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Version finale

29th Legislature, 3rd Session
(March 7, 1972 au March 14, 1973)

Wednesday, September 27, 1972 - Vol. 12 N° 96

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse


Journal des débats

 

Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse

Séance du mercredi 27 septembre 1972

(Dix heures quatorze minutes)

M. GIASSON (président de la commission spéciale de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!

La commission spéciale de la liberté de la presse poursuit ses travaux et, à l'ouverture de l'assemblée de ce matin, je cède la parole au député de Saint-Jean.

Travaux de recherche sur la liberté de la presse

M. VEILLEUX: M. le Président, tel qu'entendu la semaine passée, ce matin, M. Reid, de la faculté de droit, et Mme Beausoleil auront, je crois, à nous résumer le travail que les membres de la commission leur avait demandé de faire. Peut-être nous attarderons-nous sur les points que M. Reid et Mme Beausoleil considèrent comme étant les plus importants pour essayer d'en voir les implications dans le contexte du Québec.

Alors, si ça convient aux membres de la commission, on pourrait entendre M. Reid.

Pour le bénéfice du journal des Débats, il y aurait lieu de mentionner que, ce matin, il y a Me Hubert Reid, doyen de la faculté de droit à l'université Laval, et Me Kathleen D. Beausoleil, professeur adjoint à la faculté de droit à l'université Laval.

M. REID: Si vous me le permettez, je pense qu'il serait utile de résumer brièvement l'étude que nous avons faite. Nous croyons souhaitable d'insister sur deux points, après avoir fait ce bref résumé: d'abord, sur la situation au Québec, parce que c'est évidemment ce qui nous intéresse tous, et également sur les conclusions que nous avons tirées qui, de prime abord, peuvent vous surprendre, mais qui, d'après nous, sont fort importantes.

Communications confidentielles

M. REID: Si vous reprenez l'étude, vous voyez que nous avons procédé en deux étapes sur l'état actuel du droit concernant les communications confidentielles. Nous sommes partis des professions de service, principalement de celles où on reconnaît le secret professionnel, où l'on reconnaît plutôt une protection devant les tribunaux.

Nous avons principalement insisté sur le conseiller juridique, le professionnel de la santé et l'aviseur religieux, qu'il soit prêtre ou qu'il ait un statut similaire.

Nous avons traité du journalisme, nous avons étudié la situation en Amérique du Nord, en Angleterre, en France et nous avons donné certaines informations sur l'état de la protection dans différents pays d'Europe afin de montrer que, si on regarde les principales législations ou si on étudie le Common Law, on constate qu'en règle générale, le privilège n'est pas accordé aux journalistes. Aux Etats-Unis, si on prend cet exemple, on constate qu'en Common Law, il n'est pas reconnu. Il est reconnu dans 17 Etats; il y a 17 statuts qui prévoient une protection pour le journaliste.

Dans notre rapport, lorsque nous avons fait notre étude, nous avons noté un point, soit la protection constitutionnelle. Le débat était en cours à ce moment. Un jugement a été rendu par différentes cours d'Appel, surtout dans l'arrêt Caldwell et, depuis ce temps, une décision de la cour Suprême des Etats-Unis a infirmé une décision de la cour d'Appel — celle que nous avons mentionnée — et a refusé d'accorder la protection en s'appuyant sur le premier amendement à la constitution américaine. C'est quand même un point d'information qui peut avoir son utilité. Donc, sauf des cas très exceptionnels et qui sont marginaux, aux Etats-Unis, on ne reconnaît la protection que dans la législation de 17 Etats; ça ne va pas plus loin.

Au Canada, la situation est identique. En Europe, il y a quelques pays qui la reconnaissent. Je n'insiste pas sur ça.

Après avoir procédé à cet inventaire, nous avons étudié la nature et les conditions d'exercice du privilège quant aux journalistes. Nous avons dégagé trois critères: il faut que la personne soit un professionnel, que ce professionnel soit dans l'exercice de ses fonctions et il faut que la révélation soit confidentielle. Ce sont les trois points qui nous ont semblé majeurs.

Il faut que ces trois critères soient respectés pour que l'on tombe dans les catégories prévues pour le secret professionnel.

A la fin, nous avons émis un certain nombre d'hypothèses, il y en a quatre, sans nous prononcer sur chacune d'elles. Nous avons montré un peu où ça nous menait mais sans aller plus loin. Nous avons pensé que, dans le rapport qu'on nous demandait, il était préférable de fournir l'information et il n'était pas souhaitable de donner notre opinion personnelle. Nous pouvons peut-être la donner en d'autres circonstances si vous êtes intéressés à l'avoir mais, par contre, nous croyions que ce n'était pas l'objet du rapport qui nous avait été demandé que de prôner un moyen plutôt qu'un autre.

MME BEAUSOLEIL: Avant de parler du journaliste, il faudrait faire le point de ce qui en est du secret professionnel au Québec à l'heure actuelle. Le statut actuel du secret professionnel est un peu confus pour le moins, confus dans la doctrine parce qu'il y a deux aspects du secret professionnel: le devoir du professionnel et le privilège du professionnel.

Il y a deux étapes alors; premièrement, les obligations. Les obligations du professionnel découlent de divers statuts. Par exemple, l'obli-

gation de l'avocat envers son client, de la Loi du barreau; le notaire, en vertu de la Loi du notariat; le médecin, en vertu de la Loi médicale. Les dentistes, les optométristes, les opticiens, les infirmières, les vétérinaires, le prêtre et le fonctionnaire se trouvent tous obligés à un genre de secret professionnel par les lois qui régissent les diverses professions. Le fonctionnaire, lui, c'est en vertu de la Loi du ministère de la fonction publique, l'article 47, qui lui demande de prêter serment en entrant en fonction.

Vous avez une première étape, l'obligation du professionnel de ne pas dévoiler un secret professionnel. Dans une deuxième étape, vous avez l'article 308 du code de procédure, qui crée le privilège, pour certains professionnels, de ne pas témoigner devant les tribunaux.

La nécessité de l'article 308 du code de procédure civile découle de la règle de la contraignabilité du témoin, qui se trouve à l'article 295. Cet article dit, en somme, que toute personne est contraignable devant le tribunal. Pour cette raison, il fallait créer des exceptions pour certaines professions, mais, comme vous le savez, ce ne sont pas toutes les professions que je viens de nommer qui sont protégées par l'article 308 devant les tribunaux.

L'article 308 protège, en somme, l'avocat, le notaire, le médecin, le dentiste, le fonctionnaire et le prêtre. Il y a plusieurs choses à noter au sujet de l'article 308, qui influencent beaucoup les problèmes que vous rencontrerez au sujet du secret professionnel du journaliste.

La première chose à noter — nous l'avons déjà souligné — c'est que l'article 308 vient consacrer l'obligation de certains professionnels envers le client devant les tribunaux. L'article 308 leur offre un mécanisme pour remplir cette obligaton devant le tribunal. Alors, le professionnel peut se servir de l'article 308 et c'est à lui d'invoquer ce privilège de ne pas témoigner devant le tribunal. S'il ne l'invoque pas, évidemment, il devient un témoin contraignable et il en subira les conséquences envers son client ou son patient ou son employeur, s'il est fonctionnaire.

Il faut évidemment, en vertu de l'article 308, comme nous vous l'avons dit, que le fait révélé soit confidentiel. Cela créera un problème au sujet du journaliste, parce que le fait révélé au journaliste est normalement destiné à la publication. Alors, premier problème au sujet de l'article 308.

Il faut aussi, pour se prévaloir de l'article 308, qu'on soit un professionnel dans les cadres de cet article. Or, tous les professionnels qui peuvent se prévaloir de l'article 308 se trouvent définis dans leur loi professionnelle. En d'autres mots, on nous dit ce qu'est un avocat, un médecin. Le journaliste, lui, n'étant pas défini, cela créera un autre problème, même assez sérieux. Il faut également que ce professionnel soit dans l'exercice de ses fonctions. En d'autres mots, ce ne sont pas toutes les communications qui sont privilégiées en vertu de l'article 308, mais seulement les communications qui sont dévoilées à l'avocat, au médecin, en tant qu'avocat et en tant que médecin.

Il y a un autre problème, également, c'est que la doctrine et le droit veulent que le secret lui-même appartienne au client, au patient, à la personne qui confie le secret. À ce moment-là, l'article 308 prévoit la possibilité, pour la personne qui a fait la communication, de délier le professionnel de son obligation devant les tribunaux. Si le patient, si le client dit au professionnel: Vous n'êtes plus tenu par le secret professionnel, le professionnel devient témoin contraignable et doit témoigner.

Cela pose la question: Est-ce qu'effectivement une loi sur le secret professionnel du journaliste visera à protéger le journaliste ou est-ce que cela visera à protéger la source ou l'informateur qui donne les renseignements que l'on veut protéger?

Maintenant, pour ce qui est du journaliste au Québec, nous avons fait un bref résumé d'à peu près les seuls cas qui se sont produits, aux pages 7 et suivantes. Vous avez le premier exemple où on a permis à un cameraman de ne pas rendre témoignage à l'enquête de la Commission de police sur la conduite des policiers à Montréal en 1969. Le gros problème de ce jugement, d'ailleurs, comme celui qui le suit, c'est qu'il n'y a pas de motivation.

Celui qui le suit, c'était au procès de Pierre Vallières. On a permis à M. Fitzgerald, de la Gazette de Montréal, de ne pas dévoiler ses sources d'information. Même problème, on a très peu de motivation.

Le troisième cas, est celui de John Smith qui témoignait devant le commissaire des incendies, â Montréal. Il était journaliste du réseau anglais de Radio-Canada. Lui, effectivement, a été condamné pour outrage au tribunal pour avoir refusé de témoigner. On invoquait les raisons d'administration de la justice et la contraignabilité du témoin. On dit tout simplement que le journaliste, à l'heure actuelle, ne bénéficie pas d'un privilège en vertu des lois existantes et on ne voyait aucune raison d'étendre la loi où la loi ne s'est pas prononcée.

M. REID: Comme on peut le constater, la règle générale veut qu'à l'heure actuelle le journaliste ne soit pas protégé.

C'est la règle actuelle, ici, au Canada et au Québec. Il y a une différence, quand même, fondamentale entre l'avocat ou le médecin et le journaliste. Dans le cas de l'avocat ou du médecin, il ne veut pas dévoiler l'information elle-même, tandis que, dans le cas du journaliste, l'information, au contraire, il l'a donnée. La protection que l'on veut accorder, c'est beaucoup plus à la source elle-même. C'est qu'on ne veut pas dévoiler le nom de la personne qui a donné l'information ou, autre hypothèse, c'est qu'on pourrait penser à protéger le journaliste lui-même.

Nous tenons pour acquis que, si l'on pensait à une législation dans le domaine, il faudrait

penser à protéger la source, c'est-à-dire l'informateur lui-même, plutôt que le journaliste, comme, dans le cas de l'avocat ou du médecin, on ne cherche pas à protéger l'avocat ou le médecin lui-même, mais beaucoup plus le patient ou le client qui est venu rencontrer l'avocat ou le médecin.

Enfin, si l'on prend les conclusions que nous avons tirées de cette étude, nous constatons qu'effectivement nous sommes en présence de deux critères, de deux principes fondamentaux qui s'affrontent. Il y en a un qui veut que toutes les personnes qui sont appelées à témoigner devant les tribunaux soient tenues de le faire et l'autre, qui va à l'encontre de cela, voudrait que l'on ait la liberté d'expression la plus totale et que la population ne soit pas brimée à cet effet.

D'après nous, le problème n'est pas d'ordre juridique du tout. C'est un problème purement politique. Il s'agit de savoir laquelle des deux hypothèses on retient. Est-ce qu'on préfère protéger le droit à l'information ou si on préfère protéger l'administration de la justice en général? C'est là qu'il y a une décision à prendre. D'après nous, le juriste n'aura pour rôle que de mettre dans des textes juridiques, si l'on accepte que le secret soit reconnu, les conditions ou les critères sur lesquels on s'appuiera pour accorder cette protection.

Le problème juridique, d'après nous, est purement secondaire dans ça. L'autre conclusion de l'étude, c'est que, d'après nous, il serait primordial que les journalistes eux-mêmes se définissent plus clairement parce qu'à l'heure actuelle on ne sait pas ce qu'est un journaliste. Cela n'a été défini nulle part.

On peut peut-être énumérer, comme l'a fait la Fédération des journalistes je crois, diverses activités, mais de là à savoir ce qu'est un journaliste au sens professionnel du terme, d'après nous il n'y a pas de texte qui à l'heure actuelle le prévoit clairement.

