(Onze heures deux minutes)
Le Président (M. Picard) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des relations avec les citoyens ouverte. Je demande à toutes les personnes dans
la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones
cellulaires et de leurs appareils électroniques.
La commission
est réunie afin de poursuivre les consultations
particulières et auditions publiques
sur le document intitulé Rapport sur la mise en oeuvre
du Plan d'actiongouvernemental2008‑2013en matière d'agression sexuelle.
M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le
Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Blais (Saint-Henri—Sainte-Anne) est remplacée par Mme Simard
(Charlevoix—Côte-de-Beaupré);
M. Bergeron (Verchères) est remplacé par Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve); M. Kotto (Bourget) est remplacé par M. LeBel
(Rimouski); et Mme Lavallée (Repentigny) est remplacée par Mme D'Amours
(Mirabel).
Le
Président (M. Picard) : C'est pour vous indiquer que Mme la
députée Montarville va être ici pour le reste... n'est pas ici ce matin,
mais, cet après-midi et ce soir, elle va reprendre... Je vous avise, tout
simplement. Il ne devrait pas y avoir de problème.
Mme Vallée : ...
Le Président (M. Picard) :
Oui?
Mme Vallée : ...souligner
l'absence d'une collègue.
Le Président (M. Picard) : Je
ne l'ai pas soulignée, j'ai dit qu'elle va être là cet après-midi.
Des voix : Ha, ha, ha!
Le
Président (M. Picard) : Très bonne intervention, Mme la
ministre. Cet avant-midi, nous entendrons la Table de concertation des
organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes.
Mme la
ministre, hier, vous avez indiqué le nom de M. le député de Louis-Hébert, son
nom de famille, et je ne vous ai pas reprise, tout simplement. Je vous
taquine.
Auditions (suite)
Je souhaite la bienvenue à la Table de
concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes.
Je vous invite à vous présenter, dans un premier temps. Vous disposez d'une
période de 10 minutes. Vont s'ensuivre des échanges avec les
parlementaires. La parole est à vous.
Table de concertation
des organismes au service
des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)
Mme
Chouakri (Yasmina) : Bien, bonjour, mon nom est Yasmina Chouakri, je
suis la coordonnatrice du volet femmes
à la TCRI, qui est la Table de concertation des organismes au service des
personnes réfugiées et immigrantes, qui est un regroupement d'à peu près 130 et quelques membres. Je suis
accompagnée de Zenab Sangare, qui est responsable du dossier mutilations génitales au niveau du
Réseau d'action pour l'égalité des femmes immigrées et racisées du
Québec.
Alors, puisque nous avons 10 minutes, je
veux... D'abord, aussi, je voudrais saluer et dire bonjour à Mme la ministre de
la Justice, Mme la sous-ministre en Condition féminine et membres du
gouvernement, aussi les membres de l'opposition. Et voilà. Alors, je me jette à
l'eau.
Dans ce
mémoire, ce que nous avons voulu faire, à la TCRI, c'est vraiment,
premièrement, surtout de démontrer un petit peu les enjeux qui peuvent
entourer ce qu'on appelle des agressions sexuelles et, plus largement, des
violences sexuelles. C'est pour démontrer,
justement, qu'il y a énormément d'éléments dont il faut tenir compte quand on
parle des violences sexuelles subies
par les femmes immigrées et les femmes racisées ou femmes des communautés
culturelles — c'est
comme vous voudrez — et,
parmi ces enjeux-là, les plus importants sont ceux qui sont liés au fait que la
définition même et la méconnaissance au
niveau du Québec pour les nouvelles... les femmes immigrées et racisées qui
arrivent ou les nouvelles arrivantes,
il y a une définition souvent différente en matière d'agression sexuelle. Donc,
c'est une définition souvent plus restrictive. Puis je ne veux pas viser
une communauté ou une autre, c'est la réalité même des choses.
Il
y a aussi beaucoup de tabous qui entourent cette question-là, puis ça, ce n'est
pas propre aux femmes immigrantes,
d'ailleurs, des tabous qui s'accompagnent également de la difficulté de
dénoncer et également la difficulté de dénoncer
qui est souvent en lien avec la peur de la stigmatisation et du racisme. Il y a
une grande méconnaissance des lois et
des droits relativement à cette question-là. Et évidemment il y a des types
d'agression sexuelle ou de violence sexuelle dont nous devons tenir compte et qui sont évidemment... certaines sont
plus importantes que d'autres, et notamment par rapport à la catégorie
des femmes réfugiées, par exemple, ou des revendicatrices de statut de réfugié.
Alors, comme le Québec a des pouvoirs en
matière d'immigration, il peut sélectionner aussi des réfugiées directement
dans des camps de réfugiés — c'est ce qu'on appelle les réfugiées
sélectionnées — qui
souvent sont installées en région pour, disons, conforter la politique de régionalisation de l'immigration,
et ce sont souvent des femmes qui viennent de pays en conflit où le viol
est une arme de guerre très souvent, de plus en plus, dans les conflits
actuels, et également elles sont passées par des camps de réfugiés. Et on sait
aussi que, dans les camps de réfugiés, même si c'est sous l'égide du haut
commissariat aux réfugiés, au HCR, il reste que la... enfin, disons,
l'administration de ces camps de réfugiés fait que les agressions sexuelles au
sein de ces camps sont souvent une monnaie courante qui est dénoncée largement,
d'ailleurs.
Il y a aussi, à
travers les mariages forcés que peuvent subir certaines femmes par tradition
dans certaines communautés et également par
le fait que le parrainage mène et encourage ce type de pratique
traditionnelle... ça instaure et ça
maintient ce qu'on appelle le viol conjugal. Et évidemment, de façon plus
large, on a aussi les mutilations génitales. Et je vais, en deuxième partie, laisser la parole à Zenab
Sangare, qui va pouvoir parler de ce phénomène-là et de dire effectivement comment les femmes... des femmes
immigrées excisées elles-mêmes se penchent sur cette question et elles
ont exprimé leurs besoins. Donc, ça sera l'occasion pour elle de vous en
parler. On a aussi des statuts d'immigration qui
sont en lien direct... comme je l'ai mentionné, par exemple, dans le
parrainage, qui sont en lien direct parfois avec ces situations-là, comme le statut de revendicatrice
de statut de réfugié, de réfugié, de parrainé. Ce sont des statuts sur
lesquels tout de suite on devrait être questionnés. On devrait se questionner
sur le vécu en matière d'agression sexuelle des femmes qui viennent sur ce
statut.
Il y a aussi certains
éléments à prendre en compte. C'est aussi l'état des organismes qui assurent
l'accueil, l'établissement et l'intégration des personnes immigrantes. C'est
que ces organismes-là n'ont pas pour mandat ni de prévenir ni d'intervenir en matière d'agression sexuelle, et c'est là où
les femmes immigrantes sont les plus nombreuses à aller. C'est là. Elles
fréquentent beaucoup plus ces organismes qu'elles ne fréquentent les organismes
de femmes, du mouvement des femmes, malheureusement.
Et l'autre élément
qui nous paraît important dans l'état des lieux, c'est qu'il y a une absence de
collaboration entre ce type d'organismes,
c'est-à-dire les organismes qui font l'accueil et l'intégration des personnes
immigrantes, et les organismes qui travaillent en agression sexuelle.
• (11 h 10) •
Donc, ces deux types,
ces deux secteurs ne se parlent pas beaucoup, ne travaillent pas beaucoup
ensemble. Il y a certainement des
initiatives de temps en temps qui sont valables, mais c'est très peu fait, et
donc les femmes immigrées, du côté des organismes, elles n'ont pas les ressources
en matière d'agression sexuelle, dans les organismes qu'elles fréquentent le plus. Et, dans les organismes qui
s'occupent des agressions sexuelles, on ne reçoit pas suffisamment de
femmes immigrées qui sont susceptibles de vivre ce genre de situation.
Pour ce qui est des
mesures qui ont été proposées, nous voulons juste relever certaines mesures qui
nous paraissaient très intéressantes, la 2, également la 6, et aussi le fait
qu'on déplore par contre le fait qu'il n'y a pas de formation prévue auprès des intervenants des organismes qui font
l'accueil et l'établissement et puis aussi on voudrait souligner aussi
que la mesure 21, qui n'a jamais été mise en pratique, mise en oeuvre... nous
le déplorons également, mais nous déplorons
également le fait que, par exemple, le programme Action diversité du MIDI a
disparu. C'était un des seuls
programmes, justement, qui permettaient de financer des projets liés à la
violence faite aux femmes, de la part du ministère de l'Immigration, puis, au niveau du Secrétariat à la
condition féminine, c'est sûr que le programme À égalité pour décider n'a rien à voir, mais le programme
Initiative de partenariat, lui, n'a pas l'air aussi de se pencher sur des
questions liées à l'immigration, et ça, je le souligne de façon précise. Les
autres mesures sont toutes intéressantes, cependant il y a toujours la question... que ça soit la campagne, que ça soit les
pamphlets de sensibilisation, ce qui est important, c'est que vraiment on tienne compte aussi des femmes
immigrantes allophones ou qui sont souvent moins francisées que les
hommes. Les statistiques les... je ne veux pas vous en sortir, là, mais les
statistiques démontrent bien que les femmes maîtrisent beaucoup moins le
français et souvent aussi beaucoup moins l'anglais, parmi les nouveaux
arrivants.
Alors,
au niveau des recommandations, nous, nous insistons particulièrement sur le
fait que pour le prochain plan d'action
il serait important tout autant de reconnaître l'expertise des organismes en
agressions sexuelles que les organismes qui s'occupent de l'accueil,
établissement et intégration des personnes immigrantes, parce que ces
organismes, ce sont eux qui reçoivent la
majorité des femmes immigrées, et ils sont bien placés également pour
contribuer à enrichir la politique et
le plan d'action; l'importance aussi de financer des structures... disons, des
structures régionales qui permettent le travail en collaboration entre
le secteur des agressions sexuelles et le secteur de l'immigration. C'est
absolument nécessaire que ça travaille ensemble. Je ne veux pas aller dans les
détails, là, sinon je ne vais pas laisser de temps à mon amie...
Une voix :
Je vais brièvement vous parler de...
Mme
Chouakri (Yasmina) : Non, non, attends deux minutes, je veux juste
ajouter encore quelque chose, c'est l'importance aussi de dégager un
budget pour mieux définir, mieux documenter aussi...
Le Président (M. Picard) : ...s'il
vous plaît.
Mme
Chouakri (Yasmina) : ... — oui — bon, et puis d'assurer des formations aux
intervenantes. C'est vraiment des choses très, très importantes. Puis je
laisse la parole... Non, c'est fini?
Le Président (M. Picard) :
Madame pourra intervenir lors...
Mme Chouakri (Yasmina) : Elle pourra
le faire pendant la période...
Le Président (M. Picard) :
C'est ça, durant les interventions avec les parlementaires.
Mme Chouakri (Yasmina) : Décidément,
c'est toujours la même chose. Désolée.
Le Président (M. Picard) :
Mme la ministre, la parole est à vous pour 22 minutes.
Mme Vallée : Merci. Alors,
merci beaucoup, mesdames, pour votre présentation.
Évidemment, vous abordez un enjeu qui est très
important. On a, lors des consultations, discuté de différents dossiers qui touchaient les femmes qui étaient
doublement stigmatisées, et les femmes des communautés culturelles ont
des défis qui leur sont propres.
On n'a pas eu
la chance d'en parler. Dans votre présentation, vous avez abordé un petit peu
la question de toutes les violences
faites aux femmes, faites aux filles, vous avez parlé des excisions, notamment,
des mutilations génitales. J'aimerais
un petit peu vous entendre, parce qu'il s'agit là, oui, d'une violence qui est
souvent taboue, dont on parle peu. Comment
amener les femmes, les familles à dénoncer ce type de pratique, à aller
chercher le soutien nécessaire auprès de la communauté et à sensibiliser aussi la communauté de l'impact de ces
violences-là? Parce que je sais que bien souvent on a tendance... et il
faut toujours faire bien attention aux mots utilisés, mais moi, je vais
toujours me souvenir d'une intervention, et
je crois que ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve était présente à cette présentation que nous avions eue au réseau
des femmes parlementaires de l'APF, où on nous disait et on nous martelait
qu'aucune culture ne pouvait justifier les atteintes à l'intégrité physique des
femmes, des filles. Et c'est encore, malgré tout, un sujet tabou, et les femmes
n'osent pas en parler, n'osent pas dénoncer.
Alors,
comment on peut aider les femmes à dénoncer et à parler de cette forme de
violence là, qui est aussi, souvent, méconnue ici, au Québec, par les
intervenants, par les intervenantes, par les corps policiers?
Mme
Sangare (Zenab) : Merci, Mme la ministre. C'est depuis 2013 que le
RAFIQ — Zenab
Sangare — s'est penché
sur les violences basées sur l'honneur, et un comité qui se rencontre deux fois
par mois a été mis sur place, et ce comité compte une dizaine de femmes.
La majorité des femmes sont excisées, sont des victimes potentielles aussi, et ensemble on a... D'abord, nos premières séances,
c'étaient des témoignages de femmes victimes, et puis ensuite on s'est mis d'accord, on a préconisé... ou fait des
recommandations de sensibilisation, dans les familles, les communautés à
risque. Comme, si je prends la Guinée, par exemple,
on a désigné une femme qui peut aller dans certaines familles guinéennes qui sont à risque à sensibiliser les
parents qui quelquefois amènent les enfants en vacances en Guinée et
puis les font exciser, bien que ça soit illégal au Canada, ici.
Mme Vallée : Donc, je
comprends que vous arrivez, vous identifiez des familles. Et comment se fait
cette intervention-là auprès des familles?
Comment vous abordez cette question-là? Puis est-ce qu'il est possible
d'identifier, préalablement à un voyage, les familles? Comment vous abordez la
question?
Mme
Sangare (Zenab) : Bien, au préalable, on sait que dans certains pays
africains où les 90 % des femmes sont excisées et qu'il y a des milliers de filles qui pourraient être
excisées dans les années à venir... donc on sait que... bien que ça soit un sujet tabou, mais les gens, comme c'est le
poids des cultures et des traditions, même étant au Canada, ils pensent
toujours qu'ils peuvent et qu'il le faut, il faut amener les enfants pour les
faire exciser, les filles surtout, juste pour faire
honneur à la famille, parce que tu... Même ta fille étant née au Canada, ici,
mais quelquefois tu peux l'amener en vacances
dans ton pays d'origine et que ça serait mal vu dans ton pays d'origine que les
filles qui viennent du Canada ne soient pas excisées. Ça ne fait pas...
Mme Vallée : C'est une
pratique qui est encore courante, qu'on retrouve encore...
Mme Sangare (Zenab) : ...interdit
dans beaucoup de pays africains, mais ça se pratique, malheureusement.
Mme Vallée : Comment amener
les victimes de telles pratiques à dénoncer, une fois qu'elles reviennent au Québec? Quel genre d'accompagnement on peut offrir
ou est offert ou qu'est-ce qu'il serait utile de mettre en place pour que ces jeunes filles là ne soient pas laissées à
elles-mêmes lorsqu'elles reviennent de leurs vacances, qu'on puisse les
aider, qu'on puisse dénoncer aussi les adultes qui ont permis de tels actes?
Mme Sangare (Zenab) : Nous, notre
comité, on préconise plus l'information, la sensibilisation, prévenir, intervenir sur la question afin de mettre à jour
et rendre abordable... Nous préconisons de documenter la question afin...
Un instant. Nous préconisons de documenter
la question afin de la mettre à jour et la rendre abordable et compréhensible
pour toutes les femmes concernées en
développant des outils de sensibilisation accessibles à toutes les femmes et
les filles. Il faut également assurer une
sensibilisation des professionnels de la santé et des services sociaux pour
desservir cette population spécifique ainsi que l'ensemble de la population
afin d'éviter la stigmatisation aussi.
• (11 h 20) •
Mme Vallée : Donc, je comprends
que vous travaillez beaucoup, beaucoup la prévention, l'éducation, mais pour les femmes qui souhaitent... et les filles
qui souhaitent dénoncer, est-ce que vous avez développé des liens avec les organismes
qui viennent en aide aux victimes d'actes criminels? Je pense au réseau CAVAC,
aux CALACS. Est-ce qu'il y a eu de l'information et de la
sensibilisation de faites auprès des intervenants et des intervenantes?
Mme
Chouakri (Yasmina) : Bien,
si vous permettez, je vais répondre. Je voudrais juste dire que, dans le
cas des mutilations génitales, c'est un peu comme pour toutes les violences
basées sur l'honneur, c'est très difficile pour les femmes de dénoncer, pour diverses raisons, et notamment,
notamment le fait qu'elles ne sont pas assurées de qu'est-ce qui va leur arrivera après.
La
dénonciation, ça veut dire quoi? Ça veut dire se couper de sa communauté, c'est
perdre tous les liens familiaux, communautaires qu'on a déjà. Et
d'ailleurs c'est pour ça que c'est important, par exemple, que les
organismes... et c'est en voie actuellement
d'être fait au Québec par le travail que nous, nous menons, à la TCRI, sur les
violences basées sur l'honneur, par
exemple, en ayant mis en place un comité intersectoriel mais aussi qui permet
de définir toutes les étapes par lesquelles une victime potentielle doit
passer et comment elle peut être protégée. Il y a aussi tout le travail que
fait Le Bouclier d'Athéna, par ailleurs, qui
fait qu'on arrive à... mais, pour l'instant, par exemple, on n'a pas encore
défini des maisons d'hébergement qui
seraient susceptibles de pouvoir, en ayant toutes les conditions réunies,
recevoir une femme qui a dénoncé...
d'assurer sa protection complète et de lui permettre aussi de se définir dans
l'avenir, d'avoir un projet de vie. Parce
que quitter complètement son milieu, se retrouver sans rien... Ça, les femmes,
là, elles ne dénonceront pas si elles n'ont pas la garantie de cette
confidentialité totale, de cette sécurité totale et de ce projet de vie, qui
leur permet de se dire : Si je le fais,
bien je peux par la suite me retrouver, bien, à pouvoir faire autre chose dans
ma vie en vivant en toute sécurité.
Très souvent, c'est des femmes qui vont devoir changer de ville, changer
d'école si elles sont dans des écoles secondaires ou au cégep. Même à
l'université, ça arrive aussi.
Alors donc,
c'est ça, les conditions de la dénonciation. Et c'est pour ça que je parle de
l'importance que le secteur de
l'immigration et le secteur qui travaille sur les agressions sexuelles ou même
sur les violences faites aux femmes de façon générale puissent faire
faire ce travail de collaboration, parce que les intervenants et intervenantes
qui y travaillent, même malgré tout le
travail qui est accompli par les organismes d'accueil, d'établissement et
d'intégration des personnes immigrantes,
ils font un travail extraordinaire. Mais, ceci dit, les intervenants,
intervenantes ne sont pas préparés sur ces questions-là, ne sont pas
formés, ils ne connaissent pas suffisamment les ressources existantes.
Et, de la même façon, au niveau du secteur
violence faite aux femmes au Québec, du secteur communautaire, il y a aussi une méconnaissance des réalités des
femmes immigrées et de leurs besoins, de l'évolution. Vous savez, dans
les statuts d'immigration, les politiques changent constamment, il y a des
changements qui ont des impacts directs sur la vie des femmes. Alors, tout ça, il faut que ces deux secteurs
travaillent ensemble enfin, parce qu'il faut arriver à ce que les nouveaux arrivants aient l'heure juste, dès leur
arrivée, en matière de loi, en matière de droit, en matière de
ressources existantes.
Il y a des
femmes réfugiées qui arrivent qui ont vécu des agressions sexuelles et qui ne
savent même pas qu'elles vont avoir
des gros problèmes d'intégration, et on ne va jamais comprendre pourquoi elles
ne s'intègrent pas, ces femmes. Ça va même aller jusqu'à une incapacité
d'apprendre la langue, pour vous dire. Et ces femmes-là, tout simplement parce qu'elles ont vécu des choses qu'elles ne...
elles ne savent même pas qu'elles peuvent aller exprimer ces situations
et dire qu'est-ce qui s'est passé, etc. En tout cas, bénéficier au moins d'une
intervention adaptée à leurs besoins qui leur permet,
justement, de dépasser tous ces obstacles, toutes ces situations de violence
qu'elles ont vécues avant d'arriver.
Alors, moi, je pense qu'il est de la
responsabilité du Québec, du fait qu'il s'engage à recevoir des personnes réfugiées, d'avoir aussi les outils pour aussi
accueillir ces personnes-là dans les meilleures conditions et les préparer
à mieux s'intégrer. Je ne considère pas que c'est quelque chose d'énorme à
faire. C'est vraiment ce travail en commun à faire entre le secteur immigration
et le secteur violence faite aux femmes.
Mme Vallée :
En fait, si je peux vous rassurer, je... le travail, du moins, se fait en
étroite collaboration avec ma collègue
ministre responsable du MIDI. J'entends très bien ce que vous nous dites. Ce à
quoi vous faites référence, parce que
vous mentionnez qu'il est important d'offrir aux femmes de l'information,
d'offrir aux femmes les moyens, l'information
sur les formes d'aide, l'information sur les droits... Je sais que Le Bouclier
d'Athéna fait ou a un certain nombre de publications par lesquelles il
vulgarise des concepts.
Mme Chouakri (Yasmina) : ...d'Athéna
ne peut pas répondre à tous les besoins.
Mme Vallée : Non, je
comprends, je comprends, madame. Est-ce que vous voyez là, dans votre
suggestion, une espèce de trousse qui devrait être remise aux réfugiés, aux
femmes qui arrivent au Québec qui ont le statut de réfugié? Comment les rejoindre? Parce que certaines vont vers les
organismes communautaires. Certaines ont le réflexe... ou on les réfère, mais on n'arrive pas à rejoindre
toutes les femmes, malgré la bonne volonté. Alors, quelle serait la
façon d'assurer de rejoindre celles qui sont les plus vulnérables? Parce que
les plus vulnérables, c'est souvent celles qui sont isolées, qui se retrouvent seules chez elles souvent dans un milieu
de violence et dans un contexte de violence et qui ne savent pas comment rejoindre... Alors, est-ce que
ça devrait prendre la forme d'une trousse d'information? Est-ce que ça
devrait prendre la forme d'un accompagnement? Comment faire pour rejoindre ces
femmes?
Mme
Chouakri (Yasmina) : Il faut regarder les portes d'entrée. Les portes
d'entrée des nouvelles arrivantes, c'est
les organismes dont je parlais, puis c'est là qu'il faut absolument former des
intervenants pour que ces intervenantes et intervenants puissent savoir
où diriger les femmes systématiquement, de leur donner de l'information
notamment en termes de prévention, parce que ce n'est pas dans leur rôle de
faire de l'intervention.
Et, ensuite,
ce qui va permettre, justement, à ces intervenants et intervenantes... ensuite,
de diriger les victimes vers les
bonnes ressources. Moi, je pense que c'est fondamental, parce que c'est la
porte d'entrée. Puis il faut faire attention aussi, peut-être, aux trousses. Je ne dis pas que c'est une mauvaise
idée, au contraire, mais je crois que ça doit se faire, parce que, quand les nouveaux arrivants arrivent,
hommes et femmes, on leur donne déjà pas mal de documents d'information, etc. Et ils sont dans des
situations où il faut régler des éléments liés à la survie : logement,
scolarisation des enfants, s'inscrire au
cours de français si nécessaire, aller chercher un travail. Donc, c'est
vraiment sur ces éléments-là que les
immigrants sont axés quand ils arrivent. Ils ne sont pas axés sur d'autres
problématiques. Et je crois que c'est pour ça que ce sont ceux qui les rencontrent le plus longtemps
possible... que ces gens-là soient préparés à leur donner de
l'information, évidemment, possiblement, des documents, possiblement des
ateliers, mais qu'eux-mêmes soient formés aussi à ça, parce que ce n'est pas le cas aujourd'hui. Et on peut avoir affaire à
des intervenantes ou intervenants, pas dans tous les cas, mais pour qui la définition, comme pour les
personnes immigrantes... ne sont pas la même du tout qu'au Québec, et ça
crée des situations vraiment extrêmement
difficiles, même à l'égard des hommes qui ne savent pas que, par exemple,
avoir des propos sexuels des immigrants, parce que ça se fait dans certains
pays d'origine... ou des attouchements, des simples attouchements, ce n'est pas
considéré comme des agressions sexuelles. Or, je pense qu'il faut donner
l'heure juste assez vite.
Mme Vallée : Mon collègue de
D'Arcy-McGee avait une question.
Une voix : M. le député de
D'Arcy-McGee.
• (11 h 30) •
M. Birnbaum : Merci, M. le
Président. Bonjour, Mme Chouakri, Mme Sangare, merci beaucoup pour votre
exposition. C'est des problèmes qui sont très frappants.
Vous avez parlé surtout de l'importance
d'apporter de l'information et de l'entraide auprès des gens qui l'ont besoin, mais par l'entremise des groupes qui sont
sur le terrain, et tout ça, et vous parlez, entre autres... vous ne
l'avez pas mentionné dans vos remarques,
mais le problème que plusieurs des documents, même quand ils sont disponibles,
ne sont pas dans une langue qui est
souvent comprise. Est-ce qu'il y a des partenariats à privilégier où votre
table, à titre d'exemple... où les
leaders des communautés d'origine qui sont déjà installés ici peuvent être
multiplicateurs? Comment vous pouvez
être catalysatrice dans ces deux besoins — d'information et de l'accompagnement — dans
les sujets dont vous avez parlé? On parle de besoins très criants.
Mme Chouakri (Yasmina) : Bien, écoutez,
nous, on regroupe les organismes qui s'occupent de l'accueil, l'établissement et l'intégration des personnes
immigrantes, donc c'est ça, ce qu'on appelle les portes d'entrée des
nouveaux arrivants, et ce qu'on appelle les
nouveaux... c'est sur cinq ans. Alors, je pense que c'est vraiment une période
dans laquelle on peut faire beaucoup de choses. Et, d'un autre côté, on
regroupe aussi des organismes... on va dire, de différentes communautés culturelles qui sont membres, et je
pense qu'il y a des très bonnes initiatives qui peuvent émaner même des
communautés. Je pense qu'il faut aussi encourager ça. Et, d'un autre côté, effectivement,
il y a, au sein du secteur du mouvement des
femmes, tous les organismes qui travaillent en violence qui ont aussi des
regroupements, que ce soit, par exemple, la FEDE, qui est la Fédération
des maisons d'hébergement, ou le regroupement des CALACS. Ce sont des regroupements
qui, eux, travaillent sur la question de la violence faite aux femmes ou des
agressions sexuelles plus particulièrement et qui se penchent aussi... Ce sont
des regroupements qui se penchent depuis un certain temps sur la question des
femmes immigrées.
Alors, il y a un travail qui a déjà commencé
quelque part, mais, en même temps, il reste beaucoup de choses à faire. Je
pense que matcher des organismes, faire en sorte qu'il y ait des organismes de
part et d'autre au niveau régional — et
c'est pour ça que je parlais de structure de secteur — qu'il
y ait des comités permanents, par
exemple, des sous-comités ou des petites structures, là, qui
rassemblent, de façon continue, par
exemple, des représentants aussi
bien du secteur communautaire, de
l'immigration ou des organismes que du secteur des violences faites aux femmes,
qui font que les deux s'alimentent régulièrement et avancent sur cette
question pour donner les meilleurs résultats... et moi, je suis convaincue que
ça permettrait non seulement aux organismes de mieux référer vers les
ressources existantes, parce qu'il y a des
ressources en violence au Québec qui sont extraordinaires, mais cependant ça
pourrait permettre, justement, de
faciliter le passage des femmes vers les ressources qui les intéressent plus particulièrement
parce que des deux côtés on va
adapter les choses, que ça soit du côté du secteur des femmes... enfin, du
secteur d'intervention auprès des femmes victimes de violence en faisant en sorte, par exemple, qu'elles changent
certaines pratiques, qu'elles améliorent certaines pratiques pour faire
en sorte que les femmes immigrées puissent se reconnaître aussi et également du
côté du secteur des organismes
communautaires, de l'immigration. C'est aussi d'être mieux sensibilisés à la
question puis savoir quoi faire quand
on a une femme victime et non pas mettre ça sous le tapis — ça
se fait souvent comme ça — plutôt
aller la référer au bon endroit.
Moi, je pense
que, oui, il y a des possibilités de travailler ensemble et d'arriver à des
choses qui sont plus porteuses pour les femmes, en tout cas.
Le Président (M. Picard) : Il
reste une minute.
M.
Birnbaum : Bon, bien,
écoutez, on est dans un contexte où il y a plein de besoins et pas assez de
ressources, peu importe le sujet, et voilà le sujet d'une importance très, très
réelle.
Je veux
revenir à la question très terre à terre de la traduction. Y a-t-il des
ressources au sein de la communauté peut-être pour aider à rendre
disponibles des documents importants dans une langue d'origine?
Mme
Sangare (Zenab) : Bien, actuellement, rien n'a été fait sur cette question au Québec, ici, et, vu que
c'est un sujet tabou, c'est même difficile même pour ces femmes d'en parler,
même au pays. Donc, le comité, il a fallu mettre beaucoup d'efforts dedans pour
amener ces femmes-là d'abord à témoigner. Et c'est un gros travail. Les faire
parler, c'est difficile, mais
ensemble on a trouvé des solutions. Et elles sont prêtes aussi à aider d'autres
femmes pour qu'on trouve des moyens à
ne pas, au moins, envoyer les enfants qui sont nés ici dans les pays pour les
faire exciser, et trouver un moyen aussi... comment abolir cette
pratique dans les pays.
Le
Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve pour une période de
13 minutes.
Mme
Poirier : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, mesdames. Je vais faire du pouce sur ce
que la ministre a dit tout à l'heure, nous avons participé effectivement à une rencontre au niveau de la Francophonie,
et, lors d'une de ces rencontres, nous avons eu le témoignage d'une
femme d'un organisme de la Côte d'Ivoire qui avait décidé de partir en croisade
dans les villages avec un imam, et que l'imam puisse expliquer qu'il ne
s'agissait pas — l'excision
ou l'infibulation — d'une
pratique religieuse, et que, finalement, ça n'avait pas lieu d'être. Et la réussite de ce
projet-là était vraiment sur le fait qu'une femme pouvait parler aux
femmes et que l'imam allait parler aux hommes, et il y avait
là une espèce de complicité sur le
terrain pour défaire le mythe. Et l'enseignement que ça m'a donné, c'est qu'effectivement
il faut parler aux deux, même chez nous. En
janvier dernier, pas en janvier cette année mais en janvier 2013, nous
avons eu ici un séminaire où même les femmes de la Suisse sont venues nous
dire : Notre gros problème maintenant, c'est l'excision sur les tables de cuisine en Suisse. Alors, on n'est pas à
l'abri de ça chez nous, ici même, où des petites filles qui sont amenées vers les pays d'origine... ça se
pratique à Montréal. J'ai le groupe style coop Afrique avec qui je
partage beaucoup de rencontres, je dirais, où on vient faire
témoigner des femmes et je me rappelle très
bien une jeune femme du Togo qui est venue témoigner pour dire : Mes
parents veulent absolument m'envoyer là-bas, et elle avait au moins le
soutien de son ami de coeur, qui lui disait : Si tu y vas, moi, je ne te
marierai pas. Alors, ça avait réglé la chose. Mais ce n'est pas la dynamique.
