) :
Bien sûr qu'il faut que
ce soit balisé.
Mme
Sénéchal
(Carole) : Il faut que ce soit balisé.
M.
Larivée
(Serge) : Bien oui. Je veux dire, ce n'est pas un
«free-for-all», ça, là, là. Il faut que ce soit balisé. Mais... c'est ça, mais
je pense que vous avez bien résumé ce que je pense.
Mme
Sénéchal
(Carole) : Moi, je pense que l'autodétermination, c'est
vraiment à ne pas négliger, hein, les gens restent libres aussi. On doit les
écouter, ils sont aptes de prendre des décisions, à moins d'avoir une
déficience intellectuelle, là, évidemment.
Mais, en général, même ces gens-là, on les écoute, puis avec beaucoup de
respect aussi.
Mais je pense que l'aide médicale à mourir,
qu'elle soit pour les personnes avec des troubles mentaux ou non, doit être
vraiment très encadrée. Ce n'est pas nécessairement une porte ouverte à une
euthanasie ou, enfin, une porte ouverte pour tous. Ce n'est pas ça du tout, du
tout comme... En tout cas, je parle pour moi, là, évidemment, mais ce n'est
pas du tout, du tout ça. Et puis évidemment, au début, parfois, il y a des lois
qui peuvent même être un peu plus sévères, et on regarde un peu comment ça se
passe dans le milieu, et par la suite, dans une deuxième, troisième étape,
bien, on se réajuste, évidemment, pour voir si... comment ça a fonctionné,
est-ce que les médecins sont à l'aise aussi avec ça. Il y a tout le corps
médical, les professionnels qui peuvent être pour ou contre. Alors, ça aussi,
il doit y avoir une liberté de ce côté-là, évidemment.
Donc, l'accompagnement se fait dans la liberté
des uns et des autres, mais ce n'est pas une liberté, disons, aveugle. C'est
une liberté quand même accompagnée et puis raisonnée, et puis d'y aller aussi
selon... surtout quand on a des troubles mentaux, accompagner avec tout le
respect que la personne a au moment où elle désire prendre une décision, qui
peut évoluer, tout dépendant de son état de santé physique et psychologique, je
dirais. Alors, c'est pour ça, je pense, qu'il faut prendre notre temps
d'accompagner la personne et de réévaluer avec elle, et que cette réévaluation
soit aussi confirmée par d'autres professionnels, au besoin, parce que les
troubles mentaux, ça peut être... ce n'est pas statique, hein, on peut avoir
des... il y a toutes sortes de troubles mentaux, alors il y a toutes sortes de
manifestations rattachées à ça. Alors, c'est pour ça que moi personnellement,
je dis et je réitère qu'il ne faut pas que ce soit... il faut que ce soit vraiment
très, très circonscrit et puis il faut être un peu plus réservé que trop large,
à mon humble avis.
M.
Birnbaum : Merci. Justement,
si je vous mettais devant l'exemple de quelqu'un qui souffre de la bipolarité assez aiguë,
est dans une étape jugée, par les professionnels qui l'accompagnent, apte,
propose, fait la demande pour l'aide médicale à mourir dans
une phase où il ou elle est jugé apte. Cette personne, en connaissance de cause, suggère que, «oui, j'ai mes hauts et mes bas, j'ai
vécu avec depuis 20 ans, en connaissance de cause, je veux avoir l'accès à
l'aide médicale à mourir». Le psychiatre qui les accompagne et les familles
constatent tous les deux que cette personne
a eu de la réjouissance dans sa vie, a eu des périodes de lucidité, de sérénité
et de bonheur. C'est quoi, le rôle de l'État
et aussi le rôle de l'individu dans un tel cas? Est-ce que les souhaits
exprimés par cette personne sont suprêmes?
M.
Larivée (Serge) : Alors, votre exemple, vous dites que la personne
semble bien consciente que sa situation psychologique... elle est
consciente qu'elle a des hauts et des bas. Bien, donc, si elle est capable de
bien l'évaluer puis là qu'elle décide que, pour elle, c'est terminé ce jeu de
yoyo avec sa vie psychique, bien, moi, je pense qu'on devrait lui accorder
cette capacité, cette chose-là. Mais on peut aussi lui dire, par exemple :
Oui, on va vous accorder l'aide médicale à mourir, si vous voulez, en plus on
va vous le redemander dans une semaine, dans deux semaines, puis, bon, si votre
réponse est toujours la même, on pourra procéder avec la manière dont vous
souhaitez partir. Je pense que ça peut se faire.
Mme
Sénéchal
(Carole) : Moi personnellement — juste pour compléter — moi, je pense
que, quand on parle de problèmes de santé mentale, comme vous le disiez...
Prenez l'exemple des troubles de l'humeur, on sait très bien que la personne
peut être dans le «high» pendant un petit moment puis, après ça, être dans le
«down» pendant un bon long moment. Et, tout dépendant où est-ce qu'elle se
situe, les idées peuvent changer, comme vous le savez.
Moi, je proposais surtout qu'il y
ait au moins deux à trois médecins, tu sais, pas seulement... vous parliez d'un
médecin, par exemple, qui peut accompagner la personne, mais je pense qu'il
faudrait qu'il y ait l'avis d'au moins deux médecins, sinon trois médecins qui
vont corroborer, qui vont corroborer non pas seulement le diagnostic, mais, en
fait, l'appui que cette personne-là devrait avoir pour l'aide médicale à
mourir. Parce que, là, vous parlez du médecin et de la famille, mais parfois la
famille, bien, ils ne sont pas toujours bien placés pour prendre une décision
comme celle-là, vous savez, c'est quand même lourd de sens, lourd de
responsabilités morales aussi. Alors, dire à un médecin : Bien, écoutez,
on vous donne la permission, vous pouvez, bon, voilà, faire telle et telle
chose, je pense que c'est une lourde responsabilité, que ce n'est pas tout le
monde qui ont... qui peuvent prendre cette décision-là, même parmi les proches
de la famille.
Moi, je serais plutôt d'accord
avec une équipe multidisciplinaire où, là, il y a une équipe, justement, qui
peut non pas seulement accompagner la personne, mais aider à prendre une
décision, pour ne pas que la décision revienne uniquement à un médecin et à une patiente qui peut vivre des moments
parfois de détresse, mais parfois d'enthousiasme extrême aussi. Alors,
j'irais...
Mais c'est pour ça que je parlais
tout à l'heure... Je reviens là-dessus, pour moi, c'est très important de
dire : On accompagne pendant un bon moment cette personne-là avant, une
équipe, avant de... on laisse la porte ouverte, mais on ne se précipite pas
nécessairement pour, justement, donner notre accord à ça, parce que, quand
même, en termes de société...
M. Birnbaum : Voilà.
Mme Sénéchal (Carole) :
...en termes de société, c'est quand même une lourde responsabilité sociétale,
et je pense qu'on doit être plus prudent que trop large, pour le moment en tout
cas.
M. Birnbaum :
D'accord. Dans le scénario que nous sommes en train d'écrire ensemble, deux
choses. Moi, je constate que nous sommes dans l'absence d'un constat d'une
souffrance continue pour cette personne et dans l'absence d'une... disons, un
diagnostic d'un horizon de vie qui ne changerait pas, qui ne s'améliorerait pas.
On est dans l'absence de ces deux choses-là, et je veux m'assurer qu'on le dise
en connaissance de cause.
Deuxième chose, dans le scénario
que vous poursuivez avec moi, vous parlez d'exiger un consensus de plus
qu'un médecin et peut-être plus que juste la famille et plus que le psychiatre
qui les accompagne comme d'habitude. Advenant que ces gens sont de l'autre avis
et disent : De notre avis, on ne peut pas accorder l'accès à l'aide
médicale à mourir, quoi faire dans ce cas-là avec l'autonomie exprimée de façon
volontaire par la personne?
Mme
Sénéchal
(Carole) : Écoutez, quand il y a plusieurs professionnels qui
sont ensemble pour le bien-être de l'individu, femme ou homme, ici, évidemment,
bien, je pense qu'il ne nous reste qu'à l'accompagner, de l'aimer à travers son
cheminement, ses difficultés, de l'aider autant de... il n'y a pas seulement la
médication aussi, hein, il y a toutes sortes d'autres techniques, béhaviorales,
et autres, et de l'accompagner, mais d'avoir un suivi qui est beaucoup plus
rigoureux que d'avoir une médication, et de là on revient dans un mois ou deux
pour un suivi thérapeutique.
Je pense qu'il y a des individus comme ça, que,
si on pouvait les aider d'une façon beaucoup plus soutenue et d'une façon
beaucoup plus précise, que ce soit avec l'équipe médicale et avec la famille,
souvent, il pourrait y avoir des résultats peut-être très prometteurs
également. Mais je pense que la décision, dans tous les cas, ne doit pas être...
elle doit être prise lorsqu'il s'agit vraiment d'une situation qui est
irrévocable, au niveau des troubles de santé mentale, mais, dans tous les
autres cas, lorsqu'on peut faire autrement, bien, écoutez, je pense que c'est
une option que la personne qui est en détresse n'a peut-être pas vue ou ne
connaît pas. Vous savez, des fois, on est dans... pris avec notre sentiment de
détresse ou notre problème de santé mentale et on ne voit pas toujours toutes
les possibilités aussi qu'on a pour se faire aider.
Alors, moi, je serais...
M.
Birnbaum : Je veux m'assurer de ne pas sursimplifier vos propos, mais,
en quelque part, est-ce que je vous comprends mal si je dis que c'est la
volonté qui passe en premier? L'obligation de l'État et du corps médical
professionnel, c'est d'accompagner de façon efficace et compatissante la
personne, mais c'est son choix qui prévaut.
• (14 h 50) •
Mme
Sénéchal (Carole) : Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.
Non. Moi, j'ai dit... bien, c'est sûr que c'est... que la personne a une
volonté, par exemple, que la personne a une volonté d'avoir l'aide médicale à
mourir, elle peut avoir cette volonté-là, mais ça ne s'applique pas à cette
personne-là parce qu'il y a d'autres alternatives possibles. Et c'est ces
autres alternatives là qu'on doit privilégier parce que, justement, si on
l'accompagne d'une façon peut-être plus adéquate pour cette personne-là, et qu'on
ne l'accompagne pas seulement en termes de médication, mais de d'autres
alternatives comme... que vous connaissez, à ce moment-là, bien, cette
option-là de l'aide médicale à mourir, elle n'est pas au premier plan, elle est
relatée au deuxième ou au troisième plan.
M.
Larivée (Serge) : Alors, je ne
partage pas entièrement l'avis de ma collègue. Moi, je pense qu'on doit donner
l'avis premier aux individus, mais ça n'exclut pas ce qu'elle vient de dire,
là, c'est-à-dire qu'on doit mettre le maximum d'aide. Mais, quand la personne
veut vraiment mourir, de quel droit on l'empêcherait de? Entre parenthèses ici,
là, ne vous en faites pas, hein, il n'y aura pas d'épidémie. Les gens veulent
vivre, hein, d'accord? Alors, il n'y aura pas d'épidémie, les gens veulent
vivre, et la plupart prennent les moyens pour... Là, on parle de cas extrêmes
de gens qui souffrent beaucoup, mais c'est juste ça, là.
M. Birnbaum :
Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Parfait. Merci, M. le député. Je céderais maintenant la
parole au député de Gouin.
M.
Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Sénéchal,
M. Larivée, pour votre contribution à notre commission. Ma question
d'abord pour vous, vous insistez beaucoup sur le critère de l'autonomie
personnelle dans votre réflexion sur l'accès à l'aide médicale à mourir. Ma
question est : Certains experts sont venus devant la commission nous
recommander d'exiger, avant qu'une personne souffrant de troubles mentaux soit
admissible à l'aide médicale à mourir, d'exiger, donc, que cette personne se
soit, d'abord et avant tout, prêtée à l'ensemble des traitements disponibles
pour traiter sa maladie avant qu'elle devienne admissible à l'aide médicale à
mourir. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette balise-là qui pourrait
potentiellement être mise?
M.
Larivée (Serge) : O.K., cela me semble tout à fait
raisonnable. Le seul bémol que je mettrais, c'est que, dans les approches dites
psychologiques, il y a des approches qui ne fonctionnent strictement pas, qui
sont totalement inefficaces. Si je peux même me permettre de dire, les
approches psychodynamiques, ça ne marche pas avec ces gens-là. Donc, on va
arrêter de les soigner avec une approche qui ne marche pas. Dans cette
perspective-là, donc, oui, oui, je suis d'accord qu'il faut avoir essayé le
maximum de choses, bien sûr, bien sûr.
Mme
Sénéchal (Carole) : On ne peut pas essayer toutes les
méthodes, on ne peut pas essayer tout, tout, tout, parce que, là, s'ils
commencent à essayer tout, on en a pour toute une vie au complet, évidemment.
M.
Larivée (Serge) : Et plus.
Mme
Sénéchal (Carole) : Et plus. Mais tout au moins de
mettre des balises, comme je le disais tantôt, pour accompagner les gens, puis
le plus possible, selon ce qu'ils vivent, pour les aider, parce que l'objectif,
c'est d'aimer la vie, ce n'est pas de vouloir mourir. En fait, c'est ça.
M.
Nadeau-Dubois : Nous, ici, à la commission, on a le mandat d'établir
des recommandations pour élargir ou pas, et, s'il y a élargissement aux gens
avec troubles mentaux, de mettre des balises claires. Donc, vous me
dites : Oui, c'est raisonnable de demander qu'ils se soient soumis à
l'ensemble des traitements disponibles, mais vous dites : Non, pas tout. Comment
on trace cette ligne-là, en fait?
M.
Larivée (Serge) : Là, vous n'êtes pas sorti de
l'auberge avec ça, parce que, là, vous allez assister à toutes les batailles
entre les spécialistes, là. Puis je viens d'en évoquer une, là, les
cognitivo-comportementalistes vont s'opposer aux gens qui sont dans l'approche
psychodynamique, et la bataille va être partie. Mais il s'agira d'aller voir
dans les publications scientifiques qu'est-ce qui a été démontré efficace ou
pas. Mais là on en a pour plusieurs années, hein, si on fait ça.
Mme
Sénéchal (Carole) : Mais c'est sûr et certain que la
médication, ça, c'est de base, ça, c'est de base, ça, c'est sûr et certain.
Puis il y a les approches comportementales, là, qui sont...
M.
Larivée (Serge) : ...qui sont réputées efficaces.
Mme
Sénéchal
(Carole) : ...qui sont très réputées efficaces. Je pense que,
quand la personne, elle a combiné les deux pendant un bon moment, même un
certain nombre d'années, une fois que tout ça, ça n'a pas été efficace... Mais évidemment,
là, c'est sûr que, dans cinq ans, dans 10 ans, dans 20 ans, il va y
avoir peut-être... la science évolue, comme dans toute
chose, hein, il ne faut pas le nier. Mais, une fois que la personne a vraiment
pris une bonne médication de façon suivie, avoir des... c'est ça, je le disais,
des thérapies comportementales, une fois qu'on a fait un peu le tour du jardin puis que, là, il n'y a
vraiment plus rien qui fonctionne, écoutez, il faut penser à d'autres alternatives.
M. Nadeau-Dubois : En fait, qu'est-ce
que... il y a certains opposants à l'aide médicale à mourir qui nous disent que
ce serait une mauvaise idée d'élargir l'accès aux gens qui ont des problèmes de
santé mentale, dans la mesure où on n'est même pas, en ce moment... et,
comparativement, par exemple, à des maladies physiques comme le cancer, on
n'est même pas en mesure de leur offrir l'ensemble des soins disponibles,
notamment dans certaines régions. Et ces gens-là nous disent : Il faudrait
d'abord et avant tout s'assurer qu'on offre les services et qu'on offre les
soins avant d'ouvrir la porte à leur offrir la mort, dans le fond. Qu'est-ce
que vous pensez de cet argument?
M.
Larivée
(Serge) : Je comprends. Je comprends ça. C'est
une remarque très raisonnable. J'ajouterais à ça de leur
offrir des soins dont la démonstration a été faite qu'ils sont efficaces. Le
problème avec le monde de la psy, puis j'en suis, là, c'est qu'on a beaucoup
d'approches qui ne marchent pas, qui ne fonctionnent pas, et on continue de les
utiliser, mais là c'est un autre débat. Mais cette remarque-là, elle est très
pertinente, oui, oui, c'est sûr.
Mme
Sénéchal
(Carole) : Moi, je suis d'accord avec ce que vous dites, c'est
que... pour dire, même les gens en région, souvent ils n'ont pas d'aide
nécessaire. Alors, n'ayant pas d'aide, n'ayant pas de suivi, ou très peu de
suivi, ou moins de suivi, bien, c'est sûr que ces gens-là vivent avec un
problème qui est grave puis qui... mais ce n'est pas une raison de leur offrir
d'emblée l'aide médicale à mourir, alors qu'ils pourraient avoir d'autres
options, et c'est ces autres options là qu'il faudrait leur offrir d'abord.
Mais ça ne veut pas dire que l'aide médicale à mourir, pour les gens qui
souffrent de troubles mentaux, ne devrait pas être offerte non plus en parallèle.
Vous savez, on ne vit pas seulement dans les régions, il y en a qui ont reçu de
l'aide, il y en a beaucoup qui ont reçu de l'aide. Quand on regarde le nombre
de personnes qui se suicident, je pense que c'est un taux alarmant de ceux,
parmi eux, qui avaient des troubles mentaux également.
