(Neuf heures quarante minutes)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, bonjour, tout le monde, membres de la commission, membres de la foule qui êtes ici. C'est un grand moment parce que c'est la première rencontre publique de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité. On a eu beaucoup de séances de travail préparatoires, mais la grande discussion, le grand dialogue avec la société québécoise commence maintenant. Alors, bienvenue, tout le monde, les membres de la commission, les membres du public qui sont parmi nous ce matin.
Je m'appelle Geoff Kelley. Je suis le député de Jacques-Cartier, dans l'Ouest-de-l'Île de Montréal, et c'est moi qui préside. Et, dans une commission parlementaire, il y a certaines formalités que je dois suivre comme président. Alors, je vais le faire en indiquant que la séance de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité est ouverte.
Je vais rappeler le mandat de la commission: la commission est réunie afin de procéder à la consultation générale et des auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.
Je vais demander à tout le monde, s'il vous plaît, de fermer leurs cellulaires, on ne veut pas avoir la sonnerie qui va interrompre nos discussions, parce que... Alors, s'il vous plaît, si vous pouvez fermer vos cellulaires.
Règle générale, devant une commission parlementaire, on commence avec des remarques préliminaires, qui va être une occasion pour les représentants de toutes les formations politiques de s'exprimer. Alors, selon une formule convenue, il y aurait 10 minutes pour la députée de Hull, suivies par 10 minutes pour la députée de Joliette, suivies de cinq minutes par la députée de Lotbinière, et finalement cinq minutes pour le député de Mercier. Alors, ça va être le premier bloc d'une demi-heure qui va permettre, au nom de leur formation politique, des quatre formations représentées à la commission, de s'exprimer au lancement de nos travaux.
Remarques préliminaires
Alors, sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Hull.
Mme Maryse Gaudreault
Mme Gaudreault: Alors, merci beaucoup, M. le Président. Et d'entrée de jeu j'aimerais saluer et remercier de leur présence tous les citoyens qui se sont déplacés pour assister et prendre part aux travaux de cette commission. Leur présence en grand nombre démontre bien l'intérêt marqué que manifeste la population envers la question du droit de mourir en toute dignité. J'aimerais aussi remercier tous les citoyens qui ont pris la peine de nous faire parvenir un mémoire et qui ont aussi complété le questionnaire en ligne.
Salutations à mes collègues de l'Assemblée nationale, qui, je crois, tout comme moi, sont très enthousiastes à l'égard du début de ces auditions publiques. Je voudrais aussi saluer l'équipe technique de l'Assemblée nationale qui est ici avec nous ce matin, les agents de sécurité aussi, de l'Assemblée nationale, les membres de l'équipe de la recherche, et aussi l'équipe du Secrétariat des commissions, qui ont travaillé très fort pour nous mener aujourd'hui au début de ces auditions.
Permettez-moi, M. le Président, de présenter les députés du parti ministériel qui m'accompagnent pour la durée de cette première partie des auditions ici, à Montréal. Alors, je suis accompagnée de ma collègue députée de Mille-Îles, Mme Francine Charbonneau, qui est aussi adjointe parlementaire à la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles; mon ami, aussi, M. Chevarie, qui est ministre des Îles-de-la-Madeleine et aussi... pardon, pas ministre, mais député -- peut-être qu'un jour, on ne sait jamais -- député des Îles-de-la-Madeleine, qui est aussi membre du Bureau de l'Assemblée nationale. Il y a aussi M. Gerry Sklavounos, député de Laurier-Dorion, qui est aussi adjoint parlementaire du ministre de la Santé et des Services sociaux. Et je suis Maryse Gaudreault, députée de Hull et adjointe parlementaire au ministre des Relations internationales.
Alors, il nous fait extrêmement plaisir d'être présents ici aujourd'hui afin de participer au début de cette troisième étape de notre mandat, c'est-à-dire les auditions publiques. En décembre dernier, les membres de l'Assemblée nationale ont choisi à l'unanimité de confier aux membres de la Commission de la santé et des services sociaux l'important mandat d'étudier la question du droit de mourir dans la dignité. C'est donc dans un esprit d'ouverture que le gouvernement a décidé de lancer le débat en mettant sur pied cette commission spéciale. Afin de mener un débat neutre sur cette question, tous les membres de la commission se sont engagés à mettre leurs considérations et opinions personnelles de côté, et ce, dans le but de garder un esprit ouvert face aux opinions divergentes et parfois tranchées que nous allons entendre.
Au total, une trentaine d'experts chevronnés ont déjà été consultés au printemps dernier. Chaque expert nous a aidés, selon son champ d'expertise, à bien cerner l'ampleur des questions d'ordre légal, médical, moral et social qui entourent la fin de vie d'une personne. Nous avons dû nous familiariser avec diverses définitions, des définitions aux nombreuses ambiguïtés, et nous avons discuté et réfléchi sur des questions délicates telles que la décriminalisation et la légalisation de l'euthanasie, la décriminalisation et la légalisation de l'aide au suicide, les risques de dérive et les abus que peuvent engendrer ces deux pratiques. Quand un patient fait face à une mort imminente et inévitable, devrait-il être permis à un médecin qui le jugerait approprié de répondre à la demande du patient, celle d'abréger ses jours et, si oui, dans quelles conditions et comment mourir dignement sont des questions que nous avons donc posées aux différents experts que nous avons rencontrés. Ces derniers provenaient de plusieurs disciplines, soit de la médecine, de la sociologie, de la psychologie, du droit et de l'éthique.
J'aimerais souligner que tous les membres de la commission ont été vraiment impressionnés par la qualité des experts qui sont venus témoigner devant nous, la qualité de leurs mémoires, la richesse de ces mémoires, leur enthousiasme à venir témoigner, et surtout le fait qu'ils ont été très généreux au niveau de leur temps. J'aimerais mentionner à l'auditoire que nous sommes vraiment privilégiés d'avoir des gens comme eux dans notre société. Ce sont des gens qualifiés et très soucieux du bien-être des personnes malades et de leurs familles.
Donc, grâce à tous ces experts, tous les membres de la commission ont reçu une formation accélérée sur les différents enjeux qui entourent notre mandat. Notre défi a été de bien cerner et de bien identifier les différents enjeux, de bien comprendre la signification de chaque terme, pour ensuite pouvoir poser les bonnes questions à la population québécoise.
Nous avons également constaté que les valeurs de dignité, d'autonomie de la personne, de compassion, de respect du caractère sacré de la vie s'entrechoquent. Certains experts nous ont parlé du caractère sacré de la vie qui a priorité sur les droits individuels de chacun. Dans ce cas, ce n'est pas la personne qui est sacrée, c'est plutôt la vie. D'autres affirment que les valeurs de liberté, de consentement libre et éclairé, bref le libre choix d'une personne a priorité sur le caractère sacré de la vie. Grâce aux experts entendus, nous avons pris conscience qu'il arrive des moments où reconnaître certains droits aux individus peut heurter et peut porter préjudice à des valeurs sociales que nous partageons, même si ces valeurs sont en constante évolution. En résumé, nous sommes ici, nous, les parlementaires, pour que les valeurs des personnes soient respectées et que la liberté de choix des personnes soit également respectée.
Suite à l'audition des experts, grâce à une équipe de rédaction formidable, assidue et très patiente, nous avons élaboré un document de consultation qui avait trois objectifs: le premier, celui d'informer la population; le deuxième, de répondre le plus précisément aux questionnements de la population; et finalement celui de susciter la participation des Québécois et des Québécoises. Nous sommes particulièrement fiers du troisième objectif, car jusqu'à présent la commission a reçu environ 227 mémoires, 65 demandes d'intervention et 3 495 réponses au questionnaire en ligne, questionnaire, d'ailleurs, que vous pouvez toujours compléter jusqu'à la fin de nos travaux. Nous pouvons donc affirmer: mission accomplie!
Certes, avant le début de nos travaux, nous savions que nous faisions face à un sujet délicat, mais nous savions également qu'il méritait une attention particulière. C'est pourquoi nous sommes réunis ici aujourd'hui, car nous croyons fermement que le débat entourant le droit de mourir dans la dignité doit également se faire dans la collectivité, car il s'agit d'un débat de société d'une importance capitale, ce qui, je vous l'assure, nous a été aussi confirmé par l'ensemble des experts que nous avons consultés. Ces échanges nous ont donc permis d'être fin prêts afin d'amorcer une vaste consultation auprès des Québécoises et des Québécois dès cet automne.
**(9 h 50)** Il importe de souligner que le débat sur le droit de mourir dignement est apparu à maintes reprises dans l'actualité au Québec et dans le reste du monde. À titre informatif, j'aimerais mentionner que ce débat a eu lieu dans plusieurs pays, tels que les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg. L'État de l'Oregon et de Washington, aux États-Unis, ont adopté au cours des dernières années des lois permettant de mourir en toute dignité. Néanmoins, d'autres sociétés dans le monde considèrent que la vie est un droit sacré et qu'en aucune considération l'euthanasie ou le suicide assisté ne doit être permis. Dans le contexte actuel, il importe de rappeler que le concept de dignité est très personnel et qu'il existe de multiples façon de concevoir la vie et la mort. Par conséquent, nous sommes en mesure de constater que nous sommes loin d'un consensus.
En terminant, nous avons la conviction que les résultats de cette commission parlementaire alimenteront la réflexion sociale sur cette question primordiale du droit de mourir dignement. Je vous assure que nous allons tout faire ce qui est en notre pouvoir pour écouter et comprendre les points de vue de tous les citoyens. Le gouvernement a compris la nécessité de lancer le débat, un débat plus qu'important, car il touche des valeurs de coeur même... au coeur même, pardon, de notre société, des valeurs qui sont profondément humaines, des valeurs qui nous interpellent tous.
Il faut l'admettre, le désir de mourir existe bel et bien dans notre société. Nous croyons que c'est en confrontant les points de vue et les opinions que nous pourrons peut-être alléger la difficile tâche du législateur, qui aura à prendre une décision suite à nos travaux. C'est à lui que revient la lourde tâche de répondre à ce dilemme: Comment répondre à la demande des patients qui désirent mourir sans mettre en danger la vie de ceux qui ne le désirent pas? Sur ce, je vous souhaite une agréable journée et de très bonnes auditions à tous. Et merci, M. le Président.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée de Hull. Je suis prêt maintenant à céder la parole à la vice-présidente de la commission et députée de Joliette.
Mme Véronique Hivon
Mme Hivon: Merci, M. le Président. Je suis heureuse, à mon tour, de prononcer les remarques préliminaires à titre de porte-parole de l'opposition officielle pour l'amorce de ces importantes consultations itinérantes de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité. Je dis que je suis heureuse parce que, même s'il s'agit d'un sujet éminemment sensible, je pense qu'il faut se réjouir que l'Assemblée nationale offre un forum pour permettre la tenue du débat et à chacun et chacune qui le souhaite de venir s'exprimer devant nous.
Je pense aussi qu'un sujet comme celui de mourir dans la dignité nous ramène aux raisons fondamentales pour lesquelles on est en politique, c'est-à-dire pour répondre à des questions profondément humaines qui touchent les gens dans leurs valeurs les plus profondes, celles qui guident leur vie personnelle comme celles qu'ils estiment devoir guider la vie de la société québécoise dans son ensemble. Ce sont aussi des questions qui appellent les gens dans leurs questionnements, dans leurs appréhensions, dans leurs douleurs et dans leurs souffrances actuelles et anticipées.
Bien au-delà des aspects juridiques ou médicaux, il s'agit d'un enjeu qui interpelle tout simplement la condition humaine. Par notre travail d'élu, au nom de la population que nous représentons, nous pouvons permettre au débat qu'il se fasse, et surtout qu'il se fasse, nous souhaitons tous, de manière sereine, ouverte et respectueuse. J'estime qu'en présentant cette motion le 3 décembre dernier, en faisant en sorte que l'Assemblée nationale permette la tenue du débat, nous prenons nos responsabilités d'élus. Le fait, d'ailleurs, que cette motion ait été déposée par l'opposition officielle mais qu'elle ait été adoptée à l'unanimité par les parlementaires de toutes allégeances démontre bien l'importance du sujet et, je dirais, la maturité des élus. Il n'est certainement pas anodin de constater que les élus se sont unis, au-delà de toute considération partisane, pour mettre en place cette commission alors que rien ne les obligeait à instaurer un tel débat, qui assurément sera exigeant et complexe mais, nous le devinons déjà, fort enrichissant.
Le débat sur la question de mourir dans la dignité, particulièrement sur la question de l'euthanasie et du suicide assisté, occupe la scène depuis une trentaine d'années. Il faut aussi savoir que les découvertes dans les domaines de la médecine et de la pharmacologie ont amené une certaine médicalisation de la mort. En raison de ces avancées, des meilleures conditions de vie et d'une plus grande espérance de vie, nous mourons plus vieux. Mais mourir plus vieux peut signifier aussi que l'on meurt pendant plus longtemps, que l'on souffre de maladies qui mènent peu à peu à une perte d'autonomie et à une mauvaise qualité de vie en fin de vie.
Alors, compte tenu de ce contexte, compte tenu que ce débat occupe la scène depuis une trentaine d'années, mais compte tenu surtout qu'il s'est intensifié au cours de la dernière année... Et nous en voulons pour preuve notamment les sondages effectués l'automne dernier par la Fédération des médecins spécialistes et celle des omnipraticiens ainsi que le dépôt du rapport du Collège des médecins sur la question. Donc, ces éléments-là, ces jalons ont permis de constater qu'il y avait énormément de choses qui voulaient être dites et énormément d'associations et de citoyens ainsi que de professionnels qui voulaient se prononcer sur la question. Et ce, c'est sans compter l'actualité qui ramène souvent à l'avant-scène des cas très difficiles de gens qui demandent le droit d'être aidés à mettre fin à leurs jours, notamment le cas, qui a été très publicisé, de M. Ghislain Leblond, qui a écrit des lettres ouvertes dans les journaux l'automne dernier, qui est atteint d'une grave maladie dégénérative et qui demande, le temps venu, de pouvoir être aidé à mettre fin à ses jours. Nous entendrons d'ailleurs plusieurs de ces personnes au cours de nos auditions.
Plus que jamais, la population québécoise semble prête à tenir ce débat. Donner le choix et le droit, de façon exceptionnelle et strictement balisée, à ceux qui n'ont plus de qualité de vie, qui n'ont aucune perspective de survie face à une maladie incurable, qui font face à des douleurs ou à une souffrance insupportables et qui souhaitent en toute lucidité mettre fin à leurs jours en prenant une décision de façon libre et éclairée pourrait être une solution à envisager. Mais, avant de pouvoir considérer une telle avenue, le débat doit se faire de manière large au sein de la société québécoise. Les enquêtes d'opinion, qui affichent un taux d'appui à cette idée autour de 75 %, 80 % de manière constante depuis 20 ans, sont certes un élément d'intérêt mais ne sauraient faire l'économie d'un vaste débat pour s'assurer que l'on sait bien de quoi l'on parle, qu'il y a une compréhension commune des concepts en cause et que toutes les pierres reliées aux enjeux qui touchent cette question sont retournées une par une.
Et c'est pourquoi nous devons nous réjouir, ma collègue en parlait, de l'intérêt marqué démontré pour le débat, tel qu'en témoignent les plus de 200 mémoires déposés, les 60 demandes d'intervention, et évidemment les milliers de réponses au questionnaire en ligne, et surtout la diversité de points de vue et de perspectives qui seront amenés devant nous. Je veux d'emblée remercier tous les gens qui ont pris le temps de nous faire part de leurs commentaires et qui viendront témoigner devant nous, qu'ils viennent ici ou qu'ils s'expriment via Internet avec le formulaire.
Il convient de mentionner aussi que, bien que ce soit la question de l'euthanasie et du suicide assisté qui retienne d'abord l'attention, le débat se situe dans un contexte plus large que celui de cette stricte question. Toute la question des soins de fin de vie, on pense, par exemple, aux soins palliatifs qui vont jusqu'à inclure, dans certains cas, la sédation terminale... Toutes les conditions de fin de vie, à savoir si on peut mourir à la maison, si on doit mourir dans un hôpital, encore aujourd'hui, sont également très importantes. Outre l'intérêt de chacune de ces questions en elles-mêmes, le fait de les traiter ensemble évitera la compartimentation et pourra favoriser l'émergence d'une position globale sur l'approche que le Québec veut privilégier en matière de pratique de soins et de droits de fin de vie.
Nous mesurons très bien le privilège de participer à un tel exercice, qui donne tout son sens à notre rôle d'élu. Aussi, je peux vous assurer, M. le Président, que l'opposition officielle prend la pleine mesure de cette responsabilité et qu'elle travaillera dans un esprit d'ouverture, de respect face à l'ensemble des positions qui seront défendues et dans un esprit, bien évidemment, de collaboration avec les députés du parti ministériel et des autres oppositions.
Pendant ces consultations, comme ce fut le cas lorsque nous avons entendu les experts... Et je tiens à mon tour à les remercier de manière toute particulière de nous avoir si bien éclairés et d'avoir fait en sorte qu'aujourd'hui nous nous présentons devant vous beaucoup plus savants que nous l'étions il y a quelques mois et, je pense, beaucoup plus au fait de la complexité des questions qu'on va aborder tous ensemble.
Et je veux à mon tour présenter les collègues de l'opposition qui vont m'accompagner: ma collègue Monique Richard, du comté de Marguerite-D'Youville; mon collègue de Deux-Montagnes, M. Benoit Charette; et également il y aura Mme Lisette Lapointe qui va nous accompagner dans ces questions, députée de Crémazie.
**(10 heures)** Je tiens aussi à faire ressortir d'entrée de jeu que les parlementaires, bien qu'on l'oublie parfois, sont eux aussi d'abord et avant tout des personnes, des citoyens en chair et en os, avec leurs valeurs, leurs croyances, leurs expériences de vie bien à eux, qui évidemment peuvent être significativement différentes d'un parlementaire à l'autre mais qui demeurent bien présentes. Les parlementaires ne sont pas des personnes totalement désincarnées, et je pense que ce serait d'ailleurs une mauvaise chose s'il en était ainsi. Mais admettre cet état de fait d'entrée de jeu nous apparaît important parce que ça nous permettra d'être vigilants dans nos manières d'aborder les choses. Parce qu'en effet il est fondamental de conduire notre important mandat avec la plus grande ouverture et la plus grande recherche d'objectivité possible, avec la profonde volonté aussi de laisser s'exprimer tous les points de vue, les plus dominants comme les plus marginaux, et d'éviter, au meilleur de notre capacité, les biais et les conclusions hâtives.
En terminant, M. le Président, je tiens à réitérer qu'en ayant fait le choix de mettre en place cette commission et ce vaste débat auquel nous convions la population et les acteurs de la société nous souhaitons faire face à nos responsabilités. Nous souhaitons permettre aux Québécois et aux Québécoises de se faire entendre, nous souhaitons donner tout l'espace requis pour que le débat se fasse de manière ouverte et sereine, nous souhaitons pouvoir être éclairés et soutenus dans la recherche de solutions et de réponses, et surtout nous souhaitons qu'en tout temps, pendant toute la durée du débat, nous n'ayons qu'un seul guide: le bien-être et le respect de la personne humaine dans toute la complexité de sa vie, de sa fin de vie et de sa mort.
Sur ce, je nous souhaite d'excellents travaux et je veux remercier d'entrée de jeu toute l'équipe de recherche qui nous soutient, toute l'équipe technique, qui va nous être évidemment d'un précieux concours. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée. Et merci beaucoup pour ce rappel que les députés sont des êtres humains. Je pense que c'est utile parfois de rappeler ça.
Sans plus tarder, je vais céder la parole à Mme la députée de Lotbinière, qui est leader parlementaire du deuxième groupe de l'opposition.
Mme Sylvie Roy
Mme Roy: Merci, M. le Président. Je vais tout de suite commencer en vous remerciant, vous et la vice... Me Hivon, d'avoir présenté cette requête-là... d'avoir présenté cette motion à l'Assemblée nationale. J'étais à l'époque chef par intérim de l'Action démocratique, et sans hésitation nous avons consenti parce que nous croyons que c'est un exercice qui... Plus qu'utile, il est indispensable dans notre société. Donc, je veux saluer mes collègues du groupe ministériel, mes collègues de l'opposition officielle, mon collègue de Québec solidaire, le personnel de la commission.
Mais je veux surtout saluer ceux qui ont pris le temps de nous présenter un mémoire ou de répondre au formulaire en ligne. Je sais que pour certains d'entre eux c'est difficile. Ça peut remuer des émotions qui ont déjà été vécues, que ce soit de la peine, de la douleur, de la colère, de l'incompréhension. Et le fait de venir le partager avec nous, c'est en soi un don que vous nous faites, et je l'apprécie grandement.
C'est un grand dialogue qui commence sur des enjeux qui sont universels et c'est de l'écoute qu'il faudra manifester, nous, les politiciens, qui parlons plus souvent que nous écoutons, et ça va nous faire plaisir, en tout cas, de discuter puis de vous entendre. Et c'est aussi la démonstration que les politiciens peuvent laisser leurs intérêts partisans à la porte de cette salle et entreprendre quelque chose de constructif.
Bien sûr, beaucoup de valeurs qui sont souvent dans les gènes des personnes, sont dans les cellules, des valeurs comme l'éthique, des valeurs religieuses, des valeurs culturelles, des valeurs de liberté, sont tous des enjeux qui vont s'entrechoquer ici. Peut-être, il n'y aura pas... peut-être ne se dessinera-t-il pas une conclusion très, très définie de cette discussion que nous entreprenons, mais, pour moi, le seul fait que nous la commencions, que nous fassions cet exercice-là, c'est en soi une réussite et c'est en soi aussi un bon début.
Jusqu'où on pourra aller, quel niveau de consensus pourrons-nous avoir, c'est une question qui mérite d'être regardée attentivement. Mais, si tout se fait dans le respect qui a marqué le début de nos travaux, je suis très, très positive et très contente de continuer ce débat avec la population à travers le Québec. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée de Lotbinière. Maintenant, je suis prêt à céder la parole au député de Mercier.
M. Amir Khadir
M. Khadir: Merci, M. le Président. D'abord, au nom de ma formation politique, je voudrais souhaiter la bienvenue à toutes celles et ceux qui se sont déplacés ce matin pour partager avec nous leurs réflexions sur la question... les questions qui touchent la fin de vie, la souffrance, la douleur, le droit de choisir le moment de sa mort et les conditions de la mort.
Je voudrais féliciter évidemment et saluer tous mes collègues qui ont oeuvré dans la sérénité et l'ouverture qui a marqué tout le début des travaux de cette commission, aussi toute l'équipe de réflexion, de recherche et de secrétariat qui accompagne la commission.
De nombreuses questions très fondamentales sont en débat dans notre société. On peut penser, par exemple, aux questions qui touchent l'éducation, l'utilisation des ressources naturelles, les questions environnementales. Bien sûr, les questions éthiques qui entourent les conditions dans lesquelles notre existence peut être traversée par la maladie, par la souffrance, par la douleur est une de ces questions. La manière dont l'institution parlementaire à l'Assemblée nationale aborde cette question actuellement est un exemple d'ouverture, comme j'ai dit tout à l'heure, et de sérénité qui devrait nous inspirer pour tant d'autres domaines qui sont en débat. Souhaitons que le travail qu'on pourra faire ici va bien sûr donner d'autres idées, comme d'autres travaux qui ont été faits dans le passé, pour qu'on puisse aborder d'autres questions tout aussi délicates qui sont actuellement dans la préoccupation de la population.
Bien certainement, comme médecin, je peux être à même de témoigner du caractère excessivement poignant que peuvent trouver des interrogations sur la maladie, le sens à donner à la mort. Qui doit décider? Quel est le rôle des personnes qui nous sont proches? Jusqu'à quel point leur avis doit peser dans la balance lorsqu'il vient le moment de prendre des décisions difficiles qui ont trait à notre existence? Autant de questions sur lesquelles il n'y a pas d'avis tranché, pas plus à Québec solidaire, je pense, que dans le reste de la société.
Donc, de la part de ma formation, je suis ici pour d'abord écouter humblement et ensuite contribuer modestement. Alors, sans plus tarder, je souhaite à tout le monde et surtout à la présidence et à son adjointe, au secrétaire de la commission, tout le succès que nous méritons. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. le député de Mercier. Alors, ça met fin aux remarques préliminaires.
Auditions
Alors, je vais inviter notre premier témoin, les personnes qui vont briser la glace, qui sont les représentantes de l'AFEAS régionale Montréal-Laurentides-Outaouais, de prendre place à la table des témoins.
Et, au moment qu'ils sont en train de s'installer, je vais juste expliquer un petit peu les règles de jeu. On n'a pas loin de 300 demandes d'intervention dans huit villes au Québec. Alors, c'est tout un casse-tête pour assurer qu'on va être capables d'entendre tout le monde qui veut s'exprimer sur ce débat qui est très important. Ça revient à la présidence d'essayer de respecter l'horaire et s'assurer que tout le monde a le droit de s'exprimer et qu'on peut passer à travers nos horaires. Cette semaine, ici, à Montréal, on veut entendre 47 groupes et individus. Alors, c'est ambitieux comme charge de travail pour la semaine.
Alors, nous avons convenu, pour les mémoires présentés par les organismes, un temps de parole d'une soixantaine de minutes, divisé avec une présentation de 20 minutes et 40 minutes d'échange avec les membres de la commission; pour un individu, 45 minutes, alors, 15-30 comme division; et, pour les personnes qui ont simplement fait une demande d'intervention, un droit de parole de 30 minutes, donc 15 minutes de présentation, 15 minutes pour échange avec les membres de la commission. Ces règles sont mises en place pour assurer que le droit de parole de tout le monde est respecté.
Alors, c'est moi, l'arbitre, alors c'est moi qui parfois va essayer de demander aux témoins de conclure ou demander aux collègues d'arriver à leurs questions dans leurs interventions. Alors, c'est... ça, c'est la responsabilité du président, puis je vais essayer de faire ça avec respect.
Alors, sans plus tarder, notre premier témoin, c'est l'AFEAS régionale Montréal-Laurentides-Outaouais. Et toutes nos délibérations sont enregistrées, et l'audio va être disponible sur le site Web de l'Assemblée nationale. Alors, de l'entrée le jeu, si vous pouvez vous bien identifier et des autres personnes qui vont prendre la parole au nom de l'AFEAS. Alors, sans plus tarder, la parole est à vous.
Association féminine d'éducation
et d'action sociale
Montréal-Laurentides-Outaouais
(AFEAS régionale
Montréal-Laurentides-Outaouais)
Mme Chartrand (Line): Mon nom est Line Chartrand. Je suis accompagnée de Nicole Bourgouin et de Solange Vaudry.
M. le Président et les membres de la commission, nous sommes heureuses d'être ici aujourd'hui pour cette consultation sur un aussi important sujet pour notre société.
**(10 h 10)**. L'AFEAS est un organisme de défense des droits qui vise l'amélioration des conditions de vie des femmes depuis 1966. Au fil des années, l'association a pris position dans de nombreux dossiers qui ont influencé l'évolution de la société québécoise. L'AFEAS regroupe 12 000 Québécoises intéressées à promouvoir les droits des femmes et de la société par l'éducation et l'action sociale. Il existe présentement au Québec 300 AFEAS locales, regroupées en 12 régions, toutes rattachées au siège social. L'AFEAS régionale Montréal-Laurentides-Outaouais compte plus de 300 membres réparties entre sept AFEAS locales.
Nous nous présentons à ces consultations parce que ce sujet préoccupe les membres de l'AFEAS depuis plusieurs années, entre autres à cause des cas de demande de suicide assisté et d'euthanasie médiatisés depuis 1991. Et aujourd'hui, grâce à la médecine et à l'amélioration des conditions de vie, l'espérance de vie est de plus de 80 ans. Nombreuses sont les personnes qui se posent des questions sur la prolongation de la vie au détriment de la qualité de vie. L'euthanasie pourrait être la solution pour mettre un terme aux souffrances d'une personne très malade.
Les membres de l'AFEAS souhaitent un débat ouvert depuis 2005, alors qu'elles demandaient d'avoir un sujet d'étude sur le suicide assisté pour réfléchir sur la question. L'AFEAS provinciale nous a fourni un guide d'animation nous permettant d'organiser des activités sur ce sujet. La majorité des AFEAS locales de notre région s'en sont servies pour organiser des rencontres soit pour leurs membres, soit pour la population de leurs milieux. Plusieurs centaines de personnes ont ainsi été rejointes sur le territoire de l'AFEAS régionale Montréal-Laurentides-Outaouais.
Nous ne sommes pas des expertes au sens attribué habituellement à ce terme. Toutefois, nous représentons des femmes dont plusieurs sont soit aidantes auprès de personnes malades ou en perte d'autonomie, soit travailleuses dans le domaine de la santé, soit endeuillées par la perte d'un proche suite à une longue maladie. Les situations vécues touchent des personnes de tous les groupes d'âge, tant chez les malades que chez les proches.
Même si les cas médiatisés ces dernières années sont des situations extrêmes qui demeurent peu fréquentes, ils amènent les personnes à se dire qu'elles ne veulent pas vivre des choses semblables à la fin de leur vie. Toutes ces situations incitent à se poser de nombreuses questions. Quand la médecine ne peut plus rien faire pour nous, devrions-nous avoir le droit de mourir comme on l'entend, selon notre volonté, au moment voulu et en recevant l'aide du monde médical? Il en est résulté des propositions qui ont été soumises lors de nos assemblées générales annuelles. Ainsi, lors des congrès provinciaux d'août 2007, d'août 2008 et d'août 2009, des positions concernant la fin de vie ont été adoptées.
La population est de plus en plus vieillissante. Les histoires de souffrance et de désespoir se multiplient et nous ramènent à cette question essentielle: Que fait-on avec nos malades lorsque la douleur est devenue insupportable? Le Code criminel n'interdit pas les soins de fin de vie, que ces soins entraînent ou non la mort du malade. Et «soulager» ne veut pas dire «aider à mourir». Les cas où le médecin doit recourir à la sédation complète, terminale ou continue, un long coma par les médicaments, sont plutôt rares, à notre connaissance. Le Code criminel ne s'applique pas à la sédation terminale. Ces traitements visent à soulager la souffrance et non à donner la mort. Cependant, les soignantes et soignants qui travaillent auprès des mourants veulent des règles plus claires, car la sédation pose parfois problème au point de vue moral.
Tout le monde désire que les derniers moments soient calmes et paisibles. Dans la réalité, les choses ne se passent pas toujours ainsi. À l'approche de la mort, les malades et les proches ont parfois du mal à se faire entendre. Et personne ne partage la même vision des choses quand arrive la fin d'une vie.
Donc, pour éviter qu'une agonie prolongée ne prive certaines personnes de leur dignité et du contrôle de leur vie, des voix s'élèvent pour réclamer des moyens qui permettent de mourir dans la dignité. Il est injuste de condamner quelqu'un à vivre contre son gré. La loi doit être adaptée de manière à traiter avec compassion les désirs clairement énoncés des personnes qui estiment que leur maladie incurable sape leur dignité et la valeur de leur vie. Pour un grand nombre, ce qui prime, c'est l'autonomie des personnes.
En fait, au Québec, quand la mort approche, on intervient même plus qu'ailleurs. Cependant, il y a de grandes disparités dans les services offerts et un manque de ressources malgré la politique en soins palliatifs de fin de vie, politique publiée par le ministère de la Santé et des Services sociaux en juin 2004. Rappelons que cette politique avait quatre grands objectifs: une équité dans l'accès aux services partout au Québec, une continuité de services entre les différents sites de prestation, une qualité des services offerts par des équipes interdisciplinaires et une sensibilisation des intervenantes et intervenants au caractère inéluctable de la mort.
**(10 h 20)** Au cours des derniers mois, nous avons entendu des prises de position de groupes de professionnels du domaine de la santé. Des reportages, des mémoires et de nombreux articles ont été publiés. Ils nous ont fait constater qu'il existe de la confusion dans les termes utilisés et les réalités qu'ils définissent, tant chez les professionnels que dans la population. À tel point que nous croyons qu'il serait nécessaire de s'assurer d'une formation adéquate et uniforme pour les professionnels. Les aidantes et les aidants, de même que toute personne impliquée activement auprès de ces patientes et patients devraient aussi bénéficier d'un support adéquat. Les personnes travaillant dans les médias devraient aussi actualiser leurs connaissances, car au cours des derniers mois nous avons pu constater une méconnaissance du sujet chez ces gens bénéficiant d'une large audience.
Le Dr Marcel Melançon, professeur de l'Université du Québec à Chicoutimi et membre fondateur du Comité régional de bioéthique du Saguenay--Lac-Saint-Jean, constate, dans son livre Mourir dans la dignité?, qu'une part importante de citoyennes et de citoyens est favorable à l'euthanasie et qu'il y a une progression remarquable dans l'opinion publique quant au droit de choisir sa fin de vie. Un sondage Léger Marketing effectué du 16 au 19 août 2010 va dans le même sens. Cependant, face à l'ignorance constatée, et que nous mentionnons dans le paragraphe précédent, on peut se questionner sur la validité de ces affirmations.
Pour le Dr Marcel Boisvert, gériatre et médecin en soins palliatifs maintenant retraité, la question à se poser est: Existe-t-il des circonstances où, pour soulager la souffrance intolérable d'un mourant, on peut, à sa demande express, écourter sa vie? Pour le Dr Boisvert, parler d'euthanasie, c'est revendiquer la présence du caractère sacré de la personne sur celui de la vie.
La vie est sacrée, mais assister un être humain à mettre fin à ses jours à sa demande ne deviendrait-il pas aussi un acte sacré de compassion? Il faudrait absolument s'assurer que la personne n'est pas en détresse psychologique, qu'elle a reçu le support médical et affectif ainsi que l'aide spirituelle reliée à ses croyances. Mais ce dernier recours ne pourrait pas être envisagé sans soins palliatifs de qualité, nécessaires pour permettre à la personne de faire un choix éclairé. Le droit à des soins palliatifs de qualité et accessibles à toute personne en fin de vie ne s'oppose pas au droit de mourir dignement. Il le complète.
Par ailleurs, force est de constater une grande disparité dans l'accessibilité aux soins palliatifs. Ces soins ayant pour but de soulager la douleur, de contrôler les symptômes d'inconfort et d'apporter soutien, réconfort et accompagnement aux personnes malades et à leurs proches sont de première importance pour la dignité de la personne. Et, là aussi, on constate une grande méconnaissance. Pour un même soin, certaines personnes le définiront comme bonne pratique, alors que d'autres l'assimileront à l'euthanasie.
L'AFEAS demande au ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec d'assurer le développement et l'accessibilité aux soins palliatifs afin que toute personne qui choisit d'y avoir recours puisse y avoir accès dans son milieu. Au gouvernement fédéral, nous demandons des amendements au Code criminel.
Lors du dernier congrès provincial de l'AFEAS, qui se tenait les 19, 20, 21 août dernier, les délégués ont remis à l'étude pour le congrès de 2011 la proposition suivante: «Nous demandons au ministre de la Santé et des Services sociaux l'aide médicale active à mourir comme soin approprié de fin de vie pour une personne qui en a préalablement exprimé le choix de façon libre et éclairée, qui est en perte d'autonomie ou qui souffre d'une maladie incurable, invalidante ou qui éprouve des douleurs physiques ou mentales aiguës sans perspective de soulagement.» C'est un sujet qui est très émotif. Il nous touche tous de près, et la réflexion doit se faire au travers de tous les échanges, en espérant un consensus.
Les points qui ressortent de nos ateliers sont:
Ne pas être maintenus en vie de façon artificielle lorsqu'il n'y a pas d'espoir de guérison;
Que le médecin communique honnêtement les informations au sujet de leur état de santé;
Avoir le temps de mettre leurs affaires en ordre;
Résoudre les conflits;
Faire leurs adieux aux gens qu'ils aiment;
Ne pas être un fardeau pour leurs proches.
Ce qui s'est dégagé lors des délibérations au congrès du 19, 20, 21 août 2010, c'est que les membres AFEAS souhaitent une réflexion et un débat public sur la question de mourir dans la dignité. La commission est une première réponse à nos attentes, et nous espérons qu'elle fournira un éclairage pour bien clarifier les enjeux touchant la fin de la vie et la façon de la vivre et proposera des solutions pour un meilleur accès à des soins palliatifs de qualité. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Chartrand, pour votre premier témoignage devant la commission spéciale. Je suis maintenant prêt d'ouvrir une période d'échange avec les membres de la commission. Et je vais commencer avec... à ma droite, et Mme la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Mesdames, vous avez bien brisé la glace. J'avoue que j'ai un parti pris, et je le fais... On est enregistrés. Je vous avoue que je suis un peu excitée de ne pas être filmée, mais c'est un autre sujet.
Les femmes ont toujours eu comme préoccupation la vie, la mort et, je rajouterai, la pauvreté. Et je pense que l'AFEAS s'est toujours penchée avec beaucoup de justesse sur ces propos.
Vous faites depuis 2005 une réflexion qui nous bouscule, nous, dans nos émotions et notre façon de voir la vie, puisque la mort en fait partie, dans notre réflexion de parlementaires, mais, vous, vous le faites en tant que regroupement depuis 2005. Je vous en félicite. Je pense que le travail que l'AFEAS a accompli, qu'elle soit provinciale ou locale, est un travail important. Cheminer est une obligation qui n'est pas simple dans la vie. Et je vais rajouter: les mères, les femmes sont au coeur de la vie, puisqu'elles ont, plus souvent qu'autrement, des décisions à y prendre dès le début. Alors, merci de briser la glace, vous le faites bien.
Vous le cernez bien aussi en disant qu'il y a un enjeu. Il y en a plus qu'un, mais l'enjeu d'éclairage de cette commission est important. Je pense qu'on se devra nous-mêmes de se faire une tête après avoir entendu plus de 200 personnes, mais, l'enjeu, vous le cernez bien à la fin de votre mémoire, sur le fait que la société est prête, et la société veut faire le tour de cette question.
Il y en a une qui a sûrement été abordée dans vos colloques, et j'aimerais vous entendre là-dessus, qui fait partie un peu de la réflexion globale de ce sujet, c'est-à-dire le testament de fin de vie. Je me demandais si, au sein des différents colloques que vous avez eus, il y a eu un petit peu plus de pointu par rapport à ce document qui pourrait aider ou être mis en place pour cette réflexion de gens aptes ou inaptes à faire face à leur fin de vie, en ayant pour eux-mêmes un testament de fin de vie.
**(10 h 30)**Mme Grossinger-Vaudry (Solange): O.K.
Le Président (M. Kelley): Peut-être juste vous identifier, pour les fins d'enregistrement, s'il vous plaît.
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): Oui. Je suis Solange Grossinger-Vaudry. Nous ne... L'AFEAS ne s'est pas posée... Mettons, on n'a pas pris de position concernant le testament de fin de vie. C'est certain, lorsque nous avons eu, dans notre guide d'animation, le sujet, nous en avons parlé, mais nous n'avons pas pris de position là-dessus.
Le Président (M. Kelley): M. le député des Îles-de-la-Madeleine.
M. Chevarie: Merci, M. le Président. Merci, mesdames, pour la qualité de votre mémoire. Ce que j'ai pu... J'avais fait lecture avec une grande attention de votre mémoire, et évidemment votre exposé est fidèle au document qui nous a été transmis. Je comprends que vous êtes plutôt favorables à l'idée qu'il y ait une assistance médicale pour quelqu'un qui désire... dans certaines conditions où la mort est imminente ou encore que l'autonomie est à son plus bas niveau, qu'il puisse recevoir de l'aide, qu'il soit assisté médicalement pour abréger sa vie.
Vous dites dans votre exposé et vers la fin de votre mémoire que vous souhaitez consulter vos membres au congrès de 2011. J'aimerais savoir, par rapport à la position que vous exprimez aujourd'hui, qui est plutôt favorable, comment est-ce que vous allez défendre cette idée-là auprès de l'ensemble de vos membres, ou simplement que vous allez uniquement chercher à valider la position que vous avez prise soit en exécutif ou en conseil d'administration.
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): Donc, pour répondre à votre question, c'est certain que qu'est-ce qu'on a apporté, c'est déjà des positions que les membres ont adoptées lors des congrès passés, et c'est pour ça que, comme ça a été écrit à la fin, ça a été reporté à l'année prochaine parce que les membres n'ont pas voté sur cette position-là. Il est certain que qu'est-ce qu'on a apporté, c'étaient des positions déjà faites. Je comprends votre question. C'est sûr qu'on va avoir à y travailler aussi, et la commission devrait nous apporter des réponses aussi pour préparer ce congrès-là.
M. Chevarie: ...savoir à quel moment se tient votre congrès en 2011.
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): C'est toujours à la fin du mois d'août. Les dates exactes... Ça va avoir lieu à Victoriaville à la fin du mois d'août, toujours vers le 18 août, environ.
M. Chevarie: Merci.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous, mesdames. On a lu votre mémoire avec beaucoup d'intérêt. Et je suis très heureuse de voir l'issue de vos ateliers. Parce que, bon, je suis une femme, et puis, quand on se retrouve entre nous, on a des échanges différents que lorsqu'on est avec tous les membres de la population, et j'ai pu le constater lorsque j'ai vu les points qui ressortent lorsque vous faites des ateliers, parce que j'imagine que vous avez des membres de tous les groupes d'âge, des jeunes, des gens de mon âge puis des plus vieux. Alors, je voyais qu'il y avait des points qui ressortaient, qui étaient essentiels pour vos membres, à savoir qu'il ne faut pas maintenir de façon artificielle une personne lorsqu'il n'a plus d'espoir de guérison. Alors, pour vous, l'acharnement thérapeutique est... En tout cas, le maintien en vie avec des respirateurs, par exemple, c'est quelque chose qui n'est pas... ce n'est pas quelque chose que vous favorisez.
Vous avez parlé aussi tout à l'heure d'avoir le temps de mettre ses affaires en ordre. Ça, je trouve ça intéressant, parce que justement la maladie n'arrive pas toujours de la même façon, et il y a des maladies qui sont beaucoup plus... qui annoncent une fin beaucoup plus rapide que d'autres. Alors, pour vous, ça, c'était un élément essentiel pour avoir un mourir plus... plus, comment dirais-je... plus acceptable pour la population.
Vous avez parlé aussi de résoudre les conflits. Ça, c'est toujours délicat. Je dois vous dire que, moi, je suis parlementaire, mais, dans une autre vie, j'ai eu le privilège d'être bénévole dans une maison de soins palliatifs pendant deux ans, alors, le sujet qui nous préoccupe, je l'ai vécu à titre de bénévole au chevet de grands malades. Et la résolution de conflits, c'est vrai que c'est quelque chose qui prend beaucoup de... qui prend une dimension débordante lorsqu'arrive la fin de la vie. Mais j'ai toujours dit, moi, personnellement, que l'on meurt comme on a vécu. Malheureusement, ce n'est pas comme dans les films, et on ne résout pas tous les problèmes sur notre lit de mort, si on peut dire.
Vous avez parlé aussi de faire des adieux aux gens qu'ils aiment, et j'imagine que c'est pour ça que vous êtes en faveur d'un meilleur réseau de soins palliatifs au Québec. Alors, j'aimerais vous entendre par rapport à cet aspect de votre présentation. Comment vous, vous percevez l'offre des soins palliatifs au Québec, par rapport à ce que nous pouvons avoir en ce moment?
Mme Tremblay (Lise): ...palliatifs, il serait important aussi qu'ils soient dans les régions. Alors, la demande, aussi, dernièrement à nos congrès était que les soins palliatifs soient aussi disponibles dans les régions, alors que ce n'est pas toujours le cas. Et on trouve que c'est une belle fin aussi d'avoir vraiment l'avantage de profiter d'une place comme ça, et ce n'est pas donné à tout le monde, dans les régions, de profiter de ces services-là.
Mme Gaudreault: Et, pour vous, lorsque vous mentionnez dans votre mémoire que... Pour avoir accès à l'euthanasie, il faudrait d'abord pouvoir privilégier des soins palliatifs avant de prendre une telle décision qui nous mènerait à l'euthanasie. Est-ce que je comprends bien ce que vous avez voulu nous présenter?
Mme Tremblay (Lise): Bien, peut-être pas nécessairement en ce sens, mais c'est sûr qu'il faut avoir un suivi. Alors, être en soins palliatifs et aussi avoir de l'accompagnement, ce serait comme important aussi, là, d'être accompagné.
Mme Gaudreault: Maintenant qu'on parle des soins palliatifs, j'avais encore... Je ne sais pas si on a beaucoup de temps encore, M. le Président?
Le Président (M. Kelley): Quelques minutes.
Mme Gaudreault: D'accord. Alors, vous avez parlé, dans votre mémoire, de la sédation. On va parler des grands sujets qui touchent l'euthanasie, le suicide assisté et les soins palliatifs, parce que, vous savez... Vous dites dans votre mémoire que les soignantes et les soignants qui travaillent auprès des mourants veulent des règles plus claires, car la sédation pose parfois des problèmes du point de vue moral. Est-ce que vous pouvez m'éclairer un peu par rapport à ce que vous faites référence quand vous dites «un point de vue moral», par rapport à la sédation?
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): Je ne sais pas exactement quoi vous répondre, parce que je ne travaille pas dans ce milieu-là, premièrement. Peut-être, je comprends mal votre question aussi. Peut-être la répéter autrement? Je ne sais pas.
Mme Gaudreault: Je veux juste... je veux juste... Du point de vue de votre mémoire, vous avez certainement échangé avec des soignants et des soignantes, là, qui oeuvrent auprès des personnes en fin de vie, et il est souvent question de sédation. Vous savez, on en a beaucoup parlé avec les experts. Les médecins, les médecins spécialistes parlent beaucoup de cet aspect qui pourrait être un soin en fin de vie, la sédation palliative, cette sédation qui peut permettre d'atténuer la souffrance, les douleurs. Vous avez dit dans votre mémoire que vous aviez... Vous disiez que, d'un point de vue moral, ça pouvait poser problème, alors je voulais juste que vous m'éclairiez un peu.
**(10 h 40)**Mme Grossinger-Vaudry (Solange): Certaines personnes, c'est ça, qui travaillent dans le milieu hospitalisé, étant donné qu'il n'y a pas de directive et de... banalisée, peuvent trouver que ce n'est peut-être pas moral, O.K.? Et, si je... L'autre phrase d'après, c'était la préséance, là. Ça fait que c'est pour ça que la sédation, ça se fait déjà présentement -- c'est moi... je parle pour moi, quand j'entends des cas vécus, des gens qui ont passé du temps dans les maisons de soins Pallia-Vie. Donc, c'est déjà là. Mais une meilleure connaissance serait peut-être... C'est peut-être une meilleure connaissance qui est demandée.
Mme Gaudreault: Est-ce que c'est tout, M. le Président? Alors, vous...
Le Président (M. Kelley): Il reste le temps.
Mme Gaudreault: Je vais faire un dernier commentaire, juste pour bien comprendre, là. Parce que chaque personne qui vient présenter son mémoire aura certainement... sera déterminante par rapport à l'issue de cette commission. Alors, je veux bien comprendre votre message ce matin. Alors, ce que vous nous dites, vous aimeriez qu'il y ait un encadrement plus clair par rapport à ce soin de fin de vie qui est la sédation. Alors, pour vous, ça, c'était une recommandation de vos membres. C'est bien ça?
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): Oui.
Mme Gaudreault: Je comprends bien? Alors, merci beaucoup, M. le Président.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui. Alors, à mon tour, je souhaite vous dire qu'on est très heureux de vous avoir ici. Et d'ailleurs je ne l'ai pas mentionné tout à l'heure, mais l'AFEAS a contribué à mettre l'enjeu vraiment sur la place publique, parce que, l'automne dernier, l'AFEAS avait pris position et demandait un vaste débat public. Donc, dans tous les éléments que, comme parlementaires, on avait à considérer, à savoir si le temps était venu, évidemment il y avait les prises de position du Collège des médecins et des fédérations et il y avait notamment votre position comme association quand même très représentative et qui est dans le décor, dans la société québécoise, depuis longtemps. Donc, je suis heureuse qu'on débute avec vous parce que vous n'êtes pas étrangères au fait qu'aujourd'hui on se retrouve ensemble pour débattre de la question.
Peut-être pour rester un peu dans les mêmes eaux, sur la question de la sédation terminale, c'est sûr que ça peut avoir l'air très technique, mais c'est une question très importante. Et je veux juste, pour qu'on s'entende tous bien, parce qu'on sait que les termes sont très importants, lire la définition qu'on a mise dans le document de consultation, sur la sédation terminale, qui est définie comme l'«administration d'une médication à une personne, de façon continue, dans le but de soulager sa douleur en la rendant inconsciente jusqu'à son décès».
Et la raison pour laquelle je pense que vous soulevez, fort à propos, que ça peut engendrer des questions d'ordre moral, c'est qu'en fait c'est un peu vu comme le soin palliatif ultime, quand il n'y a rien d'autre qui peut être fait pour soulager la douleur. Et on va entendre beaucoup de regroupements de médecins et on va avoir beaucoup de questions par rapport à ça parce qu'effectivement il y a des questions qui se posent, à savoir, quand on parle de zone de gris, et tout ça, où est la nuance entre dire à quelqu'un: On ne peut pas te donner la mort par injection, mais par ailleurs tu souffres tellement, tu as des symptômes réfractaires, tout ça, donc ce qu'on va faire en fait, c'est qu'on va t'endormir jusqu'à ce que tu meures. Et évidemment je pense qu'il y a une question qui se pose là. Et, moi, comme citoyenne, parce que vous représentez une association de femmes, de citoyennes, je veux comprendre si, de votre point de vue, il y a une différence entre une telle procédure avec, par exemple, une demande d'euthanasie ou si, pour vous, ce sont des pratiques qui se ressemblent.
Mme Bourgouin (Nicole): Je pense que ce sont des pratiques qui se ressemblent.
Le Président (M. Kelley): Mme Bourgouin.
Mme Bourgouin (Nicole): Mme Bourgouin, oui. Pour moi, ce sont des pratiques qui se ressemblent, oui. Il faudrait peut-être... De toute façon, je crois qu'aujourd'hui, déjà, ça se pratique aussi dans certains hôpitaux.
Mme Hivon: C'est ça. En fait, c'est un gros débat, puis on va en reparler, parce que, quand vous mettez... Je pense que le Collège des médecins, et tout ça, nous interpelle aussi, pas juste pour la question de l'euthanasie, mais tout ce continuum de soins de fin de vie. Parce qu'effectivement, la sédation terminale en elle-même, il y a des protocoles dans les hôpitaux, et tout ça, mais il n'y a rien de règle connue. Et les personnes inaptes peuvent, autant que les personnes aptes, en fait, être soumises à une sédation terminale. Et donc c'est une question, pour nous, qui est importante parce que c'est souvent un argument aussi qui est invoqué, dire que ça fait partie des soins palliatifs, donc que c'est déjà là. Mais les questions éthiques et morales sont là aussi.
Je veux vous amener sur la question de l'opposition que l'on voit parfois entre les soins palliatifs et la question de l'euthanasie. Certains disent: Bien, pourquoi parler d'euthanasie? Le vrai débat, en fait, ce sont les soins palliatifs, s'assurer que tout le monde puisse avoir accès à des bons soins de fin de vie. Pour vous, est-ce que ces deux questions-là s'opposent ou est-ce qu'elles sont sur un continuum? Est-ce que, selon vous, si tout le monde avait accès à de bons soins palliatifs, la question de l'euthanasie perdrait toute sa pertinence ou si elle demeure quand même... je dirais, elles doivent évoluer côte à côte?
Mme Bourgouin (Nicole): ...elles sont différentes quand même, oui. Il va y avoir une évolution dans chacune des...
Mme Hivon: O.K. Alors, pour...
Mme Bourgouin (Nicole): ...les soins palliatifs et l'euthanasie, oui, parce que ça peut être différent pour les cas des... personnels, là, des malades.
Mme Hivon: Donc, pour bien comprendre votre position, vous, vous êtes d'avis que quelqu'un, même s'il a les meilleurs soins palliatifs, il peut quand même vouloir être aidé à mourir, par exemple.
Mme Bourgouin (Nicole): Oui. Mais une personne, aussi, ne peut pas être... nécessairement être aux soins palliatifs et avoir besoin aussi de demander à quelqu'un pour l'aider à l'euthanasie aussi, là. Il y a ça aussi, là.
Mme Hivon: Et, quand vous dites... Parce que vous parlez un peu des raisons qui pourraient faire en sorte qu'une aide médicale balisée à mourir pourrait être une option. Je veux comprendre, parce que c'est sûr que des fois on pose des questions pointues, mais on veut bien comprendre les positions: Est-ce que, selon vous, la mort doit être imminente? C'est-à-dire, est-ce qu'une personne, par exemple, qui est en perte d'autonomie grave, une maladie dégénérative, mais qui en aurait encore pour un certain moment à vivre pourrait, dans votre optique, pouvoir bénéficier d'une aide médicale à mourir, ou si, selon vous, il faut avoir une situation où la mort est annoncée, elle est imminente et qu'elle est irréversible? Je ne sais pas si vous me suivez? Parce que c'est quelque chose qu'on entend beaucoup. Dans quelles circonstances on voudrait permettre une telle aide? Dans quelles balises on voudrait que ça puisse s'opérer? Est-ce que vous pensez que... Parce que, quand j'ai lu vos recommandations ou les éléments de discussion, vous ne faites pas la nuance. Donc, selon vous, est-ce que c'est le jugement de la personne par rapport à sa capacité uniquement ou s'il doit y avoir, par exemple, une perspective de mort imminente qui est annoncée?
Mme Bourgouin (Nicole): ...jugement de la personne, je crois, au départ. C'est ça qui est important, c'est le jugement de la personne.
Mme Hivon: Dans ce débat-là... Parce que vous savez qu'il y a deux pôles vraiment importants, il y en a qui disent: C'est le caractère sacré de la vie, et d'autres disent, je dirais: le caractère sacré de la personne individuellement. Vous, vous êtes de l'opinion que c'est l'autonomie de la personne d'abord et avant tout qui est la valeur à privilégier?
Mme Bourgouin (Nicole): Oui.
Mme Hivon: O.K. Je vais céder la parole à ma collègue.
Le Président (M. Kelley): À Mme la députée de Marguerite-D'Youville.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Bienvenue, mesdames, merci de contribuer à ce débat très important. Et je sais que l'AFEAS, étant présente partout au Québec, est en mesure de contacter énormément de femmes qui sont très fortement interpellées par ces questions.
Moi, je vais en venir à une question que vous soulevez dans votre mémoire, qui n'a pas été soulevée souvent, la question de la formation des aidants et des aidantes -- vous parlez surtout des aidantes. Vous la soulevez en disant, bien sûr, la question de la formation des professionnels... Mais, dans les débats... Parce qu'avec le type de gens, de personnes que vous rejoignez, il y a ces aidantes-là qui sont présentes dans vos échanges. Comment elles ont manifesté ce besoin de formation? Et comment, selon elles, cette formation-là pourrait être obtenue?
Le Président (M. Kelley): ...pour la question, Mme Grossinger-Vaudry?
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): Oui. Bon. Concernant la formation, c'est certain que, quand on en parle, il y a beaucoup de personnes qui se retrouvent aidants et aidantes du jour au lendemain. Donc, on n'a peut-être pas les mesures, les ressources humaines de savoir comment peut se faire cette formation-là auprès des personnes touchées, parce qu'on est... Mais je vous dirais que ça nous a été apporté lorsque les gens ont vécu des situations où est-ce que leurs proches sont décédés. Et souvent ils sont restés comme... Après le deuil, ils sont restés un peu amers de cette situation-là, si vous voulez.
**(10 h 50)**Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Est-ce que vous voyez, entre ces personnes-là et l'équipe médicale qui suit la personne malade, qu'il pourrait y avoir là une réponse aux besoins de formation ou aux besoins... le comment faire quotidien, là, qui fait en sorte que...
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): Il devrait... C'est ça, il faudrait avoir une équipe, je pourrais dire, volante, là, qui pourrait se promener au niveau du Québec, là, pour aider ces personnes-là qui peuvent vivre justement les... qui sont proches de personnes qui sont sur le point de mourir. Ça fait que, comme ça, ils seraient comme plus... On n'est jamais prêt à la mort, peu importe, là, peu importe le métier qu'on fait aussi, là, mais ça pourrait aider, à ce moment-là, d'être mieux outillé pour prendre soin. Et, si on est aidant, aidante, c'est parce que la personne est en grande perte d'autonomie, aussi.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci. Une autre question. Dans vos recommandations, vous demandez «au ministre de la Santé et des Services sociaux l'aide médicale active à mourir comme soin approprié de fin de vie pour une personne qui en a préalablement exprimé le choix de façon libre et éclairée». À une question de ma collègue tout à l'heure, vous avez répondu ne pas avoir débattu de la question du testament de vie. Quand vous dites que la personne doit avoir exprimé «préalablement le choix de façon libre et éclairée», vous voyez ça comment? Parce que, bien sûr, on a les personnes aptes à intervenir, mais on a aussi les personnes inaptes, auxquelles on ne veut pas diluer un droit qu'on pourrait accorder aux autres. Alors, comment vous voyez que pourrait s'exprimer ce choix de façon libre et éclairée, si vous n'avez pas traité la question du testament de vie?
Mme Bourgouin (Nicole): C'est chaud comme sujet. On le sait qu'on a beaucoup de choses à revoir dans ces termes-là, là. Il y a beaucoup de travail à faire. Et c'est toujours moral, aussi, ça reste toujours moral, hein?
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Mais, pour vous, là, si on essaie d'aller un petit peu plus loin, une personne qui est inapte, comment vous voyez... À travers vos discussions, les gens qui les ont côtoyées, ces personnes en difficulté, pour énoncer clairement leur choix, comment vous voyez que ces personnes peuvent donner des indications sur leur choix? Parce que c'est vraiment une question qui est un enjeu du débat actuellement.
Mme Bourgouin (Nicole): Oui, il faudrait que ces personnes-là... Je veux dire, c'est à nous personnellement de penser à faire un testament. Que ce soit écrit dans un testament, ce serait qu'est-ce qu'il y aurait de mieux à avoir. Mais c'est à travailler pour chacune, là, et chacun, là.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Je comprends que vous affirmez dans votre document que le congrès qui s'en vient pourra compléter votre réflexion, mais je pense que c'est une question qui mérite vraiment d'être creusée. Parce que vous dites clairement dans votre mémoire: il faut assurer ce droit-là, mais que ce droit-là soit encadré, et ça fait partie des questions soulevées dans le cadre de la réflexion sur l'encadrement nécessaire.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. À mon tour de vous remercier pour votre contribution à cette réflexion fort importante. Deux petites questions très rapidement qui font référence plutôt aux dernières pages de votre mémoire. On peut y lire notamment que les délégués auront la possibilité, lors du prochain congrès, de se pencher de nouveau sur la question. On y lit notamment que la question a été remise à l'étude pour l'année prochaine. Est-ce à dire qu'on n'a pas su, lors de vos dernières assises, trouver le consensus nécessaire pour vider la question? Donc, première question.
Et, deuxième question, sous-question, dans le même paragraphe, on étend la notion d'«aide assistée à la mort» aux personnes qui sont en perte d'autonomie ou qui souffrent de douleurs qui ne sont pas traitables. Jusqu'à maintenant, les gens qui ont défendu le concept d'euthanasie l'évoquaient dans un contexte où la mort était imminente, où elle était inévitable. Vous élargissez plutôt la question de façon notable. Donc, j'étais tout simplement intéressé à vous entendre sur la réflexion que vous avez pu conduire jusqu'à maintenant sur le sujet.
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): Donc, c'est que, concernant la réponse pour le congrès, nous avions fait des positions les années précédentes, et c'était pour des propositions à apporter au fédéral, tandis que, des positions à apporter pour le Québec, nous n'en avions pas fait telles quelles. Et c'est pour ça que les membres ont demandé de mieux réfléchir à la question, qu'ils ont approuvé une position, et de revenir sur le sujet l'année prochaine, O.K.?
Pour la deuxième question, je pourrais vous dire qu'au nom de l'organisme on n'a peut-être pas avancé des choses, mais, dans notre texte, on veut peut-être encadrer plus pour être mieux, que, si ça peut être banalisé, on ne se retrouve pas à refaire le même ouvrage plus tard, à ce moment-là. C'est pour ça peut-être que notre phrase inclut d'autres...
Le Président (M. Kelley): M. le député de Mercier, avez-vous une question à poser?
M. Khadir: Des questions toute simples. Je viens de comprendre donc, d'après les commentaires de ma collègue de Joliette, que vous avez été un des premiers groupes nationaux à prendre position. Ça demande du courage, compte tenu des enjeux éthiques importants et des débats que ça soulève, qui sont très sensibles.
Je voudrais comprendre la position que vous avez développée, que vous avez prise, qui essentiellement, pour le résumer, est favorable à ce qu'on puisse, bien sûr en le balisant, établir un cadre précis dans lequel des gens qui souffrent puissent trouver les meilleurs soins de fin de vie, y compris celui de se voir soulagés durablement et même de pouvoir être assistés dans leur mort.
Est-ce que cette position-là est partie à partir de... mettons, dans les discussions, l'expérience que vous en avez eu des intervenantes, celles qui ont fait la promotion de ça partaient de principes, c'est-à-dire du principe d'autonomie? C'était à partir de considérations, je dirais, de principes moraux ou éthiques qu'on partait, dans vos débats, ou c'était l'expérience des femmes, les témoignages, le vécu de gens qui avaient passé à travers ça et qui en étaient arrivés à la conclusion, à partir de leur expérience, qu'il fallait aller, s'orienter globalement, socialement, vers ça?
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): En 2005, nous avions justement le sujet d'étude: le suicide assisté, mourir en toute dignité, et plusieurs AFEAS ont organisé des colloques ou des conférences. Et c'est suite à ces démarches-là que les propositions ont été apportées au congrès. Donc, nous avons eu... Moi, j'ai été à l'AFEAS de Val-David, nous avions eu une conférence. À ce moment-là, il y en avait eu aussi faites par l'AFEAS à Anjou. Et après, quand nous sommes allées en congrès, c'est là que les propositions ont été établies. Et c'est un peu, c'est certain, les gens, leur vécu ou... les vécus de certaines personnes.
M. Khadir: D'accord. Donc, si je comprends, il y avait beaucoup, dans cette réflexion, qui venait de l'expérience individuelle des femmes qui avaient passé à travers des situations qui les mettaient dans cette réflexion, d'accord.
Maintenant, pour pousser la logique, simplement... pas parce que... Enfin, pour faire un peu l'avocat du diable, si on veut, imaginons que de plus en plus le contexte médical clairement puisse établir que des gens souffrent moralement, c'est-à-dire psychologiquement, sans aucune souffrance physique mais d'un tel niveau de souffrance psychologique que c'est hors de notre portée pour les guérir, ils sont inconsolables, ils sont intraitables dans leur souffrance morale. Est-ce que vous pensez qu'on pourrait à ce moment-là accepter que ces personnes puissent avoir ce droit? Enfin, comment, comme société, on devrait à ce moment-là les assister, si ces personnes ont le désir de mourir pour mettre fin à leurs souffrances psychologiques?