Je prendrais aussi à témoin le film Crimes
d'honneur,de Raymonde Provencher, pour lequel elle n'a pas été capable de trouver de cas au Québec parce que
personne ne voulait parler, et pourtant c'est au Québec, c'est la
famille Shafia qui a été un des plus gros
cas de crime d'honneur en tout cas... ou pour lequel il y a eu, finalement,
procès, mais ça a été la première
fois au Canada où on vraiment mis sur la place publique l'existence des crimes
d'honneur. Alors, la violence sur l'honneur, parce que, pour moi, la
violence sur l'honneur, ça inclut les mutilations génitales, ça inclut tout ce
qui se fait au niveau un peu de la
persécution des jeunes filles par le milieu familial dans lequel elles
vivent... et je sais que le Bouclier
d'Athéna a eu, justement, suite à l'affaire Shafia, une somme d'argent de
la part du gouvernement fédéral
pour agir, mais ce n'est pas juste un groupe qui peut agir au Québec, en quelque
part. Et il y a une espèce de voile qu'on se
met dans le visage pour faire semblant que ça n'existe pas. L'infibulation, là,
ça existe à Montréal, là, je veux dire, ça se pratique, là, on a des filles qui y passent, là.
C'est absolument incroyable que des pratiques barbares comme ça
puissent se pratiquer ici, au Québec.
Vous abordez
un sujet qui me préoccupe beaucoup, qui est, entre autres, le viol de
guerre et surtout les femmes réfugiées
de ces viols de guerre. On le sait, que le viol est une arme de guerre dans
bien des pays. Selon vous, et je ne veux pas de pourcentage, là, je ne veux pas qu'on le quantifie, mais, au niveau des femmes réfugiées, quels types de service on va offrir particulièrement
à ces femmes qui viennent d'un milieu où la guerre a lieu?
Si je me
rappelle bien, on a des communautés syriennes, là, qu'on va accueillir dans les
prochains mois. Est-ce qu'on
est prêtes à recueillir ces femmes syriennes là qui peut-être, dans certains
cas, ont été, justement, des victimes de
viol? Lorsqu'on fait, justement, un pont vers un pays en guerre et qu'on offre, justement,
un statut de réfugié à ces gens-là, est-ce qu'il y a des services que l'on met, mais particulièrement pour les
femmes, particulièrement pour les femmes qui auraient pu être
victimes de viol, justement, collectif? Alors, je suis très précise, là, mais
je veux qu'on aille un peu se donner de l'information, là, que vous nous
partagiez ce que vous vivez sur le terrain.
• (11 h 40) •
Mme Chouakri (Yasmina) : Moi, ce que
je voudrais dire concernant ce que nous avons fait, à la TCRI, premièrement,
c'est très difficile d'affirmer l'importance de ces phénomènes-là, leur étendue
parce que ce n'est pas documenté, il
n'y a pas eu de travail fait là-dessus,
et on entend parler de ceci, de cela, de cas, ça reste encore très
vague. Et c'est un besoin justement de documenter un peu mieux cette situation-là.
Tout ce que je peux vous dire, à la TCRI, en
2011 nous avons fait une tournée dans sept régions du Québec pour recenser les besoins des femmes immigrées
dans différentes régions et nous avons rencontré... parce que,
là, il y a les réfugiées
syriennes effectivement qui ont commencé à venir, mais on a aussi... moi, j'ai
rencontré... Dans le cadre de cette tournée, on avait rencontré des femmes qui
venaient de l'Irak, et c'étaient des femmes, la plupart du temps... bien, c'était notamment à Victoriaville,
c'est là que j'en ai rencontré un bon groupe, et il y avait énormément
de difficultés. L'organisme qui est
le comité international des Bois-Francs, qui s'occupe de l'accueil des
immigrants dans la région, avait beaucoup de difficultés à répondre aux besoins. Ces femmes-là, c'étaient
toutes des femmes monoparentales qui étaient passées par des camps de réfugiés, qui avaient des jeunes enfants, qui
ne savaient pas... dont le conjoint ou le mari avait été tué ou avait disparu, on
ne sait pas, on ne sait pas trop, et ce sont des femmes qui avaient, presque
toutes, des problèmes de santé. Et
moi, je pense que, de
la même façon qu'on en parle, d'ailleurs, quand il s'agit des forces militaires, des stress post-traumatiques, ces femmes-là, quand elles arrivent
dans un pays où elles sont en sécurité... et pas seulement les femmes, les hommes, je pense que ça peut être un
élément qui va freiner leur intégration. Le fait qu'on ne reconnaisse pas, par exemple,
qu'elles peuvent avoir un vécu de violence ou de violence sexuelle... déjà, la
notion même de conflit, on sait que ça
entraîne ce qu'on appelle des stress post-traumatiques et qu'il y a
un besoin de suivi psychologique, mais je
pense que, dans les cas des femmes, par exemple, qui peuvent avoir été
victimes de violence sexuelle, il y a quelque chose de plus aussi qu'il faut
traiter.
Moi, il y a
un organisme qui m'a parlé d'une femme qui fréquentait de temps en temps l'organisme mais avec énormément de difficultés, qui n'avait
aucune capacité de suivre les activités, d'aller en cours de francisation, et
il a fallu qu'un lien de confiance se crée,
mais, cette femme-là, ça a pris cinq ans pour qu'elle parle du fait qu'elle
avait été victime de viol, et ce
n'est qu'à partir de ce moment-là, où elle a pu être suivie, que tout s'est
réglé pour elle, c'est-à-dire qu'elle a pu tout simplement aller en cours
de francisation, commencer à chercher du travail, que ça vie commençait,
en fait. Et ça, on ne peut pas le nier, malheureusement, on ne peut pas le nier, c'est une réalité. Et je pense
que, bon, c'est là où il faut faire quelque chose, c'est à ce moment-là.
On ne peut pas se dire qu'on fait venir des réfugiés, puis paf!
Pour ce qui est des réfugiés syriens, c'est absolument
la même chose. C'est démontré que tous les réfugiés syriens qui sont actuellement dans les camps de réfugiés marient leurs filles de façon
précoce, et, notamment, ça, c'est documenté, même pour la Jordanie, par exemple. Et pourquoi? Pour obtenir de l'argent, pour pouvoir faire
vivre la famille. C'est-à-dire qu'on
donne en mariage leurs filles de 12 ans à des personnes âgées de Jordanie qui
les prennent en seconde ou troisième
épouse, et les familles le font, mais elles ne le font pas... et c'est là
peut-être que j'apporterai des nuances, parce que ce n'est pas une
pratique barbare. Ce n'est pas des familles qui l'auraient fait «anyway». Pas
du tout. Ce sont des familles qui le font
parce qu'elles n'ont pas d'autre choix pour s'en sortir, socioéconomiquement
parlant, y compris étant dans un camp
de réfugiés, parce que, dans un camp de réfugiés, ça ne veut pas dire qu'on a
toute la protection, et parfois, même
pour avoir des produits de base, il faut avoir une monnaie d'échange. Et c'est
souvent comme ça que ça se passe avec les différents employés qui
travaillent au sein des camps de réfugiés.
Bien, je ne sais pas si j'ai répondu à
l'ensemble de la question, mais est-ce que je...
Mme Poirier : Je reviendrais
plus... quand je parlais de «barbares», c'est plutôt les mutilations génitales
dont je parle. Si on parle du Québec, en
tant que tel, de la pratique de mutilations génitales au Québec, est-ce que
quelqu'un a documenté, est-ce que les
universitaires ont documenté, est-ce que quelqu'un a écrit là-dessus, a fait
des enquêtes, en tant que tel? Parce
que, je reviens, là, à Crimes d'honneur, au film, on n'a pas été capable
de trouver de témoignages au Québec. On a dû trouver des témoignages à
Toronto, et c'est un film québécois, là.
Mme
Chouakri (Yasmina) : En Ontario, ils sont beaucoup plus avancés sur
cette question-là, et on encourage la dénonciation, mais on a les moyens
d'aider les femmes qui vont dénoncer.
Ce n'est pas
le cas au Québec. Ce n'est pas le cas. Il n'y a aucun élément de sécurité
apparent qui est défini, aucun moyen de sécurité clair, et net, et
défini, c'est-à-dire qu'on ne peut pas dire aux femmes : Écoutez, si vous
le faites, là, dites-vous bien que vous ne risquez rien, c'est fini. Ce n'est
pas assuré. La confidentialité n'est pas encore assurée complètement, parce que ça, c'est un travail, en plus, multipartenarial.
Ce n'est pas un seul organisme qui peut faire ça, c'est vraiment un travail en partenariat pour
faire en sorte qu'on définisse tout un processus pour la victime. Et,
quand les femmes finissent par savoir qu'elles ont cette possibilité,
croyez-moi qu'il y a toujours des forces de changement au sein des communautés et il y a des femmes qui sont
prêtes à le faire, mais elles ne sont pas prêtes — moi, je pense qu'elles ont tout à fait raison — et elles ne sont pas prêtes à le faire à
n'importe quel prix, parce que, si ça veut dire qu'après c'est
l'exclusion totale, bien, écoutez... Si elles se retrouvent aussi dans une
maison d'hébergement où il n'y a aucune sensibilité
à la diversité puis qu'on va sortir des propos à la femme du genre : C'est
dans votre culture de vivre comme ça, croyez-moi
que ça ne marchera pas, parce que... et c'est ça qui empêche aussi la
dénonciation. Moi, je suis convaincue... Et il y a aussi le fait que les
jeunes dans les secondaires et les cégeps ne sont pas assez sensibilisés. Je
pense que, s'il y avait de la
sensibilisation importante au niveau des jeunes, elles seraient préparées plus
tard à se dire : Eh bien, écoute, ça,
effectivement, ce que je vis, c'est une violence basée sur l'honneur, puis je
ne l'accepte pas, parce que je sais aussi qu'il y a des ressources et je
peux me faire aider. Donc, c'est un peu ça qui...
Le
Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à
Mme la députée de Mirabel pour une période de neuf minutes.
Mme
D'Amours : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme la ministre, chers
collègues. Mesdames, merci beaucoup de
votre mémoire que vous nous avez déposé. J'aurais une question : Votre
clientèle, en pourcentage, là, des gens que vous recevez ou que vos
organismes reçoivent... votre clientèle est au Québec depuis combien de temps,
à peu près?
• (11 h 50) •
Mme Chouakri (Yasmina) : Bien, les
organismes qui font l'accueil, l'établissement et l'intégration, donc, qui sont partenaires du MIDI reçoivent les
immigrants dans les cinq premières années. C'est dans les cinq premières
années qu'ils ont droit et accès aux services dans ces organismes-là.
Par contre, bien, à la TCRI, on a aussi d'autres
types d'organismes qui sont membres, on a des organismes en employabilité, on a des organismes de communautés
culturelles qui... On a aussi des organismes de femmes immigrantes qui sont membres de la TCRI. Donc, on a toutes
sortes d'organismes. Moi, j'ai beaucoup parlé des organismes qui font l'accueil des personnes immigrantes, parce que c'est la
porte d'entrée, c'est la porte d'entrée des immigrants. Et, les femmes immigrantes, on a fait un sondage en 2010‑2011
pour vérifier... Effectivement, on a découvert, effectivement, que la majorité des personnes qui fréquentaient
ces organismes étaient des femmes. Alors, on aurait pu penser : Oh!
c'est chouette, c'est bien, elles sont impliquées, mais en réalité elles sont
beaucoup plus nombreuses là parce qu'elles ne sont pas en emploi, justement.
Mme D'Amours : M. le Président...
Le Président (M. Picard) : Allez-y.
Mme D'Amours : Est-ce que la langue
fait partie d'un handicap majeur pour ces parents-là?
Mme Chouakri (Yasmina) : Pour les...
Mme D'Amours : Pour les parents,
pour les femmes, les hommes.
Mme Chouakri (Yasmina) : Ah! bien, certainement,
parce que les femmes, souvent, n'ont pas la priorité. Même si elles viennent comme résidentes permanentes, souvent ce n'est
pas elles en premier qui vont y aller, puisque c'est souvent l'homme qui va avoir la priorité pour retourner en
formation, aller apprendre le français. Mais ça n'empêche pas que c'est déjà bien, parce qu'auparavant c'était beaucoup plus court,
la durée, pour aller prendre des cours de français. Maintenant, c'est possible de le faire sur une
plus longue période puis c'est possible aussi de prendre des cours de français
à temps partiel ou à temps plein.
Cependant,
encore une fois, les femmes immigrantes se retrouvent souvent dans des rôles
traditionnels et même encore plus
traditionnels que dans le pays d'origine parce qu'elles sont aux prises aussi
avec les questions relatives aux jeunes
enfants, à la garde des enfants. Et vous savez qu'arrivées au Québec... Ce
n'est déjà pas facile pour les femmes québécoises
de trouver des places en garderie à prix abordable, mais, pour les femmes
immigrées, c'est encore plus difficile parce qu'il faut qu'elles
comprennent les rouages, etc. Voilà.
Mme
D'Amours : Est-ce que ces gens-là, pour vous, là, avec votre expertise
et selon votre expérience, là, que vous avez à rencontrer tous ces gens-là... Moi, j'aimerais ça vous entendre.
Vous les qualifiez comment, les gestes, surtout sur les... posés sur les
petites filles, là, qui sont excisées? Vous les qualifiez comment, ces
gestes-là, vous?
Mme
Chouakri (Yasmina) : Inadmissibles, inconcevables, tout ce que vous
voulez. Mais je ne veux pas porter de jugement.
Pourquoi? Parce que ça va les empêcher de changer aussi. Alors, je me dis,
c'est inacceptable, c'est inacceptable. Et je vous dirais que c'est pour ça que c'est dommage. Parce que moi,
j'ai discuté une fois avec un père africain qui m'a dit : Ma fille
m'a dit : Papa, si jamais un jour je suis excisée, je te mènerai en cour.
Et sa fille, elle était ici, à l'école au secondaire,
elle avait peut-être 12, 13 ans. Ça veut dire que les jeunes filles, les
filles, quand elles sont sensibilisées tôt sur ces questions-là, eh
bien, elles ne vont jamais laisser faire.
Le poids de la famille, le poids des traditions,
dans certaines cultures, dans certaines sociétés d'origine, fait que... Le problème, c'est qu'il ne faut pas... Si
on porte un jugement, ils vont plutôt se rétracter plutôt que d'avancer
sur la question. Mais tout ce que je sais, c'est que, quand on regarde les
conséquences de l'excision sur la vie des femmes, sur la santé des femmes, ne serait-ce qu'à ce niveau-là, c'est
inacceptable. C'est une pratique patriarcale qui est forte encore, et,
quand on regarde... même quand on dit à des sociétés... En Égypte, ça s'est
fait, il y a des imams qui ont annoncé officiellement
à la population comme quoi ce n'était pas prévu dans la religion, c'était faux
de penser que ça avait un lien avec la religion, mais les Égyptiennes
continuent à se faire exciser. C'est ça. Alors donc...
Mme
Sangare (Zenab) : Et même que, les femmes de mon comité, parfois,
quand je leur demande : Pourquoi vous
avez accepté?, elles se disent : Oui, c'est la même question que je me
pose : Pourquoi j'ai été excisée? Et puis je pose la question : Est-ce que tu aurais... ça à ta
fille? Elle va me regarder, elle dit : Non, jamais de la vie. Elles n'ont
pas de mot pour décrire ce qui leur est arrivé. Surtout, celles qui ont
subi ça à 13 ans, 14 ans, c'est difficile pour elles. Et pour le...
Une voix : ...
Mme
Sangare (Zenab) : ...oui,
qu'elles rencontrent ici des fois, quand elles vont consulter à l'hôpital, la
façon dont l'infirmière la regarde... et, puisqu'elle a quelque chose qui manque là, elles sont frustrées, elles se
demandent : Pourquoi on m'a fait ça?
Mme D'Amours : J'ai encore du temps?
Une voix : ...
Mme
D'Amours : Quels sont les gestes... pas le matériel, pas les
dépliants, les consultations, mais des gestes qui
pourraient faire en sorte que cela n'arrive pas, que ces petites filles, qui
sont excisées... Est-ce qu'il y a des mises en garde, des mesures, des connaissances, des lois qu'ils devraient
obligatoirement apprendre? Est-ce que ça pourrait venir de
leurs communautés? Est-ce qu'on pourrait dire que c'est une obligation envers
ces communautés-là de faire des gestes concrets?
Mme Chouakri
(Yasmina) : C'est certain, c'est certain, mais, en même temps, il faut
que les communautés, certains leaders au
moins puissent être sensibilisés à la question, connaissent eux-mêmes les lois, et les
pratiques, et les ressources et tout
ce qui existe, parce que, quand, dans une communauté, les personnes ne
connaissent même pas... ne savent même pas que, justement, c'est
criminel, par exemple, de commettre ça... et il y en a qui le savent aussi,
mais qui ne mesurent pas l'importance du
geste, puisque... Et ça, c'est prouvé, qu'il y a
des familles qui vont retourner, pendant les vacances d'été, avec les petites filles ou les jeunes filles... ils
vont les faire exciser puis revenir après. Et là il va y avoir un pacte après entre les parents et la fille,
c'est... La fille, elle sait que, si jamais elle dénonce ses parents, ses
parents vont se retrouver à devoir
répondre à la justice. Donc, ici, là, il
y a quelque chose à faire. Mais
moi, je pense qu'il faut beaucoup miser... il faut faire
confiance aux femmes qui l'ont été puis qui ne veulent pas que leurs enfants le
soient aussi. Ça, il y a beaucoup de cas comme ça, et, ces femmes-là, il faut
essayer de les récupérer parce
qu'elles connaissent les
mécanismes à l'intérieur des communautés, comment ça se passe et comment agir.
Et
je crois qu'aussi il
faut insister sur la connaissance de
la loi et sur le fait que c'est un acte criminel et donc qu'il faut mieux faire connaître ça pour dire : Écoutez,
si c'est pratiqué, c'est grave, et voilà, voilà ce qui peut se passer, parce
que...
Et je pense que, là-dessus, rappeler aux gens, même s'il y en a qui le
savent mais qui se disent : Oh! de
toute façon, ça ne va pas se savoir, donc je ne risque rien...
Le Président (M.
Picard) : En terminant.
Mme Chouakri
(Yasmina) : ...de se poser des questions.
Le Président (M. Picard) : Merci. Maintenant, je cède la parole à Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques. Trois minutes.
Mme
Massé : Merci, M. le Président. Bonjour, chers collègues. Bon matin. Bonjour,
Mme Sangare. Bonjour, Mme Chouakri. Merci beaucoup de votre apport à notre réflexion et surtout à faire en sorte que ça ne
se passe plus jamais. On sait que ça
va prendre du temps, mais je pense que vous avez soulevé quelques pistes. Vous comprendrez, j'ai trois minutes, alors
je vais concentrer.
On a entendu ici très
clairement : Cours d'éducation aux relations égalitaires et à la sexualité
de la petite enfance — et là certains disent «jusqu'au secondaire,
ça ne serait peut-être pas mauvais, cégep, université» — dans lesquels on pourrait nommer
clairement les droits, on pourrait aussi ouvrir aux réalités des femmes
immigrantes qui arrivent. Alors, je me dis,
il y a peut-être là une piste que nous, on pourrait garder à la fin. J'entends
aussi : Confidentialité totale, sécurité
totale, projet de vie assuré. C'est quelque chose, et vous venez juste de
mettre le doigt dessus. C'est évident que, si je dénonce que j'ai été excisée et ça veut dire que mes parents vont
faire face à la justice, je vais avoir des impacts, moi aussi, alors. Et j'aime beaucoup entendre aussi
que les femmes qui vivent la situation sont probablement celles qui vont
nous amener les meilleures solutions.
Vous
avez nommé très clairement dans votre mémoire : Ça va prendre de
l'investissement financier, on n'a pas le choix. Alors, là-dessus, je vous laisse probablement les 30 secondes
qu'il me reste pour que vous nous en parliez clairement.
• (12 heures) •
Mme
Chouakri (Yasmina) : Ah mon Dieu! Mais je pense que — notre mémoire le dit bien dans les recommandations — ça serait intéressant vraiment de budgéter,
par exemple, et de prévoir de la formation des intervenants et intervenantes des organismes qui font
l'accueil, l'établissement. C'est fondamental, comme je l'ai dit, c'est la porte d'entrée.
Et je crois que, dans
une optique de partenariat entre le secteur communautaire, l'immigration et le
secteur en violences, il y a possibilité de collaborer pour qu'il y ait une sensibilisation là-dessus
de la même façon que ça doit se faire au niveau des intervenantes du
mouvement des femmes en violence pour qu'elles comprennent mieux les réalités
des femmes immigrées aussi, parce qu'il y a encore des difficultés, et notamment
en région, je le précise. Il y a aussi la sensibilisation
au sein des communautés peut-être à faire relayer par des membres de ces communautés-là,
où l'excision, par exemple, se pratique — ça serait important aussi — puis
la connaissance des agressions sexuelles — attention
ici : où commence une agression sexuelle, où est-ce qu'elle s'arrête,
parce que c'est très différent d'une société à une autre, et on peut avoir des
incompréhensions sur ces questions-là, qui sont... Et il y a...
Une voix :
...
Mme Chouakri
(Yasmina) : Oui. Il y a même des femmes qui, elles-mêmes immigrantes,
n'ont même pas conscience qu'elles subissent une agression sexuelle du fait
que... Voilà. Merci beaucoup. Désolée du dépassement.
Le Président (M.
Picard) : Merci beaucoup. J'ai besoin du consentement, parce
qu'on a excédé un petit peu notre horaire. Donc, ça va pour tout le monde. Il
faut bien consulter les gens. Je vous remercie pour votre apport aux travaux de
la commission.
Et la commission
suspend ses travaux jusqu'après les affaires courantes, soit vers
15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 1)
(Reprise à 15 h 38)
Le
Président (M. Picard) :
À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission
des relations avec les citoyens
reprend ses travaux. Je demande à
toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de
leurs téléphones cellulaires
et de leurs appareils électroniques.
Nous poursuivons les consultations particulières
et auditions publiques sur le document intitulé Rapport sur la mise
en oeuvre du Plan d'action gouvernemental 2008‑2013 en
matière d'agression sexuelle.
J'aurais
besoin d'un consentement pour permettre à Mme la députée de Montarville de
participer à nos travaux pour la fin de la journée.
Une voix : ...
Le
Président (M. Picard) :
Nous entendrons cet après-midi les organismes suivants : la Concertation
des luttes contre l'exploitation sexuelle, Pour les droits des femmes du
Québec et la Fédération des maisons d'hébergement pour femmes.
Je souhaite
donc la bienvenue au groupe la Concertation des luttes contre l'exploitation
sexuelle. Vous disposez d'une période
de 10 minutes pour faire votre présentation. Va s'ensuivre un échange avec
les parlementaires. Dans
un premier temps, je vous demanderais de vous présenter et de faire votre
exposé. La parole est à vous.
Concertation des luttes
contre l'exploitation sexuelle (CLES)
Mme Legault-Roy (Éliane) : Merci.
Merci à vous de nous recevoir aujourd'hui. Comme vous l'avez dit, nous
représentons la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, un organisme
qui célèbre cette année ses 10 ans
d'existence. L'organisme rassemble 50 groupes membres, 150 membres individuels,
tous et toutes désireuses et désireux
d'offrir une alternative à la prostitution aux femmes. Notre travail se décline
en trois principaux volets, soit les services directs aux femmes ayant
un vécu en lien dans la prostitution; la sensibilisation et la formation; ainsi
que les changements sociojuridiques.
Nous
travaillons au quotidien aux côtés et auprès de femmes qui ont vécu dans leur
chair la violence des hommes envers les femmes. Ainsi, une bonne part
des recommandations contenues dans notre mémoire et que nous ferons aujourd'hui sont tirées de la recherche-action Connaître les besoins des femmes
dans l'industrie du sexe pour mieux baliser les services,
une recherche basée sur des questionnaires et entretiens réalisés auprès de
109 femmes ayant un vécu en lien dans l'industrie du sexe.
• (15 h 40) •
Entendre
l'expertise de la CLES, c'est une occasion unique d'entendre ces femmes, et des
centaines d'autres que nous
rencontrons chaque année, qui sont trop souvent écartées des différentes
initiatives de lutte contre la violence des hommes envers les femmes.
Nous le
constatons chaque jour, la violence des hommes envers les femmes constitue un
continuum dans la vie des femmes, un
continuum de violence qu'elles vivent parce
qu'elles sont des femmes. Ce continuum comprend la violence conjugale, les agressions sexuelles, le
harcèlement, l'inceste, le mariage forcé et l'exploitation sexuelle. Une de ces
formes de violence spécifiques, la violence
sexuelle, repose sur une volonté des hommes d'avoir accès au corps et à la
sexualité des femmes et sur un refus obstiné
de reconnaître aux femmes un droit de dire non. L'agression sexuelle, telle
qu'elle est définie dans le plan d'action gouvernemental... en fait,
nous sommes d'accord avec la définition qui a été donnée, mais nous constatons qu'elle échoue à mettre en lumière le
caractère genré des agressions sexuelles. En ce sens, nous préférerions
une définition similaire à celle proposée par le Regroupement québécois des
CALACS, qui souligne que les agressions à caractère sexuel constituent un moyen
de contrôle sur la vie des femmes afin de les maintenir dans des rapports de
force inégaux.
L'autre visage de la violence sexuelle,
l'exploitation sexuelle, repose sur les mêmes bases, c'est-à-dire une conviction qu'ont les hommes d'avoir un droit
d'accéder au corps et à la sexualité des femmes, et ce, sans tenir
compte de leur droit de dire non. Nous proposons
que le plan d'action de même que le gouvernement du Québec se dotent
d'une définition semblable à la nôtre, qui
est elle-même inspirée de celle de l'ONU. Nous définissons donc l'exploitation
sexuelle comme une pratique par laquelle une ou des personnes obtiennent une
gratification sexuelle, un gain financier ou un avancement en usant de la sexualité d'une personne ou d'un groupe de
personnes. L'exploitation sexuelle comprend la prostitution et la
pornographie dans toutes leurs déclinaisons.
Nous avons
présenté dans notre mémoire deux éléments sur lesquels la domination masculine
peut compter afin de normaliser la violence sexuelle envers les femmes,
soit la culture pornographique et la culture du viol.
La
culture pornographique constitue le fait de vivre dans une culture dans
laquelle la porno a infiltré nos vies, nos pratiques sexuelles, nos
standards de beauté et nos attentes envers nos partenaires. C'est un fait que
les images pornographiques ont envahi
l'espace public et que la porno elle-même est plus que jamais accessible grâce
à l'omniprésence d'Internet. Dans la porno, le pouvoir des hommes est
sexualisé, et la violence envers les femmes est vue comme un fantasme bénin déconnecté de la réalité. Pourtant,
les femmes y sont soumises à des pratiques entièrement axées sur la sexualité masculine, sont humiliées et victimes de
violence, et ce, même dans la porno la plus «mainstream». De nombreux éléments cruciaux du continuum de la violence envers
les femmes sont expressément véhiculés dans les films et renforcés dans les films pornographiques, tels que le viol,
les agressions, l'esclavage, l'exploitation sexuelle et la sexualisation
des enfants. Les films pornographiques
contribuent également à déshumaniser, à humilier les femmes et les filles et à
véhiculer des
stéréotypes racistes. Bref, cette culture pornographique renforce non seulement
chez les hommes l'idée qu'ils ont un droit
d'accès constant au corps des femmes, mais contribue à faire pression sur les
femmes et les filles d'être effectivement disponibles, de dégager une
image pornographique et d'être disposées à endurer tout ce qui leur est
demandé.
L'autre élément qui
contribue à normaliser la violence sexuelle, la culture du viol, décrit une
tendance à minimiser, voire à nier l'expérience du viol et à vouloir
réhabiliter, voire excuser les agresseurs. Plusieurs éléments sont généralement... sur lesquels tout le monde
s'entend pour décrire la culture du viol sont la mise en doute du refus
de la victime, qui est aussi appelé viol gris — donc, c'est le
non-consentement de la victime qui est constamment remis en cause; il y a le «victim shaming», ou le transfert
de la responsabilité du viol, soit le fait de blâmer les victimes pour
les agressions qu'elles subissent; la déresponsabilisation des agresseurs, ce
qui fait en sorte que les agresseurs se voient excuser leurs écarts de conduite sous différents prétextes, dont des
besoins naturels incontrôlables; et finalement la notion de «don't get
raped» plutôt que «don't rape», c'est-à-dire qu'on fait également porter le
fardeau aux femmes de la prévention du viol plutôt que de demander aux hommes
de ne pas les violer.
Ces cultures du viol
et cultures pornographiques ont de grands impacts sur la façon dont nous
concevons et nous vivons la violence
sexuelle. Ces cultures laissent croire aux hommes mais également aux femmes que
des dernières veulent avoir des
relations sexuelles avec les hommes quand ceux-ci le veulent et comme il leur
plaît et que, s'il arrive que la
femme semble ne pas vouloir, il suffit d'insister. À force de flouter les
lignes, les femmes elles-mêmes en viennent à ne plus reconnaître la valeur de leur non et à ne plus reconnaître la
violence qu'elles vivent. Elles se remettent elles-mêmes en doute,
banalisent la violence qu'elles subissent et taisent leur mal-être et leur
malaise — une
situation bien pratique pour les agresseurs.
La
culture pornographique et la culture du viol ont également un important impact
sur la façon dont est perçue l'exploitation
sexuelle. Comme nous l'avons vu, la question du consentement flou, comme dans
la notion de viol gris, est soulevée
pour défendre le client dans la prostitution
qui ne fait rien de mal, puisque la personne prostituée a consenti. Ce supposé consentement est également utilisé pour
dérober la personne prostituée du statut de victime de violence sexuelle
et détourner le regard de la société de la
violence que représente l'achat d'actes sexuels. Pour plusieurs, le fait que la
personne prostituée consente à la relation sexuelle en acceptant argent ou
autre suffit à la rendre légitime. Nous croyons que le consentement ne s'achète pas. Le fait que, dans la plupart des cas, les
personnes exploitées sexuellement ne consentiraient pas à la relation sexuelle s'il n'y avait pas
d'argent en jeu ou le fait qu'elles ne désirent pas l'autre personne
démontrent bien qu'il ne s'agit pas là d'un consentement libre et plein.
Finalement, comme on
a vu, le «victim shaming», le fait que les femmes exploitées sexuellement en
sont les porte-étendards. Non seulement on
entend parfois qu'elles ne peuvent être victimes de viol, les personnes
prostituées, mais on entend aussi que, comme
c'est leur choix ou que, comme c'est un métier comme un autre... bien la
responsabilité revient sur leurs épaules
d'avoir fait ce choix. Puisque c'est un choix, comment pourraient-elles s'en
plaindre ou être perçues comme des
victimes légitimes de violence? Tout comme dans la culture du viol, il s'agit
encore une fois de détourner l'attention
du choix et des gestes de l'agresseur — ici,
du client — pour
s'intéresser plutôt à la validité et aux choix de la victime. L'agresseur en matière d'exploitation
sexuelle est excusé par les mêmes besoins naturels, pulsions incontrôlables
évoqués plus haut. On souligne le caractère
respectable de monsieur, le refus de sa femme. On dit : Au moins,
comme ça, il ne viole personne. Ainsi, si on ne peut violer certaines femmes,
on a recours à l'exploitation sexuelle d'autres.