M. Nadeau-Dubois : Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, M. le député. Donc, je passerais maintenant la parole à la
députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui, merci
beaucoup, Mme la Présidente. Alors, Mme Sénéchal, M. Larivée,
merci pour votre présentation. Je vous dirais, d'entrée de jeu, que je pense
que, si on avait un continuum entre autonomie de la personne à un bout et, je
dirais, protection des personnes contre elles-mêmes ou avec elles-mêmes et
paternalisme médical, je pense que le curseur serait pas mal proche d'un des
bouts, quand je vous entends...
M.
Larivée
(Serge) : J'avoue.
• (15 heures) •
Mme
Hivon : ...oui,
c'est ça. Mais, en fait, j'aimerais vous amener un peu sur un autre curseur,
qui est celui de, oui, l'autonomie ou la perspective individuelle versus la
perspective sociétale d'une décision prise, nous, collectivement, élargissement
ou non, pour le bien individuel, mais qui peut amener ce que certains opposants
qualifieraient de tort ou de risque plus large pour la société. Puis, vu que
vous avez une formation en éthique puis que
c'est votre expertise, on en a peu parlé jusqu'à maintenant, mais certains
opposants nous diraient : On est en train de regarder une ouverture
potentielle pour les troubles mentaux qui va concerner un infime nombre de
personnes, si on met les balises en place. L'association des psychiatres
elle-même nous dit que ce serait vraiment très exceptionnel qu'il y ait
incurabilité, aptitude, que le désir de mort ne soit pas suicidaire, mais rationnel,
donc un très petit nombre qui pourrait ultimement se qualifier, mais avec un
risque potentiel d'envoyer un message à la société d'une certaine banalisation
du désir de mort, malgré tous les efforts qu'on fait pour la prévention du
suicide.
Et donc, quand on regarde ça, cette recherche
d'un bien individuel pour certaines personnes, exceptionnellement, qui peuvent
avoir des souffrances incurables, versus les enjeux et les messages qu'on
envoie à la société, comment on se positionne par rapport à ça, éthiquement?
M.
Larivée
(Serge) : Bon, votre question est plus que pertinente. Ma
première réponse, c'est : Je ne souhaite pas être député, parce que vous
allez avoir une drôle de décision à prendre. Et moi, je suis un partisan de la
liberté individuelle, que les gens assument toujours les conséquences de leurs
gestes.
Permettez-moi ici une remarque tout à fait
inappropriée. À l'adolescence, j'ai dit à mes enfants : Je ne veux pas
savoir à quelle heure vous allez entrer. La consigne, c'est : Vous ne me
réveillez pas. Si vous êtes mal pris, vous me téléphonez, puis je vais vous
chercher. Les gars, combien de fois ont-ils téléphoné? Zéro, et les filles,
deux fois, qui n'est rien. Bon. Et un jour mon fils aîné me dit :
Pourquoi, papa, tu nous fais confiance, alors qu'il y a des parents qui ne font
pas confiance? J'ai dit : Pas de jugement sur les autres parents, on ne
sait pas qu'est-ce qui se passe dans leurs familles, puis, de toute façon... Et
là il dit : Je connais la suite, de toute façon, si nous faisons des
conneries, c'est nous qui les assumons. Autrement dit, vous êtes responsables
de vos gestes, vous devez assumer les conséquences de vos gestes, et c'est
cette liberté-là que je veux que l'on privilégie dans la société.
Maintenant, je suis... je
suis très conscient que je suis en train de rêver, là, mais c'est quand même ça
que je souhaiterais, que les gens soient
responsables de leurs décisions. Je pense que ma collègue a une réponse plus
intelligente que la mienne.
Mme
Sénéchal (Carole) : Non, mais, en fait, votre question, elle est
bonne, parce que la liberté individuelle... Puis je crois que les
personnes qui ont des problèmes de santé mentale, ce sont ces gens-là qui
souffrent, ce sont ces gens-là qui peuvent parler. Alors, quand on n'a jamais
passé par là... et c'est mon cas, mais j'essaie de comprendre ceux qui vivent avec,
puis l'entourage aussi, qui vit avec des gens qui ont des problèmes graves de
santé mentale, comment ça peut être difficile à vivre au fil des années. Donc,
ce n'est pas seulement eux.
Moi, je ne suis pas d'accord à ce qu'on aille
dans une extrémité, dire que c'est l'infime partie, mais je ne suis pas non plus d'accord à ce qu'on dise à quelqu'un
qui est en dépression majeure, exemple, que, là, il file une mauvaise passe, qui veut se suicider ou qui veut l'aide médicale à mourir... de lui octroyer. C'est pour ça que moi, je suis
beaucoup plus axée... ou je réfléchis beaucoup plus à un comité qui va d'abord
accompagner la personne, peu importe la souffrance qu'elle peut vivre, de santé
mentale, et puis de voir avec elle où est-ce qu'elle se situe, puis voir
d'autres alternatives avant d'en arriver là. Et, si jamais cette alternative-là
se veut être la meilleure solution et que, la personne, c'est vraiment ça
qu'elle veut, bien, je pense que la porte devrait être ouverte aussi à cette
personne-là. Si elle maintient son désir mois après mois, presque un an après...
bon, vous savez, alors ce n'est pas un oui ou un non d'un moment, mais c'est
une réflexion d'une plus grande durée, à ce moment-là je pense qu'on doit aussi
et d'abord respecter le désir de cette personne-là, qui est sérieux, qui a des
fondements, qui est appuyé... et qui le vit, c'est elle qui vit avec ces
souffrances-là. Alors, on comprend, ça doit se faire à travers d'un
accompagnement qui est sérieux, qui est médical, qui est psychologique et puis
dans le respect total de la personne.
Mme
Hivon : Mme la
Présidente, est-ce qu'il me reste quelques secondes?
La Présidente (Mme Guillemette) : Il
vous reste une minute, Mme la députée.
Mme
Hivon : Parfait.
En fait, c'est ça, puis je pense que c'est toujours le défi de mettre le
curseur au bon endroit. Quand, tantôt... je ne sais pas si c'était pour
provoquer un peu M. Larrivée, mais vous avez dit : Quelqu'un qui a le
sentiment que sa vie est accomplie...
Des voix : Ha, ha, ha!
Mme
Hivon : Jamais?
Non? Je suis sûre, je vois ça, jamais vous ne pouvez provoquer. Quelqu'un qui a
le sentiment d'une vie accomplie devrait pouvoir l'avoir aussi. Puis ça fait
réagir, évidemment, parce qu'on n'est pas dans un contexte de maladie grave et incurable,
et je pense qu'on vous dirait que, socialement, sociétalement... je pense que
l'acceptabilité, l'acceptation sociale ne serait pas au rendez-vous. Donc,
nous, notre défi, c'est de mettre le curseur au bon endroit. Et donc, quand on
sort d'un contexte de fin de vie, pour les troubles mentaux, par exemple, c'est
sûr que c'est plus sensible, et donc c'est ça, notre défi.
Puis je vous amène sur ce dernier élément là,
c'est le fait que, quand on était en fin de vie, on savait que la personne
était dans une trajectoire où la mort allait arriver. Dans un contexte qui
n'est pas de fin de vie, troubles mentaux, ce que certains psychiatres nous
disent, c'est qu'on ne sait jamais, le mois prochain, l'année prochaine, de
nouveaux traitements qui pourraient arriver, de nouvelles recherches qui
pourraient donner des fruits. Est-ce que ça, ça ne change pas notre
perspective?
Mme
Sénéchal
(Carole) : Bien, c'est la même chose pour les problèmes de
santé physique. On ne sait pas non plus, dans six mois...
Mme
Hivon : Oui, mais
moi, je parle fin de vie, pas fin de vie.
Mme
Sénéchal
(Carole) : Ah! O.K., fin de vie, pas fin de vie. Moi, je trouve
que... c'est sûr que c'est de voir les choses sous un autre angle, finalement,
tu sais? Vas-y, Serge.
M.
Larivée
(Serge) : Bien, écoutez, c'est sûr que votre réflexion a plein
de bon sens, mais moi, je reviens toujours à... Moi, je me souviendrai toujours
de mon étudiant au doctorat, là, qui, après avoir fini son doctorat, a fait le
ménage de la maison, a fait une épicerie pour sa femme, puis il s'est suicidé.
Cet homme-là était malheureux, triste, c'était dur pour lui, et son psychiatre
lui avait demandé : Là, tu restes en vie pour obtenir ton doctorat, mais
qu'est-ce que tu vas faire après? Mais, dans ma tête à moi, là, il était
malheureux, il n'aurait pas survécu malgré tout, alors que, si sa femme avait
pu l'accompagner dans son choix de fin de vie, je pense que celle-ci aurait
vécu la mort de son mari de façon beaucoup plus...
Mme
Sénéchal
(Carole) : ...
M.
Larivée
(Serge) : ...harmonieuse, oui. Oui. En fait, c'est plus ça que je tiens, c'est : On peut-u
permettre aux gens qui vivent avec quelqu'un
qui a une maladie mentale grave, si jamais la personne veut mourir, d'être
capable d'accompagner
cette personne-là correctement jusqu'à la fin de sa vie? Puis le droit de
vouloir mourir, là, hein... Moi, je ne suis pas comme ça, je suis un
optimiste, bon, je n'y peux rien, là, c'est une question de génétique, hein,
bon. Mais c'est... je comprends très bien les gens qui veulent... disent :
J'ai assez vécu.
La
Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Je passerais la parole maintenant au député de Chomedey.
M. Ouellette : Mme Sénéchal, M. Larrivée, bonjour.
Mme
Sénéchal
(Carole) : Bonjour.
M. Ouellette : Je suis le dernier intervenant, mais j'ai... c'est moi qui ai le moins
de temps, là, ça fait que, donc, j'ai...
La Présidente (Mme
Guillemette) : Trois minutes. Trois minutes, M.
le député.
M. Ouellette : Ah! bien, c'est merveilleux que j'aie trois minutes. Mme la Présidente
m'en rajoute quand c'est très intéressant. Je veux vous emmener sur une chose
qu'on n'a pas couverte et que vous avez probablement... sur laquelle vous vous
êtes probablement penché dans vos recherches, parce que vous en avez parlé dans
un des articles que vous avez écrits, là, Le
droit de mourir en paix, vous avez fait des recherches en Belgique puis aux
Pays-Bas. Et, moi, ce qui me
préoccupait, puis est-ce qu'on devrait en tenir compte dans nos travaux, qui ne
s'annoncent pas faciles, selon ce que vous nous dites, là, sans nous
mettre trop de pression : les refus, 52 % des demandes d'aide
médicale à mourir ont été refusées dans ce
que vous avez regardé en Belgique. Aux Pays-Bas, ils ont fait... ils ont même formé
un genre de tribunal d'appel sur les demandes qui sont refusées. Est-ce que,
un, vous vous êtes intéressé à tout l'aspect des refus? Et, deux, est-ce que
c'est quelque chose qu'on devrait creuser un peu plus, prendre en
considération?
Ce n'est pas tout d'avoir le libre arbitre et le
libre choix. Est-ce que ça pourrait nous aider de regarder particulièrement,
maladies mentales, pourquoi il y a eu plus de refus que d'acceptation en
Belgique? Pourquoi ils ont senti le besoin
de faire un genre de comité d'appel aux Pays-Bas pour que ta demande, finalement,
soit jugée recevable?
• (15 h 10) •
M.
Larivée (Serge) : Je n'ai pas de réponse là-dessus, je n'ai pas...
on n'a pas fouillé ça. Mais la seule réponse que j'ai, c'est que c'est tellement
«touchy», pour parler du bon français, là, tellement «touchy» comme sujet qu'il
faut prendre plein de petites mesures comme ça qui vont rassurer tout le monde.
Je comprends ça, je suis empathique à ça,
mais je n'ai pas de réponse précise. Peut-être que ma collègue en a, parce
qu'elle connaît plein de choses comme ça.
Mme
Sénéchal
(Carole) : Mais on n'a pas étudié pourquoi est-ce qu'il y
avait... on connaît le nombre de refus, mais on ne connaît pas toutes les
raisons, O.K., pourquoi elles ont été refusées, parce qu'il y a toute la
question de la confidentialité aussi qui est de mise.
Mais chose certaine, c'est que, d'avoir un
comité, par exemple, d'appel, moi, je trouve que ce n'est pas une mauvaise idée
en soi, parce que, comme vous disiez tout à l'heure, ça évolue, ça change,
alors il y a peut-être des choses qui ont évolué entre le moment où la personne
a fait la demande et puis le comité d'appel, et de là, bien, ça peut être
accepté au deuxième échelon. Alors, moi, je trouve ça intéressant.
Puis aussi c'est que, quand on est refusé, c'est
qu'on a oublié de fournir toute l'information nécessaire. Parfois on le demande
dans les derniers trois mois, dans les derniers six mois, et, quand toute
l'information n'a pas été fournie, bien, évidemment, c'est refusé.
Le problème avec ça, c'est que souvent ça prend
du temps entre le temps où la personne fait une demande et puis tout le
processus s'enclenche. Alors, c'est pour ça que je dis, moi : Il vaut
mieux ne pas être trop restrictif, parce qu'entre le temps où la personne fait
une demande et le temps de l'exécution, la personne a le temps de changer une fois, deux fois, 10 fois, 20 fois.
Alors, quand la personne est rendue au tribunal d'appel, bien, elle a eu le
temps d'y penser ça fait longtemps, des fois un an, deux ans, trois ans
et plus. Alors, quand la personne maintient la même décision pendant aussi longtemps, bien, je pense que, là,
il y a peut-être une ouverture à y avoir également, tu sais, c'est-à-dire
que l'accompagnement de la personne fait en sorte que ça n'a pas donné
peut-être les fruits escomptés nécessairement.
Mais c'est vrai qu'on ne connaît pas les raisons
pour lesquelles ça a été refusé, on connaît principalement le pourcentage. Mais
les raisons que je vous ai données, souvent elles sont dans la littérature,
alors ça donne des pistes un petit peu de réflexion. Mais, comme je dis, moi,
je pense qu'à prime abord, quand il y a déjà un comité qui accompagne la
personne puis qui signe, qui donne leur accord face au désir de la personne...
La personne a le droit de changer d'idée jusqu'à la dernière seconde. Donc,
si... entre son désir, l'accompagnement et finalement le résultat escompté, la personne,
à une seconde près, elle peut dire : Non, je change d'idée puis je
continue comme ça. Alors, je pense qu'il y a tout un processus qui est là,
puis, si elle n'est pas d'accord, elle peut aller en appel. Moi, je trouve que
ça fait partie d'une société qui est tout à fait démocratique et puis je
verrais ça avec plaisir.
M. Ouellette : Mais vous comprenez,
puis...
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci
beaucoup. Merci beaucoup, M. le député.
M. Ouellette : Bon, ça passe vite.
La Présidente (Mme
Guillemette) : C'est tout le temps qu'on avait, malheureusement.
M.
Larivée
(Serge) : C'est ça, être député.
M. Ouellette : Bien, c'est ça. C'est
ça.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci
beaucoup, Dre Sénéchal et Dr Larivée, pour votre contribution à nos
travaux cet après-midi. Merci d'avoir accepté l'invitation.
Et nous suspendons les travaux quelques instants
pour accueillir nos nouveaux invités.
(Suspension de la séance à 15 h 13)
(Reprise à 15 h 20)
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, bon après-midi. Nous sommes de retour à la Commission spéciale sur l'évolution de la
Loi concernant les soins de fin de vie. Et nous accueillons cet après-midi,
pour notre troisième intervenant, Me Jacqueline Herremans.
Mme Herremans... Me Herremans, bienvenue parmi nous cet après-midi.
Vous aurez 20 minutes pour nous présenter votre exposé, et par la suite il
y aura un échange avec les membres de la commission d'une période de
40 minutes. Donc, sans plus tarder, je vous cède la parole.
Mme Jacqueline Herremans
Mme
Herremans
(Jacqueline) : Je vous remercie pour cette
invitation et je vais donc tout d'abord me présenter. Je suis Jacqueline
Herremans, avocate au Barreau de Bruxelles. J'ai participé aux travaux qui ont
abouti à la Loi relative à l'euthanasie en Belgique et je suis actuellement
membre de la commission euthanasie, commission fédérale de contrôle et d'évaluation
de la Loi relative à l'euthanasie ainsi que membre du Comité consultatif de
bioéthique de Belgique.
Je vais commencer par vous présenter quelque peu
notre loi. Même s'il y a pas mal de similitudes avec ce que vous connaissez,
tant au Québec qu'au niveau fédéral, il me paraît important de reprendre
certains points.
2002 fut une année très importante en ce qui
concerne le droit médical en Belgique. Nous avons voté, en effet, trois lois,
deux lois d'inspiration parlementaire, la Loi relative à l'euthanasie, la Loi
relative aux soins palliatifs et, enfin, une loi d'inspiration gouvernementale,
celle relative aux droits du patient. Et c'est très important, parce qu'en fait
cela fait un ensemble et qu'il est difficile de parler des questions de fin de
vie sans parler de ces trois lois. Mais ce soir... enfin, c'est, pour moi, ce
soir, il y a quand même six heures de décalage, ce soir, en Belgique, donc, je
vais me concentrer sur la Loi relative à l'euthanasie et son évolution.
Tout d'abord, en ce qui concerne le caractère de
cette loi, c'est une loi qui a un caractère hybride, à la fois droit civil, mais aussi des accents pénaux,
puisque, en fait, l'on sort du champ infractionnel si le médecin et
seulement le médecin pose l'acte en ayant
respecté les conditions de la loi, conditions essentielles et des conditions de
forme et de procédure.
