(Neuf heures trente-cinq minutes)
Le Président (M. Kelley): Je constate quorum des membres de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, donc je déclare la séance ouverte. Alors, bonjour, chers collègues.
Je vais rappeler le mandat de la commission. La commission est réunie afin de procéder à la consultation générale et aux auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire: Non, M. le Président.
Le Président (M. Kelley): Alors, c'est notre quatrième journée de notre première semaine sur ces questions. On a une autre douzaine de témoins qui sont prévus pour aujourd'hui. Je vais juste rappeler que, pour faciliter l'horaire, on a changé, modifié légèrement l'horaire. On va sauter la session des micros ouverts pour aujourd'hui, en rappelant que nous allons le faire de nouveau quand on revient à Montréal, la prochaine fois. On a d'autres journées à faire à Montréal. C'est vraiment juste notre première visite. On ne peut pas accommoder toutes les personnes qui veulent témoigner dans une semaine, alors on va faire notre mieux possible et on va revenir, fort probablement vers la mi-octobre, à Montréal, de nouveau. Alors, ça, c'est au niveau de l'ordre du jour, légèrement modifié, qui nous permet de terminer vers 19 h 45, si le président peut contrôler l'horloge.
Auditions (suite)
Alors, sans plus tarder, notre prochain témoin, c'est quelqu'un qui est déjà venu devant la commission, à Québec, au moment des consultations avec des experts. Alors, sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole à Dr François Desbiens. Alors, de nouveau, bienvenue devant la commission.
M. François Desbiens
M. Desbiens (François): Bonjour.
Une voix: Bonjour.
M. Desbiens (François): Rebonjour, effectivement. M. le Président, vous m'accordez combien de temps dans mes remarques préliminaires?
Le Président (M. Kelley): Une quinzaine de minutes.
M. Desbiens (François): O.K. Et on peut faire la même entente que la dernière fois, vous m'avertissez quand il me restera trois minutes?
Le Président (M. Kelley): Oui, oui, exactement.
M. Desbiens (François): Rebonjour. Alors, ça me fait plaisir de revenir partager avec vous. J'aimerais aujourd'hui vous laisser essentiellement avec deux messages. Je crois que, dans ce qui entoure cette question-ci, je vous invite d'abord et avant tout à faire confiance aux soignants, médecins et infirmières, dans un concept de soins appropriés, comme le Collège des médecins le définit très bien dans son document d'orientation, donc de faire confiance aux soignants du Québec et à leur sens humaniste du sacré de la vie. Et je pense que c'est la meilleure route à emprunter pour arriver à des soins appropriés, dans une question aussi délicate que la fin de vie.
Le deuxième message que j'aimerais vous laisser, c'est celui de vous inspirer du modèle québécois de consentement aux soins et d'arrêt de traitement. Il est en place depuis une vingtaine d'années, depuis la réforme du Code civil, et l'expérience de soins qu'il a entraînée nous démontre à quel point on peut faire confiance aux soignants, on peut faire confiance à des soins appropriés, pour que les soins appropriés soient apportés aux patients et que les patients soient soulagés de façon très, très humaine, avec un grand respect du sacré de la vie.
Alors, j'aimerais juste témoigner d'un événement clinique qui est survenu il y a quelques semaines, qui est rencontré par de très nombreux médecins quotidiennement et que j'ai vécu différemment, parce qu'après vous avoir rencontrés, intérieurement, je me suis dit... j'ai revécu ce que j'étais en train de faire cliniquement. Alors, rapidement, un homme de près de 80 ans, qui a des conditions de santé très lourdes, est en arrêt cardiorespiratoire. On fait une réanimation, il en sort dans un état de coma. Nous procédons à l'intubation du patient. Il est installé aux soins intensifs et il est dans un coma profond. Ses chances de survie sont extrêmement faibles, surtout compte tenu de ses conditions médicales préexistantes. Alors, on réunit la famille, et puis c'est clair pour la famille qu'ils ne souhaitent pas que le traitement soit prolongé.
**(9 h 40)** Disons que je me retrouve, comme clinicien, devant une intubation qui va probablement prolonger la vie de 24, 48, peut-être 72 heures versus un décès qui va se produire en dedans d'une heure si j'enlève le tube. Après avoir réuni la famille, j'entre dans la salle avec l'inhalothérapeute, je retire le tube, je pose un geste de soin approprié et je sors. J'invite la famille à entrer. Moins d'une heure plus tard, le patient est décédé en compagnie des membres de sa famille.
Ça, on appelle ça un arrêt de traitement. Ce sont des soins appropriés de fin de vie. Ça se déroule tous les jours depuis 20 ans au Québec. Ce n'était pas comme ça il y a 30 ans, c'est comme ça maintenant. Ça s'est déroulé, balisé par le dialogue de respect entre les médecins et leurs familles, entre les soignants et leurs familles, parce que... Je dis beaucoup «soignants» parce qu'il faut inclure les infirmières dans tout ça. Et le meilleur gardien du respect dans tout ça, là, ça va être vos soignants. Les infirmières et les médecins du Québec, là, ne laisseront pas les soins de fin de vie dériver, ce n'est pas vrai. Ils vont s'assurer que chaque cas soit traité de façon humaine, que chaque patient soit soulagé dans... -- et on parle toujours de la dernière période de vie, du dernier souffle de vie -- ils vont s'assurer que ça se fait de façon appropriée et très, très, très humaine, parce qu'ils sont animés d'un profond respect de la vie, d'un profond respect du sacré de la vie.
Et ça... Je vais m'avancer un peu plus. Vous savez, il n'y a pas personne qui a le monopole du sacré de la vie ni de ce qui est humaniste. Il y a des chrétiens humanistes, il y a des libertins humanistes, il y a des athées humanistes, mais ces gens-là ont en général -- et c'est ce qui est plus répandu, et c'est surtout très, très répandu chez tous vos soignants -- ce respect de la vie là, et c'est ça qui fait, que dans les arrêts de traitement, il n'y en a pas eu en 20 ans, de dérive. Il y a un consensus social, il y a un consensus de soins, de soins appropriés, qui fait en sorte qu'on soigne bien les gens en fin de vie, lorsqu'il est question d'arrêt de traitement, et qu'il n'y a pas eu de dérive. En s'inspirant de la même philosophie, on peut s'attendre à ce qu'il va y avoir les mêmes soins appropriés.
Sur le même étage, le même jour, si je reviens au cas que je vous expliquais, il y avait trois patients en soins palliatifs, dans des chambres de soins palliatifs, avec des pronostics respectifs de quatre semaines, deux semaines et trois jours. Alors, ce qui est important, c'est que ces gens-là reçoivent les soins appropriés, le soulagement approprié. Les soins palliatifs, en général, offrent un soulagement approprié des souffrances, mais il reste que dans certains cas il y a des souffrances qui ne sont pas soulagées, et il faut avoir l'ouverture de regarder les possibilités de s'assurer d'un soulagement adéquat. Il faut tenter de s'éloigner un petit peu...
Avant de revenir là-dessus, je vais me permettre un reflet. Les soignants, sur qui vous devez vous fier, ont le même respect humaniste du sacré de la vie que vous-mêmes. J'oserais vous dire, parce que j'ai eu la chance d'échanger avec quelques-uns d'entre vous, qu'un membre de votre commission m'a partagé à quel point il y avait un travail avec une grande dignité qui se faisait dans votre commission. Toute la dignité du travail des parlementaires se retrouve ici. À un temps où il peut y avoir certaine partisanerie, je pense que vous quittez ça quand vous entrez ici, et tout le sens de la dignité de ce que c'est dans la société, être un parlementaire, vous le rencontrez, parce que c'est le sens du sacré par rapport à la question qui vous est soumise, et ça a trouvé l'unanimité de l'Assemblée nationale, et ça trouve l'unanimité dans votre travail. Bien, dites-vous bien que toutes les infirmières et les médecins du Québec ont le même sens du sacré et que, si vous laissez les ordres professionnels baliser des soins appropriés aux alentours de la fin de vie, ça va se faire pour les meilleurs soins possible et le meilleur soulagement de chacun des patients qu'ils rencontrent, parce que c'est ça qui les anime.
Il faut éviter... Je vais me lancer un peu plus, là, vous me permettez? Alors, il faut éviter des débats sémantiques qui n'ont pas de sens. J'ai suivi un petit peu certaines des controverses qui ont entouré vos audiences cette semaine. Par exemple, la sédation terminale est un geste qu'on reconnaît comme approprié à l'intérieur des soins palliatifs. Est-ce qu'il est utilisé fréquemment? Assez rarement. Est-ce qu'il est nécessaire? Tout le monde reconnaît qu'il est nécessaire, qu'il est impossible de soulager certaines souffrances sans ce geste-là. Est-ce que ce geste-là constitue ou pas une forme d'euthanasie? Dans le sens que: Est-ce qu'il écourte de quelques heures, d'une journée ou deux, la vie?, assurément.
Alors, il y a deux grands médecins qui se sont un peu prononcés là-dessus cette semaine, que je respecte énormément dans les deux cas: Dr Vinay, qui est mon ancien doyen... Je ne partage pas son opinion à l'effet que ça ne change absolument pas le pronostic, probablement pas plus que le geste que j'ai posé, que lui reconnaît comme tout à fait adéquat, d'arrêt de traitement, cet été, et que je reposerai en toute légalité. Mais, là-dessus, je suis plutôt d'accord avec Dr Barrette, qui dit: Écoutez, ça peut être assimilé à ça. Alors, est-ce que c'est nécessaire de faire un débat sur ça, qui peut être déchirant? Est-ce que ce n'est pas mieux de se fier au sens du sacré et de l'humanité de vos soignants, qui vont s'assurer, à travers vos ordres professionnels, de façon bien balisée, comme ils le font depuis 20 ans...
Il n'y a pas besoin de chercher des modèles à l'extérieur du pays, là. Le modèle québécois est probablement relativement exceptionnel à cause de notre Code civil, à cause de la réforme qui a été faite il y a 20 ans. Ça a installé une pratique du consentement aux soins, et il n'y a pas eu de dérive. Il n'y en a pas eu, ni dans les soins palliatifs, ni dans les arrêts de traitement, ni dans les soins qu'on offre à nos personnes âgées. Et ce serait relativement irrespectueux pour les soignants du Québec, médecins et infirmières -- parce que les soins palliatifs sont beaucoup confiés à des équipes multidisciplinaires maintenant -- de penser que ce serait autrement.
Ça ne sera pas autrement. Et je pense que ça va se faire dans le plus grand respect de la vie, parce que tous ces soignants-là sont habités par ce profond sens humaniste du respect du sacré de la vie, qui est le même qui anime les parlementaires qui analysent cette question et qui est le même qui les anime au quotidien dans leur travail, mais encore plus quand ils sont près de la fin de vie. Ne pensez pas que c'est banal pour aucun médecin, aucune infirmière du Québec de participer à une décision de fin de vie, de poser un diagnostic de fin de vie, de poser une conduite clinique face à une fin de vie. Jamais, je suis convaincu, jamais les infirmières et les médecins du Québec vont prendre ça à la légère et laisser les choses dériver. Ils vont s'assurer que chacun et chacune de leurs patients sont soignés et soulagés de façon appropriée.
C'est, pour l'essentiel, ce que j'avais à vous partager. C'est l'essentiel de l'idée que je voulais vous laisser ce matin.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Desbiens. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Mme la députée de Hull.
**(9 h 50)**Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bon matin à vous, Dr Desbiens, et à tout le monde qui s'est déplacé depuis quelques jours, d'ailleurs. J'en reconnais qui sont ici depuis quelques jours. Alors, bonjour à tous. Et on vous retrouve, Dr Desbiens. Vous êtes très généreux. D'ailleurs, lors d'un repas, hier, les membres de la commission étaient très impressionnés de la grande générosité des membres du corps médical, puisqu'on en a reçu plusieurs depuis le début des auditions. Alors, vous nous livrez votre opinion avec beaucoup de générosité. On sait tout le travail que vous avez à faire, les patients qui vous attendent, et vous êtes ici vraiment pour le bien commun, pour faire avancer la société. Alors, merci beaucoup.
Je voudrais revenir sur votre point de... Vous avez beaucoup de parlé de la confiance aux soignants. Et justement on en a beaucoup parlé au cours des derniers jours. Et il y a certaines déclarations qui nous ont ébranlés, on doit être très honnêtes avec vous, qui ont ébranlé aussi les membres de l'auditoire, qui sont venus nous le partager par la suite. Il y a aussi d'autres experts qui sont venus nous voir. Je me souviens des Drs Bergman et Arcand, qui m'avaient beaucoup... bien, pas bouleversée, mais qui m'avaient parlé... Ils nous avaient parlé des personnes qui souffrent de l'alzheimer, qui sont vraiment une clientèle malheureusement grandissante. Il va y avoir, selon les statistiques, un baby-boomer sur cinq qui va souffrir d'alzheimer. C'est une maladie qui nous amène à peut-être être hospitalisés pendant deux, trois ans, ce qui est très long. Et -- je veux revenir à la confiance aux soignants -- les Drs Bergman et Arcand disaient que ce ne sont pas tous les médecins qui sont bien outillés pour accompagner des personnes à la fin de leur vie. Et, tout le monde ici, on a le même réflexe quand on a un parent, là, qui présente des difficultés. Même si on sait qu'il est en fin de vie, on va l'amener à l'urgence. On va l'amener à l'urgence parce que, bon, on ne sait pas vers qui se retourner, et tout ça.
Alors, moi, je veux vous entendre au sujet de... d'abord votre opinion par rapport aux qualités et aux compétences requises pour accompagner quelqu'un en fin de vie. Qu'est-ce qu'il faudrait faire pour s'assurer qu'un plus grand nombre de soignants puissent évoluer dans ce sens-là? Parce qu'il y a des médecins qui nous ont dit, par exemple au sujet du testament de vie, des oncologues qui disaient: Moi, jamais que je... je n'acquiescerai à ce qui est demandé dans un testament de vie. C'est comme si les oncologues refusaient de passer le patient aux soins palliatifs, parce qu'eux, ils veulent vraiment aller au bout de la vie. Alors, je veux vous entendre au sujet vraiment de vos pairs puis de ce que... comment vous pensez qu'on pourrait vraiment mieux outiller les membres du corps médical par rapport à toutes ces facettes de la fin de vie.
M. Desbiens (François): La discipline elle-même de soins palliatifs n'était pas enseignée quand j'ai fait mon cours de médecine. Alors, il y a eu de grands progrès là-dessus.
Probablement que la discipline la plus avancée est la médecine familiale. Dans tous les programmes universitaires de résidence en médecine familiale, aujourd'hui, les soins palliatifs sont enseignés de façon systématique. Tous les résidents en formation font obligatoirement des stages de soins palliatifs et ont une formation spécifique en soins palliatifs. Alors, certainement que la génération montante des médecins, je crois, est adéquatement formée. Je pense que c'est de plus en plus répandu aussi en médecine spécialisée, de façon encore inégale mais de plus en plus, et que ça le sera... et il faut souhaiter que ça le soit de façon universelle à l'avenir parce que pratiquement tous les cliniciens y sont confrontés directement ou indirectement.
Mais il faut mettre l'accent sur le développement de la formation en soins palliatifs, comme on discute de mettre l'accent sur le développement des soins palliatifs. C'est tout aussi important. Mais ça se fait au Québec, là. Il y a de grands efforts et de très grands progrès qui sont déjà faits, qui sont en cours. Et j'en témoigne surtout pour la médecine familiale. Moi, je suis un enseignant en médecine familiale, un prof de la médecine familiale. Je supervise une unité d'enseignement, puis, les soins palliatifs, c'est un stage obligatoire.
Mme Gaudreault: Je vais aller, moi aussi, un peu plus loin. Est-ce que vous croyez... On est tous des humains. On est tous humains, dans ce qu'on fait dans la vie...
M. Desbiens (François): Vous voulez aller un peu plus loin. Vous m'amenez où, là?
Mme Gaudreault: Bien, c'est ça. On est tous des humains et puis on a tous des qualités très personnelles. Ça a rapport avec notre vécu, avec ce qui nous entoure, notre vie, tout ça. Est-ce que vous croyez que... On a rencontré des médecins extraordinaires qui sont venus ici, mais est-ce que tous les médecins ont les qualités humaines? Vous avez beaucoup parlé du sens sacré de la vie, et tout ça. Je veux vous entendre. Est-ce que tous les médecins ont envie de faire ça, des soins en fin de vie, même s'ils y sont confrontés?
M. Desbiens (François): Il y a des médecins qui ont plus d'affinités pour faire des soins en fin de vie. Il y a des médecins qui sont plus à l'aise avec les soins en fin de vie, comme il y a des médecins qui sont plus à l'aise de faire de l'urgence ou de la chirurgie, certainement, mais je ne pense pas que j'aie jamais rencontré un médecin qui n'est pas sensible. Et tous sont très sensibles au caractère très significatif et très particulier des soins de fin de vie, ça, j'en suis profondément convaincu.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup.
Le Président (M. Kelley): Si je peux juste enchaîner sur cette question, votre message principal, Dr Desbiens, c'est de faire confiance aux soignants. Mais, parmi nos témoins cette semaine, c'est souvent les médecins et les infirmières mêmes qui sont très craintifs d'une pente glissante ou... Et, si on ouvre la boîte à une libéralisation de l'accès au suicide assisté ou l'euthanasie, ça va être toutes les horreurs qui vont... Ils ont invoqué les expériences des autres pays. Alors, curieusement, j'ai presque l'impression que ces médecins n'ont pas ce même niveau de confiance dans leurs pairs, si je m'exprime bien. Alors, pouvez-vous m'expliquer un petit peu?
M. Desbiens (François): Vous savez, il y a 18 000 médecins au Québec, plusieurs dizaines de milliers d'infirmières. Ils ont tous droit au chapitre, avec des opinions individuelles. Et c'est ce que vous avez entendu beaucoup -- pardon -- cette semaine. Je vous ramènerais à vos trois premières présentations, vos premières auditions. Les deux fédérations médicales, et en premier lieu le Collège des médecins, qui représente, je pense, dans leur point de vue, le véritable point de vue, le plus consensuel, de la profession, qui est encore axé autour des soins appropriés... Et je pense que c'est ça qui est le plus consensuel et que c'est ça qui reflète le point de vue... je ne dirais même pas «majoritaire», mais consensuel de la profession sur cette question-là.
Ça ne change pas le fait que... Écoutez, il y a toutes sortes de points de vue et toutes sortes de croyances parmi les 18 000 médecins en exercice au Québec, là, et elles peuvent toutes et elles ont légitimement le droit de s'exprimer toutes individuellement. Mais, si on cherche quelque chose qui reflète l'ensemble de la profession, je pense que c'est là qu'il faut regarder, définitivement, particulièrement le document du Collège des médecins, qui est particulièrement bien fait, étoffé, qui repose sur une réflexion de trois ans. C'est un très, très... D'ailleurs, je pense qu'il a largement inspiré les travaux de votre commission.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Mille-Îles.
**(10 heures)**Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Ça me fait du bien de vous entendre ce matin. Ce matin, pour moi, vous êtes un soignant. J'ai entendu, depuis trois jours, plein d'intervenants, une bonne moyenne entre les intervenants citoyens et les intervenants spécialistes, et, un peu comme ma collègue, j'ai été quelque peu ébranlée, pas par le citoyen, j'ai été ébranlée par les spécialistes. Donc, ce matin, vous me soignez, un, avec le ton, deux, avec les paroles, puisque vous dites: On peut se faire confiance. Et si vous saviez comment je vous crois! C'est incroyable.
Donc, à chaque fois qu'un spécialiste est venu, ou des spécialistes, pour nous dire la pente, la dérive, les abus, je me suis même demandé s'ils s'apercevaient qu'ils parlaient d'eux-mêmes et qu'ils nous disaient, à nous: Faites-nous pas confiance. Donc, je suis heureuse de vous entendre ce matin, parce que, je suis d'accord avec vous, il y a des gens dans le quotidien qui travaillent comme soignants, professionnels ou non, qui travaillent pour la vie. Et c'est pour ça qu'on pose la question: Est-ce qu'on continue, puis qu'est-ce qu'on fait?
Mais je veux vous emmener sur une question qui m'a tout particulièrement ébranlée quand je l'ai lue dans le mémoire. Puis, quand je l'ai posée, c'est... j'ai eu peur de la réponse. C'est la question sur le traitement inutile. Vous savez, comme députés, on ne connaît pas le prix des soins, pas spécifiquement, hein? On regarde le budget, puis, vous le savez, plus souvent qu'autrement, à chaque fois qu'on le distribue, la main reste encore tendue puis on dit: Il n'y en a plus. Puis chaque ministère doit faire le tour de ça. Mais c'est quand même des spécialistes qui sont venus nous voir pour nous dire: Vous savez, il y a de l'argent qui se gaspille en traitements inutiles, qui pourrait être réinvesti en traitements palliatifs. Ça m'a beaucoup ébranlée.
Et la personne qui m'a répondu ne m'a pas rassurée dans ses propos. Et je vais vous donner la lourde tâche... Je vais vous demander de rester probablement dans les soins palliatifs. Vous n'êtes pas obligé d'aller dans les maladies incurables et dégénératrices, puis tout ça, là. Vous pouvez rester dans le principe du soin palliatif. Mais, le traitement inutile, il existe, il n'existe pas, il est nécessaire, il est symptomatique pour aider le patient à mieux comprendre qu'il est rendu au bout de la ligne? J'aimerais mieux le comprendre dans la bouche de quelqu'un qui fait confiance.
M. Desbiens (François): C'est la première fois que j'entends ce mot-là, ce concept-là exprimé de cette façon-là. J'aurais bien aimé entendre comment ça a été exprimé. Vous savez, dans ma façon de vous présenter ça, il n'y a pas de traitements inutiles. Ça n'existe pas, un traitement inutile. On accompagne des humains. On les soigne. Il y en a qui cheminent à des degrés différents. La façon qu'on fait l'adéquation entre ce qui est utile puis ce qui est humainement acceptable, c'est à travers le dialogue de soins, c'est à travers le dialogue de consentement. C'est comme ça qu'on le fait.
C'est comme ça que ça a évolué depuis 20 ans avec les arrêts de traitement. C'est qu'on n'essaie pas de faire un standard de qu'est-ce qui est utile puis qu'est-ce qui n'est pas utile puis de faire une étude de système avec ça. On va transférer des ressources utiles... En tout cas, je ne vois pas vraiment comment on pourrait s'embarquer, là. Je ne suis pas capable de suivre ce concept-là.
Alors, ce qui est important, là, c'est de regarder ça humainement. Regardez, depuis 20 ans, ce qui s'est fait, on peut dire... Prenons quelque chose qui est consensuel: l'acharnement thérapeutique. L'acharnement thérapeutique, je pense que ça fait consensus que, tout le monde, on ne veut pas qu'il y ait d'acharnement thérapeutique. Mais comment on définit ça? On ne peut pas définir ça en termes d'étude économique ou de quantifier des soins. Ce qui s'est passé depuis 20 ans, c'est que, cas par cas, soin par soin, il y a un consensus de la société qui s'est fait. Bien, voici comment on peut faire, puis on le fait, puis, dans certains cas... J'avais expliqué ça au printemps.
Des fois, il y a des familles que ça leur prend deux jours que leur père est sous respirateur avant qu'ils prennent la décision qu'on va arrêter le respirateur, puis il y a une autre famille qui va l'avoir prise en 24 heures. Jamais, jamais je ne veux qu'on me pose cette question, puis jamais je ne vais me la poser. Le respect, c'est de respecter le cheminement. Et, si ça prend 48 heures à une famille au lieu de 12 heures, dans exactement la même situation clinique, pour être capable de dire à son médecin: Voici, nous sommes maintenant convaincus que, dans cette situation clinique là, pour notre père, pour notre mère, c'est le temps d'arrêter. Il n'y a pas de prix pour ça, ça ne se mesure pas, puis je ne veux pas le mesurer.
Ce qui fait que c'est accepté, que c'est humain, c'est justement parce que, comme c'est sacré, on ne se pose pas cette question-là par rapport à une question aussi sacrée que ça. Et, en étant respectueux comme ça, on a créé une situation consensuelle dans la société où tous les humanistes, qu'ils soient chrétiens, musulmans ou athées, sont d'accord avec ça. C'est un cheminement. Alors, la société va cheminer dans le respect de tous ses citoyens à travers des soins appropriés. C'est ça qui va se passer. Il n'y en aura pas, de dérive, parce que c'est ça qu'on a fait avec l'acharnement thérapeutique pendant 20 ans.
Mais effectivement, jamais, jamais, moi, je ne vais accepter qu'on me dise: Il faut que tu regardes ça sous un angle économique. Parce que, comme je vous dis, là, je suis en train de vous dire que c'est clair pour moi qu'il y a des cas qui vont... Je ne veux même pas le dire, hein! Ça fonctionne parce qu'on respecte le cheminement humain des gens. Dans l'immense majorité des cas, en tout cas, ça fonctionne. On ne se pose pas la question de l'économique de ça.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-D'Youville.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, Dr Desbiens, de ce témoignage en toute sérénité, ce qui est très propice au débat et à l'échange.
Vous faites part dans votre mémoire de la légitimité de la démarche en misant sur trois aspects, trois raisons. L'évolution des mentalités... qui sont importantes, puisque déjà la problématique était adressée, qu'on se réfère à ce qui se passe, ce qui se dit, ce qui s'écrit dans les différents types de médias, je pense que la question, elle était là, et il faut évoluer dans le cadre d'un débat public.
Vous parlez aussi de l'importance de rechercher le consensus social. Quand on est législateur, on doit tenir compte de l'évolution des gens pour en arriver ensuite à des réglementations et à des lois qui sont conséquentes à un certain nombre de consensus qu'on peut aller chercher sur des questions névralgiques, et, s'il en est une, je pense que celle qui est adressée actuellement l'est.
En même temps, vous affirmez que le débat, le débat public est bénéfique aussi pour la réflexion sur le développement des soins. D'ailleurs, on a entendu ici des médecins venir nous dire que le développement des soins, des soins palliatifs particulièrement, pourrait être une réponse, si on tentait de le développer, de le rendre accessible partout, de continuer la recherche, pourrait être une réponse à à peu près toutes les questions des malades qu'ils sont appelés à côtoyer. On reste cependant un peu sur notre appétit. Et ces gens-là en arrivent à nous dire que le droit individuel a des conséquences négatives sur le bien commun. Comment vous réagissez à une affirmation de cette nature?
M. Desbiens (François): Je suis un peu embêté. Le droit individuel, pourriez-vous m'aider et reformuler un petit peu?
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Est-ce que vous comprenez qu'il peut... certains médecins et infirmières sont venus ici témoigner en disant qu'à partir du moment où les gens vont exprimer des droits individuels et qu'on pourrait consentir ou au suicide assisté ou à l'euthanasie, ça a un effet... ça interfère négativement dans l'expression du bien commun: c'est-à-dire que ça amène des dérives, ça amène des décisions qu'on n'aurait pas prises autrement et qui font en sorte que la population en général est appelée peut-être à prendre des décisions, quant à leur fin de vie, qu'ils ne prendraient pas autrement.
M. Desbiens (François): J'ai répondu à ça un petit peu quand je suis venu, au printemps, et je l'ai abordé dans mon mémoire en me disant: Je ne pense pas que c'est par un débat éthique, d'éthicien -- c'est un langage d'éthicien, là -- qu'on va résoudre cette question-là, il faut le faire en termes de soins. Les soins appropriés adressent déjà ça. Il y a des droits individuels qui sont adressés par ça. On le fait déjà, alors je ne vois pas pourquoi ça changerait quelque chose, actuellement. Et c'est le genre de débat éthique qui est très divisif, qui n'apportera rien à l'évolution de la qualité des soins.
Et ça, je vous ramène à la définition que, moi, je me suis donnée, mais... parce qu'il y a beaucoup une question de définition entre «euthanasie» et «suicide assisté», tel que je l'exprimais dans mon mémoire. C'est sûr que la question du suicide assisté en est une tout autre. Je vous avais déjà dit que le suicide assisté, même pour le monde médical, c'est quelque chose qui est inconnu, que j'ai déjà rencontré dans ma vie privée mais pas comme médecin comme tel. Alors, je ne pense pas que c'est un débat éthique qui est utile actuellement. Et ça n'aidera pas du tout la qualité des soins.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Une autre question. Vous avez parlé tout à l'heure de différents types d'intervention que vous avez été amené à faire en vous référant aux familles, à la personne concernée. Comment vous traitez le cas des personnes inaptes? Et qu'est-ce que vous pensez du testament de vie?
**(10 h 10)**M. Desbiens (François): Je pense que c'est un outil qui pourra sûrement avoir une utilité, mais, moi, je m'en vais... j'ai beau avoir fait une formation en droit, là, j'aimerais mieux ne pas m'aventurer sur ce terrain-là, laisser ça à vos... Vous avez d'excellents juristes, là, qui vous accompagnent, puis je pense que ça, cet aspect-là, ça doit leur rester.
Je pense que, pour les soignants, ça pourra être un outil qui les aide et qui aidera les familles à déterminer les volontés et ça pourra aider à prendre certaines décisions. Donc, c'est un outil qui pourra être utile. Mais comment le définir, comment l'utiliser? Je vais laisser ça à vos excellents conseillers juristes.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. Dr Desbiens, c'est encore un plaisir très, très sincère de vous recevoir -- merci -- de vous recevoir ce matin. Surtout merci pour le temps que vous nous consacrez, et votre réflexion nous est très précieuse. Dans votre dernière réponse mais également dans votre présentation, vous vous êtes référé souvent à la famille du patient. Quel est le rôle justement de cette famille, de ces proches au moment des derniers instants?
Et je m'explique autrement: une personne qui vous aurait clairement signifié son intention d'en finir parce que clairement elle est à ses derniers instants, elle vous aurait signifié son intention de ne plus vivre de nouveaux traitements, mais qui est en contact avec des membres de sa famille, qui ne sont pas prêts, eux, à la voir partir. Qui ultimement a le dernier mot? Est-ce qu'une personne qui a débuté, par exemple, une sédation que l'on pourrait qualifier de terminale ou, du moins, une sédation qui est très, très forte parce que désireuse de ne plus souffrir... Elle a dans son entourage quelqu'un qui, elle, aimerait échanger encore un petit peu davantage avec elle parce que pas prête à faire son deuil. Comment composer avec des situations de cette nature-là?
M. Desbiens (François): Vous ne trouverez pas la réponse dans des textes de loi puis vous ne trouverez pas la réponse en définissant une hiérarchie de la qualité du consentement, une primauté de consentement. Reprenez la règle, c'est-à-dire la règle du consentement, telle qu'elle est dans le Code civil puis appliquez-la.
Alors, c'est sûr que la primauté, c'est la volonté du patient et c'est la volonté du patient. Et, si un patient est parfaitement conscient, sa famille a beaucoup moins d'importance. Elle devient même relativement périphérique. Les exemples que j'ai donnés, comme ils étaient en toute fin de vie, la famille avait plus d'importance, et le Code civil est très souple. Il permet, lorsque la volonté de la personne malade ne peut être exprimée, de se tourner vers la famille ou les proches, en fait. C'est très souple pour ça.
Alors, l'application... pour appliquer ça, ça prend des soignants talentueux. C'est donc dans le dialogue. Et c'est ça qu'on enseigne en médecine de plus en plus, c'est ça que... Là, je vais plaider un peu pour ma branche de la médecine, la médecine familiale, on en fait vraiment notre fierté d'expertise. On forme, on met tellement d'énergie à ce que nos résidents... on les supervise en entrevue directe, on les évalue là-dessus, on veut savoir quelle est la communication que vous avez avec votre patient. Alors, c'est à travers cette communication-là, qui a lieu en soins palliatifs au quotidien, que se détermine c'est quoi que la madame voulait vraiment, c'est quoi que le patient voulait vraiment.
Et, vous savez, c'est comme apprendre à quelqu'un qu'il a un pronostic de vie limitée, il n'y a pas de recette pour ça. Si on a la chance d'être au chevet de quelqu'un pendant plusieurs jours, des fois on essaie de le faire en plusieurs jours. Moi, ce que j'aime faire, souvent, c'est d'y aller par l'interrogation. Je demande progressivement, au fil de quelques jours, qu'est-ce que le patient veut vraiment savoir, puis j'y vais en dialogue comme ça. Alors, c'est la même chose avec la famille. À un moment donné, ils se parlent, on les invite à se parler, on les invite à parler avec leur père, leur mère. Il est peu probable, si on est rendu à un stade où leur père est inconscient, qu'ils n'en ont pas parlé. Il y a des situations où ils n'ont pas pu en parler, mais, la plupart du temps, quand on est en soins palliatifs, ils s'en sont tous parlé ensemble, puis ils ont une bonne idée, puis ils ont cheminé et ils finissent par arriver à un consensus.
Et ce respect humain, ce respect sacré de l'humain là, là, tous les humains l'ont quand ils sont en soins palliatifs. Alors, vous avez des frères qui sont catholiques avec des soeurs qui sont athées puis... quand votre père est en train de mourir, vous êtes confronté à cette situation-là, et il y a un sens très profond de respect qui s'installe, et les gens ont un dialogue. Il faut que les soignants, à ce moment-là, soient formés puis aient les habiletés pour animer ce dialogue-là pour arriver à une décision consensuelle. Et, la plupart du temps, on n'est pas dans un débat éthique, justement, on est dans un débat de la réalité d'un être humain qui finit sa vie. Comment on peut le faire? Le mieux possible, en respectant sa volonté et en la soignant le mieux possible, cette personne-là, et en la soulageant de ses souffrances. Et c'est comme ça que ça se passe. Alors, c'est la qualité des soignants dans leur communication avec les patients, les familles, qui est la clé.
M. Charette: Merci pour cette réponse. Une autre question. Vous avez mentionné... ou vous vous êtes référé au Code civil, à sa dernière refonte, qui est venue... pas banaliser, au contraire, baliser, en quelque sorte, toute la notion, là, de refus de traitement, qui est dorénavant reconnu comme un droit légitime. Vous avez également mentionné que les ordres professionnels pourraient grandement contribuer à baliser davantage l'accompagnement en fin de vie. Qu'est-ce que vous voulez dire, au niveau du rôle que pourraient jouer... ou quelle est la proposition que vous pourriez nous faire au niveau des ordres professionnels, comment les ordres professionnels pourraient notamment accompagner la commission dans le travail qu'elle a à réaliser, ou sinon le législateur de façon plus globale?
M. Desbiens (François): Malgré tout ce que vous avez entendu, malgré les opinions éthiques bien arrêtées qui ont été exprimées devant vous, je vous ramènerais au premier mémoire, je vous ramènerais à la première comparution, celle de Dr Lamontagne, Dr Robert et Mme Marchand qui vous ont exprimé la piste des soins appropriés balisée par les ordres professionnels. Et ça, c'est basé... Le Collège des médecins du Québec a fait un travail remarquable de trois ans de travail éthique là-dessus. Partez de ça et faites confiance aux ordres professionnels pour s'assurer que tout est bien balisé en termes de soins appropriés.
M. Charette: Merci.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Mercier.
**(10 h 20)**M. Khadir: Merci, M. le Président. Bonjour, Dr Desbiens. C'est intéressant que vous ayez amené cette question de la contribution du travail qui a été fait par le Collège des médecins, parce que ce travail-là, je pense, a été dans une large mesure entendu surtout dans les milieux de traitements palliatifs, de traitement de la douleur, de... Bon. Et je pense... parce qu'on a eu un débat il y a deux jours avec d'autres médecins sur l'interprétation à donner au sondage qu'ont fait les deux fédérations médicales, la FMSQ et la FMOQ, auprès d'à peu près 3 000 médecins, au total, sur les 18 000, là, si on regarde les pourcentages, c'est quand même 3 000 médecins qui ont répondu. Et une bonne partie de ceux-là, au-dessus de 40 %, tout près de 50 %, pensent qu'on pratique, en fait, si on y regarde de près, on pratique une forme d'euthanasie.
Vous avez parlé de sédation terminale, de cette perfusion à dose progressive d'un sédatif narcotique qui est destiné à soulager une douleur qui devient intolérable. Et on sait que, presque invariablement -- c'est pour ça d'ailleurs qu'on l'appelle sédation terminale -- cette sédation, lorsqu'elle atteint un niveau qui permet de soulager la douleur, s'accompagne d'une série d'effets, notamment un ralentissement du rythme de la respiration qui accélère le décès, qui entraîne le décès, qui a pour conséquence d'entraîner le décès.
Alors, dans mon interprétation à moi, c'est-à-dire cette réalité que j'ai vue pratiquer, que j'ai pratiquée moi-même comme résident, lors de ma résidence, dans des conditions de soins appropriés de fin de vie, d'une part, ensuite l'évaluation qu'en font près de la moitié des 3 000 médecins, qui disent que, si on y réfléchit, dans le fond, c'est une forme d'euthanasie, m'amènent à croire, si on tient compte du consensus parmi les médecins qui s'établit de plus en plus à travers le travail du Collège des médecins, que, dans le fond, les soins appropriés dont vous parlez et que nous sommes appelés à faire confiance aux soignants pour les appliquer, bien, ces soins appropriés englobent déjà une forme d'euthanasie. Donc, ça, j'aimerais que vous commentiez là-dessus.
Le deuxième élément que je voudrais juste vous mentionner: ce matin, je parlais, pour une raison qui n'est pas relative à ça, aux responsables de l'association des bénévoles de mon hôpital. Ça se situe au sud de Lanaudière, c'est l'hôpital Le Gardeur. Mme Henrichon me disait... Parce qu'elle avait rempli le formulaire -- on a fini par parler de la commission -- elle a rempli le formulaire Internet qui est à la disposition du public, parce qu'elle a vécu l'expérience avec sa mère de 89 ans qui a connu une lente évolution d'une arthrite sérosive qui est devenue très sévère, sur plus de 40 ans, une arthrite sérosive que, vous savez, est une maladie dégénérative qui fait que peu à peu toutes nos jointures deviennent autant de sources d'agonie, de douleur. Son médecin résistait à la demande du patient et de la famille de donner plus d'analgésiques, parce qu'à quelques reprises ces analgésiques, un peu poussés, avaient eu des conséquences. Je peux vous en nommer quelques-unes. Je n'ai pas demandé le détail, mais on sait que les narcotiques, ou les AINS, à dose trop importante, ou la cortisone, emmènent chacun une série d'effets qui n'étaient plus tolérables à l'âge de 89 ans. Et Mme Henrichon, dans sa famille, en est arrivée à la réflexion qu'il faut respecter la liberté d'une patiente arrivée là qui demande qu'on l'aide à mourir. Qu'est-ce que vous en pensez, donc, de ces deux éléments?
M. Desbiens (François): Je répondrai surtout à la première question. Ça exprime très bien le malaise consensuel de la profession à l'effet que les médecins sont confrontés au désir de... ou à l'obligation, le désir de soulager leurs patients, mais qu'il est inévitable que dans certaines circonstances ils sont forcés de choisir soit d'accepter un niveau de souffrance du patient, soit, pour obtenir un soulagement véritable du patient, peut-être, peut-être être l'artisan d'un certain abrègement, fût-ce de quelques heures, de la vie. Alors, ça, il y a un malaise, et le Collège et un des présidents de fédération, des fédérations ont eu le courage de dire que c'est ça qui... l'expression, dans ce sondage-là, c'est l'expression consensuelle de ce malaise-là, de cette contradiction-là, et l'existence de cette contradiction-là dans les soins fait en sorte qu'il y a un malaise, effectivement. Mais, compte tenu de l'encadrement actuel, du débat sur les termes, est-ce que c'est ça, de l'euthanasie, ou pas? En fait, ce n'est pas un débat utile.
C'est pour ça que je vous ramène à des soins appropriés. Appelons ça des soins appropriés, dans le sens où on veut que les gens soient soulagés et aient des fins de vie paisibles, le plus proche possible de leur volonté, et on n'aura pas à se poser une question qui, dans le fond, est un peu futile mais qui crée beaucoup de malaise à cause de l'encadrement actuel.
M. Khadir: Si je peux plus préciser ma... C'est parce que vous parlez de...
Le Président (M. Kelley): ...
M. Khadir: ... -- oui -- soins de fin de vie, vous avez parlé dans votre exposé de consentement mutuel, qui est un dialogue de soignants et de soignés, dialogue entre les deux.
M. Desbiens (François): Oui, tout à fait.
M. Khadir: Sauf que, dans ce dialogue, il faut nécessairement le consentement du soignant, jusqu'à une certaine limite...
M. Desbiens (François): Oui, oui. Ah oui!
M. Khadir: ...et c'est le soignant qui propose un certain nombre de choses. Là, on est arrivé dans une société où de plus en plus de soignés, de malades réclament le droit de décider par eux-mêmes de ne pas avoir une institution qu'ils peuvent percevoir parfois leur... leur demander d'accepter de manière paternaliste quelque chose qui ne correspond pas à leur volonté. Voyez-vous? Si on change de paradigme, si on sort de ce que vous avez dit, l'étape qui consiste à accepter l'euthanasie comme un principe reconnu de soins appropriés de fin de vie consisterait à reconnaître cette liberté au patient de choisir ultimement.
M. Desbiens (François): Dr Khadir, le paternalisme, là, mettons qu'il en existerait encore un peu, là, il a tellement, tellement, tellement diminué par rapport à -- bien, moi, je suis un petit peu plus vieux que vous, là -- par rapport à ce que j'ai connu, la façon de soigner, la façon d'aborder ces questions-là. Je ne veux pas dire il y a combien d'années, mais les médecins décidaient, ils informaient les familles de leurs décisions.
Alors, aujourd'hui, que la règle pour tout le monde en médecine, et ça, vous allez être d'accord avec moi, c'est le dialogue et le consentement mutuel, c'est déjà une immense évolution. Et ce qui peut rester de paternalisme, il peut peut-être en rester un petit peu, mais ça a énormément évolué. Mais c'est justement, ça a évolué dans la situation... dans la situation actuelle active de soins, là, pour ce qui est du consentement aux soins puis de l'acharnement thérapeutique. Alors, si on laisse évoluer les soins de fin de vie dans cette relation-là, eh oui, il faut inclure le soignant. Ça ne peut pas être l'apanage... je ne peux pas demander à des soignants de faire ces soins de vie là sans être partie à la décision.
Et ça, je vous ramène à un autre aspect, le collège a beaucoup insisté là-dessus, et je veux le ramener. C'est sûr que c'est un droit individuel, mais on ne peut pas demander au médecin de faire un soin que, lui, il n'est pas à l'aise. Et on parle beaucoup de la famille du patient, mais c'est la famille, le patient et le médecin, et le médecin doit se sentir inclus aussi dans ce processus-là. Il va l'être dans sa formation, il va être habitué à participer à ça, mais, lui aussi, il doit être inclus.
Et ça, le collège... Dr Robert avait beaucoup insisté là-dessus, si je me souviens bien, à juste titre: il faut que le soignant soit partie prenante. Ça va se dérouler entre les patients et leurs soignants, peu importe le cadre légal que vous allez donner. Alors, il faut vous référer à ça. Puis, oui, la volonté du médecin, mais je ne pense pas qu'il faut regarder ça comme si le patient était assujetti à son médecin, il est accompagné par son médecin.
Vous et moi, nous tous, dans nos derniers moments de vie, on va avoir nos proches et quelques soignants autour de nous. Et cet événement-là va être vécu très intensément par tous ces gens-là, et c'est à ces gens-là en partenariat qu'il faut confier, à travers des soins appropriés, ces décisions-là. Et on ne peut pas non plus...
Le Président (M. Kelley): En terminant, s'il vous plaît.
M. Desbiens (François): ...passer par un texte de loi, assujettir les médecins à une règle, mieux vaut leur confier, à travers des soins appropriés, un partenariat, et vous allez voir les choses évoluer pour le mieux, comme ça a été le cas les dernières 20 années.
Le Président (M. Kelley): Sur ça, Dr Desbiens, encore une fois, merci beaucoup, pour votre contribution à notre réflexion. Vous avez fait appel à un juriste. Alors, je vais inviter notre prochain témoin, qui est Pierre Deschamps, de la Faculté de droit de McGill, de vous remplacer à la table des témoins et je vais suspendre quelques instants.
(Suspension de la séance à 10 h 28)
(Reprise à 10 h 31)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Par coïncidence, notre dernier témoin a fait appel à un juriste, et, par pur hasard, le prochain témoin est effectivement professeur adjoint à la Faculté de droit de l'Université McGill. Alors, Pierre... pardon, Pierre Deschamps, la parole est à vous.
M. Pierre Deschamps
M. Deschamps (Pierre): Alors, merci, M. le Président. Bonjour à tous. Je vais faire un petit exposé de 15 minutes. Après ça, je serai prêt à répondre à vos questions.
D'abord, je vais me présenter. Je suis avocat éthicien, professeur adjoint à la Faculté de droit de l'Université McGill. Pendant 10 ans, j'ai fait du bénévolat à l'Hôpital Sainte-Justine auprès d'enfants atteints de cancer. Pendant 10 ans, j'ai été président du conseil d'administration de LEUCAN, qui est une association qui vient en aide aux parents atteints de... aux parents d'enfants atteins de cancer. Et, 15 ans, j'ai été président de la Fondation Charles-Bruneau. Et, de 1999 à 2009, j'ai été juge au Tribunal canadien des droits de la personne.
Je crois qu'il est important que vous sachiez que ma conjointe est chef du service de soins palliatifs à l'Hôpital St.Mary's, à Montréal, et présidente du Réseau de soins palliatifs du Québec. Et vous aurez l'occasion, à ce qu'elle m'a dit hier soir, de l'entendre à Québec dans quelques semaines. Est-ce qu'elle m'a aidé dans la présentation que je vais faire? Non. Est-ce qu'elle a participé à la rédaction de mes propos? Non. Alors, je tenais à vous le dire.
Mon exposé de ce matin comporte trois éléments. D'abord, dans le contexte de la présente consultation, j'insisterai sur l'importance des mots, aborderai par la suite la problématique de la pente glissante, pour terminer par la nécessité de regarder l'impact potentiel d'un changement drastique dans la pratique médicale sur les soins en fin de vie.
D'abord, l'importance des mots. Dans le cadre du présent débat, il faut distinguer, il me semble, euthanasie et aide au suicide. L'euthanasie est le fait de provoquer la mort d'un tiers pour des motifs de compassion. Donc, il y a un élément intentionnel qui s'y rattache, elle entre dans la catégorie des homicides, c'est-à-dire le fait de délibérément tuer quelqu'un, de mettre fin à sa vie. L'aide au suicide, en revanche, est le fait de procurer à un tiers des moyens pour que celui-ci mette lui-même fin à ses jours, sans intervention directe de celui qui fournit ces moyens. Je pense que ces distinctions sont fort importantes si on veut comprendre certaines réalités qui se rattachent à la question de l'euthanasie, de l'aide au suicide et du mourir dans la dignité.
En effet, cette distinction est importante si on veut comprendre la nature, par exemple, du projet de loi qui avait été proposé par Mme Lalonde, qui voulait que le Code criminel soit modifié pour exempter les médecins qui fourniraient à un patient les moyens pour qu'il puisse lui-même mettre fin à ses jours de poursuites criminelles, en autant que certaines règles soient respectées. Elle est également importante pour comprendre la position prise récemment par le Collège des médecins du Québec, qui voudrait que les médecins, dans certaines circonstances, puissent mettre un terme à la vie d'un patient sans crainte de poursuites, d'être poursuivis au criminel. La position du Collège des médecins ne vise pas l'aide au suicide, et ça a été clairement dit par le collège.
Maintenant, si j'aborde la question de la pente glissante, plusieurs sont d'avis qu'il est possible d'encadrer l'euthanasie et l'aide au suicide par une législation appropriée et de restreindre la portée de l'euthanasie acceptable par la société. Les projets de loi successifs présentés au Parlement fédéral par Mme Lalonde visaient à décriminaliser l'aide au suicide et non à permettre l'euthanasie, suivant mon interprétation. Ceci me semble très clair à la lecture des modifications apportées quant à l'article 222 du Code criminel: une personne ne commet pas un homicide du seul fait qu'elle aide une autre personne à mourir dignement. À cet égard, la législation proposée s'apparentait plus à la législation des États de l'Oregon et de Washington qu'à la législation dans les Pays-Bas ou en Belgique.
Le projet de loi, dans sa forme actuelle, visait une catégorie particulière de personnes, et c'est important de voir quel encadrement on donnait. Pour pouvoir exempter... être exemptées de poursuites criminelles, il fallait que les personnes soient âgées au moins 18 ans. Elle ne visait pas les enfants qui, comme tout autre humain, peuvent éprouver des souffrances intolérables. Or, pour ceux qui sont familiers avec la problématique des soins en fin de vie chez les enfants, la question de l'euthanasie fait parfois surface. Les personnes devaient être apparemment lucides. On ne disait pas qu'elles «devaient être lucides» mais «apparemment lucides». On ne disait pas qu'il fallait faire passer un test d'aptitudes, mais en autant que la personne soit lucide, peut-être qu'elle pouvait être même déprimée, mais peu importe. On excluait donc les personnes inaptes à prendre une décision pour elles-mêmes. On excluait ainsi, en principe, les personnes dans un état neurovégétatif profond, cas qui soulève d'importantes questions en ce qui concerne leur qualité de vie. La législation belge prévoyait cela. Toutefois, l'expérience montre le contraire: que des personnes incapables de consentir, on a mis un terme à leur vie.
L'autre critère, c'était que les personnes, malgré les traitements reçus, après avoir refusé les traitements proposés, elles continuaient d'éprouver des douleurs physiques et mentales aiguës, sans perspective de soulagement. Et finalement on disait qu'il fallait que ces personnes-là soient atteintes d'une maladie en phase terminale. On excluait donc, en principe, les personnes atteintes de maladie chronique ou dégénérative, à moins qu'elles ne soient dans une phase terminale.
On voit bien que le projet de loi proposé se limitait à des situations très, très particulières, soit celles d'une personne âgée au moins 18 ans, apparemment lucide, qui est atteinte d'une maladie en phase terminale, qui éprouvait des souffrances physiques ou mentales aiguës, sans perspective de soulagement.
Or, au Québec, trois cas sont survenus dans les dernières années, et on parle ici des cas de M. Bergeron, Mme Houle et M. Dufour, qui ont mis à l'épreuve les articles du Code criminel portant sur le meurtre et l'aide au suicide, et ces trois cas se sont soldés, un, par un acquittement et, les deux autres, par des probations de trois ans, ne concernaient nullement des personnes en phase terminale mais des personnes atteintes d'une maladie chronique ou dégénérative. Si la législation proposée avait été en vigueur, elle n'aurait pas couvert les trois cas recensés au Québec: sclérose en plaques, ataxie de Friedreich et poliomyélite.
On voit bien qu'il est très difficile de prodiguer... ou d'avoir un encadrement législatif pour prévenir les dérives et les cas qui peuvent se présenter en marge de la législation. Dans les faits, on est rendus beaucoup plus loin socialement que là où on voudrait être légalement, et ça, ça m'apparaît évident. Et les expériences étrangères en Europe montrent qu'on peut aller encore plus loin et mettre fin à la vie de personnes qui ne le demandent pas, au nom de respect de la qualité de vie.
Mon troisième et dernier point concerne ce que j'appelle une approche systémique à la problématique de l'euthanasie et de l'aide au suicide. L'une des approches souvent empruntées au soutien de la décriminalisation de l'euthanasie et de l'aide au suicide est l'approche que je qualifierais d'autonomiste, en vertu de laquelle on soutient que ma vie m'appartient, que je peux en faire ce que je veux, que j'ai le droit de revendiquer qu'on m'aide à me suicider, voire qu'on me tue parce que j'en aurais décidé ainsi, étant souverain dans mes décisions.
Cette approche ignore que les êtres humains vivent en société -- et ça fait écho à ce que vous souleviez tantôt en ce qui concerne le bien commun -- et qu'en société il n'y a pas de droit absolu et de liberté absolue, que la société a balisé l'exercice des droits et a même formulé des interdits tels que je ne peux pas tuer autrui, même à sa demande. La société a, par ailleurs, accepté et soutient qu'on se doit de tout faire pour soulager la souffrance d'autrui, même au risque de provoquer son décès.
Il importe, en société, de s'interroger sur l'impact que pourraient avoir certains changements apportés à des pratiques reconnues comme étant de bonnes pratiques médicales. Il importe d'épouser une approche que je qualifierais de systémique où, avant d'apporter des changements à un environnement donné, on s'interroge sur les conséquences prévisibles sur le système, et ici on parle du système des soins en fin de vie ou, plus largement, sur les soins aux personnes souffrantes ou gravement handicapées et incapables de s'exprimer.
Le document produit par le Collège des médecins du Québec en matière de soins de fin de vie ne s'interroge nullement sur l'impact que les changements proposés en regard de la pratique médicale auraient sur le système actuel de soins aux personnes en fin de vie, ce qui constitue, à mon avis, une carence majeure et une grande faiblesse du document produit par le Collège des médecins. À mon avis, on ne saurait simplement plaider que l'euthanasie devrait faire partie de l'arsenal des soins appropriés au nom de la dignité humaine et ne pas se soucier du reste, à savoir quel impact peut avoir une pratique médicale qui englobe l'euthanasie, à vrai dire, la mise à mort de certains patients.
**(10 h 40)** Pour avoir étudié depuis plusieurs années la théorie des systèmes, le fonctionnement des systèmes, leur dynamique et leur logique interne, il est clair que tout changement à un système doit être accompagné d'une analyse d'impact sur le système. Il doit s'accompagner de prédictions ou de prévisions sur ce... que le changement aura sur le système qui sera affecté, comment il affectera l'ensemble des personnes malades. Pour l'essentiel, le document du Collège des médecins ignore cet aspect fondamental. Son objectif ultime, si on s'en fie aux conclusions, est de permettre que des médecins puissent, dans le cadre de leur pratique, activement donner suite à des demandes précises non pas d'aide au suicide, mais d'euthanasie, de la part de leurs patients sans se soucier d'être inquiétés d'éventuelles poursuites criminelles.
En outre, s'il faut en croire la position du collège, seul un médecin aurait le pouvoir, sans crainte de poursuites criminelles, de mettre fin à la vie d'une personne. L'euthanasie serait, semble-t-il, un acte réservé exclusivement aux médecins. C'est ce qu'il faut conclure de l'affirmation suivante que l'on retrouve dans le document du Collège des médecins: «Si l'euthanasie [doit] être permise -- on dit bien "si l'euthanasie doit être permise" -- c'est certainement dans un contexte de soins et à titre d'acte médical qu'elle devrait l'être.» Et, pour moi, c'est un changement majeur dans la tradition médicale qui vise à soulager les patients et, je dis bien, au risque parfois de provoquer leur décès. Mais l'intention n'est pas de provoquer le décès, mais de soulager les douleurs.
En conclusion, peut-on agir avec compassion sans pour autant légaliser l'euthanasie, ou décriminaliser l'euthanasie, ou sans décriminaliser l'aide au suicide? La réponse est oui. Y aura-t-il des cas difficiles, voire déchirants, tels que chez les enfants atteints de maladie mortelle en phase terminale ou de maladie dégénérative? La réponse est oui. Devrait-on emprisonner toute personne qui, succombant aux pressions d'un proche, met fin à ses jours ou l'aide à se suicider? La réponse est non.
Et ici je dirais que, si on avait au Québec, comme c'est le cas en Colombie-Britannique, des directives claires -- qui font, je pense, quatre ou cinq pages -- où c'est très bien indiqué dans quels cas un procureur devrait envisager de poursuivre une personne qui aurait commis un geste dans des circonstances particulières -- et on voit bien que très souvent c'est sous les pressions d'un membre de la famille, et on accède à sa demande -- peut-être qu'on n'aurait pas eu le cas de Mme Houle, le cas de M. Bergeron et le cas de M. Dufour. Et c'est peut-être une voie intéressante à envisager, sans nécessairement en arriver à légaliser l'euthanasie ou l'aide au suicide.
Si l'on devait donner suite à la position du Collège des médecins, aurait-on pour autant solutionné les problèmes existentiels reliés à la fin de vie? Non, parce qu'il en demeurera toujours. Donc, le Québec devrait-il, à l'instar de la Colombie-Britannique, se doter de règles quant aux poursuites qui peuvent être intentées contre les personnes qui ont mis fin à la vie d'un proche ou des professionnels de la santé qui auraient pu provoquer la mort d'un patient sans pour autant avoir l'intention ferme de le tuer? Je crois que oui. L'euthanasie saurait-elle devenir, à la lumière de l'article 8 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux... Cet article dit que tout patient a le droit d'être informé de sa condition, et le médecin a le devoir de lui présenter toutes les options thérapeutiques possibles. Donc, je reprends, l'euthanasie saurait-elle devenir, à la lumière de l'article 8 de la Loi sur les services de santé, une option de traitement que tout médecin devrait offrir à ses patients qui manifestent une fatigue de vivre ou un mal de vivre? La réponse est non.
Et récemment je donnais une formation à des résidents en médecine, et on évoquait cette question-là, et je me rappelle d'un résident qui était comme quasiment en état de choc en disant: À chaque fois que quelqu'un va venir me voir et que je vais lui annoncer un diagnostic où les perspectives de survie ne sont pas bonnes, est-ce que j'aurai, moi, en tant que médecin, l'obligation de lui dire: Écoutez, il y a différentes options qui s'offrent à vous, et une de ces options-là, à un moment donné, ce sera de mettre fin à vos jours? Et je voyais le très grand malaise que ça créait. Et c'est pour ça que je reviens, que, si on veut apporter un changement majeur à une pratique médicale dans le système de santé, il faut, si on veut être responsables, envisager quelles seraient les conséquences possibles. Et c'est ces études-là qui, je pense, jusqu'à un certain point, manquent.
La compassion envers autrui peut s'exercer sans pour autant tuer les gens qui le demandent, mais en les accompagnant avec bonté et douceur. Il ne s'agit pas là d'un paternalisme dépassé, quoi que peuvent en penser certains. Il reste que certaines personnes décideront, pour des raisons personnelles, de prendre leur destin en main et provoqueront leur propre mort. C'est un choix personnel que l'on devra très souvent respecter.
En terminant, j'invite cette commission à faire preuve de prudence et de sagesse dans ses recommandations finales. Merci de votre attention.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Pr Deschamps. On va passer maintenant aux périodes d'échange avec les membres de la commission. Je vais céder la parole au député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président. J'aimerais commencer en disant à quel point je suis honoré de pouvoir avoir devant moi aujourd'hui mon ancien prof. Je sais qu'il a enseigné au moins à un autre membre de cette commission. Et il me fait plaisir de le retrouver en tant que témoin. Aujourd'hui, c'est plus moi qui vais poser les questions, alors que dans le temps c'était lui qui me posait des questions à moi. C'était la méthode... C'était la méthode socratique préconisée à l'Université McGill.
J'aimerais commencer tout de suite, Pr Deschamps, juste en faisant un certain commentaire concernant cet argument sur l'autonomie, parce que j'entends beaucoup de personnes invoquer cette autonomie-là. Et c'est bizarre, c'est un argument que je trouve délicat, parce que j'écouterais les mêmes personnes sur une autre question, et ils plaideraient absolument contre l'autonomie et plaideraient la solidarité. Alors, dépendamment de la question, l'autonomie peut être utilisée différemment, dépendamment de la question qu'on discute. Alors, je la trouve... je la trouve difficile, je trouve des personnes qui invoquent l'autonomie comme prémisse de base dans ce dossier-là et, ces mêmes personnes, je les entends sur une autre question, et ils parlent tout autrement. Alors, je trouve que ça pourrait être trompeur de se concentrer sur cet argument d'autonomie.
