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Version finale

42nd Legislature, 1st Session
(November 27, 2018 au October 13, 2021)

Friday, May 21, 2021 - Vol. 45 N° 5

Special consultations and public hearings on the Evolution of the Act respecting end-of-life care


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Auditions (suite)

Mme Georgia Vrakas

Mme Carole Sénéchal et M. Serge Larivée

Mme Jacqueline Herremans

M. Marcel Boisvert

Autres intervenants

Mme Nancy Guillemette, présidente

M. Guy Ouellette

Mme Geneviève Hébert

Mme Marilyne Picard

Mme Marie Montpetit

M. David Birnbaum

M. Gabriel Nadeau-Dubois

Mme Véronique Hivon

M. François Jacques

Mme Suzanne Blais

Journal des débats

(Treize heures)

La Présidente (Mme Guillemette) : Alors, bon après-midi à tous. Merci de votre présence. Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie ouverte.

La commission est réunie aujourd'hui virtuellement afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Non, Mme la Présidente.

Auditions (suite)

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, bienvenue à la Pre Georgia Vrakas. Merci d'être avec nous cet après-midi, d'avoir accepté notre invitation. Vous aurez 20 minutes pour nous présenter votre exposé, et par la suite nous aurons un échange de 40 minutes avec les membres de la commission. Donc, sans plus tarder, je vous cède la parole.

Mme Georgia Vrakas

Mme Vrakas (Georgia) : Bonjour. Merci beaucoup, premièrement, de m'avoir invitée à témoigner dans le cadre de cette commission spéciale. Vous allez m'excuser, je suis un peu nerveuse, je n'ai jamais eu à témoigner devant une commission de ce genre, donc...

La Présidente (Mme Guillemette) : On va prendre le temps qu'il faut. Prenez votre temps. Il n'y a pas de... on n'a pas d'enjeu aujourd'hui. On est là pour écouter ce que vous avez à dire, et c'est important pour nous de vous entendre.

Mme Vrakas (Georgia) : Super. Merci beaucoup. Donc, je me présente, Georgia Vrakas, psychologue clinicienne. Je suis psychoéducatrice aussi et professeure agrégée au Département de psychoéducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières, au campus de Québec. Je suis aussi chercheuse en santé mentale, donc mes domaines d'expertise sont la santé mentale positive, c'est-à-dire le bien-être, la maladie mentale ainsi que la prévention du suicide. Je m'intéresse aussi à la santé mentale des autochtones.

Donc, comme j'ai dit tout à l'heure, je suis très contente d'être ici, car la question de l'aide médicale à mourir pour seul motif de la maladie mentale m'interpelle beaucoup. Ça m'interpelle beaucoup comme professionnelle en santé mentale, évidemment, mais aussi en tant que personne vivant avec une maladie mentale depuis l'âge de 23 ans à peu près. Je prends une gorgée d'eau.

(Interruption) Pardon. Je veux tout de suite me positionner. Donc, je suis contre l'inclusion de la maladie mentale comme seule condition médicale pour l'aide médicale à mourir. J'aimerais aussi prendre un moment pour vous expliquer mon propre vécu personnel avec la maladie mentale, donc mon... j'allais dire mon «séjour», mais ce n'est pas un séjour, c'est mon expérience, en fait.

Pendant plus de 20 ans, je pensais vivre avec un trouble dépressif. Donc, j'ai eu trois épisodes, au cours de ces 20 dernières années, qui ont engendré des congés de maladie plus ou moins longs, donc de quelques semaines à quelques mois, même. Donc, sur cette période-là, j'ai essayé divers médicaments, donc des antidépresseurs, des anxiolytiques, des antipsychotiques, et je prends encore tous ces médicaments-là. C'est que j'ai aussi un trouble obsessionnel compulsif depuis que j'ai huit ans environ. Donc, je suis, évidemment, encore suivie en psychothérapie.

Ce qui est arrivé, par contre, c'est qu'au mois de mars, donc, de cette année, j'ai eu ma plus récente rechute. Donc, j'étais, je vais vous dire bien franchement, j'étais très, très découragée, même désillusionnée, on va dire, parce que j'ai suivi... j'ai tout fait ce qu'il fallait faire. Je veux dire, j'ai fait... j'ai pris un traitement pharmacologique, j'avais une psychiatre, je suis allée à l'hôpital de jour, j'ai fait les ateliers d'autogestion de la dépression, de l'estime de soi, etc. Puis, même si je suis psychologue et même si je sais que le processus de rétablissement, bon, ce n'est pas... il n'est pas linéaire, hein?, c'était... ça m'a vraiment découragée beaucoup.

Donc, le problème, c'est que ce n'étaient pas les traitements, c'était que je n'avais pas le bon diagnostic. Donc, il y a à peine deux semaines, donc au début du mois de mai, là, de cette année, j'ai eu le bon diagnostic : j'ai un trouble bipolaire de type 2, qui est un trouble mental considéré comme grave et persistant. Donc, je vais devoir prendre des médicaments, que je viens de commencer il y a quelques jours, toute ma vie, fort probablement.

Donc, quand je vous dis que, les mois précédant le diagnostic, c'est-à-dire le mois de mars et le mois d'avril, ça a été vraiment très, très, très difficile pour moi parce que je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, j'avais... je ne comprenais pas, j'étais vraiment très mal. Mes médicaments semblaient empirer la situation. Et j'ai même pensé sérieusement au suicide, donc dans le sens que j'avais un plan que j'avais commencé à mettre à exécution, mais, mais, étant donné que, bon, ça fait 20... plus de 20 ans que je travaille sur la prévention du suicide, étant donné que je donne même un cours cette session sur l'intervention auprès de personnes suicidaires, donc j'ai... Évidemment, je suis, plus que... on va dire, que la moyenne, je suis plus sensible aux réalités et aux services existants en prévention du suicide, j'ai décidé de chercher de l'aide, en fait j'ai appelé le 1 866 appelle. Puis j'ai... Ce qui était difficile pour moi parce que je travaille dans ce milieu, donc je peux croiser comme... je peux parler à quelqu'un que je connais quand j'appelle, même chose quand je vais à l'hôpital, je peux croiser des gens que je connais. Donc, j'ai appelé, tu sais. Puis l'intervenante a été très, très aidante, puis ça m'a aidé à me raccrocher à la vie. En fait, c'est ça, je suis encore ici, comme vous voyez, je suis là devant vous.

Donc, pour moi, c'est pour ça qu'on a ce type de service, pour nous aider à traverser nos moments les plus laids, pour nous aider à se retrouver et à retrouver même... même si c'est un petit brin d'espoir dans la noirceur.

Donc, tu sais, moi, je ne voulais pas mourir, mais je voulais arrêter de souffrir. C'était ça, là. Et maintenant, avec le début d'un traitement prometteur, en tout cas, à suivre, là, j'ai quand même un grand espoir pour mon rétablissement. Même après 20 années et de hauts, et de bas, et de rechutes, non seulement je suis en vie, mais je compte le rester.

Pourquoi je vous raconte tout ça? Oui, c'est mon histoire personnelle, mais c'est celle de plusieurs autres personnes au Québec. Je suis loin d'être exceptionnelle : près de 20 % de la population du Québec, soit une personne sur cinq, souffrira d'une maladie mentale au cours de sa vie. Je ne suis pas unique là-dedans.

Je vous ai aussi parlé de suicide. Comme vous le savez, au Québec, bon, le suicide demeure toujours problématique. Je sais très bien que les chiffres vont en baissant, mais ils demeurent problématiques. Et, comme vous le savez probablement aussi, selon la littérature sur le sujet, 90 % des personnes qui décèdent par suicide avaient un trouble mental. 90 %, c'est énorme, c'est énorme. Ça nous dit quelque chose, là, qu'on ne peut pas ignorer, là.

Donc, la maladie mentale ainsi que le suicide sont des problèmes de santé publique qui nécessitent une réponse de santé publique.

(Interruption) Une petite gorgée. L'inclusion de la maladie mentale comme seul motif dans la Loi concernant les soins de fin de vie est une réponse, à mon avis, politique à un problème de santé publique. Cette loi individualise — je suis malade, je ne trouve pas d'emploi, je suis stigmatisé, je veux arrêter de souffrir — à un problème sociétal, celui où la maladie mentale est encore taboue, encore stigmatisée, où l'accès aux services en santé mentale est très difficile — on a juste à voir les listes d'attente, même au privé, actuellement — où la recherche en psychiatrie est sous-financée, où le financement des programmes de promotion ou de prévention en santé mentale continue à diminuer.

On sait pourtant ce qu'il faut pour renforcer la santé mentale populationnelle, on sait ce dont on a besoin pour aider les gens qui sont déjà malades à aller mieux. Le problème, c'est que nos gouvernements successifs ont fait des choix, ils ont décidé de ne pas investir dans ce qu'il nous faut pour améliorer la santé mentale en amont ni dans ce qu'il nous faut pour nous rétablir quand on est déjà malades.

Pourtant, l'ironie dans tout ça, c'est que le rétablissement est au coeur du plan d'action en santé mentale, et là on se retrouve à devoir débattre de l'inclusion des personnes atteintes de maladie mentale à l'AMM pour, supposément, nous aider à mieux mourir, quand on n'a même pas accès aux services minimaux pour nous aider à mieux vivre — vivre, je dis bien «vivre», pas «survivre» — vivre bien et dans la dignité. Dans ce contexte, en donnant le O.K. à l'AMM pour seul motif la maladie mentale, on nous donne un signal clair de désengagement face à la problématique de la santé et la maladie mentale.

• (13 h 10) •

Bon, on pourrait dire qu'il n'y a jamais vraiment eu un engagement envers la santé mentale au Québec, un engagement clair, mais actuellement on va... on pousse pas mal plus loin, on lance un message clair aux gens en disant... bien, des gens comme moi, qu'il n'y en a pas, d'espoir. Mais pourtant on investit dans la prévention du suicide. Pourtant, on sait que ce n'est pas la mort mais la fin de la souffrance que les gens, que les personnes cherchent lorsqu'elles pensent au suicide, lorsqu'elles tentent de se suicider, lorsqu'elles se suicident. On dit et on le redit je ne sais pas combien de fois : Le suicide n'est pas une option. C'est ce qu'on dit.

Donc, tu sais, moi, je... la question que je me pose, c'est : Comment réconcilier l'aide médicale à mourir avec cela en sachant que 90 % des personnes qui décèdent par suicide ont une maladie mentale? Comment différencier le désir de mourir par l'aide médicale à mourir du désir de se suicider? Même des experts en prévention du suicide, là... je veux dire, c'est mon domaine, là, je ne serais pas capable de le différencier, là.

On nous dit qu'on ne peut pas exclure la maladie mentale comme seul motif de l'AMM pour ne pas discriminer contre les personnes vivant avec une maladie mentale. Ce que je peux dire à ça, c'est vraiment : Je n'en reviens pas, premièrement, de cet argument, parce que c'est tout un argument, considérant que nous sommes discriminés et stigmatisés dans la vie, au quotidien : accès au logement, à un travail, à un revenu décent, aux assurances invalidité, aux assurances hypothèque. Moi, je ne suis pas assurable, au niveau de l'invalidité, pour mon hypothèque, là, ce n'est pas... c'est impossible, et ça va toujours rester de même parce que j'ai une maladie mentale.

Étrange, comment ces formes multiples de discrimination ne font pas l'objet de commission spéciale. Pour moi, l'argument de la discrimination face à la mort ne peut pas être considéré légitime lorsqu'il y a une discrimination face à la vie. Pour moi, c'est insultant. Quand j'ai vu cet argument-là, j'étais comme : Bon, O.K.

Bon. Si on parle de sauvegarde... (Interruption) Oups! Pardon, parce que j'avais mon «timer» allumé. Donc, si on parle de sauvegarde, je vais répéter d'abord, comme je vous ai dit, que je suis contre l'aide médicale à mourir pour seul motif de la maladie mentale parce que, dans le contexte actuel, pour moi, ça serait une solution facile, entre guillemets, pour régler un problème complexe, sans guillemets. On sait ce qu'il faut en réalité pour répondre à ce problème, des engagements politiques clairs, des investissements financiers importants.

Pour moi, il faut que les éléments suivants soient mis en place. Sur le plan populationnel, d'abord, si on regarde... je regarde sur trois plans, le premier, c'est le plan populationnel : augmentation de services en santé mentale et à l'accès de ceux-ci; investissement dans la recherche en psychiatrie pour les causes et les traitements des troubles mentaux; investissement dans les programmes de promotion en santé mentale pour renforcer nos facteurs de protection et qu'on travaille aussi sur les déterminants sociaux de la santé mentale et de prévention des facteurs de risque, incluant la prévention du suicide; ensuite, investir dans des programmes d'éducation à la santé, à la maladie mentale, lutte contre la discrimination et stigmatisation, pour la population en général, mais aussi pour les employeurs et les assureurs. Il faut qu'il y ait des conséquences réelles, là, tu sais, si on discrimine, bien... et que tout le monde sait qu'on discrimine, ça ne marche pas, il faut qu'il y ait des conséquences.

Ensuite, si... sur le plan individuel, donc, puisque, bon, tu sais, je dois proposer des sauvegardes, lorsqu'une personne demande l'aide médicale à mourir pour seul motif la maladie mentale, pour moi, pour être éligible — et, ça, c'est si... je le dis parce qu'on est là, à la commission, et pas parce que je suis pour — il faudrait une évaluation par un psychiatre et un psychologue, pour l'état psychologique de la personne, ainsi qu'une évaluation de son risque suicidaire, donc, si la personne cote risque suicidaire élevé ou risque suicidaire, il faudrait qu'elle ait accès aux services d'une intervention de crise suicidaire, deux évaluations, une au moment où qu'elle demande l'aide médicale à mourir et l'autre lorsque, bon, c'est le temps pour recevoir l'aide médicale à mourir; ensuite d'avoir essayé tous les traitements existants selon les recommandations du psychiatre, considérant, évidemment, le client aussi, le patient. La personne doit avoir essayé ces traitements médicamenteux et/ou psychologiques, dépendamment, et qu'elle trouve qu'aucun ne fonctionne à améliorer ses symptômes ni diminuer sa souffrance pour être éligible à l'aide médicale à mourir.

Et, sur le plan de l'acte en soi, donc c'est un acte médical, que l'AMM soit encadrée et rigoureusement réglementée, comme tout autre acte médical, par le Collège des médecins, où tout devrait être documenté rigoureusement et assujetti à une inspection. Donc là, on s'assure, là, que...

Finalement, j'aimerais terminer sur une note plus personnelle, si vous me le permettez. Je vais prendre une gorgée.

La Présidente (Mme Guillemette) : Allez-y.

Mme Vrakas (Georgia) : Donc, les 20 dernières années, donc c'est la moitié de ma vie, hein, j'ai 44 ans, donc, tu sais, n'ont pas été très faciles pour moi du côté santé mentale, de toute évidence. Bon, je suis quand même, tout de même... j'ai réussi à être prof, psychologue, et tout ce que je fais, là, mais les derniers mois ont été les plus difficiles, je vous dirais. Je commence à peine à aller mieux. Donc, on se dit : Il y a deux semaines, mais, il y a un mois, j'avais tellement mal que je voulais en mourir, ou plutôt arrêter de souffrir. Voyez-vous, je suis là devant vous, je suis encore en vie. Je sais que le chemin vers mon rétablissement sera parsemé d'embûches, mais j'apprends, tranquillement, petit pas par petit pas, à me reconstruire.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que le rétablissement ne signifie pas l'élimination de tous nos symptômes ni un retour à la vie prédiagnostic, c'est plutôt un processus de reconstruction de notre identité, une identité qui inclut la maladie mentale mais qui n'est pas limitée à celle-ci. On est plusieurs personnes comme moi, au Québec, à passer par ce chemin cahoteux, où mauvais diagnostic, mauvais traitement, tu sais, c'est... c'est ça. Mais, plutôt que de nous arrêter à mi-chemin de notre parcours, donnez-nous une chance, aidez-nous à avancer dans le processus de rétablissement et à vivre dans la dignité. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Pre Vrakas. Donc, je céderais la parole au député de Chomedey.

M. Ouellette : Bon. Le député de Chomedey. O.K. Mme Vrakas, merci d'être avec nous. Ça a super bien été. Je salue votre courage.

J'ai juste deux minutes, j'aurai juste une question à vous poser. Puis probablement que mes collègues vont vous parler du mauvais diagnostic, là, mais moi, je veux vous ramener il y a 18 mois. Vous avez pris la peine, publiquement, d'écrire, puis je vous ramène votre dernière phrase : Nous avons besoin d'outils pour mieux nous... pour nous aider à mieux vivre et à se rétablir plutôt que d'outils pour nous aider à mourir. Avec les 18 derniers mois qui viennent de se passer, le bon diagnostic puis cette période de mouvance qu'il y a, êtes-vous encore du même avis?

Mme Vrakas (Georgia) : Oui, à 100 %. Tu sais, même si je suis passée par des moments très difficiles, comme je ne voulais plus... je voulais juste sortir de mon corps, là, je n'étais plus capable, mais, oui, je suis toujours d'accord avec ces outils. Parce qu'on a, de toute évidence, encore besoin d'avoir les bons outils pour diagnostiquer, pour bien traiter, etc. Donc, mon avis n'a pas changé à ce niveau-là.

M. Ouellette : Là, je vais vous demander quelque chose de plus personnel. Je vous ai vue, vous référiez à des notes, puis, à la commission, ça nous aiderait énormément si ça... je vous dirais, si ça vous tenterait, là, de les envoyer au secrétariat de la commission, parce que vous avez des suggestions qui sont très importantes.

Et je vous ai dit que je vous parlerais du diagnostic, puis probablement que mon temps va être écoulé, puis ça va être un de mes collègues.

La Présidente (Mme Guillemette) : Allez-y. Allez-y.

M. Ouellette : Ça va être un de mes collègues, parce que, moi, là, ce qui m'a préoccupé dans votre présentation, c'est que vous vivez depuis plusieurs années avec un faux ou un mauvais diagnostic. Et là, bon, ça doit être très préoccupant quand on l'apprend. Et là remettez-vous en question le nouveau diagnostic que vous avez ou il y a-tu toujours un petit... un signe de prudence, là, qui vous dit : Oui, c'est-tu vraiment ça, ou ils se sont-tu trompés encore, ou... Comment on compose avec une situation semblable?

Mme Vrakas (Georgia) : Bien, en fait, c'est sûr que, quand j'ai... en fait, quand j'ai eu le... quand j'ai compris, en fait, c'était quoi qu'il m'arrivait, c'était avant d'avoir le diagnostic officiel. C'était, comme, ma soeur qui a comme remarqué que ça pourrait être autre chose que la dépression. Puis j'en ai parlé avec ma médecin de famille, avec ma psychologue, finalement, pour avoir un rendez-vous rapide avec ma psychiatre parce que... pas parce que je suis spéciale, mais parce que ma médecin de famille est vraiment extraordinaire puis elle réussit à me faire voir là au lieu d'être dans un mois.

Et je ne questionne pas ce diagnostic, parce que, finalement, les choses ont du sens. Comme, quand j'essaie de voir, je suis comme : Ah, mon Dieu! Mais oui, tu sais, c'est évident, là, je n'étais pas juste en dépression, puis normale, puis dépression, tu sais, dépression, «high», là. Donc, les choses, maintenant, ont du sens, c'est juste frustrant que ça ait pris 20 ans. Mais c'est ça, l'état de la psychiatrie, actuellement, tu sais, c'est ça, les outils diagnostiques qu'on a, c'est : on se base sur ce que la personne nous dit de ses symptômes.

M. Ouellette : Merci, Mme la Présidente.

• (13 h 20) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Donc, je céderais la parole maintenant à la députée de Saint-François.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Vrakas. Je vous remercie de votre témoignage. Vivre avec la maladie pendant 20 ans, puis d'avoir un nouveau diagnostic, ça nous montre à quel point que c'est complexe, la maladie mentale.

Et moi, j'aimerais vous entendre par rapport... on a eu un autre cas de quelqu'un qui est venu témoigner, qui vivait aussi avec la maladie mentale. Puis lui, il disait que l'aide médicale à mourir, c'était, pour lui, un espoir. C'est comme si, pour lui, de savoir que ça existait, sans nécessairement qu'il y aurait recours, ça le rassurait. Puis, pour vous, ce que j'entends dans votre message d'élargissement de la loi, c'est que ça va tuer l'espoir. Donc, on est vraiment à... Est-ce que j'ai bien compris ce que vous vouliez dire?

Mme Vrakas (Georgia) : Oui, oui, vous avez très bien compris. Et, pour moi, c'est comme... c'est drôle... bien, c'est «drôle», ce n'est pas drôle du tout, mais, en fait, comme la façon que vous dites qu'il l'a exprimé, tu sais, on peut l'entendre aussi des gens qui sont suicidaires ou que, tu sais, le suicide... ils ont connu des suicides dans leurs familles, ou chez leurs proches, ou bien... ou d'autres personnes, puis cette option est toujours là, tu sais, comme de... parce qu'ils l'ont vu arriver à des proches ou ils ont déjà fait une tentative, par exemple. Donc, il dit : Bien, cette option est toujours là, donc je me sens comme mieux. Mais, tu sais, ce n'est pas une bonne chose. C'est que la personne, elle ne va pas bien et elle a besoin d'aide pour ne pas se rendre jusque-là, tu sais.

Parce que c'est pour ça que je dis : C'est comment qu'on différencie le désir de mourir par la même... et le désir, je mets désir entre guillemets, de se suicider, tu sais, c'est d'arrêter la souffrance, en quelque part, tu sais? Il faut être cohérents aussi au Québec, si on est comme full prévention de suicide, le suicide n'est pas une option, mais, en même temps, bien, oui, mais... Tu sais, parce qu'il y a un autre numéro que vous pouvez appeler, tu sais. Donc, c'est ça, pour moi, ça donne... ça me rappelle vraiment le discours de gens qui ont l'idée du suicide comme une porte de sortie.

Mme Hébert : Parfait. Puis, dans l'option, parce que vous l'avez amenée, dans l'option qu'on le permettrait dans certaines conditions, vous avez dit que ça prenait deux évaluations, un psychiatre et un psychologue. Advenant qu'ils n'en arrivent pas au même consensus, s'il y a un désaccord?

Mme Vrakas (Georgia) : Bien, c'est parce qu'aussi il faut dire que, comme on disait, la psychiatrie, la psychologie, tu sais, c'est ça, on se base sur... bien, il y a le jugement clinique, évidemment, mais on se base sur ce que les gens nous disent et ce qu'on voit de la personne. Je dis : Psychologues aussi, et pas juste psychiatres, parce que les psychologues, on est quand même experts aussi de la souffrance humaine. Donc, tu sais, ce n'est pas une question... quand on parle de souffrance psychique, dans les critères, là, tu sais, ce n'est pas un diagnostic du DSM, là, tu sais, c'est une souffrance. Donc, tu sais... comme c'est pour ça que je dis que ça ne peut pas être une évaluation juste médicale de symptômes, mais plus poussée. Mais, ça pourrait arriver qu'il y ait des... tu sais, dans ce cas-là, il faudrait avoir : Bien, O.K., on fait, tu sais... Moi, je dirais d'avoir un troisième avis, tu sais, quand il y a deux personnes qui ne sont pas d'accord. Mais ça illustre la complexité de la chose, tu sais? Ce n'est pas une check-list, là.

Mme Hébert : Parfait. Puis, pour vous... parce qu'on le voit, dans votre situation, on parle de plus de 20 ans, vous êtes vous-même psychologue, alors on voit comment que ça peut être complexe. Parce que, justement, même vous, avec le premier diagnostic, ça vous convenait, puis finalement on s'est aperçu que ce n'était pas le bon diagnostic, et tout. Alors, dans cette option-là, pour vous, est-ce que c'est concevable de prévoir qu'il y aurait certaines maladies mentales qui pourraient être incurables et irréversibles ou, non, il y a toujours possibilité de traitement?

Mme Vrakas (Georgia) : Bien, en fait, il n'y a aucune recherche qui montre que c'est... qu'une maladie mentale x, y ou z, on peut prévoir son cours pour dire : Bien, comme c'est incurable... tu sais, ce n'est pas comme, genre, des maladies dégénératives où on sait où est-ce que ça s'en va. C'est ça que je disais tantôt, le rétablissement, c'est un processus, ce n'est pas en ligne droite, a, b. Il y a a, ça remonte, on descend, on retourne en arrière, on avance. Tu sais, c'est long et ce n'est pas facile. Je ne dis pas que c'est facile.

Et, juste pour revenir à ce que vous avez dit par rapport... mon premier diagnostic, bien, c'était après le décès de mon père, peu de temps après, bien... bon, en tout cas, ça a pris le temps de développer en dépression. Je n'étais pas... tu sais, j'étais jeune, moi, je n'étais pas contente du diagnostic, c'était plus... ou satisfaite, c'était plus comme : O.K., tu sais, là, je... les médicaments fonctionnent, et je n'ai plus envie de mourir, donc... tout le temps, tu sais? C'était comme ça que je me sentais, puis ça avait marché. Mais, c'est ça, c'est juste qu'à un moment donné ça ne marchait plus, puis on s'est comme rendu compte pourquoi ça ne marchait plus, mais avec le temps, tu sais?

Puis, c'est ça, la difficulté avec le trouble bipolaire, entre autres, au niveau de... du diagnostic, c'est très difficile à diagnostiquer. Il faut voir, sur une assez longue période de temps aussi, les hauts et les bas vécus par la personne. C'est ça, la complexité d'une maladie mentale.

Et donc de dire que quelque chose est incurable... Et dans quel sens, incurable, tu sais? Moi, je parle de rétablissement. Je ne parle pas de rémission, élimination des symptômes, je parle de rétablissement, de reconstruction de soi. Mais, pour ce faire, il faut que, tu sais, la société, tu sais... je parle de déstigmatiser, tu sais, il faut être capable de trouver un emploi, il faut avoir un revenu adéquat, tu sais? Ce n'est pas juste la personne : Bon, je vais me reconstruire.

Moi, je suis chanceuse, je suis très chanceuse. Je suis prof d'université, permanente, tu sais? Je veux dire, j'ai eu plusieurs congés de maladie puis j'ai un département très, très, très soutenant. Ils m'ont beaucoup aidée cette session, en passant, pour la finir, j'enseignais deux cours, donc j'ai dû prendre un congé en plein milieu. Donc, c'est ça, ce n'est pas une question d'on élimine les symptômes complètement, c'est une question de comment on vit avec ce qu'on a.

Mme Hébert : Merci, Mme Vrakas. Merci, Mme la Présidente. Je vais laisser la parole à mes collègues.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je passerais la parole à la députée de Soulanges.

Mme Picard : Bonjour. Merci beaucoup pour votre témoignage. Je seconde mes collègues, il est très enrichissant pour nous.

Je m'interroge sur le rôle des proches qui accompagnent des personnes qui ont une maladie mentale, comment ils pourraient... comment on pourrait plus les impliquer dans ce processus-là. Comment vous voyez les choses, surtout quand une personne a un trouble de santé mentale, mais qui a des idées suicidaires, en fait?

Mme Vrakas (Georgia) : Bien, c'est sûr que les proches ont un rôle important, mais ça dépend, tu sais, il y a des gens, bon, qu'ils ont des proches, mais les proches sont un facteur de risque, ils ne sont pas un facteur de protection. Tu sais, il y a des gens qui ne vont pas bien parce que, bon, ils sont entourés de... bien, tu sais, ça ne va pas bien dans la famille, donc, dans ce cas-là, ce n'est pas... on ne peut pas trop les impliquer.