M. Matte (Diane) : Donc, vous l'avez vu, agression sexuelle et exploitation sexuelle, pour
nous, sont deux faces d'une même médaille : la violence sexuelle,
et toutes les deux sont des outils de la domination patriarcale.
Dans le cadre de
cette commission, je voudrais insister plus particulièrement sur l'importance
de se doter, en conformité avec la politique
sur l'égalité, qui date de 2006 et qui reconnaît la prostitution comme une
forme de violence envers les femmes,
effectivement d'une définition commune de l'exploitation sexuelle qui ne peut
pas en aucun cas ignorer la prostitution et la pornographie sans
distinction d'âge, qui en sont les deux principales expressions. C'est d'autant
plus important qu'il y a effectivement une
tendance à vouloir parler d'exploitation sexuelle comme si c'était distinct
de la prostitution, alors que, dans la vie des femmes, c'est, pour toutes
sortes de raisons, une seule et même chose.
Donc, pour nous,
entre autres, quand on regarde le bilan du deuxième plan d'action en matière
d'agression sexuelle, on croit que
l'inefficacité que certaines mesures ont pu démontrer, entre autres, dans la
partie prévention découle, entre
autres, de ce manque de cohésion à la fois dans la définition mais à la fois
aussi dans les projets ou la coordination des projets qui ont été soumis. On a financé 82 projets, mais l'ensemble de
ces projets-là part dans toutes les directions, comme on pourrait dire, et manque honteusement... ou
gravement, en fait, de cohésion et de cohérence. Donc, il est important,
pour nous, que la cohérence des mesures qui
vont être mises de l'avant dans un nouveau plan... que celles-ci prennent en
compte l'expertise des quelques groupes qui
travaillent auprès des femmes étant ou ayant été victimes de l'exploitation
sexuelle.
On parle évidemment,
dans notre mémoire, de l'importance de la similarité des besoins des femmes
victimes de violence sexuelle, qu'elles soient victimes d'agression sexuelle ou
d'exploitation sexuelle. On n'aura pas le temps d'entrer dans les détails, mais c'est clair que la violence sexuelle a
un impact important dans la vie de toutes les femmes, et on parle de
conséquences autant de l'ordre physique que de l'ordre psychologique.
Le Président (M.
Picard) : En terminant, s'il vous plaît.
M. Matte (Diane) : Oui. Et c'est clair que ces conséquences-là font en sorte que les
femmes, malheureusement, se sentent
responsables d'avoir été exploitées sexuellement. Et on compte tout
particulièrement, dans les prochains mois, sur l'importance de l'application de la nouvelle loi sur la protection des
collectivités et des personnes victimes d'exploitation sexuelle qui vient d'être adoptée au fédéral, pour
souligner l'importance, effectivement, que cette loi soit appliquée au
Québec en cohérence avec la politique d'égalité de 2006.
Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole
à Mme la ministre pour une période de 17 minutes.
Mme Vallée :
Merci beaucoup, mesdames, de votre présentation. Ce qui me frappe, c'est à quel
point pour vous il est clair que toute la question de l'exploitation sexuelle
est une partie intégrante de la notion de l'agression sexuelle. Je vous pose la question parce qu'on en a parlé au même titre qu'on a parlé
du lien qui existait entre les violences conjugales et l'agression sexuelle, puisque, dans certains cas
évidemment, il y a de l'agression sexuelle dans un couple, dans
certaines situations, et puis il faut en parler, il faut le souligner.
Vous
arrivez avec une notion bien définie à l'effet qu'effectivement, même dans le
cadre de la vie d'une prostituée, cette femme-là, elle est sujette à
être victime d'une agression sexuelle, et il faut pouvoir le dire, il faut
pouvoir le reconnaître puis il faut pouvoir
le souligner. Donc, il y a un lien important. Est-ce que vous croyez qu'il est
opportun... Parce qu'on travaille sur,
évidemment, un plan d'action en exploitation sexuelle. Croyez-vous qu'il serait
plus à propos d'avoir un grand plan
d'action qui aborde différents volets de l'agression sexuelle ou croyez-vous
qu'il est quand même opportun d'avoir
un plan d'action en matière d'exploitation sexuelle et un plan d'action en
matière d'agression sexuelle?
• (15 h 50) •
M. Matte
(Diane) : Comme on dit d'entrée de jeu, il est un peu difficile de
faire ce choix-là.
D'une
part, c'est clair que, depuis plusieurs années, des féministes ici, au Québec,
et ailleurs dans le monde parlent de
l'importance d'avoir, d'abord et avant tout, une loi contre la violence envers
les femmes, et, pour nous, ce serait le plus fondamental d'avoir une
loi-cadre qui affirme et oblige, évidemment, toutes les structures
gouvernementales, dans ce cas-là, de
reconnaître et d'agir pour contrer... et pour soutenir les femmes qui sont
victimes d'une violence parce qu'elles sont
femmes, que ce soit une violence physique ou une violence sexuelle. Après ça,
comment on le divise, effectivement, dans
les plans d'action, ça peut varier, ça peut se défendre d'en avoir seulement un
comme ça peut se défendre d'en avoir plusieurs.
Ce qui est surtout important, et je pense qu'on n'est sûrement pas les
premières à le dire, c'est qu'il manque désespérément de ressources, autant de ressources physiques que de
ressources financières, pour contrer l'expansion... surtout si je pense à la question de
l'exploitation sexuelle, l'expansion de l'exploitation sexuelle, le soutien aux
femmes qui sont victimes de l'exploitation sexuelle et le soutien aux femmes
qui souhaitent sortir de l'industrie du sexe ou qui souhaitent sortir de la
prostitution.
Et
donc, au-delà d'un plan et au-delà du papier sur lequel sera écrit ce plan-là,
ce sont des budgets, du nouvel argent que nécessite le... La volonté
politique doit se transférer en volonté concrète et financière de soutenir des
ressources qui, effectivement, travaillent au niveau de la prévention et au
niveau du soutien aux femmes, incluant la sortie de la prostitution. Mais la loi... c'est clair que c'est un débat qu'on peut
avoir, mais, pour moi, une loi-cadre contre la violence envers les
femmes... la France l'a fait, la Suède l'a fait, j'aimerais bien que le Québec
le fasse.
Mme
Vallée : Vous avez, comme plusieurs organismes, là, parlé de la
question du consentement. Bien, en fait, puis vous l'abordez d'une façon qui est très intéressante et dont il faut
parler, c'est le droit de la femme de dire non, c'est ça, et un non, c'est un non, et peu importe la relation que
la femme entretient avec l'agresseur; c'est-à-dire, que ce soit le
conjoint, que ce soit le client, c'est non, c'est non.
De
quelle façon pensez-vous qu'on devrait aborder la question du consentement dans
un prochain plan d'action?
M. Matte (Diane) : En fait, peut-être, justement, ce n'est pas par hasard qu'on a utilisé
plutôt la terminologie du droit de dire non, parce que c'est le
corollaire du droit de dire non des femmes.
Les
femmes doivent être d'abord convaincues qu'elles ont ce droit-là, et, dans une
culture pornographique, une culture du viol, c'est ce droit-là qu'on met
en question à un très jeune âge, malheureusement, le droit de dire non à une relation sexuelle. Et ça, c'est sans compter
le fait que, malheureusement, on vit toujours dans un pays où il n'y a
pas un gouvernement ou une école où il n'y a
pas d'éducation sexuelle, et c'est très clair que les femmes doivent savoir,
aussi petites soient-elles, qu'elles ont le
droit de dire non à une relation sexuelle, et, de l'autre côté, on doit
accepter ou dire effectivement aux
garçons qu'il y a une obligation de respecter le fait que quelqu'une ou
quelqu'un, peu importe, ne veut pas avoir de relation sexuelle avec toi.
Parce qu'encore une fois la culture pornographique, la culture du viol créent le mythe que les besoins sexuels des hommes sont
plus grands que ceux des femmes, que leurs pulsions sont irrépressibles
et que, s'ils ne réussissent pas à avoir ce
qu'ils veulent dans l'heure qui vient, ils vont être obligés effectivement
d'agresser sexuellement ou de payer une
femme pour avoir accès à un rapport sexuel. Donc, il faut défaire tous ces
mythes d'une masculinité... ou d'une
sexualité masculine dominante, en fait. Et donc, pour nous, la notion de
consentement doit... et de sous-jacent à ça, évidemment, c'est de
reconnaître qu'à l'intérieur d'une agression sexuelle on parle de rapports
sociaux inégaux entre les femmes et les hommes.
Une
autre inquiétude, vous avez peut-être remarqué, c'est toute la question du
danger de la symétrisation. Le grand défaut
du dernier plan d'action, c'était justement qu'on met tout sur le même pied
d'égalité; toutes les formes d'agression sexuelle. Oui, il y a des hommes qui peuvent être agressés sexuellement,
oui, il y a des garçons qui peuvent être agressés sexuellement, oui, il
y a des personnes, à cause de leur orientation sexuelle, qui peuvent être
agressées sexuellement, mais la violence des hommes envers les femmes, dans une
société où les inégalités sociales, économiques, politiques sont toujours présentes, malheureusement, malgré
tout le travail qu'on a pu faire — hein, nos cheveux blancs le
démontrent bien — demeure effectivement une réalité, et on
doit camper très bien les agressions sexuelles dans une compréhension
des rapports sociaux de sexe, et après ça les actions qui vont en découler vont
être beaucoup plus limpides, selon nous, que ce qui était possible dans le
dernier plan d'action.
Mme Vallée : Je comprends votre
préoccupation. Toutefois, on a eu aussi des groupes qui nous ont fait part... et je pense que les études démontrent que
les victimes sont, oui, majoritairement des femmes, mais il y a aussi
beaucoup d'enfants, et, à l'intérieur de ce groupe-là,
bien, il y a des jeunes garçons qui sont victimes d'agression sexuelle. Et
l'agression sexuelle, c'est un rapport de force entre deux personnes, c'est un
rapport de domination qui n'est pas plus acceptable
à l'égard d'une femme qu'à l'égard d'un homme. Il y a probablement une
orientation différente, suivant qui est la victime, qu'on peut aborder, qu'on peut étudier, mais je vous avoue
bien honnêtement que, pour moi, une agression sexuelle demeure
inacceptable, point, qu'elle soit à l'encontre d'une femme ou à l'égard d'un
homme.
Maintenant,
je comprends très bien que, dans le contexte notamment de l'exploitation
sexuelle et de la prostitution, bien il y a la dynamique hommes-femmes
qui doit être étudiée, mais là-dessus je vous avoue que je demeure à être convaincue de ne pas aborder les agressions envers
les enfants, ne pas aborder les agressions envers les membres de la communauté LGBT, qui sont des victimes aussi de
par leurs différences. En fait, je pense, ce qui ressort beaucoup des
consultations et de ce que nous avons entendu, c'est que ce rapport de force
là, bien souvent il est là en raison de la différence
de l'autre, et la différence de l'autre semble donner raison à certaines
personnes qui vont se dégager de toute responsabilité en portant atteinte
à l'intégrité de l'autre, et ça, c'est préoccupant.
Maintenant,
je suis très sensible aux enjeux que vous avez soulevés quant au consentement
et à la prédominance d'une
pornographie qui semble être normale, qui semble faire partie d'une société
moderne. Ça, c'est préoccupant, oui. Et ça m'amène aussi à l'autre
élément dont je voulais... Croyez-vous que, dans ce mode-là, dans cette
mode-là, où la pornographie est disponible, elle est disponible sur le Web,
est-ce que vous trouvez qu'il y a une banalisation aussi de la violence
sexuelle?
• (16 heures) •
M. Matte (Diane) : Tout à fait.
Mais, pour revenir à l'autre élément, je pense que, oui, effectivement, il faut
reconnaître qu'il y a une diversité dans qui sont les victimes des agressions
sexuelles.
Mais le
prisme qu'on vous propose de prendre, c'est de regarder qui agresse les femmes,
les enfants, et ce sont très
majoritairement des hommes. Et, en prenant effectivement le regard de rapports
sociaux de sexe, ça permet aussi de regarder la violence sexuelle envers
les enfants en ayant ça en tête et en s'adressant effectivement... même si
c'est un anglicisme, en s'attaquant de façon
plus spécifique, à ce moment-là, sur cette idée que, dans une culture
patriarcale, une culture où la domination masculine est érotisée dans la
pornographie, elle est justifiée dans la culture du viol, ça nous appelle, comme société, à dire effectivement : Que ce soit une femme, que ce soit un homme, que ce soit une
personne trans ou homosexuelle, lesbienne,
agresser sexuellement, imposer son pouvoir sur une autre personne est
inacceptable, mais qu'il y a un lien entre effectivement comment les
femmes sont vues et... comment les rapports sociaux, en fait, et les rôles, les stéréotypes. Je pense
que, les hommes qui se permettent d'agresser sexuellement des enfants, il y a
de fortes chances qu'ils ont aussi
des rapports avec les femmes qui sont colorés par l'idée qu'ils ont le pouvoir,
que c'est eux qui détiennent le pouvoir puis qu'ils peuvent décider effectivement
s'ils veulent avoir, s'ils veulent acheter... ce soir, ils veulent acheter une femme, demain ils veulent
agresser un enfant, la semaine prochaine ils vont regarder de la porno,
ils vont consommer de la porno infantile sur le Web.
Mais pour nous ça tient de même... c'est ça,
c'est un prisme par lequel on vous invite à regarder toutes les formes d'agression sexuelle, parce que sinon, si
on les regarde comme des réalités distinctes l'une de l'autre et juste
des rapports de pouvoir entre deux
individus, on se coupe de la responsabilité et la signification collective de
l'existence de la violence sexuelle, qui a un impact sur l'ensemble des
relations entre les femmes et les hommes et qui a un impact sur l'ensemble de l'accès à l'égalité pour toutes les
femmes, petites filles y comprises. Donc, c'est important de regarder
par ce prisme-là, en fait.
Maintenant, par rapport à la violence sexuelle
dans la porno...
Mme
Legault-Roy (Éliane) : Pour
revenir, oui, à la question comme quoi la violence sexuelle était
érotisée... oui, tout à fait, là, je pense que dans le mémoire on donnait
plusieurs exemples, c'étaient des éléments de films pornographiques tout à fait «mainstream», les meilleurs vendeurs, puis tous
les exemples que je nommais étaient, donc, dans les 100 meilleurs vendeurs pour le mois de février puis c'étaient
des films qui glorifiaient l'exploitation sexuelle d'enfants, des films
qui parlaient de violence, justement, de donjon ou d'esclaves, des choses comme
ça. Donc, vraiment, oui. Puis il y a des films qui disaient... dans le titre,
il y avait «violation of someone», donc «le viol de telle femme». C'était
là-dessus que reposait le film. Donc, ça, c'est ce qui est très populaire.
Donc, on ne
parle pas de films de niche que des gens bizarres ou pervers vont regarder,
c'est ce qui est le plus accessible, ce qui est partout. C'est sûr que
ça a un impact sur la vision qu'ont les jeunes garçons qui en plus vont se tourner vers la pornographie souvent comme étant
une forme d'éducation sexuelle, puisqu'ils n'en ont pas d'autre. Donc,
c'est sûr que, si ça, c'est ce qui est présenté comme étant érotique ou
attirant, ça a un impact certain sur la sexualité entre les hommes puis les
femmes.
Mme Vallée : Dans votre mémoire, vous faites appel à des
campagnes qui devraient s'adresser aux hommes. Donc, oui, il y a les femmes
qu'on doit rejoindre, mais on doit rejoindre les hommes. J'aimerais ça vous
entendre un petit peu sur
votre approche sur ce qui devrait être fait face à ceux qui sont, pour la
majorité, des agresseurs.
M. Matte (Diane) : De s'adresser aux
agresseurs directement?
Mme Vallée : Aux agresseurs.
M. Matte (Diane) : En fait, la
proposition, ou la campagne sociétale telle qu'on la voit, elle s'adresse... en
fait, c'est une invitation d'arrêter de
juste regarder ou de considérer que le problème de la violence sexuelle ou la
violence envers les femmes en général est un problème de
femmes. Ce n'est pas un problème de femmes, ce n'est pas un problème que les femmes doivent régler, c'est un
problème qu'on doit au minimum régler ensemble et idéalement que les hommes s'interpellent et fassent... qu'ils soient effectivement mis dans une situation où ils doivent se sentir concernés, pas
juste, eux, de ne pas violer, mais de ne pas laisser d'autres hommes violer,
puisque ce sur quoi les hommes... Qu'on parle
d'agression sexuelle ou d'exploitation sexuelle, les hommes, les agresseurs
comptent, d'abord et avant tout, sur le silence de la victime, parce
qu'elle va avoir peur, pour toutes sortes de raisons que vous connaissez, que
vous avez entendues, et le silence des hommes autour de cet homme qui a agressé
ou qui achète des services sexuels, c'est ce silence-là... et évidemment
l'impunité.
Là, on n'a même pas parlé du traitement
juridique ou du traitement judiciaire des agressions sexuelles ou de l'exploitation
sexuelle. C'est clair que le message, à l'heure actuelle... puis je pense que
la campagne Agression non dénoncée le démontrait très bien, les femmes
considèrent qu'elles n'ont rien à recevoir de soutien de la part de... que ce
soit d'un collègue, que ce soit d'un homme dans leur entourage, ou des hommes en
général, ou de la société ou du système judiciaire, pour se sortir de la situation
dans laquelle elles sont, et, pour nous, c'est ça qui est dramatique.
Et je pense qu'il faut vraiment faire un saut
qualitatif, il faut arrêter de regarder les femmes, puis de faire des
programmes pour les femmes, et
d'inciter les femmes à dénoncer... et de plutôt regarder qu'est-ce qui ne marche pas dans le système
judiciaire, qu'est-ce qui fait que les hommes se sentent capables d'agresser
aussi souvent et aussi impunément que ça, et travailler effectivement à
déconstruire les mythes qui sous-tendent la culture pornographique et la
culture du viol, c'est notre plus grand
devoir. Et, à travers la campagne sociétale, il ne s'agit pas de dire :
Les hommes sont tous des violeurs ou sont tous des gros méchants, mais
de faire bien comprendre... et il y a des messieurs ici qui pourraient
peut-être nous aider, ou d'autres, à,
effectivement, comment joindre les hommes. Mais c'est très clair que le
problème qu'on a, le plus gros problème qu'on a à l'heure actuelle,
c'est que les hommes n'entendent pas ce que les femmes disent.
Une voix : ...
Mme Vallée : En fait, j'étais
pour vous demander si, en matière de prévention, on avait les mêmes approches
pour ce qui est de contrer l'exploitation sexuelle puis l'agression sexuelle.
Est-ce qu'il y a des moyens différents qui devraient être utilisés?
Le Président (M. Picard) : En
30 secondes, madame.
M. Matte
(Diane) : Il y a sûrement
des moyens différents, mais, en même temps, comme elles ont une source
commune, je pense que, si on s'attaque à la source commune, on va avoir tout ce
qu'il nous faut.
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme Matte. Je cède la parole à
Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve pour une période de 10 minutes.
Mme Poirier : Merci, M. le
Président. Bonjour, mesdames. Vous nous parlez d'une... ailleurs il y a une loi
sur la violence envers les femmes. Nous, on
est dans un plan d'action. Selon vous, est-ce qu'on devrait se doter
d'une loi au lieu d'un plan d'action?
Peut-être qu'il en découlerait un plan d'action, effectivement. Et je reviens
avec la proposition de ce qu'on
discute ici : Est-ce que cette loi sur la violence envers les femmes ne
pourrait pas justement être le parapluie de ce qu'on appelle les
violences conjugales, les violences sexuelles et l'exploitation sexuelle?
Est-ce que cette loi-là ne pourrait pas être justement ce parapluie d'accueil?
M. Matte (Diane) : Oui. Par contre,
comme on attend le plan d'action contre l'exploitation sexuelle depuis
longtemps, je dirais : Faisons le plan d'action contre l'exploitation
sexuelle et commençons à travailler sur une loi. Je pense qu'un ne doit pas
venir avant l'autre, là.
Je pense que,
là, on a besoin d'un autre plan d'action en agression sexuelle, on a besoin
d'un plan d'action, de lutte contre l'exploitation sexuelle, mais je
pense que ce serait très, très intéressant de regarder comment on peut arriver
à construire et adopter à l'Assemblée nationale une loi-cadre contre la
violence envers les femmes. Entre autres, la Suède
s'est dotée d'une loi qui s'appelle La paix des femmes et qui a un contenu très
intéressant; la France, la même chose, même
s'ils ont... Il y a toujours des choses à améliorer dans les lois, là, mais
l'esprit est là, et effectivement ça change la façon dont on regarde la question de la violence des femmes, parce
qu'elles sont femmes, et ça change aussi les actions à la fois du
gouvernement, mais à la fois de toutes les institutions, les organismes, les
individus dans la société. Ça donne une poigne beaucoup plus importante qu'un
plan d'action.
• (16 h 10) •
Mme
Poirier : La CLES fait la promotion de ce qu'on appelle
l'approche abolitionniste. Je vais lire le document que vous m'aviez
déjà transmis, qui est l'Appel du 13 novembre, qui est finalement une
déclaration à être signée par des parlementaires. Et je la lis pour le bénéfice
de tout le monde.
Alors :
«C'est par la loi qu'avancera l'abolition de la prostitution. La prostitution
est une violence qui touche en particulier les personnes les plus
vulnérables. Elle est un obstacle à l'égalité entre les femmes et les hommes.
Elle est majoritairement le fait de réseaux
mafieux et de la traite des êtres humains. Le seul modèle ayant fait ses
preuves est le modèle abolitionniste,
qui vise à réduire la prostitution et à permettre aux personnes prostituées de
s'en sortir. L'ambition de ce modèle
n'est pas seulement de réduire la prostitution sur son territoire. La seule
action efficace est une action concertée et conjuguée au niveau
régional, voire international. [Et] pour ces raisons, nous, parlementaires de
différents pays, demandons
une harmonisation des législations nationales et des politiques
publiques pour l'abolition de la prostitution, c'est-à-dire :
lutter résolument et systématiquement contre le proxénétisme et la traite des
humains; dépénaliser ou décriminaliser les
personnes prostituées; renforcer les droits des victimes de proxénétisme et de
traite et accompagner les personnes souhaitant sortir de la
prostitution; responsabiliser les clients et interdire l'achat d'actes sexuels;
interdire toute forme de publicité directe ou indirecte d'offres de services
sexuels; mettre en place des politiques d'éducation à la sexualité et de prévention de la prostitution; promouvoir des
recherches sur la prostitution...» Et là il y a un engagement des
parlementaires.
À
partir de cette déclaration, est-ce que cette déclaration-là pourrait faire
l'objet justement du cadre de la loi, en tant que tel, ou du plan
d'action?
M. Matte
(Diane) : Oui. Par contre, évidemment, nous vivons dans un système
fédéral, le Code criminel relève du fédéral,
donc c'est clair que la loi, pour ce qui est de criminaliser le proxénétisme,
criminaliser l'achat d'actes sexuels,
c'est... En fait, c'est la nouvelle loi que nous avons au fédéral, donc la
loi... Si on adoptait au Québec une loi contre la violence envers les femmes, évidemment ça n'aurait pas d'impact sur
le Code criminel, mais ça permettrait tout de même, je crois, de cadrer l'action. Au-delà de l'action
gouvernementale, en fait, comme vous savez, les lois ont des effets
normatifs aussi, hein, et c'est pour ça
qu'on les adopte, entre autres, et je crois que ça serait un outil qui pourrait
avoir effectivement... Puis il y a certains des éléments de la
déclaration qui peuvent être là. Ce qui est de nature, effectivement, des cours
d'éducation sexuelle, le travail sur la publicité, le travail plus en amont, de
prévention, ce sont tous des éléments qui pourraient faire partie effectivement
d'un plan d'action sur l'exploitation sexuelle et, éventuellement, d'une loi
sur la violence... ou contre la violence envers les femmes.
Mme Poirier :
Comment voyez-vous... Parce que — on le sait, vous nous le dites — on
est dans une culture pornographique. Comment on limite ça? Comment on contrôle
ça, la culture pornographique?
Mme
Legault-Roy (Éliane) : Une excellente question. Je pense que d'abord,
avec la nouvelle loi, entre autres, sur la prostitution, la nouvelle loi
au criminel, il y a, entre autres, un élément sur la publicité pour des
services sexuels. D'abord, le fait que ça ne
soit pas omniprésent dans l'espace public, le fait de pouvoir acheter les
services sexuels d'autrui, ça contribue à diminuer la sollicitation
constante qu'on a dans ce qu'on lit, dans ce qu'on regarde, tout ça.
Je sais qu'il y a des
mesures qui pourraient être prises — mais je ne suis pas tout à
fait au fait si ça a déjà été tenté,
là — par
rapport à l'affichage pour tout ce qui est club de danseuses érotiques, tout
ça, des publicités de femmes nues. Ça pourrait être légiféré, je crois.
De la même façon aussi, il n'y a pas vraiment de norme... en fait, il n'y a pas
d'organisme régulateur au niveau des publicités quant à savoir si elles sont
sexistes, si elles sont hypersexualisées, s'il
y a exploitation du corps de la femme à des fins non pertinentes dans une
publicité. Tout ça, c'est tous des éléments qui, au-delà d'une norme
sociale forte par, justement, des lois mais également par des cours d'éducation
sexuelle, peuvent faire en sorte qu'on ne
vive plus dans l'omniprésence de femmes qui sont dans des positions
pornographiques qui semblent disponibles à
la sexualité qui est uniquement axée vers le désir, le regard masculin. Donc,
tout ça, ça pourrait être des éléments qui aideraient.
Mais évidemment,
aussi, la pornographie, on l'a incluse dans l'exploitation sexuelle, donc, il
faut aussi lutter contre la production de pornographie, je pense, au Québec
puis au Canada. Si on a ce pouvoir-là, la diffusion puis la production de pornographie, si on la voit comme
une forme d'exploitation sexuelle, il n'y a pas de raison qu'on la laisse
se propager, puis se produire, puis se vendre puis s'annoncer publiquement
partout.
Une voix :
Mais...
M. Matte
(Diane) : Mme Poirier, peut-être, pour ajouter : il y a des pays
qui sont allés beaucoup plus loin évidemment
par rapport à la question d'essayer de s'assurer que la pornographie sur
Internet, plus particulièrement, ne soit
pas aussi accessible. L'Angleterre a instauré des processus par lesquels,
plutôt que de faire en sorte... Parce que, vous avez probablement remarqué, ceux qui ont des téléphones cellulaires...
on reçoit même, via nos téléphones intelligents, des propositions aussi, là, de consommation de
pornographie. Et, à mon souvenir, ce que l'Angleterre a fait, c'est qu'elle
a inversé l'obligation : les compagnies n'ont pas le droit d'envoyer de la
pornographie, à moins que la personne qui a l'appareil donne son accord. Donc,
d'inverser le processus, dans le fond. Parce que, là, présentement, tout le
monde le reçoit, que tu le veuilles ou non.
Et ça fait en sorte que tu es obligé, toi, de faire l'appel, de dire :
Oui, je veux recevoir de la pornographie sur mon téléphone. Ça a changé tout
à coup le genre de combien de personnes recevaient de la pornographie. L'Islande est allé beaucoup
plus loin encore en restreignant sur son territoire par je ne sais quel
moyen, parce que je suis loin d'être technologique, l'entrée même des sites
pornos sur leur territoire, là.
Mais je pense qu'on
peut commencer plus humblement. Commençons par questionner en fait l'existence
de cette culture pornographique là, puisque
l'industrie du sexe, l'industrie de la porno, qui est multi, multi,
multimilliardaire, nous l'a vendue et rendue tout à fait banale.
Mme
Poirier : Lorsqu'on parle de la définition de l'agression sexuelle,
vous incluez un peu ce qu'on a vu avec le regroupement des CALACS justement en introduisant qu'est-ce qui était
exploitation sexuelle mais en le ventilant, je dirais.
Une voix :
...
Mme Poirier : Qu'est-ce qu'on
fait avec les danses à 10 $?
M. Matte (Diane) : Bien, les danses à 10 $, depuis le 6
décembre 2014, sont illégales. Les danses à 10 $ sont des achats d'actes sexuels. Et donc, pour moi, il faut
s'assurer que, sur le territoire québécois, comme dans toutes les autres
provinces canadiennes, on criminalise l'achat d'actes sexuels. Donc, selon moi,
on devrait s'attaquer...
Mme Poirier :
...message pour la ministre de la Justice.
M. Matte (Diane) : ...on devrait s'attaquer rapidement aux salons de massage dits
érotiques, où ce sont les bordels de
l'an 2000. Ils pullulent à Montréal, pas juste à Montréal, mais à travers le
monde, malheureusement, c'est la place, au point où il y a des... vous avez peut-être vu ça passer, il y a des
clubs de danseuses qui commencent à se plaindre parce qu'eux autres ont moins de clientèle et ils sont
obligés de fermer parce que les salons de massage prennent toute la
place. Quant à nous, les deux ne devraient pas exister, mais c'est...
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme Matte. Je cède maintenant la
parole à Mme la députée de Montarville pour une période de sept minutes.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Merci, mesdames, pour votre mémoire intéressant, mais triste. Extrêmement triste de constater que des
femmes doivent se prostituer pour vivre, parce que c'est peut-être pour
certaines un choix, mais pour plusieurs elles n'ont pas le choix.
Grande tristesse. Cela dit — vous soulevez plusieurs questions, mais
c'est les réponses qui sont difficiles — qu'est-ce qu'on fait? Quand vous avez dit : Il faut travailler à déconstruire
le mythe qui sous-tend la porno... Puisque, tout comme vous, je considère que ce qu'on trouve sur
Internet depuis les dernières années est absolument épouvantable, mais
c'est de ça que plusieurs, malheureusement, se nourrissent, et même ils
commencent très jeunes, on fait quoi? Vous avez déjà amené des pistes de
solution, donc je ne vais pas vous rembarquer là-dessus, parce qu'il me reste
cinq minutes, mais, depuis 10 ans — l'organisme existe depuis 10 ans — vous travaillez avec une trentaine de
groupes qui oeuvrent auprès des
travailleuses du sexe. Nous, on a constaté depuis quelques jours que, depuis 10
ans, il n'y a pas grand-chose qui s'est amélioré au niveau des
agressions sexuelles.
Dans
le milieu de la prostitution, plus précisément, quel constat fait-on au fil des
10 dernières années qui se sont écoulées? C'est pire? Il y en a plus?
Les femmes dénoncent-elles? Qu'est-ce qui se passe?
• (16 h 20) •
M. Matte
(Diane) : Bon. Par définition, la prostitution ou l'industrie du sexe,
même si tout le monde sait où est-ce que
c'est — particulièrement,
les hommes savent très bien la trouver — en même temps, c'est très difficile
d'avoir des chiffres sur combien de femmes
sont dans la prostitution, combien d'hommes consomment de la prostitution, la
réalité en fait de... C'est ce qu'on a
essayé de faire avec notre recherche, que je vous invite à consulter,
minimalement pour la question de
comment les femmes... la réalité des femmes dans la prostitution, ce qui les a
amenées là, ce qui les maintient dans la prostitution et les besoins
qu'elles ont pour en sortir.