Conditions essentielles, elles portent sur trois
points. Tout d'abord, il s'agit de la demande d'un patient compétent — je
parlerai peut-être une petite seconde de la question des mineurs — patient compétent qui formule une demande volontaire, réitérée et réfléchie, sans
pression extérieure, qui fait part de souffrances physiques ou
psychiques inapaisables, souffrances qui
doivent être en relation avec une affection grave et incurable, qu'elle soit
d'ordre pathologique ou accidentel.
La loi ne prévoit pas de délai dans lequel, je
dirais, le patient est éligible pour demander une euthanasie. Mais, en
revanche, si le médecin estime que le décès n'est pas prévisible à brève
échéance, il faut respecter des conditions supplémentaires.
Cette loi, on pourrait dire qu'elle est
relativement souple. Pourquoi j'utilise ce mot? C'est parce qu'il ne s'agit pas
d'une loi carcan, c'est une loi qui propose un cadre dans lequel resteront
responsables deux personnes principalement : le patient et le médecin, qui
acceptera ou qui n'acceptera pas la demande d'euthanasie. En fait, c'est le
renversement du paradigme. En droit médical, le médecin propose un traitement,
et c'est au patient d'accepter ou non ce traitement. Ici, c'est l'inverse,
c'est le patient qui en fait la demande, pour l'euthanasie, et c'est au médecin
d'accepter ou de refuser. Et en fait, après entretien, après consultation, il
faut que le médecin et le patient arrivent à la conclusion que c'est la seule
option raisonnable, l'euthanasie.
Pas de liste
non plus d'affections graves et incurables, ni en positif, les maladies qui
pourraient éventuellement être invoquées pour une demande d'euthanasie,
ni en négatif, les aspects médicaux qui ne pourraient pas être retenus. Il
s'agit donc, pour chaque demande d'euthanasie, de s'interroger sur : les
conditions sont-elles ou non réunies. Mais chaque demande d'euthanasie est
singulière, chaque cas est singulier, et, dès lors, c'est la raison pour
laquelle nous n'avons pas voulu d'emblée lister, par exemple, des maladies qui
pourraient être susceptibles de causer une demande d'euthanasie ni non plus
d'en exclure.
Et donc il est vrai que cette loi a connu des
évolutions, mais je dirais que ce sont des évolutions qui ont toujours eu comme
point de départ le patient, une demande du patient, que ce soit, par exemple,
pour s'interroger sur la question du don d'organes après euthanasie. C'est en
2005 que la première demande a été formulée par un patient en ce qui concerne
la possibilité de transplantation d'organes après l'euthanasie.
Ça a été également le cas
pour ce qui concerne les mineurs, mais là on a modifié la loi, parce que la loi
au départ excluait la possibilité pour un
mineur de demander l'euthanasie. Mais cela était également le cas pour toutes
les évolutions que l'on a connues au point de vue des maladies, car, au départ,
il est vrai que l'on pensait essentiellement aux maladies somatiques,
c'est-à-dire cancers, des maladies neurodégénératives, et puis il est apparu
qu'il n'y avait pas de possibilité, justement, de ne faire qu'une liste de ces
maladies.
Et j'en arrive maintenant à une évolution que
l'on a connue, mais, je dirais, fort tôt dans la loi, cela concerne la question
des troubles mentaux. Aujourd'hui, nous faisons la distinction entre troubles
cognitifs et affections psychiatriques. Si nous pensons, par exemple, à la
maladie d'Alzheimer, je me rappelle les premiers cas qui ont été soumis à la commission, commission
qui intervient a posteriori, nous avons eu des discussions à ce sujet.
Notamment, certains évoquaient le fait que le patient n'était pas nécessairement
en souffrance, que la souffrance, au fond, c'était de se projeter dans
l'avenir, quand son état se serait détérioré. Et donc nous avons eu des débats à
ce sujet, mais nous avons eu d'emblée, dès notre rapport de 2003‑2004, si je ne
me trompe, des premiers cas de patients atteints de la maladie d'Alzheimer qui
demandaient l'euthanasie, mais, je dirais, dans les premières phases de la
maladie, lorsque ce patient a encore la lucidité nécessaire pour en faire la
demande.
Des questions
psychiatriques sont également apparues très rapidement, mais, comme il
s'agissait de quelques cas, sans doute que le débat n'était pas encore
très présent dans la société. C'étaient des cas, par exemple, de dépressions réfractaires, de dépressions pour lesquelles les
médecins, les psychiatres se trouvaient devant l'impossibilité
d'apporter une solution à leurs patients. Donc, on a eu ces premiers cas.
• (15 h 30) •
Et ensuite s'est développée la question de
demandes formulées par des patients atteints, par exemple, de schizophrénie.
Et, au fur et à mesure, on a répondu à ces questions. Et donc, aujourd'hui,
nous pouvons dire, sans avoir dû modifier la
loi, que ces cas, certes marginaux... les demandes sont rares, mais ces
demandes peuvent recevoir une réponse.
Quand je vous dis que ce sont des cas marginaux,
j'ai repris les chiffres des dernières années, donc, de 2008, 2019, 2020, en
2018, pour un ensemble de 2 359 déclarations, nous avons eu
34 patients psychiatriques, cela représentait 1,4 %, 22 patients
avec des troubles cognitifs, moins de 1 %, 0,9 %. En 2019, pour ce
qui concerne un total de déclarations de
2 656, déclarations d'euthanasie, nous avons reçu 23 déclarations qui
concernaient des patients atteints de
pathologies psychiatriques, 0,8 %, et, pour les troubles cognitifs, il
s'agissait de 26 patients, cela représentait
1 %. Donc, on peut constater qu'il s'agit de cas rares, mais qui ne
peuvent pas nécessairement être écartés d'office.
La réflexion, comme je vous disais, la
réflexion, bien, elle s'est faite au fil des années dans les sociétés professionnelles. Nous avons eu une première, je
dirais, ébauche qui était réalisée aux Pays-Bas par, donc, l'association
des psychiatres. Nous nous sommes aussi emparés de cette réflexion, plus
spécialement l'association flamande pour la psychiatrie, mais ceci a été repris
également par l'ordre des avocats, qui a édicté des directives concernant les
demandes, donc, d'euthanasie formulées par des patients psychiatriques.
Quelles sont, en quelque sorte, les grandes
lignes que l'on peut tirer de ces différentes directives, différents
«guidelines»? C'est tout d'abord qu'il y a un impératif : se donner du
temps, se donner du temps pour pouvoir aussi s'assurer que tous les traitements
«evidence-based» ont pu être tentés, avec, cependant, un modérateur par rapport
à cela, c'est qu'il s'agit de tenir compte
de l'histoire du patient psychiatrique et que, s'il a connu déjà de longues
périodes d'hospitalisation, s'il y a eu déjà plusieurs tentatives de suicide,
s'il y a eu un grand nombre déjà de traitements essayés et que ceux que l'on
peut encore proposer ne peuvent donner un résultat et qui, en fait,
provoqueraient des effets secondaires plus lourds que ce que pourrait être le
bénéfice de ce traitement, ou encore une chance de résultat dans le futur, mais
un futur éloigné, tout cela doit aussi être pris en compte.
Mais aussi une chose, je vous ai parlé des
conditions essentielles, il existe, donc, les conditions de forme et de
procédure pour toute demande d'euthanasie. Il s'agit de consulter un autre
médecin. Et, si le décès n'est pas prévisible à brève échéance, il faut
également consulter soit un psychiatre soit un spécialiste de la pathologie
concernée. Et, pour ce qui concerne les patients psychiatriques, l'Ordre des
médecins indique qu'il est hautement souhaitable que, dès le départ, il y ait
deux psychiatres qui interviennent, à tout le moins, et que ce ne soient pas seulement des avis qui soient produits, mais qu'il
y ait également une concertation avec l'ensemble des professionnels de
la santé qui sont concernés par ce patient psychiatrique.
Ce qui me fait sourire, bien, c'étaient des
directives qui étaient édictées avant la crise sanitaire, c'est que l'Ordre des
médecins préconise une réunion physique. Là, je pense qu'il faudra revoir
quelque peu ces directives et les adapter en fonction de l'évolution de notre
société et de la crise sanitaire. Mais toujours est-il que ce que je veux indiquer, c'est que, pour ces cas psychiatriques,
non seulement il faut du temps, mais il faut également avoir l'éclairage
de l'équipe qui entoure le patient, pas seulement les psychiatres, mais
éventuellement les psychothérapeutes.
J'ai un petit souci par rapport à la famille,
car la famille, ça peut être la meilleure des choses et la pire des choses. Et donc, si le patient, par exemple, ne
souhaite pas que ses proches soient impliqués dans le processus
d'euthanasie, il faut aussi respecter la volonté du patient, sauf qu'il faut
d'abord s'interroger sur le pourquoi. Et, si l'on peut, grâce au dialogue avec
le patient, crever un abcès au point de vue d'une histoire familiale
douloureuse, c'est aussi l'occasion de le faire.
Je vous
communiquerai, de toute manière, les directives de l'Ordre des médecins.
Normalement, ces directives auraient dû être revues, mais, comme vous le
savez, il y a eu un petit virus qui nous a empêchés de le faire, et donc c'est
encore une question qui va revenir.
Mais, pour vous donner un autre exemple de la
prise en compte des patients psychiatriques en Belgique, nous avons un grand
nombre d'instituts psychiatriques qui sont gérés par l'ordre des Frères de la
Charité. Et les Frères de la Charité se sont penchés sur
les réponses à donner à leurs patients, dans leurs institutions, qui
formuleraient des demandes d'euthanasie, alors que ce sont des patients psychiatriques.
Cela a été une réflexion sur le plan éthique, sur le plan, je dirais, moral, quelque
part, en fonction également de leur engagement religieux. Et la réponse a
été : Oui, nous devons entendre les
demandes d'euthanasie. Ce n'est pas pour cela qu'on arrivera, à la fin du
chemin, à l'euthanasie, mais, en tout cas, nous devons les entendre et
ne pas dire à nos patients : Si vous voulez vraiment persister dans votre
demande d'euthanasie, allez voir ailleurs. Donc, pas d'arrêt dans la continuité
des traitements, mais bien une écoute.
Et donc vous pouvez vous imaginer le tollé que
cela a fait non pas en Belgique, mais au Vatican. Et donc des procès ont été
intentés par leurs supérieurs à l'égard des Frères de la Charité. Pour
l'instant, je n'ai pas de nouvelles concernant l'issue de ces procès.
Vous dire que tout le monde est ravi par le fait
que des patients psychiatriques obtiennent éventuellement l'euthanasie, je dis
bien éventuellement, certainement pas. Il existe des professionnels de la santé
qui ne partagent pas cette opinion. Pour certains d'entre eux, il est
impossible de dire qu'une affection psychiatrique soit incurable. Et parfois je
les mets au défi, je dis : Mais donc ce qui veut dire que toutes les
affections psychiatriques sont curables? Là, je ne reçois pas trop de réponses,
et on me trouve même parfois très impertinente.
Mais donc ce que je voudrais aussi souligner,
c'est que, grâce au fait que la personne, le patient est entendu dans sa
demande d'euthanasie, l'on peut parfois commencer d'autres traitements, parce
qu'il sait qu'il est entendu et que, si on lui propose d'autres traitements, ce
n'est pas pour éviter la question de l'euthanasie, mais c'est bien pour trouver
d'autres solutions. Et je le dis avec prudence. J'ai été impliquée dans une
demande d'euthanasie d'un homme encore jeune. Je lui ai promis de l'aider en ce
qui concerne les démarches mais tout en lui disant que mon plus grand souhait,
c'est qu'il me dise, dans les mois qui suivent : Eh bien, non, j'ai trouvé
la solution grâce au traitement que m'ont proposé les psychiatres et je repars
du bon pied. Je le dis avec prudence parce que je le sais fragile, je ne
donnerai pas son nom, mais, en tout cas, grâce au fait qu'il a été entendu,
grâce au fait que l'on a pu entamer un dialogue avec lui, un dialogue franc,
sans tabou, sans, je dirais, l'idée qu'on n'écouterait pas sa demande... Une
psychiatre lui avait répondu : Non, je ne peux vraiment pas, je ne suivrai
pas ce que... comment est-ce que je pourrais encore amener mes enfants à
l'école? Il a changé de psychiatre, et je crois qu'il a bien fait. Mais donc
c'est pour dire qu'il est important de pouvoir formuler la demande.
• (15 h 40) •
J'ai parlé des cas psychiatriques, mais, tous,
nous avons en tête la situation des patients alzheimer. J'ai fait la curieuse et j'ai écouté une des auditions de la
part d'un médecin, et je dois dire que c'était une audition fort émouvante.
Et c'est vrai que c'est un problème qui nous
concerne, qui concerne la société. Je ne dis pas que la solution est
l'euthanasie pour les patients atteints de l'alzheimer, mais, en tout
cas, on ne peut pas exclure cette possibilité pour ces patients.
En Belgique, la seule possibilité, c'est lorsque
le patient est dans les premières phases, c'est-à-dire quand il a encore suffisamment
de lucidité que... pour formuler cette demande en toute compétence. La
déclaration anticipée, je n'en ai pas encore parlé, mais la déclaration
anticipée, telle qu'elle existe en Belgique, ne nous est pratiquement d'aucune
aide pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer. C'est la raison
d'ailleurs pour laquelle certaines demandes sont hâtées. Si vous vous souvenez
de l'écrivain Hugo Claus, en fait, il espérait encore pouvoir vivre plus
longtemps, mais il a pris cette décision le jour où son épouse lui a demandé
d'éteindre la lumière et qu'il n'était plus capable de manipuler l'interrupteur
du lampadaire. Donc, ça, ça a été le déclic chez lui, en disant : Mais
demain dans quel état je serai? Je ne pourrai peut-être plus formuler, on
n'entendra plus ma demande. Et donc, quelque part, il s'est hâté en ce qui
concerne sa demande d'euthanasie.
La déclaration anticipée d'euthanasie en
Belgique ne peut entrer en considération que si le patient est atteint d'une
affection grave et incurable — c'est la condition normale, je
dirais — mais
aussi il faut qu'il soit inconscient et que sa situation soit irréversible. Et
c'est, au fond, une déclaration fermée. Il n'y a pas moyen d'exprimer, par
cette déclaration, ses souhaits en ce qui
concerne le moment opportun où l'on souhaiterait éventuellement recevoir
l'euthanasie.
En revanche, les Pays-Bas, récemment, ont
légiféré... pas légiféré, qu'est-ce que je dis. Non. Tout comme vous, pour le
Canada, le 11 septembre 2019, une décision a été prononcée non pas par Mme
le juge Baudouin, mais donc par le tribunal correctionnel de La Haye. Cela
concernait un cas où le médecin — c'était d'ailleurs une femme
médecin — avait
décidé de pratiquer l'euthanasie sur la base d'une déclaration anticipée qui
avait été écrite par la patiente, qui se savait atteinte de démence et qui
avait formulé cette demande anticipée en sachant bien qu'elle était atteinte de
démence. Et donc cette doctoresse, après avoir mené différents entretiens avec
le médecin qui suivait cette patiente auparavant, avec les membres de la
famille, avec les membres également de l'équipe soignante de la maison de
repos, la maison de retraite où se trouvait cette patiente, a pris la décision
de pratiquer l'euthanasie. Ça ne s'est pas très bien passé ce jour-là, parce
qu'en fait la doctoresse a voulu quelque peu sédater la patiente, lui a donné
du Dormicum mais malheureusement dans une tasse de café, dans du café, et la
patiente était encore agitée. Et donc, objectivement, cela ne s'est pas bien
passé, le moment même de l'euthanasie.
Donc, l'affaire, c'est la première affaire
portée devant les tribunaux depuis que la loi est entrée en vigueur aux
Pays-Bas, soit en 2002. Le tribunal a estimé que la doctoresse avait
respecté toutes les conditions de prudence, tous les critères, et qu'il n'était
pas opportun qu'elle reçoive encore confirmation de la demande au moment de
l'euthanasie, donc sur la base de la déclaration anticipée, sur la base de la
demande anticipée.
Le parquet a souhaité aller en cassation, mais
non pas pour, éventuellement, requérir la condamnation de la doctoresse, il
n'en était plus question, mais pour faire jurisprudence, pour aider la loi. Et
donc la Cour suprême aux Pays-Bas a confirmé le jugement de première instance,
et depuis lors il est acquis, aux Pays-Bas, que, sur la base d'une demande
anticipée, il est possible de pratiquer une euthanasie alors que la personne
n'est plus en mesure de confirmer sa demande.
Mais il y a toujours un
élément qui entre en compte, c'est la question de la souffrance. Je dirais que,
si la personne, si la patiente ou le patient ne formule pas, n'est pas en
situation de souffrance, il manquera un élément fondamental. Et, quand j'en
parle avec des médecins en Belgique, c'est aussi la réflexion qu'ils
font : Si le patient donne les apparences de ne pas souffrir, dans ce
cas-là, moi, je ne pourrais jamais poser cet acte.
Voilà les quelques éléments que je voulais vous
donner, parce que je pense que vous avez certainement en poche quelques questions
à me poser, et dès lors, voilà, place aux questions.
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Me Herremans. Donc, je céderais maintenant la
parole à la députée de Maurice-Richard.
Mme Montpetit : Je vous remercie
beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Herremans. Quelques questions, c'est le moins qu'on puisse dire, après
votre présentation. Merci beaucoup d'être avec nous puis de prendre le
temps de contribuer à nos travaux, c'est très apprécié.