Et cette absence de définition a un impact sur la loi qui pourrait être adoptée ultérieurement. S'il y a une définition stricte qui est donnée, il est peut-être plus facile d'adopter un texte législatif. Par contre, en l'absence de définition, on voit difficilement comment on pourrait, par un texte de loi, définir le journaliste, alors que du côté des journalistes eux-mêmes la définition ne parait pas clairement.

Je pense que ça fait un peu le tour de la question. Je ne sais pas si vous voyez d'autres explications qui vous sembleraient utiles. Il y a peut-être un petit point que l'on a mentionné dans l'étude, c'est qu'il y a le problème constitutionnel au Canada. Le Québec ne pourrait légiférer, s'il pensait accorder une protection aux journalistes, que dans le domaine de sa compétence; donc, ça excluerait tout l'aspect du droit criminel. Le droit criminel, ça ne nous concerne pas; cela concerne le gouvernement fédéral.

M. LE PRESIDENT: Comme il ne semble pas y avoir de questions sur cette partie, venant de la table ici, je vous invite à continuer les commentaires que vous désirez apporter sur les autres chapitres de votre document.

M. REID: Je pourrais peut-être suggérer de prendre les hypothèses une après l'autre. Les hypothèses, nous les avons présentées aux pages 58 et suivantes. Ce sont les quatre hypothèses que nous avons retenues. Il y en a peut-être d'autres, nous ne prétendons pas avoir été nécessairement exhaustifs, mais nous croyons que ces quatre hypothèses couvrent la réalité normale que l'on pourrait retrouver ici au Québec.

La première hypothèse, elle est simple, c'est que le journaliste ne bénéficie d'aucun privilège et doit rendre témoignage comme tout autre témoin.

C'est donc le maintien du statu quo et, comme je le disais tantôt, la protection n'est pas accordée de façon générale dans les différentes législations, surtout dans les pays de Common Law. Ce n'est pas accordé. En France, c'est exactement la même chose, il n'y a pas de protection d'accordée aux journalistes. Cette hypothèse rejoint les conclusions de la commission Davey, conclusions que nous avons rapportées aux pages 59 et 60 de notre rapport.

MME BEAUSOLEIL: Sur le rapport Davey lui-même, vous allez voir, à la page 59, ce que nous avons reproduit. Vous allez voir effectivement qu'on fait sensiblement état des mêmes problèmes que nous vous avons communiqués: le problème de la confidentialité, le problème du manque de standards quant à la profession de journalisme et plusieurs autres aspects. Je crois que le rapport Davey servira peut-être à une chose, c'est au moins démontrer toutes les étapes qu'il y a à franchir avant qu'une telle législation puisse être bien réalisée.

Il y a une chose, cependant, à laquelle il faut faire attention, c'est que le rapport Davey se base sur des concepts du Common Law et non sur des concepts du droit civil. Dans le Common Law, on vise la protection non pas de la personne, évidemment, non pas de la source, non pas du patient, non pas d'un client, mais on vise la protection de la communication elle-même. Ce qui a de drôles de résultats, ce qui veut dire que même le patient, par exemple, ne pourra témoigner devant les tribunaux sur ce que son médecin lui a dit parce que c'est la communication qui est protégée, non le professionnel et non le client en vertu d'une obligation.

Ici, au Québec, la mentalité est totalement différente. C'est le patient, c'est le client qu'on protège, par l'obligation qu'a le professionnel envers lui et c'est le professionnel qu'on protège devant les tribunaux pour lui permettre de remplir son obligation envers son client ou son patient. On vous met sur vos gardes en lisant

justement le rapport Davey sur les conditions du secret professionnel. Effectivement, il a reproduit les conditions de Wigmore, juriste américain.

M. REID: D'ailleurs, si l'on reprend justement le dernier paragraphe de la page 59, on voit qu'il est dit: "Au reste, le journalisme est une profession où il n'existe encore aucun standard clairement reconnu: c'est donc à des inconnus qu'on étendrait la protection du secret professionnel, et on voit difficilement comment on pourrait ainsi servir l'intérêt public. Notre opinion est à ce sujet fort simple, et nous croyons que la majorité des journalistes la partagent: c'est que nous devrions laisser les choses comme elles sont".

La deuxième hypothèse, c'est que le journalisme ne bénéficie légalement d'aucun privilège mais profite de facto d'une certaine forme de protection. Celle-ci nous l'avons illustrée par deux exemples. C'est la situation que l'on retrouve en Belgique.

D'ailleurs, lorsqu'on a commencé l'étude sur ce qui se passait en Belgique, on a été surpris de s'apercevoir qu'il n'y avait à peu près rien. Un arrêt avait été rendu, si je me souviens bien, en 1870 et, depuis ce temps, il n'y avait plus rien. Il y en a eu un autre, au Luxembourg, qui était assez récent mais qui n'était pas probant. Par des lectures, on s'est aperçu qu'il y avait une espèce d'entente tacite entre la magistrature et les journalistes à l'effet que le journaliste ne témoignait pas. Les deux s'entendaient pour que le journaliste ne soit pas contraint de témoigner et de dévoiler ses sources.

A ce sujet, il y a les directives du procureur général des Etats-Unis, M. Mitchell, directives qu'il avait données en 1970 à ses officiers leur demandant de ne pas se servir des journalistes comme indicateurs lorsqu'ils étaient appelés à témoigner devant les tribunaux. Il leur suggérait d'utiliser d'autres moyens pour parvenir à obtenir l'information désirée. Les directives du procureur général ont été reproduites in extenso dans le rapport. C'est à la page 28.

L'inconvénient de cette deuxième formule, c'est que ça n'accorde aucune protection légale aux journalistes. Qu'il survienne une période de crise et il est évident que ces directives seront écartées et que l'on reprendra la procédure normale, c'est-à-dire que le journaliste sera considéré comme un témoin contraignable ou comme tout autre témoin. Aucune assurance n'est donnée par un texte aux journalistes.

La troisième hypothèse que nous avons présentée est celle où le journaliste bénéficie d'une protection partielle, c'est-à-dire qu'il ne peut pas être poursuivi pour outrage au tribunal s'il ne témoigne pas; c'est l'état de la législation en Californie et dans l'Etat de New York. Il est certain que c'est une forme de protection valable. Par contre, cela n'exclut pas les recours au civil qui pourraient survenir ultérieurement. C'est-à-dire que le journaliste pourrait peut-être accepter de témoigner ou refuser et cela n'empêcherait pas qu'il puisse être poursuivi en dommages et intérêts ultérieurement. Sa protection se limite à ceci: S'il refuse de témoigner, on ne le poursuit pas pour outrage au tribunal, un point, c'est tout.

La quatrième qui est la plus, je ne dirais pas complexe, mais la plus souple de toutes, c'est que le journaliste bénéficie d'une protection totale pouvant être assujettie à des restrictions légales ou judiciaires. Cela peut être total dans le sens qu'on dit que le journaliste sera protégé de façon absolue. Il y a aussi possibilité d'assujettir ce privilège à des restrictions. Nous avons donné une série d'exemples de ces restrictions à la page 64. Il pourrait y avoir discrétion absolue du juge d'accorder ou de refuser le privilège ou une discrétion relative, c'est-à-dire que le juge pourrait accorder cette protection mais selon des critères qui seraient définis d'avance.

Nous avons énuméré quelques-uns de ces critères, soit, par exemple, la nature du litige, la possibilité d'obtenir la preuve par d'autres moyens, la pertinence de la source elle-même. C'est sûr qu'on pourra objecter, à propos de la pertinence de la source, que normalement le juge doit toujours s'interroger sur la pertinence de la source lorsqu'une partie veut présenter un témoin en cour. Dans ce cas, ça impliquerait nécessairement un examen beaucoup plus approfondi de la part du juge pour savoir si vraiment l'information que l'on veut obtenir du journaliste est nécessaire pour les fins d'une saine administration de la justice. Cela impliquerait un examen beaucoup plus sérieux que ce qui se fait à l'heure actuelle. Présentement, devant les tribunaux, le juge va être porté à faire confiance aux avocats qui présentent des témoins, tandis que, là, il y aurait étude beaucoup plus poussée.

Quant au fardeau de la preuve, c'est un autre point qui pourrait être prévu, soit que le journaliste soit obligé de faire la preuve que son témoignage n'est pas nécessaire ou bien que la preuve soit faite par celui qui désire l'information, c'est-à-dire la personne qui veut faire témoigner le journaliste, à l'effet que son témoignage est nécessaire. Il s'agit de savoir si on impose le fardeau de la preuve à la personne qui veut présenter le journaliste ou bien au journaliste qui, lui, doit prouver que son témoignage n'est pas nécessaire ou bien que l'information pourrait être obtenue par d'autres sources que son témoignage à lui.

Il y a un jeu possible. On n'a pas présenté tous les critères. Si la décision politique était prise, il y aurait lieu de faire une analyse des différents critères qui pourraient être retenus. On a donné ça à titre d'exemple; il est possible qu'il y en ait d'autres à soumettre.

Quant aux techniques législatives, il y en a toute une série qu'on a soulevées. Je n'insiste pas sur toutes les hypothèses; nous en avons mis sept qui nous semblent couvrir presque la

totalité des hypothèses. Par contre, cette question est subsidiaire, c'est-à-dire qu'il faudrait qu'il y ait une décision prise avant, pour savoir si le journaliste doit être protégé ou pas. Si l'Etat en vient à la conclusion qu'il doit être protégé, le jeu des techniques législatives entre en ligne de compte, mais pas avant. C'est pour ça qu'on n'a absolument pas élaboré sur ça. Ce serait peut-être un beau jeu d'esprit de le faire, mais, d'un autre côté, si l'Etat en vient à la conclusion que le journaliste ne doit pas être protégé, pourquoi perdre du temps à penser à des techniques législatives. D'après nous, c'est complètement secondaire.

Je ne sais pas s'il y a d'autres points.

M. VEILLEUX: Tout à l'heure, vous avez mentionné, M. Reid, que le secret professionnel sous une forme ou une autre, existe dans 17 Etats américains. De mémoire, je ne me souviens pas si vous en faites mention dans le travail que vous nous avez remis, mais je crois qu'il y a une décision à la cour Suprême des Etats-Unis qui a été contraire un peu ou qui ne reconnaît pas le secret professionnel.

Est-ce que vous pourriez nous donner les implications de cette décision de la cour Suprême des Etats-Unis vis-à-vis des formes de reconnaissance du secret professionnel qu'on retrouve dans 17 Etats américains?

MME BEAUSOLEIL: La décision dont vous faites état est la décision de Caldwell. Nous l'avons mentionnée en première instance et en appel. Depuis que nous avons écrit le rapport, cela a été jugé devant la cour Suprême et la décision a été renversée en appel en disant qu'il n'y avait pas de protection constitutionnelle en vertu du premier amendement des Etats-Unis. Aux Etats-Unis, il faut se rappeler qu'il y a deux formes possibles de protection légale du secret professionnel du journaliste. Il y a la possibilité de protection statutaire. Vous avez vu que, dans 17 Etats effectivement, cette protection existe, mais dans le cas de Caldwell, la protection statutaire n'existait pas dans l'Etat donné.

On a donc essayé de plaider devant les tribunaux de première instance que c'était la constitution américaine, le premier amendement, qui garantissait la liberté de presse, qui formait la base du secret professionnel du journaliste. C'est complètement divorcé de la loi particulière des 17 Etats. Et en parlant de la protection constitutionnelle, on en est venu à la conclusion devant la cour Suprême que la liberté de presse, telle qu'énoncée dans le premier amendement de la constitution américaine, n'empêchait pas de faire témoigner le journaliste car il semblait se baser sur une liberté à un autre niveau. En d'autres mots, la liberté de presse, en général, de pouvoir publier ou de ne pas publier que le journaliste voulait. On me disait que la liberté de presse concernait beaucoup plus des questions de censure que des questions de la liberté d'un journaliste en particulier de travailler en paix et de travailler dans des conditions les plus favorables pour exercer son métier.

Pour répondre brièvement à votre question, la décision Caldwell n'affecte pas la loi des 17 Etats parce que dans l'Etat où la cause s'est présentée pour la première fois, il n'y avait pas de loi statutaire. Il fallait nécessairement se baser sur la constitution américaine.

M. VEILLEUX: Est-ce que cela signifie que cette décision de la cour Suprême pourrait s'appliquer dans les Etats qui n'ont pas encore reconnu le secret professionnel sous une forme ou une autre et à l'instant où un Etat quelconque, en plus des 17, reconnaissait une forme de secret professionnel, cette décision de la cour Suprême ne s'appliquerait pas dans l'Etat concerné?

MME BEAUSOLEIL: Pour répondre à votre première question, oui. La décision Caldwell affectera tous les Etats qui n'ont pas, à l'heure actuelle, une protection statutaire. Deuxièmement, les faits pourraient être contrecarrés par une loi particulière de ces Etats mais c'est à peu près la seule façon. Il ne serait pas possible, suivant un système judiciaire américain de rendre une décision contraire à la décision Caldwell dans un cas de la même espèce. La seule possibilité pour ces Etats serait une loi particulière.