On
a aussi fait un portrait de l'industrie du sexe en 2013 avec nos moyens de
petit organisme communautaire, et on est
obligés de constater qu'effectivement, d'une part, l'industrie du sexe, elle
est partout sur le territoire québécois, elle n'est pas juste à
Montréal, elle prend diverses formes et elle est de plus en plus banalisée.
Elle rentre évidemment par... Un outil comme
Internet leur a permis de faire une expansion énorme, parce qu'effectivement
ils ont coupé quelquefois les intermédiaires, bien que souvent même les
femmes qui se présentent comme indépendantes sur les sites d'agences d'escortes
sont plus ou moins indépendantes.
Mais
donc il y a effectivement des outils où on peut affirmer, même si on n'a
pas des chiffres absolus, que c'est une industrie qui est en
expansion. Et, à cause de l'inaction, je dirais, ou du manque de volonté politique
pour affirmer que l'achat d'actes
sexuels est incompatible avec l'égalité entre les femmes et les hommes ou
l'égalité sociale entre différents groupes
sociaux, on est devant une situation où l'industrie du sexe essaie de se faire reconnaître comme un
marché comme n'importe quel autre, légitime, un travail comme un autre.
On utilise la terminologie de travail. Les centres
de femmes avec qui on a discuté... et les femmes avec qui on travaille au
quotidien, oui, elles vont utiliser le terme qu'«elles s'en vont au travail» parce
que c'est ça qu'elles font, mais
elles ne sont pas des travailleuses
du sexe, elles sont, d'abord et avant tout, des femmes qui ont peu de choix dans leur vie, malheureusement, et qui
ont effectivement des ressources où elles ont eu recours, évidemment...
où on leur proposait l'industrie du sexe pour se sortir de la situation dans laquelle elles étaient. Donc, c'est très important effectivement de
reconnaître qu'on n'est pas devant une industrie comme n'importe quelle
autre.
Mme
Roy
(Montarville) : Revenons aux agressions sexuelles.
Elles en sont victimes au même titre que toute autre femme et elles ont
dans une position de vulnérabilité avec un client. Portent-elles plainte? Si
non, pourquoi?
M. Matte
(Diane) : Bien, premièrement, c'est important de dire que certaines
femmes considèrent qu'elles se font violer
par chaque client, parce qu'il faut voir que le désir n'est pas présent dans
l'acte tarifé, l'acte sexuel tarifé. La situation, c'est que tu es devant une personne qui a besoin de l'argent
puis tu as, de l'autre côté, une personne qui impose ce qu'elle veut à
cette personne-là. Donc, les femmes se retrouvent avec toutes sortes de
situations, mais je vous dirais que
99,9 % des femmes vous diraient que, si elles pouvaient être ailleurs,
elles le seraient... à n'importe quel client qui est devant elles. Et donc c'est important
effectivement de voir combien cette notion d'exploitation sexuelle est
intimement liée à l'agression sexuelle. Ce
n'est pas toutes les femmes qui vont le nommer comme une agression sexuelle,
mais plusieurs le vivent, et surtout, je dirais, celles qui en sont
sorties et regardent l'impact que la prostitution a eu sur leur santé physique,
leur santé psychologique et leur relation avec une autre personne après, entre
autres, leur relation sexuelle, elles disent pas mal toutes : Ça
ressemblait pas mal à un viol payé tout le temps, tout le temps.
Ceci dit, effectivement, quand il y a
des situations d'agression sexuelle et que, les femmes, leur premier
réflexe, c'est d'aller... en fait, peu vont
vouloir aller à la police, parce qu'habituellement, dépendamment du contexte,
elles vont surtout se remettre du rouge à lèvres, remonter leurs bras
puis effectivement passer à autre chose, et quelques-unes vont décider de sortir, mais surtout elles sont
invitées à oublier ce que... parce que sinon elles seraient incapables de
faire le prochain client, puis, dépendamment de la situation dans laquelle
elles sont, elles n'ont pas le choix de le faire, le prochain. Donc, c'est très compliqué pour les femmes de dire qu'elles
ont été agressées sexuellement. Et là on ne parle même pas d'aller à la police. C'est très compliqué
d'aller à la police, pour les femmes. Vous vous imaginez, vous avez
entendu toutes... la semaine dernière et cette semaine, combien les femmes font
face à des préjugés pour avoir été agressées sexuellement parce qu'elles ont
accepté de monter chez un gars, elles ont accepté de prendre un verre, elles ont accepté... peu importe. Bien, les femmes dans
la prostitution, on prend pour acquis qu'elles voulaient. Il a payé, le
monsieur, il a le droit d'avoir ce qu'il veut, et, s'il ne t'a pas payée ou si,
en plus, il t'a agressée, il t'a battue, il t'a violée, il t'a déchiré les entrailles, bien peut-être que c'était de ta
faute. Et c'est visible, c'est visible dans ce que les femmes nous
disent, ce que les policiers leur disent, les commentaires qu'elles entendent
des policiers, c'est visible dans la façon
dont les femmes sont traitées dans le système judiciaire. Si vous avez
l'occasion d'aller à un procès, d'assister à un procès où un proxénète est mis en accusation, c'est affreux d'entendre
les questions de l'avocat de la défense sur cette femme-là et combien on
la place dans une situation où elle est vue comme étant celle qui est la responsable
de la situation. Donc, ça demande énormément de courage pour les femmes d'aller
à la police, énormément de courage.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci. Merci beaucoup.
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme Matte. Maintenant, je
cède maintenant la parole à Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques.
Trois minutes.
Mme Massé :
Merci, M. le Président. Merci, mesdames, pour votre présentation.
Vous
avez amené, en réponse à la question de la ministre et dans votre mémoire,
cette idée de voir tout ce qui est rapport d'exploitation, un rapport de
force, d'exploitation sexuelle, et tout ça, à travers le prisme des rapports
sociaux inégaux entre les hommes et les femmes.
Ici,
à quelques reprises, plusieurs personnes, dont notamment les gens qui
travaillent avec les hommes qui ont été soit victimes dans leur enfance
ou même comme adultes ou qui sont des agresseurs, sont venues nous dire qu'il
ne fallait pas genrer, parce qu'en genrant
on allait échapper quelque chose, dont notamment la violence dont sont
victimes... ou les agressions dont sont victimes ces hommes-là, alors que vous,
vous dites : Non, non, non, au contraire, c'est qu'en prenant ce
prisme-là, si j'ai bien compris, on va même aider à comprendre.
Alors,
j'aimerais ça que vous m'en parliez un peu plus. Et, puisque je n'aurai pas le
temps de revenir... Vous l'avez souligné, on a besoin de ressources,
alors allez-y là-dessus aussi.
M. Matte
(Diane) : En fait, ça serait intéressant de s'asseoir avec ces
groupes-là puis de voir quelle... Parce que,
pour nous, et j'espère que c'est clair dans notre mémoire et dans notre
présentation, ce qui est important, c'est de commencer à regarder et à
questionner qui sont les agresseurs, pourquoi agressent-ils. Donc, le côté
genré, c'est du côté des agresseurs qu'on le
veut. Je ne veux pas non plus qu'on regarde juste... et qu'on regarde juste les
victimes puis qu'on dise : Ah!
c'est les femmes qui sont victimes. Parce que ce que ça donne à ce moment-là,
c'est qu'on regarde... comme on est dans
une société patriarcale, on regarde quelle responsabilité la victime porte. Ça,
on en a assez, là. Ça fait assez longtemps qu'on fait ça, là. Ça n'a pas
marché. Non seulement ça n'a pas marché, mais ça permet encore plus d'impunité
de la part des agresseurs. Regardons les agresseurs.
Et,
comme je le disais, la majorité des hommes qui agressent des enfants, que ce
soient des filles ou des garçons, sont des hommes. Donc, parlons
de : Comment se fait-il que, dans une société qui se dit pour l'égalité, on
génère des hommes qui pensent qu'ils ont le
droit d'agresser des adultes, des hommes, des enfants? Et, pour nous, c'est là
le prisme. Ce n'est pas effectivement... Puis je comprends qu'ils
veulent... puis c'est sûr qu'ils ont besoin de ressources, ils ont besoin
d'avoir des groupes qui travaillent plus particulièrement avec la question des
enfants.
Le Président (M.
Picard) : En terminant, s'il vous plaît.
M. Matte (Diane) : Ce n'est pas cet aspect-là qu'on questionne, mais c'est l'analyse qu'on
porte sur l'agression sexuelle, qui, pour nous, est garante des
solutions qu'on va apporter. Merci.
Le Président (M.
Picard) : Merci. Mme Legault-Roy, Mme Matte, je vous remercie
pour votre apport aux travaux de la commission.
Je suspends quelques
instants afin de permettre aux représentants du prochain groupe de prendre
place.
(Suspension de la séance à
16 h 28)
(Reprise à 16 h 29)
Le Président (M. Picard) :
Nous reprenons nos travaux en recevant le groupe Pour les droits des femmes du Québec. Nous accueillons Mme Michèle Sirois,
présidente, et Mme Guilbault, la vice-présidente. C'est bien ça? Vous disposez d'une période de
10 minutes pour faire votre présentation. Vont s'ensuivre des échanges avec les
parlementaires. La parole est à vous.
Pour les droits des
femmes du Québec (PDF Québec)
Mme Sirois (Michèle) : Merci. Merci
de nous accueillir à cette commission parlementaire, c'est important pour nous.
• (16 h 30) •
Pour les
droits des femmes du Québec, qu'on va appeler PDF Québec, est un organisme
citoyen féministe mixte et non
partisan et qui rassemble plus de
300 membres. Pour PDF Québec, une véritable démocratie ne sera possible
qu'à la condition de réaliser pleinement
l'égalité entre les hommes et les femmes. Nous avons bien regardé le rapport
qu'on devait étudier, et nous avons vu que c'était un rapport qui était
très touffu que le gouvernement a produit, et on ne peut que constater que de
nombreux efforts ont été investis depuis le premier plan d'action en 2001.
Quand on
observe la réalité, on constate que plusieurs progrès ont été accomplis mais
qu'il reste encore beaucoup à faire
pour éradiquer le grave problème des agressions sexuelles. Les chiffres sont en effet
effarants. Par exemple, le rapport révèle qu'il y a, en 2012, plus de 5 000 infractions
sexuelles enregistrées par les corps policiers. Ces chiffres ne sont que
la pointe d'un immense iceberg, comme l'a
montré la campagne des agressions non dénoncées à l'automne passé. Pour
ce qui est du sexe des victimes des
infractions sexuelles, le rapport est
très clair dans les chiffres qui sont donnés, 83 % des victimes sont des filles et des femmes, et,
concernant les agresseurs, 97 % des auteurs présumés sont de sexe
masculin. Ces chiffres se répètent année
après année. La persistance de ces agressions est un frein constant au
bien-être et à la pleine égalité des
femmes. On peut se poser la question : Comment se
fait-il qu'il y ait encore autant d'agressions sexuelles? Un début de
réponse : peut-être qu'il y a, au sein de certains groupes et pour
certaines personnes, un assentiment tacite, une sorte d'omerta qui protège les agresseurs. C'est notamment le cas de la
problématique de l'inceste. Même si l'inceste comporte des conséquences dévastatrices sur les plans
physique et psychologique, il reste caché à cause du mur de silence qui
entoure ce type d'abus sexuels. Nous aurions
apprécié que cette problématique soit abordée dans le rapport.
Malheureusement, ce n'est pas le cas. S'il y
a autant d'agressions sexuelles, c'est aussi que les agresseurs sentent qu'il
est encore acceptable de démontrer sexuellement leur domination sur une
femme. Cette domination découle d'un sentiment de supériorité des hommes sur les femmes, sentiment qui est entretenu
par la culture mais qui est aussi parfois justifié par des préceptes religieux.
On peut se
demander aussi comment il se fait que les victimes d'agression sexuelle
révèlent si peu leurs agressions, et
souvent très tardivement, comme on l'a vu avec l'affaire Ghomeshi et, tout
récemment, avec les accusations contre l'entraîneur
de ski Bertrand Charest. Les victimes, quant à elles, parlent enfin, mais
tardivement, mais surtout elles disent, quand elles parlent, qu'elles craignaient de ne pas être crues.
D'ailleurs, nous voulons souligner que l'usage abusif du terme «présumées victimes» par les médias... ce
terme démontre le climat de suspicion qui entoure les victimes
d'agression sexuelle. Cela n'aide en rien à dévoiler ces crimes.
Il faut
vraiment agir, agir, effectivement, car nulle femme n'est à l'abri d'une
agression sexuelle. Il faut mettre encore plus d'efforts pour
transformer radicalement notre vision des rapports hommes-femmes, un rapport
qui est à la base même des agressions
sexuelles. Pour cela, PDF Québec recommande d'agir sur deux plans :
premièrement, pour faire évoluer les
mentalités, ce qui est davantage développé dans le plan d'action; par contre,
il faut aussi agir sur un certain nombre
de politiques, de lois, de règlements et de façons d'organiser notre société.
Cet aspect-là, c'est des mesures plus structurantes puis moins
développées dans le rapport. Nous avons remarqué ça.
Au niveau des mentalités, entre autres, PDF
Québec endosse totalement les objectifs du plan d'action quant à la promotion
des valeurs fondamentales. À ce chapitre, plusieurs mesures sont intéressantes,
mais leur effet semble marginal, presque annulé par certaines pratiques qui les
contredisent. Exemple, la mesure 1, qui dit de «soutenir la promotion des
rapports égalitaires entre les filles et les garçons au sein du réseau des
services de garde», bien c'est accompagné
effectivement de près de 200 000 $ qui ont été dépensés entre 2008 et
2014 pour une formation, un vidéo, une
grille d'analyse portant sur le sexisme des jouets. Mais qu'apprend-on il y a
une semaine? C'est qu'il y a encore des garderies qui organisent des activités, une journée pour les filles et
les garçons avec des activités complètement différentes : des
frisettes et manucures pour les filles; les garçons : sciences à l'horaire
et films d'action. Ces activités et discours sexistes sont très éloignés de la
promotion des valeurs égalitaires, donc il reste beaucoup de choses concrètes à
faire et à vérifier aussi.
Deuxièmement, au plan des politiques, des lois,
des règlements, il est impérieux que les organisations et les ministères développent une plus grande cohérence.
Prenons l'exemple du cours éthique et culture religieuse. Ce cours comporte
un volet éthique avec lequel nous sommes tout à fait en accord, mais il
comporte aussi un volet de culture religieuse où on s'interdit de critiquer
l'infériorité des femmes dans les religions. On est loin, à ce moment-là, des
objectifs du plan d'action, qui est de favoriser l'égalité entre les hommes et
les femmes. De même, nous demandons à ce qu'il y ait plus de cohérence,
exemple, dans le ministère de la Famille... devrait s'assurer que la pratique
de ses mandataires ainsi que les documents et les activités des différents
services de garde qu'il subventionne respectent en tout temps les principes et
les valeurs d'égalité.
PDF Québec fait aussi plusieurs recommandations
afin de renforcer l'imputabilité des organisations et des ministères. Cette
imputabilité devrait aussi s'appliquer aux organismes sportifs. Ceux-ci, là,
devraient appliquer tant... ils devraient
être imputables tant au plan de la promotion des valeurs d'égalité que de
l'aide apportée aux victimes et à la dénonciation des agresseurs. Il
devrait y avoir, donc, la même imputabilité pour les cégeps ou pour les
universités.
Il y a aussi la
question de la prostitution, qui n'est pas abordée dans le rapport et qui
pourtant est une source d'agressions
sexuelles très forte. Alors donc, nous aimerions d'abord dire que nous avons
accueilli avec grande satisfaction le projet de loi C-36, adopté par le gouvernement
fédéral à l'automne 2014, ce projet de loi, donc, C-36, qui a
décriminalisé les femmes prostituées et
pénalisé les personnes à qui profite le crime, c'est-à-dire les clients et les
proxénètes. Nous nous sommes encore
davantage réjouis de la déclaration de la ministre de la Justice, Mme Stéphanie
Vallée, à l'effet que la nouvelle loi sur la prostitution serait mise en
application. Voilà ce qui va aider, pour nous, vraiment à créer un climat qui va diminuer les conditions, va diminuer les
agressions sexuelles. Prévenir, c'est aussi dépister, dépister les
victimes et dépister aussi les potentiels agresseurs.
À cet aspect-là, vraiment, le plan d'action est très faible au niveau du
dépistage, alors nous demandons qu'il y ait plus de politiques, qu'on travaille
davantage cet élément-là.
Nous
demandons également un plan de sensibilisation de la population. Il y a
quelques jours est apparu dans les médias
qu'en Ontario la première ministre, Mme Wynne, a annoncé un plan de
41 millions sur trois ans pour lutter contre la violence sexuelle.
Eh bien, nous demandons la même chose pour le Québec, au moins la même chose.
Alors, c'est un plan, disait-elle, cette
première ministre, pour modifier les comportements et remettre en question les
normes sociales, que la violence sexuelle est enracinée dans la
misogynie et que ce sont des comportements acquis qu'il faut prévenir.
Puisqu'ils sont acquis, on peut faire quelque chose, qu'ils ne s'installent
pas.
Notre mémoire
également parle, à plusieurs endroits, de la situation des femmes les plus
vulnérables. Entre autres, nous voulons
parler du cas des femmes autochtones et des néo-Québécoises également. Les
femmes autochtones, les données montrent qu'elles sont très vulnérables
et elles sont dans une situation grave. Plus de 1 200 femmes autochtones seraient disparues. PDF Québec
voudrait que le gouvernement soit particulièrement sensible à la
situation dramatique de ces femmes, tout comme le rapporteur de l'ONU qui l'a
fait a demandé qu'il y ait une commission d'enquête
pour qu'on fasse ressortir quelles sont les conditions objectives dans
lesquelles sont les femmes autochtones, qui fait qu'il faut faire attention de ne pas mettre de coupures, savoir où
on doit investir pour pouvoir améliorer... diminuer les agressions
sexuelles.
Le Président (M.
Picard) : En terminant, s'il vous plaît.
• (16 h 40) •
Mme Sirois (Michèle) :
Nous aimerions enfin dire qu'il y a une convention de l'ONU pour l'élimination
de toutes les formes de discrimination à
l'égard des femmes. Le Canada a signé cette convention internationale, le
Québec l'a entérinée. Et qu'est-ce que ça
dit? Nous voulons que PDF Québec recommande de ne jamais invoquer de
considérations de coutumes, de traditions ou de religion lorsqu'on intervient
en matière d'agression sexuelle, que ce soit au niveau de l'intervention psychosociale, judiciaire ou
correctionnelle. L'État devrait voir à assurer la sécurité de toutes les
femmes, de quelque origine qu'elles soient.
Le Président (M.
Picard) : Merci, Mme Sirois. Je cède maintenant la parole à Mme
la ministre pour une période de 14 min 30 s.
Mme Vallée :
Merci beaucoup, mesdames, merci de vos recommandations. Votre mémoire est quand
même substantiel, et vous abordez différents
enjeux. J'ai pris plusieurs notes lors de votre intervention. J'aimerais vous
entendre davantage sur la question de l'imputabilité que vous demandez aux
cégeps, aux universités, le rôle que les maisons d'enseignement ont à jouer, parce que
vous avez fait référence, dans votre présentation, au plan d'action qui a été
déposé il y a deux semaines par mon homologue de l'Ontario. Effectivement, dans le plan d'action, on aborde la question des initiations
sur les campus et de la sécurité des femmes sur les campus.
Est-ce que c'est un
peu à ça que vous faites référence? Et qu'est-ce que vous voyez, si c'est le
cas? Comment devrions-nous aborder cet enjeu-là?
Mme Sirois (Michèle) : Bien, on peut voir que, dans le plan d'action, on
parle beaucoup de sensibilisation, de mesures, donc, pour faire comprendre que ce n'est
pas beau d'agresser, mais on voit qu'il y a une culture du viol — ça a fait
assez scandale à plusieurs reprises — ça revient, supposons, au
niveau des initiations dans les universités ou dans les cégeps. Bien, je pense qu'il va falloir penser comme il est
arrivé à l'université en Nouvelle-Écosse, où on est passé au stade de menace de renvoi d'étudiants. Je pense que, ça, il va
falloir sensibiliser mais qu'il va falloir vraiment prendre des mesures où on va dire comme message général
à tout le monde que les agressions, c'est non.
Alors donc, on voit
que 97 % des auteurs d'agression sexuelle sont des hommes et que là-dessus
il y a 21 %... un homme sur cinq, c'est
un jeune garçon, un mineur. Donc, il faut vraiment envoyer des messages que,
un, les dénonciations, c'est la
dénonciation d'un crime et qu'il va y avoir des mesures, et pas juste de parler
à quelqu'un, mais dire : Oui, il y aura des mesures et des mesures
juridiques, légales également.
Mme Guilbault
(Diane) : Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose par rapport
à l'imputabilité. En fait, pour l'ensemble des organisations — on
parlait aussi des associations sportives — c'est qu'actuellement on a l'impression que c'est comme délégué, c'est à un
autre niveau, un autre étage que ça se passe, et puis, si l'université
ou le cégep a fait sa campagne de
sensibilisation, elle dit : J'ai joué mon rôle, mais on pense qu'elle
devrait... Les institutions devraient être davantage responsables et, si
elles savent qu'il y a des choses qui se passent sur le campus, qu'il y a des actes d'agression qui se passent comme ça,
elles ont une responsabilité, à la limite, une responsabilité civile — je ne suis pas juriste, là — mais donc une réelle responsabilité, et qu'elles ne peuvent pas
s'en laver les mains sous prétexte que c'est l'association sportive ou
la fraternité sur le campus qui a organisé cette activité. Donc, c'est dans ce
sens-là qu'on parle de l'imputabilité en termes de responsabilité.
Mme Vallée : Et de mettre en
oeuvre une politique de tolérance zéro.
Mme Guilbault
(Diane) : Exactement, et de l'appliquer réellement avec des
conséquences.
Mme Sirois (Michèle) : J'aimerais
ajouter également que dans le passé, à cause du fait qu'il n'y avait pas
d'imputabilité, il y a beaucoup d'institutions qui mettaient beaucoup plus
d'énergie à protéger la réputation et qui camouflaient la réputation de leur
institution ou de leur organisme et qui camouflaient... et c'est comme ça
qu'après 20 ans... C'était la situation dans les collèges religieux, hein, les
écoles, les pensionnats, on a camouflé... beaucoup d'autochtones, beaucoup d'orphelins de Duplessis ont témoigné combien
ils étaient victimes. Eh bien, ça, cette culture de l'impunité des
institutions, il va falloir que... On demande que ce soit, dans un futur plan
d'action, une priorité.
Mme Vallée : Dans un autre
ordre d'idées. Vous êtes une organisation féministe, vous prônez les rapports
égalitaires, évidemment. Comment voyez-vous la participation des hommes ou
l'implication des hommes dans la lutte aux agressions sexuelles?
Mme Guilbault (Diane) : PDF Québec
est une organisation mixte. Alors, pourquoi c'est mixte? Ça a été des
discussions, parce que c'était quand même assez nouveau, mais c'est parce que,
si on veut changer les rapports sociaux, il
faut que les hommes s'impliquent réellement. Donc, les hommes ont un rôle à
jouer. Tout à l'heure, même nos prédécesseures, là, la CLES, le
mentionnaient.
C'est que les
hommes sont, parfois volontairement, parfois involontairement, peut-être des
fois inconsciemment, mais complices des agressions qui se commettent. Tous
les hommes ne sont pas des agresseurs. La majorité des hommes ne sont pas des agresseurs. C'est un peu le même
principe que l'association Zéromacho, là, qui a commencé au Québec,
où c'est des hommes qui sont contre la prostitution, donc, des hommes qui ont
un rôle à jouer pour faire en sorte que les rapports d'égalité entre les hommes
et les femmes soient la responsabilité et des hommes et des femmes. Et on pense
que les hommes peuvent jouer un rôle très actif auprès des jeunes hommes évidemment
comme modèles mais aussi dans le discours et
dans la façon de rejoindre les préoccupations des autres hommes. Mais leur
premier rôle est notamment sur le plan de la complicité, c'est-à-dire
que, quand ils sont au courant et qu'ils ne dénoncent pas, ils participent au
maintien de cette culture de domination des hommes sur les femmes.
Alors, oui,
c'est un rôle très important que les hommes maintenant doivent prendre en
charge pour vraiment faire changer les mentalités, parce que, quand on
considère que les agresseurs, c'est quand même 97 % des hommes, bien il y a quand
même un problème pas chez les femmes,
mais chez les hommes, donc dans la culture masculine. Et les hommes sont
les meilleurs peut-être pour parler et faire comprendre que les femmes arrêtent
de s'époumoner puis se le disent entre elles
et que les hommes enfin se sentent responsables pour agir en faveur de
l'égalité et eux aussi, ils vont y gagner au change. Peut-être, nos petits-enfants, nos petites-filles ne
penseront pas en marchant dans la rue le soir que peut-être que l'homme qui marche en arrière
d'eux va les agresser. Si on est dans une culture d'égalité, ce climat
d'insécurité va énormément diminuer.
Mme Sirois (Michèle) : J'aimerais
aussi ajouter qu'à PDF Québec, justement, il y a beaucoup d'hommes qui sont venus tout spontanément nous appuyer, parce
que c'est justement l'impact, le travail à long terme qui s'est fait
par rapport aux femmes qui nous ont précédés, là. Le féminisme a fait
comprendre qu'il n'y a pas juste les femmes qui vont bénéficier de ça mais que
c'est aussi les hommes qui vont être gagnants. Donc, c'est ça, le sens un peu
qu'il y a derrière... l'idée qu'il y a dans
le manifeste de l'organisme Zéromacho. Écoutez, c'est à travers 56 pays dans le monde...
organismes ont signé le manifeste de Zéromacho, parce que les hommes ont
réalisé que c'était tout à fait leur intérêt et
que ces hommes-là sont aussi des pères de petites filles. Alors, c'est facile
de dire : Ah! c'est pour les autres, mais, quand c'est ta petite
fille, quand c'est ta soeur, quand c'est ta nièce avec laquelle tu as un
attachement, les hommes ont pris conscience
que ce n'est pas juste un problème individuel, mais que c'est un problème
collectif, et ils ont le goût de s'engager.
Et on voit vraiment qu'il y a... comme il y a des jeunes pères qui s'occupent
de leurs enfants, qui prennent des congés de paternité, eh bien, on voit
que chez les hommes il y a un changement. Et là-dessus le rapport montre qu'il
y a eu beaucoup d'efforts pour enlever les stéréotypes sexistes.
Mme Vallée : Également, sur
un autre ordre d'idées, vous avez misé... ou vous demandez que des mesures plus musclées soient mises en place pour dépister
non seulement les agresseurs potentiels, mais également les victimes.
Est-ce que vous avez des idées de mesures
qui devraient être mises en place? Est-ce que vous avez imagé ce que
pourrait éventuellement contenir un plan d'action qui aurait cette orientation?
Mme Sirois (Michèle) : Entre autres,
en Ontario, le plan qui vient juste de partir, là, il y a une publicité qui montre... elle fait actuellement... elle vient de
partir, cette publicité, elle est actuellement virale sur les réseaux sociaux, et ça montre que tous les citoyens sont impliqués. C'est-à-dire qu'un peu comme Parents-Secours on a compris que c'est dans le milieu de la proximité que les citoyens, ils
doivent être conscients que, un, on ne peut pas détourner les yeux, deux,
on est responsables, que c'est un crime et qu'on a cette responsabilité-là. Je
pense que, quand les citoyens comprennent que tous
et toutes, dans notre quartier, dans les bars où on va, dans les endroits où on
est dans notre collège... eh bien, qu'on a une responsabilité citoyenne, que ce n'est pas juste une question de
condition féminine, c'est une question de condition humaine. Alors, je pense que, oui, c'est une chose
qui doit être travaillée et qui doit avoir un... En tout cas, nous, on
serait intéressés, c'est sûr, de travailler
sur un futur plan dans lequel on pourrait voir justement des mesures
concrètes. Mais un organisme comme Zéromacho en est un, élément.
• (16 h 50) •
Donc,
précisément, je pense aussi qu'il faut travailler sur le fond, c'est-à-dire les
rapports égalitaires entre les hommes et les femmes, parce que les agressions
viennent d'une mentalité, font partie d'une culture générale où les femmes sont dominées par des hommes. Alors donc,
il faut changer les mentalités, mais il faut changer, donc, avec des
mesures, oui, des mesures où on va signifier aux gens que... tolérance zéro. Un
peu comme sur la route les gens qui assistent à un... qui sont de
non-intervention à personne, hein... il y a un accident, tu n'es pas intervenu,
tu vas avoir un problème, tu dois intervenir. Et la même chose pour les
agressions sexuelles : si tu es témoin, tu dois intervenir.
Mme Vallée :
Parce que vous avez vraiment fait un grand tour d'horizon de la question. Vous
l'abordez sur plusieurs angles. Quels
seraient, selon vous, les trois incontournables? Si vous nous dites : Aujourd'hui, là... vous nous dites, aux parlementaires : Nous, là,
voici les trois éléments à côté desquels vous ne pouvez pas passer, quels
seraient-ils?
Mme Guilbault (Diane) : Bien, spontanément, moi, je serais portée à
dire : D'abord, un investissement dans la sensibilisation
de la population, la cohérence au niveau de promotion des valeurs
fondamentales, il ne faut pas que la main
droite défasse ce que la main gauche a fait, c'est-à-dire qu'on ne doit pas
parler des deux côtés de la bouche. Tout à l'heure, Mme Sirois a parlé
du cours d'ECR, où les valeurs d'inégalité des femmes dans les religions sont
tues, sont négligées alors que, d'un autre côté, on va faire la promotion des
valeurs d'égalité.
Il
faut qu'on soit constants, donc cette cohérence dans le message qui est adressé
à l'ensemble de la population, aux enfants,
à nos intervenants, aux intermédiaires. Et on a parlé aussi, dans notre
rapport, dans notre mémoire, du fait que les gens qui portent des signes sexistes dans leur travail auprès des
enfants portent atteinte à cette égalité entre les hommes et les femmes. Le message n'est pas cohérent. Donc,
une nécessaire cohérence et aussi de la concertation entre les
organisations. Il faut faire en sorte que...
Quand le Conseil du trésor coupe, par exemple — on va donner un exemple très
concret — bien
on voit que ça affecte les ressources qu'on
vient de développer pour la mise en place... par exemple, dans le Grand
Nord, auprès des personnes autochtones ou
les centres désignés pour les victimes, les personnes-ressources ou les
répondantes en matière d'agression sexuelle. Donc, les changements budgétaires
ont des impacts qu'on doit mesurer avant pour faire
en sorte que les mesures, les initiatives qui sont prises sur le terrain ne
soient pas à recommencer à chaque fois qu'il y a un changement de
gouvernement ou à chaque fois qu'il y a un changement budgétaire. Donc, cette
nécessaire concertation et cohésion est très
importante parce que c'est du long terme, et, quand on met en place une
structure ou une mesure qui va peut-être donner des effets, il faut lui
donner le temps d'avoir des effets, et, si elle est coupée au bout de trois
ans, on s'entend qu'on recommence à zéro.