J'aurais... Bien, je vais rebondir un peu sur ce
par quoi vous avez terminé votre présentation, quand vous parlez de souffrance, quand vous dites : Sans
la présence de souffrance, vous ne pourriez pas aller de l'avant. Les
échanges que vous avez eus avec les médecins, également, vous ont dit la même
chose. Déjà, j'aimerais bien comprendre, dans un cas de dégénérescence, par
exemple, neurocognitive, qu'est-ce que vous entendez par souffrance. Est-ce que
vous parlez de souffrance physique?
Parce qu'encore là on a eu certains experts qui
sont venus nous souligner, par exemple, que quelqu'un, par exemple, qui aurait l'alzheimer peut ne pas avoir
une souffrance physique mais pourrait avoir une détresse psychologique
importante, qui n'est pas toujours quantifiable non plus, mais qui peut
certainement être une souffrance, que la perte de dignité peut également être
une souffrance, qu'on n'est pas toujours en mesure d'évaluer cliniquement.
Donc, je voulais vous entendre : De quelle façon vous l'évaluez, en fait,
présentement, dans la loi?
Mme
Herremans
(Jacqueline) : Pour ce qui concerne la différence entre
souffrance physique ou psychique, donc, souffrance physique d'ordre plutôt de
douleur, bien, ma foi, cela peut se présenter avec des patients atteints de la
maladie d'Alzheimer. Ça peut être le cas. Mais ce qui est beaucoup plus, je
dirais, à prendre en compte, si on parle d'euthanasie... Excusez-moi, hein, je
parle toujours d'euthanasie et je sais que, pour vous, ça paraît un petit peu
barbare et que je devrais parler d'aide médicale à mourir, mais voilà,
pardonnez-moi, je garde le mot «euthanasie».
La Présidente (Mme Guillemette) : Il
n'y a pas de problème.
Mme
Herremans
(Jacqueline) : Donc...
La Présidente (Mme Guillemette) : On
comprend bien la nuance, et il n'y a aucun problème. Allez-y.
• (15 h 50) •
Mme
Herremans (Jacqueline) : Et donc je pense beaucoup plus à tout ce qui est
souffrance morale, c'est-à-dire des personnes angoissées, des personnes
qui éventuellement ont toujours le sentiment qu'elles sont abandonnées, où
éventuellement c'était... C'était le cas, par exemple, de cette patiente aux
Pays-Bas, elle avait été relativement autoritaire dans sa vie et elle voulait
régenter la maison de retraite, avec évidemment le fait qu'elle se heurtait à chaque
fois à des refus et qu'elle en était malheureuse. Tout le monde en était
malheureux. Et donc, là, il y avait vraiment une souffrance morale. Elle était
tout le temps en colère, je dirais, elle était tout le temps angoissée.
Donc, je parlerais plutôt de cela par rapport à
la notion de souffrance. Mais, si l'on voit une personne... On a connu le cas
d'une personne qui avait, certes, oublié qu'elle était mariée, mais qui était
en train de draguer son époux. Ah! ça, je ne peux pas dire que... je ne pourrais
pas dire qu'elle était vraiment malheureuse, hein? Donc, voilà, ce sont des
situations pareilles.
Alors, je sais que je m'écarte de ce que
certains voudraient entendre respecter, c'est la demande qui a été formulée,
quelles que soient, finalement, les conditions, quel que soit le regard que
l'on porte sur eux par rapport à l'appréciation de leur dignité, de leur
souffrance.
Donc, j'ai décidé, j'ai décidé que c'est le
point de non-retour, le fait que, par exemple, je ne reconnaisse plus les
miens, que je n'ai plus conscience de moi-même, c'est le point de non-retour,
je peux le comprendre aussi. Mais ce qu'il y a, c'est qu'il y a toujours le
tiers, c'est-à-dire ce que l'on demande à un médecin, et, chez vous également,
la possibilité à une infirmière ou à un infirmier, de poser cet acte, ce n'est
pas rien. Et donc, ça, j'entends aussi que, pour un médecin, il y a certaines
situations où... et ce n'est pas qu'il soit opposé à l'euthanasie mais que,
pour lui, il faut qu'il y ait un sens lorsqu'il pose cet acte et que, pour
certains médecins, effectivement, il ne trouverait pas un sens à son acte si la
personne ne donne pas les apparences d'être malheureuse.
Mme Montpetit : En ce sens, dans le
fond, quand vous dites : C'est... «ne trouverait pas un sens» parce que ce
n'est pas un... ça ne répond pas à une douleur, ça ne répond pas à une
souffrance, donc ce n'est pas une forme de traitement, dans le fond. Dans le
rôle du médecin...
Mme
Herremans
(Jacqueline) : Quelque part, quelque part,
c'est... voilà, je m'écarte, à ce moment-là, de la volonté de certaines personnes
qui entendraient que leur volonté soit respectée nonobstant la situation dans
laquelle elle se trouverait.
Mme Montpetit :
Exactement, bien, c'est ça, on a eu ces... Donc, pour vous, ce n'est pas une
directive...
Mme
Herremans
(Jacqueline) : ...obligatoire.
M. Montigny : ...qui devient
exécutoire.
Mme
Herremans
(Jacqueline) : Mais aucune, d'ailleurs, parce que, de toute
façon, pour toute demande d'euthanasie... Et c'est pour ça que l'on parle
toujours du fait que l'on n'a pas ouvert le droit à l'euthanasie mais bien le
droit de demander l'euthanasie et que, donc, il y a toujours la question que le
médecin pourrait ne pas vouloir pratiquer l'euthanasie, et pas seulement pour
des questions de conceptions religieuses ou philosophiques, mais aussi parce
qu'il estime que toutes les conditions ne sont pas réunies. À tort, mais,
semble-t-il, certains médecins, par exemple, en Belgique, refusent de pratiquer
l'euthanasie si la famille n'a pas marqué son accord. Pour moi, c'est à tort parce que ce n'est pas respecter la volonté
du patient. Il faut toujours s'interroger pour le pourquoi et le
comment, mais je ne partage pas cet avis de ces médecins qui refusent d'aller
plus loin s'il n'y a pas l'accord des proches.
Bon, je sais qu'il y a toujours un risque de
procédures judiciaires, incontestablement, mais voilà. Ça, c'est,
je dirais, le biais que je ne souhaite pas voir apparaître de façon
systématique.
Mme
Montpetit : Merci. Dans la présentation que vous nous avez faite
aussi, vous soulignez qu'en 2018-2019, si je ne me trompe
pas, donc, il y a 48 personnes qui ont fait... 48 patients qui ont
fait une demande d'euthanasie pour un trouble cognitif, principalement pour démence,
mais vous soulignez aussi que c'est un nombre très petit, insignifiant, vous
mentionnez, par rapport au nombre de personnes qui sont atteintes de démence,
qui tourne autour de 150 000. Est-ce que vous êtes capable de nous tracer
un portrait? Pourquoi 48 personnes? Pourquoi... En fait, c'est quoi, la...
Qu'est-ce qui a mené, dans le fond, ces 48 personnes là à faire une
demande? J'essaie juste de voir, sur 150 000 personnes, qu'est-ce qui
va faire que certaines vont cheminer davantage que d'autres. Est-ce qu'elles
ont un profil social qui est différent, un profil médical qui est différent?
Qu'est-ce qui va faire, en fait, qu'ils vont se rendre jusqu'à cette
demande-là? Est-ce que c'est l'accompagnement, l'encadrement, les valeurs?
Mme Herremans (Jacqueline) : C'est très variable parce que... Je vous ai cité le cas d'Hugo Claus.
Je pourrais aussi citer le cas d'une féministe flamande, on en a moins parlé,
peut-être parce que c'était une femme, mais elle a obtenu l'euthanasie avant
Hugo Claus. Et elle ne souhaitait pas aller plus loin, elle ne voulait vraiment
pas qu'au fond ce qui avait fait sa raison d'être, ses combats pour le
féminisme, etc., que tout cela, elle ne puisse plus le mener d'une façon ou d'une autre. Et donc elle a lutté contre la montre
encore pour écrire, écrire, écrire avant qu'elle n'en soit plus capable.
Mais, à un moment donné, elle a dit : Non, maintenant, j'ai franchi la
limite, je crains — comme je l'ai dit précédemment — de passer de
l'autre côté du miroir et de ne plus être en mesure de demander l'euthanasie.
Donc, c'est vraiment des profils
très variables. Ce que je peux dire, c'est que, en tout cas, en ce qui concerne
l'âge, nous trouvons un profil plus âgé pour ce qui concerne les troubles
cognitifs et moins âgé pour les affections psychiatriques. Donc, pour les
affections psychiatriques, effectivement, il peut se produire que des personnes
encore jeunes, mais avec un passé déjà de 10, 15, 20 ans de traitement,
demandent l'euthanasie et l'obtiennent. Donc, profils différents au point de
vue de l'âge, entre troubles cognitifs et affections psychiatriques, mais sinon
c'est vraiment très, très, très variable par rapport aux personnes qui, en
fait, demandent l'euthanasie.
Je pourrais parler aussi de
quelqu'un que j'ai suivi, et je dois dire que c'est avec émotion que je
parle de lui parce que c'était un magistrat et un magistrat devant lequel
j'avais plaidé mes premières grosses affaires, avec également la présence de
mon patron, que j'ignorais... qui s'était glissé dans la salle d'audience pour
entendre ma plaidoirie. Mais donc c'était un magistrat que je respectais énormément.
Et puis, un jour, il m'a téléphoné, il m'a dit : Voilà, je suis atteint de
la maladie d'Alzheimer, je voudrais vous en parler, je voudrais savoir ce qui est
possible et pas possible. Et donc j'ai cheminé avec lui, grand intellectuel, il
avait une bibliothèque rangée comme je rêverais d'avoir la mienne, mais c'est
un rêve. Il avait également le goût, je dirais, des antiquités, etc. Donc,
vraiment... Son médecin, d'ailleurs, me le
disait : C'est quand même incroyable, moi, je ne peux pas, je ne peux pas
poser cet acte, j'aurais l'impression... Enfin, il a fallu beaucoup de
temps pour que le médecin soit persuadé que c'était l'acte à poser, et il
demandait... il le demandait de façon répétée, et, en fait, c'était une
dégradation aussi bien physique que mentale.
Voilà, là, c'était un grand intellectuel, mais
je pourrais vous dire que ça pourrait arriver aussi à des personnes qui ne sont
pas du tout intellectuelles, qui sont des manuels et qui réalisent que, tout
d'un coup, ils ne parviennent même plus à manier un outil. Donc, il n'y a pas
de profil type.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci
beaucoup. Je céderais maintenant la parole au député de Gouin.
• (16 heures) •
M. Nadeau-Dubois : Merci beaucoup, Mme
la Présidente. Merci, Me Herremans. C'est la deuxième fois que j'ai le bonheur de vous entendre et c'est toujours
très intéressant puis instructif pour nous parce que savoir
comment ça s'est passé de votre côté de
l'Atlantique, ça peut nous permettre, nous, de poser les bons choix, de mettre
les bonnes balises.
J'ai capté dans votre
présentation le fait que, chez vous, en Belgique, un des critères qui est exigé
pour obtenir l'aide médicale à mourir, c'est le fait que la maladie ou
l'affection soit incurable. On a vu des psychiatres dans les derniers jours à
la commission, et ils ne s'entendent pas sur cette question-là. Certains disent
que oui, qu'il existe certaines conditions
psychiatriques incurables. D'autres viennent au contraire témoigner que c'est
pratiquement impossible puis qu'eux ne jugent pas... en fait, qu'eux jugent
que, de manière extrêmement générale, à peu près toutes
les conditions psychiatriques peuvent être curables, et qu'on peut apaiser les
souffrances de ces gens-là, et qu'on ne devrait pas démissionner de cette
perspective-là et ouvrir la porte de l'aide médicale à mourir.
Est-ce que ce
débat-là, au sein même de la psychiatrie, a eu lieu chez vous? Si oui, comment
l'avez-vous tranché? Et comment vous définissez, dans la loi qui est la vôtre,
cette définition d'incurabilité quand il est question de troubles mentaux?
Mme
Herremans (Jacqueline) : Le débat, très certainement, a
eu lieu et a encore lieu. Il existe encore, dans le monde de la psychiatrie, des personnes qui sont radicalement opposées
à la possibilité pour un patient psychiatrique d'obtenir l'euthanasie et
en disant, comme vous l'avez précisé, qu'il y a toujours une possibilité, qu'il
y a toujours un traitement et que, même si on ne peut pas guérir le patient, il
y a peut-être la possibilité d'apaiser ses souffrances. Donc, il est vrai que
ce débat existe et pas seulement de la part de psychiatres mais également de
psychologues.
Et ce qui est
curieux, c'est que les psychiatres n'ont pas formulé d'objection à être
sollicités pour rendre un avis dans le cadre d'une procédure d'euthanasie mais
se retrouvent très réticents lorsqu'ils sont confrontés à la demande d'un
patient, une demande d'un patient psychiatrique, donc. Et je pense que, quelque
part, c'est aussi parce qu'ils doivent bien constater qu'ils sont en échec. Et,
au lieu d'admettre qu'ils sont en échec, parce que, de toute façon, pour
certains patients psychiatriques, et on le vit, la maladie est incurable, dire
qu'il y a toujours une possibilité... On le
disait aussi pour des patients atteints de cancer, par le passé, en
disant : Bien, on trouvera peut-être le traitement dans cinq, 10,
20... on ne sait pas. Mais entre-temps la personne, elle est là, en demande.
Et ce que je dirais
aussi, c'est que ce sont des patients qui ont fait le tour. Quand je parlais de
ce patient jeune à qui sa psychiatre a dit... pas celle dont je parlais, mais
une autre lui a dit : Je ne peux plus rien vous proposer, mais qu'est-ce
que ça veut dire, cela? Ça veut dire qu'effectivement elle était arrivée au
bout des possibilités, si ce n'est que d'autres psychiatres ont pu trouver des
solutions, dans ce cas-là. Mais ce n'est pas toujours le cas, surtout lorsqu'il
y a un passé long au point de vue des traitements psychiatriques.
Je ne sais pas si
vous avez entendu parler du procès en cour d'assises qui s'est
déroulé à Gand, où trois médecins étaient poursuivis par rapport à l'euthanasie
pratiquée sur une femme encore jeune. En fait, lorsque l'on a pu avoir accès à
son dossier médical, l'on a pu constater que c'est depuis l'enfance qu'elle a
commencé à développer une personnalité borderline. Et d'ailleurs tous les
échecs qui ont été rencontrés par rapport aux traitements ont trouvé leur
explication. À un moment donné, on s'est posé la question : Mais est-ce
qu'il ne s'agissait pas d'une forme d'autisme? Oui, c'était une forme d'autisme,
mais tout ce qui avait été proposé avait, je dirais... n'avait pas donné de
résultat satisfaisant, et elle était suivie encore la veille de l'euthanasie
par une psychothérapeute.
Non, il
y a des moments où on est en échec, où, en quelque sorte, on se retrouve dans
la situation où les patients psychiatriques ne sont plus, je dirais, traités en
vue d'une guérison mais bien en soins palliatifs.
La
Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci
beaucoup. C'est tout le temps que nous avions pour le député de Gouin. Je
céderais la parole à la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui. Bonjour, Me
Herremans. C'est un plaisir de vous entendre à nouveau. J'aurais énormément de questions, j'ai très
peu de temps, ça fait que, si on peut y aller rondement... La première, c'est
vraiment concernant la demande anticipée et la question de la
souffrance. Donc, je vous soumets une hypothèse, vous allez me dire si vous
trouvez que ça pourrait être un modèle applicable.
La
personne, dans sa demande anticipée... On a le même régime au Québec, on ne
peut pas exiger l'aide médicale à mourir, on peut le demander et, si les
critères sont remplis et qu'un médecin accepte, on va pouvoir la recevoir.
Donc, c'est la même chose, et donc ce serait la même chose pour une demande anticipée.
C'est pour ça que je trouve, moi, que le débat exécutoire ou non exécutoire est
un peu factice, parce que, dans le fond, il faut que les critères soient
retenus.
Et là
on a la question à se poser : Est-ce qu'on garde le critère de la
souffrance ou non? Si on postule qu'on le garde, comme je pense qui est la
dominante de le garder, est-ce que... Donc, dans le scénario que vous
envisagez, la demande anticipée, la personne peut expliquer tout ce qu'elle ne
voudrait pas vivre et qui pourrait être les éléments qui déclencheraient, je
dirais, la levée du drapeau pour dire : On devrait, donc, considérer la
demande de ma mère, de ma soeur, de mon ami. Mais en plus, selon vous, il
faudrait qu'au moment de l'administration il y ait des signes contemporains de
souffrance, et non pas uniquement les circonstances que vous nommiez, ne plus
reconnaître mes enfants, ne plus être
capable de m'alimenter, qui auraient été anticipés, mais il faudrait ajouter le
critère de souffrance actuelle. Est-ce que c'est ça, votre conception?
Mme
Herremans (Jacqueline) : Il me paraît difficile de ne
pas passer par là. Et ça, évidemment, c'est aussi en fonction de l'évolution
que l'on a... qui a lieu. Par exemple, aux Pays-Bas, c'est bien le critère de
souffrance qui a été le premier abordé, souffrance qui doit nécessairement
avoir une origine médicale. Mais c'est vraiment ce critère-là qui est retenu
aux Pays-Bas, de telle sorte que, par exemple, aux Pays-Bas, par rapport à la déclaration
anticipée, ils ne peuvent l'accepter si la
personne se trouve en état, par
exemple, végétatif, parce qu'à ce moment-là, pensent-ils, la
personne ne souffre plus. Donc, ça peut être contesté, ça peut être
contestable, mais toujours c'est ce critère principal qui a été évoqué aux
Pays-Bas. Et on a suivi quelque peu, et je pense que, par rapport à la demande d'intervention
d'un tiers, qui est le médecin ou l'infirmière, il m'apparaît difficile de ne
pas prendre ce facteur en considération.