Mais les questions que je voulais vous poser, premièrement, première question, c'est au niveau de la directive qui existe en Colombie-Britannique. Je me pose des questions à ce niveau-là. J'ai exercé en droit criminel, comme vous le savez, pendant sept ans avant de faire le choix de me lancer en politique. On était souvent devant différents cas -- et j'ai fait une partie de mon apprentissage juridique à la couronne, où on prenait de telles décisions -- et on voyait une directive et deux procureurs qui, à partir des mêmes directives et les mêmes faits, prenaient des décisions différentes.
Est-ce que vous croyez que, s'il n'y a pas de législation claire, mais une directive est adoptée, ce pourrait créer des situations ou on pourrait se retrouver devant des situations où certains accuseraient des procureurs ou verraient, dans les décisions de procureurs, un certain arbitraire qui aurait comme effet de... évidemment, faire en sorte que ça suscite des questions chez le public, et la confiance que le public aurait vers... envers un tel système?
M. Deschamps (Pierre): Bien, je crois que... On essaie d'éviter l'arbitraire en balisant un peu le cadre à l'intérieur duquel ces décisions doivent être prises. Mais, à défaut d'avoir de telles directives, on va s'en aller vers des poursuites au criminel. Et, si vous regardez, par exemple, le cas de Mme Houle, où on a accusé Mme Houle d'aide au suicide de son fils, alors qu'elle l'avait attaché à son lit, lui avait mis un sac de plastique sur la tête, on voit bien que -- pour moi, là -- ce n'était pas de l'aide au suicide, mais c'était carrément un homicide. Mais la couronne, probablement parce qu'elle disait: Si on l'accuse de meurtre, c'est la prison à vie, l'aide au suicide, on peut s'en tirer, jusqu'à un certain point... On voit bien que là il y a eu comme une certaine... une certaine dérive.
Et, lorsqu'on lit les différents jugements, on s'aperçoit que les tribunaux sont très, très, très mal à l'aise. Est-ce qu'un juge, en son âme et conscience, devant un mari qui s'est occupé de sa femme depuis 20 ans et qui pose un geste qui est considéré comme une tentative de meurtre, va dire: On vous trouve coupable, on vous envoie en prison? On voyait bien le malaise de la juge qui a eu à décider de ça, un malaise assez grand qu'elle a même invoqué le projet de loi de Mme Lalonde pour dire que, bon, il y a des choses qui se passent en société, peut-être que la société est en train d'évoluer. Alors, si on ne fait pas, comme on dit, un certain filtrage, avec toutes les imperfections que ça présente, on va se retrouver devant les tribunaux avec un certain malaise.
Et je pense qu'il n'y a pas de système qui est parfait. Il n'y a rien qui est parfait. Mais, moi, je vous dis que c'est une solution ou une mesure qui mérite d'être examinée sérieusement pour voir si, à l'intérieur des limites de la juridiction du Québec, ce n'est pas quelque chose qui serait mieux que de ne rien avoir. Et on pourrait prendre les trois cas que j'ai cités puis se dire: Est-ce qu'on aurait été mieux d'avoir une telle directive, ce qui nous aurait peut-être empêchés d'avoir ce que l'on a eu par la suite?
**(10 h 50)**M. Sklavounos: Je me souviens également d'un autre cas célèbre, qui a fait le tour du monde, le cas de Robert Latimer, où il y avait des... il y avait toutes sortes de tentatives de gymnastique juridique pour essayer de trouver une exception constitutionnelle aux sentences minimales qui existaient dans ce dossier-là. Également, parce qu'il y avait plusieurs personnes... Et je me souviens même de certains membres du jury, je pense, qui avaient fait des commentaires -- alors qu'on sait que ce n'est pas ce qui est souhaité -- disant que, s'ils avaient su qu'il y avait une peine minimale, peut-être, leur verdict, ils auraient voté différemment, sachant qu'ils condamnaient une personne à une prison... je pense que ça avait été 10 ans dans le cas de M. Latimer...
M. Deschamps (Pierre): Bien...
M. Sklavounos: ...pour une deuxième...
M. Deschamps (Pierre): Pardon. Il faut faire bien attention, parce que des fois on est bien prêts à accuser les gens, mais, si on ne regarde pas le contexte... Si les gens sont démunis, si les gens ne sont pas supportés, ça devient des fois presque insupportable de résister ou presque impossible de résister aux pressions incessantes qui sont faites jour après jour, et à ce moment-là on peut commettre l'irréparable. Je pense que la société se doit d'être sensible à ces éléments-là.
Mais une personne qui, on dit... M. Latimer, c'est un cas. La Cour suprême a dit, comme j'avais dit dans une entrevue à Radio-Canada, dans plusieurs entrevues: La loi est dure, mais c'est la loi. Si les parlementaires veulent la changer, ils la changeront. Mais, en tout cas, M. Latimer, c'est un cas particulier. Sue Rodriguez, c'était un autre cas.
M. Sklavounos: Oui. Hier, nous avons eu un témoignage intéressant de la part de deux membres du comité des usagers de l'Institut thoracique de Montréal. Et évidemment, lorsqu'on... lorsque plusieurs viennent devant nous pour nous invoquer les arguments, tel que vous l'avez fait, de la pente glissante... Nous avons entendu beaucoup de personnes nous demander quel impact ça aurait sur l'offre des services au niveau des soins palliatifs, le développement, quel impact ça aurait sur nos efforts dans la prévention du suicide, suicide ordinaire, et est-ce que ce ne seraient pas des signaux contradictoires qu'on enverrait comme société, etc. Et, eux autres, ils avaient une très bonne solution, ils sont arrivés, ils nous ont dit: Écoutez, nous, on ne parle même pas de l'euthanasie ou du suicide assisté. Avant que nous aborderons ces questions, on aimerait qu'il y ait une offre de services adéquats partout au niveau des soins palliatifs, ce n'est pas le cas en ce moment. Alors, en tant que comité d'usagers, nous prenons la position qu'on ne discutera même pas de cette question-là jusqu'à temps qu'on soit sûrs que l'offre de services est égale un petit peu partout à travers le Québec, que les gens aient accès à des services adéquats. Autrement, il pèsera toujours un doute, il y aura toujours un doute que cette décision ultime qui a été prise est peut-être pour les mauvaises raisons.
J'aimerais que vous élaboriez un petit peu sur votre... Vous avez touché la pente glissante, j'aimerais que vous élaboriez là-dessus, si vous pouvez, sur ce que vous pensez être l'impact sur le développement ou l'amélioration de soins palliatifs si en même temps nous ouvrons cette voie-là du suicide assisté ou de l'euthanasie.
M. Deschamps (Pierre): Bien, moi, je suis en faveur de soins palliatifs et d'un développement de meilleures ressources, mais je vais laisser à mon épouse, qui est plus savante en la matière que moi, de répondre à cette question-là. Mais, vous savez, pour avoir été au Tribunal canadien des droits de la personne, on parlait de discrimination, on disait que la discrimination, c'est souvent subtil, et, je dirais, les pressions que le milieu peut exercer sur une personne, c'est souvent subtil.
Il m'arrive de faire des stages sur la route à Urgences-Santé, et c'est incroyable comment, à l'arrière de l'ambulance, c'est quasiment un confessionnal. Et des fois on voit des gens qui disent: Bon, je m'en vais à l'hôpital, mais les services que je vais recevoir... Puis ce n'est pas pour blâmer le personnel, aucunement, mais, Mon Dou! si je n'ai pas à y aller, je n'irai pas. Puis c'est comme ça, c'est subtil, les choses.
C'est pour ça que j'encourage les gens à aller au-delà de simplement, oui, j'ai le droit de faire ci, j'ai le droit de faire ça, j'ai le droit de revendiquer ci, puis de dire: C'est quoi, l'impact sur la population? C'est quoi, l'impact sur le bien commun? Et où est-ce que ça va nous amener? Puis faire ces analyses-là... Je ne dis pas qu'il faut multiplier les analyses, mais au moins se poser la question: Qu'est-ce que ça va représenter?
Mais les gens ne meurent pas toujours, en soins palliatifs. Regardez les deux personnes qui sont décédées à Saint-Jude, les deux frères ne sont pas décédés dans des conditions qui sont faciles puis nécessairement qui sont dignes. Puis on a des unités de soins palliatifs -- parce que ma mère est décédée à l'unité de mon épouse -- qui ne sont pas toujours, toujours bien équipées comme elles devraient. Ce n'est pas toujours des chambres individuelles. Des fois, c'est des chambres à quatre. Mais, quand vous êtes là, puis votre mère est en train de décéder, puis il y a toutes sortes de bruits... Je pense que c'est un investissement qu'on se doit de faire dans les soins palliatifs. Et je suis tout à fait d'accord à ce que... avec la position que vous exprimiez, qu'il faut développer ces éléments-là et que, de toute façon...
On parle de sédation palliative, en autant que, comme on dit, on agit humainement, pour le bien-être des gens, avec l'intention de les soulager. Il y aura toujours une zone grise. Puis, jusqu'à date, on n'a pas vu beaucoup de médecins au Québec qui ont été poursuivis pour avoir causé le décès de leur... Dire qu'on va, par une législation, éliminer la possibilité de poursuites criminelles... Il y aura toujours le fait que, dans certaines circonstances, le procureur de la Couronne pourra dire: Je vais regarder ça, ou le coroner pourra regarder puis dire: C'est un peu douteux, ce qui s'est passé.
M. Sklavounos: Il me reste très peu de temps pour une dernière question...
Le Président (M. Kelley): ...peu de temps.
M. Sklavounos: ...Pr Deschamps. Et je sais... Sans mentionner la «duty to die», que certains ont évoquée, de la part de personnes qui subissent peut-être pas nécessairement des pressions mais qui subissent certaines de leurs propres pressions en disant qu'ils vont, de cette façon-là, soulager leurs proches qu'ils voient, eux autres, souffrir en même temps et que c'est une pression qu'ils imposent sur eux-mêmes.
J'aimerais juste un commentaire rapide sur les statistiques ou sur les sondages, parce qu'il y en a tellement, de statistiques et tellement de sondages que les gens viennent nous présenter ici. Avez-vous quelque chose à mentionner là-dessus pour les membres du comité? Parce que nous sommes confrontés à beaucoup à ce niveau-là, puis ça semble dire plusieurs choses. Avez-vous un commentaire là-dessus avant de terminer?
M. Deschamps (Pierre): Moi, je vous dirais qu'on ne fait pas des changements dans des systèmes sur la base de sondages, mais on le fait sur la base d'un savoir. Et il y a des éléments de savoir qui nous manquent. On a beaucoup d'information, mais le savoir va au-delà de l'information. Et, si vous regardez, dans la gradation des connaissances, vous avez des données, information, le savoir, et la forme ultime, c'est la sagesse. C'est pour ça que je vous invitais à faire preuve de sagesse, et à regarder les choses en vous élevant un petit peu au-dessus de tout ça, et de se dire: Qu'est-ce qui serait la bonne chose pour la société? Et quels impacts, si on me proposait des modifications draconiennes, ça aurait sur les personnes, et surtout sur les plus vulnérables, qui peuvent des fois sentir: ça serait mieux pour moi de mourir, parce que, de toute façon, qu'est-ce qu'il me reste? On ne s'occupera pas de moi, je vais être trimbalé ici, je vais être trimbalé là. Et c'est là que se situe vraiment la solidarité humaine et c'est là que s'exprime... ou qu'on donne vie au principe de dignité humaine.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.
**(11 heures)**Mme Hivon: Oui. Bonjour, M. Deschamps. Je suis très heureuse de vous retrouver. Ça fait plutôt drôle. Moi, je n'ai pas eu M. Deschamps comme professeur, mais on était là en même temps. Bien, en fait, oui, un peu collègues, mais je l'ai eu comme... Il a supervisé un de mes mémoires sur le consentement aux soins, alors... pendant mes cours. Et je pense que mon intérêt pour le droit médical a beaucoup à voir avec l'influence de M. Deschamps dans mon cheminement académique. Alors, ça fait... Je suis très heureuse de vous retrouver aujourd'hui.
Puisqu'on a un avocat qui est aussi très ferré en droit, en droit médical, je veux comprendre, vous avez fait référence sur la... toute la question de comment on se comporte ensuite pour des questions de poursuites ou... puisque c'est criminalisé, et tout ça. Je veux bien comprendre. Parce que vous avez fait référence au cas de Mme Houle, qui avait en quelque sorte aidé ou donné suite à la volonté exprimée, semble-t-il, par quelqu'un qui était proche d'elle de l'aider à mourir. Moi, j'ai comme un double questionnement par rapport à ça.
Un, je me dis: Il y a des interdits dans le Code criminel, mais on voit de plus en plus que les sentences ne reflètent pas cet interdit-là qui est dans le Code criminel. Parce que, que ce soit devant jury, que ce soit devant juge -- dans le cas de Mme Houle, elle a eu une sentence de probation de trois ans, si mon souvenir est bon -- donc, il n'y a à peu près pas de peine d'emprisonnement. Souvent, s'il y a des verdicts de jury, c'est... la personne va être acquittée. La notion de compassion est très présente, et je me dis: Nous, comme législateurs, est-ce qu'il ne faut pas prendre acte de ça et se dire: À partir du moment où le -- quelqu'un avait décrit ça comme -- le droit des livres versus le droit de la rue n'a plus d'adéquation, est-ce que, nous, il ne faut pas justement se dire: Peut-être que la loi doit être changée ou qu'il y a quelque chose qui doit être fait? Ça, c'est le premier volet.
Puis, le deuxième volet, c'est: Quand des gens sont rendus à poser de tels gestes et de chercher s'il va y avoir quelqu'un dans leur entourage qui va pouvoir les aider, et tout ça, est-ce que, nous, comme législateurs, il ne faut pas se dire que peut-être que cette volonté-là, il faut l'accompagner d'une manière justement encadrée dans une relation médicale et aussi de permettre que ce ne soit pas la personne qui en quelque sorte a quelqu'un dans son entourage qui va l'aider, qui soit -- vous me permettrez le terme, même si ce n'est pas le bon -- plus «privilégiée» dans on désir de voir sa mort arriver, plutôt que la personne qui n'aura pas une telle personne dans son entourage, vous comprenez? Il y a comme une question qui se pose, là, d'équité. Si on laisse au cas par cas et que la volonté de chacun est tributaire de choses aussi terribles que de savoir si un proche va leur permettre de mettre fin à leur vie, comment, nous, comme législateurs, on doit réagir face à ça?
M. Deschamps (Pierre): En tout cas, comme je disais tantôt, il n'y a pas de solution qui est parfaite, mais je pense que l'interdit de tuer son prochain doit demeurer. Maintenant, comme société... Parce qu'il faut voir l'ensemble du système, là, il y a comme le geste, possibilité de poursuite; s'il y a poursuite, procès; puis la décision ultime. On ne pourra jamais, comme on dit, éviter ça, ça va toujours être dans le paysage. De là à dire qu'on pourrait permettre mais que ce soit comme médicaliser la mort, moi, j'ai des grosses réticences à cause de l'impact que ça pourrait avoir sur l'ensemble du système des soins en fin de vie. En tout cas, c'est ma première réaction.
Est-ce qu'on doit maintenir cet interdit-là? Je pense que oui. Est-ce que l'on doit, comme on dit, appliquer judicieusement les règles de droit? Je pense que c'est oui. Puis c'est là peut-être la partie la plus difficile, parce que, si on veut avoir des choses qui sont comme des automatismes, c'est oui, c'est non, la vie n'est pas faite comme ça.
Et loin de moi de penser que quelqu'un qui commet un homicide doit nécessairement aller en prison pour 25 ans. Là, il y a une réflexion à faire, puis on voit l'inconfort qui existe. Mais, comme on dit, un système, comme on dit, ce n'est pas: Oui, vous avez fait ça, le code dit ça, vous allez en prison, vous n'allez pas en prison. Je pense qu'il y aura toujours un certain inconfort, il y aura certain toujours... Mais il faut se garder une petite gêne avant de dire qu'on va permettre à quelqu'un de tuer quelqu'un d'autre. Il y a cette gêne-là qu'on doit avoir, parce que, comme on l'a vu... Puis, quand on dit qu'il y a des dérives... Pourquoi est-ce qu'une personne de 18 ans pourrait décider de mettre fin à ses jours pour des souffrances intolérables? Puis là on est dans le cas d'un enfant puis là on se dit: Non, mais il n'a pas 18 ans. Oui, mais les souffrances sont tout aussi intolérables, la logique devrait être la même. Mais on se dit: Bien, on ne peut pas tuer un enfant.
Mais je pense que le corps médical, puis ça a été dit à répétition, les gens qui s'occupent que ce soient des enfants ou des patients ont cette compassion-là et ils ne laisseront pas souffrir inutilement des gens, à savoir qu'ils vont parfois prendre des risques. Il y a toujours des risques à la pratique médicale de dire: J'opère. Les chances de succès sont bonnes, mais elles ne sont pas nécessairement excellentes; ça fait qu'on va faire ça.
Pour les soins palliatifs, c'est la même chose, on va donner une dose, puis on espère que ça va soulager, puis, si, par malheur ou par bonheur, ça tuait la personne, bien on est capables de vivre avec ça. Mais il y aura toujours des cas qui vont... Moi, j'ai encore un jeune enfant de 11 ans que j'ai connu en 1968, et, encore à ce jour, alors que j'ai 60 ans, sa mort vient me hanter. Si c'était aujourd'hui, il ne souffrirait pas autant. Il y aura toujours ces moments... ces moments difficiles là, là, qu'il va falloir vivre. Essayer de dire qu'on va tout solutionner par une mesure ou deux mesures, c'est faux, c'est se bercer d'illusions.
Mme Hivon: Est-ce que vous pensez que les balises, les règles, un peu, que s'est données la Colombie-Britannique à la suite de l'affaire Sue Rodriguez, à savoir quand il pourrait y avoir poursuite ou non dans ce type de cas, c'est une avenue intéressante à envisager, si l'interdit est maintenu pour l'euthanasie, mais, comme poursuivant, le Québec pourrait se dire, dans tel, tel cas, il n'y aura pas de poursuite?
M. Deschamps (Pierre): Moi, je dirais que c'est une mesure qu'il faut considérer. Est-ce que c'est mieux d'avoir une mesure comme celle-là que pas de mesure du tout, et de voir qu'avec pas de mesure du tout on est arrivés avec trois cas qui ont donné un petit peu de fil à retordre aux tribunaux? Je pense que ce n'est pas quelque chose qu'il faut exclure d'emblée, parce que, quand on regarde la directive, c'est quand même... on explique, à l'égard de proches, à l'égard de médecins, on fait référence à Sue Rodriguez, c'est peut-être... les gens vont peut-être dire: Oui, oui, mais ça va être arbitraire. Mais je pense qu'il y a peut-être une possibilité d'arbitraire, mais, à tout prendre, c'est peut-être mieux d'avoir ça que de ne rien avoir du tout.
Mme Hivon: Merci.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Mercier, avez-vous une question ou... Non, ça va? O.K. Il me reste... J'ai le sentiment que c'est une retrouvaille de Faculté de droit de McGill qui est devant nous. Mais, merci beaucoup, et je veux vous assurer que les membres de la commission sont forts conscients de leur devoir. On a un rapport un jour à formuler, alors on va prendre soin de vos suggestions quant à la prudence dans notre approche et l'importance des décisions que nous devrons prendre, mais pas tout de suite. Alors, sur ce, merci beaucoup pour votre contribution à notre commission.
Je vais suspendre quelques instants et je vais inviter M. Hubert Doucet de prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 11 h 7)
(Reprise à 11 h 10)
Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Notre prochain témoin, c'est Hubert Doucet, qui est responsable de l'Unité d'éthique clinique du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine et professeur associé de l'Université de Montréal. Pr Doucet, la parole est à vous.
M. Hubert Doucet
M. Doucet (Hubert): Merci, et bonjour à tous les membres de la commission. Et je voudrais vous remercier de me recevoir à nouveau, au fond, pour me permettre d'exprimer mon point de vue sur le sujet de mourir dans la dignité.
Je dirais que se présenter devant votre commission au bout d'une... le dernier jour d'une semaine qui a été assez riche de points de vue, comme on l'a vu dans les médias, aussi riche d'émotions, je dirais, peut inquiéter ou inquiète celui qui se présente, là, comme presque en toute fin de semaine. Est-ce que l'attention des membres ne sera pas un peu affaiblie, d'autant plus que je crois que ce que je vais vous présenter ne suscitera pas beaucoup d'émotion, d'une certaine façon.
Dans la situation qui est la mienne, je dois dire cependant que je suis assez satisfait de me présenter dans la dernière journée, parce que ce que j'ai lu, entendu, vu aussi, très peu, mais dans les médias depuis le début de la semaine, ça vient en quelque sorte confirmer mon point de vue, et les propositions que j'ai soumises à la fin de mon mémoire sont confirmées en quelque sorte par les différents points de vue qui ont été exprimés cette semaine.
Parce que, depuis quelques jours, ce qui, me semble-t-il, ressort, ce sont les dilemmes que pose la question de mourir dans la dignité. Comment choisir d'un côté ou de l'autre? Et, sous cet angle, je crois que les arguments des uns et des autres sont bien ressortis, et à la radio le président de votre commission l'a bien fait ressortir.
Vous savez que les éthiciens, ce que certains disent que je suis, aiment bien les dilemmes, parce que certains même d'entre eux définissent l'éthique médicale moderne comme la résolution des dilemmes posés par la médecine moderne. On est mis en demeure de choisir entre deux propositions contraires ou même contradictoires. Et le risque, par exemple, de penser par dilemme, c'est d'évacuer la complexité de la réalité. Penser par dilemme, au fond, c'est l'arbre qui cache la forêt. En réduisant la question du mourir dans la dignité à oui ou non, à l'euthanasie, au suicide assisté et un petit peu à la question des soins palliatifs, on n'aborde pas l'ensemble de la question du mourir dans le contexte des sociétés technologiquement avancées.
En nous centrant sur le dilemme, nous évacuons en quelque sorte les dimensions sociétales de la fin de vie, d'où la question qui était à la base de mon mémoire et que vous trouvez à la page... le premier paragraphe de la page 2. Dans les conditions présentes du système de santé québécois, une question essentielle, c'est la suivante: Le fait d'autoriser l'euthanasie permettra-t-il à l'État d'améliorer la condition de vie des milliers de personnes qui meurent chaque année au Québec? Ces années-ci, le débat sur mourir dans la dignité porte principalement sur le droit du patient apte, c'est-à-dire qu'on considère autonome, à demander à un médecin de mettre fin à ses jours en raison de sa trop grande souffrance. L'application de ce que je nomme un slogan, Mourir dans la dignité, à cette seule situation-là me semble évacuer la problématique d'ensemble de la fin de vie digne dans notre société, ce qui m'apparaît regrettable au plan social. Cette affirmation ne signifie pas que la question de l'euthanasie et de l'aide médicale au suicide, c'est une mauvaise question, mais ça signifie que la thématique ainsi présentée est trop limitée.
Et l'idée clé qui structure mon mémoire concerne l'étroitesse du regard concernant le mourir dans la dignité. Et le premier point que j'ai développé a mis en relief le rôle déterminant de la médecine technologique dans la transformation du mourir et les conséquences pour les personnes en fin de vie. Les débats actuels sur l'euthanasie me semblent largement dépendants de la place qu'a prise la médecine au chevet du malade. Au fond, le médecin est devenu l'acteur principal de la fin de vie, et la médecine est pourtant au coeur des douleurs et des souffrances des malades. C'est elle qui a permis en grande partie l'allongement de la durée du mourir, donc qui a créé cette souffrance de mourir, qui est très longue maintenant et qui ne l'était pas autrefois. C'est elle aussi qui... Il y a des exigences très fortes imposées maintenant aux malades qui deviennent malades chroniques, alors que c'est une réalité tout à fait nouvelle dans notre histoire. On ne questionne pas pourquoi la médecine nous conduit à demander la mort, alors qu'elle proclame qu'elle va vaincre la mort. Je crois qu'il faut davantage interroger la médecine sur ses orientations de fond: Pourquoi nous a-t-elle conduits dans ces situations-là aujourd'hui, plutôt que de dire: La médecine cherche à s'en sortir en disant qu'elle devient compassionnelle et qu'elle ne se questionne pas sur elle-même? Moi, je crois que c'est un point extrêmement important dans un débat social.
Le deuxième point que j'ai présenté portait sur les différentes réponses qui ont été apportées dans différents pays. Je crois qu'aussi il faut aller à regarder davantage ces aspects-là, parce que le point de départ de la discussion aux Pays-Bas, ce n'est pas la question de l'autodétermination du patient, ça a été le conflit vécu par le médecin entre son devoir de préserver la vie et son devoir de soulager la souffrance de son patient. Donc, le débat a été à l'intérieur même de la médecine et non pas dans la perspective des droits des patients, comme ce le sera par exemple aux États-Unis et comme ce l'est ici.
Le point de départ donc, c'était médical, d'une certaine façon. Je crois donc et... Et c'est peut-être ça qui a fait que la discussion a été très longue, hein, dans les Pays-Bas. Les premières discussions ont eu lieu en 1973, et la loi a été adoptée en 2002. Donc, aller trop vite, je crois que ça ne leur est pas... Et, même dans les Pays-Bas, maintenant, on ne s'entend pas sur ce qu'il se passe.
Aux États-Unis, au contraire, le choix s'est porté sur l'aide au suicide et non pas sur l'euthanasie. Par quoi... Le coeur de la question, c'est l'autodétermination du patient, aux États-Unis. D'une certaine façon, c'est la crainte du pouvoir médical aussi, je crois. Donc, pourquoi a-t-on choisi l'aide au suicide et non l'euthanasie?
En France... Je regrette qu'on ne discute pas beaucoup de ce qui se passe actuellement en France. On est toujours... Parce que le rapport Leonetti et toutes ces discussions, ces orientations-là montrent un autre point de vue et d'autres choix qui sont faits. Parce que les orientations retenues au cours des dernières années tentent de dépasser le conflit entre l'autonomie du patient et le caractère sacré de la vie pour chercher à adapter l'organisation du système de soins aux situations réelles de fin de vie.
Et le troisième point porte sur le Québec, dans mon mémoire, et cherche à répondre à la question suivante: Y a-t-il un devoir de société d'assurer une fin de vie respectueuse de l'humanité de chacun, qu'il soit apte ou inapte, jeune ou âgé, fort ou fragile? Et, si oui, s'il y a un devoir d'assurer cette fin de vie respectueuse, comment on va l'assurer?
En d'autres termes, quels sont les soins qu'une société se doit d'offrir aux personnes, à toutes les personnes qui arrivent en fin de vie et non pas non plus à la toute dernière minute, quand on s'en va vers... Donc, la question de mourir dans la dignité, c'est devenu la suivante: Un médecin n'a-t-il pas le droit de mettre un terme à la vie d'un malade apte qui en fait la demande en raison de ses souffrances intolérables, du soulagement impossible, selon la perspective du patient? Bien, répondre positivement à cette question au nom du mourir dans la dignité, je crois que ça évacue de nombreuses autres dimensions de notre vie commune. Donc, notre démarche collective doit aborder l'ensemble des situations de fin de vie plutôt que de se hasarder à privilégier la mort de l'individu apte à décider, et j'ai fait un certain nombre de remarques autour de cette question.
Je voudrais rappeler simplement les propositions que j'ai faites. La première, c'est que je disais: Si l'Assemblée nationale peut mettre en place une commission sur le mourir dans la dignité, la collectivité québécoise aurait avantage à ce que l'Assemblée élargisse sa préoccupation à l'ensemble des conditions du mourir au Québec. Une telle démarche viserait à privilégier des pistes respectant l'humanité de l'ensemble des personnes en fin de vie et elle constituerait un projet collectif dont l'intérêt dépasserait les limites du Québec.
Deuxième proposition. Et, dans ce contexte, je proposais que le Commissaire de la santé et au bien-être puisse jouer un rôle non négligeable, parce que l'objectif du travail du Commissaire, c'est d'apporter un éclairage pertinent au débat public et à la prise de décision gouvernementale, et ça répond parfaitement au type de préoccupations que mon mémoire soulève et que... Ces quatre fonctions correspondent aux démarches, hein, qu'il faudrait effectuer: d'une part, évaluer les résultats atteints par le système de santé et des services sociaux autour de la mort et du mourir; consulter les citoyens, y compris les experts, sur une démarche beaucoup plus longue ou une réflexion beaucoup plus longue, simplement que... informer le ministère de la Santé, l'Assemblée nationale, l'ensemble des citoyens, pour favoriser une meilleure compréhension des grands enjeux, et recommander des améliorations.
**(11 h 20)** La troisième proposition que je faisais, compte tenu des différents éléments dans le mémoire, il faut, comme société, affirmer notre devoir de promouvoir le désir de vivre chez tous nos concitoyens et concitoyennes, même les malades sévèrement atteints. Nous ne devons cependant pas nous acharner contre leur volonté ni imposer des traitements inappropriés qui ne favorisent pas leur qualité de vie. C'est un équilibre théorique, je pense que ça y répond, puis on arrive très mal; ça, je le reconnais.
Maintenant, les soins palliatifs tels que les fondatrices et fondateurs les ont imaginés et pratiqués réalisent l'équilibre mentionné tout à l'heure. Pour ce faire, cependant, ils ne doivent pas apparaître en toute fin de vie, lorsqu'il n'y a plus rien à faire et que les jours restants se comptent sur les doigts d'une main. Il n'y a pas de soins palliatifs, à ce moment-là. Ce n'est pas ça, des soins palliatifs. Dans ce sens, les soins palliatifs doivent faire partie intégrale de ce que j'appellerais la planification préalable des soins, tant du côté des soins aigus que du côté des soins chroniques. Et là-dessus l'exemple de la pédiatrie, je l'ai développé dans mon mémoire, est très intéressant maintenant, puisque la pédiatrie commence à développer les soins palliatifs dès le moment où la vie de l'enfant devient à risque et non pas en fin de vie.
Et donc ces dernières remarques ne visent pas à convaincre que le mourir va être rendu facile, je crois. Il ne le sera jamais, et ça, c'est peut-être une chose qu'on oublie trop, que... Les sociétés ont toujours cherché à l'intégrer à la vie d'abord. C'est Elias qui disait: Dans la conscience des hommes, l'image de la mort est très étroitement liée à l'image de soi, de l'être humain, qui prédomine dans la société à laquelle ils appartiennent.
Donc, les propos que je tiens dans ce mémoire, c'est un idéal, au fond, que j'invite une société à développer: assurer une fin de vie respectueuse de l'humanité de chacun, apte ou inapte, fort ou fragile, au fond, pour sortir un petit peu du réductionnisme du débat actuel. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Et je veux m'excuser de ne pas souligner le fait que vous avez déjà contribué à notre témoignage des experts; c'est un oubli de ma part, mais bienvenue de nouveau devant nous, M. Doucet.
Sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Moi, M. Doucet, je suis très, très heureuse de vous retrouver. Vous avez dit en début de présentation que vous n'alliez pas susciter d'émotion, mais vous en aviez suscité chez moi lorsqu'on s'était vus, en février, lors de votre première présentation. Je vais vous dire, vous étiez un de mes coups de coeur. Vous aviez vraiment présenté les choses à travers la lorgnette de l'étroitesse du regard. Vous nous aviez présenté aussi une belle présentation au sujet de la réelle souffrance.
Et, dans votre mémoire, vous faites beaucoup référence au mourir contemporain. Mourir en 2011... 2010, pardon, ce n'est pas la même chose que mourir en 1950 puis en 1960, et vous l'avez bien mentionné, que les médecins veulent vraiment préserver la vie versus soigner la souffrance. Vous l'avez encore redit aujourd'hui. Et, moi, ça, c'est un concept que je trouve très, très important dans le débat qui nous préoccupe en ce moment.
Vous avez dit lorsque vous nous avez rencontrés, au mois de février... Je vais vous relire, parce que, moi, ça avait vraiment touché une corde sensible chez moi. Vous aviez dit que, dans des recherches, on voyait de plus en plus de gens qui ne demandent pas l'euthanasie mais qui demandent à mourir, ce qui, pour vous, n'était pas la même chose. Vous avez dit aussi que les gens sont fatigués de vivre, ils n'en peuvent plus, ils sont seuls. C'est ça, je veux dire, qui ressort des études. Vos douleurs étant contrôlées, vous n'avez encore rien fait, d'une certaine façon, mais vous avez fait surgir la souffrance.
Alors, on a beaucoup parlé de contrôle de douleur, on a beaucoup parlé de tout ce qui entourait le testament de vie puis la famille, et tout ça, mais la réelle souffrance, j'en ai fait un peu référence hier quand je disais: Devant tout ça, là, même si on a plein de gens qui nous aiment, et puis on a le meilleur médecin, et tout ça, on reste seul face à notre souffrance. Et je veux vous entendre par rapport à cet aspect de la dignité dans la mort, c'est soit face à la souffrance. Ça fait que j'aimerais vous entendre.
M. Doucet (Hubert): Oui. Je crois que, lorsque les douleurs sont contrôlées, d'une certaine façon, si on pense vraiment en termes de fin de vie, là, très, très prochaine ou même à moyen terme, il me semble que ce dont on se rend compte si on est très malade, c'est: Qu'est-ce qu'on devient, qui on est? On se retrouve... Qu'est notre vie, au fond? On était, pour la plupart, c'est-à-dire... bien, on est des gens actifs, on fait des choses. On est des acteurs, et là on se retrouve devant comme un peu rien et surtout si, et c'est là, je crois, que l'importance de l'enjeu social, du rôle de la société, a dépassé les soins palliatifs tels qu'on semble les mettre maintenant, simplement le contrôle de la douleur, c'est parce que, si je ne me sens plus membre de la communauté, si je ne sens plus que j'ai quelque chose encore à apporter à cette société, bien je suis dans le vide. Et pourquoi vivre, si c'est ça, vivre?
Et ça, c'est une question, pour moi, qui est très claire dans ma tête, hein, c'est ça, la question qu'il faut se poser comme société. Et c'est pour ça qu'il faut penser les soins palliatifs d'une autre façon que celle qu'on est en train de les penser, c'est-à-dire derniers moments de la vie où on s'en va dans une maison qui est très belle, pour les gens qui en ont de toute façon, mais c'est bien avant ça. Et je me rappelle les débuts des soins palliatifs chez Cicely Saunders et d'autres. Il y avait là une activité extraordinaire d'équipe, de bénévoles, de gens qui étaient auprès des personnes, qui les accompagnaient, et, au fond, il y avait des communautés qui se créaient. Et c'est ça qu'il faut, je crois, comme société, se demander: Bon, comment on va créer ces communautés? Ça, c'est essentiel, je crois.
Mme Gaudreault: Je suis d'accord.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Ce n'est pas Félix Leclerc qui disait que tuer un homme, c'est de lui permettre de ne rien faire ou... C'est vrai. J'ose le dire, je pense que de ne plus contribuer, de ne plus servir déboussole la nature humaine. On a vu des gens arriver à la retraite et, quelques semaines plus tard, arriver à la maladie. Pourquoi? Parce qu'ils voyaient devant eux un circuit qui venait de s'arrêter, son réseau social, c'est son travail. Bon. Il y a toute une philosophie en arrière de la fin de vie ou de vieillir, de vieillir correctement.
Et vous avez dit au début: Le débat est peut-être drôlement situé de par le titre. C'est vrai qu'avoir appelé cette consultation «comment mourir» peut-être que la salle serait un peu plus pleine, mais ça aurait suscité un tout aussi grand débat. Par contre, on a eu le privilège de rencontrer des spécialistes qui nous ont aidés un peu à construire le document puis a fait en sorte que l'autonomie de la personne, les soins palliatifs, le suicide assisté, et «mourir dans la dignité» est arrivé de façon naturelle pour titrer ce document.
Vous disiez dans votre mémoire -- puis je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt puis ça me... ma collègue d'à côté l'a dit: On ne meurt plus de la même façon maintenant comme avant. Mais on ne vieillit plus de la même façon non plus maintenant comme avant. Il fut un temps où, chez nous, en campagne, on disait: Il est mort de la peau courte -- parce qu'on ne savait pas de quoi il était mort puis on l'avait laissé aller. Maintenant, on détecte, on soigne, on prolonge, et on se posait la question, ici, dans cette commission: C'est quoi, mourir de façon naturelle? Quand ça fait huit ans que tu te bats contre un cancer puis tu es bourré de chimio puis tu n'as plus de veines pour recevoir, c'est-u mourir de façon naturelle? La question se pose. Donc, j'ai apprécié cette partie de votre mémoire.
Moi, je voulais vous entendre sur le rôle accru du Commissaire à la santé. Je vous dis pourquoi dès le départ. Plus souvent qu'autrement, quand une mort arrive de façon un peu questionnable, ce n'est pas le Commissaire à la santé qui me parle, c'est le coroner. C'est celui qui va faire un retour sur comment c'est arrivé, pourquoi c'est arrivé, qu'est-ce qu'il faut faire maintenant. Ce n'est pas la médecine qui me parle, c'est... bien, le coroner, ça a un aspect médecine, mais... Mais vous donnez ce regard-là qui est un petit peu différent sur le Commissaire à la santé.
Moi, en vous lisant, je me suis dit: Faudrait-il qu'il y ait un commissaire à la mort, un commissaire à la... prolongement de la vie, un commissaire à la santé, dépendant l'âge -- parce qu'on a entendu parler des jeunes enfants, des adolescents, des gens qui ont des idées suicidaires, hein, entre des gens qui souffrent dans l'âme puis des gens qui souffrent physiquement. Alors, j'aimerais vous entendre un peu plus sur le Commissaire à la santé.
**(11 h 30)**M. Doucet (Hubert): La proposition que je faisais sur le Commissaire à la santé, ce n'était pas pour un rôle qu'il jouerait après que des personnes soient décédées, comme le fait le coroner. Au contraire, c'était pour favoriser le débat public. Et je crois que le Commissaire a été pensé un petit peu pour aller dans cette direction-là, hein? Il l'a fait sur la trisomie 21. Il en fait d'autres, recherches, actuellement. Et ça permet, je crois, en favorisant la participation citoyenne autour de ces questions-là, de, me semble-t-il... ça permettrait d'approfondir les questions qu'une commission comme la vôtre n'aura pas le temps d'approfondir.
Et en même temps ce sont des citoyens qui sont réunis autour du Commissaire qui posent leurs questions. Donc, vous avez des gens qui vivent dans les familles des choses difficiles, dans leurs régions, etc., même si les députés aussi sont très au courant de ces questions-là. Mais je crois que leur rôle est un petit peu... est différent du Commissaire. Il pourrait apporter un autre éclairage et construire peut-être, à partir des citoyens, ce qui apparaîtrait important à mettre en relief pour favoriser la mort qui soit respectueuse de chacune des catégories de personnes qui meurent dans la société, au fond, les enfants, les personnes âgées...
Vous avez parlé des personnes âgées. Et c'est Clive Seal, un sociologue anglais, hein, qui nous dit: Au fond, le problème, l'euthanasie, entre autres, c'est qu'avant l'euthanasie biologique il y a l'euthanasie sociale, c'est la retraite. On est mis à... Et pourquoi vivre dans cette situation-là?
Alors, c'est ces questions-là qu'il faudrait aborder en société d'une manière un peu plus permanente, je dirais, et non pas d'après le fait, mais avant le fait. C'était ça, un peu, ma proposition, de favoriser un débat social plus régulier, plus permanent autour du mourir, et non pas autour de l'euthanasie -- bon, moi, c'est ça que je pense qu'il faudrait -- autour du mourir, dans la société.
Mme Charbonneau: 30 secondes, juste pour vous taquiner. Un commissaire à la santé, 125 députés, ça fait bien des oreilles. Je pense que ça va nous amener à réfléchir grandement, puisque chaque député est rattaché à un comté, hein? Puis peut-être qu'il faudra réfléchir à un député, un commissaire à la santé, pour être sûrs que l'ensemble du Québec est couvert. Parce que le grand débat, aussi, dans notre façon de voir les choses, c'est entre le métropolitain et la ruralité, entre l'accessibilité du grand nombre et l'inaccessibilité d'une petite paroisse, tu sais, c'est aussi ça, puis dans le comment je vieillis dans un monde métropolitain, puis comment je vieillis dans ma ruralité, dans mes familles, dans... sur mes terres plutôt que dans un immeuble de 365 appartements, en plein milieu du centre-ville. Donc, quand vous dites: Entre le questionnement des députés puis le questionnement qui peut être suscité par un commissaire à la santé... je vous entends, mais j'avais le goût de vous taquiner sur le nombre...
M. Doucet (Hubert): ...d'accord, mais le Commissaire à la santé, c'est un homme ou une femme, mais c'est aussi une équipe de citoyens qui ont été prévus par la loi pour représenter les tendances, pour favoriser les discussions. Je pense qu'il ne faut pas... C'est cette dimension-là, moi, qui m'intéresse. Ce n'est pas la dimension de M. le commissaire, c'est la dimension des citoyens...Mme Charbonneau: Des citoyens, vous avez raison.
M. Doucet (Hubert): ...qui participent.
Mme Charbonneau: Merci infiniment pour votre apport.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. M. Doucet, ce fut un plaisir de vous entendre. Merci encore pour votre éclairage. Peut-être juste d'entrée de jeu apporter une petite clarification. Vous disiez être content de participer à la dernière journée de consultation. C'est le début, hein? Il nous reste plus de 200 personnes et spécialistes à entendre.
M. Doucet (Hubert): ...jours pleins, là. C'était ça, là.
M. Charette: Voilà. C'est la dernière journée d'un premier bloc d'une longue série.
M. Doucet (Hubert): Oui, c'est ça. Ah oui, oui! Ah oui, je suis d'accord avec vous, là, c'est...
M. Charette: Voilà. Voilà. Mais votre éclairage est tout aussi intéressant, ceci dit. Et de chaque personne entendue on retire quelque chose. On retire des précisions, on retire des questions supplémentaires. Et on a beaucoup cheminé, je pense, au cours des derniers jours sur les notions de bien commun, droit de l'individu versus bien commun. Bref, il y a forcément une réflexion importante à conduire à ce niveau-là. Mais je dois vous avouer que, malgré toutes les questions posées, moi, il y a une interrogation pour laquelle je n'ai pas encore de réponse, et votre éclairage me sera sans doute précieux.
Vous évoquez beaucoup dans vos propos les personnes en fin de vie. Mais on a reçu devant nous un certain nombre de personnes qui ne sont pas à la fin de leur vie, ou un certain nombre de personnes qui parlaient au nom de personnes, aujourd'hui décédées, qui n'étaient pas a priori à la fin de leur vie. Je n'ai pas de réponse, en toute franchise, pour ces cas-là bien précis, et la notion de bien commun, dans leur cas bien précis, honnêtement, pour moi, n'est pas encore une réponse. En ce sens, ce n'est pas possible encore pour moi de me dire: Compte tenu de ce bien commun, ne légiférons pas pour la minorité. Agir de la sorte -- et ça, c'est l'état de ma réflexion, là, ce n'est pas une défense ou un point de vue que je vous partage -- mais penser de la sorte à ce moment-ci, pour moi, signifierait de condamner ces personnes. Elles sont sans doute minoritaires par rapport à tous les décès qui surviennent dans nos hôpitaux ou dans nos institutions au fil des ans, mais je n'arrive pas à concevoir qu'on les condamne, ces personnes-là, parce qu'on n'a pas de réponse, parce que leur mort pourrait remettre en question un certain équilibre social.
Bref, ces gens, qu'ils soient atteints de sclérose en plaques, qu'ils soient... On a eu un cas extrêmement patent de la maladie de Lou Gehrig, notamment, une personne qui était sans doute à quelques jours, quelques semaines d'un enfermement complet, tout en gardant pleinement, mais pleinement, toute sa conscience et sa vivacité d'esprit. Je n'ai pas de réponse encore pour ces gens-là, et les réponses qui m'ont été données me disant qu'on ne peut pas concevoir un système en fonction d'une minorité. Moi, quand je m'adresse à eux, j'aimerais leur répondre autre chose. Votre éclairage sur ces cas bien précis, si c'était possible.
M. Doucet (Hubert): La première chose que je dirais, c'est que, dans les débats actuels autour de l'euthanasie, habituellement ce n'est pas de ces personnes dont nous parlons. Nous parlons lorsqu'on est vraiment près de la mort, que les gens sont en train de mourir. Et je me rappelle avoir dit, la première fois où je suis venu devant vous, que la question des malades chroniques, dégénérescence, fibrose, tous les types de maladies, c'était une question qu'on n'avait pas encore abordée dans la société. Et, je pense que vous avez tout à fait raison, ces gens-là, c'est dans tous les cas que nous avons vus récemment, sont des gens qui ne sont pas des gens mourants. Et on n'aborde pas ou très peu... Mais les exemples nous sont montrés maintenant que les vraies questions sont souvent autour des personnes qui sont en maladie chronique. Et c'est cette situation-là qu'il faut vraiment étudier et qu'on n'a pas regardée.
Par exemple, on vous parle toujours... Le projet de loi de Mme Lalonde était, là-dessus, extrêmement intéressant, parce qu'il ne parlait que des malades en fin de vie, alors que les vraies situations, ce sont ces malades chroniques. C'est là que la souffrance est immense. Peut-être pas la douleur. Mais la souffrance est immense. Et c'est ça qu'il faut regarder. Et c'est ça qu'on n'a pas regardé dans les débats jusqu'ici, mais que les gens, eux, qui vivent ces situations-là nous ont fait ressortir cette semaine. Et un peu partout c'est... Vous voyez, en France, c'est le cas de Chantal Sébire, le cas de Vincent Humbert, il y a quelques années. C'étaient des gens qui n'étaient pas en fin de vie, mais c'étaient des gens qui allaient être en maladie chronique, dégénérescente, pour l'ensemble de leur vie, qui pouvait être très longue. Est-ce que cette situation-là est acceptable? qu'est-ce qu'on peut faire?, etc., voilà sur quoi on devrait porter notre réflexion. Et quel type de soins il faudrait offrir? Quel type de soutien il faudrait offrir? Est-ce qu'il y a des soutiens qui pourront... pourraient aller assez loin pour qu'ils n'aient pas le désir de mourir? Je ne suis pas très sûr.
Alors, c'est tout ça qu'il faut regarder, c'est là qu'on doit porter notre attention, c'est sur la situation des maladies chroniques beaucoup plus que sur l'attention qu'on a toujours portée jusqu'ici sur les douleurs, parce que maintenant on est capable de contrôler les douleurs. Mais c'est la question de la souffrance qui revient toujours. Ces maladies chroniques, c'est ça qui est en jeu. Donc, je ne peux pas vous répondre c'est qu'est-ce qu'il faut faire, mais je dis: Il faut regarder ça comme une urgence dans la société, parce qu'il y a des... qu'on développe tout le temps, maintenant. Même les gens de cancer, hein, sont dans cette situation-là. Ils vont vivre 10 ans, maintenant.
**(11 h 40)**Une voix: Merci.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Merci beaucoup, M. Doucet, pour un éclairage tout aussi percutant que celui qu'on avait eu au printemps dernier. J'aime beaucoup cette approche de réflexion globale. Je vais vous dire bien modestement qu'on essaie d'avoir une approche globale, que ce n'est pas toujours ce qui est reflété ou ce qui polarise les gens, mais c'est vraiment notre volonté. On ne réglera pas tout le sort du monde, et de la vieillesse, et de la fin de vie, mais on veut au moins entendre tout ce qui est d'intérêt à ce sujet-là.
Et j'apprécie particulièrement tout l'accent que vous mettez sur la question de la souffrance, parce que j'ai le sentiment qu'on sous-estime la souffrance et on entend un discours dominant sur la douleur, le contrôle de la douleur, qui s'améliore constamment. Et je pense que, quand on parle de souffrance -- mais j'aimerais entendre votre point de vue là-dessus -- on met un peu les médecins face à leurs propres limites, et ils sont très inconfortables avec ça. Et ils nous ramènent donc à toujours la recherche de sens, le contrôle de la douleur, finalement qu'il y a comme toujours un moyen, puis, au pire, s'il n'y a pas de moyen, bien on endort la personne comme une sédation terminale en fin de vie.
Moi, je veux savoir comment vous... C'est évident que c'est plus global que juste l'approche médicale par rapport à la souffrance. Je pense que, oui, toute la communauté doit se poser des questions. Mais les cas -- vous avez tout à fait raison -- qu'on a entendus depuis le début de la semaine, c'est diversifié, puis c'est effectivement beaucoup de gens qui ont eu un proche qui a eu une maladie dégénérative. Il y a eu la lettre de Mme Morissette, qui était, elle, quelqu'un atteint de cancer mais qui parlait de cette souffrance, quand, un moment donné, oui, tes douleurs sont contrôlées, mais existentiellement ça n'a plus de sens. Et c'est donc beaucoup ça qui ressort, la souffrance.
Et je me dis: Comment vous voyez la réponse que l'on offre dans le corps médical ou les réactions que ça suscite chez le corps médical, quand on parle plus en termes de souffrance et qu'on nous dit qu'ultimement il devrait toujours y avoir des solutions? Et c'est ce qu'on s'est fait dire encore beaucoup cette semaine.
M. Doucet (Hubert): La première chose que je dirais et que je répète ici, parce que je crois l'avoir dit dans mon mémoire ou dans l'autre, précédent, je crois qu'on se centre trop sur les soins palliatifs comme réponse à toutes les questions, aujourd'hui, de la fin de vie. Les soins palliatifs tels qu'ils ont été pensés ont été pensés pour d'abord les malades cancéreux et dans un contexte où la fin de vie était quand même assez rapide. Il n'y avait pas ces prolongements qu'on a aujourd'hui. Et, quand on les a pensés, on les a pensés aussi dans un environnement où le médecin ne jouait pas le rôle principal. C'était une équipe qui jouait le rôle principal. C'est une infirmière qui a créé les soins palliatifs. Je pense qu'on ne peut pas l'oublier. Donc, il y a une perspective d'ensemble.
Et il faut penser que les premiers soins palliatifs, c'étaient des équipes qui se réunissaient de façon régulière pour réfléchir sur la souffrance de la personne, ce qui implique la douleur, etc. Donc, on a, je crois... les soins palliatifs ont été technicisés et ils sont devenus très souvent limités au contrôle de la douleur. Et, lorsque naît la souffrance, ce que, moi, je pense qui... on essaie aussi de médicaliser, maintenant, cette souffrance. Et cette médicalisation va jusqu'à la sédation qu'on dit maintenant terminale. Moi, je préférais parler d'une sédation palliative, mais c'est... Bon, on pourrait discuter là-dessus. Alors, ça, c'est un premier problème.
Maintenant, il faut, autour... c'est pour ça que je reviens toujours, les soins... et dans le jugement de la Cour suprême dans Sue Rodriguez, c'est très, très clair, on a réduit les soins palliatifs au contrôle de la douleur, d'où, dit-on, les soins palliatifs font de l'euthanasie automatiquement, parce que les médicaments pouvant amener la fin de vie. Donc, il y a une logique d'euthanasie ici, mais ce n'est pas la logique initiale des soins palliatifs, je crois.
Et là, maintenant, les gens rentrent dans l'hôpital quatre jours avant de mourir. C'est là qu'on va s'occuper de leur humanité, en quelque sorte. C'est un non-sens. On ne rejoint pas, dans notre organisation des soins, cette dimension de souffrance. Et je crois qu'en général... Ce n'est pas pour accuser les collègues médecins, là. Moi, je ne suis pas médecin, mais c'est quand même des collègues de travail. Ce n'est pas pour les accuser, mais il n'y a souvent pas cette sensibilité à la souffrance vécue du patient. Et c'est ce qui nous permet à nous d'en faire de la consultation éthique, parce que c'est pour, souvent, résoudre ces problèmes que nous sommes appelés en consultation. Ce n'est souvent pas pour des problèmes éthiques, maintenant, c'est beaucoup plus pour des problèmes de souffrance existentielle.
Le Président (M. Kelley): ...beaucoup. Avant de terminer, juste deux brefs commentaires...
Une voix: ...
Le Président (M. Kelley): ...
M. Khadir: C'est juste pour indiquer à...
Le Président (M. Kelley): Très rapidement, s'il vous plaît, parce que...
M. Khadir: Très bien. Indiquer à M. Doucet que je suis très attentif, à la fois comme... Bon, la formation politique que je représente est consciente des problèmes d'organisation de notre modèle de soins, qui fait en sorte que bien des soignants qui voudraient bien avoir les conditions pour être plus attentifs à la réalité que vous mentionnez n'ont même pas ces conditions. Donc, il y a un effort collectif pour apporter les corrections nécessaires, et j'apprécie beaucoup la dimension plus globale que vous... la perspective plus globale que vous nous invitez à avoir sur les questions de dignité des conditions de fin de vie. Merci.
Le Président (M. Kelley): Et je veux faire écho à la fois aux commentaires du député de Mercier et également la députée de Joliette. On veut élargir le débat, mais nous avons trouvé, même dans le stade de la consultation avec les experts, dans le domaine des soins palliatifs... ils sont venus pour parler de l'euthanasie. Mais on essaie, parce que, je pense, vous avez une approche globale que nous avons appréciée beaucoup.
Un autre commentaire, que je trouve sur la page 8, me rassure sur la question des Pays-Bas. Parce que, indirectement, on a presque fait un procès sur ce pays, que je respecte beaucoup comme une démocratie en Europe avec une longue histoire et tradition. Mais, quand vous avez dit: «Plus de 30 ans après les premières autorisations d'euthanasie aux Pays-Bas et des multiples débats parlementaires et autres, on n'arrive pas encore à s'entendre sur l'état de la situation dans ce pays.» Alors, merci beaucoup, parce que, moi aussi, j'ai beaucoup de respect pour ce pays et ses traditions. Alors, je trouve que vous avez souligné un fait que nous avons constaté aussi, que l'expérience néerlandaise demeure compliquée et demeure quelque chose qui ne fait pas consensus dans la littérature, malgré les efforts de ma collègue de Joliette de soulever des références pour tout ce qui bouge sur cette question.
Alors, merci beaucoup pour votre présentation devant la commission.
(Suspension de la séance à 11 h 48)
(Reprise à 11 h 53)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Je pense que j'ai fait un impair. Je n'ai pas suspendu nos travaux. Mais, je pense, quelqu'un l'a fait à ma place. Alors, merci beaucoup.
Notre prochain témoin, c'est une demande d'intervention reçue d'Isabelle Cyr. Alors, sans plus tarder, Mme Cyr, vous avez un droit de parole de 15 minutes, suivi par une période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.
Mme Isabelle Cyr
Mme Cyr (Isabelle): Ah oui! Tout le monde est là, oui? O.K. Il me semble qu'il manque quelques personnes, mais... O.K.
Le Président (M. Kelley): ...arriver...
Mme Cyr (Isabelle): Ils vont arriver? O.K.
Le Président (M. Kelley): ...d'un moment à l'autre. On est tous attachés à nos BlackBerry et nos cellulaires. Alors, j'imagine, il y avait une couple de collègues qui répondent aux appels.
Mme Cyr (Isabelle): Bonjour. Bien, je veux d'abord vous remercier d'avoir accepté de me recevoir. Puis c'est ça. Donc, c'est ma première intervention publique, donc je vous prie d'être un petit peu indulgents envers moi. Entre autres, dans mon texte, je vais citer souvent des personnes comme le Dr Patrick Vinay puis le Dr Bernard Lapointe, parce que, pour moi, ça a été des sources d'inspiration. Comme je n'ai pas pris le temps de faire un cours médical avant de venir vous voir -- ça aurait été trop long, au fond -- bien je... enfin... Puis, de toute façon, je ne suis pas sûre que c'est vers ça que je veux m'orienter. Mais... C'est ça. Bien, c'est ça, je veux vous prier de mettre mon indulgence... Je vais parfois les citer, mais ça se peut que je ne dise pas toujours que ça vient d'eux, au fond. Mais par contre, si je le fais, je vais vraiment comme... ça veut dire que j'accepte et je prends qu'est-ce qu'ils disent comme étant mien, au fond. Je veux dire, je... Donc, en tout cas, pour commencer, pour que je me sente à l'aise, c'est ce que je voulais vous dire.
Donc, pour commencer, le but de ma présentation est de promouvoir la vie même s'il y a la souffrance. Je veux démontrer que la situation actuelle au Québec possède un contexte de dérive potentielle en acceptant le projet Mourir dans la dignité comme projet de société, et ce, même en fin de vie. Voilà pourquoi je suis très heureuse de vous parler en cette journée de la prévention du suicide. Et je considère que les sujets sont interreliés.
J'ai une de mes amies, d'ailleurs, qui, un moment donné, à cause d'un proche qui était un peu suicidaire, a été obligée d'aller voir l'association de prévention du suicide. Puis on lui a expliqué, quand elle est allée le voir, que quelqu'un qui a des pensées suicidaires, ce n'est pas quelqu'un qui veut vraiment mourir, même s'il va l'exprimer peut-être comme ça dans ses mots. C'est souvent des personnes qui n'ont pas trouvé d'autre solution, qui n'ont pas trouvé, dans leur trousse, d'alternatives, ils n'ont pas trouvé d'autre solution pour être en mesure de faire face à un problème.
Puis d'un côté je suis un peu déçue, au fond, de... je suis un peu déçue que le gouvernement du Québec, au fond, mette la solution, pour la société, de l'euthanasie et du suicide assisté comme seule solution possible. Je crois qu'il y a d'autres alternatives, au fond, de là est comme mon intervention.
Je veux d'abord parler du Dr Patrick Vinay, qui disait qu'aujourd'hui, je le cite, «20 % des mourants auront droit à ces soins qui maintiennent jusqu'au bout leur confort et leur dignité, leur permettant de partir dans la paix. La [...] majorité des mourants n'auront pas cette chance et leur famille est révoltée qu'on les laisse ainsi en plan. Il y a des mourants plus confortables et des mourants plus souffrants parce que nous n'assurons pas l'universalité des soins palliatifs.» Ce que je veux dire par là, c'est que, s'il y a seulement 20 % des gens qui ont accès, au moment où on se parle, aux soins palliatifs, ça veut dire que 80 % des gens n'y ont pas accès. C'est plus que 50 %. C'est vraiment grand. Et je comprends, en voyant ça, que Mme Hudon, qui est venue parler hier, puisse parler de gens qui se suicident parce qu'on n'est pas là pour les aider puis venir... pour être à leur chevet puis pour les aider à prendre les moyens qu'il faut. Puis, à ce moment-là, comme le Dr Ayoub disait, moi, je suis pour tuer la douleur, mais pas le patient. Je crois qu'il y a d'autres façons, puis je crois qu'on n'a pas tout essayé, au fond, comme société pour...
Aussi, je voulais dire qu'en plus, au fond, pour chaque personne qui meurt, il y a 10 personnes au moins, minimum, qui sont affectées. Ça, ça veut dire que, quand il y a une personne qui souffre... Si on dit qu'il y a 80 % qui n'ont pas accès aux soins palliatifs puis qu'il y a 10 % autour d'elles qui souffrent, ça veut dire que toutes ces personnes-là sont marquées par le fait que notre système de soins de santé n'est pas efficace, qu'il n'a pas ce qu'il faut. Puis ce n'est pas vrai, puis ce n'est pas le cas. Puis c'est ça qui me dérange en fait dans le projet. Je trouve qu'on n'est pas rendus à ce point-là. Il faudrait qu'on mette tout en place qu'est-ce qu'on a.