Donc, ça, c'est
vraiment, je pense, très important dans la politique que le gouvernement va
mettre de l'avant, le plan d'action que le
gouvernement va proposer, de faire en sorte qu'on s'assure qu'on garantisse un
long terme, une stabilité dans les
ressources qu'on met en avant, parce que sans ça on va tourner en rond et on va
se retrouver ici dans cinq ans à faire un bilan en disant : Mais
comment ça se fait qu'il y a autant d'agressions sexuelles encore?
Le Président (M.
Picard) : Il reste 1 min 30 s. M. le député de
D'Arcy-McGee, 1 min 30 s.
M.
Birnbaum : Merci, M. le Président. Je sais qu'il ne nous reste pas
beaucoup de temps. Mme Sirois, Mme Guilbault, merci pour votre
exposition très importante sur des questions d'une ampleur très, très sérieuse.
J'aimerais
vous inviter à élaborer. Dans le contexte d'agression sexuelle, d'exploitation
sexuelle, des problèmes très graves, vos recommandations 3 ou 4, on
parle... vous venez de faire allusion à ça, mais à porter des signes sexistes,
et j'essaie de faire le lien qui m'échappe, je ne vous le cache pas, entre ça
puis les problèmes d'agression sexuelle, exploitation sexuelle. Et, s'il reste
quelques secondes, la recommandation 4, où on parle du programme d'éthique et
de culture religieuse, je me demande : Comment ça ne s'insère pas dans la
bataille qu'on partage?
Mme Guilbault
(Diane) : Bien, les agressions sexuelles, je pense que le plan
d'action est très, très, très clair, elles
existent parce qu'il y a des rapports inégalitaires entre les hommes et les
femmes. Donc, ça, c'est la trame de base des agressions sexuelles : les rapports inégalitaires, le sentiment de
domination des hommes sur les femmes, et la promotion des valeurs d'égalité sont parties du plan d'action et
en faisaient partie même antérieurement. Donc, on doit dire continuellement,
le répéter : Les hommes et les femmes sont égaux. Quand il y a des mesures...
Le Président (M.
Picard) : En terminant, s'il vous plaît.
M. Birnbaum :
Un symbole serait une invitation à l'agression sexuelle?
Mme Guilbault
(Diane) : Non, non, le symbole est un symbole d'infériorisation des
femmes, donc c'est un message contraire à l'égalité entre les hommes et les
femmes. Donc, dans ce sens-là, on défait ce qu'on vient de dire à droite :
Vous êtes des égales, puis, d'un autre côté : Non, vous n'êtes pas des
égales.
Donc,
c'est la contradiction entre le message d'égalité entre les hommes et les
femmes qui retarde le fait que la population
va devenir un jour participante de cette vérité, que les hommes et les femmes
devraient être des égaux. C'est dans
ce sens-là. C'est la contradiction entre la promotion des valeurs d'égalité qui
sont la marque de commerce du Québec, il faut le dire, parce que le Québec est connu dans le monde entier pour la
place que les femmes ont pu prendre grâce à différentes politiques qui
ont été mises de l'avant, mais il reste encore des contradictions.
Le
Président (M. Picard) : Merci, Mme Guilbault. Je cède la parole
à Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve pour une période de neuf
minutes.
Mme Poirier :
Merci, M. le Président. Alors, bonjour, mesdames, bienvenue parmi nous.
Écoutez, je
vais faire une petite publicité qui va être une publicité négative, je vous le
dis tout de suite. Vous nous mentionnez dans votre mémoire, entre
autres, la mesure 1, qui était, entre autres, pour soutenir... et la promotion
des rapports égalitaires entre les filles et garçons dans les réseaux de
services de garde, et, on a vu, il y a un montant de près de 200 000 $. La semaine passée, dans une garderie
scolaire, on a vu le truc. Eh bien, je vous l'annonce : dans mon journal local, au collège Maisonneuve, un camp de
jour qui nous annonce une activité pour les quatre à six ans, alors les superhéros et les princesses encore. C'est dans
mon journal cette semaine. Je suis un petit peu en colère. Je vais vous
le dire franchement, je suis en colère. Je
suis en colère qu'on ne comprenne pas encore, qu'on ne comprenne pas encore que
c'est fini, ça, et que malgré... Puis
l'investissement était là, là, l'investissement a été fait, il y a eu du
travail de fait sur le terrain. Mais
ça, c'est dans les services de garde. Et là, dans le fond, il va falloir
étendre ça aux camps de jour, parce que, la semaine passée, ce qui est sorti, c'était justement un
camp durant la semaine de relâche. Alors, c'est comme si, durant le
moment où l'enfant est à l'école ou au
service de garde, c'est correct, mais, dès qu'il est dans un autre module, soit
le camp de jour ou le camp de relâche, eh bien, là, ça ne compte plus.
Alors, c'est un peu désespérant, mais c'est bien la preuve qu'il ne faut pas
arrêter, il ne faut pas arrêter.
À la même
adresse, vous nous parlez des fédérations sportives. Moi, je regardais dans le
bilan... et je veux bien croire que
certains veulent protéger les institutions, mais il y aurait lieu de croire que
certains ont voulu protéger même leurs
fédérations sportives, parce qu'il n'y a pas eu vraiment... Et, on a vu, la
liste — elle est
minime dans le bilan — des fédérations qui ont vraiment agi. Quelques
fédérations ont agi, pas la majorité, et il n'y a pas nécessairement un
programme qui a été jusqu'au fond, je
dirais, des rangs, des équipes de tous sports qu'on a au Québec. Comment vous
voyez une mesure qui nous permettrait justement d'atteindre, là, chacun
des entraîneurs, pas juste dans l'impunité, là, à savoir : Est-ce que vous avez passé le test au poste de police,
là?, mais de passer le message. Parce que ce n'est pas juste d'avoir une
carte... d'aller se faire dire au poste de
police : Oui, cette personne-là n'a pas de passé. On l'a dit, combien de
pourcentage d'agresseurs on a, c'est une
infime minorité des agresseurs qui sont connus et accusés. Le reste, ils l'ont,
l'impunité. Alors, ils sont là sans n'avoir jamais été dénoncés, en tant
que tel, et surtout jamais punis.
Alors,
comment on fait pour mieux atteindre, finalement, pour que le message passe? Et
est-ce qu'on doit adresser le message, un, aux hommes ou, deux, aux
femmes?
Mme Sirois
(Michèle) : Je pense qu'il
faut adresser le message à tout le monde, et c'est là que l'imputabilité
est importante. Imputabilité, ça veut dire aussi des subventions en moins, ça
veut dire des pressions, il faut que ça coûte quelque
chose, pas juste des... Il faut aussi que la réputation soit... de certaines
fédérations, qu'on fasse de la publicité négative aussi, c'est-à-dire qu'il faut que ça fasse mal. Parce
qu'actuellement c'est bien beau, on se gargarise souvent de belles
paroles, mais il faut que ça passe dans les actes, et c'est pour ça que nous
recommandons, entre autres, que ces campagnes-la
se fassent aussi dans les médias, ce qui n'est pas abordé dans le rapport. Les
médias, c'est là actuellement, le cyberespace, où circulent tout un
climat et toute cette culture où on dit : Il ne faut pas que ça sorte du
vestiaire, là, vous comprenez, les gars, là, vous comprenez, les filles, ça
reste ici. Cette culture-là, il faut que ça change, il faut transparence et
imputabilité.
• (17 heures) •
Mme
Guilbault (Diane) : Il faut aussi s'adresser aux parents. Parce que,
on a vu, les parents étaient démunis. Dans le cas des histoires avec la
fédération de ski, les parents se sont sentis démunis. Ils sont partagés avec
la carrière de leur fille dans ce
cas-ci. Et pourtant ce sont les parents qui ont dénoncé l'activité
sexiste dans la garderie à l'école. Donc, les parents commencent à être
sensibilisés, il y a des parents qui sont sensibilisés, mais il faut qu'ils
sachent qu'ils ont un rôle majeur à jouer.
Donc, la
campagne de sensibilisation dont on parlait, qui passe par l'ensemble des
médias, les médias sociaux, elle est vraiment
importante, parce que tous et chacun, on est responsables de ce qui
peut se passer avec nos enfants, avec notre soeur, avec notre mère. On n'a pas abordé la question des personnes âgées parce qu'on a manqué de temps, mais cette dimension-là
aussi est très importante. Donc, nous sommes tous responsables. Et, si ce
message pouvait passer en même temps que le message d'égalité entre les hommes et les
femmes, si tout le monde se sent vraiment
responsable... Il y a eu régulièrement, dans les années antérieures, des messages sur la
responsabilisation autour de la Loi
de la protection de la jeunesse, le
signalement qui est obligatoire pour les intervenants et les professionnels,
mais je pense qu'aussi les gens ont été sensibilisés et connaissent bien
le mécanisme du signalement. Un petit rafraîchissement, ce ne serait pas du
luxe, mais quand même il y avait des
départs, il y avait des choses qui avaient été faites. Je pense qu'il faut
régulièrement... Il n'y a jamais une chose qui est acquise comme la
sensibilisation. Les gens changent, les gens évoluent, les jeunes grandissent, deviennent des parents. Donc, il faut
répéter ce message continuellement, que les gens sont responsables du bien-être des gens autour d'eux. En
Afrique, on dit que ça prend un village pour élever un enfant. Bien, c'est vrai
ici aussi. Ça ne peut pas être seulement
une personne, un parent qui peut faire tout le travail de protection de ses
enfants, il faut qu'il soit capable de compter sur la collectivité et en
particulier sur les adultes à qui ils les confient, notamment quand ils font du
sport ou dans des camps de jour comme le beau que vous nous avez mentionné.
Mme Sirois
(Michèle) : J'ajouterais
aussi que c'est pour ça que c'est important que le ministère,
les ministères puissent vérifier, pas juste avoir des mandataires. C'est
la même chose pour la question de l'immigration, la diversité et l'inclusion, il
y a des mandataires. Avant, il y avait des COFI. Maintenant, il n'y a plus de
COFI, et ce sont des mandataires de
communauté. Mais quand est-ce que le ministère
de l'Immigration vérifie le message
que les mandataires transmettent? Parce que
les parents pauvres... je pense, les plus grands parents pauvres du rapport, du
plan d'action, ce sont
les femmes des communautés qu'on dit des communautés culturelles. Nous
préférons les appeler des néo-Québécoises. Alors,
pour ne pas les stigmatiser et les garder dans leurs communautés, bien il va
falloir que... même chose, que le ministère
de la Famille aille vérifier.
Vérifier qu'est-ce qu'il y a comme activités, bien il faut du
personnel pour le faire, oui, il faut
des inspecteurs. Et, toute la question des services de garde à domicile, elle
est où, la vérification de qu'est-ce qui se passe, O.K.? Alors, on me racontait justement
qu'une... Quand une femme qui a mis son enfant dans une garderie en
milieu familial... la personne est voilée, elle lui a... quand quelqu'un frappe
à la porte, elle demande : Est-ce que c'est papa ou c'est maman?, qu'est-ce
que l'enfant, il comprend? Il
comprend que, ah, un papa puis une maman, ça n'a pas les mêmes règles,
que la gardienne, elle ne se comporte pas de la même façon. Donc, il y a des citoyens
à deux vitesses, on pourrait dire.
Donc, tous ces messages-là, que le ministère de
la Famille vérifie ce qui se passe. Si, ça, il y a des publicités dans les journaux, imaginez tout ce qui peut se
passer dans les garderies en milieu familial. Donc, c'est important,
pour nous, de plus en plus de développer des
CPE et non pas des institutions privées. Alors, pour nous, le bien commun
est une garantie. Donc, pour ça il faut
avoir, établir des conditions objectives qui vont renforcer l'égalité mais qui
vont également prévenir les
agressions sexuelles. Si on n'investit pas pour l'autonomie financière des
femmes, eh bien, ces femmes-là, qui
sont dans des conditions où il pourrait y avoir de l'inceste dans la famille...
c'est connu que plusieurs mères se taisent, parce qu'elles ne savent pas ce qu'elles vont faire avec leurs enfants
si elles déclarent le père. Donc, comme elles ne sont pas autonomes financièrement, les agressions sexuelles
se perpétuent dans la famille. Donc, les conditions objectives, c'est
là-dessus qu'on recommande de travailler beaucoup.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Pour une période de 5 min 30 s, Mme la députée de
Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Oh! c'est encore plus court. Merci, M. le
Président. Mmes Sirois, Guilbault, merci, merci beaucoup pour votre
mémoire. La ministre disait «c'est touffu», et à juste titre c'est important de
dire pour les gens qui nous écoutent que
vous êtes et sociologue et anthropologue. Donc, je trouve que vous nous
apportez un éclairage qui est extrêmement important. Et vous avez
dit — et
là je cite : La misogynie est un comportement acquis qu'il faut prévenir.
Alors là, il y a une piste de solution intéressante, parce que vous dites
aussi : Il faut changer les mentalités.
Je vais parler à l'anthropologue et à la
sociologue. Changer les mentalités, prévenir cette misogynie, faire qu'elle
soit de moins en moins présente dans notre société... Ça prend combien de
temps, changer les mentalités, puis qu'est-ce qu'il faut?
Mme
Guilbault (Diane) : Bien,
regardez où les femmes sont rendues et pensez à Claire Kirkland-Casgrain,
qui a dû lutter pour rentrer à l'Assemblée nationale sans son chapeau. C'était
en 1964. Donc, ça prend un peu de temps, mais
ça se fait et ça se fait de notre vivant. Nos mères ont connu l'époque où elles
ne pouvaient pas signer de chèque et elles ont été très heureuses de
pouvoir le faire. On a connu le temps où on devait prendre le nom de notre
mari : on n'était plus «Mme Diane
Guilbault», mais «Mme Marcel quelque chose». Et ça, c'était en 1981. Il y a
des grands pas qui ont été faits, il y a des grandes avancées qui ont
été faites. Bon, il y en a qui vont s'en plaindre, mais il y a des filles qui
sont en médecine, alors qu'elles en étaient
absentes totalement, il y a des
filles qui sont en droit — donc, Mme Vallée le sait, donc, vous-même aussi.
Donc, il y a vraiment eu des avancées
spectaculaires en un demi-siècle. Bon. Là, on est un peu pressés, on commence à être tannés, parce que les agressions
sexuelles, ça n'a pas l'air de bouger beaucoup, là, c'est comme la bête
solide qui dort, là, qui ne peut pas être changée, mais je pense que, s'il y
avait vraiment un coup de barre solide, qu'il y
avait vraiment un message extrêmement clair, un investissement réel en argent,
en ressources et en messages, en messages réguliers, répétés, réitérés
pour l'égalité entre les hommes et les femmes et sur le fait que c'est
inacceptable... Les agressions sexuelles
sont inacceptables. Tout à l'heure, la CLES le disait très bien, il n'y a pas
ça, des besoins irrépressibles, ça
n'existe pas. Bien, ça, si ça se dit, ça se répète, si les hommes entre eux
sont solidaires de cette égalité entre les hommes et les femmes et ils
le disent et mentionnent leur désaccord total et leur réprobation et qu'ils dénoncent
les situations d'agression sexuelle — bon, je ne donnerai pas de date, parce que
je pourrais perdre mon argent, là — mais je pense quand même qu'il y a de l'espoir pour changer les
choses. Il y a une féministe française qui est venue cet automne, qu'on a
invitée à venir, qui a signé un livre qui
s'appelle Chaque matin, je me lève pour changer le monde. Bien, je pense
qu'il faut garder ça quand même comme espoir, parce que sans ça on va
rentrer chez nous puis on ne fera plus rien.
Mme Roy
(Montarville) : J'aime beaucoup votre mémoire, et vous
apportez effectivement des lueurs d'espoir, et ce qui me surprend, c'est que vous êtes seulement le deuxième groupe qui
nous dit : Il faut investir auprès des agresseurs. C'est votre recommandation n° 12. Vous
recommandez d'«investir les ressources nécessaires dans l'intervention
auprès des agresseurs et des jeunes
présentant un profil de risque». Pourriez-vous élaborer là-dessus? Parce que
moi, je pense que c'est le noeud du problème et il faut y consacrer des
énergies, et pourtant très peu de personnes en parlent. Pourriez-vous élaborer,
je vous prie?
Mme Sirois (Michèle) : Oui. Il faut
éviter les récidives. Il y a des organismes, des groupes communautaires, et,
pour nous, les groupes communautaires sont très, très importants pour agir,
c'est eux qui sont à la proximité des personnes
concernées. Alors, il y a des groupes... entre autres, il y a deux jours, il y
avait, dans Le Devoir... la première page était sur un organisme d'accompagnement, le cercle
d'accompagnement, de soutien pour des hommes qui sont des délinquants sexuels. Eh bien, est-ce qu'on va les
retourner dans la communauté sans accompagnement? Je pense qu'on s'en va
direct dans les problèmes. Et toute femme est susceptible... et homme aussi est
susceptible d'être attaqué, parce qu'il n'y a pas que des femmes qui sont
attaquées.
Alors
donc, cette culture de violence et la pornographie maintenant touchent aussi
des hommes. Alors, il faut garder les montants d'argent... Il va y avoir,
j'espère, pas de coupure budgétaire pour comprendre que, si on fait une commission parlementaire sur la question des
agressions sexuelles, il ne faut pas fermer les yeux sur les budgets que
ça demande. Budget d'austérité, là, eh bien,
il faut voir à bien dépenser son argent, mais là-dessus ça fait qu'on va
épargner des sous, parce que ça coûte cher, un délinquant sexuel en prison. Ça
coûte moins cher qu'un groupe communautaire s'en occupe.
Mme Roy
(Montarville) : Je voudrais vous amener aussi sur le
domaine juridique. Vous avez des recommandations, entre autres, au
niveau de la prescription, pages 24 et 25 de votre mémoire. Qu'est-ce que vous
demandez à l'égard de la prescription pour porter plainte contre un agresseur?
Mme
Guilbault (Diane) : Alors, on a appris dans le cadre de nos lectures
autour de ce sujet, bon, que, le Code criminel, bon, il n'y avait pas de
prescription au niveau du criminel mais qu'au niveau civil la loi avait été
changée, je pense, il y a deux ans ici, au
Québec, puis on avait augmenté la période de prescription à 30 ans. Mais on
voit, là, avec l'histoire des jeunes
qui étaient victimes de l'entraîneur au Québec que ça remonte même à 25 ans,
bon, 25 ans. Là, c'est sorti maintenant, mais peut-être que ça serait
sorti dans 35 ans, puis là l'entraîneur, il n'a plus rien, il n'est plus... au
civil, on ne peut plus rien faire.
Ça nous semble assez important
de signifier l'importance de l'agression, comment c'est un crime grave...
• (17 h 10) •
Le Président (M.
Picard) : ...s'il vous plaît.
Mme Guilbault
(Diane) : ...en faisant en sorte d'éliminer la prescription au civil.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, madame.
Le Président (M.
Picard) : Merci. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques,
trois minutes.
Mme Massé :
Merci. Merci pour votre présentation. Vous avez fait état, dans votre mémoire,
des... vous avez parlé des femmes
autochtones. Vous avez dit, dans le
fond, que le gouvernement du Québec devrait faire pression. Je peux vous en assurer, c'est déjà
fait, et je pense que les femmes parlementaires particulièrement, on était préoccupées par cette question-là.
Est-ce que
vous croyez que le gouvernement du
Québec, sur sa propre base, face à
ça, pourrait faire quelque
chose?
Mme Sirois (Michèle) : Bien, dans notre mémoire, entre autres, on demande qu'il y ait cohérence. Entre autres, toute la question
du Plan Nord, les femmes autochtones vont être parmi celles...
il y a tout un problème de fragilité au niveau économique, social, et
elles se retrouvent souvent dans une situation où elles... pour finir les fins
de mois, les femmes autochtones sont obligées de faire... obligées, entre
guillemets, là, font de la prostitution.
On
voudrait justement qu'on regarde l'impact de grandes politiques au niveau de
tout le Québec, voir quel est impact
sur... Donc, un peu, c'est ce qu'on demande, la même chose, qu'on mise sur des
analyses différenciées selon les sexes, c'est-à-dire qu'avant de mettre
des politiques, exemple le Plan Nord, on regarde est-ce que ça a un impact sur les femmes. Et ça, c'est une obligation
gouvernementale et c'est à travers ça... C'est pour ça que, dans notre
mémoire, on demande, entre autres, à la ministre responsable de la Condition
féminine que ces analyses différenciées selon les sexes... et ça devrait être la même chose sur l'impact sur des
clientèles vulnérables, comme les femmes néo-québécoises, réfugiées,
immigrantes, également les femmes des communautés autochtones. Eh bien, avant,
voir quel est le prix... combien on va
gagner d'avoir une politique comme ça mais combien, de l'autre côté, ça va nous
coûter en dégât social. Et, quand on
regardera ça... Exemple, sur les garderies, c'est très, très important, ça
permet aux femmes d'être plus autonomes. Il y a des études qui ont
montré ce que ça rapportait : si ça coûtait 100 $ au gouvernement
pour avoir un système de garderies à faible
taux et universel dans les garderies à 7 $, eh bien, si ça mettait... ça
coûtait 100 $, ça rapportait 104 $, et ça, c'est exactement...
ça a été fait par des économistes comme Pierre Fortin puis Luc Godbout,
spécialistes en fiscalité. Donc, ils ont
montré que plus de femmes vont travailler. Mais, si plus de femmes vont
travailler, c'est plus de femmes autonomes, plus de femmes qui ont les
moyens pour se défendre contre les agressions.
Le
Président (M. Picard) : Merci. Donc, Mmes Guilbault et
Sirois, je vous remercie pour votre présentation.
Et je vais suspendre
quelques instants afin de permettre au prochain groupe de prendre place.
(Suspension de la séance à
17 h 13)
(Reprise à 17 h 16)
Le
Président (M. Picard) :
Nous reprenons nos travaux en recevant les représentants de la Fédération des
maisons d'hébergement pour femmes. Vous disposez d'une période de 10 minutes
pour faire votre présentation. Vont s'ensuivre des échanges avec les
parlementaires.
Dans un premier temps, je vais vous
demander de vous présenter, mais, dans encore un premier temps, je vais demander à mes collègues parlementaires un
consentement pour finir un peu plus tard que 6 heures. Donc, ça va
pour tout le monde? Allez-y, mesdames, la parole est à vous.
Fédération des maisons d'hébergement pour femmes (FEDE)
Mme
Monastesse (Manon) : Alors, bonjour. Manon Monastesse, de la
Fédération des maisons d'hébergement pour femmes.
Mme
Bigaouette (Mylène) : Bonjour. Mylène Bigaouette, également de la Fédération
des maisons d'hébergement pour femmes.
Mme Monastesse
(Manon) : Alors, bonjour, Mme la ministre, Mme Ferembach, M. le
Président, Mmes et MM. les députés.
La Fédération des
maisons d'hébergement pour femmes regroupe 36 maisons d'hébergement pour
femmes violentées vivant de multiples problématiques sociales à travers le
Québec. Alors, nous recevons des femmes et des enfants qui sont victimes de
violence, non seulement de violence conjugale et familiale, mais de multiples
formes de violence, des femmes qui sont victimes de la traite, d'exploitation
sexuelle et d'autres formes de violence.
Mme Bigaouette
(Mylène) : Donc, pour notre fédération, les violences envers les
femmes, dont font partie les agressions
sexuelles, prennent racine dans les rapports inégaux qui existent entre les
hommes et les femmes, donc c'est vraiment un problème de société et non
un problème individuel. À ce titre, les agressions sexuelles, tout comme la violence conjugale, l'exploitation sexuelle, la
traite des personnes, constituent l'une des nombreuses formes de
violence que peuvent subir les femmes et,
pour nous, elles font toutes partie d'un même continuum. À ce titre, elles sont
indissociables tant en raison de leur cause
commune, mais également parce que plusieurs femmes vont vivre plusieurs
de ces violences au cours de leur vie, que
ça soit de façon simultanée ou à différents moments. C'est dans cette
perspective que nous sommes convaincues qu'il est essentiel d'adopter une
approche globale pour lutter contre toutes ces formes de violence plutôt que
d'aborder chacune d'entre elles de façon compartimentée. Nous reviendrons plus
à fond sur cette question au moment des recommandations.
À titre de fédération
qui travaille auprès de maisons d'hébergement qui accueillent notamment des
femmes victimes de violence conjugale, on ne
peut passer sous silence toute la particularité des agressions sexuelles et des
violences sexuelles en contexte de violence conjugale. En fait, ces violences
sexuelles sont une des formes de violence que les femmes subissent de la part
de leurs conjoints. Il y a de nombreuses femmes qui nous témoignent être
victimes de violence conjugale et également
se voir imposer des rapports sexuels ou des pratiques sexuelles par leurs
conjoints. On peut penser, entre
autres, au harcèlement pour obtenir des actes sexuels, pour regarder du
matériel pornographique, pour avoir
des relations sexuelles en groupe, voire même parfois pour faire de la
prostitution. Évidemment, compte tenu de la proximité de l'agresseur avec
sa victime dans cette situation et le fait qu'il y a une relation conjugale qui
existe, qui présuppose ou qui prescrit, inconsciemment ou non, d'avoir des
rapports sexuels dans ce cadre, toute la notion de consentement prend une teinte très particulière, et les femmes sont face
à une très grande ambiguïté. Également, bien, c'est un contexte où elles
vont craindre leur agresseur, particulièrement ses représailles si elles ne se
soumettent pas à ses demandes. Donc, évidemment, là notion de consentement, dans
un contexte comme ça, est remise en question. On a récemment eu le témoignage d'une dame qui se voyait menacée de faire
fermer le chauffage dans sa maison pour elle et sa fille si elle ne se soumettait pas aux relations
sexuelles que son mari lui demandait, et ce n'est qu'une petite partie de
ce que cette femme-là subissait. Ça donne une idée d'où est le consentement.
Donc,
parmi les femmes qui fréquentent les maisons d'hébergement de notre fédération,
certaines sont victimes de toutes ces formes de violence là, et ce sont
ces différentes trajectoires de vie avec lesquelles elles vivent de formes multiples de violence qui nous démontrent une fois
de plus l'importance de prendre le problème dans toute sa globalité.
• (17 h 20) •
Mme Monastesse
(Manon) : Alors, dans nos recommandations, comme nous l'avons abordé,
nous sommes convaincues qu'un plan d'action
unique de lutte contre les violences envers les femmes doit être développé
plutôt que d'avoir plusieurs plans.
Avoir un plan unique, ça ne veut pas dire non plus de diluer les problématiques
ou de développer une réponse unique. Nous croyons qu'il est essentiel de
développer un tronc commun visant les changements de comportement en
profondeur. Comme toutes les formes de violence envers les femmes sont alimentées
par les inégalités entre les hommes et les femmes, il est impératif de changer
les mentalités et de mettre fin à ces inégalités.
C'est
dans cette optique que l'on propose notamment des campagnes d'éducation du
public visant à déconstruire les
stéréotypes sexistes et sexuels ainsi qu'à remettre en question les mentalités
et comportements porteurs d'inégalités. En plus de ce tronc commun, nous sommes d'avis que des engagements et
mesures devraient viser des problématiques en particulier telles que les
agressions sexuelles, l'exploitation sexuelle, la traite des personnes ainsi
que la violence conjugale. Certains groupes de femmes sont également beaucoup
plus à risque face aux agressions sexuelles et aux violences de manière
générale. On pense, entre autres, aux femmes handicapées, dont 40 %
vivront au moins une agression sexuelle au
cours de leur vie; aux femmes autochtones, dont 75 % des jeunes filles
âgées de moins de 18 ans ont été victimes d'agression sexuelle; aux
femmes aînées, aux femmes immigrantes, aux femmes de la communauté LGBT. Il est
également essentiel de prévoir des volets engagements, mesures spécifiques pour
ces femmes.
Alors, en ce qui
concerne l'analyse différenciée selon les sexes, c'est un élément qui est
central pour la lutte contre les violences envers les femmes. Plus encore,
celle-ci devrait inclure les principes de l'approche féministe intersectionnelle pour s'assurer que des groupes de femmes
marginalisées ne subissent des conséquences encore plus imposantes. Nous
souhaitons que l'ADS soit utilisée non seulement dans l'élaboration, le suivi
et l'évaluation des politiques et programmes visant à lutter contre les violences
envers les femmes, mais également dans tous ceux mis en oeuvre par le gouvernement. L'exemple de l'augmentation des taux
d'agression sexuelle dans les régions où le secteur minier est en développement démontre bien que les
impacts non prévus, non souhaités et non souhaitables peuvent avoir des conséquences catastrophiques, particulièrement
pour les femmes. L'utilisation de l'analyse différenciée selon les sexes
aurait pu permettre de prévoir ces effets et
de mettre en place des mesures de protection ou, à tout le moins, de
rectifier le tir en cours de réalisation du
projet. L'ADS est un outil qui a fait ses preuves et qui est internationalement
reconnu. On ne peut s'en passer si l'on veut atteindre une réelle
égalité de fait entre les femmes et les hommes et arriver à éradiquer les
violences envers les femmes.
Au niveau de la
transformation du système sociojudiciaire, alors, afin d'assurer qu'un plus
grand nombre de femmes victimes d'agression sexuelle et de violence, de manière
générale, dénoncent leurs agresseurs, nous sommes convaincues que des
modifications doivent être apportées au système sociojudiciaire. En ce sens,
nous pensons à la formation de toute
personne susceptible d'accueillir et d'accompagner des femmes victimes
d'agression sexuelle, tant dans le
système médical, social que judiciaire. Les femmes doivent se sentir en
confiance lorsqu'elles s'adressent à ces personnes. Elles doivent sentir qu'elles sont crues, entendues et
respectées. Au renouvellement des pratiques du système sociojudiciaire,
afin de faciliter le témoignage des femmes victimes de violence, plusieurs
groupes ont parlé de cet aspect au cours de la présente commission, et nous
pourrons y revenir dans le cadre d'éventuels échanges.
Cela
dit, nous considérons qu'une étude approfondie mériterait donc d'être menée
afin de mieux comprendre et documenter
ces motifs, qui expliquent que très peu de femmes victimes de violence, dont
les violences sexuelles, dénoncent les
agressions vécues à la police. Ces démarches devraient alors faire... alors, de
faire dans la perspective de transformer les pratiques en ce domaine.
Au niveau des cours
d'éducation sexuelle, le retour des cours d'éducation sexuelle est également
impératif si on veut lutter contre les
inégalités entre les hommes et les femmes, mais surtout promouvoir des rapports
égalitaires au sein des couples. Il
est impératif d'intégrer au cursus scolaire un cours de formation personnelle,
sexuelle et sociale qui abordera non seulement les aspects de la
sexualité, mais également des stéréotypes sexuels et sexistes, des rapports égalitaires entre partenaires, de la notion de
consentement, de la diversité de genres, des différents modèles de
couples et familiaux. Le contenu du cours de
formation personnelle, sexuelle et sociale devrait être développé en collaboration avec les différents groupes
de femmes qui ont développé une expertise dans leur domaine.
La
fédération espère ainsi que le prochain plan d'action présentera une
vision globale et une analyse sociale des violences envers les femmes afin de mieux les prévenir, de mieux les
dépister et de mieux accompagner les victimes. Merci.
Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la ministre pour une
période de 17 minutes.