Mme
Hivon :
Parfait. Merci. Maintenant, sur les troubles mentaux, je ne sais pas si vous,
vous connaissez notre loi québécoise dans ses détails, mais tantôt vous avez
fait une énumération des critères de l'ordre des avocats. Et
d'ailleurs, si jamais vous pouviez nous envoyer les directives qu'ils ont
émises, ce serait très utile pour nous. Donc,
vous avez dit : Se donner du temps, évidemment, pour voir les
délais, la persistance, les traitements, concertation avec l'ensemble de
l'équipe des professionnels et, au besoin, consultation de la famille.
Et
je veux juste, en tout cas, vous amener à l'article 29 de notre loi
actuelle, qui prévoit pas mal ces critères-là, dans le sens que la
demande doit être réitérée dans un délai qui est, je dirais, proportionnel au
type de maladie. Donc, si vous êtes en phase terminale de cancer, peut-être,
vous le réitérez trois jours après, ça fonctionne, mais, si c'est une maladie
psychiatrique, il va falloir que vous le réitériez sur une beaucoup plus longue
période. On doit consulter l'ensemble de l'équipe, mais la décision ultime
revient au médecin, et, si le patient le souhaite, on consulte les proches.
Donc, c'est lui qui décide si on implique les proches.
Est-ce que ça, ça
vous apparaîtrait déjà une bonne base, si on décidait d'ouvrir pour les
troubles mentaux, ou vous voyez des choses qu'on devrait ajouter?
Mme
Herremans (Jacqueline) : Je pense qu'effectivement
c'est une très bonne base. Et il faut... je dirais, dans une loi, il ne faut
pas tout prévoir, il faut également garder la possibilité pour les
professionnels de la santé de formuler des règles, des directives, on peut
appeler ça comme on veut, mais, en tout cas, de ne pas encombrer la loi avec
une série de précisions qui pourraient un jour se révéler totalement
impossibles à réaliser. Moi, je crois que ce qui est préférable... et, oui,
j'ai suivi vos travaux, Mme la députée Hivon, et avec beaucoup d'intérêt, et parfois
de très près, et donc, oui, je pense que ce que vous avez mentionné comme
éléments qui se trouvent dans la loi sont déjà des éléments très importants.
• (16 h 10) •
Mme
Hivon :
O.K. Dernière question, s'il me reste du temps, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Allez-y, Mme la députée.
Mme
Hivon :
Écoutez, je ne sais pas si les oreilles vous ont silé, mais tout le monde parle
de la Belgique et des Pays-Bas, hein, donc, d'un sens comme dans l'autre :
c'est extrêmement restrictif, il faudrait se fier à vous pour exiger tous les
traitements possibles et imaginables avant de l'offrir, et par ailleurs c'est
tellement ouvert que tout le monde... il y a des dérapages pas possibles. Et
donc, évidemment, on vous a aujourd'hui, vous semblez quelqu'un de fort
raisonnable, donc c'est très rassurant.
Mais je veux juste
vous donner deux cas qu'on nous a dits. C'est tellement ouvert que, par
exemple, quelqu'un qui vivait une dépression des suites du décès de son animal
de compagnie a pu obtenir sans autre formalité l'aide médicale à mourir. On
nous a aussi parlé de cas où les gens étaient essentiellement seuls et isolés,
et ils auraient pu obtenir l'aide médicale à mourir. Donc, pouvez-vous nous
dire ce qu'il en est?
Mme
Herremans (Jacqueline) : J'adore les chiens, mais les
chats aussi, un peu moins, mais ils ne le savent pas. Donc, je ne dis pas
qu'éventuellement, dans un cas ou dans un autre, on aurait pu... un médecin
aurait pu estimer qu'on ne se retrouve pas dans les conditions, mais, en tout
cas, je n'ai pas le souvenir d'avoir vu une déclaration concernant la tristesse
d'avoir perdu son chien de compagnie. J'ai vu une déclaration, il est vrai, où
l'euthanasie, en fait, se déroulait avec également l'animal de compagnie, qui
était âgé et qui n'avait aucun espoir, je dirais, d'être accueilli, il était
malade, etc., tout comme son maître. Et là, effectivement, il y a eu
l'euthanasie des deux. À part que je n'aime pas parler d'euthanasie...
Mme
Hivon :
Et ce n'était pas... un n'était pas la cause de l'autre.
Mme
Herremans (Jacqueline) : Mais donc, non, je n'ai pas ce
souvenir. Mais, vous savez, ce qu'il y a, c'est
que c'est vrai que la Belgique... à part que c'est au Canada que vous avez
réalisé le film Les invasions barbares, mais, chez nous,
il n'y a pas besoin d'invasion, puisque nous sommes des barbares. Donc, tout a
été dit, surtout en France. Mgr Vingt-Trois a déclaré, sur les antennes
d'une radio française, qu'il avait reçu une lettre disant que des parents
avaient amené à l'euthanasie leur enfant autiste. Or, bon, il est possible,
pour des enfants, d'obtenir l'euthanasie, mais certainement pas pour une
maladie psychiatrique, déjà. Et, même pour les cas d'autisme, la chose est
quand même, pour les adultes, excessivement difficile à obtenir, il faut,
justement, passer par ce filtre de tous les traitements possibles, du moins
«evidence-based».
Donc, moi, je n'ai
pas connaissance de cela, mais je ne dis pas que j'ai la connaissance de toutes
les euthanasies pratiquées en Belgique, mais, en tout cas, ça nous aurait
frappés de lire une déclaration où il aurait été question d'un deuil. On
connaît cette question du deuil pathologique, mais il faut quand même des
éléments. Il y a un dossier qu'on a renvoyé au parquet qui concernait, je
dirais, un cas qui pouvait se rapprocher de cela. On avait estimé que toutes
les conditions n'étaient pas réunies, mais le parquet a conclu dans un autre
sens que nous. L'affaire a été conclue par un non-lieu.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci beaucoup. Je céderais la parole au député de
Chomedey.
M.
Ouellette : Merci, Mme la Présidente. Mme Herremans, c'est
toujours un plaisir. C'est aussi la deuxième fois que j'ai l'opportunité de
vous écouter, de vous entendre. Et, pardonnez-nous, je sais qu'il est tard en
Belgique.
Et, puisqu'on met
tous les péchés du monde sur les Belges et sur les Pays-Bas, vous venez de nous
parler d'un enfant, au début vous aviez fait référence aux mineurs, j'avais
deux questions, mais je vais commencer par la première,
particulièrement pour les mineurs, parce que j'ai trouvé que vous êtes... vous
n'avez pas élaboré dans votre présentation d'aujourd'hui. La position de la
Belgique, des Pays-Bas, relativement aux mineurs, pour une maladie incurable ou
des maladies rares, c'est quoi? J'ai besoin de vous entendre, vous êtes notre
référence pour les travaux de la commission. Même si ce n'est pas
spécifiquement dans notre mandat, ça pourrait être dans nos observations.
Mme
Herremans (Jacqueline) : La question des mineurs a été
abordée par des professionnels de la santé qui sont confrontés à des situations
d'enfants atteints de maladies incurables et qui développent une maturité qui
est souvent très déconcertante. Et donc il a été décidé, en 2014, d'ouvrir
la possibilité, pour un enfant doté de discernement, la possibilité de demander
l'euthanasie. C'est plus restrictif que pour des adultes. Je vous ai déjà dit
en filigrane qu'il n'était pas question de
prendre en considération une maladie psychiatrique. Le législateur a été
quelque peu imprudent en parlant du fait que seules les souffrances physiques
peuvent être prises en considération. En fait, il faut surtout comprendre que
toute maladie psychiatrique doit être exclue, et cela va de soi, puisque, de
toute façon... enfin, pour moi, ça va de soi, puisqu'il faut se donner du temps
et que, de toute façon, je ne vois pas une possibilité pour un médecin de décider de donner son accord pour une euthanasie par
rapport, par exemple, à des enfants qui auraient des troubles de
l'alimentation, etc. Ça, donc, c'est exclu. C'est également exclu pour toute
situation où le décès n'est pas prévisible à brève échéance.
Par
ailleurs, il faut s'assurer de la capacité de discernement du mineur et, pour
ce faire, il faut une consultation soit
d'un pédopsychiatre soit d'un psychologue. Et cette consultation, elle est
liante. Si le psychologue ou le pédopsychiatre disent : Non, cet
enfant ne comprend pas ce dont on parle, il ne comprend pas qu'il est question
d'une situation sans retour, donc, on s'arrête là.
Il faut aussi
l'accord des parents. J'aurais préféré qu'on parle plutôt de l'absence de
position des parents. Pourquoi? Parce que c'est quand même leur faire peser une
charge que de devoir donner leur accord concernant une demande d'euthanasie de
leur enfant. Cela étant dit, très heureusement, nous n'avons eu que quatre cas
depuis 2014.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci beaucoup. Merci, M. le député. Je céderais la
parole maintenant à la députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Merci, Mme Herremans. Plusieurs intervenants,
lors des audiences, dont le Dr Félix Carrier, ont mentionné qu'il ne faut
pas avoir peur d'employer le terme «euthanasie», puis celui «d'aide médicale à
mourir» représenterait mal l'action qu'il décrit. C'est notamment le cas en
Belgique et au Luxembourg, où le vocable «euthanasie» est celui présent dans la
loi. Aux Pays-Bas, on parle «d'interruption de la vie sur demande» pour bien
marquer le fait que, l'aide médicale à mourir, le pronostic vital n'était pas
engagé à court terme. Pensez-vous que, tout particulièrement avec le retrait de
la clause de fin de vie de la loi québécoise, le vocable «d'aide médicale à
mourir», qui s'inscrivait dans une logique parallèle à celle des soins palliatifs,
est toujours le bon afin de décrire l'acte auquel il renvoie?
Mme
Herremans (Jacqueline) : La question de la terminologie
est certes importante, mais le tout est de bien savoir ce que l'on veut dire.
Que ce soit maintenant sous le vocable «aide médicale à mourir», à partir du
moment où elle est... où c'est précisé que c'est une aide médicale active à
mourir, moi, je dirais que je n'ai pas d'avis à donner à cet égard-là, parce
qu'il faut respecter aussi les sensibilités des uns et des autres. Et, si le
mot «euthanasie» représente un poids trop important, je peux comprendre qu'on
ne l'utilise pas. En Allemagne, on ne parlera jamais d'euthanasie, on parlera
de «Sterbehilfe». Donc, pour moi, peu importe, je dirais, le flacon, pourvu
qu'on ait l'ivresse. En d'autres termes, si on sait ce que cela veut dire, tant
mieux.
Et c'est vrai que,
quelque part, les soins palliatifs, c'est aussi une aide médicale à mourir,
mais ce n'est pas nécessairement une aide active à mourir. Donc, si on sait
faire la différence entre, éventuellement, un long processus au point de vue du
mourir, d'une part, et, d'autre part, le fait qu'il s'agit... Quand tout a été
mené de A jusqu'à Z, la procédure en amont peut être très longue, mais, en tout
cas, le jour où c'est décidé, on sait que ce sera rapide. Si on sait ça, que
c'est une aide active, et non pas simplement donner des sédatifs, je pense que,
peu importe le terme que l'on utilisera... Moi, j'aime bien le mot
«euthanasie», mais je ne veux pas l'imposer.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Est-ce que vous seriez prête à dire qu'il existe une
euthanasie passive et une euthanasie active?
Mme
Herremans (Jacqueline) : Les mots perdent souvent de
leur importance et de leur valeur si on accole des adjectifs. On a défini l'euthanasie
dans notre loi, donc, en Belgique, il n'y a pas de contentieux à cet égard. Et,
même si, aux Pays-Bas, les termes sont «l'interruption de vie à la demande du
patient», aux Pays-Bas, on parle tout le temps d'euthanasie. Ça, c'est parce
qu'il existait un article du Code pénal qui prévoyait, d'une part, l'assistance
au suicide, et, d'autre part, donc, l'interruption volontaire de vie à la
demande de la personne.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Merci beaucoup. J'ai une autre...
• (16 h 20) •
La Présidente (Mme Guillemette) : Je céderais la parole à la députée de
Saint-François. Madame... Abitibi-Ouest, on n'a plus beaucoup de temps,
donc...
Mme
Hébert :
Alors, merci, Mme la Présidente. Je n'ai pas beaucoup de temps, je crois, hein?
La Présidente (Mme
Guillemette) : Non, un petit deux minutes.
Mme
Hébert :
Parfait. Donc, je voulais juste préciser... Bonjour, Mme Herremans. Je
voulais juste préciser quand vous avez dit qu'au premier stade de la maladie,
quand on parle de maladie dégénérative comme l'alzheimer, la décision était
définitive, et le patient n'avait pas le choix du moment quand on va appliquer
l'aide médicale à mourir ou l'euthanasie. Donc, est-ce que c'est ça que vous
avez dit?
Mme
Herremans (Jacqueline) : C'est-à-dire que, quand il
fait sa demande et qu'il la concrétise, c'est-à-dire quand, avec le médecin, il
choisit une date, un lieu, une heure, donc, à ce moment-là, il peut toujours
retirer cette demande jusqu'à la dernière minute. Mais ce que je voulais dire,
c'est que, compte tenu du fait que l'évolution de la maladie pourrait faire en
sorte qu'il ne puisse plus formuler une demande en étant compétent, c'est à ce
moment-là qu'éventuellement des patients se... je ne dis pas qu'ils se
précipitent, mais, en tout cas, décident peut-être avant l'heure, avant l'heure
qu'ils s'étaient proposé de demander l'euthanasie.
Mme
Hébert :
Parfait. Puis je ne sais pas si on a le temps, mais vous avez parlé...
La Présidente (Mme
Guillemette) : 30 secondes.
Mme
Hébert :
...le don d'organes. Alors, pouvez-vous nous élaborer un petit peu plus? Parce
que les gens doivent sûrement anticiper leur mort pour être capables d'avoir un
don d'organes.
Mme
Herremans (Jacqueline) : Alors, pour le don d'organes,
le Comité consultatif de bioéthique va bientôt rendre un avis, mais toujours
est-il qu'avant même l'avis du comité de bioéthique les dons d'organes
existent. Il y en a eu très peu l'année passée, de façon générale, à cause du
COVID, ou de la COVID. Mais donc il faut évidemment
écarter tous les patients qui sont atteints de cancers métastasés. Donc, les
patients éligibles sont, éventuellement, ceux qui sont atteints de maladies
neurodégénératives, et encore, il faut faire attention, et également les
patients psychiatriques. Mais la demande qui a été formulée par ces patients,
c'était en quelque sorte de donner un sens supplémentaire à leur mort, de
pouvoir dire : Bien, certes, je demande à mourir, mais je voudrais aussi
que l'on puisse permettre à d'autres personnes de vivre grâce à la
transplantation d'organes.
Donc, les critères
éthiques, parce que ce sont deux lois différentes, les critères éthiques que
l'on doit absolument ériger, c'est qu'il ne faut absolument pas faire pression
sur un patient qui serait éventuellement un merveilleux
donneur d'organes, pour le presser par
rapport à l'euthanasie, en
disant : Vous avez demandé l'euthanasie, vous avez aussi évoqué le
don d'organes, allons-y. Non, il doit toujours être en mesure de dire non pour
l'euthanasie et éventuellement pour le don d'organes.
Mais donc il faut également
vraiment garder l'étanchéité entre les deux équipes, l'équipe qui est chargée
de suivre la procédure d'euthanasie et l'équipe des transplanteurs, si ce n'est
qu'à un moment donné, si tout le monde est bien au clair, il faudra
éventuellement que le patient accepte que des examens soient donc pratiqués,
examens qui n'ont aucune portée thérapeutique pour lui mais qui permettront
éventuellement de vérifier la compatibilité avec des personnes en demande
d'organes sur les listes que nous avons.
Donc, c'est un sujet
qui, au départ, m'a, je dirais, causé quelques frayeurs, mais, une fois que
l'on écoute à la fois les patients qui ont
fait ces demandes mais aussi les médecins qui sont chargés des transplantations
d'organes, etc., je dois dire que j'ai été rassurée et aussi que c'est
vraiment aussi une belle aventure. Et cela donne encore, pour ceux qui
demandent l'euthanasie, un sens supplémentaire à leur désir de rester, quelque
part, autonomes.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci beaucoup, Me Herremans, c'est tout le temps
qu'on avait pour nos échanges avec vous. Ça a été très, très instructif. Merci
de vous avoir... de vous être déplacée de... à cette heure chez... de chez
vous.
Donc, nous suspendons
maintenant les travaux pour accueillir nos nouveaux invités. Et vous pouvez
faire parvenir vos documents au secrétariat de la commission, Me Herremans,
si c'est possible.
Mme
Herremans (Jacqueline) : Je le ferai.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci.
Mme
Herremans (Jacqueline) : Je le ferai, et, s'il y a
encore l'une ou l'autre question, n'hésitez pas, je serai à votre écoute.
La Présidente (Mme
Guillemette) : Merci infiniment. C'est très apprécié.
Une voix :
Merci beaucoup.
Mme
Herremans
(Jacqueline) : Bonne continuation. Au revoir!
La Présidente (Mme Guillemette) : Au
revoir!