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): ...on regarde à la dernière page, quand on dit: «que le médecin communique honnêtement les informations au sujet de leur état de santé», donc c'est certain que, si la personne est en détresse psychologique, là, donc il faut être sûr que le médecin nous le confirme, aux gens qui sont autour de cette personne-là. Si la personne a des troubles psychologiques puis elle peut peut-être dire oui une journée et non l'autre journée, on va avoir besoin de l'aide du médecin, là.
M. Khadir: Donc, votre position n'est pas limitée uniquement aux conditions de maladie ou de souffrance physique, c'est ça? Les grandes orientations des...
Mme Grossinger-Vaudry (Solange): Ça pourrait arriver, oui.
M. Khadir: Très bien. Merci.
**(11 heures)**Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Et, avant de terminer, je veux souligner, l'AFEAS, votre encouragement de la participation citoyenne, et je pense qu'on peut dire «citoyenne» dans tous les sens du terme. Et je veux faire écho à une couple des commentaires qui ont été faits par les collègues autour de la table dans votre recommandation d'une... qui ont «préalablement exprimé» le choix d'une «façon libre et éclairée». Je sais que vous avez... vous allez poursuivre votre réflexion. Et, je pense, ça, c'est les choses qui sont très importantes, parce que des opposants... les personnes soulèvent les questions quant au changement d'idée, de changement d'opinion. Alors, je pense qu'il faut continuer une réflexion. C'est une suggestion que je fais au nom des membres de la commission, de continuer une réflexion: comment ce consentement libre et éclairé peut être obtenu, parce que, je pense, c'est un élément très important dans le débat. Je sais que vous avez des assises pendant l'année et l'année prochaine, alors, en toute humilité, je veux proposer ça comme une piste de réflexion pour les membres de l'AFEAS.
Et, sur ça, je vais juste dire merci beaucoup pour votre présence ici aujourd'hui, pour être les premières pour casser la... briser la glace.
Je vais suspendre quelques instants et je vais demander des représentants de Vivre dans le dignité de prendre place à la table.
(Suspension de la séance à 11 h 1)
(Reprise à 11 h 5)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Le deuxième groupe devant nous aujourd'hui, c'est Vivre dans la dignité, représenté par Dr André Bourque, Dr Patrick Vinay, Mme Linda Couture et Dr Marc Beauchamp. Je ne sais pas qui va commencer. Est-ce que c'est vous, Mme Couture, ou...
Vivre dans la dignité
M. Bourque (André): M. Kelley.
Le Président (M. Kelley): O.K. Parfait. Alors, monsieur... Dr André Bourque, la parole est à vous.
M. Bourque (André): Merci, M. Kelley. Merci, Mme Hivon. C'est un plaisir pour nous de venir présenter devant la commission... Nous vous en remercions. Nous vous avons remis le mémoire, dont vous pourrez prendre connaissance, si ce n'est déjà fait. Et nous allons brièvement vous dire qui nous sommes, autour de la table, et ce que nous représentons.
Alors, je vais d'abord vous présenter les personnes. Je suis Dr André Bourque, président de l'organisme Vivre dans la dignité. À ma gauche, Mme Linda Couture est la directrice générale de ce réseau. À ma droite, Dr Patrick Vinay est vice-président du conseil d'administration de Vivre dans la dignité. Le Dr Vinay est médecin, il est un praticien, un expert des soins palliatifs. Il a été... Je veux présenter brièvement les personnes, vous dire qu'il a été président du Fonds de recherche en santé du Québec durant cinq ans. Il a été doyen à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal durant huit ans. À ma gauche, Dr Patrick Beauchamp, médecin... Marc Beauchamp est médecin orthopédiste. Pour ma part, je suis médecin omnipraticien, en pratique depuis 1973. Je suis chef du Département de médecine générale du CHUM.
Alors, je commence par trois courtes affirmations qui résumeront, je pense, notre position. D'abord, la dignité de la personne n'est pas bien servie par l'option de donner la mort directement et intentionnellement. Deuxièmement, l'euthanasie, ce n'est pas nécessaire. Troisièmement, la dépénalisation de l'euthanasie est dangereuse.
Et je cède la parole à Mme Beauchamp... à Mme Couture, pardon, qui va vous expliquer qui nous sommes.
Le Président (M. Kelley): Mme Couture.
Mme Couture (Linda): Oui. Bonjour, Mmes, MM. les commissaires. Notre réseau est né d'une initiative citoyenne regroupant des individus et des organisations ayant la volonté commune de promouvoir les valeurs de solidarité humaine dans le débat actuel sur l'euthanasie, le suicide assisté et les soins en fin de vie.
Qui nous sommes. Nous sommes un organisme québécois autonome à but non lucratif, non religieux, sans affiliation politique, dont les actions sont centrées exclusivement sur les questions de fin de vie. Nous sommes incorporés à Montréal depuis le 19 mai dernier. Notre site Internet est en ligne depuis la fin juin.
Donc, depuis un an, un groupe de personnes et d'experts réfléchissent sur la question de l'euthanasie, du suicide assisté et des soins de fin de vie, et prennent position afin de promouvoir une fin de vie naturelle, digne et respectueuse de la personne. Au mois d'avril dernier, le projet de loi C-384, proposé par la députée fédérale Francine Lalonde, demandant de légaliser l'euthanasie a été défait massivement sur un vote à la Chambre... lors d'un vote à la Chambre des communes. Nous croyons qu'au Québec nous devons demeurer vigilants afin que l'euthanasie et le suicide assisté, interdits par le Code criminel, n'entrent pas clandestinement dans notre système de santé public déguisés en traitement médical souvent appelé «aide médicale à mourir».
Mmes, MM. les commissaires, en mai dernier, vous avez invité la masse silencieuse à participer à ces auditions, à participer à ce débat de société sur les questions délicates et complexes de la fin de vie et de la mort. Vivre dans la dignité souhaite donner une voix à cette masse silencieuse. Notre réseau regroupe des personnes de tous les milieux, de simples citoyens, des membres d'organisations publiques, des professionnels de la santé, des gens d'affaires, des groupes de jeunes ainsi que des représentants d'organismes sociaux, communautaires et ethnoculturels.
Notre mission est de promouvoir la protection de la vie et de la dignité inhérente et inaliénable des personnes rendues vulnérables par la maladie ou la vieillesse en leur assurant un accompagnement empreint de compassion.
Notre vision, c'est que nous croyons en une société où tous et chacun ont la possibilité de vivre dans la dignité, une société solidaire qui assure à ses citoyens et citoyennes une fin digne et naturelle, respectueuse de la personne.
**(11 h 10)** Je ne passerai pas à travers tous les objectifs -- on a huit objectifs, et il y a une petite erreur de petit pointage ici -- mais en fait je vais relever les principaux. Vous l'avez dans votre pochette qu'on vous a remise, qui fait l'objet de notre manifeste que les gens ont signé. Je vais souligner, entre autres, qu'on veut encourager une approche globale dans notre système de santé, une approche qui soit respectueuse des patients, de leurs proches et du bien collectif, qui est très important, dans un esprit de solidarité sociale. Nous voulons promouvoir l'accès à des soins appropriés, contrer aussi bien l'acharnement thérapeutique que l'euthanasie et le suicide assisté, et protéger le lien de confiance médecin-patient ainsi que le rôle universellement reconnu des professionnels de la santé. Nous voulons promouvoir une éducation populaire sur les enjeux importants en fin de vie, promouvoir un cadre législatif et éthique opposé à l'euthanasie et au suicide assisté.
Vivre dans la dignité réalise ces objectifs en poursuivant une démarche axée sur l'action publique. Vivre dans la dignité sensibilise le grand public et les médias aux enjeux relatifs à l'euthanasie et au suicide assisté ainsi qu'aux soins appropriés et acceptables en fin de vie. Vivre dans la dignité informe les personnes et les différents organismes préoccupés par l'euthanasie et le suicide assisté afin de les aider à mieux cerner l'information qui alimente le débat sur les soins de qualité en fin de vie. Notre réseau conseille aussi et accompagne les individus et les organismes qui souhaitent mieux comprendre les questions de soins de fin de vie en leur proposant l'apport de conférenciers chevronnés qui témoignent de leur expérience. Vivre dans la dignité encourage le réseautage et collabore à l'échange et la diffusion d'information auprès du public et de ces organismes préoccupés par ce débat de santé et de sécurité publique. Vivre dans la dignité mobilise ses partenaires afin de favoriser l'avancement de notre cause auprès d'un plus grand nombre et facilite la mobilisation citoyenne par l'organisation de campagnes de sensibilisation et de marketing social. Notre première campagne s'intitule Faisons-nous entendre -- Affichons nos couleurs, et c'est dans cette optique que nous sommes ici aujourd'hui.
On a plusieurs outils à offrir aux personnes qui sont intéressées. On a un site Internet qui est aussi bilingue. On a des dépliants d'information, présentations PowerPoint. Et en fait je voudrais amener votre attention sur un quiz qu'on a mis en ligne. Ce n'est pas un sondage qu'on a mis en ligne, comme on entend beaucoup de sondages qui circulent au Québec, mais vraiment pour aller tester les connaissances des gens. On a cinq questions en ligne. Et je vous inviterais à aller l'essayer. Et c'est très révélateur et... Parce que, les statistiques qu'on entend dans les médias, qui disent que finalement les gens n'ont pas vraiment accès aux soins palliatifs, eh bien, ça le démontre. À une des questions... La plupart des gens ont zéro à la question qui demande quel est le pourcentage des gens qui ont accès aux soins palliatifs. Et aussi, au niveau des... confusion au niveau de la terminologie. Donc, c'est intéressant d'aller vérifier. Puis, on va continuer à récolter des... les résultats de réponse.
Donc, notre campagne Faisons-nous entendre -- Affichons nos couleurs a déjà accumulé près de 1 500 voix de personnes qui se sont fait entendre, et cela, en seulement deux mois, et pendant les mois d'été. Et nous croyons que ce n'est que le début. Je reçois énormément des témoignages. On a même reçu des copies conformes des mémoires que vous avez reçus à la commission, parce que les gens ont su de bouche à oreille, via le site Internet, qu'on existait et ils voulaient nous laisser savoir qu'ils étaient derrière nous. Et donc on sait qu'il y a des gens qui vont parler et qu'ils sont du même point de vue que nous. Donc, ils ont voulu nous laisser savoir... Mais il y a 1 500 personnes, individus, qui ont quand même rempli le manifeste.
Notre réseau témoigne d'une mobilisation citoyenne qui désire se faire entendre haut et fort. Un réseau qui affiche ses positions, ses couleurs et qui rappelle aux instances de santé publique et aux politiciens leurs devoirs et leurs responsabilités face aux personnes rendues vulnérables par la maladie ou la vieillesse. Donc, c'est une question de santé publique et de sécurité publique.
Donc, je vous remercie de votre attention. Je vous invite maintenant à écouter Dr Vinay, et Dr Bourque, qui va vous présenter le contenu du mémoire. Merci.
Le Président (M. Kelley): Dr Vinay.
M. Vinay (Patrick): Mesdames, messieurs, bonjour. Nous voudrions reformuler de façon lapidaire, peut-être plus simple, le contenu d'un mémoire qui est assez volumineux, de telle sorte que, peut-être, les idées maîtresses vous apparaissent le plus clairement possible.
Nous voudrions commencer par vous dire que ce qui nous anime ici, c'est un désir de protection des plus faibles et des plus malades. Il ne s'agit pas ici d'un débat idéologique, il s'agit d'un débat pratique, qui a des conséquences importantes pour les membres de notre société qui sont malades.
Nous entendons largement que l'euthanasie est en fait le dernier droit à revendiquer: Je veux mourir comme je le veux. C'est mon droit de demander et d'obtenir que l'on m'achève si je ne veux pas vivre ces derniers moments de la vie que je présume, que je vois, loin de moi, comme étant souffrants.
Plein de confusion dans ce débat, à tous les niveaux, et ce n'est pas facile d'y voir clair. La première confusion, c'est qu'on ne revendique pas un droit. Le tenant de l'euthanasie, en fait, souhaite abandonner son droit, son droit à des soins efficaces, son droit à des soins continus, son droit à une fin de vie confortable. Et il va donner ce droit à un autre pour qu'il puisse achever sa vie comme il le voudra, sans même savoir si cette fin de vie sera meilleure ou pire pour lui, pour ses proches, pour sa famille.
Grande confusion dans le public. Tout ce qui traite la fin de la vie devient de l'euthanasie? Non. L'euthanasie, c'est très clair, c'est un geste par lequel on abandonne volontairement les multiples outils qui rendent possible le soulagement des malades pour préférer une mort volontairement administrée.
Confusion chez les médecins. Vous en avez entendu parler beaucoup. À mon avis, nos collègues ne sont pas forcément plus éclairés sur ce que c'est que l'euthanasie vis-à-vis d'autres concepts tout aussi importants, comme l'interruption de traitement, l'acharnement thérapeutique, évidemment.
Et puis, surtout ce qui nous frappe, c'est que ce discours est très fermé. Où sont, dans ce discours, les personnes fragiles? Où sont les membres de la famille? Où sont les fils et les filles qui pensent différemment sur la fin de la vie? Où sont les petits drames, au fond, qui se vivent autour de la mort? Voyez-vous, la fin de la vie n'est pas seulement une période d'ombre et de souffrance. C'est aussi une période riche qui permet au mourant et à ceux qui l'entourent de vivre une expérience profondément humaine, si on réussit à enlever et la souffrance et la douleur, et ceci est largement possible.
Mais en fait ce qu'on n'entend jamais, c'est que l'euthanasie va probablement, si elle est légalisée de façon large, créer beaucoup plus de problèmes qu'elle va en régler. Pourquoi? Parce que, là, ça va changer très profondément l'horizon de notre système de santé, parce que ça va pousser plus avant la perte de confiance du public envers ceux qui sont là pour les aider. Ça va causer une croissance des deuils pathologiques, des deuils pleins de culpabilité, dont il est difficile de sortir. Cela va participer à dévaloriser l'inviolabilité des droits des patients. Cela va rendre les lieux de refuge, qui doivent être des lieux sécuritaires, comme des lieux suspects, et, chaque geste des soignants, on se demandera si ce geste est vraiment un geste pour aider ou si ce n'est pas la dernière piqûre qui, sans qu'on nous le dise bien clairement, vient d'arriver. Cela va accroître le cynisme ambiant, les droits des uns étant présents pour bafouer, jusqu'à un certain point, les droits des autres. Et enfin cela va freiner le développement de soins palliatifs à travers la province.
En quelques mots, ce sont rarement les patients qui demandent l'euthanasie. Et, quand ils le demandent, c'est parce que leurs symptômes sont mal contrôlés. Faites en sorte que la douleur parte, faites en sorte que la douleur... que la souffrance soit allégée, faites en sorte que leur sentiment de perte de la dignité soit allégé, parce qu'ils répondent aux soins affectueux de leurs familles et de leurs proches, et la demande d'euthanasie disparaît. La demande d'euthanasie est surtout celle qui nous est véhiculée par des bien-portants, ceux qui regardent, loin devant eux, une fin de vie dont ils ont peur, dont ils ne connaissent pas les tenants et les aboutissants, et qui n'ont pas confiance que l'on puisse réellement les aider, que la médecine puisse effectivement les aider. Quand je dis «la médecine», je veux en fait dire «les soins palliatifs», qui sont beaucoup plus larges que seulement la chose médicale.
Enfin, je voudrais vous indiquer que le geste euthanasique est un geste qui n'est pas sans importance. Il s'agit de demander à un autre de vous donner la mort. Tuer a toujours été un geste extrêmement difficile, pour une raison simple: il a des implications et des effets sur la personne qui pose ce geste. Nous voyons constamment des patients qui viennent nous dire: Vous lui avez donné la dernière piqûre de morphine, et elle est morte, et qui s'en sentent malheureux et coupables: J'aurais dû arrêter ce geste. La morphine ne tue pas, mais le geste euthanasique tue. Et ils auront non seulement la crainte de ne pas avoir arrêté le geste, mais la certitude que ce geste était un geste euthanasique.
Lorsque l'on regarde les conséquences d'un meurtre dans la famille, dans les proches, la division des frères qui ne veulent pas qu'on tue leur maman parce qu'ils l'aiment trop contre ceux qui voudraient que l'on tue leur maman parce qu'elle souffre trop, ou du moins le pensent-ils, cela crée une difficulté considérable. Or, maman, elle peut parfaitement mourir dans la paix, dans la dignité, même si elle revendique pour elle-même le droit de mourir maintenant. Il y a des alternatives à l'euthanasie, qui sont des alternatives possibles, qui ne tuent personne et qui laissent les personnes en fin de vie finalement partir de cause naturelle.
Je termine en vous disant que ce que nous souhaitons, ce sont des soins appropriés sur tout le territoire, ce sont des milieux sécuritaires où les gens vont pouvoir entrer, vont pouvoir se confier aux mains des soignants sans avoir peur que quelque part on va leur faire du tort ou qu'on va les achever. Et on veut respecter le désir des personnes qui souhaitent mourir autrement, mais non pas en leur proposant de mourir, mais en leur proposant des alternatives qui sont aujourd'hui possibles, au cours duquel, bien sûr, elles vont être extraites des souffrances dont elles se plaignent et qu'elles vivent si cruellement. Je vous remercie.
**(11 h 20)**Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Vinay.
M. Bourque (André): Alors, je poursuis.
Le Président (M. Kelley): M. Bourque... Dr Bourque.
M. Bourque (André): Oui. Alors, nous avons...
Le Président (M. Kelley): Il vous reste environ cinq minutes.
M. Bourque (André): Environ cinq minutes, c'est parfait. Nous avons un débat qui se centre principalement sur la question de l'autonomie de la personne et qui s'illustre à partir de cas d'espèce, principalement du contexte des soins palliatifs, où la souffrance, ou la douleur, ou même le désir de ne plus vivre motiveraient qu'on donne la mort directement. On ne parle pas ici d'arrêt de traitement non voulu. Lorsque le patient ne veut plus d'un traitement essentiel pour maintenir sa vie, si simple et si petit soit-il, un respirateur, une canule, un soluté, de l'oxygène, un médicament, on cesse ce qu'il ne veut pas, et le patient meurt de sa maladie. Ce n'est pas d'euthanasie, mais d'arrêt de traitement.
Quand on veut introduire dans les soins l'acte qui donne directement et volontairement la mort, il y a une réalité beaucoup plus large à considérer que l'autonomie de cette personne. Il y a à considérer les effets sur l'autre à qui l'on demande de faire le geste. Et je parle ici, comme Dr Vinay, des soignants et je parle de la relation médecin-patient, qui sera abîmée. Il faut considérer aussi les effets pervers de la caution sociale à ce geste. Et les deux sont d'une grande importance. L'introduction de l'euthanasie va mettre en danger beaucoup de personnes, surtout parmi celles qui sont seules, faibles et démunies.
En médecine, lorsqu'on introduit un soin ou une technique, surtout si elle est simple -- et l'acte de donner la mort est un acte qui est simple et efficace -- ça a cours, et on les utilise.
Des milliers de personnes vieillissantes et malades à domicile, en centre hospitalier de soins de longue durée particulièrement, ne reçoivent actuellement pas les soins auxquels elles ont droit dans les dernières années de leur vie, et particulièrement en toute fin de vie. Leur nombre va croître. Nous allons bientôt être dépassés par les soins à donner. L'euthanasie rendue légale va amener une dépréciation de la valeur des soins envers les personnes démunies et les mettre à risque. Comment... Quelle valeur accordera-t-on à l'effort investi pour accompagner, pour soutenir, pour soigner, nourrir ce patient âgé en fin de vie, quand, dans une autre famille, on aura opté pour l'option de donner la mort?
Les familles, les soignants aussi, les malades vont inévitablement se questionner sur l'option de l'euthanasie si elle est introduite dans tous les cas de vieillissement avec maladie. On ne va pas juste vous faire signer un papier qui vous demande vos volontés de fin de vie en ce qui concerne la réanimation cardiorespiratoire. On va avoir des formulaires qui vont vous demander si vous voulez l'euthanasie dès que vous allez être admis en hôpital. C'est un processus subtil et sournois qui va transformer nos attitudes envers les personnes démunies, déprécier la valeur de l'investissement solidaire dont on a tant besoin dans les soins présentement, modifier notre regard sur la personne. Dans les attitudes, dans le discours, des pressions se feront sentir sur la personne faible pour qu'elle envisage d'abréger sa vie.
Et, lorsque cette personne, qui demande beaucoup de soins et qui n'a jamais voulu qu'on mette fin à ses jours, sera non seulement atteinte physiquement, intellectuellement, mais qu'elle sera incontinente, qu'elle sera malpropre, qu'elle sera désagréable, n'y aura-t-il pas des soignants, des familles qui prendront les moyens pour que l'euthanasie, rendue légale, s'impose?
Aucun mécanisme de contrôle ne va empêcher les abus. Les abus envers la personne âgée sont déjà préoccupants dans notre système de santé. L'euthanasie deviendra la forme ultime de l'abus, sauf que c'est une forme irrémédiable. Dans le milieu des soins et dans les familles, des personnes peu scrupuleuses apprendront comment obtenir le consentement en contournant habilement les mesures de contrôle qui auront été mises en place. Elles apprendront comment mettre subtilement la pression sur le malade pour qu'il en vienne à consentir. On apprendra comment leurrer les médecins dans leurs évaluations. Les décisions de fin de vie en médecine se prennent très rapidement, tout se passe très vite.
Quand on aura introduit une forme de... comme celle-là, on aura introduit une discrimination de classe. Pourquoi? Car ce sont les personnes handicapées, faibles et démunies qui seront les plus à risque d'abus. L'euthanasie va donc engendrer des problèmes encore plus graves que ceux que l'on prétend régler. Elle est présentée comme un progrès de société, alors qu'elle n'est qu'un mirage trompeur, empreint de fausses promesses et d'effets pervers. Un des devoirs premiers de toute société civilisée n'est-il pas de protéger la vie des personnes faibles?
On réclame l'euthanasie surtout parce que les familles ne reçoivent pas les soins efficaces appropriés ou parce que les familles ne sont pas accompagnées dans cet espace de fin de vie. L'euthanasie n'améliorera pas les soins. Il nous semble clair que l'euthanasie ne saurait en aucune circonstance être un soin, que l'euthanasie mine gravement la solidarité sociale, porte atteinte aux droits des personnes faibles et démunies et les met en danger, que la société québécoise et canadienne doit rejeter tout changement législatif pro-euthanasique. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Bourque. Peut-être, avant de passer à la période d'échange avec les membres de la commission, juste une nouvelle un petit peu triste. On vient d'apprendre la démission de notre collègue Claude Béchard, ministre de l'Agriculture et député de Kamouraska-Témiscouata, à cause de l'état de sa santé. Alors, je veux juste assurer notre collègue Claude que tous les membres de la commission pensent à lui dans son épreuve très difficile. Et bon courage, Claude. Parce que c'est quelqu'un qui a siégé à l'Assemblée nationale depuis 12 ans et qui est confronté par une terrible maladie. Alors, une pensée spéciale à notre ami Claude.
Sur ça, exceptionnellement, je vais commencer notre échange avec Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Merci, M. le Président. Bienvenue. On est très heureux de vous entendre. Je pense que vous êtes un exemple éloquent de personnes qui ont décidé de prendre la parole, de se mobiliser pour une question qui les touchait, qui les interpellait de manière plus personnelle ou plus professionnelle. Et, comme on l'a dit, nous, on est ici pour entendre tous les points de vue de ceux qui veulent s'exprimer, et vous l'avez fait de manière très articulée. Alors, je vous en remercie sincèrement.
Puisque par ailleurs vous êtes des gens si articulés, et qu'évidemment ici on est là pour confronter les points de vue, et que vous savez qu'on a commencé à avoir l'éclairage de plusieurs experts, c'est certain qu'on a des questions, je pense, en tout cas je parle pour moi, assez pointues. Parce qu'on est en plein coeur du débat. Je pense que vous situez très bien les termes du débat. Et c'est très polarisé, on le sait. Donc, je vais vouloir regarder quelques éléments avec vous.
Vous demandez où sont les familles, où sont les proches dans tout le débat. Bien, moi, j'ai espoir qu'on va les entendre ici. D'ailleurs, aujourd'hui et demain, il y a plusieurs témoignages de familles, de proches et de gens, aussi, directement concernés. Et donc je pense, en tout cas j'ai ce souhait, qu'on va pouvoir aussi les entendre, parce qu'effectivement c'est parfois la majorité silencieuse, et on est ici pour entendre la majorité silencieuse.
On est aussi ici pour entendre les gens qui sont directement concernés par cette question-là. Et ça m'amène à ma première question. Vous dites en fait que l'euthanasie n'est pas nécessaire, si je suis votre propos, parce que, dans l'arsenal des soins palliatifs de fin de vie, il y aurait des soins qui pourraient venir à bout à peu près de toutes les douleurs ou les souffrances, ou des techniques. Mais comment...
**(11 h 30)** Voyez-vous, nous, on est des parlementaires et on se fait interpeller par des gens au quotidien qui nous disent qu'ils ont accompagné des proches qui souffraient, qui demandaient de mourir, qui étaient parfois bien accompagnés en soins palliatifs mais n'en pouvaient plus de cette souffrance qu'elles... la douleur physique, la souffrance existentielle. Et, moi, je veux bien comprendre. Quand vous dites qu'on peut éliminer pratiquement toute douleur, toute souffrance, est-ce que vous faites ultimement référence à la sédation terminale? Et, si oui, je veux que vous m'expliquiez, pour le commun des mortels, la différence entre dire à quelqu'un: On ne peut pas mettre fin à ta vie, parce que ça, c'est prohibé. Ce qu'on peut t'offrir, c'est de t'endormir jusqu'à ta mort, et comme ça tu ne souffriras plus. Il y a des gens qui nous disent: Elle est où, la différence dans les faits, de dire: En fait, on va te prolonger en t'endormant jusqu'à ce que tu puisses mourir, versus, aujourd'hui, tu veux qu'on arrête, tu sais que tu vas mourir dans une semaine ou dans deux semaines, tu n'en peux plus, on va l'arrêter aujourd'hui?
M. Vinay (Patrick): C'est un bon exemple, madame, hein? On voit très clairement que la question n'est pas pour le malade. La question est pour la famille qui voit ce malade qui est maintenant comateux, tout à fait en fin de vie, incapable de se prononcer pour lui-même, qui demande que l'on raccourcisse, que l'on achève. Et là on peut dire à la famille: Écoutez, ce malade qui est maintenant tellement malade qu'on ne peut pas dire qu'il est apte, qu'il ne pourrait pas signer un document qui soit un document légal, qui dit qu'il est souffrant et qu'il veut sortir de cette souffrance-là, nous avons ce qu'il faut pour l'en sortir. Et, en l'en sortant, il n'y aura pas personne dans cette famille qui va se dire: J'ai contribué à tuer mon papa, ou ma maman, ou mon oncle, ou ma tante, nous l'aurons sorti en l'anesthésiant. C'est une anesthésie générale qui dure aussi longtemps qu'il soit nécessaire, et il va très probablement mourir des causes naturelles qui l'auraient emporté au cours de cette sédation palliative. C'est quelque chose d'assez exceptionnel, d'extrêmement utile. Toute souffrance mérite d'être soulagée, même la souffrance existentielle, et les sédations que l'on dit de fin de vie ne sont pas des outils euthanasiques, mais ce sont des outils de compassion réelle quand il n'y a pas d'autre chose à faire.
Mme Hivon: En fait, je pense qu'on peut vous suivre d'un point de vue, je dirais, médical, parce qu'effectivement vous allez dire que l'intention, c'est de soulager et non pas de mettre fin à la vie, on le conçoit. Certaines personnes se sont fait entendre et on dit: Mais, dans le fond, parfois, le soulagement ultime peut être aussi de mettre fin à la vie. C'est un postulat de certains, O.K.? Moi, ma question, juste pour revenir... Vous parlez beaucoup de la famille. Je le comprends quand la personne est inapte, mais il y a des cas -- et d'ailleurs on va en entendre -- de personnes qui sont aptes mais qui, en fait, estiment que leur souffrance est maintenant démesurée et voudraient mettre fin à leur vie, et en fait ce qu'on peut leur proposer à l'heure actuelle, c'est la sédation terminale. Mais une personne apte peut dire: Moi, ce n'est pas ça que je veux. Je ne veux pas qu'on m'endorme jusqu'à ce que mort s'ensuive, je voudrais qu'on mette fin à ma vie. Donc, moi, je veux comprendre, pour la personne qui est apte.
Et le deuxième volet, toujours sur la question de la sédation terminale, c'est justement des médecins... Vous savez, le Collège des médecins, les associations nous ont dit: Il y a des zones grises, et, nous, des fois il faut se questionner sur ces zones grises là. Et la sédation terminale, elle est disponible justement pour les personnes inaptes aussi. Et, dans le fond, ces personnes-là n'auront pas décidé de vouloir être endormis jusqu'à la fin, mais ça, en ce moment, de ce que je comprends, ça peut se faire, là, de manière exceptionnelle, mais ça peut se faire. Alors, il y a quand même une absence, je dirais, de certaines balises. Ce n'est pas quelque chose sur quoi la société a réfléchi, pour les personnes inaptes, de savoir si c'est un soin approprié. Donc, j'aimerais que vous me répondiez: Pour la personne apte, qu'est-ce qu'on fait? Et, pour la personne inapte, en fait des tierces personnes peuvent prendre des décisions aussi importantes que la sédation terminale, et donc ça, c'est tout à fait légal dans le cadre actuel?
M. Vinay (Patrick):«Docteur, papa ne nous aimait pas assez pour continuer.» Voilà une personne apte qui demande à partir. Il n'a pas eu beaucoup de contacts avec sa famille et en particulier avec ses jeunes enfants. Ça n'a pas été bien discuté. Il décide de partir, d'interrompre le traitement qui le maintient artificiellement en vie, il n'en peut plus. On lui donne une sédation terminale parce que c'est ça qu'il... c'est la seule chose qui va le sortir de sa détresse actuelle. «Papa ne nous aimait pas assez.» Voyez-vous, chaque fois que l'on pose un geste, on ne pose pas un geste pour seulement ce patient-là, on pose un geste pour ce patient et ceux qui sont autour de lui, qui gravitent autour de lui, qui sont en relation avec lui, qui l'aiment ou qui sont en conflit, et ce geste a des conséquences en dehors. Lorsqu'on réfléchit sur le suicide, on réfléchit sur les conséquences du suicide sur la société, sur la fratrie, sur la famille. Est-ce qu'on réfléchit sur les conséquences du meurtre? Est-ce qu'il y en a? Nous, nous pensons qu'il y en a très probablement, et probablement bien plus que l'on ne pense. Et donc nous pensons que, si l'on réussit à donner une solution qui n'est pas irréversible et qui n'est pas un meurtre, nous passons à côté. Nous évacuons un certain nombre de problèmes qui vont rebondir fatalement et de façon importante. Il y a plus qu'une question de philosophie.
M. Bourque (André): Il faudrait être certain que...
Le Président (M. Kelley): Dr Bourque.
M. Bourque (André): ... -- oui -- que cette demande ne soit pas liée à un défaut d'expertise de soins aussi, parce qu'actuellement l'expertise des soins palliatifs n'est pas assez étendue. Et on parle beaucoup des milieux de soins palliatifs, on parle très peu des milieux de soins de longue durée. C'est là que meurent la plupart de nos personnes, et il y a très peu d'expertise dans ces milieux-là. Il manque de ressources qualifiées pour beaucoup des étapes. Ensuite, il faut faire attention aussi à écouter le discours de la personne qui meurt. Les demandes à mourir, il faut les interpréter, aussi. Beaucoup de patients disent, quand ils se meurent: Bien, est-ce que ça va finir bientôt? Je voudrais que ça finisse bientôt. Mais ce n'est pas une demande nécessairement pour que ça finisse bientôt, c'est une demande d'aide, c'est une demande d'accompagnement. Il faut recevoir ça et apprendre ce que veulent dire les paroles.
Mme Couture (Linda): ...commentaire.
Le Président (M. Kelley): Mme Couture.
Mme Couture (Linda): Oui. J'ai entendu publiquement le fait... Je ne sais pas si vous êtes capables de répondre à la question, si on peut poser des questions ici. Les tenants de l'euthanasie, j'ai entendu dernièrement qu'apparemment les demandes de personnes aptes, comme vous le mentionnez, qui désirent décider à l'avance... On a entendu des cas spécifiques à Québec qui demandent l'euthanasie. On nous a dit que c'étaient très peu de personnes qui le demandaient, c'était même de l'ordre de 1 % à 2 %. Moi, ma question, c'est: Est-ce qu'on change une loi, est-ce qu'on légalise un acte de donner la mort à quelqu'un pour une minorité de 1 % ou 2 %? Au contraire, je pense qu'on doit les accompagner mieux et focusser justement sur les soins en fin de vie pour ces personnes-là, les mieux accompagner du point de vue psychologique.
Moi, j'ai une mère qui fait de l'alzheimer. On parle de... tantôt, tout à l'heure, de l'inapte, des personnes inaptes, mais, moi, là, pourquoi j'ai été interpellée par cette commission-là, d'ailleurs, c'est que -- puis là je vais essayer de ne pas être émotive -- j'ai entendu Dr Lossignol, qui était ici, à Québec, dont vous avez rencontré justement. Je ne sais pas si, dans le cadre de sa présentation, il vous avait mentionné que finalement, après huit ans d'implantation de l'euthanasie, ils sont passés, en 2002, à 25 cas d'euthanasie active, hein, à... 2009, qui était dans les alentours de 925 à 950. Et, moi, ce qui m'a fait surgir le frisson dans le dos, c'est quand il a dit: Après huit ans d'implantation d'euthanasie en Belgique... Il ne vous l'a peut-être pas dit, mais il l'a dit publiquement à Montréal, c'est qu'il y a des demandes, maintenant, des personnes de familles qui ont des gens avec des cas de démence ou de l'alzheimer, comme ma mère, et même des enfants lourdement handicapés.
Donc, il faut faire vraiment attention à voir qu'est-ce qui se passe ailleurs. Il y a des cas... On travaille sur un développement d'un dépliant d'information, vous allez avoir les sources. Donc, ça va être important vraiment de se pencher sur qu'est-ce qui se passe ailleurs. On fait plein de recherches sur plein de choses. On prend le temps d'analyser les besoins.
Je pense que c'est le temps que vraiment on réfléchisse, un an, deux mois... Moi, j'ai des gens... un témoignage ici d'une dame que vous ne recevrez peut-être même pas son témoignage, qui est très touchant; un cas au Bas-Saint-Laurent, un homme de 40 ans qui est schizophrénique. Il me demandait de dire... Son titre, c'était: Quoi faire? Qu'est-ce que je peux faire pour vous aider? Je ne veux pas ça. C'est ces personnes-là qui sont à risque. Et les personnes qui sont les tuteurs... Comme mon père, qui a été séparé involontairement à cause de la maladie d'Alzheimer, qui voudrait que ça se passe à la maison, il voudrait la garder à la maison, mais ce n'est pas possible, à 82 ans. Il va la voir à tous les jours. Donc, c'est ces personnes qui ne prendront pas la parole, mais, nous, on prend la parole en leur nom.
Mme Hivon: Merci beaucoup. Merci. Hein, l'émotion est bienvenue ici, il n'y a pas de problème. Je veux juste... En fait, si vous avez des études, je vous le dis, on les veut, on est prenants... preneurs, parce qu'effectivement, depuis le début, on nous fournit des études, on nous parle de ce qui se fait ailleurs. Il y en a qui disent qu'il y a eu une augmentation. Il y en a qui disent: Au contraire, ça s'est stabilisé, il y a eu une augmentation des soins palliatifs et de la sédation plutôt que de l'euthanasie. Et, pour ce qui est des... Parce que je comprends qu'une de vos craintes c'est aussi de dire que l'euthanasie pourrait être dangereuse pour les personnes vulnérables. Donc, si vous avez des études, on est très preneurs.
Parce qu'on a rencontré Dr Annie Tremblay, que vous connaissez peut-être, qui est psycho-oncologue au CHUQ, donc au centre universitaire... hospitalier universitaire à Québec, et qui, elle, nous a fait part de certaines études qui disent que, dans les endroits où c'est... où ça a été légalisé, il n'y a pas eu d'impact significatif sur les personnes vulnérables, que, quand on regarde les gens qui se seraient prévalus de l'euthanasie, ce ne sont pas des gens... souvent, c'est des gens plus éduqués, bien entourés qui ont eu des soins palliatifs. Alors, je sais qu'on entend beaucoup l'autre version.
Donc, moi, je vous le dis, on a soif de tout ce qui est scientifique, études, pour comparer les choses. Des fois, il y a des études en médecine qui vont dans un sens comme dans l'autre. Nous, c'est important de pouvoir voir les deux côtés de la médaille et de bien se documenter, notamment sur les éléments étrangers, parce qu'il y a beaucoup de contradictions. Et ce qu'on a vu jusqu'à ce jour ne faisait pas état de ce que vous avancez, mais je ne remets pas en cause, je vous demande juste de nous assister là-dedans. S'il me reste du temps pour une dernière question...
**(11 h 40)**Le Président (M. Kelley): Très courte parce que... brûlent d'intervenir.
Mme Hivon: Oui. Dans votre approche... Je veux comprendre le rôle de la personne, parce qu'effectivement vous y faites référence, toute la question de l'autonomie de la personne, du caractère en quelque sorte sacré de la personne, et de la dignité, de comment elle l'évalue elle-même est très, très présente pour les gens qui, par exemple, sont tenants d'une approche qui permettrait l'euthanasie. Et, vous -- je veux bien saisir -- dans votre approche -- Dr Vinay, vous me corrigerez -- je comprends que vous dites: Il faut considérer la personne, mais il faut considérer son entourage au même titre ou... -- enfin c'est ça que je veux voir -- et il faut considérer la société. Donc, vous êtes un peu... C'est le coeur, aussi, je pense, de la confrontation entre les deux points de vue. Donc, je veux bien comprendre: Pour vous, est-ce que la personne continue à avoir une place centrale dans ses décisions de fin de vie ou si, je dirais, la famille, l'équipe soignante, tout ça a autant son mot à dire?
M. Vinay (Patrick): L'autonomie, madame, est un fruit qui pousse sur l'arbre de la dépendance. Si ma maman ne m'avait pas pris dans ses bras, si je n'avais pas eu des copains, des copines, des professeurs signifiants, des collègues intéressants qui, par leur regard sur moi, ont permis de savoir qui j'étais, je ne serais pas celui-là. Je dois à cette microsociété qui a été la mienne la vie que j'ai aujourd'hui, la personne que je suis aujourd'hui. Et, ayant bénéficié de cela, je réalise qu'à mon tour j'ai à rendre autonomes, comme ils sont, les autres autour de moi. Toutes décisions qui sont des décisions de ma vie sont en fait des décisions qui se prennent dans un contexte d'humanité: mes voisins, mon conjoint, mes enfants, mettez-les dans l'ordre que vous voulez, sont impliqués d'une façon ou d'une autre, même ma société.
Donc, regarder l'autonomie et de faire de l'autonomie quelque chose qui est une valeur tellement prédominante que l'on peut tuer l'autre ou charger l'autre de poids insupportables au nom de ma décision autonome est quelque chose qui, pour moi, n'a pas beaucoup de sens. Je pense que l'autonomie doit être regardée par le prisme de la responsabilité que nous avons les uns envers les autres. Oui, nous avons le devoir de respecter chacun dans tout ce qu'il est, au bout de ce qu'il est. Nous avons le devoir de le faire sans mettre en danger le plus pauvre que lui, le plus faible que lui.
Mais nous avons le devoir de l'entendre et nous avons le devoir de faire pour lui tout ce qui est possible. Tout ce qui est possible veut-il dire d'ouvrir de façon non discriminante la porte de l'euthanasie? Tout ce qui est possible veut-il dire offrir une solution alternative comme la sédation palliative bien proposée? Ce sont des choix. Ce que nous venons vous dire, c'est que le choix de la prudence ne nous semble pas le choix de l'euthanasie. Le choix d'un milieu sécuritaire ne nous semble pas le choix de l'euthanasie.
Et, dans un service comme le mien, lorsqu'un docteur va prendre ma place pour s'occuper du patient dans lequel j'ai eu trois ou quatre jours de soins intenses, est-ce que j'aurai confiance que lui va continuer ou que lui va tout d'un coup décider que c'est assez et que maintenant on part en euthanasie? Le lien de confiance soignant-soignant n'est plus là. Le lien de confiance patient-soignant n'est plus là. Est-ce que cela vaut la peine?
Oui, il y a des gens qui vont souhaiter, puis souhaiter de façon irréductible, et je ne les juge pas, de terminer leur vie maintenant. Oui, cela va exister. Ce que nous disons, c'est qu'il y a des alternatives et que ces alternatives ne causent la mort de personne, et quelque part elles protègent la sécurité du grand nombre, et c'est le fondement de notre position.
Le Président (M. Kelley): Une courte intervention, Dr Beauchamp, parce que j'ai d'autres collègues qui veulent poser des questions aussi.
M. Beauchamp (Marc): D'accord. Je vais dire simplement d'une autre façon un peu ce que mon collègue vient de dire. On a une assez grande expérience, à la maison, des soins de fin de vie: mon épouse est oncologue -- vous aurez peut-être la chance de la rencontrer demain. La question de l'autonomie de la personne, l'autonomie décisionnelle, elle est importante. Il faut valoriser la personne, qu'est-ce que la personne veut. De façon abstraite, on peut opposer ça avec les questions du groupe, de la famille, etc.
Mais, dans la vraie vie, ce qui se passe, c'est que, dans un contexte de solidarité, l'autonomie décisionnelle, elle est exaltée, elle n'est pas diminuée, dans un contexte de solidarité. Ce qui fait que... Ce qui me permet de dire... Par exemple, dans la pratique de mon épouse, en 17 ans, avec des patients qui sont entourés de soins, d'attention, puis vraiment de valorisation des personnes qui sont traitées, les gens ne demandent pas l'euthanasie, au contraire. Et pourtant ils le font de façon très autonome, ils auraient l'occasion de le faire. Il y en a moins que cinq qui l'ont dit ponctuellement, et, des gens qui l'ont dit de façon persistante dans la demande d'euthanasie, zéro en 17 ans. Pourquoi? À cause d'un contexte de solidarité, c'est-à-dire un contexte où il y a des soins appropriés et qui valorisent la personne, peu importe son état. C'est de ça qu'on parle, nous autres. C'est ça, l'alternative qu'on veut donner. On ne pense pas que l'euthanasie est nécessaire pour créer un contexte qui valorise la personne et sa prise de décision. Le contexte est celui où on offre des soins à une personne qui a une valeur infinie.
Mme Couture (Linda): ...
Le Président (M. Kelley): Non, non, je dois aller maintenant, malheureusement, Mme Couture... mais il y aura une occasion dans les... des réponses des autres. Alors, Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Alors, moi, Mme Couture, je vais vous donner la parole. Alors, vous pouvez ajouter votre point de vue.
Mme Couture (Linda): Vous n'avez pas une question en particulier? Non?
Mme Gaudreault: Non, allez-y, je vais venir après vous.
Mme Couture (Linda): Non, mais en fait ça suivait ce que le Dr Beauchamp dit. La dame, Mme Hélène, de la région des Laurentides -- elle a écrit quand même trois pages, je vais essayer de l'amener à vous l'envoyer, parce que, même si vous n'êtes plus ouverts nécessairement à avoir un mémoire, je pense, ça vaut la peine -- elle traite beaucoup de choses, entre autres, un extrait, elle dit, pour démontrer justement le manque de lits et de soins palliatifs, elle dit... Elle a une mère, elle prend soin d'une mère de 90 ans -- et je ne rentrerai pas dans tous les détails, d'où elle est partie, qu'est-ce qu'elle a fait d'une maison à l'autre -- elle dit: «J'ai demandé l'admission de Maman...» -- elle met même «maman» avec un grand M. «J'ai demandé l'admission de Maman à une des deux unités de soins palliatifs du secteur public dans ma région, qui sont réputées mais qui ne possèdent respectivement que huit et neuf lits. Ma demande a été refusée car on ne savait si maman répondait à la condition de n'avoir que trois mois maximum à vivre.» Donc, elle a pris des moyens dans un endroit privé. Et elle donne toute sa démarche, et c'est très, très, très touchant.
Mme Gaudreault: Alors, merci beaucoup, Mme Couture. Alors, à mon tour de vous souhaiter la bienvenue. Et on avait dit au tout début que les idées allaient s'entrechoquer, et je pense que vous en êtes une belle démonstration.
Je voulais vous rappeler, on a rencontré, dans le cadre de nos consultations, le Collège des médecins et la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Vous savez qu'ils ont tenu des sondages, et c'était assez surprenant de voir que 80 % des membres de la Fédération des... du Collège des médecins qui étaient en faveur d'une euthanasie. Il y en avait 50 % qui constataient que ça se faisait déjà, et 48 %... c'est-à-dire, 48 % disaient que ça se faisait déjà... 46 %, non. Alors, même au sein du corps médical, on peut voir qu'il y a beaucoup de travail de pédagogie à faire par rapport à la demande d'euthanasie comme un soin possible en fin de vie. Alors, tout ça pour dire que, s'il y a des citoyens qui sont un peu incertains, là, de leur position, même les professionnels de la santé le sont aussi. Alors, ça, c'est important de le préciser, à mon avis, à ce point-ci, parce qu'on est devant des médecins très reconnus, et vous avez une position très tranchée, mais ce n'est pas le cas de tous les médecins.
Je voulais aussi vous dire que, dans le cadre de nos consultations, on a rencontré aussi deux de vos confrères, les Drs Bergman et Arcand, qui travaillent beaucoup avec les personnes qui souffrent de l'alzheimer, et ils nous ont mis des... ils nous ont mis en garde par rapport à ces personnes, ces malades-là qui ont des situations particulières, par rapport à toute l'idéologie de l'euthanasie et du suicide assisté. Alors, moi, personnellement, je dois vous dire que cette présentation-là m'avait ébranlée, parce que c'est vrai qu'il faut vraiment regarder chaque maladie avec ses composants propres. Et l'alzheimer est vraiment quelque chose de spécial. D'ailleurs, Dignitas ne permet pas l'admission des malades qui souffrent de l'alzheimer, alors on ne peut pas offrir le service à ces personnes-là. C'est dire vraiment la complexité, là, de l'enjeu.
Je voudrais vous parler du testament biologique. Alors, vous, vous êtes des professionnels qui avons étudié vraiment pour vraiment permettre aux malades d'avoir une fin de vie la plus confortable possible, avec toutes les lois édictées par vos corps professionnels, et tout ça. On a même un psychiatre en oncologie qui est venu nous voir puis qui nous disait que souvent on est dans des cocktail partys, en pleine santé, puis on se dit: Ah! moi, si ça m'arrive, moi, ça, je ne veux pas ça, et ça, si ça m'arrive, je vais demander à ce qu'on écourte ma vie, et tout ça. Alors, souvent, on est en pleine santé au moment où on va rédiger notre testament biologique.
Je veux savoir, vous, Dr Vinay, Dr Bourque et M. Beauchamp, Dr Beauchamp, vous, quelle est votre position par rapport au testament biologique, lorsque quelqu'un arrive dans un établissement de santé et que ça va à l'encontre, peut-être, de vos positions à vous, des soins que, vous, vous auriez prodigués à cette personne-là? Comment est-ce que vous vous comportez?
**(11 h 50)**M. Bourque (André): Si vous permettez...
Le Président (M. Kelley): Dr Bourque.
M. Bourque (André): Oui, je vais répondre, là, mais avant je voudrais quand même faire un petit commentaire sur les sondages qui ont eu lieu au niveau de la Fédération des médecins omnipraticiens et des spécialistes du Québec. D'abord -- et je pense qu'il faut regarder le questionnaire, hein, le questionnaire était très biaisé -- les taux de réponse étaient de 23 % chez les spécialistes et de 14 % chez les médecins omnipraticiens, et je peux vous dire que ça reflète l'expérience que j'ai avec mes collègues.
Il ne faut pas penser, comme le Dr Vinay vous l'a dit, que les médecins sont plus avisés sur les distinctions entre l'arrêt de traitement et l'euthanasie; ils ne le sont pas. Ils ont des expériences des fois qui sont les leurs. J'ai un collègue qui, la semaine dernière, me disait: Maman... J'ai demandé: As-tu une position dans le débat actuel? On aimerait t'entendre. Il dit: Ah, bien, moi, je suis pour ça, l'euthanasie, parce que maman, elle avait beaucoup de pilules à la fin de sa vie, et j'ai décidé: ils vont toutes les arrêter, puis elle est morte pas longtemps après. Puis elle est morte de sa maladie, j'ai dit? Oui, elle est morte de sa maladie. Bien, j'ai dit: Ce n'est pas de l'euthanasie, c'est de l'arrêt de traitement. Alors, même les médecins sont confus dans ce débat. Et, je peux vous dire, même des oncologues à qui j'ai parlé ne semblaient pas avoir les idées très claires là-dessus, ils pensent que les soins palliatifs, c'est un peu de l'euthanasie. Ça n'en est pas. Il ne se pratique pas d'euthanasie en soins palliatifs, c'est faux.
Testament biologique. Vous pouvez écrire ce que vous voulez dans votre testament biologique. D'abord, ça n'a pas force de loi. On en tient compte toujours, hein? Et on le regarde, et on fait attention à ce que les personnes ont exprimé, et on essaie de respecter. Si vous avez demandé qu'on interrompe vos jours activement, on ne le fera pas. D'abord, c'est illégal présentement. Mais, en général, les décisions qui concernent... Les soins que vous ne voudriez pas, bien on ne va pas vous les imposer, ça, c'est certain, parce que ça, c'est fondamental, sur l'autonomie de la personne. Mais, si vous arrivez avec des choses farfelues dans le testament biologique, bien on va en prendre compte, on va essayer de revoir cela avec vous. Et ce que vous avez écrit un jour dans le testament biologique, bien on va le revoir au moment où ça va aller mal. Vous n'êtes pas... On n'est pas liés, puis, vous, vous n'êtes pas lié parce que vous avez écrit ces mots-là à ce qui était écrit, et que vous avez signé à un temps donné, et que vous ne voulez peut-être plus à une autre période de la maladie.
M. Vinay (Patrick): Peut-on rajouter que, lorsque l'on est un bien portant, on se fait une certaine idée de ce qui va se passer à la fin de la vie, et puis, tout à coup, voilà qu'on devient malade, et on a une longue évolution dans laquelle on se met à changer. Nos priorités changent, notre façon de voir change, et quelquefois ce testament biologique devient au fond... n'est plus représentatif de ce que le malade pense maintenant, s'il ne l'a pas mis à jour. Il faut donc non seulement un testament biologique, parce que je pense que c'est une bonne idée de dire ce que l'on veut, que c'est toujours une bonne idée d'exprimer le fond de sa pensée, que c'est toujours une bonne idée de dire qui on est, qu'est-ce qu'on privilégie, quelles sont nos valeurs, qu'est-ce que l'on souhaite, mais il faut, avec un testament biologique, quelqu'un aussi pour l'interpréter, quelqu'un qui va être là pour discuter et prendre votre place lorsque vous ne pourrez plus le défendre vous-même, quelqu'un qui vous aura vu évoluer, quelqu'un en qui vous avez confiance. Je crois que cela prend les deux.
Enfin, je vous rappelle que j'ai eu un malade, moi, qui est arrivé à la salle d'urgence après un accident d'automobile et qui priait tout ce qu'il pouvait pour qu'on n'ouvre pas son portefeuille, dans lequel il y avait un testament biologique. Il ne voulait qu'on fasse rien. En cas de cancer, mais pas parce qu'il avait juste les... un accident d'automobile, puis que là on pouvait en sortir facilement. Il faut quelqu'un pour interpréter, interpréter qu'est-ce qu'il voulait dire.
Évidemment, quand on se sert de ce testament biologique le lendemain qu'il l'a écrit, ce n'est peut-être pas nécessaire d'avoir quelqu'un pour interpréter. Mais, quand c'est après une longue maladie, souvent, oui. Je vous rappelle qu'il y a beaucoup de demandes d'euthanasie chez les bien portants, très peu chez les malades, et que tous les bien portants deviennent malades. Ils ont donc quelque part changé d'idée, et il faut tenir compte de cette réalité. Elle n'est pas... Nous ne sommes pas totalement inscrits dans un seul instant.
Mme Gaudreault: Est-ce que, docteur...
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Peut-être que...
Le Président (M. Kelley): Alors, Dr Beauchamp.
M. Beauchamp (Marc): Je veux juste mentionner... répéter un peu la chose encore une fois d'une autre façon. Le changement d'opinion, le changement d'idée sur... sur la mort, dans un processus de maladie, la norme, c'est que ça se modifie et ça change. Entre le moment où une personne se fait donner un diagnostic, par exemple, d'un cancer qui va faire perdre les cheveux, qui va donner toutes sortes de problèmes, la réaction qui va être là et la réaction qui va être là dans trois mois, dans six mois, dans un an, il y a une évolution constante. C'est la norme qu'il y a un changement dans le courant de l'expérience de la maladie. Donc, le testament biologique est important pour savoir d'où les gens partent, mais le prendre comme une vérité ultime et une opinion ultime qu'il faut absolument appliquer, ça demande une grande, grande, grande prudence, à cause de ce qu'on observe et qui est la chose la plus fréquente, c'est-à-dire que les gens changent d'opinion.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Bonjour. Je crois que vous avez fait le tour de plusieurs choses. Vous avez surtout parlé d'euthanasie, puisque je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, et j'ai lu avec beaucoup d'intérêt le mémoire que vous avez écrit. Je vous confirme qu'après avoir lu plusieurs mémoires il y a confusion dans les termes, il y a confusion dans plusieurs choses, et, pour reprendre un peu la phrase que vous avez dite tantôt, ce sont les bien portants qui parlent d'euthanasie, ce sont aussi les bien portants qui parlent de ne pas la mettre en place. Donc, nous, les bien portants, on a beaucoup d'opinions. Et, dans cette commission, on aura l'honneur et le privilège d'entendre des gens qui le sont moins, malheureusement, mais qui vont nous guider aussi dans leur réflexion de gens qui sont atteints de maladie difficilement curable.
Maintenant, dans votre mémoire, à la page 20, vous affirmez quelque chose qui m'a fait quelque peu frissonner, pour reprendre le terme de ma collègue de tantôt, parce que c'est une affirmation qui vient quand même de gens de profession médicale. Alors, à la page 20, dans la partie 4, vous affirmez, avec le ton qui venait avec le mémoire -- ne bougez pas que je m'y retrouve: «C'est alors qu'on envisage l'euthanasie comme une alternative possible et valable. Si la majorité des Québécois...» Ne bougez pas, je me retrouve dans ma phrase: «Nous en sommes responsables: nous n'assurons pas [le soin palliatif] de manière suffisante et universelle. La demande excède largement l'offre. Pourtant -- et c'est là où je commence à avoir des difficultés -- ces soins sont plus simples à organiser, et moins chers que bien d'autres traitements largement inutiles!» Là, j'ai arrêté au point d'exclamation parce que je pense que c'est exactement ce qu'il y avait dans mon cerveau à ce moment-là: un gros point d'exclamation.
Pouvez-vous plus m'éclairer ou me dire ce que vous vouliez dire quand vous dites qu'il y a des traitements largement inutiles qui sont utilisés?
M. Vinay (Patrick): Avec grand plaisir, madame. J'oeuvre dans un hôpital qui a un très gros centre d'oncologie. La majorité des malades qui aboutissent à notre unité de soins palliatifs viennent de l'évolution d'une longue maladie et de cancer. Les oncologues sont là pour se battre contre cette maladie, et ils vont le faire. Et ils vont le faire jusqu'à ce que leur boîte à outils soit vide ou à peu près vide. Puis, quand elle est rendue vide, ils ne savent plus très bien quoi faire avec ce malade et ils trouvent une façon, malgré le long lien de confiance qu'ils ont établi avec lui, ils trouvent une façon de nous le refiler: Prenez donc la suite, je n'ai pas le temps. J'en ai 20 autres, des myélomes multiples, à ma porte, il faut que je m'en occupe, alors c'est votre tour.
Entre le moment où l'oncologue a réalisé que les traitements étaient futiles et le moment où il propose des chimiothérapies, il y a une zone grise. Et nous voyons assez souvent des oncologues qui ne peuvent pas dire: Écoutez, madame, il y a peu de chances que cette 12e chimiothérapie, ou cette cinquième, ou cette quatrième chimiothérapie fasse quelque chose pour vous. On va vous donner ce qu'on appelle une chimiothérapie palliative, qui va quand même coûter 100 000 $ par année pour cette personne-là, qui n'ajoutera pas un jour à sa vie, qui va peut-être alourdir un peu son état de santé parce qu'elle va subir le poids de cette intoxication que l'on souhaite curative mais qui ne le sera pas.
**(12 heures)** Est-ce que ce ne serait pas plus simple d'avoir une idée beaucoup plus claire de l'inutilité de cette énième chimiothérapie et de prendre cet argent-là pour organiser des soins à domicile, qu'on puisse mourir à domicile, chez soi, avec une équipe qui nous donne le support dont on a besoin, pour que ce soit un geste et un acte qui se fassent dans la dignité, et puis qui se fassent dans la paix, puis qui se fassent bien entouré? La médecine à la maison et mourir à la maison, c'est notre avenir, en termes de soins palliatifs. Ce n'est pas l'hôpital. Et ce n'est pas cher à organiser. Nous allons tous mourir. Pourquoi on s'occuperait moins de la mort que de la naissance? Je vous assure que nos naissances sont extraordinairement bien encadrées, mais pas nos fins de vie.
Donc, ce que nous voulions dire ici, c'est que, si on prend des décisions qui sont plus éclairées sur la poursuite du traitement de patients cancéreux... Et je ne critique pas mes collègues oncologues. Je fais juste trouver bizarre que dans les comités d'oncologie il n'y ait pas un médecin de soins palliatifs pour proposer l'alternative aux malades. Il n'y en a pas. Nous ne sommes pas là. Nous devrions y être.
Évidemment, il n'y a pas énormément de soins pals et il n'y a pas énormément de médecins qui ne font que ça. On a encore beaucoup à évoluer dans notre société, et on ne la fera pas arriver à maturité en claquant des doigts. Mais je pense que c'est dans cette direction que nous devons travailler.
Mme Charbonneau: Votre réponse m'éclaire plus sur le principe du traitement inutile. Elle m'éclaire et en même temps elle me porte confusion. Je vous explique. Je ne le ferai pas en mots très scientifiques. Je vais vous l'expliquer, je le dis tout le temps, comme ça me vient.
Quand vous me dites qu'on arrive dans une zone grise, vous ne me rassurez pas. Peut-être parce que je pensais que la médecine avait peu de zones grises. Mais je comprends, avec votre explication, qu'il en reste.
Par contre, quand je suis un patient atteint d'un cancer et que j'arrive à ma ixième chimiothérapie, où il n'y a plus de cheveux à perdre, peu de veines à percer, un regard difficile, mais j'ai une volonté de vivre, cher monsieur, que vous ne verrez jamais ailleurs... Maintenant, vous me dites qu'à quelque part il faut y penser, là, parce que la ixième chimio, elle ne sera pas palliative, elle ne sera même pas curative, elle va être pour satisfaire ma soif de vivre. Alors, comment j'appelle ma relation avec mon médecin? Est-ce que j'appelle ça un suicide assisté, un miracle, parce que je comprends, une volonté médicale de m'expliquer que je vais être une dépense inutile et que je devrais rallier ma famille alentour de chez moi chez moi pour pouvoir avoir une fin qui me soit adéquate?
La question que je pose, c'est: En tant que médecin, puisque vous vous êtes clairement prononcés contre l'euthanasie et que vous n'avez pas adressé le suicide assisté, comment je traite cette volonté d'éclairer mon patient, que ça ne donne rien, mais qu'en même temps il a une volonté de vivre qui va au-delà de la maladie qui va malheureusement -- et, vous l'avez bien dit, si on naît, on meurt -- le porter à sa mort? Comment j'appelle ça?
Le Président (M. Kelley): Dr Vinay.
M. Vinay (Patrick): Je pense, madame, que nous sommes dans le difficile débat du contraste entre un moment et une évolution. Le malade est en évolution. Il rencontre son médecin une demi-heure, une heure, une heure et demie, peut-être, ils discutent un petit peu de ce qui va arriver, et, dans ce moment-là, ils prennent ensemble une décision. La décision qui est prise avec le malade, elle est pour le plus grand bien du malade. Elle n'est peut-être pas raisonnable, dans un certain sens, seulement sur le plan opérationnel. Elle ne peut pas remplacer une longue évolution puis un long accompagnement.
Il vient un moment où il faut commencer ça. Est-ce qu'il faut vraiment rencontrer un docteur de soins palliatifs seulement dans la dernière semaine de vie? Est-ce que c'est seulement là que ça se joue? Est-ce que ça ne pourrait pas commencer un peu plus tôt? Est-ce qu'on ne pourrait pas commencer à explorer avec le malade les raisons qui le poussent à demander cette chimiothérapie, même s'il sait, dans le fond, parce que son corps le lui dit, que ça n'ira pas tellement plus loin?
Alors, il y a une réalité psychologique infiniment respectable, et le monsieur, la madame qui veut vivre à tout prix, c'est infiniment respectable. Il y a peut-être moyen d'évoluer dans cette pensée qu'il a, pour essayer qu'il soit plus réaliste vis-à-vis lui-même. Et, si on fait ça et qu'on sauve des sommes importantes, au fond, qui sont, dans le fond, assez souvent dépensées parce qu'on n'est pas capable de faire ça, qu'on n'a pas pris le temps de faire ça, qu'on ne s'est pas assis suffisamment longtemps pour faire ça, parce qu'on n'a pas les disponibilités humaines pour faire ça, peut-être qu'il y a des changements de système qui nous permettraient de le faire de façon beaucoup plus efficace. Moi, je pense que les soins palliatifs devraient commencer plus tôt et discuter beaucoup plus tôt avec les malades de ce qu'ils veulent pour la fin de leur vie, des conséquences de leurs choix, tout en leur laissant pleinement la liberté d'avoir pour eux ce qu'ils souhaitent.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Dernière question au député de Mercier.
M. Khadir: Merci, M. le Président, de... Bienvenue, chers collègues, Mme Couture. Sachez d'abord que, comme... bon, la culture médicale que j'ai acquise au Québec, mon expérience, mais également les principes pour lesquels travaille mon parti font en sorte que je suis excessivement sensible aux arguments que vous avez invoqués, qui tournent essentiellement alentour de votre souci de prévenir les abus, d'éviter qu'il y ait, disons, un traitement différencié, discriminatoire en raison des... du statut social, bien que ma collègue de Joliette a bien souligné que l'expérience des pays ou des juridictions dans lesquels on a commencé à aborder ces... enfin on a commencé à mettre en pratique l'euthanasie ne nous montre pas nécessairement qu'il y a une sélection des personnes les plus démunies et plus faibles socialement, économiquement. Mais je pense quand même qu'il y a... enfin, dans tout ce que j'entends, que vous dites actuellement, il y a le principe d'un investissement solidaire, comme vous l'avez dit, Dr Bourque, dans la santé, dans la communauté humaine, dans nos sociétés, d'investissement solidaire dans les gens, dans le caractère précieux de la vie.