Mme
Vallée : Merci beaucoup. Merci de votre mémoire, qui, lui aussi, est substantiel. Alors, vous
abordez des enjeux quand même assez importants et vous les documentez.
J'aimerais vous
entendre davantage sur la question du consentement, parce que vous l'avez
abordée dans votre présentation. Est-ce que
vous croyez qu'il serait important d'en faire un élément-phare d'un prochain plan d'action? Est-ce qu'il y aurait lieu de
sensibiliser davantage? On en parlait un
petit peu plus tôt cet après-midi
avec la CLES dans le cadre de la question des agressions sexuelles qui
sont commises à l'encontre de femmes qui sont dans le milieu de la prostitution. Vous avez des clientèles qui ont
vécu, je pense, pour la plupart, des situations d'agression. Croyez-vous que le consentement, en soi, commande qu'on s'y
attarde? Est-ce que tout l'enjeu du consentement doit être abordé
spécifiquement dans un plan d'action, et de quelle façon on pourrait le faire?
Mme Bigaouette
(Mylène) : Je pense que le consentement doit être abordé dans un plan
d'action puis il peut être abordé à différents niveaux. Il peut être abordé
dans tout le volet de ce qu'on parlait, de la formation au niveau du système sociojudiciaire, où les acteurs ne sont pas
nécessairement outillés pour pouvoir dépister, par exemple, qu'une femme victime de violence conjugale a plus de
chances d'avoir vécu des agressions sexuelles, et justement
d'avoir toute cette formation-là, mais également je pense qu'il y aurait
des questionnements à se poser sur comment est perçu le consentement dans ce
contexte-là, donc, par exemple, quand on va avoir une femme qui porte plainte, jusqu'où
cette notion de consentement là est remise en question quand il y a des
poursuites.
Également, quand on parlait du cours d'éducation personnelle, sexuelle et sociale, c'est... les enjeux de consentement,
c'est quelque chose qui peut se
discuter à partir du niveau, à la limite, préscolaire. Je veux dire, un enfant
de cinq ans qui ne veut pas recevoir
un baiser d'un autre de ses amis, ça peut avoir l'air banal, mais, si déjà, à ce moment-là, on lui apprend qu'elle est forcée de le recevoir ou qu'elle n'a
pas la capacité de se défendre, la notion de consentement est déjà compromise. Également, les enfants devraient être
outillés pour comprendre quand le consentement n'est pas là. Et, si on y
est sensibilisé dès le jeune âge, forcément, en grandissant, on a les outils
pour dépister que ce consentement-là est là ou il ne l'est pas.
Mme
Vallée : Donc,
intervenir sur qu'est-ce qu'un consentement puis le droit de dire non, puis
intervenir aussi sur la possibilité, dès le plus jeune âge, de dénoncer lorsqu'on
voit qu'une amie est forcée dans ses relations avec les autres amis et
travailler à aborder ces notions-là suivant la progression de l'enfant dans le système
scolaire.
Mme Bigaouette (Mylène) : Exactement,
et que, s'il y a eu le consentement une fois, ça ne veut pas dire que c'est un consentement pour toujours.
Donc, ça aussi, c'est quelque chose d'extrêmement important dans les cours dont on parlait et qui doit...
Les jeunes doivent apprendre à se poser cette question-là à chaque fois qu'on
est face à... peu importe la relation dans laquelle on est.
• (17 h 30) •
Mme
Monastesse (Manon) : Et on
peut y aller aussi dans le sens positif, ça veut dire aussi inculquer à
nos enfants dès le très jeune âge qu'est-ce que c'est qu'une relation
saine, que ça soit dans leurs relations amicales, amoureuses, qu'est-ce que
c'est qu'une relation saine, qu'est-ce que c'est que de pouvoir mettre ses
limites. Alors, on peut y aller aussi d'un point de vue positif.
Mme Vallée : Quels sont les liens que vos membres ont su
développer au fil des années avec les autres organismes qui oeuvrent que
ce soit auprès des victimes d'agression sexuelle, que ce soit auprès des
services d'aide aux victimes d'actes criminels? Est-ce que vous avez développé
des liens, des contacts, des façons de travailler?
Mme
Monastesse (Manon) : Bien, à
tous les niveaux, chaque maison d'hébergement localement a développé des
liens avec divers organismes, beaucoup les groupes de femmes bien sûr, ça veut
dire les centres de femmes, les CALACS; malheureusement, très peu avec les CAVAC — au niveau des référencements des CAVAC, ça se maintient à 1 %
au niveau de toute la province, alors, ça, c'est plus difficile, les relations
avec les CAVAC — mais
tous les organismes... et aussi au
niveau régional, au niveau des tables de concertation en matière de violence
conjugale, et, souvent, c'est une table conjointe violence conjugale-agression
sexuelle. Alors, il y a des liens qui se créent avec les services de police,
avec les organismes communautaires, avec
aussi... plusieurs maisons ont des très bons liens avec... et travaillent
conjointement, souvent dans les écoles, avec
des intervenants qui oeuvrent auprès des conjoints violents, et alors... je
veux dire, au niveau de la
concertation, tant faire que se peut, parce qu'il y aussi tout le travail qui
doit être fait avec les victimes, mais au niveau de la concertation ça va, quand même les liens sont
là, et même plusieurs maisons d'hébergement ont même des agentes à la
sensibilisation et à la concertation dont c'est le rôle premier.
Mme Vallée :
Vous mentionnez qu'il y a très peu d'interventions ou d'interactions avec les
CAVAC. Qu'est-ce qui explique cette situation-là?
Mme
Monastesse (Manon) : Bien, on vous a soumis un mémoire à cet effet. Je
veux dire, il n'y a pas de référence des
CAVAC quand il y a des victimes. Les CAVAC interviennent... les intervenantes
interviennent elles-mêmes auprès des victimes, donc elles ne font pas de
référencement, tout simplement. Et pourtant elles sont souvent autour des
tables de concertation, mais pas tout le
temps. Alors, c'est une difficulté que nous avons. On ne dit pas que les CAVAC
ne font pas un bon travail, mais,
pour nous, ce qui est le plus important, c'est au niveau de l'accompagnement
dans l'appareil judiciaire. Mais plusieurs CAVAC développent des... ils
font de l'intervention encore plus que de l'accompagnement, et, à ce
moment-là — nous,
ça fait des années et des années que c'est toujours au niveau du
référencement — il
y a très peu de références.
Mme Vallée :
Quelle est la proportion de la clientèle qui cogne à votre porte et qui est
victime d'agression sexuelle?
Mme
Monastesse (Manon) : Dans nos statistiques, c'est de
l'autodéclaration, alors on ne va pas être intrusives, mais on voit que c'est de plus en plus
exponentiel, ça augmente, l'autodéclaration. Le fait d'avoir été victimes de
violence sexuelle, les femmes en parlent de
plus en plus, mais c'est vraiment le tabou des tabous. Alors, c'est encore très
difficile pour les femmes de s'exprimer à ce
niveau-là et, comme on le voit en contexte de violence conjugale... C'est parce
que, quand on parle aussi de la notion de
consentement, il faut d'abord aussi être consciente qu'on est victime de
violence, et souvent, dans un contexte
conjugal, les femmes ne sont pas conscientes qu'elles subissent de la violence
sexuelle aussi. Il faut rappeler que le viol conjugal est reconnu
seulement depuis les années... je pense, c'est 1983. Alors, ça ne fait pas si longtemps que c'est même dans notre système,
que c'est reconnu légalement, alors il y a beaucoup de... et ça prend du
temps. Les femmes que nous accueillons peuvent être hébergées parce qu'elles
sont itinérantes et, quand elles sont en hébergement, petit à petit elles vont
parler de toutes les formes de violence qu'elles ont vécues et, entre autres,
de la violence sexuelle.
Mme Vallée : Est-ce
que vous avez remarqué une évolution
de la clientèle? Est-ce que certains groupes cognent davantage à votre
porte maintenant?
Mme
Monastesse (Manon) : Au
niveau de l'hébergement des femmes immigrantes, c'est aussi en augmentation
d'année en année, et on a toujours reçu des femmes qui faisaient face à des
mariages forcés ou qui étaient victimes de
la traite. Mais c'est de plus en plus des femmes... Ce qu'on voit beaucoup,
ce sont les femmes qui sont hébergées, et les enfants également. C'est
que leur cursus ou tout le... au niveau de leur victimisation, c'est de plus en
plus complexe. C'est rare qu'on va maintenant
accueillir des femmes et des enfants qui n'ont vécu que de la violence
conjugale. Elles vivent de nombreuses formes de violence, et ça, on le
voit très bien, que leur situation est de plus en plus précaire et de plus en
plus complexe, ne serait-ce qu'elles font face à des violences systémiques, et
on le voit avec les femmes immigrantes depuis les nombreux changements à la Loi
de l'immigration, où, par exemple, le statut de la résidence permanente est devenu conditionnel, alors, pour
deux ans quand elles n'ont pas d'enfant. Alors, ça veut dire que, quand
on est victime de violence conjugale, on peut faire face à l'expulsion, et ça,
c'est des femmes... Ça, ça fait deux ans que les amendements ont été mis en
place, alors on commence à les voir de plus en plus dans nos... on les reçoit de
plus en plus. Et ça, je ne parle pas, là... je parle seulement
de l'hébergement, mais de toutes les femmes aussi qui viennent en service externe qui nous appellent. Alors, on le
voit de plus en plus. Donc, leur situation est de plus en plus complexe.
Mme Vallée : Dans
l'accompagnement des femmes qui souhaitent dénoncer, dans l'accompagnement dans
le système judiciaire — vous
avez fait état d'un certain nombre de recommandations, j'aimerais vous entendre — quelles seraient les modifications qui devraient
être apportées, que ce soit au niveau
de la formation, de l'encadrement? Est-ce qu'il y a des éléments qui, pour
vous, là, au fil des ans, puis auprès de vos clientèles, ont été soit des
obstacles à la dénonciation soit des
éléments qui ont fait qu'une femme choisisse de ne plus aller de l'avant avec
sa dénonciation? Parce qu'on en parle peu, mais on retrouve quand même
souvent cette situation où une femme victime d'agression qui a
dénoncé va soudainement dire : Non, je ne témoignerai pas, je n'irai pas
de l'avant, je vais laisser tomber.
Donc, est-ce qu'il y aurait des éléments qui,
pour vous, méritent d'être modifiés, d'être changés?
• (17 h 40) •
Mme
Monastesse (Manon) : Bien,
c'est tout dans la perception de ce qu'on entend, comment améliorer le
soutien des victimes à travers leurs
parcours dans le système judiciaire. Ne serait-ce que la question
des délais, qui sont majeurs... il faudrait qu'il y ait quelque chose
que... quand on parle de violence conjugale, familiale, d'agression sexuelle,
que les délais soient, je veux dire, vraiment
raccourcis. On parle de deux ans. Alors, il y a beaucoup
de choses qui se passent entre-temps,
dont souvent les agresseurs qui ne respectent pas les engagements
qui ont été pris, et il y a des bris de condition, qui ne respectent pas leurs conditions, qui vont
entrer en contact avec la victime, qui vont entrer en contact avec la
famille. Donc, il y a des pressions qui s'exercent, et alors c'est à ce
moment-là qu'il faudrait vraiment raccourcir les délais.
Il faudrait
avoir un système aussi qui soutient mieux les victimes dans leurs parcours, de
la formation, la formation des intervenants, que ça soit les procureurs,
que ça soit les avocats, que ça soit les juges. Ça, il y a quand même des progrès qui ont été faits, mais, encore, on le
voit, des procureurs qui ont des... Parce
que, quand on regarde les
directives qui sont adressées aux procureurs
et qu'on regarde le guide des pratiques, les directives qui s'adressent aux
policiers, c'est très clair, ils
doivent fonctionner d'une certaine façon quand c'est un cas de violence
conjugale, une agression sexuelle, la démarche
est très claire, mais, dans la réalité des choses, on sait très bien
que les procureurs ont d'énormes «caseloads» et que souvent ils rencontrent deux, trois minutes la victime avant son
témoignage. On sait très bien que témoigner devant la cour, et surtout criminelle, c'est extrêmement anxiogène, et on doit faire face aussi à la partie défenderesse, qui
procède au contre-interrogatoire, qui est
très déstabilisant pour les victimes, hein? Une victime doit prouver qu'elle a
été victime d'agression et de violence.
Ça, c'est une question qu'il faudrait
étudier : Devrions-nous avoir des procureurs spécialisés, des avocats spécialisés, des juges qui sont spécialisés, qui
sont habitués d'entendre ce genre de cause? Et on sait très bien
qu'il y a des protocoles. Quand ce
sont des enfants qui ont été abusés sexuellement, il y a
tout un protocole qui se met en marche au niveau de la préparation des
enfants, de leur témoignage. Alors, on devrait, pour nous, avoir des mesures
facilitantes aussi pour les adultes.
Le Président (M. Picard) : Il
reste une minute, Mme la ministre.
Mme Vallée : Comment pouvons-nous impliquer les hommes dans la
recherche de la solution pour éventuellement éliminer les agressions
sexuelles?
Mme
Monastesse (Manon) : Bien,
les hommes font partie de la solution. On le voit aux États-Unis,
on le voit à travers le reste du Canada,
des groupes d'hommes qui s'impliquent de façon positive pour la promotion de
stéréotypes positifs pour les jeunes, les
enfants, les jeunes hommes. Alors, bien
sûr qu'ils font partie de la
solution. Je veux dire, toujours le mouvement des femmes a été de
l'avant dans toutes les luttes sociales, et ça, à côté des hommes. Alors, ils
font aussi partie de la solution.
Le Président (M. Picard) : Mme
la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, pour une période de 10 minutes.
Mme Poirier : Merci, M. le
Président. Bonjour, mesdames. Je vais faire un raccourci un peu grossier, mais,
depuis le début des auditions, je fais un
lien entre le consentement et l'interrogatoire. Alors, la façon dont on
entend le consentement, où on dit qu'on veut que... de plus en plus que
le consentement soit clair dans la tête des gens, mais,
quand on arrive à l'interrogatoire,
plusieurs groupes nous disent qu'on vient remettre en question
de façon assez, je vais dire, brutale...
ce n'est peut-être pas le bon mot, hein, de façon assez intense, on
remet en question l'interprétation, finalement, du consentement
de la victime. J'aimerais ça vous entendre là-dessus, parce que, un, on peut
bien parler des délais de traitement, on
peut bien parler des qualifications des procureurs ou de la défense, mais moi,
je voudrais vous entendre parler, parce qu'il y a comme deux
mesures : on fait la promotion du consentement, puis, de l'autre côté, ce
même consentement là, on le reprend mais à l'envers lorsqu'on est rendu devant
un tribunal. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas là-dedans.
Mme
Monastesse (Manon) : Je
pense qu'à la base c'est malheureusement notre système, parce qu'on est dans un
système adversaire. Alors, il faut prouver
hors de tout doute, alors on va attaquer la victime de toutes les façons
possibles pour la déstabiliser. Je crois que, là, c'est notre système même
qu'il faudrait changer dans la façon d'intervenir. Mais je crois qu'en ayant des juges, des procureurs, des avocats qui soient
mieux formés, oui, on pourrait poser des questions. Mais, oui, il y a une certaine façon de
faire, et on l'a vue dans l'acharnement de la défense justement pour
déstabiliser des victimes : De quel côté... je veux dire, de quel côté il vous a frappée? Du côté gauche? Du côté
droit?, où est-ce
qu'on essaie toujours de déstabiliser une victime.
Alors,
est-ce qu'on pourrait partir du principe que, oui, la victime,
on la croit? Et, oui, bien sûr, la défense va faire son travail, mais quand même d'avoir des... je
dois dire, des garde-fous pour qu'on n'arrive pas à quelque chose qui soit de l'ordre du harcèlement, là.
Mme
Poirier : Il y avait
un projet à Longueuil qui s'appelait Mobilis, qui a permis, entre autres, l'arrestation de plusieurs proxénètes, et, avec ce projet-là, ce qu'on avait
fait, c'est qu'on avait renversé le fardeau de la preuve, et la victime
devenait témoin. N'est-ce pas là une solution pour justement enlever un peu de
pression sur la victime, qui, elle, à ce moment-là, devenait témoin?
Mme
Monastesse (Manon) : Tout à fait. On a essayé le plus possible d'enlever le fardeau de la preuve sur le
dos de la victime. Et puis, je veux dire, je voudrais enchaîner sur le fait, justement,
d'avoir une cohérence dans tous les engagements
du gouvernement. Nous avons appris qu'il y avait
un projet, le projet qui était financé par la Sécurité publique pour la prévention...
Mme Bigaouette
(Mylène) : En exploitation sexuelle chez les adolescentes et
adolescents.
Mme
Monastesse (Manon) : ...et qui a été coupé. Le financement vient
d'être coupé. Et nous savons que, bientôt, il y a un plan d'action en
exploitation sexuelle qui va sortir.
Alors,
c'est pour ça que notre ligne directrice... c'est bien d'avoir de nombreux
plans d'action. Dans deux ans, nous
arrivons à échéance du plan d'action en violence conjugale, alors nous allons
refaire le processus qui est enclenché ici. Alors, il faut y avoir une espèce de cohésion entre tous ces plans
d'action, parce que, je veux dire, de façon transversale, l'égalité hommes-femmes,
qui est le garde-fou qui va pouvoir prévenir les violences qui sont faites aux
femmes, je veux dire, ça demande un
engagement et une vision clairs du gouvernement dans cette atteinte de
l'égalité hommes-femmes. Alors, quand
on multiplie les nombreux plans d'action et qu'on ne sait pas trop qu'est-ce
qui se passe dans certains plans d'action, alors, ça nous questionne.
Mme
Poirier : Je sais qu'il y a aussi une donnée dont vous n'avez
pas parlé là-dedans mais, moi, que j'entends régulièrement, c'est le manque de places, le manque de lits pour coucher
les femmes. Je prends des exemples : La Rue des femmes, qui couche des femmes à peu près partout
dans les corridors le soir pour essayer de les accueillir; on dit que,
chaque soir, il manquerait près d'une vingtaine de places par soir pour les
femmes, spécifiquement. Avez-vous un portrait là-dessus? Avez-vous un bilan de...
Mme
Monastesse (Manon) : Bien, pour la fédération, le taux d'occupation
est à 83 %, mais ce 83 % ne tient pas compte de lorsqu'il y a
une chambre où il y a deux lits, où est-ce qu'on va volontairement ne pas
occuper un lit pour pouvoir permettre à la
personne qui est là d'être seule dans la chambre. Mais, de façon générale, ça
va de 83 % à 110 %. 83 %,
c'est la moyenne de toutes nos maisons d'hébergement, mais ça va facilement
au-dessus du 100 %, où est-ce qu'on va accommoder des femmes dans un salon, et autres. Et, pour vous donner
un exemple, la région du Nord-du-Québec, qui est la moitié de la province du Québec, il y a une maison d'hébergement pour
femmes victimes de violence, à Chibougamau.
Alors, ça vous donne
une image de qu'est-ce qu'elle doit desservir comme services. Et il y a très
peu d'autres services qui sont pour les femmes. Alors, oui, il y a un manque,
toutes nos maisons d'hébergement le disent, là.
Mme Poirier :
Est-ce que ça veut dire qu'une femme qui est en situation de violence ne
pourrait pas être accueillie dans l'urgence?
• (17 h 50) •
Mme Monastesse
(Manon) : Bien, on essaie toujours d'accommoder. Et même le problème,
nous, c'est... annuellement, c'est environ
10 000 femmes que l'on refuse par manque de places. Au moment où elles
appellent, on va les référer, on va
voir si, dans d'autres maisons d'hébergement, il y a des places. Et,
malheureusement, quelquefois il faut même
les envoyer dans une autre région parce qu'il n'y a pas de place dans la région
vers laquelle elles se tournent et elles voudraient être hébergées.
Alors, vous comprenez toutes les difficultés que ça engendre. Quand il y a des
enfants, ça veut dire qu'il faut les faire
changer d'école. Et, si elles travaillent, ça occasionne beaucoup...
Mais ça, c'est vraiment... comme je le disais, la situation des femmes
est de plus en plus complexe, et le taux de demande est exponentiel. Et on le
voit aussi avec le développement de nos services externes, qui sont de plus en
plus sollicités.
Mme Poirier :
...profite du fait que vous soyez là, parce qu'on a posé la même question à
votre homologue. Il y a un règlement de la
ministre sur les genres qui est sur nos tablettes présentement. Je ne sais pas
si vous en avez pris connaissance. Comment vous voyez l'accueil des
transgenres en maison d'hébergement?
Mme Monastesse
(Manon) : Bien, on les reçoit déjà, on les reçoit partout au Québec.
Toutes les maisons les reçoivent. Il y a des
demandes de façon assez régulière, et, bien, écoutez, on y va au cas par cas et
on voit au niveau des aménagements... Ce sont des personnes transgenres
qui n'ont pas nécessairement subi encore l'opération, mais on les reçoit, en
tant que tel.
Mme Poirier : Est-ce qu'il me
reste du temps, M. le Président?
Le
Président (M. Picard) : 1 min 30 s.
Mme
Poirier : D'accord. Excellent. Vous nous parlez de l'efficacité
d'un tronc commun pour des changements en profondeur. C'est une question qu'on se pose depuis le début :
Doit-on n'avoir qu'un plan d'action? Le groupe avant a parlé d'une loi sur les violences faites aux
femmes. Est-ce qu'on doit avoir une stratégie pour violence conjugale,
violence sexuelle et exploitation sexuelle?
Est-ce qu'on doit mettre ça dans un tout pour avoir des mesures communes qui
nous permettraient d'agir sur l'ensemble des violences faites aux femmes?
Mme
Monastesse (Manon) : Bien, on le voit, depuis quelques années, on
jongle avec plusieurs politiques et plans d'action, on voit plus ou
moins une efficacité quand on arrive à terme. Je crois qu'une politique et une
politique parapluie avec un plan d'action où on a des grands axes en
prévention, en intervention, au niveau de l'évaluation des mesures... mais, dans chaque axe, des mesures, des
engagements spécifiques en violence conjugale, en violence familiale, en sachant très bien, comme on vous l'a dit, que
les femmes qu'on reçoit, elles vivent plusieurs formes de violence.
Elles arrivent parce qu'elles sont victimes de violence conjugale, mais on
s'aperçoit que c'est de la violence conjugale de la part de leur pimp. Pour
eux, c'est une relation amoureuse.
Le Président (M.
Picard) : En terminant, s'il vous plaît.
Mme Monastesse
(Manon) : Et elles vivent de la... et finalement on s'aperçoit que
c'est un mariage forcé et qu'elles sont
victimes de traite. Alors, il faut avoir une vision... il faut que le
gouvernement ait une vision d'ensemble de la problématique des violences
faites aux femmes, mais avec des engagements spécifiques et un soutien
spécifique aux organismes qui oeuvrent auprès des victimes.
Mme Poirier :
Merci beaucoup.
Le Président (M.
Picard) : Merci. Mme la députée de Montarville, pour une
période de sept minutes.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Merci,
mesdames, pour votre mémoire. Il faut avoir visité les maisons pour femmes violentées pour voir tout le
travail qui se fait là. J'ai été sensibilisée très jeune, à 17 ans — mon
premier travail en sociologie : la maison L'Escale, à Sherbrooke. Donc, ça
fait sauter les préjugés, les tabous.
On
va parler cependant d'un autre tabou. Je vous amène à la page 11. Vous
disiez tout à l'heure qu'être agressé sexuellement
par son conjoint, c'est le tabou des tabous. Vous nous dites — deuxième paragraphe, je vais citer :
«Pour les femmes hébergées dans les maisons
membres de la fédération, rapporter les violences vécues dans le cadre de leur
relation amoureuse est toujours difficile.
En ce sens, seulement 18 % des femmes hébergées déclarent avoir déposé une
plainte à la police pour la violence vécue.»
Ça m'amène à un constat qui est assez pathétique. Est-ce le fait que déclarer
qu'on est victime de violence conjugale est beaucoup plus facile à faire
que de déclarer qu'on est victime d'agression sexuelle de la part du conjoint?
Et pourquoi on en est là? C'est de la violence.
Mme
Monastesse (Manon) : Oui. Bien, je crois que... Parce que, déjà,
déclarer qu'on est victime de violence conjugale,
c'est toujours extrêmement difficile, et le fait de porter plainte à la police,
c'est difficile, mais, en plus, d'avoir à expliquer qu'on a été victime de viol conjugal, c'est encore plus
difficile, parce que c'est toujours difficile de témoigner, de briser le silence. Et, on le voit, même au niveau
des statistiques canadiennes, le plafond de verre pour la dénonciation
de la violence conjugale et familiale reste à 30 % après des années de
modifications législatives et de modifications de l'intervention, parce que, on en parlait, le système judiciaire...
premièrement, il n'y a pas un message clair encore que la violence faite aux femmes, c'est inacceptable, et
de parler encore plus de violence sexuelle, c'est encore plus difficile.
Mme
Roy
(Montarville) : Je vais vous amener tout de suite à
un autre sujet, parce que j'ai peu de temps, je vous amène à la
page 20. Vous faites, naturellement, des recommandations, mais il y en a
une qui nous a particulièrement intrigués, la recommandation de la fédération
«élaborer une formation à jour pour les travailleurs de première ligne dans les secteurs de la santé» et services
sociaux, éducation, justice pour qu'ils puissent mieux soutenir les victimes.
Là, jusque-là, ça va, on l'a entendu souvent
et on est bien conscients que c'est extrêmement important, mais, cela dit,
vous dites également : Et élaborer une
formation pour les travailleurs du secteur hôtelier afin qu'ils permettent de
savoir comment porter secours. Pourquoi est-ce que vous arrivez avec
cette donnée-là? Vous êtes les premières qui nous en parlent. J'aimerais vous
entendre davantage, s'il vous plaît.
Mme Bigaouette
(Mylène) : Bien, c'est certain que le secteur hôtelier, c'est un
endroit où il peut y avoir des témoins
d'agression sexuelle, et savoir les dépister, avoir l'information pour pouvoir
référer les femmes, pour pouvoir connaître
les ressources, c'est quand même quelque chose qui est extrêmement important.
C'est certain que c'est des enjeux qui
sont liés aussi à la question de la prostitution, où, là, justement, il peut
arriver... bon, toute la question de la notion de consentement dans le contexte de la prostitution a
été discutée plus tôt cet après-midi... mais où, justement, il peut
arriver des situations avec des niveaux de dangerosité extrêmement importants,
et, à ce moment-là, c'est important que les personnes puissent les référer. On
a eu des exemples, par exemple, de jeunes filles qui avaient été amenées par
leur proxénète à devoir avoir des relations
sexuelles dans des contextes où elles sont en milieu hôtelier, et, finalement,
elles ont été battues, elles ont été
violées, etc. Mais, si la jeune femme sort de la chambre avec tous ces
stigmates-là et personne ne réagit, bien c'est quand même assez
important.
Donc, on pense que c'est un acteur
aussi qui fait partie de toute cette lignée de personnes qui peuvent avoir
un rôle à jouer et qui peuvent dénoncer à certains moments les actions, les
agressions.
Mme
Roy
(Montarville) : C'est intéressant, parce que vous
êtes les premières à le mentionner, alors je tenais à le souligner.
Ceci
dit, je vous amène à la page 12. On parle de la clientèle, les femmes qui
vont dans vos maisons, les maisons de votre
fédération, et vous nous dites en bas de page... vous nous parlez des femmes
dont le conjoint les incite ou les oblige à faire de la prostitution. En fait, elles sont exploitées sexuellement,
le conjoint devient le proxénète. On disait qu'au cours des 10 dernières années, en ce qui a trait aux
agressions sexuelles, ça n'évolue pas bien, bien, c'est pathétique, mais,
au niveau de votre clientèle, des femmes que vous recevez, avez-vous vu une
mouvance, un changement? Ça ressemble à quoi maintenant lorsqu'on parle,
naturellement, de l'agression sexuelle plus que de la violence conjugale?
Mme Monastesse
(Manon) : Bien, comme les femmes immigrantes que l'on reçoit, elles
sont victimes de mariage forcé, mais, quand
elles arrivent ici, ce n'est pas dans un mariage... je veux dire, c'est déjà un
mariage forcé, mais souvent le
conjoint va les amener dans un but d'exploitation sexuelle. Elle reste à la
maison, et il fait venir des hommes qui vont l'exploiter sexuellement.
Mais c'est son conjoint.
Mme Roy
(Montarville) :
Alors, ça, c'est le genre de réalité auquel on fait face maintenant qu'on ne
faisait peut-être pas face 10 ans passés ou
même... d'ailleurs, plus que ça, parce que la fédération a ouvert ses portes...
enfin, a été créée en 1987; 36 maisons, donc
on a une longue période d'expertise. Et ça, à l'égard de l'agression sexuelle,
c'est quelque chose qui est intervenu et qui est de plus en plus visible
depuis quand, environ?
Mme
Monastesse (Manon) : Bien, je ne pourrais pas vous dire exactement,
mais ça fait... Depuis toujours, on rencontre ces réalités-là, mais
disons qu'on a toujours eu des femmes qui étaient victimes de traite qui ont
été hébergées dans nos maisons, qui ont été
victimes de violence de leur proxénète. On les a toujours reçues, mais c'est
parce que... disons qu'on a eu un éclairage
et un momentum, il y a eu un plan d'action au niveau de la traite des
personnes. Alors là, à ce moment-là,
ça a permis aussi de recevoir plus de femmes, d'avoir une meilleure
collaboration avec les services policiers,
qui souvent, maintenant, lorsqu'ils vont... où est-ce qu'ils vont arrêter des
groupes qui font de la traite, bien ils vont nous appeler pour nous
demander qu'on héberge les femmes.
Alors,
c'est grâce à de nouvelles
collaborations que l'on reçoit plus de femmes qui vivent ce genre de
violence, qui subissent ce genre de violence.
• (18 heures) •
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie.
Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède la parole maintenant à Mme
la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques. Trois minutes.
Mme
Massé : Merci, M. le Président. Bonsoir, mesdames. Effectivement, une qualité de mémoire... je n'ai pas fini de saisir tout ce qu'il y a là-dedans tellement c'est précieux.
Vous nous rappelez dans l'état des lieux, en partant, que la violence, ça a un coût, un coût social, un coût
personnel, bien sûr, un coût social important. Vous avez même relaté une
étude de 2012 qui parle de 7,4 milliards par année au Canada,
7,4 milliards par année au Canada. Il faut faire quelque chose. Vous amenez une foule de propositions. Vous
êtes les premières qui, de façon claire, disent : Il faut arrêter
d'avoir une multitude de plans, il faut
mettre ça ensemble pour conjuguer nos efforts, parce que, dans le fond, tout ça
s'appuie sur une racine qui est la même, qui est une racine de domination, etc.
Vous nous parlez clairement des cours d'éducation et vous dites : Ça ne peut pas être des cours d'éducation à la
sexualité, ça inclut d'autres choses, les rapports égalitaires, vous
avez parlé... en fait, dans votre vocable, et tout ça, on en est, plusieurs
personnes nous ont soulevé ça.
Moi,
je vais soulever une question : Si on avait, bon... je ne dirai pas «une
loi», parce que, ça, je n'ai pas eu le temps de le poser au groupe avant vous, mais un seul plan d'action, est-ce que
ça nous permettrait aussi de pouvoir rejoindre les enfants garçons
victimes d'agression sexuelle?