(Suspension de la séance à 16 h 27)
(Reprise à 16 h 29)
La
Présidente (Mme Guillemette) :
Donc, nous sommes de retour. Nous accueillons maintenant le
Dr Marcel Boisvert. Donc, bienvenue, Dr Boisvert. Merci d'avoir
accepté l'invitation cet après-midi. Donc, sans plus tarder, je vous cède la
parole.
M. Marcel Boisvert
M. Boisvert (Marcel) : Merci de
l'invitation. On m'a demandé de me présenter. Vieux généraliste à la retraite
depuis quelques décennies. Avant, médecin, professeur associé de médecine
palliative à l'Université McGill, à l'Hôpital Royal Victoria, membre, je tiens
à le dire, membre actif, au début, de l'AQDMD, l'Association québécoise pour le
droit de mourir dans la dignité, possiblement le premier médecin en soins
palliatifs à faire ce saut, que je ne regrette pas. Je suis de tout coeur
encore avec l'AQDMD, mais l'âge et mes circonstances de vie m'en tiennent un
peu loin, mais ça va. Voilà, ça suffit?
• (16 h 30) •
La Présidente (Mme Guillemette) :
Oui, vous pouvez y aller.
M. Boisvert (Marcel) : Alors, je
m'en vais dans mon texte. Bonjour à toutes et tous. L'invitation à me présenter — généraliste
labouré par les ans — et
qui vous en remercie, m'est venue de la Commission spéciale sur l'évolution de
la Loi concernant les soins de fin de vie sans autres spécifications. Le mot
«évolution» a retenu mon attention, me rappelant qu'elle n'a pas de marche
arrière, selon le fin penseur Boris Cyrulnik, ce qui en fait une loi, selon un
sage étapisme, et non une pente dangereuse.
J'y vois deux aspects principaux : le
libellé et la compréhension, appropriation par la population. Je suis d'accord
avec les recommandations du comité coprésidé par Mme Filion et
M. Maclure et d'accord également avec les recommandations de l'AQDMD
présentées par le Dr Georges L'Espérance, président. Je ne peux qu'y
ajouter mon grain de sel.
Mon premier propos ne concerne qu'indirectement
l'évolution de cette loi, mais je crois qu'il demeure pertinent en ces temps de
pandémie où on voit que le mot «contagion» connu de tous demeure très mal
compris par plusieurs.
En guise d'introduction, retraité depuis
longtemps, je laisserai à d'autres l'amplification des soins palliatifs à
domicile, incluant l'aide médicale à mourir ainsi que d'autres tâches, dont
certaines sont déjà sur la planche, tels les mineurs matures, et les cas où la
pathologie primaire est mentale ou psychique, et, plus difficile encore, les
situations faisant appel à ce que je nomme le principe de Kluge, du nom du
premier bioéthicien canadien à être reconnu comme tel par la justice
canadienne. En 1994, devant la commission sénatoriale spéciale sur l'euthanasie
et le suicide assisté, il déclarait — je traduis : «Quand un droit a été
reconnu et proclamé, il ne devrait pas être obligatoire qu'on soit
capable de le réclamer pour pouvoir en bénéficier. Ces cas rares ne doivent pas
être oubliés que parce qu'ils sont rares.»
Mon principal propos débute ici : le
langage de l'aide médicale à mourir. Le hasard me déposa parmi les figurants
des premiers temps des soins palliatifs et de la saga de l'aide médicale à
mourir, AMM, les pour et les contre
s'affrontant, alors que la seule question était de savoir si et pourquoi elle
pouvait être appropriée. Dès ce temps, j'ai noté le fil rouge, continu à ce jour, d'un vocabulaire erroné, voire à
l'intention souvent dépréciative. Secondaire, ce sujet mérite néanmoins
d'être exploré. L'évolution de la loi, je crois humblement, pourrait en
bénéficier. Pour m'y être fréquemment
frotté, j'affirme que ce langage est un obstacle à un dialogue constructif, peu
d'espace y existe d'ouverture à l'autre.
Quelques exemples, d'anciens à récents,
suffiront. Une vieille campagne publicitaire d'envergure stipulant Tuer
n'est pas un soin débute en mai 2013 dans tous les grands médias du
Québec. Puis une découpure de journal, que
j'ai malheureusement égarée, mais je m'en souviens très bien, probablement du Devoir
ou de L'Actualitémédicale : «On paie les médecins
pour nous garder en vie, maintenant il faudra les payer pour nous tuer.» Puis,
en 2015, un juriste chevronné déclare l'aide médicale à mourir criminelle et
immorale en vertu de «tu ne tueras pas». Il y a même insinuation que le Québec
et la Cour suprême se sont piégés dans la banalité du mal, la notion élaborée
par Hannah Arendt. Ou, plus récemment :
«Je n'ai jamais fait un cours de médecine pour tuer du monde», ou : «Pour
moi, l'euthanasie, c'est un meurtre», de deux médecins participant en
2019 à une étude à l'Université Laval, familière à M. Maclure. Ou, plus récemment encore, une lettre à la
population, fin 2020, émanant des autorités religieuses canadiennes,
toutes dénominations confondues, avec 50 autographes, signatures
autographes, qui rappelle le caractère sacré de la vie et que d'y mettre fin
volontairement... je cite : «L'AMM — l'aide médicale à
mourir — n'est
en réalité, tragiquement, rien de moins qu'un meurtre.» Fin de la citation.
S'opposer à l'aide
médicale à mourir est légitime, et les raisons sont multiples, plusieurs
relèvent de valeurs intimes, le sens donné à la vie, à la souffrance, à la
personne, à la mort, ou simplement religieuses. Pour faire court, deux raisons
sont universelles : le caractère sacré de la vie et «tu ne tueras pas».
Je me permets
ici un court aparté pour signaler qu'«aide médicale à mourir» décrit ce que sont essentiellement les soins palliatifs. Le sigle AMM actuel devrait
désigner une aide à une anticipation volontaire de la fin de vie, AVF,
tel qu'énoncé par le philosophe et théologien Bernard Quelquejeu, de l'Institut
catholique de Paris. Je suppose qu'il est trop tard pour adopter AAVF, le
premier a pour «aide», tout à l'opposé de la «haine», de «tuer» ou «meurtre».
Je reviens à ce dernier mot sous la plume des
autorités religieuses. Ces récents appels au meurtre soulèvent d'embarrassantes questions pour l'ensemble de la
société et particulièrement pour les personnes âgées, plus tourmentées
par la brisure sociétale. Pour l'année 2020, l'âge moyen des personnes
demandant l'aide médicale à mourir fut de 73 ans. Question légitime :
Combien ont souffert par crainte de ces deux mots? Combien se sont résignés à
souffrir, culpabilisés par ces deux mots mésusés? Cette question mérite d'être
éclaircie, par simple honnêteté et pour ne pas sombrer dans la notion de pente
dangereuse, à court de données probantes autres que des cas isolés.
Un aspect du problème est facile à saisir. Tous
les dictionnaires usuels, Académie française, Littré, Larousse,
Petit Robert, Grand Robert, Quillet, Leland, donnent pour
«tuer» — je
cite : «Ôter la vie d'une manière violente». Fin de la citation. La racine
de «violente», comme ses quatre premières lettres, exige une victime non
consentante, alors que l'aide médicale à mourir ne doit être demandée que par
la personne demanderesse.
La grande philosophe Simone Weil éclaire ce
problème à sa façon. Dans La personne et le sacré, elle écrit — je
cite : «Là où il y a une grave erreur de vocabulaire, il est difficile
qu'il n'y ait pas une grave erreur de pensée.» Fin de la citation.
D'autre part, l'éthicien américain de renom
Engelhardt, Jr, en jaugeant la moralité de l'aide médicale à mourir,
écrit ceci — je
traduis : «Dans le meurtre, la faute consiste à prendre la vie d'une
personne sans son consentement. Consentir exonère. Qui demande l'aide
médicale à mourir consent.» Fin de la traduction.
On peut certes désapprouver l'aide médicale à
mourir, mais la pensée bonne ne peut la criminaliser, à moins de vouloir cette
grave erreur de vocabulaire. Plusieurs laïcs et clercs s'en sont tenus à «tu ne
tueras pas» comme l'universel devoir à ne pas transgresser. Le bât blesse ici
également.
Feu André
Chouraqui, un intellectuel franco-juif, ex-pro-maire de Jérusalem, a traduit
toute la Bible en français. Il note qu'il y a deux «tu ne tueras point» dans
la Bible. Le premier, (s'exprime en langue étrangère), convient au
meurtre haineux commis par Caïn. Le second,
(s'exprime en langue étrangère), est celui du commandement. Ce mot,
commente-t-il, est non traduisible, car il
est... exclut par lui-même les exceptions de tout temps reconnues que sont la
guerre, l'autodéfense et les décrets étatiques. Or, la chrétienté n'a
retenu que le premier, au point que des rabbins des premiers siècles pensaient
qu'il s'agissait d'être conforme à — je cite — «si
on te frappe sur la joue, offre l'autre», dans Marc.
• (16 h 40) •
L'histoire nous montre que par la suite,
post-Constantin, on a appris assez vite à s'en remettre au second, mais sans
jamais le formuler. À noter également, jamais n'a-t-on contesté aux États le
droit de vie et de mort sur leurs populations. Et, du temps de Socrate,
Sénèque, Hippocrate, les sénateurs d'Athènes et de Rome accordaient des
permissions de mourir en fournissant la ciguë. Et seule une minorité des
médecins se pliait aux diktats d'Hippocrate. L'humanisme n'a pas attendu la
chrétienté.
Enfin, il faut bien voir que «tuer», autre
qu'accidentellement, et «meurtre» se nourrissent uniquement de haine et de
vengeance, alors que l'aide médicale à mourir se veut et est toute
respectueuse, solennelle, caractérisée par
la sollicitude qui appelle la tendresse d'un humanisme compatissant. Qui n'a
pas lu ou entendu des remerciements d'une
touchante sincérité d'un demandeur
d'aide médicale à mourir avant la
cérémonie ou ceux de ses proches après?
Une autre raison sérieuse impose de soigner le
vocabulaire entourant l'aide médicale à mourir. Nombreux et impressionnants par
leur stature, des philosophes et des théologiens, catholiques comme
protestants, se sont publiquement et sans
équivoque prononcés en faveur de l'aide
médicale à mourir conforme aux
balises. Quelques noms suffiront :
Hans Küng, récemment décédé, Mgr Jacques Gaillot, Gabriel Ringlet, Bernard
Quelquejeu, le Québécois Jacques Grand'Maison,
le grand philosophe français Paul Ricoeur, et combien d'autres. Pour sauver du
temps, j'évite leurs C.V.
Ce fait est
d'autant plus significatif qu'aucun ne s'est vu imposer le silence, encore
moins l'excommunication. Cette apparente contradiction demeure
inexpliquée. Il appert que toute précieuse qu'elle soit, le caractère sacré de
la vie n'est pas du domaine du dogme, que le droit à la vie n'est pas une
obligation de vivre, ainsi que l'ont mentionné les juges de notre Cour suprême.
L'humanisme, la sollicitude, la fidélité fraternelle prévalent sur les règles.
Dans Soi-même comme un autre, Ricoeur écrit que la sollicitude peut
demander de trahir la règle. Et n'oublions pas que l'aide médicale à mourir
relève d'un décret étatique.
Je termine cette section par une citation qui
établit une passerelle avec ce qui suivra, elle est de Bernard Quelquejeu, je
cite : «Personne ne peut contester à une autre personne atteinte d'une
maladie grave et incurable la liberté fondamentale d'anticiper volontairement
la fin de sa vie dans des conditions dignes. C'est une liberté qui prend sa
place dans la longue suite des libertés peu à peu conquises à l'âge moderne.
Dans les conditions précises fixées par le législateur, l'assistance à l'aide
médicale à mourir, actuelle ou prévue dans des DMA, fait désormais partie de
cette reconnaissance mutuelle patient-médecin. Elle est une obligation morale.»
Fin de la citation. L'objection de conscience me semble remise en question.
Enfin, une petite note de bas de page, notre
population en général semble ignorer ce qui précède. Je crois qu'on devrait
l'en informer.
Un court intermède, je réunis deux questions
d'actualité quant à l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de
vie : les cas des mineurs dits matures, malheureusement destinés à une
courte survie, et les adultes qui en ont assez de leur
maladie mentale de longue durée pour laquelle tous les traitements ont failli à
améliorer leur qualité de vie à un niveau qui leur est acceptable.
Sauf pour des considérations de nature générale,
ces deux univers nous sont hors de portée. J'entends que, dans les deux cas,
des experts divergent d'opinion. Il me semble que, dans chaque cas, les experts
à favoriser soient les membres de l'équipe multidisciplinaire impliqués au plus
près de la personne malade et de ses proches. Je ne doute pas que, dans chaque
situation, ils puissent aviser sagement les intéressés, car l'éthique, ce n'est
pas une personne qui sait, mais plusieurs qui cherchent, selon le député
français Jean Leonetti.
Je partage entièrement la pensée du sociologue
et théologien québécois Jacques Grand'Maison, à savoir que — je
cite — «dans
chaque cas, il faut chercher la solution la plus humaine», fin de la citation,
sa manière de paraphraser, 2 300 ans plus tard, l'enseignement du
philosophe grec Zénon de Cition de toujours faire ce qui est le plus
approprié.
Les directives médicales anticipées, DMA. Le
temps ne me permet pas d'entrer dans les détails des DMA. La question la plus
litigieuse concerne les DMA dans l'anticipation de pertes cognitives graves. La
toile renferme d'excellentes informations ainsi que des formulaires à être
consultés par le plus grand nombre pour le mieux-être du plus grand nombre.
Actuellement, le régime québécois des DMA ne
permet pas de demander l'aide médicale à mourir. C'est la grande question à l'étude alors que les demandes
vont grandissant. Pourquoi, alors qu'une personne est apte, ne peut-elle
pas demander l'aide médicale à mourir
advenant des pertes cognitives la déshumanisant totalement, selon ses
propres valeurs les plus intimes?
La tradition veut qu'un testament soit rédigé
sagement avec l'aide d'un notaire. Des DMA incluant une demande d'aide médicale
à mourir pourraient l'être avec l'aide du médecin de famille, et son équipe,
et, au besoin, un neurologue, psychiatre,
neuropsychologue, etc. Il m'est évident que plus les DMA seront minutieusement
élaborées, plus sa mise en acte en sera simplifiée, et prévenus ou amoindris,
les stress familiaux.
Nous nous devons de réfléchir à la souffrance
intolérable et inexorable pour accéder à l'aide médicale à mourir. Dans When Suffering Patients Seek Death,
Eric Cassell écrit — je
traduis : «Seuls les patients savent combien terrible est leur souffrance. Peu nombreux sont
les demandeurs d'aide médicale à mourir. Il faut honorer leur demande.» Fin
de la traduction.
Dans Soi-même comme un autre, Paul
Ricoeur définit la solitude, je cite : «Le refus de l'indignité infligée à
autrui, laquelle demande de trahir la règle.» Fin de la citation. Et Kluge,
référant à Mme Sue Rodriguez, énonce — je traduis : «Sa souffrance vient de ce qu'elle considère de
l'indignité contre laquelle les soins palliatifs ne peuvent rien.»
Les personnes qui rédigent leur DMA en prévision
d'un déficit cognitif majeur le font pour s'éviter, et à leurs proches,
l'indignité absolue de la déshumanisation à venir qu'elles subiront sans s'en
apercevoir. Leur refuser l'aide médicale à mourir parce qu'elles ne se rendent
plus compte de leur sort est bien la pire indignité dont parle la philosophe Battin. Je crois profondément que les
raisons d'un refus doivent être très supérieures à celles d'acquiescer.
Une position fréquente repose sur la notion du
soi changeant, intimant qu'on ne peut exclure un changement d'opinion
significatif survenu avec le passage du temps et des pertes cognitives. Je ne
souscris pas à cette thèse, laquelle donne plus d'importance à une hypothèse
indémontrable qu'à l'identité narrative élaborée par le philosophe Paul Ricoeur
et supportée par des chercheurs en neuropsychologie ayant démontré que des personnes
démentes répondent davantage selon leur personnalité antérieure.
• (16 h 50) •
Un autre argument en faveur de la reconnaissance
des DMA incluant l'aide médicale à mourir repose sur le fait que peu de
personnes demandent l'aide médicale à mourir, laquelle demande et reçoit une
profonde réflexion, laquelle n'a guère de chance d'être inversée, entre autres
parce qu'elle recèle quasi invariablement un profond altruisme : ne pas
vouloir être un fardeau.
Cette notion est malheureusement peu étudiée,
donc peu valorisée. Pourtant, des études ont déjà démontré l'importance, la
lourdeur pour nombre de grands malades de se sentir un fardeau. Et, pour leur
malheur, ces études démontrent le peu d'importance que la notion d'être un
fardeau revêt pour leurs soignants. Tristesse ultime exprimée par Kluge,
encore : «Il n'y a pas de correctif pour une dignité violée et pour le
mépris de ses valeurs intimes.» Et la philosophe américaine Margaret Battin,
dans tout un chapitre référant à la négligence accordée à l'altruisme des
malades, d'ajouter — je
traduis : «Parmi les indignités que la médecine sait infliger, celle-là
est peut-être la plus profonde.» Fin de la traduction.
La mise en oeuvre de telles DMA représente un
défi, j'en conviens. Je crois qu'une équipe multidisciplinaire, arcboutée à la
tâche, fournirait une série de scénarios pour la mise en acte selon divers
types et modes de vie sociale des intéressés. Lire, de Battin, Fiction as
Forecast : Euthanasia in Alzheimer's Disease? serait un bon début.