M. VEILLEUX: A la page 68, à 1'addendum, vous mentionnez: "Cette étude empirique du professeur Blasi nous parait constituer un élément utile, voire nécessaire, à notre étude des implications juridiques du secret professionnel du journaliste." Et vous nous suggérez fortement à la fin de reprendre d'une façon quelconque cette enquête au niveau du territoire du Québec. Qu'est-ce qu'une telle enquête apporterait de plus aux suggestions que vous nous faites et au travail que vous avez remis aux membres de la commission, soit cette étude du professeur Blasi?

C'est une enquête qu'il avait faite auprès d'un certain nombre de journalistes et de reporters des Etats-Unis.

MME BEAUSOLEIL: Le rapport empirique de M. Blasi, c'est une étude pour déterminer si, effectivement, les journalistes avaient des problèmes du fait qu'ils étaient contraints à témoigner. On a vu, à plusieurs reprises, que les problèmes existaient beaucoup plus théoriquement qu'en pratique; que surtout les jeunes journalistes, assez curieusement — je ne peux pas vous l'expliquer — ne se sentaient pas en difficulté d'exercer leur profession du fait qu'ils pourraient être contraints à comparaître devant un "grand jury" ou devant les tribunaux. Les plus vieux étaient un peu plus restreints, mais, quand même, ils ne se sentaient pas trop

restreints dans leur travail de ce fait même. Nous croyons qu'avant de décider réellement s'il y a nécessité d'établir une loi ou une politique au sujet du secret professionnel il serait peut-être nécessaire de consulter les journalistes eux-mêmes afin de savoir si, dans les conditions actuelles, ils ont de la difficulté à travailler, de la difficulté à récolter de l'information à cause du manque de privilèges du journaliste devant les tribunaux.

M. VEILLEUX: Dans le mémoire qui a été déposé par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, je sais qu'on parle de certains problèmes qu'une catégorie de journalistes ont vécu à une période donnée au Québec. Mais j'ose espérer que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec pourra répondre à cette question que vous mentionnez dans l'addendum du travail. Du moins, j'espère que la Fédération professionnelle des journalistes nous fera connaître l'idée ou les problèmes que peuvent rencontrer, de temps à autre, les journalistes.

Par contre, j'ai l'occasion de recevoir de nombreuses lettres de citoyens du Québec, qui, eux aussi, ont vécu des problèmes, compte tenu des journalistes, sous prétexte de ne pas dévoiler la source de leur information. J'aimerais que vous me donniez votre opinion personnelle sur une déclaration du sénateur Grattan O'Leary, que l'on retrouve à la page 46 de votre travail: "Le journaliste dit qu'il a les mêmes droits qu'un prêtre dans le confessionnal ou qu'un médecin à l'égard de ses patients et je soutiens que c'est parfaitement ridicule. Le prêtre ne sort pas du confessionnal pour mettre en accusation celui qui vient se confesser et le médecin ne dit pas au grand public de quelle façon un de ses patients a contracté la syphilis".

D'ailleurs, vous mentionniez, tout à l'heure, qu'à partir de cet argument il y aurait peut-être lieu de protéger la source et non le journaliste qui émet une opinion en partant d'une source qu'il ne veut pas dévoiler dans un journal. Est-ce que vous pourriez nous dire, de façon concrète, comment un gouvernement ou les membres de la commission pourraient, justement, protéger la source et non le journaliste?

M. REID: En fait, il y aurait une possibilité. On pourrait raisonner soit dans l'absolu, soit de façon bien concrète, en disant: Nous sommes en 1972. Qu'est-ce qui pourrait être fait, en 1972? Etant donné les facteurs qu'on a mentionnés tantôt, par exemple l'absence de définition du journaliste et aussi le fait qu'il y a toute une série de points d'interrogation, une solution à laquelle nous avons pensé serait de s'appuyer sur la quatrième hypothèse, qui est celle où le journaliste bénéficie d'une protection. Mais nous croyons qu'il faudrait que ce soit assujetti à des restrictions assez sérieuses.

Pour l'instant, nous serions portés à favoriser une discrétion relative de la part du juge, c'est-à-dire qu'il faudrait qualifier cette discrétion, préciser quels sont les critères qui devraient être retenus pour que le juge puisse exercer sa discrétion. Vu l'absence de définitions précises concernant ce qu'est un journaliste, nous serions portés à mettre le fardeau de la preuve contre le journaliste et non pas contre la personne qui veut faire témoigner le journaliste.

Qu'est-ce que cela impliquerait, de façon concrète? Supposons qu'un journaliste soit appelé à témoigner devant les tribunaux. On l'amène dans la boîte. Là, le journaliste invoque ce privilège. Le juge pourrait l'accorder, selon les critères qui seraient définis, mais il faudrait nécessairement que le journaliste fasse la preuve. Pour l'instant — on raisonne en 1972 — ce serait à lui de faire la preuve, s'il ne veut pas témoigner, que l'information qu'il a peut-être obtenue par d'autres sources. C'est peut-être très restreint. Il est sûr que ce n'est peut-être pas satisfaisant pour l'esprit. Par contre, nous sommes portés à croire que, dans ce domaine, il faudrait y aller prudemment et faire en sorte qu'il s'établisse une certaine jurisprudence.

On sait pertinemment que nos juges ne sont pas révolutionnaires dans ce domaine, que nos juges seront prudents de leur côté. Après cela, au fur et à mesure que les précisions viendront quant au statut du journaliste, quant à la fréquence des demandes qui seraient faites par les journalistes, on pourrait voir, au cours des prochaines années, s'il n'y a pas lieu de légiférer de façon plus claire. Mais nous serions portés à laisser les choses suivre leur cours, ouvrir la porte et, après cela, voir, au bout d'un certain temps — cela peut prendre deux ans, trois ans, cinq ans — ce qui pourrait être fait pour améliorer le tout. C'est cette hypothèse qui nous semblerait la plus favorable. Il est sûr qu'on peut dire: Respectons le statu quo. Il y en a qui seront très satisfaits. Vous parliez un peu des lettres que vous receviez. Il y a des gens, dans la population, qui seront satisfaits si le journaliste n'a aucune protection. Il y en a d'autres, aussi, qui ne seront pas satisfaits s'il en a. Je pense au comptable qui, à l'heure actuelle, n'a pas ce privilège devant les tribunaux. S'il s'aperçoit que le journaliste l'a et qu'il ne l'a pas, il n'en sera pas heureux.

A l'heure actuelle, on s'est limité, dans le code de procédure, à l'accorder effectivement aux professions libérales traditionnelles. Je pense qu'il faut se rendre compte de cela. Les seuls qui en bénéficient sont les médecins, les avocats, les notaires, le curé. On n'en sort à peu près pas. Ce sont effectivement les professions qu'on avait il y a 50 ans. On n'a pas évolué quant au surplus. Personnellement, je serais porté à croire que, dans cette logique, on devrait l'accorder à d'autres. Même le comptable apprend des choses bien confidentielles, autant qu'un avocat. Mais présentement — je prends l'état de la loi — cela se limite à ces personnes.

Si on voulait l'accorder au journaliste, juste-

ment pour favoriser le droit du public â l'information, nous serions portés à y aller doucement, à ouvrir la porte, faire une brèche et, après cela, à la lumière des événements, voir s'il y a lieu de légiférer de façon beaucoup plus claire, soit par un texte précis, soit par d'autres formes de législation.

Il y aurait aussi l'hypothèse que l'on pourrait retenir, c'est la deuxième, qui n'offre pas de protection véritable sur un plan juridique. Mais si par exemple le procureur général donne des instructions à ses officiers de ne pas se servir des journalistes, déjà ça pourrait être une autre forme de protection. Comme je disais tantôt, ce n'est pas une garantie sûre, mais quand même ça pourrait être utile, et aux Etats-Unis, ça a été utile.

M. VEILLEUX: S'il arrive qu'une personne se rende au ministère des Affaires sociales dans une région donnée pour recevoir de l'aide sociale et qu'elle juge ne pas recevoir ce â quoi elle aurait droit, qu'elle se plaint à un journaliste et le journaliste fait une manchette dans son journal sur ce type sans mentionner la personne, parce qu'il veut protéger sa source d'information, il porte préjudice à des fonctionnaires du gouvernement qui sont des agents de sécurité sociale dans le bureau en question et l'agent du bureau du service social ne peut pas se défendre, compte tenu de la Loi de la fonction publique qui l'oblige à garder un certain secret professionnel. Dans un cas comme celui-là, laquelle des hypothèses devrait être appliquée?

Ce n'est pas une colle...

M. REID: Non.

M. VEILLEUX: C'est un des problèmes que m'a soumis un citoyen du Québec. Il y en a une foule d'autres. Laquelle des hypothèses devrait s'appliquer dans les circonstances? On détruit ainsi, comme on dit à la page 46, la réputation d'un individu et on ne peut donner la chance à cet individu de se défendre, sous prétexte de donner une information au public, d'épargner le droit de l'information. Est-ce que, dans ce cas-là, ça constitue un droit à l'information du public? C'est peut-être la première question à se poser.

MME BEAUSOLEIL: Entre autres choses, si on parle de la discrétion relative du juge — et c'est l'hypothèse qu'on prenait au début — l'un des critères effectivement sur lesquels le juge va se baser, c'est la nature de la cause elle-même. Je crois que ça pourrait régler votre problème; parce que le juge, face à ces circonstances, évaluera la position des parties au litige et verra que sans le témoignage du journaliste, la justice ne sera pas rendue. Et il faut se rappeler que nous avons deux principes qui se contredisent: Premièrement, la liberté de presse et la récolte d'un renseignement pour être disséminé dans le grand public; et deuxièmement, l'administration de la justice.

Et dans un cas semblable — on est toujours dans l'hypothèse — j'imagine que le juge en se prévalant de sa discrétion relative pourra dire tout simplement: Etant donné la nature de la cause, nous ferons témoigner le journaliste.

M. REID: Mais il ne faudrait pas oublier non plus que dans cette hypothèse, nous tenons toujours pour acquis que c'est la source qui est protégée, l'informateur et non pas le journaliste lui-même.

M. VEILLEUX: Pour ma part, je trouve que l'expression liberté de presse ne correspond pas ou ne colle pas â la réalité. Ce qui colle â la réalité, c'est le droit du public à l'information. Et dans votre esprit, est-ce que vous pourriez donner une définition de ce que vous entendez, vous, par le droit du public à l'information?

M. REID: C'est la question de $64,000.

M. VEILLEUX: Parce que dans le cas que je mentionnais tout à l'heure, qui se présente fréquemment, vous savez qu'il y a des journaux à scandale qui ne cherchent que des supposés scandales. Je ne dis pas que ce sont tous les journalistes, mais il s'agit qu'il y en ait un ou deux pour jeter du discrédit sur l'ensemble des journalistes. La personne dit: Moi, je suis protégée, je peux dire n'importe quelle conne-rie. Le journaliste en question l'écrit et porte préjudice à certaines personnes. C'est le problème devant lequel on se trouve aussi.

MME BEAUSOLEIL: II y aurait peut-être réponse à ça en faisant analogie avec le secret professionnel tel qu'il existe pour le médecin, l'avocat, etc., à l'heure actuelle. Le critère du professionnel, en dedans de ses fonctions, tombe automatiquement s'il y a matière à fraude ou si c'est un cas où le professionnel devient complice à un crime ou à de la fraude.

On considère alors qu'il n'est pas dans l'exercice de ses fonctions, que ça dépasse ses fonctions d'agir de telle ou telle façon. Alors, un des critères de l'article 308 tombe automatiquement. Et pour revenir au journaliste, s'il cherche le scandale, s'il prend les mots de quelqu'un et, de mauvaise foi, les rend complètement différents de ce que la personne elle-même a rapporté, à ce moment-là le journaliste professionnel ne sera plus dans l'exercice de ses fonctions.

M. VEILLEUX: Je ne dis pas qu'un journaliste rapporte différemment les paroles de la source en question. Il peut les rapporter textuellement mais, si la source n'est pas digne de confiance, on porte préjudice à une foule de gens. C'est le problème que les membres de la commission ont. On ne retrouve pas ça — vous me le direz si je me trompe — chez l'avocat, chez le médecin, chez le dentiste. Une personne l'a dit dans le mémoire, le médecin ne rend pas public ce qu'il connaît, tandis que le journaliste,

lui, rend public ce qu'il connaît. C'est la grande différence entre les deux catégories de professionnels.