Mme Monastesse
(Manon) : Je crois que oui, parce qu'il ne faut pas les oublier, effectivement.
Quand on parle d'avoir des cours sur les rapports égalitaires, ça comprend
aussi les garçons. Et beaucoup d'intervenants des maisons d'hébergement, comme
je le disais, vont conjointement, avec des hommes qui sont intervenants dans
des groupes... là, je parle en violence
conjugale, mais ils y vont conjointement, donc ils présentent des stéréotypes
positifs. Alors, c'est ça, on touche aussi les garçons, bien sûr.
Le Président (M.
Picard) : 50 secondes.
Mme
Massé : Wow! Eh! bravo, les filles. Vous avez fait état, à un moment
donné, de directives. Vous disiez : Quand on est dans le système judiciaire, il y a un certain nombre... On
a appris un peu plus tôt qu'il n'y avait pas beaucoup de directives au procureur en matière d'agression
sexuelle, et etc. Est-ce que vous croyez que la ministre de la Justice
devrait envoyer un certain nombre de signaux par rapport à ça?
Mme Monastesse
(Manon) : Bien, en tout cas, en ce qui concerne la violence conjugale,
les directives sont assez claires, donc
elles devraient s'appliquer également en agression sexuelle. Rencontrer la
victime, de lui parler, de la mettre dans un
certain confort, en confiance avant son témoignage, qu'elle soit victime de
toute forme de violence, je crois que c'est
la base pour lui permettre de pouvoir s'exprimer et de pouvoir soutenir aussi
le contre-interrogatoire. Alors, il y
a des mesures très... comment je pourrais dire, très de base. Alors, c'est pour
ça que je disais : Est-ce que ça prendrait des procureurs
spécialisés? Est-ce que ça prendrait le fait que les procureurs aient des moins...
Le Président (M.
Picard) : En terminant, s'il vous plaît.
Mme Monastesse
(Manon) : ... — merci — aient
un «caseload» beaucoup moins important au niveau du roulement des causes? Il
faudrait étudier toutes ces questions.
Le
Président (M. Picard) : Merci, mesdames, pour votre apport aux
travaux de la commission.
Et
la commission suspend ses travaux jusqu'à 19 h 30. Vous pouvez
laisser vos documents ici, la salle sera sécurisée. Merci.
(Suspension de la séance à
18 h 4)
(Reprise à 19 h 34)
Le
Président (M. Picard) :
À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission
des relations avec les citoyens
reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de
bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires et de leurs
appareils électroniques.
Nous poursuivons les consultations
particulières et auditions publiques sur le document intitulé Rapport sur la mise en oeuvre du Plan d'action gouvernemental
2008-2013 en matière d'agression sexuelle. Ce soir, nous entendrons le
Conseil du statut de la femme. Je reconnais Mme Miville-Dechêne. Vous disposez
d'une période de 10 minutes pour faire votre intervention. Par la suite,
il va y avoir des échanges avec les parlementaires. Vous êtes une habituée. Je
vous demanderais de présenter les gens qui vous accompagnent. La parole est à
vous.
Conseil du statut de la femme (CSF)
Mme Miville-Dechêne
(Julie) : Merci beaucoup, merci de m'avoir invitée. Tout d'abord, à ma
gauche, Geneviève Dumont, chercheuse au
conseil, qui a écrit ce mémoire et aussi qui, en ce moment, table sur une
recherche plus exhaustive sur les relations amoureuses et sexuelles des jeunes
filles, donc Geneviève Dumont à ma gauche; et, à ma droite, Marie-Andrée Lefebvre, qui est mon adjointe exécutive mais
qui s'intéresse aussi beaucoup à ces questions de violence et
d'agression sexuelle.
Donc, comme vous le
savez — parce
qu'évidemment je sais que je suis la dernière à passer,
alors, s'il y a des répétitions, je m'en
excuse d'avance — nous avons été secoués il y a quelques mois par le
mouvement Agression non dénoncée. De
nombreuses victimes ont brisé le silence en prenant pour la première fois la
parole pour dénoncer ce qu'elles avaient
vécu. J'ai rencontré plusieurs personnes pendant cette période pour qui c'était
une découverte que la violence envers les
femmes soit encore aussi répandue. Depuis, les vagues qui ont agité l'opinion
publique se sont peu à peu estompées. Est-ce que ça veut dire que notre
indignation était un feu de paille, que notre mobilisation est déjà retombée,
faute d'autres événements révoltants fortement médiatisés? Le Conseil du statut de la femme espère que non.
Dans les dernières décennies, le Québec a fait de véritables progrès dans la lutte contre
les violences faites aux femmes, particulièrement en violence conjugale.
En matière d'agression sexuelle, le rapport du Plan d'action gouvernemental 2008‑2013 témoigne de tous les
efforts investis dans la prévention mais aussi dans l'intervention pour soutenir les victimes, pour responsabiliser les
agresseurs et pour réduire les risques de récidive. Nous saluons bien sûr ces efforts, mais notre analyse de
ce rapport fait ressortir une certaine impression d'éparpillement des mesures. Peut-être
faudrait-il investir dans moins d'initiatives qui ont le potentiel de changer davantage
les mentalités et, surtout, être en mesure
de mesurer l'efficacité des initiatives, car le constat est implacable :
les victimes persistent à se taire, des filles, des garçons, des femmes sont toujours
victimes d'agression sexuelle. Et, malheureusement, faute de chiffres très précis, rien
n'indique que la situation s'améliore. De toute évidence, le gouvernement doit
adopter des stratégies plus efficaces.
En ce moment, vous le savez, il existe au Québec un plan
d'action d'agression sexuelle, une politique
gouvernementale pour
contrer la violence conjugale. On aura bientôt un plan d'action contre l'exploitation sexuelle. De plus, dans notre propre
mémoire sur les violences liées à l'honneur, on demandait, nous aussi, un plan
d'action pour contrer ce type de violence. Donc, beaucoup de plans d'action parce
que la violence contre les femmes prend plusieurs formes. Cette violence se
perpétue notamment parce que, d'une certaine manière, elle est tolérée. À cet
égard, le conseil croit que la réponse
sociale à la prévention de cette violence et la quête de l'égalité entre les
sexes sont étroitement liées. Le mémoire que nous déposons aujourd'hui, que nous avons remis hier aux députés, détaille
bien les enjeux et les défis auxquels nous faisons face au Québec, et partout dans le monde, d'ailleurs,
pour éradiquer la violence envers les femmes. Je parle ici de violence au sens large, de celle qui prend racine
dans les inégalités et les rapports de pouvoir entre femmes et hommes.
Notre vision, et je
sais que nous ne sommes pas les seuls à le dire : cessons de travailler en
silo, adoptons une approche globale,
cohérente et concertée dans laquelle la prévention est encore plus présente;
politique globale. C'est ce qu'on devrait adopter, à notre avis, au
Québec, une politique globale de lutte contre les violences faites aux femmes, une politique qui doit être courte, claire et bien
vulgarisée. De celle-ci découleraient des plans d'action distincts pour
lutter contre les diverses manifestations de
violence, notamment l'exploitation sexuelle, les agressions sexuelles. Cette
politique doit être
portée, certes, par la ministre de la Condition féminine, Mme Stéphanie
Vallée, mais pourquoi ne pas la faire signer également au plus haut
niveau, par le premier ministre lui-même? Car de tels actes symboliques donnent
le ton. Ce combat ne doit plus être une affaire de filles. Cette politique
devrait d'abord s'appuyer sur une approche préventive inscrite dans les différents milieux de vie, en particulier dans les
établissements d'enseignement, du primaire à l'université, auprès des jeunes filles, des garçons, de façon
systématique et continue, je reprends, systématique et continue. On ne
veut pas d'une approche qui est trop courte et donc qui n'a pas de résultat.
Évidemment, quand je vous parle d'éducation à la
sexualité, je ne réinvente pas la roue. Ça doit être une priorité, on le dit depuis de nombreuses années,
au conseil. Depuis les 10 dernières années, les chiffres ne bougent
pas : 80 % des victimes sont des
filles; les deux tiers des victimes ont moins de 18 ans; dans 85 %
des cas, elles connaissent leur agresseur. Il faut donc agir plus tôt
dans le parcours des jeunes.
• (19 h 40) •
La lenteur à agir nous préoccupe, parce que les
contenus offerts en ce moment dans les écoles en matière d'éducation à la sexualité sont disparates, parfois
bons, bien sûr, mais souvent les personnes qui donnent cette formation avouent qu'elles sont plus ou moins à l'aise avec
les contenus. Un projet pilote doit être implanté, oui, on le sait, mais
ça fait longtemps qu'on attend, et nous sommes d'avis que le Québec pourrait
s'inspirer là-dessus de l'Ontario, car, dès septembre
2015, l'Ontario offrira un tout
nouveau projet d'éducation à la sexualité qui sera intégré au programme scolaire du primaire au secondaire, un programme plutôt avant-gardiste, vous l'avez sans doute
lu, qui permet de réfléchir non seulement à la sexualité, mais au consentement sexuel, à la
cyberintimidation, les pratiques sexuelles et même la diversité de
genres, parce que nous avons la ferme conviction que cette éducation à la
sexualité ne doit pas être uniquement axée sur
la prévention des risques, elle doit porter sur les relations
interpersonnelles, la gestion des conflits, le consentement, le désir, le plaisir, l'amour, l'intimité et — et
ça, c'est très important pour comprendre les agressions et pour
comprendre la violence — la
compréhension critique des normes sociales dominantes qui régissent la
sexualité, et donc d'être capable de faire
dire... ou de faire discuter les garçons et les filles sur les normes
auxquelles ils sont soumis quand ils deviennent des sujets sexuels, c'est-à-dire la force pour les
garçons, la beauté pour les filles. Et toute cette discussion peut aider, de
notre point de vue, à prévenir la violence.
De plus, nous croyons que la sexualité doit être
abordée de façon plus positive et que le discours privilégié par les adultes encourage les filles et les
garçons à s'exprimer en dehors d'une conception de la sexualité
essentiellement basée sur les différences biologiques.
En 2013, le gouvernement ontarien a réalisé un guide de ressources pour les collèges et les universités
en Ontario pour qu'ils interviennent davantage sur la violence. Ce n'est
qu'un exemple sur ce qu'il est possible de faire. Nous croyons qu'au Québec il serait important de faire un
inventaire des bonnes pratiques de prévention et d'intervention précoce en matière d'agression sexuelle dans les cégeps et
les universités. C'était prévu d'ailleurs dans le Plan d'action gouvernemental 2008‑2013.
Finalement,
un mot sur les tribunaux. Je sais qu'on en a beaucoup parlé. Malgré le travail
réalisé par les forces policières et
l'appareil juridique au cours des dernières années, il y a encore d'importantes
barrières en matière de dénonciation
d'agression sexuelle, et parfois ce ne sont pas tant les institutions mais
souvent les personnes qui font affaire avec
les victimes. Il faut les écouter, les victimes ne se sentent pas suffisamment
comprises, et il faut bien admettre que l'agression sexuelle demeure
l'un des crimes les moins rapportés. Les CALACS, justement, révèlent que près
de la moitié des femmes attendent
13 ans ou plus avant de demander de l'aide à la suite des agressions. Il
est donc important que les victimes
aient davantage de temps pour intenter une action en justice. Et, là-dessus, je
vous rappelle que le Québec est une
des seules provinces où le délai de prescription est de trois ans sur ces
questions. Nous avions proposé à l'époque... un ou deux gouvernements précédents, là, je ne sais plus... on voulait
passer le délai de prescription de trois à 10 ans. C'était en 2012.
De notre point de vue, il ne doit y avoir aucun délai de prescription pour les
agressions sexuelles, et cette nouvelle politique rejoindrait ce qui se fait un
peu partout ailleurs.
Finalement — je reviens à mon propos principal — comme la dénonciation et les recours en
justice sont difficiles, il faut
absolument prévenir, prévenir les agressions sexuelles, et ça, ça veut dire
s'attaquer aux mythes, aux croyances et aux stéréotypes. Cela implique d'agir en amont en offrant aux jeunes filles
et garçons des espaces, des outils pour qu'ils puissent, dès le plus
jeune âge, réfléchir et s'exprimer sur les enjeux de la sexualité et sur ceux
de l'égalité entre les femmes et les
hommes — on
appelle ça une approche transformative — et non pas seulement leur donner du matériel
à digérer, mais les appeler à se
transformer. Il faut aussi trouver de nouvelles façons de passer les messages
de non-violence aux garçons en mobilisant les hommes comme agents de
changement. Il faut des campagnes-chocs comme celles de la SAAQ pour changer
les mentalités. Il faut surtout une bonne dose de volonté politique pour que
les mesures de prévention de la violence envers les femmes ne soient pas les
premières sacrifiées quand l'État veut faire des économies.
Bref, nous
devons trouver de nouvelles stratégies pour prévenir la violence sexuelle, pas
seulement y réagir. Merci.
Le
Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la ministre pour une période de
23 min 30 s.
Mme Vallée : Merci beaucoup
de votre présentation et d'avoir échangé avec nous sur votre vision et surtout sur cette volonté. J'aimerais vous entendre
davantage, d'ailleurs, sur votre politique courte et globale, la politique
que vous souhaiteriez voir mise sur pied, qui pourrait se décliner par la suite
par différents plans d'action.
Mme Miville-Dechêne (Julie) :
Évidemment, dans la vie, mon expérience en est une de communicatrice et de journaliste, et, quand je lis des documents
gouvernementaux, je suis souvent frappée par une certaine lourdeur, une
certaine utilisation d'un vocabulaire qui n'est pas extrêmement accessible, qui
bien sûr fait consensus. Parce que je comprends que ces
documents sont faits à partir de concertations très larges, mais on finit par
avoir, et là-dessus je ne veux pas
ultrasimplifier, mais des concepts un peu complexes. Je pense à la définition
des agressions sexuelles, par exemple.
C'est une définition d'une dizaine de lignes. C'est long et complexe. Peut-être
que, dans certains documents, cette fameuse
définition doit se retrouver, mais je pense qu'il y a moyen de dire les choses
plus simplement, plus directement si on
veut être lu et si on veut marquer les esprits. Évidemment, je vous dis ça, je
comprends qu'il n'est pas simple d'obtenir des consensus, mais la
mission de l'État est de communiquer.
Alors, cette
idée de vision globale permettrait toujours de savoir l'axe principal à partir
duquel les autres plans d'action se déclinent, parce que, là, c'est un
peu bizarre, le système : on a une politique pour la violence conjugale puis on a des plans d'action pour le reste. Et
c'est historique un peu — vous connaissez l'histoire. C'est qu'on a d'abord commencé
par avoir une politique sur les différentes violences, et ensuite on s'est
principalement, historiquement, préoccupés de la violence conjugale, et donc
c'est celle-là qui est devenue la politique, les autres sont devenues des plans d'action. Alors, pourquoi y a-t-il cette
différence? Parce que, on le sait, la politique, c'est plus fort qu'un plan
d'action. Donc, de notre point de vue, il
faudrait recentrer la chose, et, dans cette politique, on dirait très
clairement que toutes les formes de
violence envers les femmes découlent notamment des rapports de pouvoir entre
les hommes et les femmes, des inégalités,
qui persistent dans notre société. Et donc, à partir de ce socle très puissant,
qui effectivement regroupe toutes les formes
de violence, on pourrait décliner des plans d'action, ce qui fait, de façon
théorique, qu'on se référerait toujours aux causes principales de ces
violences pour pouvoir décliner des plans d'action. Et le fait que le message
soit court, précis... Évidemment, là, c'est
un peu facile, je vais référer pour la troisième fois à l'Ontario. Vous avez vu
comment cette politique est
construite. On a fait plein de choses très bien en termes de dépenses au
Québec, on a été des précurseurs, on est quand même sur cette question... Il n'est pas question de dire qu'on est
en retard et qu'on... Oui, on a fait beaucoup de choses, mais la
synthèse et la simplicité du message de la première ministre, Kathleen Wynne,
dans le début de cette politique est assez remarquable. Les violences sont dues
à la misogynie, et on continue sur des mots plutôt simples à comprendre. Ce n'est
pas simpliste, c'est simple.
Mme Vallée : En effet — en
fait, j'ai la politique avec moi — ce n'est jamais acceptable. Le plan
d'action, en fait, pour mettre fin à la
violence et au harcèlement sexuel, c'est effectivement très simple, on n'a pas 100
mesures, on n'a pas 100 moyens d'action, on
a un certain nombre de thèmes abordés de façon toute simple. Donc, je comprends
que, pour vous, cette avenue-là est beaucoup
plus porteuse que des mesures très larges, et l'autre élément aussi que vous
avez soulevé, qui, à mon avis, est important, c'est l'importance de mesurer les
initiatives.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Alors,
d'abord, ce n'est pas tout l'un ou tout l'autre, parce que, dans ce qu'on a fait, au Québec, évidemment dans la
centaine de mesures, il y a des mesures en région, et c'est très important
que les plans soient régionalisés, et soient
compris par les régions, et soient portés par les régions. Mais ce qu'on dit,
c'est... quand on parle d'un certain éparpillement, c'est que peut-être
que, si au centre la politique globale était plus simple et plus alignée, les projets ou les mesures se
déclineraient avec plus de cohérence. Donc, il n'est pas question d'exclure les
régions, il n'est pas question qu'il n'y ait pas de mesure en région, mais une
plus grande cohérence dans ces mesures. J'ai l'impression
qu'il pourrait y en avoir un peu moins, en effet. Par ailleurs, sur la mesure,
c'est très important. Bien sûr, mesurer les changements de mentalité, c'est
extrêmement difficile, ça prend des sondages avant, après des enquêtes.
Par exemple, en Suède, on a mesuré
l'attitude des hommes face à la prostitution en faisant des sondages avant et
après la politique.
Et donc le
sondage est une mesure, mais ce qu'on dit dans notre avis notamment, c'est que
vous avez fait un vidéo intéressant pour les centres de la petite
enfance sur l'égalité, et c'est bien fait, on voit les stéréotypes quand une éducatrice parle à une petite fille et parle à un
garçon. Bien, on sait qu'il y a eu tant de vidéos qui ont été distribués,
mais on ne sait pas l'impact que ça a eu. On
ne sait pas si les vidéos sont sur une tablette, là, ou s'ils ont été utilisés,
ou si ça a eu une véritable
influence. Je sais que c'est difficile. La mesure, quand on parle de
changements de mentalité, est difficile, mais, si on ne mesure pas,
comment peut-on savoir quelles sont les meilleures initiatives et quelles sont
celles qui marchent?
• (19 h 50) •
Mme Vallée : J'essaie, là, à
l'intérieur du temps qui nous est alloué, d'aborder les éléments qui sont les
plus importants. Quelles seraient, selon vous, les initiatives qui pourraient
être les plus porteuses? Vous avez mentionné le
retour des cours d'éducation sexuelle ou des cours à une sexualité plus
égalitaire, plus saine. Quels pourraient être les grands axes qui, selon
vous, sont des incontournables d'une politique-cadre?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Alors,
je vous dirais que d'abord nous trouvons que tout le soutien financier aux victimes... c'est-à-dire, aux groupes qui
prennent soin des victimes d'agression sexuelle est absolument essentiel.
De ce côté-là, le Québec a certainement été un précurseur, et il est essentiel
de venir en appui aux victimes; je pense aux CALACS,
je pense effectivement aux maisons d'hébergement, à la nouvelle ligne
téléphonique. Tout cela est essentiel. Mais
ce qu'on dit, c'est : Il faut aller en amont, parce que, bien sûr, tout
cela est essentiel parce que les agressions sexuelles sont encore
répandues. Donc, pour nous, la... comment dire, la véritable clé est du côté de
la prévention. Oui à des programmes d'éducation sexuelle.
Nous
pensons aussi à des campagnes de sensibilisation. Il y en a deux qui devaient
voir le jour au Québec : une sur les rapports égalitaires et une
autre sur l'exploitation sexuelle, et aucune des deux n'a vu le jour. Il ne
faut pas sous-estimer le fait pour une
population de parler d'un enjeu. Ce n'est pas pour rien que les consciences se
sont élevées quand le mouvement Agression non dénoncée est devenu une
manchette dans les journaux. On en parlait tout le temps. Donc, une publicité bien faite peut avoir un impact.
C'est sûr que, si on le fait pendant juste un mois, une fois aux cinq ans,
ça ne marche pas. Il faut que ça soit probablement en continu. Je sais que ça
coûte cher. Les médias sociaux peuvent nous permettre de
faire des messages directement aux jeunes. Quand on dit qu'il faut faire de la
prévention, et il faut faire la prévention
particulièrement chez les jeunes parce que c'est là que les esprits se forment,
les médias sociaux peuvent nous permettre de les atteindre avec des
messages qui coûtent beaucoup moins cher qu'à la télévision, et, de notre point
de vue, ça aussi, ça peut être porteur,
parce que c'est sur les médias sociaux qu'ils sont, et c'est donc là qu'il faut
intervenir. Et je sais que vous avez une politique quand même, au secrétariat,
là, sur ces questions-là de médias sociaux.
Mme
Vallée : Au-delà de la prévention, au-delà de la
sensibilisation, comment peut-on travailler avec les hommes, avec les
garçons, comment les impliquer dans une politique qui vise à contrer les
violences sous toutes leurs formes?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Alors, deux choses. À l'école, il faut
clairement... comme quand je vous dis qu'il
faut arrêter de voir la violence et les agressions comme une affaire de filles,
il faut que les garçons puissent en discuter. Et, quand je vous parlais de l'approche transformatrice, c'est...
tantôt, on a eu une discussion sur les différentes approches, c'est une approche qui a fait ses preuves. Quand
on laisse les jeunes s'exprimer et parler des comportements qu'on attend
d'eux, des attitudes qu'on attend d'eux pour
qu'ils deviennent, entre guillemets, un véritable homme, les
transformations de comportement se font
beaucoup plus facilement que quand on fait juste plaquer un message. Alors, ça
prend des espaces pour ces discussions et ça prend aussi quelqu'un pour
les animer. Ça, c'est la première chose.
Deuxièmement, je vous
raconte une anecdote que j'ai vécue au début de mon mandat mais qui reflète ce qu'on dit dans la littérature. J'étais à une table
de concertation, et une femme qui travaillait en agression sexuelle et
qui allait dans les écoles porter le message
contre la violence m'a dit : Bien, je fais ça depuis des années, j'allais
porter le message, je parlais du fait qu'il fallait être non violent à
des classes mixtes. Et soudain un de ses copains, un de ses amis, un
jeune homme, a dit : Je vais venir avec toi faire cette présentation. Et
elle a vu tout de suite, immédiatement... et elle a eu un choc, parce que c'est quelqu'un qui travaillait dans le mouvement féministe et
qui était convaincu qu'à force de répéter on pouvait passer le message, et son choc, ça a été de voir que ce jeune
homme arrivait, par toutes sortes de raisons qu'on peut ou non accepter, mais à passer le message
auprès des garçons davantage qu'elle. C'est comme si, elle, quand elle
parlait de ça, les garçons avaient tendance
parfois à mettre le message de côté en disant : Ce sont les femmes qui
parlent de cela.
On s'entend, on n'est
pas heureuses quand on entend ça, parce que, comme féministes, on aimerait tout
à fait que les femmes puissent porter le
message, tous les messages et qu'elles soient entendues. Mais tout ça reflète
aussi les inégalités et le fait que les jeunes garçons se retrouvent
parfois davantage dans les jeunes hommes pour ce qui est des messages et de la
façon dont ils sont livrés. Alors, ça, ça me semble important de retenir, et la
littérature, d'ailleurs, peut dire ça.
Donc,
nous, on ne dit pas, là, qu'il faut complètement bouleverser nos façons de
faire, mais on dit qu'il faut étudier à fond cette question-là pour
savoir comment, en changeant le porteur de message ou en multipliant les
porteurs de message, on peut arriver à
passer plus facilement ce message de non-violence. Je sais qu'il y a
eu, à une certaine époque, des chercheurs
qui ont travaillé sur le fait de rejoindre les garçons et les jeunes hommes
dans les équipes de sport, parce
que c'est un lieu où on parle beaucoup
de choses relativement intimes. Donc,
c'est aussi une possibilité qu'on n'a pas étudiée, mais je sais que ça
se fait. C'est parce que, si c'est là qu'il faut changer les mentalités, c'est
à ça qu'il faut s'atteler.
Mme Vallée :
C'est intéressant, parce qu'à travers les médias on a appris que notamment,
pour ne pas les nommer, les dirigeants de la
Ligue de hockey junior majeur étaient intéressés par nos travaux. Alors, je
comprends de votre intervention qu'il pourrait s'agir là d'une façon
d'interpeller les jeunes garçons donc à travers des pairs, à travers les collègues, comment les amener à adopter des
comportements plus sains et aussi à se tenir debout contre les
agressions sous toutes leurs formes, face à leurs collègues.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Absolument. Et j'aimerais vous parler aussi
d'un autre projet, qui s'appelle La
Traversée, que vous connaissez peut-être, où, à travers la philosophie et le
fait de présenter la philosophie comme à tous les... Je pense que c'est
même au primaire, hein?
Une voix :
...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Allez-y, Marie-Andrée, parce que vous connaissez
le projet un petit peu mieux que moi. Marie-Andrée Lefebvre.
Mme Lefebvre (Marie-Andrée) : Bonjour. Donc, La Traversée, c'est un organisme
qui offre de la formation pour les
professeurs mais pour aussi des intervenants en milieu scolaire. Ils ont un
projet pilote sur la Rive-Sud de Montréal, je crois, et ce qu'ils font,
c'est qu'ils font des cours de philosophie tout au long du primaire.
Donc,
c'est des classes dans lesquelles les élèves sont invités à discuter sur une
thématique, un enjeu particuliers, comme
par exemple le bien et le mal, la violence, quand est-ce que c'est bien de
mentir, quand est-ce que c'est mal de mentir, et les nuances, puis en
fait c'est un peu un modèle en matière d'amener les enfants à réfléchir non
seulement à leurs positions, mais aussi à comment ce qu'on croit, ce qui est
notre opinion peut évoluer en fonction de ce que les autres autour de nous vivent et croient. Puis ce qu'on se rend compte
avec ce type de projet là, c'est que les enfants qui ont suivi ces cours-là, à la fin de leurs parcours,
sont beaucoup moins enclins à utiliser la violence pour régler les
problèmes, sont beaucoup plus capables
d'exprimer leurs besoins, leurs sentiments, leurs limites. Et c'est un modèle
qui pourrait être inspirant en
matière de... Pour les gens, dans les classes, avec les enfants, c'est
difficile de parler de sexualité, mais en fait on n'est pas obligé de donner du contenu aux enfants
sur la sexualité, on peut simplement poser des questions et laisser les
enfants discuter entre eux.
Et
c'est ça un peu, l'approche transformatrice à laquelle Mme Miville-Dechêne
faisait référence, c'est que c'est transformateur
d'être en contact avec des opinions puis des points de vue qui sont différents
des nôtres. Et, à répétition, ça fait
en sorte que les enfants ont une capacité réflexive et une capacité à interagir
avec leur entourage qui est décuplée grâce à ce type d'approche là.
• (20 heures) •
Mme Vallée :
Je vous remercie. C'est fascinant, on pourrait en jaser encore très longtemps.
J'aimerais, avant de céder la parole
à des collègues, vous entendre, puisqu'on a aussi été sensibilisés aux réalités
que les communautés LGBT pouvaient
vivre, notamment les trans, qui se retrouvent parfois dans des zones grises ou de bris de service lorsque vient
le temps de dénoncer, lorsque vient le temps d'aller chercher de l'aide pour
des agressions qu'elles auraient subies. Et donc j'aimerais ça vous entendre
sur la question. Je ne sais pas si vous avez porté votre réflexion sur cet
aspect de l'enjeu des agressions.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Oui. Je pense qu'après avoir consulté mes deux collègues on
peut vous revenir sur cette question-là.
Je dois vous dire que nous ne l'avons pas abordée dans notre avis, pas parce qu'elle n'est pas importante, mais
parce que c'est très spécifique et on ne pourrait pas vous parler
intelligemment de la question.
Mme Dumont (Geneviève) : Peut-être
que je pourrais... Excusez-moi.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Oui.
Allez-y. Geneviève Dumont.
Mme Dumont
(Geneviève) : Peut-être dire
quelque chose aussi, c'est : ce que Mme Miville-Dechêne explique aussi, c'est d'avoir cette vision globale par
rapport à la violence où on... Dans le mémoire, évidemment, on ne
pouvait pas parler de toutes les
problématiques liées à la violence faite aux femmes et non plus de toutes les
personnes, aussi les femmes, qui sont victimes de ces violences-là. Mais
évidemment c'est pour ça que c'est important, dans cette vision globale là, d'avoir des plans d'action spécifiques pour
les différentes formes que peut prendre la violence mais aussi pour
prendre en compte aussi comment les
différentes personnes peuvent vivre aussi, s'ils appartiennent à une communauté
particulière, une culture particulière, que
ça... On n'a pas parlé beaucoup dans le mémoire non plus de la violence qui est
faite aux femmes autochtones. C'est
quand même une préoccupation qu'on a beaucoup, mais c'est... évidemment, ce
qu'on voulait plus, c'est rappeler
que la violence faite aux femmes s'enracine dans les inégalités et les
inégalités entre les femmes et les hommes, mais les inégalités aussi
qu'il y a entre les différentes femmes, dépendamment d'où elles viennent, de
leur réalité.
Alors, c'est
sûr qu'on a cette préoccupation-là, et on pense qu'un message comme une vision
globale, une politique peut être
rassembleur non pas pour juste travailler avec des plans d'action différents,
mais travailler avec les personnes qui sont au coeur de ces plans
d'action là. Il ne faut pas oublier qu'il y a de la diversité aussi à ce
niveau-là.
Mme Vallée :
Sur ce, j'avais des collègues, je pense, qui voulaient intervenir. Bien, je
vais, par courtoisie, laisser la parole, mais vous avez soulevé d'autres...
Le Président (M. Picard) : M.
le député de D'Arcy-McGee, il reste cinq minutes.
M.
Birnbaum : De mon côté, je n'aurai pas besoin des cinq minutes,
peut-être, pour la réponse. Merci, madame, pour un exposé très important
et très intéressant. Et je vous avoue que c'est intéressant d'entendre, pour
moi, une évidence, qu'on cible 50 % de la population, d'où vient,
malheureusement, la grande majorité des agresseurs mais d'où viennent, j'espère,
ainsi des solutions. Il me semble de mise qu'il faut cibler cette partie de la
population assez importante aussi.
On a parlé
beaucoup de la prévention, et je comprends, et de l'aspect de l'éducation à la
sexualité, qui s'insère évidemment dans cette priorité bien, bien
placée. En même temps, on parle du fait qu'on ne voit pas tant de progrès que ça dans les procédures pour les gens qui sont
victimes actuellement ni dans le pourcentage des femmes qui se sentent appuyées pour dévoiler le fait qu'elles ont été
victimes. Une autre fois, dans l'idée de voir une approche globale mais
aussi de cibler les solutions, parce qu'il y
en a tellement, de choses à faire, qu'est-ce que vous avez à nous dire sur les
priorités en ce qui a trait pas à la prévention, mais à l'accompagnement des
victimes actuelles?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Bien, certainement, nous croyons que les groupes communautaires et les
groupes comme les CALACS, comme les maisons d'hébergement, tous ceux et toutes
celles qui s'occupent des victimes, ou qui
les prennent en charge, ou qui les accompagnent bénéficient, règle générale, de
financement. Nous croyons que ce financement
doit être assuré, et je sais aussi que pour certaines le financement n'est pas
à la hauteur de l'inflation. Donc, c'est
clair qu'il doit y avoir un financement assuré pour tout ce secteur. On a
confié à des organismes qui ne font pas partie de l'État mais qui viennent en appui à la mission de l'État... on a
confié une mission importante à ces organismes, donc il faut les
financer correctement. Donc, ça, c'est clair.