Conclusion. L'heure, on le voit bien, est aux
réseaux sociaux, où les vérités alternatives ont beau jeu. Au Québec, le
taux d'analphabétisme fonctionnel est de près de 50 %. Il faut valoriser le recours aux
dictionnaires. On y apprendrait le respect du vocabulaire, que les mots
«tuer» et «meurtre» utilisés à mauvais escient, pour utiliser l'aide médicale à
mourir, quittent le domaine de la réflexion pour celui de la calomnie et de la
médisance. Des enfants de papas médecins qui prodiguent l'aide médicale à
mourir n'ont pas un meurtrier pour père, mais un bon papa, médecin
consciencieux, humaniste de haut niveau.
D'autre part, les églises, même si moins que
jadis, ont une influence indéniable sur tous les groupes de la société, y inclut les parlementaires. Au Canada,
la grande majorité va au monothéisme, dont l'incontournable philosophe
allemand Peter Sloterdijk écrit qu'en dépit de quelques apparences elles n'ont
d'autre choix que de compétitionner pour la première place, ce qui facilite
l'agressivité. Le moins qu'on puisse leur demander est de donner au moins aux mots-clés leur véritable sens ou risquer un lourd reproche
de Camus : «Mal nommer les choses, c'est ajouter à la misère du monde.»
Fin de la citation.
Quant aux DMA rédigées avant la démence, tel on
respecte un testament après le décès du signataire, tel on devrait respecter la
volonté exprimée dans des DMA rédigées avant que la flamme de la pleine
conscience ne s'éteigne, ce qui équivaut à
une mort sociale, telle que décrite par le sociologue anglais Searle. Ce qui
est décisif, ce n'est pas la peur de devenir un fardeau, mais la volonté
profonde et ferme d'en écourter la durée pour les proches. Pour rendre justice,
il faut se remédier saint Jean, 15:13 : «Il n'y a pas de plus grand amour
que de donner sa vie pour ses amis.» Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Boisvert. Nous allons débuter les échanges avec le
député de Gouin.
M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Dr Boisvert, pour votre présentation puis votre présence aujourd'hui. Notre commission a deux
mandats précis. Le premier, c'est d'examiner l'élargissement potentiel
de l'aide médicale à mourir aux gens
souffrant de troubles mentaux, et le
deuxième, c'est la question, que vous avez abordée en conclusion de
votre présentation, des demandes anticipées d'aide médicale à mourir. J'aurais
une question pour vous pour chacun de ces volets-là de notre mandat.
D'abord, sur la question des troubles mentaux,
certains nous invitent à recommander que l'aide médicale à mourir ne soit
accessible, pour ces gens-là qui souffrent de maladies mentales sévères, si et seulement
si les gens sont allés au bout des
traitements disponibles pour leur maladie et que ce soit une condition à leur
admissibilité à l'aide médicale à
mourir. Ma première question : Que pensez-vous de cette balise-là, de cette exigence qu'on pourrait
recommander?
Ma question pour ce qui est des demandes
anticipées : Est-ce que vous croyez que les demandes de recevoir l'aide médicale à mourir en cas de déclin
cognitif, là, à venir... est-ce que ça devrait être des demandes, donc
l'expression d'un souhait, ou est-ce que ça devrait être une directive,
c'est-à-dire une demande exécutoire, finale et sans appel, quelle que soit
l'évolution de la maladie et quel que soit l'état de la personne, y compris,
par exemple, dans des cas qu'on appelle de démence heureuse où il n'y aurait
pas de souffrance apparente de la part de la personne? Donc, voilà mes deux
questions pour vous, Dr Boisvert.
M. Boisvert (Marcel) : Merci
beaucoup, M. Nadeau-Dubois. Écoutez, j'ai quitté... je suis à la retraite
depuis trop longtemps pour répondre intelligemment à vos questions. Je m'en
excuse. Je pense que... le Dr Serge Gauthier, je crois, qui a présenté à
la commission qu'il y a des experts canadiens, sinon universels sur cette
question. Les experts doivent être consultés là-dessus, je ne suis absolument
pas qualifié pour ça.
Est-ce que ça devrait être exécutoire? Mon
premier sentiment, c'est oui, mais, là encore, je vais continuer de lire autant
que je peux ce que d'autres experts ont à dire sur le sujet. Mais, si je pense
à moi, parce qu'il faut le réaliser, le problème des médecins, c'est qu'ils ont
un «je», ils ont un «soi», et ils pensent toujours en fonction de,
inconsciemment ou pas, alors que le patient... Je ne crois pas que quiconque
demande l'aide médicale à mourir sans y avoir profondément pensé, c'est ce que
j'ai dit tantôt, et la meilleure façon de l'aborder, pour moi, c'est de le
faire personnellement. Si c'était mon cas, qu'est-ce que je voudrais? Je
voudrais que ce soit exécutoire.
La démence joyeuse, c'est superficiel. Je pense
que je serais comme ça, moi, j'ai été bien élevé par mes parents — je
leur dis merci — je
souris à tout le monde, ça ne changerait rien à ce que j'ai dans mon for
intérieur, que, si je devais devenir en perte cognitive très sévère, je ne
voudrais pas poursuivre ma vie, je voudrais que les gens qui s'occuperaient de
moi s'occupent de quelqu'un d'autre qui veut rester.
M. Nadeau-Dubois : Le comité
d'experts présidé par M. Maclure et Mme Filion nous recommandait
d'aller plutôt dans le sens d'une demande plutôt que d'une directive, donc
d'une demande qui n'est pas exécutoire, et leur argument était intéressant.
J'aimerais ça vous entendre le commenter. Ils nous disaient qu'en fait rendre
des telles demandes exécutoires pourrait provoquer... pourrait mettre les
professionnels de la santé appelés à appliquer cette demande-là dans une
situation franchement inconfortable. On a même une autre professeure qui nous a
parlé de détresse morale que ça pourrait générer chez la personne qui doit
exécuter une demande d'aide médicale à mourir sur quelqu'un qui, par exemple,
est dans un état de démence heureuse, il n'y a pas de souffrance apparente. Et
c'est en vertu de cet équilibre-là que ces personnes-là nous invitaient d'aller
plus dans le sens d'une demande que d'une directive. Qu'est-ce que vous pensez
de cet argument-là?
• (17 heures) •
M. Boisvert (Marcel) : Ce que je
pense, c'est que... et je reviens à ce que j'ai dit, ça va prendre des années
avant que la notion de rédiger de bonnes DMA devienne un fait assez courant. Je
pense que le gouvernement, les médecins, tous les ordres professionnels qui ont
leur mot à dire en santé devront faire leur part pour encourager sans arrêt la
population, comme on l'a fait pour faire un testament, on devrait faire la même
chose, encourager les gens à penser à leurs DMA. Et je pense que ça peut
prendre très certainement plusieurs années avant que ça débloque.
Mais ce que j'entrevois, c'est que des DMA vont
devenir... ce que j'espère, en tout cas, vont devenir très ciblées.
Certaines personnes, avec l'aide de leur médecin de famille, et l'infirmière,
et les conseillers, etc., neurologues, vont préciser une foule de
détails : dans telle situation, ça, dans telle situation, ça, dans telle
situation, ça, ce qui va rendre l'exécution pour le médecin beaucoup plus
facile. Ça, ce n'est sûrement pas pour dans six mois, pour peut-être pas l'an
prochain non plus, mais, si on ne commence pas quelque part, on n'arrivera
jamais. Et ce que je... dans un premier temps, je pense, ce qu'il faut faire,
c'est faire beaucoup, beaucoup d'éducation sur les DMA, commencer
à en parler à la maison, entre amis. Les gens âgés, dans les RPA, qui se
retrouvent autour d'une table de billard, ils peuvent prendre une petite
demi-heure ici et là pour en parler. Et je pense que ça va démystifier cette
chose, parce que c'est évident, la première fois qu'on en parle, c'est un petit
peu inconfortable. Mais je n'ai pas d'autre commentaire. Je pense qu'il faut
être patient, mais il faut, avec décision, aller dans une direction. Et ma
direction, pour moi, elle est exécutoire. Parce que je pense que les gens qui
signent ça le veulent. Et c'est comme si... Si on me faisait une injection,
puis je tire mon bras, n'importe quel vieillard qui ne s'y attend pas trop va
tirer son bras, ça ne veut pas dire que je ne le veux pas.
Je pense qu'il faut penser à ce que (interruption) — je
m'excuse — Paul
Ricoeur a voulu dire, quand, pensant très nettement à des soignants, il a dit,
il a écrit qu'il faut «mettre de côté l'exception en ma faveur et voir
l'exception en faveur du patient». Je pense que les... mes jeunes collègues ont
beaucoup de méditation à faire dans ce domaine-là.
On pense encore beaucoup... J'ai cité, tantôt, Battin. La pire des
indignités que la médecine s'est peut-être
infligée, c'est de ne pas donner d'importance à ne pas vouloir être un fardeau.
C'est un cadeau, c'est un dernier choix moral, je pense qu'il est très grave...
Comme je dis, à la toute fin, ça prend de très, très bonnes raisons pour
refuser, alors qu'accepter, c'est beaucoup plus facile.
M. Nadeau-Dubois : Merci,
M. Boisvert.
(Interruption)
M. Boisvert (Marcel) : Excusez-moi,
deux secondes.
La Présidente (Mme Guillemette) : Merci
beaucoup, Dr Boisvert. Merci, M. le député. Nous allons passer à Mme la
députée de Joliette dans quelques minutes.
M. Boisvert (Marcel) : Excusez-moi.
On n'est pas toujours aussi libre qu'on aimerait l'être. J'avais pris toutes
les précautions, sauf celle-là.
La Présidente (Mme Guillemette) : À
la retraite, mais très occupé quand même. Dr Boisvert, je cède la parole à
ma collègue la députée de Joliette.
Mme
Hivon : Oui.
Bonjour, Dr Boisvert. Je ne sais pas si vous avez un invité-surprise pour
nous, mais ça va nous faire plaisir de l'accueillir.
Donc, écoutez, merci pour votre présentation.
Comme je vois, vous êtes toujours aussi engagé dans le dossier et toujours
aussi documenté. Écoutez, moi, je veux vous amener vraiment, avec toute votre
expérience, sur l'enjeu de la souffrance, c'est un enjeu dont on parle beaucoup
ici, mes collègues savent que j'en parle aussi beaucoup, à savoir dans le
contexte d'une directive ou d'une demande anticipée dans un diagnostic
d'Alzheimer ou de démence.
Selon vous, le critère de la souffrance doit-il
demeurer, donc, dans les conditions de l'article 26? Et, si oui, est-ce
que cette souffrance-là doit être contemporaine de l'administration de l'acte,
vous l'avez abordé globalement avec mon collègue, mais je veux vraiment qu'on
approfondisse, ou est-ce que la souffrance anticipée exprimée au moment de la
rédaction de la directive ou de la demande est suffisante?
Donc, il y a différentes, évidemment, écoles
là-dedans. On vient d'entendre Me Herremans, de Belgique,
qui nous dit que, selon elle, il faudrait prévoir les conditions, évidemment,
le plus détaillées possible, comme vous nous dites, à l'avance mais que ce
serait très difficile, au moment où on agite le drapeau, pour dire : O.K.,
notre proche répond aux conditions qu'il avait prévues, de procéder à l'acte,
il n'y a pas souffrance contemporaine perceptible. Quelle est votre position
là-dessus?
M. Boisvert (Marcel) : Ma position
là-dessus ne changera jamais. Je n'ai pas d'autre choix, en tant que médecin,
que de faire confiance au patient. Soi-même comme un autre, a écrit
Paul Ricoeur. Alors, si c'est moi, je parle de moi, là, dans mes
directives anticipées, je ne laisse aucune place à la démence heureuse, si ça
devait m'arriver, parce que je crois que ça n'existe pas. Quiconque a côtoyé le
moindrement des gens comme ça sait très bien que, derrière leur sourire, il y a
un... quand il y a une petite prise de conscience, c'est : je ne suis plus
là, et ils n'ont plus le vocabulaire pour l'exprimer, donc ils ne l'expriment
pas. Alors, parce qu'ils sont polis, ils ont été élevés comme tout le monde...
Comme je disais tantôt, moi, je souris toujours à tout le monde parce que mes
parents m'ont dit de sourire à tout le monde. Ça ne veut pas dire que, dans mon
for intérieur, il n'y a pas toutes sortes de troubles.
Alors, moi, je crois que les gens qui se sont
donné le trouble d'y réfléchir et d'écrire... C'est pour ça que je pense que ça
ne devrait pas être juste... Il faut éduquer les gens avant d'agir, c'est
évident, pas en un an, peut-être plus, mais il y a peut-être des gens qui sont
déjà très éduqués, qui vont faire toutes les choses très bien, dire que... Moi, je les ai faites, mes DMA, c'est écrit
dessus : Je ne veux pas ça, même si, même si, même si, non. Alors, le
médecin, il va se sentir à l'aise s'il apprend...
Tout le monde devrait lire Paul Ricoeur. Je
pense, je suis rendu à ma sixième lecture, puis je vais le relire encore, c'est
un délice, ça fait du bien au coeur, à l'esprit. On néglige parce que, surtout
dans les cas de perte cognitive, les patients ne peuvent plus nous parler de
leur souffrance. Tout ce qu'ils ont, c'est leurs yeux puis leur sourire. Je
sais, je m'adonnais à vous regarder, l'autre jour, quand j'ai parlé de ça, justement.
Mais mon impression, c'est celle-là.
Pensez-y pour vous-même. Il
faut se mettre dans la peau du malade. Alors, pensez-y pour vous en tant que
malade. Est-ce qu'avec un beau sourire vous voudriez quand même qu'on vous
force à manger des patates pilées, des patates en poudre, qu'on change vos
couches, etc., pendant des années? Pour moi, c'est un franc non. Pour vous,
c'est votre décision. C'est pour ça qu'il faut éduquer les gens.
Mais il faut s'en remettre aux patients.
Autrement, on est du paternalisme... on est des paternalistes de A à Z. Depuis
Hippocrate que la médecine est paternaliste. Il faut arrêter, un de ces jours,
c'est... Puis les patients sont de plus en plus renseignés. Il faut continuer,
il faut le faire de plus en plus pour les DMA, il faut faire affaire avec des psychiatres et des Dr Gauthier, il n'est pas
le seul, là, mais il faut prendre conscience qu'un patient qui a un sourire
aux lèvres, là, parce qu'il n'a pas de
vocabulaire... risquer de tomber dans le piège. Si ses directives médicales ont
été bien faites... Moi, j'espère que
mes directives médicales anticipées ne laissent pas de place à mon médecin.
S'il se trouve de la place, il
devrait me le dire tout de suite, je vais changer de médecin. C'est simple
comme ça. Non, mais c'est très sérieux.
Mme
Hivon : ...
M. Boisvert (Marcel) : Les médecins
prennent trop de place et ils oublient que ces gens-là souffrent tellement,
tellement de ce qui leur arrive qu'ils ont... Ils ont dit qu'ils n'en veulent
pas, c'est français, qu'est-ce que vous voulez de plus? Vous dites qu'il a
l'air heureux parce qu'il sourit, puis il n'est plus capable d'exprimer, c'est
évident, mais c'est un très, très mauvais choix de faire comme argument pour ne
pas agir.
C'est mon choix. Je respecte quiconque a un
choix différent, mais c'est pour ça que je dis qu'il faut éduquer les gens. Puis chacun va en parler avec des
personnes qualifiées pour... moins les membres de la famille,
évidemment. Je ne l'ai pas dit, là, mais jamais ça ne devrait être un membre de
la famille responsable. Ça prend...
Mme
Hivon : Jamais de
consentement substitué, pour vous.
M. Boisvert (Marcel) : Ça prend un
mandataire qualifié, qui a compris puis qui vous rejoint sur votre longueur
d'onde.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci.
M. Boisvert (Marcel) : Ça ne vous
répond pas assez?
• (17 h 10) •
Mme
Hivon : Ça me
répond très bien. J'aurais d'autres questions, mais je sais que mon temps est
écoulé, ça fait que... je vous aurais ramené dans la loi, mais c'est correct.
Parfait.
M. Boisvert (Marcel) : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Mme la députée. Je céderais la parole à Mme la députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci,
Dr Boisvert. Vous êtes d'une grande sagesse. Lorsqu'on parle de soins
palliatifs, on sait que c'est la dernière station avant le grand voyage qui est
sans retour. J'aimerais que vous élaboriez sur «mourir en dignité», parce que,
durant la commission, le mot «dignité» revient souvent. Alors, j'aimerais que
vous élaboriez sur «mourir en dignité», Dr Boisvert.
M. Boisvert (Marcel) : Pour moi, il
y a deux choses. Je reviens toujours à Paul Ricoeur. Paul Ricoeur a
défini la sollicitude comme le refus de l'indignité infligée à autrui. C'est
simple, ça. Ça dit quoi? Ça dit que c'est le patient et seul le patient qui
peut dire : Telle chose, c'est de l'indignité insupportable pour moi. Il y
a des gens qui semblent tolérer de changer leurs couches, etc., quatre fois par
jour, il y en a d'autres, c'est non, il y en a d'autres, c'est faire l'hygiène personnelle,
d'autres, c'est se faire nourrir, etc. Alors, c'est essentiellement personnel.