Mais je ne vois pas vraiment de contradiction entre tout ça, entre l'importance, l'insistance que vous mettez à assurer peut-être que dans... aux termes de ce débat, de cette commission, on réalise que, dans le fond, il y a une alternative -- Dr Vinay a parlé, donc, par exemple, à la limite, d'une anesthésie générale, qui est une espèce de sédation finalement parfaite, ultime -- donc de s'assurer que, quelle que soit la décision ultime, le débouché de cette commission, on aura peut-être à faire aussi l'effort d'assurer que les soins palliatifs soient améliorés grandement et que les alternatives soient à la disposition de tout le monde.
Mais, au terme de tout ça, je ne vois pas pourquoi, si on parle de considérations pratiques, on priverait quand même des cas exceptionnels de gens qui, au-delà de toutes ces alternatives, ne veulent pas. Ça peut même être une souffrance, comme vous l'avez dit, existentielle, une souffrance morale profonde, intraitable, insurmontable, puisqu'on sait, de toute façon, qu'il n'y a pas de souffrance physique sans souffrance psychique et, à l'opposé, aussi, il n'y a pas vraiment de souffrance morale, psychique prolongée qui ne débouche pas sur une souffrance physique, ressentie physiquement.
Donc, est-ce que... Parce que vous avez parlé de considérations pratiques au départ, mais vous avez parlé du caractère sacré de la vie. Si la vie est sacrée... Et ce n'est pas juste philosophique ou idéologique, mais ça part de principes ontologiques, c'est-à-dire que l'existence des communautés humaines a fait en sorte que c'est un principe qui nous permet de nous éviter le plus... c'est un principe d'équilibre dans les sociétés qui nous évite les souffrances, les massacres, les problèmes qu'on a connus, d'accord? On part du principe du caractère sacré de la vie pour nous préserver le plus possible des souffrances. Alors, pourquoi ne pas imaginer que de temps en temps, pour éviter une souffrance, donc, de manière très pratique, finalement, le meilleur choix puisse être, dans des circonstances exceptionnelles bien balisées, le droit de se donner la mort, le droit d'être assisté dans la mort?
**(12 h 10)**M. Beauchamp (Marc): J'aimerais juste donner une ébauche de réponse, parce que la question est extrêmement importante ici. Vous avez dit avec justesse que... Pour certains cas exceptionnels, pourquoi est-ce qu'on n'accepterait pas? La question, elle est très importante, parce que, pour ces cas exceptionnels, là, dans le sens où vous dites, on demande une nouvelle législation, donc un nouveau cadre législatif, et ce cadre législatif là ne va pas s'appliquer seulement à ce cas exceptionnel. Ce serait impossible, à moins d'avoir des balises parfaites, ce qui en fait est absolument impossible. Avoir des balises parfaites, un peu comme en médecine, pour être certain qu'il n'y aura jamais de complication. Je suis chirurgien, je le sais, il y a des complications. Il y a toujours une possibilité de complications, en médecine, il y a toujours une possibilité d'erreur médicale.
Donc, si on met un nouveau cadre législatif pour ces cas exceptionnels et qu'il y a des gens qui y passent par erreur, alors il faut savoir que, pour certains cas extrêmement peu nombreux, on a fait un tort potentiel ou réel pour beaucoup de gens. C'est pour cette raison-là qu'on... que, nous, comme médecins, on insiste sur la sécurité. L'aspect sécuritaire ici est crucial. Ce n'est pas idéologique. C'est même dans notre code de déontologie, l'article 13: «Le médecin doit s'abstenir de participer [à un acte concerté] de nature à mettre en danger la [sécurité] ou la [santé] d'une clientèle ou d'une population.» C'est dans le code de déontologie. C'est même le premier... la question de la sécurité est même l'article 7 de la Charte des droits et libertés.
Donc, pour le cas exceptionnel dont vous venez de parler, on va mettre en danger tout plein de gens, en plus de dénaturer le sens même de la tradition médicale qu'on a ici, au Québec. Ce n'est pas rien. Alors, c'est pour cette raison-là que... On peut s'étendre très longtemps sur des cas exceptionnels dont vous parlez, mais faire fi ou traiter à la légère les conséquences que ça va avoir pour tous les autres, on pense que ce n'est pas raisonnable, tout simplement.
Le Président (M. Kelley): Sur ça, malheureusement... parce qu'on a déjà dépassé notre temps, et il faut suspendre, si on veut continuer après.
Alors, il ne me reste qu'à dire merci beaucoup aux représentants de Vivre dans la dignité. Et, comme notre collègue la députée de Joliette a dit, si vous avez des compléments d'information, on est très ouverts à d'autres commentaires tout le long de nos délibérations.
Sur ça, je vais suspendre nos travaux jusqu'à 13 h 30.
(Suspension de la séance à 12 h 12)
(Reprise à 13 h 33)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! On va commencer notre après-midi. Avant d'inviter le premier témoin de prendre place, je veux juste signaler qu'on va essayer, à la fin de l'après-midi, vers 17 h 45... Il y a un micro dans la salle, alors, pour les personnes qui assistent, qui n'ont pas témoigné, qui peut-être veulent formuler les brefs commentaires, on va essayer ça comme nouveauté. Alors, on va prendre des commentaires des personnes dans la salle qui n'ont pas déposé un mémoire ni une demande d'intervention, mais, s'ils ont des courts commentaires à formuler envers les membres de la commission, ils sont les bienvenus. Alors, ça va être quelque chose que nous allons faire à la fin des témoins de l'après-midi, donc 17 h 45.
Sans plus tarder, on va inviter... Nous avons des groupes qui ont manifesté un intérêt, et également des familles québécoises qui ont vécu des grandes épreuves, des grands moments difficiles avec la fin de la vie. Alors, j'invite les représentants de la famille Rouleau de prendre place à la... témoin et partager leurs expériences avec nous. Et, si j'ai bien compris, c'est Mme Sylvie Coulombe, Mme Dacha Rouleau-Dumont et Mme Jeannine Rouleau-Auger. Alors, qui va commencer? C'est Mme Coulombe?
Famille Rouleau
Mme Rouleau-Auger (Jeannine): Non. Jeannine Rouleau-Auger.
Le Président (M. Kelley): O.K. Parfait. Merci beaucoup. Et, si vous pouvez vous identifier juste -- tout est enregistré -- alors, pour nos techniciens, qui prend qui a dit quoi, et c'est leur responsabilité. Si vous pouvez vous bien identifier, s'il vous plaît.
Mme Rouleau-Auger (Jeannine): Alors, on va s'identifier. Avant ça, je voulais d'abord remercier la commission de nous recevoir. Je voulais aussi mentionner que nous sommes toute une famille à venir témoigner de la mort de Laurent Rouleau, qui est décédé le 9 juin. Alors, il y a plusieurs membres dans la salle qui sont également des membres de la famille Rouleau. Je suis avec Dacha Rouleau-Dumont, qui est une des filles de Laurent, et Sylvie Coulombe, qui est son épouse. D'abord, on a pensé que Sylvie pourrait nous parler de Laurent et de son cheminement. Alors, si tu veux y aller.
Le Président (M. Kelley): Mme Coulombe.
Mme Coulombe (Sylvie): Alors, bonjour. Moi, je vais vous parler de Laurent du temps qu'il était vivant, parce que, comme Jeannine vous l'a mentionné, il est décédé le 9 juin 2010. Laurent, c'était un homme qui aimait beaucoup la vie, qui aimait beaucoup les gens. Mais c'était aussi un homme qui était atteint de sclérose en plaques depuis 1993. Et puis, avec l'évolution de sa maladie, il a perdu beaucoup d'autonomie. Il a eu beaucoup d'augmentation de la douleur, d'anxiété, mais ce qui était le plus difficile, c'est qu'il n'y avait aucun espoir de guérison. Il a essayé plusieurs médicaments pour soulager la douleur, parce qu'il avait beaucoup de douleur, mais les médicaments qu'il prenait, selon ses propres paroles, ça le rendait légume. Puis il disait qu'il voulait profiter de la vie, donc il avait choisi de prendre le moins de médicaments possible pour pouvoir être avec ses proches et pouvoir continuer à faire des activités le plus longtemps possible.
Et, durant les trois dernières années de sa vie, la maladie a beaucoup progressé. À ce moment-là, il a commencé à faire des recherches pour avoir quelque chose pour, le moment venu, qu'il pourrait s'enlever la vie. Il a demandé à son médecin si elle avait quelque chose à lui donner, et le médecin, elle a évidemment refusé. On sait tous que c'est illégal. Alors, il a continué ses recherches auprès de personnes proches, dans le réseau, de d'autres médecins partout au Québec, mais il n'a rien trouvé. Il n'y a pas personne qui voulait l'aider, là, dans sa quête de mourir.
En mars dernier, on a fait des démarches aussi pour avoir accès à l'euthanasie en Suisse, mais finalement il a changé d'idée. On s'est informés sur le processus, puis, lui, il trouvait ça inhumain d'aller mourir là-bas et de me laisser revenir avec son corps ou ses cendres, puis il ne voulait pas. Il trouvait ça trop difficile. Alors, comme il disait: Là, je suis dans un cul-de-sac.
Puis, je me souviens, les derniers temps -- quand je dis «les derniers temps», c'est les trois dernières années -- à plusieurs reprises, je me réveillais, il était à côté de moi, il pleurait et puis il me disait qu'il trouvait ça très difficile parce qu'il fallait qu'il trouve un moyen de mourir avant d'être complètement prisonnier de son corps. Puis, quand on en parlait, il était déchiré, parce qu'il voulait que je sois avec lui à ce moment-là, mais en même temps on sait que c'est illégal au Québec, donc il avait aussi la volonté de me protéger.
Alors, le 8 juin dernier, il savait que j'étais partie en réunion pour la journée. Le matin, Laurent, qui était en chaise roulante électrique, il est allé chercher sa vielle carabine 22, il est allé à l'extérieur de la maison, derrière la maison, puis il s'est tiré deux balles dans l'abdomen. Ensuite, il a attendu. Il a appelé le 9-1-1 quand il était certain que, là, il allait perdre conscience puis il allait mourir, parce qu'il ne voulait pas que je le trouve en arrivant à la maison. Là, les policiers sont arrivés, l'ambulance, ils l'ont amené à l'hôpital. L'hôpital m'a téléphoné, et puis, quand je suis arrivée, la première chose qu'il m'a dite, c'est: Tu vois, je ne suis plus capable de rien faire, je n'ai même pas été capable de mourir. Puis là les médecins nous ont annoncé qu'ils allaient l'opérer pour lui sauver la vie, puis il était complètement désespéré par rapport à ça.
Alors, je lui ai demandé qu'est-ce qu'il voulait, lui. Il m'a dit: Tu le sais. Je veux mourir. Puis là je suis intervenue pour qu'on appelle son médecin de famille, parce qu'elle, vu qu'elle l'avait suivi durant des années, elle savait que ce n'était pas une crise suicidaire, que c'était une volonté qui était présente chez lui depuis longtemps. Son médecin de famille est intervenu. Il y a eu des consultations légales aussi. Il y a eu des consultations psychiatriques. Puis ça, ça s'est tout fait avec un homme qui est sur une civière avec deux balles dans le corps, puis que, lui, il veut mourir, puis que l'hôpital veut à tout prix le maintenir en vie.
**(13 h 40)** Finalement, les médecins, le psychiatre et tous les intervenants ont décidé qu'il était apte à prendre sa décision, donc ils ont respecté sa volonté. Depuis trois ans, c'était la première fois qu'il était entendu dans sa volonté de mourir, puis à ce moment-là j'ai vraiment vu dans ses yeux à quel point il était soulagé, il était content de mourir.
Et j'ai rencontré après, parce que j'avais besoin d'en parler, l'infirmière qui l'avait reçu à l'urgence. Elle m'a dit qu'en 25 ans ils n'avaient jamais vu une situation comme ça, que souvent les gens, ils veulent vivre, l'instinct de survie est plus fort. Mais elle dit: Cet homme-là, il assumait sa décision. Puis elle dit: On voyait qu'il était serein face à ça.
Dans son cas, l'euthanasie, c'est quelque chose qu'il avait longuement mûri, puis ce n'était pas tellement la volonté de mourir, mais c'était qu'il n'était plus capable de vivre. Il n'était plus capable de vivre, puis, pour lui, il devait agir, vu que personne d'autre ne voulait l'aider là-dedans. Il devait agir avant de n'être plus capable de le faire.
Et, dans tout ce drame-là, il y a eu quand même un petit moment d'apaisement. Parce qu'il est arrivé à l'hôpital l'avant-midi; moi, j'ai pu être à côté de lui. Il est mort dans mes bras. Sa mère a pu venir le voir, puis, même si c'est une femme qui est très catholique, elle était contre l'euthanasie, elle a compris. Laurent, il est parti en paix avec sa décision, avec sa mère, avec moi aussi, avec d'autres membres de sa famille. Mais malheureusement les enfants -- nous, on habite en Abitibi, qui est à sept heures de route d'ici -- les enfants n'ont pas pu arriver à temps pour dire adieu à leur père.
Ça fait que c'est pour ça que, moi, je trouvais important de venir témoigner ici, devant cette commission, parce que j'ai l'espoir qu'on en arrive à une société québécoise qui soit pleine de compassion pour les gens qui souffrent comme Laurent. Puis, même s'il n'y en a pas beaucoup, je me dis: Est-ce qu'on doit sacrifier ces personnes-là et leur entourage?
On a plein de monde qui vont venir témoigner. Je pense qu'il y a du monde qui ont commencé à faire un travail. Moi, je pense que c'est possible de faire quelque chose en évitant des dérapages. Puis, au début, moi, je n'étais pas en faveur de l'euthanasie non plus, je dois vous avouer, mais, à force de côtoyer Laurent puis de voir sa souffrance, il m'a montré à avoir de la compassion pour les gens, à ne pas être égoïste, parce que je voulais le garder avec moi, et j'ai cheminé puis j'ai accepté sa décision.
Puis le message que j'aimerais passer aussi, c'est: Allez voir ces gens-là. Parce qu'on prend... on discute de choses à partir de nos propres valeurs, mais, en allant voir les gens, qu'est-ce qu'ils vivent réellement, je pense qu'on va pouvoir s'ouvrir les uns aux autres sans mettre nos valeurs en opposition. Parce que, dans le fond, tout le monde, on veut la même chose, on veut que les personnes soient le mieux possible jusqu'à leur fin de vie.
Alors, je vous remercie beaucoup. Je vais passer la parole à Dacha, qui va exprimer le point de vue des enfants.
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): Alors, bonjour.
Le Président (M. Kelley): Bonjour.
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): Le fait qu'il n'y ait pas eu, au moment où mon père s'est enlevé la vie, de loi sur l'euthanasie fait que mon père est mort dans des circonstances tragiques et violentes. Vous savez comme moi que, quand quelqu'un commet un acte de suicide, peu importent les raisons pour lesquelles il l'a fait, ça laisse du questionnement derrière, de la désolation. Si je m'imagine un monde dans lequel mon père, il aurait pu avoir droit à l'euthanasie, nous, on aurait pu être là. Comme Sylvie l'a dit, moi, je n'étais pas là, aucun des six enfants, on n'était là. On est arrivés, c'était trop tard. On aurait pu discuter avec mon père, on aurait pu... puis il aurait pu partir d'une façon qui ressemblait plus à la relation qu'on vivait ensemble, c'est-à-dire une relation de discussion puis une relation d'affection. Là, c'est arrivé très rapidement, puis, bien, nous, on est restés derrière, un peu avec nos questionnements.
Si l'euthanasie était légale, bon, je pense que mon père aurait pu préparer sa mort, comme j'ai vu... On a aussi notre... Ça a été un été chargé. Notre grand-mère, la mère de mon père, est décédée dernièrement. On a vu ma grand-mère préparer sa mort, voir tout le monde avant de partir, puis, elle, elle a fait le choix de... elle a continué ça jusqu'à... jusqu'aux derniers instants, puis... Donc, ça s'est vécu de deux façons différentes dans notre propre famille en l'espace de deux mois.
Mais je pense que, pour mon père, si ça avait été légal, il n'aurait pas été obligé de partir comme un voleur, en se cachant. Il ne pouvait pas parler de ça à personne. On savait tous qu'il voulait faire ça, mais c'est sûr qu'on se dit toujours: Bon, ça va être quand il va être... Moi, dans ma grande naïveté, je pensais que ça serait peut-être quand il aurait au moins les cheveux blancs, ce que mon père n'avait pas. Puis, moi, je pense qu'il a dû vivre beaucoup d'angoisse seul, puis ça aussi... Nous, on aurait pu lui parler, mais, lui, il aurait pu nous parler aussi. Il savait que ça allait finir, puis c'était une bataille perdue d'avance pour lui, puis, bien, j'aurais aimé ça qu'on puisse partager ça avec lui.
Mon père avait tout prévu. Il avait pensé à tout. Il nous avait écrit des lettres. En fait, ce n'est pas vraiment des lettres, c'est des mots, puisqu'avec la sclérose en plaques la motricité fine s'en allait tranquillement. Dans la lettre qu'il a écrite à nous, les enfants... Il en a écrit une aussi à Sylvie puis une à sa mère, mais, nous, ce qu'il disait dans la lettre, il disait: J'ai mené mon corps le plus loin que je pouvais. J'en ai retiré tout le plaisir que je pouvais. Puis j'espère que vous vivrez une vie aussi belle que la mienne. Puis je vous aime. Donc, comme vous voyez, c'était quelqu'un qui avait vécu une belle vie et que, pour lui, se donner la mort, c'était comme vraiment une décision de dernier recours avant d'être prisonnier de son corps, ce qui peut arriver en l'espace d'un mois ou d'un an, selon le degré de ta maladie.
Mais le cas de notre famille, c'est juste un cas. Je sais que vous allez en entendre d'autres dans les jours qui vont venir. Il y a des situations qui sont encore pires que celle que mon père a vécue, puis, moi, je pense que ces gens-là ont le droit... Et peut-être, nous, hein, plus tard. Parce que la mort, ça concerne tout le monde. On a le droit d'avoir une alternative sans être des hors-la-loi, sans être des parias -- parce que je pense que les gens qui décident de mettre fin à leurs jours deviennent un peu... sont perçus un petit peu comme ça -- puis sans que ceux qui les aident ou qui soient... sans que ceux qui soient présents à leur mort soient considérés comme des criminels. Merci.
Maintenant, Jeannine va présenter notre position, un peu, là, la position de la famille.
Mme Rouleau-Auger (Jeannine): Je vais d'abord souligner que, s'il y avait eu, il y a quelques mois, une loi sur l'euthanasie, Laurent serait certainement encore vivant, parce que, s'il a posé ce geste-là, c'est qu'il ne voulait pas devoir dépendre sur quelqu'un d'autre qui le ferait pour lui. Alors, il a agi à la limite du moment où il croyait qu'il avait encore un contrôle, et qu'il pouvait prendre cette décision-là, et qu'il avait accès à un moyen. Son geste démontre qu'il y a des situations qui justifient la pratique de l'euthanasie. Je pense que ça, pour nous, c'est très clair. Elle devrait donc être légalisée, mais avec un encadrement légal bien défini.
En trois points, je voulais souligner un certain nombre d'éléments qui sont des conditions de l'encadrement de l'euthanasie.
Le premier point, c'est l'encadrement concernant la personne elle-même. La personne, bien entendu, doit être apte à prendre une décision, et aucune autre personne ne peut faire une demande d'euthanasie à sa place. Pour moi, c'est bien clair, c'est une condition essentielle. La personne peut prendre une décision pour le futur et faire un testament biologique ou un testament de fin de vie, là, selon l'appellation qu'on veut lui donner, par exemple dans les cas d'Alzheimer, définir les circonstances où elle pourrait avoir recours à l'euthanasie, donc le prévoir. La personne doit souffrir d'une maladie ou d'une condition grave, permanente, invalidante et incurable.
Deuxièmement, il y a des conditions vis-à-vis l'encadrement clinique. L'euthanasie doit être pratiquée sous la responsabilité d'un médecin. Le médecin ne peut proposer lui-même cette alternative. Je pense que c'est très important pour la crédibilité des médecins. On a beaucoup fait référence à «comment tu vas faire confiance à ton médecin». Je pense que ça doit être la personne qui le demande. Le médecin n'est pas là pour le proposer comme il proposerait un traitement. C'est la personne qui veut mourir qui doit en faire elle-même la demande, donc.
**(13 h 50)** Il doit y avoir un délai entre la demande et le moment de l'euthanasie, pour que la personne puisse mûrir son choix et que d'autres solutions puissent être expérimentées, le cas échéant. Évidemment, les moyens utilisés pour l'euthanasie doivent permettre une mort sans douleur, c'est essentiel, c'est fondamental. Deux médecins doivent attester que la personne souffre d'une maladie ou d'une condition grave, permanente, invalidante et incurante... et incurable, pardon. Je pense que le Collège des médecins doit définir un guide de pratique pour encadrer le médecin dans l'exercice de cette intervention, comme il le fait dans différents types d'intervention. Et finalement, dans les conditions cliniques, tout médecin devrait pouvoir refuser la pratique de l'euthanasie pour des raisons de conscience. Donc, ce n'est pas une... le médecin a un choix à faire par rapport à ça, également.
Le troisième groupe de conditions sont reliées à l'environnement dans lequel l'euthanasie est pratiquée. Le lieu et la liste des proches qui seront présents devront être déterminés par la personne elle-même. Le lieu choisi doit être au Québec, si c'est une loi québécoise, bien évidemment.
Finalement, je dois souligner que, selon nous, les risques de dérive de l'euthanasie peuvent être contrôlés si l'encadrement juridique et clinique est clair et inclusif.
En conclusion, il faut faire évoluer les mentalités et les lois pour permettre à des gens comme Laurent de pouvoir faire des choix moins radicaux et moins violents, bref de mourir dans la dignité. Merci de votre attention.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. De toute évidence, la famille Rouleau a un double deuil cet été, alors nos condoléances sont avec vous. C'est vraiment difficile, j'imagine, d'être ici cet après-midi, de partager vos expériences. Alors, merci beaucoup pour votre courage, et condoléances au nom de l'ensemble des membres de la commission.
Je suis prêt maintenant à céder la parole au député des Îles-de-la-Madeleine.
M. Chevarie: Bonjour à vous, Mme Coulombe, ainsi qu'à toute votre famille. Bien sûr, je partage votre tristesse, et vous avez toutes mes sympathies. Je vous souhaite également beaucoup de courage dans cette grande épreuve. Et merci pour votre présence, même si celle-ci se fait dans des conditions difficiles. Merci pour votre contribution à ce grand débat social, également. Et je salue votre belle solidarité familiale, parce que je pense que vous êtes accompagnée également de plusieurs membres de votre famille.
Ma première question serait la suivante: Est-ce qu'il y avait, d'abord, un suivi médical, ou social, ou psychologique assez régulier de votre conjoint avant qu'il passe à l'acte et puis qu'il prenne cette fameuse carabine pour tenter d'en finir avec sa vie? Et, sinon, est-ce que vous pensez que cela aurait pu changer quelque chose dans son cheminement pour tenter d'abréger la fin de sa vie?
Mme Coulombe (Sylvie): Bien, ce genre de maladie là fait qu'on est continuellement en adaptation. Laurent, il a eu beaucoup de support pour aider à s'adapter, mais, comme il dit, ce n'est pas comme un accident d'automobile -- pardon, je dis «comme il dit» -- comme il disait, ce n'est pas comme un accident d'automobile où tu as les deux jambes cassées. Tu t'adaptes à ça, puis après ça tu réapprends à vivre. Avec la sclérose en plaques, ce qu'il disait, c'est que tu en perds continuellement des morceaux. Donc, il était toujours en adaptation.
Puis, oui, il avait un suivi médical, oui, il avait un suivi spécialisé aussi. Et puis, les gens, au début, ils étaient persuadés qu'il était en dépression, mais, avec les discussions, avec les évaluations, ils voyaient que ce n'était pas le cas. C'était quelqu'un qui aimait beaucoup sa liberté, qui aimait beaucoup la vie. Et puis, moi, je pense que l'aide qu'il aurait pu avoir, c'est quelqu'un qui l'aurait compris dans sa demande puis qui aurait pu le supporter là-dedans. Mais, comme c'est quelque chose qui est illégal, les médecins, psychologues et psychiatres ne pouvaient pas faire ça: Notre job, c'est de les convaincre à rester en vie.
M. Chevarie: Et ce que je comprends également, si vous permettez, M. le Président...
Le Président (M. Kelley): M. le député.
M. Chevarie: ...c'est que c'était beaucoup lié à son appréhension de perte de sa dignité. Et vous dites... Oui, je vais vous laisser commenter.
Mme Coulombe (Sylvie): Bien, c'était aussi lié... ce n'était pas seulement la dignité, c'était aussi son intégrité, c'était ce qu'il était comme individu. Parce qu'avec les années ce n'était plus quelqu'un qui aimait marcher dans le bois, ce n'était plus quelqu'un qui aimait faire de la peinture, ça devenait une personne malade. Pour lui, la vie, ce n'était pas être une personne malade. Ça fait que c'est aussi l'intégrité. On parle beaucoup de la dignité. La dignité, pour moi, c'est une importance qu'on accorde à quelqu'un. Mais souvent on regarde les personnes malades comme une personne atteinte du cancer, une personne atteinte de sclérose en plaques. Il y a l'individu en arrière de ça, puis c'est l'individu qui voulait se faire entendre.
M. Chevarie: Parce que justement, si je me réfère à votre mémoire, à la page 3... J'aimerais ça vous entendre parler un peu plus du concept de dignité. Vous dites: «Les chartes canadienne et québécoise reconnaissent le droit à la dignité. Selon nous, ce droit doit inclure la liberté de refuser la perte de cette dignité à la suite d'une maladie ou à des blessures graves». Et vous dites: «Chaque personne doit elle-même pouvoir établir à quel moment cette perte de dignité est inacceptable.» Et ça me fait penser à plusieurs personnes qui, dans leurs mémoires ou encore lors des audiences qu'on a eues avec plusieurs spécialistes, nous disaient: Cette dignité, souvent elle est liée au regard des autres et non nécessairement à l'évaluation individuelle ou personnelle qu'on en fait. Puis j'aimerais ça vous entendre commenter ça.
Mme Rouleau-Auger (Jeannine): Bien, moi, je peux répondre à ça. Dans le fond, ce qu'on veut dire, c'est que, la dignité, on peut la définir par rapport à soi-même, les autres peuvent... ou comment on sent que les autres nous perçoivent, mais je pense que la vision qu'on a de nous-mêmes, qui fait qu'on considère que notre vie ou notre propre dignité atteint un niveau acceptable ou inacceptable, elle vient du choix de la personne. Elle est reliée à la liberté de la personne de faire ce choix-là. Alors, c'est ce qu'on voulait expliquer.
Et, quand on dit... quand vous lisez: Toute personne devrait faire ce choix-là, je pense qu'il faut le comprendre dans un contexte où la dignité de la personne est vraiment en péril. Et je ne pense pas que ça doit s'appliquer de façon systématique, qu'est-ce que c'est, la dignité. Je pense que... quand la dignité de la personne est profondément affectée, qu'elle n'est plus elle-même, est-ce qu'on la considère comme plus elle-même? Je ne pense pas que... La nuance est là. La nuance est dans l'intensité de ce sentiment de ne plus être digne, de ne plus être soi-même et de ne pas avoir une vie qui représente ce qu'on pense qu'on doit avoir comme vie. Alors, je pense que c'est le point de vue de la personne qui doit toujours être respecté dans ça, et le respect de sa liberté par rapport au point de vue de la personne sur la question de la dignité.
M. Chevarie: Merci.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, merci beaucoup de venir partager votre héritage avec nous. Parce que je pense que c'est un bel héritage que M. Rouleau vous a laissé, parce que c'est un privilège d'avoir vécu auprès de lui, d'avoir évolué avec lui dans sa maladie. Et je trouve ça tout à fait paradoxal, parce que vos arguments en faveur de la légalisation de l'euthanasie sont exactement les mêmes que les tenants contre. Parce que, vous, vous revendiquez le fait d'avoir pu vivre les derniers moments dans la dignité, dans l'échange et dans la confidence, et ça vous a été volé parce que l'euthanasie n'était pas légalisée. Et les tenants du contre nous font exactement le même argument, qu'il faudrait éliminer l'euthanasie parce que ça enrayerait justement cette possibilité des derniers moments dans la dignité et proche de... près de nos proches.
Moi, je vais vous dire, quand j'ai lu votre mémoire, j'ai été outrée de voir la réception que vous avez eue à l'hôpital, ou que M. Rouleau a reçue lorsqu'il est arrivé à l'hôpital. Vous faites état de consultations légales, consultations psychologiques, qu'on voulait mettre à l'épreuve son aptitude à prendre sa décision. À mon avis, c'est assez... J'espère que c'est exceptionnel, ce que vous avez vécu. Et j'aimerais savoir... D'abord, il est mort... une mort naturelle, parce qu'il n'y a pas eu d'intervention, c'était ça? Alors, je voudrais vous entendre: Qu'est-ce que vous avez à dire au corps médical par rapport à ces derniers moments que vous avez vécus en famille dans un hôpital du Québec?
**(14 heures)**Mme Coulombe (Sylvie): Bien, moi, j'ai trouvé difficile le carcan légal auquel tous les intervenants étaient confrontés, parce que j'ai vu que ça avait touché beaucoup, autant les médecins. Là, j'ai reparlé avec le médecin après, puis elle me disait: Je ne le savais pas. Écoutez... Elle s'excusait d'avoir eu à faire cette procédure-là, parce qu'elle ne connaissait pas l'historique. C'est là, moi, que j'ai appelé son médecin de famille, qui est intervenu. Puis je pense que tout le monde sont allés avec la meilleure volonté possible, mais on est pris avec un contexte légal qui nous oblige des fois à poser des actes qu'on ne poserait nécessairement pas. Ça fait que, moi, je ne les blâme pas pour ça, pas du tout, là, je trouvais que c'étaient des personnes extraordinaires.
Puis je pense que, tant... Tant qu'on ne clarifiera pas la question, on va demeurer avec des situations comme ça où, entre humains, on va se jeter le blâme, mais ce n'est pas ça. Tout le monde, là-dedans, on agit avec la meilleure volonté. Puis, comme vous dites, ce que Dacha revendiquait, le droit d'être près de leur père dans la mort, ceux qui sont contre aussi le revendiquent. Mais je pense que, dans le fond, on veut tous le meilleur, c'est sur le moyen. Puis, tant que ce n'est pas clair puis qu'il y a de la place à, oui, on poursuit en cour, on le fait en cachette, il va arriver d'autres situations comme ça. C'est pour ça que c'est urgent de faire quelque chose.
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): Moi, je pense que, quand les choses sont réfléchies, elles sont claires, c'est là qu'il y a le moins de situations qui déplaisent aux gens.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée des Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Bonjour. Merci du témoignage. Je pense que chacun de nous a le goût de vous dire merci. Et je suis sûre que ça a été difficile de choisir qui serait assis à cette table pour nous parler, parce que chacun des gens qui vous accompagnent aurait probablement quelque chose à rajouter par rapport à la grande personne qui a fait partie de votre vie.
Je vous dirais dans un premier temps que, nous, les bien portants, des fois c'est difficile de comprendre pourquoi on veut mourir. Puis, ce matin, il y a des gens qui nous faisaient ce témoignage-là en disant: On ne peut pas avoir la volonté de mourir, hein? Dans la vraie vie... J'ai même entendu quelqu'un dire: Le simple citoyen, il ne peut pas avoir le goût de mourir. Ça ne se peut pas. Et pourtant vous avez connu un homme qui a osé le dire, et il l'a dit parce qu'il ressentait un malaise de vivre et de se voir vivre. Donc, pour ça, je suis donc contente d'entendre les simples citoyens.
Vous avez dit quelque chose, Mme Coulombe, qui m'a beaucoup touchée, vous avez dit: Vous savez, au début, moi, je ne suis pas pour l'euthanasie. Puis je pense qu'au début on est tous pas pour l'euthanasie. Ça fait que, malgré le fait que vous êtes venue nous parler de l'homme, moi, j'aimerais entendre la femme, l'amoureuse, celle qui l'a accompagné jusqu'à la fin, me parler de son cheminement de: oui, je suis d'accord, vas-y, va-t-en, prends ton chemin. Comment vous avez fait, vous, pour arriver à accepter le principe de l'euthanasie?
Mme Coulombe (Sylvie): C'est assez simple, j'ai réalisé que j'étais 100 % égoïste. Dans le fond, je voulais le garder avec moi. Puis après je me suis dit: Tu ne peux pas obliger quelqu'un que tu aimes à continuer à vivre puis à souffrir malgré sa volonté pour l'avoir à côté de toi. C'est simplement à partir du moment où j'ai réalisé que j'étais égoïste que là j'ai pu le regarder d'un autre point de vue, puis j'ai dit non.
Mme Charbonneau: C'est vrai qu'expliqué dans la simplicité ça prend tout son sens. Vous avez dit quelque chose d'autre d'important, ou c'est madame... sa fille, Mme Dacha -- qui a un prénom adorable, je n'ai jamais entendu ce prénom-là...
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): C'est mon père qui me l'a donné.
Mme Charbonneau: ... -- qui l'a dit, mais qui a dit: Si l'opportunité avait été donnée à l'euthanasie, il aurait vécu plus longtemps. Je ne sais pas s'il y a quelqu'un qui veut se lancer là-dessus, là, mais, moi, j'aimerais vous entendre sur ce principe-là.
Mme Rouleau-Auger (Jeannine): C'est parce que... c'est moi, c'est moi qui l'ai dit, et je l'ai dit parce que, de toutes les conversations que j'ai eues avec lui, après son décès, j'étais nettement convaincue que, si on avait pu lui dire que, le jour où il serait prêt, il y aurait quelqu'un qui pourrait... suicide assisté, euthanasie, là, on ne fait pas la différence, mais, le jour où il serait prêt, le jour où, devenant trop prisonnier de son corps, là il n'aurait plus la volonté ou l'intérêt de continuer parce que ce serait devenu trop lourd... Moi, je pense qu'il aurait pu continuer encore plusieurs mois et peut-être même plusieurs années. Selon moi, ce qui a précipité sa mort, c'est de dire: Si je ne le fais pas maintenant, parce que maintenant je suis capable moi-même de décider... C'était organisé, vous n'avez pas... C'est quelqu'un qui était très bricoleur. Juste pour être capable de se suicider avec un fusil, dans l'état où il était, il a fallu qu'il réfléchisse longuement, je peux vous le dire.
Alors, moi, je pense que... S'il avait su que quelqu'un d'autre pourrait se charger de ça éventuellement, moi, je pense qu'il aurait sûrement vécu encore beaucoup de temps. Combien, je ne le sais pas, mais probablement quelques années.
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): Il serait probablement en train d'essayer de témoigner à la commission, ici, présentement parce que c'est un sujet qui lui tenait à coeur.
Moi, je voudrais juste ajouter quelque chose pour Mme Charbonneau. Tantôt, vous avez dit que les gens disaient qu'on ne peut pas vouloir mourir. Puis, moi, je pense que... J'ai réfléchi à ça cette semaine. Puis il y en a beaucoup qui pensent qu'il va y avoir des abus, que les gens, ils vont se bousculer aux portes pour profiter de cette nouvelle loi hypothétique là, qui arrivera un jour ou l'autre, ou pas, je ne le sais pas, mais je pense qu'il faut faire confiance aussi à la nature humaine.
Vous avez raison, les gens qui vous ont dit ça ont raison en disant qu'un humain, par définition, ça a peur de la mort. Ça a été comme ça dans toutes les époques passées, c'est encore comme ça aujourd'hui. Donc, moi, je pense que, pour faire le choix de... Si, exemple, il y avait une loi qui existait, pour faire le choix de l'utiliser, cette loi-là, il faut qu'il y ait une longue réflexion. Et c'est un choix qui est dur à faire. Ce n'est pas un choix qui est facile. Les gens, ils ne vont pas se dire: Ah oui! moi, finalement j'ai la solution à mon problème, puis allons-y.
Donc, moi, je ne pense pas qu'il y aura de... Peut-être qu'il peut y avoir des abus de d'autres types, mais je ne pense pas qu'il va y avoir des abus du nombre de personnes qui vont vouloir l'utiliser, cette loi-là, puis... C'est juste ça que je voulais dire.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui, bien, à mon tour, je veux vous remercier. Je veux surtout vous dire toute mon admiration devant la force que vous témoignez de venir aujourd'hui. Et je suis certaine que M. Rouleau aurait sans doute aimé venir nous faire part de son témoignage lui-même. Mais je pense que vous lui rendez justice aujourd'hui par votre solidarité, aussi, intrafamiliale. Alors, merci beaucoup.
Quand on dit qu'on veut entendre les gens, bien c'est exactement ce qu'on veut entendre, c'est des gens qui ont vécu des situations comme la vôtre et qui... Des fois, les gens qui étaient directement concernés, comme M. Rouleau, ne sont plus là pour en témoigner, donc c'est important qu'il y ait des gens comme vous, je pense, qui viennent se faire entendre.
Moi, il y a quelque chose qui me frappe puis qui m'a frappée quand on a entendu les experts, c'est que les médecins qu'on entend, souvent ce sont des spécialistes en oncologie, des gens de soins palliatifs, mais qui sont beaucoup dans une dynamique de fin de vie de gens qui ont le cancer. Évidemment, dans les gens qu'on entend, et on va entendre d'autres histoires, il y a beaucoup de gens qui souffrent de maladies dégénératives et qui ont cette crainte-là de devenir prisonniers de leur corps, de ne plus avoir aucun contrôle et de ne pas savoir ce que la vie, les derniers moments de la vie leur réservent, et on ne parle pas d'une semaine ou deux semaines et qu'on sait à peu près quand la mort s'en vient, ça peut être des mois, des années. Et, dans ce contexte-là, j'aimerais ça que vous nous éclairiez un peu sur le type de... je ne sais pas, de soins ou d'accompagnement qui pouvaient être offerts à M. Rouleau, je dirais, pour soulager sa douleur. Est-ce qu'il y avait des choses qui étaient possibles? Je comprends que, lui, il était tanné à cause des effets secondaires. Donc, j'aimerais ça que vous élaboriez un petit peu sur à quoi ça ressemblait au quotidien, un peu, le soulagement de sa douleur, ou comment il réussissait à vivre malgré cette douleur-là puis les symptômes qu'il avait. Qu'est-ce qui lui était offert comme soutien, je dirais, côté douleurs?
**(14 h 10)**Mme Coulombe (Sylvie): Bien, en fait, il n'y avait pas beaucoup de soutien parce que, nous, on demeure dans une région éloignée. Chez nous, il n'y a pas de clinique de la douleur. Au niveau du maintien à domicile, les services, c'est assez restreint aussi. C'est d'ailleurs des choses qu'on a beaucoup déplorées et revendiquées. Mais, parallèlement à ça, il y avait l'évolution de sa maladie. Même si la douleur aurait été gérée, c'est quand même une maladie qui faisait qu'il perdait de l'autonomie régulièrement. Puis, plus la maladie avance, plus ça va vite. Donc, moi, je pense que, là-dedans, il faut faire attention aussi pour ne pas déplacer le débat, parce que, oui, ça prend de l'argent en soins de santé, oui, ça prend de l'argent pour la douleur, en onco, pour le maintien à domicile, mais l'euthanasie, ça ne doit pas être occulté par rapport à ce manque de soins là.
Mme Hivon: Juste pour vous comprendre, parce que vous mettez le doigt... Vous comprenez très bien tous les termes du débat, effectivement il y a beaucoup de personnes qui disent que, si tous les meilleurs soins et le traitement de la douleur existaient parfaitement partout, ces demandes-là n'existeraient plus. Vous -- je veux juste être certaine de bien comprendre -- vous dites: Même si toute la douleur avait été contrôlée, et tout ça, face à sa situation, il aurait toujours voulu mourir parce qu'il s'en allait dans un processus où il allait être prisonnier de son corps, c'est ça?
Mme Coulombe (Sylvie): C'est ça. La chose que ça aurait changé, ça aurait amélioré sa qualité de vie le temps qu'il aurait vécu. Puis aussi, s'il y aurait eu quelque chose pour l'euthanasie, ça aurait aussi augmenté sa qualité de vie, parce que, les nuits d'angoisse pour essayer de trouver quelque chose, il n'aurait pas eu ça non plus. Puis, comme Dacha disait, il aurait eu le temps de parler à toute la famille puis de faire des adieux. C'est toutes des choses qui auraient pu être facilement faites, mais ça n'a pas eu lieu, là.
Mme Hivon: C'était vraiment la crainte de ce qui s'en venait, c'était l'anticipation. Parce que certains disent que ça peut être aussi... que l'euthanasie peut avoir un effet collatéral, puis on le voit dans certains pays. Il paraît qu'aux Pays-Bas neuf personnes sur 10 qui amorcent le processus ne le mènent pas jusqu'au bout, c'est-à-dire vont finalement mourir de mort naturelle ou dire: Bien, j'ai été capable. Mais une personne sur 10 va s'en prévaloir. Vous, est-ce que c'est un peu ça? Vous dites: Ça aurait été comme une police d'assurance, parce qu'il aurait su qu'au moment choisi il aurait pu y avoir recours. Est-ce que le fait qu'il a posé ce geste-là au mois de juin, c'est dû plus à l'anticipation de ce qui pouvait s'en venir et ce à quoi il ne voulait pas faire face, ou à des souffrances qu'il vivait?
Mme Coulombe (Sylvie): Bien, c'étaient les deux, parce qu'au niveau de... Sa qualité de vie, là, s'était beaucoup détériorée. Donc, c'étaient les deux. Il y avait l'anticipation, il y avait ce qu'il vivait présentement aussi. Et puis il disait lui-même que, s'il saurait que, le jour où il dit: Bon, là, je suis prêt, il se passe quelque chose, ça, ça aurait peut-être fait que ça aurait duré encore un peu plus, aussi.
Mme Hivon: Là, je vais vous poser une question plus difficile. Je ne sais pas si vous étiez là ce matin, mais on essaie un peu de faire le contrepoids avec les gens qui ont des positions. Ce matin, on a entendu un groupe, Vivre dans la dignité, là, qui est opposé à la question de l'euthanasie. Et, eux, en fait ils disent notamment, puis d'autres groupes disent ça, qu'en fait, en légalisant l'euthanasie, on enverrait un certain message à la société comme quoi ce n'est plus acceptable de souffrir, comme quoi, quand on est une personne handicapée, par exemple, on n'a peut-être pas la même valeur qu'une autre personne, parce que certaines personnes, comme M. Rouleau, qui vivent des situations difficiles de maladie dégénérative voudraient se prévaloir de l'euthanasie, et que donc c'est un message qui peut toucher davantage les personnes handicapées ou vulnérables. Qu'est-ce que vous répondez à cet argument-là?
Mme Rouleau-Auger (Jeannine): Moi, je comprends leur argument. Néanmoins, je pense que, dans la mesure où la loi définit strictement qu'il s'agit d'une décision de la personne elle-même, qu'on s'assure qu'elle ne le fait pas sous la pression de tous les... ni de la société ni des gens qui l'entourent... Moi, je pense qu'on a quand même une capacité... Si l'encadrement légal est très ferme et défini et si aussi, d'un point de vue clinique, on s'assure que justement ce n'est pas les médecins qui offrent ça comme une alternative mais que c'est vraiment quand la personne elle-même sent ce besoin-là, elle peut exercer ce droit-là, moi, ça ne m'apparaît pas comme un potentiel de modifier ni la vision qu'on peut avoir des médecins ni la vision que la société peut avoir de certaines personnes qui vivent des difficultés, des difficultés physiques.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci de ces témoignages qui sont très touchants. Ce matin, on a entendu des gens qui sont venus nous dire, en étant contre l'euthanasie, que leur point de vue était de défendre les gens les plus vulnérables, de défendre les malades, de défendre les personnes les plus faibles, les plus fragiles, de défendre aussi les familles, puisque d'être... de vivre en suivi à une euthanasie, ça soulève énormément de questionnements, de culpabilité chez les membres de la famille.
Quand je regarde les témoignages qui nous sont faits de votre part aujourd'hui, vous avez vécu une personne qui a fait une tentative de suicide, qui vous a mis dans... qui vous a retrouvés dans une situation où les enfants n'étaient pas là, donc vous avez eu, je pense, un... en tout cas une tragédie, finalement, et de la violence. Et par la suite vous avez pu accompagner cette personne-là durant un certain nombre d'heures, pour celles et ceux qui étaient présents, et avoir l'opportunité de discuter avec elle. Vous avez donc eu un peu les deux facettes d'une problématique. Et j'aimerais vous entendre là-dessus. Parce que ce sentiment de culpabilité dont on nous a parlé ce matin, ça m'a un peu ébranlée. Et tantôt, mademoiselle, vous disiez... Dacha, vous disiez: On aurait pu prendre le temps... avoir un temps de qualité. Comment vous voyez une affirmation qui dit que la famille va vivre un sentiment de culpabilité?
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): Je ne sais pas, c'est peut-être à cause de la personnalité de mon père, mais, nous, je ne vois pas comment j'aurais pu vivre un sentiment de culpabilité en l'accompagnant dans ce processus-là. Je pense que ça dépend peut-être des gens. Je ne le sais pas. Je ne sais pas si vous voulez répondre quelque chose, mais, dans notre cas, ça ne se posait pas. Je ne comprends pas par rapport à quoi ils peuvent vivre de la culpabilité.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Parce que ce qu'ils nous disaient...
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): Par rapport à accepter qu'il fasse ce processus-là?
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Oui. Parce que les gens nous disaient... Ce qu'ils nous disaient ce matin, c'est: Après que l'événement est passé, les gens regrettent d'avoir permis ou d'avoir laissé la personne prendre cette décision.
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): ...vraiment vécu ça? C'est des gens qui ont parlé qui avaient vécu?
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Bien, c'est des professionnels, là, surtout du monde de la santé, là, qui témoignaient de cela ce matin.
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): Mais je pense que, si, comme le disait Jeannine tout à l'heure, il y a un long délai entre le fait de faire une demande et le fait de vraiment mourir, que quelqu'un t'aide à mourir ou... Moi, je pense que ça permet... Tu sais, c'est un cheminement, là, à partir du moment où tu le décides jusqu'au moment où tu le fais. Puis, quand tu as une maladie dégénérative, tu peux... c'est sûr que ça te désavantage, parce que ta souffrance dure longtemps, mais ça t'avantage, dans le sens où est-ce que ce n'est pas... Tu sais que tu vas avoir le temps de réfléchir avant de faire l'acte final. Donc, moi, je pense que, dans cette réflexion-là, il y a lieu justement que tout le monde se parle puis que la personne puisse partir sans que personne se sente mal ou coupable.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. À vous, merci pour ce beau témoignage livré avec beaucoup de conviction, de force et de courage. Également, mes meilleurs voeux de sympathie à vous, mais également aux membres de la famille, aux proches qui vous accompagnent.
Il y a un élément du témoignage qui m'a particulièrement touché, c'est-à-dire cette quête, au cours des trois dernières années, de trouver une solution, c'est-à-dire plusieurs approches auprès de médecins, de spécialistes, bref une volonté de trouver un réconfort ou une aide, qu'il n'a manifestement pas reçue. Je serais curieux de vous entendre, à savoir quelle était la réaction de ces spécialistes qu'il a approchés. Selon vous, quelle est leur perception? Du moins, quelle perception a-t-il créée chez vous? Avez-vous le sentiment qu'ils auraient aimé faire plus, ces médecins, ces spécialistes? Avez-vous le sentiment qu'ils auraient aimé accompagner votre père, votre conjoint, votre frère différemment mais qu'ils n'en avaient tout simplement pas la possibilité?
Mme Coulombe (Sylvie): Bien, je pense qu'il y a certains médecins, au début, c'était comme moi, ils n'étaient pas en faveur de l'euthanasie. À force de côtoyer Laurent, de discuter avec -- il était bon pour convaincre, hein? -- ça fait qu'il y en a qui ont changé d'idée en cours de route. Mais ils ne pouvaient pas, ils ne pouvaient pas, ils n'avaient pas le droit. Puis ça, c'est comme la journée où il est décédé que là il y a un médecin qui lui a dit. Mais on est tous pris avec ce cadre-là. Puis, des médecins, c'est quand même une relation professionnelle, il y a une réserve qui est là, ça fait qu'ils ne peuvent pas dire: Écoute, je t'aiderais bien, mais je ne peux pas. Comment... C'est encore pire pour la personne, je trouve, là, mais il y en a qui ont cheminé aussi en le côtoyant là-dedans.
**(14 h 20)**Le Président (M. Kelley): M. le député de Mercier.
M. Khadir: Alors, très simplement, votre témoignage a été très clair. Je pense que c'est le témoignage le plus éloquent que j'ai entendu à date, le plus clair, jusqu'à un certain point; les pensées sont claires, les idées sont claires, et ça nous aide.
D'après, donc, ce que je comprends, s'il y a un regret, c'est, par exemple, les regrets exprimés par le médecin qui, à l'urgence, se voyait forcé de consulter le caractère... des avocats de l'hôpital pour savoir si c'était légalement autorisé, c'était, dans le fond, le regret des membres de la famille de ne pas avoir pu, dans les conditions... l'acte d'aider, ou d'assister, ou même d'être au courant et de ne pas l'empêcher, étant criminalisé, donc le regret de ne pas pouvoir... pu accompagner dans des circonstances plus sereines, plus dignes, plus prévisibles, donc, l'être bien aimé.
Mais permettez-moi quand même, pour vider la question, pas parce que je suis très convaincu de cette possibilité, mais pour vider la question. Si, par exemple, on tient compte du fait que plusieurs maladies sont l'objet d'investigation puis qu'il y a des traitements parfois qui sont découverts de manière fortuite, de manière assez inattendue et qui peuvent changer du tout au tout le cours de certaines maladies, est-ce que vous ne pensez pas qu'une décision de la sorte, si elle avait été autorisée, et qui se soit produite, je ne sais pas, à un certain moment entre juin dernier où effectivement il est passé à l'acte et un autre moment plus propice, dans le cadre d'une loi qui permettrait l'euthanasie... Si, après l'acte, il y a, dans les mois et les années... Là, c'est hypothétique. Comme on l'a...
Par exemple, dans le cas du sida, je me rappelle très bien, moi, j'étais, disons, jeune médecin, et puis, avant de trouver les combinaisons thérapeutiques très efficaces qui assuraient une longue durée de vie avec une certaine qualité de vie au patient, plusieurs personnes atteintes du sida étaient tentées de s'enlever la vie à cause de tout ce que ça impliquait, mais également l'opprobre social.
Alors, je me dis: Est-ce que vous considérez la possibilité d'avoir de graves regrets? Dans les circonstances, une personne, pensant que la maladie était incurable à un moment x, passe à l'acte, et puis, quelques mois ou dans les années qui suivent, s'il aurait attendu, s'il aurait accepté, avec le soutien approprié, d'attendre pour voir un traitement surgir... Vous comprenez un peu le dilemme? Est-ce que lui-même pensait à ça, verbalisait ou avait des doutes quant à cette possibilité et donc était tenté de retarder son geste dans l'espoir de voir quelque chose surgir?
Mme Coulombe (Sylvie): Bien, en fait, quand il y a eu le fameux traitement Zamboni, c'était à la même période où Laurent s'est enlevé la vie, il avait aussi cette recherche-là pour avoir ce traitement-là qui se faisait en parallèle. Sauf que, dans son cas à lui, il a décidé que là c'était assez, c'était rendu au-delà de sa capacité. Puis, moi, je pense que, toutes les maladies, les traitements qu'on a aujourd'hui qui ne fonctionnent pas, il y a des personnes qui vont mourir, puis, dans cinq ans, dans 10 ans, on va trouver un autre traitement, puis c'est sûr qu'on va avoir des regrets: Ah, si mon père aurait eu ce traitement-là! S'il aurait eu accès... Il n'a pas eu l'euthanasie, mais le traitement qu'il a eu, ça ne fonctionnait pas.
Ça fait partie de la vie, ça, le fait d'avoir des maladies où on n'a pas de traitement, puis plus tard la médecine évolue, on trouve un traitement, c'est tant mieux pour les autres. Mais je pense que les personnes qui sont vraiment prêtes à mourir, qui font des démarches pour l'euthanasie, ils vont faire comme Laurent. Puis, moi, je suis ici pour essayer d'éviter ça, pour que les personnes puissent faire les démarches en étant soutenues. Je ne pense pas qu'il va y en avoir plus. Je pense même que ça va éviter à d'autres personnes de s'enlever la vie seules puis d'autres catastrophes comme on a vécues. Je ne sais pas si vous aviez d'autres choses à rajouter?
Mme Rouleau-Dumont (Dacha): Moi, je suis d'accord avec Sylvie que... Je veux dire, on ne peut pas savoir ce qui s'en vient le lendemain. Puis, j'imagine que les gens qui vont faire le choix... S'il y avait une loi sur l'euthanasie, les gens qui en feraient le choix le feraient en toute connaissance de cause que ça se pourrait qu'une semaine après ils trouvent un traitement pour leur maladie. Ça fait partie du doute.
Mme Rouleau-Auger (Jeannine): ...si je peux juste ajouter, ça peut faire aussi... Je pense que des maladies comme la sclérose en plaques, alzheimer, etc., il peut y avoir des médicaments qui éventuellement vont aider, mais c'est des maladies dégénératives pour lesquelles je ne pense pas qu'on peut prévoir que, dans les prochaines années, il y aura un remède miracle. Je pense que le sida, ça a été un bel exemple où on a trouvé un médicament, mais il n'y en a quand même pas eu beaucoup, de maladies aussi sérieuses pour lesquelles on a trouvé une cure en dedans de quelques années et qui a eu un impact directement, là, sur les gens rapidement.
Donc, moi, dans certains cas, ça pourrait être valable, ce que vous dites. Moi, je pense que ça doit faire... Quand on dit qu'il y a deux médecins qui doivent attester de l'incurabilité, etc., moi, je pense que... Généralement, les remèdes n'arrivent pas du jour au lendemain. Si les médecins peuvent penser que oui, je pense que ça va faire partie de l'évaluation. Puis, si le médecin dit non, ce n'est pas vraiment incurable, donc là il y aura une discussion entre le malade et le médecin pour dire: Est-ce que c'est incurable ou ce n'est pas incurable? Mais c'est une chose qui devrait faire partie du processus. Parce qu'une maladie incurable, ça doit se définir et ça doit se confirmer médicalement.
Le Président (M. Kelley): Sur ça, il me reste à dire à Sylvie Coulombe, à Dacha Rouleau-Dumont, à Jeannine Rouleau-Auger, à l'ensemble des membres de la famille Rouleau merci beaucoup pour un bel hommage à Laurent Rouleau. Vous avez exprimé votre opinion d'une façon très articulée malgré un deuil qui est très récent. Alors, merci beaucoup d'avoir... prendre le temps pour partager votre expérience avec les membres de la commission.
Sur ça, je vais suspendre quelques instants. And I will ask the representatives of the English Speaking Catholic Council to take place at the witnesses table. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 14 h 27)
(Reprise à 14 h 31)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. There's an expression in English, «a tough act to follow»! Alors, nos prochains représentants sont les représentants de l'English Speaking Catholic Council, représenté par son président, ancien membre de l'Assemblée nationale, député de Nelligan, ministre de l'Environnement, mon ancien député fédéral aussi. Alors, sans plus tarder, je vais céder la parole à Clifford Lincoln, former Member of the National Assembly and president of The English Speaking Catholic Council.
The English Speaking Catholic Council
M. Lincoln (Clifford): M. le Président, je voudrais présenter brièvement l'organisme que nous représentons, le Conseil catholique d'expression anglaise, qui est une organisation laïque de bénévoles qui a été fondée en 1981 pour faire la coordination des valeurs que nous défendons sur des questions sociales telles que l'éducation, la justice sociale, les affaires sociales. Et nous sommes un groupe de laïcs. Nous avons un conseil d'administration venant de toutes les parties de l'île de Montréal et représentant différents secteurs d'activité.
Et je suis très heureux aujourd'hui de présenter un mémoire qui a été préparé par deux de nos collègues du conseil, qui sont à ma gauche, le Dr Ramona Coelho, qui est médecin de famille et avec une spécialité dans la question des soins palliatifs. Elle travaille avec un CLSC, mais en même temps la moitié de son temps se passe à s'occuper de personnes les plus vulnérables du point de vue santé. Donc, elle a une expertise tout à fait pertinente dans cette question. Et, à sa gauche, c'est son mari, Philippe Violette, qui est un membre de notre conseil, lui aussi, et un médecin urologue, qui fait sa résidence maintenant au sein du centre hospitalier de McGill mais qui aussi a fait des stages à Sherbrooke, à Trois-Rivières, etc., et qui, lui aussi, a une expertise, naturellement, avec les malades et les gens en phase terminale. Donc, je vais passer la parole à madame... au Dre Coelho pour présenter notre mémoire. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci, M. Lincoln. Dre Coelho.
Mme Coelho (Ramona): I'm actually a home care doctor, so a lot of my patients actually have chronic debilitating diseases, and that's where I tend to do much of my work.
So, in the consultation document Dying With Dignity, euthanasia is defined as «an act that consists in deliberately causing the death of another person to put an end to [their] suffering.» So, euthanasia is giving someone a lethal medication or witholding basic medication or treatment with intention to kill. So, I'd like to talk today about several of the problems that I see with euthanasia and what I think has been fueling the debate from my perspective, from my interaction with patients, colleagues, friends and the media.
So, I've heard time and again that intolerable pain that cannot be controlled is a state that many people end their lives in and that euthanasia would be a compassionate way to help these people end their suffering, because we don't seem to be able to help them. And this is a very problematic misconception in our society. Palliative care in medicine is far more advanced than ever before, and we have great techniques to control pain. So, the question that came to my mind is: So why? Why now? Why are we thinking about this now?
I think that there are several things that have contributed to this misconception. One is our... are my own colleagues, our Québec doctors. In two of the recent surveys that were conducted by our unions, this was painfully evident. So, palliative that we have is to improve symptoms, to improve quality of life. But 49% of physicians, in one survey, thought that palliative sedation was the same thing as euthanasia. Palliative sedation is a technique that we use to control extreme pain, but the intention is not to kill. It's clearly not euthanasia. And this is quite disturbing. If our own physicians don't know the difference between palliative care and euthanasia, then the question is: What kind of medical care are they offering to patients in Québec, you know? People who are in terrible pain, are they not getting palliative sedation when they would need it? What is the quality of end-of-life care among my colleagues? And I think that, if there are misconceptions like that in the medical community, one could only guess what there is in the greater society as well.
And I think that the second thing is that most of us have heard stories. I've heard stories from my home care patients, horror stories about the hospital, people who are terrified of going back to the hospital after they've had a terrible experience. And I'd like to share two stories that are in the brief, and I'll just go through them quickly.
So, the first story is a personal friend. I'm going to call her Amy in this case. She is in her mid-seventies. And Amy had an elective hip surgery, and during rehabilitation she fell and she broke her wrist, and so she couldn't continue with rehabilitation. She was placed in a convalescent home, and during that time she contracted an infectious disease that gave her terrible diarrhea, and she was sent back to the hospital. And during that time, when I went to visit her, it was clear to me that everyone, the unit coordinator, the nurses, the doctors clearly misjudged her quality of life. Because she was weak, she was not able to walk at that time, and she was having terrible diarrhea. Just imagine the state she was in. And she was elderly. And I found they gave her little attention.
And one day I was on the phone with her, and she was very, very short of breath and she was in terrible pain, which had been an acute change from the day before. And I rushed to the hospital to find that she was actually dying. She was clearly dying. She needed to have an acute intervention... she was having a heart attack or some sort of... She needed something. The nurse had been aware of her pain for hours and had not called the doctor on call, had not told to her head nurse. And I had to fight and be an advocate for her to get someone to come. And in the end she had an emergency surgery. She is alive and she is well, you know. Her quality of life was... before. She is a former Westmount principal of a Westmount school, she was a voluntary at St. Mary's for 20 years, and she continues to have many friends. Even now, she called me a week ago to find out how my daughter was doing for kindergarten.
So, clearly, the hospital treated her with such malaise, you know, they presumed so many things about her because they saw her for just a short period of time. And I think that's a big problem in the hospital system. It's that we're not good actually at judging quality of life. And the idea of giving euthanasia, the power to the doctors to take... to decide when someone's life is no longer worth living, to participate in that decision, is a very scary one, because actually we don't have a good idea in the acute setting.
**(14 h 40)** And the second story is a story of a patient of mine, a home care patient. He's a young man. He's 44. I'll call him Tom. And Tom has a chronic wasting disease. He has something called myotonic dystrophy. So, he is disfigured because he has no muscle mass. And he recently had an acute amount of weight loss where he was not doing well. I sent him to the emergency room, hoping that they would admit him, work him up and find out what the problem was, but actually no one wanted to admit Tom. My husband went... Philippe went to... he was in the hospital. He talked to multiple specialists. No one wanted to take him because he looked like a long admission. And so Tom signed himself out, against medical advice, and came home. And he told me that he would rather die than go back to the hospital. «Do what you can do for me at home, but I don't want to go back to the hospital.» And his fear and his anxiety are not unjustified. They did treat him quite badly. And this is something that a lot of people experience when they go to the hospital. And I think all these things are helping confuse the debate, because actually what needs to be done here is a major overhaul of our hospital system, of our health care system, you know. We have the expertise. There is palliative care. In fact, Québec has a history of being a pioneer in palliative care, something we should be so proud of.
And there are a lot of interventions that can help people with chronic diseases, and instead our doctors don't know, or our doctors are overworked, our hospital staff is overworked. And you can imagine people go the hospital with not just physical pain that's not treated, but also all the existential issues that come with being very ill, that are not being addressed at all. You can imagine that they would feel that euthanasia would be the option that they would rather choose. But really I think the issue is the health care system.
The second issue I would like to address is the issue of choice, of autonomy. I'm sorry, in the brief... I've changed the order a little bit in the way I'm presenting today. I hope that's OK. So, in terms of autonomy, we had cases like Sue Rodriguez, who came before us and pleaded her case to end her life. And they're very moving cases, you know, these people who feel that they are aware, they are capable, and this is just their choice. And, in general, autonomy is something that's very important, that helps us to plan and feel free and feel like we have control in our lives. It's something that's very important. But I think we all also understand that autonomy... implicitly, we understand that it's limited, you know. For example, if a patient has tuberculosis, and they are infectious, we quarantine them. And we quarantine them against their will if they don't agree, because it's the better for the greater good, right?
And it's the same thing with the SARS epidemic that happened, you know. One of our friends from Toronto actually contracted SARS in... And me and my husband and my parents, we were all quarantined over Easter. And we had 40 people who were going to come to our house, and I had to call everybody and cancel with everybody. But the point is, if I had decided to be... Public Health would have told me that, if I tried to sneak out of the house, they would find me. They came and they checked us out almost every day. And that's good, right, because that's protecting the greater good. So, I can have my autonomy, but if I decide to make bad choices or choices that endanger other people, then that's not good.
And so, the question, here, is... Suicide is not impossibility, unfortunately, you know. A lot of people do take their lives, and it's very sad. But the question is: What would happen to the greater good if we legalize it, if we decided as a society to participate in this action? And that's the real question that I would like to address.
So, there are lots of things we can talk about when we have questions in terms of statistics of what's happened in Netherlands and Oregon and... You, guys, already have discussed this. I'm sure you have, actually. OK. So, mostly on the case-based... I'm going to go on the case-based examples for now, but after we can talk about statistics in terms of what's happened elsewhere.