Je vais citer ici le docteur qui est Bernard Lapointe, qui disait aussi que dans les milieux cliniques... «Toutefois, il me faut [...] souligner que peu de milieux cliniques ont accès [...] à l'ensemble des agents pharmacologiques recommandés, soit à cause de règlements internes aux établissements qui [...] en restreignent l'accès, soit à cause de leur coût prohibitif, car il s'agit de médicaments non couverts par le programme d'assurance collectif. [...]J'invite fortement la commission à intervenir auprès du ministre pour corriger cette situation.» Bien, je crois que vous l'avez déjà entendu, mais ce n'est pas grave. Je crois que ses propos sont tellement pertinents que je ne peux pas les passer sous le silence, en fait.
Aussi, le Dr Lapointe nous faisait part qu'il y a beaucoup de maladies, dont probablement beaucoup de témoins qui sont venus, qui sont dans des maladies qui... il le disait, il faut être honnête, il n'y a aucuns soins palliatifs qui sont offerts pour ces maladies-là. Je cite quelques exemples qu'il a cités lui-même, c'est-à-dire la sclérose en plaques, la maladie du Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique, l'alzheimer, la maladie rénale terminale puis la maladie hépatite terminale. Puis la liste est encore longue. Il y en a plusieurs qu'il n'a pas nommées, au fond, en plus. Donc, c'est ça, quand il y a absence de soins, on peut comprendre qu'il y a des gens qui souffrent, qui souffrent, puis qui pensent au suicide, au fond, puis qui en viennent... surtout si l'État ne prend pas toutes les mesures qu'il faut pour aider ces gens-là.
**(12 heures)** Aussi, je voudrais... Enfin, sur un autre ordre d'idées... Sérieusement, j'aurais pu, je crois, arrêter mon discours ici, mais, comme je dispose de 15 minutes, au fond, vous comprenez que je vais en bénéficier jusqu'au bout. Donc, il y avait l'ordre des travailleuses sociales, que je voulais accorder votre attention, qui vous a déposé comme leur mémoire. Puis je l'ai lu, puis je trouvais ça inquiétant de voir que des professionnels de la santé, des gens qui sont reliés avec les plus défavorisés, incluent dans leur trousse de soins l'euthanasie et le suicide assisté comme un soin. Si je regarde dans le dictionnaire Larousse, «soigner»: «Procurer les soins nécessaires à la guérison de quelqu'un.» Tu sais, quand on dit: Tuer le bébé avec l'eau du bain, là, je considère que, dans ce cas-ci, c'est ce qui se passe. L'euthanasie et le suicide assisté ne devraient jamais entrer dans la définition de «soin», selon moi, mais je vois ça... Enfin, l'euthanasie et le suicide assisté ne devraient jamais entrer dans la définition de «soin», mais c'est plutôt un désespoir de société.
Je trouve ça bizarre, au fond je trouve ça même étrange que la société construite sur des principes d'interdépendance, d'entraide puisse suggérer ou organise d'accepter la mort de ses membres souffrants plutôt que d'en prendre soin. Je considère, au fond, si vous avez accepté de faire la commission ici, c'est parce que vous considériez que chaque personne avait une importance, que la valeur de chaque personne, quel que soit son métier, quel que soit son cheminement personnel, avait quelque chose à apporter. Ça fait que je considère que toute personne, y compris en fin de vie, a aussi cette importance-là et a une importance sur les gens autour de lui et autour d'elle, au fond. Puis je crois qu'il ne faut pas prendre ça à la légère, au fond, les décisions qu'on va prendre ici, puis que ces gens-là sont importants.
Puis même, des fois je dirais que des fois ça arrive qu'une personne qui est en fin de vie, elle influence d'une façon, comment dire... elle va complètement changer le tournant de vie de quelqu'un d'autre, parce que toute son expérience est en arrière d'elle, parce que cette personne-là, elle a acquis des choses qui vont vraiment bouleverser sa vie par la suite. Même, il y a des gens qui redonnent espérance de vie à des gens qui ont tous leurs membres. C'est ça, il y a des gens qui ont... c'est ça, qui ont tous leurs membres, puis c'est ces personnes-là qui vont leur donner espérance de vie.
Ça fait que je crois qu'il faudrait faire attention avant de parler de les éliminer, même s'ils ne parlent pas, s'ils n'ont pas usage de parole, même s'ils ne peuvent pas s'exprimer, puis même s'ils sont très malades puis qu'à notre sens à nous on ne voudrait pas être dans une souffrance similaire. Tu sais, on voit quelqu'un puis on dit: Ah! mon Dieu, si j'étais dans cette souffrance-là, qu'est-ce que je ferais? Mais, c'est ça, je crois qu'il faut faire attention pour ne pas mettre nos propres émotions, nos propres peurs, au fond, face à la mort, nos propres peurs par rapport à la maladie puis faire attention qu'elles ne nous influencent pas à prendre des décisions. Puis c'est difficile parce qu'on est des êtres humains, puis, en tant qu'êtres humains, on a toujours un certain parti pris. C'est normal, au fond. Mais justement je crois que ça devrait nous servir à protéger la vie... mais, en tout cas, c'est mon... puis qu'on n'a pas tout essayé.
Mais enfin je vais essayer de revenir à mon texte. C'est ça, j'ai une de mes amies aussi qui craint que cela dérape, parce qu'elle, elle parle que... Ah oui! Parce qu'un des arguments, souvent, les gens qui sont pour l'euthanasie et le suicide assisté, c'est qu'ils parlent de principe d'autodétermination, c'est-à-dire: C'est ma vie à moi, j'en dispose comme je veux. Mais, elle, elle parlait comme de quoi que peut-être, si le suicide et l'euthanasie étaient acceptés, au départ, peut-être qu'au début, tu sais... Tu sais, au début, c'est le premier exemple, on fait attention. Les médias sont tous là-dessus, puis on ne veut pas faire de raté, c'est certain, là. Mais, à la longue, au fond, il se pourrait que ces gens-là, comme on a un manque de ressources, comme il y a une pression sociale, au fond, puis qu'il pourrait y avoir un changement de la mentalité de prendre soin des gens qui sont plus pauvres, qui sont plus petits, qui sont plus faibles, au fond, puis... je crois qu'il faut... c'est ça, il pourrait y avoir une influence qui, à ce moment-là, encourage la personne, par gentillesse par rapport à la société quasiment, de dire: Bon, bien, je suis un poids pour mes proches à moi. C'est facile de faire un basculement, de vouloir que ce n'est plus la personne elle-même qui veut mourir, mais c'est finalement... c'est les proches qui trouvent ça lourd parce qu'ils ont à travailler. Puis on n'a plus autant d'enfants qu'il y avait avant, donc ce qui fait qu'il y a deux personnes qui s'occupent d'une personne qui est malade, puis ils trouvent ça lourd. Ça fait qu'à ce moment-là, bien, il y a une tentation, tu sais, de... Bien, en fait, je veux dire, c'est sûr que la personne est chère, mais je veux dire que la personne qui voit cette personne, enfin, son enfant qui travaille puis qui vient, elle peut ressentir ça: Je suis un poids pour les gens que j'aime. Puis, à ce moment-là, ce n'est pas par rapport à elle-même, c'est par rapport aux autres qu'elle choisit.
Autant par rapport au corps médical aussi, à quelque part, quelqu'un qui serait un peu haïssable, à la limite, tu sais, un vieux haïssable, si je peux me permettre de dire, tu sais, c'est facile pour une infirmière puis c'est difficile à surveiller qu'une infirmière dise à un moment donné: Bien, vous savez, monsieur, il existe le suicide... ou, tu sais, dans une période vulnérable, au fond, ce serait très facile de glisser une petite phrase, quelque chose qui l'encouragerait à prendre des décisions qui ne sont pas les siennes, au fond. C'est ça.
Ça, c'est sans compter, au fond, le fait que l'État, justement, l'argent qui va manquer... On sait que la population est vieillissante en ce moment puis on sait qu'il va y avoir au moins 10 % de plus de décès qui s'en viennent, au fond, comme... Ça, c'est avec le Dr Bernard, là, qui m'avait dit ça, qui était écrit. Donc, il faut faire attention pour que les choix économiques ne deviennent pas comme... ne prennent pas le dessus sur la vie, je crois. C'est ça.
Puis je voulais aussi parler un petit peu du système actuel. Je voulais dire que le système a de la difficulté déjà à gérer ses listes d'attente dans les hôpitaux, l'accessibilité aux médecins de famille, les suivis médicaux, puis j'en passe. J'ai beaucoup de difficultés à confier, à ce moment-là, ma vie à l'État puis la vie des gens que j'aime puis des personnes qui sont isolées, puis surtout ceux qui ne peuvent pas parler, tu sais.
Puis aussi c'est comme... L'autre question que je me pose, c'est que, comme on est en personnel réduit, est-ce qu'on veut utiliser les professionnels dans une orientation pour guérir ou plutôt dans une orientation pour mourir ou plutôt dans une orientation pour guérir? Parce qu'on sait que les professionnels sont rares, il n'y en a pas beaucoup dans notre société. Ça fait qu'à ce moment-là est-ce qu'on va les utiliser dans cette optique-là ou est-ce qu'on va épuiser le peu de personnel qu'on a?
Un psychiatre, ça prend au moins 10 ans à le former. On ne peut pas faire de miracle. Puis le fait de mettre de la pression sur quelqu'un qui n'a déjà pas beaucoup de ressources, est-ce que ça ne pourrait pas l'amener justement à bâcler son travail, comme toute personne humaine aurait tendance à le faire, c'est-à-dire que quelqu'un qui serait dépressif serait éliminé, mais ce n'est pas ce qu'il veut, parce que ça prend du temps, détecter une dépression. On ne peut pas réussir à faire ça. Ça fait que je considère que c'est vraiment dangereux, au fond, d'aller vers cet état-là.
Bon, ça fait que je vais tomber à ma conclusion parce que j'en suis rendue là. Donc, en conclusion, bien je veux dire qu'on n'a pas tout essayé, selon moi, comme société québécoise, que... Enfin, le 80 % le montre, là, donc que les... c'est ça, qu'on n'a pas tout essayé comme société, puis que je crois qu'on peut faire plus. Puis c'est une bonne nouvelle, parce que ça veut dire que, si on n'a pas tout essayé, l'euthanasie et le suicide assisté ne seraient pas la solution à faire. On a d'autres solutions à offrir aux gens, puis je crois que c'est une bonne nouvelle.
Je crois par contre que, si le manque de ressources financières est un des éléments qui peut encourager à aller vers cette option-là, je crois que, comme société, on pourrait trouver d'autres façons. Je crois que c'est justement là, la concertation, qu'elle devrait se faire puis essayer de trouver ensemble des façons, comme société, de proposer quelque chose aux gens d'intéressant, où les familles pourraient accompagner en fin de vie les personnes, qu'ils auraient toute leur dignité, à ce moment-là, d'être accompagnés par les gens qu'ils aiment, qui les aiment, au fond. Puis il y aurait des psychologues puis des gens qui seraient comme avec eux pour les aider, parce que des fois, comme on disait, la souffrance, des fois c'est notre souffrance qu'on a de la misère, ce n'est pas la personne qui souffre qui souffre autant que nous, puis on ne veut pas la voir souffrir. Des fois, c'est nous-mêmes qui essayons de... Puis c'est ça
Puis un autre exemple que je voulais donner, juste pour conclure, c'est ça, c'est que, moi, j'admire beaucoup mère Teresa, en fait. Puis elle, elle s'occupait des mourants qui en avaient le plus besoin puis dans un monde où est-ce qu'ils étaient indifférents à la souffrance. Pourtant, elle n'avait pas d'argent, pas de technologie. Pourtant, elle leur redonnait la dignité. Je cite aussi le Dr Vinay pour finir: «Les soins de santé sont plus simples à organiser et moins chers que bien d'autres traitements.» Je crois qu'on devrait s'y mettre. Merci... Puis qu'on se donnerait les moyens pour y arriver.
Merci beaucoup à vous d'avoir accepté de m'entendre. J'espère que ça vous aidera dans vos conclusions.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Cyr. Et la glace est brisée, vous avez maintenant fait une présentation publique. Et vous avez très bien fait ça.
Je suis prêt à céder la parole à la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Cyr. On a quelque chose en commun. Vous, c'est votre première présentation; moi, c'est ma première commission. Donc, on apprend un peu... -- commission itinérante, effectivement -- on apprend un peu à tous les jours comment se passent les choses. Et c'est toujours un privilège d'entendre quelqu'un, et je vais rajouter «de votre âge», venir au micro pour donner son opinion. Donner son opinion, c'est une responsabilité citoyenne qu'on a tous, mais tout le monde ne la prend pas. Donc, bravo pour le premier pas en avant, pour dire: C'est la première fois que je le fais, puis je vais essayer de le faire correctement. Il n'y a pas de bonne façon. Toutes les façons sont bonnes.
Vous avez parlé de plusieurs choses qui ont été touchées par les différents intervenants qu'on a eus, puis vous en avez cité quelques-uns. Donc, vous nous avez suivis un petit peu et vous avez fait vos devoirs, vous avez fait vos lectures.
Par contre, au début, vous avez affirmé quelque chose, puis je ne suis pas sûre que je l'ai bien compris. Vous avez dit: Je suis déçue de la décision du gouvernement. Puis là je me suis dit: Pour moi, on s'est mal fait comprendre, parce qu'on n'a pas pris de décision encore. On est en consultation puis on est en échange avec les gens de la population pour un peu s'orienter nous-mêmes comme gouvernement. Parce que, vous l'avez bien dit, la souffrance, la mort, ce n'est pas quelque chose de facile. Donc, on est plus dans cet aspect-là.
Mais, juste pour me rassurer, parce que je pense que vous avez cette capacité-là envers moi, rassurez-moi. J'ai-tu bien compris? Vous pensez qu'on a déjà pris des décisions ou vous avez compris qu'on était en consultation?
**(12 h 10)**Mme Cyr (Isabelle): Sincèrement, je vous dirais que j'ai eu à répondre à votre questionnaire, au fond, puis j'ai eu à lire le 50 pages de document. Je l'ai lu très, très attentivement, au fond, j'ai pris mes... Je ne l'ai pas amené, malheureusement, avec moi, mais, comment je peux dire, j'ai été un peu déçue de la façon dont il a été formulé. J'ai trouvé qu'il était un peu tendancieux -- je m'excuse de me prononcer comme ça -- puis ça m'a amenée à croire que peut-être qu'en effet... J'ai dit: J'espère me tromper, de tout coeur. Le fait que vous m'ameniez à intervenir ici, ça m'a donné de l'espoir, en fait, puis ça m'a donné chaud au coeur. J'ai dit: Ah, peut-être que... enfin, peut-être qu'il y a quelque chose à faire. Puis en fait je suis très heureuse si c'est ça, parce que, oui, j'ai entendu dire que... certaines personnes disaient qu'il y avait un projet de loi qui était déjà écrit. J'ai dit: Woups! Mon Dieu! Est-ce que c'est normal? C'est ça, ce n'est pas vrai? O.K. Je suis heureuse d'entendre ça.
Mais c'est ça, mais je vous demande, dans ce cas-là, de... Surprenez-moi, s'il vous plaît. Montrez-moi que la politique, au fond, ça peut vraiment donner quelque chose, qu'une implication citoyenne, au fond, de quelqu'un du peuple sans autre titre que ça... Au fond, c'est un peu... c'est mon souhait. Merci.
Mme Charbonneau: Alors, je ne vais pas vous rassurer. Je vais vous dire quelque chose de gros mais quelque chose de très vrai: Avant de partir en consultation, on a demandé à des spécialistes, hein, des gens de grande pensée philosophique, médicale, psychologique, sociale, la théologie. Ils sont tous venus nous guider, parce que, quand on a pris sur nous, sur l'initiative de Mme Hivon, de partir puis de se questionner, honnêtement, puis je suis sûre que personne ne va l'avouer en groupe, mais individuellement on a tous fait: Non, mais qu'est-ce que c'est ça! Parce que ce n'est pas simple, parler de la mort avec le citoyen. Chacun a sa vision puis chacun a son vécu.
Puis, vous l'avez sûrement entendu ici, des gens qui sont venus nous dire: Je veux mourir. Il y a des gens qui sont venus nous dire: J'ai vu mourir. Puis il y a des gens qui sont venus nous dire: Il ne faut pas faire mourir. Et, nous, notre travail, qui va être excessivement difficile, ça va être de mettre ça ensemble, de le regarder, de le soumettre aux autres collègues, parce qu'on n'est pas 125, là, hein, on n'est surtout pas l'Assemblée nationale, mais de remettre ça à nos collègues et en faire une autre, discussion, un peu moins élaborée que celle qu'on a en ce moment, un peu plus guidée, ramassée, donner l'opinion de Mme Isabelle Cyr à mes collègues, qui dit... Elle est venue nous voir puis elle nous a dit qu'elle était inquiète.
Mais il n'y a surtout rien d'écrit, à part le document qui vous a un peu déçue. Mais il aurait été écrit autrement qu'on aurait trouvé d'autres déceptions. Il ne pouvait pas être parfait, un peu comme le reste des choses qu'on fait dans la vie, ce n'est jamais parfait.
Par contre, je voulais savoir, vous, votre idée -- puis ce sera ma dernière question -- votre idée sur l'autodétermination. Je vous mets en situation parce que je ne veux pas vous lancer n'importe où comme ça, là, mais vous avez parlé des gens en dépression, vous avez parlé des gens qu'on pourrait éliminer pour un aspect pécunier, ce qui me fait frissonner à chaque fois. Une vie, ça n'a pas de prix. Qu'ils soient dans un lit ou debout, elle n'a pas de prix, cette vie-là, là. Donc, si je me lève un matin puis je décide que je ne déjeune pas, c'est moi qui décide. C'est mon autodétermination. Si je me mets au régime ou si je prends l'autobus plutôt que ma voiture, c'est ma décision. C'est mon autodétermination de faire du recyclage ou de ne pas en faire, puisque c'est très à la mode d'en parler. Mais, l'autodétermination sur ma propre vie, comment je la finis, puisque je n'ai pas tellement choisi comment y arriver? Je peux... Je crois que quelqu'un qui se dit: Moi, je suis autodéterminé puis je suis malade, je souffre de quelque chose de chronique, je fais la paix avec mon environnement, j'ai fait le tour de tout ce que j'avais à faire, j'aimerais choisir comment ça va finir, mettons que c'est ça, l'autodétermination. Vous en pensez quoi?
Mme Cyr (Isabelle): J'en pense que c'est une minorité de personnes puis que je crois qu'on ne devrait pas en faire un projet de société, qu'on ne devrait pas en faire un élément. Je crois que déjà, dans le système actuel, il y a possibilité d'avoir des arrêts de traitement, au fond. Puis justement c'est un autre point, c'est que j'aurais bien aimé que vous détailliez davantage dans votre questionnaire, que vous vous assuriez que les gens savent déjà qu'est-ce qui est offert comme services puis qu'ils sachent leurs droits, au fond.
Donc, je crois que, dans ce cas-ci, si la personne, elle fait tout simplement arrêter, bien je me dis: Elle a le droit. Puis même la loi québécoise la défend déjà. Puis c'est justement, ça, je trouve, c'est une bonne chose qu'on ait une loi pour nous protéger, au fond.
Puis, concernant le reste, pour la personne qui souffre, je pense que, une personne qui souffre, on a tous eu des moments où ça allait mal, au fond. Puis je crois qu'il ne faut pas s'arrêter à ça, au fond. Oui, ça... Il ne faut pas s'arrêter à ça. Puis c'est ça.
Puis l'autre élément, c'est que quelqu'un qui en viendrait à se suicider, au fond, en ce moment, on le sait déjà, le système leur donne des peines communautaires. Ce n'est pas tellement inquiétant. Je veux dire que je ne suis pas pour ça, c'est sûr que je trouve que cette personne-là a une valeur inestimable, puis je ne suis pas pour qu'elle se suicide, mais on s'entend-u que, si elle se suicide, bien il faut que quelqu'un de son entourage décide de lui donner la mort, c'est déjà juste une peine communautaire qu'il ou qu'elle va avoir. Je considère que le dérapage possible de notre gouvernement est un risque beaucoup plus grand que le dérapage... enfin, que le fait que quelqu'un décide d'intenter lui-même à sa vie, au fond, puis... bien que je ne le souhaite pas, là. On s'entend-u que je crois que toute personne est inestimable? Puis je crois que ce serait bien qu'il y ait des gens autour de lui ou d'elle qui l'apprécient pour lui faire voir vraiment sa valeur, au fond, puis que, même si la personne souffre, bien elle peut changer carrément la vie de quelqu'un de son entourage, au fond.
Puis, moi, bien, personnellement, justement, j'ai ma grand-mère qui est décédée, puis j'étais à son chevet quand elle est morte. Et c'est une femme qui a vraiment changé ma vision de la vie. C'est une femme qui souffrait énormément, au fond. Elle avait sa jambe qui était à, je ne sais pas, est-ce que je peux dire que c'était 75 degrés? Je ne sais pas. Mais c'était une femme qui avait... sa jambe n'était pas normale. Je pense que la jambe est droite comme ça, puis sa jambe était vraiment croche, au fond. Elle devait souffrir vraiment le martyre, au fond. Puis pourtant c'était une femme qui ne se plaignait pas. C'était une femme qui arrivait à s'occuper des autres. C'était une femme qui arrivait à aller chercher, tu sais, ce... C'est ça, je ne sais pas, sa foi, son espérance, elle était impressionnante. Elle s'émerveillait de tout ce qui lui arrivait. Quelqu'un lui offrait une boîte de chocolats, elle était émerveillée de ça puis... Puis c'est ça. Puis, moi, elle a changé ma vie, cette personne-là. Si on l'avait éliminée, elle n'aurait pas pu faire ça, au fond. Puis elle a vraiment changé le courant de ma vie puis mon chemin.
Je crois qu'il faut faire attention, parce que tout se tient dans la société, toute personne a un impact sur les autres. Puis ça fait que l'autodétermination, dans ce sens-là, c'est une autre raison pourquoi je crois que ce n'est pas totalement juste et vrai, au fond. C'est un principe qui est... On est dans une société où est-ce qu'on veut avoir le droit de tout, mais je crois que, c'est ça, on est tous interreliés, puis il ne faut pas oublier ça. Ça fait que je crois que, même les personnes qui souffrent, il faut qu'elles comprennent qu'elles ont... c'est ça, qu'elles ont un impact sur le reste de la société. Puis je crois que c'est ça qui... C'est ça, je crois tellement que tout le monde est important, que tout le monde est unique que... Enfin, je crois que je me répète un peu, je m'excuse. Donc, je vais arrêter là, là. C'est ma première.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. Merci, Mme Cyr. Le président et des collègues avant moi l'ont souligné, premier témoignage avec aplomb, avec conviction. Donc, bravo de l'avoir livré avec autant de confiance.
Vous avez remis en question, en quelque sorte, non pas la composition, mais l'orientation de la commission. J'espère que les propos de ma collègue ont pu vous rassurer en partie. Mais je serais tout de même tenté de vous poser la question suivante: Est-ce qu'il est légitime, selon vous, pour une société comme la société québécoise de se poser ces questions-là? Est-ce que le débat a sa place? Est-ce qu'il est légitime? Et, dans le temps, est-ce qu'une société peut évoluer? Est-ce qu'il y a quelque chose qu'il y a un certain nombre d'années était impensable qui, avec les années, peut l'être?
Exemple: le Code civil a été passablement remanié il y a, quoi, un petit peu plus d'une vingtaine d'années. On a introduit notamment la question de refus de traitement, une notion qui aurait été impensable quelques années auparavant et qui aujourd'hui fait consensus.
Bref, je serais tout simplement curieux de vous entendre sur, selon vous, la légitimité du débat, l'évolution d'une société. Sans vous lancer dans un long exposé, uniquement une petite réflexion sur ces aspects-là serait appréciée.
**(12 h 20)**Mme Cyr (Isabelle): Attendez, là, c'est parce que j'ai perdu un peu le fil. Vous m'avez tellement bien élaboré ça que...
M. Charette: Très, très simplement: Est-ce que le débat est légitime? Est-ce que, pour une société, se poser la question ou les questions qu'on se pose, c'est légitime? Et est-ce que, selon votre conception des choses, une société peut évoluer?
Mme Cyr (Isabelle): O.K. Oui, je crois que c'est légitime, sauf qu'il... enfin, je m'excuse de ce que je vais dire, mais il faut faire attention de la façon dont on le fait, au fond. Donc, par exemple, je trouve que le débat, malheureusement, on parlait des gens qui sont en fin de vie, puis je trouve que l'accessibilité au questionnaire était seulement sur l'ordinateur et Internet. Moi, je ne connais pas beaucoup de personnes parmi les personnes âgées que je vais voir... Parce que je fais aussi du bénévolat avec des personnes âgées depuis trois, quatre ans, et je les aime beaucoup. Puis je dirais que je n'en connais pas beaucoup qui ont l'Internet, c'est une minorité. Je considère qu'on ne les a pas inclus dans un débat aussi important de société.
Ça fait que, oui, le débat est légitime, mais il faut vraiment faire attention puis... la façon dont on le fait. Puis, bien, je m'excuse un peu parce que j'ai l'impression que j'attaque un petit peu votre démarche, mais les 50 pages que vous avez écrites, aussi, je trouvais qu'elles n'étaient pas neutres. Je m'excuse, mais je trouvais que vous influenciez un petit peu les gens à aller vers l'euthanasie et le suicide assisté, de la façon dont c'était formulé. J'aurais aimé, je ne sais pas... Pourtant, en tout cas, je ne sais pas, dans votre comité, tu sais, je veux dire, pourtant vous me semblez des gens ouverts. J'aurais aimé que les arguments pour les personnes qui sont contre soient un peu mieux, un peu plus convaincants. Moi-même qui suis contre, je les lisais puis je disais: Regarde, c'est facile à contrer, au fond, je veux dire. Je vais dire ça.
Puis, tu sais, quand on parlait du risque de dérapage, je sentais... enfin, je ne veux pas dire... je m'excuse si je... j'avais l'impression qu'il y avait un peu de la condescendance, voulant dire qu'on était un peu fou de croire que ça dérape, qu'il fallait faire confiance en l'être humain puis que, tu sais, comme... Un peu comme la façon que c'était formulé, j'aurais aimé qu'il y ait quelqu'un qui soit vraiment contre, au fond, pour faire changement avec ceux qui sont vraiment pour, au fond, qu'ils soient avec vous pour aussi... Bien, en tout cas, je m'excuse, je ne veux pas dire vos intentions, je ne sais plus, là. J'avoue que vous avez bien réussi à mettre le «peut-être» dans mon esprit, là. Mais ce que je veux dire, c'est ça, c'est que je trouvais que ce n'était pas bien défendu.
Puis, en plus, c'était marqué «certaines personnes». «Certaines», c'est minoritaire. Tu sais, ce n'est pas comme une autre partie de la population, non, c'était juste: Certaines personnes pensent que, pour d'autres arguments...
Ça fait que c'est ça. Oui, le débat mérite, mais il mérite justement d'être bien fait puis d'être fait pour inclure tout le monde, et surtout les gens donc qu'on concerne dans ce cas-là, oui.
M. Charette: Très, très brièvement, je vous reviens avec la question et je vous la pose de nouveau: Est-ce qu'une société, selon vous, peut évoluer?
Et autre élément, ce n'est pas une question, un élément peut-être qui vise à vous rassurer encore une fois: il y avait effectivement le formulaire en ligne, il y avait Internet, il y avait la possibilité de déposer des mémoires, mais il y avait la possibilité aussi d'une correspondance postale. La personne qui n'avait pas Internet avait, avec le secrétariat, possibilité de recevoir toute cette information et de communiquer cette information. Il y a les consultations elles-mêmes. Les séances finissent régulièrement par des périodes de micro ouvert. Donc, ce n'est pas qu'Internet qui était et qui demeure la voie de communication, là, pour les citoyens.
Mais simplement: Est-ce qu'une société peut évoluer? Et on va se limiter à ça parce que malheureusement le temps file.
Mme Cyr (Isabelle): Bien, c'est difficile. Vous parlez, puis après ça vous ne me laissez plus parler, là, vous ne me laissez plus dire ce que... Vous me donnez des arguments, mais après ça je voulais vous dire que votre débat était pendant l'été, par contre, puis que c'est le temps où est-ce que tout le monde est en vacances. Puis là on est en train de recommencer. Je trouvais qu'il était mal situé, aussi.
Mais, oui, une société peut évoluer pour... Oui, une société peut évoluer, ça, je suis tout à fait d'accord. Et, oui, je trouve que la question est légitime.
M. Charette: Merci.
Le Président (M. Kelley): En conclusion, merci beaucoup. Je veux aussi juste faire écho que nous avons effectivement envoyé plusieurs copies papier de questionnaire aux citoyens qui ont fait la demande. On a essayé via les médias, au mois de mai, d'informer la population, donner jusqu'au mois de septembre. Il n'y a jamais un temps idéal. Si on fait ça l'hiver, c'est Noël. Alors, on essaie toujours de rejoindre le plus grand nombre de personnes possible. Alors, merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion aujourd'hui.
Sur ce, je vais suspendre nos travaux jusqu'à 13 h 30.
(Suspension de la séance à 12 h 24)
(Reprise à 13 h 37)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission est prête à reprendre ses travaux. Excuse mon petit retard, mais j'ai marché dans la rue. Eh, qu'il fait beau à l'extérieur! C'est une nouvelle pour mes membres, qui sont souvent condamnés de l'extérieur de cette belle pièce, mais quand même il fait beau dehors, ça fait du bien.
Alors, je vais juste procéder au prochain... prochain intervenant. C'est M. Robert Senet, j'espère? Senet?
M. Senet (Robert): Senet.
Le Président (M. Kelley): Senet. Pardon. M. Robert Senet. Alors, sans plus tarder, vous avez le droit d'un exposé d'environ une quinzaine de minutes, suivi par une période d'échanges avec les membres de la commission. La parole est à vous, M. Senet.
M. Robert Senet
M. Senet (Robert): Merci, M. le Président. Alors, je ne sais pas si je suis chanceux de passer le vendredi après-midi après le dîner...
Des voix: ...
Le Président (M. Kelley): ...
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Senet (Robert): Alors, d'abord un mot sur moi, puisqu'évidemment vous devez... j'imagine que ça peut faire partie un petit peu de votre réflexion de vous demander d'où je pars. Et, cela dit, je vais changer de lunettes.
Alors, j'ai 66 ans, messieurs dames. Je suis retraité de la fonction publique québécoise depuis sept ans, où j'ai travaillé à titre d'avocat, notamment en droit criminel et dans le domaine de la santé et sécurité au travail, ce qu'on appelle les accidents du travail. Alors, j'ai côtoyé la misère humaine assez souvent à titre d'avocat; en défense, en droit criminel, c'était courant. Les accidentés du travail, ce n'est pas toujours rigolo, la vie qu'ils mènent quand ils ont des accidents très sérieux.
Alors, je suis, pour ma part... je ne suis pas atteint d'une maladie grave, mais je suis atteint de la maladie de Parkinson, mais j'en suis aux débuts et je prends de la médication qui ralentit la progression de la maladie, si bien que pour le moment la maladie a des effets légers sur mon état, et je peux par conséquent jouer... continuer à jouer au golf et à faire du bénévolat. Je suis, enfin, père et grand-père, si ça peut ajouter quelque chose au dossier.
Alors, mon court texte, comme vous pouvez... si vous l'avez lu, défend le droit de mourir, le droit, en fait, que j'appelle, moi, de choisir sa fin. On ne choisit pas son début, mais je pense qu'une fois qu'on est au monde on devrait pouvoir choisir sa fin. Et, sur ce, je dirais que le slogan devrait être La personne avant le dogme, la personne avant les préceptes, principalement religieux. Le dogme, pour moi, c'est la conception selon laquelle la vie est sacrée, une espèce de veau d'or qu'on adore, généralement porté par les religieux, ce dogme-là.
**(13 h 40)** Alors, pour moi, la morale moderne, humaniste, s'entend, issue en bonne partie du siècle des Lumières, le XVIIIe, est basée sur la responsabilité individuelle. On veut considérer la personne comme quelqu'un qui a le choix et la responsabilité de ses gestes durant sa vie adulte. Et là, tout à coup, avec notre sujet d'aujourd'hui, à l'approche de la mort, l'individu perdrait le droit et la responsabilité de conduire sa vie. Et il me semble qu'il y a un côté méprisant pour l'individu qui veut mourir, parce que finalement on lui répond: Ce n'est pas toi qui décides. Et là-dessus je pense au concept de douleur intolérable. Ou mieux: ce matin, j'ai remarqué qu'on employait le mot «souffrance», qui me semble plus inclusif que le mot «douleur», parce qu'effectivement il y a des gens dont la douleur serait maîtrisée, contrôlée, mais qui pourtant souffriraient beaucoup quand même.
D'emblée, certaines maladies physiques suscitent la compassion -- vous en avez nommé ce matin, sclérose en plaques, Gehrig, etc. -- et donc obtiennent sûrement la note de passage. Sur l'échelle de la souffrance de 1 à 10, on les classerait, là, dans les hauts scores, ce qui fait qu'on dit: Oui, oui, on comprend très bien cette douleur-là. Ce qui est plus difficile à accepter, c'est les souffrances issues de maladies mentales ou, plus souvent, psychosomatiques, où il y a une part de mental mais en même temps une... une irradiation corporelle, je dirais, bon, avec composante de désespoir, accompagnée bien sûr souvent de pauvreté matérielle aussi, de malaises physiques tels que maux de dos -- si vous saviez combien, dans les cas d'accident de travail, il y a du maux de dos, alors qu'il y a une composante souvent dépressive qui vient colorer le tableau -- alors, l'ennui, la solitude, tous des éléments donc qui viennent s'ajouter à la maladie elle-même.
Et ma question, c'est: Comment mesurer cette souffrance? On peut penser ici, d'ailleurs, à la fameuse fibromyalgie, où la personne a mal partout sans pour autant perdre sa motricité pour autant. On peut penser à la dépression sévère qui n'est pas soulagée par tous les antidépresseurs. Ce n'est pas toutes les dépressions qui sont soulagées par antidépresseurs. Ajoutez à cela l'absence de liens significatifs pour la personne et vous aurez certainement un terreau fertile pour l'envie de mourir, vous l'admettrez sans doute avec moi. Donc, la personne n'a plus, dans certains cas en présence de maladies psychosomatiques, de plaisir à vivre, elle n'a plus de goût de vivre. Comme avait dit quelqu'un à un moment donné -- et d'ailleurs je le mentionne dans mon texte -- c'était un patient dans un hôpital psychiatrique qui disait... quand il se levait le matin, il disait: Maudit, je suis encore vivant! Je suis encore vivant ce matin. Ça m'avait frappé.
Comme la souffrance ne peut pas être mesurée par un «scan», faisons confiance, à mon avis, à la personne quand elle nous dit qu'elle ne veut plus continuer. Je pense que c'est là aussi où il y a un débat entre le médecin et le patient, et je pense que le patient devrait être celui qui est finalement ultimement responsable de sa vie et qui devrait donc être responsable de sa mort. Mais je suis bien conscient des dérives possibles, aussi. Il faut être en présence d'une intention réfléchie, donc un processus rationnel. La personne a pesé le pour et le contre, là, d'une décision de mourir. Parce qu'il n'y a jamais de tableau absolu, à mon avis. Il n'y a jamais de tableau où il y a juste une envie de mourir, il y a souvent aussi un petit goût de vivre, mais il peut y avoir un gros, gros goût de mourir à côté d'un petit goût de vivre, et c'est cette espèce de... de jugement qui doit être porté par l'individu, qui doit donc être un processus rationnel. Il faut, à mon avis, qu'il y ait des gens qui participent autour à ça et qui puissent constater que c'est... c'est le fruit de la raison et non pas d'une impulsion soudaine; un processus ferme aussi, donc pas d'ambivalence -- je dis: Pas d'ambivalence, je viens juste de dire qu'il pourrait y en avoir un peu. Tout est une question de degré, là, hein, tout est une question de degré -- et durable, donc vérifié aussi par le passage du temps. Je veux dire, si ça fait deux jours que ma mère me parle de mourir, on va prendre ça avec un grain de sel, mais, si ça fait deux ans qu'elle en parle puis qu'elle a comme... En tout cas, bref, vous comprenez ce que je veux dire.
Sédation terminale. Ça, j'ai vu ça quand j'ai... Parce que je n'ai pas fait d'énormes recherches, mais ce que j'en comprends, c'est une lente dégradation de l'état de la personne avec une... Il y en a... Je pense, le Dr Boisvert parlait d'une perte de dignité, quelque part dans la littérature, là, une perte de dignité parce qu'ils sentent que la personne, son état diminue, bien sûr, et je pense que ça a été corroboré. Il semble bien que la sédation n'ait pas juste pour effet de calmer, ça a aussi pour effet de faire diminuer les facultés. Notamment, on a parlé de la respiration ce matin, là, je crois.
Alors, je trouve ça un peu hypocrite, parce qu'au fond cette solution accepte, comme on l'a dit déjà, le principe du droit de la personne de choisir sa mort. Implicitement, c'est ça qu'on te dit, on dit: Très bien, mais ça va se faire sur deux semaines. Cela dit, ça reste, je pense, un pas dans la bonne direction, dans la mesure où la personne pourrait... J'imaginais le scénario, moi, que la personne faisait ses adieux à la famille avant d'entreprendre le processus de sédation, de telle sorte qu'elle soit en pleine forme... Je dis en pleine forme, entendons-nous, là, qu'elle soit capable, pleinement capable de faire une espèce d'adieu, une espèce de... Bon.
Une remarque finale, finalement. Je ne sais pas si quelqu'un en a parlé, mais je veux référer ici à l'état général du monde. Je ne sais pas si je suis hors d'ordre, mais on est en 2010, la population mondiale est devenue incontrôlable. Je pense qu'il y a un site où on peut suivre le décompte du nombre d'humains qui naissent à chaque moment. Je ne sais pas si vous savez, sur Internet il y a un décompte qui fait qu'on est rendus à 7 175 000 000, etc. Je veux dire, la population du monde, c'est apeurant de regarder ça, ce site-là. Je ne vais pas le voir. Je l'ai vu une fois puis je... Parce que ça veut dire qu'on est plus de 7 milliards d'humains.
Depuis 150 ans, la population du globe a plus ou moins quintuplée, et là on est en train de consommer le capital de nos ressources. La terre se réchauffe, les terres basses sont englouties. En Papouasie, il y a des gens qui cherchent des terres pour aller habiter quelque part parce que l'eau monte, l'eau monte. Et, moi, ma question, c'est... Puis on nous annonce la fin du monde pour 2050, hein? Oui, on nous annonce la fin du monde pour 2050. Alors, est-ce que, dans 20 ans, je tiendrai, moi, dans... en 2030, est-ce que je tiendrai tant que ça à vivre dans ce monde de catastrophes à répétition? Est-ce que cet élément angoissant ne devrait pas être pris en compte dans l'évaluation du désir de vivre et de mourir? Pour ma part, je trouve que, si j'avais peur d'être englouti ou carbonisé, c'est possible que ça me fasse réfléchir à vouloir rester... à ne pas vouloir rester, je veux dire. Alors, voilà.
Le Président (M. Kelley): Parfait. Merci beaucoup, M. Senet, de partager vos commentaires avec les membres de la commission. Je suis prêt à céder la parole à la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous, M. Senet. C'est très important pour nous, sachez cela, que d'entendre la position de citoyens, qu'ils soient pour, contre, leurs vues sur la vie, sur la mort. Et votre témoignage est très éloquent, on voit que vous vous questionnez beaucoup.
Vous avez dit tout à l'heure que vous souffriez du parkinson...
M. Senet (Robert): Oui.
Mme Gaudreault: ...puis que vous êtes chanceux, là, il n'y a pas beaucoup de symptômes qui vous empêchent de vivre votre vie.
M. Senet (Robert): ...j'ai assez d'argent pour me payer les meilleurs médicaments.
Mme Gaudreault: En plus. Alors...
M. Senet (Robert): Oui. Parce qu'il y a des médicaments, là-dedans, qui coûtent cher... très cher.
Mme Gaudreault: Ça, c'est un autre débat, les médicaments. Mais tout ça pour vous dire que vous...
M. Senet (Robert): Excusez-moi, madame, mais que...
Mme Gaudreault: Allez-y, allez-y.
M. Senet (Robert): ...mais mon médecin ne me dit rien quant à mon état dans 20 ans. Il m'a dit, c'est sur... à peu près, tu sais, mettons, 20 ans. Dans 20 ans, comment je serai? Je serai-tu... je ne serai plus capable de rien faire, je ne sais pas. Mais, si je suis poigné du «shake», est-ce que je vais vouloir vivre tant que ça?
Mme Gaudreault: Vous lisez dans mes pensées, vous, M. Senet, parce que c'était ma question. Vous, vous vivez avec le parkinson. Puis vous...
M. Senet (Robert): ...je prends une journée à la fois ou une année à la fois, là. On verra bien.
Mme Gaudreault: Mais il y a des gens qui sont venus nous dire qu'ils souffrent d'autres maladies, qui ont fait un cheminement à travers la souffrance, la douleur, et tout ça, puis qu'ils nous ont... ils nous ont témoigné que, le jour où ils ont pris conscience qu'ils avaient justement un choix, qu'ils avaient une alternative en l'organisme Dignitas, à Zurich, le jour où ils se sont rendu compte qu'ils pouvaient aller là-bas mettre fin à leurs jours, le désespoir les a quittés.
M. Senet (Robert): ...
Mme Gaudreault: Ils ont été heureux, puis là ils savaient qu'ils avaient un pouvoir ultime sur la fin.
M. Senet (Robert): Oui.
Mme Gaudreault: Vous, comment vous voyez ça? Qu'est-ce que vous... Dans un monde idéal, là?
M. Senet (Robert): ...vous m'arrachez un peu les mots de la bouche. Je dirais, tout comme ces gens, que je pense que, quand on n'est pas souffrant, quand on n'est pas incapacité par quelque chose... Mais c'est la perspective de dire: Si, un jour, j'arrive à cette étape-là, est-ce que j'aurai un certain choix? Tu sais, est-ce que je pourrai... Et c'est ça, c'est ça qui est encourageant de vouloir vivre, c'est si on peut dire: Mais la fin ne sera pas absurde, ou ne sera pas abominable. Vous savez, je pense, c'est ça qui est encourageant. Ça nous donne le désir de continuer, je dirais, de savoir que la fin ne sera pas abominable.
Mme Gaudreault: Pour vous, il y a une perspective d'espoir là-dedans.
**(13 h 50)**M. Senet (Robert): Oui, oui, oui. Écoutez, je ne sais pas combien de... Est-ce qu'il y a des parkinson qui se finissent bien, est-ce qu'il y a des parkinson qui ne finissent jamais par être très symptomatiques? Je ne le sais pas. Je présume que non, là. Mais, encore là, c'est une question de degré. Si ça fait juste me donner des tremblements mais que par ailleurs mon esprit continue à être pleinement fonctionnel... Je veux dire, on peut trouver le sens de sa vie à bien des endroits. Vous avez devant vous... puis je pense qu'après moi il y aura des gens qui le trouveront, le sens de leur vie, dans l'au-delà, dans la religion, dans le fait de gagner le ciel et de souffrir pour gagner son ciel. Moi, je ne suis pas de cette école-là, je vous dis... Je veux dire, quand on ne croit pas en un au-delà, il faut que la souffrance ait un autre sens.
Donc, il faut trouver son goût de vivre, son sens de la vie ailleurs, soit dans des petits-enfants à qui on transmet quelque chose, dans une curiosité intellectuelle qui nous fait continuer à évoluer. C'est chacun qui fait son projet de vie, mais, à partir du moment où la personne, à cause de ses limites, n'est plus capable de faire des projets, bien je dirais que, là, ce n'est pas un acquis pour la société d'entretenir des malheureux. Des gens malheureux ne sont pas productifs, finalement. Les gens... Je dis le mot «productifs», c'est un peu économique, hein, mais les gens heureux... les gens malheureux sont... les gens malheureux, dans une société, est-ce qu'on peut dire qu'ils apportent vraiment quelque chose, les gens malheureux? Difficile à dire, hein?
Mme Gaudreault: Vos propos sont empreints de grande sagesse, alors je vais passer la parole à ma voisine. Merci.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Kelley): Ou M. le député de Laurier-Dorion, et je vais revenir...
M. Sklavounos: Ah! As-tu... Est-ce que tu étais prête à...
Mme Charbonneau: Bien, si tu veux y aller. Vas-y.
Une voix: On veut tous vous parler.
Mme Charbonneau: On veut tous vous parler, M. Senet, on va se battre.
M. Sklavounos: Vas-y, vas-y, je vais aller après. Vas-y.
M. Senet (Robert): ...
Mme Charbonneau: M. Senet, je vous ai lu...
M, Senet (Robert): Oui.
Mme Charbonneau: ...parce que vous avez fait parvenir votre document avant, puis j'ai lu le document que vous avez écrit, qui n'est pas nécessairement celui que vous nous avez lu.
M. Senet (Robert): Non, non, non...
Mme Charbonneau: Non? C'est parfait. Mais j'ai une question sur celui que vous avez écrit.
M. Senet (Robert): Oui. C'est beau.
Mme Charbonneau: Dans votre document, vous parlez qu'une tierce personne autre qu'un médecin pourrait nous aider à mourir. Parce que j'ai fait l'exercice, en lisant chaque mémoire, d'écrire en haut de la page non seulement le nom de la personne puis le numéro du mémoire, mais un petit «p» ou un petit «c».
M. Senet (Robert): Oui. Un «b» ou un «c»?
Mme Charbonneau: Un «p» pour «pour» puis un «c» pour «contre». Juste pour me guider dans la personne que j'avais devant...
M. Senet (Robert): Ah!
Mme Charbonneau: Vous... Non, non, vous n'êtes pas dans l'alphabet. Alors, à côté de votre nom, il y a un petit «p», parce que j'ai compris en lisant votre mémoire que vous étiez pour: pour le choix de faire des choses.
M. Senet (Robert): Oui. Oui.
Mme Charbonneau: Et, dans ce principe-là, vous dites: Bien, écoute donc, si ce n'est pas le médecin qui le fait, ça pourrait être quelqu'un d'autre.
Quand vous...
M. Senet (Robert): ...dire...
Mme Charbonneau: Bien, quand vous dites qu'une... vous dites: Une «tierce personne, médecin ou autre».
M. Senet (Robert): Oui. Oui. Oui.
Mme Charbonneau: Vous dites... Vous me dites qui quand vous me dites «autre»?
M. Senet (Robert):«Médecin ou autre», oui. Bien, moi, je pense à l'entourage, là, je pense à... Ça pourrait toujours être un paramédical, je veux dire, je pense à une travailleuse sociale, là, qui, à défaut de médecin, là, je veux dire. Écoutez, si on... C'est difficile de passer à côté du médecin, quand même, là. Je conçois, dans notre société, là, c'est difficile de passer à côté du médecin.
Mais ça ne veut pas dire qu'il y a... être juste lui, tu sais. Je veux dire, c'est... il pourrait y avoir quelqu'un de l'équipe médicale qui... Bon, je pense, c'est ça que je veux dire, là.
Mme Charbonneau: Je vous remercie, M. Senet.
M. Senet (Robert): Oui. Bon, merci.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Oui. Juste rapidement, M. Senet, merci pour votre présence, merci pour votre témoignage, votre mémoire. Et je suis en train de lutter avec cette question, comme tous les collègues autour de la table, comme plusieurs personnes qui nous écoutent et qui suivent nos travaux. Et je vous écoute parler des gens qui sont malheureux, et il y a plusieurs personnes malheureuses, je suis d'accord avec vous, j'en vois à tous les jours...
M. Senet (Robert): ...
M. Sklavounos: Oui. La vie n'est pas facile, je suis d'accord avec...
M. Senet (Robert): ...
M. Sklavounos: ...et je suis complètement d'accord avec vous, et j'en connais, de ces gens malheureux, comme je connais d'autres gens qui sont heureux, mais j'en conviens qu'il y a plusieurs malheureux.
Il y a une partie de moi en tant que personne qui dit: Oui, je veux respecter l'autonomie des gens. Et l'autonomie des gens est très, très importante. J'ai exercé en droit criminel, comme vous. J'ai défendu les libertés individuelles, le droit d'être... d'avoir ses droits respectés, sa maison respectée, sa personne respectée, d'éviter l'intrusion de l'État dans sa vie. J'ai défendu ces principes devant les tribunaux, comme vous avez fait, sûrement.
Mais il y a une autre partie de moi qui me dit: C'est peut-être trop facile de dire: Quand les gens sont malheureux... Et c'est très subjectif, ça, de décider si on est malheureux ou non. Et c'est personnel, comme vous dites. Ce n'est pas à moi de dire s'il devrait être heureux quand, lui, il dit qu'il est malheureux. Mais, à partir du moment que des gens disent: Ils sont malheureux, est-ce que je suis obligé d'accepter ça ou est-ce que... La ligne est où pour que j'arrête mes tentatives d'essayer de le rendre heureux? Parce qu'on a déjà vu des malheureux qui sont devenus des heureux. On trace la ligne où? Je comprends ce que vous dites, mais en même temps je me pose la question: Si j'ai quelqu'un dans mon entourage qui est malheureux, comme vous dites, et qui dit: La vie ne mérite pas d'être vécue, et je connais cette personne qui a fait des belles affaires et qui, pour une raison ou pour une autre, je pense, aujourd'hui a perdu espoir, où est cette ligne-là?
M. Senet (Robert): Oui. Écoutez, il faudrait... j'imagine que c'est difficile de parler dans le théorique, là, mais c'est sûr que le désir de mourir s'appuie sûrement, chez chaque personne, sur un certain nombre de facteurs objectifs... ou si vous dites: C'est subjectif, le désir de mourir, mais il y a moyen d'arriver, là, par l'équipe... j'appelle ça l'équipe soignante ou les environs... les proches, à discerner quels sont les... les éléments objectifs sur lesquels la personne se fonde pour mourir, là, pour vouloir mourir, je veux dire. Elle va avoir un discours, elle va parler. Il faut... Dans mon processus, on présume que la personne parle, s'exprime, exprime ses émotions. On arrive, il y a... je veux dire, il y a quelqu'un qui discerne si le désir de mourir est vrai ou pas, puis s'il y a quelque chose en dessous de ça.
Ça se peut que ce soit un état plus ou moins maladif d'une dépression qui n'arrive pas à être guérie, une espèce de tristesse profonde vis-à-vis de la vie qui fait que la vie n'a jamais d'intérêt pour la personne, que la vie n'a... Et là vous allez avoir, vous... comment vous allez dire: Non, non, ça, ce n'est pas évaluable, ce désir-là, ce n'est pas objectif, ça, ce désir-là? Comment vous allez faire devant la personne déprimée qui vous dit qu'elle ne trouve rien, aucun plaisir dans la vie, comment vous allez faire pour rejeter ça puis dire: Non, écoute, c'est farfelu, c'est subjectif, ça? Tu sais, je veux dire, je pose... Enfin, c'est...
M. Sklavounos: Est-ce que...
M. Senet (Robert): Mais bien sûr il y a les facteurs de pauvreté aussi, des histoires comme ça, de maladies qui font que la personne objectivement n'a plus grand fun dans la vie.
M. Sklavounos: Oui. Oui.
M. Senet (Robert): Tu sais, si elle ne peut plus baiser, si elle ne peut manger à sa faim, si elle ne peut plus... tu sais, veux dire, ça compte, ça aussi, hein?
M. Sklavounos: M. Senet, je suis d'accord avec vous, je suis d'accord qu'il y a plusieurs raisons pour lesquelles quelqu'un pourrait être malheureux, mais c'est ce qui me fait craindre, parce que... Est-ce que je dois déplacer les ressources que j'alloue en ce moment pour essayer de rendre ces gens heureux, pour les mettre, pour les aider à terminer leur vie? Parce que là on parle très théorique, on est dans un débat philosophique, vous et moi, en ce moment. Mais, je veux dire, en tant que société, craignez-vous que les ressources que j'ai... Puis, j'ai peu de ressources, je n'ai pas assez de ressources, tout le monde nous l'a dit. Est-ce que vous avez peur d'un déplacement de ressources, de mettre mon énergie pour essayer d'aider les gens, les pauvres, les malheureux, les déprimés, les malades à être plus heureux, vers des solutions qui sont plus finales? Est-ce que vous craignez qu'il y aurait ce déplacement de ressources qui risque d'être dangereux?
M. Senet (Robert): Non, je ne le sais pas, là, vraiment. Mais, cela dit, il me semble que les ressources à mettre pour favoriser l'accès à une mort digne, là, ne sont pas si considérables que ça, il me semble. Il n'y a pas de ressources... Je veux dire, les ressources palliatives, il y en a déjà un certain nombre qui sont déjà là, elles jouent déjà un peu ce rôle-là, hein? Je veux dire, ce que je comprends, c'est que l'euthanasie sous forme de sédation terminale est appliquée au Québec actuellement, là, hein, si je comprends bien? Bon, alors, déjà, il y a du monde qui travaille dans ce domaine-là, là. Alors, est-ce qu'il y aurait un tel déplacement de ressources, je ne le sais pas vraiment. Bien, écoutez, c'est une question à laquelle je n'ai pas réfléchi non plus, là, je dois bien vous dire.
M. Sklavounos: Peut-être une... une dernière courte question. Je comprends, et vous l'avez dit très clairement, qu'il faudrait avoir des balises, il faudrait être sûr que... et je pense que tout le monde qui est venu nous a dit ça. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, d'autres exemples à d'autres endroits, il y a certains qui disent: Il y a des risques de dérapage. D'autres qui disent: Les dérapages ne sont pas tant que ça, il n'y en a pas tant que ça. On a entendu tout... On a entendu tout ici, dans cette commission-là. Vous, en tant que personne, craignez-vous cette possibilité-là si on ouvre cette question-là?
M. Senet (Robert): Je dirais, je ne sais pas s'il faut la craindre, mais je me dis qu'il faut l'essayer, il faut l'essayer puis vivre avec. Aux Pays-Bas, ils vivent avec, et, je veux dire, on améliore les choses, je veux dire, au fur et à mesure. S'il y a des abus, on corrigera, je veux dire. Mais mieux vaut, comme je vous dis, ouvrir la perspective, faire en sorte que les gens qui envisagent leur vieillesse... Puis là vous en avez une bonne gang, au Québec, maintenant qui envisagent de vieillir, là; le baby-boom arrive là, là, à 65 ans, là. Ça, tout ce monde-là n'est pas en parfaite forme, là, quand même, quoiqu'on va vivre pas mal plus longtemps qu'avant. Mais tout ça pour nous dire quoi, là, pour dire que... M. Sklavounos: Finalement, je vous ai demandé si vous avez des craintes, puis...
M, Senet (Robert): Ah oui!
M. Sklavounos: ...puis vous prenez position, vous dites: On va essayer. Puis il y en a d'autres qui ont dit...
M. Senet (Robert): Oui, oui. Mais c'est ça, c'est ça. C'est ça.
**(14 heures)**M. Sklavounos: ...il y en a d'autres qui sont venus dire, et vous le savez, il y a d'autres qui sont venus dire: Je préfère ne pas... essayer, sachant que je risque de perdre quelques-uns. Il y en a qui veulent jouer safe, comme on dit en bon français...
M. Senet (Robert): Oui. Oui.
M. Sklavounos: ...et d'autres qui disent: Écoutez, il faut aller là puis faire confiance à nos professionnels, et tout le reste.
M. Senet (Robert): C'est ça, c'est ça. Vous aurez deviné que je suis de cette orientation.
M. Sklavounos: Oui. Merci, M. Senet. Merci.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Merci beaucoup, M. Senet. Je dois vous dire que des fois on a le sentiment d'avoir une très grande responsabilité sur les épaules, en fait pas mal tout le temps, puis on se dit: Pourquoi on s'est embarqué là-dedans, un peu? Mais ça me réconforte vraiment quand j'entends des gens comme vous ou comme Mme Cyr, ce matin, qui avait une position totalement opposée à la vôtre, mais qui sont des gens, des Québécois, qui n'ont pas d'expertise particulière mais qui ont un point de vue réfléchi, qui se sont posé des questions. Je dois vous dire que ça m'impressionne vraiment. Je me dis que le Québec est sûrement très fort, si on est composés de gens qui ont des points de vue aussi articulés et diversifiés. Donc, je pense qu'on a fait le bon pari. Alors, merci d'avoir pris le temps de nous voir. C'est exactement pour entendre des gens comme vous ou comme Mme Cyr, ce matin, qu'on trouvait ça aussi important de se déplacer aussi partout au Québec, pour ne pas avoir juste des association; leur point de vue est important, mais le vôtre aussi.
Moi, je veux revenir sur la fameuse question de l'autonomie, parce que, dans ce débat-là, c'est-à-dire dans une partie du débat qui nous occupe... Parce que je répète toujours que ce n'est pas juste la question de l'euthanasie qui nous occupe, mais, dans cette partie-là, il y a vraiment cette tension-là entre l'autonomie, le choix que la personne peut faire pour elle-même, versus le bien commun, et, avec mon collègue de Laurier-Dorion, vous en avez parlé un peu. Et justement certains vont dire: Les baby-boomers ont tout eu. Ils sont habitués de pouvoir décider de ce qu'ils veulent, comment ils le veulent. Et donc ils ne sont pas capables d'envisager que la mort implique un certain laisser-aller, et donc ils veulent contrôler tout jusqu'à la fin de leur vie. Est-ce que vous pensez que l'autonomie, versus le bien commun... Parce que, dans le fond, quel message que ça peut envoyer si on érige l'autonomie en dogme, par exemple, pour des personnes plus vulnérables ou qui sont malades et qui, elles, estiment que c'est correct de vivre dans des conditions pour lesquelles quelqu'un d'autre ne voudrait plus vivre, parce que, pour lui, ça n'a plus de sens? Jusqu'où ce relativisme-là, ce regard qu'on pose face à soi-même subjectivement doit être celui qui est suivi dans une société?
M. Senet (Robert): Oui. Bien, moi, je dirais que, d'abord, le malheur ne fait pas des citoyens heureux, je veux dire, ne fait pas des citoyens non plus... Vous me demandez si la perspective individuelle doit toujours l'emporter sur l'aspect du bien commun ou l'aspect collectif?
Mme Hivon: Oui. Parce qu'il y a beaucoup de gens qui sont contre et qui nous disent qu'on est en train... que les tenants de la liberté de choix sont en train d'ériger l'autonomie, l'autodétermination en véritable religion, si vous voulez, en dogme, O.K., et que ça, ça peut être dangereux dans une société qui veut prendre soin de ses plus vulnérables, ou tout ça. Parce que le jugement que chaque personne porte sur elle-même peut quand même envoyer un message à ceux qui ne portent pas le même jugement sur la qualité de leur vie.
M. Senet (Robert): Bien, pour moi, ce n'est pas automatique. Il faudrait que la personne ait fait un cheminement, encore une fois, où elle arrive à cette décision-là après avoir... Puis, les personnes autour ne diront pas oui automatiquement, là. Je pense que, dans mon hypothèse, si c'était farfelu, si la personne n'a pas de détresse réelle, n'a pas de motif réel de vouloir mourir, on ne donnera pas suite, là. Il faut qu'il y ait vraiment... C'est vrai qu'il y a une large place à l'autonomie de l'individu, mais une autonomie qui se fonde sur une réalité. Ce n'est pas tout le monde qui va arriver puis qui va demander le droit de mourir, là. Je veux dire, il va y avoir... C'est parce qu'il y aura eu des circonstances dans chacune des vies.