MME BEAUSOLEIL: Effectivement, il y en a une autre. La source, elle, n'a pas nécessairement un intérêt privé à ce que le tout soit rendu public, mais le patient ou le client, lui, a un intérêt très particulier à ce qu'il puisse se dévoiler en toute quiétude au professionnel; ça c'est vrai. Pour revenir à votre question, j'avoue que j'ai peut-être mal compris, mais encore on revient à la discrétion relative du juge. Je crois que nécessairement ça sera au juge d'évaluer la fiabilité de la source.

M. CHARRON: Est-ce que je peux ajouter une sous-question à la sienne? Vous avez dit tout à l'heure que, si on pouvait prouver qu'un journaliste a délibérément déformé les faits ou les paroles de quelqu'un, la discrétion relative du juge lui permettrait de dire que ce n'était pas dans l'exercice de ses fonctions. Moi, je crois que ça l'est toujours dans l'exercice de ses fonctions. S'il est pris pour vol à l'étalage chez Steinberg, qu'il soit journaliste ou n'importe quoi, d'accord. Vous avez parlé de fraude pour les médecins, fraude fiscale. J'admets qu'à ce moment-là c'est en dehors de l'exercice de ses fonctions; donc l'article 308 peut tomber.

Mais l'exemple que vous avez donné, si c'est une discrétion relative, alors je dirais que le juge pourrait dire que c'est dans l'exercice de ses fonctions. Il la remplit mal, il la remplit malhonnêtement, peut-être, mais c'est dans l'exercice de ses fonctions. Sa fonction est de rapporter ce que les autres gens disent. Il peut y mettre son commentaire, avoir retenu ce qu'il veut. Il l'a fait mal, nous dirions ensemble que c'est un mauvais journaliste. Nous le fuirions comme la peste, bien sûr, mais il fait sa profession.

M. REID: En fait, si on reprend cette hypothèse, dans la réalité qu'est-ce qui se produirait? Mettons que le journaliste dévoile une information, la publie dans un journal et que ça cause préjudice à un fonctionnaire. Qu'est-ce qui va arriver de facto? Soit que le fonctionnaire puisse se plaindre à la Fédération des journalistes ou, s'il y a un code d'éthique, le journaliste pourrait être poursuivi pour ne pas l'avoir respecté. Ou bien ça va être un procès en dommages et intérêts. Mais, de façon concrète, il va falloir que le fonctionnaire poursuive. Sans ça, juste ce simple fait nous fait constater qu'il y a une information qui a été rendue publique, puis on sait en sous main qu'il y a un fonctionnaire qui dit que ç'a été biaisé, que ça n'a pas été fait correctement. Mais, sur un plan judiciaire, il n'y a rien effectivement à ce moment-là.

Alors, il faudrait peut-être dissocier le code d'éthique du journaliste du litige qui pourrait survenir devant les tribunaux après. Mettons que ce soit une action en dommages-intérêts et que le journaliste ne veut pas témoigner. Là la discrétion relative du juge entrera en ligne de compte, mais aussi longtemps qu'il n'y a pas de litige on ne peut pas parler de la discrétion relative du juge. Les parties ne sont pas devant un juge.

Vous soulevez, en faisant ça, ce que l'on appelle la définition du journaliste, qui n'est pas claire, qui n'existe pas.

On a fait une étude la plus exhaustive possible de la définition du journaliste et, à l'heure actuelle, la conclusion que nous en avons tirée, c'est qu'il n'y en a pas.

M. LE PRESIDENT: Le député de Chicoutimi.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je voudrais d'abord dire à M. Reid et à Mme Beausoleil que le document qu'ils nous ont présenté est fort utile. Il faut le replacer, toutefois, dans l'optique que vous avez choisie qui est une optique juridique. Vous avez davantage centré votre étude sur le problème du journaliste face au tribunal.

Cela pose évidemment le problème, d'une part, de la liberté de la presse de la liberté de l'information, de la liberté pour l'informateur, le journaliste en l'espèce, de pouvoir utiliser tous les moyens légitimes qui sont nécessaires à l'exercice de sa profession.

Permettez-moi de vous dire que je m'étonne quand même — remarquez que c'est un étonnement théoriave; d'ailleurs, vous l'avez fait intentionnellement — que vous ne vous soyez pas commis en essayant, pour votre propre gouverne, de définir ce qu'est un journaliste. Il n'existe peut-être pas, dans l'optique juridique qui est celle de votre approche, de définition du journaliste qu'on puisse apporter devant un tribunal, en disant: Voilà, partant de cette définition, M. Untel a telle et telle responsabilités et il a tel et tel privilèges. Mais un journaliste, c'est quand même connu depuis, tout au moins, Théophraste Renaudot, sans parler des analyses de l'antiquité gréco-romaine. Un journaliste est un informateur qui peut l'être de diverses façons. C'est un informateur qui travaille en vue d'alimenter un journal. Ce journaliste doit donc, pour exercer son métier, sa profession, jouir d'une liberté qui lui permette de recueillir des données de fait qui serviront à informer les citoyens et qui permettront ensuite l'analyse de situations de fait, etc.

La définition du journaliste, à mon sens, est donc assez facile à cerner. C'est un informateur au service d'un journal, qu'il soit grand, petit, périodique, quotidien, etc. Cela comprend toutes les formes de journalisme, y compris la presse électronique.

Si on reprend le problème dans l'optique de la liberté de la presse, il est bien évident qu'en ce qui me concerne je suis en faveur de la protection du journaliste. Que ce soit devant le

tribunal ou que ce soit devant n'importe quelle instance parlementaire ou autre, il est extrêmement important que le journaliste jouisse d'une liberté et, en même temps, d'une protection quant à ce qu'il publie. Toutefois, cette protection comporte des restrictions. On ne peut pas parler d'une protection absolue. Il faut toujours parler d'une protection relative, en donnant au mot relatif un sens qui ne soit pas trop restrictif. En effet si l'on part du principe suivant, que le journaliste ne peut pas avoir une protection absolue, ce qui lui permettrait de faire n'importe quoi et de ne pas être responsable de ses actes — ce que personne ne souhaite et ce qu'aucun journaliste ne souhaite, non plus, et ne manifeste, sauf exception peut-être — il reste qu'il faut qu'il ait une liberté. Cette liberté est restreinte par certains facteurs ou certains éléments; il y a certains principes. D'abord, nous devons savoir — il faut se poser cette question dès le départ — quelle est la nature de l'information, quelle est la substance de l'information, quelle est la qualité de l'information que doit véhiculer le journaliste.

Il faut bien savoir ce que le journaliste doit écrire, ce qu'il peut écrire. La nature de l'information pose le problème, tout d'abord, de l'intérêt public. Il faut se demander: Est-il nécessaire, utile ou essentiel que le journaliste diffuse telle information ou tel ensemble de faits?

Si un journaliste a divulgué des faits qui sont d'un ordre strictement personnel, sans importance, si vous voulez, dans le sens de l'intérêt public et que, en divulguant ces faits, il nuit à un individu, on peut s'interroger sur sa conduite. Devant un tribunal, je n'hésiterais pas à exiger qu'il divulgue ses sources. Mais dans l'ensemble et parlant d'une façon générale, je suis pour que le journaliste soit protégé. Comme informateur, comme source de renseignements, il faut quand même qu'il jouisse d'une protection analogue — je dis bien analogue — à celle dont jouissent les professionnels que vous évoquiez tout à l'heure, protection, d'ailleurs, qui pourrait s'étendre à d'autres professionnels. Je vous donnerai un cas précis au sujet duquel je vous interrogerai, M. Reid.

Il y a donc une liberté que je revendique pour le journaliste. Cette liberté ne peut pas, toutefois, être absolue; il faut qu'elle comporte certaines restrictions au regard de l'intérêt public. Il y a ensuite la sécurité de l'Etat. Il arrive que des faits, même des faits qui devront être, à un moment donné, divulgués, ne doivent pas l'être à tel moment précis pour des raisons qu'on appelle de sécurité d'Etat. C'est là que se posera le problème, par exemple, de ce qu'on appelle la fuite des documents. C'est un problème parce qu'il y a des documents qui ne doivent pas être divulgués avant tel moment. Là, je ne parle pas des histoires de scandales. Supposons, par exemple, que vous, M. Reid, vous êtes journaliste et que vous avez appris que le gouvernement a décidé de dévaluer la mon- naie canadienne. Il est évident que, si vous lancez ça dans le public, d'abord, vous allez enrichir des gens et peut-être vous-même, si vous avez l'idée de faire des passes, et, surtout, vous pouvez compromettre une initiative de l'Etat qui est vitale pour l'économie de l'Etat à un moment donné. Par conséquent, ici, il y a une restriction au regard de ce qu'on appelle la sécurité de l'Etat.

Il y a une restriction aussi au regard du citoyen pris individuellement. En effet, il y a des renseignements, des faits qui ne doivent pas être divulgués avant que — quand il s'agit, par exemple, de délits, de crimes, etc. — l'on ait pris toutes les précautions pour que le citoyen qui serait incriminé ou inculpé trop vite ne subisse pas un préjudice qui reste toujours irréparable même si, après un procès, il obtient gain de cause et est exonéré. Parce que l'information, c'est comme de la plume au vent; une fois que c'est répandu, on ne peut plus la rattraper.

Donc, liberté pour le journaliste, à mon sens. C'est ma volonté que le journaliste jouisse de cette liberté. D'autre part, cette liberté doit être soumise à certaines restrictions en termes d'intérêt public, de sécurité de l'Etat et aussi de droit des citoyens àa la protection à laquelle nous avons tous droit dans un Etat normalement organisé et qui n'est pas un Etat, totalitaire, si vous voulez.

M. Reid, ce qui me préoccupe davantage dans toute cette question, c'est l'exercice pratique de la profession du journaliste. Votre document, qui est fort utile, je le répète, est bien fait à cet égard, mais il va nous falloir — c'est notre responsabilité — le reprendre, examiner chacune de vos hypothèses parce que chacune de ces hypothèses peut être valable pour partie seulement. On ne peut pas en prendre une et dire: C'est ça! ou prendre la première, la deuxième ou la troisième et dire: C'est celle-là, la bonne hypothèse! Il va nous falloir, de concert avec les gens du métier, c'est-à-dire avec les journalistes, les entreprises de presse et tous les gens qui ont quelque chose à voir là-dedans, reprendre vos hypothèses, en inventer d'autres peut-être, réexaminer ce dossier juridique que vous avez préparé, enfin ces données que vous avez accumulées, que vous nous présentez de façon très claire, d'ailleurs.

Il nous faut essayer ensemble de déterminer quelle peut être la meilleure des hypothèses dans l'exercice pratique de la fonction du journaliste. Là, je vous pose des cas précis.

Quand on est dans le domaine de la grande information, on annonce que le premier ministre a décrété par arrêté ministériel que désormais il se passera telle chose au ministère du Revenu ou que le code de la route sera amendé de telle façon, qu'on a pris telle ou telle disposition. Cela ne pose pas de problème. Qu'on annonce qu'il y a eu un incendie à Québec hier soir ou à Montréal, il n'y a pas de problème. Le journaliste divulgue ses sources. Il n'a même pas à les divulguer, c'est public, sauf

s'il y a soupçon d'incendie criminel. Le journaliste doit être prudent avant de dire : Untel a été vu là et l'identifier. C'est une question de jugement et de conscience professionnelle.

Seulement, dans l'exercice de la profession, et c'est souvent ce qui irrite les citoyens, qui irrite les groupes organisés, les parlementaires, vous comme moi — d'ailleurs, si vous, comme doyen de la faculté de droit, on vous fait dire des choses que vous n'avez pas dites ou n'importe quoi, vous ne serez pas content — il y a d'abord le problème des accusations. Une accusation peut être portée de diverses façons. Elle peut être portée de façon formelle à partir d'un dossier que le journal étale. On met en accusation et on dit : Voici des documents. En preuve à ce moment-là devant un tribunal, évidemment, le juge peut exiger, à sa discrétion, que le journaliste dévoile ses sources. Si le juge, par ailleurs, et les procureurs, bien entendu, ont d'autres moyens de démontrer la véracité de ce qui avait été étalé dans le journal, le juge n'aura pas besoin de faire appel à un journaliste. Mais il peut arriver que la présence d'un journaliste soit nécessaire pour étayer la preuve et pour permettre au procureur, soit à la poursuite ou à la défense, d'établir le lien qui constituera un des éléments majeurs du fardeau de la preuve. Alors, il y a l'accusation formelle.

Il y a les accusations qui se présentent sous forme d'insinuations. Cela se pose dans le cas de l'exercice pratique du journalisme. On va dire: II semblerait que le ministre Untel aurait des intérêts dans telle société ou que le doyen de la faculté de droit aurait des intérêts dans telle société qui traite avec l'université dont il est un employé, à toutes fins utiles, et c'est lancé comme cela. A ce moment-là, cela peut vous causer, si vous êtes inculpé de façon indirecte au fait, un tort considérable et même après un procès, une poursuite, il en restera toujours quelque chose. Parce que les gens sortent toujours ce vieil axiome: "II n'y a pas de fumée sans feu." C'est aussi bête que cela.