Mais, dans le cas où il y a des proches qui veulent aider, tu sais, c'est de... oui, d'impliquer les proches, tout en gardant en tête de ne pas, tu sais... comme ne pas mettre un fardeau trop élevé, tu sais, comme, sur les proches aidants. Tu sais, quand on pense aux proches aidants, bien, c'est que, tu sais, s'ils ont quelqu'un de suicidaire, c'est quand même lourd, tu sais, à porter, là, tu sais? Donc, c'est pour ça, quand je parlais tout à l'heure de suicide, bien, ce que je pense, tu sais, le 1 866 appelle, il y a des services pour les proches, pour ceux qui veulent s'impliquer, pour avoir des informations, qu'est-ce que je fais pour aider mon proche, donc il y a déjà de quoi mis en place pour ça, pour les personnes suicidaires.

C'est sûr que, quand on parle plus des soins, et tout ça, bien, on y va de la confidentialité, c'est ça qui est plus «touchy». Il y a des gens qui ne veulent pas que leurs familles ne sachent rien. Mais c'est ça, la job du clinicien, d'être assez habile pour faire avancer la personne, pour lui faire comprendre que ça serait peut-être bien d'inclure son meilleur ami, ou sa blonde, ou... tu sais, dans le traitement. Donc, tu sais, les intervenants ou bien les cliniciens, les psychiatres, les psychologues, et tout ça, notre rôle, c'est... on n'est pas juste là à donner des médicaments ou à parler, là, tu sais, comme, on est là pour essayer de faire avancer la personne et de lui faire voir... de lui donner de l'espoir et de lui faire voir qu'il y a des gens autour qui sont là pour elle ou lui.

Mme Picard : Merci beaucoup.

• (13 h 30) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Merci d'être avec nous et de nous offrir généreusement votre témoignage. Vous nous dites, Pre Vrakas, que, pendant 20 ans, vous avez... vous êtes aux prises avec des problématiques de santé mentale et que vous aviez un plan, que vous... qui était pas mal attaché. Et soyez très à l'aise de me répondre : Si l'aide médicale à mourir avait été légale, avait été possible, disponible, est-ce que vous en auriez fait la demande à ce moment-là?

Mme Vrakas (Georgia) : Bien, voyez-vous, bien, c'est une excellente question parce que j'en avais comme brièvement parlé dans un texte, je ne me rappelle plus lequel, là, j'avais dit que je me comptais chanceuse que ça n'était pas possible parce que je ne sais pas, au moment où que... j'étais dans mon pire moment, en fait, est-ce que... tu sais, est-ce que j'aurais voulu cette aide-là, mais dans un moment où je me sentais très faible, et très malheureuse, et très... C'était le désespoir, là, c'était le vrai, le vrai désespoir, là, je voyais tout noir. Mais sauf que, oui, c'est sûr que c'est ça, le danger, pour moi, parce qu'en fait je m'en suis sortie.

La crise, elle ne dure pas des mois, là, tu sais, ça a duré quelques heures. Là, j'en ai parlé, moi, je suis chanceuse aussi, j'ai... une de mes soeurs est travailleuse sociale en psychiatrie, donc, tu sais, je peux l'appeler n'importe quand, à toute heure de la nuit, s'il faut. Puis, tu sais, c'est... c'est ça, c'est de... tu sais? Puis je m'en rappelle, j'étais comme... bien, il y a un mois où j'étais comme : O.K., je ne vais vraiment pas bien, vraiment pas bien, puis là je ne sais pas, puis je pleurais, puis je pleurais, puis... Puis là j'ai fait, O.K., j'appelle 1 866 APPELLE, là, tu sais, j'ai dit : «Fine», tu sais, «let's go». En fait, j'ai comme... je me suis dit : Bien, ils sont là pour ça.

Donc, tu sais, je me suis dit : Bon, tu sais, je vais leur demander de... Puis ça... Et, comme de fait, c'est temporaire, je veux dire, après ça, j'ai dit merci, je me suis couchée. Le matin, je ne me sentais pas «top shape», là, mais, tu sais, je me sentais comme, bon, O.K., là, tu sais? Là, je suis allée... cette fois-là, je suis allée par moi-même à l'urgence, là. Tu sais, j'avais l'air bien fonctionnelle, et tout, là, c'était juste pour dire que, tu sais, j'avais des idées suicidaires, puis j'étais inquiète, puis que je voulais voir quelqu'un, puis... puis c'est ça, donc...

Donc, c'est ça, c'est sûr que, pour moi, l'aide médicale à mourir pour seul motif la maladie mentale ou le suicide, tu sais, ça s'entrecoupe tellement que je dirais, pour moi, c'est la même chose, donc, tu sais? Et c'est une solution permanente à un problème temporaire, comme on dit tout le temps. Puis, tu sais, je veux dire, tu sais, moi, c'est mon histoire, mais, je veux dire, je ne suis pas la seule, tu sais, l'ambivalence, dans le suicide, l'ambivalence est là, là, tu sais, comme entre la vie et la mort, tu sais, jusqu'à la toute dernière seconde, tu sais. Je m'excuse, hein, je m'emporte un peu, mais...

La Présidente (Mme Guillemette) : Non, ça va, mais je me demande, vous... Bon, dans votre cas, la souffrance a été quand même, bon, plusieurs années, mais vous dites que vous avez eu quand même des très bons passages, des très bons moments pendant cette période-là. Mais quelqu'un qui serait toujours dans la souffrance, avec des périodes, des idées suicidaires récurrentes, à répétition, est-ce que votre point de vue changerait à ce moment-là? Non plus?

Mme Vrakas (Georgia) : Non plus, il ne changerait pas parce que, je veux dire, moi, je crois que, même si c'est à répétition... Moi, je peux parler pour moi, que, oui, ça a été à répétition. Tu sais, je veux dire, ça fait plus de 20 ans où que, tu sais, j'ai vécu des moments difficiles d'idéation, des idées noires, comme je vous dis, des idées suicidaires. Mais, tu sais, il y a toujours... tu sais, il y a toujours l'espoir. Et c'est parce que c'est là que... et on ne le dit pas assez, c'est là que le rôle des intervenants en prévention du suicide ou les intervenants en santé mentale, qu'ils soient dans le communautaire ou dans le réseau public, c'est... Il faut faire confiance en leur capacité de donner comme... d'aider la personne, même si c'est comme donner un petit peu, une... Tout ce qu'il faut, c'est de trouver une raison de vivre pour avancer un autre jour, et un autre jour, et un autre jour, petit pas par petit pas, tu sais? Je ne dis pas que c'est un... c'est magique, que le lendemain on se réveille... Comme je dis, je ne me suis pas réveillée le lendemain : yé!, la vie est belle, là. Ce n'était pas ça du tout, mais j'étais encore là, comme que... puis j'ai dit : Bon, bien, il faut... Tu sais, j'avais appelé, évidemment, ma soeur, mes amis, et tout ça, puis... bien, je suis là devant vous, devant la commission, tu sais?

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, on se considère très chanceux d'entendre votre témoignage ce matin. Puis tantôt vous disiez... bon, une question qui vous a été posée, s'il y a deux médecins qui ne sont pas d'accord, vous dites : Bien, on demandera à un troisième médecin. Est-ce qu'on ne devrait pas plutôt dire : Bien, s'il n'y a pas consensus, on ne va pas là?

Mme Vrakas (Georgia) : Bien, c'est une excellente proposition. En fait, s'il n'y a pas de consensus, pour moi... En fait, c'est vraiment une très bonne réflexion, parce que, s'il n'y a pas consensus, ça montre que ce n'est pas clair, il n'y a pas... tu sais, ce n'est pas limpide, ce n'est pas clair. Puis ça, on ne parle pas de, tu sais, administrer un antibiotique, là, tu sais, on parle de l'aide médicale à mourir, tu sais, il faut qu'il y ait quelque chose qui soit comme assez clair pour procéder plus loin. Donc, plutôt que de rajouter, moi, j'irais avec votre suggestion.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Il ne me reste plus beaucoup de temps, 1 min 30 s, mais je ne peux pas m'empêcher de vous demander : Quels mécanismes on pourrait mettre en place au cas où il y aurait une demande anticipée ou il y aurait... Quels mécanismes on pourrait mettre en place, outre le consensus des médecins, là? Est-ce qu'il y aurait un laps de temps, de dire : Bon, bien, pour les problèmes de santé mentale, la demande doit être faite, mais elle sera exécutoire trois mois, six mois après? Avoir un processus.

Mme Vrakas (Georgia) : Bien, ça, c'est difficile à répondre parce que comment déterminer d'un temps x quand, tu sais, on ne sait pas trop comment évolue la maladie, tu sais? Tu sais... puis avec un cancer, par exemple, si on sait que... bon, disons, on nous dit : Bien, tu as cinq mois pour vivre, à peu près, plus ou moins, puis je sais qu'ils ne sont pas toujours... tu sais, ce n'est pas toujours 100 % comme ça, mais, tu sais, ça nous donne de meilleures balises.

Ici, c'est plus difficile. Et en plus, c'est pour ça que je parlais tantôt des listes d'attente pour avoir des services, dans certains cas, tu sais, c'est, quoi, six à 24 mois pour avoir des services. Mais, si on a trois mois pour passer à l'aide médicale à mourir... La façon que la loi est écrite en ce moment, là, n'importe qui... j'aurais une dépression puis je pourrais avoir... une dépression... première dépression, je suis triste, j'appelle pour voir une psychologue dans 18 mois, mais je pourrais avoir l'accès à l'aide médicale à mourir dans 90 jours, tu sais, c'est un petit peu illogique.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci encore de votre générosité aujourd'hui. Et je passerais la parole à ma collègue de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Merci, Mme la députée. Bonjour, Mme Vrakas. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Merci de nous livrer un témoignage aussi, je vous dirais, franc, vrai, tellement authentique, tellement puissant aussi, tellement clair. C'est ça, on entend... vous savez, on entend des opinions très diversifiées depuis le début de nos commissions, mais, je pense, c'est justement ce qui alimente vivement nos réflexions, parce que tous les points de vue qui nous sont apportés, que ce soient des experts qui le font de... qui accompagnent ou des gens qui l'ont vécu, comme vous, ça nous amène à requestionner beaucoup de choses aussi, puis ça nous fait vraiment évoluer là-dessus. Donc, je vous remercie de le faire avec autant de générosité, c'est très apprécié.

Je voulais... d'entrée de jeu, je voulais revenir... puis ma collègue vous a posé une question tout à l'heure, puis vous cherchiez l'endroit, justement, où vous en aviez parlé, de... si ça avait été accessible, est-ce que vous auriez demandé l'aide médicale à mourir, puis c'était justement... je voulais... Moi, ça m'avait beaucoup touchée quand j'avais lu cette lettre-là que vous aviez publiée, c'était une lettre ouverte que vous aviez publiée au début de l'année 2020. Puis vous aviez dit, je vous cite, là, parce que je trouvais ça très, très puissant, vous aviez fini sur cette phrase-là, justement, dans votre lettre, en disant : «La prochaine fois que je suis aux prises avec un épisode dépressif, j'espère que ce choix ne me sera pas présenté.» Donc, c'était quand même assez fort aussi comme affirmation, puis je pense qu'on peut bien le comprendre aussi.

En même temps, je me demandais si... Parce qu'il y a des psychiatres, il y a différents experts qui sont venus, justement, dans les derniers jours puis qui nous ont mis en garde de situations, justement, où quelqu'un peut être dans un épisode de crise, peut être dans un épisode dépressif, peut avoir très mal, peut avoir une souffrance qui est très, très douloureuse et qui peut venir... je ne sais pas si «biaiser» son jugement est le bon terme, mais peut venir justement remettre en question des choses qu'il ne remettrait pas dans une situation où la personne est plus stable. Puis, justement, on nous disait : C'est pour ça qu'il faut absolument éviter... il faut mettre des barrières en place, si d'aventure on devait aller de l'avant, pour éviter des décisions impulsives, pour s'assurer, justement, que quelqu'un qui est dans un creux ou dans une crise ne prenne une décision rapidement, donc, nous disait, bon, justement : Il faut que ce soit fait sur une certaine période de temps pour pouvoir venir valider et revalider l'intention de la personne, et idéalement le faire, justement, dans une situation où elle est dans un état stable. Est-ce que ça, ça ne vous apparaît pas, justement, des barrières de sécurité qui peuvent... qui pourraient être mises en place puis éviter ce à quoi vous nous sensibilisez, justement?

• (13 h 40) •

Mme Vrakas (Georgia) : Bien, honnêtement... Bien, O.K., je sais que je vais réitérer le fait que je suis contre l'aide médicale à mourir pour la maladie mentale seulement, mais cette question est intéressante parce qu'en fait il faudrait au moins que ce psychiatre-là ou ces psychiatres-là me disent et viennent me montrer comment ils sont capables de différencier la souffrance psychique ou... parce que ce terme-là... en tout cas, souffrance psychique, psychologique, peu importe, en quoi elle est différente chez quelqu'un qui est suicidaire? On peut être suicidaire sans être en crise. Tu sais, je n'ai pas besoin d'être en crise, là, pour être suicidaire. Tu sais, moi, je connais des gens dans le Grand Nord, où les taux de suicide sont faramineux, qui pensent au suicide tout le temps, mais ils sont fonctionnels puis, tu sais, ils font ce qu'ils ont à faire, mais, tu sais, l'idée du suicide est toujours là. Donc, comment différencier, comment évaluer de façon rigoureuse, de façon valide la souffrance psychique de la personne qui n'est pas en crise et qui dit : Bien, moi, je veux l'aide médicale à mourir parce que, bon, je vis avec un trouble bipolaire depuis 20 ans puis je ne veux plus vivre de même, ou quelqu'un qui est en souffrance et qui dit que, «bien, je vais me pendre dans mon garde-robe», tu sais, je veux dire, tu sais, j'y pense depuis des mois? Tu sais, ce n'est pas... le suicide, ce n'est pas nécessairement aussi... il ne faut pas oublier que le suicide n'est pas nécessairement un geste impulsif, tu sais, ça peut l'être, la personne peut, tu sais, avoir pris un coup puis dire : O.K., là, là, je vais le faire, mais ça fait un bout que ça trame... ça se trame, puis c'est...

Moi, il faudrait que ces psychiatres-là soient capables de m'expliquer comment qu'ils font pour différencier les deux, surtout étant donné que, bon, tu sais, pour certains troubles, avoir des idéations suicidaires, c'est des symptômes. Même quelqu'un qui a une schizophrénie peut aussi avoir une dépression en même temps, tu sais. Donc, c'est tellement complexe comme problématique que d'arriver avec des propositions comme ça, pour moi, ce n'est pas des barrières, ce n'est pas des sauvegardes, parce qu'ils ne seraient pas capables de m'expliquer la différence, à mon avis, là. On pourrait en parler, là, avec un psychiatre, je pourrais en parler, mais c'est trop... Comme je dis, les gens... je pourrais être suicidaire, puis ce n'est pas écrit sur mon front, là, tu sais, je continue à travailler, je fais mes trucs, mais, tu sais, il y a un plan qui se trame, tu sais? Donc, c'est juste ça, pour moi, que la complexité est telle que... c'est tellement complexe que d'avoir... des sauvegardes de ce genre ne sont pas suffisantes.

Mme Montpetit : O.K. Merci. C'est très... Puis je le redis, mais je vous remercie encore, parce qu'autant vous êtes très, très claire, justement, dans la posture que vous avez prise, en nous disant... vous êtes contre un élargissement, vous êtes contre quand c'est un cas seulement de santé mentale, autant je trouve que vous êtes arrivée avec des propositions aussi qui sont intéressantes, tu sais? Donc, je trouve que c'est très... en tout cas, c'est tout à votre honneur d'arriver avec cette approche-là.

Justement, dans les recommandations, vous visiez... puis vous disiez : Il faudrait que l'évaluation soit faite... Dans la présentation que vous avez faite au départ, vous aviez dit : Il faudrait que l'évaluation soit faite par un psychiatre et un psychologue. J'étais curieuse de savoir pour quelle raison vous recommandiez, justement, les deux types de professionnels, de votre point de vue.

Mme Vrakas (Georgia) : Bien, parce que les deux, c'est des experts en santé mentale, sauf que le psychiatre est plus axé sur, évidemment, bien, tu sais, la médication, comment... et les symptômes, la symptomatologie, tandis que le psychologue... bien, comme moi, moi, je travaille en santé mentale spécifiquement, tu sais, dépression, anxiété, bipolarité, et tout ça. Et, je veux dire, tout ce qui touche le suicide, tu sais, cette souffrance-là, tu sais, je sais comment l'évaluer. Tu sais, je ne dis pas que je serais capable d'évaluer la différence entre les deux types, comme j'ai dit, pour moi, ils sont pareils, là. Mais moi, je pense qu'il ne faudrait pas que ça soit juste, O.K., comme, O.K., c'est un acte médical, il faudrait aller chercher l'expertise de plus qu'un type de spécialiste pour... c'est trop important, trop... c'est comme je dis, ce n'est pas administrer un antibiotique, là, tu sais?

Mme Montpetit : Parfait. Ça amène différentes perspectives professionnelles aussi, puis posture, paradigme, et tout, là. Bien, je vous remercie beaucoup, j'ai mon collègue de D'Arcy-McGee aussi qui souhaitait échanger avec vous. Merci énormément.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. M. le député, la parole est à vous.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente. Merci, Pre Vrakas, pour le courage ainsi que la lucidité de vos propos et des mises en garde, qu'on est mieux de retenir avec grande attention. Je me permets de poursuivre le genre de scénario qu'a proposé ma collègue. Dans un premier temps, une des balises profondément importantes que je retiens de votre discussion, avec le plus grand respect, c'est que, dans aucune circonstance, quelqu'un qui aurait vécu ce que vous aurez vécu devrait être, selon les critères éventuels, éligible à l'AMM. Je comprends, c'est épisodique, tellement sérieux et difficile, par contre, l'horizon... et la possibilité d'être mieux, dans sa vie, après, est toujours là. Alors, je prends comme mise en garde qu'il faut que quelque balise que ce soit fasse en sorte que quelqu'un qui aurait vécu ce que vous avez vécu ne serait pas éligible.

Par contre, je veux poursuivre, si je peux, le scénario de ma collègue : si on parlait de quelqu'un atteint d'un grave, grave cas de schizophrénie, qui n'a jamais réussi, dans sa vie, de faire un lien important avec une autre personne, qui a peut-être même menacé ou se sentait menacé toute sa vie par sa propre famille, qui ne sort pas de son appartement depuis 20 ans, qui a de la difficulté à se faire à manger, qui s'est soumis, par contre, à toutes sortes de traitements et qui est jugé apte par son psychiatre qui l'accompagne, par un psychologue qui l'aurait accompagné, qui, tous les deux, ne sont pas en mesure de prévoir, avec toute leur expertise, qu'il va s'améliorer, que sa souffrance va se pallier. Je vous soumets que des cas de cet ordre existent.

Pourquoi... deux choses, pourquoi, pour cette personne-là, son autonomie est moins difficile à respecter et à comprendre dans une telle situation? Et, deuxièmement, comment le fardeau, dans ce cas-là sur les médecins, professionnels, psychiatres ou autres professionnels en santé mentale, le fardeau d'accompagner un tel individu est moins grand que dans un cas de grande souffrance établie, physique?

Mme Vrakas (Georgia) : O.K., donc, si je comprends bien, on regarde d'abord le cas d'une personne atteinte de schizophrénie, très, très, très malade mais apte, selon son médecin. Et là vous parlez... fardeau sur les professionnels qui l'aident?

M. Birnbaum : Mais j'ai deux questions. J'aimerais comprendre si vous êtes contre la possibilité que cette personne ait recours au AMM. Et aussi, si le fardeau n'est pas... c'est très difficile, mais le fardeau sur les médecins accompagnants, en quoi c'est différent que sur l'oncologue qui suit un patient devant une maladie très grave de cancer?

Mme Vrakas (Georgia) : O.K. Bien, pour la première partie de la question, bien, ça tombe bien parce que j'ai fait ma thèse de doctorat sur le suicide chez les personnes atteintes de schizophrénie. Donc, ce que je peux dire, c'est que, donc, c'étaient des suicides, en fait, mes participants, en fait, c'étaient des personnes décédées par suicide, puis on faisait les entrevues avec les proches. Donc, ce qui semble ressortir... tu sais, je fais un lien avec ça pour répondre à votre question, ce qui semblait ressortir vraiment comme qu'est-ce qui était fortement associé au suicide était le fait qu'ils n'acceptaient pas leur maladie. C'est souvent dans les 10 premières années suivant le diagnostic, parce que c'est dur de... tu sais, «my God», j'ai une schizophrénie, puis ma vie va avoir changé. Puis donc on n'accepte pas, on ne prend pas nos médicaments, etc., donc, tu sais, c'est une boule... c'est un cercle vicieux, en fait.

Donc, pour moi, une personne qui a... C'est sûr que la schizophrénie, c'est un trouble mental très, très grave et persistant, et je comprends la souffrance que vit la personne. Et on ne peut pas savoir, justement... mais vous l'avez dit, on ne peut pas savoir si ça va s'améliorer ou s'empirer. Ça peut être... tu sais, le pronostic peut être bon s'il est dépisté, diagnostiqué plus jeune, tu sais, puis c'est ça, là où il faut du dépistage, et, tu sais, l'argent, il faut qu'il soit investi dans... Tu sais, l'adulte qui se retrouve là en train de souffrir puis en train de dire : Je veux mourir, il ne sort pas de nulle part, là, il y a tout un cheminement qui mène où est-ce qu'il s'est rendu. Donc, plus tôt on est diagnostiqué, plus tôt on est traité, meilleur est le pronostic. C'est ça, donc, ça dépend... bien, c'est ça, il faut qu'on soit traité. Donc, pour moi, c'est... la question est vraiment, comme : on ne peut pas savoir à 100 % où est-ce que la personne va se rendre, et elle va peut-être... tu sais, il va y avoir des hauts et des bas. Je ne dis pas que la personne va être 100 % de santé mentale optimale, là, ce n'est pas ça que je dis. Donc, pour moi, ça serait aussi non, comme pour l'aide médicale à mourir.

Mais pour répondre... pour votre question...

• (13 h 50) •

La Présidente (Mme Guillemette) : On n'a malheureusement plus de temps pour notre intervenant. Donc, je céderais la parole au député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Vrakas. Merci beaucoup de votre témoignage aujourd'hui. Vous avez dit une phrase qui est commune dans le domaine de la prévention du suicide, vous avez dit : La mort, dans le fond, c'est une solution permanente à un problème temporaire.

Mme Vrakas (Georgia) : Oui.

M. Nadeau-Dubois : ...débat entre les psychologues qui sont venus devant la commission. Certains nous disent que les problèmes de santé mentale ne sont jamais permanents et qu'il y a toujours espoir de rétablissement. D'autres psychiatres sont venus nous dire : Non, il y a certains cas exceptionnels, mais qui existent, desquels on peut vraiment dire que c'est permanent et qu'il n'y a pas d'espoir de rémission, et c'est dans ces cas-là et seulement ces cas-là qu'on devrait permettre l'aide médicale à mourir.

Comment vous vous situez, vous, dans ce débat-là? Est-ce que, selon vous, c'est possible, des maladies mentales absolument incurables, ou est-ce qu'il y a nécessairement toujours espoir de rémission? C'est ma première question, puis je vais en avoir une deuxième après.

Mme Vrakas (Georgia) : O.K. Bien, pour réponde à cette question, comme j'ai dit tout à l'heure, c'est ça, on parle de deux choses différentes, peut-être les psychiatres et les psychologues... On parle... moi, je parle de rétablissement et non de rémission. C'est sûr qu'il y a des troubles mentaux très graves. Et, comme le trouble que j'ai, là, tu sais, je veux dire, là, je suis au début de mon traitement. Dans deux semaines, je ne sais pas comment je vais être, tu sais, comme je viens de commencer. C'est un trouble mental grave et persistant aussi. Donc, c'est que, si le focus c'est sur je veux réduire mes symptômes pour qu'il n'y en ait plus, bien là, c'est sûr qu'en psychiatrie on n'est pas rendu là, là, tu sais. Là, le focus doit être sur le rétablissement, tel qu'il est dans le plan d'action en santé mentale du Québec, où on travaille à se reconstruire et avec l'aide de notre équipe traitante, O.K., se reconstruire, se refaire notre identité et avoir une vie comme... bon, on va dire «digne», là, mais dans le sens... Tu sais, ça, ça ne se fait pas tout seul, ce n'est pas... c'est pour ça, je dis, ce n'est pas un problème individuel. Puis ça, je l'ai dit tout à l'heure...

M. Nadeau-Dubois : Juste pour qu'on se comprenne bien : Est-ce que, selon vous, ce processus de rétablissement là, il est toujours possible dans tous les...

Mme Vrakas (Georgia) : Oui, il est toujours possible, il est toujours possible. C'est sûr que, si le psychiatre, comme, pense que ce n'est pas possible puis que l'équipe pense que ce n'est pas possible, bien, le message qu'on envoie à la personne, c'est que ce n'est pas possible. Tu sais, c'est ça.

M. Nadeau-Dubois : Ma deuxième question... Je suis désolé, j'ai peu de temps, je suis obligé de vous bousculer un petit peu. Ma deuxième question, vous nous avez dit puis vous avez écrit également dans votre lettre ouverte : On ne peut pas ouvrir la porte à la mort médicalement assistée pour les gens qui ont des problèmes de santé mentale si on n'a pas d'abord tout fait pour s'assurer qu'ils puissent vivre dans la dignité.

Des gens qui sont venus devant la commission nous ont mis en garde contre cet argument-là en disant : C'est un peu un faux dilemme, on pourrait et on devrait faire les deux en même temps, c'est-à-dire ouvrir la porte à l'aide médicale à mourir pour ne pas discriminer les gens qui ont des problèmes de santé mentale et, en même temps, en parallèle, construire ce qu'il y a à construire sur le plan des soins en santé mentale, donner les services qui ne sont pas encore disponibles.

Qu'est-ce que vous répondez, vous, là, à cet argument-là?

Mme Vrakas (Georgia) : Je répondrais, genre : Grrr! Je répondrais, là... c'est, comme, non, non, non. Non. C'est parce qu'en même temps, attends, comment ça que, là, on se réveille pour dire : O.K., bien là, il faudrait mettre en place les programmes qu'il faut pour aider ces gens, et diminuer la discrimination face à eux dans la vie de tous les jours, et leur donner accès à des soins et des services? C'est comme... ça fait tellement longtemps qu'on le sait, là, que ce problème existe. C'est comme on se réveille, là, tout à coup : Ah! bien non, mais il ne faut pas discriminer devant la mort, donc, bien, on va dire qu'en même temps on va faire des choses pour aider leur vie, là, tu sais, c'est... Pour moi, c'est vraiment un argument... Je m'excuse, mais je m'emporte, là, parce que, quand on parle de discrimination, ça vient me chercher, parce que c'est comme j'ai envie de dire aux gens : Vous ne vous en faites jamais pour la discrimination dans la vraie vie, comme, de ces personnes qui sont discriminées, qui n'ont pas accès aux bases, à un revenu, une job, etc., mais là, tout à coup, c'est comme il faudrait qu'on ne discrimine pas devant la mort.

Puis, surtout, comme, pour moi, ce n'est pas une question de discrimination, c'est vraiment une question de, genre... avec la maladie mentale, c'est tellement complexe, avec la souffrance psychologique, c'est tellement complexe que ça ne devrait pas être inclus dans l'aide médicale à mourir pour seul motif la maladie mentale. Je ne parle pas de, tu sais, s'il y a d'autres trucs, là, mais je parle de seul motif la maladie mentale. Désolée, je me suis emportée.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. C'est tout le temps que nous avions, M. le député. Je cède la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour, Mme Vrakas. Merci beaucoup de votre témoignage. Moi aussi, j'ai peu de temps. Et, en passant, je vous dis juste que ce serait très intéressant un jour que vous plaidiez devant des juges ce qu'est la discrimination, parce que, si on est devant vous aujourd'hui, c'est parce que le critère de fin de vie a sauté, et c'est ce qui fait qu'on ouvre à la possibilité des troubles mentaux, donc ce serait intéressant d'entendre votre plaidoirie. Bref, fin de ma parenthèse.