Du côté des tribunaux et des services policiers, c'est
difficile de savoir exactement qu'est-ce
qu'il faut faire de plus, parce qu'il y a eu beaucoup de formation de
faite auprès des services policiers et, dans les grands services policiers, il y a des experts de ces questions-là. Or, pas
plus tard qu'en janvier, j'ai dû aider une femme qui s'est heurtée à un
véritable mur du silence à l'intérieur d'un gros service de police, et son
dossier a traîné pendant trois mois. Donc, au-delà de la formation, il y a encore des ratés dans ce
secteur-là comme il y a des ratés dans d'autres secteurs, mais, dans celui-là,
les femmes se sentent doublement victimisées si elles n'ont pas une oreille non
seulement compatissante, mais efficace dans les services de police. Donc, de mon point de
vue, je ne comprends qu'en 2015 on puisse laisser traîner un dossier comme celui que cette plaignante a traîné. Ce sont
évidemment des situations fâcheuses, mais je ne pense pas qu'il faut
pour cela se décourager et dire que le système ne marche plus.
Il faut accélérer la justice, mais ça, c'est
vrai pour tous les procès. La justice est trop longue à venir, et c'est évident que des femmes se découragent dans le
processus et le portent. Vous savez, quand on est en cour ou quand on
attend pendant un an notre comparution, on porte cette blessure pendant un an,
elle n'est pas derrière nous. Donc, ça, c'est un enjeu de société beaucoup plus
large que celui des agressions sexuelles, c'est la lenteur extrême de la
justice.
Une voix : ...
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Ah! la prescription aussi. C'est ça. Je l'ai
oubliée, là. Il faut enlever les délais de prescription parce que la justice est lente, parce que ça prend beaucoup
de temps à certaines femmes avant de dénoncer.
Le Président (M. Picard) : Il
reste une minute.
M.
Birnbaum : Je suis
curieux... Si je peux? Je suis curieux, M. le Président. Si le
diagnostic varie dans les régions métropolitaines... qu'en région il y a
une problématique qui s'impose, mais est-ce que c'est plus grave là où il n'y a
pas de masse critique, où il risque d'y avoir moins de...
Mme Miville-Dechêne (Julie) :
D'organismes?
M.
Birnbaum : ...d'organismes
d'entraide, et tout ça? Est-ce que c'est un problème même plus prononcé dans
les régions quand on parle de signalements et de la collaboration?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Écoutez,
je crois qu'on est assez bien... en tout cas, en termes de maisons d'hébergement,
de CALACS, d'organismes, on a quand même une couverture régionale au Québec.
Mais vous me demandez une question très pointue, s'il y a des différences
régionales. Je n'en sais rien, mais on va vous revenir.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Vous allez revenir à la commission.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : On va...
Le
Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à Mme
la députée d'Hochelaga-Maisonneuve pour
23 min 30 s.
Mme Poirier : Merci, M. le
Président. Bonjour.
Le Président (M. Picard) :
14 minutes. Excusez.
Mme Poirier : Ah mon Dieu! Je
m'emballais.
Des voix : Ha, ha, ha!
Mme Poirier : Je m'emballais.
Dans votre mémoire, vous nous parlez d'une politique globale agissant sous
toutes les formes.
Je reviens au
document de 2007 Pour que l'égalité de droit devienne une égalité de fait.
3.5.1, hein — je
vous lis juste qu'est-ce qui est là — alors, 3.5.1, là, c'est le chapitre
«Prévenir et contrer la violence conjugale et les agressions sexuelles»; 3.5.2 : «Prévenir et contrer
l'exploitation sexuelle et la traite des femmes.» Ça, c'est une politique
gouvernementale, depuis 2007, qui prévoit déjà, à l'intérieur de
l'ensemble de la politique égalité de fait... qui prévoyait déjà ces deux éléments-là. Alors là, je me pose la
question : Pourquoi vouloir une autre politique, puisque ces éléments-là
sont déjà dans une politique? La réflexion qu'on a faite ici était plus
de dire : Un plan d'action global. Puisque ça existe déjà dans la
politique, pourquoi ne pas avoir un plan d'action global sur la violence
conjugale, la violence sexuelle, l'exploitation sexuelle? On était dans ce
volet-là. Ou, peut-être, ça nous prend une loi-cadre. Alors, un autre groupe
est venu dire que ça prend plutôt une loi-cadre.
Alors,
certains vont dire : Vous êtes dans la mécanique puis dans... Mais, non,
on est dans des... moi, j'ai appelé ça
aujourd'hui des parapluies, là, pour venir encadrer et surtout venir
circonscrire un peu vers quoi on veut aller et cibler directement, ce
qui est une de vos prémisses. Alors, j'aimerais ça vous entendre là-dessus.
• (20 h 10) •
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Alors, bon, il peut y avoir... on ne fera pas trop de structurite ici, mais effectivement ce n'est pas inimportant, parce
que j'ai le sentiment qu'on se perd
un peu dans les différents documents. En
tout cas, moi, quand je suis
arrivée, là, au conseil, là, le plan d'action, tout ça... je trouvais qu'il y
en avait beaucoup, beaucoup, de documents.
Donc, l'idée
de la politique globale, c'est l'idée d'un chapeau qui englobe tout ça et qui
donne un peu la direction dans laquelle on va. Est-ce qu'on pourrait
faire un plan d'action... le refaire d'année en année — j'imagine,
c'est ça que vous
voulez dire — sur
toutes les formes de violence? Bien, je pense que tout ça est discutable. Mais
ce qu'on veut éviter, par exemple...
C'est qu'on sait qu'il peut y avoir parfois des tables de concertation qui
s'occupent spécifiquement d'agression
sexuelle et d'autres qui s'occupent de violence conjugale. Selon les régions,
ça varie, le discours varie. Alors là, il
y a quelque chose d'un peu absurde qu'il n'y ait pas une centralisation de ces
problématiques, qu'il n'y ait pas une table où les deux problématiques,
qui sont quand même issues de la même cause, ne sont pas discutées en même
temps.
On faisait des blagues cet après-midi, là; il
est question d'agression sexuelle, c'est quelqu'un qui est à la table, mais, lui, sa spécialité, c'est la violence
conjugale, il part pendant quelques minutes prendre un café, il revient
après... Donc, il y a quelque chose d'un peu
étrange dans le fait de séparer ces problématiques quand vient le temps d'avoir
des conversations là-dessus. Mais doit-il
s'agir d'une loi-cadre, d'une politique globale? Est-ce que vous avez des
idées, Geneviève?
Mme Dumont (Geneviève) : J'ai peur
de trop parler.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Mais
allez-y. C'est quand même celle qui a écrit le mémoire.
Mme Dumont (Geneviève) : Bien, en
fait, l'idée de la politique globale, c'est que, dans le fond, il faut voir
aussi tous les projets, les idées émergentes aussi par rapport à la violence,
là. Là, on va avoir la cyberviolence, il y a l'exploitation
sexuelle, il y a la violence liée à l'honneur, mais tout ça découle du même
fondement, et je pense que c'est important d'envoyer ce message-là
autour des tables de concertation aussi, parce que, sur les tables de
concertation, il y a des représentantes des
groupes de femmes, il y a des représentants des corps policiers, il y a des
représentants issus de différentes — je le mets entre guillemets — cultures aussi gouvernementales. C'est
important que ce qui va rassembler toutes ces personnes-là, c'est la
source même de ces violences-là, peu importe la forme qu'elles prennent. Si on
les fragmente, c'est comme si on
disait : Toutes ces formes-là de violence prennent leur source dans des
choses différentes, c'est des problématiques différentes. C'est la même
problématique mais qui s'exprime de façon différente.
Mme
Poirier : Il y a un des groupes qui nous a dit : Ce tronc
commun, c'est l'abus, en quelque part, c'est vraiment l'abus, parce que c'est une forme de pouvoir, là,
qui s'installe. Et là je vous fais référence à... j'en ai parlé à la
ministre tout à l'heure, là, je ne fais pas
de surprise... Alors, cet après-midi, à l'Université de Montréal, la
responsable, la porte-parole, de l'ASSE
s'est vu... et je ne le lirai pas en détail parce que ce n'est pas très joli,
mais elles s'est vu... il y a un graffiti qui est apparu sur un mur, en
disant que finalement elle devrait se faire violer et que ça devrait faire mal.
On est en pleine commission des agressions
sexuelles, on a ce message-là sur un mur à l'Université de Montréal. On se rappelait, justement, qu'il y a
près d'un mois c'était à l'UQAM où on a eu aussi une campagne qui a fait
écho à ça, et je vous ai invités à regarder 19-2,
l'émission qu'on a eue cette semaine avec un viol en direct. Où on s'en va, là?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Sur la question estudiantine, je vais laisser Marie-Andrée Lefebvre, qui sort
à peine de ce milieu, nous en parler avec plus de connaissances que moi,
certainement plus de connaissances terrain.
Sur la
question de la multiplication des images de viol à la télévision, ce qu'il
faut... on en a parlé tout à l'heure, Mme Poirier et moi, et je crois
qu'elle a raison de dire qu'il faut un peu d'encadrement quand des images aussi
fortes qu'à 19-2 regardées par
1 million de personnes... ou, en tout cas, une grosse cote d'écoute...
Est-ce qu'il faut, à la fin, dans le générique,
écrire quelque chose? Est-ce qu'il faut que les personnages reviennent et
parlent des possibilités de demander de l'aide? Parce que souvent c'est à travers les dramatiques... On le sait,
quand les premières dramatiques ont eu une influence sur la libération des femmes... c'est souvent le
vecteur pour que des femmes chez elles prennent conscience de certaines choses.
Donc, c'est clair que dans ce cas-là, 19-2, il y a un petit drapeau qui
aurait dû s'élever.
Sur la question des étudiants, je vais laisser
Marie-Andrée Lefebvre vous donner le point de vue.
Une voix : Un point de vue.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Un point
de vue, parce qu'il y en a plusieurs.
Mme Lefebvre (Marie-Andrée) : Suite
à la grève de 2012, il y a un ouvrage collectif qui avait été écrit qui s'appelait Les femmes changent la lutte.
C'était une réflexion sur comment les femmes, collectivement et
individuellement, s'inscrivaient dans un
mouvement de revendication, et, entre
autres, il y avait
certains passages sur le fait que, même dans un mouvement où on remet en question...
où on a un rêve de changement
collectif, on remarquait que les rapports de pouvoir entre les hommes et
les femmes étaient reproduits de façon systématique, où les femmes étaient
appelées à reprendre leur place, où la
parole principale qui était écoutée était celle des hommes. Gabriel
Nadeau-Dubois, aussi bon porte-parole qu'il a été, est devenu une icône.
La co-porte-parole de l'ASSE, Jeanne Reynolds, on l'a à peine vue.
Dans le cas
de la porte-parole actuelle de l'ASSE, qui a été menacée de viol, ce qu'on
constate, c'est que, quand une femme prend la parole et que sa parole
nous déplaît, on menace son intégrité physique. Le viol est la menace ultime pour faire taire quelqu'un. Si ça a avait été un
homme, on aurait attaqué sa crédibilité, sa réputation, son statut social,
à la limite, ses études. C'est une femme; on
sait comment détruire quelqu'un, on menace son intégrité physique. Ce qui
se passe en ce moment, c'est : non
seulement on assiste à un exemple de culture du viol, mais on assiste aussi à
la menace à une femme qu'on souhaite
faire taire, qui nous déplaît et qu'on veut l'intimider. C'est de
l'intimidation. C'est une des pires formes
d'intimidation, mais c'est aussi une façon de remettre les femmes à leur place.
Et je pense que ce qui a besoin d'être fait
de part et d'autre, qu'on soit pour ou contre la grève, c'est de dire que,
qu'on soit du gouvernement, ou du mouvement étudiant, ou de la société civile, ce type de
menace là n'a pas sa place dans une discussion que ce soit sur l'austérité,
les frais de scolarité ou quoi que ce soit. C'est inacceptable.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Alors,
je m'inscris tout à fait...
Mme
Poirier : Je vais juste vous dire que je pense que vous avez le
soutien de tout le monde dans ce que vous venez de dire ici.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Alors,
évidemment, je soutiens tout à fait, moi aussi, ce que Marie-Andrée a exprimé.
Et je veux rajouter qu'il y a eu un sondage assez intéressant fait à
l'Université d'Ottawa sur les mythes et croyances des étudiants face aux
agressions sexuelles, et il y avait des proportions non négligeables...
notamment, je crois, le quart des jeunes
hommes qui disaient que les femmes avaient tort de croire que, quand il y avait
un attouchement un petit peu suspect,
ça devenait forcément du harcèlement sexuel. On imputait aussi la
responsabilité aux femmes trop légèrement vêtues d'avoir couru après.
Donc, bref,
ces femmes-mythes à la base du problème survivent et survivent très bien dans
des institutions de savoir où les
jeunes hommes et les jeunes femmes vont à l'école et normalement devraient
apprendre ça aussi. Mais clairement c'est très, très dur de se débarrasser
de ça et c'est pour ça qu'on dit que, dans les plans d'action, il faut que le
milieu de l'éducation soit absolument
convié. On s'est rendu compte, je crois, dans le plan d'action sur les
agressions sexuelles que le milieu de l'éducation n'y était pas et nous
croyons important qu'il y soit.
Mme
Poirier : Vous revenez, parce qu'on a un autre groupe qui est
venu avec le délai de prescription. On a vu aussi, dans les causes particulièrement, puis vous ne l'abordez pas,
mais nous, on en a entendu parler, tout qu'est-ce qui était aussi la
violence sexuelle faite aux hommes, aux garçons principalement, aux jeunes
garçons et on a vu les causes avec les
institutions religieuses, entre autres, où, justement, là, les délais de
prescription, on a vu qu'est-ce que ça donnait. Qu'est-ce qui est votre recommandation? Puis je vous dirais que je vous
donne à peu près une minute pour me répondre.
• (20 h 20) •
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bon.
Évidemment, nous sommes le Conseil du statut de la femme, alors, au premier chef, on réfléchit sur ces questions-là du
point de vue des femmes et des filles, mais il est clair que les garçons
sont aussi des victimes... pas seulement les pensionnats, mais aussi,
aujourd'hui, là, peuvent être les victimes d'hommes de pouvoir.
Ce qu'on dit
là-dessus, c'est qu'il faut des services, il faut qu'ils aient accès aussi à
des services. Je sais qu'en Gaspésie,
notamment, le CALACS ou un groupe qui aidait les jeunes filles voulait aider
les garçons aussi. Ça a créé un petit
peu de difficultés là-bas parce que c'étaient des groupes qui étaient réservés... c'étaient des formes d'aide
réservées aux jeunes filles. Alors, on a dit
non. Il y a des jeunes garçons qui ont aussi besoin d'aide et
il faut les aider. Alors, nous sommes
évidemment favorables au fait qu'on aide les femmes, les filles mais
aussi les garçons victimes et, par la même occasion, qu'on fournisse des
services aussi aux agresseurs, parce qu'il faut aussi que cela cesse.
Alors, cela
étant dit, le délai de prescription, pour nous, est inconcevable justement
parce que ça prend du temps aux victimes
pour s'apercevoir parfois qu'on a abusé d'elles et pour avoir le courage de
dénoncer. Donc, il me semble que c'est
caduc et qu'il faudrait complètement se débarrasser de ce délai de prescription.
Est-ce que j'ai été dans la minute?
Mme Poirier : Merci. C'est
parce que j'avais besoin d'un petit peu de temps.
Écoutez, je
vais faire un peu de procédure, là, parce que, dans la minute qu'il me reste,
je dois faire de la procédure. Alors,
en vertu de l'article 176 de notre règlement, M. le Président, je vous
demanderais de convoquer les membres de la commission afin qu'on puisse
déterminer les observations, conclusions et recommandations qui vont faire
suite au présent mandat. Je sais que,
lorsqu'on a adopté la motion convoquant cette commission, il y avait aussi
trois forums et un mandat éventuels, mais, dans la motion, il n'y a pas
d'endroit pour discuter et avoir un échange entre nous sur l'objet du rapport
exclusivement. Il y a, sur l'ensemble du processus, après les trois forums...
et je pense qu'au préalable il serait nécessaire, puisque, là, on a ça frais à
la mémoire, d'avoir une discussion sur le rapport, en tant que tel.
Alors, ce que
je vous demanderais, c'est de pouvoir convoquer votre comité afin de voir
comment on pourrait établir un
calendrier avec votre commission pour qu'on puisse avoir du temps, là, pour
discuter, entre autres, commencer à établir le rapport de ces
recommandations-là.
Le Président (M. Picard) :
Parfait. Donc, je vous informe que la commission sera convoquée sous peu en séance de travail afin de déterminer les
observations, les conclusions et, s'il y a lieu, les recommandations qu'elle
entend formuler. Nous avons trois jours francs. C'est-à-dire, d'ici vendredi
12 h 30, nous serons en séance de travail.
Nous poursuivons avec Mme la députée de
Montarville pour une période de 9 min 30 s.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci, mesdames, merci pour votre mémoire.
Excusez la toux et la voix, je suis désolée, je fais du bruit dans mon coin.
Vous avez dit
des choses fort intéressantes. Le mémoire est percutant, intéressant, bien
fouillé, bien documenté. Vous nous
avez dit une chose, et je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous nous
dites — et je
vous cite : «Cessons de travailler en silo, adoptons une politique
globale [de lutte contre les violences faites aux femmes].» Et là je vais faire
un petit peu de chemin sur la question de ma
collègue. Pour ce qui est de travailler en silo, à la lecture de votre
document, on voit très bien que vous faites,
entre autres, une analyse du fait que plusieurs organismes, par exemple,
travaillent en silo. Je vais aller plus loin là-dessus : Est-ce que vous considérez que
peut-être certains des organismes communautaires qui sont là pour prendre la relève, finalement — le gouvernement ne peut pas tout faire — à l'occasion, peuvent dédoubler les
services ou même se déchirer les subventions
et également la clientèle? Il ne faudrait pas mieux organiser à cet égard-là
pour donner les meilleurs services possible aux victimes d'agression?
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Alors, là-dessus, je dirais deux choses. D'abord,
si les groupes communautaires ou si
des groupes s'occupent des victimes, c'est parce que l'État leur a délégué
cette tâche, donc c'est important de le dire, et donc c'est une tâche
qui doit être financée.
Je n'oserais pas
porter un jugement général sur ce que vous dites. C'est évident qu'il peut y
avoir, quand les subventions diminuent, certaines guerres de pouvoir entre des
groupes, mais, dans ce cas-ci, les services doivent être financés, et je ne crois pas qu'il y ait de
dédoublement. J'espère, et j'ose espérer, et je crois que ça se fait... Nous
avons été visiter une maison qui s'appelait
La Dauphinelle et, dans cette maison, on s'est rendu compte... C'est juste...
enfin, non, je ne dis pas où elle est. Excusez-moi.
Mme Roy
(Montarville) :
Une maison d'hébergement. Parfait.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Désolée. Donc, La Dauphinelle, qui est une maison
d'hébergement indépendante à Montréal et qui, il y a quelques années,
s'est rendu compte qu'elle était de moins en moins remplie, elle était remplie à 75 % et non à 100 %, a
commencé à se demander pourquoi. Parce qu'effectivement les problématiques
peuvent changer, tu sais : il peut y
avoir plus de violence conjugale à certains moments; ça diminue. Alors, comment
maximiser les services?
Alors,
cette maison, qui était à l'écoute de son milieu, s'est rendu compte de plusieurs
problèmes. L'un d'entre eux était qu'un des critères d'admission... il
fallait que les victimes parlent français. Alors là, on avait un problème,
parce qu'évidemment, à Montréal, on est dans
une ville multiculturelle où la francisation ne se fait pas toujours au rythme
où on la souhaiterait et où des femmes qui ne parlaient pas ni l'anglais ni le
français, d'ailleurs, avaient besoin d'aide. Alors, évidemment, ils ont changé leurs politiques, mais ils ont fait plus que
ça, c'est qu'ils se sont rendu compte que ce n'était pas toujours la violence qui amenait les femmes à
demander de l'aide, mais aussi des difficultés de tout ordre et des
difficultés d'ordre matériel. Donc, cette
maison, La Dauphinelle, s'est transformée dans sa mission en aidant et les femmes
victimes de violence et les femmes en
grandes difficultés, beaucoup d'immigrantes, avec de grandes familles, qui ne
parlent pas forcément français et
qui, dans un délai de 30 à 60 jours — je pense que c'est 30 jours, les délais
d'urgence — se
voient offrir des services pour ne pas tomber dans l'itinérance.
Donc
là, vous avez un exemple formidable d'une maison qui a vu son entourage... qui
a vu les besoins changer et qui s'est
adaptée aux besoins. Alors, c'est l'idéal, c'est ce qu'on veut, parce que la
situation change constamment. Je ne peux pas vous dire si ça se fait
dans l'ensemble, mais j'ai bon espoir que ça se fasse, parce que toutes les
maisons ont réalisé... par exemple, cette
idée que les familles sont plus grandes, et c'est vrai qu'il y a plusieurs
maisons d'hébergement qui ne peuvent
pas accueillir des familles nombreuses. Mais, dans ce cas-là, La Dauphinelle,
on a pris une nouvelle résidence à ce
moment-là puis là on a des chambres où on peut mettre quatre, cinq enfants, des
appartements qui communiquent, parce
qu'il y a une nouvelle réalité. Et je sais qu'en ce moment il est beaucoup
question d'itinérance, mais ça, c'est une autre problématique liée. Il y a peu d'endroits pour les femmes, avec
enfants, qui ne viennent pas consulter pour de la violence. Il peut y avoir de la violence dans leur
parcours, mais ça crée une pauvreté et ça crée une détresse absolue à laquelle il faut pallier aussi. Et on ne peut pas
forcément les séparer de leurs enfants, vous comprenez, parce que, quand
on va dans des maisons pour itinérants, les enfants, qu'est-ce qui se passe?,
ils sont placés, et ce n'est pas ça qu'on veut.
Mme Roy
(Montarville) :
Bien. Vous nous dites que ça nous prend également la création d'une politique concertée
pour contrer la violence qui est faite aux femmes et aux filles, et c'est là
que je veux faire du millage sur ce qu'avait
commencé à dire ma collègue. On fait quoi avec les petits garçons victimes?
Parce qu'on parlait de silos tout à l'heure, mais aussi de silos dans
les plans et dans les politiques. Quand on en fait, on les multiplie, ce qui
fait qu'ils banalisent la problématique,
qui, dans le fond, n'en est qu'une. C'est ce que vous dites. Et ce que je me
dis, c'est que, si on fait une politique concertée pour contrer la
violence faite aux femmes et aux filles, ne vient-on pas créer justement une
problématique à part pour les petits garçons victimes d'inceste, par exemple?
On fait quoi avec eux?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : ...sont victimes, eux aussi, de rapports de
pouvoir, on s'entend.
Je
vais aller un petit peu plus au fond des choses sur ce qui s'est passé en
Gaspésie parce que, pour moi, c'est un exemple
assez intéressant de groupe d'aide, au départ, qui avait une mission d'aider
les femmes et les jeunes filles et qui s'est
aussi intéressé aux garçons parce qu'il y avait des problématiques peut-être
qui devaient être abordées différemment, mais il y avait une aide
nécessaire pour ces garçons. Je crois que ça peut se faire, certainement. Si ce
groupe l'a fait, ça peut se faire. Mais c'est des questions assez délicates
quand même, et, si vous me permettez, je vais vous revenir.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, je vous permets, absolument. Je vous le permets.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Parce que, je m'excuse, j'oublie le nom du
groupe. Ça m'a été...
Une voix :
...
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Je
ne suis pas sûre, non. C'était vraiment en Gaspésie une problématique
propre où il y a peu de gens... Donc, il y a
un organisme qui avait de la place pour aider les garçons mais qui était juste
destiné aux femmes, alors ils ont carrément changé leur mission. Et ça
peut se faire.
Mme Roy
(Montarville) : ...ce que vous disiez tout à l'heure, où
c'est cette maison pour femmes qui a modifié sa mission compte tenu du
fait que la démographie changeait tout autour.
• (20 h 30) •
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Oui. Et La Traversée, autre groupe, si je me rappelle bien, aide les petites
filles et les petits garçons. Et j'ai raison sur la mixité?
Mme Poirier : Quatre à 13
ans.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Quatre
à 13 ans. Donc, il y a des modèles qui sont intéressants.
Mme Roy
(Montarville) :
Par ailleurs, vous êtes le troisième groupe... on termine avec vous ce soir,
mais vous n'êtes que le troisième groupe sur... mon Dieu, plusieurs
groupes, plus d'une quinzaine de groupes qui nous avez parlé d'intervenir également auprès de l'agresseur. Ça ne vous inquiète
pas qu'on ne focusse pas davantage aussi sur le... On sait que les agressions sexuelles sont des abus de
pouvoir et c'est la violence faite aux femmes, en grande majorité, mais qu'il
n'y ait pas plus de gens qui se soient attardés au fait qu'il faille agir
auprès de l'agresseur en tant que tel, ça ne vous inquiète pas?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Bien, écoutez, d'abord, notre mission, au Conseil du statut de la femme, c'est d'abord
et avant tout de s'intéresser aux femmes, et, comme vous savez,
statistiquement, les femmes sont d'abord et avant tout des victimes de cette violence. Il y a
un très petit nombre de femmes agresseuses, on en a déjà parlé, au conseil,
mais, en termes statistiques, c'est un petit nombre.
Toutefois, oui, nous ne sommes pas en mesure de
vous dire quelles sont les failles dans les services actuels parce que nous n'avons pas étudié la situation,
mais il est clair que ça prend des services, que ça prend de l'aide pour
les agresseurs, mais je vous dirais
qu'évidemment notre avis insiste sur la prévention, parce que, si on prévient,
si on parle aux adolescents, si on
leur donne des forums, si on prévient en amont, il y aura moins d'agresseurs,
donc moins de besoin d'aide. Je sais
que ce n'est pas une réponse peut-être... En tout cas, c'est vrai aussi. C'est
vrai que la prévention limiterait le nombre d'agresseurs, mais je fais
partie de celles qui croient qu'il faut absolument des services pour ces
hommes. Toutefois, bien sûr, il ne faut pas
que l'argent de ces services vienne diminuer les services offerts aux victimes,
il faut que ça soit deux types d'enveloppe.
Mme Roy
(Montarville) : ...et ça me réconforte de voir que le
Conseil du statut de la femme dit : Il faut aussi s'occuper des
agresseurs, justement, pour ne pas qu'ils récidivent.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien
sûr.
Mme Roy
(Montarville) :
Au mieux, au mieux.
Le Président (M. Picard) :
Merci, Mme la députée.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci.
Le Président (M. Picard) : Je
cède maintenant la parole à Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques.
Trois minutes.
Mme Massé : Merci, M. le... M. le
député, oui; M. le Président, oui...
Le Président (M. Picard) :
Oui, je suis député.
Mme Massé : ...et député, bien sûr.
Bonsoir, mesdames, merci de votre présentation.
En fait, ce
que je comprends de ce que vous nous dites, c'est : si on veut y arriver
vraiment, là, ce qu'il faut, c'est, d'une
part, je dirais, prendre ça à bras-le-corps avec une vision très commune et
cohérente des choses. Vous nous suggérez ce tronc commun là, mais j'entends
deux choses : Il faut que ce soit systématique et continu. Ça veut dire
quoi, ça, «systématique et continu»?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Bien, ça veut dire que — revenons aux publicités de la SAAQ, qui semble avoir pas
mal d'argent pour faire de la publicité, c'est probablement parce qu'elle est
financée différemment, là — c'est
en continu, on prend différents axes et on
martèle le message. Et je parle de ces publicités parce qu'on les voit tout le
temps, elles sont nombreuses, elles
reviennent. Chez nous, souvent, on fait une grande campagne qui est courte,
parce que ça coûte de l'argent, les
campagnes télévisées, et ça fait relativement longtemps, si je ne m'abuse,
qu'on n'a pas eu de campagne télévisée sur ces questions d'agression
sexuelle.
Donc, «en continu», ça
veut dire que ça ne peut pas être qu'un projet, une fois, qui parait bien dans
un plan d'action mais qui ne revient pas,
parce que changer les mentalités, ça prend du temps à tous les niveaux. C'est
vrai pour les cours d'éducation sexuelle.
Ca ne peut pas juste être en secondaire V, il faut que ça soit sur
plusieurs années, parce que, pour changer les mentalités des jeunes
garçons et des jeunes filles, ça prend du temps. Donc, «en continu», c'est ça
que ça veut dire : il faut que ça soit
systématique, parce qu'il faut s'assurer que, dans les endroits où on peut
aller chercher les jeunes, ça soit fait. Bien sûr, on aimerait que les
parents puissent jouer ce rôle, mais, comme député, on ne peut pas intervenir individuellement dans les maisons.
Donc, l'école et peut-être... on parlait du sport aussi pour les garçons.
Il faut aller dans des endroits où collectivement on peut intervenir, mais il
faut effectivement que ça soit des programmes sur la durée.
Mme Massé : Et, je pense, dans les
cinq secondes...
Une voix : 30 secondes.
Mme
Massé : Vous avez lancé une idée intéressante. Notre premier ministre
a décidé de prendre à bras-le-corps toute la question de l'intimidation en
partageant, dans le fond, le mandat avec un certain nombre de députés mais en demeurant celui qui porte ça. Je pense que vous
avez... puis vous l'avez nommé, et vous n'êtes pas les seules,
qu'intimidation, agression sexuelle, cyberintimidation, ça a souvent des
connotations sexuelles, c'est souvent dirigé vers
les jeunes filles, parfois par des jeunes filles, parfois par des jeunes
hommes. Alors, je veux vous dire que j'ai bien entendu que, s'il y avait un homme, entre autres, à la tête de ce gouvernement-là, qui accompagnait pour dire un non radical aux violences
faites aux femmes, ce serait une bonne façon d'envoyer un signal à l'ensemble
de la société.
Le Président (M. Picard) :
Merci, Mme la députée.
Une voix : 10 secondes?
Le Président (M. Picard) :
Allez-y pour 10 secondes.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien,
si le président Obama l'a fait, pourquoi pas?
Le
Président (M. Picard) :
Merci. Merci, Mmes Miville-Dechêne, Lefebvre et Dumont, pour votre apport
aux travaux de la commission.
Mémoires déposés
Avant de
conclure les auditions, je procède au dépôt des mémoires des organismes qui
n'ont pas été entendus lors des
auditions publiques. Merci à tous et à toutes les personnes pour leur collaboration pour le bon déroulement des travaux.
La commission, ayant accompli son mandat,
ajourne ses travaux sine die.
(Fin de la séance à 20 h 36)