So, the first issue that I'd like to talk about in terms of legalizing euthanasia or physician assisted suicide is elder abuse. So, we've acknowledged, in Canada, that elder abuse is a huge problem, and for the most part it's undetected, you know. It's physical, verbal, financial, and most often of the time financial. And, the victims, it's very hard for them to come forward, because this is their only connection often. They're elderly, their friends have died. You know, I see this in home care, the isolation of my patients.
And legalizing euthanasia and PAS -- and we can go into examples, I mean, examples that have been documented, that have come out of Oregon and the Netherlands -- allows a family to coerce a patient to feel like they have the duty to die. Instead of having the right... the chance to make this autonomous decision, in fact their autonomy is stripped from them, because they feel that they have no other choice.
And the case that I'd like to share is the one that I put in the brief -- but there are many others -- of a gentleman who was always terrified of going to a nursing home. And his wife found him increasingly burdensome to take care of, which happens, and she told him: Either a nursing home or euthanasia. And the doctor was aware of the coercion and he still performed the euthanasia. And, you know, when someone speaks about a patient being a burden, we think about caregiver burnout. This is a big issue, because it's so hard to take care of an elderly person, especially if you're an only child trying to do this, and these people need a lot of support. But you should also think about elder abuse. And so, the idea that we might be endorsing elder abuse and actually participating in murder is a big issue. It's not to be underestimated. Especially in PAS, where you you get a prescription and you go home, we'll never know actually if there was a struggle in the end, because you... I think you... Most of you guys know that most people don't fill those prescriptions, right? Most people decide it's like a safety thing. I have this prescription just in case. We can imagine what would happen though if the patient fills the prescription but decides not to take it, and in the last minute they're forced to by their family members. We would never know. We would have no way to prosecute or find out. We would just not know.
The other issue is economic abuse, which is not laughable, actually. In Oregon, when they refuse chemo, they often send a letter. HMOs often send a letter saying that they will offer physician assisted suicide. It's much cheaper. And in the Netherlands you have people fleeing to nursing homes to avoid euthanasia. They've done studies where they've given doctors immunity, and one doctor, when they looked at... there was a woman who had metastatic breast cancer who said she did not want euthanasia, and he euthanized her anyways because he needed the bed. So, that it's not just involuntary, it's against her will. Involuntary is when they don't even ask consent to a capable person, which is happening in the Netherlands, but this is a case where she said she didn't want to die, and he needed the bed and he euthanized her. And the Royal Dutch Medical Society came out with this statement saying that actually it's a good idea for the patients to have some sort of legal documentation to protect themselves against being euthanized against their will.
And that just shows how this idea of autonomy, which can seem so attractive, actually can get taken away from us in a very scary way. You know, the idea that someone else can decide for you whether you live or die is a very scary thing, and it's happening. And the Euthanasia Voluntary Association, in Netherlands, gave an example that they were proud of, when they were talking about involuntary euthanasia for people who are capable but not consenting. And they... a nun who was in terrible pain, and of course she would never ask for euthanasia because she's a nun, and so they euthanized her without asking her permission.
And then, lastly, I'd like to finish, before Mr. Murphy takes over, just to say that basically euthanasia and assisted suicide is missing a cry for help, a real cry for help. So, I'd like to share just a case with you, very quickly, of a lady who had a cardiac disease, in Oregon. She went and presented herself to her cardiologist, who sent her to a doctor who refused to give her assisted suicide. She was referred to another doctor who said: Well, your case is more than six months. So, in Oregon, you need to have a terminal illness where your prognosis is less than six months, and so she didn't qualify. And the next day she went and she killed herself.
So, if someone presented himself to me today and told me that they were suicidal and would like to die, in our current medical model, we would all rally to support that person. We'd hospitalize them against their will, we'd get a social worker involved, we'd try to find out what the issues are. But actually, when you normalize assisted suicide or euthanasia, you miss the point. Often, you miss the point. It becomes just a legal choice. Do they qualify? Do they not? It's not about how can we rally around and help this person.
We have one of the highest suicide rates in the world -- I'm sure you, guys, know that -- after Japan and Finland. We're 14.6 per 100 000. And we have tried, you know, call centers, help lines and all these kinds of things, and we have to wonder what euthanasia will do and assisted suicide will do. You know, in the Netherlands, they say that they've improved their rate of suicide, but in fact, if you look at their statistics, it's just that they're hidden in assisted suicides. The number of assisted suicides have increased in men over 50, when they're saying that suicides have gone down.
And basically what we will be saying is... When certain people that we think their quality of life is good, we're judging them, we say: Your life is worth living, and we're going to help you get over this suicidal hump, we're going to treat your depression, we're going to do... But, you, you're right, your life is worthless, so actually we're going to help you exit. And that's basically the message we're giving people, which really misses the point, just that people are towards the end of life and they're hopeless. They need psychotherapy, they need friends, they need family, they need support and they need love. And I feel like euthanasia and assisted suicide just give them the absolute wrong message and would be detrimental for society.
Le Président (M. Kelley): To conclude, Martin Murphy.
**(14 h 50)**M. Murphy (Martin P.): Thank you. Mr. Chairman, ladies and gentlemen. La perspective catholique. Nous, le Conseil catholique d'expression anglaise, nous efforçons d'avancer des principes et des politiques sur la vie humaine qui sont conformes aux enseignements de l'Église catholique ainsi qu'au bien commun. Les principes de base étayant notre perspective comprennent les convictions suivantes: la vie humaine n'a pas de prix; toutes les personnes ont la même valeur; chaque personne mérite le respect, le soutien et l'amour. Le respect de la dignité intrinsèque de chaque individu est au coeur de notre approche éthique, et cette dignité ne dépend pas de nos capacités physiques ou mentales. Quand une personne est diminuée par la maladie ou qu'elle est en fin de vie, sa dignité reste inviolable.
Respecter cette dignité crée des obligations pour la société dans son ensemble. Comment nous organisons la vie sociétale, particulièrement en ce qui concerne l'euthanasie, influence notre perception de la dignité humaine. L'euthanasie modifierait inévitablement notre perception de la vie humaine et mènerait notre société à conclure que la vie est facultative. L'obligation d'aimer son voisin comporte un aspect individuel, mais elle exige aussi un engagement social plus large. Cet engagement consiste à bien traiter les membres les plus vulnérables de notre société en leur accordant un meilleur accès aux services de soins palliatifs et à l'appui psychosocial.
Conclusion. Notre régime médical est sujet à des pressions considérables. Ces pressions ont probablement constitué le catalyseur déclenchant le débat autour de la légalisation de l'euthanasie. La douleur du patient n'est pas bien maîtrisée, et notre régime de santé ne résout pas les problèmes inhérents à notre système de santé, mais au contraire les amplifie. Nous avons d'excellentes techniques de soins palliatifs, et la question de la douleur incontrôlable ne devrait pas poser problème dans notre société. Notre vrai problème sociétal est le manque d'emphase et de priorité que nous accordons à l'humanisme et à la compassion dans le cadre des soins de santé. Nous pouvons contrôler la douleur et aider les patients, mais nous échouons. L'euthanasie n'est pas la solution. Elle ne va qu'aggraver le problème. Le débat sur la légalisation est un symptôme de problèmes plus profonds existant dans notre régime de santé. Légaliser l'euthanasie peut paraître un moyen facile d'aider certaines personnes qui souffrent, mais les conséquences pour la société sont graves et irréversibles.
Récemment et même dans le cadre de ces audiences, le terme «dignité» revient sans cesse. Les gens désirent mourir avec dignité, et il semble que certains voient dans ce concept la possibilité d'exercer un contrôle total. Le contrôle de toutes les fonctions de notre vie est impossible. Faciliter la mort ne confère pas le contrôle, et nous devons nous demander si l'illusion du contrôle offert par l'euthanasie vaut le risque qu'elle présente pour beaucoup de gens. Le contrôle dont nous disposons vraiment consiste en le contrôle de la douleur, le soutien, l'amour et la tolérance. Ces attitudes permettent une mort plus sereine et paisible que celle offerte par l'euthanasie.
L'euthanasie envoie un faux message à ceux qui souffrent. Elle ignore un vrai appel à l'aide et elle passe à côté de la possibilité d'intervenir de manière constructive.
En terminant, Kathleen Foley, of the renowned Memorial Sloan-Kettering Cancer Center in New York, an adviser to the World Health Organization Cancer and Palliative Care Center, said last week in Montréal, at the Olympics of Pain conference: «On those who argue that euthanasia is part of palliative care, we are into the quality of living for those who may be dying, not into the quality of dying.» Our civilized society needs to eliminate the pain, not the patient. The Universal Declaration of Human Rights clearly states that: «Everyone has the right to life, liberty and security of person.» In order to uphold this right for all citizens, when we are faced with the prospect of legalizing euthanasia and assisted suicide, we need to encourage new research and education on pain relief, provide public funding for more palliative care centers throughout the province to insure that all citizens have access to quality end-of-life care.
And what we find quite ironic is that, whereas we abolished capital punishment decades ago, now we're on the eve of introducing a form of capital punishment, in the sense of euthanasia is a punishment, because you are either elderly or ill or terminally ill. So, it's a challenge to consider. Thank you, Mr. Chairman.
Le Président (M. Kelley): Thank you very much. I will start off... M. le député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Alors, juste avant de commencer, remercier le Conseil catholique d'expression anglaise pour leur présence, leur mémoire et leurs interventions. Merci d'être là, merci de nous partager votre point de vue.
Est-ce que vous m'entendez bien? Oui, ça marche? C'est... It's always a little bit troubling when we hear that statistic about physicians who don't actually know the difference between palliative sedation and euthanasia. I have to admit it's a really scary one for anybody, I think, who hears that. And I'm just... I'm trying to figure it out in my own mind, as many members of this commission are.
When... when... In your personal experience, Dr. Coelho -- maybe it will be you that will take this question -- when we're trying to fix the line between palliative sedation and actual euthanasia, in practice is it easy to fix that line, is it... I mean, I know, in theory, it's easy to fix the line. In theory, when we're speaking, we say: Well, one provokes death, the other one doesn't provoke death, it allows you to slide naturally towards a natural death. And it's very easy to say in words. What I'm trying to figure out is in practice. And the fact that many doctors confuse them kind of lends credence to the theory that maybe, in practice, it's difficult to draw that theoretical line practically.
So, I'm just trying to figure out whether, in your experience or in you discussions with colleagues, whether you believe that in practice, in given cases, it's easy and it's possible to draw the line between palliative sedation and euthanasia. It seems to me that there's a critical point, there's a question of a couple of drops too many or a couple of drops less makes a difference, if I'm understanding correctly.
Mme Coelho (Ramona): It's several things, right? So, first of all, it's intention, right? So, it's true that someone could cover up a planned euthanasia act... you know, to plan a euthanasia and cover it up as, for example, something else, you know, like someone who accidently gives too many narcotics to the person. But usually... actually, it's been very well documented that proper opioid use does not cause... does not hasten... does not cause death, OK? So, first of all, that's one thing. There's lots of documentation about that. It is true that some people have had reactions to opioid out of the normal, but the majority of people... usually, oncology patients have been on escalating narcotics for a long time. They can tolerate high doses. And so, it's not a matter of narcotic control that causes the death.
But the most important thing is really the intention, right? Your intention is always to uphold life, to improve symptoms. So, the thing is, and I've seen this in a lot of the older physicians that I've worked with, it's that they don't feel very comfortable with narcotics, and so sometimes they undertreat patients for pain, and sometimes they give too much... too many narcotics. Or, in the ICU I've seen what I really consider to be euthanasia and should be illegal, is that they titrate, for example, the morphine, but they don't give the end. So, usually, you titrate morphine, and the end is pain control. And that's when you should stop titrating morphine. But you see some doctors who just write: Titrate morphine every few minutes, OK? In my mind, they may not be meaning to, but in a sense it's a type of euthanasia, because you're titrating until what end? Till respiratory...
**(15 heures)**Une voix: ...
Mme Coelho (Ramona): ...yes, till respiratory collapse? So, actually, there is definitely a line, and it's easy to see, but you have to be knowledgeable, and I think a lot of the older doctors are not knowledgeable, to be honest. And even some of the younger doctors are not knowledgeable. You know, I have done several months of training in palliative care and I do home care, and so maybe that's why I feel very comfortable. But it's not hard to tell the difference, and especially when you're discussing intention, you know. Like in the Netherlands, I don't know if you guys have seen the statistics in 1990, 1995 and 2005, when you look at those studies, they've grossly underestimated euthanasia, because they excluded patients who received pain control with the intention to kill. The intention to kill was there, and they excluded them from the statistics of euthanasia. So, there is a lot of confusion in the medical community, which is bothersome. But actually, in fact, the lines are quite clear, and intention is where it starts.
M. Sklavounos: Do you agree with the statement, in the medical community, in current practice, there may be euthanasia in practice... being practiced maybe even more widely than we may be willing to accept or to presume? Do you agree with that statement? Some people have said that.
Mme Coelho (Ramona): In some ways, I think it's true, and it's bad medecine. The thing is, if you titrate morphine to no end, the person is going to end up dying in a delirium, where they have vivid hallucinations. It's bad medecine. Or you see people who have no reason to remove, for example, something that is... Someone who's in like a chronic vegetative state, for example, and they decide to stop feeding them when they can't eat. That's happening in nursing homes, and I've heard cases, you know. You hear cases more through colleagues who don't know what to do about it, who are trying to confront... Often, it's the... It's a kind of conspiracy of silence. It's a big problem.
But legalizing euthanasia is not going to make it better. If you look at the statistics in the Netherlands in terms of legalizing euthanasia... Like some people are arguing: Well, it's happening already, so, if we legalize it, we have more control. If you look at the precedent in Oregon... Well, Oregon, it's difficult because they just don't keep the proper statistics to know abuse. But, in the Netherlands, no matter how much they try to regulate, the abuses continue, and they can... you know, 20% of involuntary... in the last Dutch report, in 2005. So, they were capable but not asking for a second physician, in 97% of those cases, so... ask another physician, 97% of the time they don't, in those cases. So, it is possible that it's happening, but legalizing it is not the solution. Cracking down and educating our doctors is the solution.
M. Sklavounos: You made another two interesting points that I'd like to raise with you. One of them is... I think you called it the duty to die, I wasn't sure, because your microphone... it was a little bit muffled at some point. But the duty to die that you mentioned, that someone in a particular situation suffering from a very difficult, painful illness who is watching their loved ones and people around them suffering along with them may feel a certain burden, more out of compassion for the people, their loved ones who are suffering and watching them degenerate, than because they themselves want to die, you call this the duty to die, or a certain... Am I right? You called it a duty to die? Could you elaborate on that? Do you have cases, patients? I'm very curious about that one, because I know that I've heard many people say something like: I don't want to watch my loved ones... I don't want my loved ones to suffer, if I can put myself out of my suffering and at the same time make... not be a burden.
Mme Coelho (Ramona): But that's not coercion, that would be someone choosing to go along with their family's wishes, in a sense. That's not exactly what I was talking about. I was talking more about coercion, like elder abuse, where patients feel that they have no other choice. And I've seen this in home care, financially or something... where someone has the power of attorney on... like their son has the power of attorney, for example -- I'm not talking about euthanasia anymore -- and they don't want take it away, they want to contest what's going on because of the dynamics in the relationship.
An example, a famous one, that... It was published in The Oregonian -- I don't know if that's how you publish... -- it's a paper... of a case... of Kate Cheney, and she was a woman with a terminal gastric cancer, and she was totally mentally incapacitated. And her daughter Erika was a nurse, a retired nurse who is her primary caretaker. And Erika felt very strongly that it was a good idea to get a physician assisted suicide like a prescription, just in case. And so, they went to their HMO, and they were refused because they felt like Kate Cheney, the patient, was no longer competent, capable of making that decision. And Erika pushed, and they saw a second consultant within the same HMO, Kaiser, and again the family... The psychologist actually even noted that maybe Erika was being coercive in this situation. And then Kaiser... and that brings up other issues in terms of whether the... The HMO had an incentive to get someone to give her the PAS Center to an outside consultant, who again thought that Erika might be coercive. So, you can see, everyone is picking it up but no one is stopping the doctor shopping. And the third one said, «there might be some coercion, but I think Kate is capable», and they got the prescription, OK, but they weren't... Kate was not planning to use it.
And later Erika had a burnout, OK, it was very difficult for her, and she placed Kate in a nursing home temporarily. And Kate, who was already slightly demented, was terrified, she was scared, she kept saying she wanted to go home. And when finally Erika had finished her time... her break, she came to get her, and Kate said to her: I understand that you don't really... you're finding it very hard for me to be at home, so probably I should be in a nursing home. But you know what? Let's just take that prescription. And actually, within hours, they had filled that prescription and ended Kate Cheney's life. So, in that case -- and I'm sure there are lots of cases like that, you know -- she actually did not want to die, but she didn't want to go to a nursing home either, so it became kind of a coercion.
And the second thing about coercion is that the... So, the second thing about coercion is the doctor, you know, in terms of us feeling coerced to participate in euthanasia. There's the case of Helen. I don't know if you guys have heard about this case, this is the famous case that came out of Oregon. Helen is the first person who received the PAS in Oregon, by Dr. Peter Reagan. And Peter Reagan admits... Dr. Peter Reagan admits, in multiple interviews after that, Helen's confidence in him, her... her hope in him was so much so that he couldn't say no, even though two previous doctors had not felt comfortable giving her the prescription for PAS. And it's well documented also that coercion of the doctor, in terms of... Kenneth Stevens published an article, in 2006 -- I can give you the reference after -- about the psychological effects of the physician also in coercion. So, this issue with euthanasia, of coercion on multiple ends, you know, I think it's important. Yes. Sorry.
M. Sklavounos: Thanks a lot. And I was also thinking about the other one, when someone could put the pressure on themselves, because they think it'll help their loved ones, it'll help end their suffering. That's another one that I can see and that I also wanted you to discuss.
But I want to get on to another point, because you spoke about the suicide rate in Québec as compared to others. If we take Québec as an entity on it's own, compared to other industrialized nations, I think we all know, and it's been discussed on many an occasion, that it's unacceptably high. And you used that as an argument to say: In a society where we're grappling with a suicide problem which we have yet to solve... And maybe we won't solve it, but we are definitely trying to make the situation better. We hear a lot about it with younger people too, who are in the prime of their life and who are unfortunately taking this way out. Do you want to elaborate a little bit more on that point? Are you saying that, in a society that is grappling with suicide as a problem, we should be even more reluctant to be entertaining this possibility, as opposed to a society which seems to not have a suicide problem?
Mme Coelho (Ramona): Medically, they're not compatible. The medical model sees suicide as someone who cannot think outside of the box. They're hopeless and they see one thing ahead of them, and that's death. And that is something that we can treat. There is documented that psychotherapy, called dignity therapy, that was actually pioneered in Winnipeg, OK, can really help reverse that sense of hopelessness. The medical model currently sees... And if you look at Oregon, for example, there was a study that showed that only 6% of psychiatrists feel that they can decide whether a person is competent to decide to end their life. Because actually in the medical model that doesn't exist. When someone decides they want to end their life, it's usually because they're in distress and need help. Yes. So, trying to introduce that into our medical system will not just affect our medical system, but it will also affect the society in the way that we think. It normalizes something that I think is not normal, yes.** (15 h 10)**M. Sklavounos: So, if I understand you correctly, if I can summarize... Do you think that, if we were to travel along the road towards euthanasia and assisted suicide, we'd be basically, pardon the expression, shooting ourself in the foot in our battle to deal with the suicide rate we have? Would we be... Do you think we'd be sending a conflicting message?
Mme Coelho (Ramona): We're validating...
M. Sklavounos: Do you think one can...
Mme Coelho (Ramona): ...that hopelessness is a real thing, like it's something that can not be treated and fixed, and that life is optional. That's the message we'd be sending, whether we want to or not.
M. Sklavounos: And you believe that the two issues, one... our position on one can contaminate the other one. They're not mutually... Can we view these as two mutually exclusive things? You're saying, «We can't.»Mme Coelho (Ramona): But, basically, how would you do that? Right? In the Netherlands, when you look at it in terms of... if it's hopelessness, first of all, and just in terms of physical suffering. But then physical suffering became mental suffering, and then mental suffering became just not wanting to live. Basically, suicide becomes validated across the board, you know. It's very, very hard to keep it in one domain. Because it's actually a logic of thought, right? It's a concept, and if it's talked about in society, it's disseminated as an idea that it's acceptable, how do you keep it from affecting your young people? And your old people too. I mean, I think people's lives are worth living and that suicide, in any case, even towards the end of life, is a cry for help. And it's a cry where we should all be running to rally around that person, to be helping that person. And in fact euthanasia tells them: You're right, we have nothing to offer you, goodbye. You know? So...
M. Sklavounos: Dr. Coelho, thank you.
Mme Coelho (Ramona): OK.
Le Président (M. Kelley): Thank you very much. M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. Merci pour votre éclairage, votre témoignage. Vous défendez une position semblable à celle de d'autres groupes, dont un entendu ce matin, celui de mourir dans la dignité... Vivre dans la dignité, plutôt. La différence, c'est peut-être cette identification que vous faites de façon très, très forte à la foi catholique qui est la vôtre et à travers les valeurs catholiques aussi, qui sont bien connues. Ma question, elle est fort simple: Dans quelle mesure cette foi-là, qui est bien légitime, vous permet de bien saisir une volonté qui est clairement réfléchie, qui est clairement mûrie et qui n'est pas une réflexion menée par une personne dépressive mais qui décide ou qui convient tout simplement qu'elle en a assez, de par les souffrances qu'elle vit au quotidien, de par les difficultés qu'elle rencontre au quotidien? Donc, dans quelle mesure votre foi vous permet de comprendre cette réalité et d'accompagner cette personne?
On a entendu, tout juste avant vous, le témoignage de la famille Rouleau, qui était fort éloquent. Une personne, et elle a insisté, autant... En fait, autant sa fille, sa soeur que sa conjointe ont insisté sur le fait que M. Rouleau n'était en rien dépressif. Il avait tout simplement cheminé mais convenu, par contre, que sa vie était arrivée à sa fin utile, en quelque sorte. Donc, tout simplement m'éclairer sur le rôle de votre foi dans la position que vous défendez en tant qu'organisation.
M. Lincoln (Clifford): Écoutez, moi, je pourrais vous répondre ainsi: c'est sûr que nous défendons un principe de valeurs qui sont des valeurs qui découlent de la foi catholique. Mais, dans un cadre beaucoup plus large, je voudrais peut-être situer la question d'après ce que je considère être le rôle de l'État par rapport à la personne humaine, qui n'est pas une chose catholique, ou protestante, ou musulmane, c'est vraiment l'humanité, de ma perception. Et je pense que les gens qui sont en politique, ici, pourraient dire que c'est ça qui les a motivés à devenir politiciens. Pourquoi sommes-nous l'État? Est-ce qu'on est là pour défendre les forts et les... f-o-r-t-s, et ceux qui peuvent se débrouiller par eux-mêmes? En fait, le rôle principal de l'État, comme je le conçois, c'est la défense des petits, des vulnérables, des minorités, de ceux qui n'ont pas la chance de se défendre. Donc, l'État est comme leur avocat.
Si on part de ce principe, qu'est-ce qui arrive de la personne vulnérable, dans la société, qui, par exemple, n'a pas de famille, qui ne peut pas parler pour elle-même, se défendre et qui fait face à un système où quelqu'un d'autre prend la décision, et dans ce cas c'est des médecins... qui prend la décision que, oui, il faudrait arriver à la fin parce que cette personne souffre d'un mal incurable ou autre.
Et là je voudrais peut-être me pencher sur deux cas qui m'ont frappé. Lorsque j'étais à la Chambre des communes, on a débattu l'euthanasie. Il y a eu le rapport Carstairs, il y a une loi sur... En fait, récemment, il y a eu la loi de Mme Lalonde, qui a été battue. Et, pendant que j'étais là, il y avait aussi une loi sur l'euthanasie, et j'ai pris partie à ce débat de façon très active. Et il y a un des membres de notre caucus, le sénateur Gigantès... Le sénateur Gigantès était un homme assez exceptionnel, un écrivain, un docteur, un penseur, un grand dans toute l'acception du mot. Et, au cours d'un débat que nous avions eu dans le caucus, il m'a raconté son histoire où, à l'âge de 39-40 ans, il avait été pris de cancer incurable. En fait, je pense qu'il avait deux ou trois cancers dans son corps. On lui avait dit: C'est une affaire de semaines, peut-être de mois au maximum. Et il me dit: Si j'avais suivi ce qu'on m'avait dit à ce moment-là, peut-être que j'aurais voulu finir avec ma vie. Pour une façon... D'une façon ou d'une autre inexplicable, tout ça s'est renversé, ses cancers ont été en rémission. En fait, il est mort il y a deux ou trois ans à l'Hôpital des vétérans, à 88 ans, je pense. Et il a fait une contribution extraordinaire à la vie commune.
Je vais vous citer un autre cas, qui m'est beaucoup plus personnel. J'avais un fils handicapé intellectuellement, il ne savait pas parler, il écoutait mal, il était... Naturellement, il n'avait fait aucune étude, ou quoi. Et, lui, lorsqu'il avait l'âge de huit ans, il a été mené à l'hôpital régional de chez nous parce que ses reins avaient faibli. Ils lui ont donné un mauvais médicament ou une trop forte dose de médicament, et son coeur s'est arrêté pendant une vingtaine de minutes. Je ne savais pas que c'était possible -- et, moi, j'étais là, alors je sais. Et là on l'a ressuscité. Appelé 99, là, il y a eu six, sept docteurs qui l'ont ressuscité. Il a été entre la vie et la mort pendant deux jours, et après il a vécu 30 autres années. Il est mort l'année dernière à 42 ans.
Et, si aujourd'hui le cas s'était passé et qu'il y avait la loi sur l'euthanasie, on aurait dit: Écoutez, cette vie-là, elle est fichue, peut-être que nous aurions écouté les médecins. Mais heureusement que cette loi-là n'existait pas, qu'on a sauvé sa vie. Et on peut dire: Qu'est-ce qu'il est, lui? Un enfant handicapé, un handicapé qui a la mentalité de sept, huit ans, il ne sait pas parler, il n'écoute pas. Mais son rayonnement auprès de notre famille, auprès des gens qu'il a connus a été extraordinaire.
Donc, est-ce qu'on devrait défendre justement la position de ces vulnérables? J'entendais justement le témoignage très émouvant de la famille qui nous a précédés, où elle disait: Il faudrait que la personne elle-même puisse s'exprimer. Qu'est-ce qui arrive si la personne ne sait pas s'exprimer, ne parle pas, comme mon fils? Qu'est-ce qui arrive? Elle disait aussi: Si c'est un mal incurable, les médecins vont décider. J'ai trois médecins dans ma famille directe, deux fils et une belle-fille qui sont médecins, et ils seront les premiers à admettre, comme Dre Coelho et Dr Violette, que les médecins, c'est comme tous nous dans la société, comme les architectes, les ingénieurs, les comptables, ça fait des bêtises, ce n'est pas tous des experts. Alors là, on dit: Les médecins vont décider qu'est-ce qui est incurable ou qu'est-ce qui n'est pas incurable. Et qu'est-ce qui arrive si le médecin se trompe et ne sait pas qu'est-ce qui était incurable dans son cas? Alors, est-ce que la vie humaine... Une vie humaine, est-ce qu'on est prêts à la sacrifier à une possibilité qu'on donne le pouvoir immense à des médecins?
Moi, je crois que le rôle de l'État, c'est justement de s'assurer que, lorsqu'on fait des lois qui s'appliquent généralement, il n'y ait pas de risque que, dans l'application de cette loi générale, ça va affecter les petits, les plus vulnérables, ceux qui n'ont pas d'avocat, qui n'ont pas de parent dans la société, qui sont seuls et qui vont alors prendre le risque de faire les frais de cette loi. Et alors, je vous dis, moi, j'ai beaucoup, beaucoup d'hésitations, pas sur une question d'être catholique, ou quoi que ce soit, c'est purement une question, pour moi... une question humaine, une question vraiment d'ordre social et de justice sociale, beaucoup plus que quoi que ce soit d'autre.
**(15 h 20)**Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Alors, je veux vous remercier à mon tour pour une présentation très intéressante. En fait, je pense que les termes du débat sont très importants. Depuis le début, on parle de s'entendre sur des bases communes. Et la question de mon collègue concernant toute la nuance entre la sédation terminale et, je pense, l'euthanasie en est un exemple.
Pour nous, c'est certain que ce n'est pas rassurant de se dire que les médecins eux-mêmes ont l'air de confondre les deux. Et, pour un médecin, c'est peut-être facile de dire: C'est une question d'intention, donc je sais que mon intention est bonne, il veut soulager et non pas de faire mourir quelqu'un. Mais en même temps quelqu'un pourrait dire: Par compassion, mon intention est de donner le remède ultime, qui serait la mort, parce que c'est le soulagement ultime, vous comprenez? Donc, si le corps médical lui-même est dans des zones grises pour ça et qu'on nous dit: C'est tout à fait correct, la sédation terminale, parce que ça fait partie de l'arsenal des soins palliatifs, je pense qu'il y a quand même des zones grises. Et ce n'est pas pour rien qu'il y a des gens qui, dans la société, se disent: Est-ce qu'il n'y a pas là quelque chose d'un peu hypocrite de savoir pourquoi, dans un cas, ce serait correct et, dans l'autre, ce ne serait pas correct, quand en fait on joue peut-être un peu sur les concepts? C'est un peu la même chose.
Juste pour parler des termes, j'ai découvert, en faisant des lectures sur les Pays-Bas, que, quand on parle d'euthanasie non volontaire, c'est, par exemple, des questions... Dans certaines études, on compile les données de, justement, sédation terminale, de quelqu'un qui est débranché d'un respirateur, alors qu'ici, si on se fie à nos belles définitions de notre document, ça, ce ne serait pas de l'euthanasie du tout, ce serait de l'arrêt de traitement, ce serait de la sédation terminale.
Donc, juste ça pour dire que je vous remercie d'apporter votre éclairage, parce qu'en fait vous nous donnez l'éclairage de la pratique, et, pour nous, c'est très précieux. Parce que, nous, on doit jongler avec des concepts théoriques mais qui des fois ont l'air d'être confondus dans la pratique et par les spécialistes, par les médecins eux-mêmes. Donc, je pense que c'est normal aussi de voir qu'il y a un peu de confusion.
Et, moi, je veux vraiment vous amener, là, M. Lincoln, vous êtes sur ça aussi, sur... Parce que vous semblez très, très préoccupé par la question de la protection des vulnérables, et, je pense, avec raison. Et il y a des constats, dans votre papier, qui sont inquiétants pour nous aussi. Quand vous dites que le système de santé, la réalité de notre système de santé, à la page 4, est qu'on ne rencontre pas souvent les standards de base pour soigner les problèmes médicaux, je dois vous dire que c'est assez inquiétant quand on lit ça, comme parlementaire.
Et, moi, de ce que je comprends des gens qui demandent le droit à l'euthanasie, c'est une demande qui vraiment provient de la personne et non, jamais, de l'équipe médicale. Et je pense que ça, c'est quelque chose qu'on doit avoir en tête quand on considère les personnes vulnérables. Comme les deux cas que vous donnez, professeure... Dre Coelho, à la page 5, moi, pour moi, le cas d'Amy, je trouve ça très inquiétant quand vous me racontez un peu comment on ne s'est pas tellement occupé d'elle. Mais, pour moi, ce n'est pas un cas d'euthanasie, parce qu'elle ne voulait pas mourir, en aucun cas elle ne voulait mourir.
Donc, je veux bien comprendre si votre crainte à vous vient du fait que l'euthanasie pourrait en fait ne pas provenir de la personne elle-même mais que ce serait en fait de permettre à l'équipe médicale de porter un jugement sur la valeur d'une personne. Parce que ça, ce n'est pas quelque chose que j'ai entendu à ce jour. Donc, je veux comprendre si ça, c'est ça précisément qui vous inquiète.
M. Violette (Philippe): Je vais essayer de répondre cette question pour donner un peu de contexte à ce que je dis. Je vais le faire en anglais, juste parce que je suis un peu plus à l'aise, vu mon éducation en anglais en général.
So, the context of our current medical system... I've had the privilege, in Québec... I've worked at the McGill University Health Center, where I do my primary training, but also, in the past three months, at the Centre Universitaire de Sherbrooke et le Centre Universitaire de Montréal, and there's a lot of small differences, cultural differences, at these institutions, but there are some unifying things. And these are three of our four big training institutions where all of our doctors are being trained, more or less. And so, one of the unifying themes is that these places are geared toward acute care primarily. That's why we have such trouble with chronically ill patients in these systems, our concept is to do something. We take a patient with a problem, we want to fix the problem and send the patient home. And so, this happens, and then we get our emergencies, which are overloaded because all these people come right back because we haven't dealt with the chronic issues, and so on.
And the concept of having euthanasia emanating from the patient is really more theoretical than practical, I would argue, because the context that the patients find themselves in is one where it's very easy to feel devalued. And there is a lot of strain in our system, which results in all the caring staff, the physicians, the nurses, everybody projecting a certain amount of that strain onto the patients with acute... or with an acute exacerbation of chronic illness or just a chronic illness. And the result is that, if we were to allow euthanasia... though it wouldn't necessarily be as explicit as physicians going around, you know, «Oh! this one is ready to die now», and signing the thing -- although it does happen elsewhere in some circumstances -- it would more be the case that this is an option to steer the patient toward, meaning, you know, the behavior of the nursing, of the physicians would involve a lot of our naturals flaws, which is we do project our own feelings, our own interpretation of what that patient must be feeling. And it's not something we're immune to. Likewise, this... So, the results would be that people would feel kind of this pressure from externally to choose this choice, which is a bit like the duty to die that we have sort of alluded to earlier.
And there is a second nuance to this, the process of consenting is always... it's a bit of a dance between the person with all the knowledge and the person with all the power, who's healthy, doctor, so on, and the person who's sick, who feels a bit desperate, who is having a hard time, often acutely, in the setting of a chronic illness. That would be the population who'd be affected most by euthanasia debate. And this kind of a dance is played out with a lot of the intention of the treating individuals. As a surgeon, if I feel a surgery is really the preferred option of many choices, in my consenting process, it's sure that that gets projected out. I may give the technical information I need to, so that I can say that I've told all the options to the patient, but it's clear where I'm favoring. And likewise, if euthanasia becomes a reality in our province, we're certainly going to have that same dance played out, and our physicians or whomever we delegate to have this consenting process are going to play a big role in influencing who ends up euthanized.
Mme Hivon: Peut-être juste un petit commentaire, je... En fait, j'apprécie vraiment la franchise du propos, et tout ça, mais je dois vous dire que ça me laisse avec beaucoup de questions sur l'exercice de la profession médicale, d'une part, parce que je me dis... Si on se fie à des pays comme la Belgique, il y a des balises: deux médecins doivent donner leurs avis, dire que la personne n'est pas déprimée, bon, toute l'analyse, les balises. Vous, vous semblez dire: Pas certain que ce serait assez, parce que, les médecins, est-ce que vraiment ils feraient une évaluation objective? Alors que, moi, je pense que, le corps médical étant si professionnel, on pourrait se fier à eux. Puis là votre dernière remarque, c'est de dire: Évidemment, les biais ou les préférences du médecin vont toujours entrer en ligne de compte. Et franchement, à la lumière de ça, je me dis: Mais comment on fait pour entrer dans un dialogue, je dirais, correct avec la personne, où c'est vraiment la personne, et le respect de la personne, et ses demandes qui sont au coeur de la dynamique? Alors...
Mais en fait vous me laissez avec des questions, mais c'est intéressant parce que c'est de voir qu'évidemment le médecin n'est pas un arbitre et quelqu'un de neutre devant tout ça et puis jusqu'où en fait ses valeurs ou sa personnalité jouent. Donc, c'est matière à réflexion, certainement. Mais vous allez comprendre que, pour ceux qui revendiquent l'euthanasie, c'est peut-être aussi une source de questionnement de se dire: Est-ce que je vais être entendu dans mes souffrances de fin de vie s'il y a ce dialogue-là et si mon médecin n'a pas les mêmes valeurs que moi? Donc... Bien, écoutez, merci beaucoup. C'était intéressant, puis c'est matière à réflexion, assurément.
Le Président (M. Kelley): Mr. Murphy.
M. Murphy (Martin P.): Mr. Chairman, before you adjourn, there are two remarks that I wish to share with the committee, if I might just now? In case you adjourn. And that's essential that they'd be tabled.
**(15 h 30)**Le Président (M. Kelley): I was going to, first, allow the MNA from Mercier to ask a question. But you can have a word at the end, Mr. Murphy. So...
M. Murphy (Martin P.): Thank you.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Mercier.
M. Khadir: Oui. Alors, M. Lincoln, Dre Coelho, Dr Violette, Dr Murphy, si le travail de la commission débouche sur des balises pour l'euthanasie qui assurent que d'abord il n'y a pas de pression extérieure, c'est-à-dire qu'on s'assure par une série de... je dirais, de considérations, qu'on minimise... C'est sûr que ce que vous avez dit, les nuances que vous avez apportées sur le rôle que joue l'équipe médicale en transférant une partie de sa vision, de ses options à la personne malade, bien ça existe dans tous les choix qu'on fait au quotidien dans la médecine, dans les choix des traitements curatifs, des opérations, des traitements oncologiques. Il y a toute une série d'endroits, par exemple dans les transfusions, où tout ça intervient. Mais on a accepté que ça ne peut pas être parfait et que c'est la dynamique de ces deux-là qui va faire qu'à un moment donné on fait des choix, que les patients font des choix.
Alors, de la même manière, si on s'assure qu'il n'y a pas de... -- d'abord, la profession médicale n'offre jamais cette opportunité, c'est un choix qui doit émaner de la personne malade -- que c'est fait, donc, de manière éclairée, qu'on assure qu'il y a une fenêtre, une durée de temps entre le moment où il y a une décision puis le moment où c'est appliqué, pour qu'il puisse y avoir réévaluation, une... je dirais, une maturation de la décision, pour enlever les dimensions que vous avez mentionnées, où il y a des exacerbations aiguës d'une maladie chronique... En dehors de ces exacerbations, on peut avoir une vue plus sereine, plus capable d'accepter un certain nombre de conséquences de la maladie.
Donc, si on s'assure qu'il y a toutes ces balises-là, une fois tout ceci dit, est-ce qu'on peut quand même accepter que, dans des conditions médicales où la douleur n'est pas le seul élément en cause, comme ça a été le cas qui a été mentionné, hein... Considérons les cas de sclérose en plaques, de sclérose latérale amyotrophique, vous savez, où la douleur n'est pas la seule en cause. C'est simplement cette perte de la qualité de vie, qui devient si dégradée, si empreinte de douleurs, disons, de douleurs psychologiques liées à la souffrance ou au fardeau qu'on représente sur les autres, qui fait partie aussi de nos considérations de la vie, qui peut faire en sorte qu'une personne décide qu'il voudrait plutôt mettre fin à ses souffrances. Est-ce que vous pensez qu'il y aurait quand même une objection, en dehors de ça?
Mme Coelho (Ramona): That's what I was alluding to before. I didn't get a chance to get into it in my brief. But, if you look at regulations in the Netherlands, they clearly should cause alarm in all of us. So, they've tried to regulate and re-regulate and increase reporting, and they had rules about two doctors being consulted, and that it had to be a persistent request, and someone who had unrelievable suffering. They had all these regulations set out. And, in the Netherlands, if we look at... So, basically, euthanasia has not been prosecuted. Basically, there've been cases that have been taken to court since the '70s, but most people have not been charged with anything. So, in fact, there has been a culture of euthanasia in the Netherlands since the '70s, OK? I would say it started really early. Like, in 1973, it was the first case, Dr. Gertrude Postma, who euthanized her mother. And you have all these future cases. And they kept trying to re-regulate to stop abuses.
And here they are today, 30 years into having euthanasia, where they have, in their last report, that 20% of their cases were involuntary. Not non voluntary. «Non voluntary» is when someone is not able to consent, because they're not capable, and the family decides for them, whereas «involuntary», the person was capable, and they were not given the option to even say whether they wanted it or not. You have multiple cases. I don't have the actual statistics with me, but there's a large proportion where the second doctor is not consulted, or you have doctor pairing, where I would always consult Phil, and he always agrees to euthanize the patient, and then he always consults me...
It's very, very hard to control these abuses. And regulations... Like, if you look at the precedents, it's very bad. And what's to say that we're very different from the Netherlands? And, if you look at Oregon, that's what I was trying to say before, where they have these excellent regulations, where there has to be less than six months, and terminally ill, a lot... the psychiatry consult, it was recommended, has become something like 3% or 4% of cases they recommend a psychiatrist to be involved, actually, in reality.
So, all these regulations have not turned out to actually protect the patients. They often protect the physician quite well. And... And... you know, and, if you look, in the Netherlands, at precedents of doctors who clearly abused the regulations, they've often been let go on good faith. But it's not protecting patients. So, our precedent that we have now, it's not like we're talking about 100 years ago, we're not talking about a society that's terribly different from ours, has really failed. So, I don't think that actually regulating and re-regulating... At the precedent we have, it's very bad.
Le Président (M. Kelley): Short conclusion, Mr. Murphy.
M. Murphy (Martin P.): Thank you, Mr. President. With the greatest respect in the world, I do have an obligation to say this, and what was noticed was there were five examples in the consultation document, pages 12, 13, 15, 20, five examples of where intervention was required, terminal sedation, etc. There was not one example in the consultation document where intervention could lead to prolongation of life in physical and psychological comfort, not one. So, we... it is normal we... one could legitimately conclude that there was a certain bias in the... non intended, I'm sure, but it was... it exists. In the section What do you think about euthanasia?, on page 20, there are no questions on: What do you think about not having euthanasia as an option, and instead have palliative care... payment and so forth.
The second note that I wish to make, it has to do with the poll. Everyday, there's a poll out which suggests that 70% or 80% support this notion of dying with dignity. Well, the surprise to us is that it's not 100%. Everybody wants to die with dignity. The problem is: How was the question framed? If, as I understand it, the question was: Do you believe decriminalizing euthanasia and assisted suicide is the right way to help people die with dignity?, so... However, if the question was framed: Do you agree that more government funds should be invested, more than the current 1% for chronic care management, access to palliative care, training and support for care givers?, I believe the answer would be very different. And it's essential that the committee, please, take that into consideration. Thank you.
Le Président (M. Kelley): Thank you very much. First, we do no polling, so we have no control. If there are other people who want to do polling, they're free to ask the questions. And all politicians around this table will say, we never comment on polls. So, that's a very old adage.
And, as to the second, I understand, but the cases that are in the consultation document are the ones that are controversial, that provoke a debate. To ask doctors to intervene to prolong someone's life, I think there's not much controversy there. So, the examples that were cited, we tried to take great care to present a document that was as neutral as possible. We understand that there have been some questioning around one of the questions in the questionnaire. It's the work of a committee, so we collectively take the responsibility. But our goal was to present things as neutrally as possible. No one around the table has the conclusions. We have about another 296 groups to hear, so I can assure you that our minds are very open.
So, thank you very much for your contribution to our reflection this afternoon.
I will suspend for a minute and I will ask Mme Nicole Gladu de prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 15 h 38)
(Reprise à 15 h 44)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, notre prochain témoin, c'est Mme Nicole Gladu, qui est ici à titre individuel... individu... Alors, sans plus tarder, la parole est à vous, Mme Gladu, pour un temps de parole d'environ 15 minutes.
Mme Nicole Gladu
Mme Gladu (Nicole): Je vous remercie, M. le Président. Alors, Mmes et MM. les députés...
Des voix: ...
Mme Gladu (Nicole): Alors, Mmes et MM. les députés, je me présente. Je suis une survivante miraculée de l'épidémie de polio d'avant vaccin, en 1949, sauvée in extremis du terrifiant poumon d'acier, après trois mois de coma, qui m'avaient laissée plus ou moins paralysée du cou aux orteils et vouée, selon le futur fondateur de l'Institut de réadaptation de Montréal, à une vie en fauteuil roulant ou avec des orthèses pour la marche. Grâce à des mois de physiothérapie, j'ai réussi à recouvrer l'usage de mes jambes. Avant de m'opérer, à l'âge de 10 ans, pour corriger une grave scoliose, l'orthopédiste a déclaré à une classe d'étudiants en médecine qu'avec seulement un demi poumon de fonctionnel je n'étais pas censée vivre, mais qu'il n'entendait pas s'objecter à ma volonté contraire.
Après cela et des années d'enseignement à la maison par un père instituteur, je suis allée au cours secondaire, avec latin, avec l'enthousiasme merveilleusement inconscient du jeune affamé de découvrir le monde. Puis ce fut le collège classique, comme pensionnaire de semaine, où je devins codirectrice du seul bimensuel étudiant de ce niveau, primé par la presse par ses... pour ses éditoriaux. Mon premier rêve. En fait, j'ai rêvé ma vie avant de vivre mes rêves comme journaliste, syndicaliste, attachée d'information et directeur de communication dans les secteurs privé et public, à Montréal, Québec et New York, jusqu'à la décennie quatre-vingt-dix.
La maladie, vaincue de haute lutte à l'enfance, est alors revenue me hanter. Je fais partie de cette race en voie d'extinction des patients les plus gravement attaqués par le virus, spectaculairement rétablis, qui mènent une bataille, sans espoir cette fois, contre le syndrome dégénératif musculaire post-polio. Celui-ci se déclare lorsque les muscles, plus ou moins épargnés par le virus de l'enfance et qui ont dû surcompenser pour les autres, cessent de se régénérer. Il m'a fallu désapprendre les recettes gagnantes contre la polio, c'est-à-dire repousser sans cesse ses limites, pour apprendre plutôt à reconnaître et respecter celles-ci, le plus dur défi de ma vie, à relever chaque matin.
Officiellement invalide depuis déjà 15 ans, j'ai la chance de bénéficier d'une sécurité financière. Mais mon état physique ne cesse de se dégrader par paliers, et le rythme s'accélère. Depuis neuf ans, je dors avec un masque d'assistance ventilatoire pour contrer l'apnée du sommeil, qui privait mon cerveau de la moitié de l'oxygène dont il a besoin. La scoliose, réactivée par la post-polio, et une grave ostéoporose tordent chaque jour davantage mon corps, le déportant d'un côté, au prix de mon équilibre, causant une hernie stomacale et comprimant impitoyablement mon demi-poumon, me forçant à ponctuer mes déplacements de pauses respiration aussi fréquentes que celles d'un chien en promenade hygiénique. Chaque souffle m'est devenu un effort conscient, ce qui consume les trois quarts de mon énergie déclinante, ceci pour l'essentiel.
Un fauteuil roulant motorisé attend dans ma chambre, caché sous un jeté, que je ne puisse plus me traîner avec ma canne quadripode dans mon confortable condo. En l'absence de cure et malgré le suivi multidisciplinaire hautement professionnel reçu à l'Institut neurologique et à l'Hôpital Victoria de Montréal, je ne peux que souhaiter que ma dégénérescence ne s'aggrave pas encore plus vite.
À 65 ans, je me soucie bien davantage de la qualité de ma vie que de sa prolongation. Ma mort m'appartient. À défaut d'avoir notre mot à dire sur notre conception, point de départ de notre vie, j'estime que nous devrions assumer nos responsabilités jusqu'à la fin de celle-ci, c'est-à-dire notre mort, qui nous attend depuis notre naissance. Et je crois mériter autant que mon chat Gitan, euthanasié en douceur dans mes bras à l'âge de 18 ans, après une longue maladie, de pouvoir mettre un terme à une vie bien remplie avant qu'elle ne bascule dans une existence de dépendance caricaturale. Mais je souhaite pouvoir le faire efficacement et sans souffrance avec mes merveilleux amis.
Or, l'état de la législation canadienne me condamne à la recherche à tâtons sur Internet avant de m'exécuter ici clandestinement ou à l'étranger, là où on a fait face à la réalité. C'est un sort que j'estime cruel. La peine de mort a été abolie il y a déjà un quart de siècle au Canada, mais on me condamne à vivre une mort lente, car l'aide à mourir est un acte criminel passible de 14 ans de pénitencier, bien que le suicide lui-même ait été décriminalisé en 1972.
On notera cependant la clémence démontrée par les tribunaux depuis 1993 dans les causes dont ils étaient saisis à ce propos. Pour citer la sociologue et criminologue Joane Martel, y aurait-il déjà ici un choix judiciaire, voire social, qu'un assouplissement des mesures législatives viendrait simplement entériner? Et de souligner que, dans l'affaire Sue Rodriguez, l'arrêt à cinq contre quatre de la Cour suprême du Canada en faveur du maintien du statu quo mit en lumière la volonté des quatre juges dissidents de reconnaître des valeurs nouvelles au sein de la société canadienne.
**(15 h 50)** Ce dossier est pourtant d'abord de teneur médicale, et la santé est, rappelons-le, sous juridiction exclusive des provinces. Québec ne pourrait-il pas dès lors inclure le suicide assisté dans le cadre des soins appropriés reconnus par son Code civil dans le respect d'un encadrement déontologique professionnel?
On justifie le présent état de fait par la religion ou les risques de dérive. D'une part, la religion a pris beaucoup de place au Québec et veut encore conserver son pouvoir sur la vie des gens et décider en lieu et place de la conscience individuelle. Mais les croyances religieuses de certains ne devraient pas entraver la liberté de choix de tous. D'autre part, il revient au législateur, guidé par le souci du bien commun, après des consultations comme celles que vous menez, de baliser le suicide assisté. Toute action, et même l'inaction, comporte des risques. Même le fait d'emprunter nos autoroutes.
Il est plus que temps de substituer à une éthique religieuse de soumission à la loi naturelle face à la mort une éthique laïque de liberté, de responsabilité et de solidarité, ainsi qu'en témoigne le Dr Marc Englert dans son bilan de six années d'euthanasie légale en Belgique, qui démontre que les craintes d'abus se sont révélées illusoires. C'est l'absence de cadre législatif qui est davantage susceptible de conduire vers une pente glissante non balisée. Le nombre très élevé de suicides chez nos aînés atteste du problème.
Pour ma part, il y a neuf ans, je me suis surprise à m'entendre penser, en me couchant: Je hais mon corps comme on peut haïr une personne. Effrayée de constater que je me détestais et que je ne pouvais donc fuir l'objet de ma haine, j'ai aussitôt consulté mon médecin de famille, une personne extraordinaire, et j'ai commencé la ronde: psychologue d'abord, sans résultat appréciable; une journée en consultation externe, sous clé, à l'hôpital de soins psychiatriques Douglas, dont je me suis presque enfuie parce que je m'y sentais aussi étrangère que dans une pièce de Kafka; et finalement une psychanalyse d'un an qui a calmé de vieilles interrogations.
Durant cet état de désespoir, du jour au lendemain je me suis retrouvée incapable d'avaler les nourritures que j'appréciais le plus. Affolée, j'ai demandé à une infirmière en garde téléphonique à Info-Santé ce que l'on donnait dans les hôpitaux pour des malades comme moi. Elle m'a parlé du Boost, et c'est ce que j'ai bu pendant six mois.
Un matin, en me réveillant, le désespoir a disparu. J'ai alors choisi de mourir à mon heure, plutôt que d'être institutionnalisée à grands frais, et de faire alors un dernier pied de nez au destin en faisant don de mon coeur, qui fait l'envie des cardiologues. Moi qui n'ai pas d'enfant, je me réjouis de penser qu'une partie de mon corps ravagé permettra à une personne de revivre. Confortée par ma décision, qui m'a fait retrouver une sérénité dont j'avais grandement besoin, je savoure plus intensément que jamais chaque plaisir et mets les bouchées doubles pour voyager pendant que j'en suis encore capable, bien que différemment qu'autrefois.
Je fais rénover mon condo pour m'accommoder. J'emploie une femme de ménage. Et je profite des ressources du Web pour communiquer, faire des recherches, gérer mes affaires, commander et me faire livrer biens et services lorsque je ne tiens pas à conduire mon automobile, surtout en hiver. Je n'entretiens aucune amertume, car j'ai saisi au vol toutes les occasions offertes tout au long de ma vie, et, plutôt que des regrets, j'ai amassé plein de bons souvenirs.
Si le Code civil du Québec reconnaît à chaque personne le droit de prendre des décisions qui ont des conséquences pour elle, cela ne devrait-il pas s'appliquer à la terminaison de sa vie? Faut-il rappeler que plusieurs décisions parmi les plus importantes qu'une personne prend dans sa vie et lourdes de conséquences pour autrui, telles que le choix d'une carrière, d'une personne à épouser ou d'un enfant à concevoir, sont laissées aux impulsions surtout émotives des individus?
Les chartes canadienne et québécoise proclament par ailleurs le respect des droits à la dignité et à l'intégrité de la personne, cette dernière englobant des dimensions physiques et psychologiques. Or, qui mieux que moi peut définir le sens que je donne à mon existence, à la fin de ma vie? N'est-il pas raisonnable de réclamer la liberté de choisir de mourir selon notre propre échelle de dignité? De quel droit l'État ou les médecins, dois-je dire, peuvent-ils prétendre décider à ma place des souffrances que je dois endurer? On accepte l'arrêt et le refus de traitement, même s'ils peuvent entraîner la mort. Qu'en est-il lorsqu'il n'y a pas de traitement?
Vous devez reconnaître la réalité. La politique de l'autruche en matière de suicide assisté me rappelle ce qui avait cours il y a 20 ans, avant la décriminalisation de l'avortement au Canada. On niait alors aux femmes le droit à l'avortement tout en tolérant en pratique les opérations clandestines du type aiguilles à tricoter. Le Vatican persiste et signe, défendant aussi la contraception. J'estime, comme être humain de sexe féminin, qu'il s'agit là de deux recours que l'on doit pouvoir choisir lorsque la vie en fait pour nous un moindre mal.
N'étant pas médecin et ne voulant pas compromettre ceux que je connais, et ne pouvant me fier à une recette glanée sur Internet, j'envisage faire mon dernier voyage à Zurich pour y chercher l'assistance professionnelle de l'association Dignitas. Une amie très chère a offert de m'accompagner malgré ses sentiments partagés quant à ma décision. Sa générosité m'a émue aux larmes. Je n'avais pas osé le lui demander. Mais cette option coûteuse n'est pas à la portée de tous, et c'est injuste.
Ce que je vous demande aujourd'hui, c'est de témoigner ce même respect à tous ceux qui comme moi regardent la mort en face depuis longtemps, d'une manière pas toujours spectaculaire, au sens où on l'entend par l'expression «phase terminale», et qui souhaitent s'épargner un supplément inutile de souffrances, autant morales que physiques, tout en préservant leur dignité.
Ce faisant, nos ressources financières, déjà étirées à la limite raisonnable avec 45 % de notre budget accaparé par les dépenses de santé, et les découvertes scientifiques qui ne manqueront pas de se produire pourront servir plus utilement à des patients qui en dépendent, au lieu d'être gaspillées sur des malades incurables qui n'aspirent qu'à une fin paisible. La vie à tout prix n'est plus à notre portée collective et n'a jamais été souhaitable pour des individus. Et ce dont parlent souvent de haut, avec dédain, les experts -- j'en ai entendu ce matin -- c'est de la mort des autres, puisqu'ils ne l'ont pas vécue eux-mêmes. Le discours est presque toujours infiniment plus nuancé chez les accompagnateurs sur la ligne de feu.
Une amie très proche me confiait en fin de semaine son indignation de découvrir que sa mère, en unité de soins palliatifs à la fin de son long combat contre le cancer du sein, n'était plus alimentée, un régime auquel elle s'est empressée de mettre un terme en la faisant transférer dans une autre unité. Cette euthanasie passive est tolérée dans nos hôpitaux.
Je vous demande de vous imaginer, vous ou la personne que vous aimez le plus au monde, dans la peau d'un malade qui réclame une injection létale qu'on lui refuse. Que préféreriez-vous?
«Le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre», écrivait Victor Hugo. Il faut décriminaliser le suicide assisté en le balisant dans une perspective humaniste. Votre document synthèse de référence énumère plusieurs critères, parmi lesquels je retiens ceux-ci: 1° la personne est majeure et apte; 2° elle est informée et fait sa demande librement; 3° elle confirme sa demande par écrit; et 4° les médecins ont un rôle à jouer, allant de la prescription de médicaments létaux jusqu'à leur administration.
Par contre, il ne me semble pas pertinent d'imposer des évaluations médicales autres que celle fournie par le malade. Quant à l'information des proches, elle relève du malade. Enfin, il me semble primordial d'insister pour que le processus se déroule sans délai indu.
Cet enjeu en est un où la justice ne peut être rendue sans compassion et où la rhétorique intellectuelle doit céder le pas à la réalité, aussi dérangeante soit-elle. La dignité, j'en suis convaincue, passe par le respect de l'autodétermination d'une personne. Et permettre le suicide assisté n'obligera personne à le réclamer.
Alors, merci à tous et à chacun de votre attention et du courage politique qu'il vous a fallu pour ouvrir ce débat aussi délicat qu'essentiel. Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.
**(16 heures)**Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Gladu, pour votre intervention. On va rapidement aller à la période d'échange avec les membres de la commission. On a un petit peu de rattrapage à faire, alors j'appelle à la discipline de mes collègues d'avoir les questions les plus précises et concises possible pour favoriser l'échange. Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous, Mme Gladu. Votre témoignage est fort émouvant, éloquent, et vous êtes une personne qui semblez très forte devant ce... le mourir, qui aura lieu au moment où vous l'aurez décidé.
J'aimerais vous parler un peu... J'aimerais que vous nous parliez, c'est-à-dire, du désespoir qui occupe trop souvent le quotidien des personnes qui sont malades, qui sont condamnées avec des diagnostics de maladie dégénérative. Il y a une famille qui est venue nous présenter tout à l'heure le vécu de leur père, leur frère et qui... pour lui, ça a occupé beaucoup les derniers jours, les derniers mois, à planifier comment il pourrait mettre fin à ses souffrances, mettre fin à sa vie. Parce qu'il n'y a pas de possibilité d'avoir accès à l'euthanasie, il faut trouver des moyens très créatifs pour protéger tout le monde, les proches, la famille, et il faut faire ça toujours dans la plus grande discrétion.
Et, dans votre mémoire, vous avez mentionné qu'un matin vous vous êtes réveillée et que le désespoir avait disparu parce que vous aviez trouvé une solution. Vous avez l'intention, un jour, de vous rendre à Zurich pour obtenir des services de l'organisme Dignitas. Est-ce que, d'après vous... Et ça, c'était l'argument de la famille Rouleau qui était ici, est-ce que, d'après vous, d'avoir trouvé ce soulagement psychologique, si on peut dire, parce que vous allez... Au moment opportun, vous allez pouvoir avoir un pouvoir sur la fin de votre vie. Est-ce que ça, ça a un impact direct sur votre qualité de vie aujourd'hui, de savoir qu'il y aura cette possibilité? Est-ce que vous pensez que ça va ajouter des années à votre vie d'avoir cette option-là qui est disponible?
Mme Gladu (Nicole): D'abord, je n'ai pas entendu le témoignage auquel vous faites allusion, un.
Deux, j'ai une amie qui vit avec son conjoint une autre maladie dégénérative, le parkinson, et elle serait tout aussi éloquente que moi pour vous donner aussi le point de vue d'un conjoint. Bon.
Troisièmement, je vais être très directe en réponse à votre question, dont j'apprécie qu'elle le soit aussi: Ajouter des années à ma vie, c'est intéressant de poser la question, je ne me la suis jamais posée. Peut-être. Mais ajouter de la qualité, oui, oui, oui, sans aucune nuance.
J'ai mené ma vie à ma façon, alors il est assez logique que je veuille continuer jusqu'à l'étape ultime de la vie. Parce que la commission s'appelle Mourir dans la dignité, mais il ne faut pas s'y tromper, hein, on parle autant de vie, par opposition à l'existence, par exemple, on parle autant de vie que de mort au sens classique. Mais le fait de savoir que je ne dépendrai pas à la fin de ma vie, pas plus que je n'ai voulu -- parce que ça aurait pu être un choix à l'enfance et plus tard -- dépendre des autres dans ma vie active, ça, c'est sûr que ça fait tout un changement, énorme. Et ce sont des gens qui me voient à intervalles irréguliers qui m'ont fait des commentaires à un moment donné: Mon Dieu! vous avez l'air bien, vous avez l'air sereine. Je le suis devenue. Donc, la décision, on entend et on lit beaucoup de commentaires sur... c'est le désespoir... Demander un suicide assisté est synonyme de désespoir, et il faut changer ça, et la personne peut changer pour dire... Moi, je dis que c'est ça qui m'a redonné l'espoir.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Mme Gladu, merci. Je vais vous faire peur un peu: moi, je passerais l'après-midi avec vous, mais je suis prise ici, donc on va se contenter d'une seule question. J'aime beaucoup votre détermination et j'aime le ton, j'aime le ton que vous aviez. Ça me rassure énormément. Vous lire était une chose, mais vous entendre est tout aussi agréable.
On va faire un jeu de rôles. Je suis médecin, je suis -- ce que je ne suis pas du tout, en passant, mais on joue un jeu de rôles...
Mme Gladu (Nicole): ...
Mme Charbonneau: Oui. Alors, je suis médecin, j'ai une vision très scientifique de la vie. Ma mission dans la vie, Mme Gladu, c'est de vous sauver. Mais je vous rajoute une coche, pour le plaisir de la cause et parce qu'on sera confrontés, nous, à cette décision-là: je suis catholique. Et, puisque je suis médecin et que je suis une personne avant tout, mes valeurs passent avec ma pratique. Je vous rencontre, et mon seul objectif, Mme Gladu, je vous le jure, c'est de vous sauver. Convainquez-moi.
Mme Gladu (Nicole): Je n'aurai pas à le faire, parce que, dans les pays où, sauf erreur... -- puis je compte sur vous pour me rectifier. Dans les pays... ou au moins dans plusieurs pays qui ont, d'une façon ou d'une autre, décriminalisé ce dont on parle ici, il est bien écrit, bien spécifié qu'aucun médecin n'est forcé, par exemple, de faire l'injection létale si en son âme et conscience il ne peut pas le faire. Il y aura toujours d'autres médecins. Et donc jamais je ne veux... Je veux traiter les autres comme je veux qu'on me traite. Je n'accepte pas qu'une opinion religieuse m'empêche de mourir de la façon que je le veux, alors un minimum de cohérence fait que je ne veux pas obliger un médecin qui ne voudrait pas... qui ne se sentirait pas capable, autorisé à remplir mon désir à le faire. Donc, pour moi, c'est une bonne question parce que ça me permet de soulever ce point-là. Mais «it's immaterial».
Mme Charbonneau: Je vous dirais que je ne cherche pas à avoir la bonne question, mais il y aura dans notre commission -- et vous avez une formation de journaliste -- une forme de redondance pour les pour et pour les contre. Et ce qui est important pour nous, gens qui basculent à chaque fois qu'on a un intervenant -- cinq minutes, on est pour, cinq minutes, on est contre, c'est excessivement difficile -- c'est d'être capable -- puis je l'ai réalisé un peu plus pendant la pause du dîner, parce que ça nous permet de prendre du recul -- de vous mettre, vous, gens qui avez une idée pour comme mettre les gens qui ont une idée contre, devant la contradiction des choses. Donc, vous avez raison de nous rappeler à l'ordre et de dire que, parmi les choix qui ont été établis dans la volonté de permettre une fin de vie, la personne qui peut donner, enlever -- utilisons le verbe qu'on veut -- est aussi une personne et a des choix personnels à faire. Donc, vous faites bien de nous le rappeler.