Il y a le problème des rumeurs. C'est une question qui est extrêmement délicate parce que, par la rumeur, on peut détruire quelqu'un. Et vous savez qu'avec un conditionnel, quand on est dans le journalisme ou même en Chambre, on a toujours la vie sauve. Là, on dit: Je n'ai pas dit qu'il avait fait cela. J'ai dit qu'il aurait peut-être fait cela ou que quelqu'un m'aurait laissé entendre que... C'est la rumeur, et Dieu sait si c'est utilisé souvent dans les journaux. Quand cela porte sur des matières bénignes, on dit qu'il y a rumeur que madame le ministre des Affaires culturelles sera remplacé par le député de Verdun, cela ne fait de mal ni à l'un ou à l'autre. Cela peut être d'intérêt public, remarquez.

M. CARON: Pour moi, vous vous en ennuyez.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est cela. Je me défrustre.

Mais si on dit, par exemple, qu'il y aurait rumeur que le premier ministre, ou M. X, ou M. Y, serait impliqué dans tel scandale, cela est très grave. Devant un tribunal, cela pose un problème, si cette rumeur peut être un quasi-libelle.

Il y a, ensuite, le cas du libelle. Un journaliste peut très bien se présenter devant un tribunal et refuser de donner ses sources, même si les faits qu'il a étalés dans un journal sont vrais, mais que c'est publié sous forme d'un libelle ou d'une accusation à caractère libelleux dans un journal. Le journaliste, à ce moment-là, à mon avis, ne peut pas invoquer la protection absolue parce que là, c'est lui l'informateur. Si vraiment il veut se disculper, il faut que les procureurs et que le juge aient le droit de remonter jusqu'à la source. Autrement, il n'y a pas de possibilité d'en arriver à un règlement d'un procès en libelle. Vous savez comment cela tourne un procès en libelle. Cela traîne et traîne et, la plupart du temps, la personne qui est lésée n'est pas protégée parce que le jugement ne lui rend pas justice.

Alors, ce sont des problèmes qui se posent très souvent dans l'exercice de la profession de journaliste. Il y a, d'autre part, quand on parle de rumeurs, de libelles, d'accusations à caractère libelleux ou quasi libelleux, le problème du rectificatif. Il n'y a rien, sauf erreur — je me base sur les connaissances que j'ai — qui impose l'obligation de publier un rectificatif, sinon une obligation très, très vague, que vous connaissez M. Reid, très générale. Mais le rectificatif, publié par un journal, est souvent pire que l'accusation ou que la rumeur qui a été lancée. Par une petite note, vous savez, la note de la rédaction, ou par une sorte de commentaire dans lequel, en réalité, on dit plus qu'on en avait dit déjà, sous forme conditionnelle, toujours. Vous savez, ce mode du verbe est extrêmement utile dans la presse et dans la vie parlementaire aussi. Je n'exclus pas les parlementaires, veuillez m'en croire.

Alors, je me dis ceci, M. Reid. Ce que vous nous fournissez, ce sont des éléments extrêmement importants: Des éléments de fait, des éléments de droit, enfin, c'est une sorte de synthèse de vos recherches. Par ailleurs, vous n'avez pas voulu vous commettre, je le répète, en disant ce qu'est un journaliste. Il y a toute la question de l'exercice de la profession du journaliste au regard des hypothèses que vous avez formulées.

Si on se place, maintenant, dans l'ordre des techniques législatives, comme vous l'évoquez à la fin de votre document, je crois que nous ne pouvons pas en arriver à quoi que ce soit de précis, de pratique sans une concertation des hommes de droit, des hommes de la profession et des parlementaires, ici, en l'occurrence, s'ils veulent légiférer, pour formuler, à partir des hypothèses que vous évoquez, un projet de loi qui protégerait le journaliste, qui protégerait le public, qui protégerait l'Etat, qui protégerait également le citoyen individuellement, mais qui permettrait, en même temps — cela j'y tiens et

avec la plus grande énergie, je le dis encore une fois — la liberté de l'information et, par conséquent, la liberté de l'informateur. Si l'informateur est pris dans un carcan tel qu'il est obligé de dire où il prend ses sources à tous les instants, bien, j'ai l'impression que les journaux vont être drôlement rapetisses. Alors, ce travail de concertation, à mon avis, peut être entrepris et doit être entrepris très rapidement avec les gens de la profession, les hommes de droit et ainsi de suite. Et, on devrait, pour entreprendre ce travail, obtenir un éclairage qui nous viendrait de ce dont nous avons déjà parlé d'ailleurs ici, une sorte de clinique de la presse. Ce n'est peut-être pas votre responsabilité, à vous, comme tel, mais nous avons déjà évoqué ce problème.

Je crois que des études sont commencées sur ces problèmes. A-t-on commencé les études sur ces problèmes? Disons faire un examen d'un certain nombre de journaux sur une période X.

UNE VOIX: J'allais le proposer.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Moi, je propose qu'on le fasse, pas pour chercher des puces à tout le monde mais pour voir comment le problème juridique que vous avez soulevé peut se poser dans un ensemble de circonstances que nous revivrions en étudiant les journaux de telle période à telle période. Il n'est pas nécessaire de faire un examen remontant jusqu'à la fondation du premier journal. Qu'on prenne quatre ou cinq journaux, de différentes natures, qu'on les examine et qu'on voie si les problèmes que vous avez posés se retrouvent dans ces textes, qui sont des documents qui sont là.

Vous parliez tout à l'heure, M. Reid, du secret professionnel du médecin, de l'avocat, du prêtre, etc. Vous parliez du comptable, par exemple, qui n'a pas la même protection. A propos du secret du médecin, je ne sais pas si vous êtes au courant — enfin, ce n'est pas comme cela que jei devrais formuler ma question — je sais que vous êtes au courant, mais j'aimerais avoir votre avis là-dessus. Vous connaissez la façon de procéder des sociétés d'assurance, en ce qui concerne les cas litigieux de risques et de paiements, à la suite d'accidents, de maladie, etc. Vous savez que les médecins ne jouissent plus, à ce moment-là, du privilège du secret professionnel. Ils sont obligés de fournir aux sociétés d'assurance des renseignements qui sont d'une nature ultra-confidentielle. Je le sais pour avoir vu des dossiers d'assurance, qui ont fait l'objet, d'ailleurs, de factums devant la cour Suprême, où le médecin a été obligé de divulguer l'état du patient au moment où il l'avait examiné, quand il avait pris ce qu'on appelle une police d'assurance, et au moment où il a fait sa réclamation. Alors ce secret, il est passablement entamé. D'ailleurs, les médecins protestent toujours avec violence et ont toujours la première réaction de refuser aux sociétés d'assurance les documents qu'elles réclament.

L'impôt, par exemple, ne respecte certainement pas le secret professionnel du comptable. C'est bien clair. Ce n'est peut-être pas mauvais non plus que l'impôt aille jusque-là. Mais je crois que ces privilèges dont vous parlez, en ce qui concerne le médecin, sont drôlement entamés lorsqu'il y a poursuite devant les tribunaux. Alors leur liberté — au sens qu'on l'a entendu pour la liberté de presse — est aussi restreinte. Elle ne l'est peut-être pas autant que dans d'autres professions mais elle commence à devenir dangereusement restreinte.

C'est la même chose pour l'avocat. Actuellement, l'avocat n'a plus l'immunité qu'il avait autrefois. Il est obligé, à certains moments, de se commettre, même lorsqu'il est question de discussions avec ses clients, de discussions privées, confidentielles, celles dont vous parlez dans votre mémoire.

Alors, M. Reid, la question que je vous pose, en regardant toutes vos hypothèses, est la suivante: Ne pensez-vous pas que tout ce problème ne provient pas d'abord de l'absence — parce qu'à mon sens c'est le problème fondamental, et c'est celui que nous allons devoir examiner ici, encore, en commission de la liberté de la presse — de l'existence d'une corporation professionnelle des journalistes? Ceci ne les empêcherait pas d'avoir des syndicats pour régler leurs problèmes au niveau des relations de travail avec leurs patrons. Cette corporation aurait un code d'éthique.

Ils ont un code d'éthique mais si —je me place toujours dans une perspective juridique — il y avait existence d'une corporation professionnelle, un code d'éthique à la façon de celui qui existe pour la profession du Barreau ou de la médecine ou du notariat, il serait beaucoup plus facile pour les justiciables, pour le juge et pour les procureurs devant un tribunal d'invoquer les prescriptions d'un code d'éthique.

Tout ce dont nous discutons ce matin me parait avoir un caractère hautement académique. Or, le problème est pratique; il est concret et on ne peut pas le régler avec vous tout seuls. Nous ne pouvons pas le régler avec les journalistes tout seuls ou avec les propriétaires des entreprises de presse seuls. Comme parlementaires, nous ne pouvons pas, non plus, le régler. Mais, partant de vos hypothèses et en collaboration avec ces divers groupes que je viens de mentionner, il serait possible, à mon avis, d'en arriver, d'abord, à définir la profession — dans mon esprit, elle est bien définie sur le plan concret — et en arriver aussi à l'idée d'une corporation professionnelle qui, elle, définirait la fonction de ses membres, définirait ce que c'est que l'éthique du journaliste et pourrait établir une réglementation applicable dans les différents media d'information.

Je rappelle pour mémoire que, la semaine dernière, alors que nous interrogions M. De-mers, du journal Le Soleil, notre collègue de Saint-Laurent apportait un exemple qui nous a frappés. Un quotidien du Québec, parlant d'un

crime qui avait été commis, disait: "Un débile mental tue son père et sa mère". Donc, accusation formelle et sur deux points qui sont de nature à causer un préjudice grave à l'individu en question. Il se peut fort bien que les faits démontrent qu'il est débile mental et qu'il a réellement tué son père et sa mère, mais, le jour où ça a été publié, ni vous ni moi ne pouvions nous prononcer là-dessus. Ce sont des faits comme ça que nous vivons dans la vie pratique.

Je vous demande votre avis au sujet de cette idée de corporation professionnelle et de cette question d'un code d'éthique. Je ne veux pas un catalogue de péchés et de bonnes oeuvres, mais un code d'éthique comme il en existe dans toutes les professions.

Qu'est-ce que vous en pensez, M. Reid ou Mme Beausoleil?

M. REID: Sur cette question précise, il est sûr que ça réglerait un bon nombre de problèmes d'avoir une corporation professionnelle. On ne l'a pas suggéré parce que ça nous semblait un problème différent de celui que nous avions à traiter.

Il y a une autre raison aussi pour laquelle nous n'en avons pas parlé, c'est que, pendant que nous effectuions cette étude, nous avons discuté souvent avec des journalistes. Les opinions sont fort divergentes à propos de la nécessité d'une corporation professionnelle, parce que, si celle-ci existe, ça implique nécessairement qu'il y a une restriction apportée au métier de journaliste. En effet, ne pourra être journaliste que la personne qui répondra aux critères qui auront été définis dans cette loi.

Il y a des journalistes avec qui j'en parlais qui disaient: C'est une atteinte à notre liberté de nous forcer à entrer dans un cadre très précis. Quand on parle d'un journaliste engagé à plein temps pour un journal ou de quelqu'un qui travaille de façon professionnelle pour un media d'information, c'est facile de délimiter ses fonctions. Mais, lorsque l'on touche à des gens qui collaborent — je pense qu'on donne l'exemple dans le rapport — à un journal "underground", est-ce que ce sont des journalistes? Le journaliste étudiant, est-ce un journaliste? Si moi, j'écris une chronique dans un journal, est-ce que je suis journaliste lorsque j'écris dans le journal et doyen de la faculté de droit — j'ai deux chapeaux — ou bien si effectivement, professionnellement, je n'ai qu'un chapeau et, par hasard, je veux plutôt dire de façon marginale, j'écris des articles.

C'est là qu'il y a une difficulté majeure. D'après nous, c'est beaucoup plus aux journalistes de nous dire effectivement s'ils veulent ou s'ils ne veulent pas d'une corporation. Il est sûr que l'Etat peut leur imposer une corporation s'ils n'en veulent pas. Cela pourrait régler un certain nombre de problèmes, mais est-ce que c'est souhaitable? Encore là on tombe dans le domaine politique.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. Reid, au sujet de ce que vous venez de dire là, de vos consultations avec les journalistes, je comprends très bien qu'il est quelquefois difficile de situer exactement tel type de journaliste. Il y a des journalistes qui sont des permanents, si on peut dire, d'un journal et puis il y a des journalistes à la pige, etc. Vous vous dites: Si moi, j'écris une chronique dans un journal... A ce moment-là, on peut très bien vous laisser écrire une chronique dans un journal, mais vous ne le faites pas à titre de journaliste.