Puis là c'est difficile de mettre ça en catégories, mais, dans chacune des vies, qu'est-ce qui fait qu'une personne va avoir le goût de mourir? Bien, ça peut être bien des choses, hein? Je veux dire, l'absence de liens affectifs, notamment, ça peut être quelque chose d'important. Je pense qu'on signalait, au Japon, là, qu'il y a une augmentation du taux de suicide parce qu'il semble que la famille soit... Bon. Bien, c'est probablement un facteur aussi dans notre société, la solidité des liens affectifs et sociaux, hein? Et la personne qui arriverait, cette demande-là, à son médecin en disant: Écoutez, moi, je n'ai plus personne dans la vie, tu sais, je veux dire, je n'ai pas d'enfant et je n'ai pas développé de liens, est-ce que, ça, on va dire: Oui, c'est l'autonomie de la... oui...
Et je trouve que c'est bien, je veux dire, je trouve que c'est bien de respecter l'autonomie, parce qu'encore une fois, je reviens, le malheur ne fait pas des citoyens heureux, ne fait pas... Et la vie n'est pas... Ce n'est pas une vache sacrée, la vie. Ce n'est pas une vache sacrée, que, chaque fois qu'on veut toucher à la vie, on commet un crime, là.
Mme Hivon: En fait, on a entendu beaucoup de médecins qui travaillent en soins de fin de vie, en soins palliatifs. Et, pour être honnête avec vous, s'ils vous entendaient, là, ils sauteraient ça de haut, parce que, pour eux, il faut toujours aider la personne, même s'il reste juste une journée à vivre. Si elle ne trouve pas de sens, il faut un peu l'aider à trouver un sens. Si elle a de la douleur, il faut toujours soulager sa douleur. Quand il y a de la souffrance extrême, ils vont dire: S'il n'y a plus rien à faire, on va offrir la sédation terminale, on va endormir la personne jusqu'à temps qu'elle meure.
Vous, je comprends que vous dites... Je veux juste voir où on tranche la ligne, jusqu'où le devoir d'aider l'autre reste, puis à quel moment on se dit: Bien, son désir de mourir, il est légitime, il est fondé. Est-ce que c'est la répétition? Est-ce que c'est la durée dans le temps? Est-ce que c'est des évaluations psychologiques? Je vous amène un peu sur les balises, là.
M. Senet (Robert): Oui. C'est un peu tout ça. Je veux dire, chaque cas va être un cas d'espèce. J'imagine que... Bien, c'est madame, je pense, qui parlait de la ruralité versus la montréalité, là. Je veux dire, ça se peut que ça se vive en région différemment de Montréal, que les personnes qui vont accompagner la personne là-dedans... Parce que j'imagine qu'à un moment donné le CLSC ou quelqu'un va être impliqué, une travailleuse sociale qui va... Et là ça va être à vérifier, le désir de mourir, s'il est encore une fois durable, etc.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Oui. C'était un peu ma question, mais je veux quand même y revenir. Vous dites et vous affirmez que la décision qui est prise doit être conséquente d'un processus qui est rationnel, qui est réfléchi, où il n'y a pas d'ambivalence, qui est une décision qui est durable, donc une décision qui met à contribution des professionnels de la santé, la famille, et tout ça.
Si on se réfère à ce qu'on a entendu ici, il y a des gens qui nous font la démonstration que, si la personne malade, peu importe le type de maladie, la personne malade est suivie, peut bénéficier d'accompagnement, a de l'amour autour d'elle, a des soins palliatifs, tout ça, il n'y a pas de raison pour laquelle on pourrait accepter qu'elle demande l'euthanasie ou qu'elle mette fin à ses jours d'une manière ou d'une autre.
Dans votre expérience, vous avez sûrement côtoyé des gens qui, suite à des accidents de travail ou dans le cadre de maladies, en arrivent, à un moment donné, malgré des soins palliatifs de qualité, malgré une équipe soignante, malgré une famille, en arrivent à dire: Bien, moi, je n'en peux plus. Comment on doit encadrer la prise de décision?
M. Senet (Robert): Bien, l'encadrer... Je veux dire, si vraiment... Là, c'est parce que vous donnez un exemple, Mme Richard, où la personne a de l'amour. C'est ça que vous dites, hein? Vous dites: Elle a de l'amour, elle a des liens, mais elle veut mourir pareil, là. Elle veut mourir pareil. C'est ce qui est un petit peu... ce qui est difficile à concevoir, là, hein, parce que... Mais ça se conçoit, parce que finalement il y a beaucoup d'autres choses qui peuvent jouer, qui fassent que la personne veuille mourir. Et, à ce moment-là, bien là, je dis: Respectons la volonté de la personne qui, au bout du compte, après ce processus-là d'une certaine durée, continue à trouver, par exemple, que...
Je ne sais pas, on pourrait imaginer que la personne se trouve un fardeau pour sa famille, hein? C'est une hypothèse que vous... que finalement... Oui, elle a de l'amour, mais elle a l'impression que... c'est ça, que c'est trop lourd, pour la famille, à porter. Et c'est ça... Mettons que ça serait ça, son motif, un de ses motifs, pourquoi discréditer ça? Elle a le droit de sentir les choses comme ça. Et elle est... Elle peut être profondément malheureuse à cause de ça, même si, nous, on dit: Bien, voyons donc, elle ne devrait pas penser ça. Mais elle pense vraiment ça, puis elle en souffre, puis... Alors, il me semble qu'on devrait respecter, là, encore une fois, la volonté. Est-ce que ça répond?
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Oui. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Il me reste, M. Senet, de dire merci beaucoup pour votre contribution citoyenne à nos délibérations.
Je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander aux représentants de l'Association d'églises baptistes évangéliques au Québec de prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 14 h 10)
(Reprise à 14 h 16)
Le Président (M. Kelley): La commission reprend ses travaux. Notre prochain témoin sont les représentants de l'Association des églises baptistes évangéliques au Québec, représentée, entre autres, par M. Éric Lanthier, M. Michel-Habib, M. Richard Doré et Dr Mathieu Vincent. Qui va lancer la balle?
Association des églises baptistes
évangéliques au Québec (AEBEQ)
M. Lanthier (Éric): C'est moi-même, Éric Lanthier. Bonjour, M. le Président.
Le Président (M. Kelley): Bonjour, M. Lanthier. La parole est à vous.
M. Lanthier (Éric): Merci. Bonjour à tous les membres de la commission. On veut s'excuser, donc, M. Doré est absent présentement. Alors, vous avez ici, à ma gauche -- donc à votre droite -- M. Mathieu Vincent, qui est médecin de famille et urgentiste, et, à ma droite, M. Michel-Habib, qui est directeur pastoral de l'Association d'églises baptistes au Québec. Mon nom est Éric Lanthier. Je suis pasteur et porte-parole en matière d'euthanasie pour l'association.
Donc, je vais laisser la parole à M. Mathieu Vincent, qui va débuter la présentation.
M. Vincent (Mathieu): Bonjour, M. le Président. Bonjour, membres de la commission. Dans un premier temps, je désire rappeler -- vous le savez déjà en fait -- le faible taux de participation des médecins au sondage de la FMOQ, la FMSQ -- je ne vous apprends rien, en fait -- avec un taux de participation de 23 % chez les médecins spécialistes, de 14 % chez les médecins omnipraticiens. Personnellement, j'avais répondu au sondage puis je trouvais qu'il y avait plusieurs questions qui n'étaient pas claires. Je trouvais qu'il y avait une question, entre autres, du questionnaire qui me semblait tendancieuse.
Vous savez également fort probablement que l'Association médicale canadienne et le Collège des médecins de famille du Canada, de concert avec son comité d'éthique, se sont prononcés officiellement contre l'euthanasie récemment. Puis vous avez eu la chance d'entendre l'association des médecins du Québec aussi lors de la commission.
Il y a une étude intéressante, que j'ai lue il y a trois mois, dans le journal de l'Association médicale canadienne, en juin dernier, que vous avez fort probablement eu connaissance. Il y a certains points qui m'ont personnellement interpellé, que j'aimerais simplement revoir rapidement avec vous.
Puis, dans un premier temps, je voudrais juste rappeler le cadre législatif de l'euthanasie pratiquée en Belgique, un cadre très balisé, finalement, où est-ce qu'à l'article 2 et 4 on nous dit: L'euthanasie doit être pratiquée suite à la demande actée et écrite provenant du patient. Et, au chapitre III, on nous dit: Une déclaration écrite anticipée peut être produite dans le cas éventuel où le patient serait dans l'incapacité de manifester sa volonté.
L'étude en question, publiée en juin dernier par des chercheurs belges, était en fait un questionnaire envoyé à 7 000 médecins puis une étude de certificats de décès pour une certaine période donnée comme telle. Puis, on nous apprend finalement certains faits qui m'ont personnellement frappé. Première des choses, un décès sur 50 était dû à une euthanasie qui était pratiquée sans la demande du patient. Puis, dans la plupart de ces cas-là, le patient n'avait jamais exprimé au préalable de volonté de voir sa vie écourtée. Un patient sur cinq de ces patients-là, la décision n'avait même pas été discutée avec la famille non plus. Donc, ni avec le patient ni avec la famille.
**(14 h 20)** Il y avait deux motifs rapportés qui avaient... qu'ils rapportent pour justifier le cas de l'euthanasie non réclamée par le patient, puis un des ces motifs-là, c'était le fardeau du patient sur la famille. Pour un patient sur six, le but premier du traitement, dans la semaine qui a précédé l'euthanasie, c'était de guérir le malade. Chez un patient sur six, la raison invoquée pour avoir pratiqué l'euthanasie sans en parler au patient était simplement que le médecin avait décidé que c'était dans l'intérêt du patient.
Puis finalement, dans la conclusion des auteurs, ils relèvent un point où est-ce qu'ils ont regardé certaines caractéristiques de vulnérabilité auprès des patients comme tels qui ont subi l'euthanasie et ils rapportent que les patients qui étaient vulnérables avaient... étaient plus probables de subir une euthanasie qui était non demandée de leur part. Pour moi, personnellement, une loi qui légalise l'euthanasie augmente les probabilités de voir un patient décéder suite à l'euthanasie sans sa demande comme telle.
Un autre argument qui a été avancé, que j'avais lu à un moment donné dans un journal médical, il y a de ça quelques années, qui m'avait surpris et, je vous dirais, je vous avouerais, même choqué personnellement, c'étaient des auteurs qui... Finalement, c'était juste une lettre d'opinion, finalement, où est-ce que c'étaient des auteurs qui écrivaient dans un journal médical, où est-ce qu'ils écrivaient quelques justifications, pour eux, pour légaliser l'euthanasie. Ils avaient mentionné l'aspect économique, comme quoi le... Sauver de l'argent, pour eux, c'était un motif ou une justification valable pour légaliser l'euthanasie. Comparativement, on sait que les soins de fin de vie comme tels, c'est des frais qui sont dispendieux.
Une des choses... Certaines personnes vont regarder l'euthanasie en focussant le... ou la fin de vie en focussant sur une minorité de patients auxquels ces personnes-là pensent qu'il peut y avoir un bénéfice d'euthanasie, comme tel. Je pense qu'il faut garder une vision large et ouverte puis regarder les patients en fin de vie de façon large, comme tel. Et, pour moi, je pense que de voir l'euthanasie légalisée... Je pense que ce serait au détriment d'une majorité de patients en fin de vie.
J'ai rencontré, dans ma pratique, plusieurs personnes âgées, et ça m'avait surpris au départ, que les personnes âgées, soit malades ou pas malades, se sentaient des fois dévalorisées, ou se sentir un fardeau pour la société, même, des fois, pas malades comme tel. Puis il y a une étude intéressante qui est apparue dans le New England Journal of Medicine, en 2001, où est-ce que les auteurs avaient regardé les cas d'euthanasie pratiquée de 1998 à 2000, donc dans les années suivant la légalisation de l'euthanasie dans l'État, puis les auteurs rapportent qu'il y a eu une augmentation importante du nombre de personnes qui se sentaient être un fardeau pour leurs proches, suite à la légalisation de l'euthanasie. Puis ça avait atteint 63 % en 2000.
Une autre chose que j'ai remarquée dans ma pratique auprès de gens en fin de vie, c'est qu'il y a beaucoup de personnes qui me parlaient... il y avait des personnes qui me parlaient d'euthanasie ou qui demandaient le geste d'euthanasie, mais ce n'étaient pas des personnes qui étaient en souffrances physiques mais plutôt qui avaient une certaine souffrance psychologique, où est-ce que, dans un premier temps, ils sentaient qu'ils... ils avaient peur d'être un fardeau pour la famille ou ils avaient une crainte de la perception que les proches auraient sur eux lors de l'état avancé de leur maladie.
Il y a aussi, d'ailleurs, une étude qui avait été publiée dans le Journal of Clinical Oncology, en 2005, où est-ce que là ça été fait aux Pays-Bas, et puis les chercheurs ont remarqué que, des patients qui demandent l'euthanasie, il y avait quatre fois plus de chances que ces patients-là se sentent déprimés, c'est-à-dire que, s'ils étaient déprimés, il y avait plus de chances, quatre fois plus de chances qu'ils allaient réclamer, qu'ils allaient demander l'euthanasie. Je pense que c'est...
C'est très important non seulement d'approcher de façon optimale les patients en fin de vie au niveau de leurs souffrances physiques, mais aussi au niveau psychologique. Puis c'est une approche qui peut être plus complexe et peut demander du temps aussi, plus que soulager les douleurs physiques comme telles. Mais, je pense, c'est important ici de s'assurer d'une accessibilité à ces soins-là, à ces services-là aux patients en fin de vie, finalement, une accessibilité aussi à laquelle ils peuvent avoir recours fréquemment par des professionnels qui sont bien formés dans la question.
Vous êtes fort probablement au courant du comité sur les droits humains de l'ONU. Je parlais tantôt de l'euthanasie pratiquée aux Pays-Bas. Vous êtes fort probablement au courant de leur rapport de 2009, où est-ce qu'ils se sont... Ils ont démontré plusieurs préoccupations face à l'euthanasie pratiquée aux Pays-Bas, notamment quant au nombre élevé d'euthanasies pratiquées.
Bon. Évidemment, je pense qu'on sait que la majorité des patients actuellement en fin de vie peuvent être bien soulagés au niveau des douleurs physiques avec les moyens actuels, connus de la médecine. Maintenant, évidemment, il y a une question aussi d'accessibilité aux ressources puis de ressources comme telles, mais, pour la majorité des patients, c'est chose facilement possible. Pour la minorité de patients où est-ce que ce n'est pas possible, il y a toujours l'option de la sédation terminale, pour laquelle on est tout à fait d'accord.
Certains ont exprimé le fait que, quant à eux, la différence entre sédation terminale et l'euthanasie, il y a une ligne mince entre les deux. Quant à moi, il y a une grande différence entre les deux. Puis je vais me servir d'une simple illustration ou d'un simple exemple afin de l'exprimer. Prenons, par exemple, un chasseur qui va en forêt, qui voit quelque chose bouger dans un buisson. Il pense que c'est un cerf, il tire et, par accident, il se rend compte qu'il a tué son collègue de chasse. Prenons l'exemple d'un autre chasseur qui part à la chasse, qui décide intentionnellement de tuer un collègue de chasse, puis qui meurt, comme tel. Dans les deux cas, ici, on a une action qui est similaire, on a un résultat qui est identique, mais on a une intention qui est très différente, de sorte que, et au niveau humain et au niveau législatif, on fait une grosse différence entre les deux. Pour moi, la différence est la même entre sédation terminale puis euthanasie, c'est-à-dire qu'au niveau de l'action il y a certaines similarités, au niveau du résultat, il peut y avoir similarité, quoique le décès suite à la sédation terminale ne va pas nécessairement suivre immédiatement l'administration de sédatifs, mais, au niveau de l'intention, il y a une grosse différence.
Le dernier point que je veux apporter, c'est une chose que j'ai remarquée en pratique, c'est qu'il y a... Beaucoup de patients, bon, anticipent évidemment leur fin de vie, et puis, dans ce contexte-là, des fois faisaient des demandes ou parlaient... décidaient de parler d'euthanasie comme telle, mais pour finalement... puis des fois la famille aussi. Évidemment, il y a une question d'anticipation comme telle, mais souvent, dans les jours qui suivent... Puis, dans les derniers jours de vie, j'ai remarqué plusieurs familles où est-ce que ces derniers jours-là ont été bénéfiques en termes de préparation pour le deuil.
Puis vous êtes sûrement... En fait, vous connaissez sûrement assez bien, très bien, les étapes, tu sais, du deuil de Mme Kübler-Ross, là, où est-ce qu'il y a plusieurs étapes, où est-ce que les gens peuvent passer par des moments de dépression, de colère, de déni, puis tout simplement, souvent, d'acceptation. J'ai remarqué que plusieurs patients et surtout aussi plusieurs familles, dans les derniers jours de vie où est-ce qu'ils avaient pu bénéficier de cet accompagnement-là envers leurs familles... envers leurs proches, excusez, surtout dans un contexte où est-ce qu'ils sont bien entourés par une équipe de professionnels, peuvent bénéficier finalement des derniers jours pour préparer leur deuil comme tel.
Le Président (M. Kelley): M. Lanthier.
M. Lanthier (Éric): Oui. Merci. Maintenant, on va laisser la parole à M. Michel-Habib qui va poursuivre.
Le Président (M. Kelley): M. Habib.
M. Michel-Habib (Michel): Merci. Alors, bonjour, M. le Président, bonjour à tous. Merci de nous accueillir. Et on est bien contents de participer aux réflexions, aux débats de notre société. C'est une question vraiment difficile. Chacun, il a des histoires à raconter, nous en avons, j'en ai. Je suis né au Liban, j'ai pu voir... Dans les premières années de vécu là-bas, on a connu la guerre civile, etc. Donc, tout le monde a des histoires où il a fait face à la souffrance.
Mais, pour nous, vous pouvez le deviner, comme une association d'églises, alors vous pouvez avoir tout de suite une idée. Et d'ailleurs la grande majorité de la population québécoise croit encore à Dieu, ils l'affirment qu'ils le croient, qu'ils croient en Jésus-Christ. Donc, ils ont gardé au moins la foi, jusqu'à un certain point. Et, pour nous, les valeurs qui nous guident s'inspirent d'une vision du monde où nous voyons l'être humain comme étant créé par Dieu. Il n'est pas le résultat d'un long processus, comme on semble de plus en plus le croire dans certains milieux, mais qu'au contraire l'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Alors, pour nous, c'est le point de départ pour avoir une idée de la valeur de l'être humain.
Donc, l'être humain, pour nous, dans cette vision du monde, ne vient pas d'en bas, mettons, du singe et des animaux, mais il vient d'en haut, et ça, ça change complètement la donnée. Comme tout enfant, il ne vient pas d'en bas, il vient de ses parents. Et ainsi l'homme vient de Dieu, donc. Et cette réalité extraordinaire et merveilleuse lui donne toute sa signification, à l'être humain, sa valeur et sa dignité, O.K.? Et donc, comme un enfant est désorienté et perdu sans ses parents, il en est ainsi de l'homme par rapport à son créateur. Donc, il n'est pas juste un amas de chair qui peut mourir six pieds sous terre, ça finit là. Au contraire, il a acquis, il a hérité d'un rang infiniment supérieur à celui de l'animal. Permettez, souffrez que je puisse appuyer sur ces pensées-là. Et c'est pour ça que, pour nous, la valeur de l'être humain, elle est extrême, elle est au plus haut niveau, et en aucun cas on ne peut mépriser ou traiter l'être humain d'une manière qui est indigne à sa propre... à sa dignité qu'il a comme créature de Dieu.
Alors, voilà en résumé. On pourra échanger, si vous le désirez, par après.
**(14 h 30)**M. Lanthier (Éric): Maintenant, je vais poursuivre et je vais laisser à M. Habib le soin de donner le mot de la fin.
Nous, ce qu'on déclare, c'est que la souffrance n'enlève rien à la dignité d'un être humain. La souffrance fait partie de la vie, du parcours d'un être humain, et la souffrance est une opportunité pour pouvoir accompagner, pour pouvoir permettre à des gens qui ont les ressources, qui ont le temps, qui ont le sens de l'altruisme de pouvoir se donner à ces gens-là. Et malheureusement, peut-être notre société a perdu ce sens-là, ce sens communautaire. Il y a encore des gens qui sont animés de cet idéal, mais il reste que néanmoins je crois qu'il y a quand même du travail à faire en termes de société.
Une de nos préoccupations, c'est que, du fait qu'on parle du suicide assisté, même si ce n'est pas l'intention, il reste que néanmoins ça peut lancer un mauvais signal auprès des jeunes, en ce sens que, dans la perception d'un jeune, même si on lui dit que ce n'est pas ça, il peut comprendre que le suicide, c'est un acte banal, même s'il est assisté. Et on sait qu'on travaille très fort en tant que société pour réduire le taux de suicide chez les jeunes. J'ai travaillé près d'une vingtaine d'années auprès des jeunes et je peux vous dire une chose, que, pour motiver les jeunes, pour les motiver à s'impliquer socialement, pour leur donner un sens, une espérance, un sens de la vie, ça demande beaucoup d'énergie et d'organisation. Et ce serait dommage que cette perception-là soit nourrie dans l'imaginaire des jeunes.
Je me souviens, il y a quelques années, il y avait un pédopsychiatre, son nom est Samy Mounir, qui disait qu'il y avait trois facteurs qui sont fondamentaux... précurseurs à quelqu'un qui veut tenter de se suicider: dans un premier temps, il n'a pas d'ami intime à qui il peut se confier; dans un deuxième temps, il n'a pas de héros à qui il s'identifie; et, dans un troisième temps, l'apprentissage par le jeu fait en sorte que le jeune apprend à ce que la souffrance est quelque chose de méprisable. Et donc, quand il arrive une épreuve dans sa vie, il n'est pas en mesure de faire face à cette épreuve-là, et donc il y a un découragement. Et ça, c'est une condition qui peut amener des jeunes au suicide.
Donc, à ce moment-là, il est important qu'on puisse jouer un rôle, autant la famille immédiate, les amis, la société, pour redonner, redynamiser, revaloriser le sens de l'espoir et d'accompagnement.
Donc, il y a un autre point aussi, également, qui nous préoccupe, c'est qu'en tant que société, moi, j'ai demandé à plusieurs personnes qui sont des gens d'influence ou des gens qui sont impliqués autour de la politique, et je leur ai demandé: C'est quoi, les grandes valeurs québécoises? Est-ce que tu peux m'en donner trois ou cinq, les identifier, a, b, c, d, e? Et personne n'est capable de dire: Voici, ce sont les grandes valeurs québécoises. Et donc on est dans un débat de société où est-ce qu'on doit se demander, par exemple, si le cours d'éthique et culture religieuse doit demeurer en place parce qu'il fait la promotion du multiculturalisme. Toute la question du pluralisme est discutée, ce n'est pas clair. Et là on arrive avec des questions encore beaucoup plus pointues, qui ont un impact beaucoup plus grand, et on n'a pas réglé ces questions-là de pluralisme, de multiculturalisme. Alors, on se dit: On est peut-être... C'est un débat qui est prématuré, à notre avis.
Donc, notre position, c'est qu'aucun citoyen ne doit décider du moment de sa propre mort ou de la mort de son prochain, et donc... Par contre, on est conscients, on s'objecte à ce qu'il y ait un acharnement thérapeutique, et que chaque individu peut accepter de laisser la mort suivre son cours en refusant des traitements, et ce, sans contrainte. Ça, pour nous, c'est clair.
Donc, l'État se doit de favoriser les familles, les Églises, les groupes communautaires et les individus à s'impliquer pour contribuer à la dispensation des meilleurs soins possible pour le bien-être des patients. De plus, la communauté scientifique et médicale devrait mettre tous ses efforts pour trouver des moyens à soulager la souffrance humaine sans accélérer le processus naturel de la mort.
Donc, l'Église et la communauté ont un rôle à jouer pour soulager la douleur, soutenir et compatir. Et donc, là-dessus, j'aimerais laisser la parole à nouveau à M. Michel-Habib pour terminer la présentation.
Le Président (M. Kelley): Merci, M. Lanthier. M. Habib, le mot de la fin, s'il vous plaît.
M. Michel-Habib (Michel): Oui, merci beaucoup. Juste une réflexion. En regardant toute cette question-là et évidemment en réfléchissant un peu sur notre société, je me rappelle du débat qu'on a eu sur la peine de mort il y a quelques années, et il y avait deux arguments qui revenaient très, très fort. Un, il fallait... vraiment on avait un souci sain, légitime, un souci extrême de ne pas courir le risque de condamner un seul innocent. Et, deuxième chose, on trouvait que le châtiment, c'était un châtiment barbare, indigne d'une société civilisée, etc.
Alors, j'ai ça. Alors, même si un criminel reconnu coupable de meurtre... même si lui le demandait, on n'acquiescerait pas. Et là ça a été à peu près, avec l'avortement, excusez-moi encore une fois de... juste pour faire le tour, on a accepté de donner sur demande. On comprend qu'il y a des balises, etc., là, avec toutes sortes de réflexions, mais quand même, en bout de ligne, sur demande on dit: O.K. Pour nous, enlever la vie à un bébé dans le ventre de sa mère, évidemment c'est inacceptable. Et là, maintenant, on étudie la possibilité de donner la mort, comme si la mort était un don, à des mourants, avec des personnes malades qui sont extrêmement vulnérables. Et on est en train d'étudier.
Ça me fait peur, comment d'un côté on dit: On ne donnera pas la mort à un meurtrier qui a enlevé la vie une fois, deux fois, trois fois -- j'en ai connu dans les... dans certaines prisons comme, un peu, assistant à un aumônier -- et là on étudie la possibilité de donner la mort à quelqu'un qui a mené une très bonne vie et puis... mais parce que... à cause de certaines circonstances. Mettons que ça me fait peur un petit peu. Il y a une contradiction là, à nos yeux.
Et je reviens avec la jeunesse. C'est très important, quand on parle... J'ai parlé avec des personnes qui voulaient se suicider parce qu'ils souffraient dans leur âme, les amis, vous en avez connu aussi. Alors, comme pasteur, j'en ai connu plusieurs. Un jeune homme qui m'appelle puis dit: Michel, si tu ne viens pas tout de suite, il dit, moi -- il avait le lac en avant de lui et puis... le fleuve Saint-Laurent -- je vais me jeter dans le fleuve. Alors, je suis allé le voir, et il a fallu que je lutte avec. Il souffrait, mes amis. On peut peut-être dire: Non, ce n'est pas la même souffrance, je m'excuse, la souffrance de l'âme est extrême. Elle peut amener une personne à dire: Je veux mourir. Et d'ailleurs on le sait. Tous ceux qui se suicident, ce n'est pas en célébrant qu'ils vont se suicider, là. Sinon, ça, c'est de la folie. Alors... Et qu'est-ce qu'on va dire à ceux avec qui on lutte, parce que tantôt, là... Ça, c'est ma crainte. Et d'ailleurs l'AFEAS a ouvert la porte, je pense, il y a deux jours, devant vous, à la possibilité qu'on donne la mort pas juste à ceux qui souffrent dans leur corps, mais aussi ceux qui ont une détresse psychologique, hein? Ça a été mis dans le journal, en tout cas. Eh bien, j'ai dit: Voilà, c'est exactement ça qui risque d'arriver. Et, à mon avis, ça arrivera. Excusez-moi d'être un prophète de malheur, mais je connais la nature humaine, et vous aussi. Alors, ça, c'est ma crainte un petit peu, là.
Et, en terminant... Excusez-moi, j'ai...
Le Président (M. Kelley): Juste un léger... Mais on va couper dans l'enveloppe de temps pour l'échange parce qu'on a dépassé les 20 minutes. C'est tout.
M. Michel-Habib (Michel): Oui, d'accord. Alors, dans l'espérance, pour nous, il y a une espérance qui anime également notre vision, notre approche de la maladie et de la mort, c'est notre espérance chrétienne. À un moment donné, j'ai appris qu'un de mes amis avait le cancer. Et donc je l'ai su pas mal tard. Je l'appelle, il était en région, et puis je l'appelle et je lui dis: Eh! Pierre, qu'est-ce que tu fais là? Comment ça se fait que tu ne me l'as pas dit? Il dit: Pourquoi? Il dit: Es-tu jaloux, il dit, parce que je m'en vais voir le Seigneur avant toi? On a eu un temps extraordinaire. Et, moi, j'étais édifié de voir... et il souffrait, ce monsieur-là, là, mais de voir son attitude face à la mort qui était vraiment encourageante. Voilà. Merci beaucoup.
**(14 h 40)**Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Habib. Alors, on va passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. Je suis prêt à céder la parole au député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président. D'abord vous remercier pour votre participation, votre présence ici aujourd'hui. Et vous assurer que, les opinions, nous regardons chaque opinion avec beaucoup d'ouverture et beaucoup d'intérêt.
Je ferais un commentaire très rapide au début avant de poser la question, parce que c'est une question peut-être que vous êtes en mesure de répondre pour moi. Évidemment, vous prenez, et surtout les paroles que j'ai notées de M. Habib, lorsque... C'est la partie très, très religieuse du discours que vous avez partagée avec nous, quand même. Il y a des arguments, je pense, qui portent avec les croyants, et, comme vous savez, évidemment il y a des personnes dans notre société qui ne sont pas croyantes, et certains de ces arguments-là porteront un petit peu moins avec eux. Et je suis sûr que vous le savez et vous le respectez.
Mais je voudrais comprendre un petit peu. Vous, vous avez un rôle à jouer au moins chez vos croyants, les gens de votre dénomination et qui sont croyants. Dans ces moments difficiles, j'aimerais savoir si, de votre expérience personnelle, lorsque vous avez été appelés pour... Je ne sais pas si le terme approprié, c'est «intervenir»... ou venir en aide à quelqu'un qui vit ces moments-là. Est-ce que vous trouvez que ça... Est-ce que le personnel médical, etc., dans des situations de même, est-ce que vous avez trouvé que vous aviez la place nécessaire ou votre contribution a été... vous avez eu l'occasion pour intervenir à ce moment-là? Est-ce que vous trouvez que la société, et dans les circonstances, lorsque les gens sont dans un hôpital, est-ce que vous trouvez qu'il y a quand même une ouverture de la part des personnes? Parce que j'avoue que c'est très personnel, et peut-être les gens de l'équipe médicale ne sont pas croyants ou certaines personnes ne sont pas croyantes ou d'une autre confession, etc. Je veux juste savoir si, de votre expérience... Vous avez eu à aller à plusieurs chevets, j'imagine. Quelle est votre impression? Est-ce que c'est bien toléré? Est-ce que vous trouvez qu'il y a cette ouverture-là? Est-ce que vous pouvez intervenir comme vous le souhaitez? Je suis juste curieux de savoir.
M. Michel-Habib (Michel): C'est bien, très bonne question. Pour les fois où personnellement... Pasteur Éric pourra aussi vous partager son expérience. Pour moi, lorsqu'il s'agissait, mettons, soit d'un proche parent ou si j'ai été invité, alors c'était excellent, la collaboration était très bonne. La dernière à laquelle j'ai eu... j'ai pu le faire, c'est avec mon beau-frère. Il n'est pas un croyant, il est vraiment un athée endurci, comme on dit. Et on a de bons débats quand même, hein, ensemble. Je ne l'ai pas encore convaincu, il ne m'a pas convaincu encore, alors c'est... Mais on s'aime bien. Alors... Mais on est allés le voir. Il a eu une crise cardiaque et il était... dans le fond, il était mort quasiment, et ils l'ont ramené trois fois. Et finalement, là, l'hôpital nous a appelés pour nous demander de venir à Québec pour discuter de débrancher d'une façon définitive, etc.
Donc, ça, j'ai trouvé ça vraiment bien. On est allés à Québec et on a parlé avec les médecins, tout le monde. C'était extraordinaire. Comme expérience dans un hôpital, ça a été merveilleux. Moi, j'ai vraiment... je ne vois pas comment ça pouvait être mieux en termes d'attitude de la part des médecins et tout le personnel qui était là. On a eu accès à mon beau-frère avec ma femme puis avec sa soeur autant qu'on a voulu, même je me demandais: Comment ça se fait qu'on nous donne autant d'accès? Et on a pu le faire. On a pu, même si mon frère était dans le coma, et tout ça, puis il n'entendait pas, on a quand même pu prier pour lui. Ça, au moins, il l'a su après, qu'on a prié, mais il n'était pas fâché, il était content. On a pu faire chanter même pour lui dans la salle où est-ce qu'il était. On pensait que c'était fini vraiment, là, mais finalement ils ont réussi à le ramener, grâce à Dieu, et puis maintenant il a repris pas mal sa vie, là. Et alors j'ai eu vraiment un bon accès là. Et, dans d'autres circonstances, je n'ai pas de critique à faire de côté-là.
M. Lanthier (Éric): Et je pourrais rajouter que, moi, je me souviens des situations où est-ce qu'on... il y avait une personne qui était malade à l'hôpital, et il y avait des croyants et des non-croyants. On avait chanté des chants, et il y a des gens qui étaient athées qui avaient les larmes aux yeux parce qu'ils étaient touchés par les chants. Et je peux vous dire, dans ces temps-là où est-ce qu'il y a de la souffrance, même les gens qui se disaient athées... Parce que, quand on est en santé, on est fort, on a de l'argent, bien, des fois il peut y avoir de l'arrogance. Mais, quand on est sur notre lit de mort et que, là, la réalité de la mort approche, là il y a une ouverture qui est présente et il y a des gens qui sont ouverts à entendre parler de la foi puis à... Et ça amène un certain réconfort. Moi, je me souviens que le psaume 23, par exemple, a réconforté bien des gens. Même quand je préside, au salon funéraire, des cérémonies et qu'on chante, on partage, il y a des gens qui se disent athées ou d'autres confessions puis ils sont touchés. Donc, dans ces moments-là, c'est une autre atmosphère que lorsqu'on est dans un bar ou dans un restaurant, là. C'est vraiment différent.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous, MM. Lanthier, Habib, Dr Vincent. Vous savez, ces débats-là, surtout lorsqu'il y a des regroupements comme le vôtre qui viennent nous voir, ça nous confronte à nos valeurs, parce que vous êtes tellement confortables avec les vôtres que vous comprendrez que ça nous confronte avec les nôtres.
Puis j'ai hésité de vous le dire, mais je vais vous le dire. Je vais citer un homme pour qui j'ai beaucoup, beaucoup de respect, Jacques Parizeau, qui avait dit à un moment donné, dans le débat sur l'avortement, il avait dit: Il ne faudrait pas que la religion des uns devienne la loi des autres. Et vous comprendrez que le débat actuel... Vos valeurs, je les respecte énormément, vos valeurs. Je trouve ça même admirable. Mais ce n'est pas tout le monde qui partage les valeurs. Vous l'avez mentionné, votre beau-frère, il n'est pas encore rendu là, puis c'est très respectable.
Moi, je veux... En tout cas, c'était un commentaire que je voulais vous faire. Je trouvais ça important de l'apporter. Je voudrais parler au Dr Vincent, parce que vous avez fait référence au Collège des médecins en tout début, par rapport au sondage, et tout ça. Et vous comprendrez que c'est le porte-parole des médecins qui pratiquent au Québec, Dr Yves Lamontagne, qui est venu nous voir au tout début des auditions pour partager la position de l'ensemble des membres du collège.
Je vais le citer, puis après ça je vais vous poser une question. Il avait dit: «Qu'il s'agisse de l'avortement, de la procréation assistée, des conseils génétiques ou des soins [de] fin de vie, le médecin doit accueillir le patient qui présente un problème de santé [en lui offrant] les meilleurs soins possible, quelles que soient les valeurs ou les croyances [que] ce patient...» Même si elles sont différentes des siennes. «La souffrance, la maladie et la mort ont un nom, un visage, une famille, une adresse, un lieu. Pire que tout, [il y a] une échéance [qui] obligent à prendre une ou plusieurs décisions.» Et c'est précisément de ce moment-là dont on parle, vous savez, au tréfonds, là, tout près de la mort. Et le Collège des médecins affirmait que l'offre des soins en fin de vie, c'était évolutif puis que c'était un continuum. Alors, il y a plusieurs décisions qui se prennent en concertation avec la famille, les proches, et tout ça, le patient. Et il pense, le collège, que l'euthanasie, dans des situations exceptionnelles, peut devenir un soin approprié et que les médecins seraient responsables de l'assurer en fin de vie.
Qu'est-ce que vous pensez de ça, Dr Vincent?
**(14 h 50)**M. Vincent (Mathieu): Oui, je suis bien au courant de la position que le Collège des médecins du Québec a exprimée. Dans un premier temps, je suis bien d'accord avec vous que, quand je suis avec un patient, évidemment, pour moi, la question de compassion, d'amour, d'aide envers le patient, pour moi c'est primordial. C'est une des raisons pourquoi j'ai décidé d'être médecin, bien honnêtement. Puis ça, ça se fait de façon irrespective de valeurs, ou de religion, ou de... Évidemment, pour un médecin qui a des valeurs chrétiennes, pour moi, évidemment, je veux aider chaque patient, là, peu importent les descriptifs, là, sociaux, ou quoi que ce soit. Puis je vous avoue même que souvent, avant d'aller travailler, la plupart des jours, je vais même prier pour que Dieu m'aide à aider les gens puis à leur démontrer de l'empathie puis de la compassion, bien honnêtement.
Concernant votre question sur le Collège des médecins, pour certains cas très spécifiques, je pense, une des questions là-dessus, comme je l'exprimais tantôt, c'est que certaines personnes, quand elles pensent à la fin de vie ou l'euthanasie, vont focusser sur une minorité de patients où est-ce qu'elles pensent qu'ils pourraient bénéficier de l'euthanasie comme telle. Je pense qu'il faut regarder le problème de façon ouverte dans l'ensemble. Puis, quant à moi, quand on regarde la majorité de patients comme telle, je pense que, de légaliser l'euthanasie, je pense qu'il y a un danger pour cette majorité de patients là où est-ce que ça envoie certains messages, pour moi, où est-ce que je pense que ça n'aidera pas la cause, de un, certaines personnes se sentir... plusieurs personnes se sentir un fardeau pour les gens qui les entourent ou pour la société, en termes de dévalorisation.
Pour moi, ça envoie un message qui est négatif à une majorité, comme tel. Puis je me dis: Dans un choix de société, on ne peut pas... il faut prendre en compte pas seulement une petite minorité de personnes, mais il faut essayer de regarder les choses dans l'ensemble, tout comme je ne m'attends pas que, dans un choix de société, les gens focussent sur nos valeurs, notre façon de voir, parce qu'on ne fait pas partie de la majorité comme telle en termes de valeurs. Ça fait que, tout comme je ne m'attends pas que les gens focussent sur les questions particulières de ma foi comme telle, je pense que, quand on regarde l'euthanasie, c'est la même chose. Je pense qu'il faut faire attention de ne pas juste focusser sur une minorité de patients.
Puis je parle vraiment de minorité, parce que, première des choses, comme on a dit tantôt, en termes de soulagement de la douleur, la plupart des patients réussissent à être bien soulagés quand ils reçoivent les traitements optimaux actuels. Puis après ça il reste souvent une question de... des fois il reste une question de souffrance psychologique qui doit être adressée puis qui peut être adressée, qui est, de soi, souvent plus complexe que soulager la douleur comme telle. Mais je pense qu'il faut faire attention puis de regarder le problème dans l'ensemble puis la majorité des patients en fin de vie plutôt que de focusser comme tel.
Maintenant, en parlant de porte-parole, moi, un de mes... je veux dire, l'association, une des associations qui me représentent comme médecin de famille, c'est le Collège des médecins de famille du Canada, et eux se sont opposés récemment à l'euthanasie de façon officielle, là. C'est disponible sur le site Internet. Puis vous connaissez aussi la position de l'Association médicale canadienne, aussi, sur la question.
Le Président (M. Kelley): M. Lanthier.
M. Lanthier (Éric): Oui, merci, M. le Président. J'aimerais réagir aux propos, au préambule de Mme Gaudreault. Il y a une chose qu'il faut mettre claire: il y a une différence entre valeurs et croyances. Des croyants peuvent partager les mêmes valeurs que des athées. L'altruisme peut être partagé entre athées comme entre croyants. Et, moi, je crois que les croyants, qu'ils soient baptistes, qu'ils soient évangéliques ou autres, ont leur part à jouer dans la démocratie, et c'est pour ça qu'on est ici.
Et ce qu'il faut aussi comprendre, c'est que notre société québécoise, elle est basée sur des valeurs judéo-chrétiennes. Et je crois que, si on revenait davantage aux valeurs judéo-chrétiennes, et là je ne parle pas les croyances, là, je ne parle pas de la pratique religieuse, mais aux valeurs judéo-chrétiennes, je pense qu'il y a certains débats qu'on aurait clos assez rapidement, et on aurait une société beaucoup plus solide.
Ceci étant dit, je suis convaincu qu'il y a des athées qui partagent les mêmes valeurs en termes d'euthanasie, les mêmes positions. Et, oui, en tant qu'association, on s'est prononcés là-dessus, mais on veut en parler d'une manière civique. Ça, c'est bien clair pour nous.
Mme Gaudreault: Merci de la précision.
M. Lanthier (Éric): Bienvenue.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. Messieurs, merci d'être avec nous cet après-midi et merci de nous parler avec autant de transparence. Je saisis fort bien la distinction entre valeurs et croyances et je vous remercie de nous parler ouvertement de vos croyances, qui sont forcément venues teinter, en quelque sorte, la réflexion que vous avez conduite, et c'est très bien ainsi.
Je vous poserais une question fort simple qui nécessite un oui ou un non dans un premier temps: Est-ce que vous avez grandi dans la foi baptiste évangélique ou ça a été un processus de réflexion de votre côté? Donc, un oui ou un non de chacun d'entre vous, s'il vous plaît.
M. Michel-Habib (Michel): Moi, ça a été un processus. Et il y a eu un jour où j'ai fait une expérience spéciale avec Dieu, et ça a été ma conversion à Jésus-Christ qui est venue par après réorienter ma vie, là.
M. Lanthier (Éric): Moi, je suis né dans une famille catholique non pratiquante. Et, depuis, je pourrais dire, l'âge de six ou sept ans... même, non, à partir de l'âge de quatre ans, je me souviens, la première fois que je me suis intéressé à la foi. Et j'ai toujours recherché le sens de la vie, la... Dieu. Et c'est à l'âge de 18 ans que j'ai réalisé que tout ce que les hommes ajoutaient à la Bible venait des hommes et tout ce que les hommes enlevaient de la Bible venait des hommes. Et je me suis converti à Jésus-Christ et j'ai adhéré à une église évangélique.
M. Vincent (Mathieu): Personnellement, j'ai grandi dans une famille catholique partiellement pratiquante, jusqu'au secondaire, où est-ce que j'ai décidé que Dieu, c'était la priorité dans ma vie, puis de mettre ma relation avec Dieu en avant-plan, puis que j'ai accepté finalement son invitation. Puis la question d'adhérer à une église baptiste, c'est venu par la suite, comme tel, là, mais...
M. Charette: Je vous remercie de votre question. Il n'y a pas de piège via la question que je vous posais. Vous me confirmez une sorte, en quelque sorte, de conversion. On a eu ce grand privilège d'entendre des gens aux horizons très, très différents et dont, moi, j'ai le souvenir d'une dame qui nous a partagé -- j'emploie le même terme, même s'il n'y a pas de lien avec la religion -- une forme de conversion de par l'expérience qu'elle a vécue elle-même auprès d'un proche, c'est-à-dire une dame qui était foncièrement contre l'euthanasie de par les croyances qu'elle pouvait avoir, elle a eu à accompagner quelqu'un, et sa vision de la chose a changé, a changé parce qu'elle a fini par constater que ce que le système offrait, ce que la maladie de la personne aimée imposait comme contraintes ne répondait plus, en quelque sorte, aux aspirations de cette dame, qui est demeurée très, très sereine jusqu'à ses derniers moments. Donc, une personne qui a cheminé parce qu'elle a côtoyé une situation x.
Sans porter de jugement sur votre propre vécu, est-ce qu'il se pourrait qu'on se forme une conception, qu'on développe une croyance mais qui devienne ébranlée ou qui est ébranlée par un parcours de vie qui vient choquer cette réalité-là? Et, en vous disant ça, personnellement, moi, je pense à plusieurs témoignages qui nous ont été faits où la foi en la vie, elle est totale, des gens qui aiment la vie et qui en ont largement bénéficié, qui y ont goûté, qui l'ont savourée, mais cette vie-là a perdu de son sens ou de sa valeur la journée où la personne se retrouvait prisonnière de son corps, la journée où la personne se voyait incapable de communiquer avec autrui parce que son corps devenait sa prison ou... Bref, on peut le deviner. Donc, est-ce que vous pouvez concevoir qu'il y a une expérience qui est la vôtre et l'expérience d'autres personnes qui les ont amenées à voir les choses différemment, en quelque sorte?
Le Président (M. Kelley): M. Lanthier.
M. Lanthier (Éric): Oui, merci. Écoutez, oui, c'est clair, mais je pense que c'était notre rôle, les gens alentour, d'amener, d'essayer de trouver un moyen de changer cette perception-là pour qu'ils puissent avoir un soulagement, oui, un soulagement physique mais aussi un soulagement moral, un support.
Moi, écoutez, je ne peux pas m'empêcher de... Et j'ai même appelé sur les ondes M. Arcand pour livrer mon témoignage. Le décès de M. Béchard, écoutez, pour moi, c'est un exemple de ténacité d'un homme qui, jusqu'à la dernière journée de sa vie, je veux dire, était en poste. Pour moi, c'est... Et c'est ce genre... Moi, cet homme-là va servir d'exemple auprès des jeunes lorsque je vais leur communiquer. Je veux dire, il est un modèle, cet homme-là. Et c'est ce genre de modèle là que j'aimerais que la société québécoise fasse davantage la promotion plutôt que de niveler vers le bas. Et c'est d'augmenter le niveau d'espoir chez ceux qui souffrent et d'accompagnement qu'on devrait investir. C'est ça, notre message.
**(15 heures)**M. Charette: Les questions abordées à travers la commission sont sensibles, on en convient, et on en est excessivement conscients. Et il y a des parallèles aussi qui sont sensibles. Dans votre présentation, vous avez eu l'occasion d'aborder la question de la peine de mort, établissant un certain parallèle avec le débat qui nous occupe aujourd'hui. Vous avez évoqué aussi la question de l'avortement.
Dans quelle mesure le... êtes-vous en mesure d'établir justement un parallèle entre les discussions de la commission ou, à tout le moins, une éventuelle légalisation, qu'elle soit de l'euthanasie ou du suicide assisté, dans quelle mesure y voyez-vous un parallèle avec l'avortement? Parce que, juste pour terminer l'introduction, lorsque ces questions ont été discutées, il y a 20, 30 ans maintenant, elles ont aussi provoqué un débat, un débat de société très, très intense, hein? On proposait à ce moment-là un changement aussi très important, et la société a cheminé. Aujourd'hui, l'avortement, sans dire qu'il fait l'unanimité, c'est quand même relativement consensuel comme droit aux femmes de bénéficier de ce service médical.
M. Michel-Habib (Michel): Nous, c'est sûr que chacun donne son point de vue, hein, à votre attention et c'est sûr que ça vous appartient par après de faire la somme de tout ça et puis d'évaluer, selon votre sagesse, quand même votre philosophie à vous, aussi, personnelle, et de proposer quelque chose. Là, on s'entend à ça. On n'est pas là pour vous lier les mains en vous disant: Vous devez penser comme nous. O.K.? Absolument. Mais donc nous contribuons simplement au débat. O.K.? Alors...
Mais, quand j'ai fait référence, mettons, à la peine de mort, je n'ai pas évoqué la religion; ça n'a rien à voir, là. Juste la réflexion. On est tous capables de voir ça, il y a quand même, je ne sais pas, j'essaie de comprendre, là, c'est d'un côté un criminel qui mérite la peine de mort, entre guillemets, hein, parce qu'il a tué deux, trois enfants, etc., et là on dit: Non, on va le mettre en prison pour le restant de sa vie, on va l'entretenir, etc., même s'il y a une souffrance, mais elle n'est pas proportionnelle. Et, même s'il demandait la peine de mort, on lui dirait: Non, on ne te la donne pas, tu sais, on ne te la donne pas. Alors que, j'ai dit, de l'autre côté, quand il s'agit, mettons, d'un bébé dans le ventre de sa mère, bien là on va dire oui, sur demande, même si c'est difficile. Et là on est en train de penser de le faire aussi sur demande, O.K., même si ça va être balisé, et tout ça, c'est quand même sur demande.
C'est là où, moi, je ne comprends pas, là. Je vois que, un criminel, on le protège parce qu'on ne veut pas qu'il y ait un seul innocent qui soit tué, alors que, de ce côté, de l'autre côté, on est du côté des personnes vulnérables, sans défense, et là on est prêts à comme accepter de donner la mort sur demande. C'est là où... Ça n'a rien à voir avec la religion, là, O.K.? Donc, c'est un raisonnement, une observation qui est là, devant tout le monde, là. C'est tout le monde, c'est là devant nous, là.
Alors... Et j'aimerais dire aussi, Mme Gaudreault, si vous me permettez, avec toute la délicatesse -- j'apprécie beaucoup M. Parizeau aussi, c'est un homme que j'admire, je pense, un de nos grands hommes au Québec, même si je suis de l'autre côté au niveau de l'option -- ...mais il n'y a personne qui peut dire qu'il a une vision qu'il a pondue tout seul, isolé quelque part; on est tous le produit de la société: on a étudié, on est allés à l'école, on a eu des parents. Alors, tout le monde est le fruit d'un cheminement. Alors, d'arriver et de comme nous donner l'impression, en tout cas, depuis longtemps, là, dès qu'on emploie, quelqu'un, le mot de Dieu, bien là on l'écarte, on n'écoute plus tout ce qu'il a à dire parce qu'il dit... Il ne faut pas que la religion vienne imposer ce... Oh! mais il n'y a rien à voir. On n'est pas capables de supporter juste une opinion.
Alors, ce n'est pas le cas, ce n'est pas le cas d'imposer nos pensées, nos croyances sur la société, pas du tout, pas plus que l'athée n'a le droit d'imposer, lui tout seul, qu'il soit le seul confortable dans le débat, le seul confortable, qu'on ne lui impose rien, mais, lui, il veut nous imposer un environnement; c'est inacceptable, non plus. On est capables, je pense, de faire la part des choses. Et puis, comme M. Lanthier l'a dit, il y a des valeurs, il y a des réflexions; jugeons de ces réflexions-là sur leurs propres valeurs, et je pense que ça va nous aider à progresser pour trouver une sorte de commun accord social qui va nous aider à servir mieux nos concitoyens qui passent par la souffrance.
Le Président (M. Kelley): Oui, M. le député de Mercier.
M. Khadir: Oui. Je veux simplement dire ma réflexion en tant que... Moi, je suis moi-même agnostique. Mais ma vision du caractère laïque de l'État implique que vraiment tout le monde a le droit... En fait, le caractère laïque, c'est la neutralité de l'État; ça ne veut pas dire qu'on exclut les gens qui ont une conviction religieuse, au contraire. Eux, comme ceux qui n'en ont pas, et surtout ceux qui ont des convictions de différentes obédiences, de différentes natures, ont le droit, sur une base égalitaire, de participer au débat.
Et je voulais simplement dire que, quelles que soient nos convictions, on a le droit de les exprimer ouvertement. Puis c'est bien qu'on sache justement que c'est à partir d'une expérience religieuse aussi qu'on arrive à certaines conclusions. Ce n'est pas inutile dans la compréhension du débat, à mon avis, parce que les décisions qu'on va prendre sur la question de l'euthanasie vont s'appliquer à des gens qui ont des convictions. Donc, c'est important de tenir compte de cette dimension-là.
M. Michel-Habib (Michel): Je peux ajouter, M. le Président, si vous me permettez?
Le Président (M. Kelley): Oui, M. Habib.
M. Michel-Habib (Michel): Juste peut-être une réflexion pour aider. Je comprends que la plupart ou que plusieurs parmi vous, vous êtes... ou la population en général est d'arrière-plan comme catholique. On sait, on arrive dans une pensée commune et imposée à la société. Nous, nous venons d'un autre... On a connu la pensée catholique. J'étais, jusqu'à 28 ans... Je n'étais pas catholique, mais j'étais dans l'environnement, et tout ça, je connais très bien, ayant été élevé à Alma quand on a émigré, c'est là qu'on est allés, à Alma directement, enfin j'ai toute une histoire là, mais ce sont...
Vous savez qu'en Europe, lorsqu'il y avait des guerres religieuses, tout le monde devait faire partie de la religion de l'État, hein, de la religion du roi. Mais, lorsque justement chassés par les persécutions, plusieurs sont venus aux États-Unis et se sont installés, les chrétiens se sont installés dans... c'est à l'Ohio, je crois, là, ou bien à l'Utah, excusez-moi, ma mémoire commence à faire défaut, et eux ont établi un genre de province, là, puis ils ont dit: Ici, ça va être la liberté de conscience, la liberté de religion. Dans cet État-là, il n'y aura pas une pensée unique.
Et c'est pour ça que, nous, comme héritage, nous avons dans nos églises, dans notre article de foi, notre déclaration de foi, là, juste vous donner la... vous donner... sensibiliser sur l'importance que nous accordons au droit de parole, à la liberté de conscience, nous l'avons écrit comme une confession dans la confession de foi. O.K.? Chaque homme a le droit de croire et d'affirmer ce qu'il croit, O.K., comme il le veut. Ça, on l'a écrit dans notre action de foi. Alors... Et donc on a horreur, dans nos églises évangéliques, on a horreur de tout ce qui donne l'impression d'imposer. Nous refusons ça.
C'est très difficile de faire partie d'une église évangélique, parce que ça demande une authenticité dans la foi et un sérieux dans la mise en pratique de l'enseignement, librement, et motivé par l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Ça, c'est notre base. En dehors de ça, là, c'est... on combat ça dans nos propres milieux. Ça fait qu'on a des fois des tendances, des laisser-aller. On se critique entre nous, là, continuellement, hein, pour qu'on puisse revenir constamment à la base de Jésus-Christ, qui est notre Seigneur et de qui on s'inspire. Alors... Mais libre à chaque être humain, il est devant Dieu, de choisir ce qu'il veut croire.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Habib. Je pense qu'entre autres l'État de Rhode Island, où Roger Williams est allé s'installer, au niveau de la liberté de religion, au XVIIe siècle, si ma mémoire est fidèle, alors... Merci beaucoup pour votre expérience, pour votre contribution à notre réflexion.
Et je vais suspendre nos travaux quelques instants et je vais demander à M. Sarto Blouin de prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 15 h 8)
(Reprise à 15 h 13)
Le Président (M. Kelley): ...s'il vous plaît. Notre prochain témoin, c'est M. Sarto Blouin. Alors, sans plus tarder, M. Blouin, la parole est à vous. Bienvenue parmi nous.
M. Sarto Blouin
M. Blouin (Sarto): Merci beaucoup. Bonjour, tout le monde. D'abord, juste une petite remarque liminaire. Mon nom, c'est Sarto Blouin, bien entendu, mais c'est écrit docteur dans certaines choses. Je ne suis pas docteur en médecine, donc mon intervention est plus au niveau juridique que palliatif ou soins de fin de vie.
D'abord, pourquoi j'ai présenté un mémoire à la commission? Depuis quelques années, je m'intéresse au sujet en droit comparé. Je suis à travailler sur un livre depuis deux ou trois ans. J'ai accumulé assez d'informations pour m'impliquer dans le débat et je pense que l'intérêt au niveau mondial est en progression partout. Il y a des pays, comme vous le savez, qui ont déjà adopté des lois. Il y a des pays... Il y a des projets de loi qui sont pendants. Alors, qu'on parle des pays qui en ont déjà, comme les Pays-Bas, là, la Belgique, des choses comme ça, c'est un débat de société qui a été intellectuellement stimulant, juridiquement stimulant aussi et qui amène souvent des prises de position très émotives et qui interpellent les gens à différents degrés, différents niveaux. Et c'est un débat que je qualifierais comme intense.
Évidemment, ma formation juridique et mon implication dans différentes associations au fil des 30 dernières années, notamment au conseil d'administration de la Fondation québécoise du cancer, où j'ai travaillé côte à côte avec le Dr Ayoub, que vous avez rencontré hier, et maintenant à la présidence de la Fondation humaniste du Québec, où on a la mission ou enfin l'objectif de mettre l'homme au-dessus de tout dogme ou religion, et on incite à un débat d'une pensée un peu plus critique que des dogmes ou des... quelque chose qui teinterait le débat autrement que par ces critères objectifs ou subjectifs, dans le cas de la dignité, où les individus ont à se prononcer sur qu'est-ce que c'est que la dignité. Et c'est une notion que je ne parlerai pas aujourd'hui, parce que je pense que c'est complètement individuel, cette notion-là. La dignité d'une dame active, que j'ai rencontrée, qui se fait couper les deux jambes, pour elle, c'est la fin du monde. Il y en a d'autres qui vont embarquer sur leurs chaises roulantes puis ils vont gagner une médaille aux Jeux olympiques, et ce n'est pas du tout la même chose dans l'interprétation intrinsèque pour l'individu. Objectivement, on peut dire: Bon, bien, c'est deux personnes qui n'ont plus de jambes, mais en pratique la dignité, c'est une affaire personnelle, donc je n'embarquerai pas dans ce débat-là.
Ce que j'ai présenté comme mémoire, indépendamment de ma position personnelle sur ma question... mon opinion personnelle, pardon, sur le... Doit-on légaliser ou non l'euthanasie, le suicide assisté, qui fait l'objet déjà de polarité dans votre commission? Je n'en ajouterai pas tellement, parce que je pense que vous avez assez de matière à réfléchir pendant les prochains mois.
J'ai également siégé sur le comité de la Chambre des notaires, qui va vous présenter un mémoire assez audacieux dans les prochaines semaines. C'est mon point de vue personnel aujourd'hui que je présente, et c'est un point de vue tout à fait original, un peu audacieux peut-être, vous allez trouver, si vous avez lu le document, qui permet de régler, au niveau constitutionnel, une question assez difficile à régler, parce qu'effectivement le débat se fait, et il y a des gens qui s'opposent tout le temps. Il y a des gens qui contestent. Il y a des gens qui amènent des lois constitutionnellement jusqu'à la Cour suprême pour les attaquer.
Alors, il faut trouver une solution. Si tant est-il que vous optez pour des recommandations qui iraient dans le sens de légaliser, en tout ou en partie, le suicide assisté ou l'euthanasie, bien je pense qu'après ça la question, ça va être comment on le fait et comment on le fait pour que ce soit représentatif de ce que la société désire. Il ne fait nul doute: entre 71 % et 89 % des populations en général, en Europe ou en Occident et en Amérique, au Québec, au Canada... en France, c'est 89 %; ici, ça varie entre 71 % et 79 %, donc on oscille autour d'un 80 %-20 % en termes de gens qui sont favorables à une certaine législation, surtout à une décriminalisation des soins de fin de vie.
Quand on arrive puis on fait des élections où on a des députés qui sont élus et qui sont supposés être représentatifs d'une extrapolation de la pensée populaire, on est surpris d'arriver au Parlement fédéral où, même si c'est 80 %-20 %, on arrive à 228 contre 59, où le projet de loi de Mme Lalonde, deux fois plutôt qu'une, a été balayé du revers de la main, à 80 %-20 %, de l'autre côté contre. Donc, c'est souvent des lobbys, c'est souvent une connotation... C'est généralement une connotation religieuse, dans laquelle je ne veux pas m'embarquer.