Une dernière petite question, juste pour nous aider à nous éclairer. Si je suis inapte... Aujourd'hui, vous êtes avec nous, on vous voit, on vous entend, on savoure les paroles qu'on partage avec vous parce que c'est fort plaisant. Demain, pour une raison que j'ignore, puisque, je vous ai menti, je ne suis pas médecin, donc pour une raison que j'ignore, vous n'avez pas accès à la parole, pour toutes sortes de raisons plausibles, vous devenez inapte. Comment je traite la cause?
Mme Gladu (Nicole): Écoutez, moi, j'ai été... Mes deux parents adoptifs sont morts d'alzheimer, et j'ai été la curatrice de ma mère. Pendant 16 ans après le décès de mon père, elle s'est lamentée et s'est... Elle est morte pendant 16 ans, et sa vraie mort n'était pas celle qui a été sur le certificat de décès.
Maintenant, vous remarquerez que je ne traite que du suicide assisté, bien que, par ricochet, je suis consciente, ce sont des débats reliés, indépendants mais reliés. C'est beaucoup plus complexe, mais, si on ne prend pas... Et je pense vous bien comprendre, ce serait moi, la personne qui a témoigné, qui n'est plus capable. Bien, écoutez, je pense que là j'ai envie de sourire -- c'est bien, le sourire, dans la vie -- j'ai envie de sourire et de dire: Bien là, après mon témoignage et les reportages, et tout ça, je pense que je suis peut-être la plus privilégiée au Québec, il n'y a pas beaucoup d'institutions qui vont dire que je ne savais pas de quoi je parlais puis que j'étais désespérée, et quoi que ce soit.
Mais, pour revenir au sérieux, moi, je pense qu'on doit respecter... Il y a quand même ces documents-là, j'ai des témoins, j'ai des gens qui m'ont connue depuis longtemps, etc. Donc, j'ai signé un mandat d'inaptitude, j'ai fait un testament. Donc, ma volonté est claire. Donc, ce n'est pas parce que... Et je n'attendrai pas jusque-là. Mais c'est très pertinent. Quand on a signifié dans un état qui est aussi raisonnable, signé des documents comme des transactions financières, des testaments, ou quoi que ce soit, à ce moment-là, je crois qu'il faut le respecter.
**(16 h 10)** Et je ne peux exprimer assez mon indignation. Ce matin, j'étais devant mon écran d'ordinateur et, en webdiffusion en direct, j'ai entendu un honorable expert -- c'était un médecin, je pense, et j'étais indignée -- dire, en réponse à une question... On parlait du testament de vie, parce qu'il y a tellement de choses reliées à ça, pratiques -- moi, je n'en ai pas parlé, mais c'est très pertinent -- et le diable est dans les détails, comme quelqu'un disait. Et là, corrigez-moi si j'ai mal entendu -- je vais vérifier dans les archives après... Et je me rappelle du ton de l'intervenant, qui a dit: Ah! vous pouvez bien faire des testaments de vie, ou quoi que ce soit, on va écouter, mais, je veux dire, ça change, ça, puis, nous, ça prend un interprète. Alors, je... D'abord, c'est d'une arrogance absolument inqualifiable. Je pense que les soins doivent être adaptés aux malades et pas les malades aux soins, pour parodier un terme qu'on entend souvent. Et depuis quand l'interprète est plus important que l'auteur? Heureusement, je sais d'expérience que tous les médecins ne sont pas comme ça.
Mais, moi, je pense que j'exprime ma volonté, je l'exprime clairement, je suis majeure et apte, informée, libre, je l'ai confirmée par écrit, c'est aux autres de remplir la quatrième balise. Et je n'entends... En tout cas, bref, j'arrête ici parce que je suis vraiment indignée de ce que j'ai entendu.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Bonjour, Mme Gladu. Je savais que vous auriez un témoignage fort éloquent parce que je vous avais lue, mais je vous avais aussi entendue dans une autre commission. Alors, je pense que vous avez un vécu très riche, et, si on fait une troisième commission, je ne sais pas si vous allez encore avoir... Vous avez vécu beaucoup de choses dans votre vie, je pense, alors, bien, merci d'être ici puis de le partager avec nous. Comme je l'ai dit ce matin, on a besoin d'entendre des gens comme vous qui ont des vécus bien personnels. Et justement, vu que vous nous parlez avec beaucoup d'ouverture et de franchise et en mettant de côté une certaine pudeur -- je pense qu'on apprécie parce que c'est un sujet très, très délicat -- je vais me permettre aussi des questions peut-être assez personnelles.
Moi, je veux bien comprendre. Dans votre réflexion, dans ce qui vous habite en ce moment, à quel moment vous pensez que ça va être assez, puis que vous allez décider que la fin est venue, et que, par exemple, vous allez aller en Suisse? Est-ce que vous avez une idée de ça, ce qui ferait que votre vie ne vaudrait plus la peine d'être vécue?
Mme Gladu (Nicole): O.K. O.K., je vais répondre en commençant par la fin de votre question. Qu'est-ce qui ferait que ma vie... je parle quand ce sera un état de dépendance caricaturale, mais quelle est ma conception? Parce que des tests médicaux, c'est objectif, mais la perception, c'est éminemment subjectif. Moi, je pense que, le jour où je -- et non personne d'autre -- m'apercevrai que toute ma vie consciente, du moment du réveil au moment du sommeil, tourne autour de ma maladie. À 65 ans je n'ai pas besoin de ça. Je ne veux pas non plus...
Il est fort possible qu'à un moment donné on me parle d'avoir des tubes dans le nez et de me promener avec une machine à oxygène, etc. Je sais qu'il y a une série télévisée, que j'adore, où on voyait une jeune femme porter ça. Peut-être que quelqu'un d'autre peut... le ferait, pourrait le faire. Encore une fois, je ne prétends jamais parler pour quiconque d'autre que moi. Je parle du droit des malades en général, en maladie dégénérative, de pouvoir décider, mais de le faire selon la manière que je privilégie, ça, c'est moi. Et ce n'est pas une panacée, pas plus que les soins palliatifs, aussi souhaitables et bons soient-ils, sont une panacée. Mais, moi... Et, si j'avais 20 ans -- et c'est facile de me croire là-dessus -- si j'avais 20 ans et la vie devant moi, je ne sais pas ce que je dirais, mais je soupçonne que j'aurais un autre point de vue. J'aurais l'énergie, l'appétit de vivre immense qui m'habitait à l'époque et qui m'a fait vivre la vie que j'ai menée. Et l'horizon serait devant moi.
Donc, la perspective... Je ne suis pas prête à dire que... Mais, pour moi, maintenant, compte tenu du fait que j'ai mené une vie extrêmement active, etc., je ne veux pas vivre une vie qui serait synonyme de maladie. Et, si vous me demandez une date, là on rentre... Vous savez, c'est... Je ne le sais pas, et c'est révisé périodiquement.
C'est toujours par des petits détails au ras des pâquerettes qu'on s'aperçoit de quelque chose comme ça. J'ai consulté la clinique polio de l'Institut neurologique autour des années quatre-vingt-douze, quand, à un moment donné, littéralement, et cette fois-là j'ai eu un flash, j'ai dit: Ah! J'étais assise dans l'entrée de mon condo, je voulais mettre mes bottes et j'avais littéralement le souffle coupé, pas le souffle coupé comme... -- j'ai employé cette expression-là avant, ça, ce n'est pas le souffle coupé -- le souffle coupé comme si quelqu'un m'écrasait. Quand je... Les expressions que j'emploie dans mon mémoire sont des expressions qui doivent être prises au sens littéral, c'est volontaire. Alors là, j'ai dit: Je pense qu'il va falloir que je consulte. Je vais aller consulter. On arrive par élimination au diagnostic, et, à la fin, c'était ça.
Et je n'étais absolument pas la personne que vous voyez devant vous. Je pense que les premiers symptômes sont apparus en 1985, quand je travaillais 100 milles à l'heure à New York. Et je les ai pris pour, ah, la frénésie, j'avais un emploi qui l'était, que j'adorais, peut-être en partie pour ça, et la pollution, et tout ça. Mais, je me rappelle, il y a eu une «cover story» du New York Times Magazine qui est parue pendant mon séjour -- à travers mes déménagements, j'ai encore l'article -- c'était un médecin qui avait eu la polio et qui avait la postpolio, qui était pratiquement inconnue à l'époque, qui en avait fait un objet d'étude -- il a publié un volume depuis ce temps-là. Et j'ai lu l'article. J'avais quelques symptômes et, pour la première fois de ma vie, je me suis dit: C'est ça que j'ai. Parce que ce n'est pas du tout moi, là, penser que j'ai une maladie parce que je vois une nouvelle, ce n'est pas du tout moi. Mais, pour la première fois de ma vie, j'étais incapable de faire face à la réalité. J'ai enfoui l'article, mais je l'ai conservé.
On m'a donné des noms de très grands spécialistes à New York. Je ne suis pas allée consulter. Pour moi, la maladie, la polio à l'époque... Je ne sais pas si j'avais fait de l'anthropomorphisme, mais j'ai réalisé après, après -- c'est après, là, là je vous donne une rationalisation qui est venue après les faits, après les coups de massue que je recevais -- pour moi, la polio, là... J'ai combattu la polio envers et contre tous. C'était comme un adversaire réel, comme une vraie personne. Et, quand... Après mes opérations, là je me suis lancée dans le monde, et les gens autour de moi avaient peur; moi, je n'avais pas peur. Je n'ai jamais douté de moi, jamais. Je fonçais, et je pense que ça a contribué peut-être à désarmer... en tout cas, bref. Et là, moi, là, j'avais fini, j'avais gagné, j'avais gagné la guerre. J'avais des séquelles, c'était correct. C'était comme un contrat, et, moi, j'ai rempli ma partie de contrat. Je me suis battue comme une forcenée -- je suis un lion -- je me suis battue comme une forcenée, j'ai gagné, mais pas tout, puis ça a été long, puis ça a été difficile. J'avais des séquelles, c'est correct -- excusez mes grands gestes -- maintenant, la maladie, tu t'en vas, c'est fini.
Alors, quand la postpolio est revenue... Il y a à peu près 30 %, 35 % des gens là, etc., qui ont été les plus malades, etc., qui se sont rétablis spectaculairement, puis après c'est comme lorsqu'on coupe du personnel dans une entreprise, le travail, il n'est pas coupé, les gens compensent, compensent. À un moment donné, ils n'en peuvent plus, ils font des burnouts. Alors, mes muscles ont fait un burnout.
**(16 h 20)** Je regarde tout ça et je me dis: Je ne voudrais pas une autre vie, mais est-ce que... Ce n'est pas une progression continue. C'est un petit peu comme l'alzheimer, que j'ai bien connu, ça va par vagues. Puis, en 1998, j'ai été hospitalisée d'urgence, très bien soignée à l'hôpital de Verdun, thrombophlébite foudroyante, puis on m'amenait à l'hôpital, puis anémie très grave. Le médecin commence à me soigner pour la thrombophlébite, il arrête le traitement parce qu'il craint d'aggraver l'anémie. Et là, en 24 heures -- là, je ne vous raconte pas des histoires, c'est ce qui m'est arrivé, même si on ne peut pas l'expliquer -- interniste, gastroentérologue, mon taux d'hémoglobine était au troisième sous-sol. Là, j'ai été branchée pendant deux semaines: sérum d'un côté, sang de l'autre. Aux quarts d'heure, on vérifiait mes signes vitaux. En 12 heures, mon taux d'hémoglobine est monté à la planète Mars. Personne ne pouvait dire pourquoi et comment. Donc, c'est difficile de dire, mais, depuis ce temps-là, je sais, rétroactivement, début 1985: 92 diagnostics, 98 ça, puis je ne sais pas pourquoi, et ça, ça fait 13 ans. Maintenant, je peux vous dire que ça a été comme un tsunami dans mon organisme, cette thrombophlébite, et combinée à l'anémie, qui aurait dû être mortelle, et là la postpolio a galopé au plan qualitatif, au plan quantitatif.
Je repense à un voyage que j'ai fait avec des amis en 2005... Je vois, j'ai un regard d'ancienne journaliste, je traite ça comme un dossier. Donc, je suis très, très impliquée puis en même temps je pense que j'ai le recul professionnel qui m'est resté.
Alors, maintenant -- je m'excuse si la réponse a été un petit peu longue, c'est difficile de répondre catégoriquement là-dessus -- l'échéance se rapproche. Je dirais qu'au moment où on se parle, tout en souhaitant énormément que votre commission amène ce que l'on souhaite, en fait ce que je souhaite, je crains de ne pas pouvoir en profiter, je dirais que, dans cinq ans, à 70 ans... Moi, mon long terme actuellement, c'est cinq ans. Mais il peut changer. Puis, si j'ai la même qualité de vie ou une qualité de vie... -- et j'ai une faculté d'adaptation qui semble sans limite, d'après ceux qui m'ont connue, y compris les médecins -- tant mieux, mais c'est à peu près cinq ans.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Il me reste le temps pour deux courtes questions. Mme la députée de Marguerite-D'Youville.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, Mme Gladu, de cette clarté dans vos réponses. C'est vraiment très intéressant de vous entendre.
En conclusion de votre mémoire, vous dites qu'il faut décriminaliser le suicide assisté en le balisant, bien sûr. Et je comprends très bien que, dans votre façon de voir votre avenir, vous vous donnez un certain nombre de critères et de balises. Vous comprendrez certainement qu'on doit, nous, ici, regarder les choses pour offrir, si on change une loi, des perspectives pour la majorité des gens que ça peut concerner. Et, quand vous dites qu'on doit le baliser, quelles seraient, pour vous, les balises absolument incontournables pour ne pas en arriver à des situations de dérapage qu'on ne voudrait pas non plus voir, là, de la part des personnes qui voudraient utiliser cette...
Mme Gladu (Nicole): Bien, ce sont les quatre balises que je cite à l'avant-dernière page de mon mémoire -- pas celui que vous avez, parce que je l'ai remanié à la toute dernière minute. Lorsque je dis: Il faut décriminaliser, alors la personne est majeure et apte, elle est informée et fait sa demande librement, elle confirme sa demande par écrit -- ça, c'est du côté... ma partie de mon contrat -- et, de l'autre côté, les médecins ont un rôle à jouer, allant de la prescription de médicaments létaux jusqu'à leur administration. C'est ce que j'ai retenu. Parce que je me suis tapée la lecture non seulement de votre document de référence, mais de tous les mémoires que vous avez reçus avant la commission. J'ai fait mes devoirs.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): ...que les médecins ont un rôle à jouer puis en même temps vous affirmez qu'il n'est pas pertinent d'imposer l'évaluation médicale autre que celle fournie par le malade quand il en arrive à prendre sa décision. Alors, c'est quand même assez large comme critère que vous nous présentez actuellement.
Mme Gladu (Nicole): Non, pas vraiment, si vous me permettez d'être en désaccord. Je dis que ce que je crains... Parce que je suis habituée avec les manoeuvres dilatoires qui se cachent, moi. Je dis qu'il faut... Attendez un petit peu. Je m'excuse, là, je cherche le passage exact. Bon. «Par contre, il ne me semble pas pertinent d'imposer des évaluations médicales autres que celle-s -- donc, il doit y en avoir, puis j'ai mis singulier ou pluriel -- fournie-s par le malade.» Dans le cas des maladies dégénératives -- c'est évident pour moi, mais je conçois que ça ne soit pas évident pour tout le monde -- ce n'est pas à un médecin arrivé «out of the blue», aussi lettré soit-il, de pouvoir juger de mon évolution et de celle d'une maladie qui a commencé en 1985, alors que j'ai la chance d'avoir un médecin de famille extraordinaire depuis à peu près la même période, 1992. Alors, moi, je pense que cette personne-là, quand je parle du désespoir que j'ai vécu, etc., elle m'a aidée, elle m'a comprise. Elle comprend la personne que j'étais et que je suis, elle comprend parfaitement. Donc, qui pourrait prétendre mieux qu'elle? Mais ça ne veut pas dire... Je ne lui ai pas demandé, parce qu'actuellement c'est une tâche impossible que de demander à un médecin -- surtout que je ne suis pas rendue là encore: Est-ce que vous me donneriez l'injection?
C'est ça, le paradoxe, il faut que tout le monde se cache. Et, moi, je vous demande: Quand on se cache, qu'est-ce qui peut sortir de bon de se cacher? Parce qu'il y en a. Tu le sais, d'assister, c'est beaucoup plus difficile, mais il y en a. D'ailleurs, Sue Rodriguez, si je me rappelle bien -- j'espère que je ne commets pas d'erreur -- il y a eu l'implication du député Svend Robinson, mais c'est une femme médecin qui a pris un risque. Mais ce n'est pas normal. Est-ce que c'est mieux? Je dis que non. Mais il ne s'agit pas que le malade arrive comme ça... et même si... Même plus loin, si le malade était lui-même médecin, ça peut très bien se produire, je pense qu'il faudrait qu'il y ait un médecin qui le connaisse de longue date, et qui le connaisse bien, qualité et profondeur, pour dire: Bien, voici, moi, là -- en justifiant son opinion -- je le traite depuis tant, etc., j'estime que cette personne, elle est apte, elle est informée, elle est libre, etc., et qu'on devrait accéder à sa demande. Ça, je pense que ce serait suffisant.
Le Président (M. Kelley): Dernière courte question, M. le député de Mercier?
M. Charette: Mme Gladu, vous avez mentionné... D'abord, merci pour votre témoignage. Vous avez mentionné tout à l'heure que, le jour où vous avez pris votre décision, ça a été un jour de grand, grand réconfort, décision qui aujourd'hui vous apporte une certaine sérénité. Mais en même temps, dans votre mémoire, vous soulignez que c'est passablement injuste parce qu'il faut avoir les moyens pour recourir à pareille solution. La question peut paraître sévère, mais vous est-il arrivé de penser quelle aurait été l'avenue retenue si vous n'aviez pas eu ces moyens à votre disposition?
Mme Gladu (Nicole): Non, elle est très pertinente. Je pense que, si ça n'avait pas été le cas, j'aurais continué à fouiller -- je suis une très bonne recherchiste -- et j'aurais probablement... Et j'en serais là actuellement dans ma vie, si ce n'était de cette sécurité, j'aurais essayé de trouver. J'avais des idées, que je ne mentionnerai évidemment pas ici, à qui m'adresser en discrétion, etc. Et je... parce que... Mais j'aurais peut-être été réduite, à la fin, à prendre, à essayer une recette sur Internet. Il y a un jeune médecin, dans une soirée bien arrosée chez des amis, qui m'a dit: Ce n'est pas difficile, va-t'en sur Internet. Je vais vous dire, je suis pas mal bonne pour rechercher sur Internet, je n'ai rien trouvé qui m'a inspiré confiance. Mais ça serait... J'en serais réduite à ça.
Mais, je me dis, de la même façon que, quand j'ai essayé de placer ma mère, ça a été le parcours du combattant... Placer une personne qui vient de faire une crise d'alzheimer avec AVC, et tout ça, dans une résidence luxueuse -- mais ce n'est pas parce qu'elle l'était que je ne voudrais jamais terminer mes jours là -- et là ils n'en veulent plus... Avant, ils en voulaient, mais là ils n'en veulent plus parce que c'est rendu compliqué. On est entre la Saint-Jean et la fête du Canada. Et là qu'est-ce que je fais? Parce que c'est ma mère, je déploie des choses que je n'aurais pas osé. Donc, c'est une façon de répondre pour moi-même. Je suis beaucoup plus gênée de réclamer pour moi et pas du tout quand c'était pour mes parents.
Et là j'ai appelé un oncle, qui est mort depuis, qui était gentil, qui avait été à la tête d'un département de médecine en province. J'ai dit: Mon oncle, voici ce qui arrive. Qu'est-ce que je peux faire? Connaissez-vous quelqu'un? Ce n'est pas supposé être comme ça, mais c'est comme ça. Et, quand c'est votre mère ou votre père, quelqu'un que vous aimez, là -- mais ce n'est pas normal -- vous le faites. Mais je serais bien plus mal à l'aise à le faire pour moi. Oui, je te rappelle. Et là il m'a donné le nom d'une personne qui sortait du terrain, qui avait une fonction administrative, qui était ce que j'ai appelé le Berri-Demontigny du placement des personnes arrivées à la phase terminale d'alzheimer.
Entre-temps, je suis allée à l'hôpital où était ma mère, où ma mère accaparait un lit. Hein, ça sonne familier, ça, hein? Ça aussi, c'est une raison du problème, l'absence de lits dans... le problème des urgences des hôpitaux. Mais, au moins, elle était là. Ils ne pouvaient pas la mettre dehors tant que je n'avais pas signé, etc. Je suis allée voir des évaluations pour lesquelles on avait besoin de ma signature mais qu'on ne voulait pas me donner. J'ai volé les documents. Je le dis et j'en suis fière, j'ai volé les deux documents. J'ai attendu une certaine heure, alors qu'il n'y avait personne, je suis partie avec, je les ai photocopiés dans ma tour. Et là la responsable du... -- je ne peux pas m'empêcher de rire, parce que le cadre, le cadre, le cadre... j'avais violé le cadre -- m'a téléphoné chez moi et m'a dit: Je pense que je vais vous interdire l'accès à l'hôpital, si vous me... J'ai dit: Oui, madame, je vous retourne ça par express.
**(16 h 30)** Mais là, quand la personne à laquelle m'a référée mon oncle m'a rappelée -- Berri-Demontigny du placement -- j'ai dit: Madame, voici, je vous dis, là, j'ai volé deux documents. Lesquels? B «whatever»... Parfait. Allez à telle page, telle page, telle page. Quelle est la réponse? Quel est l'estimé? Et là j'ai pu enfin éviter, par un tour de passe-passe légal, mais il faut le savoir, que ma mère ne transite par je ne sais plus quoi, parce que c'est tout régionalisé, et aboutisse à un endroit où elle a fini paisiblement ses derniers jours.
Pourquoi je vous fais cette digression? Parce que je vous montre que... Mais, moi, je me disais... On parlait à des amis. Je suis la première dans mon groupe qui a vécu ça. Puis là tout le monde connaît quelqu'un, connaît l'alzheimer, en tout cas, bref, doit s'en occuper. Et là je disais: Mais que font les gens qui n'ont pas eu la chance -- parce qu'on n'a pas de mérite à ça -- d'avoir l'instruction, les moyens et les contacts? Mais qu'est-ce qu'ils font? J'ai trouvé que c'était l'horreur, et je ne suis pas la seule. Alors, peut-être que je serais... mais réduite à m'injecter je ne sais pas quoi, sur Internet... d'après l'Internet, mais je pense que, parce que j'ai la chance d'avoir ce que je viens d'énumérer et puis l'expérience avec ma mère, je pense que je finirais par trouver quelques... il y en a, et que je me ferais accompagner. Mais il faudrait que ce soit en secret. Et, pour ne pas que mes amis... Ce serait ici. Pour ne pas que mes amis soient poursuivis... Et ça, c'est la cruauté suprême. Mes amis qui font partie de ma vie... Moi, j'ai été gâtée, j'ai gagné à la loterie avec mes amis, et ces gens-là ne pourraient pas m'accompagner.
Le Président (M. Kelley): Sur ça, malheureusement, Mme Gladu, je dois mettre fin à notre échange parce qu'on est déjà pas mal en retard dans notre horaire. Alors, merci beaucoup pour partager votre vie courageuse avec les membres de la commission.
Je vais suspendre quelques instants. Je vais demander à Mme Monique David de prendre place. Et j'espère que notre suspension va être d'une très courte durée.
(Suspension de la séance à 16 h 33)
(Reprise à 16 h 36)
Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Notre prochain témoin, c'est un autre individu, Mme Monique David, qui prend la parole. Alors, elle vient de distribuer une nouvelle version de... un mémoire plus développé de qu'est-ce qu'elle a déposé pendant l'été. Alors, sans plus tarder, Mme David, la parole est à vous.
Mme Monique David
Mme David (Monique): M. le Président, Mme la vice-présidente et membres du Parlement, il me fait un grand plaisir de vous présenter mon mémoire, qui se divise en deux grandes parties: le témoignage de la situation de mon père et quelques considérations d'ordre un peu plus philosophique.
Le 14 juillet 2009, mon père, qui jouissait d'une assez bonne santé jusqu'alors, a souffert une crise cardiaque à l'âge de 86 ans. Il en est resté très affaibli, et sa condition de vie s'est vue grandement diminuée. De fait, il doit compter depuis lors, et chaque fois plus, sur l'aide de ma mère pour la majorité des gestions personnelles et domestiques de la vie quotidienne.
Contrairement à sa nature optimiste et positive, durant les six, sept mois qui ont suivi le changement de vie causé par sa crise cardiaque, je l'ai entendu dire fréquemment qu'il voulait mourir. Cela s'exprimait de façon directe, tel «je veux mourir», ou de façon indirecte, tel «je n'ai plus rien d'utile à faire ici». Mon père vivait exactement les symptômes décrits par l'Association canadienne des soins palliatifs, sur les quatre principales raisons qui amènent une personne à demander la mort.
Premièrement, la douleur et la souffrance physiques. En effet, mon père avait et continue d'avoir plusieurs douleurs et maladies physiques pour lesquelles le médecin dit qu'il y a peu d'options pour les soulager.
Ensuite, le besoin de contrôler sa maladie, son corps et sa vie. Mon père a toujours été fier, très fier même, d'être indépendant et en contrôle. Ne plus jouir de cette autonomie et de se voir chaque plus dépendant est rapidement devenu une source d'angoisse et d'anxiété croissante. Pendant des mois et plusieurs fois par jour, il ne savait pas distinguer entre ses crises d'anxiété et crises d'angoisse... pas d'angoisse, des crises d'angine, plutôt.
Troisièmement, le désir de ne pas être un fardeau. C'est tout à fait le cas de mon père et, j'en suis convaincue, le cas de la majorité des grands malades. Personne n'aime se voir comme un fardeau pour les autres. C'est dans ce contexte qu'il a commencé à dire qu'il empoisonnait nos vies.
Et finalement la dépression et la détresse psychologique associées à la maladie. Mon père n'avait jamais connu la dépression. Après ses demandes continuelles de mourir, son médecin de famille lui a prescrit des antidépresseurs, qui ont pris plusieurs mois à faire effet. Il a aussi accepté de rencontrer un psychologue, qui s'est limité à lui conseiller d'acheter un CD de relaxation et de faire les exercices correspondants, ce que mon père continue à suivre quotidiennement. Les crises d'anxiété ont pratiquement disparu, et, depuis quatre, cinq mois, il a complètement arrêté de parler en termes de mort et d'empoisonnement de la vie des autres.
**(16 h 40)** Je parlais souvent avec mon père lorsqu'il disait vouloir la mort, et je lui ai fait voir qu'il n'était pas un poids pour nous. J'ai dû répéter ces idées chaque jour et pendant des mois. Ma mère, mes deux frères et moi-même lui avons fait comprendre que de l'assister dans ses besoins était pour nous une façon de lui remettre ce qu'il nous avait donné avec générosité tout au long de sa vie.
Je lui ai souvent rappelé qu'il peut encore aider beaucoup de personnes parce qu'il a une grande sagesse de vie. Peu à peu, il a accepté et compris qu'il pouvait encore être utile, mais d'une autre façon, moins active physiquement, mais peut-être plus significative en termes de relations interpersonnelles. De fait, sa présence, son écoute, son sourire, son regard attentif et intéressé ont changé très positivement des comportements autour de lui, comme le passage de l'indifférence à l'intérêt et le service à l'autre.
Mon père souhaitait-il réellement mourir, et sa condition était-elle médicalement terminale, ou est-ce sa difficulté à accepter sa nouvelle condition qui le faisait parler ainsi? Je m'incline à penser qu'il s'agissait du deuxième cas, soit l'acceptation de sa nouvelle condition. J'en conclus que, si nous avions accédé à ses désirs réitérés durant des mois en étant secondés par un médecin ou par un système de santé légalisant l'euthanasie, mon père ne serait plus parmi nous.
Cette expérience personnelle me confirme que les demandes à vouloir mourir doivent être désamorcées plutôt qu'activées. Il faut prendre le temps de comprendre le contenu du «je veux mourir». On doit se questionner sur ce que le malade réclame réellement, et dans tous les cas il faut le voir comme un cri de détresse qu'il convient d'adresser comme nous le ferions auprès d'une personne qu'on aime et qui voudrait se sauter... qui voudrait sauter en bas du pont Jacques-Cartier, par exemple.
En regardant de plus près les causes qui mènent au désir de mourir, cela nous permettra de mettre beaucoup plus d'efforts, d'expertise, de créativité et de volonté pour contrer ces problèmes.
Du côté de la douleur physique, il est urgent, on en a parlé ce matin beaucoup, qu'il y ait beaucoup plus de médecins habilités à gérer la douleur et que cette expertise fasse partie du curriculum de base de leur formation universitaire ou de leur formation continue. Les médecins eux-mêmes confessent qu'ils ont très peu d'expérience et se sentent insécures dans ce domaine.
Dans ce contexte, il est intéressant de mentionner l'importance du 13e Congrès mondial sur la gestion de la douleur, qui a eu lieu la semaine dernière à Montréal et qui a réuni autour de 6 000 professionnels de la santé qui ont tous le désir de faire avancer la science dans ce domaine. Il a aussi été question d'une déclaration qui stipulerait que le droit d'être soulagé de la douleur est un droit humain. L'application de cette déclaration pourrait avoir de nombreuses conséquences positives pour mettre en branle des mécanismes efficaces, tant dans la formation médicale que dans les moyens mis sur place pour en faire une réalité dans nos institutions de la santé.
Pour ce qui est de la souffrance d'ordre psychologique, telles dépression, angoisse, anxiété, social: isolement, solitude, spirituel: perte de sens de la vie, cachée dans le désir exprimé du vouloir mourir, la médecine de soins palliatifs est une solution très efficace. En effet, l'approche se veut multidisciplinaire et holistique et donc s'appuie sur un éventail de professionnels capables d'adresser toutes les dimensions de l'être. De plus, c'est une solution peu dispendieuse, puisque la technologie employée est quasi inexistante et que les médicaments pour soulager la douleur, comme la morphine, sont très peu coûteux.
Mes réflexions d'ordre plus philosophique à partir de cette expérience. Tout d'abord, il me semble important de comprendre et de garder en mémoire la signification originale du mot «compassion». Son étymologie vient du mot latin «cum passio», qui signifie «souffrir avec». Souffrir avec le patient implique d'accepter que sa souffrance entre dans ma vie. C'est accepter que ma vie va changer aux côtés d'une personne qui porte une maladie.
Ceci dit, accepter de souffrir avec le patient ne devrait jamais impliquer une attitude défaitiste et passive devant la souffrance. Une société qui se veut pleine de compassion doit porter l'aide au souffrant et à son entourage, trouver chaque fois plus de moyens pour les assister et les soulager, encourager le bénévolat, promouvoir la solidarité dans les familles et encourager des programmes scolaires qui stimulent l'entraide et l'acceptation des personnes démunies dans le corps ou dans l'esprit. L'égoïsme et l'individualisme des membres de la famille ou de l'entourage peuvent souvent être la cause de l'isolement de la personne qui souffre et du désespoir de ne plus percevoir de sens à sa vie. La compassion, c'est faire tout ce qu'on peut pour supprimer la douleur dans la personne et non tuer la personne pour supprimer la douleur.
En réalité, le coeur du débat sur l'euthanasie et le suicide assisté touche la légitimité et les limites des droits individuels de la personne. Le droit à la vie est un droit naturel et reconnu par toutes les grandes déclarations des droits humains, parce que la vie est le bien le plus fondamental et naturel de la personne et celui sur lequel s'appuient tous les autres. Sans vie, pas de droits. Le droit à mourir repose donc sur le droit à la vie. Pour mourir, il faut avant tout avoir la vie. Par le fait d'être, la personne est porteuse du droit à la vie et du droit à la mort, parce que tant la vie comme la mort font partie de la condition humaine.
D'ailleurs, il y a beaucoup de confusion actuellement. On en parle. Plusieurs personnes acceptent l'euthanasie parce qu'elles ne veulent pas être maintenues en vie artificiellement ou être victimes d'acharnement thérapeutique. Cependant, ces pratiques peuvent légitimement être refusées à tout moment par le patient ou la famille, justement dans la perspective du droit à mourir dans les limites naturelles... dans les limites de la mort naturelle.
Ce qui est réclamé, avec l'euthanasie et le suicide assisté, c'est le droit qu'on m'enlève la vie au moment où je, ou quelqu'un d'autre pour moi, choisis et de la façon dont je le veux. Et là on ne devrait pas parler du droit à mourir, mais du droit à ce qu'on m'enlève la vie ou, en d'autres mots, à être tué. Ce droit exprimé... Ce désir exprimé en droit personnel exige l'intervention d'une tierce personne et d'un système juridique qui l'autorise. Autrement dit, l'euthanasie et le suicide assisté impliquent que des médecins deviennent des acteurs de la mort et que la société reconnaisse juridiquement qu'un acte criminel soit légitime ou encore, plus pernicieusement, qu'il soit considéré comme un acte médical.
Il n'est pas superflu de considérer également les conséquences morales et psychologiques qui pèseront sur la conscience des professionnels de la santé après avoir tué une personne, même si cela manifestait la volonté du malade.
Le suicide existe depuis le début de l'humanité. Ceux qui l'ont exercé n'ont pas demandé à une société de reconnaître le bien-fondé de cette pratique, parce qu'implicitement on a toujours compris le principe de base: que la liberté personnelle finit là où la liberté de l'autre commence. Ce droit à vouloir qu'on me tue par l'euthanasie impose cependant l'obligation à toute une société de justifier le meurtre et à des individus de poser ce geste à ma demande, et ce, en toute légitimité.
Nous voulons tous mourir dans la dignité. Comme l'a écrit le Pr Margaret Somerville dans un article intitulé Suffering with Dignity, l'acte de mourir est le dernier grand acte de notre vie, et c'est normal qu'on veuille le vivre... qu'on veut vivre ce processus de la mort dans la dignité.
Mourir dans la dignité, c'est faire tout notre possible comme société pour que chaque personne puisse avoir le droit d'être soulagée dans sa douleur physique, psychologique, morale et spirituelle, et faire en sorte qu'elle puisse compter sur des êtres aimants à ses côtés, tout en laissant la nature suivre son cours.
Finalement, j'aimerais souligner qu'on vit dans une société qui donne beaucoup d'importance au corps et à l'image, au paraître et à l'avoir plutôt qu'à l'être. La maladie vient bousculer ces modèles de vie et entraîne souvent une remise en question de fond, très souvent bénéfique, et qui demande d'être soutenue avec patience et compréhension. C'est bien connu que ceux qui ont cultivé la dimension spirituelle dans leur vie sont mieux équipés pour composer avec leurs souffrances physiques et morales et celles des autres.
**(16 h 50)** Quoi qu'il en soit, il est fréquent que le contact avec la souffrance ouvre une porte, jusqu'alors inconnue, sur la richesse intérieure de l'être humain et sur sa dimension spirituelle. Pour les personnes qui souffrent, c'est souvent l'occasion de donner un sens plus profond à leur vie, de manifester de l'amour, de régler des situations irrésolues, de demander pardon à des proches. Pour ceux qui entourent le malade, y compris sa famille et les professionnels de la santé, la dimension spirituelle augmente les capacités de compassion, de générosité, de force morale et de don à l'autre.
La légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté risque de faire perdre à notre société une grande richesse d'humanité. Le peuple québécois est reconnu pour sa capacité de compassion et de solidarité. Cette solidarité dans l'aide aux malades peut prendre une ampleur inimaginable si on met notre créativité à profit. L'euthanasie, c'est la mort et le non-être. La personne euthanasiée n'est plus. Pour elle, l'enjeu est fini. Et la société qui justifie cette pratique devient solidaire d'une culture de mort, et de la peur et de l'angoisse qui l'entourent.
Conclusion. L'euthanasie témoigne souvent de la peur de la souffrance et de la mort elle-même et favorise parfois le repli sur soi-même. Au contraire, l'accompagnement de la personne en fin de vie par des soins palliatifs exige une ouverture à l'autre et du courage, courage de la personne qui souffre, pour vivre sa vie jusqu'au bout, courage des parents et du personnel soignant dans la compassion et l'abnégation, courage d'une société qui affirme le caractère sacré de la dignité humaine dans le respect de la vie et de la mort.
Accompagner et aider une personne en phase terminale est une occasion de mettre sa vie au service de la vie de celui qui perd la sienne peu à peu. Par contre, participer à l'abrègement de la vie de celui qui souffre, c'est mettre sa vie au service de la mort de l'autre. La mort naturelle peut devenir l'occasion de grandir non seulement pour la personne qui se meurt elle-même, mais aussi pour les personnes qui l'entourent, pour sa famille, pour le personnel soignant et parfois même pour des sociétés entières.
À titre d'exemple, le livre Les mardis avec Morrie, ou Tuesday with Morrie, de Mitch Albom, raconte l'histoire vécue d'un professeur de sociologie atteint d'une grave maladie qui l'emprisonne peu à peu dans son corps et d'un ancien étudiant qui le visite chaque mardi pour discuter des grandes questions sur la vie et la mort. Ce livre, qui a été tiré à plus de 11 millions d'exemplaires, a changé la façon dont des milliers de personnes ont fait face à la maladie en apprenant à l'apprivoiser et en lui donnant un sens.
Une société qui comprend la grandeur et la dignité de l'homme donne à chaque personne la possibilité de faire de sa vie une victoire en lui permettant de bien vivre sa mort jusqu'au bout.
Je vous remercie d'avoir pris le temps de m'écouter. J'espère sincèrement que le Québec saura marquer le pas vers des solutions créatrices et innovatrices, dans le plus grand respect du malade, de sa vie et de sa mort naturelle.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme David.
Encore une fois, je dois faire un appel à la discipline des collègues, si on peut avoir les questions les plus précises possible, parce qu'on est en plein rattrapage sur notre horaire. Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup. Alors, Mme David, je dois vous dire que votre mémoire est très touchant, parce que vous nous présentez votre position avec beaucoup d'humanisme, émotion et avec un détachement, en même temps, par rapport à votre position. Et je dois vous dire que ce n'est pas facile d'être membre d'une commission comme celle-ci, parce que, je dois vous dire, j'avais ma position... Il y a quelques mois, là, si quelqu'un m'avait posé une question concernant ma position, j'aurais été très claire, très ferme. Aujourd'hui, je suis indécise.
Alors, chaque personne qui vient nous voir nous présente ses opinions, sa perception, son vécu, et vous faites partie de ces gens-là qui font une différence. Vous avez été là ce matin lorsque... ou cet après-midi, en début d'après-midi, lorsque la famille Rouleau est venue nous présenter...
Une voix: ...
Mme Gaudreault: Ah! mais vous étiez là, en tout cas, depuis ce matin. Et ce qui me laisse toujours sans voix, c'est que les arguments du pour sont les mêmes que l'argument du contre. Alors, c'est très difficile... c'est très difficile puis c'est facile en même temps de comprendre la position de chaque personne qui vient devant nous présenter son point de vue.
J'ai lu le livre Les mardis avec Morrie. Et j'ai fait aussi, je l'ai mentionné ce matin, du bénévolat dans une maison de soins palliatifs pendant quelques années. Et malheureusement ce n'est pas comme dans les livres tout le temps. M. Morrie, c'est vraiment quelqu'un d'extraordinaire, avec qui j'aurais voulu passer mes mardis, moi aussi. Mais, Mme Gladu, c'est quelqu'un avec qui je voudrais passer des mardis de temps en temps, parce que, même devant la vie, on a des découragements, du désespoir, pas juste devant la mort et devant la maladie. Et on peut trouver une grande source d'inspiration auprès de toutes ces personnes-là. Même aux derniers moments de leur vie, ils ont des grandes leçons à nous transmettre, et je considère que c'est un moment privilégié d'être près de quelqu'un qui est près de la mort.
Mais la famille Rouleau nous ont parlé aussi beaucoup de ce respect du droit à la mort, de ce respect à l'autonomie jusqu'à la fin. Et là je parle d'une personne qui avait une maladie dégénérative, qui était assez jeune, avec une belle famille, et qui ne voyait plus d'issue, et qui voulait mettre un terme, et de façon très réfléchie, très claire, très libre, mettre un terme à sa vie. Comment, vous, vous percevez ça à... par rapport à ce que, vous, vous avez vécu avec votre père? Est-ce que, pour vous, c'est possible qu'une personne en arrive à vouloir mourir?
Mme David (Monique): Ah! tout à fait, tout à fait. Et de vouloir mourir, comme je disais tout à l'heure, c'est un cri d'alarme, c'est une détresse, parce que c'est dans notre nature que de vouloir vivre. Et vouloir mourir nous appelle à quelque chose qui vient nous chercher dans une autre façon, et c'est pour ça que je dis qu'il faut apprendre à désamorcer le vouloir-mourir, parce que notre nature réclame vivre. Alors, oui, c'est normal de vouloir mourir, mais ça ne veut pas dire qu'il faut aller nécessairement dans la ligne de ce vouloir-mourir, parce qu'à la racine ce qui est naturel, c'est de vouloir vivre.
Alors, ce n'est pas que je nie qu'une personne puisse vouloir mourir, parce que de fait mon père voulait mourir, et beaucoup de personnes qui sont en détresse au point de vue physique ou psychologique veulent mourir. Mais le point de référence, je pense, ça doit être toujours la vie, parce que la mort, c'est la fin. Alors, si on est capable d'entrer dans le contenu du vouloir-mourir, là on peut essayer de porter des solutions, qui seront toujours limitées, mais des petites solutions qui peuvent faire une différence.
Et, je vous dis, le cas avec mon père, ça a été des petites choses qui ont fait des différences. Je l'appelais à chaque matin et je savais que, les matins, c'était plus difficile. Ça continue encore à être difficile, les matins. Il dit qu'il vaut zéro puis... Mais des fois c'était juste parler cinq minutes, et là il me disait toujours: C'est vrai, je ne devrais pas penser comme ça, je ne devrais pas penser en termes de mort. Je le sais que tu as raison, puis je vais essayer. Et lui-même se rendait compte que ce désir de mourir là ne correspondait pas vraiment à sa nature. Mais, peu à peu, avec des antidépresseurs, avec, comme je le disais tout à l'heure, des exercices de relaxation et des médicaments, en essayant à droite puis à gauche de changer... et tout ça, ça a été... il y a eu une amélioration.
Et là on a beaucoup de cas aussi qui nous montrent que des personnes qui voulaient mourir peu à peu ont continué à vouloir... ont changé de cap quand il y a eu des petites améliorations qui se sont produites dans leur vie. Et l'idée de se sentir utile dans une dimension interpersonnelle, je pense que c'est très intéressant. Parce que c'est vrai que l'exemple de Morrie, là, c'est dans les livres, mais en tout cas c'est une histoire réelle, mais c'est vrai que, lorsqu'une personne souffre et qu'elle peut avoir la possibilité de parler, d'échanger et qu'elle peut avoir des personnes autour d'elle qui sont intéressées à l'écouter et à comprendre ce qu'elle vit, elle se rend compte peu à peu qu'elle a un sens aussi à donner à l'autre, parce qu'on ne connaît pas la souffrance si on ne la vit pas.
Alors, de pouvoir être avec une personne qui peut nous apporter cette dimension-là donne peut-être aussi un sens à la personne qui souffre, et elle se rend compte qu'il y a des choses qui peuvent changer autour d'elle. Et je peux vous dire -- je l'ai mis dans mon mémoire -- que mon père, par sa souffrance, a changé des comportements autour de lui, puis pas très, très loin, à... Des personnes qui étaient peut-être plus froides ou plus indifférentes ont commencé peu à peu à changer vraiment. Et ça, c'est l'impact que peut avoir une personne qui accepte d'entrer en dialogue et de parler de sa souffrance.
**(17 heures)**Mme Gaudreault: Parce que la famille Rouleau disait que justement... Mme Coulombe nous signifiait que c'était son égoïsme, justement, qui l'empêchait de... de penser à permettre à son époux d'accéder à l'euthanasie. Justement les mêmes bases que vous défendez, c'était son... Elle disait que c'était son égoïsme et son individualisme qui l'empêchaient de voir vraiment que son époux voulait vraiment mettre un terme à sa vie, que c'était un choix libre et consentant, consenti, qu'il était très apte à prendre cette décision-là. Est-ce que vous pensez qu'il y a des gens... Est-ce que l'État devrait permettre à une personne qui a vraiment fait toute la réflexion, là, puis qui est rendue à une étape où elle veut mettre un terme à sa vie... Est-ce que l'État, vous croyez, doit répondre à cette demande?
Mme David (Monique): Je l'ai mentionné ici, dans mon mémoire, je pense qu'on ne peut pas demander à l'État de légitimiser un acte... un acte criminel, parce que, pour enlever la vie à quelqu'un, il faut qu'une personne soit légitimisée à le faire. Et là on est en train de demander à des personnes de se convertir dans des acteurs de mort. Et c'est un gros poids à demander à une société et à des individus de le réaliser. Pensons seulement à ce qu'une personne qui va porter cet acte-là va vivre en conscience, d'avoir... bon, d'avoir enlevé la vie à quelqu'un. Et, même si c'était pour répondre à la volonté de cette personne-là, on est en train de penser... de mettre un poids énorme à bien des niveaux lorsqu'on penserait à légitimiser des actes de mort.
Mme Gaudreault: Merci.
Le Président (M. Kelley): M. le député des Îles-de-la-Madeleine.
M. Chevarie: Merci, M. le Président. Merci pour votre présence et votre contribution à cette commission. Aujourd'hui, 7 septembre, on débute une grande réflexion sur un sujet à la fois délicat, très délicat, et polarisé, comme ma collègue le mentionnait, souvent avec des arguments à peu près semblables pour les parties pour ou les parties contre.
Ma question va porter plus sur le processus. Ce que j'aimerais savoir, compte tenu que nous devrons éventuellement, d'ici quelques mois, faire une recommandation à l'Assemblée nationale du Québec: Est-ce que vous considérez que le processus actuel, avec les rencontres qu'il y a eu en auditions publiques avec les spécialistes, avec cette commission itinérante où on permet à l'ensemble de la population québécoise, par différents groupes ou des individus, des personnes telles que vous, de venir s'exprimer, donner leurs points de vue... Est-ce que vous considérez qu'on a tout fait pour permettre à l'Assemblée nationale du Québec de prendre la décision la plus éclairée possible, dans les meilleurs intérêts collectifs de la population québécoise? Ou est-ce qu'il y aurait eu d'autres choses à faire qu'on a omis de faire ou oublié de faire? Ou tout simplement est-ce qu'on aurait dû totalement s'abstenir de créer cette réflexion-là ou ce débat-là?
Mme David (Monique): Je ne serais pas pour l'idée de s'abstenir du débat, pas du tout, parce que je pense que c'est sain de se questionner et c'est tout à fait... pas seulement légitime, mais sain de se poser des questions sur notre vie, sur notre mort, sur le futur de la société. Puis, si on ne le fait pas maintenant, il va falloir le faire dans cinq ans ou dans 10 ans. Alors, je pense que, si le moment était venu maintenant, faisons-le maintenant.
Maintenant, j'aime beaucoup votre approche quand vous me demandez: Est-ce que d'autres choses auraient pu être faites? Je ne parlerai pas au passé, j'aimerais qu'on passe au futur, mais je pense que définitivement il y a beaucoup de choses qu'on peut faire encore pour aller plus loin dans cette réflexion, et, entre autres, je pense qu'il y a beaucoup, beaucoup de travail encore à faire sur l'éducation. Ce matin... En tout cas, j'étais là toute la matinée, et on a entendu les médecins parler, puis, vous-mêmes, vous en avez discuté beaucoup, la confusion qui règne dans le public, et c'est tout à fait... En tout cas, c'est épeurant de penser que des médecins eux-mêmes sont confus sur la différence entre l'euthanasie et les soins palliatifs ou la sédation palliative. Alors, si ça, ça se passe au niveau du corps médical, imaginons nous qui sont de simples citoyens, citoyennes, comment plus on va être confus, parce que dans le fond on prend beaucoup qu'est-ce que les médecins vont nous dire. Alors, moi, j'aimerais voir beaucoup plus d'éducation dans la population pour qu'on s'éclaire dans ce qu'on est en train de dire, et ça me...
Je l'ai mentionné dans mon mémoire, mais toute l'idée de l'acharnement thérapeutique, de ne pas vouloir être branché, personne ne veut finir branché, mais ça... Maintenant, on peut demander de ne pas être branché, on peut demander de ne pas être victime d'acharnement thérapeutique. Et on n'est pas en train de légaliser l'euthanasie en train de demander ça, c'est absolument possible maintenant, au moment où on se parle. Alors, moi, j'irais beaucoup dans une ligne d'éducation.
Essayons aussi d'aller... de dégager peut-être des sommes plus importantes pour améliorer notre système de santé, pour améliorer tout le côté des soins palliatifs, qui sont assez inexistants, puis surtout -- je suis en train de penser -- en région. Si, dans les grands centres urbains, c'est inadéquat, alors encore plus dans les régions. Donc, tout ça, je pense que c'est une... Il y a beaucoup à faire encore de... Là, donc, je pense qu'on est... Il y a encore beaucoup de travail préalable avant d'arriver à pouvoir légiférer quelque chose ou même se poser la question si c'est le temps de légiférer. Je pense qu'il...
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup, Mme David. Je pense que c'est toujours très précieux pour nous, parce que, vous, vous avez une position différente de Mme Gladu, qu'on a entendue tantôt, et de la famille Rouleau, mais qui part aussi d'une expérience très personnelle, et c'est beaucoup ça qu'on recherche aussi, d'avoir des points de vue éminemment personnels. Donc, le vôtre est, je pense, une magnifique histoire d'accompagnement, et de don de soi, et de dialogue vers votre père, en l'occurrence, mais vers une personne qui est dans un état de fragilité, qui est en train de se réadapter à sa vie et... Je pense qu'en fait, dans cette histoire, c'est une histoire heureuse, parce que, de ce que je comprends, autant votre père que son entourage évidemment sont contents qu'avec ce qui s'est passé il ait pu changer d'idée et de moins sentir ce désir-là de mourir.
Et je pense aussi que globalement... J'ai l'impression que les gens qui revendiquent, par exemple, un droit à une aide médicale à mourir évidemment seraient à peu près tous d'accord avec cette histoire-là et avec le fait que c'est important, comme société, aussi de lutter, de mener une lutte de tous les instants contre le suicide, évidemment parce que c'est un fléau terrible. Pourquoi? Parce que -- autant dans le cas de votre père -- qu'est-ce qu'on voit, c'est que c'est l'expression d'une souffrance, et on veut aider ces gens-là à passer à travers la souffrance.
Mais il y a des cas, et c'est beaucoup ce qui ressort aujourd'hui, où on est dans une situation peut-être un peu différente de celle de votre père qui, si je comprends, devait se réadapter à une nouvelle vie, qui est âgé, et tout ça, mais dont la mort n'était pas imminente, hein, qui n'était pas l'objet d'une maladie incurable ou d'une mort imminente. Est-ce que vous pensez que, si votre père, O.K., avait été dans une autre situation où, par exemple, on lui avait dit... bon, il est dans un cancer en phase terminale, il lui reste deux à trois semaines à vivre, et que quotidiennement il vous aurait exprimé ce même désir de mourir... et évidemment, là, l'option de, bon, voir un psychologue. Peut-être que, oui, il aurait pu développer des exercices de relaxation, puis tout ça, mais on peut comprendre que des fois, en fin de vie, on est très limité, on est dans des états d'endormissement, bon, tout ça, peut-être que c'est moins... Et il n'aurait pas pu entreprendre, par exemple, une thérapie aussi formelle d'antidépresseurs. Est-ce que vous pensez que, vous, comme étant sa fille, vous auriez réagi de la même manière ou que ça aurait été encore plus peut-être difficile parce que la mort était imminente et qu'il y aurait eu un sens différent dans la lecture de l'expression de ce désir de mort?
**(17 h 10)**Mme David (Monique): C'est vrai, sa condition n'était pas terminale, même si, à un moment donné, on a pensé que c'était terminal. Au début, ce n'était pas évident que ce n'était pas terminal. Son désir de mourir... Et puis c'était vraiment... C'était difficile de voir la différence, là, entre, bon, c'est ça, si c'était terminal ou pas. Mais après ça s'est avéré qu'effectivement les choses se sont replacées peu à peu.
Est-ce que ma condition aurait été différente... ou ma réaction? Je ne pense pas. Je pense que la... Je connais mon père, et, comme je disais, il a toujours eu une nature optimiste et il a toujours eu une grande attitude ouverte à la vie. Et, en le connaissant et en connaissant son approche à la mort, je n'ai pas de difficulté à interpréter que, pour lui, l'acte de mort, c'est l'acte d'une mort naturelle et qu'il veut donner cours à son corps jusqu'à la fin de façon naturelle. Et donc «je veux mourir», c'est: J'aimerais partir, mais j'aimerais partir dans les... J'aimerais bien partir, puis j'espère que ça va arriver rapidement, mais je vais respecter ce que mon corps va dicter.
Mme Hivon: Si je vous amène à un niveau plus global, parce que je pense que vous avez, outre votre expérience... Mais évidemment votre position est teintée par votre expérience. Vous vous prononcez, bon, contre l'idée d'ouvrir la porte à l'euthanasie, comme beaucoup d'autres personnes qu'on a entendues ou qu'on va entendre. Vous savez que les tenants de l'ouverture à la légalisation de l'euthanasie ramènent beaucoup la question de l'autonomie de la personne et d'être le seul maître de la décision qu'on porte sur une étape aussi importante de la vie qu'est la fin de vie, qu'est la mort. Et, moi, je veux juste vous entendre là-dessus: Jusqu'où en fait les...
Parce que je vois les critères que vous ramenez, qui font en sorte qu'il peut y avoir expression de désir de mort: la douleur et la souffrance physiques, le besoin de contrôler sa maladie, le désir de ne pas être un fardeau. C'est vrai que c'est des arguments qu'on entend de la part des tenants de la légalisation. Qui devrait être... Est-ce que, pour vous, c'est la personne ultimement qui est le juge de ça? Est-ce qu'en fait il y a un relativisme, et c'est cette personne-là qui ne peut être que le seul juge de savoir: Est-ce que, ma douleur et ma souffrance physiques, j'ai le goût d'y mettre fin? Est-ce que, par exemple, de ne pas être un fardeau... Toute ma famille peut me dire: Tu n'es pas un fardeau, on t'aime, on a besoin de toi, tu es utile pour nous, mais est-ce que la personne elle-même peut dire: Moi, là, merci de me dire tout ça, mais je me sens comme ça puis je n'en peux plus? Est-ce que cette décision-là, pour vous, elle implique la personne ou elle implique vraiment la personne avec son entourage? Parce que ça revient à la question de l'égoïsme de tout à l'heure, de la personne qui disait: Je voulais qu'il vive, mais dans le fond je me suis rendu compte que c'était par égoïsme. Pour vous, comment vous situez ça? Parce qu'on est vraiment au coeur de la question quant à l'autonomie et le jugement que la personne porte sur elle-même.
Mme David (Monique): Non, vous avez tout à fait raison. Puis c'est un petit peu ça que j'ai essayé d'apporter dans le mémoire quand je dis qu'on est... Comme vous dites, le coeur de la question de l'euthanasie et du suicide assisté, c'est la limite des droits individuels. Parce que je comprends tout à fait qu'une personne veuille manifester et dire: Ça y est... Bon, à part le fait de tout ce qu'on a parlé tout à l'heure, là, qu'il y a... Il faut percer la balloune dans tout ça. Mais le fait est que je peux exprimer ce droit individuel, mais ce droit individuel implique une obligation sociétaire, dans le sens que mon droit de vouloir mourir implique qu'une société doit reconnaître qu'un acte qui va m'enlever la vie soit légitime. Et c'est là que j'ai un problème. Et je comprends et je sais que ce n'est pas facile. Je comprends qu'une personne peut arriver individuellement à vouloir la mort, mais, là où on doit se questionner sérieusement, c'est que ce droit individuel implique une position sociétaire et implique que des personnes, dans le domaine de la santé, en l'occurrence des médecins, vont devoir être converties dans des acteurs de mort. Et donc il faut qu'ils posent un acte de mort sur la personne qui désire mourir. Et là c'est problématique, c'est très problématique.
Mme Hivon: ...pour vous, il y a des valeurs sociales, il y a le bien commun qui est plus important en fait que peut-être certains biens et droits individuels. Je le comprends très bien, c'est effectivement une position qui est défendue.
Mme David (Monique): Tout à fait. Puis je ne sais pas si, dans ce contexte-là, je pourrais juste mentionner une chose que j'ai entendue ce matin, je pense que c'est Mme Gaudreault, que vous l'avez dit dans votre... Mme Gaudreault ou Mme Charbonneau, dans votre exposé ou dans les notions préliminaires, puis ça a été répété à un moment donné, qu'on donnait plutôt la priorité à la personne versus à la... que... de la vie. C'est vous, n'est-ce pas? Oui, Mme Gaudreault. Alors, sur ce, je voulais juste mentionner que je pense que faire une distinction entre la personne et la vie, c'est une construction purement intellectuelle qui est détachée de la réalité, parce qu'on ne peut pas séparer la personne de la vie. Et, si on la sépare, bien là... Si, comme on dit, on opte plutôt vers la personne que pour la vie, bien là, on a un cadavre. Une personne sans vie, c'est un cadavre. Alors, c'est pour ça que parler d'une priorité d'une personne versus la vie, on peut le faire dans notre tête, mais, dans la réalité, on passe à la mort, à ce moment-là, au cadavre.
Le Président (M. Kelley): Il reste juste deux courtes questions, une est réservée au député de Mercier, et j'ai... Alors, Mme la députée de Marguerite-D'Youville, une courte question, et après ça le député de Mercier.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Oui. Dans votre mémoire, vous dites: «La légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté risque de faire perdre à notre société une grande richesse d'humanité.» On a entendu des témoignages assez éloquents en début d'après-midi, de la famille Rouleau, où les gens disaient: Finalement, on a accompagné notre père tout au long de sa maladie, et c'est lui qui a trouvé une solution parce qu'on ne lui en a pas offert pour vivre sa mort dans la dignité. Alors, il y a eu une tentative de suicide. Et les enfants... la représentante des enfants disait: Si ça avait été autrement, on aurait pu prendre le temps de discuter avec lui, de vivre correctement les choses. Et elle disait, à une question: On n'aurait pas vécu cette espèce de sentiment déchirant que la tentative de suicide nous a amené. Et on aurait pu convenir avec lui, dans le cadre d'une discussion... Et peut-être même qu'il serait encore vivant parce que les décisions auraient été autrement.
Vous réagissez comment à la situation de cette famille-là qui dit: On n'aurait eu absolument aucun sentiment de culpabilité parce qu'on aurait ensemble assumé ce cheminement à l'égard de son choix, lui, comme individu?
Mme David (Monique): Je ne suis pas sûre que je comprends la question.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Bien, c'est-à-dire que vous disiez tout à l'heure: On prend la décision de tuer -- vous utilisez le terme «tuer» -- ou d'accompagner une personne qui s'enlève la vie, mais... Et on vit une culpabilité conséquente à ça. Et ce n'est pas ce qu'on a entendu du témoignage de la jeune fille aujourd'hui, qui disait: On aurait pu avoir une qualité dans notre discussion et dans notre démarche avec notre père qu'on n'a pas pu avoir parce qu'on ne lui a pas offert l'alternative qu'il voulait, et il a fait une tentative de suicide. Et c'est un cas, mais il y en a d'autres, cas de cette nature-là.
Alors, comment on gère ces situations-là? Comment vous réagissez à cela à partir du moment où vous dites qu'on ne devrait pas ouvrir sur le suicide assisté ou sur l'euthanasie? Comment on gère la question avec les familles?
**(17 h 20)**Mme David (Monique): Oui, ça, c'est... Ce n'est pas facile de gérer tout ça avec les familles. Je pense que définitivement il faut toujours avoir un dialogue très ouvert et de regarder la situation de façon très holistique, c'est-à-dire de regarder un peu toutes les dimensions de l'être. Parce que, quelques fois, on peut se limiter à une perspective de la personne, qui est peut-être la douleur physique, et, lorsqu'on commence à regarder de plus près la dimension psychologique où la personne, peut-être, souffre, je ne sais pas, dans l'esprit, ou une dimension peut-être du sens de la vie... Je ne connais pas du tout, là, la situation de la famille dont vous parlez, bien, disons que je ne connais pas en profondeur, c'est sûr, mais je pense que... je suis sûre qu'ils ont pris le temps de parler beaucoup avec leur père, et tout ça, et qu'ils sont les premiers à se rendre compte que c'est une tragédie, je veux dire, c'est une tragédie, ce qui a passé dans leur famille, et je pense que, de leur côté, probablement, ils sont en paix parce qu'ils ont fait, je pense, ce qu'ils devaient faire avec leur père et qu'ils ont dû parler beaucoup et offrir différentes options.
Donc, je pense qu'il faut prendre le temps de parler beaucoup, d'écouter et de toujours avoir en tête, et ça, c'est ma perspective à moi, que la nature de la personne, elle est tricotée pour vouloir la vie. Et de vouloir la mort, c'est antinaturel. Antinaturel de la vouloir. Elle va venir, mais de désirer la mort... Et on l'a toujours conçu comme ça depuis le début de l'humanité. Et la preuve, c'est qu'on a des lignes ouvertes pour aider les personnes qui veulent se suicider, on met des choses en branle, on a toujours porté secours à des personnes qui voulaient se suicider. Pourquoi? Parce qu'on a toujours reconnu qu'il y a quelque chose de maladif dans le vouloir mourir. Donc, je pense que c'est dans ça que j'irais.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Mercier.
M. Khadir: Oui. Mme David, merci pour votre témoignage. Un certain nombre de choses. D'abord, j'ai lu aussi le livre de Mitch Albom, et je ne sais pas si vous serez d'accord avec moi, j'ai l'impression que la réflexion finalement... la discussion entre ce professeur puis ce journaliste qui était son ancien élève porte plus sur la vie. C'est des leçons de vie. Un peu comme l'expérience de votre père, l'infarctus et les conséquences d'angine de poitrine, l'angoisse qu'il vivait lui a fait voir la vie sous une autre dimension, en fait différentes dimensions de la vie, avec lesquelles il s'est réconcilié. C'est donc une opportunité qu'il a eue de tirer une leçon de cette expérience de vie.
Mais, lorsqu'on parle d'euthanasie ou de suicide assisté, il me semble que ce n'est plus de ça qu'il s'agit. C'est-à-dire que, bien sûr, on part du principe que, lorsqu'on considère la possibilité de l'euthanasie ou de suicide assisté, on aura tout fait d'abord pour assurer que tout est là pour donner une chance à la vie. Parce que tous ceux qui sont venus ici qui étaient contre ça, en fait l'idée de l'euthanasie, voulaient essentiellement, je... Ce que je retiens, c'est qu'ils voulaient donner une chance à la vie, une chance aux personnes d'avoir alentour d'eux des remèdes, du soutien, de l'affection, un support individuel, familial et aussi collectif pour qu'ils puissent avoir la chance de se réconcilier avec la vie, d'apprivoiser les circonstances de leur vie.