Je veux poursuivre un petit peu dans la même veine que mes précédents collègues. Les psychiatres qui sont venus, notamment l'association des psychiatres du Québec, ils sont venus nous dire que ce serait très, très exceptionnel, que ce serait vraiment dans des cas de chronicité, de situations absolument sans issue et pas dans des épisodes de crise parce que, justement, ça les disqualifierait, parce que, quand on regarde les critères, il ne pourrait pas y avoir une rencontre de tous les critères, à ce moment-là. Et il y a des cas, là, c'est ça, mon collègue de D'Arcy-McGee en a dit un, on vous a parlé d'une autre personne qui, pendant 30 ans, a un trouble obsessif compulsif ingérable, et a eu des idées suicidaires, a passé à travers ça, et donc est dans un état beaucoup plus calme, mais qu'il en discute avec sa famille, de cette option-là, parce qu'il estime que sa vie n'a juste pas de sens, compte tenu de l'ampleur de ça.

Et, en fait, moi, ce sur quoi je veux vous amener, c'est qu'on a eu le même débat quand on a fait l'aide médicale à mourir en lien avec les soins palliatifs. Donc, il y en a qui nous disaient : Il faut avoir des soins palliatifs parfaits avant de pouvoir penser à ça. Puis là, finalement, la réalité, c'est qu'on nous dit : 80 % des gens qui ont l'aide médicale à mourir avaient des soins palliatifs, mais il y a des limites, et on est dans un autre cas, là, physique, fin de vie, pas la même chose, mais il y a des limites à toute science. Et donc c'est là-dessus que je veux vous entendre.

Est-ce que, selon vous, la psychiatrie ou la psychologie n'a pas de limite, et donc ce serait la science qui nous permettrait de toujours pouvoir quelque chose, contrairement à d'autres sciences où il y a toujours des limites?

Mme Vrakas (Georgia) : Qu'est-ce que vous voulez dire que... Ah! tu veux dire... je m'excuse, vous voulez dire...

Mme Hivon : Bien, des limites dans le sens qu'il y a des gens qu'on n'arrive pas à soulager, autant physiques, en fin de vie, ou on va les soulager, mais avec des conséquences tellement intolérables, avec des effets secondaires qui sont pour eux intolérables. Donc, c'est un peu ça que je veux entendre. Parce que l'argument qu'on nous amène pour l'ouverture, c'est celui de la non-discrimination, puis j'ai bien entendu votre point, mais c'est aussi de dire : En maladie mentale, comme en maladie physique, il y a des limites et il y a des cas qu'on n'arrive pas à soulager.

• (14 heures) •

Mme Vrakas (Georgia) : C'est sûr qu'il y a des limites, on est limités, mais, contrairement aux maladies physiques, où la recherche est beaucoup, beaucoup plus avancée, comme pour, par exemple, un cancer, on fait des biopsies, on voit exactement : Ah! O.K., bon, il y a un cancer là-bas, on ne peut pas faire la même chose pour ce qui touche la maladie mentale, il n'y a pas de test sanguin magique, il n'y a pas de... peu importe. Les limites sont plus importantes, je trouve. Donc, c'est beaucoup comme je dis : Par rapport avec la médication, on est des cobayes. Moi, j'ai commencé un traitement. Je ne sais pas si ça va... tu sais, peut-être dans un mois, bien, ce n'est pas le traitement que je vais continuer, parce qu'il nous manque tellement d'information.

Et on peut dire : Bien oui, mais on ne peut pas attendre d'avoir toute la... la recherche, qu'elle avance, pour, tu sais, penser à l'aide médicale à mourir. Mais, pour moi, c'est comme, bien, pourquoi pas? Je veux dire, pourquoi pas? Pourquoi on n'attend pas de... Parce qu'on est tellement en retard, pas juste au niveau de la recherche, au niveau des services, des soins, l'accès aux... Tu sais, on sait que c'est le parent pauvre du réseau de la santé. Donc, pourquoi on ne pourrait pas attendre à ce qu'on ait quand même des services? Et je ne parle pas palliatifs, évidemment, mais je parle des services pour aider les gens suffisamment, comme, adéquats, je ne parle même pas magnifiques, je parle adéquats, là, minimums.

Mme Hivon : En fait, c'est parce que vous... me permettre d'intervenir, c'est parce que vous, vous estimez que c'est sûr qu'à toute souffrance psychiatrique il y aurait nécessairement moyen de trouver une solution. Et, moi, c'est ça, au-delà du débat de société, c'est ça que je trouve difficile à admettre, puisqu'en santé physique on le sait, qu'il y a des limites, on le sait, qu'il y a des gens qu'on n'arrive pas à soulager, je dirais, dans des conséquences acceptables, là.

Mme Vrakas (Georgia) : Oui, je suis d'accord avec vous, dans le cas que... oui, oui, oui, il y a des maladies où que, tu sais, la personne peut être... avoir une schizophrénie très lourde, très difficile, les symptômes... on prend des médicaments, là, il y a des symptômes qui restent, ça, je le sais, mais, encore une fois, tu sais, on focusse sur les symptômes. Tu sais, c'est pour ça que je parle toujours de rétablissement plutôt que de rémission ou de — c'est quoi, le mot — faire disparaître, tu sais, là, la maladie, là. Tu sais, c'est vraiment qu'est-ce qu'on fait avec. O.K., la médication fonctionne plus ou moins, «fine». On fait quoi maintenant? C'est ça, le but. L'équipe clinique, c'est ça, son travail, dire on fait quoi maintenant pour aider cette personne à trouver, même, une raison pour avancer. Puis on va la soutenir là-dedans. Donc, c'est ça que je veux dire, que c'est possible. Je ne dis pas que la schizophrénie... Wo! Tu sais, comme, je ne suis pas... il n'y a pas de pilule magique, malheureusement.

Mme Hivon : Vous voulez dire qu'on peut diminuer la souffrance.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

Mme Hivon : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme la députée. Merci beaucoup, Pre Vrakas, de votre témoignage aujourd'hui. Et nous vous remercions tous pour votre contribution à la commission.

Nous suspendons les travaux quelques instants pour accueillir nos nouveaux invités.

(Suspension de la séance à 14 h 03)

(Reprise à 14 h 10)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour. Bienvenue, Pre Carole Sénéchal et Pr Serge Larivée. Merci d'avoir accepté notre invitation aujourd'hui et de nous partager votre expertise. Donc, vous avez 20 minutes pour nous présenter votre exposé. Il y aura un échange de 40 minutes avec les membres de la commission. Donc, sans plus tarder, je vous cède la parole.

Mme Carole Sénéchal et M. Serge Larivée

Mme  Sénéchal (Carole) : Bien, bonjour. Mon nom est Carole Sénéchal. Je suis psychologue. Je suis professeure associée au Département de psychologie de l'Université de Montréal et professeur titulaire à l'Université d'Ottawa. Je vous présente mon collègue, monsieur... le Pr Serge Larivée.

M.  Larivée (Serge) : Bonjour. Donc, je suis professeur titulaire à l'École de psychoéducation. Outre ma spécialité première en intelligence humaine, c'est moi qui donne les cours sur l'éthique de l'intervention à la maîtrise et l'éthique de la recherche au doctorat. Donc, je m'amuse beaucoup.

Mme Sénéchal (Carole) : Bon, excellent. Alors, ce pour quoi nous nous intéressons à l'aide médicale à mourir, c'est que nous avons rédigé des articles, deux articles au moins, sur le thème. Et aujourd'hui, donc, pour le temps que nous avons, je vais prendre quelques minutes pour soulever des points qui me semblent très importants, et je laisserai la parole par la suite au Pr Larivée, qui va compléter dans la deuxième partie. Puisque nous n'avons que 20 minutes et que, quand on est professeur, on a l'habitude de parler longtemps, longtemps, et de répéter souvent la même chose, alors on va essayer de faire ça d'une façon succincte.

Alors, un des points... une des questions, en fait, qu'on s'est posées quand on a écrit les articles sur l'aide médicale à mourir, on s'est d'abord intéressés davantage : Devrait-on accepter les demandes d'une aide médicale à mourir quand les troubles mentaux constituent la condition médicale invoquée? Alors, ça a vraiment été une réflexion qui nous a amenés à consulter les banques de données. Et puis il y a eu des auteurs qui se sont penchés là-dessus puis qui ont fait des méta-analyses ou, en fait, des recherches importantes. Entre autres, Arsenault-Lapierre, et al., en 2017 déjà, avaient écrit que 87 % des personnes qui se sont suicidées avaient reçu un diagnostic de trouble mental, dont 43 % avaient un trouble affectif.

Donc, ça, ça nous a amenés, vraiment, à une réflexion assez importante, et puis là on a vraiment argumenté, en lisant, puis on s'est dit : Bien, écoute, un des arguments qui étaient centraux contre l'aide médicale à mourir... Parce qu'on se demandait pourquoi, donc, l'aide médicale à mourir était réservée, n'était pas possible pour les personnes ayant une maladie mentale. Donc, on a regardé les arguments des personnes qui étaient contre l'aide à mourir et puis on s'est dit : Le trouble mental, finalement, rend-elle la personne... ou le trouble mental rend-il la personne inapte à prendre une telle décision?

Puis là ça nous a amenés à regarder le côté éthique, finalement. Puis on s'est dit qu'aider les personnes qui pensent au suicide est certes une obligation éthique pour respecter les libertés individuelles, et laisser les personnes responsables de la façon dont elles choisissent, finalement, de mener à terme leur vie nous apparaît également une obligation éthique. Alors, c'est d'accompagner, oui, certes, ces personnes qui ont un problème de santé mentale, mais, lorsque la situation est tellement souffrante pour ces personnes-là et que même les traitements qu'on leur prodigue, finalement, n'ont pas les résultats escomptés, je pense, à ce moment-là, qu'on devrait peut-être ouvrir une porte qui est plus grande auprès de ces personnes-là pour les aider, finalement, et les soulager. Alors donc, on s'est dit : Pourquoi on accorderait plus de poids à la souffrance physique qu'à la souffrance psychologique?

Et finalement on s'est dit que, pour accepter, donc, les demandes d'aide médicale à mourir pour les patients qui souffrent uniquement de troubles mentaux, il faudrait, à notre avis, intégrer des recommandations supplémentaires. Alors, voici, j'en propose quatre : un, cibler les troubles mentaux réfractaires aux traitements, évidemment, parce qu'il y en a qui prennent une médication et que ça fonctionne très, très bien puis qu'ils voient leur vie, finalement, redevenir presque normale, ça, c'est très bien, mais il y en a pour qui ce n'est pas le cas ; donc, deuxièmement, augmenter le délai minimal, donc, pour le traitement de la demande ; trois, ajouter une évaluation par un spécialiste de la santé mentale, ça, ça pourrait être intéressant ; et, finalement, impliquer les proches dans le processus, ça aussi, ça pourrait être une recommandation qui nous semble intéressante.

Donc, au niveau éthique, par exemple, je reviens là-dessus — je termine puis je laisse la parole à mon collègue, qui va renchérir — on devrait, à notre avis, ne pas prendre en considération... on devrait prendre en considération le choix ou le désir de la personne à dire : Écoute, moi, mes souffrances, je les ai assez vécues, c'est suffisant, il n'y a pas d'autres alternatives, alors de les aider plutôt que de les laisser faire des gestes cruels, comme par exemple le suicide, qui sont beaucoup plus, disons, drastiques et qui ont des conséquences beaucoup plus importantes pour la communauté, pour leur communauté, pour leurs proches, etc. Mon collègue va poursuivre, et je lui laisse la parole, et nous revenons par la suite.

M. Larivée (Serge) : Rebonjour. Alors, vous allez... vous avez compris que nous étions du même avis, Mme Sénéchal et moi, hein? Bien. Alors, élargir l'aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladie mentale, c'est respecter leur autodétermination et leur désir d'autonomie. Bref, peut-on leur donner le droit de mourir en paix, hein? C'est mon premier point, voilà. Lorsqu'on a tout essayé, traitements psychologiques, traitements médicaux, et qu'il n'y a rien qui marche, et que la personne n'en peut plus de souffrir, bien, ces souffrances persistantes là, c'est invivable. Je défie n'importe qui d'entre vous de le vivre, les souffrances qui sont persistantes, hein? Bon, moi, j'ai des exemples en tête, là, de personnes que j'ai bien connues, là, bon, mais ça, c'est sûr, je ne vous conterai pas ça ici.

Bon, certains objectent que les traitements actuels ne sont peut-être pas efficaces, mais il n'est pas exclu qu'un remède efficace soit découvert ultérieurement. C'est vrai, c'est vrai, mais il faudrait qu'on m'explique alors pourquoi les opposants à l'aide médicale à mourir pour les personnes ayant des troubles mentaux n'appliquent pas le même raisonnement pour les maladies physiques, hein? Bon, on a décidé que les souffrances physiques étaient insupportables. Bon, alors pourquoi on ne ferait pas la même chose pour les maladies mentales? Il faut avoir côtoyé des personnes affligées de maladies mentales incurables pour comprendre leur souhait de mourir.

Permettez-moi ici de vous rappeler une recherche faite en Belgique en 2015. Je vais nommer le nom du premier auteur, mais, s'il y a des Belges parmi vous, pardonnez-moi, hein? Alors, le prénom, Lieve, et le nom de famille, Thienpont. Bon, voilà. Et donc ils ont pris 23 hommes et 77 femmes entre 21 et 80 ans, une moyenne de 47 ans, et 90 % d'entre eux étaient atteints de plus d'un trouble mental. Bon, après examen, 52 ont été refusés à l'aide médicale à mourir, mais 48 ont été acceptés. Donc, parmi ces 48 là, 35 ont eu accès à l'aide médicale à mourir, deux se sont suicidés avant la procédure, et 11 — écoutez bien, c'est très important — 11 ont choisi de reporter ou d'annuler leur demande, hein? Puis, parmi ceux-là, huit ont révélé que savoir qu'elles avaient la chance de... qu'un jour on pourrait leur permettre l'aide médicale à mourir, ça leur a donné de l'espoir dans la vie. C'est intéressant, non, hein? Tu sais, on n'avait pas pensé à ça avant. Donc, ça, c'était le deuxième... non, ça, c'était le troisième. Bien.

Bon, les opposants à l'aide médicale à mourir ne semblent guère préoccupés par ce qui est souvent la seule alternative : le suicide. Ma collègue, tantôt, vous en a parlé, on sait tous que le deuil à la suite d'un suicide d'un proche, c'est nettement plus difficile à vivre qu'un accompagnement dans le cadre de l'aide médicale à mourir. Tu réunis tous ceux que tu aimes puis tous ceux qui t'aiment, là, tu leur dis : Ciao! Je m'en vais, et tout le monde le vit ensemble et se supporte. Moi, j'ai eu la chance de vivre cette expérience-là avec une de mes soeurs, dans le temps que l'aide médicale à mourir n'existait pas, mais elle s'était organisée, hein? Bon, ça, n'en parlez à personne surtout, hein? Bon, donc, c'est beaucoup plus facile quand, tous ensemble, on s'autosupporte puis on va reconduire dans l'autre monde la personne qui n'en peut plus, hein?

Bon, il y a une dernière remarque que j'aimerais faire avant de répondre à vos questions, c'est le concept de vie accomplie. Il y a certaines personnes, en bonne santé physique, en bonne santé mentale, qui disent : Écoutez, j'aimerais ça mourir parce que, là, j'ai accompli ma vie, hein, je suis trop vieux, j'ai de la difficulté à marcher, je n'ai plus de plaisir, et surtout je ne veux pas être un poids pour ceux qui vont s'occuper de moi, moi, je suis prêt à partir. Pourquoi on ne respecterait pas ça? Et moi, je suis allergique à la surprotection, hein?

Bon, je me permets une parenthèse. Je pense que, maintenant, on surprotège nos enfants, qui n'ont plus de système immunitaire psychologique pour combattre les obstacles, disons. Mais on peut-u, pour les adultes, leur laisser le choix de vivre, de mourir comme ils veulent? Voilà, voilà, c'est ce que j'avais à vous dire pour le moment. On est prêts pour les questions.

• (14 h 20) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci beaucoup, Pr Larivée. Merci, Pre Sénéchal. Donc, je céderais la parole à mon collègue de Mégantic.

M. Jacques : Bien, merci, Mme la Présidente. Pr Larivée, Pre Sénéchal, c'est un plaisir de vous accueillir ici aujourd'hui. Vous avez parlé... en début, là, Dre Sénéchal a parlé, là, des problèmes physiques versus les problèmes psychiques, les troubles... elle a parlé des troubles mentaux réfractaires, dans le fond, qui ne réagissent plus à aucun traitement. Quand qu'on parle de traitement, vous parlez d'un traitement, deux traitements, cinq traitements, on recommence? C'est quoi, le... Qu'est-ce qui fait qu'il n'y a plus aucun traitement qui fonctionne?

M. Larivée (Serge) : Parce que c'est des choses qui arrivent, c'est un phénomène connu, il y a des médicaments qui fonctionnent pour certaines personnes qui ne fonctionnent pas pour d'autres, par exemple. Alors, on n'y peut rien, c'est ça, la vie. Je pense que ça ne vous satisfait pas comme réponse, ça.

M. Jacques : J'aimerais ça en avoir un peu plus, parce que, tu sais, bon, il y a un médicament qui ne fonctionne plus... Bon, mettons, il y a quelqu'un qui prend un médicament pendant 10 ans, le médicament, il fonctionne très bien. Au bout de 10 ans, il y a une déréglementation du système, le médicament ne fonctionne plus, donc on va essayer un nouveau traitement pour essayer de trouver une solution au niveau psychologique, là. Mais est-ce que c'est lorsque le traitement finit son effet, après 10 ans, qu'on dit que c'est terminé puis qu'on peut passer à l'aide médicale à mourir?

Mme Sénéchal (Carole) : Bien, en fait, moi, ce que je pense, c'est que c'est sûr que la personne, elle, qui se voit prendre une médication puis qui change encore une fois de médication et que, finalement, ça devient une montagne russe, à un moment donné elle n'en peut plus de vivre ça, ce genre de montagne russe là, et elle en arrive à un point tel que, souvent, avec le médecin ou avec les gens de son entourage, elle ne désire plus continuer à vivre comme ça. Et c'est là...

Chaque cas est un cas d'espèce. Ce n'est pas une question de dire : Bon, bien, j'en prends pendant cinq ans, 10 ans, 15 ans, ou encore : On ne sait pas l'avenir, dans cinq ans, 10 ans, quelle sera la science. Mais, de ce qu'on connaît aujourd'hui, on sait très bien qu'il y a des médications, des médicaments qui ne fonctionnent pas de façon uniforme chez tous les patients. C'est vraiment du cas par cas, mais il y a... pour certaines personnes qui sont nées comme ça, avec une problématique x, y, z, et que, au bout de 20 ans, 30 ans, 40 ans, ils n'en peuvent tout simplement plus, et ça devient une souffrance intolérable. Alors, même s'ils ont essayé beaucoup de choses, ils ont été hospitalisés, ils ont parfois été, de longues durées même, en internement, il n'en demeure pas moins que la qualité de vie, elle est altérée. Ces gens-là, ça devient un combat sans cesse qu'ils ne veulent plus continuer à vivre. Puis ils ne veulent plus non plus essayer encore de nouvelles médications, au cas où ça fonctionnerait peut-être plus ou moins. Alors, c'est dans ce sens-là. Puis je trouve que c'est très important de respecter le choix de la personne et de voir, au cas par cas, où est-ce qu'elle en est rendue.

C'est comme une souffrance physique. Pour certaines personnes, ils vivent une souffrance physique pendant des années puis ils sont capables de la supporter jusqu'à la mort, alors que, d'autres, la souffrance devient intolérable. Alors, ça, je pense que c'est difficile de mettre un chiffre ou des barèmes très restrictifs. Mais la maladie mentale, ça ne se mesure pas nécessairement avec un thermomètre, là, vous savez, on est rendu à 70°, ça fait que... ou à 90°, alors c'est ce qui fait que je pense que c'est du cas par cas. Mais, quand la personne en arrive à un point tel où ça devient ça ou le suicide, bien, je pense qu'il vaut mieux l'accompagner vers la mort correctement que de la retrouver morte. Et les chiffres sont quand même très éloquents, ils sont très, très parlants, d'après les recherches.

M. Jacques : O.K. Je pourrais faire un parallèle, là. Je vais aller à l'autre question puis je reviendrai, là, sur le parallèle avec ce que vous dites par rapport à la mort violente, là, puis tout ça.

Vous parlez d'impliquer les proches dans le processus de soins de fin de vie pour les personnes, de santé mentale. J'aimerais ça avoir... savoir de quelle façon vous pensez que les proches peuvent accompagner ou peuvent dire un peu leur vision par rapport à ça. Moi, j'ai une inquiétude, une forte inquiétude des proches dans le processus, puis je vais vous expliquer. Bon, souvent, vous parlez des gens qui se suicident, mais il y a une pression des proches aussi sur ces gens-là. Il y en a qui vont dire que c'est un fardeau, il y en a qui vont se sentir un fardeau, il y en a qui vont les inciter à aller vers un soin de fin de vie parce qu'ils ne voient pas le bout, les parents, des frères et soeurs. Vous ne pensez pas que la famille peut alimenter une discussion qui n'est peut-être pas la bonne pour le patient?

M. Larivée (Serge) : Bien sûr, bien sûr que ça se peut, mais on n'y peut rien, les gens sont libres de leur vie.

Mme Sénéchal (Carole) : Mais c'est la même chose, par exemple, pour les problèmes de santé physique. En fait, c'est la même chose, ce n'est pas plus important, ce que vous dites, en fonction des gens qui ont des problèmes de santé mentale. Je pense que les proches qui voient quelqu'un, un membre de la famille, un proche souffrir à ce point de problèmes de santé mentale sont très sensibles, dans la plupart du temps, d'accompagner ces gens-là et de les respecter dans leurs décisions, même s'ils ne comprennent pas toujours ce qu'il en est. Je pense que ça peut être des amis, des gens de la famille.

En fait, on peut... ces gens-là peuvent se retrouver avec des gens qui ne partagent pas toujours l'avis, l'opinion, parce qu'on a peur, en fait. Tu sais, perdre quelqu'un, c'est toujours souffrant, mais en même temps c'est ça de respecter la liberté de celui qui veut mourir dans la dignité, justement, hein? Et, quand on aime des gens qui sont proches de nous, il arrive souvent qu'on n'est pas toujours d'accord avec les choix qu'ils font, mais, par amour, par soutien, parce qu'on veut les respecter, je pense qu'on laisse à d'autres, à d'autres professionnels aussi d'accompagner ces gens-là.

M. Jacques : O.K. Puis, dans tout ça, là, vous voyez... Les gens ont le droit de choisir, là, mais, dans tout ça, c'est quoi, le rôle de l'État?

M. Larivée (Serge) : Bien là, écoutez, si vous me posez la question à moi, la réponse, c'est : Hé! l'État peut-u laisser décider les gens de leur propre vie, d'assumer les conséquences de leurs gestes? Tu sais, écoutez...

M. Jacques : Donc, ce que vous me dites, là, c'est : Je pars en auto, et, si je décide d'aller à 150 kilomètres-heure puis d'aller frapper une autre, tu sais... Comment je le prends...

• (14 h 30) •

M. Larivée (Serge) : Non, non. Les gens sont libres, dans le respect des règles de vie en société, de décider de comment ils veulent vivre. Par exemple, moi, je ne prends pas de drogue. Bien, c'est une décision personnelle. D'ailleurs, je ne sais pas fumer, bon, ça règle le problème. Mais donc on essaie... l'État doit cesser d'être un surprotecteur puis d'enlever aux gens leur liberté de prendre des décisions pour eux. Et ça, c'est très, très important, sinon on a affaire à une gang de petits suiveux qui disent tous, là... Non. Laissons les gens décider de leur vie, bien sûr dans les limites des règles de l'État, là, des règlements, bien sûr.

M. Jacques : Puis je vais revenir, là, vous avez dit : Respecter les droits de mourir en paix plutôt que... vous parliez des suicides. Moi, je vais vous ajouter toutes les morts subites : infarctus, accident de la route, bon, tous ces facteurs-là, c'est des deuils qui sont plus durs à vivre. Et un accompagnement... je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites, là, par rapport à l'accompagnement des gens en fin de vie, de prendre le temps de s'exprimer, de parler à ses proches, de... puis, tu sais, là, on peut être divergents sur certaines... ou je peux vous amener à quelque part. Par contre, quand vous nous dites ça, là, je suis tout à fait d'accord avec vous, j'essaie juste de voir comment qu'on peut l'amener au niveau de la santé mentale. C'est plutôt ça, là.

Mme Sénéchal (Carole) : Bien, en fait, tantôt, je vous avais parlé des recommandations, par exemple, je pense que ça donnait des pistes, en tout cas, qu'on voyait lorsqu'on a écrit ça. Je pense que ça demande un accompagnement qui est beaucoup plus, peut-être, soutenu, puisque c'est un problème de santé mentale. Quand je parlais, par exemple, qu'on devrait peut-être déployer plus de services, d'avoir un médecin spécialiste aussi qui... un comité qui se penche auprès de ces gens-là pour les écouter, pour mieux les encadrer, pour mieux voir avec eux... de soupeser le pour, le contre. Et je sais que, jusqu'à la fin, ils peuvent changer d'avis aussi sur le fait... qu'ils décident de changer d'avis à la dernière minute.

Et ce n'est pas un processus qu'on devrait accélérer. Je pense qu'on devrait se donner le temps, un six mois, un an ou plus, si c'est nécessaire. Mais, en fait, c'est de ne pas fermer la porte immédiatement mais d'accompagner la réflexion avec ce patient-là qui est en souffrance importante. Moi, c'est surtout ça qui m'intéresse, et de dire : Écoute, c'est une possibilité, mais il y a des comités, à l'hôpital, qui peuvent être formés de psychologues, de psychiatres, de médecins, etc., qui peuvent, à la suite, bon, de rencontres, de médication qui n'a pas fonctionné... et de voir si la détresse que vit cette personne-là, il n'y a pas d'autre alternative à celle proposée par l'aide médicale à mourir. Mais, lorsqu'il n'y en a plus, à ce moment-là, bien, c'est un comité qui devrait faire une recommandation, et cette recommandation-là devrait être entérinée par une équipe multidisciplinaire.

M. Jacques : Parfait. Je vais juste... bien, je vous remercie, là, je vais laisser la parole à mes collègues, là, parce que j'ai pris un petit peu plus de temps que je devais prendre, là.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci, M. le député. Je cède la parole, maintenant, à la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme la Présidente. Mme Sénéchal, M. Larivée, merci pour ce beau témoignage. J'aimerais vous entendre parler... Vous avez parlé de souffrance. Comment on peut évaluer une souffrance physique, psychologique? Et j'aimerais vous entendre, lorsqu'un patient est en fin de vie, qu'est-ce que la dignité pour vous. Comment partir en dignité, être digne de choisir et de partir? J'aimerais que vous élaboriez sur ce sujet.

M. Larivée (Serge) : Ah! c'est une très belle question que vous posez là. Moi, je pense que — en fait, je me répète, là — c'est de respecter le choix de la personne tout simplement, tout simplement. Ça veut dire, on s'entend avec elle : Qu'est-ce que tu souhaites faire? Moi, là, c'est de tout simplement faire ce respect-là. Écoutez, toutes les personnes sont majeures et vaccinées, donc on devrait les laisser décider du choix de leur vie et du choix de leur mort.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Mais, lorsqu'on est diagnostiqué avec un problème de santé mentale, souvent ce n'est pas la même opinion médicale lors d'une fin de vie.