Essentiellement, le débat que vous allez avoir à trancher dans les prochains mois, c'est trois pôles. C'est un pôle qui est juridique, bien entendu, et c'est là-dessus que je vais plus vous entretenir. Mais le droit... la loi, sans faire l'éloge de Montesquieu, puis le législatif, puis l'exécutif, puis le judiciaire, on a un sérieux problème, c'est toujours... ce n'est jamais en amont de l'évolution de la société, c'est-à-dire que ça suit ce que les gens pensent. C'est toujours un peu en retrait et en retard. Et c'est une difficulté réelle à laquelle on va essayer de trouver des solutions. Il y a des interdits. Il y a des conflits de juridiction, et c'est là-dessus que je vais vous entretenir. Et ça, c'est le pôle juridique.
Le triangle infernal, qui est parfois équilatéral, parfois il est isocèle parce qu'il tire d'un côté ou il tire de l'autre ou il tire de l'autre, c'est le droit, d'une part, qui doit servir les citoyens et non pas être à la remorque et empêcher l'évolution de la société ou des valeurs de la société. Vous avez, d'autre part, le côté responsabilité médicale. Les médecins sont confrontés quotidiennement -- j'en connais, j'en fréquente -- avec les soins palliatifs, les soins de fin de vie, et l'argument récurrent presque redondant, c'est la question des soins palliatifs, c'est qu'ils ne veulent pas faire évidemment le lien entre la théorie du double effet, c'est-à-dire le but, où l'intention est de soigner, d'abréger la souffrance, et la conséquence, un genre de «collateral damage», est que ça abrège la durée de vie de la personne, et que les soins palliatifs, ce n'est pas l'euthanasie. Oui, il y a matière à amélioration, vous avez des problèmes de ressources, des problèmes d'argent, des problèmes de soins palliatifs à domicile, etc., c'est un autre débat. Mais le débat médical, c'est que le médecin, quand il arrive puis qu'il est confronté à quelqu'un qui souffre énormément et que le patient... Parce que là on dérape beaucoup, je vois, dans les derniers énoncés, sur qui décide. Moi, mon débat est sur la personne visée, pas la famille, pas les travailleurs sociaux, le patient lui-même.
**(15 h 20)** Donc, c'est une relation juridiquement médicale. La loi sur les services de santé et sociaux le prévoit aussi. C'est un contrat de services entre le médecin puis le patient. Et je prends comme prémisse que le patient, c'est ce qu'il veut. Alors, des fois il fait un mandat en cas d'inaptitude devant un notaire, mais la procédure d'homologation peut prendre un mois ou deux. Puis là, bien, le médecin, qu'est-ce qu'il fait? Il a peur d'être poursuivi, comme c'est arrivé avec Vincent Humbert, Marie Humbert, en France. C'est arrivé en Italie, c'est arrivé avec Terri Schiavo. Les gens sont dans l'incertitude, sont dans l'inquiétude, et il y a une certaine crainte.
Alors, qu'est-ce qu'il ferait, le médecin, quand il est confronté à ça? Bien, c'est normal, son réflexe est de dire: Bon. O.K. On va fermer la porte. On va faire venir la famille. Qu'est-ce qu'on fait? Puis là, des fois la famille, contre le gré avoué du patient dans une déclaration notariée, qui est un acte authentique qui dit: Je ne veux pas ça, la famille va dire: Non, on ne veut pas, pour des croyances, ou peu importe la raison. Alors, on a un sérieux problème qui vient se relier au problème juridique, qui relève de la responsabilité médicale.
Le troisième problème, c'est le problème... pas le problème, mais le troisième pôle de mon triangle, c'est le pôle qui finalement sous-tend tout ça -- j'aurais peut-être dû le prendre en premier -- c'est la question morale, la question éthique, la question philosophique. On peut lancer ad nauseam des statistiques, des extraits de statistiques, comme la personne tantôt, avec des extraits d'articles avec des pourcentages, on ne sait pas qui les a écrits. Ça prend un peu plus de rigueur. Je pense que vous avez pas mal la documentation pour l'analyser. Mais, indépendamment de ça, il n'y a pas... en droit ou en éthique, il n'y a pas de différence, il n'y a pas de distinction. Les soins palliatifs, l'interruption, la cessation de traitement ou l'aide active à mourir, l'opinion générale très répandue à laquelle j'adhère, c'est qu'au niveau éthique il n'y a aucune différence.
Et c'est comme le chasseur de tantôt ou la personne qui... l'effet est le même au bout. Puis, je veux dire, c'est comme la théorie de la personne qui traverse un parc à tous les jours, il y a un petit étang, puis tous les jours il passe tout droit, puis, un jour, il voit quelqu'un qui est en train de se noyer, il continue. C'est la même chose que, s'il arrête puis il dit: Tiens, tu veux te noyer? puis il l'aide. Alors, au niveau éthique, là, c'est pareil. Ça, j'en conviens. Au niveau moral, c'est une autre chose.
Mais, au niveau philosophique... parce que finalement les croyances, les valeurs, et tout ça, c'est un peu relié à une notion philosophique. Vous avez deux théories dans la philosophie. La première théorie, c'est 24, Jack Bauer, les conséquentialistes, les gens qui disent: O.K. Regarde, la loi des grands nombres. O.K. Je suis-tu mieux de tuer le monsieur qui est là qui a un virus, qui va tout contaminer la salle ici, pour arrêter... au niveau des valeurs de la société, ou... J'arrête où? Donc, vous avez parlé tous les deux, des deux côtés de la Chambre tantôt, de la question de la ligne, puis je vais vous faire un exercice tantôt, vous allez comprendre l'image. Mais les conséquentialistes, ils disent: Écoutez, c'est mieux de tuer une personne qui ne le mérite pas que d'en perdre 100 000 dans une ville avec un virus.
L'argument contraire à Singer ou aux autres philosophes de cette nature-là, c'est la théorie... la théorie qu'on appelle la pente glissante, la «slippery slope»; vous vous êtes fait servir sans doute ça dans les derniers jours. Oui, mais, si j'en tue un, à quelle heure je vais arrêter d'en tuer un autre? Puis là, la ligne, elle devient de plus en plus ténue, et là, ce qui arrive, c'est que le spectre de la peur, le spectre de la crainte et le spectre de l'au-delà ou du rêve ou de quelque chose d'autre va venir teinter tout le débat. Et ça, c'est dangereux aussi, parce que, là... Si c'est balisé, si votre exercice est balisé, si votre exercice est encadré, comme en Belgique... Contrairement à ce qui a été raconté tantôt, les statistiques de Belgique sont... Vous savez, c'est... Je pense que c'est Me Kelley qui a dit tantôt... Dignitas, là, quelqu'un a parlé de Dignitas. D'abord, ce n'est pas illégal en Suisse, puis Dignitas, c'est une entreprise privée qui permet à une personne de se suicider, qui n'est pas illégale, «by the way», au Canada, dans la mesure où vous êtes capables de l'inoculer ou de le faire vous-même.
Cette notion-là de votre droit à l'autodétermination est inaliénable, selon moi, et le débat philosophique de la «slippery slope», de la pente glissante, de la crainte et de la peur qu'on va sauter sur un handicapé au coin de la rue, ils vont dire: Écoute, tu as assez vécu... ou pour des raisons sociales ou pour des raisons économiques. On sait... Je pense que c'est Jocelyn Downie, de l'Université de Dalhousie, qui a sorti un livre avec des statistiques assez impressionnantes. J'ai essayé de faire l'exercice. On disait qu'au Québec, dans le système de la santé -- je ne me rappelle plus exactement la proportion, mais c'est faramineux -- que les coûts de santé d'un individu pour l'État, à 80 %, sont dans le dernier mois de sa vie. Moi, je me suis déjà cassé une jambe quand j'étais jeune. On y va souvent, à l'hôpital, dans notre vie, là, c'est rare qu'on passe une vie complète... Mais, tout ça additionné ensemble, ce n'est même pas à peu près 15 % ou 20 % de ce qu'on va coûter à l'État. Alors, il pourrait être tentant économiquement de dire: Regarde, une journée de plus, multipliée par 100 000 baby-boomers par année, ça peut faire pas mal de millions de dollars. Ça, ce n'est pas un bon argument. O.K.? Alors, la question de la «slippery slope», sur quelle pente glissante... C'est à nous en tant que société à les établir, les balises, puis ne pas avoir peur après ça d'avancer.
Ceci étant dit, ça vous pose un problème au niveau constitutionnel. Le document que j'ai préparé s'est inspiré d'exemples que j'ai vécus, où j'ai rencontré des avocats en France sur le procès de Laurence Tramois et Chantal Chanel, si vous vous rappelez bien l'infirmière qui a... En fait, le gouvernement français a voulu poursuivre le Dr Frédéric Chaussoy et Mme Humbert, qui était la mère de Vincent Humbert, dans un cas assez pathétique qui a rallié l'opinion française et même mondiale sur le débat. Et, juste deux ou trois jours avant le procès prévu, ils ont fait un non-lieu puis ils ont décidé d'attaquer Chantal Chanel et Laurence Tramois, dans la région de Bordeaux, qui était un cas où c'était plus facile pour la couronne, au niveau juridique, d'obtenir une condamnation quand on n'avait pas le consentement du patient. Ce n'est pas ma prétention. Sauf que, si la dame, qui était en train de vomir ses intestins puis qui était en souffrances épouvantables... le médecin qui la traitait a décidé de lui prescrire une dose que l'infirmière, Laurence Tramois, lui a injectée. Ils ont accusé évidemment l'infirmière, en vertu de la règle des maîtres et commettants, ou du donneur d'ordre, qui est le médecin qui a prescrit la dose létale, de meurtre, et l'autre, de complicité de meurtre. Finalement, ça a fini avec une accusation, qu'ils ont été trouvés coupables, d'empoisonnement causant la mort.
Alors, la dose est létale, c'est un peu comme la morphine, et ça a fait crier... Évidemment, ça a amené la demande d'ouverture sur la loi Leonetti, en France. Et, en Angleterre, ils ont dit: Wo, wo, wo! Si ça arrive chez nous -- puis c'est rendu ici, c'est pareil -- si ça arrive chez nous, qu'est-ce qu'on fait? Alors, il y a une dame, Mme Purdy, qui est arrivée en Angleterre, et je suis allé rencontrer l'avocate pendant qu'ils ont fait le débat -- d'ailleurs, c'est le dernier jugement de la House of Lords, en Angleterre, avant qu'ils changent le nom dudit tribunal -- où elle a dit: Moi, là, je m'enligne comme ça, là. Je n'ai peut-être pas un parkinson dégénératif rapide, mais je vais arriver à telle maladie, à telle échéance. Mon mari, là, il veut m'accompagner en Suisse. Est-ce que, s'il m'accompagne en Suisse, il va être accusé de complicité de meurtre quand il va revenir en Angleterre? Elle a dit: Moi, j'aimerais juste savoir c'est quoi, les règles de la police pour poursuivre quelqu'un, si un crime a été commis à l'étranger mais qui est un crime en Angleterre. Et là ils ont fait le débat, et ils ont gagné. Le House of Lords a ordonné au gouvernement britannique de publier les directives ou les règles internes aux procureurs de la couronne: dans quels cas et en quelles circonstances il va y avoir ou non des accusations.
Le Président (M. Kelley): M. Blouin, je veux juste signaler qu'on arrive déjà à 15 minutes, alors peut-être aller à l'essentiel dans le temps qui reste...
M. Blouin (Sarto): O.K. Parfait, je... C'est parfait, parfait, je...
Le Président (M. Kelley): ...parce qu'après ça on va... je veux préserver le temps de parole avec les parlementaires aussi.
**(15 h 30)**M. Blouin (Sarto): Je termine là-dessus. Donc, dans un État où, personnellement, je prône la laïcité de l'État, je pense que votre rôle... votre problème, en fait, va être le fait qu'au niveau... le Code criminel, c'est une juridiction fédérale. L'article 91 de ce qu'on appelait à l'époque l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui s'appelle maintenant la Loi constitutionnelle de 1867, et qui est le principal document constitutionnel qui s'applique à nous, fait en sorte que vous ne pouvez pas légiférer comme Assemblée sur des choses de juridiction fédérale. On sait très bien que la volonté politique dont le législatif est tributaire au niveau fédéral, ça ne sera pas demain la veille. Donc, comment on fait au Québec -- comme on est déjà en avance sur le reste du Canada à ce niveau-là -- comment on fait pour obvier au problème constitutionnel? Vous allez vous faire attaquer si vous votez une loi où vous tentez indirectement de décriminaliser ce qui est prévu dans le Code criminel fédéral. Ce n'est pas de votre juridiction.
Par contre, l'article 92 de la même loi prévoit que l'administration de la justice, c'est de juridiction provinciale. Alors, j'ai dressé dans mon mémoire 17 critères inspirés de certains modèles européens, pas vraiment de la Colombie-Britannique puis de l'Alberta, mais un peu, où finalement... J'ai inventé un vocable, que j'appelle minimeurtre, là... ce n'est pas pour faire rire, mais c'est que le droit criminel canadien prévoit que techniquement, quand on provoque la mort volontaire de quelqu'un avec préméditation, ça s'appelle un meurtre, et les tribunaux... le judiciaire n'a aucune juridiction pour offrir une peine moins que 25 ans. Ce qui fait que, par le biais de l'administration de la justice, si vous balisez de façon assez audacieuse mais claire les directives des procureurs de la couronne, quand la preuve arrive devant eux, ils ont à établir: Est-ce que c'est un «wholly compassionate murder»? Est-ce que ce n'est fait que par compassion? Est-ce qu'il y a un intérêt, etc.? Et vous regardez mes critères que j'ai mis, qui ont passé le test dans d'autres juridictions et qui ont été déclarés constitutionnels, ça vous permet d'arriver à gérer sur votre territoire une situation un petit peu alambiquée où vous êtes coincé dans un conflit potentiel constitutionnel, ce qui vous permettrait, selon moi, d'arriver aux mêmes... d'arriver aux fins que la société désire, à 80 % dans le sens, au Québec, où ça semble être la tendance, pour pouvoir être capable de ne pas être contesté avec succès, et ça étofferait une position qui, tout en étant légitime selon moi, est également légale. Voilà.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je suis prêt maintenant à céder la parole au député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Alors, M. Blouin, merci beaucoup. Je veux... Je veux vous remercier d'être venu partager avec nous votre point de vue, et je pense que la partie la plus importante que je voulais entendre, c'est la partie que vous avez mentionnée juste à la fin.
On a déjà entendu d'autres personnes qui sont venues, et nous sommes familiers avec les directives qui sont données aux procureurs de la couronne en Colombie-Britannique pour exercer leur discrétion. Je pense que nous comprenons tous, autour de la table, que les procureurs de la couronne, qui ont le devoir d'autoriser des plaintes en matière criminelle, ont une certaine discrétion.
Là où je m'interroge un petit peu... Et je comprends, et j'avais dit tout à l'heure que j'ai déjà vu des dossiers où des procureurs de la couronne, avec les mêmes critères, les mêmes directives, sont arrivés à deux décisions opposées d'intenter ou non une plainte au criminel. Alors, on sait qu'évidemment les directives peuvent être interprétées, et ça, ça va, et il y a des personnes qui nous disent: On aura peut-être à vivre avec ça.
Je m'interroge, par exemple, sur le fait d'écrire des directives qui feraient en sorte que, dans aucune situation ou dans la plupart des situations, il n'y aurait pas de plainte criminelle. J'ai l'impression que ça pourrait être qualifié d'un contournement, justement, de cette division de compétence qui existe dans la Constitution. Ça pourrait être argumenté par certains qu'on ferait par la porte arrière ce qu'on ne peut pas faire par la porte en avant. Je comprends la discrétion qui existe et les directives qui nous aident à exercer notre discrétion de poursuivre ou non, mais d'écrire des lignes directrices qui pourraient dire que dans aucun cas nous pouvons poursuivre, en quelque sorte, ça revient en quelque sorte à abolir une infraction criminelle qui existe dans le Code criminel pour une certaine catégorie d'infraction. Comment réagirez-vous à cet argument-là?
M. Blouin (Sarto): D'abord, j'avais prévu votre question. Deuxièmement, je vous dirais que la question fondamentale, c'est l'administration de la justice. Il est inaliénable, il est reconnu et il est admis que le gouvernement du Québec a le droit de légiférer sur l'administration de la justice. J'ai été, au début de ma pratique, à l'époque, dans mon ancienne vie, quand j'étais avocat, procureur de la couronne, et, quand j'ai fait mon entrée à la couronne, le procureur chef qui m'a passé l'entrevue m'a posé exactement la question que vous venez de me soulever. Il m'a demandé: La ligne, elle est où, si, un matin, c'est toi qui es à l'autorisation des plaintes puis, le lendemain, c'est l'autre qui est à l'autorisation des plaintes, etc.?
Les critères que j'ai mis dans mon mémoire ne sont pas du tout les critères de la Colombie-Britannique ni de l'Alberta, qui, je pense, ne s'appliquent pas, ce sont ceux de la Grande-Bretagne, donc, et qui ont une ramification triple, c'est-à-dire que vous commencez par déterminer si... Et c'est le cas dans toutes les juridictions, et ça, c'est admis et c'est incontestable que le procureur de la couronne, que ce soit A ou B, puisse, le matin où il analyse la preuve... son premier critère, c'est l'expectative de condamnation: Je vous ai pris en délit dans un vol dans un dépanneur, j'ai six témoins, une preuve vidéo, la preuve est accablante, vous avez volé une barre de chocolat, est-ce que je n'ai... Oui. Si c'est de la preuve circonstancielle, je peux décider que ça va être trop difficile à faire la preuve et décide...
Alors, si je décide que j'ai la preuve accablante, la deuxième question que je vais me poser, c'est: Est-ce que c'est dans l'intérêt public? Et là vous avez un sérieux problème. Parce que Marielle Houle, à Sherbrooke, quand elle a étouffé son fils -- qui est probablement le geste le plus difficile à faire pour une mère, «by the way» -- est-ce que vous pensez que l'intérêt public de mettre... Parce que, là, vous n'avez pas de demi... de demi-mesure au meurtre, vous n'avez pas de minimeurtre où vous pourriez avoir que le tribunal ait une juridiction pour donner une infraction moindre et incluse au meurtre, où il y aurait une peine moindre que 25 ans ferme. Est-ce que c'est dans l'intérêt public que je continue cette ramification-là? Et, si je vous posais la question arbitrairement -- vous allez voir exactement... c'est que, quand le procureur de la couronne m'a demandé: Vous avez un père de famille tout à fait... 50 ans, il n'a pas d'antécédent; le parfait, là; l'homme raisonnable, dans l'ancien Code civil. Vous arrivez, il y a une preuve. Il a volé une barre de chocolat, 1 $. Vous avez la preuve irréfutable que vous êtes capable de faire un procès pour obtenir une expectative de condamnation. Vous savez également que le juge va probablement lui donner une absolution inconditionnelle ou une sentence suspendue ou une libération conditionnelle. Alors, l'État va mettre en branle un processus de stigmatisation d'un crime qui, in se, est un vrai crime, et la preuve est là, pour payer un juge, un greffier, un procureur de la couronne, un procureur de la défense pour arriver à ça. Alors, il me dit: Est-ce que tu signes la plainte?
Alors, je vous pose la question: Qui signerait la plainte ici, parmi vous, là, dans les huit, 10 personnes ici? Il y en a deux ou trois qui vont lever la main, ils vont dire: Ah! la règle de droit, un crime, c'est un crime. Techniquement, on ne peut pas se permettre, sinon on va avoir un «slippery slope». On va avoir une pente glissante où, là, à un moment donné... bon.
Ceux qui disent: Bien non, pour 1 $, on va pas dépenser 20 000 $ de la société... des taxes des contribuables pour ne pas s'en aller avec une poursuite qui va... De toute façon, il va avoir une libération inconditionnelle, d'après les règles des sentences. Parfait. Là, il faut que tu répondes: Oui ou non, j'autorise... je signe ou je ne signe pas.
Vous me voyez venir. La deuxième question, c'est: O.K. Le même monsieur, avec les mêmes circonstances, le même «tape», les mêmes témoins, la même vidéo, tout ça, un aveu, une déclaration, la preuve est égale. Il y a deux barres de chocolat: 2 $. Après ça, il y a la troisième question: trois barres de chocolat. Une boîte, une petite boîte, 20 $. Là, à un moment donné, là, il arrive un moment où il y a un procureur de la couronne, à deux boîtes, lui, il décide que 50 $, là, il faut que ça arrête puis il faut lui donner une leçon. Il y en a d'autres que: Bah! en bas de 200 $, c'est une autre infraction dans le Code criminel...
Je ne peux pas vous répondre à cette question-là. Je comprends votre question, qu'il peut y avoir une ligne ténue sur la question de: un procureur de la couronne, un matin, va dire oui, un procureur de la couronne va dire non. Mais ça, c'est une question de société, ça arrive «anyway».
Votre autre question, c'est: Est-ce qu'on va se faire dire qu'indirectement on ne fait pas ce qui est permis de faire... qui n'est pas permis de faire directement? Ma réponse, c'est non, parce que vous avez juridiction sur l'administration de la justice, et ça fait partie de ce que vous avez déjà. Vous êtes plus à risque de ne pas mettre ce genre de directive là en place aux procureurs de la couronne que de leur laisser le champ libre, qu'il n'y ait même pas de balises.
**(15 h 40)**M. Sklavounos: Moi, je pense que je suis prêt à convenir qu'évidemment des directives, pour n'importe quelle infraction, je pense que c'est utile. Et je pense que ça existe pour plusieurs infractions justement parce qu'on ne veut pas se retrouver avec des situations à gauche et à droite. Dans la mesure du possible, connaissant que les procureurs de la couronne, c'est des êtres humains, ils ont des expériences différentes, et que les faits des fois sont un petit peu différents, on veut, dans la mesure du possible, je vous comprends, essayer d'avoir une certaine constance dans les décisions qui sont prises.
Je me posais simplement la question des directives, dépendamment de comment que les directives vont être rédigées. Si ça revenait à ignorer complètement, pour une catégorie d'infractions, une poursuite, je trouve quand même que ça pourrait être argumenté que nous sommes en train d'indirectement amender le Code criminel pour y inscrire une exception pour une certaine infraction. Mais, de toute façon, je pense que ça nécessite beaucoup plus de discussions.
Et je me souviens, lorsque je suivais le dossier de Robert Latimer un petit peu, en Saskatchewan, c'était un dossier qui avait évidemment fait le tour du monde, je pense; non seulement le tour du pays, mais le tour du monde. Et je me souviens de différents groupes qui se sont mis à manifester à l'extérieur. Parce qu'il y avait beaucoup de sympathie pour M. Latimer, c'était une personne qui était sympathique. Il avait expliqué la situation, il avait expliqué à quel point que c'était lui qui vivait avec de la souffrance et que c'est... il n'a pas fait ça pour des motifs personnels, il l'avait expliqué clairement, et je pense que plusieurs Canadiens ont dit: C'est injuste, etc.
Et je me suis dit: Je suis le procureur de la couronne et je suis devant le dossier de Latimer, puis je dis: Écoute, je trouve ça horrible, là, sachant qu'il fait face à un minimum de 10 ans -- parce qu'on avait pris ça au deuxième, je pense, je ne me souviens pas exactement des détails, mais minimum de 10 ans. Et, tout d'un coup, je reçois un coup de téléphone de l'association des personnes handicapées qui me disent: Écoutez, là, M. le procureur... Évidemment, ça ne se passe pas comme ça, mais j'imagine le scénario juste pour les fins de notre discussion, on me dit: Écoute, l'intérêt public, là, votre intérêt public, là, à vous, là, on comprend, là, vous regardez M. Latimer, vous écoutez M. Latimer, mais, moi, je représente une association de personnes qui sont inaptes, incapables de se suicider toutes seules, qui nécessitent des soins d'autres personnes, qui sont à la charge de personnes qui sont autour d'eux, et nous trouvons très, très dangereux le fait que vous n'accusez pas M. Latimer, parce que, nous, au niveau de notre intérêt public, nous trouvons que vous venez de mettre en danger, si vous n'accusez pas, toutes les personnes qui dépendent d'autres personnes, qui sont à la charge d'autres personnes. Elles pourraient prendre une telle décision; on ne veut pas avoir un «free-for-all». Là, mon intérêt public, il change un petit peu. Puis, l'intérêt public est fluide. Je ne sais pas, je veux vous entendre là-dessus.
M. Blouin (Sarto): Oui. Alors, l'intérêt public ne change pas. D'abord, vous avez deux erreurs fondamentales. C'est l'expectative de condamnation; ça, vous l'avez déjà avant de vous rendre à la deuxième question, de l'intérêt public. Et, dans ce cas-là, la fille, elle a 12 ans, c'est une mineure et elle n'a pas manifesté non plus son intérêt de mourir. Donc, vous avez deux critères qui, d'après mes 17 critères, ne passeraient même pas le premier des 17 que j'ai élaborés.
Donc, l'intérêt public, c'est facile à interpréter. C'est où on est rendus dans une radiographie de la société maintenant avec le discernement qu'on a. Dans le cas de Latimer, c'était clairement un meurtre. Il n'y a même pas d'ambiguïté. Sue Rodriguez, cinq-quatre dans ce temps-là, vous refaites le même procès aujourd'hui, je mettrais 100 contre une que la Cour suprême arriverait à une conclusion différente, le même procès. On est rendus là dans la société. Ce n'est pas vrai. L'association d'handicapés qui vous appellerait pour vous dire que ce n'est pas dans l'intérêt public, ils ont raison, puis, vous, vous avez à signer la plainte, parce que, si vous suivez mes critères, personne ne pourrait vous l'opposer, parce qu'effectivement la petite fille n'a pas... c'était plus la souffrance du monsieur que la souffrance de la personne. Ici, on parle d'un débat où la personne le demande. On parle... Ça émane de la personne qui, si elle pouvait se suicider, le ferait.
L'Angleterre ont fait ce test-là jusqu'à la House of Lords, puis c'est du droit britannique, un peu comme nous, et ces critères-là ont passé le test. Et là, aujourd'hui, ce qu'ils font, c'est depuis juillet, je ne sais pas si c'est rendu public, mais enfin, je peux en parler un peu, ils sont rendus au deuxième degré sur le «locked-in syndrome». La personne qui est emmurée mais qui veut finir, elle a besoin d'un bras artificiel pour régler son... faire son propre suicide. Ils sont en train de faire ce test-là. On n'est pas là, nous autres, ici, là, mais l'intérêt public, dans le cas de Latimer, je pense que ça ne s'appliquerait pas. Bien, ça s'appliquerait dans le sens qu'il y aurait... ils ont eu raison... nonobstant le fait que ça soit tout à fait... qu'il y ait beaucoup de compassion puis qu'on trouve que c'est pathétique, c'est triste, etc., c'était techniquement quelque chose d'inadmissible au niveau de la société.
M. Sklavounos: Et pourtant... Je ne sais pas s'il reste... Juste un très court commentaire, peut-être que vous allez réagir. Et pourtant je connais beaucoup de personnes qui m'ont dit et qui diront toujours que c'est une grave injustice, ce qui s'est passé, à M. Latimer. Et, je veux dire, je suis d'accord avec vous, vos critères, puis c'est beau, mais j'ai quand même sondé à un niveau personnel, parce que j'étais curieux par la question. J'ai parlé à beaucoup de personnes, il y a beaucoup de personnes qui sont restées avec un goût amer dans la bouche après la décision de Latimer, surtout sachant qu'il y avait une sentence minimale dans le dossier qu'ils ont dû respecter, veux veux pas, qui était automatique, qu'il n'y avait pas d'exception constitutionnelle qui était possible.
M. Blouin (Sarto): Pourquoi pas?
M. Sklavounos: Ça a été plaidé. Oui...
M. Blouin (Sarto): Parce que, le dernier argument, je me dis que, quand tous nos garde-fous sont épuisés, il y a l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés -- canadienne -- qui dit que, dans les circonstances particulières, si la peine susceptible d'être imposée à la personne qui a commis un homicide par compassion, mettons, dans le cas de Latimer, constitue une peine cruelle et inusitée, si ça avait été meurtre au premier degré, il aurait eu 25 ans ferme. Ce n'est pas ça qu'il a eu.
M. Sklavounos: Ils l'ont plaidé, je pense, dans Latimer, puis la cour a dit qu'ils n'acceptaient pas l'argument.
M. Blouin (Sarto): Exact.
M. Sklavounos: Je me souviens que son avocat l'a plaidé. Je me souviens...
M. Blouin (Sarto): Sauf...
M. Sklavounos: ...très clair.
M. Blouin (Sarto): Sauf que c'est le débat du judiciaire. Ici, on parle du législatif.
M. Sklavounos: Oui, oui.
M. Blouin (Sarto): Les tribunaux sont obligés d'interpréter, aussi, les lois.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup, Me Blouin. En fait, c'est une perspective et une contribution tout à fait nouvelles et originales, et je vous en remercie. J'ai lu toute votre création de lignes directrices possibles puis je trouve ça bien intéressant. Depuis le jour 1, quand on nous pose la question sur le partage des compétences, on fait beaucoup de pédagogie et on explique toujours que le Québec a compétence en matière d'administration de la justice, que c'est lui qui décide s'il poursuit ou non, et qu'on a aussi compétence sur les ordres professionnels et en matière de santé. Alors, il faut des fois répéter le message souvent, mais je suis contente de voir que vous avez pris le temps de regarder à quoi ça pourrait ressembler.
Moi, en fait, j'ai deux questions, une plus technique, une plus, je dirais, philosophique. La plus technique, c'est: Dans vos lignes, dans vos directives, un peu, vous parlez du refus de traitement, de l'arrêt de traitement, vous parlez des soins palliatifs. Or, tout ça est comme déjà légal, dans le sens où tout est prévu dans le Code civil. On est allés très loin sur l'autonomie de la personne quand on a fait la réforme du Code civil. Et donc, même à tous les médecins à qui on parle, eux, ils voient des distinctions très importantes à cause de la question de l'intention, puis tout ça, puis légalement on peut la concevoir, aussi.
Donc, je voulais comprendre pourquoi vous êtes allé aussi sur ces sujets-là. Est-ce que c'est justement par souci de clarté, pour faire ressortir toutes les distinctions qu'il pourrait y avoir dans le cas où un geste, peut-être qui se situerait dans une zone grise, serait posé?
M. Blouin (Sarto): En fait, effectivement les articles 11, 12, 13 et suivants du Code civil prévoient d'une part le choix pour l'individu qui se fait traiter de, un, refuser son traitement et, deux, de l'arrêter s'il est commencé. Donc, ceci étant parfois noyé dans d'autres débats ou d'autres questions, les gens disent: Oui, mais là, il n'est plus en mesure de s'exprimer, etc. Donc, je voulais juste clarifier, mais ce n'est pas le noyau de mon propos.
Mme Hivon: ...
M. Blouin (Sarto): Exact.
Mme Hivon: ...l'étendue des possibilités. O.K., parfait.
Moi, je pose une question... C'est sûr, je pense que mon collègue a fait bien le tour de la question sur les aspects plus de procédure criminelle, dépôt de poursuites. Moi, j'ai une question qui me hante par rapport à ça, c'est: Si on décidait de se doter de directives comme ça pour dire, dans tels cas, quand tels, tels, tels critères sont remplis, on ne poursuit pas, par exemple; en fait, on est en train de ne pas légaliser ou décriminaliser quelque chose, mais de dire: Il n'y aura pas de conséquence pénale... il n'y aura pas de conséquence criminelle. Mais ça, ça sous-entend qu'il y a des gens qui vont décider de passer outre la loi, par compassion ou parce qu'on leur demande de manière insistante, puis qu'ils veulent aider un proche ou aider un patient, mais il y a beaucoup d'autres personnes qui vont refuser de le faire.
Donc, moi, je me dis: Elle est où, un peu, l'équité? Ou, dans tout ça, comme société, est-ce que c'est une voie qui peut être intéressante globalement quand on se dit, exemple: Moi, je suis en fin de vie, il me reste une petite période à vivre, je n'en peux plus, je demande de manière répétée à mourir; mon médecin accepte, même s'il sait qu'il va clairement à l'encontre du droit criminel, mais mon voisin, qui a exactement la même volonté de mettre fin à sa vie, n'a pas le même médecin et n'a pas de proche qui veut l'assister; donc, est-ce que ça ne crée pas un genre de problème d'équité?
M. Blouin (Sarto): Alors, vous ne parlez pas au niveau du procureur de la couronne qui a à se fonder sur une... vous parlez au niveau du médecin.
Mme Hivon: Non, je parle plus philosophiquement, si c'est ça, la voie qu'on emprunte.
M. Blouin (Sarto): Oui. Effectivement, la question, c'est toujours globalement; on choisit par réflexe, comme société, le moindre mal. Est-ce qu'on est mieux d'avoir une façon de faire imposée ou on est mieux de laisser aux gens leur choix individuel? Puis ça peut changer.
D'ailleurs, quand vous avez parlé de Dignitas, les gens, dès qu'ils savent qu'ils ont un moyen au bout, ils désamorcent, et, en Belgique, il y en a eu juste 600, cas, sur 6 000 d'enregistrés, avec des décisions anticipées, dans des bureaux de notaire, avec un médecin et de façon libre et éclairée, à au moins deux reprises: 10 jours d'intervalle, pas de dépression, etc., là.
Donc, quand vous arrivez avec des médecins comme Joseph Ayoub, qui est un extraordinaire médecin, que, si j'ai le cancer un jour, je lui ai déjà dit d'ailleurs que c'est lui que je veux qui m'accompagne jusqu'à la fin de ma vie, je sais ses croyances. La petite «pin» qu'il avait ici, c'est le Pape qui lui a donnée, là. Il est extrêmement croyant. Il est dans l'Opus Dei. C'est un médecin dédié, avec certaines croyances, certaines valeurs. Ça n'enlève rien de sa compassion; au contraire, ça peut aider dans un cas, si lui vous soigne dans votre lit, puis c'est un autre qui est un non-croyant ou quelque chose: O.K., tu en as assez, tu en as assez. Comment voulez-vous qu'on se prémunisse contre ce genre d'erreur là? La règle d'or devrait être toujours l'intérêt du patient, comme on le fait avec les enfants, et l'intention du patient, s'il est en mesure de s'exprimer. S'il n'est plus en mesure de s'exprimer, c'est une autre chose.
Vous allez voir ce que la Chambre des notaires va vous proposer. Probablement que le Barreau va s'opposer, mais il y a des positions assez audacieuses, mais on ne peut pas se prémunir contre ça. Moi, je prends pour acquis que la personne est en mesure d'exprimer sa volonté. Si vous enleviez cette prémisse-là, là, votre ligne, elle peut être comme ça, puis il peut y avoir du gris, du noir, du blanc, puis... Il n'y a pas de façon. Je n'ai pas de réponse.
**(15 h 50)**Mme Hivon: Merci.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Mercier.
M. Khadir: Me Blouin, je ne suis pas familier avec tous les termes médicaux, mais vous avez parlé de meurtre, meurtre par compassion, meurtre prémédité, bon. Si on parle d'homicide involontaire, d'accord, dans les soins actuellement de fin de vie, on a parlé de sédation terminale. Le médecin prescrit une perfusion de morphine, d'autres sédatifs narcotiques à doses croissantes, qu'il arrive un moment où c'est prévisible. On sait que souvent on atteint la zone où on atteint vraiment une... pour des cas très graves de souffrance physique, on atteint une sédation et très proche de la dose qui interrompt la respiration. Est-ce que, si quelqu'un, un légiste, un homme de droit qui prend rigoureusement la définition d'homicide involontaire pourrait dire que c'est un... Parce que je veux venir à un autre argument qui est de... les questions de compétence fédérale, provinciale -- j'y arrive. Est-ce que ça, ça peut être interprété par ce juriste comme homicide involontaire?
M. Blouin (Sarto): Non. Selon moi, non, parce que c'est déjà prévu dans les protocoles. Dans les protocoles qu'il y a dans les CHSLD, dans les protocoles de soins de santé, c'est prévu dans... les médecins qui font des soins palliatifs, c'est prévu que ce n'est pas de l'euthanasie. Donc, il n'y a pas ni de provocation de mort ni d'intention de provoquer la mort, c'est ce qu'ils appellent le double effet. Le but n'est que, comme disait Joseph hier, de tuer la souffrance et non pas de tuer le patient.
M. Khadir: Très bien. Très bien.
M. Blouin (Sarto): Donc, à partir de ce moment-là, il n'y a pas de crime.
M. Khadir: Maintenant, si, médicalement, à partir d'un certain nombre de... Parce que les protocoles qu'on décide... Je vais revenir un peu en arrière. Il y a, par exemple, à peu près 800 ans, faire de la dissection anatomique, socialement ce n'était pas acceptable. Donc, la médecine ne l'acceptait pas non plus, vous comprenez? C'est-à-dire, on ne pouvait pas faire un prélèvement sur le corps de quelqu'un, l'ouvrir pour examiner quelque chose pour, par exemple, guérir, d'accord? On devait y aller de concoctions, de soins physiques, de... bon, jusqu'à ce que...
M. Blouin (Sarto): Sans le consentement.
M. Khadir: Pardon?
M. Blouin (Sarto): Sans le consentement de...
M. Khadir: Bien, en fait, il y a toute une série de choses qui étaient interdites. Par exemple, on ne pouvait pas non plus faire de dissection sur des cadavres pour l'enseignement, d'accord? C'est quand même une grave atteinte au corps d'individus. On atteint à leur intégrité, là. Une fois leur mort, il y a une histoire, il y a une mémoire, il y a un respect pour ces corps. Alors, il y a une époque où on se l'interdisait et la médecine interdisait. Or...
M. Blouin (Sarto): Excusez-moi. C'est encore interdit.
M. Khadir: Non.
M. Blouin (Sarto): Si ce n'est pas accepté par le patient, c'est interdit. Alors...
M. Khadir: Oui, c'est sûr. Maintenant, on n'a... Non, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai.
M. Blouin (Sarto): Il y a une infraction au Code criminel qui s'appelle «outrage au cadavre».
M. Khadir: Oui. Mais je vous prie de me croire que, dans les salles de dissection de nos facultés, il arrive des accidentés, par exemple, qui ne sont pas identifiables, et... bon. Là, je ne veux pas entrer dans ce détail-là, mais disons qu'il y a 800 ans à peu près faire une dissection, même... Enfin, personne ne pouvait consentir, la médecine n'acceptait pas ce genre de consentement pour faire une dissection, par exemple, pour l'enseignement. Mais, avec l'acceptation de la société, c'est devenu un concept tout à fait accepté aussi en médecine.
Alors, si, comme société, on fait une discussion, un débat, puis on décide que mettre fin à la vie de quelqu'un... Je ne suis pas en train de le prôner, je dis simplement: Si socialement on décide que l'euthanasie fait partie, dans des circonstances particulièrement ciblées, balisées, comme des soins appropriés, médicalement prescrits de fin de vie, alors, à ce moment-là, est-ce que le Québec aurait juridiction de dire: Voici ma définition d'une catégorie de soins? Un peu comme le... ce que vous avez dit, les protocoles de «drip», d'accord, de morphine, moi, je considère que ça, ça fait partie de l'arsenal de ce j'offre comme corpus médical aux patients quand on a des problèmes dans des cas très balisés, très stricts, puis ça fait partie de mon... Donc, est-ce que, de juridiction provinciale, on pourrait décider et donc de l'exclure du champ d'application du Code criminel fédéral?
M. Blouin (Sarto): C'est une très bonne question. Je pense qu'effectivement le provincial a juridiction pour établir ces protocoles-là et d'aller peut-être aussi loin que ça, mais ça va être plus facilement contestable s'il y a un cas de dérapage, où on va dire: Ah! la personne n'avait pas manifesté, etc. Et vous allez avoir de la difficulté à obtenir un encadrement juridique, d'écrire ça dans la loi sur la santé et services sociaux, dans une loi provinciale. Même si c'est de votre juridiction d'inclure de façon texto la mention que vous avez droit d'aller jusqu'à l'euthanasie, ça, c'est clairement faire indirectement ce qu'il n'est pas permis de faire directement, alors que, dans la solution que je propose, il y a une certaine interprétation. C'est sûr que des journalistes... comme Foglia disait cette semaine: Le statu quo, ne fait-on pas déjà dans nos hôpitaux et chez nous, au Québec, exactement... On agit comme la loi -- qui n'existe pas. On présume qu'elle pourrait exister un jour, mais on fait pareil comme si. Alors, on est bien mieux de ne pas soulever de vagues puis continuer comme ça.
C'est qu'à un moment donné il y a des accusations puis il y a des cas qui sont extrêmement graves, où un médecin, Frédéric Chaussoy, là, il s'est fait garrocher des roches. Puis, je veux dire, ça a été comme Morgentaler dans les années soixante-dix, avant qu'on dise: Bien, on va arrêter de légiférer sur l'utérus des femmes, là. L'avortement, on ne va pas commencer à détruire sa maison puis...
Alors, il y a des évolutions de société. Oui, il y a un très, très grand rapprochement entre la responsabilité médicale, l'État constitutionnel, juridique du droit et ce que la société, dans le pôle moral, est prête à accepter. La question, c'est de le rédiger de façon légitime mais de façon légale, pour que ce soit le plus «bulletproof» au niveau attaque, parce que c'est certain qu'il y a des gens qui vont attaquer ça, là. Alors... Mais je pense que c'est de juridiction provinciale, puis vous avez le droit de le faire.
Le Président (M. Kelley): Moi, j'ai juste une question. Soit l'exemple en Grande-Bretagne ou l'exemple en Colombie-Britannique, est-ce qu'on a idée combien de fois ces directives ont été appliquées ou testées? Parce qu'un des arguments qui est souvent survenu, c'est la question d'une dérive, qu'une fois on ouvre la possibilité à qu'il y aurait une grande dérive. Est-ce qu'il y a des indices que ces directives ont été appliquées souvent dans un cas ou l'autre?
M. Blouin (Sarto): En Colombie-Britannique, je ne le sais pas. Je pense que c'est un peu comme ce qui se passe dans les hôpitaux. Donc, il y a de l'euthanasie déguisée ou cachée ou discrète, et puis personne ne soulève de vague. Quand la famille est d'accord, tout le monde est d'accord.
Au niveau de la Grande-Bretagne, c'est tout à fait nouveau. La Chambre des Lords s'est rendue... le jugement a été rendu en juillet 2009, et ça a pris presque un an, et bizarrement la couronne a demandé aux procureurs qui les ont battus en cour, à la House of Lords, de les aider à rédiger ça avec des associations d'handicapés, des pauvres, des gens démunis, des gens qui pourraient être plus vulnérables. Ils ont ciblé six ou huit groupes de gens qui sont plus vulnérables et qu'on décrit comme étant des potentiels menacés, et finalement ces gens-là sont ceux qui l'utilisent le moins et c'est ceux qui sont le moins à risque. Et, en mars 2010, la couronne britannique a publié ses directives. Alors, c'est tout nouveau, il n'y a pas de «test cases» encore qui ont été faits.
Le Président (M. Kelley): Parfait. Sur ça, M. Blouin, merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion.
Je vais suspendre quelques instants. Je vais demander à Mme Elisabeth Chlumecky de...
Une voix: ...
Le Président (M. Kelley): Non, mais... Mme Chlumecky, s'il vous plaît, prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 15 h 58)
(Reprise à 16 heures)
Le Président (M. Kelley): La commission reprend ses travaux. Comme bon père de famille, parfois il y a besoin d'une certaine souplesse dans l'application de mes propres directives. On a un monsieur qui a fait beaucoup de route aujourd'hui pour participer dans notre session de micro ouvert, que nous avons annulée suite au... vendredi... mercredi, à la fin de la journée. Alors, pour accommoder M. Jacques... pardon, M. Jacques Lalanne, on va vous accorder une brève intervention de quatre minutes. Alors, le micro est à vous, M. Lalanne, alors avec le consentement de mes collègues pour permettre le président d'être souple dans l'application de ses propres décisions. M. Lalanne, la parole est à vous.
M. Jacques Lalanne
M. Lalanne (Jacques): Merci de m'entendre. Mon point de vue reflète aussi le point de vue des membres de la Société Nature et Santé, dont je suis le président et qui regroupe environ 150 membres.
Si vous me demandiez comment j'aimerais mourir, je vous dirais: Comme mon grand-père paternel. Il avait plus de 80 ans. Il était très actif. Il entretenait un grand jardin. Et, une bonne journée, après être revenu d'une noce, en mettant son veston sur le cintre, il est mort tout simplement, instantanément, comme ça. Il a mené une belle vie jusqu'à la dernière seconde.
Si je n'avais pas ce choix-là, je prendrais probablement le deuxième choix, c'est-à-dire comme mon grand-père maternel, qui était aveugle aussi, et qui s'est retiré, et qui a diminué ses activités progressivement, jusqu'à s'éteindre assez facilement.
Mais, comme ces cas-là ne sont pas très documentés, j'ai pris le soin de traduire un texte de Helen Nearing extrait de Loving and Leaving the Good Life, où elle décrit comment son mari, qui était parvenu à un âge avancé, lui a dit, à un moment donné: Bien, sais-tu, je crois que je vais cesser de manger. Je pense que mon corps n'accepte plus ça. Elle a accepté son point de vue, comme de raison, et, pendant un mois environ, il s'est nourri de jus, de fruits et de légumes, comme on s'en doute. Et, au bout d'un mois, il lui a dit: Sais-tu, je crois que mon corps n'a même pas la force maintenant de digérer les jus, je ne voudrais que de l'eau. Et, pendant une semaine environ, il n'a pris que de l'eau et il s'est éteint dans une mort douce, confortable, paisible, sans aucune douleur, et tout ça.
Et je crois que c'est la situation de plusieurs personnes dans plusieurs situations où, à un moment donné, leur corps ne peut plus, disons, même absorber la nourriture pour la transformer en énergie. Et je crois que ça fait partie de l'acharnement thérapeutique de vouloir nourrir quelqu'un même si son corps ne l'accepte plus, et que ce soit par les voies naturelles ou par perfusion. Et je connais beaucoup d'autres personnes que mes collègues ont accompagnées dans la mort, comme ça, et qui se sont éteintes comme une chandelle qui a brûlé toute sa cire, c'est-à-dire doucement, paisiblement et, souvent, le sourire à la figure également. Je suis disponible pour vos questions.
Le Président (M. Kelley): Merci, mais, pour les déclarations, c'est juste les déclarations, il n'y a pas d'échange avec les membres de la commission. Alors, merci beaucoup.
M. Lalanne (Jacques): Merci de m'avoir entendu.
Le Président (M. Kelley): Oh non! merci beaucoup. Merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion. Et merci beaucoup à mes collègues pour votre indulgence envers votre président.
Alors, sur ça, on va procéder au prochain témoin. C'est Mme Elisabeth... Chlumecky?
Mme Elisabeth Chlumecky
Mme Chlumecky (Elisabeth): Oui.
Le Président (M. Kelley): Pas pire?
Mme Chlumecky (Elisabeth): Oui. J'espère que dans ma prochaine vie je vais m'appeler Tremblay. Ça va être plus facile. Ça finit aussi par un y. Bon...
Le Président (M. Kelley): Bienvenue. La parole est à vous.
Mme Chlumecky (Elisabeth): Merci beaucoup. Écoutez, c'est vendredi après-midi. C'est un temps magnifique. En tout cas, les malades nous apprennent...
Le Président (M. Kelley): ...pas obligée de mentionner ça.
Mme Chlumecky (Elisabeth): Oui. Ils nous apprennent une chose: l'urgence de vivre, en tout cas l'urgence de profiter de tout ça. Ils sont au moins un témoin... témoins de ça, un beau témoignage.
Écoutez, moi, je suis ici parce que... C'est délicat de parler de l'agonie, de la mort alors qu'on est en santé puis qu'actuellement il y a des personnes qui meurent à Montréal, mais une expérience dans ma vie me permet de prendre la parole ici. Donc, je vous lis mon mémoire, quelques parties de mon mémoire.
On note au sein de la population occidentale une ouverture croissante à l'euthanasie et au suicide assisté. Il y a deux ans, les gens me disaient: Non, moi, je ne suis pas en faveur. Et maintenant tout le monde autour de moi est en faveur. J'ai pris un congé sans solde de l'enseignement collégial afin de prendre soin de ma mère âgée qui est devenue invalide à la suite d'une opération à la hanche et d'un épisode de dépression respiratoire. Avant, ma mère lisait un livre sur les philosophes présocratiques. Maintenant, elle est en train de colorier à la maison. La question de l'euthanasie m'interpelle à la suite de cette expérience-là, et j'aimerais exposer ici des réflexions nourries par mon expérience personnelle et aussi par mes lectures.
Tolstoï a écrit le récit La mort d'Ivan Ilitch, qui relate l'histoire d'une personne dont la vie a été une réussite absolue: riche, de l'argent, le prestige social... Mais, malgré tout ça, au moment où il tombe malade, il se rend compte que le bilan est négatif et il découvre, selon la belle expression de Henry David Thoreau, tout ce qui dans sa vie n'avait pas été la vie. Parce qu'à la fin de sa vie c'est fini, l'heure des mensonges. Il y a une lucidité très grande. Mais ces derniers moments de sa vie lui permettent de réparer ce qui avait été brisé. C'est un peu comme un peintre qui pose les dernières couleurs sur le tableau, et c'est ces couleurs-là qui vont donner à l'oeuvre sa beauté, sa profondeur. Ce sont ces derniers jours qui donnent à la vie aussi son sens. Et il y a donc plusieurs... Le temps de la maladie est un temps de mûrissement, aussi.
Il peut aussi être un temps d'écoute de la grande respiration de la vie. Justement, là, on n'a pas le temps d'entendre, d'écouter la respiration de la vie. Et le temps de la maladie... Marie Uguay, poétesse québécoise de renom, raconte, dans le film de Jean-Claude Labrecque... elle parle de ses derniers moments de grâce poétique. Elle était à l'hôpital et elle avait une vue on ne peut plus imprenable: un mur de briques. Mais, à certaines heures, la lumière du jour éclairait ce mur-là, et elle en parlait comme d'un instant de grâce poétique. Je pense que même à la fin de sa vie on peut avoir des moments de communion avec le cosmos, des moments de plénitude. Et, nous, on regarde ça comme des gens en bonne santé, mais dans les hôpitaux des gens très malades peuvent avoir ces instants-là de plénitude en compagnie de leurs familles, d'amis ou, comme je le dis, en contemplant simplement ce miracle qu'est l'infini du ciel.
La vie... On ne trouve pas... Les gens disent: Bien, ça n'a pas de sens de garder une personne très malade en vie. Mais la vie lente, immobile, brisée, cachée derrière les murs des hôpitaux puis des centres d'accueil, une vie qu'on ne voit pas, a un autre sens. Il se trouve dans la tendresse et le dévouement déployés autour des malades et des personnes âgées. Combien d'infirmières, de médecins et de préposés aux bénéficiaires ne donnent-ils pas le meilleur d'eux-mêmes à leurs patients? L'expérience de la mort, c'est ça aussi. C'est tous ces gens, ce dévouement. J'ai vu des gens qui s'accomplissaient merveilleusement dans ce travail-là, dans ce corps à corps avec la maladie et avec les tentatives pour soulager la douleur physique. J'ai vu des gens très heureux de faire ce travail-là. Je l'ai vu à l'hôpital et à l'institut de gériatrie, des gens qui s'accomplissent dans ce travail-là.
En prenant un congé d'un an pour soigner ma mère, j'ai aussi perdu le temps puis la liberté. Mais ça a été un temps fructueux de ma vie, malgré tout, qui m'a permis de devenir un peu ce que je suis. Ce n'est pas juste un grand malheur, la maladie d'une personne. La grande vieillesse d'une personne n'est pas un malheur pour les autres nécessairement. Alors, j'ai choisi, pour un certain temps, des valeurs du coeur, qui sont oubliées dans un monde voué à l'efficacité et la productivité. J'ai dit oui à un don de ma personne que la vie me demandait pour un certain temps et j'ai trouvé la paix là-dedans, comme beaucoup d'aidants naturels, des hommes et des femmes.
Maintenant, la question de l'euthanasie, c'est la question des valeurs sacrées de notre monde. Il y a des valeurs, il me semble, auxquelles on ne peut pas renoncer sans que notre élan vers l'idéal... Parce que l'humanité va vers l'idéal. Écoutez, pensez à l'homme des cavernes et à l'homme d'aujourd'hui. L'élan vers l'idéal, la beauté, la justice, l'égalité. Il y a des valeurs sacrées: l'égalité entre les hommes et la femme, l'éducation pour tous et... Mais, d'après moi, la protection de la vie souffrante, la recherche de moyens pour atténuer ces douleurs-là, c'est une valeur sacrée. Le dévouement envers les plus petits, les plus faibles, ceux qui n'ont plus de voix, bien c'est aussi... ça nous ennoblit aussi. Et il me semble que notre haute civilisation, qui cherche la beauté, l'art, la justice, qui défend les droits de la personne, qu'elle accuserait peut-être un recul en donnant la mort finalement à ceux qui sont des bouches inutiles.
**(16 h 10)** Maintenant, moi, je comprends des gens qui au nom de la compassion aident une personne à mourir ou encore une personne atteinte d'une maladie incurable qui désire ça. Mais mon choix de prendre soin de ma mère pendant un an montre ma capacité de compassion. Mais, moi, je crains, dans une vie très laborieuse, qu'il y ait des dérives insidieuses. On ne s'en rend même pas compte, de ces dérives-là, mais il faut donc des sentinelles, des gens qui sont là pour veiller... Il faut des grands humanistes qui sont là... Mais c'est un monde très laborieux. Qui va avoir le temps de veiller à ce que tout se fasse bien?
Bien entendu, moi, je ne prône pas du tout le baroud d'honneur puis l'acharnement thérapeutique.
Mais, moi, je crains que la pratique de l'euthanasie devienne exponentielle. Le nombre de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ira en augmentant. Certains baby-boomers ont déjà atteint 65 ans. Bientôt, ils verront les rives du quatrième âge. Et est-ce que l'euthanasie ne risque pas d'être une solution facile dans un monde endetté, où il n'y a pas beaucoup de personnel soignant, où il y a une pénurie?
Je vois aussi dans la pratique de l'euthanasie des dérives dangereuses vers des formes d'exclusion, vers l'âgisme. Est-ce qu'il ne faut pas craindre que les grands vieillards, par exemple, perdront le sentiment de leur dignité et se sentiront obligés d'abréger leur vie? Les médias présentent toujours une image extrêmement négative de la vieillesse, des gens aux cheveux blancs. Ils encombrent, c'est vrai, on les voit juste comme encombreurs de corridors d'hôpitaux. Déjà, il y a une image tellement négative. On parle de la dignité de la personne, mais ils sont atteints dans leur dignité par ça. Moi, j'ai vu à l'hôpital, pendant l'hospitalisation de ma mère, des personnes âgées qui étaient tellement seules. On mettait le plateau devant elles, elles étaient oubliées pendant des semaines et...
Maintenant, on a tendance à oublier que ce vieillard-là a aussi construit le Québec moderne. Aussi, grâce à cette personne-là, je jouis de certains droits aujourd'hui, entre autres de travailler comme femme. Et maintenant je crains que la vie des personnes âgées aura encore moins de valeur quand la pratique de l'euthanasie deviendra courante. Déjà, les aînés... Est-ce qu'ils ne risquent pas de se sentir vraiment de trop dans un monde qui donne la mort surtout aux personnes âgées?
À l'ouverture des audiences de la commission, mardi dernier, toute la journée a défilé l'image d'une vieille dame à la main osseuse contre sa jaquette bleu ciel d'hôpital et... Au moins, j'étais contente parce que c'était clair. La question était sous-entendue, mais elle était claire: Quel sort fera-t-on à ces gens-là qui pèsent beaucoup? Quel sort leur réservera-t-on? Et la question sous-entendue, c'est: Est-ce qu'on doit abréger la vie de ces personnes-là, démentes, invalides? Écoutez, c'est... une personne vaut quelque chose non pas seulement par son esprit, son intelligence, mais il y a le corps humain aussi qu'on doit honorer, parce que le corps, c'est le réceptacle de l'esprit prodigieux qui a créé...
Imaginons qu'on adopte l'euthanasie comme option, comme l'a fait la Hollande. Est-ce que l'idéalisme des jeunes sera en accord avec cette décision-là? À 20 ans, on est idéaliste. Est-ce qu'on sera d'accord avec nos décisions de personnes mûres? Est-ce qu'il ne faut pas craindre, en choisissant ça, de nourrir un mal de vivre au sein d'une société qui valorise ce qui est puissant, parfait, fort? Mais la question...
Alors, j'ose parler de tout ça parce que j'ai pris soin de ma mère pendant cette année. J'ai des pistes de solution. Moi, ma piste de solution, c'est l'Odyssée d'Homère, parce que c'est un modèle d'humanisme. Après avoir participé à la guerre de Troie, Ulysse, le héros principal, est la victime des dieux. Les dieux sont contre lui. Mais il se montre plus fort que les dieux. Est-ce que vous vous rappelez l'épisode où il crève l'oeil du cyclope Polyphème? Oui? Et là il lui demande: Quel est ton nom? Personne. Quand les autres cyclopes viennent à l'aide, parce qu'ils entendent le cri de Polyphème, alors ils demandent à Polyphème: Qui est là? Et il répond: Personne. Donc, les cyclopes s'en vont. L'odyssée d'Homère, c'est un chant à l'intelligence humaine, qui est plus forte que ces forces adverses. Alors, «l'homme aux mille ruses» nous apprend donc la grandeur de l'être humain. Son intelligence lui permet de combattre le mal qui accable l'humanité.
Les femmes et les hommes de notre temps sont appelés à être ingénieux comme Ulysse. Il faut inventer des moyens pas d'abréger la vie, d'après moi, mais pour atténuer la souffrance physique et morale des malades. Il faut des solutions, et on en trouve tous les jours, pour prolonger la vie active, pour combattre les maladies qui diminuent les facultés physiques et cognitives. Regardez les grands pas qu'on a faits en 20 ans: On mange mieux, on fait de l'exercice. Il faut aussi travailler de concert pour qu'une économie forte puisse assurer aux personnes âgées et aux malades incurables des soins de qualité. Moi, j'ai foi en l'intelligence humaine qui découvre, soulage. Il me semble que choisir l'euthanasie, c'est renoncer à cette ingéniosité humaine qui nous...
Donc, j'ai pris soin de ma mère pendant toute une année. J'ai eu mes heures de doute, d'impatience. Ça a été très lourd. Je suis capable de poser un regard réaliste sur la vieillesse et...
Je voulais aussi dire qu'un défi de taille attend les familles. Le nombre de personnes... Attends, il me semblait que j'ai déjà dit ça. Ah oui! Juste à l'hôpital... mon expérience à l'hôpital... Les hôpitaux seront débordés. Il y aura une pénurie de personnel soignant. Mais j'imagine déjà les hôpitaux de demain, mécanisés, qui soigneront plus rapidement. Moi, j'ai vu à l'hôpital des instruments vétustes, un manque d'organisation, pas de place pour l'infirmière pour qu'elle se penche sur le patient. Il me semble qu'il y a un travail énorme à faire pour aller vers ces hôpitaux-là, comme je dis, mécanisés, mieux gérés. J'ai vu là leur travail freiné. Moi qui n'ai aucun sens pratique, j'ai vu ça, ce travail constamment freiné.