Mais, une fois tout ceci fait, il arrive un moment où la mort prend le dessus. Il arrive... Parce que la mort, ce n'est pas toujours quelque chose de subit, comme vous le savez, hein? Il peut y avoir... il peut y avoir des morts très brutales, hein, la guillotine. Il peut s'agir aussi de mort par froid, où la mort a quand même pris le dessus bien avant que l'arrêt soit... ou une mort par noyade. Quand je vois l'expérience de Mme Gladu, et c'est là que je veux en venir avec vous, elle admet elle-même par son témoignage, malgré son appétit de vivre, sa joie de vivre, tout ce qu'elle... En fait, la manière éclatante avec laquelle elle a réussi à se réconcilier avec sa maladie démontre qu'elle a passé à travers ces étapes-là. Mais actuellement -- vous l'avez vu respirer profondément à chaque deux, trois paroles -- il y a un processus qu'elle s'est aperçue qui s'est installé, qui est la mort, mais lente.
Donc, lorsqu'on parle d'euthanasie, est-ce que vous ne pensez pas qu'on pourrait la voir non pas comme une interruption de vie, mais une interruption d'une mort lente? Est-ce qu'on pourrait l'envisager comme ça, donc un soutien à une personne de ne pas subir sur une longue période les souffrances qui accompagnent une morte lente? Et c'est pour ça que le changement d'une loi, si on introduit d'autres choses, viendrait à regarder ce phénomène-là non plus comme un acte criminel, parce que ce n'est pas une interruption de vie, c'est une interruption d'un long processus de mort qui fait en sorte que c'est accompagné d'une souffrance.
Mme David (Monique): C'est des bons points que vous apportez. Quand vous... Je vais aller un petit peu par étapes, là. Quand vous parlez que... poussez un peu plus loin dans tout le processus ou quand la mort prend le dessus, c'est vrai que la mort prend le dessus dans l'esprit et peut prendre le dessus dans la façon dont j'approche la vie. Mais mon point de référence, c'est toujours la vie parce que je suis dans la vie. Alors, la mort prend le dessus, et là je pense que c'est intéressant de penser à l'importance des personnes qui entourent une personne qui se voit sujette au fait que la mort prend le dessus dans son esprit, ou la noirceur commence à envahir son esprit. Et donc... Après, je vais parler peut-être... quand vous parlez au point de vue physique. Mais, quand la mort, et ça veut dire la noirceur, prend le dessus, alors on doit faire tout notre possible pour apporter des notions d'autre ordre que de noirceur, de faire montrer à quelqu'un qu'elle peut être encore utile d'une autre façon, d'aller chercher des dimensions et d'être créatif dans la façon dont on peut enlever de la noirceur lorsque la mort prend le dessus dans la disposition intérieure.
Quand vous parlez de l'euthanasie comme une intervention, comme d'interrompre une mort lente, pour moi, la mort, c'est la fin, donc il n'y a pas vraiment une mort lente. C'est la vie qui diminue et éventuellement qui va arriver à la mort. Mais la mort, elle est là ou elle n'est pas là. Et je pense que c'est... Quand on parle d'euthanasie, on va parler d'un arrêt de vie. Parce que la mort lente, c'est... Ce n'est plus une mort lente; s'il y a la mort, il n'y a plus rien. On peut voir le corps qui dégénère, mais il y a encore de la vie dans ce corps-là. Une personne qui est paraplégique, c'est vrai qu'il y a beaucoup... qui ne vit plus dans son corps, mais la vie l'anime. Ce n'est pas la mort qui l'anime, il y a une vie encore qui est là. Et donc, lorsqu'on parle de l'euthanasie, je viens enlever une dimension de vie dans la personne. Et je pense que de mettre un discours en termes de mort quand une personne est encore vivante... Je pense que c'est problématique parce qu'on donne une réalité plus grande à la mort qu'à la vie.
Le Président (M. Kelley): Sur ça, malheureusement je dois mettre fin à cet échange. Merci beaucoup, Mme David, pour votre contribution.
Avant de suspendre, juste au niveau d'intendance, il nous reste un groupe à entendre. Après ça, on a prévu une période pour le micro ouvert. On commence à être très serré dans le temps, alors, s'il y avait des personnes qui voulaient vraiment intervenir dans le micro ouvert, vous pouvez vous identifier auprès de Pierre Lessard-Blais, parce que ça va nous aider dans la gestion du temps.
Sur ça, je vais suspendre quelques instants et je vais demander à l'Association des médecins catholiques de Montréal de prendre place, s'il vous plaît.
(Suspension de la séance à 17 h 29)
(Reprise à 17 h 32)
Le Président (M. Kelley): Alors, on va reprendre nos travaux. Notre prochain témoin, c'est l'Association des médecins catholiques de Montréal. Je ne sais pas qui va prendre la parole. C'est Dre Catherine Ferrier, si j'ai bien compris? La parole est à vous, Dre Ferrier.
Association des médecins
catholiques de Montréal
Mme Ferrier (Catherine): Oui. Merci beaucoup. Est-ce que vous m'entendez? Alors, c'est ça, je m'appelle Catherine Ferrier. Je suis médecin de famille. Je travaille depuis plus que 25 ans dans une clinique de consultation en gériatrie, à l'Hôpital général de Montréal. Alors, tous les jours, je rencontre des personnes âgées en perte d'autonomie avec leurs familles. Ce sont des gens qui demeurent encore à domicile mais qui deviennent de plus en plus fragiles et dépendants. J'ai un réseau en dedans de l'hôpital puis aussi dans les CLSC ou dans les alentours, à cause de ce que je fais.
Alors, mes collègues: le Dr Bruno Gagnon, c'est un médecin en soins palliatifs, et le Dr Marie-Claude Bourque est médecin de famille qui travaille en médecine générale et aussi en gériatrie à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
Alors, nous parlons au nom de l'Association des médecins catholiques de Montréal. On ne va pas vraiment parler du point de vue religieux. Nous avons deux choses en commun: et la foi et la médecine, et il nous semble qu'il y a beaucoup de raisons médicales et des droits de la personne pour ne pas être d'accord avec l'euthanasie, alors on va invoquer plutôt ces raisons-là.
Alors, nous sommes heureux de voir que le gouvernement du Québec s'intéresse à la dignité des personnes en fin de vie. Ça nous a étonnés beaucoup, quand nous avons lu les documents de la commission, de voir qu'ils ne parlent que d'euthanasie et de suicide assisté, comme si c'était les seules questions pertinentes dans le domaine de la dignité de la personne. Alors, nous voudrions élargir le débat, parce qu'à part de ne pas être d'accord avec l'euthanasie il nous semble qu'il y a beaucoup de choses à dire sur les soins des personnes âgées et les personnes mourantes. Alors, on va s'arrêter surtout sur ça.
Notre conviction est qu'il n'est pas nécessaire d'euthanasier les patients. Si on utilise de façon correcte les connaissances, le savoir-faire et la technologie qui existent dans notre système, ça deviendrait inconcevable. On reviendra là-dessus. Il y aura toujours quelques... peu de personnes qui le veulent, mais c'est... En tout cas, on en reparlera.
C'est sûr qu'en étudiant cette question ça nous porte à examiner quel sera notre rôle en tant que médecins si l'euthanasie devenait légale. Les médecins, traditionnellement, c'est un rôle d'autorité, au Québec comme ailleurs. L'étendue de cette autorité a diminué ces dernières années, d'une part, à cause de la notion de l'autonomie du patient, d'une autre part, à cause de la grande disponibilité de données médicales accessibles sur l'Internet et ailleurs. La plupart des médecins sont heureux de descendre du piédestal et de partager la prise de décision avec leurs patients.
La légalisation de l'euthanasie conférerait aux médecins un pouvoir sans précédent sur la vie de leurs malades. L'interdiction du meurtre délibéré est universelle au Canada. L'abolition de la peine de mort en 1976 a éliminé une petite exception qui existait depuis plusieurs siècles. C'était un grand pas vers un plus grand respect des droits de la personne. La notion que la vie humaine est absolument inviolable protège toutes les personnes, spécialement les membres vulnérables et marginalisés de notre société, soit les personnes malades, âgées, souffrant de maladie mentale et en phase terminale.
La légalisation de l'euthanasie pourrait créer une nouvelle exception à cette interdiction. Les médecins traitant des patients avec des souffrances insupportables auraient la permission de les tuer. Ils pourraient même être payés par l'assurance maladie pour le faire.
Les partisans de l'euthanasie ne semblent pas comprendre l'énormité du pouvoir qui serait confié aux médecins, un pouvoir qu'il serait trop facile d'abuser ou de mal employer. Nous, médecins, sommes des êtres humains faillibles, et c'est un pouvoir dont nous ne voulons pas. Tout à l'heure, quelqu'un demandait: Est-ce que l'État a le droit de me refuser mon droit de mourir? Je demanderais plutôt: Est-ce que l'État a le droit d'autoriser une personne de tuer une autre? Et, moi, je pense que non.
Le document de consultation parle des craintes que la loi soit mal appliquée, qu'il y ait des dérapages. Ces craintes ne sont pas théoriques, parce que les dérapages existent partout où l'euthanasie est légale. Habituellement, les lois qui légalisent l'euthanasie, aux Pays-Bas et ailleurs, précisent les conditions: il faut que ce soit un malade adulte, sain d'esprit, qui souffre d'une maladie terminale qui occasionne des souffrances insupportables et qui a demandé à plusieurs reprises de mourir. Mais l'expérience démontre que ces conditions cessent bientôt d'être respectées.
Par exemple, aux Pays-Bas, où l'euthanasie a été pratiquée pendant trois décennies, même avant d'être légale, elle est administrée de façon routinière à des patients qui ne sont pas en phase terminale, à des gens dont les souffrances sont psychologiques, à des enfants et à des adultes qui ne l'ont pas demandé. Dans le mémoire, on parle de plusieurs exemples. On va les sauter parce qu'on n'a pas le temps de tout dire, mais on peut en parler dans la période d'échange, si vous voulez.
Et le fait... On va... Je vais peut-être juste souligner les questions des personnes qui sont euthanasiées sans l'avoir demandé, aux Pays-Bas, et que c'est une réalité en Belgique aussi. Le fait que la légalisation de l'euthanasie pourrait faciliter un seul décès injustifié devrait convaincre toute personne honnête de la rejeter, et ce, même si on croit acceptable d'euthanasier une personne en situation de souffrances insupportables et irrémédiables.
Ça revient à quelques questions que j'ai entendues tout à l'heure. C'est vrai qu'il y a des personnes qui ont un désir stable de mourir. Il n'y a rien à faire, on ne peut pas les traiter avec des antidépresseurs, on ne peut pas les faire changer d'idée. Elles existent, ces personnes-là. Mais, si on légalise pour ces gens-là, il y aura tout un dérapage pour beaucoup d'autres personnes qui n'auront pas le choix. Ou bien ce sera contre leur volonté ou bien elles seront sous pression et seront influençables pour demander l'euthanasie.
Une demande de mort n'est pas naturelle chez l'être humain -- on en a parlé tout à l'heure, je ne m'arrêterai pas dessus -- mais c'est la plupart du temps un appel à l'aide, c'est l'expression d'une douleur physique, psychologique, spirituelle, existentielle. C'est une expression souvent de peur, même avant que la souffrance arrive. Alors, la réponse que nous pensons que la société, et la médecine, doit avoir, c'est soulager la souffrance, prendre soin de la personne. Il nous semble ironique que ce soit aujourd'hui, alors que nous possédons les capacités techniques permettant de guérir et de soigner mieux que jamais dans l'histoire humaine, que certains veulent baisser les bras en cherchant le meurtre plutôt que le remède, l'abandon au lieu de la prise en charge.
Alors, nous pensons que le meilleur résultat du travail de cette commission serait l'expression d'un point de vue critique sur le système de santé au Québec qui porte spécifiquement sur les soins aux personnes mourantes, aux personnes souffrantes et dont les appels au secours ne trouvent pas toujours les réponses qu'ils méritent. Nous sommes convaincus qu'il est possible d'offrir à ces personnes des soins qui les encourageraient à ne pas rechercher la mort parce que leurs symptômes seraient contrôlés et plus supportables, leurs craintes seraient prises au sérieux et qu'elles seraient respectées et prises en charge.
Ainsi, les malades pourraient se concentrer sur l'essentiel de cette étape finale de leur vie, accepter eux-mêmes qu'ils touchent à leur fin, le faire accepter par leurs proches et aborder les questions existentielles et spirituelles qui deviennent incontournables à l'approche de la mort. Les Québécois âgés et mourants, surtout ceux qui sont dans nos hôpitaux ou pris en charge par d'autres établissements de la santé, ont droit à des soins de qualité et sont loin de toujours les avoir. La plupart des connaissances et technologies existent mais ne sont pas mises à la disposition de tous ceux qui en ont besoin.
**(17 h 40)** La commission a entendu plusieurs témoignages concernant l'importance des soins palliatifs, on ne s'arrêtera pas dessus, vous êtes bien au courant. Mais malheureusement, malgré la grande expertise qui existe, seul un petit nombre de malades a accès aux services des soins palliatifs. Mon collègue le Dr Gagnon vous présentera tout à l'heure quelques statistiques à ce sujet.
Il y a aussi tout le... encore plus grand nombre de personnes qui meurent d'autres maladies que le cancer. Les soins palliatifs ont été traditionnellement limités aux patients avec un cancer terminal, pour lesquels le pronostic est normalement plus prévisible que pour certaines autres maladies. Dernièrement, il y a eu des recherches très intéressantes sur les soins prodigués aux patients non cancéreux en fin de vie. Il y a un groupe aux États-Unis, le Dr Joanne Lynn... le Centre pour améliorer le soin des mourants. Il y a des études médicales très intéressantes sur les pronostics et comment bien prendre soin de ces gens-là. C'est très intéressant.
Alors, il y a plusieurs trajectoires typiques en fin de vie. Le cancer, ce serait la première. Alors, on voit que la ligne de côté, c'est la fonction, c'est-à-dire la capacité d'être encore indépendant et de s'occuper de soi-même. Alors, quand on est en pleine santé, c'est complètement en haut de la boîte, là. Alors, un cancer, pendant longtemps, ça reste pas pire. Là, on a des traitements, on est malade, et tout ça. Mais après, quand le cancer devient incurable, ça baisse assez vite vers la mort.
Le deuxième graphique, c'est des maladies, par exemple, pulmonaires, cardiaques, l'insuffisance cardiaque, les maladies pulmonaires chroniques. Alors, il y a un déclin graduel, mais il y a aussi des baisses rapides, qui remontent. Par exemple, un patient avec une maladie pulmonaire qui attrape une pneumonie, qui rentre à l'hôpital, peut-être qu'il va mourir, peut-être qu'il ne va pas mourir, on ne le sait pas. Alors, ça fait comme ça, puis on ne sait jamais laquelle de ces baisses va être la dernière.
Le troisième, c'est ce qu'on appelle en anglais «dwindling», le déclin prolongé, par exemple les patients avec démence, les patients avec des multiples pathologies reliées à l'âge, que vraiment c'est très bas et ça traîne longtemps. Moi, je travaille avec ces gens-là beaucoup.
Alors, il ne suffit pas, pour soigner ces gens-là, d'avoir les connaissances médicales et techniques sur les maladies sous-jacentes. C'est important, mais ça ne suffit pas. Il faut être capable de reconnaître... de soigner la détérioration aussi, reconnaître la trajectoire, se concentrer sur la qualité de vie, sur le contrôle des symptômes, traiter les maladies aiguës quand elles surviennent, éviter les longues hospitalisations inutiles -- ça, c'est très intéressant -- éviter l'acharnement thérapeutique, et de planifier la fin de vie pour qu'elle soit le plus en douceur possible. Alors, vous pouvez imaginer qu'une seule personne ne peut pas faire ça. Ça prend des équipes multidisciplinaires qualifiées. Des fois, ça peut durer plusieurs années, au contraire des patients en soins palliatifs pour le cancer. Alors, il faut vraiment créer des nouveaux modèles de soins pour que ces patients reçoivent des soins de qualité.
Si ces gens-là habitent dans un centre d'hébergement ou un centre de soins de longue durée, il y a des équipes, mais elles n'ont pas toujours l'expertise pour faire ces soins-là comme on doit les faire. Alors, il faut développer maintenant les... maintenir les compétences médicales et infirmières qui nous permettent de bien soigner ces gens-là, trouver l'équilibre pour éviter d'un côté l'utilisation inappropriée des technologies. Quelqu'un en centre d'accueil qui a une maladie pulmonaire grave, on ne va pas le mettre dans les soins intensifs quand il aura une infection, parce que ça va seulement compliquer sa mort, ça ne va pas l'aider à vivre. Alors, éviter l'utilisation inappropriée des technologies mais éviter aussi l'abandon prématuré de soins, basé sur l'âge du patient, basé sur l'état cognitif du patient.
Comme je travaille en gériatrie, j'ai des connaissances, des amis qui m'appellent continuellement: Ma mère est à l'hôpital, ils ne veulent pas la soigner, qu'est-ce que je fais? Ou bien: Ma mère est à l'hôpital, ils veulent la mettre dans les soins intensifs, ça n'a pas d'allure, qu'est-ce que je fais? C'est une chose qui prend beaucoup d'expertise, beaucoup de sagesse.
Il y a quelques exemples, à part des crises, là, dont je viens de parler, de modalités pour garder cet équilibre pour ces gens-là: la nutrition adéquate, maintenir la mobilité, qu'ils puissent marcher, ne pas être au lit, prévenir des chutes, qui sont souvent le début d'une détérioration catastrophique, contrôler la douleur, même pour les gens qui, par exemple, font de l'alzheimer. Ils ne peuvent pas dire qu'ils ont de la douleur. Peut-être qu'ils vont crier comme un bébé, qui ne peut pas exprimer...
Mais il y a des gens qui savent comment déceler que cette personne souffre, pour pouvoir l'aider, utiliser les médications de façon judicieuse, en évitant la surmédication, et planifier la fin de vie, parler d'avance de l'intensité des soins, encourager le patient à parler avec sa famille, à les préparer pour la fin, s'il est cognitivement intact, peut-être renouer des relations qui sont devenues plus faibles, tout ça, le testament, toutes les choses qui doivent se faire, que des fois, quand on a, en médecine, la mentalité de soigner la maladie tout court, on oublie ces choses-là, puis le patient arrive à la fin, puis il n'est pas prêt, même si on savait que ça s'en venait, nous autres.
Alors, ces modalités font partie des soins élémentaires qui devraient être disponibles pour tout le monde. Au Québec, nous avons des modèles exceptionnels. Nous avons l'institut de gériatrie sur Queen Mary. C'est fantastique. Il y a d'autres endroits. Mais malheureusement cette qualité de soins est loin d'être disponible pour tous les résidents en institution de longue durée.
J'ai une collègue, une jeune physiatre, ça fait un an ou deux qu'elle a fini sa formation. Il y a une chose qu'elle fait dans son travail, c'est visiter des centres de longue durée pour évaluer les patients, pour des chaises roulantes, des marchettes et des choses comme ça. Et elle était effrayée par la condition de beaucoup de patients qu'elle voyait, qui étaient sales, qui sont en jaquette d'hôpital à journée longue, avec des couches qui sont en train de tomber. Alors, elle essayait d'évaluer la démarche, puis le derrière à l'air, puis les couches qui tombent. Les portes de salle de bains qui ont été enlevées par souci de la sécurité. Mais le patient n'a aucune intimité à cause de ça. Des gens dont les vêtements sont beaucoup plus grands parce qu'il ont tellement maigri que... et ça tombe partout. Et elle essayait encore d'évaluer la démarche, et le pantalon tombe. Vraiment, c'est pénible, et ça, à beaucoup d'endroits. Des patients qui se bercent comme un enfant autistique, qui se frappent la tête, qui ont ces comportements d'automutilation qui dénotent un manque de contact humain et un ennui total.
On va parler un petit peu des soins à domicile. Ils sont limités aussi par le manque de main-d'oeuvre, le manque de ressources financières. C'est une chose très intéressante si les gens peuvent rester à domicile. Souvent, c'est l'endroit où est-ce qu'ils seront le plus heureux. Mais ça prend le soutien de la famille, du médecin, du CLSC. Souvent, ils n'ont pas accès à un médecin de famille. Les soins à domicile ne sont pas suffisants, ils manquent de financement, le personnel est débordé. Je n'ai pas de chiffres, mais je travaille à tous les jours avec les intervenants de CLSC. Il y en a qui sont héroïques. Malgré le manque de ressources, ils font des choses incroyables. Et d'autres, au contraire, ils disent: Bon, on n'a pas le budget, on ne va rien faire, on ferme le dossier, c'est fini. Les deux situations ont besoin de changer.
On parlait du virage ambulatoire il y a quelques années. Ça allait être une merveille. Il y a beaucoup de choses qui ont empêché le virage ambulatoire d'être une merveille.
Ensuite, dans les hôpitaux de soins aigus, qu'est-ce qui arrive avec les patients âgés, les patients avec les maladies chroniques? N'importe qui qui a fait l'expérience d'une hospitalisation d'une personne de la famille, surtout âgée et très malade, est d'accord avec le conseil: Assurez-vous d'avoir quelqu'un pour parler en votre nom. Je l'entends continuellement. On ne peut pas se fier au système pour soigner les gens s'il n'y a pas quelqu'un qui agit, qui parle, qui insiste pour qu'il y ait ce qui est nécessaire, surtout si la personne est très âgée.
À l'urgence, le médecin ne veut pas admettre le patient à l'hôpital parce qu'il a peur qu'il va bloquer un lit puis que ça... puis qu'il ne va pas sortir, surtout les personnes âgées. Et c'est normal, cette inquiétude. Il y a une pression énorme. Les hôpitaux sont remplis, les urgences débordent. Et les erreurs de diagnostic et de traitement, non par incompétence, il y a beaucoup de compétence médicale dans notre milieu, mais par manque de personnel, par manque de temps...
Dernièrement, une patiente âgée de 92 ans que j'ai, elle était à l'urgence avec une fracture de cheville, mais elle avait surtout ce qu'on appelle un délirium, ça veut dire que... une confusion aiguë qui est causée par une maladie aiguë, une infection...
Une voix: ...
Mme Ferrier (Catherine): J'ai trois minutes? Oh! O.K. Je vais aller plus vite.
Le Président (M. Kelley): C'est fort intéressant, mais je suis en gestion de temps. Nous avons déjà pris 17 minutes...
Mme Ferrier (Catherine): Oui, oui, c'est correct. Alors, je vous racontais...
Le Président (M. Kelley): ...et je vais laisser une période d'échange avec les membres de la commission.
Mme Ferrier (Catherine): Parfait. Alors, je ne vous raconterai pas cette histoire, mais pour dire que des fois ça ne marche pas. Les hôpitaux de soins aigus ne sont pas conçus pour les patients âgés avec des maladies chroniques. Ils sont conçus pour une personne en santé qui tombe malade, qui guérit et qui retourne chez elle. Alors, l'environnement hospitalier est hostile aux patients âgés. C'est dans le mémoire, je ne dirai pas plus.
Je voulais laisser quelques minutes au Dr Gagnon, alors, peut-être, je vais arrêter là, mais quelques idées très intéressantes sur le projet SIPA, qui est un projet de soins à domicile intégrés, très intensif, qui a été fait comme projet de recherche il y a 10 ans et qui n'a pas continué, parce que c'est juste un projet de recherche, mais ça a donné des résultats fantastiques. Il y a aussi des projets d'adapter le milieu hospitalier aux personnes âgées, aux personnes fragiles. Alors, bon, peut-être, le reste, je vais le dire dans la période d'échange. Et je vais laisser au Dr Gagnon deux minutes qu'il nous reste.
**(17 h 50)**M. Gagnon (Bruno): Bon, je vais aller très vite, je vais juste donner quelques statistiques. Ces statistiques-là ne sont pas inventées, elles sont dans la littérature. Vous avez juste... cherche... faire un Google avec mon nom, et vous allez avoir des articles qui vont apparaître.
Moi, j'ai pris le programme d'Edmonton pour une raison simple, c'est que je l'ai étudié et j'ai aussi étudié un peu la situation au Québec. Donc, en 1992, la situation à Edmonton et au Québec actuel -- quand je dis Québec, c'est 2006, les statistiques de 2006 -- était similaire. On avait un peu plus de soins palliatifs, parce qu'à Edmonton il n'y avait aucune unité de soins palliatifs. Cependant, en 1994, Edmonton a décidé d'ouvrir des soins palliatifs et d'organiser un programme intégré de soins palliatifs, qui a conduit à une baisse importante du nombre de patients qui ont décédé dans des établissements de courte durée, évidemment l'apparition de patients mourant dans les soins palliatifs, mais aussi une augmentation marquée, presque le double, de patients mourant à domicile.
Donc, au Québec, on est dans la situation d'il y a 20 ans dans la région d'Edmonton. On n'a pas bougé depuis cela parce qu'on n'a pas pris les décisions qu'ils ont prises. Et tout ça est très bien décrit, quelles ont été leurs approches pour essayer d'améliorer les soins palliatifs.
Juste une donnée de coût -- ici, le «6» doit aller en haut avec le «million» -- la grande différence d'un programme intégré, c'est qu'on permet aux patients qui restent longtemps dans les hôpitaux de sortir des hôpitaux et aller dans un milieu plus adéquat, qui ait des soins palliatifs, des unités de soins palliatifs, qui a conduit à une diminution de durée moyenne des patients qui meurent à l'hôpital de la moitié, quasiment, avec une diminution de 24 000 heures-patients à 7 000 heures-patients, donc, pour les coûts des soins... des hôpitaux de soins de courte durée, une économie de presque 9 millions de dollars. Donc, dire que les soins palliatifs coûtent plus cher, c'est faux. On peut réorienter ces patients dans la bonne direction.
Donc, solutions possibles au Québec: former des infirmières cliniciennes qui peuvent supporter les CLSC, qui peuvent former... supporter les médecins à domicile, qui sont pris souvent avec juste trois à cinq cas de patients par semaine... par année, qui peuvent travailler dans les soins de longue durée et aussi dans des hôpitaux qui n'ont pas d'unité, qui ont... de groupe de soins palliatifs; une spécialité en soins palliatifs pour supporter les médecins; et aussi les maisons de soins palliatifs, qui actuellement ne sont que financées à 18 %, à 30 %. Au Québec, pour les mourants, il y a deux... une médecine à deux vitesses: tu es 100 % subventionné si tu meurs aux soins intensifs ou à l'hôpital, mais 18 % à 30 % si tu meurs dans une maison de soins palliatifs. Merci.
Le Président (M. Kelley): Alors, merci beaucoup. Excusez-moi encore de vous couper, mais je dois conserver le droit de parole de l'ensemble, et on a tout un rattrapage dans le temps à faire. Je suis prêt à céder la parole à ma collègue de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Merci de votre présentation. Merci aussi d'avoir bien établi dès le début de la présentation que vous allez faire une présentation plus médicale que par rapport à la foi que vous avez, puisque ça statue un peu plus l'orientation que vous nous donniez.
Je vais... J'avais pris des notes, parce que j'avais pris le temps de lire votre mémoire, et, pour toutes sortes de raisons qui nous est propre ici ce soir, je vais me concentrer à mes notes, puis peut-être qu'à la fin de cette journée vous comprendrez pourquoi.
Vous dites dans votre mémoire que le pouvoir de la légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté nous offre la possibilité de faciliter les abus. Vous n'êtes pas les seuls à le dire. Il y a plusieurs regroupements qui sont venus nous parler de la pente glissante des abus possibles. Mais, dans le même paragraphe, vous dites que ce geste devient rapidement banal. Ce qui m'inquiète, c'est l'aspect où vous affirmez que le pouvoir de la légalisation peut amener des abus, mais qu'en même temps... J'essaie de comprendre le principe de la banalité. J'aimerais vous entendre là-dessus, s'il vous plaît.
Mme Ferrier (Catherine): ...lu beaucoup sur le... les Pays-Bas. Aux Pays-Bas, on a commencé par légaliser l'euthanasie, avec les conditions dont on parle ici. Peu à peu, il y a des cas qui ont passé dans les tribunaux. Bon, une personne avec maladie terminale a droit à l'euthanasie. Pourquoi, moi qui ai une maladie chronique, je n'aurais pas le droit? Une personne avec une maladie physique, elle a droit à l'euthanasie. Pourquoi pas moi, qui ai une maladie psychologique, psychiatrique? Il y a des précédents judiciaires, maintenant, qui permettent l'euthanasie pour les souffrances psychologiques. Il y a un cas d'une femme de 50 ans qui était dans le deuil. Ses deux fils étaient morts. Son mari l'a... ils s'étaient divorcés. Elle a demandé l'assistance au suicide à son psychiatre. Et, après deux mois de psychothérapie pour supposément essayer de la faire changer d'idée, qui est très peu, deux mois, pour un deuil de cette envergure, il a accepté de l'aider. Ça, je trouve ça une banalisation, dans le sens que ça devient monnaie courante dans la vie, dans ce sens-là. Il y a beaucoup de cas comme ça qui sont décrits aux Pays-Bas.
Mme Charbonneau: Je comprends un peu mieux maintenant quand vous dites: Banaliser l'acte du suicide assisté ou de l'euthanasie.
Vous dites, dans la section 2: Les soins en fin de vie des malades non atteints de cancer. Et j'ai apprécié que vous puissiez vous rendre jusqu'à cette réflexion-là, parce que souvent on s'arrête aux gens qui souffrent du cancer. Mais on a eu le privilège de témoignages de gens qui souffraient ou qui ont souffert, puisqu'on a eu aussi le témoignage d'une famille, et ce n'était point le cancer, c'étaient vraiment des maladies dégénatrices. Et c'étaient des gens que je qualifierai en bas âge, puisque ce n'étaient pas des gens qualifiés du troisième âge, hein? On va... Je les situe un peu.
Vous énumérez des modalités précises permettant d'atteindre un certain équilibre, mais, au dernier picot... Puis vous avez fait le tour brièvement, mais je veux vous ramener à cet aspect-là. Vous avez parlé de la planification de la fin de vie. Vous savez qu'au niveau de la commission on se questionne beaucoup sur le testament de fin de vie ou sur le testament de vie, le testament biologique. J'ai le goût de vous dire: «You name it, you got it», là, parce que c'est difficile de trouver le nom exact de cette chose. Mais, quand vous parlez de la planification de la fin de vie, pouvez-vous aller plus pointu dans cette volonté?
Mme Ferrier (Catherine): Je pense qu'au niveau individuel du patient ce n'est pas facile, planifier la fin de vie. D'abord, parce que beaucoup de gens ne sont pas prêts à parler de ça ni à y penser, et du côté des médecins et des professionnels de la santé, des fois, non plus. Les testaments de fin de vie, moi, je suis très ambivalente là-dessus, parce que, d'un côté, il faut prévoir, parce que des fois on ne peut pas décider sur le coup, quand il y a l'arrêt cardiaque, d'un autre côté, on ne peut pas tout prévoir. Et ce qu'on écrit, on ne sait jamais comment ça va être compris. Alors, des testaments de fin de vie écrits, ils ont une valeur limitée, je crois.
Peut-être quelqu'un d'autre a quelque chose à dire, là, mais, moi, ce que je conseille à mes patients, c'est: Parlez-en chez vous, parlez-en avec quelqu'un en qui vous avez confiance. Et peut-être écrivez: Si je ne peux pas exprimer ma volonté, demandez à Untel, et ils vont dire que... en quoi je crois. Mais pas dans les choses concrètes -- je veux un ventilateur, je ne le veux pas, je veux la nutrition, je ne la veux pas -- mais: Est-ce que, moi, je suis une personne qui veut lutter jusqu'à la fin, je veux être dans les soins intensifs, tout, tout, tout? Ou est-ce que je suis une personne que, quand je vois qu'il n'y a rien à faire, je l'accepte puis je suis tranquille? Alors, comment faire ça? Ce n'est pas facile.
Mme Bourque (Marie-Claude): C'est parce que, moi, personnellement, pour avoir fait du travail aussi en hôpital aigu, il y a beaucoup de patients qui nous viennent, qui ont des maladies graves, chroniques, et qui souvent n'ont jamais pensé, réfléchi à cette question-là, soit eux-mêmes ou soit leurs familles. C'est assez surprenant que... Il y a vraiment un manque d'éducation à ce niveau-là, au niveau de la population. C'est très fréquent qu'on ait des patients qui arrivent puis qui ont déjà une maladie chronique très grave et on est obligé, dans un contexte vraiment très aigu, de devoir aborder ces questions-là très difficiles. Puis il y a des questions vraiment au niveau de l'intensité des soins, tout ça, qu'on voit qu'il y a toute une réflexion qui n'a pas été faite du tout, des fois, par manque, aussi, d'information, là.
**(18 heures)**Mme Charbonneau: Je vous amène une dernière perspective. Puis je vous avoue bien honnêtement qu'à ce moment-ci je réfléchis à haute voix avec vous, là. Donc, permettez-moi... Si je suis un petit peu dans le champ, corrigez-moi. Il y a eu un débat, il y a plusieurs années, sur la signature du don d'organes. Cette volonté de pouvoir porter assistance avec les organes d'une personne décédée amenait un débat assez particulier. Ça venait aussi avec une peur, puis, moi, je me souviens d'avoir entendu des gens dire: Mais, si je signe, et j'arrive à l'urgence, puis je ne suis pas mort, vont-ils me faire mourir parce qu'ils ont une possibilité de venir chercher mon corps, mon poumon... mon coeur, mon poumon, quelque chose qui pourrait servir à quelqu'un?
Tranquillement, la société a fait un pas en avant -- j'aurais pu reculer jusqu'à l'avortement, là, je trouvais que c'était un peu loin, je suis allée au don d'organes. La société a fait un pas en avant et s'est dit: Tiens, laissons aux gens la possibilité de signer un document pour dire si, oui -- pas si non, si, oui -- ils veulent faire un don d'organes. Et là le débat a un peu dévié, et c'est devenu une discussion plus facile. Mais je reprends votre terme, parce que vous l'avez bien cité, vous avez dit: Parlez-en à votre famille, parlez-en entre vous.
Croyez-vous que le principe du testament de vie... Parce qu'on s'est bien fait dire par un médecin ce matin, et il avait raison: Il n'y a aucun aspect légal au testament de vie. Je peux avoir une assurance vie, je peux assurer mes meubles, je peux m'assurer, à ma mort, qui va avoir mes meubles, mais je n'ai pas d'aspect légal à ma vie si je fais un testament de vie. Croyez-vous qu'avec le temps il pourrait y avoir un regard différent sur le testament de vie, comme il y a eu un regard différent sur le don d'organes et comme il y a, en ce moment, un regard complètement différent sur l'avortement comparé au moment où on a fait les débats?
Mme Ferrier (Catherine): Moi, le testament de vie, tel qu'il est conçu habituellement, je ne souhaite pas que ça devienne une chose généralisée, parce que je pense que ça apporte trop de problèmes d'interprétation et de... de tout ça, là. Dans le fond, le mandat d'inaptitude a un certain rôle, dans le sens que ça dit: Si je suis inapte, je veux qu'un tel parle pour moi. Moi, je pense que ça peut suffire. Sauf que des fois on devient inapte de façon subite puis on n'a rien fait avec le mandat, mais au moins ça indique quelle était la volonté de cette personne-là. Alors, que ça devienne une chose habituelle dans la société, je ne suis pas sûre que c'est une bonne idée.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup pour votre présentation. Puis je dois vous dire que je suis contente que vous abordiez d'autres questions, aussi, que l'euthanasie et le suicide assisté, parce que, vous avez tout à fait raison, ce n'est pas le seul sujet qui nous intéresse. C'est vraiment la fin de vie, mourir dans la dignité, et vos propos sont très percutants dans ce sens-là, et je vous en remercie. Et d'ailleurs c'est un bon rappel à tout le monde qui nous écoute, que, bien que l'aspect... que ça prenne beaucoup de place, cette question-là, et que ce soit très médiatisé, les autres questions, et je l'ai dit d'entrée de jeu, sont aussi très importantes, toute la question des soins palliatifs et aussi de quelle manière on vit la fin de sa vie. Est-ce que c'est en institution? Est-ce que c'est en hôpital? Est-ce que c'est à la maison? Ce sont des questions qui nous préoccupent. Donc, j'ai pris des notes, et beaucoup de vos propos sont très pertinents.
Peut-être une question un peu difficile, mais je vois que vous avez des pistes, je dirais, de solution ou de... qu'on devrait avoir en tête quand on veut améliorer justement la fin de vie des personnes, que ce soit, bon, de maladies dégénératives, vieillissantes, tout ça. Si vous étiez, je ne sais pas, soit ministre de la Santé ou si vous étiez, par exemple, à la tête du corps médical... Parce que, vous aussi, vous avez des critiques importantes sur, je dirais, le système médical dans son ensemble, en disant: C'est peut-être surspécialisé, les hôpitaux ne sont pas adaptés, alors qu'on sait que la population est vieillissante. Quels seraient les deux, trois éléments sur lesquels vraiment vous insisteriez, puis que vous voudriez sortir d'ici en disant: Je veux être certain, je veux être certaine que les parlementaires ont vraiment compris que ces deux, trois éléments là, c'est déterminant pour améliorer la fin de vie, les conditions de fin de vie des gens que l'on voit dans notre pratique?
M. Gagnon (Bruno): Je l'ai fait la... J'avais la dernière diapositive, qui est passée un peu vite, mais, je pense, les infirmières cliniciennes, c'est très, très important, surtout dans des centres de soins prolongés, qui peuvent approcher les familles justement pour promouvoir cette discussion de soins en fin de vie. On évite cinq transferts de soins aigus d'un patient, une personne en soins chroniques, vers l'urgence pour des mauvaises raisons, et on a payé l'infirmière pour cette institution-là pour une année. Et je peux vous dire que, quand j'ai fait beaucoup d'urgence, ça rentrait, ces patients-là, malheureusement, et qu'ils passaient un mauvais quart d'heure à l'hôpital pendant deux à trois semaines.
L'autre chose, il faut sortir les patients qui ont besoin des soins non aigus des hôpitaux. Les soins en fin de vie, je l'ai mentionné, il n'y a aucune raison que les maisons de soins palliatifs ne soient pas subventionnées à 100 %. Il n'y a aucune raison que ces maisons n'existent que pour les patients avec cancer. Les patients avec maladies cardiaques terminales, que je vois quotidiennement mourir dans les lits de cardiologie, de maladies pulmonaires dans les lits de pneumologie des hôpitaux, ça remplit nos hôpitaux.
On va dépenser... On prévoit 5,7 milliards pour les nouveaux hôpitaux universitaires, on sait que ça va être 12 milliards, est-ce qu'on s'en va dans la bonne direction? Je ne suis pas contre la science, moitié de mon temps, je fais de la science, mais il faut vraiment se poser la question. Nos hôpitaux sont pleins de cas comme ma consoeur a décrits, des personnes âgées qui arrivent avec une fracture, un problème simple, développent un délirium, perdent leur mobilité, ne peuvent plus retourner à la maison, restent pendant deux mois à l'hôpital, se retrouvent en soins chroniques, et ils vont vivre en soins chroniques pendant plusieurs mois avec une perte de qualité.
Une des choses qui est arrivée au Québec, décision budgétaire: on a fermé, à Montréal, tous les petits hôpitaux de quartier, où ces personnes rentraient, connues par leurs médecins de famille. On les retournait... -- j'ai travaillé là -- on les retournait de bord, comme on dit, en trois jours, et ils retournaient à la maison. Ici, maintenant, ils passent trois jours à l'urgence et ils n'ont pas été retournés de bord, hein? Ils n'ont pas dormi pendant trois jours.
Donc, repenser petites choses, hein? Cesser de penser que ce qui est gros est beau. C'est «petit et meilleur» pour une société plus humaine qui va permettre aux communautés locales de se prendre en charge. Et cela est un bon exemple des maisons en soins palliatifs, ils sont supportés par une communauté locale de bénévoles, de gens qui lèvent des fonds, des gens qui supportent les familles. Et les familles restent en contact avec ces maisons-là. Et les petits hôpitaux, c'est la même chose: permettre aux gens de la communauté de garder un certain contact, une certaine participation à la vie, et des soins de ces malades-là.
Mme Hivon: Merci.
M. Gagnon (Bruno):«Small is beautiful.»Mme Ferrier (Catherine): J'ajouterais les soins à domicile.
Mme Hivon: Les soins à domicile, oui.
Mme Ferrier (Catherine): Très, très important, puis il n'y en a pas assez. Puis vraiment ils font un travail formidable. Mais il faut les appuyer, ces gens-là, puis il faut donner plus de ressources.
Mme Hivon: Maintenant, sur la question des dérives que vous craignez, on a une question. On en parlait ce midi, vous savez, avec la réforme du Code de procédure civile, début des années quatre-vingt-dix, on a vraiment consacré le principe de l'autonomie de la personne. Et donc elle peut refuser tout soin, même si la mort en découle. Elle peut, par exemple, demander d'être débranchée d'un respirateur qui la maintient en vie, qu'importe son âge, le fait qu'on sache qu'elle ait une expectative plus ou moins longue de vie. Même un proche peut prendre la décision. Et je sais qu'à l'époque il y avait des craintes. Il y avait eu l'affaire Nancy B., qui avait été devant les tribunaux, où une jeune femme voulait justement être débranchée, mais, de manière parallèle, le Code civil a été modifié justement pour consacrer vraiment le principe de l'autonomie de la personne.
Est-ce qu'il y avait des craintes de dérive à cette époque-là aussi? Parce qu'un peu les mêmes questions se posent, à savoir: Débrancher quelqu'un, est-ce que la famille va pouvoir exercer des pressions indues? Le corps médical n'est pas parfait, est-ce qu'il pourrait y avoir une pression de libérer un lit? Un peu les mêmes questions. Et je voulais savoir s'il y a eu... Dans votre pratique, c'est-à-dire avec vos collègues, tout ça, est-ce qu'on a noté des dérives à la suite de ça, de cette réforme-là qui maintenant fait consensus, hein? Tout le monde nous dit: Ça, c'est correct, ça va de soi. Est-ce qu'il y en a eu, des dérives, des dérapages?
Mme Ferrier (Catherine): Avant de répondre, je voudrais dire une chose, que je pense qu'il y a une grande différence entre l'un et l'autre, parce que refuser un traitement... Demander de se faire débrancher d'un ventilateur, c'est un autre degré, mais c'est la même qualité que refuser de prendre des antibiotiques quand peut-être tu peux t'en passer, c'est juste... C'est beaucoup plus grave, là, mais c'est la même chose. Demander qu'on te tue, c'est très différent.
**(18 h 10)**Mme Hivon: En fait, je vous dirais, puis je comprends tout à fait, mais on y revient souvent, c'est que, dans l'esprit médical, il y a une grosse différence, c'est vrai, on la conçoit, parce que l'intention, du moins théoriquement, n'est pas la même. Mais l'effet pour les gens qui sont des patients ou des accompagnants, pour eux... Parce que, ce soir, on va avoir un témoignage justement de quelqu'un qui a accompagné sa conjointe, et c'était une question mûrement réfléchie de la débrancher, mais elle aurait pu vivre encore, vous comprenez? Alors, il y en a qui disent: Entre ça ou abréger de quelques jours la vie de quelqu'un en donnant une dose létale... Je comprends tout à fait, là, la distinction, c'est l'intention, puis tout ça. Mais... mais il y a... hein?
Mme Ferrier (Catherine): Ce n'est pas le même acte.
Mme Hivon: Ce n'est pas le même acte, non, non, je vous suis. Mais, pour les gens, les effets peuvent se ressembler. Donc, c'est ça.
Mais, moi, je suis vraiment sur la question: Est-ce qu'il y a eu des dérapages ou des... qui ont été constatés, de pression de la famille, de médecins, tout ça? Pardon?
Mme Ferrier (Catherine): Oui, il y a des dérapages. Ça ne veut pas dire qu'on ne devrait pas laisser les gens libres. Moi, je pense qu'il faut que les gens prennent ces décisions eux autres mêmes. Mais on voit des dérapages dans les deux sens, disons. On voit des gens qui sont maintenus de façon ridicule quand il n'y a aucun espoir. Et on voit aussi, bon: Votre mère avait eu un accident cérébrovasculaire, alors je vous conseille d'arrêter toute médication, la nutrition, l'hydratation, parce que sa qualité... sa qualité de vie ne sera pas bonne par la suite. On n'a même pas donné le temps de voir comment ça va évoluer, cet accident cérébrovasculaire, peut-être qu'elle va récupérer. Mais, comme, disons, prendre l'arrêt de traitement comme une excuse pour causer la mort, certainement que ça arrive.
Mme Hivon: Bien, vous... C'est ça, en fait c'est troublant, là, dans le sens que... En fait, il y a une volonté qu'on sent, du corps médical, de la démarche du Collège des médecins, des fédérations, de dire aussi: Cet exercice-là, ce vaste débat-là qu'on fait, on veut aussi le faire pour clarifier les zones d'ombre, pour qu'il y ait plus de balises, qu'il y ait plus de consensus social. Et vous savez un peu leurs positions, à savoir qu'il y a des médecins qui ne voient pas vraiment de différence entre la sédation terminale et l'euthanasie, parce que, oui, il y a l'intention... bon. Bon.
Là, on arrive avec la question de débrancher quelqu'un. Et là tout le monde s'entend maintenant, je pense, dans la société, dans la communauté médicale aussi, que c'est normal, que le principe de l'autonomie doit primer dans un cas comme ça, même s'il peut y avoir des fois des circonstances où le médecin n'a peut-être pas obtenu le consentement totalement libre et éclairé. Moi, je veux juste comprendre d'un point de vue, je dirais, éthique, sociétal: La différence, au-delà de la question de l'intention, là, elle est où, dans le fond?
Mme Ferrier (Catherine): Bien, dans la loi, la...
M. Gagnon (Bruno): Il y a des...
Mme Ferrier (Catherine): Dans la loi -- excuse-moi -- dans la loi, pourquoi on a le droit de ne pas être traité contre notre volonté? On dit que traiter quelqu'un contre sa volonté, c'est... on dit «assault» en anglais, ça n'a rien à voir avec la médecine, ça n'a rien à voir avec... mais c'est imposer quelque chose au corps d'un autre, qu'il n'a pas demandé. Alors, c'est pour ça qu'on ne traite pas les gens qui ne veulent pas être traités. Alors, c'est d'un autre ordre d'idées complètement de l'acte d'enlever la vie de quelqu'un.
Mme Hivon: ...débranche quelqu'un, là, c'est sûr qu'il ne veut plus ce traitement-là, mais on lui enlève par le fait même la vie.
Mme Ferrier (Catherine): Mais ce qu'on fait en réalité, c'est qu'on enlève une chose qui le maintenait en vie, et on laisse sa maladie suivre son cours normal, ce n'est pas la même chose du tout.
M. Gagnon (Bruno): Oui, je veux juste mentionner une petite chose: la médecine n'est pas une science exacte. On a souvent débranché quelqu'un et... a continué à respirer par elle-même, cette personne.
La question de la dérive, c'est très difficile à prévoir. J'ai un ami dont sa cousine a eu un mauvais... son chum... Elle est tombée enceinte, et son chum veut absolument qu'elle se fasse avorter, ses parents veulent absolument qu'elle se fasse avorter, et, elle, elle ne veut pas. Un autre cas, j'ai vu une patiente à l'urgence, une Sud-Américaine -- je parle italien... pas italien, mais espagnol -- ça faisait un mois qu'elle était arrivée, elle est arrivée enceinte, la travailleuse sociale lui a dit: C'est mieux que tu te fasses avorter. Elle est une réfugiée. Comment interprétez-vous ça en tant que réfugiée? Et elle était à l'urgence, en hémorragie, donc fait par la médecine comme les mêmes complications qui ont justifié l'arrivée de l'avortement. Donc, les dérives, ça existe.
Actuellement, le débat de l'avortement devrait être: Est-ce qu'il y a une protection de la femme? Est-ce que c'est vraiment un choix de la femme? Il va y avoir une dérive dans la question de l'euthanasie et le suicide assisté, ça va être: Est-ce que c'est vraiment le choix du malade? Même si on donne le pouvoir au médecin de le faire, est-ce que, non... dans quelques années, dans quelques mois, est-ce que ça va être vraiment le choix du malade, et un choix éclairé? Et, encore, la médecine n'est pas une science exacte. De dire qu'on a tout fait... Comme mon confrère disait, avec l'avancement de la science, on découvre qu'on n'avait pas tout fait il y a six mois, il y a six ans, il y a 60 ans. Dieu merci, il faut rester humble, dire: Peut-être qu'il y a d'autres choses qu'on devrait faire. Et, si on tue toutes ces personnes-là, qu'on pense qu'on n'a pas tout fait, dans 200 ans, on va être au même niveau de l'approche du support de ces malades qui préfèrent choisir la mort que de continuer à vivre et surmonter leurs difficultés. Parce que le grand danger sociétal et médical, il est là: une perte de capacité d'avancer sur ce chemin, de comprendre l'expérience des autres et de pouvoir se mettre avec les autres dans ce cheminement.
Mme Hivon: C'est intéressant, en fait, parce que, c'est sûr, on est beaucoup dans la dichotomie: le bien commun, sociétal, versus le bien individuel ou la décision de... dans l'autonomie de chaque personne. Mais, dans votre pratique... Là, je comprends que vous disiez tantôt qu'il y a certaines personnes qui effectivement ont un désir, en fin de vie, récurrent d'abréger leurs jours, et tout ça. Moi, je veux savoir... Puisque, on le dit, le désir de vie est excessivement fort, et on nous dit qu'il n'y a pas tant de gens que ça qui le demandent de manière répétée, consciente, lucide, alors, je me dis: Est-ce que ces cas-là feraient vraiment en sorte... Si, par exemple, avec des conditions superstrictes, balisées, bon, tout ça, là... Je comprends votre argument de dire: Est-ce qu'on peut toujours les respecter? Enfin, moi, j'ai confiance dans le législateur puis relativement dans le corps médical, mais je comprends votre point de vue aussi. Est-ce que... En fait, j'ai très confiance dans le corps médical, mais aujourd'hui on entend toutes sortes de choses qui nous font se dire...
Une voix: ...
Mme Hivon: Oui, c'est ça. Ce que je veux savoir, c'est: Est-ce que ces quelques cas là, en fait assez exceptionnels, où on aiderait, il y aurait une aide médicale à mourir, feraient vraiment en sorte qu'on priverait, je dirais, la science médicale d'avancer, et l'accompagnement de se faire, et la progression des soins palliatifs? Parce que la grande majorité, évidemment, voudraient continuer à vivre jusqu'au bout.
M. Gagnon (Bruno): Je vais me vanter un petit peu. J'ai présenté, au congrès des soins palliatifs, une recherche sur la fonction cérébrale des patients avec maladie de cancer avancé. Ce n'est pas des mourants, c'est des gens qui ont encore des années, même avant les traitements chimiothérapiques... de chimiothérapie, et ils ont déjà des atteintes frontales importantes causées par la maladie du cancer. Donc, ces gens, de dire qu'ils ont un consentement éclairé, qu'ils sont libres de faire des choix, il faut être très prudent. Ces gens-là ont une fonction cognitive déjà affectée bien avant d'arriver à la fin de vie. C'est un des processus de maladie... et certaines interventions qu'on commence à faire qui permettent d'améliorer beaucoup ces gens-là. Vous pourrez voir, encore sous mon nom, l'utilisation du Ritalin, qui permet à ces gens-là de sortir de cet état de léthargie et de reprendre goût à la vie, et d'autres médicaments qui permettent d'améliorer l'appétit, d'améliorer le... On ne fait qu'ouvrir toute la question de détresse psychologique et la détresse morale et existentielle chez ces gens-là, et il faut être très humble, de dire qu'ils font un choix éclairé et qu'on doit accepter leur choix. Je ne suis pas sûr que je veux embarquer dans ce bateau et je ne suis pas sûr que la société devrait embarquer dans ce bateau.
Le Président (M. Kelley): Il me reste à dire merci beaucoup à Dr Gagnon, Dre Bourque et Dre Ferrier pour votre présentation cet après-midi.
Je vais suspendre très rapidement, quelques instants. On a cinq demandes d'intervention. Alors, on va les entendre tout de suite après. Alors, merci beaucoup pour votre contribution et la recherche que vous avez mise à la disponibilité des membres de la commission.
(Suspension de la séance à 18 h 19)
(Reprise à 18 h 20)
Le Président (M. Kelley): Alors, sans plus tarder, on a cinq personnes qui ont demandé à prendre parole. En ordre, j'ai Lorette Noble, Roger Millaire, Laurence Normand-Rivest, Maximilian Zucchi, and Angelo Zanchette.
I'll ask you to take about three minutes because we are running a little bit late. So, three minutes, and I'll wave a finger when we're about close to one. And we will start with Lorette Noble. Mme Noble, la parole est à vous.
Mme Lorette Noble
Mme Noble (Lorette): Thank you very much. And I will not keep you, I hope, as long as three minutes. I just wanted to say that I am just a little older than seventy and I thought until very, very recently that I was immortal. And I've however... was brought back to reality, because I am today a cancer survivor. So, my mortality is playing rather more in my mind than... and with my family than before. And therefore I also have a very low threshold of pain and I am afraid to die. So, I am a very, very good example of who is affected by this debate, OK?
And I wondered, when I was listening to, and all the preparations and all of that went on before, whether in fact... like others who have been here this afternoon presenting, whether the question couldn't have been a little more balanced, in the sense of... sort of giving an option. Because at the moment it sounded like the point of the Committee and these hearings was... It was giving the impression a little that Québec, the Québec Government is seriously considering legalizing euthanasia. I just wanted to know what the population thought, you know, how many people would be truly upset. And I just wondered if in a sense the question could have been, for example: At the end of life, which option would you, your community group or your organization choose or favor? Would you choose competent palliative care and pain control universally available, whether in a hospital, hospice or, wherever possible, at home -- and incidently we heard just now how much cheaper it is to have palliative care at home than elsewhere -- or would you prefer the option of euthanasia and assisted suicide? So that we wouldn't have people coming and they were for or against the question. They would be for one part or other of the question.
And then, lastly, if you want to push it another way: Do we want our provincial government, which we all recognize -- I think everybody recognizes that in this room -- that is known to be a compassionate government, reflecting a compassionate, in all it sense, society... do we want our provincial government to encourage our doctors to be well trained in palliative care and use all available medical knowledge to make the end of life comfortable, or do we want to have our provincial government, when asked to do so, license... sorry, do we want our provincial government to license our doctors to be able to kill people when asked to do so?
It's just something, in my travels across Canada, I have always been very proud to say how compassionate our society that we live in here, in our province, is. I would find that hard to defend if I was to say that, in fact, when asked to do so, our doctors can kill a patient. Thank you for your attention.
Le Président (M. Kelley): Thank you very much, Mrs. Noble. Next, I will ask Roger Millaire de prendre place au micro. M. Millaire.
M. Roger Millaire
M. Millaire (Roger): Oui, bonjour. Alors, Roger Millaire. Je suis ingénieur, professeur à Polytechnique. Je travaille... je suis un des fondateurs de Secor. Moi, je me présente ici comme un citoyen intrigué par cette commission.
Dans notre culture, il y a plusieurs visions qui se confrontent, «Weltanschauungen», qui sont les termes techniques. Mais le plus dominant, ça vient de Nietzsche, c'est le «ubermensch», le «ubermensch» patent... le «uberwomensh» aussi. Mais vient 40, 50, 70, clac! le «ubermensch» perd ses culottes parce qu'il a été attaqué par le cancer, une angine, sclérose en plaques, «you name it». Alors, devant cette situation-là, le «ubermensch», qui a toujours été en contrôle, il faut qu'il s'adapte.
Il y en a qui s'adaptent -- ça, c'est un pôle, hein? -- en acceptant la situation mais en disant: Mais voilà, c'est là. Et la vaste majorité des gens, c'est ça qu'ils font. Il y en a qui ont une réaction de défi, de défiance. C'est une petite minorité. Et leur réaction va dépendre très largement du milieu où est-ce qu'ils se trouvent. S'il se trouve dans une famille qui va s'occuper de lui, c'est sûr que ça va être une réaction différente. J'ai eu l'occasion de rencontrer une association de personnes âgées, je peux vous dire une chose: ils ont la peur bleue d'aller à l'hôpital, une peur bleue d'aller à l'hôpital, parce qu'on sait que... peut-être à tort, mais ils savent que c'est dangereux.
Alors, quelles sont nos options devant cette situation-là? La première, c'est de céder à la tentation du suicide. Puis j'espère que ce n'est pas l'unique raison pour laquelle vous existez comme commission, mais c'est en fait ce qui se dégage. L'autre, c'est de dire: Augmentons les soins palliatifs. L'autre, c'est: Clarifions les termes. Parce que c'est sûr qu'il y a une confusion totale, tellement totale qu'on fait passer... que l'on comprend le suicide comme étant, dans le fond, l'acharnement thérapeutique. Alors, voilà, il y a toutes sortes de confusions qu'il faut clarifier.
Mourir chez soi, ce serait bien formidable, hein? Ça dépend, mais ça aussi... ça dépend. Mais surtout ce que ça amène, c'est l'obligation de réfléchir sur l'affectation des ressources financières dans le système de santé du Québec, O.K.? Parce qu'il y a des choses qui doivent être faites différemment. Mais, moi, aux membres de cette commission, je vous pose une question bien simple... C'est-à-dire que le gouvernement du Québec essaie de faire une pirouette pour faire passer, disons, un meurtre comme étant un acte médical, parce qu'il faut qu'on en arrive à ça. Alors, je vous demande, c'est... Songez bien: Est-ce que vous êtes prêts à donner le droit à un médecin consentant de tuer un patient consentant? Est-ce qu'au contraire vous ferez l'éducation, l'éducation de la population, O.K., pour les informer véritablement sur les termes auxquels ils font face? Je m'arrête.
Le Président (M. Kelley): En conclusion.
M. Millaire (Roger): Pardon?
Le Président (M. Kelley): En conclusion.
M. Millaire (Roger): Pardon?
Le Président (M. Kelley): En conclusion.
M. Millaire (Roger): En conclusion. Oui, en conclusion, je ne voulais pas le dire, mais je vais le dire. Je vais dire qu'en 2006 j'ai accompagné un groupe d'étudiants de Polytechnique dans un programme qui s'appelle Poly-Monde, et on est allés en Pologne. Et, en Pologne, on est allés à Auschwitz, et à Auschwitz et à Auschwitz-Birkenau. Auschwitz-Birkenau, ça, là, c'est la machine à tuer allemande. Auschwitz, c'était un camp militaire polonais où les Allemands ont exterminé une bonne partie, en tout cas, de l'élite polonaise. Et, quand on rentre dans le camp, on voit toujours la... disons, la «arbeit macht frei». Mais, juste à droite, il y a une petite salle d'à peu près huit par huit. Alors, je pose des questions en disant: Qu'est-ce que c'est, ça? C'était le tribunal. Tous les Polonais qui avaient été exterminés avaient été jugés, condamnés, étampés dans l'espace de une minute ou deux. Alors, avant de vous embarquer dans des affaires qui ressembleraient à ça, pensez-y.
**(18 h 30)**Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Millaire, pour vos commentaires.
Juste, je pense, une nuance importante: l'initiative de cette commission émane de l'Assemblée nationale et non du gouvernement du Québec. Je pense, c'est une nuance qui est très importante. C'est une motion qui a été présentée à l'Assemblée nationale, alors c'est vraiment la volonté des quatre formations politiques à l'Assemblée nationale de faire une réflexion, plutôt qu'une initiative du gouvernement. Pour vous autres, peut-être, ça semble comme... mais je pense que c'est une nuance qui est très importante.
Le troisième témoin, c'est Laurence Normand-Rivest.
Mme Laurence Normand-Rivest
Mme Normand-Rivest (Laurence): Oui. Bonsoir, mesdames et messieurs, M. Kelley, Mme Laplante. Ça me fait plaisir de vous parler. Je me présente. Je suis une étudiante en médecine à l'Université de Montréal. Je suis cosignataire du mémoire de la Coalition humanisme des étudiants en médecine.
Moi, j'ai été touchée en avril passé, en avril 2009 en fait, quand M. André Dion avait écrit, dans Le Soleil de Québec, qu'il voulait se faire euthanasier au Québec. Il demandait à notre ministre Bolduc de faire en sorte que les mesures soient instaurées au Québec pour ne pas qu'il ait à voyager en Europe pour se faire tuer. Moi, ça m'a d'abord surprise, parce qu'on sait que, dans la dernière décennie, les traitements pour soulager la douleur ont augmenté en efficacité de façon phénoménale. Vraiment, c'est extraordinaire, qu'est-ce qu'on est capable de faire maintenant. Et, selon moi, ces demandes à l'aide là des personnes qui veulent se suicider en fin de vie, c'est le reflet de la solitude qui règne en maître dans notre société québécoise moderne, individualiste.
Moi, d'abord, en tant qu'être humain, je me demande si tous les désirs que j'ai pour ma vie, d'abord le désir de dignité, le désir de justice, le désir de beauté, si vraiment tous ces désirs-là sont en vain, s'il n'y a aucune réponse à ce désir-là, si la seule façon de m'en sortir, c'est de me tuer, à un moment ou à un autre, ou si au contraire me suicider, me tuer, ça ne peut pas répondre à ce désir-là de dignité, qui est fondamental, qui est au coeur de chaque être humain.
Ensuite, en tant que futur médecin... Moi, je suis rentrée en médecine avec l'idéal de pouvoir servir les plus vulnérables, de pouvoir servir les malades du mieux que je le pouvais, soit en les guérissant ou en les soignant, pour les rendre mieux. Puis, je pense, qu'est-ce qui nous est proposé, c'est-à-dire de tuer le patient, bien, premièrement, ça me répugne parce que c'est contraire à l'être humain et c'est aussi contraire à ce que j'espère pour ma vie. Non, je trouve ça complètement déshumanisant comme acte.
Je pense que c'est déraisonnable de donner le droit à des êtres humains, les médecins, de tuer d'autres êtres humains. Il y aurait d'autres professionnels, comme les pharmaciens, les infirmières, qui auraient toutes les connaissances nécessaires, hein, pour donner des injections létales. Mais, à cause que la population a une grande estime pour les médecins, justement parce qu'ils sont au service des plus vulnérables, des malades, on leur fait confiance, et c'est les seuls êtres humains dans notre société à qui on aurait le droit de les tuer, ce qui est contradictoire avec la mission médicale.
Ensuite, je pense que la pensée occidentale est basée sur des principes fondamentaux. C'est sûr que le progrès est incroyable dans notre société. C'est quelque chose qu'il faut valoriser. Mais, quand ça veut dire détruire les principes fondamentaux sur lesquels notre société est basée, je pense qu'il faut s'arrêter une minute.
Finalement, on me dit que l'autonomie du patient en face de moi est importante. Oui, c'est vrai, hein? L'autonomie, c'est vrai, c'est ce qui nous permet de faire des choix pour notre vie, c'est ce qui nous permet d'être libres, c'est une caractéristique fondamentale à l'être humain. Mais, quand on utilise l'autonomie pour détruire l'être humain, on s'entend qu'il n'y a plus de liberté. Or, je ne vois pas quelle valeur on devrait y attribuer dans cette situation-là. Ce que la personne a vraiment besoin en fin de vie, c'est être accompagnée d'une façon humaine.