M. Larivée (Serge) : Oui, ça, j'en suis très, très conscient. Mais, quand la personne souffre et dit : Je n'en peux plus, moi... je l'ai entendu, là, à quelques reprises, des personnes comme ça, là, qui n'en peuvent plus, O.K., puis ma première question, c'était : Est-ce que tu as l'intention de te suicider? Puis là la personne : Hein? Mais j'ai dit : Tu as l'air tellement tannée de vivre. Là, c'est un moyen de vérifier avec elle, et puis, si... là, de l'accompagner, parce que je ne veux pas qu'elle se suicide, je veux qu'on l'accompagne dignement dans sa fin de vie.

Mme Sénéchal (Carole) : Moi, j'ajouterais que c'est vrai qu'il est très... pour répondre à votre question, madame, c'est vrai ce que vous dites, c'est difficile de vérifier l'intensité d'une décision que peut prendre une personne qui souffre de troubles mentaux, puis est-ce qu'elle est apte, finalement, tu sais, ou, à ce moment-là, de dire : Bien, moi, j'en ai assez, je veux avoir l'aide médicale à mourir. Ce n'est pas comme une maladie dont on sait... physique, incurable et que la personne porte et vit depuis de nombreuses années. Ça, je suis d'accord avec vous.

Cependant, lorsque, la personne, par exemple, ça fait plusieurs années qu'elle est en traitement psychiatrique, de nombreuses années, et qu'elle a eu de nombreuses tentatives de suicide, et qu'elle se fait suivre, et que vraiment, vraiment, là, elle est... comme on dit, elle est à bout de souffle, et que finalement les tentatives de suicide se succèdent souvent, à ce moment-là je pense qu'on doit s'interroger, je pense que le professionnel, les professionnels de la santé doivent non seulement accompagner la personne... Ce n'est pas une option n° 1. Moi, en fait, je ne le vois pas comme ça. Ce n'est pas une option n° 1, dire : Écoutez, là, hein, on t'offre ça, je pense que c'est bon pour toi. Non. Je pense qu'on doit accompagner, on doit faire tout ce qu'il faut pour la personne qui a un problème de santé mentale, tout comme on le fait pour les personnes qui ont un problème physique, d'ordre physique. Mais, lorsque la situation est à ce point, disons, critique, grave, presque irrévocable, je dirais, à ce moment-là, l'équipe médicale — l'équipe médicale, pas une personne, je dis l'équipe médicale — devrait tout au moins discuter avec le patient, discuter et de voir avec lui d'abord comment il voit les choses, comment il voit son avenir, quelles sont les possibilités et, dans ce processus-là, finalement, hein, qu'on laisse la porte ouverte, mais qu'on n'insiste pas, mais qu'on laisse la porte ouverte. On regarde les différentes alternatives, et, si, à la fin, c'est vraiment la seule et qu'il n'y a pas d'autre alternative, bien, plutôt que de le retrouver dans une situation, disons, difficile, on dit... on parle de suicide, mais... bien, à ce moment-là, je pense que c'est plus sain de l'accompagner, quoi, et de voir avec l'entourage, s'il y a lieu, les parents proches, tout ça. Parce que l'opinion des parents, ou du conjoint, ou des gens proches, peut aussi éclairer les professionnels autour, justement, pour essayer de trouver des solutions qui seraient autres, évidemment.

Alors, ces gens-là, ils sont parfois fragilisés par ce qui leur arrive, et c'est souvent les souffrances qu'ils ne veulent plus vivre, hein, ce n'est pas tellement qu'ils veulent en finir avec la vie, mais c'est les souffrances qu'ils ne veulent plus vivre. Mais parfois il arrive qu'ils n'ont plus d'autre option non plus. Alors, je pense que c'est vraiment du cas par cas, et c'est difficile de faire une loi, dire : Voici la loi générale pour tout le monde. Elle doit être bien encadrée, je pense.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Je vous remercie beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup. Donc, je passerais la parole au député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente. Merci, Pre Sénéchal et le Dr Larivée, pour votre exposé. Je vais admettre de me sentir un petit peu... d'être un petit peu perplexe. Je comprends, vous postulez des arguments sur la primauté de l'autonomie de l'individuel, de son autodétermination. Dr Larivée, vous avez donné l'exemple de quelqu'un qui témoigne que «j'ai eu une belle vie, ça suffit». En même temps, vous nous offrez plusieurs balises importantes et intéressantes pour établir l'état de la personne, l'état de sa possibilité d'avoir une guérison, une vie qui continue. Est-ce que c'est une ou l'autre? Avec le plus grand respect, je dois comprendre si la primauté de l'autonomie, pour vous, nous invite à élargir de façon dramatique, mais dramatique, l'accès à l'aide médicale à mourir ou est-ce qu'il faut obligatoirement que ça soit balisé, entre autres par quelques suggestions très intéressantes que vous avez offertes.

• (14 h 40) •

M. Larivée (Serge) : Bien sûr qu'il faut que ce soit balisé.

Mme Sénéchal (Carole) : Il faut que ce soit balisé.

M. Larivée (Serge) : Bien oui. Je veux dire, ce n'est pas un «free-for-all», ça, là, là. Il faut que ce soit balisé. Mais... c'est ça, mais je pense que vous avez bien résumé ce que je pense.

Mme Sénéchal (Carole) : Moi, je pense que l'autodétermination, c'est vraiment à ne pas négliger, hein, les gens restent libres aussi. On doit les écouter, ils sont aptes de prendre des décisions, à moins d'avoir une déficience intellectuelle, là, évidemment. Mais, en général, même ces gens-là, on les écoute, puis avec beaucoup de respect aussi.

Mais je pense que l'aide médicale à mourir, qu'elle soit pour les personnes avec des troubles mentaux ou non, doit être vraiment très encadrée. Ce n'est pas nécessairement une porte ouverte à une euthanasie ou, enfin, une porte ouverte pour tous. Ce n'est pas ça du tout, du tout comme...  En tout cas, je parle pour moi, là, évidemment, mais ce n'est pas du tout, du tout ça. Et puis évidemment, au début, parfois, il y a des lois qui peuvent même être un peu plus sévères, et on regarde un peu comment ça se passe dans le milieu, et par la suite, dans une deuxième, troisième étape, bien, on se réajuste, évidemment, pour voir si... comment ça a fonctionné, est-ce que les médecins sont à l'aise aussi avec ça. Il y a tout le corps médical, les professionnels qui peuvent être pour ou contre. Alors, ça aussi, il doit y avoir une liberté de ce côté-là, évidemment.

Donc, l'accompagnement se fait dans la liberté des uns et des autres, mais ce n'est pas une liberté, disons, aveugle. C'est une liberté quand même accompagnée et puis raisonnée, et puis d'y aller aussi selon... surtout quand on a des troubles mentaux, accompagner avec tout le respect que la personne a au moment où elle désire prendre une décision, qui peut évoluer, tout dépendant de son état de santé physique et psychologique, je dirais. Alors, c'est pour ça, je pense, qu'il faut prendre notre temps d'accompagner la personne et de réévaluer avec elle, et que cette réévaluation soit aussi confirmée par d'autres professionnels, au besoin, parce que les troubles mentaux, ça peut être... ce n'est pas statique, hein, on peut avoir des... il y a toutes sortes de troubles mentaux, alors il y a toutes sortes de manifestations rattachées à ça. Alors, c'est pour ça que moi personnellement, je dis et je réitère qu'il ne faut pas que ce soit... il faut que ce soit vraiment très, très circonscrit et puis il faut être un peu plus réservé que trop large, à mon humble avis.

M. Birnbaum : Merci. Justement, si je vous mettais devant l'exemple de quelqu'un qui souffre de la bipolarité assez aiguë, est dans une étape jugée, par les professionnels qui l'accompagnent, apte, propose, fait la demande pour l'aide médicale à mourir dans une phase où il ou elle est jugé apte. Cette personne, en connaissance de cause, suggère que, «oui, j'ai mes hauts et mes bas, j'ai vécu avec depuis 20 ans, en connaissance de cause, je veux avoir l'accès à l'aide médicale à mourir». Le psychiatre qui les accompagne et les familles constatent tous les deux que cette personne a eu de la réjouissance dans sa vie, a eu des périodes de lucidité, de sérénité et de bonheur. C'est quoi, le rôle de l'État et aussi le rôle de l'individu dans un tel cas? Est-ce que les souhaits exprimés par cette personne sont suprêmes?

M. Larivée (Serge) : Alors, votre exemple, vous dites que la personne semble bien consciente que sa situation psychologique... elle est consciente qu'elle a des hauts et des bas. Bien, donc, si elle est capable de bien l'évaluer puis là qu'elle décide que, pour elle, c'est terminé ce jeu de yoyo avec sa vie psychique, bien, moi, je pense qu'on devrait lui accorder cette capacité, cette chose-là. Mais on peut aussi lui dire, par exemple : Oui, on va vous accorder l'aide médicale à mourir, si vous voulez, en plus on va vous le redemander dans une semaine, dans deux semaines, puis, bon, si votre réponse est toujours la même, on pourra procéder avec la manière dont vous souhaitez partir. Je pense que ça peut se faire.

Mme Sénéchal (Carole) : Moi personnellement — juste pour compléter — moi, je pense que, quand on parle de problèmes de santé mentale, comme vous le disiez... Prenez l'exemple des troubles de l'humeur, on sait très bien que la personne peut être dans le «high» pendant un petit moment puis, après ça, être dans le «down» pendant un bon long moment. Et, tout dépendant où est-ce qu'elle se situe, les idées peuvent changer, comme vous le savez.

Moi, je proposais surtout qu'il y ait au moins deux à trois médecins, tu sais, pas seulement... vous parliez d'un médecin, par exemple, qui peut accompagner la personne, mais je pense qu'il faudrait qu'il y ait l'avis d'au moins deux médecins, sinon trois médecins qui vont corroborer, qui vont corroborer non pas seulement le diagnostic, mais, en fait, l'appui que cette personne-là devrait avoir pour l'aide médicale à mourir. Parce que, là, vous parlez du médecin et de la famille, mais parfois la famille, bien, ils ne sont pas toujours bien placés pour prendre une décision comme celle-là, vous savez, c'est quand même lourd de sens, lourd de responsabilités morales aussi. Alors, dire à un médecin : Bien, écoutez, on vous donne la permission, vous pouvez, bon, voilà, faire telle et telle chose, je pense que c'est une lourde responsabilité, que ce n'est pas tout le monde qui ont... qui peuvent prendre cette décision-là, même parmi les proches de la famille.

Moi, je serais plutôt d'accord avec une équipe multidisciplinaire où, là, il y a une équipe, justement, qui peut non pas seulement accompagner la personne, mais aider à prendre une décision, pour ne pas que la décision revienne uniquement à un médecin et à une patiente qui peut vivre des moments parfois de détresse, mais parfois d'enthousiasme extrême aussi. Alors, j'irais...

Mais c'est pour ça que je parlais tout à l'heure... Je reviens là-dessus, pour moi, c'est très important de dire : On accompagne pendant un bon moment cette personne-là avant, une équipe, avant de... on laisse la porte ouverte, mais on ne se précipite pas nécessairement pour, justement, donner notre accord à ça, parce que, quand même, en termes de société...

M. Birnbaum : Voilà.

Mme Sénéchal (Carole) : ...en termes de société, c'est quand même une lourde responsabilité sociétale, et je pense qu'on doit être plus prudent que trop large, pour le moment en tout cas.

M. Birnbaum : D'accord. Dans le scénario que nous sommes en train d'écrire ensemble, deux choses. Moi, je constate que nous sommes dans l'absence d'un constat d'une souffrance continue pour cette personne et dans l'absence d'une... disons, un diagnostic d'un horizon de vie qui ne changerait pas, qui ne s'améliorerait pas. On est dans l'absence de ces deux choses-là, et je veux m'assurer qu'on le dise en connaissance de cause.

Deuxième chose, dans le scénario que vous poursuivez avec moi, vous parlez d'exiger un consensus de plus qu'un médecin et peut-être plus que juste la famille et plus que le psychiatre qui les accompagne comme d'habitude. Advenant que ces gens sont de l'autre avis et disent : De notre avis, on ne peut pas accorder l'accès à l'aide médicale à mourir, quoi faire dans ce cas-là avec l'autonomie exprimée de façon volontaire par la personne?

Mme Sénéchal (Carole) : Écoutez, quand il y a plusieurs professionnels qui sont ensemble pour le bien-être de l'individu, femme ou homme, ici, évidemment, bien, je pense qu'il ne nous reste qu'à l'accompagner, de l'aimer à travers son cheminement, ses difficultés, de l'aider autant de... il n'y a pas seulement la médication aussi, hein, il y a toutes sortes d'autres techniques, béhaviorales, et autres, et de l'accompagner, mais d'avoir un suivi qui est beaucoup plus rigoureux que d'avoir une médication, et de là on revient dans un mois ou deux pour un suivi thérapeutique.

Je pense qu'il y a des individus comme ça, que, si on pouvait les aider d'une façon beaucoup plus soutenue et d'une façon beaucoup plus précise, que ce soit avec l'équipe médicale et avec la famille, souvent, il pourrait y avoir des résultats peut-être très prometteurs également. Mais je pense que la décision, dans tous les cas, ne doit pas être... elle doit être prise lorsqu'il s'agit vraiment d'une situation qui est irrévocable, au niveau des troubles de santé mentale, mais, dans tous les autres cas, lorsqu'on peut faire autrement, bien, écoutez, je pense que c'est une option que la personne qui est en détresse n'a peut-être pas vue ou ne connaît pas. Vous savez, des fois, on est dans... pris avec notre sentiment de détresse ou notre problème de santé mentale et on ne voit pas toujours toutes les possibilités aussi qu'on a pour se faire aider.

Alors, moi, je serais...

M. Birnbaum : Je veux m'assurer de ne pas sursimplifier vos propos, mais, en quelque part, est-ce que je vous comprends mal si je dis que c'est la volonté qui passe en premier? L'obligation de l'État et du corps médical professionnel, c'est d'accompagner de façon efficace et compatissante la personne, mais c'est son choix qui prévaut.

• (14 h 50) •

Mme Sénéchal (Carole) : Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Non. Moi, j'ai dit... bien, c'est sûr que c'est... que la personne a une volonté, par exemple, que la personne a une volonté d'avoir l'aide médicale à mourir, elle peut avoir cette volonté-là, mais ça ne s'applique pas à cette personne-là parce qu'il y a d'autres alternatives possibles. Et c'est ces autres alternatives là qu'on doit privilégier parce que, justement, si on l'accompagne d'une façon peut-être plus adéquate pour cette personne-là, et qu'on ne l'accompagne pas seulement en termes de médication, mais de d'autres alternatives comme... que vous connaissez, à ce moment-là, bien, cette option-là de l'aide médicale à mourir, elle n'est pas au premier plan, elle est relatée au deuxième ou au troisième plan.

M. Larivée (Serge) : Alors, je ne partage pas entièrement l'avis de ma collègue. Moi, je pense qu'on doit donner l'avis premier aux individus, mais ça n'exclut pas ce qu'elle vient de dire, là, c'est-à-dire qu'on doit mettre le maximum d'aide. Mais, quand la personne veut vraiment mourir, de quel droit on l'empêcherait de? Entre parenthèses ici, là, ne vous en faites pas, hein, il n'y aura pas d'épidémie. Les gens veulent vivre, hein, d'accord? Alors, il n'y aura pas d'épidémie, les gens veulent vivre, et la plupart prennent les moyens pour... Là, on parle de cas extrêmes de gens qui souffrent beaucoup, mais c'est juste ça, là.

M. Birnbaum : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci, M. le député. Je céderais maintenant la parole au député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Sénéchal, M. Larivée, pour votre contribution à notre commission. Ma question d'abord pour vous, vous insistez beaucoup sur le critère de l'autonomie personnelle dans votre réflexion sur l'accès à l'aide médicale à mourir. Ma question est : Certains experts sont venus devant la commission nous recommander d'exiger, avant qu'une personne souffrant de troubles mentaux soit admissible à l'aide médicale à mourir, d'exiger, donc, que cette personne se soit, d'abord et avant tout, prêtée à l'ensemble des traitements disponibles pour traiter sa maladie avant qu'elle devienne admissible à l'aide médicale à mourir. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette balise-là qui pourrait potentiellement être mise?

M. Larivée (Serge) : O.K., cela me semble tout à fait raisonnable. Le seul bémol que je mettrais, c'est que, dans les approches dites psychologiques, il y a des approches qui ne fonctionnent strictement pas, qui sont totalement inefficaces. Si je peux même me permettre de dire, les approches psychodynamiques, ça ne marche pas avec ces gens-là. Donc, on va arrêter de les soigner avec une approche qui ne marche pas. Dans cette perspective-là, donc, oui, oui, je suis d'accord qu'il faut avoir essayé le maximum de choses, bien sûr, bien sûr.

Mme Sénéchal (Carole) : On ne peut pas essayer toutes les méthodes, on ne peut pas essayer tout, tout, tout, parce que, là, s'ils commencent à essayer tout, on en a pour toute une vie au complet, évidemment.

M. Larivée (Serge) : Et plus.

Mme Sénéchal (Carole) : Et plus. Mais tout au moins de mettre des balises, comme je le disais tantôt, pour accompagner les gens, puis le plus possible, selon ce qu'ils vivent, pour les aider, parce que l'objectif, c'est d'aimer la vie, ce n'est pas de vouloir mourir. En fait, c'est ça.

M. Nadeau-Dubois : Nous, ici, à la commission, on a le mandat d'établir des recommandations pour élargir ou pas, et, s'il y a élargissement aux gens avec troubles mentaux, de mettre des balises claires. Donc, vous me dites : Oui, c'est raisonnable de demander qu'ils se soient soumis à l'ensemble des traitements disponibles, mais vous dites : Non, pas tout. Comment on trace cette ligne-là, en fait?

M. Larivée (Serge) : Là, vous n'êtes pas sorti de l'auberge avec ça, parce que, là, vous allez assister à toutes les batailles entre les spécialistes, là. Puis je viens d'en évoquer une, là, les cognitivo-comportementalistes vont s'opposer aux gens qui sont dans l'approche psychodynamique, et la bataille va être partie. Mais il s'agira d'aller voir dans les publications scientifiques qu'est-ce qui a été démontré efficace ou pas. Mais là on en a pour plusieurs années, hein, si on fait ça.

Mme Sénéchal (Carole) : Mais c'est sûr et certain que la médication, ça, c'est de base, ça, c'est de base, ça, c'est sûr et certain. Puis il y a les approches comportementales, là, qui sont...

M. Larivée (Serge) : ...qui sont réputées efficaces.

Mme Sénéchal (Carole) : ...qui sont très réputées efficaces. Je pense que, quand la personne, elle a combiné les deux pendant un bon moment, même un certain nombre d'années, une fois que tout ça, ça n'a pas été efficace... Mais évidemment, là, c'est sûr que, dans cinq ans, dans 10 ans, dans 20 ans, il va y avoir peut-être... la science évolue, comme dans toute chose, hein, il ne faut pas le nier. Mais, une fois que la personne a vraiment pris une bonne médication de façon suivie, avoir des... c'est ça, je le disais, des thérapies comportementales, une fois qu'on a fait un peu le tour du jardin puis que, là, il n'y a vraiment plus rien qui fonctionne, écoutez, il faut penser à d'autres alternatives.

M. Nadeau-Dubois : En fait, qu'est-ce que... il y a certains opposants à l'aide médicale à mourir qui nous disent que ce serait une mauvaise idée d'élargir l'accès aux gens qui ont des problèmes de santé mentale, dans la mesure où on n'est même pas, en ce moment... et, comparativement, par exemple, à des maladies physiques comme le cancer, on n'est même pas en mesure de leur offrir l'ensemble des soins disponibles, notamment dans certaines régions. Et ces gens-là nous disent : Il faudrait d'abord et avant tout s'assurer qu'on offre les services et qu'on offre les soins avant d'ouvrir la porte à leur offrir la mort, dans le fond. Qu'est-ce que vous pensez de cet argument?

M. Larivée (Serge) : Je comprends. Je comprends ça. C'est une remarque très raisonnable. J'ajouterais à ça de leur offrir des soins dont la démonstration a été faite qu'ils sont efficaces. Le problème avec le monde de la psy, puis j'en suis, là, c'est qu'on a beaucoup d'approches qui ne marchent pas, qui ne fonctionnent pas, et on continue de les utiliser, mais là c'est un autre débat. Mais cette remarque-là, elle est très pertinente, oui, oui, c'est sûr.

Mme Sénéchal (Carole) : Moi, je suis d'accord avec ce que vous dites, c'est que... pour dire, même les gens en région, souvent ils n'ont pas d'aide nécessaire. Alors, n'ayant pas d'aide, n'ayant pas de suivi, ou très peu de suivi, ou moins de suivi, bien, c'est sûr que ces gens-là vivent avec un problème qui est grave puis qui... mais ce n'est pas une raison de leur offrir d'emblée l'aide médicale à mourir, alors qu'ils pourraient avoir d'autres options, et c'est ces autres options là qu'il faudrait leur offrir d'abord. Mais ça ne veut pas dire que l'aide médicale à mourir, pour les gens qui souffrent de troubles mentaux, ne devrait pas être offerte non plus en parallèle. Vous savez, on ne vit pas seulement dans les régions, il y en a qui ont reçu de l'aide, il y en a beaucoup qui ont reçu de l'aide. Quand on regarde le nombre de personnes qui se suicident, je pense que c'est un taux alarmant de ceux, parmi eux, qui avaient des troubles mentaux également.

M. Nadeau-Dubois : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Donc, je passerais maintenant la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui, merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, Mme Sénéchal, M. Larivée, merci pour votre présentation. Je vous dirais, d'entrée de jeu, que je pense que, si on avait un continuum entre autonomie de la personne à un bout et, je dirais, protection des personnes contre elles-mêmes ou avec elles-mêmes et paternalisme médical, je pense que le curseur serait pas mal proche d'un des bouts, quand je vous entends...

M. Larivée (Serge) : J'avoue.

• (15 heures) •

Mme Hivon : ...oui, c'est ça. Mais, en fait, j'aimerais vous amener un peu sur un autre curseur, qui est celui de, oui, l'autonomie ou la perspective individuelle versus la perspective sociétale d'une décision prise, nous, collectivement, élargissement ou non, pour le bien individuel, mais qui peut amener ce que certains opposants qualifieraient de tort ou de risque plus large pour la société. Puis, vu que vous avez une formation en éthique puis que c'est votre expertise, on en a peu parlé jusqu'à maintenant, mais certains opposants nous diraient : On est en train de regarder une ouverture potentielle pour les troubles mentaux qui va concerner un infime nombre de personnes, si on met les balises en place. L'association des psychiatres elle-même nous dit que ce serait vraiment très exceptionnel qu'il y ait incurabilité, aptitude, que le désir de mort ne soit pas suicidaire, mais rationnel, donc un très petit nombre qui pourrait ultimement se qualifier, mais avec un risque potentiel d'envoyer un message à la société d'une certaine banalisation du désir de mort, malgré tous les efforts qu'on fait pour la prévention du suicide.

Et donc, quand on regarde ça, cette recherche d'un bien individuel pour certaines personnes, exceptionnellement, qui peuvent avoir des souffrances incurables, versus les enjeux et les messages qu'on envoie à la société, comment on se positionne par rapport à ça, éthiquement?

M. Larivée (Serge) : Bon, votre question est plus que pertinente. Ma première réponse, c'est : Je ne souhaite pas être député, parce que vous allez avoir une drôle de décision à prendre. Et moi, je suis un partisan de la liberté individuelle, que les gens assument toujours les conséquences de leurs gestes.

Permettez-moi ici une remarque tout à fait inappropriée. À l'adolescence, j'ai dit à mes enfants : Je ne veux pas savoir à quelle heure vous allez entrer. La consigne, c'est : Vous ne me réveillez pas. Si vous êtes mal pris, vous me téléphonez, puis je vais vous chercher. Les gars, combien de fois ont-ils téléphoné? Zéro, et les filles, deux fois, qui n'est rien. Bon. Et un jour mon fils aîné me dit : Pourquoi, papa, tu nous fais confiance, alors qu'il y a des parents qui ne font pas confiance? J'ai dit : Pas de jugement sur les autres parents, on ne sait pas qu'est-ce qui se passe dans leurs familles, puis, de toute façon... Et là il dit : Je connais la suite, de toute façon, si nous faisons des conneries, c'est nous qui les assumons. Autrement dit, vous êtes responsables de vos gestes, vous devez assumer les conséquences de vos gestes, et c'est cette liberté-là que je veux que l'on privilégie dans la société.

Maintenant, je suis... je suis très conscient que je suis en train de rêver, là, mais c'est quand même ça que je souhaiterais, que les gens soient responsables de leurs décisions. Je pense que ma collègue a une réponse plus intelligente que la mienne.

Mme Sénéchal (Carole) : Non, mais, en fait, votre question, elle est bonne, parce que la liberté individuelle... Puis je crois que les personnes qui ont des problèmes de santé mentale, ce sont ces gens-là qui souffrent, ce sont ces gens-là qui peuvent parler. Alors, quand on n'a jamais passé par là... et c'est mon cas, mais j'essaie de comprendre ceux qui vivent avec, puis l'entourage aussi, qui vit avec des gens qui ont des problèmes graves de santé mentale, comment ça peut être difficile à vivre au fil des années. Donc, ce n'est pas seulement eux.

Moi, je ne suis pas d'accord à ce qu'on aille dans une extrémité, dire que c'est l'infime partie, mais je ne suis pas non plus d'accord à ce qu'on dise à quelqu'un qui est en dépression majeure, exemple, que, là, il file une mauvaise passe, qui veut se suicider ou qui veut l'aide médicale à mourir... de lui octroyer. C'est pour ça que moi, je suis beaucoup plus axée... ou je réfléchis beaucoup plus à un comité qui va d'abord accompagner la personne, peu importe la souffrance qu'elle peut vivre, de santé mentale, et puis de voir avec elle où est-ce qu'elle se situe, puis voir d'autres alternatives avant d'en arriver là. Et, si jamais cette alternative-là se veut être la meilleure solution et que, la personne, c'est vraiment ça qu'elle veut, bien, je pense que la porte devrait être ouverte aussi à cette personne-là. Si elle maintient son désir mois après mois, presque un an après... bon, vous savez, alors ce n'est pas un oui ou un non d'un moment, mais c'est une réflexion d'une plus grande durée, à ce moment-là je pense qu'on doit aussi et d'abord respecter le désir de cette personne-là, qui est sérieux, qui a des fondements, qui est appuyé... et qui le vit, c'est elle qui vit avec ces souffrances-là. Alors, on comprend, ça doit se faire à travers d'un accompagnement qui est sérieux, qui est médical, qui est psychologique et puis dans le respect total de la personne.

Mme Hivon : Mme la Présidente, est-ce qu'il me reste quelques secondes?

La Présidente (Mme Guillemette) : Il vous reste une minute, Mme la députée.

Mme Hivon : Parfait. En fait, c'est ça, puis je pense que c'est toujours le défi de mettre le curseur au bon endroit. Quand, tantôt... je ne sais pas si c'était pour provoquer un peu M. Larrivée, mais vous avez dit : Quelqu'un qui a le sentiment que sa vie est accomplie...