On doit aussi valoriser davantage ici, au Québec, le travail des préposés aux bénéficiaires et des aides familiales. Est-ce que vous avez déjà vu une série télévisée qui montrerait la vie amoureuse, par exemple, d'une préposée aux malades? Est-ce qu'on ne parle jamais de ce travail-là aux jeunes? Qui fait ce travail-là dans notre société? Est-ce que ça attire quelqu'un? Je n'ai jamais entendu au cégep quelqu'un valoriser ce travail, inviter... Il y a quelques années, on avait une étudiante qui avait 95 dans son cours de philosophie et qui a décidé de devenir préposée, comme ça, aux malades. Et là les professeurs ont essayé de la conseiller: Ne fais pas ça, ne... Ce travail-là n'est pas du tout valorisé. Il faudrait le valoriser afin d'attirer un plus grand nombre de jeunes et de nouveaux arrivants vers ces emplois-là. On se plaint alors qu'une partie... on perd des emplois à cause de la Chine ou de l'Inde actuellement. Mais j'ai vu beaucoup de gens, de femmes très contentes de faire ce travail-là, et on en aura besoin, et on n'en a pas suffisamment.
Le gouvernement doit promouvoir l'épargne personnelle, créer, inciter les gens à avoir des fonds, fonds quatrième âge. On voit toujours liberté 55, des gens sur une plage par un soleil éclatant, et on doit se préparer à ce quatrième âge là. Parce qu'on va y arriver. On fait de l'exercice et on mange bien. Donc, il faut voir ça venir, prendre des mesures. Il faut que le gouvernement encourage aussi la prise de congés rémunérés pour des proches aidants comme moi. La réduction du temps de travail, éventuellement. On parle de la conciliation famille-travail, mais on devrait parler de la conciliation vieux parents et travail. On me l'a dit clairement au CLSC: Écoutez, vous avez deux choix: vous placez votre vieille mère dans un centre ou vous arrêtez de travailler. Je regrette, j'aime mon travail, et j'ai de la compassion à l'endroit de ma mère, et je... Et ça, je n'ai nulle part rencontré vraiment une volonté de changer quelque chose. Il y a beaucoup de gens qui feraient le même choix que moi s'ils étaient libres.
C'est fini?
Le Président (M. Kelley): Oui, on arrive à 15 minutes. Alors, juste en conclusion, si vous voulez...
Mme Chlumecky (Elisabeth): Ah! J'ai encore... Oui. J'avais... C'est...
Le Président (M. Kelley): Non. Non, non...
Mme Chlumecky (Elisabeth): Ce n'est pas long. D'accord.
Le Président (M. Kelley): Je veux juste vous signaler...
Mme Chlumecky (Elisabeth): Oui, merci beaucoup.
Le Président (M. Kelley): ...qu'on est à 15 minutes, alors...
Mme Chlumecky (Elisabeth): C'est bien. D'accord. J'ai presque fini.
Le Président (M. Kelley): ...si on peut aller vers la conclusion, s'il vous plaît.
**(16 h 20)**Mme Chlumecky (Elisabeth): Oui. Bien, c'est... Mais ce qui prévaut aujourd'hui, c'est l'esprit utilitariste, le «qu'est-ce que ça donne». Que donne une personne âgée inconsciente? Qu'est-ce que ça apporte? C'est très important, à ce moment-là aussi, les institutions scolaires, le... On a un rôle à jouer: préparer les jeunes à mener des débats de fond sur des questions d'éthique et des enjeux. Où est-ce qu'ils sont, les jeunes qui participeraient... Il y en a quand même quelques-uns. Je suis heureuse de voir quelques personnes... Mais j'ai demandé autour de moi à des jeunes: Est-ce que vous êtes au courant... C'est vrai qu'à 20 ans ça ne nous intéresse pas, la mort. C'est la vie et l'amour qui nous intéressent. Mais l'esprit utilitariste qui prévaut... Est-ce que les jeunes seront d'accord avec nos choix? Quel monde leur léguera-t-on? Et comment convaincre des jeunes souffrant de mal de vivre ou d'une peine de mort déchirante qu'il doit vivre, quand autour de lui on pratique le suicide assisté? Comment...
Et le grand humaniste Rabelais disait qu'il faut connaître «l'autre monde», l'homme, l'être humain. Et là je me demande: Quel sera l'impact, quels seront les effets sur notre conscience collective en donnant la mort, comme j'ai dit, à des bouches inutiles? Ça nous changera profondément, ça, parce que l'être humain aime la vie, cherche la vie et... Alors, quand on posera ces actes-là, comme je dis, quel sera l'effet sur nous?
Maintenant, le débat sur l'euthanasie m'apparaît aussi le débat d'une société laborieuse et individualiste, laborieuse et individualiste, qui doit redécouvrir la force de l'entraide. C'est... D'accord.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour un mémoire riche en allusions littéraires. Pour un président qui aime beaucoup la lecture, c'est fort apprécié. Alors, merci beaucoup pour votre contribution. Je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. D'ailleurs, c'était ma première remarque, j'avais le goût de vous féliciter, parce qu'à chaque fois qu'on cite un livre ou un écrivain le président a les oreilles un petit peu plus aiguisées pour entendre la conversation.
J'ai apprécié votre présentation pour multiples raisons, mais la première, dans le fond, c'est toujours la question qu'on se pose ou qu'on devrait se poser le matin, quand on se lève, c'est: Comment, aujourd'hui, je vais devenir meilleure? Et je pense que, le matin où vous vous êtes levée puis qu'on vous a confrontée à: Votre emploi ou votre parent, vous avez été confrontée à: Comment je vais devenir meilleure? Pas toujours facile.
Et je voulais aussi vous dire que la première journée qu'on a siégé a été une journée un peu comme les autres, c'est-à-dire de 9 heures à 9 heures... ou de 9 heures à 10 heures, je devrais dire, et je ne compte pas le transport pour arriver puis repartir. Et, quand je suis arrivée à la maison et que je me suis empressée, par curiosité -- parce que je le suis infiniment -- à regarder comment la première journée avait été un peu traitée dans les médias, moi, j'ai été déçue de l'image. Parce qu'honnêtement cette commission ne traite pas que des personnes âgées dans les hôpitaux. Elle traite d'une question qui appartient à la société. Elle n'appartient pas qu'à ce qu'on appellera maladroitement, j'en conviens, des bouches inutiles. Elle ne convient pas non plus qu'aux gens que vous avez vus en jaquette, où on a gentiment juste brouillé leur visage mais qu'on s'est entêté à montrer ces gens qui marchaient de peine et de misère dans un corridor et qui avaient probablement plus le goût de vivre que d'entendre parler d'euthanasie. Donc, les médias ont un jeu à jouer. Je dis «un jeu» parce que, quand on fait de la politique, on comprend vite que les médias ont un jeu à jouer.
Ceci dit, j'ai deux questions. La première touche un peu plus votre mémoire, la dernière page, juste avant votre signature, l'avant-dernier paragraphe, où vous parlez de... «Il va de...» Ça commence comme ça: «Il va de soi que je ne prône aucunement l'acharnement thérapeutique.» Et là vous en faites un peu un petit dédale, là, pour nous expliquer en grandes lignes... Mais, en le lisant chez moi, j'ai pris des notes, et la seule note qui me venait à l'idée, c'est: Comment faites-vous la différence? Et je vous le dis parce que, nous, c'est déchirant, tout ce qu'on a entendu.
Puis je vais rajouter que, pour avoir participé, à Laval, à une rencontre d'un organisme qui faisait un grand sujet de la demande de suicide assisté -- l'euthanasie, c'est un autre sujet -- mais du suicide assisté... Il y avait deux micros, et, aux deux micros, les intervenants voulaient parler de l'acharnement thérapeutique. À un micro, la dame nous a signalé que, quand son conjoint a commencé à avoir des pertes de conscience plus fréquentes à l'hôpital -- il était déjà hospitalisé, et tout, et tout -- pour elle, il fallait le laisser aller. À l'autre micro, il y avait une dame qui, au moment où les médecins ont pensé que, là, il fallait commencer à faire du gavage... pour la médecine, c'était de l'invasion, c'était de l'acharnement, mais, pour la dame, c'était très important qu'on puisse offrir... et le faire, parce que, pour elle, malgré qu'elle avait signé quelque chose qui disait: Je ne veux pas d'acharnement, ce n'était pas de l'acharnement. Je m'excuse, j'ai cogné sur la table, là. Les techniciens n'aiment pas ça! Ceci dit, où je la trouve, la ligne entre l'acharnement et la volonté du patient ou de la médecine?
Mme Chlumecky (Elisabeth): Oui, bien, les paroles d'un poète espagnol me viennent en tête: Il n'y a pas de chemin. L'être humain doit faire des chemins. Et c'est toute notre vie, finalement, faire un... Il n'y a rien de dessiné clairement. C'est du cas-par-cas.
À la suite de l'opération, ma mère a eu une transfusion sanguine, puis une amie m'a dit: Mon Dieu! c'est de l'acharnement thérapeutique. La seule réponse que je peux vous donner ici, c'est ça, c'est le cas-par-cas. Puis, hélas, il y a certaines personnes qui ont autour d'elles des amis ou de la famille et qui seront là pour encourager les médecins à donner un traitement. Mais d'autres personnes seront seules, et on les laissera aller. Oui, c'est difficile, mais c'est...
Mme Charbonneau: C'est intéressant comme réponse, parce qu'on a reçu une dame de 89 ans qui disait: Vous savez, dans la vie, il arrive toujours un moment où on arrive à une fourche, puis il faut assumer le chemin qu'on a pris. Et on l'a trouvée fort intéressante.
Ma deuxième question touche un peu plus le choix que vous avez pris, puisqu'on a eu des intervenants qui sont venus puis qui nous ont dit: Une personne malade n'est pas que juste une relation avec un médecin. Et vous en êtes la preuve, puisque dans votre quotidien, vous, il y a une dame qui dépend de vous, hein, vous êtes l'aidante naturelle de quelqu'un. Maintenant, tous les aidants naturels ne sont pas des médecins ou des infirmières. C'est ce que vous n'êtes pas. Par contre, à tous les jours, vous êtes un aidant naturel. Comment je fais pour m'assurer d'une formation ou d'une aide?
Puis j'ai compris le principe monétaire. Je ne veux pas qu'on aille là. Je veux plus qu'on aille sur comment je peux vous aider, comme gouvernement, à être une meilleure aidante naturelle. Puis, comme je vous dis, je ne veux pas que vous me parliez de l'aspect monétaire. J'ai compris que, si on pouvait vous permettre de prendre un congé avec votre salaire, ça serait encore plus aidant. Mais il n'y a pas de formation quand on se lève, un matin, puis que sa mère, elle tombe malade.
Mme Chlumecky (Elisabeth): Non. Non, hélas!
Mme Charbonneau: Hélas!
Mme Chlumecky (Elisabeth): Ah! là, je me suis sentie très seule dans tout ça.
Mme Charbonneau: Je n'en doute même pas.
Mme Chlumecky (Elisabeth): Comme je vous dis, c'est une société individualiste, laborieuse, où on n'a pas le temps... Ça n'a jamais été facile d'être vieux. Ça n'a jamais été facile de s'occuper d'une vieille personne. Mais, à un moment donné, je penserai à tout ça, avoir des réseaux d'entraide.
Le grand malheur dans notre vie... Quand un grand malheur nous arrive, la maladie de quelqu'un, l'invalidité de quelqu'un, c'est aussi l'occasion d'apprendre, de tirer des leçons, de grandir, d'améliorer, justement, en perdant toute... L'euthanasie pratiquée fera perdre aussi ces occasions de mûrir, d'apprendre. C'est une sagesse que j'ai tirée de tout ça. C'est comme je vous dis, ce n'est pas juste un grand malheur, tout ça, la vieillesse de quelqu'un. Mais les personnes âgées qui... Il y a des personnes âgées qui veulent mourir, mais c'est parce qu'elles sont seules, tandis que les personnes âgées qui sont entourées ne veulent pas la mort.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.
**(16 h 30)**Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, merci, Mme Chlumecky. Ce que j'en retire, d'abord, de votre présentation, c'est que vous êtes une personne très passionnée. Alors, ça doit être très passionnant, être avec vous, parce que vous voyez du positif partout, vous retenez des leçons de tout, et tout vous intéresse. Puis, vous savez, c'est très contagieux, être avec des gens comme vous. Alors, votre mère a dû certainement avoir une belle dernière année, là, avec vous, à vos côtés. Ça, c'est une belle qualité.
Vous avez parlé aussi d'euthanasie. Vous avez parlé beaucoup de notre société, nos valeurs. Vous venez de parler, entre autres, de la solitude en fin de vie. Vous avez parlé aussi du cas-par-cas en ce qu'il est question d'acharnement thérapeutique. Et là je veux vous ramener au sujet du débat d'aujourd'hui sur l'euthanasie, le suicide assisté. Vous avez parlé d'euthanasie beaucoup chez les personnes en fin de vie, mais, moi, je veux vous amener sur le terrain du suicide assisté. Vous avez dit tout à l'heure que vous pouvez comprendre que quelqu'un avec une maladie dégénérative, qui va l'amener dans des couloirs assez sombres, pourrait penser à mettre un terme à sa vie. Puis, votre passion m'a ramenée à une dame qui est venue nous voir, Mme Gladu, qui était une dame qui avait la polio et la postpolio, qui avait la même énergie que vous face à la vie mais qui a avoué avoir été désespérée à un moment donné parce qu'elle ne voyait pas d'issue, elle voyait son état se détériorer. Et c'est le jour où elle a pu... Elle a pu se réconforter en se disant qu'elle avait un pouvoir ultime, celui d'aller voir Dignitas puis de mettre un terme à sa vie au moment où elle l'aura choisi. Est-ce que, vous, vous pensez qu'un être humain peut prendre cette décision?
Mme Chlumecky (Elisabeth): Non. Non, mais ça, c'est comme un iceberg, tout ça, toute cette question-là. La pointe à l'extérieur, c'est la souffrance, la grande souffrance, mais il y a une partie immergée qui est, comme je vous l'ai dit, la portée morale, les effets que tout ça aura sur nous, sur notre société et notre monde. Ce n'est pas rien, comme je dis, donner la mort, c'est... J'aurai de la difficulté à convaincre un jeune de poursuivre sa vie qui est difficile si je sais qu'autour de moi on pratique le suicide assisté. On lui dit: Il ne faut pas te suicider, la vie est merveilleuse. Mais là ils vont nous dire: Oui, mais il y a telle, telle, telle personne... se donne la vie, est assistée dans ça.
La vie doit rester... est sacrée, c'est un absolu. Oui, c'est... Elle est grande et merveilleuse, puis même jusqu'à son dernier souffle. Puis même l'enveloppe charnelle est merveilleuse, le corps humain est merveilleux, tout ce miracle de sang puis de chair. Puis il faut l'honorer en le soignant.
Mais, moi, je suis une idéaliste. Je sais que j'ai affaire à des gens qui s'occupent d'économie, mais... Quand même, Marguerite Yourcenar disait: «Tout part de l'être humain.» On peut changer certains courants... Hélas! Mais c'est... J'ai de la difficulté à donner cette réponse-là, parce qu'il y a des gens qui sont en train de mourir, qui souffrent énormément dans les hôpitaux. Mais, malgré tout, c'est un absolu, et il faut... Non, je m'opposerais à ça.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup. En passant, je suis idéaliste, moi aussi, là, vous savez. C'est pour ça que je suis en politique, d'ailleurs. Merci.
Mme Chlumecky (Elisabeth): ...en politique.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: ...oui, moi aussi, je voulais... Merci beaucoup pour une présentation très vivante, et très fouillée, et inspirante aussi. Oui, c'est ça, je veux vous dire qu'on n'est pas des spécialistes nécessairement en économie. En fait, là, on est vraiment dans l'humain, et c'est pour ça, je pense, qu'on trouve cette commission-là si riche pour nous ici, comme parlementaires, d'aller au fond des choses et d'aborder des questions aussi profondes.
Moi, je vais continuer un peu dans la même veine que ma collègue. Je comprends très bien votre point de vue. C'est un point de vue qui se défend, qui se respecte, qu'on entend aussi. Mais, nous, notre rôle, c'est un peu de confronter les points de vue, pour voir ce que les gens qui viennent nous apporter leur point de vue... En fait, comment ils réagissent par rapport à l'autre point de vue. Et tantôt je vous ai entendu dire comment la fin de vie, ou les épreuves, ou comme tout ce que vous vivez avec votre mère peut aussi nous enrichir, et je suis convaincue de ça. Je pense que, dans la mort, dans la fin de vie, il y a des expériences de vie très, très fortes qui changent des vies à tout jamais. Mais vous avez dit quelque chose, vous avez dit que ça pouvait être une expérience extraordinaire pour les gens, pour l'entourage, pour les soignants. Et c'est vrai, puis ça peut l'être pour la personne aussi.
Mais, quand, pour la personne, ça n'a plus de sens et, pour elle, ce n'est plus une expérience extraordinaire soit parce qu'elle est dans un état de maladie dégénérative, elle vit une anxiété terrible parce que les prochaines étapes la condamneraient à un état qu'elle ne peut pas imaginer, ou soit parce qu'il lui reste une semaine, deux semaines à vivre, et, pour elle, chaque respiration est pénible, la souffrance existentielle est profonde. Elle se sent, par exemple, en paix avec elle-même. Elle a dit tout ce qu'elle avait à dire à ses proches. Et elle dit: Ça n'a plus de sens pour moi. Quelle place vous laissez au jugement de la personne sur sa propre personne, sur le propre sens de sa vie? Et jusqu'où... En fait, des fois il y a comme de l'acharnement, je dirais, de quête de sens, où on va dire à la personne: Tu as encore un sens, parce que, pour moi, tu as encore un sens, tu m'apportes beaucoup. Regarde, l'équipe soignante est valorisée par tout ça. Mais la personne, elle, elle dit: Oui, mais, pour moi, ça n'a plus de sens. Tant mieux si, pour vous, je vous donne quelque chose, mais, pour moi, ça n'en a plus. Quelle est la place que vous laissez au jugement de la personne sur sa personne?
Mme Chlumecky (Elisabeth): Oui, mais cette même personne réclame la mort. Et, je veux dire, cette même personne nous amène aussi à choisir des valeurs qui vont contre notre liberté à nous aussi. Je ne sais pas si vous comprenez mon point de vue?
Mme Hivon: ...ce que vous dites: Il y a comme deux libertés puis...
Mme Chlumecky (Elisabeth): Il y a deux libertés. Moi, j'ai la liberté aussi de dire non à tout ça. Mais en même temps j'ai énormément de compassion pour ces gens-là. Je veux dire, une personne... J'aurais tendance à vous dire dans le corridor: On la laisse faire, mais c'est ponctuel. Mais ça ne sera pas ponctuel, ça va s'installer, ça va être fréquent. Et, comme je dis, je crains les dérives. Mais elle a sa liberté, mais, moi, j'ai ma liberté aussi dans ça.
Mme Hivon: Puis je comprends ça, mais vous voyez votre réflexe. Et, nous, c'est parce que, tous ces cas-là exceptionnels, bien ils ne viennent pas tous, là, mais il y en a quand même déjà plusieurs qui viennent nous dire: Pourquoi il faudrait que le jugement que, moi, je porte sur ma vie, sur ma dignité, sur le sens de ma vie soit soumis au jugement, un peu, des autres? Et c'est parce que, pour nous, c'est une question très, très prenante. Et je comprends que, vous, c'est parce que fondamentalement vous n'avez pas confiance que des balises... Et c'est un enjeu très important aussi, là, toute la question des balises, des dérapages possibles. Vous, vous n'avez pas confiance qu'il pourrait y avoir des balises et qui...
Mme Chlumecky (Elisabeth): ...comme je vous l'ai dit, c'est une vision profonde, vision personnelle de la vie: la vie est sacrée. Il faut essayer de trouver d'autres moyens, comme je dis, de... L'ingéniosité humaine doit trouver d'autres moyens d'améliorer cette vie-là, de lui donner une lumière jusqu'à la fin.
Mais la liberté de la personne qui demande la mort rencontre ma liberté à moi, comme je vous l'ai dit. C'est deux libertés qui se confrontent. Mais, quand même, dans... Je ne peux pas croire que la souffrance de l'agonie... La souffrance de l'agonie a toujours existé. Pourquoi est-ce qu'on se pose cette question-là maintenant? Au cours des âges...
Mme Hivon: Moi, je veux juste dire qu'un élément de notre réflexion, c'est évidemment le fait que la mort est de plus en plus médicalisée, les technologies... avancées pharmaceutiques, qui fait en sorte qu'on ne meurt plus comme ça. Il y avait de l'agonie dans le passé, c'est certain, mais aujourd'hui il y en a encore beaucoup. Puis on a un discours où on veut réduire la douleur, réduire la souffrance. Mais, pour la souffrance qui reste, des fois on est un peu sans moyens. Mais je vais laisser la parole à mon collègue.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. Ce fut un plaisir de vous entendre. Petite question bien simple dans un premier temps, uniquement pour satisfaire ma curiosité: Vous vous êtes présentée comme étant enseignante au niveau collégial, à moins que je ne me trompe, vous n'avez pas précisé dans quelle matière.
Mme Chlumecky (Elisabeth): ...enseigne la littérature au cégep Édouard-Montpetit.
**(16 h 40)**M. Charette: Je ne suis pas surpris. Et, si jamais vous écrivez à vos heures, vous avez dit souhaiter également, dans une autre vie, porter le nom de Tremblay, ne le changez surtout pas, vous avez un nom qui pourrait vous ouvrir une carrière internationale et déjà, par le simple nom, donner beaucoup de crédibilité à vos écrits.
Mais sérieusement ça a été un plaisir de vous entendre. Et, si j'ai bien compris la teneur de vos propos, indépendamment des souffrances des individus, si éventuellement il y avait légalisation ou libéralisation des questions, là, relatives à l'euthanasie, ce n'est pas en pensant particulièrement à l'individu souffrant, mais plus au signal qu'on enverrait à la société, à de jeunes personnes, par exemple, qui pourraient vivre une dépression momentanée et qui pourraient y voir un exutoire possible. Donc, c'est une partie du propos que j'ai retenue.
Et, moi, en même temps, je repensais à tout ce qui nous a été dit au cours des derniers mois à travers les groupes que nous avons entendus. Moi, il y a une donnée qui m'a beaucoup, beaucoup marqué, dans les pays où l'euthanasie est légale ou dans les États américains où le suicide assisté est permis par la loi et, même, protégé en quelque sorte par la loi, il y a toute la notion de caution qui est apparue. En ce sens qu'il y a beaucoup de ces gens qui ont accompli en entier et avec succès tout le processus, en quelque sorte, pour se faire reconnaître le droit de se donner la mort ou d'être aidés à mourir, et là est apparue la notion de caution. Très, très peu de ces gens-là finalement sont allés au bout de l'ordonnance. Donc, pour ces gens, le simple droit ou la simple possibilité de choisir leur fin est venu les mettre en confiance en quelque sorte et leur a donné le goût nécessaire à la vie pour poursuivre et finalement mourir de leur mort tout à fait naturelle.
Donc, ça m'amène à penser aux balises aussi. Ma collègue y a fait référence, mes collègues du parti ministériel également. Donc, est-ce que vous pensez qu'on a comme possibilité, et comme société surtout, de fixer des balises suffisamment... Et ça peut sembler redondant comme question, mais je veux que vous ayez en tête la notion de caution, en quelque sorte, au moment de votre réponse. Est-ce que vous pensez que, comme société, on peut mettre suffisamment les gens en confiance pour leur dire: On ne sera pas ouverts à n'importe quel type d'euthanasie? Il y aura des balises. Il y aura tout le support qui est nécessaire. Mais ultimement ça ne peut pas redonner le goût à la vie à certaines personnes, selon vous?
Mme Chlumecky (Elisabeth): Non. Comme je vous l'ai dit, ou c'est un absolu ou ça ne l'est pas. C'est ma réponse, ou la vie est un absolu, soigner, pas maintenir artificiellement en vie, là, mais... Non, je ne serais pas d'accord avec ça.
M. Charette: Ce qui vous a sans doute permis de grandir au cours de l'expérience, racontée avec beaucoup de sincérité, avec votre mère, c'est cette capacité de communiquer, j'imagine, même si votre mère a été passablement limitée par la maladie. Sans doute, je ne connais pas entièrement son histoire, mais sans doute y avait-il une interrelation possible. Un des cas qui nous a beaucoup marqués, sinon moi personnellement, c'est cette dame -- et on y a fait référence encore plus tôt, à cette dame -- atteinte du syndrome... c'est-à-dire de la maladie de Lou Gehrig, à la veille du syndrome de «locked-in», où, même là, la communication n'est plus possible même si tout l'esprit est encore aussi vif. Même si toute cette soif de communication est présente, le corps ne la permet plus.
Et, moi, c'est beaucoup à ces gens-là à qui je pense lorsqu'on évoque différents scénarios, lorsqu'on pense éventuellement au rapport qui devra être fourni à l'Assemblée nationale. J'aimerais pouvoir trouver réponse à ces gens-là qui ont la même soif de vivre que vous. J'en suis convaincu, qu'ils ont cette même perception du caractère fondamentalement sacré de la vie, mais ils sont tout simplement ailleurs dans leur cheminement, mais avec la même sérénité.
Mme Chlumecky (Elisabeth): Mais, comme je vous l'ai dit, il y a des personnes bien entourées qui, malgré tous ces drames-là, veulent vivre. J'ai vu à l'institut de gériatrie des gens atteints de maladies dégénératives et qui étaient aimés et entourés. Il y avait encore de la lumière dans leurs yeux. C'est toujours cette voie-là que je recommande. Ce qui est dramatique, c'est vraiment pour la personne seule, isolée, agonie interminable dans un hôpital. C'est terrible.
M. Charette: Tout à fait. Et je sais pertinemment que, de ces gens-là, certaines personnes veulent continuer à vivre. Ça, cette soif de vie là, pour plusieurs, elle est infinie, infinie. Et je sais aussi qu'il y a de ces gens dont ce n'est pas le cas et qui ont aussi ce même amour. C'était le cas de la dame en question, la famille Thériault, pour ne pas la nommer, avec un témoignage fort émouvant, non pas de la dame parce qu'elle est décédée aujourd'hui, mais de son conjoint, accompagné de ses deux enfants, et un troisième malheureusement qui ne pouvait pas se présenter devant nous. Une famille qui, en termes d'amour, pouvait difficilement donner plus. Et cette dame, mentalement, au niveau de l'esprit, elle y était encore. Donc, une très, très belle relation d'amour qui était enrichissante jusqu'à la toute fin.
Puis, à un moment donné, cette dame s'est dit... ou elle a dit tout simplement merci à la vie. Et elle -- et ça, je reprends les mots de la famille, autrement je ne me le permettais pas -- ce qu'on nous a laissé entendre, c'est que sa grande chance à elle aura été d'avoir eu, dans les mois ou l'année qui précèdent, une infection pulmonaire. Et cette infection pulmonaire a fait en sorte qu'elle a dû accepter un respirateur artificiel, ce qui lui a permis de mourir dans la dignité, selon les termes de la famille. C'était justement cet appareil... Elle a pu invoquer le droit au refus de traitement pour enfin mourir. Donc, elle est morte à la journée ou à quelques heures, à tout le moins, de la journée qu'elle avait déterminée parce qu'elle avait un recours que d'autres dans sa situation n'avaient pas, c'est-à-dire un appareil qui, au fil de sa maladie, s'était ajouté et qu'elle avait aujourd'hui la possibilité de retenir. Donc, la notion de refus de traitement entraîne une certaine inéquité, en quelque sorte, ou offre à certains une possibilité de choisir, alors que d'autres dans le même état d'esprit aimeraient avoir ce choix et ne l'ont pas.
Mme Chlumecky (Elisabeth): Bien, c'est tout le scandale de la souffrance. Je ne sais pas quoi dire... Là, devant la souffrance humaine, c'est juste le silence, le... Le monde est plein d'horreurs et de souffrances sans nom, j'en conviens avec vous. Puis, comme je vous dis, bien je suis pleine de compassion. Mais c'est un cas. Dès qu'on l'acceptera une fois, 10 fois, ça va s'installer, et il y a d'autres personnes qui risqueraient de ne pas sentir qu'elles ont le droit de vivre aussi. Tu sais, quand on voit autour de soi des gens demander l'euthanasie et que, nous, on veut malgré tout rester en vie, on peut se sentir aussi lentement exclu.
M. Charette: Merci, c'est gentil.
Mme Chlumecky (Elisabeth): Vous avez des questions tellement... infiniment complexes et...
M. Charette: Oui, c'est complexe, oui.
Mme Chlumecky (Elisabeth): Puis j'ai peur de dire quoi que ce soit. Parce que c'est Voltaire qui disait: Dites-moi un mot d'un homme, et je le fais pendre. Et là je me dis: Quel mot je vais dire, puis, hein, on va dire: Bien, c'est terrible, elle n'a pas de compassion. Je suis pleine de compassion, j'ai des chats errants chez moi, que j'ai trouvés dans mon jardin, et j'ai eu la compassion alors. Quand vous me parlez de... C'est difficile de donner une réponse nette à tout ça.
M. Charette: Sans vouloir poursuivre le dialogue, un petit mot pour vous rassurer, toutes les personnes qui peuvent nous écouter, à travers les questions qui sont posées, il n'y a aucune intention de piéger, encore moins de pendre qui que ce soit. On essaie, à travers les expériences de chacun, de retirer quelque chose pour notre propre réflexion. Donc, je vous rassure, si c'était votre inquiétude, il n'y avait aucune volonté, à travers nos questions, de vous piéger de quelque façon que ce soit.
Mme Hivon: ...on a beaucoup de sympathie pour quelqu'un qui a peur de dire le mauvais mot, parce que, nous, devant les journalistes, on a toujours peur de ça. Ça fait qu'inquiétez-vous pas, on ne vous reprochera jamais ça!
Mme Chlumecky (Elisabeth): Merci.
Le Président (M. Kelley): Sur ça, juste deux courts messages de... Premièrement, féliciter votre présentation, votre engagement envers votre mère. Ça, c'est vraiment inspirant comme modèle.
Et, si je peux vous rassurer un tout petit peu, on a eu quelques témoins... plusieurs témoins jeunes, des personnes qui sont venues, d'autres, enseignants, qui ont discuté ces questions avec leurs classes. Et, comme dernière preuve, on a un sondage en ligne et... un questionnaire en ligne, pardon, et, dans le questionnaire, par les... sur les participants, qui sont maintenant rendus à 5 236, 28 % ont moins de 30 ans. Alors, il y a un intérêt quand même de participer dans ce grand débat de société. Alors, je trouve ça rassurant pour nos jeunes, leur implication dans la chose publique. Alors...
Mme Chlumecky (Elisabeth): C'est peut-être leurs professeurs de philosophie qui les ont encouragés à répondre...
Le Président (M. Kelley): Ah oui, non... Oui, exact.
Mme Chlumecky (Elisabeth): Parce que, dans ce débat-là, ces professeurs de philosophie ont un rôle, parce que c'est des questions d'éthique, c'est-à-dire de philosophie morale. Puis ce n'est pas simple, les réponses à donner.
Le Président (M. Kelley): Ça, c'est vrai. Sur ça, merci beaucoup, Mme Chlumecky.
Je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander à M. Joseph Caron de prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 16 h 49)
(Reprise à 16 h 54)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! On va continuer. Notre prochain témoin, c'est M. Joseph Caron. Alors, sans plus tarder, bienvenue, M. Caron. La parole est à vous.
M. Joseph Caron
M. Caron (Joseph): Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup aux membres de la commission spéciale de vous prêter à cet exercice qui est vraiment extrêmement important. La présentation que je veux vous faire concerne essentiellement et presque exclusivement le suicide assisté. La question de l'euthanasie me paraît être une question différente, sauf, disons, pour l'euthanasie volontaire, que je mettrais dans le même camp que le suicide assisté. La distinction que je veux faire, c'est vraiment la question de la responsabilité de l'individu. Il me semble clair que, dans le cas d'une demande de suicide assisté, il est très clair qui est l'agent, c'est la personne qui veut mettre fin à ses jours.
Dans le cas de l'euthanasie, et là je reprends les termes du rapport de la commission du Sénat, qui, en 1995, a fait un rapport... La question de l'euthanasie, involontaire ou non volontaire, est clairement, pour moi, une question qui... La décision relève d'une autre personne. Lorsqu'il s'agit d'un cas comme Sue Rodriguez, qui voyait venir un moment où elle ne pourrait plus agir, c'est une question, à ce moment-là, si elle doit attendre jusqu'à ce moment-là, d'un cas d'euthanasie volontaire. Mais, pour moi, c'est clair que madame a déjà exprimé clairement son besoin, son désir, et c'est de cette question-là que je voudrais parler.
Vous aurez compris qu'à mon sens il est important de parler de responsabilité. Et je pense que c'est un principe qui est très bien accepté dans nos sociétés, que les gens... On essaie de donner une égalité de chance aux personnes, mais ensuite les personnes font ce qu'elles peuvent faire et veulent faire de leur vie, et leur vie leur revient. Et le terme que j'ai donné... le titre que j'ai donné à mon mémoire, c'était Pour vivre et mourir dans la dignité, et je veux pouvoir mourir dans la dignité, comme suite logique de ma vie, dans laquelle je voudrais plutôt vivre dans la dignité. Alors, c'est une suite logique pour moi de continuer à avoir ce choix jusqu'à la fin de mes jours.
Ce que j'ai voulu présenter dans mon mémoire, c'est que c'est clair pour moi que je n'ai pas envie de me suicider aujourd'hui, je n'anticipe pas vouloir le faire dans un avenir prochain non plus, c'est que, le jour venu ou le moment venu où je verrais que la vie n'a plus de sens pour moi, je ne veux pas courir le risque de devoir agir avec violence envers moi-même et risquer de causer beaucoup de désagréments, on va dire comme ça, pour quelqu'un qui arriverait à la maison, et je me suis pendu ou je me suis tiré une balle dans la tête. J'ai connu une personne qui est arrivée sur ce type de situation et j'ai compris que ce n'est pas très agréable. Une situation pire encore, ce serait que je pourrais essayer de faire le coup et rater mon coup, et donc être dans une situation encore pire après et constituer un fardeau pour mes proches et pour la société. Je ne crois pas que fournir une aide aux personnes qui veulent se suicider aurait un effet d'entraînement. Il y a beaucoup d'autres qui ne sont pas du même avis, mais je ne crois pas que ça s'est avéré dans les pays où on a vu effectivement l'introduction de l'acceptation de ces mesures-là.
Je vous dirais clairement que la situation qui, moi, me préoccupe, c'est une situation d'alzheimer. Mon père est mort d'alzheimer. Moi, j'ai pris soin de lui pendant les cinq dernières années de sa vie, bien, avec de l'aide, il était en institution. Il avait fait la guerre, donc il a pu avoir accès aux services des anciens combattants. Mais c'est moi qui, avec sa femme, prenais soin de lui aussi, dans les relations avec les institutions, avec les médecins, et en particulier en demeurant proche de lui. J'ai aussi eu l'expérience d'être aidant naturel auprès du deuxième mari de ma mère, également pour une période d'environ cinq ans. J'ai vu ce que cela fait. J'ai vu la perte de dignité. J'ai vu les difficultés entraînées pour les proches autour. Moi, je l'ai accepté de bon gré et je ne regrette rien. Mais je ne voudrais pas vivre cette situation moi-même et être un fardeau pour d'autres ou... Mais essentiellement je ne voudrais pas vivre dans cet état. Pour moi, la vie, elle est magnifique et elle est merveilleuse. Plus ça va, plus je trouve que c'est agréable, je veux y rester. Mais je veux y rester le temps que j'aurai toujours ce sentiment. Et, quand je ne l'aurai plus, je veux pouvoir en sortir sans causer beaucoup d'autres problèmes qui pourraient être pires. Pour moi, c'est une question de responsabilité de ma vie.
n(17 heures)** Et je sais que vous avez des choix très difficiles, très déchirants, comment... qu'est-ce que vous allez proposer à l'Assemblée nationale. Et, à mon sens, nous devons, dans une société -- et vous avez heureusement une possibilité de contribuer à cela -- nous devons établir de nouvelles règles de vivre-ensemble. Nous vivons dans des sociétés pluralistes. Nous vivons dans des sociétés où les valeurs des uns et les valeurs des autres se confrontent. Pour ma part, je pense qu'il faut trouver des règles qui permettront aux gens de vivre ensemble.
Je pense qu'il n'y a pas de principe plus important que celui de: Il faut pouvoir vivre sa vie comme on la veut. Et, dans mon texte, je dis aussi que ça veut dire pour moi vivre sa mort. Et je ne vois pas d'aucune manière sur quel principe une autre personne pourrait me dicter le comportement que je devrais adopter à l'égard de ma vie.
Qu'est-ce que le Québec peut faire? Nous savons tous la situation constitutionnelle dans laquelle nous vivons. Le Code criminel relève du fédéral, l'application de certains éléments concernant la santé revient au Québec. Il y a un Code civil. Bon. J'ai l'impression que le Québec a les moyens d'agir. Et j'en propose, des moyens, dans mon mémoire.
Pour ce qui est du criminel, je crois comprendre... Mais je vous laisse le soin de faire vos propres recherches et vérifications, et notamment auprès des avocats et des notaires, surtout des avocats, pour ce qui est de la validité des propositions qui ont déjà été mises en oeuvre ailleurs, par exemple en Colombie-Britannique. Je crois comprendre la démarche qui est de donner au procureur du Québec le droit d'intenter ou non des poursuites selon l'intérêt de la chose, l'intérêt public. Et, moi, je crois que, s'il y avait clairement établi de la compassion dans l'acte d'avoir aidé quelqu'un à se suicider, ce serait pour moi une raison, un motif suffisant pour que le Québec dise: Bien, ça, on n'intente pas de poursuite.
En matière de démarches accomplies par les individus, pour moi, l'État a le devoir de protéger ses citoyens. C'est un des grands acquis de la civilisation, et nous avons l'heureuse expérience de vivre dans un pays où les règles de droit s'appliquent généralement, grosso modo. Il y a toujours des écarts, mais c'est quand même pas mal mieux qu'ailleurs. Et donc il y a nécessité de protéger les humains.
Je crois que, dans la situation actuelle, les seuls éléments de protection qu'il faut poursuivre, c'est de s'assurer qu'une personne prend une décision librement, de manière consciente, et qu'il ou elle est donc majeur et capable de prendre la décision; que la demande est volontaire, réfléchie, consignée par écrit probablement, répétée, et qu'elle ne résulte d'aucune pression extérieure; que, le cas échéant, une personne aurait recherché et obtenu des informations sur son état; qu'on puisse lui offrir toutes les aides possibles. Mais je crois pour ma part que le fait qu'une aide est possible, existe, ne veut pas dire qu'elle est obligatoire. Et là-dessus les lois sont claires, quelqu'un peut refuser des traitements. Et il y a beaucoup de gens qui présentement s'informent et signent des écrits pour dire qu'ils ne veulent pas faire l'objet d'acharnement thérapeutique.
Donc, il y a déjà beaucoup de mouvement en ce sens-là, d'accepter cela. Je crois que la personne doit avoir été informée et comprendre pleinement qu'elle a le droit de changer d'idée à tout moment à propos de son intention de se suicider. Et je crois qu'il est normal que des professionnels de droit et de la santé en prennent acte, mais que la décision revient toujours à la personne.
Face à des médecins, face à tous les autres professionnels des services de santé, services sociaux, je crois qu'ils ont des responsabilités professionnelles que chacun assume suivant sa propre conscience. Il ne me viendrait pas du tout à l'esprit d'essayer de convaincre un médecin qui est contre le suicide assisté ou contre toute aide de ce type à passer outre sa conscience. Libre à lui, libre à elle. Mais il y a aussi des médecins qui consentent et qui estiment que pallier à la souffrance des individus peut faire partie d'un acte et qui pourrait aller jusqu'à ce que la mort s'ensuive, et que ça fait partie de l'acte médical. Et je voudrais avoir la capacité de chercher, rechercher cette aide, et qu'un médecin ou toute autre personne compétente pourrait m'aider à accomplir l'acte, et que cette personne puisse le faire sans craindre le moindrement des poursuites ou d'autres difficultés d'ordre juridique ou criminel.
Pour ce qui est de l'écrit, pour moi, je pense que ça fait partie de la responsabilisation des individus, que la commission devrait suggérer un plus large débat concernant l'importance du mandat, l'importance aussi d'un testament de vie. Ça m'inquiète que le testament de vie... qu'il n'y ait pas d'obligation de suivre ce document. Je crois qu'il y aurait lieu de considérer des changements. Donc, ça ferait partie d'une recommandation que, moi, je proposerais à la commission. Et surtout, pour des documents notariés, pour des documents écrits, je crois qu'il y aurait lieu peut-être de s'interroger sur des façons de rendre ça plus simple, et moins coûteux, et plus clair pour la population, à savoir quel est l'intérêt de la chose.
Pour ma part, j'ai discuté de mes positions avec mes proches souvent, à répétition. Ils sont très au courant de ce que sont mes intentions et ce qu'est ma perspective sur la situation. Moi, j'espérerais, si jamais je manquais le moment, qu'on respecte mes volontés, mais je comprends aussi qu'il en revient à moi d'agir en tout premier lieu.
Merci. Puis, si vous avez des questions...
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Caron. On va passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vais céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.
**(17 h 10)**Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Bonne fin d'après-midi. C'est là qu'on est rendu. J'ai lu avec beaucoup d'attention votre mémoire. Et je le disais un peu plus tôt aujourd'hui, à chaque mémoire que j'ai lu, j'avais mon petit calepin, j'écrivais le nom, le numéro du mémoire et un petit commentaire pour m'aider à faire une réflexion avec la personne qui le présentait. Et j'ai écrit dans mon petit calepin: «Aborde avec courage le thème du suicide chez nos personnes âgées.» C'est ce qui est ressorti pour moi au niveau du mémoire que vous aviez, c'est-à-dire cette lucidité-là que vous aviez à dire: Moi, je pense qu'à un moment donné, quand arrive un certain temps, un certain âge, un certain état d'âme, je suis capable d'affirmer qu'on devrait avoir ce droit-là. Puis je reconnaissais dans cette volonté-là l'aspect... je vais utiliser «l'aspect lucide» de la chose.
Par contre, à vous entendre, il y a quelque chose qui a suscité un peu mon inquiétude, puis je vous le soumets pour peut-être avoir un échange là-dessus. Vous dites: Quand la vie n'aura plus de sens pour moi. Et vous allez jusqu'à dire: Quand elle n'aura plus de sens pour moi, on pourra me proposer un psychologue ou un psychiatre, mais j'ai le droit de dire non. Si, moi, j'ai décidé qu'elle n'a plus de sens, ça finit là.
Ne croyez-vous pas -- puis je n'essaie pas de vous convaincre, je veux juste un échange -- ne croyez-vous pas qu'avant même d'aller jusqu'à un geste ultime, permis ou pas... Parce qu'on ne se cachera pas, là, ça existe, le suicide chez nos personnes âgées. On en a eu quelques témoignages de gens qui disaient: Il y a des cocktails qui existent et il y a des échanges de pilules qui se font. Puis, bon, il y a des choses qui se font qui sont malheureusement pour mettre terme à une vie au choix d'un individu. Ne croyez-vous pas que des fois il y a des journées où on peut filer un peu moins bien puis se dire: Ah! il me semble qu'aujourd'hui, là, j'en ai plein mon pompon puis je passerais à d'autre chose, et qu'à ce moment-là je ne devrais pas avoir l'obligation de consulter juste pour être sûr que cet état de vie là, ce sens de ma vie cette journée-là ne doit pas être confronté à un professionnel qui me dirait: C'est peut-être juste aujourd'hui, ne fais pas de folie aujourd'hui, attends à demain, peut-être que, demain, ça va être une meilleure journée?
M. Caron (Joseph): C'est sûr que des soins psychologiques ou soins par des professionnels de toutes sortes peuvent sans doute être utiles et avoir un effet très positif à tout moment de la vie, et notamment dans la situation que vous mentionnez. Mais je pense que ce n'est pas ce genre de situation là qui mène les personnes à se suicider. Je crois qu'il est important de pouvoir en parler plus ouvertement, plus librement. Et, déjà, juste la présence de cette commission dans la société québécoise suscite beaucoup d'intérêt, et c'est déjà énorme comme impact positif que ça peut avoir. Mais votre démarche est plutôt de savoir: Mais, si on l'acceptait, quelles balises? Parce qu'on ne peut pas l'ouvrir complètement, pour des raisons de protection des individus, parce qu'on parle de mort, et le meurtre existe, et les pressions indues peuvent exister. On voit ça à la télé. Moi, je n'en n'ai pas connu, là, mais ce genre de situation semble exister.
Mais je pense que la balise que je mentionnais, que la demande soit répétée, de préférence écrite et répétée, me paraît être un garant du fait que la personne a bien réfléchi à la chose. Et, avoir cet écrit devant les yeux, bien, quelqu'un qui veut m'entretenir sur mes véritables objectifs ou comment je me sens vraiment, là, c'est-u passager? ça ne me dérangerait pas. Mais, d'après moi, le professionnel est plutôt là pour corroborer, pour dire que, oui, la personne maintient sa position. Et ce n'est pas... On ne peut pas obliger. Moi, je pense qu'on ne devrait pas pouvoir obliger quelqu'un à suivre quelque chose. Et toute la bonne volonté du monde ne va pas faire en sorte que le malaise, qui est sans doute plus profond que ça, va disparaître.
Mme Charbonneau: Vous avez raison de dire que ce sujet-là suscite énormément d'intérêt. On est à notre quatrième journée, et je suis sûre que mes collègues vivent, comme moi... des gens qui essaient de nous interpeller ici et là pour nous en parler, parce qu'effectivement ça interpelle tout le monde.
Par contre, je suis toujours surprise et je félicite toujours les gens dans la salle, parce que je pensais d'avoir des salles bondées à chaque fois, qu'on était pour vendre des billets à la porte. Mais, bon, ceci dit, on a quand même plus de 5 000 personnes qui ont répondu au questionnaire en ligne. La technologie voulant que je ne suis pas obligée de me déplacer pour vous parler, ça fait en sorte qu'au moins on a une interaction avec la population.
Dans votre volonté... Puis vous avez aussi compris, j'imagine, M. Caron, que notre volonté, c'est de vous confronter à l'idée pour avoir le plus d'échanges possible. Donc, ce n'est pas pour provoquer, c'est vraiment juste pour pouvoir faire un échange.
M. Caron (Joseph): Je l'avais compris, mais merci pour la précision.
Mme Charbonneau: Dans la volonté d'avoir un papier écrit, qui peut devenir sous formes différentes mais que... Différents noms ont été donnés. Je me plais à l'appeler un testament de fin de vie. Dans cette volonté-là d'avoir un document écrit, dans une situation où vous en avez un dans votre poche de gauche, dans votre porte-monnaie, là, que vous mettez dans votre poche, et vous avez malheureusement un petit incident qui se passe, et vous arrivez à l'urgence sans avoir l'opportunité de pouvoir échanger, vous êtes ce qu'on pourrait dire peut-être paralysé, hein, vous ne parlez pas, vous ne bougez pas, vous ne pouvez même pas signifier à l'infirmier que, dans votre poche de gauche, dans votre porte-monnaie, il y a un... mais, parce qu'on a l'habitude, on fouille un peu, on trouve votre testament, ou votre mandat d'inaptitude, ou... bon, on l'appellera comme on veut, et finalement, dans celui-ci, on dit: Moi, Joseph Caron, je ne veux pas qu'on prolonge en cas de... Mais, à ce moment-là, à l'urgence, puisque vous venez de vivre quelque chose d'intense, vous avez une urgence de vivre, puis la dernière chose que vous voulez, c'est qu'ils prennent votre papier dans votre poche de gauche et qu'ils mettent fin aux actes qu'ils pourraient poser pour vous sauver, puisqu'il y a plusieurs témoins qui nous ont dit, plusieurs gens qui sont venus nous voir pour nous dire: Vous savez, des fois, plus on est proche de la mort, plus on a le goût de vivre.
Comment je traite mon côté inapte quand j'ai un document comme ça puis que je ne l'ai peut-être pas vérifié suffisamment longtemps, pour qu'au moment où j'ai ma rage de vivre, tout ce qu'on trouve, c'est mon papier qui dit que finalement je ne l'ai pas tant que ça?
M. Caron (Joseph): Bien, la question est très bonne. Il y a... J'en discute beaucoup, de ce sujet, avec beaucoup d'amis depuis longtemps. D'ailleurs, ça m'a un peu étonné et fait plaisir: la très grande majorité des gens avec qui j'en ai parlé récemment trouvait que j'allais absolument dans le bon sens. Mais, il y a plusieurs années, j'avais un copain qui me disait: Ah oui, mais, tu sais, toi, là, c'est l'alzheimer qui te guette et qui te fait peur. Et, tu sais, on rencontre beaucoup de gens avec l'alzheimer qui ont l'air très, très bien. C'est la même situation que vous me décrivez. Dans un cas, c'est une rage de vivre qui peut prendre quelqu'un à l'urgence et, dans l'autre, c'est: Oui, mais, si je dis que je veux absolument ne pas vivre cet état-là et... bien, certaines personnes ont l'air bien. Bon. Alors, qu'est-ce qu'on fait avec ça?
Encore une fois, moi, je vais dire qu'il est vraiment très intéressant d'avoir ce débat de société. La question ne concerne pas seulement les personnes très vieilles qui devraient avoir peur d'être euthanasiées. Je suis certain que ce n'est pas vers ça que vous allez. Et je ne voudrais pas que vous alliez vers ça. Mais la question de cette rage de vivre qui peut prendre quelque chose, la possibilité qu'au fond je pourrais changer d'idée, puis ça ne me dérangerait pas de vivre dans cet état-là, non. Et je dois... Et je pense que les gens, dans la société, on se doit d'en parler et pour se dire: Moi, j'ai... Ma réflexion a évolué pendant que j'écrivais ce mémoire, et c'est devenu plus clair. Puis ça, c'était un des éléments qui est devenu plus clair: si je décide ça, c'est cela qui peut arriver. Est-ce que je suis à l'aise avec ça? Oui. Et, si la personne se dit: Bien, je ne suis pas à l'aise avec ça, ça me pose encore des questions, bien écrivez-le pas. C'est tout. Il faut être conséquent, il faut être responsable, et, moi, en tout cas, je suis prêt à assumer cette responsabilité-là. Ça ne me posera pas de problème.
**(17 h 20)**Mme Charbonneau: Pour terminer, ça ne sera pas une question, ça va être un commentaire. Je l'ai dit plus tôt, on a reçu une dame de 89 ans qui nous a dit: Il y a des fois, sur la route de la vie, on arrive à une fourche, puis il faut assumer la fourche qu'on choisit. C'est ce que vous venez de me dire. Merci.
Mais je ne vais pas vous rassurer en vous disant: Moi, quand je me suis engagée dans cette commission, mon idée était faite, je savais ce à quoi j'étais sûre. Et je n'ai jamais été moins sûre qu'à matin, quand je me suis levée, pour me dire: C'est la quatrième journée, y a-tu quelqu'un qui va me faire pencher finalement? Parce qu'à chaque intervenant il y a des pour et il y a des contre qui viennent nous mélanger puis qui viennent bousculer notre façon de réfléchir. Donc, merci infiniment de votre contribution.
Le Président (M. Kelley): Courte question, Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup. Je me ferai très brève. Merci beaucoup, M. Caron.
Vous avez mentionné... Je vais aller directement au but, parce que je sais que mes collègues veulent vous poser des questions. Vous avez mentionné dans votre mémoire que vous souhaitiez... que le gouvernement du Québec devrait promouvoir auprès du collège, là, la possibilité de s'immiscer dans le débat sur le suicide assisté, et je veux juste vous préciser que, lorsqu'ils sont venus nous voir, en février, Dr Lamontagne, ils nous ont vraiment dit que le collège était plutôt favorable à inscrire l'euthanasie comme un soin en fin de vie mais qu'il ne voulait vraiment pas s'immiscer dans le débat du suicide assisté. Et, nous, on n'a pas beaucoup de pouvoir sur le collège. Alors, tout ça pour vous préciser qu'ils n'iront pas dans ce sens-là. Merci beaucoup, M. Caron.
M. Caron (Joseph): Merci.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui, merci. Merci beaucoup pour un exposé très clair et très senti.
Je vais poursuivre dans la veine de ma collègue. Vous vous positionnez vraiment pour. Il y a une fameuse question dans notre questionnaire, où on dit: Si on devait aller de l'avant avec un des deux, lequel favoriseriez-vous? Il y a des personnes qui nous ont dit que ce n'était pas une bonne question, parce qu'évidemment, si on est contre, on peut être contre les deux, donc il fallait qu'il y ait une coche «aucune de ces réponses», et on s'en excuse encore. Mais, vous, je comprends que vous avez fait un choix de dire: Moi, c'est le suicide assisté que je vois.
Les gens qui ont des craintes invoquent, entre autres choses, là, il y a les arguments globaux pour être à la fois contre l'euthanasie et le suicide assisté, mais, quand on est dans la sous-catégorie de savoir: Entre les deux, est-ce qu'il y a des différences?, il y a deux arguments qui reviennent souvent. Un, c'est: Le suicide assisté n'ayant pas lieu vraiment dans une relation médicale arrêtée, là, il y a l'intervention parce qu'il y a une prescription à un moment donné, il y a peut-être un risque accru, parce que la personne a une prescription qu'elle garde avec elle un peu comme police d'assurance pour s'en servir un jour x, quand elle va juger que c'est le moment, mais tout ce qui entoure ça: Est-ce qu'elle va la remplir, est-ce que cette prescription-là va traîner, est-ce qu'elle peut tomber dans les mains d'une autre personne?, petit problème, là.
Et le deuxième message, deuxième aspect dont on nous parle beaucoup, c'est: Compte tenu du fléau du suicide au Québec notamment, est-ce que d'aller sur la voie du suicide assisté n'enverrait pas un contre-message par rapport à tous les efforts qu'on fait de prévention du suicide, parce que ce n'est justement pas dans un contexte plus médical, avec un professionnel de la santé, tout ça, mais c'est vraiment comme un prolongement de l'acte de suicide? Est-ce que vous avez des commentaires par rapport à ces deux éléments-là?
M. Caron (Joseph): Bien, d'abord, le suicide assisté qui se fait sans lien, disons, médical de soins réguliers, récurrents ou de consultation, disons, je crois qu'il y aurait lieu de baliser la chose, parce que, s'il y a des écrits, s'il y a vérification qu'il n'y a pas eu de pression, que personne n'essaie de pousser cette personne-là vers un geste aussi final que celui-là pour son intérêt, je ne pense pas que ça va être: Voici votre prescription, là, puis allez remplir ça chez le pharmacien. On peut quand même exiger que ce soit fait dans des lieux contrôlés. Et ça, franchement, je n'y ai pas pensé, à quel type de lieu contrôlé, mais je pense qu'avec les professionnels, qui quand même se doivent de faire leur propre travail correctement, eux autres ne voudront pas être associés à un possible commerce des prescriptions. Je ne vois pas trop la vérisimilitude de cette hypothèse-là d'un problème dû à cette possibilité-là.
Le fléau du suicide, écoutez, pour moi, encore une fois, je fais confiance au caractère raisonnable des personnes et à leur capacité de réfléchir et de comprendre les situations. Et je pense que, si on regarde les histoires de vie qui sont racontées, d'habitude, qu'on raconte au sujet des personnes qui sont allées jusqu'à se suicider avec de l'aide, les situations sont généralement assez dramatiques. Assez clair qu'il y a des... soit des souffrances physiques extrêmes, soit de la souffrance morale extrême. Et les cas d'intervention auprès de gens qui ont menacé de se suicider et qu'on a pu aider sont aussi souvent clairs que, quand les gens font ce genre de geste, bien souvent c'est un appel à l'aide. Et ces appels à l'aide, c'est intéressant, c'est bien que la société... qu'on a chez nous beaucoup de gens qui s'intéressent à ce genre de situation et veulent venir en aide. Je n'ai pas de problème avec ça.
Mais, moi, je ne pense pas que c'est... On est en présence de deux situations vraiment très proches. Je pense que c'est des situations différentes et je ne suis pas convaincu du tout que de légaliser l'aide au suicide pour permettre que les gens meurent dans la dignité... je ne suis pas convaincu qu'il va y avoir une recrudescence, une accentuation du monde, là, qui vont tenter de se suicider sur le fait d'une dépression d'un jour, d'une peine d'amour ou d'autre chose.
Mme Hivon: Merci. Deuxième élément: vous parlez... en fait, il y a peu de personnes qui parlent de la réalité de la maladie d'Alzheimer. Or, je pense que c'est un sujet très, très important. Ce qu'on entend beaucoup plus, c'est les maladies dégénératives du type, bon, Lou Gehrig, sclérose en plaques, tout ça, et les gens qui ont le cancer, fins de vie difficiles, bon, tout ça. Mais effectivement je pense que c'est une réalité qu'on ne peut pas éviter. Et vous n'êtes pas la première personne, pas nécessairement ici, mais dans nos vies, à nous parler de ça. Mais c'est quand même très complexe, parce que vous dites... C'est sûr que, vous, de votre point de vue de bien portant, exemple, vous voyez votre mère qui a l'alzheimer ou quelqu'un puis vous dites: Elle n'aurait jamais voulu vivre ça; moi, je sais que je ne voudrais jamais vivre ça. Alors, vous écrivez votre testament de vie à l'avance en disant: Si j'arrive dans telle situation, je veux cesser de vivre. Comment on détermine? Vous savez que c'est des maladies évolutives. Comment on détermine que c'est aujourd'hui que la personne qui nous a exprimé il y a peut-être... au début de la maladie, quand on l'a diagnostiquée, qu'elle avait toutes ses facultés, puis tout ça, a dit: Moi, quand ça arrive, je ne veux plus, comment on est capable de mettre des balises pour entourer ça? Moi, c'est une question qui, ça aussi, qui, en tout cas, moi et, je pense, plusieurs, nous habite beaucoup, parce qu'on se dit: S'il y a une ouverture, en toute équité, peut-être qu'il faut aussi que les personnes inaptes qui se sont projetées dans l'avenir, dans ce qu'elles ne voulaient pas, puissent avoir recours à une aide balisée à mourir. Donc, comment on fait pour déterminer: Là, on est au jour où la volonté doit s'exercer parce qu'on rencontre ce qu'avait en tête la personne il y a peut-être quatre, cinq, 10 ans?
**(17 h 30)**M. Caron (Joseph): Dans l'éventualité que quelqu'un, progressivement, serait atteint d'alzheimer puis que la personne elle-même a laissé filer le moment où elle pourrait faire quelque chose, parce qu'un des aspects de l'alzheimer, c'est vraiment la volonté qui disparaît, donc la personne, à un moment donné, n'est plus capable d'organiser ses gestes, c'est un peu complexe, quand même. Il faut écrire des choses, il faut voir du monde. Il faut montrer une capacité de dynamisme personnel et une volonté quand même qui n'est plus à la portée de la personne avec l'alzheimer. À ce moment-là, je présume que la personne aura préparé, aussi, un mandat d'inaptitude. Donc, c'est au mandataire d'agir.
Tout comme les personnes qui se préparent à mourir, se préparent à se suicider vont choisir le moment, ils vont prendre le temps de parler à leurs proches, de faire la paix avec plein de choses dans leur vie, ils vont choisir et ils vont dire: Un jour, bien, voilà, c'est dans deux semaines, ou c'est aujourd'hui, et puis on y va, j'y vais, de la même manière, c'est au mandataire de faire le même type de travail, et ça, encore une fois, il faut en parler.
J'en ai parlé, moi, avec les personnes que je considérais comme des personnes que je nommerais comme mandataires, et il y en a qui ont dit: Bien, justement, avec le genre de questions de timing que vous m'avez posées, je ne sais pas comment j'en arriverais à, puis je ne suis pas certain. Alors, pour moi, ce n'est pas la personne que je nommerais comme mandataire. Une autre personne à qui j'ai parlé m'a dit: Bien, je suis d'accord avec cette perspective, cette philosophie de vie, cette façon de faire les choses pour continuer à vivre dans la dignité et mourir, quand on n'a plus cette heureuse expérience de pouvoir le faire. Et donc elle m'a dit que, oui, elle pourrait le faire. Et ce sera certainement à cette personne-là de faire le même type de travail émotionnel qui est celle de se préparer pour dire au revoir, bye-bye.