Mais on le voit en médecine tout le temps, vous
avez 10 cas de cancer du poumon, c'est 10 cas tout à fait, tout à
fait, tout à fait différents et sur le plan des symptômes et sur le plan de la
réaction de l'individu, masculin ou féminin, à son destin. Alors, il faut
toujours s'en remettre en premier, en premier au patient. Je n'ai pas d'autre
suggestion... conseil à vous faire.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci
beaucoup, Dr Boisvert.
M. Boisvert (Marcel) : Ça n'a pas
l'air à vous satisfaire.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Oui.
Oui, oui, mais j'avais peut-être une autre petite question. C'est que je me
dis : Avec la cadence, maintenant, dans les hôpitaux, est-ce que cette
question-là peut être biaisée par la cadence? Les médecins ont moins de temps à
consacrer à leurs patients. Alors, lorsqu'arrive une décision comme ça, une
demande, est-ce que le temps est très limité? Est-ce que...
M. Boisvert (Marcel) : Je ne vous
entends plus.
Mme Blais
(Abitibi-Ouest) : Je ne parle pas. Je ne parle plus.
M. Boisvert (Marcel) : Ah! O.K.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Excusez-moi,
j'ai peut-être mal formulé ma...
M. Boisvert (Marcel) : Écoutez,
c'est parce que c'est des... Excusez-moi. Non, c'est un problème de société. Alors, je suis mal placé, là, ce n'est pas à moi à
donner des ordres aux ministres de la Santé puis de la Famille, puis
etc. Mais c'est évident aussi, là, que ces décisions-là se prennent en équipe.
Tu sais, on en met beaucoup sur le dos des médecins.
C'est le médecin qui va poser le geste. La loi fédérale permet que ça soit des
infirmières spécialisées, infirmiers spécialisés. Mais ces décisions-là
ne sont jamais prises à la légère, les gens exagèrent trop facilement, là, il y
a toujours 10 personnes autour de la table, puis on parle de ci, puis on
parle de ça, puis etc. Alors, c'est des décisions... Comme l'a dit M. Leonetti, en France : L'éthique, ce n'est pas
une personne qui sait, c'est 10 personnes qui cherchent.
Mon expérience personnelle, c'est que presque
toujours l'équipe en vient à un consensus. L'exemple le plus courant, là, c'est
la décision d'installer, par exemple, une sédation terminale ou palliative.
Presque toujours, on en discute, il y a des
pour, il y a des contre, il y a des ci, des ça. Ça peut prendre deux, trois
jours, ce n'est pas une question d'une demi-heure, ça peut prendre deux,
trois jours. Ça ne peut pas prendre deux, trois mois. Ça peut prendre une
semaine, 10 jours peut-être, mais l'équipe finit par s'entendre tout à
fait là-dessus.
Alors, c'est pour ça que ma recommandation,
c'est celle-là. Les meilleurs conseillers, les spécialistes dans chaque cas sont ceux qui sont impliqués auprès de
cette personne-là. Ça inclut les spécialistes aussi, neurologues, etc.,
là, mais c'est dans le détail. Pour les choses humaines, c'est les gens qui
sont à côté de ces gens-là 24 heures sur 24, les infirmières, etc., les
préposés, les médecins, c'est cette équipe-là qui décide. Mon impression puis
mon expérience personnelle, c'est qu'ils ne se trompent à peu près jamais, à
peu près jamais.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci
beaucoup, Dr Boisvert.
M. Boisvert (Marcel) : Je vous en
prie.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Dr Boisvert, on n'en a pas parlé beaucoup, mais j'aimerais vous entendre
sur l'aide médicale à mourir pour les troubles de santé mentale exclusivement.
Vous voyez ça comment?
M. Boisvert (Marcel) : Mes petits
mots là-dessus, ça été de dire que, et pour les jeunes, et pour les jeunes
matures, et pour les soins mentaux, je m'en remets aux psychiatres puis aux
psychanalystes de ces jeunes-là, je n'oserais pas du tout, là, me prononcer
là-dessus.
La Présidente (Mme Guillemette) :
O.K. Même si on sait qu'il y a de la souffrance. Puis, pour vous, là, si on
vous avait demandé à l'époque d'administrer une aide médicale à mourir à
quelqu'un qui souffre exclusivement de troubles de santé mentale, est-ce que
vous auriez... s'il y avait eu des avis de psychiatres, des avis d'une équipe, est-ce
que vous l'auriez...
M. Boisvert (Marcel) : Oui. Si
l'avis des experts était oui, absolument, parce que... Je pense aux bons
experts que j'ai connus dans mes années actives, c'est des gens que je
connaissais, en qui j'avais beaucoup de confiance, et certains, plus, certains,
moins. Mais c'est ça que je vous dis, c'est pour ça que je ne m'en mêle pas, je
n'ai pas de commentaire à offrir. S'il y a trois, quatre spécialistes qui
s'entendent pour un cas, pour moi, c'est ce que je demande, qu'il y ait un
consensus de gens qui savent de quoi ils parlent. Ce n'est pas moi, ça.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Et vous verriez quoi comme mécanisme de sauvegarde qu'on pourrait
mettre pour faire en sorte qu'il n'y ait pas d'abus ou qu'il n'y ait pas...
Vous vous fiez vraiment au médecin, au patient, à l'équipe à 100 %?
M. Boisvert (Marcel) : Absolument. À
qui peut-on faire confiance?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait.
M. Boisvert (Marcel) : Ce sont eux
qui connaissent le mieux le patient.
La Présidente (Mme Guillemette) : Et
puis vous n'avez pas peur... Puis je sais que vous avez été très actif, là, au
niveau de la médecine. Vous n'avez pas vu de dérapage, de demande... Il n'y a
pas de demande qui a été refusée parce que vous jugiez que ce n'était pas
opportun, et pas le bon moment, et...
M. Boisvert (Marcel) : J'ai été
témoin d'un cas qui m'a mené en cour. C'est les infirmières... Je me suis basé
plus sur les infirmières que sur mon opinion, mon opinion a valu aussi, mais
c'est un monsieur d'un âge mature, là, qui est venu faire changer le testament
de son papa. Et vous aviez juste à regarder les notes des infirmières et une...
C'était très, très évident que ce monsieur-là était tout à fait incompétent
depuis une semaine, il ne reconnaissait personne, il ne
savait pas quel jour... Donc, c'est évident que le fils n'avait pas de... il
n'avait pas de... Mais c'est le seul cas que j'ai vu.
La Présidente (Mme Guillemette) :
O.K. Je vous remercie beaucoup, Dr Boisvert. Je vais céder la parole à ma
collègue de Maurice-Richard.
M. Boisvert (Marcel) : C'est pour ça
que ça ne doit jamais être les membres de la famille qui sont les mandataires.
C'est une décision trop complexe à prendre. Il faut que ça se prenne en équipe.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Merci.
M. Boisvert (Marcel) : Je vous en
prie.
La Présidente (Mme Guillemette) : Je
cède la parole à ma collègue de Maurice-Richard.
Mme Montpetit : Je vous remercie,
Mme la Présidente. Ce sera mon collègue de D'Arcy-McGee qui va commencer.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Merci. M. le député.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci beaucoup, Dr Boisvert, pour vos propos à la fois
profonds, pertinents et simples, si je peux dire, dans le meilleur sens du
terme. Ce n'est pas toujours facile de combler ces qualités-là. Et moi, je
retiens au moins deux messages généraux importants. Vous avez misé, au début,
sur le mot, dans tout son sens, «évolution», et vous nous avez proposé une mise
en garde, qui est bien retenue. Aussi, tout le long de vos propos, j'entends une obligation, sur nous, sur l'État, sur
les professionnels, de pédagogie énorme, fardeau énorme avec toutes
sortes d'implications, mais un fardeau solennel et obligatoire.
Je me permets une question de l'ordre général.
Vous avez cité, au début, plusieurs médecins avec des avis assez tranchants et
d'autres citations en contrepoids, si je peux... Est-ce que je peux comprendre
que votre lecture du débat, dans son évolution au Québec, est très, très
polarisée toujours, qu'on n'approche pas un consensus sur le fait, légal, et
autres, si je ne me trompe pas, que l'aide médicale à mourir est en quelque
part sur le spectrum de soins et de soins palliatifs? Est-ce que votre lecture,
c'est que le débat reste très, très polarisé, avec tous les dangers et
conséquences inhérents?
• (17 h 20) •
M. Boisvert (Marcel) : Non. Il n'y a
pas de danger... il n'y a pas d'erreur que l'ensemble du Québec est favorable.
Depuis la commission mourir dans la dignité, l'approbation de l'aide médicale à
mourir n'a pas diminué. C'est le langage de la minorité négative qui a des
grands noms. Je ne suis pas anticlérical, là, mais c'est ma présentation. Quand
on parle de «tuer» et de «meurtre», alors que c'est une simple... comme... vous
avez employé le mot «simple», il est simple, mais il est très clair, c'est...
on ne fait pas la différence entre la haine d'un meurtre et la bonté de l'aide
médicale à mourir. Alors, c'est un... on emploie un vocabulaire qui est
complètement, là, déplacé. Et ça fait une minorité au Canada, au Québec, qui
est plus petite, mais, dans l'Ouest, qui est plus significative. La droite religieuse
existe, elle a le droit d'exister, mais elle n'a pas le droit de changer le
sens des mots. Alors, c'est pour ça que...
Et ma profession, et ma profession... Du temps
où je pratiquais, j'avais découpé, je pense, une cinquantaine de découpures du
magazine québécois L'Actualité médicale, des médecins qui employaient le
mot «tuer», le mot «meurtre», le mot «assassinat», blabla, sans réflexion, ça
me blessait en tant que médecin, des universitaires. Alors là, dans cette étude
de 2019, ce n'est pas bien loin, là, puis j'en ai cité deux, il y en avait plus
que deux qui voient ça comme tuer puis un meurtre.
Écoutez, c'est parce que — c'est
la citation de Simone Weil — l'erreur
de vocabulaire sous-entend une erreur de pensée. Alors, si on pense que c'est
un meurtre, c'est évident qu'on ne veut pas la pratiquer puis c'est évident
qu'on ne veut rien savoir. Ça n'a pas d'allure. Alors, c'est pour ça que je...
même si c'est une minorité, ce vocabulaire-là continue d'être employé, et je
m'y oppose parce que derrière ça, il y a des gens... c'est ce que j'ai dit au
tout début, les gens âgés : Aïe! Je vais demander un meurtre, c'est quoi,
cette affaire-là? Puis c'est par les autorités ecclésiastiques, là. C'est
grave, c'est grave, à mes yeux. Je ne suis pas un anticlérical, mais je demande
qu'on respecte les mots parce que ce sont des mots qui sont très graves.
Je l'ai vécu avec des amis. Imaginez un papa
médecin, les enfants se font dire : Aïe! Ton père, c'est un meurtrier. Impensable.
C'est la bonté même. Alors, c'est pour ça que... c'est pour ça que j'en parle.
M. Birnbaum : Je comprends.
M. Boisvert (Marcel) : Ça ne
changera pas... ça ne changera pas la... bien, ça peut changer pour certains
des gens âgés. C'est les gens âgés qui me préoccupent. C'est ceux qui demandent
l'aide médicale à mourir, c'est ceux qui sont le plus influençables par ces
mauvais mots. Alors, ce n'est pas tout le problème, mais c'est un aspect que
j'ai dit qui mérite d'être considéré.
M. Birnbaum : Donc, la
responsabilité d'encadrer le débat de façon disciplinée est réelle.
M. Boisvert
(Marcel) : Absolument.
M. Birnbaum : Vous misez avec toutes
sortes de... reconnaissance des balises nécessaires, beaucoup à l'autonomie de
l'individu, tout à fait. Est-ce que ça nous interpelle peut-être à considérer
des demandes de l'aide médicale à mourir en absence d'un diagnostic grave? Si
on parle de la possibilité, disons, d'un individu très apte mais pas devant les symptômes clairs et graves, de
comprendre les conséquences potentielles d'un alzheimer progressif et sérieux, est-ce
qu'on devrait aborder cette question-là, une demande en l'absence d'un
diagnostic grave?
M.
Boisvert (Marcel) : Je pense
qu'on n'est pas prêt pour ça. Je
pense qu'on n'est pas prêt pour ça.
L'Europe commence à y penser, ce qu'on appelle : «I'm tired of living»,
j'ai vécu assez longtemps, je n'en peux plus. Je pense qu'on peut attendre un
petit bout de temps.
Mais je peux vous dire mon expérience personnelle.
Pendant 12 ans, j'ai été directeur médical à temps partiel du
Griffith-McConnell Home for the Aged. Et j'ai été là 12 ans. J'étais jeune
à l'époque. On ne pensait même pas d'euthanasier, le mot n'était à peu près jamais
employé. C'est quand je fus plus vieux que je me suis souvenu très, très, très
bien, je pouvais mettre des noms, même, sur les personnes, j'ai entendu plusieurs
fois, plusieurs fois, peut-être
25 fois, des dames... il y avait, d'abord, quatre femmes pour un homme,
hommes comme femmes, 90 ans, 95 ans, n'avaient jamais eu besoin d'une
aspirine de leur vie, qui me disaient en anglais : Docteur, on vit trop longtemps,
on vit trop longtemps, tout ce que j'attends, c'est de partir. Elles finissent
toutes par partir, à 95 ans, c'est bien sûr.
Alors, à cette époque-là, c'est évident que je
n'étais pas prêt à le faire. Mais je pense que je ne suis pas encore prêt à le
faire parce que je ne me suis pas arrêté à ça. C'est sûr que c'est un peu plus
compliqué, mais je les comprends, ces gens-là. Disons que je... je n'irai pas
plus loin que ça, je peux dire que je les comprends, mais je ne suis pas encore
prêt à m'atteler.
M. Birnbaum : Très apprécié. Merci.
M. Boisvert (Marcel) : Mais ce qui
est très différent des pertes cognitives.
M. Birnbaum : Je comprends la
distinction.
M. Boisvert (Marcel) : C'est ça.
M. Birnbaum : Merci beaucoup. Merci,
Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Je céderais la parole à la députée de Maurice-Richard.
Mme Montpetit : Je vous remercie beaucoup,
Mme la Présidente. Bonjour, Dr Boisvert. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Je
trouve votre discours très nuancé,
très progressiste, très engagé aussi. Merci de le partager avec nous.
J'aurais... je sais qu'il ne me reste pas énormément
de temps, mais...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Trois minutes.
Mme Montpetit : ...deux questions. Merci,
Mme la Présidente. Est-ce qu'à votre avis... Bien, j'ai été beaucoup touchée
par votre discours, quand vous dites : Ça suffit, le paternalisme médical,
justement, que vous adoptez une posture où vous faites confiance à votre
patient. Je trouve ça très intéressant de vous entendre là-dessus. C'est sûr
que ça amène une perspective qui est très différente. Est-ce que, de votre
expérience médicale, il y a des démences...
Parce qu'encore là on a entendu deux discours assez différents sur la démence,
certains qui disent qu'il y a des démences où il n'y a pas de
souffrance, et d'autres médecins qui nous ont dit, par exemple, que la
souffrance, elle est là durant tout le parcours de l'alzheimer, elle prend
différentes formes, elle évolue, mais elle est toujours présente. J'aurais aimé
ça vous entendre sur cet élément-là.
M. Boisvert (Marcel) : Je ne suis
pas sûr que je comprends bien votre question.
Mme Montpetit : Si toutes les formes
de démence s'accompagnent de souffrances, s'accompagnent de douleurs, qu'elles
soient physiques, ou psychiques, ou psychologiques.
M. Boisvert (Marcel) : Je ne sais
pas si je suis bien qualifié pour répondre à ça. Je pense que non, il y a des gens... il y a des démences... il y a des gens
déments qui n'ont jamais été aptes à demander l'aide médicale à mourir.
C'est les cas auxquels j'ai fait allusion au
tout début, ce que j'ai appelé le principe de Kluge : ce n'est pas parce
qu'on ne peut pas demander quelque chose, si c'est légal, qu'on ne
devrait pas l'obtenir, si on n'est pas capable de le demander.
Je pense que quelqu'un qui est complètement
incompétent depuis la naissance peut quand même avoir des souffrances insupportables, que la médecine ne
parvient absolument pas... à tolérer. Alors, on a deux choix, théoriques
pour le moment : ou bien une sédation terminale qui va durer je ne sais
pas combien de temps ou bien l'aide médicale à mourir. Ces cas-là sont
extrêmement rares. Je ne me suis pas prononcé, j'ai dit qu'il faut les
regarder, j'ai dit qu'il faut commencer à y penser. C'est certain qu'ils sont
rares, mais il y a des gens qui sont inaptes depuis la naissance
et, pour toutes sortes de raisons, cancer, ou d'autres maladies, ou accident,
ou quoi que ce soit, qui peuvent se retrouver dans un état, lequel... s'ils
étaient compétents, ils demanderaient et ils obtiendraient l'aide médicale à
mourir. Alors, il faut y penser.
Et, encore là, ce n'est pas un médecin qui va
décider, c'est une équipe. Mais je pense que ce n'est pas impossible. Je ne
dirais pas absolument non à 100 %, je dirais qu'une équipe, dans des cas
très rares, peut s'entendre que, oui, c'est la chose à faire.
Mme Montpetit : Parfait. Je vous
remercie, Dr Boisvert. Merci beaucoup.
M. Boisvert (Marcel) : Je vous en
prie.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Boisvert, de votre participation aujourd'hui. C'est
tout le temps que nous avions.
Donc, la commission suspend ses travaux jusqu'à
mardi prochain. Donc, merci encore de votre présence, Dr Boisvert. Très,
très apprécié.
M. Boisvert (Marcel) : Bonjour.
(Fin de la séance à 17 h 30)