C'est un journal qui, en raison de votre spécialité, va vous inviter à contribuer à collaborer à une page, disons la page juridique dans votre cas. Il se pourrait fort bien que, dans la définition de la profession comme telle, cette possibilité soit incluse avec, par ailleurs, la responsabilité pour l'éditeur d'assumer cette responsabilité des chroniqueurs invités.

Nous, nous sommes députés ou ministres, n'importe quoi. Il y a des journaux qui nous invitent à publier des articles. Nous ne le faisons pas à titre de journaliste? Nous le faisons simplement en vue de renseigner les citoyens que nous représentons. Nous le faisons simplement en notre qualité, nous le faisons en qualité de parlementaires. C'est le journal qui devrait alors prendre la responsabilité de ce que nous écrivons, comme nous avons la responsabilité, nous, de ce que nous disons en dehors de la Chambre, parce qu'en Chambre nous avons le privilège de l'immunité. C'est drôle, remarquez, j'ai hâte d'en causer avec les journalistes parce que ceux-ci sont capables de nous montrer des avenues et de nous faire découvrir des difficultés auxquelles nous ne pensons peut-être pas.

Mais pourquoi une profession comme le; journalisme, qui est quand même une profession aujourd'hui immense et extrêmement importante, ne serait-elle pas régie, en corporation ou non, par des règles analogues à celles qui régissent les autres professions? Quand vous exercez un métier comme celui de médecin, vous ne pouvez pas y aller au hasard. Vous devez être dûment qualifié.

Or, j'estime que le métier d'informateur sur le plan moral, intellectuel, social, etc., est aussi important, dans son ordre, que la profession du médecin. Je me confie à un médecin parce que j'ai confiance en lui; il va me faire un diagnostic, il va me prescrire un traitement. Or, le journaliste, tous les jours, pèse sur l'esprit non seulement des individus, mais de toute la collectivité, évidemment, de la société prise dans son ensemble.

Pourquoi cet homme, qui a une très grande responsabilité et une très grande influence, qui peut avoir une très grande influence, selon sa compétence et la tribune qu'il a, pourquoi cet homme ne serait-il pas soumis à des règles d'exercice de sa profession, au même titre que n'importe quelle personne qui est obligée de travailler dans tel ou tel métier?

Ecoutez, on exige des cartes de qualification pour le plombier qui vient travailler chez vous, pourquoi? C'est pour vous protéger, vous, et pourtant c'est dans un domaine très matériel, mais s'il y a une fuite d'eau, par exemple, si le travail a été mal fait, vous avez un recours contre lui. Bien, le journaliste, il me semble que c'est plus sérieux, qu'un plombier, parce qu'il manipule constamment des réalités, des idées qui ont une influence profonde sur l'évolution de la société.

J'ai hâte d'entendre les journalistes là-dessus, mais c'est une objection que je ne peux pas recevoir sans une analyse approfondie et une discussion avec ces gens-là.

M. REID: La difficulté qui peut se présenter est d'essayer de définir ce qu'est la carte de compétence en matière journalistique. Je pense que les personnes les mieux qualifiées pour essayer de définir ça sont les journalistes eux-mêmes.

Si vous me permettez, il y a un autre point sur lequel je voudrais revenir un peu. Lorsque vous dites: Le journaliste est un informateur au service d'un journal ou d'un médium d'information, ça va. Il doit y avoir des restrictions. Vous avez parlé de la notion d'intérêt public. Est-ce que c'est nécessaire, utile ou essentiel à l'intérêt public? Moi, je pense qu'on peut définir peut-être, sur un plan sociologique, ce qu'est l'intérêt public. Vous savez comme moi que, sur un plan juridique, on n'a jamais été capable de le définir. L'intérêt public est la notion fourre-tout que l'on a mise dans nos lois pour .permettre des solutions souples selon l'évolution du contexte social. C'est pour ça que l'intérêt public peut varier selon les circonstances et c'est pour ça que, dans notre optique, nous croyons que c'est le juge qui est le mieux placé pour voir ce qu'est l'intérêt public. Pour vous;, une chose peut être d'intérêt public alors que,' pour moi, elle est d'intérêt privé. Il y a une vue d'ensemble qu'il faut avoir. Je ne dis pas nécessairement que le juge va l'avoir mais il faut presque le définir à la pièce, l'intérêt public, lorsqu'on est pris avec un problème juridique. Je ne vois pas comment on peut, dans un texte de loi, essayer de préciser ce qu'est l'intérêt public.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pour ça, M. Reid, je suis d'accord avec vous. On peut utiliser la notion fourre-tout dont vous parliez et, quand on essaie de la restreindre et de l'identifier avec des cas particuliers, c'est difficile. Lorsque je parle d'intérêt public, j'en parle surtout en fonction de la protection du citoyen pris individuellement.

Je vais vous donner un exemple que vous connaissez et qui remonte à pas mal d'années. Rappelez-vous cet accident, c'était plutôt un crime, lorsqu'on avait fait sauter un avion à Sault-au-Cochon qui allait en direction de Sept-Iles, sur la Côte-Nord. On a fait des manchettes énormes avec ça, c'était la première fois que cela se produisait, même en Amérique du Nord. Là, on a fait l'enquête préliminaire et, avant même qu'elle ne fût commencée, on a publié dans les journaux le nom de toute une série de personnes qui pouvaient avoir eu des relations avec les personnes qui ont été incriminées, plus tard condamnées.

Je me dis toujours, et je me place au prétoire avec les avocats et les journalistes qui sont là pour couvrir l'événement: Est-ce qu'il est d'intérêt public que le nom de M. Hubert Reid, qui est appelé comme témoin parce qu'il s'est trouvé là tout à fait par hasard, soit publié dans le journal? Vous savez, je l'ai constaté assez souvent, le fait que vous alliez témoigner à un procès, dans l'esprit des gens, à moins que ce soit bien mentionné que vous y alliez à titre d'expert, implique une relation avec le criminel ou avec la victime. Est-ce que c'est d'intérêt public à ce moment-là de publier ces noms? Je me dis non. Tant que le procès n'est pas rendu à tel stade, à mon sens, c'est extrêmement dangereux et préjudiciable à un citoyen de voir son nom étalé dans une chronique judiciaire. C'est un petit exemple. Mais si vous l'élargissez, si vous le reprenez, c'est ce qui nous permet de définir l'intérêt public et c'est ce qui, en même temps, rend extrêmement difficile la définition de l'intérêt public.

Je me place dans une perspective de citoyen.

Maintenant, j'aimerais faire une précision pour qu'il n'y ait pas d'équivoque. Quand je dis que l'informateur est au service d'un journal, j'implique que le journaliste en question n'est pas l'esclave du journal. Il faut qu'il ait, à l'intérieur de la boite, toute la liberté dont il doit jouir pour pouvoir exercer sa profession, même si ça ne fait pas plaisir au patron.

M. REID: Si vous me le permettez, lorsque l'on parle de définir le journaliste ou de la protection à accorder au journaliste, je doute que l'on puisse résoudre le problème de façon philosophique. Il va falloir partir de cas concrets et y aller de façon assez empirique. Je prends pour exemple ce qui s'est passé aux Etats-Unis. On vous a donné, en annexe, les différents textes de lois qui ont été adoptées dans les Etats américains où on reconnaît le privilège du journaliste. A la suite de ces textes, nous avons soumis un tableau comparatif de ce qui existe aux Etats-Unis dans ces 17 Etats. Cela touche l'objet de la protection, les restrictions au privilège, la nécessité de la publication (est-ce qu'il faut que la publication soit faite ou non? ) Les personnes protégées, les media d'information et le forum de la protection. On s'aperçoit que ça varie d'Etat à Etat; il n'y a pas de continuité ou d'uniformité, du tout.

L'impression qu'on en a — on n'est quand même pas allé aux Etats-Unis pour vérifier dans chacun des Etats — c'est qu'on a voulu accorder une protection selon le milieu où les gens vivaient. Dans certains cas, c'est très restreint,

ça peut être simplement le reporter; dans d'autres cas, ça va beaucoup plus loin, on couvre tout. J'ai l'impression que, si on voulait faire un peu la même chose ici, essayer de donner une définition, il faudrait y aller par des qualifications se rapportant à des postes ou des fonctions que lés gens occupent. Il faudrait préciser ça par fonction et non pas de façon générale. La définition globale, d'après moi, serait très difficile à faire au Québec à l'heure actuelle. Il faudrait protéger tel type de personnes. Si certaines personnes sont exclues à cause de cette définition, ce serait peut-être regrettable pour elles mais elles auraient à faire la preuve ultérieurement qu'elles doivent être incluses dans le groupe des personnes à protéger. La même chose pour les media d'information; dans certains cas, on protège le media; dans d'autres cas, c'est seulement la personne du journaliste qui est protégée.

Je vois ça presque comme une négociation pour savoir qui devrait être inclus dans ça et qui ne devrait pas l'être. Si on essaie de procéder de façon théorique, j'ai l'impression qu'on en aura pour des années à discuter.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Reid, une question au sujet des media d'information, qu'ils soient écrits ou électroniques: Quelle idée vous faites-vous de la responsabilité, du privilège ou de la protection dont devraient jouir un journal ou une station de radio ou de télévision? Ne pensez-vous pas qu'au fond le grand responsable, à la fin de la course, c'est toujours la boîte qui a laissé partir la nouvelle? Il y a quand même, dans un journal, sans qu'il y ait censure au sens péjoratif du terme, un contrôle qui doit s'exercer. Le responsable, l'éditeur comme on l'appelle, c'est lui, en fin de compte, qui doit assumer tout. A quel genre de protection pensez-vous pour ce type de personnes ou d'organismes, si on parle de l'entreprise comme telle ou de celui qui en est responsable sur le plan rédactionnel, sur le plan de l'information.

M. REID: Je vais vous donner une opinion purement personnelle. Je serais porté à accorder la protection au journal autant qu'au journaliste. C'est une question de mesure, mais je crois que si on veut protéger le droit du public à l'information, il faudrait pouvoir protéger également le journal aussi bien que le journaliste. Je vois difficilement comment on peut dissocier les deux. Et je serais porté à étendre le champ, les différentes possibilités, quitte à avoir des restrictions au niveau de l'exercice même de ce privilège, mais d'y aller le plus largement possible. C'est une question d'appréciation purement personnelle.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): C'est une question aussi de politique de la maison, de distribution des tâches, d'organigramme. Il peut y avoir un contrôleur, un superviseur, mais est-ce qu'il peut tout voir et est-ce qu'il...

M. REID: Surtout dans le cas d'un quotidien.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): C'est cela. C'est très compliqué.

M. REID: C'est cela.

M. LE PRESIDENT: Le député de Bourget.

M. LAURIN: Vous dites que vous avez fait une recension de la situation existant dans les divers pays. Vous avez parlé de certains Etats américains, de la Grande-Bretagne, des autres provinces du Canada. Est-ce que votre enquête a aussi porté sur la situation existant à cet égard dans les pays derrière le rideau de fer? Qu'est-ce qui prévaut dans ces pays? Est-ce le souci de l'administration de la justice ou le droit à l'information?

M. REID: Je serai très franc avec vous. Lorsque nous avons discuté de l'étude, il a été convenu que nous nous limitions à ces pays, que nous ne voyions pas les pays derrière le rideau de fer. Il y avait une question d'urgence. Il fallait faire un rapport assez rapidement, et si nous voulions faire quand même une recherche sérieuse, il fallait que nous puissions contrôler l'information que nous aurions. Je ne vous cache pas que je ne suis pas un expert en russe et là, il y avait un danger, c'est qu'on ne puisse pas faire la distinction entre la propagande et l'information objective. Tandis que dans les pays que nous avons étudiés, nous étions en mesure de le faire. Cela a été exclu au départ.

M. LAURIN: Si je comprends bien, dans les quatre hypothèses que vous avez étudiées à la. façon d'un simulateur cybernétique, votre préférence va plutôt à la quatrième hypothèse o,ui est celle de la protection accordée au journaliste avec un certain nombre de garanties ou de restrictions d'ordre judiciaire ou juridique. Vous avez même pris la peine d'établir certains critères, de donner quelques exemples, mais vous dites cependant que cette position ne pourra être affirmée concrètement que lorsqu'un travail préalable aura été fait par les journalistes eux-mêmes.