Alors, je vous félicite dans votre entreprise, dans votre travail. Vous avez une grande responsabilité sur vos épaules. J'espère que vous allez y mettre tout votre coeur.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Le quatrième intervenant, c'est Maximilian Zecchi?
M. Maximilian Zucchi
M. Zucchi (Maximilian): Zucchi, yes.
Le Président (M. Kelley): OK. Sorry. Rhymes with Recchi, no? Hockey player.
M. Zucchi (Maximilian): Merci, membres du comité. Mon nom est Maximilian Zucchi, et je suis étudiant en maîtrise à McGill, en physiothérapie.
Je voulais juste vous raconter une petite expérience que j'ai eue l'année dernière. J'étais en hôpital et passais une journée avec une physiothérapeute, et une de nos patientes était une patiente de 36 ans atteinte de la sclérose en plaques, donc une maladie dégénérative. Et j'aurais parié qu'elle avait peut-être 50 ans, parce que ça affecte complètement tout le corps, et elle était presque paralysée complètement. Elle faisait sa dernière journée en physiothérapie, vu qu'elle était complètement en dégénération, et on ne pouvait plus faire quelque chose pour la faire devenir mieux.
Et donc, à la fin de la journée, elle devait saluer sa physiothérapeute. Donc, elle l'a saluée, ensuite elle m'a regardé, elle m'a dit: Tu sais, Max, c'est grâce à des gens comme elle que, moi, je peux dire que la vie vaut la peine d'être vécue.
Et je dois dire que durant la session j'avais beaucoup de difficulté à comprendre comment une patiente comme elle avait du courage pour vivre. Et à la fin elle m'a dit que sa passion pour la vie est née d'une relation simple avec sa physiothérapeute, avec une personne. Donc, en fait, pour moi, ça, c'était une provocation pour tous les membres de la... travailleurs de la santé, mais aussi pour tout le monde qui accompagne des malades, que ce qu'on a besoin, c'est bien plus que d'être capable de curer une maladie, mais d'accompagner un patient en l'aimant jusqu'à la fin de leurs jours. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Et notre dernière demande d'intervention, c'est Angelo Zanchette.
Une voix: ...
Le Président (M. Kelley): Pardon si j'ai mal prononcé votre nom.
Une voix: ...
Le Président (M. Kelley): Oui.
M. Angelo Zanchette
M. Zanchette (Angelo): Alors, mon nom est Angelo Zanchette. Je travaille dans le domaine immobilier. Et je soulève des chiffres ici et je vais donner deux exemples que je trouve qui sont pertinents pour l'expliquer. Malgré que c'est non scientifique, mais c'est des expériences personnelles.
L'Association des médecins catholiques de Montréal, dans leur document, ils stipulent que 14,6 personnes sur 100 000 habitants sont pour l'euthanasie ici, au Québec, et 4,8 en Italie. Alors, je vous donne deux histoires.
L'histoire de ma grand-mère qui est morte il y a deux ans. Quand on a su, à ma famille, que ma grand-mère devait mourir, j'ai fait beaucoup de lobbying envers les membres de ma famille pour qu'on amène ma grand-mère ici, au Québec. Je leur disais: C'est mieux qu'elle vienne ici parce qu'ici elle va être mieux traitée. Elle va être proche de nous, premièrement. Elle va être mieux traitée. On a tout. Malgré que, là-bas, ils ne paient pas non plus. Mais, dans ma conviction, c'était qu'ici, quand elle allait rentrer dans un hôpital, elle allait avoir un traitement qui était supérieur qu'elle allait avoir en Italie.
J'ai découvert que c'est totalement faux. Parce que ma grand-mère, elle est morte en Italie et, en Italie, elle a eu un traitement jusqu'à la fin de ses jours qui a été très humain. Elle a été traitée comme une personne.
Ici, par contre... Malgré que, moi, je n'ai jamais été vraiment malade, mais j'ai eu une expérience récemment où je me suis coupé le doigt et je suis allé à l'urgence. J'ai marché dans un hôpital, l'Hôpital Jean-Talon, et j'ai vu des gens, des malades, des personnes âgées, dans les couloirs, qui étaient traités d'une façon totalement inhumaine. On voyait une madame qui avait peut-être l'âge de ma grand-mère, qui portait la chemise d'hôpital, et on voyait totalement le derrière de son dos et les parties plus basses. Donc, les gens sont traités d'une façon qui n'est pas humaine.
Donc, on se demande pourquoi en Italie 4,8 personnes sur 100 000 veulent l'euthanasie, contre 14,6 ici, au Québec. Je pense qu'il faut vraiment aborder cette question-ci même avant d'aborder la question si on devrait ou on ne devrait pas avoir l'euthanasie. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour votre intervention. Peut-être une précision. Je pense, dans le mémoire, ça fait référence au taux de suicide dans les deux pays concernés, soit l'Italie et le Québec.
Sur ça, crois-le ou non, chers collèges, on va suspendre jusqu'à 19 h 30.
Mais peut-être, avant d'arrêter, s'il y avait des moments de distraction parmi les membres, nous avons appris la très triste nouvelle du décès de Claude Béchard, notre collègue membre de l'Assemblée nationale, jeune de 41 ans, ministre de l'Agriculture, qui est décédé d'un cancer du pancréas cet après-midi. C'est, je pense, avec une énorme tristesse que l'ensemble des membres de la commission ont appris ça. Et à la famille de Claude, à ses proches, à Mylène et ses enfants, on veut juste exprimer nos condoléances. C'est vraiment une lourde perte pour l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale.
Alors, sur ça, je vais suspendre jusqu'à 19 h 30, 15 minutes plus tard que prévu.
(Suspension de la séance à 18 h 40)
(Reprise à 19 h 32)
Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Merci aux collègues, les deux côtés de la table, pour votre dévouement. Je sais que ça fait des longues journées, mais on a beaucoup de témoins à entendre dans le cadre de cette commission, surtout ici, à Montréal, alors il faut travailler le soir. Alors, pour ceux qui prétendent que leurs députés chôment tout le temps et dorment dans leurs bureaux de comté, on a une preuve tangible ce soir de l'engagement politique et social des élus, qui ont une question fort importante qui nous interpelle.
J'ai mentionné tantôt avec beaucoup d'émotion, ce soir... parce que, pour tous ceux qui ont siégé avec Claude Béchard, c'est une grande ombre qui est sur nos délibérations et nos travaux. Mais Claude aimait avant tout la chose politique. Il adorait la politique, il aimait les débats, il aimait des idées, il adorait le Québec. Alors, je pense qu'il serait fier de nous, parce qu'on va continuer de démontrer notre passion pour la chose politique, et, je pense, c'est la meilleure façon de rendre hommage à mon grand ami Claude Béchard.
Alors, sans plus tarder, notre prochain témoin... nos prochains témoins sont le Pr John Zucchi et Dr Gerald Batist, des professeurs de l'Université de McGill contre l'euthanasie et le suicide assisté. Alors, Pr Zucchi, c'est vous qui va commencer?
Professeurs de l'Université McGill
contre l'euthanasie et le suicide assisté
M. Zucchi (John): Ça va? Parfait. Merci. Et merci pour l'opportunité d'adresser la commission. Je vais commencer par dire que nous ne représentons pas tous les professeurs à McGill... à l'Université McGill contre l'euthanasie, seulement les 54 qui ont signé. Il y a des autres qu'ils ont carrément envoyé leurs propres mémoires.
Notre message est simple, même si notre mémoire a été signé par des professeurs qui proviennent de, quoi, six facultés. Nous n'avons pas préparé une exposition scientifique. Au fond, la question sur l'euthanasie ne sera pas réglée par un débat académique, parce que le fond de la question n'est pas seulement intellectuel ni politique, mais plutôt existentiel, c'est-à-dire, le fond de la question a à faire avec la vie même.
Comme nous avons dit dans notre mémoire, nous exhortons nos confrères québécois à réaffirmer la valeur intrinsèque de la vie humaine. Et c'est pour cela que nous parlons tout au début de notre mémoire, de mouvements promouvant l'euthanasie et le suicide assisté, au Québec, comme un danger, comme une rupture dangereuse avec certaines de nos traditions.
Avant tout, toute notre tradition médicale est basée sur la valeur inaliénable de la personne. Deuxièmement, toute notre tradition juridique, aussi, est également fondée sur la valeur inaliénable de la personne. Nous avons donc un double danger: le danger que notre conception de la valeur de la personne et de la vie soit réduite, le danger que le système juridique devienne instrument non pas pour défendre la vie, mais plutôt pour régler l'accélération de la mort de certains individus. Donc, on parle d'une rupture dans nos traditions médicale et juridique.
Et, à propos de cette dernière, c'est-à-dire la rupture avec une tradition juridique, je dirais le suivant: avec l'introduction de l'euthanasie et du suicide assisté, nous serions face à une situation indésirable où le procureur général omettrait d'appliquer la loi, et conséquemment il empêcherait la branche judiciaire de jouer son rôle. Ce n'est pas, disons, une situation heureuse.
Il y a un danger aussi peut-être encore plus grave, je dirais. La branche exécutive, en permettant à une personne d'enlever la vie à un patient, implicitement redéfinirait la conception de la personne, la conception de, comme on dit en anglais, «personhood». La loi protège la personne. En acceptant l'euthanasie, la branche exécutive déclarerait ipso facto qu'une victime prospective de l'euthanasie n'est pas une personne.
Donc, nous parlons de véritables dangers pour notre société démocratique, qui doivent être affrontés avec tout le sérieux qu'ils requièrent.
Notre mémoire ne veut pas minimiser la souffrance physique, émotionnelle ou spirituelle qu'une personne peut expérimenter dans une situation de maladie, et surtout en phase terminale -- et mon collègue, Dr Batist, en parlera -- mais nous voulons affirmer que la vie et la valeur de la personne sont plus grandes que la souffrance même. On parle beaucoup de société, on parle de solidarité, on parle de bien commun. Tous ces termes indiquent une interdépendance entre personnes, tous ces termes affirment que la personne est en rapport, la personne est relationnelle, qu'une personne est soutenue par des autres dès sa naissance, à travers les vicissitudes de la vie, jusqu'à sa mort. Dans cette vie relationnelle, la personne expérimente une vraie liberté.
On n'affirme pas notre autodétermination en choisissant l'heure de notre mort. Plutôt, on expérimente une vulnérabilité. Et pourquoi vulnérabilité? Parce qu'il y a beaucoup d'intérêts qui pourraient exploiter la personne souffrante, même s'il y a des lignes directives. Avant tout, il y a tout le complexe système sanitaire, qui est bien conscient qu'une personne malade, dans ses dernières semaines de vie, pourrait coûter très cher au système. Il y a la famille du malade, qui pourrait exploiter la situation du patient pour leurs propres fins. L'exemple qui a été soulevé dans plusieurs journaux, dans plusieurs... à titre académique aussi, nous démontre que c'est très difficile, sauvegarder les choix des patients. Il y a beaucoup de cas en Hollande où l'euthanasie est appliquée contre la volonté du patient. Est-ce qu'on peut parler vraiment d'autodétermination, de liberté dans un tel cas? Non. Choisir le moment de sa propre mort, demander de se faire tuer n'est pas une expression d'autodétermination, d'autonomie, de liberté. Cela n'est pas mourir dans la dignité.
Mon père a souffert d'un cancer pour un an avant sa mort. Il était un homme fortement indépendant et très fier, un exemple de «self-made man», mais il a expérimenté sa plus grande liberté à sa mort naturelle. Oui, il souffrait des douleurs importantes, mais son médecin les a soulagées. Une tendresse et une paix ont jailli en lui pendant sa maladie et surtout pendant ses derniers jours. Il est mort avec un sourire dans les bras de ma soeur et de ma mère en les remerciant pour leur douceur, leur présence continuelle.
Nous avons voulu souligner dans notre mémoire cette interdépendance, cette solidarité, quand nous avons parlé de l'importance de la solidarité entre tous les hommes et toutes les femmes. Cela signifie une responsabilité de chaque homme, chaque femme, de la société civile et du gouvernement de soutenir chaque personne qui souffre, de soulager cette souffrance et d'accompagner la personne malade par son chemin jusqu'à la mort naturelle. Promouvoir l'euthanasie signifie abdiquer cette responsabilité, se soustraire à un engagement sérieux par rapport à notre prochain. Les premiers à souffrir dans un tel contexte seraient les plus démunis. Est-ce que c'est ceci que nous voulons pour notre société ou est-ce que nous désirons une vision plus humaine, réellement respectueuse de l'humain?
**(19 h 40)** Pensons, par exemple, à la vision proposée par notre grand cinéaste québécois, Bernard Émond. Son film La donation parle du rapport entre un médecin, Jeanne, et ses patients, qui souffrent chacun sa maladie, sa détresse et, on pourrait ajouter, sa crise existentielle. Jeanne est certainement une professionnelle de la médecine, mais elle s'engage existentiellement avec les malades, les mourants et leurs familles. Elle est professionnelle mais avant tout humaine. Notre société québécoise est capable de ce simple engagement, de cette humanité. Mettre fin à une vie pour se soustraire à cet engagement n'est pas humain.
Je voudrais terminer avec trois phrases... quatre phrases d'une lettre qui m'a été écrite quelques mois avant sa mort, une lettre qui m'est arrivée de M. Claude Ryan en 2003. C'était après un accident cérébrovasculaire qu'il a eu, un ACV, et il ne savait pas encore qu'il avait le cancer. Il m'a dit: «I wish to thank you most sincerely for having so generously reminded me that I was not alone during those trying days. I realized more clearly during those past few weeks how our existence is at the same time precious and fragile, how admirable are the faith and energy which enable us to live it with such intensity and how invaluable are the bonds which help us find our way through it in solidarity with relatives and friends who love us sincerely and to whom we are attached with equal affection.» Je pense qu'on pourrait proposer ça comme une vraie vision humaine pour notre société. Merci.
Le Président (M. Kelley): Dr Batist.
M. Batist (Gerald): Merci beaucoup pour l'opportunité de me présenter devant la commission. Moi, je suis oncologiste et je m'occupe... ma préoccupation est d'aider tous mes patients à vivre dans la dignité jusqu'à la fin de leur vie. Donc, pour moi, c'est très inquiétant de voir la question posée comme telle: Mourir dans la dignité. Il me pose la question... elle m'inquiète beaucoup.
Je crois que... Quand quelqu'un, un de mes patients me dit: J'ai tellement beaucoup de douleurs que j'aimerais mourir, ma réponse est: traiter la douleur, pas tuer le patient. Quand quelqu'un me dit: Je suis déçu, déprimé profondément à cause de mon futur, ma famille, les perdre, ma réponse est: traiter la dépression, pas tuer le patient. Et il faut prendre le temps... il faut accorder à notre système de la santé un peu plus de ressources pour nous aider à répondre à leurs besoins dans nos équipes interdisciplinaires et leurs besoins spirituels, médicaux, psychosociaux. Il faut prendre le temps pour ces patients et pas seulement les laisser à côté.
Il y a au moins deux dangers devant nous si on change les règlements. Premièrement, ce n'est pas le cas que tous les médecins sont d'accord dans chaque cas. Aujourd'hui, j'ai rencontré dans ma clinique un patient qui est chez nous depuis trois années. Il est venu pour une deuxième opinion après que son médecin lui avait annoncé: Vous n'auriez que trois mois à vivre. Allez chez vous et arrangez vos affaires. C'est un petit exemple, peut-être un exemple un peu extrême, mais il faut dire que, si on a une situation où la différence entre les médecins est tellement grande, comment est-ce qu'on peut écrire une loi uniforme qui va protéger tous les patients? À mon avis, c'est très dangereux.
Deuxièmement, c'est la question d'autonomie et la décision. Et, à mon avis et selon mon expérience, c'est trop dynamique, plus dynamique que peut être compris par tout le monde. On ne peut pas faire une décision aujourd'hui pour... même pour un an... d'ici un an. L'idée change selon la situation sur leur terrain. Moi, je peux dire aujourd'hui: Si je serais jamais dans cet état de santé, ça ne serait pas acceptable pour moi. Mais, quand j'y arrive, ça change. Mais la mort est irréversible, et c'est encore un danger de compter sur une décision qui a été prise un moment par quelqu'un, si son avis peut changer.
Pour finir, peut-être, ça peut servir comme une contrebalance politique. Je ne sais pas... je sais que ce n'est pas politique, mais j'étais impliqué -- je peux le dire publiquement parce que c'était publié dans la biographie de M. Camille Laurin -- j'étais impliqué dans son soin oncologique et j'ai été avec lui jusque presque à la fin de sa vie. Quand il était trop faible de venir me visiter à l'hôpital, je l'ai visité chez lui, et on a passé beaucoup de temps ensemble. Et c'est un homme qui était très actif dans sa vie, un psychiatre, un politicien renommé, très actif, et beaucoup à faire dans sa vie. Mais, avec du temps, il a été capable de trouver des moments très plaisants dans sa vie, et il n'a jamais posé la question: Est-ce qu'on peut aller plus vite à la fin? Il a cherché des façons de trouver des moments... des bons moments dans sa vie.
Et, en terminant, je dirais que ça, c'est notre but pour tous nos patients. Que ce soit une semaine, un mois, deux mois, un mariage dans la famille, la naissance d'un petit enfant, il faut aider nos patients à y arriver, et ce n'est pas une question de nombre de jours ou d'heures, mais des «milestones» dans la vie des patients. Et, pour mieux comprendre ça, il faut être impliqué dans la situation, dans le contexte. Et, pour cette raison, je n'aimerais pas vous inviter dans notre monde avec les lois. Ça marche très bien actuellement, et un changement pose plusieurs des risques à la population. Merci.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour la présentation. Je vais essayer de limiter les deux côtés de 15 minutes, si on veut terminer avant minuit. Alors, je suis prêt à céder la parole à notre collègue Mme la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Merci de votre présentation, qui fut, quelque part, très brève, mais elle ressemble à votre mémoire. Votre mémoire aussi était très bref. Je l'ai lu deux fois et, la deuxième fois, je suis sortie de ma lecture avec le même sentiment. J'ai écrit ma question en anglais, mais je vais vous la dire en français, puisque j'ai le privilège de vous avoir entendu parler français. Mais vous semblez, dans votre mémoire, dire que nous faisons -- «nous» étant la commission qui a décidé de mettre sur pied cette consultation publique après avoir entendu des experts, mais surtout après avoir entendu la population nous dire qu'elle était rendue à cette réflexion -- vous semblez -- puis vous allez me corriger, je suis sûre, là -- vous semblez me laisser croire que la commission fait une forme de promotion de l'euthanasie ou du suicide assisté.
Et c'est pour ça que je l'ai lu deux fois, parce que, je me suis dit, peut-être que j'ai mal compris le sens que vous donniez à notre consultation. Mais, si je tourne ma question puis je vous dis: Si vous aviez à consulter la population, comment auriez-vous formulé la question? Puisque de prendre le choix de dire «suicide assisté et euthanasie» semble vouloir guider ou semble laisser sous-entendre qu'on veut guider la population vers cette acceptation-là, comment auriez-vous posé la question pour que les gens ne puissent pas y voir cette chose qui semble sous-tendre à cette consultation? Je ne sais pas si ça a de l'allure, ce que je viens de vous dire, là. Je peux la dire en...
Le Président (M. Kelley): Est-ce que la question a un preneur?
Des voix: Ha, ha, ha!
Une voix: On a bien compris la question.
**(19 h 50)**Mme Charbonneau: I... Je peux vous la dire en anglais, là.
Le Président (M. Kelley): Alors, pile ou face, ou...
Une voix: Même en anglais, ça n'a pas de sens.
Mme Charbonneau: Même en anglais, ça n'a pas de sens? Non, non. Moi, je vous dis, je pense que j'ai de l'allure, là. Mais, ceci dit, vous pouvez choisir de ne pas y répondre, aussi. Mais, est-ce que vous avez compris, dans cette volonté de consultation, qu'on avait déjà pris une décision ou une orientation? Et, si votre réponse est oui, comment auriez-vous posé la question?
M. Zucchi (John): ...mon collègue Dr Batist, mais, moi, j'ai pris ça comme une consultation... une commission qui veut étudier la question. Nous avons présenté notre point de vue, notre perspective, point.
Le Président (M. Kelley): Dr Batist.
M. Batist (Gerald): Oui, j'ai la même idée. Comme j'ai dit, c'est titré dans une façon qui m'inquiète un peu. Parce que, moi, ma préoccupation est surtout la vie, même si c'est une vie d'une durée d'une semaine. Donc, c'est un peu biaisé au niveau du choix des mots. Mais on comprend très bien que c'est ouvert et que vous nous entendez, et c'est pourquoi on est ici ce soir.
M. Zucchi (John): ...une petite chose, quand je... j'aurais corrigé une chose, c'était la... comment on dit, la consultation en ligne, là, le questionnaire, là, c'est... exactement. Il y a eu des... Bon, il y avait... Je pense, c'est seulement une question, par exemple, qui était un peu, comment on dit... «loaded», on dit en anglais, non, c'est la question où, s'il faut choisir entre l'euthanasie ou le suicide assisté, lequel des deux choisir, non? Si on n'est pas d'accord avec ni un ni l'autre, on n'a pas possibilité de répondre, on ne peut pas continuer le questionnaire. Ça, je pense, c'est un petit... il y a plus qu'un petit problème là, je pense, oui.
Mme Charbonneau: Je dois vous dire que, pour l'écriture du questionnaire, ça nous a pris moult et moult rencontres parce qu'il fallait trouver les bons mots. Et je fais appel à votre connaissance du sens des mots, puisque vous savez que chacun d'eux a un poids. Et vous n'êtes pas les premiers à soulever le fait que, dans cette question-là, il n'y avait pas d'autre option, il n'y avait pas de phrase clé qui disait: Je n'ai pas le goût de choisir, ou je choisis la vie, hein? Parce qu'il aurait pu aussi y avoir ça. On n'a pas été jusque-là. Vous avez raison de cibler cette problématique-là.
Je vais m'étirer encore quelques secondes pour parler au docteur, qui dit que, dans le système en ce moment... Vous avez fini votre présentation en disant: Je ne vous inviterai pas nécessairement à venir jouer dans mon système, le système de la santé, parce que ça va bien. Ce n'est pas ce que j'en... non? Ce n'est pas... J'ai mal compris?
M. Batist (Gerald): J'ai dit qu'il faut des ressources d'ajoutées au système pour nous aider à accorder les soins... l'attention qui est nécessaire pour une mort dans la dignité. Mais je le regarde comme un risque, de donner un nouveau pouvoir... droit aux médecins, qui ne sont pas uniformes eux-mêmes dans leurs décisions, leurs modes d'approcher une question, leurs modes d'approcher un humain. Mais la loi doit être uniforme, et ça me poserait un problème, quand on a un nouveau droit accordé qui essentiellement va donner le droit à mes collègues, qui ne sont pas nécessairement experts dans le domaine, à simplement tuer quelqu'un. Et ce n'est pas acceptable pour moi.
Mme Charbonneau: Je comprends mieux. Merci.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup. Bienvenue à vous. C'est rare qu'on peut poser des questions à des médecins sur leur pratique et leur philosophie, leur idéologie. Alors, c'est sûr qu'on profite de votre passage, et puis on vous remercie de vous prêter à notre exercice.
Je voudrais faire une petit mea culpa. Cet après-midi, je parlais de la position de la Fédération des médecins spécialistes du Québec et je disais que, suite à un sondage, il y avait 80 % des médecins qui étaient en faveur de l'euthanasie. Mais plutôt j'aurais dû dire «en faveur d'un débat sur l'euthanasie». Alors, c'est une nuance importante. Par contre, il y a 50 % des médecins qui considéraient qu'on en faisait déjà dans le réseau. Alors, ça, on l'a déjà dit, ce n'est pas votre position, et tout ça.
Vous avez dit tout à l'heure, Dr Batist, que, vous, ce que vous voulez, c'est aider vos patients à vivre dans la dignité jusqu'au bout. Vous avez dit: Quand quelqu'un me dit que j'ai mal, je soigne la douleur. Et, quand il veut mourir, vous essayez de trouver d'autres façons de pallier à ses pensées négatives. Mais, quand quelqu'un vient vous voir, un de vos patients, puis il dit: Moi, là, j'en ai assez, et puis mon autodétermination, mon autonomie fait en sorte que je veux cesser tous les traitements, je veux qu'on arrête, c'est fini pour moi, vous, le médecin, là, qui a été entraîné à vouloir sauver vos patients, comment vous réagissez à cette demande d'un de vos patients?
M. Batist (Gerald): Ce n'est pas une question théorique pour moi. On fait face à cette situation... pas tous les jours, mais ça arrive, et on entend les patients, on leur accorde le droit de diriger leurs soins. Mais, c'est-à-dire, il y a toujours quelque chose à leur offrir. Si...
J'ai dans ma tête une madame en particulier avec qui j'ai partagé ces idées il y a une semaine. Et c'était une madame qui, il y a trois années, a fait la décision d'aller vers les médecines douces, qu'on dit ici -- comme la nôtre est la médecine dure -- et, après deux années de... Et on l'a suivie, et on a documenté la croissance des tumeurs, tout ensemble, et c'est là où elle a décidé de retourner au traitement de la chimiothérapie pour une période de temps. On a ensemble documenté la diminution des tumeurs et ses symptômes, et après une période de temps elle a décidé que la balance qu'on cherche tout le temps, chaque semaine, entre les effets secondaires des traitements et les bénéfices du traitement était plus à côté négatif. Donc, on a arrêté les traitements. Mais elle continue d'être suivie par moi-même. On passe du temps chaque mois, chaque deux mois, quand elle veut, et elle est assurée que, si elle change son idée, je serai là le lendemain.
Donc, c'est une autonomie très importante que nous serons là, et le patient reste à changer son idée. Et ça ne changerait pas nos idées non plus. C'est nous qui les suivons, mais on a déjà vu assez des patients qui changent pendant toute la trajectoire de leur maladie, d'être certain que, si j'avais à les pousser vers une décision à un certain point, il y aurait des manques des opportunités pour des joies... de la joie dans leur vie. Pour cela, je suis là. Je reste là pour garder contre ces pertes dans leur vie.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup.
M. Batist (Gerald): ...aussi que j'étais un des spécialistes qui a participé dans ce sondage, et on est clairement des experts sur des questions vagues ici, mais c'était le plus vague sondage que j'ai jamais vu, et les réponses et les conclusions, même selon mes réponses, ne correspondaient pas à la conclusion. Donc, je ne donne rien de poids à cette étude faite par le Collège des médecins.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, Dr Batist.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député des Deux-Montagnes.
**(20 heures)**M. Charette: Merci, M. le Président. À vous deux, merci pour votre éclairage mais également merci pour tous les soins que vous prodiguez, je suis convaincu, avec beaucoup de coeur aux patients que vous accompagnez, là, dans leurs derniers moments de vie.
Les différents exemples qu'on a entendus ces derniers jours... Parce que, bon, la consultation itinérante débute aujourd'hui. Je dis «ces derniers jours», mais ces derniers mois... mais la véritable consultation a débuté il y a quelques mois, maintenant, et il y a réellement une dichotomie ou du moins deux visions claires qui s'affrontent. Oui, il y a les tenants de ce débat sur l'euthanasie, qui sont pour la plupart pour la légalisation de l'euthanasie, et ceux qui s'y opposent. Ceux qui s'y opposent mettent beaucoup l'emphase sur les soins palliatifs, donc traitent une clientèle qui est particulière. On parle de gens qui, oui, sont en fin de vie, qui pour la plupart souffrent de cancer. C'est le propre des soins palliatifs dans une majorité de cas. Cependant, ces mêmes professionnels là n'accompagnent pas les gens qui nous ont probablement livré les témoignages les plus vibrants en faveur de l'euthanasie, c'est-à-dire des gens qui ne sont pas atteints de cancer mais qui sont plutôt atteints de maladies qui sont dégénératives, dont la mort, elle, est peut-être lointaine, mais ils la voient venir à travers tous les symptômes et à travers toutes les limitations qui s'ajoutent au fil des semaines, des mois, sinon des années.
Est-ce que vous pourriez me dire un petit peu l'éclairage que vous avez par rapport à cette nuance-là, palliatif, gens qui sont atteints de cancer, versus une autre réalité qui n'est pas la vôtre mais que vous entendez, j'imagine, à travers les échanges avec vos collègues? Donc, ça semble être à l'origine des deux visions qui nous sont présentées depuis quelques mois maintenant.
M. Batist (Gerald): Je crois que, oui, on peut répondre, et c'est une question d'expertise. L'origine des soins palliatifs, c'est en oncologie. Et c'est seulement dans certains centres, certains domaines qu'ils ont créé l'expertise dans le domaine de neurologie. Et ça, c'est quelque chose qu'on est en train de faire. Vous allez entendre du Dr Bernard Lapointe, qui est le chef à McGill, qui s'occupe de la création d'une telle équipe, aussi. Mais il y a un manque d'expertise dans ce domaine-là, et peut-être que ça peut expliquer cette grande différenciation entre ces deux mondes.
Je dirais que le cancer qu'on ne peut pas guérir en première instance avec nos traitements, chirurgie, chimiothérapie, est une maladie chronique et dégénérative aussi, et tous ces patients vont mourir éventuellement. Donc, la différence entre les deux n'est pas une vraie différence. Mais les spécialistes qui s'occupent de ces deux maladies sont différents, et leur expertise est un peu différente. Ça va se changer pendant l'avenir.
M. Charette: Je le saisis fort bien. Et, au cours des dernières années, on nous a à maintes reprises mentionné que les progrès pharmacologiques sont phénoménaux par rapport au traitement de la douleur, notamment. Mais, pour ce qui est d'autres maladies, que ce soit la sclérose en plaques, que ce soit... bref, on a eu plusieurs cas devant nous. Une dame, je ne sais pas si vous étiez présent cet après-midi, mais qui a eu d'abord la polio et ensuite la post-polio... Donc, on vit des réalités qui sont tout autres. C'est leur corps qui graduellement et de façon assez assurée devient une prison, littéralement.
Donc, il n'est pas question dans tous les cas de douleurs lorsqu'il est question de ces maladies-là, mais c'est plutôt une perte complète de leur autonomie, une perte complète de ce qu'eux estiment être leur dignité. Donc, il n'y a pas d'antidépresseurs, dans bien des cas, qui sont efficaces, que... Parce que Mme Gladu est un modèle en soi de joie de vivre, de détermination, de volonté de vivre. Donc, on ne parle pas non plus de dépression dans son cas. Elle s'est tout simplement refusée de voir son corps devenir une prison. Donc, on est dans une réalité complètement différente, où aucun traitement palliatif ne peut lui garantir cette qualité de vie. Et, dans son cas à elle... Ça peut être différent d'une expérience à l'autre, mais, dans son cas à elle, c'est un refus de vivre cet état-là.
Un petit peu plus tôt, ce matin, on a entendu la famille d'un monsieur qui malheureusement s'est donné la mort il y a quelque mois maintenant, atteint de sclérose en plaques. Et ce même monsieur a dit: J'ai encore un minimum de mobilité, donc je vais en profiter pour commettre l'irréversible, en quelque sorte. Et sa propre fille nous a dit: Si jamais on avait eu cette législation qui permettait l'euthanasie, probablement qu'il serait ici avec nous pour nous partager son point de vue, parce qu'il aurait eu l'assurance suivante, c'est-à-dire, le jour où il aura décidé de mettre fin à ses jours, même s'il n'a plus la mobilité de le faire, il aura pu compter sur un médecin ou encore un proche pour lui permettre... ou pour l'aider à vivre ce dernier instant.
Donc, oui, soins palliatifs, convaincu des progrès de la médecine à ce niveau-là, mais la médecine ne semble pas répondre ou ne semble pas pouvoir répondre à une réalité qui est complètement autre, qui est celle d'une dégénérescence physique qui entraîne littéralement l'emprisonnement de l'âme ou de l'esprit de la personne dans un corps qui ne répond plus.
M. Zucchi (John): Je pense qu'on ne peut pas répondre à une telle question d'une façon technique... avec une technique, parce qu'il y a des questions au fond de tout ça, la question de la personne même, là, comment nous concevons le rapport entre la personne et la société. Je ne parle pas... je ne dis pas ça pour parler des concepts vagues comme... je veux vraiment... c'est une question importante. Est-ce qu'une personne, en faisant un choix, en criant même le désir de mourir et en voulant achever dans ce choix, il y a... pardon, ils font... Le patient fait ce choix, mais il y a une personne, face au patient, qui doit choisir aussi. Il y a le médecin, il y a la famille, il y a la société civile, il y a le gouvernement, même, là, qui doit faire... de l'État, même, qui doit faire un choix face à la personne. On ne peut pas diviser le choix d'une personne de la société, parce que notre choix face à une personne qui demande de mourir dit quelque chose de ce que nous pensons de la personne même. Je dis ça parce qu'aussi il y a toute la question de comment lire la demande de mourir. Comment est-ce que, moi... Qui a le droit de choisir le droit... la lecture d'une... le cri d'une personne de vouloir mourir? Qui suis-je pour l'interpréter, you know, qui va le faire? L'État, le médecin, trois médecins, un groupe, un comité? Qui va le faire?
Je pense, il y a 20 ans, 21 ans que j'allais, une fois les deux semaines, trois semaines, à visiter une maison à Pointe-aux-Trembles, à l'Est de Montréal. Et là il y avait des personnes qui étaient... qui avaient... qui souffraient des handicaps graves, physiques, surtout physiques, et... Mais il y avait un jeune, là, pour lequel j'avais une grande, grande tendresse. Il avait 32 ans. Il a été trouvé sous la porte de cette maison quand il avait deux ans. Il était sourd-muet, il était aveugle, il était paraplégique et... tout le temps. Qu'est-ce qu'on fait avec un patient comme ça? Comment est-ce qu'on peut lire son désir, lire sa qualité de vie? On pouvait passer, quoi, 1 h 30 min avec lui en lui serrant... non, en lui donnant la main, c'était lui qui serrait la main. Avec sa façon de serrer ma main, je comprenais son cri de rapport, de relation, de vie, je pourrais dire, non? Mais objectivement qui va dire que cette personne peut-être il n'a pas une bonne qualité et qu'il devrait mourir? Qui a le droit vraiment d'interpréter la demande d'une personne qui souffre, qui n'est pas dans un contexte, disons, entre guillemets, normal, non? Je ne sais pas qui devrait avoir ce choix de faire ça. Et il y a toute une conception de la personne, et le rapport entre la personne et la société, qui soutient cette vision.
M. Batist (Gerald): Si je peux ajouter quelque chose, j'aimerais éviter une divergence entre le cancer et les maladies neurologiques dégénératives. Moi, je dirais qu'on les prend, le deuxième, comme un défi médical. Il faut trouver des moyens d'attaquer -- j'utilise un mot très actif -- des symptômes, la souffrance de ces patients, et on est capable, mais il faut y aller avec la même agressivité qui était prise par des collègues qui ont trouvé des médicaments contre la douleur, la nausée. C'est possible de les aider. Et, si on pense que... Il faut y aller, parce que bientôt nous aurions la tempête d'alzheimer devant nous comme société. Et qui va faire la décision pour toutes ces personnes qui souffrent de cette maladie dégénérative? Ça va être très difficile.
**(20 h 10)** Juste pour vous expliquer qu'il y a un an la mère d'une de mes très proches amies est morte d'alzheimer, et objectivement on pourrait dire qu'il n'y avait personne là. Mais, une fois par semaine, son jeune fille... petit-fils est venu pour jouer au violon devant elle, et on pouvait voir un sourire sur son visage. C'était un moment chaque semaine, mais c'était assez, pour moi, pour me convaincre que c'est une humaine, et il faut sauvegarder cette vie. Mais il faut chercher ce moment. Si on ne le voit pas, ce n'est pas assez pour faire quelque chose irréversible pour cette madame.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, messieurs, de votre contribution à ce débat. Dans votre mémoire, vous dites que les discussions actuelles sur l'euthanasie sous-estiment grossièrement le risque d'abus de la part du personnel de la santé, des fonctionnaires, et même le risque d'abus de la part de la famille du patient. Dans votre présentation, vous dites que votre mission, votre mandat, votre responsabilité, c'est d'aider le patient. Si ce patient-là ne veut pas être aidé, si ce patient-là veut exercer son choix, son autonomie, jusqu'où vous reconnaissez son autonomie et son choix?
M. Batist (Gerald): Vous me posez la question?
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Oui.
M. Batist (Gerald): Quand vous dites: Le patient ne veut pas être traité, ça veut dire quoi? Recevoir de la chimiothérapie? Mais...
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Ça veut dire qu'il ne veut pas continuer la vie telle qu'il la vit actuellement et qu'il veut mettre fin à ses jours. Et c'est dans le cadre de sa demande. Il fait un choix à l'égard de la proposition de service que vous lui offrez et il ne veut pas. Alors, comment vous reconnaissez son droit à l'autonomie?
M. Batist (Gerald): Je le reconnais par le temps que je prends à entendre, arranger une prochaine visite, continuer de rester avec le patient, de lui accorder mon soutien, de trouver une façon avec la famille d'améliorer... de trouver des moments, des bons moments dans la vie qu'il reste. Je cherche une façon d'amener une raison pour continuer à vivre. Si elle souffre, je traite la cause. Même au niveau spirituel, que ce soient qi gong, yoga, des herbes, on a toujours des options. Et je crois que... Chez nous, on a une expression et une organisation qui s'appelle L'Espoir, c'est la vie. Désespérance, c'est très difficile, et j'essaie de donner de l'espoir pour quelque chose, pour une semaine, une semaine sans douleur, une semaine jusqu'à l'anniversaire d'un membre de la famille. Mais on essaie d'ajouter une raison.
Et il y a ceux qui peuvent accepter leur fin, mais ils sont très minoritaires, très minoritaires. J'ai rencontré quelques de ces personnes dans ma vie, mais parmi des milliers. Je dirais, pour eux, c'est peut-être un contexte différent. Mais le risque, pour une petite minorité des gens, à changer les lois est très grand pour la majorité, où quelqu'un va faire une décision qui n'est pas correcte.
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Vous savez très bien que... En tout cas, je comprends très bien que les travaux de la commission, actuellement, puis les témoignages qu'on entend... Même des gens qui revendiquent d'avoir le droit au suicide assisté ou à l'euthanasie n'opposent pas tous les soins qu'on peut leur donner pour leur rendre la vie la plus facile possible, la douleur la plus atténuée possible, l'encadrement psychologique, et ainsi de suite. Mais, quand, au bout de la ligne, après différentes étapes traversées, ces gens-là ne veulent toujours pas, jusqu'où on doit reconnaître leur droit à l'autonomie, leur droit de choisir, à partir du moment où ils ne veulent plus? C'est une question qui est très présente dans le débat actuellement.
M. Batist (Gerald): Oui, mais c'est une question dans laquelle, je crois, ça serait difficile pour l'Assemblée nationale d'entrer et créer une loi qui va protéger tout le monde. Parce que c'est très rare d'avoir quelqu'un devant vous, quelqu'un que vous connaissez pendant des années, comme médecin, qui est prêt d'arrêter sa propre vie. J'ai eu beaucoup de patients qui ont eu peur de douleurs. Je l'ai donné chez eux assez de médicaments pour suicider. Il n'ont jamais fait ça. Ils ont eu besoin de l'autonomie, comme vous dites, l'avoir, le pouvoir, exact. Mais le choix n'est pas pris. Et on a des données dans la littérature des patients qui changent leur idée et disent quelque chose aujourd'hui, le lendemain, une raison de persister dans la vie arrive. Et le risque pour la grande majorité de la population à changer... donner le droit au médecin à faire une décision sans l'occasion de penser avec la profondeur nécessaire est trop grand pour moi. C'est trop risqué pour moi.
Le Président (M. Kelley): Je ne peux pas manquer l'occasion de vous poser une dernière question, parce que, cet après-midi, il y avait le directeur des soins palliatifs à Notre-Dame, Dr Vinay, qui était ici, témoignait, et il a dit en demi-blague: Un des problèmes, c'est les oncologues. Et il a proposé, dans le financement des soins palliatifs adéquats, un des endroits où on peut regarder sérieusement, c'est les tests, et les examens, et les traitements inutiles -- je pense, c'est le mot qu'il a utilisé -- faits ou autorisés par les oncologues. Alors, on a vu des chiffres. Il y avait un autre tableau que Dr Gagnon, je pense, qui a présenté, d'une expérience à Edmonton où, en réduisant ces genres de tests et traitements, peut-être, pour l'État, il y a des économies potentielles pour mieux financer les soins palliatifs.
Alors, je n'essaie pas de mettre les oncologues contre les soins palliatifs, mais j'imagine, comme professionnels, quand même, de passer du stage curatif aux soins palliatifs, ce n'est pas facile pour un professionnel non plus, parce que votre mission, si vous voulez, c'est de guérir quelqu'un, d'aider quelqu'un. Et je sais que la médecine n'est pas une science exacte, mais, quand même, il doit en arriver, dans le parcours d'un cancer, un moment où, oui, on peut faire une autre série de radiothérapies, oui, on peut essayer quelque chose très expérimental. Il y a un article fort éloquent dans le New Yorker, au mois d'août, qui traite de ces questions. Mais, à un certain moment, le patient va mourir. Et c'est très triste, ça nous touche, mais c'est la réalité.
Alors, la proposition de Dr Vinay cet après-midi, c'est: Il faut peut-être introduire cette notion plus tôt dans le processus, parce qu'à la fin on arrive avec les traitements héroïques qui peut-être n'ajoutent rien à la qualité de vie de fin des jours. Alors, je ne sais pas si on peut répondre à la question, mais...
M. Batist (Gerald): Je suis...
Le Président (M. Kelley): ...mais, je trouve, il a soulevé un point. Et on cherche toujours les économies dans notre système de santé. 16 ans comme député, maintenant, et elles sont bien difficiles à trouver. Et, oui, en théorie, on voit le modèle, mais comment freiner, si je peux dire ça ainsi, l'ardeur d'un médecin, un oncologue, pour tester une autre chose? Peut-être ça va marcher. Peut-être ça va ajouter une semaine ou peut-être ça va ajouter une deuxième semaine, mais à quel prix, et au niveau de la qualité de la vie, surtout. Et comment faire cette évaluation avec le patient et ses proches?
M. Batist (Gerald): ...mais je suis tout à fait d'accord, et c'est une vision de soins palliatifs un peu du passé. Ce n'est pas la fin de la vie, c'est... On commence, chez nous. On est complètement intégrés. On commence avec soins pals du début, même dans des patients qui vont être guéris, parce que c'est un soutien des patients: douleurs, symptômes, de... psychosocial, physique aussi. Donc, il n'y a pas une frontière où on passe, qu'on dépasse, de guérissable vers inguérissable, et j'aimerais ajouter un autre scan, un autre traitement. Ça arrive. C'est un problème. C'est à nous à le régler. C'est une question de formation. Et on croit que c'est un problème.
Mais de plus en plus on travaille... notre modèle ici, c'est de travailler en équipes interdisciplinaires, y compris des infirmières, des pharmaciens, des médecins de soins pals, avec le chirurgien, l'oncologue médical. Donc, la plupart des décisions sont faites en même temps.
Moi-même, j'ai une clinique à tous les mardis après-midi, le même temps que Dr Bernard Lapointe est à la clinique, et on se pose des questions, lui et moi, et on partage des questions et des cas très difficiles. Donc, améliorer notre soin, pas prendre la décision la plus simple à tous les patients, et ça va être un fait accompli pour trop de personnes qui sont traitées pas dans la meilleure situation où on peut avoir cet échange.
**(20 h 20)**Le Président (M. Kelley): Sur ça, merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion. J'ai beaucoup apprécié les citations de mon ancien patron, Claude Ryan. J'ai travaillé pour M. Ryan pendant cinq ans, et il a beaucoup apprécié, à la fin de sa carrière, quand il a participé dans la vie intellectuelle du Centre Newman, à McGill. Alors, il a fait beaucoup de réflexions très intéressantes au niveau de la... le croisement de chemins entre la foi et l'engagement politique. Et M. Ryan était vraiment... J'ai appris beaucoup de cet homme dans ma vie.
Alors, sur ça, je vais suspendre quelques instants. Et je vais inviter notre prochain témoin, Laurier Thériault, de prendre place à la table.
(Suspension de la séance à 20 h 21)
(Reprise à 20 h 25)
Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Le prochain témoin, c'est Laurier Thériault. Avant de passer la parole, je pense que je parle au nom de l'ensemble des membres de la commission, on a été très touchés par la qualité de votre mémoire. C'est une expérience personnelle qui était... Nous avons appris beaucoup, mais je veux, d'entrée de jeu, souligner votre courage. Et juste la façon que vous décrivez la fin des jours de votre conjointe, je pense, c'était très, très émouvant pour l'ensemble des membres de la commission. Alors, sans plus tarder, M. Thériault, la parole est à vous.
M. Laurier Thériault
M. Thériault (Laurier): Merci, M. le Président, M. Kelley. Je tiens à souligner, à ma droite, la présence de ma fille Joëlle et, à ma gauche, Simon-Alexandre, mon garçon, un des deux, puisque le troisième est aux études ce soir, alors je lui ai donné la permission de rester en classe.
Le Président (M. Kelley): Persévérance scolaire. Parfait.
M. Thériault (Laurier): Oui. Je n'ai pas la prétention... Je vais partir d'extraits du document que, je crois, vous avez reçu et fort probablement lu. Je l'espère, du moins.
Je n'ai pas la prétention de pouvoir apporter par ma participation aux travaux de la commission spéciale des éléments totalement nouveaux ou bouleversants. Le travail qui a été fait en amont des audiences est, je pense, très, très bien fait. Mais j'ai été appelé à jouer un rôle d'acteur de soutien comme aidant naturel il y a bientôt trois ans et un peu avant cette échéance, et j'en suis ressorti, évidemment, bouleversé mais grandi. Et, avec les enfants, avec la famille aussi, on a vraiment l'impression d'avoir réalisé notre mission d'aidants naturels.
France est décédée, mon épouse, le lundi 24 septembre 2007, à l'âge de 45 ans, après un combat qui a duré environ quatre années, qui est un peu exceptionnel, puisque généralement les diagnostics pour la maladie de Lou Gehrig, la sclérose latérale amyotrophique, sont plus brefs que ça.
Alors, c'est important, je crois, que vous sachiez que France, mon épouse, avait d'abord une formation en psychologie, trois années d'études en sciences infirmières et une maîtrise également en sexo. Alors, j'ai été un homme comblé. Quelques jours à peine...
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Thériault (Laurier): J'ai sacrifié mon corps pour l'avancement de sa science.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Thériault (Laurier): Quelques jours à peine avant son 40e anniversaire, France a accepté même une charge de travail d'enseignante à l'UQAM. Elle donnait notamment des cours d'enseignement en éducation.
Je me souviens comme si c'était hier de l'instant précis où France m'a téléphoné et que je ne pouvais absolument rien comprendre au téléphone. France venait de recevoir à l'écran... en fait de voir à l'écran la confirmation de pistes de diagnostic qu'elle avait reçues. Elle était suivie, au cours des semaines qui précédaient... différents examens médicaux, et certains symptômes avaient commencé à pointer. Et ce qu'on voyait à l'écran était catastrophique.
La SLA, c'est une maladie neurodégénérative à issue fatale. L'espérance de vie après le diagnostic: deux à trois ans. Apparaissent aussi à l'écran les noms de Sue Rodriguez, Lou Gehrig, «suicide assisté», «euthanasie», «syndrome d'enfermement», ce qu'on appelle dans le jargon médical le «locked-in». Excusez-moi. Dans une phase plus avancée de la maladie, France allait perdre l'usage des muscles du cou, du tronc, faisant qu'elle ne serait plus capable de respirer ou de bien avaler, et puis progressivement, puisqu'elle était atteinte de la forme bulbaire, allait perdre toute sa capacité physique et neuromusculaire.
Au cours des semaines qui ont suivi son diagnostic, France a arrêté de travailler, et notre quotidien a été totalement bouleversé. En plus de retrouver mensuellement l'équipe spécialisée de la clinique neurologique au Royal-Vic, on avait aussi la chance de suivre... ou d'être suivis, je devrais dire, par une psychiatre qui, à la demande de France, lui a permis de faire tout un cheminement, notamment en hypnose. Mais ce n'est pas pertinent pour la discussion qu'on a aujourd'hui.
Dans tout le cheminement qu'on a vu, que nous avons vécu avec France, moi, j'appelle quatre... je fais allusion dans mon texte à quatre grands moments déclencheurs de décision. Évidemment, le moment où on reçoit un diagnostic et que notre vie bouleverse... que tout est chambardé, c'est un moment déclencheur de réflexion et de grandes décisions. Et dès le début France a voulu relever le défi de vaincre la maladie et d'être une exception à la règle.
**(20 h 30)** Parmi les moments déclencheurs, il y a eu aussi, évidemment, le moment où elle a perdu l'usage de la parole, et ça, ça s'est fait dès les mois qui ont suivi son diagnostic. Incapable de parler, il a donc fallu se tourner vers d'autres moyens de communication, et, dans la première année et demie environ, France a appris à travailler avec un clavier et un lecteur optique, qui est un écran bien adapté que nous ont brillamment fait connaître les gens du Centre Lucie-Bruneau.
France et moi arrivions toujours bien préparés aux diverses rencontres avec l'un ou l'autre des spécialistes consultés. Nous voulions toujours savoir toutes les options qui se présentaient devant nous. France, comme je le disais tantôt, avait une formation en sciences infirmières et en psychologie. Elle se documentait. Elle fouillait beaucoup. Elle posait beaucoup de questions et s'est appropriée la situation, et, par défaut, j'ai eu à le faire aussi, et les enfants également.
Je suis à la page 12 de mon mémoire, dans le bas de la page. En mars 2006, épuisée après quelques mauvaises nuits de sommeil, France est à bout de souffle et respire de plus en plus difficilement. Au repos, sa fréquence cardiaque ne descend jamais en bas de 100, et c'est généralement autour de 110 battements minute. Ma formation en éducation physique, moi, me disait qu'elle courait tout le temps. Alors, il fallait prendre des décisions. C'était évident qu'on devait rentrer à l'urgence. Et c'était très clair, parce qu'on avait posé les questions précédemment, moi, je devais savoir et elle voulait aussi savoir quelles étaient les prochaines étapes.
Alors, on s'est présentés à l'urgence, transfert d'hôpital, pour aboutir finalement au Royal Vic, l'hôpital qui nous suivait au niveau neurologique, à la clinique de neurologie. Et j'ai posé très clairement la question à France: Si on te demande: Es-tu prête à avoir une trachéo?, sauras-tu quoi répondre? Et sa question était assez évidente: Pour combien de temps et quels bénéfices elle pourrait retirer d'une aide respiratoire, une trachéotomie et un ventilateur, un respirateur artificiel, dans le jargon populaire?
L'intervention chirurgicale a été repoussée en deux occasions, et ça a tardé de quelques jours. Ce qui était une bronchite s'est développé en pneumonie. Et on est tombés, en plus, une belle grande fin de semaine de congé! Tout ça pour faire en sorte que, lorsqu'est venu le temps de faire l'intervention chirurgicale, ce qui au début devait être une aide respiratoire est devenu à 100 % une dépendance respiratoire.
France a passé plus d'un mois à l'hôpital, et ça a été le déclencheur suivant: Qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on y reste ou est-ce qu'on sort de l'hôpital? J'ai accepté d'apprendre tous les soins nécessaires pour m'occuper de France à domicile, et les enfants ont joué le jeu et ont accepté d'apprendre tous les soins pour s'occuper de leur mère. Et France est donc revenue à la maison.
La question que France a posée aux médecins en mars 2006: Elle souhaitait une aide respiratoire si ça pouvait lui permettre de survivre un autre quatre mois. C'est une maman, et la maman voulait que ses enfants finissent l'année scolaire. On aura fait 18 mois comme ça, et ça, c'est France.
La maladie s'est occupée de nous ramener à l'ordre fréquemment, régulièrement. On était un peu au-dessus de nos affaires: avec l'aide respiratoire à la maison, tout allait bien. C'était très compliqué, mais on réussissait à réaliser un quotidien qui était très structuré, très organisé. Mais, de par mon expérience de travail et les expériences que j'ai eues dans l'organisation d'événements, le côté logistique que j'avais développé m'avait amené à organiser de façon très serrée le quotidien à la maison. C'était une gestion de projet à temps plein, avec moult spécialistes. Infirmières, préposées aux bénéficiaires, nommez-les, physiothérapeutes, ergothérapeutes, inhalothérapeutes, ils ont tous passé dans l'horaire et dans l'agenda de la famille Thériault. Et ça faisait partie de nos discussions des dimanches soirs. On a toujours eu un souper de famille avec un ordre du jour, le dimanche soir, à la maison, et les enfants, encore aujourd'hui, font la même chose, même si je n'y suis pas.
La maladie nous a rattrapés un peu plus tard, et, à l'automne 2006, épuisée et vraiment pratiquement à bout de ressources, France a demandé qu'on entreprenne les démarches pour qu'elle soit amenée dans un soins de longue durée. Et elle a fait ces démarches-là avec la travailleuse sociale, et à mon insu, pour être placée dans un CHSLD près de la maison. Et elle a abouti donc sous l'unité des soins... sur l'étage des soins palliatifs. Généralement, on entre aux soins palliatifs pour une durée plus courte que ça, généralement trois mois ou moins. France y a aura passé neuf mois. Alors, on a vu bien des choses se passer sur l'étage. On a côtoyé bien des gens en fin de vie. Ça, ça a fait partie de notre quotidien pendant neuf mois.
Avec le recul, cette décision de placer France aux soins palliatifs -- puis je le mets entre guillemets -- ça a été une décision extrêmement difficile, surtout que, pour nous, ce n'était pas un constat d'échec, mais pas loin. Parce qu'on avait réussi à repousser la maladie aussi loin dans son cheminement, d'avoir à accepter que France soit prise en charge par d'autres gens a été une chose difficile. Et je vous rappelle que France a la jeune quarantaine.
Au printemps 2007, ce qui allait être notre dernier printemps ensemble, on savait que la maladie progressait. De plus en plus, elle perdait sa capacité de communication, sa posture était grandement affectée. Et, pour avoir lu sur la maladie de Lou Gehrig, la SLA, on savait le cheminement qui s'approchait et qui était indéniable. Alors, le long d'une longue marche le long de la rivière L'Assomption quelques semaines plus tard, France m'a confié qu'elle se sentait de plus en plus fatiguée, mais surtout très inquiète de se retrouver enfermée. Et on fait allusion ici à la maladie ou à l'étape de «locked-in», l'enfermement.
Elle m'a donc demandé... Et elle a parlé au médecin pour voir toutes les étapes et le processus et un protocole de fin de vie. J'ai confirmé à France en privé et en présence de son infirmière que j'étais prêt, si jamais la situation le demandait, à prendre la décision à sa place pour demander toutes les étapes à suivre pour que l'appareil soit débranché. Il ne fallait pas être un ingénieur, il ne fallait pas forcément être un médecin pour savoir comment arrêter un respirateur artificiel. France revenait à la maison toutes les fins de semaine, je faisais les soins trachéaux, et les enfants aussi, à toutes les heures, sauf la nuit, puisque son système était en mode de dormir. Et arrêter un respirateur artificiel n'est pas très compliqué. Quelques minutes auraient suffi pour que malheureusement, à bout de souffle, elle s'éteigne naturellement, si on peut dire.
Mais on a quand même amorcé toutes les discussions avec l'équipe médicale. On a validé les étapes à suivre pour que France soit admise à l'hôpital. Et on s'est même, donc, retrouvés à choisir une date et une journée où France serait amenée à l'Hôpital Royal Vic pour qu'elle soit débranchée de son respirateur artificiel, qui aurait pu se faire à domicile. Ça semblait très difficile à faire à la maison. Pas de médecin, personne ne voulait se déplacer vraiment pour venir débrancher un respirateur artificiel à domicile. Sur l'unité des soins palliatifs, ça semblait compliqué un petit peu aussi. Et France avait demandé et avait accepté, en fait, de faire don d'organes. Alors, la meilleure place pour le faire, c'était au Royal Vic. Alors, on a accepté de jouer le jeu, de se déplacer au Royal Vic.
On a donc dessiné tout un scénario d'une dernière fin de semaine à la maison. Cette décision-là, France l'a prise environ un mois avant la date fatidique, mais il était entendu avec elle que je ne communiquerais cette date-là aux enfants et à la famille que dans la semaine précédente. Ça a été un mois très difficile, très long à porter, mais c'était une décision prise ensemble. C'était sa décision, et j'endossais parfaitement le choix de France, évidemment.
J'ai donc, dans les jours précédents, communiqué avec chacun des enfants séparément, puis ensuite avec les membres de sa famille, et on s'est payé une dernière fin de semaine en famille. On est même allés au cinéma ensemble -- on y allait à toutes les semaines -- et grande bouffe, bon vin, un peu festif. Il faut dire que France ne prenait pas de vin. Je vous rappelle qu'à cette étape-là, depuis plus de deux ans et demi, elle était nourrie par gavage. Alors, j'étais un excellent cuistot à l'époque. On a donc passé une super de belle fin de semaine, remplie de moments touchants, de moments privilégiés.
Et, comme prévu, comme convenu, le lundi matin, le transport médical est venu nous chercher à domicile. Nous sommes rentrés à l'hôpital, et, comme prévu et comme convenu, France a tout simplement été... a passé une dernière heure avec nous, les gens sont restés dans la chambre. Et elle a été endormie, et ensuite le respirateur artificiel a été arrêté, tout simplement. Le médecin sur place a constaté son décès dans les minutes qui ont suivi.
Est-ce qu'on parle de suicide assisté, d'euthanasie, d'arrêt de traitement? Sur le plan très technique, c'est un arrêt de traitement, très facile à définir. Mais c'est quand même des étapes, un cheminement, un processus de prise de décision, et, rendu à ce moment-là, que le médecin l'endorme, que l'inhalothérapeute arrête le respirateur artificiel ou que je fasse tout ça moi-même, je vais vous dire très sincèrement, il n'y avait plus aucune différence, parce que le cheminement s'était fait, parce que les réflexions avaient été prises, parce qu'on avait posé tout plein de questions qui nous amenaient à cette décision-là, qui amenaient France surtout à cette décision-là. Ça a été difficile, ça a été douloureux, mais ça s'est fait très sereinement. On a beaucoup pleuré, évidemment. Et, si c'était à refaire, on le referait exactement de la même façon. Et j'ai accepté de le faire avec France parce que je sais qu'elle l'aurait fait pour moi à tout moment.
On a été bien entourés, on a eu un fan-club, des amis. Au cours de notre évolution avec la maladie, on a même été amenés à donner des conférences et des présentations. On devait donner deux ou trois fois une présentation, finalement on a donné 48 fois une conférence qui portait sur le temps, les valeurs, l'engagement, la résilience. Et donc nombreuses ont été les personnes qui ont suivi notre cheminement. Oui, il a fallu un certain courage, un certain affront. Je n'aurais rien fait de différent, on est très, très fiers du cheminement qu'on a fait. Si notre témoignage, si notre récit aujourd'hui ne peut que vous aider, dans la réflexion, à aller encore un peu plus loin, ça aura été notre petite contribution.
À ma gauche, j'ai donc Simon et, à ma droite, j'ai Joëlle; ils ont accepté de m'accompagner. Ils sont même prêts à répondre à vos questions. Ils ont aussi été transformés, je pense, d'une certaine façon. Gabriel, comme je le disais tantôt, malheureusement ne pouvait pas être là. Mais, quand un ado de 12 ans ou de jeunes adultes, 15, 16 et 17 ans, 18 ans, apprennent à donner des soins trachéaux, à donner des soins infirmiers invasifs, quand, chez nous, c'était devenu un peu comme un laboratoire où même certaines infirmières venaient se pratiquer à faire des succions trachéales et que je voyais mes enfants leur donner des trucs, j'étais fier de ce qu'on a fait. Je m'arrête ici. Je recevrai vos questions, commentaires et actions volontiers.
**(20 h 40)**Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Thériault. Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Je me ferai brève parce que je sais que mes collègues veulent aussi intervenir, parce qu'il n'y a pas beaucoup de choses qu'on peut ajouter après votre témoignage, M. Thériault. Moi, je suis partie à la rencontre de la famille Thériault, j'étais assise à mon bureau toute seule, puis j'ai pleuré. Quand j'ai lu votre histoire, j'ai pleuré, mais pas parce que c'était triste, parce que c'était une belle histoire d'amour -- là, je suis un peu émotive encore -- parce que vous eu de la chance de vivre ça comme ça. C'est assez paradoxal de vous dire ça, mais je pense que, tous ensemble, vous avez vécu une belle expérience.
Et la seule question que je vous aurais posée, vous y avez répondu à deux reprises: Avec du recul, est-ce qu'il y aurait quelque chose que vous auriez fait différemment? Est-ce qu'il y aurait un geste, une décision que vous auriez changé? Et vous avez dit à deux reprises que, non, vous referiez exactement la même démarche. Est-ce que je me trompe ou...
M. Thériault (Laurier): Non. Mais si vous me permettez un commentaire. Je fais fi des mille et un emmerdements qu'on a rencontrés. Je suis reconnu pour avoir beaucoup de caractère, puis je ne parle même pas de mes enfants. Si vous saviez combien de fois il a fallu argumenter, demander, aller chercher de l'information, passant des assureurs aux... regardez, c'est incroyable. Et vient un moment donné où on aurait envie de tout laisser tomber, tout laisser aller et démissionner. J'en suis sorti serein, mais j'en suis sorti épuisé, épuisé, fatigué. Heureusement, France souriait tout le temps, toujours, toujours, toujours, et ça, c'était une marque de commerce dans sa personnalité. Mais il y a définitivement des choses qui auraient pu être faites différemment, et pas de notre côté, ça, j'en suis certain. Ce n'est pas normal qu'il faille fouiller autant pour avoir accès à de l'information et avoir l'heure juste quand on la demande. Quand il nous faut insister autant pour savoir les options et comment ça se passe, c'est... je pense que ce n'est pas normal.
J'ai dû... J'ai accepté d'aller en arrêt de travail pour accompagner France dans les derniers mois de vie. Ça m'a coûté très cher financièrement. J'en paie encore les frais aujourd'hui, et ça, ce n'est pas tout à fait normal. Ça, ce n'est pas correct, et je crois que notre société pourrait faire les choses différemment à ce niveau-là. Quand...
Il a fallu que je me batte avec le CHSLD en question et que j'argumente pour une facture de 15 000 $ parce que France avait été admise et qu'elle commandait des soins infirmiers 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Pourtant, je leur permettais d'économiser des sous en ramenant France à la maison et en assumant avec mes enfants la charge de tous les soins du samedi matin au lundi matin, et je n'ai jamais eu de crédit pour ça. Et il m'a fallu une lettre explicative et de l'argumentaire à ne plus finir pour pouvoir démontrer qu'elle avait été admise en soins palliatifs et que, si elle a duré plus de trois mois, je n'avais pas à m'en excuser. Mais c'est arrivé tel quel. Je peux vous dire que, quand on est épuisé, fatigué, puis qu'on a une facture de 15 000 $ qui nous arrive, je ne l'ai pas trouvé drôle.