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Hivon : Jamais? Non? Je suis sûre, je vois ça, jamais vous ne pouvez provoquer. Quelqu'un qui a le sentiment d'une vie accomplie devrait pouvoir l'avoir aussi. Puis ça fait réagir, évidemment, parce qu'on n'est pas dans un contexte de maladie grave et incurable, et je pense qu'on vous dirait que, socialement, sociétalement... je pense que l'acceptabilité, l'acceptation sociale ne serait pas au rendez-vous. Donc, nous, notre défi, c'est de mettre le curseur au bon endroit. Et donc, quand on sort d'un contexte de fin de vie, pour les troubles mentaux, par exemple, c'est sûr que c'est plus sensible, et donc c'est ça, notre défi.

Puis je vous amène sur ce dernier élément là, c'est le fait que, quand on était en fin de vie, on savait que la personne était dans une trajectoire où la mort allait arriver. Dans un contexte qui n'est pas de fin de vie, troubles mentaux, ce que certains psychiatres nous disent, c'est qu'on ne sait jamais, le mois prochain, l'année prochaine, de nouveaux traitements qui pourraient arriver, de nouvelles recherches qui pourraient donner des fruits. Est-ce que ça, ça ne change pas notre perspective?

Mme Sénéchal (Carole) : Bien, c'est la même chose pour les problèmes de santé physique. On ne sait pas non plus, dans six mois...

Mme Hivon : Oui, mais moi, je parle fin de vie, pas fin de vie.

Mme Sénéchal (Carole) : Ah! O.K., fin de vie, pas fin de vie. Moi, je trouve que... c'est sûr que c'est de voir les choses sous un autre angle, finalement, tu sais? Vas-y, Serge.

M. Larivée (Serge) : Bien, écoutez, c'est sûr que votre réflexion a plein de bon sens, mais moi, je reviens toujours à... Moi, je me souviendrai toujours de mon étudiant au doctorat, là, qui, après avoir fini son doctorat, a fait le ménage de la maison, a fait une épicerie pour sa femme, puis il s'est suicidé. Cet homme-là était malheureux, triste, c'était dur pour lui, et son psychiatre lui avait demandé : Là, tu restes en vie pour obtenir ton doctorat, mais qu'est-ce que tu vas faire après? Mais, dans ma tête à moi, là, il était malheureux, il n'aurait pas survécu malgré tout, alors que, si sa femme avait pu l'accompagner dans son choix de fin de vie, je pense que celle-ci aurait vécu la mort de son mari de façon beaucoup plus...

Mme Sénéchal (Carole) : ...

M. Larivée (Serge) : ...harmonieuse, oui. Oui. En fait, c'est plus ça que je tiens, c'est : On peut-u permettre aux gens qui vivent avec quelqu'un qui a une maladie mentale grave, si jamais la personne veut mourir, d'être capable d'accompagner cette personne-là correctement jusqu'à la fin de sa vie? Puis le droit de vouloir mourir, là, hein... Moi, je ne suis pas comme ça, je suis un optimiste, bon, je n'y peux rien, là, c'est une question de génétique, hein, bon. Mais c'est... je comprends très bien les gens qui veulent... disent : J'ai assez vécu.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Je passerais la parole maintenant au député de Chomedey.

M. Ouellette : Mme Sénéchal, M. Larrivée, bonjour.

Mme Sénéchal (Carole) : Bonjour.

M. Ouellette : Je suis le dernier intervenant, mais j'ai... c'est moi qui ai le moins de temps, là, ça fait que, donc, j'ai...

La Présidente (Mme Guillemette) : Trois minutes. Trois minutes, M. le député.

M. Ouellette : Ah! bien, c'est merveilleux que j'aie trois minutes. Mme la Présidente m'en rajoute quand c'est très intéressant. Je veux vous emmener sur une chose qu'on n'a pas couverte et que vous avez probablement... sur laquelle vous vous êtes probablement penché dans vos recherches, parce que vous en avez parlé dans un des articles que vous avez écrits, là, Le droit de mourir en paix, vous avez fait des recherches en Belgique puis aux Pays-Bas. Et, moi, ce qui me préoccupait, puis est-ce qu'on devrait en tenir compte dans nos travaux, qui ne s'annoncent pas faciles, selon ce que vous nous dites, là, sans nous mettre trop de pression : les refus, 52 % des demandes d'aide médicale à mourir ont été refusées dans ce que vous avez regardé en Belgique. Aux Pays-Bas, ils ont fait... ils ont même formé un genre de tribunal d'appel sur les demandes qui sont refusées. Est-ce que, un, vous vous êtes intéressé à tout l'aspect des refus? Et, deux, est-ce que c'est quelque chose qu'on devrait creuser un peu plus, prendre en considération?

Ce n'est pas tout d'avoir le libre arbitre et le libre choix. Est-ce que ça pourrait nous aider de regarder particulièrement, maladies mentales, pourquoi il y a eu plus de refus que d'acceptation en Belgique? Pourquoi ils ont senti le besoin de faire un genre de comité d'appel aux Pays-Bas pour que ta demande, finalement, soit jugée recevable?

• (15 h 10) •

M. Larivée (Serge) : Je n'ai pas de réponse là-dessus, je n'ai pas... on n'a pas fouillé ça. Mais la seule réponse que j'ai, c'est que c'est tellement «touchy», pour parler du bon français, là, tellement «touchy» comme sujet qu'il faut prendre plein de petites mesures comme ça qui vont rassurer tout le monde. Je comprends ça, je suis empathique à ça, mais je n'ai pas de réponse précise. Peut-être que ma collègue en a, parce qu'elle connaît plein de choses comme ça.

Mme Sénéchal (Carole) : Mais on n'a pas étudié pourquoi est-ce qu'il y avait... on connaît le nombre de refus, mais on ne connaît pas toutes les raisons, O.K., pourquoi elles ont été refusées, parce qu'il y a toute la question de la confidentialité aussi qui est de mise.

Mais chose certaine, c'est que, d'avoir un comité, par exemple, d'appel, moi, je trouve que ce n'est pas une mauvaise idée en soi, parce que, comme vous disiez tout à l'heure, ça évolue, ça change, alors il y a peut-être des choses qui ont évolué entre le moment où la personne a fait la demande et puis le comité d'appel, et de là, bien, ça peut être accepté au deuxième échelon. Alors, moi, je trouve ça intéressant.

Puis aussi c'est que, quand on est refusé, c'est qu'on a oublié de fournir toute l'information nécessaire. Parfois on le demande dans les derniers trois mois, dans les derniers six mois, et, quand toute l'information n'a pas été fournie, bien, évidemment, c'est refusé.

Le problème avec ça, c'est que souvent ça prend du temps entre le temps où la personne fait une demande et puis tout le processus s'enclenche. Alors, c'est pour ça que je dis, moi : Il vaut mieux ne pas être trop restrictif, parce qu'entre le temps où la personne fait une demande et le temps de l'exécution, la personne a le temps de changer une fois, deux fois, 10 fois, 20 fois. Alors, quand la personne est rendue au tribunal d'appel, bien, elle a eu le temps d'y penser ça fait longtemps, des fois un an, deux ans, trois ans et plus. Alors, quand la personne maintient la même décision pendant aussi longtemps, bien, je pense que, là, il y a peut-être une ouverture à y avoir également, tu sais, c'est-à-dire que l'accompagnement de la personne fait en sorte que ça n'a pas donné peut-être les fruits escomptés nécessairement.

Mais c'est vrai qu'on ne connaît pas les raisons pour lesquelles ça a été refusé, on connaît principalement le pourcentage. Mais les raisons que je vous ai données, souvent elles sont dans la littérature, alors ça donne des pistes un petit peu de réflexion. Mais, comme je dis, moi, je pense qu'à prime abord, quand il y a déjà un comité qui accompagne la personne puis qui signe, qui donne leur accord face au désir de la personne... La personne a le droit de changer d'idée jusqu'à la dernière seconde. Donc, si... entre son désir, l'accompagnement et finalement le résultat escompté, la personne, à une seconde près, elle peut dire : Non, je change d'idée puis je continue comme ça. Alors, je pense qu'il y a tout un processus qui est là, puis, si elle n'est pas d'accord, elle peut aller en appel. Moi, je trouve que ça fait partie d'une société qui est tout à fait démocratique et puis je verrais ça avec plaisir.

M. Ouellette : Mais vous comprenez, puis...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Merci beaucoup, M. le député.

M. Ouellette : Bon, ça passe vite.

La Présidente (Mme Guillemette) : C'est tout le temps qu'on avait, malheureusement.

M. Larivée (Serge) : C'est ça, être député.

M. Ouellette : Bien, c'est ça. C'est ça.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dre Sénéchal et Dr Larivée, pour votre contribution à nos travaux cet après-midi. Merci d'avoir accepté l'invitation.

Et nous suspendons les travaux quelques instants pour accueillir nos nouveaux invités.

(Suspension de la séance à 15 h 13)

(Reprise à 15 h 20)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, bon après-midi. Nous sommes de retour à la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie. Et nous accueillons cet après-midi, pour notre troisième intervenant, Me Jacqueline Herremans. Mme Herremans... Me Herremans, bienvenue parmi nous cet après-midi. Vous aurez 20 minutes pour nous présenter votre exposé, et par la suite il y aura un échange avec les membres de la commission d'une période de 40 minutes. Donc, sans plus tarder, je vous cède la parole.

Mme Jacqueline Herremans

Mme Herremans (Jacqueline) : Je vous remercie pour cette invitation et je vais donc tout d'abord me présenter. Je suis Jacqueline Herremans, avocate au Barreau de Bruxelles. J'ai participé aux travaux qui ont abouti à la Loi relative à l'euthanasie en Belgique et je suis actuellement membre de la commission euthanasie, commission fédérale de contrôle et d'évaluation de la Loi relative à l'euthanasie ainsi que membre du Comité consultatif de bioéthique de Belgique.

Je vais commencer par vous présenter quelque peu notre loi. Même s'il y a pas mal de similitudes avec ce que vous connaissez, tant au Québec qu'au niveau fédéral, il me paraît important de reprendre certains points.

2002 fut une année très importante en ce qui concerne le droit médical en Belgique. Nous avons voté, en effet, trois lois, deux lois d'inspiration parlementaire, la Loi relative à l'euthanasie, la Loi relative aux soins palliatifs et, enfin, une loi d'inspiration gouvernementale, celle relative aux droits du patient. Et c'est très important, parce qu'en fait cela fait un ensemble et qu'il est difficile de parler des questions de fin de vie sans parler de ces trois lois. Mais ce soir... enfin, c'est, pour moi, ce soir, il y a quand même six heures de décalage, ce soir, en Belgique, donc, je vais me concentrer sur la Loi relative à l'euthanasie et son évolution.

Tout d'abord, en ce qui concerne le caractère de cette loi, c'est une loi qui a un caractère hybride, à la fois droit civil, mais aussi des accents pénaux, puisque, en fait, l'on sort du champ infractionnel si le médecin et seulement le médecin pose l'acte en ayant respecté les conditions de la loi, conditions essentielles et des conditions de forme et de procédure.

Conditions essentielles, elles portent sur trois points. Tout d'abord, il s'agit de la demande d'un patient compétent — je parlerai peut-être une petite seconde de la question des mineurs — patient compétent qui formule une demande volontaire, réitérée et réfléchie, sans pression extérieure, qui fait part de souffrances physiques ou psychiques inapaisables, souffrances qui doivent être en relation avec une affection grave et incurable, qu'elle soit d'ordre pathologique ou accidentel.

La loi ne prévoit pas de délai dans lequel, je dirais, le patient est éligible pour demander une euthanasie. Mais, en revanche, si le médecin estime que le décès n'est pas prévisible à brève échéance, il faut respecter des conditions supplémentaires.

Cette loi, on pourrait dire qu'elle est relativement souple. Pourquoi j'utilise ce mot? C'est parce qu'il ne s'agit pas d'une loi carcan, c'est une loi qui propose un cadre dans lequel resteront responsables deux personnes principalement : le patient et le médecin, qui acceptera ou qui n'acceptera pas la demande d'euthanasie. En fait, c'est le renversement du paradigme. En droit médical, le médecin propose un traitement, et c'est au patient d'accepter ou non ce traitement. Ici, c'est l'inverse, c'est le patient qui en fait la demande, pour l'euthanasie, et c'est au médecin d'accepter ou de refuser. Et en fait, après entretien, après consultation, il faut que le médecin et le patient arrivent à la conclusion que c'est la seule option raisonnable, l'euthanasie.

Pas de liste non plus d'affections graves et incurables, ni en positif, les maladies qui pourraient éventuellement être invoquées pour une demande d'euthanasie, ni en négatif, les aspects médicaux qui ne pourraient pas être retenus. Il s'agit donc, pour chaque demande d'euthanasie, de s'interroger sur : les conditions sont-elles ou non réunies. Mais chaque demande d'euthanasie est singulière, chaque cas est singulier, et, dès lors, c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas voulu d'emblée lister, par exemple, des maladies qui pourraient être susceptibles de causer une demande d'euthanasie ni non plus d'en exclure.

Et donc il est vrai que cette loi a connu des évolutions, mais je dirais que ce sont des évolutions qui ont toujours eu comme point de départ le patient, une demande du patient, que ce soit, par exemple, pour s'interroger sur la question du don d'organes après euthanasie. C'est en 2005 que la première demande a été formulée par un patient en ce qui concerne la possibilité de transplantation d'organes après l'euthanasie.

Ça a été également le cas pour ce qui concerne les mineurs, mais là on a modifié la loi, parce que la loi au départ excluait la possibilité pour un mineur de demander l'euthanasie. Mais cela était également le cas pour toutes les évolutions que l'on a connues au point de vue des maladies, car, au départ, il est vrai que l'on pensait essentiellement aux maladies somatiques, c'est-à-dire cancers, des maladies neurodégénératives, et puis il est apparu qu'il n'y avait pas de possibilité, justement, de ne faire qu'une liste de ces maladies.

Et j'en arrive maintenant à une évolution que l'on a connue, mais, je dirais, fort tôt dans la loi, cela concerne la question des troubles mentaux. Aujourd'hui, nous faisons la distinction entre troubles cognitifs et affections psychiatriques. Si nous pensons, par exemple, à la maladie d'Alzheimer, je me rappelle les premiers cas qui ont été soumis à la commission, commission qui intervient a posteriori, nous avons eu des discussions à ce sujet. Notamment, certains évoquaient le fait que le patient n'était pas nécessairement en souffrance, que la souffrance, au fond, c'était de se projeter dans l'avenir, quand son état se serait détérioré. Et donc nous avons eu des débats à ce sujet, mais nous avons eu d'emblée, dès notre rapport de 2003‑2004, si je ne me trompe, des premiers cas de patients atteints de la maladie d'Alzheimer qui demandaient l'euthanasie, mais, je dirais, dans les premières phases de la maladie, lorsque ce patient a encore la lucidité nécessaire pour en faire la demande.

Des questions psychiatriques sont également apparues très rapidement, mais, comme il s'agissait de quelques cas, sans doute que le débat n'était pas encore très présent dans la société. C'étaient des cas, par exemple, de dépressions réfractaires, de dépressions pour lesquelles les médecins, les psychiatres se trouvaient devant l'impossibilité d'apporter une solution à leurs patients. Donc, on a eu ces premiers cas.

• (15 h 30) •

Et ensuite s'est développée la question de demandes formulées par des patients atteints, par exemple, de schizophrénie. Et, au fur et à mesure, on a répondu à ces questions. Et donc, aujourd'hui, nous pouvons dire, sans avoir dû modifier la loi, que ces cas, certes marginaux... les demandes sont rares, mais ces demandes peuvent recevoir une réponse.

Quand je vous dis que ce sont des cas marginaux, j'ai repris les chiffres des dernières années, donc, de 2008, 2019, 2020, en 2018, pour un ensemble de 2 359 déclarations, nous avons eu 34 patients psychiatriques, cela représentait 1,4 %, 22 patients avec des troubles cognitifs, moins de 1 %, 0,9 %. En 2019, pour ce qui concerne un total de déclarations de 2 656, déclarations d'euthanasie, nous avons reçu 23 déclarations qui concernaient des patients atteints de pathologies psychiatriques, 0,8 %, et, pour les troubles cognitifs, il s'agissait de 26 patients, cela représentait 1 %. Donc, on peut constater qu'il s'agit de cas rares, mais qui ne peuvent pas nécessairement être écartés d'office.

La réflexion, comme je vous disais, la réflexion, bien, elle s'est faite au fil des années dans les sociétés professionnelles. Nous avons eu une première, je dirais, ébauche qui était réalisée aux Pays-Bas par, donc, l'association des psychiatres. Nous nous sommes aussi emparés de cette réflexion, plus spécialement l'association flamande pour la psychiatrie, mais ceci a été repris également par l'ordre des avocats, qui a édicté des directives concernant les demandes, donc, d'euthanasie formulées par des patients psychiatriques.

Quelles sont, en quelque sorte, les grandes lignes que l'on peut tirer de ces différentes directives, différents «guidelines»? C'est tout d'abord qu'il y a un impératif : se donner du temps, se donner du temps pour pouvoir aussi s'assurer que tous les traitements «evidence-based» ont pu être tentés, avec, cependant, un modérateur par rapport à cela, c'est qu'il s'agit de tenir compte de l'histoire du patient psychiatrique et que, s'il a connu déjà de longues périodes d'hospitalisation, s'il y a eu déjà plusieurs tentatives de suicide, s'il y a eu un grand nombre déjà de traitements essayés et que ceux que l'on peut encore proposer ne peuvent donner un résultat et qui, en fait, provoqueraient des effets secondaires plus lourds que ce que pourrait être le bénéfice de ce traitement, ou encore une chance de résultat dans le futur, mais un futur éloigné, tout cela doit aussi être pris en compte.

Mais aussi une chose, je vous ai parlé des conditions essentielles, il existe, donc, les conditions de forme et de procédure pour toute demande d'euthanasie. Il s'agit de consulter un autre médecin. Et, si le décès n'est pas prévisible à brève échéance, il faut également consulter soit un psychiatre soit un spécialiste de la pathologie concernée. Et, pour ce qui concerne les patients psychiatriques, l'Ordre des médecins indique qu'il est hautement souhaitable que, dès le départ, il y ait deux psychiatres qui interviennent, à tout le moins, et que ce ne soient pas seulement des avis qui soient produits, mais qu'il y ait également une concertation avec l'ensemble des professionnels de la santé qui sont concernés par ce patient psychiatrique.

Ce qui me fait sourire, bien, c'étaient des directives qui étaient édictées avant la crise sanitaire, c'est que l'Ordre des médecins préconise une réunion physique. Là, je pense qu'il faudra revoir quelque peu ces directives et les adapter en fonction de l'évolution de notre société et de la crise sanitaire. Mais toujours est-il que ce que je veux indiquer, c'est que, pour ces cas psychiatriques, non seulement il faut du temps, mais il faut également avoir l'éclairage de l'équipe qui entoure le patient, pas seulement les psychiatres, mais éventuellement les psychothérapeutes.

J'ai un petit souci par rapport à la famille, car la famille, ça peut être la meilleure des choses et la pire des choses. Et donc, si le patient, par exemple, ne souhaite pas que ses proches soient impliqués dans le processus d'euthanasie, il faut aussi respecter la volonté du patient, sauf qu'il faut d'abord s'interroger sur le pourquoi. Et, si l'on peut, grâce au dialogue avec le patient, crever un abcès au point de vue d'une histoire familiale douloureuse, c'est aussi l'occasion de le faire.

Je vous communiquerai, de toute manière, les directives de l'Ordre des médecins. Normalement, ces directives auraient dû être revues, mais, comme vous le savez, il y a eu un petit virus qui nous a empêchés de le faire, et donc c'est encore une question qui va revenir.

Mais, pour vous donner un autre exemple de la prise en compte des patients psychiatriques en Belgique, nous avons un grand nombre d'instituts psychiatriques qui sont gérés par l'ordre des Frères de la Charité. Et les Frères de la Charité se sont penchés sur les réponses à donner à leurs patients, dans leurs institutions, qui formuleraient des demandes d'euthanasie, alors que ce sont des patients psychiatriques. Cela a été une réflexion sur le plan éthique, sur le plan, je dirais, moral, quelque part, en fonction également de leur engagement religieux. Et la réponse a été : Oui, nous devons entendre les demandes d'euthanasie. Ce n'est pas pour cela qu'on arrivera, à la fin du chemin, à l'euthanasie, mais, en tout cas, nous devons les entendre et ne pas dire à nos patients : Si vous voulez vraiment persister dans votre demande d'euthanasie, allez voir ailleurs. Donc, pas d'arrêt dans la continuité des traitements, mais bien une écoute.

Et donc vous pouvez vous imaginer le tollé que cela a fait non pas en Belgique, mais au Vatican. Et donc des procès ont été intentés par leurs supérieurs à l'égard des Frères de la Charité. Pour l'instant, je n'ai pas de nouvelles concernant l'issue de ces procès.

Vous dire que tout le monde est ravi par le fait que des patients psychiatriques obtiennent éventuellement l'euthanasie, je dis bien éventuellement, certainement pas. Il existe des professionnels de la santé qui ne partagent pas cette opinion. Pour certains d'entre eux, il est impossible de dire qu'une affection psychiatrique soit incurable. Et parfois je les mets au défi, je dis : Mais donc ce qui veut dire que toutes les affections psychiatriques sont curables? Là, je ne reçois pas trop de réponses, et on me trouve même parfois très impertinente.

Mais donc ce que je voudrais aussi souligner, c'est que, grâce au fait que la personne, le patient est entendu dans sa demande d'euthanasie, l'on peut parfois commencer d'autres traitements, parce qu'il sait qu'il est entendu et que, si on lui propose d'autres traitements, ce n'est pas pour éviter la question de l'euthanasie, mais c'est bien pour trouver d'autres solutions. Et je le dis avec prudence. J'ai été impliquée dans une demande d'euthanasie d'un homme encore jeune. Je lui ai promis de l'aider en ce qui concerne les démarches mais tout en lui disant que mon plus grand souhait, c'est qu'il me dise, dans les mois qui suivent : Eh bien, non, j'ai trouvé la solution grâce au traitement que m'ont proposé les psychiatres et je repars du bon pied. Je le dis avec prudence parce que je le sais fragile, je ne donnerai pas son nom, mais, en tout cas, grâce au fait qu'il a été entendu, grâce au fait que l'on a pu entamer un dialogue avec lui, un dialogue franc, sans tabou, sans, je dirais, l'idée qu'on n'écouterait pas sa demande... Une psychiatre lui avait répondu : Non, je ne peux vraiment pas, je ne suivrai pas ce que... comment est-ce que je pourrais encore amener mes enfants à l'école? Il a changé de psychiatre, et je crois qu'il a bien fait. Mais donc c'est pour dire qu'il est important de pouvoir formuler la demande.

• (15 h 40) •

J'ai parlé des cas psychiatriques, mais, tous, nous avons en tête la situation des patients alzheimer. J'ai fait la curieuse et j'ai écouté une des auditions de la part d'un médecin, et je dois dire que c'était une audition fort émouvante. Et c'est vrai que c'est un problème qui nous concerne, qui concerne la société. Je ne dis pas que la solution est l'euthanasie pour les patients atteints de l'alzheimer, mais, en tout cas, on ne peut pas exclure cette possibilité pour ces patients.

En Belgique, la seule possibilité, c'est lorsque le patient est dans les premières phases, c'est-à-dire quand il a encore suffisamment de lucidité que... pour formuler cette demande en toute compétence. La déclaration anticipée, je n'en ai pas encore parlé, mais la déclaration anticipée, telle qu'elle existe en Belgique, ne nous est pratiquement d'aucune aide pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle certaines demandes sont hâtées. Si vous vous souvenez de l'écrivain Hugo Claus, en fait, il espérait encore pouvoir vivre plus longtemps, mais il a pris cette décision le jour où son épouse lui a demandé d'éteindre la lumière et qu'il n'était plus capable de manipuler l'interrupteur du lampadaire. Donc, ça, ça a été le déclic chez lui, en disant : Mais demain dans quel état je serai? Je ne pourrai peut-être plus formuler, on n'entendra plus ma demande. Et donc, quelque part, il s'est hâté en ce qui concerne sa demande d'euthanasie.

La déclaration anticipée d'euthanasie en Belgique ne peut entrer en considération que si le patient est atteint d'une affection grave et incurable — c'est la condition normale, je dirais — mais aussi il faut qu'il soit inconscient et que sa situation soit irréversible. Et c'est, au fond, une déclaration fermée. Il n'y a pas moyen d'exprimer, par cette déclaration, ses souhaits en ce qui concerne le moment opportun où l'on souhaiterait éventuellement recevoir l'euthanasie.

En revanche, les Pays-Bas, récemment, ont légiféré... pas légiféré, qu'est-ce que je dis. Non. Tout comme vous, pour le Canada, le 11 septembre 2019, une décision a été prononcée non pas par Mme le juge Baudouin, mais donc par le tribunal correctionnel de La Haye. Cela concernait un cas où le médecin — c'était d'ailleurs une femme médecin — avait décidé de pratiquer l'euthanasie sur la base d'une déclaration anticipée qui avait été écrite par la patiente, qui se savait atteinte de démence et qui avait formulé cette demande anticipée en sachant bien qu'elle était atteinte de démence. Et donc cette doctoresse, après avoir mené différents entretiens avec le médecin qui suivait cette patiente auparavant, avec les membres de la famille, avec les membres également de l'équipe soignante de la maison de repos, la maison de retraite où se trouvait cette patiente, a pris la décision de pratiquer l'euthanasie. Ça ne s'est pas très bien passé ce jour-là, parce qu'en fait la doctoresse a voulu quelque peu sédater la patiente, lui a donné du Dormicum mais malheureusement dans une tasse de café, dans du café, et la patiente était encore agitée. Et donc, objectivement, cela ne s'est pas bien passé, le moment même de l'euthanasie.

Donc, l'affaire, c'est la première affaire portée devant les tribunaux depuis que la loi est entrée en vigueur aux Pays-Bas, soit en 2002. Le tribunal a estimé que la doctoresse avait respecté toutes les conditions de prudence, tous les critères, et qu'il n'était pas opportun qu'elle reçoive encore confirmation de la demande au moment de l'euthanasie, donc sur la base de la déclaration anticipée, sur la base de la demande anticipée.

Le parquet a souhaité aller en cassation, mais non pas pour, éventuellement, requérir la condamnation de la doctoresse, il n'en était plus question, mais pour faire jurisprudence, pour aider la loi. Et donc la Cour suprême aux Pays-Bas a confirmé le jugement de première instance, et depuis lors il est acquis, aux Pays-Bas, que, sur la base d'une demande anticipée, il est possible de pratiquer une euthanasie alors que la personne n'est plus en mesure de confirmer sa demande.

Mais il y a toujours un élément qui entre en compte, c'est la question de la souffrance. Je dirais que, si la personne, si la patiente ou le patient ne formule pas, n'est pas en situation de souffrance, il manquera un élément fondamental. Et, quand j'en parle avec des médecins en Belgique, c'est aussi la réflexion qu'ils font : Si le patient donne les apparences de ne pas souffrir, dans ce cas-là, moi, je ne pourrais jamais poser cet acte.

Voilà les quelques éléments que je voulais vous donner, parce que je pense que vous avez certainement en poche quelques questions à me poser, et dès lors, voilà, place aux questions.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Me Herremans. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Je vous remercie beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Herremans. Quelques questions, c'est le moins qu'on puisse dire, après votre présentation. Merci beaucoup d'être avec nous puis de prendre le temps de contribuer à nos travaux, c'est très apprécié.

J'aurais... Bien, je vais rebondir un peu sur ce par quoi vous avez terminé votre présentation, quand vous parlez de souffrance, quand vous dites : Sans la présence de souffrance, vous ne pourriez pas aller de l'avant. Les échanges que vous avez eus avec les médecins, également, vous ont dit la même chose. Déjà, j'aimerais bien comprendre, dans un cas de dégénérescence, par exemple, neurocognitive, qu'est-ce que vous entendez par souffrance. Est-ce que vous parlez de souffrance physique?