En réponse aux questions qui viennent d'être posées par le député de Chicoutimi, vous semblez favoriser la création d'une corporation professionnelle sur le modèle des professions libérales actuelles, même si vous entrevoyez de grandes difficultés pour en arriver à la définition du journaliste. Dans l'étude que vous avez faite, même si vous n'avez pas pu nous communiquer toutes vos réflexions, est-ce que vous avez quand même étudié ce sujet et est-ce que vous auriez des suggestions ou des hypothèses à faire valoir surtout étant donné que nous gommes en train d'étudier actuellement une vingtaine de lois portant sur la redéfinition d'anciennes corporations et la création de nouvelles?

M. REID: La quatrième hypothèse que nous avons présentée, d'après nous, serait susceptible d'application dès maintenant. Cela n'implique pas nécessairement que l'ont ait créé une corporation. L'hypothèse que nous soumettons est très simple. Nous disons: II y a des cas qui se présenteront. Ouvrons la brèche. Ne la mettons pas trop large au départ et laissons aller les choses en attendant qu'il y ait quelque chose de mieux. Mais dès maintenant, il serait possible de faire quelque chose, si on utilise cette quatrième hypothèse.

Nous nous sommes peut-être fourvoyés mais nous avons présumé que cela pourrait prendre passablement de temps avant que l'on aboutisse à une corporation avec quelque chose de très précis. Là, nous pensions à une solution immédiate. C'est pour ça que nous avons suggéré cette quatrième hypothèse. Si l'on tient pour acquis qu'il y aura une corporation, là, évidemment, les hypothèses pourront varier parce qu'on pourra prévoir dans cette loi — je prends un exemple — que le journaliste ne doit pas dévoiler le nom de ses informateurs. On peut le prévoir comme on le fait, par exemple, dans le cas du médecin ou de l'avocat, où c'est interdit d'après la loi de la corporation de dévoiler l'information. Cela, on pourrait le mettre en règle générale et, après cela, adopter un article, qui soit dans le code de procédure ou ailleurs dans une autre loi, qui permettrait justement au journaliste de témoigner un peu comme on le fait dans le cas du médecin. Mme Beausoleil faisait justement la distinction tantôt entre la loi générale à ce sujet et le code de procédure. C'est quand même une législation à deux niveaux. Cela pourrait être fait, disons, de façon concrète, mais il faudrait prévoir que l'on reconnaisse au journaliste le droit de ne pas dévoiler ses sources, dans cette loi, quitte à prévoir une exception dans le code de procédure.

En ce qui concerne cette loi, cela impliquerait nécessairement que l'on définisse, d'une certaine manière, ce qu'est un journaliste. Peut-être qu'il faudrait le définir par les activités qu'il exerce ou peut-être par définition générale. Je ne sais pas si on pourrait y venir rapidement. Mais il faudrait définir ce qu'il est. Ensuite, il y aurait une chose fondamentale, c'est un code d'éthique. Il faudrait nécessairement qu'il y ait un code d'éthique. Si un journaliste publie une information qui n'est vraiment pas acceptable ou — je pense aux hypothèses que soulevait M. Tremblay tantôt — des accusations, des insinuations, des rumeurs, là on est au niveau de l'éthique. Il ne serait pas nécessaire qu'il y ait un procès en dommages et intérêts dans ce cas pour que le journaliste soit "puni" si jamais il pose des gestes qui sont inacceptables dans le cadre général de la liberté de la presse. Il faudrait le prévoir dans le code d'éthique. Si quelqu'un n'a pas respecté le code d'éthique, là il y aurait possibilité de suspension ou de radiation.

M. LAURIN: En l'absence d'une corporation professionnelle qui, habituellement, voit à l'observance du code d'éthique, c'est le gouvernement qui, selon vous, serait responsable de l'observance du code d'éthique ou quelqu'autre organisme?

M. REID: II faudrait nécessairement prévoir un organisme qui serait responsable. Je ne vois absolument pas le gouvernement dans ça.

M. LAURIN: Donc, ce serait un autre organisme à former.

M. REID: Un autre organisme à former ou que ce soit à l'intérieur de la corporation.

M. LAURIN: Eventuelle?

M. REID: Oui, c'est ça. Mais je ne vois absolument pas le gouvernement dans ce cas.

M. LAURIN: Est-ce que vous verriez le conseil de presse comme un organisme possible?

M. REID: Oui, le conseil de presse pourrait sûrement être un instrument valable.

M. LAURIN: Oui.

M. REID: Tout dépend, évidemment, du rôle et de la composition du conseil de presse.

M. VEILLEUX: S'il peut fonctionner. M. REID: C'est ça.

M. LAURIN: Dans vos réponses à des questions antérieures, je vous ai souvent entendu prendre fait et cause pour l'empirisme, étant donné que le domaine dans lequel on s'avance est abstrait, difficile, passionné. Mais il reste qu'en donnant votre préférence à la quatrième hypothèse vous vous trouvez à choisir entre les deux principes ou les deux impératifs que vous nous avez indiqués: Le premier étant le souci de maximiser ou d'optimaliser l'administration de la justice et l'autre le souci de conserver et même d'améliorer le droit à l'information. En ce sens, vous allez beaucoup plus loin que la commission Davey. Donc, vous prenez quand même une position de principe, ce qui veut dire que, pour vous, fondamentalement, le journaliste est un professionnel.

M. REID: Oui.

M. LAURIN: Pourriez-vous nous donner les raisons qui vont ont amené à conclure que le journaliste est véritablement un professionnel, même si, dans l'énumération des activités ou des fonctions diverses d'un journaliste, vous avez fait beaucoup de nuances?

M. REID: Effectivement, il y avait trois

hypothèses: soit de faire primer la saine administration de la justice, ou bien de faire primer le droit du public à l'information, ou bien de rester entre les deux, assis entre deux chaises si on peut dire. Nous croyons qu'une saine administration de la justice peut être réalisable, même si l'on accorde certains privilèges au journaliste. C'est une question, comme on le dit dans le rapport, qui est purement politique, d'après nous. Mais moi, je suis porté à faire primer le droit du public à l'information. Je pense que c'est plus important pour une société telle que celle que nous avons au Québec. Je vis dans la société québécoise. Je pense qu'il est plus important que le public soit informé, même si, de temps à autre, il y a des accrocs au niveau de l'administration de la justice. J'aime autant qu'il y ait cela, que d'avoir la solution inverse où l'on dit qu'on a une justice admirable, extraordinaire, mais une justice qui implique que le public n'a pas toute l'information requise. Cela implique nécessairement qu'il faudra qu'il y ait un certain contrôle sur les journalistes. C'est une question de choix. Moi, j'aime mieux cette solution. Il y en a d'autres qui peuvent préférer qu'on ait une très bonne administration.

M. LAURIN: C'est donc votre conception de la démocratie qui vous a poussé à adopter cette position, ou cette décision que vous appelez politique au sens le plus élevé du terme.

M. REID: Oui, oui. Politique, nous ne l'avons pas employé dans le sens partisan. Jamais.

M. LAURIN: Cela implique nécessairement, cependant, une définition beaucoup plus serrée de l'essence même du journalisme.

M. REID: II faut l'encadrer.

M. LAURIN: Est-ce que cela implique également, puisqu'il s'agit d'un professionnel, maintenant, dans votre esprit, un type de formation, une école, avec tout ce que cela suppose au point de vue des contrôles ou des exigences du bien public en ce domaine?

M. REID: II ne faudrait peut-être pas que le directeur du Service de l'information à l'université m'entende. Je ne pense pas qu'il soit souhaitable qu'on exige de tous les journalistes qu'ils passent par une école. Je pense que ce serait fortement exagérer. Il y aurait peut-être une formation â donner, au niveau de l'éthique. Je pense que c'est plutôt cela.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): J'imagine que votre présomption est la même pour les étudiants en droit. Vous n'exigez pas qu'ils passent un examen!

M. REID: Nous avons des discussions, de ce temps-ci, à ce sujet!

M. LAURIN: II reste que toutes les fois qu'on mentionne le mot professionnel, surtout lors de l'étude des diverses lois, actuellement, qui touchent les corporations professionnelles, il y a un article qui traite de l'éligibilité, des critères d'admission, de l'octroi de diplômes. C'est presque lié nécessairement à la notion même de professionnel. Pourquoi, dans ce cas précis, croyez-vous possible d'en faire abstraction?

M. REID: C'est que, dans le cas du journaliste, c'est différent. Je vois difficilement que l'on puisse imposer des études précises. Quelles sont les études précises qu'on exigera de quelqu'un qui veut être journaliste? Nous pourrions en discuter pendant des centaines d'heures. Tout à l'heure, j'affirmais qu'il était préférable, dans le cas du journalisme, plutôt que de raisonner en termes d'études, de raisonner en termes de fonctions. Quelles sont les fonctions que telle personne remplit dans la société au niveau de l'information? On parle toujours du journaliste, mais cela peut comprendre d'autres personnes que le journaliste qui travaille dans un journal.

Cela touche également la radio et la télévision, dans ma conception à moi. Cela va beaucoup plus loin que le simple journal. Là, on va dire: Le journaliste, il faudrait qu'il suive des cours au département de l'information à l'université Laval. Mais dans le cas de la télévision, est-ce qu'on va dire qu'il faut qu'il ait suivi des cours de telle maison qui enseigne à quelqu'un à parler devant une caméra?

Il est très difficile de définir un contenu d'enseignement dans cette matière.

MME BEAUSOLEIL: II y aurait peut-être une autre solution. Ce serait de remplacer la nécessité d'études par un stage d'apprentissage, si vous voulez, par un stage de X mois ou de X années dans un poste de télévision ou un journal. A ce moment-là la corporation agréée pourrait veiller sur les apprentis et voir effectivement s'ils peuvent remplir les fonctions auxquelles ils désirent venir éventuellement.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): Mme Beausoleil, vous connaissez les règlements de la Fonction publique où on en est rendu, par exemple, à exiger une onzième année pour celui qui manoeuvre un ascenseur. Un journaliste se situe quand même à un autre niveau. Vous ne pensez pas qu'il y a quand même un minimum d'exigences qui devraient être définies par une corporation ou un organisme, appelez-le comme vous voudrez?

MME BEAUSOLEIL: Je crois que vous avez amplement raison, mais le problème que soulignait M. Reid demeure: c'est qu'à partir des études secondaires, quelle formation est-ce qu'on va exiger? Est-ce qu'on va exiger une formation uniforme pour tous les gens qui peuvent faire partie de la corporation? Ou

est-ce que l'on va exiger une formation différente selon les tâches que l'on voudrait accomplir par la suite?

Je trouve extrêmement difficile de concevoir qu'au niveau — c'est difficile à dire jusqu'à quel niveau — supérieur on puisse arriver à cette uniformité. Et c'est justement là le problème. Je ne pose pas de questions au sujet de la onzième année, présumant que la majorité des journalistes ont la onzième année. Mais je ne le sais pas, c'est une présomption juristantum.

Quant à la formation, quant au profil, à l'admission à la profession, c'est là où je crois qu'il va y avoir passablement de difficultés à arriver à un consensus.

M. REID: Si vous prenez un quotidien, quelles sont les qualifications qu'on va exiger pour celui qui fait ce qu'on peut appeler la chronique des chiens écrasés? Est-ce qu'il faut qu'il ait un diplôme universitaire? Par contre, s'il est éditorialiste, est-ce qu'on va exiger une autre formation, une formation qui soit différente? C'est là que je vois difficillement la définition qu'on pourrait donner. On pourrait dire qu'il faut avoir une onzième année. Je suis porté à croire que c'est un critère purement formel que de dire que c'est une onzième année qu'il faut. Quelqu'un pourrait dire que c'est une dizième année et quelqu'un d'autre dire qu'il faudrait le CEGEP ou autre chose.

M. LAURIN: II y a de bons autodidates aussi.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): Me permettez-vous un commentaire, M. le doyen de la faculté de droit? Quand un jeune avocat a passé par le cours de droit et puis, la formation du Barreau, puis les examens, oui ou non, du Barreau, il s'en va dans une étude. Le jeune avocat qui entre et qui est le dernier des derniers dans le bureau, fait les chiens écrasés assez longtemps, mais il a besoin par exemple, pour faire les chiens écrasés, d'avoir la même formation que le senior dans le bureau. Alors mutatis mutandis, il faut se placer dans une optique de formation. Et le journaliste qu'on affecte à des chroniques qu'on appelle vulgairement les chiens écrasés — ce qui est souvent injuste pour ces gens-là, parce que souvent ils font un excellent travail dans les chiens écrasés — peut éventuellement devenir le senior dans la rédaction. Comme le jeune avocat, qui commence dans un bureau à qui on fait faire les chiens écrasés en lui envoyant porter les procédures au palais de justice ou au bureau d'enregistrement, peut devenir le senior un jour, quand son patron surtout est nommé juge ou doyen d'une faculté.