De recevoir, trois mois après le décès de ma conjointe, l'autorisation de la SAAQ pour modifier mon véhicule, O.K., ça, c'est totalement inacceptable. La SLA est la seule maladie qui n'est pas reconnue par la Société de l'assurance automobile du Québec pour justifier que notre dossier soit traité en priorité. C'est totalement ridicule, ça. Alors, si quelqu'un à quelque part dans un ministère pourrait aller secouer la cage ne serait-ce que pour ce dossier-là, ce sera ma petite contribution. Mais je ne changerais en rien notre façon de faire.
Mme Gaudreault: Juste un petit commentaire. Je vais être la personne qui vais porter votre message au ministère, parce qu'il y a une famille dans mon comté qui vit exactement la même chose que vous avez vécue en ce moment. C'est une jeune femme qui vient de recevoir un diagnostic et qui a des difficultés avec la SAAQ, entre autres, et un autre ministère. Alors, je vais porter votre message, je vais leur faire suivre votre mémoire aussi. Alors, ce sera un héritage que vous leur aurez légué, et je serai la messagère. Alors, merci beaucoup de votre présentation.
M. Thériault (Laurier): Merci. Si vous cherchez un dossier, j'en ai un ça d'épais de la SAAQ avec, annotées, les heures où je parlais à ces gens-là, et tout. C'est complet. Mais il vient un moment donné où il faut choisir nos batailles, et mon énergie devait passer ailleurs. Alors, je prenais France dans mes bras, je l'assoyais dans le fauteuil... dans le siège passager. Je devais la débrancher de son respirateur, j'avais 18 secondes pour faire ça. Et ça, je faisais ça deux à trois fois par semaine. Ça nous a quand même permis d'aller au cinéma régulièrement, de ramener France à la maison. Puis, le véhicule, c'est Joëlle qui le conduit aujourd'hui, la fourgonnette, et elle n'est pas adaptée encore.
Mme Gaudreault: Merci.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.
Mme Charbonneau: Je n'ai pas de question. J'ai un commentaire. Vous avez réussi à me rendre à peu près à la même place que vous, par rapport aux sentiments que vous avez ce soir et que vous essayez de retenir un peu. Mais vous m'avez fait rire aussi, et j'ai le goût de partager cette phrase que j'ai lue et que j'ai relue, à la fin. Parce que j'étais très émotive à la fin du mémoire, mais je suis retournée au début, où vous affirmez avec beaucoup de conviction que c'est votre charme qui a gagné France, et c'est ce charme qui fait qu'elle vous a dit: Tu m'as eue là, là. Tu m'as eue là.
Le parcours que vous avez, et ne le sous-estimez pas, va contribuer grandement à cette réflexion qu'on fait. Il y a une peur horrible qui s'appelle la mort. D'ailleurs, je me demande si ça ne vient pas de la grosse noirceur, mais, bon, c'est une autre affaire. Vous avez fait face en famille à ce défi et vous aviez avec vous la femme, que je n'ai pas connue mais que je trouve d'un courage incroyable. Vous l'avez souligné tantôt, elle a fait son parcours en souriant, et j'imagine que, dans chacun de ses sourires, elle vous regardait puis elle allait chercher votre courage. Donc, moi, je n'ai pas de question, j'ai juste un commentaire: merci. Et j'espère qu'en rentrant ce soir vous direz au plus jeune: merci.
**(20 h 50)**M. Thériault (Simon-Alexandre): Est-ce que je peux poser une question?
Le Président (M. Kelley): Oui.
M. Thériault (Simon-Alexandre): Je peux la reposer si le micro n'était pas ouvert. C'est juste, à la fin de sa vie, ma mère, à ce moment-là, des fois, elle ne pouvait plus cligner des yeux, elle ne pouvait plus sourire, il y avait des moments d'absence. C'était comme un peu l'avant-goût d'un «locked-in». Puis, je me suis posé la question... On a dit plus tôt: Quand on a le cancer, on essaie de le guérir, quand on a une dépression, on essaie de le guérir. Mais, le «locked-in», ça ne se guérit pas, on n'a pas de solution à ça pour l'instant. Puis, je veux dire, il y a des personnes qui ont eu la SLA bien avant, puis, si on attend d'avoir une solution, bien ces personnes-là peuvent passer des années et des années dans un enfermement total. Puis ça, ça veut dire que tu peux avoir... tu t'es fait piquer sur la main, tu ne peux même pas ouvrir les yeux, tu ne peux même pas demander le suicide assisté ou l'euthanasie, ou peu importe c'est quoi, il n'y a pas de solution. Il faut que tu le demandes avant.
Alors, la question, pour ceux qui sont contre cette façon de penser là, c'est de savoir si ces personnes-là seraient capables de passer une heure dans cette situation-là, une semaine, un mois ou des années. Puis, après, venez me dire, à 100 %, si vous êtes contre cette situation-là. Parce que je suis certain que tout le monde ici... Passer des années dans un corps enfermé, avec la totale lucidité, moi, je trouve que c'est pire que n'importe quoi dans le monde.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Simon. M. le député des Îles-de-la-Madeleine.
M. Chevarie: Merci, M. le Président. M. Thériault, votre témoignage est extrêmement touchant. Bravo pour l'amour, et c'est également pour vos enfants, également, et l'énergie que vous avez partagés avec France. Votre histoire me rappelle un petit peu la mienne. J'ai un peu de similitude avec ce que vous avez vécu. D'abord, j'ai fait mes études à Moncton, à l'Université de Moncton, aussi. J'ai deux enfants. Et ma femme est décédée à 41 ans, ma conjointe.
Ce lundi 24 septembre, évidemment ça a été une date marquante pour vous et pour France, bien entendu. Et c'est bien difficile de prédire, j'imagine, la fin, si la fin avait été, je dirais, naturelle, entre guillemets. Est-ce que... Ma question est la suivante: Est-ce qu'il y avait... À ce moment-là, s'il y avait eu possibilité du suicide assisté ou d'une intervention d'euthanasie, est-ce que vous avez l'impression que vous auriez passé à côté de beaux moments, que vous avez quand même vécus, dépendamment de la date où ça aurait été décidé, et d'un certain cheminement, et c'est ce que je peux constater, qui vous sera utile toute votre vie, et qui a sûrement marqué toute votre vie? Alors, j'aimerais ça vous entendre là-dessus.
M. Thériault (Laurier): Suicide assisté, euthanasie ou un arrêt de traitement comme on l'a fait, à cette étape-là où on en était rendus, je l'ai mentionné tout à l'heure, France m'aurait demandé de lui administrer le médicament, de débrancher moi-même son appareil... Posez la question à Joëlle ou Simon, puis Gabriel, malheureusement qui n'est pas là, aussi, et on l'aurait tous fait de toute façon. On avait fait ce cheminement-là, on avait fait la réflexion. Et, autant certains médecins voudraient s'en libérer en disant: «Ça, c'était facile, c'est un arrêt de traitement», ce n'était pas plus facile pour moi d'ouvrir la porte et de demander à l'anesthésiste d'entrer et de constater le décès.
C'est à la demande de France. Et c'est très technique, rendu à ce moment-là, mais France m'aurait demandé de l'aider à mourir à n'importe quel moment dans ce cheminement, et on l'aurait... je l'aurais fait. Elle m'aurait demandé de prendre toutes les dispositions pour qu'elle soit euthanasiée, et ça aurait été fait aussi. On a fait cette réflexion-là, on a discuté de ça. J'ai même avec moi, ici, un verbatim, parce que France a accepté de participer à un projet de recherche sur l'aide respiratoire, et j'ai le verbatim de cet échange-là, où j'ai participé, mais France surtout, avec une ergothérapeute du Royal Vic qui faisait son projet de recherche à ce moment-là. Et c'est très clair là-dessus, c'est très, très clair.
Pour répondre, j'espère, le plus simplement à votre question, oui, on aurait... Je ne sais pas si on aurait pris la décision plus tôt ou plus tard, je ne crois pas vraiment. Ça aurait été idéalement le 23 septembre. Vous avez lu comme moi, ceux qui n'ont pas lu le mémoire, elle a demandé pour le 23. Mais les anesthésistes n'aiment pas travailler le dimanche, alors ça s'est fait le lundi 24. Tant pis. C'est notre nouvelle pierre blanche dans notre calendrier à nous. Mais, que ce soit un arrêt de traitement, ou, dans son cas, euthanasie, ou suicide assisté, on aurait été partie prenante de la démarche de toute façon.
M. Chevarie: Merci.
M. Thériault (Laurier): Merci, M. Chevarie.
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui. Bien, écoutez, merci beaucoup à toute la famille. C'est pour nous excessivement riche d'avoir un témoignage comme le vôtre. Je vous l'ai dit d'entrée de jeu tantôt, moi aussi, votre témoignage, votre mémoire m'a beaucoup bouleversée. Mais c'est formidable de voir que vous êtes restés aussi unis et que vous avez réussi à faire le maximum qu'il pouvait y avoir avec cette expérience de vie là. Et je pense que vous êtes un exemple éloquent que la vie peut être vécue jusqu'à la fin, même si on décide d'y mettre fin à un moment x. Et, pour moi, quand je vois que vous avez donné des conférences, tout ça, c'est vraiment inimaginable, la force que vous aviez, puis on sent encore cette force. Alors, je veux vous remercier en plus de la partager avec nous.
Quand je dis que c'est très précieux, ce n'est pas... je ne suis pas en train de faire... de surestimer ça. Vraiment, je pense que ça va nous guider beaucoup. Pourquoi ça va nous guider? C'est parce que... Vous l'expliquez, en plus, tellement bien, c'est que, quand on parle aux médecins, pour eux, c'est facile de faire des distinctions entre arrêter un respirateur artificiel versus donner une injection létale, parce qu'il y a cette espèce de zone de confort où c'est un arrêt de traitement versus quelque chose qui est plus proactif. Mais je pense que, pour le commun des mortels que nous sommes, que vous êtes...
C'est pour ça qu'on revient souvent avec les questions, c'est que ces différences-là, on les conçoit en théorie, mais, dans la pratique, on a de la misère à les voir. Et puis vous en êtes l'illustration, parce que, je dirais, dans votre malchance, compte tenu de la demande de France et de comment vous cheminiez, elle était branchée à un respirateur, ce qui faisait en sorte qu'un jour vous pouviez décider: on arrête le traitement. Mais il y a évidemment des gens qui accompagnent leurs proches dans la maladie et il n'y a pas cette dépendance-là, et ce qui fait donc qu'ils n'ont pas ça pour dire: On arrête aujourd'hui.
Moi, ce que je veux savoir, c'est que... Aussi, ce qu'on nous dit, c'est qu'il faut, pour réduire la culpabilité, ou les deuils pathologiques, ou les difficultés qui pourraient être vécues après par les proches... qu'une mort planifiée, ou tout ça, peut être difficile ou que vous pourriez ressentir de la culpabilité. Ce matin, on a eu des médecins qui nous mettaient en garde contre ça, de dire: On a choisi le moment, on l'a aidé dans son désir de mourir à un moment x. Alors, ça semble être vraiment le contraire pour vous.
Ça fait que j'aimerais ça que vous nous disiez en quoi, pour vous, l'accompagnement puis le choix, jusqu'au dernier moment, d'être ensemble puis de donner libre cours à la volonté de votre conjointe a fait... a pu vous aider pour la suite des choses.
**(21 heures)**M. Thériault (Laurier): La suite n'est pas forcément facile, pas forcément plus facile. Vivre un deuil, c'est vivre un deuil. Puis, de fixer une date ne fixe pas le début d'un deuil, là. Du jour de son diagnostic, France a dû faire le deuil d'habiletés de communication, et c'est tout un cheminement aussi. Maintenant, ça nous a permis, cette démarche-là, d'essayer, autant que faire se peut, dans cette malchance, de contrôler un maximum de facteurs autour de France, dans la famille, avec les enfants, dans un cheminement qui était très serein, très ouvert. On ne voulait pas choisir une date, mais on avait cette possibilité-là.
Je prends des cours de gestion ces temps-ci -- je suis retourné sur les bancs d'école -- on ne cherche pas qu'à maximiser les bénéfices, on cherche parfois à minimiser les risques. Alors, dans le moindre des maux, on... Alors, de se fixer une date nous permettait de nous organiser à passer de derniers bons moments de qualité ensemble et à vivre ensemble des moments marquants mais dans un environnement rempli, je pense, d'amour et de respect. Et je comprenais très bien la peur que France avait aussi non seulement de la souffrance... mais le respirateur faisait en sorte aussi qu'elle avait peur de mourir étouffée. Et pourtant tout était mis en oeuvre pour que... techniquement parlant, on était en sécurité.
Mais je veux être certain de bien cerner... De fixer une date ne changeait absolument en rien l'élément du deuil et de s'y préparer mais nous a aidé quand même, malgré tout, à vivre sereinement. Même jusqu'au matin du 24, on avait l'option de faire marche arrière et de revenir à la maison. Même dans la chambre d'hôpital le lundi 24, à 10 h 20, on pouvait laisser l'anesthésiste dans le corridor, et retourner dans l'auto, et revenir à la maison. Mais, comme France... comme Simon y a fait allusion tantôt, on a vu des indices, dans cette dernière fin de semaine là, où France commençait à être figée, avoir de la difficulté à nous répondre. Et, nous, quand son appareil ne fonctionnait pas bien, elle clignait des yeux par oui ou par non, hein, un peu comme vous avez déjà vu le film Le scaphandre et le papillon, et là ça commençait à être difficile de communiquer. Et ça, c'était très, très, très clair qu'elle ne voulait pas franchir cette étape-là. Alors, le 24 septembre, c'était aussi fixé en grande partie par la maladie.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Très simplement... Merci, M. le Président. Merci à vous. Notre président, en début d'échange, a fait allusion, sous forme de blague, de l'horaire qui est le nôtre. C'est certainement un horaire qui est exigeant, mais c'est certainement aussi un des beaux métiers que nous pratiquons, parce qu'il permet de très, très belles rencontres, et, ce soir, c'est certainement une des belles rencontres que j'aurai vécues, en votre présence, dans ma courte carrière de député.
Question très simple qui n'a aucun rapport avec l'objet lui-même mais qui s'adresse à vos enfants, donc aux deux qui sont présents ce soir: Dans quelle mesure cette expérience... Vous étiez très jeunes au moment du décès de votre mère, vous étiez très jeunes au moment où vous avez eu à l'accompagner avec tout l'amour qu'on vous reconnaît. Dans quelle mesure cette expérience-là a été déterminante, que ce soit dans vos choix de vie, au niveau des études, au niveau de votre philosophie de vie? Donc, aucun rapport avec l'objet lui-même, mais je suis tout simplement curieux de voir dans quelle mesure cette expérience a pu vous marquer pour les décisions que vous aviez eu à prendre à votre jeune âge.
Le Président (M. Kelley): ...Joëlle? Simon? Simon.
M. Thériault (Simon-Alexandre): ...question comme ça. Je n'étais pas très jeune aussi au moment de la mort. J'avais quand même... Ça fait trois ans. J'avais 19 ans. Moi, je trouve que c'est vieux. Non, non, ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai.
Bien, nous, ça faisait comme quatre ans qu'on était prêts à... on avait fait... on commençait à faire le deuil. Je veux dire, c'est sûr qu'on savait que ça allait arriver, puis d'avoir la possibilité... C'est un peu ironique de dire ça, mais on avait la possibilité de savoir qu'il nous restait du temps avec elle, puis on savait que, bien, quand on revenait de l'école, bien elle allait être là, puis il fallait profiter des moments qu'on avait avec elle.
Ça, j'imagine que c'est la situation de plusieurs familles qui ont des personnes malades. Mais là c'est sûr que, dans l'expérience qu'on a vécue, nous, ça m'a beaucoup appris, justement. Tu sais, c'est un peu cliché, mais de savoir que, moi, dans la vie, je ne veux pas perdre le temps à faire des choses que je ne veux pas nécessairement faire, dans le sens que je vais agir le plus vite possible pour que je sois heureux tout de suite puis pas plus tard. Je ne sais pas, vous me prenez de court un peu, mais, je pense, c'est ça que j'ai plus retenu de ça.
C'est surtout mon père qui a été aussi l'exemple à suivre beaucoup, beaucoup, beaucoup. Pour moi, c'est mon modèle, je n'ai pas honte de le dire. Pendant qu'il s'occupait de ma mère à temps plein, bien il travaillait à temps plein, il s'occupait de nous, il s'occupait de la maison, puis je pense que la moindre des choses, ça a été d'être disponible pour lui et pour ma mère. Puis je pense que, si un jour je suis capable de faire ou de rendre le service que lui a rendu à la famille, à ses enfants, à sa femme puis à tout le monde qu'il a côtoyé, bien, moi, je vais être... je vais quitter la vie en homme accompli.
Mme Thériault (Joëlle): Je voudrais juste rajouter aussi que j'ai beaucoup apprécié le fait que mon père nous implique dans le processus pour s'occuper... pour les soins. Nous, ça nous tenait vraiment au courant de l'évolution de la maladie. Lui, ça lui en enlevait un peu des épaules, et, nous, on n'avait pas la culpabilité de dire: On n'a pu rien faire, on n'a pu participer activement. Puis, même s'il restait le pilier principal lors des soins... Ça fait que ça, juste d'avoir été capable de faire un juste milieu... un juste partage avec nous, ça nous a beaucoup aidés à accepter ce qui se passait chez nous.
M. Thériault (Simon-Alexandre): D'avoir un certain poids aussi sur nos épaules, je pense que... c'est ça, comme Joëlle, elle le disait, on était capables de soutenir le poids que lui avait sur les épaules, de nous en donner, puis, nous, on se sentait forts de pouvoir l'aider à donner les soins, à jouer le rôle d'une infirmière ou d'un infirmier.
Puis surtout ce que j'ai vraiment apprécié de ce cheminement-là, c'est que ça s'est toujours fait dans l'humour puis dans le bonheur. Là, c'est sûr qu'il y a eu des moments de crise, là, on ne se le cachera pas. Il y a eu des soirées où on avait le goût de se tuer les uns les autres, mais je pense que c'est un peu normal, puis après ça, bien, on se reparle, puis, je veux dire, c'est réglé, c'est juste une chicane. Mais après on faisait des blagues, on faisait même la blague de... Quand ma mère, elle riait... Quand on était le dimanche soir, au souper, on parlait puis... C'est quoi, là, le truc des gouttes, déjà?
Mme Thériault (Joëlle): Bien, elle riait, ça fait qu'elle... puis elle échappait des gouttes...
M. Thériault (Simon-Alexandre): Oui, quand elle riait... elle avait un coton dans la bouche pour ne pas baver, puis, quand on faisait des bonnes blagues, bien elle avait la bouche ouverte, puis elle coulait, puis...
Mme Thériault (Joëlle): Ça fait qu'on...
M. Thériault (Simon-Alexandre): ...quand on disait qu'il y avait une bonne blague, bien on disait... c'était: Ah! c'est une blague à cinq gouttes. Ça fait que ça, c'était comme le summum, tu sais.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Thériault (Laurier): On avait déjà même menacé France que, si elle ne collaborait pas à notre façon, on la débranchait plus vite que prévu. Alors, elle était très collaboratrice!
Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville, une dernière question?
Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Comme mes collègues, je veux souligner, bien sûr, l'importance de votre témoignage. C'est vraiment essentiel de mettre aussi cette émotion quand on accompagne des personnes. Et, quand on fait un débat comme celui-là, ce n'est pas que du rationnel, et vous en faites la preuve.
Moi, je pense que... En tout cas, peut-être que je pose un jugement, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, mais il me semble qu'à partir du point de départ, la connaissance du diagnostic, à partir du moment où dans un rapport de confiance et de solidarité on entreprend de se solidariser avec le choix, avec l'autonomie d'une personne, avec ses choix, on rend plus facile, malgré les difficultés, malgré la douleur, la fin de la vie d'une personne. Et j'imagine que le fait qu'au point de départ vous ayez assumé avec elle des décisions qui vous interpellaient, ça a rendu d'autant plus intéressante sa fin de vie. Et j'imagine que c'est une valeur ajoutée, dans cette démarche-là, que je vous reconnais. Vraiment, c'est héroïque, mais en même temps c'est une preuve d'amour dont, j'espère, plusieurs personnes qui feront des choix comme elle a faits pourront bénéficier. Parce que, quand on parle d'euthanasie, quand on parle de fin de traitement, quand on parle de suicide assisté, on ne parle pas de disposer de la vie des gens, on parle avec eux de faire des choix responsables en leur donnant la meilleure qualité de vie possible jusqu'au moment de leur décès.
**(21 h 10)**M. Thériault (Laurier): Je vous remercie des bons commentaires, et c'est... France était celle qui prenait les décisions, mais elle ne prenait pas les décisions seule, et on savait très bien que les décisions se prenaient surtout elle et moi, en considérant nos ressources, nos capacités raisonnables. On a repoussé nos limites étape par étape. Si on nous avait demandé, le 15 septembre 2003, quand elle a eu son diagnostic à l'écran... qu'on se serait rendus à... au 24 septembre 2007, jamais, jamais je n'aurais parié là-dessus. Mais on a accepté ensemble de repousser, et d'essayer, puis de voir encore un bout de chemin, puis de se... Et heureusement on a eu la chance de s'arrêter de temps en temps pour faire le point et prendre des décisions. Dans le document, je fais allusion aux moments déclencheurs, mais il y avait des moments de réflexion aussi.
Oui, on était très solidaires derrière les choix de France, ça va de soi, mais elle devait aussi faire des compromis et faire partie des décisions. France, jusqu'à la toute fin, était encore celle qui faisait la liste d'épicerie. Et elle n'avait pas mangé, depuis deux ans et demi, de nourriture... trois ans et demi. C'est encore celle qui faisait la liste d'épicerie. C'était sa contribution dans la maison. Elle était, tous les dimanches soir, partie prenante et intégrale de toutes les discussions. Elle avait toute sa tête, là, mais son corps était en train de flancher. Mais elle devait, elle aussi, faire des compromis, puis nous aider à comprendre, et accepter parfois un consensus.
Mais évidemment, dans ce qui la concernait très personnellement, sa décision de fin de vie, elle nous a demandé ce qu'on en pensait, on lui a dit jusqu'où on pensait pouvoir aller. D'étape en étape, on a repoussé, évidemment, mais ça a été une décision sereine, prise en consultant des médecins, des infirmières, en parlant avec les enfants. Ça a été une décision solidaire, il n'y a aucun, aucun doute là-dessus.
Le Président (M. Kelley): Sur ça, il me reste de dire merci beaucoup de partager l'histoire extraordinaire de France Gervais et la famille Thériault. Merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion ce soir.
Sur ça, je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander à Mme Diane Demers de prendre place à la table.
(Suspension de la séance à 21 h 11)
(Reprise à 21 h 13)
Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Comme on voit, de gérer le temps dans ces débats qui sont riches en émotions et des réflexions difficiles, compliquées à faire, ce n'est pas toujours évident. Alors, on est légèrement en retard de nouveau -- toujours la faute du président -- mais on va continuer avec notre dernière, mais pas la moindre, témoin pour la journée, Mme Diane Demers. Alors, sans plus tarder, la parole est à vous.
Mme Diane L. Demers
Mme Demers (Diane L.): Alors, je vous remercie. Je vous remercie d'avoir accepté, encore une fois, de m'entendre. Dans un premier temps, je dirais que M. Thériault a probablement mis la table de façon exceptionnelle pour ce que j'ai à apporter après.
Évidemment, le texte, comme vous l'avez lu, c'est... pour moi, la question, elle est peut-être un petit peu plus au-dessus de la mêlée, si je peux m'exprimer comme ça. Je ne me positionne pas par rapport aux médecins, je ne me positionne pas par rapport à la situation comme telle, mais je regarde la rôle du législateur dans une situation qui est celle que pose la question elle-même de l'évolution de la médecine. C'est un peu particulier de poser ça de cette façon-là, mais il ne faut pas oublier que, si on est rendu aujourd'hui à se poser la question: Doit-on intervenir pour permettre à une personne de mettre un terme à sa vie?, c'est parce que la médecine a beaucoup, beaucoup, beaucoup évolué, qu'on est dans une situation où d'un côté on nous permet de vivre beaucoup plus longtemps, accompagnés par tous les moyens qui ont été invoqués devant vous, j'en suis certaine, de manière à faire en sorte qu'on puisse prolonger la vie.
La difficulté, c'est à quel moment on cesse de prolonger, à quel moment on cesse de convaincre le patient qu'il doit vivre quelques heures de plus. Je m'excuse de le dire de cette façon-là, mais, ayant entendu plus tôt mes collègues de McGill, c'était un peu la conclusion à laquelle j'arrivais, c'était leur difficulté d'accepter qu'un patient puisse décider que c'était terminé, que, si le patient exprimait sa volonté sous cet angle-là, il fallait discuter avec lui, il fallait voir avec lui.
Alors, je ne vais pas... je place... je fais, si je peux dire, une mise en contexte de ce qui appartient au débat social depuis plusieurs années, dans bien des régions du monde, et pour lesquels des situations ont été clarifiées, d'un point de vue intervention du législateur, dans des choix différents, dans des façons de faire qui sont particulières aux uns et aux autres.
Si on va du côté américain, on rencontre... Bon, plus souvent qu'autrement, on parle de l'Oregon, on parle de Washington, pour les lois légalisant l'euthanasie, mais on oublie de regarder le Montana, qui est juste à côté, qui, lui, a choisi d'adopter une loi qui détermine quels sont les droits de la personne en phase terminale. Dans cette loi-là, on retrouve la protection de la relation du médecin et du patient, si le choix du patient va vers la fin de vie. Donc, il y a des modèles qui changent selon les lieux, selon la réflexion que les gens ont faite autour de ces questions-là.
Je passerai assez rapidement sur les lois d'Oregon et de Washington, simplement pour un rappel que l'aide au suicide, telle qu'elle est définie dans ces deux États-là, a passé par une expression de la volonté populaire. C'est-à-dire, autrement dit, on n'a pas simplement regardé la question et fait des sondages, fait des «focus groups». On est passé par des référendums, des référendums qui ont confirmé l'expression très, très, très claire de la société de ces deux États-là, la société civile, les citoyens, lorsqu'ils ont exprimé, entre autres en Oregon, à deux reprises, que c'est le choix de la société dans laquelle ils sont qu'on doit donner cette possibilité-là à une personne qui veut avoir en main le médicament qui lui permet de choisir le moment de mettre fin à sa vie lorsque cette personne-là se retrouve dans une situation où le diagnostic va conduire à une fin de vie de toute manière.
On n'a pas choisi de couvrir autre chose que ces situations médicales là, c'est-à-dire les situations dans lesquelles une personne a eu un diagnostic, connaît toutes les possibilités en termes de traitement et va choisir éventuellement d'arrêter là où elle souhaite arrêter parce que sa vie ne fait plus de sens.
Une des choses qu'il faut reconnaître ici, et c'est la même trame qu'on va retrouver du côté de l'Europe, c'est qu'on reconnaît le droit fondamental d'une personne de déterminer quels sont ses choix dans sa vie. Ce n'est pas le choix du médecin, ce n'est pas le choix de la famille, c'est le choix de la personne. Et, si je dois présenter mon mémoire ce soir, c'est parce que ce que j'ai exprimé, c'était qu'il appartient au législateur de reconnaître ce droit à la liberté, lorsqu'il s'agit des choix personnels. Je veux dire, on ne peut pas imposer à une personne les valeurs des autres, qu'ils soient médecins, par rapport à l'intervention médicale, ou qu'ils soient des personnes qui ont des valeurs sociétales différentes. Un des aspects les plus fondamentaux de notre société, c'est le respect de cette liberté, de ce droit de la personne de choisir pour elle-même, au moment où elle le souhaite, ses valeurs et aussi la fin de sa vie.
C'est très difficile, quand on est professionnel de la santé, d'accepter ça parce que ça ne fait pas partie du conditionnement. Notre conditionnement comme professionnels de la santé, c'est de tout faire pour aller plus loin. Pour aller plus loin, guérir, mais pour aller plus loin aussi dans la poursuite de la vie. On l'entend beaucoup, c'est une chose qu'on nous ramène régulièrement.
Mais quel est le rôle du législateur? Le rôle du législateur n'est pas celui du médecin. Le rôle du législateur, c'est, d'une part, de protéger la liberté, mais également la sécurité de la personne. Le Code criminel pose les balises de la protection de la sécurité de la personne à l'égard des tiers, mais, rappelons-nous, le Code criminel regarde le geste du tiers lorsque c'est le tiers qui décide de poser le geste et non pas quand le geste est d'abord le choix d'une personne. On y reviendra un peu plus tard, parce que le choix de la Belgique, c'est justement de reconnaître ça.
**(21 h 20)** Donc, du côté américain, on a ces deux tendances, ces deux approches, l'approche de l'Oregon, de Washington, où on est allé directement dans les lois pénales, on est allé directement créer le droit au suicide médicalement assisté. En Montana, on a choisi une voie différente, qui dit: La relation entre le médecin et le patient, ça leur appartient. On reconnaît que, si la volonté du patient est celle de demander au médecin de mettre fin à la vie, on va accepter que le médecin a agi à l'intérieur de cette relation patient-médecin. On n'a pas touché... on n'a pas parlé de suicide médicalement assisté, on n'a pas parlé d'euthanasie, on a parlé de l'expression, à l'intérieur de la relation thérapeutique, des droits du patient, des droits de demander, des droits de choisir, et, si le médecin répond à ça, il est protégé légalement contre toute forme de reconnaissance qu'il s'agit d'un délit criminel.
Si on se transporte en Europe, en Europe, il y a la Suisse, bien sûr. J'en ai peu parlé dans ce mémoire-ci -- j'en avais parlé davantage dans le mémoire présenté préalablement -- parce que la Suisse, c'est un cas particulier. Ça fait déjà plus de 60 ans qu'en Suisse toute personne qui intervient pour apporter une aide au décès, c'est-à-dire soit en appuyant le suicide, en fournissant un médicament ou encore en tuant une personne, qui le fait non pas pour des motifs égoïstes, ne sera pas poursuivie. Ce n'est pas reconnu comme étant un délit criminel dans ces circonstances-là. Mais ça pose la dimension que c'est toute personne de la société qui est protégée par cette disposition-là du code criminel suisse.
Le BENELUX, c'est-à-dire la Belgique, la Hollande et les pays... le Luxembourg, pardon, le dernier en ligne, donc les trois pays, eux, ont choisi de ne pas situer le droit d'assistance autrement qu'à l'intérieur d'une relation médicale. Donc, c'est la solution qui est probablement souhaitée et souhaitable par la majorité de la population, dans leur cas et chez nous.
C'est-à-dire qu'autrement dit une des plus grandes difficultés qu'on rencontre au Canada actuellement, c'est de voir... Et, vous l'avez entendu de la part des personnes qui m'ont précédée, ils auraient eux-mêmes posé le geste s'il n'avait pas été possible de l'obtenir de la part de l'établissement de santé. Ils auraient posé un geste pour lequel on aurait décidé... ou aurait dû décider si on les poursuivait ou non. Le fait que l'appareil a été débranché par l'hôpital, dans leur cas, en fait un refus de traitement. Le fait qu'eux auraient débranché l'appareil en aurait fait un geste d'euthanasie, pour lequel le Procureur général du Québec aurait dû décider s'il les poursuivait ou non. Mais vous voyez que c'est assez particulier, quand on est rendu à distinguer de cette façon-là.
On a entendu aussi -- et vous allez en entendre d'autres, j'en suis convaincue -- beaucoup de personnes qui ont été dans la situation où ils sont intervenus pour aider un proche soit à passer au geste de se suicider, soit encore en appliquant des méthodes pour le moins difficiles, pour ne pas dire barbares, à certains moments donnés, pour les aider à passer de l'autre côté, c'est-à-dire à décéder. Cette situation-là... C'est pour ça que je dis, moi: Il est souhaitable que le législateur intervienne, parce que, d'une part, ça permet de situer ces gestes-là à l'intérieur d'une relation médicale, dans un cadre qui peut être contrôlé par l'État, qui peut être contrôlé soit à l'intérieur de la dimension professionnelle ou encore, plus spécifiquement, à l'intérieur de l'intervention du coroner, hein? Il pourrait très bien survenir que le Bureau du coroner soit mandaté pour regarder la situation et l'examiner un peu sur le modèle que la Belgique a choisi.
Ce qui est intéressant pour nous au niveau de la Belgique, c'est que la Belgique n'a pas modifié son code pénal, n'a rien changé dans le code pénal, a simplement placé la question avant même l'exercice de l'intervention pénale. Autrement dit, ce que j'appelle l'intervention, c'est-à-dire le choix que fait le PG, Procureur général, quand il détermine: Est-ce que je poursuis quelqu'un qui est impliqué dans le décès d'une autre personne... Il y en a, des exemples, pas nécessairement à tous les jours, mais certainement plusieurs par année, où le Procureur général doit se poser la question: Est-ce que je poursuis quelqu'un? Est-ce que je suis en présence d'un délit criminel?
On a présentement sous les yeux une cause semblable, c'est-à-dire les policiers. Les policiers qui, lors de l'exercice de leur emploi, tirent un coup de feu, ils tuent une personne, est-ce qu'on les poursuit, est-ce qu'on ne les poursuit pas? Les résultats de l'enquête nous amènent à dire que le comité des procureurs... Parce que c'est généralement trois procureurs provenant de districts différents qui se penchent, et étudient le dossier, et déterminent s'ils sont en présence d'un délit criminel ou non. Lorsqu'ils déclarent qu'il ne s'agit pas d'un délit criminel, il n'y a pas de poursuite. Autrement dit...
Une voix: ...
Mme Demers (Diane L.): Trois minutes? Oui, d'accord. Alors, essentiellement, ce que j'essaie de dire en ce moment, c'est simplement la chose suivante. C'est qu'il existe en ce moment des moyens qui pourraient permettre aux législateurs québécois d'intervenir et d'encadrer, encadrer les gestes qui pourraient être posés, pour lesquels on pourrait arriver à la conclusion qu'il ne s'agit pas d'un délit criminel. Mais, à l'instar de la Belgique, à l'instar des Pays-Bas, à l'instar du Luxembourg, il est recommandable d'avoir un comité qui fait cet exercice d'analyse de la situation de manière telle qu'on puisse déclarer clairement qu'il ne s'agit pas ici d'un délit criminel, donc il n'y aura pas de poursuite.
Un tout petit mot pour dire que l'aide au suicide est dans une catégorie à part, parce que le Code criminel, tel qu'il est rédigé présentement, est très, très, très précis pour interdire toute forme d'aide et reconnaître qu'il s'agit d'un délit criminel. Donc, l'euthanasie n'est pas visée de cette façon-là par le Code criminel, mais l'aide au suicide, oui. Ce qui ferait qu'au Québec, si on devait aller... ou si vous devez aller -- ce que je souhaite personnellement que vous fassiez -- si vous deviez aller vers l'adoption de dispositions législatives, ce serait par le biais -- des choix qui vous appartiennent, bien sûr -- mais la suggestion est d'aller vers le Bureau du coroner, à qui on confie régulièrement l'analyse des causes de décès, et de déterminer s'il s'agit de décès qui relèvent d'un délit criminel ou non. Voilà.
Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Demers. C'est juste... on est... le rattrapage à faire, et, si je veux éviter des griefs des membres de la commission, je vais essayer de terminer plus ou moins en respectant les enveloppes de temps. M. le député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Me Demers, juste pour que je puisse comprendre correctement, lorsque vous dites qu'on peut faire ce que vous suggérez à l'intérieur de la législation actuelle au fédéral, je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous êtes en train de dire. Vous êtes en train de dire que nous ne nécessitons pas une modification du Code criminel pour pouvoir faire...
Mme Demers (Diane L.): Pour pouvoir déterminer que l'euthanasie, qu'elle soit passive ou active, constitue une situation qui ne relève pas d'un délit criminel.
M. Sklavounos: Mais comment peut-on contourner la définition de «meurtre» dans le Code criminel...
Mme Demers (Diane L.): Il ne s'agit pas de contourner la définition de «meurtre», il s'agit essentiellement de voir si tous les éléments qui constituent un meurtre sont présents.
Une des choses qui déterminent qu'on est en situation d'homicide, c'est la situation où c'est le tiers qui prend toutes les décisions et qui passe à l'acte. Donc, il a la mens rea, c'est-à-dire qu'il a volontairement voulu tuer quelqu'un. Et, dans un deuxième temps... Et ça lui appartient, la mens rea, là, ce n'est pas l'autre personne qui va déterminer sa mens rea. Donc, il lui appartient de décider qu'il va tuer quelqu'un et il utilise les moyens pour le faire.
Dans le cas présent, ce dont on parle, c'est essentiellement de reconnaître ce que beaucoup de gens vont vous dire avoir eu connaissance ou du moins en avoir entendu parler, ce sont des gestes qui sont posés à certains moments donnés dans la relation thérapeutique qui entraînent le décès de la personne.
Quand on disait plus tôt, je pense, qu'il y a beaucoup de difficultés pour les médecins de distinguer entre la sédation terminale et l'euthanasie, entre vous et moi, la sédation terminale, si on y va sur le sens qu'on pose un geste qui entraîne la mort, bien la définition d'«homicide»... c'est un homicide. Pourquoi est-ce qu'on dit que ce n'est pas un homicide? C'est parce qu'on dit que, là où on est rendu dans le traitement de cette personne-là, il s'agit de lui apporter la dernière forme de soulagement. Alors, quand on est en train de dire que, par ce soulagement-là, tout le monde sait que dans moins de 24 heures la personne va être décédée, on est devant une situation où on a provoqué la mort.
Ce que j'essaie de dire, autrement dit, c'est que... au lieu d'être dans une situation où on connaît cette réalité-là mais qu'on ne la nomme pas, soyons donc plus clairs. C'est ce que les médecins qui souhaitent avoir la clarification du législateur demandent, c'est qu'on en vienne à cette situation-là.
Moi, quand je dis... Pour pouvoir encadrer ça à la satisfaction des médecins et assurer ce que le législateur a à faire, la sécurité de la personne, il faut le faire avec une forme qui est celle que la Belgique a adoptée, c'est-à-dire une déclaration et des témoignages, témoignage d'un médecin qui a constaté l'état du patient, etc., bon, les critères de minutie, autrement dit. Dans ces circonstances-là, il est possible de reconnaître qu'on est dans une situation qui ne relève pas de l'homicide.
**(21 h 30)**M. Sklavounos: J'essaie de vous suivre -- je suis peut-être fatigué, là -- mais, lorsque vous dites... Vous commencez en disant que la décision n'émane pas de la personne qui pose l'actus reus -- si vous voulez, on va dire... on va appeler ça le geste. Mais, du moment que la personne pose intentionnellement le geste, c'est le seul mens rea que, moi, je vois nécessaire en droit criminel. Je veux dire, l'intention, ça veut dire... On ne peut pas, quant à moi, transférer le mens rea à la personne qui décide de demander à une personne de l'euthanasier ou de l'aider à se suicider. Du moment que la personne qui pose le geste le fait intentionnellement, moi, pour moi, l'infraction est consommée. C'est juste ce bout-là que je voulais discuter avec vous.
Parce que, que quelqu'un me dise qu'ils veulent que je le tue, là, ça ne change strictement rien. Du moment que, moi, je la tue, la personne, je pose le geste qui tue la personne, et que je l'ai fait intentionnellement, le fait que quelqu'un d'autre m'a demandé, ou l'a souhaité, ou l'a provoqué, ou... «je ne l'aurais pas fait si on ne m'avait pas»... ça n'a pas rapport. Au niveau criminel, c'est un meurtre, quant à moi. À moins que vous avez de la jurisprudence, ou quelque chose, ou de la doctrine que je ne connais vraiment pas. C'est juste sur ce point-là où je ne vous suis pas.
Parce que là vous demandez... De ce que je comprends, vous demandez de fonctionner parallèlement. Je trouve ça un petit peu dangereux. Parce que, moi... Peut-être, on pourrait réfléchir... vous pouvez réfléchir autrement, mais, moi, que quelqu'un vienne me demander de l'aider à mourir, et je pose le geste, et je le fais intentionnellement, dans l'état actuel du droit criminel canadien, je suis un meurtrier. Et ça peut ne pas nous plaire, mais c'est la loi actuelle. Alors, de sortir ça, lorsque vous parlez de la Belgique, sortir ça du droit criminel parce que, la personne, ça se passe à l'intérieur d'une relation thérapeutique, je comprends ce que vous dites, mais, dans l'état actuel des choses, le médecin ou la personne serait un meurtrier.
Mme Demers (Diane L.): Bien, c'est-à-dire que... Reprenons l'exemple de celui qui débranche l'appareil, la personne qui débranche l'appareil. Pourquoi est-ce qu'il faut que ce soit la personne qui reçoit le traitement qui le demande? À quel moment, quand, moi, je débranche l'appareil... Autrement dit, si M. Thériault avait débranché l'appareil... Quelle est la différence entre M. Thériault qui débranche l'appareil puis le préposé, ou je ne sais qui à l'hôpital, qui a débranché l'appareil?
M. Sklavounos: J'imagine que la différence, c'est le fait que ça se passe dans un endroit où il y a des personnes qui peuvent vérifier et contrevérifier les intentions ou en garder note très précise, où il y a des personnes qui sont en mesure de superviser. Puis ça se fait d'une personne qui est manifestement non intéressée aux résultats, parce que c'est un professionnel.
Parce que je m'imagine la situation contraire, où les gens sont tous chez eux puis on se met à débrancher les appareils, on va être pris avec une drôle de situation lorsqu'on veut déterminer si la personne qui venait de se faire débrancher, dans chaque cas, voulait être débranchée ou si, à un moment donné, il n'y a pas quelqu'un qui s'est tanné ou quelqu'un qui s'est chicané puis a décidé de faire boum. Tandis qu'à l'intérieur d'un hôpital vous convenez avec moi qu'il y a certaines mesures de sécurité. Je veux dire, on doit faire un rapport, on doit consigner par notes, on doit consulter la famille, on doit parler, je veux dire, entre collègues, infirmières, personnel soignant.
Quand ça se fait... Le danger aussi, c'est que ça se fait à l'intérieur de portes closes. Ces choses-là ne se passent pas en public. Lorsqu'une personne est débranchée à la maison, c'est la personne qui est débranchée, puis une personne ou les personnes qui sont présentes. Puis, si c'est juste deux personnes, et une personne qui se fait débrancher puis l'autre personne, on est pris dans une situation où, comme certains nous disent, c'est peut-être un petit peu dangereux, là. Est-ce qu'on va pouvoir assurer, comme société, que tout le monde qui se fait débrancher dans des circonstances privées de ce genre-là voulait se faire débrancher?
Mme Demers (Diane L.): Mais c'est exactement ce que je dis, très exactement. Il faut que ça se passe dans la relation médecin-patient et il faut que ce soit sous surveillance d'un comité, qui peut être le bureau des coroners. Ce n'est que dans ces circonstances-là qu'on peut considérer qu'on n'est pas devant un acte de délit criminel. C'est dans ce sens-là que la Belgique le fait. Et c'est pour ça que le Code criminel en Belgique est plus précis que le nôtre: il interdit l'euthanasie et il en fait un acte criminel.
M. Sklavounos: ...c'est parce que vous m'avez demandé c'est quoi, la différence, si monsieur le fait chez eux puis le médecin fait...
Mme Demers (Diane L.): Bien, c'est ça.
M. Sklavounos: Et c'est pour ça que j'ai réagi sur ce point-là.
Lorsque nous entendons des médecins... Nous avons entendu des médecins puis des étudiants en médecine venir nous dire que, pour eux, leur conception de leur travail, de ce pour quoi ils sont formés, n'est pas de mettre fin à la vie. Il y en a qui disent... Il y a une jeune demoiselle qui est venue parler au micro, lorsque le micro était ouvert, qui dit... ce n'est pas sa conception des choses. Elle n'a pas étudié pour ça. Elle n'étudie pas pour ça. Puis nous avons entendu plusieurs médecins qui semblent nous dire: Nous ne voulons pas ça. Nous ne voulons pas ça et nous avons l'impression, nous craignons que ça risque de changer la relation patient-médecin et de créer une certaine insécurité qui peut-être perturberait ce lien de confiance qui est tellement nécessaire. Comment vous réagissez à ce commentaire-là?
Mme Demers (Diane L.): Écoutez, la... chacune des... chacun des territoires qui a adopté une loi semblable reconnaît un principe fondamental: le libre choix du médecin d'intervenir de cette façon-là ou non. Et ça, c'est essentiel à toute forme d'intervention qui viendrait accompagner, si on peut dire, au Québec ou éventuellement... Vous savez, au Canada, c'est 76 % de la population qui partage la même vision que le Québec, qui souhaiterait avoir une législation modifiée au Code criminel. Mais il semble qu'au niveau du gouvernement fédéral on est encore à l'étape de dire qu'on n'a pas fini le débat. Et, bon, ici, je vous félicite parce que vous avez décidé d'aller entendre ce que la population a à dire. Ce qu'on n'entend pas du côté fédéral à ce moment-ci. On a écarté le débat en février, et c'est mort pour un certain temps.
Mais, une fois qu'on a dit ça, il y a une chose qui est claire: en tout temps, quelle que soit la personne qui intervient du côté des professionnels de la santé, ça doit être une personne qui le fait par choix. Ça ne peut pas être quelqu'un qui ne veut pas faire ça. Quand on lit l'origine ou l'historique de la loi en Hollande, ce qu'on se rend compte... Et ça a été très long avant qu'on en arrive à la loi, mais toute la partie historique de ça provenait du fait des médecins qui étaient rendus au bout de leur énergie à voir mourir les patients qui leur demandaient une intervention et... pour certains qui auraient souhaité pouvoir le faire et qui ne se sentaient pas légalement le droit de le faire. Et c'est comme ça que la démarche a débuté. Parce qu'elle a débuté par l'équivalent de leur comité de discipline, où tranquillement on a appuyé les médecins. Parce qu'on était rendu à des gens qui se retrouvaient dans une situation extrêmement tendue. L'angoisse qu'exprimaient les médecins quant à cette réalité-là a été à l'origine de la loi de la Hollande, ou des Pays-Bas.
Donc, oui, il y a des médecins, comme ceux que vous avez entendus, qui définissent leur profession comme étant: c'est un choix exclu de ma pratique professionnelle. Mais il y a des médecins, et c'est ceux qui l'ont exprimé également, d'autres médecins qui disent: Nous, on est confrontés à ça régulièrement. Et, si vous arriviez à clarifier la situation, ça permettrait à ceux qui ne veulent pas de le dire et à ceux qui sont prêts à accepter de le faire avec leurs patients.
C'est pour ça que je reviens toujours au modèle de la Belgique, parce qu'une des choses qui m'impressionnent dans leur modèle, c'est la façon dont on conserve, sous forme confidentielle, la relation du patient et du médecin, sauf s'il y a des éléments qui amènent la commission à se questionner. À ce moment-là, ils vont lever le secret professionnel pour examiner la situation bien précisément. Mais il n'y a pas de médecin qui publicise nulle part qu'il va pratiquer, de quelque façon que ce soit, l'euthanasie. Ça ne fait pas partie de la donne. C'est véritablement à l'intérieur d'une relation personnalisée que ça se passe. Donc, je pense qu'on est rendus à cette étape-là ici.
**(21 h 40)**M. Sklavounos: Si...
Le Président (M. Kelley): Dernière courte question.
M. Sklavounos: Dernière courte question, très rapidement. Est-ce que vous reconnaissez, comme mentionnent certains autres qui ont témoigné, les potentiels dérapages ou les réels dérapages qui ont eu lieu dans certaines autres juridictions? Et, si vous étiez pour regarder... Je ne sais pas si vous reconnaissez, oui ou non... Si c'est non, vous dites que vous ne pensez pas que vous avez lu des cas de dérapage... ou, si oui, si vous avez eu ou lu des cas de dérapage, est-ce que vous avez des suggestions sur l'amélioration de ces systèmes qui existent déjà? Parce que nous n'allons pas... mettons, nous n'allons pas repartir à réinventer la roue, on va commencer peut-être avec un modèle. Si jamais quelque chose était pour se passer, est-ce que...
Déjà, il y en a qui nous le disent: Il y a des dérapages. Et, nous, pour des cas, pour réunir tous les facteurs, tous les facteurs nécessaires dans des cas très exceptionnels... Nous craignons les dérapages. Alors, pour les très rares situations où on peut réunir toutes les factures qui feraient... les facteurs qui feraient en sorte que ce serait une demande d'euthanasie ou de suicide assisté en bonne et due forme, nous craignons que le prix à payer est énorme.
Est-ce que vous reconnaissez qu'il y a des dérapages dans ces juridictions auxquelles vous faites référence? Et, deuxièmement, est-ce que vous êtes en mesure de faire des suggestions pour améliorer ce système ou ces systèmes qui existent et qui, selon ce que nous entendons, sont victimes de quelques dérapages?
Mme Demers (Diane L.): Bon. Les dérapages, c'est... Premièrement, pour avoir tenté de faire un inventaire de ce qui existe comme études sur les questions semblables, je vous dirai que, la conclusion à travers six pays que j'ai examinés, on n'est pas capable de documenter ça, pour une raison simple, parce que la majorité de ce qu'on appelle des dérapages se passent sous le couvert de la pratique à l'intérieur des établissements de santé. Autrement dit, les dérapages dont on parle, ils existent ici comme ils existent ailleurs.
La seule chose qui peut peut-être être qualifiée très sommairement, c'est: Quelles sont les clientèles visées? Autrement dit, nous, ce dont on parle... Et je pense que, toutes les lois, ce dont ils parlent, c'est des patients qui ont un diagnostic avec phase terminale plus ou moins rapprochée. Vous avez entendu des personnes qui ont parlé de maladies chroniques. Est-ce qu'il y a eu des personnes qui, souffrant de maladies chroniques sans diagnostic ou pronostic de décès, ont obtenu l'aide d'un médecin? C'est à peu près les cas qui sont retracés de cette façon-là.
C'est-à-dire, autrement dit, est-ce qu'on a une position par rapport à ça? Pour le moment, je ne pense pas qu'on en soit rendus à dire: Ça va être telle personne, ce ne sera pas telle autre, ça va être telle catégorie de personnes, candidats. Qu'est-ce qui arrive avec le jeune de 14 à 18 ans? Le jeune de 14 à 18 ans, dans les autres pays, il n'a pas le droit de prendre de décision pour lui-même. Nous, on a choisi un modèle où, dès 14 ans, il y a une autonomie sur le plan médical. Mais on a quand même des balises dans le Code civil, parce que, quand on parle de, bon, conséquences sérieuses, risques sérieux, etc., bon, on peut imaginer que la mort peut rentrer dans cette catégorie-là, ce qui voudrait dire qu'un jeune de 14 ans, 18 ans ne pourrait pas prendre seul la décision de demander. Bon.
Mais la difficulté par rapport aux dérapages, c'est toujours la même question qu'on se pose, on est incapable de documenter ça, parce qu'on en entend parler, des cas individuels, il y a des gens dans des familles qui nous en parlent, mais, à certains moments donnés, il y a des gens qui nous parlent de sédation terminale. Est-ce que la sédation terminale rentre dans les dérapages? Bon. Il faut savoir ce qu'on répondra là-dessus.
Par rapport à... Il y a une chose que j'aimerais préciser, vous ne me l'avez pas posé comme question, vous l'avez plutôt apporté comme argument, le fait qu'on parle d'une minorité, très petite minorité, dans le discours de certaines personnes. Je pense qu'à la fin de vos travaux vous allez réaliser à quel point on ne parle pas d'une minorité. Moi, ça fait cinq ans que je fais des conférences à la demande, à travers la province, d'organismes comme l'AFEAS, comme d'autres, et le nombre de personnes qui participent à ces rencontres-là, c'est phénoménal. Il y a... Tu penses que tu vas rencontrer 30 personnes, il y en a 100, 125. Tu es à Val-David, il y en a 125 qui se déplacent d'un peu partout du Québec. Bien, à un moment donné, tu finis par réaliser qu'on est en train de parler de quelque chose qui n'interpelle pas une minorité.
Pour les médecins, quand ils le définissent de cette façon-là, c'est que, pour eux, ils ne parlent que des cas pour lesquels ils ne sont plus capables d'intervenir. Mais, quand on est rendu là, est-ce que c'est ça que le patient a fait comme choix tout au long de son parcours? Personnellement, ce que j'ai entendu et ce que vous allez entendre des gens qui vont témoigner devant vous, c'est à quel point il y a de la résistance à la demande des patients. Vous l'avez entendu de M. Thériault juste avant moi, c'est sa capacité d'interpeller les services de santé qui l'a mené là où il est... il a été rendu. Bon, il y avait, il y a deux jours... Bon, je vous laisse parce que je pense qu'il y a d'autres personnes à qui vous voulez donner la parole.
Le Président (M. Kelley): Exactement, je dois céder la parole, à ma gauche, à Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Vous pouvez continuer votre réponse. Je le prends sur mon temps.
Mme Demers (Diane L.): Bon, d'accord. Alors, ce que je voulais dire tout simplement, c'est que, bon, il y a eu un reportage de Radio-Canada qui parlait de vos travaux, où une jeune femme racontait l'histoire de son père qui se tire une balle, et qui se retrouve à l'urgence, et pour lequel on considère qu'il n'a pas le droit de refuser le traitement parce que c'est un acte de suicide. Je regrette, mais le Code civil ne parle pas de ça. Donc, la résistance médicale est extrêmement heureuse, d'un côté, parce que ça veut dire qu'ils vont nous accompagner, pour tous ceux et celles qui le souhaitent, aussi longtemps qu'on le souhaite, mais, pour arriver à l'effet contraire, c'est beaucoup plus difficile de modifier les pratiques.
Mme Hivon: Oui. Alors, je vais poursuivre un peu, c'est ça, le lien Code civil, justement, arrêt de traitement, euthanasie. Je trouve ça intéressant, ce que vous répondiez à mon collègue de Laurier-Dorion, parce que vous disiez: Il y a le modèle belge, où ils n'ont pas modifié le Code criminel. Effectivement, vous avez fait de la pédagogie, puis deux fois plutôt qu'une, avec nous, ça fait que tranquillement on commence à assimiler, là. Et puis, je veux comprendre, vous dites en fait: Si on se reporte au cadre de l'arrêt de traitement, certains pourraient dire qu'il y a une intention criminelle, ou qu'il peut y avoir une intention de mettre fin à la vie de quelqu'un, donc, en théorie, peut-être que ça pourrait s'assimiler à quelque chose qui serait criminalisé. Je veux juste être sûre de bien comprendre votre raisonnement. Mais vous dites: Vu que ça se passe dans un contexte médical très clair, balisé, et effectivement ce n'est pas le proche qui, par exemple, arrête le respirateur artificiel, mais quelqu'un du personnel médical, de manière encadrée, c'est comme entendu que ce n'est pas un geste criminel, et vous dites: Pourquoi la même logique ne pourrait pas s'appliquer à un geste actif, via une dose létale, par exemple, pour une euthanasie, si je vous suis bien? O.K.
Est-ce que le fait que, dans le Code civil, on vienne prévoir que tout arrêt de traitement est possible, tout refus de traitement, que le consentement aux soins doit toujours être obtenu, ça ne vient pas donner un genre de... je dirais, une bouée ou une sécurité pour dire: On n'est clairement plus dans le domaine du criminel, puisqu'on a notre balise, qui est le Code civil, qui vient dire qu'il faut toujours avoir le consentement, et que, de ce fait-là, la personne ne consentant plus, le 24 septembre, elle peut être débranchée, ce qu'on n'aurait pas avec l'euthanasie?
**(21 h 50)**Mme Demers (Diane L.): C'est-à-dire que, quand on regarde la notion de consentement... vous savez, consentir à un geste à l'intérieur des soins de santé, la Loi sur les services de santé va l'imposer sous forme écrite pour deux circonstances particulières, c'est-à-dire la chirurgie ou l'anesthésie. Pour tous les autres, on est dans une situation où légalement les... Par exemple, on va vous demander de signer votre consentement au moment où vous entrez à l'établissement de santé. Vous refusez de le signer, vous allez quand même être traité, parce qu'il y a toute la notion de consentement tacite. Alors, il faut faire attention quand on parle de consentement par rapport à refus de traitement. Le refus de traitement nécessite l'expression de la volonté.
Alors, moi, ce que je dis, c'est que, quand on est rendu au niveau de l'euthanasie, on est devant cette situation très particulière où c'est l'expression de la volonté qui entraîne le geste qui va être posé. Je fais une distinction, comme vous voyez, entre consentement et l'expression de la volonté, c'est-à-dire, le consentement constituant une forme d'acceptation qui peut être explicite ou implicite, et la plupart des consentements, à l'intérieur des soins de santé, sont implicites. Donc, on est devant une situation qui ne se caractérise pas tout à fait de la même façon, parce que, quand on parle de refus de traitement, on parle d'un geste qui doit être explicite et en même temps donc expression de la volonté, et, quand on parle d'euthanasie, on parle aussi de l'expression de la volonté de la personne. Alors, l'assimilation, si je puis dire, entre les situations part de là.
Si vous aviez, dans un... Bon, prenons un exemple d'une personne qui est suivie à domicile, c'est son conjoint ou sa conjointe qui lui remet les médicaments à heures fixes, et que la personne refuse de prendre les médicaments. Qu'est-ce qui va arriver de celui à qui on a confié la responsabilité de lui administrer les médicaments? Est-ce qu'on va être devant une situation où on va le reconnaître comme étant responsable du décès? On est dans un monde où la... On ne peut pas trancher au couteau ce qui se passe. Ce qui est clair, c'est qu'on ne parle pas ici d'une...
Quand vous utilisez l'expression «dose létale», j'en conviens, c'est habituellement ce qu'on va faire en Europe, de manière très claire, parce qu'on a là réglé tous les problèmes de la question de l'euthanasie, et on ne se bâdre pas de savoir s'il s'agit de la dernière journée de la personne ou s'il s'agit d'une situation qui survient trois mois avant son décès naturel. Je suis un peu allergique à cette expression de «décès naturel», parce qu'il n'y a plus rien de naturel quand on est rendu à médicaliser la personne à un point tel qu'elle ne souffre pas. Il ne faut pas se leurrer, là, la sédation terminale, c'est une médicalisation à un point tel que la souffrance cesse parce que la mort survient. Alors, à un moment donné, dans ça, on a des... la marge de manoeuvre, elle est très particulière. On se retrouve dans une situation où on est à l'intérieur d'une situation... Et c'est pour ça que je dis que c'est médicalement imposé, ça doit être là que ça se passe et pas ailleurs, parce que les seules personnes qui peuvent savoir à quel moment cette situation-là arrive, et qu'est-ce qu'on doit faire, et comment on doit poser les gestes... Ça devrait se passer à l'intérieur de la relation médicale.
Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. Merci à vous de vous être déplacée une seconde fois pour nous apporter votre éclairage. C'est très apprécié. Vous avez dit, non pas dans votre mémoire mais dans vos commentaires, que nous serons sans doute surpris de l'intérêt de la population pour la question, compte tenu notamment de votre propre expérience, à savoir l'intérêt que les gens ont à assister à vos conférences. Je n'ai aucun doute sur cette affirmation-là.
Ce qui me surprend plutôt, c'est d'entendre des médecins qui ont 15, 20, 25 années de pratique en soins palliatifs et qui sont venus nous voir en nous assurant que jamais aucun de leurs patients ne leur avait demandé cet accompagnement-là vers la mort. Donc, des gens, des professionnels de la santé qui ont accompagné des milliers de mourants et, selon... Et je ne remets pas leur bonne foi en question, mais je demeure encore étonné à ce jour qu'après un accompagnement de milliers de patients on nous assure, chez ces défenseurs des soins palliatifs, qu'aucun d'entre eux ne leur a demandé cet abrégement de leurs souffrances, bref une mort plus rapide.
Comment l'expliquez-vous, bien que ce ne soit pas votre domaine à vous? Comment peut-on expliquer pareille affirmation de gens qui au quotidien ont pour mandat d'accompagner les gens dans leurs derniers moments?
Mme Demers (Diane L.): Je vous répondrais un petit peu que j'ai entendu également mes deux collègues de McGill, dont un est oncologue, et, à la question que vous lui avez posée sur quelle est la démarche qu'il entreprend quand un patient aborde ces questions-là, il vous a répondu qu'il discute avec le patient, qu'il se rend disponible et qu'il... Bon. Alors, ce que je serais portée à vous amener à comprendre, c'est la situation suivante, c'est que le mot «demande d'euthanasie» ne fait pas partie de leur vocabulaire. Ce qui veut dire que, lorsqu'un patient aborde cette question-là, ils vont plutôt reprendre avec lui comment faire en sorte d'avoir une meilleure semaine qui va venir, etc. Ça ne fait pas partie de leur vocabulaire. Alors, vous pouvez leur poser la question aussi longtemps que vous allez la poser, vous allez vraisemblablement avoir la même réponse.
Et, pour ma part, je vous dirais, ce n'est pas tout à fait la façon dont les médecins qui pratiquent les soins palliatifs dans les pays du BENELUX, entre autres, vont vous répondre si vous posez la question. Parce que, dans les statistiques -- je vais prendre encore mon exemple de la Belgique, c'est mon pays préféré dans cette histoire-là -- la grande majorité des cas, c'est presque 60 % des cas, il y a intervention des deux, de soins palliatifs... un médecin de soins palliatifs et le médecin qui accompagne le patient. Et, plus souvent qu'autrement, les deux arrivent à des conclusions similaires et vont accepter ce que demande le patient.
Donc, je pense que c'est plus le modèle qui est présentement ici qui est un modèle où les médecins qui pratiquent ces soins-là sont des gens qui ont la conviction profonde que, lorsqu'ils entendent des mots semblables, ils n'entendent pas le souhait ou la volonté de la personne, ils entendent la situation de souffrance de la personne, souffrance psychologique, souffrance physique, et, pour eux, ça se traduit par: on va traiter la souffrance. Alors, ils vont toujours vous répondre dans ce sens-là. À ma connaissance, c'est aussi ce que j'ai entendu.
Parce que, quand je dis que j'ai fait des conférences, c'étaient souvent des panels où il y avait des gens des soins palliatifs, comme il y avait des gens qui représentaient la religion catholique. Plus souvent qu'autrement, autrement dit, l'accompagnement des pasteurs était aussi, dans cette dimension-là, quelque chose que les gens souhaitaient pouvoir discuter. Et là j'ai aussi été surprise à certains moments donnés d'entendre des gens, bon, déclarer que, du côté des catholiques pratiquants, la souffrance n'est pas obligatoire et qu'il n'est pas nécessaire de se rendre jusqu'au bout de sa vie de cette façon-là. C'est possible que vous entendiez plusieurs choses qui vont vous étonner.
Le Président (M. Kelley): Je pense, ça, c'est certain. Ça met fin à notre première journée. Encore une fois, Me Demers, merci beaucoup, une deuxième fois, pour venir ici.
Et, avant de terminer, comme autre preuve de l'intérêt de la population québécoise, hier, avec la vice-présidente, nous avons annoncé que 3 627 Québécois ont répondu à notre questionnaire en ligne; c'est maintenant rendu à 4 386. Alors, 700, dans les dernières 24 heures, ont pris la peine d'aller sur le site Web de l'Assemblée nationale. Alors, je pense, c'est preuve d'un intérêt sur ces questions.
Sur ça, je vais ajourner nos travaux à demain matin, 9 h 30, dans cette même salle, le 8 septembre prochain. Merci beaucoup. Au revoir.
(Fin de la séance à 21 h 58)