Parce qu'encore là on a eu certains experts qui sont venus nous souligner, par exemple, que quelqu'un, par exemple, qui aurait l'alzheimer peut ne pas avoir une souffrance physique mais pourrait avoir une détresse psychologique importante, qui n'est pas toujours quantifiable non plus, mais qui peut certainement être une souffrance, que la perte de dignité peut également être une souffrance, qu'on n'est pas toujours en mesure d'évaluer cliniquement. Donc, je voulais vous entendre : De quelle façon vous l'évaluez, en fait, présentement, dans la loi?

Mme Herremans (Jacqueline) : Pour ce qui concerne la différence entre souffrance physique ou psychique, donc, souffrance physique d'ordre plutôt de douleur, bien, ma foi, cela peut se présenter avec des patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Ça peut être le cas. Mais ce qui est beaucoup plus, je dirais, à prendre en compte, si on parle d'euthanasie... Excusez-moi, hein, je parle toujours d'euthanasie et je sais que, pour vous, ça paraît un petit peu barbare et que je devrais parler d'aide médicale à mourir, mais voilà, pardonnez-moi, je garde le mot «euthanasie».

La Présidente (Mme Guillemette) : Il n'y a pas de problème.

Mme Herremans (Jacqueline) : Donc...

La Présidente (Mme Guillemette) : On comprend bien la nuance, et il n'y a aucun problème. Allez-y.

• (15 h 50) •

Mme Herremans (Jacqueline) : Et donc je pense beaucoup plus à tout ce qui est souffrance morale, c'est-à-dire des personnes angoissées, des personnes qui éventuellement ont toujours le sentiment qu'elles sont abandonnées, où éventuellement c'était... C'était le cas, par exemple, de cette patiente aux Pays-Bas, elle avait été relativement autoritaire dans sa vie et elle voulait régenter la maison de retraite, avec évidemment le fait qu'elle se heurtait à chaque fois à des refus et qu'elle en était malheureuse. Tout le monde en était malheureux. Et donc, là, il y avait vraiment une souffrance morale. Elle était tout le temps en colère, je dirais, elle était tout le temps angoissée.

Donc, je parlerais plutôt de cela par rapport à la notion de souffrance. Mais, si l'on voit une personne... On a connu le cas d'une personne qui avait, certes, oublié qu'elle était mariée, mais qui était en train de draguer son époux. Ah! ça, je ne peux pas dire que... je ne pourrais pas dire qu'elle était vraiment malheureuse, hein? Donc, voilà, ce sont des situations pareilles.

Alors, je sais que je m'écarte de ce que certains voudraient entendre respecter, c'est la demande qui a été formulée, quelles que soient, finalement, les conditions, quel que soit le regard que l'on porte sur eux par rapport à l'appréciation de leur dignité, de leur souffrance.

Donc, j'ai décidé, j'ai décidé que c'est le point de non-retour, le fait que, par exemple, je ne reconnaisse plus les miens, que je n'ai plus conscience de moi-même, c'est le point de non-retour, je peux le comprendre aussi. Mais ce qu'il y a, c'est qu'il y a toujours le tiers, c'est-à-dire ce que l'on demande à un médecin, et, chez vous également, la possibilité à une infirmière ou à un infirmier, de poser cet acte, ce n'est pas rien. Et donc, ça, j'entends aussi que, pour un médecin, il y a certaines situations où... et ce n'est pas qu'il soit opposé à l'euthanasie mais que, pour lui, il faut qu'il y ait un sens lorsqu'il pose cet acte et que, pour certains médecins, effectivement, il ne trouverait pas un sens à son acte si la personne ne donne pas les apparences d'être malheureuse.

Mme Montpetit : En ce sens, dans le fond, quand vous dites : C'est... «ne trouverait pas un sens» parce que ce n'est pas un... ça ne répond pas à une douleur, ça ne répond pas à une souffrance, donc ce n'est pas une forme de traitement, dans le fond. Dans le rôle du médecin...

Mme Herremans (Jacqueline) : Quelque part, quelque part, c'est... voilà, je m'écarte, à ce moment-là, de la volonté de certaines personnes qui entendraient que leur volonté soit respectée nonobstant la situation dans laquelle elle se trouverait.

Mme Montpetit : Exactement, bien, c'est ça, on a eu ces... Donc, pour vous, ce n'est pas une directive...

Mme Herremans (Jacqueline) : ...obligatoire.

M. Montigny :  ...qui devient exécutoire.

Mme Herremans (Jacqueline) : Mais aucune, d'ailleurs, parce que, de toute façon, pour toute demande d'euthanasie... Et c'est pour ça que l'on parle toujours du fait que l'on n'a pas ouvert le droit à l'euthanasie mais bien le droit de demander l'euthanasie et que, donc, il y a toujours la question que le médecin pourrait ne pas vouloir pratiquer l'euthanasie, et pas seulement pour des questions de conceptions religieuses ou philosophiques, mais aussi parce qu'il estime que toutes les conditions ne sont pas réunies. À tort, mais, semble-t-il, certains médecins, par exemple, en Belgique, refusent de pratiquer l'euthanasie si la famille n'a pas marqué son accord. Pour moi, c'est à tort parce que ce n'est pas respecter la volonté du patient. Il faut toujours s'interroger pour le pourquoi et le comment, mais je ne partage pas cet avis de ces médecins qui refusent d'aller plus loin s'il n'y a pas l'accord des proches.

Bon, je sais qu'il y a toujours un risque de procédures judiciaires, incontestablement, mais voilà. Ça, c'est, je dirais, le biais que je ne souhaite pas voir apparaître de façon systématique.

Mme Montpetit : Merci. Dans la présentation que vous nous avez faite aussi, vous soulignez qu'en 2018-2019, si je ne me trompe pas, donc, il y a 48 personnes qui ont fait... 48 patients qui ont fait une demande d'euthanasie pour un trouble cognitif, principalement pour démence, mais vous soulignez aussi que c'est un nombre très petit, insignifiant, vous mentionnez, par rapport au nombre de personnes qui sont atteintes de démence, qui tourne autour de 150 000. Est-ce que vous êtes capable de nous tracer un portrait? Pourquoi 48 personnes? Pourquoi... En fait, c'est quoi, la... Qu'est-ce qui a mené, dans le fond, ces 48 personnes là à faire une demande? J'essaie juste de voir, sur 150 000 personnes, qu'est-ce qui va faire que certaines vont cheminer davantage que d'autres. Est-ce qu'elles ont un profil social qui est différent, un profil médical qui est différent? Qu'est-ce qui va faire, en fait, qu'ils vont se rendre jusqu'à cette demande-là? Est-ce que c'est l'accompagnement, l'encadrement, les valeurs?

Mme Herremans (Jacqueline) : C'est très variable parce que... Je vous ai cité le cas d'Hugo Claus. Je pourrais aussi citer le cas d'une féministe flamande, on en a moins parlé, peut-être parce que c'était une femme, mais elle a obtenu l'euthanasie avant Hugo Claus. Et elle ne souhaitait pas aller plus loin, elle ne voulait vraiment pas qu'au fond ce qui avait fait sa raison d'être, ses combats pour le féminisme, etc., que tout cela, elle ne puisse plus le mener d'une façon ou d'une autre. Et donc elle a lutté contre la montre encore pour écrire, écrire, écrire avant qu'elle n'en soit plus capable. Mais, à un moment donné, elle a dit : Non, maintenant, j'ai franchi la limite, je crains — comme je l'ai dit précédemment — de passer de l'autre côté du miroir et de ne plus être en mesure de demander l'euthanasie.

Donc, c'est vraiment des profils très variables. Ce que je peux dire, c'est que, en tout cas, en ce qui concerne l'âge, nous trouvons un profil plus âgé pour ce qui concerne les troubles cognitifs et moins âgé pour les affections psychiatriques. Donc, pour les affections psychiatriques, effectivement, il peut se produire que des personnes encore jeunes, mais avec un passé déjà de 10, 15, 20 ans de traitement, demandent l'euthanasie et l'obtiennent. Donc, profils différents au point de vue de l'âge, entre troubles cognitifs et affections psychiatriques, mais sinon c'est vraiment très, très, très variable par rapport aux personnes qui, en fait, demandent l'euthanasie.

Je pourrais parler aussi de quelqu'un que j'ai suivi, et je dois dire que c'est avec émotion que je parle de lui parce que c'était un magistrat et un magistrat devant lequel j'avais plaidé mes premières grosses affaires, avec également la présence de mon patron, que j'ignorais... qui s'était glissé dans la salle d'audience pour entendre ma plaidoirie. Mais donc c'était un magistrat que je respectais énormément. Et puis, un jour, il m'a téléphoné, il m'a dit : Voilà, je suis atteint de la maladie d'Alzheimer, je voudrais vous en parler, je voudrais savoir ce qui est possible et pas possible. Et donc j'ai cheminé avec lui, grand intellectuel, il avait une bibliothèque rangée comme je rêverais d'avoir la mienne, mais c'est un rêve. Il avait également le goût, je dirais, des antiquités, etc. Donc, vraiment... Son médecin, d'ailleurs, me le disait : C'est quand même incroyable, moi, je ne peux pas, je ne peux pas poser cet acte, j'aurais l'impression... Enfin, il a fallu beaucoup de temps pour que le médecin soit persuadé que c'était l'acte à poser, et il demandait... il le demandait de façon répétée, et, en fait, c'était une dégradation aussi bien physique que mentale.

Voilà, là, c'était un grand intellectuel, mais je pourrais vous dire que ça pourrait arriver aussi à des personnes qui ne sont pas du tout intellectuelles, qui sont des manuels et qui réalisent que, tout d'un coup, ils ne parviennent même plus à manier un outil. Donc, il n'y a pas de profil type.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Je céderais maintenant la parole au député de Gouin.

• (16 heures) •

M. Nadeau-Dubois : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci, Me Herremans. C'est la deuxième fois que j'ai le bonheur de vous entendre et c'est toujours très intéressant puis instructif pour nous parce que savoir comment ça s'est passé de votre côté de l'Atlantique, ça peut nous permettre, nous, de poser les bons choix, de mettre les bonnes balises.

J'ai capté dans votre présentation le fait que, chez vous, en Belgique, un des critères qui est exigé pour obtenir l'aide médicale à mourir, c'est le fait que la maladie ou l'affection soit incurable. On a vu des psychiatres dans les derniers jours à la commission, et ils ne s'entendent pas sur cette question-là. Certains disent que oui, qu'il existe certaines conditions psychiatriques incurables. D'autres viennent au contraire témoigner que c'est pratiquement impossible puis qu'eux ne jugent pas... en fait, qu'eux jugent que, de manière extrêmement générale, à peu près toutes les conditions psychiatriques peuvent être curables, et qu'on peut apaiser les souffrances de ces gens-là, et qu'on ne devrait pas démissionner de cette perspective-là et ouvrir la porte de l'aide médicale à mourir.

Est-ce que ce débat-là, au sein même de la psychiatrie, a eu lieu chez vous? Si oui, comment l'avez-vous tranché? Et comment vous définissez, dans la loi qui est la vôtre, cette définition d'incurabilité quand il est question de troubles mentaux?

Mme Herremans (Jacqueline) : Le débat, très certainement, a eu lieu et a encore lieu. Il existe encore, dans le monde de la psychiatrie, des personnes qui sont radicalement opposées à la possibilité pour un patient psychiatrique d'obtenir l'euthanasie et en disant, comme vous l'avez précisé, qu'il y a toujours une possibilité, qu'il y a toujours un traitement et que, même si on ne peut pas guérir le patient, il y a peut-être la possibilité d'apaiser ses souffrances. Donc, il est vrai que ce débat existe et pas seulement de la part de psychiatres mais également de psychologues.

Et ce qui est curieux, c'est que les psychiatres n'ont pas formulé d'objection à être sollicités pour rendre un avis dans le cadre d'une procédure d'euthanasie mais se retrouvent très réticents lorsqu'ils sont confrontés à la demande d'un patient, une demande d'un patient psychiatrique, donc. Et je pense que, quelque part, c'est aussi parce qu'ils doivent bien constater qu'ils sont en échec. Et, au lieu d'admettre qu'ils sont en échec, parce que, de toute façon, pour certains patients psychiatriques, et on le vit, la maladie est incurable, dire qu'il y a toujours une possibilité... On le disait aussi pour des patients atteints de cancer, par le passé, en disant : Bien, on trouvera peut-être le traitement dans cinq, 10, 20... on ne sait pas. Mais entre-temps la personne, elle est là, en demande.

Et ce que je dirais aussi, c'est que ce sont des patients qui ont fait le tour. Quand je parlais de ce patient jeune à qui sa psychiatre a dit... pas celle dont je parlais, mais une autre lui a dit : Je ne peux plus rien vous proposer, mais qu'est-ce que ça veut dire, cela? Ça veut dire qu'effectivement elle était arrivée au bout des possibilités, si ce n'est que d'autres psychiatres ont pu trouver des solutions, dans ce cas-là. Mais ce n'est pas toujours le cas, surtout lorsqu'il y a un passé long au point de vue des traitements psychiatriques.

Je ne sais pas si vous avez entendu parler du procès en cour d'assises qui s'est déroulé à Gand, où trois médecins étaient poursuivis par rapport à l'euthanasie pratiquée sur une femme encore jeune. En fait, lorsque l'on a pu avoir accès à son dossier médical, l'on a pu constater que c'est depuis l'enfance qu'elle a commencé à développer une personnalité borderline. Et d'ailleurs tous les échecs qui ont été rencontrés par rapport aux traitements ont trouvé leur explication. À un moment donné, on s'est posé la question : Mais est-ce qu'il ne s'agissait pas d'une forme d'autisme? Oui, c'était une forme d'autisme, mais tout ce qui avait été proposé avait, je dirais... n'avait pas donné de résultat satisfaisant, et elle était suivie encore la veille de l'euthanasie par une psychothérapeute.

Non, il y a des moments où on est en échec, où, en quelque sorte, on se retrouve dans la situation où les patients psychiatriques ne sont plus, je dirais, traités en vue d'une guérison mais bien en soins palliatifs.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup. C'est tout le temps que nous avions pour le député de Gouin. Je céderais la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour, Me Herremans. C'est un plaisir de vous entendre à nouveau. J'aurais énormément de questions, j'ai très peu de temps, ça fait que, si on peut y aller rondement... La première, c'est vraiment concernant la demande anticipée et la question de la souffrance. Donc, je vous soumets une hypothèse, vous allez me dire si vous trouvez que ça pourrait être un modèle applicable.

La personne, dans sa demande anticipée... On a le même régime au Québec, on ne peut pas exiger l'aide médicale à mourir, on peut le demander et, si les critères sont remplis et qu'un médecin accepte, on va pouvoir la recevoir. Donc, c'est la même chose, et donc ce serait la même chose pour une demande anticipée. C'est pour ça que je trouve, moi, que le débat exécutoire ou non exécutoire est un peu factice, parce que, dans le fond, il faut que les critères soient retenus.

Et là on a la question à se poser : Est-ce qu'on garde le critère de la souffrance ou non? Si on postule qu'on le garde, comme je pense qui est la dominante de le garder, est-ce que... Donc, dans le scénario que vous envisagez, la demande anticipée, la personne peut expliquer tout ce qu'elle ne voudrait pas vivre et qui pourrait être les éléments qui déclencheraient, je dirais, la levée du drapeau pour dire : On devrait, donc, considérer la demande de ma mère, de ma soeur, de mon ami. Mais en plus, selon vous, il faudrait qu'au moment de l'administration il y ait des signes contemporains de souffrance, et non pas uniquement les circonstances que vous nommiez, ne plus reconnaître mes enfants, ne plus être capable de m'alimenter, qui auraient été anticipés, mais il faudrait ajouter le critère de souffrance actuelle. Est-ce que c'est ça, votre conception?

Mme Herremans (Jacqueline) : Il me paraît difficile de ne pas passer par là. Et ça, évidemment, c'est aussi en fonction de l'évolution que l'on a... qui a lieu. Par exemple, aux Pays-Bas, c'est bien le critère de souffrance qui a été le premier abordé, souffrance qui doit nécessairement avoir une origine médicale. Mais c'est vraiment ce critère-là qui est retenu aux Pays-Bas, de telle sorte que, par exemple, aux Pays-Bas, par rapport à la déclaration anticipée, ils ne peuvent l'accepter si la personne se trouve en état, par exemple, végétatif, parce qu'à ce moment-là, pensent-ils, la personne ne souffre plus. Donc, ça peut être contesté, ça peut être contestable, mais toujours c'est ce critère principal qui a été évoqué aux Pays-Bas. Et on a suivi quelque peu, et je pense que, par rapport à la demande d'intervention d'un tiers, qui est le médecin ou l'infirmière, il m'apparaît difficile de ne pas prendre ce facteur en considération.

Mme Hivon : Parfait. Merci. Maintenant, sur les troubles mentaux, je ne sais pas si vous, vous connaissez notre loi québécoise dans ses détails, mais tantôt vous avez fait une énumération des critères de l'ordre des avocats. Et d'ailleurs, si jamais vous pouviez nous envoyer les directives qu'ils ont émises, ce serait très utile pour nous. Donc, vous avez dit : Se donner du temps, évidemment, pour voir les délais, la persistance, les traitements, concertation avec l'ensemble de l'équipe des professionnels et, au besoin, consultation de la famille.

Et je veux juste, en tout cas, vous amener à l'article 29 de notre loi actuelle, qui prévoit pas mal ces critères-là, dans le sens que la demande doit être réitérée dans un délai qui est, je dirais, proportionnel au type de maladie. Donc, si vous êtes en phase terminale de cancer, peut-être, vous le réitérez trois jours après, ça fonctionne, mais, si c'est une maladie psychiatrique, il va falloir que vous le réitériez sur une beaucoup plus longue période. On doit consulter l'ensemble de l'équipe, mais la décision ultime revient au médecin, et, si le patient le souhaite, on consulte les proches. Donc, c'est lui qui décide si on implique les proches.

Est-ce que ça, ça vous apparaîtrait déjà une bonne base, si on décidait d'ouvrir pour les troubles mentaux, ou vous voyez des choses qu'on devrait ajouter?

Mme Herremans (Jacqueline) : Je pense qu'effectivement c'est une très bonne base. Et il faut... je dirais, dans une loi, il ne faut pas tout prévoir, il faut également garder la possibilité pour les professionnels de la santé de formuler des règles, des directives, on peut appeler ça comme on veut, mais, en tout cas, de ne pas encombrer la loi avec une série de précisions qui pourraient un jour se révéler totalement impossibles à réaliser. Moi, je crois que ce qui est préférable... et, oui, j'ai suivi vos travaux, Mme la députée Hivon, et avec beaucoup d'intérêt, et parfois de très près, et donc, oui, je pense que ce que vous avez mentionné comme éléments qui se trouvent dans la loi sont déjà des éléments très importants.

• (16 h 10) •

Mme Hivon : O.K. Dernière question, s'il me reste du temps, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Guillemette) : Allez-y, Mme la députée.

Mme Hivon : Écoutez, je ne sais pas si les oreilles vous ont silé, mais tout le monde parle de la Belgique et des Pays-Bas, hein, donc, d'un sens comme dans l'autre : c'est extrêmement restrictif, il faudrait se fier à vous pour exiger tous les traitements possibles et imaginables avant de l'offrir, et par ailleurs c'est tellement ouvert que tout le monde... il y a des dérapages pas possibles. Et donc, évidemment, on vous a aujourd'hui, vous semblez quelqu'un de fort raisonnable, donc c'est très rassurant.

Mais je veux juste vous donner deux cas qu'on nous a dits. C'est tellement ouvert que, par exemple, quelqu'un qui vivait une dépression des suites du décès de son animal de compagnie a pu obtenir sans autre formalité l'aide médicale à mourir. On nous a aussi parlé de cas où les gens étaient essentiellement seuls et isolés, et ils auraient pu obtenir l'aide médicale à mourir. Donc, pouvez-vous nous dire ce qu'il en est?

Mme Herremans (Jacqueline) : J'adore les chiens, mais les chats aussi, un peu moins, mais ils ne le savent pas. Donc, je ne dis pas qu'éventuellement, dans un cas ou dans un autre, on aurait pu... un médecin aurait pu estimer qu'on ne se retrouve pas dans les conditions, mais, en tout cas, je n'ai pas le souvenir d'avoir vu une déclaration concernant la tristesse d'avoir perdu son chien de compagnie. J'ai vu une déclaration, il est vrai, où l'euthanasie, en fait, se déroulait avec également l'animal de compagnie, qui était âgé et qui n'avait aucun espoir, je dirais, d'être accueilli, il était malade, etc., tout comme son maître. Et là, effectivement, il y a eu l'euthanasie des deux. À part que je n'aime pas parler d'euthanasie...

Mme Hivon : Et ce n'était pas... un n'était pas la cause de l'autre.

Mme Herremans (Jacqueline) : Mais donc, non, je n'ai pas ce souvenir. Mais, vous savez, ce qu'il y a, c'est que c'est vrai que la Belgique... à part que c'est au Canada que vous avez réalisé le film Les invasions barbares, mais, chez nous, il n'y a pas besoin d'invasion, puisque nous sommes des barbares. Donc, tout a été dit, surtout en France. Mgr Vingt-Trois a déclaré, sur les antennes d'une radio française, qu'il avait reçu une lettre disant que des parents avaient amené à l'euthanasie leur enfant autiste. Or, bon, il est possible, pour des enfants, d'obtenir l'euthanasie, mais certainement pas pour une maladie psychiatrique, déjà. Et, même pour les cas d'autisme, la chose est quand même, pour les adultes, excessivement difficile à obtenir, il faut, justement, passer par ce filtre de tous les traitements possibles, du moins «evidence-based».

Donc, moi, je n'ai pas connaissance de cela, mais je ne dis pas que j'ai la connaissance de toutes les euthanasies pratiquées en Belgique, mais, en tout cas, ça nous aurait frappés de lire une déclaration où il aurait été question d'un deuil. On connaît cette question du deuil pathologique, mais il faut quand même des éléments. Il y a un dossier qu'on a renvoyé au parquet qui concernait, je dirais, un cas qui pouvait se rapprocher de cela. On avait estimé que toutes les conditions n'étaient pas réunies, mais le parquet a conclu dans un autre sens que nous. L'affaire a été conclue par un non-lieu.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Je céderais la parole au député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci, Mme la Présidente. Mme Herremans, c'est toujours un plaisir. C'est aussi la deuxième fois que j'ai l'opportunité de vous écouter, de vous entendre. Et, pardonnez-nous, je sais qu'il est tard en Belgique.

Et, puisqu'on met tous les péchés du monde sur les Belges et sur les Pays-Bas, vous venez de nous parler d'un enfant, au début vous aviez fait référence aux mineurs, j'avais deux questions, mais je vais commencer par la première, particulièrement pour les mineurs, parce que j'ai trouvé que vous êtes... vous n'avez pas élaboré dans votre présentation d'aujourd'hui. La position de la Belgique, des Pays-Bas, relativement aux mineurs, pour une maladie incurable ou des maladies rares, c'est quoi? J'ai besoin de vous entendre, vous êtes notre référence pour les travaux de la commission. Même si ce n'est pas spécifiquement dans notre mandat, ça pourrait être dans nos observations.

Mme Herremans (Jacqueline) : La question des mineurs a été abordée par des professionnels de la santé qui sont confrontés à des situations d'enfants atteints de maladies incurables et qui développent une maturité qui est souvent très déconcertante. Et donc il a été décidé, en 2014, d'ouvrir la possibilité, pour un enfant doté de discernement, la possibilité de demander l'euthanasie. C'est plus restrictif que pour des adultes. Je vous ai déjà dit en filigrane qu'il n'était pas question de prendre en considération une maladie psychiatrique. Le législateur a été quelque peu imprudent en parlant du fait que seules les souffrances physiques peuvent être prises en considération. En fait, il faut surtout comprendre que toute maladie psychiatrique doit être exclue, et cela va de soi, puisque, de toute façon... enfin, pour moi, ça va de soi, puisqu'il faut se donner du temps et que, de toute façon, je ne vois pas une possibilité pour un médecin de décider de donner son accord pour une euthanasie par rapport, par exemple, à des enfants qui auraient des troubles de l'alimentation, etc. Ça, donc, c'est exclu. C'est également exclu pour toute situation où le décès n'est pas prévisible à brève échéance.

Par ailleurs, il faut s'assurer de la capacité de discernement du mineur et, pour ce faire, il faut une consultation soit d'un pédopsychiatre soit d'un psychologue. Et cette consultation, elle est liante. Si le psychologue ou le pédopsychiatre disent : Non, cet enfant ne comprend pas ce dont on parle, il ne comprend pas qu'il est question d'une situation sans retour, donc, on s'arrête là.

Il faut aussi l'accord des parents. J'aurais préféré qu'on parle plutôt de l'absence de position des parents. Pourquoi? Parce que c'est quand même leur faire peser une charge que de devoir donner leur accord concernant une demande d'euthanasie de leur enfant. Cela étant dit, très heureusement, nous n'avons eu que quatre cas depuis 2014.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup. Merci, M. le député. Je céderais la parole maintenant à la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme Herremans. Plusieurs intervenants, lors des audiences, dont le Dr Félix Carrier, ont mentionné qu'il ne faut pas avoir peur d'employer le terme «euthanasie», puis celui «d'aide médicale à mourir» représenterait mal l'action qu'il décrit. C'est notamment le cas en Belgique et au Luxembourg, où le vocable «euthanasie» est celui présent dans la loi. Aux Pays-Bas, on parle «d'interruption de la vie sur demande» pour bien marquer le fait que, l'aide médicale à mourir, le pronostic vital n'était pas engagé à court terme. Pensez-vous que, tout particulièrement avec le retrait de la clause de fin de vie de la loi québécoise, le vocable «d'aide médicale à mourir», qui s'inscrivait dans une logique parallèle à celle des soins palliatifs, est toujours le bon afin de décrire l'acte auquel il renvoie?

Mme Herremans (Jacqueline) : La question de la terminologie est certes importante, mais le tout est de bien savoir ce que l'on veut dire. Que ce soit maintenant sous le vocable «aide médicale à mourir», à partir du moment où elle est... où c'est précisé que c'est une aide médicale active à mourir, moi, je dirais que je n'ai pas d'avis à donner à cet égard-là, parce qu'il faut respecter aussi les sensibilités des uns et des autres. Et, si le mot «euthanasie» représente un poids trop important, je peux comprendre qu'on ne l'utilise pas. En Allemagne, on ne parlera jamais d'euthanasie, on parlera de «Sterbehilfe». Donc, pour moi, peu importe, je dirais, le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse. En d'autres termes, si on sait ce que cela veut dire, tant mieux.

Et c'est vrai que, quelque part, les soins palliatifs, c'est aussi une aide médicale à mourir, mais ce n'est pas nécessairement une aide active à mourir. Donc, si on sait faire la différence entre, éventuellement, un long processus au point de vue du mourir, d'une part, et, d'autre part, le fait qu'il s'agit... Quand tout a été mené de A jusqu'à Z, la procédure en amont peut être très longue, mais, en tout cas, le jour où c'est décidé, on sait que ce sera rapide. Si on sait ça, que c'est une aide active, et non pas simplement donner des sédatifs, je pense que, peu importe le terme que l'on utilisera... Moi, j'aime bien le mot «euthanasie», mais je ne veux pas l'imposer.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Est-ce que vous seriez prête à dire qu'il existe une euthanasie passive et une euthanasie active?