Mme Hivon: Donc, pour vous, c'est vraiment la personne, le mandataire qui...
M. Caron (Joseph): Si, moi, je rate mon timing, mais j'ai un texte, un mandat d'inaptitude, bien, définitivement, ça passe à la prochaine personne. Moi, je trouve que c'est une dure besogne, c'est une responsabilité très grande à donner à quelqu'un d'autre. Et la personne qui m'a dit: Je ne pourrais pas l'assumer, je la comprends entièrement. Et donc je comprends aussi que c'est vraiment plus simple pour moi de pouvoir avoir l'aide quand, moi, j'en aurai de besoin, parce que, justement, c'est dégénératif, l'alzheimer, c'est évolutif, donc c'est difficile d'avoir le bon timing. Alors, les Claude Jutra de ce monde, là, c'est du monde très courageux.
Le Président (M. Kelley): Une dernière courte question, s'il vous plaît.
M. Charette: Ou sinon très, très brièvement.
Le Président (M. Kelley): Très, très courte, s'il vous plaît.
M. Charette: En fait, une qui sera d'autant plus brève mais qui vise à satisfaire ma curiosité. Je la pose régulièrement, soyez sans crainte. J'ai vu, à travers votre profil, que vous avez des études doctorales, mais je n'en sais pas davantage sur vous. Essentiellement, c'était dans quel domaine, quel type de carrière vous menez ou que vous avez menée? Juste pour identifier le profil.
M. Caron (Joseph): Agent de recherche au Conseil de la science et de la technologie pendant 15 ans. J'ai travaillé dans l'enseignement. Ma spécialité, c'est l'histoire et sociopolitique des sciences.
M. Charette: Des études et...
M. Caron (Joseph): Donc, des questions concernant les avantages et les inconvénients que peuvent comporter les nouvelles technologies, la capacité qu'a la science de nous aider, y compris la possibilité que, oui, nous, comme citoyens, on a la capacité de prendre nos distances de cela. C'était ça, mon domaine.
M. Charette: Et, à la base, des études en?
M. Caron (Joseph): Bien, biologie. J'ai fait aussi sciences humaines... sciences sociales, je m'excuse, et ensuite histoire et sociopolitique des sciences. Et ensuite j'ai changé de carrière puis j'ai fait sciences de l'information aussi.
M. Charette: La question pourrait être très, très ouverte, mais voyez-la comme une occasion, là, de conclure vos propos. Vous préférez manifestement le suicide assisté à l'euthanasie; je devine par là une quête encore plus grande d'autonomie. La personne qui est en mesure de... oui, c'est-à-dire, la personne qui a cette éventualité-là généralement a une marge de manoeuvre un petit peu plus grande que la personne qui pourrait éventuellement recourir à l'euthanasie, mais je n'ai pas entendu de condition médicale qui serait prérequise. Pour vous, c'est général, une personne qui a tout simplement perdu sa soif de vivre? Je n'ai pas entendu, de vos propos, une condition médicale minimale pour se prévaloir de cette possibilité, en quelque sorte.
M. Caron (Joseph): Oui, vous avez bien entendu. Ce que j'ai dit là-dessus, c'est la souffrance psychique, morale ou physique, actuelle ou anticipée, insupportable et sans perspective de soulagement. Donc, c'est assez large. Ce que je... Je comprends qu'une façon de baliser les choses est de dire: Bien, une maladie terminale avec beaucoup de souffrances physiques. Pour moi, c'est trop limité. Il y a la souffrance morale aussi, et, justement en raison de l'expérience d'aidant naturel que j'ai eue avec deux personnes -- cinq ans chaque, et puis, les deux, le premier, alzheimer, et le deuxième, démence sans avoir été diagnostiquée -- je vois qu'il y a d'autres formes de souffrances aussi auxquelles il faut donner toute l'attention et le respect nécessaires. Et, oui, ma position va plus loin, donc, que ça. Mais, encore une fois, ce n'est pas des peines d'amour d'une fin de semaine, là, qui... je pense que... c'est pour ça que c'est répété, il faut que ce soit répété, il faut que ce soit écrit et puis il faut aussi que ce soit validé par des professionnels.
Le Président (M. Kelley): Sur ce, il me reste à dire: Merci beaucoup, M. Caron, pour votre contribution à notre réflexion. Nous avons apprécié ça.
Je vais suspendre quelques instants et je vais demander au Dr Nicholas Newman de prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 17 h 37)
(Reprise à 17 h 41)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Notre prochain témoin, c'est Nicholas Newman, qui est chirurgien orthopédiste à l'Hôtel-Dieu de Montréal, de la CHUM, depuis 25 ans, également professeur agrégé de clinique, Université de Montréal. Alors, Dr Newman, la parole est à vous.
M. Nicholas Newman
M. Newman (Nicholas): Merci beaucoup de l'accueil. Il me fait plaisir de présenter devant la commission. Oui, je suis un orthopédiste. J'opère les personnes avec des fractures de hanche, et ça, depuis 25 ans comme spécialiste à l'Hôtel-Dieu et le CHUM. Et j'ai traité, dans ma carrière, quelque, quoi, 1 000 patients avec des fractures de la hanche, et j'ai fait d'autre travail aussi, mais je parle spécifiquement de cette problématique aujourd'hui parce que ça concerne le problème d'euthanasie et suicide assisté.
Le plus souvent, ces patients sont très malades et souffrants, avec leur fracture de la hanche. Le taux de mortalité chez ces patients est de l'ordre de 30 % dans l'année qui suit la fracture. Beaucoup d'entre eux sont donc effectivement en phase terminale, si vous voulez, bien qu'on ne puisse que rarement les identifier comme tel au moment de la chute et la fracture. De tous ces patients, je ne crois pas avoir connu plus que trois patients qui voulaient en finir au moment que je les vois. Et même eux qui voulaient en finir cherchaient en réalité un soulagement, quitte à réévaluer plus tard.
Prenons un exemple. Une patiente que j'ai vue dernièrement, il y a plusieurs mois, plus de 80 ans, une chute... je l'ai vue à l'urgence, elle est souffrante, elle n'est pas confortable, elle a attendu longtemps, vous connaissez la situation. Cette patiente a exprimé à moi le désir d'en finir. Pourquoi? Elle souffrait, elle avait beaucoup de souffrances. Moi, je lui ai dit: Pourquoi on ne soulage pas votre douleur? Je vais enlever votre douleur de votre fracture de la hanche. C'est ma profession, c'est mon job. Et en fait la patiente est tout à fait d'accord, quitte à réévaluer plus tard.
Il est d'ailleurs surprenant de constater l'immense volonté de vivre manifestée par la grande majorité de mes patients âgés, y compris souffrant de multiples handicaps. Vous savez, des patients ne sont pas seulement malades de la hanche qui casse, mais coeur, poumon, diabète, parkinson, et de multiples autres problèmes. Et même les patients ayant signé au préalable un testament de vie, refusant les traitements extraordinaires -- d'ailleurs, un testament qu'on respecte -- même ces patients qui refusent le soin intensif, la réanimation cardiorespiratoire, et avec raison, mais ces patients veulent vivre néanmoins.
Dans 99 % des cas -- un chiffre approximatif, mais je pense que je peux même dire que c'est une sous-estimation -- mes patients acceptent sans hésitation mes recommandations pour traitement parce qu'ils sont souffrants. Et cela ne témoigne aucun mérite de ma part, car en fait les patients âgés et malades n'ont guère d'autre choix que de s'en remettre au médecin. Lorsque vous êtes souffrant devant un médecin à l'urgence, mais vous espérez qu'il fait du bien pour vous, et, moi aussi, je fais mon mieux justement pour ça.
Si, moi, le médecin, ou le médecin qui voit ces patients, estimais que l'euthanasie -- moi, je dirais plutôt dysthanasie, mais on peut discuter du terme plus tard, si vous voulez -- si on pense ou si le médecin pense que l'euthanasie était indiquée: personne handicapée, souffrant, prospect de la mort bientôt, le patient affaibli par la maladie aura la plus grande difficulté à résister à son médecin. Je viendrai plus tard à cette question.
La loi. La loi, qui présentement empêche les médecins de tuer leurs patients, et c'est une très bonne loi, cette loi éduque le citoyen même plus que d'autre chose. Si la loi prescrit qu'il est bon de supprimer, de tuer -- il faut le dire -- certains patients sous conditions plus ou moins bien définies, le patient, qui est alors à son point le plus faible, a cessé d'être en état de dire son refus.
Vous savez bien, les médecins ne sont pas des anges. Mettre l'euthanasie dans la panoplie des soins, panoplie des traitements appropriés, pose un danger tant pour les malades, mais aussi pour la réputation de la profession médicale. J'y viendrai plus tard.
Il y a une barrière historique, qui ne devrait pas être franchie, entre celui qui guérit et ceux qui suppriment. Ça a été supprimé plusieurs fois dans l'histoire, avec des conséquences tragiques que vous connaissez. On pourra en parler plus tard, si vous désirez.
Il vaut la peine de répéter, et j'espère que je ne répète pas toujours, mais il vaut la peine de répéter que jamais, dans toute l'histoire de l'humanité, le soulagement des souffrances physiques des malades n'a été aussi efficace qu'à l'heure actuelle. Si nous offrons l'euthanasie et le suicide assisté -- et, à mon avis, on ne peut pas faire une distinction nette entre les deux, il n'y a pas de ligne, les deux s'entrecroisent -- si nous offrons l'euthanasie... qui ne sont réclamés que par un nombre infime de personnes... C'est sûr qu'il y a beaucoup de monde qui fait des déclarations avant, mais, quand on les voit comme médecins, il y en a très peu qui veulent se suicider ou qui veulent l'euthanasie. Si nous offrons l'euthanasie, nous poserons un danger pour la vie de la grande majorité de mes patients, de mes patients âgés qui, eux, tiennent à vivre. Et c'est pour ça que je dis non à l'euthanasie.
J'ai quelques exemples que je veux partager avec vous. Il est vrai qu'il y a un certain nombre de patients, très peu, mais formellement et fort, réclament qu'ils ont le droit ou la liberté, ou qui veulent avoir cette liberté de décider de leur mort. Ces personnes, à mon avis, ne prennent pas en considération le fait que, nous, on vit dans une société où tout le monde influence les autres. On est une communauté. Nul n'est une île. J'ai mis ça comme titre pour dire que la liberté des autres affecte le désir de vivre de la majorité.
Pensons à trois exemples. Vous venez en fait, Mme la députée, de mentionner le Centre de prévention du suicide du Québec. J'ai fait une recherche sur leur site Internet, et, eux, ils sont sans équivoque contre le suicide. Et tant mieux. Ils ont fait beaucoup de travail. Le taux de suicide est... est un fléau toujours, mais peut-être un peu moins depuis quelques années. Mais, moi, je pose la question: Comment vous allez dire à un enfant de 16 ans déprimé, aussi désolé qu'était Claude Jutra, qui s'est suicidé... un jeune de 16 ans peut être aussi désespéré que n'importe quel patient ayant n'importe quelle maladie, comment est-ce qu'on peut dire à ce jeune qu'il ne devrait pas se suicider, mais que c'est bon pour sa grand-mère ou peut être bon? Il y a une contradiction. On ne peut pas maintenir les deux discours, mais le discours au jeune devrait être maintenu.
**(17 h 50)** Je veux vous lire une petite citation de l'Assemblée nationale de France. Je cherche à trouver des items que vous n'avez pas encore entendus. Et, si je me trompe, vous me direz. Les discussions parlementaires sur le suicide ont été faites en France en 2008. Et le rapport, qui est sur le site Internet du gouvernement, indique que l'Ordre des médecins allemands a fait état de l'installation croissante des personnes âgées néerlandaises en Allemagne, notamment dans un endroit en particulier. Ces personnes craignent en effet que leur entourage ne profite de leur vulnérabilité pour abréger leur vie; c'est-à-dire, les patients quittent les pays néerlandais pour aller s'installer en Allemagne parce que l'euthanasie est permise en Néerlande mais pas en Allemagne, et ça, pour les raisons historiques qu'on connaît bien. Donc, n'ayant pas... n'ayant plus totalement confiance dans les praticiens hollandais, soit ils s'adressent à des médecins allemands, soit ils s'installent en Allemagne. De telles réactions dans la presse allemande... fait écho des manques des pratiques médicales hollandaises, c'est-à-dire vers l'euthanasie, sont mal vécues par une partie de la population, et cette partie de la population, c'est la partie la plus vulnérable.
Cette question de réclamer une liberté de se donner la mort, c'est vrai, il faut le confronter. J'ai un autre exemple à vous proposer. Nous savons bien que, chez nos voisins du Sud, aux États-Unis, la liberté, par exemple, de porter une arme pour sa propre défense -- pas pour tuer, pour sa propre défense -- est maintenue par toutes les lois et la Constitution. Et en fait c'est bien possible que quelques individus sont plus sécures à cause de ceci, mais nous savons bien qu'en général dans la société, aux États-Unis, la population est plus à risque des meurtres causés par un excès de fusils. Donc, la liberté pour certains cause un préjudice à la plupart. Moi, c'était le préjudice, qui pouvait être l'euthanasie pour nous, est néfaste. Et donc je vous dis que c'est mauvais pour mes patients, c'est aussi mauvais pour la profession médicale.
Moi, comme médecin, je ne veux pas être associé avec ceux qui suppriment la vie. Par exemple, on a vu ça déjà, historiquement, dans les sociétés où les médecins participent à des peines capitales et d'autres. Je pense que cette barrière entre celui qui guérit et celui qui supprime devrait être maintenue et même renforcée. Alors, merci de m'écouter.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Newman. On va passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. Je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour cette approche, M. Newman, de vouloir faire une différence dans les présentations. Je vous dirais qu'on essaie, nous, d'être plus original dans nos questions, mais finalement les questions finissent toujours par revenir un peu à la même chose, et les gens en arrière de vous, qui nous suivent depuis quelques jours, vous diraient: Ah! encore cette question-là, puisqu'ils ont entendu nos questions de part et d'autre.
J'ai trouvé intéressant quand vous dites que la souffrance apporte la volonté de mourir. Je pense que, là-dessus, vous avez tout à fait raison, et les professionnels qui sont venus nous voir nous ont beaucoup fait le parallèle de ça, ils nous ont beaucoup dit que quelqu'un qui souffre, qui souffre physiquement ou qui souffre dans l'âme, sont des gens qui voient la mort comme une porte d'exit facile, mais que nécessairement, si on traite la souffrance, on risque, à grande joie, de faire en sorte qu'ils perdent ce goût de mourir et qu'ils retrouvent le goût de vivre à tous les jours puisqu'ils ne souffrent plus. Et, là-dessus, vous le dites bien, il y a des gens qui sont venus nous le dire.
Où vous m'inquiétez un peu, puis je vais vous faire sourire peut-être, c'est que c'est les médecins qui sont venus nous dire que vous n'étiez pas des anges, puisque les citoyens nous ont parlé de leurs visions, de leurs valeurs, mais ils ont rarement mis un doute sur la profession médicale. Vous savez, dans la hiérarchie, on dit souvent, en s'amusant, que, juste un petit peu avant ou un petit peu après Dieu, il y a les médecins, puisque vous avez un pouvoir sur la vie qui est important. Et je pense que, quand vous nous dites: Soyez prudents, il peut y avoir une pente glissante, il peut y avoir des risques, vous nous dites aussi le pouvoir que vous avez sur la vie, puisque la médication, les traitements, c'est vous qui avez ça entre les mains, hein, ce n'est pas le simple citoyen qui peut imaginer toutes sortes de choses.
Par contre, mon citoyen, il peut imaginer le suicide. Il peut l'imaginer, puis vous faites bien de nous rappeler, puisqu'aujourd'hui c'est une journée importante, hein, pour le suicide, c'est une journée où on souligne le fait qu'il y a encore des gens qui posent ce geste triste... Et, dans les statistiques, on a vu que la moyenne d'âge... et les statistiques nous disent que malheureusement c'est un homme entre 40 et 55 ans qui se suicide, ce n'est pas un... La majorité n'est pas les jeunes de 15 ou les gens plus de 65 ans, c'est souvent entre 40 et 55 ans, pour toutes sortes de mauvaises raisons probablement, mais des raisons qui appartiennent à la personne qui croit qu'elle n'a pas d'autre issue que celui-là.
Et, quand la question se pose sur l'euthanasie ou le suicide assisté -- j'insiste là-dessus, pas juste sur le suicide -- plusieurs sont venus nous dire: Quel message envoyez-vous entre le jeune homme de 16 ans et la grand-mère qui souffre? Quel message je donne à ma jeune génération sur le suicide, si j'accorde à la grand-mère comme voeu, puisqu'elle l'a demandé, une aide, une assistance pour l'aider à finir de quelque chose qu'elle ne veut plus tolérer parce qu'elle l'a demandé? Quel message que je lance? Je pense que vous faites bien de nous poser la question, on devra nécessairement voir à cette réflexion-là, si jamais on pense aller vers un statut quelconque.
M. Newman (Nicholas): Ah oui! deux messages contradictoires en même temps.
Mme Charbonneau: Effectivement. En politique, on dit: Il ne faut jamais oublier ce qu'on dit puis ce qu'on fait, hein, les deux mains finissent par se rejoindre, puis il ne faut pas oublier ce que la main gauche fait puis ce que la main droite fait.
Par contre, on a aussi eu -- et je pense que les gens que vous accompagnez ou qui vous accompagnent vous en ont peut-être déjà parlé -- des gens qui sont venus nous faire des témoignages importants, ils connaissaient ce à quoi ils faisaient face. Ce n'était pas une fracture de la hanche, c'étaient des maladies dégénératrices. Ils avaient vécu soit déjà le décès de la personne ou soit faisaient face à leur propre mort. Ils disaient: Nous, c'est là qu'on est rendus.
Je reviens souvent avec le même exemple, parce que c'est une dame qui m'a beaucoup marquée par sa franchise, son courage, son humour. C'est Mme Gladu. Et elle avait une façon d'aborder la vie qui m'a beaucoup épatée, et, quand elle a dit: J'ai été journaliste à New York, j'ai vécu à 100 mille à l'heure, j'ai regardé dans ses yeux, puis c'est vrai, elle a sûrement vécu à 100 mille à l'heure. Mais là, elle était prise dans un fauteuil, déformée, son corps se transformait, chaque respiration qu'elle prenait pour nous parler, c'était impressionnant, et elle disait: J'ai trouvé ma sérénité le jour où j'ai décidé que j'étais pour mourir. Je n'ai pas choisi encore la date, parce que ma volonté de vivre est encore plus forte que ma volonté de mourir, ma joie de vivre est encore plus forte que ma souffrance, mais je souffre. Sachez, gens du comité, que je souffre, mais je suis capable de le toffer encore. Mais je sais que, quand je n'en pourrai plus, il y a un endroit que je peux aller, qui va m'aider à me donner la mort. Et ce sera un suicide assisté, puisqu'elle ne pourra pas nécessairement le faire d'elle-même, mais on va lui préparer ce qu'on appelle le petit coquetel, puis, un peu comme un bon martini de fin de journée, elle va prendre ce cocktail-là et, à la fin, malheureusement elle ne va pas en sortir vivante. Mais ça, ça lui apportait une sérénité, et elle était... dans le témoignage qu'elle nous faisait, elle nous disait comment elle trouvait là l'espoir de vivre, puisqu'elle avait trouvé où elle pouvait trouver sa solution à sa souffrance.
La question que je vous pose, c'est: Qu'est-ce qu'il arrive quand savoir comment je meurs me donne le goût de vivre?
M. Newman (Nicholas): Je suis content d'entendre qu'elle a retrouvé une sérénité et qu'elle garde de l'espoir, et ça, sans savoir... sans avoir... sans s'être suicidée. Donc ça, c'est bien. Pas encore, mais c'est tant mieux...
Mme Charbonneau: Oui!
**(18 heures)**M. Newman (Nicholas): ...parce qu'il y en a beaucoup qui en parlent, mais il y en a peu qui le font, heureusement. Et, moi, je lui dirai encore, comme espoir: Aidez les autres qui sont souffrants comme vous à aussi regagner leur sérénité, et ça, sans se suicider, parce que, quand on vit en société, en communauté, les actions de tout le monde influencent les autres. Je comprends... Disons, je ne peux pas dire que je comprends, je ne suis pas dans sa peau, mais je peux lui dire que je vois bien d'autres patients qui ne veulent pas qu'on les menace, et donc, moi, je suis de leur côté, qu'il ne faut pas le faire.
Et l'autre aspect de mon témoignage est que je pense que c'est dangereux, et ça a déjà été écrit, on a des citations, pour le médecin, de franchir cette barrière entre un guérisseur et celui qui aide à tuer; c'est mauvais pour la profession, c'est mauvais pour moi et pour la société en général. Et c'est sûr que le médecin ne peut pas régler tous les problèmes de la société, mais ce n'est pas non plus son rôle à supprimer ceux qui n'ont pas réglé leurs problèmes, c'est toute notre société.
Le Président (M. Kelley): Oui, oui.
Mme Charbonneau:«Encore» que j'ai demandé, encore, et on m'a dit oui. Un autre cas. J'ai besoin d'un respirateur artificiel pour vivre. Jusqu'ici, mon goût de vivre est toujours présent. Il arrive un moment dans ma vie où, la maudite machine, je suis tannée. Et là, une simple volonté d'un arrêt de traitement, je vous regarde dans les yeux puis je vous dis: Dr Newman, j'aimerais faire un arrêt de traitement. Alors, demain, je vais venir à l'hôpital et j'aimerais que, dans la sérénité de l'être que je suis, en faisant mon... j'aimerais faire un arrêt de traitement demain après-midi. Vous, Dr Newman, vous savez qu'en posant ce geste cette personne va mourir, puisque, sans son respirateur, à moins d'un miracle incroyable, sans son respirateur, cette personne va mourir.
M. Newman (Nicholas): Elle va mourir, mais elle va mourir de sa maladie.
Mme Charbonneau: Elle va mourir de sa maladie, j'en conviens, mais... Puis permettez-moi... Parce que, moi, je ne suis pas médecin, permettez-moi de vous dire que la ligne entre les deux, pour moi, là, entre mon arrêt de traitement et ma volonté de mourir, puisque c'est ma demande d'arrêt de traitement, que vous êtes obligé de considérer, de procéder, qui fait que je vais mourir... Et je suis consciente que vous pouvez me parler de la différence dans l'intention, mais, moi, là, Francine Charbonneau, députée de Mille-Îles, simple citoyenne, je ne suis pas médecin, je vous dis juste qu'en ce moment, là, dans ma tête, dans ma philosophie où, à l'intérieur de deux heures, je change quatre fois d'idée sur le suicide assisté puis l'euthanasie, avec les témoignages que j'entends, j'ai de la difficulté à trouver la fine ligne qui me dit la différence.
M. Newman (Nicholas): Mais je peux vous dire qu'à l'hôpital on arrête des respirateurs chez les patients chez qui il n'y a aucun espoir d'améliorer. On voit ça souvent. Et d'ailleurs refuser un traitement, surtout un traitement agressif qui est un respirateur, n'est pas du tout l'euthanasie, c'est permis par la loi. On n'a même pas besoin d'en parler, c'est déjà permis. Et c'est sûr que ça peut être inapproprié, ça peut être quelque chose qui n'est pas à faire ou qu'on devrait faire, mais ce n'est pas de l'euthanasie, ce n'est pas du suicide, ça. Tout comme arrêter, par exemple, sa dialyse, quelqu'un âgé qui trouve ça trop dur de subir ça -- moi, je les comprends -- ce n'est pas de l'euthanasie, c'est déjà permis. On n'a pas besoin d'en parler, c'est permis.
L'euthanasie, c'est quand le médecin fait un traitement direct pour provoquer la mort. Je conviens que le mot «euthanasie» n'est pas le bon mot. On devrait peut-être utiliser d'autres termes...
Mme Charbonneau: Je suis d'accord avec vous, oui.
M. Newman (Nicholas): Surtout que ce n'est pas nécessairement une bonne mort qu'on donne. Mais, un arrêt de traitement... Et on voit qu'il y a une confusion, j'ai même lu ça dans une des présentations de ce matin. Arrêter un traitement, même un traitement vital, peut être plusieurs choses, ça peut être stupide, même, mais ce n'est pas de l'euthanasie. L'euthanasie, ou du moins ce que je vois, c'est quand le médecin voit un patient qui vit, qui exprime un désir de vie ou qui n'a pas exprimé le contraire, qu'on supprime. C'est ça, l'euthanasie, et c'est ça que je suis contre. Pas...
Mme Charbonneau: ...pas un suicide assisté non plus.
M. Newman (Nicholas): Ce n'est pas un suicide assisté, là. Je comprends quelqu'un avec, par exemple, un cancer qui refuse le traitement, dit: Je n'en peux plus. Mais refuser un traitement pour un cancer, ce n'est pas le médecin qui tue le patient, c'est le cancer. Ça, ça peut être une mauvaise idée...
Mme Charbonneau: Non, non.
M. Newman (Nicholas): ...mais ce n'est pas une euthanasie, ce n'est pas un suicide.
Le Président (M. Kelley): Court, court commentaire, Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Oui. Très, très petit commentaire parce que je sais que mes collègues veulent poser des questions. Merci beaucoup. J'ai beaucoup aimé votre titre, Nul n'est une île. Ça nous ramène à notre responsabilité sociale à tous.
Vous avez beaucoup parlé aussi que nos actions influençaient les autres, tout ce qu'on... à titre de médecin, à titre de citoyen. Et je voudrais juste avoir, en terminant, votre commentaire par rapport au fait qu'il y a 20 ans les sondages exprimaient que les Québécois étaient plutôt en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté, et, 20 ans plus tard, on a toujours les mêmes 80 % de personnes qui sont en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté, et ces personnes-là ont tous vécu la mort d'un proche, d'un ami, accompagné, pas accompagné, tout ça. Alors, pour vous, qu'est-ce que ça nous donne comme message, là, ce haut taux des Québécois qui sont plutôt en faveur?
M. Newman (Nicholas): En fait, je ne sais pas exactement, mais je sais qu'il y en a beaucoup qui confondent le suicide assisté, l'euthanasie avec les arrêts de traitement, avec l'arrêt d'un acharnement thérapeutique. Donc, il y a beaucoup de confusion entre ce que... de quoi on parle. Et, pour cette raison, c'est une des raisons pour laquelle il y a un haut taux.
Et aussi, c'est sûr que, lorsqu'on a 16 ans... Moi, je me souviens bien, à 16 ans, si on me disait que, vous savez, 40 ans plus tard, vous allez être obligé de vivre avec des médicaments, vous allez porter des lunettes, vos cheveux vont être en train de perdre, je dirais: C'est affreux, c'est intolérable. Mais, en fait, rendu là-bas, ce n'est pas si... C'est moins pire qu'on pensait, hein?
Je vous donne un autre exemple aussi, et en fait c'est une des plus belles choses d'être médecin, c'est de voir des belles choses dans la vie de nos patients. Lorsque j'ai commencé ma carrière, il y a 25 ans, j'ai traité une dame qui avait essayé de se suicider. En sautant, elle a eu un trauma crânien, multiples fractures. Et, tu vois, c'est un cas où on dit: Mais elle a essayé de se suicider, et là on l'envoie aux soins intensifs, on fait des chirurgies, on répare ses os. En fait, elle s'est bien récupérée. Disons, moi, je suis un humble médecin qui s'occupe seulement des os, j'ai vu cette patiente il y a un an dans mon bureau pour autre chose, et ça m'a frappé tellement que je lui ai posé la question, j'ai dit: Madame, il y a 25 ans, quand vous êtes venue, est-ce qu'on a bien fait de faire ça, de vous traiter, de vous sauver, effectivement? Et elle a dit oui sans hésitation.
Bon, juste un petit exemple pour dire qu'on a toutes sortes d'idées sur le suicide. Et ça, c'est une patiente qui a pris les moyens forts de se casser les os et frapper son cerveau, là, ce n'est pas une mort douce, ça. Ce n'est pas l'euthanasie, ça, c'est sérieux. Mais elle avait changé d'avis, elle était contente. Et d'ailleurs moi aussi.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. Dr Newman, c'est un plaisir de vous recevoir avec nous en cette fin de journée. Merci pour l'éclairage. Je relisais votre mémoire, qui est très, très concis mais en même temps très clair sur votre position.
Quelques questions. Vous dites d'emblée que 99 % des cas... Dans 99 % des cas, les recommandations que vous faites sont d'emblée acceptées. Ce petit pourcentage, ce petit point de pourcentage, j'admets qu'il est bien mince, mais quel est le réconfort que vous êtes en mesure d'offrir à ce pour cent là qui malheureusement ne se retrouve pas dans les recommandations que vous pouvez faire?
M. Newman (Nicholas): Par exemple, un patient qui refuse la chirurgie carrément, en fait, il y avait, à mon sens, un problème d'autre ordre, d'ordre psychiatrique aussi, mais il était assez clair, il ne voulait pas être opéré. Mais on a des moyens de traiter les fractures, moins bien, mais sans chirurgie, et en fait sa fracture guérit, mais croche. On a offert de corriger ça, mais ça ne s'est pas fait. Et aussi, ça arrive qu'à l'occasion les patients sont trop malades pour être opérés, par exemple les patients qui ont des problèmes cardiaques, et en fait des gens ont des problèmes cardiaques et tombent et cassent leur hanche à la suite de ça, oui, et des fois on n'est pas capables d'opérer ces patients. Mais on peut tous les soulager, on a d'autres soulagements.
**(18 h 10)**M. Charette: Vous avez également dit que, dans toute votre carrière, vous avez reçu très, très peu de demandes soutenues de patients qui voulaient en finir. Et plusieurs médecins que nous avons eu le plaisir de rencontrer ont échangé des propos semblables. On a eu des médecins qui comptaient 25 ans de pratique, et ce, en oncologie qui nous disaient, dans certains cas, n'avoir jamais reçu aucune demande de cette nature-là, et dans d'autres cas, peut-être une ou deux, mais qui n'étaient pas soutenues et répétées dans le temps. Et ça, je dois vous avouer que c'est quelque chose qui nous a surpris, parce que la commission a quelques mois d'âge seulement et, à travers les contacts que nous avons avec nos propres concitoyens, à travers les courriels que nous avons reçus, à travers les échanges ici et là que nous avons conduits, on se l'ai fait demander régulièrement, ce droit à mourir. Donc, il y avait un paradoxe entre ce que le spécialiste nous disait, des spécialistes de longue date, et notre très courte expérience dans le domaine.
On a posé la question à quelques intervenants et on a reçu deux types de réponses. Une première, qui me semble logique -- et je souris, je veux parler... j'ai pensé à ma conjointe, je vous dirai pourquoi ensuite -- c'est-à-dire: lorsqu'on est convaincu que la réponse est négative, on ne pose pas la question. Donc, il y a des gens qui, sachant très clairement que ce n'est pas permis de par la loi, connaissant d'emblée la réponse du médecin... on ne la pose pas, la question. Et je vous parlais de ma conjointe, elle est très déterminée. Moi, quand j'ai une idée en tête et je sais que la réponse sera non, je ne lui pose même pas la question, ça ne vaut pas la peine. Donc, on peut imaginer le contexte. Et cette personne-là qui a répondu à la question nous disait: Ce patient qui voudrait en finir, plutôt que de s'adresser au médecin traitant, va plutôt se confier, que ce soit à la travailleuse sociale, va se confier, à la limite, au préposé qui... avec qui il a entretenu une relation de confiance, va plutôt s'adresser à un voisin, une voisine. Bref, cette possibilité-là, qu'il faut considérer, qu'on ne demande pas parce qu'on connaît la réponse.
Et une autre possibilité, qui me semble aussi valable et qui doit être explorée, c'est que la médecine, oui, a fait d'immenses progrès -- vous l'avez répété -- au cours des dernières années. Tout le support pharmacologique, et toute la science, permet, en très, très grande partie, de soulager les douleurs. Mais là on parle à des spécialités... on parle de spécialités qui sont très, très précises: les soins palliatifs, oncologie -- vous -- au niveau de l'orthopédie. Ce sont des spécialités déterminées mais qui ne sont pas en contact avec tous les cas qui sont venus devant nous, pour qui la science n'a pas fait ces progrès-là. Donc, oui, je comprends qu'au niveau des soins palliatifs, oncologie, orthopédie, à travers toute la médication permise, la douleur puisse être réellement bien confirmée, il n'y a plus de doute dans mon esprit à ce niveau-là. Mais, pour d'autres types de maladies, la science n'a pas progressé au même rythme, malheureusement, et ce réconfort-là n'est pas possible. On l'a évoqué, maladies dégénératives de toutes sortes, ces gens-là n'ont pas le même support -- la volonté d'aider, elle est aussi grande -- mais n'ont pas les mêmes possibilités d'apaisement. Et c'est beaucoup à ces gens-là qu'on pense lorsqu'on est à la recherche de solutions, lorsqu'on est à la recherche d'un mieux-être. Une réflexion de votre part sur la question, s'il vous plaît.
M. Newman (Nicholas): Oui. Je parle et je donne des chiffres de ma propre expérience qui est avec des patients qui ont une maladie aiguë avec une douleur aiguë pour laquelle on a un très bon traitement la plupart du temps. Donc, c'est sûr que je ne m'occupe pas des patients avec, par exemple, la sclérose en plaques. Mais je peux vous dire que je m'occupe... Et les patients dont je parle, c'est une... ça fait un bon pourcentage de la population en médecine, c'est représentatif. Ce n'est pas des cas... Ce ne sont pas des patients rares. Et c'est sûr que, moi, je les vois de façon ponctuelle. On n'entreprend pas de... Ce n'est pas un suivi à vie, bien qu'il y a occasionnelles exceptions.
M. Charette: Merci. On voulait juste valider le temps qui restait à notre disposition. J'aurais bien des questions, mais ma collègue aussi en a à vous poser. Mais, sinon, ça serait bien correct.
Il y a eu ce sondage auprès des médecins qui a été largement diffusé et qui a été source d'un certain débat. Certains remettaient en cause le faible taux de participation, d'autres relevaient plutôt la confusion au niveau des questions, d'autres s'interrogeaient sur la véritable définition que chacun se donnait. Mais il y a quand même une statistique qui est flagrante, à savoir: il y a tout de même 50 % des médecins qui pensent croire que l'euthanasie se vit déjà dans les hôpitaux du Québec. C'est quand même une statistique qui est éloquente.
Donc, sans remettre en question le sondage lui-même ou sa méthodologie, est-ce que vous pensez qu'elle se vit, l'euthanasie, présentement au Québec, sans que ce soit naturellement, ouvertement, mentionné ou divulgué?
M. Newman (Nicholas): Moi, je dirais: C'est plutôt rare. Mais je n'ai pas fait d'investigation. Il y a aussi une certaine confusion. Les patients, par exemple, qui sont dans une phase terminale peuvent être soulagés avec beaucoup de médicaments. Et en fait il n'y a pas de limite, la morphine et d'autres médicaments ne coûtent pas cher. Donc, on fait beaucoup de soulagement, et on peut voir ça comme une euthanasie. À mon sens, si c'est pour soulager le patient, même... Si le médecin dit: Je ne fais pas ça pour tuer le patient mais pour soulager, bien il n'y a pas de limite. Mais quelqu'un d'autre peut dire... regarder ça à l'extérieur puis: Ah! ça, c'est de l'euthanasie. J'en ai vu. Je me souviens très bien, quand j'étais plus jeune, d'avoir vu un cas où c'était vraiment pour tuer le patient, et beaucoup d'autres où c'est une question, là... Mais, peut-être, on exagère avec notre morphine, ou peut-être pas, mais ce n'est pas, à mon avis, une question d'euthanasie, ça, c'est une question de contrôle de médicaments et de l'usage de médicaments, etc., plutôt que l'euthanasie, disons.
Je réponds de façon oblique à votre question, mais je dis que ce n'est pas fréquent, à mon avis, mais on peut avoir une confusion. Surtout si on fait, par exemple, un arrêt de respirateur. On dit: Écoute, on a opéré ce patient, ça ne marche pas, son coeur flanche, ce n'est pas la peine, on arrête. Est-ce que quelqu'un dit... Si vous êtes un médecin de l'extérieur ou une infirmière qui dit: Mais, écoute, c'était mon patient, là, tu travailles toute la nuit, là ils enlèvent tout?, oui, on peut vivre ça comme si c'était euthanasie. Mais, à mon avis, ce n'est pas. Donc, il y a une confusion dans les cas. Mais, disons, je ne réponds pas directement à votre question, mais d'après mon expérience.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui. Bonjour. Merci beaucoup pour votre présentation. En fait, moi, c'est très simple, ce n'est pas vraiment une question, c'est juste qu'il y a un genre de décalage entre les témoignages des médecins et les témoignages des gens, pas de tous les gens, là, il y a des gens qui partagent exactement vos convictions, mais pas juste ici, mais, nous, dans notre travail, je dirais, de circonscription, on a souvent des gens qui nous interpellent sur des situations de fin de vie très difficiles qu'ils ont vécues. Hier, il y a une dame qui est venue à la période des micros ouverts puis qui a dit qu'elle trouvait qu'il y avait beaucoup de paternalisme ou de présence du médecin encore qui a de la difficulté à accepter qu'une personne, elle-même, a son jugement sur elle-même. Enfin, je fais...
Et, nous, on écoute les médecins puis on est très sensibles à votre perspective. On comprend tout à fait les défis, la lourdeur que ça pourrait être pour un médecin, votre serment d'Hippocrate, puis tout ça. Mais il faut aussi entendre ce que les gens ont à nous dire puis... Parce que je sais qu'il y a plusieurs médecins qui suivent nos travaux, puis je pense que le témoignage qui suit est une illustration de ce qu'on entend, nous, souvent. Donc, s'il y en a qui ont du temps pour rester, juste pour que les deux points de vue puissent se rencontrer, je pense que ce serait intéressant.
Et l'autre chose que je voulais dire, écoutez, c'est un peu... C'est juste pour vous dire ce qu'on reçoit comme témoignages et quels types de dilemmes avec lesquels on est. Et c'est aujourd'hui quelqu'un qui nous a écrit, qui visiblement ne pourra pas venir se faire entendre -- puis je ne veux pas être dramatique d'une manière épouvantable, mais je pense que ça vaut la peine -- c'est un courriel de 10 lignes. Évidemment, la personne dit qu'elle n'a pas de médecin, donc c'est en soi une difficulté, elle vit en Gaspésie. Et, bon, on pourra faire un suivi, voir ce qui se passe. Mais je veux juste vous dire ce à quoi on peut être confrontés. On a eu des cas très difficiles qui nous ont été soumis, et là je pense que c'en est un autre.
Alors: «Bonjour à tous. Je suis un résident de la Gaspésie. J'ai subi un accident d'auto en 2007. Depuis, ma vie a changé. Je suis invalide avec souffrances. Je souffre et je n'ai trouvé aucun médecin pour soulager mes souffrances physiques. Je souffre de radiculopathie du membre inférieur gauche. Je suis alité pas loin de 20 heures sur 24, tout dépendant des journées et de la pression atmosphérique. Je dépéris d'année en année. J'aimerais mourir et je demande à Dieu qu'Il vienne me chercher à tous les soirs avant de m'endormir, et cela, quand [les] souffrances me [donnent] un répit afin que je dorme. J'aimerais pouvoir mourir et du fait même donner mes organes. Mes organes vitaux sont en bon état. J'aimerais faire du bien avant de mourir. Je sais qu'un jour présent je souffrirai tellement que je n'aurai que d'autre solution de mettre fin à ma vie. Je priverai du fait même la santé de plusieurs personnes en attente d'organes. Ce que je vis est atroce et inhumain. Aidez-moi à mourir et à faire du bien.» Alors, comme je vous dis, je ne veux pas être totalement dramatique, mais, vous comprenez, nous, des témoignages comme ça, on en reçoit, pas toujours des aussi dramatiques, il y en a beaucoup qui vont être plus de la teneur de ce qu'on va entendre juste après vous. Mais c'est sûr que cette personne-là, elle vit une réalité. Elle est en région, il y a peut-être quelque chose... Le système n'est pas parfait, puis il faut toujours travailler à l'améliorer, puis on est très conscients de ça. Mais qu'est-ce qu'on dit à une personne comme ça? Qu'est-ce qu'on dit à une personne comme ça?
M. Newman (Nicholas): Elle a besoin d'un médecin, et ça...
**(18 h 20)**Mme Hivon: Oui, mais elle a besoin d'un médecin pour calmer sa souffrance, mais vous savez qu'il y a...
M. Newman (Nicholas): Elle a besoin d'un...
Mme Hivon: ...des souffrances qui sont très, très difficiles à contrôler.
M. Newman (Nicholas): On parle de ses douleurs physiques, ça se soulage. Il y a des cliniques antidouleur. Il y a toutes sortes de spécialistes qui s'occupent de... Vous parlez de notre système de santé qui a besoin d'être guéri aussi, mais ça, je ne peux pas le faire ce soir, je ne peux pas... Mais elle a besoin d'un bon médecin. Je ne sais pas quoi suggérer, mais, si elle n'a pas ça, elle... Il ne faut pas laisser une personne se suicider parce qu'elle n'a pas eu les soins médicaux appropriés. Ce serait absurde.
Mme Hivon: Écoutez, je suis d'accord avec vous. Comme je vous dis, il y a une question de ressources, mais il y a quand même des situations comme ça où des gens souffrent et sont suivis -- on en a eu cette semaine -- et, eux, ils se sentent dans un cul-de-sac. Là, on a une particularité importante, mais il y a des gens qui sont venus témoigner et qui nous ont dit: Mon père en est venu à se suicider parce qu'il avait très peur de la prochaine étape. Il souffrait, il était dans un état de maladie dégénérative, puis, pour lui, il n'y avait plus de solution. Puis, il est arrivé à l'hôpital, on a jugé qu'il n'était pas dépressif, on a dit: C'est correct, on ne vous donnera pas de traitement, vous n'en voulez pas. Il y a quand même des cas comme ça. Et, nous, comme législateurs, on n'a pas le choix, on ne peut pas rester insensibles. Je ne dis pas qu'il faut prendre la voie de l'euthanasie, mais je dis juste qu'il faut réfléchir, je pense, tous ensemble comme société, aussi à qu'est-ce qu'on fait avec des cas comme ça.
Le Président (M. Kelley): Alors, sur ça, merci beaucoup, Dr Newman, de prendre le temps de votre pratique, qui est très occupée, de venir partager vos expériences avec nous.
Je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander à Mme Danielle L'Écuyer de prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 18 h 22)
(Reprise à 18 h 24)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! On est à notre avant-dernier témoin. Juste rappeler pour les personnes, on a convenu de modifier l'horaire pour aujourd'hui. Alors, on va terminer avec les deux derniers témoins, et il n'y aura pas de période de micros ouverts ce soir, parce qu'on a modifié l'horaire mercredi soir.
Cette expérience est enrichissante parce qu'il y a à la fois des médecins, des experts, des personnes qui viennent s'exprimer, mais il y a également les citoyens et les citoyennes qui viennent s'exprimer aussi sur leurs expériences, sur leur vécu. Parfois, ce sont des témoignages qui sont très difficiles. Alors, sans plus tarder, un mot de bienvenue à Mme Danielle L'Écuyer. Et, Mme L'Écuyer, la parole est à vous.
Mme Danielle L'Écuyer
Mme L'Écuyer (Danielle): Je vais laisser la parole à ma fille parce que je ne crois pas que je sois capable d'être en mesure de le lire moi-même.
Le Président (M. Kelley): Alors, Mme Manon Lafrance. Bienvenue aussi, Mme Lafrance. Et la parole est à vous.
Mme Lafrance (Manon): M. le Président, membres de la commission, bonsoir. Merci. Je vais effectivement lire le texte que ma mère a composé.
Voici un résumé de la fin de vie de mon époux, M. André Dutrizac. Mon mari est décédé le 29 janvier 2008 à 77 ans. Il avait un cancer de la prostate depuis 1994, qui a récidivé en 2002 puis en 2006. Pendant toutes ces années, il a eu recours, grâce au CHUM de Notre-Dame, à différents protocoles de recherche, ce qui lui a fait avoir des sursis avec de belles conditions de vie et sans douleur.
Arrive juin 2007, douleurs, visites chez le docteur de famille, hospitalisation, scans, tests. Résultat: le cancer a gagné. Cette fois, il est atteint aux os, à la prostate et en dehors du foie. 13 jours à l'Hôpital Pierre-Boucher de Longueuil. Retour au CHUM Notre-Dame, où on lui propose de la chimio palliative. Mon époux veut connaître toute la vérité, et on lui confirme qu'on ne peut qu'alléger ses souffrances et qu'il lui reste environ six mois de vie. Mon mari décide de suivre ces traitements de chimio palliative tant et aussi longtemps qu'il ne souffrira pas à l'extrême.
Nous avons eu aussi recours aux soins palliatifs du CLSC. Ces gens furent de vrais trésors pour nous. Ils sont vraiment à l'écoute et savent ce qu'il faut dire, comment le dire et ont allégé ses douleurs en prescrivant des Tylenol avec codéine sur demande.
La maladie progressait, et son poids descendait rapidement. Il était toujours à la maison, ce qui était son plus grand souhait de fin de vie: être chez lui le plus longtemps possible. Il a des pertes d'équilibre qui le font tomber en plein visage dans la chambre de bain. Il s'ouvre le front mais n'est pas prêt pour l'hospitalisation. Le docteur et la garde du CLSC lui suggèrent le port de couches, vu qu'il ne peut aller assez vite à la toilette car il a des enflures importantes aux pieds et perd l'équilibre, même avec une marchette. Son désespoir augmente avec les pertes de contrôle et l'augmentation des douleurs.
Puis arriva l'appel aux ambulanciers, le 25 janvier 2008, car ses douleurs étaient insoutenables. Les médicaments que nous avions n'étaient plus assez forts pour l'empêcher de se tordre de douleur. Le soir, arrivé à l'Hôpital Pierre-Boucher vers 20 h 15, on attend une 1 h 30 min avant qu'il soit transféré dans un isoloir. Et là on l'envoie passer des scans, radios, prises de sang. Résultat: les métastases sont rendues au foie, os, reins, prostate, estomac et poumons.
Premier médecin, vendredi soir, le 25 janvier. Suite aux résultats et à la demande de mon mari qui mentionne qu'il a fait un mandat d'inaptitude, il demande d'en finir, qu'il n'en peut plus, que chaque geste de son corps lui fait subir de grandes douleurs, surtout à cause des os, le médecin prescrit de la morphine aux trois heures. Mais ses douleurs sont de plus en plus intenses et de plus en plus rapprochées. Encore une discussion avec le médecin en place aux urgences et mon mari. Ce médecin fait venir une garde, il lui dit devant mon mari et moi de lui donner des doses selon sa demande ou la mienne. Il est enfin un peu plus détendu mais de plus en plus drogué. Il ne parle plus que pour se lamenter, alors je sonne ou je cours après les gardes-malades.
Et survient un changement de quart de travail. Le médecin n'a pas eu le temps d'inscrire «sur demande» dans son dossier. Le médecin était vraiment surchargé. Refus d'une garde de donner de nouvelles doses car le dossier ne fait pas état de «sur demande». Attendre que le nouveau médecin du nouveau quart de travail puisse discuter avec mon mari, mais, pendant ce temps, mon conjoint est agité, en profondes douleurs, et il ne peut pas répondre adéquatement aux questions du nouveau médecin. Alors, je sors le mandat d'inaptitude et lui fait part de notre fin de soirée la veille. Le médecin inscrit sur le dossier «morphine sur demande».
Nous sommes transférés dans un autre local, une partie d'observation de l'urgence, et il n'aura droit à une chambre que le lundi. Entre vendredi et lundi, nous avons vu... ou plutôt j'ai vu cinq différents médecins, et ils n'ont pas tous la même approbation du mot «euthanasie». Donc, j'ai eu à ressortir le mandat de mon mari et recommencer à me battre pour son droit de mourir en toute dignité, avec le moins de souffrances possible. Mon mari avait fait de vive voix part de ses demandes de ne pas avoir d'acharnement thérapeutique et il savait qu'il allait mourir bientôt en discutant avec le premier médecin.
**(18 h 30)** Le 28, donc le lundi, on a monté mon mari dans une chambre sur l'étage de soins palliatifs le matin, vers 9 h 15. Mon mari, au bout d'une couple d'heures, se tordait de douleur, et j'avais de maintes fois sonné pour qu'on lui administre quelque chose, mais on me disait que rien n'était inscrit dans son dossier, et le médecin devait le voir en premier. On lui a donné un léger calmant en attendant. Une demi-heure plus tard, mon mari ne ressent plus cet effet d'un calmant et il gémit. Le médecin n'est pas encore passé. Mon mari souffre inutilement. On le repositionne dans le lit même si je leur dis de ne pas le bouger car il a un cancer des os. Il gémit encore et encore, et un autre petit calmant. Enfin l'arrivée du médecin! Il ausculte mon mari, essaie d'entrer en contact avec lui, mais il ne répond pas. Alors, le médecin me fait sortir dans le corridor, il me mentionne que, si on administre moins de sédatifs à mon mari, qu'il pourra le ramener à être plus lucide et qu'il pourra discuter avec lui pour lui proposer une chirurgie pour lui enlever de l'eau le lendemain, car son ventre est rempli d'eau et que l'eau pourrait monter aux poumons.
Je discute avec ce médecin. Je mentionne le mandat et je le lui montre, je lui rapporte la conversation du vendredi soir de mon mari avec le médecin de l'urgence et j'appuie sur le fait qu'elle doit bien avoir inscrit quelque chose au dossier au fait que mon mari a choisi de ne plus avoir d'intervention, quelle que soit la nature, et qu'il ne souhaitait aucun acharnement à le prolonger tout en ayant des souffrances de plus en plus en fin de vie. Pas question de lui toucher, que je lui dis. J'adore mon mari et je veux être à ses côtés, pas ici, dans le corridor, à me débattre pour faire valoir ses droits de mourir dignement, sans acharnement, avec le moins de souffrances possible. Il accepte et indique le tout dans son dossier. Mon mari est décédé mardi, à 13 h 20, le 29 janvier.
Il est plus que temps que nos gouvernements mettent en place des directives dans une loi pour que tous les intervenants, tous les médecins y aient accès afin qu'ils puissent faire ce qui est juste et raisonnable, soit permettre à leurs patients de mourir de façon décente, sans souffrance, et que cela soit clair qu'ils ne seront pas tenus responsables s'ils administrent des doses de médicament de plus en plus fortes afin de laisser mourir les gens sans souffrance. J'ai vraiment senti que, si mon mari avait pu leur dire de vive voix qu'il refusait l'acharnement et qu'il désirait mourir plutôt que de... ne plus souffrir, que je n'aurais pas eu à perdre les minutes précieuses de vie de mon mari à les convaincre que cela était son choix. J'étais en train de voir mon mari mourir, et c'est à ses côtés que je voulais être, pas à débattre le droit de mourir en paix. Il est temps que nous enlevions le poids de ces décisions du dos des médecins. Il est temps que nos gouvernements respectent la vie, et la mort digne en fait partie. Merci beaucoup.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. C'est très difficile, même deux ans plus tard, j'imagine, c'est une épreuve très, très difficile, alors merci beaucoup pour votre témoignage. Et on est... Nos condoléances pour votre perte, parce qu'on voit que c'est une fin de vie qui était très difficile pour votre famille.
C'est difficile de poser... c'est un petit peu un choc, mais, Mme la députée de Hull, avez-vous une question?
Mme L'Écuyer (Danielle): Je vais essayer. Si ça fonctionne, ça fonctionne, si ça ne fonctionne pas, bien j'arrête. Je m'excuse, là.
Mme Hivon: ...Mme L'Écuyer.
Le Président (M. Kelley): Vous n'êtes pas obligée, parce que votre témoignage ici...
Mme L'Écuyer (Danielle): Ça a pris beaucoup d'efforts d'écrire ça. J'ai pris une semaine pour le faire, puis j'ai sorti la boîte de Kleenex plus souvent qu'à mon tour. Mais je me disais qu'il était peut-être bien important que des gens comme moi, les gens ordinaires, ils viennent vous dire des choses qu'ils vivent, que vous sentiez la pression qu'on a à ces moments-là, puis qu'on se sent démunis au bout, puis qu'on ne sait pas où se tourner. Puis ce n'est pas là qu'on veut être, on veut être avec la personne qu'on aime qui est en train de partir, puis que tu es là, tu es en train d'essayer de te battre avec le système parce qu'il n'y a pas... les normes ne sont pas sorties pour leur dire: Aïe! regarde, là, il est en fin de vie, il est en fin de cancer, il n'a plus rien de bon dans lui, là, mais il a des douleurs par contre. On peut-u les arrêter? Oui, ça va finir sa vie, il le sait, mais il a tout essayé, là. On a fait des protocoles de recherche, tout. Je vous dis, on a fait plein de choses parce qu'il aimait la vie, et jamais mon mari... Et on aimait la vie, mais la vie n'était plus là, là, il avait de la douleur, puis c'est tout ce qui restait. Ça fait qu'il n'en pouvait plus, il fallait arrêter à quelque part. Mais rentrer dans un hôpital une fin de semaine, oubliez ça, là, choisissez de mourir un lundi, au moins.
Le Président (M. Kelley): Non, non, mais... Mais, comme je dis, on est très conscients, comme membres de la commission, on touche les familles aux moments les plus sensibles, les moments... les grands moments. Moi, je pense au décès de mes parents, qui heureusement sont décédés dans des conditions plus agréables, mais je me souviens de ces moments comme si c'était hier, et c'est probablement parmi les moments les plus marquants de ma vie. C'est bien beau d'être député, c'est bien beau de prononcer les discours à l'Assemblée nationale, mais, le soir où ma mère est morte, et ça fait six ans maintenant, je me rappelle de ça comme si c'était hier. Alors, ça, c'est les moments forts de notre vie.
Vous avez une très grande éloquence, vous décrivez qu'est-ce qui s'est passé pour vous, pour votre mari, en janvier 2008, et toute l'expérience préalable, alors c'est très précieux pour nous autres comme membres de la commission, parce que c'est vraiment ça, on essaie de voir comment les conditions de fin de vie pour les familles québécoises peuvent être les plus sereines, les plus pacifiques, les plus dignes, les plus respectueuses. Alors, c'est un petit peu l'essence de notre mandat et dans votre témoignage ce soir. Alors, Mme L'Écuyer, merci beaucoup.
Je ne sais pas s'il y a des collègues qui... Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, Mme L'Écuyer. On a reçu une copie d'un message de R. Dansereau. Je ne sais pas si c'est un de vos amis, une de vos amies?
Mme L'Écuyer (Danielle): C'est une connaissance depuis 31 ans.
Mme Gaudreault: Richard.
Mme L'Écuyer (Danielle): Richard Dansereau. Il commentait... Parce que ce que j'ai écrit, je l'ai envoyé à des personnes que je connais depuis plusieurs années, ou des personnes... Où j'habite, on est dans un édifice à condos où la moyenne d'âge est possiblement 60 ans et plus, et plus, et plus. Ce n'est pas une demande pour y être, parce que c'est ouvert à n'importe qui, il y en a de 30 ans, mais ils sont tellement rares qu'ils n'ont pas l'air à être à la bonne place, mais il y a des gens que je côtoie plus régulièrement, et puis, ces gens-là, je leur ai fait partager ça. J'ai Mme Joly aussi, que j'ai retransmis son message, qui est une dame de 72 ans puis qui disait: Tu dis ce qu'on voudrait, là, tu sais. J'ai aussi vécu...
Bien, Richard Dansereau, ses commentaires... il a un problème cardiaque, il a un cancer en ce moment. Sa femme a un cancer des seins en ce moment. C'est des gens de 55 ans, ce n'est pas des gens de 75 ans, là, c'est des gens de 55 ans qui sont... pas d'enfants, une seule mère qui reste dans leur famille, qui est placée puis qui a l'alzheimer, ça fait qu'ils ont comme les coups de marteau de tous les bords, de tous les côtés. Et ce que je vous ai transmis, bien, là, c'est pour rajouter, vous donner un autre son de cloche de quelqu'un qui a été dans le milieu hospitalier dernièrement puis qui va se retrouver là encore pour quelques fois là, là. Elle, son cancer des os a fait qu'elle a trébuché et elle s'est fait opérer un pied il y a trois mois. Elle a 22 «bolts» et trois plaques. Elle n'est pas plus capable de marcher au bout de trois mois. Ça fait que c'est comme... ça ne leur arrête pas. Puis, je mentionnais que j'étais pour faire ça, parce que je travaille encore, puis c'est quelqu'un de mes connaissances de travail, et puis il connaissait beaucoup mon mari aussi, ça fait qu'il voulait le lire, puis c'est pour ça qu'il l'a commenté.
Je vais continuer à le passer, parce que je me promène avec mon chien sur la rue puis je pose des questions à d'autres personnes que je rencontre, tout le monde a une petite histoire d'horreur, mais ils pensent tous qu'ils sont les seuls qui l'ont. Il y en a qui ont eu une belle mort. Ma mère est décédée entourée de cinq femmes, dont ma fille, mon autre fille, ma soeur et sa bru. Elle est morte après sept ans et demi d'alzheimer, mais on était rendus au stade où ça faisait trois jours qu'elle ne mangeait pas, à 87 ans. Ça faisait trois ans et demi qu'elle ne me reconnaissait pas, qu'elle était devenue agressive, vulgaire, tout ce que tu voudras, pas ma mère, mais c'était ma mère, et elle est décédée tout doucement.
Mais on avait un mandat, et ma mère avait dit: Jamais de gavage. Et ça faisait trois jours que son cerveau ne lui disait plus de manger. Et on arrivait au point où est-ce qu'il fallait que quelque chose arrive. Et, au moins, le bon Dieu, cette fois-là, il lui a bien arrangé les choses, elle a tout descendu ça tranquillement et elle est morte au foyer, entourée de cinq femmes qui l'ont massée toute la journée. Ça m'a réconfortée avec quelque chose. Mais par contre on n'osait pas du tout la déplacer pour l'envoyer à l'hôpital parce qu'on avait vraiment peur de qu'est-ce qui était pour lui arriver.
**(18 h 40)**Mme Gaudreault: Bien, c'est ça, l'essentiel de mon message, c'est que je voulais apporter ma voix... je voulais joindre ma voix à celle de Richard pour vous dire que c'est un grand geste de générosité d'être venue ici aujourd'hui pour parler au nom des personnes qui ont le même vécu que vous et votre fille et qui, eux, n'ont pas, je dirais, la témérité de venir ici devant nous et de partager.
Mme L'Écuyer (Danielle): Ce n'est pas de la témérité, c'est juste... comme je vieillis, on s'en va là, on est beaucoup qui s'en vont là, puis je ne veux pas que mes filles aient à vivre des choses que, moi, j'ai vécues, mais eux autres vont avoir à le faire. Moi, je n'ai pas de conjoint qui va dire: J'ai un mandat, lâchez-la tranquille. Ça va être mes filles. Puis je ne veux pas que le poids soit sur eux autres. Moi, je l'ai vécu, puis j'ai été cinq fois à me battre avec les médecins pour du papier, là, pour des choses qui auraient dû être superclaires, là, au point... C'est quand, le lundi matin, ils ont dit: On va tout arrêter, pour qu'il revienne à souffrir au boutte mais qu'il puisse me dire qu'il ne veut plus souffrir. Aïe, on peut-u, là, se mettre... Mais je comprends qu'il y a... je comprends certains médecins.