M. REID: La différence entre les deux est quand même importante. Dans le cas du futur avocat, il a des connaissances précises sur un plan juridique qui doivent lui être inculquées; tandis que si on arrive sur le plan journalistique, est-ce une question de connaissance de la langue, est-ce une question de connaissance du milieu, est-ce une question de compétence dans un domaine particulier de la science? Tout dépend du rôle qu'il va jouer; tandis que dans le cas du jeune avocat, on doit toujours présumer que le lendemain matin, le jour qui suivra son admission au Barreau, il est censé être en mesure d'ouvrir un bureau seul à Rimouski. Il s'agit d'un domaine qui est très particularisé. C'est quand même une différence importante. Tandis que pour le journaliste, quant à moi, je souhaiterais que l'on puisse en venir à des critères, mais je serais porté à croire qu'on va se buter à des critères purement formels, à savoir qu'il faudrait qu'il ait fait tant d'années d'études, mais quel genre d'études? Ça ne veut pas dire, parce qu'il aura fait une onzième année, qu'il va être compétent comme journaliste.

M. LAURIN: Malgré ces difficultés dont certaines ne peuvent pas être réglées dans un avenir prévisible, il demeure que vous préconisez une législation qui fixerait au moins certains aspects que vous jugez importants. Vous avez dit tout à l'heure que cela était possible. Maintenant, j'aimerais vous demander si cela vous paraît urgent.

M. REID: Pour ma part, ce qui semblerait urgent, c'est que l'on puisse trouver une formule de compromis. On en a suggéré une pour l'instant. Cela me semblerait urgent et puis, il serait aussi urgent que se mettent autour de la table les gens qui sont spécialistes de la question, journalistes et autres, afin de discuter justement de l'élaboration d'un projet de loi qui fixerait — c'est peut-être difficile — au moins les limites de l'exercice du métier de journaliste ou de la profession de journaliste.

Il serait urgent qu'on le fasse. Quant à établir les règles de jeu, le malheur à l'heure actuelle, c'est qu'il n'y en a pas de règle du jeu. Chacun a ses propres règles. Ce qu'il faudrait, c'est qu'on le fasse le plus vite possible.

M. LE PRESIDENT: J'ai remarqué que le débat s'est éloigné passablement du secret professionnel du journaliste. C'est devenu une tribune.

M. LAURIN: Oui, peut-être, mais la question que je viens de poser est en plein au centre du secret professionnel du journaliste. Je demande à M. Reid si c'est nécessaire, s'il lui paraît urgent d'adopter une loi qui concilierait ces deux impératifs et, deuxièmement, qui tiendrait compte de la quatrième hypothèse, qui est la protection totale du journaliste quant à ses sources surtout, qui serait assujetti à des restrictions juridiques et judiciaires. C'est au coeur même du débat.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est dans la suite des questions que j'ai posées.

M. LAURIN: Maintenant c'est à la commission et aux représentants du gouvernement que je poserais la question. Si les membres de la commission sont d'accord sur cette opinion de M. Reid, est-ce que la commission serait prête à étudier les moyens à mettre en oeuvre pour qu'on avance dans la préparation de cette loi?

M. VEILLEUX: Etant donné que la question m'est adressée, nous avons quand même des gens qui ont déposé des mémoires qui traitent de ces sujets, qui sont les Hebdos du Canada, la CRTF, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Je crois qu'il est essentiel d'entendre les professionnels du milieu journalistique, qui peuvent être les journalistes et à certains moments les entreprises de presse, avant de dire: On fait ça plutôt que telle autre chose.

Ce sont des documents de base qui nous ont été remis. C'est peut-être bon que les trois organismes que je viens de mentionner n'aient pu se présenter à la commission tel que fixé parce que cela va leur permettre d'élaborer un peu plus sur les deux travaux d'enquête que nous avions fait faire au niveau de la commission.

M. LE PRESIDENT: Le député de Chicoutimi.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je retiens ce que vient de dire notre collègue, le député de Bourget. Notre intention est d'en arriver à reprendre le problème dans une optique législative. Comme je le disais tout à l'heure, en commentant le rapport de M. Reid, il nous manque encore des éléments très importants. Ce travail législatif, nous allons devoir le faire d'abord et avant tout avec les gens du métier, les entreprises de presse ou les journalistes eux-mêmes, d'abord; ensuite, nous et les spécialistes que nous avons invités. Ce matin, nous avons des spécialistes du droit, ils nous ont présenté un document. Je suggérais tout à l'heure et je demandais à la commission s'il serait possible de se réunir en commission plus restreinte, en comité directeur, pour étudier la possibilité de faire ce petit travail d'une clinique qui nous permettrait de voir comment le secret professionnel, dont parle le document de M. Reid et de Mme Beausoleil, se vérifie. Ceci pour nous permettre, quand nous aurons entendu tout ceux qui voudront bien se faire entendre, d'établir une sorte de calendrier de travail pour en arriver à cet objectif qui est notre objectif final.

Au fait, nous avons dit dès le départ que, si nous voulions nous intéresser à ça, ce n'était pas purement pour des raisons académiques, mais c'était pour orienter notre démarche de législateurs. Mais il y a des prérequis que vient d'évoquer le député de Saint-Jean; il y a encore des groupes importants et des gens vraiment du métier que nous devons entendre. Je suis de votre avis que nous devons prendre, le plus tôt possible, des dispositions pour en arriver, le cas échéant, à légiférer à la lumière de tout ce que nous avons entendu, non pas motu proprio, mais avec les gens du métier. En effet, ce n'est pas pour nous uniquement que nous allons légiférer, ni simplement pour le public, mais ça touche toute une profession qui prend de plus en plus d'importance.

M. VEILLEUX: II y a aussi un autre organisme dont, je pense, il serait essentiel que nous ayons l'idée sur les problèmes que nous discutons, notamment ceux de ce matin, et c'est le conseil de presse. J'espère que ce conseil de presse pourra commencer à fonctionner très bientôt, étant donné qu'au conseil de presse, vous avez à la fois des journalistes, des propriétaires d'entreprises de presse et le public. Il faudrait que ledit conseil puisse nous conseiller, si je peux m'exprimer ainsi, sur les sujets qui nous préoccupent à la commission parlementaire.

M. LAURIN: Les réponses me satisfont, M. le Président, mais je posais la question pour être bien sûr que des études aussi précieuses et nos délibérations ne connaissent pas le sort malheureux qu'ont connu les délibérations antérieures sur le problème de la concentration.

M. VEILLEUX: Je peux répéter pour le bénéfice des membres de la commission qu'il n'a jamais été dans l'intention du gouvernement — je ne peux pas répondre au nom de celui de 1969 — compte tenu de la reprise des travaux, de la nouvelle création de la commission parlementaire...

M. LAURIN: De faire un débat académique.

M. VEILLEUX: ... oui et de nous contenter de placer sur des tablettes les travaux de cette commission, au contraire. Je pense qu'il y a des problèmes qui sont décelés et il est essentiel qu'on leur trouve des solutions.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'aimerais ajouter quelque chose à ce qu'a dit le Dr Laurin. Je sais qu'il ne l'a pas fait avec une mauvaise intention; il a constaté un fait. Quand nous avons convoqué la commission de la liberté de la presse pour étudier le problème de la concentration des monopoles, notre intention était précisément d'en venir à examiner les problèmes que nous avons examinés ultérieurement, sous l'autre gouvernement et sous le gouvernement actuel.

Mais c'était la première fois que ce problème était posé et c'était la première fois qu'une commission parlementaire se réunissait et, évidemment, nous procédons quand même assez

lentement dans un domaine comme celui-là parce que c'est un domaine difficile et très vaste. Il nous fallait avoir la collaboration des gens qui sont de ces métiers et de ce monde de la presse. L'intention que nous avions était exactement celle qu'a reprise le gouvernement actuel. Je suis bien d'accord avec vous sur le fait que cela ne doit pas être des documents pour bibliothèque, que cela ne soit pas des débats académiques.

M. le Président, j'aimerais, si vous me le permettez, faire une suggestion à la commission. D'abord, je reprends celle que j'ai faite, à savoir ce problème d'une clinique de la presse au regard du secret professionnel et de tous autres problèmes que nous avons déjà étudiés ici. J'aimerais aussi, s'il était possible, que cette étude sur le secret professionnel, les aspects juridiques du secret professionnel, soit complétée par une étude à la fois théorique et factuelle des problèmes généraux dont je parlais au départ, la question du libelle, par exemple. Qu'est-ce que notre droit en dit? Qu'est-ce qui s'est passé dans ce domaine? Et dans le libelle, j'entends tout ce qui peut donner naissance au libelle, l'accusation vague, quasi libelleuse, la rumeur, etc. Il me semble qu'il serait très utile d'avoir des documents de la nature et de la qualité de celui-ci sur ce problème particulier.

M. VEILLEUX: Je ne sais pas ce que le député de Chicoutimi en pense, mais il y a plusieurs sujets d'étude qui pourraient être ajoutés. D'ailleurs, les députés de Bourget et de Chicoutimi avaient dit à une commission qui a précédé celle-ci qu'il était fort possible qu'ils aient à suggérer de nouveaux sujets d'étude. En lisant le document de M. Reid et de Mme Beausoleil, on remarque qu'il y a au moins deux sujets d'enquête qui sont proposés, sinon plus. A la page 42, on dit: "D'autre part, nous devons nous demander si les citoyens se sentent personnellement lésés lorsqu'un journaliste est tenu de dévoiler ses sources devant les tribunaux. Seule une enquête sérieuse permettrait de bien saisir l'opinion de la population à ce sujet." Et au début, je mentionnais qu'à la page 68, à l'addendum, se trouvait un autre sujet d'enquête, genre de celle qu'a faite aux Etats-Unis M. Blasi.

Il est fort possible qu'en écoutant les autres organismes des sujets surgissent. Je me demande s'il ne serait pas approprié d'attendre que les autres organismes qui ont demandé d'être entendus devant la commission parlementaire aient eu l'occasion de s'exprimer avant qu'on fasse un autre choix définitif d'études possibles pour trouver ou essayer de trouver des solutions aux différents problèmes qui pourraient surgir. D'ailleurs, au moment où on se parle, il y a quand même l'enquête Sorecom qui se continue auprès du grand public. Je pense qu'il peut sortir de cette enquête certaines données qui pourraient apporter un éclairage nouveau aux membres de la commission parlementaire. C'est une suggestion que je fais aux membres de la commission à savoir s'il ne serait pas approprié d'attendre ces études avant de se relancer dans d'autres études possibles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je suis d'accord, en principe, si vous voulez. Mais la dernière suggestion que je faisais sur le problème juridique, légal, le libelle, tout ce qui y donne naissance s'inscrit dans la continuité du document que nous avons examiné ce matin. Evidemment, on peut bien ne pas le décider tout de suite parce qu'on a quand même à examiner le budget dont nous disposons, etc. Mais j'en fais la demande à la commission pour examen à une réunion ultérieure. Je crois qu'il serait nécessaire de savoir comment cela se passe ailleurs, comment cela s'est passé ici, comment cela se passe encore ici dans les cas que j'évoquais et qui me paraissent toujours très sérieux et qui sont, la plupart du temps, les faits ou les événements qui provoquent des crises dans le public à propos des informateurs, des journaux, etc.

M. VEILLEUX: J'abonde dans le même sens que le député de Chicoutimi.

M. LE PRESIDENT: Messieurs...

M. VEILLEUX: Alors, M. le Président, je pourrais demander l'ajournement sine die de la commission sans fixer une autre date précise, compte tenu de certaines activités qui semblent se dérouler au niveau des différentes commissions. Il y a plusieurs réunions de commissions pour le mois d'octobre. Il nous faudrait, je crois, rencontrer le leader du gouvernement, qui pourrait, avec les leaders des autres partis, nous suggérer des moments où la commission pourrait se réunir et entendre les organismes suivants: Hebdos du Canada, la CRTF, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et, s'il y a lieu, le Conseil de presse.

M. CHARRON: Est-ce qu'on peut quand même s'assurer qu'il y aura une réunion dans le mois d'octobre, à tout le moins, disons après le 11 octobre, après la date des élections partielles?

M. VEILLEUX: II faudra absolument en discuter avec le leader du gouvernement, qui en discutera, lui, avec les leaders des autres partis politiques, pour savoir s'il y a des possibilités. Je peux demander au leader du gouvernement d'étudier cette possibilité, mais j'aimerais mieux laisser les leaders des différents partis en discuter avec celui du gouvernement.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous pouvons aller le consulter en Belgique. Partons-nous?

M. VEILLEUX: Oui. Si les fonds de la commission le permettent, nous pourrions!

M. LE PRESIDENT: Au nom des membres

de la commission, je remercie cordialement Mme Beausoleil et M. Reid du dépôt de leur mémoire et de s'être si bien prêtés aux questions des parlementaires.

M. REID: Merci.

M. LE PRESIDENT: La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 32)

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