Mme Herremans (Jacqueline) : Les mots perdent souvent de leur importance et de leur valeur si on accole des adjectifs. On a défini l'euthanasie dans notre loi, donc, en Belgique, il n'y a pas de contentieux à cet égard. Et, même si, aux Pays-Bas, les termes sont «l'interruption de vie à la demande du patient», aux Pays-Bas, on parle tout le temps d'euthanasie. Ça, c'est parce qu'il existait un article du Code pénal qui prévoyait, d'une part, l'assistance au suicide, et, d'autre part, donc, l'interruption volontaire de vie à la demande de la personne.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci beaucoup. J'ai une autre...

• (16 h 20) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Je céderais la parole à la députée de Saint-François. Madame... Abitibi-Ouest, on n'a plus beaucoup de temps, donc...

Mme Hébert : Alors, merci, Mme la Présidente. Je n'ai pas beaucoup de temps, je crois, hein?

La Présidente (Mme Guillemette) : Non, un petit deux minutes.

Mme Hébert : Parfait. Donc, je voulais juste préciser... Bonjour, Mme Herremans. Je voulais juste préciser quand vous avez dit qu'au premier stade de la maladie, quand on parle de maladie dégénérative comme l'alzheimer, la décision était définitive, et le patient n'avait pas le choix du moment quand on va appliquer l'aide médicale à mourir ou l'euthanasie. Donc, est-ce que c'est ça que vous avez dit?

Mme Herremans (Jacqueline) : C'est-à-dire que, quand il fait sa demande et qu'il la concrétise, c'est-à-dire quand, avec le médecin, il choisit une date, un lieu, une heure, donc, à ce moment-là, il peut toujours retirer cette demande jusqu'à la dernière minute. Mais ce que je voulais dire, c'est que, compte tenu du fait que l'évolution de la maladie pourrait faire en sorte qu'il ne puisse plus formuler une demande en étant compétent, c'est à ce moment-là qu'éventuellement des patients se... je ne dis pas qu'ils se précipitent, mais, en tout cas, décident peut-être avant l'heure, avant l'heure qu'ils s'étaient proposé de demander l'euthanasie.

Mme Hébert : Parfait. Puis je ne sais pas si on a le temps, mais vous avez parlé...

La Présidente (Mme Guillemette) : 30 secondes.

Mme Hébert : ...le don d'organes. Alors, pouvez-vous nous élaborer un petit peu plus? Parce que les gens doivent sûrement anticiper leur mort pour être capables d'avoir un don d'organes.

Mme Herremans (Jacqueline) : Alors, pour le don d'organes, le Comité consultatif de bioéthique va bientôt rendre un avis, mais toujours est-il qu'avant même l'avis du comité de bioéthique les dons d'organes existent. Il y en a eu très peu l'année passée, de façon générale, à cause du COVID, ou de la COVID. Mais donc il faut évidemment écarter tous les patients qui sont atteints de cancers métastasés. Donc, les patients éligibles sont, éventuellement, ceux qui sont atteints de maladies neurodégénératives, et encore, il faut faire attention, et également les patients psychiatriques. Mais la demande qui a été formulée par ces patients, c'était en quelque sorte de donner un sens supplémentaire à leur mort, de pouvoir dire : Bien, certes, je demande à mourir, mais je voudrais aussi que l'on puisse permettre à d'autres personnes de vivre grâce à la transplantation d'organes.

Donc, les critères éthiques, parce que ce sont deux lois différentes, les critères éthiques que l'on doit absolument ériger, c'est qu'il ne faut absolument pas faire pression sur un patient qui serait éventuellement un merveilleux donneur d'organes, pour le presser par rapport à l'euthanasie, en disant : Vous avez demandé l'euthanasie, vous avez aussi évoqué le don d'organes, allons-y. Non, il doit toujours être en mesure de dire non pour l'euthanasie et éventuellement pour le don d'organes.

Mais donc il faut également vraiment garder l'étanchéité entre les deux équipes, l'équipe qui est chargée de suivre la procédure d'euthanasie et l'équipe des transplanteurs, si ce n'est qu'à un moment donné, si tout le monde est bien au clair, il faudra éventuellement que le patient accepte que des examens soient donc pratiqués, examens qui n'ont aucune portée thérapeutique pour lui mais qui permettront éventuellement de vérifier la compatibilité avec des personnes en demande d'organes sur les listes que nous avons.

Donc, c'est un sujet qui, au départ, m'a, je dirais, causé quelques frayeurs, mais, une fois que l'on écoute à la fois les patients qui ont fait ces demandes mais aussi les médecins qui sont chargés des transplantations d'organes, etc., je dois dire que j'ai été rassurée et aussi que c'est vraiment aussi une belle aventure. Et cela donne encore, pour ceux qui demandent l'euthanasie, un sens supplémentaire à leur désir de rester, quelque part, autonomes.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Me Herremans, c'est tout le temps qu'on avait pour nos échanges avec vous. Ça a été très, très instructif. Merci de vous avoir... de vous être déplacée de... à cette heure chez... de chez vous.

Donc, nous suspendons maintenant les travaux pour accueillir nos nouveaux invités. Et vous pouvez faire parvenir vos documents au secrétariat de la commission, Me Herremans, si c'est possible.

Mme Herremans (Jacqueline) : Je le ferai.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

Mme Herremans (Jacqueline) : Je le ferai, et, s'il y a encore l'une ou l'autre question, n'hésitez pas, je serai à votre écoute.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci infiniment. C'est très apprécié.

Une voix : Merci beaucoup.

Mme Herremans (Jacqueline) : Bonne continuation. Au revoir!

La Présidente (Mme Guillemette) : Au revoir!

(Suspension de la séance à 16 h 27)

(Reprise à 16 h 29)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour. Nous accueillons maintenant le Dr Marcel Boisvert. Donc, bienvenue, Dr Boisvert. Merci d'avoir accepté l'invitation cet après-midi. Donc, sans plus tarder, je vous cède la parole.

M. Marcel Boisvert

M. Boisvert (Marcel) : Merci de l'invitation. On m'a demandé de me présenter. Vieux généraliste à la retraite depuis quelques décennies. Avant, médecin, professeur associé de médecine palliative à l'Université McGill, à l'Hôpital Royal Victoria, membre, je tiens à le dire, membre actif, au début, de l'AQDMD, l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, possiblement le premier médecin en soins palliatifs à faire ce saut, que je ne regrette pas. Je suis de tout coeur encore avec l'AQDMD, mais l'âge et mes circonstances de vie m'en tiennent un peu loin, mais ça va. Voilà, ça suffit?

• (16 h 30) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, vous pouvez y aller.

M. Boisvert (Marcel) : Alors, je m'en vais dans mon texte. Bonjour à toutes et tous. L'invitation à me présenter — généraliste labouré par les ans — et qui vous en remercie, m'est venue de la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie sans autres spécifications. Le mot «évolution» a retenu mon attention, me rappelant qu'elle n'a pas de marche arrière, selon le fin penseur Boris Cyrulnik, ce qui en fait une loi, selon un sage étapisme, et non une pente dangereuse.

J'y vois deux aspects principaux : le libellé et la compréhension, appropriation par la population. Je suis d'accord avec les recommandations du comité coprésidé par Mme Filion et M. Maclure et d'accord également avec les recommandations de l'AQDMD présentées par le Dr Georges L'Espérance, président. Je ne peux qu'y ajouter mon grain de sel.

Mon premier propos ne concerne qu'indirectement l'évolution de cette loi, mais je crois qu'il demeure pertinent en ces temps de pandémie où on voit que le mot «contagion» connu de tous demeure très mal compris par plusieurs.

En guise d'introduction, retraité depuis longtemps, je laisserai à d'autres l'amplification des soins palliatifs à domicile, incluant l'aide médicale à mourir ainsi que d'autres tâches, dont certaines sont déjà sur la planche, tels les mineurs matures, et les cas où la pathologie primaire est mentale ou psychique, et, plus difficile encore, les situations faisant appel à ce que je nomme le principe de Kluge, du nom du premier bioéthicien canadien à être reconnu comme tel par la justice canadienne. En 1994, devant la commission sénatoriale spéciale sur l'euthanasie et le suicide assisté, il déclarait — je traduis : «Quand un droit a été reconnu et proclamé, il ne devrait pas être obligatoire qu'on soit capable de le réclamer pour pouvoir en bénéficier. Ces cas rares ne doivent pas être oubliés que parce qu'ils sont rares.»

Mon principal propos débute ici : le langage de l'aide médicale à mourir. Le hasard me déposa parmi les figurants des premiers temps des soins palliatifs et de la saga de l'aide médicale à mourir, AMM, les pour et les contre s'affrontant, alors que la seule question était de savoir si et pourquoi elle pouvait être appropriée. Dès ce temps, j'ai noté le fil rouge, continu à ce jour, d'un vocabulaire erroné, voire à l'intention souvent dépréciative. Secondaire, ce sujet mérite néanmoins d'être exploré. L'évolution de la loi, je crois humblement, pourrait en bénéficier. Pour m'y être fréquemment frotté, j'affirme que ce langage est un obstacle à un dialogue constructif, peu d'espace y existe d'ouverture à l'autre.

Quelques exemples, d'anciens à récents, suffiront. Une vieille campagne publicitaire d'envergure stipulant Tuer n'est pas un soin débute en mai 2013 dans tous les grands médias du Québec. Puis une découpure de journal, que j'ai malheureusement égarée, mais je m'en souviens très bien, probablement du Devoir ou de L'Actualitémédicale : «On paie les médecins pour nous garder en vie, maintenant il faudra les payer pour nous tuer.» Puis, en 2015, un juriste chevronné déclare l'aide médicale à mourir criminelle et immorale en vertu de «tu ne tueras pas». Il y a même insinuation que le Québec et la Cour suprême se sont piégés dans la banalité du mal, la notion élaborée par Hannah Arendt. Ou, plus récemment : «Je n'ai jamais fait un cours de médecine pour tuer du monde», ou : «Pour moi, l'euthanasie, c'est un meurtre», de deux médecins participant en 2019 à une étude à l'Université Laval, familière à M. Maclure. Ou, plus récemment encore, une lettre à la population, fin 2020, émanant des autorités religieuses canadiennes, toutes dénominations confondues, avec 50 autographes, signatures autographes, qui rappelle le caractère sacré de la vie et que d'y mettre fin volontairement... je cite : «L'AMM — l'aide médicale à mourir — n'est en réalité, tragiquement, rien de moins qu'un meurtre.» Fin de la citation.

S'opposer à l'aide médicale à mourir est légitime, et les raisons sont multiples, plusieurs relèvent de valeurs intimes, le sens donné à la vie, à la souffrance, à la personne, à la mort, ou simplement religieuses. Pour faire court, deux raisons sont universelles : le caractère sacré de la vie et «tu ne tueras pas».

Je me permets ici un court aparté pour signaler qu'«aide médicale à mourir» décrit ce que sont essentiellement les soins palliatifs. Le sigle AMM actuel devrait désigner une aide à une anticipation volontaire de la fin de vie, AVF, tel qu'énoncé par le philosophe et théologien Bernard Quelquejeu, de l'Institut catholique de Paris. Je suppose qu'il est trop tard pour adopter AAVF, le premier a pour «aide», tout à l'opposé de la «haine», de «tuer» ou «meurtre».

Je reviens à ce dernier mot sous la plume des autorités religieuses. Ces récents appels au meurtre soulèvent d'embarrassantes questions pour l'ensemble de la société et particulièrement pour les personnes âgées, plus tourmentées par la brisure sociétale. Pour l'année 2020, l'âge moyen des personnes demandant l'aide médicale à mourir fut de 73 ans. Question légitime : Combien ont souffert par crainte de ces deux mots? Combien se sont résignés à souffrir, culpabilisés par ces deux mots mésusés? Cette question mérite d'être éclaircie, par simple honnêteté et pour ne pas sombrer dans la notion de pente dangereuse, à court de données probantes autres que des cas isolés.

Un aspect du problème est facile à saisir. Tous les dictionnaires usuels, Académie française, Littré, Larousse, Petit Robert, Grand Robert, Quillet, Leland, donnent pour «tuer» — je cite : «Ôter la vie d'une manière violente». Fin de la citation. La racine de «violente», comme ses quatre premières lettres, exige une victime non consentante, alors que l'aide médicale à mourir ne doit être demandée que par la personne demanderesse.

La grande philosophe Simone Weil éclaire ce problème à sa façon. Dans La personne et le sacré, elle écrit — je cite : «Là où il y a une grave erreur de vocabulaire, il est difficile qu'il n'y ait pas une grave erreur de pensée.» Fin de la citation.

D'autre part, l'éthicien américain de renom Engelhardt, Jr, en jaugeant la moralité de l'aide médicale à mourir, écrit ceci — je traduis : «Dans le meurtre, la faute consiste à prendre la vie d'une personne sans son consentement. Consentir exonère. Qui demande l'aide médicale à mourir consent.» Fin de la traduction.

On peut certes désapprouver l'aide médicale à mourir, mais la pensée bonne ne peut la criminaliser, à moins de vouloir cette grave erreur de vocabulaire. Plusieurs laïcs et clercs s'en sont tenus à «tu ne tueras pas» comme l'universel devoir à ne pas transgresser. Le bât blesse ici également.

Feu André Chouraqui, un intellectuel franco-juif, ex-pro-maire de Jérusalem, a traduit toute la Bible en français. Il note qu'il y a deux «tu ne tueras point» dans la Bible. Le premier, (s'exprime en langue étrangère), convient au meurtre haineux commis par Caïn. Le second, (s'exprime en langue étrangère), est celui du commandement. Ce mot, commente-t-il, est non traduisible, car il est... exclut par lui-même les exceptions de tout temps reconnues que sont la guerre, l'autodéfense et les décrets étatiques. Or, la chrétienté n'a retenu que le premier, au point que des rabbins des premiers siècles pensaient qu'il s'agissait d'être conforme à — je cite — «si on te frappe sur la joue, offre l'autre», dans Marc.

• (16 h 40) •

L'histoire nous montre que par la suite, post-Constantin, on a appris assez vite à s'en remettre au second, mais sans jamais le formuler. À noter également, jamais n'a-t-on contesté aux États le droit de vie et de mort sur leurs populations. Et, du temps de Socrate, Sénèque, Hippocrate, les sénateurs d'Athènes et de Rome accordaient des permissions de mourir en fournissant la ciguë. Et seule une minorité des médecins se pliait aux diktats d'Hippocrate. L'humanisme n'a pas attendu la chrétienté.

Enfin, il faut bien voir que «tuer», autre qu'accidentellement, et «meurtre» se nourrissent uniquement de haine et de vengeance, alors que l'aide médicale à mourir se veut et est toute respectueuse, solennelle, caractérisée par la sollicitude qui appelle la tendresse d'un humanisme compatissant. Qui n'a pas lu ou entendu des remerciements d'une touchante sincérité d'un demandeur d'aide médicale à mourir avant la cérémonie ou ceux de ses proches après?

Une autre raison sérieuse impose de soigner le vocabulaire entourant l'aide médicale à mourir. Nombreux et impressionnants par leur stature, des philosophes et des théologiens, catholiques comme protestants, se sont publiquement et sans équivoque prononcés en faveur de l'aide médicale à mourir conforme aux balises. Quelques noms suffiront : Hans Küng, récemment décédé, Mgr Jacques Gaillot, Gabriel Ringlet, Bernard Quelquejeu, le Québécois Jacques Grand'Maison, le grand philosophe français Paul Ricoeur, et combien d'autres. Pour sauver du temps, j'évite leurs C.V.

Ce fait est d'autant plus significatif qu'aucun ne s'est vu imposer le silence, encore moins l'excommunication. Cette apparente contradiction demeure inexpliquée. Il appert que toute précieuse qu'elle soit, le caractère sacré de la vie n'est pas du domaine du dogme, que le droit à la vie n'est pas une obligation de vivre, ainsi que l'ont mentionné les juges de notre Cour suprême. L'humanisme, la sollicitude, la fidélité fraternelle prévalent sur les règles. Dans Soi-même comme un autre, Ricoeur écrit que la sollicitude peut demander de trahir la règle. Et n'oublions pas que l'aide médicale à mourir relève d'un décret étatique.

Je termine cette section par une citation qui établit une passerelle avec ce qui suivra, elle est de Bernard Quelquejeu, je cite : «Personne ne peut contester à une autre personne atteinte d'une maladie grave et incurable la liberté fondamentale d'anticiper volontairement la fin de sa vie dans des conditions dignes. C'est une liberté qui prend sa place dans la longue suite des libertés peu à peu conquises à l'âge moderne. Dans les conditions précises fixées par le législateur, l'assistance à l'aide médicale à mourir, actuelle ou prévue dans des DMA, fait désormais partie de cette reconnaissance mutuelle patient-médecin. Elle est une obligation morale.» Fin de la citation. L'objection de conscience me semble remise en question.

Enfin, une petite note de bas de page, notre population en général semble ignorer ce qui précède. Je crois qu'on devrait l'en informer.

Un court intermède, je réunis deux questions d'actualité quant à l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie : les cas des mineurs dits matures, malheureusement destinés à une courte survie, et les adultes qui en ont assez de leur maladie mentale de longue durée pour laquelle tous les traitements ont failli à améliorer leur qualité de vie à un niveau qui leur est acceptable.

Sauf pour des considérations de nature générale, ces deux univers nous sont hors de portée. J'entends que, dans les deux cas, des experts divergent d'opinion. Il me semble que, dans chaque cas, les experts à favoriser soient les membres de l'équipe multidisciplinaire impliqués au plus près de la personne malade et de ses proches. Je ne doute pas que, dans chaque situation, ils puissent aviser sagement les intéressés, car l'éthique, ce n'est pas une personne qui sait, mais plusieurs qui cherchent, selon le député français Jean Leonetti.

Je partage entièrement la pensée du sociologue et théologien québécois Jacques Grand'Maison, à savoir que — je cite — «dans chaque cas, il faut chercher la solution la plus humaine», fin de la citation, sa manière de paraphraser, 2 300 ans plus tard, l'enseignement du philosophe grec Zénon de Cition de toujours faire ce qui est le plus approprié.

Les directives médicales anticipées, DMA. Le temps ne me permet pas d'entrer dans les détails des DMA. La question la plus litigieuse concerne les DMA dans l'anticipation de pertes cognitives graves. La toile renferme d'excellentes informations ainsi que des formulaires à être consultés par le plus grand nombre pour le mieux-être du plus grand nombre.

Actuellement, le régime québécois des DMA ne permet pas de demander l'aide médicale à mourir. C'est la grande question à l'étude alors que les demandes vont grandissant. Pourquoi, alors qu'une personne est apte, ne peut-elle pas demander l'aide médicale à mourir advenant des pertes cognitives la déshumanisant totalement, selon ses propres valeurs les plus intimes?

La tradition veut qu'un testament soit rédigé sagement avec l'aide d'un notaire. Des DMA incluant une demande d'aide médicale à mourir pourraient l'être avec l'aide du médecin de famille, et son équipe, et, au besoin, un neurologue, psychiatre, neuropsychologue, etc. Il m'est évident que plus les DMA seront minutieusement élaborées, plus sa mise en acte en sera simplifiée, et prévenus ou amoindris, les stress familiaux.

Nous nous devons de réfléchir à la souffrance intolérable et inexorable pour accéder à l'aide médicale à mourir. Dans When Suffering Patients Seek Death, Eric Cassell écrit — je traduis : «Seuls les patients savent combien terrible est leur souffrance. Peu nombreux sont les demandeurs d'aide médicale à mourir. Il faut honorer leur demande.» Fin de la traduction.

Dans Soi-même comme un autre, Paul Ricoeur définit la solitude, je cite : «Le refus de l'indignité infligée à autrui, laquelle demande de trahir la règle.» Fin de la citation. Et Kluge, référant à Mme Sue Rodriguez, énonce — je traduis : «Sa souffrance vient de ce qu'elle considère de l'indignité contre laquelle les soins palliatifs ne peuvent rien.»

Les personnes qui rédigent leur DMA en prévision d'un déficit cognitif majeur le font pour s'éviter, et à leurs proches, l'indignité absolue de la déshumanisation à venir qu'elles subiront sans s'en apercevoir. Leur refuser l'aide médicale à mourir parce qu'elles ne se rendent plus compte de leur sort est bien la pire indignité dont parle la philosophe Battin. Je crois profondément que les raisons d'un refus doivent être très supérieures à celles d'acquiescer.

Une position fréquente repose sur la notion du soi changeant, intimant qu'on ne peut exclure un changement d'opinion significatif survenu avec le passage du temps et des pertes cognitives. Je ne souscris pas à cette thèse, laquelle donne plus d'importance à une hypothèse indémontrable qu'à l'identité narrative élaborée par le philosophe Paul Ricoeur et supportée par des chercheurs en neuropsychologie ayant démontré que des personnes démentes répondent davantage selon leur personnalité antérieure.

• (16 h 50) •

Un autre argument en faveur de la reconnaissance des DMA incluant l'aide médicale à mourir repose sur le fait que peu de personnes demandent l'aide médicale à mourir, laquelle demande et reçoit une profonde réflexion, laquelle n'a guère de chance d'être inversée, entre autres parce qu'elle recèle quasi invariablement un profond altruisme : ne pas vouloir être un fardeau.

Cette notion est malheureusement peu étudiée, donc peu valorisée. Pourtant, des études ont déjà démontré l'importance, la lourdeur pour nombre de grands malades de se sentir un fardeau. Et, pour leur malheur, ces études démontrent le peu d'importance que la notion d'être un fardeau revêt pour leurs soignants. Tristesse ultime exprimée par Kluge, encore : «Il n'y a pas de correctif pour une dignité violée et pour le mépris de ses valeurs intimes.» Et la philosophe américaine Margaret Battin, dans tout un chapitre référant à la négligence accordée à l'altruisme des malades, d'ajouter — je traduis : «Parmi les indignités que la médecine sait infliger, celle-là est peut-être la plus profonde.» Fin de la traduction.

La mise en oeuvre de telles DMA représente un défi, j'en conviens. Je crois qu'une équipe multidisciplinaire, arcboutée à la tâche, fournirait une série de scénarios pour la mise en acte selon divers types et modes de vie sociale des intéressés. Lire, de Battin, Fiction as Forecast : Euthanasia in Alzheimer's Disease? serait un bon début.

Conclusion. L'heure, on le voit bien, est aux réseaux sociaux, où les vérités alternatives ont beau jeu. Au Québec, le taux d'analphabétisme fonctionnel est de près de 50 %. Il faut valoriser le recours aux dictionnaires. On y apprendrait le respect du vocabulaire, que les mots «tuer» et «meurtre» utilisés à mauvais escient, pour utiliser l'aide médicale à mourir, quittent le domaine de la réflexion pour celui de la calomnie et de la médisance. Des enfants de papas médecins qui prodiguent l'aide médicale à mourir n'ont pas un meurtrier pour père, mais un bon papa, médecin consciencieux, humaniste de haut niveau.

D'autre part, les églises, même si moins que jadis, ont une influence indéniable sur tous les groupes de la société, y inclut les parlementaires. Au Canada, la grande majorité va au monothéisme, dont l'incontournable philosophe allemand Peter Sloterdijk écrit qu'en dépit de quelques apparences elles n'ont d'autre choix que de compétitionner pour la première place, ce qui facilite l'agressivité. Le moins qu'on puisse leur demander est de donner au moins aux mots-clés leur véritable sens ou risquer un lourd reproche de Camus : «Mal nommer les choses, c'est ajouter à la misère du monde.» Fin de la citation.

Quant aux DMA rédigées avant la démence, tel on respecte un testament après le décès du signataire, tel on devrait respecter la volonté exprimée dans des DMA rédigées avant que la flamme de la pleine conscience ne s'éteigne, ce qui équivaut à une mort sociale, telle que décrite par le sociologue anglais Searle. Ce qui est décisif, ce n'est pas la peur de devenir un fardeau, mais la volonté profonde et ferme d'en écourter la durée pour les proches. Pour rendre justice, il faut se remédier saint Jean, 15:13 : «Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.» Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Boisvert. Nous allons débuter les échanges avec le député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr Boisvert, pour votre présentation puis votre présence aujourd'hui. Notre commission a deux mandats précis. Le premier, c'est d'examiner l'élargissement potentiel de l'aide médicale à mourir aux gens souffrant de troubles mentaux, et le deuxième, c'est la question, que vous avez abordée en conclusion de votre présentation, des demandes anticipées d'aide médicale à mourir. J'aurais une question pour vous pour chacun de ces volets-là de notre mandat.

D'abord, sur la question des troubles mentaux, certains nous invitent à recommander que l'aide médicale à mourir ne soit accessible, pour ces gens-là qui souffrent de maladies mentales sévères, si et seulement si les gens sont allés au bout des traitements disponibles pour leur maladie et que ce soit une condition à leur admissibilité à l'aide médicale à mourir. Ma première question : Que pensez-vous de cette balise-là, de cette exigence qu'on pourrait recommander?

Ma question pour ce qui est des demandes anticipées : Est-ce que vous croyez que les demandes de recevoir l'aide médicale à mourir en cas de déclin cognitif, là, à venir... est-ce que ça devrait être des demandes, donc l'expression d'un souhait, ou est-ce que ça devrait être une directive, c'est-à-dire une demande exécutoire, finale et sans appel, quelle que soit l'évolution de la maladie et quel que soit l'état de la personne, y compris, par exemple, dans des cas qu'on appelle de démence heureuse où il n'y aurait pas de souffrance apparente de la part de la personne? Donc, voilà mes deux questions pour vous, Dr Boisvert.

M. Boisvert (Marcel) : Merci beaucoup, M. Nadeau-Dubois. Écoutez, j'ai quitté... je suis à la retraite depuis trop longtemps pour répondre intelligemment à vos questions. Je m'en excuse. Je pense que... le Dr Serge Gauthier, je crois, qui a présenté à la commission qu'il y a des experts canadiens, sinon universels sur cette question. Les experts doivent être consultés là-dessus, je ne suis absolument pas qualifié pour ça.

Est-ce que ça devrait être exécutoire? Mon premier sentiment, c'est oui, mais, là encore, je vais continuer de lire autant que je peux ce que d'autres experts ont à dire sur le sujet. Mais, si je pense à moi, parce qu'il faut le réaliser, le problème des médecins, c'est qu'ils ont un «je», ils ont un «soi», et ils pensent toujours en fonction de, inconsciemment ou pas, alors que le patient... Je ne crois pas que quiconque demande l'aide médicale à mourir sans y avoir profondément pensé, c'est ce que j'ai dit tantôt, et la meilleure façon de l'aborder, pour moi, c'est de le faire personnellement. Si c'était mon cas, qu'est-ce que je voudrais? Je voudrais que ce soit exécutoire.

La démence joyeuse, c'est superficiel. Je pense que je serais comme ça, moi, j'ai été bien élevé par mes parents — je leur dis merci — je souris à tout le monde, ça ne changerait rien à ce que j'ai dans mon for intérieur, que, si je devais devenir en perte cognitive très sévère, je ne voudrais pas poursuivre ma vie, je voudrais que les gens qui s'occuperaient de moi s'occupent de quelqu'un d'autre qui veut rester.

M. Nadeau-Dubois : Le comité d'experts présidé par M. Maclure et Mme Filion nous recommandait d'aller plutôt dans le sens d'une demande plutôt que d'une directive, donc d'une demande qui n'est pas exécutoire, et leur argument était intéressant. J'aimerais ça vous entendre le commenter. Ils nous disaient qu'en fait rendre des telles demandes exécutoires pourrait provoquer... pourrait mettre les professionnels de la santé appelés à appliquer cette demande-là dans une situation franchement inconfortable. On a même une autre professeure qui nous a parlé de détresse morale que ça pourrait générer chez la personne qui doit exécuter une demande d'aide médicale à mourir sur quelqu'un qui, par exemple, est dans un état de démence heureuse, il n'y a pas de souffrance apparente. Et c'est en vertu de cet équilibre-là que ces personnes-là nous invitaient d'aller plus dans le sens d'une demande que d'une directive. Qu'est-ce que vous pensez de cet argument-là?