Après tout ça, à un moment donné, tu repenses puis tu dis: Moi -- on avait 17 ans de différence -- je suis peut-être la madame qui est écoeurée d'avoir un homme de 17 ans plus vieux que moi, puis que je suis tannée de l'avoir à torcher, puis qu'ils vont dire: Aïe, regarde, elle veut en finir, elle, hein? Ça fait qu'il faut qu'il y ait... Mais, une fois que tu as eu une conversation, une conversation digne du mot «conversation», avec la personne qui va mourir, on peut-u juste en tenir compte, puis que ça suive après?
Mme Gaudreault: Vous avez tout dit. Merci.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. Merci à vous deux pour ce beau témoignage très, très senti, très révélateur aussi d'une situation où vous avez vécu... Et, malgré les mois, sinon les années qui ont passé, on comprend tout à fait la peine qui vous habite encore. Donc, nos meilleures pensées sont avec vous.
J'ai une question toute simple pour vous: Est-ce qu'il se pourrait que le mal, en quelque sorte, ou que la frustration que vous avez vécue résulte uniquement d'un problème au niveau de l'organisation de nos soins de santé, bien plus que de la nécessité de devoir éventuellement légiférer sur les questions relatives au suicide assisté ou encore à l'euthanasie?
Mme L'Écuyer (Danielle): Moi, je suis pour mourir dignement, mais je ne suis pas en mesure de me prononcer ouvertement sur le mot «euthanasie».
J'ai une de mes amies qui a travaillé avec moi pendant plusieurs années, elle a eu la sclérose en plaques et, à un moment donné, elle n'avait pas l'argent pour aller en Suisse, elle a décidé... elle avait un copain qui habitait avec elle, qui n'était pas du tout un copain de vie au préalable, c'était juste quelqu'un qu'elle avait connu beaucoup à un moment donné dans sa vie, puis que, là, 20 ans plus tard, rendue avec la sclérose en plaques, en tout cas il a habité avec elle, et puis il en prenait soin, puis tout ça. Et elle ne voulait pas que lui soit accusé de l'avoir aidée à mourir. Ça fait qu'elle lui a dit: Regarde... ça faisait des semaines et des semaines qu'elle prenait des pilules, puis elle en mettait la moitié de côté, puis elle souffrait toute la journée, pour en avoir un coquetel suffisant. Et elle passait des journées couchée. Lui, il la changeait de couche, parce qu'elle ne voulait pas aller à l'hôpital. Et elle lui a dit: Regarde, là tu pars cette fin de semaine ci, et c'est là que ça se passe. Je ne veux pas que tu aies de problème, que tu sois accusé de m'avoir... Ça fait que laisse au moins, tu sais, deux jours passer. Reviens rien que le lundi. Et, comme de fait, il est parti. Elle a pris ses médicaments le samedi matin. Et, le samedi soir, vers 11 heures le soir, il n'en pouvait plus, il s'est rendu là puis il a appelé l'ambulance. Ils lui ont fait un lavement d'estomac et elle a duré quatre jours qu'elle a été dans le coma, et elle est décédée. C'était son choix, mais elle n'en pouvait plus, cette fille-là. Je ne sais pas. Je ne sais pas c'est quoi qui aurait pu faire changement. Le frère de mon mari, il est mort après 15 ans à Saint-Charles-Borromée -- 15 ans à Saint-Charles-Borromée, c'est quelque chose, là -- de la sclérose en plaques. Mais il n'avait jamais demandé de mourir. Il vivait puis il...
M. Charette: Si j'interprète bien vos propos, votre premier, premier souhait, ce serait ultimement que la notion de refus de traitement soit mieux comprise, soit mieux respectée...
Mme L'Écuyer (Danielle): Ah! ça, c'est officiel.
M. Charette: ...à tout le moins. Et, s'il y avait un autre message que vous aimeriez envoyer à la commission afin que le gouvernement en soit ultimement informé, l'Assemblée nationale, quel serait-il? Quel est votre souhait ou qu'est-ce qui motive, où il y a une sorte d'hommage à votre conjoint à travers votre présence, à votre père également?
Mme L'Écuyer (Danielle): Qu'il n'y ait pas d'acharnement thérapeutique. Quand c'est terminé, c'est terminé. Ils voulaient l'opérer pour lui enlever de l'eau. L'opération, mon mari lui a demandé, il a dit: Est-ce que cette opération-là va être souffrante? Ils ont dit: Oui. Mais, par contre, après, de ce côté-là, vous allez avoir un peu moins de douleur, mais ça ne changera pas ton cancer des os, qu'à chaque fois que tu te grouilles un peu que tu as mal partout. Alors, c'est quoi, de vouloir opérer quelqu'un qui est rendu à ce point-là? Ce n'est pas parce qu'il n'a pas fait de traitement, là, c'est un gars qui a tout... on a tout essayé, là. Tu sais, je veux dire, des protocoles de recherche, ce n'est pas tout le monde qui embarque là-dedans; il a embarqué là-dedans. Il a pris des hormones féminines. Regarde, ce n'est pas... Il y avait des seins qui lui poussaient à un moment donné. Bon. Bien, ce n'est pas tout le monde qui sont prêts à essayer ces choses-là. Mais il avait le goût de vivre. Mais là il n'y en avait plus, de vie. Ça fait que je veux juste que ce soit clair que, quand il n'y en a plus, on va arrêter de s'acharner dessus.
Gaver des personnes. Moi, j'ai été huit ans et demi à aller à un foyer deux fois par semaine pour ma mère. Ça faisait trois ans et demi qu'il y avait une madame qui est là, elle pèse 70 livres, elle est gavée, mais elle n'a pas de famille immédiate. Elle est placée là par la curatelle publique et elle est gavée. Et cette madame-là, elle est comme proche de l'entrée, et cette madame-là, là, à toutes les heures, les heures et demie à peu près, elle te lâche un cri comme: Maman, maman, viens me chercher. Puis, dans l'entrée de cette place-là, il y a 18, 20 personnes âgées qui sont assises dans des chaises roulantes, qui sont en train de regarder la grosse TV puis qui entendent cette madame-là comme ça. Ça, c'est quoi, ça, gaver une personne comme ça? Moi, trois ans et demi au moins que j'ai entendu cette madame-là, là. Mais, moi, c'était deux soirs-semaine, là, puis je prenais ma mère puis on allait dans une petite salle ou... d'en haut, parce que je n'étais pas capable, là. Mais ce n'est pas une condition de vie, ça, faire ça à quelqu'un. Moi, ça, c'est une forme de quelque chose que je me dis: Tu ne t'acharnes pas comme ça sur un être humain. Ce n'est plus humain. Je ne pensais pas vous parler tant que ça, là.
Mme Hivon: Vous voyez, hein, finalement on y prend goût.
Bien, moi, Mme L'Écuyer, je veux juste vous remercier, remercier votre fille, évidemment. Puis ça prend beaucoup de courage. Et, nous, je dois vous dire que, comme commission, c'est ce qu'on souhaitait, qu'il y ait des gens qu'on appelle des fois la majorité silencieuse ou la minorité silencieuse, je ne le sais pas, mais que des gens qui vivent des fins de vie comme on entend beaucoup dans nos rôles respectifs viennent et aient le courage de venir nous en parler. Puis, moi, je vois cette commission-là comme un dialogue continu avec les citoyens, avec aussi les experts, parce que leur point de vue est très important aussi dans tout ce débat-là. Et, dans ce sens-là, je vous remercie, puis je pense que c'est un très bel hommage à votre mari aussi. Je suis sûre qu'il serait très fier que vous ayez eu ce courage-là aujourd'hui. Alors, merci beaucoup.
Mme L'Écuyer (Danielle): Merci.
Le Président (M. Kelley): Et, à mon tour aussi, merci beaucoup au nom des membres de la commission. Et j'ai beaucoup apprécié: vous voulez que vos filles seraient exemptées de vivre les choses que vous devrez vivre avec votre mari. Alors, nous avons pris bonne note de cet esprit très généreux de votre part envers vos filles. Alors, sur ça, merci beaucoup pour votre présence ici ce soir.
Je vais suspendre quelques instants et inviter Odette Royer et son équipe de prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 18 h 50)
(Reprise à 18 h 55)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! On est arrivés à notre 47e groupe de témoins, on ne compte pas les personnes qui ont profité de micros ouverts, mais 47e, et pas le moindre. C'est un groupe qui a préparé... un mémoire qui a été préparé par Odette Royer, Marjolène Di Marzio, Huguette Ruel, Stéphanie Béchard, Claude Proulx et Steeve Gauthier. Alors, qui va commencer? Est-ce que c'est Mme Royer? Juste... Si je peux vous expliquer, on enregistre tout, alors, quand vous prenez la parole, de vous identifier, ça va faciliter la vie pour M. Croft qui est là pour s'assurer que les bons noms sont attachés aux bons propos. Alors, la parole est à vous.
Mme Odette Royer, M. Steeve Gauthier,
Mme Marjolène Di Marzio,
Mme Stéphanie Béchard,
Mme Claude Proulx et Mme Huguette Ruel
M. Gauthier (Steeve): Enchanté qu'on soit votre dessert de la semaine. Grosse semaine! On a entendu parler de vous un peu partout. Donc, on est un groupe d'infirmiers et infirmières qui oeuvrent aux soins intensifs de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont. L'idée nous est venue de s'exprimer sur le sujet parce que côtoyer la souffrance des gens puis la mort en général, c'est quelque chose qui fait partie de notre vécu quotidien comme infirmiers et infirmières. L'euthanasie, le suicide assisté -- je ne parle pas assez fort -- l'euthanasie, le suicide assisté, mais sédation palliative, sédation terminale, c'est tous des termes qu'on... c'est plus que des termes pour nous autres, c'est de la réalité, là, vécue au quotidien.
Donc, d'emblée, notre groupe... on a formé un groupe parce qu'on voulait s'exprimer sur le sujet vraiment. On ne représente pas nécessairement l'ensemble des employés des soins intensifs et encore moins l'ensemble de l'hôpital ou des infirmiers et infirmières de la province de Québec, mais, nous, on s'entendait assez facilement, puis je pense que ça ressemble au pouls aussi de notre unité, en tout cas: on se positionnait assez clairement pour l'euthanasie. On trouve que l'euthanasie, dans notre société, devrait être quelque chose qui soit accessible, dans l'idée, dans l'optique que tout individu qui a toute sa tête devrait pouvoir donner un libre choix éclairé sur ce qu'il veut à propos de sa vie.
Quand on parle vraiment d'euthanasie, là, on dit pourquoi on veut la légaliser. On dit que, nous, on considère qu'il est urgent de légaliser le recours à l'euthanasie. D'abord, même si l'euthanasie, on le sait, est illégale, certains médecins, notamment dans les unités de soins intensifs, y ont recours de façon indirecte. Nécessairement, à un moment donné, on a des patients qui sont si malades que, comme personnel médical, là, ils ne savent plus trop comment se positionner puis quoi faire avec les patients. Il est évident que la pratique, qui est peu répandue, est utilisée après avoir déployé, là, dans bien des cas, un arsenal de traitements absolument extrêmes. Le recours à l'euthanasie se confond parfois avec l'arrêt de traitement. Il s'avère que certains médecins prescrivent parfois des doses si importantes de narcotiques que nécessairement ça va servir à abréger les souffrances des malades. Donc, il y a quand même un flou qui existe, qui est présent, qui fait qu'à un moment donné on a l'impression qu'on joue sur les mots, mais on sait très bien qu'on n'est pas dans la légalité, puis ultimement, comme personnel soignant, bien c'est nous qui sommes là, à côté des patients en train de leur tenir la main puis de soutenir les familles également.
Que ce soit vraiment l'euthanasie ou donner des doses massives de médicaments pour amener les patients là, si ce n'est pas de l'euthanasie, bien on en arrive au même point, qui est la mort des gens. Dans ce contexte-là, on pense que c'est important qu'il y ait vraiment... on en arrive à avoir un cadre juridique qui permette l'euthanasie, de manière à ce que les médecins puissent faire leur travail librement. Puis on pense que ça enlèverait un énorme tabou aussi qui entoure la mort en général. On aimerait que les médecins soient mis à l'abri en fait d'éventuelles poursuites. Comme ça, ça rendrait les choses vraiment beaucoup plus claires, et pour tout le monde.
**(19 heures)** On pense aussi que légaliser l'euthanasie est nécessaire dans la mesure où elle correspond à un choix de traitement, à une option qui devrait être proposée. Cela fait partie de la liberté du malade d'accepter ou de refuser les soins. En général, n'importe qui qui est hospitalisé doit consentir à recevoir des soins ou pas. Il n'y a pas tant de gens que ça dans la population qui sont vraiment au courant qu'ils peuvent refuser des soins, puis on pense que ça a à voir aussi, là, c'est... ça a à voir aussi tout dans le contexte avec les tabous qui ont à voir aussi avec la mort puis la maladie. Mais il y a beaucoup de gens qui ne sont pas au courant qu'ils peuvent refuser des soins. Mais parfois refuser des soins, ça veut dire aussi la mort imminente. Ça veut dire que, si on refuse, par exemple, qu'on fasse filtrer nos reins, ça peut vouloir dire que dans les prochains jours on va mourir parce que nécessairement on va s'intoxiquer.
On pense que c'est essentiel d'encadrer juridiquement l'euthanasie parce que ça fait référence à plusieurs droits fondamentaux de la personne, notamment le droit à l'intégrité, ainsi qu'à l'interdiction de contraindre un individu à des soins sans son consentement. Il arrive assez fréquemment, pour ne pas dire extrêmement fréquemment, dans un contexte de soins intensifs, où les patients ne sont plus capables de s'exprimer, sont généralement inconscients. Alors, ce n'est pas... les patients ne vont pas pouvoir s'exprimer. On va souvent se fier sur la famille, si famille il y a. S'il n'y a pas famille, bien c'est sur l'équipe médicale que toute la question repose. On pense que légaliser l'euthanasie permettrait d'établir un environnement contrôlé où les abus et les situations controversées pourraient être en partie détectés puis mieux encadrés, surtout. Ça éviterait notamment certains dérapages, étant donné que la loi préciserait les règles d'application quant aux critères, aux personnes visées puis aux façons de procéder.
On veut juste aussi comme tout de suite, là, faire une différence entre l'euthanasie puis la sédation palliative. C'est sûr que, dans un contexte de soins intensifs, on va beaucoup assister les patients en fin de vie par de la sédation palliative. Puis ça, c'est théoriquement bien défini puis c'est assez organisé, tout ça, là. Les médecins savent comment prescrire, quoi prescrire, etc., quoiqu'on va entendre souvent de la part des médecins, mettons, qui travailleraient en soins palliatifs ou des choses comme ça que certains autres médecins ne savent pas nécessairement comment bien utiliser la sédation palliative, et tout ça. C'est sûr qu'il y a toute une question d'enseignement aussi puis de connaissances, là, qui est vraiment spécifique à la chose. Nous, on considère que généralement, dans notre milieu, la sédation palliative, elle est quand même assez bien utilisée. Les médecins savent assez bien comment prescrire, là, ce type de médicament là.
Par contre, ce n'est pas nécessairement les médicaments en soi, mais on pense que souvent il y a une différence monumentale entre la sédation palliative puis la sédation terminale. Puis ça va amener que parfois, pour le même médicament qu'on va donner à un patient pour juste le soulager de ses douleurs, bien, si on double ou triple les doses, on n'est plus dans la sédation palliative, mais on est vers un processus qui va accélérer très rapidement la mort de l'individu.
Donc, ça va être tout pour moi.
Le Président (M. Kelley): Merci, M. Gauthier. Le prochain?
Mme Di Marzio (Marjolène): Moi, c'est Marjolène Di Marzio. Moi, je vais y aller avec le côté un petit peu plus acharnement thérapeutique.
Dans un contexte de soins intensifs où le but est de sauver la vie, la ligne entre les traitements extrêmes et l'acharnement thérapeutique est parfois vraiment mince et difficile à départager. En milieu universitaire, dans un but d'enseignement médical, on pousse souvent les traitements en oubliant de s'interroger sur les désirs réels de l'individu malade, qu'est-ce qu'il voulait, comment qu'il voulait que sa vie se termine. Et ces questions-là sont abordées souvent très tardivement dans le processus de soins.
De par de leur formation, les médecins ont comme responsabilité de sauver la vie en utilisant tous les moyens disponibles pour y arriver. Souvent, on a l'impression que mourir n'est pas une option envisageable. Et on s'est questionnés à savoir pourquoi il y avait autant d'inconfort avec la mort. Il semble souvent plus facile à l'équipe traitante de s'acharner à maintenir la vie d'un patient avec des traitements souvent qu'on juge futiles et démesurés, au lieu de prendre le temps de s'asseoir avec sa famille, avec le patient pour aborder la question d'arrêt de traitement et de soins de confort. La communication d'un pronostic sombre comme ça, ça demande une grande disponibilité, et on a l'impression que ça va à l'encontre de la réalité médicale actuelle où la performance et la rapidité sont à l'honneur.
On avait l'impression que l'interdiction de l'euthanasie augmente le malaise à l'arrêt de traitement. Et, oui, dans un cas comme ça, on s'expose à dépasser les soins initialement souhaités par le bénéficiaire, qui peuvent conduire à de l'acharnement thérapeutique.
Il y a aussi un certain malaise de la part des médecins, qui perçoivent une grande similitude entre l'arrêt de traitement, les soins de confort et l'euthanasie, puisque le décès de la personne est le résultat final pour les trois options -- woups! Excusez-moi. Donc, c'est ça, la ligne de démarcation entre le soulagement de la douleur et l'euthanasie est difficile à discerner pour eux, c'est l'impression que ça nous donnait -- je vais retourner ma page doucement.
Donc, en fait, l'acharnement thérapeutique, dans nos milieux de soins intensifs, ça se manifeste par le refus de cesser des traitements actifs chez un individu malade pour qui les chances de récupération sont nulles. Ça peut être motivé par de la peur, un sentiment d'échec face à la non-réussite d'un traitement, puis ces peurs peuvent venir autant de l'équipe médicale que de la famille ou de la personne malade. Mais pourquoi ça arrive? C'est que souvent les limites de traitement n'ont pas été discutées ni établies lorsque l'individu était encore capable de prendre une décision pour lui-même. Donc, on va demander aux familles, aux proches, qui sont émotionnellement, physiquement et psychologiquement ébranlés, de prendre l'ultime décision. Donc, cette décision va être biaisée soit par la peur de prendre la mauvaise décision et tous les sentiments qui entourent le fait qu'on va être les responsables de la mort du patient.
Donc, on croit que, un, ça devrait être abordé beaucoup plus rapidement dans le processus de soins, puis qu'à un moment donné, bien ça devrait appartenir à l'équipe de soins, et en particulier au médecin, d'expliquer aux familles que les limites de traitement possibles ont été atteintes et d'offrir les soins de fin de vie comme une solution et un traitement possibles. On croit que la légalisation de l'euthanasie permettrait une déculpabilisation chez les soignants, et ça permettrait ainsi de proposer la mort comme une solution acceptable. Et puis ça permettrait aussi au personnel soignant d'accompagner les familles et les patients dans les derniers moments pour qu'ils vivent la mort de manière... dignement. Dans une société où on est... où la liberté d'expression permet de faire valoir ses opinions sans crainte de préjudice, où, tout le long de notre vie, on va avoir des choix à faire pour l'orienter, l'avancer, on se demande un peu pourquoi c'est inconcevable de choisir la manière dont on veut terminer sa vie.
Donc, concernant l'acharnement thérapeutique, c'est à peu près ça. Je vais passer la parole à Claude.
Mme Proulx (Claude): Oui, bonjour. Mon nom, c'est Claude Proulx. Je vais vous parler un petit peu du suicide assisté. Tout comme l'euthanasie, on pense que le suicide assisté doit être offert aux familles dans les mêmes conditions, c'est-à-dire lorsqu'une personne souffre d'une maladie dégénérative incurable et qu'il n'existe aucun espoir d'amélioration, de guérison, que la personne souffre, évidemment.
Donc, je pense que, comme professionnels, ce n'est pas à nous à décider de la qualité de vie. Lorsque la personne dit qu'elle souffre physiquement, psychologiquement, il faut considérer, il faut lui laisser le choix. Il est délicat de juger des aspects, c'est très, très personnel. Chaque personne est différente, et c'est à elle à décider selon ses convictions personnelles. C'est ça.
Il est important d'offrir le suicide assisté. Souvent, il est arrivé des situations dommageables, c'est-à-dire que les personnes se sont donné la mort de façon violente, de façon brutale et inadaptée parce que cette option-là n'existait pas.
Ici, c'est ça, on veut faire également le parallèle avec le droit à l'avortement. C'est ça. Peu de personnes manifestent qu'elles sont en faveur de l'avortement. Et on ne veut pas dire que c'est une pratique banalisée pour le contrôle des naissances, loin de là. Par ailleurs, l'avortement, l'avortement tel que nous le concevons est le fait qu'une femme ait la liberté de choix pour elle, pour son intégrité physique et psychologique. C'est un droit qu'on ne doit jamais remettre en question.
Donc, concernant le suicide assisté, une personne pourrait prendre la décision sur sa propre vie, parce que ça concerne directement son intégrité physique et psychologique. Le suicide assisté respecte d'autant plus l'autonomie de la personne, puisque c'est elle qui contrôle l'action de mettre fin à ses jours. Le rôle de l'intervenant, c'est de donner l'outil à cette personne pour qu'elle pose le geste. L'individu joue une part active et décide du lieu et du moment de commettre son acte. Donc, la notion de consentement n'est pas remise en question dans les cas de suicide assisté, puisque la personne commet le geste de façon délibérée. Nous croyons également qu'il serait utile et pertinent que la personne ait accès à une évaluation biopsychologique afin de valider son désir de mourir, ses motivations ainsi que sa détermination.
Donc, dans ce contexte, nous, nous positionnons que la légalisation du suicide assisté soit une bonne chose. Donc, c'est ça. Et ça respecte le principe de l'autonomie et de la liberté. Donc, c'est ça.
**(19 h 10)** Concernant les critères pour l'euthanasie et le suicide assisté, bien, comme dans tous les pays où l'on permet l'euthanasie et le suicide assisté, le candidat doit remplir des critères légaux et cliniques. Concernant les critères cliniques, nous, comme groupe, qu'est-ce qu'on préconise: premièrement, que l'individu souffre d'une maladie grave incurable qui entraîne des souffrances physiques, morales intolérables et qui ne puissent être soulagées et sans espoir d'amélioration. Deuxième critère, c'est que le pronostic sévère et irréversible est confirmé par un deuxième médecin. Ça prend également une évaluation psychologique... psychiatrique, c'est-à-dire, pour évaluer l'aptitude de la personne à prendre une telle décision, et la demande doit être évaluée dans un comité multidisciplinaire avec médecins, infirmières, psychologues, conseillers en éthique.
Et, au niveau légal, bien il y a déjà des dispositions qui sont prévues par la loi, par le Code civil, donc l'article 11, 12, 14 et 15, qui parlent du consentement de la personne. L'article 11 dit qu'une personne apte et majeure a le droit de décider librement pour ses soins. Nul ne peut administrer de soins sans son consentement. L'article 14 parle pour les personnes mineures, que la décision doit être soutenue par un parent ou un tuteur, alors que l'article 15 parle en cas d'inaptitude. Lorsqu'une personne est inapte à consentir, le consentement est donné par le mandataire, tuteur, conjoint ou toute personne qui présente de l'intérêt. Et l'article 12 parle également en cas d'inaptitude: la décision doit être prise dans l'intérêt de la personne, qu'est-ce qu'elle avait exprimé dans le passé, donc. Et, nous, comme groupe, on pense que le consentement doit être obligatoirement écrit. Et, si la personne n'est pas capable de signer son consentement, ça prend deux signatures d'un proche et la signature d'une personne indépendante comme témoin. Et on pense également que le consentement devrait être révocable en tout temps. Donc... Et c'est ça.
L'euthanasie ou le suicide assisté? Il va sans contredit que l'euthanasie et le suicide assisté sont deux concepts interreliés et indissociables. Idéalement, il faudrait légaliser ces deux pratiques. Par contre, si, pour une raison quelconque, on n'est pas capable de légaliser les deux concepts, il faudrait privilégier l'euthanasie, qui rejoint un plus grand nombre d'individus. En effet, le suicide assisté, bien il faut que la personne soit capable de commettre le geste, alors que dans l'euthanasie ça touche à la fois les gens qui sont capables de commettre le geste et les gens qui ne sont pas capables de commettre le geste. Donc, de sorte, ça permettrait une plus grande accessibilité à cette option, à l'aide à mourir.
Donc, je vais vous présenter Huguette, qui va continuer.
Mme Ruel (Huguette): Bonsoir.
Le Président (M. Kelley): Continuez, Huguette. Je vais juste mettre en garde mes collègues parce qu'on a dépassé le 15 minutes. Continuez, parce qu'on veut que vous alliez à la fin de votre présentation, mais je vais demander aux collègues d'avoir les questions les plus concises possible en conséquence. Huguette, la parole est à vous.
Mme Ruel (Huguette): Merci. Je vais aborder ici l'impact psychologique de l'absence des choix, parce que c'est une réflexion qu'on a faite vraiment sur le fait qu'on n'ait pas le choix en fin de vie, et l'impact psychologique que ça peut avoir sur les personnes.
Alors, pour nous, le fait de ne pas avoir de choix de fin de vie peut amener de l'anxiété. Et cette anxiété-là peut être causée beaucoup par le fait que, oui, la mort, on est devant l'inconnu, mais on pense aussi beaucoup que c'est face à avoir peur de souffrir. Et le fait de ne pas avoir de choix, ce serait dire: Je n'ai pas le choix, là, de continuer à souffrir, je n'ai pas l'option de mettre fin à ma vie.
Par contre, le fait de légaliser l'euthanasie, ça pourrait amener aussi une anxiété face aux personnes. Ça aurait un effet inverse, c'est que les personnes pourraient craindre qu'une fois inaptes leur entourage accélère le processus sans considérer toutes les options possibles. Alors, ça peut être, là, deux côtés de la médaille.
Pour plusieurs, l'idée de devenir un fardeau pour leurs proches est considérée comme une souffrance, et ils ne veulent surtout pas vivre dans la dépendance complète. Et, pour eux, c'est de perdre de leur dignité. Alors, la législation de l'aide à mourir donnerait la possibilité d'abréger ces souffrances-là. Lorsque la personne n'est plus apte à décider, bien sûr, les proches pourraient le faire dans la légalité, mais -- on a en parlé tantôt -- des critères bien définis, par contre, devraient être définis pour ne pas qu'il y ait d'ambiguïté puis pour ne pas qu'il y ait de... d'ambiguïté et que tout le monde le vive de façon sereine.
Par ailleurs, l'aide à mourir peut également être bénéfique aux familles, pas juste aux proches, mais aux familles qui côtoient ces personnes-là qui sont dans la souffrance. On a entendu parler de certaines situations de meurtre assisté, et on est sûrs que, pour ces personnes-là, ça a été des périodes très difficiles à vivre. Et on se dit que, si la législation de l'aide à mourir pouvait être là, ça permettrait au malade et à la famille de vivre dignement un moment crucial et incontournable qu'est la mort.
On sait que, de par sa nature, l'être humain lutte pour sa survie, ça, c'est inné, mais il semble qu'on ait de la difficulté à accepter que quelqu'un puisse considérer la mort comme seule option. Alors, on craint de l'aborder. Et malheureusement il y a des situations où la médecine a ses limites, et souvent on est devant des situations où on a vraiment dépassé, là, les limites et on n'a pas abordé le sujet, ce qui fait que la ligne est mince entre l'acharnement thérapeutique et les soins de fin de vie.
On considère qu'il y a plusieurs personnes aussi qui sont aptes à décider, même en fin de vie, de comment elles vont finir leur vie, qu'elles en sont conscientes. Et on devrait encourager ou respecter les testaments de fin de vie, encourager aussi à aborder le sujet, encourager les familles et leur entourage à aborder le sujet et ne pas attendre qu'on soit à la dernière limite. Voilà.
Mme Béchard (Stéphanie): En fait, je peux peut-être conclure en deux, trois minutes.
Le Président (M. Kelley): S'il vous plaît. C'est Stéphanie Béchard?
Mme Béchard (Stéphanie): Exactement. En fait, bon, c'est sûr que, nous, on est des infirmières qui travaillent aux soins intensifs. Donc, notre but, c'est en fait de sauver des vies. Malheureusement, la réalité fait en sorte que parfois on sauve des vies, plus souvent qu'autrement on sauve des vies, parfois on n'en sauve pas. Parfois, on en sauve, mais à quel prix? En fait, c'est pour plutôt cette catégorie-là qu'on réussit à sauver la vie, mais sans nécessairement leur apporter une qualité de vie. Puis, à ce moment-là, ces gens-là se retrouvent devant des souffrances qui peuvent être importantes, que ce soient des souffrances psychologiques, que ce soient des souffrances physiques.
Donc, nous, on croit, en tant qu'infirmières, qu'en l'absence de remède pour amoindrir les souffrances d'un individu l'aide à mourir ne doit pas être considérée comme un acte criminel, mais plutôt comme un traitement médical de dernier recours lorsque toutes les alternatives ont échoué pour soulager les douleurs et les souffrances d'un individu.
Le Président (M. Kelley): Je vous remercie beaucoup d'avoir... venir ici partager votre expérience professionnelle. C'est vraiment impressionnant de voir cinq personnes prendre le temps pour réfléchir sur votre métier, réfléchir sur vos façons de faire. C'est très, très encourageant, si je peux dire ça ainsi.
Je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Hull, en rappelant qu'il nous reste une vingtaine de minutes.
**(19 h 20)**Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, dommage, on ne pourra pas vous poser toutes, toutes, toutes les questions qu'on aurait.
Il y a beaucoup de gens qui ont parlé de leur expérience personnelle par rapport à la mort de leurs parents, en fin de vie, dans les soins palliatifs, tout ça. Moi, mon père est décédé il y a 35 ans suite à un accident de travail. Il est décédé aux soins intensifs 12 heures après son accident. Il avait 44 ans, en pleine santé. Et on s'est retrouvés là, ma mère s'est retrouvée là avec la question: Est-ce que vous voulez qu'on fasse une chirurgie qui va le laisser dans un état végétatif ou on le laisse aller?
Alors, déjà, il y a 35 ans, il y avait ce type... Mais je me demande, suite à vos interventions, si aujourd'hui il n'y aurait pas eu toutes sortes d'autres possibilités d'étirer ça puis de... En tout cas, tout ça pour vous dire que les choses évoluent, mais, les soins intensifs, je pense que ça demeure... on est tout près de la fin quelquefois.
Et puis je voudrais juste vous poser une question par rapport à une affirmation. Quand vous avez dit -- je crois que c'est Mme Ruel -- quand vous avez dit: On a du mal à accepter que la mort soit la seule option, quand vous dites «on», c'est les familles? C'est le personnel? Ce sont les médecins? Ce sont... C'est qui, quand vous dites «on»?
Mme Ruel (Huguette): Le sujet de la mort, aborder la mort, c'est un tabou. On s'est questionné, oui, c'est sûr, notre groupe s'est questionné, mais je pense que c'est général. Qui aime aborder le sujet? Puis, on a peur que ça l'attire, que ça l'amène, la mort. C'est peut-être culturel, mais c'est quelque chose qui est difficilement abordable pour à peu près tout le monde.
Mme Gaudreault: D'accord. Merci.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président.
M. Gauthier (Steeve): Est-ce que je peux juste ajouter une petite chose, deux secondes?
Le Président (M. Kelley): Oui, oui. M. Gauthier.
M. Gauthier (Steeve): Je veux juste ajouter que, dans le «on», il y a effectivement tout le monde, toute l'équipe médicale, là, puis, je pense, les familles aussi, tout ça. Par contre, on... moi, je remarque beaucoup dans ma pratique, les infirmiers et infirmières, on est très, très présents au contact des patients et des familles. On passe nos journées à côté des patients puis des familles puis on a tendance souvent à aborder la mort ou les réalités, là, difficiles des familles, de la souffrance, et tout ça, beaucoup plus que... je pense, beaucoup plus que les médecins, parce que les médecins ont une réalité où ils doivent passer vraiment d'un patient à l'autre, puis ils ne sont pas là non plus pendant 24 heures dans une journée, alors que, nous, bien on est là. On n'est pas là personnellement 24 heures dans une journée, mais, comme on assure une relève un après l'autre, nécessairement, 16 heures plus tard ou huit heures plus tard, dans notre contexte de pénurie, là, on revient rapidement sur le plancher. Puis on est là beaucoup avec les patients, tout ça.
Mais prendre du temps pour parler de la mort, ce n'est pas quelque chose qui se fait dans un corridor, ce n'est pas quelque chose qui se fait en 15 secondes, rapidement puis bâclé. Ça fait que, pour un médecin, de prendre du temps pour parler de la mort avec une famille, c'est quelque chose qui est tellement de taille que ce n'est souvent pas fait ou fait vraiment très tardivement. C'est un peu ça, là, notre propos.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président. D'abord vous remercier pour votre présentation. J'ai trouvé ça intéressant. Et j'apprécie aussi le fait que vous avez fait quelques suggestions concrètes concernant des balises. Ça, je trouve que c'était très intéressant. Puis c'est très apprécié.
Maintenant, j'ai une petite question. Et c'est peut-être une grande question ou une petite question, je ne sais pas, vous allez me dire. Vous nous dites -- et nous l'avons déjà entendu -- que, peut-être, aujourd'hui même, il y a de l'euthanasie qui se pratique, mais dans la clandestinité, si vous voulez, ou ça se fait sans que ce soit vraiment légal. Ça se fait. On l'a entendu d'autres. Je ne sais pas, je ne suis pas sur le terrain. C'est pour ça que je vous pose la question.
On sait qu'aujourd'hui c'est quelque chose qui est clairement illégal. Pourtant, il y a plusieurs qui sont venus nous dire: Ça se fait. Je me pose une petite question. Je pense que vous me voyez venir de loin. Moi, je suis... je réfléchis à ça, mon idée n'est pas faite, mais j'ai entendu des gens qui sont venus nous dire qu'ils ont peur. J'ai entendu les arguments -- puis nous avons plusieurs autres à entendre -- sur la pente glissante, etc. Peu importent les balises, peu importe ce qu'on met en place, est-ce que... rassurez-moi, qu'à un moment donné, là-dedans, on ne perd pas vraiment le contrôle de ce qui se passe. Comme, peut-être, on nous dit aujourd'hui que, bien que clairement illégales, il y a des choses qui se passent, on joue entre la sédation palliative puis la sédation terminale, la ligne est tellement mince que la plupart des personnes ont de la misère à nous la tracer, rassurez-moi un petit peu, que, si même les balises sont en place, qu'on ne perd pas le contrôle comme société lorsqu'on est rendu là.
Le Président (M. Kelley): Qui est le preneur?
Mme Béchard (Stéphanie): Bien, peut-être, je peux dire un peu une expérience qu'on a discutée souvent ensemble. C'est, disons, un patient, on lui donne la sédation, bon, pour le soulager. Puis des fois on travaille avec certains médecins qui vont nous dire: O.K., bon, tu peux lui donner tant de sédation pour le soulager, il n'y a pas de problème, puis il y a d'autres personnes... Puis là, nous, on va adhérer à ça puis on va soulager notre patient. Puis des fois on va être effrénés un peu parce qu'il y a des médecins qui vont nous dire: Bien là, arrête la sédation, tu vas le tuer, tu vas l'euthanasier.
Ça fait qu'on dirait que le fait que ce soit illégal, bien là, nous, on se sent, à la limite, coupables de lui donner la sédation, puis notre but n'est pas de l'euthanasier, mais bien de le soulager. Puis, si le fait de le soulager amène la mort, qui de toute façon, dans le contexte bien établi, c'est prévu que ce patient-là va mourir, puis que, nous, on veut qu'il meure dignement et sans souffrir, bien le fait qu'on ait un peu la culpabilité de savoir qu'on se fait dire par... bon, il existe quand même une hiérarchie, par quelqu'un d'un peu supérieur, nous dise: Bien là, tu vas l'euthanasier, bien, en fait, il existe comme une certaine culpabilité de la part des travailleurs de soins, des infirmières qui travaillent auprès de ces patients-là. Je ne sais pas si vous vouliez...
Mme Di Marzio (Marjolène): En fait, je pense que, quand on dit qu'il y a comme de l'euthanasie qui se fait un peu dans la clandestinité, ça ne sera jamais sur des patients qui ont un potentiel de survie ou qui peuvent récupérer. C'est toujours chez des patients pour qui il n'y a plus rien à faire, qu'on a déjà mis sous perfusion de morphine. Mais, quand on dit qu'il peut y avoir de l'euthanasie qui se pratique, est-ce que le patient a besoin d'autant de morphine pour être soulagé? C'est plus dans cette optique-là, je crois, qu'on amenait la chose.
Peut-être que moins, ce serait suffisant, mais que, là, il y en a plus, puis qu'éventuellement, bien le patient, il va décéder de l'administration de trop de morphine, mais pour soulager ses souffrances. Parce que le patient, il est confortable comme ça, puis, bien non, on ne va pas nécessairement baisser la sédation pour voir quel est le meilleur niveau pour qu'il soit juste assez... tu sais, juste bien, juste un peu souffrant, mais pas trop. C'est plus, je pense, dans cette optique-là qu'on dit qu'il y a un petit peu d'euthanasie qui va se pratiquer.
Le Président (M. Kelley): M. Gauthier.
M. Gauthier (Steeve): Bien, j'aimerais, M. Sklavounos...
M. Sklavounos: ...parfaitement.
M. Gauthier (Steeve): ... -- super, ce n'est pas facile -- j'aimerais vous... j'aimerais ça vous rassurer complètement. Je pense qu'on ne va pouvoir vous le faire que partiellement, en ce sens que mon opinion à moi là-dessus est qu'il y a un extrêmement grand professionnalisme dans le milieu médical. O.K.? Donc, je suis d'accord avec mes collègues pour dire qu'il n'y a jamais une décision qui est prise à la légère quant à commencer une sédation palliative. Par contre, je pense qu'on est tous d'accord pour dire que le flou entourant la mort, au Québec, puis l'euthanasie, le suicide assisté, toutes ces questions-là, ce flou-là amène nécessairement, c'est sûr, des pratiques qui ne sont pas nécessairement claires et bien balisées.
Ça fait qu'on ne peut pas s'assurer de pratiques claires et bien balisées tant qu'il n'y a pas un cadre légal pour bien baliser la pratique. Mais, si on recule de 40 ans puis qu'on reparle deux secondes d'avortement, parce qu'on en a parlé dans notre document, bien on s'entend pour dire qu'il y a 40 ans les avortements, c'était fait tout croche puis de manière vraiment abusive, puis qu'il y en a des séquelles assez importantes chez les femmes qui subissaient ces avortements-là.
Ça fait que je ne pense pas... Comme groupe, on pense que c'est mieux d'avoir les yeux ouverts, puis être conscients de ce qu'on peut faire pour soulager les gens, puis offrir une option de mort aux gens que de... qu'il n'y ait pas cette option-là puis que les gens utilisent toutes sortes de manières, de recettes maison puis de... etc.
Mme Di Marzio (Marjolène): À quelque part, je pense qu'il n'y a jamais personne qui va remettre en question d'appliquer un protocole pour une pneumonie ou un protocole pour appliquer des antibiotiques, mais que le malaise est là quand on demande d'appliquer un protocole de sédation ou un protocole de détresse respiratoire pour soulager un patient, parce que ce n'est pas encore... ce n'est pas clair, ce n'est pas défini. C'est comme: Est-ce qu'on tombe dans l'euthanasie, est-ce que tombe dans le soulagement? Sauf que, si on remet ça en parallèle avec un protocole de pneumonie et d'antibiothérapie, il n'y a jamais personne qui va se poser la question, puis c'est correct de l'appliquer, mais à quelque part c'est un soulagement de symptômes dans les deux cas.
Le Président (M. Kelley): Très, très courte. Il reste comme une minute.
Mme Charbonneau: Je fais vite, promis. Je ne fais même pas de préambule. Vous avez dit: Ça devrait être un choix, l'euthanasie, quand on arrive à ce moment-là. Sachez que ce mot-là ne pourra pas être un choix. Trouvez-moi-z-en un autre, parce que je ne suis pas en désaccord avec ce que vous avez affirmé, mais j'ai l'impression qu'«humain» et «euthanasie», ça ne clashe pas. Donc, si vous aviez une réflexion à faire comme professionnels, trouvez-nous un terme pour que ce mot-là devienne un soin ou un choix, parce qu'en ce moment ça ne passe pas. Donc...
**(19 h 30)**Le Président (M. Kelley): Commentaire plutôt que question.
Mme Charbonneau: ...éditorial plutôt que...
Le Président (M. Kelley): Éditorial. Je ne sais pas, vous, si vous avez des réactions? M. Gauthier.
M. Gauthier (Steeve): Bien, je pense qu'on en revient toujours à la même affaire: ça ne passe pas parce que c'est un tabou. On n'a pas le droit de mourir. On n'a pas le droit de mourir dans notre société. Puis, quand...
Mme Charbonneau: ...ce n'est pas la... ce n'est pas le geste. Je vous reprends, ce n'est pas le geste. Parce que les gens sont venus nous voir pour nous dire: Oui, on devrait avoir le droit de mourir, mais, non, on n'a pas le droit à l'euthanasie. Alors, la réflexion, c'est: C'est-u le mot qui est tabou, le geste qui est tabou ou ce qui arrive qui est tabou?
M. Gauthier (Steeve): À mon avis à moi, personnel, à propos de ça, là, on le sait, tout le monde, que l'euthanasie, c'est légal. Mais, je veux dire, il y a 40 ans, quand on parlait d'avortement ou même de divorce, quand le divorce a commencé, c'était hérétique, là, tu sais. Je dis, c'est... je veux dire, tu vas te faire crucifier, là, sur une croix, à quelque part. Ça fait que c'est ça.
Sauf que ça, ça, c'est le tabou, le tabou. Il faut passer le tabou, puis tout le kit. Moi, je ne suis pas d'accord. Je pense pas qu'on a besoin de... Moi, je ne pense pas qu'un aveugle, on devrait l'appeler un non-voyant. Je pense qu'un aveugle, c'est un aveugle, là. Puis quelqu'un qui a besoin d'une culotte d'incontinence, là, c'est un incontinent, ce n'est pas quelqu'un qui est «whatever», là. Tu sais, je veux dire, les mots, ce n'est pas important. C'est la réalité. La réalité, c'est qu'il y a des gens qui meurent, qui meurent tout croche. Il y a des gens qui sont souffrants, qui sont souffrants chez eux, qui ne peuvent pas avoir d'option autre pour soulager leurs souffrances mais qui n'ont pas ces options-là. Ça fait que je ne pense pas qu'il faut s'arrêter sur les mots, tu sais. Je pense qu'il faut amener la population à cheminer puis à...
Le Président (M. Kelley): Mme Ruel.
Mme Ruel (Huguette): ...le fardeau de décider.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette. C'est juste que je veux s'assurer du droit de parole de tout le monde. Mais c'est fort intéressant. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup. Vous savez, nous, on a une secrétaire de commission qui est très, très intelligente, dévouée. Et en plus elle a le pif de mettre les bons intervenants au bon moment, parce que vous finissez notre semaine, et vraiment, de manière à garder notre intérêt en ce vendredi soir, après quatre jours de 9 à 9... Donc, vraiment, merci, Mme Laplante. Puis merci à vous.
On a beaucoup de questions. On vous garderait longtemps. On va peut-être vous... Mais je sais que mon collègue veut aussi poser des questions. Je veux savoir... Écoutez, nous, on est un peu mystifiés, parce qu'il y a eu le Collège des médecins qui est venu avec sa position, il y a eu les sondages des deux fédérations, qui disaient en gros que les trois quarts des médecins étaient favorables à la légalisation de l'euthanasie. Et pourtant, à part les représentants des ordres professionnels et du collège qu'on a entendus au printemps dernier, à ce jour, il n'y a pas un médecin qui est venu ici... il y a plusieurs médecins qui sont venus, mais aucun des médecins qui est venu n'est en faveur de l'euthanasie. Vous êtes les premiers... Même pas d'infirmières. Vous êtes les premiers qui oeuvrez dans le milieu de la santé à venir prendre une position claire en faveur de l'euthanasie. Alors, vous allez comprendre que, nous, on a été très surpris, pas nécessairement de vous, mais vous êtes comme une espèce rare devant la commission. Mais ce qu'on entendait des sondages, ce n'était pas du tout ça.
Alors, ça provoque deux questions. Un, j'aimerais savoir si vous estimez que votre position est répandue au sein de vos collègues infirmières et aussi dans le corps médical. Quelle est votre position là-dessus? Et la deuxième chose, c'est: Est-ce que vous pensez que les distinctions qui se font beaucoup par les médecins qui viennent nous voir, qui nous disent: On peut toujours soulager la douleur, tout ça, il y a des distinctions claires, là... Ils nous disent tous: C'est très clair, entre la sédation puis l'euthanasie, puis tout ça. Est-ce que, pour vous, c'est comme une manière d'être confortables dans leur pratique? Parce que l'intention... ils font des distinctions très, très subtiles dans les intentions, que, moi, personnellement, je pense que les gens ne font pas, là.
Alors, j'aimerais vous entendre sur votre position. Est-ce qu'elle est répandue? Et, deuxièmement, ces distinctions-là qui sont faites beaucoup par le corps médical, pourquoi?
Mme Proulx (Claude): Bon, moi, je pense qu'à travers les infirmières et les médecins, moi, ça ne me surprend pas qu'il y ait deux visions différentes. Les médecins sont là pour sauver le monde, et la mort ne fait comme pas partie de leurs options. Et, pour eux, c'est un constat d'échec. Quand on est rendu... Moi, je suis l'infirmière au don d'organes. Quand on est au moment de parler du don d'organes, je sens toujours chez les médecins un grand malaise. Et là, c'est ça, on parle d'options de fin de vie, et, pour eux, ils vivent personnellement... je pense qu'ils vivent ça comme un échec. Donc, vous me dites que les médecins sont contre l'euthanasie, mais ils sont contre la mort, carrément. Moi, je pense, c'est une position.
Et, chez les infirmières, c'est tout à fait différent. Nous, on est avec les patients. On passe 24 heures sur 24 avec les patients, comme Steeve l'a dit. Moi, je côtoie beaucoup les familles, des familles qui souffrent. Et la position des infirmières, c'est souvent une demande des familles qui vivent justement leur... Ils voient l'agonie de leur être cher et ils veulent que ça en finisse. Et étant donné qu'on est toujours là, nous, on voit ça. C'est pour ça qu'on est comme en faveur de l'euthanasie.
M. Gauthier (Steeve): Mais il y a des nuances aussi, là. Les... Je ne dirais pas que tous les médecins...
Mme Proulx (Claude): Non, pas tous les médecins.
M. Gauthier (Steeve): ...ne sont pas près de cette réalité-là, là, puis ouverts à l'euthanasie, puis on en voit dans notre équipe, là, aux soins intensifs. On a vraiment des personnes dans l'équipe où c'est vraiment beaucoup plus clair qu'ils vont être prêts à commencer des sédations palliatives vraiment puis à aborder les familles, qui vont avoir beaucoup plus de facilité à aller aborder les familles sur le thème de la mort. Mais on en revient à la même affaire, hein, c'est un tabou, c'est difficile, c'est difficile de s'asseoir puis de discuter avec les familles.
Mais souvent, par contre, ce qu'on remarque à propos des médecins, c'est qu'il y a souvent un manque de leadership. Parce que le médecin a la science, le médecin sait exactement ce qui se passe à propos de l'état de santé du malade, par contre, assez fréquemment on va demander plutôt aux familles de prendre des décisions, tu sais, plutôt que d'assumer un leadership puis de dire: Et voilà, madame, monsieur votre père, on ne peut plus rien offrir à votre père. Votre père, son coeur n'a plus de fonction cardiaque, ses reins ne fonctionnent plus. On est rendus à trois ou quatre systèmes qui sont atteints puis on ne peut plus offrir d'autre chose médicalement. Puis là ce qu'auront plutôt tendance à faire les médecins, c'est plutôt de faire reposer ça sur des choix à la famille.
Comme disait Mme Gaudreault -- avec votre père, il y a 35 ans -- on voit encore ça continuellement, tout le temps. C'est toujours des choix qu'on va offrir à la famille. On dit: Regardez, il n'y en a pas, d'espoir. Il n'y a pas d'espoir, mais c'est à vous de décider qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse. Alors que, nous, on pense qu'il devrait y avoir un peu plus de leadership de la part du médical pour dire: Écoutez, c'est là qu'on en est. Il n'y a pas d'autre option, là. Votre père, même si on répare les reins, là, il n'empêche pas moins que le coeur ne fonctionne plus. Ça fait qu'on peut réparer une partie, mais tout le reste de la carrosserie est déficiente, là.
Puis, moi, je suis d'accord aussi pour dire que c'est très répandu chez les infirmiers et infirmières, là, parce que probablement on est en contact tout le temps avec la souffrance des gens. Je pense que ça nous oblige à faire une réflexion aussi sur notre propre mort, sur ce qu'on va vouloir pour nous pour l'avenir, là.
Mme Hivon: Merci. Je sais que mon collègue a des questions, alors je vais poser ma petite question, puis vous la prendrez en note, puis il va vous poser... On se bat pour le temps. Je veux juste vous dire que le tabou, bien...
Une voix: ...
Mme Hivon: Hein?
Le Président (M. Kelley): ...vieille astuce.
Mme Hivon: Oui, c'est ça.
Le Président (M. Kelley): Il reste le temps pour une question, on pose une question à trois volets!
Mme Hivon: C'est ça, puis c'est au témoin de... Je veux juste vous dire que notre commission procède notamment, évidemment, d'une volonté de susciter le débat mais aussi de faire que ces tabous-là soient moins tabous, parce qu'on pense qu'il y a de plus en plus de gens qui veulent en parler ouvertement.
Je veux juste savoir si, des demandes d'aide à mourir de la part de patients en fin de vie, vous en entendez souvent, si vous en avez souvent. Puis je vais céder, donc... Vous pouvez la noter, puis je vais céder la parole à mon collègue.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes. Alors, il va poser une question à sept volets, maintenant!
**(19 h 40)**M. Charette: Merci. Merci, monsieur le... J'en avais huit, volets, mais je me limiterai à sept, étant donné que vous me donnez la permission. Merci!
Merci de terminer la journée avec nous. On a reçu, ces derniers mois, plusieurs dizaines de personnes ou d'organisations, et personnellement je qualifie votre témoignage du plus percutant entendu jusqu'à maintenant. Ce n'est pas rien, parce que la réalité que vous décrivez, elle nous a effectivement été évoquée, mais par la bande. Mon collègue Gerry a mentionné que, oui, il y a eu des cas où on rapportait... où on laissait entendre que l'euthanasie se pratiquait, mais, à partir du moment qu'une question était posée spécifiquement sur le sujet, la réponse devenait excessivement vague. On disait: Bon, on l'a entendu, mais dans les faits on ne sait pas si effectivement ça s'est produit ou pas. Mais vous êtes les premiers qui attestez, à travers votre pratique, qu'à l'occasion... sans dire que c'est régulier, sans dire que c'est tous les jours, vous attestez que ça se vit.
Et la question que j'ai envie de vous poser et qu'on a posée aussi à bon nombre de médecins, c'est la suivante. La définition des termes, elle est très, très importante. Vous les avez employés tous, c'est-à-dire «sédation palliative», «arrêt de traitement», «euthanasie», «suicide assisté». Ce sont tous des termes que vous avez employés. Et, à travers l'emploi que vous en avez fait, moi, j'ai la compréhension, sinon l'intime conviction, que vous les saisissez, ces nuances-là, alors que, lorsqu'on pose une question aux médecins, lorsqu'on les réfère au sondage qui a été complété par tout de même plusieurs milliers de médecins et qui donne un appui assez fort à l'euthanasie, sinon au suicide assisté, leurs réponses deviennent soudainement assez vagues. On nous dit: Ah! c'est que dans les faits les médecins ne comprennent pas, ou il y a une confusion sur la définition des termes.
Faites-vous plaisir. Tout à l'heure, vous avez évoqué cette hiérarchie qui vous lie aux médecins. Parlez d'eux. D'après vous, est-ce qu'ils comprennent la différence entre suicide assisté, sédation palliative, euthanasie, refus de traitement? Est-ce que, si, pour vous, c'est clair, est-ce que, d'après vous, ça l'est? Parce que, sans employer le mot «échappatoire», à nos questions on nous répond systématiquement, face à ce constat du sondage, que dans les faits les médecins ne connaissent pas toutes les nuances entre les différents termes que vous avez pourtant, vous, employés avec une justesse sans doute.
Mme Di Marzio (Marjolène): ...avec une expérience très personnelle qui m'est arrivée, une patiente qui était en fin de vie, à qui j'administrais de la morphine pour la douleur, de la Versed pour l'anxiété. Le médecin a appelé, et je n'étais pas là en ce moment, puis il a bien fait comprendre à ma collègue... en disant: Tu diras à Marjolène que je ne veux pas qu'elle euthanasie ma patiente, mais bien qu'elle la soulage. J'ai rappelé le médecin à la maison en disant: Écoutez, là, vous êtes très insultant. Je dis: Je donne de la morphine pour de la douleur, je donne du Versed pour de l'anxiété. Vous m'avez prescrit les deux médicaments, je soulage les symptômes. Je ne suis pas en train d'euthanasier votre patiente. Vous êtes franchement très insultant.
Puis vraiment on voyait tout de suite que la différence n'était pas là. Lui, le fait de donner les deux médicaments en même temps, même si c'était pour deux symptômes qui étaient complètement différents, c'était de l'euthanasie parce que c'étaient trop des grosses doses, comme à la limite. Prescrivez-moi autre chose si vous n'êtes pas à l'aise avec ça. Moi, je fais juste soulager puis m'assurer que mon patient, ma patiente est confortable. Donc, je pense qu'ils ne comprennent pas, non, effectivement, la différence entre c'est quoi, une sédation palliative, c'est quoi, l'euthanasie. C'était mon commentaire.
Le Président (M. Kelley): M. Gauthier.
M. Gauthier (Steeve): Puis elle est capable de s'exprimer vraiment comme ça avec le médecin, j'étais là, à côté d'elle, cette journée-là.
Mais par contre, moi, j'amène une nuance. Je pense que les médecins sont conscients de ce que veulent dire les termes, là. Ce n'est pas des deux de pique. Je pense qu'ils sont tous bien au courant de comment ça fonctionne. La différence monumentale entre les infirmiers puis les médecins, c'est qu'au final la responsabilité est sur leurs épaules à eux, elle est au bout de leurs propres crayons. Puis moralement, comme on n'est pas soutenus par aucun cadre dans notre société, bien, nécessairement, c'est sur leurs épaules à eux. Ça fait que c'est au bout de leurs crayons, comme ça, qu'ils ont le droit, là, l'ultime droit sur comment la personne va terminer sa vie. Ça ne repose sur rien d'autre que sur leurs propres épaules. Puis en fait c'est un peu, beaucoup ça, notre propos: Peut-on enlever ça de sur les épaules d'un groupe de professionnels? Tu sais, au Québec, on a quelques milliers de médecins pour 6 millions de population. On peut-u enlever ça de sur les épaules de quelques milliers de personnes pour reposer ça sur un cadre légal, qui appartient à tout le monde, puisque c'est notre vécu à tout le monde, là? Je ne veux pas péter votre balloune à personne, mais on va tous passer par là.
Le Président (M. Kelley): Nous avons appris ça.
Mme Hivon: Puis ma question... ma question sur...
Le Président (M. Kelley): Oui.
Mme Hivon: ...vous avez des demandes de personnes qui vous demandent de mourir?
M. Gauthier (Steeve): En pratique, je pense qu'il n'y a aucun infirmier, infirmière qui peut dire qu'il n'a pas vécu ça, c'est clair.
Une voix: Régulièrement.
M. Gauthier (Steeve): Il faut par contre être capable, effectivement, de faire la distinction entre: Est-ce que je suis capable de soulager la souffrance de cette personne-là, qui va amener cette personne-là à ne pas nécessairement avoir envie de mourir... Parfois, le travail d'un infirmier, infirmière, là, se situe beaucoup, beaucoup, beaucoup autour de la souffrance des gens, là, de la douleur, qui fait que ça peut monopoliser tout notre temps, toute notre énergie. Puis parfois on va, coup après coup, aller voir les médecins, dire: J'ai l'air de m'acharner, mais mon patient, il n'est pas soulagé. J'ai l'air de m'acharner, mais mon patient n'est pas soulagé. Puis là on va essayer d'autres affaires, on va essayer... bon, etc., puis, règle générale, on réussit à les soulager, les patients, là, physiquement. Mais, au-delà de la souffrance physique, il y a aussi la souffrance morale ou psychologique, puis parfois un patient qui est en traitement pour une maladie terminale depuis 15 ans, il est juste au bout de ce qu'il est capable de soutenir, puis là il a juste envie d'en finir puis de passer ailleurs. Puis ça, c'est évident dans le discours du patient à ce moment-là. Puis on est tous capables de faire la différence entre un patient qui a juste besoin d'être soulagé puis un patient qui est juste au bout de son rouleau.
Le Président (M. Kelley): Sur ça, encore une fois, je sais que votre métier, c'est très occupé, alors je suis très impressionné de la qualité de votre réflexion, que, malgré le fait que vous avez des horaires qui sont souvent très, très difficiles, que vous avez pris le temps de réfléchir et partager la réflexion avec les membres de la commission.
Juste une couple de courts items d'intendance avant de mettre fin... Merci beaucoup aux membres de la commission. C'est une semaine fort chargée. Votre disponibilité, vos questions, je pense qu'on a vraiment bien lancé notre commission, qui était notre objectif principal pour cette semaine.
Mais une commission n'arrive pas à Montréal comme ça, alors je pense qu'il y a certaines personnes que je veux dire merci beaucoup. Ça prend une équipe pour la qualité sonore, alors, Christian Croft et Joël Guy, merci beaucoup. Comme d'habitude, toujours fidèles au poste. Ça prend la sécurité, alors, Éric Bédard, Normand Messier et Claude... ont travaillé une très longue semaine aussi. Ça prend les personnes de la recherche, à la fois pour la commission, Hélène Bergeron et David Boucher, également les fidèles recherchistes de nos formations politiques, Catherine Guillemette et Matthieu Leclerc. Finalement, le monde qui travaille pour la commission, Jean-Philippe Laprise, Pierre Lessard-Blais et Claire Vigneault, tout ça, mais le chef d'orchestre aussi, Anick Laplante, qui a fait un travail extraordinaire cette semaine. Alors, merci beaucoup à tout le monde.
Et peut-être juste une dernière pensée pour la famille de notre collègue Claude Béchard, les funérailles demain. C'était une ironie que nous avons fait une semaine... parler du décès, de la mort, et nous avons perdu un membre de l'Assemblée nationale que nous avons tous connu. Alors, c'est une drôle de semaine. C'est une semaine riche d'émotions, riche d'idées, riche de réflexions. Alors, merci beaucoup à tout le monde qui a contribué à cette semaine inoubliable, extraordinaire, que nous avons vécue ensemble.
Sur ça, j'ajourne nos travaux au 24 septembre, à 9 heures, à l'hôtel Delta de Trois-Rivières. Merci beaucoup. Bonsoir. Bonne fin de semaine.
(Fin de la séance à 19 h 47)