• (17 heures) •

M. Boisvert (Marcel) : Ce que je pense, c'est que... et je reviens à ce que j'ai dit, ça va prendre des années avant que la notion de rédiger de bonnes DMA devienne un fait assez courant. Je pense que le gouvernement, les médecins, tous les ordres professionnels qui ont leur mot à dire en santé devront faire leur part pour encourager sans arrêt la population, comme on l'a fait pour faire un testament, on devrait faire la même chose, encourager les gens à penser à leurs DMA. Et je pense que ça peut prendre très certainement plusieurs années avant que ça débloque.

Mais ce que j'entrevois, c'est que des DMA vont devenir... ce que j'espère, en tout cas, vont devenir très ciblées. Certaines personnes, avec l'aide de leur médecin de famille, et l'infirmière, et les conseillers, etc., neurologues, vont préciser une foule de détails : dans telle situation, ça, dans telle situation, ça, dans telle situation, ça, ce qui va rendre l'exécution pour le médecin beaucoup plus facile. Ça, ce n'est sûrement pas pour dans six mois, pour peut-être pas l'an prochain non plus, mais, si on ne commence pas quelque part, on n'arrivera jamais. Et ce que je... dans un premier temps, je pense, ce qu'il faut faire, c'est faire beaucoup, beaucoup d'éducation sur les DMA, commencer à en parler à la maison, entre amis. Les gens âgés, dans les RPA, qui se retrouvent autour d'une table de billard, ils peuvent prendre une petite demi-heure ici et là pour en parler. Et je pense que ça va démystifier cette chose, parce que c'est évident, la première fois qu'on en parle, c'est un petit peu inconfortable. Mais je n'ai pas d'autre commentaire. Je pense qu'il faut être patient, mais il faut, avec décision, aller dans une direction. Et ma direction, pour moi, elle est exécutoire. Parce que je pense que les gens qui signent ça le veulent. Et c'est comme si... Si on me faisait une injection, puis je tire mon bras, n'importe quel vieillard qui ne s'y attend pas trop va tirer son bras, ça ne veut pas dire que je ne le veux pas.

Je pense qu'il faut penser à ce que (interruption) — je m'excuse — Paul Ricoeur a voulu dire, quand, pensant très nettement à des soignants, il a dit, il a écrit qu'il faut «mettre de côté l'exception en ma faveur et voir l'exception en faveur du patient». Je pense que les... mes jeunes collègues ont beaucoup de méditation à faire dans ce domaine-là. On pense encore beaucoup... J'ai cité, tantôt, Battin. La pire des indignités que la médecine s'est peut-être infligée, c'est de ne pas donner d'importance à ne pas vouloir être un fardeau. C'est un cadeau, c'est un dernier choix moral, je pense qu'il est très grave... Comme je dis, à la toute fin, ça prend de très, très bonnes raisons pour refuser, alors qu'accepter, c'est beaucoup plus facile.

M. Nadeau-Dubois : Merci, M. Boisvert.

(Interruption)

M. Boisvert (Marcel) : Excusez-moi, deux secondes.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Boisvert. Merci, M. le député. Nous allons passer à Mme la députée de Joliette dans quelques minutes.

M. Boisvert (Marcel) : Excusez-moi. On n'est pas toujours aussi libre qu'on aimerait l'être. J'avais pris toutes les précautions, sauf celle-là.

La Présidente (Mme Guillemette) : À la retraite, mais très occupé quand même. Dr Boisvert, je cède la parole à ma collègue la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour, Dr Boisvert. Je ne sais pas si vous avez un invité-surprise pour nous, mais ça va nous faire plaisir de l'accueillir.

Donc, écoutez, merci pour votre présentation. Comme je vois, vous êtes toujours aussi engagé dans le dossier et toujours aussi documenté. Écoutez, moi, je veux vous amener vraiment, avec toute votre expérience, sur l'enjeu de la souffrance, c'est un enjeu dont on parle beaucoup ici, mes collègues savent que j'en parle aussi beaucoup, à savoir dans le contexte d'une directive ou d'une demande anticipée dans un diagnostic d'Alzheimer ou de démence.

Selon vous, le critère de la souffrance doit-il demeurer, donc, dans les conditions de l'article 26? Et, si oui, est-ce que cette souffrance-là doit être contemporaine de l'administration de l'acte, vous l'avez abordé globalement avec mon collègue, mais je veux vraiment qu'on approfondisse, ou est-ce que la souffrance anticipée exprimée au moment de la rédaction de la directive ou de la demande est suffisante?

Donc, il y a différentes, évidemment, écoles là-dedans. On vient d'entendre Me Herremans, de Belgique, qui nous dit que, selon elle, il faudrait prévoir les conditions, évidemment, le plus détaillées possible, comme vous nous dites, à l'avance mais que ce serait très difficile, au moment où on agite le drapeau, pour dire : O.K., notre proche répond aux conditions qu'il avait prévues, de procéder à l'acte, il n'y a pas souffrance contemporaine perceptible. Quelle est votre position là-dessus?

M. Boisvert (Marcel) : Ma position là-dessus ne changera jamais. Je n'ai pas d'autre choix, en tant que médecin, que de faire confiance au patient. Soi-même comme un autre, a écrit Paul Ricoeur. Alors, si c'est moi, je parle de moi, là, dans mes directives anticipées, je ne laisse aucune place à la démence heureuse, si ça devait m'arriver, parce que je crois que ça n'existe pas. Quiconque a côtoyé le moindrement des gens comme ça sait très bien que, derrière leur sourire, il y a un... quand il y a une petite prise de conscience, c'est : je ne suis plus là, et ils n'ont plus le vocabulaire pour l'exprimer, donc ils ne l'expriment pas. Alors, parce qu'ils sont polis, ils ont été élevés comme tout le monde... Comme je disais tantôt, moi, je souris toujours à tout le monde parce que mes parents m'ont dit de sourire à tout le monde. Ça ne veut pas dire que, dans mon for intérieur, il n'y a pas toutes sortes de troubles.

Alors, moi, je crois que les gens qui se sont donné le trouble d'y réfléchir et d'écrire... C'est pour ça que je pense que ça ne devrait pas être juste... Il faut éduquer les gens avant d'agir, c'est évident, pas en un an, peut-être plus, mais il y a peut-être des gens qui sont déjà très éduqués, qui vont faire toutes les choses très bien, dire que... Moi, je les ai faites, mes DMA, c'est écrit dessus : Je ne veux pas ça, même si, même si, même si, non. Alors, le médecin, il va se sentir à l'aise s'il apprend...

Tout le monde devrait lire Paul Ricoeur. Je pense, je suis rendu à ma sixième lecture, puis je vais le relire encore, c'est un délice, ça fait du bien au coeur, à l'esprit. On néglige parce que, surtout dans les cas de perte cognitive, les patients ne peuvent plus nous parler de leur souffrance. Tout ce qu'ils ont, c'est leurs yeux puis leur sourire. Je sais, je m'adonnais à vous regarder, l'autre jour, quand j'ai parlé de ça, justement. Mais mon impression, c'est celle-là.

Pensez-y pour vous-même. Il faut se mettre dans la peau du malade. Alors, pensez-y pour vous en tant que malade. Est-ce qu'avec un beau sourire vous voudriez quand même qu'on vous force à manger des patates pilées, des patates en poudre, qu'on change vos couches, etc., pendant des années? Pour moi, c'est un franc non. Pour vous, c'est votre décision. C'est pour ça qu'il faut éduquer les gens.

Mais il faut s'en remettre aux patients. Autrement, on est du paternalisme... on est des paternalistes de A à Z. Depuis Hippocrate que la médecine est paternaliste. Il faut arrêter, un de ces jours, c'est... Puis les patients sont de plus en plus renseignés. Il faut continuer, il faut le faire de plus en plus pour les DMA, il faut faire affaire avec des psychiatres et des Dr Gauthier, il n'est pas le seul, là, mais il faut prendre conscience qu'un patient qui a un sourire aux lèvres, là, parce qu'il n'a pas de vocabulaire... risquer de tomber dans le piège. Si ses directives médicales ont été bien faites... Moi, j'espère que mes directives médicales anticipées ne laissent pas de place à mon médecin. S'il se trouve de la place, il devrait me le dire tout de suite, je vais changer de médecin. C'est simple comme ça. Non, mais c'est très sérieux.

Mme Hivon : ...

M. Boisvert (Marcel) : Les médecins prennent trop de place et ils oublient que ces gens-là souffrent tellement, tellement de ce qui leur arrive qu'ils ont... Ils ont dit qu'ils n'en veulent pas, c'est français, qu'est-ce que vous voulez de plus? Vous dites qu'il a l'air heureux parce qu'il sourit, puis il n'est plus capable d'exprimer, c'est évident, mais c'est un très, très mauvais choix de faire comme argument pour ne pas agir.

C'est mon choix. Je respecte quiconque a un choix différent, mais c'est pour ça que je dis qu'il faut éduquer les gens. Puis chacun va en parler avec des personnes qualifiées pour... moins les membres de la famille, évidemment. Je ne l'ai pas dit, là, mais jamais ça ne devrait être un membre de la famille responsable. Ça prend...

Mme Hivon : Jamais de consentement substitué, pour vous.

M. Boisvert (Marcel) : Ça prend un mandataire qualifié, qui a compris puis qui vous rejoint sur votre longueur d'onde.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

M. Boisvert (Marcel) : Ça ne vous répond pas assez?

• (17 h 10) •

Mme Hivon : Ça me répond très bien. J'aurais d'autres questions, mais je sais que mon temps est écoulé, ça fait que... je vous aurais ramené dans la loi, mais c'est correct. Parfait.

M. Boisvert (Marcel) : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Je céderais la parole à Mme la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Dr Boisvert. Vous êtes d'une grande sagesse. Lorsqu'on parle de soins palliatifs, on sait que c'est la dernière station avant le grand voyage qui est sans retour. J'aimerais que vous élaboriez sur «mourir en dignité», parce que, durant la commission, le mot «dignité» revient souvent. Alors, j'aimerais que vous élaboriez sur «mourir en dignité», Dr Boisvert.

M. Boisvert (Marcel) : Pour moi, il y a deux choses. Je reviens toujours à Paul Ricoeur. Paul Ricoeur a défini la sollicitude comme le refus de l'indignité infligée à autrui. C'est simple, ça. Ça dit quoi? Ça dit que c'est le patient et seul le patient qui peut dire : Telle chose, c'est de l'indignité insupportable pour moi. Il y a des gens qui semblent tolérer de changer leurs couches, etc., quatre fois par jour, il y en a d'autres, c'est non, il y en a d'autres, c'est faire l'hygiène personnelle, d'autres, c'est se faire nourrir, etc. Alors, c'est essentiellement personnel.

Mais on le voit en médecine tout le temps, vous avez 10 cas de cancer du poumon, c'est 10 cas tout à fait, tout à fait, tout à fait différents et sur le plan des symptômes et sur le plan de la réaction de l'individu, masculin ou féminin, à son destin. Alors, il faut toujours s'en remettre en premier, en premier au patient. Je n'ai pas d'autre suggestion... conseil à vous faire.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci beaucoup, Dr Boisvert.

M. Boisvert (Marcel) : Ça n'a pas l'air à vous satisfaire.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Oui. Oui, oui, mais j'avais peut-être une autre petite question. C'est que je me dis : Avec la cadence, maintenant, dans les hôpitaux, est-ce que cette question-là peut être biaisée par la cadence? Les médecins ont moins de temps à consacrer à leurs patients. Alors, lorsqu'arrive une décision comme ça, une demande, est-ce que le temps est très limité? Est-ce que...

M. Boisvert (Marcel) : Je ne vous entends plus.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Je ne parle pas. Je ne parle plus.

M. Boisvert (Marcel) : Ah! O.K.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Excusez-moi, j'ai peut-être mal formulé ma...

M. Boisvert (Marcel) : Écoutez, c'est parce que c'est des... Excusez-moi. Non, c'est un problème de société. Alors, je suis mal placé, là, ce n'est pas à moi à donner des ordres aux ministres de la Santé puis de la Famille, puis etc. Mais c'est évident aussi, là, que ces décisions-là se prennent en équipe. Tu sais, on en met beaucoup sur le dos des médecins. C'est le médecin qui va poser le geste. La loi fédérale permet que ça soit des infirmières spécialisées, infirmiers spécialisés. Mais ces décisions-là ne sont jamais prises à la légère, les gens exagèrent trop facilement, là, il y a toujours 10 personnes autour de la table, puis on parle de ci, puis on parle de ça, puis etc. Alors, c'est des décisions... Comme l'a dit M. Leonetti, en France : L'éthique, ce n'est pas une personne qui sait, c'est 10 personnes qui cherchent.

Mon expérience personnelle, c'est que presque toujours l'équipe en vient à un consensus. L'exemple le plus courant, là, c'est la décision d'installer, par exemple, une sédation terminale ou palliative. Presque toujours, on en discute, il y a des pour, il y a des contre, il y a des ci, des ça. Ça peut prendre deux, trois jours, ce n'est pas une question d'une demi-heure, ça peut prendre deux, trois jours. Ça ne peut pas prendre deux, trois mois. Ça peut prendre une semaine, 10 jours peut-être, mais l'équipe finit par s'entendre tout à fait là-dessus.

Alors, c'est pour ça que ma recommandation, c'est celle-là. Les meilleurs conseillers, les spécialistes dans chaque cas sont ceux qui sont impliqués auprès de cette personne-là. Ça inclut les spécialistes aussi, neurologues, etc., là, mais c'est dans le détail. Pour les choses humaines, c'est les gens qui sont à côté de ces gens-là 24 heures sur 24, les infirmières, etc., les préposés, les médecins, c'est cette équipe-là qui décide. Mon impression puis mon expérience personnelle, c'est qu'ils ne se trompent à peu près jamais, à peu près jamais.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci beaucoup, Dr Boisvert.

M. Boisvert (Marcel) : Je vous en prie.

La Présidente (Mme Guillemette) : Dr Boisvert, on n'en a pas parlé beaucoup, mais j'aimerais vous entendre sur l'aide médicale à mourir pour les troubles de santé mentale exclusivement. Vous voyez ça comment?

M. Boisvert (Marcel) : Mes petits mots là-dessus, ça été de dire que, et pour les jeunes, et pour les jeunes matures, et pour les soins mentaux, je m'en remets aux psychiatres puis aux psychanalystes de ces jeunes-là, je n'oserais pas du tout, là, me prononcer là-dessus.

La Présidente (Mme Guillemette) : O.K. Même si on sait qu'il y a de la souffrance. Puis, pour vous, là, si on vous avait demandé à l'époque d'administrer une aide médicale à mourir à quelqu'un qui souffre exclusivement de troubles de santé mentale, est-ce que vous auriez... s'il y avait eu des avis de psychiatres, des avis d'une équipe, est-ce que vous l'auriez...

M. Boisvert (Marcel) : Oui. Si l'avis des experts était oui, absolument, parce que... Je pense aux bons experts que j'ai connus dans mes années actives, c'est des gens que je connaissais, en qui j'avais beaucoup de confiance, et certains, plus, certains, moins. Mais c'est ça que je vous dis, c'est pour ça que je ne m'en mêle pas, je n'ai pas de commentaire à offrir. S'il y a trois, quatre spécialistes qui s'entendent pour un cas, pour moi, c'est ce que je demande, qu'il y ait un consensus de gens qui savent de quoi ils parlent. Ce n'est pas moi, ça.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Et vous verriez quoi comme mécanisme de sauvegarde qu'on pourrait mettre pour faire en sorte qu'il n'y ait pas d'abus ou qu'il n'y ait pas... Vous vous fiez vraiment au médecin, au patient, à l'équipe à 100 %?

M. Boisvert (Marcel) : Absolument. À qui peut-on faire confiance?

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait.

M. Boisvert (Marcel) : Ce sont eux qui connaissent le mieux le patient.

La Présidente (Mme Guillemette) : Et puis vous n'avez pas peur... Puis je sais que vous avez été très actif, là, au niveau de la médecine. Vous n'avez pas vu de dérapage, de demande... Il n'y a pas de demande qui a été refusée parce que vous jugiez que ce n'était pas opportun, et pas le bon moment, et...

M. Boisvert (Marcel) : J'ai été témoin d'un cas qui m'a mené en cour. C'est les infirmières... Je me suis basé plus sur les infirmières que sur mon opinion, mon opinion a valu aussi, mais c'est un monsieur d'un âge mature, là, qui est venu faire changer le testament de son papa. Et vous aviez juste à regarder les notes des infirmières et une... C'était très, très évident que ce monsieur-là était tout à fait incompétent depuis une semaine, il ne reconnaissait personne, il ne savait pas quel jour... Donc, c'est évident que le fils n'avait pas de... il n'avait pas de... Mais c'est le seul cas que j'ai vu.

La Présidente (Mme Guillemette) : O.K. Je vous remercie beaucoup, Dr Boisvert. Je vais céder la parole à ma collègue de Maurice-Richard.

M. Boisvert (Marcel) : C'est pour ça que ça ne doit jamais être les membres de la famille qui sont les mandataires. C'est une décision trop complexe à prendre. Il faut que ça se prenne en équipe.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci.

M. Boisvert (Marcel) : Je vous en prie.

La Présidente (Mme Guillemette) : Je cède la parole à ma collègue de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Ce sera mon collègue de D'Arcy-McGee qui va commencer.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. M. le député.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup, Dr Boisvert, pour vos propos à la fois profonds, pertinents et simples, si je peux dire, dans le meilleur sens du terme. Ce n'est pas toujours facile de combler ces qualités-là. Et moi, je retiens au moins deux messages généraux importants. Vous avez misé, au début, sur le mot, dans tout son sens, «évolution», et vous nous avez proposé une mise en garde, qui est bien retenue. Aussi, tout le long de vos propos, j'entends une obligation, sur nous, sur l'État, sur les professionnels, de pédagogie énorme, fardeau énorme avec toutes sortes d'implications, mais un fardeau solennel et obligatoire.

Je me permets une question de l'ordre général. Vous avez cité, au début, plusieurs médecins avec des avis assez tranchants et d'autres citations en contrepoids, si je peux... Est-ce que je peux comprendre que votre lecture du débat, dans son évolution au Québec, est très, très polarisée toujours, qu'on n'approche pas un consensus sur le fait, légal, et autres, si je ne me trompe pas, que l'aide médicale à mourir est en quelque part sur le spectrum de soins et de soins palliatifs? Est-ce que votre lecture, c'est que le débat reste très, très polarisé, avec tous les dangers et conséquences inhérents?

• (17 h 20) •

M. Boisvert (Marcel) : Non. Il n'y a pas de danger... il n'y a pas d'erreur que l'ensemble du Québec est favorable. Depuis la commission mourir dans la dignité, l'approbation de l'aide médicale à mourir n'a pas diminué. C'est le langage de la minorité négative qui a des grands noms. Je ne suis pas anticlérical, là, mais c'est ma présentation. Quand on parle de «tuer» et de «meurtre», alors que c'est une simple... comme... vous avez employé le mot «simple», il est simple, mais il est très clair, c'est... on ne fait pas la différence entre la haine d'un meurtre et la bonté de l'aide médicale à mourir. Alors, c'est un... on emploie un vocabulaire qui est complètement, là, déplacé. Et ça fait une minorité au Canada, au Québec, qui est plus petite, mais, dans l'Ouest, qui est plus significative. La droite religieuse existe, elle a le droit d'exister, mais elle n'a pas le droit de changer le sens des mots. Alors, c'est pour ça que...

Et ma profession, et ma profession... Du temps où je pratiquais, j'avais découpé, je pense, une cinquantaine de découpures du magazine québécois L'Actualité médicale, des médecins qui employaient le mot «tuer», le mot «meurtre», le mot «assassinat», blabla, sans réflexion, ça me blessait en tant que médecin, des universitaires. Alors là, dans cette étude de 2019, ce n'est pas bien loin, là, puis j'en ai cité deux, il y en avait plus que deux qui voient ça comme tuer puis un meurtre.

Écoutez, c'est parce que — c'est la citation de Simone Weil — l'erreur de vocabulaire sous-entend une erreur de pensée. Alors, si on pense que c'est un meurtre, c'est évident qu'on ne veut pas la pratiquer puis c'est évident qu'on ne veut rien savoir. Ça n'a pas d'allure. Alors, c'est pour ça que je... même si c'est une minorité, ce vocabulaire-là continue d'être employé, et je m'y oppose parce que derrière ça, il y a des gens... c'est ce que j'ai dit au tout début, les gens âgés : Aïe! Je vais demander un meurtre, c'est quoi, cette affaire-là? Puis c'est par les autorités ecclésiastiques, là. C'est grave, c'est grave, à mes yeux. Je ne suis pas un anticlérical, mais je demande qu'on respecte les mots parce que ce sont des mots qui sont très graves.

Je l'ai vécu avec des amis. Imaginez un papa médecin, les enfants se font dire : Aïe! Ton père, c'est un meurtrier. Impensable. C'est la bonté même. Alors, c'est pour ça que... c'est pour ça que j'en parle.

M. Birnbaum : Je comprends.

M. Boisvert (Marcel) : Ça ne changera pas... ça ne changera pas la... bien, ça peut changer pour certains des gens âgés. C'est les gens âgés qui me préoccupent. C'est ceux qui demandent l'aide médicale à mourir, c'est ceux qui sont le plus influençables par ces mauvais mots. Alors, ce n'est pas tout le problème, mais c'est un aspect que j'ai dit qui mérite d'être considéré.

M. Birnbaum : Donc, la responsabilité d'encadrer le débat de façon disciplinée est réelle.

M. Boisvert (Marcel) : Absolument.

M. Birnbaum : Vous misez avec toutes sortes de... reconnaissance des balises nécessaires, beaucoup à l'autonomie de l'individu, tout à fait. Est-ce que ça nous interpelle peut-être à considérer des demandes de l'aide médicale à mourir en absence d'un diagnostic grave? Si on parle de la possibilité, disons, d'un individu très apte mais pas devant les symptômes clairs et graves, de comprendre les conséquences potentielles d'un alzheimer progressif et sérieux, est-ce qu'on devrait aborder cette question-là, une demande en l'absence d'un diagnostic grave?

M. Boisvert (Marcel) : Je pense qu'on n'est pas prêt pour ça. Je pense qu'on n'est pas prêt pour ça. L'Europe commence à y penser, ce qu'on appelle : «I'm tired of living», j'ai vécu assez longtemps, je n'en peux plus. Je pense qu'on peut attendre un petit bout de temps.

Mais je peux vous dire mon expérience personnelle. Pendant 12 ans, j'ai été directeur médical à temps partiel du Griffith-McConnell Home for the Aged. Et j'ai été là 12 ans. J'étais jeune à l'époque. On ne pensait même pas d'euthanasier, le mot n'était à peu près jamais employé. C'est quand je fus plus vieux que je me suis souvenu très, très, très bien, je pouvais mettre des noms, même, sur les personnes, j'ai entendu plusieurs fois, plusieurs fois, peut-être 25 fois, des dames... il y avait, d'abord, quatre femmes pour un homme, hommes comme femmes, 90 ans, 95 ans, n'avaient jamais eu besoin d'une aspirine de leur vie, qui me disaient en anglais : Docteur, on vit trop longtemps, on vit trop longtemps, tout ce que j'attends, c'est de partir. Elles finissent toutes par partir, à 95 ans, c'est bien sûr.

Alors, à cette époque-là, c'est évident que je n'étais pas prêt à le faire. Mais je pense que je ne suis pas encore prêt à le faire parce que je ne me suis pas arrêté à ça. C'est sûr que c'est un peu plus compliqué, mais je les comprends, ces gens-là. Disons que je... je n'irai pas plus loin que ça, je peux dire que je les comprends, mais je ne suis pas encore prêt à m'atteler.

M. Birnbaum : Très apprécié. Merci.

M. Boisvert (Marcel) : Mais ce qui est très différent des pertes cognitives.

M. Birnbaum : Je comprends la distinction.

M. Boisvert (Marcel) : C'est ça.

M. Birnbaum : Merci beaucoup. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je céderais la parole à la députée de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Je vous remercie beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Dr Boisvert. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Je trouve votre discours très nuancé, très progressiste, très engagé aussi. Merci de le partager avec nous.

J'aurais... je sais qu'il ne me reste pas énormément de temps, mais...

La Présidente (Mme Guillemette) : Trois minutes.

Mme Montpetit : ...deux questions. Merci, Mme la Présidente. Est-ce qu'à votre avis... Bien, j'ai été beaucoup touchée par votre discours, quand vous dites : Ça suffit, le paternalisme médical, justement, que vous adoptez une posture où vous faites confiance à votre patient. Je trouve ça très intéressant de vous entendre là-dessus. C'est sûr que ça amène une perspective qui est très différente. Est-ce que, de votre expérience médicale, il y a des démences... Parce qu'encore là on a entendu deux discours assez différents sur la démence, certains qui disent qu'il y a des démences où il n'y a pas de souffrance, et d'autres médecins qui nous ont dit, par exemple, que la souffrance, elle est là durant tout le parcours de l'alzheimer, elle prend différentes formes, elle évolue, mais elle est toujours présente. J'aurais aimé ça vous entendre sur cet élément-là.

M. Boisvert (Marcel) : Je ne suis pas sûr que je comprends bien votre question.

Mme Montpetit : Si toutes les formes de démence s'accompagnent de souffrances, s'accompagnent de douleurs, qu'elles soient physiques, ou psychiques, ou psychologiques.

M. Boisvert (Marcel) : Je ne sais pas si je suis bien qualifié pour répondre à ça. Je pense que non, il y a des gens... il y a des démences... il y a des gens déments qui n'ont jamais été aptes à demander l'aide médicale à mourir. C'est les cas auxquels j'ai fait allusion au tout début, ce que j'ai appelé le principe de Kluge : ce n'est pas parce qu'on ne peut pas demander quelque chose, si c'est légal, qu'on ne devrait pas l'obtenir, si on n'est pas capable de le demander.

Je pense que quelqu'un qui est complètement incompétent depuis la naissance peut quand même avoir des souffrances insupportables, que la médecine ne parvient absolument pas... à tolérer. Alors, on a deux choix, théoriques pour le moment : ou bien une sédation terminale qui va durer je ne sais pas combien de temps ou bien l'aide médicale à mourir. Ces cas-là sont extrêmement rares. Je ne me suis pas prononcé, j'ai dit qu'il faut les regarder, j'ai dit qu'il faut commencer à y penser. C'est certain qu'ils sont rares, mais il y a des gens qui sont inaptes depuis la naissance et, pour toutes sortes de raisons, cancer, ou d'autres maladies, ou accident, ou quoi que ce soit, qui peuvent se retrouver dans un état, lequel... s'ils étaient compétents, ils demanderaient et ils obtiendraient l'aide médicale à mourir. Alors, il faut y penser.

Et, encore là, ce n'est pas un médecin qui va décider, c'est une équipe. Mais je pense que ce n'est pas impossible. Je ne dirais pas absolument non à 100 %, je dirais qu'une équipe, dans des cas très rares, peut s'entendre que, oui, c'est la chose à faire.

Mme Montpetit : Parfait. Je vous remercie, Dr Boisvert. Merci beaucoup.

M. Boisvert (Marcel) : Je vous en prie.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Boisvert, de votre participation aujourd'hui. C'est tout le temps que nous avions.

Donc, la commission suspend ses travaux jusqu'à mardi prochain. Donc, merci encore de votre présence, Dr Boisvert. Très, très apprécié.

M. Boisvert (Marcel) : Bonjour.

(Fin de la séance à 17 h 30)

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